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French Pages 224 Year 2005
Ottmar Ette, Mercedes Figueras, Joseph Jurt (eds.) Max Aub - André Malraux Guerra civil, exilio y literatura Guerre civile, exil et littérature
Ottmar Ette, Mercedes Figueras, Joseph Jurt (eds.)
Max Aub - André Malraux Guerra civil, exilio y literatura Guerre civile, exil et littérature
Madrid • Frankfurt am Main 2005
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índice - Table des matières
Avant-propos - A modo de prólogo Paul Nothomb L'escadrille Malraux en Espagne 1936-1937 Joseph Jurt Témoignage et terreur: Bernanos, Malraux et la guerre civile d'Espagne Paul Nothomb, 'último' piloto de la guerra española Declaraciones recogidas por Joseph Jurt Michaël de Saint-Cheron Unamuno et Bergamin dans L'Espoir de André Malraux Gérard Malgat L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire? Luis Llorens Marzo La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto José Rodríguez mágico Richarl Testimonio literario de un escritor español exiliado en Francia. Álvaro de Orriols: Las hogueras del Pertús José Antonio Pérez Bowie Max Aub y la cultura francesa Ignacio Solde vila Durante Pour l'histoire d'une amitié: Max Aub - Emmanuel Roblès José Luis Morro Casas Max Aub y Gilberto Bosques Liliana Weinberg Retrato del artista desterrado
Ottmar Ette Entre homo sacer y homo ludens: El Manuscrito Cuervo de Max Aub Albrecht
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Buschmann
Max Aub entre sus culturas
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Mercedes Figueras Editar a Max Aub en Alemania
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Avant-propos - A modo de prólogo
La réconciliation franco-allemande, scellée par le traité de l'Elysée de 1963, a sans doute été un événement historique majeur du XX e siècle. Ce n'est pas un hasard si, à l'occasion de la conférence de Madrid en octobre 1991, le président Bush sr. a cité cette réconciliation comme un modèle pour la réconciliation entre Israël et la Palestine. Ce n'est pas un hasard non plus si la France et l'Allemagne sont devenues les piliers de l'Union européenne. La vocation du Centre français de Fribourg a été dès sa fondation d'accompagner, au niveau de la recherche et de la formation, ce processus d'intensification des rapports entre les deux nations. La réconciliation est aujourd'hui un acquis; il importe de dépasser le bilatéralisme et d'insérer ces rapports dans un contexte européen plus vaste. A cet objectif correspond parfaitement le colloque «Espagne - France: Guerre civile, exil et littérature» qui a eu lieu les 22 et 23 novembre 2002. L'Espagne, la France et l'Angleterre sont les Etats-Nations les plus anciens de l'Europe occidentale. Les rapports entre la France et l'Espagne ont été intenses; ce furent souvent des rapports de rivalité, se situant cependant toujours à la même hauteur. Les échanges culturels entre les deux nations n'ont jamais cessé. Les rapports ont connu une nouvelle qualité au cours du XXe siècle, notamment lors de la guerre civile d'Espagne entre 1936 et 1939. Les deux régimes au pouvoir - le Front populaire en France et le Frcnte popular en Espagne - ont été très proches l'un de l'autre. La guerre civile fut loin d'être un conflit intérieur; dès le début se manifesta la dimension internationale malgré la politique (déclarée) de la non-intervention. La guerre civile d'Espagne a ébranlé l'opinion publique en France, deux camps se formant comme à l'époque de l'Affaire Dreyfus. David W. Pike a très bien retracé ce débat public dans son ouvrage publié en 1975 Les Français et la guerre d'Espagne (1936 - 1939). Un grand nombre d'intellectuels se sont alors engagés pour la cause espagnole; ils ont été nombreux à penser, à l'instar de Garcia dans L 'Espoir: «11 y a des guerres justes [...] - la nôtre en ce moment.» Des esprits lucides comme Malraux ou Bernanos ont bien vu que cette guerre a été comme la répétition d'un conflit plus vaste - la Deuxième Guerre mondiale. Après la fin de la guerre civile en Espagne, beaucoup de républicains ont connu l'exil et les camps en France. Dans son livre La France des camps. L'internement 1938 - 1946 paru en 2002, Denis Peschanski a consacré un chapitre entier à l'exode et l'exil espagnols. La chute de Barcelone, le 26 janvier 1939, a provoqué une fuite éperdue audelà des Pyrénées, une retraite dramatique appelée «Retirada» par les Catalans de France. De la fin janvier à la mi-février, 500.000 républicains franchirent la frontière, dont 300.000 regagnèrent leur pays jusqu'en 1945. Rien n'a été fait pour les accueillir en France; on les enfermait derrière des barbelés, sur des plages et dans des camps ouverts à la hâte. Et les morts se comptaient par dizaines en raison du froid et de la faim. La guerre, les camps, l'exil ont été une expérience universelle du XXe siècle. La vocation de ce colloque a été d'éclairer cette expérience que les Espagnols et les
Avant-propos - A m o d o de prólogo
Français ont partagée. Au centre du colloque nous avons placé deux grands écrivains qui se sont rencontrés dans ce contexte: André Malraux et Max Aub. Les deux auteurs ne sont pas restés confinés à une expérience dans un cadre strictement national. Si Paul Morand, Valéry Larbaud ou Dorgelès avaient traversé les frontières nationales, le monde n'avait été pour eux qu'une réalité géographique; leurs œuvres relevaient de l'exotisme - réaction esthétique nourrie par l'ethnocentrisme traditionnel. Pour Malraux, en revanche, le monde qu'il avait découvert dès les années 1920 - l'Asie - a été une entité politique. Alors que la plupart de ses contemporains écrivains situaient leurs œuvres dans la France de province, Malraux écrivit les romans de la révolution chinoise, non pas pour rechercher le dépaysement, mais parce qu'il avait perçu de manière lucide que l'Histoire cesserait de se jouer exclusivement en Europe: «Ce n'est plus l'Europe ni le passé qui envahit la France en ce début de siècle, c'est le monde qui envahit l'Europe, le monde avec tout son présent et aussi son passé», écrivit-il dès 1926. Max Aub est peut-être encore moins l'homme d'une seule nation. Fils d'une Française et d'un Allemand ayant vécu dès le début de la Première Guerre mondiale en Espagne, il s'enfuit en France où il sera emprisonné en 1939, puis s'exilera en 1942 au Mexique où il mourut en 1972. C'est dans le contexte de la guerre civile d'Espagne que Max Aub et André Malraux devaient se rencontrer. Si Malraux s'engagea tout de suite, c'est parce que depuis plus de dix ans la physionomie de la Révolution en Russie, en Chine ou aux Asturies avait été au centre de ses intérêts. Ce qui était pour lui spécifique en Espagne, c'est que le peuple s'était soulevé pour défendre son gouvernement contre l'armée nationale rebelle. La victoire de la milice populaire a été, à ses yeux, «une leçon splendide et un exemple merveilleux». Malraux ne se contentait pas du rôle de témoin engagé; il voulait servir la cause de l'Espagne par l'action, qui jouait un rôle si important dans ses romans. Il voyait surtout qu'en Espagne, un petit groupe pourrait intervenir efficacement, ce qui correspondait à sa conception héroïste de la Révolution. Lorsqu'il arriva le 21 juillet 1936 à l'hôtel Floride à Madrid, il fut accueilli par José Bergamin et Max Aub. Alors que Malraux dirigeait son escadrille et participait à la guerre aérienne, Max Aub s'engageait pour la République comme directeur du périodique socialiste Verdad. Les deux devaient se retrouver après la retraite de l'escadrille, à Paris, où Max Aub était attaché culturel de l'Ambassade d'Espagne, puis lors du Congrès international pour la défense de la culture en septembre 1937 à Valence, où Malraux évoque son projet de tirer un film de son roman L'Espoir pour agir sur l'opinion publique; il s'assura dès mai 1938 de la coopération de Max Aub; il commença, relatera plus tard Denis Marion, «par s'adjoindre à Max Aub, écrivain et auteur dramatique espagnol, qui connaissait admirablement le français. Au début, son rôle consista à traduire en espagnol le scénario élaboré en français, à recruter sur place les acteurs et les techniciens, à servir d'agent de liaison avec les autorités. En fait, il fut pendant toute la réalisation le double espagnol d'André Malraux, l'interprète de son agent d'exécution.» Les deux ne verront plus en 1940 le film Sierra de Teruel. Mais dès son exil mexicain, Max Aub entrera de nouveau en contact épistolaire avec Malraux, à qui il restera fidèle jusqu'à sa mort en 1972.
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Avanl-propos - A modo de prôlogo
Les circonstances semblent être particulièrement favorables pour se pencher sur cette période. Le Roussillon, par exemple, entend aujourd'hui assumer le douloureux passé des camps d'exilés espagnols, comme le relate le quotidien Le Monde dans son numéro du 13 mai 2003. Le département des Pyrénées-Orientales, dont un tiers de la population descend de ces réfugiés, a lancé le projet d'un mémorial à Rivesaltes. L'association de fils et de fille de républicains espagnols et enfants de l'exode veut lutter contre l'oubli. Conjointement avec la ville espagnole La Jonquera, la municipalité d'Argelès projette de mettre sur pied un Centre international de documentation et d'études sur la Retirada. lille a signé en février 2003 la «Charte de l'Europe de la mémoire», dans laquelle les signataires s'engagent à perpétuer la mémoire sur les conflits, persécutions et tragédies qui ont marqué le continent européen entre 1915 et 1945. Mais cette lutte contre l'oubli s'affirme en même temps en Espagne. Au moment de notre colloque, la commission de la Constitution du Parlement espagnol venait de voter une résolution condamnant la dictature franquiste et accordant aux victimes une réhabilitation morale et sociale. La commission invite le gouvernement à rendre aux exilés et à leurs enfants la nationalité espagnole et à leur accorder une aide financière. La résolution encourage l'Espagne à retrouver sa mémoire collective historique tout en respectant l'esprit de la constitution de 1978 qui scelle la réconciliation entre deux camps adverses. Il semble que cette résolution ne sera pas la fin d'un processus, mais le début d'un affrontement de l'Espagne avec son passé. C'est peut-être un hasard, mais il est quand même significatif qu'au même moment le Roi d'Espagne ait assisté à l'inauguration de la chaire dédiée au philosophe espagnol José Gaos à l'Université autonome du Mexique. Commémorant José Gaos, disciple d'Ortega y Gasset. qui avait été forcé comme Max Aub de s'enfuir face à la dictature franquiste au Mexique où il mourut en 1969, le Roi d'Espagne et le président du Mexique. Vicente Fox, ont mis en relief la grande contribution des exilés espagnols au développement de la culture latino-américaine (El Pais, 20 novembre 2002). Il nous reste à exprimer nos remerciements. Nous tenons à dire notre reconnaissance à Ursula Erzgràber et Isabelle Barbier qui se sont consacrées avec un grand dévouement à la préparation de ce colloque. La tenue de ce colloque et la publication des actes n'auraient pas été possibles sans l'aide généreuse accordée par l'Université AlbertLudwig de Fribourg. Notre reconnaissance va également à l'Ambassade d'Espagne qui nous a accordé un subside important pour couvrir les frais de voyage des participants espagnols et allemands. Un très grand merci enfin à M. Albrecht Buschmann qui a préparé avec une grande compétence l'édition des actes. Nous sommes enfin particulièrement reconnaissants aux participants qui ont contribué, avec leurs communications, à la réussite de cette rencontre. *
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Celebreinos los centenarios. Son obligados puntos de reterencia que nos fuerzan a volver sobre los maies del tiempo. Disipan por un moincnto «las tinieblas del olvido» [...].
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Les éditeurs - Los editores
Estas palabras, con las cuales Max Aub inicia su conferencia sobre Heinrich Heinc en el Instituto de Cultura Alemana «Alejandro de Humboldt» de México D.F. (febrero de 1956) para conmemorar el centenario de la muerte del poeta alemán, se nos antojan a propósito para el presente coloquio, con el se conmemora el centenario del nacimiento de Max Aub, a pocos meses de cumplirse. El lugar de los hechos, el Centro de Estudios Franceses de la Universidad AlbertLudwig de Friburgo, representa un marco ideal y simbólico. El tema focal del coloquio, «España - Francia: Guerra Civil Española, Exilio y Literatura» relacionado con tres grandes escritores Georges Bernanos, André Malraux y Max Aub, indica el peso específico de Francia en este contexto. La Guerra Civil Española, antesala de la Segunda Guerra Mundial, y sus consecuencias de máxima degradación humana - m á s allá de la destrucción inherente a todo conflicto bélico- como son los campos de concentración, y finalmente el exilio tiene aquí como figura de engarce a Max Aub. Este, nacido en París, de padre alemán y madre francesa, vive directamente, desde su primerísima juventud, las consecuencias de tres de los máximos conflictos bélicos en suelo europeo durante la primera mitad del siglo XX y un doble exilio, el primero - e n España-, el segundo - e n México. Malraux, figura señera de la solidaridad francesa con la causa republicana, desacatando la política oficial del gobierno francés, encarnaba para Max Aub la lucidez de pensamiento, la rectitud moral y la sensibilidad humana características del ideal cívico y republicano que representaba Francia desde la Revolución Francesa. F.1 trato denigrante que sufrieron miles de republicanos españoles refugiados en Francia, metidos en campos de concentración o en espacios concentracionarios improvisados con alambradas y a la intemperie está siendo objeto, últimamente, de numerosos estudios por parte de historiadores y escritores franceses. A Max Aub, amigo de Malraux y colaborador suyo en la realización de la película Sierra de Teruel, basada en la novela de este último, L 'Espoir, «le dolía España y le dolía Francia», sin embargo, nunca renegó de ellas. El español, que hablaba con ligero acento francés, se convirtió por voluntad del escritor, en su lengua literaria. Aub se batió por escrito de múltiples maneras e intentó, como ser humano y como intelectual, comprender el mundo que le rodeaba. Objetivo del coloquio ha sido, por una parte, presentar aspectos fundamentales de la obra de Bernanos y de Malraux en relación con la Guerra Civil Española. Por otra, exponer la polifacética obra de Max Aub bajo distintos aspectos, poniendo de relieve la importancia temática y estructural que en ella tiene la Guerra, así como la experiencia concentracionaria (en Francia) y el exilio, fenómeno presentado en tanto que problema crucial, pero a la vez como oportunidad enriquecedora inigualable. Max Aub, transgresor de fronteras geográficas, culturales, literarias, un intelectual que vive y no oculta sus contradicciones, enemigo de ortodoxias y dogmatismos, refleja una sensación recurrente de hallarse fuera de lugar, Out of Place, como titula su autobiografía otro 'desplazado' del siglo XX, Edward Said. No obstante, las más de las veces, Aub halla su centro al plasmar por escrito su inquietud y desasosiego. Este escritor, que no desprecia ni el pathos, ni la ironía, ni el humor, ni el juego, que duda y que subvierte literariamente la realidad, manifiesta tal vez una única convicción absoluta: que lo verdaderamente intolerable es la intolerancia. «El mundo agoniza por
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Avant-propos - A modo de prólogo
falta de tolerancia, no estoy dispuesto a contribuir a ello [...]. Prenda exclusivamente humana: aceptar lo de los demás», dice en una carta abierta, nunca publicada, al Presidente de la República Francesa Vincent Auriol en 1951, al serle denegado el visado para entrar en Francia, en base a una acusación en falso durante el Régimen de Vichy (1939/1940). La postura francesa cambió en 1958, al parecer con ayuda de Malraux. En relación con la peripecia del exilio, la recepción juega un papel importante. Como se verá, se ha insistido en la recepción de la obra aubiana en Alemania. La reciente publicación de El laberinto mágico, Opus magnum del escritor, en traducción alemana, así como la de uno de sus relatos clave en torno al mundo concentracionario, Manuscrito Cuervo. Historia de Jacobo, se prestaba a ello. Después de la Segunda Guerra Mundial, Francia y Alemania han acercado muchísimo sus posiciones, representan dos de los pilares de la democracia europea, y llevan años trabajando su pasado a partir de una reflexión interior y un intenso debate público, en especial. Alemania. También Francia, como ya se ha dicho, está llevando a cabo un trabajo de reflexión crítica. En la actualidad, a principios del siglo XXI, España, después de la prolongada dictadura franquista, durante la cual no hubo más que ninguno oficial de todo lo referente al exilio, está realizando una labor importante en este campo. Cabe esperar que pronto se establezca un programa, o al menos se perciba una clara voluntad de hacer justicia por lo que respecta a la concesión de la nacionalidad española a los descendientes (nada lejanos) de aquellos exiliados. Merecen todo nuestro agradecimiento Ursula Erzgraber e Isabelle Barbier por su intensa y competente dedicación a preparar este coloquio. Es preciso recalcar que sin la generosa ayuda de la Universidad Albert-Ludwig de Friburgo ni el coloquio ni la publicación de las actas habrían podido realizarse. Expresamos también nuestro encarecido agradecimiento a la Embajada de España por el importante subsidio recibido a fin de poder cubrir los gastos de viaje de los participantes españoles y alemanes. En modo alguno podemos dejar de agradecer a Albrecht Buschmann su gran esfuerzo y probadísima competencia en preparar la edición de las actas. Y finalmente damos nuestras gracias especiales y manifestamos nuestro reconocimiento a todos los ponentes que con su comunicación contribuyeron al éxito del coloquio. Fribourg. juin 2004 Friburgo, junio de 2004
Les éditeurs - Los editores
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L'escadrille Malraux en Espagne 1936-1937
Paul Nothomb Je vais vous parler de la guerre d'Espagne à laquelle j'ai eu l'honneur de participer et la chance de le faire à côté d'André Malraux. D'abord, en ce qui concerne la guerre, seulement deux mots: il me semble qu'il n'y a jamais eu de guerre dans laquelle il a été plus facile de choisir son camp que la guerre d'Espagne. Parce qu'il y avait vraiment un fossé entre les deux côtés - je veux dire que d'un côté c'était les exploités, de l'autre les exploiteurs. Cela a l'air extrêmement sommaire comme définition, mais c'est exactement la vérité. En Espagne, il n'y avait pas (comme en France, en Allemagne ou dans d'autres pays) de classes intermédiaires; il n'y avait à peu près que des propriétaires capitalistes, et des paysans pauvres. En effet, il y avait une différence de classe extraordinaire, comme il y en a encore dans certains pays d'Amérique latine ou du Tiers-Monde. Donc en Espagne, je ne crois pas qu'il y ait eu problème (en tout cas, pour moi, il n'y a jamais eu le moindre doute quant au camp à choisir). Quant à André Malraux, c'est l'inverse! Cela n'allait pas de soi du tout que je le rencontre. Au contraire, toutes les conditions étaient réunies pour que je ne rencontre jamais André Malraux. Et comme cela se produisit néanmoins, peut-être peut-on parler de destin, c'est cela: contre toutes vraisemblances, on fait dés rencontres décisives. Pourquoi n'y avait-il aucune chance? Parce que nous appartenions à des milieux tout à fait différents. Mon père - ma famille tout d'abord étant belge - était de droite nationaliste. Mon père admirait Mussolini, et à l'époque... c'était les années 1930! Je pense que personne ici dans cette assistance, à part moi, n'a connu les années 1930, tout au moins ne les a vécues à l'âge adulte ou même enfant. - Mais il faut connaître cette période tout à fait extraordinaire pour ceux qui l'ont vécue, sinon, on ne peut avoir aucune idée de ce que c'était. Ces années 1930 ont abouti à la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale, mais toutes les années qui précèdent étaient des années d'exaltation pour ceux qui les ont vécues. Et tous ceux qui ont vécu adolescents, comme moi, ou pas encore vraiment adultes, ces années 1930, se souviennent que tout le monde croyait à quelque chose. Ce n'était pas du tout comme aujourd'hui: pourquoi est-il si difficile d'imaginer maintenant ce que furent les années 1930. Tout le monde croyait qu'il allait changer le monde à l'époque - tout au moins ceux qui réfléchissaient, les militants, aussi bien à droite qu'à gauche. C'était le fascisme et le communisme en faveur desquels il y avait des gens sincères, et d'autres, mais enfin il y avait beaucoup de passion et beaucoup d'exaltation. Sans cela, on ne peut comprendre ni la guerre d'Espagne ni la façon dont je l'ai vécue. Parce que je vous le dis: il n'y avait aucune raison - familiale, en tout cas - pour que j'y participe, aucune surtout pourquoi je rencontre André Malraux, et je suis forcé de vous parler un peu de ma famille et de mon enfance pour que vous compreniez comment j'en suis arrivé là.
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Paul N o t h o m b
Mon père donc était un homme politique, un écrivain, un peu dans la lignée de Barrés en France. C'est-à-dire qu'il alliait le nationalisme à la poésie, le nationalisme à la pensée réactionnaire, il faut bien le dire. Et, en Belgique, il existait un parti qui s'appelait le Parti catholique. Vous savez, aujourd'hui, aucun parti n'ose plus s'appeler comme cela, sinon celui d'une croyance religieuse. On parle aujourd'hui de démocrates chrétiens. Mais à l'époque cela s'appelait «le Parti catholique»! En Belgique, l'archevêque de Malines, avant les élections, donnait les consignes, et tous les catholiques devaient voter pour le Parti catholique. La politique et la religion étaient absolument mélangées, c'était très marqué. Et encore aujourd'hui, il y a vraiment un clivage entre ceux qui ont fait leurs études à l'Université de Louvain et à l'Université de Bruxelles. Il y avait deux camps - les cléricaux et les anti-cléricaux - très marqués: cela existe toujours. Moi, j'ai fait complètement parti d'un camp. Mon père est devenu, ensuite, sénateur catholique. A ce moment-là, il allait fonder un mouvement de jeunesse, nationaliste plus ou moins, un peu fascisant sur les bords - il admirait Mussolini. J'ai eu des rapports très difficiles avec mon père. Ma mère est morte quand j'avais treize ans; je suis resté face à lui, et comme tous les petits garçons, j'adorais mon père comme un Dieu. Et puis, tout d'un coup, il tomba de son piédestal, et je suis entré en conflit terrible avec lui. Pas pour des questions politiques: à l'âge de treize ans, je me posais les questions existentielles que tout le monde devrait se poser, à mon avis, et je voulais avoir les réponses de mon père. Je n'osais pas les lui poser parce que je me disais: «C'est tellement évident que je suis un imbécile de ne pas connaître la réponse!». La question, c'était ceci: Comment concilier un Dieu tout puissant et omniscient, avec la liberté de l'homme? Si Dieu sait d'avance tout ce que je vais faire, je ne dispose d'aucune liberté. Comment est-ce qu'on peut croire à la fois à la liberté et à la culpabilité de l'homme si Dieu sait d'avance ce que vous voulez faire? Vous ne pouvez faire autre chose que ce qu'il sait! Donc vous ne supportez aucune culpabilité! C'est une question qui me semblait élémentaire, et je n'osais pas la poser à mon père ni même à mes professeurs parce que je me disais qu'ils me riraient au nez et me diraient: «mais c'est tellement facile de répondre à ça! Comment, vous n'avez pas trouvé de réponse?» De peur de paraître ridicule, je n'osais pas poser la question. Tout de même, un jour, je me suis décidé - j'avais bien un oncle jésuite, mais finalement c'est à un cousin, jésuite lui aussi, que je posai la question. Il est tombé de haut, comme si je lui demandais quelque chose d'impossible. Et il a dit: «Je vais me renseigner.» C'était un prêtre, attention! Quinze jours après, il m'a dit: «Je me suis renseigné. Il faudrait que tu lises St-Thomas, que tu lises ceci ou cela»... mais lui-même n'avait pas de réponse. Alors je me suis dit: Voilà, ces gens ont tous des convictions, ils s'affichent catholiques, mais ils ne savent même pas ce qu'ils sont, et ils n'ont pas de réponses aux questions les plus élémentaires. J'ai commencé à me méfier en trouvant tout cela sociologique, leurs croyances et leurs idées. Jusqu'à l'entrée en dissidence religieuse, dès ce moment-là, à l'âge de treize ans, je m'en souviens très bien, cette crise engendra toute la suite. Je n'avais pas encore du tout de point de vue politique. J'ai donc commencé à être très critique aux avis de mon père. Je l'ai trouvé superficiel en tout. Moi, j'étais plutôt du genre à tout approfondir, on ne pouvait pas s'entendre. Cette hostilité envers mon père me conduisit très loin, parce que comme tous les jeunes
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L'escadrille M a l r a u x en Espagne 1936-1937
gens (enfin, tous les garçons), je m'affirmais contre mon père. Mon père le savait, mais il en ignorait la raison, et se disait: «c'est sa crise adolescente, cela va passer, il va se ranger comme tout le monde». Mais je ne me suis pas du tout rangé comme tout le monde. Et à un moment, je me suis posé la question. A la fin de mes études au collège des Jésuites, je me suis dit que j'avais envie de me cultiver, de continuer mes études. Mais en Belgique, les études universitaires coûtaient très cher. Il fallait les payer, et je me suis dit: «voilà, je n'ai pas d'argent, mon père n'en a pas beaucoup, mais il va payer mes études universitaires, je vais donc dépendre de lui pendant des années, alors qu'inévitablement, je m'opposerai à lui». Quelle solution? Je n'en voyais pas. Puis j'appris qu'en faisant l'école militaire, en m'engageant dans l'armée pour me présenter à l'examen, je n'aurais pas à payer mes études. On m'avançait donc les frais d'études. Finalement, je me suis engagé dans l'armée comme simple soldat pour passer l'examen, que j'ai heureusement réussi, et j'ai pu faire mes études gratuitement. Ainsi, mon père ne pouvait plus me dire: «Je te paie tes études» etc. C'était donc une question très personnelle, et je m'éloignai de plus en plus de lui, et devins plus libre. Il y avait alors la Révolution d'Octobre. Je n'hésite pas à dire que je suis un fils de la Révolution d'Octobre. C'était vraiment quelque chose de décisif, à l'époque tout le monde se réclamait de la Révolution d'Octobre, qui semblait ouvrir une ère nouvelle pour l'humanité. On avait tous les espoirs. Je me rappelle très bien les films soviétiques, les films d'Eisenstein: tout ça m'exaltait, exaltait beaucoup de jeunes gens, parce qu'on voyait vraiment qu'on allait changer toute la société. On se faisait de grosses illusions, et je pense que du côté des fascistes, c'était pareil ou en partie la même chose. Ils pensaient qu'ils allaient changer le monde. Moi, comme j'allais contre mon père, j'étais naturellement de l'autre côté. Si mon père avait été communiste, j'aurais probablement été fasciste - je regrette de le dire - mais c'était l'opposition! Donc moi, tout naturellement, je me suis tourné vers le Parti communiste belge. Il faut dire que le Parti communiste belge, cela n'existait pas... Rien à voir avec le Parti communiste français, qui était un grand parti. C'était un parti minuscule, qui devint presque caricatural. En effet, au moment de la scission trotskiste, il n'y avait que deux députés communistes en Belgique: un passa au trotskisme, et l'autre resta stalinien. Alors chaque fois qu'il y avait un débat à la Chambre devant tout le monde, ahuri, le stalinien parlait au nom du parti, et le trotskiste répondait au nom de Trotski. De sorte que tout ce qu'on connaissait en Belgique, c'était la scission entre trotskistes et staliniens. C'était vraiment ridicule: ce parti n'avait aucune influence, il faisait rire mais (pour moi) il adhérait à l'Internationale communiste. Et comme je vous ai dit que j'étais un peu extrémiste, la Belgique me semblait un petit pays assez ridicule alors que l'Internationale communiste, ça c'était sérieux! J'ai donc adhéré au Parti communiste. Mais attention! Dans quelles conditions? Je vous ai dit que j'étais à l'armée, j'ai fait mes études, suis sorti officier à ce moment-là, mais j'étais allé à l'armée sans vocation militaire, seulement pour échapper à mon père. A la fin de mes études, je suis allé choisir mon arme... et j'ai pris l'aviation, c'est-à-dire l'arme la moins militaire. C'était considérable à ce moment-là comme expérience d'aventurier, l'aviation, dans les années 1930. En tout cas, il n'y avait pas cette discipline militaire que je détestais. Je suis donc
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devenu aviateur comme cela, aussi sans vocation, comme militaire sans vocation. Tout cela, c'est pour vous expliquer comment j'ai rencontré André Malraux. J'ai eu un ami à l'Ecole Militaire avec qui nous partagions des idées extrémistes. Je voulais adhérer au Parti communiste en étant à l'armée. Il fallait le faire avec prudence. Finalement nous allâmes trouver des gens pour dire que nous adhérions au Parti, mais clandestinement. Et on a obtenu la liaison par des camarades du Parti que nous rencontrâmes un week-end, dans des circonstances tout à fait anodines. Seulement, très vite, des imbéciles de l'Internationale communiste le surent et se servirent de moi, de mon adresse, pour faire le courrier de l'Internationale. De sorte que nous arrivèrent de grosses lettres de Tchécoslovaquie ou d'autres lieux, qui étaient du courrier de l'Internationale. Evidemment la Poste le remarqua; la Sûreté publique le repéra immédiatement, et un jour mon père, effondré, me convoqua en disant: «J'ai vu le Ministre qui est mon ami, et qui m'a dit que mon fils était un agent de l'Internationale communiste.» Et j'étais officier de l'armée belge, attention! Heureusement, c'était encore la période bourgeoise pendant laquelle, dans les bonnes familles, on arrangeait les scandales, et le ministre a dit à mon père: «Ton fils peut demander un congé de l'armée. Il sera tout de suite accordé. Qu'il file! Qu'il s'en aille!» Comme dans les bonnes familles: va au loin. On t'envoie faire une cure à l'étranger et tu vas changer d'avis... Et donc, un beau jour, j e me retrouvai dans l'aviation. Et je précise aussi que lorsqu'on entrait comme officier dans l'aviation belge, on commençait par être observateur et navigateur, et on ne pilotait qu'à la fin. Si on passait par en bas, on assumait d'abord le pilotage. Cela explique que j e n'aie jamais été pilote, parce qu'en deux ans, je restai observateur/navigateur. Et quand le moment de piloter fut venu, mon père avait été convoqué chez le Ministre qui lui avait dit: «Ton fils est un agent de l'Internationale communiste.» Je suis donc allé trouver mon commandant d'escadrille: «Mon Commandant, je vous demande un congé indéterminé sans solde», et il m'a répondu: «Tu es fou! Tu veux briser ta carrière! Mais c'est impossible, tu viens d'arriver! Mais cela ne se fait pas!» Je lui ai dit: «Ecoutez. J'ai le droit de faire la demande par la voie hiérarchique. Je la fais. Je la signe.» J'ai été convoqué chez le Colonel, chez le Général, tous complètement ahuris, me disant: «Mais tu es fou! C'est impossible d'avoir un congé comme cela quand tu viens d'entrer à l'armée. Tu es un jeune officier plein de promesses. Et tu veux t'en aller! Cela va être refusé, et peser sur ta carrière.» Le lendemain: ahurissement. Ils avaient tous reçu un télégramme - «Accordé» - et ils se sont dit que ce type devait avoir une influence formidable. «Comment cela se fait qu'il demande un congé et que le lendemain on le lui accorde?» C'était le Ministre, évidemment, qui avait donné des instructions pour qu'immédiatement, je sois libéré de l'armée. J'ai stupéfié tout cet entourage de chefs. Et en même temps que mon ami, qui était d'ailleurs lui aussi à l'armée, mais pas dans l'aviation, j'ai reçu un congé immédiat, ce qui n'existait pas parce que lui et moi étions tout à fait jeunes officiers à ce momentlà. A cette époque, il restait de l'argent de la succession de ma mère, argent que mon père gérait. Et je lui ai dit: «Si tu veux que je m'en aille» - parce que mon ami avait des
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cousins en Amérique - «tu dois le débloquer.» C'est ce qu'il a fait, et nous sommes partis en Amérique tous les deux. La première chose que nous avons faite en débarquant à New York, c'est d'aller au siège du Parti communiste. On n'était donc pas converti du tout. J'ai passé avec mon ami quelques mois en Amérique, puis nous sommes revenus. On m'avait mis en réserve, je n'étais donc plus dans l'armée active. Se posa alors la question de savoir comment gagner ma vie, mais, pour finir, je suis entré comme rédacteur au journal du Parti communiste qui, à ce moment-là, avait un quotidien. Je suis allé en Amérique en 1935 - un an avant la guerre civile. Nous misions uniquement sur la France. Je lisais L'Humanité tous les jours: je savais où il arrivait, dans quel kiosque, à quelle heure du train de Paris. Je vous l'ai dit, le Parti communiste belge était insignifiant, mais le Parti communiste Français, cela existait! C'était quelque chose de très important! Nous lisions donc L'Humanité. Nous savions très bien qu'il y avait un certain André Malraux qui avait eu le Prix Goncourt, et nous l'admirions. Moi, j'ai tout de suite lu La condition humaine, et j'appris un jour qu'il venait à Bruxelles faire une conférence, dans une salle «du bas de la ville», comme on dit, dans le quartier le plus populaire. Avec cet ami, qui partageait mes idées, je suis allé à cette conférence. Je me rappelle: c'était bourré, bourré de monde, avec tout un public d'ouvriers. J'ai vu arriver toute l'élite de l'antifascisme français - Gide, Jean-Richard Bloch entre autres, et surtout André Malraux. Je dois dire qu'André Malraux a été la vedette immédiatement. C'était d'ailleurs le grand teneur de l'antifascisme à l'époque. Vous ne pouvez pas vous imaginer l'importance d'un André Malraux, parce qu'il était un écrivain extraordinaire! Il figurait dans tous les meetings antifascistes, il avait participé à un tas d'activités pour la libération de Thaelmann, de Dimitroff. Et tout ce qui se passait en Allemagne à ce moment-là, parce que, entre-temps, Hitler avait pris le pouvoir: c'était donc l'antifascisme militant absolu. Et Malraux participait à toutes ces manifestations, et il est venu avec André Gide à Bruxelles. Je m'en rappelle très bien. André Gide était assis au premier rang, et le président lui a dit: «Mais venez à la tribune.» Il répondit: «Ah non, je veux voir André Malraux.» Donc Gide admirait André Malraux. Il était en admiration totale. Au reste, André Malraux est l'homme le plus intelligent physiquement que j'aie jamais rencontré. C'est-à-dire qu'on voyait sur son visage que c'était un homme supérieurement intelligent. Et cela impressionnait Gide qui n'était pas n'importe qui, et cela devait impressionner tout le monde, y compris les ouvriers, les mécaniciens de l'escadrille... Tout le monde considérait Malraux comme une figure extraordinaire. Malraux fit le discours, il conquit la salle. Il marchait de long en large sur l'estrade en parlant, en faisant des phrases lyriques. Les trois quart ne comprenaient pas, mais simplement ce qu'il disait - le fait de le dire - emballait tout le monde. C'était quelqu'un de charismatique, comme on dit aujourd'hui, un orateur né qui emballait les gens moins par ce qu'il disait que par sa façon de le dire. Et je me rappelle tous ces belges qui, bien qu'ouvriers, étaient tous emballés par Malraux, probablement sans comprendre la moitié de ce qu'il disait. Il était vraiment emballant! Moi, j'étais là, j e buvais du petit lait, avec mon camarade on était évidemment dans l'exaltation la plus complète. On était à un balcon très loin, et Malraux a arpenté l'estrade, et un ami dira plus tard: «C'était comme Bonaparte au pont d'Arcole: il se
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promenait, et il levait les foules devant lui par son enthousiasme et sa passion communicative.» Il n'était pas encore question de l'Espagne, à ce moment-là. C'était en 1935, avant même le Front populaire en France. Moi, j'étais déjà un peu installé dans l'appareil du Parti, enfin dans la presse. Arrivèrent les événements - il ne faut pas oublier que l'année du Front populaire, c'est 1936, mais que l'Espagne a voté le Front populaire avant la France. En février 1936, le Roi d'Espagne avait déjà abdiqué depuis quelque temps. Le Front Populaire espagnol avait gagné avant le Front populaire en France. Et il faut dire à ce moment-là que contrairement à la France, le Parti communiste espagnol n'existait pas. Si ce n'est dans les Asturies, peut-être... mais avec peu de députés. Le Front populaire espagnol n'était pas, comme en France, dominé par les communistes. C'était un Front populaire plutôt du centre socialiste. Cette première victoire du Front populaire a stimulé la France. Et je me rappelle que le 14 juillet, il y avait le grand défilé de la Bastille à la Nation avec Léon Blum, Thorez etc. Eh bien, j'y étais, parce que nous étions partis depuis Bruxelles en car pour participer à cette manifestation. J'ai donc assisté à la naissance du Front populaire à Paris, et à mon retour à Bruxelles, deux jours après, la rébellion et des généraux espagnols fut annoncée. Je passai donc de l'enthousiasme à cet événement dramatique; immédiatement, j'ai dit que je voulais partir. Seulement, contrairement à ce que 1' on pense, le Parti communiste était contre l'intervention, parce que Staline avait signé le traité de non-intervention, comme toutes les grandes puissances. On a donc commencé par me refuser. Parce que quand on était au Parti communiste, on obéissait... C'était une armée, et on n'y faisait pas ce qu'on voulait. Ceux qui sont partis, ce sont plutôt des trotskistes ou des dissidents, mais les gens du Parti n'ont pas pu parce que Staline avait adhéré à la politique de nonintervention. Les Anglais et les Français avaient décidé de ne pas intervenir en Espagne. C'est-à-dire qu'ils ont laissé faire, parce que, immédiatement, les fascistes sont intervenus. Nous eûmes beaucoup de tracas au début, car les avions allemands et italiens arrivèrent en Espagne immédiatement. Vous savez ce que fut la rébellion en Espagne: l'armée espagnole s'est rebellée, croyant qu'elle allait immédiatement tout gagner parce qu'elle avait la force. En Espagne, l'armée était une armée de métier qui ne comptait plus d'officiers, mais presque que des soldats. C'était une armée de caste qui se rebella contre la République et contre le Front populaire. Et ils avaient toute l'Espagne: toutes les garnisons s'étaient rebellées. Mais ce à quoi on ne s'attendait pas, c'est qu'il y ait une réplique populaire, de sorte que quelques jours après, toutes ces casernes furent reprises par des milices. Le gouvernement avait plus ou moins donné les armes, avait ouvert les arsenaux. Et les syndicats, les partis, les anarchistes surtout, reprirent les casernes, et la rébellion en Espagne fut vaincue en quelques jours. Mais, en fait, en quelques jours la rébellion fasciste fut écrasée à Madrid, Barcelone, Valence: toutes ces villes revinrent à la République. Et qu'est-ce que fit la rébellion? Franco ne dirigeait pas encore, mais un autre général, Sanjurjo, auquel Franco succédera. D'ailleurs en fait, ce n'est pas Franco qui a dirigé - il était dans le complot. Qu'est-ce qu'ils ont fait? Ils disposaient de troupes espagnoles très aguerries au Maroc, comme le Tercio, la Légion étrangère et les Troupes-Mores. Ils ont débarqué à
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Algésiras, montant en Espagne pour en faire la conquête militaire. Parce que la rébellion politique, si l'on peut dire, avait complètement échoué dans quelques villes du Sud, et la République avait gagné. Ils conquirent l'Espagne par le Sud, en montant le long de la frontière portugaise pour arriver, finalement, à Madrid. Seulement, ils sont arrivés trois ans après. Et entre-temps se déroulèrent des événements dans lesquels Malraux a pris une très grande part. Vous savez que Malraux n'a jamais rencontré que des hommes extraordinaires. C'est simplement la vision poétique de sa croyance fondamentale: que l'homme est ce qu'il fait. C'est-à-dire que c'est un homme d'action: l'homme n'existe que par l'action. Je ne suis pas du tout d'accord avec lui en cela, mais il faut dire qu'une seule fois dans sa vie, Malraux vécut cette situation, et il fut l'homme d'action. C'est pourquoi il est si important de parler de Malraux en Espagne, parce que, après, il n'a plus jamais pu unir complètement son action et sa pensée. En Espagne, il était vraiment lui-même. Il faut dire que c'était le bel âge de sa vie: il avait 35 ans, il revenait d'Espagne - à un congrès d'écrivains un peu avant la rébellion. Il connaissait pas mal de gens, il avait déjà eu le prix Goncourt, il était donc connu à ce moment-là. Il avait été le héros de l'antifascisme dans toute l'Europe, depuis la Russie jusqu'en France. Ainsi, quand la rébellion a éclaté en Espagne, elle fut écrasée par les forces populaires. C'est délicat à dire, mais c'est tout à fait vrai. Quand ils ont voulu reconquérir l'Espagne avec leurs troupes, Malraux, là, a fait preuve de génie: tout de suite, il a vu ce qu'il fallait faire. Avant tous les militaires, avant tous les stratèges, avant tous les politiques, Malraux a vu ce qu'il fallait faire. Et c'est extraordinaire, parce que «la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux militaires», comme disait Clémenceau, et Malraux a vu tout de suite (il avait un regard exquis) ce qu'il fallait faire: puisqu'il y avait une armée aguerrie d'un côté, un peuple enthousiasmé et complètement incapable de se battre de l'autre, il fallait faire quelque chose qui retarderait l'avancée de ces troupes. Et puisqu'on voulait former une armée, une résistance, cela prendrait du temps. Une armée, cela ne se fait pas en quinze jours; il faut des mois et des mois. Il fallait donc absolument gagner du temps. C'était la seule façon d'empêcher le franquisme de triompher. Mais comment faire sans armée justement? Eh bien, en créant une aviation. Malraux a tout de suite compris cela. Et c'est sûrement son trait de génie: cette aviation non seulement il l'a inventée, mais il l'a préparée, il l'a réalisée, il l'a commandée. Il a tout fait. Il a été l'homme d'action parfait. Il a eu l'idée, il a eu l'exécution, il a eu le commandement. C'est vraiment un trait de l'histoire. Je sais bien que cela n'a pas été décisif, mais sans réactions de ce genre, vous savez, les fascistes seraient arrivés à Madrid trois mois après. Or, ils sont arrivés trois ans après. Ce qui les a retardés, c'est notamment cette aviation qu'André Malraux avait conçue. Fin août, on m ' a donné l'autorisation, et je suis parti par la voie du Parti communiste français depuis Toulouse; très vite, j'arrivai à Barcelone et à Madrid. Et je suis descendu - j e ne connaissais pas du tout l'Espagne - à Madrid sur un camion, et mon impression est inoubliable, toute ma vie je reverrai ça: qu'était l'Espagne en ce mois de septembre? En septembre, alors que la rébellion avait été écrasée un mois plus tôt, il restait un tel enthousiasme! Toutes les voitures klaxonnaient à mort - tout le temps, tout le temps,
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tout le temps! Quand je suis arrivé depuis l'aéroport à Madrid (qui était assez loin), j'ai entendu un concert de klaxons. C'était le triomphe, l'exubérance, le bonheur d'avoir gagné. Je n'ai jamais vu quelque chose de si extraordinaire, et cela a duré très longtemps. Tout le monde klaxonnait dans les rues de Madrid. Tout le monde klaxonnait! Sans lâcher un instant, sans bouton - vous vous rendez compte du chahut que cela faisait. C'était vraiment le bonheur. C'était l'exaltation. Le peuple avait gagné, on l'avait sorti d'un cauchemar. Et c'est vrai que l'adhésion populaire était totale de ce côté-là. J'ai vécu cela comme un rêve, c'était la révolution réalisée. C'était dans la joie, le bonheur. Et je débarquai ce jour-là à l'Hôtel Florida, près de la Puerta del Sol, cet hôtel dans lequel se réunissaient tous les intellectuels, tous les gens un peu bizarres. Il avait été réquisitionné: nous avions encore des portiers chamarrés du temps de l'hôtel bourgeois. C'était un très bel hôtel et, arrivé par la filière du Parti, je débarquai là: on m'attendait plus ou moins! Je suis donc arrivé à l'Hôtel Florida, on m'a reçu et on m'a dit: «Voilà, hôtel chambre... et ce soir, vous allez rencontrer le commandant de l'escadrille.» Je vous jure que je ne savais absolument pas que c'était Malraux. Je l'avais vu à Bruxelles pour cette conférence en 1935, j'étais béat d'admiration devant lui, j'avais trouvé que c'était un type formidable. Et on me dit: «Vous allez le rencontrer.» Je suis descendu au sous-sol, dans un petit bureau, et qui j'ai vu? André Malraux. Cela a été la rencontre de ma vie évidemment, parce que je le connaissais. J'étais déjà tout à fait sous son charme, si j'ose dire. Et voilà qu'il était devant moi, et qu'on parlait très amicalement (parce que Malraux était quelqu'un de très chaleureux). Et tout de suite on s'est entendu, et c'est comme cela que, jusqu'à la fin, je suis resté à côté de lui dans cette escadrille. Mais tout de suite, je fus évidemment enthousiasmé de savoir qu'on était commandé par ce grand homme. Je le connais donc bien du point de vue de l'action. Je veux d'abord rendre hommage à son génie d'avoir inventé cette escadrille qui, malgré tout, joua un grand rôle. Moi, je suis arrivé en Espagne le 5 septembre 1936. Les fascistes étaient à Talaveras, c'est-àdire à peu près à cinquante kilomètres de Madrid. Mon premier raid a été sur Talaveras. Malraux avait réussi à avoir des avions par Pierre Cot, dont l'attaché de cabinet était un certain Jean Moulin, lesquels avaient laissé partir en Espagne quelques avions très modernes malgré le principe de non-intervention. C'était des Potez 54, de gros avions de bombardement, dotés d'un équipage de sept personnes. Malheureusement le poids des bombes qu'on voulait jeter était assez réduit, ce n'était pas moderne. J'étais moi-même bombardier, jetant les bombes avec des bouts de ficelle. On n'avait pas d'appareils électroniques comme maintenant. Quand Malraux arriva en Espagne, il n'y avait pas d'avion du tout. Il faut se demander comment il a pu faire ça. Malraux n'était pas un capitaliste, il n'avait ni avion ni rien du tout. Il avait été trouver Azafia: qu'est-ce qu'avait l'Espagne? Elle avait de l'argent. La Banque d'Espagne avait de l'or. Ce n'était donc pas un problème d'argent - c'était à cause de la non-intervention. Il fallait essayer de faire entrer les avions en fraude. Et Malraux était allé en chercher, non seulement en France, mais aussi en Tchécoslovaquie etc. On eut quelques avions - les problèmes d'argent ne se posaient pas.
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Alors quels autres problèmes Malraux avait-il? C'était très bien d'avoir des avions, mais - les pilotes! Comment trouver des pilotes? Des pilotes révolutionnaires? Cela n'existait pas. Qu'est-ce que sont les pilotes à l'ère moderne? Ce sont des pilotes de ligne ou bien des pilotes militaires, c'est-à-dire que ce ne sont pas des révolutionnaires. Alors que faire? Comment piloter ces avions, les faire arriver dans le combat? Et là, je considère que Malraux prit la plus grande décision, preuve de son génie: malgré sa réputation, malgré le fait qu'il avait été le porte-parole de l'antifascisme, il n'hésita pas à engager des mercenaires. Il a dit: «Il vaut mieux un avion piloté par un mercenaire qui jette des bombes sur des fascistes qu'un avion piloté par un idéaliste qui casse son avion.» C'était donc un dilemme vital: si vous voulez jeter des bombes, il faut des pilotes. Et des pilotes, cela ne se trouve pas sous les sabots d'un cheval, c'est même très rare, cela demande des années d'apprentissage. Or, il y avait un certain nombre d'aventuriers, mercenaires, qui circulaient dans le monde un peu comme cela. Malraux n'a pas hésité à les engager. Et cela, je trouve, c'est vraiment le plus fort. Il n'a pas proclamé le fait, mais c'était indispensable pour l'efficacité, parce que le grand mot de Malraux comme homme d'action, c'était l'efficacité. Il voulait être efficace. Il ne voulait pas faire la révolution en paroles, il voulait la faire en action, et à ce moment-là il fallait engager des mercenaires même si c'était contraire à son idéal. Et c'est ce qu'il a fait: moi, j'ai eu des mercenaires, des gens qui avaient, contre la prohibition aux Etats-Unis, amené de l'alcool depuis le Canada. Je ne dis pas qu'ils auraient été fascistes - ils avaient des convictions plus ou moins de gauche - mais ils étaient là pour l'argent. Ils étaient très bien payés, l'Espagne avait les moyens. Ce n'était pas une question d'argent. C'est comme moi avant d'arriver en Espagne. J'étais passé par l'ambassade d'Espagne à Paris; on m'avait fait signer un contrat avec un salaire mirobolant que je n'avais jamais vu de ma vie. Mais on m'avait dit: «Ce n'est pas comme les étrangers. Si vous avez un accident, il y a une assurance vie et votre gouvernement... alors, il faut absolument que vous soyez bien payé.» Enfin, bref, c'était la discipline. Tout le monde devait l'accepter, sinon on n'arrivait pas en Espagne. Plus tard on supprima ces contrats, mais au début, tout le monde était sous contrat avec le gouvernement espagnol, et on était très bien payé. Ça, Malraux l'avait compris. Pas nous, qui comptions un certain nombre d'idéalistes, mais pas de pilotes, justement. Je vous ai expliqué pourquoi je n'étais pas pilote, et on ne disposait pas de vrais pilotes révolutionnaires. On avait les mercenaires, des gens sympathiques, mais enfin, ils ne seraient pas venus sans argent. Cela faisait partie de l'efficacité. Je considère que c'est le génie de Malraux d'avoir fait cela. On n'en a pas parlé. Malraux n'était pas un type qui s'arrêtait à de telles considérations. Il fixait le but, ne le proclamait pas sur les toits, mais voyait les moyens d'y arriver, et c'est pour cela qu'il était pour les communistes en Espagne. Pourquoi? Le Parti Communiste n'était pas fort, la grande force en Espagne, c'était les anarchistes. Or, les anarchistes ne voulaient pas faire la guerre mais la révolution. Moi, je revois encore sur les murs de Madrid les papillons signés par la FAE (la Fédération anarchiste), organisant la discipline, tandis que le Parti communiste était le seul à préconiser la formation d'une armée populaire. Ce en quoi Malraux était pour le Parti
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communiste, tout en n'étant pas communiste du tout. Moi, j'étais communiste, et j'ai eu pas mal d'échanges avec lui là-dessus, ce en quoi je connais très bien sa position. Malraux est donc allé trouver le Président de la République ou le Premier Ministre, il a dit: «Je veux former une aviation. Je vais trouver les hommes et les avions.» Il faut dire qu'il avait beaucoup d'assurance et qu'il convainquait tout le monde. En effet, il connaissait bien Pierre Cot, le Ministre de l'Air. Et il avait quelques amis pilotes de ligne, mais ils restèrent très peu de temps. Au début on utilisait les avions de la LAP qui était la ligne espagnole, la ligne civile. Les premiers bombardements antifascistes furent ceux d'avions civils dans lesquels on mettait des bombes. On ouvrait la porte, on les poussait à la main. Vous voyez le genre... Cela n'avait certes aucune efficacité militaire, mais une efficacité morale extraordinaire, le fait d'avoir résisté: c'était plus important que les pertes effectives qu'on pouvait subir. Parce que les troupes qui montaient depuis Algésiras le long des frontières espagnoles avaient l'arme à la bretelle: il n'y avait personne devant. Ce n'est pas parce que des masses populaires avaient écrasé la rébellion dans les casernes qu'elles étaient capables de résister à une armée organisée. Une armée organisée est très efficace! Ces gens ne pouvaient donc pas résister. Il n'y avait aucune résistance. Alors les fascistes avançaient de 20 km par jour, même en marchant; ils avaient certes quelques camions, mais pas de tanks. Rien à voir avec une force terrible... Ils avançaient donc tout simplement, comme s'ils paradaient. A partir du moment où on a acheté des bombes, même à 500m d'eux, ils ont commencé à se dire: «Tiens, on résiste!» Du coup, ils se sont déployés pour entrer ailleurs. Ils avancèrent de 2 km par jour, alors qu'ils voulaient avancer de 20 km par jour. Cela a sauvé Madrid à l'époque. Ne pas oublier que le 5 septembre, ils étaient à Talaveras, à 50 km. Normalement, sans ces bombes, ils étaient à Madrid huit jours après. Et encore, en prenant leur temps! Or ils sont arrivés le 5 novembre. Ils sont arrivés fin octobre, novembre à Madrid (c'est-àdire beaucoup plus tard), parce qu'on leur avait opposé une résistance. Et ce ne fut pas seulement symbolique, le rôle de l'aviation d'André Malraux. Ce fut aussi efficace. Cela permit, psychologiquement, que les fascistes se déploient, avancent comme dans une guerre et non comme à la parade. Ils atteignirent Madrid juste au moment où les Brigades internationales arrivaient, parce que l'escadrille Malraux est bien antérieure aux Brigades internationales, qui arrivèrent fin octobre et qui furent immédiatement jetées dans la bataille de Madrid. Et à la Cité Universitaire, c'est en grande partie les Brigades internationales qui arrêtèrent les Franquistes, dont de nombreux allemands d'ailleurs, des antifascistes qui avaient été persécutés et qui vivaient pour beaucoup en France, d'excellents soldats qui arrêtèrent Franco aux portes de Madrid. Il y avait des soldats allemands des Brigades internationales, d'autres venus d'Europe centrale, des Balcans, et des Polonais. Autre chose: les Français, oui, il y en avait. Il y avait une majorité de Français, de vrais combattants, certains ayant fait la guerre de '14-18. Ces gens, certes déjà âgés, arrêtèrent Franco, lequel n'avait jamais vu de vrais militaires face à lui, puisque toute l'armée était pour lui. Il n'y avait pas de service militaire en Espagne: c'était une armée professionnelle. Il n'y avait rien en face. Alors quand les combattants européens sont arrivés, l'armée franquiste a été arrêtée. Moi, j'étais à Madrid le 7 novembre, les avions
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franquistes survolaient la ville, et ont jeté des numéros de VABC qui paraissait à ce moment-là à Seville. Il y avait une édition républicaine et une édition franquiste. Et je vois toujours l'éditorial qui s'intitulait: «¿La última noche de Madrid?» Ils croyaient qu'ils allaient entrer à Madrid le lendemain. C'est alors que les Brigades sont arrivées et qu'elles ont sauvé Madrid, reprenant la ville au mois de mai (ou mars, je ne sais pas) 1939. Trois ans après! Ils étaient là! Grâce à nous qui avions retardé leur avance. Grâce aux Brigades internationales... Je les ai connu à Albacete, les Brigades internationales. On voyait tous les jours arriver des types en civil, qu'on essayait d'embrigader. Mais certaines troupes aguerries étaient envoyées immédiatement à Madrid. Ce sont elles qui sauvèrent Madrid au point de vue militaire. Nous avons la bataille de Madrid. J'y ai participé aussi. J'y ai participé à ce moment-là. D'abord nous restâmes très longtemps à Baracas, puis, nous nous repliâmes sur Valence, mais au moment de la bataille de Madrid, nous avons été rappelés. On est allé sur l'aérodrome d'Alcalá de Henares, à cinquante kilomètres de Madrid, qui d'ailleurs n'existe plus aujourd'hui, mais qui était à l'époque l'aéroport le plus proche de Madrid. Et là, quelques avions d'escadrille dont le mien ont été envoyés, et nous avons participé à la bataille de Madrid parce que les Italiens, les Allemands y prenaient part. Ils bombardaient, ils avaient une supériorité écrasante. Cela a donc été très difficile, et c'est là que j'ai vu les premiers Soviétiques arriver, parce qu'il y avait des aviateurs russes, venus dans le plus grand secret. Ils étaient tous en civil, on ne les voyait pas, et ils restaient à part, séparés de nous et des Espagnols. Vous savez, on se méfiait des Espagnols, parce qu'il n'y avait rien de plus facile pour un aviateur que de passer dans l'autre camp. Il prenait son avion et il atterrissait. Nous sommes donc partis d'Alcalá de Henares, je me rappelle très bien, le 7 novembre. Dans les années 1930, tout le monde savait ce que c'était que le 7 novembre. C'était l'anniversaire de la Révolution d'Octobre, qui s'appelle «d'Octobre» parce que le calendrier russe est différent du nôtre. Mais c'est le 7 novembre dans notre calendrier. Et je me rappelle qu'à cette occasion on avait même fait un petit banquet. Et c'est la première fois que j'ai vu les Russes qui sont venus avec nous. C'était très frugal, mais enfin... Malraux n'était pas là - et au dessert, à la fin, j'ai cru nécessaire de porter un toast en disant: «Nous allons porter un toast à celui auquel nous pensons tous - au camarade Staline.» Et j'ai vu les Russes complètement terrifiés qui disaient: «Ce typelà, il est ACK ou je ne sais pas quoi, parce qu'il vient de nous parler de Staline, mais nous, on n'y pensait pas. Qu'est-ce qu'on va faire?» Bon. Ils se sont levés avec embarras, et moi, j'étais tout à fait convaincu. J'étais stalinien à l'époque, comme tous les communistes. Il ne faut pas nier. C'est tout à fait certain, à part les trotskistes, tous les communistes étaient staliniens. J'ai donc levé mon verre au camarade Staline devant les Russes complètement ahuris qui se sont demandés ce qui leur tombait sur la tête - et qui se sentaient menacés de quoi? J'eus probablement l'air, un moment, d'un agent de la GPU. Mais cette date m'est restée en mémoire parce que c'était mémorable. Pour la première fois les aviateurs russes étaient en civil, et pas en uniforme. Ils étaient à l'écart, parce que c'était clandestin, leur participation. Et après nous vîmes qu'ils avaient parfois de petits avions de chasse, des «Moscasse» assez efficaces qui nous accompagnaient
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parfois pour notre protection, parce que nous avions des avions lourds. Et la DCA, la défense anti-aérienne, représentait le grand danger, plus que la chasse ennemie, quoiqu'on ait eu des Heinkel et des Fiat surtout. Moi, j'ai été abattu par des Fiat en février 1937 - ça, c'est une autre histoire... Mais revenons à la bataille de Madrid: finalement on a arrêté les fascistes aux portes de Madrid jusqu'en 1939. On a arrêté cette armée qui montait sans résistance, on a jeté quelques bombes dessus de sorte qu'elle retarde son avancée. Madrid n'est tombée qu'en 1939, alors qu'on était en 1936. Je ne dis pas que cela n'a pas causé de souffrances, mais ce que je veux dire, c'est qu'on a donné une chance à tous les peuples de résister au fascisme à ce moment-là. Si pendant ce temps-là, les démocraties s'étaient préparées à la guerre, peut-être qu'on n'aurait pas eu la tragédie de la Seconde Guerre mondiale avec toutes ses horreurs. Parce que c'était la répétition pour les fascistes, parce qu'ils étaient en masse. Comme avions, on ne voyait que des Heinkel et des Fiat. On a même eu des Junckers qui s'étaient trompés et avaient atterri chez nous. Et du côté des démocraties, à part Pierre Cot et quelques avions qui sont venus et les Russes... C'est pour ça que les communistes ont finalement pris beaucoup d'importance en Espagne, ayant été les seuls à envoyer des munitions et des armes et à entraîner les espagnols partis en Russie pour devenir pilotes, et pour former une aviation républicaine à la fin. Mais il est évident que les Russes ont fait que le Parti communiste espagnol est finalement devenu très important, en prenant quasiment la Présidence du gouvernement. Ils acquirent donc une grosse influence: on a écarté les anarchistes, il y a eu tous les drames de Barcelone que l'on connaît. Mais la force du Parti communiste est venue uniquement de la carence des démocraties qui avaient laissé tomber l'Espagne. Malraux n'était pas communiste du tout: il se méfiait terriblement des communistes. Ses sympathies allaient plutôt à Trotski qu'à Staline en tout cas, et aux anarchistes. Son caractère était libre. Malraux aimait les anarchistes - c'était des gens qui vivaient, c'était des gens très sympathiques, mais qui voulaient faire la Révolution et ne voulaient pas gagner la guerre. Et Malraux trouvait cela idiot! Il fallait d'abord gagner la guerre et puis faire la révolution éventuellement, mais pas tout faire pour qu'on la perde, la guerre. Donc Malraux - je me rappelle très bien ses réflexions. Un jour je discutais: j'étais communiste convaincu, j'étais stalinien comme vous l'avez vu (je portais des toast à Staline), et Malraux n'attaquait jamais le parti, mais il me dessillait les yeux. Il m'expliqua en disant: «Staline se fiche pas mal du peuple. Mais il veut défendre le détroit de Gibraltar, parce que c'est stratégique. L'Espagne est la porte de la Méditerranée, et cela menace l'Union soviétique aussi.» C'était donc pour lui une question stratégique. Ce n'était pas une question idéologique comme nous le croyions tous. Vous voyez que Malraux était extrêmement lucide. Il n'était pas du tout sympathisant des compagnons de route du parti. Il disait que les communistes avaient la seule stratégie juste, celle qui consistait à organiser une armée populaire. Et former une armée populaire, cela prend beaucoup de temps. Il fallait se discipliner. Et nous-mêmes, nous y sommes arrivés: une escadrille tout à fait du genre anarchiste.
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L'escadrille Malraux en E s p a g n e 1936-1937
On n'avait pas d'uniforme. Je me rappelle qu'on s'habillait en bandits mexicains: on avait des « m o n o » - c'est tout ce qu'on avait comme uniforme, une cspccc de salopette, qu'on ornait de toute sorte d'insignes vendus à tous les coins de rue. On avait des foulards magnifiques (les foulards anarchistes étaient les plus beaux: noirs et rouges, c'était magnifique). Moi, j ' a v a i s un foulard communiste évidemment. Et puis, il y avait les républicains. Chacun avait son foulard. C'était la grande foire. Et c'était très amusant: on se déguisait tous. Il n'empêche qu'on faisait des raids et qu'on jetait des bombes. Un jour, vers novembre 1936, on décida de nous incorporer dans l'armée espagnole. C'était très mal vu des gens de l'escadrille, constituée aux trois quarts de mécaniciens de la région parisienne. C'était surtout pour réparer les avions, parce qu'on en avait très peu. Chaque avion portait une lettre du mot « E s p a n a » . Ç a fait six lettres. On a peut-être eu deux ou trois avions de plus, sans j a m a i s dépasser six avions dans cette escadrille. Or, la moitié était toujours en réparation: étant fort rares, il fallait les entretenir. On comptait surtout parmi nous des mécaniciens de la région parisienne, qui étaient communistes. Et comme on nous disait qu'il fallait entrer dans l'armée espagnole, on ne voulait pas porter l'uniforme. Et c'est Malraux de nouveau qui les a convaincus - j e le vois encore: nous étions à Torrente, près de Valence, dans une orangerie déjà, et Malraux a tenu un petit discours sur la grandeur de l'uniforme. Malraux avait un humour fou. Je ne sais plus quel biographe imbécile a dit: « L a seule chose qui manque à Malraux, c'est le sens de l'humour.» Mon Dieu, mon Dieu. Mais il ne l'a j a m a i s connu! Malraux était un type plein d'humour, et à ce moment-là, il nous fit un numéro désopilant! 11 a expliqué comment il fallait prendre la discipline militaire: « J e suis le Colonel Scrogneugneu, vous allez être...». C'était ridicule, mais il a convaincu tout le monde. Et le lendemain, tous ont accepté les uniformes; les anarchistes en tête, parce qu'il leur avait montré que c'était nécessaire. Nous appelions l'escadrille « E s p a n a » . Mais « E s p a n a » dans l'armée espagnole... on ne pouvait plus s'appeler « E s p a n a » - c'était une escadrille étrangère. Et justement, les Espagnols étaient embêtés: ils ne voulaient pas parler des Brigades internationales, puisqu'il y avait les fascistes d'un côté, mais aussi des gens du côté républicain. Ils voulaient faire croire que c'était uniquement des Espagnols. Moi, j ' a i participé à un congrès des jeunesses socialistes, la Jeunesse unifiée, il y eut même une photo de moi. On m'admit comme Espagnol, parce qu'il n'y avait ni aviateur, ni combattant étranger pour la propagande officielle de la République. Grâce à Malraux, on est entré dans l'aviation espagnole. Et à ce moment-là, Malraux partit au Canada pour faire une série de conférences. Il était souvent absent de l'escadrille - c'est très vrai - parce qu'il s'occupait de l'intendance. Il cherchait des avions, il cherchait de l'argent, il allait faire de la propagande, il est allé faire des tournées de conférences, même aux Etats-Unis. C'est cela, l'extraordinaire prestige de Malraux: même quand il n'était pas là, c'était à lui qu'on obéissait. Il avait un délégué qui s'appelait Guidet, un pilote de l'aviation française très compétent, qui commandait techniquement, parce que Malraux ne savait absolument rien. Même pas piloter une bicyclette. C'était un homme qui n'avait aucun sens pratique. Aucun sens pratique, mais il avait le génie. Si les mécaniciens obéissaient
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à Guidet, c'est parce que c'était Malraux! Tout marchait sur le nom de Malraux, parce que cette escadrille n'avait aucune espèce de discipline! Ça n'existait pas! La seule sanction, c'était de rentrer en France. Alors si un type manquait de respect, on lui disait: «Voilà, prends le premier avion et rentre chez toi.» Un déserteur? On lui frayait les voies, immédiatement il avait le droit de partir. C'était vraiment une escadrille libre. Je crois que c'est la seule unité de toutes les guerres du monde où une escadrille fonctionna, constituant une organisation sérieuse techniquement pour les avions et en même temps, où tout le monde obéissait sans sanction. Il n'y avait pas la moindre sanction. Je vous dis, la seule sanction dont tout le monde mourait de frousse était d'être renvoyé en France. Cela prouve qu'on était vraiment des volontaires, parce que c'était très facile d'aller en France: il y avait des avions qui partaient tous les jours de l'aéroport. C'était donc facile. À un moment, dans l'armée espagnole, Malraux a commencé à distribuer des grades et des fonctions, et c'est alors qu'il me nomma commissaire politique. Cela ne voulait absolument rien dire: il y a des gens qui ont prétendu ensuite que j'étais l'âme damnée de Malraux, que j'étais derrière lui. Croire que c'était moi qui influençais Malraux, vraiment c'est délirant... J'étais donc commissaire politique, chargé des relations avec le Ministère de l'Air. C'est-à-dire que nous remplissions les missions que l'armée espagnole nous donnait. Hidalgo de Cisneros commandait à l'époque. Je suis arrivé chez lui, et lui ai dit: «Ecoutez. On ne peut plus s'appeler España. Nous voulons avoir un nom à nous». Alors nous proposâmes de nous appeler Escadrille André Malraux. Malraux n'était pas là. Il ne le savait pas. Et il a dit tout de suite: «D'accord.» Et c'est pour cela que les gens ont accepté de mettre des uniformes, parce qu'ils avaient comme chef un grand écrivain civil, quelqu'un qui les séparait de l'armée. Parce qu'ils ne voulaient pas être dans l'armée! Armée espagnole, française ou n'importe laquelle - ils étaient anti-militaristes. Il ne faut pas oublier qu'en France, l'armée, c'était l'armée coloniale. Les guerres étaient coloniales, tous nos militaires étaient donc contre l'armée. Leur faire accepter l'uniforme, même d'une armée républicaine, même d'une armée révolutionnaire était très difficile. Et s'appeler Escadrille Malraux a été accepté par tout le monde. Cela voulait d'abord dire que l'on n'était pas tout à fait dans l'armée: on était commandé par un civil, une grande figure de l'antifascisme. Grâce à cela, les gens ont mis des uniformes. C'est donc encore le prestige de Malraux. Il n'était pas là, mais son nom faisait fonctionner cette escadrille. Vous voyez l'importance qu'il avait. On a toujours dit: «C'est un amateur. Il ne sait pas piloter. Et c'est un imbécile.» Malraux ne savait pas piloter un avion, mais je répète qu'il ne savait pas non plus monter sur une bicyclette. Mais cela n'a aucun intérêt. Il savait commander, oui! Il savait parler très clairement aux gens, parce qu'il avait un langage très simple, contrairement à ce que l'on croit. Malraux était un type qui parlait d'une façon compliquée? Ce n'est pas vrai du tout! Il avait une pensée très complexe - c'est tout à fait certain. C'était un génie! C'était un maître de la parole! Mais il parlait très simplement. Nous avions une cantine à l'escadrille, on y mangeait par petites tables. Il y avait ces tables, et il venait et parlait à tous les mécaniciens. Je me rappelle quand je l'ai revu après la guerre (nous avions été séparés
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L'escadrille Malraux en Espagne 1936-1937
par la guerre, et j'étais un peu étonné de son ralliement au Général de Gaulle. Ce n'était pas du tout son genre. À l'cpoque, il était internationaliste). Il a commencé à me dire: «de Gaulle...». Enfin j ' a i compris parce que, en fait, ce que Malraux aimait chez de Gaulle comme chez Lénine comme chez un certain nombre de gens, c'était qu'ils avaient changé le monde par leur seule volonté. Cela le fascinait chez de Gaulle. C'est quelqu'un qui avait changé l'histoire - puisque Malraux était pour l'histoire. «L'homme est ce qu'il fait»: il a trouvé que de Gaulle était quelqu'un d'historique. A cette époque, il était déjà devenu anti-communiste, et moi aussi, on s'est donc bien compris, mais le fait est que Malraux jamais ne fut un vrai communiste, nulle part, à aucun degré, mais qu'en Espagne, il était pour la tactique du Parti communiste, ce qui le fit passer pour un compagnon de route. Nous voilà donc engagés dans cette armée espagnole, avec le titre d'«Escadrille André Malraux». Et quand André Malraux est revenu de l'étranger, on l'a accueilli à l'aéroport avec un camion sur lequel était marqué «Escadrille André Malraux», il ne savait absolument rien. Il fut stupéfait. On le mit devant le fait accompli. Et il accepta. On croit que c'est lui qui a donné son nom à l'escadrille, mais c'est nous qui l'avons fait, parce qu'on voulait se mettre sous le nom d'un grand écrivain et d'un civil, de quelqu'un qui ne représentait pas l'armée justement. C'est cela qu'il faut comprendre, la mentalité de cette unité qui était tout à fait particulière et qui, je crois, constitue une exception totale dans l'histoire militaire de l'humanité. Une unité de combat qui obtint des résultats, en évoluant sans discipline, sans la moindre coercition, sans salle de police - rien du tout, du tout, du tout! A côté des brigades, grosses machines avec tribunaux militaires, où des déserteurs furent fusillés, où il existait toute une organisation communiste politique soviétique, si on peut dire. D'ailleurs, beaucoup de gens des brigades ont essayé de venir chez nous, parce qu'ils se sont aperçus qu'on était la liberté totale. L'escadrille Malraux, c'était la liberté totale. Je vous montre donc ici comment Malraux fut décisif pour cette escadrille. Il n'a pas seulement conçu, inventé, organisé, commandé, mais même absent, l'escadrille fonctionnait grâce à lui. C'est un exemple énorme dans l'histoire humaine même, si on peut dire. Alors, en pratique, qu'est-ce qu'on faisait? On avait peu de mission, parce que, je vous l'ai dit, on ne disposait que de quelques avions. Il fallait tout le temps les réparer, on remplissait une ou deux missions par semaine. Mais après la bataille de Madrid, il y eut le saillant de Teruel. Je revois toujours, à Valence, sur la place centrale une carte dessinée: «El Fuente 50 km de Valencia.» Notre rôle a été de bombarder ce saillant de Teruel pendant plusieurs mois. Je connais donc très bien la région, j'ai même des photos montrant la gare de Teruel et les bombes que j'ai jetées et qui tombèrent sur les rails. Et j'étais très fier, parce qu'on se promenait avec de petits appareils pour photographier. Nous avons donc participé à cette bataille de Teruel. Et alors vous me dites: «Malraux commandait l'escadrille.» Il l'inspirait, il l'enthousiasmait et tout ce que vous voulez, mais il participait aussi aux raids. Parce que Malraux ne savait rien faire. Même pas piloter - une voiture, même pas une bicyclette - il n'avait aucun sens pratique. Ce qu'il faisait? Il payait de sa personne.
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Dans cet avion, il y avait trois postes de mitrailleurs. Il y avait deux pilotes, trois postes de mitrailleurs, un mécanicien et un bombardier - en l'occurrence moi. Il y avait donc sept hommes là-dedans: deux pilotes, un mécanicien, un bombardier et trois mitrailleurs - un mitrailleur devant, un dans la cuve, et un derrière. Pour apprendre à tirer la mitrailleuse, il fallait deux heures d'entraînement. Malraux avait fait l'entraînement comme tout le monde, et il prenait souvent le poste de mitrailleur. Ce poste était très chargé, très demandé, parce que tous ces mécaniciens qui étaient venus pour réparer les avions voulaient pouvoir dire qu'ils avaient participé à la guerre d'Espagne. De sorte qu'ils venaient comme mitrailleurs, puisqu'on pouvait apprendre en deux heures à être mitrailleur. Ce poste était très recherché. Et quand Malraux n'avait pas de poste de mitrailleur, il laissait les autres. Il venait dans l'avion avec nous. Simplement pour être là. Simplement pour partager le danger, parce qu'on n'avait pas tellement de chasseurs sur le saillant de Teruel, mais on disposait d'une défense anti-aérienne très efficace qui nous attendait chaque fois qu'on arrivait. Et c'était la grande bagarre à ce moment-là. Je ne sais pas si vous êtes déjà monté dans un avion lors de «turbulences», comme on dit maintenant, sauf que les turbulences sont des balles qu'on vous jette dessus. Là, ce n'est plus drôle. Je me rappelle très bien: chaque fois qu'on approchait de Teruel, c'était la danse dans l'avion, parce que les schrapmlles éclataient tout près, et ça faisait des trous. Et l'avion ne faisait que danser. C'était la période assez dangereuse. Je me rappelle qu'on est devenu vraiment amis quand on a parlé de Nietzsche. On avait donc ce lien-là. Mais j'ai eu des dialogues avec André Malraux - «Vous pouvez me dire...» «Je vais vous dire oui» - comme on dit, ce sont des dialogues muets. Ce sont les plus profonds que j'ai eus. De là naquit cette amitié qui dura jusqu'à sa mort, parce que nous nous vîmes jusqu'à la fin. André Malraux montait dans l'avion pendant les bombardements; il venait avec nous sans aucun rôle sauf celui d'être là, pour montrer: «Je suis avec vous.» Il exposait sa vie, comme les autres, et il aurait voulu être présent dans l'accident qu'il y eut dans la Sierra et qui inspira le scénario du film L'Espoir. Il devait y participer, mais son avion s'était écrasé au départ, au décollage. De sorte qu'il n'y était pas. Mais il aurait dû y être aussi, sur les raids de Teruel. Or, moi, j'étais bombardier. Vous savez ce que c'est qu'un bombardier? C'est quelqu'un qui doit viser pour savoir à quel moment on doit jeter les bombes. Parce qu'on portait un certain nombre de bombes. Le mécanicien déclenchait une manette, les bombes tombaient - mais à quel moment les jeter? Parce que pour jeter une bombe d'un avion, il faut calculer la vitesse acquise de l'avion, la dérive, le vent etc. Il y a toutes sortes de calculs; je vous dis que c'était avec un bout de ficelle, ce qu'on appelle «les ABAC», et c'était moi qui faisais ce calcul. J'avais tout de même appris ça dans l'armée belge, et c'était donc moi qui donnais le signal du lancement des bombes. Et ces bombes touchaient souvent leurs cibles; c'était d'ailleurs assez sûr comme calcul. Mais qu'est-ce que je faisais ensuite? Je n'avais plus rien à faire. Une fois que les bombes avaient été jetées, je me levais et me mettais debout sur une des parois de l'avion. Et Malraux aussi. Parce que les mitrailleurs devaient rester à leur poste; les pilotes, à leur poste. Mais Malraux et moi, on n'avait rien à faire, on devenait des passagers. Des paquets dans l'avion qui ne servaient à rien, si l'on peut dire. Bon.
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L'escadrille M a l r a u x en Espagne 1936-1937
Je nous revois toujours - c'est un souvenir inoubliable - Malraux et moi, côte à côte, appuyés sur une paroi de la Carlingue, et nous regardions pendant les schrapnelles... Vous savez, ces dialogues-là, cela ne s'oublie pas. Parce qu'on se regardait, on s'encourageait. Sûrement que cela faisait du bien à l'autre de se dire: «Voilà. Est-ce qu'on tient le coup, est-ce qu'on ne tient pas le coup?», parce que ce sont des moments très difficiles à vivre. Eh bien, j'ai eu des dialogues formidables avec André Malraux dans ces moments-là. Et jamais nous ne nous sommes parlé de ces dialogues. Parce que c'était un secret entre nous; on se regardait avec la mort en face. La mort en-dessous, elle nous entourait, on voyait comment on était devant la mort. Ce fut une expérience extraordinaire, existentielle. De sorte que c'était indissoluble entre Malraux et moi d'avoir fait cette expérience, cette espèce de communion. C'est pire que l'amour. C'est tout d'un coup la coïncidence de deux peurs, de deux angoisses, de deux façons de la surmonter. Avec un homme comme Malraux, de sa qualité, c'est incomparable. C'est pour cela que je peux dire que j'ai eu de grands dialogues avec André Malraux, mais je ne peux pas en dire une ligne. Une seule chose: c'était dans le regard. Et vous savez, le regard d'André Malraux, ce n'était pas rien. Nous avons donc eu comme cela cette espèce d'intimité extraordinaire devant la mort. Vous savez que Malraux était fasciné par la mort - moi aussi, naturellement. Parce que nous sommes de ceux qui réfléchissent, tout de même. Et j'ai donc eu un dialogue essentiel avec André Malraux. Nous n'avons jamais parlé entre nous, commenté ces moments, ces dialogues se suffisaient à eux-mêmes. Par contre, quand je le voyais après la guerre (je l'ai vu jusqu'à sa mort) - on allait dîner ensemble - chaque fois Malraux finissait en disant: «Pourquoi nous parlons toujours de l'Espagne?» Parce que, évidemment, on était connu en Espagne. On parlait de cela indirectement. C'était toujours l'Espagne qui revenait. Alors je disais: «Ecoute, parce que c'était notre jeunesse, c'était la belle époque, c'était même une époque exaltante.» Il disait: «Non, non. C'était la dernière guerre d'hommes, la guerre d'Espagne.» C'est vrai, quand on a vu la guerre mondiale, mécanisée... On a vu que aujourd'hui, c'est pire que tout. C'est la guerre électronique. A l'époque, c'était cruel, peut-être, mais c'était vraiment une guerre d'hommes. Ce n'était pas des mécaniques qui s'affrontaient, même si on était en avion. C'était une guerre d'hommes. Et je vous le dis: tout le monde sentait l'angoisse du combat. Je ne veux pas dramatiser parce qu'en fait, la guerre dans l'aviation est une guerre d'aristocrates. On logeait dans des hôtels, on planait deux raids par semaine, et entretemps, on avait la belle vie. Et dans l'avion, on ne voyait pas les gens qu'on combattait. C'était un grand avantage, on bombardait des fourmis. On voyait les fascistes - ce n'était pas des hommes. Quand vous rencontrez l'ennemi, que vous voulez lui enfoncer une baïonnette dans le ventre comme pendant la guerre '14-'18, cela doit être atroce! Mais là, c'était des unités, c'était des ennemis. Donc on bombardait de haut, à 1500 mètres, voire à 2000 mètres: c'était combattre des abstractions. Les fascistes devenaient théoriques, on ne les voyait pas dans les yeux. C'était donc une guerre «d'aristocrates» en quelque sorte, et nous, on avait le bon côté. C'est la vérité de cette escadrille. Je suis donc allé en Espagne. J'aime beaucoup le peuple espagnol, mais je l'ai très peu connu, car j'ai vécu dans des hôtels, dans des avions. Je ne vis pas le peuple espagnol,
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Paul Nothomb
sauf une fois. C'était la dernière mission de l'escadrille. Nous avions déjà très peu d'avions, et Malraux n'était pas là. Il était de nouveau en Amérique pour faire des conférences. Et tout à coup, on apprit la chute de Malaga. C'était en février 1937. Tout à coup - nous étions à Valence - on apprit la chute de Malaga et on s'est aperçu qu'il n'y avait aucune résistance du côté de la République. Aucune résistance! Alors d'urgence, on a dit: «Il faut envoyer les avions.» C'était toujours la ressource. Nous sommes partis dans les deux derniers avions de l'escadrille (j'étais dedans). Je ne sais pas si vous connaissez la côte entre Almeria et Malaga: une route côtière longe la mer, et en même temps de l'autre côté, elle a des rochers, à peu près à la hauteur de Motril. Nous sommes arrivés d'urgence à Alméria le soir depuis Valence. On nous a dit: «Tout de suite, tout de suite, partez bombarder, parce que la colonne avance, l'arme à la bretelle.» Et je suis arrivé le soir, il faisait déjà assez sombre, et j'ai vu ce spectacle étonnant, une foule énorme. C'était tous les gens qui fuyaient Malaga. A pied! Ils votaient avec leurs pieds, comme on disait à ce moment-là. Ils s'en allaient parce que les fascistes étaient entrés. C'était un coup de force de Queipo Llano, entré par surprise à Malaga, sans aucune résistance. Ainsi la foule, la population de Malaga fuyait, poursuivie par les troupes fascistes qui les poussaient comme des chiens. Je me rappelle que quand on est arrivé le soir, j'ai vu cette foule, et puis on a vu les camions, puis les types se promenant à pied, les fascistes. Et j'ai jeté les bombes sur eux. C'était la première résistance qu'ils rencontraient. Je suis rentré à Almeria, et on m'a dit: «Il faut recommencer demain matin.» Seulement le lendemain matin, ils nous attendaient. Parce qu'ils avaient compris qu'il y avait des avions qui allaient rentrer. Alors là, cela a été le massacre, parce que nous sommes arrivés à deux avions, mais on était attendu par une cinquantaine de Fiat au milieu de la Méditerranée. Je vois toujours cette nuée dans le soleil levant, cette nuée de chasseurs Fiat qui nous tombent dessus. Parce que je venais de rebombarder ces troupes. A ce moment-là on décolle, on fait un virage au-dessus de la Méditerranée, on revient en arrière, donc un virage sur l'aile, et on va assez loin dans la mer pour se rattraper le plus vite possible. Et alors ils se sont déchaînés. L'avion est rempli de feu, les moteurs en feu: on a été plus ou moins massacrés. On se trouve encore assez loin de la côte, mais je suis persuadé qu'on est tout près. Tout le monde est sûr qu'on va tomber dans la mer. Et l'avion: les deux moteurs en feu, tout le monde blessé dans l'appareil, le pilote ne tient plus le manche, tout le monde à côté de lui essaie de freiner l'avion, c'est-à-dire de redresser le palonnier, même s'il n'y a plus de moteur. Les moteurs sont arrêtés. Et on voit la mer approcher avec une rapidité folle. Je me remets à mon poste, tout devant, pour regarder où on arrive. Et tout à coup, bon, je suis sûr que je suis mort. Je touche l'eau, tombe dedans, et m'en rappelle: je vois toute ma vie défiler en une seconde. Le fameux film devant la mort: on voit toute sa vie en une seconde. Des gens prétendent que ce n'est pas vrai. Moi, je vous le jure: c'est vrai. En tout cas, en ce qui me concerne. Je l'ai vu. Tous les épisodes marquants de ma courte vie ont défilé devant moi. C'était donc le dernier souvenir - bon, je mourrai. Puis, tout d'un coup, je fis un geste et j'eus la tête hors de la carlingue. Ce fut le miracle absolu, on me l'expliquera après: l'avion, tellement tiré sur le manche, avait abordé sous
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L'escadrille Malraux en E s p a g n e 1936-1937
une lande très faible la surface de l'eau, avait fait un énorme ricochet puis était allé se vomir près de la côte. Juste sur la plage devant! Parce que plus loin, on s'écrasait contre les rochers, vu qu'il y avait la route, la mer et les rochers tout de suite après. Vraiment, cela a été un miracle! Un hasard absolument imprévisible, que l'avion soit venu juste sur le bord de mer. La plage! Et je vis défiler les gens sur la route. Les réfugiés qui précédaient la colonne! Et quand je sortis (parce que j'étais un des seuls à avoir un uniforme avec des bottes que j'avais amenées de l'armée belge, et comme j'ai un air nordique), ils ont cru que j'étais allemand. Et ils ont cru que c'était des avions fascistes. Et ils se sont mis à foutre le camp. Les gens, me voyant, se dirent: «Qu'est-ce que c'est que cet assassin?» Bon. On les a calmés, et ils ont continué. Mais enfin, c'était une drôle d'impression. Toujours est-il, ce jour-là, nous avions comme second pilote - c'était vraiment symbolique de l'escadrille - quelqu'un qui venait d'Indonésie. C'était un métisse indonésien-hollandais, avec lequel je correspondais un peu, parce qu'il parlait flamand et aussi belge. Il était arrivé la veille à l'escadrille, et y mourut le lendemain. Donc en un jour de la guerre d'Espagne, il s'était fait tuer, venant d'Indonésie. Vous vous rendez compte! Ça, c'était l'escadrille internationale. C'est le seul qui a été tué, mais tout le monde était blessé dans l'avion. On était tous plus ou moins éclopés: moi, j'avais pris une balle dans le pied (d'ailleurs vous voyez que je marche encore très mal, c'est en partie dû à ça, si bien que je ne peux pas faire un pas sans me souvenir de l'Espagne). J'ai été opéré à Malaga le soir même (d'ailleurs, l'hôpital fonctionnait). Puis on nous a renvoyés à Valence, puis en France finalement, dans une clinique parisienne. Et là s'est terminée mon aventure espagnole, faute d'avions d'ailleurs. Cela a été le dernier reste de l'escadrille, car nos derniers avions furent abattus et l'escadrille prit fin faute d'avions. Pas faute de combattants - il y en avait encore, mais à moitié amochés, parce qu'on a eu pas mal de pertes - mais faute d'avions. A ce moment-là, je revis Malraux. Il vint me voir à l'hôpital à Paris. Il m ' a fait raconter toute cette histoire de Malaga, et cela forme le dernier ou l'avant-dernier chapitre de L'Espoir. Voilà la fin de mon aventure espagnole. Ça se situe en février - j'ai été abattu le 11 février 1937. Après avoir passé plusieurs semaines et même plusieurs mois à l'hôpital, je suis rentré en Belgique où j'ai milité.
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Témoignage et terreur: Bernanos, Malraux et la guerre civile d'Espagne
Joseph Jurt On a souvent caractérisé la génération des écrivains des années 1930 par leur engagement, par leur volonté de s'affronter au monde alors que la génération antérieure s'éprouvait comme assez peu rattachée au monde. Cet engagement se manifestait cependant chez Bernanos et Malraux bien avant la grande mutation de 1930. Bernanos luttait dès avant la Première Guerre mondiale dans les rangs de l'Action française, nourrissant le (vain) espoir qu'un Maurras renverse par un «coup de force» la République bourgeoise. Malraux, imprégné par un vif sentiment d'humiliation, sentiment encore aiguisé par l'absurdité du procès de Pnom-Penh, devait s'engager dès 1925 dans une lutte menée en commun avec des Asiatiques opprimés. Il prenait ainsi conscience «qu'un ensemble d'hommes n'était pas la somme des individus qui le composaient mais un élément nouveau qui les dépasse». 1 [/engagement des deux écrivains devait trouver son temps fort lors de la guerre civile d'Espagne. Cet événement bouleversait la conscience des intellectuels plus encore que la Première Guerre mondiale. 3 Car on l'a considérée comme une «guerre juste» (on pense immédiatement à Garcia: «Il y a des guerres justes [...] - la nôtre en ce moment»', - comme le sont le plus souvent, aux yeux des intellectuels, les guerres civiles dépourvues de la vulgarité évidente des conflits internationaux. 4 Ce conflit a été de toute façon pour Malraux aussi bien que pour Bernanos un événement décisif. L'auteur des Grands cimetières sous la lune dira que «cette expérience d'Espagne a été peut-être l'événement capital de [sa] vie».' Pour Malraux aussi la guerre d'Espagne représente, selon Paul Nothomb «un moment unique dans sa vie». 0 Il n'est donc pas sans intérêt de comparer ces deux témoignages: L'Espoir et Les Grands cimetières sous la lune. Mais, objectera-t-on, comment rapprocher un roman d'un récit polémique? Nous ne pensons pas que le statut des deux ouvrages soit radicalement différent; car ce qui caractérise l'écrit de combat de Bernanos, c'est la bipolarité entre les éléments spéculatifs et les éléments narratifs, ces
1
Clara Malraux: Le Bruit de nos pas. Ill: Les Combats
'
D'après Frederick R. Benson: Schriftsteller
et les jeux,
Paris, Grasset, 1969,p. 158.
in Waffen. Die Literatur und der
Spanische
Bürgerkrieg, Zürich, Atlantis, 1969, p. 9. ! André Malraux: Romans, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1969, p. 766. 1 Selon une remarque de Hugh Thomas: The Spanish Civil War, London, Eyre et Spottiswood, 1961. p. 616.
«Notice autobiographique». En: Bulletin de la Société des Amis de Georges Bernanos, n° 48, Nocl, 1962, p. 2. " Julien Segnaire [pseud. de Paul Nothomb]: «L'Escadre
André Malraux».
En:
Magazine
littéraire. n° 1 I, oct. 1967, p. 18.
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derniers occupant même une place prépondérante dans le livre.' Or le roman de Malraux ne relève pas non pus de la pure fiction. Il participe aussi de la chronique 8 et du discours conceptuel. L'un et l'autre des deux ouvrages se fondent sur le vécu, l'éprouvé, de sorte qu'on a pu parler de reportage, comme le pensait par exemple Emmanuel Mounier. Ce dernier ne manquait pas de rapprocher les deux ouvrages, dès leur parution, dans une formule qui va à l'essentiel: Dans la mesure où Malraux, à travers ses romans a donné des lettres de noblesse au journalisme en créant le reportage héroïque où tous les hommes, tous leurs gestes, tous les événements sont mesurés à leur grandeur dans le combat, Bernanos inaugure le reportage de la charité, où les hommes, leurs gestes, les événements sont uniquement jaugés en référence à leur capacité de malheur et à leur capacité d'amour.'
Certes, l'expérience qui a fondé les deux livres n'a pas été la même. Bernanos s'était installé dès octobre 1934 aux Baléares. L'écrivain qui n'oubliait pas de rappeler la lointaine origine espagnole de sa famille paternelle s'était pris à aimer la «chère vieille Espagne, [ce] cher pays» 10 et notamment le peuple des Baléares. Il sympathise avec la Phalange - qui lui semblait animée par « un violent sentiment de justice sociale»" dans laquelle son fils s'est engagé activement. Voyant d'abord dans l'insurrection des généraux rebelles au Maroc (18 juillet 1936) l'ébauche de cette Révolution nationale que la lâche droite française n'avait jamais osé entreprendre, il écrit en juillet 1936: «Avouez que j'ai eu raison de ne pas aller villégiaturer en France? Pour une fois que je vois des militaires assez culottés pour faire une 'Revolución', ça serait difficile de les lâcher.»12 Et en effet, il reste à Majorque, et c'est par solidarité avec le peuple des Baléares qu'il aime. A l'opposé des étrangers paniques qui se bousculent pour fuir l'île, lui et sa famille ne se sentent pas «capables de lâcher des amis dans le péril»". L'écrivain entend aussi rester témoin d'un événement historique capital. «[...] l'auteur de la Grande Peur [confie-t-il en août 1936 à M. Vallery-Radot] ne peut perdre cette occasion de prendre quelque expérience personnelle des révolutions de droite et de gauche. Expérience assez
' Nous ne pouvons que renvoyer à l'excellente étude de Denis Guenoun: «Les fonctions narratives dans Les Grands cimetières sous la lune». En: Bernanos. Centre culturel de Cerisy-la Salle: 10 au 19 juillet 1969, Paris, Pion, 1972, p. 441-53: «La pensée de Bernanos, même à son degré de plus grande abstraction, procède par des mécanismes de récit» (p. 450). C'est pourquoi un biographe se référa aisément à L'Espoir pour décrire l'action de Malraux en * Espagne: «C'est sept mois de combats et de débats, tout indique que le mythomane, pris cette fois dans un bloc d'action réelle comme filon dans son rocher, les a évoqués avec une surprenante fidélité [...]. Si prudent qu'incite à être le précédent chinois, on se gardera de parler d'une 'Espagne rêvée'.» (Jean Lacouture: André Malraux. Une vie dans te siècle, Paris, Seuil, 1973, p. 229). ' Emmanuel Mounier: «Georges Bernanos, Les grands cimetières sous la lune». En: Esprit, 1" juin 1938. p. 437. 10 Georges Bernanos: Correspondance II, Paris, Pion, 1971, p. 148. " Georges Bernanos: Essais et écrits de combat, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1971. p. 409. 12 Georges Bernanos: Correspondance II, op. cit., p. 148. " Ibid., p. 146.
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Témoignage et terreur: Bernanos, Malraux et la guerre civile d'Espagne
amère, d'ailleurs! J'espère écrire un jour ce que je pense, et conclure.» 14 Pour le moment il livre ses réflexions sur l'Espagne dans une série d'articles publiés dans l'hebdomadaire catholique Sept (de juin 1936 à février 1937). Entre-temps le conflit fratricide avait pris un tour que l'écrivain n'avait pas prévu; désormais il ne pourra plus interpréter, comme il le faisait encore en août 1936, l'insurrection des généraux comme l'expression de la fidélité à une «tradition immémoriale» de l'Espagne, «qui est d'assurer avant tout, son unité morale et religieuse, au besoin par le fer et par le feu»." Majorque était tombé aux mains des insurgés immédiatement après le pronunciamiento. À la mi-août 1936 une attaque des républicains à Manacor a été repoussée par les nationalistes, grâce à l'aide d'un corps expéditionnaire italien; à la suite de cet affrontement les forces franquistes massacrèrent brutalement ceux qui ne réussissaient pas à se sauver, ainsi que les soi-disant «suspects» majorquins." Et l'écrivain note dès le 27 août avec indignation: «La répression est [...] terrible et absolument sans merci.»" Assistant de trop près «à une révolution militaire et cléricale», il ne peut retenir le cri de sa conscience: «C'est un spectacle dégoûtant, car il est difficile d'imaginer un mélange aussi paradoxal - explosif - de cynisme et d'hypocrisie...» 18 L'écrivain se refuse à voir dans cette répression un simple incident et dans la guerre civile un épisode quelconque de l'histoire d'Espagne. Il a l'impression d'assister à «une espèce de répétition générale de la Révolution universelle»", ce qui rejoint la réflexion d'un des personnages de L 'Espoir en plein bombardement de Madrid: «Le destin lève son rideau de fumée pour la répétition générale de la prochaine guerre [...].»2° A l'instar de Malraux - qui considère les combats qu'il a vécus comme le début de «la guerre civile mondiale» 21 , Bernanos interprète l'affrontement en Espagne comme le prélude d'un conflit plus étendu. La Terreur annonce, à ses yeux, des atrocités systématiques dont le dernier mobile n'est rien d'autre que le nihilisme:
N
Ibid., p. 149. " Ibid., p. 151. "' «Il faudra bien qu'un jour les rives de Majorque me soient ouvertes. On verra tôt ou tard que j'ai dit vrai. Nul de ces gens-là n'a songé d'ailleurs à mettre mon témoignage en doute», écrira Bernanos en juillet 1939 dans sa Correspondance (op. cit., p. 258). La réfutation qu'a tenté le P. José Marzo, supérieur des Jésuites à Majorque, est plutôt une confirmation des ignobles faits dénoncés par Bernanos. Le Père écrivait notamment: «Lors du débarquement des rouges à Manacor, on fusilla de nombreuses personnes dans cette localité, mais nullement parce que suspectes 'aux Italiens', mais bien aux Espagnols, aux Majorquins et, je précise, aux propres habitants de Manacor. Et si 'suspectes' elles étaient, c'est qu'on les savait directement en union avec ceux qui venaient de débarquer. Aussi le colonel Ramos - un Espagnol, non un Italien - avait-il fait procéder à une nécessaire opération de nettoyage dans la nuit du 16 au 17 août 1936. Ce n'était aussi bien là qu'une élémentaire mesure de l'instinct de conservation [...]. Avec 6000 rouges à peu de distance et des partisans de ceux-ci dans la localité, qui ne jugera qu'une telle mesure se justifiait? On était en guerre.» (Occident, 25 nov. 1938). Belles justifications, mon Père! " Georges Bernanos: Correspondance II, op. cit., p. 152. 18 Ibid, p. 170. '" Ibid., p. 153. 30 André Malraux: Romans, op. cit., p. 755. 21 Expression employée lors d'une intervention à New York en 1937. Citée par Jean Lacouture, op. cit., p. 25!.
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De plus en plus clairement [écrit-il en janvier 1937] cette guerre civile m'apparaît comme le premier d ' u n e longue suite d'événements s'engendrant les uns les autres jusqu'au dernier, j u s q u ' à la catastrophe qui nous donnerait le mot de l'énigme, si elle était prévisible ou seulement concevable. Certains crimes ne sont dans la vie des hommes rien de plus qu'une simple conjoncture tragique dont le caractère irréparable masque à peine l'insignifiance. [...] Mais il est des crimes essentiels, marqués du signe de la fatalité. La guerre d'Espagne est de ceux-là. [...] Les massacres qui se préparent un peu partout en Europe risquent de n'avoir pas de fin, parce qu'ils n'ont pas de but. Ce sont des manifestations du désespoir. De ces antiques guerres de religion auxquelles nous nous trouvons parfois tentés de les comparer, ils ne garderont que l'apparence. On ne se battra pas pour une foi, mais par rage de l'avoir perdue, d'avoir perdu toute noble raison de vivre, et dans le frénétique espoir d'anéantir, avec l'adversaire, le principe même du mal dont on aura oublié la cause."
Et l'écrivain ajoute dans cet article que «les rares lecteurs curieux de connaître [s]es conclusions sur les affaires d'Espagne devront attendre [s]on prochain livre».21 Ce livre sera Les Grands cimetières sous la lune que Bernanos a commencé à rédiger dès janvier 1937 à Majorque et qui devait paraître fin avril 1938. Le violent réquisitoire contre la terreur majorquaise et la «croisade» franquiste qu'est ce livre n'obéit pas à des mobiles idéologiques. Bernanos est resté marqué par sa formation de droite. S'il a rompu avec Maurras en 1932, il n'a pas pour autant rejoint les rangs de la gauche. Hostile à l'ordre bourgeois et au libéralisme économique autant qu'à l'optimisme de gauche et encore davantage au collectivisme, il reste un défenseur fervent de la liberté.24 «Anarchiste de droite» 2 ' dira non sans raison Jacques Chabot. S'il s'était décidé à s'ériger contre le camp auquel allaient initialement ses sympathies, c'est qu'il voyait certaines valeurs, qui lui étaient chères, compromises. 26 Sa réaction est celle de la «déception», de la «tristesse», de la «pitié», de la «honte». 27 Et l'écrivain précise: «Si j'avais vécu là-bas dans l'intimité d'hommes de gauche, il est probable que leur manière de protester eût déclenché en moi certains réflexes de partisan [...].» Son livre s'adresse aux gens de droite dont il dénonce l'imposture; la gauche et son héroïque combat pour les pauvres et les humiliés (qu'il n'avait pas eu l'occasion de voir à Majorque) n'apparaissent guère à l'horizon de son œuvre. L'expérience espagnole d'André Malraux est tout autre. Immédiatement après le pronunciamiento il était parti pour Madrid interrompant sa Psychologie de l'art. Homme d'action, il désire s'engager d'une manière efficace. Devant la supériorité écrasante des forces terrestres des insurgés, l'entrée en action d'une aviation s'était révélée une nécessité stratégique de premier ordre. Aidé par Pierre Cot, ministre de l'air
22
Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 1447. Ihid. u «Démocrate né républicain, h o m m e de gauche non plus q u ' h o m m e de droite que voulez vous que j e sois? Je suis chrétien», avait-il écrit dans l'hebdomadaire Marianne, le 17 avril 1935. 2S Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 1411. 2,1 «Il est dur de regarder s ' a v i l i r sous ses yeux ce q u ' o n est né pour aimer.» (Ihid , p. 438). 27 ¡bld., p. 437.
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français, l'écrivain peut obtenir, début août 1936, une vingtaine d'appareils, et il constituera immédiatement Y Escadrille Internationale España-, cette unité prendra une part active aux combats - notamment à Medellin, à Teruel et dans la région de Valence - j u s q u ' à la fin février 1937. Les historiens ont souligné les services que Y Escadrille, organisée par Malraux, rendit aux républicains, en particulier dans les premiers mois de la guerre, lorsque l'aviation de bombardement gouvernementale faisait cruellement défaut. Cette expérience au cœur du combat, Malraux la transcrira - de mai à octobre 1937 dans L'Espoir, tout en l'insérant dans un vaste panorama du combat républicain jusqu'à la victoire de Guadalajara et des cruciaux problèmes que pose chaque combat. Le camp adverse n'apparaît qu'à l'horizon comme chez Bernanos. Mis à part un aviateur italien et trois Espagnols prisonniers, l'écrivain ne représente aucun ennemi. Une telle optique ne semblait pas correspondre à l'idéal romanesque d' «objectivité» et de détachement prôné par les critiques des années 1930; un Gabriel Marcel parlait de L 'Espoir comme d'un «roman unilatéral» qui ne serait pas un roman, mais un pamphlet^, reproche qu'on avait également adressé au livre de Bernanos. On a eu pourtant tort de lire L'Espoir comme un livre à thèse. De tous les livres [dit à juste titre Gaëtan Picon], L'Espoir est le plus frémissant de voix désaccordées (et peut-être est-ce pour cela qu'il est le plus grand). [...]. Si différents soientils, Malraux habite tous ses personnages, et c'est à lui-même qu'il s'affronte. En chacun d'eux, il exprime soit la part que, momentanément, il préfère à toute autre, soit une part douloureusement sacrifiée: son choix, ou ses tentations, ses regrets.'"
Cette multiplicité de voix dans L 'Espoir témoigne en fin de compte d'un immense effort de compréhension qui rappelle l'attitude d'un Bernanos qui dit: «J'essaie de comprendre.»' 1 Ce qui motive le plus profondément le combat de Malraux et de ses héros c'est la défense de valeurs universelles." Son livre est celui de la communion fraternelle, un monument à la mémoire de tous ceux qui se sont battus pour ces valeurs. Le livre de Bernanos, en revanche, est une dénonciation fulgurante contre tous ceux qui ont avili et compromis des valeurs les plus sacrées, le cri douloureux d'un homme qui n'attaque pas de l'extérieur, mais se sent lui-même concerné par les méfaits franquistes et qui en souffre. Il convient de ne pas oublier cette différence fondamentale quand on compare L'Espoir avec Les Grands cimetières sous la lune. Y a-t-il même un terrain
:s
Cf. Pierre Broué, Emile Temine: La Révolution et la Guerre d'Espagne, Paris, Minuit, 1961, p. 348, et Walter G. Langlois: «Aux sources de L'Espoir: Malraux et le début de la guerre civile en Espagne». En: AM2, p. 93-131. L •Europe nouvelle, févr. 1938. p. 1421. '" Gaëtan Picon: Malraux par lui-même, Paris, Seuil, 1953, p. 35. 51 Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 371. J: «En combattant avec les Républicains et les communistes espagnols, nous défendions des valeurs que nous tenions (que je tiens) pour 'universelles'.» Note 33 de Malraux dans Gaëtan Picon, op .cit., p. 90.
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d ' e n t e n t e e n t r e le l i v r e d e l ' o b s e r v a t e u r d e la M a j o r q u e f r a n q u i s t e et c e l u i d u c o m b a t t a n t d u front r é p u b l i c a i n ? L a d é n o n c i a t i o n d e la terreur f r a n q u i s t e o c c u p e , o n le sait, u n e p l a c e c e n t r a l e d a n s le livre d e B e r n a n o s . C e t t e r é p r e s s i o n n e p o u v a i t n u l l e m e n t p a s s e r p o u r u n e v e n g e a n c e ; e l l e avait u n c a r a c t è r e s y s t é m a t i q u e et p r é m é d i t é . «On tuait en Espagne», direz-vous. Cent trente-cinq assassinats politiques du mois de mars au mois de juillet 1936. Soit. La terreur de droite a donc pu y garder le caractère d'une revanche, même féroce, même aveugle, même étendue aux innocents, des criminels et de leurs complices. En l'absence d'actes criminels, il n ' a pu s'agir, à Majorque, que d'une épuration préventive, une systématique extermination des suspects. La plupart des condamnations légales portées par les tribunaux militaires majorquins - je parlerai ailleurs des exécutions sommaires bien plus nombreuses - n'ont sanctionné que le crime de desaffecciôn al movimiento Salvador - désaffection au mouvement sauveur - , se traduisant par des paroles ou même par des gestes." Dans une seconde
phase
les bourreaux
franquistes exécutaient
préventivement
les
«suspects»: [...] hommes ou femmes [qui] échappaient i la loi martiale faute du moindre délit matériel susceptible d'être retenu par un Conseil de guerre. On commença donc à les relâcher par groupes, selon leur lieu d'origine. À mi-chemin, on vidait la cargaison dans le fossé. [...]. Au début de mars 1937, après sept mois de guerre civile, on comptait trois mille de ces assassinats. Sept mois font deux cent dix jours, soit quinze exécutions par jour en moyenne. Je me permets de rappeler que la petite île peut être facilement traversée en deux heures de bout en bout.'"1 C e n e s o n t p a s s e u l e m e n t c e s f a i t s i g n o b l e s qui i n d i g n e n t l ' é c r i v a i n m a i s surtout c e t t e atmosphère
de
guerre
civile
qui,
assourdissant
les
consciences,
aboutissait
à
l ' i n d i f f é r e n c e totale: Un égal fatalisme réconciliait dans le même hébétement les victimes et les bourreaux. Oui, la guerre civile ne m ' a fait vraiment peur que le jour où je me suis aperçu que j'en respirais, presque à mon insu, sans haut-le-cœur, l'air fade et sanglant."
" "
Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 4 l 7 s q . Ibid., p. 437. Ibid. Simone Weil a relevé cette même indifférence coupable qui banalise le meurtre en niant son scandale dans les rangs anarchistes: «[...] je n'ai jamais vu personne exprimer même dans l'intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l'égard du sang inutilement versé. [...] Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d ' â m e qu'il me faut bien croire exceptionnelle, puisque j e ne l'ai rencontrée nulle part. J'ai rencontré en revanche des Français paisibles [...] qui n'auraient pas eu l'idée d'aller eux-mêmes tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir.» S'adressant à Georges Bernanos, S. Weil dit ensuite: «[...] je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l'atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté.» (Simone Weil, Lettre à Georges Bernanos, citée d'après Georges Bernanos: Correspondance II, op. cil., p. 203).
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T é m o i g n a g e et terreur: Bernanos, Malraux et la guerre civile d ' E s p a g n e
Malraux ne passe pas non plus sous silence la terreur franquiste. Il se réfère, dans son roman, ainsi que Koestler dans Spanish Testament, à un document adressé aux officiers supérieurs rebelles. Ce texte prouve le caractère préventif et systématique de la répression exercée par les insurgés: « P o u r o c c u p e r le hinterland il est indispensable d ' i n s p i r e r à la population une certaine horreur salutaire. U n e règle s ' i m p o s e : impressionnants.
tous
les
moyens
employés
doivent
être
spectaculaires
et
Tout endroit se trouvant sur la ligne de retraite de l ' e n n e m i et, d ' u n e façon générale, tout endroit situé derrière le front e n n e m i doit être considéré c o m m e zone d ' a t t a q u e . À ce sujet il ne saurait y avoir de d i f f é r e n c e selon que les localités hébergent ou non des t r o u p e s e n n e m i e s . La panique régnant parmi la population civile qui se trouve sur la ligne de retraite de l ' e n n e m i contribue g r a n d e m e n t à la démoralisation des troupes. [...] Plus notre attitude sera rigoureuse, plus l'écrasement de toute résistance de la population sera rapide, plus sera proche le triomphe de la rénovation de l ' E s p a g n e . » ' 6
Et Garcia ajoute qu'il trouve ces instructions tout à fait dans la logique du fascisme: «[...] la terreur fait partie des moyens employés systématiquement, techniquement, par les rebelles, depuis le premier jour [...].»" Plus encore que par le discours conceptuel, le romancier suggère la terreur semée par l'aviation franquiste dans la population madrilène - et notamment dans les «quartiers les plus pauvres, spécialement visés depuis le début du siège»" - par des notations auditives très concrètes. D'une part le silence «qui n'est pas celui de la campagne» 3 ', le silence d'attente et d'affût qui pèse sur la ville, «l'étrange silence de la guerre [qui] tremble comme un train qui change de rails»; et d'autre part les bruits de «la nuit pleine de cris assourdis, de bruits de course, de détonations, d'appels étouffés»'10, le «chahut des bombes, des avions, des canons lointains et des sirènes »4I, les éclats d'obus, les cloches des ambulances, cris et hurlements des blessés; bruits qui suggèrent le harcèlement de l'homme par des bêtes sauvages («la meute des sirènes folles» 42 ) tandis que les animaux eux-mêmes sont victimes des assauts barbares: le hurlement «absurde, dérisoire, exaspérant» 41 de chiens abandonnés et des moutons sans bergers crée une atmosphère de «désolation de fin de monde». 44 Toute l'absurdité de ces bombardements qui frappent la
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A n d r é Malraux: Romans, Ibid, p. 749. Ibid., p. 723. Ibid, p. 724. Ibid, p. m .
op. cit., p. 748sq.
41
Ibid, p. 722. Ibid., p. 723. 45 Ibid., p. 761. 44 On a souvent relevé l'opposition du bruit et du silence comme une des structures fondamentales de l'imaginaire nialnicien; mais il ne nous semble pas qu'on puisse interpréter d'une façon univoque ces notations auditives. Le silence de la campagne et le silence de la guerre n'ont pas les mêmes connotations: les sirènes ne signifient pas non plus toujours l'absurde. On se rappellera la scène du début où «toutes ces sirènes, lancées
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population civile sans merci perce à travers une scène comme celle-ci: «Un matin, dans la cour de la pouponnière de la Plaza del Progrès, trois gosses jouaient à la guerre [...] 'Une bombe! dit l'un. Couchés!' C'est une vraie bombe. Les autres gosses, qui ne jouaient pas à la guerre, restés debout, sont tués ou blessés... Et les atrocités républicaines? répliquera-t-on. Déjà en 1938 la critique de droite a soulevé le silence de Malraux sur les excès des loyalistes. Un André Rousseaux, peu indulgent à l'égard de l'auteur de L'Espoir, écrit qu'un Bernanos - par la publication des Grands cimetières sous la lune - court des risques «à l'abri desquels a su se mettre M. André Malraux, par exemple, quand celui-ci s'est tu savamment sur les crimes de sa révolution»."6 On retrouve ce même reproche, sous une forme plus modérée, dans un commentaire de L'Espoir. Pol Gaillard déplore que Malraux n'ait pas donné leur importance réelle aux massacres commis par certains républicains. «Malraux, son livre paraissant en pleine guerre, s'est montré d'une discrétion extrême; il a préféré se passer, pour sa thèse sur la nécessité absolue d'une armée disciplinée, d'un argument terrible qui pouvait nuire à la République.».'" Lors d'une rencontre des deux écrivains en 1937, Bernanos aussi avait désiré que Malraux «lui fournisse la réplique républicaine des atrocités franquistes! - 'Je lui ai répondu [rapporte Malraux] qu'il y avait sûrement eu des atrocités, mais qu'étant au front, je n'en avais jamais vu.' Après une brève hésitation, il décida de s'en passer.».48 Quand on parle des «silences» de Malraux on ne devrait pourtant pas perdre de vue certaines nuances: a) Qu'il y ait eu des atrocités du côté républicain, nul ne le contestera. Simone Weil, par exemple, disait à Bernanos avoir eu une expérience qui répondait à la sienne: À Barcelone, on tuait en moyenne, sous formes d'expéditions punitives, une cinquantaine d'hommes par nuit. C'était proportionnellement beaucoup moins qu'à Majorque, puisque Barcelone est une ville de près d'un million d'habitants [...]. Mais les chiffres ne sont peutêtre pas l'essentiel en pareille matière.
Simone Weil avait précisé cependant: «Je n'ai rien vu ni entendu, je dois le dire, qui atteigne tout à fait l'ignominie de certaines des histoires que vous racontez [...].»"' Il y eut une différence de degré entre les atrocités républicaines et la terreur franquiste. Les premières ont été, selon Koestler, des explosions de colère sporadiques et spontanées d'éléments indisciplinés; les crimes commis dans la zone nationaliste faisaient, par contre, partie d'une campagne de terreur systématique approuvée par les autorités militaires. Un Mauriac aussi déclarait qu'on ne pouvait comparer les troubles d'une
ensemble, perdaient leur son lugubre de bateaux en partance pour devenir l'appareillage d'une flotte en révolte» {Ibid, p. 448). 45 Ibid., p. 745. 4 " Le Figaro, 14 avril 1938. 47 Poi Gaillard: André Malraux: L'Espoir. Analyse critique, Paris, Hatier, 1970, p. 59. 48 Roger Stephane: Chaque homme est lié au monde, Vol. Il: Fin d'une jeunesse, Paris, La Table Ronde, 1954, p. 48. 49 Cité dans Georges Bernanos: Correspondances II, op. cil., p. 201sq.
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révolution ou d'une résistance populaire aux «scientifiques» bombardements de Guernica ou de Barcelone.™ b) On n'oubliera non plus que Malraux est, en premier lieu, un esprit affirmatif. «'Le contre n'existe pas', aime-t-il à dire [...]. Et il répugne à introduire, à l'intérieur du monde humain, une représentation négative, comme si tout ce qui participe de l'homme possédait à ses yeux une grandeur.»" Il est pour l'union antifasciste et garde également le silence («non sans peine probablement», précise Pol Gaillard") sur les procès de Moscou, afin de ne pas compromettre cette union. De même, il avait conseillé à Gide de ne pas publier tout de suite son Retour de l'U.R.S.S.. Mais ce n'est pas par obéissance aux consignes d'un parti que Malraux taisait les excès de son camp, comme Bernanos semblait le supposer quand il évoquait sa rencontre avec l'auteur de L'Espoir en 1937: Malraux me félicita de ce qu'il appelait «ma sincérité inflexible». «Mais pardon, Malraux», lui dis-je, «avez-vous fait comme moi?» «Ce n'est pas la même chose», me répondit-il. «Vous êtes chrétien, vous agissez en chrétien. Pour moi, je suis communiste, je n'écrirais jamais un mot qui puisse porter le moindre préjudice au parti.»"
Paul Nothomb devait noter que les propos que Bernanos cite de mémoire, huit ans plus tard et en plus dans un article contre «l'inquisition communiste», ne lui semblent pas complets. Il précise: À un certain moment Bernanos demanda à Malraux comment il pouvait supporter les mensonges de L'Humanité. Malraux répondit: «Je ne serai jamais aussi embêté que vous en lisant la presse de droite parce que, quand même derrière L'Humanité il y a la misère, il y a la classe ouvrière.» 5 ' 1
Et c'est cette solidarité avec ses frères de combat qui détermine, en fin de compte, l'attitude de Malraux. On se rappelle les propos d'un Scali qui n'estime pas ses camarades anarchistes capables des crimes qu'on leur impute: «[...] les hommes ne croient pas sans peine à l'abjection de ceux avec qui ils combattent.»" Témoignage de solidarité aussi, cet admirable mot qu'on lit un peu plus loin: «L'amitié, [...] ce n'est pas d'être avec ses amis quand ils ont raison, c'est d'être avec eux même quand ils ont tort...»56
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Propos rapportés par Georges Altman dans La Lumière, 20 mai 1938. Cf. Gaétan Picon, op. cit., p. 30 et 49. Pol Gaillard, op. cit., p. 70. En 1937 Malraux déclara lors d'un dîner offert en son honneur par le journal The Nation que «pas plus que l'Inquisition n'a atteint la dignité fondamentale du christianisme, les procès de Moscou n'ont diminué la dignité fondamentale du communisme» (Jean Lacouture, op. cit., p. 219). 55 Georges Bernanos: Le chemin de la Croix-des-Ames, Paris, Gallimard, 1948, p. 486. 54 Communication personnelle de Paul Nothomb. André Malraux: Romans, op. cit., p. 552. 56 Ibid., p. 567. 51
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Ce qui rendait l'épuration franquiste particulièrement odieuse c'est sa «justification» religieuse, l'approbation par le clergé. Lors des exécutions de Manacor, l'évêque de Palma délégua, écrit Bernanos, «un de ses prêtres qui, les souliers dans le sang, distribuait les absolutions entre deux décharges»." L'évêque était informé de ces faits infâmes: «Il ne s'en est pas moins montré, chaque fois qu'il a pu, aux côtés de ces exécuteurs dont quelques-uns avaient notoirement sur les mains la brève agonie d'une centaine d'hommes.» 58 Par son attitude le clergé non seulement n'a pas su empêcher ces exécutions, il les a même, par son silence, encouragées. Bernanos n'hésite pas à dire que «la Terreur aurait depuis longtemps épuisé sa force si la complicité plus ou moins avouée, ou même consciente, des prêtres et des fidèles n'avait finalement réussi à lui donner un caractère religieux»." Si l'écrivain s'indigne contre celui qu'il nomme «l'ignoble évêque de Majorque» 6 " et son clergé qui tolèrent l'épuration, c'est en tant que chrétien qui aime son Église: «Le scandale qui me vient d'elle m ' a blessé au vif de l'âme, à la racine même de l'espérance.»" Car en baptisant une insurrection contrcrévolutionnaire «croisade» l'épiscopat espagnol a trahi les valeurs de l'Évangile. Le principe même de «croisade» - imposer la foi par le fer et le feu - est contraire à l'essence même du christianisme: «[...] pour pratiquer librement ma foi, selon l'esprit de l'Évangile - excusez-moi - il n'est pas seulement nécessaire de me permettre de la pratiquer, il faut encore ne pas m'y contraindre. On ne saurait aimer Dieu sous la menace.»" Recenser les fidèles qui avaient fait les Pâques, comme le faisait le clergé majorquin en pleine Terreur, ne pouvait relever que du chantage scandaleux; et l'écrivain n'hésite pas à rendre hommage à ceux qui gardaient «à leur insu, dans les veines, assez de sang chrétien pour ressentir l'injure faite à leur conscience» et qui répondaient non à «ces sommations insolentes»." Bernanos, le chrétien, voit sa place plutôt parmi ces réfractaires, aux côtés des «filles perdues, des Samaritains, des publicains, des larrons et des adultères» 64 que parmi des gens d'Église qui font cause commune avec les classes dirigeantes, beaucoup plus préoccupées de leurs biens que de leur foi. Tel est aussi le reproche qu'adressent les paysans de L'Espoir à l'Église: c'est d' «avoir toujours soutenu les seigneurs, approuvé la répression qui suivit la révolte des Asturies, approuvé la spoliation des Catalans». 6 ' Eux aussi réprouvent profondément la complicité du clergé avec les exécuteurs; on ne leur pardonne pas «d'avoir indiqué aux fascistes, dans les villages conquis, les noms de ceux qui 'pensaient mal', n'ignorant pas qu'ils les
Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 422. Ibid, p. 469. Ibid., p. 425. Georges Bernanos: Correspondance II, op. cit., p. 170. Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 426. Ibid, p. 501. Ibid, p. 444. Ibid., p. 531. André Malraux: Romans, op. cit., p. 528
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faisaient fusiller»."" Ce qu'il y a de plus dégoûtant chez les gens d'Eglise, remarque Puig, c'est qu'ils avaient enseigné aux ouvriers à accepter la répression et, cela «au nom de l'amour»! 67 Cette accusation répond à celle des paysans, rencontrés par Manuel et Ximénès, qui reprochent à l'Église d'avoir «enseigné sans cesse aux pauvres la soumission devant l'injustice, alors qu'elle prêchait aujourd'hui la guerre sainte contre eux».68 Et Puig conclut: «Des églises où on a approuvé les trente mille arrestations, les tortures et le reste, qu'elles brûlent, c'est bien.» 6 ' Si les anarchistes de Barcelone et les paysans de la Castille détruisaient les églises, c'est qu'ils sentaient inconsciemment que des valeurs authentiques avaient été profanées par les prédicateurs afin de servir les intérêts de l'ordre établi: «[...] plus une cause est grande, plus elle offre un grand asile à l'hypocrisie et au mensonge...» 70 L'ancien moine de L 'Espoir ne voit pas le Christ parmi les prédicateurs, mais dans «la communauté des pauvres et des humiliés». 71 Et l'auteur de L Espoir fait dire au chrétien Guernico qu'il faut prendre la défense des valeurs chrétiennes contre une Église qui les a trahies: L,a charilé, mais ce ne sont pas les prêtres navarrais qui laissent fusiller en l'honneur de la Vierge [...]. L'F.glise d'Espagne, mais, contre elle, j e suis appuyé sur ma foi tout entière... Je suis contre elle [...] dans la Foi. dans l'Espérance, et dans la Charité."
La Foi. c'est un don qu'on ne saurait imposer; l'Espérance, ce n'est pas la promesse d'un paradis qui incite à la résignation: I.'espérance (dit Guernico], mais ce n'est pas un monde qui trouvera sa raison d'être à faire adorer de nouveau c o m m e un fétiche ce crucifix de Séville qu'ils ont appelé Le Christ des riches [...]; ce n'est pas mettre le sens du monde dans un empire espagnol, dans un ordre où l'on n'entend plus rien parce que ceux qui souffrent se cachent pour p l e u r e r ? "
De telles paroles sonnent comme un écho aux Grands cimetières sous la lune, où est dit que «Leurs Seigneuries» n'ont «jamais prêché que la résignation, l'acceptation, l'obéissance au pouvoir établi». 7 ' Mais l'ordre que cette Église défend n'a rien à voir avec la liberté évangélique: «Vos Seigneuries ont parfaitement défini les conditions de l'Ordre Chrétien. Et même à vous lire [lance Bernanos aux évêques], on comprend très bien que les pauvres gens deviennent communistes.» 75 La pauvreté est en effet, avec l'esprit d'enfance, une des valeurs clés des Grands cimetières sous la lune. Non que Bernanos prêche un misérabilisme désuet. La
Ibid., Ibid., Ibid. Ibid., Ibid.. Ibid., Ibid., Ibid.
p. p. p. p. p. p. p.
582. 460. 582. 460. 581. 585. 695.
Georges Bernanos: Essais, up. eil., p. 494. Ibid. p. 484.
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valorisation de la pauvreté, c'est chez lui le refus d' «une société qui ne connaît plus guère entre les êtres que les rapports d'argent». 76 C'est un défi radical à l'idéologie capitaliste dominante qui cherche à intégrer le prolétaire dans son système de valeurs en le faisant rougir de sa pauvreté. Cela équivaut à la reconnaissance de la richesse comme valeur suprême: «II ne s'agit pas d'enrichir le pauvre, il s'agit de l'honorer, ou plutôt de lui rendre l'honneur. Le fort ni le faible ne peuvent évidemment vivre sans honneur, mais le faible a plus besoin d'honneur qu'un autre.»77 Honorer le pauvre, c'est lui rendre sa dignité - tel est l'enjeu et le sens du combat des héros dans L'Espoir. Interrogé sur les raisons de son choix en faveur des rouges, le vieux vigneron Barca les exprime au mieux: Pour tout dire, voilà: je autour. [...] Et voilà ce c'est pas l'égalité. Ils connerie d'inscription fraternité. 78
veux pas qu'on me dédaigne. [...] Ça, c'est la chose. Le reste, c'est que je peux te dire: le contraire de ça, l'humiliation, comme il dit, ont compris quand même quelque chose, les Français, avec leur sur les mairies: parce que, le contraire d'être vexé, c'est la
II y a peu de mots qui reviennent si souvent dans les pages de L'Espoir que celui de fraternité, la fraternité qui permet de dépasser l'isolement et d'accéder à «des domaines auxquels [les hommes] n'accéderaient pas seuls». 7 ' La fraternité ne trouve pas la même place dans Les Grands cimetières sous la lune. Sans avoir des attaches avec des camarades unis dans le combat antifasciste, Bernanos honore «le mouvement de solidarité qui porte les ouvriers français vers les copains d'Espagne dans le malheur». 80 L'idéal de solidarité universelle qui a dicté des œuvres comme L'Espoir et Pour qui sonne le glas est, en fin de compte, un avatar d'une idcc fondamentale du christianisme (mais obscurcie par une conception individualiste du salut), celle de la communion des saints dans la vie et dans la mort. Cette idée sous-tend non seulement Les Grands cimetières sous la lune81 mais toute l'œuvre de Bernanos, du Journal d'un curé de campagne - où le curé d'Ambricourt évoque et vit cette «solidarité qui nous lie les uns aux autres, dans le bien et dans le mal»82 - jusqu'aux Dialogues des Carmélites où Constance dit: «On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, où même les uns à la place des autres [...].»" La dignité humaine et la communauté fraternelle sont, me semble-t-il, les valeurs fondamentales de L 'Espoir: discipline et organisation ne sont que les moyens en vue de
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Ibid., p. 364. Ibid, p. 374. 78 André Malraux: Romans, op. cit., p. 513sq. " Ibid, p. 705. 80 Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 556. 81 Cf. le sermon de l'agnostique qui s'adresse aux chrétiens en disant: «11 me semble que ce don de la foi qui vous est départi, loin de vous émanciper vous lie à eux par des liens plus étroits que ceux du sang et de la race. Vous êtes le sel de la terre.» (Ibid., p. 513). 8: Georges Bernanos: Œuvres romanesques, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade). 1961, p. 1159. 81 Ibid., p. 1613. 77
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ce but. Si l'on ne va pas jusqu'à prétendre que tout le livre assigna «à la discipline une valeur [...] primordiale au nom de l'efficacité et de la victoire», justifiant «à partir de cette conception le sacrifice de toutes les valeurs immédiates»", il n'est pas moins vrai que Malraux valorise par la voix de Garcia et l'évolution de Manuel l'efficacité comme critère de jugement. C'est aux forces d'organisation plutôt qu'aux forces idéologiques'qu'est attribué le rôle primordial: Il n'y a de pensée politique que dans la comparaison d'une chose concrète avec une autre chose concrète, d'une possibilité avec une autre possibilité. Les nôtres, ou Franco - une organisation ou une autre organisation - pas une organisation contre un désir, un rêve ou une apocalypse.®6
Dans l'intérêt d'une organisation disciplinée un Manuel doit se plier aux «instructions formelles du Parti [...] quelles qu'elles soient».87 La primauté de la discipline implique des compromis et des compromissions, ce que ne sauraient admettre les socialistes et les anarchistes du livre. C'est ainsi le conflit insoluble entre l'éthique et la politique qui frémit à travers les pages de L'Espoir. Mais même les apôtres de l'efficacité obéissent inconsciemment à des impulsions éthiques. Garcia, le marxiste, est soucieux de ne pas « tenter la bête en l'homme», et Manuel, commandant les soldats, entend faire appel à «la meilleure part d'eux-mêmes». 88 Garcia formule le problème dans toute sa portée quand il dit: «On ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n'en fait pas davantage sans.»8'' L'action est manichéenne et nous force à nous salir les mains. Le manichéisme de l'action n'est pourtant pas proposé comme un idéal: elle se révèle une fatalité tragique imposée par la nécessité de l'histoire, ici par l'agression fasciste. Bernanos à son tour partagerait plutôt le refus de tout compromis propre aux anarchistes; leur devise «tout ou rien» se retrouve à plusieurs reprises dans ses écrits. Les anarchistes lui semblent aussi éloignés «d'une conception de la vie sociale qui sacrifie la personne humaine à l'État»" 0 que les groupes requêtes qui lui sont chers. Les propos du Négus: «[...] pas d'armée pour en finir avec l'armée, pas d'inégalité pour en finir avec l'inégalité, pas de combines avec les bourgeois.»" ont une résonance tout à fait bernanosienne; les impératifs éthiques sont pour lui des absolus, en politique aussi. Selon lui, seule une politique informée par l'éthique mérite d'être appelée une politique d'honneur. Le Monde a tout ce qu'il lui faut [écrit-il dans Les Grands cimetières sous la lune], et il ne jouit de rien parce qu'il manque d'honneur. Le Monde a perdu l'estime de soi. Or, aucun
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Lucien Goldmann: Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1965, p. 217. ' André Malraux: Romans, op. cit., p. 531: «Mussolini se fout, en soi, d'instituer ou non le fascisme en Espagne; les problèmes moraux sont une question, la politique étrangère en est une autre.» " Ibid.p. 614. 87 Ibid.p. 573. 88 Ibid.p. 659. s " Ibid.p. 611. ',0 Georges Bernanos: Correspondance II, op. cit., p. 152. 01 André Malraux: Romans, op. cit., p. 602sq.
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Joseph Jurt homme sensé n'aura jamais l'idée saugrenue d'apprendre les lois de l'honneur chez Nicolas Machiavel ou Lénine. [...] L'honneur est un absolu. Qu'a-t-il de commun avec les docteurs du Relatif?' 2
Cette affirmation de valeurs éthiques comme critères de la vie politique n'a rien perdu de son actualité. Et ce n'est pas un hasard, si, au cours d'un débat sur la torture, un critique a rappelé l'exigence bernanosienne d'une «politique de l'honneur» à une époque où l'on s'est «progressivement converti, à gauche comme à droite, à une morale de l'efficacité».'" Malgré la différence de leurs origines politiques et de leurs expériences espagnoles, Bernanos et Malraux nous ont donné avec L'Espoir et Les Grands cimetières sous la lune deux œuvres dont la vision du monde offre de nombreux points communs. Un Aragon n'avait pas tort de mettre en valeur ce qui unit les deux écrivains, à savoir le dépassement de leurs idéologies respectives (aristocratique pour l'un, esthétique pour l'autre) dans un commun amour du peuple: L'esprit d'aristocratie de Georges Bernanos devant ce massacre du peuple tient-il plus que cette conception esthétique de la vie de André Malraux, disant que le seul peuple qui vaille d'être sauvé est le peuple des statues? La réalité emporte ces hommes et les idées qu'ils portaient en eux, vers une confiance en l'homme qui est chez Malraux affermie par la création de l'armée républicaine sous l'impulsion des communistes espagnols comme une conséquence logique de l'idéologie qu'ils professent. Bien qu'il n'en soit point là, il faut souligner chez Bernanos, aristocrate ennemi de la société bourgeoise, cette façon qu'il a en toute occasion, de parler du peuple, et particulièrement du peuple en France.'' 1
Il était naturel que la signature de Bernanos se trouvât à côté de celle de Malraux dans le célèbre «Manifeste des Treize» rendu public en même temps que L'Espoir et Les Grands cimetières sous la lune. Par ce manifeste, des écrivains connus «décidaient de faire taire tout esprit de querelle et d'offrir à la nation un exemple de leur fraternité». Cette fraternité par-dessus les différences idéologiques devait bientôt se réaliser dans la Résistance qui unissait Malraux, chef de la brigade Alsace-Lorraine, et Bernanos engagé dès 1940 pour la France libre. L'auteur de L'Espoir gardera toujours son estime pour Bernanos. Dans ses entretiens avec Roger Stéphane il parlera avec beaucoup de considération des écrits de guerre de Bernanos, Bernanos qui est à ses yeux «un des hommes qui ait le plus de charité» qu'il connaisse.' 6 Cette estime était réciproque. Nous savons de Gaétan Picon que l'auteur des Grands cimetières sous la lune s'intéressait
>2 Georges Bernanos: Essais, op. cit., p. 4 I 6 . "' Jacques Julliard dans Le Nouvel Observateur, 20 mars 1972. Ce n'est pas un hasard non plus si on a pu - pour condamner la terreur qui s'abat sur le peuple chilien - se référer au réquisitoire de Bernanos contre les prédécesseurs de Pinochet en Espagne: «C'est le temps des assassins. Les assassins du peuple car, comme l'écrivait Bernanos, au moment des massacres de la guerre d'Espagne, il y a bien une bourgeoisie de gauche et une bourgeoisie de droite, il n'y a pas de peuple de gauche ou de peuple de droite, il n'y a qu'un peuple (Les grands cimetières sous la lune).» (Jacques Thibau: «Le Putsch et l'information». En: Le Monde. 18 septembre 1973). " Europe, 15 juillet 1938, p. 404.
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Ce soir, 3 mars I938. Roger Stéphane, op. cit., p. 47.
Témoignage et terreur: Bernanos, Malraux et la guerre civile d'Espagne
vivement à Malraux dont il parla souvent: «Le reste de la littérature contemporaine était, à ses yeux, comme inexistant.»" Bernanos sera, par ailleurs, un des rares écrivains français contemporains mentionnés dans les Antimémoires. Dans Les Chênes qu'on ubat... Malraux se rappellera de nouveau l'auteur du Journal d'un curé de campagne: «Je revois le visage de Bernanos quand je lui ai dit des camps d'extermination: 'Satan a reparu sur le monde.'» 98 Bernanos restera pour Malraux l'homme qui aura posé les graves problèmes du Mal et de la Mort, problèmes qui le hantent lui aussi. On ne s'étonnera pas que, des écrivains français de sa génération, Malraux admire entre tous Bernanos «auquel il se crut lié par un lien profond au-delà de la mort».'"
07 08
oo
Georges Bernanos: Œuvres romanesques, op. cit., p. xi. André Malraux: Les Chênes qu 'on abat..., Paris, Gallimard, 1971, p. 58. Jean Lacouture, op. cit., p. 417.
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Paul Nothomb, 'último' piloto de la guerra española
Declaraciones
recogidas por Joseph
Jurt'
Paul Nothomb, nacido en Bruselas poco antes de la Primera Guerra Mundial en el seno de una familia que desempeñaba un papel político no desdeñable en Bélgica, ingresó en el partido comunista apenas salir de la academia militar. Con 22 años se alistó como aviador en la guerra civil española en la escuadrilla de André Malraux. Malraux le tomó como modelo para el personaje de Attignies en L'Espoir, que simboliza por su comunismo austero el «lazo profundo, psicológico, que unía a los mejores comunistas a su partido». Paul Nothomb participó en la Resistencia durante la Segunda Guerra Mundial; fue hecho prisionero y torturado por la Gestapo. Tras su ruptura con el partido comunista, se instaló en Francia y publicó ente 1948 y 1960 cinco novelas, en las editoriales Gallimard y Julliard. Después, encontró una nueva orientación consagrándose al estudio de la lengua hebrea, primero en el Instituto de Lenguas Orientales y después en la Sorbona, donde en 1979 a la edad legal de jubilación- defendió su tesis de lingüística sobre los diálogos de la Biblia, para dedicarse posteriormente a enseñar hebreo moderno en la Universidad de París. Pudimos dialogar con Paul Nothomb, quien, por su participación en los acontecimientos importantes del siglo y su itinerario original, es un importante testigo de nuestra historia. «-¿Sabe usted quién es mi padre, camarada Magnin? -Sí, precisamente por eso... Lo que Attignies (se trataba de un seudónimo) creía un secreto era sabido en toda la escuadrilla: su padre era uno de los jefes fascistas de su país.» 2 En estos términos traspone Malraux en L 'Espoir una conversación con Paul Nothomb. En la opinión de este último, se trata de una dramatización típica del novelista. «De hecho, mi padre era un hombre de derechas. Era partidario de Franco. No era fascista. Como, en un momento dado, tenía un papel político en Bélgica, nuestra oposición acerca de la guerra civil española saltó a la opinión pública. [...] En ese momento, cuando me enteré de la guerra en España, tenía ganas de ir allí. Ya había visto a Malraux una vez en Bruselas, en fin... le había visto de lejos, porque acababa de dar una conferencia en un congreso sobre el naciente Frente Popular. No sabía en absoluto que estuviera en España. Le encontré en Madrid. Fue un magnífico golpe de suerte. He tenido mucha mala suerte en mi vida, pero también buena.» Después de unirse a la escuadrilla de Malraux, el joven aviador - q u e sólo contaba 22 años- entró inmediatamente en relación con el escritor tras de una conversación sobre Nietzsche.
' Publicado en El Pals, 15 de diciembre de 1990. La entrevista tuvo lugar el 21 de agosto 1990 a Saint-Germain-en-Laye. Traducción: El País.] André Malraux: L'Espoir. Paris, Gallimard, 1972, p. 163.
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Paul Nothoinb
«Con 17 años», escribe Nothomb en su ensayo autobiográfico, «había elegido el marxismo a través de Nietzsche y la ruptura con mi medio».3 Puede resultar extraño que sea Nietzsche el que le sirviera de intermediario hacia el marxismo. «Malraux dijo que había dos clases de marxismo», precisa Nothomb. «Los hombres de acción y los teóricos. Yo no era un teórico: veía en el marxismo una especie de forma global de rechazar la sociedad que no me gustaba. Era el marxismo en su forma leninista, es decir, esta especie de carácter voluntarista y casi militar de la revolución que partía al asalto del orden antiguo. Nietzsche era importante en el camino hacia el marxismo, porque había destruido un montón de cosas, toda clase de ficción religiosa, toda la ideología burguesa; exaltaba al individuo; exaltaba sobre todo la libertad, el cuestionarse todo. Nietzsche y el marxismo eran un poco lo mismo. Era cuestionarse esta especie de comodidad, de conformismo burgués en el que yo había sido educado.» Sabiendo que Malraux veía sobre todo el lado lírico de las cosas, puede uno preguntarse cuál era el papel militar real de la escuadrilla que dirigía.
Voluntarios «No fue decisivo», estima Nothomb, «pero desempeñó un papel importante al principio, cuando realmente no había nada que oponer a los ejércitos fascistas, salvo voluntarios sin ningún tipo de entrenamiento. La fuerza de la aviación, aunque sólo fueran unos pocos aviones, unas pocas bombas, fue suficiente para hacer más lento el avance sobre Madrid de las columnas de la Legión, del Tercio. Y después, lógicamente, desempeñó un cierto papel psicológico e incluso estratégico. No fue enorme, pero, en fin, mientras se organizaba un ejército eran necesarias al mismo tiempo fuerzas que retrasaran el avance enemigo; si no, Franco habría tomado toda España en 15 días. Creo que el papel de la aviación era significativo.» Paul Nothomb era «comisario político» de la escuadrilla y, como miembro del partido, se suponía que representaba la ortodoxia comunista; no faltaban las discusiones a propósito de ello con el autor de La condition humaine. «Malraux me desengañó bastante a propósito de la ortodoxia comunista, pero, por otra parte, él quería trabajar con los comunistas porque eran los únicos que se comportaban de modo serio durante la guerra, es decir, los únicos que estaban organizados y constituían una fuerza para resistir a los fascistas. Y yo mismo era un niño pequeño. Me habría guardado mucho de dar lecciones a Malraux, aunque en mi fuero interno me decía: es un compañero de viaje. Sirve al partido, luego, hay que ayudarle al máximo. Es cierto que fue el primero que me abrió un poco los ojos acerca de los procesos de Moscú, etcétera. Puede, pues, decirse que comencé a dudar seriamente de mi fe comunista después de mi contacto con él.
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Paul Nothomb: «Autobiographie d'une découverte». En: (el mismo): Les tuniques Paris, La Différence, 1990, p. 206sq.
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d'aveugle,
Paul Nothoinb, ' ú l t i m o ' piloto de la guerra española
Malraux no era estalinista, simplemente decía que estaba del lado de Stalin contra Trotski en la guerra civil española, porque Trotski quería hacer la revolución en España antes que la guerra, mientras que era necesario hacer primero la guerra, como decía Stalin, y después la revolución.» Lo que choca actualmente es el elevado número de intelectuales europeos que tomaron partido por la causa de la República Española en la guerra civil y que, comprometiéndose con el socialismo, creyeron contribuir a un mundo mejor. ¿No es necesario, a la luz de los acontecimientos ocurridos recientemente en los países del Este, reexaminar el idealismo de este compromiso de los intelectuales?
Ferocidad «Se decía entonces que era todavía la guerra pura, la auténtica guerra revolucionaria. Pero en realidad esto ya se había dejado atrás. En mi opinión, la causa por la que luchamos estaba justificada únicamente por la ferocidad del fascismo, pero la causa que oponíamos al fascismo podía ser tan feroz como éste. Esto es evidente, es un fracaso trágico, una terrible tragedia. Entonces, dejando a un lado a las personas y los valores que las movían entonces, en ocasiones muy elevados, esta causa se ha revelado actualmente como un fraude completo, y en último término como una tragedia. Ha sido la última gran mentira, la última gran ideología. No es en absoluto un panorama divertido decirse que bajo el pretexto del idealismo se puede llegar a situaciones horrorosas.» Cuando Bélgica fue ocupada por los alemanes, Paul Nothomb se incorporó a la Resistencia. En 1943 cayó en las manos de la policía nazi, siendo sometido a la tortura experiencia crucial, evocada tras la guerra en el libro El delirio lógico-.* ¿Cómo puede ayudar en un momento así una convicción ideológica? «En el momento, la ideología se muestra como nula; no tiene ninguna clase de importancia. Es precisamente en esos momentos cuando las ideologías no tienen ningún valor. Quizá una fe religiosa pueda tenerlo, no sé. Pero, en todo caso, yo no tenía una fe marxista religiosa que me permitiera llegar, por decirlo de algún modo, a la abnegación. Además, ni siquiera se trata de eso. Se trataba simplemente de saber si se es capaz de resistir a la tortura, eso es todo. Yo creo que nadie ha resistido nunca realmente a la tortura, salvo que los torturadores no conocieran su trabajo. Cuando me detuvieron, estaba completamente dispuesto a resistir, con una insolencia tal frente a los tipos aquellos... Estaba totalmente lleno de orgullo, y después, en un par de horas, me habían reducido completamente. Da miedo. Cuando uno ha vivido algo así, está uno marcado.»
Paul Nothomb: Le délire logique,
Paris, Gallimard, 1948.
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Paul Nothomb
Proceso «Después de la guerra, en general, en todas las redes de la Resistencia nadie exigió explicaciones a las personas que habían hablado bajo tortura. Los comunistas, en cambio, tenían razón. Me sometieron a un proceso. Me arrastraron por el fango. Me llamaron de todo. Fui condenado y posteriormente rehabilitado. Dijeron que era un burgués, un fascista por naturaleza. Hasta cierto punto esto me vino bien, porque cuando uno está comprometido con el partido comunista, incluso aunque la ideología ya no funcione del todo, está uno metido en un engranaje tal que sólo es posible salir entre sangre y lágrimas. No se sale por un desacuerdo intelectual, diciendo: mira, no estoy de acuerdo y dimito. Esto no existe. Es como una Iglesia: o te excomulgan o te conviertes en un renegado o un hereje.» Después de la guerra, Paul Nothomb se instaló en Francia, comenzó a trabajar en una oficina y publicó con el seudónimo de Julien Segnaire varias novelas. Mientras estaba en Gallimard, recibía un montón de libros, entre ellos, en los años cincuenta, el diario de Kierkegaard. El encuentro fue decisivo: en Kierkegaard encontró un acento de autenticidad semejante al de Nietzsche. Precisamente a través de Kierkegaard descubrió la Biblia, que comenzó a estudiar muy de cerca en el texto hebreo. A través de la polisemia de la lengua hebraica la Biblia ofrece, en opinión de Paul Nothomb, una formidable lección de libertad. Lo que vio sobre todo en los primeros capítulos del Génesis, para los que ha propuesto nuevas interpretaciones, es la oposición entre la condición humana y la naturaleza del hombre. «Es lo que he llamado la epistemología del deseo, es decir, que nuestros deseos son medios de conocimiento. Debemos fiarnos de lo que deseamos. Deseamos lo que somos. No podemos desear nada que esté fuera de nuestra propia naturaleza.»
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Unamuno et Bergamín dans L'Espoir de André Malraux
Michaël de
Saint-Cheron
Si c'est un grand honneur, dont je remercie mon ami Joseph Jurt et Mercedes Figueras, que de parler à un colloque autour de la Guerre d'Espagne, c'en est un plus grand encore que d'être en présence, dans cette Université de Fribourg, de Paul Nothomb, le dernier survivant de Y Escadrille España. Le premier combat militaire de Malraux fut la Guerre d'Espagne. Son dernier combat pour la liberté fut celui pour le Bengale libre en 1971. Entre 1936 et 1971, c'est toute une vie au service de la fraternité humaine à travers la fécondité des valeurs et des œuvres que la création humaine oppose à la Création, qu'André Malraux nous lègue en héritage pour peu que nous sachions quoi en faire. Malraux, Unamuno et Bergamín, trois rencontres en une, telle est la problématique à laquelle nous devons faire face. Problématique car de ces trois rencontres dans n'importe quel sens que nous les considérions, une au moins n'eut jamais lieu dans la réalité de l'histoire. Elle eut du moins lieu dans la fécondité de l'œuvre qu'est devenue L'Espoir, mais avant cela, elle prit corps dans cette autre rencontre, qui, elle, fut bien réelle, celle avec José Bergamín. Parler de la rencontre Unamuno-Malraux, mais plus précisément encore MalrauxUnamuno, c'est de toute façon parler de Bergamín, ce grand artiste de La Decadencia del analfabetismo (1933), du birlibirloque ou encore de ces Fronteras infernales de la poesía (1959), «qui représenta le catholicisme dans les rangs des révolutionnaires espagnols», l'un des paradoxes de plus de cet homme fascinant, que j'ai eu l'honneur de connaître à partir de 1977. Unamuno, Malraux, Bergamín, font partie de cette race d'écrivains qui furent de véritables «intellectuels engagés», des opposants au conformisme ambiant. Pour autant, le réveil politique de l'écrivain et philosophe majeur de la «generación del 98», ne se fit qu'en 1923, à cinquante-neuf ans, au moment du Coup d'Etat de Primo de Rivera, sous le règne d'Alphonse XIII. Ennemi des dictatures, de quelque côté qu'elles soient, Miguel de Unamuno s'opposa à celle-ci dans sa célèbre conférence de 1923, à Bilbao. La réponse ne se fit pas attendre. En février 24, il est arrêté puis déporté aux Canaries, où il est placé en résidence surveillée dans l'île de Fuerteventura. Il s'en évada grâce au directeur d'un journal français, Le Quotidien, et parvint à gagner Paris à l'été de cette même année. Ces mois parisiens, malgré la liberté recouvrée, ne furent pas particulièrement agréables à l'écrivain exilé, qui avait «mal à l'Espagne». Unamuno quitta donc la capitale française au cours de l'année 1925 pour Hendaye, frontalière avec l'Espagne. A la chute de la dictature, en 1930, il traversa le pont international d'Irún, sous les acclamations de la foule venue l'accueillir, comme le rapporte notre regretté confrère François Trécourt, à qui nous devons la remarquable édition critique et
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Michaêl de Saint-Cheron
historique de L'Espoir dans la Bibliothèque de la Pléiade, et à laquelle nous nous référons abondamment.' En cette année 1930, il retrouva sa chaire à l'université de Salamanque, dont il avait été nommé recteur une première fois en 1900, avant d'être nommé «recteur à vie» en 1934, à l'heure de prendre sa retraite. De même qu'il fut nommé deux fois recteur, il sera deux fois destitué, comme nous le verrons, en 1936. En 1931, Unamuno proclama la République du balcon de l'Hôtel de Ville de Salamanque, Plaza Mayor, et fut nommé député aux Cortes constituantes. Cinq ans plus tard, la Guerre civile sonne le glas de la fragile République restaurée. Ce fut donc en cette année 1936, que la destinée d'Unamuno rencontra, sans qu'il le sût, le destin d'André Malraux, qui venait d'épouser la cause de la République espagnole, alors que le grand écrivain, recteur de Salamanque, était encore à chercher la sienne, d'abord du côté des phalangistes avant de s'apercevoir que leur voie aboutissait à un fascisme. Pour avoir, à ses prémices, prouvé quelque allégeance aux phalangistes, ce fut le président de la République Azafia qui, le premier, destitua don Miguel de sa charge de recteur - mais destitution sans grand effet, puisque Salamanque était entre leurs mains. Mais le 12 octobre suivant, à l'occasion du dia de la Raza («jour de la Race»), Miguel de Unamuno était pour la dernière fois présent dans le grand amphithéâtre de l'université. Celui en qui Malraux vit un peu vite le «défenseur illustre» du fascisme, s'était au contraire levé contre ses représentants, qui lui faisaient face. Certes, il n'eut pas le grand honneur d'être fusillé comme Federico Garcia Lorca mais n'en fut pas moins destitué par Franco de son titre de «recteur à vie», et cela, Malraux le rapporte bien dans les dernières lignes du chap. VIII, ainsi que dans l'un des états du manuscrit du chapitre IX, sans juger utile, cette fois, de le répéter dans la version définitive. Ouvrons ici L'Espoir en sa IIe partie, «Sang de gauche». Voici donc ce chapitre IX, intégralement consacré à Unamuno, auquel Malraux revient au chapitre XII. La toute fin du chap. VIII marque bien l'entrée en scène du «plus grand écrivain espagnol». Le chap. IX évoque tout d'abord l'exil intérieur d'Unamuno dans la petite chambre de son appartement, au lendemain du 12 octobre, disant: «Je ne sortirai plus d'ici que mort ou condamné». Juste après cette entrée en matière, Malraux évoque et cite à plusieurs reprises la lettre que l'auteur du Sentiment tragique de la vie avait adressée à son ami José Bergamin, le 13 avril 1926, «An III de la tyrannie», alors qu'il était en exil à Hendaye. Relisons ces lignes essentielles en elles-mêmes comme dans le contexte de L'Espoir. I! n'y a pas d'autre justice que la vérité. Et la vérité, disait Sophocle, peut plus que la raison. De même que la vie peut plus que le plaisir et plus que la douleur. Vérité et vie est donc ma devise, et non raison et plaisir. Vivre dans la vérité, même si l'on doit souffrir, plutôt que raisonner dans le plaisir ou être heureux dans la raison... 3
André Malraux: Œuvres Complètes II, Paris, Gallimard, 1996. ¡bld., p. 323. 54
Unamuno et Bergamin dans L'Espoir de André Malraux
C'est là l'une des pensées capitales de l'auteur de L'essence de l'Espagne, qui charrie à travers tout son halo dialectique, une philosophie de l'existence, qui bien qu'elle ne soit pas expressément celle de Malraux, devait trouver en lui plus d'un écho. Que l'on se souvienne de cette solennelle affirmation de son roman: «Tout ce qui a besoin de justice est avec nous»!3 Immédiatement après cette remémoration de cette pensée à la fois majestueuse et sans compromission possible, du philosophe-poète, Malraux en arrive à cette journée du 12 octobre, le cœur brûlant de ces cinq pages, et, qui, fut bien la journée la plus glorieuse qu'ait vécue Unamuno, même si Malraux fait dire à Scali, son personnage italien de L'Espoir, historien d'art, au chap. XII, «Unamuno manquera bien sa mort. Le destin lui avait préparé ici les funérailles dont il avait rêvé toute sa vie ...»" Qu'il eût manqué ses funérailles nationales, sans doute, mais il n'a pas manqué en tout état de cause son rendez-vous avec l'Histoire - ni en 1923, ni en 31, en proclamant la République, ni enfin ce jour-ci. Dans l'amphithéâtre comble, à l'atmosphère survoltée, Miguel de Unamuno présidait la cérémonie, avec, à sa gauche l'évêque de Salamanque et, cela l'agaçait extraordinairement, car il était rebelle à la confusion des pouvoirs, autant que Bergamin pût l'être en des circonstances comparables. D'après les différentes versions des témoins que Malraux consulta, succéda au Pr. Maldonado et à son discours contre les Basques et les Catalans, le général Millân Astray, fondateur du Tercio, qui tint une harangue sur le même sujet dans le pur style manichéen. Miguel de Unamuno ne put contenir longtemps sa colère, bien qu'il ait décidé, en pénétrant dans l'aula, de garder le silence. Il se leva et prononça d'une voix grave et solennelle ces paroles, qui ont traversé le siècle : Vous attendez tous ce que je vais dire. Vous me connaissez et savez que je ne peux garder le silence. Il y a des circonstances où se taire est mentir. Car le silence peut être interprété comme un acquiescement. Je voudrais ajouter quelque chose au discours - si l'on peut ainsi l'appeler - du général Millân Astray. Ne parlons pas de l'affront personnel que m'ont fait ses invectives contre les Basques et les Catalans. Je suis moi-même né à Bilbao. L'évêque qui est à côté de moi, que cela lui plaise ou non, est catalan de Barcelone pour vous enseigner la doctrine de l'Eglise que vous ne voulez pas connaître et moi, qui suis basque, j'ai passé toute ma vie à vous enseigner la langue espagnole à laquelle vous n'entendez rien. Le voilà, le véritable Empire, c'est celui de la langue espagnole, et non. ..'
Est-ce à ce moment-là que Millân Astray coupa la parole au vieux recteur pour haranguer les phalangistes présents dans l'amphithéâtre, qui se mirent à vociférer «Viva la muerte!» Après quelques instants, Unamuno reprit la parole: J'ai entendu tout à l'heure un cri morbide et dénué de sens: Vive la mort! Et moi, qui ai passé ma vie à forger des paradoxes qui ont soulevé l'irritation de ceux qui ne les saisissaient pas. je dois vous dire, en ma qualité d'expert, que ce paradoxe barbare est pour
Ibid., p. 165. Ibid., p. 334. Cf. Pol Gaillard: Profil d'une œuvre - L'Espoir de Malraux, Paris, Hatier, 1970, p. 25. 55
MichaCI de Saint-Cheron moi répugnant... Le général Millân Astray est infirme. Ce que je dis n'est pas discourtois. Cervantes l'était aussi. Malheureusement, il y a aujourd'hui en Espagne beaucoup trop d'infirmes. Et il y en aura encore plus si Dieu ne nous vient pas en aide. Je souffre à la pensée que le général Millân Astray pourrait fixer les bases d'une psychologie de masse. Un infirme qui n ' a pas la grandeur d'âme de Cervantès recherche habituellement son soulagement dans les mutilations qu'il peut faire subir autour de lui... Le général Millân Astray : ¡Mueran los intelectuales .'... / Viva la muerie! Unamuno: Cette Université est le temple de l'intelligence. Vous la profanez par vos paroles. Vous vaincrez parce que vous possédez plus de force brutale qu'il ne vous en faut, mais vous ne convaincrez pas. Car pour convaincre il vous faudrait avoir ce qui vous manque, la raison, et le droit dans la lutte. Je considère comme inutile de vous exhorter à penser à l'Espagne. J'ai terminé.'
La plupart des biographes, sauf Thornberry, ignorent complètement cette rencontre littéraire, textuelle, historique, entre André Malraux et Miguel de Unamuno à travers ces pages et ces faits d'une importance considérable dans le domaine de l'engagement des plus grands intellectuels sur le front du fascisme. Deux personnages de L'Espoir, le docteur Neubourg, médecin de la Croix rouge internationale, poursuit devant Garcia, l'un des intellectuels les plus lucides du roman, ethnologue de son état, les souvenirs de sa dernière rencontre avec le maître exilé, au cours de laquelle Unamuno lui dit son exécration du Président Azana, mais malgré cela il continuait à croire que la République était le seul «moyen de l'unité fédérale de l'Espagne» 7 Et c'est Garcia qui ajoute: Il a voulu serrer la main au fascisme sans s'apercevoir que le fascisme a aussi des pieds, mon bon ami. [...] Il croit à la victoire de Franco, reçoit des journalistes et leur dit: «Ecrivez que, quoi qu'il arrive, je ne serai jamais avec le vainqueur...» 8
Cette parole-là pourrait être l'une des plus nobles devises d'Unamuno, s'érigeant contre son propre camp, celui du catholicisme espagnol et de Franco, qu'il ne considérait pas encore comme fasciste. Elle est la signature par excellence de son refus du fascisme. Comme pouvait l'affirmer François Trécourt: «Jamais Unamuno ne s'est fait le défenseur du fascisme [...] qu'il n'avait cessé de combattre jusqu'alors.»' Et d'ajouter que ce ne fut que le fait du hasard si Unamuno mourut devant un membre de la Phalange, permettant ainsi à celle-ci de confisquer «à son profit les funérailles du grand homme». Revenant à Unamuno deux chapitres plus loin, Malraux en parle soudain différemment. 11 le place au centre du débat entre Scali et Garcia sur les intellectuels dans le combat politique:
Ibid. André Malraux: Œuvres Complètes Ibid Ibid , p. 1527. 56
II, op. cit., p. 325.
Unamuno et Bergamin dans L'Espoir de André Malraux «L'heure où les Walkyries choisissent entre les morts», dit Scali. - Comme Madrid a l'air de dire à Unamuno, avec ce feu: «Qu'est-ce que tu veux que me fasse ta pensée, si tu ne peux pas penser mon drame!...» 1 0
Lorsque soudain, le recteur déchu devient «Miguel contre Franco et hier contre nous» et, à ce titre, l'égal de «Thomas Mann contre Hitler, Gide contre Staline»." Il y a dans L'essence de l'Espagne des pages et plus encore que des pages, toute une problématique sur l'homme - l'homme éternel - dont l'on retrouve l'accent dans Les noyers de l'Altenburg. De tous les romans de Malraux, L'Espoir est le seul dans lequel un chapitre est entièrement consacré à un personnage historique. Même Borodine, dans Les conquérants, ne bénéficie pas d'un traitement littéraire comparable. L'une des pensées fraternelles les plus fortes que les deux écrivains exposent, tient dans une émotion fondamentale face à la vie jusque dans sa faiblesse foncière, dans son humilité même - qui rappelle bien entendu l'épiphanie lévinassienne du visage. Dans L'essence de l'Espagne, Unamuno écrit: «Nous préférons l'art à la vie, alors que la vie la plus obscure et la plus humble vaut infiniment plus que la plus grande œuvre d'art.» 12 C'est là une pensée chrétienne, quasiment péguyste, étrangère à la conception de celui qui disait: «L'art est un anti-destin.» Mais approfondissons un peu. Ce qui est tellement criant, pourquoi le rappeler comme si, précisément, ce n'était pas une évidence? L'histoire très récente de la destruction des Bouddhas de Bamiyan par les Talibans, et l'effet de bombe que cela eut sur les opinions mondiales, alors que depuis quatre ans la femme afghane était réduite à l'état de chose", sans que l'on s'en indignât outre mesure, prouve, prouverait encore, s'il en était besoin, que l'indignation d'Unamuno, vieille de plus d'un siècle, n ' a rien perdu de sa terrible pertinence ni de son actualité. Malgré la différence de problématique avec Malraux, on peut toutefois trouver un écho agnostique et tout simplement humain dans quelques passages de L'Espoir tels que ceux-ci: «Que l'histoire est peu de chose en face de la chair vivante - encore vivante...»", ou, un peu plus loin: «L'art est peu de chose en face de la douleur, et, malheureusement, aucun tableau ne tient en face de taches de sang»." Sont-ce les réflexions personnelles du romancier ou de ses personnages? Sinon, pourquoi reviendrat-il à trois reprises sur la question, et, ici, face à la mort violente, il écrit encore: «Que valent les mots en face d'un corps déchiqueté?» 16 C'est peu de chose de dire que la rencontre Unamuno-Malraux ne fut fondée que par et sur un seul événement - mais quel événement! - de la guerre d'Espagne. Ces deux écrivains, jusque dans leurs différences les plus irréductibles, étaient liés par «le
André Malraux: Œuvres Complètes II, op. cil., p. 333. Ibid. Miguel de Unamuno: L'essence de l'Espagne, Paris, Gallimard, 1965, p. 44. Cf. notre livre La condition humaine et le temps, Paris, Dervy, 2001. André Malraux: Œuvres Complètes II, op. cit., p. 220. ¡bid., p. 274 ¡bid., p. 78. 57
Michail de Saint-Cheron
sentiment tragique de la vie», que traversaient l'esprit de la grandeur humaine et de la démocratie aussi, mais encore, et, plus secrètement sans doute, un certain goût du farfelu, qui touchait chez l'auteur de Saturne, à la question inchoative de toute question: la question de la mort, sur-essentielle chez le philosophe espagnol - auquel l'art ne pouvait suffire, tant son âme était assoiffée, obsédée d'une vie éternelle. Il hurlait dans la solitude désolée de cette vie condamnée: La vie entière, n'est que mensonge s'il n'y en a pas une autre au-delà."
Si le lien Malraux-Unamuno existe en tant que tel, en même temps que dans son rapport à Bergamin, le lien Bergamin-Malraux est, pour sa part, encré dans la fraternité vécue, à partir de 1936. Bergamin sera Guernico dans L'Espoir. Mais nous n'avons rien dit encore du rapport Unamuno-Bergamin. Que fut-il? Cette amitié intellectuelle et humaine résultait des composantes d'une alchimie complexe, comme dans toutes les amitiés vraies - comme dans l'amour. Il importe beaucoup de montrer que l'un des éléments de cette alchimie bergamo-unamunienne ou au contraire unamuno-bergamesque! - est à chercher très près et très loin de l'engagement politique et idéologique de ces deux écrivains-poètes, catholiques et rebelles à tous les pouvoirs - jusqu'à la moelle de leur âme espagnole. Je veux dire, dans la très paradoxale pensée analphabète, dont Unamuno était le «grand maître», au dire de Bergamin, auquel on doit le premier Traité universel de la décadence de l 'analphabétisme." L'un et l'autre étaient, à n'en point douter, les hérauts de l'Église analphabète et poétique, jusque dans la tragédie espagnole. L'un des traits caractéristiques de la pensée politique et théologique d'Unamuno, qui le rapprochait en profondeur, nous l'avons signalé, de Bergamin, était son militantisme en faveur d'une Église qui se limiterait «à son rôle spirituel»." Relisons le dialogue que restitue Malraux entre Garcia et Guernico sur ce sujet: - C'est vrai, que Caballero t'a consulté à propos de la réouverture des églises? -Oui. - Qu'est-ce que tu lui as répondu? - Non, bien entendu. - Qu'il ne fallait pas les rouvrir? - Evidemment. Ça vous étonne, vous, mais ça n'étonne pas les catholiques.
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Le Christ de Vélasquez, IV, 8, Paris, La Différence, 1990. La Délirante n° 7, automne 1979, Paris, pp. 179-195, trad, par Florence Delay. André Malraux: Œuvres Complètes, op. cit.. Notes et variantes, p. 1525.
Unamuno et Bergamin dans L'Espoir de André Malraux [...] Je ne suis pas inquiet, Garcia. L'Église d'Espagne, mais, contre elle, je suis appuyé sur ma foi tout entière... Je suis contre elle au nom des trois vertus théologales, contre elle dans la Foi, dans l'Espérance et dans la Charité. 2 "
L'analyse de Guernico et sa critique du catholicisme espagnol est fort semblable à celles que pouvait établir Bergamin, ainsi que le souligne Robert S. Thornberry dans son inestimable ouvrage André Malraux et l'Espagne." Nous voyons clairement, ici, en quoi le fondateur de la maison d'édition Cruz y Raya était également proche sur cette question de Unamuno. Bergamin-Guernico fut, durant cette époque, à Madrid, responsable du service d'ambulance qu'il s'efforçait de transformer. Il incarne dans L'Espoir, aux côtés de Ximenès, militaire de carrière, ce que le catholicisme espagnol pouvait avoir de plus haut - de plus noble. Le chap. VI de la IIe partie du roman, intitulée «Le Manzanarès» I «Être et faire», Malraux le consacra à l'action et à la personne de Guernico. Garcia ne l'avait pas vu depuis trois semaines. Il disait de lui qu'il était le seul de ses amis chez qui l'intelligence eût pris la forme de la Charité; et, malgré tout ce qui les séparait, peut-être Guernico était-il le seul homme que Garcia aimât vraiment. 22
Quel hommage plus fraternel, Malraux eût-il pu rendre à son ami? Remarquons, par ailleurs, que ce grand chapitre sur Guernico-Bergamin constitue une étrange symétrie avec celui consacré à Unamuno, placé à une centaine de pages d'écart (soixante dans l'édition de la Pléiade). D'un chapitre l'autre, nous sommes au point d'incandescence de L'Espoir, celui où la cendre s'embrase. C'est l'axe métaphysique et paradoxal du roman, en son sens le plus élevé. Mais quel était, dans ce dialogue, l'autre timbre, celui, précisément de Bergamin? Dans un entretien publié dans Commune en 1937, sous le titre «Lettres d'Espagne», le rhapsode de l'analphabétisme, commentait ainsi le discours que son ami prononça à YAteneo de Madrid, le 22 mai 1936: Et bien que sur un large terrain notre pensée soit différente, j'adopte pourtant les paroles de Malraux comme les miennes. [...] Nous pouvons tous tomber d'accord sur la vie, même si nos pensées diffèrent devant la mort. Malraux est proche de nous parce que dans 'l'insuffisance humaine' il cherche et dépasse les limites qui empêchent l'homme de devenir un homme véritable. 2 '
Ce texte paradoxal sur le fond, marque la proximité intellectuelle dans la différence. Mais son paradoxe est de stipuler qu'il y aurait plus de facilité à trouver un accord devant la vie, qu'un accord sur la question de la mort, ou plus précisément, sur celle de
Ibid., p. 266-267. Robert S. Thornberry: André Malraux et l'Espagne, Genève, Librairie Droz, 1977. André Malraux: Œuvres Complètes, op. cit., p. 261. Cité par Robert S. Thornberry, op. cit., p. 92; cf. Commune n°42, février 1937. 59
Michael de Saint-Cheron
l'au-delà de la mort, car sur la mort brute, biologique, si simple, en quoi peut-on s'opposer? On ne s'oppose que sur l'ultime question de l'après - qui est encore seconde par rapport à celle qui demande à la vie le sens de la mort. Beaucoup plus tard, Bergamin confiera que Malraux a compris l'Espagne «mieux qu'aucun écrivain de son temps, comme Théophile Gautier à son époque».2,1 Trio infernal, paradoxal, quasiment emblématique de cette passion politique qui mobilisa tant de grands écrivains, de puissants artistes et penseurs, au cours de cette guerre d'Espagne, dernier acte avant le séisme total qu'allait provoquer, trois ans plus tard, le national-socialisme, en embrasant le monde et l'Europe, dans sa démence destructrice, que cette fulgurante rencontre Unamuno-Malraux-Bergamin entre rêve et réalité! Ils auront, chacun avec son propre charisme, son propre courage, porté leur voix dans cette guerre fratricide, qui opposa F Anti-Espagne, dont Unamuno parlait le 12 octobre 1936 à Salamanque, avec la véritable Espagne de Cervantès, Don Quichotte et Goya, qui sera celle de Picasso. Espagne en chair et en os, celle dont Guernico parle, avec prégnance, lorsqu'il dit: «Deux fois, j'ai vu le peuple d'Espagne. Cette guerre est sa guerre, quoi qu'il arrive.»2' Et dont Malraux, dans son discours des Glières, parlera encore: «Quand vous étiez Espagnols, nous vous appelions l'Èbre, du nom de votre dernière bataille.»26 Transcender l'injustice et le mensonge fasciste, dans le combat et la fraternité, pendant cette guerre d'Espagne, Paul Nothomb, vous qui avez l'honneur d'en être le dernier témoin, ne fut-il pas, ce qui fit dire à Malraux que cette guerre fut pour lui «l'honneur de ma vie, avec la Résistance française»?27
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Jean-Sébastien Tourneur: «Bergamin». En: Cahier pour un temps, Paris, Centre Georges Pompidou, 1989, cité par Olivier Todd: André Malraux, Paris, Gallimard, 2002, p. 362. ' André Malraux: Œuvres Complètes, op. cit.,. p. 263. 26 André Malraux: Oraisons funèbres, Œuvres Complètes III, Paris, Gallimard, 1996, p. 962. 27 Cité par Robert S. Thornberry, op.cit., p. 14. 2
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire?
Gérard
Malgat
Pas moins de neuf interventions ont été consacrées à Max Aub au cours du colloque «Espagne-France: guerre civile, exil et littérature» organisé par le centre d'études sur la France de l'Université Albert-Ludwig de Fribourg. Quelles significations donner à cette forte présence? Suggérons ici deux hypothèses, outre celle liée à cette année 2003, marquée par son centenaire et qui s'annonce particulièrement riche en événements: expositions, colloques, films, adaptations théâtrales sont programmés en Espagne, en France et au Mexique. D'une part sa trajectoire - dans laquelle interviennent ses ascendances familiales - concentre et synthétise l'Histoire de l'Europe du XXe siècle, notamment celle des trois pays auxquels appartiennent les intervenants à ce colloque. Trajectoire emblématique des terrifiants séismes de ce siècle, qui virent à la fois s'opposer les nations et les idéologies jusque dans les ultimes conséquences de leur totalitarisme barbare. D'autre part la forte personnalité de l'homme, la diversité et le foisonnement de son œuvre, constituent une extraordinaire somme de matériaux disponibles pour les chercheurs en littérature mais aussi en histoire ou en sociologie politique... Max Aub nous a légué un témoignage considérable! Cet article se propose de cerner la fidèle amitié qui lia Aub et Malraux à partir de 1936 et la constitution de Y Escadrille Espaha que Paul Nothomb évoque dans d'autres pages de ces actes, jusqu'en 1972, année au cours de laquelle meurt Max Aub. Nous aborderons quatre territoires de complicité, mais parfois aussi de vifs débats, dans et par lesquels s'exprima cette amitié: le cinéma, les arts et la peinture, la politique et, bien sûr, la littérature.
1. Le cinéma 1.1 Fruit de l'engagement
antifasciste:
le tournage de Sierra de Teruel
En ces années 1930 où le cinéma parlant s'impose, Malraux et Aub partagent une attirance commune, une attirance pour le septième art. Ils y voient à la fois un moyen technologique nouveau et un art novateur susceptible de décrire le monde. La remarque d'Oliver Todd dans sa récente biographie de Malraux, peut tout aussi bien s'appliquer à Aub: «Pour leur génération, le cinéma devient une source d'informations condensées et d'émotions durables, une nouvelle technique pour percevoir, décrire, écrire le monde.»' Sitôt la rédaction de son roman achevée, André Malraux songe à l'impact possible d'une adaptation cinématographique de L'Espoir et il fait appel à Max Aub pour le seconder. Celui-ci évoqua à plusieurs reprises la forte expérience que constitua sa collaboration
Olivier Todd: André Malraux tine vie, Pal is, Gallimard, 2001, p. 25.
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Gérard Malgat
avec Malraux. Les lignes qui suivent sont extraites d'une série d'entretiens pour France Culture, réalisés en 1967 par André Camp: Il est rentré dans m o n bureau à Barcelone, où j e dirigeais alors les théâtres espagnols et il m e dit «on va faire L'Espoir». Je lui ai dit «quoi... ?» On va faire L'Espoir. Le livre venait d ' ê t r e publié. [ . . . ] Il pensait en faire un film, d'accord avec le Gouvernement espagnol. On avait à ce moment-là une possibilité phénoménale avec les États-Unis de distribution. Je lui ai dit «Écoute il n ' e n est pas question. Moi, j e peux diriger une pièce de théâtre, c'est ce que j ' a i fait toute m a vie, mais pour ce qui est du cinéma j e n ' e n sais pas un traître mot.» Sur ce il m ' a dit «moi non plus, mais on va faire le film!» Et on a fait le film! Vous pouvez encore le voir maintenant dans une copie puisque malheureusement la gestapo a détruit le négatif en 1940. Mais il en reste tout de m ê m e quelques copies. C ' e s t un film que j ' a i revu il n ' y a pas si longtemps; c'est un film hiératique, primitif, mais d ' u n e assez grande beauté. C'est là que s'est nouée m a très grande amitié et ma très grande admiration pour Malraux. 2
1.2 Le grand regret de Max Aub Arrivé à Mexico, devant subvenir à ses besoins, Max Aub va s'appuyer sur ses compétences acquises en Europe et d'abord sur son expérience cinématographique. Il peut faire état de sa collaboration en tant que bras droit d'André Malraux. Le tournage de Sierra de Teruel l'a passionné et lui donne envie de continuer à tourner des films, car il est très convaincu des immenses possibilités narratives du septième art. Nommé conseiller technique de la Commission nationale de cinématographie au cours de l'année 1943, il exerce à la même époque les fonctions de professeur à l'Institut cinématographique de Mexico (et le restera jusqu'en 1951). Parallèlement, Aub écrit des dialogues et participe à la réalisation de près d'une cinquantaine de films. Excepté une ou deux collaborations particulières, comme celle avec Luis Bufiuel pour le scénario de Los olvidados, (collaboration qui n'est pas mentionnée au générique), Aub ne sera que rarement satisfait de la qualité artistique des films auxquels il collabore. Il cesse cette activité, sans avoir ni épuisé son intérêt pour le septième art ni concrétisé un désir ancien: porter lui-même à l'écran l'une de ses œuvres... Mais après une expérience malheureuse d'adaptation de scènes de sa pièce La vida conyugal, Aub évitera de confier ses œuvres littéraires pour des réalisations cinématographiques qui lui échappent, établissant une séparation nette entre des activités ayant un but principalement économique - et son travail d'écrivain. Aub continue cependant de s'intéresser à la destinée de Sierra de Teruel, et tente, en vain, de faire venir au Mexique la copie qui a pu parvenir jusqu'à New-York pendant la guerre, ainsi qu'il en informe André Malraux dans une lettre du 29 septembre 1944:
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«Combats d'avant-garde: les souvenirs de Max Aub»: cette série de six entretiens, réalisée par
André C a m p , fut diffusée sur France Culture en mai l'Audiovisuel (INA).
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1967. Archives de l'Institut National
de
L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire? Il y a une copie de «Sierra de Teruel» à New York, en pouvoir du Musée d'Art Moderne. Rien à faire pour l'avoir. Il serait intéressant d'avoir un «lavander» ici, le moment est extrêmement propice à tout point de vue.'
En fait il devra attendre bien des années avant de le montrer à Mexico. Après l'avoir présenté à Paris le 14 janvier 1959, c'est seulement l'année suivante, le 24 avril 1960 qu'il peut enfin présenter Sierra de Teruel au public mexicain. Pour cette circonstance, il reprend une allocution intégrant le discours qu'il avait prononcé à l'intention de l'équipe de tournage en 1938, au début de sa réalisation: Compañeros, trabajamos ahora con Malraux. [...] Ninguno de los acontecimientos de la película son inventados, sino transpuestos. O son del dominio popular o le ocurrieron al propio Malraux cuando mandaba las fuerzas aéreas extranjeras al servicio de la República antes de que nos llegaran otras alas amigas. [...] No olvidemos que trabajamos para el público y para el pueblo."'
C'est certainement en bonne partie grâce à André Malraux, alors Ministre de la Culture, qu'en 1965 Max Aub est membre du jury' du festival de Cannes, du 12 au 27 mai. Il met à profit cc séjour en France pour rencontrer José Martínez, créateur des éditions Ruedo Ibérico, afin d'établir un plan de publication des «Campos» constituant El laberinto mágico et de jeter les bases d'un autre projet: la publication par Ruedo Ibérico du scénario du film Sierra de Teruel, complété par les prises de vue du film. Aub demande à Malraux son autorisation. Celui-ci pose deux conditions: que l'édition paraisse seulement au Mexique 6 et pas à Paris, et qu'elle soit uniquement éditée en langue espagnole, ainsi que le mentionne son autorisation, datée du 15 mars 1967 et reproduite dans les premières pages du livre... Le ministre d'Etat ne semble pas désirer que son passé de combattant de la guerre d'Espagne revienne dans les devantures des librairies parisiennes... Exigence certainement défavorable à Max Aub, car cette édition aurait peut-être contribué à le faire un peu mieux connaître en France. Lorsque Malraux reçoit l'édition du livre publié par l'éditeur mexicain Era, il se contente de quelques paroles laconiques: «Bien reçu la Sierra. Ça fait des rêves... à bientôt. AM.» Hormis quelques participations à des documentaires consacrés à ses amis (Buñuel au Mexique, Malraux pour la télévision canadienne), Aub ne trouvera jamais la possibilité
s
Lettre de Max Aub à André Malraux du 29 septembre 1944. Archives de la Fondation Max Aub Segorbe. Espagne. Un «lavender» est une copie positive à partir de laquelle de nouveaux négatifs être tirés. Max Aub: Hablo corno hombre, (Obras incompleta! de Max Aub), Mexico, éditorial Joaquin 1967. p. 82-95. 5 La composition du jury 1965 des longs métrages fut la suivante: la présidente fut Olivia de Haviland, comédienne. Les membres furent André Maurois, écrivain, président d'honneur; Goffredo Lombardo, Vice-président; François Reichenbach, réalisateur; Alain Robe-Grillet, réalisateur; Rex llarrison, comédien; Michel Aubriant, journaliste; Constantin Mikh Simonov, écrivain; Jerzy Toeplitz, réalisateur; Edmond Tenoudji, producteur; Max Aub, écrivain. Le film qui reçut le grand prix s'intitule The Knack... et comment l'avoir, de Richard Lester. '' Max Aub publiera sa traduction du scénario de Sierra de Temei, assortie d'un prologue, à Mexico, aux éditions Era, en 1968.
(FMA). peuvent ' Mortiz,
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G é r a r d Malgat
de retravailler véritablement pour le cinéma. Son Campo francés, scénario écrit en 1942 - pendant les vingt-trois jours de sa traversée de Casablanca à Veracruz - dans la perspective d'un tournage, restera très longtemps dans ses tiroirs, et il ne pourra jamais le porter à l'écran. Trait commun avec Malraux, qui ne pourra faire aboutir l'adaptation cinématographique de La condition humaine.
2. Les arts et la peinture 2.1 Une passion commune Depuis leur jeunesse, Aub et Malraux partagent la même passion pour les arts, et la peinture. Pendant ses années valenciennes, entre 1924 et 1936, Aub avait commencé à acquérir des tableaux pour une collection personnelle. Durant les trente années de son exil mexicain, toujours en quête de livres pour sa bibliothèque, il achète de nombreux ouvrages sur les arts, la peinture, des livres de réflexions critiques sur l'art. Aussi la complicité est-elle avec Malraux, qui aime à déclarer: «Je suis en art comme d'autres sont en religion». Pendant la décennie 1940-1950, Aub informe Malraux des travaux et découvertes archéologiques en cours au Mexique: les deux hommes s'échangent des articles de presse, des photos et même des petits objets. C'est ainsi que Malraux reçoit de Aub une petite sculpture et lui écrit, le 23 août 1948: B o u l o g n e , le 2 3 août 1948 M o n cher Max, J'ai bien reçu ta petite boîte et la tête, d a n s une e n v e l o p p e c o m p l è t e m e n t dégueulasse, sur laquelle il est impossible de d é c h i f f r e r ton adresse. En c o n s é q u e n c e , et connaissant ton vieux soin d ' ê t r e m e m b r e d ' u n tas de Sociétés, constatant que par ailleurs l ' u n e de tes anciennes lettres porte l ' a d r e s s e de la société des A u t e u r s (qui ne doit pas e n c o r e avoir été transférée à M o s c o u ) , j e te r é p o n d s aux soins de ladite société. Merci de la tête. Si tu as des tuyaux sur son origine, j ' a i m e r a i s les connaître car le style en est i n c r o y a b l e m e n t égyptien. Bien e n t e n d u il vient des M e x i c a i n s en Egypte et le transport n ' a pas été inventé e x c l u s i v e m e n t p o u r les chats. Si par hasard tu avais la certitude q u ' e l l e a été t r o u v é e en A m é r i q u e c e serait bien intéressant, en particulier à cause de la position du cou. Je vais essayer de t ' e n v o y e r , p o u r équilibrer, quelque tête de p o u p é e gauloise, mais l'article ne se rencontre plus. 7
Lettre riche en allusions tant politiques - Malraux est alors engagé dans la construction du Rassemblement du peuple français (RPF) et en proie aux critiques virulentes des communistes qui lui reprochent d'avoir rejoint le clan des gaullistes - que féline: on connaît le goût de Malraux pour les chats...
Lettre d ' A n d r é M a l r a u x à M a x A u b du 23 août 1948. FM A.
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire?
2.2 La complicité autour de la fable de «Jusep Torres Campalans» peintre imaginaire Cette passion commune pour les arts et spécialement la peinture, cette affinité partagée va s'exercer lors de la parution au Mexique du livre Jusep Torres Campalans, livre original, invention magistrale du faussaire talentueux qu'est, pour la circonstance, Aub. Car par ce livre il applique «à la lettre et au pinceau» cette affirmation de Malraux écrite en 1929 dans une préface à un catalogue d'éditions originales et de livres illustrés: «Quelle différence entre un bon faux et un mauvais original? La mystification est éminemment créatrice»." Malraux apporte sa caution à cette mystification, sous forme d'une propriété - fictive d'un ou deux tableaux exposés. Mais surtout, il va aider Max Aub à éditer la traduction française de Jusep Torres Campalans, édition sur laquelle Aub mise pour - enfin - se faire connaître auprès des lecteurs français. Cette aide va revêtir plusieurs aspects et ce n'est pas pour rien que Max Aub lui dédie ce livre avec ces seuls mots: «A André Malraux». Celui-ci convainc, ou plutôt somme Gaston Gallimard de publier ce livre, selon le témoignage de Massin qui était alors directeur artistique et responsable de cette édition française: C'est Malraux qui a imposé à Gallimard le livre de Max, c'est certain! Car Gaston Gallimard avait horreur des livres illustrés, il n'aimait que la littérature, les textes. La collection «L'univers des formes» a d'ailleurs failli ne pas se faire chez Gallimard car Gaston traînait des pieds et Claude aussi, ils ne voulaient pas. Ils retardaient le plus possible l'échéance. Malraux a dû exercer un véritable chantage et cette collection s'est réalisée en 1957. Quant à Campalans, ce type de livre, sachant qu'en plus c'était un canular... Mais Malraux avait une influence énorme. II donnait un coup de téléphone à Gaston et disait «tu sors ce livre!» Gaston s'exécutait. Max Aub venait fréquemment chez Gallimard. Il nous invitait souvent dans de bons restaurants qu'il connaissait bien mieux que beaucoup de parisiens! Nous étions plusieurs: il y avait Malraux, Bernard Anthonioz, le mari de Geneviève de Gaulle, qui était un des conseillers les plus proches de Malraux, Albert Beuret qui était alors le directeur de cabinet de Malraux et qui a été secrétaire général de la collection «L'univers des formes». [...] Max allait voir Malraux au ministère, rue de Valois, sans se faire annoncer: il bousculait les huissiers - à la fin ils le connaissaient tous! - et il entrait dans le bureau de Malraux comme si c'était chez lui. Il était au courant de tout! Un jour, de retour de visite à Malraux rue de Valois, il me dit: «vous ne connaissez pas la dernière? De Gaulle propose à Malraux de prendre le Ministère du travail. Il a refusé car, m'a-t-il dit, s'il avait pris ce Ministère, il aurait eu cinq cents grèves sur le dos!» Max Aub était vraiment au courant de tout ce qui se passait dans les coulisses du pouvoir. 9
Conjuguant leurs efforts avec ceux de Malraux, d'autres amis de Max Aub, parmi lesquels Jean Cassou, Alice Gascar, traductrice du livre, Emmanuel Roblès, Max-Pol Fouchet, s'efforcent aussi de faciliter la promotion de cet ouvrage dans la presse parisienne. Plus d'une vingtaine d'articles vont paraître dans les semaines suivant la sortie du livre. Mais l'échec de vente est total, ainsi que le rapporte Massin:
Olivier Todd, op. cil., p. 33. Nous avons réalisé cet entretien avec Massin en avril 1998 à Paris.
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Gérard Malgat
Au moment de la sortie du livre Jusep Torres Campalans, ça partait bien; Malraux était dans le coup, il apportait sa caution, avec d'autres comme Jean Cassou, Roger Caillois... On s'était amusé à la fin du livre à attribuer les tableaux: c'est ainsi qu'on peut lire «propriété d'André Malraux, propriété de Massin, de Roger Caillois, de Picasso, de Cassou...» tous les copains de Max. Tout cela est inventé! De plus, avec Malraux et avec plusieurs familiers de Max, nous avions fait le nécessaire pour que les journalistes soient «intoxiqués»... Mais l'article intitulé en gros «CANULAR» et publié par France Soir le 21 février, le jour même de la sortie du livre, a tout cassé. Ce fut un échec commercial. 10
Ce Jusep Torres Campalans, sur lequel Max Aub avait misé pour être enfin lu en France, se vendit très peu. Ni la complicité active des amis de Max Aub, ni les nombreux articles publiés dans la presse française au moment de la parution ne déclenchèrent la curiosité des lecteurs. Le peintre imaginé ne put faire revenir l'écrivain et son oeuvre en Europe.
3. La politique 3.1 L'affaire du visa et le rôle de Malraux Après les années de guerre, quand ils reprennent contact, en 1944, pour rétablir une relation qui va demeurer épistolaire pendant des années, leur posture vis-à-vis de leur combat espagnol va s'avérer bien différente. Après la défaite des Républicains espagnols, André Malraux tourne la page de son engagement internationaliste des années 1930 pour se lancer dans le combat politique aux côtés du général de Gaulle, dont il sera, définitivement, un fidèle entre les fidèles. Il renonce à l'écriture romanesque pour se consacrer à ses écrits sur l'art. Pour Aub au contraire, la page douloureuse de la défaite de l'Espagne républicaine reste et restera ouverte: son Espagne, devenue patrie inaccessible, va rester au cœur de sa vie, de ses activités comme de son œuvre. Jusqu'à la fin de son existence, il va se revendiquer comme écrivain espagnol. Cette Espagne «perdue» va constituer le motif essentiel de son intense activité littéraire. La France ajoute à cela sa part d'outrage et il va subir un ostracisme invraisemblable. Car, pour les Autorités françaises, Aub demeure pendant longtemps un «indésirable», un dangereux agitateur. Et, sans entrer ici dans le détail de sa biographie, qui en elle-même est un roman, il convient de relever le paradoxe que va devoir affronter Aub: interdit de séjour en France pour un supposé activisme communiste qui trouve son origine dans ses activités de 1936-1938 (qui va d'un meeting avec André Viollis à la Mutualité le 10 juin 1937 à sa collaboration avec l'auteur de L'Espoir, en passant par une quête sur la voie publique lors de la manifestation du Ie' mai 1937!), au Mexique, il doit faire face à de dures critiques de certains de ses amis exilés qui lui reprochent l'anticommunisme de certains de ses écrits...
Ibid.
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire?
Quand en 1951, Aub prévient Malraux du refus de la France de lui accorder un visa, celui-ci pense pouvoir solutionner rapidement cette question. Il prend notamment contact avec Georges Pompidou - alors membre du Conseil d'Etat - qui lui confirme que le blocage provient du Ministère de l'Intérieur." Mais Malraux doit déchanter et le 16 mars 1951, il prévient Aub: Mon cher Max. Les choses ne s'arrangeront pas facilement, car lu as un dossier vraisemblablement truqué par les cocos, au temps de leur pouvoir. Il faudra régler ça dans des circonstances politiques plus favorables, qui ne sont peut-être pas très éloignées. 12
Rien, jusqu'à ce jour n'est venu prouver la suspicion de Malraux. Il semble plutôt que le Ministère de l'Intérieur ait conservé pendant longtemps dans ses dossiers les innombrables dénonciations datant des années de la Collaboration. Aub va très mal vivre ce refus français qui ne trouvera une issue qu'à l'automne 1958, date qui correspond au moment où le général de Gaulle arrive au pouvoir et où Malraux accède aux responsabilités ministérielles. Cette place au sommet de l'Etat lui permet probablement d'intervenir efficacement pour apurer enfin le dossier qui entrave la liberté de déplacement de Max Aub en France. Ces déboires de Max Aub n'altèrent pas l'amitié entre les deux hommes, qui partagent une même conception, une même philosophie générale de la politique internationale: ils refusent le manichéisme réduisant les relations internationales à un affrontement entre les deux blocs de l'Est et de l'Ouest. L'un et l'autre croient qu'il est possible de concilier socialisation de l'économie et liberté individuelle de pensée, d'opinion, de création. Ces conceptions communes n'empêchent ni les débats ni même, sur certains sujets, les désaccords, notamment pendant ces années de «guerre froide». Dans les Diarios de Max Aub, en date du 1er octobre 1945, on trouve ainsi: Tres años de México. Malraux habla de una civilisación atlántica. ¡Cómo no sea la tartesia, hundida entre España y las Canarias! [...] Curioso esfuerzo de Malraux de querer desgajar la cultura portuguesa de la española. ¿Qué mosca le ha picado?"
Il revient sur cette divergence dans un texte intitulé «El centenario de Goethe y la guerra fría», écrit en 1949, texte dans lequel il écrit: Y gentes tan ferozmente inteligentes como Malraux, para sostener un cambio de frente, llegan a inventar una cultura - é l , que conoce tantas- la atlántica, naturalmente superior a las demás. Porque, se me olvidaba - o lo daba por sabido-, la cultura de uno, la cultura a la
" Paris.
Lettre de Georges Pompidou à André Malraux du 22 février 1951. Archives Jacques Doucet,
l:
Lettre d'André Malraux à Max Aub du 16 mars 1951. FM A. " Max Aub: Diarios (1939-1952), edición, estudio y notas de Manuel Aznar Soler, México, Memorias Mexicanas, Conacuita (Consejo Nacional para la Cultura y Las Artes), 2000, p. 132.
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Gérard Malgat que se pertenece, es mejor que la de los demás; y ahf entra la tradición y todos los patatines y patatanes, y Miguel Angel, y el Greco, y Pasteur, y Shakespeare.1,1 3.2 «Que défendons-nous?»
ou un plaidoyer
pour la liberté
de
l'art
Dans c e s années d'intense affrontement idéologique, Malraux et A u b revendiquent tous deux la liberté de l'art et de la culture. N i l'un ni l'autre n'acceptent la s o u m i s s i o n que le Parti c o m m u n i s t e i m p o s e aux m u s i c i e n s , aux écrivains et aux peintres d e s pays de l'Est, priés de se plier aux c a n o n s du réalisme socialiste et aux obligations autocritiques quand les dirigeants ont d é c i d é que l'art de tel o u tel était bourgeois et décadent. Les notes qui suivent datent de 1951, alors que Malraux vient de publier, en février, Les Voix du silence,
n o u v e l l e version de La psychologie
de l'art qu'il avait publiée en trois
t o m e s aux éditions Skira e n 1947, 1948 et 1949. Aub, qui s e voit simultanément accusé de c o m m u n i s m e à Paris et d ' a n t i c o m m u n i s m e à M e x i c o , e n g a g e a v e c Malraux un débat épistolaire sur les relations entre c o m m u n i s m e et liberté: D'accord: que défendons-nous? ou - ce serait mieux s'il s'agit de conquérir - avec quoi attaquons-nous? Tout de même pas avec un crucifix, et ce n'est plus le temps du crayon avec Regler. Tu réponds à ça par une définition de la culture... Du temps où l'artiste croyait en Dieu il était - il pouvait être - pour le gouvernement de l'homme par l'homme (représentant de Dieu); du moment où il devient athée il est fatalement contre. (C'est la grandeur de la fin du XVIllième à nos jours) et le problème du communisme triomphant, du communisme au gouvernement - est là - pour les artistes. En gros nous sommes dissociés de nous-mêmes: d'accord pour les principes, l'organisation économique - contre, pour ce qui est de l'art. Nous sommes libéraux pour la liberté de l'art - et nous ne pouvons l'être pour la justice. Ou nous enterrons l'art, et nous voilà communistes - ou nous proclamons la supériorité humaine de l'art, et nous voilà anticommunistes. Or nous - au moins je - ne voulons pas. Alors? On peut faire de la littérature sur le cas, c'est ton cas, car tu me réponds - dans ton truc du congrès pour la liberté de la culture - car ce n'est pas sérieux de répondre à «quelles valeurs culturelles avez-vous à mettre à la place des valeurs communistes?» par «Vive Cézanne ou vive le sourire de [illisible]». il faut quelque chose pour laquelle l'on puisse mourir et, enfin, «Les demoiselles d'Avignon» ne sont pas une raison, parce qu'elles sont. A mon avis ce n'est pas sur ce qui a été fait, mais sur ce que nous avons à faire. (Nous, pas toi, pas moi, ceux qui viennent). Le grand chavirement du communisme est de croire que dans un avenir X la liberté pourra être recouvrée. Tout pousse à croire au contraire. Alors? Pas brillante ma solution: un univers socialiste dans lequel la liberté de l'esprit soit assurée. D'un côté la justice sociale (horreur du mot) et de l'autre la liberté* (l'indivisible liberté) pouvons-nous les défendre ensemble? * la liberté d'expression. Un point c'est tout.15
N
Max Aub: Hablo como hombre, op. cit., p. 67. " Ces réflexions sont écrites sur deux feuillets manuscrits, caja 2/2, FMA. La correspondance que nous avons consultée ne permet pas d'affirmer que Max Aub reprit ces notes pour une lettre.
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire?
3.3 Le gaullisme de Malraux...
et de Max Aub
Dans cette période de guerre froide, Aub admire le général de Gaulle pour sa capacité à affirmer la nécessité d'une troisième voie, «non alignée» avec un bloc ou l'autre. Après l'accession de de Gaulle à la présidence, il tente, par l'intermédiaire de Malraux, d'obtenir une interview du général, en vain: «Pour le général de Gaulle, rien à faire, il ne donne aucune interview» lui écrit Malraux le 11 août 1958. Nul doute que lorsqu'il rencontre Malraux, celui-ci lui fait part de quelques informations ou anecdotes ayant trait aux activités du général. Aub les note dans l'un de ses nombreux cahiers et carnets, et les intègre - selon son habitude - , dans l'un ou l'autre de ses ouvrages en cours. Ainsi parmi les poèmes et autres textes réunis dans Imposible Sinaí - livre posthume public par sa femme, Perpetua Barjau, en 1982 - , on trouve ces quelques lignes attribuées à un certain Isaac Kaplan, dont Max Aub affirme tout ignorer, et qui semble avoir bénéficié d'informations confidentielles à la veille du déclenchement de la «guerre des six jours»: El General de Gaulle los recibió de pie. Preguntó a Abba Eban: - Alors Messieurs, nous attaquons ? la tierra se los tragó (estaba el Embajador) y todavía no han vuelto. Eso se llama tener servicio secreto. En mayo era, Abba Eban, en m a y o . "
Le mois de mai de l'année suivante, ce «mai 1968» où, entre deux barricades, «les murs ont la parole» tandis que les usines et les théâtres nationaux sont occupés, suscite la curiosité de Max Aub. Il tente, depuis son domicile mexicain, de décrypter la portée de ces événements et note dans son journal: 23 de mayo ¿Qué hacen en París? ¿Revuelta contra de Gaulle o la sombra de Stalin? Tal vez contra los dos. Desde luego no es un regreso (¿Por qué había de serlo?) al frente popular. No. [...] 31 de mayo Protestan obreros, estudiantes, «de izquierda», un poco de todas partes por la resolución de de Gaulle de quedarse (¿Qué remedio le quedaba?) al frente de los «destinos» de Francia. No se dan cuenta de que si no hubiese sido así no serían ellos los dueños sino un general de la talla de Salan o Massu. Con las ganas que tienen de sacarse las espinas enconadas de Argelia... Los comunistas, con todos sus trapícheos, lo han visto claro, y no digamos de Guy Mollet..."
Max Aub: «Isaac Kaplan». En: Imposible Sinaí, Barcelona, Seix Barrai (col. Biblioteca Breve), 1982. p. 68. 17
Max Aub: Diarios (1939-1972),
op. cit., p. 414-416.
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Gérard Malgat
Aub s'efforce de s'informer des attitudes et initiatives de son «ami le ministre», selon la formule que ses amis ont coutume d'employer pour désigner Malraux. C'est ainsi que le 7 juin il écrit: Sirol me cuenta de Malraux, en los Campos Elíseos, en la manifestación gaulista. - e s t á asustado, me dice. No lo creo. Estupefacto sí, lo supongo. Tanto creer que se ha trabajado diez años en serio y, de pronto, todo abajo sin razón valedera. Entonces se pregunta uno: ¿Hay alguna razón valedera? Charlar de nuevo unas horas con él me llenaría de gozo. 18
Le 14 juillet, quand les turbulences de ce printemps sont retombées pour laisser place aux rites plus paisibles de la Fête nationale, il note: La revolución de mayo, en Francia -repito: en Francia- tal vez sólo pueda compararse - e n Francia- a otro suceso de hace cuarenta años: el surrealismo. Tal vez sus resultados sean parecidos. Francia, en sí, con su peso específico, es otra cosa: de Gaulle y el Partido Comunista (¿quién más burgués?) y la revolución de mayo, como el surrealismo con sus Tzara, Buñuel, Dalí - t a n franceses- como ahora con sus Cohn-Bendit, Cortázar, Fuentes... ¿Tendrá sus Breton, Aragon, Eluard...? Por eso la frase clave de la revuelta es la respuesta a la repulsa que sufrió Aragon en el Odéon. Vieux con! - l e gritaron. Vous serez aussi des vieux cons -contestó. Sí. Y todo ello no resuelve nada, como no sea «a la altura el arte»."
Trois jours plus tard, ayant reçu la copie du discours prononcé par Malraux le 20 juin 1968 lors d'un rassemblement de l'Union pour la Défense de la République au Parc des expositions, il fait part à Malraux de ses réflexions et lui propose son interprétation des événements survenus en France, avec sa franchise coutumière et une agilité linguistique qui prouve, une nouvelle fois, son excellente maîtrise du français: Cher André: Pour le discours: vu les photos, je comprends votre réaction Sorbonne-Grèves; mais tout de même il ne faudrait pas en faire une Histoire. Pour ce qui est de l'Université - et de l'audio-visuelle[sic] - j ' e n sais quelque chose: on n'en sortira pas avant un siècle. L'humanité s'était habituée à une guerre mondiale chaque 25 ans, maintenant (la bombe) ceux de 40-50 ne veulent laisser leur place à ceux de 25. D'où révolution? Pas dans le genre communiste en tout cas. Aux machines de parler. Une «France chancelante»? Non? L'Angleterre c'est pire, et Oxford? et Cambridge? Wimbledon, et merci. Non: c'est plutôt Gallimard contre Hachette. Enfin, tous ceux qui avaient pris le surréalisme au sérieux, Leiris ou Aragon, plus leurs jeunes Max Pol Fouchet et Cie. C'est bien du côté littérature, ce n'est pas mal vu de dehors pour la France: «révolution culturelle» en plus vrai que l'autre. Le problème de la jeunesse n'est tout de même pas un problème de revues littéraires. Évidemment il faut faire vite dans le monde entier. Mais quoi? Pour le reste tu deviens prophète. Bon on s'y fera.
Ibid. p. 418. Ibid., p. 421-422.
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I.'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire? [...] Pour la traduction des «Antimémoires» en espagnol, j'espère que tu as fait modifier la note sur Azaña. Ceci dit, ses mémoires, que l'on vient de publier, est un livre atroce. Nous en reparlerons, j'espère, en boustifaillant.™ «Boustifailler»
avec
M a l r a u x , « h a b l a r d e s p u é s d e corner, o a n t e s c o n tinto y
con
b l a n c o » - ' a v e c B u ñ u e l . . . A u b p r e n d t o u j o u r s s o i n d ' a s s o c i e r l ' u t i l e et l ' a g r é a b l e ! Fin g o u r m e t et e x c e l l e n t c o n n a i s s e u r d e s b o n s restaurants d e la c a p i t a l e , d o n t il tient la liste à j o u r d a n s s e s a g e n d a s " , il s ' a f f i r m e g u i d e g a s t r o n o m i q u e p l u s e x p e r t q u e c e r t a i n s d e ses amis parisiens. A p l u s i e u r s r e p r i s e s d a n s s e s j o u r n a u x , A u b e x p r i m e s o n a d m i r a t i o n p o u r le g é n é r a l d e G a u l l e . Il a p p r é c i e s a h a u t e u r d e v u e et s a c a p a c i t é à d é f i n i r u n e « p o l i t i q u e d e g r a n d e u r » h o r s d e la s p h è r e d ' i n f l u e n c e a m é r i c a i n e . D e G a u l l e a p p l i q u e , a u m o i n s p a r t i e l l e m e n t , cette p o l i t i q u e d e la « t r o i s i è m e v o i e » q u ' i l p r é c o n i s e . L o r s q u e e n 1 9 6 9 , e n r o u t e v e r s c e v o y a g e e n E s p a g n e tant a t t e n d u - et tant r e d o u t é - il tient le « j o u r n a l a n g l a i s » d e s o n h o s p i t a l i s a t i o n i m p r é v u e d a n s un é t a b l i s s e m e n t l o n d o n i e n , il n o t e l e s r é f l e x i o n s q u e lui inspire la d é c i s i o n d u g é n é r a l d e G a u l l e d e quitter le p o u v o i r a p r è s s o n é c h e c
au
r é f é r e n d u m . S e l o n s e s p r o c é d é s d e c o m p o s i t i o n h a b i t u e l s , il i n c l u t c e s p a g e s d a n s la troisième
époque
de
son
roman
Vida
y
obra
de
Luis
Alvarez
Petreña,
ce
vieux
c o m p a g n o n d e d i s p a r i t i o n i n v e n t é t r e n t e - c i n q a n s a u p a r a v a n t , q u ' i l d é c i d e d e faire réapparaître d a n s c e t h ô p i t a l , d a n s u n e c h a m b r e v o i s i n e d e la s i e n n e : Los periódicos: de Gaulle ha perdido las elecciones. El centro, Giscard, ese ambicioso de cara entre de caballo y de príncipe inglés, quiere volver a las andadas de quién será ministro y echarles la culpa a los judíos: lo bueno es que no quedan tantos. Francia va a volver a la estatura de Coty (el perfumista) y los conservadores tendrán su nuevo muro de las lamentaciones. Me da pena ver desaparecer el último de los grandes. [...] Los franceses ahora se creerán seguros con Georges Pompidou, Giscard, o Pinay y la espalda protegida por Nixon. Si los comunistas hubieran sido inteligentes, lo que tal vez es demasiado pedirle al Señor, hubieran votado por el General. No encontrarán, en muchos años, quien haga una política tan favorable a los obreros franceses y a su adorada U.R.S.S. [...] Triste, altivo y elegante de Gaulle. Le recordarán con pena (en los sentidos español y mexicano de la palabra). Los franceses no han podido mantenerse a su altura, y, como él se lia negado a menguar, se va. Evidentemente le han echado los mismos que le trajeron: los hombres de negocios, los ricos, los vivos, los amantes del orden. Los comunistas, que lo sostuvieron hace un año, ahora han dejado de hacerlo. Cae hoy por la confusión.
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Lettre de Max Aub à André Malraux du 17 juillet 1968. Archives Jacques Doucet, Paris. Lettre de Max Aub à Luis Bufiuel du 18 juillet 1968. FMA. " Dans son agenda de 1958, date de son premier séjour sans restriction de durée, on trouve ainsi notées les adresses suivantes: «Chez Pierre», Vaugirard; «L'enclos de Ninon», Bd Beaumarchais, (Bon marché!): «Joséphine», rue du Cherche-Midi; «La grenouille», quai des grands Augustins; «Chez l'ami Louis». 53 rue de Vert Bois; «Les marronniers», entre Denfert-Rochereau et Aragon; «Le Provençal», rue mouton Duvernet; «Chez Jacques», 11 rue Delambre (pot au feu); «Le Lyonnais», derrière l'Opéra; «La potée champenoise», rue de l'Odéon; «Aux charpentiers», 10 rue Mabillon; «Aux ducs de Bourgogne», place d'Anvers, +++ ! FMA. 11 Max Aub: Vida y obra de Luis Alvarez Petrena, Barcelona, Seix Barrai, 1971, p. 137-140.
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4. La littérature 4.1 Malraux et les Dernières nouvelles de la guerre d'Espagne L'échec de l'édition française de Jusep Torres Campalans (seulement quelques dizaines d'exemplaires vendus et moins de mille pendant les trente ans de disponibilité du livre!), ouvrage de belle facture intégrant un petit catalogue en quadrichromie d'une quarantaine de tableaux, a coûté cher à Gallimard qui ne se montre pas enthousiaste pour éditer d'autres ouvrages de Max Aub. En 1967, Malraux contribue cependant à obtenir l'édition de Dernières nouvelles de la guerre d'Espagne, qui réunit une partie des récits de témoignage de Aub sur la guerre et son issue, cette «retirada» et ses cortèges d'exil. Aucun autre livre ne sera publié en France du vivant de l'écrivain, qui disparaît sans avoir trouvé ses lecteurs. Aussi doit-il les deux distinctions honorifiques qu'il reçoit de la part des Autorités françaises plus à la fidélité attentive de Malraux qu'à une reconnaissance publique de son oeuvre. La première, celle d'Officier de l'Ordre des Arts et des lettres reste en question pendant plusieurs années. En effet, les courriers échangés entre les membres du cabinet de Malraux et Max Aub révèlent que dès 1963 il est question de cette distinction. Mais le Conseil de l'Ordre de la Grande Chancellerie des Arts et des Lettres demande des compléments d'information concernant le passé de Aub, éclaircissements qui retardent sa décision. Finalement, ce n'est que le 1er juillet 1966 que Aub est officiellement nommé Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres. Six ans après, en janvier 1972, alors qu'il est plongé dans la préparation de son livre sur Buñuel, Max Aub apprend qu'il est nommé Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres. Le 24 janvier, l'ambassadeur de France à Mexico, Xavier de la Chevalerie (qui avant d'être Ambassadeur de France au Mexique avait été Directeur du cabinet du Général de Gaulle) organise une cérémonie officielle pour remettre à Max Aub la cravate de Commandeur. Dans son discours de réception, Aub synthétise les étapes de son destin littéraire en quelques formules alliant l'humour et le sérieux: Debo esta presea a la fraternidad con lo que queda claro que tenía que ser francesa. España no está hoy en condiciones de juzgar y para obtener la de México me falta méritos ganados en combate. Ciudadano mexicano, a mucha honra, pero escritor español, que es otra, recibo el más alto grado de las Artes y Letras en México. No hay mejor galardón. Nací escritor al igual que rubio o miope: no fue suerte ni desgracia sino un hecho y si soy ahora Comendador de esta Orden será seguramente porque no falté a los mandamientos de ser hombre obligado por naturaleza -sin más fallas que las propias- a dejar constancia de lo que vi. Se me honra por no callar, lo que, tal vez no es muy diplomático señor Embajador pero dice gran bien de su país, en cuya capital nací.24
21
Le discours de l'ambassadeur de France et la réponse de Max Aub sont reproduits dans l'article de Menchu Salvador «Max Aub: Oficial, Caballero y Comendador de la Orden de las Artes y las Letras Francesas». En: Sala de Espera, Boletín informativo de la Fundación Max Aub, n° 1, enero de 2001, p. 4.
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire?
Le lendemain, il note pour lui-même quelques réflexions sur cette réception avec son ironie et sa causticité habituelles: «Condecoración en la embajada de Francia, buen discurso del embajador, en francés, lo que hace que la mayoría no lo entienda. Menos mal: es una copia del mío, que conoce, claro está.»25 Quelques jours plus tard, il prend connaissance du message que Malraux avait envoyé pour cette réception, rédigé comme suit: «Longtemps, dire merci à Max Aub fut dire merci à l'Espagne. Puisqu'il est aujourd'hui séparé de son pays, que les remerciements de la France, qui ne l'a pas oublié, ne s'adressent plus qu'à lui.» La lecture de la déclaration envoyée par son ami suscite ces quelques lignes dans son journal: Comida en casa de Sirol. Sirol me da un texto de Malraux, que - a su decir- llegó tarde. Es una declaración desmesurada - e n cierto modo correspondiente a la que hice en 1937 - o 1936- en la Mutualité, pero yo dije «cuando en España se quiere decir» y él da el salto degaulliano y se encarna en la piel gala: él es Francia como yo fui España. Como me dice Joaquín Diez Cañedo: - m e n o s mal que no llegó a tiempo. 26
Dans cette allusion à l'emphase de son ami, perce la constante exigence critique de Aub: l'amitié ne le prive jamais de sa franchise car il n'assujettit pas la liberté d'opinion, qu'il veut pouvoir toujours exercer, à la fidélité des sentiments. Ce qui lui vaut bien des inimitiés et quelques ruptures de la part d'hommes ne supportant pas cette liberté critique qu'il revendique en toutes circonstances.
4.2 Les lettres françaises d'un écrivain
espagnol
Il n'est pas surprenant que la correspondance en français la plus étoffée soit celle avec André Malraux. 27 Celle-ci confirme, si besoin en était, que Aub pouvait fort bien écrire en français, en tout cas mieux qu'il ne voulait bien l'avouer lorsque par exemple il écrit à Ignacio Soldevila: «Recuerdo que al año de llegar a España escribí mi primer poema, en español - n u n c a he podido escribir nada en otra lengua» 2 '... ou qu'il note dans ses carnets: «Mi lengua es el español y desgraciadamente no tengo otra.»2" Supposons qu'en ce qui concerne cette «impossibilité» d'écrire dans une autre langue, il fait référence à son œuvre proprement littéraire.
25
Max Aub: Diarios (1939-1972), op. cit., p. 495. Ibid., p. 496. 27 En recoupant les archives de Segorbe et les lettres conservées par le fonds Jacques Doucet, nous avons pu consulter 80 lettres d'André Malraux et 34 lettres de Max Aub, toutes écrites en français. 28 Ce texte, qu'Ignacio Soldevila Durante avait publié dans le mémoire de licence qu'il avait consacré au théâtre de Max Aub antérieur à 1936, est reproduit dans le livre Cuerpos presentes récemment édité par la Fondation Max Aub avec une étude critique de Carlos Mainer; Max Aub: Cuerpos presentes, prólogo y notas de José-Carlos Mainer, Segorbe, Fundación Max Aub (Biblioteca Max Aub n° 9), 2001, p. 275. 2 ' Joaquina Rodríguez Plaza, Alejandra Herrera: Relatos y prosas breves de Max Aub, México, Universidad Autónoma Metropolitana (Unidad Azcapotzalco), 1993, p. 12. 26
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Gerard Malgat
Leur relation épistolaire, née en 1938 et entretenue jusqu'à la disparition de Aub en 1972, aborde aussi bien les événements officiels - expositions, festivals - organisés dans les deux pays, que les prévisions de voyage des deux hommes et les possibilités de rencontre qui en découlent. Aub consacre aussi plusieurs lettres à des réflexions suscitées par la lecture des ouvrages de Malraux et quelques courriers incluent des commentaires sur l'actualité, auxquels Malraux en général ne réplique pas, tout au moins par écrit pendant ses onze années de responsabilités ministérielles, se tenant à une stricte obligation de réserve. Aub connaît beaucoup de monde dans les milieux politiques et culturels mexicains, et il s'efforce de faciliter les projets que Malraux et son ministère pilotent, en assumant à la fois un rôle de facilitation et de correspondant particulier du ministre. Cette position non officielle lui permet de préserver une liberté de propos et de ton perceptibles dans cet extrait, où il est question de la préparation de l'Exposition française d'octobre 1962: M o n cher A n d r é : J ' a i vu l ' é l é g a n t M . Leroy, qui a plutôt l'air de n ' a v o i r rien inventé, entre l ' i n e f f a b l e C o m t e Viau de L a g a r d e et le subtil M . Sirol. Ils m ' o n t t é l é p h o n é à la dernière heure du dernier j o u r p o u r m e dire q u ' e n plus de la g r a n d e exposition il y aurait une participation culturelle « a v e c des t a b l e a u x » . J ' a i dit: «Ah!» Ceci dit, il y a six m o i s j ' a i d e m a n d é aux services de M. Sirol q u ' i l s m ' e n v o i e n t une copie de l ' é m i s s i o n q u e j ' a v a i s faite sur France III de la poésie m e x i c a i n e c o n t e m p o r a i n e - en français - qui a passé, j e crois, le 7 m a i . Je l'attends encore. 3 0
Au moment où cette exposition a lieu, Aub prévient Malraux de l'insatisfaction des Mexicains sur la qualité des tableaux exposés par la France: Mon cher André, Les M e x i c a i n s - tu vois ce q u e j e veux dire - se llaman a e n g a ñ o - difficile à traduire: ont le sentiment de se sentir trompés... C a r ayant e x p o s é ce q u ' i l y avait de mieux ( - N o u s en a v o n s e n v o y é [sic] les j o y a u x en or d e Montalbán, le vrai Caballero Aguila, etc.), ils trouvent l ' e n s e m b l e insuffisant (je parle tableaux, non dessins). La raison est simple: depuis q u e les reproductions - surtout en couleurs - j o u e n t le rôle que tu sais m i e u x q u e p e r s o n n e , q u a n d on leur a n n o n c e la peinture française d e 1860 à i 9 6 0 , ils croient devoir t r o u v e r l ' O l y m p i a , - sinon l ' E n t e r r e m e n t - , Les J o u e u r s de Cartes, G u e r n i c a (qui n ' e s t pas à vous, mais cela ne fait rien) Le D é j e u n e r sur l ' H e r b e , etc. En général, vous d e v r i e z en tenir c o m p t e , non seulement p o u r ici: résultat du M u s é e I m a g i n a i r e . "
Lorsqu'en 1964 André Malraux prévient Aub de son intention de se rendre à Mexico pour l'inauguration du musée ethnologique, Aub lui écrit: M o n cher A n d r é , J ' e s p è r e q u e tu f e r a s ton possible p o u r nous réserver le t e m p s d ' u n d é j e u n e r ou d ' u n dîner.
Lettre de M a x A u b à A n d r é M a l r a u x du ( " d é c e m b r e 1961. F M A . Lettre d e M a x A u b à A n d r é M a l r a u x du 17 octobre 1962. F M A .
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire? Pas d'illusion sur le grand musée, énorme Terminal, excellent pour le nationalisme d'ailleurs une certaine odeur mussollinienne - ce qui n'empêche pas de voir quelques pièces nouvelles absolument faramineuses. (Le calendrier a rapetissé).' 2
[.es deux hommes attachent du prix à chacune de leur rencontre et Malraux préserve ces moments de complicité en dépit de ses contraintes d'homme d'Etat. «Je donnerai n'importe quoi pour passer quelques heures avec toi» écrit Aub à André Malraux en août 1965. Les lettres des dernières années mêlent sujets professionnels et considérations plus personnelles sur les affres de l'âge et leurs ennuis de santé: «Mon cher André, le plus em... c'est ta santé. Console-toi en pensant que j'ai six maladies chroniques (en commençant par une insuffisance coronaire) [sic]. Fais des bises à tout le monde.»"
4.3 Quelle influence littéraire
de Malraux sur Aub?
Aub admire Malraux et songe plus d'une fois à lui donner vie dans l'une de ses futures pièces de théâtre. Ainsi le 10 juillet 1944 note-t-il: Les communistes. Drame en trois actes. Date: vers le 20 août 1939. Lieu: Paris. Personnages: (réfugiés espagnols), Margarita Nelken, Wenceslao Roces, Jean Cassou, José Maria Quiroga Pla, Louis Aragon. Les différents partis nationaux. Ne pas se laisser emporter par la critique. Le christianisme, la foi. L'un se suicide. Léo Wéresen, André Malraux, Ilya Ehrenburg.»"
Cependant, contrairement à ce qu'il fit avec ses autres amis (Tufión de Lara, Juan Chabás, José Bergamin...), il n'intégra jamais véritablement Malraux dans l'une de ses œuvres autrement que dans une allusion au tournage de Sierra de Teruel dans Campo de sangre, où l'on peut lire, dans un passage où il se fait apparaître lui-même: A la tres y media todos toman el tranvía o van a dar una vuelta por las librerías. Don Enrique Díez-Canedo con las manos esposadas a la espalda, Corpus Barga con su elegante sombrero bien calado, Maroto con su bastón, Gil Albert con su chilaba, Dieste con su mujer, Margarita Garfias con Ramón Iglesia y Marina y su cuñada; Max Aub, que cuenta cosas de la película que prepara con Malraux; Bergamin, cuando viene de París, con su pecho hundido, estirando su sweater gris hacia abajo, Emilio Prados, Gaya, Manolo Altolaguirre.'"
Désir de ne pas offusquer Malraux et de respecter la distance que celui-ci avait définitivement installé entre son «passé espagnol» et son présent ministériel? Pour Aub l'œuvre romanesque de Malraux - commencée en 1928 avec Les conquérants et refermée en 1937 avec L'Espoir si l'on excepte La lutte avec l'ange, publiée en 1943 -
Lettre de Max Aub à André Malraux du 7 novembre 1964. FM A. Lettre de Max Aub à André Malraux du 22 février 1966. FM A. Max Aub: Diarios (¡939-1952), op. cit., p. 112. Max Aub: Campo de sangre, Et laberinto mágico III, Madrid, Alfaguara, 1978, p. 391.
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Gérard Malgat
est une référence, sinon un modèle, pour la tâche qu'il s'est assignée: «dar cuenta», rendre compte de la guerre d'Espagne, de ses terribles événements et de ses tragiques conséquences. Aub veut faire un immense reportage, une vaste chronique de son temps. La condition humaine, L'Espoir sont précisément des reportages exemplaires, dans lesquels la fiction se met au service du réel, plus vrai du fait même de la force de cette fiction. Comme Malraux dans ces romans, Aub écrit l'épopée tragique, écrivain direct à la fois témoin et acteur de celle-ci. Comme Malraux, Aub donne une large place aux débats idéologiques de ses personnages, à leurs doutes comme à leurs convictions quant à l'impérieuse nécessité de l'action. A diverses reprises, dans ses notes personnelles, dans ses écrits critiques sur la littérature ou dans ses correspondances, Aub inclut Malraux parmi les écrivains avec lesquels il se sent plus particulièrement lié. Ainsi, dans une lettre écrite en janvier 1949 à Roy Temple House, professeur américain qui dans la revue Books Abroad a fait allusion à l'existentialisme de Max Aub et de ses personnages, Max Aub affirme: Me siento mucho más ligado a otro movimiento de las letras contemporáneas, más claro y normal - y , si usted quiere- heróico en el que no hay diferencias geográficas ni políticas, donde se encuentran gente sólo dispares en aparencia como lo son, por ejemplo: Hemingway, Malraux, Ehrenbourg, Koestler, Faulkner, O'Neill. Gentes que, desde luego, a pesar de sus esfuerzos, no pueden pasar de reflejar la época."
Dans une conférence intitulée «De la literatura de nuestros días y de la española en partícula» prononcée à Mexico en décembre 1963, Aub développe sa réflexion sur les relations entre l'écriture et l'Histoire: Hace cincuenta años Joyce, Proust, Kafka, Pirandello marcaron su época. [...] Ahora bien, hoy ¿quién señala como ellos lo hicieron nuestro tiempo? Camus, Borges, Paz, Sartre, Neruda, Móntale, Moravia, Robbe-Grillet, Butor, Junger, Gras, Sender, Cela? Hubo grandes escritores de transición: Faulkner, Hemingway, Eliot, Dos Passos, Aragon, Malraux, Cholojov, Pasternak, pero ninguno de ellos deja de ser testigo para convertirse en maestro; y no lo son porque no podían, porque no pueden serlo: bajo sus pies el mundo empezó a dar vueltas a otro ritmo. Es posible que por eso, no vuelva a haber un Tolstoi, un Mann, y no digamos un Cervantes."
Aub s'interrogea à différentes époques sur l'influence directe que Malraux avait pu exercer sur son écriture: dans des pages autobiographiques rédigées en 1953 il écrit: «¿Qué influencia ha tenido Malraux en mí? Es difícil decirlo: creo que es más personal que literaria.» En 1967, il déclare dans ses entretiens radiophoniques avec André Camp: Je continue à être un très grand admirateur de Malraux et d'Aragon et un très grand ami de Malraux et d'Aragon et je continue à croire que ce sont deux des plus grands écrivains français. Maintenant évidemment je suis plus près de Malraux que d'Aragon, parce que je suis romancier et que je crois que Malraux a écrit quelques-uns des romans les plus
Max Aub: Hablo como hombre, op. cit., p. 36. Ibid., p. 157.
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire? importants de notre temps, entre autres ses bouquins sur l'art. Il n'est peut-être pas d'accord, mais enfin je crois que ce sont plus des romans que des bouquins sur l'ait. 3 * S o n a d m i r a t i o n p o u r l ' œ u v r e d e M a l r a u x s ' a c c o m p a g n e d ' u n e f o n c t i o n c r i t i q u e qui s ' e x e r c e sur c h a q u e n o u v e a u livre p u b l i é par M a l r a u x . L e s Antimémoires
semblent
s p é c i a l e m e n t s t i m u l e r l e s d é b a t s intérieurs d e M a x A u b . Car le livre d e M a l r a u x lui fournit m a t i è r e à r é f l e x i o n sur l e s m é m o i r e s et sur l ' i m p o s s i b i l i t é s e l o n lui, d e l e s écrire, parce q u e l ' h o m m e n e p e u t p a s dire tout « l e vrai» d e s a v i e , m a i s s e u l e m e n t u n e partie. A u b a d ' a i l l e u r s d é c i d é d e n e p a s e n écrire, n e d o n n a n t p a s s u i t e à d e s p r o p o s i t i o n s d ' é d i t e u r s . P o u r lui l ' i m p o r t a n t n ' e s t p a s d ' é c r i r e s e s m é m o i r e s , m a i s d e l a i s s e r trace « p o u r la m é m o i r e » d e c e qui s ' e s t p a s s é : Los Antimémoires de Malraux. Todos mienten. Luego no puede haber memorias. Todas fabricadas como novelas, nutridas por elementos extraños sobre enormes silencios (silencios auténticos que ninguno erudito husmeará). (Nous voilà prévenus!)" Q u e l q u e s j o u r s p l u s tard, le 3 n o v e m b r e 1 9 6 7 , t o u j o u r s à p r o p o s d e s Antimémoires
il
note dans l'un de ses carnets personnels: Las memorias son recuerdos de cosas mortales; las «antimeinorias» lo son acerca de obras inmortales, el paso de un hombre à través de las ruinas acumuladas en cincuenta o sesenta siglos. No hay memoria «de ultratumba». Las «antimemorias» de Malraux no son sino su cuaderno de viaje al Oriente -con trozos de libros agotados (Les noyers de l'Altenburg, que «no se volverán a editar»)-, con un prólogo fulgurante (como el del Temps du mépris). Su paso por Mediterráneo, -Italia, Egypto-, por el mar Rojo, su vuelo sobre Saba, A d é n - Supongo que lo que sigue lo lleva naturalmente a la India, a Indochina, a China - c o n todo lo que, a los sesenta y cinco años, vuelve a surgir de su juventud y madurez. Tal como es: Malraux por él mismo. Es decir, se aleja unos metros y se mira. Apasionante, por la inteligencia... Nada nuevo para mí, y menos lo que desconcierta a los más: los saltos en el tiempo y los lugares. Así es. 10 Q u a n d e n 1 9 7 1 il r e ç o i t Les chênes
qu'on
abat,
o u v r a g e d'entretiens entre M a l r a u x et le
g é n é r a l d e G a u l l e , A u b p o u r s u i t s o n d i a l o g u e critique a v e c A n d r é M a l r a u x et lui fait part d e s e s r é f l e x i o n s : Dans les Antimémoires, (je parle littérature), les portraits de Nehru et de Mao étaient plus fouillés, précis, surprenants que celui du Général. C'était, après tout, assez compréhensible: tu n'avais pas à y revenir. Tu me diras «ce n'est pas un roman». Bon. Tu dis que La condition est un reportage, d'accord, et Guerre et Paix un livre d'histoire. Je t'écrivais que Les chênes donnaient du Général un portrait beaucoup plus en relief que celui du Tome I. Un portrait saisissant, surtout le matin (des fenêtres et de la neige). Pour le déjeuner, j ' y étais et je l'ai trouvé réjouissant et, je suppose tous tes lecteurs. Et ce n'est pas facile, j ' e n sais quelque chose. (On en reparlera j'espère). Je relis: comprends-tu? Ce ne sont pas les
«Combats d'avant-garde: les souvenirs de Max Aub», archives radiophoniques INA. Max Aub. notes inédites datées du 4 octobre 1967. FMA. Max Aub: Diarios (1939-1972). op. cit., p. 401.
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Gérard Malgat conversations (tout de même la mort en plus ici), c'est le physique si tu veux. Tu es passé de la peinture à la sculpture (en bois). Difficile d'enchaîner en mi bémol à ce sujet. Mais je n'ai rien lu depuis longtemps qui approche ton bouquin. Moi qui oublie tout et tout de suite ne peux effacer à aucun moment ce bureau et vous deux. Tibi Et ils y vont avec leur croix !41
Si on trouve fort peu d'allusions à Max Aub dans les écrits publiés de Malraux, en revanche on trouve de nombreuses évocations de Malraux dans ceux de Aub. Ils constituent autant d'éléments pour un portrait, inachevé, de Malraux. Les deux extraits qui suivent, et qui nous serviront de conclusion, sont séparés par près de quarante années. Le premier est écrit par Aub le 8 mars 1941. Aub vit alors à Marseille, où il a été assigné à résidence, et il rencontre Malraux à plusieurs reprises: Creo conocer bien a A.M. Su prodigiosa rapidez. Su memoria. Su estar al cabo de la calle en todo. Su evidente sapiciencia en casi todas las ramas del saber que me interesan. Su tajante juicio acerca de los libros que ignoro - e s t o está bien, esto no tiene importancia- y que luego siempre he podido verificar exacto, me ha hecho de él un hombre precioso para mi formación. Su misma «mitología» que le lleva a reducirlo todo a la «condición trágica» del hombre, estaba hecha para llenarme de entusiasmo. Bracea con lo mejor del entendimiento. Su mayor falla, su nerviosismo, su necesidad del enervamiento para producir; su medir al milímetro las cosas que han de redundar en su gloria. Su cuidado de «no gastarse». Su estrategia de la gloria. Lo mejor: su gusto por las gentes sencillas. 42
Le second est noté par Aub le 20 juin 1972, soit quelques semaines avant sa mort. Aub, sur le chemin du retour vers le Mexique après son second voyage en Espagne, fait escale à Paris pour soumettre à Luis Buftuel quelques questions restées ouvertes dans la rédaction de son livre en cours. Le 20 juin, il retrouve André Malraux, pour une ultime rencontre, filmée par Bufiuel: Comida con Malraux. «¡Hélas!» Éstas fueron... Tristeza infinita: ¿Seguirá escribiendo? Dice que sf. Lo dudo. En el restorán, al fondo, Dalí. Dice A[ndré] Mfalraux] que Skira le publica un capítulo de las Anlimemorias y veinte - c i n c u e n t a - metros más allá Luis B[uñuel] filmando. Sordo, pero filmando, muy en lo suyo; feliz con una pantalla de televisor que reproduce la imagen que la cámara va grabando, parece un niño: - Mira, mira. ¡Y esto sólo lo hay en Francia! - ¿Será cierto? Ya no somos. ¡Salud! Y Pablo Neruda muriéndose en su embajada; por si algo faltara al cuadro. 43
Dans ces quelques lignes, émouvantes, on sent la nostalgie de l'adieu, pudique, retenue, mais présente. Aub pressent que la fin, la sienne, celle de ses amis, s'approche... Il mourra brutalement quelques jours plus tard.
Notes préparatoires à une lettre de Max Aub à André Malraux, datées du 6 avril 1971. FMA. Max Aub: Diario (1939-1952), op. cit., p. 47. Max. Aub: Diarios (1939-1972), op. cit., p. 539.
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L'amitié entre Max Aub et André Malraux: faut-il en faire une Histoire?
Ces jours-ci, en ce début d'année 2003, la figure de Max Aub est bien vivante et souvent présente, tout au moins en Espagne, dans la presse, et son œuvre est abondamment rééditée. Vertu du centenaire, qui par ses commémorations «en fait une Histoire...» Max Aub connaissait cette vertu, lorsqu'il recommandait, en février 1956, en ouverture d'une conférence prononcée à l'occasion du centenaire de Heine: Celebremos los centenarios. Son obligados puntos de referencia que nos fuerzan a volver sobre los males del tiempo. Disipan por un momento «las tinieblas del olvido» como cuando, de pronto, luce el sol entre oscuras y corredoras nubes."
Constatons, cependant, que les ténèbres de l'oubli ne se sont pas encore beaucoup dissipées dans le pays qui le vit naître.
Max Aub: Heme, introducción, edición y notas de Mercedes Figueras, Segorbe, Fundación Max Aub (Biblioteca Max Aub n° 8), 2000, p. 75.
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La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto mágico
Luis Llorens
Marzo
Uno de los debates que siguen abiertos en torno al Laberinto mágico es el grado de vinculación que existe entre tan vasto proyecto narrativo y la figura de su creador. Se ha señalado que muchos de sus personajes le sirven para ficcionalizar algunos puntos de su biografía, pero al mismo tiempo se destaca su habilidad a la hora de crear auténticos heterónimos, personajes completamente otros respecto a él. En otro orden de cosas, el Laberinto destaca por la heterogeneidad de sus puntos de vista, y sin embargo, en ocasiones, se ha incurrido en la injusticia de atribuir al autor opiniones políticas o estéticas esgrimidas por algunos de sus personajes. La primera clave para entender estas aparentes contradicciones se encuentra, en nuestra opinión, en la misma base del hacer narrativo aubiano. El Laberinto mágico pretende dar testimonio de un conflicto complejo, a veces caótico, sin renunciar a su esclarecimiento desde la investigación y la reflexión. Aub intenta que su narración del conflicto sea lo más abierta y completa posible, sacrificando a menudo su propio punto de vista y concediendo el beneficio de la duda a opiniones divergentes respecto a las suyas. Con este fin el autor conjuga diversos métodos narrativos, que frecuentemente oscilan entre el ensayo, el periodismo de investigación y la creación literaria. La base de su trabajo es una documentación que recurre a la memoria propia o ajena, a la recreación del testimonio personal o a la investigación en busca de otros testimonios variados y a menudo enfrentados, intentando dar cabida en su obra al mayor número posible de aspectos del conflicto. El Max Aub del Laberinto mágico es ante todo un realista convencido. Pero su deuda con Galdós o el Siglo de Oro español no es en absoluto incompatible con su radical modernidad, fruto no tanto de su esporádico paso por las Vanguardias artísticas como de su plena inserción en la realidad de su tiempo. Así, un contexto caótico, en descomposición, hallará su intérprete idóneo en un narrador que oscila entre la omnisciencia y el estupor, y que descentra su punto de vista para centrar con mayor precisión otras variantes de focalización. No es por tanto de extrañar que el Laberinto nos sorprenda unas veces con huellas de su autor y otras con falsos rastros. En primer lugar, porque en su intento de retratar una época que vivió y padeció recurriendo al mayor número de testimonios, no tiene por qué renunciar al suyo propio. Y además, porque una época que mostró la mejor y la peor cara de nuestro siglo invita a desdoblarse entre el entusiasmo y el pesimismo, entre la implicación y el extrañamiento. En este sentido, creemos que un estudio del papel de Malraux en la obra narrativa de Aub sirve para ilustrar perfectamente cómo el creador del Laberinto mágico es capaz de conjugar a la perfección las tendencias en apariencia antagónicas que anidan tras su
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Luis Llorens Marzo
escritura. Por una parte, se puede rastrear en la obra aubiana la frecuente presencia de momentos de su relación con Malraux o de datos suministrados por él. Por otra, veremos cómo la figura del escritor y cineasta francés contribuirá a personificar un concepto del compromiso moral opuesto al suyo propio. En el capítulo «Advertencias inútiles» de Campo de sangre, Max Aub se refiere a las reuniones que sus amigos y él celebraban en 1938, en el barcelonés Salón Rosa, al abrigo de los bombardeos franquistas. Desde la ficción convoca allí a Enrique DíazCanedo, Corpus Barga, Gil Albert, Bergamín, Prados, Gaya, Altolaguirre, y un largo etcétera que incluye a «Max Aub, que cuenta cosas de la película que prepara con Malraux».1 Esta constituye la única alusión directa al cineasta en todo el Laberinto, pero veremos que la presencia de André Malraux en el ciclo va mucho más allá cuantitativa y cualitativamente. Para entender la importancia que la relación entre Aub y Malraux tuvo en la composición del Laberinto mágico es necesario que nos remontemos a su origen, a la génesis de un proyecto narrativo al que el escritor valenciano consagraría tantos años. Se ha señalado con frecuencia que Max Aub comenzó a componer el ciclo nada más llegar a París, cuando por primera vez asume la derrota de la República española. Así lo indica él mismo en un autógrafo hasta hace poco inédito, un «Borrador de prólogo al Laberinto mágico»2 para una edición completa del ciclo que no llegó a realizarse: oct. 1970 Prólogo de El Laberinto Mágico. De hecho no di por perdida la guerra -la nuestra, la mfa- hasta el día no sé cuántos del mes de febrero de 1939 en que llegué a París. Subí a la buhardilla donde vivía mi mujer -en Menilmontant-, [y] dejé caer {rendido} mi maleta [en el] y me senté en el catre y me di cuenta. A los pocos días me puse a escribir un capítulo semanal de Campo cerrado mientras armábamos {{añadido en la p. 2}: [con] el {medio} avión} el «set» de Sierra de Teruel, en los estudios de Joinville. Los sábados venía José María Quiroga a comer y le leía lo [escrito] hecho, por eso le dediqué el libro, /p. 3/3
1 Max Aub: Campo de sangre, ed. Luis Llorens Marzo, Obras completas, vol. 111-a (El laberinto mágico II), Valencia, Biblioteca Valenciana, 2002, p. 346sq. 2 Este borrador se encuentra en las páginas 2-7 del cuaderno FMA-4/8 (los cuadernos manuscritos a los que nos referiremos reciben su nombre por su ubicación en las cajas del Archivo de la Diputación de la Fundación Max Aub de Segorbe). En este borrador Max Aub recoge anotaciones de sus Diarios, en concreto las correspondientes al 5 de mayo de 1951 (Max Aub: Diarios (1939-1972), ed. Manuel Aznar Soler, Barcelona, Alba Editorial, 1998, p. 184-186). El autógrafo se publica íntegro por primera vez como apéndice a nuestro «Estudio introductorio» de Campo de sangre (ibid.), si bien otros estudiosos ya habían publicado fragmentos del mismo en sus estudios. Así, Naharro-Calderón («De 'Cadahalso 34' a Manuscrito cuervo: el retorno de las alambradas», epílogo a Max Aub: Manuscrito cuervo, ed. José Antonio Pérez Bowie, Segorbe, Fundación Max Aub, 1999, p. 183-255) o Francisco Caudet («Introducción» a Max Aub: Campo de los almendros, Madrid, Castalia, 2000, p.7-95). 3 Señalamos las convenciones empleadas a la hora de transcribir los autógrafos: [aaa] marcará los fragmentos tachados por el autor; {aaa} las interpolaciones, indicaciones al margen o añadidos
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La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto
mágico
A partir de estas palabras se ha afirmado la especificidad de Campo cerrado respecto al resto de novelas del ciclo, pues presenta una estructura más unitaria que se atribuye a su redacción de manera continuada. En el polo opuesto estarían novelas como Campo abierto y sobre todo Campo de sangre y Campo francés, que el autor comenzó a gestar en el infierno de los campos de concentración, recogiendo anécdotas, tomando apuntes y comenzando a redactar borradores fragmentarios de unas obras que comenzará a publicar en el exilio mexicano. Sin embargo, Ignacio Soldevila ya había apuntado la posibilidad de que el método de composición de Campo cerrado no fuera tan diferente al del resto de novelas del ciclo.'1 En trabajos anteriores' hemos intentado demostrar hasta qué punto la génesis del ciclo, así como la base del método creativo que lo moldea, es común para el conjunto de sus novelas, incluyendo Campo cerrado. Una génesis que además cabe adelantar, y que abarcaría un período comprendido entre 1938 (en pleno conflicto) y 1942. Así lo confirma el cuaderno FMA-5/21, un pequeño block de notas fechable entre 1937 y 1938, donde encontramos los únicos testimonios manuscritos, la mayoría de ellos inéditos, de Campo cerrado. En primer lugar, hay que señalar que la naturaleza de estos autógrafos no es muy diferente a los fragmentos, notas y apuntes que Aub escribirá durante su período de reclusiones: se trata de diálogos sueltos entre anarquistas y fascistas, con la indicación al margen «O. d. R» (es decir, el café Oro del Rhin), así como apuntes sobre numerosas anécdotas después recogidas en la novela: el asalto mediante balas de papel a las Atarazanas del puerto barcelonés, la escena del soldado que arriesga su vida por una tortilla, o la quema de vírgenes en la Barcelona de julio del 36. E incluso encontramos, desarrollada ya en forma de borrador, la referencia anecdótica del incendio de la catedral de Vic, escena que en la novela se trasladará a la barcelonesa Iglesia del Carmen: Vic Los chicos recogiendo el tabaco, en las bocas de la calle. La catedral abierta al cielo, la cruz y la reja, las pinturas de Sert mejoradas por el fuego, el negro y el oro. ¿Por qué quemaron? Respuesta [lueg] vaga y luego, frente al coro: Empezaron por aquí. «Si no quemamos esto son capaces de volver[se] a sentar{se} aquí».
posteriores; ,'aaaj las consideraciones del editor y la reconstrucción de palabras abreviadas por el autor, con el fin de facilitar la lectura de los autógrafos, (aaa) mantiene su uso convencional, pues Aub practica la alternancia no del todo sistemática de paréntesis y guiones. 4 Cf. Ignacio Soldevila Durante: «Estudio introductorio» a Max Aub: Campo cerrado, ed. Ignacio Soldevila, Obras completas vol. II (El laberinto mágico I), Valencia, Biblioteca Valenciana, 2001, p. 1133., p. 36. 5 Me remito a Luis Llorens Marzo: «Serán ceniza, mas tendrá sentido: génesis de Campo de sangre». En: Olivar, n° 3, La Plata, Universidad Nacional de La Plata - Centro de teoria y critica literaria, abril de 2002, p. 145-176; «Génesis del Laberinto mágico: los autógrafos de Max Aub entre 1938 y 1942». En: Bulletin of Spanish Studies (en prensa); «Estudio introductorio». En: Max Aub: Campo de sangre, op. cit., p. 11-35.
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Luis Llorens Marzo Se mata lo que se odia, se quema por purificar y salvar la vida. «Para /p. 69/ que no vuelvan». No destruir por destruir, que es lo que cree la gente, sino destruir por salvar. «Si no lo quemo volverán», /p. 70/ Por otra parte, la datación del cuaderno entre finales d e 1937 y m e d i a d o s de 1938 no ofrece dudas. Entre s u s primeras p á g i n a s (p. 9 - 1 1 ) figura un fragmento autógrafo en el que n o cuesta r e c o n o c e r el final del relato «El cojo» 6 : En la carretera no habían más líneas verticales que los postes del telégrafo. Sufría tanto que no tuvo el valor de acostarse aunque un viejo se lo gritaba desaforadamente. Túmbate. Túmbate, chiquilla. Se le partían las entrañas, se había agarrado al poste, las piernas abiertas y chillaba madre, madre. Estaba dando a luz, parecía que la estaban partiendo a hachazos. Y el ruido de los aviones, terrible, que lo cubría todo. Habían pasado una vez a unos treinta metros echando bombas de mano. Se podían ver los aviadores. Ahora volvían ametrallando. Ella no sentía más que los dolores del parto. Le entraron cinco [o seis] proyectiles por la espalda /p. 9/ y no los notó. Se dio cuenta de soltaba el tronco {í/c}, de que todo se volvía blando y fácil. Dijo Jesús, se desplomó desmayándose y murió entre las piedras. A lo largo de la carretera habían cadáveres, heridos que gemían. Más lejos algún chiquillo corría loco, unas mujeres, a un centenar de metros de la carretera, volvían hacia la misma con miedo. Llegaron unas ambulancias extrangeras {s/'c¡ y empezaron a recoger herido (s/c). Al llegar a Carmen la volvieron, vieron con asombro las sangres mezcladas /p. 10/ y un recién nacido sucio de sangre y polvo. Cortaron el cordón umbilical y se lo llevaron. Era niño y vivía, /p. 11/ A s i m i s m o , entre las p á g i n a s 8 5 - 9 1 , s e encuentran l o s apuntes y el borrador de la entrevista a Agripina Feliciate que, bajo el título « U n a m u c h a c h a española», M a x A u b p u b l i c ó e n La Vanguardia
el 2 9 d e m a y o de 1938. Por último, e n las páginas 9 4 - 1 0 2 ,
103-11 y 1 1 3 - 1 4 , e n c o n t r a m o s n u m e r o s a s anotaciones, e n francés, relacionadas c o n la producción (en la a c e p c i ó n c i n e m a t o g r á f i c a del término) de Sierra francos o p e s e t a s relativas a material de rodaje y
figuración,
de Teruel', cuentas en a g e n d a de
rodaje,
direcciones y t e l é f o n o s e n París y Barcelona, así c o m o múltiples a l u s i o n e s a André Malraux y a citas c o n él. 7 A s í , e n c o n t r a m o s notas c o m o las siguientes: Márquez UGT - actores. P. Gracia 44 10601 Gay l'leg) fotógrafo
6
Publicado en Hora de España, en el número de mayo de 1938, p. 73-89. ' Recordemos que además de llevar a cabo la traducción del guión del film de Malraux y el doblaje de uno de sus personajes, Max Aub colaboró también como ayudante de dirección y sobre todo como productor: «... contabilidad, horarios de rodaje, construcción de decorados, selección de exteriores, elección de actores técnicos y extras. [...] también a veces se vio obligado a ejercer funciones de propaganda y a mantener la moral del equipo de rodaje.» (Samuel Amell: «Cine y novela, una relación conflictiva: el caso de Max Aub». En: Sierra de Teruel, cincuenta años de esperanza. Archivos, n° 3, Valencia, Filmoteca de la Generalitat Valenciana, 1989, p. 726).
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La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto
mágico
Tabac Bureau 5 adv. } } Cine Paquete} (P- 98). Fotógrafo - mañana 12 Majestic 8 - Gay Page > Peskin } Tuai }' Carnet
billet aller retour Lape
Carnet 10 pts. 9 - Le sommaire du film será basé sur le roman d'A.M. L'Espoir. 10. A.M sera asiste de M.A pour la réalisation {?} de ces film. Federico Ramírez Morales 2* Sección de Información del Cuartel G' 1 del Ej. del Este. T. P. Pérez (p. 99).
De la lectura de estas notas se desprende que fueron redactadas antes del rodaje de la película, que comenzó en julio de 1938. El cuaderno FMA-5/21 se convierte así en un testimonio valiosísimo de la actividad intelectual y propagandística de Max Aub entre finales del afto 1937 y principios de 1938, reuniendo autógrafos de su primer relato y de su teatro breve (aunque también hay alusiones a su adaptación de La madre, de Gorki), los primeros apuntes de lo que será su obra magna, y notas relativas a las gestiones como productor del film realizado por Malraux. Un período intenso que tiene su testimonio literario más directo en el fragmento de Campo de sangre citado al comienzo de este trabajo, y en el que Aub y Malraux se reunían continuamente en Barcelona, preparando la película y negociando con Negrín y Alvarez del Vayo la autorización para el rodaje.
" En el barcelonés Hotel Majestic se alojó parte del equipo técnico del rodaje, y allí mantuvo Max Aub conversaciones con Hemingway en los ratos libres que el film le dejaba. 9 En la ficha técnica de Sierra de Teruel, publicada en Archivos, n° 3, 1989, p. 49, leemos: «{...} Directores de producción: Roland Tuai (Francia) y Fernando Gómez Mantilla (España). {...} Guión técnico: Boris Peskine. Director de fotograffa: Louis Page.» Sin embargo, a tenor de lo dicho por Denis Marion en carta del 1 de septiembre de 1967 (ibid, p. 276), los dos primeros no llegaron a trasladarse a España, trabajando en el film desde Paris: «Boris Peskine vit aussi mais je ne l'ai jamais revu. Il avait fait le découpage tecnique d'après l'escénario rédigé avant le tournage, mais il n'est jamais venu en Espagne. Roland Tuai (qui est mort) non plus: il a joué le rôle de directeur de production à Paris pendant le tournage.»
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Luis Llorens Marzo
La consecuencia más relevante de lo que antes afirmábamos es que Max Aub toma los primeros apuntes y anécdotas que darán lugar a su ciclo narrativo cuando todavía no ha terminado el conflicto. Por ello se puede afirmar que no todo su material y su ulterior reelaboración proceden de la asunción de la derrota en París, sino que buena parte es fruto del testimonio más vivo y directo, cuando Aub mantiene la esperanza en la victoria. Y en un período, no lo olvidemos, en el que colabora estrechamente con Malraux, lo cual va a tener una considerable y variada incidencia en el momento inaugural del Laberinto mágico. En primer lugar, recordemos que el ciclo se abre con el relato breve «El cojo», cuya temática es el éxodo de civiles entre Málaga y Almería en el año 1937, perseguidos por la aviación y las columnas fascistas. Precisamente, sabemos que la última misión de Malraux al mando de su escuadrilla aérea fue proteger dicho éxodo, y en L 'Espoir dedicará una parte del libro a describir la caravana de refugiados republicanos, desde el aire y desde tierra. Por otra parte, la presencia del autógrafo del final del relato aubiano junto a testimonios de su trabajo con Malraux confirma que el drama presenciado por el escritor francés debió ser tema de conversación entre ambos. Un drama, el bombardeo y ametrallamiento de civiles en retirada, que sin duda impresionó fuertemente a un humanista como Aub, y que bien pudo moverle a escribir el que constituye uno de sus mejores relatos breves. Tampoco resulta aventurado suponer que Malraux pudo jugar un papel en la elección de Barcelona y Teruel como eje de Campo cerrado y Campo de sangre. Es cierto que la elección resulta lógica si atendemos al contexto inmediato, pues Barcelona constituye el espacio donde Aub vivió más de cerca la experiencia bélica, durante el proceso de producción y rodaje de Sierra de Teruel, y la ciudad aragonesa y sus alrededores eran el principal frente bélico en los momentos previos al rodaje de la película. Pero también es cierto que el propio rodaje sirvió al escritor para recabar información directa sobre otros momentos del conflicto, como la sofocación de la rebelión en Barcelona. La propia ciudad y sus habitantes serían sin duda buena fuente de información al respecto, pero cabe añadir que también el propio equipo de rodaje suministró material al autor. Andrés Mejuto, el actor que interpretó al capitán Muñoz en Sierra de Teruel, da testimonio en una entrevista10 de su participación previa en dichos sucesos, incluyendo el combate en Atarazanas, y no en vano figuran en el cuaderno FMA-5/21 apuntes al respecto, tal y como se recogerán en Campo cerrado. Por lo que respecta a Teruel, hay que tener en cuenta que Malraux había participado en la primera ofensiva republicana sobre la ciudad, y seguramente proporcionaría a Max Aub un buen número de anécdotas sobre la situación en el bando republicano y sobre la represión franquista, así como observaciones sobre el terreno y sus habitantes. Prueba de ello es que el autor consigna algunas de estas anécdotas en el cuaderno que nos ocupa, como una inédita sobre los amores y la traición en la cúpula del ejército de Aragón, representada por Ascaso y Ortiz."
Ibid., p. 284. Ibid., p. 30-31.
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La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto
mágico
Sin embargo, la ciudad que se erige en protagonista del cuaderno FMA-5/21 es Barcelona, y a los apuntes que Aub recogerá en Campo cerrado hay que añadir otros muchos que acabará integrando en Campo de sangre, la otra novela del ciclo donde la Ciudad Condal adquiere protagonismo.12 Entre estos últimos destacan algunos fragmentos que, posteriormente hilvanados, conformarán el capítulo «Madrugada de tres». El primero es una serie de reflexiones sobre la justicia en el bando republicano, dispersas entre las páginas 45-56, muy similares a las que debatirán finalmente Templado y Rivadavia. El segundo, en la página siguiente, es el borrador de uno los momentos clave del capítulo: La muerte de los tres fusilados en Montjuich el falangista el anarquista - q u e se baja los pantalones, hace su necesidad y muere el tercero: ahora que ante la muerte, puedo escoger y podría [morir] vivir con la mano en alto muero cerrando [la mano] el puño. (FMA-5/21, p. 57)
Pero sin duda el más interesante de los materiales es el tercero, localizado unas páginas más adelante, que describe los bombardeos franquistas de Barcelona como represalia por la ofensiva republicana sobre Teruel: Barcelona, paseo con Malraux. La casa bombardeada. Los papeles de colores en las paredes. El armario de luna - u n a entera- El aparato de luz suspendido. El mapa de España. El gato. Las ventanas abiertas al cielo. El monasterio de Pedralbes. Los cuatro jardines, Montjuich y el Tibidabo. La luz, la huerta. Los pájaros mayores que los aviones. El silencio. Las columnas de humo del bombardeo. El caballo muerto. La vieja conversación con Malraux -España, mi patria-. Los hombres. (FMA-5/21, p. 64)
12 Se trata de: una cita de José María Pemán sobre la cual se ironizará en la novela («Pemán / Por eso Dios, generalísimo de esta cruzada... », p. 62); una referencia al Alcázar de Toledo, obsesión de los personajes de la novela en los capítulos que narran los combates casa a casa en Teruel y la cena de los amigos en Barcelona («Así el Alcázar de Toledo ha resuelto más rotundamente que ningún libro ni ninguna conferencia el problema de la primacía de lo espiritual, refutación suprema del Marxismo», p. 63); anécdotas sobre la defensa de Irún («Vizcaya. Historia de un joven parisino del 20° muerto en Irún, por falta de municiones», p. 37) y los bombardeos en Bilbao («Bilbao / Todas las mujeres con los niños en la calle haciendo media, por si venía la aviación poder ir enseguida a los refugios», p. 77), que luego se recogerán en «Juventud de Rosario»; reflexiones sobre la delación; reflexiones sobre el Teatro, parecidas a las que posteriormente Cuartera realizará en el capítulo «Nacimiento de una comedia» («Cuando se habla de teatro de masas se habla de un teatro que no es cierto, que no sabemos lo que pueda ser, porque si el teatro lo determina y forma el público, las masas no lo son todavía. Es indudable que lo serán», p. 9); una anécdota sobre la visita de un médico a un niño que muere de hambre (p. 40), escena final del capitulo «Teresa Guerrero».
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Luis Llorens Marzo Posteriormente, en un m o m e n t o m á s avanzado del cuaderno, M a x A u b redunda en la descripción d e l o s bombardeos, e n u n o s fragmentos que no cuesta identificar c o m o el esqueleto del capítulo « 1 9 d e marzo», que cerrará la novela: Bombardeo-Barna. Gasolina. Montjuich. Un volcán. El humo y las llamas. El resplandor. Las bengalas. La sirena. {Los gritos.} Los proyectores. Los antiaéreos. El silencio. Unos pasos. Un coche. El silencio. El mar color de plata. Nube 5 km., el sol a través de la nube. Terribles nubes de tormenta en cielo azul. /p. 103/ Mar fuego gris claro a oscuro Mar tranquilo Costa con sol azul rayado de rojo. Sube el humo en abullonamientos de llama convertidos en humo negro que en los bordes se vuelve gris claro, /p. 104/ (FMA-5/21, p. 103-04) Y , d o s páginas más adelante, aisladas entre anotaciones relativas a la película Sierra
de
Teruel,
encontramos las d o s palabras c l a v e que servirán de brillante cierre a la n o v e l a
Campo
de
sangre:
El silencio. La poesía. (FMA-5/21, p. 106) El h e c h o de que la descripción d e l o s bombardeos de Barcelona se halle tan cerca de otros d o s materiales autógrafos que integrarán el primer capítulo de la n o v e l a puede hacer pensar que s e trata de una puesta e n e s c e n a e n gran m e d i d a ficcional. Sin embargo, el t e s t i m o n i o d e Elvira Farreras, secretaria de André Malraux durante el rodaje de Sierra
de Teruel,
v i e n e a refrendar la autenticidad de las e s c e n a s descritas por la
pluma de A u b , fijando su referente e n una realidad m u y concreta: Las escenas de pueblo [se rodaban] en Cervera, Tarragona y en el pueblo español del parque de MontjuTc [s/c] de Barcelona, donde hay una imitación de muchas casas y calles típicas de toda España. [...] Frecuentemente, durante el rodaje de las escenas del film, ya fuera en las calles o en los estudios, había que interrumpir el trabajo, pues las sirenas anunciaban la alarma [...]. Malraux daba siempre sensación de una gran serenidad y coraje, al igual que Max Aub y Denis Marión. [...] Cuando se rodaba en el estudio, como estaba situado en la montaña de MontjuVc, al sudoeste de la ciudad, y justo al otro lado de la loma estaban los depósitos de gasolina que abastecían a los barcos que llegaban al puerto, los cuales continuamente eran blanco de los bombardeos aéreos, entonces, los más miedosos, yo entre ellos, salíamos del edificio y nos tirábamos a tierra sobre el césped del parque cuando oíamos silbar las bombas que caían al otro lado de la loma. Un día, los Junkers acertaron de pleno en los tanques de gasolina y la humareda del petróleo quemado cubrió media ciudad durante algunos días. Casi no se veía el sol.11
Archivos, n° 3, 1989, p. 289sq.
8$
La relación entre M a x A u b y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto
mágico
Una imagen que debió grabarse en la retina de Max Aub, y que lo llevó unos años después a retomar los apuntes dispersos en el cuaderno FMA-5/21 desarrollándolos al comienzo y al final de Campo de sangre, en una estrategia narrativa que dota de estructura circular a la novela y anticipa así la estructura del conjunto del Laberinto mágico. La veracidad de las escenas explica, además, la elección de los personajes que las revivirán en la ficción: por una parte Julián Templado, testigo en ambas ocasiones, y posiblemente el personaje de la novela que más simpatías despierta en su autor; por otra, en la escena crucial, el mismo junto a Paulino Cuartero, en tantos aspectos aller ego del autor.14 Hasta este momento hemos visto la incidencia que la amistad con Malraux y su colaboración con él en Sierra de Teruel tuvieron en las novelas de Max Aub, dejando en ellas una marcada huella testimonial e ilustrando perfectamente la base documental de su método creativo, el registro de anécdotas con vistas a su ulterior elaboración. Pero conviene recordar también que el guión de la película de Malraux se basa en una novela suya, L Espoir, que Max Aub debió leer con detenimiento, y que dejó su influencia en las primeras entregas del Laberinto mágico, especialmente en Campo de sangre. Por citar sólo los paralelismos más evidentes, recordemos que el personaje de Paulino Cuartero, central en el ciclo aubiano, tiene un antecedente en el republicano católico Guernico, de L'Espoir. O, a otro nivel, que ambos narradores optan por un modelo de protagonismo colectivo a la hora de ofrecernos su imagen del conflicto, y hacen un uso magistral de la estructura fragmentaria, con una deuda considerable a los moldes narrativos del arte cinematográfico. No se puede decir que Max Aub tomara como modelo a Malraux en su proyecto de narrar la Guerra Civil, pero sí creemos que incorporó su influencia a tantas otras como vinieron a conformar su taller literario: las vanguardias, Quevedo, el teatro clásico, Tolstoi, Dostoievski, Galdós... e incluso el propio Diccionario de la RAE. Sin duda, Malraux y Max Aub debieron incluir la novela del primero en muchas de las conversaciones que sostuvieron durante el rodaje de la película, y así lo testimonia un fragmento autógrafo del cuaderno FMA-5/21, en el que Aub transcribe algunas de las opiniones del escritor y cineasta francés: Malraux Lo único que me interesa es el destino del hombre en el mundo. El hombre en relación con las tres cosas que cuentan: el arte, la ética y la política. Sin las conversaciones. L'espoir sería otro libro. Hay 4 escritores en Francia -además de Claudel y de Gide-: Bernanos, Giono y Montherlant.
" Cf. Luis Llorens Marzo: «Tierra de campos', avatares en la escritura de M a x Aub». En: Voz y Letra, (en prensa).
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Luis Llorens Marzo Mi héroe es un comunista porque se trata de la construcción de un ejército. (FMA-5/21, p. 93)
Aún queda por señalar un último punto de incidencia de Malraux en los entresijos del Laberinto mágico. En 2001, la Fundación Max Aub de Segorbe publicó Cuerpos presentes, obra hasta ahora inédita de Aub. El texto, que José-Carlos Mainer edita, es una recopilación de semblanzas, algunas publicadas en revistas y otras inéditas, de sus amigos y de figuras relevantes como Hemingway, Tzara, Machado, Jiménez, Günter Grass, Prieto o Negrín. Una de las semblanzas se titula «André Malraux. Retrato», y comienza así: No siempre puede uno escapar de ser perseguido por los Dioses. Byron no lo logró, tal vez porque era cojo. Bien plantado, otros son los dardos. Rapidísimo de sf. Seguro. Atravesado de tics nerviosos, le persigue un tanque, se vuelve, se esconde, tira, lo vuela. Entonces aparece otro; dos, diez. Muere, pero los detiene. Al fondo, desfilan miles de hombres, desnudos, cargados de cadenas, hacia la esperanza. Se arriesga, peligra, expone, aventura, la crencha en la frente. Determina, explica, forja la realidad: - E s t o es así, esto es asá, esto de otra manera y a otra cosa. Lo que importa es luchar contra el destino. Vencer. Conquistar. Todo se puede conquistar. -El puis, pour le reste, on s 'en fouí. Levanta la mano, espanta la idiotez, rectifica la crencha sobre la frente, guiña el ojo sin querer. Nunca le importó los que no le entendían. Este rey Lear que vaga por el campo, lampiño, probando fortuna y ventura, trayendo al tablero la vida...
Como se aprecia fácilmente, el retrato de Malraux se reviste de un barniz mítico, mucho más marcado que el que podamos localizar en otras semblanzas del volumen. La explicación hay que buscarla en el momento en que su vida y la de Aub se cruzan, a principios de 1938, en el proyecto de llevar a la pantalla L 'Espoir. El proyecto respondía a una finalidad propagandística, incidir sobre la opinión pública de los países «nointervencionistas» (especialmente los Estados Unidos) y hacer variar sus políticas de apoyo militar y logístico al Gobierno de la República. Para Aub suponía el colofón a una actividad que ya había iniciado antes de las elecciones de 1936, con obras como Jácara del avaro y La guerra (ambas de 1935) o El agua no es del cielo (1936), y que continuaría durante el conflicto con obras como Pedro López García (1936) o Por Teruel (1937).15 Así, con la irrupción de la guerra el escritor valenciano completó un giro hacia el testimonio y el compromiso que su trayectoria creativa ya había apuntado. Sin embargo, el compromiso que Malraux adquiere con la España republicana, el que se despliega ante los ojos de Max Aub, es total, abrumador. Llega a España tan sólo seis días después de la sublevación, con la misión más o menos oficial de hacer de interlocutor entre las autoridades francesas y españolas. A sus 35 años viene avalado
" Estas obras han sido recientemente recogidas en Max Aub: Primer teatro, ed. Josep Lluís Sirera, Obras completas vol. Vil-a, Valencia, Biblioteca Valenciana, 2002, p. 227-288.
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La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto
mágico
además por un considerable prestigio, biográfico y literario, con títulos bastante conocidos como La Voie Royal (Paris, Bernard Grasset, 1930) y La condition humaine (Paris, Gallimard, 1933). Pero ante todo hay que destacar su labor como reclutador, organizador e integrante de la primera escuadrilla de aviación formada a base de voluntarios internacionales, que efectuaba sus primeras misiones ya en agosto de 1936. Desde entonces hasta el momento en que conocerá a Max Aub, un período de intensa actividad militar a la que pondrían fin causas ajenas a él, y que biógrafos como Curtius Cate identifican con el creciente protagonismo del Partido Comunista entre los mandos militares republicanos, una vez verificado el apoyo solapado de la Unión Soviética. Por tanto, el encuentro de los dos escritores está marcado de raíz por una esencial diferencia: mientras Aub es básicamente un intelectual, Malraux se debate entre la intelección y la acción, e incluso intenta forjarse una identidad que se inclina más por la segunda. Constancia de ello queda en la novela L 'Espoir, por ejemplo en la siguiente conversación entre García y Scali, con un bombardeo de Madrid como fondo: - U n a m u n o perderá su muerte - d i j o Scali- El destino le había preparado aquf los funerales con los que había soñado toda su vida. García pensaba en el cuarto de Salamanca. - A q u í habría encontrado otro drama - d i j o - , y no estoy seguro de que lo hubiera comprendido. El gran intelectual es el hombre del matiz, de la gradación de la calidad, de la verdad en si, de la complejidad. Es, por definición, por esencia, antimaniqueo. Ahora bien, los medios de acción son maniqueos porque toda acción es maniquea. En estado agudo desde que toca las masas; pero hasta si no las toca. Todo verdadero revolucionario es un maniqueo nato. Y todo político." 1
Una guerra no sólo obliga al intelectual a adoptar una postura frente a su entorno, sino también frente a sí mismo. Más aún cuando en dicha guerra, además de individuos y bandos encontrados, se enfrentan auténticas concepciones del mundo y de las relaciones humanas, poniendo en tela de juicio algunos de los principios y valores más inamovibles. La Guerra Civil española supuso en muchos aspectos el inicio de una considerable regresión histórica, rescatando y magnificando viejas maneras bélicas como la extensión del conflicto a la retaguardia civil y la ejecución masiva de prisioneros. Ante la magnitud de un conflicto así al intelectual se le plantea una pregunta que sabe difícil, pero insoslayable: ¿es suficiente la acción ideológica en un contexto donde impera la acción directa? La opción de Malraux ante dicha cuestión es clara, y a su actividad propagandística antepuso, mientras le fue posible, la participación armada. Como el personaje de García, Malraux aboga por la acción, escudándose de su propia condición de intelectual en el desprecio del «antimaniqueísmo». Así lo corrobora un testimonio de Ilia Ehrenburg, perteneciente al libro cuarto de sus memorias, que años después recogerá el propio Max Aub al editar el guión de Sierra de Teruel":
André Malraux: La esperanza, Madrid, Cátedra, 1995, p. 444-51. Max Aub: Sierra de Teruel, México, Era, 1968.
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Luis Llorens Marzo En invierno (de 1936), en Valencia, me había encontrado a menudo con André Malraux: su escuadrilla se hallaba a poca distancia de la ciudad. Malraux es un hombre que siempre vive absorto en una pasión; le conocí en el periodo de su interés por el Oriente, después por Dostoievski y Faulkner, luego por la fraternidad de los obreros y por la revolución. En Valencia, sólo pensaba en los bombardeos de las posiciones enemigas y no hablaba de otra cosa; cuando yo abordaba algún tema literario, él callaba a la vez que se le acentuaba su tic . nervioso. [...] Para Malraux, en Valencia, no se trataba de un tema literario, sino de la realidad cotidiana del combate: él luchaba." M a x A u b nunca c o m b a t i ó o pudo combatir en la Guerra Civil, y la respuesta que da (y se da) ante la pregunta a la que aludíamos difiere radicalmente de la de Malraux, pues supone un afianzamiento y una d e f e n s a a ultranza del papel del intelectual en t i e m p o de guerra. E n una de sus producciones propagandísticas m á s tempranas, una breve pieza dramática d e 1937 titulada precisamente ¿Qué has hecho
hoy para
ganar
la
guerra?",
encontramos los siguientes fragmentos de diálogo, que así lo certifican: JOVEN: Yo quiero ser aviador. MUJER: Eso está bien. JOVEN: En mi casa no me dejan. MUJER: ¿Cuántos años tienes? JOVEN: Catorce. En casa quieren que siga yendo al Instituto. ¿No es una indignidad cuando todos están en el frente? MUJER: Tus padres tienen razón. Debes estudiar: esa es tu arma; en ese ejército estás alistado: ahí debes continuar; en ningún otro sitio cumplirás mejor con tu obligación. Cada cual debe tener su puesto. MUJER: ¿Quién te aniquiló? CUALQUIERA: La guerra. MUJER: Acaba con ella. CUALQUIERA: No puedo. MUJER: Porque no eres hombre. Si lo fueras, otro serías, dale que dale a una pala, a una pluma, a un fusil o a un tanque. M a x A u b no e s g r i m e c o m o argumento la superioridad de la pluma sobre la espada, pero sí aboga por atribuir a ambas la m i s m a efectividad c o m o armas para combatir la injusticia. U n a o p c i ó n que multitud d e intelectuales han defendido c o n anterioridad y posterioridad al escritor valenciano, pero que no debía satisfacerle del todo c o m o respuesta. Las dudas al respecto seguirán acompañando al autor, de manera casi obsesiva, a lo largo d e toda su producción escrita posterior, y encontramos numerosas referencias al t e m a d e s d e sus primeros apuntes manuscritos.
C o m o el
siguiente,
parcialmente inédito, localizado en las páginas 6 2 y 63 del propio cuaderno F M A - 5 / 2 1 :
" Archivos, n° 3, 1989, p. 40. En el cuaderno FMA-5/21 (p. 107) Max Aub recoge un fragmento de diálogo entre ambos: «Ehrenburg - Malraux / E: Me alegro mucho de veros. / M: Yo más. / E: No riñamos. ¿Se acuerda de aquel cuento del Talmud en que un hombre gordo montaba un burro pequeño y el burro no podía con la carga y el hombre iba terriblemente incómodo? Cuando llegaron a casa no sabían quién estaba más satisfecho. / M: Pero yo me alegro de verle vivo.» " Recogida en Max Aub: Primer teatro, op. cit., p. 305-311.
92
La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto
mágico
Pemán Por eso Dios, generalísimo de esta cruzada... Peleamos por este gran dilema - e l concepto material o el concepto espiritual de la vidaque agita todo el mundo contemporáneo. Sólo ha quedado la mejor España de perfil romano. Así el Alcázar de Toledo ha resuelto más rotundamente que ningún libro ni ninguna conferencia el problema de la primacía de lo espiritual, refutación suprema del Marxismo. Nuestra guerra es empresa de soldados y poetas.
O esta cita de Marx, recordada con ironía durante su cautiverio francés, que pasará a la novela Campo de sangre: {Al margen): Marx. «La fuerza material no puede ser abatida más que por la fuerza material, {pero} también la teoría se [ca] trueca en una fuerza material en el momento en que penetra las masas». ¡Pero también la fuerza material se trueca en teoría! (FMA-4/7, p. 33, tachada)
til caso es que Max Aub parecía no acabar de convencerse del papel que según él debía desempeñar el intelectual en una guerra fratricida, en la que estaban en juego sus propios ideales, su visión de la humanidad. Y en cierto sentido la imagen de Malraux, escritor cuya amistad conservaría muchos años después, se debió de erigir ante él como contrapunto, como espejo wildeano. En este sentido son esclarecedores los dos artículos que Max Aub publicó, con sólo quince días de diferencia, en el periódico barcelonés La Vanguardia, precisamente en la época del rodaje de Sierra de Teruel: el primero de ellos se titulaba «Héroes. De Byron a Malraux»; el segundo, «Las cosas como son. Los escritores y la guerra». Éste aparecerá el 2 de abril de 1938, pero la fecha de publicación del dedicado a Malraux no podría ser más significativa: el 19 de marzo del mismo año, día en el que transcurrirá el último capítulo de Campo de sangre, donde Aub narra el incendio del depósito de gasolina en las faldas de Montjuich, durante el bombardeo de Barcelona. Parece pues evidente que Malraux contribuyó en cierta medida a alimentar en Max Aub un debate interno que, revestido de múltiples formas, le perseguirá a partir de Campo de sangre, y a lo largo de todo su ciclo narrativo. La manifestación más frecuente del mismo se encuentra en los múltiples personajes comunistas que debatirán con sus alter ego de ficción la necesidad de desprenderse, por el bien de la revolución, de la «vieja raigambre liberal» y de los escrúpulos morales propios del intelectual. Y así nace en los autógrafos de Campo de sangre el que en algunos aspectos será trasunto de André Malraux, el personaje de Fajardo, que en la novela intercambiará su nombre con el de Herrera. En todo caso, con un nombre u otro, su carácter es invariable, y queda bien definido en esta conversación autógrafa, inédita, con Paulino Cuartera: F -¿Cuál es para ti el ideal de la humanidad? C - Q u e cada cual tuviese cierta «autonomía moral».
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Luis Llorens Marzo F - E r e s un liberal. Un viejo liberal de vieja escuela. C - ¿ P o r qué no? ¿Crees que me avergüenza? F - S í . Porque te das cuenta que puede existir una humanidad moral que no cree en Dios. C - ¿ Y cuál es tu ideal? F - Q u e r e r lo que se puede. C - Y creer en lo que no se puede. F - Y sobre todo odiar las paradojas. C - En verdad, en verdad empiezo a creer que has dejado de ser literato. (FMA-4/4, p. 65, tachada)
Es decir, Herrera es el primero de los numerosos personajes, generalmente de ideología comunista, con los que Cuartera, Templado o Dalmases debatirán si se debe priorizar la moral o la revolución, la ética personal o la del Partido. Pero cabe añadir que el personaje que nos ocupa es el que recibe mejor trato por parte de Aub, y resulta el más paradójico de la larga serie que lo sucede. Así lo revela este otro fragmento autógrafo en el que conversa también con Cuartero, recogido después en el capítulo «Todo es hablar»: - A mi no me importan los individuos por lo que son sino por lo que hacen. Por eso corto toda relación sentimental con ellos. (La soledad viva de este hombre, que no piensa más que en la obra a realizar inmediatamente.) -Entonces si tu obra fracasa, ¿qué? - c o m e n t a Cuartero. - S e vuelve a empezar. - ¿ Y si fracasas otra vez? - O t r a vez vuelta a empezar. - ¿ Y no te sientes nunca solo? - N o estoy nunca conmigo mismo, sino frente a lo que tengo que hacer. Yo soy mi trabajo y mi rendimiento. Lo otro es literatura y vaguedades. Se vive para trabajar - y el descanso sirve para no pensar- sueño sin sueños. (FMA-4/7, p. 39, tachada)
El personaje de Herrera se define así como héroe romántico, byroniano, e intenta conjugar su aislamiento frente al mundo con el altruismo más desinteresado. En gran medida igual que el Malraux recreado por Max Aub, y así se percibe en este fragmento de «André Malraux, retrato»: Amar los precipicios, solo con memoria; no buscó naufragios, se los ofrecieron. Siempre se confesó y llevó su vida jugada y nunca dio en la publicidad. Hizo más que nadie, porque tuvo los medios a mano; mas los aprovechó como pocos. Todo hace suponer que se lo agradecerán. N o le importará gran cosa: bastante inteligente para saber lo que se puede esperar de los hombres. Y la fraternidad, y la soledad, que no son antitéticos. 20
No podemos afirmar plenamente que Herrera sea un trasunto de Malraux, pues los separa la ideología férreamente comunista del personaje de ficción. Pero en todo caso son muchos los puntos de contacto entre ambos, más aún en la redacción final de la
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Max Aub: «André Malraux, retrato», op. cit., p. 200.
La relación entre Max Aub y André Malraux en el marco de la génesis del Laberinto
mágico
novela: si Malraux fue capitán de una pionera escuadrilla de aviones, Herrera lo será de una de las primeras compañías de tanques republicanos que participan en el conflicto. Un paralelismo que se acentuará incluso en lo psíquico: si recordamos el testimonio de llia Ehrenburg, Malraux era víctima de un tic nervioso cuando durante el conflicto se apelaba a su condición de intelectual. Algo parecido le sucede al personaje de Herrera, como revela su actitud precisamente en conversación postuma con Fajardo, en el capítulo que lo enfrenta a su muerte en combate: - M i r a - l e dice a Herrera. Mira éste y ve en el fondo cuatro o cinco moros a medio hundir en el agua negra. Miguel Jiménez, que todavía tiene sed tira otra vez abajo el pozal y subiendo el agua, dice: - ¡ Q u é más da! - E n t e r o y no muy compasivo conviene que sea el hombre, como escribió el Pinciano - d i c e Fajardo. ¿A qué juega? -piensa Herrera, a quien el lado farolero de Juan molesta siempre-. ¿Necesita agarrarse fuerte a algo que no sea la guerra? Herrera no lo concibe. El mundo empieza en aquella loma y acaba en aquella otra. Y la labor: localizar el enemigo. No hay más. 21
En conclusión, la presencia de Malraux en el seno del Laberinto mágico va más allá de sus apariciones reales o ficcionalizadas en las novelas que lo componen y de su posible influencia en el particular modelo de realismo que Aub desarrolla. Su propia actitud vital e ideas al respecto contribuirán a intensificar el debate interno que el conflicto planteó a Max Aub como escritor, y saca a la luz la genialidad de éste como narrador realista moderno. Max Aub nunca traicionará sus convicciones respecto a la labor que como intelectual le corresponde llevar a cabo, pero tiene la suficiente honestidad y amplitud de miras como para poner en escena sus propias dudas, creando personajes que presentan alternativas quizás no compartidas plenamente, pero no por ello menos válidas. En todo caso, de la respuesta por él adoptada nació el aliento para emprender una obra que el tiempo ha revelado como menos baldía de lo que él mismo pudo pensar, un magnífico ejercicio de memoria personal y colectiva.
Max Aub: Campo de sangre, op. cil, p. 366.
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Testimonio literario de un escritor español exiliado en Francia. Alvaro de Orriols: Las hogueras del Pertús
José Rodríguez
Richarí
Alvaro de Orriols, nacido en Barcelona en 1894, era ya un autor bastante conocido en la España de los años veinte y treinta. Cuando ya llegaba a su término la Guerra Civil, se vio forzado a abandonar su patria con su familia a fines de enero de 1939. Establecido de joven en Madrid, primero para realizar estudios en la Escuela de Bellas Artes, se casó después allí mismo y en la capital de España nacieron sus dos hijos. El se integró en el ambiente artístico y literario de la ciudad, en donde desarrolló una enorme, casi febril actividad, publicando obras de poesía, traduciendo piezas escénicas del catalán al castellano como La daga (Lo ferrer de tall) de Frederic «Soler Pitarra», escribiendo libretos para zarzuelas e incluso componiendo la música de alguna de ellas. Especialmente a partir de 1930, en que estrena el drama fantástico en verso Athael, se centra en el género dramático y estrena y publica, en parte con gran éxito, varias obras teatrales de tipo social como Rosas de sangre (1931), Los enemigos de la República (1931), Máquinas (1936) o España en pie (1937). Alvaro de Orriols militó desde los diecinueve años en el PSOE, al estallar la guerra formó parte de las Milicias Populares y colaboró después con la Subsecretaría de Propaganda del Ministerio de Estado, como otros muchos escritores republicanos. Por ese motivo, en 1939 decidió marcharse al exilio con sus familiares, uniéndose así a la inmensa oleada de españoles, civiles y militares, que huían de las tropas franquistas, cruzando la frontera del Pertús el 6 de febrero de ese año. Esta horrible odisea continuará algo atenuada por territorio francés hasta llegar a Bayona el 18 de febrero y reencontrar allí a casi todos sus familiares. Desde el 23 de enero hasta el 7 de mayo de ese año el autor escribió un diario, basado en notas tomadas durante el camino, que relata todo ese éxodo por España y por Francia y que constituye el contenido de la obra Las hogueras del Pertús, subtitulada Diario de la evacuación de Cataluña. En el exilio francés, Alvaro de Orriols, como otros muchos escritores españoles conocidos, continuó sus actividades literarias y periodísticas, colaborando en varias de las publicaciones de la prensa republicana (El socialista español, España combatiente, L 'Espagne républicaine, La voz de España, España libre, etc.) y escribiendo la obra teatral sobre la guerra Romance de Madrid, poema heroico en cuatro actos, estrenada el 13 de junio de 1948 con notable éxito por el cuadro de actores del Centro Español de Biarritz. En 1955 apareció la primera edición de Las hogueras del Pertús en Bayona. En la década de los setenta, la editorial Millá de Barcelona publicó sus traducciones al catalán, por ejemplo de Cyrano de Bergerac, de Rostand, y de Yerma y La casa de Bernarda Alba, de Lorca, así como las versiones, también al catalán, de algunas obras propias escritas originariamente en castellano como L 'hostal del mar, adaptación de su zarzuela Costa Brava, o La guerra sens homes, traducción de su obra inédita Los
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José Rodríguez Richart
soldados de cristal, dejando una considerable obra inédita tanto en poesía como en narrativa y en teatro en poder de su hija Mercedes al morir en Bayona en 1976.' Las hogueras del Pertús. Diario de la evacuación de Cataluña consta de dos partes; la primera de ellas, titulada «En el volcán», transcurre en territorio español desde el 23 de enero al 6 de febrero y la segunda, «Por tierras de Francia», en la geografía del país vecino desde el 6 de febrero hasta el 7 de mayo. Pero tiene además un preámbulo, una nota preliminar y un prefacio escritos por el autor para la primera edición de la obra (1955). La edición que yo he manejado es la segunda, de 1995.2 Esas líneas previas al texto propiamente dicho creo que tienen un indudable interés porque en ellas nos confiesa el autor haber vivido personalmente todas las dramáticas experiencias que relata, que fueron también, más o menos, las de medio millón de españoles de toda clase y condición: Tal vez no se registre en la historia de las guerras civiles un episodio de proporciones tan dramáticamente gigantescas como el que ofreció al mundo la evacuación de Cataluña. Todo un pueblo vencido, aplastado por trombas de metralla. Medio millón de seres en derrota huyendo jadeantes a través de caminos y senderos para ganar los pasos pirenaicos que eran su salvación. Quien vivió aquellas horas de dolor y de muerte, quien arrastró afanoso el jirón de su vida, fundido en la dantesca caravana, jamás podrá arrancar de su cerebro la visión espantable de aquellos días trágicos.'
También nos informa en ellas de sus procedimientos metodológicos y de la intención que le anima, intención a todas luces honesta, nacida del lógico deseo de justificarse ante los suyos: Unas sencillas notas que tomé en el camino me servirán de guía en la cronología de los hechos. De una forma sencilla y objetiva procuraré narrarlos y conducir con la imaginación a quien me lea por aquellos senderos y lugares que recorrí anhelante, con el ansia de salvar a los míos [...]. Cuando escribí este libro lo hice, más que con miras a un público remoto e improbable, con el afán de legar algún día a mis dos hijos el testimonio escrito de lo que fue la trágica hecatombe que torció para siempre el rumbo de sus vidas.4
El valor testimonial del diario queda remachado, además, por estas afirmaciones: «Cuanto se dice en este libro lo he visto con mis ojos. Es el documental de nuestra gran derrota».5 Las dos partes de que consta el diario son, sin embargo, algo distintas. La primera, que, como se ha indicado antes, va cronológicamente del 23 de enero -salida de Barcelona-
' Tomo algunos datos de la comunicación de Julián Castiella Buril lo «Alvar d'Orriols: exilio y olvido», presentada al congreso internacional sobre el exilio literario español de 1939, celebrado en la Universidad Autónoma de Barcelona en 1995 y que, ignoro por qué motivo, no se publicó en las actas correspondientes. El autor tuvo la amabilidad de darme una copia mecanografiada de la comunicación. 2 Alvaro de Orriols: Las hogueras del Pertús. Diario de la evacuación de Cataluña, París, Les Editions La Bruyère, 1995. 5 Ibid., p. 5. 4 Ibid., p. 5sq. 5 Ibid., p. 5.
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Testimonio literario de de un escritor exiliado. Alvaro de Orriols: Las hogueras deI Pertús
al 6 de febrero -paso de la frontera francesa-, es mucho más dramática que la segunda, pues ese éxodo multitudinario y caótico desde la Ciudad Condal hasta Le Perthus es una huida a la desesperada para tratar simple y llanamente de salvar la vida, siempre con el miedo a sus espaldas, en unas semanas invernales y frías, sin apenas medios de transporte, con agotadoras caminatas a pie, durmiendo mal o sin dormir, con un hambre constante y casi sin comer ni poder lavarse y con la permanente amenaza de los bombardeos y ametrallamientos de los aviones franquistas y sin conocer su destino, ni siquiera lo que la suerte les deparará al día siguiente. Es un calvario de dos semanas, con el dolor de la derrota en el alma y la sensación de fracaso que llevará al autor en Gerona casi al suicidio. El tono o el talante de la segunda parte es algo más esperanzador, pues a pesar de las graves dificultades con que se enfrentan el autor y su mujer, ahora, por lo menos, ya empiezan a ver los dos un futuro en paz y con cierta normalidad, reunidos con los hijos: «En el lado de allá de estas montañas nos espera el aliento de los hijos. Ellos serán el nuevo sol que alumbrará nuestras mañanas. Hay que marchar a ellos, a su luz, a la fe en el futuro que puedan inculcarnos sus sueños infantiles» 6 , lejos de los peligros y de los horrores de la guerra y de las bombas. En esta segunda parte, además, aparecen algunos rasgos de humor, en especial relacionados con las rocambolescas circunstancias de la evasión del campo de concentración de Saint Cyprien, rasgos que apenas existen en la parte primera.' Otro aspecto importante que me gustaría poner de relieve es la dimensión histórica que tiene este diario. La intención de veracidad y de objetividad perseguida por el autor se refuerza con las muchas ilustraciones y dibujos del propio Orriols alusivas a las escenas que relata pero también contribuyen a ellas las fotocopias reproducidas en el libro de algunos documentos de los que se habla en el texto, como el pasaporte diplomático o el volante que le extendió un médico militar en Figueras con el que logró salvarse de las garras del CRIM. Hay también unas cuantas notas que precisan y aclaran con exactitud determinadas circunstancias del diario. 8 Tampoco hay que olvidar en este contexto la aparición en la obra de personajes conocidos y existentes realmente en la España republicana con sus nombres y apellidos.'
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Ibid., p. 99. La única excepción que he encontrado es la graciosa anécdota del coro de soldados durante el estreno de la obra del autor Cadenas en el Teatro Español de Madrid, coro formado por el propio autor, Pretel, jefe de maquinaria del Teatro del Cisne y uno de los personajes de la obra, Ortega (ibid., p. 63). 8 Por ejemplo: Ceferino R. Avecilla acaba de decir en el texto que «dos o tres días los pasó en cualquier parte», aludiendo a lo que él cree breve estancia en el campo de Saint Cyprien. En la nota al pie de la página se precisa: «N. del A.: A pesar del optimismo de D. Ceferino supe, tiempo después, que su esposa tardó más de tres meses en conseguir de las Autoridades francesas el permiso para que su marido abandonara el Campo» (ibid., p. 120). En la «Nota explicativa» de otra página se escribe textualmente: «El Cónsul francés habiendo dejado su puesto en territorio español, el visado fue otorgado en Perpignan el día 14 de Febrero, fechado el 8 de Febrero en el Perthus por razones que exigían los momentos.» (Ibid., p. 152). 7
' Como el escritor Ceferino R. Avecilla, la actriz Micaela Castejón y su marido, el periodista Nogales, José Domingo, redactor del Heraldo de Madrid, Emilio Criado y Romero, colaborador de
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José Rodríguez Richart
Todas estas particularidades nos confirman una vez más el, para mí, indudable valor histórico de esta obra literaria y la veracidad esencial de lo reflejado en el diario. Podemos, pues, considerarlo como una crónica realista de la evacuación de Cataluña, un testimonio fiable y auténtico de la suerte aciaga de miles y miles de refugiados españoles en Francia en 1939 al final de la Guerra Civil. El deseo del autor de reflejar fielmente la realidad de esa desbandada multitudinaria le lleva a describir en varias ocasiones escenas de una crudeza y de un dramatismo que alcanza a veces rasgos verdaderamente dantescos, sobrecogedores, como por ejemplo el horripilante bombardeo de las proximidades de la estación de ferrocarril de Figueras10 que nos recuerda algunos pasajes de los que sufrió Madrid durante el cerco por las tropas de Franco y que relata también con pavorosa fidelidad Arturo Barea en el tercer volumen de su trilogía La forja de un rebelde (La llama) o bien los no menos sangrientos efectos de los ataques rifeños a las tropas españolas no lejos de Melilla en 1921, que Barea describe en el segundo volumen de su trilogía (La ruta), o bien las primeras páginas de Campo francés de Max Aub." La muerte de la abuela doña Antonia en el hospital de Pau, agotada de fatiga, extenuada de inanición y con la salud ya bastante quebrantada a sus setenta y ocho años en los interminables viajes en el tren de evacuados, rechazados en unos sitios y en otros por las Autoridades, que se negaban a admitir más refugiados, o bien la amputación de los dos pies de Paco, cuñado del autor, en el hospital de Castelnaudary, por habérsele helado en el campo de concentración de Bram, son otros lamentables y luctuosos hechos descritos por el autor. Y él mismo, cuando Paco, en Gerona, le confirma la caída de Barcelona en poder de las tropas franquistas y le informa de que, con ello, todos los equipajes que debía traer el segundo camión desde allí se han perdido irremisiblemente, está a punto
Estampa, Ossorio Tafall, Cónsul de España en Perpignan, Joaquín Guixot, ex Secretario General de la Sociedad de Autores y Compositores Españoles, el líder obrero González Peña, el antes mencionado Felipe Pretel etc. 10 En ibid, p. 73, leemos: «Iba a partir un tren de evacuados cuando llegaron los aviones. La gente echó a correr, acobardada, dejando desiertos, en un instante, la sala de espera y el andén. [...] La mayor parte escapó a refugiarse bajo los pinos de un bosquecillo próximo, en tanto que otro grupo trataba de ganar las escaleras del refugio contiguo a la estación. El resto de la gente corrió a desperdigarse por los alrededores. Y una bomba cayó [...]. A esa bomba han seguido otras más. Se han producido escenas de horror indescriptible. La gente que trataba de ganar el refugio, galvanizada por el pánico, se ha arrojado en tropel escaleras abajo, taponando la entrada. Y allí ha surgido la catástrofe inmensa. Viejos, mujeres, niños, empujados por la ciega avalancha, han rodado escalera abajo. El alud ha pasado por encima de aquellos desgraciados, hundiendo pechos, aplastando cabezas, pisoteando vientres y tronchando costillas. Alaridos de miedo, de dolor y de muerte se han mezclado al tronar fragoroso de las bombas y al temible ron-ron de los motores [...]. Así hasta cuatro asaltos a la estación ferroviaria [...]. Al acabar el último y renacer la calma se ha podido medir toda la magnitud de la tragedia. Miembros humanos arrancados, intestinos, piltrafas, cadáveres sangrantes por doquier [...]. Pero lo más horrible [...] se ha visto [...] bajo las verdes copas abrasadas del pequeño pinar. Allí han caído todos [...] Allí han quedado todos, caídos en montón con las carnes abiertas y los cuerpos curvados, retorcidos, pegados al tronco de los pinos.» " Arturo Barea: La forja de un rebelde, vol. 3 La llama, Madrid, Ediciones Turner, 1977, p. 294295, por ejemplo p. 298; La ruta, vol. 2, Madrid, Ediciones Turner, 1977, p. 104-105. Max Aub: Campo francés, Madrid, Alfaguara, 1979, p. 17-23.
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Testimonio literario de de un escritor exiliado. Alvaro de Orriols: Las hogueras deI Pertus d e c o m e t e r u n a l o c u r a , p u e s una d e e s a s m a l e t a s c o n t e n í a t o d a s s u s o b r a s , t o d o s u l e g a d o literario q u e para él s i g n i f i c a b a t o d a su v i d a d e escritor: Al oir esto siento que un nudo me aprieta la garganta y que en mi pecho el corazón pugna por no estallar. Sin proferir palabra me levanto y me dirijo al cuarto. AHI, como atontado por el brusco mazazo, caigo sobre la cama. ¡Mi labor de poeta, mis tesoros de autor, todo el esfuerzo literario de una existencia honrada, en un instante se ha borrado! ¡Mis versos, mis dramas, mis dibujos, todo, todo, perdido para siempre! ¡Veinte años de calvario, de trabajo, de lucha, para llegar a esto! [...] ¡Todo un sueño de gloria reducido a pavesas! [...] Varios tomos de versos, cuarenta y dos obras escénicas, docenas de dibujos, cuentos cortos, ensayos, traducciones, son la labor enorme, inédita en gran parte, que se ha hundido en la nada [...]. Noto que de mi se apodera una desesperada cobardía, que mi mente vacila y enloquece y, con ciega inconsciencia, agarro mi pistola. Sólo siento un deseo: acabar de una vez [...] Hago jugar la bala en la recámara, llevo el arma a la sien y [...]. Pero ya es tarde. Sospechando mi drama, mi mujer y mi hermana han entrado en el cuarto y se arrojan a mí para arrancarme la pistola [...]. Yo aún quiero resistirme, aún me siento acosado por la ciega locura suicida. Pero al ver a mis hijos que trasponen la puerta y vienen hacia mí, mi mano queda inerme, cae la pistola al suelo y me abrazo a los tres, llorando como un niño. 12 A la t r a g e d i a p e r s o n a l q u e le ha t o c a d o v i v i r a él y a s u f a m i l i a e n e s a i n t e r m i n a b l e y d o l o r o s a o d i s e a , d e final i n s e g u r o , s e a ñ a d e , c o m o v e m o s , la t r a g e d i a d e l i n t e l e c t u a l , d e l escritor q u e ha v i v i d o a p a s i o n a d a m e n t e para s u arte, l i b r e m e n t e e l e g i d o ( c o n t r a l o s d e s e o s d e s u a c o m o d a d a f a m i l i a q u e q u e r í a q u e e s t u d i a r a i n g e n i e r í a ) . La i m p o r t a n c i a d e las o b r a s e n s u v i d a e s u n m o t i v o recurrente e n el diario, prueba e v i d e n t e , a m i parecer, del carácter f u n d a m e n t a l q u e t i e n e para é l y q u e a l c a n z a s u c u l m i n a c i ó n c u a n d o e s t á a p u n t o d e p e g a r s e u n tiro por la p é r d i d a d e s u c r e a c i ó n artística y literaria. E s t e m o t i v o a p a r e c e y a e n v í s p e r a s d e la s a l i d a d e B a r c e l o n a c u a n d o , preparadas y a l a s m a l e t a s , y m i e n t r a s d u e r m e n l o s d e m á s , e l escritor, a q u i e n la t e n s i ó n n e r v i o s a n o le d e j a p e g a r un o j o , v u e l v e « a abrir las m a l e t a s e n q u e g u a r d é m i s o b r a s teatrales, m i s v e r s o s , m i s d i b u j o s . T o d a m i o b r a d e artista e s t á e n c e r r a d a e n e l l a s . A h í e s t á m i p a s a d o ; tal v e z e s t é t a m b i é n m i p o r v e n i r . C o n paternal cariño r e p a s o l i b r o s y p a p e l e s » 1 1 al t i e m p o
que
r e c u e r d a n o s t á l g i c a m e n t e la v i d a l l e n a d e i l u s i o n e s y d e p r o y e c t o s e n el a m b i e n t e f e l i z y bucólico
de
Madrid,
tan
diferente
de
las
dramáticas
circunstancias
en
que
se
d e s e n v u e l v e n a h o r a s u s días: Mi pensamiento vuela hacia días lejanos, aquellos días cargados de ilusiones, de versos y de aplausos, en que, alentado por el afecto de los públicos, paseaba mis obras por tantos añorados escenarios del solar español. ¡Con qué pena recuerdo mi casa familiar, mi modesto hotelito en las afueras de Madrid, donde vivía con los míos en la paz hogareña, perfumada con olor de rosales y aromas de eucaliptus! Allí nacieron mis dos hijos, allí soñé vivir el resto de mis días entre el afán de mis trabajos literarios y el cuidado sencillo del huertecillo y el jardín! M
Alvaro de Orriols, op. cil., p. 29sq. Ibid., p. 13. Ibid
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José Rodríguez Richart
El mismo motivo reaparece más adelante al encontrar en el edificio del Ministerio de Instrucción Pública, mientras espera el camión que debe llevarles a Gerona, a algunos amigos del mundo de las letras como Rafael Moragas o Francesc Pujols, con el que había colaborado en la versión castellana de Lo ferrer de tall (La daga) de Serafí Pitarra: Encuentro alli personas conocidas, algunas de ellas pertenecientes al mundo de las letras. Me acerco a una de las mesitas donde están departiendo Rafael Moragas [...] y nuestro escritor-filósofo Francesc Pujols. Hace ya largos años que conozco a este último. Fue el adaptador lírico de mi obra La daga, versión poética castellana de Lo Ferrer de Tall, el formidable drama de Serafl Pitarra, glorioso dramaturgo catalán de fin de siglo. A esa versión le puso música D. Enrique Morera, ilustre autor de La santa espina, la sardana inmortal. Estrenamos la obra en el Teatro Victoria de la Ciudad Condal y obtuvimos un éxito notable. Recordamos ahora aquel acontecimiento algo lejano y hablamos de teatros, de cómicos, de autores y [...] llegamos a olvidarnos por completo de que estamos sentados encima de un volcán."
Y cuando se apresta a pasar incómodamente la noche en las butacas del Teatro Principal de Gerona, por no encontrar habitación para él y sus familiares en ningún hotel de la ciudad, rememora con añoranza otros tiempos, relativamente recientes aún, en que la suerte le sonreía: Recuerdo que fue aquí, en esta misma sala, donde meses atrás un público entusiasta me aplaudía, como en tantos otros teatros catalanes que ahora evoca mi mente con nostalgia. De ayer a hoy ¡qué abismo! En estas horas trágicas ya no me brinda este teatro amigo sus tormentas de aplausos, como en pasados días. Ni vengo a él ahora como triunfador. Vengo como vencido... ¡Atrás, días de gloria! ¡ De aquel que un dfa fue un autor aplaudido sólo queda este humilde caminante que no sabe siquiera adónde va!' 6
Todavía hacia el final de la primera parte, después del conato de locura que casi le llevó al suicidio, al encontrar en La Junquera a la actriz Micaela Castejón, que interpretó uno de los papeles de su tragedia Cadenas al estrenarse en el Teatro Español de Madrid en 1934, recuerdan los dos unos versos de la obra que recita magistralmente la actriz. Y poco después, al contemplar conmovido el triste desfile en retirada de los soldados republicanos de las diversas armas y cuerpos que lucharon a las órdenes de Rojo, de Modesto, de Líster, de Perea o de Durruti", musita el autor las últimas estrofas de «aquellos versos que hace años publiqué en lírica respuesta a la Marcha triunfal del divino Rubén, sin sospechar siquiera la tremenda verdad de aquel poema que hoy
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Ibid., p. 18. Ibid., p. 101. 17 Son los zapadores-minadores, los antitanquistas, los artilleros y telegrafistas, los dinamiteros, carabineros, guardias de asalto, mossos d'esquadra etc., «muestra, resto y resumen de todo lo que fue, en la gesta sublime, el brazo mal armado pero heroico y sufrido, de la República del Pueblo» (ibid., p. 103). 16
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Testimonio literario de de un escritor exiliado. Alvaro de Orriols: Las hogueras del Pertús
adquiere a mis ojos todo el valor de una visión profética»18, versos dedicados no a los combatientes que vuelven triunfantes de las batallas sino a los vencidos." Esos recuerdos y esos versos nos revelan hasta qué punto el autor se identificaba con su creación literaria, hasta qué punto esa obra era su vida, lo que hace comprensible y perfectamente verosímil, a mi entender, el deseo casi irrefrenable de quitarse la vida de que hablamos antes. Otro aspecto relevante de la segunda parte del diario es la visión y descripción del campo de concentración de Saint Cyprien, que provoca en el autor una reflexión sobre la oleada de refugiados que desbordó ampliamente las previsiones del gobierno francés de Daladier pero, sobre todo, una vehemente reacción personal en él ante el desolador panorama que se presentaba a sus ojos: Y a nuestra derecha vemos, por fin, el Campo: un cuadro de una desolación impresionante. Ni un barracón, ni una pequeña tienda de campaña. La tierra simple y llana: la llanura acotada por barreras de alambre. Y nada más. [...] y en el suelo arenoso, batidos por el sol y por el frío, millares y millares de españoles sin abrigo, sin fuego, sin Patria y sin hogar [...]. Me apresuro a decir que el Gobierno francés no tenía previsto que nuestra evacuación alcanzara la cifra fabulosa de medio millón de refugiados. No han bastado los campos preparados y ha sido necesario abrir algunos más [...]. Dicen que de aquí a una semana, esto habrá cambiado. Pero entretanto ¡qué horrible, qué tremendo el horror de sentirse tirado por los suelos como un animalucho sin guarida! ¡Qué noches desoladas las de estos pobres seres entregados al frío y a la lluvia! No, no hay que entrar aquí. Es preferible huir y correr el albur de la aventura. A Perpignan o a cualquier parte, pero lejos de este campo siniestro. Por muy malo que sea lo que venga, no podrá ser peor. 20
Esta reacción no la provoca el conocimiento de la sórdida realidad del campo solamente en el autor sino que hasta los propios franceses, como hace por ejemplo Gastón Prats2', sabedores de lo que eran esos centros de refugiados, precipitadamente acondicionados para albergar de forma elemental a miles de personas, se expresan en términos muy críticos: Me alegro muchísimo -escribe Gastón Prats en una carta a Orriols- que haya podido con su mujer escaparse a tiempo y de este modo no tener que vivir [...] en el Campo de Saint Cyprien donde las condiciones de vida son malísimas, para no decir una cosa peor. Ha sido mi casa estos días [...] un albergue fraternal y he logrado que todos mis huéspedes salieran de nuestro departamento sin tener que conocer los horrores del Campo de Concentración. 22
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lbid. " «¡Honor a la hueste guerrera!/ ¡ Honor a su rota bandera!/¡A aquellos que vuelven heridos / y a los que murieron por arma extranjera / poniendo en la Patria su noble ideal!/ ¡Honor a los héroes que vuelven vencidos / y a quienes no brinda sus sones de bronce la Marcha Triunfal!» (lbid.). 20 lbid. p. 120. 21 Profesor de francés en Madrid antes de la guerra, hijo de las dos viejecitas del pueblo de Saint André que, a pesar de las prohibiciones oficiales, no dudan en acoger y auxiliar a Orriols y a sus amigos (cf. ibid, p. 113). 22 lbid., p. 165.
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En el ejemplo conmovedor de las dos ancianas de Saint André, que se repetirá en otros muchos lugares con otras personas de forma análoga, aparece reflejado uno de los problemas y una de las amenazas centrales reflejadas en el diario mientras los españoles exiliados se mueven por territorio francés: la rigurosa actitud y las severas medidas tomadas por las Autoridades francesas, es decir, la actitud de la Francia oficial y, frente a ella, la actitud humanitaria y auxiliadora de tantas y tantas personas del pueblo, es decir, la actitud de la Francia popular, que desobedecen esas rígidas medidas oficiales exponiéndose a sabiendas a ser castigados por querer cumplir con sus generosos y altruistas sentimientos caritativos. Algunos ejemplos más podrían enumerarse, como el campesino del pueblo de Saint Génis que da albergue a Manola y a Salud, esposas respectivamente de Alvaro y de Emilio Criado Romero, separadas momentáneamente de sus maridos para ser dirigidas por los gendarmes al campo de mujeres de Le Boulou2'; la comida y la merienda a que les invitan en una casa de labor y la cordialidad con que les reciben otros campesinos a la salida de Perpignan en el coche que se han agenciado en Saint Cyprien, que además les informan de que la policía está requisando todos los vehículos que han entrado de España y de que las brigadas móviles de gendarmes andan noche y día haciendo redadas, a la caza de refugiados para llevarles a los campos.24 O la familia hispano-francesa de Salses que les acoge amistosamente y les ofrece un sabroso almuerzo. O los hoteleros del «Hotel du Centre» de Perpignan, que se niegan espontáneamente a cobrarles las dos noches que Alvaro y su mujer han pasado en él. O el generoso relojero de la misma ciudad que le arregla al autor su Longines y le pone una correa nueva sin cobrarle nada «en atención a que son refugiados».25 Y naturalmente el primo José en Bayona que les atiende y apoya hasta que encuentran un cobijo estable en el Refugio de Beyris. Pero incluso entre los representantes de las Autoridades, como el sargento de gendarmes en la carretera de Perpignan a Narbona que, ateniéndose estrictamente a las órdenes recibidas, quiere requisarles el coche, y que, al oirle Alvaro hablar en catalán con sus subordinados, empieza a charlar con él en la misma lengua y «al fin, humanizado el hombre por mis razonamientos, acaba por devolverme el auto requisado»26. «Bajo la hostil corteza del mundillo oficial», escribe con razón el autor, «late por estas tierras el corazón del pueblo, que sufre, que comprende y que ampara el dolor de los pobres vencidos del gran drama español».27 ¿Es posible que entre tantas calamidades y sufrimientos, entre tanta desolación y desesperación surjan destellos de humor? Sí, es posible, en pocas ocasiones, hay que añadir, pues el tono general del diario, como vemos, es evidentemente dramático. Pero esos rasgos de humor y de gracia aparecen algunas veces, cuando los personajes recuerdan, en medio de la tragedia del mundo en torno, anécdotas divertidas de otros tiempos, como cuando el autor narra el reencuentro en Figueras con Felipe Pretel, ahora
Ibid., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,
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p. p. p. p. p.
112. 134sq. 143. 138. 142.
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comisario político del ejército republicano y en otro tiempo jefe de maquinaria del Teatro del Cisne de Madrid y luego gerente del Sindicato de Espectáculos Públicos, por cuya mediación se estrenó la obra de Orriols Cadenas en el Teatro Español. 2 ' Pero creo que la escena capital del diario, mezcla casi inverosímil de imaginación, de fantasía, de gracia picaresca pero expresión, en el fondo, de una indomable voluntad de sobrevivir, es la rocambolesca historia de la evasión del campo de concentración de Saint Cyprien, urdida por el ingenio de un escritor y poeta, valiéndose de su pasaporte diplomático y de sus conocimientos de francés y con la ayuda de dos jóvenes milicianos allí recluidos -el chófer Santamarina y el maestro de escuela Bochaca- que sólo desean, como el autor, escaparse de aquel infierno que les rodea.29 Las doce páginas en que se narran todos los preparativos y pormenores de la huida constituyen una verdadera pero creíble y comprensible comedia 1 ", pero una comedia nacida de la pura necesidad de evitar a todo trance el internamiento tras las terribles alambradas de ese campo de desolación. Con su pasaporte, que efectivamente le extendió el Ministerio de Estado en Figueras como colaborador que fue de la Subsecretaría de Propaganda, y en el que el ministro «prie toutes les Autorités civiles et militaires de lui lasser passer librement et de lui donner aide et protection au besoin», como consta literalmente en el documento 31 , con sus ya citados conocimientos de francés y los del maestro Bochaca, se hace pasar por un alto cargo del gobierno republicano que ha recalado, por error, en ese campo y que, con su secretario particular - B o c h a c a - y su mecánico -Santamarina- y acompañado de su esposa, tiene que dirigirse a Perpignan al encuentro de su gobierno para resolver asuntos urgentes. Con aplomo, con cara dura, con autoridad, pero sobre todo con la gran experiencia teatral que ya posee el autor, «representa» admirablemente como protagonista esa tan divertida como arriesgada comedia y convence al joven teniente francés, que les permite la salida del recinto tan rigurosamente controlado y vigilado, despidiéndole incluso como «señor ministro». 12 «Los cuatro al unísono, sin poder contener nuestro entusiasmo, soltamos una sonora carcajada»", escribe el autor poco después, que, como los demás personajes, debió sentir en esos momentos un alivio sin límites y una sensación liberadora después de la tensión y del peligro que habían corrido. Quizá se rieron también por lo bien que habían representado la comedia. Humor, en todo caso, nacido de la necesidad. Y cuando días después encuentran en Perpignan a sus amigos Emilio y Salud y éstos les preguntan cómo lograron escaparse de Saint Cyprien, ríen todos de nuevo recordando lo
2
"
Ibid., p. 63. Ibid., p. 121-133. 10 «Comedia diplomática», en alusión al pasaporte diplomático de Orriols, la denomina Bochaca (ibid, p. 129). " En la obra figura una fotocopia de la página del pasaporte en la que se incluyen esas lineas (ibid, p. 82). ,2 lbid.,p. 133. 35 Ibid. 29
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ocurrido al contar el autor la «mirífica aventura».54 Por lo demás, Orriols ya había dado antes buena prueba de su viva imaginación de escritor en la busca de soluciones a situaciones comprometidas. Así, primero consigue, cuando es detenido en Figueras por el CRIM para enviarle de nuevo a combatir al frente, que el comandante del puesto, que le conoce como escritor, le dé un permiso para salir de la ratonera y, después, que un capitán médico del hospital militar «que, por suerte para mí, también conoce mi nombre»", le extienda un volante como soldado convaleciente, enviándole a residir a La Junquera, dirección en la que él, de todos modos, quería ir en su huida de las huestes franquistas. Este sobrecogedor diario de la evacuación masiva de todo un pueblo a Francia, verdadera crónica del éxodo multitudinario, escrito con una excelente prosa narrativa, con un lenguaje rico, variado, preciso, con un indudable dominio de la expresión, perfectamente adecuado a la impresionante realidad que el autor está viviendo, con algunos ocasionales rasgos poéticos y siempre con gran talento de observador, con sensibilidad, con emoción y sentimientos auténticos, contiene algunos pasajes realmente memorables, antológicos, de fondo y forma, que quisiera citar como, por ejemplo, el paso, cerca ya de la frontera, de «La Motorizada», como la designa humorísticamente «un sargento guasón que va dando zancadas sobre sus dos muletas, con el único remo que le queda».'6 En realidad, se trata del lastimoso cortejo de soldados heridos y mutilados que han de escapar a pie para dejar las ambulancias a los heridos más graves. O el de los dos autobuses totalmente repletos de niños de ambos sexos camino del destierro." O la visión del interminable desfile de las tropas republicanas derrotadas, ya antes citado." Pero hay dos pasajes que me parecen culminantes: la contemplación de la grandiosa belleza, del magnífico espectáculo de las hogueras del Pertús, es decir, de millares de hogueras y de antorchas encendidas por los refugiados en la montaña para defenderse del frío, que deja al autor y a sus acompañantes «deslumhrados, absortos, mudos de estupor y de emoción, algo que es imposible de concebir [...] algo que ni se ha visto ni se verá jamás» 3 ' y que para el autor encierran un claro simbolismo.
" "
Ibid., p. 149. Ibid., p. 44. Ibid, p. 90. " «¡Niños que van buscando un poquito de paz y de calor para sus sueflos infantiles rotos a cañonazos! [...] Que se salven, que vivan esos pequeños náufragos del feroz torbellino. Y que - h e r e d e r o s nuestros del m a ñ a n a - puedan volver un día al solar de la Patria trayendo entre sus manos la semilla fecunda y fraternal de un futuro mejor.» (Ibid., p. 91). J " Ibid., p. lOOsq. 39 Ibid., p. 94. El autor concluye asi la descripción de este soberbio espectáculo: «¡Simbólicas hogueras! [...] Y o he visto en ellas algo m á s que una visión lumínica y grandiosa; [...] algo más que unos trozos de leña crepitando en el f u e g o ; algo m á s que unas llamas enroscadas al aire de la noche, y algo más que unos h u m o s perdiéndose en las zonas oscuras del espacio. Yo he visto en las hogueras del Pertús las últimas antorchas de nuestra Libertad que venían a arder por vez postrera sobre las cumbres pirenaicas [...]. Y recordar al m u n d o democrático su tremenda injusticia que ha entregado a la muerte y al exilio la conciencia libérrima de un pueblo secular. ¡Hogueras del Pertús! [...] ¡Mañana, con el nacer del nuevo día, se apagarán los últimos rescoldos de estas santas antorchas de nuestra Libertad!» (ibid., p. 95).
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El otro pasaje memorable es la despedida de España al cruzar el autor y su mujer «estrechamente juntos y abrazados, latiéndonos de angustia el corazón, arrasados en lágrimas los ojos» 40 la línea fronteriza, lo que provoca en Orriols unos fuertes sentimientos entre la angustia y el pesimismo por la pérdida de la patria y del pasado en ella y la confianza algo insegura en el porvenir en paz de Francia y en el incierto final de la pesadilla del éxodo. Le anima también la esperanza puesta en los hijos, «el nuevo sol que alumbrará nuestras mañanas».'" Sin embargo, al término de este terrible y conmovedor diario, predomina claramente la sensación de pesimismo en el momento en que, en junio de 1939, lo está redactando en el Refugio de Beyris, en Bayona: «Todo lo que fue aliento, esperanza y motor de mi vida de artista se me ha quedado allí, perdido entre las ruinas del desastre. Tengo las alas rotas, y con las alas rotas no se puede volar.»'12 ¿Qué es lo que hará en el futuro? El mismo contesta esta pregunta: «No sé; es imposible ahora pensar en la quimera del mañana. Vivimos un presente sin fe y sin porvenir. Nos lo han quitado todo: la Patria, la fortuna, el trabajo, el hogar.» 45 Una última observación, para terminar. Es extraño e incomprensible que un escritor de la talla de Alvaro de Orriols, autor de una notable y numerosa creación literaria, singularmente escénica, antes de la guerra, y autor de este diario épico que estamos considerando, tan representativo del éxodo de miles de españoles en los últimos días de la contienda civil, escrito con un manifiesto dominio del lenguaje y, sobre todo, como un reflejo objetivo y fiel de esa oleada emigratoria y, por consiguiente, con una dimensión histórica que me parece incuestionable, apenas sea conocido y su nombre no figure en ninguno de los diccionarios ni en ninguna de las historias de la literatura española que he consultado. Un náufrago más en la oscura marea del exilio español.
Ibid., p. 99. Ibid. Ibid., p. 171. Ibid.
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Max Aub y la cultura francesa
José Antonio Pérez Bowie
La presencia de la cultura francesa en la obra de Max Aub resulta un factor determinante, tanto por haber sido el francés su primera lengua como por el permanente contacto que mantuvo a lo largo de toda su vida con los medios intelectuales y artísticos galos y por el seguimiento apasionado que hizo de su producción y de los debates que en el seno de dichos medios se suscitaron. Mi aportación a este encuentro va a consistir en trazar un resumen de las tres vertientes en las que considero que la presencia de esa cultura se manifiesta en nuestro autor: sus avatares biográficos, su creación literaria y, especialmente, su concepción de la literatura como compromiso.
1. El lugar de Francia y su cultura en la biografía de Max Aub Su nacimiento en París y su estancia en dicha ciudad hasta los 12 años, habrían de marcar, indeleblemente y para siempre, la relación de Max Aub con el ámbito cultural francés. Abrió los ojos a la vida en dicho idioma y su primer contacto con la literatura fue Victor Hugo, ya que, según su propio testimonio, aprendió a leer en las páginas de Les miserablesEste vínculo no se rompería tras su traslado a España, pues aparte de cursar el año y pico que le restaba para el ingreso en el bachillerato en la Escuela Moderna, donde recibió las enseñanzas en lengua francesa 2 , realizó frecuentes viajes a Francia y seguía puntualmente conectado con su cultura a través de sus lecturas y de suscripciones a revistas literarias. Ello le permitió reconocer y abordar a Jules Romains cuando, contando Aub 19 años, se encontraron en un hotel de Gerona; Romains le proporcionaría una carta de presentación para Enrique Díez-Canedo, quien sería su introductor en el mundo intelectual madrileño.' La lectura de Romains y de otros intelectuales franceses del momento, que habían convertido a Francia en una isla de liberalismo en medio de una Europa amenazada por la intolerancia de los regímenes totalitarios, marcó profundamente a Aub, como él mismo reconoce, y encauzaron su vocación literaria y humanística: Et bien de cette France, c'est qu'elle fait quelque chose d'heroïque si on la compare avec l'Allemagne du kaiser ou l'Autriche-Hongrie de François Joseph. C'était quelque chose...
1
Ignacio Soldevila Durante: El compromiso de ¡a imaginación. Vida y obra de Max Aub, Segorbe, Fundación Max Aub, 1999, p. 209. 2 Entrevista radiofónica con André Camp; reproducida en Gérard Malgat: Max Aub et la France ou l'espoir trahi? Tesis doctoral inédita presentada en julio de 2002 en la Universidad de Paris XNanterre; p. 78. ' Ibid., p. 82sq.
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José Antonio Pérez Bowie et c'est cette France, d'ailleurs, qui es restée comme un exemple dans le monde entier, surtout en Amérique latine. [...] C'est là qu'ils sont nés, j e ne dis pas qu'ils ont écrit leur œuvre au même moment - ils l'ont d'ailleurs écrite, plus o moins - mais tout de même cette différence existait dans la vie elle-même. La France était alors un refuge - elle continue a l'être - un refuge du libéralisme, et ça a marqué totalement ma vie, mais pas du point de vue du langage, pas du point de vue de l'écriture. Peut-être au fond comme le point de vue d ' u n idéal, comme le point de vue d'un paradis perdu. 4
En esa misma entrevista, y en otras varias ocasiones, Aub reivindicará, no obstante, su condición irrenunciable de español, a cuya lengua y a cuyo modo de ser se siente irremediablemente atado: Je crois qu'en effet je parle assez bien le français - je dis assez bien - , mais je n'écris pas bien en français, je n'ai jamais écrit rien de littéraire en français, je ne pourrais pas le faire. Et je ne pense pas du tout que ma manière de penser soit une manière française de penser. Je voudrais bien, n'est ce pas, avoir la clarté qu'ont généralement les français et quand ils écrivent et quand ils pensent... Mais l'espagnol et la manière d'être espagnol qui est la manière d'être de ma génération - et de ça on en parlera - m ' a marqué si fortement qu'il me serait absolument impossible de considérer que j'appartiens à la même lignée d'écrivains français qui correspond a la nôtre en Espagne. s
Su admiración hacia Francia se verá defraudada tras el estallido de la guerra civil española, ante la política de no intervención que suscribiría el gobierno francés de izquierdas frente al conflicto, alineándose junto a las restantes democracias occidentales. Fruto del dolor que le produjo la insolidaridad francesa es el amargo artículo titulado «Escúchame, Francia», que publicó en La Vanguardia de Barcelona el 22.4.38: «Aquí morimos aguardándote: Te hablo, sé que me oyes, pero no sé si me escuchas: por nosotros y por ti, lo deseo de todo corazón.»' Y cuando algunos años después en 1944, con Francia ya ocupada por los ejércitos de Hitler, imprime en México su tragedia Morir por cerrar los ojos, la precede de una durísima dedicatoria (en la que incluye también al primer ministro británico Chamberlain) a Léon Blum y Edouard Daladier, responsables directos de la política francesa con relación a España: «A los desleales inventores y lacayos de la 'no-intervención', empapados de tanta y tan noble sangre española, Neville Chamberlain, Edouard Daladier y Léon Blum, con el desprecio de todos y muestra de su fraude, que tan caro pagaron sus pueblos.»7 Para contrarrestar la política oficial, Aub lleva a cabo en Francia durante los años de la guerra y desde su puesto de agregado cultural, una activa labor de propaganda a favor de la República, en la que contó con la colaboración de muchos intelectuales franceses; intervino como Comisario General Adjunto en las actividades del Pabellón Español en la Exposición Internacional de París, participó, como miembro de la delegación
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Ibid., p. 79. Ibid., p. 77. 6 Cf. Manuel Aznar Soler: «Política y literatura en los ensayos de Max Aub». En: Cecilio Alonso (ed.): Actas del Congreso Internacional Max Aub y el laberinto español, Valencia, Ayuntamiento, 1996, p. 568-614: la referencial al citado discurso en p. 581sq. 7 Max Aub: Morir por cerrar los ojos, México, Tezontle, 1944, p. 9. s
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republicana en el X Congreso Internacional de Teatro, presidido por Jules Romains, y promovió diversas representaciones teatrales como la de la Numancia, de Cervantes (por Louis Jouvet, en el Théâtre Antoine el 22 de abril de 1937), o la de Fuenteovejuna, de Lope (dirigida por Lesieur en el Théâtre Sarah Bernhardt el 31 de enero de 1938). La parte más dolorosa de su relación con Francia comienza tras el final de la guerra civil, en donde pese a su condición de intelectual republicano, y de las estrechas relaciones que mantenía con muchos colegas franceses, se ve obligado a vivir en penosas condiciones, recluido junto a su esposa en una mísera buhardilla, con las hijas repartidas entre familias amigas. Pese a todo, continua relacionándose con escritores como Malraux (con quien ultima el montaje de Sierra de Teruel), Cassou, Aragon, Bataillon y por encargo de la editorial Gallimard comienza a trabajar en el proyecto de una colección de clásicos españoles, proyecto para el que le concede financiación Juan Negrín, último jefe de gobierno republicano. Pero, a causa de una delación anónima, es detenido y comenzará para Aub un largo calvario de tres años que le llevará a recorrer los campos de concentración de Argelés, Vernet y, posteriormente en el argelino de Djelfa. Una nueva fase dolorosa de sus relaciones con Francia tendrá lugar en 1951 cuando, ya instalado en su exilio mexicano y terminada la guerra mundial, decide visitar el país de su nacimiento y comprueba como el Ministerio del Interior francés le niega el visado en función de la ficha que sigue vigente en los archivos policiales. La intervención de sus amigos intelectuales no puede modificar la situación y Aub escribe una indignada carta al presidente Auriol, en la que incluye frases tan duras como éstas: Fui a parar a su país, que por otra parte es casi el mío, por defender la ley. No deja de ser curioso que por haberla defendido, en su nombre se me prohiba volver. Por haberla defendido me encarcelaron. Eran los hombres de Munich. Es decir, los que vendieron mi país, los que causaron la ruina del suyo. Luego, a peso de sangre, fueron derrotados. Y ahora los que los derrotaron, de los que es usted la más alta representación, vienen a portarse igual. 8
La normalización de su situación se produce finalmente y en 1956 puede volver a visitar Francia adonde regresará con cierta asiduidad desde México (viajará en 1958, 1959, 1960, 1961, 1963, 1965, 1966, 1967, 1969 y 1972). El gobierno francés le expresará su reconocimiento nombrándolo Comendador de las Artes y de las Letras en 1966 y los medios culturales franceses mantuvieron una recepción atenta a su obra, manifiesta en las diversas traducciones que se realizaron de la misma, así como en las entrevistas que le solicitaron órganos de prensa, radio y televisión. Aub, por su parle, desde su exilio mexicano, desarrolló una activa labor por divulgar la literatura francesa en el país azteca propiciando la traducción de autores franceses y la edición de colecciones populares para poner los textos franceses al alcance no sólo de los lectores mexicanos sino de todos los de la América de habla española.
8
Reproducida en Max Aub: Hablo como hombre, ed. de Gonzalo Sobejano, Segorbe, Fundación Max Aub, 2002, p. 115.
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2. Las referencias culturales francesas en la obra literaria de Aub La vinculación de Aub con la cultura y la literatura francesas se manifiesta, por otra parte, de una manera muy notable en las múltiples referencias a ellas que aparecen en sus textos literarios y que actúan, en la mayoría de los casos, como procedimiento caracterizador de los personajes. Sus novelas abundan, como es sabido, en segmentos dialogados, que funcionan a modo de microensayos insertos en el decurso de la narración, a través de los cuales los personajes confrontan sus variados puntos de vista sobre las más diversas cuestiones. La formación francesa de Aub, su conocimiento de la literatura gala aflora a menudo en boca de los personajes, a veces como una mera referencia en passant, y otras aportando argumentos para la discusión en que se encuentran enzarzados, pero siempre permitiendo entrever detrás la familiaridad del autor con los nombres citados. La Calle de Valverde es, por tratarse una novela en la que la literatura constituye uno de sus ejes esenciales, quizá, el texto aubiano más abundante en citas y referencias intertextuales del universo cultural francés. La mayor parte de los personajes intelectuales que aparecen en este texto narrativo están empapados de cultura francesa, que ha sido un factor determinante en su formación. Recordemos, por ejemplo a Manuel Aparicio, cuyo ideal poético, inconfesado, sería la fusión de Bretón con Valéry: Las palabras no son la poesía. Bastarla un diccionario. Una relación. Pero todo es relación, valores: dar con ellos. Los valores poéticos... ¿Quién los ha separado? ¿quién los enseña? El mayor poeta seria el que uniera... -¿Qué? -Nada. (Valéry y Bretón en uno; no lo dice).'
En el curso de la misma conversación que mantiene con Victoriano Terraza mientras deambulan por la calle de Alcalá después de haber abandonado el café Regina, Aparicio critica el mimetismo de sus compatriotas hacia las corrientes culturales que triunfan en Francia, especialmente cuando se hace sin un conocimiento a fondo de las mismas y tan sólo por seguir los dictados de la moda. Los paréntesis en los que se introducen las reflexiones simultáneas de su interlocutor, ignorante de la mayoría de los nombres que cita Aparicio, sirven para poner de manifiesto las fallas culturales de Terraza y su condición de poeta provinciano, anclado en unos presupuestos estéticos obsoletos: -Ahora han descubierto el surrealismo. Se lo pegan como si fuese un sello. Se obliteran los unos a los otros porque se lleva en Parfs. -¿Te parece mal? -¿El surrealismo? No, hombre, no: si se ha nacido con él. Lo que no entiendo son los que se «vuelven», es para que les den por donde ni siquiera les da gusto. No hablo de los jóvenes que no saben ni a dónde van (como yo, piensa Terraza). De los que imitan a Banville, a Samain o a Verlaine, luego a Rimbaud, ahora a Tzara. (¿Quién es Banville, quién Rimbaud, quién Tzara?).10
Max Aub: La calle de Valverde, ed. de José A. Pérez Bowie, Madrid, Cátedra, 1997, p. 305. Ibid., p. 306sq.
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La información de Victoriano Terraza, al menos en lo que a la cultura francesa se refiere, parece haberse quedado anclada varias décadas más atrás: desconoce los rumbos de la poesía posterior a los últimos coletazos neorrománticos, aunque, en cambio, sí está familiarizado con la obra de un novelista como Stendhal, pues Julien Sorel, el protagonista de Le rouge et le noir, es evocado por él como modelo de audacia tras comprobar las «conquistas» que ha llevado a cabo durante su primer día en la capital: «Madrid rendido a sus pies. Violó la puerta, está dentro: Dueño. ¿Quién hizo más en un día? Ni Julián Sorel ni Napoleón. Pero no se enamorará; ni atacará Rusia, ni se meterá en el avispero de España.»" Entre las heterogéneas lecturas que alimentan al vitalista José Molina se citan autores como Francis Jammes (que es también el poeta favorito de Joaquín Dabella, por sus descripciones de la dulce vida campesina con la que sueña a menudo el joven personaje 12 ), Dorgeles, Vildrac, Romains y Gide, aunque dice no compartir el gusto del refinado Aparicio por Valéry y, mucho menos por Mallarmé." Jules Romains es, también, el autor que está leyendo en un determinado momento Rodríguez Malo, a quien Santibáñez le lleva los libros que llegan a la redacción del periódico para distraerlo de su forzado encierro1'1; y de Manuel Aparicio, se dice en otro momento, que atado como está «al erotismo con relente de destrucción» lee en secreto a Lautréamont y a Sade." Un ejemplo más de lecturas heterogéneas (en la que abundan los autores franceses más variopintos) como elemento caracterizador de la formación cultural del personaje lo tenemos en Campo abierto, cuando el narrador apunta que el «liberalismo filantrópico» de Vicente Farnals se había nutrido a autores como «Eliseo Reclus, Blasco Ibáñez, Max Nordau, Baroja, Valles, los hermanos Margueritte, Barbusse, Flammarion, Insúa, Felipe Trigo».16 Volviendo a La calle de Valverde, a través de las cartas que el hispanista francés André Barillon, recién instalado en Madrid, dirige a su amigo Jean Richard, también ofrece Aub datos sobre el amplio conocimiento que el núcleo de intelectuales madrileños protagonistas de su novela tenía de las últimas novedades culturales francesas. En este personaje, por la mirada distanciada que su condición de out-sider le facilita sobre la realidad española, a la que contempla a través de sus anteojos franceses, puede reconocerse sin dificultad un trasunto del propio Aub. En una de sus epístolas comenta Barillon:
"
Ibid., p. 311. Ibid., p. 247. " ibid., p. 355. 14 Ibid., p. 345. " Ibid., p. 370. 16 Max Aub: Campo abierto, ed. de José A. Pérez Bowie, Obras completas vol. II (junto con Campo cerrado). Valencia, Generalitat Valenciana, 2001, p. 334. Obsérvese la similitud de estas lecturas con las que constituyen la formación de Rafael Serrador, protagonista de Campo cerrado, quien se nutre de la biblioteca del Ateneo Libertario: «Atravesó Max Nordau, Eliseo Reclus, Bakunin, Tolstoi y Eugenio Sue sin grandes dificultades.» (Op. cit., p. 125sq.). I!
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En literatura están al dia, al día de Parts. En filosofía, gracias a Ortega y Gasset, más allá; aquf todo es fenomenología, cosa en la cual todavía estamos in albis en la Sorbona. Los poetas han descubierto a Góngora, una especie de Valéry avant la lettre (-Valéry, ese Mallarmé de segunda mano- como me decía ayer Manuel Aparicio, un joven ensayista de porvenir). Proust está a la orden del dfa de la prosa, una docena de jóvenes se empeñan en imitarle."
La vida en las casas de huéspedes, uno de los espacios sociales más relevantes de la novela, llama la atención del hispanista francés, quien, a propósito de ellas, evoca para su interlocutor la importancia de dicho espacio en la novelística de Balzac: Las casas de huéspedes, desde Balzac, han sido preciosos ambientes para novelistas. Esta aglomeración sui generis, semifamiliar, permite toda clase de encuentros; junta, sin herir de muerte la verosimilitud, diez, veinte caracteres. Desde El Padre Goriot es un paraíso vulgar, pero paraíso- para los cuentistas."
El nombre del autor de La comedia humana aparece citado en otras ocasiones por alguno de los personajes, atribuyéndole frases cuya procedencia sería difícil localizar; así Joaquín Molina contesta al consejo de Aparicio de que abandone sus intentos de triunfar en el teatro y escriba otras cosas con la frase: «Sí, y morirme de hambre. A menos que quiera que me 'corten los víveres', como dice Balzac.».'9 O en una conversación con Joaquín Dabella, Manuel Aparicio le replica: «El amor es como la Inmaculada Concepción de la Santísima Virgen -Balzac dixit- y está bien que así sea.»2" Si repasamos las páginas de las novelas del Laberinto mágico en las que abundan las extensas y prolijas discusiones intelectuales entre sus personajes, podemos comprobar como afloran a menudo a los labios de todos ellos referencias que ponen de manifiesto la importancia del elemento francés en su formación, que es, en definitiva, la del autor que los anima. Él mismo, en la reflexión metaficcional que, bajo el título de «Páginas azules», interrumpe el hilo narrativo de Campo de los almendros, recurre especialmente a la literatura francesa para ejemplificar la independencia de los personajes respecto de su creador: Mas no vine para comentar mi suerte sino para contar los destinos de tanta gente real e inventada -¿inventada la Bovary, inventado Julien Sorel, inventado Miau?- inermes, en mis manos [...]. Naturalmente que Flaubert fue la Bovary y que Celine «todos sus personajes» y Cervantes, don Quijote y Sancho, y Tirso, el burlador. Son y no son. Esta es la cuestión."
17
Max Aub: La calle de Valverde, op. cit., p. 381. Ibid., p. 385. " Ibid., p. 357. 20 Ibid., p. 438. El nombre de Balzac, es invocado en más de una ocasión, en declaraciones y entrevistas, como modelo para su Laberinto mágico, al lado de narradores como Malraux y Hemingway: «Je voulais écrire plus o moins comme Balzac avait écrit La comédie humaine, et en même temps comme Malraux avait écrit La condition humaine, et comme Hemingway avait écrit L'adieu aux armes.» (Entrevista con André Camp, op. cit., p. 99). 21 Max Aub: Campo de los almendros, México, Joaquin Mortiz, 1968, p. 365. 18
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En esa misma novela, en uno de los múltiples diálogos anónimos que van punteando el relato, uno de los personajes, utiliza una reflexión de Montaigne y, a continuación, lleva a cabo una defensa del filósofo: - « U n hombre de costumbres excelentes puede albergar ¡deas falsas; un malvado predicar la verdad, hasta aquel que no cree en ella.» - ¿ C u á n d o dejarás de decir insensateces? -Para ti la insensatez no tiene nada que ver con la verdad y, sin embargo, está mucho más cerca de ella de lo que crees, y esto que acabo de decirte no es mío, sino de un hombre que conocía la vida un poco mejor que tú y que yo: Michel de Montaigne. - ¡ U n francés! - T e n í a más de español que de otra cosa, y madre judía. -Entonces ¿por qué escribió en francés? - P o r q u e si no lo hace, no lo cuenta. 22
Blaise Pascal es otro de los referentes ineludibles de Aub, a cuya cita acuden en ocasiones sus personajes; recordemos, por ejemplo las reflexiones del aviador que en Campo de los almendros contempla la inmensidad de la noche y, admirado de su silencio, reflexiona: ¿Cómo pudo Pascal aten-arse por «el silencio de los espacios infinitos»? ¿Qué silencio? ¿Cómo pudo suponer silenciosa la Vía Láctea? ¿O la Osa Mayor? ¿En qué lugar del mundo se oirá una música más admirable? ¿O es que Pascal no creía en Dios? El temor es el principio de la sabiduría; el temor de dios su primer relajamiento; dejar que otro resuelva.2-1
Por citar otro ejemplo más entre los muchos posibles, recuérdense las reflexiones de Ferris también en Campo de los almendros, acerca de los creadores de la novela contemporánea, en las que cita a cuatro narradores franceses considerados ineludibles: Echarle la culpa, que en parte le corresponde, al cristianismo acerca de la novela tal y como es, desde Balzac. El poder, único motor (el dinero, la política, las intrigas); de cómo el amor vino a ridículo: Dostoyevsky, Flaubert, Hardy, Zola, Conrad, Gorki, Gide, Galdós, no. Galdós era cursi. Baroja. Novelistas de guiñapos ardiendo. 24
22
Ibid., p. 476. Ibid, p. 466sq. Pascal aparece también mencionado por Fajardo, en una de las amplias discusiones que sostiene con su amigo Cuartera en Campo de sangre, a propósito de la importancia de la forma literaria, que es, en definitiva, la que confiere validez y permanencia a los mensajes: «-¿Tú crees que los pensamientos de Pascal, mal escritos, serían los pensamientos de Pascal? Evidentemente, no. Débelo a la forma, las ideas son un aire y hay que cogerlas. Todo depende del corsé. Lo bueno puede acomodarse mal, pero ya no es tan bueno.» (Max Aub: Campo de sangre, Madrid, Alfaguara 1978, p. 459sq). 24 Max Aub: Campo de los almendros, op. cil., p. 437. 23
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José Antonio Pérez Bowie
3. La cultura francesa y el ideal de intelectual
comprometido
Pero, sin duda, lo más significativo de la presencia de la cultura francesa en la obra de Max Aub, es la influencia decisiva que sobre él ejercieron algunos intelectuales galos en su temprana concepción de la literatura como compromiso del escritor con la sociedad.25 Síntoma de la precocidad de esa concepción es un poema de su primer libro de versos, Los poemas cotidianos, publicado en 1925; en dicho poema, que lleva por título «Intermedio», un Aub aún inmerso plenamente en la órbita del arte deshumanizado, se cuestiona la asepsia y la neutralidad de la poesía, su pretensión de soslayar la conflictiva realidad social. Curiosamente, el interlocutor elegido para su reflexión es el poeta francés Francis Jammes, cuyos versos de exaltación de la apacible vida campesina atrajeron en su juventud a Max Aub (y, según hemos visto, esa pasión juvenil por la poesía de Jammes la ha transplantado a alguno de sus personajes); en el poema, el hablante lírico interroga al poeta francés con estas palabras: ¡Oh, Francis Jammes!, tú que cantas los alrededores de tu mansión, las tardes aromadas, el amor de las mozas, las fragantes mañanas, las viejas amistades, tú que amas, dime: ¿es esta la verdad? ¿habremos de dejar pasar por la corriente de la vida, sin preocuparnos para nada, miles, miles de hombres? ¿sin procurar salvar ni su cuerpo ni su alma? ¿Tenemos derecho, poeta? ¿No nos valdría más hablar, hacer política en la acepción más pura de la palabra?26
En 1921 tiene la oportunidad de conocer en Gerona a Jules Romains cuyas teorías sobre el unanimismo, según ha puesto de manifiesto Soldevila, ejercieron una notable
25
Recuérdese la distinción que Soldevila establece, a propósito de Aub, entre literatura comprometida y literatura responsable; la primera, dice, es «la que se hace al dictado u obedeciendo las consignas de un partido, un gobierno, una iglesia o cualquier otro estamento gremializado o clase, y casi siempre a cambio de prebendas y beneficios». Y aflade: «Nada tiene que ver aquella actitud servil con la de un escritor que, consciente de la importancia de su oficio, y empujado por sus creencias y por las circunstancias que la vida le impone, asume su responsabilidad, esa que le empuja a escribir lo que siente, a testimoniar de lo que ha vivido y visto, antes que ceder al gusto de escribir lo que su libre fantasía le permitiría imaginar» (Ignacio Soldevila Durante: El compromiso de la imaginación. Vida y obra de Max Aub, Segorbe, Fundación Max Aub, 1999; p. 208). 26 Max Aub: Obra poética completa, ed. Arcadio López-Casanova, Obras completas vol. 1, Valencia, Biblioteca Valenciana, 2002, p. 70ssq.
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influencia en el pensamiento de Aub", ayudándole a encontrar la síntesis entre la incomunicabilidad y la solidaridad a través del «punto de fusión entre los individuos en el que nace el grupo», que tan imprescindible resulta para comprender las actitudes de muchos de los personajes que pueblan su Laberinto. No obstante, se distanciaría de él con posterioridad al no compartir la tibieza de su comportamiento, guiado por un mal entendido pacifismo, ante las tropelías de Hitler que acabarían desembocando irremediablemente en la conflagración mundial. Idéntica es la trayectoria de sus sentimientos para con otro de los patriarcas de las letras francesas que gozó en un principio de toda su admiración: Romain Rolland. En una de las páginas de su diario, escrita ya en 1943 desde el exilio mejicano alude a ambos con unas frases en las que se manifiesta toda la hondura de su desencanto: [...] hemos hablado un momento de Romain Rolland. Siempre me fue antipática su actitud a pesar de mi drama frustrado Guerra, de un pacifismo primario [...]. Yo no creo en el gagalsmo de los «grandes hombres». Romain Rolland publicó en el año 41 un libro en París con anuencia de Aberta. Un libro de recuerdos y futilezas. Las numerosas traducciones de sus obras al alemán sirven mucho para sus deseos de paz y apaciguamiento. ídem, ídem para Jules Romains. Se sienten pontífices y se les ven las ganas de bendecir a todo el mundo. A pesar de todo, y dentro del mismo círculo, la posición moral de Zweig era más decente. 28
Al día siguiente añade esta nueva anotación: Mi nota acerca de R. Rolland, Romains y Zweig me ha llevado a releer las cartas de éste último al segundo y que publicaron C[uadernos] A[mericanos]. ¡Paz a los muertos! Creyeron construir para un mundo inmóvil y cuando se dieron cuenta de que seguía moviéndose no volvieron. Se quedan en la cuneta con su valor literario en la mano, como un pañuelo. 2 '
Esos días se hallaba redactando la conferencia que pronunciaría el 5 de octubre en el Pen Club'0; en ella, que con el título de «El turbión metafísico» publicó posteriormente en Hablo como hombre, se contiene un ataque en toda línea contra los intelectuales que, llegado el momento, no supieron estar a la altura de las circunstancias, pues cegados por un pacifismo a ultranza fueron incapaces de ver el peligro que se cernía sobre Europa; en esas páginas, el nombre de Romain Rolland vuelve a aparecer como el más representativo de esos intelectuales anclados en unas ideas superadas por la marcha de la historia y empeñados «en no ser hombres de su tiempo»: Los escritores que cumplen hoy sesenta años, la edad de mis padres, pudieron creer, un momento, que todo estaba resuelto; que la humanidad, de pronto, había dado con sus
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Ignacio Soldevila Durante: La obra narrativa de Max Aub (1929-1969), Madrid, Credos, 1973, p. 231 sq. 38 Max Aub: Diarios (1939-1972), ed. de Manuel Aznar Soler, Barcelona, Alba Editorial, 1998, p. 102 (19.9.1943). Ibid., p. 104(30.9.1943). 10 Cf. anotación del 4 de octubre, ibid., p. 106.
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José Antonio Pérez Bowie carriles. Pocos sobrevivieron al desengaño. El ejemplo: Stephan Zweig 31 . Más no sólo se muere muriendo. Otros, alzándose de hombros, se autoerigieron un monumento en las nubes, como Romain Rolland, sin darse cuenta de que les fallaba la tierra y ellos a su deber. No me refiero al valor literario de sus creaciones, aunque generalmente al hombre que huye le es negada la autenticidad, meollo de lo mejor. En nuestra época, el pacifismo es el más cruel de los engaños. Si un escritor se empeña en no ser hombre de su tiempo, sin vuelo necesario para serlo de todos, ni es hombre, ni es escritor. 32
En la misma línea está su rechazo al existencialismo, que aparece formulado, entre otros textos, en la carta de 1949 a Roy Temple House, editor de Books Abroad, que luego sería recogida también en Hablo como hombre; en ella se alude conjuntamente a Sartre y a otros padres del existencialismo (Heidegger, Unamuno, Jaspers, Fondane) afirmando que el existencialismo es «un positivismo de lo subjetivo», que conduce a «un nihilismo, a una negación de toda vida futura» y hace a sus cultivadores «creerse el centro del mundo, de un mundo perdido, pero ombligado al fin y al cabo, sin darse cuenta de su trascendencia humana, no por eso menos trascendente»." Por eso, afirmará, más adelante, sus preferencias se decantan hacia los intelectuales «heroicos», cuyo ideal encarna en Francia André Malraux, a quien Aub alinea junto a escritores como Ehrenburg, Koestler, Hemingway, O'Neill o Faulkner, «gentes que, desde luego, a pesar de sus esfuerzos no pueden pasar de reflejar la época».34 Sobre Sartre vuelve en alguna ocasión en los Diarios manifestando tanto el desacuerdo con sus actitudes políticas como con su obra literaria. Respecto de las primeras, critica especialmente, la manipulación de que ha sido objeto por los comunistas: Es fácil decir, como Sartre, «rehusamos dejarnos despedazar entre la tesis y la antítesis». Sin embargo, si él y los suyos no han querido escoger, los comunistas no le han dejado lugar a dudas acerca de su afirmación de que «la persona humana no es otra cosa que su libertad». Aunque luego vengan a asegurar que ésta es maldición y única fuente de la grandeza humana. Con lo que, naturalmente, no estoy de acuerdo. Por otra parte, si esta maldición no es pura literatura, ¿quién la lanzó? [...] Creo que la literatura tiene algo más que hacer que ser bonita: debe tener razón. Debe tener razón en todos los sentidos de la frase. No quiero creer que nada existe porque sí: la belleza menos que nada, ni la calidad. O se es jesuíta o se es escritor; o se es comunista o se es escritor. No se puede ser escritor comunista, a lo sumo comunista escritor, lo que es muy distinto."
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Stephan Zweig se suicidó junto con su esposa en Brasil, donde se hallaba exiliado, en 1942. Max Aub, op. cit., p. 47sq. Un poco más adelante se referirá de modo genérico a otros sectores de la intelectualidad francesa que rehuyeron el compromiso: «Surgió, por otra parte [...] en el bazuqueo parisino, una especie de gnosticismo superrealista, envuelto en prendas de buen estilo, divorciados del mundo, que pretendían arrastrarnos a viejas zonas ya deshabitadas [...]. O aun casar en fotomontajes mejores o peores, irracionalismo y marxismo, en desesperado afán de dualismo impar.» (Ibid., p. 49). 32
3! 31 35
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¡bid., p. 77. Ibid., p. 78. Max Aub: Diarios, op. cit., p. 178sq. (24.3.1951).
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Respecto de los valores literarios de Sartre, reprueba el excesivo intelectualismo de su teatro, que acaba restándole humanidad, en contra de lo que sucede con los dramaturgos auténticos; así, después de asistir en Madrid, durante su segunda visita a España, a una representación de Los secuestrados de Aliona, anota lo siguiente: «Ibsen, sí; Sartre, no. Vuelvo a ver, con Quinto, Los secuestrados de Altona. Ese sí es teatro de 'ideas'. Ni un solo carácter, ni una persona. Strindberg, sí; Sartre, no. Beckett es otra cosa: no se discute: las cosas son así.» 56 André Malraux será, sin duda, el modelo de intelectual comprometido por quien Aub se siente atraído con más fuerza, en cuanto que encarna para él la representación del «realismo testimonial» por el que abogaba. Un ejemplo elocuente de esa admiración lo tenemos en las páginas que redactó en 1960 para ser leídas con motivo del estreno en Méjico de Sierra de Teruel, en las que evoca los momentos de fraternal colaboración con Malraux en el rodaje de dicha película en plena guerra civil." Esa fascinación por la figura del intelectual comprometido que encarna Malraux se manifiesta tempranamente en dos artículos que escribió en plena guerra civil para La Vanguardia" y seguirá vigente muchos años después, según demuestran otros textos escritos durante su exilio mexicano. 1 " En el primero de los artículos de La Vanguardia utiliza el ejemplo de Malraux para llevar a cabo la defensa de una literatura que refleje la realidad histórica, muy superior para él, a la que pueda engendrar la imaginación de los escritores. Estas son algunas de sus palabras: Ni Byron ni D'Annunzio vivieron su epopeya para cantarla, fueron a la realidad guerrera para apuntalar su personalidad, su obra. Quieren ser los héroes, en el sentido romántico que la palabra ha cobrado, por encima, por fuera de la vida, desligado de lo real: a lo fascista [...] Pero la postura de los intelectuales frente al nuevo estado de cosas es absolutamente distinta a la manera romántica. El escritor se enfrenta a la realidad y no dice como D'Annunzio: «Yo y el mundo», sino «El mundo y yo». Ya no puede acomodar o intentar servirse de la Historia como pedestal: al contrario, es él quien entra a servir a la Historia.
"' Ibid., p. 515 (30.4.1972). " «Discurso acerca de Sierra de Teruel». En Max Aub: Hablo como hombre, op. cit., p. 141-158. '* «Héroes. De Byron a Malraux» (19.3.1938) y «Las cosas como son. Los escritores y la guerra» (2.4.1938). Ambos han sido rescatados por Manuel Aznar, quien los comenta en «Política y literatura en los ensayos de Max Aub». En: Cecilio Alonso (ed.): Actas deI Congreso Internacional Max Aub y el laberinto español, Valencia, Ayuntamiento, 1996, p. 568-614. 30 Por ejemplo «André Malraux desde cierto ángulo». En: Revista de Bellas Artes, México, n° 22, julio-agosto, 1968, p. 32. En este articulo parece modificar su opinión sobre el compromiso byroniano, pues alinea al escritor inglés junto con otros como Schiller, Camus o Mauriac «y cien más» de quienes se puede afirmar, que, como en el caso de Malraux. «la vida y la obra son solidarias» (Aub en Aznar, art. cit., p. 579). En ese mismo artículo manifiesta la total sintonía entre su pensamiento y el de intelectual francés, afirmando que «para Malraux como para mí, un intelectual es una persona para quien los problemas políticos son problemas morales», ibid., p. 584). En el prólogo que escribió para poner al frente del guión de Sierra de Teruel, cuando fue editado en México, insiste de nuevo en afirmar que Malraux significa «la rememoranza de la figura que mi generación buscó no sólo desesperadamente: el puerto de la libertad por el camino siempre áspero de la justicia. Nos quedamos en el camino, pero éste es el camino». («Prólogo a Sierra de Teruel». En: Max Aub: Sierra de Teruel, México, Ediciones Era, 1968, p. 13sq.)
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José Antonio Pérez Bowie [...] Ahí está para ejemplo, la obra novelística de André Malraux, y a ella quería venir. Para mí su novela L'Espoir, novela de actuación en defensa de nuestros derechos -que es el derecho- y del ambiente de la España que ha vivido de julio de 1936 a marzo de 1937, está escrita sobre datos menudos y exactos y cobra vida universal y aliento amplio. Malraux no viene a España a buscar una muerte gloriosa ni una aureola ya conseguida por otra parte; viene a ayudar, a servir, y escribe por añadidura. Claro está que sale ganando; la realidad y no salgamos de España- ha sido siempre más fuerte que lo imaginado [...] que si escribir en España era llorar, ahora -generalizando la frase de Larra- puede decirse que escribir en el mundo es ver. Ver, oír y cantar.'10 El otro escritor francés que focaliza la admiración de A u b , e n cuanto encarnación de la figura del intelectual c o m p r o m e t i d o e s L o u i s Aragon; forma, junto c o n Malraux una pareja indisociable, s e g ú n p o d e m o s deducir de las declaraciones que hizo a André Camp: Et c'est là [se refiere a la guerra civil española] que s'est nouée aussi [...] ma très grande admiration pour Aragon. Et je continue a être un tres grand admirateur de Malraux et d'Aragon et un grand ami de Malraux et d'Aragon et je continue a croire que ce sont deux des plus grands écrivains français. Maintenant évidemment je suis plus près de Malraux que d'Aragon parce queje suis romancier et je crois que Malraux a écrit quelques-uns des romans les plus importants de nôtre temps.41 La figura d e Albert C a m u s e s otra de las que despierta s u admiración, e n función de su actitud comprometida. A u n q u e siempre e n un grado menor que Malraux, pues A u b lo valora m á s c o m o literato-periodista y muestra ciertas reticencias hacia su obra literaria d e m a s i a d o p r ó x i m a a los presupuestos existencialistas. En un determinado m o m e n t o anota e n La gallina
ciega:
Se puede estar solo sin desesperanza. El existencialismo -de Camus o de Sartre- fue demasiado melodramático. El ser y la nada fue parecido a aquella disyuntiva romántica de los bandidos con trabuco: -la bolsa o la vida. El todo o la nada. El anarquismo del que decanta ese estoicismo no tiene por qué ser pesimista.42 C a m u s aparece m e n c i o n a d o en varias o c a s i o n e s a lo largo d e las obras de A u b , e n unos c a s o s alineado junto a los nombres de los escritores que por haber sabido mantener una actitud de c o m p r o m i s o concitan s u admiración 4 ' y en otros para poner de relieve las c o n c o m i t a n c i a s que e x i s t e n entre ambos: « . . . v e o hasta qué punto h e m o s c o i n c i d i d o en ideas acerca d e este y del otro m u n d o ; la razón y la justicia, la esperanza y la desesperanza en s u rebelión contra l o s c i e l o s y la tierra.» 44 En sus Diarios anotación m u y reveladora de e s a admiración hacia el autor de La peste,
40
inserta una y de los
Max Aub en Aznar, art. cit., p. 578sq. Entrevista radiofónica con André Camp, op. eil., p. 87. 42 Max Aub: La gallina ciega. Diario español, ed. de Manuel Aznar Soler, Barcelona, Alba Editorial, 1995, p. 595. 45 Cf. Max Aub: Hablo como hombre, op. cit., p. 202. 44 Max Aub: Enero en Cuba, México, Joaquin Mortiz, 1969, p. 51sq. 41
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vínculos de éste con la España derrotada en la guerra civil, al comentar el homenaje muy mediocre, en opinión de Aub- que le tributó la Nouvelle Revue Française: Porque lo que había que asegurar -sin exagerar- es que Camus fue - e n parle importante- el que fue por la guerra española, dejándole cicatrices sólo perecederas en su alma. Sin contar su sangre, que tanto contaba - n i sus a m o r e s - su gran amor, que tanto contó. Fue, además, la mejor realización, hasta hoy, del literato-periodista - y no esporádico- a lo Hugo, Zola, Larra. 4 '
La actitud ante Gide, a quien Aub reconoce como uno de los grandes escritores franceses es, en cambio, ambivalente. En las ocasiones en que se refiere a los que él considera narradores decisivos del siglo XX, el nombre de Gide parece indefectiblemente citado46 y más de una vez intercala palabras del mismo en sus páginas. «Las virtudes no producen interés ni en literatura. (Bonita frase, lástima que Gide lo dijera antes y mejor)» anota Ferrís en Campo de los almendros." O en una de las páginas de sus Diarios, después de comentar la conveniencia de que las antologías literarias estén hechas por un equipo de personas en vez de por una sola, ya que así «los aciertos serán más, los defectos menos», reproduce las siguientes palabras de Gide: «... Littérature, domaine de la confusion, de l'hésitation, de l'a-peu-peu-près».4" Pero la crítica se suscita en cuanto que Gide no responde plenamente al ideal de intelectual comprometido tal como hemos visto que Aub lo concibe y tal, como según él, lo exige el conflictivo presente en que vivía.4' El tal sentido, denuncia en él su excesivo egotismo, la atención casi exclusiva que presta al autoanális y a la exposición de su propia intimidad, defecto que comparte con otros grandes creadores contemporáneos entre los que cita a Baroja, Unamuno, Montherlant o Huxley; léase, a propósito esta anotación de sus Diarios: El ser no es en sí, sino en sus obras; el escritor del siglo XX, tan atento a sus reacciones más nimias, no produce personajes sino que se dibuja a sí mismo (aun los más heterodoxos): Baroja, Gide, Huxley, Unamuno, Montherlant, etcétera; lo que deja de
ls
Max Aub: Diarios, op. cii., p. 313 (1.4.1960). Recuérdense las referencias puestas en boca de sus personajes que hemos citado más arriba al mencionar ejemplos de La calle de Valverde y de Campo de los almendros. 47 Max Aub: Campo de los almendros, op. cit., p. 438. 48 Max Aub: Diarios, op cit., p. 57 (17.1.1941). 4 ' En una entrevista que tuvieron ambos en 1941 en Cabris, Gide aconsejó a Aub prudencia, renunciar temporalmente a la literatura comprometida a cambio de su propia seguridad. Esta entrevista, a la que se alude escuetamente en los Diarios (op. cit., p. 74; 4.6.1941) aparece ficcionalizada en Historia de Abrán: «Tercera y última conferencia. Éxito mayor, si cabe, que las anteriores. El público capta sin dificultad las alusiones políticas que deslizo. Para que luego venga Gide - c o m o el otro día en Cabris- a decirme que es el momento de callar. Lo que quería era justificar el haber suspendido su conferencia de Niza. - ¿ Q u é hacer? - l e pregunté. -Callar, callar, callar, - m e contestó el famoso viejo.» (Max Aub: Cuentos ciertos, México, Antigua Liberería Robedro, 1955, p. 189). 46
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José Antonio Pérez Bowie interesar a la mayoría, que se tiene que refugiar en novelistas de segunda.50 [...] Habiendo tanto que decir, tanto que, por mucho que hagamos, siempre quedarán casos que poner en relieve, ¿para qué inventar? Creo que no tengo derecho a callar lo que vi para escribir lo que imagino.51
Curiosamente, en cambio, es de Gide, de quien toma una etiqueta que le será muy querida: la de «literatura activa» para sustituir a la de «literatura comprometida», que le parece remitir a la dependencia del escritor de los dictados de un partido u organización ideológica a la que estuviera sometido. Así, anota en sus Diarios: Nada de literatura «comprometida» ¡horror! ¿Comprometido? ¿Qué quiere decir? «Estoy comprometido a...» Queriendo decir todo lo contrario. Mejor «literatura activa», como la denomina Gide (Carta a Roger Martin du Gard. O.C. R.M. p. CXXIV). «Literatura activa», «literatura pasiva». Tampoco es exacto, pero está mejor. Entre otras cosas porque todos participamos de las dos.52
Aludamos, por último, a otro comentario en esas misma páginas en el que se vuelve a poner de manifiesto su admiración hacia Gide. En él se alude a Valéry, a quien Aub califica de «inteligencia pura que se cree fuerza y no lo es más que para el aparato», contraponiéndolo a la «inteligencia disociadora» de Gide, «correspondiente a la del 98» -añade- «pero con tradición (Voltaire, Diderot) típicamente francesa».53 *
En la exposición que Aub hace de sus preferencias sobre la literatura francesa, encontraremos siempre la valoración de aquellos escritores que adoptan una actitud de compromiso con la realidad próxima a la que él defendía. No obstante, cuando vuelve la vista al pasado, reconoce la admiración que sintió en determinado momento, cuando está intentando sus primeros acercamientos al teatro, por autores muy alejados de las posiciones que mantendría después, como Jean Cocteau o Marcel Achard, Alfred Jarry,
50
Resulta significativo que, en otra anotación de su Diario, sitúe entre esos novelistas de segunda a algunos de los autores franceses más populares, por el cultivo de una literatura esencialmente imaginativa: Julio Veme y Alejandro Dumas. Para Aub está claro el escalafón: primero la literatura comprometida y luego toda la demás, aunque eso no signifique negarle la condición de literatura: «Julio Verne y Alejandro Dumas no son mejores que Agatha Christie o Simenon. Los lectores de Julio Verne solían no leer nada más el resto de su vida; hoy siguen leyendo novelas policíacas. ¿Y qué? ¿No es uno y lo mismo? Tan falso un mundo como el otro. ¿De eso hemos de deducir la decadencia de la literatura? ¿Es que en los siglos de oro la enorme producción que acompañaba a los nombres -hoy preclaros - n o era infinitamente mayor en cuanto al número?» (Max Aub: Diarios, op. cit., p. 123; 8.2.1945). 51 Ibid, p. 122sq. (22.1.1945). 52 Ibid., p. 290 (4.10.1957). 55 Ibid., p. 128 (26.6.1945).
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Antonin Artaud" o Jacques Copeau y Louis Jouvet." En cambio, mantiene una actitud por completo opuesta hacia escritores que a la altura de los sesenta cultivan una literatura esencialmente experimentalista y alejada de toda conexión con la realidad; en tal sentido, resulta drástica la condena que hace de la escuela del nouveau román: Le nouveau román o la dificultad por sí misma es hijo de la pintura envidiosa del éxito de Picasso, Pollok, Dubuffet... creen poder alcanzar los mismos premios y se tienen que contentar con los literarios. La pintura se ve de una vez, pide la colaboración del público para la comprensión, pero se le muestra de un golpe de vista de tres segundos. Llevar este principio a la literatura es una equivocación; creer que la gente dispone de tiempo. La «nueva novela» se vende algo, pero no se lee - y 110 se puede leer-. Puede ser tema de tesis universitarias. Es una manera decadente modern style, como el gongorismo - q u e volvimos a sacar a la luz en 1925después de dos siglos de merecida oscuridad y que quedará como singularidad. No creo que deban otorgarse premios a este tipo de literatura de colegio, de academia, de palabras cruzadas, de acertijos, de juego de sociedad, muy licito por otra parte. Acumular dificultades por el gusto de hacerlo - y de ver si dan con la solución- es lo contrario de la poesía.1"'
Citemos, para concluir, un texto poco conocido de Aub en el que se enfrenta a uno de los autores franceses situados más en las antípodas de su concepción de la literatura como compromiso: Arthur Rimbaud. Pero éste poeta, en cuanto representante de la actitud iconoclasta y subversiva que abre el camino de la modernidad literaria, no deja de ejercer fascinación sobre Aub, quien, como sabemos y demostró sobradamente a lo largo de toda su obra, era consciente de que la función testimonial que él exigía a la literatura, su compromiso con el tiempo histórico que le había tocado vivir, requería necesariamente un combate denodado con los medios expresivos, una permanente labor subvertidora de la escritura capaz de desmontar los tópicos y los moldes establecidos, de dinamitar el sistema de convenciones sobre el que se asienta el conformismo y la asepsia de la literatura canónica. El texto, publicado en el volumen 1 de Sala de Espera, se conforma como un fragmento de prosa poética, en el que mediante la estrategia de una escritura automática, pródiga en asociaciones ilógicas, en imaginería surreal, trata de plasmar de modo impresionista el alcance y el significado de la obra del padre de la poesía contemporánea. Véanse algunos fragmentos": Espectro blanco y negro de todos los colores, escuálido menstruador, masturbador eterno, estrupador furioso de imposibles, onanista genial de un país minero, triste, gris, raquítico, pobre; desflora y rapta escribiendo con la verga en la mano. Acecha accesoso a las niñas bajo las negras escaleras de madera oscura y podrida para pasarles, a la fuerza, la mano por la horcajadura maloliente e irse luego a soflar, bajo el cielo a ras de tierra, muladares de colores inválidos [...].
54
Cf. «Entrevista póstuma», la recopilación de declaraciones de Aub que llevan a cabo Joaquina Rodríguez Plaza y Alejandra Herrera como introducción a Relatos y prosas breves de Max Aub, México, Universidad Autónoma Metropolitana, 1993.