MISSIONS CHRETIENNES EN TERRES D'ISLAM (XVIIE-XIXE SIÈCLES) 9782503526492, 2503526497

Hommes, femmes, catholiques, protestants, européens, américains, appartenant à des congrégations missionnaires prestigie

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MISSIONS CHRETIENNES EN TERRES D'ISLAM (XVIIE-XIXE SIÈCLES)
 9782503526492, 2503526497

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MISSIONS CHRÉTIENNES EN TERRE D’ISLAM

Missions chrétiennes en terre d’islam (xviie-xxe siècles)

Anthologie de textes missionnaires

publiée sous la direction de

Chantal Verdeil

F 2013

© 2013

FHG– Turnhout (Belgium)

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2013/0095/49 ISBN 978-2-503-52649-2

INTRODUCTION C h a nt a l Ve r de i l

La mission en terre d’islam dans le renouveau de l’histoire missionnaire1 Longtemps reléguée aux marges de l’histoire de l’Église, l’histoire des missions connaît depuis une trentaine d’années un profond renouvellement 2. Étudié dans la durée, le phénomène missionnaire se révèle dans toute sa mesure et laisse davantage apparaître les inflexions qui jalonnent le cours d’une histoire pluriséculaire. À cette dilatation chronologique s’ajoute un éclatement des cadres nationaux ou ecclésiaux qui rend justice aux ambitions universelles du 1 Cette introduction doit beaucoup aux travaux de l’école doctorale « Le phénomène des missions d’évangélisation dans l’histoire du christianisme du Moyen-Âge à l’époque contemporaine. Problèmes et méthodes » organisée par Pierre-Antoire Fabre et Antonella Romano à l’École française de Rome en février 2004 ainsi qu’au séminaire La mission chrétienne en terre d’islam organisé par Bernard Heyberger et Rémy Madinier en 2008-2009 à l’Institut d’études de l’Islam et des Sociétés du Monde Musulman (IISMM). Je remercie également mes collègues Catherine Mayeur-Jaouen et Bernard Heyberger pour leur relecture critique. 2 Significatif de ces changements de perspective, le plan thématique adopté par N.  Etherington pour sa synthèse des missions dans l’Empire britannique. Après quelques chapitres sur l’expansion missionnaire, les auteurs s’intéressent successivement aux auxiliaires des missionnaires, à l’influence de leur apostolat sur les langues, aux femmes, aux nouveaux mouvements religieux, à l’anthropologie, à la médecine et à l’éducation. L’ouvrage s’achève avec un chapitre sur la décolonisation. Dix ans plus tôt, l’histoire du christianisme publiée en France adoptait un plan strictement géographique : missionnaires et explorateurs participaient à une même appropriation du monde et les missions chrétiennes étaient étudiées par grands ensembles (Asie, Afrique, Australasie et Océanie). N. Etherington, Missions and Empire, Oxford, 2005. J.-M. Mayeur, Ch. (†) et L. Piétri, A. Vauchez, M. Venard, Histoire du Christianisme, t. XI, Paris, Desclée de Brouwer, 1995.

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christianisme et à la réalité de nombreuses congrégations missionnaires dont le recrutement et la gestion ne sont généralement pas confinés à un seul espace national. Franchir les frontières, qu’elles soient confessionnelles ou politiques, invite à comparer les missions des différentes confessions chrétiennes, catholiques et protestantes et dans une moindre mesure, orthodoxes. Cette démarche permet en outre de confronter les missions religieuses à d’autres organisations laïques dans leur projet ou leur mode de fonctionnement (Mission laïque, Alliance israélite universelle)3. Phénomène « civilisationnel » ou « universalisateur », impliquées dans le « processus d’occidentalisation4 », tissant des réseaux à l’échelle du globe et non seulement entre un centre européen ou américain et des périphéries africaine ou asiatique, les missions nourrissent la réflexion dans les études consacrées aux post-colonial studies ou à la world history5. La recherche insiste désormais sur les effets-retours des missions sur les sociétés européennes ou américaines où elles puisent leurs origines. Cette approche globale va de pair avec une attention renouvelée pour les sociétés locales, leurs transformations, leurs attentes et leur influence. Davantage que la mise en œuvre d’une stratégie bien établie et l’imposition d’une foi étrangère ou renouvelée selon les critères de l’orthodoxie qu’elle défend, la mission apparaît comme le résultat de multiples compromis avec les populations locales et participe à la diffusion d’idées et de concepts que la traduction doit rendre compréhensibles et acceptables. La vitalité de la recherche permet de dégager les spécificités des missions en terre d’islam. Il faut d’emblée relever le paradoxe : dans la plupart des cas, la mission en terre d’islam n’est pas d’abord destinée à convertir les musulmans. La majorité des religieux envoyés

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P. Cabanel (dir), Une France en Méditerranée, Paris, Créaphis, 2006. J. Bocquet (dir), L’enseignement français en Méditerranée, Les missionnaires et l’Alliance israélite universelle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010. 4 H. Maurier, Les missions, Religions et civilisations confrontées à l’universalisme, Paris, Le Cerf, 1993. A. Riccardi, L’Église catholique vers le IIIe millénaire, Paris, Desclée de Brouwer, 1998. 5 H. J. Sharkey, Cultural Conversions : Unexpected Consequences of Christian Missions in the Middle East, Africa, and South Asia, Syracuse University Press, 2013, à paraître. E. Breitenbach, Empire and Scottish society : the impact of foreign missions at home, c. 1790 to c. 1914, Edinburgh University Press, 2009.

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d’Europe ou des États-Unis sont tournés vers les chrétiens européens ou orientaux (qui paraissent beaucoup plus accessibles) ou, dans une bien moindre mesure, vers les juifs. Dans les missions chrétiennes du Maghreb et surtout du Moyen-Orient, les « convertis » qui ne sont pas des chrétiens d’origine n’existent pas ou presque. Peut-on parler de conversion pour un maronite qui fréquente la congrégation masculine fondée par les missionnaires latins établis dans son quartier ? Ou pour le grec-orthodoxe devenu protestant ? Pourquoi, dans ce cas, recourir au terme « mission » si ce terme désigne l’évangélisation des infidèles ? À l’époque moderne, les missions catholiques au Proche-Orient ont encouragé la naissance d’Églises orientales rattachées à Rome. Au xixe siècle, si le but revendiqué reste l’union des chrétiens autour du Saint-Siège, sa mise en œuvre passe d’abord par le renforcement de ces nouvelles communautés ecclésiales. Missions « intérieures » dans leurs objectifs (réformer les chrétiens et affermir leur foi), missions extérieures dans leurs modalités, telles pourraient être les caractéristiques des missions catholiques au Moyen-Orient à cette époque. Nouvelles venues, les missions protestantes recrutent aussi leurs fidèles parmi les chrétiens orientaux. Au Maghreb, la présence plus massive des colons vient brouiller les cartes : les religieux catholiques desservent les églises fondées par le colonisateur et fréquentées par la population européenne. Quelle place alors pour l’islam ? Quelle était l’attitude des missionnaires face à ce qu’ils qualifient volontiers pendant un très long xixe siècle de « bloc inattaquable » ? Quelques rares congrégations se sont pleinement, voire exclusivement engagées dans l’apostolat auprès des musulmans : c’est le cas des sœurs suédoises de la KMA (Kvinnliga Missionsarbetare) dont les textes, traduits et annotés, sont présentés ici par Christian Chanel, c’est aussi le cas des missionnaires d’Afrique, Pères blancs et Sœurs blanches évoqués par Claire Fredj. Quelles étaient leurs ambitions ? Leurs méthodes ? Leurs résultats ? La plupart des missionnaires dont les écrits figurent dans ce volume appartiennent à des organisations, plus nombreuses, qui situent la conversion des musulmans dans un horizon lointain et quasi inaccessible : les jésuites de Syrie sont davantage connus pour leur action à la tête de l’Université Saint-Joseph que pour leurs tentatives de conversion des alaouites rappelées dans cette anthologie (Chantal Verdeil). Les Arméniens forment le gros des fidèles des missionnaires 7

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presbytériens en Anatolie (Hans-Lukas Kieser), dont les confrères en Perse, comme les lazaristes, s’intéressent surtout aux chaldéens (Florence Hellot). En Palestine, les missionnaires anglicans caressent un temps l’espoir de convertir les juifs, mais leurs œuvres, comme celles des Frères des écoles chrétiennes ou des sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, sont surtout tournées vers les chrétiens (Karene Summerer-Sanchez). Établis en terre d’islam, tous sont cependant en contact avec des musulmans : hommes de pouvoir et plus rarement de religion, élèves ou étudiants fréquentant leurs établissements scolaires, malades soignés dans leurs dispensaires ou leurs hôpitaux. Quelles étaient leurs relations avec ces musulmans ? Que savaient-ils de l’islam ? Hommes de l’entre-deux, liés aux orientalistes et aux voyageurs, les missionnaires ont contribué à la connaissance, savante ou non, que les Européens et les Américains ont de l’islam. Qu’en disaient-ils ? Ces différentes questions ont guidé les choix des textes de cette anthologie. Elles braquent la lumière sur un aspect de l’action missionnaire au risque de donner, par un effet de loupe, une vision déformée de l’économie générale de la mission au Maghreb et au Moyen-Orient. De telles questions peuvent mettre mal à l’aise : le projet de conversion des musulmans, qui reste, in fine, inhérent aux ambitions missionnaires, ne va pas sans mépris à l’égard de l’islam ou, au mieux, sans la conviction profonde de la supériorité du christianisme : hors de l’Église (catholique ou protestante), point de salut. Un tel dessein se révèle aussi particulièrement ardu à mettre en œuvre : contraints à la discrétion, les religieux se heurtent à l’indifférence ou au refus – parfois argumenté – de ceux qu’ils veulent convaincre. Les rapports avec les musulmans suscitent enfin de vifs débats sur l’attitude à adopter à leur égard, notamment dans les établissements scolaires. Hommes, femmes, catholiques, protestants, européens, américains, appartenant à des congrégations missionnaires prestigieuses ou membres de sociétés plus modestes, les missionnaires auteurs des textes réunis dans cette anthologie vivent tous en terre d’islam au contact, même distant, des musulmans. Chaque mission constitue aussi une entreprise singulière présentée en détail dans chaque chapitre, par les différents contributeurs de cette anthologie. (B.  Heyberger, H.-L. Kieser, F.  Hellot, C.  Fredj, K.  SummererSanchez, C. Chanel, C. Verdeil). Sur un plan plus général, la confron8

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tation de ces différentes expériences missionnaires autorise des comparaisons et permet d’aborder la mission comme un phénomène global, dégagé de frontières confessionnelles ou nationales trop étroites. Ces écrits, comme les expériences qu’ils relatent, frappent d’abord par leur diversité : lettres, rapports, questionnaires, journaux tenus au jour le jour, sermons… Leurs auteurs sont tous des religieux mais leur formation intellectuelle, leurs centres d’intérêts, leurs styles et leurs capacités d’analyse diffèrent : tous sont loin de faire preuve de la même hauteur de vue que le Révérend William A. Shedd quand il décrit la mission protestante américaine en Perse (document cité par Florence Hellot). Certains sont parfois contraints de suivre des schémas préétablis, comme les membres de la Compagnie de Jésus, dont la correspondance est codifiée par des règles strictes. Tous sont marqués par la liberté (d’embellissement, d’omission ou même de mensonge) que la distance procure à ceux qui ont été envoyés au loin, comme aux destinataires de leur correspondance. Tous sont modelés par les impératifs, parfois contradictoires, qui régissent les écritures missionnaires. Comment, dans les textes publiés, « dire vrai sans décourager personne, ni les vocations, ni les donateurs6 » ? Comment, dans les documents internes, répondre aux supérieurs avides d’informations et argumenter en faveur de tel ou tel projet ? Dans les écritures missionnaires, dont Bernard Heyberger rappelle ici à juste titre qu’elles « n’ont pas toutes le même statut, et ne répondent pas toutes aux mêmes objectifs », les questions financières occupent une place cruciale et pourtant peu documentée7. Loin d’être neutres, bien des 6 C. Paisant (dir), La mission au féminin, témoignages de religieuses missionnaires au fil d’un siècle (XIX e-début XX e), Turnhout, Brepols, 2009, p. 33. 7 Dans ce domaine, il faut citer la thèse de Richard Drevet, Laïques de France et missions catholiques au XIX e siècle : l’œuvre de la Propagation de la Foi, origines et développement lyonnais (1822-1922) (thèse de doctorat : Univ. Lyon II – Lumière, 2002), qui porte sur les Annales de la Propagation de la foi. Les questions d’argent sont plus souvent abordées du point de vue des bailleurs de fonds (Associations charitables, ministères…) ou incluses dans les conditions matérielles de la mission. Si les dons des œuvres missionnaires ou les subventions versées par tel ou tel ministère sont faciles à quantifier, il n’en est pas de même pour les ressources qui proviennent des réseaux privés qu’entretiennent individuellement les missionnaires (familles, confrères, amis…) et des investissements ou du travail réalisés sur place. M. Rooijackers, « L’organisation de la mission des Pères blancs au Sud de l’Ouganda (1879-1914) », dans Les conditions

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lettres formulent de véritables argumentaires pour telle ou telle œuvre menacée d’extinction si elle n’est pas soutenue dans les plus brefs délais. Au sein de cette masse documentaire, il est aisé de distinguer les textes publiés dans des périodiques, missionnaires ou non, et les documents internes destinés à un lectorat restreint (un supérieur, ses conseillers). Les seconds sont plus éclairants pour connaître la vie et l’action des missionnaires. Ils paraissent plus objectifs, quand les premiers renvoient une image convenue de la mission, gomment les dissensions et passent sous silence les découragements ou les échecs : les sociétés missionnaires se doivent d’être unies au sein d’une même Église et leurs religieux ne peuvent qu’être animés d’un même enthousiasme. Les enjeux financiers sont aussi considérables et expliquent que la publication de documents fasse l’objet de toutes les attentions. Dans la Compagnie de Jésus, un père est parfois désigné comme écrivain et chargé de fournir des récits circonstanciés aux revues missionnaires. Il arrive aussi que les textes publiés reprennent des documents internes partiellement réécrits en vue de leur diffusion. S’ils ne rendent pas toujours fidèlement compte des activités des missionnaires, ces documents ne présentent-ils pour autant aucun intérêt ? Sans doute faut-il les considérer avec circonspection, comme tout document d’archives, mais les rejeter en bloc conduirait à se priver de sources précieuses, d’autant plus que les sources internes n’ont pas toujours été conservées et restent parfois difficiles d’accès8. Adressés à un public plus large dont ils reprennent parfois les préjugés, ils ont exercé une influence profonde sur les connaissances qu’ont leurs lecteurs, américains ou européens, des sociétés dans lesquelles œuvrent les missionnaires, et particulièrement, dans le cas présent, de l’islam et des chrétiens d’Orient. Détachés de ces contraintes rhétoriques, journaux intimes, « diaires » tenus au jour le jour, questionnaires destinés aux supérieurs semblent plus sincères et éclairent d’autres réalités de l’histoire missionnaire : l’essor des œuvres mais aussi les échecs, les rapports de pouvoir au matérielles de la mission, contraintes, dépassements et imaginaires, s.d., J. Pirotte, Paris, Karthala, 2005, p. 371-388. 8 À propos des archives de la mission lazariste de Damas, J. Bocquet déplore le manque d’entretien et « un mauvais état général de conservation ». De nombreux documents ont sans doute été perdus, détruits, ou jetés. J. Bocquet, La France, l’Église et le Baas, Paris, les Indes savantes, 2008, p. 371.

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sein des congrégations ou des sociétés missionnaires, les désaccords et les tensions qui s’y font jour, les conflits avec les autres autorités ecclésiastiques (pour les catholiques) ou entre les différentes dénominations protestantes. Ils laissent aussi transparaître la foi et les convictions profondes de certains religieux, leurs espoirs et leurs désillusions, comme cette « impression » d’une sœur de la KMA en Tunisie « que jamais un travail aussi dévoué ne pourra être autre chose qu’un combat dans le vide9 ». Les sources missionnaires comme celles qui sont rassemblées dans ce volume ne servent pas uniquement à écrire l’histoire des missions, des Églises ou de leurs fidèles. Les religieux, souvent prolixes, ont été les témoins (et parfois les acteurs) d’événements historiques dont ils se font l’écho. On trouvera par exemple ici un témoignage poignant des massacres des Arméniens en Anatolie en 1894-1896 présenté par Hans-Lukas Kieser ou les écrits d’un médecin anglican sur la répression orchestrée par le pouvoir britannique pour étouffer la grande révolte de Palestine en 1936-1939 (Karène Summerer-Sanchez). Volontiers ethnographiques, (comme ici les textes sur les alaouites en Syrie), les textes missionnaires servent aussi une histoire plus attentive aux transformations de la société et, plus récemment, aux questions de genre ; le lien étant d’autant plus facile à nouer qu’à la période contemporaine, la majorité des missionnaires sont des femmes. L’abondance et la diversité des sources, l’intérêt historiographique des missions, l’utilisation de ces documents par d’autres champs de la recherche historique justifient donc pleinement le projet de publications de textes missionnaires dans lequel s’inscrit ce volume10.

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Lettre d’Elsa à Fredda, 25 décembre 1910. Citée par C. Chanel. Sont déjà parus : C. Marin (dir), Les écritures de la mission en Extrême-Orient, Le choc de l’arrivée, XVIIIe-XX e siècles : de l’attente à la réalité, Turnhout, Brepols, 2007 ; C. Laux (dir), Les écritures de la mission dans l’outre-mer insulaire, Turnhout, Brepols, 2007 ; P. Cabanel (dir), Lettres d’exil, 1901-1909, Les congrégations françaises dans le monde après les lois laïques de 1901 et 1904, Turnhout, Brepols, 2008. C. Paisant (dir), La mission au féminin, témoignages de religieuses missionnaires au fil d’un siècle (XIX e-début XX e), Turnhout, Brepols, 2009. 10

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Expansion chronologique et géographique De quelles terres d’islam parle-t-on ? En « terre d’islam », cette expression popularisée dans les années 1930 par la revue du même nom, renvoie ici à un espace plus limité que celui qu’elle désigne explicitement : c’est ici un Orient proche ou « moyen » qui a été privilégié, prolongé vers l’ouest vers ce que l’on appelle en France l’Afrique du Nord. Les textes présentés dans ce volume évoquent l’Algérie, la Tunisie, la Syrie, la Palestine, l’Anatolie (actuelle Turquie) et l’Iran et excluent d’importantes terres d’islam : l’Indonésie, l’Afrique subsaharienne ou l’Inde du nord11. Jusqu’au début du xixe siècle, la majorité de ces terres (excepté l’Iran), appartiennent à l’empire ottoman. À l’exception de l’Anatolie et de l’Iran, il passe progressivement sous domination européenne entre 1830 (quand débute la conquête de l’Algérie par la France) et 1920 lorsque se mettent en place les mandats britannique et français au Proche-Orient. Au delà du pouvoir politique, terre d’islam fait référence à la religion de la majorité des habitants qui appartiennent aux sociétés les plus anciennement islamisées. Elle tait cependant la diversité de cet islam et plus généralement des populations : les chiites sont nombreux au sud du Mont-Liban et en Mésopotamie, les druzes au Mont-Liban et dans le Hauran (sud de Damas), les alaouites (appelés nusayrîs jusqu’au début du xxe siècle) dans la montagne qui prolonge le Mont-Liban au Nord. La Perse, où les chiites dominent, abrite aussi des populations sunnites comme les Kurdes. L’islam turc, influencé par la culture persane et l’islam des Turcomans à la fois syncrétique et teinté de chamanisme, est lui aussi pluriel12. Et cette caractéristique pourrait être étendue à l’islam sunnite en général. L’expression « en terre d’islam », si elle traduit ce qui caractérise cette région aux yeux des missionnaires, induit une unité (voire une uniformité) factice, là où il faudrait insister sur la variété des croyances, des rites et des pratiques de ceux qui, du Maghreb à la Perse, se rattachent au monde musulman. Elle passe aussi sous silence la pré11 L’Égypte devait y figurer, mais la Compagnie de Jésus n’a pas autorisé la publication de textes provenant de ses archives en raison des tensions récurrentes que connaît le pays depuis 2011. 12 T. Zarcone, La Turquie moderne et l’islam, Paris, Flammarion, 2004.

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sence des communautés chrétiennes et juives qui connaissent depuis le début ou le milieu du xixe siècle une forte expansion démographique13. Leur présence influe fortement sur l’apostolat des missionnaires : depuis le xviie siècle, la mission catholique puis protestante en terre d’islam est d’abord tournée vers les chrétiens. Pour les missions catholiques, il s’agit de promouvoir une « distinction catholique » qui différencie les chrétiens des musulmans, les catholiques des autres chrétiens orientaux. Diffusion d’objets de piété et de dévotions d’origine latine (culte du sacré cœur, rosaire, culte des saints occidentaux), développement de l’introspection individuelle avec les confessions, encadrement des catholiques dans des congrégations de laïcs, contribuent à les singulariser dans leur environnement14. Au xixe siècle, les missionnaires latins poursuivent cette œuvre. À l’exemple du P. Abougit, ils encouragent les femmes à sortir de chez elles pour se rendre à l’église mais condamnent la fréquentation du hammam. Il s’agit par là de préserver une « pureté » catholique qu’une sociabilité partagée mettrait en péril : Nous le disons à regret, il y avait une sorte de fusion entre les chrétiens et les musulmans à Saïda. Obligés de vivre côte à côte, ils se visitaient fréquemment ; ils liaient petit à petit des relations intimes et de ces relations il résultait, à la longue, une communauté d’idées et d’habitudes qui était tout au détriment des chrétiens, grâce au peu de foi et à l’ignorance religieuse de ces derniers. Les chrétiens s’associaient aux grandes fêtes musulmanes, comme les musulmans s’associaient aux solennités chrétiennes. On se visitait, on se fêtait, on se complimentait de part et d’autre au moins extérieurement, comme si ces fêtes eussent été absolument communes.

13 Y. Courbage, P. Fargues, Chrétiens et juifs dans l’islam arabe et turc, Paris, Payot, 1992, p.  144-152. D’autres épisodes de croissance ont précédé cette poussée de la population chrétienne et juive, comme au xvie siècle. Le Croissant fertile comptait 7% de chrétiens au moment de la conquête ottomane, trois fois plus quatre siècles plus tard. 14 B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la réforme catholique, Rome, EFR, 1994, p. 511-548.

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Cette façon d’agir passait pour du savoir-vivre et de la sociabilité, mais n’était au fond que le résultat de l’affaiblissement du sentiment religieux parmi les catholiques15.

Tous considèrent la domination musulmane et l’imprégnation de la loi religieuse comme une des causes de la « corruption » des chrétiens orientaux toujours menacés de « tomber dans l’abîme du schisme, de l’hérésie, ou de l’infidélité »16. L’ancienneté des liens entre l’Europe et ces terres d’islam marque profondément ces missions. Au début du xviie siècle, quand les jésuites et les capucins s’installent au Levant, l’Europe bruit encore de projets de croisade17. Deux cents ans plus tard, la mémoire de la croisade est toujours vive en France, notamment dans les milieux légitimistes. Cet imaginaire de la croisade s’étend au Maghreb : le comte de Bourmont, chef de l’expédition d’Alger, ne rêve-t-il pas d’y établir un pouvoir chrétien et de « rouvrir la porte du christianisme en Afrique18 » ? Dans les écrits des missionnaires catholiques, la croisade ne prend guère la forme d’une réflexion élaborée et on n’en retrouvera aucune trace dans les textes présentés ici. Elle sert surtout à mobiliser l’ensemble des catholiques en faveur des missions auprès des chrétiens d’Orient et figure en meilleure place dans les textes publiés par les revues missionnaires, comme le Bulletin de l’Œuvre des Écoles d’Orient, fondée en 1856 et qui revendique cette filiation médiévale19 : « En réalité, c’est l’œuvre des anciennes croisades qui se continue, comme jadis, au cri de Dieu le veut ! Non plus, il est vrai, en vue de conquêtes guerrières, mais par les armes plus fécondes de la prière et de la charité », proclame-t-il en 1906. La croisade est 15 ALSI (Archives libanaises de la Compagnie de Jésus), L. Abougit sj, La Nouvelle mission de la Compagnie de Jésus en Syrie, appendice aux Lettres édifiantes et curieuses du Levant, 454 pages, manuscrit non publié. 16 AFSI, (Archives françaises de la Compagnie de Jésus), coll Prat, vol. 9, lettre du P. Badour au P. Maillard, Beyrouth, 14 décembre 1850. 17 B. Heyberger, « Terre Sainte et mission au xviie siècle », dans S. Nanni (dir), Devozioni e pietà fra Seicento et Settecento : il ruolo delle congregazioni e degli ordini religiosi, Dimensioni e problemi della ricerce storica, 2 (1994), p. 127-153. 18 Cité par A. Dupront, Le mythe de croisade, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1997, 4 vol., t. II, p. 906-907. 19 « Notice sur l’œuvre d’Orient », Bulletin de l’Œuvre des Écoles d’Orient, 276, sept-oct 1906. Voir aussi : H. Legrand, Mgr G. M. Croce, L’Œuvre d’Orient, Paris, Cerf, 2010.

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devenue un combat d’ordre moral, une « croisade pacifique », selon l’expression du jésuite A. de Damas, menée par les « descendants des croisés20 » selon des modalités toutes différentes de celle de leurs lointains précurseurs. L’objectif affiché est la régénération des chrétiens d’Orient, prélude à une nouvelle christianisation des terres d’islam. Des missions anciennes Les terres d’islam font partie des anciennes terres de mission : les textes proposés par Bernard Heyberger viennent le rappeler, les missions y sont florissantes depuis le xviie siècle et certains ordres, comme les Franciscains, sont présents au Levant depuis le MoyenÂge. Afin de rendre compte de cette longévité, les textes de ce recueil couvrent une période de trois siècles, de la fin du xviie siècle au milieu du xxe. Au sein de l’Église catholique, c’est avec Ignace de Loyola puis la création de la Congrégation de la Propagation de la foi (Sacra Congregatio de Propaganda Fide) en 1622 que prend corps la réflexion sur les missions : l’évangélisation apparaît comme une œuvre de prédication qui doit imposer la foi par la persuasion. Elle ne s’adresse pas uniquement aux populations non-chrétiennes mais aux hérétiques qui ont emprunté des chemins dévoyés et qu’il faut ramener au catholicisme (au premier rang desquels les protestants) et même aux catholiques jugés ignorants de la foi qu’ils professent et prêts à sombrer dans les pires superstitions. Au Levant, les missions catholiques connaissent un premier apogée entre les années 1660 et 173021. Cette période fondatrice pour les missions catholiques est remémorée ici à travers deux textes, un appel lancé par plusieurs missionnaires d’Alep (1662) et un rapport d’un carme déchaux de retour d’une mission dans la région de Tripoli (1709). Le premier ouvre une fenêtre sur le petit monde des missionnaires où se rencontrent pachas, consuls, catholiques et chrétiens des Églises qui ne reconnaissent pas l’autorité du Saint-Siège, et dont certains sont prêts à rejoindre l’Église romaine. Il témoigne des intrigues des missionnaires latins pour établir de nouvelles Églises unies à Rome. Au xviiie 20 A. de Damas sj, Voyages en Orient, 1866, Paris, Putois-Cretté, 3 vol. : 1, Voyage au Sinai, 2, Jérusalem, 3, La Galilée. 21 B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la Réforme catholique, p. 285-294.

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et au xixe siècles, naîtront successivement les Églises arménienne catholique, grecque melkite catholique, syriaque catholique, chaldéenne et copte catholique. Au cours du xixe siècle, elles se dotent de structures propres et pérennes (droit canon, ordres religieux, clergé séculier). Ce sont ces communautés que les missionnaires du xixe siècle seront chargés de renforcer. La mission reprend alors après plusieurs décennies de déclin et de repli. Les conflits au sein de la Custodie de Terre Sainte depuis 1746 22 , la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773, la période révolutionnaire en Europe et l’expédition d’Égypte ont favorisé un lent déclin qui ne prend fin que dans les années 1820. Au Maghreb, du Maroc à la Libye, des religieux européens exercent leur apostolat auprès des chrétiens captifs au moment où la course fait rage en Méditerranée. A Tripoli, les Frères mineurs originaires de la Péninsule italienne se sont installés en 1630 et quelque dix ans plus tard (1641), leur mission est élevée au rang de préfecture apostolique. Dans la Régence d’Alger des lazaristes sont présents depuis 1645. Ils ont été envoyés afin d’apporter des soins spirituels aux captifs et aux commerçants établis dans les comptoirs de la côte. Le prosélytisme est exclu : dans ses instructions, Vincent de Paul prend bien soin de demander à ses religieux de se soumettre aux lois du pays « hors la religion de laquelle ils ne disputeront jamais, et ne diront rien pour la mépriser »23. À cette date, des religieux espagnols (trinitaires et capucins) exercent déjà un ministère auprès des bagnes qui regroupent les captifs dans les centres urbains. Ils ont ouvert un hôpital à Alger, puis un second à Tunis en 1721 avec le soutien du bey (fermé en 1818, il deviendra consulat puis l’église Sainte-Croix). Ils desservent aussi une église paroissiale. La période révolutionnaire, les soubresauts de l’histoire espagnole, la fin de la course, et 22 En 1746, le bref In supremo militantis Ecclesiae, de Benoît  XIV a établi de nouveaux statuts. Le custode, véritable supérieur, doit toujours être italien. La couronne d’Espagne conteste cette décision qui met en cause, selon elle, son droit de patronage. Sur place, les conflits sont récurrents entre religieux espagnols et italiens. P. Pieracini, « Le rétablissement du patriarcat latin de Jérusalem en 1847 et la custodie de Terre Sainte », Chronos, 21 (2010), p. 35-72. 23 Cité dans J. Landousies, « Présence chrétienne en Algérie et en Tunisie du xiie au xixe siècle » dans Histoire des chrétiens d’Afrique du Nord, s.d., H. Teissier, Desclée, Paris, 1991, p. 67-84.

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l’abolition de l’esclavage transforment radicalement l’apostolat des religieux européens au Maghreb. Après 1827, mais pour quelques années seulement, il n’y a plus de lazaristes dans la Régence d’Alger. Au Maroc, la suppression des ordres religieux en Espagne (1834) tarit le recrutement. En 1850, on n’y compte plus qu’un père établi à Tanger24. Le renouveau des missions au XIXe siècle Au début du xixe siècle, les missions protestantes sont absentes de ces terres d’islam. Les premières missions britanniques, menées par la Society for Promoting Christian Knowledge (1698) et la Society for the Propagation of the Gospel (1701) remontent au tout début du xviiie siècle. Elles sont destinées à évangéliser la Grande-Bretagne et à établir l’Église d’Angleterre parmi les émigrants partis en Amérique du Nord. Elles entendent enfin promouvoir la conversion des populations indigènes (Natives) outremer, notamment en Amérique25. Fondée en 1799 à Londres, l’Anglican Church Missionnary Society (CMS) envoie W. Jowett à Malte en 181526. En 1819, un suisse Charles Burkhardt distribue des bibles à Jérusalem au nom de la British Foreing Bible Society. Il est rejoint par James Connor de la CMS quelques mois plus tard27, au moment où les premiers missionnaires envoyés par l’American Board of Commissioners for Foreign Mission (ABCFM), débarquent à Smyrne avant de gagner Jérusalem28. Dès 1825, le centre de la mission de l’ABCFM est transféré de Jérusalem à Beyrouth et quatre ans plus tard, un missionnaire est envoyé à

24 J. Landousies, « Présence chrétienne en Algérie et en Tunisie du xiie au xixe siècle », p. 67-84. 25 A. Porter, « An Overview, 1700-1914 », dans Missions and Empire, ed., N. Etherington, Oxford University Press, Oxford, 2005, p. 40-63. 26 J. Hajjar, L’Europe et les destinées du Proche-Orient I (1815-1848), 1970, Bloud et Gay, 632 pages, p. 5-13. 27 T. S. Stransky, « La concurrence des missions chrétiennes en Terre sainte, 1840-1850 » dans De Bonaparte à Balfour, La France, l’Europe occidentale et la Palestine, 1799-1917, ed. D. Trimbur, R. Aaronsohn, 2008, CNRS Éditions, p. 207-229. 28 M. A. Do÷an, « From New England into New Lands, the beginnings of a long stay » dans American Missionnaries in the Middle East, foundational Encounters, ed., M. A. Do÷an, H. Sharkey, The University of Utah Press, 2011, p. 3-32.

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Constantinople29. En 1829, l’ABCFM (American Board of Commissioners for Foreign Missions) envoie ses premiers missionnaires en Turquie puis en Perse30. Là, ils reprennent le flambeau éteint après la mort de Henry Martyn, auteur d’une traduction de la Bible en persan (1812)31. À la différence de celles qui les avaient précédées au xviiie siècle, ces sociétés missionnaires se développent en marge des autorités religieuses officielles de Grande-Bretagne. Portée par le second réveil (1800-1830) qui prend son essor après l’indépendance américaine, l’ABCFM est une organisation presbytérienne qui fédère plusieurs dénominations pour promouvoir les missions que leur émiettement aurait pu compromettre. Critique à l’égard des Églises officielles qu’elles ne jugent pas assez dynamiques, ces organisations missionnaires sont portées par un millénarisme qui caractérise de très nombreuses Églises du réveil protestant. Les religieux, qui déchiffrent dans les événements du temps les signes de l’imminence de l’avènement du Royaume, aspirent à hâter la venue du millenium de paix, de bonheur et de prospérité et voient dans leur action une façon de collaborer au projet divin. Dans cette perspective, le ProcheOrient est moins terre d’islam que terre sainte ou terre biblique qu’il faut reconquérir pour le Christ. Les premières missions s’intéressent aux juifs, qu’il faut restaurer en Terre Sainte et rendre davantage réceptifs au message chrétien. L’ambition de promouvoir un renouveau (revival) du christianisme oriental devient la première étape de cette reconquête des terres bibliques et, au-delà, de cette humanité qu’il faut conduire à la vraie foi avant le Jugement dernier. À partir de 1851, la CMS envoie des missionnaires en Palestine. Après plusieurs séjours ponctuels, elle s’installe en Perse dans les années 1870, suivie de l’Église d’Angleterre (Florence Hellot). Au Maghreb, des pasteurs protestants accompagnent la colonie naissante depuis les années 1830. Après 1880, il est davantage question de mission et diverses sociétés protestantes d’origine scandinave, anglaise ou amé-

29 J.-M. Hornus, « Le protestantisme au Proche-Orient », Proche-Orient chrétien, 7 (1957), p. 139-151. 30 Ces deux missions sont évoquées ici par F. Hellot et H.-L. Kieser. 31 C. Mayeur-Jaouen, « Les chrétiens d’Orient au xixe siècle : un renouveau lourd de menaces », dans Histoire du christianisme vol. 11, s.d., J.-M. Mayeur, Ch.  (†) et L. Piétri, A. Vauchez, M. Venard, Desclée/Fayard, Paris, 1995, p. 830.

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ricaine, diffusent des bibles et prêchent l’évangile32. Installées d’abord en Algérie, elles essaiment ensuite en Tunisie et au Maroc. La « Mission des Femmes Suédoises parmi les Femmes d’Afrique du Nord », lancée en 1887-1888 à Constantine, a d’abord travaillé auprès des femmes algériennes avant de s’établir en 1898 à Bizerte d’où provient la correspondance présentée par Christian Chanel. Le renouveau des missions catholiques suit celui des missions protestantes avec quelques années de retard au Proche et MoyenOrient, d’avance au Maghreb. Soutenu par la croissance démographique de l’Europe, il est porté par le sursaut de l’Église catholique après la période révolutionnaire. Au Maghreb, la colonisation et l’installation de chrétiens de plus en plus nombreux (Italiens, Espagnols, Maltais, Français) dans les ports de la rive sud de la Méditerranée favorisent la reprise des missions. Les religieux français reviennent avec le corps expéditionnaire envoyé à Alger en 1830. L’érection du diocèse du même nom et la conquête de l’ensemble du territoire font vite de l’Algérie une partie de l’Église de France en même temps qu’une terre de mission33. Au Maroc, en Tunisie et en Libye, les missionnaires précèdent la conquête coloniale et accompagnent l’augmentation du nombre des Européens sur place : dans les années 1840, les sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition ont ouvert des écoles à Tunis, suivies en 1855 par quelques frères des Écoles chrétiennes34. À Tanger, l’augmentation du nombre de catholiques qui passe de 644 en 1876 à 14 000 en 1915 encourage le développement de la mission franciscaine. Au Proche-Orient, les arrivées de nouvelles recrues reprennent un rythme régulier à partir de 1820, puis plus soutenu à partir des années 1850. La Compagnie de Jésus reprend sa mission « de Syrie » en 1831. Trente ans plus tard, elle

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J. Gadille, J.-F. Zorn, « L’Afrique » dans Histoire du christianisme vol. 11, p. 10031052. Zohra Ait Abdelmalek, Protestant en Algérie, Le protestantisme et son action missionnaires en Algérie au XIX e et XX e siècles, Lyon, Olivétan, 2004. 33 Seize aumôniers et un prêtre font partie de l’expédition militaire de juillet 1830 qui va conduire à la conquête de l’Algérie. O. Saaïdia, « Le cas de l’Église catholique en Algérie avant la Première Guerre mondiale », dans Religion et colonisation, D. Borne, B. Falaize, éditions de l’atelier, Paris, 2009, p. 166-176. Voir aussi la contribution de C. Fredj dans ce volume. 34 F. Arnoulet, « L’enseignement congréganiste en Tunisie aux xixe et xxe siècles », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, 72 (1994), p. 26-36, p. 27.

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compte 40 membres35. Les lazaristes, dont la présence ne s’est jamais complètement éteinte, rouvrent une maison à Damas en 1826 et un collège dans la montagne libanaise (Antura, ‘ayn tûra) en 1834. En 1840, comme le rappelle Florence Hellot, ils s’établissent en Perse. Peu après, les Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition et les Filles de la Charité bientôt suivies des Dames de Nazareth et des sœurs de Notre-Dame de Sion gagnent la Syrie et la Palestine36. Les années 1840 sont aussi celles de la création d’un évêché anglo-prussien (en 1841) et du rétablissement du Patriarcat Latin à Jérusalem (en 1847). En 1858, le Synode russe envoie une nouvelle mission permanente en Terre sainte (après une première tentative dans les années 1840) confiée à l’évêque Cyrille Naumov37. Le nombre des congrégations comme des religieux s’accroît vigoureusement après 1870 : vingt-cinq congrégations catholiques s’installent en Terre Sainte entre 1870 et 1910, tandis que missionnaires allemands et suédois y prennent pied et que d’autres organisations protestantes y développent leurs activités, comme le montre Karène Summerer-Sanchez à propos d’Hébron. Au Proche-Orient (en Syrie, en Anatolie et en Égypte), les jésuites fondent treize résidences entre ces deux dates38. En 1882, est fondée en Russie la Société Orthodoxe de Palestine (qui devient en 1889 la Société Impériale Orthodoxe de Palestine) afin de promouvoir les pèlerinages en Terre Sainte et y fonder des écoles et des hôpitaux39. Partout s’opère un changement d’échelle que l’architecture manifeste avec éclat : le plus souvent réduits à une semi-clandestinité à l’époque moderne, les mission35 C. Verdeil, La mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie (1830-1864), Paris, les Indes Savantes, 2011, p. 75. 36 C. Verdeil, « Travailler à la renaissance de l’Orient chrétien : les missions latines en Syrie (1830-1945), Proche-Orient Chrétien, 51 (2001), p. 267-316. C. Langlois, « Les congrégations françaises en Terre sainte au xixe siècle », dans De Bonaparte à Balfour, La France, l’Europe occidentale et la Palestine, 1799-1917, ed., D. Trimbur, R. Aaronsohn, 2008, CNRS Éditions, p. 231-253. 37 T. S. Stransky, « La concurrence des missions chrétiennes en Terre sainte, 1840-1850 », p. 226-227. 38 C. Langlois, « Les congrégations françaises en Terre sainte au xixe siècle », p. 235. C. Verdeil, « La compagnie de Jésus au “levant”, À propos d’un livre de Charles Libois », Proche-Orient Chrétien, 62 (2012), p. 23-30. 39 E.  Astafieva. « La Russie en Terre sainte : le cas de la Société Impériale orthodoxe de Palestine (1882-1917) », Cristianismo nella storia, 24-1 (2003), p. 41-68.

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naires érigent désormais des bâtisses imposantes, parfois situées sur des promontoires et visibles de loin. L’esprit de conquête qui les anime se lit dans les paysages. Les dynamiques à l’œuvre ne sont pourtant pas similaires : là où les Églises américaines protestantes du second réveil se montrent conquérantes, l’Église catholique, qui se relève à peine des traumatismes vécus pendant la période révolutionnaire, reste sur la défensive. Beaucoup de religieux catholiques se disent attirés par des terres où l’Église n’est pas, comme en Europe et singulièrement en France, attaquée de toute part. Dans ces espaces ouverts à tous les possibles, ils aspirent à recréer une chrétienté idéalisée et préservée des erreurs modernes (dont le protestantisme fait partie à leurs yeux) et à instaurer la « civilisation » qui ne peut que se fonder sur le catholicisme40. Leur modèle, c’est le Christ souffrant sur la croix et comme lui, il sont prêts à aller jusqu’au martyre pour accomplir leur mission41. « Civilisation » fait aussi partie des maîtres mots des missionnaires protestants qui entendent sauver le monde : « Your Mission is to be regarded as a part of an extended and continually extending system of benevolent action, for the recovery of the world to God, to virtue and to happiness » clame S. Worcester secrétaire du Prudential Committee de l’ABCFM dans son texte d’envoi des deux premiers missionnaires (cité dans ce volume par Hans-Lukas Kieser). Par comparaison, les instructions assignées aux jésuites quelques années plus tard frappent par leur modestie. Le but de la mission « est 1. Le soin des élèves du Séminaire [grec catholique de ‘Ayn Traz] (…) 2. Des tournées pour l’aide spirituelle des âmes dans le voisinage du Séminaire ». Même si le père général de la Compagnie précise ensuite que « le but second de votre mission vous a été proposé de telle manière que c’est principalement dans cette espérance »42 que la mission a été acceptée, il 40 L’appel à la mission, formes et évolutions, XIXe-XXe siècles, collection du CREDIC n° 7, Facultés catholiques de Lyon, Université Jean Moulin, Lyon, 1989. 41 X. de Montclos, « La vie spirituelle en France au xixe siècle et l’élan missionnaire », dans Les réveils missionnaires en France du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Beauchesne, 1984, p. 321-337. 42 « Instruction du P. Jean Roothan, supérieur général aux pères qui sont envoyés au Mont-Liban, Rome 10 septembre 1831 », cité dans S. Kuri, sj, Une histoire du Liban à travers les archives jésuites, 1816-1845, Beyrouth, Dar el-machreq éditeurs, 1985, p. 2932.

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n’en reste pas moins que ses objectifs, circonscrits, précis et concrets, n’apparaissent, au mieux, que comme un premier pas dans la rédemption du monde (à laquelle il n’est fait aucune allusion) dans laquelle les missionnaires américains se veulent résolument engagés. De façon plus générale, il est moins question pour l’Église catholique de gagner de nouveaux fidèles que de renforcer la foi et les institutions de ceux qui sont déjà rattachés au Saint-Siège. Sa perspective, davantage ecclésiologique, peut ainsi être opposée au projet plus nettement sotériologique des missionnaires protestants43. Plus nombreux, les missionnaires investissent de nouveaux espaces ; hommes et femmes, ils touchent de nouveaux publics, dont les filles et les femmes désormais systématiquement accueillies dans leurs écoles, leurs églises et leurs congrégations. Catholiques, protestants et orthodoxes, ils contribuent à la diversité du christianisme oriental, même si la politique romaine promeut l’uniformisation. Dans cette longue histoire missionnaire, le tournant se situe sans doute au mitan du xixe siècle. Il ne faudrait pas y voir une rupture trop radicale : l’apostolat auprès des filles comme les missions rurales ont commencé dès le xviie siècle mais prennent désormais d’autres proportions. Le développement des transports et des moyens de communication réduit les distances, raccourcit le temps de circulation des correspondances et atténue la solitude des religieux, mais le fonctionnement des missions plonge ses racines dans la période précédente et les missionnaires catholiques du xixe siècle continuent à se référer à l’action de leurs prédécesseurs, dont ils sont, fidélité à un ordre oblige, les héritiers et les continuateurs44. Le Saint-Siège, qui, au moins formellement, les envoie et les contrôle, puise ses références dans la tradition née à l’époque moderne ou antérieurement. L’histoire n’est pas aussi longue pour les Églises protestantes dont l’élan missionnaire remonte au xviiie siècle. Elle n’est pas sans influence, notamment sur les débuts de la mission de l’ ABCFM dont 43

H. Badr, « American Protestant Missionary Beginnings in Beirut and Istanbul : Policy, Politics, Practice and Response », dans New Faith in Ancient Lands, Western Missions in the Middle East in the Nineteenth and Early twentieth Centuries, ed. H. Murrevan den Berg, 2006, Brill, p. 211-239. 44 C. Verdeil, La mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie ; B. Heyberger, C. Verdeil, « The Jesuits’ discourse on the Holy Land (17th-19th century) », dans New Faith in Ancient Lands, p. 19-42.

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un des fondateurs, Jedidah Morse, était le correspondant de l’American Society for Promoting the Civilization and General Improvment of the Indian Tribes within the United Sates. Or c’est au moment où cette mission échoue (en raison de l’extermination des Indiens) que les premiers missionnaires sont envoyés vers la nouvelle frontière que dessine le Moyen-Orient45. Un bilan rapide à la fin du xixe siècle fait apparaître tout ce que la localisation des résidences missionnaires doit au dynamisme des communautés chrétiennes. Au cœur de cette géographie missionnaire, le Proche-Orient que les religieux catholiques font volontiers coïncider avec une Terre sainte dilatée qui s’étend de l’Irak héritier de Babylone à l’Égypte antique refuge de la Sainte Famille. L’Anatolie (où les missionnaires américains sont très nombreux auprès des Arméniens) dessine un premier cercle périphérique au-delà duquel se situent le Maghreb et la Perse. La péninsule Arabique, en dépit de quelques tentatives restées célèbres46 , ne reçoit quasiment pas de religieux européens ou américains. Cette géographie, qui repose sur le nombre des congrégations et des résidences ne recoupe qu’imparfaitement celle des différents ordres missionnaires. Chacun a la sienne, qui relie la périphérie (missionnaire) au centre (européen ou américain) mais aussi des terres missionnaires entre elles. Avant d’être consacré évêque anglican de Jérusalem en 1846, Samuel Gobat a été missionnaire pour la CMS en Éthiopie puis à Malte47. Au sein de la Compagnie de Jésus, les missions de Syrie, d’Égypte et d’Arménie dépendent de la même province, celle de Lyon, autrement dit du même supérieur, et les hommes circulent d’une maison à l’autre. Sur un autre plan, la fondation, en 1875, de l’Université Dǀshisha à Kyoto 45 U. Makdisi, Artillery of Heaven, American Missionaries and the Failed Conversion of the Middle East, Cornell University Press, New York, 2008. 46 Comme celle du P.  Cohen-Palgrave, jésuite qui a parcouru la péninsule arabique au début des années 1860 avec la conviction qu’il pourrait convertir les wahhabites, alors considérés comme éloignés de l’orthodoxie sunnite. Pour une étude récente de ce périple, G. Arboit, « Un jésuite au service de la France et du Second Empire : les missions du P. Cohen dans le désert de Syrie et d’Arabie », Revue d’histoire ecclésiastique, 96 (jan-juin 2001), p. 88-99. 47 C. Van der Leest, « The Protestant Bishopric of Jerusalem and the missionary activities in Nazareth, The Gobat Years, 1846-1879 », dans Christian Witness Between Continuity and New Beginnings, Modern historical missions in the Middle East, ed., M. Tamcke, M. Marten, Berlin, LIT Verlag, p. 199-211, p. 201.

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par les missionnaires protestants américains doit beaucoup à l’expérience du Syrian Protestant College de Beyrouth48. Les missions, et donc celles du Maghreb et du Moyen-Orient, tissent leurs réseaux à l’échelle du globe. Pendant la Première Guerre mondiale, missionnaires français et anglais sont mobilisés. Après l’abolition des capitulations (1er octobre 1914), les premiers sont considérés comme des étrangers et finalement expulsés49. En 1918-1919, quand les religieux reviennent, ils découvrent leurs maisons occupées ou pillées, parfois détruites, comme à Naplouse (Karène Summerer-Sanchez). Tout semble à reconstruire. En Anatolie, le génocide contre les Arméniens a mis un terme définitif à des missions florissantes, évoquées ici à travers les archives de la mission protestante américaine50. L’affermissement de la domination européenne et le redéploiement des missions après le traumatisme de la Grande Guerre soulèvent néanmoins de nouveaux espoirs. Le Bulletin de l’Œuvre d’Orient ne peut-il pas écrire en 1926, « dans cinquante ans, la terre syrienne sera aussi chrétienne que le sont nos diocèses » ?51 Rapidement, ces espoirs se révèlent illusoires : la montée des nationalismes, les révoltes contre la domination européenne et le déclin démographique relatif des chrétiens fragilisent les organisations missionnaires. L’expansion reprend quoique plus timidement si l’on compare aux années fastes de la fin du xixe siècle52. En dépit d’effectifs stables (autour de 155 religieux au sein de la mission du Proche-Orient), les jésuites fondent de nouvelles rési48 A. Majstorac-Kobiljski, Learning to Be Modern, Weatherhead Studies in East Asian History Series, Columbia University, à paraître. 49 Les autorités ottomanes ont envisagé un moment de déporter les missionnaires de Damas à Orfa avant de revenir sur leur projet à la suite de l’intervention de Benoît XV. Sur ce sujet, voir, J. Bocquet, Missionnaires français en terre d’islam, Paris, Les Indes savantes, 2005, p. 302-304. 50 Les jésuites avaient aussi développé des missions en Arménie où œuvraient 57 missionnaires en 1913. Des sept résidences fondées entre 1881 et 1914, seules celles de Constantinople et d’Adana sont rouvertes après la guerre. La seconde est fermée en 1922 quand les Français rétrocèdent la Cilicie à la Turquie. Trois jésuites maintiennent une présence dans cette ville jusque dans les années 1950. C. Libois, La Compagnie de Jésus au « Levant », La province du Proche-Orient, p. 226-231. 51 « Fonction de l’œuvre d’Orient », Bulletin de l’œuvre des Écoles d’Orient, octobre 1926, p. 129-134, p. 134. 52 À propos des missions lyonnaises (au départ de Lyon), Y. Essertel parle de « tassement » pour l’Entre-deux-guerres. Les femmes lyonnaises sont alors plus

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dences en Irak et en Syrie et se maintiennent en Égypte et au Liban53. Les congrégations féminines font preuve d’un plus grand dynamisme : elles sont majoritaires parmi les congrégations catholiques qui s’implantent au Proche-Orient après le premier conflit mondial, alors que celles qui y sont établies depuis plus longtemps reçoivent de nouvelles recrues54. Au Proche-Orient, dans les années 1930, la majorité des missionnaires sont des femmes. Dans l’histoire des missions modernes, le premier tiers du xxe siècle marque un apogée que reflète cette anthologie : la plupart des documents date de la période qui court des années 1880 aux années 1930. Ils coïncident aussi avec l’acmé de la domination européenne sous ses différentes formes. L’essor du nationalisme et la montée des impérialismes européens à la fin du xixe n’épargnent pas les missions dont les acteurs sont aussi des hommes et des femmes de leur temps. Les langues, qui font partie des attributs par excellence de la nation, prennent une nouvelle valeur et deviennent un des enjeux des rivalités coloniales. Pour beaucoup de religieux catholiques français, l’engagement missionnaire devient un moyen de protester de son patriotisme. Pris à partie en métropole, la plupart d’entre eux se présentent comme les serviteurs dévoués et désintéressés de la politique coloniale française. Karène Summerer-Sanchez rappelle qu’en Palestine, les Frères des écoles chrétiennes sont accusés d’être des « patriotes à la solde de la France ». Ces allégations, si elles reflètent une part de vérité, expliquent aussi le malaise de missions catholiques prises entre plusieurs allégeances, (la France et le Saint-Siège au premier chef), dont les frères des écoles chrétiennes en Palestine offrent un saisissant exemple. Pour Ussama Makdisi, le nationalisme gagne aussi les missionnaires protestants américains à la fin du siècle au moment où les États-Unis se lancent à la conquête de Hawaï et des Philippines. Au millénarisme qui plaçait les missionnaires comme les indigènes dans une même course contre la montre, succède un discours influencé par les théories raciales et le darwinisme qui met nombreuses que les hommes à partir. Y. Essertel, L’aventure missionnaire lyonnaise, Paris, Cerf, 2001 p. 140. 53 C. Libois, La Compagnie de Jésus au « Levant », La province du Proche-Orient, p. 295-315. 54 C. Verdeil « Travailler à la renaissance de l’Orient chrétien. Les missions latines en Syrie (1830-1945) », p. 267-316.

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les populations locales dans une position d’infériorité et glorifie l’Amérique, pays de la science, de la liberté et du progrès55. Plusieurs textes de ce recueil témoignent de ces rapports de coopération, de contrôle et, plus rarement, de conflits, qui lient missionnaires et pouvoir colonial. À Alger dans les années 1850, les Filles de la Charité sont rappelées à l’ordre à plusieurs reprises par les autorités françaises qui les accusent de prosélytisme. Vingt ans plus tard, le gouverneur général Mac Mahon s’oppose à l’action des jésuites et ses Pères blancs en Kabylie pour les mêmes raisons. Dans sa contribution, Claire Fredj montre comment les hôpitaux et les dispensaires tenus par les missionnaires en Algérie participent de la surveillance des indigènes mise en place par le pouvoir colonial. Ce contrôle qui passe notamment par les billets d’admission se révèle pesant aux yeux des missionnaires qui le dénoncent sans pouvoir y échapper. Il se double parfois de la malveillance d’un pouvoir volontiers anticlérical dont la presse se fait l’écho quand elle dénonce ces institutions où on ne soigne que ceux qui acceptent de se convertir. Dans un autre contexte, à Hébron, l’hôpital de la mission protestante apparaît aussi comme un « rouage de l’administration » ici mandataire et britannique. En 1929, après les troubles qui agitent la ville, les autorités britanniques demandent avec insistance sa réouverture. Au moment de la grande révolte de Palestine (1936-1939), sévèrement réprimée par les Britanniques, le médecin missionnaire qui y travaille se montre plutôt favorable aux révoltés. Dans son journal, dont Karène SummererSanchez livre de suggestifs extraits, il dénonce la brutalité de la répression et évoque sa sympathie pour les Arabes. Nouvelles inflexions après les années 1930 Après les années 1930, l’histoire des missions connaît de nouvelles inflexions. Disparition de la mission ? Ou au contraire permanence sous une autre forme ? La question n’est pas sans lien avec celle des relations entre colonisation et mission. Si la mission survit, c’est qu’elle était moins liée à la colonisation qu’on pouvait le croire. Si elle s’éteint avec les indépendances en laissant la place aux Églises locales elles-mêmes dégagées de la tutelle missionnaire, la mission 55

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U. Makdisi, Artillery of Heaven, p. 171-176.

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devient une sorte de volet religieux de l’expansion coloniale. La polysémie du terme « mission », qui dans l’histoire du christianisme n’est pas utilisé seulement pour désigner l’évangélisation des infidèles, brouille encore les pistes. Quoi qu’il en soit, la mission fait l’objet de vives critiques au moment des indépendances : tour à tour accusée d’être un auxiliaire servile du pouvoir colonial ou, au contraire, de connivence avec les mouvements indépendantistes, elle ne satisfait ni les partisans du statu quo, ni les promoteurs d’un ordre nouveau. Progressivement, elle doit faire son aggiornamento : avec les indépendances, le temps de la mission moderne, où les religieux sont envoyés par une institution à laquelle ils doivent rendre des comptes s’achève. Comme l’écrit C. Prudhomme, « dans le sillage du désaveu de la colonisation, missions protestantes et catholiques entrent dans une crise profonde qui marque la fin de la mission telle qu’elle était pensée depuis le xviie siècle »56. Pour les théologiens catholiques et protestants, le mot « mission » prend un autre sens au mitan du xxe siècle et désigne désormais « le mouvement initial de Dieu lui-même, Missio Dei, par lequel sa Parole, son Fils, son Esprit sont répandus à travers le monde »57. « Le terme « mission » renvoie de moins en moins à un mode structuré de diffusion du christianisme et tend à désigner l’obligation de témoigner, sans recourir pour autant à un prosélytisme devenu anachronique58. Le développement de l’œcuménisme, la création d’Églises ou de congrégations locales, le déclin de nombreuses Églises mères, la fin de la colonisation et les indépendances transforment profondément la mission telle qu’elle était organisée jusqu’alors. Dès le xixe siècle se créent des Églises protestantes locales. Depuis 1932, les Églises épiscopaliennes, presbytériennes et évangéliques sont réunies dans le Conseil des Églises du ProcheOrient (Near East Council of Churches). Pour les catholiques, ce mouvement se traduit par la reconnaissance des établissements mis56 C. Prudhomme (dir), Une appropriation du monde, Mission et missions XIX e-XX e siècles, Paris, Publisud, 2004, 254 pages, p. 15. 57 K. Blaser, Repères pour la mission chrétienne, cinq siècles de tradition missionnaire. Perspectives œcuméniques, préface de J.-F. Zorn et A. Quenum, Paris, Genève, Éditions du Cerf, Labor et Fides, 2000. 58 C. Prudhomme, « Des missions à l’internationalisation des Églises, Évolution ou révolution ? », dans La Globalisation du religieux, s.d., J.-P. Bastian, F. Champion et K. Rousselet, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 21-34.

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sionnaires comme des composantes à part entière des congrégations ou des ordres dont elles relèvent. En 1936, les missions jésuites de Syrie et d’Égypte sont réunies en une seule mission du ProcheOrient, elles forment une vice-province en 1939, toujours sous la dépendance de la province de Lyon, puis deviennent province indépendante en 195859. Ce nouveau mode d’organisation sanctionne l’indigénisation du personnel des missions qui résulte à la fois du recrutement de religieux d’origine indigène (depuis la fin du xixe siècle) et de la diminution du nombre des missionnaires envoyés d’Europe ou des États-Unis, elle-même liée au déclin des vocations. La situation des organisations missionnaires dépend aussi beaucoup de l’attitude des pouvoirs en place dans les années qui suivent l’indépendance. Au Maghreb, l’arrivée des coopérants après les indépendances et l’idéologie développementaliste qui domine alors entraînent les religieux dans de nouvelles œuvres : formation pour adultes au Sahara, bibliothèques pour étudiants en Tunisie, lycée agricole (comme celui du domaine de Thibar tenu par les Pères blancs en Tunisie) : l’énergie des missionnaires trouve facilement à s’employer dans les nouveaux États. Et les synodes de 1962 (Maroc) ou 1968 (Tunisie) définissent de nouveaux modes d’action. Au Proche-Orient, où l’arabisme triomphe, la transition est souvent plus heurtée. En 1959, le collège cairote de la Sainte-Famille dirigé par la Compagnie de Jésus, est réquisitionné par le gouvernement de Nasser. D’autres religieux sont bien vite contraints aux mêmes déchirantes adaptations : plusieurs établissements scolaires sont nationalisés en 1967 en Syrie, en 1968 en Irak, et les religieux parfois expulsés comme les jésuites (américains) d’Irak en 1969. Plusieurs États du Maghreb adoptent des politiques similaires dans les années qui suivent. En 1970, le colonel Kadhafi ordonne l’expulsion des Italiens de Libye et celles des missionnaires. Les églises sont transformées en mosquées, les résidences et leurs œuvres (école, dispensaires, hôpitaux) sont fermées. En 1976, les nationalisations décidées par le gouvernement algérien touchent aussi les institutions sanitaires et scolaires chrétiennes qui passent toutes sous le contrôle de l’État. Ailleurs, comme en Tunisie ou au Liban, les institutions des congrégations religieuses 59

C. Libois, sj, La Compagnie de Jésus au « Levant », La province du Proche-Orient, notices historiques, Beyrouth Dar el-Machreq, 2009, p. 79.

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suivent une évolution similaire de façon plus sereine. Avec le temps, beaucoup de congrégations remettent la direction de leurs établissements scolaires et de nombreux postes d’enseignements à des laïcs issus de la population locale. Les religieux demeurent comme gardiens d’une tradition et garants d’une exigence morale et spirituelle. La situation de ces anciennes missions dépend enfin et plus que tout de celles des communautés chrétiennes sur place. D’une certaine façon, puisque c’est la présence chrétienne en ces terres d’islam qui a appelé et justifié la mission, son effacement ne peut que s’accompagner d’un déclin de l’encadrement missionnaire. C’est particulièrement vrai au Maghreb où le nombre de chrétiens s’est considérablement réduit depuis les années des indépendances60, cela l’est moins au Proche et Moyen-Orient où les Églises chrétiennes font encore preuve d’un vif dynamisme au lendemain des indépendances. Mais depuis baisse de la natalité et essor de l’émigration se conjuguent pour réduire les communautés chrétiennes, sauf en Égypte ou au Liban où ils n’ont jamais été aussi nombreux en valeur absolue. Une partie des Églises orientales se redéploie en Amérique du Nord ou en Australie, loin des terres d’islam. Un prosélytisme chrétien dynamique subsiste cependant à travers les mouvements missionnaires issus de la famille évangélique particulièrement actifs au Maghreb et au Liban. Plus « conquérants » que leurs prédécesseurs, ils s’adressent sans complexe aux musulmans et gagnent des convertis parfois contraints, comme au Maroc, à une stricte clandestinité61. Au Maroc et en Algérie, leur prosélytisme offensif tranche avec la retenue et la discrétion observée par les Églises issues de la colonisation. Le cas des missionnaires protestantes suédoises pré60 Les départs s’effectuent par à-coup et n’empêchent pas de nouvelles fondations missionnaires au début des années 1950. En 1956, plus de la moitié de la population européenne de Meknès quitte la ville à la suite de graves violences. En 1965, on ne compte plus que 8000 chrétiens pratiquants en Tunisie. R. Lourido Diaz, « L’Église dans le Maghreb indépendant », dans Histoire des chrétiens d’Afrique du Nord, s.d., H. Teissier, Desclée, Paris, 1991, p. 215-223. F. Grazzini, « L’Église en Tunisie après l’indépendance », ibid., p. 225-233. 61 K.  Dirèche, « Mondialisation des espaces néo-évangéliques au Maghreb, controverses religieuses et débats politiques », Méditerranée, 116 (2001), p.  59-65. F. Kaoues, « Le développement de l’évangélisation protestante dans le monde arabe : l’exemple de l’Abundant Life Church au Liban », dans Religions et frontières, s.d., F. Kaoues, C. Vanel, V. Vilmain, A. Fauches, Paris, CNRS Éditions, 2012, p. 117-129.

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sentées ici par Christian Chanel suggère cependant de réfléchir aux liens entre anciennes et nouvelles missions protestantes : contrairement à d’autres missions, les sœurs de la KMA n’ont pas abandonné l’espoir de convertir les musulmans, mais elles sont loin de rencontrer le succès des évangélistes d’aujourd’hui.

Chrétiens et juifs, le public des missionnaires en terre d’islam L’expansion des missions au Maghreb et au Moyen-Orient est étroitement liée à la croissance démographique des chrétiens et à l’expansion de l’Europe et des États-Unis. Au Moyen-Orient comme au Maghreb, c’est bien souvent la présence de chrétiens qui explique ou justifie l’installation des missionnaires. Dans les faits, plusieurs acteurs orientent leur choix : supérieurs ecclésiastiques, notables, consuls, membres d’autres congrégations jouent un rôle qui rappelle que le missionnaire est tout autant appelé qu’envoyé. À Tunis, la première école catholique est ouverte à la demande des notables et commerçants européens ; à Beyrouth, les Sœurs de Besançon répondent à l’appel d’un père maronite62. Loin d’être la réalisation d’un projet défini et contrôlé par les congrégations religieuses, la fondation d’une maison résulte d’un compromis qui implique, selon les cas, les autorités politiques locales, les consuls, la hiérarchie ecclésiastique, d’autres notables, une partie de la population et… les congrégations elles-mêmes. Sur ce plan, les missions protestantes semblent, au départ, moins tributaires des sociétés locales. Les religieux de l’American Board of Commissioners for Foreign Missions évoqués par Hans-Lukas Kieser sont envoyés pour répondre aux idéaux de leur organisation. Une fois sur place, ils doivent cependant se faire admettre des sociétés et des autorités : partis pour ouvrir une maison

62 F. Arnoulet, « L’enseignement congréganiste en Tunisie aux xixe et xxe siècles », p. 26-36. F. Tissot, Présence missionnaire et stratégie communautaire des chrétiens catholiques d’Orient à travers l’étude de l’apostolat des Sœurs de la charité de Besançon au Liban et en Syrie de 1904 aux années 1950, Mémoire de DEA de sciences sociales, EHESS, septembre 1997, 77 pages.

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à Jérusalem, les religieux de l’ABCFM s’implantent durablement à Beyrouth à partir de 1825 et en Anatolie dans les années 1830. Pour les missionnaires chrétiens portés par le projet de répandre l’évangile, l’islam est à la fois un défi et une menace. L’interdiction du prosélytisme et l’attachement des musulmans à leur religion semblent vouer à l’échec tout effort dans leur direction. Depuis le xviie siècle et la fondation de la Sacré Congrégation de Propaganda Fide, les missionnaires catholiques s’adressent d’abord aux chrétiens. À leurs yeux, il s’agit de régénérer des populations abâtardies par leur environnement musulman et, du point de vue latin, schismatiques ou hérétiques. Trop souvent ignorants des vérités de la foi, influencés par les musulmans au milieu desquels ils vivent, les chrétiens ont besoin, selon les religieux catholiques, d’être pris en charge par un clergé « zélé », autrement dit formé selon les canons romains. Lui seul est susceptible de leur inculquer une meilleure connaissance de leur religion et de leur prescrire les normes romaines en matière de discipline ecclésiastique, de divorce ou d’héritage. Le diagnostic des missionnaires protestants américains ne diffère pas beaucoup de celui des catholiques même s’ils n’en tirent pas les mêmes conséquences. À leurs yeux, les chrétiens d’Orient ne le sont que de nom, tant ils vivent englués dans un monde d’ignorance et de superstitions. Les ténèbres règnent et les Églises sont en ruine, proclame en substance le secrétaire de l’ABCFM ; seuls les missionnaires (protestants américains) pourront à nouveau faire jaillir la lumière. Le moyen ? La distribution de Bibles et l’annonce de l’Évangile. Tout au long du xixe siècle, l’approche missionnaire protestante américaine vise, comme le souligne Hans-Lukas Kieser dans ce volume, un renouveau des chrétientés orientales à travers la création de communautés protestantes. Ces approches communes entre catholiques et protestants nourrissent une âpre rivalité entre les missionnaires des deux confessions chrétiennes. Pour les catholiques, le protestantisme relève de la modernité dont ils craignent l’avènement. À leurs yeux, le renforcement des Églises orientales est d’autant plus urgent qu’elles font l’objet de nouvelles menaces incarnées, entre autres, par les fils de la Réforme. L’antiprotestantisme fait aussi partie des ressorts de la mobilisation des catholiques européens et sature les écrits de leurs missionnaires. La réciproque est moins vraie, comme 31

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si les missionnaires protestants n’avaient pas besoin de recourir à l’anticatholicisme pour gagner des soutiens. Au fil des ans, le regard dépréciateur sur les chrétientés orientales et, chez les catholiques, la conviction proclamée de la supériorité de l’Église romaine, laissent peu à peu la place à des représentations plus amènes. Du côté catholique, la latinisation (autrement dit la volonté de remodeler les rites et les disciplines des Églises orientales selon un moule latin) s’estompe au profit d’une attitude moins méprisante des rites et des disciplines locales qu’impose notamment l’encyclique Orientalium Dignitas de Léon XIII (publiée le 6 décembre 1894) 63. Cet unionisme plus respectueux reste la stratégie affichée du SaintSiège après la Première Guerre mondiale. Le Vatican encourage aussi les travaux scientifiques sur les Chrétientés orientales à travers la création de l’Institut Pontifical Oriental (1917) 64. L’attention aux populations juives, et le désir de les convertir, trace une ligne de démarcation plus nette entre missionnaires protestants et catholiques. Elle constitue de ce fait une des nouveautés du xixe siècle. Imprégnées du millénarisme qui voit dans le retour des juifs en Terre sainte et leur conversion au christianisme le moyen de hâter la venue du Royaume, plusieurs sociétés missionnaires protestantes cherchent à convertir les juifs de Palestine. En 1809 est fondée la London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews (London Jews Society, LJS) qui envoie ses premiers missionnaires en Palestine dans les années 1830. Le premier évêque anglican de Jérusalem, Michael Salomon Alexander (lui-même juif converti au protestantisme et ancien de la LJS) s’efforce de soutenir cette démarche65. Ces tentatives de conversion sont mentionnées dans ce volume à travers des documents des missions anglicanes à Hébron où vivent des populations juives et musulmanes, la communauté chrétienne se limitant à une centaine de personnes (Karène Summerer-Sanchez). Les missionnaires catholiques ne formalisent 63

Pour une synthèse sur ces questions : C.  Mayeur-Jaouen, « Les chrétiens d’Orient au xixe siècle : un renouveau lourd de menaces », p. 825-828. 64 E. Fouilloux, « Les chrétiens d’Orient menacés », dans Histoire du Christianisme, t. XII, s.d., J.-M. Mayeur, Ch. (†) et L. Piétri, A. Vauchez, M. Venard, Paris, 1990, p. 781. 65 C. Van der Leest, « The Protestant Bishopric of Jerusalem and the missionary activities in Nazareth, The Gobat Years, 1846-1879 », p. 201.

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pas aussi clairement des projets de conversion à l’égard des populations juives de ces terres d’islam : on ne trouve pas dans leurs écrits la même ferveur millénariste ni la certitude que la conversion des juifs s’inscrit dans un plan divin dont les missionnaires seraient l’instrument. Les religieux catholiques n’en accueillent pas moins des élèves de confession juive dans leurs établissements comme le rappelle K. Summerer-Sanchez à propos des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition à Naplouse. Et ce cas n’est pas isolé. Dans les établissements missionnaires catholiques du Proche-Orient, la part des élèves juifs augmente au début du xxe siècle et plusieurs affaires de conversion défrayent la chronique. Les relations entre missionnaires, institutions juives et populations locales ont fait l’objet de travaux récents qui témoignent des renouveaux d’une historiographie longtemps cloisonnée selon des critères confessionnels66 . Elles restent marginales dans cette anthologie qui met l’accent sur l’action des missionnaires en direction des musulmans, mais elles ne peuvent être totalement passées sous silence : elles font pleinement partie de l’expérience de ces missionnaires en terre d’islam, que les religieux européens et américains, regardent comme des espaces pluriconfessionnels.

Enseignement et santé : les deux piliers de l’apostolat missionnaire À l’époque contemporaine, missionnaires catholiques et protestants ont comme point commun d’investir massivement deux champs d’action, l’enseignement et la santé, qui deviennent en terre d’islam comme ailleurs, leurs deux principales activités et surtout les plus visibles 67. À partir des années 1830 au Proche-Orient, quelques décennies plus tard au Maghreb, les missionnaires catholiques et protestants créent un réseau d’écoles bientôt étoffés par des établis-

66 J. Bocquet, L’enseignement français en Méditerranée, Les missionnaires et l’Alliance israélite universelle. F. Abécassis, « Entre logiques d’État et logiques communautaires, à propos de quelques affaires de conversion en Égypte vers 1930 », dans Valeurs et distances, Identités et sociétés en Égypte, s.d., C. Decobert, Aix, MMSH, 2000. 67 N. Etherington, Missions and Empire.

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sements secondaires, puis après 1860 par des universités qui sont d’abord créées pour former le clergé des Églises catholiques orientales conformément aux canons de l’Église romaine ou pour créer un clergé indigène dans les Églises protestantes (le Robert College d’Istanbul est fondé en 1863, le Syrian Protestant College de Beyrouth en 1866, l’Université Saint-Joseph, toujours à Beyrouth, en 1875) 68. L’école devient le centre de la mission, ce qui présente de nombreux avantages : elle offre un moyen de pénétrer la société locale et d’en influencer les catégories les plus malléables (la jeunesse) ou appelées à la diriger (les élites). À la fin du xixe siècle, elle s’impose comme le moyen par excellence de toucher la nouvelle classe sociale née des réformes ottomanes ou persanes et de l’intégration du Moyen-Orient dans des circuits économiques dominés par l’Europe et les États-Unis69. Dans les sociétés coloniales, elle forme les relais de l’administration européenne. L’institution scolaire occupe aussi une place de choix dans l’économie générale et le fonctionnement des missions. Elle fixe le missionnaire dans un lieu donné et permet d’établir des statistiques qui remplissent les comptes rendus envoyés aux donateurs : à défaut de convertis, les missionnaires alignent des effectifs scolaires toujours plus nombreux dans des tableaux qui listent leurs établissements (F. Hellot). L’école est enfin, et peut-être d’abord, voulue et encouragée par la population qui sollicite souvent une fondation qu’elle soutient ensuite matériellement par des dons en nature ou des contributions financières. Le large consensus qui règne autour de la nécessité de développer les œuvres d’éducation ne doit pas masquer que les objectifs poursuivis par les missionnaires divergent. En Perse, les lazaristes 68 La faculté de théologie de l’Université Saint-Joseph ouvre ses portes en 1881. La formation d’une partie du clergé des Églises catholiques orientales était déjà assurée par les jésuites dans leur séminaire-collège de Ghazir, ouvert en 1846. Au milieu des années 1840, les missionnaires protestants de Beyrouth tiennent un séminaire à Abey, dans la montagne libanaise. H. Badr, « American Protestant Missionary Beginnings in Beirut and Istanbul : Policy, Politics, Practice and Response », p. 236-237. 69 Voir aussi ce qu’écrit W. A. Shedd à propos des écoles de la mission d’Ourmieh en 1909 et de la part de la population favorable aux réformes et à la constitution : « No other means can possibly take the place of educational work in bringing ourselves and our faith into contact with this class of people », Presbyterial Historical Society’s archives (P.H.S.A.), vol. 204, W. A. Shedd, Urmia May 11 1909, cité par Florence Hellot.

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entendent lutter contre les superstitions quand les protestants combattent l’illettrisme70. Partout les réseaux scolaires frappent par leur diversité : dominés par de grands établissements prestigieux, ils comprennent en fait de très nombreuses écoles de villages, parfois de simples salles de classe qui s’installent « sous le chêne » à la belle saison. Aussi nombreux soient-ils, les missionnaires chrétiens sont loin d’être en mesure de tenir l’ensemble du réseau et font appel à des auxiliaires qu’ils dirigent parfois de loin. Dans ces conditions, la mention « école missionnaire » ne renvoie pas toujours à une institution qui fonctionne selon un modèle européen ou américain. Il peut s’agir parfois de simples écoles très proches des classes « traditionnelles » que les missionnaires jugent pourtant avec une grande sévérité. Ces dernières connaissent aussi de profondes transformations au xixe siècle. Les réformes ottomanes (tanzîmât) conduisent à la mise en place d’un nouveau réseau hiérarchisé destiné à former les bureaucrates, les médecins, les juristes, les militaires ou les ingénieurs dont l’État estime avoir besoin, tandis que les institutions religieuses et communautaires se transforment pour faire face aux nouvelles demandes de la population. Les écoles missionnaires, pourtant étrangères, participent à cette transformation globale de l’enseignement dans l’empire ottoman. Elles bénéficient d’une grande liberté liée notamment à la protection que leur assurent les représentants des États européens auprès des autorités ottomanes. De ce point de vue, l’accession des États à l’indépendance après la Seconde Guerre mondiale marque un véritable tournant : les nouveaux États, jaloux de leurs prérogatives, entendent désormais plier les établissements aux impératifs de leur propre agenda politique caractérisé par l’éducation de masse, en langue arabe et parfois, l’instruction religieuse obligatoire. Le développement de l’enseignement des filles contribue aussi à la croissance et à la diversification des réseaux scolaires missionnaires à l’époque contemporaine. Son essor, qui constitue une des nouveautés du xixe siècle, est favorisé par la présence des femmes dans les missions, épouses de pasteurs ou membres de ces congrégations

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Voir la contribution de F. Hellot dans ce volume.

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féminines qui se multiplient à cette période71. La demande des populations en faveur d’un enseignement féminin et le soutien dont il bénéficie de la part des missionnaires masculins ont aussi contribué à son essor. Beaucoup de religieux se montrent préoccupés par la situation des femmes qu’ils décrivent comme une esclave cloitrée dans sa maison et enfermée dans son ignorance. Toutes les filles ne reçoivent pas la même éducation qui diffère selon leur origine sociale et les moyens de leurs parents. Après la Première Guerre mondiale, les premiers établissements secondaires pour filles ouvrent leurs portes et permettent aux plus brillantes d’entrer à l’Université. Dans le domaine éducatif, il faut accorder une place particulière à la formation du clergé indigène qui fait aussi partie de l’apostolat des missionnaires, même s’il est en général pris en charge par un petit nombre de congrégations ou de maisons. En 1846, les jésuites ouvrent au Mont-Liban un séminaire destiné à former les clercs de toutes les Églises orientales catholiques. En 1847, les lazaristes fondent une institution similaire pour les chaldéens à Ourmieh. À partir de 1886, celui de Saint-Anne à Jérusalem, tenu par les Pères blancs, accueille et instruit le clergé de l’Église grecque-melkite. A Assiout, les missionnaires de l’Église presbytérienne des États-Unis (Board of Foreign Mission of the Presbytarian Church of the USA) forment une vingtaine de pasteurs pour servir la communauté copte évangélique entre 1880 et la fin du siècle. Certes les religieux latins ne cherchent pas à créer de nouvelles Églises, c’est là une différence de taille avec les protestants. Mais ils participent aux transformations qui touchent les communautés catholiques orientales : le célibat des prêtres se diffuse, le calendrier grégorien se généralise, la résidence des évêques dans leur diocèse est mieux respectée, la vocation cléricale comme appel intérieur individuel se répand et la formation livresque des prêtres devient plus poussée. Avec les établissements scolaires se pose la question de la langue. Longtemps influencée par les archives diplomatiques et par les publicistes favorables à l’établissement de la France au Levant, l’historiographie française a insisté sur le rôle des missionnaires dans la 71 C. Verdeil, « La classe ‘sous le chêne’ et le pensionnat : les écoles missionnaires en Syrie (1860-1914) entre impérialisme et désir d’éducation », Outre-Mers, revue d’histoire, n° 334-335, juin 2007, p. 197-222.

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diffusion des langues européennes et notamment du français : dans cette perspective, les religieux apparaissent comme les auxiliaires zélés de la politique étrangère de la France, et donc comme de fervents patriotes à l’heure où la France anticléricale met en doute leur attachement à la patrie, voire les expulse (comme en 1881 pour les jésuites, puis en 1901 et 1904 pour la plupart des congrégations). Les enjeux sont différents pour les missions protestantes, où les Américains sont très nombreux. Les missionnaires protestants, et, à leur suite, leurs historiens, n’insistent pas sur la diffusion de l’anglais de façon aussi obsessionnelle et pourtant cette langue est bel et bien enseignée dans leurs institutions. L’histoire des missions défend simultanément un autre point de vue quand elle met l’accent sur leur rôle dans le maintien ou le renouveau de langues locales. Cette idée est reprise par Norman Etherington qui souligne, à propos des missions britanniques, leur action dans la conservation ou la diffusion de langues locales : sans elles, bien des idiomes se seraient peut-être éteints72 ! Les jésuites sont connus pour leur rédaction de premiers dictionnaires en vietnamien et les missionnaires envoyés en Syrie n’ont pas rompu avec cette tradition. Plusieurs ont écrit et/ou publié des dictionnaires : le P. Belot, jésuite d’abord envoyé en Algérie où il a appris l’arabe, est l’auteur d’un dictionnaire français-arabe qui porte son nom73. À travers leur enseignement, leurs écrits et leurs publications, les missionnaires ont participé au renouveau et à la modernisation de la langue arabe qui connaît une renaissance (Nahda) au xixe siècle. Catholiques et protestants collectionnent des manuscrits dans leurs bibliothèques : à Ourmieh, le collège de garçons établis par les missionnaires protestants possèdent deux cents manuscrits syriaques d’après la description qu’en livre Samuel  G. Wilson présentée par Florence Hellot 74. Jusqu’au milieu du xixe siècle, l’italien est la principale langue européenne enseignée dans les intuitions scolaires missionnaires. Là encore le tournant se situe au milieu du siècle : progressivement, la langue de Dante perd son monopole au profit du

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N. Etherington, Missions and Empire, p. 12. Le « Belot ». H.  Jalabert, Jésuites au Proche-Orient, Notices biographiques, Beyrouth, Dar el-Machreq, 1987, p. 81. 74 P.H.S.A., Rev. S. G. Wilson, Persia : Western Mission, 1896, III. 73

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français et d’autres langues européennes (anglais, allemand, grec…). Elle demeure cependant la langue de l’Église catholique, étudiée notamment par les clercs dont les liens avec Rome restent plus étroits que les thuriféraires de la France, « fille aînée de l’Église » ne veulent le voir. À l’instar du collège protestant d’Ourmieh qui dispense un enseignement en syriaque ancien, turc azéri, osmanli, perse et anglais, la plupart des établissements secondaires offre la possibilité d’étudier plusieurs langues. Cette variété permet de répondre aux souhaits des parents, aux impératifs qu’imposent les cursus et aux projets des missionnaires. À l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, on enseigne le français pour satisfaire les représentants de la France et son gouvernement, l’arabe pour répondre à la demande de la population locale (qui prise aussi le français) et le latin, langue de l’Église et des humanités, qui reste aux yeux des jésuites le meilleur outil de formation de l’honnête homme catholique et cultivé. Dans de nombreux écrits, en particulier ceux destinés aux Européens, les missionnaires se posent comme les meilleurs défenseurs des intérêts de leurs pays qu’ils servent en enseignant sa langue et en combattant celles de leurs concurrents. Chez certains, la langue a même une couleur confessionnelle : le français est catholique, l’anglais protestant, le russe orthodoxe. Évoquant la « guerre des langues » que se livrent les différents ordres missionnaires, Karène Summerer-Sanchez note que « « les langues constituent un élément d’accession à la modernité à la fin du xixe » et occupent « une place primordiale dans les stratégies d’élaboration des systèmes d’appartenance [et] de référence au sein de chacun des groupes. » Avec l’essor des mouvements nationalistes, ce conflit autour des langues dépasse la sphère des établissements missionnaires : en Jordanie sous domination britannique, on reproche aux établissements missionnaires d’enseigner la langue des puissances coloniales au détriment de l’arabe, la langue nationale. Ces accusations comme les rivalités entre les missions témoignent d’un nouveau rapport à la langue dont les fonctions sociales et le rôle politique se transforment avec l’imposition d’un ordre colonial ou impérial, puis, à nouveau en raison de la montée des nationalismes, de la construction des États nations, et pour le monde arabe, du succès du panarabisme. L’adoption d’une langue devient une « forme d’allégeance à sa culture » et un « hommage dérivé à son histoire et à 38

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ses valeurs »75, autrement dit un élément essentiel de la politique coloniale comme du sentiment national. Dans ces conditions, l’enseignement des langues bouleverse les frontières entre les groupes sociaux. Cette relation entre langue et identification communautaire ou nationale, « imprègne nos perceptions communes » ainsi que le fait remarquer Jocelyne Dakhlia76 . Elle mériterait cependant d’être questionnée tant elle valorise le monolinguisme alors que toutes les sources (que l’on se place du point de vue des institutions missionnaires comme du public qui les fréquente) mettent en lumière la pluralité des idiomes enseignés et parlés77. Moins nombreux que les institutions d’enseignement, les établissements de santé forment le second pilier de l’action des religieux. La médecine n’est-elle par à leurs yeux « le moyen efficace d’agir sur les âmes en soignant les corps78 » ? Grâce à elle, les missionnaires peuvent espérer « pénétrer les intérieurs des indigènes » et de gagner leur confiance. Elle concerne toutes les classes d’âge alors que l’école s’adresse surtout aux plus jeunes. Elle permet de toucher un public plus « indigène » au Maghreb, moins chrétien au Proche-Orient, bref plus musulman. Du Maghreb à l’Iran, on ne compte plus les hôpitaux ou simples dispensaires ouverts par les missionnaires. Au sein des missions catholiques, ces établissements sont davantage tenus par les congrégations féminines dont les membres dispensent elles-mêmes des soins mais qui recrutent des laïcs pour exercer la médecine, comme le docteur Nur Ed Din qui travaille pour les sœurs de SaintJoseph de l’Apparition à Naplouse ou une pharmacienne diplômée de France, appartenant à la société Jésus Réparateur qui tient le dispensaire de la mission jésuite dans la montagne alaouite. Certes les Pères blancs formés en Algérie reçoivent un vernis médical au cours

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J. Dakhlia, Lingua Franca, Histoire d’une langue métisse en Méditerranée, Arles, Actes Sud, 2008, p. 476. 76 J. Dakhlia, Lingua Franca, p. 474. 77 Dans la mission presbytérienne de Perse, la langue la plus utilisée par les chrétiens est le turc azéri, avant les dialectes syriaques unifiés par les missionnaires de l’ABCFM pour créer le néo-syriaque. Mais dans les écoles, on enseigne aussi pour répondre aux différents publics, l’arménien, l’hébreu, le néo-syriaque ou le syriaque littéraire, l’anglais ou le français. Voir aussi la contribution de F. Hellot. 78 ASMA, F. Lav., D9/151-152, Cartes de visite des postes de Kabylie 1883-1892, Visite de Bridoux aux Ouad’hias, 5 juin 1885. Cité par C. Fredj.

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de leur formation, mais il ne leur suffit pas toujours à faire face aux attentes de leurs malades. Au sein des missions protestantes, ce partage des tâches est moins net et les médecins plus nombreux, comme le docteur E. D. Forster à l’hôpital d’Hébron. Comme en matière d’enseignement, les établissements de soin sont très divers, du simple dispensaire à l’hôpital en passant par les « hôpitaux indigènes » ouverts en Algérie dans le dernier quart du xixe siècle. La même concurrence règne entre eux, comme le suggère le cas de l’Algérie où les hôpitaux des missions catholiques coexistent avec ceux de l’administration (l’Assistance médicale indigène se met en place en 1902) et les établissements des missions protestantes. Toutes ces institutions emploient en outre (comme les écoles) des auxiliaires indigènes notamment pour leur personnel infirmier. Enseignement et soins accaparent des missionnaires pris par l’urgence du quotidien. Il faudrait y ajouter l’imprimerie, souvent ignorée par ce qu’elle n’est l’apanage que de quelques sociétés. En 1822, l’American Board installe une imprimerie à Malte qui déménage onze ans plus tard à Beyrouth. Dans cette ville, les jésuites utilisent une presse autographique à partie de 1848. En 1860, ils installent dans leur résidence une imprimerie où fonctionnent diverses presses pour la plupart venues d’Europe. Les premiers ouvrages publiés sont essentiellement des livres religieux. Quand les protestants impriment la Bible, les catholiques éditent L’imitation de Jésus Christ, des catéchismes ou les Exercices spirituels de Saint Ignace (mais aussi les Psaumes)79. Les manuels scolaires et les périodiques (Al-Bechir, Al-Machreq) élargissent leur public au-delà des cercles catholiques ou protestants. Les missionnaires participent ainsi au développement de la presse et de l’imprimé dans le monde arabe à la fin du xixe siècle. Sur un plan plus religieux, les formes d’apostolat des protestants ne sont évidemment pas les mêmes que celles de missionnaires catholiques formés dans un moule tridentin et, au xixe siècle, ultramontain et intransigeant. L’impression, la distribution de Bibles et l’organisation de réunions pour lire les Évangiles, constituent la première occupation des missionnaires anglais ou américains. Les sœurs protestantes suédoises de Bizerte utilisent une lanterne magique ou plus 79

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S. Kuri, sj, Une Histoire du Liban à travers les archives jésuites, II, p. 401-403.

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exactement un ‘skioptikon’ pour faire entendre l’Évangile aux personnes qu’elles ont réussi à faire venir chez elles (C. Chanel). Dans les années 1920, les missionnaires protestants d’Hébron instruisent leurs malades et leur distribuent parfois des Bibles (K. SummererSanchez). Les catholiques mettent davantage l’accent sur le catéchisme et l’instruction religieuse des adultes dispensée aux congrégations d’hommes et de femmes. De façon générale, les missionnaires catholiques font montre d’une prudente réserve à l’égard des musulmans. « La prudence ne permettant pas l’évangélisation, l’école et la médecine sont vues comme les seuls moyens d’atteindre les musulmans » rappelle Claire Fredj à propos de l’Algérie. Au sein des missions catholiques, enseignement et soin tendent à se substituer à toute autre forme d’apostolat en direction des musulmans alors que les protestants mettent davantage en œuvre, même a minima, leur projet évangélisateur. Il faut dire aussi que ce dernier leur est sans cesse rappelé par leurs supérieurs et leurs bailleurs de fonds alors que les autorités catholiques, davantage préoccupées du sort des chrétientés orientales, y accordent moins d’importance. Portés par le réveil, les missionnaires protestants américains paraissent plus convaincus, plus sûrs de leur fait, plus exaltés pour reprendre une expression de Hans-Lukas Kieser. Chez les catholiques, qui sont ici français, point d’exaltation. La sécularisation de la France et la politique anticléricale de la Troisième République nourrissent l’inquiétude plus que l’enthousiasme. Les bilans des uns et des autres ne diffèrent cependant pas beaucoup. À Hébron, le docteur Paterson fait face aux critiques de l’UFC (United Free Church of Scotland) qui possède l’hôpital où il travaille et dont une commission ad hoc considère qu’il a quasiment cessé toute pratique d’évangélisation. L’enseignement ne semble pas conduire à de meilleurs résultats. En 1898, c’est la Propagande qui conteste les pratiques des Frères des Écoles chrétiennes en Palestine, les accusant d’accorder davantage de temps à l’enseignement du français qu’à celui du catéchisme et de l’histoire sainte. Tout se passe comme si les supérieurs des missionnaires, français ou britanniques, romains ou américains s’inquiétaient de les voir perdre de vue le vrai objectif de leurs missions, le renforcement des chrétientés orientales, la création de nouvelles Églises ou la conversion des juifs et des musulmans. Établissements scolaires et institutions sanitaires ont néanmoins 41

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contribué au dynamisme des chrétientés orientales au xixe et au xxe siècle. Mieux soignés, les chrétiens orientaux connaissent une forte croissance démographique. Plus éduqués, ils accèdent à de nouveaux emplois au moment où les réformes ottomanes proclament l’égalité des sujets de l’empire quelle que soit leur confession religieuse et leur ouvrent la porte à tous les emplois. La construction de l’État moderne et le développement des services éducatifs et de santé qui en est le corollaire, ainsi que l’augmentation des échanges économiques entre les différentes rives de la Méditerranée leur offrent de nouvelles opportunités de carrière. Au Proche-Orient, les missionnaires participent à l’essor et au renforcement des communautés religieuses chrétiennes. Dans les années 1950, une inflexion se dessine : le déclin des missions modernes signifie la fin d’un monde pour ceux dont elles formaient un cadre de sociabilité, un moyen d’accéder à l’emploi, une référence (parfois contestée) en matière religieuse et un recours face au pouvoir politique.

Avec les musulmans Un « bloc inattaquable » ? Au xviie siècle, plusieurs religieux latins ont une connaissance assez précise de l’islam et se livrent à des controverses avec des docteurs musulmans80. Cette relative curiosité s’estompe pour disparaître aux siècles suivants : les missionnaires catholiques ne cherchent pas à entrer en contact avec les autorités religieuses musulmanes, tout au plus maintiennent-ils des relations aussi cordiales que possible avec les autorités civiles. Ils ne manquent pas, pour ce faire, de leur rendre visite les jours de fêtes (à la fin du Ramadan ou lors de la fête du sacrifice) ; mais il s’agit là d’une manifestation de courtoisie, mue par le souci de ménager le pouvoir politique. Au xixe siècle, ils reprennent des idées développées depuis l’époque médiévale qui décrivent les dogmes de l’islam comme un ensemble « d’erreurs » diffusées par un « imposteur », Muhammad considéré comme un

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B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient, p. 326-327.

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« faux » prophète81. Reprenant le mot de Renan, les missionnaires voient dans le « fanatisme » la principale caractéristique de ceux qui « sont singulièrement opiniâtres dans leur fausse religion, de mœurs dures et grossières et dominés par des préjugés qui leur rendent très difficile l’accès de la vérité »82. Utilisé depuis la fin du xviie siècle pour qualifier l’islam, ce terme désigne moins la violence des musulmans que leur attachement à leur religion83. Quand on ne dénonce pas la religion des musulmans considérée comme un tissu d’erreurs grossières, on s’inquiète du « bloc » ou de la « masse » que les religieux européens ou américains ne peuvent « attaquer ». De fait, tout prosélytisme à l’égard des musulmans est interdit aux missionnaires sous peine de mettre en péril l’existence même de leurs œuvres. Leur inquiétude se nourrit aussi du souvenir des violences collectives ou individuelles dont ils ont été victimes ou témoins. Périodiquement des religieux se font agresser : un jésuite malmené par des soldats turcs dans la plaine de la Bekaa en 185984, un lazariste attaqué dans les environs de Damas où il était parti en promenade durant l’hivers 1911. Jusqu’à la Guerre de 1914, ses confrères répugnent à sortir de leur collège et à s’éloigner du quartier chrétien85. À Naplouse, dans l’Entre-deux-guerres, les Sœurs de Saint-Joseph font face à une hostilité sourde et résolue (Karène Summerer-Sanchez). Quand ils décrivent les populations locales, les missionnaires, se montrent particulièrement attentifs à la condition féminine. Les Alaouites « ont beaucoup de femmes, ce qui est un grand obstacle à la foi, et ils les répudient facilement », note le P. Elia Giacinto au début du xviiie siècle86. Deux cents ans plus tard, les sœurs de SaintJoseph de l’Apparition s’indignent de la « situation d’infériorité » des femmes musulmanes de Naplouse 87. Dans plusieurs écrits, cette 81 C. Verdeil, La mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie (1830-1864), p. 162-163. J. Bocquet, Missionnaires français en terre d’islam, Damas, 1860-1914, p. 255-256. 82 C. Verdeil, La mission jésuite, p. 193. 83 Voir dans cette anthologie les documents issus des archives des Sœurs de SaintJoseph de l’Apparition à Naplouse présenté par K. Summerer-Sanchez. 84 C. Verdeil, La mission jésuite, p. 159. 85 J. Bocquet, Missionnaires français en terre d’islam, Damas, 1860-1914, p. 253-254. 86 Lettre de Elia Giacinto di Santa Maria, Tripoli, le 9 février 1709, citée dans ce volume par B. Heyberger. 87 Rapports joints aux historiques annuels tenus par les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition de Naplouse, 1904-1935, cité par K. Summerer-Sanchez.

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situation sert tout autant à mesurer la distance entre la chrétienté idéale promue par les missionnaires et la société locale, qu’à tracer une frontière nette entre chrétiens et musulmans. En Palestine, le sort fait aux femmes (du moins tel qu’il est perçu par les missionnaires) permet d’opposer des musulmans « stricts » à d’autres plus ouverts 88 . En Algérie, face au peu d’empressement de certains hommes à soigner leurs épouses, une sœur rend grâce d’être née « dans un pays catholique et de parents chrétiens »89. Pour le frère Elia, au début du xviiie siècle, la liberté accordée aux femmes alaouites, équivalente à celle dont elles jouissent en chrétienté, plaide pour une origine franque (croisée et donc chrétienne) de cette communauté. Le même déplore que les chrétiennes et les musulmanes (« turques ») restent cloitrées chez elles : encourager les femmes à sortir de chez elles (pour aller à la messe et à l’école ou encore rendre visite aux missionnaires) fait partir des leitmotive de l’action des missionnaires catholiques. Ils ont par là même contribué à différencier chrétiens et musulmans tout en suscitant, au sein des milieux réformistes musulmans, plusieurs réflexions sur la place de la femme dans la société. À la fin du xixe siècle, les résultats de cette mission toute tournée vers les chrétiens ne satisfont plus une partie des missionnaires dont le regard sur l’islam se transforme, d’abord au sein de ce que HansLukas Kieser appelle « l’internationale protestante », ensuite dans les milieux catholiques. Dès le second xixe siècle quelques précurseurs pensent à nouveaux frais leur mode de présence et d’action au sein du monde musulman. En 1875, une conférence sur les missions destinées aux musulmans est ouverte à la CMS. Chargée de définir une stratégie, elle promeut de nouvelles initiatives en Afrique (Sierra Leone, Nigeria), mais remet à plus tard des actions dans l’Empire ottoman en raison de la crise durable que connaît celui-ci. C’est surtout après la révolution jeune-turque (1908), que l’on voit « émerger de nouvelles approches théologiques et missiologiques de l’islam ». Deux conférences rassemblent des missionnaires protestants au Caire en 1906 et à Lucknow en 1911 sur ce sujet. Les débats y sont vifs notamment sur la nature du dieu de l’islam et son éventuel enra88 89

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CMS, Mission Hospital, 1923, p. 285. Cité par K. Summerer-Sanchez. ASMNDA, Diaire, 1894, Touggourt, 29 novembre, p. 486, cité par C. Fredj.

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cinement biblique, question non sans conséquence sur l’apostolat des missionnaires. S’il est le même dieu et si l’islam est inséré dans une culture biblique partagée avec les chrétiens et les juifs, la stratégie adoptée ne saurait être la même que s’il est considéré comme radicalement différent du dieu des chrétiens ou des juifs. Dans ce second cas, le dieu de l’islam fait des musulmans des hommes proches des païens et la mission en terre d’islam doit s’inspirer de celles menées auprès de ce type de public. Ces clivages traversent les « stratèges » qui soutiennent, financent et orientent la mission depuis les ÉtatsUnis, et les missionnaires sur place, tantôt plus ouverts au monde musulman et plus pressés d’y agir tantôt, au contraire, extrêmement méfiants. La Première Guerre mondiale retarde la mise en œuvre de ces projets qui prennent corps dans les années 1920 et 1930 (H.-L. Kieser). L’Entre-deux-guerres voit aussi naître des réflexions plus approfondies à propos de la mission en terre d’islam chez les catholiques. Mieux connaître l’islam pour améliorer l’apostolat des missionnaires chargés de le réduire, telle est l’idée mobilisatrice exprimée par le Saint-Siège comme par les grands ordres qui, des Pères blancs à la Compagnie de Jésus, ont l’ambition de renouveler cette mission particulière90. La prise de conscience de l’échec des missions vis-à-vis du monde musulman et l’influence du P. Charles de Foucauld, dont l’expérience fascine les milieux catholiques, expliquent le renouveau de cette réflexion et la multiplication des initiatives durant les années 193091. L’islam fait l’objet d’une curiosité inédite et la mission en terre d’islam sucite de nouvelles réflexions qui s’inscrivent dans les structures académiques fondées par la missiologie naissante. En 1924, l’Institut Pontifical Oriental inaugure un cours sur les institutions musulmanes donné par un converti, Mgr Mulla (né en 1882 dans

90 En 1932, L’Ami du clergé rapporte les propos suivant de Pie XI : « Il est nécessaire d’étudier à fond la langue, la culture, la religion, les usages, les modes de pensée de l’islam et ensuite par le chemin de la bienfaisance, de s’adresser à lui directement, en s’efforçant de garder son estime et enfin son amour ». Cité par D. Avon, Les Frères prêcheurs en Orient, Les dominicains du Caire (année 1910-années 1960), Paris, Cerfhistoire, 2005, p. 334. 91 Sur cet échec, voir O. Saaïdia, Clercs catholiques et Oulémas sunnites, discours croisés dans la première moitié du XX e siècle Paris, Geuthner, 2003, p. 195-220.

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une famille turque de Crète) 92. Pour le Saint-Siège et de nombreux ordres missionnaires, la méconnaissance de l’islam, l’ignorance des langues vernaculaires et l’indiffèrence à l’égard des sociétés locales constituent les principales causes de l’échec de cette mission (mesuré à l’aune des conversions) auquel enseignement et publications savantes doivent donner un nouvel élan. C’est l’objectif fixé à la revue En terre d’islam, née en Algérie au milieu des années 1920, qui adopte son nom à partir du cinquième numéro. En 1928, elle est reprise par les jésuites et s’installe à Lyon cinq ans plus tard. Conçue comme un organe de liaison entre missionnaires vivant en pays musulmans, la revue reprend le projet de convertir les « infidèles » et insiste sur la nécessité de mieux les connaître. Cet impératif, servi par la publication d’études sur le monde musulman prend progressivement le pas sur la réflexion sur la mission proprement dite93 qui se poursuit au sein des sociétés missionnaires. Parmi les Pères blancs, le P. Marchal défend une nouvelle approche des musulmans94. Plus que pour la multiplication des convertis régulièrement baptisés, il se prononce pour la prédication des vérités essentielles que synthétise le Décalogue qui suffiront, selon lui, à assurer le salut des musulmans qui s’y reconnaîtront même s’ils ne sont pas baptisés. Première étape, la « conversion à Dieu » suffit pour garantir le Salut, c’est elle le véritable fruit du travail missionnaire ; la seconde étape, la conversion au christianisme ne peut être obtenue sans grâce. Le P. Marchal ne fait pas l’unanimité parmi les Pères blancs, dont certains, comme le P. Focà, défendent ardemment la prédication directe de l’Évangile et la construction d’une Église visible grâce à des conversions individuelles95. Ces divergences apparaissent clairement lors de la confé92

O. Saaïdia, Clercs catholiques et Oulémas sunnites, p. 97-99. C. Prudhomme, O. Saaïdia, « Jésuites lyonnais au Proche-Orient à la rencontre du monde arabo-musulman (1843-2002), E. Fouilloux, B. Hours, Les jésuites à Lyon XVI e- XX e siècle, Lyon, ENS Éditions, 2005, p. 205-230. B. Bigi, Les rapports entretenus par les Lyonnais avec la Syrie et le Liban dans l’entre-deux-guerres, Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine sous la direction du Professeur D.  Rivet, 1987-1988, Université Lumière Lyon II, p. 90-101. 94 Il est notamment l’auteur d’un texte intitulé « Les grandes lignes de l’apostolat missionnaire des Pères blancs en Afrique du Nord musulmane, destiné à former les futurs missionnaires », sans doute écrit en 1932 et remanié jusqu’en 1938. O. Saaïdia, Clercs catholiques et oulémas sunnites, p. 229-273. 95 O. Saaïda, Clercs catholiques et Oulémas sunnites, p. 228-248. 93

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rence de Bou Nouh qui réunit en 1937 les supérieurs de Kabylie96. Elles n’ont pas empêché la création d’un centre d’études et de préparation pour les pères qui se destinent au Maghreb. Il deviendra l’Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA) au début des années 1930 et publiera la revue du même nom à partir de 1938. À la même période, le père général des jésuites lance officiellement la Compagnie dans la mission auprès des musulmans. Chez les jésuites, comme chez les Pères blancs, cette réflexion a été nourrie par des enquêtes auprès des missionnaires de terrain97. Moins détaillée dans ces aspects concrets que celle des Pères blancs, elle porte surtout sur la formation particulière que devront recevoir les missionnaires destinés aux terres d’islam. « Connaître encore plus que nous faire connaître, voilà certainement le premier pas à faire », écrit le P. de Bonneville, grand artisan de cette mission au sein de la Compagnie98 , dont le décès en 1947 porte un coup fatal au projet. La Seconde Guerre mondiale interrompt aussi d’autres initiatives nées à la fin des années 1930, comme celle de plusieurs dominicains de créer, au Caire, une institution vouée à l’étude de l’islam. L’Institut dominicain d’études orientales du Caire (IDEO) ne verra le jour qu’au début des années 1950 99. Une dizaine d’années auparavant, Louis Massignon avait fondé dans la capitale égyptienne le centre d’Études Dar El-Salam pour « être un foyer de rencontre et d’échanges entre l’Orient et l’Occident, entre traditions et valeurs chrétiennes et culture islamique »100 qui deviendra, à l’instar de l’Institut dominicain ou celui des Belles lettres arabes, un lieu et un acteur du dialogue islamochrétien. Cette curiosité intellectuelle bienveillante pour l’islam trouve aussi une de ces traductions dans la déclaration Nostra Aetate du Concile Vativan II101, dont l’adoption, en 1965, résulte pour par96 Cette conférence a été préparée par un questionnaire envoyé à tous les missionnaires. K.  Dirèche-Slimani, Chrétiens de Kabylie (1873-1954), une action missionnaires dans l’Algérie coloniale, Paris, Édition Bouchene, 2004, p. 94. 97 Le P. Charles sj a lancé en 1929 une enquête sur l’apostolat auprès de l’islam syrien. O. Saaïdia, Clercs catholiques et oulémas sunnites, p. 248. 98 O. Saaïdia, Clercs catholiques et oulémas sunnites, p. 256. 99 D. Avon, Les Frères Prêcheurs en Orient, p. 446-466. 100 « Dar al-Salam, Le Caire, 6  janvier 1956 », Les mardis de Dar el-Salam, mcmlviii-mcmlix (1959), quatrième de couverture. 101 On y lit notamment : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur

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tie du travail de lobbying de Pères blancs et de dominicains de l’IDEO102. Ces orientations, qui répondent aussi à la crise que connaissent les missions à l’heure des indépendances, favorisent de nouvelles entreprises missionnaires qui coexistent avec les œuvres plus anciennes : dans les années 1960, des communautés plus petites s’implantent dans des zones peuplées de musulmans avec lesquels elles cherchent à nouer des relations d’estime et d’amitié. En terre d’islam, vis-à-vis des musulmans, il s’agit d’assurer une présence chrétienne (catholique) qui puisse se faire admettre et apprécier sans rien céder de sa foi et de son espérance dans une possible mais nécessairement lointaine conversion103. Quels liens entre ces évolutions et les entreprises missionnaires présentées dans cette anthologie ? Les textes de ce recueil ont tous été écrits avant la Seconde Guerre mondiale, au temps où domine encore une missiologie qui considère les musulmans comme des « infidèles ». La nécessité d’une meilleure connaissance de l’islam et, a fortiori, la possibilité d’un dialogue fécond avec les musulmans ne s’y expriment guère. Au fond, la bienveillance ne succède pas à l’hostilité. Les deux points de vue coexistent et, entre ces deux extrêmes, une multitude d’attitudes possibles. Un vieux fond d’antipathie demeure, dont on pourrait se demander s’il ne sert pas de soubassement à « l’islamophobie » catholique ou protestante qui s’exprime aujourd’hui. Ces écrits invitent aussi à réfléchir sur le rôle des missionnaires en terre d’islam dans l’évolution de l’Église catholique sur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes (…) » Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes Nostra Aetate, http ://www.vatican.va/archive/ hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_ fr.html consulté le 21 août 2012. 102 J.-J. Pérennès, Georges Anawati (1905-1994), Un chrétien égyptien devant le mystère de l’islam, Paris, Cerf, 2008, p. 209-221. 103 Voici comment un jésuite présente l’expérience de la Compagnie en Algérie au milieu des années 1990 : « Nous n’avons pas converti grand monde, nous n’avons presque plus d’institutions. Ce que nous avons vécu, c’est une communion, une proximité avec des gens qui ont à s’assumer comme hommes, dans leur destin d’hommes devant Dieu, ce qui n’est pas tellement leur dire qu’il vaudrait mieux qu’ils soient chrétiens, ou que nous leur apportons un trésor. De cela nous avions conscience, mais nous ne pouvions le dire à cause du malentendu de la langue, et à cause de la situation post-coloniale. G. Duvigneau sj, « Des nouvelles d’Algérie » données lors de la réunion du CEMAM (Centre pour l’étude du monde arabe moderne) en juin 1995. Disponible sur le site du CEMAM : www.cemam.usj.edu.lb/pdf_bulletins/95/95-6.pdf.

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ces questions. Il est tentant d’opposer les générations portées par l’expansion européenne du xixe siècle et celles, formées dans l’Entredeux-guerres, qui ont dû répondre aux défis des indépendances ; les missionnaires de terrain (ceux qui sont présentés dans ce recueil) et les figures de « savants » ; les religieux dont les relations nourrissent les revues missionnaires à grands tirages et les auteurs de textes philosophiques et/ou spirituels destinés à une élite intellectuelle104. Pourtant des passerelles existent à travers des personnages qui circulent entre ces différents cercles. Deux d’entre eux apparaissent dans ce recueil : le P. Jaussen et le cardinal Tisserant. Le premier, membre de l’école biblique de Jérusalem devait une partie de ses informations aux sœurs de Saint-Joseph de Naplouse dont il loua l’action devant l’Académie française (Karène Summerer-Sanchez). Le second, préfet de la Sacrée Congrégation des l’Églises orientales, encouragea les réflexions des missionnaires sur l’islam dans les années 1930 et soutint la mission jésuite auprès des alaouites à laquelle il rendit visite en 1939105. Les espoirs soulevés par les « dissidents de l’islam » Au sein de ce « bloc » musulman, qui paraît inattaquable aux missionnaires chrétiens, les dissidents de l’islam au Proche-Orient ou les populations kabyles d’Algérie offrent davantage d’espoirs. Tout se passe comme si les missionnaires chrétiens cherchaient à entamer cette masse musulmane par ses marges, en reprenant « le vieil espoir médiéval du contournement de l’islam106 ». Dès l’époque moderne, druzes et nusayrîs suscitent des espérances qui se fondent à la fois sur le peu de considération dont ils jouissent auprès des musulmans sunnites, le syncrétisme de leurs croyances, et leurs pratiques qui contreviennent aux interdits de l’islam. Ils sont aussi réputés réfractaires au pouvoir ottoman, et donc par extension à sa religion, l’is104 D. Avon, Les Frères prêcheurs en Orient, p. 335-336 ; E. Metenier, « Niveaux et contextes du dialogue islamo-chrétien en Égypte », dans Muslim-Christian Perceptions of Dialogue today, Experiences and Expectation, éd. J. Waarenburg, Leuven, Paris, Sterling (Virginia), Peeters, 2000, p. 113-149. 105 E.  Fouilloux, Eugène Cardinal Tisserant, 1884-1972, Une biographie, Paris, Desclee de Brouwer, 2011, p. 430-437. 106 B. Heyberger, R. Madinier (dir), L’islam des marges, Mission chrétienne et espaces périphériques du monde musulman, XVIe-XX e siècle, Paris, IISMM-Karthala, 2011, p. 10.

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lam107. En Perse, les missionnaires protestants itinérants visitent les communautés bahaïe, parsie, ou Ahl-e Haqq. En Anatolie, les Alévis font aussi l’objet d’une curiosité que l’on pourrait dire intéressée de la part des missionnaires américains : certains y voient des cryptochrétiens bien disposés envers les missionnaires et prêts à recevoir l’Évangile. À la même période, d’autres religieux leur attribuent des origines persanes (Hans-Lukas Kieser). Ces divergences d’interprétations se retrouvent aussi chez les missionnaires catholiques. Le P. Gillet, jésuite engagé auprès d’une petite communauté alaouite dans les années 1930, sait sans doute que la plupart des travaux scientifiques de son temps mettent en cause l’idée de leur origine chrétienne, mais il ne peut y renoncer complètement : comment expliquer sinon le succès des jésuites auprès des alaouites dans les années 1930 ? À la lecture du rapport du carme Elia sur les nusayrî-s rédigé deux siècles auparavant (1709) et présenté par Bernard Heyberger on ne peut qu’être frappé par la permanence du discours missionnaire sur ce sujet. Le P. Elia apparaît cependant plus curieux et plus au fait de la religion des alaouites que ses lointains successeurs. Quelles inflexions en retenir si, d’autre part, les années 1930 sont celles d’un regain d’intérêt pour l’islam mentionné plus haut ? Là encore, la diversité des expériences missionnaires et de leurs écrits rend les ruptures chronologiques confuses. Sans doute faut-il distinguer le savant missionnaire du religieux « operarius », autrement dit de celui que la mission envoie travailler au milieu des populations locales. Du côté des premiers, la figure du P. Lammens, (1862-1937) directeur du Machreq (1927-1934), auteur connu d’un Précis historique de la Syrie, d’un L’islam, croyances et institutions, (1926) et de plusieurs articles qui relatent ses voyages dans la région (Antioche, Palestine) mais dont les travaux apostoliques ont laissé moins de traces, illustre bien cette séparation108. De l’autre, les P. P. 107 Voir dans ce volume la contribution de B. Heyberger. Le P. Lammens, jésuite auteur d’un précis historique sur la Syrie qualifie les druzes et les nusayrîs d’indociles et les dit toujours prompts à se rebeller contre les autorités politiques locales ou ottomanes. H. Lammens, La Syrie, précis historiques, Beyrouth, Dar Lahad Khater, 1994. p. 233-306. 108 Il a été cependant un actif président de l’Association des anciens élèves de l’Université Saint-Joseph, dont les membres sont majoritairement chrétiens. H. Jalabert, Jésuites au Proche-Orient, p. 196-197.

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Gillet et Vexivière qui livrent des écrits très ethnographiques quant à la vie de leurs ouailles mais s’intéressent bien peu à la religion de leurs « convertis ». À les lire ce qui fait obstacle au christianisme, ce sont davantage les mœurs rudes et frustres des paysans de la montagne alaouite que des questions religieuses qu’en définitive ils n’ont pas vraiment les moyens scientifiques ou théologiques d’aborder. Il est tentant de rapprocher les espoirs que suscitent les alévis, les druzes ou les nusayrî-s de ceux qu’ont nourris les Kabyles en Algérie au xixe siècle. Considérés comme « superficiellement islamisés par les Arabes » qu’ils « détestent », ils paraissent plus faciles à approcher et à convertir, puisqu’il suffirait de « gratter la couche d’islam superficiel qui recouvre l’âme kabyle pour ressusciter les anciens souvenirs chrétiens »109. Ces idées qui relèvent plus globalement du mythe kabyle sont aussi étayées par le fait que les kabyles observent un droit coutumier et non religieux (ce qui laisse penser que leurs attaches religieuses sont moins fortes), qu’ils possèdent des terres de façon individuelles et pratiquent moins la polygamie (pour des raisons économiques sans doute)110. Forts de ces convictions, de nombreux missionnaires catholiques et protestants investissent la Kabylie au xixe siècle. Présents comme aumôniers militaires depuis 1840, les jésuites prennent en charge Fort-Napoléon en 1863, qu’ils quittent quatre ans plus tard à la suite d’un conflit entre tribus habilement utilisé par le bureau arabe pour les éloigner. La mission reprend en 1873 avec les Pères blancs de Mgr Lavigerie nommé évêque d’Alger en 1867. En 1892, à la mort de Lavigerie, les pères s’inquiètent du peu de succès de leur mission qui n’a accueilli qu’une poignée de convertis. Le mythe kabyle, « se lézarde progressivement au contact du terrain »111 : les missionnaires reconnaissent que « comme l’Arabe, le Kabyle est musulman. C’est-à-dire plus réfractaire à l’Évangile qu’un

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P. Lesourd, Les Pères blancs de Lavigerie, Paris, Les grands ordres monastiques et instituts religieux, 1935, p. 68-69, cité par K. Dirèche-Slimani, Chrétiens de Kabylie (18731954), une action missionnaires dans l’Algérie coloniale, Paris, Édition Bouchene, 2004, p. 34. 110 P. M. E. Lorcin, Kabyles, arabes, français : identités coloniales, Limoges, PULIM, 2005. 111 K. Dirèche-Slimani, Chrétiens de Kabylie, p. 93.

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païen, un fétichiste, un idolâtre quelconque »112. Dans les années 1920 et surtout 1930, la Kabylie fait partie de ces terres d’islam qui suscitent des réflexions nouvelles et plaident, elles aussi, pour une meilleure connaissance de l’islam, de l’arabe, de la langue et de la culture kabyles113. Des élèves musulmans dans les établissements missionnaires La présence éventuelle d’élèves musulmans au sein des établissements scolaires et l’attitude à adopter vis-à-vis d’eux posent d’autres problèmes spécifiques à ces missions en terre d’islam. Globalement, les effectifs des élèves musulmans augmentent, notamment durant l’Entre-deux-guerres. Mais ils varient aussi selon la localisation des établissements et une même congrégation peut faire face à des situations très disparates. À Damas, au début du xxe siècle, les lazaristes accueillent plus de 30% d’élèves musulmans, tandis qu’à une centaine de kilomètres leur collège de Antoura (‘ayn tûrâ) scolarise un public presque exclusivement chrétien114. À Naplouse, les élèves musulmanes sont majoritaires dans les écoles des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition. Mais si l’on prend en compte la globalité de la Palestine, les musulmans et juifs représentent de 5 à 15% des élèves de cette congrégation et des Frères des écoles chrétiennes (Karène Summerer-Sanchez). En Perse, au tout début du xxe siècle, les élèves chiites sont majoritaires dans plusieurs écoles de la mission presbytérienne américaine (Florence Hellot). Dans les faits, les attentes et les réactions des missionnaires vis-à-vis des musulmans sont très diverses, plus affirmées dans les établissements protestants, plus réservées dans ceux tenus par les catholiques. Tous les missionnaires s’accordent à penser que les institutions d’enseignement constituent un des meilleurs moyens d’entrer en contact avec des musulmans, de gagner leur confiance et d’exercer sur eux une saine influence :

112 Propos du P. Charmettant (1892), dans Duchêne, « Les Pères blancs 1873-1893. Depuis l’origine jusqu’à la mort du fondateur », t. III, La Kabylie, ouvrage manuscrit reprographié, Maison-Carré, 1903, p. 388, cité par K. Dirèche-Slimani, Chrétiens de Kabylie, p. 92. 113 K. Dirèche-Slimani, Chrétiens de Kabylie, p. 94. 114 J. Bocquet, Missionnaires français en terre d’islam, Damas, 1860-1914, p. 257-261.

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Quant aux musulmans, leur séjour dans le collège, les forçant à vivre dans un milieu chrétien, leur fait entendre bien des principes généraux de la morale chrétienne et de l’honnêteté naturelle ; de plus, leur vie commune et leurs jeux avec les chrétiens diminuent peu à peu les préjugés et émoussent le fanatisme,

écrit le supérieur des lazaristes à Damas en 1904115. Chez les missionnaires latins, toutefois, cette idée d’une sorte d’imprégnation chrétienne au sein des établissements scolaires n’est pas moins répandue que celle qui voit dans la mixité religieuse (chrétien/musulman) un péril pour les élèves chrétiens. L’apostolat des missionnaires latins en direction des chrétiens vise en fait à produire une « distinction catholique », ce qui suppose de les sortir de leur environnement musulman ou, à tout le moins, de leur faire adopter des comportements différents. Dans cette perspective, faire cohabiter chrétiens et musulmans dans un même internat présente un danger pour les chrétiens. Certes les musulmans peuvent être sainement influencés, mais ils risquent de pervertir ceux qui doivent faire l’objet de tous les soins des missionnaires : les catholiques et au-delà, les chrétiens. D’où une très grande ambivalence des établissements missionnaires catholiques à l’égard de ce public musulman. Que faut-il choisir ? Accueillir les musulmans pour éventuellement les convertir ou du moins les rapprocher de l’Église, ou les exclure pour préserver les catholiques ? Cette alternative recouvre des clivages qui divisent les missionnaires, et le plus souvent les missionnaires de terrain (plus disposés à recevoir des élèves musulmans) et leurs supérieurs (plus réticents) : la note envoyée par le Frère Onésime à propos de l’« Admission des dissidents dans nos écoles », est à cet égard emblématique116 . Elle évoque aussi des considérations économiques qui font pencher la balance du côté de l’admission des élèves musulmans : ces derniers s’acquittent de frais de scolarité qui financent les écoles

115 Ibid. Voir dans ce volume le texte « Admission des dissidents dans nos écoles », note du Frère Onésime, Visiteur, Bethléem, 11 août 1910, proposé par K. SummererSanchez. 116 Les élèves musulmans du collège lazariste de Damas sont accueillis contre l’avis du supérieur et les lazaristes restent méfiants à leur égard. J. Bocquet, Missionnaires français en terre d’islam, Damas, 1860-1914, p. 257-261.

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gratuites dont le public reste exclusivement chrétien117. Cette mixité pose moins de difficulté aux missionnaires protestants. En Perse, W. Shedd la défend au nom de l’égalité à promouvoir entre toutes les composantes de la population et le souci d’éviter la « dénationalisation » (denationalizing), autrement dit l’occidentalisation des enfants. Dans un espace dominé par les musulmans, la présence d’élèves chrétiens justifie les exercices religieux, même si les missionnaires sont tenus à une grande prudence et doivent « éviter les attaques directes contre l’islam118 ». Admettre des élèves musulmans dans des établissements missionnaires et donc religieux soulève d’autres questions à propos de leur assistance ou non aux leçons de catéchisme, aux cours de Bible ou aux offices. Là encore l’attitude des missionnaires est loin d’être uniforme. Dans les écoles et les collèges protestants, elle varie de l’obligation à assister aux exercices religieux à la garantie assurée aux parents que leurs enfants ne feront l’objet d’aucun prosélytisme de la part de leurs enseignants119. En Perse, les Presbytériens se montrent prudents mais refusent d’abdiquer leurs convictions : les prières communes ne sont pas dites au nom de Jésus pour permettre à tous les élèves d’y prendre part. Les écoles sont fermées le vendredi, mais aussi le dimanche. À Beyrouth, le Syrian Protestant College se dit non-confessionnel, (non sectarian) mais oblige ses étudiants à assister aux prières quotidiennes du matin et du soir et aux cours de religion. En 1908-1909, son administration fait face à une fronde des élèves qui refusent ces obligations120. « Catholique » et « française », la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph se montre moins exigeante et n’oblige ses étudiants qu’à assister à la messe officielle 117 C’est le cas à Damas comme à Naplouse et plus généralement un fonctionnement très courant dans les missions catholiques. 118 Questions on the educational situation in Persia sent by the Rev. W. A. Rice of the C.M.S. Isfahan to W. A. Shedd, P.H.S.A. vol. 204, W. A. Shedd, Urumia, May 11 1909 cité par F. Hellot. 119 Henry H. Riggs, A.B.C.F.M. History 1910-1942. Section on the Turkey missions, typoscript [1942], Chap. 1 : The Period of Progressive Planning, p. 27-31, Archives of the ABCFM, Houghton Library Ms. Hist. Cité par H.-L. Kieser. 120 A-L Dupont, « Une école missionnaires et étrangère dans la tourmente de la révolution constitutionnelle ottomane : la crise de 1909 au Syrian Protestant College de Beyrouth », dans Islam et éducation au temps des réformes, s.d., A.-L. Dupont, Cahiers de la Méditerranée, 75 (2001), p. 39-57.

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que le consul honore de sa présence. Mais les règles ne s’appliquent pas de la même façon dans le collège (qui scolarise la majorité des élèves de l’USJ) où elles changent selon que l’on est interne (obligation d’assister aux offices) ou externe (pas d’obligation). Sans compter qu’elles peuvent être modifiées en fonction des circonstances ou de la demande des élèves et de leurs parents : en 1904, les internes juifs et musulmans du collèges bénéficient du même régime que les étudiants. À la même époque, les jésuites poussent même la bienveillance à faire accompagner à la mosquée quelques élèves persans de bonne famille inscrits dans leur établissement121. L’attitude des institutions missionnaires vis-à-vis des élèves musulmans illustre bien la plasticité de la mission, dont les pratiques, et même les règles (!), varient selon les contextes locaux mais aussi les religieux chargés de les mettre en œuvre. Tout au plus peut-on souligner la méfiance constante et répétée des missionnaires catholiques (et plus encore de leurs supérieurs) à l’égard de toute mixité religieuse. Là réside, sans nul doute, une vraie différence avec certains missionnaires protestants. Là se situe, davantage que dans des tentatives de conversion, un des éléments saillants de leur influence (difficile à mesurer au demeurant) au sein des sociétés pluriconfessionnelles du Moyen-Orient122. Tentatives de conversions Quoique l’économie de cet ouvrage suggère le contraire, les conversions demeurent exceptionnelles123. Deux contributions évoquent en détail de modestes communautés de convertis : cent à deux cents alaouites de Syrie qui ont demandé à entrer dans le catholicisme durant les années 1930 et une poignée de fidèles ralliés au protestantisme par les missionnaires suédoises établies à Tunis durant le premier xxe siècle. Partout le contraste est saisissant entre 121 C. Verdeil, « un établissement catholique dans la société pluriconfessionnelle de la fin de l’empire ottoman : l’Université Saint-Joseph de Beyrouth » dans Islam et éducation au temps des réformes, s.d., A.-L. Dupont, Cahiers de la Méditerranée, 75 (2001), p. 28-38. 122 U. Makdisi, The Culture of Sectarianism : Community, History and Violence in Nineteenth-Century Ottoman Lebanon, University of California Press, 2000, 207 pages. 123 La mission des Pères blancs en Afrique du nord recense 650 baptêmes en 45 ans (1905-1950). O. Saaïdia, Clercs catholiques et Oulémas sunnites, p. 197.

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le dynamisme des missionnaires et les résultats de leur action si, comme ils le font, on entend la conversion dans un sens strictement religieux124. Pour les catholiques, le baptême fait le converti. Son administration in articulo mortis est mentionnée dans plusieurs hôpitaux, en Algérie (C. Fredj) comme en Palestine (K. SummererSanchez). Sûrs d’avoir gagné les âmes des nouveaux défunts, la plupart des missionnaires en tiennent une comptabilité consolante à défaut d’être totalement rassurante quant au sens et aux résultats de leur apostolat. Dans la montagne alaouite, les baptêmes sont célébrés avec faste. La domination mandataire, en dépit des réticences du gouvernement français, et le relatif isolement de la région expliquent sans doute que les jésuites aient pu leur donner une grande publicité. Leur nombre est régulièrement reporté dans leurs rapports, leur évolution scrutée et analysée : les missionnaires sont tenus de rendre des comptes. Pour les missionnaires protestantes de la KMA, d’autres critères sont mis en avant pour désigner la conversion. Ne pas porter le voile, se déplacer librement, rompre le jeûne du Ramadan recouvrent autant de pratiques qui font de telle ou telle femme une des leurs. Le baptême reste un horizon à atteindre, mais il oblige ces missionnaires femmes à recourir aux services d’hommes et il vient davantage couronner un cheminement qu’inaugurer, comme dans la mission jésuite, une vie nouvelle. S’ils privilégient une conception strictement religieuse de la conversion, les missionnaires n’en mentionnent pas moins leurs dimensions sociales et politiques. En Syrie, les jésuites voient dans la naissance d’une petite communauté catholique parmi les alaouites le résultat d’une « révolution sociale dans la montagne »125. À leur suite, l’historien en quête des causes multiples qui expliquent les conversions, ne peut que mettre en lumière les transformations de l’ordre tribal que génèrent la domination française, l’affirmation d’un 124 Cette définition est souvent abandonnée aujourd’hui, voir F.  Abécassis, « conversions », dans Dictionnaire critique de la Méditerranée, s.d., D. Albera, M. Crivellon, T. Fabre, M. Tozy, Actes sud/MMSH/CNRS, à paraître. H. J. Sharkey, « American Missionaries in the Middle East : A History Enmeshed », p. xxviii. 125 C. Verdeil, « Une « révolution sociale dans la montagne » : la conversion des alaouites par les jésuites dans les années 1930 », dans L’islam des marges, Missions chrétiennes et espaces périphériques du monde musulman XVIe-XX e siècle s.d., B. Heyberger, R. Madinier, Paris, IISMM-Karthala, 2011, p. 81-105.

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nationalisme syrien qui prône l’unité autant que l’indépendance, et la reconnaissance politique et religieuse de la communauté alaouite par les autorités mandataires. Ainsi, en Syrie comme dans la Kabylie étudiée par Karima Dirèche-Slimani, les conversions éclairent « le cœur des pratiques coloniales, des processus identitaires et des redéfinitions de soi126 ». Transgressive, la conversion met en cause des frontières religieuses, sociales ou politiques et les identités qui les définissent. Mais les décalages sont grands entre les convictions des missionnaires et les pratiques de leurs fidèles. Pour les premiers, la rupture ne peut qu’imprimer une marque radicale sur tous les aspects de la vie. Elle est souvent décrite comme douloureuse, parce que pour ces religieux chrétiens, le passage d’une vie à l’autre ne saurait aller sans souffrance. Les seconds, « alaouites chrétiens » ou tunisien(ne)s devenu(e)s protestant(e)s, gardent des attaches dans leur communauté d’origine, en conservent certaines pratiques (au grand dam des missionnaires !) et retournent parfois à leur religion première. Des raisons intimes de leur ralliement au christianisme, les textes mentionnés ici ne disent rien et leur mutisme s’impose à l’historien. La naissance d’une communauté nouvelle aussi réduite soit-elle transforme l’apostolat des missionnaires : au sein de la mission jésuite auprès des alaouites comme de celle des sœurs suédoises de Bizerte, les questions scolaires ou médicales laissent la place à des préoccupations différentes. La nécessité, du point de vue des missionnaires, d’assurer la pérennité du groupe de convertis les conduit à réfléchir à leur avenir économique et à intervenir dans les affaires matrimoniales : en Kabylie, les missionnaires plaident pour le développement d’activités industrielles et agricoles127. Là comme en Syrie et en Tunisie, ils interviennent directement dans les choix matrimoniaux, ce qui peut occasionner des déchirements lorsque les jeunes gens ont encore de la famille et que celle-ci ne s’est pas faite chrétienne128. Très actifs pour maintenir et faire vivre leur petite communauté, les jésuites de Syrie sont pourtant les premiers à reconnaître qu’elle

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K. Dirèche-Slimani, Chrétiens de Kabylie, p. 129-130. Ibid. 128 D. Abrous, La Société des missionnaires d’Afrique à l’épreuve du mythe berbère (Kabylie, Aurès, Mzab), Paris,-Louvain, Dudley-Peeters, 2007, p. 57. 127

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ne doit pas sa naissance à leur apostolat. Modeste et fragile, limitée à des populations dissidentes de l’islam, elle ne saurait faire oublier le nombre infime de convertis parmi les musulmans sunnites. Cet échec nourrit un découragement qui affleure dans de nombreux textes (Christian Chanel, Claire Fredj, Karène Summerer-Sanchez). Il arrive même que les missionnaires rencontrent des musulmans désireux de les convertir comme cette sœur suédoise à qui l’on suggère de se « donner à Dieu » pour aller au ciel (C. Chanel). En Kabylie, Claire Fredj mentionne d’une part un marabout qui prie pour la conversion d’une sœur et d’autre part une ancienne femme de chambre lyonnaise convertie à l’islam129. Ce phénomène reste difficile à mesurer à travers les sources missionnaires qui, le plus souvent, le passent sous silence. Pas plus que l’absence de conversion, il ne fait l’objet d’une réflexion approfondie dans leurs écrits. Issus de différents fonds d’archives, les textes rassemblés dans cette anthologie reflètent la diversité des expériences missionnaires du xviie au xxe siècle. Au Maghreb et au Moyen-Orient, les congrégations catholiques (jésuites en Syrie, lazaristes en Perse, frères des écoles chrétiennes, filles de la charité, Pères blancs et Sœurs blanches) rivalisent avec les missionnaires protestants venus d’Amérique, de Grande-Bretagne, de France ou de Scandinavie. Soutenues par l’expansion économique et politique de l’Europe et des États-Unis, portées par leur croissance démographique, animées par le renouveau religieux qui touche les Églises catholiques et protestantes, les missions connaissent leur apogée durant un long siècle qui s’écoule du milieu du xixe siècle aux Indépendances. Outre ce changement d’échelle, c’est le développement des missions protestantes et l’arrivée des congrégations féminines qui caractérisent cette période par rapport à l’époque moderne. L’essor des institutions d’enseignement et de médecine, le plus souvent soutenu par les populations locales en constitue un dernier trait distinctif. Rédigés par de missionnaires de terrain, ces textes éclairent les actions concrètes menées par les religieux, louent leurs succès, plaident pour leurs projets, évoquent parfois leurs difficultés. Ils

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ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 20 mai, p. 186 ; ASMNDA, Diaire, 1913, Biskra, 21 octobre, p. 661. Cités par C. Fredj.

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témoignent aussi des questions spécifiques que fait naître la mission en terre d’islam : quelle attitude adopter face aux élèves ou aux malades musulmans ? Comment justifier la mission quand les perspectives de conversion s’éloignent dans un futur inaccessible ? Écrits durant le grand siècle des missions, avant l’aggiornamento du Concile pour les catholiques et les grandes heures du dialogue islamo-chrétien, ils font ressortir l’hostilité des missionnaires chrétiens à l’égard de l’islam et des musulmans, considérés comme un « bloc » méconnu, méprisé et menaçant. Ces relations entachées de méfiance et d’incompréhensions se nourrissent aussi de l’animosité que perçoivent les missionnaires dans le regard que les musulmans portent sur eux et sur leur foi : « On ne peut s’imaginer la hauteur des murs qui tiennent les Arabes éloignés de nous si on n’a pas fréquenté et connu la haine du faux prophète pour le Christ130 », constate amèrement une missionnaire suédoise au début du xxe siècle. La plupart de ces textes n’étaient pas destinés à la publication, même s’ils ont pu nourrir tel ou tel article de la presse missionnaire ou religieuse. Ils passent donc sous silence le rôle des missionnaires comme orientalistes131. Par leurs écrits publiés, ces derniers ont pourtant contribué à « l’invention de la Terre Sainte » pour reprendre l’heureuse expression d’Henry Laurens, et plus généralement aux connaissances que les Européens et les Américains ont du Maghreb et du Moyen-Orient. Leurs publications dans des revues missionnaires à grand tirage ont exercé une forte influence en Europe et aux États-Unis. Mais ils sont souvent moins diserts sur ce qu’étaient les missions en terre d’islam dans leur dimension concrète à la fois dans la routine du quotidien comme lors des profonds bouleversements qu’ont connus ces régions.

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Maria Ericsson, 1904, cité par C. Chanel. F. Pichon recense les orientalistes qui se sont intéressés à Maaloua parmi lesquels figurent de nombreux missionnaires protestants. F. Pichon, Maaloula XIX e-XXIe, du vieux avec du neuf, Histoire et identité d’un village chrétien de Syrie, Beyrouth, IFPO, 2012, p. 34-58. 131

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MISSIONS CATHOLIQUES EN SYRIE À L’ÉPOQUE MODERNE Ber n a rd H e y be rge r

Un appel au secours des missionnaires latins d’Alep (1662) Les écritures missionnaires n’ont pas toutes le même statut, et ne répondent pas toutes aux mêmes objectifs. Le texte que nous présentons ici a été rédigé comme un appel « aux âmes dévotes et généreuses » pour susciter leurs « libéralités charitables » en faveur des missions latines d’Alep. Le manuscrit conservé aux Archives Nationales de France, soigneusement préparé pour la publication, avait donc été conçu pour une diffusion dans le public. Mais certains passages, dont tout un paragraphe au f. 3, ont été raturés, et l’ensemble du texte a été rayé tout du long, feuille par feuille, sans qu’on sache ce qui lui a valu cette censure. Il est vrai qu’il introduisait le lecteur dans un monde complexe de relations et de conflits, moins édifiant sans doute que ce que les auteurs croyaient donner à voir. Les missionnaires d’Alep, jésuites, capucins et carmes déchaux qui signent ensemble ce texte, étaient alors français, tandis que les Frères Mineurs de la Terre Sainte, présents dans la ville, mais ignorés par le document, étaient italiens, majoritairement sujets du Roi catholique (d’Espagne). De 1652 à 1660, les premiers bénéficièrent, comme le texte l’indique, du soutien du dévot consul de France François Picquet. Alep était une étape sur la route des Indes, par le Golfe arabo-persique. C’est par là que la Congrégation De Propaganda Fide fit acheminer de l’argent destiné aux missionnaires carmes de l’Inde, intercepté « pour la bonne cause » par les missionnaires d’Alep. Ce pieux larcin est à l’origine de la difficulté financière qui justifie l’appel à la générosité des « âmes dévotes » parisiennes1.

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Pour l’ensemble de cette introduction, je me permets de renvoyer à Bernard Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la Réforme catholique, Rome, 1994.

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Comme la plupart de ceux qui étaient en poste dans les pays musulmans, les religieux s’occupaient presque exclusivement des chrétiens orientaux, appartenant à diverses Églises qui, à l’exception des maronites, étaient alors séparées de Rome. L’objectif des missionnaires « francs » était à la fois de « ramener » ces chrétiens vers l’union avec l’Église romaine, sans les faire renoncer à leur organisation et à leur rite, et de les instruire dans le catholicisme réformé post-tridentin. Comme ils le disent dans le texte, ils considéraient que les prêtres locaux, même catholiques déclarés, étaient incapables de remplir correctement leurs fonctions pastorales et d’administrer les sacrements, du fait qu’ils étaient mariés, avec charge de famille, et qu’ils ne bénéficiaient pas de rentes les libérant des soucis matériels. Ils ne correspondaient pas, en somme, à l’image du prêtre telle qu’elle avait été définie par le Concile de Trente. La séparation avec l’Église latine et l’ignorance étaient considérées comme les deux maux qui avaient précipité les chrétiens orientaux dans le malheur sous la domination musulmane, et auxquels il fallait remédier. Mais la présence de hiérarchies ecclésiastiques et d’un clergé local restreignait les possibilités d’action des missionnaires, dont le principal apostolat se déroulait dans un cadre privé, dans la discrétion des maisons refermées sur elles-mêmes de Jdayda, le faubourg chrétien de la ville. Leur discours sur les faiblesses des prêtres orientaux servait aussi à légitimer leur propre place. L’idée d’exploiter les difficultés financières récurrentes des prélats orientaux et les querelles autour de la brigue des charges ecclésiastiques pour hisser sur un siège épiscopal ou patriarcal un protégé de la France et des missionnaires a plusieurs fois été tentée au xviie siècle, avec des résultats rarement à la hauteur des espérances. Ici, il s’agit du siège archiépiscopal, puis patriarcal, de l’Église syrienne, considérée comme « hérétique » (monophysite) et « schismatique » (jacobite). Mais il était inconcevable de faire consacrer un bon catholique, issu d’un collège romain, par un patriarche « hérétique » : la manœuvre qui consista à confier cette consécration au patriarche de l’Église concurrente, mais catholique, des maronites, entachait sa nomination d’une invalidité irréparable, et ne pouvait que déclencher la colère du patriarche et du clergé syriens. C’est l’origine de toutes les difficultés à rebondissement racontées dans ce document. Les tentatives « d’union » des missionnaires, avec les méthodes telles qu’elles sont décrites ici, aboutissaient à aggraver les divisions dans les communautés, et à faire surgir des conflits sans fin qui se réglaient devant les autorités ottomanes, sur place ou à Istanbul/Constantinople. Les individus appartenaient à des communautés confessionnelles (tâ’ifa), dont ils ne pouvaient pas librement choisir de s’écarter. En effet, ils devaient obligatoirement participer aux offices publics, recevoir les sacrements et payer

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leur part de la capitation à l’intérieur de leur Église, dont les chefs étaient souvent tenus pour responsables par les autorités ottomanes de la conduite de leurs ouailles. Une certaine solidarité s’organisait donc à l’intérieur de chaque tâ’ifa, qui risquait d’être remise en cause par celui qui fréquentait les missionnaires, ou se déclarait ouvertement catholique. On voit que les candidats soutenus par les religieux ne font pas l’unanimité, et paraissent même marginalisés, du fait de leur éloignement durable et de leurs études à Rome. Le prêtre arménien Don Giovanni, ou le patriarche des Grecs (dont on sait par ailleurs qu’il a joué un rôle important dans la politique ecclésiastique orthodoxe en Roumanie et en Russie, lors de ses deux voyages) semblent privilégier une recherche du consensus, et ne pas témoigner pour la défense de la « doctrine » ou le combat contre « l’erreur » la même opiniâtreté que les missionnaires latins. Les tâ’ifa-s n’étaient pas pour autant des communautés harmonieuses, réunies sous l’autorité absolue et incontestée d’un patriarche. Dans le cas de la tâ’ifa des syriens, ont voit dans le texte qu’elle était dispersée entre Alep et la Haute Mésopotamie : les syriens de Mardin, d’Urfa, de Dyarbakir, de Mossoul et d’Alep, vivaient dans des environnements politiques et sociaux, voire culturels, très différents, et soutenaient rarement le même candidat aux élections patriarcales. Le recours ruineux aux autorités ottomanes, pour confirmer une élection et obtenir la soumission des opposants, était une procédure fréquente. L’argent de M. Picquet et l’influence des ambassadeurs de France à Constantinople favorisaient le parti des missionnaires, qui pouvait obtenir un ordre de la Porte pour exiger la soumission des fidèles à Alep. Inversement, les opposants portaient souvent contre les catholiques des accusations de vouloir « se faire francs » et d’être de collusion avec les ennemis du Sultan. A une époque où les pouvoirs locaux s’affirmaient, il pouvait aussi être utile de se gagner les faveurs du gouverneur d’Alep ou de Dyarbakir. Le cadi, juge du tribunal officiel, était un personnage important, qui avait également des fonctions de maintien de l’ordre dans ses attributions. Il jouait par ailleurs un rôle de notaire, puisque, comme on le voit dans le texte, on enregistra auprès de lui une déclaration confirmant la vérité de la foi enseignée par l’évêque, contre ses détracteurs. Dans l’ensemble, les conflits internes aux tâ’ifa-s et le recours à la justice ou au pouvoir civils précipitaient les chrétiens dans des difficultés financières récurrentes, qui aboutissaient parfois à des conversions isolées à l’islam. Ce texte nous fait voir, de façon vivante et concrète, une société citadine où les chrétiens ne vivent pas séparés de l’environnement majoritairement musulman. Ils recourent à l’autorité politique y compris pour régler des affaires internes, contrairement à une certaine mythologie du xixe siècle,

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qui voulait que les communautés (millet-s) chrétiennes bénéficiaient d’un fonctionnement totalement autonome, sous l’autorité de leurs patriarches et de leurs évêques. Missionnaires et diplomates eux-mêmes sont pris dans ce jeu complexe de protections, de clientèles, d’alliances et de revirements, qui caractérise alors le fonctionnement de cette société.

Brève relation de la mission d’Alep aux âmes dévotes 2 Les grands et saints personnages ne limitent jamais, ni ne bornent leurs desseins et bonnes volontés, qu’ils ont, à faire du bien aux créatures : au contraire, ils croient être coupables et criminels devant la bonté souveraine de s’attacher au soulagement de quelques amis ou compatriotes, et d’abandonner dans les pays étrangers les pauvres chrétiens qui gémissent sous la tyrannie et soutiennent très généreusement des grandes et continuelles persécutions pour le maintien de la foi de Jésus Christ, lesquels, quoique schismatiques et séparés de l’Église Romaine, sont, par le baptême, lavés du sang précieux du fils de Dieu, et par conséquent en quelque façon nos frères, auxquels nous sommes obligés d’apporter nos soins et diligences pour les faire entrer dans le giron de l’Église, et les remettre dans la voie du Salut. Et pour ce sujet nous avons cru faire tort aux âmes dévotes et généreuses, si nous ne faisions une simple et brève relation de la mission d’Alep pour leur présenter un objet digne de contenter leurs passions et d’exercer leurs libéralités charitables. Nous ne mettons point en doute que la plus grande part des personnes lettrées savent que la ville d’Alep en Syrie est la quatrième de l’empire ottoman, soit en grandeur, soit en richesse ; elle est très abondante en toute sorte de peuples, où les chrétiens ne sont pas la moindre partie, et sont divisés en quatre sortes de sectes, à savoir : les grecs, les arméniens, les syriens, et les maronites. Ces derniers, qui sont en fort petit nombre, reconnaissent l’Église romaine et obéissent au Souverain Pontife. Mais les autres trois sectes depuis longtemps en sont séparées et ont demeuré dans les ténèbres l’espace de quelques siècles. Leurs patriarches pour la plupart du temps y font leur résidence à cause que leurs chrétiens y sont en plus grand nombre, et on estime que dans ces trois sectes de grecs, arméniens 2

L’orthographe, le style et la ponctuation de ce texte ont été modernisés pour en faciliter la lecture.

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et syriens, il y aura bien quarante mille âmes3, ce qui n’est pas un objet d’une petite conquête. Depuis quelques années, l’Église romaine, considérant la perte de tant de peuples chrétiens (qui par une crasse ignorance ne reconnaissent point leurs erreurs), se résolut à envoyer les religieux missionnaires pour semer la parole de Dieu dans les cœurs de ces pauvres brebis égarées. Il y a donc environ 38 années que pour instruire et convertir ces trois sectes, trois corps de religieux furent destinés, à savoir les capucins, les jésuites, et les carmes déchaussés. Ils ne leur manqua pas de travail et d’exercice au commencement, soit à cause de la difficulté d’apprendre les langues, soit aussi à cause des patriarches, qui, craignant que leurs peuples ne reconnussent bientôt la vérité, leurs défendaient sous peine d’excommunication de fréquenter les religieux francs. Il faut avouer que ces obstacles ont été grands, et que ces commencements ont été très difficiles : mais les religieux missionnaires, au lieu de se refroidir, s’animaient d’avantage, et insensiblement commencèrent à se glisser dans les maisons des chrétiens, et leur prêcher la parole de Dieu en cachette. Plusieurs goûtaient leurs paroles et connaissaient la vérité, mais n’osaient publiquement faire profession de la foi catholique, apostolique et romaine, à cause de la crainte qu’ils avaient que leurs patriarches, le sachant, ne les perdissent en les accusant d’être rebelles au Grand Turc, et de s’unir aux francs pour se retirer du domaine des turcs, et de prendre les armes pour détruire l’empire ottoman ; et cette seule menace que les patriarches faisaient dans leurs églises empêchait plusieurs d’embrasser la foi, et d’entrer dans la voie du Salut. Les religieux missionnaires, voyant que c’était peu faire en comparaison de leur grand désir pour le salut des âmes, firent quelque conférence avec Mr François Picquet, consul pour Sa Majesté Très 3 Le texte ajoute « 4000 » en chiffres ! A cette époque, Alep est sans doute la troisième ville de l’empire, après Istanbul et Le Caire, pour son nombre d’habitants. Les chrétiens y sont environ 30 000 sur un total de 150 000 habitants à la fin du xviie siècle (soit 20 %). Les maronites, qui forment la communauté organisée la plus petite, sont 3000 en 1665. Plus loin, le texte fait mention d’un prêtre et de deux marchands « nestoriens » en précisant qu’ils étaient de Bagdad : en effet, ces chrétiens de l’Église d’Orient, surtout présents sur les confins mésopotamiens de l’empire ottoman et de la Perse, devaient être très peu nombreux à Alep.

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Chrétienne en Alep4, qui leur promit de les protéger, et aider de tout son pouvoir, ce qui fut cause qu’ils se résolurent à lever le masque et, à la découverte, d’entreprendre la conversion des chrétiens en attaquant nations après nations. Et de premier abord, on jeta la vue sur la nation syrienne comme étant la plus faible. Et pour ce sujet Mr l’Illustrissime consul Picquet tâcha de gagner les affections du patriarche de ladite nation, nommé Patriarche Chamaon5. Il l’invita deux fois à aller dîner chez lui, ce que ledit patriarche accepta volontiers, tenant à honneur de manger à la table du Consul de France. En ce temps, Mr le consul Picquet, considérant que l’Église des syriens d’Alep était sans archevêque, en dit un mot au patriarche, comme le priant d’y mettre quelque brave homme. A quoi lui répondit le patriarche qu’il voudrait bien trouver un capable de cette dignité, et qui fût au gré de Mr le consul. Cette parole fut bien remarquée ; c’est pourquoi le jour suivant Mr le consul fit appeler les religieux missionnaires pour en conférer avec eux, et leur demander s’ils ne savaient point quelque prêtre syrien bon catholique sans être marié pour être fait archevêque dans Alep sur la nation syrienne : tout aussitôt, ils portèrent leur vue sur un nommé André, enfant d’Alep, qui depuis 14 années avait fait profession de foi entre les mains du Révérend Père Bruno, carme déchaussé, et même avait été trois ans à Rome au Collège de la Propagande6 , et actuellement au Mont Liban, avec le patriarche des maronites dans le monastère de Canoubin7. 4 François Picquet né en 1626 dans une famille de marchands lyonnais, fut un consul de France à Alep extrêmement dévot et actif dans le domaine religieux de 1652 à 1660, avant de devenir évêque in partibus et vicaire apostolique de Babylone (Bagdad) en 1675, établissant sa résidence à Ispahan, en Perse. Nommé évêque de Babylone en 1683, il meurt sur le chemin pour aller s’installer à Bagdad en 1684. Georges Goyau, Un précurseur : François Picquet, consul de Louis XIV en Alep et Évêque de Babylone, Paris, 1942. 5 Le patriarche Ignace Sham ‘ûn passe à Alep sur le chemin de Damas, où il doit s’acquitter de ses dettes. Ce patriarche meurt en 1657 (voir plus bas). Voir sur cet épisode Bernard Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient, p. 261-262. 6 Le Collège de la Propagande est le Collège Urbain. En réalité, c’est le Collège maronite qu’André Akhidjan a fréquenté, y ayant été exceptionnellement reçu à l’âge de 35 ans. Ce lien particulier entre le syrien André et les maronites explique qu’il vécût au Liban à Cannubin, auprès du patriarche maronite. 7 En marge on lit « Avant sa conversion il s’appelait Achiiam et fut nommé André ».

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Mr le consul Picquet, étant bien informé de la probité8 du susdit prêtre André syrien, invita une autre fois le patriarche des syriens à lui faire l’honneur de venir dîner avec lui, ce qu’il fit, et après le dîner Mr le consul dit au patriarche qu’il savait un vertueux prêtre syrien digne de succéder à l’archevêque mort. Il lui répondit qu’on le fît venir, et que pour l’amour de lui, il le consacrerait volontiers archevêque d’Alep. Les religieux missionnaires, le jour suivant, parlèrent avec Mr le consul, disant qu’on ne permettrait point que ledit André fût consacré par un hérétique, et trouvèrent à propos d’envoyer exprès au patriarche des maronites pour le prier de consacrer le susdit André archevêque avant que de le laisser partir d’auprès de sa personne, et ainsi empêcher qu’il ne fût consacré par un hérétique ; ce qui fut fait, et ensuite envoyé à Mr le consul d’Alep. Ledit archevêque André étant donc arrivé, Mr le consul le fit conduire au patriarche des syriens, avec un beau présent, lequel témoigna d’avoir pour agréable son arrivée, qui fut le 16 juillet 1656. Mais ayant appris qu’il était déjà consacré par le patriarche des maronites, il témoigna beaucoup de froideur, et ne prétendait plus de le faire reconnaître dans l’Église des syriens pour leur archevêque. Ce dont Mr le consul s’apercevant, fit venir un commandement de Constantinople par lequel l’Empereur des Turcs commandait sous peine de rébellion de recevoir l’archevêque André pour leur archevêque. Le commandement étant arrivé, le patriarche, saisi de crainte, s’enfuit de la ville, et l’archevêque André fut introduit et reçu dans l’église d’Alep le 9 août 1656. Le susdit archevêque, après avoir demeuré quelques temps en cette charge et voyant que tous ses prêtres étaient hérétiques, et que continuellement ils allaient de maison en maison pour soulever le peuple contre lui, se résolut de se retirer dans la solitude du Mont Liban, le 15 mai 1657. Mr notre consul ne perdait pas courage pour cette retraite et les religieux missionnaires travaillaient plus que jamais à la conversion des âmes au grand mécontentement des prêtres hérétiques. Cependant Mr le consul négocia si vivement auprès du

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« et sainteté » a été raturé.

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pacha9, que les mêmes prêtres qui avaient été la cause de la retraite de ce prélat pour le peu de respect et d’honneur qu’ils lui portaient, furent contraints de l’aller quérir le 2  décembre 1657. Mais sans aucun effet, car ils retournèrent sans pouvoir gagner sur son esprit qu’il vînt en Alep. Ce que voyant, les Rds P. missionnaires capucins qui sont à Tripoli de Syrie montèrent la montagne du Liban pour lui parler sur ce sujet, et lui mirent scrupule de péché d’abandonner une si belle entreprise, et que c’était pour la gloire de Dieu qu’il combattait, ce qui le fit résoudre de venir. Et ainsi, il retourna en Alep le 12 mars 1658, et il fut reçu dans son église avec applaudissement du peu de catholiques syriens, et grand crève cœur des hérétiques. Il fut mis sur son trône accompagné du capitaine des gardes du pacha, qui commandait absolument au peuple de lui obéir, autrement on les traiterait de rebelles. Ces menaces n’empêchèrent pas que les prêtres hérétiques ne fissent toujours leur possible pour obliger l’archevêque à se retirer, disant qu’il avait intelligence avec les francs pour prendre l’Empire du Turc par l’assistance des chrétiens du pays : Mr le consul voyant que les prêtres hérétiques ne cessaient d’épouvanter le peuple, et le détourner de la foi catholique, fit si bien auprès du pacha et du cadi10, que les chrétiens catholiques accusèrent les prêtres hérétiques de rébellion et de désobéissance à leur roi. Mais comme dans l’église, ils n’agissaient pas publiquement contre leur prélat, on ne conclut en justice autre chose contre eux, sinon qu’en cas que le dit Monseigneur André s’en allât, qu’on s’en prendrait aux prêtres, et qu’ils seraient obligés de donner deux mille écus au pacha, et 500 au cadi. A quoi ils consentirent, et donnèrent leur signé pour faire voir qu’ils obéissaient au commandement de la Porte. Pendant que les choses se passaient ainsi, Mr le consul ne laissait pas d’agir à Rome, priant Sa Sainteté d’envoyer la confirmation et l’établissement à Monseigneur André comme archevêque en Alep sur sa secte syrienne. Le bref étant venu, l’archevêque prit des nou9 Le « pacha » (orthographié « bacha »  dans le texte) est le gouverneur de la province d’Alep (walî en arabe / vali en turc). 10 Le cadi est le juge du tribunal de la charia, mais ce magistrat a d’assez larges attributions en matière de service d’ordre, d’édilité et de notariat. Comme le texte l’indique, on assiste à une sorte de partage du pouvoir dans la ville entre le gouverneur et le cadi.

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velles forces, et se résolut de faire une assemblée des plus capables de toutes les sectes des chrétiens pour déterminer et éclaircir le peuple de la très sainte foi, ce qu’il fit le 10 avril 1660. A cette assemblée assistèrent de la part des grecs, deux prêtres, un religieux, un archidiacre, sept diacres, deux médecins, et cinq marchands des principaux de la même nation ; de la part des arméniens, deux prêtres, deux diacres et trois marchands des plus riches de ladite nation ; de la part des syriens, cinq prêtres, cinq diacres, et trois marchands ; tous comme députés de chaque secte, et outre ceux-là, un prêtre nestorien de Bagdad avec deux marchands de sa nation ; et de la part des religieux missionnaires qui étaient ceux qui devaient disputer, était le Rd Père Joseph Besson de la Compagnie de Jésus, le Rd Père Blaise d’Angers capucin, et le Rd Père Jean-Pierre de la Mère de Dieu, carme déchaussé. Toute la cour était pleine d’une grande multitude de peuple qui attendait le résultat de cette assemblée, en laquelle, après plusieurs disputes, on conclut généralement que la Vérité était du côté de l’archevêque, et que Notre Seigneur Jésus Christ avait deux natures en une seule personne. Pour les particularités de l’assemblée, elles ont été envoyées en France conformément à l’original. C’est pourquoi on n’en parlera point ici de peur d’ennuyer le lecteur : seulement il faut noter que le troisième jour de l’assemblée, Monseigneur l’archevêque fut appelé au cadi, et fut déclaré en pleine justice que ledit archevêque suivait l’Évangile, et les prêtres non : ce qui fut enregistré dans le greffe avec le témoignage des assistants et surtout desdits prêtres syriens hérétiques. Cette assemblée établit beaucoup l’archevêque et le mit en grand crédit et réputation auprès du peuple, qui vit bien que les prêtres n’avaient aucune raison, et ainsi l’archevêque, fortifié, choisit trois braves catholiques et les consacra prêtres le dimanche suivant, ce qui augmenta fort son parti, et mit les hérétiques en consternation car la plupart des chrétiens se détachèrent du parti des prêtres et embrassaient la foi romaine, étant fortifiés par un miracle qui arriva à la mort glorieuse d’un esclave polonais dans cette ville d’Alep le 12 février 1660. Ce jeune homme, que tout le monde tenait pour catholique, fut condamné à mort pour avoir tué son maître, ne pouvant autrement se délivrer de la poursuite que son dit maître lui faisait pour commettre l’abominable péché de sodomie. Le miracle fut que l’espace de dix jours Ismael Pacha faisait mourir quantité de 69

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personnes à une place hors la ville par ordre du Grand Turc, et on jetait les corps morts à la voirie et pâture des chiens qui n’en laissaient pas aucun un jour sans être dévorés. Mais ledit esclave qui fut du nombre des suppliciés ne fut jamais l’espace de dix jours touché, demeurant toujours avec un visage riant et une odeur suave qui sortait de son corps. Quelques turcs enragés de voir que les mahométans étaient dévorés des chiens et que le seul chrétien catholique demeurait entier, excitèrent un chien pour mordre le corps de cette jeune victime. Mais il porta le châtiment de son attentat, car il ne fit que trois tours en façon de moulinet, et creva devant tout le monde. Ce qui obligea les turcs de l’enterrer avec honneur contre la sentence donnée, et lever l’objet des chrétiens qui disaient qu’il n’y avait d’autre foi que celle des Romains. Tous ces prodiges avec le martyre du grec, qui fit profession de foi entre les mains du R. P. Bruno, supérieur des carmes déchaussés11, furent cause de la conversion de plusieurs personnes de toutes les sectes, surtout des prêtres syriens, dont neuf firent profession de foi entre les mains des religieux missionnaires, ce qui fut cause que le propre frère dudit Monseigneur André commença à se bander contre lui et jouer de son dernier effort. Mais Mr le consul Picquet fit si bien auprès du Pacha qu’on le déclara fou, et fut ensuite mis dans les petites maisons, et sentence fut donnée par le cadi que sur peine de la vie, il n’entrât plus dans l’église des syriens, encore qu’il fût curé de ladite nation12. Et tous ces procédés donnaient bien à penser à plusieurs, surtout au patriarche des grecs, qui d’ailleurs considérait mûrement les actions des religieux missionnaires à l’assistance des pauvres chrétiens, dans un année de famine comme celle de l’année 1660, pendant

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Il s’agit d’un cordonnier, dont l’histoire de la mise à mort par décapitation le 28 juillet 1660 a été plusieurs fois racontée par les missionnaires : Bernard Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient, p. 420. Le « miracle » de l’esclave polonais est raconté en détail dans une relation conservée aux archives des carmes, à Rome : Plut. 245, A 2, p. 63-66, et dans Joseph Besson, La Syrie sainte ou la mission de la Compagnie de Jésus en Syrie, Paris, 1660, p. 228-232. Voir aussi Bernard Heyberger, « Se convertir à l’islam chez les chrétiens de Syrie xviie-xviiie siècles », dans Dimensioni e problemi della ricerca storica, 2, 1996, p. 133-152. 12 Le passage en italiques a été rayé dans le manuscrit. Les « petites maisons » désignent l’hôpital pour les fous.

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lequel temps la bourse de Mr notre consul leur était ouverte avec l’assistance des âmes dévotes de Paris, qui ont mérité une grande couronne de gloire dans le secours qu’ils ont donné à ces pauvres chrétiens, l’esclavitude desquels surpasse celle des enfants d’Israël sous la tyrannie de Pharaon13. Il n’y a que ceux qui le voient qui le puissent croire. Quelques-uns meurent sous le bâton dans les prisons, les autres de faim, les autres de vermine et les autres de froid, car pour les obliger de donner l’argent qu’on leur demande, ils les jettent au cœur de l’hiver dans des fosses pleines d’eau glacée, et les ayant retirés, les remettent dans la prison. Et s’ils se voulaient faire turcs14, ils seraient délivrés de tous ces travaux. Bien que ce soit Dieu qui permette ces choses, il ne laisse pas néanmoins de fortifier leurs cœurs et de susciter toujours quelques âmes dévotes pour les animer et aider comme on a vu ici dans Alep, où les religieux missionnaires les consolaient par leurs exhortations spirituelles, et Mr le consul en rachetait plusieurs en payant la somme pour eux qu’on leur demandait, et continuellement, par voie indirecte, on leur portait du pain en la prison à l’insu de ces barbares qui le leur arrachaient d’entre les mains. Ce que considérant, le patriarche des grecs fut contraint d’avouer que la véritable religion était chez les Romains, et pour ce sujet invita Mr le consul et les religieux missionnaires à son église, pour entendre la messe et faire voir à son peuple que les francs étaient dans le véritable chemin de Salut, comme il témoigna dans la prédication qu’il fit également en arabe. Et puis quelques temps après, sachant que Mr le consul devait partir pour Rome et la France, il lui apporta une lettre, le priant de la donner et mettre en main propre de Sa Sainteté, par laquelle il manifeste reconnaître le pape pour souverain pontife de l’Église orthodoxe, et promet qu’il fera son possible pour réunir sa nation à l’Église romaine, dont la superbe l’en avait séparé. Cette lettre consola grandement Mr Picquet, et lui 13 L’année 1660 est en effet une difficile année de « cherté » à Alep. Le patriarche des grecs est Macarios Al-Za’îm (élu en 1647). Son attitude envers l’Église latine n’est pas univoque. Il va jouer, dans les années suivantes, un rôle important dans l’orthodoxie, notamment lors de ses deux voyages jusqu’à Moscou. La méthode de François Picquet, fondée sur « la bourse ouverte », ne fait pas l’unanimité, et lui-même se fait rappeler à l’ordre à ce sujet en 1662 par la Congrégation de la Propagande : Bernard Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient, p. 261-262. 14 C’est-à-dire se convertir à l’islam.

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adoucit les amertumes et afflictions qu’il avait ressenties à la mort du Rd P. Bruno, supérieur des carmes déchaussés et très digne missionnaire apostolique dont la mort a été imprimée à Paris15. En ce temps-là arriva Mr François Baron de la part de Sa Majesté très Chrétienne pour succéder à Mr Piquet, lequel fut regretté de tous les pauvres qui l’accompagnèrent jusqu’à la montagne hors la ville, ne faisant que pleurer, perdant leur père et protecteur. Mais aussi, ils se consolèrent bientôt, apprenant que Mr le consul Baron n’était pas moins zélé pour la religion chrétienne et le soulagement des pauvres, comme on verra dans la relation suivante. Continuation de la mission d’Alep depuis la partance de Mr François Picquet le octobre 1662. Les hérétiques, sachant la partance de M r Picquet qui semblait les avoir toujours contrariés, et renversé leurs desseins, se résolurent de faire leurs derniers efforts, et pour mieux venir à bout de leurs intentions, conclurent de dissimuler jusqu’après son embarquement, disant que M r Baron, son successeur, n’était pas pour se mêler des affaires des chrétiens, et surtout qu’il avait fait des grandes dépenses dans son voyage de Constantinople, et par conséquent qu’il ne voudrait pas débourser de l’argent pour le soutien des catholiques, lorsque entre eux ils auraient, à force de l’argent, soulevé les ministres du pays, et les accuseraient de s’unir aux francs pour prendre les armes contre l’empire du turc. Monsr Picquet étant donc parti, les prêtres arméniens hérétiques, enragés de voir que les religieux missionnaires attaquaient leur nation et qu’ils faisaient beaucoup de progrès à la conversion d’icelle, et surtout parmi le clergé qui était composé de 22 prêtres, dont 13 avaient fait profession de foi catholique, apostolique et romaine, commencèrent à faire des assemblées pour trouver le moyen d’empêcher les religieux. Et tout aussitôt, ils jetèrent leur vue sur un prêtre arménien, disciple de Rome, qui était pusillanime, craintif et de fort petit courage. Et pour ce sujet, ils se servirent du tailleur du pacha, pour présenter un mémorial à son maître, et l’informer de ce qui se 15 En effet, la mort du Père Bruno de Saint Yves en 1661 donna lieu à des funérailles exceptionnelles, racontées dans un texte imprimé : Archives Nationales, L 932, n° 4 quater, 22 oct. 1661, 3 p.

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passait, disant qu’il y avait un prêtre arménien logé chez Mr le consul qui soulevait les chrétiens pour prendre les armes contre les turcs, et au reste, si on le prenait prisonnier, les francs donneraient pour le moins vingt mille écus pour son rachat. Le pacha, sans autre considération, donna pouvoir à son tailleur de se saisir dudit prêtre, et lui donna pour ce sujet quelques-uns de ses soldats, lesquels tout aussitôt s’en allèrent à la maison consulaire pour le prendre. Mais M r notre consul s’y opposa généreusement, et ne permit pas qu’on le prît dans sa maison. Le pacha, voyant que M r l’illustrissime consul s’y opposait, envoya le saluer, et lui dit qu’il ne voulait faire aucun tort audit prêtre Don Giovanni. Mais seulement il le priait de le laisser aller répondre aux accusations dont il était blâmé. M r le consul, le persuadant de la fidélité du pacha, l’envoya avec son interprète après lui avoir parlé et encouragé d’être résolu dans ses sentiments. Il promit de faire merveille, pourvu qu’on lui donnât la liberté de parler, qui lui fut accordée. Car pour l’amour de M r notre consul, le pacha lui donna trois jours de temps, qu’il demeura dans le sérail pour parler librement et dire tout ce qu’il avait dans le cœur contre les hérétiques arméniens. Mais au lieu d’agir contre eux, il disait qu’il n’avait rien à blâmer chez les arméniens, et qu’au contraire, ils étaient de bonnes et braves personnes. Le parti adversaire faisait des grands bruits et des offres de grandes sommes de deniers au pacha et autres ministres, pourvu qu’on exterminât la religion catholique et qu’on empêchât aux religieux missionnaires de prêcher et d’entrer dans les maisons des chrétiens. Le pacha et les autres ministres, qui n’ont que l’argent à cœur, se résolurent de faire une assemblée générale en faveur des hérétiques. Et de fait, ils s’assemblèrent tous avec le cadi et tous les grands du pays, au son des tambours et trompettes, et par devant eux firent présenter Don Giovanni, qui demeura toujours muet. Et par son silence, il donna foi et croyance aux accusations des hérétiques, et par conséquent il fut décrété qu’il serait mis en prison chez un officier du pacha jusqu’à ce qu’autrement fût ordonné. Le grand silence de Don Giovanni donna bien de l’étonnement aux catholiques, et de la hardiesse aux hérétiques, qui, enflés de superbe, donnèrent à entendre au pacha qu’ils lui donneraient 2000 écus s’il voulait faire mourir ledit Don Giovanni, et qu’au reste ils 73

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lui feraient avoir une somme de 3000 écus de ceux qui étaient catholiques en leur imposant une amende comme criminels. M r notre consul voyant tous ces désordres, et considérant la faiblesse de Don Giovanni (comme il avait témoigné par ses lettres), et craignant qu’au lieu d’un martyr de Jésus Christ il ne vînt une victime du diable, se résolut de négocier auprès du pacha pour sa délivrance, ce qu’il fit très prudemment. Et comme il était en peine, où trouver de l’argent pour traiter cette affaire, n’en ayant pas pour le présent à cause des grands frais qu’il avait faits pour son voyage de Constantinople, Dieu, qui n’abandonne jamais les siens, envoya un vaisseau flamand où il y avait mille et deux cents écus romains que la Sacrée Congrégation16 envoyait aux Rds. P. carmes déchaussés de Perse et des Indes, ce qui occasionna grande joie à M r le consul, et le prit, croyant que puisqu’il était pour la mission, il ne pouvait être mieux employé, et que la Sacrée Congrégation ne ferait point de difficulté de le rembourser aux Rds P. carmes déchaussés. Et avec cet argent et quelque autre qu’il y ajouta, fit si bien auprès des grands qu’il renversa touts les desseins des hérétiques, et que le pacha constitua et établit ledit Don Giovanni chef et supérieur spirituel de la nation arménienne, et accepté pour tel de la plupart des prêtres, dont les noms furent enregistrés dans le greffe. Et ainsi il fut conduit avec honneur dans la maison épiscopale des arméniens, et révéré pour supérieur de tout le peuple. Il y avait pour lors grand avantage de faire du bien pour la religion chrétienne, mais au lieu de correspondre, [Don Giovanni] couvrait les défauts des hérétiques et ne voulait qu’on lui parlât de leur erreur. Et quand on lui parlait des vices de ce pays, pour réponse il nous objectait ceux d’Italie, ce qui fit soupçonner qu’il ne tînt encore quelque erreur dans son cœur. Pendant ce temps vint une nouvelle que l’archevêque des arméniens de Jérusalem venait avec des commandements de la Porte pour agir contre Don Giovanni ; ce que sachant, les religieux missionnaires lui en parlèrent, l’exhortant de se comporter généreusement, qu’il n’y avait rien à craindre en tant que le pacha était de son côté, et la plupart des prêtres de ladite nation. Il répondit absolument qu’il 16

Il s’agit de la « Sacrée Congrégation De Propaganda Fide », le « ministére chargé des missions à Rome.

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voulait s’en aller et ne voulait être mis une autre fois en prison, et que si on l’obligeait de demeurer, il avait l’invention de se délivrer, en disant une seule parole qui causerait du mal aux missionnaires. Semblable discours donna à penser à M r le consul et les religieux, si bien qu’on se résolut de le laisser partir pour la Chrétienté, où il avait désir d’aller depuis longtemps, pour faire augmenter sa pension, ou bien obtenir un canonicat pour sa récompense. Et ensuite, il partit de nuit à l’insu de tout le monde. Quelque temps après, le pacha sachant qu’il ne paraissait plus, attaqua les prêtres, particulièrement les hérétiques, et les accusait d’homicide disant : « Je vous ai mis un supérieur, et par rage vous l’avez tué et enterré sous le grand autel, et pour ce sujet, il les mit dans les fers17, et leur demandait une grosse somme d’argent pour cet effet : à ce coup les hérétiques furent prosternés18. Ne sachant de quel bois faire flèche, et ne trouvant aucun remède à leur malheur, ils se résolurent d’avoir recours à Mr l’illustrissime consul Baron, et de lui demander ce qui s’était passé. M r le consul voyant cette belle rencontre de pouvoir gagner les hérétiques, commença de négocier leurs affaires auprès du pacha, si bien que pour la somme de mille et cents piastres, il les délivra contre l’espérance de tout le monde ; et même pour les aider, il leur prêta la moitié de ladite somme, ce qui ravit tellement tous les esprits que les plus grands ennemis étaient contraints de dire que l’Évangile est véritablement observé par les francs, qui rendent le bien pour le mal. Cette tempête étant passée, arriva de Constantinople le patriarche des arméniens19 en faveur de M r le Consul pour apaiser tous les 17 Le texte dit : « et pour ce sujet, il est mis dans les fers », ce qui est incompréhensible. Nous avons donc décidé de corriger la formule. 18 Sic. 19 Il s’agit du patriarche de Sis, en Cilicie (voir plus bas). Les arméniens se déchirent dans ces années en plusieurs factions, dont les péripéties sont difficiles à suivre. Dans les grandes lignes, le titulaire de Jérusalem et celui du patriarcat de Sis, d’abord soutenus par les Ottomans, tentent de rompre avec le siège patriarcal d’Etchmiadzin situé en territoire perse. Le titulaire de Constantinople s’oppose à leurs manœuvres et apporte son soutien à leurs adversaires : Avedis K. Sanjian, The Armenian Communities in Syria under Ottoman Dominion, Harvard, 1965. Les arméniens d’Alep semblent en effet, d’après les documents missionnaires, avoir été assez nombreux à se laisser séduire par les latins. Il est probable qu’en Mésopotamie et à Istanbul, des alliances aient été passées entre syriens et arméniens hostiles aux catholiques.

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tumultes et faire à l’avantage des catholiques : et deux jours après son arrivée, il alla en personne saluer M r le Consul avec un présent qu’il lui donna et qui ne fut pas des moins agréables venant de la main d’une personne de telle dignité : M r le consul, pour correspondre, l’invita à dîner avec lui, ce qu’il fit avec beaucoup de satisfaction de son clergé qui l’accompagnait, et des religieux missionnaires, et après le dîner, M r le consul selon sa générosité ordinaire lui fit part d’une belle veste dont il fut ravi, et très satisfait. Pendant ce temps vint la nouvelle que le patriarche des syriens était décédé dans la ville de Mardin, et qu’il y avait deux partis, l’un dans la ville de Diarbecre, l’autre dans la ville d’Orfa en Mésopotamie20, qui prétendaient au patriarcat. M r notre consul, avec le sentiment des religieux missionnaires, se résolut de ménager le moyen d’obtenir un commandement en faveur de Monseigneur André archevêque des syriens, pour le faire patriarche en cas que les syriens catholiques le demandassent, ce qu’ils firent. Car ils furent au cadi déclarer qu’ils ne voulaient autre que Monseigneur André pour leur patriarche et qu’il n’y en avait pour cette charge de plus capable. Ce qu’ayant entendu, le cadi (c’est-à-dire juge), leur dressa une supplique par laquelle Sa Hautesse était priée de vouloir accorder un commandement audit archevêque André pour obliger les peuples syriens de lui obéir comme à leur légitime patriarche ; ce qu’étant fait, en justice, et collationné au greffe, M r notre consul envoya ladite supplique authentique à Constantinople par un courrier exprès auquel il donna des lettres de change pour dépenser dans les instances qu’il faut faire auprès des ministres de la Porte ; M r le consul a fait toutes ses diligences à cause que personne n’est reçu ni reconnu du peuple pour patriarche qu’il n’aie ses provisions de la Porte, en tant que le Grand Turc veut savoir ceux qui sont en dignité dans son royaume. Les choses étant calmes de la sorte, les missionnaires avaient grande liberté d’agir à la conversion des âmes : ce qui n’a pas été sans un manifeste fruit. Mais on n’est pas assez de missionnaires. Il faudrait pour le moins vingt religieux, et encore seraient-ils occupés 20 Diyarbakir et Urfa, qui sont aujourd’hui situées en Turquie. La région autour d’Urfa (l’ancienne Édesse) et de Mardin constitue le territoire d’implantation historique des chrétiens syriens.

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tous les jours depuis le matin jusqu’au soir. A ceci l’on pourra dire que les prêtres convertis devraient aider la conversion des âmes, mais on répond que cela serait bon, s’ils étaient rentés comme en Europe, et qu’ils fussent sans charge de famille. Mais comme ils sont tous mariés sans rente, ils sont obligés de travailler à leur métier pour gagner le pain de leurs familles qui sont assez pauvres. Aussi il faut que les missionnaires suppléent à leurs défauts pour l’instruction des mystères de la foi et l’administration des sacrements. Ceux qui concourent beaucoup au grand fruit qui se fait, sont (outre Monseigneur André), les patriarches des grecs et des arméniens qui témoignent agréer ce que font les missionnaires. Et même le patriarche des grecs a prêché plusieurs fois dans son église en faveur de la religion romaine, surtout un jour qu’il invita M r notre consul d’aller entendre la messe en son église. Celui aussi des arméniens, pour lever l’horreur que quelques-uns avaient des francs, invita M r le consul avec la nation française d’aller à son église pour y entendre la messe. Puis quelques temps après, il se résolut de faire des prêtres nouveaux pour suppléer au défaut des morts, et pour ce sujet choisit huit braves diacres catholiques pour les consacrer prêtres, et invita à cette consécration les pères missionnaires. Et dans l’église, il les fit monter auprès de sa personne avec des cierges allumés en leurs mains en présence de tout le peuple qui était ravi de voir les religieux francs si chéris de leur patriarche au grand contentement de tous les catholiques. Pendant que les missionnaires étaient contents de voir le grand fruit que Dieu opérait à la conversion des âmes après une si grande tempête, le diable à Constantinople faisait tout son effort pour empêcher que Monseigneur André ne fût patriarche, se servant du pacha de Diarbecre, qui faisait tout son possible que l’Archevêque Ciocralah21 fût patriarche, lequel lui avait promis de lui faire avoir 1000 piastres du peuple syrien en cas qu’il lui obtînt son commandement par lettre. Mais nonobstant tous les efforts de Satan, on obtint le commandement pour Monseigneur André ; il est vrai qu’on y a fait intervenir la faveur de la France, si bien que le Grand Turc lui a fait un commandement impérial le plus ample qu’on ait jamais vu, et tout en lettre d’or. Et outre ce commandement si ample, il y a 21

Lire : « Shukrallâh ».

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un autre commandement à tous les pachas et cadis de faire obéir le peuple syrien au susdit Monseigneur André par toute l’étendue de son empire. Et en effet, quand le courrier fut de retour de Constantinople, M r le Consul envoya Monseigneur André avec son interprète au pacha pour vérifier le commandement impérial, lequel après l’avoir lu et reconnu, donna une belle veste au susdit archevêque et le fit accompagner par six chaoux 22 qui portaient devant lui leur masse d’argent et le conduisirent jusqu’à son église, ce qui ne s’était jamais encore vu. Et ensuite, il donna ordre aux deux patriarches grec et arménien pour aller le dimanche suivant à l’église des syriens pour établir Monseigneur André sur son trône, et le déclarer patriarche de la nation syrienne : ce qui a été exécuté sans aucune difficulté parce que les susdits patriarches sont catholiques dans leur cœur, et déjà l’on a envoyé son obéissance et soumission à Sa Sainteté à Rome. Le dimanche suivant 20 Août 1662, après la prière du matin, les deux susdits patriarches s’en allèrent habillés pontificalement à l’église des syriens accompagnés de leur clergé et d’une grande quantité de peuple, où assistèrent les religieux missionnaires. Mais avant que de déclarer Monseigneur André patriarche, on trouva à propos qu’il consacrât son frère le catholique archevêque à sa place. Et ce qui facilita beaucoup l’affaire, fut la demande que M r François Picquet en fit à la Sacrée Congrégation, et a écrit même qu’il croyait que bientôt on en aurait les expéditions, si bien qu’il consacra son frère archevêque à sa place, en présence de deux patriarches. Et puis après, les susdits patriarches avec le nouvel archevêque lui firent les prières ordinaires qui sont convenables à l’établissement des patriarches. Mais comme il y avait grand concours de toutes les sectes, le pacha, pour plaire à M r le consul son ami, envoya grande quantité de chaoux pour garder les portes de l’église et empêcher la confusion qui est ordinaire en telle rencontre. La solennité étant finie, le pacha envoya tous ses tambours et trompettes pour donner une salvade audit nouveau patriarche, et après eux, lui manda tous ses pages d’honneurs couverts à l’avantage qui le vinrent saluer, et quelques temps après arriva un capitaine des gardes du pacha qui lui apporta un bouquet de fleurs de la part du 22

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Chaoux, ou chiaoux : sorte d’huissier ou de gardien.

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pacha, et lui dit que son maître le saluait, et le congratulait de sa dignité, et si quelqu’un était encore rebelle, qu’il n’avait qu’à le dire, qu’il le ferait bien obéir. Le capitaine et gouverneur du château, qui est indépendant du pacha23, l’envoya aussi saluer par ses tambours et trompettes. D’un autre côté, le peuple ravi de joie de voir trois patriarches bien unis ensemble, s’écriait : aujourd’hui est descendu le St Esprit dans l’église des syriens, surtout quand on les porta tous trois sur des chaires et qu’ils donnèrent la bénédiction au peuple. Cela étant fait, Mr le consul, pour entretenir cette union entre eux, les invita tous trois le samedi suivant d’aller dîner avec lui dans sa maison consulaire : ce qu’ils firent, accompagnés de leurs clergé, et après avoir été tous splendidement traités, le patriarche des grecs commença une santé, disant : « A la santé de Notre St Père le Pape, chef de l’Église, et je prie Dieu qu’il n’y ait qu’un troupeau et un seul pasteur comme autrefois ». Et tous les autres firent raison la tête découverte. On but aussi une autre santé au Roi de France, que Dieu le fasse prospérer et venir à bout de ses desseins. Et après avoir donné leurs bénédictions à M r notre Consul, ils se retirèrent très satisfaits. En ce temps un vaisseau flamand étant sur son départ, on trouva bon d’envoyer à Rome le Rd. P. Jérôme, carme déchaussé et missionnaire apostolique, pour demander le pallion24 à Sa Sainteté et obtenir la confirmation pour le nouveau patriarche. Et après son départ, le patriarche des arméniens partit aussi pour aller à Sis, où est le bras de St Grégoire l’Illuminateur, et laissa une belle lettre à M r le consul pour Sa Sainteté par laquelle, il lui rend obéissance, et le reconnaît chef de l’Église universelle. Et quelques temps après arriva à Alep un archevêque dudit patriarche, disciple de don Clément Balcano théatin 25, et voyant la liberté qu’il y a pour la foi catholique, fit une prédication dans l’église des arméniens à l’avantage de la foi, où il invita les missionnaires. M r le consul, qui ne dort point pour la conversion des âmes, envoya dans les villes de Mésopotamie la copie du commandement 23 L’agha qui commande la garnison de la citadelle d’Alep est en effet indépendant du walî et du cadi de la ville. 24 Le pallium : ornement sacerdotal porté autour du cou par les patriarches orientaux. Le pape envoie le pallium aux patriarches orientaux rattachés à Rome pour confirmer leur élection. 25 Les théatins avaient des missions dans le Caucase, en Géorgie depuis 1626.

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authentique pour le nouveau patriarche à cette fin de le faire reconnaître partout : ce qui a commencé avec bon succès, et même aujourd’hui, 25 octobre 1662, est arrivé en Alep un des plus fameux archevêques syriens nommé Abdelgelil 26 , qui depuis environ 24 années avait fait profession de foi dans Mossoul c’est-à-dire Ninive, entre les mains des Rds P. capucins, et apporta la soumission et la reconnaissance de son peuple de la ville d’Orfa au nouveau patriarche. De tout ceci l’on peut voir la sage conduite de M r le Consul Baron, et le grand zèle qu’il a pour le salut des âmes et la conversion des hérétiques, et que si les âmes dévotes secondent ses intentions par des aumônes et libéralités charitables, il sera capable avec les missionnaires de convertir tout le Levant : c’est de quoi nous prions l’aimable lecteur, et Dieu lui en sera la récompense. Joseph Besson, supérieur des missions de la Compagnie de Jésus en Syrie et Perse Frère Sylvestre de St Aignan, supérieur des capucins d’Alep Frère Jean Pierre de la Mère de Dieu, vicaire des carmes déchaussés d’Alep Source : Briesve Relation de la Mission d’Alep. Aux âmes dévotes, Archives Nationales de France, L 932, n° 4, 10 pages.

Rapport d’un missionnaire carme déchaux de Tripoli (Syrie) à son supérieur, sur une tournée missionnaire effectuée parmi les nusayrî-s (1709) Le Père Elia Giacinto di Santa Maria, missionnaire carme déchaux d’origine française, s’est occupé pendant près d’une décennie des missions auprès des nusayrî-s (aujourd’hui appelés alaouites) dans les montagnes de Syrie, au nord de Tripoli. Un premier rapport de lui, dans lequel il affirme avoir été deux fois parmi eux, fut envoyé à la Congrégation De Propaganda Fide en 1705 par le patriarche maronite. Le missionnaire livra ensuite des récits détaillés des tournées qu’il accomplit dans leurs montagnes en 1709 et en 1710. Il n’est sans doute plus retourné chez les nusayrî-s par la suite, car il fut alors pris dans les conflits qui déchiraient l’Église maronite, et qui

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Lire : « ’Abd Al-Jalîl ».

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l’ont conduit à se retrouver en état d’arrestation dans un couvent romain en attendant son procès, en 1715. Entre temps, en 1712, il a encore adressé un rapport à la Propagande, dans lequel il proposait d’envoyer deux religieux supplémentaires de son ordre à Tripoli, en vue de la mission auprès des nusayrî-s, mais les autorités n’ont visiblement pas donné suite à sa demande27. Les documents du Père Elia sont les plus précis que nous ayons trouvés dans la correspondance missionnaire sur les nusayrî-s pour les xviie et xviiie siècles. Le rapport présenté ci-dessous, comme celui de 1710, en italien chancelant, n’est pas directement adressé aux cardinaux de la Propagande, mais au supérieur de son ordre religieux, qui suivait visiblement de près les tentatives de pénétration du confrère en pays alaouite. Il a été communiqué à la Congrégation pour attirer son attention sur l’entreprise, et en obtenir des soutiens matériels, à la sollicitation du missionnaire, comme l’atteste la fin du texte. Les tournées du Père Elia se situent à un moment où l’Église catholique connaissait un nouvel élan missionnaire, et pas seulement en Syrie. C’est en particulier l’époque des « courses apostoliques » dans les campagnes reculées et les milieux difficiles28. En même temps que le carme excursionnait au nord de Tripoli, les jésuites se lançaient dans des expéditions méthodiques dans les campagnes libanaises et en Galilée29. Les montagnes du Djebel alaouite, quoique peu élevées, n’étaient guère accessibles au début du xviiie siècle. En dehors des difficultés du relief et des mauvaises routes, l’absence de notables chrétiens susceptibles de les protéger ne facilitait pas la tâche des religieux latins qui voulaient s’aventurer dans cette région, où les chrétiens vivaient peu nombreux et dispersés parmi les musulmans. Les témoignages du carme laissent supposer aussi que les sunnites exerçaient un contrôle assez serré sur les nusayrî-s, qui devaient s’afficher en musulmans orthodoxes pour éviter des avanies, ce qui ne permettait guère de les approcher. Le Djebel alaouite ne jouissait politiquement pas de la même liberté que, plus au sud, le Mont Liban30. Il est vrai néanmoins que le dis-

27 B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la Réforme catholique, Rome, 1994, p. 69, 98, 309, 331, 334. 28 L. Châtellier, « De “la crise de la conscience européenne” aux missions rurales : changements religieux dans les campagnes au début du xviiie siècle », Histoire, Économie et Société, 1989, 2, p. 237-248. 29 B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient, p. 370-377. 30 B. Heyberger, « Peuples “ sans loi, sans foi, ni prêtre ” : druzes et nusayrîs de Syrie découverts par les missionnaires catholiques (xviie-xviiie siècles) », dans L’islam des marges, Misions chrétiennes et espaces périphériques du monde musulman XVIe-XX e siècle s.d., B. Heyberger, R. Madinier, Paris, IISMM-Karthala, 2011, p. 45-80. S. Winter,

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cours sur la rudesse du relief, du climat, et des habitants des campagnes reculées, n’est pas spécifique du Père Elia, ni de cette mission en particulier. Il relève des images courantes dans le regard que des religieux citadins portaient alors sur le monde rural. L’Église catholique et ses activistes avaient renoncé depuis longtemps à l’espoir d’une conversion rapide et massive des musulmans sunnites. Les tentatives même dans ce sens pouvaient s’avérer périlleuses pour la présence chrétienne en pays d’islam. Les missions avaient donc avant tout pour but de s’adresser aux chrétiens locaux, de les ramener à l’union avec Rome, et de les instruire dans la dévotion et le perfectionnement selon les règles du Concile de Trente, et avec les instruments alors les plus diffusés (à la fin de sa lettre, Elia demande des chapelets : il les veut avec des croix, sans doute pour éviter toute confusion avec le « chapelet » en usage chez les musulmans). Les dissidents de l’islam, comme les druzes ou les nusayrî-s, pouvaient dans ce contexte apparaître comme des cibles plus faciles que les musulmans sunnites. Soit ils étaient considérés comme « sans foi ni loi », donc sans religion, soit comme des chrétiens dégénérés, ce qui devait faciliter leur approche, voire leur conversion31. Le Père Elia les situe clairement dans l’islam, et relève chez eux une définition du Christ qui nie la Trinité, l’incarnation et la rédemption par la Croix, conformément à l’enseignement du Coran. Il reconnaît aussi des éléments de la morale islamique dans leur abstention du porc, ou leur pratique de la circoncision, de la polygamie et de la répudiation. Mais, comme les autres auteurs de son temps, il voit dans leur hostilité envers le pouvoir ottoman, et dans la haine des sunnites envers ces hérétiques, un signe positif, et un indice de leurs racines non musulmanes. Il ne reprend pas à son compte l’étymologie erronée de « nusayrî », courante jusqu’au xxe siècle, qui en fait un diminutif de nasârâ’, chrétiens32. Mais il développe un autre thème, assez fréquent chez les auteurs latins, de leurs liens avec les croisés francs du Moyen Age, ce qui pouvait les disposer à une alliance politico-religieuse avec l’Occident catholique (d’autres auteurs, plus tardifs, ont noté la fréquence des physionomies blondes parmi eux).

« The Nusayrîs before the Tanzimat in the eyes of ottoman provincial administrators, 1804-1834 », dans From the Syrian Land to the States of Syria and Lebanon, ed., T. Philipp, C. Schumann (éd.), Wurzbourg, 2004, p. 97-112. S. Winter, « Les nusayris au regard des administrateurs provinciaux ottomans d’avant les Tanzimat (1804-1834) », Chronos, 9 (2004), p. 211-235. 31 B. Heyberger, « Peuples “ sans loi, sans foi, ni prêtre ” : druzes et nusayrîs ». 32 En fait, le nom remonterait à Muhammad Ibn Nusayr, partisan du 11e imam chiite (fin du ixe siècle).

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La religion des nusayrî-s, issue du chiisme gnostique, est secrète, passant par une initiation réservée à quelques-uns, comme Elia le relève, et donc difficile à connaître. Mais le religieux ne comprend pas l’affirmation du cheikh Soliman, que Moïse n’a jamais su lire la Bible, ni le Christ l’Évangile, ni Mahomet le Coran, qui fait vraisemblablement référence à une lecture ésotérique des textes sacrés. A ce caractère initiatique, s’ajoute la pratique licite de la dissimulation (taqiyya), pour échapper aux persécutions, dont témoigne le rapport du Père Elia. Celui-ci nous montre le goût des nusayrî-s pour les rituels chrétiens, et leur assurance, que les chrétiens sont dans la vraie religion. Dans la relation de sa mission de 1710, le carme rapporte comment une discussion avec un certain Hamedan aboutit à la conclusion de celui-ci, que sa religion et celle des chrétiens était la même, avec un rite différent. Ces convictions renvoient sans doute à la tendance des nusayrî-s au syncrétisme, que les missionnaires francs pouvaient à tort interpréter comme des dispositions favorables à la conversion. Par contre, la notion chrétienne de péché et de repentance invoquée par le carme se heurte chez le cheikh Soliman à une incompréhension totale, qui provoque la contrariété de ce dernier. On perçoit chez le Père Elia cette culture de la controverse rhétorique qui caractérisait la formation des missionnaires envoyés au Proche-Orient, mais qui se retrouvait en complet décalage avec la forme de savoir et de transmission des connaissances qui pouvait caractériser un cheikh nusayrî. Le religieux cite approximativement le Coran, mais sa connaissance de l’islam se cantonnait sans doute à ce livre, comme généralement en son temps. A l’instar de tous ses contemporains, il bute en particulier sur la mission prophétique de Mahomet, totalement inacceptable d’un point de vue chrétien, et reprend les termes injurieux de l’apologétique chrétienne au sujet de sa personnalité33.

33 B. Heyberger, « L’islam dei missionari cattolici (Medio Oriente, Seicento) », dans L’Islam visto da Occidente (Seicento), s.d., B. Heyberger et al., Milan, 2009, p. 289314.

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De Tripoli, Elia Giacinto di Santa Maria, le 9 février 1709. Jésus Marie Joseph Pax Christi Très Éminent et Très Révérend Monsieur le Très Honorable Procurateur, Qui non amat Dominum nostrum Jesum Christum anathema sit34 Selon les ordres que Votre Éminence m’a donnés et qu’elle m’a réitérés dans les lettres qu’elle m’a fait l’honneur d’écrire, je suis allé faire la mission auprès des ansariés35, dans le pays de Safita, et je viens, avec ces lignes, rendre compte de ce qui m’est arrivé. Mais avant d’en arriver aux faits, je voudrais vous dire ce que j’ai pu découvrir concernant leur religion. Les ansariés font extérieurement profession d’être turcs36. Ils se font circoncire, ils sont habillés comme eux, et quand ils sont avec les turcs, ils font le jeûne du ramadan et ils prient comme eux. Et ainsi, ils ne payent pas le kharâj37 que les chrétiens payent par tête. Malgré tout cela, les turcs savent très bien qu’ils ne sont pas de leur secte, et les détestent au point que je les ai entendus dire plusieurs fois que voler les chrétiens est un péché, mais pas voler les ansariés, parce qu’ils n’ont pas de foi. Quant à leur religion, on ne sait presque rien, parce qu’en réalité ils n’ont rien, et le peu qu’ils ont, ils ne le communiquent qu’à un petit nombre d’entre eux, et ne le pratiquent que la nuit. Toutefois ils déclarent ordinairement que les chrétiens sont dans la vraie religion, qu’il n’y en a pas d’autre que la leur, mais qu’ils font seulement une erreur. Quand on leur demande quelle est cette erreur, ils ne veulent pas le dire. 34

« Celui qui n’aime pas Notre Seigneur Jésus Christ, qu’il soit anathème ». L’auteur écrit « Enscirié », que nous traduisons par « ansariés », terme utilisé par les Européens francophones pour désigner les nusayrî-s au xviiie siècle. 36 « Turc » signifie ici, comme généralement dans les textes de cette époque, musulman sunnite. 37 Kharâj, qui désignait à l’origine l’impôt foncier, renvoie en fait aux xviie et xviiie siècle à la capitation, ( jizya) due selon les prescriptions islamiques par les mâles adultes dhimmî (chrétiens et juifs). 35

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Mais la foi qu’ils ont en Notre Seigneur Jésus Christ est très éloignée de la foi chrétienne, parce qu’ils croient comme les hérétiques que ce n’est pas le Christ qui a été crucifié, mais sa ressemblance, et qu’il n’est pas le fils de Dieu. Ils nient la trinité des personnes divines. Ces erreurs viennent du fait qu’ils n’ont pas parmi eux le Saint Évangile ni d’autres livres chrétiens, et leurs chefs de la Loi ont lu le Coran pour faire croire qu’ils sont turcs. Comme ils ne savent du Christ que ce qu’en dit ce maudit livre, ils le croient comme ils le lisent. Il a été affirmé comme certain, non pas par les ansariés euxmêmes mais par ceux qui l’ont entendu de leur bouche, qu’ils ne croient ni au paradis ni à l’enfer, ni au jugement dernier, mais à la métempsychose des âmes dans les animaux, après leur séparation du corps, de sorte que l’âme des bons va dans le corps d’un animal noble, comme le lion, la gazelle, etc. …, et celle des méchants dans le corps d’un porc ou d’un autre animal immonde38. Car ils haïssent le porc comme les turcs, bien que leur pays en soit rempli, étant couvert de grandes forêts de chênes, qui produisent les galles qui sont expédiées en chrétienté. Ils n’ont ni jeûnes, ni prières, ni sacrifices, ni fêtes. Ils célèbrent néanmoins la fête de la circoncision suivant l’ancien calendrier39. Ils font la fête ce jour-là avec une grande solennité, avec des banquets, mais je ne sais s’ils s’abstiennent de travailler. Ils ont une grande dévotion pour les Rameaux, et une fois, ils ont assisté avec une contenance très modeste à la cérémonie de ce jour que je faisais dans un village où ils étaient nombreux. Ils ont pris les rameaux dans l’église avec la même dévotion que les chrétiens. Ils ont beaucoup de femmes, ce qui est un grand obstacle à la foi, et ils les répudient facilement. Il a été rapporté par des témoins ocu38 En effet, les nusayrî-s croient en la métempsychose : R. Dussaud, Histoire et religion des Nosairîs, Paris, 1900, p. 120-127. 39 Il s’agit de la fête de la circoncision du Christ, selon le calendrier julien, qui se fête sept jours après Noël. L’auteur a ajouté entre les lignes « comme encore d’autres [mot illisible] ». Sur les fêtes, voir J. Weulersse, Le pays des alaouites, Tours, 1940, vol. 1, p. 259-261, et R.  Dussaud, Histoire et religion des Nosairîs, p. 141-152. Les alaouites pratiquent les grandes fêtes chiites selon le calendrier lunaire musulman, et des fêtes chrétiennes (Noël, Épiphanie, Sainte-Barbe), qui suivent le calendrier solaire chrétien (julien). Fêtes religieuses et fêtes civiles se terminent par d’énormes banquets.

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laires que parfois, ils font la communion de nuit, de la manière suivante : ils posent au milieu de la pièce, sur un tapis, une fiasque de vin avec du pain autour, et s’asseyant tous autour de la fiasque, ils prient, lisant et bougeant la tête, puis ils boivent le vin et mangent le pain. Il y a une diversité de sectes entre eux, mais je n’ai pas pu encore savoir en quoi consistaient les différences. Ils ont certains lieux de dévotion qu’ils appellent mazar40, qu’ils construisent au nom d’un de leurs chefs morts. Il n’y a rien dedans, sinon un sépulcre long d’environ trois hommes, et ils y portent de l’encens et des chandelles. Ils ont deux sortes de chefs, qu’ils appellent cheikhs41, les uns politiques, qui gouvernent le pays directement sous la direction du pacha de Tripoli, ou sous le gouverneur que ledit pacha leur envoie. Les autres sont les chefs de la Loi, qui se maintiennent dans l’estime du peuple en faisant les mystérieux et les secrets, et en disant qu’ils ne peuvent révéler les secrets qu’ils détiennent. Avec cette politique, ils tiennent le peuple en suspens et se font respecter en se faisant passer pour gens profonds et mystérieux. Ces chefs de la Loi se distinguent du peuple de deux manières en particulier : la première, comme les pharisiens, ne voulant manger avec ceux qu’ils estiment des pécheurs, et spécialement avec les gouverneurs et les chefs de villages, parce que, disent-ils, leurs biens sont illicites car acquis par des tyrannies ; la seconde, en ne mangeant pas de viande d’une bête femelle, comme la vache ou la brebis, etc. … Ils ne révèlent les secrets de leur religion qu’à quelques-uns, et quand ils le font, ils disent qu’ils ont donné sa foi à untel ; et comme ils sont peu nombreux, les autres restent sans foi. Ils n’instruisent pas non plus les femmes dans la foi, 40 Le mazâr est un lieu où se pratique la ziyâra, le pèlerinage. Il prend souvent la forme d’une construction en coupole abritant un tombeau, mais il peut aussi être constitué simplement d’un arbre sacré ou d’un enclos de pierres sèches. J. Weulersse, Le pays des Alaouites, p. 255 : « beaucoup sont dédiées à Khoder, divinité polymorphe que les chrétiens assimilent à saint Georges […]. D’autres sont consacrées à des prophètes : Nebi Issa (Jésus) ou Nebi Younès (Jonas) […]. Ou même à des héros historiques, tel Nebi Skandar (Alexandre) […]. Enfin, le plus grand nombre marquent la tombe d’un saint personnage de l’endroit, dont le souvenir se perd dans la nuit confuse des légendes paysannes, mais dont la vertu demeure efficiente. » 41 L’auteur écrit chriec. Sur le rôle des cheikhs chefs de tribus et surtout des cheikhs religieux, voir J.  Weulersse, Le pays des Alaouites, p.  261 : « La puissance morale et sociale des cheykhs alaouites est donc considérable ». Sur l’initiation, réservée aux notables et même presque exclusivement aux cheikhs, ibidem, p. 261.

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étant en ceci distincts des druzes, qui mettent toute leur religion en elles. Les ansariés les estiment des bêtes42. Je n’ai jamais pu savoir d’où peut être issue cette race, car ils n’ont rien d’écrit. Mais s’il m’est permis de faire des conjectures à propos de leur origine, je crois qu’il y a eu quelques familles de francs qui sont restées quand les autres sont allés en chrétienté, après avoir abandonné le pays. Ils se sont cachés dans les forêts immenses de ce pays, et, par manque de prêtres, ils ont oublié les mystères de la foi, se souvenant seulement du nom chrétien et conservant l’affection pour lui. Par peur du turc, ils font extérieurement profession de sa Loi. Voici donc mes conjectures : Cette race ne peut être issue des turcs, car ils les haïssent et en sont haïs, ne faisant leur profession [de foi] qu’extérieurement, par peur d’eux. Ils ne sont pas issus des chrétiens du pays car parmi eux le nom de ces nations n’est pas aimé, ils n’aiment le nom de chrétien que de manière générale. Dans leur pays, il y a une grande quantité de châteaux et de tours, construits par les francs comme on le voit encore dans les inscriptions qui s’y trouvent. De ces châteaux, les uns sont encore beaux et entiers, les autres ruinés en partie ou en entier. J’en parle pour les avoir vus de l’extérieur, car je ne suis jamais entré dans aucun, m’étant contenté de les regarder de loin. Ils paraissent des édifices admirables. Pour ce qui est des inscriptions, j’ai cru ce que les gens du pays m’en ont dit. Comme je ne suis pas ingénieur, mais seulement missionnaire, je n’ai pas cru nécessaire de décrire ces châteaux. Et on peut très bien croire que la religion de beaucoup ayant été celle des patrons de Tartous 43 dont dépendaient les châteaux forts des ansariés, ce sont les chevaliers qui ont fait construire ces châteaux. Et quand ils les ont abandonnés, il se peut que quelques familles soient restées, comme je l’ai déjà indiqué plus haut.

42 J.  Weulersse, Le pays des alaouites, p. 263 : « Les femmes sont les grandes sacrifiées ; la théologie leur refuse une âme et la vie pratique les accable de besognes et de soucis ». R. Dussaud, Histoire et religion des Nosairîs, p. 73 : rapporte que, d’après un auteur druze, « les Nosairîs [croient] que les femmes sont, comme les animaux, dépourvues d’une âme raisonnable et que leur âme meurt comme leur corps ». 43 L’auteur écrit Tortosa.

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Les femmes des ansariés ont la même liberté qu’en chrétienté. Elles ne se cachent jamais, comme font généralement toutes les femmes du pays, tant chrétiennes que turques. Au levant de Tartous, il y a un pays peuplé d’ansariés où presque tous les noms des villages sont des noms francs44. Voilà les conjectures qui me font suspecter que les ansariés viennent des francs. M’étant donc rendu parmi eux, dans le premier village où j’entrai, le chef du village et un des chefs du pays voulurent venir à la sainte messe et entendre le sermon, mais n’ayant pas été avisés, et moi ne connaissant pas leur désir, ils ne sont arrivés qu’après la messe, très affligés de ne pas l’avoir entendue. Je les consolai en leur disant qu’ils l’entendraient une autre fois, et que, concernant le sermon, il n’y avait rien de perdu, qu’ils pourraient entendre le même sur le champ. Et ainsi, après leur avoir expliqué les mystères de notre foi et fait comprendre que le baptême effaçait tous les péchés, le chef du village me le demanda avec un désir ardent, et le fit savoir à tout le village. De sorte que le chef du pays, qui était avec lui, vint me trouver, et me dit que, ce chef de village étant dans la résolution de recevoir le baptême, il voulait savoir ce que deviendrait sa femme, car celle-ci était de sa parenté, et il était donc intéressé par ce qui la concernait. Je lui répondis que nous veillerons à ce que l’épouse devienne chrétienne aussi, mais si elle ne le souhaitait pas, elle pourrait habiter avec son mari comme à l’ordinaire, en étant sûre de ne jamais être répudiée, ni de n’avoir jamais de compagnes dans son mariage. Je ne me suis néanmoins pas pressé de le baptiser, pas plus que quelques autres qui me l’ont demandé, parce que je voulais d’abord voir les principaux chefs de la Loi pour conférer avec eux, et voir à les convertir, afin de prendre les moyens nécessaires définitifs pour convertir les autres, sachant que la plus grande partie disent qu’ils 44 Cette affirmation est démentie par Jacques Weulersse, Le pays des Alaouites, vol. 1, p. 124 : « […] il est nécessaire de dire encore un mot de la toponymie du pays. Son caractère dominant est d’être essentiellement, on peut presque dire exclusivement, sémitique, soit araméenne, soit arabe ; malgré toutes les conquêtes étrangères le pays alaouite est resté fidèle à ses origines. » Et p. 126 : « Sur ce fond sémite l’empreinte des conquérants occidentaux apparaît insignifiante […]. Quant à l’occupation franque, elle n’a laissé aucune trace ; ce sont les Croisés au contraire qui ont adopté la toponymie du pays. ».

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s’en reporteront à leurs cheikhs. Il y en a parmi eux deux, qui sont les plus estimés. L’un est nommé Cheikh Soliman, et l’autre Cheikh Maalle. Ils ont tous les deux grande autorité sur ce peuple, au point qu’on jure parfois par leur nom. J’allai voir Cheikh Soliman qui habite une sorte de couvent sur une montagne à côté du village de […]45. Je trouvai sa femme qui me dit que le cheikh était dans le champ avec ses fils, à travailler la terre. M’étant rendu dans le champ, nous nous fîmes toutes les courtoisies d’usage, et comme je voulais le gagner, je lui fis toutes les démonstrations possibles de mes sentiments d’amitié. C’est lui qui commença aussitôt à vouloir parler de religion et à dire d’horribles extravagances, par exemple que Moïse n’a jamais su lire la Bible, ni le Christ l’Évangile, ni Mahomet le Coran, et d’autres incongruités ridicules. Je lui répondis que, pour ce qui est de Mahomet, il est vrai que c’est lui-même qui avait confessé ne pas savoir lire ni pas même ce qu’était la foi, disant ŘðŐŜøøČĐŪŤŔðŐøðòŤŔððŔêŪŘðŜ 46. Par contre l’Évangile dit qu’ils étaient émerveillés de la doctrine du Christ, quomodo litteras scit cum non didicerit47, et de Moïse il est écrit qu’il enseignait les gens à côté du peuple. Il me dit d’infinies autres folies, et à toutes je répondis avec toute la douceur possible pour le gagner, encore que, par moments me venaient des mouvements de colère, et je lui aurais volontiers arraché la barbe, tant ses impertinences étaient indignes, et tant il les disait d’une manière et avec un air de superbe qui rendaient ses ignorances encore plus ridicules. Mais malgré tout 45 Nom difficile à lire, que je n’ai pas pu identifier. On pourrait lire « Iabielé » : Jableh, sur la côte, à une quinzaine de kilomètres de Lattaquié : Fabrice Balanche, La région alaouite et le pouvoir syrien, Paris, Karthala, 2006, carte 2, p. 3. 46 Citation du Coran, verset 52 de la sourate 42 (al-shûra). La citation arabe du P. Giacinto di Santa Maria n’est pas tout à fait exacte. Le texte dit : « Mâ kunta tadrî mâ al-kitâb wa lâ al-îmân » : « Tu ne connaissais rien du Livre ni de la foi. » C’est Dieu qui, ici, s’adresse au Messager et confirme ainsi le caractère totalement miraculeux de son message : l’interprétation du passage par le missionnaire, qui ne peut reconnaître l’authenticité de la prophétie coranique, est malveillante ( Je remercie Geneviève Gobillot, U. Jean Moulin, Lyon, pour ces précisions). 47 Citation de l’Évangile de Jean, 7, 15 : « [et mirabantur Iudaei dicentes] quomodo hic litteras scit cum non didicerit » : « [Les Juifs étonnés disaient] : « comment celui-ci connaît-il les lettres sans avoir étudié ? ». En réalité, le sens du texte nous semble ici très proche de celui du passage du Coran cité. En effet, l’évangile continue : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire sa volonté, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu ou si je parle de moi-même. »

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je modérais mon indignation et lui répondais toujours avec beaucoup de mansuétude. Mais plus je m’humiliais devant lui, plus il s’enorgueillissait, pensant sans doute que ma mansuétude venait de la crainte ou de l’ignorance. Nous parlâmes de Mahomet, et il eut beaucoup de satisfaction quand je lui prouvai que c’était un faux prophète, un adultère et un perfide, etc. … Il me fit voir volontiers ses sentiments sans toutefois ne rien dire. Il me demanda comment il était possible que le Christ étant Dieu, ait pu mourir ; je lui répondis en lui faisant comprendre la différence qu’il y a entre la nature et la personne, non pas avec des arguments mais avec une comparaison familière, de cette manière : « Qu’est-ce qui vous distingue de moi ? Ce n’est pas votre nature, parce que tous les deux nous avons la même nature humaine. C’est la personne qui constitue notre nature à exister en soi, et à être séparée de toutes les autres. Et pour mieux vous faire comprendre cette différence, faites réflexion sur la manière de parler : je ne dirai jamais je suis la nature humaine, mais j’ai la nature humaine. Mais je dirais : je suis une personne humaine. Maintenant, vous voyez qu’il y a une grande différence entre ce que vous avez et ce que vous êtes, et ainsi, la personne est plus intrinsèque que la nature elle-même en l’homme, et c’est pourquoi certaines choses peuvent arriver à l’un, qui n’arrivent pas à l’autre. Notre Seigneur le Christ est une seule personne en deux natures, et pour comprendre comment cela est possible, imaginez-vous un diamant sans prix, enchâssé dans de l’or. N’est-il pas vrai que dans cet enchâssement d’or, on peut mettre avec le temps un autre diamant sans que le premier, ni l’enchâssement d’or, n’en soient en rien changés ? Sachez que ce diamant sans prix est la nature divine, que l’enchâssement (c’est-à-dire le chaton48 , car je ne sais comment on dit en italien) est la personne divine, et le diamant de moindre prix qui a été ajouté dans l’enchâssement est la nature humaine. Avec ce nouveau diamant, on peut faire beaucoup de choses, comme le graver, le toucher, le salir, sans que le premier diamant ni l’enchâssement luimême n’en soient endommagés, bien qu’ils soient unis ensemble et que l’enchâssement soutienne l’un et l’autre. De la même manière, la 48

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En français dans le texte.

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nature humaine du Christ figurée par ce second diamant peut mourir, souffrir etc. … sans que la nature divine ni la personne divine n’en pâtissent, bien qu’unis ensemble. » Le cheikh avait plaisir à mon discours et à d’autres que je lui tins, et m’invita à monter dans sa maison pour manger. J’acceptai l’invitation pour avoir l’occasion de parler plus commodément que dans le champ. Après avoir parlé comme je viens de le rapporter, je changeai de discours et l’embrassant, je le priai de faire pénitence, de pleurer ses péchés paenitemini et revertimini ut deleantur peccata vostra49, lui faisant voir que la foi était un don de Dieu, et que nous devions le satisfaire avec la pénitence pour l’acquérir. Mon discours lui déplut, et il me fit paraître un cœur endurci dans le mal. Mais ne pouvant répondre à mes raisons, il me dit : « Père, j’en ai plus oublié que vous n’en saurez jamais. » Et il le dit avec un orgueil terrible. Voyant cette arrogance, et jugeant qu’il prenait ma modestie pour de la faiblesse, je lui répondis : « Je ne peux comprendre comment derrière les bœufs, labourant la terre, vous auriez pu apprendre plus que moi, qui ai étudié depuis ma jeunesse jusqu’à ce jour. » Ma réponse le mit dans une colère terrible, mais je lui dis que pour savoir, il faut des maîtres, des livres, et du temps : « Moi, j’ai toujours eu des maîtres, des livres, et tout le temps que je désirais, n’ayant rien d’autre à faire, tandis que vous, vous n’avez ni maître, ni livre, ni temps pour étudier. » Il me répondit avec indignation : « Si tu avais étudié 70 ans, j’en saurais plus que toi ! » Moi je lui dis : « Faites le voir, enseignez-nous, et je vous en serai reconnaissant ! » Alors, se voyant pressé, il entra en furie et, me regardant avec des yeux furibonds, il me dit : « Si tu veux le savoir, il n’y a pas d’autre foi que celle de Mahomet », et aussitôt il en fit la profession de foi ordinaire50, et ajouta : « Si tu n’étais pas dans ma maison et à ma table, je pourrais t’amener des ennuis pour les choses que tu as dites sur Mahomet ». Je lui répondis : « Tu peux m’infliger des tourments, mais sois sûr que ni toi ni personne d’autre ne pourra jamais m’en faire subir, car je suis prêt à souffrir avec plaisir toute chose pour l’amour

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« Repentez-vous et faites pénitence afin que vos péchés soient effacés ». Ce qui signifie qu’il récita la shahâda.

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de mon Seigneur et Vrai Dieu ». Nous restâmes encore ensemble quelque temps, mais notre conversation fut un peu froide, car il était terriblement mortifié de ce que je lui avais dit, que derrière les bœufs on ne pouvait apprendre, et je le lui avais dit de belle manière. Mais comment pouvais-je faire ? Cela faisait environ quatre heures que nous étions ensemble, que je faisais mon possible pour attirer sa bienveillance, et plus j’en faisais, plus il s’enorgueillissait. Nous nous quittâmes pourtant amis, et il vint m’accompagner, mais je voyais qu’il était très mécontent. J’allai ensuite trouver le cheikh Maalle51, mais il n’était pas dans son village, il était parti au pays de Coüabi52 et ainsi je suis retourné dans mon couvent, parce que c’était à la fin de l’année, qu’ils récoltaient ce qui restait du tribut, et la tyrannie qui s’y pratiquait empêchait tout le monde de s’occuper des choses de la foi53. Mais au début du carême, s’il plaît à Dieu, nous retournerons parmi eux. Mon intention est de m’attaquer au peuple et aux chefs du gouvernement et non à ces chefs de la Loi. Au cas où ils me renvoient vers eux, je veux dévoiler leur ignorance, leur hypocrisie, etc. …, comme a fait Notre Seigneur Jésus Christ avec les pharisiens, et je ne manquerai pas à mon retour de rendre compte de tout à Votre Éminence. C’est pourquoi je vous prie instamment de me favoriser de votre bénédiction et de nous procurer celle de Notre Seigneur pour que in suo verbo lanare rete54. Vous savez bien que sans vous on ne peut rien faire. Mais je veux exposer à Votre Éminence la grande peine que j’ai, et la honte de vous écrire les bagatelles que je fais, que n’importe quel autre que moi ferait mille fois mieux que moi. Surtout quand je considère que le Seigneur n’a permis que de ses apôtres eux-mêmes on ne sache que très peu de choses, quoiqu’elles fussent admirables. Et comment moi, qui ne fais rien, et qui suis omnium peripsema55, me vois-je obligé de publier le peu que je fais et encore 51

Le nom est cette fois orthographié Malla. Coiiabi/Khaouabi/Khawabi, au Nord-Est de Tartous : Fabrice Balanche, La région alaouite, carte 10, p. 27. 53 Sur le système fiscal chez les alaouites et sur la répression qui s’abattait sur eux à l’occasion de la levée des impôts, voir Stefan Winter, « Les nusayris au regard des administrateurs provinciaux ottomans… », p. 222. 54 « Dans sa parole le filet de laine ». 55 « Objet impur de tous ». 52

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très mal. Vraiment je sens en moi une confusion et une grande honte, et je ne peux me consoler sinon parce que melior est obedientia quam victimae56 . Votre Éminence veut être obéie, et il faut avoir de la patience. J’ai envoyé à Votre Éminence via Marseille un petit ouvrage pour l’utilité des missionnaires. Si j’ai le temps j’en ferai une autre copie pour l’envoyer avec cette occasion de transmettre un message, au cas où il ne serait pas arrivé avec la précédente. Je vous prie encore humblement de vous souvenir de notre résidence dont les revenus sont séquestrés. Si vous trouviez bien de nous envoyer quelque chose de la part de la Sacrée Congrégation57, cela nous rendrait service, de même qu’à notre résidence d’Alep, qui est dans une grande misère. Je ne vous le demande pas seulement pour nous, mais aussi pour Alep : fratres enim sumus58. Je n’ai pas le temps de faire une autre copie de cette lettre pour la Sacrée Congrégation. Votre Éminence trouvera à propos de lui faire savoir quelque chose, je ne crois pas qu’une autre lettre soit nécessaire. Nous avons tous été cette semaine dans un grand trouble pour une affaire survenue samedi dernier dans la maison d’un des principaux maronites de cette ville, surnommé Elias Corbach59, dans la maison duquel s’est tuée de façon fortuite avec un pistolet une fille turque et chérife, c’est-à-dire de la parenté du faux prophète60. Ledit Elias a fui chez nous, mais ils ont pris les femmes et les ont séquestrées jusqu’à ce que le Sieur Eydous marchand français dans cette ville ait terminé l’imbroglio avec mille cinq cent piastres payées pour ledit Elias. Aujourd’hui, tout s’est achevé et tout le monde est en liberté. Mais les Révérends Pères jésuites ont eu une belle peur, parce que ledit Elias demeure dans leur maison. Le pacha a fait prendre le

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« L’obéissance est meilleure que les victimes » : il vaut mieux obéir qu’offrir des sacrifices. 57 Il s’agit de la Sacra Congregatio De Propaganda Fide, organisme en charge des missions au sommet de l’Église, et dont dépendent les missions carmes. 58 « Nous sommes frères, en effet ». 59 Cet incident est rapporté également dans les archives consulaires : Archives Nationales, Paris, AE, B1, 1114, T. 1, f. 256v, 10 fév. 1709, le consul de France à Tripoli, De Boismont. 60 Les Sharîf (pl. : Ashrâf ), supposés descendants du Prophète, forment un groupe très nombreux et turbulent dans les villes de Syrie, et revendiquent des privilèges.

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supérieur, mais le consul ne l’a pas laissé aller. Lui-même fit envoyer [son drogman] au pacha, et lui fit dire que les religieux ne devaient jamais comparaître devant le pacha, et que lui-même venait répondre à leur place. Et ainsi s’est achevée l’affaire, le pacha disant qu’il voulait seulement faire venir le supérieur jésuite pour s’informer en vrai de l’affaire, car il savait que les religieux francs ne disaient jamais de mensonges. Tout est fini, par la grâce de Dieu. Je reviens encore demander la Sainte Bénédiction de Votre Éminence, et la prier de continuer toujours à se souvenir de son dévoué serviteur, étant toujours, avec tout le respect, résident à Tripoli de Syrie, le 9 février 1709. De Votre Éminence Très Humble Très Dévoué, Très Obéissant serviteur et fils, F. Elia Giacinto di Santa Maria, Carme Déchaux, missionnaire apostolique indigne J’ai reçu [illisible] du mois d’août dernier le Sieur Palanco. Il nous a beaucoup édifiés dans la visite qu’il a faite, et beaucoup réjoui avec la lettre que j’ai reçue de Votre Éminence. La dernière lettre du mois d’août est soussignée avec Votre Éminence par le Sieur Cavalieri. Je ne sais qui c’est, ni ce que signifie cette signature. S’il y a quelque chose à faire, je vous prie de me le signifier, et de m’envoyer une bonne quantité de chapelets et de médailles, mais pour l’amour de Dieu, que les chapelets aient tous une croix. Vous comprendrez qu’avec Votre Éminence et père des missionnaires, il faille parler avec sincérité. Source : Rome, Archives de la Congrégation « De Propaganda Fide », série SOCG, vol. 568, f. 204rv, 205rv. Traduction de l’italien : Bernard Heyberger

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MISSIONNAIRES AMÉRICAINS EN TERRE OTTOMANE (ANATOLIE) H a n s -Lu k a s K i e se r

Dès leur fondation, les États-Unis ont été missionnaires, et ont marié la foi dans les prophéties bibliques avec l’enthousiasme pour les acquis des Lumières et le progrès scientifique ainsi que la volonté de conviction par les vertus républicaines. C’est à partir des Bible lands du monde ottoman – et tout particulièrement à partir d’une Palestine lieu de renaissance à la nation juive – que les missionnaires américains entreprirent de bâtir le « royaume de Dieu sur terre », le « millénium ». Pour cette entreprise globale et audacieuse, il fallait selon eux évangéliser le monde entier et, notamment, convaincre juifs, musulmans et chrétiens orientaux en terre ottomane de croire, à l’instar des Américains « réveillés », au règne de Jésus Christ sur une terre rétablie pour Dieu (‘recovery of the world to God’). Le réveil évangélique du début du xixe siècle posait les bases d’un millénarisme global, qui regardait au-delà de l’expérience républicaine américaine. Le maintien de l’esclavage et le traitement injuste des Indiens avaient déçu les « réveillés » et les conduisit à tourner leurs regards vers d’autres horizons et en particulier vers la Terre Sainte. « Altruisme » ou disinterested benevolence faisaient partie de leurs mots-clés1. Produit du réveil au début du xixe siècle, l’organisation protestante American Board of Commissioners for Foreign Missions (ABCFM) fut à l’origine d’une large entreprise missionnaire outre-mer dont le champ principal fut, significativement, le Levant. Fondée en 1810 à Boston, elle regroupait plusieurs branches du protestantisme américain et entama une mission globale qui s’insérait dans « l’internationale protestante » missionnaire dès le xviiie siècle. En 1819, l’ABCFM envoya ses deux premiers missionnaires en Palestine.

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Pour un récit plus détaillé voir H.-L. Kieser, Nearest East. American millennialism and mission to the Middle East, Philadelphia, 2010.

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Les visions et stratégies de l’ABCFM changeaient selon le contexte et les possibilités de la mission. La vision initiale, jamais révoquée, était celle de l’avènement millénaire du royaume du Christ (le millenium) dont le retour des juif en Palestine désormais tournés vers le Christ, et la « restauration » d’Israël, (restoration of the Jews to Palestine and to Jesus, cf. sources 1 et 2) devaient constituer la cellule initiale. Or, les juifs comme les musulmans étaient très réservés vis-à-vis des premiers Américains de Boston et de leurs idées qui transgressaient des frontières communautaires bien établies. Les missionnaires de l’ABCFM connurent en revanche, davantage de succès avec les Arméniens ottomans. Après la mort précoce des deux premiers missionnaires et d’autres expériences difficiles, l’ABCFM décida autour de 1830 de s’orienter principalement vers l’Asie Mineure, sans abandonner pourtant la Syrie ottomane qui incluait outre la Syrie actuelle, le Liban et la Palestine. La perspective d’un avenir millénaire caractérisé par une renaissance chrétienne et une démocratisation ottomane dominait alors sa conception de la mission. À cette vision des choses se joignirent une ténacité, une flexibilité et un pragmatisme extraordinaires lors de l’établissement d’institutions en Asie Mineure, y compris dans sa partie orientale kurdo-arménienne. L’ABCFM s’y enracina solidement durant les décennies qui précédèrent la Première Guerre mondiale. Il s’investit dans la traduction et l’impression de bibles en langues vernaculaires modernes et créa des groupes de lecture biblique dont naquirent des communautés protestantes. Au lieu de fonctionner comme du « levain » au sein des églises traditionnelles sur place – comme l’ABCFM avait espéré –, des scissions eurent bientôt lieu et une communauté protestante officielle, un millet ottoman protestant, en émergea, reconnu par le Sultan en 1850. Un millet catholique existait depuis 1831. Comme les autres millet, il était basé sur l’organisation ecclésiastique, tandis que le millet protestant avait une assemblée de représentants élus qui incluait des laïques. Dans les métropoles et dans les provinces, l’ABCFM fonda un système d’éducation moderne, y compris des universités2 ainsi que des hôpitaux, et –  notamment après le massacre anti-arménien de l’automne 1895 (cf. source 5) – des orphelinats et des manufactures. Les Arméniens était le groupe qui fréquentait le plus les institutions établies par les missionnaires,

2 Pour des raisons pratiques et de principe –  distinction entre mission et formation d’élite – les deux universités les plus prestigieuses fondées par des membres de l’ABCFM, le Syrian Protestant College à Beyrouth et l’Université du Bosphore à Constantinople, étaient indépendantes de l’ABCFM an termes d’organisation, mais bien intégrées dans la communauté missionnaire de l’internationale protestante.

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tout en formant la majorité des fidèles au sein du millet protestant. Les Arméniens appartenaient à la plus vieille Église « nationale », dite Église apostolique arménienne qui ne dépendait ni de Rome ni de Byzance. Elle jouissait comme les Rûm (les Grecs orthodoxes ottomans) et les juifs ottomans d’une autonomie religieuse et culturelle considérable au sein de leur millet respectif. En accord avec la stratégie définie depuis 1830, l’ABCFM concentrait son travail sur les chrétiens orientaux. Ses contacts avec les musulmans n’étaient guère suivis et peu d’élèves musulmans fréquentaient ses écoles. A partir des années 1850, les missionnaires nouèrent des relations inattendues et de longue durée avec les alévis anatoliens, un groupe hétérodoxe alide3, pour lequel ils nourrissaient des sympathies et de l’espoir (sources 3 et 4). Ce n’est qu’au début du xxe siècle, notamment après la révolution jeune-turque de 1908 que l’ABCFM fit un nouvel effort de s’adresser aux musulmans. Les missionnaires tentèrent alors de gagner davantage d’adolescents musulmans dans leurs écoles et d’y employer un vocabulaire qui traduisait l’Évangile en termes de respect, de responsabilité, de leadership, et de civil society (sources 6). Des protagonistes de l’internationale protestante entamèrent alors une nouvelle réflexion sur l’islam en général que la Première Guerre mondiale interrompit brusquement (source 7).

Instructions aux missionnaires américains avant leur envoi au Levant (octobre 1819) Les instructions du comité de la mission ainsi que les sermons tenus le même jour, le 31 octobre 1819 à Boston, par Levi Parsons and Pliny Fisk sont des documents clé des débuts de la mission américaine protestante en terre d’islam, écrits avant les premières rencontres sur place. La mission à entreprendre se situait dans l’effort protestant né au xviiie siècle, à la fois transnational, missionnaire et millénariste. L’auteur des Instructions décrivait cet effort comme ‘an extended and continually extending system of benevolent action, for the recovery of the world to God, to virtue and to happiness’. L’Israël « restauré » en Palestine, peuplé par le retour des Juifs désormais tournés vers le Christ, devait constituer la cellule d’origine du futur millénium dont la description constitue le moment émotionnellement le plus dense de ce texte. Le restorationism, un sionisme avant la lettre, fut

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Les alévis adorent Ali, le gendre de Mohammed, acceptent en principe, mais non pas entièrement, le Coran, et refusent par contre la sharia.

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un élément majeur de la pensée protestante anglophone à partir du xvie siècle. Les bouleversements de la France révolutionnaire puis la conquête de l’Égypte en 1798, lui donnèrent un nouvel élan au sein de l’internationale protestante. À la mission spirituelle et millénariste se joignit la mission civilisatrice pour une terre « en ruine » et « dans les ténèbres », mais pleine de promesses. Son passé pré-islamique, juif et chrétien, voire antique grec et romain, était représenté comme fascinant et splendide. Le passé historique, archéologique et religieux n’empêchait pourtant pas que, pour les missionnaires, ‘the heart of piety will be more deeply affected by considering the character and condition of the people, who dwell in this land’ (cité dans le sermon de Pliny Fisk ci-dessous). Contrairement à bien d’autres Occidentaux fascinés par l’Orient, l’ABCFM s’intéressait avant tout aux êtres humains sur place, et non pas aux antiquités teintées d’exotisme. On notera le champ de manœuvre considérable laissé à la discrétion des deux missionnaires (si possible construire une station à Jérusalem, sinon ailleurs) ainsi que l’accent mis sur la recherche des informations correctes et exactes à relever et à communiquer (le ‘fact finding’). La mission débutante ne se faisait pas d’illusions sur son ignorance par rapport aux circonstances politiques, sociales et ethnographiques concrètes au Levant. Elle développera d’autant plus la dimension exploratrice de son entreprise dans les années à venir4.

Instructions from the Prudential Committee of the American Board of Commissioners for Foreign Missions, to the Rev. Levi Parsons and the Rev. Pliny Fisk, Missionaries designated for Palestine, Delivered in the Old South Church Boston, Sabbath Evening, Oct. 31, 1819 Beloved Brethren, Agreeably we trust, to the good pleasure, and to the recorded directions of Him who reigns upon the Holy Hill Zion, you have been solemnly consecrated to his service in the Gospel, by prayer and the laying on of the hands of the Presbytery ; and have received the Right Hand of Fellowship, that you should go to the Mingled People, now sitting in darkness, in that once favoured Land, where 4 Voir aussi le volume de plus de 700 pages, fruit d’une expédition missionnaire bien organisée de Henri G. O. Dwight et Eli Smith, Researches of the Rev. E. Smith and Rev. H. G. O. Dwight in Armenia : including a journey through Asia Minor, and into Georgia and Persia, with a visit to the Nestorian and Chaldean Christians of Oormiah and Salmas, Boston, Crocker and Brewster, 1833.

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the Light of the world first shone, and thence blessed the Nations with healing radiance. […] You will understand it to be the pleasure of the Committee that the Mission should be established at Jerusalem ; if it can be without hazards not to be incurred, or embarrassments not to be undergone. We are sensible that it will be a difficult station ; we are not certain that the occupation of it will be found practicable, or, if practicable, on the whole eligible ; but we devoutly hope that it will be ; and are persuaded that if you can reside there with safety, the importance of the station will outweigh many difficulties. You will be thorough in your inquiries, will proceed with caution, and will decide with deliberate and well advised discretion. […] Your Mission is to be regarded as a part of an extended and continually extending system of benevolent action, for the recovery of the world to God, to virtue and to happiness. In the prosecution of it, respect is to be had, not merely to what may be effected by your own efforts directly ; but also, to the lights and facilities, the aids and inducements, which you may afford to the efforts of others, either acting contemporaneously with you, or successively to come after you. Facts are lights ; clear inductions are lights ; fair results of experiments are lights ; correct notices of evils and of remedies are lights. To lay open to the view of the Christians the state of the world or of any portion of it, and to point out way and means of melioration, – is to do much towards the accomplishment of what is possible. Yours is a field of no ordinary description. It comprises, either within itself or by intimate association, all that is most affecting to Christian Feeling, or most interesting to Christian Hope. There Patriarchs, and Prophets, and Apostles, and Martyrs, and He who is their Lord and ours, – lives, and laboured, and died. There the relevation of Heavenly Mercy were given, – the Scarifice for the world’s Redemption was offered – and the Commandments of the Everlasting God, that the Gospel should be made known unto all Nations for the obedience of faith, was delivered ; and there the first Churches of the Exalted Redeemer, – which once shone with glory in all its brightness resting upon them,  – now lie in ruins. The Candlesticks have, long since, been removed,… the light has been for dismal centuries almost totally extinguished ; and the powers of 99

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darkness have triumphed and trodden down and led captive, at their pleasure. But the Lord will arise and have mercy upon Zion ; for the time to favour her, yea, the set time is come. For His servants take pleasure in her stones and favour the dust thereof. Her old waste places are to be builded ; and the foundations of many generation to be raised up. […] The two Grand Inguiries ever present to your minds will be – What good can be done ? and, By what means ? What can be done for the Jews ? What for the Pagans ? What for the Mahommedans ? What for the Christians ? What for the people in Palestine ? What for those in Egypt – in Syria – in Persia – in Armenia, – in other countries to which your inquiries may be extended ? You may be assisted in these inquiries by such correspondences, commenced with caution and managed with wisdom, as you may find it convenient to establish and maintain. It will be pleasant and useful, if by the way of Suez, to which place the Bombay Bible Society extends its benevolent care, you shall be able to open and prosecute a correspondence with your brethren at Bombay and Ceylon. The fruits of your researches, consisting of facts, descriptions, notices, reflections, comparative views, and suggestions of methods and means of usefulness, – you will regularly enter in your Journals, and transmit to us as opportunities are afforded. Possibly also you may be able to send home some Books or ancient Manuscripts, interesting to the student in the Scriptures, in Ecclesistical History, or in general literature ; or at least gratifying to a laudable veneration for Antiquity or to a reasonable curiosity. In all your communications to us and to others, it will be of high importance that your statements and representations be correct and exact. For this purpose too much care cannot be employed. This business however, of procuring and communicating information, interesting and important as it will be, is not all that you are to attempt. You go to that Land – still of Promise – as Christian Missionaries – as Ministers of Christ commisioned to testifiy the Gospel of the grace of God to Jews and Gentiles ; to people of every nation and name and condition. This character your are sacredly to maintain in every place ; and this commission you are faithfully to execute as you have opportunity. […] 100

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Be this your motto – Union of all who love the Lord Jesus Christ in sincerity. Make it a steady aim to reduce the distinction of names, and forms, and minor differences of opinion, to their proper places ; that they may not separate Brethren, nor obstruct communion, nor hinder unity of design or of action. […] Your Mission, – associated as it will be, in every Christian mind, with all that is interesting in the ages that are passed and in the ages to come, will have a strong hold upon the Christian Community, and every circumstance of it will be extensively and deeply felt. Does this oppress your minds with an appalling resonsibility ? – Let it encourage your hearts with the cheering assurance of being helped with many prayers. The Jews have been for ages an awful sigh to the world. But the period of their tremendous dereliction, and of the severity of God, is drawing to a close. You are to lift up an ensign to them, that they may return and seek the Lord their god and David their king. They will return. The word of promise is sure ; – and the accomplishment of it will be as life from the dead to the Gentile world. The day is at hand. The signal movements of the age indicate its dawn. – It may be your privilege to prepare the way of the Lord. It may be your felicity to see some of the long lost Children of Abraham, returning with dissolved hearts ; and confessing with unutterable emotions, that the same Jesus whom on that awful spot their fathers crucified, is indeed the Messiah, the Hope of their nation and of all the nations of the earth. It may be your distinguished honor to be leadingly instrumental in building aigain the Tabernacle of David which is fallen down, and the ruins thereof, and in setting it up ; that the residue of men may seek after the Lord, and all the Gentiles upon whom his Name is called. It will our unceasing prayer, and the unceasing prayer of many, that your Mission may be crowned with all this joy and all this glory. You will tread upon the ground on which Prophets and Apostles trod ; – on which Jesus Christ went doing good, enduring the contradictions of sinners, and weeping over their obstinacy and wretchedness, until he sealed his message of mercy with his blood. Be it your care to tread in his steps. Keep your eayes steadily fixed, looking unto Him ; that amidst your toils, and difficulties, and discouragements, you be neither weary nor faint in your minds. He is your 101

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Leader and Commander. That Land belongs to Him. There again he will establish his throne, and will reign from sea to sea and from the river to the ends of the world. And his word is sure, – To him that overcometh will I grant to sit with me in my throne : even as I also overcome, and am sit down with my Father on his throne. We commend you most affectionately to the grace of God, You will ever be upon our hearts. Yes, Dearest Brethren, we will strive together, and the Churches in this place and througout our land, will strive together in prayer to God for your ; that you may be delivered from them that do not believe in Judea ; and that your service for Jerusalem may be accepted of both Jews and Gentiles there. By the Prudent Committee, S. Worcester, Secretary. Source : Sermon, preached in Park-Street Church Boston, Boston : Published by Samuel T. Armstrong, 1819, p. 41-52.

Sermon de Pliny Fisk, missionnaire américain, avant son envoi au Levant (octobre 1819) Que savaient, ou croyaient savoir, les deux premiers missionnaires avant de partir en terre ottomane ? Le sermon de Fisk se révèle instructif sur ce point : la société plurireligieuse au Proche-Orient n’était pas païenne, mais monothéiste et religieusement et commercialement bien interconnectée au-delà des frontières de l’Empire ottoman. ‘Here is intellect, enterprise, and some degree of literature and science.’ Pourtant les aspects négatifs prévalaient dans la représentation de Fisk qui n’hésitait pas, conformément au discours dominant parmi les chrétiens européens ou américains, à faire des musulmans ‘the followers of that artful impostor, who arose in Arabia, about the commencement of the seventh century.’ Les juifs à leur tour apparaissent comme « pharisiens », les Églises sur place, avant tout les catholiques, sont considérées comme déficientes comparées aux Églises américaines « favorisées », proches de la Bible et de la parole vitale. Le début de la mission américaine au Levant ottoman fut marqué par le restorationism focalisé sur la Palestine, les juifs et les musulmans. L’impact évangélisateur rayonnerait à partir de la Palestine « restaurée » sur la Terre

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entière. Cependant, d’autres pistes étaient déjà explorées in nucleo bien avant la réorientation de l’ABCFM sur l’Asie Mineure et les chrétiens orientaux à partir des années 1830, notamment l’idée du revival – ou la revitalisation spirituelle, éducative et culturelle – des Chrétiens orientaux. Les Arméniens en particuliers devraient devenir les agents missionnaires de la conversion des orientaux et de l’ordre moderne à venir. A Boston on les connaissait encore peu en 1819, mais une douzaine d’années plus tard ils deviendront le groupe préféré de l’ABCFM qui, dès 1830, concentrera ses efforts sur l’Asie Mineure. La volonté américaine d’éduquer à grande échelle coïncidera avec la renaissance culturelle des Arméniens, leur forte inclination pour l’éducation moderne ainsi qu’avec la libéralité des réformes ottomanes (Tanzimat), à partir de 1839, envers les institutions d’éducation et les autres implantations étrangères. ‘Let the Gospel prevail among them, and some of the strongest fortresses of error and sin will be taken’ : Ce postulat initial et fondamental de l’ABCFM par rapport aux musulmans ne sera plus au premier plan alors, mais il ne sera pas non plus annulé. Il faudra pourtant attendre le tournant du siècle pour voir émerger de nouvelles approches théologiques et missiologiques de l’islam parmi les missionnaires américains.

Sermon, preached in the Old South Church Boston, Sabbath Evening, Oct. 1819 Acts XX, 22. And now, behold, I go bound in the Spirit unto Jerusalem, not knowing the things that shall befal me there. You are aware, my hearers, that the determination was some time since formed to attempt a mission to Jerusalem and the surrounding country. You are also aware, that he who now addresses you, expects soon to embark, with a colleague, on the proposed mission. You will not, therefore, deem it unsuitable, that on this occasion, I should endeavor to explain the design, and the nature, of the contemplated undertaking. The mission is destined to an interesting land. This land is inhabited by several interesting classes of men. Important advantages to the Church might be expected from the revival of pure Christianity there. Many difficulties lie in the way. Many indications of providence are favorable.

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The proposal is now distinctly made to the American churches for their approbation, their patronage, and their prayers. I. The mission is destined to an interesting land. It is destined to Judea, having at the same time particular reference to Asia Minor on the north west, where were the seven churches addressed in the Relevation, and also to Armenia on the north. In ancient days, it was « a land flowing with milk and honey, the glory of all lands. » […] But though all these associations may awaken, curious inquiry, and inspire the imagination, yet the heart of piety will be more deeply affected by considering the character and condition of the people, who dwell in this land. II. Judea is inhabited by several interesting classes of men. The principal of these are Mahommedans and Jews ; and Roman Catholic, Greek, Armenian and Syrian Christians. The Mahommedans, who are masters of the country, who possess most of his wealth, and who have the exclusive management of political concerns, are, as you well know, the followers of that artful impostor, who arose in Arabia, about the commencement of the seventh century. Their religion was first propagated, and is still defended, by the sword. Cruelty and blood are among its most characteristics. Mahommedan piety constists very much in fasts, ablutions, pilgrimages to Mecca, and the persecution of infidels and heretics. Mehommedans believe, that Moses and Jesus were true prophets ; that Jesus was the greatest of prophets except Mahommed ; that the Pentateuch, the Psalms, the Prophets, and the Gospels were relevations from God, but have been so much corrupted by Jews and Christians, as to deserve but little credit. They assert the unity of God, the immortality of the soul, and future rewards and punishments. They have, indeed, much of truth in their system : but their customs, established by the usage of centuries, the despotic nature of their government, the prominent articles of their faith, and the very genius and spirit of their religion, shield the Mahommedans almost impenetrably from the influence of Christianity. To make spiritual conquests from them will require the most vigorous efforts of the Christian church. Let the Gospel prevail among them, and some of the strongest fortresses of error and sin will be taken.

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There are now a considerable number of Jews at Jerusalem, and in the vicinity. Nothwithstanding all that this perople have suffered ; nothwithstanding all their dispersions ; they still continue a distinct people, and retain their ancient language, customs and religion : – not their religion as it was exhibited in the piety of David, Daniel, and Nehemiah, but as it appeared in the unbelief and self-righteousness of those Jews, who rejected and crucified the Lord Jesus. Judea, their ancient residence, has always been a rallying point, the centre of information and influence, for the Jews. The Roman Catholics are scattered in small numbers throughout Judea. At Jerusalem, Bethlehem, and various other places, they have churches, convents, and priests ; and enjoy the exercise of their religion. But though they bear the Christian name, and believe the leading facts stated in the Bible ; though they hold the doctrine of our Savior’s divinity and atonement, and many of the fundamental doctrines of Christianity, yet they are extremely ignorant of the true spirit of the Gospel ; are almost entirely destitute of the Scriptures ; and to what they retain of real Christianity they add many inventions of their own. […] The Syrian Christians are nominally under the Pope’s jurisdiction ; though they are said to pay very little deference to his authority, and are much more inclined than the Catholics, to the true doctrines of Christianity, and to the diffusion of them. The Greeks, in the number and insignificance of their ceremonies, very much resemble the Catholics ; but in their doctrines they have not by any means departed so far from the simplicity of Gospel truth. They not admit the Papal infallibility, indulgences, dispensations of purgatory. The Armenians derive their name from the country in which they dwell, and differ very little from the Greeks. All these sects, though they call themselves Christians, are still destitute almost entirely of the Sciptures, and deplorably ignorant of real Christianity. They embrace probably more than half the population of the whole country. Are not churches, that are more highly favored, under some obligations to provide pastors and Bibles for these their benighted brethren ? All the inhabitants of the country believe in one God, and the leading facts recorded in the Old Testament. Here are no gods of 105

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brass or wood ; no temples to Juggernaut, or the Grand Lama ; no funeral piles ; no altars stained with the blood of human victims. Every where you see a faint glimmering of light, through the gross and almost impenetrable darkness. Nor are the inhabitants of this region sunk in such entire stupidity and such brutal ignorance, as are the Hindoos of India, and the Hotentots of Africa. Here is intellect, enterprise, and some degree of literature and science. Here several classes of men are among the most interesting that dwell on the earth, and are worthy the prayers and the attentions of all those, who desire to see influence, learning, talent, and strength of character consecrated to Christ. III. Important advantages to the church might be expected from the revival of pure Christianity in this land. Its commercial relations are such as would make it a radiating point, emitting its light in every direction. […] By their religion too, as well as by their commerce, these people are connected with almost all the globe. Let the Mahommedans of Judea embrace Christianity, and they would with great ease diffuse it through the surrounding Mahommedan countries. Let the Jews of Judea embrace the Messiah, and they would with ease and efficacy make known to their brethren every where, that they had found Him of whom Moses in the law, and the Prophets did write. Let the Catholics of Judea learn the simplicity of the Gospel, and instead of rehearsing useless and unfounded traditions to pilgrims, who visit the church of the holy sepulchre, they will tell them the affecting story of the Saviour’s death ; explain its designs and efficacy ; and send them away not laden with relics, and filled with superstitions ; but melted to penitence, and excited to gratitude and obedience. Let the Greek and Armenian Christians add to what they now have of the true religion, such doctrines and feelings, as we may hope they will receive from reading the Bible, and hearing thee Gospel ; and, from their characteristic enterprise, it may be expected, that they will furnish some of the best of missionaries, and engage in effective measures for reviving knowledge and piety in all Western Asia. […] Source : Sermon, preached in the Old South Church Boston, Sabbath Evening, Oct. 31, 1819, just before the departure of the Palestine Mission, by Pliny Fisk, A.M., Missionary to Palestine, Boston : Published by Samuel T. Armstrong, 1819, p. 21-39.

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Rencontre avec les .,=,/%$ù (Alévis) L’attitude fondamentale de l’ABCFM vis-à-vis de la religion musulmane ne changea guère au cours du xixe siècle. On observe peu de rencontres à même de briser des images préconçues ou de valoriser certains éléments de l’héritage musulman. Malgré la curiosité exploratrice des missionnaires américains dans d’autres domaines, ils n’entraient guère dans le monde musulman spirituel, y compris eschatologique, renonçant ainsi à intégrer des éléments de l’héritage musulman dans leur vision du salut et de l’histoire du salut. Ceci est valable à quelques exceptions près dont, au premier chef, celle des alévis, appartenant à un groupe doctrinairement et socialement clairement à la marge de l’islam. Les missionnaires américains en contact avec eux se sentaient attirés par leur spiritualité sufi. Le plus souvent de leur propre initiative, des alévis et des tribus kurdes alévies d’Anatolie centrale et orientale témoignèrent d’un intérêt parfois vif pour le protestantisme et l’éducation protestante qu’ils voyaient à l’œuvre chez leurs voisins arméniens. Les missionnaires pensaient attribuer aux alévis le même rôle qu’aux juifs puis aux Arméniens, à savoir celui de cellules d’origine de la société nouvelle qui introduiraient le « levain évangélisateur » et modernisateur dans la « pâte traditionnelle » du ProcheOrient musulman. On les considérait comme particulièrement aptes à exercer cette fonction, parce qu’ils étaient nominalement musulmans. Les premières rencontres avec les alévis, alors appelés NÕ]ÕOEDú, eurent lieu dans les années 1850. Le nouveau millet protestant exerçait une attraction particulière sur des groupes vivant depuis des siècles à la marge de la société ottomane. Ce fut vrai surtout après la déclaration de l’édit de réforme Hatt-i Hümayun de 1856 qui promettait, aux yeux de l’ABCFM, la liberté religieuse. Pourtant, celle-ci ne concernait de fait que les nonmusulmans, non pas les musulmans et les groupes vivant aux marges de l’islam. Le gouvernement n’acceptait pas l’élargissement du nouveau millet protestant en faveur du groupe alévi nominalement musulman. Le sultan Abdulhamid II (1876-1909) opta enfin pour une politique de renforcement et d’union de tous les musulmans. Considérant dorénavant les missionnaires américains comme des éléments subversifs de premier ordre, il initia une contre-mission sunnite hanéfite. Les deux textes qui suivent proviennent de la station de l’ABCFM à Arabkir, entre Sivas et Harput en Anatolie orientale. Ils sont parmi les premiers à documenter la « découverte » des alévis pour un public occidental. Le premier tend à attribuer aux alévis un comportement cryptochrétien, le second une origine persane. En fait, la majorité des alévis anatoliens sont des turcophones, la plupart liés spirituellement et parfois

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politiquement aux Safavides en Iran depuis le xvie siècle. Mais il se trouve aussi d’importants goupes kurdophones (kurmanj et zaza) parmi eux. Le second texte fournit à la fin des détails ethnographiques qui ne concernent que la région, non pas les alévis en général5.

Station report, Arabkir, mai 1855 Kuzzel Bash villages. – There is a large population in our field of Turks called‚ Kuzzel-bash’. They seem to be a distinct party or tribe and constitute the majority of Musselmen in all this region. They are all ready to receive the Gospel. They believe in Christ. They do not observe the great fast of the Mohammedans ; neither do they use their forms of prayer or practise their various washings. They pray ex tempore. They meat together once a year, make bread and eat it, and say this is for Christ. They are addicted, however, to some superstitions, and are ignorant ; yet they receive the Gospel with gladness, and fear not to say they are with us. Two copies of the New Testament in Turkish, not long since, were carried to one of their villages. They were eagerly read and listened to. The villagers were amazed at the wonderful truths and many joyfully received them. At length the villagers became divided among themselves ; and many separated from their mollah [dede], and declared they would receive the truth at all hazards. And these men, as we have heard, have already been subjected to much persecution for the Gospel’s sake ; one of them at the same time being the chief man of the village. In another village, eight hours from Arabkir, a Kuzzel-bash has a testament, which he reads and preaches to his people ; and he also is suffering much persecution. He is a Turk of some influence. Indeed, many instances of religious awakening among this interesting people have come to our notice. « It is the Lord doing, and it is marvellous in our eyes. » Source : Archives de l’ABCFM, University of Harvard, Houghton Library, 16.7.1 (reel 523 :237).

5 Pour plus d’information v. I. Mélikoff, Hadji Bektach : un mythe et ses avatars : genèse et évolution du soufisme populaire en Turquie, Leiden, 1998 ; H.-L. Kieser, « Les Alévis et le courant protestant (xixe-début xxe siècles) », Études Kurdes 3 (oct. 2001), p. 41-63.

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Lettre de Sanford Richardson d’Arabkir, 17 juillet 1856 Preparation for Effort. Two young men have been recently employed by this station to act as gospel readers, or colporters, among the Kuzzel-bash. In a circuit of a few miles in a diameter about this city, there are some scores of villages inhabited by this littleknown yet interesting people. The attention of Christians in America and England was first called to them about a year since, by the communications of Mr. Dunmore of Kharpoot, and Mr. Clark, recently of this station. I had been here but a few days when I was visited by one of their chief men, who professed great friendship for the truth, and repeated a desire, often expressed by them, that we should send out teachers and preachers among them. He assured us, as others have since done, that his people were ready at once to abandon their faith and become Protestants. To this step they are no doubt mainly actuated by a desire of securing protection from the severe exactions and oppressions of their rulers, the Turks. Their becoming members of the political community styled Protestant, would throw the door wide open for evangelical effort among them ; and this movement they have a right to make, in accordance with the guarantees of the recent Imperial Firman . Yet as missionaries, mainly concerned for the spirital welfare of men, we do not deem it wise to encourage such a change, testing as it would the sincerity of the government on the subject of universal toleration, and arousing, without doubt, an outbreak of Moslem bigotry, until such time at least as we are convinced that there are among them those who are sincere friends of the truth. Whenever individuals are found among them giving evidences of a saving change of heart, and desirous of baptism, it will be our duty to receive them, and do what we can to see that they are protected from their enemies, in accordance with the expressed will of the sultan. The time has fully come to enter, and sow the good seed, among this people. There is but one difficulty in the way, and that is the want of suitable helpers. Among the Armenians, whether Protestants or adherents of the old church, there is but now and then an individual to be found who is a good reader of Turkish ; and simply to be able to read that language is all the literary qualification that 109

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suitable helpers would need at present. We hope soon to be able to employ an Armenian, who is said to be a good scholar in Turkish, who will give lessons in that language to the more advanced pupils in our schools, and to a number of others, with a view to their being fitted for this particular service among the Kuzzle-bash. Colporters Sent. In the meantime, finding a couple of young men in our community here, who, though imperfect readers of Turkish, might be so employed, we sent them out as already stated. They went together on foot, taking nothing with them but the Bible. We did not think it best to give them money to pay their expenses, but wished to try by experiment, and see if they would not be received, as were the seventy whom Christ sent forth under similar circumstances. After an absence of about ten days they have returned, having visited sixteen villages, and been received every where with kindness and hospitality. Since their return they have prepared, in writing, some account of their tour from which I will give an extract or two, showing the nature of their work, and the kind of reception they met with. « First Village – Germishee. Men asked, What have you ? We answered, We only have the gospel, which we read and preach. They say, Speak that we may hear. Then we read Matt. iii. 2. ‘Repent ye ; for the kingdom of heaven is at hand.’ Upon this great subject we spoke. They all said, This is well ; and one said, I saw in Stamboul (they sometimes wander away from their mountain pastures) that those who read the gospel walk according to truth. Here we staid all night and they brought us food. » At the second and third village they read and preached in the same way. « The people said, One can say nothing against you ; this is the word of God. We asked, Do you want a man to come among you and preach the gospel ? They thought awhile, but did not give a perfect answer. » « Fourth Village – Karayookh. This village is large, being the residence of their chief. We went to the house of the Beg. We said, Good to you ; he replied, You come with good. (The salutations.) Why do you travel ? said the Beg. Bodvelly (the common appellation of missionaries in the interior ) sent us to preach the gospel ; and the Lord has commanded us to preach to all 110

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men, according to Mark xvi. 15. Then said the Beg, These words are good, but do you not believe in our Mohammed ? We said, we know that Mohammed lived, but he was a created being, not the Creator ; and we do not believe in him, because nothing is written about him in the book of God. We can only render worship to God, – it is not well to worship creatures ; which we proved by reading Rev. xxii. 8, 9. The Beg sent his salams to the bodvelly, apologizing for want of leisure to write him a letter, and promising to send him a present of a lamb before many days. » A Man in the Place of God « We then called on a great man, in the same village, whom the people worship as God. He pretends, and the people believe, that God dwells in him, controlling his will and his actions, so that his utterances and movements are those of God. The people of that and several neighboring villages render him divine homage, imploring his pardon and divine protection. Their lives, they say, are in his hands. When they are sick, if it be his will they recover, or die, as the case may be. They bring him presents, and whatever he commands they perform. He dwells in a large house which they have built, and which they supply with every necessary. His predecessor died about two years ago, and the people come to his tomb and sacrifice upon it sheeps and goats. They also bring presents to his wife, who still survives him, and who, as they believe, has always retained her virginity. The present incumbent, who became the habitation of divinity at the death of the former, has also a female companion. When we called on him, he exchanged salams with us, and we asked if he was a friend of the gospel. We knew that Mr. Clark [of the ABCFM] had previously given him a copy of the Scriptures, which he had not retained, but given to a reader in the village. He did not answer perfectly, but said, I have no gospel. Then we said, If you please we will give you a copy, that you may read it, and preach it to your people. Will it be a sin for you to do so ? At this he became very angry and threatened to beat us ; and then said, Do you not know that every nation has its own worship ? Go and preach to your own nation, and do not trouble us. In reply we read Mark xvi. 15. ‘Go ye into all the world, and preach the gospel to every creature.’ But, said he, must all people receive your word ? We replied ; The word which 111

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we preach is the Lord’s. We only sow, that he may give the increase. Then we preached to him that it is by Christ alone that men can be saved. We afterward arose and departed from him in love, when he commanded food to be set before us, and a place to be prepared for our lodging. » In this village, these young brethren continued three days, being well received by all, but especially by the reader to whom the pretender had given the Bible. At the other villages they visited, they were received much in the same way ; the people listening to the reading of the Scriptures and giving an outward assent to the truths presented. Every where men wished to know what they were gathering, and what they wished to receive in return for the gospel which was read and preached to them. They could not understand why it was that this was bestowed upon them freely. […] Origins and Customs of the People. In connection with this tour, a number of facts in relation to the origin, manners and customs of this people have come to our knowledge. Kuzzel-bash, in Turkish, and in Armenian Garmir-klookh, signifies Red-head, and is a term which the Turks also apply to the Persians ; for which latter nation the Kuzzel-bash profess great attachment. These facts, perhaps, indicate that this people came originally from Persia, a circumstance not altogehter improbable when we consider the proximity of that country to this, and call to mind the frequent invasions from that quarter during past centuries. It is quite certain that the Kuzzel-bash are not Koords, since they do not use the Koordish language, and are very much hated by them [by the Sunni Shafi Kurds]. If they ever had a language peculiar to themselves they have entirely lost it, since they now use no language but Turkish. That they are altogether a different people from the Osmanlies, is proved by the bitter hatred which the two races entertain for each other. It is true, the Kuzzel-bash are nominal Musselmans ; but they despise the religion of their oppressors, and practice but few of its rites, and those but occasionally. If a pasha or a beg is the guest of a village, the muezzin calls the hours of prayer, otherwise his voice is not heard. The oppressions which they suffer from the dominant race are more severe than those endured by any class of the Christian subjects. In this respect they are the most 112

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abused people in Turkey. They are industrious and frugal, and with protection would become rich and prosperous ; but as it is now, they are eaten up by greedy pashas and other exorbitant officials. As a race, they are large and fine-looking ; some of them presenting the noblest examples of physical development. They never shave, or in many way cut their beards ; which gives a dignified air to their middle aged, and aged men. They are entirely free from the vice of drunkenness, not manufacturing or using any kinds of spirits. They are not married young, as are the Armenians, (at twelve or fifteen,) yet fornication and adultery are esteemed small offences. Divorce is unknown among them, as are bigamy and polygamy. They do not eat fish, assigning as a reason that Jonah was swallowed by a whale, and thus the whole race became impure. Again they neither eat garlick nor smoke tobacco, two articles of universal use in these countries. For this the reason given is, that every man has an angel on either shoulder, who flies away if these articles are used. They consider unclean, and spit upon those who violate this custom, as being abhorred of God, who only regards those who are presented before him by their guardian angels. There is much to encourage hope and effort for this people. If Christians at home, and missionaries on the ground, have grace to be faithful to them, they may soon be numbered among the true and devoted followers of Christ the only Savior. Source : Lettre de Sanford Richardson d’Arabkir, 17  juillet 1856, publiée dans The Missionary Herald, oct. 1856, p. 296-298.

Massacres arméniens en 1895 La stratégie américaine du revival permit la reconnaissance, le renforcement et le renouveau de groupes non-musulmans, surtout chrétien et arménien. Son revers fut qu’elle alimenta une jalousie sociale de la part des autres groupes. Ce fut cette jalousie sociale des musulmans sunnites, en particulier celle des Kurdes frustrés par les Tanzimat, qu’entretint la politique islamiste d’Abdulhamid dans les provinces de l’Est à partir des années 1880, c’est-à-dire après le Congrès de Berlin de 1878. Le sultan se vit alors défié non seulement par la diplomatie européenne qui demandait des réformes notamment dans les provinces orientales, mais encore par un

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nouveau mouvement révolutionnaire arménien dont le groupe le plus radical Hentchak, fondé à Genève en 1887, revendiquait une Arménie socialiste indépendante. L’islam sunnite et impérial se vit dévalorisé par le discours théologique et sociologique de l’ABCFM. D’un côté, les missionnaires de l’ABCFM présents sur place voulaient participer à la réforme de la société afin de la transformer de l’intérieur. Mais d’un autre côté, et ceci dès le dernier tiers du xixe siècle, quelques responsables missionnaires aux États-Unis développèrent une rhétorique missionnaire à la fois martiale et métaphorique. Ils témoignaient d’une confiance quelque peu exaltée dans les effets salutaires de l’ascendance des puissances protestantes, bien visible lors du Congrès de Berlin. Dans ces conditions, la mission en général ne pouvait inspirer confiance aux élites musulmanes, même si sur place bien des missionnaires avaient noué des liens parfois étroits avec une partie de la population et des notables musulmans. Les massacres anti-arméniens de l’automne 1895 – vingt ans avant le génocide des Arméniens de 1915 – furent un grand choc pendant la Belle Époque. Les exactions et spoliations dans toute l’Anatolie orientale furent effectuées avec la participation active de la population sunnite sur place qui croyait obéir à des ordres du sultan. Pour 1895, comme pour 1915 les rapports des membres de l’ABCFM sur place constituent des sources de première importance.

Lettre de Caleb F. Gates, président du Euphrates College in Harput, 13 novembre 1895 Harput, 13 November 1895 Dear Brother Peet We are in the College building with a crowd of refugees. The first attack began on Sunday [10. 11. 1895] by a few Koords. These were easily driven off. Monday there was another attack in the morning, also repelled. These attacks amounted to little. The set time had not yet come. Monday the Aghas from the village gathered in the City. The Koords and Turks from the surrounding region attacked [the village of] Husenik and slaughtered many. The soldiers went down the road to meet them. Some of the principal Moslems also went down. They had a conference with the Koords. Then the bugle blew and the soldiers led by their commander withdrew to the city dragging their 114

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cannon in very leisurely fashion. After the soldiers had reached the city the Koords and Turks came on yelling and firing. The soldiers made no attempt to stop them. They fired their cannon once harmlessly toward the city, and they fired off their guns over the heads of the enemy. The Turks of the city joined in the plunder and attack. The Armenian school was fired first, then the greater part of the Christian quarter. Christians were shot down everywhere. I saw all these things with my own eyes, for I watched things with a field glass until it became perfectly plain that the whole thing was definitely planned and arranged. The Christians had given up their arms and cast themselves on the protection of the government. No Christians fired on the assailants, so far as I know. We took refuge in the girls school until that was attacked, and Mr. Allen’s house burned, and the school set on fire ; then we gathered in the yard prepared to die together. Dr. Barnum spoke to the military commander and he sent soldiers. They all left but two and they demanded a backsheesh or they would go. We decided to go into College building. As we left the school yard a Turk fired upon us from across the yard twice, first at Mr. Allen, then I said to him ‘God chastise you’, and he fired at me. He was a very bad marksman or else God withheld him from accomplishing his purpose. There was no panic in our crowd. My family were the last to leave the yard. After we got into the school building the officers sent for us to come out. The chief of defence and the Mufti sent for us to come, by city governor. We would not go. We told them we had no more confidence in them, and if they wished to protect us they could protect us there. If they did not, we would die there. At last the Alai [régiment] Bey (Mehmet Bey), a Circassian, arrived. He was the first and only man who acted as if he meant to do anything for us. The soldiers had left us. He called them back. We got out our fire engine and fought the fire, and he helped us. For three days I have fought fire, and cannot write now. We saved our house, Dr. Barnum’s house, the Vayaran, the College building, eight of our buildings have been burned. All our houses were plundered before our eyes. The soldiers made no attempt to stop it. We are stripped of everything but the clothes we wore, but none of our company were wounded or killed. We owe our safety to God alone.

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The Turks of the city were very much disappointed that any of our buildings were spared and they were determined Dr. Barnum should be killed. Tuesday, the Alai Bey told us that he could not protect us here. Dr. Barnum told him we would not leave the building. If it was fired we would die in it. If we had left they would have burned the buildings and forced the refugees to become Moslems or suffer the penalty. Everywhere this alternative was given to men. All the Christian villages and Christian quarters of villages in this whole field have been burned so far as I know, with the possible exception of Garmuri. Tuesday, the Koords returned to the attack. (I say Koords. They are not the [Alévi] Dersim Koords. They are simply the Mussulman [Sunni] Koords and the Turks of this region, and they were not a large force). Tuesday, it is said, an order came to stop them and permission was given to shoot the Koords ; when this order came two soldiers laid down their arms. It is said that nine Koords were killed that day at Mezreh [Mamuretülaziz] and five up here [in Harput]. That finished the attack by Koords. There was still danger from the Turks here, and there is now. We have not yet returned to our buildings, but are all in the College. Four hundred souls are gathered there and we are feeding them. Say to the foreign ambassadors : This work emanates from high quarters and only the strongest means can prevail. Do not let them be hoodwinked6. Now, as to the needs. We have nothing left, but we do not care for that so much as we do for the people. There will be need of thousands of pounds to care for the needy. From Diarbekir to Malatia, Arabkir (Egin) and Peri, the whole region is a desolation. I counted 21 villages of which I knew, but there are said to be 35 villages in the Char Sandjak [district appartenant à Mamuretülaziz], and no returns from Farkin yet.

6 Dans une lettre du 6 novembre au secrétaire de l’ABCFM à Boston Gates a écrit : « Let every effort be made to impress the authorities at Constantinople with the extreme gravity of the situation. The idea of an uprising among the Armenians is absurd. They are in terror for their lives. They are prepared to surrender all their possessions, if only their lives may be spared. »

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We may not yet escape with our lives, but if we do there will be great need of relief work. This whole business has been hellish and the governement deliberately abandoned Christians. We put ourselves under the protection of the government again and again formally, but their protection was a sham. They and the leading men of the city and the Moma [?] assured Dr. Barnum that no Koord should enter the city. The chief of defence told Dr. Barnum that until he was cut to pieces not a Koord should enter the city and not a hair of our heads be injured, but he stood quietly looking on while the attack was made and offered not even a show of resistance. We had the best possible opportunity for seeing the hollowness of their professions. Sincerely yours, C. F. Gates [P.S.] We shall send a telegram, if we can, to you and Minister Terrel. We cannot trust anyone, but we do not want to be ordered out of the country. If we abandon the Christians they are lost. We have not time to write to Judge Terrel [de la légation américaine à Constantinople] now. We rely on you to tell the facts. Saturday we received a telegram from Judge Terrel saying “Are you well ?” We replied at once “Well, but danger great and imminent.” We do not know whether letters and telegrams go through. Source : Lettre de Caleb F. Gates, président du Euphrates College in Harput, 13 novembre 1895, à William W. Peet, Bible House, Istanbul, Archives de l’ABCFM, University of Harvard, Houghton Library, ABC 16.9.9 (reel 718 : 550 ff.).

Approches missionnaires protestantes à la veille de la Première Guerre mondiale La première approche missionnaire américaine était ‘restorationist’, et se focalisait sur la « renaissance des juifs » en Palestine, la deuxième ‘revivalist’, visait un réveil chrétien moderne dans un espace ottoman réformé. Après le tournant du siècle, la stratégie du revival que l’ABCFM prônait dès les années 1830, commença à céder la place à une nouvelle conception de la mission, élaborée surtout après la révolution jeune-turque de 1908. Celle-ci préconisait un nouvel effort d’approche des musulmans et la revi-

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talisation du monde ottoman à travers ses élites éducatives, toutes religions et ethnies confondues. Désirant plus que jamais toucher les musulmans, les missionnaires américains mirent davantage en valeur une éducation sécularisée et traduisirent l’Évangile en valeurs séculières, se donnant pour tâche de contribuer à la construction morale de la citoyenneté ottomane. En lien avec ce troisième volet de la stratégie missionnaire, une révision de l’approche religieuse de l’islam fut entreprise, abandonnant rhétorique martiale, préjugés antimusulmans et manque de sensibilité qui caractérisaient l’approche antérieure. Mais le temps manquait, et là encore, tout comme pour l’engagement en faveur des réformes de l’État des Tanzimat, l’ambivalence régnait. Le débat opposait d’un côté des avant-gardistes parmi les missionnaires, à des stratèges et publicistes aux États-Unis de l’autre. Ces derniers suivaient plutôt le goût religieux traditionnel du public, du moins dans leur discours. Parmi les avant-gardistes on peut mentionner Howard S. Bliss, le président du Syrian Protestant College à Beyrouth7. Parmi les stratèges ambivalents il faut citer James Barton, le secrétaire exécutif de l’ABCFM8. En rapport avec cette nouvelle préoccupation pour l’islam deux conférences spécialisées ont été tenues, l’une au Caire en 1906 et l’autre à Lucknow en 1911 ; à mentionner également le World Missionary Conference à Edinburgh en 1910 où les missionnaires venant du Proche-Orients ont joué un rôle important 9. La dynamique culturelle et intellectuelle de la Belle Époque et de l’ère ottomane après la révolution jeune-turque de 1908 a favorisé des réflexions et des tentatives innovatrices. La plupart d’elles n’ont pu être reconsidérées qu’à partir de la seconde moitié du xxe siècle

7 Voir de cet auteur, « The Balkan War and Christian work among Moslems », International Review of Mission 3 (London : Oxford University Press, 1913), p. 643-656, où germent déjà les idées de son fameux manifeste libéral « The modern missionary », Athlantic Monthly, May 1920, p. 664-675. 8 Voir de cet auteur, « What the defeat of Turkey may mean to American missions », Biblical World 41 (janvier 1913), p. 3-8. 9 Voir aussi World Missionary Conference. Reports of Commissions, Edinburgh : Oliphant, Anderson & Ferrier, 1910, neuf volumes ; Methods of mission work among Moslems. Being those papers read at the First Missionary Conference on behalf of the Mohammedan World held at Cairo April 4th-9th, 1906, and the discussions thereon, which by order of the conference were not to be issued to the public, but were to be privately printed for the use of missionaries and the friends of missions, London : Fleming H. Revell company, n.d. (1906) ; Elwood M. Wherry, M. Samuel Zwemer, C. G. Mylrea, (eds.), Islam and missions. Being papers read at the second missionary conference on behalf of the Mohammedan world at Lucknow, January 23-28, New York : Revell, 1911.

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quand émergea le postulat de dialogue inter- et transreligieux qui pourtant avait déjà germé une cinquantaine d’années auparavant.

L’ABCFM avant 1914 Le texte proposé ci-dessous est la rétrospective d’un missionnaire et professeur à l’Euphrates College à Harput, Henry H. Riggs, lui-même né à Sivas en Anatolie, fils d’un couple de missionnaires. Il nous renseigne notamment sur l’attitude des missionnaires protestants américains vis-à-vis des étudiants musulmans dans les collèges avant 1914 ainsi que sur les tensions sérieuses avec le mouvement révolutionnaire arménien10.

In the Central Turkey Mission the subject of Moslem work was more actively studied and more immediately reached the stage of active effort than in any other of the Turkish Missions. Possibly a main reason for this was that Turkish was the only language in common use in most of this Mission, so that all of the missionaries knew and used the Turkish language, all church services were in Turkish, the daily language of most schools was normally Turkish. Unlike the schools and colleges in the rest of Turkey, where language was a barrier to Turkish pupils who might wish to enter, the schools of the Central Mission offered easy access to any who wished to come, and, as a matter of fact, a limited number of Turkish pupils did attend those schools, including the colleges. And anyone of the Turks who might chance to come in to a church would find a service which he could understand – at least he could understand the language used, though it must be said that the Armenian Christians had developed a religious terminology all their own, Turkish in form but adapted from Arabic and sometimes Armenian words ; and this terminology was often quite as meaningless to the Turk as if the speaker had been talking some other language than Turkish. Be this as it may, this Mission put on record, in its Annual Meeting of 1910, not only an intense interest in this line of work, but also a surprising number of actual beginnings of work distinctively 10 Sur le Syrian Protestant College, qui devint en 1920 l’American University of Beirut, et qui fut également une fondation de l’ABCFM, voir aussi A.-L. Dupont, « Une école missionnaire et étrangère dans la tourmente de la révolution constitutionnelle ottomane », Cahiers de la Méditerranée, 75 (2007), p.  39-57 ; consultable en ligne : http ://cdlm.revues.org/index3483.htm.

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for Moslems. A committee on Moslem work, appointed two years before, seems not to have presented a report at this meeting, and a new committee was appointed, and led, during that meeting, in a very interesting and practical study of and planning for this new department of work. Apparently for the first time, the question of religious instruction of Moslem students in college came up for consideration, a question which has been ever since that time a vital one, not only in Turkey, but wherever Moslems attend missionary schools. The solutions of this problem vary all the way from the attitude that the mission school is there to teach the Christian religion, and if the pupil does not wish that sort of instruction he may stay away ; to the other extreme where the school recognizes the right of the pupil or his parents to a guarantee that no religious influence tending to wean him from the faith of his fathers shall be allowed to reach him, and that he shall be taught his own faith. The attitude of the Central Mission – surprisingly liberal for that time – was between these extremes, and suggested offering alternative courses in ethics and religion not offensive to Moslems, while insisting on chapel attendance for all. The Mission at the same meeting appointed delegates to the Lucknow Conference on Moslem Missions. It also asked specifically for two of the new workers for Moslems for whom it repeatedly asked in growing numbers during the following years. This time the request was for the appointment of a man in the Aintab hospital to work specially for Moslems, and for a woman missionary in Marash to devote herself to developing educational work among Moslems. The Moslem Work Committee became a very active committee of the Mission ; in 1912 it was decided to “send a broadside” on this subject to Boston, to arouse the Prudential Committee to the need and opportunity among Moslems. The « broadside », which grew from 21 pages in 1912 to 60 pages in 1914, was made up of reports from the various stations of the Missions, of concrete examples of work actually being done, and of open doors which stood waiting for new workers to enter. At the same meeting in 1912 the Mission, after an intensive study of Moslem work, decided on several steps. It voted to open a training school for the better preparation of native Bible women who were working among Moslem women. It called for a missionary kinder120

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garten specialist specifically for kindergartens for Moslem children, several of which had been started. It voted to start club and reading rooms for Moslems “in each principal city in the Mission”. It appointed a woman from among its own numbers to give full time to evangelistic touring in Moslem villages. It asked the Board to appoint a man whose single task it should be to organize and supervize Moslem work in all parts of the Mission. And until such a man should undertake the task, a small group was appointed to make such a beginning and “organize the whole Mission for Moslem work.” The Mission Meeting of 1913 and 1914 recorded steady progress along these lines, and a growing awareness of the need for added workers to meet the opportunities. It was decided in 1914 to occupy Aleppo as a station distinctively among Moslems. And much time was devoted in both of these meeting to “a study of methods of Moslem work in the light of experience”. The Central Turkey Mission, during these five years, was not slackening its efforts among the Christian peoples ; and there had been not a little success in the effort to enlist the churches in the new effort for Moslems. A very considerable number of individuals, both in the ministry and among laymen, were actively at work among their Moslem neighbors. A serious problem in this connection was developing, and very seriously threatened disaster to some of the Armenian Evangelical churches. Following the revolution of 1908, and especially during and after the massacres of 1909, a secret revolutionary movement among the Armenians gained strength and influence. This movement had enough of real justification to appeal to many among the Armenians, and among them to the Protestant element as well. But the leadership of the movement was predominantly anti-religious, so that it was very early felt that the Evangelical community had no choice but to condemn and oppose the revolutionary parties fostering the Armenian nationalist sentiment. This mutual hostility became a grave menace to the evangelical movement, especially as the revolutionary parties did not hesitate at terrorism as a means of breaking up opposition. This line of development is still a serious problem among Armenians wherever they are scattered, and in those days in Central and Eastern Turkey it was pericularly acute. One of the churches in the Aintab field included a large number of the rev121

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olutionary partisans, and finally the control of the church passed into their hands, and the missionary occupation of that town had to be abandoned. This political movement had unfortunate effects in the spiritual condition of the churches of this region, but notwithstanding these dificulties the spiritual level attained by the Mission and the churches in the Central Turkey Mission by 1914 was high, an inspiration to neighbor Missions. Source : Henry H. Riggs, A.B.C.F.M. History 1910-1942. Section on the Turkey missions, typoscript [1942], Chap. 1 : The Period of Progressive Planning, p. 27-31, Archives of the ABCFM, Houghton Library Ms. Hist.

“Relations of missions to moslems and missions to pagans” : discussion à la conférence au Caire sur la présentation de Dr. Johannes Lepsius (1906) Au début du xxe siècle, Johannes Lepsius, directeur de la Deutsche Orient-Mission, était une éminente figure allemande du mouvement humanitaire pour les victimes arméniennes des massacres de la fin du siècle. En même temps, en tant que membre de « l’Internationale Protestante » informelle, il était fort intéressé par la mission et le dialogue avec les musulmans depuis qu’il avait travaillé comme jeune pasteur à Jérusalem dans les années 188011. C’est dans cette logique que s’insère sa participation à la conférence du Caire sur les méthodes du travail missionnaire parmi les musulmans. Le texte ci-dessous rend compte de la discussion de sa communication qui avait traité de la relation de la mission aux musulmans avec celle aux païens. Lepsius n’avait pas envoyé son article aux éditeurs et ce dernier ne se trouve pas non plus dans le Dr. Johannes-Lepsius-Archiv à Halle. Il y avait manifestement exposé que les Églises et les missions occidentales ne prenaient pas assez au sérieux l’enracinement monothéiste biblique de l’islam. Tandis que Johannes Lepsius tendait à dire que « notre dieu » est aussi « leur dieu », suivant la thèse qui comprenait l’islam à son origine comme une sorte de secte judéo-chrétienne pour païens, le fameux Apostle to Islam américain Samuel Zwemer soulignait dans la discussion que « leur dieu » était différent, parce que « sans amour et sainteté ». 11 Voir aussi A. Baumann, Der Orient für Christus : Johannes Lepsius – Biographie und Missiologie, Giessen, 2007 ; H.-L. Kieser, « Zion-Armenien-Deutschland. Johannes Lepsius und die ‘ protestantische Internationale’ in der spätosmanischen Welt », article en deux parties, Armenisch-Deutsche Korrespondenz 143 et 145 (2009).

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[…] Dr. Werry called attention to a book by Mr. Foland entitled Nazarenus or Jewish, Gentile, and Mahometan Christianity12 in which the author maintains that the errors of Islam are those of the Judaizing Christians who persecuted St. Paul. He maintains the idea that the church made a mistake in insisting on uniformity between Jewish and Greek Christians. The promises to the Jews were everlasting and hence the obligations were alone binding on them. The Jewish Christian Church should be subject to the requirements of the Mosaic law, but in no case should the Gentile. There should have been a Jewish form of Christianity in the world now, in which case, probably all Jews would be Christians. Islam is an attempt to attain that position – hence they are Gentile-Jews of a Gentile-Judaizing sect. He (Dr. Wherry) agreed with Dr. Lepsius that there should be special men set apart, with special preparation, to enable them to be in sympathy with the Moslems and not treat them like the heathen. He should like to see this paper published amongst Christians. Dr. Herrick said how greatly this conference profited by the presence of friends from Germany. With regard to Dr. Lepsius’ paper, he was profoundly impressed by it, and wished to second Dr. Wherry’s desire that it should be given to the Christian world, not by the conference, but under Dr. Lepsius’ own name. He did not mean to imply that he would endorse every sentence, but several important objects would be accomplished, for it imphasizes the importance of special preparation of labourers, and makes a distinct, clear and correct statement showing that Moslems are not heathen. To classify them as Judeo-Christian sect has merits, (1) That of surprise. (2) Stimulating thought. (3) It gives a grip on the Moslem himself and will not offend him. Dr. Watson said that in confirmation of the paper, one of their Moslem converts who is now giving lessons in the theological classes has recently proved that in his earliest years Mohammed himself was a nominal Christian. 12 Il s’agit d’un livre de John Toland, Nazarenus : or, Jewish, gentile, and Mahometan Christianity. Containing the history of the ancient Gospel of Barnabas, and the modern Gospel of the Mahometans, attributed to the same apostle : this last Gospel being now first made known among Christians. Also, the original plan of Christianity occasionally explain’d in the history of the Nazarens, wherby diverse controversies about this divine (but highly perverted) institution may be happily terminated, London, 1718.

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Mr. Page said he wished to call attention to one part of the paper which seems to say that the Mohammedan God was the same as the God of Israel. Ought we not to be very clear in our minds, for there is a great difference if not antagonism between the God of Mohammed and the God of the Christians. We wish to concede all we can, and to do nothing to irritate, but we must be very clear in our own minds as to the differences (1) in the being of God which is Triune ; (2) in the character of God. Mohammed was really an idolater because his conception of God was really a caricature. Dr. Lepsius in reply that he would ask Mr. –– the convert from Islam, whether the God whom he now adores is the same or another. (He says “the same”.) He thought the answer could only be given by a converted Moslem, though certainly we do not know God truly till we know Christ. Yet we may truly say that the God of the New Testament is the God of the Old, though in the latter He was not yet manifested in Christ. Another point he wished to mention was, “What may have been the reason why the church was so late in taking up missions to Moslems”. The answer was in his paper. We have a double movement in the history of the church. (1) A forward movement in missions to Pagans. This started from Jerusalem, and extended to the Roman Empire, to Europe, and the Northern American world. (2) Simultaneously there was a retrograde movement, beginning with the reformation of the Roman Church – the Stundist movement – the beginning of reformation in the Greek Church. The reform in the American brethren, the Church of England and the next station in the backward road is the reform of Islam. It is by no means accidental that it has been taken up by those who have been led to attempt to reform the Churches of the East. Following this will come the last step, the conversion of Israel. The Lord does not come once only to the nations. With Him as with the Good Samaritan, He will repay all when he comes again. In this alone we see wherein the great difference exists. Missions to Moslems are for the reconversion of those who have lapsed ; but God is merciful also to the backslider. With regard to Islam we must « never let Him go. »

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Dr. Eddy said, The question is a practical one. It is a point of contact if we take advantage of it as St. Paul did showing that “the unknown God” is ours. It would only irritate the Moslems if we deny that they worship the one true God. Dr. Zwemer said that the Moslems lack the idea of the holiness of God. He agrees with Mr. Page. They agree in monotheism but the essence and attributes of their God are different. He is without love or holiness. Mr. Wilson of Persia asked if a society or mission should devote themselves exclusively to Moslem work. Missions in Persia began in that way, but at times the dificulties had been such that they had turned their attention to the Armenians and Jews. Some places can only be occupied if then families of nominal Christian or Jews live there and work is nominally among them. A society with this intention has oportunities of working which it could not have if directed exclusively to Moslems. Dr. Wurz said, In certain ways and places the two cannot be separated. Many people are on the verge between heathen and Moslems. One man must work amongst both. Half the work amongs Moslems in the world is being done by those who are also missionaries to the heathen. His society is constantly confronted by this problem in West Africa. But it is a time of specializing and we shall come to the point when there must be the special man for the special work to Moslem. Bishop Warne said he had never been a missionary distinctly to Moslems, but he would remind us how much has been done for the Moslems by missions to other people in the country wherever it may be. His society had never specialized in missions to Moslems, but he found ther were fifty ordained natives who were converts from Islam in his district. One Moslem in a good position has gathered around him 5’000 converts. Where a country is wholly Moslem a specialty must be made. Also in Java where the people have recently been converted to Islam much can be done. In India there is a multitude of low caste people who will become Moslems or Christian. Ten millions in Bengal have become Moslems. Hence we should push work amongst them to save them. Some say that they will afterwards become Moslems, but this is not our experience. He mentioned one who had resigned 120 rupees a month to take ten rupees a month as a preacher. 125

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Pastor Wurz said the general tendency of our conference is that missions to the Mohammedan should be worked separately and not blended with other missions to the heathen ; I fully agree with this. But in the very interest of this conference, and to prevent its tendency being misunderstood by missionaries to the heathen, we ought freely to acknowledge that in certain countries and at certain times both missions cannot be separated but must be worked by one and the same man. One might say that one-half of the mission work which goes on among Mohammedans is done by missionaries to the heathen. This is quite natural, as, to mention but one reason, millions of people are just on the verge between heathenism and Mohammedanism. On the other hand, missions to the heathen are indebted to the Mohammedan problem. It is a stimulus to them. First, because it compels them to haste. There are numbers of tribes all through tropical Africa and elsewhere, which will be Mohammedans if the heathen missionary is not there very soon. Second, because it compels us to do solid work ; if not, we may make the people Christians to become Mohammedans afterwards. Third, because it complies us to take a high standard for the preparation of young missionaries to the heathen, including a good acquaintance with Islam. But, after all, it is but natural that both missions should be separated in due time. Source : Methods of mission work among Moslems. Being those papers read at the First Missionary Conference on behalf of the Mohammedan World held at Cairo April 4th-9th, 1906, and the discussions thereon, which by order of the conference were not to be issued to the public, but were to be privately printed for the use of missionaries and the friends of missions, London : Fleming H. Revell company, n.d. (1906), p. 23-28.

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L’ENSEIGNEMENT, ENJEU DES MISSIONS CHRÉTIENNES EN IRAN e (XIX SIÈCLE ET DÉBUT DU XXe SIÈCLE) F lorence H e l l o t

L’Iran ou empire de Perse1 rassemblait au xixe siècle une population d’environ dix millions d’habitants, majoritairement chiites depuis l’adoption de l’islam chiite comme religion officielle par le souverain safavide Esma‘ïl (1501-1524). Parmi les non-musulmans soumis au statut de dhimmi se rencontraient de très anciennes communautés juives, d’anciennes communautés de l’Église d’Orient − Église de Perse constituée lors des synodes de Séleucie Ctésiphon en 410 et 484 – des communautés arméniennes et des communautés chaldéennes qui avaient conservé leur langue dans la liturgie et la vie quotidienne. Mohammad Shah (1834-1848) et Nasser ed-Din Shah (1848-1896) prônèrent envers ces chrétiens considérés comme dhimmis depuis la conquête arabe une tolérance de fait (comme en témoignent les firmans de 1840 et de 1881), tout en maintenant l’interdiction faite aux musulmans de changer de religion. Devant la profusion de textes, de rapports et de documents rédigés par les missionnaires chrétiens présents en Perse au xixe siècle, il a bien fallu opérer une sélection. Les textes consacrés à l’enseignement et aux écoles missionnaires sont apparus les plus pertinents parce qu’en s’adressant aux jeunes, les missionnaires ont dû tenir compte de l’état de leurs connaissances et du projet qu’ils formaient pour eux. Ils avaient donc été obligés d’aller à la rencontre de leur culture pour pouvoir leur proposer − ou non − d’accéder à une autre culture. Parmi les diverses missions impliquées dans des projets d’enseignement en Perse, les presbytériens ont poussé très loin leur réflexion sur le sujet et ils n’ont pas hésité à modifier leurs orientations en fonction des aspirations et de l’évolution de la société iranienne. Le

1

En 1935, Reza Shah Pahlavi substitua au terme « Perse » utilisé par les Européens celui d’ « Iran ».

Fl o r e n c e H e l l o t

premier texte proposé ici, rédigé en 1909, est un texte « de mâturité » du presbytérien William A. Shedd, engagé dans l’annonce de l’Évangile aux chrétiens et aux musulmans d’Ourmieh, en Azerbaïdjan iranien, dans une région où cohabitaient musulmans chiites et sunnites, chrétiens syriaques de l’Église d’Orient et de l’Église chaldéenne uniate2, Arméniens de l’Église grégorienne et de l’Église arménienne uniate, enfin communautés juives. Une lettre du lazariste Aristide Chatelet fait écho à ce texte. Les lazaristes d’Ourmieh étaient embarqués, dans une aventure un peu différente, puisqu’ils cherchaient paradoxalement à épauler les chrétiens iraniens de l’Église chaldéenne uniate, forte de ses traditions. Avant de présenter plus en détail ces deux textes, il faut revenir sur l’histoire de ces missions en Perse, celle des Lazaristes et celles menées par les différentes Églises protestantes.

La mission lazariste à Ourmieh et Khosrow Abad (1841) La mission lazariste en Iran au XIXe siècle et au début du XXe siècle Les missionnaires lazaristes appartenaient à la Congrégation de SaintLazare ou congrégation de la Mission, fondée au xviie siècle par Vincent de Paul, dans le but de préparer les prêtres à exercer leur ministère avec compétence et dévouement ; ils étaient proches des populations rurales. En 1783 un décret de la Congrégation de la Propagande et des lettres de patentes royales les autorisèrent à s’installer à Constantinople. De Constantinople, ils déléguèrent en Iran l’un des leurs, le père Scafi, qui y accompagna l’orientaliste Eugène Boré en 1838. Dans la province d’Azerbaïdjan iranien, le lazariste Scafi rencontra des Arméniens de l’Église arménienne grégorienne et de l’Église arménienne uniate, 6 000 chrétiens de l’Église chaldéenne uniate et 25 à 30 000 chrétiens de l’Église d’Orient. Les lazaristes espérèrent que ceux-ci rejoindraient l’Église chaldéenne. La Sacrée Congrégation de la Propagande leur confia la « Mission en Iran ». En 1840 le prêtre lazariste Fornier arriva à Tabriz avec le frère Dequevauvilliers ; ils furent rejoints en 1841 par Joseph Darnis (1841-1858) et Augustin Cluzel (1841-1882). Les lazaristes projetèrent de se consacrer

2 L’Église d’Orient se démarqua des autres Églises lors des discussions christologiques des conciles des ive et ve siècles ; elle adopta le diophysisme de Théodore de Mopsueste et devint l’Église de Perse. Un groupe de chrétiens menés par Jean Sulaqa s’en détacha au xve siècle pour se rapprocher de l’Église catholique romaine et constituer l’Église chaldéenne uniate.

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d’abord aux Arméniens ; mais ils se heurtèrent immédiatement aux Arméniens grégoriens ainsi qu’aux méthodistes installés à Ourmieh depuis cinq ans ; ils se consacrèrent alors aux chaldéens ; ils ouvrirent des écoles à Khosrow Abad (Khosrowa en syriaque), pour revenir à Ourmieh un peu plus tard. Ils inaugurèrent une mission à Téhéran en 1862, à Tabriz en 1900 et à Ispahan en 1904. A Ourmieh les lazaristes, célibataires, vécurent pauvrement ; ils n’étaient jamais assurés de pouvoir faire face aux incontournables dépenses constituées par la rémunération accordée aux chrétiens qui les aidaient dans les écoles, par l’entretien des églises et des écoles et par l’accueil qu’ils réservaient aux chrétiens des villages qui venaient en ville plaider quelque cause et qu’il fallait nourrir et loger. Les lazaristes furent rejoints par les Filles de la Charité, congrégation féminine non cloîtrée destinée à secourir les pauvres et les malades. Elles arrivèrent en 1856 à Khosrowa, en 1857 à Ourmieh, en 1875 à Téhéran, en 1904 à Tabriz et Ispahan, coiffées de leur volumineuse et insolite cornette empesée. En ouvrant des dispensaires et de petits hôpitaux, elles souhaitèrent « faire profiter les pauvres Persans des progrès de la science », comme l’écrivit sœur Marquis à Tabriz en 1905. En Iran les catholiques et les chrétiens des Églises uniates dépendaient de la Délégation apostolique de Mésopotamie. En 1874 fut créée la « Délégation apostolique de Perse ». Le lazariste Augustin Cluzel, consacré archevêque, en fut le premier titulaire. Il fut donc à la fois préfet apostolique de la mission lazariste et délégué apostolique jusqu’à sa mort en 1882. La mission lazariste en tira un grand prestige. Ses successeurs furent, jusqu’en 1918, des lazaristes français : Mgr Thomas (1882-1890), Mgr Montéty (1891-1896), Mgr Lesné (1896-1910) et Mgr Sontag (1910-1918). W. A. Shedd apprécia Mgr Sontag (1869-1918) qu’il côtoya à Ourmieh. Jacques Sontag était né à Dinsheim, village des Vosges qui devint allemand en 1870. Il entra au séminaire des lazaristes en 1887 ; en 1895 il fut ordonné prêtre et envoyé à Ourmieh pour y enseigner. En 1897 il devint supérieur de la mission lazariste à Téhéran et ouvrit l’école Saint Louis en 1910. Il succéda la même année à Mgr Lesné qui mourut à Ourmieh et il fut nommé « Délégué apostolique et archevêque d’Ispahan ». Il revint donc résider à Ourmieh où il fut assassiné le 31 juillet 1918, sans doute sur l’ordre d’un notable d’Ourmieh qu’il avait hébergé à la mission, Archad Homayoun. Il a laissé le souvenir d’un homme d’une grande piété et très respectueux des autres3.

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J. Eyler, Monseigneur Sontag, Martyr en Perse, Mutzig, 1896.

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Le lazariste Aristide Chatelet Aristide Chatelet était né à Vincennes en 1877. Il entra au séminaire des lazaristes à Dax en 1896 et fut ordonné prêtre à Paris en 1903. Il fut immédiatement affecté à Ourmieh où il demeura jusqu’en 1912. Puis il fut supérieur de la mission lazariste de Téhéran jusqu’en 1925, date à laquelle il quitta l’Iran pour revenir en France. Il mourut à Paris en 1956. Il marqua ses interlocuteurs par sa grande activité, son désir d’aller de l’avant et de se lancer dans de nouvelles entreprises. A Paris il compila la correspondance envoyée par les lazaristes de Perse pour rédiger une « Histoire de la Mission lazariste en Perse » qui parut dans la Revue d’Histoire des Missions entre 1934 et 1939. La lettre d’Aristide Chatelet est courte, son texte est dense : il appelle ses supérieurs à financer un collège à Ourmieh pour relancer l’action de la mission lazariste en Azerbaïdjan. Il ne fait allusion ni à l’évolution de l’enseignement lazariste au cours du xixe siècle, ni aux récents remous de la révolution constitutionnelle. Contrairement au texte de William A. Shedd, c’est un arrêt sur image.

Les écoles des lazaristes Les textes rassemblés ici montrent que l’objectif des lazaristes en Azerbaïdjan fut et demeura celui de former de « bons prêtres » destinés à raffermir la foi de l’Église chaldéenne et à répandre sa lumière au milieu des ‘infidèles’. Les écoles en constituèrent un moyen privilégié. Les premières écoles ouvertes en 1841 le furent, selon A. Cluzel, pour éclairer la terre des infidèles « où les âmes des musulmans tombent une à une dans l’enfer » et pour annoncer la foi aux ‘hérétiques’. Puis les lazaristes ajustèrent leurs objectifs à la réalité. Tout d’abord, comme les missionnaires de l’ABCFM, ils réalisèrent que le message évangélique serait mieux reçu s’ils en confiaient la transmission aux populations locales ; ils décidèrent de former un ‘clergé national’ et ouvrirent un séminaire en 1847. Puis, devant les difficultés soulevées par les conversions, ils se concentrèrent sur les chaldéens avec l’espoir de les voir « régénérer le pays4 ». D’Ourmieh, A. Cluzel écrivit en 1857 au procureur général des lazaristes5 :

4 L’ensemble des réflexions d’A. Cluzel provient des lettres qu’il a écrites au cours de la décennie 1840 et qui sont conservées dans les Archives de la Congrégation de la Mission à Paris. 5 Bulletin de l’Œuvre d’Orient, t. I, A. Cluzel, Ourmieh 16 novembre 1857.

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J’ai un sujet continuel de douleur, la vue d’une cinquantaine de mille de Chaldéens-Nestoriens, malheureusement égarés depuis un grand nombre de siècles. Pour les sauver que faudrait-il ? Quelque peu d’argent. Ce peu d’argent nous l’emploierions ici à fonder un certain nombre d’écoles, au moyen desquelles, tout en cultivant la jeunesse, on instruirait des principes de la foi nos nouveaux catholiques qui ont un très grand besoin de ce secours.[…] Dans ces dernières années, nous aurions eu beau jeu : les écoles des Américains étaient fermées dans les villages, aujourd’hui elles se rouvrent et on les multiplie.[…] Je demande des secours pour l’entretien des écoles de villages, pour y mettre de bons catéchistes à poste fixe au moins cinq ou six mois de l’année. Des écoles ouvertes par les lazaristes à Khosrowa et Ourmieh sortirent rapidement des jeunes capables d’ouvrir eux-mêmes une classe dans leur village, pendant les quatre ou cinq mois d’hiver, ou des élèves destinés au séminaire de Khosrowa. Le programme enseigné devait beaucoup à celui des séminaires français. Aussi les résultats en furent-ils ambigus dans la mesure où coexistèrent des prêtres formés à Khosrowa, de plus en plus « latinisés », critiques envers les traditions et les rites chaldéens, susceptibles d’être de bons missionnaires et des prêtres chaldéens, mariés, affectés surtout aux églises des villages. En 1872 le lazariste Désiré Salomon, originaire des montagnes du Hakkari à l’est de l’Empire ottoman, souligna l’insuffisant succès des écoles ouvertes par les lazaristes6 : Des prêtres célibataires et instruits et des maîtres d’écoles, voilà l’espoir de notre mission, or nous en manquons. […] La misère empêche les enfants de rester longtemps à l’école. Ils la quittent quand à peine ils savent lire. Il faudra régler le nombre des écoles selon la quantité de maîtres et je pense à dire à M. Cluzel de les appeler tous pour leur donner des instructions et un règlement pour qu’il y ait de l’uniformité dans toutes les écoles ; si nos écoles n’ont pas, jusque là, réussi, ça a certainement été par manque de livres : un syllabaire assommant et un catéchisme, voilà tout ce que nous avions. Maintenant nous avons une petite presse, j’en ai fait l’essai ; le résultat dépendant de moi est satisfaisant, mais les types qu’on nous a envoyés de Rome sont incomplets et nous sommes obligés de suspendre le travail. Les sœurs de la Charité furent encouragées à ouvrir des écoles destinées aux jeunes chrétiennes où l’enseignement de la couture et des tâches

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A.C.M., lettre du lazariste D. Salomon, 1872.

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ménagères accompagnerait l’apprentissage de la lecture et, parfois, de l’écriture, comme l’écrivit Sœur Eivas, d’origine chaldéenne, à Eugène Boré7 : Nous avons un orphelinat de 23 à 30 filles. Nous les formons aux travaux du pays : coudre, filer, sarcler, et à devenir de bonnes mères de familles. Tous les ans plusieurs se marient, on nous en demande, on leur fournit le trousseau. La plupart des rapports rédigés par les lazaristes pour décrire à leur supérieur ou au conseil de l’Œuvre d’Orient l’ampleur de leur œuvre scolaire prit souvent la forme de simples constats, tels celui de Mgr Lesné, d’Ourmieh, en 18968 : Nous avons remis le grand séminaire à Khosrovah car ici la formation immédiate des jeunes clercs est très difficile. Nous avons un orphelinat entièrement à la charge de la mission. Les enfants étudient pour être de bons chrétiens et sont placés en apprentissage. Nous avons une école-collège où sont enseignés : le chaldéen ancien et moderne, l’arménien ancien et moderne, le persan, le français et le latin, les sciences, l’histoire, la géographie. Elle est fréquentée par des externes catholiques ou dissidents et par des internes choisis parmi les enfants les plus intelligents des villages. On choisit les meilleurs pour le Petit Séminaire. Les autres retournent à la maison paternelle et deviennent de bons maîtres d’écoles. Nous avons un Petit Séminaire où sont étudiés les sciences profanes et les chants liturgiques. Les écoles de villages sont sous le contrôle d’un missionnaire. Malheureusement l’allocation de l’Œuvre des Écoles d’Orient a été supprimée cette année, mais nous nous sommes imposé des sacrifices pour les ouvrir quand même en raison de la concurrence des écoles méthodistes [sic] et épiscopaliennes La lettre de Mgr Lesné fut complétée par le rapport du lazariste Désiré Salomon à Khosrowa9 :

7 8 9

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A.C.M., Annales, xxxiv, Ourmieh, 9 février 1867. A.C.M., lettre de Mgr Lesné, Ourmieh, 29 février 1896. A.C.M., lettre du lazariste D. Salomon, Khosrovah, 10 mars 1896.

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Écoles de la Mission a) A Khosrovah (Khosrowa) : 190 enfants divisés en 3 salles, confiées à 3 maîtres. Il y a un professeur pour la langue persane. Sur ces 190 enfants 80 restent jusqu’au 19 juillet, les autres nous quittent pour les travaux des champs. b) A Patavour : 1 école de 60-65 élèves. c) A Gulizan : 1 école de 28 élèves. d) A Ulak : 1 école de 11 élèves. e) A Gavilan (Gawelan) : 1 école de 35/40 élèves. f) A Djamalabad : 1 école de 11 élèves. g) A Zivadjuk : 1 école mixte de 20 enfants, payée moitié par les sœurs, moitié par nous. Nous avons bâti toutes les écoles ; il n’y a pas de bâtiment spécial à Djamalabad et à Zivadjuk. Les gages des maîtres, les livres, le chauffage, l’éclairage sont à notre charge. Les élèves achètent le papier, l’encre, les plumes que nous vendons à 25% de perte. Écoles des Filles de la Charité − Orphelinat : 33 orphelines. − Écoles : partout où nous en avons : a) A Khosrovah (Khosrowa) : 1 école de 80 filles qui ont fait leur première communion. 1 école de 70 filles qui n’ont pas fait leur première communion. 1 asile de 60 petits garçons. b) A Patavour : 1 école de 48 filles. c) A Gulizan : 1 école de 12 filles. d) A Ulak : 1 école de 11 filles. e) A Gavilan (Gawelan) : 1 école de 35 filles. f) A Djamalabad : 1 école de 14 filles. − Les Sœurs visitant les écoles le dimanche, elles invitent les femmes à assister à la répétition de leurs enfants, ce qui permet d’enseigner les prières aux femmes.

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Le désir de voir les enfants connaître les prières venait en premier. Il était suivi par celui de marquer des points sur les autres missions d’Ourmieh, considérées comme concurrentes : mission des presbytériens à partir de 1871 – que les lazaristes désignent souvent comme méthodistes – et mission des épiscopaliens à partir de 1886. Mgr Thomas n’attira-t-il pas l’attention sur « l’appât des méthodistes d’Amérique : les écoles et les livres. Leur séduction est lente, mais progresse et paralyse notre action10 » ?

La concurrence des protestants et des Russes Aristide Chatelet incrimine la concurrence des protestants et des Russes accusés de distiller parmi les communautés de chrétiens « leur mauvais levain ». La concurrence des protestants était réelle et ancienne, d’autant qu’en annonçant leur désir de conforter l’Église d’Orient dans ses rites et ses traditions les missionnaires de l’Archevêque de Canterbury attirèrent à partir de 1886 des chrétiens de langue syriaque qui n’appartenaient pas seulement à l’Église d’Orient. Mais cette attirance s’effaça devant celle des popes russes qui tirèrent prétexte de la demande de protection formulée par un groupe de chrétiens de la région d’Ourmieh pour y prendre pied et accompagner l’expansion russe en Azerbaïdjan. L’archimandrite russe devint tout puissant à Ourmieh à partir de 1899, puis à Khosrow Abad/ Khosrowa à partir de 1910. Les orthodoxes eurent aussi leurs écoles. Le risque de détourner les communautés syriaques de leurs Églises ou des missions déjà installées dans la région fut réel, puisque Presbytériens et missionnaires de l’Archevêque de Canterbury envisagèrent de rassembler leurs forces pour mieux contrer l’offensive des orthodoxes russes.

Le projet de création d’un collège lazariste à Ourmieh Il existait déjà un collège-école lazariste et un petit séminaire à Ourmieh décrits par le délégué apostolique Mgr Lesné en 1896. Regrettant les progrès insuffisants de la mission lazariste, Chatelet incrimina pourtant avec sa fougue coutumière l’absence d’un collège – lazariste − digne de ce nom à Ourmieh. Il avait entendu dire qu’à Tabriz certains appels à se soulever contre le régime des Qadjars et à défendre la révolution constitutionnelle avaient été rédigés en persan et en français et que la langue française demeurait celle de la liberté. Par ailleurs le gouverneur Mohtasham os-

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A.C.M., Annales, 49, Ourmieh, 20 avril 1884.

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Saltaneh11, prédécesseur du gouverneur Edjlal ol-Molk, avait paru apprécier l’instruction donnée par les lazaristes, au point de leur confier ses enfants et d’encourager la création d’un collège sur le modèle du collège jésuite de Beyrouth. Chatelet reprit cette idée ; il lui associa le projet de former des prêtres chaldéens capables à leur tour de devenir missionnaires. Mgr Sontag adressa une dizaine de jours plus tard, sur le même sujet, une lettre au supérieur des lazaristes à Paris. Il y insistait sur les difficultés qui, selon lui, empêcheraient le projet d’aboutir. Chatelet fut envoyé à Téhéran en 1913 et l’on ne parla plus de collège à Ourmieh. En 1917 le lieutenantcolonel Chardigny qui appartenait à l’état-major allié du Caucase regretta pourtant, lors de son passage à Ourmieh, que les écoles lazaristes ne fussent plus développées et plus ouvertes aux musulmans12 : Sans doute le but principal de nos missionnaires est d’élever et d’instruire la jeunesse chrétienne et de faire œuvre de propagande catholique, mais je crois qu’il serait avantageux pour notre influence en Perse de chercher en même temps à développer notre langue et nos idées françaises dans les milieux musulmans des riches familles persanes. L’effervescence des esprits et l’éclosion des écoles, confessionnelles ou non, concomitants du mouvement constitutionnaliste de la première décennie du xxe siècle, avait pourtant permis aux lazaristes d’accueillir dans leurs écoles des élèves musulmans, à Téhéran, à Tabriz dès la rentrée de 1904-1905 et à Ourmieh en 1907-1908.

L’enseignement des protestants en Perse au xixe siècle et au début du xxe siècle La Church Missionary Society en Iran La C.M.S., fondée à Londres en 1799, fut l’une des premières sociétés protestantes à s’impliquer dans le mouvement du Réveil protestant au xixe siècle. Son premier représentant en Iran, Henry Martyn (1781-1812), fit halte à Ispahan et Chiraz de 1811 à 1812, alors qu’il revenait des Indes. Il traduisit le Nouveau Testament en persan et entretint de très fructueuses controverses avec les autorités chiites. Sa traduction du nouveau Testament fut éditée à Saint-Pétersbourg après sa mort ; elle fut présentée en 1831, à 11 Mohtasham es-Saltaneh fut gouverneur d’Ourmieh de 1908 à 1910 ; il fut remplacé par Edjlal ol-Molk. 12 A.M.F.A.E., Guerre 1914-1918, Petrograd 28 juin/11 juillet 1917.

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Tabriz, au prince héritier Abbas Mirza, qui lui fit bon accueil. A l’exception des méthodistes envoyés en Perse en 1834, les missionnaires protestants firent des séjours éphémères en Perse, en s’adressant, comme Joseph Wolff, aux communautés juives ou aux chrétiens (missionnaires de la Basler Mission, de l’United Associate Synod of Scotland ou de la Swedish Missionary Association). En 1869, le Dr. Robert Bruce, d’origine irlandaise et ancien missionnaire de la C.M.S. au Pendjab, s’installa à Ispahan pour réviser la traduction d’Henry Martyn13. Il s’établit dans le quartier arménien de Djolfa d’Ispahan où sa présence fut officialisée par la C.M.S. en 1875. Il y créa dispensaire, écoles et orphelinat. Il favorisa le développement d’une communauté de chrétiens arméniens rattachés à l’Église d’Angleterre. La C.M.S. ouvrit ensuite des stations à Kerman en 1897, Yazd en 1898 et Chiraz en 1900 − avec le Dr. Walter Ayscoughe Rice. Arrivé en Iran en 1894, W. A. Rice résida à Chiraz, puis à Ispahan, où il était en 1909 secrétaire de la mission. Il avait témoigné en 1907 de la soif d’enseignement des Iraniens14 : The present is a critical time in the history of Persia. The people are making up to and desire justice, liberty and good government. In many quarters there is a keen desire for education suited to the requirements of the time. En 1909 les stations de la C.M.S. rassemblaient 33 missionnaires dont 9  médecins, 1  ministre indigène, 28  enseignants, 189  ‘communicants’, 412 chrétiens indigènes, 6 hôpitaux et 5 dispensaires15.

Mission de l’archevêque de Canterbury à Ourmieh 1886-1915 Alors que les missionnaires de la C.M.S. étaient présents en Iran depuis une bonne dizaine d’années, l’Église d’Angleterre y envoya des missionnaires pour participer à la formation des jeunes de l’Église d’Orient. En 1886 elle créa l’Archbishop of Canterbury’s Persia Mission to the Eastern Syrian Christians, qui devait œuvrer à Ourmieh et au Hakkari ottoman où se trouvait Mar Shemon, patriarche de l’Église d’Orient ; sollicitée par des lettres du patriarche Mar Shemon et appelée par les évêques Mar Yokhannan et Mar Gauriel de la région d’Ourmieh, cette mission eut pour principal

13 Cette nouvelle traduction fut publiée à Londres en 1895 par la Foreign Bible Society. 14 CMS, Precis 1905-1924, W. A. Rice, Julfa 7 mars 1907, Mission Annual Report for 1906. 15 Presbyterial Historical Society’s archives (P.H.S.A.), vol. 205, 1909.

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but de conforter l’Église d’Orient – improprement appelée Église nestorienne – dans son existence et ses traditions et d’assurer une formation à ses jeunes clercs, ainsi qu’en témoigna l’archevêque de Canterbury dans la lettre qu’il adressa au patriarche Mar Shemon xviii Rewel (1861-1903)16 et qui lui fut remise par les missionnaires Arthur John Maclean et William Henry Browne : Notre but est d’aider et de fortifier votre Église ancienne, de façon à lui permettre de résister à tout danger et d’élever ses enfants dans la véritable foi du Christ […]. Comment procurer à la mission destinée à aider nos frères chrétiens d’Assyrie une paix durable ? J’envoie deux missionnaires Arthur John Maclean et William Henry Browne travailler au milieu de votre peuple. […] Nous désirons favoriser autant que possible l’éducation de votre communauté et des jeunes gens de toutes les classes. Que cela fût de quelque utilité à ceux d’entre eux qui, par la suite, deviendront des leaders et des enseignants, nous comblera […]. Cherchant à éduquer en priorité le clergé de l’Église d’Orient, les missionnaires de l’Archevêque de Canterbury ouvrirent à Ourmieh une école pour les jeunes destinés au sacerdoce, distincte de l’école fréquentée par les jeunes garçons des villages. Ils furent rejoints par les Diaconesses de Bethany qui demeurèrent à Ourmieh jusqu’en 1898 et ouvrirent des écoles de filles. L’arrivée à Ourmieh des popes de l’Église orthodoxe russe en 1898 les poussa à déplacer le centre de leur mission dans l’Empire ottoman, sous la direction de William Ainger Wigram ; deux missionnaires demeurèrent à Ourmieh où ils gérèrent une trentaine d’écoles de villages ; ils quittèrent Ourmieh en 1915 après le déclenchement des opérations militaires de la Première Guerre mondiale dans la région.

Missionnaires de l’ABCFM en Iran 1834-1871 Les écoles dont héritèrent les presbytériens à Ourmieh en 1871 avaient été ouvertes par les missionnaires de l’ABCFM un peu moins de quarante ans auparavant. En 1829 l’American Board of Commissioners for Foreign Missions (ABCFM) basé à Boston avait envoyé Eli Smith et Timothy Dwight en Turquie et en Iran, avant d’établir une mission à Ourmieh auprès des 25 à 30 000 chrétiens de l’Église d’Orient. Le Révérend Justin Perkins arriva à Ourmieh en 1834 et le Dr. Asahel Grant en 1835 dans le

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J. F. Coakley, The Church of the East and the Church of England : a history of the Archbishop of Canterbury’s Assyrian mission, p. 99. A.M.F.A.E., Turquie, vol. 3.

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but de vivifier la « Vieille Église nestorienne » et la rendre capable « avec l’aide de Dieu, d’exercer une influence déterminante sur la régénération spirituelle de l’Asie17 ». Ils furent bien accueillis par l’évêque métropolitain Mar Gauriel et par l’évêque du village de Gawelan, Mar Yokhannan, et ils ouvrirent des écoles et installèrent une imprimerie en 1839. Mais ils se heurtèrent bientôt aux résistances d’une partie du clergé et du patriarche Mar Shemon xvii Auraham (1820-1861), inquiets de la menace qui pesait sur leurs rites et leurs traditions. Aussi furent-ils amenés à créer en 1855 une Église Réformée, ou Syrian Evangelical Church, de langue syriaque, distincte de l’Église d’Orient. En 1871 ils transférèrent leur mission en Iran au Presbyterian Board of Commissioners for Foreign Missions (PBCFM) basé à New York.

Ouverture des missionnaires presbytériens aux Arméniens, Juifs et Musulmans iraniens (1871) Les presbytériens en Perse (1871) En recevant de l’ ABCFM la mission d’Iran, le Presbyterian Board of Commissioners for Foreign Missions avait élargi son champ d’action à tous les Iraniens − arméniens, juifs et musulmans − et non plus seulement aux « nestoriens » ; il souhaita rapidement faire de la Syrian Evangelical Church une Église missionnaire auprès des musulmans, « capable de garder le christianisme vivant, dans toute sa pureté, sur une terre musulmane18 », comme l’écrivit le secrétaire du Presbyterian Board, Robert Elliott Speer19, à l’issue de son voyage en Iran en 1897. Ce projet de transmettre aux « Arméniens, Juifs et Musulmans » la « vérité de l’Évangile » justifia la création de « stations » presbytériennes à Téhéran en 1872, Tabriz en 1873, Hamadan en 1881, tandis que la prise en charge – éphémère − d’une station à Mossoul en 1890 répondit à la nécessité de se rapprocher des chrétiens de l’Église d’Orient au Hakkari. Des « sous-stations » devinrent plus tard ‘stations’, comme celles de Kermanshah et de Mashhad. En 1882 la mission presbytérienne se scinda en deux mis-

17 R. E. Speer, Report on the Persia Missions of the Presbyterian Board of Foreign missions, p. 25. 18 « Reply to ‘Suggestions as the method of securing self-support’ adopted by Oroomiah Station, July 18, 1896 », R. E. Speer, Report on the Persia Missions, p. 103 et P.H.S.A., vol. 204, lettres de Tabriz et d’Ourmieh, mars et juin 1909. 19 Diplômé de l’université de Princeton en 1889, Robert Elliott Speer (1867-1947) suivit les cours du Princeton Theological Seminary en 1890-1891, en même temps que William A. Shedd. Il devint secrétaire du Presbyterian Board en 1891.

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sions : la Western Persia Mission qui regroupa les stations d’Ourmieh et de Tabriz, l’Eastern Persia Mission qui regroupa les stations de Téhéran et d’Hamadan. Les presbytériens s’entendirent par ailleurs en 1895 avec la Church Missionary Society, puis un peu plus tard avec les missions luthériennes pour se répartir les lieux d’évangélisation en Iran. L’ampleur du « champ musulman / moslem field » iranien, − plus de 9 000 000 de musulmans, majoritairement chiites – et des mondes musulmans susceptibles d’être atteints à partir de l’Iran par des « locaux » plus que par des missionnaires qui couraient le risque d’être accusés de prosélytisme auprès des musulmans et d’être expulsés, justifia le nombre important de missionnaires affectés à la mission20 : There is a fourth question which affects fundamentally all our work in Persia, the question of the relation of the work for Nestorians, Armenians and Jews, to the work for Moslems, and of the possibility of a direct and extensive propaganda for Mussulmans (sic). There are in our portion of the Persia mission field, about 100 000 Nestorians, of whom 75 000 live in Turkey ; 35 000 Armenians, of whom probably 29 000, so Curzon estimates, live in the province of Azerbaijan (these figures do not include the refugees from Turkey), and 10 000 Jews. These 145 000 souls are of a great value, but of greater value than the same number in China or Africa, for whom we would not think of providing such an immense missionary agency as is at work among these people in Persia. It is because of the vast Moslem field beyond that this great force has been provided. And for all present work in this Moslem field a missionary base among the non-Mussulmans (sic) is indispensable. A direct and exclusively Christian propaganda among Moslems is at present an impossibility. It would result in the expulsion of the missionaries from the country. En 1909 les presbytériens étaient en Perse 37 missionnaires − dont 9 médecins (6 hommes et 3 femmes), 35 ministres indigènes (native), 3110 ‘communicants’, environ 7000 adhérents ; ils géraient 62 écoles, 4 hôpitaux, 617 malades hospitalisés et avaient soigné quelque 50 000 malades21. Leur travail se répartissait en ‘evangelistic work’, ‘educational work’, ‘medical work’ et, depuis les années 1890, ‘itinerating work’ ou ‘itineracy’ pour aller à la rencontre des musulmans et contourner l’interdiction de prosély-

20 21

R. E. Speer, Report on the Persia Missions, p. 21-22. P.H.S.A., vol. 205, 1909.

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tisme22. Les missionnaires « itinérants » purent s’arrêter longuement dans les villages où résidaient des communautés bahaïes, parsies ou Ahl-e Haqq. Ils y reçurent généralement un bon accueil et y rencontrèrent une assez grande liberté de parole qui leur permit d’avoir de longues discussions avec leurs interlocuteurs.

William Ambrose Shedd (1865-1918) William Ambrose Shedd, né en 1865 à Seir, sur l’une des collines qui dominent Ourmieh/Urumia, était le fils de John Haskell Shedd et de Sarah Jane Dawes, de la mission de l’ABCFM à Ourmieh. John Haskell Shedd et son épouse retournèrent aux États-Unis avec leurs enfants de 1872 à 1878, et regagnèrent ensuite Ourmieh où John H. Shedd mourut en 1895, après trente-huit ans de mission en Perse. William et son frère passèrent donc les premières années de leur vie à Ourmieh, avant de faire leurs études aux États-Unis. William fit ses études à Marietta et souhaita devenir missionnaire comme son père. Il revint le seconder à Ourmieh au cours des années 1880 avant d’entrer au Theological Seminary de l’université de Princeton en 1889 où il croisa Robert E. Speer. Après avoir obtenu son diplôme en 1892, il fut affecté à la mission d’Ourmieh où il se consacra très rapidement au ‘moslem work’. Il acquit une stature qui marqua les habitants d’Ourmieh, iraniens comme étrangers. En 1902-1903, lors d’un congé, W. A. Shedd donna un certain nombre de conférences au Princeton Theological Seminary et dans quelques autres universités sur « Les relations de l’islam et des Églises orientales dans l’histoire ». Il puisa ses réflexions dans les nombreux textes syriaques, qu’il avait pu consulter à Ourmieh ou dans les bibliothèques des universités américaines, appréciant que les auteurs syriaques se fussent eux-mêmes inspirés d’auteurs arabes. Au cours de ces conférences il reconnut – entre autres – les piètres avancées du christianisme en Iran ; il semble avoir placé à ce moment là ses espoirs dans la Syrian Evangelical Church iranienne dont la vocation missionnaire lui semblait évidente. En 1904, le Presbyterian Board publia l’ensemble de ces conférences23. W. A. Shedd mourut du choléra le 7 août 1918, sur la route de

22 G. W. Holmes : « What are the respective claims of the Central station and the outlaying districts upon the time and energies of the Missionary forces », R. E. Speer, 1897, Report on the Persia Missions, p. 106. 23 Islam and the Oriental Churches : their historical relations, Presbyterian Board of Publication and Sabbath School Work, 1904, New York. Nouvelle édition en 2004 (éditions Gorgias Press).

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Sa‘in Qal‘eh, au sud du lac d’Ourmieh, lors de l’exode des chrétiens d’Ourmieh vers Hamadan24. William A. Shedd était donc bien placé pour répondre en 1909 aux questions que se posait et que posait W. A. Rice sur la ‘Situation de l’enseignement en Perse’. Il regroupa ses réponses en six rubriques : I « Situation actuelle » (1-4), II « Le jeune Iranien (Persan) » (5-11), III « L’école de la Mission » (12-29), IV « Les bourses » (30-33), V « Les Résultats (Et après) » (34-37)’, VI « Les écoles locales [iraniennes] (38-46) ».

Incidences de la révolution constitutionnelle sur l’enseignement des presbytériens William A. Shedd orienta ses réponses en faisant immédiatement allusion à la révolution constitutionnelle, dont il suivait les avatars depuis plus de trois ans, en saluant l’avènement de la liberté et la libération de la parole dans les assemblées locales et les journaux qui jaillissaient de partout. Il vit aussi les efforts de ceux qui cherchaient à conserver à l’islam la première place dans le futur régime politique, tel le cheikh Fazlollah Nouri à Téhéran ou le modjtahed Qassem à Ourmieh. « Je suppose que la reconnaissance de l’islam chiite était inévitable. La place accordée à la loi musulmane et aux ecclésiastiques est décevante » commenta-t-il25 en novembre 1907 en prenant connaissance des lois constitutionnelles – en particulier de l’article II qui instituait un conseil d’oulémas appelés à exercer un contrôle sur la vie politique − et en pressentant les affrontements futurs entre libéraux et réactionnaires. Les événements lui donnèrent raison. Il n’en reste pas moins qu’en mai 1909 W. A. Shedd, passionné par les sujets qui avaient été débattus en public ou dans les journaux qui avaient vu le jour à Ourmieh comme le Faryad/Le Cri rédigé en persan ou Kokhva/Le Star/l’Étoile rédigé en syriaque, rédigea ses réponses à la lumière de cette révolution qu’il vivait et qu’il s’efforçait d’analyser. Conscient que la religion en Perse était intrinsèquement liée à la vie publique et qu’il ne pouvait éluder l’importance des années 1906-1909 pour les chrétiens iraniens et les presbytériens, il ajouta aux rapports envoyés chaque année au secrétaire du PBCFM, un ‘Rapport sur les affaires politiques et sociales’ : « La Perse quitte son passé, l’ordre ancien est parti à jamais. […] Notre avenir repose sur les forces de la

24 L. M. Shedd, The Measure of a man : the life of William Ambrose Shedd, Gorgias Press, 2006. W. A. Shedd avait épousé Louise M. Shedd à la suite de la mort de sa première femme. 25 P.H.S.A., vol. 202, Urumia, November 4 1907.

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Nouvelle Perse et non sur celles de la réaction » écrivit-il en conclusion de son rapport de 190826. Les réponses qu’il adressa à Walter Ayscoughe Rice permettent de mesurer son inquiétude (réponse n° 2) quant à l’expansion du christianisme en Iran : il voyait en effet émerger, à la lumière de la révolution, des groupes d’Iraniens attachés au progrès, mais qui se détournaient de la religion ou même qui s’y opposaient. Pour W. A. Shedd, comme pour le presbytérien Samuel G. Wilson27 vingt ans auparavant, progrès et liberté allaient de pair. S. G. Wilson avait longuement développé cette idée dans le discours qu’il prononça à Tabriz en 1884 lors du jubilé de la mission, discours intitulé « Fifty years progress in civilization » pour décrire l’évolution de la Perse depuis 1834. En 1905, à Ourmieh, le missionnaire Robert M. Labaree s’en était déjà pris au matérialisme rampant qu’il sentait autour de lui et William A. Shedd déplora ensuite que les personnes à qui il rendait visite – les notabilités d’Ourmieh pour la plupart – ne fussent pas en quête de vérité religieuse ; il s’engagea à les y amener28. Cette ‘vérité religieuse’ qui, pour les presbytériens, ne pouvait être que celle du Christ et de l’Évangile, justifiait leur vie de missionnaire. Pour les musulmans rencontrés par les presbytériens, cette vérité ne pouvait être que celle du prophète Mohammad et du Coran. W. A. Shedd vécut des périodes où il se montra réceptif à cette ‘autre vérité’. Il demeura convaincu que l’enseignement prodigué par les missionnaires n’était pas destiné à obtenir des conversions, mais à permettre aux futurs leaders des communautés d’appréhender la vérité du christianisme afin de le répandre29. Il fit ainsi écho aux remarques de son père, J. H. Shedd, en 189530 : It has seemed to me that the main purpose in missionary education is to raise up Christian leaders, men and women who will mold and guide their age, rise above circumstances and create for themselves a Christian environment. Au-delà de l’enjeu de la révolution constitutionnelle, William A. Shedd perçut aussi l’essor de mouvements nationaux qui ne se réclamaient pas de 26

P.H.S.A., vol. 203, Report on civil and political affairs, Urumia, December 28

1908. 27

Samuel Graham Wilson fut missionnaire à Tabriz de 1880 à 1916. P.H.S.A., vol. 201, Labaree, Evangelistic Report, 1904-1905, vol. 202, Shedd, Urumia, February 2 1907. 29 M. Zirinsky, « Onward Christian Soldiers : Presbyterian Missionaries and the ambiguous origins of American Relations with Iran », Altruism and Imperialism : Western Cultural and Religious Missions in the Middle East. 30 R. E. Speer, Report on the Persia Missions, p. 38. 28

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l’islam : « Il y a [à Ourmieh] un mouvement réellement populaire, patriotique sans lien avec l’islam, qui prétend que la liberté est la condition nécessaire au progrès de la nation, il est attiré par l’Ouest [l’Occident] tout en rejetant sa domination étrangère » écrivit-il en 1906, en se démarquant du presbytérien Robert Labaree qui, cherchant vainement un homme de confiance susceptible de prendre la tête du mouvement, rappela : « Il faut répandre la vérité, avec la force et la pureté de caractère enseignées par le christianisme seul »31.

La tâche éducative des presbytériens : la formation d’hommes respectueux de la morale Dans ses réponses William A. Shedd brosse un tableau plutôt sombre des jeunes Iraniens, qu’il juge plus respectueux de la loi que de l’esprit, attachés à ce qui lui semble être des superstitions, habitués à mémoriser et répéter plus qu’à réfléchir, mais empreints de courtoisie. Ce genre de reproches revient souvent sous la plume des missionnaires, à l’égard des enfants musulmans comme des enfants chrétiens. William A. Shedd espérait que les écoles presbytériennes atténueraient l’attachement aux superstitions et le fanatisme et qu’elles développeraient l’indépendance de caractère, valeur prônée par les presbytériens américains. Dans une lettre écrite en novembre 1908 il salua les manifestations de l’esprit d’indépendance qui se manifestait chez les « Syrians » (les chrétiens de langue syriaque), tout en dénonçant la responsabilité des missionnaires qui avaient trop peu ajusté leurs objectifs à la situation de leurs élèves et l’insuffisante propension à « l’effort moral » de l’ensemble des Iraniens. Mais il insista ensuite sur l’influence bénéfique que pouvait avoir le missionnaire, non en prêchant, mais par sa personnalité32, comme il le rappela dans sa réponse à W. A. Rice.

Les écoles presbytériennes à Ourmieh Sous une troisième rubrique William A. Shedd aborde la question des écoles tenues par les missionnaires. Les écoles presbytériennes relevaient en 1909 de deux catégories : collège et ‘high schools’, écoles de villages. Ces dernières étaient confiées aux élèves formés dans le collège, elles fonctionnaient pendant l’hiver et ne recevaient que très exceptionnellement des enfants musulmans. 31 P.H.S.A., vol. 201, W.  A. Shedd, Urumia, November  11 1906, Labaree, Urumia, December 13 1906. 32 P.H.S.A., vol. 203, W. A. Shedd, Urumia, November 11 1908.

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En 1910 le presbytérien Frederick G. Coan, soucieux de montrer que le gain de 281 élèves par rapport à 1909 était concomitant de l’augmentation du nombre des écoles, donna pour Ourmieh les chiffres suivants33 : 1908-1909 1909-1910

Écoles de village 40 55

Garçons 783 907

Filles 487 614

Total des élèves 1240 1521

Si l’on en croit le bilan des années 1905 et 1906, le nombre des écoles était passé de 63 à 48, avec une augmentation du chiffre moyen des élèves par école. Le collège de garçons d’Ourmieh fut considéré comme le fleuron des presbytériens. Il avait été ouvert par le méthodiste Justin Perkins, dirigé ensuite par des missionnaires méthodistes et presbytériens et finalement transféré au-delà des murs d’Ourmieh. L’enseignement, réparti sur trois années, différait selon les « départements », théologique, médical, commercial. Les élèves pouvaient être pensionnaires ; il en allait de même des jeunes filles accueillies depuis 1838 dans le Fidelia Fiske Seminary, ainsi que l’écrivit le presbytérien Samuel Graham Wilson, à Tabriz, en 189734 : The college was established in 1879 as successor of the male seminary which had been at Seir35 since 1846. The old institution had among its instructors such honored names as Perkins, Stoddard, Stocking, Rhea, and Cochran. It has even more prosperous development through the untiring energy and intellectual and spiritual power of Rev. Dr. Shedd, president of the College. A garden of seventeen acres, two miles west of the city, was purchased and five acres of it inclosed with a high wall and watch towers. This gave the institution security in the Kurdish raid. Roughs at times have attacked the gates, but have been unable to effect an entrance. The garden is cultivated by the pupils and an income equivalent to the interest of the purchase money is derived from it. The enclosure is divided into four plots by avenues lined with tall sycamores, along with streams of water flow continuously. Two of these plots are devoted to the Westminster Hospital, including also the woman’s annex, the dispensary, and residences for the physicians. The 33

P.H.S.A., vol. 205, Report 1909-1910. P.H.S.A., Rev. S. G. Wilson, Persia : Western Mission, 1896, III. 35 Seir se trouve sur une colline qui domine Ourmieh, à quelques kilomètres de la ville. Les presbytériens y appréciaient en été l’air rafraîchissant venu du lac. 34

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college consists of a main building, a dormitory, industrial workshops, and residences for two missionaries and three professors. The main building, besides recitation, sleeping, and dining rooms, has a chapel, laboratory, a library of 3500 volumes, chiefly in Syriac and English, with 200 ancient Syriac manuscripts and the beginning of an archaeological museum. The college in 1893 consisted of 10 teachers and 173 students. These were divided into departments as follows : Preparatory 04, Industrial 10, College regular 65, irregular 10, Theological 18, and Medical 6. They were from Persia and five districts in Turkey, and from both Evangelical and Nestorian communities. The rugged mountaineers with their unique costume give a romantic air to a group of college students. Priests of the Nestorian Church36 and even members of the patriarchal family have attended the classes. 260 have been graduated from the college of whom 160 have been of use in the mission work as teachers, colporteurs and preachers. The terms of study are arranged so that the students may engage in teaching and evangelizing during the winter months. The degree of self-support is encouraging. An endowment has been started with 5000 dollars from the estate of Henry Marquand of New York. A gentleman in Philadelphia supports the institution with an annual gift of 2000 dollars. The curriculum consists of Ancient Syriac, Azerbaijan and Osmanli, Persian, English, essays and elocution, algebra, geometry, history, ethics, psychology, and elements of physics, of astronomy, and of chemistry. The Bible is taught in the entire course. The theological course differs from that in America by omitting Greek and generally Hebrew. Mrs. Bishop criticizes the course as higher than is desirable. On the other hand ambitious students after completing it, go to America, “to get an education to fit them for laboring among their people”. The Industrial Department was first started in 1887 with carpentry, hat-making and shoemaking. Because Mohammedans would not so readily purchase hats and shoes manufactured by Christians, blacksmithing was substituted for these. The workshop is not yet fully outfitted. Mr. E. T. Allen, of Canada, a trained mechanic, has charge of

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Les presbytériens appelaient l’Église d’Orient « the Nestorian Church » ou « the Old Church », les lazaristes, « l’Église nestorienne ».

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it. Its object is to train the boys to self-support, to prevent their dependence on the mission or their becoming beggars in other countries. The female seminary has a blessed history […]. Founded by Mrs. Dr. Grant, it had for a long period as its principal Miss Fidelia Fiske, whose memory is yet fragrant in the hearts of many. In 1888, a new building was erected, and the name of “Fiske Seminary” was given. Up to 1890, twenty classes with 160 members has been graduated. Of these, 177 were then living, and 82 were present at the reunion. Miss X. J. Dean, after twenty-four years devoted to the seminary, retired in 1892. Miss Medbery and Miss Russel reporte an attendance in 1894 of 193 of whom 57 were in the regular course. The kindergarten, lately opened, is a success. Après le turc azeri, la langue la plus utilisée par les chrétiens était la langue syriaque dans sa version dialectale ou à travers le néo-syriaque, langue créée par les missionnaires de l’ABCFM pour unifier les dialectes parlés. Certains missionnaires regrettèrent que la langue persane ne fût pas plus largement enseignée. Les enfants arméniens étaient les seuls à recevoir un enseignement en arménien et les enfants de langue syriaque, un enseignement en néo-syriaque et une initiation au syriaque littéraire. Les enfants juifs qui fréquentèrent le collège au début du xxe siècle reçurent un enseignement en hébreu. Les cours accessibles à tous étaient dispensés en turc. La demande d’initiation à une langue étrangère, l’anglais ou le français, fut telle au moment de la révolution constitutionnelle, que l’une de ces deux langues fut systématiquement proposée aux élèves, auxquels se joignirent alors les fils des gouverneurs et des grandes familles d’Ourmieh. Deux écoles furent ouvertes à Ourmieh aux enfants musulmans, filles et garçons, par les presbytériens. L’école de filles qui précéda l’école de garçons comptait déjà 35 élèves en 1886. Elle fut encadrée par Miss K. Van Duzee qui fut fière d’annoncer en 1906 que sur la centaine d’élèves inscrites à l’automne 1905, 60 élèves avaient régulièrement fréquenté l’école. Elle y enseignait couture et broderie, les élèves des grandes familles apportaient leur matériel. Toutes lisaient des livres en turc et recevaient une initiation à la langue persane une demi-heure par jour. Les journées étaient agrémentées par la lecture de récits tirés de la Bible. A Téhéran, lors d’une célébration, des dignitaires religieux écoutèrent un poète réciter des vers menaçants à l’égard des écoles des presbytériens accusés de réfuter l’islam ; le poème fut repris dans le journal Nowrouz37. Pourtant à Ourmieh, en décembre 1904, William A. Shedd ouvrit une 37

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P.H.S.A., vol. 186, J. L. Potter, Tehran, February 2 1904.

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école pour les jeunes musulmans, dans une maison louée à l’une des grandes familles musulmanes de la ville. Au cours de l’année 1905 l’école reçut 30 élèves. En 1908-1909, aux 44 élèves musulmans se joignirent des élèves non-musulmans : 11 élèves « Syrians », 6 élèves juifs et 5 élèves arméniens ; en 1909-1910, 20 élèves « Syrians », 9 élèves juifs et 2 élèves arméniens rejoignirent les 42 élèves musulmans. William A. Shedd proposa alors de nouveaux enseignements d’agriculture, de comptabilité et d’éthique. Statistiques Ourmieh, Presbyterian Historical Society’s archives, vol. 207 Theo- College Seminary Day Pupils Pupils Total logy (boys) (girls) schools Boys Girls 1899 12 77 20 52 695 370 1174

Les Résultats (« Et après ») William A. Shedd se montre peu disert sur les résultats des élèves des écoles presbytériennes − même s’il évoque quelques fonctions auprès des gouverneurs ou dans l’administration − sans doute parce que, pour lui, le profit essentiel était d’ordre moral. Dans ses réponses aux rubriques des questions IV, V et VI, il passe très rapidement sur les 30 à 40 écoles ‘locales’, ‘iraniennes’, liées aux mosquées « old style » et exclusivement destinées aux garçons, où l’on lisait le Coran. Il signale aussi l’explosion de la demande d’un enseignement plus moderne à laquelle répondirent à Ourmieh quatre nouvelles écoles, distinctes des écoles des missionnaires, où fut enseignée la langue turque, et non la langue persane. Dans son rapport annuel de 191038, il évoqua la tentative d’une école gouvernementale qui aurait pu faire concurrence aux écoles missionnaires si des dissensions n’en avaient amené la fermeture. Il se réjouit enfin de ce que le collège ouvert en 1904 ait permis à des jeunes de religions et de langues différentes de s’asseoir côte à côte et de suivre ensemble des cours qu’il jugeait de haut niveau (rapport de 1910 et réponse à la 22e question) ; il espérait ainsi qu’aucun d’entre eux ne se sentirait plus étranger dans son propre pays.

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P.H.S.A., vol. 205, W. A. Shedd, Report.

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Presbytériens et lazaristes au temps de la révolution constitutionnelle L’Iran au XIXe siècle La lutte que se livrèrent la Grande-Bretagne et la Russie en Iran à l’époque de la dynastie qadjare (1779-1924) fut à la fois une garantie et une menace pour son indépendance. Au cours de la seconde moitié du xixe siècle, des réformateurs iraniens cherchèrent à affranchir leur pays de cette double tutelle ; attribuant la puissance des Européens à leur avance technologique, ils proposèrent d’introduire en Iran les techniques occidentales et de faire évoluer le régime autocratique de Nasser ed-Din Shah vers un régime politique plus ouvert, sans remettre en cause la place accordée à l’islam. Nasser ed-Din Shah se désintéressa assez rapidement de leurs propositions et il aliéna encore davantage l’indépendance du pays en concédant des secteurs entiers de l’économie iranienne aux étrangers. Il ne remit cependant pas en cause l’existence du Dar ol-Fonun (École polytechnique) ouverte en 1851 par Mirza Taqi Khan Amir Kabir, ni la création d’écoles primaires et de collèges par les missionnaires occidentaux. Les élèves formés dans ces écoles grossirent les rangs des Iraniens qui déploraient l’abandon de leur pays aux étrangers ; ils se joignirent au mouvement de protestation des dignitaires chiites pour exiger un changement. Au-delà des frontières iraniennes les propos des réformateurs iraniens rencontrèrent un écho dans l’Empire ottoman et en Russie. Aux partisans de la constitution promulguée en 1876, le sultan Abdülhamid (1876-1909) répondit en 1878 en suspendant le Parlement ; mais en 1908 les Jeunes Turcs exigèrent le rétablissement de la constitution, avant de déposer le sultan en 1909. En Azerbaïdjan iranien le consulat turc de Tabriz devint un refuge pour les opposants à l’absolutisme des Qadjars. Les victoires du Japon dans la guerre russo-japonaise de 1904-1905 firent vaciller l’absolutisme du tsar et provoquèrent la réunion de la Douma ; les idées des réformateurs et révolutionnaires socialistes se propagèrent au Caucase et, de là, en Azerbaïdjan iranien. Ainsi confortés par l’exemple de leurs voisins, de nombreux Iraniens soutinrent la révolution constitutionnelle iranienne entre 1905 et 1911.

La révolution constitutionnelle en Iran : six années d’effervescence 19051911 En 1905 l’effervescence entretenue par les partisans de la création de ‘maisons de justice’ destinées à réformer le système judiciaire iranien pré-

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céda la demande d’une constitution. En 1906 le rassemblement protestataire de plusieurs milliers d’Iraniens, dont de très nombreux dignitaires religieux, dans le sanctuaire d’Abd ol-Azim, près de Téhéran, en janvier, puis à Qom et dans les jardins de la légation britannique à Téhéran et du consulat britannique à Tabriz, en juillet, donna le signal de la révolution constitutionnelle. Au début du mois d’août Mozaffar ed-Din Shah (18961907) accepta – avec bien des réticences − le processus constitutionaliste et il signa une « loi fondamentale » le 30 décembre 1906, avant de mourir en janvier 1907. Son successeur Mohammad-’Ali Shah (1907-1909), acquis aux Russes, tergiversa avant de consentir à signer en octobre 1907 les lois constitutionnelles supplémentaires. Mais en juin 1908 il fit bombarder par la brigade des cosaques iraniens du colonel Liakhoff le premier madjles, le tout nouveau parlement réuni à Téhéran ; les villes de province – Tabriz surtout − reprirent le flambeau de la défense des idéaux de la révolution. La guerre civile commença, entre partisans de l’ancien régime et partisans de la constitution. Les troupes au service de Mohammad-’Ali Shah firent le siège de Tabriz dont Sattar Khan et Bagher Khan organisèrent la défense. La lutte se propagea dans les villes d’Azerbaïdjan, en particulier à Ourmieh, cœur de la région où vivaient les chrétiens de langue syriaque. Des andjoman39 se formèrent spontanément pour délibérer, prendre les décisions qui s’imposaient et parfois gérer les affaires à la place des gouverneurs, tandis que des groupes armés défendirent la révolution, plus ou moins influencés par les mots d’ordre socialistes venus du Caucase. Ourmieh eut ainsi ses modjahedin musulmans et ses fedaïs arméniens, prêts à se sacrifier pour la cause de la révolution. Des chrétiens de langue syriaque rejoignirent les fedaïs. En juillet 1909 Mohammad-’Ali Shah fut déposé et trouva refuge en Russie. Le second madjles put se réunir. Cependant les divisions internes et le jeu des Russes vinrent à bout des constitutionalistes ; à la fin de l’année 1911 les troupes russes investirent Tabriz et le Nord de la Perse. Elles ne purent s’installer à Ourmieh qu’à la fin de l’année 1912, après le départ des Ottomans qui avaient prétexté des contestations frontalières pour occuper depuis 1907 l’ouest du lac d’Ourmieh. Le second madjles fut dissout.

Réflexions du presbytérien William A. Shedd et du lazariste Aristide Chatelet (1909) En 1909, en pleine effervescence constitutionaliste, un missionnaire anglais de la Church Missionary Society (C.M.S.) adressa aux missionnaires 39

Assemblée ou conseil spontanément constitué. Chaque ville de Perse eut son andjoman ou ses andjoman.

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du Presbyterian Board of Commissioners for Foreign Missions (PBCFM), une enquête sur les moyens et les buts de l’enseignement prodigué aux jeunes Iraniens dans le cadre de la mission. Le presbytérien William A. Shedd, à la tête de la mission d’Ourmieh, envoya ses réponses enrichies de ses réflexions et de ses propres questions. Deux ans plus tard, le lazariste Aristide Chatelet, aborda le même sujet, d’une manière beaucoup plus lapidaire, en plaidant en faveur de la création d’un collège à Ourmieh. Il a paru intéressant de confronter les points de vue de missionnaires établis en un même lieu − Ourmieh, dans la province d’Azerbaïdjan iranien − sur les tenants et les aboutissants de l’enseignement qu’ils prodiguaient aux jeunes Iraniens, à un moment où l’avenir de la révolution constitutionnelle était menacé. Leurs témoignages ne renvoient pas seulement aux enjeux des missions ; ils font aussi écho aux interrogations des missionnaires sur leur place et sur leur rôle dans un pays plongé dans une effervescence politique que leur enseignement avait en partie contribué à susciter.

Réponses de William A. Shedd au Reverend Walter A. Rice en 1909 Questions on the educational situation in Persia sent by the Rev. W. A. Rice of the C.M.S. Isfahan to W. A. Shedd40 I The present situation 1–In what town or city does your work lie ? Urumia [Ourmieh]. 2–State fully your opinion as to the value and importance of educational work. It is important that the mission and missionary work should come in contact with every class of the people. Among the people a progressive class is rapidly forming, which is the soul of the new movement in Persia ; although it is by no means identical with those who are the head of the present revolutionary movement. It is not yet large numerically and yet its influence is out of all proportion to its numbers, and its influence is bound to increase. It is composed of individuals from almost every class and sect. These people are not an easy class to gain converts from, for their hearts are set on other than religious aims. The danger is that they become irreligious or

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P.H.S.A., vol. 204, W. A. Shedd, Urumia, May 11 1909.

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anti-religious. No other means can possibly take the place of educational work in bringing ourselves and our faith into contact with this class of people. Aside from this class the educational work gives the mission and Christianity a standing with other classes. The head of a school or a teacher in it can have a better entree in religious and other educated circles than would otherwise be the case. Through the educational work a body of men will be won also knowing something of Christianity. Some of these men will be among the future leaders of the community. I firmly believe that the number of friends thus gained will be greater and that they will be more influential than those whose bad character and ill-will to the missionaries may be more dangerous because of their connection with our schools. Educational work is worthy of consideration simply on philanthropic grounds. The needs for schools cannot be exaggerated. If we do not take up educational work it will be undertaken by others ; and indeed it will in any case, for mission schools can by no possibility meet the whole demand. If the missions have no part in the educational work, we may be sure that it will in the main opposed to Christianity and probably in some degree to all religious belief. This may the case in spite of all that we can do, but this danger makes it all the more imperative that we take a part in the work. As a converting agency I should not put the educational work first, nor should I say that conversion is the primary aim of educational work. As a contributory agency it is very important and as an essential part of the work it is indispensable it will bring opportunities for urging the claims of Christ on people that no other means would offer, and it is essential that these opportunities should be made use of. It may be well to mention here what seems to me the greatest danger of educational work. It is the absorption of missionary time and strength in educational work at the expense of evangelistic effort. One measure of the value of any branch of missionary work is the evangelistic opportunities it makes it possible, and this applies to educational work. The full advantage of educational work can be reaped only if the educational missionaries make use in an evangelistic way of the influence and friendships gained through educational work.

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3–How are the prospects of extension affected by present political conditions ? 4–Is the present on the whole a favorable time for extension ? I think that the number of pupils in attendance this year has been reduced some by the unsettled political condition of the country ; but in general the desire for education and friendliness to European learning are increasing. I should say that it is extremely important to lay the foundations now, both in order to secure the lead in the educational movement and in order to take advantage of the opportunities that are sure to come. Any large extension would plainly be impracticable until the present state of civil war ceases ; but we have good reason to anticipate that the prospects for educational work will become better with the establishment of order in the country, whether that is accomplished with foreign intervention or without it. II The Persian Boy 5–What is your opinion of the Persian boy in reference to quickness to learn, docility, tractability, obedience and amenability to discipline ? I should say that the averages well on all of these points. I have had no serious trouble with discipline, though it takes a good while to get a newly established school in good order. The boys are given to eye service rather than real obedience. I fancy one might get into serious trouble by crossing the prejudices of the boys or by lack of firmness. 6–What is the moral standard of the ordinary middle-class boy ? I am not sure but that it is better than I expected ; but it is very low. Of course it is legalistic, founded on precepts and not on ideals. Then they have very little expectation of even seriously attempting to live up to the standard they would profess. 7–What are the strong points in the Persian boy’s character ? Docility, respect to superiors, outward courtesy, desire to learn. 8–What are his chief faults ? Untruthfulness, intrigue, jealousy, cowardice in the face of moral and physical obstacles, superficiality, vainness, lack of self-control on the physical side, sensuality, physical degeneration especially among the upper classes. 152

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9–What is the result of the native schools on the formation of character ? I think it is bad, although it is hard to distinguish between the influence of the boy’s general surroundings and of his school. The native schools probably develop memory and retentiveness of details. They are flexible enough to give a bright boy a chance to push ahead. But they develop superficiality, credulity, distaste for learning, and do little or nothing to correct the general evil effects of the environment. They fail entirely in developing sound reasoning powers. 10–What do you observe to be the chief results of the character of the boys of the education given in the mission school (e. g. with reference to respectfulness, good manners, truthfulness, sense of the value of time &c.) ? As to respectfulness, I do not think that the effect is marked ; especially so far as the forms of politeness are concerned. As to truthfulness and decency of language we notice a great change for the better. Other points in which there is marked improvement are self-respect, industry, sense of the value of time, detachment from former superstitions, lessening of fanaticism, distrust of the mullahs and independence of character. 11–Do definite missionary results accrue from the mission schools. I am not quite sure that I know just what is meant by definite missionary results. If conversions are meant there none yet to be recorded. If inquirers are meant, there are a number who might fairly be regarded as such. Three boys take regular special Bible lessons outside the school. In various ways opportunities for religious conversation have come to us through the school work, among the pupils, their friends and others. Then our general standing and influence in the community are undoubtedly enhanced. III The Mission School 12–What classes of society are the scholars mainly drawn from ? The following classes in the order given : (a) smaller landlords and higher servants of the nobility (mirzas, mubashirs etc.) (b) merchants and trade’s people (the true middle class in Persia and in this and in (a) are included the people who are on the upward path to fortune and position) ; (c) the high nobility and mullahs (these are 153

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the most heavily handicapped of all by their home environment, habits of life, and physical heredity) ; (d) the poor (we have taken very few free pupils and hence few of this class). In the school for Moslem girls the order of classes would be (d), (c), (a), (b). A large proportion of the scholars come from families of liberal tendencies in religion and in politics : Arifs, Ali-Illahis, Bahais etc. 13–What is your ideal of the type and extent of the education to be given ? The education should be thorough as far as it goes, high enough to maintain the leadership and to enable the pupils to rank high among their own people, but not so high to make them lose touch with actual conditions. So far as possible the aim should be to enable the pupils to sympathize with and understand Western civilization without being alienated from Western civilization. Morals should be taught carefully in theory and application and moral ideals should govern the whole school life. Physical training and hygiene are important. As to religion the aim should be to commend Christianity by the character of the teachers and the whole spirit of the school and to lead the pupils to a knowledge of the historical facts and the fundamental teachings of Christianity. 14–What are the subjects taught in your school ? Persian, Arabic, English, French, Turkish, Morals, Bible, Geography, Arithmetic, Physiology, Singing, Physical Exercise. I hope that we shall be able to introduce History, a text book on Agriculture, and Russian. 15/16–In your opinion what are the respective merits from an educational point of view of Persian and English History ? Do you recommend teaching one or both of these ? We have had no thought of teaching English History, and I should say that the former is certainly the more important, because it can be correlated to the experience and knowledge of the pupils. The latter, however, has the advantage of better text books and of furnishing instruction in the history of liberty and of Western civilization. I should recommend the study of Persian history in one or two of the modern Persian text-books, which include to some extent the authentic history as known to Western scholars as well as the legendary Persian history. Then in English or French, I should teach European history in order to understand something of the develop154

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ment of liberty and constitutional government. I have not yet found a satisfactory text book. I do not think that the detailed history of any one of the European countries should be attempted. 17/18–What is the best way of giving the modern education now asked for without denationalizing the boys ? Or to put the question in another way, should the Mission School undertake to gave a complete education and teach all that the native schools do, in addition to the modern subjects demanded ? Do you think that a course of study could be drawn up, comprising all that is best and of the highest educational value in the curriculum of the native schools in combination with the modern languages etc. so much in demand at the present time ? In order to avoid denationalizing we should Emphasize the native languages and literature and adapt teaching of other subjects (e.g. Arithmetic, History, Geography) to actual conditions. Avoid unnecessarily harsh criticisms and contemptuous references to things Persian, even when contempt seems to be the only attitude. Select our subjects of study with reference to actual needs. Except in special cases not take boys away from their homes. I know that the home seems to be the boys’ worst enemy and that one longs to get the boys into more wholesome surroundings ; and yet I think that probably boarding schools would denationalize far more than day schools. I do not know what would be meant by a complete education, but I do not think that our object should be to include all that is taught in the native schools. This cannot be done, for a very large part of it is religious and another portion of it is irrational. I think, that all that is educationally valuable could be included in the curriculum of our schools and that the Persians themselves who would send to our schools would approve of the omissions made by us. A curriculum ideal educationally is hardly possible, partly on account of the undue number of languages that we have to teach and partly because of the necessity of making the school attractive to the people. 19–Should be Quran taught ? No, not the Traditions.

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20–What are the modern subjects and languages most commonly asked for ? French, English, Science, Russian. To the last mentioned there is a strong prejudice and the first is estimated above its real value. Either English or French is necessary as a medium for other studies and of course it is natural for us to select English. 21–What objections are brought against Mission schools ? (e. g. reading the Bible, having prayers in the school, having school on Friday and no school on Sunday). And what is the best course with reference to each of these ? I think that the principal objections are the fear of the proselyting [sic] influence of the schools and the anti-foreign feeling. I have felt it right to make the general exercises of the school such as all can join in, and I think that specifically religious exercises might perhaps be made optional to pupils. I should avoid all direct attacks on Islam, not primarily for prudential reasons, but because almost every subject taught is subversive of the popular religion teachings. Of course questions should be answered frankly, whatever their bearing may be. There is danger of undermining all belief. Further Persians are so ready to make hypocritical professions that care must be exercised to cultivate sincerity. We have no school on Friday, and I see no reason to do so, except the difficulty from having the two holidays separated. We have no school on Sunday and I think that there should not be any. We ought to respect the religious convictions of our pupils and expect them to respect ours. 22–Do you approve of admitting boys of other nationalities with the Persians ? (Armenians, Jews, Parsis.) ? Emphatically yes. It makes it easier to make the school Christian and gives an easily recognized reason for religious exercises. It also goes far to break down religious exclusiveness and trains to a recognition of equality. The life of the scholars together in these things is a stronger influence that even of the teachers. It is better, too, for the Christian boys, I believe, above the lower grades, especially in preventing the denationalizing influences that are strong in schools made up only of Christian boys. It is also economical. In our school we have Moslems, Jews, Syrians, and Armenians. Some tact is needed to avoid quarrels but the difficulties are not all insuperable. 156

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23–What percentage of the boys in your school are Persians ? It has ranged from 60% to 90%. 24–Are there things which you consider as defects in your school as it now exists and which you would like to see remedied ? Yes, many. I would mention need of more thorough missionary supervision and better equipment. Also the need of provision for teaching of Armenian and Russian. The greatest problem is how to secure the right religious and moral character for the school. 25–What is the usage in your school with reference to the Bible lesson ? (e. g. Daily ? When given ? How long ? To each class separately ? From the O. T. or N. T. [Old Testament or New Testament] chiefly ?). So far I have used the Psalms in general exercises a part of the time and without objection. We are using now as a text book with one class a book of Bible selections and lessons prepared for use in the Syrian protestant College at Beirut, the passages being taken partly from the O. T. and partly from the N. T. I feel inclined to work along this line, offering also chances for special lessons to all who care to take them. In the school we have for Persian girls the Bible is used more freely as a reading book and lesson book ; and there has been no trouble. 26/27/28–What is your custom as to opening and closing with prayer ? What are the prayers used ? Are they offered in the name of Jesus ? I open school with extempore prayer, but not in the name of Jesus. I am not sure but that written prayers would be better than extempore prayers. I have not used the name of Jesus because it has seemed to me that the prayer ought to be one in which Jewish, Moslem, and Christian pupils can unite. I try to make the prayers simple, reverential and real. 29–Have English games been introduced ? No, but I should have no objection to them and think they might be a good thing. IV Scolarships 30 to 33–Should scholarships be given to poor boys studying at the Mission school ? If so, what should be the tests or conditions for awarding them ? Should scholarships be given from the Mission 157

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schools to boys wishing to proceed to Christian schools or colleges in India or elsewhere ? If so, how should they be awarded ? Until a school becomes a boarding school, the only question is as to the remission of tuition fees. This should be done sparingly and carefully, and on condition of need and excellence. I should think that scholarships for India, Syria, or even America would be a good thing, to be awarded for real excellence and the value to be less than a complete support for the beneficiary. V Afterwards 34–What are ulterior motives for which the boys come to these modern schools ? Do most of the boys come to these modern schools ? Do most of the boys when they leave school intend to engage in some business or profession ? If so, what ? I should say that most come without any more definite purpose than is the case with most school boys in America. They feel that our school offers better advantages than any other, some have confidence in us personally, many believe that in general the knowledge of European languages and science will serve to advance their prospects in government and mercantile employment. A few look forward to medicine. A good many of the pupils are from the class of landowners, who will expect to live off their property. 35–What openings are there for boys so educated, in mercantile houses, government service etc. ? No many definite openings yet. There are some in the customs service and will probably be some in the post office. At the same time there is no doubt but that boys well trained can make their way better than others and their success will stimulate the demand. 36/37–What lectures, classes, games, gymnastics, etc. do you recommend for boys who have left school ? What opening is there for starting anything of the kind with you ? We have tried this year, though not very regularly, to have lectures on scientific and other subjects on Fridays and a proposition was made by outsiders to organize a reading room. The unsettled state of things politically has been a great obstacle. I think that there is a call for work of this kind and I hope that we shall be able to follow it up. 158

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VI The Native Schools 38/39–How many native schools (old style) are there in your town ? What are the aggregate numbers attending ? From 30 to 40, I believe, with perhaps 1000 to 1500 pupils, all boys. 40–What are the subjects usually taught ? The Quran, Traditions, reading, writing, forms of correspondence (both Arabic and Persian) etc. 41/42/43–How many native schools new style are there in your town ? What are the aggregate numbers in attendance ? What are the subjects usually taught ? Four with about 200 pupils, all boys. An attempt is being made to organize a school for girls. The subjects taught are those in the old schools with the addition of the vernacular Turkish, Geography, Arithmetic, and sometimes French or English. The books are the ones being published now with some attempt and improvement in arrangement over the old ones. 44/45/46–What effect if any, has the present demand for modern education had upon the regime of the native schools of the old style ? Has the demand for modern education reduced their numbers by attracting those who would otherwise have been their pupils ? Or has it tapped new sources : e. g. attracted to the modern school the sons of gentry who would otherwise have been educated privately at home ? I should say that there is a general educational stimulus and that all the schools are fuller and more numerous than they used to be. I am told that this is also the fact in the larger villages. The more progressive send to the modern schools and the poorer or more prejudiced to the old schools. Some are doubtless attracted to school, who, in the old style, would have been educated at home. This stimulus will be increased by mission schools and I am sure even the old schools will not lose by it.

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Lettre du lazariste Aristide Chatelet à son supérieur en 191141 Ourmiah 13 janvier 1911 Monsieur et très honoré Père, Votre bénédiction s’il vous plaît ! J’ai prié Sa Grandeur Monseigneur Sontag de vous adresser quelques mots au sujet d’un projet que tous ici, missionnaires, fidèles et gouvernement, voudrions bien voir entrer au plus tôt dans le domaine des réalités. Je veux parler de la création d’un Collège à Ourmiah. Cette œuvre est absolument nécessaire. Notre école-collège d’ici ne peut remplir complètement notre plan. Car cette école, je parle pour les internes qui sont 34, a pour but de fournir le séminaire de Khosrovah. Dès lors tous les 4 à 5 ans, nous voyons tous nos efforts brisés par un envoi de séminaristes à Khosrovah. Nous voudrions et d’abord goûter un peu du fruit de notre travail et d’un autre côté faire œuvre plus immédiate et plus directe pour notre plaine d’Ourmiah. Malheureusement nous n’arrivons ni à l’un ni à l’autre, et ce qui est plus pire, c’est que nous n’avons pas même la consolation de voir quelques-uns de nos élèves persévérer jusqu’au sacerdoce. A côté de nous, Protestants et Russes fournissent chaque année une dizaine de jeunes gens qui, vivant ensuite dans les villages de la plaine d’Ourmiah, disséminent partout le mauvais levain dans lequel ils ont été pétris, pardonnez-moi cette expression, mais elle est la juste image de ce qu’est sous nos yeux, car je ne l’ai jamais vue, une éducation aussi rapide et aussi mauvaise que celle de nos jeunes gens chaldéens entre les mains protestantes ou orthodoxes. Ce que ces gens-là font, il ne nous sera pas difficile de le faire dans un sens tout contraire. Malheureusement la conception qu’on a eue jusqu’ici de notre écolecollège, nous en ôte tous les moyens. Voici donc ce que j’ai proposé à Sa Grandeur Monseigneur Sontag. Puisque la maison d’Ourmiah telle qu’elle est actuellement nous ôte toute espérance d’amélioration et d’agrandissements, à moins d’y consacrer des frais énormes, il vaut mieux acquérir un terrain près des hérétiques, le moment étant favorable pour nous qui 41 Archives de la Congrégation de la Mission (A.C.M.) lettre du lazariste A. Chatelet au supérieur des lazaristes à Paris, Ourmieh 13 janvier 1911. Les lazaristes écrivaient Ourmieh avec un « a ».

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avons la sympathie de tous et dont on reconnaît franchement la supériorité d’enseignement et d’éducation, y bâtir sur un plan qu’on pourra agrandir plus tard sans dépenses inutiles, au fur et à mesure des ressources. L’école actuelle d’Ourmiah, avec un but plus restreint et par conséquent plus précis, continuera à être la pépinière du séminaire de Khosrovah, qui mieux soigné, espérons-le, finira par fournir quelques prêtres et, qui sait-on ? − car, Mon Père, cela ne serait pas trop difficile, on pourrait trier dans cette école quelques enfants d’élite − les envoyer en France dans une de nos écoles apostoliques et, plus tard, par la grâce de Dieu ils deviendraient de bons missionnaires bien plus aptes, croyez-le bien, à convertir ce pauvre peuple que les prêtres indigènes que nous avons sous la main, toujours à ne penser qu’à une chose : remplir leur bourse et agrandir leurs propriétés. D’un autre côté, l’œuvre des missions pourra avoir une extension plus grande et des moyens d’action très efficaces, si on crée (et cela est très facile) deux stations dans la plaine où un missionnaire éprouvé résiderait avec un prêtre indigène et un bon maître d’école. Par là, nous aurions une action directe sur les villages, et je ne doute pas que nous sortions de cet état stationnaire dont la durée a des conséquences très néfastes pour le catholicisme. J’ai exposé ce plan, mûri depuis longtemps, tous ici sont de cet avis. Les protestants, effrayés de nos projets, veulent abandonner leur collège loin de la ville et le rapprocher pour combattre notre influence. Je vous supplie, Mon Père, de nous aider encore une fois ! Votre bonté a été si grande pour nous, vous êtes, après Dieu, notre seul espoir ! Ne présumez pas trop sur la souffrance : nous avons beaucoup supporté, attendant toujours des jours meilleurs. Vous ne vous doutez pas, Mon Père, à quelles peines vous envoyez vos jeunes missionnaires en cet affreux pays. Mon crucifix et mon rosaire vous en diraient long s’ils pourraient parler. Ce n’est pas de notre faute à nous jeunes missionnaires, si on a eu de cette mission que cette conception, d’être des distributeurs d’aumônes, d’enrichisseurs des Chaldéens et des propagateurs de notre foi à coup de krans42. Ce sont les œuvres qui sauvent et c’est par là que nous vaincrons ! N’est-ce pas, Mon Père, que vous serez de notre avis ! 42

Le toman divisé en dix krans était un dixième du rial iranien. Un franc s’échangeait contre 2 krans.

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Votre enfant bien dévoué en Jésus et Marie Immaculée. A. Chatelet. » Conclusion Quelques remarques et réflexions tirés des très volumineuses correspondances des missionnaires lazaristes, et presbytériens et des missionnaires de la Church Missionary Society et de la Mission de l’Archevêque de Canturbery, ne peuvent à eux seuls rendre compte des succès et des échecs des missionnaires en Iran, pas plus que de leurs intuitions, de leurs attentes ou de leurs hésitations, tant leurs projets furent vastes et divers. Comme l’indiqua Frederick G. Coan à Ourmieh en 189643 : Je suis de plus en plus convaincu que la question vitale pour toute mission n’est pas : comment promouvoir industrie et civilisation ? Ou comment mieux éduquer les individus ? Mais comment porter l’évangile au plus grand nombre et de la manière la plus efficace ? Les missionnaires prêchèrent l’Évangile à temps et à contre temps, ils en firent l’objet de simples récits ou de savantes controverses, mais l’enseignement demeura pour eux primordial. Les textes qui ont été présentés ici montrent à quel point les objectifs des lazaristes étaient éloignés de ceux des presbytériens. Les lazaristes espérèrent que leur instruction détacherait les chrétiens de la gangue des superstitions qu’ils croyaient voir autour d’eux ; les presbytériens pressentirent qu’arracher les jeunes à l’illettrisme, permettrait à la fois d’accompagner l’introduction de la modernité et des valeurs humanistes en Perse et de mieux faire pénétrer l’Évangile dans la société. L’enseignement prodigué par les missionnaires aux petites filles ou aux jeunes filles apparut et apparaît comme une initiative décisive. Enfin, dans un pays vivant au rythme de l’islam, les missionnaires présents en Iran au tournant des xixe et xxe siècles eurent l’opportunité d’encourager les chrétiens à accompagner le mouvement constitutionnel ou de s’y impliquer eux-mêmes, comme le fit l’Américain Howard C. Baskerville qui mourut à Tabriz en 1909 en combattant aux côtés des révolutionnaires. En répondant au questionnaire sur les buts de l’enseignement missionnaire et en concentrant ses réponses sur l’enseignement prodigué dans les « high schools ou les établissements secondaires » d’Ourmieh, ainsi que dans les classes ouvertes aux enfants musulmans, Wiliam A. Shedd – comme Robert Elliott Speer et Aristide Chatelet − témoigna de l’importance de l’ouverture de collèges pour faire vivre et évoluer ensemble des jeunes de religions différentes et transformer la société. 43

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P.H.S.A., vol. 18, F. G. Coan, Report on evangelization, Oroomiah Field, 1895-1896.

UNE MISSION IMPOSSIBLE ? L’ÉGLISE D’AFRIQUE ET LA CONVERSION DES « INDIGÈNES » (1830-ANNÉES 1920) C la i re Fr e dj

« C’est parmi les indigènes, parmi les Maures, les Arabes du désert, parmi ceux de nos frères chéris, de nos enfants les plus tendrement aimés, qui ne nous connaissent pas, qui ne peuvent même pas nous connaître, qu’il nous tarde le plus d’habiter », écrit dans sa première lettre pastorale en 1838, le premier évêque d’Alger Adolphe-Antoine Dupuch1. Trente ans plus tard, son successeur, Monseigneur Lavigerie souligne l’un des buts de la nouvelle Église d’Afrique : la conversion des « indigènes ». Il fonde pour cela les Missions d’Afrique, tant pour l’Afrique du nord que pour l’Afrique centrale2. Elles ne sont cependant qu’un élément du complexe paysage religieux qui se dessine à partir de 1830 en Algérie. La présence chrétienne est limitée dans la Régence d’Alger au début du xixe siècle au service religieux des Consulats pour les ressortissants des États d’Europe et d’Amérique. Certains religieux ont cependant une his-

1 * Je remercie pour leur aide les archivistes de la Congrégation de la Mission (P. Claude Lautissier) et des Filles de la Charité (Sr. Anne-Marguerite Fromaget et Mme Aurore Darnet), ceux de le Société des Missions d’Afrique (P. Ivan Page) et de la Société missionnaire de Notre-Dame d’Afrique (Sr. Hildegunde Schmidt), ainsi que le P. Jacques Delattre de la maison provinciale des Pères blancs à Paris. Lettre pastorale, cité dans Madeleine Hardy, Antoine Adolphe : premier évêque d’Alger (1838-1846) : un pionnier de la mission à l’épreuve politique, Paris, Hora decima, 2006, p. 50. 2 Les Statuts synodaux du diocèse d’Alger, rédigés en 1871 par Mgr Lavigerie stipulent que « les prêtres de notre diocèse ne perdront jamais de vue la mission des Indigènes et ne négligeront rien pour hâter le moment si désiré de leur conversion », cité par M. Borrmans, « Lavigerie et les musulmans en Afrique du Nord », Bulletin de littérature ecclésiastique, 1994/1-2, p. 39-56, p. 48.

C l a i r e Fr e dj

toire déjà ancienne avec les contrées « barbaresques », notamment les Trinitaires et les Lazaristes3. La conquête et l’évolution démographique du territoire, devenu colonie de peuplement européen, transforment la place du christianisme en Algérie, désormais associé à la colonisation. Le paysage religieux de la région se transforme : à côté de l’islam et d’un judaïsme indigène qui tend à se transformer sur le modèle français4, les Églises chrétiennes s’organisent, au sein desquelles domine l’Église catholique. Le catholicisme est en effet très largement majoritaire au sein des colons français mais aussi italiens, espagnols et maltais très nombreux sur le territoire de la nouvelle colonie5. Ces Églises cherchent en priorité l’encadrement des populations européennes, ce qui n’exclut pas de précoces – quoique infructueuses dans l’ensemble – tentatives de conversions des « indigènes ». De nombreux ordres missionnaires s’implantent, avant tout dans les villes et les bourgs, où leurs œuvres touchent essentiellement les Européens, d’autant que les autorités, militaires et civiles, demeurent hostiles à tout prosélytisme pour des questions de paix sociale. Les Missions d’Afrique – Pères blancs et Sœurs blanches – qui s’installent dans des régions où la présence européenne est des plus réduites, dirigent cependant leur apostolat exclusivement en direction des populations « indigènes ». Les sept documents proposés dans ce volume, conservés aux archives de la Société des missionnaires d’Afrique (Pères blancs) à Rome, ont été écrits entre 1896 et 1919, un quart de siècle qui voit la pérennisation de l’installation missionnaire en plusieurs lieux dans une période non seulement marquée par la réorganisation administrative de l’Algérie après les troubles de 1898, la laïcisation et la Première Guerre mondiale, mais aussi par la présence administrative française qui s’appesantit sur des populations indigènes dont les conditions économiques et sociales commencent à se transformer radicalement. Complétés par des extraits de diaires consignant l’activité des Sœurs blanches dans les différentes stations où elles exercent, ils illustrent quelques-uns de ces processus, ainsi que certains aspects du travail missionnaire au quotidien. 3

À la fin du xiie siècle, Jean de Matha et Félix de Valois fondent l’ordre des Trinitaires pour le rachat des chrétiens enlevés par les Barbaresques et à partir du xviie siècle, Vincent de Paul, qui a connu l’expérience de l’esclavage à Tunis, envoie ses Lazaristes visiter les captifs. Ils ne quittent Alger qu’en 1827, pour y revenir quinze ans plus tard. 4 S.  Trigano (dir.), L’identité des juifs d’Algérie : une expérience originale de la modernité, Paris, Éd. du Nadir de l’Alliance israélite universelle, 2003. 5 Sur l’histoire du protestantisme en Algérie, voir Z. Aït-Abdelmalek, Protestants en Algérie : le protestantisme et son action missionnaire en Algérie aux XIX e et XX e siècles, Lyon, Olivétan, 2004.

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L’organisation du catholicisme en Algérie au début de la conquête : une Église pour les Européens Des premiers temps hésitants C’est plus d’un an après les débuts de la conquête que l’Ordonnance royale du 19 décembre 1831 précise que « le culte catholique sera exercé à Alger et dépendances sous la surveillance d’un Préfet apostolique6 », titre attribué au supérieur ecclésiastique dans les régions soumises à la domination française où il n’y a pas d’évêques. Le gouvernement pontifical, qui considère depuis 1830 l’Algérie comme une terre de mission relevant de la Propagande, aurait préféré voir revenir les deux prêtres lazaristes présents à Alger jusqu’en 1827, afin « d’y augmenter le nombre de missionnaires et de les placer sous la direction d’un vicaire apostolique investi de la dignité épiscopale7 ». Mais point n’est encore besoin d’un tel dispositif selon le ministre de la Guerre : Alger est alors une ville, « réduite à 22 000 âmes de population indigène » et qui « ne renferme pas plus de 2700 âmes de population européenne de toutes nations dont moins du tiers de Français8 ». La population catholique n’y est d’ailleurs pas pour autant dépourvue de secours spirituels puisque depuis le débarquement français, le service divin est célébré par les aumôniers de régiment9. Après leur suppression, il en reste deux à Alger qui suffisent à la tâche10. En 1832 cependant, le duc de Rovigo, commandant en chef du corps d’occupation et gouverneur des possessions françaises en Afrique, décrit l’exercice du culte « dans l’état le plus misérable » à Alger. Du fait de l’immigration européenne et de l’accroissement de la population catholique, il devient nécessaire d’adjoindre à l’abbé Spitz, aumônier de la garnison d’Alger, deux ou trois prêtres qui se partageraient en outre le soin des hôpi-

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Archives nationales [Paris] (désormais AN], F80 187, pièce 124, Ordonnance royale du 19 décembre 1831 [Les références ont été prises sur les copies des Archives nationales et du ministère des Affaires étrangères conservées aux Archives des Congrégations de la Mission [Paris] (désormais ACM)]. 7 Affaires étrangères [Paris] (désormais AE), Rome, Mémoires et documents, t. 115, fol. 165-166, Maréchal Soult, duc de Dalmatie, ministre de la Guerre au comte Sébastiani, ministre des Affaires étrangères, 22 décembre 1831. 8 Ibid. 9 Ibid. 10 Ibid.

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taux11. De plus, pour le préfet apostolique Collin, un des moyens qui peut faciliter l’établissement d’une colonie en Afrique est la conviction à porter dans l’esprit des naturels du pays tous musulmans et fanatiques, que nous aussi nous avons un Dieu que nous adorons (…) il est indispensable que le culte catholique soit établi, décemment célébré avec tout l’éclat dont il doit être entouré et que les ministres de ce culte soyent révérés, respectés comme doivent l’être les bons prêtres12. Il est donc nécessaire qu’une paroisse soit fondée et que des églises fonctionnent. Rovigo arrive à faire convertir une mosquée en église, « par suite », dit-il, « de ma négociation avec les oulémas d’Alger (…) qui m’ont tenu compte de la déférence dont j’usais envers eux avant de faire usage du droit de conquête13 ». Collin, révoqué en juin 1833 pour « moralité douteuse »14, le SaintSiège, espérant soustraire la Régence au Concordat, cherche à envoyer à Alger des prêtres de la Propagande investis de pouvoirs généraux pour ce territoire, un procédé jugé contraire aux principes de la législation française selon laquelle « nul ne peut exercer des fonctions ecclésiastiques en France ou dans un pays soumis à son autorité sans autorisation expresse du gouvernement15 ». Les aumôniers de l’armée d’Afrique demeurent donc à leur poste. Rome, excipant de la mobilité des aumôniers, insiste néanmoins sur la nécessité d’organiser la mission d’Alger sur d’autres bases, proposant de la confier, « à l’instar de celles du Levant »16, à la Congrégation des prêtres de Saint Vincent de Paul, les Lazaristes. Ce choix s’appuie sur la connaissance des mœurs et des langues turque et arabe que plusieurs d’entre eux ont déjà acquise, mais aussi des « notions spéciales » que l’ordre

11 AN, F80 365 pièce 2, Duc de Rovigo au duc de Dalmatie, ministre de la Guerre, 23 janvier 1832. 12 AN, F80 187, pièce 84, Abbé Collin au duc de Dalmatie, ministre de la Guerre, 17 septembre 1832. 13 AN, F80 187 pièce 71, Duc de Rovigo au duc de Dalmatie, ministre de la Guerre, 9 janvier 1833. 14 AE, Rome, 972, fol. 104-106, Louis de Sainte-Aulaire, ambassadeur de France à Rome au Comte Sébastiani, ministre des Affaires étrangères, Rome, le 7 août 1832 ; F80 187 pièce 94, Abbé Spitz au duc Rovigo, commandant en chef du corps d’occupation 7 septembre 1832 ; F80 187 pièce 63, ordonnance royale du 3 juin 1833. 15 AE, Rome, 973, fol. 155, Duc de Broglie, ministre des Affaires étrangères à Louis de Bellocq, chargé d’affaires de la France à Rome, 8 juin 1833. 16 AN F19 6223, Mgr Antonio Garibaldi, nonce apostolique au duc de Broglie, ministre des Affaires étrangères, Paris, 21 novembre 1833.

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possède relativement au pays d’Alger auquel elle a fourni des missionnaires jusqu’à la conquête17. La proposition ne déplaît pas au gouvernement de Louis-Philippe qui l’ajourne cependant jusqu’au moment où il aura arrêté ses vues sur l’ensemble de l’organisation administrative d’Alger18. L’ordonnance du 24 février 1834 annexant l’Algérie à la France donne au Saint-Siège l’occasion de revenir à la charge. Il propose à nouveau que le service religieux des possessions françaises en Afrique soit confié aux Lazaristes, chargés de fournir les prêtres nécessaires sur tous les points du territoire19. Le duc Victor de Broglie, ministre des Affaires étrangères précise toutefois que Appelés à fonder et à doter l’établissement en question et surtout appelés à le fonder dans un pays devenu français, nous ne saurions admettre que la Propagande, avec son esprit de chicane et d’empiètement, avec ses habitudes routinières et son asservissement aux formes d’une autre époque, vient nous imposer des conditions et se substituer à nos droits. ll ne s’agit point ici d’une mission en Chine ou au Japon, mais d’un établissement sacerdotal, régulier, conforme, à quelques exceptions près, à ce qui existe en France et devant être créé dans un pays qui nous appartient 20. À la fin de l’année 1835 pourtant, faisant le point sur l’organisation du culte catholique à Alger, il estime qu’avec les Lazaristes pourraient « s’élever et prospérer ces salutaires institutions qui naissent ailleurs, en quelque sorte, sous leurs pas, les hospices desservis par les sœurs de la Charité, que la pieuse sollicitude de la Reine voudrait déjà voir installées à Alger21 » ainsi que les écoles et les asiles. Une note souligne également qu’« autant une congrégation peut être dangereuse quand sa direction échappe à l’influence du Gouvernement, autant elle est préférable à tout autre système quand son esprit, ses traditions, ses statuts eux-mêmes la placent sous cette influence ». C’est le cas des Lazaristes dont le Supérieur est nécessairement 17

Ibid. AN F19 6223, Duc de Broglie, ministre des Affaires étrangères à Mgr Antonio Garibaldi, nonce apostolique, 29  novembre 1833. Sur ce point, voir Hélène Blais, « ‘Qu’est-ce qu’Alger ?’ : le débat colonial sous la Monarchie de Juillet », Romantisme, n° 139, 2008/1, p. 19-32. 19 AE, Rome, tome 115, fol. 116-117, Projet d’organisation d’un service religieux à Alger, Rome, 1835. 20 AE, Rome, 976 fol. 234, Duc de Broglie, ministre des Affaires étrangères à Auguste de Tallenay, premier secrétaire d’ambassade, 8 juillet 1835. 21 AE, F19 6223, Note lue au Conseil des Ministres par le ministre des Affaires étrangères, 31 décembre 1835. 18

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français22. La présence des Lazaristes semble ainsi la meilleure solution possible, ne serait-ce qu’en raison du flou administratif qui continue de caractériser l’ancienne Régence. Si la constitution d’un évêché est écartée pendant plusieurs années, c’est parce que longtemps, il n’a pas paru opportun de déclarer nos Possessions d’Afrique partie intégrante du Royaume. Par la même raison, la proposition d’un préfet apostolique semble devoir être écartée aussi car le territoire n’a point été jusqu’ici déclaré colonie française, ni soumis au régime des colonies. Il paraît que le Gouvernement du Roi s’est réservé de statuer plus tard sur ces questions. Le plan qui confie les soins du culte aux Lazaristes à Alger a été conçu sous l’influence de cette espèce d’état provisoire23. L’arrivée des Lazaristes achoppe cependant sur certains points, suffisamment longtemps pour que finalement, au début 1838, se précise la nomination d’un évêque.

Le découpage religieux de l’Algérie Rome, qui aurait bien vu le futur diocèse d’Afrique comme un évêché in partibus infidelium relevant de la Propagande et dont le titulaire serait directement nommé par le pape accepte finalement que celui-ci soit assimilé aux autres évêchés de France24. L’ordonnance du 2 août 1838 érige l’évêché d’Alger, attribué au chanoine honoraire de Bordeaux, AntoineAdolphe Dupuch (1800-1856). L’imprécision des limites du territoire algérien sous domination française pèse sur l’organisation du nouveau diocèse : bien que la juridiction pratique ne doit [sic] s’étendre d’abord qu’aux parties du territoire que nous occupons, il a paru conforme à la haute destination de l’évêché d’Alger à la pensée de civilisation qui s’y rattache, à la dignité de la France, à ses droits de souveraineté aussi bien qu’aux éventualités de l’avenir, de donner pour circonscription à cet

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AN, F19 6223, Note pour le Ministre sur l’affaire des Lazaristes, 26 janvier

1836. 23 AE, tome 115, fol. 138, Marquis de Latour-Maubourg, ambassadeur de France à Rome au duc de Broglie, ministre des Affaires étrangères, Paris, 22 janvier 1836. 24 AE, fol. 66, Comte de Molé, ministre des Affaires étrangère au comte de Lurde, ambassadeur de France à Rome, 21 mars 1838 ; AE, fol. 83, Comte de Lurde au comte de Molé, Rome, 7 avril 1838.

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évêché toute l’ancienne Régence d’Alger dont, au surplus, les limites n’ont jamais été bien définies25. Le clergé local, qui s’étoffe, s’adapte à cette situation. En effet, « les divisions territoriales en Afrique n’existant pour ainsi dire point encore et dans tous les cas ne correspondant en rien à ce qui est en France, les curés, dans l’acception légale de ce nom, ne peuvent encore être reconnus en Afrique et n’y sauraient davantage jouir de l’inamovibilité qui leur est assurée en métropole26 ». En 1845, le premier évêque de l’Algérie contemporaine évoque sa tournée de six mois dans le diocèse de « cet étrange pays27 ». Son rapport insiste sur le manque de personnel et de bâtiments religieux, tout en soulignant les progrès du christianisme algérien : je l’ai vu naître (…) je l’ai vu se développer jour par jour, fondation par fondation, parmi bien des difficultés et d’inexprimables tribulations de cœur et d’esprit (…) Donc seul je peux le connaître ainsi à fond, avec ses soixante et quelques prêtres, ses cent trente sœurs de la charité, ses églises et chapelles de toute sorte, ses différentes et nombreuses institutions religieuses ; et par conséquent en apprécier la vie, si je peux m’exprimer ainsi, sa vie vraie, actuelle et palpitante. Aucune autorité, quelque éminente qu’elle puisse être, en saurait entrer à ce point dans ses entrailles profondes. Ni l’Autorité militaire dont ce n’est pas la mission, ni l’Autorité civile, qui n’a même point partout d’action (…) ni l’Autorité judiciaire, occupée à d’autres soins et toute aussi restreinte28. De fait, au cours de son mandat, Mgr Dupuch érige de nombreuses paroisses29, opère plusieurs fondations et rend également « à l’Église d’Afrique les précieux restes de Saint Augustin »30. Mais il contracte pour cela de nombreux engagements financiers, pensant que la France s’acquitterait de ces dépenses. Ses dettes s’accumulent. Il démissionne en 1846 pour cette raison, non sans rappeler à plusieurs reprises que rien n’ayant été

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AE, 980, fol. 146, Comte de Molé, ministre des Affaires étrangère au comte de Lurde, ambassadeur de France à Rome, 13 juillet 1838. 26 AN, F80 1673, Général Schneider, ministre de la Guerre à Mgr Dupuch, 17 août 1839. 27 ACM, C108/II/a 1, Mgr Dupuch, Au Roi en son Conseil, 24 janvier 1845. 28 Ibid. 29 AN, F80 1791, Note de 1858 sur l’Algérie sous le comte de Randon. 30 AN, F19 2486 A, Mgr Donnet, Lettre aux Évêques de France, Paris, 6 février 1846. Voir sur cette question, ACM, C106/I/b2, Translation des reliques de St Augustin, octobre 1842.

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prévu lors de l’érection du diocèse, ses actions se firent la plupart du temps « à d’autres frais que ceux de l’État31 ». Ses défenseurs insistent d’ailleurs sur la faiblesse de ses moyens eu égard à l’importance des résultats : « il n’est pas une ville prise par nos armes ou un village fondé par nos colons qui n’ait été visité par le bon évêque et qui ne possède aujourd’hui un pasteur résident32. » Mgr Dupuch est remplacé par Louis Antoine Augustin Pavy (18051866), doyen de la faculté de théologie de Lyon33. Il organise en 1853 le premier synode diocésain de la nouvelle Église d’Afrique, dont l’implantation se poursuit par la création de paroisses, par la venue d’un clergé toujours plus nombreux et par l’installation d’établissements religieux, d’écoles, d’asiles, de dispensaires qui fonctionnent souvent grâce à plusieurs congrégations masculines et féminines34. Les diocèses d’Oran et de Constantine sont délimités en 1866, avec comme premiers titulaires Mgr Callot et Mgr Las Cases35. C’est également Pavy qui fait commencer les travaux de la basilique de Notre-Dame d’Afrique sur les hauteurs d’Alger, à SaintEugène, consacrée par son successeur en 1872. En janvier 1867, l’évêque de Nancy, Charles-Martial Lavigerie (1825-1892) est nommé archevêque d’Alger et un an plus tard, à la création de cette circonscription, préfet apostolique du Sahara et du Soudan dont Rome détache en 1901 la partie située au nord du 20e parallèle pour former la préfecture apostolique de Ghardaïa36. Au début du xxe s, le territoire algérien (Algérie proprement dite et Territoires du Sud) comprend ainsi, outre l’archevêché d’Alger et les évêchés de Constantine et d’Oran, le vicariat apostolique du Sahara et du Soudan et la préfecture apostolique de Ghardaïa.

La pérennisation du catholicisme en Algérie L’implantation du catholicisme en Algérie se poursuit avec la formation d’un clergé local. Le grand séminaire de Kouba, fondé par Mgr. Dupuch en 1843 est confié aux Lazaristes, comme ceux d’Oran et de Constantine,

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AN, F19 2486 B, Mgr Dupuch au Prince Napoléon, 15 mai 1852. AN, F19 2486 A, Mgr Donnet, Lettre aux Évêques de France, Paris, 6 février

1846. 33

Mgr Ribolet, Un grand évêque ou vingt ans de l’Église d’Afrique sous l’administration de Monseigneur Pavy, Alger, A. Jourdan, 1902. 34 AN, F80 1791, Note de 1858 sur l’Algérie sous le comte de Randon. 35 H. Barthes, Mgr Félix de Las Cases, Évêque de Constantine (Algérie) (1819-1880), Montpellier, Université Paul Valéry, 1980 ; Jacques Gandini, Églises d’Oranie (18301962), Calvisson, J. Gandini, 1992. 36 Missions d’Afrique d’Alger (MAA), n° 145, 1901, p. 153.

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ouverts en 1869. Selon le P. Joseph Girard, longtemps directeur du grand séminaire d’Alger, le nombre de prêtres formés par le séminaire aurait toujours correspondu aux besoins du diocèse37. L’implantation de communautés enseignantes et hospitalières nombreuses traduit également la pérennisation du catholicisme en terre algérienne. Pour soigner les blessés de guerre et les malades, à une époque où les fièvres, la dysenterie et les épidémies en tout genre ravagent les populations européennes, la tenue des hôpitaux exige en effet des religieuses. Les autorités militaires autorisent ainsi la venue en 1835 des sœurs de SaintJoseph de l’Apparition, congrégation créée trois ans auparavant à Gailhac par Émilie de Vialar, sœur du baron Augustin de Vialar, représentant des colons à Alger. Dans l’internationalisation du mouvement congréganiste à laquelle on assiste au xixe siècle, qui se traduit notamment pour plusieurs maisons par un effort important d’implantation sur le pourtour méditerranéen, la congrégation Saint-Joseph de l’Apparition est considérée comme la première « congrégation missionnaire spécialisée », avec comme objectif l’implantation de maisons hors de France dans une zone géographique déterminée38. Émilie de Vialar prend en charge l’hôpital civil d’Alger, s’installant à Bône, à Constantine. Mais le conflit qui oppose les sœurs à Mgr. Dupuch les oblige à quitter l’Algérie en novembre 184239. Entre temps, plusieurs sociétés masculines et féminines se sont installées, comme les Trappistes, les Jésuites, chargés d’éducation mais aussi de l’Œuvre de Saint François-Régis destiné à réhabiliter les mariages chrétiens et à légitimer la famille chrétienne, les Trinitaires de Valence (1840), la Doctrine chrétienne de Nancy (1841)40 et les Filles de la Charité (1842). Ces dernières, appelées par Mgr Dupuch, entraînent la venue des Lazaristes

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J. Chevalier, « Province d’Algérie. Voyage de notre très honoré père, M. Boré, en Algérie. Lettres de M. [J.] Chevalier, Assistant de la Congrégation, à M. N. à Paris », Annales de la Congrégation de la mission, t. XLII, n° 1, 1877, p. 322-387, p. 332. Sur le P. Girard, voir Notice sur M. Joseph Girard, premier supérieur du grand séminaire d’Alger, Paris, J. Mersch, 1881. 38 C. Langlois, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au XIX e s., Paris, éditions du Cerf, 1984, p. 435. 39 Le jeune institut des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, fondé en 1832, n’a pas encore de statut canonique et ne relève que de l’évêque d’Albi ce qui entraîne des conflits d’obéissance avec l’évêque d’Alger qui vont en s’amplifiant jusqu’à ce que Mgr Dupuch porte l’affaire à Rome, voir aussi Sarah A. Curtis, « Émilie de Vialar and the Religious Reconquest of Algeria », French Historical Studies, t. 29, n° 2 (2006), p. 261-292 et ACM, C106/I/b2, Dossier « Les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition et Mgr Dupuch », fin 1842. 40 C. Langlois, Le catholicisme au féminin, p. 435.

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chargés de leur direction. Le traité signé le 27 juillet 1842 par le Maréchal Soult, ministre de la Guerre, le vicaire général Dagret et le procureur général de la Mission, Jean-Baptiste Étienne, charge les sœurs de SaintVincent de Paul du service de l’hôpital civil d’Alger41. Elles s’installent également dans la Maison de la Charité ouvertes par Émilie de Vialar où fonctionnent une école, un ouvroir, une salle d’asile, une pharmacie, un dispensaire et un service de visite des pauvres à domicile. En août 1842, le gouvernement autorise les établissements publics de charité en Algérie à fonctionner avec trois ordres de sœurs : les sœurs de Saint-Vincent de Paul pour la province d’Alger, les sœurs Trinitaires pour celle d’Oran et les sœurs de la Doctrine chrétienne pour celle de Constantine42. Il décide également en 1850 de confier à des religieuses appartenant aux congrégations régulièrement établies en Algérie les fonctions d’institutrices, de directrices de salles d’asile et le soin des malades dans les nombreuses colonies agricoles fondées en 1848-184943. Les établissements se multiplient donc à partir du milieu du siècle, tant pour les trois ordres déjà mentionnés que pour d’autres congrégations métropolitaines (sœurs du Bon Pasteur, sœurs du Bon Secours, Petites Sœurs des Pauvres etc.44), avant que l’Algérie ne se dote, en 1869, d’une congrégation propre, les Sœurs de NotreDame d’Afrique45. La laïcisation porte un coup parfois rude à certaines d’entre elles. Ainsi, les trente-deux établissements dont s’occupent les Filles de la Charité en 1877 retombent à vingt-trois en 1930. Si les offensives commencent avec le rétablissement de la République au début des années 1870, la plupart des fermetures ont lieu entre 1880 et 1910 largement du fait des lois de laïcisation concernant les écoles et les quatre hôpitaux militaires dont elles s’occupaient46. La laïcisation cependant diffère sur plusieurs points de celle qui se déroule en métropole. L’application dans les colonies de la loi de sépa-

41 ACM, S. Jacqueline Berthet, 150e anniversaire de l’arrivée des filles de la charité en Algérie (1842-1992), tapuscrit, Annaba, 1992, cité p. 12. 42 AN, F80 1746, Ministre de la Justice et des cultes [Martin du Nord] au maréchal Soult, ministre de la Guerre, 31 août 1842. À partir de 1858, les Filles de la Charité prennent pied dans le diocèse de Constantine, puis en Tunisie, J. Baeteman, Les filles de la charité en mission à travers le monde, Évreux, G. Poussin, 1936, t. 2, missions d’Afrique et d’Amérique, p. 7. 43 ACM, C108/II/a 1, Comte d’Hautpoul, ministre de la Guerre au P. Viallier, procureur général, Paris, 12/4/1850 (décret du 25 mars 1850]. 44 J. Chevalier, « Province d’Algérie. », p. 369. 45 C. Langlois, Le catholicisme au féminin, p. 435. 46 ACM, Dossier 217, chemise 1, Dossier dactylographié, sn, sd [1931 ?], p. 6. L’arrêté du 11 juin 1909 rend ainsi exécutoire en Algérie les lois de 1901, 1902 et 1904

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ration des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 est en particulier réglée par le décret d’application du 27 septembre 1907, qui aménage une période de transition et stipule que le gouvernement général pourrait accorder des indemnisations temporaires de fonction aux ministres délégués par lui et exerçant le culte public en se conformant aux prescriptions règlementaires : les autorités algériennes s’accordent finalement un droit de regard sur la nomination du clergé – pas seulement catholique – et règlent en partie ses frais. Ces dispositions « annihileraient » la lettre et l’esprit de la loi, laissant dans les faits perdurer les pratiques administratives antérieures47.

L’Algérie, terre de mission ? L’interdiction répétée du prosélytisme par les autorités civiles et militaires Dans son rapport à Charles X pour le décider à l’expédition de 1830, le ministre de la Guerre, le duc de Clermont-Tonnerre aurait revendiqué « comme une gloire qui nous était réservée par la Providence celle de civiliser les Arabes et de les rendre chrétiens48 ». Pour le P. Girard, « la France n’était devenue maîtresse de l’Algérie que pour y implanter le catholicisme, pour faire régner Jésus Christ à la place de Mahomet, pour chasser les démons et faire place à Dieu49. » Ces vues ne rencontrent en rien celles des ministres de la Guerre et des gouverneurs généraux, militaires puis civils qui se succèdent dans la colonie. Tous rappellent la convention du 5 juillet 1830 passées entre le général de Bourmont et le dey Hussein, stipulant que « l’exercice de la religion mahométane restera libre ». En 1839, le général Schneider, ministre de la Guerre, insiste sur la prudence à user en matière religieuse car « dans un pays où le fanatisme religieux a mis souvent les armes à la main et fait encore la principale force de nos plus dangereux

sur les écoles congréganistes mais la Guerre de 1914 marque un apaisement dans son application. 47 R.  Achi, « La laïcité en situation coloniale. Usages politiques croisés du principe de séparation des Églises et de l’État en Algérie », in Association française pour l’histoire de la justice, La justice en Algérie (1830-1962), Paris, La Documentation française, 2005, p. 163-176. Sur l’implantation des congrégations et leur recul, voir C. Robert-Guiard, Des Européennes en situation coloniale, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2009, p. 187-207. 48 P. J.-B. Piolet, La France au dehors. Les missions catholiques françaises au XIX e siècle. T. V. Missions d’Afrique, Paris, Armand Colin, 1902, p. 57. 49 ACM, C106/1/b 4, Alger et Kouba, manuscrit semble-t-il écrit par le P. Girard.

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ennemis, rien, en matière de culte, n’est indifférent50 ». Lorsque Mgr Dupuch, à son arrivée, demande de consacrer comme cathédrale la mosquée hanéfite de la place du Gouvernement, le ministre fait remarquer : lorsqu’aux premiers jours de la conquête les édifices consacrés à la religion musulmane furent presque tous affectés aux besoins de l’armée, nous usions du droit de la guerre et la violence faite au vaincu fut consommée d’un seul coup. Nous avions bien promis de respecter le culte et les propriétés des habitants mais les indigènes subirent, parce qu’ils ne purent la méconnaître, la loi de la nécessité. Ce qu’on ferait aujourd’hui aurait-il la même excuse51 ? Il ne faut pas se couper de la population arabe, c’est pourquoi, s’inquiète le ministre de la Guerre, « l’institution si récente de l’épiscopat dans l’Algérie, les alarmes que les manifestations du culte catholique pourraient inspirer aux autres cultes et les attaques dont il serait à craindre qu’elles ne devinssent l’objet font à l’administration un devoir d’exercer sur tous ses actes une surveillance assidue52 ». Mgr Dupuch, qui s’en défend, est accusé de prosélytisme53. L’hôpital civil d’Alger, où les sœurs sont nombreuses constitue un foyer de tensions manifestes. En 1845, des employés profitant de la présence de quelques musulmans dans l’établissement veulent les empêcher de faire la prière à haute voix dans les salles et en faire enlever les crucifix. Le directeur des Affaires civiles en Algérie, le comte Guyot signifie à leur Supérieure que : l’Algérie doit avant tout être le pays de la tolérance en matière de religion. Toutes les sectes chrétiennes, tous les cultes les plus opposés s’y rencontrent. Les hôpitaux surtout, Madame la Supérieure, doivent être un champ neutre pour toutes les dissidences religieuses. La liberté de conscience doit y être complètement sauvegardée. Faire du prosélytisme dans ces établissements, assiéger les malades de continuelles obsessions pour obtenir des conversions, cela peut avoir des inconvé-

50 AN, F80 1673, minute, Général Schneider au Comte Valée, gouverneur général, 17 août 1839. 51 AN, F80 1627, Général Bernard au maréchal Valée, gouverneur général, 26 septembre 1838. 52 AN, F80 1625, Général Schneider au maréchal Valée, gouverneur général, 17 juillet 1839. 53 AN, F80 1625, Mgr Dupuch au maréchal Valée, gouverneur général, 15 août 1839. Sur cette question, voir M. Emerit, « La lutte entre les généraux et les prêtres au début de l’Algérie française », Revue africaine, n° 97, 1953, p. 66-97.

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nients politiques de plus d’un genre, en même temps qu’une influence fâcheuse sur les guérisons qui réclament en général ici une grande tranquillité d’esprit54. La Commission des hospices enquête sur les accusations de prosélytisme à l’encontre les religieuses, le fait par exemple que « des filles indigènes du dispensaire reçues à l’hôpital veulent toutes en sortir pour le motif que l’on veut les convertir » ou que les malades qui ne satisfont pas aux devoirs religieux seraient l’objet de petites vexations tandis que les protestants sont sollicités pour changer de religion55. La Supérieure Dubost se défend : « jamais nous n’avons ni assiégé, ni obsédé un malade. Plusieurs sont rentrés dans la vérité j’en conviens, mais ils n’y sont rentrés que parce qu’ils l’ont voulu56. » Le conseil épiscopal extraordinaire du 18 février 1846 établit que les plaintes sont sans fondement et que les sœurs ne font aucune distinction entre les malades. L’hostilité est cependant allée suffisamment loin pour que le Procureur Étienne ait songé à faire rentrer les Filles de la Charité en France. Après que l’affaire a été portée devant Louis-Philippe, les accusations cessent57. Ces « mesures impies », selon le père Girard, seraient largement dues aux protestants, qui jouiraient « d’un grand crédit auprès de notre administration58 » et les Filles de la Charité parlent d’une « espèce de conspiration » menée par les réformés59. En 1854, le président du Consistoire demande encore que les malades protestants soient mis à l’abri de la pression exercée sur eux par les religieuses par l’institution sinon d’un hospice particulier, du moins d’un quartier distinct où tous les employés seraient laïques et, « puisque les juifs et les mahométans tiendraient aussi bien que nous à voir leurs malades convenablement soignés et mourir en paix ; ces trois nations ne forment-elles pas une portion assez notable de la population totale pour mériter qu’on se préoccupe d’elles à ce point60 ? » 54 Comte Guyot, directeur des affaires civiles en Algérie à la Supérieure des Filles de la Charité, 10 novembre 1845, cité dans S. J. Berthier, 150e anniversaire de l’arrivée des filles de la charité en Algérie (1842-1992), tapuscrit, Annaba, 1992, p. 15. 55 ACM, C108/II/a 1, Commission des hospices, 18 novembre 1845. 56 ACM, C108/II/a 1, S. Dubost au Comte Guyot, directeur des affaires civiles en Algérie, 12 novembre 1845. 57 Sur le Procureur général de la Congrégation, voir E. Udovic, Jean-Baptiste Étienne and the Vincentian revival, Chicago, Vincentian Studies Institute, 2001. 58 ACM, C106/1/b 4, Alger et Kouba, Manuscrit écrit par le P. Girard, s.l., s.d. 59 Archives des Filles de la Charité [Paris] (désormais AFC), 26/7 Lettres des maisons, S. Villeneuve à P. Étienne, Alger, 19 mai 1855. 60 AFC, 26/1, Registre du conseil provincial (Algérie), Président du consistoire protestant au maire d’Alger Alger, 22 juillet 1854.

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Si les craintes de prosélytisme auprès des « indigènes » sont régulièrement répétées par l’administration, les progrès du christianisme restent cependant des plus limités. Dans les années 1860, le P. Girard, se souvenant de son arrivée en Algérie, écrit : « j’espérais voir bientôt les Arabes se convertir et il m’a fallu quinze ans pour revenir sur cette illusion partagée par tous les prêtres venant de France et même par les fidèles qui s’étonnent au commencement que les prêtres n’aient pas encore converti les Arabes. »61 Au début de sa présence en Algérie, il dit avoir vu quelque fois dans l’église de Notre-Dame des Victoires « quelques jeunes gens mahométans, mais quand les Espagnols hommes et femmes les apercevaient, ils tombaient dessus en les frappant ou menaçant les forçaient de sortir bien vite. Maintenant, on n’en voit jamais dans les églises de la province d’Alger, pas un même qui s’informe de notre sainte religion. S’il le faisait il serait bien maltraité par ses parents et ses coreligionnaires62 ». Les Filles de la Charité ont beau panser les plaies les plus hideuses, les maladies les plus dégoutantes, pas un de ces malades n’a encore levé les yeux vers la religion de son héroïque bienfaitrice (…) ils gardent un morne silence sur cette charité et s’ils parlent, ils disent quelquefois cette étrange parole que Dieu force les roumis à leur porter de l’argent et des vivres et des vêtements et ils en prenaient occasion de se glorifier et de mépriser les chrétiens63. Cette lutte lui paraît d’autant plus vaine que le religieux ne se sent en aucune manière soutenu par ses coreligionnaires ni par les autorités. De nombreux ecclésiastiques voient en effet l’échec patent de cet apostolat comme une conséquence de la tiédeur religieuse des Français, voire de leur hostilité aux choses du sacré. En Algérie, « notre mission ne ressemble en rien aux missions de la France et d’autres misions catholiques. C’est absolument la mission à l’étranger64 » écrit en 1888 le père Vergeat à son Supérieur : « nous avons devant nous un peuple tout nouveau, qui est baptisé mais qui est en même temps déchristianisé ou qui n’a jamais été christianisé et qui végète dans une profonde ignorance 65. » Le jour de la conquête, selon les mots qu’aurait employés Mgr Lavigerie, a aussi été celui

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ACM, C106/1/b 4, Alger et Kouba, manuscrit semble-t-il écrit par le P. Girard. Ibid. 63 Ibid. 64 Vergeat, prêtre de la mission à Fiat, Supérieur général, Oran, le 9 juin 1888 : « Particularités des missions algériennes, un peuple nouveau », Annales de la Congrégation de la mission, LIII, 1888, p. 542. 65 Ibid., p. 543. 62

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d’une révolution « dont le principal caractère fut l’incroyance religieuse et l’opposition à l’Église ». Selon lui, « un mois après la prise d’Alger, tous nos généraux étaient remplacés par des partisans des idées nouvelles et alors on vit commencer cette politique aussi antinationale qu’impie, qui chercha, en toutes choses, à rabaisser et à bannir autant que possible la religion catholique, pour favoriser au contraire et exalter la religion musulmane66. » Le comte Guyot se serait vanté de n’avoir « que faire de la religion pour civiliser les peuples de l’Algérie67. » Pour l’abbé Schlick, la religion serait devenue en Algérie « la risée des peuples » et le sacerdoce de Jésus Christ traîné « dans la boue68 ». Le P. Girard analyse le lien entre cette déplorable situation et les difficultés d’assimilation des musulmans : On voulait bien gouverner les Arabes, on voulait même les civiliser selon le mot magique à la mode dans notre temps mais on ne voulait pas les christianiser ; on voulait les faire comme nous excepté la religion ; on voulait employer tous les éléments français exceptés les prêtres et cette utopie dure encore et durera longtemps car c’est une véritable utopie de vouloir que des musulmans demeurant musulmans deviennent en tout comme les chrétiens sans être chrétiens69. Quant à la conversion des musulmans, « avec une population sans foi, avec une loi athée, avec un gouvernement indifférent à la religion et à toutes les religions, que peut-on espérer70 ? Une quinzaine d’année plus tard, on continue de s’intéresser « à la conversion de cette race qui, après avoir subi plus de quarante ans notre domination, paraît si loin encore du royaume de Dieu et de notre civilisation71 ». La « race arabe » demeure cependant « profondément antipathique au christianisme. Les adultes ne se convertissent presque jamais ». Le seul moyen d’action serait l’éducation des enfants, « à condition de les soustraire à l’influence de la famille car tant qu’ils sont en contact avec leurs coreligionnaires, on ne gagne rien sur eux72 ». Dans les zones de colonisation européenne toutefois, les œuvres sont rarement destinées aux « indigènes ».

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Cité par P. J.-B. Piolet, La France au dehors, p. 58. ACM, C108/II/a 1, Abbé Schlick à P. Étienne, 25 février 1846. 68 Ibid. 69 ACM, C106/1/b 4, Alger et Kouba, manuscrit semble-t-il écrit par le P. Girard, s.l., s.d. [v. 1857]. 70 Ibid. 71 J. Chevalier, « Province d’Algérie. », p. 345. 72 Ibid. 67

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À quelques exceptions près comme les œuvres de la Maréchale de Mac Mahon dans les années 186073 et quelques initiatives privées éparses, comme au Vieux Ténès au début du xxe siècle74, les différentes œuvres opèrent essentiellement en direction des populations européennes : écoles, dispensaires, asiles, maisons de charité, orphelinat. La visite à domicile et le soin des malades permettent cependant aux sœurs d’entrer davantage en relation avec la population musulmane. Les Filles de la Charité voient ainsi de nombreux malades dans leur dispensaire de la Casbah d’Alger qui, ouvert en 1847, reçoit principalement la population musulmane75 et visitent les pauvres des divers quartiers, « sans excepter les Arabes et les Juifs76. » À Novi, elles sont entre autres chargées de la visite des malades à qui elles donnent leurs soins « ainsi qu’aux Arabes77 ». Cette présence auprès des malades permet quelques rares baptêmes, essentiellement in articulo mortis : une sœur par exemple visite les indigènes d’El Affroun et « lorsque les enfants sont prêts à mourir, les sœurs en profitent pour faire couler sur leur tête l’eau régénératrice et en faire éternellement de petits anges78 ». L’apostolat auprès des « indigènes », quoique difficile et n’occupant que peu le clergé et les congrégations, n’en demeure pas moins un objectif à atteindre et la sr. Labretonnière souligne en 1893 à quel point elle est « revenue de 73 La maréchale de Mac Mahon, épouse du gouverneur général obtient « qu’un hospice de vieillards arabes soit remis entre les mains des secours de Saint-Vincent de Paul », auquel elle souhaite adjoindre une maison de secours, un dispensaire et une distribution comme à la Miséricorde française : « Ce sera notre premier pas chez les Arabes, nous en espérons un bien immense et qui n’offre aujourd’hui ni inconvénient, ni obstacle (ACM, C 217 II b-2, Algérie, Correspondance de la Maréchale de MacMahon, Alger, 21 janvier [1865 ?]). Elle fonde aussi à Alger un ouvroir indigène pour former aux travaux de couture « des jeunes filles arabes qui ont leur famille en ville et, à cette occasion, de dissiper les préventions contre le christianisme » ( J. Chevalier, « Province d’Algérie », p. 339). D’autres ouvroirs se développent par la suite. 74 Au début du xxe siècle, S. Dormoy se consacre à l’apostolat à Vieux Ténès, « exclusivement peuplé d’indigènes qui viennent de temps en temps se faire soigner au petit dispensaire de la ville, mais les femmes et les jeunes filles voilées ne sortent pas et personne ne s’occupent de leurs maladies. Seule la veuve d’un fonctionnaire, Mme de Saint-Julien, parlant admirablement l’arabe, s’y rendait quelquefois ». Lorsqu’elle part s’installer au Maroc en 1912, elle confie « ses » indigènes aux sœurs (Les filles de la charité pendant un siècle en Algérie (1842-1942), Maison carrée, imprimerie des Pères Blancs, 1960, p. 150). 75 Ibid., p. 54 76 J. Chevalier, « Province d’Algérie », art. cit., p. 339. 77 ACM, Dossier 217, chemise 1, Dossier dactylographié, sn, sd [1931 ?], 8e fascicule, Novi, p. 1. 78 AFC, BV 138, S. Braun, Historique et statistique des Maisons de la Compagnie des Filles de la Charité dans les Provinces de nos Missions étrangères, t. 1, 1883, p. 542.

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l’illusion dans laquelle j’étais que, lorsqu’on désirait aller à l’étranger, il ne valait pas la peine d’être envoyée en Algérie. Je suis tous les jours de plus en plus surprise de trouver un pays de mission aussi près de la France79 », concluant n’avoir « plus rien à envier au bonheur de nos sœurs de Chine80 » qui semble être alors la destination la plus alléchante pour le zèle missionnaire.

Les premières tentatives d’apostolat auprès des musulmans A partir de 1850, le père Girard demande un professeur d’arabe pour le séminaire de Kouba81. Selon lui, il s’opèrerait alors dans le clergé un grand mouvement pour l’étude de la langue arabe que l’on entreprend de tout côté parce qu’après avoir bien étudié la position, on a conçu l’espérance, fondée sur un certain nombre d’expériences de convertir les Arabes en leur parlant leur propre langue. Cet enseignement est introduit plus ou moins dans toutes les institutions. Le grand séminaire ne peut pas demeurer en arrière : il doit même se placer à la tête du mouvement qui s’opère pour la conversion des Arabes82. Malgré les oppositions de l’administration, Mgr Pavy a en effet sollicité du gouvernement en 1849 l’autorisation de commencer l’apostolat auprès des musulmans et s’adresse au père Girard pour former un catéchuménat rassemblant de jeunes Arabes orphelins ou abandonnés83. Leur nombre diminue cependant parce que des parents proches ou éloignés ont réclamé les enfants et employé pour les récupérer la police « qui a des égards pour les Arabes84 ». Le parquet d’Alger aurait parlé de détournement de mineurs, d’exploitation des enfants arabes par le travail, mettant fin à l’expérience85. Quelques années plus tard, en juillet 1855, les séminaristes Bonner, Dumont et Théodore Girard fondent une Mission arabe et s’appliquent pour cela sérieusement à l’étude de l’arabe86. Lorsqu’en avril 1856, deux

79 S.  Labretonnière à Mère Havard, Alger, 12  février 1893, « Alger visites à domicile, », Annales de la Congrégation de la mission, t.  LVIII, 1893, p. 281-288, en particulier p. 282. 80 Ibid., p. 284. 81 ACM, C108/II/a 1, P. Girard à P. Étienne, Kouba ; 14 janvier 1850. 82 ACM, C108/II/a 1, P. Girard, 31 mai 1850. 83 ACM, C108/II/a 1, P. Girard, à P. Étienne, 19 septembre 1851. 84 ACM, C108/II/a 1, P. Girard, 19 octobre 1851 et P. Girard, 24 novembre 1851. 85 P. J.-B. Piolet, La France au dehors, p. 61. 86 ACM, C106/1/b 4, Alger et Kouba, manuscrit semble-t-il écrit par le P. Girard, s.l., s.d. [v. 1857].

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prêtres sont demandés pour Laghouat87, Girard accepte, ne serait-ce que parce que « nos arabisants apprendront bien mieux la langue arabe en la parlant tous les jours qu’en l’étudiant dans les livres88. » Ils commencent aussi un cours de médecine et se livrent « à la culture des plantes médicinales afin d’avoir un accès plus facile auprès des Arabes89 ». Ils s’installent donc à Laghouat, rejoints en 1859 par quelques Filles de la Charité mais la mission est rappelée fin 1865, le gouvernement français envisageant alors l’abandon des territoires du Sud90. Deux ans auparavant, le prêtre de Biskra proposait d’établir dans sa paroisse une mission arabe. Ce projet échoue, mais en 1867, l’évêque de Constantine, demande pour la ville des Filles de la Charité qui, même après le départ des Lazaristes continuent leurs œuvres, notamment à l’hôpital militaire, à l’école, à l’ouvroir et dans la visite des malades tant indigènes qu’européens91. La nomination de Mgr Lavigerie donne un nouvel élan à l’évangélisation des « indigènes », jusqu’alors toujours retardée92. Dès son arrivée en Algérie, il demande à Napoléon III l’autorisation de fonder en Kabylie quelques dispensaires où des sœurs donneraient des soins aux malades93. Dans la ligne prudente adoptée par ses prédécesseurs, le gouverneur général Mac Mahon – qu’il est difficile d’accuser d’anticléricalisme – s’y oppose. La création de la cure de Fort-Napoléon permet cependant aux jésuites de s’installer dans la Kabylie récemment « pacifiée »94. « Par des aumônes, des distributions quotidiennes et toujours gratuites de médicaments, des soins aux malades »95, ses visites de plusieurs dizaines de villages, le P. Creusat dit commencer à établir la confiance96. Il mentionne les oppositions qu’il rencontre (« plus d’une fois des vieillards infirmes, assis ou étendus par terre, étalant des plaies hideuses, semblaient souverainement mépriser ces 87

Ibid. ACM, C108/II/a 1, Girard à P. Étienne, Kouba, 9 avril 1856. 89 ACM, C106/1/b 4, Alger et Kouba, manuscrit semble-t-il écrit par le P. Girard, s.l., s.d. [v. 1857]. 90 ACM, C106/1/b 4, Document dactylographié, s.d., Cures confiées aux Lazaristes en Algérie. 91 Ibid. 92 K. Direche, Chrétiens de Kabylie, Saint-Denis, Bouchène, 2004, p. 23. 93 P. J.-B. Piolet, La France au dehors, p. 63. 94 Voir U. Colonna, « La Compagnie de Jésus en Algérie (1840-1880). L’exemple de la mission de Kabylie (1863-1880) », Monde arabe Maghreb Machrek, janvier-mars 1992, p. 68-78. 95 Archives de la Société des missions d’Afrique [Rome] (désormais ASMA), Fonds Lavigerie (F. Lav.), D9/7, Jean-Baptiste Creusat, Fort Napoléon, 24 octobre 1867. 96 ASMA, F. Lav., D9/9, Creusat, Mémoire sur la mission du prêtre en Kabylie, 12 avril 1868. 88

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roumis agenouillés à leurs pieds et soignant ces plaies »), voire les menaces : un jour qu’à Taourit-Tamagourat, il dit son désir d’y posséder un pied à terre et de rester avec eux pour leur faire plus de bien, un de ceux qui venaient de recevoir des médicaments gratis et les avait encore à la main répondit devant tous : ‘oui, vous resterez, soyez tranquilles’. Le malin sourire de quelques-uns me fit comprendre le sens de cette phrase. Nul doute que notre interlocuteur nourrissait l’espoir d’en finir bientôt avec nous, comme avec tous les Français leurs vainqueurs97. Au bout de cinq ans, il se retire, « non découragé mais arrêté par des obstacles qui ne sont pas le fait des Kabyles », mais des militaires comme Hanoteau qui souligne l’inanité des efforts des jésuites pour convertir les « indigènes »98. La série de catastrophes qui frappent les populations indigènes en 1866-1868 – rassemblées sous le terme générique de « famine » – et ses terribles conséquences démographiques transforment la donne religieuse99. Lavigerie ouvre deux établissements destinés à recueillir une partie des orphelins de la famine et manifeste l’intention de tenter l’assimilation de ces « indigènes » en leur donnant une éducation les rendant capables d’opter éventuellement pour la religion catholique. Mac Mahon proteste contre cette volonté de conversion. Lavigerie en appelle à l’opinion publique et déchaîne un conflit d’où va sortir la liberté de l’apostolat100. En 1868, l’archevêque crée à Saint-Eugène un « petit séminaire arabe », dans lequel il espère faire naître des vocations venues du monde algérien101. Quelques temps auparavant, quelques séminaristes, répondant à l’œuvre des missions du 97

Ibid. Cité dans M. Emerit, « Le problème de la conversion des musulmans d’Algérie sous le Second Empire. Le conflit entre Mac Mahon et Lavigerie », Revue historique, 1960/1, p. 63-84, p. 72-73. Creusat est devenu un berbérisant réputé, voir aussi J.-B. Creusat, Essai de dictionnaire français-kabyle (zouaoua), précédé des éléments de cette langue, Alger, A. Jordan, 1873. 99 Voir sur cette question B. Taithe, « Algerian Orphans and Colonial Christianity in Algeria (1866-1939) », French History, 20/3 (2006), p. 240-259 ; Id., « Humanitarism and Colonisalism. Religious Responses to the Algerian Drought and Famine of 18661870 », in Christof Mauch et Christian Pfister (eds.), Natural disasters, cultural responses : Case studies toward a global environmental, Lanham, Lexington Books, 2009, p. 137-164. 100 M. Emerit, « Le problème de la conversion des musulmans ». 101 J.-C. Ceillier, « Anatole-Joseph Toulotte (1852-1907) », Société des missionnaires d’Afrique, série historique n° 6, Rome, SMA (2006), p. 9. Ce petit séminaire est transféré en 1874 en métropole, à Saint-Laurent d’Olt dans l’Aveyron, dans un château loué au nom de la Société civile des Orphelinats agricoles d’Algérie. 98

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P. Girard, sont présentés à Lavigerie qui ouvre pour eux un noviciat et lance un appel à tous les séminaires de France pour recruter de jeunes clercs résolus à se consacrer à l’évangélisation des musulmans dans le cadre d’un nouvel institut, la Société des missionnaires d’Afrique (les Pères blancs)102. Dès le début des années 1870, ils dirigent les deux villages d’Arabes chrétiens de Saint-Cyprien et Sainte-Monique dans la commune de SaintCyprien des Attafs, fondés par Lavigerie pour accueillir les orphelins convertis dans le cadre d’une colonie agricole dont s’occupe la Société civile des orphelinats agricoles de l’Algérie103. Dans l’esprit de Lavigerie, le modèle idéal d’évangélisation repose en effet sur des conversions suffisamment massives pour que les convertis soient aussi des apôtres104. Ce n’est pas isolément « qu’on peut espérer ramener les Indigènes à la foi qui a été celle de leur leurs pères (…), c’est sur la masse entière qu’il faut agir et les moyens de le faire efficacement » sont l’exercice de la charité, l’instruction des enfants, le bon exemple et la prière105.

Une nouvelle étape de la présence catholique en Algérie : les Missions d’Afrique La Société des missionnaires d’Afrique (Pères blancs) En octobre 1868 les premières règles de la Société des missionnaires d’Afrique sont promulguées et les premiers novices prennent l’habit106. La congrégation, membre de la Propaganda Fide, accueille des missionnaires qui font les vœux religieux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance et jurent de se dévouer jusqu’à la mort aux missions d’Afrique, qui luttent contre l’esclavage sur le continent et travaillent à son évangélisation. Au point de vue ecclésiastique, il s’agit d’une association de prêtres séculiers, dont les membres n’émettent pas de vœux de religion107. Les frères sont placés dans la Société sous l’autorité du supérieur général des Missionnaires

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J. Perrier, Vent d’avenir. Le cardinal Lavigerie (1825-1892), Paris, Karthala, 1992,

p. 58. 103 Sur cette histoire aux résultats mitigés, voir J. Tiquet, Une expérience de petite colonisation indigène en Algérie. Les colons arabes chrétiens du Cardinal Lavigerie, Maison Carrée, 1936. 104 K. Direche, Chrétiens de Kabylie, p. 36. 105 C.  Lavigerie, Œuvres choisies de S. E. le cardinal Lavigerie, vol. 2, Paris, Poussièlgue frères, 1884, p. 525, cité par M. Borrmans, « Lavigerie et les musulmans en Afrique du Nord », p. 49. 106 C. Lavigerie, Missionnaires d’Afrique. Choix de textes, Paris, édition SOS, 1980. 107 Les Pères Blancs et leurs œuvres, Maison Carrée, 1903, note 1, p. 1.

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et dans chaque maison, sous celle d’un supérieur local108. À la mort de Mgr Lavigerie en 1892, son successeur, Prosper-Auguste Dusserre (18921897) reproche à la Société une trop grande indépendance vis-à-vis du diocèse, dont témoignent par exemple le rattachement de Maison-Carré ou des Attafs au Vicariat du Sahara-Soudan, tenu par un Père blanc ou encore l’établissement d’une « province de Kabylie » au milieu du diocèse d’Alger109. Le premier véritable Supérieur général des Pères blancs, successeur du Fondateur, Léon Livinhac doit entre autres s’occuper du partage des biens et des responsabilités entre la Société des Missionnaires d’Afrique et l’archidiocèse d’Alger. Sous sa direction cependant, la Société connaît une augmentation rapide de ses membres. C’est pourquoi des réformes administratives et financières s’imposent : Mgr Livinhac donne à sa Société des Constitutions (1908) et un Directoire (1914), approuvés par le Saint-Siège. La formation des missionnaires d’Afrique dure cinq ans : les postulats de France, Hollande et Luxembourg forment aux exercices de la vie spirituelle et apostolique tout en étudiant leur vocation. Ils sont ensuite envoyés pour vingt mois au noviciat de Maison-Carrée puis aux scolasticats de Thibar et de Carthage en Tunisie. Ils reçoivent une formation pluridisciplinaire : outre la théologie, le règlement du Scolasticat prévoit l’étude de l’arabe pour tous110. Les novices s’initient également à la médecine pratique, par des cours « qu’un docteur d’Alger leur donne tous les mardis111 ». Cette formation vise à faciliter leur installation dans des zones jusqu’alors peu fréquentées par le clergé. Lazaristes et jésuites commencent en effet dès les années 1860 à s’installer dans des régions encore peu ouvertes à la colonisation comme le Sahara ou la Kabylie, cette dernière étant le réceptacle de nombreux espoirs, laïques comme religieux. Se forge en effet au xixe siècle un « mythe kabyle », qui repose sur une dichotomie à dimension manichéenne entre 108 Noviciat des frères missionnaires, notice sur les frères coadjucateurs de la Société des missionnaires d’Afrique dits Pères blancs, Maison-Carrée, 1894, p. 6. 109 Le Très Révérend Père Paul Voillard, Supérieur Général de la Société des Missionnaires d’Afrique (1860-1946), Issy, imp. Saint-Paul, 1946, p. 14. 110 I. Page, Apprendre la langue pour apprendre la Parole. La travail linguistique des Missionnaires d’Afrique, Rome, SMA, 2007, p. 4. Les Statuts synodaux du diocèse d’Alger de 1871 précisent que pour préparer à la mission des Indigènes, « nos prêtres s’appliqueront à l’étude de la langue arabe, du Coran, des usages et des mœurs des indigènes », cité par M. Borrmans, « Lavigerie et les musulmans en Afrique du Nord », p. 48. 111 A. Duval, Le père Siméon Lourdel, apôtre de l’Ouganda (1853-1890), Paris, François-Xavier de Guibert, 2004, p. 31.

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Arabes et Berbères supposant ces derniers plus assimilables à la culture européenne car moins attachés à la religion112. D’après l’assistant des Lazaristes, J. Chevalier, Mgr. Pavy partageait son diocèse en trois catégories : les Européens, les Kabyles et les Arabes. Il voulait que les prêtres s’occupent d’abord des premiers, pour travailler ensuite à gagner les deuxièmes et enfin convertir les derniers. Son successeur, Mgr Lavigerie ferait pour sa part « converger toutes ses ressources vers la Kabylie. Dans ce but, il a fondé une société de missionnaires qui portent le costume du pays (…) qui apprennent les langues qu’on y parle et qui sont exclusivement destinés à évangéliser les indigènes de notre colonie et même ceux de l’intérieur de l’Afrique »113. Pour le prélat, il s’agit en effet de montrer que les « anciens chrétiens » que sont les Berbères montrent les dispositions les plus favorables à un retour au christianisme. La Kabylie devient ainsi « une région d’expérimentation prototypique d’apostolat catholique114 ». Lavigerie fonde à la fin des années 1860 quelques stations dans le Djurdjura, en partie confiées aux jésuites et en partie aux Pères blancs. Une affaire concernant un élève du P. jésuite Bougier voulant suivre à la Trappe deux camarades convertis aboutit au départ des premiers : « Deux parents fanatiques avaient porté leurs réclamations à l’administration de Fort-National, criant bien haut qu’on leur avait volé leur enfant ! (…) La haine religieuse se joignait au fanatisme musulman pour dénoncer la propagande cléricale115. » Aucune charge n’est finalement retenue contre eux mais ils doivent se retirer. Lavigerie continue cependant son implantation missionnaire et à partir de février 1873, cinq stations sont fondées entre Palestro et Bougie, deux desservies par les jésuites et trois par les Pères blancs116. Ils s’installent dans des 112 P. Lorcin, Kabyles, Arabes, Français. Identités coloniales, Limoges, PULIM, 2005, p. 16. Ce « mythe kabyle », dénoncé notamment par Jules Ferry, Jules Cambon ou le maire de Constantine Ernest Mercier, donne lieu pendant plusieurs décennies à une « politique kabyle ». Voir C.-R. Ageron, « Du mythe kabyle aux politiques berbères », Cahiers Jussieu, Le mal de voir, 1976, p. 331-349 ; A. Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, XIX e- XX e siècles : anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises, SaintDenis, Bouchène, 2001, p. 147-156. 113 J. Chevalier, « Province d’Algérie. », p. 346. Le 24 février 1878, Léon XIII confie aux Pères blancs la mission de l’Afrique équatoriale, sur cette question, voir É. Dufourcq, Les congrégations religieuses féminines hors d’Europe, vol. 2, Paris, librairie de l’Inde, 1993, p. 386-392. 114 K. Direche, Les chrétiens de Kabylie, p. 10. 115 Abbé A. Vidal, Biographie de Mgr Charbonnier, de la congrégation des Pères Blancs de N.-D. d’Afrique, évêque d’Utique et vicaire apostolique du Tanganika, Mende, C. Pauc, 1897, p. 80. 116 A. Philippe, Missions des pères blancs. Tunisie, Algérie, Kabylie, Sahara, Paris, Dillen et Cie, 1931, p. 65.

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régions où les zaouias sont relativement rares, ce qui permet d’éviter la confrontation avec des clercs locaux influents et la concurrence avec les écoles coraniques117. Les consignes en matière religieuse sont claires : il faut se garder de tout prosélytisme. Il est ainsi interdit de parler religion aux Kabyles et le baptême est défendu sans l’autorisation écrite devant témoin des parents ou tuteurs des enfants118, une prudence qui perdure encore au début du xxe siècle comme le signale le document 6. La pénétration vers le Sud est également ardue : quand Mgr Lavigerie reçoit, en 1868, le titre de délégué apostolique du Sahara, les jésuites demandent à s’établir à Laghouat. Le P. Rocher exerce ainsi le ministère paroissial auprès de la garnison et de la colonie européenne, le P. Olivier tient une école pour les enfants arabes et un dispensaire tandis que les Filles de la Charité assurent le service de l’hôpital et organisent un ouvroir ainsi qu’un orphelinat119. Le prélat rappelle rapidement les jésuites, souhaitant confier le Sahara à ses propres missionnaires120. En 1872, le Père blanc Charmetant, présent à Laghouat, convainc Lavigerie d’envoyer également du personnel à Touggourt, Ouargla, Géryville, Metlili (1872-1874)121. Ces stations font en effet partie d’une politique d’implantation de postes avancés pour progresser vers le Sud : une mission de trois Pères (Ménoret, Paulmier et Bouchand) part en 1875 vers Tombouctou. Après leur massacre par les Touaregs, le gouvernement général invite l’archevêque à retirer ses Pères blancs de l’extrême-sud. Ils y restent cependant jusqu’en 1878, époque où les différentes stations du Sahara sont supprimées, en partie parce que la création des missions de l’Afrique équatoriale nécessite du personnel122. En décembre 1881, un deuxième essai de pénétration au Soudan par le

117 K. Direche, Les chrétiens de Kabylie, p. 43. Ugo Colonna rappelle qu’il existe des zaouias près de Fort-National, ainsi qu’à Djema Saharidj. La révolte de 1871 a certes ruiné de nombreux lignages religieux et entraîné la disparition de plusieurs de ces établissements religieux, elles conservent de beaux restes malgré leur affaiblissement jusque dans les années 1880, U. Colonna, « La Compagnie de Jésus en Algérie », p. 75. 118 M.  Borrmans « Lavigerie et les musulmans en Afrique du Nord », p.  48. À partir de 1879, l’administration coloniale instruit de nombreuses plaintes de la part de Kabyles supportant mal d’être l’objet d’un prosélytisme chrétien sous couvert de scolarisation, voir aussi A. Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, note 3, p. 263. 119 A. Philippe, Missions des pères blancs, p. 105. 120 La mise en place des missions d’Afrique doit beaucoup à l’encadrement de la Compagnie de Jésus et à son expérience missionnaire, U. Colonna, « La Compagnie de Jésus en Algérie », p. 78. 121 Abbé A. Vidal, Biographie de Mgr Charbonnier, p. 57. 122 Abbé A. Nicq, Le père Siméon Lourdel, de la Société des Pères Blancs et les premières années de la Mission de l’Ouganda, 2e édition, Maison-Carrée, 1906, p. 75.

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Sahara à partir de Ghadames par les pères Richard, Morat et Pouplard, s’achève également par leur massacre. Mais Lavigerie a décidé en 1879 de recruter des auxiliaires laïcs et de leur faire acquérir la formation nécessaire pour assurer la protection armée des missionnaires. De 1880 à 1885, une quinzaine d’hommes, dont quelques anciens zouaves pontificaux accompagnent les missionnaires123. Il crée également des milices armées destinées à combattre les trafiquants d’esclaves dans les régions où les missionnaires sont établis et organise à Biskra un centre de formation où ces futurs auxiliaires recevront une formation militaire et religieuse, leur engagement devant se situer clairement dans une perspective missionnaire124. Lavigerie confie la direction du centre au P. Auguste Hacquard et les premiers candidats arrivent en janvier 1891. L’Œuvre des Frères Armés du Sahara fait long feu puisqu’elle ferme en novembre 1892, mais Hacquard reste chargé de la mission d’Ouargla125, la présence dans le Sud recommençant à être envisagée. Dans plusieurs de leurs stations, les Pères blancs sont rejoints par les Sœurs blanches. Convaincu en effet de la place irremplaçable des « femmesapôtres » en pays musulman et en Afrique, non seulement parce qu’elles peuvent pénétrer dans l’intimité des maisons – une perspective partagée pour d’autres buts par les laïcs – mais aussi « pour leur capacité d’accueil, d’agir en tant que femmes et à travers les femmes sur les sociétés humaines126, c’est très rapidement que Lavigerie cherche à doubler la Société des Pères blancs par une congrégation féminine.

Les difficiles débuts des sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (Sœurs blanches) Le 8 septembre 1869, les huit premières jeunes filles, répondant à l’appel de Lavigerie, arrivent à Alger pour faire fonctionner le nouvel institut

123 J.-C. Ceillier, « Mgr Anatole-Joseph Toulotte (1852-1907) », Société des missionnaires d’Afrique, série historique n° 6, Rome, SMA, 2006, p. 42. 124 C.  Lavigerie, Lettre de son éminence le Cardinal Lavigerie à tous les volontaires qui se sont proposés à l’œuvre antiesclavagiste de France ou l’association des Frères armés ou Pionniers du Sahara, Paris-Alger, 1891 ; Jean-Claude Ceillier, « Mgr Anatole-Joseph Toulotte (1852-1907) », p. 44. 125 E. Marin, Algérie, Sahara, Soudan. Vie, travaux, voyages de Mgr Hacquard des pères blancs (1860-1901), d’après sa correspondance, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1905, p. 176. 126 F.  Avonts, « Le rôle de la femme dans la visée missionnaire du Cardinal Lavigerie », Bulletin de littérature ecclésiastique, vol. 1-2 (1994), p. 151-160, p. 153.

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des « Sœurs Agricoles et Hospitalières du Vénérable Geronimo »127. Lavigerie juge cependant trop restreint le but qu’il avait initialement proposé d’un travail agricole et hospitalier. L’éducation des filles incombant aux religieuses, celles-ci devaient être en mesure d’assurer l’enseignement et la catéchèse128. C’est pourquoi, en novembre 1869, il ouvre un noviciat, confié aux Sœurs de Saint-Charles de Nancy, appelées pour s’occuper des nombreux orphelins de la famine. Mais ayant vocation hospitalière, elles s’estiment mal préparées pour diriger le noviciat. En 1872, pour éviter de fonder des postes en Kabylie, elles mettent fin à leur présence en Algérie. Lavigerie fait alors appel à une congrégation enseignante qu’il a fondée dans le diocèse de Nancy, les Assomptionnistes, qui acceptent d’assurer l’encadrement des Sœurs agricoles. C’est l’origine d’une nouvelle congrégation dite des « Sœurs de la Mission d’Afrique », qui obtient sa reconnaissance légale en 1875129. L’union n’entraîne pas pour autant la fusion entre les deux groupes de sœurs d’un niveau d’instruction très différent, mises sous l’autorité personnelle de l’archevêque. Les charges de direction et d’enseignement des pensionnats reviennent en pratique, aux Assomptionnistes, celles pour l’instruction des écoles élémentaires sont partagées et les travaux agricoles incombent aux Géronimites. Le problème de fond vient surtout de vocations fondamentalement différentes : celle des Assomptionnistes les oriente vers l’éducation de la jeunesse selon le mode européen, celle des Géronimites vers les œuvres pratiques d’apostolat en Afrique130. Ces dernières cherchent davantage leur inspiration chez les Pères blancs, missionnaires comme elles, provoquant des conflits d’autorité avec les supérieures. En octobre 1878, la supérieure, de concert avec plusieurs Assomptionnistes, demande à rentrer en France. En 1879, il ne reste que des sœurs, désormais appelées Sœurs blanches, qui se gouvernent ellesmêmes, sous la tutelle de Lavigerie.

127 A. Grandin de L’éprevier, La révérende mère Marie Salomé, supérieure générale des Sœurs missionnaires de N.-D. d’Afrique, Paris, Beauchesne, 1935, p.  8. Voir aussi C. Lavigerie, Appel au clergé de France pour la fondation de deux congrégations agricoles destinées aux missions étrangères dans le diocèse d’Alger, Saint-Cloud, Vve Belin, 1869. Le procès en Vénérabilité n’ayant pu aboutir, le nom de Géronimites disparaît quelques années plus tard. 128 F. Renault, Le Cardinal Lavigerie (1825-1892). L’Église, l’Afrique et la France, Paris, Fayard, 1992, p. 502. 129 Ibid. À partir de 1874, les « Sœurs blanches » se sont appelées Sœurs de NotreDame des Missions d’Afrique, Société des Sœurs enseignantes et hospitalières de Notre-Dame d’Afrique puis Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, leur désignation actuelle (J. Perrier, Vent d’avenir, p. 58). 130 Ibid., p. 504.

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Le noviciat, fermé avec le départ des Assomptionnistes, rouvre alors. Pour pallier le manque d’instruction des sœurs, souvent recrutées parmi des paysannes illettrées, Lavigerie envisage à nouveau une fusion avec les sœurs enseignantes de Saint-Joseph de l’Apparition, voire la dissolution, refusée par le Conseil des missionnaires jugeant les religieuses sont indispensables pour l’éducation des filles et les soins auprès des femmes131. Le Chapitre général de 1882 nomme la sr. Marie-Salomé Supérieure générale132. Avec quatre assistantes, elles forment le Conseil, sans posséder une pleine autonomie : le Supérieur des missionnaires préside les séances et aucune décision ne se prend sans son accord. Les règles de la congrégation, dont le nom officiel devient « Société des sœurs enseignantes et hospitalières de Notre-Dame des missions d’Afrique, d’Alger », précisent qu’aucune postulante n’est admise au noviciat « si elle n’a fait des études élémentaires suffisantes pour être présentée aux examens du brevet simple d’institutrice, au plus tard à la fin de son scolasticat ou si elle ne demande formellement ou par écrit à être uniquement employée au service des hôpitaux ou dans les offices matériels de la communauté133 ». En effet, dans le contexte de laïcisation des années 1880, les autorités ne font plus d’exception de diplômes pour les congréganistes. Le manque d’instruction handicaperait également les sœurs « dans la gestion de maintes affaires matérielles ». Pour ces raisons, Lavigerie envisage à nouveau la dissolution, mais se heurte encore à l’opposition des sœurs – notamment Marie-Salomé et Marie Gonzague – et des missionnaires d’Afrique, qui apprécient la collaboration qu’ils peuvent attendre de leurs consœurs. C’est aussi l’époque où l’engagement dans la congrégation de MarieLouise Grandin de L’Éprevier ouvre de nouvelles perspectives : cette fille de la petite aristocratie vendômoise devient, après sa réception sous le nom de sr. Marie Claver, maîtresse des novices et contribue à donner un nouveau départ à l’institution. En 1886, les règles sont envoyées à Rome pour une première approbation. Le noviciat est réorganisé et l’essor de la congrégation commence : deux postulats ouvrent (Lyon, Maastricht). En 1889, la Société des Sœurs missionnaires est placée sous l’autorité d’un supérieur ecclésiastique missionnaire, Paul Voillard, assistant général de la Société

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Ibid., p. 506. Marie-Renée Roudaut (1847-1930) est née à Kermaro en Bretagne dans une famille de cultivateurs aisés. Elle part en Algérie après le retour d’une de ses cousines, une des huit premières postulantes, A. Grandin de L’éprevier, La révérende mère Marie Salomé, p. 28. 133 F. Renault, Le cardinal Lavigerie, p. 507. 132

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des Pères blancs134. Ce mode de gouvernement subsiste pendant cinq ans, jusqu’à ce que la congrégation devienne autonome. Avec le raffermissement de la congrégation, les vœux perpétuels, jusqu’alors différés en raison d’une situation trop précaire, peuvent être prononcés135. En 1890, vingt-deux religieuses les prononcent et trente-deux postulantes entrent au noviciat. Bien plus tard, Sr. Élisabeth de la Trinité, née en 1908 raconte comment, après 18 mois de formation, « test de la solidité des aspirantes à la vie missionnaire » vient la profession : « placées en demi-cercle, elles attendaient, le cœur battant, le conseil général au complet qui venait, non sans solennité, prononcer l’envoi en mission. La supérieure générale appelait chacune par son nom et lui assignait sa nomination. La novice s’agenouillait et sans un mot baisait la terre ». Les premiers vœux sont des engagements annuels. Pendant trois ans la sœur expérimente en mission ses forces physiques et morales, après quoi, si elle y est appelée, elle s’engage jusqu’à la mort par des vœux qui la lient à Dieu, à la Congrégation, à la mission d’Afrique : la jeune professe signe un engagement au pied de l’autel en présence de l’archevêque d’Alger par lequel elle devient « apôtre à plein temps136 ». Les questions de formation et d’organisation des premières années qui fragilisent la congrégation n’empêchent pas les œuvres missionnaires de se développer. Une communauté ouvre aux Attafs en 1872 où, en plus de la formation à donner, les sœurs se mettent au travail de la terre, comme à Laghouat qu’elles rejoignent en 1872 mais que la dureté du climat et des tâches à accomplir chassent au bout d’un an137. En mars 1878, un premier convoi de trois sœurs arrive aux Ouadhias où sont déjà installés les Pères blancs138. Quelques années plus tard, cette mission se compose « de six pièces : un dortoir, avec des lits qui sont de simples planches portant une paillasse ; une petite salle de communauté avec une table en bois blanc et quelques chaises de pailles ; deux petites salles de classes pour les enfants kabyles qui s’y entassent (…) ; le réfectoire (…) ; enfin, la pharmacie139 ». À part les exercices religieux, « la plus grande partie de la journée était occupée soit au dispensaire avec les malades, soit à la salle d’école avec les petites

134 Le Très Révérend Père Paul Voillard, Supérieur Général de la Société des Missionnaires d’Afrique (1860-1946), Issy, imp. Saint-Paul, 1946, p. 14. 135 F. Renault, Le cardinal Lavigerie, p. 517. 136 Sr. Élisabeth de la Trinité, Une femme missionnaire en Afrique, Paris, éditions France-Empire, 1983, p. 35-36. 137 J. Perrier, Vent d’avenir, p. 58. 138 A. Grandin de L’éprevier, La révérende mère Marie Salomé, p. 36. 139 Mère M. Claver, Notes et souvenirs, recueillis par son frère, le colonel de l’Éprevier, Paris, Beauchesne, 1928, p. 63.

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filles140 ». L’apostolat missionnaire se déroule de la même manière aux Attafs ainsi que dans les autres postes des missions de Kabylie et du Sahara.

Les travaux et les jours : l’apostolat missionnaire au quotidien La médecine : « le moyen efficace d’agir sur les âmes en soignant les corps »141 Lorsque le P. Rocher cherche à installer une mission dans le Sahara, il insiste sur le fait que les indigènes les recevront volontiers « comme marabouts soignant les malades et même faisant l’école aux enfants142 ». Il cherche à obtenir du gouvernement général l’autorisation d’établir une pharmacie dans le Mzab car « c’est là le plus puissant moyen de nous faire accepter143 ». Après trois ans dans le sud, son confrère Olivier reconnaît qu’il n’y a pas encore eu de conversions : néanmoins, je puis affirmer qu’au moyen de nos médicaments, quinine, collyres, vaccin etc., nous nous sommes concilié l’esprit de la population indigène qui a recours à nous plus qu’au médecin du bureau arabe. Celui-ci, comme nous, leur distribue les remèdes gratuitement ; cependant, ces pauvres gens ne craignent pas de nous dire qu’ils préfèrent nos remèdes aux siens et nous témoignent ainsi de la plus grande confiance144. La prudence ne permettant pas l’évangélisation, l’école et la médecine sont vues comme les seuls moyens d’atteindre les musulmans. Au début du xxe siècle, les Pères blancs entretiennent ainsi vingt « écoles indigènes » où l’instruction est donnée à environ mille enfants dont les trois quarts sont des garçons. Des écoles de filles sont tenues par les sœurs, aux frais des Pères. Tous les professeurs, titulaires ou auxiliaires sont brevetés et parle-

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Ibid., p. 73. ASMA, F. Lav., D9/151-152, Cartes de visite des postes de Kabylie 1883-1892, Visite de Bridoux aux Ouad’hias, 5 juin 1885. 142 ASMA, F. Lav., D9/23, P. Olivier, Laghouat, s.d. peut-être 1871. 143 Ibid. 144 ASMA, F. Lav., D9/24, P. Rocher, Laghouat, 18 décembre 1871. 141

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raient couramment la langue de ceux qu’ils instruisent (Kabyles, Chaouias, Arabes, Mozabites) selon les programmes de l’Académie145. Mais ce sont d’abord les soins médicaux qui sont privilégiés : partout où ils se fixent, les Pères blancs ouvrent un dispensaire. Cela permettrait selon eux de « rompre la glace » et d’envisager ensuite l’ouverture d’une école. Ils insistent sur l’importance pour tout missionnaire de se consacrer aux malades « car c’est là une branche principale de notre ministère au milieu des indigènes. Ils doivent donc y apporter les plus grands soins et chercher en même temps à se perfectionner dans la préparation des remèdes que l’on peut faire soi-même à peu de frais, au lieu de les acheter très cher146 ». Selon les Constitutions, chaque station doit être dotée d’une pharmacie. Le P. Félix Charmetant recommande d’inviter les gens « qui ont des plaies ou qui sont malades à venir se faire soigner à la maison ou à y faire prendre des remèdes147 ». Certaines précautions sont cependant nécessaires : ils ont le devoir de soigner « à l’exception des femmes, qu’ils ne doivent jamais, sous aucun prétexte, laisser circuler dans la maison et qu’ils ne peuvent recevoir que lorsqu’elles sont accompagnées148 ». Même dans ce cas, « ils ne doivent point les soigner directement eux-mêmes mais se contenter de préparer les remèdes nécessaires et en laisser l’application à une tierce personne en indiquant simplement la manière de faire149. » Les malades, les femmes surtout, ne se présentent pas toujours en personne dans les établissements, même ceux tenus par les sœurs : un homme de Bel Agel vient chercher un remède pour sa femme, dont la figure est couverte de boutons. « Tiens, dit-il à la sœur infirmière, voilà comment sont ses boutons (…) et il déplie un papier sur lequel des pâtés de diverses grandeurs sont, paraît-il, la représentation du visage de sa femme150. » Ailleurs, un

145 Les Pères Blancs et leurs œuvres, Maison Carrée, 1903, p. 2. À côté de ces écoles primaires, cinq écoles-ouvroirs fonctionnent, pour lesquelles les Pères ont tracé un programme spécial, visant à apprendre « à leurs élèves des choses extrêmement utiles : au lieu d’en faire des demoiselles à la française, elles se contentent d’en faire des ménagères kabyles, rendant ainsi service aux pères de famille et aux maris », Ibid., p. 4. 146 ASMA, F. Lav., D9/151-152, Cartes de visite des postes de Kabylie 1883-1892, Visite du P. Charmetant aux Ouad’hias, 4 juin 1877. 147 Ibid., Visite du P. Charmetant aux Beni Arifs, 9 mai 1876. 148 Ibid., Visite du P. Charmetant aux Ouad’hias, 13 juin 1876. 149 Ibid., Visite du P. Lechaptois à Ighil Aly, 30 janvier 1887. 150 Archives des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique [Rome] (désormais ASMNDA), Diaire, 1908, Iril Ali, 8/7/08, p. 345.

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homme voudrait de la teinture d’iode « pour ma femme qui tousse très bien151 ». Les missionnaires doivent porter aux pauvres le secours de leurs connaissances médicales : « ne renonçons pas à un moyen si propre à nous gagner le cœur des infidèles et à nous remettre l’accès à leurs demeures152 ». La présence missionnaire se traduit en effet aussi par des visites à domicile. Pour toucher le plus de monde possible, le P. Deguerry recommande des tournées hebdomadaires, « à tour de rôle et toujours deux ensemble visite à quelque village kabyle des environs, en portant avec eux une petite provision de remède153 ». Les sœurs en font autant, pouvant, plus facilement que les pères « pénétrer dans les intérieurs indigènes154 ». Ces visites sont notamment destinées aux enfants malades « qui ne peuvent eux-mêmes venir chercher des remèdes ; et on ne manquera pas de leur donner des soins spéciaux155 » : il s’agit « de profiter des bonnes occasions qui se présenteront de le[s] faire instruire de notre Sainte-Religion156 », malgré les recommandations de prudence. Les relevés de malades précisent ainsi que les sœurs ont « cueilli quinze petites fleurs », « moissonné cinq épis pour les greniers célestes », « régénéré quatre-vingt huit enfants dont quarante-six ont déjà fait valoir leurs droits à l’héritage céleste ». Les sœurs, lors de leurs tournées, espèrent « toujours faire une bonne capture pour le ciel ». Lors de l’épidémie de rougeole des Ouadhias en 1913 au cours de laquelle les enfants meurent comme des mouches, « nous rentrons le soir exténuées de fatigue mais le cœur bien joyeux157 », écrit la sœur qui tient le diaire. Les enfants ne sont pas les seuls concernés : à Biskra en 1908, une sœur note : « Encore un vieux qui reçoit son passeport pour le ciel sous le nom de Barthélémy. Il était temps car aujourd’hui même, il profite de la grâce de son baptême158 ». Chaque station tient le compte précis des baptêmes in articulo

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ASMNDA, Diaire, 1918, Sainte-Eugénie, 11 avril 1918, p. 39. ASMA, Fonds Livinhac (désormais F.  Liv.), 56134, Malfreyt, lettre aux confrères de Kabylie, 31 décembre 1894. 153 ASMA, F. Lav., D9/151-152, Cartes de visite des postes de Kabylie 1883-1892, Visite de Deguerry aux Ouad’hias, 1er février 1874. 154 A. Philippe, Missions des pères blancs, p. 68. 155 ASMA, F. Lav., D9/151-152, Cartes de visite des postes de Kabylie 1883-1892, Visite du P. Charmentant aux Beni Ismaël, 9 juin 1877. 156 Ibid., Visite de P. Charbonnier aux Ouad’hias, 4 juillet 1880. 157 ASMNDA, Diaire, 1913, Ouadhias, 1er avril, p. 251.  158 ASMNDA, Diaire, 1908, Biskra, 21 mai, p. 170. 152

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mortis (« 54 chez les pères et 58 chez les sœurs », « chez les pères : 10 ; chez les sœurs : 164159 »). À côté de ces moyens classiques de l’apostolat, Mgr Lavigerie innove en créant entre Sainte-Monique et Saint-Cyprien, l’« hôpital indigène » de Sainte-Élisabeth. Il bénéficie pour cela de l’appui du gouverneur général Chanzy qui octroie une première subvention et lui assure une rente annuelle160. L’archevêque adapte l’hospitalisation aux goûts, aux habitudes, aux croyances mêmes des Arabes. Comme sous la tente ou le gourbi, le malade pouvait se coucher sur la natte habituelle ; il retrouvait sa nourriture ordinaire (…) il pouvait se lever, se coucher à ses heures ; prier comme il l’entendait ; les formalités d’entrée et de sortie étaient réduites à leur plus simple expression, en un mot, l’hospitalisé se sentait chez lui, mieux que chez lui ! Le succès de cette méthode fut complet, quelques semaines après que l’hôpital était ouvert, il était devenu trop étroit pour contenir les malades qui sollicitaient leur admission161. Les Sœurs blanches s’occupent du service de cet hôpital. Plus de vingt ans plus tard, l’établissement est décrit dans les termes les plus flatteurs par l’inspecteur de l’Assistance publique de Méritens qui vante ses conditions hygiéniques excellentes et l’élégance de son « style oriental » : « on traverse pour arriver au corps de bâtiment principal un superbe jardin d’arbres et de fleurs au bas duquel sont installés de chaque côté de l’allée maîtresse les dépendances de la ferme exploitée par la Société des missionnaires ». Quant aux salles de malades : « elles sont tenues dans cet état de merveilleuse propreté qui constitue le véritable luxe des institutions hospitalières162 ». Lorsque le gouverneur général Jules Cambon visite la plaine du Cheliff en mars 1893, il se dit si satisfait de ce mode d’assistance qu’il envisage l’organisation d’établissements similaires : dans nos hôpitaux, le musulman se trouve trop en contact avec l’Européen. Il n’est point soigné comme il le désire, il craint que dans la nourriture ou les remèdes il n’y ait quelque matière que sa religion lui interdit de prendre. Pour ces motifs, il refuse nos soins et préfère souf159

ASMA, F. Liv., 62027, Cassegol, compte-rendu de la station des Ouadhias, 1899 ; ASMA, F. Liv., 61050, Baldit, 23 novembre 1897. 160 A. Grandin de L’éprevier, La révérende mère Marie Salomé, p. 31. 161 A. Philippe, Missions des pères blancs, p. 61. 162 ASMA, F.  Liv., 57005, E. de Méritens, PV de vérification des services administratifs et de la comptabilité de l’hôpital indigène de Saint-Cyprien, 19 avril 1898.

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frir (…) Il faut à ces gens des hôpitaux où ils seraient soignés comme ils le désirent163. Il participe donc à la fondation d’un nouvel hôpital en Kabylie dans la commune de Michelet, également financé par les ressources des Pères blancs : « au printemps 1894, les bâtiments furent prêts et tout fut disposé pour l’inauguration. Monsieur Cambon y vint en personne, accompagné de Madame Cambon, en l’honneur de qui le nouvel hôpital fut placé sous le patronage de Sainte-Eugénie164. » Plusieurs hôpitaux du même modèle sont fondés dans les années qui suivent : Saint-Augustin à Arris, dans l’Aurès, Lavigerie à Biskra, Sainte Marie-Madeleine à Ghardaïa et Saint-André, au sud de Géryville. Certains ont une durée de vie des plus limitées : ainsi, « en raison de son isolement et du départ définitif du poste militaire fixé précédemment sur ce point », la fermeture de l’hôpital de Géryville s’impose rapidement165. Par manque de malades et du fait également du départ de la garnison, l’hôpital de Ghardaïa ferme en 1910 et celui d’Arris pour des raisons de sécurité en 1916166. Ceux des Attafs, de Michelet et de Biskra continuent néanmoins de fonctionner plusieurs décennies durant. Les premiers temps de la présence missionnaires sont souvent marqués par des refus : à Traourit, une jeune femme s’oppose à ce que la malade accepte leurs remèdes contre la typhoïde, mais « sa gardienne craint qu’on ne l’empoisonne. Voyant tant de défiance, les religieuses n’ont pas voulu lui laisser prendre la purgation et se sont retirées »167. Les diaires, s’ils montrent les difficultés peuvent aussi témoigner de la manière dont les sœurs sont peu à peu acceptées : une vieille femme guérie « apporte des piments, des haricots, des œufs en remerciement »168, une autre « une dizaine de bougies en reconnaissance de ce que ses yeux bien malades ont été guéris à notre dispensaire »169. La présence régulière des missionnaires finit semble-t-il 163 ASMA, F.  Liv., 61140, Cambon, inauguration de l’hôpital indigène de Michelet, 11 avril 1893. Sur les « hôpitaux indigènes », voir Maurice Colin, « L’œuvre des hôpitaux indigènes en Algérie », Revue politique et parlementaire, n° 43, janvier 1898, p. 1-19. 164 Mère M. Claver, Notes et souvenirs, p. 262. 165 ASMA, F. Liv., 24295, Gouverneur général à Procureur général, 2 mai 1902. 166 Sur l’hôpital de Ghardaïa, Voir C. Fredj, « Soigner les populations au Sahara. L’exemple de l’hôpital mixte de Ghardaïa (1895-1910) », Histoire et missions chrétiennes, 22 (2012), p. 55-89. 167 ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 10 octobre 1894, p. 480. Sur ces refus, voir Y.  Turin, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, écoles, médecines, religion (1830-1880), Paris, Maspero, 1971. 168 ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 19 juin 1894, p. 196. 169 ASMNDA, Diaire, 1918, Tizi Ouzou, 8 juin, p. 39.

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par porter ses fruits : « à la longue, car il fallut des années de patience et de dévouement pour apprivoiser ces voisins hostiles, la confiance s’établit, les portes des gourbis s’ouvrirent plus accueillantes, les malades se présentèrent de plus en plus nombreux et le dispensaire devint une institution régulière dont les indigènes ne peuvent plus se passer170 », selon l’historiographe des missions d’Afrique Antony Philippe. En tous cas, ils semblent s’habituer à cette présence. Sidi Mokdad par exemple, « grand ami de l’hôpital vient nous voir » et insiste pour que les sœurs aillent à Chetma où les malades sont très nombreux : « il va faire, comme d’habitude, sa visite à Lalla Meriem, dont la statue fort modeste se dresse au jardin sous un petite pavillon171. » Les sœurs d’Arris reçoivent aussi en 1906 un petit brûlé qui « avait déjà reçu son passeport pour le ciel lors d’une coqueluche »172, ce qui tendrait à montrer que les villageois reviennent aux soins des sœurs. SainteÉlisabeth s’intègre au paysage : « les talebs de la plaine sont de promenade et ont choisi l’hôpital pour but de leur excursion. À les voir circuler dans les salles, les jardins, ils semblent être des habitués de la maison173 ». Cette acceptation n’est pas pour autant acquise une fois pour toutes ce que souligne le document 7, dans lequel le P. Vandehoudt signale les résistances à ses visites lors d’une épidémie de grippe en 1919. Cette acceptation ne signifie pas non plus que les Missions d’Afrique possèdent un monopole sur les soins dans les zones où elles sont implantées. Ainsi, les Pères trouvent le dispensaire des Beni Yenni trop peu fréquenté. Cela tiendrait « au voisinage de l’hôpital et aussi aux visites fréquentes que fait le médecin dans les tribus. Dans les principaux marché, l’Administration a fait élever des petits locaux, où le médecin vient soigner et vendre des remèdes »174. Ce texte est écrit alors que l’Assistance médicale indigène (AMI) mise en place en 1902 commence à fonctionner, s’organisant autour d’« infirmeries indigènes ». Les missions protestantes constituent aussi une forme de concurrence. Les sœurs trouvent ainsi des diaconesses quand elles arrivent à Djemaa Saharidj en 1888175. Selon un Kabyle, les Anglais « n’apportent pas les remèdes, comme vous, quand nous voulons, il faut aller chez elles »176. Côté catholique, on insiste sur la préférence marquée des populations pour les soins dispensés par les Françaises : « un homme ayant une

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A. Philippe, Missions des pères blancs, p. 67. ASMNDA, Diaire, 1906, Biskra, 29 août, p. 21. ASMNDA, Diaire, 1906, Arris, 22 décembre, p. 145. ASMNDA, Diaire, 1908, Sainte Élisabeth, 5 avril, p. 154. ASMA, F. Liv., 61082, Duvernois, 9 mars 1910. ASMNDA, Diaire, 1894, p. 39. ASMNDA, Diaire, 1898, Djemaa Saharidj, 1er avril, p. 156.

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grande plaie à la jambe va se faire panser au dispensaire. Le ministre protestant le dissuade de se faire soigner chez les sœurs mais chez lui ». L’homme refuse, vient chez les sœurs et au bout de quinze jours est guéri177. Cette concurrence des Anglo-Saxons se poursuit avec l’arrivée des missions méthodistes américaines178.

L’hôpital et son fonctionnement : l’administration de la médecine en situation coloniale Le fonctionnement des hôpitaux indigènes Les hôpitaux indigènes sont organisés dans des conditions déterminées par un contrat intervenu pour chacun d’eux entre le préfet du département et la Société des missions d’Afrique, avec approbation du gouvernement général179. La convention entre le préfet de Constantine et le Père Livinhac pour l’hôpital d’Arris prévoit ainsi l’allocation d’une subvention de 60 000 fr. à la Société des missions d’Afrique pour les travaux de construction. Le prix de la journée est fixé à 1 fr.40180. À Biskra, la supérieure de la congrégation de Notre-Dame d’Afrique accepte d’acquérir et d’aménager pour l’hôpital la maison des anciens « Pères armées du Sahara » ; le gouvernement général lui allouant à cet effet une subvention de 40 000 fr. et un tarif de journée de 1 fr.30181. Du point de vue financier, ces établissements sont en effet censés vivre du remboursement, par l’assistance hospitalière ou les communes, du prix de journée des malades, dans des conditions déterminées par les clauses du contrat182. Comme le montrent les documents 5 et 6, ce qui se rapporte à l’agrandissement et aux travaux éventuels à faire dans ces établissements est soumis à la Société des pères blancs, avec parfois des transactions entre la 177

ASMNDA, Diaire, 1898, Djemaa Saharidj, 12 décembre, n. p. Voir aussi R. Vanlande, Chez les Père Blancs (Tunisie, Kabylie, Sahara), Paris, Peyronnet et Cie, 1929. 179 En 1903, la Société des missionnaires d’Afrique possède les immeubles des hôpitaux de Sainte-Eugénie (Beni-Menguellet), de Sainte Marie-Madeleine (Ghardaia) et de Saint-Augustin (Arris), ainsi que la propriété de Médina, annexe de Saint-Augustin. Les autres immeubles appartiennent à la Société civile des orphelinats agricoles de l’Algérie, qui en a abandonné gratuitement aux Pères blancs dans l’intérêt des « pupilles indigènes que nous élevons » (ASMA, F. Liv, 61002, Baldit, Beni Menguellet, 24 janvier 1903 ASMA, F. Liv, 61002, Baldit, Beni Menguellet, 24 janvier 1903). 180 ASMA, F. Liv., 58127, Projet de convention entre préfet de Constantine et Livinhac 181 ASMA, F. Liv., 24071, Gouverneur général à Procureur général, 18 septembre 1895 182 Les Pères Blancs et leurs œuvres, Maison Carrée, 1903, p. 9. 178

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société et la commune pour la propriété d’un terrain (document 5). Plusieurs de ces travaux (salle d’opérations, salle d’isolement pour les contagieux), sont réclamés par le médecin. Les soins proprement dits sont donnés par un médecin. Il peut être officier de santé militaire désigné par le général commandant de division moyennant une allocation versée par la Société des missionnaires d’Afrique comme à Ghardaïa183 ou par un médecin de colonisation comme le docteur Roux qui vient à Saint-Cyprien deux fois par semaine. La pharmacie de cet hôpital est tenue par une sœur sous la surveillance du médecin184. Le service intérieur de ces établissements – qui doit être approuvé par le préfet – est confié aux Sœurs blanches, sous la direction des Pères blancs. Elles sont secondées par un personnel varié. On trouve ainsi mention d’Abd Allah, le portier, qui se propose comme infirmier à Sainte-Élisabeth185, de Louis Ramdam, infirmier à Sainte-Eugénie ou de Zinebe, infirmière de la salle des femmes186. En 1904, le règlement stipule qu’« un infirmier indigène est attaché à l’établissement pour assurer l’exécution des prescriptions concernant les hommes atteints de maladies syphilitiques187. » En 1906, l’hôpital d’Arris accueille un « infirmier indigène » nommé par le gouvernement général placé sous les ordres directs du docteur188. Peut-être s’agit-il d’un « auxiliaire indigène » dont le corps, créé en 1904 par le gouverneur général Charles Jonnart, commence à fonctionner. En 1916, arrivent également quinze « Annamites pour le service de l’établissement189. » La haute direction de l’hôpital est ainsi confiée au supérieur général des missions d’Afrique qui désigne une religieuse de son choix comme directrice effective190. Celle-ci est parfois vue comme empiétant parfois sur les prérogatives du médecin : celui de Sainte-Eugénie, n’exercerait pas 183 Cette somme est versée à titre de fonds de secours dans la caisse municipale et dont le montant est ordonnancé au nom du médecin par le Commandant supérieur, ASMA, F. Liv., Règlement de l’hôpital indigène de Ghardaïa, signé par le commandant supérieur Marignac le 8 avril 1905 et le père Girault le 20 avril 1905. 184 ASMA, F.  Liv., 57005 : E. de Méritens, PV de vérification des services administratifs et de la comptabilité de l’hôpital indigène de Saint-Cyprien, 19 avril 1898. 185 ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Élisabeth, 20 août, p. 280. 186 ASMNDA, Diaire, 1913, Biskra, 13 avril 13, p. 278. 187 ASMA, F. Liv., 58174, Règlement intérieur, 7 juillet 1904. 188 ASMNDA, Diaire, 1906, Arris, 20 novembre, p. 144. 189 ASMNDA, Diaire, Laghouat, 9 août, p. 235. 190 ASMA, F. Liv., 58127, Projet de convention entre préfet de Constantine et Livinhac. En 1920, la directrice de Sainte-Élisabeth est assistée d’une commission de surveillance composée du sous-préfet d’Orléansville, du maire des Attafs, des administrateurs des communes mixtes, de deux notables français et deux notables

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sur le malade « un contrôle effectif. Non seulement il n’a que le droit de pénétrer à volonté dans les salles des malades et de vérifier le régime auquel ces derniers sont soumis, mais encore il arrive que les sœurs croient pouvoir passer outre à ses prescriptions et modifier ses ordonnances191. » C’est pourquoi, selon l’inspecteur Pamart, l’administration devrait rétribuer le médecin de l’hôpital, « qui serait alors sous sa dépendance, au lieu d’être l’employé de la Directrice. On pourrait ainsi obtenir que l’hôpital soit surtout réservé aux malades guérissables192 ». Ces remarques témoignent des tensions existantes au sein de l’hôpital, qui porte sur la place des sœurs dans l’organisation des soins mais aussi le choix des patients, sur lequel leur influence est grande. Devant le constat que l’hôpital est dépourvu d’un service gynécologique, « de telle sorte que certains malades, notamment des filles-mères sont systématiquement écartées193 », le règlement intérieur des hôpitaux indigènes en 1904 précise que le médecin sera accompagné par une infirmière. Une sage-femme peut être attachée au service de l’établissement194. Déjà, en 1901, l’inspecteur Pamart soulignait que les femmes kabyles qui deviennent enceintes pendant leur veuvage « ont beaucoup de peine à y être reçues pour y faire leurs couches », et sont renvoyées huit jours plus tard « sans avoir égard à leur état de faiblesse ». Cette dureté devrait être attribuée au désir de choquer le moins possible les mœurs des autres femmes kabyles hospitalisées. Il suggère qu’il serait peut-être « préférable pour les sœurs de ne pas chercher à satisfaire les femmes kabyles sur ce point, afin de ne pas paraître approuver ces coutumes et partager des sentiments aussi anti-humanitaires195 ». La mixité reste un problème pratique, de place notamment (cf. document 5) et la question des populations à accueillir cause parfois des tensions à l’intérieur des missions. Le P. Tissot s’insurge en 1911 : Quand donc les sœurs seront-elles, ici comme dans les vicariats, subordonnées aux chefs ecclésiastiques ? (…) Si les sœurs, à tout instant, s’in-

indigènes nommés par le préfet (ASMA, F. Liv., 24168 : projet de convention pour Sainte-Élisabeth (1920). 191 ASMA, F. Liv., 61146, Gouverneur général (Jonnart) au procureur général, Alger, 15 mars 1904. 192 ASMA, F. Liv., 61144, Pamart, Rapport d’inspection au gouverneur général sur l’hôpital indigène de Sainte-Eugénie, 21 novembre 1901. 193 ASMA, F. Liv., 61146, Gouverneur général (Jonnart) au procureur général, Alger, 15 mars 1904. 194 ASMA, F. Liv., 58174, Règlement intérieur, 7 juillet 1904 195 ASMA, F. Liv., 61144, Pamart, Rapport d’inspection au gouverneur général sur l’hôpital indigène de Sainte-Eugénie, 21 novembre 1901.

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gèrent dans les directions paroissiales, elles ferment jalousement à notre connaissance tout ce qui concerne l’hôpital. [Elles commettent donc des erreurs] Il y a quelques semaines, une direction énergique venue de Saint-Charles a empêché la supérieure de faire au docteur de ridicules concessions concernant les accouchements et les soins aux hommes196. Pamart reproche surtout à Sainte-Eugénie de ressembler davantage à un hospice-orphelinat qu’à un hôpital : « Il y entre en effet peu de sujets atteints de malades guérissables, la plupart des malades (…) sont affectés de syphilis constitutionnelles197. Les enfants sont souvent hospitalisés pour la teigne, les galeux sont également légion. Bref, c’est une maison de refuge pour les misères humaines198. Or, si l’hôpital était effectivement un lieu de soins, « l’établissement répondrait tout aussi bien à son but politique, beaucoup mieux à son véritable objet, l’hospitalisation et la régularité de l’imputation des journées de traitement au budget de l’Assistance publique ne pourrait être contestée199. » L’entretien des malades indigents dans les hôpitaux occasionne des dépenses élevées pour les communes. Une aide de 200 000 fr. est accordée aux communes en 1905. Les assemblées algériennes soulignent que seule la diminution du nombre des hospitalisations réduira les dépenses. Elles rappellent que la loi métropolitaine du 15 juillet 1893 stipule que les malades ne sont admis à l’hôpital que s’il y a impossibilité de les soigner ailleurs. C’est pourquoi il serait souhaitable de promouvoir l’assistance à domicile200. Ne pouvant être calqué sur la manière dont s’organise le système d’assistance en France, le bon fonctionnement des hôpitaux indigènes  se heurte à deux obstacles : celui des coûts et celui de l’admission des malades. Les questions de gestion occupent en effet les missionnaires et font partie de ces dimensions concrètes de la mission qui constituent les ressorts de la narration missionnaire et contribuent à façonner un idéal-type missionnaire que les réalités contribuent à forger tout en les mettant à l’épreuve201. On voit dans les documents 1 et 3 et 4 à quel 196

ASMA, F. Liv., 61089, L. Tissot, 19 octobre 1911. ASMA, F. Liv., 61144, Pamart, Rapport d’inspection au gouverneur général sur l’hôpital indigène de Sainte-Eugénie, 21 novembre 1901. 198 Ibid. 199 Ibid. 200 ASMA, F. Liv., 58176, Gouverneur général au préfet de Constantine, 5 mars 1907. 201 C. Paisant, « Des lettres aux Annales. Les avatars littéraires du temporel dans les écrits de religieuses missionnaires (fin 19e-début 20e siècles) », dans Les conditions matérielles de la mission. Contraintes, dépassements et imaginaires XVII e- XX e siècles, s.d., J. Pirotte, Paris, Karthala, 2004, p. 429-452, p. 435. Sur ces aspects, voir aussi J. Pirotte, « L’espace et le temps vécus en mission. De la gestion du quotidien à la construction 197

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point l’aspect administratif, la vérification des comptes, des billets, la gestion des formulaires occupent les sœurs, les amenant à une correspondance active non seulement avec les Pères, qu’elles informent de ces questions, mais aussi avec toute la hiérarchie des pouvoirs civils dont l’hôpital dépend, depuis le préfet jusqu’au maire.

L’admission hospitalière : coûts et contrôle des populations indigènes Cambon avait estimé juste que les hôpitaux indigènes soient financés par les impôts, les impôts arabes ayant jusqu’alors servi à l’érection d’un système sanitaire dont profitaient peu les « indigènes ». Il est prévu que les soins leur soient dispensés gratuitement et cela conditionne la fréquentation de l’hôpital. En 1894, le sous-préfet et l’administrateur doivent contredire le bruit qu’on avait répandu « que tous les Kabyles soignés étaient obligés de payer202 » Face aux renseignements demandés en 1897 aux autorités indigènes en ce qui concerne les hospitalisés des Menguellet au sujet des paiements éventuels, « faut-il s’étonner dès lors que les malades désertent l’hôpital et que personne ne demande plus à y entrer203 » et Le Mobacher de rappeller quelques mois plus tard que « les hôpitaux tenus par des missionnaires continuent à être ouverts gratuitement aux indigènes204. » L’absence de frais généraux seule « permet de vivre avec une population moyenne de 80 malades et un prix de journée de 1 fr.30 (…) Il ne pourrait en être de même d’un hôpital même destiné aux indigènes et qui serait géré par des laïques205. » À plusieurs reprises, la Congrégation des Pères blancs a dû venir en aide pécuniairement à quelques-uns de ces hôpitaux 206. Avec l’augmentation du nombre de malades, les frais aussi augmentent. Les Assemblées algériennes demandent que ces frais soient aussi supportés par les communes. Entre 1895 et 1908, elles paient 25 c./jour. En mai 1908, le corps élu de la colonie exprime des réclamations contre le grossissement des frais d’assistance, portés à 60 c./jour. À partir de 1908 et jusqu’après la Guerre,

symbolique », Ibid., p. 17-44 et G. Fontaines, « L’image du missionnaire dans les récits de voyage », dans Une appropriation du monde. Mission et missions XIX e- XX e siècles, s.d., C. Prudhomme, Paris, Publisud, 2004, p. 161-178. 202 ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 19 décembre, p. 487. 203 ASMA, F. Liv., 61174, 25 février 1897. 204 Le Mobacher, n° 3944, 13 novembre 1897. 205 Dr. Purrey, Rapport d’inspection de l’hôpital indigène de Biskra, cité dans Les Pères blancs et leurs œuvres, p. 9. 206 Ibid.

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le nombre d’entrées fléchissent 207. L’attention est appelée sur l’importance des charges devant résulter pour certaines communes des frais de séjour des malades indigents des hôpitaux créés à Arris et Biskra. La fréquentation risque de baisser si on fait passer les frais sur les communes : « je reconnais qu’il serait excessif d’obliger ces communes à rembourser la totalité des frais de séjour de leurs indigènes malades dans ces hôpitaux alors qu’ils versent déjà au Trésor, pour les dépenses de l’assistance publique, 6 c. additionnels à l’impôt arabe. Le Trésor participera208 ». La question financière menace l’œuvre missionnaire. Des rumeurs voudraient que les sœurs fassent payer « les médicaments que nous emportons en excursion. Mais nous les dissuadons de cela en continuant nos visites à domicile209 » et aux Attafs toujours, le mère informe sr. MarieGonzague que « dernièrement qu’on avait réuni toute une tribu pour obliger les habitants à rembourser les frais d’hôpitaux de plusieurs années210 ». De même, à Ghardaïa, le commandant, pour refaire les finances de la commune a proposé de faire rembourser, à ceux qui les pourraient payer, les parts attribuées aux communes respectives dans le paiement des prix de journée (soit 0,25 fr.). Il fait réclamer cette somme aux malades hospitalisés l’année précédente par le caïd. Pour les religieux comme pour le médecin, ce rappel de factures oubliées est pour quelque chose dans la baisse de fréquentation de l’établissement 211. Les coûts sont une des difficultés que connaissent les hôpitaux indigènes et le document 1 y fait allusion. Le problème qui ressort également clairement des documents proposés concerne l’admission des malades indigènes. Les malades se présentent à la porte : « on les admet ou on les refuse, selon qu’ils sont plus ou moins malades ». Ils sont ensuite admis définitivement après avoir vu un médecin : « à leur arrivée, les malades indigènes sont conduits à la salle de bains, où ils prennent un bain et échangent leurs vêtements contre ceux de l’hôpital212 ». L’admission des malades est prononcée sur l’avis du médecin de l’établissement par l’administration de la commune mixte213 mais par la décision du 28 octobre 1897, les malades sont admis par la directrice, « maîtresse absolue d’admettre qui bon lui 207 ASMA, F. Liv., 24165, Rapport sur le fonctionnement des hôpitaux indigènes et spécialement de l’hôpital Sainte Élisabeth, s.d. [v. 1920]. 208 ASMA, F. Liv., 24075, Gouverneur général au Préfet, 15 mai 1896. 209 ASMA, F. Liv., 57007, Sœur Marie-Gonzague, 9 août 1898. 210 Ibid. 211 ASMA, F. Liv., 73053, Guérin, 19 janvier 1904. 212 ASMA, F. Liv., 61142, Règlement des hôpitaux indigènes, 22 janvier 1902. 213 ASMA, F. Liv., 58127, Projet de convention entre préfet de Constantine et Livinhac.

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semble214 ». Le renvoi des malades est possible, s’il « manque de politesse et de convenance envers la sœur ou de soumission aux prescriptions215 ». Certaines situations locales éclairent d’un jour cru la situation du malade soumis à ce qui semble être une application des règles de l’indigénat 216 : à Biskra, « le retour de M. le maire, qui est en même temps notre médecin, se signale par un événement qui fait sensation chez nos malades. Zémouh ne craint pas de parler d’une façon par trop incorrecte à la sœur infirmière mais le docteur lui promet sur l’heure qu’il saura avant la fin de la journée ce que lui vaudra son insolence217 ». De fait, le soir, la police vient le chercher. Les admissions sont à discrétion, les sorties aussi. j’ai même appris que des indigènes demandant à sortir, étaient parfois retenus malgré eux ; et que quelques uns n’ayant pu obtenir leurs effets personnels pour partir, avaient été ramenés à l’établissement par la gendarmerie, comme ayant emporté des vêtements appartenant à l’hôpital ; la directrice ne voulait pas que les indigènes s’habituent à considérer l’hôpital comme une auberge où on entre et on sort comme on veut, exigeait que ceux qui se font hospitaliser séjournent dans cet hôpital huit jours au moins218. Les religieuses obtiendraient des malades et incurables des deux sexes « l’observation d’une discipline sévère, surtout pour ce qui concerne la tenue des salles219 ». Les indigènes montreraient « une obéissance parfaite à leurs gardiennes », voire « une certaine affection (…) Je ne peux nier qu’une œuvre de ce genre doive rapprocher de nous une population absolument rebelle à nos institutions, à nos mœurs220 », souligne l’inspecteur 214 ASMA, F. Liv., 61144, Pamart, Rapport d’inspection au gouverneur général sur l’hôpital indigène de Sainte-Eugénie, 21 novembre 1901. 215 ASMA, F. Liv., 58175, Règles auxquelles doivent être soumis les malades, s.d. [v. 1905]. À Sainte-Élisabeth, la pression est d’autant plus forte sur certaines populations que jusqu’au début du xxe siècle, la Société civile des orphelinats agricoles de l’Algérie, propriétaires des terres occupées par les Arabes chrétiens déchoit plusieurs ménages de leur concession parce que leur comportement est allé à l’encontre des conditions posées, J. Tiquet, Une expérience de petite colonisation indigène en Algérie, p. 110. 216 I. Merle, « De la “légalisation” de la violence en contexte colonial. Le régime de l’indigénat en question », Politix, t. 17, n° 66 (2004), p. 137-162. 217 ASMNDA, Diaire, 1903, Biskra, 9 octobre, p. 383. 218 ASMA, F. Liv., 61144, Pamart, Rapport d’inspection au gouverneur général sur l’hôpital indigène de Sainte-Eugénie, 21 novembre 1901. 219 Ibid. 220 ASMA, F.  Liv., 57005, E. de Méritens, PV de vérification des services administratifs et de la comptabilité de l’hôpital indigène de Saint-Cyprien, 19 avril 1898.

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de Méritens. C’est notamment pourquoi les hôpitaux indigènes sont régulièrement visités par les autorités : en avril 1894 par exemple, SainteÉlisabeth reçoit la visite du sous-préfet de Milianah puis celle de l’archevêque d’Alger Mgr Dusserre221. À Arris, l’administrateur adjoint passe en revue jusque aux plus petits coins et se montre satisfait, « disant que jamais il n’aurait pu croire à l’existence d’un si bel hôpital dans un pays aussi retiré et aussi sauvage222 ». Mais les documents signalent un dialogue constant avec les autorités civiles de plusieurs communes, les « indigènes » venant de différents lieux (voir document 4). Les autorités « indigènes » considèrent aussi ces établissements comme des lieux politiques. Le caïd de Tacheta, Ben Ali, visite l’hôpital de Sainte-Élisabeth : « je dis du bien de vous partout, dit-il à notre Mère, je conseille à tous les malades de venir à l’hôpital. Mais vous, je vous demande de dire aussi du bien de moi aux grands marabouts de Maison Carrée223. » L’organisation territoriale complexe de l’Algérie coloniale génère en effet une hiérarchie administrative spécifique. À côté des communes de plein exercice, soumises au régime municipal français et des communes indigènes sans Européens, les communes mixtes sont régies en territoire civil par des administrateurs assistés d’une commission municipale qui remplacent les anciens bureaux arabes. L’administrateur de communes mixtes, nommé par le gouvernement, a pour supérieur le sous-préfet. Ses attributions sont considérables : en tant que maire, il est à la fois agent de l’État et agent de la commune. Officier de police judiciaire et juge pénal, son pouvoir s’accroît encore avec l’application de la loi du 28 juin 1881 dit Code de l’indigénat. En contradiction avec les principes du droit français, l’administrateur possède à la fois des fonctions judiciaires et exécutives. Pratiquement, son pouvoir est discrétionnaire224. Une hiérarchie de chefs indigènes se met aussi en place, khodja-interprète, khiela-cavaliers, caïds, appelés un temps « adjoints indigènes » proposés par les administrateurs et nommés par les sous-préfets225. Les douars comprennent les djemaa, assemblées composées des chefs de clans. Présidées par l’adjoint indigène, elles ont officiellement un pouvoir décisionnaire sur l’exploitation des communaux, les droits d’usage en forêts, la répartition des terres collectives. Au plus haut niveau, l’organisation de la

221

ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Élisabeth, 5 avril, p. 109. ASMNDA, Diaire, 1908, Arris, 27 mai, p. 175. 223 ASMNDA, Diaire, 1903, Sainte-Élisabeth, 8 septembre, p. 238. 224 C. Collot, Les Institutions de l’Algérie durant la période coloniale (1830-1962), Paris, CNRS – Alger, Office des publications universitaires, 1987. 225 C. Establet, Être caïd dans l’Algérie coloniale, Paris, CNRS, 1991. 222

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colonie évolue avec la mise en place d’un quasi « parlement colonial », les délégations financières à partir de 1898226.

Des relations parfois tendues entre les pouvoirs Les sœurs doivent se plier à ces hiérarchies en vigueur et le Supérieur des Pères blancs signale que les malades indigents appartenant à la population musulmane éprouvent quelquefois des difficultés pour obtenir des billets d’admission à Sainte-Élisabeth et à Saint-Augustin227. En effet, les sœurs ne peuvent plus recevoir les malades « sans qu’ils soient munis de billets des maires ou des administrateurs de leurs lieux de résidence228 ». Ils viennent parfois de loin à pied et préfèrent se passer de soins plutôt que de retourner faire régulariser leurs papiers, d’autant que certains caïds ne veulent délivrer le billet d’hôpital que moyennant finance229. Cette course d’obstacles est narrée dans le document 4, qui permet de suivre les pérégrinations de jeunes filles malades, dans la nuit parfois, devant parcourir plusieurs dizaines de kilomètres à pied, et sont évoquées plus brièvement dans le document 1 et dans le post-scriptum du document 3. Les difficultés sur lesquelles la supérieure des Attafs insiste commenceraient avec la réorganisation du mode de paiement hospitalier : « aussi longtemps que les communes n’ont pas participé au paiement des frais d’hospitalisation, tout allait bien230 », déplore S. Marie-Gonzague. C’est pourquoi elle aimerait que l’on confère au médecin de l’hôpital le droit de prononcer l’admission des malades et les billets de ceux-ci seraient ensuite régularisés par le maire de la commune la plus proche, ainsi que cela se pratique pour les Européens que nous hospitalisons (…) Les pauvres Arabes de toute la région venaient à nous avec confiance, sachant que l’hôpital avait été créé pour eux. Ils s’étonnent et ne comprennent plus cette nouvelle situation231. Autre obstacle, l’admission des indigènes dans les hôpitaux suppose la production de carte d’identité232. Ces obligations de contrôle multiplient

226 J. Bouveresse, Un parlement colonial ? Les délégations financières algériennes, 18981945, vol. 2,. Mont Saint-Aignan, Publication des universités de Rouen et du Havre, 2010. 227 ASMA, F. Liv., 24079, GG à PG, 28 octobre 1897. 228 ASMA, F. Liv., 57007, Sœur Marie-Gonzague, 9 août 1898. 229 Ibid. 230 Ibid. 231 Ibid. 232 ASMA, F. Liv., 24259, Constantine, 26 février 1896.

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les difficultés des sœurs et entravent le bon fonctionnement administratif de l’hôpital en rendant constantes les opérations de vérification : le caïd Ahmed, du douar Tacheta, vient ainsi demander des renseignements au sujet d’un malade qui s’est fait inscrire sous un faux nom. L’individu est décédé depuis deux jours. « Nous remettons au caïd la carte d’identité dont il était porteur233 » écrit la sœur tenant le diaire en 1913. À partir de la loi du 23 mars 1883, la mise en place de l’état-civil pour les indigènes et l’octroi de noms patronymiques s’inscrivent dans un processus d’individualisation de l’indigène face aux services administratifs, après l’avoir rendu « saisissable » face aux services de contrôle et de répression policière. En 1894, l’administration estime l’opération terminée. Pour autant, tous les indigènes n’ont pas été recensés234 et tous ne disposent pas de papiers d’identité – ou ne les apportent pas – comme le déplore sr. Jean de la Croix dans le document 1. Si les hôpitaux indigènes peuvent être vus comme un rouage de l’administration coloniale, les tensions entre plusieurs éléments de cette administration existent, notamment à la fin du xixe siècle, dans le contexte de laïcisation notamment hospitalière. Sr. Marie-Gonzague fait remarquer dans le document 3 que les autorités seraient plus exigeantes « pour notre maison que pour les autres hôpitaux » et revient sur ce traitement différencié dans sa lettre suivante (document 4). Elle écrit la crainte dans laquelle elle est devoir prises des mesures de rétorsions administratives et des difficultés que les pouvoirs pourraient lui faire, avec derrière l’enjeu de la laïcisation, quand bien même les missions d’Afrique restent relativement « en marge » de ce mouvement235. Alors que la presse algérienne peut se faire l’écho d’un anticléricalisme virulent, les Pères blancs se plaignent au sous-préfet de Tizi Ouzou de l’administrateur de Michelet, Laquille, accusé d’hostilité à l’encontre de l’hôpital de Sainte-Eugénie – ce qu’il nie236. On souligne qu’il est franc-maçon, marié civilement et que sa fille n’est pas baptisée. Son premier adjoint, Pervieux, est aussi un franc-maçon dont les enfants ne sont pas baptisés. Quant à son deuxième adjoint, Gourlier, il aurait dit : « je me fous pas mal de votre hôpital de Curie237 ». Quelques années plus tard, alors que la politique anticléricale du gouvernement français semble un temps menacer

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ASMNDA, Diaire, 1913, Arris, 1er décembre, p. 670. K. Kateb, Européens, indigènes et Juifs en Algérie, 1830-1962 : représentations et réalités des populations, Paris, Éd. de l’Institut national d’études démographiques, 2001, p. 109-112. 235 C. Robert-Guiard, Des Européennes en situation coloniale, p. 204. 236 ASMA, F. Liv., 61148, Laquille à P. Voillard, 17 décembre 1894. 237 ASMA, F. Liv., 61395, P. Grisey, sur l’administrateur de Michelet, s.d. [v. 1894]. 234

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la Société des missionnaires d’Afrique, le délégué aux délégations financières Aïtmehdi Ahmed, soulignant que les hôpitaux indigènes ne répondent pas aux besoins de la population musulmane, réclame leur laïcisation pour éviter les abus qu’entraînerait la présence des religieux. Parmi ces abus, souligne son collègue, Mammeri Gana, le fait que le service de cet hôpital est mal assuré parce qu’un médecin n’est pas spécifiquement attaché à l’hôpital de Beni Menguellet. La nourriture serait en général insuffisante, sauf pour ceux qui manifestent l’intention de se convertir, « auxquels un régime de faveur est réservé238 ». En outre, le médecin ne signant pas les billets d’entrée et de sortie, des indigènes bien portants ou peu malades entrent à l’hôpital et sont employés à des travaux divers par le personnel religieux qui tire profit de leur travail, alors que la commune du domicile de secours et l’État versent toujours les frais d’hospitalisation. Quant aux individus atteints de maladies vénériennes, ils sont complètement laissés, les religieuses se refusant à leur donner des soins239. Selon Aïtmehedi : il est également établi que le médecin de colonisation chargé du service de l’établissement hospitalier qui nous occupe n’a jamais pu connaître ni la nourriture de ses malades, ni la suite données à ses ordonnances. Toutes les fois d’ailleurs qu’un médecin a voulu s’occuper des soins et de l’entretien de ses malades, il a été mal accueilli par la sœur supérieure qui ne comprend pas qu’un docteur puisse empiéter sur ses attributions240. Ces accusations, relayées par une certaine presse anticléricale accusant les Pères blancs, sont d’une ingéniosité rare : « il existe à l’hôpital SainteEugénie toute une catégorie de… ‘remplaçants malades’ », c’est-à-dire des femmes kabyles qui, « mises en traitement à l’hôpital ont été nommées femmes de charge. Pour être admises à ces hautes fonctions, il leur faut remplir deux conditions : se faire baptiser d’abord, être atteinte ensuite d’une maladie chronique241 ». Ce type d’article voit l’hôpital comme un moyen d’accroissement des revenus des Pères blancs242. Il est difficile de connaître le degré de vérité de ces accusations qui reprennent celles lancées depuis plusieurs décennies contre les sœurs hospitalières. Cela dit, c’est 238 ASMA, F. Liv., 61145, Délégations financières. Délégation indigène (section kabyle), séance du 28 mai 1903. 239 Ibid. 240 Ibid. 241 E.  Inay, « Hôpitaux indigènes : propagande et exploitation religieuse. Laïcisation nécessaire », Journal républicain quotidien, Rue Blanche Mustapha, 15 novembre 1904. 242 Ibid.

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peut-être pour se prémunir de ce type de critique que le document 5 précise que les filles, en augmentation à l’hôpital Saint-Augustin d’Arris, leur ont bien été « confiées » et c’est toujours l’hostilité qui caractérise les rapports du P.  Vandehoudt avec l’administration (dernier  § du document  7). La crainte de la laïcisation est également visible dans la lettre du P. Tissot (Document 6) qui montre que ce processus ne se fait pas uniquement par des attaques violentes contre le personnel hospitalier religieux mais par l’appropriation de bâtiments par l’administration civile et la haute main du médecin sur le personnel infirmier.

L’hôpital et le dispensaire, observatoires des populations coloniales Des religieux soignants La médecine est suffisamment centrale dans l’apostolat tel que le conçoit Lavigerie pour qu’il fonde à Carthage en 1876 un Institut des médecins catéchistes africains, transféré à Malte cinq ans plus tard. Cette initiative fait long feu. Quelques-uns de ses orphelins entreprennent également des études médicales. Mais pour préparer ses missionnaires un médecin d’Alger, professeur à l’École de médecine, titulaire d’une salle de l’hôpital civil, vient chaque semaine faire un cours de médecine pratique et d’hygiène usuelle aux jeunes aspirants243. On leur apprend la manière de soigner les maladies les plus communes, les règles de l’asepsie et de l’antisepsie, la manière de manier le thermo-cautère et le bistouri, de faire une injection sous-cutanée, de procéder aux divers pansements, de soigner les plaies244. Les missionnaires ne suivent pas pour autant toutes les recommandations du médecin : le P. Vandehoudt dit ne pouvoir traiter ses malades selon les prescriptions du médecin, d’abord parce qu’il est tout seul, ensuite parce que le remède – des injections de camphres – est trop cher pour les finances de la compagnie (document 7). Ils acquièrent, reconnaissent-ils parfois, une habileté certaine à « arracher les dents sans frais et sans douleur245 ». Un « miracle » conforte de temps en temps leur position de guérisseur : le père Caillavé verse un peu d’alcool dans la bouche d’une petite fille muette, « lui faisant renifler en même temps l’ammoniaque » et l’enfant se met à parler246. Les dispensaires établis dans une mission sont autant que possible placés sous la responsabilité d’un missionnaire ayant pris auparavant « quelque tein243 244 245 246

Les Pères Blancs et leurs œuvres, Maison Carrée, 1903, p. 10. Les Pères Blancs et leurs œuvres, p. 10. ASMA, F. Liv., 61089, P. Chayraguès, 31 mai 1902. Ibid.

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ture des maladies les plus ordinaires dans le pays et de la manière de les soigner247 ». Les sœurs disposent parfois d’une attestation de secouristes248 et aux Attafs, les premières sœurs à servir viennent de « terminer leurs études d’infirmières249 », encore sommaires dans les années 1870. D’après sr. Marie Claver, qui découvre les missions d’Afrique à la fin des années 1880, Nos sœurs n’étaient pas bien savantes en médecine, ni la pharmacie bien richement garnie de médicaments ; mais les cas qui se présentaient étaient toujours les mêmes, des embarras d’estomac, qu’on traitait par le sel de magnésie, des plaies, qu’on nettoyait, sur lesquelles on appliquait de la vaseline boriquée et qu’on bandait en recommandant de tenir le pansement propre le plus longtemps possible, des maux d’yeux, qu’on soignait par le nitrate d’argent. Quand on ne se savait pas quoi faire, on donnait aux malades de l’aqua simplex, car on n’osait pas les renvoyer sans un remède250. Certaines ont conscience de ces lacunes et « on gémit de ne savoir pas davantage de médecine et de langue indigène ou guérir ou soulager et le corps et l’âme de nos pauvres Kabyles251. » En 1910, les Constitutions des missions d’Afrique insistent pour qu’on donne des leçons de pharmacie ou de médecine aux sœurs destinées aux dispensaires et aux hôpitaux et « on fera prendre au plus grand nombre possible des brevets d’infirmières252 ». Cette professionnalisation se poursuit dans l’Entre-deux-guerres. Ce processus n’empêche pas le recours aux techniques traditionnelles de soins et la mère supérieure des Ouardhias utilise les services d’un « rebouteur kabyle de 90 ans » pour remettre en place les os de son bras cassé,

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F. Renault, « Principes missionnaires et action sanitaire des pères blancs et sœurs blanches du Cardinal Lavigerie (1868-1960) », dans Église et santé dans le Tiers Monde, hier et aujourd’hui, s.d., J. Pirotte et H. Derroitte, Leiden Brill, 1991, p. 27-48, p. 31. 248 ASMNDA, Marie-Thérèse Freundenreich, tapuscrit, 1989. 249 Sr. Marie-André du Sacré-Cœur, Histoire d’origines de la congrégation des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique (1869-1892), Saint-Charles de Kouba, 1946, p. 163. 250 Mère M. Claver, Notes et souvenir, p. 75. 251 ASMNDA, Diaire, 1894, Beni-Ismaël, 18 octobre, p. 468. 252 F. Renault, « Principes missionnaires », p. 29. De la même manière, avant la création en 1906 de l’école d’infirmière des Filles de la Charité à l’hôpital Saint-Joseph de Paris, ces religieuses ont rarement des qualifications infirmières, voir aussi É. Dufourcq, Les aventurières de Dieu. Trois siècles d’histoire missionnaire française, Paris, Perrin, 2009 (1e éd. 1993), p. 476. Sur la question, voir aussi U. Bertini, Pie XI et la médecine au service des missions, Librarie Bloud et Gay, 1929.

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et pour cela, il fait étendre le bras par terre et, s’appuyant sur son bâton, il marche de toutes ses forces des deux côtés du bras, ce qui cause une grande souffrance à la malade. Ensuite il frictionne le membre avec de l’huile tiède l’enveloppe de ouate, puis, avec des planchettes de liège, il emprisonne le bras de façon à ce qu’il reste raide253. Les malades prêtent quelquefois aux sœurs « des pouvoirs que nous n’avons pas254 », remarque une sœur et une autre que « plusieurs de nos Kabyles en effet nous croient capables de faire des miracles255. Certains demandent des remèdes pour faire pousser les dents256, un autre un remède pour blanchir257. Une vieille femme, « qui veut redevenir jeune, ne trouve rien de mieux à faire, pour y réussir que de prier la sœur de la badigeonner de teinture d’iode258 ». Les missionnaires sont vus comme des guérisseurs universels : « hommes, femmes, enfants se bousculent pour obtenir des médicaments. On leur présente même des chèvres à soigner259 ». Un homme, soigné pour une plaie au pied demande la même chose pour sa chèvre boiteuse260. Une sœur note qu’on nous amène même des mulets », à qui l’on peut dispenser du collyre ou de la pommade261. Si certains de ces exemples trouvés dans les diaires des hôpitaux et des stations peuvent aujourd’hui prêter à sourire – encore la volonté de faire soigner des animaux est-elle bien compréhensible dans des sociétés rurales et pauvres –, certains émeuvent, comme celui de cette femme venue « demander un remède pour… oublier sa fille ! Elle est morte depuis quatre ans. Jusqu’à ce jour, elle est inconsolable de cette perte »262. Le dispensaire est aussi un lieu où parfois, les patients se libèrent, ainsi, la femme d’un marabout qui « profite de quelques instants où elle se trouve seule avec notre Mère pour lui raconter qu’elle vient surtout pour chercher un peu de consolation et de courage pour vivre avec son mari qui la fait tant souffrir263 ».

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ASMNDA, Diaire, 1908, Ouardhais, 28 mai, p. 197. ASMNDA, Diaire, 1895, Sainte-Eugénie, 19 septembre, p. 348. ASMNDA, Diaire, 1916, Taguemount Azous, 8 février, p. 18. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 19 juin, p. 196. ASMNDA, Diaire, 1895, Sainte-Eugénie, 19 septembre, p. 348. ASMNDA, Diaire, 1903, Taguemount Azouz, 17 janvier, p. 35. Ibid. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 11 août, p. 320. ASMNDA, Diaire, 1895, Sainte-Eugénie, 13 juillet, p. 345 et 10 juillet, p. 343. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 18 mars, p. 57. ASMNDA, Diaire, 1918, Ouadhias, 20 juin, p. 39.

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Soignants et soignés Les archives disponibles ne donnent qu’une vision fragmentée des réalités vécues. Elles sont rarement composées sur un même modèle. Certaines notations permettent néanmoins de saisir des situations, des confrontations et des évolutions. Les diaires des hôpitaux signalent parfois certaines affections subies par leurs patients, les difficultés des soins liées à la qualité de l’équipement et l’isolement de ces établissements, et les solutions précaires mises en place. Ainsi, en 1898, un homme, qui a eu le bras coupé par une batteuse, reçoit les premiers soins à Sainte-Élisabeth. Le médecin, qui n’arrive que le lendemain, opère le blessé et ne pouvant faire l’amputation nécessaire, faute d’instrument, il l’envoie par le train à l’hôpital d’Orléansville264. Les relations entre cet établissement et Sainte-Élisabeth semblent suffisamment cordiales pour que le médecin en chef visite les sœurs et leur donne des nouvelles de certains de leurs malades (document 3). SainteÉlisabeth peut aussi envoyer des patients à Alger, ainsi lorsque Madeleine de Duperré a avalé une épingle, « le médecin de l’endroit s’est déclaré incapable de la lui enlever. Nous n’avons pas à Sainte-Élisabeth les instruments perfectionnés nécessaires à ces sortes d’opérations et nous envoyons l’enfant à Mustapha265 ». En 1913, des cas de variole s’étant déclarés à Saada, en territoire militaire, « plusieurs familles de nomades viennent à l’hôpital faire vacciner leurs enfants. Étant dépourvues de vaccin, nous les envoyons au Bureau arabe266 ». Face à certaines urgences, les soins sont parfois sommaires : au dispensaire de Djemaa Saharidj, « un Kabyle mordu par un chien enragé souffrait tellement qu’il faisait semblant d’égrainer son chapelet et en même temps faisait signe à Mezian de lui donner une cigarette. Pendant qu’il fume, sr. Mathilde se hâte de brûler les plaies avec un fer rouge267 ». A contrario, des spécialistes visitent parfois les hôpitaux : à SainteEugénie, de nombreuses personnes se présentent pour entrer à l’hôpital mais les sœurs choisissent de préférence ceux qui ont mal aux yeux, parce que « l’oculiste viendra demain faire le choix de ceux qui doivent être opérés268 ». Les diaires permettent également de suivre la marche et l’impact des épidémies, comme celle de typhus du printemps 1918 qui ravage Biskra et lors de laquelle le major Priquet, médecin du service de santé de Constantine, craignant que les sœurs aient des difficultés avec les familles de contaminés, envoie un piquet de quatre Sénégalais et un caporal pour 264 265 266 267 268

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ASMNDA, Diaire, 1898, Sainte Élisabeth, 9 août, p. 248. ASMNDA, Diaire, 1906, Sainte Élisabeth, 23 novembre, p. 129.  ASMNDA, Diaire, 1913, Biskra, 23 janvier, p. 41. ASMNDA, Diaire, 1898, Djemaa Saharidj, 28 novembre, n. p. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 2 septembre, p. 322.

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garder les tentes269 destinées à isoler les malades, comme celles aussi de l’été 1918 lors duquel la dysenterie, la grippe espagnole, la typhoïde se propagent dans les populations kabyles, ou encore l’épidémie de grippe qui préoccupe le P. Vandehoudt missionnaire auprès des Beni Yenni au printemps 1919 (document 7). Ce dernier, visiblement découragé, se plaint aussi du manque de personnel, puisqu’ils ne sont plus que deux à la station. Il déplore surtout le fait qu’en ces temps d’épidémie, « la circulation reste libre comme l’air » et que des mesures préventives n’ont pas été prises contre cela. Le ton inquiet qui se dégage de sa lettre est peut-être lié au fait qu’il s’agit de son premier poste, rejoint alors que les missions d’Afrique sont affaiblies par la guerre qui a touché plusieurs dizaines de leurs membres. Différentes notations laissent entrevoir le travail au quotidien et la relation pouvant exister entre les autorités et les malades, entre les hospitalisés également. À Sainte-Eugénie, par exemple, soigner les hommes serait une tâche assez facile : ils demandent un remède puis s’en vont. Avec les femmes, cela ne va pas vite. Dès qu’une d’elle a mal à la tête, tout le monde a mal à la tête ; une autre a-t-elle mal au bras, toutes crient pour avoir le même remède ; une troisième a-t-elle mal aux yeux, tout le monde a la même chose, etc. Elles ne sont contentes qu’après avoir profité de quatre ou cinq remèdes à la fois. Il faut bien de la patience. Toutefois, le soin des malades semble faire bonne impression270. Le régime alimentaire est un des principaux éléments de soins à l’hôpital. En 1902, il est établi de la manière suivante : « 7 h : café noir, sans pain, et médicaments ; 9h : plat de légumes sec ou frais et 250 gr. de pain, une soupe aux légumes avec 250 gr. de pain. Le mercredi et le dimanche, le plat de légumes du matin est remplacé par un couscous à la viande ; pendant la saison des figues fraîches, les malades, très friands de ce fruit, en reçoivent chaque jour271 ». L’inspecteur de l’Assistance publique propose en 1898 quelques changements de régime : « certains mets peu coûteux et très appréciés des Arabes remplaceraient avantageusement le riz et les légumes secs qu’ils n’ont pas l’habitude de consommer dans la vie ordinaire272 ». Mais l’inspecteur Pamart, en 1901, juge ce régime simple, frugal, bien

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ASMNDA, Diaire, 1918, Biskra, 15 avril 18, p. 70. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 15 février, p. 52. 271 ASMA, F. Liv., 61142, Règlement des hôpitaux indigènes, 22 janvier 1902. 272 ASMA, F.  Liv., 57005, E. de Méritens, PV de vérification des services administratifs et de la comptabilité de l’hôpital indigène de Saint-Cyprien, 19 avril 1898. 270

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approprié aux ressources alimentaires du pays et peu coûteux mais « doute toutefois qu’il soit suffisant pour remettre sur pied des malades273 » du fait du peu de viande qu’il comporte et estime que le prix alloué permettrait une nourriture plus substantielle. Certaines affections entraînent la mise à la diète des malades, pas toujours bien acceptée. L’un d’eux, chaque fois que la sœur va le voir, lui prêche la charité, la trouvant sans doute bien barbare de le laisser mourir de faim274. Parfois, les réactions sont plus violentes : le document 2 décrit le violent refus de la diète par une famille, avec insultes et lettre de protestation, ce qui peut montrer la pénétration de l’école française dans ces stations. On voit donc ici des malades qui n’acceptent pas sans discussions leur traitement : « l’un d’eux, atteint de paludisme, se débat de toutes ses forces lorsque la sœur arrive pour lui faire une piqûre de quinine : ‘ma sœur, tu ne me comprends pas ; j’ai mal à la tête et tu veux me piquer sur le côté ; donne-moi du remède pour ma tête, mais pas de cette aiguille’. Il se laisse persuader, mais pour une fois seulement 275 ». Un autre malade demande au docteur « du feu pour sa rate (il veut dire des points de feu) ; on le satisfait 276 ». Le diaire de Laghouat de 1908 mentionne que les soins donnés par les sœurs excursionnistes « sont sujets à la critique et plus qu’ailleurs, elles doivent faire bien attention, sachant par expérience que très souvent, leurs pratiques vont faire contrôler leurs ordonnances par le docteur277 ». Le mauvais vouloir des malades semble pouvoir mettre en péril l’œuvre missionnaire : à Arris en 1901, les malades « acceptaient bien nos pansements et nos remèdes mais ils se montraient exigeants sur la nourriture, murmuraient contre la discipline de l’hôpital, si indulgente qu’elle fût d’ailleurs, et auraient voulu trouver à toute heure les portes ouvertes, afin de pouvoir se promener librement dans la campagne278 ». Aussi les salles furent-elles désertées, presque aussi promptement qu’elles avaient été envahies. Quelques concessions – non précisées – sont nécessaires pour contenter les malades, pour gagner et garder leur confiance279. Une certaine confiance s’installe : lorsqu’un ancien caïd hésite à accepter la nourriture de l’hôpital, « craignant d’enfreindre les lois du Coran », plusieurs marabouts venus le 273 ASMA, F. Liv., 61144, Pamart, Rapport d’inspection au gouverneur général sur l’hôpital indigène de Sainte-Eugénie, 21 novembre 1901. 274 ASMNDA, Diaire, 1898, Lavigerie, 20 janvier, p. 22. 275 ASMNDA, Diaire, 1916, Sainte Eugénie, 20 août, p. 213. 276 Ibid. 277 ASMNDA, Diaire, 1908, Ghardaïa, 12 juin, p. 212 278 Chronique des religieuses missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, n°  7, 3e année, juillet 1901, Saint-Charles, p. 238. 279 Ibid., p. 239.

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visiter l’encouragent « à prendre tous les aliments et les boissons qui lui sont donnés afin de hâter son rétablissement 280. Les sœurs écrivent parfois comment certains devoirs religieux interfèrent avec les soins. Avec le ramadan par exemple, les malades d’Iguerfta ne veulent rien avaler. Certains pousseraient le scrupule si loin « qu’une femme, respirant un peu l’odeur de l’eau sédative pour soulager sa tête malade fut aussitôt réprimandée par son mari ; à peine peut-elle accepter une friction »281. À Biskra, les sœurs prédisent que le ramadan qui approche videra sûrement les salles : « ils commencent déjà à ne plus vouloir accepter le vin de quinquina. Ce remède, disent-ils, reste 40 jours dans l’estomac, cela nous empêchera de faire notre carême. La sœur infirmière les tranquillise en leur affirmant qu’ils peuvent en prendre jusqu’à la veille du ramadan et qu’elle se chargera de leur nettoyer l’estomac par une bonne purge282 ».

Observer une société qui évolue Les archives religieuses témoignent enfin d’un regard sur la société qui entoure pères et les sœurs et notamment sur la petite communauté chrétienne créée aux Attafs et en Kabylie répartie entre cinq postes (Ouadhias, Ouarzen, Beni Ismaïl, Ighil Ali, Taguemoun-Azouz). C’est auprès de ces « kabyles convertis », que l’on repère à leur prénom (Laurent, Gabriel du document 2) que certaines sœurs apprennent la langue283. On a quelques aperçus sur les Attafs par les lettres de sr. Marie-Gonzague, la supérieure de Sainte-Élisabeth, décrite comme « une pieuse et énergique religieuse, un habile professeur d’agriculture » qui dirige notamment « les travaux des ménages chrétiens de Saint-Cyprien et de Sainte-Monique284 ». Le document 2 montre comment l’hôpital de Sainte-Élisabeth – comme SainteEugénie à Arris – constitue un « centre appréciable de main d’œuvre », avec semble-t-il « priorité aux catéchumènes et aux convertis285 ». Sr. Gonzague parle de ses « employé », d’un forgeron etc., sans oublier les auxiliaires soignants. Surtout, dans les années de difficultés agricoles, c’est la direction de Sainte-Élisabeth qui procure des ressources aux colons en les faisant travailler ou en leur distribuant des vivres286. L’hôpital est également une société avec ses conflits et différents problèmes à régler : la violence d’un 280 281 282 283 284 285 286

ASMNDA, Diaire, 1903, Sainte-Élisabeth, 1er juillet, p. 235. ASMNDA, Diaire, 1895, Beni Ismaël, 28 février, p. 57. ASMNDA, Diaire, 1898, Lavigerie, 16 janvier, p. 22. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, septembre, p. 317. Mère M. Claver, Notes et souvenirs, p. 187. K. Dirèche, Les chrétiens de Kabylie, p. 11. J. Tiquet, Une expérience de petite colonisation indigène en Algérie, p. 115.

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adolescent, l’hostilité d’une famille, le mariage des « orphelins » : la violence de Gabriel risque de mettre en péril l’union que les sœurs avaient conçue pour l’une de leur protégée. De fait, les missionnaires se considèrent comme tuteurs de ces néophytes et pour créer les premiers noyaux de convertis, interviennent directement dans les choix matrimoniaux 287, ce qui peut occasionner des déchirements lorsque les jeunes gens ont encore de la famille et que celle-ci ne s’est pas faite chrétienne. La tutelle des pères sur la communauté de l’hôpital dépasse aux Attafs la simple question des soins : le document 2 signale l’attention que porte sr. Gonzague à ce qui semble être une succession, dont le bon règlement, confié à M. Hanriot gérant de la Société civile des orphelinats agricoles de l’Algérie, protègera les intérêts de ses sœurs, également protégées des religieuses288. Les sœurs notent parfois la manière dont vivent les populations qui les entourent, les rapports qu’hommes et femmes par exemple entretiennent : en 1894 à Touggourt, un homme et ses trois femmes viennent se faire soigner. Comme les sœurs « s’occupaient tout autant des femmes que de l’homme, le fils aîné s’en montra vexé ». Il leur dit de soigner l’homme car si les femmes meurent, on peut en racheter. La sœur remercie Dieu dans son compte-rendu de l’avoir fait naître « dans un pays catholique et de parents chrétiens289 ». Une autre note, une vingtaine d’années plus tard, la venue d’un Kabyle qui, amenant sa femme à l’hôpital « ne tarit pas en fait de recommandations, tant auprès des médecins qu’auprès des sœurs pour que son excellente femme soit bien soignée. Le pauvre homme pleure et nous en sommes quelque peu attendries, c’est chose si rare ici290. Certaines pratiques religieuses sont consignées. Ainsi, une religieuse observe les malades de la salle des femmes d’Arris prier pour demander la pluie. « Pour rendre leurs prières plus efficaces, elles chantent et dansent autour de cuil-

287 Dahbia Abrous, La Société des missionnaires d’Afrique à l’épreuve du mythe berbère (Kabylie, Aurès, Mzab), Paris,-Louvain, Dudley-Peeters, 2007, p. 57. 288 Peut-être le document fait-il allusion à l’affaire Philippe Djilloul, colon arabe chrétien qui suite à une rixe en 1892, doit quitter la terre qu’il occupe à la demande de la Société des orphelinats, propriétaires des terres qu’elle distribue en concession aux colons qui doivent devenir propriétaires au bout de 25 ans. Djelloul refuse de partir. Soutenu par quelques colons européens, il va devant le tribunal d’Orléansville qui déboute la Société des orphelinats. Après un procès en appel (1894), la Cour d’Alger ordonne l’expulsion de Djelloul, qui part et devient cantonnier à Orléansville jusqu’à sa mort en 1927, voir aussi J. Tiquet, Une expérience de petite colonisation indigène en Algérie, p. 130 et suivantes. 289 ASMNDA, Diaire, 1894, Touggourt, 29 novembre, p. 486. 290 ASMNDA, Diaire, 1916, Sainte Eugénie, 7 février, p. 35.

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lers habillées de quelques chiffons291. » Une autre, allant visiter une jeune poitrinaire voit chez elle un marabout en communication avec les esprits. La petite meurt : « ces déceptions, pourtant assez fréquentes, ne parviennent pas à enlever à nos pauvres musulmans la confiance aveugle qu’ils ont en leurs marabouts »292. Malgré l’interdiction répétée de « propagande religieuse »293 dans les hôpitaux, les questions de conversions reviennent régulièrement. À Biskra, sr. Isidore « tente d’instruire [un] pauvre brûlé qui s’obstine à ne vouloir que Dieu et Mahomet. Nos espérances sont déçues294 ». Dans l’autre sens, à Sainte-Eugénie, un marabout, récite des prières pour la conversion de sr. Mathilde parce que « c’est vraiment dommage qu’une sœur qui travaille toute la journée pour nous soigner aille encore en enfer après tant de fatigues295 ». Une des femmes du notable Ali Mabrouk atteinte de fièvre typhoïde, Cheriffa « une ancienne femme de chambre lyonnaise (Marie-Antoinette) », refuse de revenir à la religion chrétienne296. La méfiance des populations locales affleure parfois dans les récits des sœurs : ainsi, lorsqu’un malade atteint de fluxion enlève ses amulettes, sa mère craint qu’il ne devienne « roumi297 ». Les hésitations du changement de foi sont également perceptibles : Arezki, tuberculeux, s’ouvre « aux vérités de la religion (…) mais voilà que peu de jours après, sur l’instigation de quelques marabouts de la salle (…) demande au médecin de s’en aller de l’hôpital pour se faire guérir chez un vieux sorcier, Cheikh Arab ». Il revient finalement et se fait baptiser298. De même, un Kabyle « que la grâce de Dieu visita dans sa jeunesse et qui fut infidèle » doit se faire hospitaliser : « Écoute Kabyle, lui disait hier la sœur infirmière, tu prétends toujours vouloir faire quelque chose pour expier tes pêchés, va donc dans la chambrette garder le malade qui s’y trouve (…). » Ahmed, pris de fièvre, se fait faire une amulette par un marabout de la salle. La sœur lui reproche sa fausse croyance. Il déchire l’amulette et fait « en réparation » un grand signe de croix 299. Le document 6 commence par le possible baptême d’un jeune Kabyle, interne chez les Pères à Ouarzen. L’enfant serait le neveu de l’instituteur, dont le nom est français et qui semble faire des difficultés alors que son pupille souhaiterait se faire baptiser. On trouve ci et là des notations dont 291 292 293 294 295 296 297 298 299

ASMNDA, Diaire, 1913, Arris, 24 avril, p. 281. ASMNDA, Diaire, 1916, Taguemount Azouz, 1er avril, p. 19. ASMA, F. Liv., 58174, Règlement intérieur, 7 juillet 1904. ASMNDA, Diaire, 1908, Biskra, 17 décembre, p. 492. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 20 mai, p. 186. ASMNDA, Diaire, 1913, Biskra, 21 octobre, p. 661. ASMNDA, Diaire, 1894, Sainte-Eugénie, 11 octobre, p. 480. ASMNDA, Diaire, 1908, Sainte Eugénie, 12 août, p. 340. ASMNDA, Diaire, 1908, Sainte Élisabeth, 14 janvier, p. 20.

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on ne sait si elles sont suivies d’effets (« une femme battue demande à être roumia300 »), mais qui vont dans le sens de l’analyse de K. Dirèche sur les populations acceptant la conversion (veuves avec enfants à charge, jeunes adolescents orphelins surtout de père, jeunes adultes en rupture avec leur famille ou éloignés, personnes âgées en situation de grand dénuement301). Peut-être est-ce aussi le cas de Jean-Marie qui, « en permission pour quelques jours, vient voir notre mère. C’est lui qui a été baptisé à Lourdes, il y a environ deux ans302 ». Ces convertis, déconnectés de leur milieu d’origine, ne peuvent servir, comme prévu, de relais pour une action d’évangélisation plus vaste303. Les habitants des deux villages chrétiens des Attafs forment un groupe isolé atteignant 380 personnes à son maximum en 1909304. Il en est de même en Kabylie, d’autant que la deuxième génération de convertis part souvent pour l’exil. Si cet isolement n’est pas spécialement mis en avant par les lettres et les diaires, ces derniers illustrent d’autres évolutions en cours. Lorsqu’un père « veut donner une pièce de 1 fr. pour récompense du dévouement des sœurs305 », on peut déceler dans cette notation l’enracinement d’une économie monétaire, d’autant plus possible que les jeunes hommes de Kabylie commencent à émigrer à flux continu vers la métropole. Cela est particulièrement visible dans les textes écrits pendant la guerre : « dans une maison, le fils aîné est revenu de France où il travaille depuis un an306. À Djemaa Saharidj, « un jeune papa, venu des usines de France, est gravement atteint de tuberculose ». Durant son séjour à Paris, il envoyait des lettres et de l’argent. Condamné par le médecin, il dut entreprendre le chemin de l’Algérie307.

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ASMNDA, Diaire, 1903, Sainte Élisabeth, 6 juillet, p. 235. Karima Dirèche, Les chrétiens de Kabylie, p. 57. 302 ASMNDA, Diaire, 1918, Sainte-Eugénie, 20 janvier, p. 37. 303 K. Dirèche, Les chrétiens de Kabylie, p. 11. 304 F. Renault, Le cardinal Lavigerie, p. 262 et J. Tiquet, Une expérience de petite colonisation indigène en Algérie, p. 138. 305 ASMNDA, Diaire, 1916, Sainte Eugénie, 20 août, p. 213. 306 Ibid. 307 ASMNDA, Diaire, 1918, Djemaa Saharidj, 30 mai, p. 31. 301

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Document 1 Lettre de sr. Jean de la Croix308 , Hôpital Sainte-Élisabeth, le 20 septembre 1896 Mon Très Révérend Père309, Devant un nouvel obstacle, nous avons de nouveau recours à vous. Malgré les renseignements demandés aux malades qui se présentent, il arrive encore bien des erreurs, soit parce qu’ils prétendent être domiciliés dans telle commune, soit parce que la tribu qu’ils nous indiquent ne fait pas partie de la Commune. Dans ce dernier cas, il nous est facile de réparer l’erreur en reportant les journées au compte de la Commune indiquée comme étant le domicile des malades. Mais quand les décomptes nous sont renvoyés parce qu’ils n’ont pas acquis leur droit de domicile, nous n’avons qu’un moyen de rentrer dans nos fonds : reporter les journées à l’Assistance Publique. C’est ce que nous avons fait le mois dernier et vous verrez, mon Très Révérend Père, par la lettre ci-incluse de Monsieur le SousPréfet, qu’il n’approuve pas cette manière d’agir. Pour expliquer ce prix de journée (0fr. 25), nous avions dû mettre dans la colonne des observations : refusé par la Commune de… Monsieur l’Administrateur de Khenchala et celui de Batna ne nous avaient donné aucune autre explication, sinon que ces malades n’avaient pas leur domicile dans leur Commune. La carte d’identité que tous les indigènes sont censés avoir nous serait d’un grand secours, mais ceux qui l’apportent ne sont que des 308 Louise Dupissot est née en 1872 à Paris. Entrée dans la congrégation en 1893, elle prend le nom de sr. Marie Jean de la Croix mais en sort en juin 1899 (Archives des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique [Rome]). 309 Léon Livinhac (1846-1922) entre à 21 ans au séminaire de Rodez. Recruté par Mgr Lavigerie, il entre au noviciat de Maison-Carrée en 1873. Ordonné prêtre, il est élu membre du Conseil général lors du premier Chapitre général des Missionnaires d’Afrique. Économe général de la Société, il est nommé aux Ouadhias en Kabylie (1875) puis retourne à Maison-Carré comme directeur du scolasticat. En mars 1878, il prend la tête de la première caravane en route pour l’Afrique équatoriale où il séjourne de 1878 à 1889 et fonde avec ses collaborateurs l’Église catholique du Buganda (il est nommé évêque de Pacando et archevêque d’Oxyrhynque). En 1890, il devient supérieur général des Missionnaires d’Afrique et dirige cette Société avec la Congrégation de la Propagation de la Foi jusqu’à sa mort en 1922 (P. Stefaan Minnaert, « Mgr Livinhac », http ://www.africamission-mafr.org/mgr_livinhac.htm).

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exceptions et pratiquement, on ne peut pas les renvoyer la chercher. Pardonnez-moi mon Révérend Père, de vous dire ainsi ce que je pense, alors que je n’ai qu’une chose à faire, vous exposer la situation et vous demander conseil. Nous attendrons votre réponse, mon Très Révérend Père, pour écrire soit à la Préfecture, soit au Très Révérend Père Giraud310, si vous souhaitez que nous le fassions. Daignez agréer, Mon Très Révérend Père, avec nos remerciements, l’hommage de mon profond respect. Pour la Supérieure, Sœur Jean de la Croix Document 2 Lettre de sr. Marie-Gonzague311 à Révérend Père, Hôpital Sainte-Élisabeth, 13 juin 1899 Mon Très Révérend Père, Je crois utile de ne pas vous laisser ignorer ce qui s’est passé dernièrement à l’Hôpital, au sujet de la famille Laurent bel [Aoudi]312. Deux de leurs filles étaient en traitement chez nous. La plus jeune surtout, très malade, avait été mise à la diète par ordre du médecin. Quant à l’autre, moins souffrante, elle était au régime ordinaire des

310 Il doit s’agir du P.  Ludovic Girault (1853-1941), ordonné prêtre en 1877, secrétaire de Mgr Lavigerie, fondateur avec Léon Livinhac de l’Église du Buganda où il passe dix ans avant de revenir à Alger comme assistant général des Pères blancs (le Supérieur général est assisté de quatre conseillers ou assistants « généraux ») (Josette Fournier (dir.), Charles de Foucauld : amitiés croisées, Coudray-Macouard, Cheminements, 2007, p. 171). 311 Marie-Ernestine Roustan (1852-1919) entre dans la congrégation en 1872 et prononce ses vœux perpétuels en 1890. Elle est nommée supérieure des Attafs par Mgr Lavigerie en 1873 et sert aussi comme assistance générale de la Société entre 1882 et 1913. Elle aurait sauvé plusieurs vocations en employant des sœurs vacillantes à l’hôpital de Sainte-Élisabeth. Supérieure du sanatorium en 1911, elle est ensuite nommée supérieure de la communauté de Djemaa Saharidj (Archives des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique [Rome]). 312 Laurent Ben Aouda est l’un des chefs de la soixantaine de familles d’Arabes chrétiens qui deviennent propriétaires de leur concession. Les premiers concessionnaires reçoivent leur titre de propriété en 1898, le deuxième groupe, dont il fait partie, en 1904.

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malades qui n’est autre que celui des Sœurs. Un jour, leur mère est arrivée pendant qu’on faisait la distribution dans les salles. Sa fille aînée avait reçu comme les autres ce qui se trouvait ce jour là de la soupe, de la viande, des légumes et un peu de fromage blanc délayé. Pour la seconde, étant à la diète par ordre du médecin, on lui faisait prendre un peu de bouillon et de lait seulement. La mère commença à faire une scène à la Sœur infirmière, disant que ce n’était pas la peine de mettre ses enfants à l’Hôpital pour qu’elles aient un régime pareil. Je suis allée lui parler moi-même, lui disant que ce n’était pas à elle de se montrer si difficile, dans la position où elle est, puisque la moitié du temps, c’est la Mission qui doit leur fournir le pain ; que je trouvais étonnant que, pauvres comme ils sont, ils ne puissent pas se contenter pour leurs enfants du régime de tout le monde. Et je leur ai promis de vous en avertir, ajoutant que vous ne seriez pas édifié de leur conduite en cette circonstance ; mais je n’ai pas prononcé les mots de mendiants, crève-faim etc. comme ils veulent bien le dire dans la lettre ci-jointe. Ils m’ont fait une scène terrible : la fille aînée m’a traitée de vache et la mère a emporté de force sur ses bras la petite malade, malgré toutes les défenses du médecin. Ils ne se sont pas contentés de nous insulter à l’Hôpital et d’agir comme je vous l’ai dit plus haut ; mais le lendemain, j’ai reçu encore par la poste cette lettre dont je tiens à vous donner connaissance. Je vous dis cela, mon Révérend Père, non pas pour que vous les priviez de pain, car je serais désolée de leur nuire, mais parce qu’ils méritent une bonne leçon. Gabriel a quitté l’Hôpital à la suite de plusieurs disputes qu’il a eues avec nos employés ; la dernière fois, c’était avec notre forgeron, un ouvrier bien tranquille, dont nous sommes très satisfaites. Gabriel l’a pris en traître, ce qui était encore plus grave et le forgeron a été porter plainte aux gendarmes qui sont venus à l’Hôpital pour éclaircir cette affaire. Je ne sais pas ce que deviendra cet enfant, avec son caractère violent ; depuis quelque temps, il avait toujours son couteau soit à la main, soit à la ceinture ; s’il continue, il finira sa vie aux galères, après avoir donné un mauvais coup à quelqu’un. Celle de nos orphelines qu’il devait épouser a renoncé à lui, car elle ne veut pas entrer en ménage dans de pareilles conditions. Je pense que vous avez vu Notre révérende Mère à Marseille et qu’elle vous aura donné des nouvelles de Sœur de Jean de la Croix. 219

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Monsieur Frachebois313 attend avec impatience l’arrivée de M. Hanriot314 pour régler la question des affaires de J. Djilloul, car le fils vend, achète etc. On craint qu’il dissipe tout et ne laisse rien à ses pauvres sœurs, qu’il n’a pas seulement le courage d’entretenir. Daignez agréer, mon très Révérend Père, l’hommage de mon profond respect Sœur Gonzague Document 3. Sr. Marie-Gonzague à Révérend Père, Hôpital Sainte-Élisabeth, 12 juin 1908 Mon Très Révérend Père, Le Docteur avait reçu d’urgence quelques malades de la commune mixte du Chéliff. Naturellement nous avions envoyé à M. l’Administrateur, par la poste, les billets pour les faire régulariser. Il nous a renvoyé les premiers d’une manière régulière, en règle, mais les deux derniers, quoique en règle, étaient accompagnés de la lettre ci-jointe. Dans de pareilles conditions, mon Très Révérend Père, il ne faut pas compter avoir de malades. Si tout au moins nous obtenions que les billets soient régularisés par le maire des Attafs, cela pourrait encore aller. C’est en recevant d’urgence quelques malades que nous pouvions en avoir encore un certain nombre. Mais si nous devons nous conformer aux prescriptions formulées dans la lettre ci-incluse, notre hôpital se trouvera complètement désert. Que faut-il faire, mon Révérend Père ? Y a-t-il une réponse à donner à ce fonctionnaire ? Comme vous le verrez, il s’appuie sur la

313 La commune mixte de Saint-Cyprien des Attafs est érigée en 1874, puis commune de plein exercice en 1878. Elle s’étend et prend le nom de « commune des Attafs » en 1892. La commission municipale, nommée puis élue, est « prise toute entière parmi les Arabes chrétiens » (Jean Tiquet, Une expérience de petite colonisation indigène en Algérie. Les colons arabes-chrétiens du cardinal Lavigerie, Maison-Carrée, Imprimerie des Pères Blancs, 1936, p. 96). Jean-Antoine Frachebois (1823-1909) en est maire de 1876 à 1908 excepté entre 1892 et 1896. 314 Les Hanriot, père et fils gèrent la Société civile des orphelinats agricoles de l’Algérie entre 1889 et 1912.

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lettre du Préfet et, jusqu’à ce que de nouvelles lettres, circulaires viennent changer les décisions, notre situation ne s’améliorera pas. Admettons qu’il se présente un malade très gravement atteint d’une maladie mortelle. Si le docteur rédige le billet d’entrée, nous serait-il possible de l’envoyer à l’Administrateur respectif qui jugerait en dernier ressort, et serait par suite des dernières prescriptions, libre encore de refuser l’admission du malade. Dans ce cas d’extrême urgence, faudrait-il faire simplement régulariser le billet par le maire des Attafs, ou prendre le malade à notre compte, ce qui ne pourrait se faire toujours sans préjudice. Tout dernièrement, un de nos malades a voulu se faire amputer la jambe à Orléansville et nous lui avons fait régulariser son billet par le maire des Attafs, sans nous adresser à son Administrateur. Il a été admis quand même à l’Hôpital de la ville et le médecin en chef de l’établissement étant venu se promener le lundi de la Pentecôte à Sainte-Élisabeth nous a donné des nouvelles de ce malade : l’opération a bien réussi et l’on s’occupe de lui fabriquer une jambe de bois. Donc, comme vous le voyez, mon Révérend Père, on est plus exigeant pour notre maison que pour les autres hôpitaux. La situation est délicate et demande de n’agir qu’à bon escient. Daignez agréer, mon Révérend Père, l’expression de mon profond et religieux respect. Votre très humble fille en Notre Seigneur Sœur Marie Gonzague. P. S. Khelifa dont il est question dans la lettre de l’Administrateur est sorti le mois dernier. Il nous est arrivé ces jours-ci la sœur d’un marabout ; lorsqu’elle a vu les formalités à remplir pour rentrer à l’hôpital, elle a dit : « c’est indigne de nous traiter de la sorte ; nous savons que ce n’est pas de votre faute et tous les Arabes sont fâchés et nous désirons vivement que cette situation ait une fin afin que nous puissions nous faire soigner à l’hôpital comme avant ». Le frère de cette personne est conseiller municipal à Saint-Cyprien.

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Document 4 Sr. Marie-Gonzague à Révérend Père, Hôpital Sainte-Élisabeth, 25 juin 1908 Mon Très Révérend Père, Toute la Communauté s’unit à moi pour vous offrir nos meilleurs vœux et nos souhaits de bonne et sainte fête. Ce jour là, toutes nos prières, communions et chapelets seront pour vous, et la Sainte Messe sera dite à vos attentions ; nous demanderons à votre saint Patron de vous obtenir toutes les grâces qui vous sont nécessaires pour l’exercice de votre charge et de votre ministère, en particulier une bonne santé. Il me semble que comme cadeau de fête vous devriez bien venir faire un petit pèlerinage à Notre Dame d’Afrique du Cheliff. Monseigneur Livinhac ne vous le refuserait pas si vous lui en témoigniez le désir ; si je n’avais craint de vous contrarier, je lui aurais bien écrit pour lui demander cette faveur. Il me semble que les choses sont assez graves et qu’il y a assez de raisons pour motiver votre voyage ; j’en aurais profité pour vous parler avant d’aller à Miliana, car je trouve que cette démarche est peutêtre une des plus graves parmi toutes celles que nous avons faites jusqu’à présent. Si ce fonctionnaire est bien disposé et se montre favorable, il peut faire beaucoup de bien à notre œuvre, puisqu’il est si intime avec le Gouverneur, comme aussi il peut nous faire beaucoup de mal en cas contraire. Il pourrait me poser des questions auxquelles je serais peut-être embarrassée de répondre ou il offrira peut-être de faire un rapport au Gouverneur ; je prévois toutes ces choses d’avance. Partout où j’ai passé, dans les démarches déjà faites, ils avaient tous l’air de douter que les administrateurs veulent voir les malades avant de leur donner leur billet d’admission à l’hôpital. Ayant des lettres à l’appui, je ne sais si je pourrais les lui montrer, surtout cette fameuse lettre ci-jointe de l’administration de Duperré dépendant de l’arrondissement de Miliana, en disant à M. le Sous-Préfet les motifs qui nous ont fait agir. À la suite des instructions reçues, notre médecin avait reçu plusieurs malades, gravement atteints, incapables de se transporter au siège des administrations, nous n’avons pas cru commettre un crime en envoyant par la poste les billets à régulariser dans la commune 222

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respective des malades. Deux seulement ont été envoyés de cette manière à l’Administration de Duperré ; le dernier quoique en règle était accompagné de la lettre ci-jointe ; comme vous pouvez le penser, mon Révérend Père, nous n’essayerons plus de lui envoyer de billets ; je ne sais pas même s’il est prudent de faire préparer les billets par notre médecin, car d’après sa lettre, il n’a pas besoin de la constatation de notre médecin puisqu’il est à même de se suffire ayant docteur et médicaments. Nous avons envoyé de ces billets à presque tous les administrateurs pour mettre en règle nos hospitalisés avant l’émission des nouveaux règlements ; ils se sont montrés bienveillants et nous les ont renvoyés en règles et sans observations, sauf ceux de Lamartine et de Duperré. Celui de l’Ouarsenis, de Gourraya, de Ténès, d’Orléansville, etc. n’ont absolument rien dit. Dans la crainte que l’Administrateur de Duperré ait fait quelque réflexion défavorable à l’hôpital au Sous-Préfet, il serait peut-être utile que, prenant les devants, nous instruisions ce fonctionnaire des motifs qui nous ont fait agir avec la même franchise que je mets à vous les exposer. Deux de nos anciennes malades sont allées à Lamartine demander un billet d’entrée pour l’hôpital Sainte Élisabeth, une pauvre jeune fille de 14 ou 15 ans dont le voile du palais et la gorge sont rongés par un chancre avait un billet de M. Roux. Arrivée au bureau de l’Administrateur, elle dut attendre que ce Monsieur ait fini sa sieste. La pauvre enfant se tient devant la porte, attendant qu’elle pût entrer. Les employés arabes de l’Administrateur la lui présentèrent, et il la questionna, examina les parties malades et lui demanda pourquoi elle préférait notre hôpital à tout autre ; il régularisa néanmoins son billet et sans avoir mangé, elle fit en pleurant à pied la route de Lamartine à l’Oued Fodda. C’était nuit, dit-elle et j’avais peur. Arrivée à l’Oued Fodda, elle se réfugia dans un Fondouck où se trouvaient déjà réunies plusieurs personnes. Un bon vieillard lui procura un peu de nourriture, mais la pauvre petite était si fatiguée qu’elle n’eut pas le courage de manger, nous raconta-t-elle. Le lendemain, entendant le train qui vient d’Orléansville, elle y monta et descendit à Saint-Cyprien nous arrivant toute radieuse, elle nous débita ensuite son histoire. A tous ceux qui nous envoyons chercher leur billet, elle leur dit sa ruse et ajoute : faites comme moi. 223

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Une deuxième est allée se présenter. Elle est épileptique et a une main brûlée. Elle a fait 28 kilomètres à pied pour se rendre chez l’Administrateur chez qui elle arriva encore pendant la sieste ; même attente que pour sa compagne mais elle obtint aussi son billet. La nuit arrivant, on l’enferma dans l’écurie d’un colon où elle se mourait de peur dit-elle ; les employés de l’Administrateur lui donnèrent quand même deux sous de pain et le lendemain matin, elle reprit la route de l’hôpital, à pied ; cette nouvelle course de 28 kilomètres faut cause qu’elle contracta une enflure des pieds qui n’a pas encore disparu. Ces deux chères malades font la leçon aux arrivants qui n’ont pas leurs papiers ; elles leur disent leur histoire et les encouragent à ne pas s’éloigner de chez l’Administrateur sans avoir reçu leur billet. L’Administrateur avait soigneusement examiné la main de cette seconde postulante et lui avait même demandé si la petite chancreuse à qui il avait délivré un billet quelques jours auparavant était à l’hôpital. Ce qui prouve que nous sommes surveillées de près. Comme vous nous le recommandez dans vos lettres, nous avons besoin de marcher droit. Aujourd’hui, une femme est partie à Duperré et se présente à l’Administration pour la quatrième fois. Nous allons voir si elle va revenir, les deux malades en question lui ont donné toutes sortes d’encouragements. Enfin, mon Révérend Père, voila une lettre un peu étrange pour une lettre de fête ; puisque vous daignez vous intéresser à la situation de l’hôpital, je ne puis rien vous cacher. En vous réitérant mes vœux de bonne fête, daignez agréer, mon Très Révérend Père, l’hommage de mon profond respect, Votre très humble fille en Notre Seigneur Sœur Marie Gonzague.

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U n e m i s s i o n i m p o s s i b l e   ? L’ É g l i s e d ’A f r i q u e e t l a c o n v e r s i o n d e s «   i n d i g è n e s   »

Document 5 Projet d’agrandissement à l’hôpital Saint Augustin d’Arris pour être soumis au Conseil de la Société des Pères blancs, 4 août 1908 I/ Exposé général des motifs d’agrandissement 1/ Marche de l’hôpital au point de vue du nombre des malades a/ indigènes : nous en avons 37 chez les hommes et la salle ne compte que 34 lits. Jamais l’hôpital n’a eu ces nombres à cette époque, malgré les difficultés actuelles des admissions. b/ européens : il y a en ce moment trois chantiers dans les environs, comptant chacun une quarantaine de personnes. Les crédits pour les routes ayant été affectés, il y aura des travaux pour au moins quatre ans. 2/ Modifications qui se sont imposées par suite de : a/ déplacement de la lingerie, laquelle se trouvait le long du chemin, risquait d’être l’objet de vol. Cet emplacement était désapprouvé par chaque visitatrice. b/ installation de l’infirmier, lequel va se marier et vu son emploi doit avoir un logement dans l’hôpital – nous lui destinons l’ancienne lingerie (voir plan) c/ augmentation du nombre de nos filles (enfants non achetées mais confiées). La chambre sur la galerie étant beaucoup trop petite, nous y avons mis la lingerie et placé les filles chez les européens en attendant la construction. d/ insuffisance de la chambre de débarras e/ installation d’un ouvroir, que nous désirerions mettre dans la maison destinée au boulanger 3/ Il s’impose un besoin réel de : a/ une salle de bain pour le personnel et malades européens payants, à cause du climat etc. b/ une salle d’opérations, réclamée par le Docteur c/ une salle d’isolement, réclamée par le Docteur d/ magasin pour paille Cet ensemble de considérations et de besoins nous conduit à proposer les agrandissements suivants :

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II art. 1 : agrandissements urgents et expressément demandés sur le projet 1/ réfectoire et dortoir des enfants ; cellule de la sœur 2/ la salle de bains pour le personnel 3/ la chambre de débarras 4/ la salle d’opérations réclamée par le Docteur 5/ salles d’isolement pour contagieux hommes et femmes réclamées par le Docteur Art. 2 Salles d’hospices, si le Conseil en décide la création. Elles s’obtiendraient 1/ par la construction de l’étage 2/ en répartissant entièrement les locaux Document 6 Lettre de L. Tissot 315, Ouarzen, 13 mars 1912 Mon Révérend Père, Nous avons ici, à l’internat, le neveu et pupille de Reboud Edmond, l’instituteur d’Aïn Maabed que vous connaissez ; le baptême de l’enfant doit avoir lieu à Pâques, si son tuteur y consent. Deux lettres adressées à Edmond par son neveu en vue d’obtenir ladite autorisation sont demeurées sans réponse. Nous savons d’autre part, qu’Edmond a fait déjà des difficultés lors d’une première démarche il y a deux ans ; cependant l’enfant désire beaucoup le baptême et fait preuve de dispositions excellentes. Ne pourriez-vous peut-être donner un bon conseil à Edmond, puisque vous êtes en relation avec lui et qu’il subit votre influence ? Veuillez juger si la chose est opportune et si elle en vaut la peine.

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Le P. Louis Tissot (1872-1958) entre au noviciat des Pères blancs à Tunis en 1892. À la fin de l’année 1901, il est envoyé dans la préfecture de Ghardaïa. Rédacteur à la maison-mère de la Chronique des missions d’Afrique (1902-1904), il se fixe ensuite comme supérieur au poste d’Arris (1904-1908). Il quitte l’Aurès à sa demande puis retourne en Kabylie : Ouarzen (1910), Ouadhias (1912), Beni Yenni (1919), il part ensuite pour cinq ans à Boukris. Il travaille ensuite en France (Société des missionnaires d’Afrique, « Notice biographique », Rapport annuel, 1959-1960, p. 82-84).

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U n e m i s s i o n i m p o s s i b l e   ? L’ É g l i s e d ’A f r i q u e e t l a c o n v e r s i o n d e s «   i n d i g è n e s   »

J’ai adressé à Mgr le Supérieur général, au commencement de la semaine dernière, une communication officielle de l’Administration, tendant à la construction d’un pavillon pour les malades contagieux, à l’hôpital Sainte-Eugénie, la colonie ferait les frais, soit 16 000 fr. à condition que la Société cède le terrain à la Commune mixte en pleine propriété. L’Administration désire une réponse d’urgence ; or, je ne sais même pas si mon pli est parvenu à Mgr. Je vous serais bien reconnaissant de me faire donner, si possible, une assurance à ce sujet. Et que faudra-t-il répondre si l’Administrateur me questionne sur les succès de sa proposition ? L’Administrateur vient de me faire annoncer sa visite. Je vous avoue, d’ailleurs, que cette proposition ne m’agrée guère. Un pavillon où l’Administration sera maîtresse, cela me paraît un commencement de laïcisation. Le [Docteur] y sera seul patron ; il pourra en interdire l’entrée aux Sœurs, les remplacer par des infirmiers ne relevant que de lui ou les leurs imposer etc. Puis le thème même de la proposition est malveillant : pourquoi la défiance qu’on nous manifeste ? Quelles sont les complications possibles que l’on prétend avoir à redouter ? Ne vaudrait-il pas mieux offrir à l’Administration en simple usage le bâtiment de l’ancienne chapelle paroissiale qui sert de magasin ? Il doit valoir la somme susmentionnée, et suffirait largement. Je ne sais s’il appartient à la Mission ou à l’Hôpital… Je vous prie d’agréer, mon Révérend Père, l’hommage de mes respects L. Tissot

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Document 7 J. Vandehoudt316 , Beni Yenni, 23 mars 1919 Très révérend Père, Le P. Ferré317 s’inquiète sur des dires kabyles, qu’on ne perde du bon renom auprès des indigènes pendant cette épidémie de grippe. Ce mois j’ai déjà soigné plus de cent personnes à domicile, pour vous dire que j’ai fait autant que j’ai pu, vu les circonstances dans lesquelles nous nous sommes trouvés. J’ai remplacé le P. Ferré pendant une semaine en classe et durant ses heures de classe, je ne puis que difficilement abandonner le poste. L’épidémie sévit dans les trois villages extrêmes de la tribu. Dans celui d’à côté, il y a le plus de décès, tantôt quatre, tantôt jusqu’à 10 ou 11 par jour. Les indigènes auraient voulu que nous prenions les devants pour faire une démarche auprès de l’Administration pour faire preuve de mesures dans les villages contaminés. L’instituteur d’Aït Lhassen a écrit ; le docteur du Fort est venu… mais que voulez-vous qu’il fît ? Constater le grand nombre d’enterrements et c’est tout… Des mesures préventives n’ont pas été prises… la circulation libre reste comme elle l’était. Les précautions anciennes des Kabyles ne suffisent plus, ni l’égorgement d’une troupe de moutons, il leur faut 316

Le P. Joseph Vandehoudt (1892-1964) est ordonné à Carthage en 1916. La Kabylie est son premier champ d’apostolat où il va prêter main forte à des collègues âgés ou malades épargnés par la mobilisation. Il part pour l’Afrique centrale en 1919 (Kivu, Rugari, Mugeri). Il part du Congo en 1961 (Société des missionnaires d’Afrique, « Notice biographique », Rapport annuel, 1965-1966, p. 168-171). 317 Le P.  Joseph Ferré (1890-1973) est ordonné prêtre en 1916 et rejoint son premier poste, Medina dans l’Aurès. Il est exempté de service parce que cinq de ses frères sont déjà mobilisés. En 1917, il est envoyé faire la classe à Beni-Yenni mais sa santé laisse à désirer. Le retour de confrères démobilisés lui permet de quitter la Kabylie. La Première Guerre mondiale a en effet des conséquences graves pour la Société des Missionnaires d’Afrique : ses activités fonctionnent au ralenti et parmi ses membres mobilisés, 60 sont tués, 29 gravement blessés et 42 changent de voie. Après quelques mois en Europe, le P. Ferré demande le Sahara, réside six ans à El Golea et quatre à Ouargla. De santé fragile, il voit annuler sa nomination en Afrique centrale et fait la classe pendant dix ans à Thibar, puis à Kairouan, Saint-Cyprien des Attafs (19421958) et Kerrata (1958-1961), Tizi-Ouzou (1962-1964) avant de rentrer en France (Société des missionnaires d’Afrique, « Notice biographique », Rapport annuel, 19741975, p. 480-484).

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autre chose… Il n’y a que le P. Tissot qui pourrait faire quelque chose m’a dit le P. Ferré, demandez donc ce qu’il devient. Pendant une sortie, on racontait à mon collègue que pendant une épidémie, le P. Delmas se rendait tous les jours dans le village et que dans le cas présent, nous devrions faire la même chose. J’ai commencé cette lettre pour dire comment et ce que j’ai fait ; pour que je puisse faire davantage, il faudrait en effet le retour du 3e confrère car supposé qu’un de nous deux ne tombe malade, il y aurait beaucoup de chances que ça ne marcherait plus ici. Appelé ou non, je me rends au village, je demande s’ils sont malades, on ne m’introduit nulle part. La politesse ne manque pas, mais la sympathie, à moins que les rares individus qu’on trouve encore dans les djemaas n’aient réellement rien ou craignent d’entrer chez des condamnés ou en aient la paresse. Je ne puis qu’en même pas entrer (sic) par force et leur imposer mes drogues. Quant à l’injection d’huile de camphre, à la dose de 10 cc par jour, c’est une idée du docteur du Fort à laquelle je ne puis m’astreindre et d’abord parce que trop coûteux et ensuite parce ce que impossible physiquement. Que le P. Tissot ou un autre confrère nous rejoigne et je serai plus aux indigènes. Pour moi, je m’obstinerai à ne pas demander des mesures à l’Administration, à moins que ce ne soit sur l’ordre d’un supérieur… mais je ferai par contre scrupuleusement tout ce qu’on m’aura indiqué à faire. Jusqu’à ce jour, le P. Tissot n’a pas donné signe de vie. Je prie pour Vous et Vous demande pardon de Vous avoir fait perdre trois minutes de votre temps si précieux. Daignez agréer, mon Révérend Père, l’expression de ma soumission très filiale J. Vandehoudt

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ACTION SANITAIRE ET ÉDUCATIVE EN PALESTINE DES MISSIONNAIRES CATHOLIQUES ET ANGLICANS (DÉBUT DU XXe SIÈCLE) K a rène Su m m e r e r- Sa nc h e z

Les missionnaires français et britanniques sont présents en Palestine ottomane dès la première moitié du xixe siècle. Leurs actions sanitaire et éducative, facilitées par le régime des Capitulations accordées aux puissances européennes par l’Empire ottoman et les Tanzimat (à partir de 1839, période de réformes), évoluent au grè des changements politiques qui affectent la région. Les défaites successives de l’empire ottoman conduisent les puissances européennes à considérer que « l’homme malade [est] sur le point de mourir »1. La France et la Grande-Bretagne négocient ainsi dès 1912 le sort de la Syrie, et l’accord Sykes-Picot de 1916 établit leur influence respective au Proche-Orient. Durant la Première Guerre mondiale, le sort de la Palestine change (ses contacts avec les pays de l’Entente sont interrompus) : la défection de la Russie en raison de la révolution de 1917 (l’accord Sykes-Picot prévoyait pour la Palestine un régime d’internationalisation garantie par la Russie pour mettre d’accord Français et Britanniques), l’influence du wilsonisme (droit des peuples à disposer d’euxmêmes) et la déclaration de Lord Balfour (2 novembre 1917, favorable à l’établissement en Palestine d’un foyer national juif ) garantissent  à la Grande-Bretagne une influence considérable, confirmé par l’article 22 sur les Mandats du pacte de la SDN (Société des Nations) adopté le 28 avril 1 Notamment les défaites ottomanes lors des guerres balkaniques (1912-1913) ; H. Laurens, L’Orient arabe, Arabisme et islamisme de 1789 à 1945, Armand Colin, 2002, p. 116 ; pour le contexte sur la présence britannique et les réactions arabes , voir aussi p. 119, 142, 147, 150-151 et N. Picaudou, Les Palestiniens, un siècle d’histoire, Complexe, 1997, p. 45-77.

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1919 à Versailles. La ratification du Mandat britannique sur la Palestine par la SDN le 24 juillet 1922 met officiellement un terme au régime militaire de l’armée britannique (OETA) et au régime civil. Au début du Mandat, les établissements religieux catholiques constituent encore un relais important de l’influence française en Palestine. Jusqu’à l’orée des années 1930, le Consulat général de France en Palestine continue en effet à les soutenir financièrement et diplomatiquement, face à la concurrence des initiatives missionnaires des représentants des différentes nations européennes présentes en Palestine ottomane et mandataire. Cette politique s’inscrit dans le projet défini par Robert de Caix en 1920 : C’est sur la conservation des établissements religieux français, et du caractère résolument français de leur enseignement que nous devons concentrer nos efforts. C’est là qu’est le réduit solide de notre influence. Sur ce point nous avons à nous plaindre de l’attitude de la Congrégation de la Propagation de la Foi et du patriarcat latin, et il convient que le Haut-commissariat attire l’attention du gouvernement pour que sa diplomatie agisse à Rome. On peut de ce côté espérer obtenir gain de cause : le Saint-Siège n’a pas intérêt à faire au bénéfice de la politique anglaise en Palestine qui se caractérise par le sionisme, un zèle inconvenant, et capable de lui aliéner la bonne volonté de la France2. Les frères des écoles chrétiennes et les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition, « missionnaires de la langue »3 et de la foi, qui scolarisent une majorité d’élèves chrétiens (mais aussi de nombreux élèves musulmans et juifs – entre 5 et 15% selon les périodes) au sein de leurs établissements privés durant la période ottomane, tentent de rendre le français indissociable du versant « moderne » de l’identité palestinienne. D’abord tournés vers le public catholique, ils s’orientent en effet progressivement et selon des modalités différentes vers le public musulman4.

2 Chargé par G. Clemenceau de traiter des questions d’Orient avec l’émir Faysal puis secrétaire général du Haut-commissariat français à Beyrouth. AMAE (Archive du Ministère des Affaires étrangères), E 312-1, n° 404, 28 octobre 1920, Robert de Caix au Ministre des Affaires étrangères, « La position de la France en Palestine ». 3 Selon l’expression de P.  Cabanel, dans « Les deux vocations : catholique ou laïque ? La France, le Levant et l’islam, 1860-1920 », dans Religion et identité, éd. G. Audisio, PUP, Marseille, 1998, p. 199-209, p. 202. 4 Le public musulman apparaît peu dans les correspondances avec le consulat français pendant la période ottomane ; voir aussi D. Trimbur, « Heurs et malheurs d’un consul de France à Jérusalem : Amédée Outrey, 1938-1941 », Bulletin du Centre de recherches français à Jérusalem, n° 2 (1998), p. 60.

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Les missionnaires anglicans d’Hébron constituent un cas intéressant de présence missionnaire dans une ville intérieure de Palestine où la présence étrangère est rare : les missionnaires envoyés affirment en effet très tôt leur indépendance par rapport à leur hiérarchie, pour se rapprocher de manière parfois inattendue de la population musulmane.

Action éducative et sanitaire des sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition à Naplouse : « Agir sur la femme indigène, l’intimité du foyer et les générations futures » Premier ordre féminin catholique francophone en Palestine, les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition5 s’installent dès 1848 à Jérusalem, un an après le rétablissement du patriarcat latin ; leur présence s’inscrit dans une forme d’apologétique de l’utilité sociale du catholicisme. Leur œuvre sanitaire s’adresse rapidement à la population musulmane, urbaine mais aussi rurale, les sœurs se déplaçant jusque dans des villages retirés comme ceux du district de Naplouse6. Partout en Palestine, leur action sanitaire s’accompagne, peu de temps après leur installation, d’une action éducative, les sœurs estimant, comme en Syrie, que « les œuvres des jeunes filles agissent directement sur la femme indigène, c’est à dire sur l’intimité du foyer et sur les générations futures7 ». Le nombre d’élèves musulmanes est généralement moins important dans leurs écoles que celui des élèves « schismatiques » (grecques orthodoxes pour la plupart) auxquelles, avec les catholiques, s’adresse en priorité leur enseignement. Cependant, à Naplouse, la majorité des élèves reste musulmane durant les périodes ottomane et mandataire. Il s’agit d’autre part pour les sœurs de contrer le développement des établissements protestants qui y sont établis depuis 1884, et qui entretiennent une école pour filles, une école pour garçons et un hôpi5 L’ordre est fondé par Émilie Vialar à Gaillac dans le Tarn en 1832, il s’implante d’abord en Algérie. Sœurs de Saint Joseph de l’Apparition, Letouzey et Ané, Paris, collection « Les ordres religieux », 1923, chapitre 1. 6 Il est peu fait référence aux sœurs dans les archives municipales de la ville de Naplouse, difficilement accessibles mais dont un index, pour la période du Mandat britannique (1918-1948) a été établi en septembre 2004. Elles apparaissent très rapidement dans certaines statistiques et dans de courtes descriptions dans les dossiers concernant la médecine à Naplouse (référence 13) et dans ceux sur l’éducation et les écoles (16). 7 L.  Camuzet, L’œuvre des Sœurs de Saint Joseph en Syrie, préface du général Weygand, Paris, Éditions de la nation, 1931, p. 13. A cette date, les sœurs scolarisent plus de 131 000 élèves, dont presque 120 000 chrétiennes (Palestine et Syrie comprises).

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tal8. Elles réaffirment leur mission par rapport aux « schismatiques », qui « détiennent le puits de la Samaritaine9 ». Pour elles, c’est bien cette association entre action sanitaire et action éducative qui a encouragé certains habitants aisés d’une ville à majorité musulmane comme Naplouse à leur laisser l’éducation de leurs filles10. Ville intérieure affichant un conservatisme musulman des plus poussés avec Hébron selon plusieurs missionnaires catholiques français, Naplouse accueille une petite communauté de sœurs de Saint-Joseph en 1904, qui tiennent un dispensaire et effectuent des visites itinérantes dans les villages ; elles ouvrent une école en 1919, deux fondations relativement tardives par rapport au reste de leurs implantations11, ainsi que par rapport à l’établissement de la communauté catholique depuis 186012. Leur présence aux côtés de la population durant plusieurs épidémies et/ou catastrophes naturelles marque la ville13. À la demande de la municipalité, elles y dirigent, de 1909 à 1918, l’hôpital municipal qui est le plus vaste hôpital après celui de Jérusalem. Après la Première Guerre mondiale, elles ne reprennent pas la direction de l’hôpital municipal, considérant que les conditions d’exercice qui leur sont imposées sont « inacceptables14 », mais conservent leur dispensaire qui continue à accueillir un nombre très impor-

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A. Jaussen, Coutumes palestiniennes, Naplouse et son district, Paris, Paul Geuthner, 1927, p. 254-253 et CMS (Church Missionary Society), G3, P/O, 1891. 9 ASSJ (Archives des sœurs de Saint-Joseph, Jérusalem), Historique de Naplouse, 1904-1930. Letouzey et Ané, p. 93, la difficulté des abjurations est soulignée. 10 Les sœurs recensent dans leurs historiques 350 chrétiens pour plus de 30 000 habitants musulmans et une petite communauté de juifs samaritains (des chiffres identiques sont cités par le P. A. Jaussen, dominicain, O.P., professeur à l’École biblique et archéologique de Jérusalem, dans son ouvrage Coutumes palestiniennes, Naplouse et son district, Paris, Paul Geuthner, 1927). 11 Elles s’établissent ainsi successivement  à Jérusalem (1848), Jaffa (1849), Bethléem (1853), Ramleh (1872), Ramallah (1873), Beit Jalah (1875), Nazareth (1889), Naplouse (1904). 12 La communauté latine de Naplouse est issue de la communauté grecque orthodoxe, à la suite du non paiement par le patriarche orthodoxe du badal (rachat du service militaire à prix d’argent par les chrétiens sous l’empire ottoman) en 1860. Le patriarche Valerga nomme l’abbé Bost, missionnaire français, premier curé de Naplouse. En 1923, la communauté compte une centaine de membres ; ASSJ et A.  Jaussen, Coutumes palestiniennes, Naplouse et son district, p. 248-249. 13 Notamment les épidémies de typhus pendant la Première Guerre mondiale, le tremblement de terre du 11 juillet 1927 et les graves inondations des 4, 5 et 6 février 1935. 14 L’hôpital municipal est alors géré par la municipalité qui emploie 3 docteurs de Naplouse, rivaux des sœurs.

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tant de malades à très grande majorité musulmane. La population de Naplouse ainsi que celles des villages environnants continuent à solliciter les sœurs15. Celles-ci font état, très brièvement, de changements qui affectent la ville durant la période du Mandat (elles ne les analysent guère) dans les Historiques de la communauté ; elles mentionnent à ce titre l’émergence du sentiment national palestinien qui apparaît comme résolument lié dans leurs notes à l’islam et jamais à des élites palestiniennes chrétiennes. Les sœurs envoient annuellement des rapports, qu’elles consignent dans leurs Historiques, complémentaires de l’ouvrage d’A. Jaussen auquel elles fournissent des éléments de description de la situation à Naplouse16. Ce dernier réside sans doute dans le dispensaire des sœurs durant les mois de juillet, août et septembre 1924 et y revient en 1925-1926 ; il déclare avoir pu s’entretenir avec de nombreuses femmes musulmanes (auxquelles il consacre un tiers de son ouvrage – vie privée, domestique et sociale) et semble avoir accompagné les sœurs lors de leurs déplacements dans les villages17. En raison des événements politiques qui ont affecté les établissements (guerres de 1948 et de 1967 notamment) mais aussi en fonction de la direction des écoles, certains dossiers n’ont pas été conservés. Les archives de la communauté de Naplouse, rapatriées dans l’établissement de Jérusalem après le départ rapide des sœurs de la ville en 199518, contiennent ces Historiques. Ceux-ci consignent, de façon parfois allusive, mais souvent détaillée, les différents projets et activités de la communauté, les événements qui touchent de près ou de loin leur présence dans la ville, indiquant ainsi des informations sur la trame chronologique, des éléments sur les 15 ASSJ (correspondance des sœurs avec le consulat et discussions autour des allocations de subventions) : les chrétiens bénéficient de la gratuité des soins ; dans la majorité des cas, le public musulman paie une partie minime. Durant les années 1930, les sœurs relèvent entre 15 000 et 30 000 patients dont 85 à 90 % sont musulmans (ASSJ, statistiques annuelles). 16 Soit explicitement, comme dans leur « Rapport de 1929 envoyé au Père Jaussen pour l’Académie française », soit dans certaines parties de l’ouvrage sur Naplouse, consignés notamment dans les pages 30 et 31 (naissance des petites filles), les pages 42-49 (éducation des filles). Voir également son article dans la revue Allez !, n°  8 (deuxième année), décembre 1923. 17 A partir des années 1930. Les sœurs ne peuvent assurer l’ensemble de leurs tournées dans les villages par manque de personnel, « Les pauvres fellahs des villages viennent nous supplier de venir chez eux de temps en temps car leur petits enfants meurent en grand nombre », ASSJ, 4 février 1932. 18 A la suite d’une altercation avec un de leurs employés en 1995, plusieurs biens de sœurs sont gravement endommagés. Cet événement incite les sœurs à quitter rapidement la ville, malgré le soutien réitéré de la population (ASSJ).

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acteurs municipaux et religieux avec lesquels la communauté est directement en contact, les liens avec les autorités gouvernementales, locales et les représentants français. Ainsi apparaissent en contrepoint leurs relations différenciées avec les autorités françaises : tandis que le gouvernement de métropole est critiqué pour ses positions par rapport à la situation d’après guerre (laïcs employés au sein des œuvres d’assistance), localement, le soutien du Consulat Général de France à Jérusalem est apprécié19. Ces rapports traduisent également les préoccupations du moment des sœurs, leurs obsessions sécuritaires, ainsi que celles de la concurrence protestante. Les sœurs entretiennent des relations privilégiées avec la plupart des notables musulmans de la ville comme l’indique leur correspondance, mais les archives mentionnent une opposition qualifiée de « farouche » de la part de la municipalité à leur arrivée (quelques individus issus des familles des médecins) ainsi qu’à plusieurs reprises celle des médecins de la ville et des dirigeants religieux musulmans. Elles rencontrent plusieurs types d’opposition : une opposition politique et juridique de la part de certains membres de la municipalité, destinée à gêner leur implantation même, en retardant l’obtention du firman qui autorise leur présence dans la ville. L’opposition est également de nature spatiale et religieuse, certains notables craignant des conversions au christianisme. Les archives centrales du waqf comportent quelques lettres sur les « menaces et les risques de conversion des enfants musulmanes » par les ordres missionnaires européens20. Les archives de la Church Missionary Society sur l’hôpital protestant de Naplouse et son Medical Annual Report révèlent également des difficultés avec la municipalité et pour l’obtention du firman qui confirment les difficultés rencontrées par les sœurs en tant qu’Européennes et les accusations par les 19 Dans les faits, à partir de 1929, le budget accordé aux sœurs de Naplouse diminue considérablement, le nouveau consul J. d’Aumale choisissant de recentrer l’aide sur quelques établissements importants ; AMAE, Nantes, série B, 200 et AMAE, Nantes, SOFE (Service des Œuvres françaises à l’étranger), O172 et série B, 200, dossier des sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition. 20 Elle est mentionnée dans différents chapitres de l’ouvrage d’A. Jaussen, O.P., Coutumes palestiniennes, p. 246-258 notamment, mais n’est pas indiquée aussi clairement dans les archives du waqf de Naplouse que pour le cas de Jérusalem. En 1925 par exemple, six mois avant l’ouverture de l’école islamique pour filles, le Conseil Supérieur Musulman demande à chaque cadi de faire un rapport sur les activités missionnaires ; en 1926, le directeur du comité local d’éducation écrit au président du Conseil en lui demandant de renforcer son action pour « enlever » les filles musulmanes des écoles missionnaires, remarque et préoccupation qui se retrouvent dans le compte rendu de la conférence islamique de 1931 du Conseil ; 7 juillet 1926, IIR (Institute for Islamic Research and Heritage Revival, Mu’assassat ihya’ al-turath wa al-bunuth al-Islamiyya), 13/25/2, 31/1/75.

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représentants musulmans de prosélytisme dans l’espace privé de leur établissement. Dans une certaine mesure, malgré son acceptation de la communauté et une reconnaissance certaine envers leur action sanitaire, la population se fait également le relais d’une opposition plutôt passive à caractère religieux 21. Les sœurs confient très rapidement à la Propagation de la Foi que les « conversions de musulmans sont impossibles » car il n’y a guère de « liberté de religion » à Naplouse22. Elles redéfinissent, au fil de ces rapports, leur mission en terre d’islam, selon la devise de leur congrégation « se dévouer et mourir », car pour cette communauté, comme pour celles de l’ensemble de la Palestine, « La charité, c’est la seule preuve que ces pauvres infidèles retiennent de la divinité du christianisme, car leurs coreligionnaires se montrent bien indifférents à leur égard23 ». Malgré leur installation tardive dans la ville, elles ne renoncent pas complètement aux conversions, mais n’effectuent aucun prosélytisme actif. Elles continuent d’ « assurer le salut éternel » de plusieurs jeunes enfants malades et des adultes venus chercher des soins dans leur dispensaire. Certaines remarques consignées dans les Historiques de la communauté de Naplouse relatives à la mission et aux conversions musulmanes ne sont pas sans rappeler celles de la communauté

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Lors de la fondation de l’école, sollicitée par la population, plusieurs familles semblent exiger que seules les musulmanes soient admises dans les classes, information aussi signalée par A. Jaussen dans son chapitre sur l’éducation des filles. Il indique qu’« il n’était pas convenable que les filles musulmanes fussent mélangées avec les filles chrétiennes […]  Les petites musulmanes affluèrent mais elles prirent une attitude étrange : en récréation, elles refusèrent de jouer avec leurs petites compagnes chrétiennes ; dans les rangs, elles s’obstinèrent à ne pas marcher avec les chrétiennes ; jamais elles ne consentirent à sortir de la classe avec leurs compagnes ; jamais elles ne s’abaissèrent à leur donner la main ». 22 APF (Archives de la Propagation de la Foi), E 07607. L’analyse de certaines statistiques concernant ces conversions notamment est délicate, les sœurs entretenant en partie une relation de clientèle vis-à-vis de la Propagande, les difficultés budgétaires sont régulièrement mises en avant. Les sœurs de Sion insistent elles aussi sur la recrudescence du « fanatisme musulman » au début du xxe siècle, comme en témoignent les annotations relatives à l’ouverture de leur externat. Celles-ci indiquent le souhait de la directrice « que cette nouvelle branche deviendra féconde et succédera avec avantage à l’externat musulman qui s’amoindrit de plus en plus sous la pression des chefs de l’islam qui postent partout leurs employés pour arrêter les enfants qui viennent chez [elles] et les traîner par force, malgré leurs cris et ceux des parents, aux écoles de la mosquée », attitude soutenue selon les sœurs par le Pacha et Constantinople, ANDSJ (Archives de Notre Dame de Sion, communauté de Jérusalem), Annales, 1890-1910. 23 Sœurs de Saint Joseph de l’Apparition, Letouzey et Ané, Paris, collection « Les ordres religieux », 1923, p. 129.

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de Jérusalem qui figurent dès 1923 dans le recueil de Letouzey et Ané, « la tâche est rude, certes ! Schismatiques, païens, musulmans surtout, restent très attachés à leur croyances séculaires. Il faut une grâce exceptionnelle pour obtenir leur conversion… et cependant les sœurs ont obtenu par centaines ces conversions d’adultes souvent miraculeuses. D’un rapport adressé en 1898 à Mgr le Patriarche latin de Jérusalem par les sœurs de l’hôpital Saint-Louis, nous pouvons extraire ce document précieux : ‘ Les musulmans… ce sont eux, j’ose le dire, qui donnent encore plus de consolations aux sœurs. Le chiffre des morts, parmi ces pauvres infidèles, s’élève à l’hôpital Saint-Louis à quarante environ par an. Depuis 1885, c’est à dire plus de cinq cents musulmans morts depuis ce temps entre nos bras, deux seulement ont refusé le baptême : tous les autres sans exception ont voulu mourir chrétiens’ »24. Les sœurs insistent sur le caractère précurseur de leur action dans cette ville de l’intérieur palestinien. Elles semblent avoir peu d’accès à l’espace public qu’elles décrivent peu dans leurs rapports. Elles relèvent surtout le poids des traditions et insistent sur les conditions « déplorables » réservées aux femmes. Elles décrivent des pratiques religieuses musulmanes entachées de « superstition » (appel à des énergies surnaturelles pour chasser la maladie, appel aux chrétiens et aux samaritains comme guérisseurs), liées à des conditions sanitaires pitoyables, une position « insoutenable » de la femme musulmane, une absence d’explication de la religion aux enfants. Cet islam est qualifié à plusieurs reprises de « fanatique ». La figure des guérisons miraculeuses grâce à leurs soins est répétitive dans leur récit et son impact fondamental dans le dispositif missionnaire mis en place, ainsi que celle de l’apostolat effectué par certains des musulmans ayant bénéficié de leurs soins.

Rapports joints aux historiques annuels tenus par les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition de Naplouse. Extrait du rapport de 1904-193525 Les Néapolitains sont tous pour ainsi dire des musulmans : une trentaine de mille. Leur sectarisme étroit, leur fanatisme intolérant, l’avaient placée [la ville de Naplouse, sic] au premier plan des centres où

24 Italique et points de suspension dans l’ouvrage de 1923, Letouzey et Ané, op. cit., p. 128. 25 Les Historiques sont cités dans leur intégralité, sauf mention explicite. Les majuscules et les points de suspension (sans crochets) sont des auteurs des rapports.

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la vie islamique était plus intense, plus fervente et se croyait à l’abri de toute incursion étrangère, un foyer où de loin les fidèles venaient se retremper et revigorer les ardeurs d’une foi qui avait besoin d’être secouée. En fait, force est de constater que nulle part on ne constate une telle assiduité à la prière, une semblable fréquentation des mosquées. Il y a à Naplouse environ 300 à 350 chrétiens. C’est peu et ils se partagent entre environ une cinquantaine de Catholiques, qui ont à leur tête un missionnaire du Patriarcat latin, environ 200 Grecs orthodoxes, et le reste des Protestants de la Haute et Basse Église des Anabaptistes26 […] Des Juifs il n’y en a point encore. En 1921 il y eut de leur part un essai de pénétration. Quelques familles, avec l’appui secret du Gouvernement anglais et de sommités musulmanes, le Maire tout premier (le Musulman trafique volontiers son influence) louèrent maisons et magasins, mais au bout de trois jours, il y eut une telle effervescence et des démonstrations hostiles, des menaces, si bien que les fils d’Israël, sous l’escorte de la police, durent partir précipitamment. C’est dans ce milieu qu’en 1904, les Sœurs de Saint Joseph de l’Apparition sont venues s’établir. Elles ont acheté une maison sur les flancs du Mont Ebal. Trois sœurs vinrent tout d’abord, ouvrirent un dispensaire où les malades affluèrent malgré la présence en ville de nombreux médecins. On vient à elles de très loin. La défiance des premiers moments, naturelle dans un centre de fanatisme musulman, ne tarda pas à se dissiper et à faire place à la confiance la plus entière. Comment, les Vierges de la Montagne ne guérissaient-elles pas les malades ? Une chose étonne ce monde qui ne connaît pas l’affection. Dans la famille musulmane la femme n’occupe qu’une place de second ordre et elle n’est guère capable de grande élévation de sentiments. Avilie aux yeux de son mari et de ses enfants du sexe masculin qui la traitent avec dédain, avec mépris, ce n’est qu’une femme ! Elle s’est faite à cette situation d’infériorité et ne demande pas à s’élever plus haut. Ses capacités intellectuelles assoupies, son esprit d’initiative absolument borné ne lui permettent guère d’entreprendre grand chose pour soulager tant les misères du corps que celles de l’âme. Quel fut donc l’étonnement général de ce monde de se trouver en face de filles dont les mains sont si légères, les lèvres ne prononcent que des 26

L’auteur du rapport décrit ensuite la communauté des juifs samaritains (125 personnes).

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bénédictions, des encouragements, dont les cœurs sont si attachés aux malades, quels qu’ils soient, s’inquiétant avec eux des progrès de leurs maux et se réjouissant de leur guérison comme de la leur proche, et utilisant toutes les ressources de leur intelligence pour trouver de nouveaux moyens de leur venir en aide pour soulager leurs misères. Les malades les appellent « ma mère : notre mère ». Certains dans leur simplicité disaient « Elles sont si bonnes ces sœurs. Les Fleurs de la montagne, dommage qu’elles soient chrétiennes ! Le Prophète Mahomet aimerait tant les avoir près de lui ». Le prophète Mahomet a tué tout esprit de sacrifice, de labeur, de dévouement ; pour un véritable croyant une seule chose existe : jouir, jouir encore et toujours ! Seule la religion du crucifix peut inspirer l’abnégation nécessaire pour s’adonner à de telles besognes : panser les plaies, laver ces pourritures, nettoyer cette vermine, écouter sans récrimination le récit de tant de misères matérielles et morales car les sœurs deviennent vite les confidentes des dames de Naplouse. Tout exige une dose de patience que l’on ne puise qu’aux pieds de la Croix et dans l’adorable Eucharistie. En 1910 la municipalité de Naplouse fonde un hôpital avec 80 lits. A qui le confier ? A des dames musulmanes ? On n’y pensa même pas sérieusement. Ceux qui parmi les gros bonnets de la ville avaient au début fait campagne contre l’établissement de ces étrangères, de ces femmes qui se promenaient le visage découvert dans les souks, furent les premiers à demander qu’on fit appel aux sœurs. Puisqu’il s’agissait de se dépenser, les religieuses acceptèrent, n’attendant pas en retour grande récompense des adeptes du Coran. Le médecin fut convenable : disons qu’il fut très bien. Musulman originaire de Candie27, il fut toujours d’une délicatesse scrupuleuse dans ses paroles et dans ses actes dans tous ses rapports avec les sœurs. Hôpital et dispensaire de Saint Joseph marchaient côte à côte, toujours dans le plus grand accord, toujours en progrès. L’hôpital prenait à lui seul huit religieuses sans compter les aides. Les malades affluaient attirés par la compétence du docteur Nur Ed Din, excellent chirurgien, et les bons procédés des sœurs. Les gens traitaient de miraculeuses les guérisons obtenues dans cette maison où la bénédiction de Dieu était visible. 27 Les raisons de son installation ne sont pas précisées dans les Historiques ni dans l’ouvrage du P. Jaussen. Aucun dossier n’a été retrouvé dans les archives municipales de Naplouse à son sujet.

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Le dispensaire et les soins à domicile donnaient de quoi faire à trois autres sœurs qui se dévouaient sans relâche. Mais était-ce assez de s’occuper des corps ? Les Sœurs de Saint Joseph, Filles de la Charité, pensaient avec raison qu’un autre champ plus vaste s’offrait à leur zèle. Elles voulurent atteindre les âmes, pour ce faire elles comprirent que l’unique moyen était l’école. Du reste elles y avaient été sollicitées par les bonnes familles de Naplouse désireuses de procurer à leurs filles les mêmes avantages que procuraient celles d’autres villes. Il y avait bien à Naplouse une petite école paroissiale tenue par les très dignes Sœurs indigènes du T. S. Rosaire pour les chrétiennes mais pour les Musulmanes rien n’avait été entrepris jusqu’alors. En 1913, la Révérende Mère Madeleine, une Romaine, résolut de combler cette lacune. Une aide fut ajoutée à la maison, permettant d’avoir deux classes et même un dortoir. Malheureusement la guerre survint avant la fin de la construction et les matériaux amenés à pied d’œuvre, bois, chaux, dalles, tuiles furent dispersés, volés par les Néapolitains, le maire donnant l’exemple. La maison elle-même fut confisquée. A l’hôpital, les sœurs indigènes et françaises furent retenues de force pour soigner les malades et les blessés de guerre […]28 leur seul soutien, le docteur Nur Ed Din, fut pour elles un père, les aidant de sa bourse et de tout son crédit. Nous espérons que Dieu qui l’a rappelé à Lui, a donné à cet homme droit victime du devoir professionnel, la récompense des enfants du royaume. La guerre finie, les Anglais firent leur entrée dans la ville après que les Français s’en furent emparés en septembre 1918. Les sœurs furent remerciées et remplacées par des infirmières laïques. Et leur œuvre personnelle ? Leur maison leur fût rendue mais détériorée, pillée, sans portes ni fenêtres, plus de dispensaire, point d’école, pas de ressources. Un moment de découragement fut prêt d’envahir les cœurs qui avaient tant souffert. Mais non, après les ravages de la guerre, il y avait encore plus de bien à faire. Elles se dirent, nous ne fuirons ni la peine, ni le devoir : à l’œuvre. La réponse de la Providence ne se fit pas attendre. Les secours vinrent et l’on répara l’ancienne demeure et l’on termina la nouvelle bâtisse. Le dispensaire fonctionne mieux que jamais et deux sœurs n’y suffisent pas. L’école à peine ouverte fut 28

Plusieurs pages sont ensuite consacrées à la situation durant le premier conflit mondial.

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comblée et une moyenne de 90 élèves de Naplouse et des environs la fréquentent assidûment. Une quinzaine d’orphelines ont trouvé asile et réconfort. Il a fallu songer à agrandir le local. C’est l’œuvre de Dieu que font ces « Vierges de la montagne » et Dieu ne marchande pas avec les cœurs généreux. Trois nouvelles classes ont été bâties. Le bien qui s’y opère est immense. Les élèves pour la plupart musulmanes, profitent à cette école de vertu. Les mœurs s’améliorent, leur conduite s’assagit et beaucoup d’habitudes plutôt blâmables disparaissent. Et que de préjugés à l’égard de notre religion qui tombent, que de sympathie secrète dans les cœurs pour cette croyance des « Infidèles » hier encore un objet d’exécration, aujourd’hui tolérée et bienveillante, demain aimée et cherchée. N’est-ce pas une préparation lointaine si vous le voulez mais réelle, mais efficace, à la préparation de la Vérité ? Les sœurs sont donc apôtres et pionniers en milieu fanatique : elles ont semé dans les larmes, d’autres viendront récolter dans la joie. Elles sont montées sur le calvaire, d’autres bientôt connaîtront la joie de la Résurrection. Voilà Naplouse et le champ d’action des « Vierges de la montagne ». Voilà en quelques mots le bien accompli et celui à faire encore […] Extraits du rapport de janvier 1929 envoyé au R. P. Jaussen pour l’Académie française29 Un jour on apporte une enfant de 13 ans qui était plongée dans un état léthargique. De nombreux médecins appelés à son chevet n’avaient rien obtenu (la raison est que les médecins ne prodiguent pas les soins et les parents, dépourvus d’initiative, ne savent pas exécuter les ordres). Pour mettre à l’épreuve la valeur des Vierges de la montagne on transporta sur le dos la malade au dispensaire. Les sœurs pleines de zèle et de dévouement administrèrent à l’infini tous les soins que cet état réclame. Chose étrange pour tous les assistants, elles parviennent à réveiller la malade, la faire boire, retrouver l’usage de tous ses membres, la connaissance, la parole et accompagnée des siens la jeune fille regagne elle-même son logis. L’écho de cette gué-

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Le rapport débute par des précisions sur l’établissement des sœurs similaires à ceux indiqués dans les Historiques de 1904-1935.

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rison retentit dans tout Naplouse et aux alentours en multipliant à l’infini le nombre de soignants réclamant du secours chez les Vierges du Mont Ebal. Cette affluence des gens réveilla encore une fois le fanatisme musulman et cette fois, les gendarmes sont envoyés pour chasser les malades qui, eux, dans leurs nécessités, ne manquaient pas d’industrie pour quitter la grande porte d’entrée et aller par un détour frapper à une plus petite porte, en envoyant les malédictions les plus accentuées, en autres [sic] si le ciel envoie le feu sur vous et sur celui qui vous a envoyé, ce n’est pas encore assez ! […]30 Les sœurs avaient reconnu la nécessité de créer une école où l’instruction et l’éducation puissent implanter une première racine de droiture chez ces jeunes enfants. En février 1919, l’école ouvrit ses portes à 15 des meilleures familles qui elles aussi sollicitaient ce bienfait […] Monsieur le Consul de France à Jérusalem étant venu voir les Sœurs s’intéressa à leurs œuvres, fit le nécessaire pour procurer les ressources qui permirent d’achever la construction et les réparations afin de disposer de deux autres pièces pour séparer les grandes des petites élèves dont le nombre s’était accru. A la même époque on organisa aussi un ouvroir […] Depuis cette époque, les classes ont été fréquentées et appréciées au point qu’en 1928, le chiffre total des enfants a atteint 154. Le 11 juillet 1927 à 3h du soir […] les secousses d’un terrible tremblement de terre jetaient l’effroi […]31 En quelques secondes l’épouvantable catastrophe avait anéanti une partie de la ville et fait de nombreuses victimes […] partout des tentes ont été dressées. Notre terrain avec ses grottes a servi de refuge à beaucoup de pauvres gens. Au dispensaire les malades affluaient, l’endurance, les privations de toutes sortes augmentaient chaque jour le nombre de misérables, ces infortunés se pressaient en foule à la porte de notre petit local au nombre de trois à quatre cents par jour. Le nombre total des 30 Suivent plusieurs paragraphes, un sur l’établissement de l’hôpital municipal et la demande faite aux sœurs par la municipalité pour en assurer la direction, un autre sur la situation pendant la Première Guerre mondiale, qui reprend les éléments développés dans l’Historique de 1904-1930 (service des sœurs malgré les épidémies durant la guerre, opposition de certains notables musulmans car les sœurs sont françaises, tentatives d’expulsion et intervention d’un officier allemand en leur faveur). 31 L’auteur du rapport décrit les étapes du tremblement de terre et ses manifestations.

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présences qui cette année 1927 s’est élevé au chiffre de 22 904 en fait foi. Celui des années précédentes s’élevait seulement aux chiffres de 12 261 et 10 340. Pour soulager ces misères dont la vue faisait mal au cœur, la faim, la nudité la souffrance se trouvant parfois réunies, les sœurs se sont dévouées sans compter avec le sacrifice et la fatigue. Ces pauvres musulmanes reconnaissant que le Ciel nous avait conservées pour les soigner ne cessaient de prononcer en notre faveur des paroles de bénédiction. Leur confiance envers les « Vierges de la montagne » est si grande que parfois nous en sommes émues et édifiées […]32 Une autre disait « Mon enfant est déjà mieux dès que je me suis mise en route pour venir chez vous, quand vos mains bénies lui auront donné quelques médicaments, je suis sûre qu’il guérira tout à fait ». Les conséquences de ce tremblement de terre ont augmenté le nombre de nos orphelins et faut-il le dire, à notre grand regret nous ne pouvons satisfaire à toutes les demandes faute de ressources pour leur entretien […] comment ne pas ajouter que ces pauvres malheureux bénissent du plus profond de leur cœur notre beau pays de France et ne cessent d’adresser au Ciel des vœux ardents pour le bonheur des personnes qui sont le soutien de nos œuvres […]33 Le 31 décembre 1928 à la tombée de la nuit, des indigènes se permettent de venir dans notre propriété enfouir à une profondeur de 0,19 m environ un membre inférieur de corps humain amputé chez nos voisins (hôpital civil). Le 1er janvier, le fait est porté à notre connaissance, on s’assure de la chose et un rapport est immédiatement envoyé au sanitaire. Celui-ci fait une enquête, donne des ordres, et les croyant exécutés le lendemain, s’excuse auprès de la supérieure en disant que dès la veille, il a fait enlever le dépôt et que désormais pareille chose ne se reproduira pas. La pauvre supérieure, poussée par un sentiment de défiance se rend sur les lieux pour s’assurer de la réalité. À sa grande surprise on avait fait qu’ajouter un peu de terre. Cette fois le coupable est appelé et invité à saisir de ses mains le 32 À plusieurs reprises, des témoignages de mères emmenant leurs enfants aux sœurs, certaines de leur guérison prochaine. 33 L’auteur vante les bienfaits de ces donations et les améliorations du bâtiment effectuées grâce à ces dons, et mentionne la nécessité de poursuivre les travaux du mur d’enceinte car les sœurs sont, en raison de la disette qui sévit, pillées fréquemment par des « maraudeurs » qui ont toute facilité à pénétrer sur leur terrain.

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membre infecté pour aller l’ensevelir dans leur cimetière musulman. D’après ce fait il est facile à chacun de constater avec nous la nécessité urgente de nous clôturer. Extraits du rapport envoyé à la maison mère le 8 juillet 192934 […] Un de ces matins, une maman portant un bébé de 4 mois et suivie d’un cortège d’enfants se présente pour faire soigner le bébé bien chétif, miné par la fièvre et la dysenterie. A l’examen et à l’auscultation, constatant l’état déplorable de l’enfant, la sœur demande à la maman la raison de sa négligence à soigner le bébé et elle toute rassurée de répondre « J’ai sept filles dont aînée a neuf ans, je vous les ai toutes apportées une fois, la seconde que vous voyez là était bien plus mal que celle-ci. Vous lui avez donné une potion et après l’avoir prise elle s’est toujours bien portée. Celle-ci fera de même, ne craignez donc pas et donnez-moi le remède, j’espère vous rapporter sous peu un magnifique poupon ». Tout en comptant sur la foi vive de cette femme nous avons jugé utile d’assurer le salut éternel de l’enfant […] En fait il faut le dire entre parenthèses, que quelques fois après avoir administré le remède corporel et spirituel à des enfants prêts à rendre le dernier soupir, ces petits moribonds reviennent par enchantement à la vie, à la santé. Nous en avons eu trois ces derniers temps. Les desseins de Dieu sont impénétrables et il n’est pas en notre pouvoir de les approfondir mais nous pouvons constater que ces âmes privilégiées (en attendant que Dieu les rappelle à lui) remplissent une mission d’apostolat en gagnant leurs frères par la confiance et en amenant d’autres âmes à la même grâce, ce qui est pour nous la majeure des consolations. Extraits du rapport envoyé à la maison mère en janvier 1930 Un de nos fellahs, abonné gratuit de notre dispensaire, apprenant que la [sœur Docteur] était malade promit à Allah et à son grand prophète d’offrir dans un de leurs sanctuaires un rotel35 de farine cuite, et de la distribuer aux pauvres afin d’obtenir la guérison de la 34 35

Récits de différentes guérisons intervenues dans le dispensaire des sœurs. Unité de poids variant entre 2,3 et 2,6 kg.

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sœur. Quelques jours plus tard, revenant se faire soigner, il voit avec plaisir la bonne sœur guérie. Alors ce fellah reconnaissant ôte son fez et à voix haute remercie Allah de la guérison de la sœur infirmière et s’empressa d’accomplir son vœu. Ces grands diables à l’enveloppe rustre cachent parfois une âme sensible pour les bienfaits reçus […] En mai 1904 les religieuses de Saint Joseph de l’Apparition au nombre de quatre arrivèrent à Naplouse où adroitement Monseigneur Antoine Ressah originaire de Nazareth, curé à Naplouse, leur avait procuré une maisonnette sur les flancs de l’Ebal; je dis adroitement car si les habitants de Naplouse, fanatiques par excellence, s’étaient doutés que des Françaises et pire encore des religieuses devaient l’habiter il eût été impossible d’acquérir ce modeste immeuble […] La nouvelle de l’arrivée de ces dames connues sous le nom de Banat Al Djebal-Vierges de la montagne et capables de soigner les malades fut bientôt répandue en ville. Bientôt de nombreux souffreteux arrivèrent, certains de bonne foi pour se faire soigner, d’autres pour mettre à l’épreuve la valeur des nouvelles doctoresses jusque-là inconnues dans le pays. Naplouse possédait alors 4 docteurs musulmans ou protestants. [Une jeune fille âgée de 14 ans, non soignée par les docteurs, est emmenée chez les sœurs qui la guérissent.] Son frère la prit sur le dos et l’apporta au dispensaire des dames françaises se disant : si elles réussissent à la guérir, nous saurons qu’elles sont capables de quelque chose […] la population entière émerveillée de ce fait ne tarda pas à susciter des entraves à l’œuvre naissante et l’autorité locale essaya d’aposter à plusieurs reprises des agents de police afin d’empêcher la population de se rendre à notre dispensaire. Plus tard le passage du Wali de Beyrouth à Naplouse déclara verbalement qu’il nous autorisait à faire à la population tout le bien qu’il était en notre pouvoir de leur prodiguer et que personne n’aurait plus rien à dire […] L’œuvre de soins des malades à domicile laisse beaucoup à désirer faute de ressources pour les frais de déplacement. C’est fort regrettable car il y a là un bien immense à faire pour les soins des corps et des âmes, des grands et des petits, mais surtout pour ces derniers qui souvent partent pour l’Éternité dépourvus de passeport valable. La nécessité de fonder ici une crèche s’impose de plus en plus afin d’ar246

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racher à la misère et à une mort fatale les déshérités de la nature, surtout les enfants de sexe féminin atteints de cécité. Ces fillettes reconnues aveugles, les parents les abandonnent et, privés de soins et d’alimentation, elles succombent en peu de temps. Ces cas sont fréquents car les maux d’yeux sont en Samarie le fléau le plus intense d’un bout de l’année à l’autre […] actuellement Naplouse compte 16 docteurs en médecine ou chirurgie et à part de rares exceptions, chacun d’eux à des amis intéressés ou des serviteurs pour lui fournir la clientèle attendue sur les chemins ou aux passages des marchés. Malgré cela notre dispensaire nous fournit largement de quoi exercer notre zèle et travailler pour la plus grande gloire de Dieu et l’honneur de notre chère congrégation. Extraits de l’Historique de 1932 Notre mission perdue en pays musulman a eu de belles fêtes à l’occasion du premier centenaire de notre chère congrégation […]36 Notre dispensaire est toujours fréquenté surtout par les pauvres qui sont heureux de trouver chez nous les secours nécessaires à leurs misères. Toutefois nous sommes l’objet d’une concurrence de la part de certains médecins de la ville qui apostent des gens aux coins des rues afin d’empêcher les malades de venir nous trouver, et malgré les efforts de quelques chefs musulmans pour aviver les sentiments anti chrétiens, la population perd peu à peu ses préjugés contre notre religion et a beaucoup de respect pour les religieux, voici un trait qui vient confirmer le fait. Un jour de promenade nous sommes arrêtées par une bonne musulmane qui après nous avoir considérées s’écrit « Heureuses sont-elles ces enfants qui vivent avec les Vierges ! » Extraits de l’Historique de 1933-34 Parfois de tout petits musulmans se font apôtres. Les trois enfants du docteur de l’hôpital fréquentaient nos classes et un soir qu’ils se trouvaient chez nous à une heure tardive, nous les fîmes entrer à la chapelle pendant nos prières. Ces petits furent émerveillés de tout ce qu’ils voyaient et entendaient et dès qu’ils furent chez eux, ils réunirent père, mère, domestiques, et l’ainé leur raconta comment 36

Brève description de ces fêtes.

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ils avaient passé la soirée. La prière des chrétiens est plus belle que la nôtre, dit-il, mettons nous à genoux et prions comme eux. Toute la maisonnée dut accéder aux désirs de ces trois enfants […] Dès que nos pauvres malades se sentent soulagés ils ne savent comment nous montrer leur gratitude. Un jour une maman nous emmène son fils de 10 ans, le pauvre enfant avait des yeux dans un état épouvantable, de grosses taches blanches, le pus qui coulait en abondance, inutile de dire qu’il ne voyait rien. Cette femme nous le confia pendant trois semaines. Au bout de ce temps, elle revint tremblante, n’osant regarder les yeux de son enfant. Qu’elle ne fût pas sa joie de le voir se conduire seul et venant au devant d’elle. Vraiment ivre de bonheur, elle voulait faire teindre de noir sa petite fille afin de nous la donner comme négresse, pour qu’elle nous serve en reconnaissance des soins donnés à son fils. Donner une négresse à quelqu’un est le plus grand présent qu’on puisse faire à quelqu’un dans ces régions orientales. D’autres nous disent que nous ne verrons pas le feu – l’enfer – que nous avons le paradis ici-bas et que nous l’aurons encore là-haut, que nous sommes les aimées de Dieu et beaucoup d’autres choses de ce genre. Extrait de l’Historique de 1935 […] Nos malades ont en nous une confiance illimitée. Ce qu’a dit la sœur est suivi à la lettre. Bien souvent après avoir vu le médecin ils viennent chez nous afin d’être plus sûrs que les médicaments prescrits par lui leur seront profitables […]

Frères des écoles chrétiennes de Palestine : entre coexistence communautaire et juridictions spirituelles Considérés comme des établissements éducatifs privés pionniers en Palestine, soutenus par l’opinion et les pouvoirs publics en France, les collèges des frères, fondés au début des années 1880, assurent pendant près de quarante ans la majorité de l’enseignement privé pour garçons en Palestine ottomane. Le collège de Jérusalem, fondé en 1876 et premier des collèges, situé au cœur du quartier chrétien de la vieille ville, s’ouvre progressivement et rapidement aux familles musulmanes, ainsi que les autres collèges

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à sa suite. Jérusalem, et plus largement la Palestine, lieu de rassemblement de plusieurs nations européennes, symbole du multilinguisme, constitue en effet un théâtre d’affrontement depuis le milieu du xixe siècle, qui se traduit par un véritable bouillonnement éducatif et une « guerre des langues » entre les différents ordres missionnaires. Les langues constituent un élément d’accession à la modernité à la fin du xixe siècle ainsi qu’un élément clé pour les autorités religieuses locales et romaines, occupant une place primordiale dans les stratégies d’élaboration des systèmes d’appartenance et de référence au sein de chacun des groupes. Dans la correspondance des établissements des frères éclatent les contradictions de la présence française en Terre sainte. Les frères sont en effet au cœur d’une relation triangulaire, aux prises avec les administrations ottomane puis mandataire, les notables musulmans et chrétiens, et les autorités religieuses locales et romaines, car la défense d’un idéal français et catholique n’est pas, à leurs yeux, contradictoire. Cette correspondance de 1910 illustre aussi de manière très significative la position des frères des écoles chrétiennes par rapport à l’admission des « dissidents » au sein de leurs collèges. Les frères des écoles chrétiennes entretiennent de bonnes relations avec les notables musulmans37. La réputation de leurs établissements, seules véritables écoles professionnelles, et l’équivalence des diplômes accordés avec les diplômes français durant la période ottomane attirent un pourcentage croissant d’élèves musulmans. Peu présents dans les villes intérieures à majorité musulmane telles Hébron et Naplouse, les établissements des frères des écoles chrétiennes se fondent sur une mixité du public qui justifie leur structure en deux branches, les élèves musulmans étant pour la plupart scolarisés au sein de la section payante. Affaiblis par le premier conflit mondial en tant qu’établissements français, occupés par les troupes militaires turques et pillés, ces collèges ouvrent à nouveau leurs portes dès le début de 1918 et continuent à scolariser un nombre important de musulmans, même si ces derniers y demeurent minoritaires. Malgré les vicissitudes qui les affectent durant la période du Mandat britannique (1917-1948) et la concurrence des écoles gouvernementales, ces collèges s’adaptent, se maintiennent et perdurent tandis que l’apprentissage en français, langue des minorités devenue minoritaire, continue d’attirer un nombre constant d’élèves musulmans. Mais la mixité confessionnelle du public des frères qui caractérise leurs établissements ne va pas sans poser problème aux autorités religieuses locales et romaines.

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Le fils du député Alami est très tôt scolarisé chez eux par exemple, ACJ, Historique de 1904-1919.

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Les frères, pour la grande majorité de nationalité française, sont en effet parfois accusés de prêter allégeance à plusieurs partenaires, et d’adopter des positions divergentes voire contradictoires, d’être des « patriotes à la solde de la France ». Les instances religieuses locales et romaines ont une influence directe sur la vie des collèges et le curriculum qu’ils proposent ; les frères se doivent de rester dans le giron du catholicisme et dépendent en partie du soutien financier de ces institutions. À l’époque ottomane, ils sont souvent perçus par le patriarcat latin et la Custodie comme étant d’abord animés par le patriotisme, avant que d’être des missionnaires. Cette accusation perdure après la Première Guerre mondiale38. Dès 1919, le rapport du frère Justinus souligne leur double inspiration, à travers « une politique d’expansion à l’étranger sous la double inspiration de la foi religieuse et du sentiment patriotique39 ». Rapidement après leur installation en Palestine, les frères réalisent qu’ils ne peuvent exercer de propagande religieuse ouverte et abandonnent toute idée de conversion directe40. Ils espèrent simplement sensibiliser leurs élèves au message chrétien par leur 38 Après la réouverture rapide des établissements à la fin de 1917, les frères déclarent être « tous disposés à reprendre avec un nouveau zèle et le même dévouement que par le passé, [leurs] œuvres de civilisation et de patriotisme », ACJ (Archives du collège de Jérusalem), lettre du frère assistant au MAE, 28  décembre 1917. AMG (Archives de la Maison Généralice des frères), NH 701, Rome le 16 mai 1924, frère Alexis François, au THF Allais Charles, « SE Le Cardinal Laurenti (…) me dit que d’après certaines informations qu’il avait reçues, le frère visiteur de Jérusalem aurait commis dernièrement quelques imprudences de langage. À l’occasion d’une réunion qui s’est tenue à Jérusalem je crois, il a eu à prendre la parole et tout son discours aurait porté sur la mission patriotique des Frères au Levant, sans dire un seul mot du premier but que doivent se proposer les religieux dans les missions, qui est le bien des âmes. Il paraîtrait que ce silence à propos de l’apostolat religieux, et l’expansion de l’influence de la patrie terrestre donné comme but unique ou du moins principal de l’œuvre des Frères, aurait très mal impressionné les assistants ». 39 Rapport du frère Justinus sur les établissements des frères en Syrie, Congrès français de Syrie, section III, Langue française, 1919, Chambre de commerce et d’industrie de Marseille. 40 La législation britannique prend cependant en compte ces quelques cas de conversions au niveau législatif. Décembre 1927, Official Gazette, nouvelle loi relative aux conversions, en français pour les missionnaires francophones de Palestine dans le numéro 19 de La Terre Sainte, février 1928, (elle apparaît à plusieurs reprises dans les archives des frères) : toute personne âgée de 18 ans est absolument libre d’embrasser la religion de son goût, l’intéressé est tenu d’avertir le gouvernement qui à son tour avertira officiellement les représentants des deux religions différentes si les parents ou tuteurs n’y contredisent pas, le changement de religion peut même se faire avant 18 ans si l’âge est douteux, la question sera tranchée par l’autorité civile les dispositions du code ottoman concernant les conversions demeurent abolies.

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témoignage. L’abjuration et le reniement de son identité sociale, intrinsèquement lié à une appartenance communautaire, ne sont en effet guère envisageables dans la société palestinienne, si ce n’est avec de nombreuses difficultés. Selon eux, leurs anciens élèves se montreront plus tard « enclins au dialogue ». Les conversions sont rares, et en général, tenues secrètes. En 1905, le rapport de l’Institut archéologique allemand note cette attitude par rapport aux élèves musulmans41. Les écoles chrétiennes sont en général ouvertes aux garçons de toutes les nations et confessions ; il n’est pas rare de les voir fréquentées par des enfants de parents musulmans, auxquels par suite de leur assistance aux instructions religieuses comme une des matières de l’enseignement, l’esprit du christianisme ne reste pas étranger. Mais d’après l’état des choses, il ne peut pas être question de passage de ces enfants au christianisme […] l’intérêt de ces missions se borne donc, autant qu’il se manifeste statistiquement, aux confessions et dénominations chrétiennes42. Le nombre d’élèves musulmans et juifs scolarisés est stable durant toute la période mandataire, excepté durant les périodes de tensions lors des événements de 1928-1929 et 1936-1938. Dès 1891 cette mixité leur est reprochée. Le patriarche latin propose en effet, dans un règlement soumis au Saint-Siège, d’exclure les catholiques des établissements des frères, fréquentés par les « hétérodoxes et infidèles43 ». En 1898, la Propagande met en cause à nouveau le fonctionnement des établissements des frères par rapport à cette mixité et à la langue française : On dit que dans les écoles des Frères, on admet généralement dans une trop large mesure des enfants non catholiques et même juifs et cela avec peu de discernement […] et puis la division entre catholiques et hétérodoxes tant recommandée par la Sainte Congrégation n’est

41 Rédigé par le P. Eberhard, recteur à Zarrentin. « Les écoles populaires arabes de Jérusalem », 1905, extrait de L’annuaire de la Palestine de l’Institut évangélique allemand d’archéologie de Terre Sainte à Jérusalem (ACJ). 42 ACJ, « Les écoles populaires arabes de Jérusalem ». Pour le patriarcat, le prosélytisme ne doit pas être seulement le fait des maîtres mais des élèves également. Ne pas savoir maîtriser l’arabe est donc perçu par les autorités religieuses comme un « déficit » de témoignage. 43 G. Rigault, Histoire générale de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes, t. VIII, Paris, Plon, 1951, p. 455. Le pape, qui avait enjoint les frères à augmenter le nombre de leurs écoles pour contrer la concurrence des missionnaires protestants, ne soutient pas l’avis du patriarcat.

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presque pas observée. On dit que le but principal des écoles des Frères semble être celui d’enseigner la langue française, que les lettres et langues profanes s’y enseignent assez bien, mais que le catéchisme et l’histoire sacrée, qui devraient être l’objet principal, laissent beaucoup à désirer […] il se donne en langue française44. Outre l’accusation de patriotisme, dans leur correspondance avec Rome et avec le Patriarcat latin, le délaissement des élèves catholiques par les frères apparaît à plusieurs reprises, comme dans cette correspondance de 1910, car pour les autorités religieuses locale et romaine, le devoir d’évangélisation des missionnaires demeure une priorité45. Il s’agit notamment d’accusations par rapport aux lacunes des cours de catéchisme (contenu et langue choisie pour enseigner la religion)46. En effet, pour des raisons autant pratiques (du point de vue des enseignants) que nationales, voire d’identité de leur établissement, les frères refusent d’initier leurs jeunes élèves chrétiens au catéchisme en langue arabe mais font cependant parfois appel aux prêtres du patriarcat pour animer leurs retraites. Dès 1920, le patriarcat met en place l’Œuvre de la préservation de la Foi en Palestine, approuvée par le pape Benoît XV le 3 juillet 1920, pour « le retour 44

AMG, NH 701. Voir aussi la lettre apostolique Maximum Illud, articles 59 à 63. 46 Les élèves juifs et musulmans n’assistent pas aux leçons de catéchisme, ni aux retraites de début d’année scolaire. Les élèves appartenant à d’autres communautés chrétiennes catholiques, orthodoxes et protestantes sont tenus d’y assister. A l’époque mandataire, la circulaire annuelle sur l’enseignement du catéchisme de 1932 (AMG, s.n.) reprend les arguments similaires à ceux présents dans cette correspondance de 1910 : « Voulez-vous dire qu’il faut de la prudence dans les expressions pour ne pas heurter brusquement, tout en exposant la doctrine catholique dans son intégrité, et qu’il faut éviter les phrases hostiles, alors nous sommes parfaitement d’accord. Mais si vous dites qu’il faut passer sous silence tous les sujets qui plaisent peu aux non catholiques, ou cacher la vérité comme une pilule amère qu’on enveloppe sous une capsule pour la faire avaler, alors nous ne nous entendons plus. Oubliez-vous votre beau titre de missionnaires ? Ce titre vous savez, à l’occasion, le mettre en relief dans vos pays, mais ce titre et cette vocation vous imposent le devoir d’instruire ceux qui sont en dehors de la vraie foi. » Le concours de catéchisme est institué en 1920 dans toutes les paroisses et toutes les institutions religieuses du diocèse, en arabe, « pour développer l’instruction religieuse dans ces pays où elle est souvent négligée », revue Jérusalem, 1926, p.  572. Le patriarche Barlassina est du reste connu pour sa propagande au détriment des rites orientaux, il est à ce propos traité de « un poco furioso » par le pape Pie  XI lorsque l’évêque grec catholique Mgr Salman rend visite à ce dernier en Transjordanie, P.  Pieraccini, « Le patriarcat latin de Jérusalem et la France (19181947) », dans De Balfour à Ben Gourion, les puissances européennes et la Palestine, 1917-1948, eds. D. Trimbur et R. Aaronsohn Cahiers du CRFJ, CNRS éditions, 2008, p. 325. 45

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des Frères séparés, la conversion des masses musulmanes, la préservation contre le protestantisme, l’affermissement de la foi chez les catholiques […] elle soutient les écoles, les missions […] battues en brèche par une intense propagande sioniste-protestante » 47. Cependant, à l’intérieur des établissements des frères, on observe une piété christocentrique et mariale, à travers les différentes dévotions au Sacré-Cœur, au Saint-Sacrement, au culte marial (le mois de Marie notamment), emblématiques du catholicisme ultramontain. Les associations fondées par les frères témoignent, selon eux, de leur zèle catholique. L’archiconfrérie du Très Saint Enfant, élevée à ce rang par le pape Pie X le 26 juillet 1909, rassemble plus de 200 pays adhérents ; son journal, L’écho de Bethléem, connaît une importante diffusion de par le monde48. Le départ progressif des familles de Jérusalem vers Amman entraîne dans cette ville la création d’un nouveau collège des frères, dans lequel la langue principale est l’arabe, l’anglais obligatoire et le français facultatif. Cette création met en perspective la valeur du français comme langue de référence dans une série d’accusations contre l’atteinte à l’identité musulmane. Celle-ci n’avait jamais été proférée à l’encontre des frères avec autant de force durant les périodes ottomane et mandataire. « Les mercenaires des missionnaires français, esclaves des colonisateurs […] effrayés de voir cette contrée de la patrie arabe islamique sacrée, pure et intacte des poisons des missionnaires, fidèles à son arabisme et à ses traditions et ses enfants unis et solidaires dans le service de sa majesté le Roi. » L’entreprise est dénoncée par le Club Fadael El Islamieh49. Certains entendent lutter contre les initiatives des frères « contre les musulmans », « les campagnes missionnaires menées par les missionnaires français contre les Arabes et l’Islam se vouent à l’échec »50 tandis qu’une minorité de journaux vantent leurs

47 Léon XIII avait incité les congrégations missionnaires à adopter une attitude conciliante à l’égard des rites orientaux, et les avait exhortées à ne plus se comporter en agents de la latinisation. En 1917, la congrégation de l’Église orientale est créée par Benoît XV. 48 Archives du collège de Bethléem, Documents relatifs à la fondation de l’Archiconfrérie du Très Saint Enfant Jésus, Projet d’archiconfrérie du T. S. Enfant qui doit être érigée à Bethléem dans la chapelle du Noviciat des Frères des écoles chrétiennes ; 10 juillet 1909, Lettres apostoliques de Pie X (la confrérie est fondée en mai 1905). 49 « Vertus islamiques », AMAE, Nantes, C 28, « Campagnes de presse arabe contre les écoles françaises ». 50 Al Jazireh, annexe au n° 1138, AMAE, Nantes, C 28, « Campagnes de presse arabe contre les écoles françaises ».

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« efforts au service de la langue nationale »51. A nouveau, l’élément du patriotisme est mis en avant dans les différents argumentaires.

« Admission des dissidents dans nos écoles », note du Frère Onésime, Visiteur, Bethléem, 11 août 191052 1. On a dit « Tous les soins sont pour les collèges… les catholiques sont négligés… Pour le patriarcat de Jérusalem et la délégation apostolique de Beyrouth, la dernière statistique visée par l’autorité ecclésiastique porte : Élèves catholiques : 1836 Dissidents : 969 Élèves gratuits : 1684 Élèves payants : 1121 Les chiffres démontrent A. que les catholiques ne sont pas noyés dans l’élément dissident B. que les écoles gratuites ne sont pas négligées Il est à remarquer que l’élément infidèle (Israélites, musulmans) atteint à peine le chiffre de 200 élèves. 2. L’éducation en commun des catholiques et des dissidents présente des avantages : A. Elle fait tomber bien des préjugés et atténue le fanatisme. Enver Pacha, général de cavalerie et ancien élève de nos Frères me disait un jour, « Si mon petit Ali demandait un jour à se faire chrétien, je le laisserai libre ». En général lorsque les jeunes musulmans arrivent dans nos classes, ils se conduisent en vrais petits sauvages… au bout de quelques temps ils s’épanouissent, donnent leur confiance aux maîtres et sont dociles à suivre leurs conseils. Quant aux anciens élèves israélites et musulmans ils se montrent reconnaissants, revoient volontiers ceux qui les ont élevés… une partie de la sympathie qu’ils portent à leurs anciens maîtres va naturellement à la religion que ces maîtres personnifient. Du reste ce n’est jamais avec des séparations que l’on offrira des rapprochements. 51

Al Difaa, 10 avril 1946 et Al Wahda, 18 mai 1946. La lettre est reproduite dans son intégralité, les points de suspension sont de l’auteur de la lettre, ainsi que les différentes majuscules. 52

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B. Cette éducation en commun inspire aux infidèles des sentiments d’estime et de respect pour les institutions catholiques. Deux faits seulement, choisis entre beaucoup d’autres. Naplouse est une ville presque exclusivement musulmane… les notables ont déjà fait quatre ou cinq démarches pour avoir une école de Frères. La raison ? C’est que quelques-uns de leurs enfants fréquentent l’école des Frères de Jaffa. Il y aurait à citer d’autres exemples analogues. A Beyrouth le comité Jeunes turcs voulait nous confier absolument les écoles ottomanes, par trois fois différentes ses délégués sont venus faire de pressantes instances dans ce but… ils voulaient tout au moins nous confier leur école normale et consentaient à passer par toutes nos conditions. Voilà si je ne me trompe de beaux hommages rendus aux Frères et à la cause catholique. C. Grâce à la discipline qui règne dans nos écoles, à la vigilance et au dévouement de nos Frères, à l’instruction religieuse et morale qui se donne chaque jour à tous les élèves, il est certain que Dieu est moins offensé par les dissidents que s’ils allaient chercher l’instruction dans des établissements où l’hygiène morale n’est pas l’objet de soins assidus. L’Église propose à notre admiration des saints qui auraient estimé leur vie bien remplie par le seul fait d’avoir évité un seul péché mortel. D. Une autre considération qui n’est pas du même ordre mais qui a sa valeur puisqu’elle relève de la charité : en général nos catholiques sont pauvres, les dissidents appartenant à des familles plus influentes, arrivent rapidement à des situations ils se font un plaisir de répondre aux sollicitations de leurs éducateurs en faveur des jeunes catholiques qu’il s’agit de doter d’une petite position… c’est par milliers qu’il y aurait des exemples à l’appui. 3. Il n’est pas rare d’arriver à des résultats plus consolants encore. Schismatiques : les abjurations ne sont pas rares. Au cours de l’année scolaire qui vient de se terminer, trois enfants de douze ans, à Beyrouth, ont fait leur abjuration entre les mains de Mgr le Délégué et, avec l’autorisation de leurs parents, ont fait publiquement leur première communion. À Tripoli, un élève de dix-sept ans, sur le point de terminer ses études a fait son abjuration en secret et, depuis, il fréquente assidument les sacrements. 255

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Nous avons admis dans notre congrégation trois jeunes convertis grecs dont deux avaient suivi nos classes de Jérusalem et un autre celle de Jaffa. Musulmans : les conversions sont plus rares cependant on peut en citer. A Jérusalem un musulman qui avait fréquenté nos classes et avait retenu son catéchisme voulut être baptisé avant de mourir. Actuellement il y a dans nos classes de la même ville un jeune élève que le père est obligé de maltraiter pour le conduire à la mosquée. À Jaffa, un musulman s’est fait baptiser puis a demandé son admission dans un ordre religieux. À Lattaquié, j’ai connu un jeune musulman qui s’appelait [le nom n’apparaît pas dans le texte] et qui ne voulait être appelé que le musulman catholique pour marquer son estime et son amour pour notre sainte religion. Et que de faits marquants une piété profonde pour la T. S. Vierge on pourrait citer : à Jaffa, plusieurs musulmans se levant pendant la nuit pour aller prier devant l’autel de Marie. À Beyrouth, autre musulman faisant brûler des cierges devant la madone pour obtenir du succès dans les examens… presque partout chapelet récité… insistances pour obtenir l’autorisation de suivre des cérémonies religieuses, entendre des instructions etc. … Israelites : En Syrie et Palestine, je ne connais pas de conversions proprement dites… mais je connais deux jeunes gens qui ont suivi notre école de Jaffa : ils prient et entretiennent des relations fréquentes avec leur ancien professeur de première. Ces relations indiquent (je veux dire leurs lettres) un travail de la Grâce et une orientation vers notre sainte religion. En présence de pareils résultats, on comprend difficilement l’insistance de ceux qui voudraient exclure de nos écoles les dissidents… on se demande si c’est le zèle apostolique et l’amour des âmes qui les inspire. Note sur les soins donnés aux catholiques : On a voulu dire que les catholiques sont négligés ; A. Dans toutes nos écoles sans exception on donne une retraite de rentrée. Quelques établissements y ajoutent une retraite de sortie. B. Dans toutes nos écoles on a établi une congrégation affiliée à la prima primaria de Rome… Les congréganistes sont réunis au moins une fois par semaine. On leur fait une instruction, on les incite 256

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à la piété, à l’esprit des sacrifices, à la fréquentation des sacrements. Lorsqu’on peut mettre la main sur un prêtre zélé, ce qui malheureusement est trop rare, on lui confie ce petit groupe d’enfants pieux et l’on seconde son zèle dans toute la mesure du possible. C. Lorsque les dissidents atteignent une proportion un peu élevée, les catholiques sont réunis au moins une fois par semaine et on leur fait une instruction spéciale. D. En certains endroits, lorsque le clergé veut bien s’y prêter, comme par exemple à Beyrouth, on organise, à la fin de l’année scolaire, un concours de catéchisme. Le concours comprend des épreuves écrites et une interrogation orale. Il est présidé par le P. Curé et donne droit à des prix spéciaux. E. En général, nos enfants sérieusement instruits de leur devoir grâce aux instructions que je viens de signaler, conservés dans une atmosphère saine grâce aux précautions disciplinaires et à la vigilance active de nos Frères sont fidèles à la communion fréquente : tous nos catholiques communient à peu près chaque dimanche et si, sur une semaine, il n’y a pas autant de communion que nous le voudrions, c’est qu’il nous est bien difficile de leur trouver des confesseurs qui veuillent s’astreindre à se tenir à leur disposition. F. « C’est aux fruits que l’on connaît l’arbre ». Je ne dirai rien de nos catholiques après leur sortie ; en général ils se conservent assez bien. Jérusalem possède un clergé séculier indigène qui s’alimente dans nos classes. Notre école n’existe que depuis une trentaine d’année ; cinq ou six missionnaires en activité sont sortis de nos classes et le séminaire compte presque la moitié de son effectif puisé aux mêmes sources. Les ordres religieux qui admettent l’élément indigène se recrutent aussi dans nos classes. Nous avons un lazariste, quelques salésiens et d’assez nombreux frères des écoles chrétiennes. Source : AMG, Rome, NH 701

Missionnaires anglicans à Hébron (1900-1938) : « from Jewish to Moslem conversions » ? L’hôpital missionnaire de la ville d’Hébron demeure le seul hôpital du district de la fin du xixe à la fin du Mandat britannique. Il constitue un

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objet d’étude privilégié pour analyser les liens des missionnaires avec le gouvernement mandataire de Palestine, mais également avec les chefs de la révolte arabe (1933-1939)53 et avec la population musulmane, pour une ville intérieure pour laquelle peu d’archives sont aujourd’hui disponibles. Les tentatives d’entreprise missionnaire éducative (protestante allemande et franciscaine)54 à la fin du xixe siècle ne réussissent guère dans ce district, et la présence missionnaire se résume en une action sanitaire. Après la Première Guerre mondiale et puis en 1929, la direction de l’hôpital est transférée à d’autres acteurs missionnaires, toujours anglicans, davantage tournés vers le public musulman. Elle œuvre pour le maintien d’une présence chrétienne dans cette ville qui passe pour être un « bastion sunnite », autant pour les missionnaires anglicans que les autorités mandataires, où les cheikhs du Haram al Ibrahimiyye (Tombeau des Patriarches) sont de puissants rivaux de ceux de Jérusalem55. Trois types d’archives rendent compte des différents aspects de la présence missionnaire britannique, seule présence missionnaire à Hébron, aux côtés de quatre à six moines russes orthodoxes installés depuis 1876 dans un monastère implanté près du lieu supposé du chêne d’Abraham56. La communauté chrétienne se réduit donc à ces quelques missionnaires et à une centaine de chrétiens,

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A l’automne 1933, les différentes forces politiques arabes lancent une campagne contre l’immigration des juifs européens en Palestine et ont recours à la violence contre les Britanniques de manière systématique à partir de 1935. Cette situation entraîne une grève générale arabe à partir du printemps 1936. La Palestine se retrouve alors sous la loi martiale. Dans les campagnes, des bandes armées s’en prennent aux positions britanniques et aux colonies juives, la grève devient une révolte ; voir aussi H. Laurens, Le retour des exilés, la lutte pour la Palestine de 1869 à 1997, Paris, Robert Laffont, 1998. 54 St Anthony’s College, MEC (Middle East College), JEM ( Jerusalem East Mission), GB 165-0161, 59/1, Lettres de A. Paterson au JMC (Jewish Mission Committee) et Ministère des waqfs de Jérusalem (Abu Dis), Institute for Islamic Research and Heritage Revival, Mu’assassat ihya’ al-turath wa al-bunuth al-Islamiyya, n° 60/1/5.8/32/6. 55 Pour les rivalités entre les Husseini de Jérusalem et les Maraqa et Al Jabari de Hébron, notamment lors des célébrations de Nabi Musa (grand pèlerinage sur la tombeau de Moise), voir aussi E.  Aubin Boltansky, Prophètes, héros et ancêtres : les pèlerinages musulmans de Nabî Musa et Nabî Salih dans la construction nationale palestinienne, Doctorat de l’EHESS, 2004 ; Y. Shami, Nouvelles d’Hébron, Labor et Fides, 2006, Nouvelle « La vengeance des Patriarches » et Y. Wallach, Readings in conflict : Public texts in Modern Jerusalem, 1858-1948, PhD, Birbeck College, University of London (chapitre 6). 56 Appelé Al Moscobiyye par la population. Conrad Schick Library, Christ Church archives, Jérusalem, The Jewish Missionary Intelligence, Journal of the LSJ (London Society for Promoting Christianity among the Jews), Annual Report, 1889 et Ministère des waqfs de Jérusalem (Abu Dis), Institute for Islamic Research and Heritage Revival, Mu’assassat ihya’ al-turath wa al-bunuth al-Islamiyya, n° 10/1.46/39/6.

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pour une population qui varie de 16 000 à 20 000 habitants durant la période concernée57. Bien que des pasteurs et docteurs de la LSJ (London Society for Jews) effectuent régulièrement des visites dès les années 1850 à Hébron, en raison de la présence de l’ancienne communauté juive,58 relativement tôt pour cette ville éloignée de Jérusalem, la présence missionnaire ne devient permanente qu’avec l’arrivée de la Mildway Mission en 189359. Le docteur associé à cette mission composée d’infirmières, A.  Paterson, s’engage auprès de la UFC (United Free Church of Scotland) à partir de 190160. Après la Première Guerre mondiale, les correspondances de la CMS (Church Missionary Society) et de la JEM ( Jerusalem East Mission) qui reprennent l’hôpital, respectivement en 1922 et 1929, révèlent les enjeux liés à la présence missionnaire pour le maintien de chrétiens « en terre d’Islam », passant d’une volonté de convertir « la plus vieille communauté juive » à celle de se rapprocher des « Mahommedans ». Les rapports de la CMS insistent sur les différentes tentatives d’évangélisation des habitants d’Hébron et ceux de la JEM de 1931 indiquent les 57

Pour les années 1880 (dans le kaza d’Hébron) : 100 chrétiens et 600 juifs pour 40 800 musulmans, selon V. O. Schmelz, « Population characteristics of Jerusalem and Hebron regions according to the Ottoman census of 1905 », Ottoman Palestine (18001914), Studies in Economic and Social History, ed., Gad. G. Gilbar, Brill, Leiden, 1990, p. 15-67. Au tournant du siècle, W. Ewing mentionne dans son ouvrage 2 000 juifs, « a handful of Christians » et 20 000 musulmans pour la ville elle-même, W.  Ewing, Paterson of Hebron, the Hakim, Missionary Life in the Mountains of Judah, Londres, 1931, p. 119. Pour la période mandataire, voir aussi les recensements de 1922 and 1931, PRO (Public Record Office), Blue Books (1922-1949) et Colonial Office, CO 814. Enfin, des Mennonites s’installent dans l’artère principale d’Hébron (Ein Sarah) après la Deuxième Guerre mondiale et ouvrent un établissement scolaire. 58 Conrad Schick Library, Christ Church archives, Jérusalem, Jewish Intelligence, Monthly Account of the Proceedings of the London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews, 1856-1921. 59 Il est intéressant de remarquer que la même année, l’hôpital Hesed le Avraham est créé à l’initiative de riches familles juives de Bagdad ; l’organisation de femmes sioniste Hadassah assure le recrutement du corps médical et l’hôpital d’Hébron devient réputé, aux côtés de ceux de Jérusalem. A la suite de son expansion en 1909 (en raison d’un important soutien financier), il est plus connu sous le nom de Beit Hadassah. Cependant, certains voyageurs remarquent au tournant du siècle que le fait que la haluka diminue pousse la communauté juive à se tourner davantage vers l’hôpital missionnaire (haluka : fonds de bienfaisance et organisme qui recueille et distribue une aide pour les juifs indigents de Palestine durant la période ottomane, notamment les étudiants de yeshivot) ; J. S. Auerbach, Hebron Jews, Memory and conflict in the land of Israel, Rowman and Littlefield, 2009, p. 60. 60 UFCS (United Free Church [of Scotland]), 2323.04.1901.

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nouvelles formes d’approche des femmes et les premières missions rurales, plusieurs années après l’établissement d’une section pour femmes au sein de cet hôpital. Le journal tenu quotidiennement, et non publié, du docteur de ce grand hôpital missionnaire travaillant pour le compte de la JEM, le Dr E. D. Forster, révèle, par certains aspects, une forme de dialogue islamo chrétien et les relations des missionnaires avec la puissance coloniale britannique61. Ce journal personnel est rédigé durant la grande révolte arabe en Palestine et rend compte, dans de nombreux détails, de l’organisation politique et matérielle de la révolte palestinienne dans le district d’Hébron, des différentes réactions et stratégies britanniques mais aussi de ses pensées profondes sur la notion de ce qu’il qualifie « d’occupation » britannique, dans une ville de l’intérieur où les troupes militaires et les civil servants sont peu présents. Il montre la coopération mais également la compétition entre missionnaires et acteurs gouvernementaux, ainsi qu’avec les notables locaux et la population. Ces extraits de correspondance, rapports et journal rendent compte de la situation missionnaire à plusieurs échelles, de l’histoire locale de la ville à celle, plus large, des missionnaires britanniques dans les villes intérieures de Palestine, assez méconnue pour cette période62.

Premières missions auprès des juifs et des musulmans La ville, réputée auprès des premiers missionnaires britanniques pour son conservatisme sunnite et son ancienne communauté juive, attire les missionnaires de la LJS à partir du milieu des années 1850. La communauté juive, perçue comme la plus ancienne de Terre sainte, semble être l’unique motivation de ces visites, selon les différents rapports du journal, Jewish 61 Le journal intime ne débute qu’en septembre 1936, au cœur de la révolte arabe, bien que le docteur ait été affecté à Hébron en 1931 (il s’en est absenté ensuite durant de longs mois pour des raisons de santé). St Anthony’s College, MEC (Middle East Centre), JEM, GB 165-0109. La vision des récepteurs de cette action missionnaire est peu représentée par rapport à celle des missionnaires. Il est d’autre part remarquable que la plupart des archives municipales semble avoir été perdu (des raisons politiques sont évoquées par les archivistes de la municipalité d’Hébron, du Tribunal islamique et du waqf). 62 Pour la période ottomane M. Marten, Attempting to bring the Gospel Home, Scottish missions to Palestine, 1839-1917, Tauris Academic Studies, 2006, p. 99-109 ; pour la période mandataire, J.  H. Proctor, « Scottish missionaries and the Struggle for Palestine, 1917-1948 », Middle Eastern Studies, t. 33, n° 3 (July 1997), p. 613-629 (mention de A.  Paterson mais peu de précision sur les années 1930 car la mission n’est plus officiellement tournée vers les Juifs).

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Intelligence, Monthly Account of the Proceedings of the London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews qui devient à partir de 1893 Jewish Missionary Intelligence, The Monthly Record of the London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews63. La venue assez tardive à Hébron (Les mission sont ouvertes à Jérusalem dès 1830) semble s’expliquer, d’après ces premiers rapports, par la vision entretenue sur ces deux communautés : des populations superstitieuses, avec peu d’aptitudes intellectuelles et peu inclinées à accueillir le message chrétien. Ainsi une mission médicale régulière ne s’installe que début 1893, la Mildway Mission, indépendante, un hôpital sous la direction du docteur missionnaire écossais Paterson64. Au début du xxe siècle, une division formelle des responsabilités missionnaires s’effectue entre la Berlin Society, en charge de l’action éducative à Hébron65, et la Mildway Mission qui se charge de l’action sanitaire. L’action éducative est alors vite découragée par les réactions de la population locale et l’activité missionnaire, qui rencontre des difficultés financières permanentes, se concentre sur une action sanitaire. En 1900, Mr Martineau, un particulier ami du docteur Paterson, propose un don de 5000 Livres pour l’érection de l’hôpital d’Hébron et des offres ultérieures de plusieurs centaines de Livres par an, pendant plus de 5 ans, pour son équipement. La UFC (United Free Church of Scotland) accepte ainsi cette érection mais le choix du terrain

63 Conrad Schick Library, Christ Church archives, Jérusalem, Jewish Intelligence, Monthly Account of the Proceedings of the London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews, 1857 – p. 27 (septembre, le Rev. D. A. Hefter rend compte de ses discussions théologiques avec des rabbins), 1860 – p. 10 (Rev. Crawford), 1893 – p. 72, (« Jewish begotry »). En 1920, le journal Mission Hospital de la CMS fait encore mention pour Hébron (p. 96) d’une population « extremely bigoted ». National Library of Scotland, GB 0233, Paterson Papers et W. Ewing, Paterson of Hebron. 64 Le docteur arrive le 19 juillet, 6 mois après l’arrivée des premiers membres. St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1, The secretary to the Bishop in Jerusalem, St George’s Cathedral, 7th March 1930. L’auteur expose à son correspondant l’histoire de la Mildway Mission, « founded in memory of Mrs Pennefather », elle a été transférée au UFC Jewish Mission Committee le 30  septembre 1901. Il lui rappelle également que les Mildway Mission Institutions ont été fondées par le Révérend William Pennefather en 1872 et 1875, qui a ouvert des établissements d’abord en Angleterre ; à Hébron, un ordre appelé les Diaconnesses de la Mildway Mission a pris en charge l’action sanitaire. 65 Elle apparaît dans les archives du waqf, Ministère des waqfs de Jérusalem (Abu Dis), Institute for Islamic Research and Heritage Revival, Mu’assassat ihya’ al-turath wa albunuth al-Islamiyya, n° 60/1/5.1/8/32/6 (prêches contre l’action missionnaire dans le district d’Hébron), et Conrad Schick Library, Christ Church archives, Jérusalem, Jewish Intelligence, Monthly Account of the Proceedings of the London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews, 1885, p. 7 et UFC, JMC, 23.04.1901.

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par le Dr Paterson ne s’effectue qu’en 1908. En 1921, après l’envoi d’une commission sur place, la UFC décide de fermer l’hôpital qui est transféré en 1922 à la CMS66. Durant la Première Guerre mondiale, les missionnaires quittent la ville et c’est en tant que Principal Medical Officer under the Occupied Ennemy Terrritory Administration que le Dr Paterson revient, connecté au Syria and Palestine Relief Fund67. En 1921, l’UFC mandate une commission pour statuer sur le maintien de l’hôpital par le Jewish Committee. La réponse du Dr. Paterson au rapport de cette commission rend compte des tensions dues aux attentes missionnaires. Ce dernier explique son travail missionnaire auprès de la communauté juive et de la population musulmane, donne un aperçu de la difficulté de la mission sur le terrain par rapport aux attentes des responsables68. Face aux accusations d’absence d’évangélisme direct dans son travail, il résume son échec face aux difficultés financières et ses différentes demandes non satisfaites dans ce sens (tentative de recruter un évangéliste local, refusée par la Maison mère à deux reprises ; demande de littérature chrétienne en langue arabe, non envoyée ; proposition d’ouvrir une école pour filles à laquelle il n’est pas donné suite)69. Ses problèmes à obtenir l’argent réclamé révèlent la différence de perception entre le missionnaire sur le terrain, estimant disposer aisément de la somme allouée par le donateur et sa hiérarchie qui entend tout contrôler. On observe dans cette correspondance un glissement d’une mission envers les juifs vers une mission envers les Mahométans, perçus d’abord

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Le docteur Paterson démissionne, CMS, Mission Hospital, 1923, p. 191 et CMS (Church Missionary Society), Birmingham (GB 0150 CMS), rapports d’activités de 1921 et 1922. 67 OETA : régime militaire mis en place en Palestine après l’arrivée des troupes britanniques à Jérusalem le 11 décembre 1917. Syria and Palestine Relief Fund : agence ecclésiale œcuménique mise en place au début de la guerre ; CMS, G3 P/L 16, UFC, JMC, 16.03.1915 et W. Ewing, Paterson of Hebron, p. 155-161. 68 Durant cette période, le livre de G. Ewing sur A. Paterson donne un aperçu mais il n’y a guère de relevé de conversions et pas de rapport précis sur les activités missionnaires menées. 69 CMS (Church Missionary Society), Birmingham (GB 0150 CMS), M/FL1/P2, JMC ( Jewish Mission Committee), Rapports de 1904, et 1905. En 1911, « The Committee sent a deputation report on the work being carried out, report that once the hospital was complete, educational facilities should be offered, and that a clerical missionary should be appointed and that should have ideally teaching skills » (14.11.1911). On apprend d’autre part dans la correspondance de A. Paterson de 1901 que ce dernier « requested Christian literature in Arabic » et M. Marten, Attempting to bring the Gospel Home, p. 106.

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comme « fanatiques »70, qui se traduit au départ par une conviction affichée du Dr. Paterson dans ses réponses à convertir les deux populations. Il souligne l’importance d’Hébron, « natural home of the Jews » et celle de la Tombe des Patriarches et des Matriarches. En 1901 déjà, Paterson affirme à l’Assemblée générale de la United Free Church of Scotland, que la mission « had been carried on as a mixed mission, for Mohammedans as well as for Jews. They lived in the most fanatical cities in the world, both as regarded Islam and Judaism »71. Il insiste sur l’importance théologique de la ville pour les musulmans et les juifs, « Moslems ranked it with Mecca, Medina and Jerusalem ; while Jews remembered it as one of the Cities of Refuge. Both claimed descent from the Patriarch Abraham, and both revered his tomb […] The return of the Jews to Palestine was a historical fact. » Il donne ensuite des détails sur sa méthode d’évangélisation : « the gospel was proclaimed in the dispensary, the Bible was read and explained… it was wonderful to see how an entrance could be found into the heart of even a Mohammedan or a fanatical Jew, if only he were approached with a measure of tact and kindliness »72. Pourtant durant sa présence de plus de vingt ans, on relève une forme de méconnaissance sur les événements qui touchent la communauté juive, qu’il qualifie à plusieurs reprises de minimes73. Aucune mention détaillée non plus des patients juifs traités, ni du succès de l’hôpital juif Hadassah de Hébron, dont le succès aussi auprès des musulmans explique sans doute le faible nombre de patients traités au départ par l’hôpital missionnaire, ni sur l’attrait progressif de ce dernier lors de la montée des troubles entre juifs et musulmans dans le pays. La répartition des tâches entre A. Paterson (action sanitaire) et la Berlin Society pour l’action éducative et évangélique semble le détacher de son intérêt pour sa mission envers le public juif. L’évolution de la perception des musulmans est sensible notamment dans le vocabulaire utilisé dans sa correspondance entre 1901 et 1921. Ce qui ressort d’une analyse contextualisée de ces premiers rapports est sans doute sa volonté de faire de l’hôpital un moyen d’assurer un service social à la population (avec des opportunités d’évangélisation) plus qu’un instrument de conversion74, même si certaines actions d’évangélisation 70

W. Ewing, Paterson of Hebron, p. 68-71. A. Paterson devant l’assemblée générale de l’UFC, 1901 : 49 et 50. 72 Ibid. 73 On note également une méconnaissance du mouvement sioniste. Il mentionne simplement un entretien avec Weizman au sujet de la Haluka qui diminue et entraîne ainsi le départ selon lui d’une partie des juifs d’Hébron ; National Library of Scotland, GB 0233, Acc 4499, Paterson Papers. 74 M. Marten, Attempting to bring the Gospel Home, p. 107. 71

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directe sont entreprises (cf plus loin). L’arrangement effectué avec la Berlin Society le déchargerait pour ainsi dire de la création et du soutien direct à une congrégation locale hébronite. On retrouve peu de traces écrites de la réaction des notables musulmans à ces tentatives, ce qui indique également une absence de volonté de conversion réelle, au-delà de ce qui est indiqué dans des rapports destinés à la hiérarchie. Cette auto-analyse, même succincte, de la question de l’efficacité du missionnaire en tant qu’agent de conversion le pousse, dans une certaine mesure, à une forme d’auto-analyse de son échec, mais également à une sévère critique de sa hiérarchie, de sa méconnaissance de la situation locale voire de sa mauvaise foi par rapport aux moyens accordés aux missionnaires. Il émet des critiques sur les conclusions de la commission, sa méconnaissance de la population elle-même, les contraintes linguistiques, et souligne son indépendance financière à assurer la viabilité de la mission (en fonction d’un accord personnel passé avec le donateur originel)75, mais n’insiste pas sur l’importance du public musulman pour la mission. Paterson semble avoir réellement cherché à étendre la mission, et accuse en effet la commission de ne pas avoir effectué une enquête suffisante, d’avoir manifesté des idées préconçues sur la viabilité de la mission à Hébron, de ne pas avoir séjourné assez longtemps à Hébron même, ce qui a eu des conséquences sur la compréhension de la population juive (la majorité d’entre elle travaille depuis la guerre et ne vit pas d’aide seulement comme le rapport le laisse entendre ; c’est déjà le cas dès 1909 avec l’ouverture de la branche de la Anglo Palestine Bank). Il précise qu’un rapport avait déjà été établi et la situation discutée en 1919 avec deux membres de cette même commission auteurs de ce rapport, qui est empreint selon lui d’un flou historique sur les types d’actions missionnaires entreprises76. Au final, le rapport tendrait selon lui à « séculariser » son travail. Les difficultés financières semblent avoir handicapé le docteur et son équipe (allant souvent de pair avec les arguments sur la nature des Juifs et des musulmans eux-mêmes). Le glissement de la mission s’explique par les frais considérables occasionnés pour une communauté juive trop restreinte

75 Il insiste sur le fait que ce don, étroitement lié à sa personne, serait ainsi « perdu » (« with this transfer […] the donation of Martineau […] would then be lost lost » dans le texte). 76 En 1911, une autre mission avait été mandatée et avait effectué un rapport (février) très favorable sur la mission à Hébron. W.  Ewing, qui écrit plus tard son ouvrage sur A. Paterson, est un des principaux délégués de cette mission : il y souligne la nécessité d’achever le bâtiment, d’offrir ensuite une action éducative ; W. Ewing, Paterson of Hebron, p. 149 et M. Marten, Attempting to bring the Gospel Home, p. 105.

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en nombre, dont le niveau d’éducation est jugé trop insuffisant et la religiosité trop proche de la superstition par certains missionnaires77.

Extraits du rapport de la comission ( juin 1921)78 Attention is called to the terms of our Remit relative to this station, « to reach a judgement concerning the conditions on which work in Hebron may be conducted or readjusted ». In such circumstances, we approached the question of Hebron with the utmost openness of mind and impartiality, conscious that the Church would desire a just estimate of the whole situation judged from the standpoint of Jewish Mission work […]79 The Jewish Mission Committee took over this centre in 1900 from the Mildway Mission, which has sought to reinforce its evangelical work by a medical branch established in a house, formerly a hotel, hired and adapted to the uses of a hospital. This house was afterwards devoted by Dr Paterson entirely to the uses of a hospital, and there the work is still carried on. The Germans, with headquarters at Bethlehem, had been working Hebron as an out station, and conducted a Boy’s school there, his teacher acting as a local evangelist. Our Jewish Mission Committee made an arrangement whereby mutual cooperation would be secured but the main line of our activity has been Medical Mission work. A new hospital was begun in 1909, the money for his erection has been gifted by an anonymous donor ; before its completion the war has fallen. Work has been resumed to the old rented buildings. So far as the Jewish population here is concerned, the facts, as we found them, are not reassuring. There are only some 500 all told, although it is held that their number may again increase as post war conditions permit the country to become more settled. These Jews reside in the very heart of the ancient city, which is pronouncedly 77 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1, 12  octobre 1929, réponse de Webster à Bick, lettre confidentielle sur les raisons de l’abandon de l’hôpital : moins de 500 juifs dans la ville mais pour le Jewish Mission Funds, une implication financière de plus de 3000 Livres. Celui-ci ne remet pas en cause le travail missionnaire de A. Paterson. 78 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1, 4th May 1921. 79 Suivent quelques phrases de description physique de la ville, de ses activités économiques, des différents groupes de population.

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Moslem. They are huddled together in the most squalid quarter, a veritable Ghetto. Nor can it be said they exercice any special influence on their community, or occupy any place of distinction. A few are engaged in trading, but generally speaking, they belong to the Haluka, that is they are Jews supported by the charity of their European co-religionists They are tolerated by their Moslem fellow citizens as part of the historic order of things. A less promising field for missionary activity it would be difficult to find. The conditions for free-minded enquiry for the part of Jewish seekers after truth do not exist. Here Jewry is a door barred by tradition and sealed up by prejudice. Any approach to Christianity in such a compact and detached community comes immediately under detection and the inquirer is subjected to a pressure of calculated opposition such as renders any decision involving a change of faith a most perilous step. This in itself does not of course constitute an argument against missionary enterprise, where so frequently difficulty is only the framework of heroism, but when the Jewish constituency is so small and the field is so restricted, it becomes a reasonable factor in a just estimate of the situation as a whole. Turned to the mission work carried on, we found our concern increased. It is confined to a Medical Mission maintained on a modest scale, for any evangelism arranged for with the Germans has practically ceased to exist. For some time our Jewish Mission Committee conducted a school and maintained a blind evangelist amongst the Moslem population, but these no longer continue. The European staff of the hospital consists of Dr Paterson ; Miss Bell, the matron ; and Miss Rose, a trained nurse. […] a large outpatients department treating many thousands per annum occupies no small portions of the energies of Dr Paterson, assisted by his present native dispenser. It is not easy to convey to the Church an adequate idea of the influence exerted by Dr. Paterson upon the community in Hebron itself and to the whole surrounding country. He has built up a great reputation by his labour on behalf of the suffering humanity. His position is one of distinction, as the Hakim trusted and beloved by the people of Southern Palestine. With a missionary zeal and consecration second to none, Miss Bell, the matron, has ably served the Church for the last 17 years as his constant colleague.

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Looked at closely however and weighed in terms of missionary values, we regret to find ourselves far from satisfied. Apart from a missionary worth and effect of any medical service in relief of pain and the cure of disease, irrespective of race or creed, no active evangelism is carried on in the hospital. No services for outpatients are held, and none in the wards. Doubtless many an opportunity for instruction and personal influence is taken, but no provision is made for bringing Medical Mission work to a focus in any evangelistic effort issuing in conversion for Jesus Christ. It is very questionable to what extent these conditions under which the Staff labour and which we simply record without in the least degree reflecting upon the Staff, would be altered the new hospital completed. Indeed the difficulty might only thereby be increased by reason of the added medical and surgical responsibilities […]80 Had the question been the establishment of a Mission in Hebron, looking at the paucity of the Jews there and the far greater possibilities of other Jewish fields, we do not hesitate to say that we should not have dreamed of recommending the placing of a Mission station there. But, taken even as it stands, we hold the conviction that, considering the opportunities afforded to successful work among the Jews are both so few and so restricted, the Church would not been justified in attempting such development of the Mission there as is required to render it an effective missionary agency. Medical work alone is not sufficient, and from the point of view of Jewish Mission, no case can be made out for launching any well-organized evangelistic enterprise […]81 Our view is – a view held firmly, although reach reluctantly – that this mission ought to be transferred to some other missionary agency to which work among Moslems forms part of its ordinary operations. Failing this, enquiry might be instituted as to how far it may prove possible to have the hospital placed at the service of the Department of Public Health82. 80 Suit un paragraphe sur le sort de la construction du nouvel hôpital pendant la guerre et les pertes matérielles en résultant, qualifiées de lourdes. 81 Les auteurs du rapport insistent ensuite dans un paragraphe sur les ressources financières nécessaires engagées annuellement qui ne sont pas justifiées en raison du nombre restreint des membres de la communauté juive. 82 Paragraphe sur les détails du transfert, des biens.

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Extraits de la réponse du docteur Paterson ( juillet 1921)83 […] For although the description applies to the present, it also implies a similar past, except for the two indeterminate periods covered by the German Mission’s agency and our own Evangelist’s term of service […] Will it be believed again that the Committee had no hand in providing either agency [school and a blind evangelist institution for the Moslem population] ? That not one penny have they offered – far less contributed – in 20 years to this specific objects, though again and again we have venture to urge them ? This particular little enterprise was, solely and entirely, our own affair with private friends, who sent their contributions to us directly : with a separate banking account ! And if “these no longer continue” are we to be held accountable, as tacitly we undoubtedly are made to appear, after setting an example, the war has broken up that little band of ours and death has removed our evangelist, and the Committee has not replace either […] My fourth year of military service with hardly a week’s leave – nearly doubled our out-patients at the Government request – and with only my hospital servant as dispenser, who has gained a smattering of dispensing and did, as he still does, his best in addition to his other duties, under my instruction and supervision. Till now […] I have no proper dispenser, although budgeted for, and neither have I a horse, whose allowance I have never asked for. The saving goes to defray, extra costs of drugs, dressings etc. … and my visits, sometimes taking hours a day, in a large town and its environs I make on foot, for my horse was taken by Turks and I cannot offer to buy and maintain another. How can I do an Evangelist’s work – or how provide one with the sum I am given ? If I have not budgeted for one in the circumstances it was always open to the Committee to have added the item, and certainly for the Commission to have suggested it, even for the two remaining years of our life as a mission. [Teachers of the German Mission] This also cost the Committee nothing […] 83

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St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1, 2nd July 1921.

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However regrettably – even culpably – spasmodic and inadequate our evangelistic work has been, it has been done, even outside the above agencies. For two of our dispensers in succession held daily services at the clinic, others workers conducted prayers in the wards and I used to do regular itinerary work in the villages. Neither is any mention made of the weekly Sunday service in English which I conducted since before the Mildway retired, preparation for which took many hours a week – often night work as well as on Sunday, which, oftener than not, is as busy as a week day – nor of the Arabic Bible reading I directed, till time and strength did not allow owing to other growing burdens on a man who has been single-handed for all but 3 years of his service here […] Finally, failing transference to some other missionary agency, the Report suggest that “inquiry” might be instituted as to how far it may prove possible to have the hospital […] placed at the service of the department of Public Health. I may be considered to have had more than my share of say already in the matter of Hebron’s disposal but to sell our Hospital to this administration seems to me a proposal to secularise it with a vengeance even to the conceivable length of allowing our Mission Hospital to come at last into antichristian, i.e. Jewish Zionist hands. The suggestion looks pathetic and so unthinkable as to appear a counsel of desperation. It may be considered impertinent to ask the ultimate destination of the unspent original sum […] La Church Missionary Society, la Jerusalem East Mission et le Hebron St Luke’s Hospital : « a Mission among the Moslems » ? L’UFC transfère à la CMS, à des conditions avantageuses, la gestion de l’hôpital en 1922. La mission se tourne alors plus clairement vers la population musulmane et mène des actions d’évangélisation, « they [the UFC’s Jewish Committee] have been obliged to give up their work at Hebron as the population there is increasingly Mohammedan, and their own work is primarily among the Jews84 ». Un nouvel hôpital est inauguré et accueille de nombreux hébronites85. L’action sanitaire est renforcée,

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CMS, Mission Hospital, 1923, p. 191. CMS (Church Missionary Society), Birmingham (GB 0150 CMS), M/FL1/P2, Plans for completing Hebron hospital, 9.9.1922 ; M13, plans of Hebron Hospital, M14 85

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l’évangélisation urbaine et rurale également mais, toujours en raison de difficultés budgétaires et de personnel (le docteur Alexander doit s’absenter une grande partie de l’année 1928), l’hôpital ferme ses portes fin 1928. Le 31 octobre 1928, le comité accepte la démission du Dr Alexander, tandis que les notables hébronites et les représentants religieux insistent auprès de l’administration mandataire et religieuse britannique pour le maintien de l’hôpital86. Le 8 mai 1929, l’hôpital est officiellement cédé à la JEM. L’impact du massacre de nombreux membres de la communauté juive le 27 août 1929, à la suite des émeutes du mur des lamentations, entraîne la réouverture de l’hôpital missionnaire par le Bishop Mac Innes peu de temps après l’évacuation de la communauté juive d’Hébron vers Jérusalem, avec le soutien du Gouvernement mandataire87. La vocation missionnaire de la présence à Hébron est alors réaffirmée face à la méfiance de la CMS envers la JEM, perçue comme « moins évangélique88 ». L’enjeu de ce transfert réside en effet dans le maintien des objectifs de la mission. Il correspond à l’augmentation de l’importance de l’hôpital dans la ville, à la cessation des activités de l’hôpital de Beit Hadassah et à la volonté du gouvernement mandataire de poursuivre une action sanitaire dans le district (comprise comme un mécanisme de contrôle au sens où l’entend M. Foucault). Les liens avec les autorités mandataires sont présents dès le début de cette nouvelle entreprise. Comme le relate la correspondance sur la passation à la JEM, le Gouvernement de Palestine demande instamment à l’évêque de rouvrir l’hôpital après les émeutes. Le 24 février 1930, le Bishop of the Church of England confirme au Haut-Commissaire britannique qu’il n’y a aucun hôpital au sud de Jérusalem, à part celui de Gaza, et que cet hôpital à Hébron pourrait donc rendre « a real service to the Health public department », répondant ainsi aux besoins du

« Hebron hospital : Rev. W.  W. Cash expressed hearty approval of proposed offer. Today Writer and Dr Sterling visited Hebron and interviewed Dr Paterson (superintendant of the UFCS) […] Plan approved the 4th of April » et Conrad Schick Library, Christ Church archives, Jérusalem, Jewish Intelligence, Monthly Account of the Proceedings of the London Society for Promoting Christianity Amongst the Jews, 1884, la communauté fait appel à l’aide des missionnaires. 86 CMS, Mission Hospital, 1928, p. 188-190. 87 JMA (Jerusalem Municipal archives), CZA (Central Zionist Archives) J93 et S25. 88 Plusieurs correspondances entre les deux institutions missionnaires indiquent que la CMS craint que la JEM se concentre sur l’aspect médical de la mission et laisse totalement de côté l’aspect évangélique

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Gouvernement mandataire tout en étant soutenu financièrement par les missionnaires. Pourtant, rapidement après leur réinstallation et bien qu’Hébron absorbe jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale « a quarter of income for overseas » de Palestine89, la ville apparait comme un territoire irréductible de mission. Une infirmière souligne tôt la difficulté pour les missionnaires de soigner juifs et musulmans ensemble, et insiste sur l’orientation de la mission vers les musulmans. It is no exageration to say that the Moslems of Hebron have opened their arms to receive a Christian mission hospital. Here is a Christianity that speaks loud and plain, and in a voice that the most fanatical Moslem can hear and does not ressent – the voice of the humble cheerful charitable service in time of real need90. En avril 1932, I. Scott Monctkrieff, assistante du docteur E. D. Forster, insiste quant à elle sur la difficulté du travail d’évangélisation. Au début des années 1930 en effet, suivant le programme scolaire et sanitaire mis en place par les autorités mandataires, les missionnaires se tournent davantage vers les femmes de la ville (un agrandissement est réalisé pour les femmes des familles riches)91 mais aussi vers celles des campagnes environnantes. Dans le district d’Hébron, les missionnaires deviennent alors des agents gouvernementaux.

Mission hospital, CMS (extraits) 1923 A kindly welcome was extended to the CMS both by officers of the Government by the sheikhs and people of the town […] services are held in the out-patients department before starting treatment, and there has been no protest against this but rather murmurs of approval during this address. Services are held regularly in the wards and Miss Cornwall is fortunate in having the help of Miss 92

89 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1, 12 janvier 1940, rapport du docteur. 90 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1. 91 Dès 1929, plusieurs femmes appartenant à la classe dirigeante hébronite se font soigner à l’hôpital missionnaire : « the wife of the Governor of Hebron, the wife of the Chief Moslem judge, the daughter of one of the principal officials of the mosque of Abraham and the mother of the most influential sheikh of the district », CMS, Mission Hospital, 1929 (rapport d’activités de 1928), p. 189. 92 CMS, Mission Hospital, 1923, p. 191.

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Nicholson in all branches of the spiritual work. Visits have been paid by Dr Alexander to Beersheba and Shiyukh […] On the spiritual work, Miss Cornwall writes : “We are extremely fortunate in having the help of an old missionary who is spending her latter years in Hebron. She comes daily and talks to both men and women. I long for the day when my knowledge of Arabic will allow me to do this. My little bit of work at present is prayers with the nurses morning and evening, and to my joy, I have been able to gather 2 or 3 Christian girls for a Bible class on Sunday afternoons. I do pray that this may prove a real help and blessing to them […] There is a Lutheran service in Arabic each Sunday morning taken by a lay man. Occasionally a Lutheran pastor from Bethlehem comes over to hold a Communion service in a private house, the central hall of which has been converted into a Church. We are hoping that it may be possible for us to obtain a permission to hold brief service in his house for the English people here.” Miss Cornwall concludes her note by saying : “Thus our work has been started. Hebron is the baby of the Palestine Mission, and we look for claim the prayers, interest and help of friends at home”. 192393 Besides the work in the hospital wards and in the outpatient department, visits are paid to people who are either too ill to come to the hospital or who are willing to pay 25 piastres for a visit in their home rather than take their turn in the hospital, and be seen for 5 piastres. The better class Moslem families too, when they allow their women folk to be attended by a Foreign Doctor, prefer them to be seen in their homes, and their husbands are usually present. The Moslem in Hebron are much stricter than those in Salt, or in other words, we were more frequently called to attend Moslem women in Salt than we have been in Hebron. There is a great deal of harem work in Hebron as well as in other towns, which could be done by a lady doctor, but which men are not allowed to do. 192594 Dr Alexander says that the patients, especially the men, listen with deep interest to the Gospel. Miss Cornwall records with thankfulness the way the Syrian nurses are developing an increased sense of responsibility towards the Moslems and the help they render 93 94

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CMS, Mission Hospital, 1923, p. 285. CMS, Mission Hospital, 1925, p. 190.

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in teaching the women and praying for the patients. The patients themselves share in the work. One Moslem woman at Christmas time told most graphically the story of our Saviour’s birth to a fellow patient who had not grasped the Christmas message. Itinerating work has been started in some of the villages round Hebron. A courtyard of the mosque was occupied, and service held at which as many as seventy persons have been present. At the conclusion of the service the sick are treated. 192795 Another sheikh, the leading man of his village, was in the hospital for an operation of his eyes. He asked to read daily from the Gospels to the other patients in the ward, and when he was leaving the hospital he asked for a Bible in Arabic, which of course was given him. Another sheikh, this time from an important town, also asked for an Arabic Bible that he might read. All the members of his family came to the hospital for treatment, and he has proven himself a staunch friend of our work having on more than one occasion openly expressed his appreciation of it96. Letter from the General Secretary, CMS (W. Wilson Cash) to Dr MacDonald Webster, UFCS, 20 novembre 1928 (extraits) You will observe that to our approval of the CMS decision we have attached certain quite simple conditions we do not think that the JEM will find any difficulty at all in regard to these […] The reason for this motion seemed to be a fear that the JEM is not sufficiently evangelical […] The result was that motion I refer to received only 3 votes but all of us naturally sympathise with the desire that the evangelical element of missionary enterprise be kept to the force […] We took cognisance at the previous meeting of the content of one of your letter stating that the Bishop will seek to maintain the High repute of the Hospital as a Missionary institution and will also 95

CMS, Mission Hospital, 1927, p. 187. La première conversion en tant que telle n’est pas du tout explicitée (le patient s’est-il converti ? – il s’agit d’un patient traité pour des problèmes pulmonaires) « For the first time a Moslem came forward and asked for baptism. At least a dozen others are known to the doctor to have been drawn to Christ while in hospital, and are reading the Arabic Bible at their homes. », CMS, Mission Hospital, 1929, p.  189 (rapport d’activités de 1928). 96

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appoint a catechist and a Bible-woman besides providing that periodical visits will be made to Hebron by members of the staff of the Cathedral in Jerusalem. We assume that all this will be done97. Réponse aux contestations de Miss Campbell (assistante du docteur Paterson)98 I should again like to assure you and your community, and shall probably do so when I write officially, that Bishop Mac Innes and my Council were particularly anxious to obtain Hebron Hospital because of the opportunity there for direct evangelism. We have given up an hospital in Haifa because we have found that the conditions have so changed there that missionary work through a hospital is now very difficult and in fact the conditions have completely changed in Haifa from those pertaining when the hospital was opened […] it was owing to the unforeseen resignation of our doctor at Haifa that we were compelled to close the hospital there […] if the Hebron hospital is put into my hands its work will be conducted on strong evangelical principles I have no interest in work of any other kind. Saint Luke’s Hospital, Hebron, Palestine, Summary of the work done – 14th may 1931-30th april 193299 Girls’ Governmental school A Mother craft class for the girls of the top form has been held weekly from the 1st November : during school terms. Lessons written by me, prepared by me with the teachers, given by the teachers ; followed by demonstrations and practical work […] Bathing, preparing food, poulticing, making a cradle, and clothes, first aid etc. It is proposed to give a prize to the best mother craft essay at end of 97

St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1, United Free Church of England, Dr Mac Donald Webster to Reverend Bickersteth Jerusalem East Mission, 18 april 1929, Resolution of the CMS Executive du 27 mars (motions d’approbation le 16 avril ; transfert de l’équipe et du matériel). 98 Miss Campbell est en poste à Hébron de 1889 à 1897, CMS, Mission Hospital, 1923, p. 15-16. 99 Note de l’auteur du rapport : « NB : The Centre is entered by the M.O.H (Ministry of Health) as « St Luke’s Centre ». As the room, equipment and drugs are supplied by Government (although equipment supplemented by me) it is very good of him to give the credit to St Luke’s. »

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school year and possibly print in local press as Health Propaganda. This scheme was initiated by the Director of Medical Services and welcomed by the woman Director of Education. I have enjoyed getting into touch with the Moslem teachers as well as the girls over this class. It is a very cheery affair. Women’s Rural Institute One of the Moslem ladies came and asked me to start a Society for doing Good and we founded the above in January. The President is the wife of the M.O.H. The Secretary and Treasurer are two of the ladies […] At their own request, they each bring a time for the good of the poor of the town […] The program usually consist of a demonstration and a competition but we have to adapt ourselves to their limits, as the scope in a Hebron lady’s life is small and I think only three of them can read and write, and that not very correctly. On the Hareem Day at the Exhibition in Jerusalem, I took in a contingent of 14 members from Hebron, which they all enjoyed very much. Visiting in the Women’s Wards This varies with the age, degree of illness, and capacity of the patients. No regular evangelistic work can be done such as one can be done in old Cairo, where patients are more graded. Here you get a tiny baby, an old fellaha granny very deaf, a dangerously ill pneumonia woman, a small boy with tubercular leg and a mother of a sick baby, perhaps at one time. One or two have been in long enough to learn some Bible stories and the Syrian housekeeper has prayers for them every morning. Flowers, toys, pictures or fruit, or just listening to the reminiscences seems to buck them up. One just has to use his one’s judgement. Polite visits Sometimes rather perfunctory but more often rather hearty. To the chief people like Qadi’s wives or some of the Sheikhs who ask us. Also such Christian families as live in the town. Some of the Christian ladies come to a work party in the Hospital on Fridays to make things needed in the Hospital100.

100 La communauté juive a, depuis son retour dans la ville, un docteur (visite hebdomadaire à Hébron) et une infirmière sur place, les missionnaires insistent sur la difficulté de « mixing the 2 races […] in a clinic ».

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[…] This […] brings us to a further and deeper question, that of the Policy of the diocese. Do we consider Hebron to be one of the strategic points in our work and if so are we to increase our expenditure in this direction, even if it means diminishing our work in other ways. As most of missionary work, the value of Hebron largely depends on the personnel. “Identity, difference and civil service ” : le journal du Docteur E. D. Forster (1936-1938) En poste à l’hôpital d’Hébron dès 1931, le docteur E. D. Forster tient un journal quotidien de septembre 1936 (après une absence prolongée pour raisons médicales) à mars 1940, dans lequel il dresse un portrait de la ville, de ses habitants musulmans, de sa position par rapport à l’administration mandataire et dans lequel il se détache résolument de la fonction d’agent gouvernemental. Il livre une opinion critique exceptionnelle à la fois sur les troupes militaires du district, la situation politique et les réponses militaires et politiques britanniques durant la grande révolte, ainsi qu’une analyse de la société d’Hébron. Fort respecté par l’ensemble de la population du district, le docteur Forster élargit son champ d’action aux villages environnants. Jusqu’en mars 1940, date à laquelle il arrête son journal, l’hôpital accueille de nombreux patients101. Ce journal révèle d’abord à quel point le docteur semble peu animé d’objectifs réellement missionnaires, bien qu’il continue à bénéficier du soutien de sa hiérarchie, et ce même au plus fort de la crise politique, tandis qu’il prend ouvertement ses distances avec la politique répressive mandataire que condamne également l’évêque anglican de Jérusalem102 . Dans son journal et sa correspondance avec l’archidiocèse de Jérusalem notamment, il ne fait aucune mention d’une entreprise d’évangélisation des musulmans ; il ne manifeste pas d’autre part une attitude empreinte de « negativity » sur la population musulmane comme cela était le cas dans les rapports missionnaires du début du siècle103.

101 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/1, la progression des malades traités est constante (plus de 1000 « out-patients » de plus pour l’année 1938). 102 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, 59/2, correspondance du Bishop Mac Innes. 103 03/02/39 « Archdeacon down in Hebron for a day after the robbery in the old city […] Keith Roach to Hebron the 6/02/39 » (le Bishop semble être à l’origine de cette visite surprise) ; 28/05/39 « Obviously they are afraid of the bishop pocking his nose in Halhul ». On relève d’autre part peu d’informations sur les différentes célébrations

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Il est perçu à plusieurs égards comme un « intermédiaire » entre les autorités britanniques et la population (notamment les chefs de la rébellion du district et les notables de la ville), une fonction connotée par les différents acteurs tantôt positivement, tantôt négativement. Les autorités militaires semblent s’opposer à une convention à laquelle il fait référence à la fin de son journal, selon laquelle il serait autorisé à traiter les « rebels » chaque fois qu’ils se présenteraient à l’hôpital104. Tout en conservant une structure de pensée coloniale, il accorde aux habitants d’Hébron un rôle déterminant dans la révolte, ainsi qu’un rôle en tant qu’acteurs urbains. La perception des Hébronites en tant que sujets est réelle dans la mesure où ils ne sont pas confinés dans les rôles subsidiaires, il leur dédie parfois de longs paragraphes dans lesquels il explique la façon dont ils réagissent à ce qu’il qualifie à de nombreuses reprises d’occupation. Dans son journal et les comptes rendus tenus de conversations avec ses collègues de l’hôpital ou du Gouvernement, il se montre beaucoup moins ignorant de la religion musulmane et des traditions qui lui sont attachées que ses prédécesseurs. En tant que missionnaire, il est confronté à la dialectique de ce que M. Marten qualifie, pour les missionnaires écossais en Palestine pour la période précédente, de « dialectic of identity and difference ». Un autre élément nouveau dans cette figure missionnaire est la probable maîtrise (à un bon niveau) de la langue arabe, qui lui permet de traduire certains messages que des officiers ou policiers britanniques envoient par son intermédiaire aux escortes de « rebelles » du district. Lors des invitations reçues, il manifeste une acceptation des certaines pratiques locales. Ce rôle de médiateur entre les représentants britanniques et les acteurs locaux, s’il n’est pas nouveau, est renforcé par une certaine indépendance vis-à-vis de son institution. Cette position d’intermédiaire le pousse, au fil de la révolte, à prendre position clairement contre les conséquences négatives de ce qu’il qualifie « d’occupation », tant sur les occupants que sur les occupés. Il critique de manière précise ce qui lui semble aberrant de la part des autorités britanniques et se déplace à plusieurs reprises auprès de sa hiérarchie à Jérusalem pour protester contre les meurtres et les vols dont il est témoin dans la ville. Il dénonce d’un ton nouveau (pour les missionnaires) une certaine forme de présence britannique. Il déclare par exemple qu’il n’entre pas dans des

religieuses à Hébron, contrairement aux rapports de Paterson et des premiers missionnaires ; aucune mention explicite sur la communauté juive, son retour en 1931 sous la direction du rabbin H.  Bajayo, ni sur son départ définitif organisé par les Britanniques en raison des émeutes liées à la grève générale en 1936. 104 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0109, début du journal.

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« concentration camps » (août 1938) craignant que plusieurs amis ne lui demandent leur libération (il réussit à obtenir la libération effective de certains d’entre eux le 19 mai 1938)105 ; il qualifie le couvre-feu de « infuriating ». D’autre part le chef des troupes arabes du district, Mansur, durant la plus grande partie de l’année 1938, lui envoie des escortes pour sécuriser son passage dans les villages, et se fait déposer en personne plusieurs fois par le docteur. Cette position va jusqu’à lui poser des problèmes de la part des autorités britanniques ; ainsi il rencontre de nombreuses difficultés en mars 1939 à passer faire sa tournée dans les villages du district avec des Hébronites qui travaillent pour lui. Il va jusqu’à exprimer son « respect » pour Mansur (il se montre plus réservé à l’égard de ses collègues). Son journal témoigne donc d’une certaine empathie pour les Hébronites, voire d’une forme d’admiration ; certains actes des rebelles sont décrits selon un champ lexical de la justice, dans des termes que les missionnaires du début du siècle auraient employés pour qualifier plutôt les actions chrétiennes106. Il témoigne des activités politiques de la population et donne un portrait assez détaillé des chefs de la révolte, explique certaines actions entreprises par les troupes arabes dans le district et celles des troupes britanniques. Dans une certaine mesure, quand il décrit les rebelles et leur système de valeurs, il décrit celui que la Grande-Bretagne devrait avoir. Il critique la commission Peel pour le partage du pays de 1937 et dénonce le système britannique mis en place. Il accuse les Palestinian civil servants d’être des double crossing (il traite ainsi l’officier du district Abdallah Kardus « d’escroc »), dénonce les mensonges des troupes sur les morts (résultant d’erreurs mais déclarées comme découlant d’attaques des rebelles). Il condamne enfin la façon dont les Britanniques utilisent le système juridique pour légitimer des actions brutales au cours de leur contre-insurrection. Sous couvert de ce vernis de respectabilité légale, les militaires opérant contre les rebelles arabes, peuvent se livrer à des représailles et à des actions punitives contre les civils palestiniens – qu’il soigne au quotidien dans la région d’Hébron. Il remet en cause l’utilisation de la brutalité dans la répression de la révolte et de la torture, notamment dans les villages d’al-Bassa en 1938 et de Halhul en 1939107.

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Son rapport ainsi que celui de son collègue Lees sont envoyés directement au Haut-Commissaire. 106 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0109, (15/11/38) “This is a government !”. 107 Voir aussi Matthew Hughes, « The Banality of Brutality : British Armed Forces and the Repression of the Arab Revolt in Palestine, 1936-39 », English Historical Review, 124, n°  507 (avril 2009), p.  313-354,  pour une analyse de la violence de l’armée

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Pourtant, même s’il se révèle sceptique envers les stratégies britanniques dans le district et les Palestinian civil servants, il continue à s’identifier en partie avec l’administration coloniale (au début et à la fin de son journal)108. En 1940, l’engagement de la Grande-Bretagne dans le camp des alliés le pousse à justifier son amertume durant ces années : My memories are bitter because I am over patriotic not because I am un patriotic. I believe so much in the essential decency of England’s rank and file – in the possibilities of fair yet administration […] that I am the more conscious of the bungling and pettiness and cruelty that have marred Great Britain’s Handling of this rebellion.

Journal du docteur Forster, GB 165-0109, St Anthony’s college, Oxford (extraits) 19/08/1938 [description d’un couvre-feu, des blessés et des types de blessures traitées à l’hôpital] It would be difficult to argue that these casualties were inflicted on dangerous enemies or their allies. It will be seen that from those who I saw in life, two were old men, there were children and the only “shab” [jeune], if his story is true, was shot from a distance, inside his own house. The corpse brought up as above mentioned was later identified as a deaf and dumb man, seventy years old […] Less tragic in effect, but equally so as an index of the criminal futility of such retaliatory proceedings, was the looting and wanton destruction of shops in the market, during that “morning later” that seemed to me so very much worse than the “night before”. To elicit and let forth a body of evidence in respect of all the property alleged stolen or damaged would require a long investigation […] I have recorded these impressions with a minimum of content. I have the greatest sympathy with individual members of the Forces and the Police, subjects to a great strain and provocation for months

britannique en Palestine ; « Shooting Arabs at random simply because they were in what was, in effect, a free-fire combat zone ». 108 Il déclare ainsi se sentir soulagé en raison de la venue du nouveau directeur à la fin de 1938, Lees, car il pense qu’il gérera mieux la situation, précisant qu’il a été utilisé pour lutter contre le Sinn Fein, dépeint comme un excellent civil servant, remarquable pour sa probité.

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on end. But I bitterly deplore the folly immorality of such indiscriminate retaliation. People say that Oriental administration is corrupted. I believe it. I have heard that the British rule is just and merciful. It must surely be true. But here in Palestine we see the opposite established. The rebels fight fairly and chivalrously, and rule with kindness. The British kill the innocent, where no other enemies is here, and look and rob the poor and destitute […] [Il affirme plus loin, lors de la mutation de Gilpin, Assitant of the superintendant of police, affecté à un nouveau service concernant les crimes commis dans le Sud de la Palestine] In any case they may rest assured that most of the crime in the southern district will be committed by the Crown forces ! 04/10/38 There seem to be considerable activity in this district this morning. We ran through a group of armed men in the village street of Tergumia, I heard one of them say “it’s the English doctor” and outside the next village, Idna, we were held up by a mounted patrol of “foreigners” who eyed us rather askew. Another man, evidently a local, ran out of the village on foot, greeted us warmly and vouched for our respectability, and after such stately politeness, we were allowed to proceed. 16/12/38 Oozles were conspicuous by their absence but nearly 20 men were taken off to Jerusalem. In the evening some of them were turned out to the road half way to Jerusalem and were told to walk home again, a manœuvre without any point that I can see. Most of the true « wanted » took refuge in the mosque, which was not searched. The same immunity was granted to the Dome of the Rock in Jerusalem and was similarly abused. I think it is quite absurd that mosques should be thus exempt. By all means search them decently and with reverence and in the presence of as many sheikhs as you like, but search them for all that. 01/04/39 There was a big shoot at the army billets again last night resulting in the inevitable and infuriating 48 hour curfew, we are getting into the swing of it now, and have developed a fair technique of getting our bread and milk and orderlies in from the town. The army are very prickly and we have to be careful not to upset them by appearing to make light of their curfews.

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07/04/39 I have long felt that the army, however polite and charming when we meet, considers me a centre, if not a sedition, at least of a general resistance to authority. I know that they are annoyed at our “Geneva convention” […] the protest I sent was not forgotten after the battle in august. I have spoken about the looting and killing. Views on the Para policy might be interpretated as another symptom of being against the government […] I think that one of the core points here is that the scheme was put over by the Civil authorities – The DO [District Officer] is an enthusiastic supporter – before the army came to power. My various associations with oozles in the district have been quite unsought by me, and have of course inevitably resulted from my village journeys. My protests and disagreements with government policy have been made quite openly, and to the English, and not by stealth to the local inhabitants. It is true that my sympathy with the Arab side of the quarrel is well known, but the same can be said of many Governmental officials. 13/05/39 [Il évoque la situation déplorable de Halhul, des cages seraient utilisées par l’armée, les détenus laissés au soleil de nombreuses journées] The women had been let loose after 2 days, but were not allowed to minister to the men, who really were insufficiently supplied with water […] 4 more have died in the course of the day, it has been a flaming week with a persistent sirocco and 7 days exposure to such a sun is no trifle, leaving the question of water aside. We may yet teach Hitler something new about the conduct of concentration camps ! […Il mentionne ensuite] a worse atrocity at the village of Bayt Rima where even more lurid things are said to have happened. Apparently the military authorities declare that they have issued strict instructions against “frightfulness”. I don’t know if this makes things better or worse. Ballard [officier militaire à Hébron] says a man at Beit Rima died after a beating by an officer. “He’s a known sadist” is the explanation109. [Il revient sur l’authenticité des témoignages] On my return this morning I found man had been admitted suffering from the effects of his internment at Halhul. He is a Hebron man who had the mis109 St Anthony’s College, MEC, JEM, GB 165-0161, Box 66, le Bishop écrit « serious charge » contre les soldats impliqués dans ces opérations, et porte plainte auprès des officiers.

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fortune to be caught in the round up. He has not suffered permanently and is not seriously ill. The point is that he strikes me as being a quiet and reliable witness. As is usual with the oriental petitioner, these folk seem to spoil their case with exaggeration and falsehood. In this present case surely the unvarnished truth was terrible enough. 16/05/39 The paternal Government is now busying itself with relief work at Halhul. They must be very bold. If I were a Halhulian, I would through it back in their faces. 18/05/39 We listened to the White paper broadcast, which surely is better than the Arabs excepted. I am sorry for the Jews, I must say, but I cannot believe that the outlined policy is anything but just […] The Dura section is allowed complete immunity and if I am not mistaken is brewing a pot of trouble for future years that will amply repay the Government for the folly of the present policy. 19/05/39 […] serious discussion about military and civil service. I asked Charles [assistant du District Officer] if he thought all the officers were above suspicion. One of the nurse herself had seen the ruined grain and broken furniture and could not refrain from a crack at the policy of a Government that makes great parade of relief works on one hand, and destroys food and fuel with the other […] He answered Hebron deserved all it got for being so un cooperative. I stated my own feeling that even if the patience of the men were tried by their discouraging work, there was no excuse for a loss of control by the officers.

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FEMMES, MISSIONNAIRES ET SUÉDOISES EN TERRE D’ISLAM. UNE MISSION PROTESTANTE À BIZERTE AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE C h r i st ia n C h a n e l

Les textes1 présentés ici sont extraits, pour l’essentiel, de la correspondance échangée entre des missionnaires protestantes suédoises et le Comité de leur société : les Femmes Missionnaires (c’est-à-dire Kvinnliga Missionsarbetare2, abrégé en KMA). Frederika (Fredda) Hammar a fondé cette société en 1894. Née en 1847 dans une famille aisée de province qui l’a poussée dans les études, elle a voyagé en Angleterre et en France où elle a été hébergée chez le pasteur Théodore Monod où elle connut un réveil religieux. Lors d’une seconde visite sa « conversion » fut totale. De retour en Suède, elle devint professeur de français et gouvernante des enfants de grandes familles, puis avec le soutien de celles-ci fonda une école à Stockholm où elle renforça ses liens avec ces milieux nobles et militaires gagnés au réveil religieux. En 1894,

1 Les correspondances et procès-verbaux du comité, ainsi qu’une partie des exemplaires de la revue sont dans les archives de la KMA conservées aux Archives Nationales suédoises, à Stockholm-Arninge. À noter que les archives jugées « sensibles », notamment celles de Tunisie, sont soumises depuis peu à des conditions draconiennes de communication. Les volumes célébrant les jubilées et d’autres exemplaires de la revue se trouvent à la Bibliothèque Royale de Stockholm. 2 L’expression de « missionsarbetare » se traduirait mot à mot par « travailleuse de la mission » ; elle était utilisée par la mission de l’Église de Suède pour s’appliquer aux femmes engagées sur le terrain et célibataires, les différenciant ainsi des épouses de missionnaires et surtout des « vrais » missionnaires, nécessairement hommes. La reprise par une société « féministe » marque surtout la volonté d’affirmer le caractère féminin de l’œuvre mais suppose aussi une acceptation de la séparation des tâches missionnaires.

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suite à diverses expériences religieuses et avec Anna Roos, elle fonda la KMA dont elle assura la présidence jusqu’à sa mort en 1927. À sa création la KMA se présentait comme « une action par les femmes pour les femmes », se rattachant aux principes qui animaient aussi bien la branche suédoise de l’YWCA, dont elle reprit les activités missionnaires et dans laquelle elle recruta la plupart de ses dirigeantes, que ceux de la principale société féministe de Suède, la Fédération Frederika Bremmer3, dont Anna Roos était la secrétaire. Sur le plan religieux, la KMA se situait dans la mouvance néo-évangélique née dans les années 1860 et qui fut à l’origine du développement missionnaire dans le pays4. Les réveils anglo-saxons des années 18701880, notamment celui initié dans la haute société par les visites de Lord Radstock, ont donné à Fredda Hammar l’impulsion décisive. Centrée sur la « conversion » personnelle par une expérience de l’action de Dieu dans la vie de chacun, attachée à la Bible mais rejetant tout fondamentalisme, cette religiosité est assez éloignée de l’orthodoxie luthérienne de l’Église de Suède ; sans pour autant choisir la dissidence, l’organisation se voulait œcuménique et ne tenait pas compte des appartenances confessionnelles de ses membres coopérant facilement avec tous les types de sociétés missionnaires, son originalité par rapport à celles-ci étant son côté « exclusivement » féminin. La direction de la KMA n’a été formée que de femmes issues de la haute société (seuls 4 hommes sont cités comme des réviseurs aux comptes) et ses priorités l’orientérent vers des terrains où la condition sociale de la femme rendait nécessaire l’association évangélisation-émancipation. Son premier choix s’est porté sur la Chine (1894) en coopération avec la « Mission Suédoise de Chine », puis elle s’est engagée en Laponie en 1895, les mission d’Inde (à Cooch-Behar) et de Bizerte sont lancées en 1898 et l’Arménie en 1899. Avec des moyens limités (1200 membres en 1914), elle n’entretenait qu’une quinzaine de missionnaires. Assez rapide3 Cette association, qui porte le nom de la pionnière suédoise de l’émancipation des femmes F.  Bremmer (1801-1865) écrivaine, philosophe, engagée dans le débat religieux des années 1850-60, a pour principe que « les femmes réveillées mettront leur énergie à réveiller celles encore endormies sur leur devoir de mère dans la société et non plus seulement dans la famille », un discours assez modéré et facilement transposable au domaine religieux, et notamment pour une société de mission comme la KMA. 4 La Fondation Nationale Évangélique, principal mouvement de réveil resté dans l’Église luthérienne, se lance le premier dans les missions extérieures vers l’Afrique et l’Inde notamment dans les années 1860, dans les années 1870 l’Église d’État s’organise à son tour dans les deux mêmes régions, à partir des années 1880 une multitude de sociétés plus ou moins importantes sont fondées soit en liaison avec des Églises Libres soit sur des initiatives individuelles comme la KMA.

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ment des « associations sœurs » ont cependant été fondées au Danemark et en Allemagne sur le même principe général. La KMA suédoise était une des plus petites sociétés missionnaires du pays. En Tunisie, l’action sur le terrain pour transformer la situation des femmes s’est heurtée à un obstacle indésirable : les hommes. Le refus de s’adjoindre des missionnaires hommes a vite fait problème, provoquant même une crise qui faillit être fatale à la mission de Bizerte en 1910. L’absence de missionnaires masculins rendait l’action auprès des hommes à convertir parfois délicate, elle posait aussi la question de l’administration des sacrements indispensables à la consolidation du groupe de fidèles (baptême et mariage surtout), dans la mesure où le « féminisme » de la société n’allait pas jusqu’à revendiquer l’exercice du ministère pastoral. La KMA a donc accepté de coopérer avec des missionnaires hommes appartenant à d’autres sociétés : en premier lieu avec la North African Mission fondée en 1881 par les Anglais George Pearse et Edward Glenny, à laquelle les deux pionnières de la KMA avaient été « associées » dès 1888 en Algérie, la coopération s’est souvent bien passé notamment avec le couple Purdou, missionnaires anglais en poste à Tunis et venant souvent en visite à Bizerte, mais les Suédoises sont toujours restées très jalouses de leur liberté. Plus tard, en 1923, elles s’associèrent, provisoirement, avec les méthodistes américains de Tunis, quittant à regret, mais pas totalement, Bizerte. Les relations avec les réformés français de Tunis (paroisse fondée en 1881) furent le plus souvent sans problème mais assez sporadiques : les pasteurs français les accueillaient au culte sans difficultés et les aidaient à l’occasion dans les démarches administratives. Sur ce plan les Suédoises n’ont pas éprouvé beaucoup de difficultés avec les autorités françaises ; certes les lois du colonisateur, jointes à celles de l’autorité beylicale, obligèrent à des adaptations (comme sur l’école), mais le petit nombre de personnes concernées, leur discrétion et leur appartenance à un pays neutre, qui ne pouvait être soupçonné d’entretenir des visées coloniales dans la région, facilitèrent beaucoup les relations. La plupart des documents présentés sont des lettres des missionnaires. Les destinataires en sont soit la présidente fondatrice de la société, Fredda Hammar (« Chère Fredda »), pour laquelle le vouvoiement est de règle, soit la secrétaire, Anna Baeckman, souvent appelée « Ma petite Anna » par les missionnaires les plus anciennes. Dans les deux cas les correspondances sont toujours très personnelles et reflètent la confiance mutuelle existante, même si certaines d’entre elles sont en partie publiées dans la revue de la société, après corrections et parfois censure partielle. Le principal problème de ces lettres, qui tiennent lieu de rapport d’activité, est la dispersion

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de leur contenu : une même question est parfois évoquée en différents endroits d’une même lettre, parfois écrite sur plusieurs jours, ou par plusieurs missionnaires successivement (sans toujours beaucoup de coordination), ce qui, dans le cadre du plan thématique choisi pour cette présentation, oblige à recourir à des citations plus qu’à des reproductions intégrales. Selon les besoins, nous avons joint quelques extraits des procès verbaux du comité directeur, ainsi que des articles5 des missionnaires écrits avec plus de recul. Les auteurs les plus souvent citées sont les deux pionnières sur le terrain tunisien : Maria Ericsson et Rosa Marcusson. À l’origine ces anciennes précèdent la KMA, en effet toutes deux ont d’abord commencé en Algérie (Constantine) dans le cadre de l’action lancée par Elsa Borg, à titre privé, en 1886. La « reine de la Montagne Blanche », comme a été surnommée Elsa Borg (1826-1909), avait organisé, sur le modèle anglais, une mission intérieure destinée à venir en aide aux « femmes perdues » et aux familles pauvres ; pour cela elle avait recours à des « évangélistes » femmes (le suédois bibelkvinna reprenant l’anglais biblewoman) qu’elle formait sur le terrain, dans le quartier le plus sordide de Stockholm vers 1870 (la Montagne Blanche), l’essentiel du travail consistait en visites à domicile. Certaines de ces élèves ayant demandé à venir en aide à d’autres femmes dans d’autres pays, Elsa Borg avait choisi l’Algérie comme terrain avec Stina Yngström (infirmière), Maria Ericsson (enseignante) et Rosa Marcusson (fille de paysan) en 1887-1888, lançant la « Mission des Femmes Suédoises parmi les Femmes d’Afrique du Nord ». Les deux dernières sont ensuite passées à Bizerte lorsque la KMA a repris ce travail en 1898, la NAM reprenant le travail à Constantine. Fredda Hammar a donc été obligée de tenir compte de ces 10 ans d’expérience du terrain et de relative indépendance, Elsa Borg étant une inspiratrice plus qu’une directrice de mission. Finalement, Maria Ericsson, en désaccord sur la stratégie purement féminine de la KMA, a quitté la mission en 1910 pour lancer une action différente à Port Saïd (Égypte), en revanche Rosa Marcusson est restée fidèle à la KMA et à Bizerte, ne rentrant en Suède qu’en 1935, à 70 ans. C’est sa correspondance qui constitue l’essentiel de ce corpus. Arrivée comme « aide ménagère » des sœurs de Constantine, elle a rapidement maîtrisé le français, l’anglais, l’italien et surtout l’arabe parlé et écrit ; ses origines rurales modestes et sa participation à la mission intérieure d’Elsa Borg, dont elle appliquait beau-

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Pour l’essentiel publiés dans la revue de la KMA, « När och Fjäran » [Proche et Lointain], mais aussi dans les ouvrages jubilaires successifs.

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coup de recettes6, l’ont rendue sans doute plus pragmatique que d’autres, les questions théoriques ne la passionnaient pas, en revanche ses sentiments personnels s’épanchaient facilement et la colère faisait vite place à la compassion, aussi complète que la condamnation avait été radicale ; c’était une femme d’action qui n’attendait pas souvent le feu vert de Stockholm pour entreprendre ce qu’elle estimait utile et inspiré par Dieu. Ce personnage hors du commun a connu deux grands moments de gloire, devenant tout à fait banals sous sa plume : le premier lorsqu’elle est invitée à « prêcher » en chaire dans une mosquée de Touggourt (1924)7 ; la deuxième consécration, peu de temps avant sa retraite, est l’invitation, à titre personnel, à la Conférence des Femmes Méditerranéennes en 1932, à Constantine8. Ces deux évènements reflètent assez bien la tension constante au cœur de ce travail missionnaire entre le désir de changer la situation des femmes et la conversion au christianisme de l’Islam qui passait nécessairement par celle des hommes. Les discussions sur ce second aspect, entre la direction et les missionnaires, ne figurent que rarement dans les procès verbaux de la KMA, mais les correspondances sont plus explicites, surtout de la part des missionnaires. Quelques autres missionnaires sont citées, notamment deux étoiles filantes, qui à peine arrivées sont reparties en même temps que Maria

6 Par exemple une souvent citée dans les souvenirs sur Elsa Borg :  « Tu ne parleras pas déjà des ‘desserts’ aujourd’hui à cette famille. Elle se contentera encore pour pas mal de temps des nourritures matérielles, ils ne peuvent pas encore apprécier le spirituel… ». Cité de Maja Jädern-Hagfor, Vita Bergens Drottning, 1945, Stockholm.  7 « …En Algérie une femme peut entrer dans toutes les mosquées alors qu’à Tunis il est exclu d’y mettre les pieds. Ici j’ai été autorisée à monter en chaire, le vendredi, et j’ai profité de l’occasion pour parler un peu, commençant avec le petit chapitre du Coran sur l’unité de Dieu, pour ensuite passant à : « Il n’y a qu’un Dieu, mais aussi un intermédiaire Jésus Christ », et aussi : « nous sommes sauvés, non avec ce qui est matériel… ». Puis, le soir, nous avons chevauché de Touggourt sur trois mulets, un âne et un chameau. Je suis montée pour la première fois sur un chameau ! » Lettre du début de 1924, extrait de la revue, mai 1924, p. 72-73 : « Voyage missionnaire dans le désert du Sahara ». 8 L’organisatrice en est Germaine Malterre-Sellier (1889-1967), féministe et pacifiste, pour qui émancipation et sécularisation vont ensemble en pays musulman, d’où les regrets de Rosa Marcusson sur l’absence de l’œuvre chrétienne pour les femmes musulmanes lors de la conférence. Rosa avait essayé de convaincre la figure de proue du combat des femmes en Tunisie, Habiba Menschari, de venir à la conférence, elle avait appris à l’apprécier et à la connaître lors du ‘scandale’ provoqué par une intervention publique non voilée de la jeune femme, justement pour dénoncer cette forme d’oppression en janvier 1929 ; les sœurs suédoises s’étaient alors passionnées pour ce débat en lisant régulièrement le quotidien « Tunis socialiste ».

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Ericsson (Anna Eklund la suivit en Égypte, Elna Stenius partit en Angleterre pour la mission auprès des juifs), toutes deux envoyées par l’YWCA finlandaise. Deux autres en revanche se sont durablement installées : Agda Nyberg, infirmière, arrivée en 1909 et restée jusqu’en 1962, prenant sa retraite à 86 ans, Clara Karén (son vrai nom Karlsson ayant été jugé imprononçable pour des Français), sage-femme exerçant de 1913 à 1949. Elsa Ringborg fait également partie de cet ensemble, elle représentait la missionnaire « maison », issue des services administratifs de la société, chargée de remettre de l’ordre après le départ fracassant de Maria Ericsson et des deux nouvelles, elle est restée sur le terrain de 1910 à 1916, y refit deux brèves apparitions en 1921 et 1929-1930, avant d’occuper le poste de présidente de la KMA (1934-1943). Cet ensemble documentaire permet de voir le quotidien de l’action lors de sa première période à Bizerte (jusqu’en 1923). Les conditions, habituellement difficiles, de la mission en pays musulman sont ici rendues plus complexes par le choix de principe de cette société, mais les capacités d’adaptation de ces missionnaires suédoises, de milieux et formations très divers, leurs ont permis d’entrer dans un monde assez fermé et de s’en faire accepter. Si le jugement porté sur la religion musulmane et sur le type de société qui en découle est le plus souvent très sévère, celui sur les personnes est plus variable : les préjugés ethniques transparaissent parfois mais largement contrebalancés par la force des liens personnels tissés avec patience, ouverture et réalisme. Aller au devant des femmes musulmanes, les réunir, former les enfants, surtout les filles, voire les accueillir à demeure en espérant former des foyers chrétiens base d’une reconquête de la région, mais aussi engager le dialogue avec les hommes (pères, maris ou responsables locaux et surtout soldats de la base de Bizerte) et parcourir les villages voisins, quitte pour cela à apprendre à faire du « bicycle9 », sont les principales méthodes utilisées par ces missionnaires.

Une priorité evidente : les femmes Dans ce domaine, qui est la raison d’être de la KMA, le travail se fait surtout de deux façons : la plus « facile » consiste dans les visites à domicile qui permettent de rencontrer femmes et jeunes filles dans leur cadre 9 Dans une lettre du 10  mars 1905, Rosa Marcusson propose à la direction suédoise de les équiper en ‘bicycles’ comme les sœurs anglaises de la NAM, la location d’un vélo revenant à 75 francs par jour.

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de vie, en contournant ainsi les limites imposées aux femmes arabes, l’autre méthode consiste à faire venir ces femmes chez les missionnaires. Dans ce deuxième cas de figure la position du lieu devient un enjeu essentiel : ville européenne ou ville arabe, appartement ou maison, sans oublier que la faiblesse des moyens financiers oblige à louer plus qu’à acheter, un facteur évident d’instabilité, accentuée par le choix de s’en remettre à Dieu pour toute décision engageant l’avenir. D’autres méthodes sont mises en œuvre moins systématiquement : les tournées de mission dans les villages proches, davantage livrées au hasard des rencontres, et après 1909 la mission industrielle consistant à fournir du travail aux femmes et filles. Tout est bon pour accéder à cette population « cachée », les moyens techniques modernes sont mis à contribution, comme la projection de diapositives ou la bicyclette. En fin de compte, cela permet de former un embryon de congrégation assez fidèle que les volumes des jubilés successifs évoquent pendant plus de 50 ans, même si les vraies conversions, allant jusqu’au baptême, restent rares.

Ville arabe ou ville européenne : un choix difficile La ville européenne : appartement ou villa Lettre du 30 avril 1905 de Maria Ericsson à Fredda Hammar Nous n’avons pas pu continué à utiliser la pièce que nous avons d’abord utilisée comme salle de réunion ici dans l’immeuble, car les voisins français se moquaient de nous si fort quand nous chantions et parlions que cela dérangeait les Arabes, et nous fûmes contraintes de recevoir les Arabes dans une autre pièce. Les voisins voyaient aussi d’un mauvais œil quand ils passaient ici dans les escaliers et on murmuraient sur ça – des hommes se sentaient constamment inquiets et en insécurité. Quand nous sommes arrivées ici nous étions presque seules dans la maison mais maintenant tous les étages sont occupés. Lettre du 4 mai 1905 de Rosa Marcusson à Fredda Hammar Le propriétaire10, qui est millionnaire et n’a pas du tout besoin de louer sa maison (Villa Boer) et son jardin, a dit ne pas vouloir pour

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Mr Fournat de Brezenaud, haut fonctionnaire français, inspecteur de l’agriculture (célèbre pour une variété d’amandier très cultivée en Afrique du nord) est

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moins de 3 ans. Il fait ça pour que le jardin reste entretenu. Le prix est extraordinairement bas par rapport à d’autres maisons. J’ai visité divers locaux, l’un de deux étages pour 1800 francs mais il n’a pas de pièce pour Joseph11. C’est comme si la villa citée plus haut et son jardin était destinés à être une station missionnaire, maintenant cela dépend de la façon dont les amis de la mission verront la chose. Nous laissons le tout dans les mains de notre Seigneur, s’il veut nous aurons ce bel emplacement. Ce serait tellement beau pendant tout l’été, mais cela dépend si le jardin rapportera au point que la différence ne sera pas plus grande que pour d’autres logements. Le propriétaire est protestant et j’espère que quand il saura que c’est pour une station missionnaire il accordera une réduction. Lettre du 6 mars 1912 de Rosa à Fredda La résiliation de la Villa Boer doit se faire ces jours ci et être envoyée. Autant que nous puissions le voir et le comprendre, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Même si nous avions des filles arabes, il ne semble pas que la maison soit ce qu’il y a de mieux puisqu’elle est tellement ouverte. Nous nous en sommes rendu compte un jour où les filles de la petite classe, qui viennent ici tous les lundis, allaient jouer. Quelques hommes passèrent devant et s’arrêtèrent et regardèrent dedans et toutes les filles furent effrayées. Notre plan est actuellement de pouvoir trouver un appartement européen juste pour nous et également de louer une bonne maison arabe pour les classes de femmes et de filles. Même si on prend une toute petite maison, c’est-à-dire avec deux ou trois pièces si on ne peut pas trouver autre chose, il est impossible que le loyer puisse aller au-delà de plus de la moitié de ce qu’on paye déjà.

issu d’une vieille famille protestante de l’Ardèche, ayant fait fortune dans l’industrie du papier. 11 Joseph Sfaïhi s’était mis au service des missionnaires pour les aider notamment dans le travail auprès des soldats et des hommes musulmans en général, voir aussi le passage sur son cas dans le paragraphe sur la mission et les hommes.

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Au cœur de la ville arabe Lettre du 14 mai 1911 de Rosa à Fredda …Nous avons longtemps parlé d’essayer de louer une maison dans la ville arabe, celle dont nous avons parlé auparavant, pour le travail avec les enfants et les femmes, et comme l’automne prochain nous serons trop à l’étroit ici et que nous devons nous procurer plus de place, alors nous pensions que cette coquette et agréable maison sera très utile pour cela et le travail en général. Nous croyons que les classes pour les filles juives12 peuvent aussi y emménager. On l’a encore vue aujourd’hui et parlé avec le propriétaire, Ibrahim Fartouna, qui est d’accord pour nous la louer. Je n’ai plus le temps d’en parler davantage. Si le Comité n’a rien contre le fait que nous prenions cette maison pour le nouvel an arabe qui tombe en décembre ou à la fin de novembre, je ne sais pas exactement, ce serait bon de le savoir le plus tôt possible pour que nous puissions nous décider définitivement. Cela coûte 540 francs par an. Elle ne se trouve pas bien loin d’ici, ce qui est un grand avantage. [Les transactions traînent en longueur, finalement le contrat est signé le 29 octobre 1913. Des aménagements nécessaires sont réalisés avec l’aide d’un officier de marine et du pasteur français]. Lettre de fin 1914 publiée dans la revue, n° 1, 1915 de Agda Nyberg Dans la maison arabe on a moins de temps pour les visites chez les femmes, on espère qu’elles viendront, jusqu’à présent pas beaucoup. Les enfants eux sont souvent là : ils demandent du travail de dentelle, des médicaments. Tous les après midi se tient une classe de couture et un ‘jardin d’enfants’ (peu d’enfants réguliers). Les voisines sont opposées à avoir des européennes comme voisines, elles expliquent qu’elles ont peur que les hommes qui viendront chez nous ne les voient. Rosa leurs a dit alors qu’elle souhaite qu’elles nous 12 Cet aspect de la mission a été développé dès l’arrivée à Bizerte, mais n’a jamais constitué la priorité des missionnaires suédoises et a perdu peu à peu de son importance initiale même si un petit groupe assez fidèle aux sœurs a pu être constitué. Maria Ericsson et Elsa Stenius s’en occupaient plus particulièrement, la seconde quittant la KMA pour suivre un missionnaire anglais spécialisé dans cette action de conversion des juifs.

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surveillent nuit et jour ! Oui nous nous réjouissons de pouvoir éliminer ces préjugés. Souvent une vieille femme sur le toit, près du coin de notre maison, salue amicalement et regarde avec curiosité, mais elle n’est pas encore venue en visite bien qu’elle ait dit qu’elle le fera. Hallouma13 avait fait quelques réserves de ‘couscous’ et de ‘mohamar’ [piments rouges séchés] pour l’hiver et, un jour, alors qu’elle était sur le toit à les étaler pour les sécher, la vieille est venue très intéressée. Elle a eu une longue conversation avec Hallouma, et Hallouma a pu lui dire qui nous étions. La vieille a dit alors : « Les pauvres, c’est vraiment honteux de dire du mal d’elles ; les pauvres, elles font aussi du couscous et des ‘mohamar’ tout comme nous, et ne mange pas du cochon ni ne boivent du vin ». Lettre du 23 septembre 1915 de Elsa Ringborg à Fredda. Aujourd’hui nous avons la maison pleine de femmes arabes (5) pour faire les réserves de couscous pour l’hiver. Nous devenons de plus en plus arabes dans nos modes de vie ! […] C’est si différent de vivre au milieu du peuple. Grâce à ses médicaments, Agda a été très vite connue dans tout le quartier et les enfants viennent parfois en troupeau pour en avoir pour eux ou pour les autres. Aujourd’hui j’ai eu un petit moment consacré au chant et au récit avec 12 à 14 éléments. Zbeida et Mundjia incluses. Qui sont là en l’honneur du couscous. La rencontre avec les femmes musulmanes Decouverte du terrain par les ‘nouvelles’ Elsa Ringborg, une observatrice privilégiée mais confrontée à la réalité Lettre du 6 novembre 1910 de Rosa à Fredda Tout d’abord concernant Elsa qui va arriver samedi le 12. Oui nous essaierons bien de lui rendre tout le plus facile possible pour elle. Je sais bien qu’elle est habituée à un élégant appartement chez elle et ça ne peut pas être pareil ici. Mais nous avons, cette semaine, 13 Hallouma et son mari Beiji ont été longtemps au service des sœurs. Beiji a commencé dès 1904 au Dépôt biblique et a été baptisé en 1906, Hallouma arrive en 1910 et ne franchit le pas qu’en 1915.

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arrangé sa chambre le mieux possible. Elle aura la chambre que j’avais au rez-de-chaussée, la même que Maria avait pour éviter les escaliers, et j’ai déménagé en haut et ainsi elle évitera d’entendre et d’être dérangée par les enfants14. Nous avons essayé de mettre le meilleur de ce qu’on a pour sa chambre et je crois que si vous pouviez voir sa chambre maintenant le verdict serait : c’est vraiment tout à fait élégant, oui cela semble si agréable, et, pour l’Afrique, c’est même très élégant. En ce qui concerne le ménage elle va y échapper. Agda et moi nous allons alterner comme avant, Agda est tout à fait d’accord d’en prendre autant que possible mais elle devra apprendre la langue et donc aura besoin de beaucoup de temps car elle n’y a pas beaucoup de facilité. Je souhaiterais que Agda puisse l’apprendre vite pour qu’elle puisse faire des visites à domicile car là elle sera parfaite… Pour ma part je ne gaspillerai pas une minute dans des soins ménagers si je pouvais y échapper… Ce n’est certes pas de la mauvaise volonté envers ce travail15, mais que tout ce temps soit pris pour ceci !… Ce matin j’étais encore en train de faire la vaisselle quand les soldats sont arrivés et ils ont dû attendre jusqu’à ce qu’on soit prête : je préparais le petit-déjeuner, pendant qu’Agda habillait les enfants. Lettre de décembre 1910 d’Elsa Ringborg pour publication au n° 1 de la revue, 1911, p. 4-5 Le peu que j’ai vu encore de ceux parmi lesquels nos sœurs, dans de si grandes difficultés, sèment la parole de vie, ne semble pas pointer en direction d’un proche accomplissement de la promesse Es. 8 : 22. Au contraire – Le terrain semble tellement plus dur qu’on se l’imagine de loin, et cela bien que, par les contacts à la fois écrits et oraux avec la mission depuis des années, on aurait dû être en possession des éléments nécessaires pour ne pas se faire de fausses repré14 À l’époque les sœurs hébergent trois enfants qui leurs ont été confiés : Nanna, Tittine et Joseph ; voir aussi plus loin la partie « De l’enfance à l’âge adulte ». 15 Elsa Borg insistait beaucoup sur ces tâches ménagères auprès de ses élèves, dont Rosa : « Ce serait grand dommage de voir nos ‘bibelkvinnor’ s’abstenir d’occupations si utiles. Nous vivons bien dans une époque pratique et notre piété a besoin d’être totalement pratique ». De 1903 à 1907 une aide-ménagère, Bothilda Jönsson, avait été employée par la KMA, elle rentre en Suède pour raison de santé et désaccord sur sa fonction trop strictement ménagère selon elle.

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sentations. Mes premières visites dans la ville arabe m’ont remplie d’étonnement et d’interrogation. Était-ce là les petites rues, rues souvent surpeuplées qui sur les cartes postales semblaient si pittoresques ? Était-ce possible que ces murs morts sans fenêtre enfermaient des milliers de femmes loin du monde extérieur ? Était-ce vraiment vrai que notre Mahodjoba, qui connaît les sœurs si bien et habite ici tout près de nous, ne pouvait avoir l’autorisation de venir nous saluer ? Oui, incroyable, mais vrai. Vous devriez voir sa « maison ». L’habituelle cour manque ici, d’où la pièce du bas reçoit-elle la lumière je ne le sais pas ? Un escalier raide conduit à la chambre nuptiale de Mahodjoba et de là elle peut sortir sur le toit et avoir un peu d’air et voir un peu de l’horizon. Le contact avec le monde extérieur se limite à la visite aux bains16. En entrant dans la pièce sobrement meublée, l’œil est frappé par une masse de petits bibelots simples en porcelaine, d’origine européenne, sur un bureau, mais quand on est resté un moment assise là et que l’on a essayé de saisir que ceci constituait tout l’univers d’une jeune femme, on comprenait alors que des colifichets pouvait avoir leur valeur, pauvre enfant ! Oh puissent-elles être aimées et recevoir la faveur de la liberté de l’Évangile ! (…) On a le sentiment étouffant que l’enfermement rend la femme non réceptive à toute nouvelle impression, et on peut à peine s’étonner de sa distraction et de son indifférence pour « le joyeux message ». Je suis triste de ne pas pouvoir mieux décrire mes premières impressions du terrain missionnaire et je remarque maintenant combien il était plus facile, en Suède, au Comité, de pousser les missionnaires en partance « à écrire sur tout » que de le faire soi même. Lettre du 25 décembre 1910 d’Elsa à Fredda [suite à une lettre critique de Fredda] Ce n’est pas seulement l’opposition de l’Islam contre le Christ qui abat l’espoir – du vrai travail de mission je n’ai presque encore rien vu – mais ce que je vois moi-même sérieusement et cherche à souligner c’est la faiblesse, pour ne pas dire le caractère intenable, de 16 À noter qu’aucun des documents consultés ne présente les rencontres faites dans ces lieux, même si quelques lettres indiquent clairement que les missionnaires y allaient régulièrement.

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notre position ici, et l’impression qui croît de jour en jour davantage que jamais un travail aussi dévoué ne pourra être autre chose qu’un combat dans le vide par le manque d’organisation solide, et la pensée – qui semble bien être renforcée par la réalité – que plus nous tardons à voir cela plus cela nuit aux fondations. Il m’est si difficile à moi de croire que le Seigneur veut nous conduire sur une autre voie. Mais cela me fait mal de penser que vous ne voulez peut-être pas qu’on parle si ouvertement, bien que j’ai des incitations permanentes à écrire sur tout. Cela me fait parfois si mal pour Rosa, sa solitude est grande. Clara Karen une ‘optimiste’ rappelée à l’ordre Lettre du 1er octobre 1913 par Clara Karen à Fredda Cela fait deux semaines que j’ai débarqué là, sur la terre d’Afrique. Du plus profond de mon cœur je remercie Dieu qui m’a conduite ici au contact de ce peuple, ces femmes. Pour moi c’est comme si le terrain là dehors commençait à témoigner pour la moisson. Quand je pense aux femmes et aux filles dont j’ai déjà pu faire connaissance, et le nombre augmente constamment, alors les paroles me viennent incessamment : « Car ici c’est l’un qui sème et un autre qui récoltera. Je vous ai été envoyé pour moissonner ce que vous n’avez pas travaillé » Oui, j’ai eu une image de tout le travail accompli ici dans la foi et la patience. C’est un travail de semailles qui a été conduit en secret, oui Dieu a commencé son œuvre dans les âmes ici, et Il achèvera ceci en son temps et nous montrera sa magnificence. Lettre du 24 février 1914 par Clara à Fredda Le jour même où j’ai reçu votre lettre, nous avons eu la visite d’un pasteur italien et de l’évangéliste italien Varvelli. Ils ont tenu des réunions évangéliques ici à Bizerte. Rosa et Agda ont participé un soir, et Rosa et Elsa un autre. Elles furent si encourageantes que même moi j’en ai reçu quelque chose. Samedi dernier, l’après-midi, juste avant la réunion nous avons communié dans notre maison et fûmes renforcées pour la lutte. Le pasteur parla sur « l’Esprit Saint ». Rosa traduisit pour moi et j’ai été si heureuse de ceci, car ce me fut d’une grande aide, ce que le pasteur dit. Entre autre il a dit à peu 295

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près : « notre mission est de laisser l’Esprit Saint œuvrer en nous ». Ce fut si clair pour moi que c’est cela que je dois faire, ne pas me dresser contre l’Esprit de Dieu mais Le laisser accomplir son œuvre, obéir à ses exhortations et dire et annoncer ce qu’Il offre. Combien de fois n’ai-je pas été désobéissante ! Oui, je reconnaîs et regrette profondément avoir si souvent agi de moi-même, sans avoir d’abord demandé à Dieu, je voulais être conduite par l’Esprit, je désire être emplie par l’Esprit. Nous avons fait l’expérience que Dieu œuvre parmi nous, mais nous avons besoin de la totale plénitude de l’Esprit de Dieu pour vaincre et surmonter et ne pas renoncer. Joie et chagrin alternent quotidiennement. La joie gît bien au plus profond cependant, la joie sur le grand et merveilleux salut en Dieu, et la joie sur le fait que malgré toute notre inaptitude on puisse être ses servantes. La certitude que je suis à la place où Dieu veut m’avoir, me transporte par-dessus et à travers les échecs et difficultés et coups que l’on reçoit. (…) Je crois que je peux dire que je comprends l’importance de se préparer par la prière avant de présenter son témoignage. Dès le premier instant j’ai ressenti tout ici comme si différent par rapport à la maison. A la maison on sait toujours que les autres en savent tellement et que la plupart ont une bien plus grande expérience que moi. Ici il y a au contraire une grande ignorance. Mais ici la lutte est aussi deux fois plus grande. La force de l’ennemi est effrayante. Lettre du 26 juin 1914 de Clara à Fredda Oui, combien n’est-il pas vrai, comme vous le disiez mademoiselle Hammar, que l’ennemi fait tout pour nous empêcher de partir et quand on est parti, fait tout pour nous rendre inapte ! Satan a un terrible pouvoir ici, et la lutte semble parfois presque intenable. J’ai lutté nuit et jour pour ma première patiente et bien que je ne luttais pas seule17, je n’ai jamais été dans un tel combat. Maintenant remercions Dieu qui a sauvé la vie de cette jeune femme ! Oui c’est un grand miracle qu’elle ait pu traverser tout ça et qu’elle vive après tout ce qu’elle a subi !

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Rosa et Agda l’avaient accompagnée et étaient restées à prier dans la maison.

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Il est certain qu’on ne pourrait pas faire grand-chose ici sans la prière de celles restées en Suède18 . Ma foi est que la prière des enfants de Dieu en Suède obtient plus que notre influence sur le terrain pour le Royaume de Dieu. Nous ne sommes rien d’autres que des inconnues et des étrangères, incompréhensives et incomprises, et nous avons tout contre nous, inaccoutumées au climat et à toutes les conditions ici. Les visites à domicile. Prise de contact et visites à domicile. Lettre du 10 mars 1905 par Rosa à Anna C’est vendredi aujourd’hui et je viens juste de revenir du cimetière arabe où les femmes vont pleurer leurs morts. Je n’y étais pas allée depuis quelque temps car cela commençait à faire beaucoup parler parmi les gens aussi j’ai pensé préférable de cesser pendant quelques semaines. Aujourd’hui j’ai eu cependant un vraiment bon moment avec 4 ou 5 femmes autour d’une tombe. Je n’en avais jamais vu aucune auparavant mais bien que nous ayons été des étrangères elles furent très ouvertes et accessibles. Après l’habituel préambule à toute conversation avec des personnes inconnues, c’est-à-dire réponses à toutes leurs questions sur moi-même – de quel pays et peuple on est, notre famille, si elle vit ou non, notre travail et surtout si on est mariée – nous avons eu une bonne conversation sur le plan divin et la voie du salut, ensuite toutes furent d’accord sur le fait que nos bonnes actions ne suffisent pas dans le plateau de Sa balance que ce soit du point de vue du nombre ou de la qualité. J’ai parlé de la libération des enfants d’Israël de leur servitude en Égypte, leur salut hors de la main du démon exclusivement par le sang de l’agneau etc. Plusieurs femmes vinrent et nous fûmes interrompues dans la conversation à différentes reprises. Une jeune fille était particulièrement attentive et dit : « Ah si tu voulais venir chez nous, je t’aime

18 On retrouve là une référence assez nette à un des courants ayant influencé Fredda Hammar mais aussi Rosa Marcusson, la guérison par la prière, très implanté dans certains cercles revivalistes suédois et pour lesquels Hauptweil, en Suisse, est un pèlerinage obligé, voir aussi Rosa en 1910.

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vraiment beaucoup ». Je dis : « je t’aime aussi beaucoup, beaucoup et veux volontiers aller chez toi, mais où trouverai-je la maison, veux-tu me donner le nom et l’adresse ». « Oui la maison s’appelle ainsi et ainsi mais ne veux-tu pas venir avec nous nous rentrons tout de suite ». « Oui je veux bien », dis-je, et nous y allâmes et bien que je n’aie pas eu l’occasion de rencontrer quelqu’un d’autre au cimetière ce jour-là je suis si contente qu’une nouvelle maison, une nouvelle porte soit ouverte car cela doit être organisé ainsi par le Seigneur tout particulièrement. Dans la nouvelle maison 4 jeunes filles et un frère avec leur mère qui est veuve. ( Je suis restée assise un bon moment chez elles, mais elles n’étaient plus aussi libres car leur frère était à la maison). Ils m’accueillirent tous si cordialement et me donnèrent l’adresse d’une sœur mariée dans un village à quelques kilomètres de Bizerte. [Face à la demande de la direction d’établir des statistiques précises, Rosa explique que cela n’a pas beaucoup de sens car : « c’est bien souvent qu’on n’a même pas l’occasion de sortir son Testament et lire, mais simplement de bavarder et pendant la conversation de pouvoir délivrer un petit témoignage ». Après avoir relevé 42 rencontres en septembre et début octobre, elle cesse cette comptabilité  « car cela lui semble tellement bizarre » (lettre du 13 mars 1905]

Visites aux domiciles des habituées Lettre du 24 janvier 1907 de Maria Ericsson à Fredda Aujourd’hui sont abattus des millions de moutons dans le monde mahométan. Cela ne sert à rien ce jour-là de visiter les maisons arabes, tous sont occupés avec la fête du mouton ou la grande fête. Ils affirment que leur ancêtre Ismaël (et non Isaac) fut placé sur l’autel par Abraham et fut remplacé par un agneau, en souvenir de cet évènement ils célèbrent cette fête et ils ont une grande foi dans la signification, pour eux-mêmes, de leur mouton sacrifié, certains pensent qu’ils chevaucheront vers la paradis sur ce mouton. L’autre jour quand je suis allée chez la petite madame Turkias, j’ai trouvé six femmes assises autour d’une petite fourneau arabe, occupées à faire des « heleken » pour la fête, leurs doigts roulaient avec application les petits « daghir » (de tripes) en une sorte de petits 298

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macaronis pendant que les langues étaient en mouvement avec autant d’application, elles s’efforçaient de couvrir la voix des autres. Je priais en moi-même d’avoir une occasion de leurs adresser quelques paroles vivantes, pendant ce temps quelques enfants adorables vinrent autour de moi, un petit garçon me montra ses premiers essais pour écrire les difficiles mots arabes, un petit bambin posa sa tête sur mes genoux faisant signe que je joue avec lui, une fille d’environ huit ans posa ses bras sur mes épaules et parut si heureuse et joyeuse quand je priai sa mère de la laisser venir pour apprendre à lire avec Sahha (leur jeune parente), la mère parut hésitante, mais la petite Zeina avait grand espoir. Cependant, quand il y eut un petit intervalle dans les rires et bavardages des femmes, j’élevai ma voix et dis que j’avais un récit intéressant si elles voulaient l’entendre. « Oui » crièrent-elles toutes et elles se resserrèrent pour me faire une place dans le cercle : « viens t’asseoir ici près de nous, nous voulons entendre ». Alors elles écoutèrent attentivement et toutes ensembles dirent qu’elles désiraient avoir un cœur pur mais qu’elles n’imaginaient pas vraiment ce que cela impliquait, cependant la foi vient de la prédication et combien d’enseignement n’avons-nous pas dû recevoir avant de croire nousmêmes. Dans la maison de madame Keitham je fus bien accueillie comme d’habitude par le maître de maison ainsi que les femmes et les enfants. La petite Moni berçait son petit frère de 3 mois sur ses genoux et réussit finalement à l’endormir, de sorte qu’elle put écouter, de même une pauvre veuve hébergée ici fit s’endormir son bébé et quand l’homme sortit, toutes, les grandes et les petites, vinrent librement autour de moi et alors nous discutâmes sur le péché et le salaire du péché, et ensuite je leur montrais le ‘Livre sans mots’19 et la réconciliation dans le Sang. La petite Fatima, malade, dit : « enseigne-nous comme quand on va à l’école ». Je leurs appris une parole de la Bible par cœur et la première qui put la lire à haute voix sans faute fut le petit de Keitham, Sherif, âgé de quatre ans. Comme on aspire à pouvoir avoir une école pour ces adorables enfants, il faut beaucoup

19 Outil d’évangélisation composé de pages de couleurs différentes associées à des aspects du message chrétien : l’or pour le Ciel promis à tous, la noire pour le péché qui en bloque l’accès, la rouge pour le sang de Jésus versé pour le pécheur, la blanche pour la purification et la verte pour croître dans la relation à Dieu comme une plante.

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de jeunes forces pour aller ça et là pour enseigner un à un. La loi française ne nous permet pas d’avoir une école20. La pauvre veuve citée vint me prier : « veux-tu me prêter 30 francs pour conduire ma Fatima malade à l’hôpital de Tunis, j’entends que tu sers Dieu et pour cela tu voudras bien faire une bonne action ». Je répondis : « Nous ne prêtons pas de l’argent car c’est rendre les gens voleurs, puisqu’ils ne peuvent rembourser », mais j’ajoutai : « quand je verrais que tu es prête à partir avec ta fille alors tu recevras cinq francs pour le voyage de ta fille malade ». La veuve s’exclama alors : « voilà des paroles franches, voyez la religion qu’elles ont – que Dieu te paye avec le meilleur et te donne la santé ». C’est si beau de parfois trouver un tel écho à ce qui est juste. Emprunter trente francs était la même chose que de voler la somme et elle l’admit. La pauvre petite Fatima (10 ans) a hérité de son criminel père cette maladie. Visite et discussion religieuse entre femmes Lettre de mars-avril 1913 par Elsa, publiée dans la revue C’était mardi dernier. Je suis allé comme d’habitude à ma petite classe de Kous Moharrem qui est cependant si petite qu’elle ne mérite pas le nom de « classe ». Ce jour-là c’était pire que d’habitude. Je ne récupérai pas plus de deux filles dans la maison desquelles nous nous réunissions mais comme elles ont deux sœurs aînées qui toujours viennent écouter, il y eut donc finalement quelques éléments. A ce moment il y avait aussi leur sœur mariée à la maison, c’était la première fois que nous nous rencontrions. Quand elle entendit que je chantais avec les enfants sur le ciel, elle demanda si je ne voulais pas m’habiller comme les femmes mahométanes21 et « me donner à Dieu » c’est-à-dire devenir mahométane, car alors je pourrai aussi aller au ciel. « Tu as juste besoin de dire : il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et Mahomet est son prophète ». J’essayai de lui répondre sans vraiment me laisser entraîner dans des raisonnements, ce qu’il est plus sage d’éviter aussi longtemps que l’on ne connaît ni la langue ni la personne suffisamment. 20

Voir la partie « De l’enfance à l’âge adulte » et celle sur le travail scolaire. Si Elsa Rinborg, reste vêtue à l’européenne 3 ans après son arrivée, il semble bien que Rosa Marcusson ait le plus souvent été habillée à l’arabe lors de ses visites. 21

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Mais à contre cœur. Cela devint pire un moment plus tard. Après leur avoir raconté sur Sackeus, qui voulait voir Jésus, une des grandes filles dit tout d’un coup : « ne veux-tu pas nous raconter quelque chose sur Mahomet ? ». Il y deux semaines elles avaient présenté la même demande à Rosa et celle-ci avait raconté, jusqu’à ce qu’elles en aient assez et avaient dirigé la conversation dans une autre direction ! « Peut-être ne sais tu rien sur Mahomet ? – « Si, j’en sais bien un petit peu, mais vous en avez entendu tellement l’autre jour par mademoiselle Marcusson ». Pour montrer cependant que j’en savais un peu, je racontai un petit épisode de sa vie, mais elle ne l’avait jamais entendu. Notre présentation de leur ami ne pût les satisfaire. Alors la mère me demanda de raconter comment cela sera quand Jésus descendra du ciel pour régner pendant 40 ans. Ceci est bien sûr la version du Coran du règne millénaire. Nous parlâmes alors de ce temps merveilleux quand la justice et la vérité règneront sur la terre, et ensuite je dus leurs raconter sur le grand jour lorsque nous devrons nous tenir devant Lui qui siège sur le trône, certaines à sa droite et certaines à sa gauche, et l’importance à se laisser sauver et purifier des péchés. A ce moment la fille mariée était présente. Avec beaucoup de certitude elle assura :  « Ce jour-là notre ami Mahomet priera pour toutes les incroyantes, et par son intercession nous serons sauvées, même si l’on a un cœur impur ». J’avais bien sûr une objection toute prête, mais cette conclusion là je ne l’avais jamais entendue auparavant. Au contraire, elles sont toujours convaincues d’avoir le cœur pur, pur comme le lait ! Je cherchai donc à les contrer avec une flèche tirée de leur propre carquois, et leur rappelai que leur ami Mahomet lui-même, quand il parlait sur le grand jour des comptes, disait : « Craignez ce jour car aucune intercession n’est à attendre ». Elles ne l’avaient jamais entendu, et ce n’était même pas possible pour elles de croire qu’il l’ait dit. « Vous pouvez bien demander à votre père de vous le lire » dis-je. Mais non, rien au monde ne peut leur retirer la foi dans l’intercession de Mahomet. Ah mes amies, pouvez-vous comprendre comment on se sent dans son cœur après une telle conversation ? Je voulais seulement pleurer et les serrer contre ma poitrine et les inviter à venir et goûter et voir combien le Seigneur est doux, mais je devais paraître calme et me contenter d’appeler le Seigneur dans mon cœur. 301

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Visite et discussion religieuse avec les hommes Lettre du 25 mars 1915 de Rosa à Fredda Habiba qui a été mariée il y a quelques mois (sept) est si malade qu’on se demande si elle s’en sortira. Elle est alitée, si douce et charmante, et nous croyons qu’elle veut volontiers aller à Jésus. Et nous pensons aussi que ce serait un grand soulagement pour elle s’Il pouvait être là pour de bon. Son mari est un pur mahométan mais gentil envers son épouse. Deux fois j’ai eu de très bonnes occasions de pouvoir parler vraiment à fond avec lui et même avec le père d’Habiba, qui lui aussi est un pieux mahométan. Les deux lancèrent d’eux-mêmes la conversation. Cela portait naturellement sur les points chauds de l’Islam. La divinité de Jésus et la rédemption. Ce fut si bon lorsque je pus lire tout le récit de la mort de Jésus, la résurrection et l’ascension. Ce fut une réunion de plus de trois heures. Le vieux père était si zélé à écouter, qu’il faisait sortir de temps en temps les enfants qui jouaient et faisaient du bruit dans la pièce. Le mari d’Habiba, qui n’avait pas pu manger son repas car il se sentait mal, plaça alors une petite table arabe ronde, prit un plat de grès avec un couvercle dessus qui se trouvait sous le sofa, et commença à manger, trempant son pain dans le contenu du plat. Il était alors cinq heures. Cela n’empêcha cependant pas notre lecture et discussion. « Oui, oui » disait-il quand j’ai eu terminé, « C’est bien beau ce que nous avons entendu, mais ceci concerne un autre qui selon le Coran et la foi mahométane fut pris et crucifié à la place de Jésus. Le Coran est la parole de Dieu et tout ce qui s’y trouve est vrai ». « Comment expliquer alors la merveilleuse résurrection et tout ce qui survint à la mort de Jésus ? » dis-je. « Est-ce que ça ne pourrait pas être la force du Diable », dit le père, « car il est aussi puissant pour tromper ». On reste désemparée dans une telle circonstance. Mais, comme je leurs dis : « Tout deviendra clair quand la lumière de l’Esprit Saint éclairera le cœur du pécheur. Prions pour qu’il puisse en être ainsi ! ». Habiba essaya de placer quelques mots de temps en temps, et elle dit : « Oui ! Ils ont cloué Ses mains et Ses pieds ».

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La ‘lanterne magique’ instrument de mission Lettre du 3 mars 1914 de Clara à Fredda Je me rappelle un après-midi il y a quelques temps, j’étais avec Rosa à une visite à domicile qui avait plus le caractère d’une réception. Là on a montré des images à la lanterne22 si réussies qu’on a vraiment pris du plaisir à les voir. Une pièce inhabituellement grande et spacieuse, pour une maison arabe, avait été mise à notre disposition. Et pendant qu’on mettait en ordre « les merveilleuses boîtes » les voisines et parentes de la maison, invitées au préalable, se rassemblaient de sorte que le nombre s’éleva à la fin à environ 20 femmes et plusieurs enfants. Organiser une réunion dans une maison arabe le soir est impossible pour diverses raisons. Pour cela si l’on veut montrer des images du ‘skioptikon’ il faut le faire en plein jour. C’est un peu ennuyeux alors pour empêcher le jour d’entrer, non à travers les fenêtres, car le plus souvent il n’y en a pas même l’ébauche dans les maisons arabes, mais à travers les larges fentes autour de la porte. Mais nous avons des tapis à disposition, aussi c’est relativement facile à faire. On n’a pas à se soucier de trouver toile ou drap car les murs sont blancs et constituent le meilleur arrière plan dont on puisse rêver. Cette foisci ce ne fut pas facile d’amener les femmes à écouter les explications des images. C’était la première fois qu’elles voyaient quelque chose comme ça et elles ne pouvaient pas s’empêcher d’exprimer leur étonnement et leur ravissement. Pour la plupart ce n’était cependant pas la première fois qu’elles entendaient l’Évangile. Elles purent entendre la plupart des paraboles de Jésus, comme « le fils perdu », le bon samaritain, le grand banquet auxquels tous sont invités, aussi sur « le semeur » qui sème la graine dans quatre sortes de champs. Puisse aussi quelque chose de ce qui a été dit alors tomber dans la bonne terre.

22 Les textes parlent soit de « lanterna magica », un peu démodé à l’époque, soit de « skioptikon » qui est le terme suédois en usage pour les projecteurs de vues fixes, tiré du nom d’une marque anglaise. Les sœurs sont bien équipées avec deux appareils : un portable pour les visites et un fixe restant dans la maison.

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Tournée de mission dans les villages proches Visite d’un village vue par une ‘nouvelle’ Lettre du 20 novembre 1910 de Elsa à Fredda Vendredi dernier nous avons fait une visite villageoise à un demi mil d’ici. Arrivées hors de la ville, nous avons dû nous retourner pour admirer la splendide vue sur cette indicible mer bleue. Du reste je vis des oliviers et ramasseurs d’olives, des hommes qui travaillaient dans les champs, des cavaliers sur des chevaux et des ânes, des piétons etc. Tout est nouveau et remarquable pour une occidentale. Au loin je vis une femme – sans voile – et me demandais si là dehors, à la campagne, elles ne prenaient pas plus de liberté, mais tu ne le croiras pas : quand nous nous sommes approchées d’elle, elle se dépêcha de tirer à elle un voile noir sur le côté de son visage qui faisait face au côté de la route où se trouvait Beiji, Rosa lui adressa la parole, et elle n’a pas craint de se montrer à nous. Beiji de son côté s’écarta du chemin et marcha plus haut dans le champ ! ! ! On n’a pas vu grand-chose du village car les deux côtés de la rue sont limités par des hauts murs sans fenêtre – oui cela on en a entendu parler mais ça semble si incroyable quand on le voit et on ne peut s’empêcher d’avoir le cœur gros en pensant à toutes celles dont l’univers entier est à l’intérieur de ces murs. Nous ne sommes entrées que dans une de ces maisons – la première que nous avons essayée ne nous a pas reçues – mais c’était la plus importante du village, une sorte de chef. Nous y sommes restées presque deux heures, mais les femmes ne semblaient pas écouter beaucoup. Elles étaient très intéressées par ce que nous avions sur nous, c’était surtout ma broche qui les attirait, et elles nous prièrent, lorsque nous reviendrions, d’en avoir plusieurs de semblables, alors elles les achèteraient et les paieraient un bon prix ! Elles sont bien revenues cinq ou six fois sur la broche, mais elles ne comprenaient pas la valeur de « la précieuse perle » [Matthieu 13,  45-46]  – Une des jeunes filles avait cependant déjà entendu quelque chose sur « la parabole d’Ajsa » et écoutait un peu plus que les autres. Une fois sorties nous trouvâmes Beiji près de la maison avec deux autres hommes, Rosa leur dit quelques mots et aussitôt ils la prièrent de s’asseoir et de parler plus longtemps. Très vite elle eu 23

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C’est-à-dire à 5 km car le mille suédois vaut 10 km.

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un auditoire de 12 hommes, fluctuant certes incessamment, mais cinq écoutèrent tout le temps  – Je crois qu’elle a parlé toute une heure. A un moment ils s’échauffèrent davantage et défendirent Mahomet, mais Rosa a toujours pu les contenir. C’était touchant de voir combien elle était heureuse après coup d’avoir pu présenter ce témoignage. La réflexion sur la différence de degrés d’accessibilité et de capacité de compréhension chez les hommes et chez les femmes se fit d’elle-même et je m’étonnais de retour à la maison qu’il n’y ait pas de frères qui ressentent comme digne d’eux l’effort de venir travailler à cette moisson. La fontaine est visiblement le lieu de rencontre du village tout à fait comme dans les Paraboles. Quatre ans plus tard, le même village Lettre du 17 mars 1914 de Rosa à Anna …Il y a une semaine nous étions toutes les quatre sorties pour une visite de village près de Bizerte. Clara allait en vélocipède et nous autres avec la voiture. C’était le même village où le pasteur et madame Hansen étaient allés avec nous, et aussi la baronne Mörner. Lors des précédentes tournées nous étions restées le plus souvent dehors, nous avions fait une petite vente de livres une heure ou deux quand nous avions loué une petite boutique, selon les règles, ou nous avions aussi eu une rencontre dans un café arabe qui pour l’occasion était bourré de monde. Le pasteur Hansen avait parlé admirablement et j’avais traduit. Mais cette fois-ci nous entrâmes dans les maisons. Nous avons pu avoir plusieurs petites réunions dans quelques maisons. Dans les petites rues nous avions bien une dizaine d’enfants autour de nous à un moment. Le cocher qui nous conduisait nous emmena tout d’abord dans sa maison. Sa belle fille était une femme très charmante et intelligente, elle rayonnait vraiment. Son mari était ou semblait être un homme gentil. Il commença à raconter ce qu’il savait sur la création de l’homme, la chute et c’était vraiment complètement ‘absurde’, c’est impossible de tout reproduire ici, mais le début était que Dieu demanda à la terre un peu de poussière pour créer Adam, mais la terre refusa de lui donner de la poussière pour cela, et alors Dieu promit à la terre que si elle lui donnait un peu de poussière elle en recevrait deux fois plus en retour et c’est pourquoi l’homme 305

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retournera à la terre. Nous avons écouté jusqu’à la fin mais ensuite je lui dis : « Voulez-vous maintenant entendre ce que le livre même de Dieu, le tout premier livre, le livre de base qui ne peut être changé, dit sur la création de l’homme, la chute et la réparation ». Alors suivit un petit, non un assez long, sermon qu’ils ont tous les deux écouté. Les yeux de la charmante femme brillaient parfois quand elle comprit, je le comprends maintenant, que les mahométans connaissent la chute de l’homme, mais ignore tout d’une rédemption en dehors des tentatives de racheter un paradis perdu par de bonnes œuvres. Mais alors la jeune femme dit finalement : « Ainsi le Seigneur Jésus nous a ouvert la porte du paradis mais Muhammad nous y fera entrer ». Quand nous sommes reparties à la maison, un soldat arabe revint avec nous dans la même voiture. Nous avons vite entamé la conversation. Il exprima sa joie ou plutôt son admiration de rencontrer des personnes qui aiment la parole de Dieu, comme il disait, et finalement il acheta, ainsi que le cocher, son volume des évangiles. Le cocher ne savait pas lire mais son frère le pouvait, mais le soldat, il était sergent, pouvait et il nous invita chez lui ici à Bizerte. Il est chez lui les dimanches nous dit-il. Faire venir les femmes à la mission Fête de Noël et ouvroir à la suédoise en 1913 Lettre du 7 janvier 1913 d’Elsa Ringborg (publiée dans la revue n° 2, 1913, p. 17-18) Le soir de Noël nous avions invité 11 arabes, hommes, femmes et enfants. Aicha incluse. C’était une grande joie de voir tant de ces gens fêter Noël. Les hôtes étaient Beiji et Hallouma avec la mère, frères et sœurs, avec fils et belle-fille, la petite aveugle Zohra et quelques autres. Les femmes vinrent tôt et après la photographie sur le toit, jouèrent là un bon moment comme de vrais enfants. C’était si bon de les voir se réjouir de l’air et de la liberté. Il faut que je parle un peu de la belle-fille, Fatima, elle est une fille si charmante, et nous étions si plein de gratitude d’avoir pu entrer en contact avec elle. Elle est arrivée toute petite chez une dame turque ici à Bizerte, elle l’a ensuite emmenée avec elle à Constantinople, où elle est restée deux ans. Là-bas elle a pu sortir librement, s’habiller avec des vêtements européens et a pu apprendre à lire. Il n’y a que quelques mois qu’elle 306

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est revenue ici, et maintenant c’en est bien fini de la liberté, elle est pour le moins fortement limitée. Elle est choisie comme fiancée du frère d’Hallouma, un digne jeune homme, et il l’autorise à venir avec nous pour la nuit de Noël. Bien sûr, elle et Aicha ne durent pas se montrer aux hommes, de sorte que nous avons eu un soin amusant de les garder séparées. D’une part nous avions les « filles » derrière un écran, d’autre part les hommes et les femmes chacun dans leur pièce, les hommes durent se tenir dehors dans le vestibule. L’étrange dans cette étiquette arabe est qu’ils peuvent s’entendre mutuellement, oui et même converser, seulement s’ils ne voient pas leurs visages. Du reste il y a une bonne dose de duperie dans cette « pudique » tradition. Mais je m’éloigne de Fatima. Elle veut tant apprendre à lire l’arabe et nous avons commencé à lui l’enseigner à partir des Évangiles. (note : une soirée avec fleurs, bougies et notre petit sapin24, des chants, le repas le plus arabe et le plus festif possible puis l’évangile de Noël et images au projecteur reçues de Suède, puis la distribution des cadeaux) Lettre du 5 février 1913 de Rosa à Fredda (…) Maintenant je devrais un peu parler de notre de fête de Noël. Nous avions bien espéré faire notre entrée dans notre petite maison rose arabe pour Noël, mais ça n’a pas marché. A la place on a dû comme d’autres années avoir nos petites fêtes ici et là dans les maisons (maisons arabes). La première dans un quartier où les maisons et les portes sont si serrées les unes contre les autres que, plusieurs d’entre elles25 étant parentes, vont librement les unes chez les autres. La première maison, nous avons appris à la connaître par notre Beja qui a habité un temps ici. Elsa y a rassemblé quelques filles pour une petite classe, je crois qu’il y en a six qui maintenant 24 Le sapin décoré de bougies et guirlandes est envoyé directement de Suède, fourni par une association locale de la KMA ; malgré la distance il n’a presque jamais manqué ce rendez-vous, même pendant la Guerre de 1914. A noter qu’Elsa Borg en avait aussi fait un des grands moments de l’année. 25 Visiblement le pronom personnel désigne les femmes habitant ces maisons, Rosa est assez coutumière de ce genre de ‘raccourci’, son style n’ayant pas la rigueur de celui de Maria Ericsson ni d’Elsa Ringborg, notamment dans l’usage rare des ponctuations !

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cousent. A la fête elles furent 40, femmes et enfants. Elles étaient assises très entassées sur le plancher pendant que nous montrions des images à la lanterne. Cela se passa plutôt calmement jusqu’à ce que nous arrêtions et que les paniers (jusque là maintenus derrière le rideau) soient présentés, et friandises, fruits et petits cadeaux, furent distribués. Alors ce fut une vraie fourmilière. Toutes se précipitèrent devant, les mains tendues, l’une criait plus fort que l’autre : « donnes-moi, je n’ai rien reçu, ma sœur n’a rien eu, le petit frère aussi ». Même celles qui en avaient reçu cachait leur orange rapidement sous leurs vêtements et ensuite criaient à tue-tête : « je n’en ai pas eu ». C’était impossible de distribuer plus que des oranges, mais le mieux était d’en arriver le plus vite possible au reste : Elsa avait le visage complètement enflammé d’effarement. Les enfants ont ensuite été réunis et dans le calme ont reçu leurs petits cadeaux. La fête n°  2 s’est mieux passée. Vingt, pour la plupart des femmes, furent rassemblés dans la pièce de Beja, qui était alors à Tunis. Sa sœur et sa mère habitent la maison. Nous avons eu ici aussi des images de la lanterne qui furent tranquillement regardées et des friandises qui furent offertes. La 3ème chez Mahodjoba pour huit des habitants de la maison. Ce fut aussi calme et agréable pendant la réunion de lanterne. Tout l’ Évangile de Noël fut vu sur le drap et ensuite toute l’histoire de la souffrance de Jésus. On sent si bien que ce n’est pas un terrain totalement nouveau à travailler, mais il y a là des cœurs qui sont préparés à entendre. Quelque ‘régalade’ particulière se déroula ici aussi, notre nouvelle bouteille thermos pleine d’un bon café était aussi dans le panier. Les enfants furent naturellement plus que ravis comme d’habitude. La fête n° 4 rassembla 17 personnes femmes et filles. Agda a eu sa classe là juste après et la 5ème dans une autre maison où aussi quelques filles de la classe réunies. A cette fête 15 vinrent. Le déroulement fut à peu près le même aussi aux deux, on a montré des images de la lanterne aussi aux deux. La 6ème fête fut pour nos filles qui ont l’habitude de venir à la Villa pour la classe de couture. C’était davantage privé puisque plusieurs d’entre elles avaient été à la fête chez Beja. Un numéro du programme était différent des autres fêtes : de petites lettres timbrées furent distribuées, contenant du chocolat.

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C’était le ‘Daggryning’26 de Kristianstad qui l’avait envoyé par mon intermédiaire lorsque j’avais eu la joie d’être en transit là-bas un soir lors de mon voyage retour… Notre réunion ‘Daggryning’ va se tenir samedi prochain aprèsmidi. J’en avais dit quelques mots l’an dernier quand j’étais en Suède – mais je n’ai pas pensé que c’était quelque chose à traiter plus amplement. Cependant ces instants avaient été si chers que nous pensions les reprendre bien que cette fois-ci nous les aurons à la maison chez nous au lieu de chez Beja comme avant. L’origine de ceci a été un texte d’Inde montrant que la mission là-bas avait trouvé que c’était une aide et une bénédiction pour les chrétiennes indigènes que les femmes commencent à penser, à prier et œuvrer pour d’autres comme elles « dans les chaînes » et pas constamment et exclusivement pour elles-mêmes et ce qu’elles vont recevoir. Nous avons actuellement Hallouma, Fatima, la petite aveugle Zohra qui font des torchons, et notre Aicha et nous quatre. Notre programme est le suivant : chacune a sa tâche. Pendant le temps de travail on chante des chants et en apprend de nouveaux. Chacune à son tour raconte quelque chose, soit à partir de la Bible soit de quelque récit missionnaire, ou quelque chose d’utile du même genre, et naturellement café ou thé ensemble, et pour conclure lecture de la Bible et prière. Nous même avons souvent quelques récits sur la Chine, l’Inde ou l’Arménie ou quelque autre terrain ici en Afrique, particulièrement sur le monde des femmes et des enfants. Les autres le plus souvent sur la Bible. La première fois Hallouma a raconté sur le fils perdu, l’aveugle Zohra sur ‘Noman’, ensuite Aicha le récit sur la fille du roi perdue puis retrouvée, qu’elle avait entendu quand elle était ici comme enfant, un récit que Maria avait composé alors. Elle dit pour finir que ce récit traitait d’elle-même. La conclusion ainsi que le début

26 L’expression signifie « le point du jour » et désigne les associations répandues en Suède par la KMA sur le modèle des nombreux ouvroirs (« symöte » en suédois) créés par les diverses sociétés missionnaires. Elles associent travaux d’aiguille, prière, lecture de la bible et des revues et lettres missionnaires, et alimentent des ventes de charité (« bazar ») destiné à soutenir la création d’écoles pour filles en Inde et Chine.

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m’incombent. J’ai pris comme conclusion la vie de David. Aicha a demandé de pouvoir parler par la suite sur Daniel, elle étudie maintenant pour pouvoir facilement raconter ceci. Elles sont toutes enchantées de ce ‘El Fjeder Daggryning’ et travaille avec plaisir et joie. J’avais pris quelques ‘troncs’ avec moi, au Comité de la KMA bien que je n’en aie pas parlé, et une de ces boîtes a été placée sur la table de travail de ‘El Fjeder’. Fatima fabrique des colliers comme on en utilise beaucoup à la maison. J’ai regardé et, croyez moi, ça avance vite. Elle en a trois, quatre prêts à chaque fois. Le premier qui fut prêt nous l’avons mis aux enchères sur le champ. On cria de tous côtés et la pauvre Elsa qui voulait volontiers l’avoir dut payer 80 centimes, qui immédiatement furent versés dans le tronc. Ceci pour les encourager. Fredda, vous ne serez pas mécontente de moi pour cette nouvelle entreprise ; c’est juste entre nous ici, nous n’en parlons même pas et comme ceci est une lettre privée, donc non pour le journal, j’ai pensé que c’était plaisant d’en parler. Il n’y aura pas de grandes sommes en cause et ce qu’on en fera nous pensons le partager entre quelques unes qui sont dans notre secteur. L’Arménie en recevra sa petite part, l’orphelinat là-bas. Les fonds pour notre petit travail, je les ai reçus à Södertälje27 10 couronnes [= 14 francs] et de ma sœur 5. Mais priez pour ceci en privé, cela peut un jour s’élargir. Maintenant nous n’en parlerons plus. J’espère que cela ne disparaîtra pas. Nous aimons toutes ces moments. Peut-être qu’un jour vous viendrez raconter quelque chose à notre Daggryning ! !… Des signes encourageants malgré les obstacles Lettre du 17 mars 1914 de Rosa à Anna …Il semble très difficile de faire venir les femmes ici pour le jour de ‘classe’. Elles ont si peur. Ça a été plus facile avec les enfants, bien que beaucoup ne viennent pas. Aussi avons-nous pensé que si nous habitions là ce serait peut-être plus facile. Même les voisines les plus

27 Lors de son séjour en Suède, Rosa a assisté, comme la plupart des membres de la KMA, à la Conférence de Södertälje, réunion régulière, au sud de Stockholm, rassemblant les milieux du réveil évangélique et des missions autour du prince Oscar Bernadotte et de Karl Fries notamment.

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proches ne peuvent pas venir. Oui, on peut difficilement saisir vraiment combien c’est dur d’accéder aux gens. Nous pouvons aller dans les maisons du matin au soir si on le désire, nous pouvons leur faire du bien, donner des médicaments, leur donner du travail etc. etc. et lire et parler avec elles aussi, mais les réunir en une classe maintenant, ça ne va pas… Oh, c’est si difficile ! On parle et on écrit sur « The dying forces of Islam »28 , mais nous voyons bien encore sa lutte et son âpreté. Est-ce son agonie, nous l’espérons. Dans l’ensemble il en est ainsi, Dieu merci, mais ses membres lutteront jusqu’au sang. Et pourtant nous n’avons actuellement aucune activité publique, comme on le regrette souvent, mais ils sont pourtant furieux. Et l’orgueil national des mahométans en plus ! Les Arabes plus que tous les autres ! Quelques gamins de 10 à 12 ans ont pris l’habitude de venir ici avec les travaux de leurs mères ou pour d’autres raisons p. ex. emporter plus de fil et nous leurs avons dit de ne pas nous appeler seulement avec nos noms comme ils le font souvent. Un jour une de ces mères me dit : « mon gamin se demande bien comment il doit t’appeler. ‘Comment vais-je l’appeler, je suis un homme et ne peux pas l’appeler ‘lälla’ – qui signifie à la fois madame et mademoiselle’ ». Pense donc un gamin de 12 ans parlant ainsi. J’ai dit à la mère : « il peut bien m’appeler ‘khabti’ », c’est-à-dire ‘tante’ comme souvent les enfants le disent aux plus âgées ici. La prochaine fois qu’il revint je n’étais pas à la maison mais il avait alors demandé ‘lälla Oreida’ cependant et ainsi vaincu son orgueil masculin. Mais il y a aussi le fait que les habitants de Bizerte sont tenus pour être particulièrement grossiers, ils descendent par leurs origines d’un peuple de la mon-

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Il s’agit d’un article du professeur Samuel Zwemmer paru dans Moslem World (vol. IV, 1914, p. 64-68), spécialiste des missions protestantes auprès des musulmans, auteur édité par la KMA et qualifié de « calomniateur notoire de l’Islam » par l’Islamic Review and muslim India de Londres. Pour atténuer l’effet négatif de sa critique, Rosa écrit ensuite de façon plus positive sur cet article : « Cependant le Dr Zwemer écrit continuellement sur « the dying forces of Islam », il est toujours si plein d’espoirs et cherche à réchauffer tous ceux qui travaillent parmi ce peuple. On ne peut s’empêcher de se sentir soi-même édifiée quand un tel homme qui connaît vraiment bien les conditions ici parle ainsi. Oui il s’agit de voir en grand, c’est la façon de ne pas être découragée… » (lettre du 27 mars 1914 à « Ma petite Greta adorée »).

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tagne qui a été particulièrement sauvage et grossier, et on en reconnaît bien les caractéristiques chez beaucoup… Lettre du 24 mars 1914 de Rosa à Fredda …Ça a été si agréable l’autre jour. C’était mercredi, le jour de notre ‘réunion féminine’. Il pleuvait et ventait beaucoup et je me demandais si elles viendraient, je pensais moi-même presque laisser tomber. Mais j’y suis tout de même allée, il y avait seulement quelques filles et Hallouma et Beja et sa mère. « Nous nous apprêtions juste à monter à la pièce pour tenir la réunion nous-mêmes » dit Beja, car j’étais arrivée un peu plus tard que d’habitude. « Oh ce serait bien agréable, dis-je, la prochaine fois je vous confie cela ». « Oui, dit-elle, nous nous réunirons et chanterons et raconterons ». Ça ne s’est encore jamais fait de les laisser seules mais ce serait bien d’essayer. Hallouma n’a pas autant de facilités que Beja, mais elle pourrait elle aussi avoir l’étoffe d’une ‘bibelkvinna’. Elle témoigne réellement si gentiment pour les autres et c’est agréable. Cependant Beja et Hallouma peuvent être des ‘bibelkvinnor’ seulement chez elle, mais c’est quelque chose dont on peut déjà rendre grâce. » L’action économique, une façon d’ouvrir de nouvelles portes Le lancement de l’action et ses effets Lettre du 18 mars 1909 de Rosa à Fredda Je n’ai pas écrit depuis longtemps car nous avons été amenées à commencer une « industrial mission », on peut l’appeler ainsi, parmi les femmes et les filles. C’est une membre française de l’Église protestante française ici qui il y a quatre mois a commencé à engager des femmes arabes, partout dans les maisons, à coudre des ‘djernaa’, une sorte de dentelle qui est cousue sur un coussin mais seulement avec une aiguille à coudre. Maria en avait chez elle pour quelques blouses vendues à la vente du KMA, comme vous vous en souvenez sûrement. Elle [la protestante française] a maintenant mis environ 300 femmes en action avec ce travail qui ensuite se vend cher en France. Plusieurs de nos femmes nous ont demandé du travail que nous leurs avons donné et nous trouvons que c’est une façon très bonne 312

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d’atteindre les femmes dans de nouvelles maisons. Les gamins et les filles et même jusqu’aux hommes qui nous voient dans les rues nous prient de venir dans leur maison pour ce travail. Nous passons des moments précieux avec ces femmes bien qu’au début on doive s’occuper de diriger leurs travaux. Mais maintenant la question est de savoir si on peut revendre ces travaux avec assez d’avantage pour la mission et comment et à quoi souhaiterait-on utiliser cet argent en Suède. J’ai quelques longueurs prêtes que j’ai fait faire avec les moyens de la mission et celles-là je pense les envoyer bientôt en Suède. Mme Seyrig les revend très cher. J’ai actuellement 5 femmes qui travaillent sur des blouses en tulle (…). Les femmes ont été si heureuses de pouvoir travailler en cette période car il y a une vraie misère dans le peuple, tout est si cher, car les sauterelles ont fait des dégâts aux récoltes et les olives se sont totalement effondrées, elles qui constituent une branche économique essentielle pour le peuple. Cela a été une vraie bénédiction et joie pour nous de pouvoir donner du travail aux femmes, surtout dans certaines familles où l’homme a été soit malade soit au chômage, car il y a en permanence un grand manque de travail. Donc tout a pu servir et ça a été si bon ces jours-ci quand on devait tant s’occuper de leurs travaux, de sentir que aussi alors on peut « serve Him only ». Ceci est maintenant une vraie lettre d’affaire. Priez pour toutes ces nouvelles maisons ouvertes, que l’on puisse y diffuser le message du Christ. Lettre du 26 février 1913 de Rosa à Fredda Juste maintenant à midi ou juste après, j’ai passé un moment avec un jeune homme qui est un Arabe inhabituellement gentil, bon et ‘religieux’. C’est le travail de dentelle qui nous a mis en contact avec cette famille. Ce jeune homme m’a rencontrée, ou plutôt m’a hélée depuis son petit atelier quand je passais devant et m’a demandé si c’est moi qui donne du travail aux femmes. « Oui, dis-je, j’ai quelques femmes de ce genre, mais cela peut être quelqu’un d’autre à qui il pense car il y a plusieurs dames françaises qui font faire des travaux de dentelle aux femmes ». « Non c’est bien vous que je veux dire car vous vous appelez bien ‘unetelle’ et ‘unetelle’ ». Oui c’était bien moi et bien que ce fût presque midi et que j’étais pressée de rentrer, je dus 313

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ainsi le suivre chez lui. Il y eut une telle joie alors parmi ses deux grandes sœurs et sa mère. Elles avaient travaillé pour une française, mais avaient été si peu payées qu’elles avaient cessé. Maintenant elles sont si pleines de gratitude, car je paye largement deux fois plus. Bien plus qu’elle [Mme Seyrig] et c’est vrai. Le jeune homme vient de temps en temps ici et nous avons eu beaucoup de moments précieux. Mais il y a bien sûr souvent des discussions comme souvent parmi les mahométans. Aujourd’hui il a pu venir avec une des dentelles prêtes de six mètres. Il a demandé une carte des missions, une vieille qu’on a qui l’a intéressé souvent à plusieurs reprises. Quand nous en sommes arrivés aux scènes sur l’Afrique et avons vu le nègre avec la Bible dans les mains en train de prêcher l’Évangile à son peuple, je ne pus m’empêcher de dire : « quand prendras-tu une telle position envers ton peuple, oh soit zélé à chercher la vérité, fait le à fond et tu seras heureux ». Il ne répondit rien. Priez pour ce jeune homme. Les femmes ici sont encore vraiment fanatiques. Dans une autre maison les femmes voulaient très volontiers écouter. Dans cette maison elles sont 2 mères et 3 filles qui cousent des dentelles. Les filles étaient déjà venues à la classe dans la Villa. Maintenant elles travaillent et valent la peine tu peux le croire… Une de celles-ci, nous l’appelions « la méchante petite Shrifa », mais cette ‘méchante’ est devenue vraiment charmante et gentille. Elle coud admirablement malgré ses seulement 11 ou 12 ans. Elle est actuellement sur une délicate dentelle avec fil de premier choix surfin n° 150, c’est incroyable qu’elle puisse le faire. Cette dentelle, je dois l’envoyer à Skellefteå dès qu’elle sera prête. J’ai rassemblé les femmes et les filles pour des lectures bibliques et chants, et alors, à plusieurs reprises, un très très vieil homme est arrivé, qui entend encore si bien qu’on en est étonnée, car de si vieux souvent entendent plutôt mal. C’est si émouvant de voir ce vieux venir si volontiers dans notre cercle. Priez pour ceux-ci. Les premiers doutes sur l’utilité de ce travail du point de vue missionnaire Lettre du 25 octobre 1913 de Rosa à Anna J’espère que ma précédente lettre adressée à Greta [Sjölund] est arrivée à destination. Il y avait un mètre de dentelle pour mademoi314

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Skarp, le deuxième mètre je vais l’envoyer bientôt. C’est si dur de pouvoir envoyer des dentelles en petit paquet de 350 grammes comme avant (comme échantillon recommandé) On ne doit plus envoyer ceci sans un paquet qui peut être déclaré en douane. Parfois ils disent que l’on a le droit, parfois que l’on ne peut pas. J’ai quelques serviettes prêtes à envoyer que tu avais demandées, si ça va maintenant. Mais Agda rapporte que tu as dit que ça ne va plus aussi bien à Stockholm. Nous en avons bien envoyées beaucoup là-bas déjà. Du reste, je commence à penser que ça prend beaucoup de mon temps d’organiser cela, aussi j’essaie de diminuer ce travail le plus que je peux. Mon temps pour lire et écrire passe presque tout entier dans les dentelles. Ici, il y a aussi beaucoup de personnes qui ont lancé des affaires avec les travailleurs arabes. Dans une librairie ils ont une vitrine pour ces travaux, mais quels prix ! J’ai vu des serviettes pour 22 francs les 12. Un col extraordinairement beau pour 70 francs, des dentelles pour 17 francs le mètre (11 à 12 couronnes !!!), et ils les vendent. Mais peut-être sontils plus travaillés que ceux que j’envoie en Suède. Mais si je peux certes en envoyer encore pour continuer la vente, nous ne savons rien des revenus et dépenses quand l’année sera finie. Lettre d’août 1917 de Rosa à Anna Maintenant, je voulais juste dire un mot sur le travail de dentelle. Personne ne doit se méprendre et penser que ce sont les femmes, jeunes et vieilles, qui ne veulent plus travailler pour nous à cause du prix, non c’est tout à fait « le contraire » : elles le veulent si terriblement volontiers que je pourrais, oui j’ose le dire, trouver des centaines de femmes si j’avais seulement le temps et le cœur, car j’ai la réputation de mieux payer que tous les autres. Mêmes les femmes plus riches m’en priaient, juste parce qu’elles reçoivent un bon paiement. Mais c’est moi qui me demande si je ne dois pas cesser. Tout arrêter purement et simplement est bien sûr impossible. Tout ceci dit seulement à cause de ce que tu as écrit. [Ce travail a finalement été poursuivi. En 1969, il rapporte 28 000 couronnes au groupe de femmes qui se réunissent chez les missionnaires (le revenu moyen tunisien est alors de 400 couronnes par an). Pour les 100 ans de la KMA, en 1994, une photo montre ces femmes, vêtues à l’européenne et assises dans de confortables fauteuils, fabriquant ces dentelles.]

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Résultat de ces efforts : un petit noyau de fidèles toujours fragile et discret Le noyau de fidèles en 1913-1919 Lettre du 5 février 1913 de Rosa à Fredda Maintenant je voudrais parler un petit peu de notre situation actuelle. Les thèmes de prière ont été rassemblés hier soir, par nous toutes, mais il faut peut-être en parler encore un peu plus à fond. Aicha a vraiment été dans de difficiles tentations ces derniers temps quand il a été question de divorce… Beja – La Beja du numéro de Noël, est maintenant mariée depuis Noël et est restée tout le temps avec son mari à Tunis. Quand Agda et moi sommes allées à Tunis à Noël dernier nous lui avons rendu visite et l’avons trouvée si heureuse et joyeuse de sa situation. Plaisant aussi de voir qu’elle n’avait pas du tout mis sa lumière sous le boisseau. Elle a parlé avec son mari sur l’Évangile et j’ai eu aussi une bonne conversation avec les deux ensemble. Avec un regard rayonnant elle raconta qu’un de ses beaux-frères, frère de son mari, lit précisément le même livre que « nous » et nous avons discuté de la chose, et lui et moi étions tout à fait d’accord. Je lui ai demandé son nom (Abd el Omhäb) et ai découvert ensuite par Mr Purdou que ce jeune homme était allé longtemps à leurs réunions et qu’ils avaient l’espoir qu’il croyait dans son cœur. Il semble être un homme inhabituellement loyal dit Mr Purdou. Sa mère, qui vivait encore, avait appris qu’il allait chez les missionnaires et fut tout à fait malade de chagrin. Le jeune Abd el Omhäb a dû alors lui promettre de ne plus rendre visite aux missionnaires, « les infidèles », et c’est la raison pour laquelle ils ne l’ont pas revu depuis longtemps. Il a tenu la promesse à sa mère. Mais maintenant elle est morte et il est donc débarrassé semble-t-il de son obligation, et ce serait très bien s’il reprenait contact avec le peuple de Dieu. Mrs Purdou vint avec moi un jour chez Beja et fit sa connaissance et a promis de la visiter de temps en temps comme Beja l’en a priée. Fatima est une jeune fille qui a été en Turquie pendant quelques temps, elle lit le turc un peu et ainsi n’a pas tant de difficultés pour apprendre à lire l’arabe qui a le même alphabet. Elsa a commencé à y aller régulièrement chaque semaine pour lui apprendre. Elle est fiancée au frère d’Hallouma et a ainsi un soutien en Hallouma, dont nous espérons qu’elle est clairement du 316

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côté de Jésus, malgré toute son ignorance et ses difficultés pour comprendre et apprendre. Mais son cœur est chaleureux et intéressé. La petite aveugle Zohra a maintenant beaucoup de temps pour penser et pour entendre et elle est si volontaire et joyeuse de le faire et a réellement des facilités à apprendre. Elle aime totalement Jésus selon nous. Elsa a eu aussi particulièrement comme tâche, cet hiver, d’aller la voir. Elle est une des filles qui vint à nos classes à la villa, parfois elle était aussi présente à la réunion des mères car sa mère qui est presque aveugle ne pouvait pas aller seule. La petite pouvait alors encore voir, elle fut atteinte ensuite par la variole et alors perdit la vue29. [Après son baptême à Tunis (février 1915), Hallouma met au monde un enfant. Pour les sœurs suédoises c’est une vraie promesse d’avenir.]

Lettre du 14 juillet 1915 de Rosa à Fredda Paix ! Chère chère Fredda ! Nous avons lu ensemble la lettre arrivée hier, merci beaucoup. Bon de savoir que vous allez prendre un moment de repos en Halland. Nous nous sommes profondément réjouies de l’exaucement des prières pour Cooch Behar 30… Ici aussi la joie est immense de l’exaucement concernant Hallouma, dont vous avez déjà entendu parler. Clara est enchantée, c’est son premier accouchement parmi les femmes arabes. Maintenant je vais écrire à tout le monde, a-telle dit, car maintenant j’ai enfin quelque chose d’agréable à raconter. Nous sommes toutes reconnaissantes que Hallouma ait eu un enfant vivant cette fois. J’espère et je crois que ce sera un témoignage 29 Les femmes citées dans ce texte le sont encore dans les articles de la revue des années 1950 et 1960, souvent associées à leurs filles qui ont suivi leurs traces, sans pour autant se faire baptiser. 30 Le principal terrain missionnaire de la KMA, dans un royaume autonome au nord-est de l’Inde, lancé quelques temps avant celui de Bizerte sur les mêmes principes il dispose de plus de moyens et engage une coopération avec des missionnaires masculins plus précoce, d’où ces prières. En 1994 Cooch Behar comptait 30 paroisses ‘luthériennes’ et 4000 membres.

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de plusieurs façons. Le septième jour après la naissance de l’enfant il est habituel d’avoir une sorte de baptême – car alors la petite vie est baignée pour la première fois avec plusieurs cérémonies, et le nom de Mahomet et la bénédiction sont alors récités. Rien de cela n’a eu lieu. Ils ont eu le courage de rompre avec ceci et c’est grand. Deux autres femmes m’ont demandé hier si Hallouma fera ‘Säbah’ – c’està-dire la fête du septième jour. Non dis-je tout a été réalisé le premier jour. Ces deux-là savaient bien ce que je voulais dire. Fredda, continuez de prier pour Hallouma. Nous avons besoin de mères chrétiennes dans la mission, là se pose les bases de l’avenir. Oh si nous pouvions en avoir beaucoup comme Hallouma. C’est tout à fait remarquable comme elle est consciente du moment et des circonstances où elle a commencé à comprendre la parole sur le salut, et quand elle s’est clairement déterminée à devenir une chrétienne etc. Quand Miss Hammon il y a quelques semaines est venue se reposer quelques jours, nous sommes allées voir Hallouma un jour. Miss H lui a demandé si elle savait quand elle s’était réellement donnée au Seigneur Jésus. « Oui, dit Hallouma, je le sais très bien, c’était quand nous habitions tous à la Villa (Villa Boer) et quand nous avons eu la grande fête pour les filles juives et leurs mères. Toute la grande salle était complètement pleine de sorte qu’elles durent s’asseoir dans le vestibule. Pendant cette réunion je me suis déterminée à suivre le Seigneur Jésus. Nous avions eu notre fête (la fête arabe) avant, nous avions aussi reçu des cadeaux et autres mais ce ne fut pas là que je me suis donnée à Lui, non ce fut pendant la fête juive. Combien d’années cela fait je ne le sais pas mais vous le savez (me dit-elle) ». Ceci était un témoignage clair. Une femme arabe s’est déterminée à suivre Jésus lors d’une réunion juive ! ! Je me souviens aussi que ce fut une fête magnifique, Sa présence était évidente. Oh, quelle grâce de pouvoir semer la Parole dans le témoignage de l’Esprit et de sa puissance.

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Lettre du 5 juin 1919 de Rosa à Fredda (pour publication dans la revue) Nos amis de la mission se souviennent peut-être d’une jeune femme nommée Fatima pour laquelle nous avions à une époque les plus grands espoirs qu’elle était « une des nôtres »31. Je me souviens si bien du jour où si courageusement elle avait rompu le jeun – ce qui pour une mahométane signifie extraordinairement beaucoup  – lorsqu’elle nous avait amené des olives et du pain que nous avions mangé ensemble. « Peux-tu douter plus longtemps de moi » avait-elle dit, « nous autres femmes n’osons pas toujours montrer notre foi » ajouta-t-elle. Après ce repas d’amour nous avons rampé toutes deux dans un coin de la pièce où nous avions épanché nos cœurs dans la prière à Dieu notre Sauveur. Cela arriva il y a quelques années. Cette jeune femme a ensuite dû connaître beaucoup d’amertumes dans la vie. Mariée à un parent par la suite, ils partirent pour l’Algérie. Là elle a eu beaucoup de peines, fut séparée de son mari puis mariée à un autre qui est mort ensuite. Maintenant elle est revenue ici et nous avons même dû l’aider matériellement car elle manquait du simple nécessaire. Reste-t-il dans cette âme une étincelle cachée de la vie qu’elle a possédée jadis ? Aicha est une autre des pierres précieuses que nous attendons de voir rayonner dans le corps du Sauveur. Son histoire est bien connue de nombres d’entre vous… Beja est aussi une de celles dont le Seigneur dit : « tu es cher à mes yeux et hautement appréciée et tant aimée (Es. 43, 4) ». Comme nous espérons qu’elle puisse répondre à cet amour et franchir le pas pour suivre Jésus. Je crois qu’elle est sur le point d’en évaluer le prix. Zohra l’aveugle en a été très près, mais le courage a manqué et peut-être aussi la loyauté. Sa mère et ses autres proches semblent être résolument contre la vérité de Jésus. Habiba et Djeneina deux charmantes jeunes âmes ont bien vu la gloire de Jésus, bien qu’encore à distance, ah puissent-elles avoir le courage de « venir et voir ».

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Dans une correspondance du 4 juillet 1905 Rosa écrivait : « Notre chère Fatima est maintenant libérée de la tyrannie de son père : il est mort hier. »

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Hallouma serait sans doute la meilleure, mais nous avons besoin de la soutenir par la prière, elle a besoin de se ressaisir, d’être sauvée du péché et de sa fréquentation – surtout le mensonge et ce qui s’en suit ici. 1934 « Une œuvre de patience » par Rosa Marcusson (p. 49-62 du livre des 40 ans de la KMA) (…) La mission dans un pays de ce genre est une œuvre de patience. L’Islam ne pourra jamais être réuni au Christ. Cela fait bouillir l’âme d’un musulman d’être forcé de tolérer le messager du Christ, mais l’amour et la patience vaincront. Je me souviens bien, lors des premier temps, combien la joie était prompte lorsque des portes s’ouvraient et qu’on pouvait approcher les âmes d’un peu plus près. Tout le monde comprend l’amour, surtout quand il est clair qu’il n’est pas donné par calcul – même une femme musulmane ignorante sait mesurer et peser nos actes. « Maintenant je vous ai éprouvées », me disais un jour une jeune et aimable femme – il s’agissait juste d’un peu de matériel de couture, « tu avais promis et tu as donné ». Je me souviens d’une jeune épouse aux bras couverts de bleus, punie pour avoir reçu la visite des missionnaires. Le mari l’avait aussi menacée de l’enfermer à double tour dans la maison afin qu’elles ne puissent revenir. Elle nous avait alors prier d’écrire Jean 3 : 16 sur une carte : « je la cacherai et la lirai quand je serai seule avec les murs ». Et avec quelle joie elle pressa la carte avec ces paroles contre ses lèvres et son cœur : « Dieu m’a tant aimée, Teitoum (avait-elle l’habitude de dire), qu’il a donné son seul fils pour moi ». …La guerre et l’après guerre ont entraîné de grands changements en Afrique du Nord et je suis heureuse d’y avoir participé. Actuellement on peut librement visiter une femme musulmane et se sentir une invitée appréciée et bienvenue aussi par le maître de maison. On peut réunir des enfants dans une classe de couture, à l’école du dimanche, pour la fête de Noël où l’on apprend des chants et des paroles de la Bible, parfois un paragraphe entier par cœur. Même les femmes viennent mais surtout pour recevoir des médicaments. Mais ne pas s’aveugler : le nationalisme actuel dans de nombreux pays 320

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empêche plus ou moins, même en Afrique du Nord, le travail missionnaire32 ».

De l’enfance à l’âge adulte : former des chretiens Face aux lois françaises sur l’école, les sœurs suédoises réussissent plus ou moins à contourner l’obstacle, de même concernant l’objectif d’accueillir à demeure des enfants, abandonnées ou confiées par les parents. Dans un premier temps cela a concerné de petites italiennes, souvent catholiques, que les sœurs ont accueillies malgré les réticences de Stockholm, cela permettait de rassurer les autorités locales. Mais le vrai but a toujours été de recevoir des enfants musulmans et d’en faire de bons chrétiens, accédant progressivement au baptême, réalisant un mariage chrétien et si possible se mettant au service de la mission. Vu les moyens de la KMA, ce travail ne pouvait concerner qu’une petite poignée d’enfants à la fois.

L’impossibilité d’un travail scolaire et les arrangements avec la loi Le contournement de la loi française Lettre du 3 mars 1905 de Rosa à Fredda …Du côté du gouvernement français il y a aussi des difficultés. La petite école de fille de Tunis [NAM], pleine d’espérance, est fermée. Personne, ne pouvant présenter son « brevet », n’a le droit d’exercer un emploi scolaire et même si on l’a il faut présenter une demande d’autorisation. Le demandeur doit d’abord louer une pièce adaptée et l’installer, une photographie de ceci doit être fournie avec la demande et lorsque tout est prêt, on risque cependant de recevoir une réponse négative. C’est là la prescription de la nouvelle loi.

32 Cette dernière remarque est à mettre en relation avec les violentes attaques dont le travail de son amie Maria Ericsson avait fait l’objet dans la presse musulmane radicale en Égypte suite au « scandale Turkyia Hasan » : Turkya Hasan était une ancienne élève de l’école de Maria Ericsson, en 1933 elle avait dénoncé le prosélytisme, le mépris du Coran (placé dans les toilettes selon elle) et les pressions spirituelles exercées sur les jeunes filles (notamment le vocabulaire millénariste cher à Maria). La presse et les autorités s’étaient saisies de l’affaire et une loi contre les écoles et les médecins missionnaires avait été promulguée. Voir aussi H.  J. Sharkey, American Evangelicals in Egypt, p. 124-126.

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Tout ceci est très éprouvant pour nos chers frères et sœurs. Pas plus d’une des sœurs n’a le dit « brevet », en fait une des nouvelles venues qui ne connaît pas l’arabe, mais je pense qu’elle va essayer de présenter une demande. La difficulté est qu’elle ne peut pas charger quelqu’un de l’aider s’il n’a pas le « brevet ». Il faut voir comment tout ceci va se terminer… La prochaine fois se seront bien tous les dépôts bibliques qui seront attaqués. Ils imagineront bien quelque chose de nouveau. Ah combien d’obstacles ne dresse-t-on pas pour empêcher ces pauvres mahométans de venir à la vérité et à la connaissance. J’ai écrit à Elna [Stenius] sur les nouvelles règles pour l’enseignement scolaire. Mieux vaut que Elna et Anna [Eklund] viennent munies de leurs notes au cas où ce serait possible d’avoir une autorisation du gouvernement pour ce travail scolaire. Si cela réussit la mission se trouvera dans une position beaucoup plus assurée qu’auparavant. Mr Purdou m’a conseillé d’arrêter d’enseigner la lecture à nos filles arabes jusque là, car naturellement toutes les classes en tous lieux vont être visées, cependant notre petite classe est bien plus privée depuis que nous avons dû abandonner la pièce louée, car la famille à laquelle on la louait a dû repartir pour l’Algérie. Les filles que nous enseignons appartiennent toutes à la famille et l’enseignement se passe à domicile chez elles, avec l’autorisation du père, donc c’est une très grande différence avec l’école de Tunis. Il vaut mieux, dans les écrits et dans les discours, ne pas l’appeler une ‘école’ mais une ‘classe de travaux manuels’. Les filles sont cinq, la plus grande a bien 18 ans. Deux d’entre elles lisent vraiment bien l’arabe bien qu’elles ne comprennent pas encore bien ce qu’elles lisent. Elles aiment tellement chanter. Elles ont appris six nouvelles chansons en vraiment très peu de temps et cela dans la langue écrite et en outre quelques unes en langue parlée. Nous avons récemment commencé : « The Hundred Texts », un recueil de paroles choisies qui, lorsque les enfants les ont apprises, leurs donnent une clair connaissance sur la voie du salut. C’est très bien pour les écoles du dimanche en Suède, mais nous devons nous assurer que ce n’est pas trop difficile à suivre pour elles ici. Nous avions pensé louer une pièce pour le nouvel an arabe, quand presque tous changent de logement, pour commencer une nouvelle classe dans un autre quartier de la ville arabe, mais c’est plus raisonnable d’attendre et espérer et voir comment ça se passe à Tunis. Il s’agit d’être si prudentes dans tout ce qu’on entreprend… 322

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Oh nous devons prier, prier et ainsi vaincre la puissance terrible des ennemis et gagner le pays au Christ. Ce sont des temps mauvais que nous vivons, mais Sa main n’est pas si courte qu’Il ne puisse aider. Nous verrons des choses merveilleuses si nous croyons. L’école du dimanche Lettre du 25-28 mars 1915 de Rosa à Fredda Nous avons fait de nouvelles tentatives pour faire venir des filles arabes à l’école du dimanche. Maintenant ça a bien marché deux dimanches de suite. Dimanche dernier 17 sont venues et ce fut bien agréable. Mais elles ne peuvent pas venir sans que nous sortions pour aller les chercher…. Le 28. Aujourd’hui nous avons eu 25 enfants arabes à l’école du dimanche, c’est presque trop. Croire que ceci va pouvoir se poursuivre sans entrave ? J’ai bien cité avant dans la lettre que nous avions essayé une telle chose et c’est maintenant la troisième fois. D’abord huit puis 17 et aujourd’hui 25. Lettre du 14 et 21 juillet 1915 de Rosa à Fredda Dimanche dernier nous avons eu la fête de l’école du dimanche pour les enfants arabes. 32 petites étaient rassemblées, une petite foule agitée. Des petits foulards et mouchoirs et jouets constituaient les cadeaux pour les plus petites. Toutes furent très ravies sauf celles qui n’ont rien eu : car, et c’est une question de justice, celles qui n’étaient pas venues à l’école du dimanche mais seulement invitées à la fête n’ont pas reçu de cadeaux, juste mangé des gâteaux. J’espère que ça servira. Il y en a vraiment beaucoup qui sont déjà venues aux ouvroirs les jours après la fête… Le 21. Clara est maintenant retournée à Dar Fartouna pour aider des petites filles qui viennent coudre, elles auront bien sûr un ‘moment biblique’. Elles ne sont pas nombreuses mais c’est cependant mieux d’être deux avec elles. Je suis si joyeuse qu’elles reviennent, grâce à la fête de l’école du dimanche. Les petits cadeaux ont fait de l’effet.

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Un « foyer » pour enfants musulmans en priorité Les débuts vus avec un peu de recul : Anella, Aicha et les autres 1934 « Une œuvre de patience » par Rosa Marcusson (…) Quand Mlle Maria Ericsson et moi, après presque 10 ans de travail en Algérie et des vacances en Suède, sommes allées à Bizerte comme missionnaires de la KMA, notre plus cher désir a été de prendre soin des enfants. Mais on a réussi à ne trouver qu’une seule petite fille musulmane qui pouvait venir habiter chez nous. Peu à peu on a eu accès aux maisons et après, ça et là dans les maisons, on a organisé de petites classes de couture. Et finalement – quelle victoire – nous avons eu plus d’une douzaine de petites filles arabes qui venaient en classe de couture chez nous. Nous habitions dans une rue étroite au milieu de la ville arabe, de sorte que il était facile de venir chez nous. Même quelques femmes osaient venir. C’était un miracle. Parmi les toutes premières filles qui vinrent et continuèrent régulièrement il y avait Aicha et ses deux sœurs. D’une famille pauvre, le père gagnait 1 franc 20 par jour et avec une famille de 7 personnes. Les vêtements des fillettes étaient toujours très propres et bien raccommodés, et la seule pièce de la maison rangée admirablement. Ne pourrions-nous pas nous occuper d’une ou plusieurs de leurs filles ? Nous nous étions surtout fixées sur Aicha. Elle était vive et prompte à apprendre et aussi à coudre et faire du crochet. Elle avait aussi des facilités pour se souvenir et apprit vite quelques petites strophes des chansons et des paroles de la bible. Alors vint l’occasion. La sœur la plus âgée de Aicha avait été donnée à un jeune parent et donc il fallait coudre pour son trousseau. Ils avaient vu que nous avions une machine à coudre, pourraient-ils l’emprunter ? Non, on ne peut pas la prêter mais on promettait d’apprendre à Aicha et de la laisser coudre tous les jours si elle pouvait venir chez nous. C’était trop tentant. Aicha vint chaque jour, voilée bien sûr, mais peu à peu elle put rester nuit et jour. Ainsi nous avions la première fille arabe chez nous et elle était contente, si contente. Elle arrivait au milieu d’un groupe de trois enfants, frère et sœurs, italiens sans mère qui chez nous depuis un ans (leur histoire : un jour un homme venu chez nous avec une petite fille de 4 ans et 324

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son petit frère de 2 ans, le petit avait eu la variole, faible. Le père en larmes pria de s’en occuper en plus d’une fille plus âgée de 12 ans, Anella qui n’est pas chez lui par peur du fils du voisin à qui il l’a refusée). On n’a jamais eu à regretter d’avoir eu ce don. Ce n’était certes « que des enfants italiens », mais ils nous ont donné une grande joie. L’été dernier j’ai rendu visite à notre Anella et à sa famille à Gênes. Le mari est employé des douanes et avec deux filles à la maison (vraie ‘joie de missionnaire’ de voir le bonheur de cette famille dans la piété pour le Seigneur). La petite sœur d’Anella, Nina, est toujours en Afrique du Nord avec son mari à Bougie. Une autre fille italienne a séjourné chez nous quelque temps, actuellement elle travaille au service de la mission ici en Afrique du Nord. « Juste des enfants italiens » ! Et c’est parmi eux qu’on accueillait une fille musulmane. C’était un miracle. La plus grande prudence était exigée de notre part. On a écrit au KMA sur ceci. « Nous avons habillé Aicha avec des vêtements d’Anella, aplani ses cheveux et on la appelée ‘Anna’. Le dimanche, elle est allée à la campagne avec notre petite troupe. Nous avions dû transformer Aicha, sinon elle n’aurait pas pu venir avec : nous avions mis des lunettes sombres à ‘Anna’, un de nos chapeaux avec une voilette, un long imperméable et des gants. Quand nous sommes sorties de la ville, là où les enfants pouvaient jouer sans problème, Aicha à sa grande joie a pu se débarrasser de son camouflage et courir librement partout. C’était un tel plaisir pour elle de pouvoir être aussi libre, de pouvoir sortir, voir des gens et regarder dehors par la fenêtre. Aicha avait le même âge qu’Anella et elles étaient bonnes amies. Quand Anella arriva chez nous elle était une petite catholique pieuse mais très réceptive à la parole de Dieu, et cela n’a pas pris longtemps avant qu’elle ne donne, totalement et réellement, son cœur au Sauveur. Elle avait alors une influence très grande et très positive sur sa camarade musulmane. Aicha était intéressée et studieuse et après quelques temps il fut évident qu’elle aussi aimait réellement Jésus et voulait le suivre. Cependant elle dut bientôt être séparée de son amie qui fut envoyée dans une école en Italie. Elle resta chez nous qui étions d’accord avec le père pour la marier le temps venu. Et ce temps vint vite. En 1904, Aicha avait alors sans doute 16 ans, on célébra ses 325

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noces avec un jeune chrétien arabe (Sid Azzedine Kallel). Quelques semaines avant le mariage elle fut baptisée… Rien ne montre plus l’extraordinaire différence entre avant et maintenant en Afrique du Nord que la comparaison entre les années de jeunesse d’Aicha et les jeunes qui depuis la guerre ont reçu leur éducation dans des maisons de la mission. Les filles dans ces maisons n’ont jamais porté de voile et se déplacent hors de la maison avec un degré de liberté inconnu dans ce pays… Une nouvelle époque lutte avec l’ancienne. Il y a combat entre le bien et le mal ici comme partout. Les jeunes qui sont en première ligne ont besoin d’être soutenus par beaucoup de prière. » L’histoire de Joseph Lettre du 28 novembre 1909 de Rosa à Fredda extrait publié dans la revue 1910, n° 2 Beiji est venu hier avec un petit garçon arabe de 6-7 ans, il dit qu’il vient de Dakha, amené par quelques travailleurs qui apportaient des produits à vendre. Il dit qu’il est parti le jour de la mort de sa mère, que son père est déjà mort et qu’il n’a pas de sœurs ni de frères. Il a erré le long des rues plus ou moins nu – hier une Française (à un café) lui a donné un pantalon et une veste plus une pomme et a demandé à Beiji d’appeler un policier pour s’en charger. On n’a pas pu faire autrement que de l’accueillir. On verra ce qu’on fera. Que faire si personne ne le réclame ? Le mieux est de le déclarer à la police. Il est malade. [Le soir de Noël 1910 une lettre du ‘Contrôleur civil’ indique que Joseph devra être conduit le 6 janvier dans sa région d’origine, dans sa famille. La mobilisation des missionnaires sur ce cas transforme le jeune garçon en modèle de réussite missionnaire, mais la fin de l’histoire est moins glorieuse.]

Lettre du 24 mai 1911 de Rosa à Fredda Ils [les méthodistes] ont ouvert à Constantine une maison pour les garçons arabes et pour les filles si possible et à Tunis de même. Je l’ai appris par miss Horworth et il a été proposé même de chercher à y envoyer notre Joseph (à Constantine au moins car miss H ne savait 326

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pas encore pour Tunis) et puisqu’il semble trop difficile d’avoir l’autorisation de la part des autorités de l’envoyer hors du pays, alors j’en ai parlé avec le Dr Frease. Le dimanche matin avant la réunion Dr F m’a devancée et en a parlé. Nous pensons qu’il y a une évidente inspiration divine à propos de ce garçon. Ils l’acceptent volontiers et il sera le premier garçon du foyer pour enfants, en attendant il habitera chez Mr et Mrs Cooksey qui logent maintenant à Tunis aussi. Là il sera sous l’autorité d’un homme ce dont un garçon arabe a tellement besoin en grandissant, il pourra aller à l’école et être formé dans les conditions des indigènes. Maintenant la question est de savoir si « Våra Minsta33 » désire et veut contribuer à l’entretien de Joseph comme avant… Lettre du 14 janvier 1912 de Rosa à Anna ‘Joseph story’, à ta demande j’ai écrit ce texte pour une revue anglaise, une revue pour enfant surtout, et la NAM veut aussi l’avoir ainsi qu’une française pour la revue de l’Union Chrétienne de Jeunes Filles. Je l’envoie en Suède au cas où vous en auriez l’usage, même si c’est plus ou moins le même que celui paru dans la revue, Elsa traduira, sinon qu’on le renvoie car cela évitera de réécrire si quelqu’un d’autre le veut. Lettre du 29 janvier 1912 de Rosa à Fredda C’est à propos de Joseph qui s’est enfui de la maison pour la 5ème fois. Il a certes eu cette habitude depuis ses plus jeunes années mais cela devient pire avec les ans. Nous avons découvert qu’il a fugué ainsi de chez les uns et les autres, tout le temps. Nous avons vraiment fait de notre mieux avec lui et récemment nous nous sommes pressées de le mettre à l’école française, mais les instituteurs sont si mécontents de lui, il n’a pas envie de rester calme et d’apprendre quelque chose. Il a plusieurs fois parlé qu’il voulait rentrer chez lui dans sa famille mais nous avons alors pensé qu’il oublierait le passé. Samedi passé, il y a huit jours, il est parti pendant trois jours et pendant ce

33 Littéralement : « Nos plus petits », association au sein de la KMA fondée en 1902 et regroupant des enfants suédois dont les cotisations assuraient les frais d’entretien d’un enfant du terrain missionnaire par un système de parrainage.

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temps nous avons essayé de toutes les façons possibles de le trouver, mais mardi soir c’est la police qui l’a ramené, il avait été trouvé à Ferryville, la 3ème gare ferroviaire de Bizerte. Son idée était de partir chez les siens mais il n’avait pas trouvé le chemin. Il est tout à fait clair qu’il ne restera pas. Une terrible responsabilité. J’en ai parlé avec le Contrôleur Civil ici car c’est par lui que j’ai eu ce papier qui nous lie et nous rend responsable de ses actes. Il m’a conseillé de le renvoyer maintenant, avant que quelque chose de plus grave n’arrive car ces petites escapades continueront. Je n’ai qu’à lui écrire une lettre, sa réponse me libèrera totalement de cette responsabilité (car ce papier est à mon nom). J’ai écrit aux amis de Tunis. Purdou a répondu qu’il pense sage de laisser le garçon repartir au pays. Je demande l’avis du Comité même si je suis prête à décider car il y a urgence. L’enfant parle tous les jours, tout le temps de repartir chez lui, oui il en a assez d’ici le pauvre. Lettre du 31 mars 1912 de Rosa à Fredda Jeudi dernier, avec Elsa, on est allé salué Joseph à Mateur : il est en bonne santé, plus à l’aise et même un peu gras et pleinement heureux de nous voir et s’est tenu près de nous tout le temps. On en a profité pour vendre une bonne quinzaine de livres et dans le village on en a laissé au chef dont le petit-fils est instituteur et pourra les leur lire ! On a eu une réunion dans la maison du chef avec ses femmes et enfants rassemblés, Joseph était avec nous et a chanté courageusement et lu à haute voix des passages de la Bible quand on lui a demandé. On a conduit la conversation sur le « Livre sans mot » ; Joseph a voix haute et claire « Nous ne sommes rachetés ni avec l’argent ni avec l’or possédé… ». Par la suite il pourra peut-être devenir un petit missionnaire ici au village puisque tous ont vu et entendu qu’il savait quelque chose sur cette voie, sinon il était très effrayé avant de nous laisser et, lorsqu’on lui dit qu’il devrait essayer de raconter ce qu’il avait entendu sur Jésus aux siens dans le village, il dit : « Oh, si je parle de Jésus ils vont me tuer ». Cela il l’avait déjà compris clairement, si jeune et si petit qu’il était [il a alors 9-10 ans].

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La deuxième génération de filles : espoirs et déceptions Lettre du 14 mai 1911 de Rosa à Fredda …Elsa a elle-même écrit sur l’idée concernant le jardin d’enfants et l’occasion de se mieux former pour cela pendant qu’elle est en Suède. Oui ça semble un bon plan, car sûrement c’est le travail parmi les enfants qui est le plus important et pour lequel nous ne sommes jamais assez formées. Nous espérons beaucoup de cette maison. Je crois que nous pouvons ici rassembler vraiment beaucoup d’enfants, et comme c’est beau de travailler parmi eux de façon régulière. Et ce serait bien une raison pour que Elsa saisisse l’occasion maintenant qu’elle est à la maison. Que le Seigneur dans son immense grâce nous montre ses voies et ses plans, et que vienne Son Esprit vivifiant et que soit glorifié Son nom parmi nous. Lettre du 9 octobre 1913 de Rosa à Fredda Ainsi nous avons reçu une petite fille douce et charmante, la fille de Beja, ces jours-ci. Je fus presque stupéfaite quand courageusement elle mit en pratique ce dont elle avait parlé si souvent auparavant. La petite Mundjia a cinq ans et pas du tout une fille de la rue. Elle va actuellement à l’école et elle est appréciée de tous. C’est une adorable petite. Elle est chez moi toute la semaine sauf jeudi et dimanche. Heureusement nous avions encore des vêtements d’enfant reçus de Suède et qui avaient été trop petits pour Tittina mais parfaits pour Mundjia. Mahodjoba a aussi cousu quelques nouveaux vêtements pour elle. Les instants passent si vite quand on est seule à s’occuper de tout… Ici à Bizerte nous avons la joie pour la deuxième fois de recevoir la petite Zbeida, de même âge, je pense, que notre petite Mundjia. Sa jeune mère qui est divorcée de son mari, mais remariée avec un autre avait dit depuis longtemps qu’elle nous donnerait sa fille, mais ce n’est pas si facile quand il s’agit de le faire. Elle est venue chez nous cependant quelques jours avant l’hiver ou le printemps, mais alors ce fut la petite elle-même qui ne voulut pas venir, elle était si habituée à être libre dans la rue. Nous verrons bien si le séjour sera plus long cette fois. Nous l’espérons. Mundjia est très heureuse d’avoir une petite camarade, 329

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elle aime beaucoup Zbeida. Mais nous ne savons pas encore comment ça ira. Ce peuple est si peu fiable et l’égoïsme est si grand. Mundjia a de tels penchants à être égoïste et jalouse, elle a besoin d’une camarade. Une petite fille nous est promise dans un gros village proche de Nabeul mais pas du tout certain. Oui nous ressentons bien que l’œuvre de Dieu parmi ce peuple avance lentement. Chaleureuses salutations de nous toutes. Une grâce que nous puissions vivre dans une telle paix et un tel calme encore. Lettre du 24 mars 1914 de Rosa à Fredda La petite Mundjia est très douce et gentille. C’est une nécessité de devoir semer dans ce cœur d’enfant la noble semence. Le dimanche matin elle va au culte français et peut commencer à comprendre un peu de ce dont on parle. Dimanche dernier elle avait compris que le pasteur avait lu sur Lazare. Le soir après que je l’ai couchée elle m’a demandée de lui raconter ce qui avait été dit à « la culte » et ensuite je lui ai raconté sur Jésus chez Marthe et Marie et le réveil de Lazare elle fut si enchantée et dit : « oh je sens que mon cœur sourit, ou je sens que ça sourit en dedans dans mon cœur ». Mais nous devons prier pour l’avenir de l’enfant que les plans qui déjà sont proposés par le beau-père ne puissent devenir réalité34. [En avril 1915 Rosa espérait accueillir deux fillettes de Nabeul qu’on lui avait signalé, finalement ses espoirs sont déçus.]

Lettre du 14 juillet 1915 de Rosa à Fredda Je n’ai jamais vraiment parlé de ma visite à Nabeul et la fin de la promesse sur l’enfant trouvé et sur l’autre de quatre ans. Ma carte est sans doute arrivée au KMA qui sait donc que nous ne les avons pas eues. Ce fut une grosse erreur de Mrs Gamati35 qui avait écrit que le bébé pouvait être obtenu. Non au contraire. La femme arabe

34 Les parents et l’ancien mari de Beja essaient de lui enlever sa fille car elle logeait chez les chrétiens, les sœurs la surveillaient de près par crainte d’un rapt brutal (lettre du 17 mars 1914). 35 Missionnaire anglaise, née Harding, ayant épousé le premier arabe converti de Tunisie, selon Rosa.

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qui était devenue sa nourrice est une mahométane très fanatique et elle ne voulait bien sûr pas la lâcher. Elle est aussi réellement attachée à l’enfant, elle a un droit sur elle. Mais si nous avions pu la prendre tout de suite le matin même où elle fut trouvée, alors elle aurait été nôtre. L’enfant est très douce, mais je ne crois pas que ce soit une enfant arabe, elle n’y ressemble pas, non elle a le type européen – peut-être juif. Mrs G m’a accompagnée au village où la deuxième petite de 4 ans se trouvait. Oh, un si pitoyable petit être, si plein de crasse et de vermine, c’était au-delà de toute description. Mais je pensais bien la prendre pour cette raison même, mais la mère est totalement dominée par son mari, dont elle était séparée depuis quelques temps mais juste récemment à nouveau réunis. Elle disait que je pourrais avoir la fille et comme un signe d’amitié j’avais promis à la mère un bon bout de tissu pour des vêtements pour elle. Mais la fille devait venir avec la mère à Nabeul le jour suivant, et je devais alors la laver et l’habiller, mais mon idée était en fait de la faire voir par un docteur aussi, bien que je ne l’aie pas dit à la mère. Cependant elle ne vint jamais avec sa fille et nous avons compris alors qu’elle s’était ravisée. Oui nous devons tout recevoir de la main de Dieu, ceux qu’Il nous donne à élever pour Lui, nous devons les prendre et L’en remercier. La fille aurait sûrement été dévouée et charmante, elle grimpait déjà jusqu’à mes genoux, bien que c’était presque insupportable de l’avoir si proche dans l’état où elle était. La constitution d’une famille chrétienne : Aicha et Azzedine Un mariage arrangé par les missionnaires Texte d’un article pour la revue par Maria Ericsson, 1904 Il y a à peu près deux ans, le Seigneur nous a conduit à donner une promesse grave à un de nos voisins arabes, Sid Muhammad [Maktouf ] le père d’Aicha. Selon la loi musulmane le père vend ses filles à leur futur mari et il n’est jamais question d’amour, les jeunes ne se voient pas avant la noce. Les fiançailles se font de sorte qu’une femme âgée, souvent une parente du jeune homme, va dans la maison de la fille, la voit et s’informe sur elle puis rapporte cela au jeune homme. Si lui et sa famille sont contents de ces informations ils font une offre variant 331

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entre 5 et 10 000 francs selon les moyens et l’appartement. Les pères se rencontrent et une fois la chose réglée, le contrat est écrit et signé par un légiste spécialisé. La fiancée parfois ne sait rien et dans tous les cas ne connaît pas son futur époux et lui ne la connaît pas. Pour sauver notre chère Aicha de cette vente et l’empêcher d’être unie avec un musulman nous avons promis au père, avec l’aide de Dieu, de marier Aicha et d’organiser tout son trousseau – si seulement le père voulait nous donner Aicha et promettre de ne pas la vendre. À cela le père a répondu qu’il avait une totale confiance en nous et ne la vendrait pas. Notre prière a alors depuis été que Dieu puisse nous envoyer un homme qu’Il choisirait pour Aicha. En décembre dernier nous reçûmes une lettre de Miss Grisell de Tunis avec la demande d’un arabe converti là-bas [Mohamed Azzedine Kallel, 1884-1917] de pouvoir venir voir Aicha. Nous ressentîmes tout de suite de la confiance pour le jeune homme, lorsque Miss Grisell écrivit qu’un riche oncle lui proposait sa fille, une belle et intelligente arabe, mais qu’il avait refusé de la prendre puisqu’il avait vu dans la Parole de Dieu qu’un chrétien ne pouvait pas s’unir avec une musulmane. Lorsqu’il vint ici il nous dit qu’il avait été très tenté et prêt à renoncer « cependant je ne pouvais avoir d’amour pour elle ». Ceci nous réjouit beaucoup qu’il ait besoin d’être uni dans l’amour avec sa femme et non à la façon musulmane : comme une affaire. Il dit : « C’est pour toute la vie car Dieu déteste le divorce, pour cela je veux savoir si Aicha m’aime ». Nous n’avions pas parlé à Aicha de la venue d’Azzedine ici ni de son objet. Quand nous avons des arabes ici Aicha a l’habitude de ne pas se montrer, mais cette fois nous lui avions dit de servir à table et qu’un jeune monsieur arabe de Tunis mangerait chez nous, elle n’avait cependant pas besoin d’être gênée, car le jeune homme est croyant et en outre un étranger d’une autre ville. Avant d’entrer dans la salle à manger, Azzedine sut que Aicha ferait le service, et nous tombâmes toutes à genoux pour prier que Dieu bénisse leur première rencontre et mette dans le cœur d’Azzedine plein de certitude sur la volonté de Dieu. Ce fut avec un merveilleux sentiment que nous sommes allées dans la salle. Que voulait donc faire Dieu de ces deux chères âmes ? J’aurais souhaité que nos amis en Suède aient pu voir Azzedine, il était le modèle parfait de l’Arabe plein de tact et de délicatesse. On ne pouvait pas remarquer qu’il avait 332

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vu Aicha. Après le repas nous sommes sortis pour une promenade – Aicha allait et venait si librement et joyeuse comme une enfant, cueillant des fleurs ; Azzedine l’observait avec le plus profond sérieux, je crois qu’il priait en lui-même. Nous étions aussi convenues de prier. Lorsque le soir nous parlâmes il demanda : « Que pense Aicha de moi ? ». Nous ne pouvions répondre à sa question. Le lendemain, ils se revirent et le soir nous demandâmes à Aicha si elle avait quelque idée des intentions d’Azzedine. Tout à fait franchement et simplement elle répondit : « Oui, je l’ai compris ». A nouveau nous demandâmes ce qu’elle pensait de lui, si elle voulait devenir son épouse : « Je veux ce que vous faites ». « Non, avons-nous dit, tu dois décider toimême, être claire dans ton esprit ». Elle ne pouvait pas vraiment rendre compte de ses pensées car cela venait tellement rapidement à elle, mais elle se sentait bien attirée par lui. Le jour suivant Azzedine demande de pouvoir interroger lui-même Aicha et parler quelques minutes avec elle. Ils ne s’étaient jusque là pas dit un mot l’un à l’autre même pas bonjour. Il vint l’après midi si tendu et dit : « Je suis tombé à terre dans ma chambre et j’ai prié et il m’a semblé recevoir du Seigneur l’ordre de vous demander l’autorisation de parler quelques minutes avec Aicha ». Ceci allait tout à fait contre toutes les lois arabes mais nous ne pouvions pas refuser un souhait si justifié et nous lui avons expliqué que nous voulions volontiers lui accorder ceci, car ça ne va pas à l’encontre de la Parole de Dieu au contraire, et du reste nous ne voulons pas du tout prendre la responsabilité de leur union sans qu’ils aient pu tout simplement décider eux-mêmes. Nous amenâmes donc Aicha et lui la présentèrent et le laissâmes la saluer. Je ne crois pas que la conversation dura plus d’un quart d’heure. Nous les voyions sans qu’ils le sachent. Ils restèrent assis longtemps, loin l’un de l’autre et paraissaient pensifs. Quand Aicha sortit elle parla de la conversation et lui de même. Il lui avait dit qu’il avait déjà l’an dernier entendu parler d’elle par Miss Grisell qui lui avait lu une lettre de Aicha, qu’il s’était attaché à elle sans la connaître et que depuis qu’il la connaissait son cœur s’était définitivement attaché à elle, et il lui a demandé si elle pouvait tenir à lui et voulait devenir sa femme. Il raconta qu’il avait dû le lui demander quatre fois avant qu’elle se décide à répondre, mais finalement elle a donné sa parole et Azzedine lui a dit que cette promesse réciproque serait valable pour toujours. La glace était brisée et nous les laissâmes se fréquenter plus librement 333

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comme des chrétiens et non comme des musulmans. Azzedine traitait Aicha comme si elle était la lady la plus éminente du pays avec respect et vénération, et elle le regardait avec le plus profond respect. Un doux esprit de la crainte et de la profonde tendresse du Seigneur fut ressenti parmi nous. Ils avaient pris la chose comme elle devait être prise et nos cœurs s’emplirent de reconnaissance envers Dieu. Je dois dire que beaucoup de chrétiens chez nous dans nos pays éclairés auraient eu beaucoup à apprendre de Aicha et Azzedine. La prochaine étape fut de convaincre le père de Aicha car devant les lois humaines nous n’avions aucun droit de la donner, nous devions avoir le père de notre côté. Il aurait besoin de courage quand il apprendrait de quoi il s’agit c’est-à-dire que cette union se ferait à la façon chrétienne et donc totalement contre les lois et usages musulmans. A chaque fiançailles on fait un repas le soir dans la maison du fiancé pour les amis et les femmes du voisinage. On tambourine avec des « bendiren » de femmes de mauvaise réputation qui ont comme profession de chanter à toutes les fêtes où elles sont invitées. On s’amuse de cette façon toute la nuit et la fiancée reste assise immobile sur une chaise ou un banc, peinte et décorée comme une poupée. Tout ceci devait être abandonné et qu’en diraient les voisins ? Quand nous avons d’abord présenté la chose au père il répondit résolument non, il ne voulait même par discuter avec Azzedine cependant il céda et Azzedine put le rencontrer. Cela ne prit pas plus de quelques minutes avant qu’ils ne soient plongés dans une conversation confidentielle. Azzedine gagna le cœur du père et toute entrave disparut. Après quelques conversations ils furent comme deux vieux amis et le père dit : « Je ne peux dire non – nous lui donnerons Aicha, c’est ‘mektoub’ (c’est-à-dire voulu par Dieu) ». Sid Muhammad et son épouse vinrent tous les deux un soir ici, nous étions tous d’accord et heureux, Dieu avait fait une grande chose. Ce n’était pas non plus une mince affaire pour la mère d’Aicha que d’être venue jusqu’ici. Les femmes musulmanes à Bizerte pensent qu’il s’agit d’un crime religieux que de visiter les Européens. On ne peut s’imaginer la hauteur des murs qui tiennent les Arabes éloignés de nous si on n’a pas fréquenté et connu la haine du faux prophète pour le Christ. Les parents d’Aicha ont voulu cacher qu’elle était chez nous par peur des autres. Les voisins leurs ont souvent demandé : « Quelle religion avez-vous donc ? ». Ceci est une terrible question pour un musulman, pour cela 334

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ses parents avaient menti et dit que Aicha se trouvait chez des parents. Ceci nous a désolé et nous avons beaucoup prié sur ceci. C’est magnifique de voir la puissance de Dieu et ses voies. Azzedine parlait ouvertement sur sa fiancée qui était chez nous, les parents ont été obligés de dire la vérité, ceci a une grande signification. Les murs séculaires sont ébranlés à leur base. C’est un petit pas vers la clarté, car ici c’est quelque chose d’inouï qu’une Arabe soit éduquée chez des ‘nazaréens’, c’est le premier exemple à Bizerte et je crois en Tunisie. La mère d’Aicha avait une grande crainte que personne ne veuille d’Aicha en apprenant qu’elle était chez les chrétiens et voilà que par nous et nos amis arrivent Azzedine qui la demande. Dieu est si indiciblement bon et aplanit la voie. La position sociale d’Azzedine a eu un grand rôle dans ceci aussi. Les parents d’Aicha appartiennent à la classe pauvre, Azzedine est un gentleman arabe, bien éduqué, qui parle et écrit le français et l’arabe couramment, fréquente des Arabes éminents. C’était un honneur pour les parents d’Aicha d’avoir un tel gendre et ils pouvaient plus facilement supporter tous les voisins et les sarcasmes. Certains disaient au père : « Comment peux tu dormir sachant ta fille chez les chrétiens ? ». Il répondait : « Ils sont meilleurs que nous ». La confiance en nous a augmenté et nous prions pour et croyons que cette conduite de Dieu envers Aicha aura des conséquences importantes. Dieu va en user pour éliminer les préjugés et ouvrir les portes plus largement. Un des Arabes de la classe supérieure ici a dit à Azzedine : « Cette fille n’est pas de ta position sociale ». Azzedine a répondu « Elle est éduquée chez les chrétiens et sa valeur est plus grande que la mienne. » Dieu a entendu nos prières. Aicha et Azzedine ont conçu une vraie attirance et sont très heureux. C’est une grande joie que Aicha sache écrire. Ils s’écrivent des lettres si adorables que nous pouvons lire. Problèmes matériels et désaccord avec la NAM Lettre du 24 avril 1904 Maria à Fredda Depuis plusieurs semaines nous avons eu ici un désir profond que Azzedine et Aicha se marie bientôt. Nous voyons clairement que la tentation est trop grande pour lui à rester seul. Nous ne devons 335

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jamais comparer un jeune Arabe avec un jeune homme de nos pays. Miss Grissell, quand j’ai parlé avec elle l’autre jour voit la chose aussi clairement que nous bien qu’elle ne veuille pas dire un mot sur une chose qui ne la concerne pas. Convaincues que la meilleure solution est le mariage, nous avons réfléchi à toutes les façons dont nous pourrions lui prêter les 300 francs qu’il doit trouver pour les noces, sans que cela éveille trop de jalousie chez les autres convertis. Cependant je crois que si cela venait comme un ordre (invitation) de notre mission, ça servirait face aux missionnaires [de la NAM] qui sont inexpérimentés et ne comprennent pas la chose, et si nous pouvions en plus acheter le lit et le peu de confort dont ils ont besoin, qu’ensuite ils pourraient rembourser petit à petit, alors cela devrait pouvoir aller – et on pourrait toujours les reprendre si quelque chose se produisait. Lettre de mai 1904 par Arthur W. Liley aux sœurs suédoises 1. Lors du contrat il était prévu d’attendre deux ans. 2. Il ne lui a jamais fait les présents habituels (bien qu’il m’ait dit être revenu de France avec 250 francs) ni payé sa part des 300 francs de la dot. 3. En lui permettant de se marier dans ces conditions il obtient son épouse de façon trop bon marché et vous établissez un précédent qui peut poser de graves difficultés à l’avenir pour les missionnaires de la NAM. 4. Autant que je puisse le savoir vous avez totalement ignoré le Conseil de la NAM ni cherché les avis et la communauté d’esprit des missionnaires de la NAM à Tunis. 5. Toute la question est indûment menée de façon hâtive sans aucun temps accordé pour enquêter pour savoir si ces jeunes gens peuvent être légalement mariés d’une quelconque façon. 6. Très récemment encore vous étiez si mécontentes de sa conduite au point qu’il y avait des doutes sur son retour à Bizerte. Pour cela vous le récompensez avec un mariage précoce et une femme bon marché. Je vous demanderais instamment Miss Ericsson d’attendre un peu et de reconsidérer ce que ces jeunes gens sont, juste deux personnes de bonne volonté pressées de se marier.

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Lettre du 24 mai 1904 de Rosa à Arthur W Liley Sur la première objection : rien de tel n’est prévu comme accord verbal ! On a juste dit que ce n’était pas urgent qu’Aicha se marie, elle pouvait encore rester là 2 à 3 ans pas plus, mais il n’y a pas de contrat ! Et le ‘contrat légal’, lui n’inclut que 1 an et dès qu’on l’a su on a aidé Aicha à se préparer à un mariage même avant le terme d’une année, de même pour Azzedine (on a gardé ses économies et son salaire dans une caisse). Sur la deuxième je peux seulement dire que ceci est une affaire tout à fait privée, aucun présent n’a été mentionné dans leur contrat bien que quelques musulmans aient l’habitude de l’inclure en rendant les présents « obligatoires ». En outre elle a reçu quelques présents, bien que ce ne soient pas les habituels or et argent et autres ornements musulmans, qu’elle ne porte pas et dont nous espérons qu’il en sera de même dans le futur. Il y a un arrangement chrétien autant que possible, bien que le contrat ait du être fait selon les lois du pays puisque les deux sont sujets du Bey. (…) J’ai choisi de vous parler à cœur ouvert, que l’Esprit Saint vous guide dans votre travail et dans vos pensées et jugements sur les questions mentionnées ci-dessus. Lettre du 25 mai 1904, de Maria à Arthur W. Liley Comme je le vois, vous avez eu un mauvaise compréhension de ce qui est en cours à Bizerte, et il y a aussi beaucoup de choses que vous ignorez à ce que je vois. En règle générale c’est une très bonne chose d’être très bien informé avant de juger sur des faits spécialement quand nous sommes à distance. (…) Mademoiselle Marcusson vient juste de répondre à vos objections n° 1 et 2. Donc je commence avec la n° 3. Premièrement nous n’appartenons pas à la NAM de la même façon que vous, nous avons notre propre conseil et n’avons rien à faire avec l’Angleterre excepté le fait d’être lié ensemble dans l’amour et la sympathie. Nous sommes là, dans notre petit coin, une mission suédoise et avons notre propre travail conformément aux désirs de notre comité. Dans toutes les questions nous en référons à notre propre conseil à Stockholm et c’est ainsi que nous avons fait pour ce cas. Elles ont souhaité le mariage de nos jeunes gens depuis longtemps mais nous avons dû répondre que cela ne pouvait se faire en ce moment (…). 337

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En ce qui concerne les aspects matériels, Azzedine a acheté le lit et tout ce qui y est lié pour 130 francs payés par lui-même. Puis il a acheté par nous 20 francs de meubles qu’il a aussi payés. Dans son coffre, où je garde son argent, il y a 96 francs gagnés par ses leçons, écritures, commissions etc., de plus un ami lui offre 100 francs pour son mariage (un monsieur français très riche)… J’ajoute seulement qu’ayant la décision de notre comité (même si elles savaient que vous à Tunis seriez contre nous parce que je leur l’ai dit, à quoi elles ont répondu qu’elles prieraient pour ceci et que le Seigneur préviendra tout problème), nous agissons avec parfaite assurance et ce serait très dur pour notre petite mission suédoise, supportée en Suède et ayant toujours eu affaire à son propre conseil et ayant des amis intéressés et ayant son propre petit coin où nous travaillons, si elle devenait à ce point dépendante comme vous le proposez dans votre lettre. Quand à vos convertis, vous n’avez qu’à leurs dire que ceci est une mission suédoise et que nous avons un autre conseil etc., et aussi si vos convertis connaissent la vérité dans cette affaire ils resteront calmes et n’auront pas un seul mot à dire. Maintenant la n° 5. Ce n’est pas hâtif, on y a toujours pensé depuis un an et le Seigneur l’a maintenant rendu possible. Il n’y a pas de doute sur le fait qu’un mariage légal est possible ! Sur la n° 6 : je pense, M. Liley, que des choses si personnelles n’ont pas à être mentionnées ici et n’entrent pas du tout en ligne de compte. Si le Seigneur nous avait traitées, vous et moi, de la sorte qu’aurions nous été ? Il n’a pas eu sa femme à bon marché. Elle est très précieuse et comme vous le voyez il sera capable de payer presque tout avant le 13 juin. Nous désirons que ce soit fait avant que la grande chaleur commence et avant que vous tous quittiez Tunis. C’est si difficile de se déplacer lors de la grande chaleur. [À la même époque, Maria informe directement le président de la NAM, E. Glenny, en répétant ses arguments et annonçant le baptême de Aicha le 21 mai par Mr Purdou, qu’elle présente comme totalement ignorant des difficultés faites par W. Liley. Elle termine en déclarant : « Nous sommes convaincues d’avoir agi le mieux possible (et d’avoir raison) ».]

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Les aléas d’un couple entre tradition et émancipation En 1910 des rumeurs de divorce pousse Rosa à venir à Tunis, mais Anna Eklund avait déjà réconcilié le couple, Azzedine semble alors perçu comme le seul responsable. En 1913 la situation s’aggrave.

Lettre du 5 février 1913 de Rosa à Fredda …Aicha a tout à fait été dans de difficiles tentations ces derniers temps quand il a été question de divorce. C’est bien impensable qu’elle puisse rester non mariée, et je n’ose pas croire qu’elle-même aurait le courage de ceci ni la volonté de l’être. Aussi faut-il se préparer à temps à une nouvelle union ! ! ! Mais maintenant son mari a écrit longuement des lettres les plus aimantes et dit qu’il va bientôt venir pour l’emmener avec lui à Alger où il a son emploi. De cela il en avait déjà été question avant, mais elle a toujours refusé de le suivre. Maintenant je crois qu’elle le fera. Elle a bien aussi une grande part dans leur « ménage malheureux » comme elle dit, car elle est terriblement froide, dure, inflexible, et sombre et renfermée quand elle s’y met. Mais je pense que ces derniers temps des choses et faits se sont produits qui ont pu servir à lui montrer qu’elle n’est pas toujours parfaite et sans faute non plus. Oh, que l’Esprit Saint de Dieu puisse briller dans le cœur de ce peuple fier et fasse d’eux des pécheurs ! Lettre des 30-31 août 1913 à ‘bien aimées sœurs’ par Rosa Marcusson [restée seule à Bizerte] Je viens juste de finir une lettre si sombre pour Clara que je trouve presque dommage de l’envoyer. Et je vais commencer sur le même ton avec vous. Parfois je suis heureuse d’être seule dans cette difficulté et que vous ayez évité de la connaître de près au moins. Oui cela n’a pas été sans un peu de souffrance dans le cœur, et ça l’est toujours, de découvrir la vraie relation de notre Aicha avec cet homme, une expression naturellement de la relation de son cœur avec Dieu. Elle est à proprement parler une femme moralement déchue dans toute sa grossièreté… Elle est si impudente et orgueilleuse, et pendant tout ce temps, depuis qu’elle était revenue de Mateur (sa maison), elle s’était montrée si douce et amicale envers moi, oui adorable. L’échange de lettres a été permanent entre elle et cet 339

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homme. Avant hier elle lui a écrit et l’a finalement prié de venir à la maison à Mateur. Maintenant je peux contrôler car je le sais grâce à l’épouse. Demain je vais la rencontrer et écouter son récit par ellemême… Plus sur elle plus tard : il est du reste dix heure et demi et je dois aller me reposer. Mais oh combien je me sens sombre, quelle souffrance impossible à exprimer. Mais peut-être y a-t-il encore un espoir. The unfailing Helper – seulement Lui pourrait chasser le mauvais Esprit. Dimanche 31 août. Oui maintenant j’ai parlé avec la femme de cet homme depuis le toit d’une maison voisine, une femme charmante et adorable. J’ai du enlever mes chaussures et jeter un ‘säfsäri’ arabe sur moi quand je suis monté. La pauvre épouse, quand elle a pu me voir et saluer, elle s’est mise à pleurer et moi avec. Elle disait avoir envoyé plusieurs messages mais personne ne voulait les transmettre. Je lui dit que : « s’il y a quelqu’un avec qui je désirais parler c’était bien justement toi madame Fatima et parler maintenant de tout ce que tu sais et que tu as sur le cœur ». Elle dit qu’ils se connaissaient depuis l’époque où ils (la famille d’Aicha) habitaient à Menza à Dar El Biri, vous savez où c’est – tout près de l’endroit où il habite et chaque jour il passait devant. Mais maintenant elle se montre au balcon là et lui a envoyé un texte, descendu avec un fil lesté par deux morceaux de sucre et le bouchon de sa bouteille d’eau de Cologne, ainsi de nombreuses lettres ont été descendues et montées de sa part à lui… Elle lui a demandé de venir ici auprès d’elle mais il a refusé car il n’ose pas. Alors elle lui a proposé un hôtel ici sans doute, pas très connu car je ne le connaît pas, mais ça non plus il ne l’a pas voulu, car il a peur pour sa place. Alors il l’avait reçu chez lui un jour et a dit à sa femme la veille de préparer la chambre et tout car c’est un officier qui a écrit que sa femme venait de Mateur. « Et j’ai cru que c’était vrai », dit elle, et tout fut arrangé. Une quantité de gâteau a été achetée et un bon repas préparé jusqu’à ce que ‘mart el officiän’ (l’épouse de l’officier) arrive. Alors est arrivé une grande et élégante femme qui alla directement dans la chambre, la chambre d’hôte, et l’homme ensuite et le voile tomba. Je ne peux pas tout raconter c’est trop long. L’épouse ne revit pas l’étrangère avant le lendemain quand elle dut à nouveau la servir, faire son lit, vider le vase de nuit etc. et préparer le café. Alors elle dit à son homme : Hakim cette ‘Sousia’ (femme de Sousse) n’est rien d’autre que ‘bent el Maktouf’ (la fille de 340

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Maktouf) élevée chez ‘El nasaran’ (les chrétiens). Avec force menaces il la menaça si elle osait dénoncer [Aicha] et si elle rencontrait ‘cette Oreida’ [Rosa] et même si elle se tenait à la porte pour lui parler ou dans la rue près du bain, alors « je vous tue toutes les deux, il n’y a plus de ‘musulman’ alors ». Ainsi eut-elle le plaisir d’avoir ‘cette dame’ chez elle 7 jours, puis elle dit qu’elle voulait partir car mademoiselle Oreida pouvait lui écrire chez elle à Mateur… Mais Fatima est dans une angoisse mortelle de peur qu’un jour elle soit chassée et que l’autre prenne sa place. Elle a été mariée mais divorcée et actuellement mariée à celui-ci, mais toute sa famille était tellement opposée à ceci. Ils ont cinq enfants et un grand fils avec eux, et c’est ce fils qui a parlé à Zohra qui m’a averti pour Aicha… Oh quel sorcière, quelle pécheresse cette Aicha. Si nous avions été sages et l’avions surveillée quand nous fûmes averties, elle aurait été découverte alors, mais Dieu a peut-être permis que tout cela arrivât, pour ainsi encore nous humilier, nous et elle. J’espère qu’elle pourra être punie d’une façon qui lui soit profitable. Pensez aux sept derniers jours où elle fut là-bas elle avait reçu de lui cette robe noire et la ceinture de soie bleue et aussi le corset. Tu te rappelles Elsa elle nous montrait tout ça et disait qu’elle les avait achetés sauf la soierie qu’elle avait reçu de la sœur du principal de Homed. Pensez une telle menteuse. Fatima dit qu’il avait apporté à la maison plusieurs corsets pour qu’elle choisisse. Oh je ne puis exprimer les vagues qui s’agitent dans ma poitrine en ce moment… Azzedine dit que ça a été une conduite de même nature à Tunis avant qu’il parte, mais qu’ils l’ont caché à cause de la honte. …Oh, mon Dieu quel souffrance je ressens en ce moment. Nous avançons comme sur un volcan ici. Aicha doit être maintenant dévoilée naturellement, mais comment cela va se passer ensuite je ne le sais. J’ai déjà parlé à Azzedine, mais pas en détail, et lui ai dit qu’il devait être prêt à venir tout de suite quand je lui télégraphierai. Il doit venir et s’occuper de son épouse et la placer dans la prison pour femme si rien d’autre n’aide et l’entretenir là un temps. Pour ma part j’ai un ennemi mortel dans cet homme et comment ça va se passer de prendre notre nouvelle maison arabe et habiter là parmi quelques uns de la sorte, je ne le sais. Mais nous avons peut-être rien à craindre. Le Seigneur est notre Berger, Il nous montrera la voie… Oui, plus sur ça quand vous reviendrez. Je pense que cette lettre doit être lue 341

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à haute voix pour nos amis en Suède, je n’arriverai plus à écrire à nouveau sur ceci. Vous comprenez toutes quel été j’ai eu ici toute seule. Il a été nécessaire d’être là et je ne peux pas encore songer à me déplacer. Personne ne doit s’étonner si je suis triste et épuisée. C’est un miracle que l’on puisse garder le courage. La mère de Zahou sait tout et est celle que l’épouse m’a envoyée. Beja et Zohra savent tout, l’épouse avait demandé après moi aux bains… Lors de sa dernière visite dans la maison de l’homme, ils ont brûlé toutes les lettres selon l’épouse. Elle avait reçu l’ordre d’allumer le feu dans le ‘kanoun’ pour eux et alors ils étaient sortis bras dessus bras dessous de la chambre, dans la cour, et s’étaient assis pour brûler leurs lettres d’amour, leurs lettres du péché. C’est ce que souhaitait Aicha car elle avait peur qu’il la trahisse et les montre. Comme cadeau elle lui a donné deux anneaux et une chaîne de montre – jaune… Oui Aicha a sûrement creusé une fosse pour ellemême, puisse-t-elle y tomber totalement et alors, peut-être, être finalement sauvée… Je crois que je doit aller à Tunis parler avec Mr Purdou s’il croit que je dois la traiter par la loi ou non. On peut faire une ‘visite domiciliaire’ quand elle y est et de là la conduire à la prison de femmes – ce serait légal et juste envers elle. Pensez comme elle a joué avec notre confiance et notre amour, notre innocence. Le retour et la rédemption d’Aicha Lettre du 5 juin 1919 de Rosa, destinée à la revue Aicha est une autre des pierres précieuses que nous attendons de voir rayonner dans le corps du Sauveur ? Son histoire est bien connue de nombres d’entre vous. Elle est venue ici en visite ce mois-ci et ce fut bon de l’entendre parler de biens des choses. Son mari, Sid Azzedine, qui commença si bien sur la voie de l’appel, mais qui comme beaucoup de jeunes hommes arabes ici a trouvé la voie trop étroite, a été pendant les années de guerre employé comme infirmier mais est mort à la suite du torpillage de son navire36. Aicha raconte combien il était changé dans les derniers temps, si sérieux et humble envers 36 Mohamed Azzedine Kallel, sergent de la 25ème section d’infirmiers militaires, figure parmi les 250 disparus du torpillage de « La Medie » le 23 septembre 1917, la justice le déclare officiellement décédé en juillet 1922.

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elle. Elle nous a donné sa bible en français comme souvenir de lui, elle-même ne sait lire que l’arabe. Nous l’attendons ici pour le mois de jeûne, car elle est malade et a besoin de soin. Elle-même a bien trop vu combien il était dangereux de descendre le chemin glissant du péché. Une fois elle nous pria en larmes de ne plus penser au passé. Lettre du 11 novembre 1921 de Rosa à Fredda Bien agréable que notre chère Aicha aussi fut là pour m’accueillir – elle a été ici tout le temps : elle a aussi au cours des années dû traverser beaucoup de choses qui ont pu servir à l’éduquer pour le ciel et, comme je le crois, à accomplir une tâche dans Son royaume ici sur terre, dès à présent. Nombreuses ont été les prières et souhaits qu’elle puisse nous être rendue à nous et à la mission. Maintenant il semble qu’elle soit de plus en plus libre pour ceci et elle est d’accord de tout cœur. Elle a jusqu’ici eu les devoirs d’une fille envers sa vieille mère à accomplir, mais maintenant ceci retombe sur sa sœur depuis que, jeune et en bonne santé comme elle est, elle a été divorcée de son mari et est retournée chez elle comme une fleur fanée. J’ai parlé avec Aicha avant-hier pour qu’elle reste chez nous et à l’avenir nous aide dans le travail, surtout le travail avec les enfants et je crois qu’elle est réellement heureuse de pouvoir faire cela. Elle est du reste très apte pour ce travail. Elle doit encore aider sa mère avec de l’argent pour le loyer et la nourriture aussi longtemps qu’elle le peut et nous avons aussi parlé de cela. J’ai dit que j’écrirai à nos amis et soutiens de ce travail en vue d’une aide pour elle aussi et lui ai demandé de combien elle avait besoin par mois. On en a parlé et on est arrivée à la somme d’au moins 50 couronnes par mois, au cours actuel, donc je demande 600 couronnes par an ? Aicha a exercé longtemps cette fonction avec succès, tantôt qualifiée d’institutrice tantôt de ‘bibelkvinna’, elle écrit même pour la revue une brève présentation sur Rosa en 1935 ; elle arrange le mariage de sa sœur Shrifa avec un musulman qui laisse sa femme pratiquer le christianisme (par contrat) ; vers 1953 elle se retire chez ses neveux, dont elle a assuré l’éducation chrétienne et leur engagement dans l’action protestante.

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La mission et les hommes La difficulté de trouver un bon collaborateur masculin L’idéal d’une mission « par l’œuvre des femmes pour les femmes » a eu du mal à s’imposer en terre d’islam. Le 18 décembre 1900 le Comité accepte l’idée de recruter un évangéliste italien au service des sœurs à temps partiel, mais ayant compris qu’un tel emploi était destiné à des actions non prioritaires pour la société de mission, il essaie prudemment d’imposer sa ligne aux sœurs de Bizerte et après deux tentatives avec des Italiens (1902-1903), il exige la fin de cette expérience. Bizerte décide alors de recourir à des Arabes convertis en collaboration avec la NAM, mais sans réel succès. Les départs de la pionnière Maria Ericsson et de la novice Anna Eklund, en 1909-1910, s’expliquent par cette opposition larvée sur la stratégie à suivre.

La solution arabe avec caution anglaise Azzedine Kallel et Sid Klouze PV KMA 12 octobre 1903, §3 Le Comité a reçu une lettre de Maria Ericsson qui, après conseil avec Mr Glenny, propose que la KMA se charge de payer le voyage de deux missionnaires hommes de Tunis qui visiteraient Bizerte un fois par mois chacun, de sorte qu’une prédication soit faite tous les quinze jours. De plus le dépôt biblique serait sous la direction de ces missionnaires, comme proposé par Mr Purdou. Elle propose que Azzedine gère le dépôt avec 45 francs par mois. Le Comité décide cependant que la priorité pour Azzedine est de se trouver un autre emploi à côté et qu’il doit se marier avec Aicha afin qu’aucune difficulté ne survienne en raison de médisance qui pourrait nuire à l’œuvre missionnaire. Lettre du 21 octobre 1903 de Edward Glenny à la princesse Bernadotte Elle (Miss Ericsson) est d’accord avec moi que dans le futur il sera plus sage pour elle de faire du travail parmi les mahométans son objet principal, laissant le travail parmi les Italiens, les Français et les Juifs être juste pratiqué quand une occasion se présente, mais totalement subordonné au travail parmi les Arabes. Il est proposé de garder ouvert le dépôt de livre, et d’employer un indigène pour le prendre en charge, sous le contrôle de miss Ericsson, mais miss Ericsson pense que ce serait bien pour Mr 344

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Purdou, un de nos missionnaires de Tunis, de se charger de la ‘superintendance’ principale de cet homme ; il serait donc employé par Mr Purdou, qui pourrait donc traiter avec lui si quelques difficultés surgissaient, mais en même temps sous la ‘supervision locale’ de Miss Ericsson et Miss Marcusson. Il est proposé que Mr Purdou puisse aller une fois par mois à Bizerte, et que peut-être Mr Liley, un autre de nos missionnaires, puisse aussi y aller une fois par mois. [Le 2 novembre le Comité accepte la proposition de Glenny, et donc celle de Maria Ericsson.]

Lettre du 16 février 1904 de Maria à Fredda Dieu est puissant. C’est de cette parole dont nous avons constamment besoin ici. Ce sont des temps admirables quand l’Esprit de Dieu œuvre – mais l’ennemi fournit des efforts extrêmes. Le juge spirituel ici en ville a écrit une lettre signée par plusieurs hommes avec des plaintes contre Azzedine et l’exigence qu’il puisse être expulsé du pays. La lettre a été envoyée au premier ministre du Bey. Nous avons envoyé Azzedine à Tunis hier pour voir ce qu’il peut faire pour que cette attaque du diable puisse être repoussée. Depuis qu’il est arrivé ici ils ont essayé tantôt l’un tantôt l’autre de faire taire son témoignage, s’ils réussissaient à l’envoyer hors du pays alors l’ennemi connaîtrait un triomphe. Nous sommes en prière constante pour que Dieu puisse empêcher cela et qu’au contraire tout cela puisse servir à rendre le témoignage sur Jésus encore plus puissant. Ce fut un coup dur pour Azzedine quand il a été informé de cette action de l’ennemi. Le feu purificateur est si cher, puisse Azzedine apprendre ce que Dieu a comme dessein et nous aussi. Sid Klouze est heureux et préservé. Il a commencé un petit commerce de légumes sur la place, nous (sommes) si profondément heureuses qu’il ait ce travail lui permettant d’être indépendant des Arabes… Maintenant vient d’arriver une lettre d’Azzedine où l’avocat qu’il a consulté l’assure qu’il n’y a aucun danger.

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Lettre du 3 mars 1904 de Maria à Fredda En Dieu est le secours. Quelle lutte ici ! On tremble constamment sur qui va arriver ensuite… L’ennemi attaque de partout. Sid Klouze a disparu depuis deux jours, nous ne savons rien de ce qui lui est arrivé. C’est si angoissant mais Dieu sait. Azzedine a été dehors tout ce jour pour chercher une trace de lui, mais on ne sait encore rien… Je suis dans une crainte perpétuelle pour ces chères âmes – mais Dieu a soin de ses enfants – c’est une telle consolation. Il les atteint toujours. « S’il veut faire quelque chose qui pourra l’en empêcher ». Actuellement je suis assise à attendre le retour d’Azzedine pour savoir s’il a trouvé notre bien aimé frère. Azzedine vient d’arriver, il avait enfin trouvé Sid Klouze : en prison. Grâce à ses relations avec le plus haut fonctionnaire civil arabe ici il a réussi à obtenir la libération de Sid Klouze. Quand le fonctionnaire a entendu que les accusations de mauvaises conduites, de discours indécents et grossiers contre un des fonctionnaires de la ville étaient mensongers, il a tout de suite donné l’ordre de libérer Sid Klouze. C’est une immense grâce que le plus haut fonctionnaire arabe ici soit très libéral, éduqué en France et appréciant les mœurs européennes. Sa propre fille, une grande fille de 10 ans, va à l’école française habillée avec des vêtements européens – ceci est très inouï. Oui, Dieu use de voies détournées. Seigneur apprend nous à prier. Ce n’est pas que la persécution que nous avons à combattre mais tant de dangers auxquels les croyants sont soumis de tous côtés, le plus dangereux sont les habitudes pécheresses. C’est impossible d’être avec eux et d’exercer une surveillance sur eux comme il serait nécessaire. Azzedine est trop jeune pour ce rôle, il ne peut pas même se surveiller lui-même encore. Oui, priez pour nous. Il est évident que Dieu a remporté une victoire car l’ennemi est furieux. Salut sincère de nous. Lettre du 30 mars 1904 de Maria Ericsson à Fredda Ah que Dieu puisse éveiller de tels travailleurs indigènes ici. Je crois tout à fait que le principal serait gagné si l’on pouvait travailler à partir des convertis. Ils peuvent faire tellement plus que nous – mais 346

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nous avons besoin de les conduire eux et leur travail de façon indirecte par une sainte influence. Azzedine est si jeune et immature mais il y a de l’or en lui, comme nous avons soif de voir Dieu nettoyer et purifier cet or de façon qu’il devienne brillant et clair. Cela dépend beaucoup de l’aide et de l’influence. Priez pour nous pour une grâce particulière sur ce point. Parce que leur caractère, leur pensée et sentiments sont si différents de nous, c’est vraiment difficile de comprendre parfois comment agir de façon à les aider le mieux possible. Comme cela te réjouirait de les voir. …Sid Klouze est courageux. Aujourd’hui il est ici et travaille au Dépôt, il peint un mur de bois avec lequel nous avons divisé le Dépôt de façon qu’Azzedine ait une chambre à coucher. Sid Klouze s’est fiancé et sa famille a eu plus confiance en lui depuis et voit combien il est devenu convenable et merveilleux, ils apprécient cela bien qu’ils ne soient pas pour la nouvelle religion. Sid Klouze37 est, à travers son changement de vie, un témoin dans Bizerte qu’on ne peut ignorer. [Ce précieux témoin qu’est Sid Klouze disparaît alors de la correspondance des sœurs. Après son mariage avec Aicha, Azzedine part pour Tunis et les sœurs lui cherchent un remplaçant parmi les convertis.]

Joseph Sfaïhi Lettre du 12 octobre 1904 de Maria à Fredda L’Esprit de Dieu a parlé à Joseph ces jours ci, de vrais signes. Il n’y a aucun doute que nous devons conserver le Dépôt de Bibles. Il est comme un phare ici et Joseph est un témoignage sur la force de l’Évangile. Parfois il ne choisit pas les passages de la Bible les mieux adaptés pour ces véritables païens, par exemple il a lu un jour Rom. 8 à un pauvre homme ignorant qui n’avait jamais entendu parlé de Jésus et qui de ce fait ne comprit rien de ce qu’il entendait. Mais la chaleur de Joseph et la conviction avec laquelle il parlait fit une telle impression sur l’homme qu’ensuite il écouta avec grand intérêt quand je lui parlais comment Jésus vint sur notre terre pour sauver les égarés. 37

Sid Klouze a été baptisé le 21 mai 1904, en même temps que Aicha, par Mr Purdou venu de Tunis.

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Lettre du 26 octobre 1904 de Maria à Fredda Joseph est ici et travaille toujours, par exemple en témoignant. Oui, il a besoin de prière car il est maintenant dans une grande tentation. Ses parents lui promettent de l’or et des forêts vertes ainsi qu’une belle et jeune épouse s’il vient seulement s’installer chez eux à Tunis. Si nous trouvions un collaborateur converti, fidèle et mûr, alors ce devrait être un homme. Si Joseph restait ici et progressait, mais la tentation est si grande qu’il lui paraît impossible de pouvoir acheter une épouse (car un arabe doit acheter sa femme) avec le salaire qu’il reçoit et il ne peut plus vivre plus longtemps sans femme – il est de toutes façons Arabe bien qu’il ait été très transformé et ressemble beaucoup à un Européen. Il n’y a rien de pire pour nos jeunes hommes que leurs affaires de mariages, c’est un piège abominable. [Le17  novembre 1905 Joseph épouse une musulmane mais revient occuper sa fonction auprès de la mission, avec difficultés cependant].

Lettre de septembre 1906 de Maria à Fredda …Par un parent Joseph a reçu une proposition d’emploi à Tunis pour s’occuper de l’éclairage d’un cirque… Il y a longtemps que cette lettre est arrivée mais Joseph ne s’est pas senti attiré par un tel emploi. Il m’a dit : « J’ai voulu jour après jour vous parler mais je ne l’ai pas pu, dans la plus extrême nécessité je retournerais à un tel travail ». Si nous pouvions lancer une aide, c’est-à-dire que la Mission puisse lui donner les 20 francs qu’il reste de sa dette sur l’argent fourni pour qu’il vienne ici et aussi que je puisse prendre une somme pour leurs fournir le plus urgent comme un costume d’été de tous les jours etc. Il pourrait aussi ensuite recevoir une aide pour le loyer ce qui serait justice car il avait le logement gratuit au Dépôt (ou dans le jardin) en tant que célibataire, maintenant il a le même salaire alors qu’il est marié et doit payer un loyer. Voulez-vous me répondre par retour du courrier, car Joseph doit savoir ce qu’il va faire. Quand il a emménagé dans la petite maison près du jardin il a du acheter de grandes jarres à eau, aussi des chaussures et pantoufles pour sa femme, un sac de charbon etc., et ainsi très vite disparaît la moitié de son salaire du mois. Ce qui a augmenté son inquiétude c’est 348

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de savoir comment il se débrouillera avec les dépenses du mois d’octobre, quand un bébé est attendu – il ne voit pas de solution car avant même la fin du mois il devra s’endetter pour le mois suivant etc. Tout ce que ces pauvres Arabes ont n’est que de la pacotille qui semble bien de l’extérieur mais ne résiste pas longtemps, ils ne sont pas mariés depuis un an que déjà le lit est presque en ruine – une réparation est nécessaire. Oui, le Seigneur donne la sagesse et le conseil de pouvoir les aider, c’est une grande tentation pour eux s’ils ont une situation trop mauvaise et mieux vaut qu’ils aient juste ce qu’il faut – le nécessaire. C’est plus utile pour eux d’être dépendant de nous. [La KMA ne donne pas suite et une lettre du 19  décembre 1906 annonce que Joseph est policier à Tunis. Le recours à Beiji sera plus satisfaisant avant de tourner au ‘désastre’ en 1910.]

La crise de 1910 : depart de Maria Ericsson et réaction de la KMA Trois ans après son départ, Maria justifie sa décision Lettre du 14 décembre 1912 de « Port Saïd, ville arabe, Girls School » par Maria à Anna Je sentais si clairement que Bizerte n’était pas un terrain pour une mission féminine seule, nous sommes toutes d’accord sur cela38. Que veut donc dire le Seigneur ? Pense à tant de force gaspillée si nous ne sommes par au bon endroit. Je peux te dire tout à fait ouvertement que je suis convaincue que Bizerte n’est pas un terrain pour la KMA mais pour une société de mission où des hommes aussi participent. (…) À Bizerte j’en étais arrivée à la situation où une mission féminine me semblait déraisonnable et pas voulue par Dieu, car je n’avais aucune connaissance des autres parties du monde mahométan. Lors du voyage en Syrie, d’abord à Beyrouth quelque chose de nouveau commença à m’apparaître et ici c’est devenu une réalité. Ici il y a un terrain pour une mission féminine. La main toute puis38 Dans une lettre du 12 septembre 1906, la nouvelle, Elna Stenius, exprimait son accord avec une « déclaration » de Maria comme quoi « La mission parmi les musulmans doit être entreprise différemment ! L’action parmi les hommes est de la plus haute importance et pour cela il faut des missionnaires hommes. » La crise a couvé au moins 3 ou 4 ans avant de déboucher sur la rupture.

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sante de notre Père nous a donné une mission féminine, le plus impensable est devenu réalité – si nos amis savaient combien grande a été la grâce de notre Seigneur et combien profondément reconnaissantes nous sommes. Je pense avec cordiale gratitude à tous ceux qui m’ont montré tant d’amour. La reprise en main par la KMA Lettre du 9 octobre 1910 (de Genève) d’Elsa Ringborg à Fredda L’échange d’idées que j’attendais avec impatience de ma rencontre avec Rosa ne s’est pas produit mais les quelques lignes à la fin de la lettre de Fredda m’ont donné beaucoup à penser, tout comme le silence précédent. Pour ma part je ressens un tel besoin de cet échange, base d’une compréhension réciproque et pour que la confiance puisse être encore plus forte et intangible, car c’est ainsi que cela doit être pour un travail béni. Mais je m’éloigne du sujet. Ce que je pense des paroles de Fredda sur des « interventions chirurgicales fortes »… il y a beaucoup de jeunes organismes qui ne supportent pas une main trop dure… ainsi je le sens pour la situation de Bizerte. Je crois que si « j’interviens » avec mes mains maladroites, alors cela nuira plus que ça ne profitera. Mes paroles auraient peu d’influence sur la conception de Rosa, avec les impressions toutes fraîches qu’elle avait retirées de son séjour, tout cet été, avec Maria. Et d’ailleurs  – encore et encore je me suis demandé à Morges si ça pouvait réellement être un devoir chrétien de faire tout ce que je pouvais – sans être contraire à la vérité naturellement – pour présenter Maria sous un jour désavantageux et de chercher à éloigner le cœur de Rosa de celle-ci. Ma conscience ne pouvait répondre oui à cette question, encore moins dans l’ambiance de prière et de fraternité qui marqua la rencontre de Morges. J’en ai cependant dit plus dans ce sens que je ne pensais le faire, sinon Rosa n’aurait pas pu exploser : « Mais c’est vraiment terrible, c’est comme si Maria était une ennemie ». Pour moi il m’a semblé si grand que Rosa, en ce qui concerne le travail, reste solide et imperturbable, cela montre bien aussi que Maria ne l’a pas influencée sur ce plan. Mais qu’elle puisse renoncer à son amitié, de 20 ans, avec Maria parce que les relations entre Maria et le KMA se sont brisées, est-ce vraiment juste de l’exiger ? Et est-ce que tu penses, Fredda, que concernant 350

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l’attachement d’une personne envers une autre, un quelconque raisonnement puisse intervenir ? Je crois que cela conduirait au contraire. Nous n’avons pas non plus le droit d’oublier que Maria n’est pas la seule fautive, et dans tous les cas nous avons appris que Dieu pardonne tout et totalement le péché avoué. [Consciente des besoins du terrain, la baronne Élisabeth Mörner, membre influente de la direction de la KMA de retour d’une inspection à Bizerte, proposait de chercher un collaborateur européen (février 1910). Mais les efforts restèrent vains : les candidats pressentis, testés par Rosa, ne convenaient pas.]

La mission auprès des hommes : soldats et ‘dépôt biblique’ Ce besoin d’entreprendre une action auprès des hommes ne concerne pas que le dialogue avec les époux ou les jeunes, rencontrés au cours des visites à domicile, mais aussi la mission auprès des soldats, à l’époque une des priorités des milieux de réveil de la haute société en Suède39 ; dans ce but l’ouverture d’un lieu de rencontre et de ventes d’ouvrages religieux en ville, accessible aux seuls hommes, était une nécessité. Les sœurs sont prudentes face aux autorités locales, vu l’importance militaire de la base de Bizerte, et face au Comité de Stockholm pour qui la priorité et la raison d’être de la KMA restent les femmes. Alors que le travail a commencé au moins dès mars 1905, ce n’est qu’en novembre 1906 qu’un premier rapport est envoyé à Stockholm.

Une discrétion nécessaire Lettre du 24 novembre 1906 de Maria à Fredda J’aurais dû depuis longtemps parler de la raison qui fait que j’ai peur de publier tout ce qui se passe ici. Concernant les soldats, il y a eu délibération à la commission de police sur nos réunions pour soldats. Le message est arrivé par notre hôte qui est policier et j’ai dû subir une audition concernant nos réunions – nos livres – nos 39 À la suite des voyages de Lord Radstock, le réveil religieux qui gagne la noblesse militaire débouche sur la fondation de la Société des Amis du Soldat (1877) pour un encadrement morale chrétien (non confessionnel) et des loisirs sains. Le major Johan G. von Holst (1841-1916), militaire, artiste peintre et membre de la maison du duc de Dalécarlie est un des acteurs importants de cette mission.

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discours aux soldats – le nombre de soldats qui venaient. Si notre hôte ne s’était pas tenu à nos côtés et n’avait pas assisté à nos réunions avec lanterne magique pour les soldats et personnellement entendu et vu ce que nous faisons et disons, de sorte qu’il a pu témoigner là-dessus, nous aurions sans aucun doute eu l’interdiction de recevoir des soldats. Maintenant la chose n’a plus besoin d’aller devant d’autres autorités mais peut en rester là et pour cela peut continuer dans le calme et la discrétion. J’ai demandé à un pasteur français qui était ici si le gouvernement donnerait une autorisation à un travail parmi les soldats – il a répondu : « Oh non, pas du tout ». Oui c’est très délicat et puisque une porte est ouverte, et si chère et dure à ouvrir, il est juste devant Lui qui l’a ouverte, que nous évitions tout ce qui peut la refermer. Développement du travail Lettre 2 décembre 1908 de Rosa à Fredda Qu’est ce que vous allez penser, Fredda, si je reste assise aujourd’hui dans notre Dépôt et écrit ceci. Pourquoi n’aurions nous pas essayé, ici nous avons la salle italienne qui reste presque inoccupée en dehors de quelques réunions dans la semaine. C’est si cher que la salle ait été rouverte pour des réunions italiennes mais je ne sais pas si ça va durer, il est assez dur d’avoir durablement un évangéliste. Mais ce fut presque avec terreur que nous avons placé nos livres dans la fenêtre, une grande et large fenêtre, et que nous avons placé en haut l’annonce pour le Dépôt. Ce n’est pas si facile quand on se sent seule sans une aide masculine pour un travail public dans un pays comme celui-ci. Mais le Seigneur a aidé. Aujourd’hui c’est le 4 décembre (j’ai du arrêter d’écrire car des visiteurs au dépôt) et j’ai déjà vendu de nombreux livres et brochures à la fois à des Arabes et à des Européens. Hier soir nous avons eu une précieuse petite rencontre en arabe. 10 soldats et 2 civils assis, un homme écoutait avec tant de zèle ce que je disais et lisais. C’était si précieux. Quand ce fut fini l’un dit aux autres : « Avez-vous compris le sens de ceci ? », et il se mit à expliquer ce qu’il avait compris : « Nous sommes tous pécheurs, incapables de nous aidez nous-mêmes mais il y en UN qui le peut. Celui qui est au-dessus. » Ils ont acheté chacun leur Évangile bien qu’ils ne sachent pas lire mais ils trouveront 352

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vite quelqu’un qui peut. Alors celui-ci a donné 30 c pour le café, mais je lui ai dit de ne pas être attristé mais que je ne pouvais pas accepter l’argent car les autres se sentiraient obligés de faire pareil et tous ne le peuvent pas : « Vous êtes tous les bienvenus à la lecture et à la discussion de la Parole de Dieu gratuitement et librement ». Ce travail m’est actuellement réservé puisque je suis la plus ancienne, vieille et bientôt grise. Lettre du 22 janvier 1909 de Rosa à Mme Palmstierna (membre du comité) Notre fête pour les soldats doit être aussi évoquée. Je pense surtout à ce soir qui aurait réjoui le Major von Holst qui a envoyé l’argent pour ceci : une foule de grands hommes imposants occupe toutes nos chaises dans la salle italienne. Je me sentais un peu nerveuse à l’idée de la responsabilité de cette fête pour tous ces hommes, et pour cela nous avons aussi invité le tout nouveau pasteur français (ex missionnaire au Congo) à venir leur parler. Il débarqua un peu tard de sorte que la salle était déjà pleine de militaires en grande tenue tous arabes sauf 2 juifs et tous s’apprêtaient juste à chanter avec nous à l’orgue : « Alini Kalb Safi » etc. Ensuite je leur présentai le pasteur, ils se levèrent tous comme un seul homme pour un salut militaire. C’était très agréable et imposant. Il parla ensuite brièvement en français et je traduisis en arabe. Oh, le temps du rassemblement ne va-t-il pas venir aussi pour ce peuple ? Lettre du 6 septembre 1911 de Rosa à Fredda …Les soldats ont recommencé à venir et quelques anciens qui nous ont déjà donné quelques espérances, l’un d’entre eux au moins, a plus ouvertement confessé son appartenance à Jésus. L’un est un jeune gamin c.a.d. juste 21 ans et pour son âge très éveillé et si agréable pour le reste. L’autre qui est de Kairouan est aussi un tout jeune homme mais parait plus vieux. Les deux ont renoncé à jeûner, nous sommes actuellement au milieu du mois de jeun. Ce serait trop long de parler des détails, ce sera pour une autre fois. Mais un soir le jeune dit : « Maintenant je croit mais je me sens si ignorant comme un païen, je veux apprendre. Mais je me sens si heureux et je voudrais avoir une petite fête ensemble car je voudrais apprendre comment je 353

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dois prier. Si j’étais chez moi dans ma ville je saurais bien ce que je devrais faire, mais maintenant je suis soldat et lié ici ». Nous avons eu une agréable ‘petite fête’ et nous avons réuni cette fête et celle de Joseph que nous lui avions promise quand il aurait fini son troisième livre de lecture. Nous avons rappelé que dans le ciel parmi les anges de Dieu c’est aussi la joie quand un pécheur se repent. J’ai dit : « Mohammed, ils se réjouissent là-haut mais nous prions aussi de nous réjouir aussi sur la terre ». Le jeune homme qui est très éveillé et intelligent n’a ni père ni mère, seulement une sœur (et semble avoir l’étoffe pour faire un évangéliste). A Tunis ils ont ouvert un « Hôtel », une sorte d’école pour instruire des jeunes gens en vue de la mission. Aujourd’hui onze soldats sont venus. Relance et diversification en raison de la guerre Lettre du 21 octobre 1914 de Rosa, publiée dans la revue n° 10, 1914 Depuis l’été dernier je désirais essayer d’ouvrir à nouveau un petit dépôt biblique où on pourrait avoir l’occasion d’entendre et même d’entrer en possession de la parole même de Dieu. On rencontre si rarement les hommes quand on ne travaille que parmi les femmes. Je le ressens encore plus depuis mon retour40. L’époque exige que tout soit fait pendant que nous en avons le temps. Mon cœur brûle à l’idée qu’absolument aucun travail évangélique public ne soit fait ici, ni parmi les européens, ni les indigènes en dehors des dimanches matin lorsque le pasteur prononce un sermon d’une heure pour les protestants. [Le succès dépasse les prévisions, aidé du pasteur réformé et d’un jeune instituteur (Boissier) Rosa organise 4  fois plus de classes et accueille 50 soldats chaque semaine, mais la cible visée n’est pas vraiment atteinte]

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Elle revient d’un long voyage en Palestine et Égypte où elle a pu voir et admirer le travail de son amie Maria Ericsson à Port Saïd.

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Lettre du 4 juillet 1916 de Rosa à Fredda Chère Fredda ! « Traversons sur l’autre rive » Merci beaucoup pour la chère lettre du 27. Le temps passe vite, mesuré par la souffrance et les larmes, Que cela puisse être le début des douleurs de l’accouchement. Bon de penser à Fredda dans le beau Halland, bien que je n’y sois jamais allée. Nous avons eu trois jours de fort sirocco ce qui est très éprouvant mais aujourd’hui il fait frais et beau. Mme Galienes est venu ici à cause de son mari en partie, il ne supporte pas la forte nourriture et les nombreux plats de viande des restaurants, et aussi pour son propre repos. Elle était si surmenée à Paris où elle s’occupait du travail de son mari dans la paroisse. C’est une grande joie de les avoir ici en ce moment surtout pour le travail parmi les soldats. Au Dépôt il y a toujours de bonnes réunions, le dernier dimanche soir il y avait là 35 soldats et alors notre petite salle était totalement pleine. Les soldats arabes ? Oui il a été impossible de les avoir ces temps ci. Que les arabes civils aient été et sont si, oui on peut le dire nettement, ennemis envers tout ce qui est chrétien encore plus maintenant depuis que la guerre a commencé, joue certes pas mal. La sauvagerie des nations chrétiennes n’a pas entraîné autre chose que haine et hostilité chez eux. C’est chose rare qu’un mahométan vienne au Dépôt maintenant et on entend ceci d’autres sources aussi. Cependant un soldat originaire d’une localité au sud est venu et a acheté sept brochures et un volume d’évangile hier. Plusieurs sont passés ici qui étaient venus avant à la Villa, mais ils ne sont pas revenus malgré mon invitation insistante. Et nous ne pouvons pas aller dehors dans la rue ou quand ils sont assis aux cafés pour les inviter, il faut que ce soit un homme qui le fasse. Beiji est très bien pour ça mais n’y a pas le goût actuellement. Le soldat précédent semblait intéressé, on verra s’il revient. Si triste à propos du major Von Holst. Je me souviens bien de lui, j’avais été invitée chez lui une fois à dîner. Oui il était vraiment un fidèle travailleur dans la vigne ; il était très intéressé par nos soldats ici. »

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[Le rapport d’activit’ de 1916 comptabilise pour la vente de livres, Nouveau Testament etc. : 7200 Bibles et Nouveau Testament, 1500 Traités ; et pour les réunions avec des militaires ‘francophones’, 2 par semaine, en tout 2000 personnes.]

Bilan et justification du travail accompli. 1934 « Une œuvre de patience » par Rosa Marcusson Si femmes et enfants représentent la tâche la plus immédiate pour des missionnaires femmes, celles-ci, cependant, si elles sont seules sur place, ne peuvent pas s’empêcher d’essayer d’atteindre avec l’Évangile aussi les hommes, surtout en pays musulmans. L’occasion nous en a été donnée par exemple lors des nombreux et plus ou moins longs voyages de mission faits dans le pays par Mlle Ericsson et moi dans différentes parties du pays. Dans un local loué pour l’occasion, dans un lieu ouvert ou dans le jardin sous les palmiers et oliviers des groupes d’hommes plus ou moins importants ont entendu témoigner sur le Christ et reçu des passages de l’Évangile (ou acheté). Un jour ces grains lèveront. Pendant plusieurs années on a aussi eu un travail régulier parmi les soldats arabes à Bizerte (et de diverses nations pendant la guerre). Dans la Villa Boer où on a habité 6 ans (1906-1912) on avait une salle au rez-de-chaussée que l’on appelait « la pièce du soldat » et on pouvait accueillir 60 à 70 jeunes hommes les soirs où l’on montrait des diapositives (images) sur des motifs bibliques. Mais les petites réunions autour de la table étaient meilleures. Alors on lisait la bible et on discutait avec quelques uns. Alors parfois on rencontrait une véritable faim spirituelle, souvent, sinon toujours, un intérêt marqué. Vers la fin de la guerre, on avait déjà quitté la villa, devant la vision de ces milliers de soldats de toutes nations qui via Bizerte étaient conduits vers ou depuis les différents fronts, nous avons envisagé sérieusement d’ouvrir un lieu de réunion, dépôt biblique. Je suis allée voir le pasteur français et j’ai proposé notre coopération : si il trouve un local on paiera tout. Mais il a répondu résolument non. Je me sentais comme si j’avais reçu un seau d’eau froide. Mais un autre jeune français et son épouse étaient avec nous. C’était un soldat croyant, méthodiste, heureux de témoigner pour ses camarades. Réconfortée par eux je suis allée à la recherche d’un local. Tout près 356

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j’ai trouvé un local loué pour une heure, bien situé avec de grandes vitrines. Le propriétaire était le même que celui de la villa Boer, qui nous connaissait bien. Les formalités auprès des autorités furent réglées après un premier refus d’autoriser l’organisation de réunions publiques. Alors que le travail était lancé depuis deux semaines, un monsieur s’est présenté comme « aumônier de la flotte », envoyé ici de France comme pasteur des protestants de la marine, mais il n’avait pas de local pour y rassembler ses garçons. Il fut très heureux et reconnaissant de voir combien il était le bienvenu pour travailler dans notre salle. Et ainsi, depuis la petite salle de réunion et depuis le dépôt biblique de la KMA le message de paix et de salut a pu être diffusé à des milliers. Dans la vitrine il y avait le Nouveau Testament et les évangiles dans des éditions de nombreuses langues. Les jeunes s’agglutinaient autour comme des abeilles autour d’une corolle, et quand ils ont su que c’était gratuit ils ont été très joyeux. Car tous n’étaient pas des soldats musulmans : il y avait les blessés conduits à Bizerte, les restes de l’armée serbe, des réfugiés de Russie, de Serbie, d’Arménie… qui trouvaient des livres dans leur langue. Les relations avec les autres missions, une solution incomplète Avec la NAM : coopération et distance prudente P.V. KMA, §1 du 7-2-1898 Mesdemoiselles Marie Ericsson et Rosa Marcusson en tant que futures missionnaires de la KMA, rempliront les papiers qui leurs ont été envoyés par la NAM, et lorsque ceux-ci seront renvoyés, le Comité de la KMA joindra un document par lequel il informe que Mlle Borg pour des raisons de santé a transmis son œuvre en Afrique du Nord à la KMA et que le Comité demande que les moyens envoyés pour la mission de la KMA (via la NAM) lui soit directement adressés. La NAM accepte nos sœurs comme ‘associated workers’ de la NAM mais entièrement soutenues de Suède. Nous trouvons ceci souhaitable et enverrons directement l’argent à une banque à Tunis.

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Lettre du 30 mars 1904 de Maria à Fredda Nous avons aussi entendu que le gouvernement français à Paris avait conduit une discussion visant à expulser tous les missionnaires d’ici. On n’était pas certaines si nous appartenions ou non aux missions anglaises. Peut-être serions plus en sécurité si nous n’étions pas associées avec les Anglais. Quelques uns ont affirmé que nous étions unies avec les Anglais, d’autres déclaraient que nous appartenions à une association suédoise et n’avions rien à voir avec l’Angleterre. Oui, cela repose dans les mains de Dieu. Dieu a commencé une œuvre ici, Il l’achèvera aussi. Lettre du 3 mars 1905 de Rosa à Fredda A Tunis j’ai vraiment beaucoup appris et je voudrais vous en parler, Fredda, et en décrire toutes les impressions. J’ai pu voir et entendre beaucoup de choses nouvelles. Les frères et sœurs là-bas traversent une période d’épreuves et de lutte. Une crise importante dans toute la mission se manifeste. Vous savez peut-être déjà ceci. Plusieurs des missionnaires ont déjà quitté dont le Dr Charcha de Sousse qui a tout récemment laissé la mission et pense commencer une nouvelle station à Sfax indépendamment de la NAM car il est soutenu par des amis privés. Ceci est grand coup pour l’ensemble car la mission médicale a un tellement vaste champ d’action. Beaucoup vont suivre son exemple. Ainsi, Mr et Mrs Lockhead à Constantine vont aussi quitter pour l’Égypte. La raison à cela est le changement dans leur comité à la maison. Ils trouvent que cela va contre leurs principes que Mr Glenny seul dirige et beaucoup le soupçonnent d’avoir lui-même fomenté ce plan. Cela lui fait un tel mal, maintenant qu’il reste seul et aurait aussi bien besoin de tous les missionnaires restant sur le terrain et de leur sympathie et aide. A Tunis, il n’en a plus que deux de son côté. J’ai entendu des propos à briser le cœur. Ah seigneur viens en aide ! Seul Lui sait combien il, Mr Glenny, a lutté et souffert pour l’Afrique du Nord. Son salaire est dans le Seigneur.

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Lettre du 13 juin 1906 de Elna à Fredda Oui c’est vraiment beau quand les enfants de Dieu sont réunis devant Sa figure pour être inondés par ses dons. Pensez que même nous ici avons eu une conférence et ceci dans notre propre maison, notre belle et coquette Villa Boer ! Quel privilège pour nous de pouvoir inviter nos amis missionnaires pour ensemble chercher le Visage du Seigneur ! Nous avions avec nous 4 de nos frères et sœurs d’Algérie à savoir : Miss Trotter et Miss Horworth, Monsieur Cook-Jalabert et Mr Lockhead. Mr Cook-Jalabert qui travaille parmi les Kabyles présidait. Comme il était remarquable, brûlant du feu du zèle et de l’amour ! Un esprit agréable régnait. Le caractère marquant de la conférence d’Alger à laquelle Maria avait participé, avait été l’unité intérieure et l’amour entre les missionnaires. C’est ça que le Seigneur veut et que l’ennemi cherche à tout prix à détruire. Nous souhaitons si profondément que la conférence ici ne soit pas la seule et dernière mais qu’elle soit suivi de plusieurs autres et ainsi puisse un « beginning of ever so much » comme Miss Trotter l’a dit. C’était beau d’avoir un si grand rassemblement de « fellowworker » chez nous (19). On sent plus que jamais auparavant que nous appartenons à une grande famille des enfants de Dieu, les témoins de Jésus ici en Afrique du Nord et que nous devons être au plus profond unies avec les autres, nous soutenant mutuellement par la prière pour pouvoir avec succès affronter la force de l’ennemi ici. Oui nous rendons grâce à Dieu et le glorifions pour cette première conférence de Bizerte ! Échec des projets et rapprochement avec les méthodistes américains En 1911, les Purdou, principaux collaborateurs des sœurs de Bizerte quittent la NAM sur un différend doctrinal qui laisse perplexe Rosa, cela concernerait Luc 1, 35 : « C’est quelque chose comme ça bien qu’on n’ait jamais remarqué quelque chose d’hérétique ni dans son message, ni ses prières ou sa vie. C’est avec une masse de ces questions théologiques que les savants éduqués arrivent constamment. » L’affaiblissement de la NAM incite la KMA à essayer de développer son action ailleurs en Tunisie, encouragée par Elsa Ringborg rentrée en Suède.

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Lettre du 22 mars 1917 de Rosa à Fredda Je suis allée à Tunis quelques jours pour converser avec nos nombreux amis là bas sur nos plans d’avenir, et je veux maintenant présenter nos idées et propositions. Cela aurait dû certes être une lettre au Comité mais elle est bien adressée à sa Présidente. D’abord et avant tout, tous semblent d’avis que l’on ne doit pas abandonner une place où l’on est solidement enraciné pour ainsi dire, surtout une comme Bizerte où tant de travail est en route, ce serait perçu comme un échec. De plus jusqu’à présent il n’y a pas eu de travail satisfaisant parmi la population masculine puisque il n’y a jamais eu un missionnaire homme installé ici. Ceux qui ont travaillé parmi les mahométans savent ce que cela implique. Ceux qui nous connaissent ici et nos conditions comprennent aussi bien que nous n’avons pas été en état de pouvoir ouvrir de nouveaux terrains avec la petite aide que nous avons eu pendant ces quelques années passées, après que trois des quatre qui pouvaient travailler plus ou moins ont laissé le terrain. Tous pensaient comme moi qu’il serait temps de nous partager et commencer dans d’autres lieux et que la ville de Beja serait un très bon centre. Comme centre ce serait bien mieux qu’ici, on peut atteindre à partir de là une quantité d’autres endroits importants, parmi eux El Kef qui est un lieu très important pour les mahométans. Plusieurs des missionnaires ont déjà visité El Kef, même nous ici on y a fait un voyage, c’était Maria et Anna qui avaient eu une précieuse période de semailles là-bas. Mais Beja est plus grande et le point le plus important. Mr Purdou dit même : « Je voudrais pour ma part commencer à Beja ». J’ai ensuite parlé de mon idée de demander à notre comité de prier Elsa (Ringborg) de se charger de ce terrain avec les deux jeunes, Clara et Alma Johansson41. Tous pensaient qu’Elsa serait parfaite pour faire cela et serait « more happy ». Et je pense que je serais « most 41 Missionnaire de la KMA en Arménie où elle a été le témoin impuissant, mais non muet, du génocide. Son attitude lui a valu d’être expulsée du pays. Elle est donc libre pour une nouvelle mission. Finalement elle est retournée s’occuper des Arméniens réfugiés à Salonique (jusqu’en 1941). Ses écrits figurent parmi les sources directes et ‘neutres’ précieuses sur ce sujet. Voir aussi Maria Småberg, Att bevittna det outsägliga – Alma johansson och massakern på armenierna 1915, Lund, 2007.

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happy » de voir se réaliser de nouvelles initiatives. On a pensé aussi que c’était très bien d’être cinq car la rotation des voyages en Suède et d’autres changements reviennent assez souvent pour qu’une ne soit pas laissée seule sur place ce qui n’est pas conseillé. Maintenant nous prions donc le Comité de prendre en considération le plus tôt possible cette proposition et si possible de nous faire connaître le résultat rapidement. Notre date de résiliation pour la maison arabe est en juin et en octobre nous la laissons et nous espérons avant cela que tout sera prêt pour l’action. Pour Agda et moi-même nous souhaitons avoir notre point principal ici jusqu’à nouvel ordre mais sans être complètement immobiles. Dieu montrera bien la voie. Quelques uns à Tunis pensent que une ‘itinerating’ en ces temps de guerre serait tout à fait impensable, mais d’autres pensent le contraire. Cependant Clara part maintenant avec Mr et Mrs Liley et pensent aussi faire un tour à Beja et Kef, pour que Clara puisse alors voir ces endroits. Ces projets échouent faute de moyen en personnel. La seule solution qui se présente alors est une association avec les méthodistes [AMM], arrivés en 1908 à Tunis, à leurs conditions, mais en sauvant une certaine autonomie.

Lettre de septembre 1920 : « Lettre des sœurs de Bizerte au KMA » Vers Noël nous avons reçu de Stockholm une invite à étudier et prendre position sur un possible changement de notre organisation missionnaire. Surtout choisi entre l’adhésion à l’American Methodist Mission ou à la NAM. En ce qui concerne la NAM on a rendu visite à Mr Farmer, nouveau secrétaire local, lui-même est venu à Bizerte, et on lui a présenté nos souhaits et nos besoins. A travers la saine concurrence qu’il y a eu entre AMM et NAM, on espérait presque que cette dernière serait d’accord pour faire quelque chose pour nous. Lors du voyage retour on a été bien reçues, avec Clara Karen, chez Glenny. La lettre de Glenny laisse entendre qu’on n’a pas à espérer un soutien effectif ou une guidance. Il est surtout désireux d’avoir les 361

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noms des autres sœurs sur leur liste mais rien de plus. De plus la situation économique de la NAM est faible. Les Américains sont nettement plus solides sur le plan de l’organisation. Nous sommes en relation des plus amicales avec leurs missionnaires à Tunis depuis longtemps, avant qu’ils n’aient quitté la NAM pour les Américains. Et on a toujours trouvé naturel de nous adresser à eux quand on avait besoin de conseil et d’appui. Il n’y a pas que cela : tous les ans la mission américaine rassemble ses collaborateurs pour échanger leurs expériences, discuter des problèmes et c’est très positif, c’est une grande force de ressentir combien on est ensemble face à l’ennemi commun. L’attitude négative réciproque des deux sociétés missionnaires impose que si on adhère à la NAM on renonce aux relations avec ces amis. Ici en Suède on s’est montré dubitatif envers une association avec les Américains en raison de la peur de la théologie moderne, ainsi que des principes et méthodes moins spirituels que dans la NAM42. Nous ne pouvons pas beaucoup nous exprimer sur ceci. Mais nous avons entendu lors des conférences missionnaires qu’il n’est pas sûr que les difficultés et luttes là-bas concernent aussi le terrain missionnaire. Et pour juger de la situation en Afrique du Nord, on ne doit pas oublier que la plupart des missionnaires de la mission américaine sont des Anglais qui ont quitté la NAM (donc des « frères »), non parce qu’ils ont changé d’idées mais parce qu’ils ont reconnu la nécessité de stabilité et d’unité dans le travail. Lorsqu’en 1911 on nous avait proposé de pouvoir nous unir avec la mission américaine, l’obstacle décisif avait été leur exigence de transfert total de notre travail à eux. La KMA désirait une association plus lâche. Une nouvelle discussion avec le Dr Frease pendant l’hiver m’a convaincue qu’ils n’ont pas changé de point de vue sur ceci. Mais naturellement cela implique justement pour nous la meilleur aide qui soit. La reprise par eux de la direction donne une sécu-

42 En 1922, consultation de Karl Fries (1861-1943), dirigeant de divers mouvements chrétiens au plan international, et de Per Folke Hoving (1871-1938), artiste peintre, missionnaire et spécialiste de la Laponie où il collabore avec la KMA. Ce dernier n’est « pas particulièrement positif en ce qui concerne la situation spirituelle aux USA où le rationalisme est de plus en plus développé », PV KMA, 16-3-1922, §5.

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rité pour nous-mêmes et pour l’avenir de la mission. Notre travail sera poursuivi même si nous nous retirons. Chacune de nous a cherché à se tenir silencieuse devant le Seigneur pour approfondir la chose, et nous sommes maintenant parvenues à une conviction commune comme quoi le transfert de la mission à la mission américaine est la meilleure et la seule solution. On a aussi la crainte, en Suède, que ce serait dur de maintenir l’intérêt et de recueillir assez de moyens pour notre entretien. Mais peut-être sera-ce le contraire de sorte que la confiance du public sera plus grande puisque nous ne serons plus simplement une mission féminine isolée. De plus il ne devrait pas être non plus nécessaire de trop mettre en avant la mission américaine, puisque il est tout à fait certain que nous conserverons notre travail suédois. Le 29 septembre 1920 le Comité accepte l’idée d’association, après une visite sur le terrain d’Elsa Ringborg, été 1921, puis une autre d’Anna Baeckman, printemps 1922, un compromis est signé.

En guise de conclusion L’histoire la mission en Tunisie ne s’arrête pas là. Elle s’est poursuivie jusqu’à la dissolution de la KMA en 2004. Les années 30 et 40, ayant affaibli la position des Américains puis les ayant écarté du terrain, les Suédoises, neutres, restèrent seules malgré les conditions difficiles de la guerre (à Tunis, Sousse et Bizerte). A partir de 1947, le travail s’est poursuivi sur des bases plus proches de celles des pionnières grâce notamment à Agda Nyberg, retraitée qui vint reprendre le rôle de Rosa Marcusson à Bizerte jusqu’en 1962, soutenue par une missionnaire arrivée à l’époque de Tunis en 1932 : Hildur Gelotte qui, absente de 1942 à 1953, revint finalement sur le terrain pour soutenir l’action de Bizerte de 1953 à 1973. Alors, après 75 ans de présence, la mission suédoise cessa dans cette ville, tandis que les actions nouvelles envisagées dès 1911 continuaient de porter leurs fruits (notamment dans la ville de Beja et à Tunis).

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LA MISSION JÉSUITE AUPRÈS DES ALAOUITES (SYRIE) C h a nt a l Ve r de i l

La mission de la Compagnie de Jésus au Proche-Orient, remonte à l’époque moderne. Après plusieurs missions auprès des maronites ou des coptes à la fin du xvie siècles, les jésuites s’installent à Alep, Damas, Tripoli, Saïda, Antoura (Mont-Liban) entre 1627 et 1657. Une mission est fondée au Caire en 16971. Après la suppression de la Compagnie en 1773, les lazaristes reprennent les résidences de Syrie et ce sont de nouvelles maison que fondent les jésuites de la Compagnie restaurée en 1831 : abandonnant l’intérieur syrien, ils s’installent dans la montagne libanaise et sur la côte, à Beyrouth et à Saïda2. La fin du xixe siècle, à partir des années 1870, voit naître des institutions nouvelles (telle l’Université Saint-Joeph et ses différentes facultés) et se multiplier les résidences : de Syrie, les jésuites s’installent en Égypte et en Arménie. À la veille de la Grande Guerre, la Compagnie possède 26 résidences au Proche-Orient (Syrie, Égypte, Arménie). Le premier conflit mondial met fin à cette première expansion. Les maisons d’Arménie, comme d’autres, sont fermées. Les fondations reprennent dans les années 1930, plus timidement il est vrai, avec l’ouverture de plusieurs maisons en Syrie, à Palmyre, Kirik Khan (région d’Alexandrette) et dans la montagne alaouite. Le contexte est alors radicalement différent de celui du xixe siècle. Avec la disparition de l’empire ottoman, le Proche-Orient arabe passe sous domination européenne. La France reçoit le Mandat sur la Syrie dont le Liban est détaché en septembre 1920. Le reste de la Syrie est divisé en plusieurs États ou territoires. Le territoire autonome des alaouites qui voit le jour en 1921 devient un État l’année suivante pour rejoindre les États de Damas et d’Alep dans la fédé1 C. Libois, sj, La Compagnie de Jésus au « Levant », La province du Proche-Orient, Notices historiques, Beyrouth, Dar el-Machreq, 2009, 416 pages, p. 39-40. 2 Je me permes de renvoyer pour cet aperçu général à C.  Verdeil, La mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie (1830-1864), Paris, Les Indes savantes, 2011, 504 pages.

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ration des États de Syrie (juin 1922). En 1924, après le retrait de l’État alaouite, cette fédération est dissoute. L’État alaouite est désormais autonome à côté de l’État de Syrie formés des anciens gouvernements de Damas et d’Alep. En 1930, les statuts organiques des États du Levant en font un Gouvernement (comme celui des Druzes) auxquels les textes accordent une large autonomie3. La période de l’Entre-deux-guerres se révèle plutôt favorable aux missions chrétiennes : sous l’empire ottoman, les missionnaires de Syrie étaient des étrangers dans un espace dominé par un pouvoir musulman. À partir des années 1920, ils apparaissent comme des auxiliaires de la puissance mandataire qui s’est en outre engagée, à travers la charte du Mandat pour la Syrie et le Liban, à « garantir à toute personne la plus complète liberté de conscience, ainsi que le libre exercice de toutes formes de cultes compatibles avec l’ordre public, et les bonnes mœurs » (art. 8) et surtout à borner son contrôle sur les missions religieuses en Syrie et au Liban « au maintien de l’ordre public et de la bonne administration ; aucune atteinte ne sera portée à la libre activité des dites missions religieuses. Les membres de ces missions ne feront l’objet d’aucune mesure restrictive du fait de leur nationalité, pourvu que leur activité ne sorte pas du domaine religieux » (art. 10) 4. La construction des États nouveaux offre aussi de nouvelles opportunités aux missionnaires : c’est le cas en Irak où les jésuites américains ouvrent un « college » en 19325. En Syrie, l’État alaouite confie aux carmélites apostoliques de Saint-Joseph un orphelinat général dans les années 1920 6. En 1930, à la demande des autorités française, les Bénédictins olivétains ouvrent un centre agricole dans cette même région. La domination européenne jette cependant une lumière nouvelle sur les différences, voire les contradictions entre les objectifs du gouvernement français et ceux des missionnaires. Conformément à ses engagements, la France soutient le développement de l’enseignement officiel ou celui de la Mission laïque, réputée plus ouverte à toutes les communautés. Dans les années 1930, les 3 J.-D. Mizrahi, « La France et sa politique de mandat en Syrie et au Liban (1920-1939) », dans France, Syrie et Liban1918-1946, Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire, ed., N. Méouchy, IFPO, Damas, 2002, 430 pages, p. 35-64. 4 Société des Nations, Mandat pour la Syrie et le Liban, Londres, 24 juillet 1922, cité dans France, Syrie et Liban 1918-1946, Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire, p. 421-427. 5 C. Libois, sj, La Compagnie de Jésus au « Levant », La province du Proche-Orient, p. 307-309. 6 « Lettre de la Très Révérende Mère Marie-Mathilde de la Croix, supérieure générale des carmélites apostoliques de Saint Joseph à Mgr Lagier », Bulletin de l’œuvre des Écoles d’Orient, octobre 1928.

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lazaristes de Damas déplorent la concurrence faite à leur établissement pourtant reconnu comme un loyal serviteur de la « Nation tutélaire »7. Le déclin du nombre d’élèves ajouté à la crise économique plongent alors leur collège dans de graves difficultés financières. En quelques années, la situation des missionnaires est bouleversée : d’abord confiants dans cette domination mandataire qui leur assurait un constant soutien politique, ils sont désormais envahis par l’inquiétude. Restrospectivement, les années 1930 apparaissent comme un apogée éphémère. Comme les autres missions catholiques au Proche-Orient, la mission jésuite de Syrie n’était pas vouée à la conversion des musulmans8. Dès l’époque moderne, cette perspective est abandonnée9 et au xixe siècle quand les jésuites repartent en Syrie, ils sont envoyés pour prendre en charge la formation d’une partie du clergé des Églises catholiques orientales, pour prendre soin de leurs fidèles, qu’ils jugent mal servis par un clergé défaillant, et les conforter dans leur attachement à l’Église romaine. Pendant le premier siècle de la mission, les conversions de l’islam au christianisme restent très peu nombreuses (les archives en mentionnent moins d’une vingtaine) et ce sont presque toujours des conversions individuelles10. Tournés vers les catholiques et, au-delà vers les chrétiens séparés qu’il s’agit de ramener dans le giron de l’Église romaine, les jésuites de Syrie accordent une place particulière aux dissidents de l’islam sunnite considérés comme plus accessibles et moins hostiles aux missionnaires. Druzes et alaouites font partie de ces communautés issues de l’islam chiite et éloignées par leurs croyances et leurs rituels des pratiques religieuses sunnites. À plusieurs reprises les missionnaires, qui voyaient dans leur insoumission envers le pouvoir ottoman le signe d’un faible attachement à l’islam, ont caressé l’espoir de les voir rejoindre le catholicisme. Différents projets sont

7 Relation sur le triduum des fêtes célébrées à Damas à l’occasion du centenaire du retour des lazaristes, Beyrouth, C.M, 1930, cité dans J. Bocquet, La France, l’Église et le Baas, Paris, Les indes savantes, 2008, 423 pages, p. 46. 8 C. Verdeil, « Travailler à la renaissance de l’Orient chrétien. Les missions latines en Syrie (1830-1945) », Proche-Orient chrétien, 51 (2001), Fasc. 3-4, p. 267-316. 9 B. Heyberger, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la réforme catholique, Rome, EFR, 1994. 10 Le converti met sa vie en danger et plonge les missionnaires dans l’embarras face à l’autorité ottomane. Les convertis rompent toujours avec leur famille, et de façon plus générale avec la société dans son ensemble : soit ils émigrent (en Europe par exemple), soit ils rentrent dans un ordre religieux européen. Ces deux alternatives ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Il est arrivé que deux frères se convertissent en même temps.

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évoqués dans les lettres des missionnaires tout au long du xixe siècle, mais aucun n’aboutit11. Dans la montagne alaouite, au début des années 1930, les jésuites enregistrent leur premier mouvement de conversions collectives. Cet élan abouti à la naissance d’une modeste communauté chrétienne et entraîne la fondation d’une « statio » à Jnainet Reslan dans le village des premiers convertis, conçue comme un poste avancé de la résidence de Tarsous où une maison est achetée en 1931. La mission dure une quinzaine d’années et se termine dans des conditions encore obscures : en 1946, le P. Gillet, principal animateur de la mission auprès des alaouites est « retiré » de la montagne où il ne devait plus jamais retourner12. Grâce aux sœurs, qui n’ont jamais quitté la région, les jésuites ont conservé leur imposante maison de Jnainet Reslan et une autre à Toffaha. Depuis 1980 elles sont occupées ou du moins visitées par un père d’origine syrienne (le P. Massamiri de 1980 à 1999 et le P. Paul Diab depuis)13. Les jésuites possèdent toujours une maison de retraite à Toffaha (dirigée par le P. Massimiri) qui accueille notamment les pères âgés14. En raison de sa fin tumultueuse, la mission jésuite auprès des alaouites n’est guère évoquée dans l’histoire de la mission puis de la province jésuite au Proche-Orient. Pourtant, dans les années 1930, elle fait l’objet de plusieurs articles dans la revue interne de la Compagnie de Jésus Relations d’Orient, une carte postale immortalise les premiers baptêmes de juillet 1931 et Mgr Giannani (délégué apostolique) puis le cardinal Tisserant, préfet de la Congrégation pour les Églises orientales lui font l’honneur

11 C. Verdeil, « Une “révolution sociale dans la montagne” : la conversion des alaouites par les jésuites dans les années 1930 » dans L’islam des marges, Misions chrétiennes et espaces périphériques du monde musulman XVIe-XX e siècle s.d., B. Heyberger, R. Madinier, Paris, IISMM-Karthala, 2011, p. 81-105 ; B. Heyberger, « Peuples “sans loi, sans foi, ni prêtre” : druzes et nusayrîs de Syrie découverts par les missionnaires catholiques (xviiexviiie siècles) », ibid. p. 45-80. 12 Les publications de la Compagnie sur la fin de la mission restent allusives (le P. Libois écrit : « un jour, le P. Gillet fut éloigné du pays des Alaouites). Il semble, d’après des sondages effectués dans les archives de la Compagnie à Beyrouth que le P. Gillet ait été pris dans les conflits qui ont opposé, au moment de l’indépendance syrienne, les partisans d’une autonomie alaouite (auxquels les jésuites étaient sans doute liés) et les promoteurs de l’unité (et de l’indépendance) syriennes. 13 C. Libois, sj, La Compagnie de Jésus au « Levant », La province du Proche-Orient, p. 312-313. 14 Informations données par le site « Œuvres des missions catholiques française d’Afrique et d’Asie (OMCFAA) », consacré en fait aux missions (provinces) jésuites d’Afrique et d’Asie. Voir : http ://www.omcfaa.org/index.php.

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d’une visite15. L’activité des jésuites dans la montagne alaouite embarrasse les autorités françaises qui doivent notamment répondre devant la commission permanente des mandats à des pétitions adressées à Genève par les Alaouites qui demandent que la puissance mandataire mette fin au prosélytisme des jésuites. Pour le P. Gillet, c’est la seule « vraie mission de son Vicariat ». C’est peut-être aussi cette réussite, vantée par les missionnaires de l’époque, qui embarrasse les jésuites d’aujourd’hui dont l’apostolat en direction des musulmans suit d’autres voies que ce prosélytisme actif16. La mission de la Compagnie de Jésus auprès des alaouites appartient à une époque où la conversion des musulmans reste dans l’horizon d’attente, même très lointain, des missionnaires. Mais à cette période, elle est singulière : il n’y eut pas, semble-t-il, dans l’histoire de la mission jésuite au Proche-Orient d’autres mouvements de conversion de l’islam vers le christianisme de cette ampleur. Elle est présentée ici à travers plusieurs rapports rédigés par les deux pères à l’œuvre dans cette mission. Le P. Michel Gillet (1904-1986) appartient, comme nombre de religieux à une famille pourvoyeuse de prêtres et de religieux : deux de ces cinq frères sont entrés dans l’ordre des trappistes et un troisième appartient lui aussi à la Compagnie. Entré dans l’ordre d’Ignace de Loyloa en 1922, envoyé pour se former à Bikfaya dans la montagne libanaise, où il apprend l’arabe, il occupe dans la montagne alaouite son premier poste de jésuite missionnaire (après un séjour en France où il est ordonné prêtre en 1932)17. Un peu plus âgé (il est né en 1901) le P. Joseph Vexivière, son principal auxiliaire en poste à Jnainet Reslan, a suivi un parcours similaire : entré dans la Compagnie en 1918, formé à Tanaïl puis à Bikfaya comme lui au début des années 1920, il est aussi ordonné en 1932 et envoyé définitivement en Orient en 1934, d’abord comme père spirituel à Ghazîr, puis comme missionnaire dans la montagne alaouite18. D’autres personnages de cette histoire apparaissent dans les lettres de façon plus anonymes. Les Sœurs des Saints-Cœurs de Jésus et de Marie appartiennent à une congrégation fondée par les jésuites au xixe siècle et officiellement reconnue en 1901. Femmes et syro-libanaises,

15

AFSI, RPO 95, Lettre du P. Vexivière aux bienfaiteurs de la mission, 1er août

1939. 16

C’est notamment le cas au Maghreb. Voir par exemple ce que dit P. Desfarges de la mission jésuite au Maghreb : http ://www.jesuites.com/compagnons/maghreb/ index.html, consulté le 23 janvier 2012. 17 C. Libois, sj, Jésuites au Proche-Orient, Notices biographiques, t. II, 1986-2004, Beyrouth, Dar el-Machreq, 2004, 84 pages, p. 16. 18 H. Jalabert sj, Jésuites au Proche-Orient, Notices biographiques, Beyrouth, Dar el-Machreq, 1987, 512 pages, p. 475.

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missionnaires et institutrices, ce sont des auxiliaires précieuses de la Compagnie. Les destinataires des textes ne sont pas toujours connus : ces rapports sont sans doute adressés aux supérieurs de la mission, mais leur style épique suggère qu’ils ont aussi écrits pour être ensuite publiés (avec peut-être quelques modifications) dans la presse missionnaire destinée à stimuler les vocations (au sein de la Compagnie) et à encourager les dons. L’exposé de la nécessité et de la réussite des activités des missionnaire précède celui des projets et des besoins. Dans cette perspective, on n’hésite pas à qualifier les donateurs de « croisés », mais ce terme n’est pas employé pour désigner le missionnaire lui-même. Le premier rapport retrace l’histoire de cette mission durant ces cinq premières années. Il rappelle un fait qui peut paraître surprenant : les jésuites ne sont pas à l’origine des conversions ; ce sont les Alaouites, qui désireux de rejoindre le catholicisme, font appel à eux. Sans doute faut-il lier cet épisode à des mécanismes souvent à l’œuvre dans les missions : en dépit de leur nom et de leur statut d’envoyées, les missionnaires sont le plus souvent demandés, sollicités, accueillis par des tiers qui définissent ou du moins infléchissent leurs projets. Ce mouvement de conversion n’est pas lu par les jésuites selon un prisme religieux mais social et politique : c’est à la suite de « graves différends » au sein d’une tribu que les jésuites ont accueilli de nouveaux chrétiens. Ailleurs les pères évoquent une « révolution sociale »19 dans la montagne (alaouite) : sous le Mandat, cette région montagneuse, peuplée de paysans pauvres et frustres est intégrée à l’espace syrien et la mission participe de cette intégration. Les écoles, le dispensaire, les visites des missionnaires mais aussi des jésuites de Beyrouth ou des autorités catholiques venues de plus loin tissent des liens qui l’attachent à des ensembles plus vastes. La correspondance des missionnaires témoigne du peu d’intérêt des pères pour la religion des alaouites. Le P. Gillet semble même accorder quelque crédit à la thèse, déjà contestée à l’époque, de leur lointaine origine chrétienne. Comme son compagnon, le P. Vexivière, il prête bien davantage attention à la vie quotidienne des nouveaux convertis et beaucoup de lettres font la part belle aux observations ethnographiques. C’est qu’elles rejoignent une des préoccupations intimes des missionnaires : leur volonté d’agir sur les comportements des fidèles. La transformation des mœurs est un corollaire de la conversion et nourrit une « distinction catholique » qui fait partie des résultats tangibles de leur action 20. La situation des femmes à travers les tâches qui leur sont dévolues et les violences qu’elles subissent, 19 20

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C. Verdeil, « Une « révolution sociale dans la montagne ». B. Heyberger, Les chrétiens d’Orient au temps de la réforme catholique, p. 511-549.

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retient toute leur attention. Les missionnaires voudraient la transformer de façon radicale sans complètement y parenir. Plus généralement, « l’alaouite chrétien », homme ou femme, devrait être un être totalement différent de « l’alaouite » tout court, comme si le changement de religion signifiait l’intégration dans un autre groupe défini selon des caractéristiques certes confessionnelles, mais aussi morales, sociales et politiques. Cet emploi des mot « alaouite » ou « alaouite chrétien » comme s’il s’agissait non pas seulement de communautés religieuses mais de groupes ethniques est révélatrice du regard des missionnaires. À leurs yeux, le religieux prime sur tout et permet de définir les groupes sociaux. D’autres orientalistes, voyageurs, écrivains, journalistes, diplomates ou hommes politiques, partagent cette façon de voir et le prisme religieux oriente toujours les manières de voir « l’Orient » de nos jours. La mission se félicite de l’appui des plus hautes autorités de l’Église catholique qui paraît d’autant plus nécessaire que celui du gouvernement français semble embarrassé et hésitant. Les missionnaires consacrent aussi beaucoup d’énergie à se ménager des appuis localement. Les lettres les montrent insérés dans un réseau de relations où s’échangent des services, s’enveniment des conflits et se négocient des réconciliations. Français et donc proches du pouvoir mandataire (malgré ses réticences), les missionnaires se posent comme des notables dont l’autorité peut contester celle du « chef de tribu ». C’est une des raisons des conversions, mais aussi une source des difficultés que rencontrent les jésuites. Alliés de fait à la puissance mandataire, ils semblent appuyer les partisans d’un particularisme alaouite. Tout les oppose par conséquent aux nationalistes syriens qui prônent à la fois l’indépendance et l’unité syriennes. Cette insertion dans la société locale, et la dépendance des missionnaires à son égard ne distinguent pas cette résidence de la mission jésuite au Proche-Orient. Elles pèsent sur les missions en général. Plus que d’autres, la station jésuite auprès des alaouites est isolée et fragile : peu soutenue voire critiquée par les autorités françaises, elle est en butte à l’hostilité d’une partie de la population et essuie régulièrement des rebuffades de la part de ces montagnards que les missionnaires décrivent volontiers comme rudes, frustes et irascibles. Cette violence parfois brutale (vols, coups) singularise cette station auprès des alaouites au sein de la mission jésuite de Syrie. Autre trait particulier, les mariages y tiennent une large place, alors qu’ailleurs les jésuites n’en célèbrent pas (appartenant au rite latin, ils ne peuvent marier des fidèles des Églises orientales) : là, il faut faire vivre la communauté, favoriser son plein épanouissement, et assurer sa continuité. Plus tard, les missionnaires font preuve d’un grand intérêt pour les nouveaux-nés dûment comptabilisés dans leurs rapports. Chaque naissance

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dans les ménages catholiques est accueillie comme un signe de la vitalité de la communauté nouvelle et un gage de sa pérennité. Les récits des mariages, arrangés, célébrés et surveillés par les pères, et les descriptions d’autres réjouissances mettent l’accent sur les nouveautés introduites par les jésuites sans cacher ce que ces cérémonies doivent à des coutumes locales plus anciennes. La conversion n’est peut-être pas aussi radicale que le voudraient les pères et la mission demeure une affaire de compromis.

Mission de la Compagnie de Jésus auprès des Alaouites du gouvernement de Lattaquié21 La mission auprès des Alaouites de la région Sud du Gouvernement de Lattaquié date de 1931. Elle a son origine lointaine dans la présence à Safita d’une école de filles dirigée par les Religieuses des SS. Cœurs de Jésus et de Marie. Cette école fut fondée en 1925 transforma la petite ville et fit connaître l’action des missionnaires dans toute la région dont Safita est le centre administratif. Un grave différend étant survenu entre le chef de la tribu des Reslani, Amin Reslan, et ses paysans, ceux-ci songèrent à secouer le joug de servitude qu’ils subissaient depuis des siècles et à mettre leurs légitimes revendications à l’abri d’une force capable de les soutenir. Ce souci d’émancipation sociale autant que le désir d’une vie plus humaine, pour leurs enfants surtout, est à la base de toutes ces conversions. Ils s’adressèrent donc tour à tour aux protestants, aux schismatiques et aux catholiques qui ne crurent pas à la sincérité de leurs désirs. Un chef de tribu, Aziz Haouach, leur conseilla alors d’aller frapper à la porte des Sœurs « Jésuites », ce qui fut fait. Durant plusieurs mois, elles instruisirent les nouveaux catéchumènes et, comme ils persévéraient malgré les persécutions dont ils furent dès lors les victimes, on se décida à les admettre au baptême dans le rite latin. Pour être davantage sous la juridiction de la Mission, ils tinrent en effet au rite des missionnaires et comme ils relevaient autant de l’Islam que du paganisme et n’avaient jamais appartenu à un rite schismatique, la délégation apostolique donna droit à leur désir. Le 19  juillet, le R.  P. Chanteur, supérieur de la Mission, baptisait à Jenainet Reslân 62 alaouites. Notons tout de suite, pour dissiper une 21

AFSI (archives françaises de la Compagnie de Jésus) RPO 95, Mission de la Compagnie de Jésus auprès des Alaouites du gouvernement de Lattaquié.

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équivoque, que si le motif religieux n’est pas à la base de ces conversions, l’alaouite n’a pour autant aucune antipathie pour la religion chrétienne, ce qui est le fait des musulmans authentiques et de tous leurs schismes : chiites, métoualis, druzes, etc. … Bien au contraire, par les traditions chrétiennes qui voisinent curieusement dans ses rites avec le culte du prophète et l’adoration des astres, par la connaissance des évangiles, même apocryphes, ils entrent dans nos croyances avec une facilité qui fait songer, quoi qu’en pensent certains savants, à une lointaine origine chrétienne. Dans la masse, on peut dire qu’il n’existe pas de fanatisme religieux à l’endroit du chrétien ; beaucoup de sympathie, au contraire, et, chez ceux qui nous connaissent, un grand désir de devenir nôtres. Mais par contre, un fanatisme politique, fanatisme de tribu, jalousement entretenu par les chefs, et qui, chez ces gens frustres aux revirements subits, est capable en quelques jours, sous la pression de la peur ou d’un sermon religieux, de les conduire aux pires excès. Ces baptêmes eurent un retentissement profond dans tout le pays et, d’un peu partout on vint supplier les Missionnaires. De sages raisons politiques aidèrent sans doute les vues de la providence : il fallut surseoir à tant de demandes auxquelles, bon gré mal gré, on aurait pu répondre et s’organiser solidement dans la région de Jenaïnet. Une chapelle y avait été construite gardée par les Sœurs des SS. Cœurs et desservie par un Missionnaire. Une école s’y ouvrit bientôt pour les enfants chrétiens et, dès les débuts, une religieuse se mit à visiter les villages des environs – une cinquantaine – pour soigner les malades et distribuer les secours. Un second village éloigné de Jenaïnet d’une heure et demi à peine, le village de Toffaha, demande lui aussi à se faire chrétien. Dans cette mission de pénétration ou [sic] chaque percée représente un tabernacle de plus à ouvrir, la Mission dut supporter, en pleine crise, les frais d’une importante bâtisse nouvelle perdue dans la montagne, loin de toute route et de tout centres fréquentés (sic). C’est la question angoissante que pose tout nouveau développement dans une Mission neuve. Dans le domaine des fondations, citons encore, dès 1931, l’achat à Tartous, d’une maison qui constitue le centre administratif de la Mission et où résident actuellement deux pères. Une école de filles, aussi dirigée par les Sœurs des SS. Cœurs. Toutes ces dépenses furent bien récompensées par la progression du mouve373

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ment. Le 1er juin avait lieu les premiers baptêmes de Toffaha : 36 alaouites y furent régénérés et, le lendemain, la plupart d’entre eux recevaient le Sacrement de Confirmation des mains du R.  P. Chanteur, Supérieur de la mission, délégué par S. Exc. Monseigneur Giannini. Une grosse épreuve attendait l’œuvre naissante. De basses jalousies avaient semé la division parmi les chrétiens de Jenainet. L’argent des chefs vit fit le reste. Au moment des Confirmations, sept familles représentant un nombre de 29 chrétiens firent défaut et se séparèrent de nous. Ces défections furent enregistrées par nos ennemis comme un triomphe et le signe certain d’un prompt déclin. En fait, elles affermirent dans leur foi les chrétiens demeurés fidèles et, loin d’ébranler notre démarche en avant, l’année 1933-1934 vit à Jenainet la fondation d’un dispensaire que devait bientôt diriger, avec beaucoup de compétence, une pharmacienne diplômée de France, appartenant à la société Jésus Réparateur. Entre temps la liste des baptêmes s’allongeait, à Toffaha aussi bien qu’à Jenainet et les apostats de leur côté ne tardèrent pas à solliciter un rapprochement. C’est pourtant au cours de l’année 1934-1935 que l’œuvre atteignit son plus bel épanouissement. Le 9 décembre 1934, 9 alaouites recevaient le baptême. Parmi eux se trouvaient le propre cousin du chef de tribu et sa femme. Au soir du 2 février, c’était un groupe de 23 alaouites qui sollicitaient à nouveau le Missionnaire. À bon droit, le chef de tribu s’émut d’un tel mouvement. Aussi bien, à la faveur des élections du pays qui retenaient alors toute l’attention du gouvernement et devaient assurer l’impunité du meneur, candidat avoué de Lattaquié, Amin Roslân employait tous les moyens d’intimidation pour décourager les nouveaux néophytes et créer des troubles tels que le bien général autorisait alors, au terme même d’un des articles de la S.D.N. la suppression de notre œuvre. Dans tous les villages de la tribu, mais spécialement à Jenainet, on exige le serment individuel de chaque alaouite. Il s’engageait devant ses chefs religieux à boycotter les chrétiens, à considérer leur droit de propriété comme inexistant, à cesser toute relations avec eux, et, au besoin, à s’en débarrasser par la force. Le 5 mars, en effet, une bataille eut lieu. Cinq chrétiens, auxquels on espérait bien se voir se voir joindre le reste du petit troupeau, furent assaillis et matraqués par une centaine 374

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d’alaouites. Une jeune fille qu’on crut en danger de mort demanda spontanément le baptême : elle le reçut dans son sang. Le 7, le Missionnaire était poursuivi, atteint et battu. Sans la bienveillance de quelques paysans qui le cachèrent dans une étable, il eût sans doute péri sous les coups. L’école fut désertée par les enfants alaouites qui la fréquentaient. Les malades qui se hasardaient à venir jusqu’à nous des villages étrangers à la tribu d’Amin Roslân, étaient arrêtés, battus, et renvoyés chez eux, plus morts que vifs. Les vols se multipliaient. Les moulins se refusèrent à moudre le grain des chrétiens et, d’une façon générale, les échanges cessèrent, rendant très difficile le ravitaillement de la mission. On vit même des parents alaouites ne plus oser saluer en plein jour leurs enfants chrétiens. À défaut d’une autorité, liée par la politique, et d’ailleurs très partiellement renseignées, l’action du Bon Dieu se fit sentir plus persuasive que jamais. Sollicités de toute façon et spécialement par l’appât de fortes sommes d’argent, en butte à toutes les vexations, aucun de nos nouveaux catéchumènes ne céda et, le 28 avril, les 23 alaouites qui le 2 février s’étaient mis sous la protection de la Sainte Vierge, recevaient le baptême. Peu à peu, les relations amicales reprirent, plus cordiales qu’auparavant. Celui qui, au soir du 7 mars, prit la tête des assaillants du Missionnaire, le frère même du cousin d’Amin Reslân baptisé le 9 décembre, demanda lui aussi à être nôtres. En juin, un groupe de trois familles – une vingtaine d’âmes – appartenant à un nouveau village, celui de Kfar Tallech, faisait la même demande. Leur baptême est prévu à la fête de Noël. Bref, la situation parut si détendue et si calme que la Mission crut le moment venu d’inviter son Père et son Chef, son Excellence Mgr Giannini, Délégué Apotolique au Liban et en Syrie. Après avoir pressenti le Haut Commissaire et son représentant à Lattaquié, malgré son grand âge, il accepta de venir confirmer, baptiser et marier. La visite pastorale fut d’abord prévue pour le 1er novembre, mais une violente tempête, tout à fait exceptionnelle à cette époque de l’année, la fit remettre au Dimanche 3. Au matin du 2, malgré une pluie battante, son Excellence quittait Tripoli pour Tartous ou plusieurs autos de notabilités lui firent un cortège d’honneur. Descendu au divan des Religieuses des SS. Cœurs, il y reçut toutes les personnalités de Tartous : musulmans aussi bien que chrétiens se plurent à saluer en lui le représentant de la plus haute autorité morale. Après avoir rendu 375

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les visites qu’il avait reçues, il déjeuna à midi chez les Religieuses des SS. Cœurs et, le soir à l’hôpital tenu par les Sœurs Italiennes de la Délivrande. Le Docteur du caza, un musulman, se fit un devoir de déjeuner avec lui. C’est à l’hôpital qu’il prit son repos. La nuit du Samedi au Dimanche vit tomber des torrents d’eau. Tout autre que son Excellence s’en fut découragé. N’était-ce pas d’ailleurs bien hasardeux, imprudent même, de s’aventurer par ce temps sur des pistes de montagne détrempées et coupées de torrents ? Son Excellence ne le crut pas et s’obstina, suivant son expression, à « vaincre le diable ». A l’heure prévue, 6 ½, enveloppé de couvertures, il montait dans sa Fiat. On avait quitté Tartous depuis vingt minutes à peine quand on croise l’auto du Directeur de l’Imprimerie Catholique qui en panne depuis la veille au soir, avait passé la nuit sous la pluie. Le cœur du Délégué s’y montre très sensible. La route se poursuivit péniblement, comme il fallait d’y attendre, mais, le principal obstacle, le torrent qui durant l’hiver isole Jenainet des centres habités se laisse franchir. Après deux bonnes heures de trajet, au son de la cloche de la Mission, où l’on commençait à désespérer, sous la même pluie battante qui mouillait les couleurs pontificales de la façade, l’auto de son Excellence pénétra enfin dans la petite cour des Sœurs. Il y fut reçu par tous les chrétiens, plusieurs pères de Beyrouth et quelques séminaristes qui, restés en panne dans le torrent au milieu de la nuit, n’étaient arrivés que depuis quelques heures et avaient passé leur temps à orner la chapelle. La Mère Générale des Religieuses des SS. Cœurs était aussi présente avec les deux communautés de Jenainet et de Toffaha. Le temps de se reposer et de revêtir les habits pontificaux et, dans l’émotion générale, sous les regards avides de tous les enfants, le représentant du Pape fit son entrée dans la très humble et toute petite chapelle de la Mission. Trop fatigué pour baptiser, il chargea le R. P. Sautier, Supérieur de la Mission, de faire la cérémonie (un adulte, le cousin du chef de tribu dont il fut question plus haut) et de célébrer la Sainte Messe. Il se contenta d’assister au prône. Mais, quand sonna le « Domine non sum dignus » et que tous pêle-mêle, petits et grands se pressèrent sur les marches de l’autel pour recevoir la Sainte Communion, il voulut de sa main donner lui-même Notre Seigneur à chacun des siens : ce fut peut-être l’heure la plus émouvante de cette journée. Et puis, sans transition, ce fut la confirmation, le désordre 376

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touchant des pauvres s’agenouillant un à un aux pieds de Monseigneur, l’effusion de l’invisible Esprit… La cérémonie se termina par un mariage : elle avait duré sans interruption de 8h 3/4 à 11 heures. Vers 11h ½, quatre autos nouvelles s’annoncèrent qui avaient réussi, elles aussi, à franchir le torrent. Ce furent d’abord le Directeur de l’Imprimerie Catholique et l’Aumônier du Cercle de la Jeunesse Catholiques de Beyrouth, croisés le matin même et qui arrivaient enfin après vingt heures consécutives d’auto. Puis, reconnaissable à leur drapeau qui, en dépit de la pluie [qui] flottait en dehors de l’auto, un groupe de Cadettes de Lattaquié, élèves du Carmel Saint Joseph. Elles non plus ne s’étaient pas laissées rebuter ni par le temps ni par les inquiétudes de leurs parents. Elles arrivaient très fières après avoir communié à Tartous. Du Nord comme au Sud, très modestement, mais très résolument on avait accouru se grouper autour de son Excellence et s’associer aux joies de la Mission. Après le repas, son Excellence voulut regagner Tripoli par Tartous. Sous la pluie encore, il repartit, la joie au cœur, accompagné d’une immense gratitude. On sut après qu’au fameux torrent, la puissante Fiat manqua de s’enliser et peina un moment. Moins heureuse, les six autos qui passèrent après lui demeurèrent près d’une heure à patiner dans la boue et, sans l’effort de tous, chauffeurs, paysans, jeunes gens et Missionnaires qui poussèrent, une à une, jusqu’au sommet de la pente, chacune des autos, on fut resté en panne. Le démon avait été vaincu, mais, à la façon du Bon Dieu : par l’humilité des apparences et l’abnégation de tous. Si le temps avait été clément, comme il l’est toujours à pareille époque, le passage du représentant de Rome aurait été un triomphe. Mais, les difficultés rencontrées l’auront davantage attaché à la « seule vraie Mission de son Vicariat » dont il connaîtra un peu, pour les avoir éprouvées, les difficultés et les peines. Le triomphe a été tout intérieur, comme la grâce qui en fut l’instrument, mais cette journée du 3 novembre 1935, après les cinq ans d’existence que nous venons de résumer, nous permet de terminer ce rapport par un acte de profonde gratitude envers la Providence de Dieu, et surtout d’invincible confiance en l’avenir qu’elle réserve à la Mission Alaouite. Tartous, 10 Novembre 1935, Michel Gillet, S.J., Supérieur 377

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Organisation actuelle de la mission alaouite La mission située dans l’État des Alaouites (nommé actuellement Gouvernement de Lattaquié), comprend cinq postes : Tartous, Jenainet, Toffaha, Safita et Kafroun. Tartous, à 50 kil. Au Nord de Tripoli, est le centre des affaires, de l’administration, des tribunaux pour le Sud du gouvernement de Lattaquié. C’est aussi le centre de la Mission. Le chef de la Mission, le P.  Michel Gillet y a sa résidence. Il a comme compagnon le P. Frédéric Coste, qui lui sert aussi de conseiller, car il connaît admirablement bien la Mission, et assure la Messe et le service religieux de l’École, tenue par cinq religieuses de la congrégation indigène des SS. Cœurs, et celui de la petite paroisse. Lui présent, le P. Gillet est mobile, et peut se rendre là, où fréquemment le réclame d’urgence les intérêts de la Mission : Tripoli, Lattaquié, Beyrouth, les postes de la montagne… par ailleurs, durant les séjours du P. Gillet à Tartous, le P. Coste peut aller prêcher de petites retraites et mission dans les villages abandonnés des environs. Plusieurs, comprenant des groupes assez importants de maronites, n’ont pas vu de prêtres depuis des années et sont dans une ignorance totale. Projet : la construction d’une école des Sœurs… Celles-ci habitent actuellement dans un local loué à un schismatique. Nous avons près de l’ancienne et magnifique basilique des Croisés (ruines grandioses et presque intactes) un très beau terrain, admirablement situé… la construction est remise d’année en année faute de ressources. Jnainet Reslan : C’est le centre de convertis le plus important, le vrai centre actuel de la Mission missionnante, à 1h. d’auto à l’Est de Tartous. Personnel : un prêtre, le Père Joseph Vexivière, qui assure le service de la paroisse, le soin spirituel des Sœurs, la visite des villages, et remplit le rôle de vicaire du P. Gillet ; un jeune homme de 21 ans, compagnon du Père et maître d’école ; deux religieuses des SS. Cœurs, qui s’occupent l’une de la maison et la classe des tout petits, des catéchismes aux femmes, – l’autre des visites de malades et du dispensaire avec la Sœur française ;

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une religieuse française de la Société de Jésus Réparateur, Mère Louise Thomasset, pharmacienne diplômée, qui a fait à deux reprises des stages d’infirmière dans les hôpitaux et dirige le dispensaire dans ce centre de la montagne qui n’a ni hôpitaux, ni médecin, ni hygiène. Cette religieuse a déjà fait un bien considérable et contribué beaucoup à la sympathie croissante pour le christianisme. Locaux : une maison comprenant au rez-de-chaussée, la chapelle provisoire et le dispensaire ; au premier, l’habitation des Sœurs ; à une trentaine de mètres, deux chambres louées qui servent, l’une d’habitation pour le Père, l’autre d’habitation du Maître et de salle d’école. – La religieuse fait la classe des tout-petits dans le divan du logis des Sœurs. Projet : construction d’une petite église, simple mais belle, qui s’impose – il y a actuellement 94 chrétiens et 80 places à la chapelle… et, grâce à Dieu, de nouvelles conversions en perspective – ; cette église avec – rêve du Missionnaire – un vrai clocher, serait une prédication constante ; l’actuelle chapelle suffirait comme école. Toffaha, à une heure et un quart de marche de Jenainet, par des sentiers de montagne. La station comprend : un prêtre maronite, le P. Jean Ouahbé, qui assure le service religieux du poste, et fait avec Sœur Albertine des visites de villages ; deux religieuses des SS. Cœurs, l’une s’occupant de la maison et de la classe – une vingtaine d’enfants – l’autre des relations avec les gens, du soin des malades et de la visite des villages. On entend par « visite des villages », des courses deux à trois fois par semaine dans les villages alaouites ou ismaïliés, situés dans une rayon de trois ou quatre heures de marche du centre ; la musette d’infirmière permet de soigner les corps, d’apprivoiser les gens, et le contact avec la charité catholique, d’acheminer les âmes vers la pleine lumière. Safita. A ¾ d’heure d’auto de Tartous ; c’est là que se trouvent le juge de paix et le chef du district (caïmacan) dont dépendent immédiatement Jenainet et Toffaha. Le milieu est surtout grec-schismatique avec un noyau de convertis du P. Barnier22. Cinq religieuses 22

Le P. Barnier (1847-1900), en poste à Homs à partir de 1888, avait créé un réseau d’écoles dans la région du Akkar (au sud de la montagne alaouite) à la fin du xixe

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des SS. Cœurs y tiennent une importante école de filles, la plupart schismatiques. Un père grec leur dit la messe. Le Père Vexivière visite l’école. Projet : sur un terrain acheté il y a trois ans, bâtir une école et une habitation des Sœurs qui s’imposent – elles sont actuellement en location – De bonnes religieuses, dans un local bien adapté pourraient faire de Safita un centre de rayonnement chrétien très actif. Kafroun. A une heure d’auto au N.E. de Safita, importante école gratuite tenue par trois religieuses des SS. Cœurs, la dernière bâtie par le P. Barnier, vrai pays de Mission (maronites et gecs) ; le P. Gillet la visite. Statistique des convertis de la Mission Alaouite proprement dite : Jnainet-Reslan et Toffaha Il y avait au 30 juins 1935 un effectif de 152 catholiques ; 94 à Jenainet, 58 à Toffaha. Il y a eu 9 décès de catholiques depuis la fondation. L’accroissement durant l’année 1934-1935 a été de 46 dont 9 retours de chrétiens ayant apostasié en 1934. On ne saurait exagérer l’importance des baptêmes du 28 avril (cf. Rapport). La persécution la plus violente qu’ait eu à subir la Mission n’est pas arrivé à détacher nos catéchumènes : aucun des 23 adultes inscrits n’a cédé à la violence. En regard des 500 habitants de Jenainet, nous sommes encore le « pusillus grex », mais en fait nous représentons la véritable force du village – par la qualité des familles qui nous sont venues ; par leur position sociale : elles sont propriétaires des 2/3 du village ; par les idées de justice et de paix que nous incarnons. Trois familles d’apostats nous sont revenues cette année (8 personnes). Une autre (8 personnes) nous fréquente assidument, et peutêtre considérée comme reconquise… seule deux familles d’apostats (12 personnes), n’ont repris aucun contact avec nous.

siècle. Voir, C.  Verdeil, « La classe ‘sous le chêne’ et le pensionnat : les écoles missionnaires en Syrie (1860-1914) entre impérialisme et désir d’éducation », OutreMers, revue d’histoire, n° 334-335, juin 2007, p. 197-222.

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En Septembre, un cousin chef de tribu s’est fait inscrire comme chrétien, changeant sa carte d’identité devant le juge de paix de Safita ; 16 personnes de Kfar-Tallech, à 20 min. de Jenainet se sont fait inscrire également. Le jour « historique » pour la Mission, du 3 novembre dernier, un cousin du chef de tribu, Saqr Mohamed Tamer Soleiman a été baptisé, 37 chrétiens ont été confirmés par son EXC. MGR. Giannini, la pluie ayant empêché les confirmands de Toffaha d’arriver à temps. Rapport de Mlle Louise Thomasset, directrice du dispensaire de Jnainet Reslan en pays alaouite23 Le dispensaire de Jnainet traverse une période difficile. Les pays alaouite comme toute la Syrie, est travaillé en ce moment par des influences qui s’opposent à l’œuvre française. Le peuple, encore enfant, est troublé dans sa quiétude par l’agitation actuelle donnera sa confiance à ceux qui lui offriront les éléments d’une sécurité matérielle dont il a grand besoin. Le dispensaire doit donc entrer pour une bonne part dans un plan d’amélioration sociale qui nécessite une activité et des ressources nouvelles. Il est déjà connu et apprécié. N’est-il pas visité chaque jour par les habitants des villages éloignés qui viennent, individuellement ou par petits groupes, réclamer conseils et remèdes contre les maux les plus variés ? Ils ne craignent pas ces orientaux, à l’allure paisible, de faire plusieurs heures de marche pour obtenir le médicament convoité. Si le malade n’est pas transportable, on sollicite la visite des infirmières, quitte à tricher un peu sur la longueur du chemin et à présenter comme relativement courte une course de plusieurs heures. Au début, les visites des villages éloignés se faisaient deux ou trois fois par semaine, aux jours fixés d’avance, mais les demandes se faisant trop nombreuses, il faut maintenant répondre aux plus pressantes, sans trop se soucier du programme établi. Malgré le désir des infirmières, il est impossible de donner satisfaction à tous. Il faudrait

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AFSI, RPO 95, Rapport de Mlle Louise Thomasset, directrice du dispensaire de Jnainet Reslan en pays alaouite, août 1935.

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pour cela des chemins mieux tracés et des moyens de communication rapides. Le travail fait à Jenainet même, donne au point de vue médical, des résultats plus certains parce que les soins y sont donnés plus régulièrement ; affection des yeux, plaies variées, maladies spécifiques, sont traitées au dispensaire. Quelques cas de paratyphoïde, échelonnés au long de l’année, exigent des visites assidues pendant plusieurs semaines – et c’est encore l’occasion de pénétrer dans certains foyers alaouites où l’accueil, d’abord farouche, devient de plus en plus sympathique. Le paludisme fait aussi des victimes en certains points de la contrée, la consommation de quinine serait même considérable si l’on ne déjouait souvent la ruse de prétendus malades qui voient dans ce médicament une panacée très désirable. En certains cas tenaces, il faut recourir à l’injection de quinine, mais c’est un procédé que l’on emploie rarement, nos gens apprécient fort peu les traitements douloureux, quelle que soit leur efficacité par la suite. Le notions d’hygiène ne pénètrent que difficilement. Il faut incriminer le caractère indolent des alaouites, mais plus encore le dénuement affreux d’un grand nombre de foyers. Comment faire en présence de certaines détresses : une seule tasse, par exemple, est à l’usage de tous les membres de la famille, pas de trace de linge blanc, quelques haillons sordides et c’est tout. Quand il ne s’agit pas de petits enfants, cette détresse paraît plus grande encore. Ne faudraitil pas, à certaines époques de l’année, recueillir les jeunes enfants, que leur mère, appelée au dehors par un travail impérieux, doit abandonner tout le jour : brûlures terriblement graves ou même l’accident invraisemblable arrivé à une petite fille de quelques mois que l’on apporte un soir au dispensaire, une main complètement mangée par le veau affamé qui était enfermé avec elle à la maison. Et la mère, malgré la tâche rude qui l’accable doit nourrir son enfant très longtemps, jusqu’à ce qu’il puisse absorber le pain et le borghol indigestes ; aussi que de petits êtres auxquels ont voudrait donner une alimentation convenable. La tâche au dispensaire est donc bien complexe. Le premier travail d’approche étant réalisé, il faut maintenant organiser et approfondir l’œuvre commencée, c’est-à-dire, visiter régulièrement les

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villages voisins de Jenainet et utiliser l’influence acquise pour faire pénétrer les notions élémentaires d’hygiène. Les enfants que groupe l’école de Jnainet montrent assez de souplesse et d’ouverture d’esprit pour que l’on espère exercer sur ce peuple une action bienfaisante et durable. Mais pour atteindre ce but, il faut des ressources nombreuses et plus que jamais les aides matérielles sont désirées et grandement appréciées. [Suit une liste d’objets et médicaments utiles où on trouve à côté de la « trousse élémentaire de petite chirurgie », des « articles de layette comme langes, brassières… »].

Lettre du P. Vexivière, Tartous, 5 mai 193624 Dimanche 3 mai, baptême de Foddat, et mariage de Foddat avec Ibrahim. Vers 9h, le cortège se forme composé d’Alaouites et de Chrétiens. Beaucoup de jeunes filles alaouites en grand apparat. Je procédai au baptême. Auparavant, j’avais demandé à Foddat quel nom elle comptait prendre. Elle m’avait répondu sans la moindre hésitation « Adèle ». Je ne sais vraiment où elle a pu dénicher ce nom. La sœur Marie-René prétend que l’an passé Foddat ayant entendu ce nom, l’avait trouvé joli et l’avait retenu pour le jour de son baptême. Vint le moment du mariage. Le pauvre Ibahim dans sa chemise neuve, au col trop grand, avait l’air un peu ridicule. Et tous deux, aussi bien Foddat qu’Ibrahim, étaient sérieux comme des papes et semblaient aller à la mort. Il avait été convenu que le P. Wabbé ferait le discours. Le P. Wabbé prétexta une extinction de voix… prétendit ne pas savoir son sermon par cœur… – Je lui ordonnai de se servir de son papier. Il s’exécuta… son sermon n’en finissait plus. Je me levai quand tout le monde en avait assez, il comprit et nous procédâmes au mariage. A ce moment nous fûmes littéralement entourés par les jeunes filles alaouites et les gens qui voulaient voir ce qui pouvait bien se passer d’extraordinaire. C’était touchant… et un peu comique, surtout quand les deux époux durent se donner mutuellement la 24

AFSI, RPO 95, lettre du P. Vexivière, Tartous, 5 mai 1936.

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main. Ils ne se regardèrent pas ! Chacun détournant son visage. Et l’anneau ! Tout cela constitue pour ces braves gens une épreuve terrible, j’imagine… Puis la messe où les deux époux communièrent. – Quand tout fut fini, on fit monter tout ce monde au divan. On installe les deux époux sur un fauteuil à la place d’honneur, et l’on organise un dabké (danse)… Cela dure une bonne heure. Enfin, ils partirent chez eux, en grand cortège avec chant des filles alaouites et leurs « youyou ». Il restait maintenant à faire franchir à Adèle le seuil de sa future demeure. Ce ne fut pas une mince affaire… La tante exige que toutes les coutumes en vigueur chez les Alaouites fussent rigoureusement observées… Il fallait donc trouver un verre à casser, le verre qui contient tous les malheurs : ce fut long à venir, mais quand il fut là, Adèle le lança si fort qu’il fut réduit en miettes… Pendant ce temps, les chrétiennes de Jenainet dansaient avec les jeunes filles alaouites de Toffaha. La tante d’Adèle eût encore d’autres exigences… Enfin Adèle franchit le seuil… le sort en fut jeté. Les gens de Jenainet vinrent dîner chez nous. Ceux de Toffaha chez Ibrahim… Celui-ci pendant que se déroulait [sic] toutes ces cérémonies devant la porte de sa maison courait dans tous les groupes et distribuait force d’araq. Dans l’après-midi il y eut encore danse chez nous, mais les mariés n’y vinrent pas. Au retour, nous sommes allés faire nos adieux au cheikh et le féliciter… Voilà, en somme cela s’est bien passé. On se marie à Jnainet Reslan, le 8 novembre 193625 Nous sommes le 8 novembre et c’est déjà le cinquième mariage de l’année ! Il y en a encore en perspective ! Dieu fasse que les prochaines épousailles soient bénies et les foyers nouveaux remplis d’esprit chrétien – et que le fait qui s’est produit à Toffahat entre Ibrahim et sa jeune épouse ne se répète pas dans les autres foyers. Il faut dire qu’Ibrahim, encore enfant de caractère, reste sous l’influence de son père qui n’est pas chrétien (il a 2 femmes !). Un jour donc Ibrahim et son père – un cheikh pourtant, c’est-à-dire un chef religieux – je ne sais sous quel prétexte ou quelle fausse accusation, se saisirent de la malheureuse Adèle, mariée depuis trois mois seulement, l’attachèrent à une des colonnes de la maison et la rouèrent 25

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AFSI, RPO 95, lettre dactylographiée anonyme, sans doute du P. Vexivière.

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de coups, mais si violents que la pauvre hurlait de douleur et qu’elle ameutât par ses cris les gens du quartier. Quand elle fut délivrée, elle courut se réfugier chez ses parents encore alaouites et depuis elle refuse de revenir chez son mari. D’ailleurs les sévices qu’on avait exercés sur elle l’obligèrent à s’aliter plus de trois semaines. Ibrahim et son père virent bien qu’ils avaient exagéré, mais trop tard et si Ibrahim se repent, Adèle garde de ses mauvais traitements un souvenir cuisant et elle n’est pas près de pardonner. Surtout qu’elle a une tante très fanatique qui n’a pas vu d’un bon œil sa conversion au christianisme. Prions Dieu que ce mariage se raccommode sans retard. Cet incident pénible prouve évidemment que nos chrétiens n’ont pas encore changé de mentalité et que trop souvent ils considèrent encore leurs femmes comme de pauvres êtres sans intelligence dignes de tous les mépris et qu’il faut nécessairement maltraiter pour en obtenir la plus basse soumission. Il est en effet courant – c’est le pain quotidien – que les alaouites rossent leurs femmes sans pitié. Elles sont là pour travailler au service de leur maître et si par hasard le maître n’est pas tout à fait content, il fait passer sa colère en rafales de coups sur le dos de la misérable ! Pour être juste, il faut dire que nos chrétiens ont réalisé quelques progrès sur ce point : j’ai l’exemple étonnant de l’un d’eux, qui, avant sa conversion, et même quelque temps après, soumettait sa femme à rude épreuve tous les jours et qui maintenant peut offrir à tout le monde, un modèle de bonne entente et la joie règne au foyer où s’épanouissent dans l’amour deux ravissantes petites filles, Rose et Angèle. Délicatesse de la grâce du Christ qui met au cœur de l’homme sauvage les vrais sentiments d’humanité. Mais je m’égare. Parlons d’Amin et de Mazna – de son nom chrétien, Claire, un joli nom, n’est-ce pas ? –, les deux nouveaux époux. Claire est la sœur d’Ibrahim (pas celui dont j’ai parlé plus haut) qui fut marié le premier novembre, le dimanche précédent. Il eût été assez difficile pour notre Claire de rester chez son frère nouvellement marié : il y aurait assurément des conflits terribles entre la femme et la sœur. La Providence arrangea bien les choses, car à peine avait-on publié les bans d’Ibrahim qu’on demanda la main de sa sœur. Voilà comment cela se passa. 385

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Ainsi se présente la situation : Claire est une fille de bonne apparence, au visage régulier, elle est plutôt grande et svelte ; quand elle revient de la source, la jarre sur l’épaule, sa démarche ne manque pas de grâce et de souplesse. Enfin c’est une jeune fille appréciable car depuis longtemps c’est elle qui tient la maison de son frère ; elle sait donc parfaitement ce qu’une femme doit faire, tous les travaux domestiques : elle pétrit la pate, elle va chercher au loin des charges énormes de bois ; elle va au labour pour briser les mottes de terre derrière la charrue, elle sait malaxer la bouse de vache au printemps pour en confectionner les plateaux arrondis qui serviront à l’élevage des vers à soie, et de plus elle a appris chez les sœurs la couture et le tricotage. C’est une excellente ménagère et avec ça douce et gentille. Assurément dans le village, il y en a peu comme elle. Or les jeunes gens à marier sont nombreux, même chez les chrétiens seulement ; ces derniers sont au moins quatre et, je crois les quatre ont plus ou moins fixés (sic) sur elle : il y avait donc compétition serrée ! Or voici qu’un soir Hanné ( Jeanne), la vieille maman d’Amin, la femme d’Elia, le patriarche aux nombreux enfants, vint trouver en secret la sœur et lui dit : « Ma sœur, je deviens vieille, incapable de suffire à la besogne quotidienne, et vous connaissez ma bellefille Hajar, c’est une propre à rien elle ne m’est d’aucun secours. Je voudrais que vous me cherchiez une fille forte, courageuse à la peine, habile ménagère, pour la donner en mariage à mon fils Amin. Mais, je vous en prie, dépêchez-vous, car voici l’hiver et je n’ai plus un morceau de bois à la maison ». La Sœur, amusée, lui demanda : « A qui avez-vous pensé ? »  – Et la bonne vieille de répondre sans sourciller : « A Claire ! » Puis elle ajouta : « Si vous pouvez me la gagner, je vous garderai une reconnaissance éternelle ». La Sœur fit donc mander Claire : « Voulez-vous lui dit-elle à brûle-pourpoint, vous marier avec Amin Elia ? » – Claire, un peu suffoquée par cette brusque attaque, baissa les yeux et répondit gentiment : « Ma Sœur, à vos ordres ! Je n’ai ni père ni mère à qui demander conseil ; vous êtes donc pour moi mon père et ma mère, vous êtes tout pour moi ! » – La Sœur, touchée, lui, dit : « Voyez Claire, c’est une affaire importante qui ne regarde que vous ; vous avez cinq jours devant vous pour peser le pour et le contre. Réfléchissez et priez puis venez me donner votre décision ». 386

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Et en effet, cinq jours après, Claire venait dire à la Sœur : « Ma Sœur, je ferai ce que vous avez décidé ! » – Elle ne pouvait être plus affirmative. Aussi, le soir même on réunit au divan, chez nous, le vieil Elia, la jeune fille et son frère Ibrahim et, devant le Père, la demande en mariage fut officielle : « Claire, vous acceptez favorablement la demande d’Amin Elia ? »  – « Oui, mon Père, comme vous voudrez ! » – Ce « OUI » timide et soumis fit sourire et nous félicitâmes alors ouvertement le vieil Elia du succès si rapide de sa démarche et, en bon alaouite qu’il est resté, ce vénérable grand-père exprima ainsi son contentement : « Ma femme se fait vieille et la tâche quotidienne est trop lourde pour ses pauvres épaules ; nous avons grand besoin à la maison d’une femme jeune et forte et c’est pourquoi nous avons songé à Claire ici présente ! Nous la connaissons : elle travaille bien, elle nous convient tout à fait ! » – Et, rougissante de plaisir, Claire savourait le compliment tombé des lèvres d’un homme aussi expérimenté ! Pauvre Petite ! Le dimanche suivant, le jour même du mariage d’Ibrahim, frère de notre Claire, les bans furent publiés. Il n’y avait pas de temps à perdre pour préparer le trousseau de la future. La malle, les robes, les chemises, les pantalons de couleurs vives que les femmes alaouites portent sous leurs jupes et qui s’étalent en collerette au dessus de leurs pieds nus ; les paires de bas en soie, les bottines des Dimanches et le voile si séant ! Et la pauvre Sœur passa par bien des tribulations avant de découvrir la couleur de la robe en velours devant servir le jour de la noce. Trois fois elle dût renvoyer l’étoffe qu’on lui avait envoyée de Tartous. Ce fut seulement la veille du grand jour que, trop occupée elle-même pour accomplir ce travail délicat, elle confia la confection de la robe à une couturière habile qui, chose curieuse, n’était autre que la propre sœur d’Amin Reslan, notre ennemi, le chef de la tribu ! Cette brave personne fut d’ailleurs enchantée de rendre service à celle qui plusieurs fois était allée la soigner quand elle était malade. Elle réclama pour prix de sa peine – vous ne devineriez pas – trois francs exactement ! La main d’œuvre ne coûte pas cher en pays alaouite. Mais cela viendra peut-être avec le progrès. Pendant la semaine qui précéda les noces, le vieil Elia qui voulait que tout fut parfait pour les noces de son fils envoya partout des invitations officielles : au Père Gillet tout d’abord, à la Supérieure des Sœurs de Tartous, aux Sœurs de Safita et de 387

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Toffaha, aux chrétiens de Kfafr-Tellech et de Toffaha, etc.  – Il expédia des émissaires à la recherche des Nowâr ou bohémiens qui sont de rigueur dans toutes les fêtes importantes, car ce sont eux qui animent les « dabkés » avec leur grosse caisse et leur biniou ! Mais, hélas ! Ces pauvres qui eussent été bien contents de gagner quelques sous refusèrent leur concours, et savez-vous pourquoi ?  – Au retour de France du Père Gillet, les chrétiens avaient voulu lui réserver une réception digne de lui : ils avaient donc invité ces bohémiens à la fête et l’on avait dansé au son de leur grosse caisse. Les bohémiens étaient partis avec quelques livres en poche bénissant la mémoire du Père qui leur avait valu un tel bénéfice. Mais, les alaouites les blâmèrent d’avoir participé à la joie des chrétiens et les menacèrent, s’ils recommençaient, de ne plus jamais les demander chez eux et dans toute la tribu. Effrayés, ces bohémiens répondirent donc à nos messagers qu’il leur était impossible d’accepter. La Providence veillait. Elle nous expédia, le samedi soir, la veille des noces, le courrier de Safita par deux joueurs de flûte. L’heure de la prière venait de sonner ; j’étais à la chapelle quand j’entendis des chants accompagnés de la flûte alaouite et scandés du battement des mains. C’était Elia qui amenait son monde à la prière. Je sortis, et là, dans la cour éclairée de notre « Lux », les dabkés évoluèrent parmi des ombres fantastiques. Tous les chrétiens étaient présents. Et quand, après une heure de danse et de cris mêlés de vivats lancés en l’honneur de tous les personnages importants, on fut las et satisfaits, on entra tous ensemble dans la chapelle pour se préparer à la communion du lendemain par une bonne confession. Ainsi la fête s’annonçait-elle bien. Le dimanche matin, 8 novembre, avant la bénédiction rituelle du mariage, Marie, la belle-sœur de la fiancée déposa sur un plateau en osier aux dessins multicolores, de fabrication alaouite, toute la garderobe de Claire. Puis elle mit le plateau sur sa tête et, suivie de toutes les femmes et de la Sœur, elle se dirigea en dansant vers la demeure de la future. Et pendant que la flûte égayait la marche, une femme chantait : « Allez, allez, ô bonnes gens, de bon matin ! » – Arrivés à la maison, les femmes reprirent : « Nous voici au seuil du palais, nous voici avec nos épées et nos carabines ! Nous voici chez toi, ô Ibrahim, par Dieu, ne nous dédaigne pas ! » 388

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Le cortège entra. Claire était assise sur la natte dans un coin de la maison obscure, la tête tristement penchée, comme si était venue l’heure de sa condamnation à mort. Ainsi le veut la coutume : quitter sa famille, n’est-ce pas un jour de deuil ? Les femmes l’entourèrent et la sommèrent par leurs chants de revêtir ses plus beaux atours : « Par la vie de ton frère, habille-toi, ô souveraine ! Les purs-sangs au dehors piaffent d’impatience et les notables t’attendent ! » – A pareille injonction, Claire ne put qu’obéir et se laissa docilement revêtir de la robe de mariage. Mais quand elle fut ainsi parée, la sœur d’Amin s’écria, toujours en chantant : « Elle a juré de ne pas monter sur vos chevaux avant que son frère, chef de clan, ne le lui ait permis ! » – Alors Ibrahim s’avança vers sa sœur et celle-ci lui baisant la main lui demanda la permission de le quitter. « Que Dieu te protège ! » lui répondit-il. – Et le cortège se reforma pour conduire l’épousée à l’église et sur le parcours les femmes entonnèrent ce refrain à la louange de Claire : « L’épouse s’est levée comme une blanche aurore et sur son front couronné éclatent les feux brillants des plus beaux bijoux ». Puis ce fut l’entrée définitive à la chapelle, le sermon du P. Gillet plein de recommandations adaptées aux mœurs et la bénédiction du mariage et puis la Sainte Messe où les deux époux communièrent, dans un même amour ! Hélas ! Les orgues manquèrent pour faire vibrer notre humble chapelle des accords puissants d’une marche triomphale. Mais quand la foule se fut massée dans la cour, les deux époux sortirent et s’arrêtèrent un instant sur le pas de la porte pour permettre aux joueurs de flûte de leur offrir une petite sérénade et aux gens d’entremêler leurs danses et leurs chants. Deux ânes attendaient patiemment, portant, l’un la malle garde-robe, et l’autre les matelas du nouveau foyer. Deux ânes, c’est beaucoup, c’est une preuve de noblesse et de générosité ! Et les deux ânes prirent la tête du cortège d’honneur qui devait conduire les époux à leur nouvelle demeure. Sur le parcours les louanges hyperboliques fusaient sur un air invariable : « Son beaupère est votre maître et son frère vous commande et sa tante est une lumière sur la montagne. Ô perle brillante comme un corail multicolore ! Ton prix vaut la verdoyante Damas et la blanche Alep ! Nous avons marché et marché longtemps pour atteindre la demeure de son beau-père, gloire de ce siècle ! Et voici qu’il nous invite à sa table royalement servie ». 389

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Parvenus à la maison du mari, la vieille maman de celui-ci vint embrasser sa belle-fille, puis elle entonna son magnificat : « Ô Dieu, soyez loué et béni les soucis désormais m’ont quitté et une aide gracieuse a été accordée à ma vieillesse. La victoire vient de Dieu ! » – Puis elle ajouta en l’honneur du P. Gillet : « Le Père Gillet est enfin revenu de France – pères aux yeux d’émeraude à la haute stature – J’ai prié le Seigneur du ciel et des Trônes – que ne t’inquiète pas cent mille cent de notre pays ! »  – Quel courage cela dénote et quelle réputation de vaillance ! La source poétique coulant à pleins bords elle continua pour le père Youcef [Vexivière] : « Père Youcef, bouquet ravissant de tendres œillets – ô tour élevée impérissable et indestructible – j’ai demandé au seigneur du Ciel qu’au dessus de ta main ne s’élève aucune autre main, – et que tu gouvernes et t’installes dans le pays pour de bon ! » Quand la vieille Hanna eut terminé ses couplets, elle voulut, selon la coutume alaouite, que son fils montât sur la terrasse pour « donner la leçon » à sa femme au moment de son entrée dans la maison. Cette « leçon » consiste en ceci : le nouveau mari doit lancer sur la tête de sa femme une poignée de bonbons ou d’orge pour signifier qu’elle doit lui être soumise en tout parce que c’est de lui qu’elle vivra. Cela veut dire aussi pour un alaouite que, désormais la femme sera considérée purement et simplement comme une esclave, et c’est pourquoi la Sœur les détourna d’accomplir ce geste ridicule au sens si peu chrétien. La nouvelle épousée doit encore avant de pénétrer chez elle prendre un verre et le jeter de toutes ses forces sur la porte pour le briser en mille morceaux : ce verre est censée contenir tous les malheurs. En le brisant on le conjure ! Superstition ! Claire ne brisa pas le verre des malheurs et elle compte bien cependant que Dieu lui accordera une vie longue et heureuse, ensoleillée du rire clair des enfants. Enfin l’épousée prit possession de son nouveau foyer : elle y fut accueillie solennellement et elle alla s’asseoir accompagnée de toutes les femmes sur la natte disposée le long du mur, attendant dans une attitude pleine de dignité les hommages et les félicitations de tous les invités. Au dehors les hommes et les jeunes gens ne s’arrêtaient pas de danser : il régnait une agitation bruyante et joyeuse et beaucoup d’alaouites étaient venus y prendre part active. Le temps était splen390

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dide et chaud et les joueurs de flûte s’en donnant à cœur joie ruisselaient de sueur : les chrétiens à tour de rôle leur mettaient dans la main une petite pièce blanche et ils lançaient à pleine voix des vivats ponctués par les zaghalits stridents des femmes. – Et Amin, qui dans toute cette fête avait à peu près passé inaperçu, courait de groupe en groupe pour verser à chacun un doigt d’araq réconfortant. Enfin l’organisateur de la fête, le vieil Elia, avait pensé à tous : il voulait régaler ses invités : il avait fait cuire deux énormes chaudrons de borghol, plat national, et une quinzaine de kgs de riz et rôtir un chevreau. Quand vint le moment, il pria le P. Gillet et moi de vouloir bien accepter son invitation. On nous dressa une table par pitié pour nos mœurs d’occidentaux qui ignorent la manière de s’asseoir par terre et de manger avec les doigts. On nous présenta des cuillers ! C’est ainsi que le vieil Elia nous demanda de bénir le repas qu’il offrait à ses hôtes ! Et la fête se poursuivit jusqu’au soir. À Cana de Galilée, un jour de notre histoire humaine, Jésus avait assisté joyeusement à des noces populaires ! Retour du P. Gillet en pays alaouite26 Le départ du P. Gillet pour la France avait soulevé une certaine émotion, même parmi les alouites. Nos chrétiens sans doute ne le voyaient pas s’éloigner d’eux sans appréhension pour l’avenir : la Syrie s’agitait alors por réclamer l’indépendance et le pays des Alaouites étaient assez divisé, ne sachant encore bien de quel côté se tourner. Parmi le griefs qu certains chefs formulaient contre le gouvernement français, il y avait justement ce fait de l’établissement d’un grupe de chrétiens nouvellement convertis en plein cœur d’une tribu. Nos chrétiens étaient donc une cause de mécontentement, nous risquions d’être les premiers [sic] victimes de ce mouvement nationaliste syrien. D’où l’embarras du pauvre gouvernement par apport à notre œuvre et ses appels pressants à la prudence, c’est à dire à l’inaction Les partisans même du Mandat qui constituaient malgré tout la majorité

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AFSI, RPO 95, lettre dactylographiée anonyme, sans doute du P. Vexivière, 16 octobre 1936.

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du pays avaient lancé un manifeste dont un des articles réclamaient l’interdiction de tout prosélytisme religieux. Bref, nos chrétiens n’étaient guère rassurés par ce départ du Père Gillet (qu’ils considèrent un peu comme leur chef temporel) et cela en pleine crise. Les Alaouites, eux, inventèrent toutes sortes de raisons. La Délégation Syrienne chargée d’aller à Paris négocier les termes du Traité avec la France venait de s’embraquer27 : il était naturel de conclure que le Père Gillet les suivait pour contrecarrer leurs efforts et veiller aux intérêts des chrétiens. Un beau rôle, comme vous le voyez ! C’est qu’en réalité on suppose au Père Gillet une puissance redoutable. D’autres bruits d’ailleurs couraient, plus fantaisistes : il irait à Rome, disait-on pour demander au Pape de lui fournir des armes pour les chrétiens ! Ou bien encore, comme la guerre allait être déclarée entre la France et l’Allemagne, il avait été appelé à la défense de son pays etc. … etc. … En attendant le temps s’écoulait : la Délégation syrienne, comme le Père Gillet, faisait toujours espérer son retrour prochain et rien n’arrivait. Les chrétiens eux-mêmes m’accablaient de leurs questions et n’étaient pas très sûrs que le Père revînt jamais. [à son retour, le P. Gillet, accompagné d’une quinzaine de chrétiens de Jnainet Reslan, se rend à Kefer-Tallech pour célébrer la messe et un baptême, puis, de là, au village voisin de Toffaha]

Notre cortège se reforma allongé de ceux de Kefer Talech, augmenté même de jeunes gens alaouites sympathiques à notre cause, désireux aussi de partager notre joie. Tous en file indienne, le Père en tête, comme étant le personnage important objet de toute cette fête, nous dévalâmes la vallée dans un sentier de chèvres, étirant notre longue théorie dans l’ombre trouée de lumière de la belle oliveraie qui s’étale avec orgueil au pied du village ; puis nous traversâmes le torrent desséché et attaquâmes la rude montée qui mène décidemment à Toffaha. Au sommet, avant le plateau qui donne accès au village, les gens de Toffaha, en file indienne impeccable, avec leur 27 En mars 1936 après plusieurs semaines d’émeutes et de manifestations sanglantes, une délégation nationaliste syrienne quitte Damas pour la France afin de négocier un traité d’alliance prévoyant la fin du Mandat français. Le traité ne sera jamais ratifié par le Parlement français.

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chef de file commandant les mouvements, nous attendaient avec leurs fusils en main et quand le Père passa à leur hauteur chacun à son tour fit feu. Puis ils repartirent devant nous, s’alignèrent de nouveau sur le plateau et de nouveau au passage du Père firent éclater la poudre et ce jeu se renouvela plusieurs fois jusqu’à l’entrée du Père au couvent. Les sœurs avec toutes les femmes et jeunes filles du village, parmi lesquelles beaucoup d’Alaouites, nous accueillirent : la chapelle avait été parée avec goût comme une joyeuse épouse fière du retour de son Maître. Et notre première visite fut pour le Seigneur du lieu. Qui nous dira quelle fut alors la prière du Père, et quels sentiments débordaient de son cœur dévoué ? Quand il sortit, les hommes de Toffaha, brandissant toujours leurs armes à feu commencèrent une danse symbolique. Ils formaient une sorte de ronde majestueuse et lente, dirigée par un Agha ou petit chef de famille, non encore chrétien, mais ayant fait sa demande. La canne en main, il accomplissait les gestes rituels que tous imitaient avec leurs fusils, au rythme de leurs pas. Ils élevaient ainsi leurs armes à bout de bras et dans un mouvement plein de noblesse les abaissaient vers la terre, en signe de soumission. Car paraît-il, cette danse n’est de mise que devant le chef de tribu. C’était la première fois que j’avais la chance d’assister à ce spectacle et vraiment par la majesté et la noblesse des mouvements il m’enchante. Mais il fallait nourrir tout ce monde. Est c’est pourquoi l’on avait immolé un magnifique mouton. Avec une suffisante quantité de riz, l’affaire fut réglée et nos gens satisfaits purent se rassasier. Mais tout cela n’est rien car tout cela c’est l’extérieur et ce que je n’ai peut-être par su faire toucher du doigt peut-être c’est le cœur avec lequel tout cela est fait. Une tournée médicale en pays alaouite28 Le cheikh Ahmed de Blahous avait envoyé en exprès la Sœur pour la prier de venir au plus tôt soigner son enfant gravement malade lequel, paraît-il, d’après les dires du messager, perdait beaucoup de sang à la suite d’une blessure.

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AFSI, RPO 95, (1937 ?), lettre dactylographiée anonyme, sans doute du P. Vexivière.

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Comme ce village se trouve assez éloigné de Jnainet Reslan et d’un accès assez pénible, nous décidâmes de partir à la fraîcheur, étant donné, de plus, que nous subissons ces jours-ci une recrudescence de chaleur. En effet, le soleil n’avait pas encore paru que nous étions en marche. Cependant à l’entrée du couvent un de nos jeunes gens, nous voyant seuls, s’offrit à nous accompagner. Il porterait la trousse médicale (qui n’est d’ailleurs qu’une vulgaire valise). C’est un Agha, il n’a donc pas beaucoup de travail et peut se permettre sans dommage de perdre une journée. Nous acceptâmes sa proposition avec plaisir. Émile est un bon jeune homme qui cherche une épouse et ne réussit pas ! Pourquoi ? Je ne saurais bien l’expliquer. C’est, je crois, la cinquième jeune fille qui lui passe entre les doigts. Pour la dernière, nous sommes en pleines démarches et déjà hier soir il est venu me proposer un nouveau parti. J’ai eu beau le mettre en garde contre une décision trop hâtive, Émile semble plein d’espoir pour son projet récent, alors que je sais pertinemment cette fois-ci qu’il se trompe. La jeune fille pour laquelle nous avons travaillé dernièrement est une Alaouite d’un autre village. Son père était venu me voir, et avec Émile, nous nous étions entendu. Le marché était presque définitivement conclu. Le père acceptait de donner sa fille pour trente livres syriennes. Nous nous chargions de vingt et nous laissions à Émile le soin de compléter ; il hypothèquerait, s’il le fallait, une terre ou bien signerait un cambiale. Malheureusement, comptant sur la parole du bonhomme, nous n’avions pas pris la peine de lui faire signer un contrat de mariage. Trois jours après, Émile, navré, expliquait que le père de sa future recommençait à élever ses prétentions à cinquante livres. Tout était rompu ! Mais en Orient, il ne faut jamais désespérer : on ne prend jamais de décision irrévocable et le temps est le meilleur agent de conciliation. Il y avait d’ailleurs un véritable espoir dans la jeune fille qui, au dire, d’Émile, « mourait sur lui », c’est-à-dire qu’elle l’aimait passionnément et qu’elle n’accepterait jamais d’autre prétendant que lui. En outre la Providence veillait. Un jour Émile se présenta chez moi de la part du père de sa future pour me confier que celui-ci était prêt à passer par nos volontés si nous pouvions satisfaire à sa requête. Voici ce dont il s’agissait : le frère de la dulcinée d’Émile était en prison à Lattaquié ! Pour quel motif ? Parce qu’il s’était permis le rapt d’une jeune fille qu’il voulait épouser contre le gré de ses parents. Et le Chef de tribu devant qui 394

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ceux-ci avaient porté plainte avait obtenu la condamnation du ravisseur à quelques années de prison et puis très simplement il s’était adjugé la jeune fille pour en faire sa domestique. Or le prisonnier avait écrit à son père d’aller supplier le père Gillet d’intercéder en sa faveur, non pas pour qu’il fût relâché, mais simplement pour qu’il pût tous les jours sortir au travail ; il pourrait ainsi durant son temps d’emprisonnement gagner quelques sous. Si le père Gillet lui obtenait cette grâce, les parents se déclaraient prêts à consentir au mariage de leur fille avec Émile. Ce fut vite fait : le Père écrivit un mot au commandement de la Gendarmerie de Lattaquié qui par retour de courrier très aimablement lui répondit que l’ordre avait été donné. Deux jours après, le jeune homme envoyait une lettre à ses parents dans laquelle il leur répétait à longueur de phrase : « Faites tout ce que le Père vous dira. C’est lui qui m’a obtenu la faveur que je réclamais. Obéissez-lui en tout. Etc. … » Malheureusement ces pauvres paysans ne savent pas lire et comme ils sont par nature soupçonneux ils ne furent pas pleinement convaincus. Ils voulaient voir de leurs yeux et ils demandèrent qu’on voulut bien les emmener à Lattaquié pour s’assurer des volontés de leur fils prisonnier. Patience ! Le Père Gillet devait justement aller à Lattaquié dans quelques jours : il les convoquerait donc et il pensait que le but serait atteint ! Or, patatras, voici que tout casse et ce qui est plus grave, par la faute d’Émile lui-même, qui n’en veut plus de ce mariage et qui se jette, tête baissée, dans une autre direction laquelle, malheureusement, n’aboutira pas. Il faut donc que je raccommode l’affaire et c’est pourquoi ce matin, je suis heureux de le rencontrer sur mon chemin et de l’emmener dans notre tournée. On pourra causer. [Suit une description du trajet et des paysages traversés]

Le cheikh Ahmed habite presque un sommet de la montagne une belle maison. Nous entrons dans une cour plantée de lilas de Perse : c’est la demeure du cheikh. A droite et à gauche, deux chambres, sont réservées aux hôtes que le cheikh hospitalisera aussi longtemps qu’il leur plaira sans rien demander en compensation. Aussi est-il très vénéré et… très riche, car lorsqu’on passe dans les villages pour recueillir les aumônes rituelles, tous donneront généreusement. C’est 395

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déjà un vieillard au visage empreint de bonté ; il nous reçoit chaleureusement. Ce n’est pas un ennemi comme le sont d’ordinaire les cheikhs ou chefs religieux de Jenainet et des villages environnants. La Sœur était déjà accourue à son appel et comme il avait été averti de son arrivée, il s’était rendu à sa rencontre avec tous ses gens, lui amenant la monture qui devait la conduite jusqu’à sa demeure. Aujourd’hui, nous arrivons à l’improviste, il n’a donc pu faire cette petite réception d’honneur. [Le cheikh a cinq garçons et deux filles, l’un des garçons s’est fait une blessure à la lèvre et a beaucoup saigné ; il est soigné par la sœur.]

Jnainet Relsan, le 1er Août 193929 Chers bienfaiteurs et bienfaitrices, J’ai bien tardé à vous parler, comme je vous l’avais promis, de la visite que nous fit à Jenainet Reslan son Éminence, le Cardinal Tisserant, légat du Pape au Congrès Eucharistique de Beyrouth. Le 13 juin, le Cardinal partait d’Alep en avion pour Lattaquié, capitale du Territoire Autonome Alaouite (c’est le nouveau nom donné par le Haut-Commissaire au pays alaouite pour signifier une politique plus favorable aux Régionalismes). Le soir même, il montait à Jenainet, accompagné simplement de notre supérieur, le R. P. de Bonneville, et de son secrétaire particulier. Le Délégué apostolique, Rémi Leprêtre, malade, avait dû retourner à Beyrouth. Nous avons bien regretté cette absence, Mgr le Délégué ayant toujours témoigné d’une très grande bienveillance envers notre petite mission. Mais il faut que je reprenne mon récit un peu plus haut. Je vous ai raconté comment à la suite des événements du début de l’année, nous avions été amenés à prendre contact avec le chef de la tribu, pour la première fois, depuis la fondation de la mission. Nous avions dû pour le bien de la paix, et sur le conseil des autorités françaises, céder beaucoup de nos droits, ce qui nous avait coûté assez cher, pécuniairement parlant. Mais cette prise de contact allait du moins nous donner le premier avantage de nous permettre d’inviter le Chef

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de tribu et les Alaouites à s’unir à nous pour recevoir plus dignement le Cardinal. Le chef de tribu fit bonne figure et ne refusa pas notre invitation, mais il était malheureusement ce jour-là même convoqué à la réunion du Conseil administratif dont il est un des membres. Il nous répondit donc aimablement qu’il regrettait bien ce contretemps, mais il me confia une lettre pour son frère Aly agha qui devait le représenter officiellement. J’avais eu soin quelques jours auparavant d’envoyer des cartes d’invitation à tous les notables de Jenainet et des villages environnants, en particulier à un chef de clan important, nommé Khirfâne Agha, rival politique d’Amin Reslan. Mais nous nous devons d’être au-dessus des partis. Une demi-heure avant l’arrivée du Cardinal, je pris la tête du cortège pour aller à la rencontre de son Éminence. Aly Agha était à mon côté, avec le Moudir30 de Dreikiche, notre chef-lieu de canton. Ce Moudir est un musulman sunnite. Présent aussi notre ami, le maire de Jenainet, qui avait été le principal fauteur de la persécution soulevée contre nos chrétiens, et qui avait bien failli goûté à quelques mois de prison pour avoir volé une vache et 5 chèvres à une pauvre femme chrétienne, n’eût été la faiblesse française. Mais n’en parlons plus, la paix avait été conclue, et ce bon maire à qui nous avions dû généreusement graisser la patte, avait juré de redevenir notre meilleur ami ! ! Khirfane Agha, qui se croit aussi puissant que le Chef de tribu, n’avait pas daigné venir en personne, imitant Amin Reslan il avait délégué ses fils, une dizaine de beaux gaillards, terreur des villages sur lesquels s’étend sa protection. L’un d’eux, qui fut sergent au Bataillon du Levant, parle français. Tous nos chrétiens de Jenaïnet, Toffahat et Kefer-Tallec évidemment étaient accourus. Nous n’avions pas jugé opportun d’inviter nos amis du Val des sources parce qu’ils sont d’une tribu ennemie. Leur présence eut fort déplu à Amin Reslan. Cependant l’un d’eux, Soleiman, un fier brigand, tint à nous prouver son attachement et il vient seul, avec son

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Le Moudir est le représentant de l’administration au niveau du canton (nahié).

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fusil de guerre. Dès qu’apparut l’auto du Cardinal, il fut heureux de faire « parler » la poudre et d’être le seul à tirer une salve d’honneur. Les applaudissement crépitèrent quand l’auto s’arrêta et que son Éminence en descendit : je lui présentai le frère du chef de tribu, Aly Agha, et les notabilités. Le cortège se reforma à la suite du Cardinal pour descendre au village à l’entrée duquel avait été dressé un arc de triomphe. Les Alaouites s’étaient mêlés à nos chrétiens dans une manifestation religieuse… Les femmes qui étaient restées devant le portail de la mission, s’avancèrent à leur tour au devant du Cardinal en improvisant, comme c’est leur rôle dans toutes les fêtes, sur des airs déterminés, les louanges les plus hyperboliques à son adresse et en poussant leurs étincelants « youyous ». Au-devant d’elles, cinq petites filles, suivant une coutume alaouite, apportaient sur de larges plateaux de l’encens qui brûlait. Elles se prosternèrent devant son Éminence en lui offrant ce symbole de la vénération de tout le peuple. Puis elles reprirent la marche devant lui, élevant leurs plateaux au-dessus de leurs têtes pour que le vent d’ouest qui venait du village fît monter l’encens jusqu’à son Éminence, comme il convenait. Cette petite cérémonie un peu inattendue sembla toucher le Cardinal. Cette pure offrande présentée par ces petites alaouites devenues chrétiennes pouvait être un symbole émouvant de la Montagne alaouite qui aspire à la connaissance et à l’amour du Christ ! Des fauteuils avaient été installés dans la cour. Le Cardinal se reposa un instant, on lui apporta, ainsi qu’à tous les invités, une boisson rafraîchissante, pendant que les danses battaient leur plein (sic) au rythme assourdissant de la grosse caisse. Puis je prononçai en arabe un discours de bienvenue, dont nous avions donné une traduction au Cardinal. J’exprimai la joie que nous ressentions tous de le recevoir au milieu d’un peuple unanime, unis dans le même sentiment de profonde vénération pour le Représentant du Pape, Vicaire de Dieu sur terre. J’exprimai aussi l’espoir que sa visite bénie resserrait entre nous et consacrerait les liens de cette amitié naissante. J’ajoutai cependant un mot spécial pour nos chrétiens qui voyaient dans la présence au milieu d’eux de son Éminence une preuve évidente de l’intérêt que le Souverain Pontife lui-même prenait à la Mission et de son affection toute spéciale pour des enfants éprouvés à cause de leur foi. 398

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Les Sœurs avaient préparé un grand repas pour nos invités. Plusieurs centaines de couverts (ce qui est mal dire, car il n’y avait pas de couvert à proprement parler, mais seulement la place pour s’asseoir par terre sur des nattes !) Que de kilos de viande il avait fallu amener de Tartous, et de riz et de Borghol et de gâteaux etc.  … etc.  … Seuls les invités des villages autres que Jenaïnet prirent place à table… qu’ils quittèrent pleinement rassasiés, rotant de tout leur cœur… C’est leur manière d’être polis ! Les conventions mondaines ne sont pas les mêmes qu’à Paris ! C’est ainsi, que voulez-vous, que l’on montre que l’on est content et… bien élevé ! À la table du Cardinal furent invités les notables : Aly Agha, le frère du chef de tribu, à sa droite ; les fils de Khirfane Agha, Kasser, Hâchem, Aref, notre ami, le maire ! Aly Agha Dib, notre voisin etc. … Le Commandant Coste avec sa dame avait bien voulu accompagner le Cardinal depuis Lattaquié et assister à notre fête. Ce repas ne manquait pas de pittoresque : nous étions 23 convives. Aussi notables que fussent ces messieurs Alaouites, ils n’avaient guère l’habitude de se servir d’assiettes, de cuillers et de fourchettes. J’en avais un à côté de moi qui était fort embarrassé quand on lui présentait un plat… il s’embrouillait dans tous ses instruments, couteaux, cuillers et fourchettes. Il piqua directement dans le plat un morceau qu’il porta aussitôt à la bouche. Je dus lui expliquer la manière de s’y prendre… On vint à servir du vin. Mes deux voisins trouvèrent tout de suite le système ils se prêtèrent charitablement leurs verres. Dans l’un, ils buvaient le vin, dans l’autre l’eau tour à tour ! Voilà, nous aurions dû prévoir et selon les règles mettre deux verres à chaque place ! Au dessert, on offrit de belles cerises ! Nos distingués convives jetèrent les noyaux par terre. Procédé simple et naturel. Pourquoi encombrer son assiette de noyaux ! Aly Agha, plus tard, en parlant de ce festin, dira. « Vraiment sur ma conscience, ces Pères jésuites sont nobles. Quelle variété de plats et quelle abondance ! » Définition. Noblesse est égale à capacité de rassasier ses hôtes ! Et la fête nocturne commença : nos petites filles vinrent chanter gentiment quelques vieilles rondes populaires françaises : « Sur le pont d’Avignon, « Coucou », « Mon père ainsi qu’à ma mère n’avait d’enfant que moué » etc. … 399

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Dans la nuit étoilée, éclairés par les beaux feux de Bengale et des fusées, nos jeunes gens, excités par le tambour et la flûte, se lancèrent dans une « dabké » pleine d’entrain. Le lendemain, après une nuit que l’on passa dehors où l’on put, messe de communion générale. Rénovation des promesses du baptême. Le Cardinal voulut bien adresser la parole à nos chrétiens. Il fut très bon, il leur dit qu’il suivait depuis longtemps avec intérêt les progrès du christianisme dans cette chère Montagne Alaouite, qu’il n’ignorait pas par quelles épreuves ils avaient passé, qu’il les félicitait d’avoir tenu bon. Il leur demandait, maintenant que des efforts étaient tentés vers un accord solide avec le Chef de Tribu, d’entrer dans les vues de leurs Autorités religieuses, en oubliant le passé, en pardonnant sincèrement du fond du cœur à leurs ennemis d’hier qu’ils devaient considérer comme des frères à convertir au ChristJésus. Il terminait en leur accordant la bénédiction apostolique. Nous venions de passer des heures inoubliables qui marqueraient dans les fastes de la Mission Alaouite. Personne ne pouvait se méprendre sur le sens de cette visite, ni les Autorités françaises, ni les Autorités du pays, ni nos gens, ni les Alaouites. Le Cardinal étant chez nous, des délégations de Tartous et de Tripoli montèrent à Jenainet, le supplier de vouloir bien accorder à leur communauté l’honneur de sa visite. Ceux de Tripoli poussèrent l’audace jusqu’à lui dire qu’ils se contenteraient du quart de ce qu’il avait donné à Jenainet. En effet le Cardinal s’arrêta tout juste une demi-heure au Sérail de Tripoli. Il ne s’agit pas ici de se vanter puérilement. Mais je veux montrer quel intérêt les Hautes autorités religieuses attachent à cette Mission Alaouite, précisément parce que « Alaouite », qu’elle est ainsi une brèche dans le Bloc musulman si dur à attaquer et qu’il semble bien qu’avec la grâce de Dieu, elle surmontera les obstacles et finira par conquérir au Christ ces 250 000 âmes de bonne volonté… Car les Alaouites, s’ils sont une secte de l’islam, ne sont pas fanatiques comme les Musulmans sunnites. Ils sentent confusément, ces pauvres, que le Christianisme les libèrera en leur apportant une doctrine d’amour. S’ils étaient libres, si la politique ne les gênait pas, ils viendraient vite à nous… Déjà maintenant, depuis que le nouveau Haut-Commissaire a inauguré une meilleur politique qui laisse plus d’indépendance aux 400

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Alaouites vis-à-vis de Damas, les gens qui n’osaient plus nous saluer et nous regarder se retournent vers nous. Nous ? Il est difficile de trouver des auxiliaires idoines. Il faudrait des vocations !… Et puis il faut compter avec le misérable côté matériel de la question. Toutes nos œuvres sont gratuites. Bâtir des écoles, payer des professeurs, acheter des remèdes, cette année nous en avons eu pour plus de 35 000 francs… Tout cela coûte ! Mais nous avons confiance en la Providence et il est vrai de dire qu’elle n’a jamais manqué… parce que la douce France reste toujours la généreuse pourvoyeuse des Missions. Et que de prières et de sacrifices montent de chez elles vers le Bon Dieu pour cette petite Mission. J’en sais quelque chose et je vous remercie, chères bienfaitrices, chers petits croisés et croisées. Que le Seigneur vous le rende en bénédictions abondantes sur vos familles et tous ceux que vous aimez. J. Vexivière

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Les auteurs Christian Chanel, est titulaire d’un doctorat d’histoire à l’université LyonLumières en 1982 sur l’organisation sociale et religieuse de la colonie suédoise de Paris à la Belle Époque, et enseignant au lycée Claude Fauriel à Saint-Étienne. Il a contribué à l’Histoire du Christianisme publiée chez Desclée (vol. 10, 11 et 12) à travers des textes sur la vie religieuse scandinave aux xixe et xxe siècles. Ses recherches portent sur l’œcuménisme spirituel, l’écriture missionnaire et la question du modernisme. Claire Fredj est maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Paris-Ouest Nanterre La Défense. Après une thèse consacrée aux médecins militaires (Médecins en campagne, médecine des lointains. Le service de santé des armées dans les campagnes du Second Empire : Crimée, ChineCochinchine, Mexique, dir. Daniel Nordman, EHESS, 2006), elle travaille sur l’organisation des professions de santé et les pratiques médicales dans l’Algérie des xixe et xxe siècles. Florence Hellot-Bellier est membre de l’Unité Mixte de Recherche « Mondes iranien et indien ». Elle consacre ses recherches à l’histoire de l’Iran (xixe et xxe siècles), en particulier à l’histoire des Iraniens chrétiens de l’Église d’Orient et de l’Église Chaldéenne et à l’évolution de leurs rapports avec les missionnaires et les puissances étrangères en Iran. Bernard Heyberger, directeur de l’Institut d’Études de l’Islam et des Sociétés du monde Musulman (IISMM) à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), est directeur d’études à l’EHESS et à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), section sciences religieuses (Paris). Ses recherches portent sur la Syrie et le Liban à l’époque ottomane, plus particulièrement sur les chrétiens et sur les relations islam/christianisme. Il a récemment dirigé Orientalisme, science et controverse : Abraham Ecchellensis (1605-1664), Turnhout, Brepols, 2010, et avec Rémy Madinier, L’Islam des marges. Mission chrétienne et espaces périphériques du monde musulman XVIe-XXe siècles, Paris, IISMM/Karthala, « Terres et gens d’Islam », 2011. Hans-Lukas Kieser, Professeur d’Histoire Moderne, en particulier du monde ottoman et post-ottoman, à l’Université de Zurich. Il a été professeur invité à l’Université de Stanford en Californie, à l’Université de Michigan à Ann Arbor et à l’EHESS à Paris. Ses publications incluent Nearest East : American Millennialism and Mission to the Middle East (Poche TUP 2012), Turkey Beyond Nationalism (Poche I. B. Tauris 2012) et le classique Der verpasste Frieden : Mission, Ethnie und Staat in den Ostprovinzen der Türkei (2000, en turc 2005).

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Les auteurs

Karène Sanchez Summerer est enseignant-chercheur (Lecturer) à l’université de Leiden. Elle poursuit actuellement des recherches au sein du projet du NWO (Nederlandse Organisatie voor Wetenschappelijk Onderzoek – Agence nationale néerlandaise de la recherche scientifique) Arabic and its alternatives. Religion and Language Change in the Formative Years of the Modern Middle East (1920-1950). Ses travaux portent sur les usages de la langue française, le système éducatif et ses liens avec le français en Palestine ottomane et mandataire, les relations interconfessionnelles à travers ce système scolaire, la communauté catholique ainsi que sur les relations entre langue(s) et religion(s). Ses recherches portent également sur la ville d’Hébron (fin de la période ottomane – début de la période jordanienne). Chantal Verdeil est maître de conférences en histoire du Moyen-Orient contemporain à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales). Elle a notamment publié La mission jésuite du Mont-Liban et de Syrie (1830-1864), Paris, Les Indes savantes, 2011, ouvrage issu de sa thèse et, en collaboration avec A.-L. Dupont et C. Mayeur-Jaouen, Le MoyenOrient par les textes, Paris, A. Colin, 2011.

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TABLE DES MATIERES Introduction (Chantal Verdeil) La mission en terre d’islam dans le renouveau de l’histoire missionnaire Expansion chronologique et géographique Chrétiens et juifs, le public des missionnaires en terre d’islam Enseignement et santé : les deux piliers de l’apostolat missionnaire Avec les musulmans Missions catholiques en syrie à l’époque moderne (Bernard Heyberger) Un appel au secours des missionnaires latins d’Alep (1662) Rapport d’un missionnaire carme déchaux de Tripoli (Syrie) à son supérieur, sur une tournée missionnaire effectuée parmi les nusayrî-s (1709) Missionnaires américains en terre ottomane (Anatolie) (Hans-Lukas Kieser) Instructions aux missionnaires américains avant leur envoi au Levant (octobre 1819) Sermon de Pliny Fisk, missionnaire américain, avant son envoi au Levant (octobre 1819) Rencontre avec les .Õ]ÕOEDú (Alévis) Massacres arméniens en 1895

5 5 12 30 33 42 61 61 80

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Ta b l e d e s m a t i è r e s

Approches missionnaires protestantes à la veille de la Première Guerre mondiale

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L’enseignement, enjeu des missions chrétiennes en Iran (xixe siècle et début du xxe siècle) (Florence Hellot)

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La mission lazariste à Ourmieh et Khosrow Abad (1841) L’enseignement des protestants en Perse au xixe siècle et au début du xxe siècle Presbytériens et lazaristes au temps de la révolution constitutionnelle Une mission impossible ? L’Église d’Afrique et la conversion des « indigènes » (1830-années 1920) (Claire Fredj) L’organisation du catholicisme en Algérie au début de la conquête : une Église pour les Européens L’Algérie, terre de mission ? Les travaux et les jours : l’apostolat missionnaire au quotidien Action sanitaire et éducative en Palestine des missionnaires catholiques et anglicans (début du xxe siècle) (Karène Summerer-Sanchez) Action éducative et sanitaire des sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition à Naplouse Frères des écoles chrétiennes de Palestine : entre coexistence communautaire et juridictions spirituelles Missionnaires anglicans à Hébron (1900-1938) : « from Jewish to Moslem conversions » ?

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128 135 148

163

165 173 190

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233 249

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Ta b l e d e s m a t i è r e s

Femmes, missionnaires et suédoises en terre d’islam. Une mission protestante à Bizerte au début du xxe siècle (Christian Chanel)

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Une priorité evidente : les femmes De l’enfance à l’âge adulte : former des chretiens La mission et les hommes

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La mission jésuite auprès des Alaouites (Syrie) (Chantal Verdeil)

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Les Auteurs

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