Miracle et karama: hagiographies médiévales comparées 2503508995, 9782503508993

La reconnaissance du miracle suscita des discussions théologiques dans le christianisme comme dans l'islam. Mais al

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Miracle et karama: hagiographies médiévales comparées
 2503508995, 9782503508993

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MIRACLE ET KARAMA Elagiographies médiévales comparées 2

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES SCIENCES RELIGIEUSES

VOLUME

109

BREPO LS

MIRACLE ET KARAMA H a g io g r a p h ie s m é d ié v a l e s c o m p a r é e s

2

sous la direction de Denise Aigle

BREPO LS

L a B ibliothèque de l’É cole des H autes É tudes, Sciences R eligieuses L a co llectio n Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses, fon d ée en 1913 et riche de plus de cent v o lu m es, reflète la diversité d es en seig n e­ m ents et des recherches qui sont m en és au sein de la S ectio n des S c ie n c es R elig ieu ses de VÉcole Pratique des Hautes Études (Sorbonne, Paris). D ans l ’esprit de la section qui m et en œ uvre un e étude scientifique, laïque et pluraliste d es faits religieu x, on retrouve dans cette co lle c tio n tant la diversité des religion s et aires culturelles étu­ d iées que la pluralité des d iscip lin es pratiquées: p h ilo lo g ie, a rch éologie, histoire, droit, ph ilosop h ie, anthropologie, so c io lo g ie . A vec le haut niveau d e sp écialisation et d ’éru d ition qui ca ra ctérisen t le s é tu d es m e n é e s à l ’E .P .H .E ., la c o lle c tio n Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences Religieuses aborde aussi b ien les religions ancienn es disparues que le s relig io n s contem poraines, s ’intéresse aussi bien à l ’originalité historique, p h ilosop h iqu e et th éo lo g iq u e d es trois grands m on othéism es - judaïsm e, christianism e, islam - q u ’à la diversité relig ieu se en Inde, au Tibet, en C hine, au Japon, en A frique et en A m érique, dans la M ésop otam ie et l ’E gypte anciennes, dans la G rèce et la R o m e antiques. Cette co llectio n n ’ou b lie pas n o n plus l ’étude des m arges relig ieu ses et d es form es de d issid en ces, l ’analyse des m odalités m êm es de sortie de la religion. L es ouvrages sont sig n és par le s m eilleurs sp écialistes français et étrangers dans le d om aine des scien ces relig ieu ses (chercheurs enseignant à l ’E.P.H .E., anciens élè v e s de l ’É co le, chercheurs invités, ...).

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D/2000/0095/78 ISBN 2-503-50899-5 Printed in the E.U. on acid-free paper 4

TABLE DES MATIÈRES

Denise A igle et Catherine M a y e u r -J a o u e n : Miracle et karama. Une approche comparatiste.................................................................................. 13

I. LE MIRACLE COMME CATÉGORIE André V auch ez : Le miracle dans la chrétienté occidentale au Moyen Age entre vie sociale et expérience religieuse..............................37 Sofia B o esc h G a ja n o : Expériences, témoignages, récits. Le miracle entre l'Antiquité tardive et le haut Moyen Age............................ 51 Marc Van U y if a n g h e : Pertinence et statut du miracle dans l'hagiographie mérovingienne (600-750).................................................67 Vincent D éroche : Tensions et contradictions dans les recueils de miracles de la première époque byzantine............................................. 145 Michel K a p l a n : Le miracle est-il nécessaire au saint byzantin ? ............. 167 Michel Sot: Le miracle et le temps de l'histoire (haut Moyen Age occidental)............................................................................................... 197 Marie Anne P o lo de B eaulieu : L'inscription du miracle dans le corps du saint : le cœur inscrit d'Ignace d'Antioche à Claire de Montefalco............................................................................................... 217 Denis G ril : Les fondements scripturaires du miracle en islam .............. 237 Mohammad Ali A mor-M oezzi : Savoir c'est pouvoir. Exégèse et implications du miracle dans l'imamisme ancien (Aspects de l'imamologie duodécimaine. V )............................................................ 251 Bemdt Radtxe : al-Hakïm al-Tirmidhi on miracles..................................... 287

Eric G e o ffr o y : Attitudes contrastées des mystiques musulmans face au miracle........................................................................................ 301

II. MIRACLE ET SOCIÉTÉ Brigitte V oile : Les miracles des saints dans la seconde partie de l'Histoire des Patriarches d'Alexandrie. Historiographie ou hagiographie ? ................................................................................................. 317 Marie-France A uzépy : Miracle et économie à Byzance (VFI X e s .) .................................................................................................................331 Élisabeth A ntoine : Images de miracles. Le témoignage des ex-voto peints en Italie centrale (XTVe-XVT siècles)...............................................353 Jürgen Paul : Faire naufrage..............................................................................375 Michel B alivet : Miracles christiques et islamisation en chrétienté seldjoukide et ottomane entre le X3e et le XVe s......................................... 397 Thierry Z arcone : Le brame du saint. De la prouesse du chamane au miracle du soufi........................................................................................... 413 Nathalie Clayer : Les miracles des cheikhs et leurs fonctions dans les espaces frontières de la Roumélie du XVIe siè c le ............................... 435 Devin D eW eese : Dog saints and Dog Shrines in Kubravi tradition. Notes on an Hagiographical M otif o f Khwãrazm......................................459

III. TYPOLOGIE DU MIRACLE Philippe Gignoux : Une typologie des miracles des saints et martyrs perses dans l'Iran sassanide.............................................................499 Jean-Marie S ansterre : Remarques sur les miracles de saints récents dans l'hagiographie du Mont-Cassin et celle du monastère grec de Grottaferrata auXIe s.......................................................525 Pierre André SiGAL : La typologie des miracles dans la littérature hagiographique occidentale (XlP-XVes .) ....................................................543 Christian Krötzl : Miracles au tombeau - miracles à distance : approches typologiques.................................................................................. 557 Catherine M ayeur-Jaouen : Miracles des saints musulmans et règne anim al...................................................................................................... 577 Michel Chodkiewicz : La “somme des miracles des saints” de Yüsuf Nabhãní..................................................................................................607

BIBLIOGRAPHIE S ources..............................................................................................................623 Études................................................................................................................. 637

INDEX Noms propres................................................................................................... 675 Noms de beux................................................................................................... 687

AUTEURS* • Denise Aigle, maître de conférences à l'E.P.H.E. (Sciences religieuses), Paris : (dir.) Saints orientaux, Paris, 1995 ; (dir.) Figures mythiques de l'Orient musulman, Aix-enProvence, 2000. • Mohammad Ali Amir-Moezzi, directeur d'études à l'E.P.H.E. (Sciences religieuses), Paris : Le Guide divin dans le shi'isme originel. Aux sources de l'ésotérisme en Islam, Paris, 1992 ; (dir.), Le voyage initiatique en terre d'islam. Ascensions célestes et itinéraires spirituels, Paris-Louvain, 1996. • Élisabeth Antoine, conservateur au Musée National du Moyen Age, Paris : Un trésor gothique. La châsse de Nivelles, en coll., catalogue d'exposition, Paris, 1996. • Marie-France AuzÉpy , professeur à l'Université Paris V in : La Chrétienté orientale du début du Vile s. au milieu du Xle s., en coll, avec M. Kaplan et B. Martin-Hisard, SEDES, Paris, 1996 ; L'hagiographie et I'iconoclasme byzantin. Le cas de la Vie d'Étienne le Jeune (Birmingham Byzantine and Ottoman monographs, 5), Variorum Reprints, Ashgate, 1999. • Michel Balivet, professeur à l'Université d'Aix-Marseille I : Byzantins et Ottomans : relations, interaction, succession, Istanbul, 1999 ; Pour une concorde islamo-chrétienne : démarches byzantines et latines à la fm du Moyen-Age, Rome, 2de éd., 1999. • Sofia BOESCH -G a j a n o , professeur à l'Université Roma Tre : Santità, culti, agiografìa. Temi e prospettive, Rome, 1997 ; Miracoli. Dai segni alla storia, en coll, avec M. Modica, Rome, 1999. • Michel CHODKIEWICZ, directeur d'études à l'E.H.E.S.S., Paris : Le Sceau des Saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d'Ibn Arabi, Paris, 1986 ; Un océan sans rivage, Paris, 1992. • Nathalie Clayer, chargée de recherche au C.N.R.S. : Mystiques, État et Société. Les Halvetis dans l'aire balkanique de la Fin du XVe s. à nos jours, Leyde, 1994 ; (dir.) Melamis-Bayramis. Études sur trois mouvements mystiques musulmans, Istanbul, 1998. • Vincent DÉROCHE, chargé de recherche au C.N.R.S. : Études sur Léontios de Néapolis, Uppsala, 1995. • Devin DeW eese, professeur à l'Indiana University, U .S.A . : Islamization and Native Religion in the Golden Horde: Baba Tükles and Conversion to Islam in Historical and Epie Tradition, Pennsylvania, 1994. • Éric GEOFFROY, maître de conférences à l'Université de Strasbourg II : Le soufisme en Égypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels, Damas, 1995. • Philippe G ignoux , directeur d'études à l'E.P.H.E. (Sciences religieuses), Paris :

Anthologie deZâdspram, (avec A. Tafazzoli), Paris, 1993 ; (dir.) Ressembler au monde : nouveaux documents sur la théorie du macro-microcosme dans l'antiquité orientale, (Bibliothèque de l'École des Hautes Études, Sciences religieuses, 106), Paris, 2000. • Denis G R IL , professeur à l'Université d'Aix-Marseille I : La risàia de Safì al-dîn. Biographies des maîtres spirituels connus par un cheikh égyptien du VZZÆQZÏe siècle, Le Caire, 1986 ; Ibn Arabi, Le dévoilement des effets du voyage, présentation, édition, traduction, Combas, 1994. * Deux ouvrages au plus sont cités pour chaque auteur, à titre d'indication bibliographique.

• Michel Kaplan , professeur à l'Université Paris I : Les saints et leur sanctuaire à Byzance, textes, images et monuments, en coll, avec C. Jolivet-Lévy et J.-P. Sodini, Paris, 1993 ; La chrétienté byzantine du début du Vile siècle au milieu du X le siècle. Images et reliques, moines et moniales, Constantinople et Rome, Paris, 1997. • Christian Krötzl, professeur à l'Université de Tampere, Finlande : Pilger Mirakel und Alltag. Formen des Verhaltens im Skandinavischen Mittelalter (12.-15. Jahrhundert), (= Studia Historica, 46), Helsinki, 1994. • Catherine Mayeur-Jaouen, maître de conférence à l'Université Paris IV : Al-Sayyid al-Badawi, un grand saint de l'islam égyptien, IF AO, Le Caire, 1994. • Jürgen P aul , professeur à l'Université de Halle, Allemagne : Die politische und soziale Bedeutung der Naqsbandiyya in Mittelasien im 15. Jahrhundert, Berlin, 1991 ; Herrscher, Gemeinwesen, Vermittler. Ostiran und Transoxanien in vormongolischer Zeit, (Beiruter Texte und Studien, 59), Beyrouth, 1996. • Marie-Anne P olo de B eaulieu, chargée de recherche au C .N.R.S., Paris : La Scala cœli de Jean Gobi, éd. et présentation, Éd. du C.N.R.S. (Sources d'Histoire médiévale), IRHT, 1991 ; Dialogue avec un fantôme, Jean Gobi, présentation et trad., Éd. Les Belles Lettres, Paris, 1994. • Bem dt R adtke , de l'Université d'Utrecht, Pays-Bas : The Concept o f Sainthood in Early Islamic Mysticism, en coll, avec J. O'Kane, Londres, 1996 ; Drei Schriften des Theosophen von Tirmidh. J7. Übersetzung und Kommentar, (Bibliotheca Islamica, 35b), Beyrouth-Stuttgart, 1996. • Jean-Marie Sansterre, professeur à l'Université libre de Bruxelles, Belgique : Les

moines grecs et orientaux à Rome aux époques byzantine et caroligienne (milieu du Vlefin du IXe s.), Bruxelles, 1983 ; Les images dans les sociétés médiévales : pour une histoire comparée, en coll, avec J.-C. Schmitt, Bruxelles-Rome,1999. • Pierre André SlGAL, professeur à l’Université Paul Valéry, Montpellier : L'homme et le miracle dans la France médiévale (Xle-XIIe siècles), Éd. du Cerf, Paris, 1985. • Michel SOT, professeur à l'Université Paris X-Nanterre : Un historien et son église au X e siècle : Flodoard de Reims, Fayard, Paris, 1993 ; Histoire culturelle de la France, I, Le Moyen Age, en coll, avec A. Guerreau-Jalabert et J.-P. Boudet, Le Seuil, Paris, 1997. • Marc Uytfanghe, professeur à l'Université de Gand, Belgique : Stylisation biblique et condition humaine dans ¡'hagiographie mérovingienne (600-750), Bruxelles, 1987, ainsi que de très nombreux articles dans ce domaine. • André V auchez, Directeur de l'École Française de Rome : La sainteté en Occident

aux derniers siècles du Moyen Age d'après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, 1ère éd. (Collection de l'École française de Rome, 241), Rome, 1981 ; 2e éd., Rome, 1988 ; Saints, prophètes et visionnaires. Le pouvoir surnaturel au Moyen Age, Albin Michel, Série Histoire, Paris, 1999. • Brigitte VOILE, doctorante à l'Université Paris X-Nanterre, a publié divers articles sur la sainteté copte. • Thierry Z arcone, chargé de recherche au C .N.R.S., Paris : Mystiques, Philosophes et Francs-maçons en Islam, J. Maisonneuve, Paris, 1993 ; Boukhara l'interdite, 18301888 : l'Occident moderne à la conquête d'une légende, Éd. Autrement (Mémoires), Paris, 1997.

A V A NT-PR OPO S

Pour comprendre les sociétés médiévales, les historiens font de plus en plus appel aux Vies de saints, sources d'une grande richesse en anthropologie religieuse et sociale. En contraste de la floraison d'études sur l'hagiographie chrétienne, les travaux sur les Vies des saints musulmans sont encore peu nombreux. Malgré les multiples traits qui rapprochent les sources hagiographiques chrétiennes et islamiques, les contacts entre les spécialistes de ces deux domaines sont récents. Afin de favoriser l'essor de ce champ de recherche, un groupe de travail a été constitué, en 1993, dans le cadre de l'équipe “Monde iranien” du C.N.R.S. Une collection Hagiographies médiévales comparées a été créée pour publier ces travaux dont l'ambition est de confronter les Vies des saints chrétiens et des saints musulmans. En 1995, est paru le premier volume intitulé Saints Orientaux. Le présent ouvrage rassemble les contributions présentées au colloque international “Les saints et leurs miracles à travers l'hagiographie chrétienne et islamique, IVe-XVe siècles” (23-25 novembrel995, C.N.R.S., Ivry-sur-Seine)* Je tiens à remercier Michel Tardieu, professeur au Collège de France (chaire Histoire des syncrétismes religieux à la fin de l'Antiquité), pour son soutien matériel à la publication de ce volume. Je remercie particulièrement, pour sa collaboration et ses conseils, Jacqueline Calmard qui a assumé la lourde tâche de composer cet ouvrage et de mettre en forme la bibliographie générale et l'index. Mes remerciements s'adressent également à Catherine Mayeur-Jaouen qui a rédigé avec moi l'introduction et relu ce volume, et enfin à Marc Geoffroy, Monique Loew et Marie-Jeanne Morin pour la relecture finale.

* Le colloque a été organisé avec le concours des institutions suivantes : Centre national de la recherche scientifique Institut français de recherche en Iran (Ministère des affaires étrangères) Institut universitaire de France Mission historique française en Allemagne Programme Europe du C.N.R.S. Unité de recherche associée au C.N.R.S. 186, “Histoire et civilisation de Byzance”.

TRANSLITTÉRATION Pour l'arabe et le persan, nous avons utilisé le système de translittération simplifié suivant : fi-

S

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P

t

212), ces sanctions sont souvent levées grâce à la prière du saint, celui-ci obtenant alors un nouveau miracle pour le pécheur repenti et suppliant213. Rappelons que de tels seconds miracles comptent à part entière dans les calculs exposés plus haut. Il saute aux yeux, par ailleurs, que dans l'hagiographie mérovingienne, parfois dans un seul et même texte, une sévérité cruelle peut coexister avec un sens extrême du pardon. « Les extrêmes se touchent » dans cette civilisation du haut Moyen Âge, dira-t-on, mais il s'agit, en fin de compte, d'un contraste tout biblique214. Ainsi, le biographe de saint Amoul se livre à une longue description presque cynique du châtiment que subit un certain Noddon, le “scélérat” qui avait accusé l'évêque de Metz de débauche avec le couple royal (Dagobert 1er et son épouse). Une nuit, ses vêtements prirent feu, circa nates vel genitalia loca, précise l'hagiographe à toutes fins utiles. L'homme sortit pour se rouler dans la boue, mais ne put empêcher d'être grièvement brûlé. Peu après, lui et son fils périrent par le glaive royal pour des crimes qu'ils avaient commis eux-mêmes215. À Éboriac, deux jeunes nonnes qui avaient tenté de s'enfuir du monastère, puis avaient sans cesse ajourné la confession de ce “crime”, exhalèrent leur dernier souffle au milieu d'un fracas diabolique. Après six mois, l'abbesse retrouva l'intérieur de leurs sépulcres consumé à tel point par le feu qu'il ne restait absolument plus rien des deux cadavres. Sur les tombes, un globe de feu apparaissait régulièrement et des cris de douleur se faisaient entendre216. Il va sans dire que cette damnation confirmée avec tant d'éclat à la manière “grégorienne”, servait une fois de plus à amender les nonnes vivantes217. Selon Jonas, une 212. [ Vita Columbam], H, 22. 213. Ces miracles appartiennent évidemment à d'autres catégories (par exemple, des guérisons, des exorcismes, des “sauvetages”). 214. Par exemple, Matthieu, 5:38-40 vs. Marc, 18:6 ou Actes, 5:1-11. 215. [Vita Amulfí], 13. 216. [Vita Columbani], n , 19. 217. Cf. [Gregorius Magnus], IV, 53, 2 ; 56, 1-2 ; [Vita Columbani], H, 19 : « u t

terror damnatorum timorem oraeberet sodalium remanentium essetaue correntio viventium

HAGIOGRAPHIE MÉROVINGIENNE

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contrition sincère aurait pourtant pu sauver les deux novices218, comme elle sauve jusqu'aux assassins. Ainsi, l'auteur de la Passio Praeiecti commente ainsi le repentir des meurtriers de l'évêque après une apparition de ce dernier au-dessus du lieu de son “martyre” : « Nulius enim in hac vita positus, si converti voluerit, desperandus est de venia »219. Les miracles qui relèvent de la lutte contre le diable se chiffrent à 21 dans le corpus A (dans 11 Vies, avec un maximum de 5 dans la Vita Rusticulae, plusieurs autres Vies ne comptant qu'une seule occurrence), à 29 dans le corpus B (dans 13 Vies, avec 8 occurrences dans la Vita Segolenae et 5 dans la Vita Eligii, 2 ou 1 dans d'autres textes), et à 10 dans la Vita Columbani. Ils se produisent surtout, mais pas exclusivement, ante mortem. Ces expulsions ou mises en fuite du démon, susceptibles de “concurrencer” les exorcismes officiels de l'Église220, se présentent en majorité comme des guérisons de possédés221. Puisque les tentations diaboliques personnelles reculent dans l'hagiographie mérovingienne par rapport aux Vies monastiques anciennes222, la possession constitue, avec la diabolisation des adversaires du saint, la manifestation par excellence de Satan (antagoniste de Dieu et du saint) dans nos textes. Qu'il s'agisse des “symptômes” parfois virulents des énergumènes (hurlements, convulsions, écume, agressivité)223 ou de l'éventuel dialogue paena inlata mortuarum et ex neglegentia vel tepore, immo duritia mentis, pereuntium salus ex religione ac vigoris studio propagaretur superstitum ». 218. Ibid. : « Tanti doloris atque meroris eventu mater urguet, ut per confessionem pandantur vitia et sacri corporis Communione roborentur ». 219. [Vita Praeiecti], 31. Le saint lui-même ne se réjouit pas de la ruine de ses adversaires, qui persévèrent dans le mal : voir [Vita Leodegarii prima], 32 : « quos (= adversarios interfectos aut effugatos) ille graviter deflens, non de ultione gavisus, sed cur sine paenitentiam (= paenitentia) eos comprehenderet mortis occasus ». 220. Cf. Graus, [Volk], p. 53. 221. Dans la [Vita Amandi], 10, un esprit immonde entraîne jusqu'à la mer (pour le noyer) un serviteur du saint à Cività-Vecchia. En lui suggérant la formule invocatoire exacte (adressée au “Christ, Fils du Dieu vivant, le crucifié”), Amand permet l'expulsion du démon et sauve en même temps le possédé de mort par submersion. Précisons que dans la [Vita Philiberti], 3, où Philibert chasse par le signe de croix le diable qui le tentait par plusieurs artifices lors de son séjour au monastère de Rebais (notamment sous la forme d'un ours qui le menaçait dans l’église), on a affaire plutôt à un miracle réflexif. 222. Cf. Van Uytfanghe, [Stylisation], p.108. 223. Par exemple, [Vita Apri Tullensis], 2 : « Cumque virum Dei procul aspexisset, sevire et frendere et obvios quosque laniare dentibus coepit [...] Sed cum spuma flammea sancti viri vultus aspergeret hianteque ore morsum minaretur, statim opposita manu » ; [Vita Eligii], I, 10 : « is cum vidisset sanctum virum timore perculsus, et spumans ac

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MARC VAN UYTFANGHE

entre le saint et le démon qui reconnaît en lui le serviteur de Dieu224, ces récits se rapportent fréquemment à des modèles néotestamentaiies (voir infra, p. 58-59), tout en étant aussi tributaires des développements postbibliques de la démonologie et de l'hagiographie antérieure. Outre le rôle de la prière, du signe de croix et des reliques225, il faut souligner aussi la matérialisation physiologique et scatologique de la “sortie” du Malin, laquelle peut s'accompagner par exemple de vomissements ou de crachements de sang, de flux de ventre et de vestigia foeda226. De plus, le diable s'incarne dans des animaux sauvages, des animaux portant malheur ou de mauvais augure (un oiseau, un serpent, des chèvres même, une fois un dragon dont il prend l'aspect227), ou encore dans un rite sacrificiel païen (chez Jonas, aussi bien saint Colomban que saint Vaast font éclater une cuve pallens dixit ad eum » ; [ Vita Praeiecti], 18 : « Cumque venerabilis presul freneticum atque furibundum et stridulis dentibus inspexisset ». Pour d'autres exemples, voir Van Uytfanghe [Bijbeli, p. 303-304. 224. Par exemple : [ Vita Eligii\, II, 10 : « dixit ad eum : “Quid hic tu, Eligi ?” Ad quem conversus sanctus Eligius dixit : “Et quid ad te, immundissime diabole ? In nomine Iesu Christi obmutesce, et exi ab illo ” » ; [Vita Rusticulae], 13 : « Cur nos, famula Christi, torquere venisti et de domiciliis nostris expellere. Et obtestabantur eam per crucem et clavos Domini, ut non eos iuberet egredi de domiciliis suis » ; voir aussi [Vita Agili], 14 ; [Vita Columbani], I, 25. 225. Voir infra, p. 47 sq. Dans [Vita Segolenaé], 22, une femme est délivrée du diable grâce à la ceinture de la sainte. Il est rare qu'un saint chasse lui-même directement le démon (comme Jésus et les apôtres). Voir tout de même [Vita Audoerú] (A), 14 : « Sicque ipse pontifex manu strinxit capite (= caput) et violenter eiecit daemonem et

sanam parentibus reddidit ». 226. Par exemple, [Vita Columbani], I, 25 (guérison d'un énergumène à Paris) : « Tunc horrida vis discerpens, ut vix nexibus teneretur, cum viscerum motione ac vomito

(= vomitu) moto progressus, tantum foetorem adstantibus dedit, ut sulphureos se crederent facilius tolerare odores » ; [Vita Agili], 14 ; [Vita Apri Tullensis], 2 ; [Vita Boni ti], 13 ; [Vita Eligii], I, 11 ; [Vita Rusticulae], 13. Sur cette tradition (croyances populaires égyptiennes, harmoniques bibliques etc.), voir Fontaine [Vie de saint Martin], II, p. 848-853 (à propos de Vita Martini, 17). 227. Par exemple, [Vita Agili], 31 (le diable-dragon menace le saint à cause de son hospitalité envers les pauvres) ; [Vita Radegundis], 18 (une religieuse aperçoit « m ilia milium daemonum in specie caprarum » sur un arbre du monastère) ; ibid., 19 (une autre moniale voit un hibou qui n’était pas venu ex Dei parte) ; [Vita Sadalbergae], 15 (toutes sortes d’animaux sauvages jamais vus [= antiquus hostis + satellites] fuient le monastère des ancillae Dei et pénètrent dans la ville). Ces miracles ont un caractère à la fois réflexif (les animaux/démons obéissent au saint) et transitif (la communauté religieuse, et les pauvres dans [Vita Agili], en profitent). Sur la tradition des insidiae diaboli incarnées dans des animaux de malheur (tradition qui rappelle certaines réminiscences bibliques), voir Fontaine fVie de saint Martini, III, p. 1290-1303.

HAGIOGRAPHIE MÉROVINGIENNE

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de bière qui recelait le démon désireux de prendre les âmes des sacrificateurs228). Rappelons néanmoins, sur la base des chiffres susmentionnés, que beaucoup de nos Vies ignorent ou limitent strictement les “miracles diaboliques”. Des délivrances miraculeuses de prisonniers ou d'esclaves, on a dit qu'elles augmentent depuis les Ve-VT siècles et qu'elles ont un profond ancrage dans la société du haut Moyen Age229. Cependant, pour ce qui est de la période 600-750, cette vue des choses appelle certaines nuances, car ce type de miracle n'abonde pas vraiment (7 cas dans le corpus A, 10 dans B et 2 dans la Vita Columbani ; seulement 3 Vies sont concernées dans A, 4 dans B). S'il est vrai que les hagiographes n'ont pas nécessairement besoin de miracles pour célébrer, parmi les vertus de charité de leur saint, le souci et le rachat des captifs230, il n'en reste pas moins que la délivrance miraculeuse (généralement après le refus initial du juge, du seigneur ou du marchand impitoyables, d'acquiescer à la supplique du saint) est en quelque sorte l'apanage de deux évêques du Nord de la Gaule, à savoir saint Géry de Cambrai dans le corpus A (ses 4 miracles de ce type suggèrent déjà une certaine “spécialisation”231) et saint Éloi de Noyon-Toumai dans le corpus B (7 cas)232. Frantisele Graus a étudié les variantes de ce miracle, dont les moules littéraires se fixent pour de bon à l'époque mérovingienne (Graus distingue trois types de libération ou d'évasion, avec possibilité de combinaison ou

228. [ Vita Columbani], 1 , 19 et 27 ; [ Vita Vedastis], 7 (ici par le signe de croix). Voir déjà [Gregorius Turonensis], 5, 2 ; [Gregorius Magnus], II, 3, 4. 229. Cf. Graus [Die Gewalt], p. 104. (Graus y inclut le VIe siècle et donc aussi Grégoire de Tours). 230. Voir Van Uytfanghe, [Stylisation], p. 83 et note 116 (exemples). Dans [Vita Iohannis Reomaensis], p. 10, Jean envoie une lettre à un certain Clarus, demandant le pardon pour un serviteur de celui-ci, qui s'était réfugié à Réomé « ob noxam sceleris » (à comparer à l'épître de saint Paul à Philémon). Toutefois, Clarus cracha sur la lettre, la jeta et rabroua le porteur. Jonas ne fait plus allusion au sort du famulus concerné, mais il ajoute un miracle punitif (voir supra) : par la vengeance divine, Clarus a la bouche et la gorge paralysées, de sorte qu’il ne peut plus ni manger ni recevoir la communion. 231. Il s'agit de 4 sur 8 miracles “classiques”, ou de 4 sur 10 au total (les 2 phénomènes merveilleux y compris). [Vita Gaugerici], 1 , 8 ,9 ,1 2 . 232. À noter que [Vita Eligii], II, 14, raconte un triple miracle : plusieurs prisonniers du career físcalis sont libérés miraculeusement à Bourges, puis ils se réfugient dans l'église Saint-Sulpice, où une vitre se brise spontanément ; appréhendés à nouveau par des soldats “sacrilèges”, ils échappent pour de bon, après que leurs chaînes se soient brisées grâce aux prières du saint.

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d'adaptation)233. Ce type de mixacle s'enracine dans la légende universelle234 et dans la Bible, et notamment dans les Actes des Apôtres, où il s'agit cependant de miracles réflexifs (les apôtres eux-mêmes en profitent) alors que dans nos Vies, sauf exception235, les bénéficiaires sont des tiers, souvent réellement coupables selon le droit de l'époque. L'hagiographie, en effet, ne fait pas la distinction entre coupables et innocents (« septem virí sive innocui sive noxii ; vir quidam sive ex causa, sive absque culpa, feneis quondam nexibus constrictus », lit-on par exemple dans la Vita Eligii 236) . Ces récits font donc apparaître une synergie entre l'appel biblique et chrétien à la mansuétude envers les captivi quels qu'ils soient, la stylisation merveilleuse (des chaînes ou barres qui se brisent, les portes qui s'ouvrent soudainement grâce à la prière du saint ou à sa virtus, éventuellement celle de ses reliques237), et le Sitz im Leben proprement mérovingien, c'est-à-dire la réalité sociale, économique et judiciaire. A ce propos, les hagiographes se complaisent à mettre en relief le contraste entre la charité du saint et la dureté des potentes concernés, pourtant chrétiens en principe. Ainsi, le maire du palais de Clotaire H, Landéric, avait fait prisonniers deux pueri et s'apprêtait à les faire exécuter. Il opposa carrément une fin de non recevoir à la requête de saint Géry en leur faveur. Le lendemain matin, se rendant lui-même dans une église pour prier solida (= solita) consuetudine, Landéric y trouva les deux jeunes gens défiés, en présence du pontife238. On ne saurait mieux illustrer la dichotomie entre la piété personnelle d'un “grand” et son comportement social et humain. Restent, toujours par ordre dégressif, les résurrections de morts. Je ne comprends pas l'affirmation de F. Graus selon laquelle « Die Totenerweckungen sind dann auch in der merovingischen Hagiographie sehr beliebt »239, car nos textes n'en offrent que trois exemples (1 dans le 233. Graus [Die Gewalt]. 234. Cf. Günter [Psychologie], p. 33-34, 156-158. 235. Cf. [Vita Rusticulae], 14 (les portes de l'église Saint-Didier à Vienne s'ouvrent miraculeusement pour Rusticule, qui veut y prier). Cet épisode est évidemment à ranger parmi les miracles réflexifs. 236. [Vita Eligii], I, 18 ; II, 45. Dans [Vita Columbam], I, 19, Colomban ordonne aux condamnés qu'il a délivrés, « d'aller à l'église et d'effacer leur fautes en faisant pénitence pour les crimes commis et en les lavant de leurs larmes ». 237. Précisons que, le cas échéant, le tombeau du saint, ou une autre église, sert en quelque sorte “d'asile” (voir par exemple, supra, note 231). 238. [Vita Gaugericî], 9. L'hagiographe ne s'étend pas sur le “comment” de la délivrance miraculeuse. 239. Cf. Graus \ V ofil. d . 84. note 148.

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corpus A, 2 dans B). En fait, malgré les antécédents du prophète Élisée, de Jésus et des apôtres, ce miracle est ressenti comme tellement grandiose et spectaculaire (« Haec nostra non sunt, sed sanctorum apostolorum sunt », selon la parole de saint Benoît240) que, répétons-le, à l'exception de la Vie de saint Wandrille (A) et de celle de saint Amand (B), toutes les mentions générales de miracles modelées d'après la péricope de Matthieu, 11:5, omettent volontairement le mortui resurgunt241. Cela est d'autant plus significatif que la relative rareté des sourds parmi les miraculés n'empêche pas d'autres hagiographes de reprendre le surdi audiunt242. J'ai déjà évoqué (voir supra, p. 10-11) l'histoire du petit enfant à Nivelles d'après les Virtutes sanctae Geretrudis. À Gand, saint Amand sollicita la grâce pour un voleur, amené devant le tribunal (le mallus) du comte Dotton et déjà presque lynché par la foule qui réclamait sa mort. Le comte, « omni belua crudelior» selon l'hagiographe (ce qui rappelle la stylisation contrastive dans les récits de délivrance commentés plus haut), refusa et fit exécuter la sentence, c'est-à-dire la pendaison. Or, le saint attendit son départ pour descendre le cadavre du gibet et le faire porter dans sa cellule. Il fit sortir ses frères et puis, à la manière d'Élisée (4 Rois, 4:3136) et de Martin de Tours, s'étendit sur les membres du défunt et obtint par ses prières que l'âme revînt dans le corps du supplicié243. Lors de la translation du corps de saint Léger à Poitiers, le cortège passa par le bourg de Jazeneuil, selon la deuxième Vita écrite par Ursin (B). Une mère accourut, portant dans ses bras son enfant d'à peine trois ans et à demi mort, « qui priusquam ad sanctum corpus accedent (= accederet), amisisse fertur spiritum ». L'ayant posé sous le brancard, la femme invoqua saint 240. Cf. [Gregorius Magnus], II, 32, 2. Cela n'empêche évidemment pas la présence de ce miracle dans des Vies antérieures ou postérieures à notre corpus. 241. [Vita Wandregiselil, 17 : « Nam certissime sciamus, quod per eum Dominus

leprosus (= leprosos) mundavit, claudus (= claudos) liberis gressibus ambulare fecit et interioris cordis tenebris et mortuis iam bene sepultis (= mortuos...sepultos) resuscitavit » ( à moins qu'on ne donne un sens spirituel à ce passage peu clair) ; [ Vita Amandi), 26 (voir supra, note 109). À comparer : [Vita Romanci], 10 : « Licet multis sanctorum concessum fuerit corpora iterum moritura suscitare, isti utique, datum fuit animas de morte aeterna Redemptore opitulante educere, et Domino Iesu Christe sine macula praesentare ». 242. Mentions générales avec les surdi : par exemple, [Passio Desiderii], 6 ; [Vita Goaris], 1 ; [Vita Sulpitii), 10 ; mentions générales sans les surdi : par exemple, [Vita Audoeniì, 17 ; [Vita Eucherii), 15 ; [Vita Landiberti], 28. 243. [Vita Amandi), 15 (selon certains manuscrits, ce miracle se déroula à Tournai). Antécédent de saint Martin : cf. [Vita Martini], 1, 1-7. Sur ce type de miracle, voir Gaiffïer [Un thème] ; Lotter [Heiliger].

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Léger durant trois heures (« Domine mi, redde mihi fìlium meum»), jusqu'à ce que le garçonnet, quasi de gravi somno evigilans (cf. Genèse, 45:26) et reddaevivus (= redivivus) », se remît à parler (« Mater, ubi es ?»)244. La narration de ce « magnum et mirabile miraculum » trahit une certaine prudence dans le chef de l'hagiographe (amissise fertur, quasi evigilans). En fait, en lisant attentivement les Vies, on se rend compte que d'autres miracles auraient facilement pu être stylisés en résurrections, mais que les auteurs se sont bien gardés d'aller jusque là. Ainsi, saint Amoul accompagnait un jour le roi Dagobert lors d'une visite en Thuringe. Là, un noble personnage appelé Noddilon pleurait vivement un jeune homme de sa famille, qu'il aimait beaucoup et dont il préparait déjà les funérailles (supremis funeraret fletibus) à la manière des païens, c'est-à-dire avec amputation de la tête et incinération du cadavre : « nil angustianti aliut [= aliud] consilii ademt, nisi, languentis capite amputato, more gentilium cadaver ignibus comburendum traderetur». Le souverain avait déjà quitté la localité, mais l'évêque était toujours là. Appelé au chevet du garçon, il se prosterna sur le sol et pria longtemps. Ensuite, il s'adressa au semivivus homo, qui put à peine exprimer sa grande joie, « quia extremis quaciebatur conatibus ». Amoul fit apporter de l'eau chaude, lui lava le visage, les pieds et les mains, puis lui enduisit le corps d'huile sainte, tant et si bien qu'il put s'en aller, « tamquam nulla[m] infumitate[m] perpessus ». Alors que le début du récit pouvait faire croire que l'homme était mort (funeraret, cadaver comburendum), la suite lève cette équivoque : il s'agit bien d'une guérison et non pas d'une résurrection : « at (=ad) languentis pergit lectulum, semivivo homini, inñrmitate[m] »245. Saint Prix, lui, était encore abbé du monastère de Chantoin près de Clermont quand il décida de faire rénover une maison vétuste dans un quartier de la ville. Au cours des travaux, un échafaudage s'écroula, ensevelissant un des circumstantes sous une masse de pierres, « ita ut sub tam innumerosa congerie petrarum iam mortuus vel minutatim confractus putaretur inveniri. » Prix se hâta vers la basilique toute proche de saint Adjutor, s'y proclama coupable d'assassinat et, tout en larmes, supplia Dieu qu'on pût au moins dégager les décombres et en sortir le cadavre. Or, les ouvriers retrouvèrent sain et sauf l'homme qu'ils croyaient mort (« quem defunctum putabant reppererunt incolomem et vivum »). Par l'emploi répété du verbe putare (putaretur, putabant), l'hagiographe évite de suggérer une

244. [ Vita Leodegaríí], 30. 245. i Vita Amulffl. 12.

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résurrection. Aussi ai-je classé cet épisode parmi les interventions miraculeuses dans des situations de besoin ou de détresse (voir supra)246. Un des miracles de délivrance de la Vita Eligii mérite également une mention ici. Encore laïc et palatin, le futur évêque de Noyon-Toumai avait reçu du roi l'autorisation de détacher et d'enterrer dignement tous les suppliciés (« vel regis severitate, vel iudicum censura diversis ex causis per multimoda argumenta») où qu'il pût les trouver («ubicumque invenire potuisset, sive per civitates sive per villas »). Un jour, les croque-morts (vespelliones) qu'il avait préposés à cette tâche, découvrirent un pendu à Strasbourg. À la faveur d'une “inspiration” (« vir venerabilis sensit forte operandum »), Eloi accourut et se mit à palper le corps, qui s'avérait encore animé (« cum iam sentiret adesse animam »). Il fit habiller l'homme et lui permit de se reposer quelques instants : « deinde recreato spiritu vir ille surrexit e terra, utpote nullam passus iniuriam ». Par la suite, alors que ses “persécuteurs” (insectatores) cherchaient à nouveau à l'appréhender pour le mettre à mort, le saint obtint pour lui un sauf-conduit (charta securitaria) royal247. De toute façon, la phrase « cum iam sentiret adesse animam» contre-balance suffisamment le « recreato spiritu [... ]surrexit » pour qu'on saisisse bien la différence de portée entre ce récit et le chapitre 14 de la Vita Amandi. Le scrupule des hagiographes sous-jacent aux trois épisodes que je viens d'évoquer, montre bien, me semble-t-il, le problème de la “crédibilité” d'un miracle aussi extraordinaire que la résurrection d'un mort. L'examen de la typologie des miracles fait donc apparaître à son tour une grande variation proportionnelle. Les miracles transitifs à caractère social sont sans doute moins nombreux dans les Vies monastiques que dans les Vies épiscopales248, mais ils y restent prépondérants, qu'ils profitent à des membres de la communauté ou aux gens du dehors. Ce qui frappe, en revanche, c'est le nombre peu élevé de miracles folkloriques ou de type “saga” ou “conte de fée”, qu'on rencontre davantage, semble-t-il, dans l'hagiographie irlandaise de l'époque (encore que cette opposition mérite d'être nuancée)249250. À part la céphalophorie dans la Passion de saint Just (A), qui exigerait d'ailleurs une interprétation sui generis, et quelques récits concernant un animal ou des objets correlés au saint (mais on a parlé aussi de pseudovolkstümliche Motivé150), la moisson est plutôt maigrichonne. 246. 247. 248. 249. 250.

[Vita Praeiecti], 11. [Vita Eligii], I, 31. Du moins selon Graus [Volk], p. 290. Cf. Picard [The Marvellous], Voir par exemple, Thomas [Céphalophorie] pour

l'interprétation

de

la

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Jacques Le Goff estime, on le sait, qu'en dépit d'un certain accueil du folklore dans la culture cléricale (ne fut-ce que par le biais de l'Ancien Testament et de la pratique évangélisatrice au niveau des rustici), la culture ecclésiastique, “rationnelle” à sa manière, a, pour l'essentiel, refusé la culture folklorique, par destruction, par oblitération, et principalement par dénaturation, en ce sens que les thèmes folkloriques changent radicalement de signification dans leurs substituts chrétiens. D'après Le Goff, le blocage de la culture inférieure par la culture supérieure se manifeste aussi par l'incompréhension des hagiographes devant les res minimae, les miracula iucunda comme les appelle Grégoire le Grand251. H cite l'exemple des coqs muets auxquels saint Germain d'Auxerre (m. 448), cédant aux supplications des villageois qui l'hébergeaient, rendit la voix en leur donnant à manger du blé bénit. « Ita virtus divina etiam in rebus minimis maxime praeeminebat » : voilà le commentaire étonné de l'hagiographe, Constance de Lyon, qui écrivait vers 480252. Certes, il y a eu des exceptions dans l'hagiographie de l'Antiquité tardive (j'attire l'attention, à ce propos, sur une étude de mon collègue louvaniste Willy Evenepoel sur “hagiographie et humour”, en l'occurrence chez Paulin de Noie253), mais pour l'époque mérovingienne, F. Graus était arrivé à des conclusions sans doute plus nuancées, mais tout de même largement similaires à celles de Le Goff : La Vita mérovingienne est un produit non pas volkstümlich, mais hochkirklich ; tout en s'adressant aussi au peuple, elle ne vient pas du peuple254. Ce n'est que plus tard, semble-t-il, dès l'époque carolingienne et surtout aux XIT-XHT siècles, que l'Église se serait montrée plus encline à composer avec la culture folklorique. Mais cela n'est plus mon terrain. En revanche, je pourrais illustrer la thèse de Le Goff par deux Vies assez remarquables du corpus parallèle (B), celle de saint Èvre, prêtre et ermite à Grenoble au VIF siècle et celle de saint Goar, prêtre et ermite en Rhénanie, qui semble avoir vécu au VF siècle. La première (rédigée encore au VIF siècle ?) pourrait être antérieure à la seconde (vers 700 ou plutôt vers

céphalophorie, ; pour les “pseudovolkstümliche Motive”, voir Graus [Volk], p. 289-290. 251. Le Goff [Culture cléricale] ; voir [Gregorius Magnus], III, 22, 4. La [Vita Boriiti], 19, évoque aussi les memoriae digna atque iocunda miracula, mais il s'agit plutôt de miracles “classiques” (approvisionnements). 252. [Vita Germani Anriss.], 11. Mais voir aussi supra, notes 96 (Jonas s'en prend plutôt aux autres, qui rient des miracles futiles) et 114 (quel miracle est grand ou petit pour qui ?). 253. Evenepoel [Saint Paulin]. 254. Graus \ Voikl. d . 301-302.

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750, en tout cas avant 768), laquelle dépendrait alors de l'autre255. Comme la Vita Goaiis est nettement plus longue et plus nourrie que la Vita Apri, je me borne ici au cas du confesseur rhénan. Ce Goar fut un saint pas du tout comme les autres. En effet, alors que les saints précédents étaient tous entrés dans le royaume des deux per eleemosynas et ieiunia256, lui, par contre, dès potron-minet, après avoir célébré la messe pro populo (sauf le vendredi), mangeait et buvait avec les pauperes et les peregrini, dans la joie et l'allégresse. L'évêque Rusticus de Trêves en eut vent et lui envoya deux émissaires pour l'observer (« quasi speculatores, ut ibi aliquam rem novam vel inaniam ( - inanem) invenire potuissent ») et ensuite le dénoncer et le convoquer. Finalement Goar repartit avec eux. En cours de route, les deux “espions”, tourmentés par la faim et la soif, s'arrêtèrent près d'un ruisseau, mais n'y trouvèrent pas une goutte d'eau ; de plus, les provisions que Goar avait mises à leur disposition (après leur refus de manger avec lui le matin) avaient disparu de leur sac. Par surcroît de malheur, l'un d'entre eux tomba de son cheval. Ils implorèrent alors le secours du saint prêtre, qui leur rappela que « Dieu est amour » (Deus caritas est ; cf. 1 Jean, 4:16). Or, voilà que surgirent trois grandes biches, symbolisant en quelque sorte la Trinité selon l'hagiographe. Goar se mit à les traire, donna à boire aux détracteurs de ses caritates matinales, et guérit celui qui avait fait une chute en enduisant ses membres du lait des biches. Mal lui en prit cependant, car, apprenant la chose, Rusticus le soupçonna alors de magie (« Non est alia causa nisi prestinatio [= praedigiatio], qui sic mane commedit [= comedit) et bestiis mulgit [= bestias m ulget] »). Entré lui-même chez l'évêque assis sur son trône avec son clergé, comme un vrai prélat, Goar suspendit sa cape à un rayon de soleil. La réponse à la question de savoir si « ex Dei parte fít an ab adversario» (cf. Sagesse, 1:16 ; 2:25) ne fit alors plus de doute pour le pontife, mais celui-ci n'eut pas l'occasion de sanctionner son prêtre sur-lechamp, car on lui apporta au même moment un de ces bébés que les femmes pauvres de Trêves avaient coutume d'abandonner dans une vasque de marbre au milieu de la ville. Rusticus y vit un autre moyen de confondre Goar pour pouvoir le condamner à mort, et le somma de prouver la vérité de 255. À comparer (partiellement au moins) : [Vita Apri GrationopoIitaní\, 1-3, à [Vita Goaris], 2-7. 256. [Vita Goaris], 6 : « Si ex Deo fuisset, tam mane non commedisset vel bibisset, quia anteriores sancti per elemosinas et ieiunia intraverunt in regnum D ei». Cette Daseinsfreude est-elle une réaction à l'ascétisme colombanien ? Voir Van Uytfanghe, [Stylisation], p. 141-142.

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son ministerium en disant le nom des parents de l'enfant. Après avoir fondu en larmes et invoqué le Christ et la Sainte Trinité, Goar adjura alors le petit de faire connaître ses parents. Le thème qui intervient ici est celui du “nouveau-né qui dénonce son père”257. En l'occurrence, le père était l'évêque Rusticus lui-même, qui reconnut tout de suite son péché. Goar se dit prêt à faire pénitence pour lui et refusa l'offre royale de lui succéder comme évêque de Trêves, préférant regagner sa cellule258. J'ai catalogué ces quatre miracles selon la typologie susmentionnée (deux châtiments miraculeux : les provisions des legatarii disparues, l'évêque confondu par un enfant ; un approvisionnement : les légats nourris par le lait de la biche et par leurs provisions retrouvées ; un miracle relatif à un objet du saint : le manteau suspendu à un rayon de soleil), mais une telle concomitance de motifs folkloriques (la biche géante, le rayon de soleil, le nouveau-né qui parle259) est plutôt exceptionnelle pour l'époque (même si l'on prend en compte les potentialités légendaires découlant de l'écart chronologique entre le saint et son hagiographe260). L'important, toutefois, est que ces éléments magiques ou folkloriques aient effectivement changé de fonction. Sans parler du cadre de références théocentrique (voir infra, p. 45 sq.) ou du « fìat ad exemplum credulitatis »261 (voir infra, Conclusion), on peut affirmer qu'ils sont subordonnés à l'objectif éminemment spirituel et éthique de l'auteur : présenter Goar comme un saint très évangélique et social, imitateur du Christ et accusé comme lui par une autorité religieuse hypocrite de faire bombance (« il mange et boit avec les publicains et les pécheurs » [Matthieu, 9:11 et par.]) et de se livrer à des artifices diaboliques 257. Ce thème manque dans la Vie de saint Èvre de Grenoble. Voir aussi Canari [Le nouveau-né], 258. [Vita Goaris], 8-9. Cf. Pauly [Der heilige Goar]. 259. Voir aussi [Vita Amandi], 17 (lors du baptême du petit prince Sigebert IV (m. 656), fils de Dagobert I") : « Cumque, finitam orationem, nemo ex circumstante

multitudine respondisset : “Arnen”, aperuit Dominus os pueri, atque, audientibus cunctis, clara voce respondit : “Arnen” » (contexte très différent). 260. D'un côté, d'autres Vies écrites longtemps après la mort du héros, pas cette concomitance ; de l'autre, l'écart concerné est probablement moins cas de la [Vita Aprí\. Sur l'origine des motifs folkloriques dans la Vita Berschin [Biographie], III, p. 70-75. 261. Cf. [Vita Goaris], 5 : « Scio ego, quia hoc quod factum vidistis

ne présentent grand dans le Goaris, voir

non est sine causa, quod Dominus hodie per bestias ostendit nobis, nisi fíat ad exemplum credulitatis, qui in ipso confidunt». Plus loin [[Vita Goaris], 8), le saint refuse néanmoins de

confirmer lui-même, devant le roi Sigebert Ier (m. 575), la réalité de ces miracles : « tamen aliud tibi non dico, nisi sicut dixisti. Verumtamen aliis sic cernitur fuisse factum, auomodo tibi dictum est ».

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(« c'est par le Prince des démons qu'il expulse les démons » [Matthieu, 9:34 et par.]. On dirait presque un Monseigneur Gaillot longtemps avant la lettre, mutatis mutandisbïen entendu262. LE DEGRÉ DE THÉOCENTRISME

Un des moyens précisément — je dirais le moyen par excellence — de changer ou de rehausser la nature du prodige, d'où qu'il vienne et quel qu'en soit le type, consiste à affirmer sur tous les tons le théocenttisme du miracle et sauvegarder par là la primauté de Dieu ou du Christ, véritable auteur du miracle, le saint étant seulement un intercesseur, que ce soit avant ou après sa mort. C'est une tradition établie dépuis la Vita Antonii d'Athanase d'Alexandrie, mais il est très significatif que ces précisions théocentriques aillent se multipliant au haut Moyen Âge. Vincent Déroche a fait le même constat pour l'hagiographie byzantine : saint Artémius de Constantinople (m. 362), par exemple, d'après son recueil de miracles, répète usque ad nauseam aux malades auxquels il apparaît, que c'est le Christ qui les guérit par son intermédiaire263. Déjà les mentions générales font, en majorité, de Dieu ou du Seigneur le sujet du miracle, et parlent des mérites ou de l'intercession du saint. Citons par exemple la Vie de saint Ouen (A) : « dominus Iesus Christus, eius meritis suffragantibus, signa multa virtutum operare dignatus est »264. Ou la Vie de saint Austrille (B, après un long résumé des miracles de l'évêque de Bourges) : « longum est, ut universa singillatim evolvam signa et sanitates, quas Dominus per ipsum servum suum fecit »265. Régulièrement, un ablatif absolu apporte la précision voulue, comme dans la Vie de saint Sulpice de Bourges (A) : « Domino ibi operante, ceci inluminantur, daemones effugantur, infirmi etiam sanantur, et est ibi laus Patri et Filio et Spiritui sancto »266. Ailleurs, le prologue met tout de suite le lecteur sur le droit chemin. C'est le cas notamment de la Vie de saint Aile de Rebais (B) : « Recolens igitur sanctorum manifestari oportere triumphos, ut Dei ac Domini nostri Iesu Christi maiestas celebretur in terris »267. Ou une formule 262. Graus [Volk], p. 109, parle d'une « leise anti-asketische Unterströmung » dans l'hagiographie mérovingienne. 263. Déroche [Pourquoi écrivait-on], p. 108 (« L'auteur doit faire face ici non tant à une concurrence ou à une incrédulité qu'à une suspicion plus ou moins nette d'hérésie »). 264. [Vita Audoeni], 17. 265. [Vita Austregiseli], 17. 266. [Vita Sulpitii], 13. 267. [Vita Agilíl, prol. (l'auteur désigne sans doute à la fois les vertus et les miracles

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de transition rappelle cette perspective orthodoxe de l'auteur : « Addentur pagina [= paginae] nova Christi miracula » (Vie de saint Philibert de Jumièges, B)268269; « Post haec igitur bonitatis ac munerum institutor rursus pietatis suae munera largiri non distulit» (Jonas, Vita Columbam)169. Dans l'ensemble, les tournures neutres (avec emploi du passif sans ablatif absolu du type Domino operante ou Deo iubenté) ou celles qui font du saint le sujet grammatical de l'action merveilleuse, sont très minoritaires270. Il en va de même pour les miracles concrets. Encore dans la Vie de saint Ouen (A), une longue sécheresse prit fin en Espagne grâce au futur évêque de Rouen qui s'y expatria avant sa consécration, mais c'est Dieu qui fit tomber la pluie : « Tandem misericors Deus videns afflictionem populi sui (cf. Exode, 3:7 ; Actes, 7:34) in introitu famuli sui pluviam statim concessit». Et après avoir comparé le saint au prophète Elie (voir infra, p. 54), l'auteur se répète, pour être plus clair : « Ita demum dominus noster Iesus Christus per servum suum, innovata gratia, replevit aquas Spania (= Hispaniam) »27127. Les lampes qui s'allumèrent tout à coup dans l'église où saint Prix s'adonnait à la prière, le firent ex Domini praecepto111. Toujours dans le corpus A, dans la Vita M emoiii plus précisément, le futur martyr, envoyé par l'évêque Loup de Troyes (m. vers 478) au-devant d'Attila, guérit par le signe de croix l'œil de l'échanson du roi des Huns, frappé d'une étincelle du crucifix que son maître avait fait brûler. Ici c'est la parole du saint lui-même qui désigne par anticipation le sujet du miracle. « E t ait sanctus Memorius ad regem : Si credis Deum meum, potens est hunc puerum sanum facere» (cf. 2 Corinthiens, 9:8 ; Jean, 5:15)273. Une même anticipation théocentrique caractérise un miracle de saint Pardoux (B) à Limoges, que l'auteur introduit comme suit : « E t aliut (= aliud) non tacebo miraculum, quod per eum Dominus ostendit m irificum». Un paralytique, qui gisait depuis cinq ans sous le portique de la basifique de Saint-Martin de Tours, fut guéri par l'abbé de Guéret (moyennant le signe de

du saint). 268. [Vita Phili berti], 11. 269. [Vita Columbaní), 11, 21. 270. 14 sur 54 dans le corpus A : voir Van Uytfanghe, [Bijbel), p. 359-361. 271. [ Vita Audœrti], 7. 272. [Vita Praeiecti], 36. 273. [Vita Memoriii, 4 : « Tunc sanctus Memorius imponens signum crucis super

oculum puaeri (= pueri), et statim oculus suos (=suus) restauratus est, sicut antea fuerat».

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croix) après avoir été averti en songe d'aller trouver le saint à Limoges : « pereum tibi Dominus tribuet sospitatem »274275. Dans d'autres cas, l'affirmation théocentrique vient après le miracle. Il en est ainsi des exclamations de Jonas de Bobbio, par exemple à la fin du récit du corbeau qui, après avoir volé le gant de saint Colomban, le lui rapporta, et repartit sur son ordre : « O mira aetemi iudicis virtus , qui tanta suis famulis prestat (= praestat), ut non solum hominum honoribus, sed etiam avium oboedientia clarescant»215. Ou, plus indirectement, là où l'auteur met dans la bouche du miraculé et/ou des témoins une action de grâce adressée non pas au saint mais au Seigneur (comme il arrive régulièrement dans les Évangiles : Jésus accomplit le miracle, mais la foule loue Dieu [voir infra, p.57]. Même la passion très légendaire de saint Just (A) utilise ce procédé pour conclure le récit de la guérison d'une fille de seize ans aveugle-née (qui avait elle-même déjà supplié le futur martyr “céphalophore” de prier le Seigneur pour elle) : « E t excrepuerunt oculi et aperti sunt [...]. E t viderunt sacerdotes virtutem et gloriam Domini et omnis populus eum eis (cf. Psaumes, 62:3 ; Genèse, 35 : 8) et laudaverunt et benedixerunt Deum quia viderunt virtutem magnam quam fecerat (Daniel, 3 : 57 ; Judith, 14 : 6), in quem credunt omnes gentes »276. Le biographe de saint Éloi (B), quant à lui, raconte comment le linteum dont on avait couvert, en début de carême, le sarcophage rutilant du pontife, se mit à “transpirer”, “fumer” et s'imbiber de rosée. La réaction de l'assistance à ce miraculum inauditum en souligne la vraie portée : « quod cum circumstantes conspicerent, in magno protinus stupore conversi, magnalia Christi ibi fatebantur rieri »277. Les exemples cités incluent déjà plusieurs expressions de la médiation proprement dite du saint : le miracle se fait per sanctum, le saint, dans les récits in vita, adresse une prière à Dieu (avec ou sans pleurs), ou invoque son Nom, ou exhorte d'autres (le bénéficiaire lui-même et/ou des témoins) à recourir aux armes spirituelles (la prière, la veille, le jeûne)278, ou il bénit la 274. [Vita Pardulfi], 14. 275. [Vita Columbaní\, I, 15. 276. [Passio Iusti], 96. 277. [Vita Eligii], II, 41. Le procédé se combine parfois avec d'autres indices théocentriques : par exemple, [Vita Columbani], II, 4 (prières de l'abbé Attale, guérison d'un petit enfant fiévreux à Milan, ses parents rendent grâce au Créateur). 278. On y recourt aussi après la mort du saint pour obtenir un miracle. Voir également certaines formes “d'incubation” chrétienne (par exemple, [Vita Austregisiii], 15 : un éclopé recouvre la marche normale après être resté toute une nuit couché devant le tombeau de l'évêque ; [Vita Eligii], II, 63 : idem, avec apparition du saint).

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personne concernée moyennant le signe de croix, signe sans doute magique ou apotropéen pour le peuple mais impliquant pour l'hagiographe une référence au Christ Rédempteur279(ce qui explique sans doute que, dans nos Vies, il est beaucoup plus fréquent que d'autres gestes tels que le simple attouchement ou l'imposition des mains280). Donc, ces indices de médiation soit se combinent avec d'autres formulations théocentriques (la densité peut en effet être très forte dans un même récit de miracle281), soit suffisent à garantir ce caractère théocentrique. Ainsi, une dame britannique, guérie de cécité grâce à l'intercession de saint Bonet (A) que des peregrini lui avaient recommandé, se rendit à Clermont, rencontra l'évêque, « eumque suae salutis apud omnipotentem Dominum auctorem declaravit »282. Lors d'une traversée de saint Amand (B) per medium pelagus, le bateau fut menacé par une tempête soudaine. Les matelots, auxquels le saint venait de prêcher la parole de Dieu et qui grâce à sa présence venaient de capturer un très gros poisson (un autre “miracle”), se hâtèrent vers lui, « rogantes, ut Dominum deprecarentur, quatenus eos per orationem ipsius de imminenti Uberavit (= Uberaret) periculo ». Lui les consola, les invitant « ut de Domini misericordia fíduciam haberent». Après une apparition rassurante de saint Pierre à saint Amand, la tempête s'apaisa finalement283. Lors d'un passage de Rusticule (A) à Sens, un énergumène se jeta du haut d'un étage, se précipita sur la litière (basterna) de l'abbesse, et tenta de dévorer sa main. La sainte procéda alors à un exorcisme : « Quae elevata, confestim dextera crucis vexillum in fronte eius defixit, prostratusque in terram, quasi effigiem hominis sanguine plenam evomuit et continuo pristinam recuperavit salutem »284. Ici, le signe de croix devrait empêcher le lecteur ou l'auditeur d'attribuer l'expulsion du démon à la seule puissance thaumaturgique de l'héroïne.

279. Voir Fontaine [Vie de saint Martin], I-HI, 165, 726-727, 732, 1170, 1197. Sur le signe de croix comme amulette, voir Graus [Volk], p. 165. 280. Deux cas contre 19 pour le signe de croix dans le corpus A : voir Van Uytfanghe [Bijbel], p. 367-368. 281. Quelques exemples : [Vita Amulfî], 13 ; [Vïfa Audoeni], 7 ; [Vita Rusticulae], 4 ; [Vita Wandregiseli], 5. 282. [Vita Bonití], 14 (passage précédé d'autres formules théocentriques : « ut beati Boniti Arvemae urbis episcopi intervencionem apud Deum comendares [...] quia vir

sanctus potest apud Dominum tuum hunc allevare laborem. Vidensque erga se ob virí Dei meritum Domini tantae pietatis inesse virtutem ». 283. [ Vita Amandi], 11. 284. f Vita Rusticulae!. 16.

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Est-ce à dire que le saint ne soit jamais le sujet “grammatical” du miracle ? Non, de tels énoncés existent, mais ils sont souvent “corrigés” dans le même chapitre. Le biographe de saint Amoul (A), par exemple, introduit le châtiment miraculeux de Noddon (voir supra, p. 34) par la phrase que voici : « A lio denique tempore quod Am ulfus gessit miraculum silendum non est ». Toutefois, par la suite, l'ablatif absolu iubente Domino et 1'adverbe divinitus adoucissent la portée de ce gessit : « Cumque ergo stratum una cum detrahente socio petisset, iubente Domino ut casus fleret, omnia vestimenta illorum flamma circumdans vallavit [...] Sed aqua iniecta flammam divinitus missam non extinguebat»285. De la même manière, l'auteur de la Vita Aredii (B) fait précéder de la formule suivante trois récits de miracles où saint Arey de Gap neutralisa des animaux nuisibles : « Tria item gessit beatissimus vir magna miracula, quae nec silenda putabo in secula ». Mais au terme du deuxième récit (mort d'un serpent venimeux), il se reprend déjà, non sans emphase biblique, remettant de la sorte le lecteur sur le droit chemin. « Sed haec omnia ad tuam referunt omnes, Christe, virtutem, qui conculcasti leonem et draconem » (Psaumes, 90:13)286. “L'équilibrage” peut éventuellement déjà se faire dans la même proposition. Dans la Vie de Radegonde par Baudonivie (A), une moniale apostrophe un oiseau nocturne de mauvais augure (sans doute le hibou) qui s'était posé sur un arbre à l'intérieur de la clôture du monastère Sainte-Croix de Poitiers : « In nomine domini nostri Iesu Christi iubet te domina Radegundis, sinon ex Dei parte venisti (cf. Sagesse, 1:16 ; 2:25), ut ab hoc loco discedas, ut penitus hic cantare non praesumas ». L'oiseau s'envola promptement, « tamquam si ex ore Dei prolatum audisset verbum ». Radegonde est le sujet de iubet, mais le in nomine Domini en tête de la phrase a déjà prévenu l'ambiguité287. Le même objectif peut être atteint par une simple juxtaposition (hiérarchique). C'est le cas, notamment, d'un des miracles punitifs de la Vita Eligii. Un homme, qui soupçonnait sa femme d'adultère, l'amena vers le lit de mort de l'évêque pour la faire jurer de son innocence. Elle y consentit, mais dès qu'elle toucha le lit, elle s'effondra et expira. La réaction de l'époux visa à la fois le Christ (et d'abord lui) et le saint : « consternatus, et ipse potentiam Christi et iudicium sancti magniflcavit»288. Encore dans une Vie du corpus B, celle de sainte Eustadiole de Bourges, un aveugle de Poitiers, nommé Prétextât, s'oignit de 285. 286. 287. 288.

[V itaAmuffi], 13. [Vita Aredii], 8.

[Vita Radegundis], 19. [Vita Eligii], II, 76.

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l'huile de la lampe qui brûlait devant le tombeau de l’abbesse, et après une prière, invocato Christi et beatae Eustadiolae nomine, recouvra aussitôt la vue289. Le dernier miracle nous met en présence d'une autre “strate” du miraculeux, celle des “substances intermédiaires”, que connaît déjà le Nouveau Testament : par exemple, l'huile (Marc, 6:13), la salive (Matthieu, 7:33 ; 8:23 ; Jean, 9:12), les franges du manteau de Jésus touchées par l'hémorrhoïsse (Matthieu, 9:20 et par.]290, les mouchoirs et la ceinture de saint Paul (Actes, 19:12]). Ces substances, il est vrai, se rapportent alors toujours à des thaumaturges vivants. Or, depuis la fin du IVe siècle, le culte des saints et l'hagiographie sont allés plus loin en développant, à côté des reliques directes, les reliques indirectes, secondaires, les brandea qui ont été en contact avec la dépouille ou le tombeau du saint. Cela était nouveau par rapport au Nouveau Testament, mais des mécanismes de substitution ont pu jouer ici, à partir des amulettes et phylactères païens291. Ces substances intermédiaires apparaissent fréquemment dans nos textes, tant in vita que post mortem. Des miracles, surtout des guérisons, se produisent après que les personnes concernées aient été mises en contact (par attouchement, onction ou absorption) avec la salive du saint, avec de l'huile, de l'eau ou du pain bénits (par lui), avec l'eau dont il s'était servi pour se laver ou dans laquelle on avait trempé ses vêtements ou son linceul, avec son brancard, son tombeau, ou des objets y afférant (le voile, la poussière, l'huile de la lampe)292. 289. [Vita Eustadiolae], 9. 290. Ce dernier miracle était, avec celui de l'aveugle-né, l'une des guérisons demeurées les plus populaires, comme en témoignent déjà au IVe siècle l'iconographie des sarcophages chrétiens et celle des fresques funéraires. Sur ces substances intermédiaires, voir Fontaine [Vie de saint Martin], II, 868-888. 291. Cf. Van Uytfanghe [L'origine], p. 172. 292. Par exemple, salive : [V7fa Columbani], I, 15 (2x) ; II, 3 ; [ Vita Pardulfi], 19 (salive méprisée + châtiment). Huile (de la lampe) : [Vita Agili], 16 ; [Vita Amulfi], 12 ; [Vita Austregisilí], 11 ; [Vita Austrobertaé], 18 ; [Vita Columbani], II, 8 et 23 ; [Vita Eligií], II, 48, 60, 72 ; [Vita Eustadiolae], 8 ; [Vita Pardulfi], 9 ; [Vita Philibert], 35. Eau bénite : [Vita Pardulfi], 9 et 10 ; [Vita Richarii], 7 (guérison des yeux d'un cheval). P ain : [Vita Iohannis Reomaensis], 15 ( eulogiae : pain + fruits); [Vita Austregisilí], 1 2 ; [Vita Philiberti], 35. Eau d'ablution: [Vita Amandi], 2 1 ; [Vita Boniti], 10 et 11 ; [Vita Romanci], 1 ; [Vita Rusticulae] (AASS OSB), 12 ; {MGH), 26 et 27. Vêtement, ceinture : [Vita Eligií], II, 69, 70, 74 ; [Vita Germani Grandivallensis], 15. Couverture du brancard, du tombeau ou des reliques : [Vita Eligií], II, 41, 42, 7 3 ; [Vita Medardi], 1 3 ; poussière: [Vita Eustadiolae], 8. Parfois, ces éléments se combinent entre eux. ou avec la prière. le ieûne. le siene de croix. De d I u s . le saint Deut

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L'histoire la plus “forte” est celle d'une moniale d'Arles, qui souffrait du “démon du midi”. Une autre religieuse lui donna à boire dans de l'eau pure les cendres de mèches brûlées de leur abbesse, sainte Rusticule (A), et grâce à ce remède, très efficace on s'en doute, le daemonium meridianum (cf. Psaumes, 90:6) fut chassé. Or, ces récits-là s'accompagnent souvent, à leur tour, d'une correction théocentrique. Dans la Vita Rusticulae, l'auteur avait déjà pris ses précautions en attribuant l'initiative de la seconde religieuse artésienne à une inspiration divine : « divina clementia largiente, aliae (= alii) fídeli sorori dignatus est Dominus incordali ». Et après le miracle, les deux moniales rendirent grâce directement à Dieu : « sim ul pro recuperatione corporis maxima cum devotione Deo gratias retulerunt»293. Un frère de Noirmoutier, lui, eut mal aux dents. Dès qu'il eut mouillé l'endroit endolori avec de l'eau dans laquelle saint Philibert (B) s'était lavé les pieds, la douleur s'évanouit in virtute Christi, conclut l'hagiographe294. En soi, de telles pratiques font penser à des potions magiques295, mais apparemment cela ne fait pas problème pour les hagiographes, pourvu que le cadre théocentrique soit bien tracé. Ce raisonnement vaut aussi, par ailleurs, pour les miracles “folkloriques” tels que celui des biches dans la Vita Goaris, résultat tangible, aux yeux de l'auteur, de la confiance dans le Seigneur qui peut « dresser une table dans le désert » (Psaumes, 77:19)296. A part des formules neutres (passives notamment)297, on rencontre, certes, dans nos textes des miracles attribués au saint sans correction théocentrique. Par exemple une expulsion de démon dans la Vie de saint ordonner à un malade d'aller se laver ailleurs (cf. Jean, 9:7 : la piscine de Siloé) : [Vita Austregisili], 10 ; [ Vïia Pardulfï), 10 (avec “incubation” dans une église). 293. [Vita Rusticulae], 19. 294. [Vita Philiberti], 34 ; voir aussi [Vita Richard], 13 (récit d'une épidémie qui frappait le bourg de Centule après la mort du saint) : « De fratre, ut dixi, quem in loco

plaga percusserat, una cum fratribus ceteris ad sepulchrum sanctum expetierunt et de clave sancti Richard, quos plaga tetigit, coxerunt et ex fide ad eum petierunt : per Domini potentiam et merito sancto Richario (= sancti Richard) nullus ex eis pedit » 295. Cf. Graus, [Volk] 82, 180-181. 296. [Vita Goads], 5 : « qui in ipso confidunt, quia potens est Dominus parare mensam in deserto» (Psaumes, 77:19) e t: «Q uam magniñcata sunt opera tua, Domine» (Psaumes, 103:24) ! 297. Une quinzaine dans le corpus A ; par exemple, [Vita Amulii], 29 : « statimque resolutis nervorum contractibus, surrexit sanus et laetus adque (= atque) ad domicilium suum pedibus propdis revertitur, qui ad sanctum sepulchrum fustibus sustentatus venit, ut sanaretur»; [Vita Memorír], 6 : « Media autem noctae (= nocte) tremuit caelus et terra, et inimici ipsi repleti sunt pavore magno, et perterriti nimis, egressi fugierunt ab urbe Tdcasum ».

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Ouen : « Sicque ipse pontifex manu strinxit capite (= caput) et violenter eiecit daemonem et [mulierem] sanam parentibus reddidit »298 ; ou la libération d'un grand criminel près du lit de sainte Gertrude : « ibique liberatus est per virtutem sanctae virginis »299 ; ou la guérison d'un des meurtriers de saint Prix grâce à l'huile de la lampe allumée devant son tombeau : « Mirum dictu ! ut oleo perunctus est, pristina meruit sospitate (= pristinam sospitatem) »30°. Nonobstant, ces unités narratives ne représentent même pas un cinquième du total301 et, de plus, figurent toujours à côté d'autres miracles concrets et de mentions générales à coloration théocentrique. S'il est vrai que cette coloration varie, elle aussi, d'après les textes, force est de constater que les Vies peu théocentriques sont très rares. La Vie de saint Médard de Noyon (B) est sans doute celle qui l'est le moins302. Globalement donc, l'hagiographie mérovingienne véhicule une conception très théocentrique et christocentrique du miracle, allant même audelà des exigences bibliques (Jésus transmit à ses disciples le “pouvoir” de faire des miracles [cf. par exemple Matthieu, 10:1, 7-8]) et patristiques (Grégoire le Grand faisait la distinction entre signa ex postulatione et ex potestate303). La raison évidente de cette insistance répétitive, inlassable, multiforme, sur YAuctor divin qui réalise le miracle per sanctum, est moins l'humilité du saint (quand il est question de miracles in vita, mais voir tout de même infra, p. 58) que la difficulté d'inculquer cette vision théocentrique aux chrétiens incultes, pour lesquels les prodiges baignaient sans doute dans une atmosphère de polythéisme larvé et/ou de magie. Cela dépendait, en fin de compte, du niveau d'instruction et de conscience religieuses de tout un chacun, mais il suffit de penser à la coutume médiévale et encore moderne de rudoyer un saint ou sa statue afin de le punir de son inaction (nos Vies en offrent certains prodromes304), pour se rendre compte de la vraie perception 298. [Vita Audoeni], 14. 299. [ Virtutes Geretrudis], 9. 300. [ Vita Praeiectî\, 38. 301. Cf. Van Uytfanghe [Bijbel\, 377 ( corpus A). 302. Sur les 12 récits individuels et les 4 mentions générales, il est deux fois question de la virtus divina ou de divina luminaria ([Vita Medardi¡, 8 et 11 ; plus la doxologie finale et très générale, ibid., 15) et deux fois de la virtus (medica) sancti (ibid., 13 et 14), le reste étant plutôt “neutre” (ibid., 9, il est question du signaculum). La deuxième Passion de saint Léger par Ursin est déjà plus théocentrique, mais reste tout de même encore “modérée” à cet égard. 303. [Gregorius Magnus], II, 30, 2-4. 304. Cf. rVïfa Columbam]. I. 22 CColomban se fâche contre saint Martin, oui n'a nas

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du culte des saints et de leurs miracles par bien des chrétiens superficiels. Le combat de l'Église et de ses hagiographes pour la rationalisation théologique du miracle fut malaisé à gagner. Et quand les hagiographes nous disent qu'après un miracle le bénéficiaire et/ou la foule remercient Dieu, personne n'est dupe de ce procédé pédagogique à efficacité probablement douteuse. L'INGRÉDIENT SCRIPTURAIRE

À plusieurs reprises déjà, il a été question, dans les paragraphes précédents, de la Bible, du miracle biblique. Il va sans dire qu'en matière de thaumaturgie aussi, l'Écriture est le modèle par excellence de l'hagiographie, bien que, comme on a déjà pu le constater (voir supra, p. 15-24), un nombre non négligeable d'auteurs restent quantitativement en deçà des potentialités scripturaires, notamment néotestamentaires. Ils convient, de toute manière, de poser le problème de l'influence du miracle biblique et, partant, celui de l'authenticité et du statut historico-littéraire du miracle. Distinguons d'emblée la référence ou typologie biblique explicite d'un côté et la stylisation implicite de l'autre. La présence de la première dans des récits miraculeux n'est sûrement pas excessive, elle est loin de concerner toutes les Vies, bien au contraire305. Le biographe de saint Goar (B), par exemple, se contente de renvoyer, en conclusion d'une mention générale des miracles du saint, à un verset des Psaumes : « quia ibi ceci inluminantur, surdi audiunt, demonia effugantur et a febribus vel ab aliis infirmitatibus multi curantur, vel mysticas et magnas alias virtutes quae Dominus dignatus est facere pro servis suis, qui custodiunt precepta eius iuxta propheta dicente psalmographo (= prophetam dicentem psalmigraphum) David : Nimis honorati sunt amici tui, Deus, nimis confortatus est principatus eorum »306. Du reste, ce verset (Psaumes, 139:17), traditionnel en hagiographie, est un bel exemple de méprise totale quant au sens original d'un texte biblique307. empêché le vol dont lui et ses frères ont été la victime à Tours) ; [ Vita Eligii], I, 30 (Éloi met en demeure sainte Colombe de faire revenir les ornements qui avaient été dérobés dans la basilique dédiée à cette vierge à Paris). Voir déjà [Grégorius Magnus], 1 ,4, 21 et 9 ,1 8 . 305. Quatre V ies du corpus A, 9 du corpus B, plus la [Vita ColumbanU contiennent au moins une référence ou typologie explicite (bien entendu, on ne parle ici que des épisodes miraculeux, car on rencontre aussi de tels renvois dans d'autres contextes : voir Van Uytfanghe [ Stylisation], p. 17-42 (“le recours explicite à la Bible”). 306. [Vita Goaris], 1 ; mais voir aussi supra, note 296. Les autres citations bibliques de cette Vie ne concernent pas les miracles proprement dits. 307. Cf. Van Uytfanghe [Le culte], p. 160 et 165. Dans le contexte original, il s'agit des “pensées” et non pas des “amis” de Dieu.

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Une typologie strictement comparative figure dans l'épisode déjà évoqué de la Vita Audoeni (A), où saint Ouen, par sa prière, fit cesser une sécheresse catastrophique qui frappait depuis sept ans l'Espagne. Pour l'hagiographe, Ouen apparaît ici comme un nouvel Élie. « Non immeiito sanctus Audoinus Heliae virtutibus comparatur : qui (= Deus) in Israhelitico populo ob eorum facinus caelum clauditur (= claudit) tribus omnis et mensibus sex, unde, orante Helia, pluviarum habundantia terram squalidam infudit»308. Le même miracle d'Élie (3 Rois, 17:1 ; 18:1, 41-46 ; cf. Jacques, 5:17-18)309 fortifia la confiance de saint Hubert (B) dans le Seigneur lorsqu'il ne pouvait traverser la Meuse, presque à sec : « Quis fuit ille, demanda l'évêque à ses compagnons, qui oravit, ut non plueret annos tres et menses sex, et rursum oravit, et celum dedit pluviam ? ». Et l'un d'entre eux répondit : « Helias propheta ». Alors, à l'invitation d'Hubert, on pria et jeûna, et bientôt la pluie remplit jusqu'au débordement le fleuve, rendu à nouveau navigable310. C'est ce dernier type de citation qui prévaut dans nos textes : un miracle scripturaire garantit son renouvellement, sa réactualisation dans une situation plus ou moins analogue (c'est là un raisonnement inhérent à la Bible ellemême, qui “rappelle” constamment les hauts faits de Yahvé dans les phases antérieures de l'histoire du salut)311. Ainsi, sainte Salaberge (B), qui avait été mariée avant d'embrasser la vie religieuse, supplia Dieu de mettre fin à sa stérilité, à l'exemple d'Anne, mère de Samuel (1 Rois, 1) et d'Elisabeth, mère de Jean-Baptiste (Luc, 1) : « christianissima femina anxia, tot privata privilegiis, sanctarum mulierun Annae et Helisabeth in se adhibens fídem, quae in Domini templo vigiliis et orationibus excubantes post diuturnam sterilitatem partus sanctos meruereunt procreari »312. Sa prière confiante lui valut non pas un, mais plusieurs enfants. Saint Aile de Rebais (B) guérit lui même d'une forte fièvre après avoir prié Dieu sur les conseils d'Eustaise, abbé de Luxeuil (m. 625), qui lui remémora le précédent du roi Ezéchias, dont Dieu prolongea la vie de quinze ans (4 Rois, 20) : « Non dubitas, credo, quod ille te hac aegritudine potens

308. [Vita Audoeni], 7. 309. Le prophète avait d'abord prié Yahvé qu'il n'y eût pas de pluie sur la tene pour punir l'établissement du culte de Baal. L'usage d'une telle typologie ne requiert donc pas du tout que l'analogie soit complète. 310. [ Vita Hucberti], p. 5. 311. Cf. Van Uytfanghe [Stylisation], p. 21-24 (“L'Écriture garante de sa propre (ré)actualisation”). 312. f Vita Sadalbersae1.11.

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est liberare, qui Ezechiae regi ad vitam ter quinos armos auxit »313. Un jour, saint Éloi (B) fit un déplacement dans la région de Compiègne et, fatigué du voyage, fit halte dans le champ d'un colon pour se reposer. Entre-temps, ses ministri avaient cueilli quelques fruits d'un grand noyer pour assouvir leur faim. L'ayant découvert, le colon n'eut cesse de morigéner l'évêque, pourtant disposé à le dédommager. Alors, Éloi, s'inspirant du miracle du figuier stérile et desséché (Matthieu, 21:18-19 et par.), maudit le noyer : « ad arbustum tamen conversus, nimirum Salvatoris fículneae imperantis exemplo usus, ait : Quoniam tantopere pro te lacessimur, numquam ex te ex hoc iam fructus nascatur in aeternum ». Grâce à la mira Domini potentia, le résultat ne se fit pas attendre : « nam post non longum spatium arefacta arbuscula sicca demum permansit in aevum ». Ici, le saint imite directement un miracle du Christ313314 et punit de la sorte le colon, mais l'hagiographe termine son récit en rappelant une parole de Jésus garantissant le pouvoir de faire des miracles à ceux qui croient en lui : « Quia qui credit in me, non solum faciet ea quae ego facio, sed et maiora, inquit, faciet» (Jean, 14:12)315. Ce verset fait évidemment partie des promesses évangéliques sur lesquelles on fonde traditionnellement la thaumaturgie des saints316. Jonas de Bobbio, quant à lui, invoque plutôt la foi qui « soulève les montagnes» (Matthieu, 17:20, qu'il joint à Marc, 11:24) à la fin d'un chapitre où il s'était déjà souvenu d'un miracle de l'Ancien Testament. Saint Colomban, en effet, menait une vie solitaire dans une caverne rocheuse à quelque sept milles d'Annegray (près de Luxeuil), avec comme seul compagnon un petit garçon nommé Domoal. Au bout de quelques jours, celui-ci commença à se plaindre du transport pénible de l'eau dans la montagne (« cur in promptu aquam non haberet »). « Mon fils — lui dit Colomban — tâte un peu la muraille rocheuse. Souviens-toi que le Seigneur a fait jaillir l'eau du rocher pour le peuple d'Israël (memento, populo Israhel Dominum de caute latices produxisse) ». Obéissant à son maître, Domual commença à creuser la pierre, Colomban lui-même se mit en oraison, et bientôt l'eau jaillit, comme au temps de Moïse et d'Aaron (cf. Nombres, 20:7-11), et une source intarissable se mit à couler317. Quelquefois, le 313. [Vita AgilH, 17. 314. Cf. Van Uytfanghe [Stylisation] p. 28-35 (“L'Écriture en tant que référence normative et exemplaire” : le chapitre traite d'épisodes non miraculeux). 315. [Vita Eligii], II, 21. 316. Sur ces textes-là, voir Van Uytfanghe [Le culte], p. 168-70. 317. [Vita Columbani¡, I, 9 : «Tandem eius precibus parens, pie petenti larga

subvenit potestas, moxque latex producta, fons coepit manare perennis, quae usque in hodiernum diem manat [...] quia ipse promisit, dicens : Si habueritis fidem » (Matthieu,

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changement d'eau en vin à Cana (Jean, 2:1-11) ou la multiplication des pains et des poissons (Matthieu, 14:13-21 ; 15:32-39 et par.) préfigurent ou garantissent un miracle d'approvisionnement ou d'augmentation, les matières concernées étant largement interchangeables (voir supra, p.32). Mentionnons la Vita Radegundis de Baudonivie (A), où l'abesse de Poitiers réussit à désaltérer quiconque lui demandait à boire, avec un tonnelet de vin dont le contenu restait toujours égal : « Dominus de quinque panibus et geminis piscibus quinque pavit milia hominum : et sua ancilla, ubicumque indigere vidit, de hoc parvo toto anno refecit »318. La référence scripturaire n'est cependant pas toujours thaumaturgique en soi, comme le montrait déjà l'exemple de la mention générale dans la Vita Goaris. Lorsque saint Arey de Gap (B) traversa de nuit la Durance, son bateau heurta un rocher. Soulevé par une main angélique, l'évêque fut jeté sur le rocher. Menacé par les flots, il sortit néanmoins indemne de cette situation périlleuse au point du jour, après avoir chanté (Psaumes, 39:2-3) : « Expectans expectavi Dominum et respexit me [...], et statuit supra petram pedes meos, et direxit ad progrediendum gressus meos ». Ici, le rapprochement repose sur une interprétation littérale d'un verset qui, dans le contexte du Livre des Psaumes, a un sens plutôt figuré319320. Il est vrai que d'autres citations du Psautier, et notamment (Psaumes, 77:19) : « E t male locuti sunt de Deo ; dixerunt : Numquid poterit Deus parare mensam in deserto», prêtent à plus d'équivoque quant à leur sens potentiellement thaumaturgique320. Beaucoup plus importants que ces citations et renvois qui garantissent — et en même temps justifient explicitement — les miracles du saint, sont les procédés de stylisation biblique implicites au niveau de la structure, de l'agencement et du style des récits miraculeux. Je les ai traités in extenso dans ma thèse321, je me contenterai donc ici d'un survol très rapide, avec 17, 20), et ailleurs : « Omnia quecumque orantes petitis» (Marc, 13:24). 318. [Vita Radegundis], 10. Voir aussi [Vita Agili], 35 ; [Vira Vedastis], 4 (miracle de Cana) ; [Vira Columbani], I, 17 (multiplication des pains). 319. [Vira Aredii], 6. La “Bible de Jérusalem” traduit : « Il dressa mes pieds sur le roc, affermissant mes pas ». Sur la catégorie de “l'énonciation d'idées, de concepts ou de sentiments au moyen de citations scripturaires”, voir Van Uytfanghe [Stylisation], p. 4042. 320. Utilisé dans [Vita Columbani], I, 7 et 17, dans [Vita Goaris], 5, et par [Vira Romanici], 8. Le Psalmiste, lui, met dans la bouche des fils d'Ephraïm, qui parlèrent contre Dieu, la question suivante : « Est-il capable, Dieu, de dresser une table au désert ? » (Bible de Jérusalem). 3 2 1 . V a n TJvtfam ?he

IRiiheñ. n. 3 79-401 (cornus A l.

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quelques exemples très sélectifs dans les notes. J'ai déjà évoqué (voir supra, p. 16) l'alternance typiquement évangélique entre des mentions générales, synthétisantes, de l'activité thaumaturgique du protagoniste, et des récits concrets. Une autre alternance apparaît entre des détails précis (noms de personnes et noms de lieux) et des indications plus vagues (du type quidam claudus, filius cuiusdam)322. La foi comme condition primaire du miracle (tantummodo crede, et...) caractérise, elle aussi, tant le Nouveau Testament que les Vitae323. D yaensuite l'occasion concrète du miracle in vita, par exemple une rencontre fortuite, ou une rencontre voulue, suscitée par un malade qui court après le saint en le suppliant de le secourir, ou qui est amené par ses proches ; le saint compatissant (misericordia motus), etc. Ce genre de circonstances occasionnent aussi la bienfaisance thaumaturgique de Jésus et des apôtres324. Le miracle lui-même se produit fréquemment de manière instantanée ( statim, continuo, confestim [...] sanatus est» etc. ; cela est propre à la légende universelle et à la magie, mais la formulation hagiographique vient de la Bible latine)325. Par la suite, les hagiographes comme les évangélistes font état des sentiments et des réactions des bénéficiaires et des témoins oculaires (joie, remerciement, louange, admiration), adressés directement à Dieu, comme je l'ai déjà souligné326. 322. Par exemple, [Vita Boriiti], 41 : « in ipso ingressu quidam claudus nomine W aldinus» ; ibid., 31 : « Post haec cum [...], et quidam paralyticus advenisset» (à comparer : par exemple, Luc, 7:1-2 et 8:41). 323. Par exemple, [Vita Amulfi], 1 1 : « N e verearis, frater, possibile est. Tantummodo crede in Christo» ; [Vita Eligii], I, 23 : « coepit ab eo inquirere et

tempora claudicationis, et causam suae aegritudinis ; sciscitans an haberet spem in Christo, si se crederet quandoque sanandum » (à comparer : entre autres, Matthieu, 15:28 ; Marc, 5:36 ; Luc, 8:50). 324. Par exemple, [Vita Amulfi\, 1 0: « Quam (puellam daemonio vexatam) cum vidisset, misericordia motus, archidiácono suo ait » ; [Vita Boniti], 20 : « quidam in

eodem itinere claudus postergum eum quo poterat conamine sequens, clamabat : Expecta, domine, expecta» (à comparer : par exemple, Matthieu, 8:1-2 ; Marc, 10:46-47 ; Luc, 7:13). Dans [Vita Eligii], 1 ,27, un ordre “apostolique” précède la guérison instantanée d'un boiteux : « et cum magna fiducia ad aegrum accessit, et manu eius apprehensa dixit : In nomine domini nostri Iesu Christi filii Dei excelsi, surge et ambula » (cf. Actes, 3:6) « et confestim prosecuta est salus verbum hominis Dei, et invaluit aeger et surrexit ». 325. Par exemple, [Vita Pardulfí], 13 : « protinus, ut ad eum perductus est, et lumen oculorum recepit et linguae loquendi restauravit o fficiu m » ; [Vita Philiberti], 3 0 : « malignus hostis statim abscessit, et his (= is), qui captus mente tenebatur, sanus remansit» (à comparer: entre autres, Tobie, 11:8,15 ; Matthieu, 8:3 ; Marc, 7 :3 5 ; Luc, 1:64; Actes, 16:26). 326. Voir supra, notes 276 et 277 (à comparer: par exemple, Tobie, 11:15-16 ;

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Un certain parallélisme peut encore s'établir entre la guérison physique et la guérison spirituelle (le pécheur comme malade)327. La modestie du thaumaturge, qui ne veut pas que le miracle soit divulgué, contraste parfois avec l'impossibilité de ce silence et donc avec les conséquences du miracle pour le renom du saint328. Enfin, régulièrement, les récits se terminent par un résumé contrastif (la nouvelle situation vs. l'état antérieur du miraculé) et par le renvoi du bénéficiaire (rendu à ses proches, par exemple)329. Ces archétypes de stylisation n'apparaissent pas partout, mais de manière variable, principalement — mais pas exclusivement — dans les récits de guérison. Les différentes catégories de miracles ne sont d'ailleurs pas sans avoir des harmoniques scripturaires (et non scripturaires) propres. Je pense notamment à la description des symptômes de possession330 ou aux adjurations qu'un esprit impur adresse à un saint pour qu'il ne l'expulse pas. Ainsi, par exemple, les énergumènes des villes où devaient passer sainte Rusticule (A), contrainte de quitter son monastère après avoir été accusée auprès du roi Clotaire II (m. 628) d'avoir accordé l'asile à un prétendant au trône (Childebert), prévoyaient chaque fois l'arrivée de l'abbesse d'Arles et venaient à sa rencontre en disant : « Cur nos, famula Christi, torquere venisti et de domiciliis nostris expellere ?... E t obtestabantur eam per emeem et clavos Domini, ut non eos iuberet egredi de domiciliis Daniel, 3:50-51, 91 ; Matthieu, 9:7-8 ; Luc, 17:15-16). 327. Par exemple, [V7fa Amulfi], 12 : « Tum demum semivivo homini [...] ad-

loquitui : Penitere, inquid, fili, si quid male fortasse gessisti, ut duplicem accipias medicinam » ; [ Virtutes Geretrudis], 6 : « omnes, qui longe aut prope essent, venientes ibidem ad sepulcrum beate virginis remedium querere animarum et corporum simul » (à comparer : par exemple, Marc, 2 : 1-2 ; Jacques, 5:14-16). 328. Entre autres, [Vita Amandí\, 14-15 : « vehementissime obtestare coepit, ut ne cuiquam umquam proderet [...] adserens, non suae hoc esse adseribendum virtuti, sed misericordiae Domini. [...] A t ubi hoc miraculum longe lateque divulgatum est » ; [Vita Radegundis], 14 : « Sed nihilominus, quantum illa hoc vitare volebat, tanto magis ac magis virtutum largitor sibi in omnibus fidelem declarare studebat » (à comparer : par exemple, Matthieu, 8:4: 9:30-31 ; Marc, 1:44 ; 7:36 ; 8:26). 329. Par exemple, [Vita Amandi], 14 : « subito cellulam ingressi viderunt eundem hominem, quem mortuum reliquerant, sanum cum viro Dei sedentum [...] mirareque vehementer coeperunt, quod vivum videbant, quem paulo ante mortuum reliquerant» (cf. [Vita Martini], 7,4) : « sicque eum ad propriam remittens domum, parentibus restituit incolomem » ; [Virtutes Geretrudis], 1 : « statim inluminati sunt oculi mulieris, quae antea fuerat caeca. In crastinum autem [...] sana reversa est ad domum suam» (à comparer: par exemple, Matthieu, 9:6-7 ; Marc, 5:15 ; 8:26 ; Luc, 7:10,15 ; Jean, 11:44). 330. Voir supra, note 223 (à comparer : par exemple, Matthieu, 8:28 ; 17:14 ; Marc, 5:2-5 : 9:16-17.19 : Actes. 16:17V

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suis»331. H saute aux yeux qu'un tel épisode (il y en a d'autres, par exemple dans la Vie de saint Éloi [B]) est largement stylisé d'après celui du démoniaque gérasénien (Marc, 5:l-20)332. Les approvisionnements matériels, on s'en souvient, se présentent parfois sous la forme d'une pêche miraculeuse. À l'époque où saint Bonet (A) s'était désisté comme évêque de Clermont et séjournait dans le monastère lyonnais d'Ile-barbe, ses serviteurs s'adonnèrent un jour à la pêche, sans le moindre succès. Le soir, « dum per totum diem, frustrato labore fatigati, nihil cepissent», ils racontèrent leur mésaventure à l'abbé Adelphe de Manglieu, qui faisait partie de la suite de Bonet et qui les interrogea sur les raisons de leur mine triste. L'abbé leur répondit : « Ite [...] ad amnem et in fide beati viri (= Boriiti) mittite rete ; credo, quod per eius merita meror vester ab omnipotente Domino vertatur in gaudium » (cf. par exemple, Jérémie, 31:13). L'obéissance immédiate à cet ordre leur valut d'avoir une touche, « statim ut aquam lino tinxere »333. Dans la phrase en dum et dans l'exhortation d'Adelphe, on reconnaît évidemment la réponse de Pierre à un ordre similaire intimé par Jésus : « Praeceptor, per totam noctem laborantes, nihil cepimus, in verbo autem tuo laxabo rete» (Luc, 5:5). Certaines multiplications, quant à elles, se déroulent aussi suivant un schéma plus ou moins biblique : un tiers reçoit du saint l'ordre de servir tel mets ou telle boisson (ou de distribuer autre chose) ; la quantité disponible s'avère insuffisante par rapport au nombre de personnes présentes ; l'ordre est tout de même confirmé (le cas échéant, après que le saint ait levé les yeux au ciel et prié) et le miracle se produit ; on consomme à discrétion, et il y a éventuellement encore un reste334. La Vie de saint Amand (B), on le sait (voir supra, p. 48), combine, aux chapitres 11 et 12, une pêche miraculeuse avec une tempête apaisée. Peu après sa seconde visite à Rome, en effet, le saint naviguait en pleine mer et annonçait la parole de Dieu aux matelots, qui parvinrent à capturer un poisson d'une grandeur extraordinaire. Comme ils mangeaient à cœur joie, tout à coup s'éleva une tempête inattendue (« tempestas [...], quae omnem [= omne] eorum gaudium in luctum convertit» : cf. par exemple, Jacques, 4:9). Ils commencèrent à jeter à l'eau tout ce qu'ils avaient sur le navire, travaillant de tout leur pouvoir afin de toucher terre, mais ne parvenaient pas à aller de l'avant, le bateau étant jeté de-ci de-là par les flots. Ayant perdu 331. 332. 333. 334.

[Vita Rusticulae], 13. Voir aussi par exemple, [Vita Columbani], I, 25 ; [Vïía Eligii], II, 10 et 11. [Vita Bonití], 21. Exemples chez Van Uytfanghe, [Bijbel\, p. 417-419.

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l'espoir d'échapper au naufrage, ils demandèrent à Amand d'implorer le Seigneur. L'homme de Dieu les réconforta doucement et les engagea à s'en remettre à la miséricorde de Dieu. Les matelots, cependant, fatigués par un travail trop rude, s'étendirent un peu partout et s'endormirent. Amand luimême, assis sur la poupe, reposait, quand tout à coup lui apparut saint Pierre, qui passa à l'arrière du navire. « Ne crains pas, Amand — lui dit-il — tu ne périras pas, ni ceux qui t'accompagnent ». Bientôt le miracle se produisit : « M ox vero, ad verbum illius sedata tempestate, tranquillitas reddita est magna ». Et le matin, tous parvinrent à terre, sains et saufs. Ce récit montre que le paradigme biblique n'est pas forcément un corset rigoureux imposé à l'hagiographe. Il est évident que le miracle lui-même rappelle celui de la tempête apaisée sur le lac de Tibériade (Matthieu, 8:23-27 et par.) : « Tune surgens, imperavit vends et mari, et facta est tranquillitas magna ». Mais ce qui précède, est agencé différemment. Dans l'Évangile aussi, la barque fut menacée par une agitation violente, mais les disciples n'avaient pas peiné pour y échapper. Dans l'Évangile encore, c'est Jésus qui dort ; réveillé par ses disciples épouvantés, il leur reproche leur angoisse et leur manque de foi. Dans la Vita, ce sont les matelots qui s'endorment après avoir été rassurés par le saint. De plus, la parole « N oli timere [...] non peribis » (comme en écho à Matthieu, 8:25-28 : « Domine, salva nos, perimus [...] Quid timidi estis ? ») n'est pas prononcée par le saint, mais adressée à lui par saint Pierre, qui ordonne aussi au vent de se calmer335. L'apparition de saint Pierre à Amand s'inscrit dans la catégorie des phénomènes merveilleux. Or, leur énoncé peut à son tour se charger de réminiscences bibliques. La vision de l'échelle dont le sommet atteignait le ciel, échut peu avant sa mort à la reine Balthilde (A) comme jadis à Jacob (Genèse, 28:12-15) : « Scala enim erecta et stans ante altare sanctae Manae, cuius culmen caelum contingeret, et quasi angelos Dei commitantes, ipsa domna Balthildis ascenderet per eam, ut ex hac revelatione patenter daretur intellegi, eo quod sublimia eius merita, patientia et humilitas, eam ad celsitudinem aeterni Regis et ad premii coronam citius exaltandam perducerent»336. Une servante de sainte Rusticule regarda 1'abbesse occupée à se laver le visage, et aperçut une espèce de “transfiguration” ressemblant à celle du Christ sur le mont Thabor (Matthieu, 17:1-2) et par.) : « oculis elevatis, cum vultum eius conspexisset, tantum splendorem

335. [Vita Amandi], 11 et 12. 336.

[Vita Ralthildisl. 13 f v o i r d é i à t Passio P e m e iu a e l. 41.

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in facie eius se vidisse asseruit tamquam si radius solis ibidem rutilaret»331 (voir aussi supra, p. 28-29 : Vita Wandregiseli). D'autres de ces “merveilles” et d'autres miracles (je pense à bien des miracles réflexifs, à ceux qui impliquent un objet se rapportant au saint, aux châtiments miraculeux, à certaines interventions dans des situations de détresse) ont un caractère moins stéréotypé337338, ce qui n'exclut nullement des emprunts bibliques ponctuels339. Ailleurs, l'intertextualité scripturaire est de provenance variée, “mixte”340. Dans tout cela, le degré de probabilité est également variable. Qu'il suffise, à ce propos, d'attirer l'attention sur l'histoire des haches volées dans la Vie de saint Jean de Réomé par Jonas de Bobbio (A). Un jour, les moines de Réomé (près de Semur, dans le pays d'Auxois) étaient occupés à sarcler le champ de leur monastère quand leur abbé les convoqua. Ils obéirent promptement, laissant leurs cognées sur place, mais à leur retour ils s'aperçurent que les haches avaient disparu. Jean, tout en blâmant leur négügence, implora du ciel la restitution des outils. Bientôt il vit le voleur venir vers lui pour avouer son méfait et lui demander pardon. Cette scène respire tellement la vie quotidienne d'un monastère mérovingien qu'on hésite à y voir une variante libre de l'épisode de la hache du frère prophète perdue et retrouvée grâce à Élisée (4 Rois, 6:17), car la ressemblance partielle est peut-être purement fortuite341. H n'est donc pas toujours simple de faire le partage entre la réalité éventuellement sous-jacente à un récit miraculeux et le modelage du récit luimême. En fait, lorsqu'il s'agit de miracles dont existent des récits modèles dans l'Écriture (ou dans l'hagiographie antérieure), les hagiographes ont tendance à couler leur propre narration dans ce moule “paradigmatique”, mais avant tout de manière implicite, suggestive, pas trop rigide, assez 337. [Vita Rusticulae] (AASS, OSB), 14. Pour d'autres exemples, voir Van Uytfanghe, [Bijbel], p. 439-444. 338. Sauf s'il s'agit de sous-catégories comme par exemple, les multiplications ou le miracle de la tempête apaisée. 339. Par exemple, [Vita Radegundis], 3 : « vidit in visu navem in hominis specie et

in totis membiis eius sedentes homines, se vero in eius genu sedentem ; qui dixit ei : “Modo in genu sedes, adhuc in pectore meo sessionem habebis” ». Cette vision du navire est postbiblique, mais la citation contient une réminiscence de Jean, 21:20 : « qui et recubuit in coena super pectus eius ». 340. Exemples chez Van Uytfanghe [Bijbel], 414-415 : la pêche miraculeuse dans [VitaBoniti], 19, avec des échos supplémentaires d'Exode, 16:13 et Nombres, 11:4-6 (les Israélites murmurant contre Moïse et Aaron), de Matthieu, 8:26 (la tempête apaisée), et de Marc, 16:14 (le Christ ressuscité reprochant aux Onze leur incrédulité). 341. [Vita Iohannis Reomaensis], 7. La ressemblance était sans doute plus voulue chez [Grégoire le Grand], II, 6.

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variable. C'est un procédé tout à fait attendu dans le genre littéraire concerné (déjà le Nouveau Testament stylisait certains miracles de Jésus d'après ceux de l'Ancien Testament, d'Élie et d'Élisée notamment)342, et qui contribue aussi, d'une certaine manière, à préserver l'orthodoxie du miracle. Cependant, ces récits-là n'épuisent pas l'arsenal miraculeux (on en rencontre beaucoup qui sont plus originaux, la Vita Eligji par exemple en offre une moisson considérable) et, d'autre part, certains miracles bibliques ne sont pas “imités”. Je songe, à ce propos, à l'ânesse parlante de Biléam (Nombres, 22:28), au statère retrouvé dans la bouche d'un poisson (Matthieu, 17:27), ou à la glossolalie (cf. Marc, 16:17 : « linguis loquentur novis » ; Actes, 2 :1-13). Mais un Mérovingien pouvait sans doute mieux s'imaginer un saint multipliant du vin ou de l'huile que parlant plusieurs langues343. L'Écriture fournit aussi plusieurs exemples de résurrections, mais l'hagiographie mérovingienne, on s'en souvient, n'a apparemment pas osé exploiter à fond ce type de miracle. Pour ce qui est des guérisons, je répète que les sourds sont très peu représentés dans les récits concrets, malgré l'exemple du sourd-bègue de la Décapole (Marc, 7 :31-37)344. Enfin, la répartition très inégale des différentes catégories de miracles à travers nos corpus montrent qu'un saint n'est pas forcément censé, aux yeux de son hagiographe, avoir à son actif tous les types de miracles, loin de là. Il y a, certes, un tronc partiellement commun à plusieurs Vies, mais aussi des traditions propres à chaque saint, à son histoire stylisée, par lui-même sans doute, par ses admirateurs, par l'oralité de la légende, par l'auteur ou le rédacteur345. L'INTERPRÉTATION ET L'EXÉGÈSE DU MIRACLE

J'en arrive ainsi à mon dernier point avant la conclusion : l'interprétation, l'exégèse du miracle. Selon la critique moderne, on le sait, certains miracles bibliques, et plus particulièrement ceux du quatrième 342. Voir aussi Graus [Volk], p. 77-78 (‘Typisierung, stereotype Wiederholung” au service de la “Propagandafunktion der Legende”), p. 86 (« Allgemein gilt jedoch, dass bei den 'klassischen' Wundem der Bibel die Berichte viel stereotyper, gleichmässiger erzählt wurden als bei Wundem, für die dem Legendisten kein 'kanonische' Vorbild zur Verfügung stand »). 343. Cf. ibid., p. 49, 80. 344. Les aveugles sont nettement plus nombreux, mais voir aussi infra, p. 64-65. On peut se demander si la réalité nosologique et médicale de la Gaule mérovingienne différait beaucoup de celle de la Palestine au début de notre ère. Pour une étude générale, voir De Moulin [D e heelkunde]. 345. Voir Van Uvtfanehe TDie Vital.

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évangile, ont une valeur symbolique, “anticipative” : ils préfigurent ce que Jésus signifiera pour la communauté chrétienne postpascale (il est par exemple le pain de vie, la lumière du monde, la résurrection et la vie346) ou ils matérialisent une idée spirituelle (par exemple, la pêche miraculeuse anticipant la “pêche d'hommes”347). Par ailleurs, longtemps avant l'exégèse scientifique, les Pères de l'Église ont commenté les miracles de l'Ancien et du Nouveau Testament comme d'autres passages scripturaires, c'est-à-dire aussi selon le sens allégorique, qui fait par exemple des malades guéris par Jésus des figures ou “types” de païens et d'incroyants, leur guérison symbolisant alors une conversion spirituelle qui se traduit sacramentellement par le baptême348. On comprend mieux, de la sorte, la plus-value que les Pères accordent au miracle spirituel par rapport au miracle réel, physique, sans nier ce dernier (le sensus historicus vel realis) pour l'époque du Christ et des apôtres mais tout en admettant souvent que ces miracles ne se reproduisent plus matériellement de leur propre temps (la théorie de la “cessation” des miracles, encore professée durant des années par saint Augustin), car leur répétition les aurait rendu banals349. La question est de savoir si les miracles de l'hagiographie peuvent ou doivent être lus à leur tour de manière allégorique, mystique. C'est sûrement le cas, par exemple, de la Vie de Moïse par Grégoire de Nysse (m. après 394). W.F. Bolton, suivi partiellement par Pierre Courcelle, le prône aussi pour les Dialogues de Grégoire le Grand. Aux yeux de Grégoire, dit Bolton, l'hagiographie doit être lue « in the same way as scriptural allegory », c'est-à-dire, comme une historia figurata350. Dom Jean Leclercq n'était pas loin de penser la même chose, l'exégèse grégorienne de l'hagiographie étant, selon lui, « souvent peu historique, parfois non historique, presque toujours supra-historique»351. J'ai abordé ailleurs la différence entre la conception presque “positiviste” du miracle chez Grégoire de Tours (les miracles se produisent chaque jour dans les sanctuaires, ceux qui doutent n'ont qu'à aller voir, voilà tout) et la conception plus finaliste et plus

346. Cf. Lotter [Severinus], p. 153-154, et tout dernièrement, Duquesne [Jésus], p. 137-171. 347. Voir aussi Hempel [Heilung], p. 237-314 (surtout sur l'Ancien Testament) ; Glöckner [Neutestamentliche] . 348. Cf. Lubac [Exégèse], p. 115-121. 349. Cf. de Vooght [Les miracles] ; Courcelle [Recherches], 141-153. 350. Bolton [The Supra-Historical], 211-213. Voir aussi Courcelle [Saint Benoît]. 351. Leclercq [L'Écriture], 122.

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pédagogique du pape, pour qui l'événement n'est le plus souvent qu'un point de départ sur la voie de l'intériorisation352. Qu'en est-il au VIT et dans la première moitié du VIIIe siècle ? Dans un autre article, Bolton a également analysé un épisode de la Vie de saint Vaast par Jonas de Bobbio, un texte de notre corpus A. Lors de son entrée à Arras, le nouvel évêque (nommé par saint Remi (m. vers 350), archevêque de Reims), « quo Francorum gentem ad baptismi gratiam paulatim docendo ac de industria monendo adtrahere curaret»), rencontra un aveugle et un boiteux, qui lui demandèrent l'aumône, puis tâchèrent de lui extorquer de l'argent par la force. Comme Pierre à l'impotent de naissance devant la Porte du Temple (Actes, 3:6), Vaast leur répondit qu'il n'avait ni or ni argent, mais que si leur foi égalait son affection pour eux, la grâce divine se répandrait sur eux. Et comme ils se disaient prêts à tout, il poursuivit : « S i fides vestra meis commitetur (= comitetur) dictis, pristinam sospitatem utriusque vestrum omnipotentis pietas largiatur». Finalement, il les guérit après leur avoir imposé la main, fait le signe de croix et levé les yeux au ciel pour prier : « Nam statim caecus visum, dodus (= claudus) gressum recipiens, ovantes uterque ad propriam (= propria) remeavit ». Se souvenant des connotations exégétiques de caecus et de claudus chez Grégoire (à savoir gentilis et Iudaeus), Bolton croit avoir affaire, chez Jonas également, à un récit de conversion symbolisé par un miracle353. Une telle exégèse pourrait être appliquée à d'autres miracles. Avant son accession à l'épiscopat, le même saint Vaast aurait accompagné Clovis se rendant à Reims pour y être baptisé par saint Remi après sa victoire sur les Alamans. En cours de route, Vaast rendit la vue à un homme depuis longtemps aveugle. Ce miracle pourrait donc préfigurer la guérison spirituelle que Clovis allait bientôt recevoir par le baptême354. Aux alentours du palais du roi Dagobert 1er, saint Amoul de Metz (A) rencontra un barbare lépreux qu'il fit nourrir et vêtir, lui demandant ensuite s'il était baptisé. Le miséreux lui répondit : « Nequaquam, [...] domine mi, nam infelix ego abiectus a populo, et quis mihi gratiam tribuit (var. : tribueret) ? » Amoul le rassura : « Ne verearis, frater, possibile est. Tantummodo crede in Christo, et erit Domini voluntas, ut geminam, id est animae et corporis tui, capias medelam ». Dès que l'évêque l'eut baptisé, la lèpre se retira de son corps, selon le parallélisme déjà évoqué (voir supra, p. 58) entre la guérison physique et la guérison spirituelle, la première désignant éventuellement la 352. Van Uytfanghe [La controverse], 217-219. Voir aussi Dagens [Saint Grégoire], 353. [ Vita Vedastis], 3. Cf. Bolton [A Note]. 354.

TVita

Vfícia.trísü. 5.

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seconde de manière allégorique (par l'association de maculosus et de peccator)355. C'est peut-être encore plus transparent dans la Vie de saint Géry de Cambrai (A). Encore diacre, Géry croisa lui aussi un lépreux encore païen, nommé Eboise. H l'amena vite chez un prêtre pour le faire baptiser, et plus tard, comme évêque, il lui conféra le diaconat et la prêtrise, « quasi numquam fuisset a lepra (= leprae) infestatione nullatenus occupatus ». Ici, ITiagiographe omet même de signaler explicitement la guérison physique356. À Ressons-sur-Matz (près de Compiègne), saint Amand (B) était entré dans la maison d'une femme aveugle. L'interrogeant sur la manière dont cette infirmité lui était survenue, le saint apprit, de la bouche même de la femme, que la seule raison de sa cécité était qu'elle avait toujours conservé un culte pour les augures et les idoles. Amand lui adressa un prêche et lui ordonna d'abattre avec une hache l'arbre dédié à un démon, près duquel elle avait l'habitude de prier son idole. C'est seulement après que la femme se fût exécutée que le chrorévêque, lui imprimant le signe de croix sur les yeux et invoquant le nom du Christ, la guérit. Elle mena par la suite une vie exemplaire : « correctiorem vitam deinceps gerens, moresque commutavit in melius »357. La cécité symbolise-t-elle ici l'idolâtrie ? La question mérite d'être posée. Libérée, sans doute à l'âge de cinq ans, des mains d'un gentilhomme qui convoitait son héritage paternel et qui l'avait enlevée, la petite Rusticule (A) fut amenée au monastère d'Arles358. Chemin faisant, elle captura avec son manteau un poisson dans le Rhône, qui rassasia ses accompagnateurs affamés. L'hagiographe y ajoute le commentaire que voici : « Vere in hoc apparet, quia multas animas ista per verbum Dei capiet et Christo Domino consecrabit». La pêche miraculeuse est donc censée préfigurer la pêche d'âmes à laquelle Rusticule se livrera plus tard comme abbesse (ce qui rappelle précisément Luc, 5:1-1l)359. Le trentième jour après la mort de Gibitrude, moniale à Eboriac/Faremoutiers, un tel parfum remplit l'église où on allait célébrer une messe de commémoration, « qu'il y avait là les effluves de tous les onguents et de tous les aromates ». L'explication que Jonas de Bobbio donne à ce fait merveilleux, pourrait aller dans le sens d'une matérialisation “après coup” des grâces éclatantes dont le Seigneur récompense les âmes qui lui sont consacrées : « M erito enim rerum sator 355. 356. 357. 358. 592). 359.

[ Vita Amulfi], 11. [Vita Gaugerici], 5. [ Vita Amandi\ , 24. Après une intervention de l'évêque Syagrius d'Autun auprès du roi Gontran (m.

[Vita Rusticulae], 4.

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hic sibi dicatas animas suis meiiûs facit effulgere, qui ob suum amorem nullatenus voluemnt saeculum diligere vel amare »360. On pourrait aller plus loin encore. Le châtiment très approprié de Noddon, qui avait accusé saint Amoul de débauche avec le roi et la reine (voir supra, p. 100), ne ferait-il que concrétiser la métaphore de Proverbes, 6:27 ? Ce texte biblique met justement en garde, en effet, contre la débauche et la prostitution : « Peut-on cacher du feu dans son sein sans enflammer son vêtement ? »361. Des questions rhétoriques du genre « Quid aliud datur intellegi, nisi quod... ? », déjà chères à Grégoire le Grand, ne suggèrentelles pas, ça et là, que l'intention du signum exterius prend le pas, dans le chef de l'hagiographe, sur le fait réel ?362. Ainsi, pour la vision de la boule de feu diaphane descendant sur sainte Gertrude (voir supra, p. 19), son biographe le fait suivre de cette interrogation : « Quid istius lucis manifestatio indicabat, nisi veri luminis visitatio, qui (= quod) omnem sanctum pro se et omnibus orantem inlum inat ? », avec une réminiscence transparente d'un verset du prologue du quatrième évangile, verset qui revêt sûrement un sens figuré (Jean, 1:9 : le Verbe comme « lumière véritable qui illumine tout homme »)363. Oserait-on même prendre en compte une intetiigentia spiritualis des libérations miraculeuses de captifs à partir de l'usage métaphorique de termes tels que vincula, captivitas, custodia dans certains passages de l'Ecriture (par exemple Psaumes, 67:19; 118:61; 139:6 ; 141:8 ; Proverbes, 5:22 ; Éphésiens, 4:8) ? Car Bolton ne prétendil pas que les miracles, objets d'exégèse, étaient destinés en premier lieu à un public cultivé (et donc clérical)364 ? Gardons-nous cependant de poursuivre sur cette “pente”. En effet, tout cela va déjà beaucoup trop loin, me semble-t-il, car de telles hypothèses méconnaissent la fonction psychologique, sociale et religieuse du miracle [Vita Columbam],Tí, 12. [Vita Amulfli, 13. Par exemple, [Vita Sadalbergae], 15 (sur toutes sortes d'animaux sauvages qui en ville) : « Quid aliud patulae (= patule) datur intelligi, nisi sanctitatem ac vigorem ancillarum Dei antiquus hostis non ferens, cum suis satellitibus fugiens d iscessit ? » ; ibid., 24 (sur la maladie de Salaberge, vexée par des taetri spiritus) : « Quid autem aliud per hanc datur intelligi, nisi ut omnipotens Deus plasma suum in praesenti dumtaxat purgaret vita et dexterae suae protectione roboratam cum sanctis aggregaret ? ». 363. [Vita Geretrudis], 4. Voir aussi [Vita Balthildis], 13 (après la vision de l'échelle) : « ut ex hac revelatione patenter daretur intelligi, eo quod sublimia eius merita, patientia et humilitas, eam ad celsitudinem aeterni Regis et ad premii coronam citius exaltandam perducerent». 360. 361. 362. arrivent

364. Bolton [A Note], p. 20.

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dans la civilisation du haut Moyen Âge. Les hagiographes s'adressaient aussi aux rustici et aux illitterati (par la voie de la récitation publique à l'occasion de la fête du saint), comme le laissent entendre bien des prologues365. Et pourquoi les professions de véracité, pourquoi la crainte de l'incroyance, pourquoi la discrétion (numérique) de certains vis-à-vis du miracle, s'il s'agissait seulement d'une application de l'exégèse allégorique ? Même une différenciation entre le sensus realis pour les gens du peuple et le sensus spiritualis pour les intellectuels me paraîtrait peu plausible, car au haut Moyen Âge, comme de nos jours, il y avait des clercs, des gens cultivés qui croyaient au miracle, et des rustici sceptiques366. Ce clivage est d'autant moins pertinent que les bénéficiaires des miracles venaient de toutes les couches de la population. Certes, il y a sans doute, dans l'hagiographie mérovingienne, des miracles symboliques, illustratifs (quand un auteur suggère lui-même le “signifié”, la question est évidemment de savoir s'il commente un fait qu'il croit réel, ou s'il a conçu le “fait” en fonction de son commentaire367), des miracles-exemp/a (c'est ainsi que Ian Wood interprète une série de miracles de la Vita Columbani, destinés à illustrer et à propager l'obéissance — pratiquée même par les animaux —, les vertus ascétiques, la volonté de confesser à temps ses péchés, bref, à “visualiser” la Règle monastique ellemême368), des miracles purement fictifs (pensons aux thèmes folkloriques de la Passion de saint Just de Beauvais et des Vies de saint Èvre de Grenoble et de saint Goar) ou “littéraires”, empruntés le cas échéant à des Vies antérieures (dans le corpus B, la Vie de sainte Sigolène de Troclar constitue, à cet égard, un véritable “centón”, fut-il un tant soit peu “créatif’369), des cas de pia fraus également. Je n'ignore pas non plus l'éventualité de

365. Voir Uytfanghe [L'hagiographie] ; Banniaid [Viva voce], p. 354-271. (Cela vaut évidemment moins pour les Vies destinées à un usage interne, comme la [Vita

Columbani]). 366. Voir aussi Brox [Der einfache] avec, p. 184, cette citation significative de A. Momigliano : « The Christian abolition o f the internal frontiers between the learned and the vulgar had clear implications. For cultured persons it meant the reception and acceptance o f many uncritical, unsophisticated beliefs in miracles, relics and apparitions. For the vulgar and uncultivated it meant appreciation, to the point o f fanatism, o f the importance o f theological controversies and consequent participation in these struggles ». 367. Voir supra, notes 362-363. 368. Wood [Vita Columbam], p. 67-68. 369. Voir Graus [Volk], p. 91,477-481. Autres Vies à emprunts : par exemple, [Vita

Hucberti], [VitaLandibertí], [Vita Servatii],

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“doublets” (déjà présents dans la tradition littéraire des évangiles)370, ni le fait que des récits individualisés et concrétisés (par des noms de personnes et de lieux notamment) n'offrent pas forcément des garanties d'historicité, puisque ces détails ont pu être ajoutés après coup pour augmenter la vraisemblance, la crédibilité371. Si donc une fraction (peut-être même non négligeable) des miracles mérovingiens peut s'expliquer comme dans le paragraphe précédent, je crois que cette explication ne concerne pas la majorité des miracles. L'ancrage de ceux-ci dans la vie quotidienne et dans l'univers mental de l'époque (fut-il “corrigé” par les hagiographes) est tel qu'ils s'inscrivent plutôt dans la filière de Grégoire de Tours que dans celle de Grégoire le Grand, et qu'ils ne sont pas du tout comparables aux miracles “passe-partout” qui se transmettront d'un recueil à l'autre au bas Moyen Âge372. En revanche, il s'agit plus souvent, me semble-t-il, de mises en forme littéraires d'une tradition orale qui remonte soit à un noyau historique soit à une “rumeur” relative à la vie d'un saint, à sa translation ou à l'ambiance autour de sa tombe. Je n'aime pas parler de “miracles objectifs” (scientifiquement, cela n'existe pas)373, mais de (présumés) faits vécus ou interprétés, tout de suite ou au terme d'une transformation ou d'une stylisation plus ou moins longue, comme étant miraculeux (de là la concomitance, dans les Vies comme dans les évangiles, de récits très brefs — je pense, pour ce qui est du Nouveau Testament, à la guérison de la bellemère de Pierre (Matthieu, 8:14-15 et par.), qui semble appartenir à une vieille “strate” palestinienne — et de récits plus ou très amplifiés : la Steigerung ou la Typisierung dont parle Graus374). Et nous savons 370. Voir F. Lotter [Severinus], p. 142-144 et Gaiffier [Les doublets]. Rappelons, à ce propos, que par exemple, Jonas de Bobbio varie trois fois le miracle du récipient de bière qui éclate ( [V ite Columbani], I, 19 et 27 ; [Vita Vedastis], 7). 371. À comparer par exem ple: Matthieu, 8 :5-13; Luc, 7:1 -1 0 ; Jean, 4:47-53 (guérison du fils d'un fonctionnaire royal à Caphamaüm) ; Marc, 14:47 ; Matthieu, 26:15 ; Luc, 22:50 ; Jean, 18:10 (l'un des assistants, dégainant son glaive, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui trancha l'oreille ; chez Jean, il s'agit déjà de Simon-Pierre et de Malchus, et de l'oreille droite). 372. Là-dessus, voir Prinz [Der Heilige], p. 299. 373. Sur ce point, je ne partage pas les vues de Jacques Fontaine [Vie de saint Martin], qui distingue au premier rang « les miracles objectifs, les plus “évangéliques”, les plus difficilement contestables aussi : résurrections, guérisons, exorcismes », (I, p. 199, note 225). 374. Voir aussi Lotter [Methodisches], p. 338-340, 345-357 (“typische, tendenzkonforme”, “atypische, tendenzneutrale Berichte”, les derniers étant généralement plus “historiques”).

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aujourd'hui combien, le “miracle coïncidence” mis à part, certains facteurs “psychosomatiques” ou certains conditionnements existentiels375 peuvent intervenir là-dedans. Mais cela n'est pas la même chose qu'une “fiction”. À ce propos, même une forte ressemblance descriptive avec un miracle de l’Écriture n'exclut pas une réalité sous-jacente (je songe, par exemple, à l'écume sur les lèvres d'un épileptique, considéré comme un démoniaque tant en Palestine au premier siècle de notre ère que dans la Gaule mérovingienne)376. CONCLUSION

Le miracle est une composante constitutive de l'hagiographie mérovingienne, et il est susceptible de remplir des fonctions multiples : glorifier et légitimer le saint377, montrer en lui (par des “preuves” convaincantes) l'homme de Dieu (par Lui reconnu, protégé et doté de grâces spéciales) et l'homme de puissance (digne de la confiance des fidèles qui peuvent s'adresser à lui, et par lui à Dieu, dans toutes sortes de circonstances : voir le « nisi fíat ad exemplum credulitatis » de la Vita Goarìs)378, propager son culte, servir les intérêts de l'Église et de ses représentants (qu'il convient de respecter, sinon...), y compris les intérêts spirituels et matériels des sanctuaires et de leur clergé, démontrer la justesse de la religion chrétienne et de l'idéal incarné par le saint (y compris son “mouvement religieux”, comme dans le cas de saint Coloraban et ses disciples379), raffermir la discipline et la morale ecclésiastiques (voir encore les miracles punitifs), sécuriser les hommes de ce temps face aux menaces et 375. Y compris la disette par exemple. Voir Patlagean [Ancienne hagiographie], p. 111-117, spécialement p. 111 (« l'homme en proie à un sentiment de totale insécurité au sein d'un monde plus lourd de menaces qu'il n'est riche en promesses »). 376. Voir supra, note 344, et Patlagean [Ancienne hagiographie], p. 119 (« ainsi, les saints [byzantins] guérissent une foule d'aveugles et de paralytiques : modèle évangélique ou réalité orientale demeurée semblable, aux VP-VII' siècles, à celles de l'Évangile ? L'un et l'autre, évidemment »). 377. Et, à travers lui, glorifier Dieu, qui l'honore : voir par exemple, [Vita Audoeni], 13 : « Dominus ad honorem famuli sui Audoini istum miraculum reservavit» : [Vita Balthildis], 1 6 : « a d declarandum fidelibus sublime eius meritum divina pietas [...] plura fecit mirabilia » ; [Vita Praelecti), 31 : « Quem (=quod) miraculum et illorum (Praeiecti et Amarini) credimus demonstrare g loriam » ; [Vita Radegundis], 12 : « Adiciatur et aliud ad laudem Christi miraculum » ; ibid., 27 : « per suos fideles suam ostendit potentiam ». 378. [Vita Goans], 5. Voir aussi [Passio Leodegarii prima], 37 : « ad confortandum incredulus (= incredulos) [...] ad inlustratione (= inlustrationem) fídelium ». 379. Cf. Rohr [Hagiographie], p. 233.

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aux incertitudes de leur condition (la mort, la maladie, le démon, la disette, les calamités naturelles, l'injustice, l'arbitraire)380. Ces fonctions propagandistes, religieuses, cultuelles, psychologiques, sociales, morales (sur lesquelles se greffe, par moments, un aspect “divertissant”381), peuvent varier proportionnellement en fonction du public visé382. Toutefois, à quelques exceptions près383, les hagiographes mérovingiens ne font pas preuve d'une Wundersucht sans frein, beaucoup d'entre eux demeurent même, à ce sujet, assez “raisonnables”, modérés, voire discrets, et attachent plus de poids à la vie du saint qu'à sa thaumaturgie. S'il est vrai que les échos de réserves et de scepticisme se sont affaiblis, certains indices attestent néanmoins que le miracle avait toujours besoin d'être “crédibilisé”384. Enfin, la disparité remarquable quant au nombre, à la typologie, à la stylisation (importante, mais peu contraignante), met en valeur non seulement le choix personnel des hagiographes (comparables dans une certaine mesure à celui des quatre évangélistes385), mais aussi le Sitz im Leben propre de chaque tradition relative à un saint déterminé. Dans le domaine miraculeux comme dans d'autres386, 380. Voir aussi supra, note 376 (Patlagean), et Derouet [Les possibilités], p. 159 : « Le miracle est donc l'occasion de présenter à propos d'un problème qui inquiète pro­ fondément la conscience humaine, un récit général du monde, c'est-à-dire d'organiser le monde par le langage. Cette organisation fournit ensuite un modèle de perception et d'interprétation, que le récepteur est invité à reverser sur sa propre expérience, d'autant que, par la répétition des mêmes miracles et des mêmes structures, le système impose peu à peu sa fallacieuse évidence ». Du reste, l'hagiographie (comme d'ailleurs la théologie chrétienne) trouve une explication à tout : voir [Vita Columbani], I, 22 (traduction de A. de Vogüé) : « O merveilleuse bonté du Créateur ! S'il laisse dans l'indigence, c'est pour rendre manifestes les dons qu'il accordera aux indigents, s'il permet qu'on soit éprouvé, c'est pour secourir dans l'épreuve et susciter plus d'intérêt envers lui au cœur de ses serviteurs ; s'il abandonne ses membres aux sévices qui les déchirent, c'est pour développer et affermir l'amour qu'ils porteront au médecin qui les guérit ». 381. Cf. Kech [Hagiographie]. 382. Ici, les Vies strictement monastiques (et notamment [Vita Columbani]) se distinguent des pièces destinées à être recitées devant un auditoire également laïc. 383. Notons que la [Vita Columbani] et la [Vita Eligii] comptent un nombre de miracles dépassant le double de celui de l'ensemble des quatre évangiles (voir infra, note 385). 384. Traitant du haut Moyen Âge, en général, Prinz [Der Heilige], p. 293, parle également de la “criminalisation” de l'indifférence envers les “kirkliche Kultformen”. 385. D'après Duquesne [/¿sus], p. 137, Matthieu relate 22 miracles, Marc 19, Luc 14 et Jean 7 (chiffre sacré), mais les critères de définition qui sont à la base de mon étude sont sans doute plus larges. 386. Cf. Van Uvtfanuhe fStylisation!, d. 251.

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l'hagiographie mérovingienne est moins standardisée qu'on ne l'a longtemps pensé. Rappelons, enfin, que les incertitudes subsistant sur le caractère (entièrement) mérovingien d'une partie des textes (voir supra, p. 5 sq. : le corpus B) ne sauraient infirmer les conclusions queje viens de formuler, car elles se dégagent déjà pleinement du seul corpus A.

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[Vita Richard] : Vita Richard (BHL 7245), MGH, SRM, VII, 1919, p. 438-453. [Vita Romarici] : voir [Vitae abbatum Habendensium]. [Vita Rusticulae] : Florentius, Vita Rusticulae (BHL 7405), MGH, SRM, IV, 1902, p. 339-351 ; à compléter par AASS, OSB, II, Paris, 1669, p. 142-143. [Vita Sadalbergae] : Vita Sadalbergae (BHL 7463), MGH, SRM, V, 1910, p. 49-66. [Vita Segoienae] : Vita Segolenae (BHL 7570-7571), AASS, Juil., V , 630-637 ; Société des Bollandistes, (Catalogus Parisiensis, III), Bruxelles, 1893, p. 488-504.

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[Vita Sulpitii] : Vita Sulpitii (BHL 7927-7928), MGH, SRM, IV, 1902, p. 371-380 (deux recensions).

[Vita Vedasüs] : lonas, Vita Vedastis (BHL 8501-8503), MGH, SRM, HI, 1896, p. 406414.

[Vita Wandregiseil] : Vita Wandregiseli (BHL 8804), MGH, SRM, V, 1910, p. 13-24. [Vita Wiifridi] : Eddius Stephanus, Vita Wilfridi (BHL 8889), MGH, SRM, VI, 1913, p. 193-263.

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