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French Pages 159 [156] Year 2007
MANIFESTE Pour lire autrement l'œuvre de Cheikh Anta Diop (1923-1986) aujourd'hui.
Collection Recherche et Pédagogie dirigée par Grégoire BIYOGO
Cette collection entend promouvoir la recherche dans les lettres et les sciences humaines en priorité en Afrique, en insistant sur le "retour au texte", en vue de produire des analyses d'intérêt pédagogique. Elle tente ainsi un nouveau partage entre deux grandes orientations souvent demeurées sans médiation, en valorisant l'examen interne et patient des textes et la nécessité d'en restituer méthodiquement les connaissances. Le dessein de cette collection est donc d'accueillir des productions originales pour la publication des ouvrages attentifs aussi bien au contrôle des connaissances tirées des textes eux-mêmes qu'à la clarté de leur exposition, pour fournir aux universités africaines
- et
à celles d'ailleurs
- comme
Ecoles un ensemble de travaux de référence.
aux grandes
Sous la coordination scientifique et la direction de Grégoire Biyogo
MANIFESTE Pour lire autrement l'œuvre du professeur Cheikh Anta Diop (1923-1986) aujourd 'hui.
Actes du colloque international Cheikh Anta Diop, organisé par l'Institut Cheikh Anta DIOP (ICAD) à Paris, au Forum le Lucernaire
les 11 et 12 mars 2006 à l'occasion de la commémorationdes 20 ans du décès du savant africain(1986-2006).
Le Papyrus, numéro spécial, vol. II.
L'Harmattan
http://www.librairieharmattan.com diffusion. [email protected] harmattan 1@\vanadoo.fr @ L'Harmattan,
2006 ISBN: 2-296-02087-9 EAN : 978-2-296-02087-0 9782296020870
Directeur de publication: Grégoire Biyogo
Directeur de la rédaction: Auguste Eyéné Essono
Directeur-AdJoint de la rédaction: Léandre Serge Moyen
Rédacteur en chef: Bienvenu Gobert
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS -Prolégomènes à toute lecture future de l'œuvre du professeur Cheikh Anta DIOP par Grégoire Biyogo, président
du colloque.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... 11-26
I. LOGIQUE ET EPISTEMOLOGIE -Le statut de l'argumentation et de la démonstration chez Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga, par Grégoire Bi yo go. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27 - 35
II. HERMENEUTIQUE ET THEORIES DU DISCOURS - PHILOSOPHIE MODERNE ET ANTHROPOBIOLOGIE
- Ce Auguste
que Lire Cheikh Anta Diop veut dire aujourd'hui, par Eyéné
Essono.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .37-55
- Esquisse de projet pour une sociologie historique autour de l'individu, le clan, et,la conscience du temps à la l'aune de la pensée diopienne. Contribution aux recherches actuelles en anthropobiologie, par Auguste Eyéné Essono ..57-72
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III. DROIT PUBLIC
- Contribution
au droit africain: «dé-fossiliser» la lecture de Cheikh Anta Diop, par Léandre Serge Moyen. . . . . .. . ...73-110
III. DROIT INTERNATIONAL Relire le Droit International économique à la lumière de la problématique diopienne du développement de l'Afrique: De l'ordre colonial à la souveraineté d'un Etat fédéral.. .111-144
IV. INDICATIONS
SUCCINCTES
AUTEURS DU MANIFESTE
SUR LES 145-148
V. ANNEXE : Allocution d'ouverture du colloque
10
.149-159
AVANT-PROPOS: Prolégomènes à toute lecture future de l'œuvre de Cheikh Anta Diop Par Grégoire Biyogo Président du colloque International Cheikh Anta Diop de Paris, fondateur et Directeur de recherche de l'Institut Cheikh Anta Diop (professeur HDR, enseigne au séminaire doctoral du CEF de Paris XII).
I. Les exigences préliminaires d'une œuvre intégrale
du travail de lecture
L'acte de lecture de l'œuvre intégrale d'un auteur appelle une grande patience, une vigilance de tous les instants, un impératif préalable d'information et d'explication permanente avec la formation, l' œuvre, les thèses, les colloques, les articles, les cours et l'ensemble des publications sur l'auteur. Il s'agit d'un acte exigeant, qui est tout à la fois informatif, taxinomique, évaluatif. Il est aussi performatif, prescriptif et prospectif. Cet exercice débouche sur la production des connaissances rIgoureuses. Cette opération de précision et de patience par quoi se caractérise la fréquentation assidue d'une œuvre intégrale ou d'une œuvre en cours de rédaction - peut occuper le commentateur pendant toute sa carrière et, à la vérité, toute sa vie - et pas seulement quelques années. Une telle fréquentation appelle la sérénité, le temps de la lecture de l' œuvre, des travaux sur elle, comme de l'état général de la recherche sur son champ d'étude. On perçoit ici l'importance d'un tel engagement pour la recherche, qui est celui des personnes détachées des préoccupations matérielles, menant une recherche dans des
centres ou des instituts, attachées à la lecture, à la relecture, à l'évaluation et au renouvellement d'une pensée. Une telle consécration vise un objectif: rencontrer l'événement imprévisible d'une œuvre et ce qui fait qu'une œuvre soit durable dans son histoire. Cela invite à se mettre au travail de façon solitaire, car une telle lecture est hostile à toute forme de travail occasionnel et à l'impréparation. La lecture d'une œuvre intégrale est un travail qui se caractérise par l'attention permanente qu'exige chacune des thèses de l' œuvre, leur évolution interne ou externe, ou même leur abandon, leur bifurcation ou simplement l'état de l'information face à l'évolution de la science moderne... Tout est donc dans l'examen de l'état de la recherche sur sa question de prédilection, sur la spécificité de son discours l'ordre de son discours - ses propres enjeux et surtout la cohérence de son argumentation et le statut de sa pratique de la démonstration, en s'assurant que les hypothèses de départ concordent bien avec les conclusions et en identifiant le type de raisonnement invoqué pour pouvoir l'évaluer du dedans comme du dehors. Tout ceci exige du commentateur une spécialisation, une longue période de fréquentation des œuvres, et à la vérité, leur relecture permanente. Car on a en partage avec elle et parfois contre l' œuvre - les grilles de lecture qui l'autorisent elle-même à lire et à argumenter. Ce partage est attentif à l'évolution de la pensée de l'auteur, aux bifurcations silencieuses de ses thèses, à la pratique permanente des rectifications internes ou externes et se fait au moyen d'une grille de lecture explicitement définie. Car les références escomptées sont à prélever à la fois dans l'objet ou les objets - l'œuvre examinée et l'ensemble des travaux effectués sur elle - et dans la ou les méthode(s)
sollicitée(s). De sorte que les objets soient élucidés, spécifiés, caractérisés ou évalués par les méthodes et que celles-ci puissent à leur tour être confortées ou renouvelées à la lumière de leur rencontre avec les objets étudiés. 12
Cette rencontre entre les objets diopiens et les méthodes de lecture: c'est cela qui, jusqu'ici, avait manqué au sujet de l'œuvre du professeur Cheikh Anta DIOP, composée de 13 ouvrages écrits par Diop lui-même, avec une dizaine de thèses et une dizaine d'ouvrages, trois colloques importants, dont les actes sont demeurés sans publication. Non pas qu'il n'y ait pas eu d'écrits sur l'œuvre de DIOP, mais ces publications n'ont pas su la lire, et à la vérité, n'ont pas pu lire cette œuvre, n'ayant pas pu expressément exposer une grille de lecture interne ou externe permettant de vérifier la cohérence, l'universalité des méthodes et la théorie de l'argumentation. L'affirmation ici soutenue, loin d'être téméraire procède d'une enquête avérée. 2. L'échec actuel des commentateurs Cheikh Anta Diop et le diopisme
à lire l'œuvre de
Lire, ce ne sera jamais plus analyser tel ou tel pan d'une œuvre, procédant selon un choix arbitraire, avec des découpages inexpliqués et inexplicables. De la même façon, toute lecture globalisante, sans délimitation préalable des territoires méthodologiques, des axes épistémologiques, de l'ordre du discours, de l'angle herméneutique ou des problèmes techniques précis qui organisent le tout de l'édifice, procède de l'imposture. A la vérité, l'essentiel ici est la délimitation et la définition des conditions internes et externes de lisibilité d'une œuvre et les procédures argumentatives mises en œuvre par l'auteur avant que les exégètes ou les commentateurs ne l'examinent en risquant d'aller dans toutes les directions, sélectionnant de la façon la plus arbitraire ses champs, ses thèmes de prédilection ou ses problématiques sans le moindre point de méthode et sans aucun travail de délimitation rigoureuse et ordonnée de ses objets, ses hypothèses de départ, ses méthodes et ses résultats. 13
Une telle lecture extrinsèque est à l'œuvre dans les recherches diopiennes qui, de ce point de vue, ne s'autorisent d'aucune scientificité, car l'œuvre ici est toujours déjà introuvable, annexée à des opérations réductrices, à des surinterprétations et plus souvent à des mésinterprétations. Or, on attendrait d'un platonicien - ou d'un linguiste - qu'il définît à la fois le statut du platonisme
- et de
la linguistique
-
dans le savoir moderne et dans l' œuvre spécifique de Diop. Qu'il fît l'état de la recherche dans sa discipline pour situer sa recherche. Et qu'il s'attaquât à la dimension linguistique ou platonicienne
- de
l' œuvre diopienne avec technicité. Puis
qu'il la prolongeât, la renouvelât de fond en comble jusqu'à ce que sa propre théorie vît le jour. De la même façon, on attend de l'historien ancien, de l'anthropologue, de l'épistémologue, de l'égyptologue, du juriste ou de l'économiste diopiens qu'ils fassent montre de la même rIgueur. Les ouvrages de biographie sur Diop s'écrivent jusqu'ici sans la moindre tradition d'investigation sur la question traitée, sans contre-investigation, sans référence aux travaux techniques sur la biographie scientifique, sans tirer argument des travaux antérieurs ayant jeté des jalons théoriques et méthodologiques sur la question avec autrement plus de rigueur (théorie des cycles de la vie de Diop (Pathé Diagne), théorie de la périodisation, élucidation obligatoire des travaux et de l'état de la recherche sur la question (Biyogo), les jalons biographiques (Samb)... Parce que ne procédant d'aucune méthode rigoureuse et ne sachant guère prendre acte des travaux préexistants en en examinant les limites comme les contributions, ce type de recherche reste volontariste et périlleux et sans la moindre distance critique face à l'objet examiné. Ces travaux ne sont pas seulement faibles mais sont encore, à la vérité, sans grand intérêt pour la recherche scientifique, qui exige de ces auteurs plusieurs choses. D'abord la résolution du problème de la scientificité de la documentation et l'élaboration d'une 14
théorie garantissant la fiabilité des sources. Or, oublier la question des sources et les prescriptions préliminaires qui s'y attachent, c'est oublier que le travail de la biographie intellectuelle d'un auteur n'a rien à voir avec le collage et l'accumulation des données extérieures à son œuvre et à sa théorie scientifique. Mettre en épochè le problème de l'élucidation de la genèse de l' œuvre, en identifiant son problème et les mutations successives de sa formulation, en s'efforçant de produire une théorie des cycles, une périodisation et des traditions de lecture est ruineux. Qu'ils soient oublieux de l'énonciation des 6 règles de toute recherche scientifique, atteste de la faiblesse heuristique et méthodologique de telles prétentions et de leur caractère non informé, non technique et donc, hasardeux: 1. La recherche peut s'appesantir sur une distinction d'ordre sémantique, logique, méthodologique ou théorique. 2. Elle peut vouloir démolir un lieu commun, un mythe ou une idée cependant tenues pour vraies. Ou, à l'inverse, s'efforcer de corroborer, de valider une hypothèse ou une théorie considérée comme secondaire, sans grand intérêt. 4. Elle peut aussi s'aviser de réfuter une théorie, en fournissant les arguments dont la scientificité est attestée pour prétendre montrer la fausseté de l'objet critiqué. 5. Elle peut proposer une nouvelle théorie, une théorie inaugurale, en s'efforçant de prouver qu'elle n'a jamais été étudiée auparavant. 6. Elle peut simplement vouloir élucider ou apporter un nouvel éclairage sur une question ancienne mais abandonnée, négligée ou tombée dans l'oubli. Une archéologie sera alors envisagée pour étirer l'histoire d'un tel oubli avant d'arbitrer des querelles
et de prendre
position
1
I
.
Je m'arrête longuement sur ce genre de questions ailleurs, notamment dans mon Traité de méthodologie et d'épistémologie de la recherche, Paris, L'Harmattan, ColI. « Recherche et pédagogie », 2005, p. 64 15
Une autre tendance confine à maintenir les recherches diopiennes dans la pauvreté, qui veut que l'on reprenne sans le moindre apport, sans élucidation nouvelle ni éclairage méthodologique ni travail de typologie ou d'évaluation rigoureuse les thèses diopiennes. Souvent largement en dessous de l'argumentation et de la documentation du texte diopien lui-même, ce genre de travaux sont devenus inutiles pour leur bavardage, leur incapacité à penser leur objet, à fournir un travail d'herméneutique et un effort théorique ou de création des concepts, ne serait-ce que pour ne pas souffrir l'acte de répétition paresseuse et de ressassement improductif. Le point culminant de l'imposture est atteint au lieu où les supposés commentateurs en viennent à ignorer les ouvrages et les travaux en vigueur sur Diop. En ce lieu de fuite et d'esquive, Samb ne sait citer ni Jean Marc Ela ni Obenga, pas plus que Pathé Diagne ne sait citer Obenga, ni celui-ci Samb ou même les écoles diopiennes continentales... De même,
Fauvelle - explicitement interpellé - ne sait entendre le principe de l'explication dès lors que certaines de ses hypothèses seraient jugées inexactes et d'autres fallacieuses.. . D'où la tactique de l'esquive, de l'évitement, de l'ignorance du travail existant sur Diop, lors même qu'on est supposé être un commentateur avisé... A la vérité, il s'agit là des pratiques obscures et irrationnelles, qui sont incapables de déployer une recherche rigoureuse et ouverte au partage critique. C'est que l'idéologie de l'esquive qui les caractérise crée en elles une pensée magique, dogmatique, fermée, inapte à l'ouverture, à sa propre ouverture. Leur enfermement, leur autisme sectaire et leur pratique de l'obstruction les conduisent, à leur corps défendant, à leur propre isolement et à leur minorité du fait de l'absence d'une éthique de la recherche scientifique, fondée sur le partage critique de la raison, une raison dont
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l'avenir dépend de sa propre ouverture, de sa propre tolérance.. . Exception faite des travaux des universitaires africains comme Lame, SalI, et des travaux de l'école diopienne de Libreville, nulle part on ne trouve le souci méthodologique de faire l'état de la recherche. 1. Soit que ces recherches n'aient aucune tradition de lecture - ne lisant ni selon les écoles et les méthodes en vigueur pour aller à l' œuvre diopienne et se donner les moyens de l'entendre. 2. Soit qu'elles ne savent pas identifier dès l'abord, le discours spécifique qui était celui de Diop, pour pouvoir attaquer correctement les questions radicales et majeures qu'il posait, ne sachant distinguer ce qui est essentiel de ce qui vient comme accessoire. Par conséquent, ce qui dans l'édifice diopien est inaugural et premier restait ici inatteignable, introuvable. 3. Soit qu'on lit Diop de façon passéiste, sans confronter son œuvre à la science moderne et à l'évolution des sciences de l'homme et sociale, en s'obligeant de ce fait à l'ajuster, à la reprendre lorsque cela serait nécessaire pour la mieux actualiser. Le marxisme s'est retourné en son propre spectre naguère faute d'une critique frontale du maître par les commentateurs et les exégèses. Le diopisme pourrait connaître le même sort si l'on devait continuer de le laver de tout soupçon, de l'angéliser et de la momifier, au point de créer un climat de suspicion sur tous ceux qui en critiqueraient légitimement les thèses jugées irrecevables. C'est en quoi les gardiens du temple la desservent plus qu'autre chose, tandis que ceux qui la critiquent rigoureusement la vitalisent et l'ouvrent à son dépassement, à son renouvellement. A ce propos, la critique occidentale qui en est faite - lorsqu'elle est formulée sur des bases saines et sans visée démagogique externe à la recherche scientifique est d'une grande utilité, qui invite à d'interminables réajustements. La lecture est d'abord l'événement d'un 17
partage ou le partage de l'acte révolutionnaire d'une œuvre devenu son événement. 4. Soit encore que ceux qui s'y étaient aventurés de façon téméraire, sans aucune précaution méthodologique ni prise en compte de l'état général de la recherche, étaient restés à la porte de l' œuvre, ne sachant attaquer ni la question préjudicielle de sa lecture, ni le problème crucial de son rapport à la science, question pourtant explicitement supportée par le noyau argumentatif et démonstratif diopien lui-même. Il arrive ainsi que les prétendues lectures sur l' œuvre de Diop soient très en dessous de l'édifice diopien, ne produisant ni éclairage des notions, des théories, des méthodes, et ne sachant rendre compte du faisceau d'arguments qui la constitue. Tout en échouant sur tant de points essentiels, il n'est pas rare que des lecteurs de Diop en viennent ex abrupto à se prononcer - mais de façon paresseuse et injustifiée - sur sa fiabilité et/ou son
acceptabilité rationnelle comme chez les diopiens de droite (Jean Marc Ela, Théophile Obenga), ou à conclure de façon tout aussi dogmatique à son irrecevabilité scientifique comme chez les critiques du diopisme (Fauvelle, Froment). Retournée contre ceux qui ont prétendu valider ou réfuter Diop - et le diopisme - de cette façon péremptoire dans une telle posture qui se caractérise par la faiblesse de la lecture et par le défaut de clarification du projet diopien, cette œuvre leur pose une autre question: à l'appui de quelle argumentation ont-ils cru s'y satisfaire? Lire Diop et le diopisme, à la lumière de l'argumentation interne - ou externe - de Diop et des héritiers, à l'appui des méthodes et des grilles de lecture des sciences humaines et sociales, c'est exposer I 'œuvre au partage critique de ses résultats et à la cohérence de son énonciation. Avec soit le risque permanent de la réfutation de tel ou tel argument, soit la garantie de la fiabilité de son système d'argumentation. Cette lecture volontariste et militante - dans l'usage le plus péjoratif de ce mot - de Diop résiste-t-elle à sa propre 18
impasse méthodologique et à son déficit théorique de plus en plus accentué? De telles contre-lectures ne parviennent jamais à tenir un protocole démonstratif satisfaisant. Mais s'enlisent dans le procédé d'accumulation des matériaux et d'une documentation souvent fiable mais n'ayant très souvent aucun lien logique, méthodologique ou théorique avec l'objet. D'où et comment s'organiseraient ces contrelectures pour prétendre réfuter ou valider les arguments qu'elles imputent à Diop ou au diopisme. Et qu'est-ce qui donc garantirait leur prétention à la réfutation et à l'universalité, lorsqu'elles se priveraient de la sorte des normes méthodologiques, épistémologiques et herméneutiques en vigueur ainsi que de l'impératif de son adaptation permanente à l'évolution de la science et du monde modernes d'une part comme au régime stationnaire de l'Afrique contemporaine? Ainsi, ne pas attaquer l' œuvre diopienne en adoptant des traditions de lectures, c'est toujours déjà risquer des superpositions inintelligibles entre ses objets, qui procèderaient de la dysfonction/disjonction internes, de la cacophonie du fait de son extraordinaire confusion des genres. Lire sans partir de l'état de la recherche sur l' œuvre et sur l'ordre du discours supputé, c'est errer autour de l'œuvre, à sa surface, séjournant durablement dans les lieux de son absence, au cœur de son non-événement. C'est s'abandonner aux lieux d'esquive, dans le non-lieu de l'œuvre. C'est consentir - même involontairement - à ne jamais pouvoir y accéder. Cette sortie de l'œuvre est en oubli ruineux du sens de l' œuvre et en oubli de son propre oubli. Redoublement de l'oubli lui-même oublieux de soi. Cette impossibilité et cette lâcheté de se tenir aux lieux de l'œuvre, de demeurer avec, dans et au-delà de son économie est la difficulté actuelle de des recherches diopiennes, pour lesquelles l' œuvre diopienne et le diopisme sont encore inaccessibles. 19
C'est que dans le temps même où l'on croyait les approcher, se les approprier, on s'en éloignait à tout jamais. On n'avait fait que l'annexer, lisant quelques uns seulement de ses 13 titres, de ses segments, en en ignorant définitivement le corpus intégral, les pliures, les scansions, sans en soupçonner la périodicité interne, les impasses ou les avancées réelles. Prétendant la valider ou l'invalider sans recourir à la chaine causale qui en organiserait le système ouvert, on s'en éloignait considérablement, de fait, définitivement. Ainsi, on n'en soupçonnerait jamais plus les lieux de décisions, le foyer argumentatif et le statut de la démonstration. C'est pour cette raison que le diopisme de droite d'Obenga comme celui de gauche d'Ela ne saurait jamais qu'être des pensées contre Diop, contre la survie de son œuvre. Se positionner contre ce diopisme tautologique, extrinsèque et a-méthodologique là, c'est s'aviser de sauver Diop lui-même de ses sur-interprètes et de ses mésinterprètes. Choisir de renverser cette lecture mensongère en même temps qu'autoritaire, c'est ouvrir de nouvelles brèches et de nouvelles ambitions théoriques, méthodologiques et herméneutiques au diopisme, c'est commencer ou plutôt recommencer à écrire le diopisme et à lire Cheikh Anta Diop. Ainsi, les publications qui se réclament d'une exégèse tautologique de Diop ont- elles produit le diopisme de droite le plus réactionnaire, qui s'inverse aujourd'hui en une idéologie faible et extravertie du panafricanisme ou de la Renaissance africaine. Elles ne savent pas lire Diop, mais l'ont hypostasié, atrophié. Et ont produit un diopisme erroné, un diopisme au rabais, qui l'éloigne du projet dynamique de Diop.
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3. Le verbe lire comme événement: de Diop.
lecture derridienne
Le fait majeur ici est que le verbe lire, et plus exactement l'activité de la lecture, au moins depuis Jacques Derrida se caractérise par l'opération de déconstruction qui fait orchestrer un événement en son terme. Evénement au sens d'un acte imprévisible qui se défait et défait sans cesse les traditions, les significations, les certitudes et les systèmes stables. Derrida oppose à ces systèmes stables la vitalité de l'instable, avec le primat de la fluidité et du report permanent de la chose écrite. D'où la prééminence de la lettre sur l'écrit ICI.
Qu'est-ce qui donc fait événement chez Diop, et qui aurait des conséquences incalculables dans I'histoire du savoir? Qu'est-ce qui dans l'a-jointement du texte diopien défait les certitudes? L'œuvre diopienne comporte un projet dont il convient d'entendre l'événement et le lieu de déstabilisation radicale: saper les fondements d'un ensemble des savoirs épuisés et devenus incapables de lire correctement I'histoire et les institutions africaines avec l'invitation subséquente à abandonner les institutions politiques et économiques dominantes en Afrique, du fait de leur réification par un système colonial aliéné, qui reproduit sa logique de désappropriation et d'expropriation. D'où la double exigence d'élaboration d'une science instable. Diop entend élaborer un nouveau paradigme
- une
Nouvelle physique
- capable
de lire
correctement l'univers - et la matière. La conséquence politique d'une telle trouvaille est la construction d'un Etat fédéral africain ouvert, gage de la sortie du continent de sa sujétion invariable et de la prise en main de son destin économique et politique. Un tel projet exige des chercheurs sur l'Afrique une lecture qui abandonne les types de discours de stabilisation de la sujétion qui remontent au moins à l'époque de la Traite et se prolongent à l'époque coloniale. 21
En fait, ces discours sont devenus inappropriés dans un monde en proie à de profondes mutations, à la différence des réseaux mondiaux d'échanges et à la planétarisation de la lecture des phénomènes de notre temps. Accordant la prééminence à l'ordre chaotique et complexe sur l'ordre unitaire et linéaire - que Diop caractérise par l'immobilisme et l'inertie - l'œuvre diopienne est une archive qui a détruit les systèmes de pensée fondés sur la stabilité dogmatique des notions, des analyses, des théories avec le spectre de l'immobilisme. Défaire l'ordre linéaire et hétéronome avec lequel l'Afrique a été façonnée, pensée, réifiée, correspond à la déstabilisation du fondement répressif et expropriateur de l'Etat postcolonial, avec son économie improductive. Dès lors, la tâche de la philosophie est de recommencer à penser sur les ruines des concepts dont la rigidité a produit des institutions intolérantes et dominatrices en Afrique. L'événement qu'accomplit Diop est d'avoir compris de bonne heure l'urgence de cette réforme - de l'entendement et de l'avoir mise en œuvre à travers des concepts encore absolutistes dans l'économie de son œuvre et que je rends ici indécidables, c'est-à-dire situés au-delà de la distinction et des oppositions classiques pour exprimer le différé du Même, le fluide du même: 1. L'antériorité: c'est à la fois cela qui vient historiquement avant toute autre lieu (l'Afrique) mais aussi cela qui est accaparé par le mythe passéiste et infécond de la grandeur des commencements. 2. La Civilisation est à la fois le produit des grandes œuvres de l'esprit et de l'industrie et source de barbarie comme de régression. 3. Le Nègre est le type le plus honni dans l'histoire, victime de l'exclusion économique et politique mais aussi le type le plus anciennement civilisé, le premier homme - mais ses origines ont été falsifiés. 22
4. L'unité est à la fois fondée historiquement - au moins depuis Ménès, unificateur des deux Terres (la Vallée du Nil et le Delta) et les pères fondateurs de l'OUA en 1963 à Addis-Abeba - culturellement mais dans les faits, elle est démentie par la désunion, la résistance à son accomplissement. 5. La parenté linguistique et génétique des langues égyptiennes et africaines est une théorie testée au laboratoire - au sens éminemment poppérien - en même temps qu'elle
reste étonnamment contestée - et cela depuis même le colloque du Caire de 1974, où elle été démontrée par Diop, relayée par Obenga. 4. Les enjeux du Manifeste Dans le cadre de ce Manifeste, le parti est pris de lire Cheikh Anta Diop autrement, tout au moins de commencer à en creuser les chemins de lecture, en s'appuyant sur des traditions d'investigation dont les méthodes seront explicitement accordées au schéma révolutionnaire de la sortie d'un ordre séculier régenté par la sujétion de l'Afrique. Celle-ci est elle-même travaillée par des savoirs et des épistémè participant de cette grammaire de la servitude et par la lecture inadaptée à un univers en expansion et une matière autoreproductible. D'où la nouvelle physique de Diop et sa double conséquence dans les sciences de l'homme et de la société: la déconstruction des sciences historique, égyptologique et politique européocentristes. La vérité est que cette œuvre nous apparaît sous le signe d'un partage manqué
- je
dirai durablement
manqué
- avec
ses énoncés,
son proj et de déconstruction des outils heuristiques de lisibilité de l'Afrique, barrés par l'ombre du colonialisme, avec son complexe de sujétion, de domination et d'expropriation du continent. Faire advenir ce partage sans cesse obvié, obstrué, manqué et reporté aux calendres grecques, voilà l'urgence de 23
ce Manifeste et de l'acte de la déconstruction escompté, envisagé ici comme un événement: l'événement de la relecture et du partage différentiels - différantiels - de l'héritage diopien en vue de son renouvellement et de son adaptabilité aux problèmes de notre époque, notamment ceux d'une Afrique tenue jusqu'au XIX è siècle hors de l'Histoire, marginalisée
au XX è siècle et condamnée
à la survie
-à
la
résistance - ou à sa disparition au XXI è siècle. Evénement aussi de son éthique de la découverte scientifique invitant, à la manière rortyenne, à créer de nouvelles formes de solidarités, excédant la question des appartenances de sol et de sang, au profit de la redéfinition d'une nouvelle figure planétaire du savant se donnant à la science sans faire prévaloir ses coordonnées ethniques. Commettre une telle posture anti-contextualiste, au nom de l'impératif du partage différentiel des résultats de la recherche scientifique et de l'avènement d'une figure planétaire du savant, c'est inviter à mourir aux intérêts sectaires pour valoriser le principe d'une perception solidaire des problèmes de la science et de la planète.. . Comment donc lire Diop et le diopisme aujourd'hui, ce système ouvert mis en œuvre par Diop
- et
qu'il nous a été
donné de nommer le premier sous l'appellation de rectificationnisme? Quand aujourd'hui les spécialistes et les théoriciens font usage de ce philosophème ou de cette théorie, que mettent-ils dedans? Que nous dit en effet cette théorie aujourd'hui au regard de la logique (Grégoire Biyogo, historien de la philosophie, épistémologue), de la philosophie moderne (Auguste Eyéné Essono, philosophe, docteur en philosophie), du droit public (Léandre Serge Moyen, juriste, avocat, docteur en droit public) et du droit international (Bienvenu Gobert, juriste, docteur en droit international) ? Ces quatre universitaires - des diopiens du centre gauche (Moyen et Gobert) et des diopiens libéraux (Biyogo, Eyéné) -
se rattachent au tout premier centre de recherche universitaire ayant consacré l'essentiel de ses activités à l'étude de l'œuvre 24
de Cheikh Anta Diop, la lisant dans le champ de l'épistémologie. L'enjeu du centre est la reprise critique et méthodique du projet diopien en l'ajustant à l'évolution de la science moderne et aux avancées des sciences de I'homme et de la société. Créé en 1995, l'Institut Cheikh Anta Diop (ICAD) - dont le siège est à l'Université Omar Bongo de Libreville (Gabon) tandis que sa Représentation Internationale
se trouve à Paris (France)
- le
centre tient que
le diopisme n'est pas à chercher derrière nous mais qu'il est à-venir, à réinterpréter comme une théorie qui va permettre à la recherche actuelle - et pas seulement celle d'Afrique d'entrer dans la modernité et de lire notre époque avec anticipation, lucidité et prospection. Une théorie qui a soulevé les problèmes cruciaux de la planétarisation de l'écriture de I'histoire, de I'histoire de la philosophie, de la science. Diop a appelé au nécessaire équilibre des grands blocs - en vertu de quoi il appelle à la création du bloc africain, après celui des USA, de l'UA et de l'Asie du sud-est - en vue des échanges sains et du partage commun des œuvres de la civilisation industrielle et technologique comme du progrès de l'idée kantienne de la paix entre les nations. Ces questions sont examinées avec une résonance moderne et une grande actualité, avec chaque fois chez les auteurs une exigence d'adaptation de la théorie diopienne elle-même, à la lumière des évolutions les plus récentes des sciences épistémologiques, (Biyogo) anthropologiques et biologiques (Eyéné), du droit moderne (Moyen) et du droit international économique (Cobert) de notre époque. Le colloque a voulu commémorer autrement les 20 ans de la mort du professeur Cheikh Anta Diop (1986-2006), en redéfinissant et en activant l'acte de lecture. D'abord, celui de son œuvre. Ensuite, celui des œuvres. Ici, lire, c'est partager et se partager les héritages d'une œuvre, sur fond de tension, de différend, d'élucidation controversée. Mais d'abord pour en abandonner les spectres. 25
Outre la répudiation rortyenne du mythe autoritaire de la fondation de la vérité, pensée comme exactitude, miroir de la nature2, la fréquentation de l' œuvre derridienne et sa confrontation avec l'œuvre de Diop peut émanciper les recherches diopiennes de deux erreurs grotesques: «Derrida rejette dos à dos deux types de désirs et de prétentions cognitives: la logique haptocentrique (celle qui veut absolument toucher au but, et qui veut jeter un pont pour réunir ce qui est séparé et distant) et la logique exitologique (celle qui entend absolument sortir de toute violence et se maintenir dans une position sécuritaire). A quoi il oppose le modèle tensionnel, ne tolérant ni éviction illusoire du conflit et du mouvement ni davantage d'appropriation. ».3
2
« (oo) la volonté d'expliquer la rationalité et l'objectivité en remontant jusqu'à la représentation adéquate », Richard Rorty, L'Homme spéculaire, trade T. Marchaise, Paris, Seuil, 1990, p. 22 3 Biyogo (Grégoire), Adieu à Jacques Derrida, enjeux et perspectives de la déconstruction, Paris, ColI. « Recherche et Pédagogie », 2005, p. 12I 26
I. LOGIQUE, EPISTEMOLOGIE
Grégoire BIYOGO, Professeur HDR, fondateur et Directeur de recherche de l'Institut Cheikh Anta DIOP (ICAD). Directeur de collection chez L'Harmattan. Enseigne la méthodologie et l'épistémologie de la recherche au séminaire doctoral de Paris XII. Spécialiste de Cheikh Anta Diop, de Jacques Derrida et de Richard Rorty. Texte 1. Le statut de l'argumentation et de la démonstration chez Cheikh Anta DIOP et Théophile OBENGA. Commençons donc la lecture de l' œuvre de Diop à la lumière du néopragmatisme de Richard Rorty qui a réfuté à la fois le mythe de la rationalité transparente, entendue comme représentation adéquate de la nature et celui de la fondation de la vérité. Rorty invite les chercheurs à une science sans pouvoir, capable de fédérer les pairs sur l'essentiel - dans un esprit de tolérance - et à créer un modèle de solidarité qui gagnerait à être repris dans la société. C'est par la logique et par l'épistémologie que l'on entend entrer dans l'édifice diopien - et ce qu'en ont dit les commentateurs, dont l' œuvre en gestation de Théophile Obenga, en raison de sa propre revendication de I'héritage de Diop, dans les termes de la continuité du disciple. On mettra donc à l'épreuve Diop et Obenga à partir de l'argumentation qui sous-tend leurs travaux. La philosophie africaine s'est longtemps appesantie sur des problèmes de prescription terminologique - en vue de définir son identité alors traversée par toutes formes de tensions.
Récemment, elle a procédé à l'élaboration de sa propre histoire. Maintenant, il importe qu'elle s'engage dans des recherches qui examinent la cohérence interne ou non de l'argumentation et touchent aux questions si délicates de la démonstration. 1. Evaluation du statut de la démonstration principales propositions de l' œuvre diopienne.
dans les
- P.I. - L'Egypte nègre. - P.II. L'Antériorité historique des civilisations nègres. - P.III. L'Etat fédéral comme condition de la souveraineté et de la reprise en main des économies et de la gouvernance en Afrique. - P.IV. L'édification d'un corps de sciences humaines pour garantir une recherche autonome, libre, réconciliée avec l'historicité et débarrassée de son péché anti-contextualiste et de sa distraction inexplicable face aux enjeux cruciaux de la SCIence. Dans le cadre strict de ce texte, je ne m'en tiendrai qu'aux deux premières propositions (PI et PlI) pour l'efficacité de la démonstration. Par ailleurs, ces deux premières propositions sont falsifiables et ont été validées par la science moderne. Commençons par PI. PI : l'EGYPTE NEGRE. Soutenue en premier par les Anciens, sans encore pouvoir en fournir la démonstration stricto sensu ni la force de l'argumentation, PI est sans doute la plus controversée des propositions diopiennes. Cette controverse a-t-elle un fondement scientifique? Est-elle gratuite? PI est-elle démontrable? C'est à cette question que l'on répondra ici.
-
Se proposant de répondre aux tenants de l'argument de la
tabula rasa au sujet du passé de l'Afrique, Diop établit que, 28
si l'on n'a pas tort d'accréditer la lecture de l'orientalisation, de I'hellénisation, de l'arabisation, de l'occidentalisation de l'Egypte pharaonique, on aurait cependant tort d'affirmer, contre l'attestation des faits, de nier que les premiers habitants d'Egypte étaient des Noirs. Des Noirs qui n'avaient pas eu besoin de venir de l'extérieur du continent africain pour peupler le bassin de la Vallée du Nil, tandis que les Egyptiens habitant le Delta formaient une population plutôt compositel. D'où la réfutation diopienne de l'affirmation téméraire et par trop globalisante selon laquelle les Egyptiens étaient exclusivement des Blancs ou des gens à la peau brune et sa déconstruction du travail de la dés-africanisation millénaire de l'Egypte par le discours égyptologique. - Des découvertes archéologiques et égyptologiques font état des pharaons Noirs, qui ont gouverné l'Egypte jusqu'à la 18 è dynastie. - La théorie diopienne - qui s'appuie sur la loi de Gloger montre que les premiers habitants de cette région étaient nécessairement des Nègres, car pour résister à la chaleur, il eut fallu de la mélanine dans leur peau. - Plusieurs autres arguments ont été invoqués par Diop pour asseoir la scientificité de la proposition de l'Egypte nègre, dont plusieurs ont satisfait au test de laboratoire et ont été attestées. Le plus important d'entre eux est celui de la parenté génétique de l'ancien égyptien et des langues négroafricaines.
1
C'est de ce premier constat que Diop va élaborer sa théorie des deux berceaux de la civilisation prodigieuse de l'Egypte ancienne, distincts selon qu'il s'agit de la Vallée du Nil (Sud) - en laquelle Diop reconnaît le trait osirien du génie de la fécondité artistique - ou du Delta (Nord), qui est perçu sous le signe de l' hostilité et du conflit propre au dieu Seth, déicide. On voit ici l'ombre du géographisme manichéen que Diop reprend à Hegel, en renversant point par point le schéma hégélien de la prééminence naturelle du Nord - lieu d'éclosion de l'Esprit - sur le Sud, le lieu de son immobilité atavique. 29
- Savante, la démonstration diopienne passe par l'élaboration d'un discours: la linguiste historique et comparée. Et s'est étendue aussi bien au niveau lexical, syntaxique que phono logique. C'est pour cette raison que Diop tient qu'il a été le premier à faire de PI une hypothèse opératoire2 et à lui avoir donné le statut « d'un fait de conscience historique et mondiale »34. L'historicité et la scientificité de PI seraient donc le fait diopien. PI est d'origine historique, archéologique et génétique. Mais c'est la linguistique historique et comparée qui va lui donner ses lettres de noblesse. De la validité de PI Il est intéressant de rappeler que Dumézil a tenté naguère d'établir l'origine grecque de l'Europe, à travers la théorie de la tripartition fonctionnelle qui établit l'homologie structurale des deux sites à partir des figures du marchand, du soldat et du prêtre qu'ils auraient en partage, comme héritage commun. L'argumentation dumézilesque ne s'appuie sur aucun fait falsifiable, mais sur l'imaginaire, l'épopée et les mythes. Elle ne peut satisfaire au statut de science. A l'inverse, Diop s'appuie sur un matériau à la fois archéologique, anthropologique, linguistique et biologique. S'il est établi que les arguments archéologiques, linguistiques et égyptologiques sont attestés, il convient toutefois de souligner le risque permanent chez Diop de l'usage du raisonnement inductif (du particulier au général, de la partie
2
Diop (Cheikh Anta), Civilisation ou barbarie, Anthropologie sans
complaisance, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 10 3 Diop (Cheikh Anta), Civilisation ou barbarie, Anthropologie sans complaisance, op. cit., p. 10
30
au Tout), déductif (du général au particulier, du Tout à la partie) ou de l'inférence. PlI. L'ANTERIORITE
DES CIVILISATIONS
NEGRES.
On a souvent dit que PlI est une réplique symétri2ue de l'argument de la tabula rasa au sujet du passé africain, dont Hegel a été le principal théoricien, le doctrinaire acharné. Prenant appui sur le géographe Karl Ritter, sans la moindre distance critique, ni la moindre enquête de terrain, l'auteur de La Raison dans l 'Histoire a vu en effet en l'Afrique un continent caractérisé par sa vie hors de l'Histoire universelle5, son repli néantisant sur elle-même6 et son immuabilité, sa naturalité intrinsèque ainsi que le régime magique et sauvage de ses institutions. L'Afrique vivrait hors de tout Etat, et donc de tout Esprit, de tout mouvement, hors du temps... Revisité aujourd'hui à la lumière de l'évolution des recherches sur l'Afrique et sur les Antiquités africaines, de telles affirmations sont dépourvues de sens. Car, on le sait aujourd'hui, la vie, le premier homme comme les premières grandes civilisations apparaissent en Afrique Noire, autour de la vallée de l'Omo. Des découvertes archéologiques récentes effectuées en Ethiopie font état des squelettes anciens dont la datation est de loin antérieure à tout ce qu'il nous a été donné de savoir jusqu'ici. Archéologique et relative à I'histoire ancienne, PlI est une proposition proprement diopienne, qui est validée par la science moderne. En somme, PI comme PlI constituent des théories susceptibles d'être falsifiées, capables d'erreurs et de prédiction. Pourtant, il est apparu que la validation de ces 4
Diop (Cheikh Anta), Nations nègres et culture, p. 10 5 Hegel, La Raison dans l'Histoire, p. 269 6 Hegel, La Raison dans l 'Histoire, p. 250. 31
deux propositions a reposé sur le raisonnement inductif avec son inéluctable aporie: l'accumulation des preuves à travers une régression allant jusqu'à l'infini. Une telle pratique de la corroboration est problématique, dans la mesure où elle ne s'assure pas avec fermeté du caractère rigoureux de la démonstration. De la sorte, l'argumentation diopienne n'échappe pas à la critique de l'induction. De même, l'absence d'un appareillage logique attentif à l'abduction (Peirce, Rorty), au modèle du raisonnement non conclusif et anti-holistique, ainsi qu'à la résolution des problèmes sur le mode du diallèle, il subsiste dans le texte diopien des résidus 4.'événementialisme, avec une philosophie de l'histoire de part en part parasitée par l'optimisme épistémologique, la foi au progrès de la conscience de l'humanité.. .Autant de positions qui témoignent du néo-cartésianisme de Diop, avec le mythe de l'éviction radicale de l'erreur. Mais c'est en pratiquant le principe des réponses aux objections qui lui sont faites en vue d'une éventuelle rectification de ses théories que l'argumentation diopienne reste ouverte à une telle conversion du raisonnement. Il n'en est pas ainsi chez Obenga, dont il a été notifié que le système de l'augmentation fait défaut. Que l'on prenne la philosophie pharaonique, ou Cheikh Anta Diop, Volney et le sphinx, il apparaît que l'analyse ne repose sur aucun schéma logique rigoureux, ni même observable, exception faite du modèle manichéen et simplificateur à double entrée: affirmation/réfutation ou réfutation/affirmation, sans qu'il soit question de s"arrêter sur l'exposition du problème examiné, la définition de l'ordre du discours, le statut de la démonstration visée. D'où une inflation permanente du programme logique et un certain déficit dans la cohérence générale des énoncés de départ et ceux d'arrivée. Sans cesse éprouvée et ruinée par le caractère péremptoire des hypothèses et l'absence d'un travail patient qui les conduirait au statut de science, l'argumentation de l'égyptologue et
32
linguiste congolais achoppe à l'indétermination, au ne pas être. Bibliographie
1. Logique - Hintikka (Jaakko), théorie des mondes possibles, Fondements d'une théorie du langage, Paris, PUF, Coll. L'Interrogation philosophique", 1994, 436 p. - Meyer (M.), De la problématologie, Bruxelles, Mardaga, 1986, Rééd., Paris, Le Livre de poche, Coll. "Biblio-Essais", 1994 - Timmermans (Benoît), La Résolution des problèmes de Descartes à Kant, Paris, PUF, ColI. " L'Interrogation philosophique", 1995,319 P 2. Epistémologie - Broglie (Louis De), épistémologie physique, La physique nouvelle et les quanta, Paris, Flammarion, 1937
Desanti (Jean Toussaint), philosophie des sciences; La philosophie silencieuse ou critique des philosophies de la science, Paris, Seuil, Coll. " L'Ordre philosophique", 1975, 285 p
- Feyerabend
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physique, Contre la
méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance, trade B. Jurdant et A. Schlumberger, Paris, Seuil, Coll. "Points", 1979 Une connaissance sans fondements, introd., trade notes, bibliog. Et index Emmanuel MaIolo Diasskè, Paris, Dianoïa, 1999, 127 p. 33
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-
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mathématique,
Mathématiques: la fin de la certitude, Paris, Edit. Christian Bourgois, 1980, 1990 - Mandelbrot (Benoît), épistémologie mathématique, Les Objets fractals, forme, hasard et dimension, suivi de survol du langage, Paris, Flammarion, ColI. "Nouvelle Bibliothèque Scientifique", 1989, 268 P - Popper (Karl) - épistémologie physique et biologique, Conjectures et réfutations, Paris, Payot, 1968, 1972, 1985 La quête inachevée, Autobiographie intellectuelle, traduit de l'anglais par Renée Bouveresse avec la coll. Michelle Bouin-Naudin, introd. révisée et renouvelée pour cette édition. - Rorty (Richard), épistémologie du néo-pragmatisme, Philosophy and the Mirror of Nature, Oxford, Basile Blackwell, 1979, trade L 'homme spéculaire, Paris, Seuil, 1990 2- Science et solidarité, la vérité sans le pouvoir, trade Jean-Pierre Cometti, Paris, L'Eclat, 1987, 1990, 111 P Thom (René) épistémologie mathématique, Paraboles et catastrophes, Paris, Flammarion, Coll. "Champs", 1980, 1983, 191 p 3. Cheikh Anta Diop. Diop (Cheikh Anta), savant de renommée mondiale dont l'œuvre fait autorité, épistémologue, égyptologue, physicien, antiquisant, père de l'historiographie et de 34
l'égyptologie africaines. Il a enseigné la physique en France avant de diriger le laboratoire de carbone 14 de l'IFAN à Dakar et d'enseigner à l'université qui porte désormais son nom. Il a prononcé des conférences dans les grandes universités africaines, européennes et américaines et écrit des livres révolutionnaires par la valeur de leur recherche et de leur grande vigilance critique. - Diop (Cheikh Anta), Nations nègres et cultures, Paris, Présence Africaine, 1954
-
Diop
(Cheikh
Anta),
Antériorité
des civilisations
nègres. Mythe ou vérité historique? Paris, Présence africaine, Coll. " Préhistoire/Antiquité négro-africaine", 1967, Rééd. 1993. - Diop (Cheikh Anta), Civilisations ou barbarie, Anthropologie sans complaisance, Paris, Présence Africaine, 1981, 2 è édition, 1988, 526 P - Diop (Cheikh Anta), Philosophie, science et religion, Dakar, IFAN, Université de Dakar, 1992, 28 p. Ceci est le texte épistémologique où Diop retrace l'histoire des révolutions scientifiques jusqu'à sa propre conception d'une matière "consciente". Œuvres de l'auteur
- Biyogo (Grégoire), Historien de la philosophie, poéticien et égyptologue gabonais de la nouvelle génération. Formé à la Sorbonne (Paris I et à Paris IV). Travaille autour des œuvres de Diop, Blanchot, Derrida et Rorty. - Aux sources égyptiennes du savoir vol. 1. Généalogie et enjeux et de la pensée de Cheikh Anta Diop, Paris, Ménaibuc, 2000, 356 p.
35
-
Aux sources égyptiennes du savoir, Vol. 2. Système et anti-système : Cheikh Anta Diop et la destruction du logos classique, Paris, Ménaibuc, 2001, Origine égyptienne de la philosophie, Au-delà d'une
-
amnésie millénaire: le Nil comme berceau universel de la philosophie, Paris, CIREF, 2000, Réédition, Paris, Ménaibuc, 2000, 125 p. - Kémit anti-démocrate ? Essai d'élucidation de l'énigme
de la souveraineté en Afrique et dans le monde noir. Paris, CIREF, 2000, Rééd. Paris, Ménaibuc, 2002, 120 p.
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Paris, Ménaibuc,
Mvett,
2002, 100 P
Tome 1. Du Haut Nil en
Afrique centrale. Le rêve musical et poétique des Fang Anciens: la quête de l'éternité et la conquête du Logos solaire, Paris, CIREF, 2001, Rééd. Ménaibuc, 2002, 228 p. - Encyclopédie du Mvett, tome 2. Du Haut Nil en Afrique centrale. La conquête de la science et l'espérance, Paris, CIREF, 2002, Rééd. Paris, Ménaibuc, 2002, 150 p. Adieu à Jacques Derrida, enjeux et perspectives de la déconstruction, Paris, L'Harmattan, Coll. "Recherche et pédagogie", 2005, 160 p. - Traité de méthodologie et d'épistémologie de la recherche, Paris, L'Harmattan, ColI. "Recherche et pédagogie", 2005, 146 p. - Histoire de la philosophie africaine, 4 volumes, Paris, L'Harmattan, coll. " Recherche et pédagogie", 2005.
36
II. HERMENEUTIQUE ET THEORIES DU DISCOURS ET ANTHROPOBIOLOGIE
- PHILOSOPHIE
Texte 1. Ce que lire C. A. Diop veut dire aujourd'hui Auguste Eyéné Essono Docteur NR en philosophie (option anthropobiologie), Représentant de l'ICAD en France (Paris), Directeur de la rédaction de la Revue Le Papyrus. Chercheur à !'ICAD.
1. Pour lire Cheikh Anta Diop aujourd'hui Nous sommes ici en ce jour de l'an 20 de la mort du savant, pour ré-apprendre à lire dans le texte.
Toute œuvre écrite majeure - et davantage celle de Cheikh Anta Diop, est traversée par des ruptures thématiques, des déclinaisons, des interrogations suspensives, des reports de vérité, des interludes, etc. En l'occurrence, l'œuvre diopienne est faite de passerelles et de pliures, ramenant sans cesse les différents textes (travaux) les uns aux autres. Pour exemple, la deuxième partie de Nations nègres et culture (paru en 1954) préfigure déjà les différentes étudesl que C. A. Diop entreprendra plus tard sur le thème de la parenté génétique entre, d'une part, l'égyptien pharaonique et d'autre part, les langues négro-africaines actuelles. Ainsi, lire Diop, c'est faire une étude appliquée sur le style, les «jeux de langage» et la façon dont le discours épouse les 1
En l'occurrence, l'étude de linguistique comparée qui est proposée dans Parenté génétique de l'égyptien pharaonique et des langues négroafricaines. Processus de sémitisation. Dakar, IFAN-NEA, 1977. Et qui est complétée plus tard dans Nouvelles Recherches sur l'égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes. Compléments à ('Parenté génétique de l'égyptien pharaonique et des langues négro-africaines' " Paris, Présence Africaine, 1988.
idées, la manière dont la langue diopienne dissimule chaque fois une part intime de sa vérité du moment: en fait, l'œuvre de Cheikh Anta Diop reste pour nous une éternelle question. C'est ce que nous appelons l'Evénement du texte, cela même qui fait entre les experts, la vraie raison du désaccord. Lire Diop aujourd'hui, c'est agir sur la désinence de cela qui, à travers l'idiome de l'auteur, est posé comme tel, pour infléchir les espaces médians, les lignes intermédiaires qui réactualisent sans cesse le caractère toujours inachevé du texte. C'est ici qu'il est possible d'accéder au métalangage propre à l'œuvre, de franchir le mur de l'idéologie et s'affranchir de l'unanimisme et de la déférence absolue (de la révérence sans limite) qui règnent encore parmi les héritiers. Car dé-voiler les entr 'ouverts qui traversent l'œuvre reviendrait à accepter le partage de la raison comme plate-forme essentielle d'une heuristique négative; laquelle ruinerait d'entrée le principe de quelque souveraine évidence. Lire Diop aujourd'hui, c'est lire le texte à l'envers, en le retournant (du latin invertere), allant vers son Evénement. C'est-à-dire, induire et saisir en cette œuvre, la versio, ou la tournure; en la virtualisant à travers des effets de désinence thématique et d'analogons intertextuels. Surtout que l'œuvre de C. A. Diop tend à se condenser, à devenir par endroits un Consensus ou un dogme indépassable dans l'inconscient des élites. Car quand bien même le texte suscite un intérêt majeur, il se dissout à travers murmures et bisbilles, sans même qu'il ait seulement été enfin réellement lu. Et c'est parce que les africanistes impénitents n'ont jamais su ou pu lire Diop, et que les diopiens invétérés ne savent plus lire pour aller à l'Evénement du texte, que notre époque risque d'accompagner la défaite de la pensée et de la science, à travers une oblitération2 complète de l'œuvre pour les uns, un
2 Au sens purement latin qui vient de oblitterare: "effacer par usure progressive" .
38
ressassement permanent, jusque dans l'erreur, des thèses diopiennes, pour les autres. A cet égard, nous renvoyons ici dos à dos, deux attitudes symptomatiques: d'un côté, ceux qui (nombreux et visibles) pour n'avoir jamais rien lu de Cheikh Anta Diop, se livrent avec empressement, effusion, à des jugements péremptoires qui entremêlent méconnaissance de l'œuvre en elle-même, impréparation à rentrer dans l' Evénement du texte en tant que tel, rejet, aversion systématique, ressentiments; et de l'autre, les fervents disciples, devenus apathiques, intellectuellement asphyxiés par la dévotion sans borne qu'ils vouent au savant et à son œuvre, prompts à dire et à faire la révérence absolue, ceux-là mêmes qui aujourd'hui ne savent plus lire, ne savent plus rentrer dans l' œuvre comme naguère, mais se laissent aller, dans leur rapport simpliste au texte, à un minimalisme sans retour, inféodant l'œuvre à l'esthétique archaïque d'une réception qui ne se préoccupe guère de distinguer l'ordre des valeurs, entre ce qui fait science, pensée, et cela qui relèverait du dogme. Grégoire Biyogo a raison d'écrire à cet effet: « Soit qu'on lui impute une axiologie barrée d'avance par la grammaire du racialisme, invalidant d'emblée la scientificité de ses propositions au nom des présupposés différentialistes
et idéologiques qu'on lui soupçonnerait -
souvent de
façon, il convient de l'écrire, péremptoire (Fauve lie, Froment). « Soit qu'on la survalorise, sans [jamais] identifier le noyau démonstratif qui rend les affirmations fiables et recevables, en vertu de sa négativité et de son renversement proprement démystificateurs des idéologies colonialistes et des mythes fondateurs d'une science justifiant une certaine tradition de pensée (...) dont la généalogie se fixe dès la Renaissance avec la constitution du mythe d'une Europe pensée comme (entéléchie) 3
»3
Grégoire Biyogo, Aux sources égyptiennes du savoir, vol. 2, Système et
antisystème,
Cheikh Anta Diop et la destruction
39
du logos classique, Paris,
Il Y a là deux attitudes, deux postures non savantes, qu'il faut impérativement bannir, si nous voulons ici commencer à penser. En définitive, il paraît d'ores et déjà indispensable de revenir à l'Evénement propre de I 'œuvre en tant que tel, ce qui fait la raison même du désaccord (le partage de la vérité) entre les experts. Quand bien même l'œuvre de C. A. Diop reste vivante, la vraie question, celle qui, à demeure, semble paradoxalement en suspens (dans l'indécision et donc, non encore avouée) est de savoir si les textes ont jamais été soumis, par les héritiers, à la rigueur sans faille ni complaisance du jugement critique. Parmi nous l'afrocentrisme et le diopisme (alors infaillible) sont, aujourd'hui, des positions archidominantes. Or, faire de la pensée diopienne un dogme serait à tous égards, une option contre-productive pour l'avenir du texte. En revanche, seule une véritable expertise permettrait de ne pas se contenter de re-dire vilement la doctrine, de répéter l' œuvre, mais de lire enfin dans le texte, dans l' œuvre avec la rigueur critique requise. Auquel cas l'erreur ou la méprise, lorsqu'elle existe, est vite repérée. A ce moment-là, le lecteur assidu (et expert) est assuré de faire une lecture savante, celle qui autorise le non report de l'erreur. 2. Effets de sens: déclinaisons par désinences multiples Nous savons que l'écriture en tant que telle fait de la parole une clôture, une définition, voire une finition. Ici le temps est une sorte d' hypoténuse4 sans réel support; il s'efface derrière le Mur, la clôture. Vu sous cet angle précis, tout rapport non instruit au texte ne saurait faire éclore les virtualités d'une œuvre. Ici ,même, le corpus diopien deviendrait une matière ésotérique, perdu dans le trou noir de sa clôture, si l'on continue d'en faire un Menaibuc, 2002, P p. 25-26. 4 Au sens grec de cela qui se tend en dessous de... 40
monument aux morts, un totem à la mémoire des Egyptiens. La pensée et l'œuvre diopiennes cesseraient alors d'être une matière à instruire, une connaissance vivante jamais fixe mais toujours en mouvement, pour devenir un lieu figé, opaque, ayant un rôle purement mémorial. Elle n'aurait plus (de fait) pour vocation première de transformer, de recycler la culture5 mais en revanche sur ces entrefaites, « le propre d'une culture est d'ériger du monument »6. Ici le texte ne servirait plus à subvertir les pratiques, mais à légitimer la monumentalisation de la mémoire dite collective et à se tenir comme base-arrière pour l'identitarisme communautaire. Mais il est évident que si nous faisions du texte diopien un fonds d'Archive, c'est tout l'édifice qui s'effondrerait. Car l'Archive ruine la phénoménalité du récit, c'est-à-dire le lieu d'où surgit l'Evénement du texte, et ne laisse que très peu de place à la singularité du Dire, telle qu'elle s'incarne à travers le rapport intrinsèque que l'individu peut entretenir avec l' œuvre. Elle (l'Archive) s'imprime dans la conscience collective telle une véritable matière efficiente. Et c'est grâce à cette légitimité consensuelle à partir de laquelle elle ré-agence et ré-engendre performativement l' artéfact (la matière de base) que le texte et l' œuvre devenus Archive reconditionnent sans cesse le regard de l'expert. L' œuvre sans l'expert décide ainsi quasiment de la place qu'il faut accorder à l'Evénement, du sens et de la signification de l'artéfact, et anticipe alors sur son devenir. Elle s'actue dans l'espace communicationnel, en s'inscrivant à travers une sorte de revenir perpétuel au Même tel un principe autonome via lequel des générations font acte d'allégeance à la 5
Selon le sens qu'Armand et Michèle Mattelart donnent à ce terme: « un corps de coutumes et de croyances et un corps d'artefacts et d'outils ou de dispositifs technologiques.» Cf. Histoire des théories de la communication, Paris, La Découverte et Syros, 1995, 1997, 2002, p. 16 6 Régis Debray, Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, 1991, p. 296. 41
mémoire identitaire et conforte de ce fait la conscience collective (lieu symbolique du phulon comme site de repli). Le métalangage, comme discours de réappropriation de la pensée, reste a contrario pour l'expertise du texte, de l' œuvre la possibilité même de rompre la fibre séculaire qui abrite le lien entre l' Evénement virtuel et l' artéfact sub-textuel. Nous sommes alors, non pas des idéologues, ni même des gardiens du temple, mais témoins de l' Evénement de l'œuvre. Porteurs d'une réelle esthétique nouvelle qui s'appuie sur une grammaire thématique à désinence multiple. Et ce n'est guère en édictant Le sens (mais plutôt en devenant des locuteurs et allocutaires d'effets de sens) que nous restituerons sa valeur théorique au texte diopien. Si la Phénoménalité du récit (c'est-à-dire le principe de partage de la raison autour d'une œuvre) était réduite à néant, l'Evénement virtuel resterait alors inféodé au paramètre infranarratif (ou sub-textuel), celui sur fond duquel les gardiens du temple édictent Le sens présumé de l' œuvre. Le rapport au texte deviendrait ici un simple continuum de l' artéfact entre les générations. En revanche, la présomption de sens (subjectivée par tout lecteur) en tant qu'elle est mise en dialogue de l'artéfact (via l'œuvre) implique des effets de sens. A cet égard, le rapport transhistorique à l' œuvre est une forme d'irruption subjective du lecteur (dans le texte). Il consiste, pour l'essentiel, grâce à la technique de la greffe par recoupement, à dé-potentialiser les stéréotypes, et autorise de fait une meilleure appropriation de l' Evénement virtuel. En ce lieu, être expert (de la pensée diopienne) ne revient pas à ré-citer le texte, encore moins à en absolutiser le sens présumé mais à être dans la posture réelle d'un allocutaire, un inventeur d'idiomes susceptibles de subvertir le dogme, grâce à la grammaire des effets de sens. A contrario, le non-Evénement, c'est-à-dire l'illusion d'un sens universel de l'œuvre, est le paramètre qui creuse le texte jusqu'à l'évidure totale que nous appelons le trou noir. 42
Aussi (pour revenir à C. A. Diop) devrions-nous réinvestir l' œuvre pour lui faire faire l'expérience de sa propre synergie intrinsèque. L' artéfact doit ici s'émanciper de l'infra-récit et accéder à sa phénoménalité, l'effet généré du multiple et du variable grâce à I'herméneutique des effets de sens: chaque texte ouvre à son altérité des univers multiples, variés pour sa signification provisoire. C'est pour cela, par exemple, qu'on ne saurait (plus) étudier dans l'œuvre de Diop, la question du matriarcat, celle de la géographie sociologique telle qu'elle se distribue dans l'Afrique antécoloniale via un système de castes, sans entreprendre une vraie lecture par remembrement textuel et recoupements thématiques qui puisse réunir sous un même panel, trois textes essentiels, à savoir: L'Afrique Noire précoloniale, L'unité culturelle de l'Afrique Noire, Antériorité des civilisations nègres, (et dans une certaine mesure, Nations nègres et culture). Ici le texte diopien est en mouvement, en ce sens qu'il fait interagir des espaces médians, qui font qu'une thématique va toujours déjà au-delà de son lieu d'énonciation. C'est là que la clôture supposée du sens et du texte se trans-mue vers son autre. Chaque texte (tout fragment de l'œuvre) est ici trans-valué, et reste virtuellement un allant-verso A cet égard, tout énoncé est l'évidence même de son propre inachèvement: le thème de l'origine nubienne de la civilisation et du peuple égyptiens, et la question maJoeurede la continuité historique entre l'Egypte antique et l'Afrique Noire traversent de part en part, cela depuis la publication de Nations nègres et culture, l'intégralité de l'œuvre, Diop revenant sur des questions déjà auparavant poséeso Aussi chaque thématique est-elle toujours déjà le lieu d'une synergie virtuelle, en tant qu'elle appelle en urgence le métalangage de ses pliures interneso Celui-ci n'est pas une hypostase normative qui viendrait - telle une norme 43
métaphysique universelle, organiser, régenter l'interprétation d'un discours. Le métalangage est une part de vérité intrinsèque à l' œuvre elle-même. Il est la déclinaison par désinences multiples et variables de la police globale d'énonciation, en tant qu'elle laisse libre cours à des passerelles de signification virtuelles, d'un texte à un autre, d'une thématique à une autre, etc. C'est en ce lieu que l'armature énonciative d'un texte apparaît sous un aspect hétéro-logique. A cet égard, l'artéfact n'obéit pas à la logique infaillible des évidences pré-évaluées qui tombent de facto sous Le sens de l' œuvre. Le principe de la raison du désaccord offre de ce fait une lisibilité nouvelle, qui induit: «Un déplacement du lieu de naissance du sens. Par ce déplacement, la conscience immédiate se trouve dessaisie au profit d'une autre instance du sens, transcendance de la parole »7. La densification symbolique de l' artéfact infra-narratif et sa trans-valuation à travers la greffe, engendrent alors pour le lieu de l'expertise, une réelle plateforme transhistorique. Les univers de sens et de signification que transfigure la greffe par recoupements font alors irruption entre les experts. La greffe est ici, plus qu'un support d'information; certes, transporte-t-elle les données relatives à l'artéfact. Mais elle reste surtout le lieu qui transfigure l' infra-structure8 du récit; là-même, elle est consubstantielle à l' Evénement. La méthode de la greffe par recoupements a une relation privilégiée avec l'artéfact. Laquelle pose (définitivement) les fondations d'un autre rapport à l'œuvre, qui fait transcender au lecteur l'infrarécit et devient le lien-transit d'une époque vers une autre, en 7
Paul Ricœur, De l'interprétation -Essai sur Freud, Paris, Editions du Seuil, 1965, p. 443. 8 C'est-à-dire la matière infra-narrative. 44
tant qu'elle assure entre générations le relais de l'Evénement. Le texte greffé joue alors en définitive, le rôle d'un véritable relais trans-historique de la mémoire. Le non-Evénement existe en revanche tel un phénomène abrasif qui ruine la possibilité de trans-muer l'infra-récit en métalangage. Persistant à travers les interstices du texte, il tisse indéfiniment la trame de l'énigme à la racine même de l'armature virtuelle du récit, obstrue la relation authentique à l' œuvre, et parachève l' historisation par défaut de I' insolite sub-textuel. Celui-ci est l'envers même du métalangage. Ici, tout consensus a pour finalité de maintenir le lecteur dans l'infra-récit; c'est-à-dire la Doctrine du même. L'artéfact est donc transformé en un dogme consensuel, qui fait du texte un Document9. Alors (à propos du diopisme infaillible), si l'expert ne fait pas intrusion dans le texte diopien devenu Archive, pour faire imploser la Doctrine, l'Evénement n'aura pas lieu. Il est donc urgent d'induire une « « discipline» destinée à [nous) dépayser entièrement, à [nous) dessaisir de ce Cogito illusoire »10. A cet égard, nous sommes ici pour penser que Le sens n'existe pas; il n'y a guère que des effets de sens, qui se glissent çà et là, au creux de l' artéfact. Le sens présumé disparaît inexorablement à la lecture d'un texte, d'une œuvre. Aussi toute expertise consiste-t-elle à :
9
A ce propos, Paul Ricœur affirme fort justement: « Dans la notion de document, l'accent n'est plus mis (...) sur la fonction d'enseignement, que l'étymologie du mot souligne (quoique de l'enseignement au renseignement la transition soit aisée), mais sur celle d'appui, de garant, apporté à une histoire, un récit, un débat. Ce rôle de garant constitue la preuve matérielle, ce qu'en anglais on appelle « évidence », de la relation qui est faite d'un cours d'événements. Si l'histoire est un récit vrai, les documents constituent son ultime moyen de preuve; celle-ci nourrit la prétention de I'histoire à être basée sur des faits. » Cf. Temps et récit vol. 3, le temps raconté, Paris, Editions du Seuil, « L'ordre philosophique », 1985, p. 172. 10Paul Ricœur, De l'interprétation, Essai sur Freud, Paris, Editions du Seuil, 1965, p. 443. 45
« défaire les prétendues évidences de la conscience (..J le but avoué de cette discipline est la vacillation du faux-savoir» IJ. 3. De l'esthétique solitaire
du sub-vertir à l'éthique
du savant
A la lumière de cette exigence matinale, notre rapport à la pensée et à l' œuvre diopiennes est désormais lisible à travers une esthétique moderne mue par une éthique révolutionnaire, celle du sub-vertir. Ce mot provient de vertere, qui veut dire tourner, re-tourner. Il faut ici entrevoir la fin d'un cycle et renverser l'ordre des valeurs. Non seulement, on ne peut plus lire Diop à partir de quelque impensé racialisant, mais il est clair que toute posture revendicatrice (prenant pour prétexte l'œuvre diopienne) est aujourd'hui complètement obsolète. Être dans l'esthétique de la sub-versio, c'est entrer dans une ère nouvelle, en adoptant une autre version (au sens latin de versio qui vient de vertere : tourner, re-tourner) du rapport à l'œuvre. Sub-versio veut donc dire, faire incursion au cœur de l'archaïsme séculaire qui s'est emparé de l'œuvre, afin de redessiner les tournures, les linéaments d'une autre esthétique de la réception. Sub-vertir implique infine de ne plus être de simples gardiens du temple, pour entrer dans l'ère de la propension. Une attitude qui consisterait à se pencher vers le lieu d'ancrage, à faire courbure vers la racine, pour émanciper la pensée diopienne de ses gangues ethnobiologiques; de toute autre forme d'oripeau. A titre d'exemple: au lieu de ressasser inlassablement (par pure idéologie) 1'hypothèse répandue de la parenté linguistique de l'égyptien ancien d'une part, et des langues négro-africaines actuelles d'autre part, il serait plutôt mieux indiqué de la rediscuter sans cesse, la sub-vertir ; re-tourner l'hypothèse et la transfigurer. Autre exemple: si les premiers Egyptiens pro-viennent réellement de la Nubie, il n'est plus nécessaire de le redire sous cette forme idéologique et dogmatique. Il
Paul Ricœur, Op. Cil., p. 444. 46
Du fait de cette éthique nouvelle, l'ordre ancien est renversé, bouleversé donc à partir de la racine, c'est-à-dire sabordé. La propension est un mode de lecture qui courbe l'expert vers le lieu d'ancrage pour aller sub-vertir la substance. Instaurer un rapport sub-versif à l'œuvre de Diop ne veut pas dire qu'il n'y ait (plus) rien qui souffre ou porte vers son devenir notre relation au texte. Bien au contraire! Nous ne sommes pas des adeptes de l'autodafé ni partisans de la table rase. Pour lire Diop aujourd'hui, nous devons, faire imploser toutes sortes d'a priori, transcender les apories, dépasser, sub-vertir les lectures convenues, et venir au cœur même de la matière, là où est susceptible de se produire entre le texte et l'expert, une métaphysique de l'épistémè. Afin d'aboutir à une éviction préalable du principe de la souveraine évidence universelle. Ce qui provoque (du latin provocare : appeler dehors) le dé-centre ment nécessaire de la conscience, l'ego cogitans (en tant qu'illégitime Le sens). La souveraine évidence du Sens se déprend ici d'elle-même, et laisse libre cours aux effets... ln fine, l'œuvre diopienne cesse d'être un monument aux morts. Ainsi sortons-nous de l'ère du revendicationnisme et de la dogmatique de la souveraine évidence (dont Obenga reste le chantre, le maître à penser en se posant de fait comme éternel gardien du temple), afin d'entrer définitivement dans une ère nouvelle, celle de la Parole singulière, celle qui pourfend les reliques, honnit les idéologies, jette aux orties le totémisme doctrinaire, vouant ainsi aux gémonies l'immobilisme de la pensée. Le partage de la raison (de la vérité) tranche ici avec le dialogisme de convergence qui assujettit toute esthétique de la réception à une nécessité indigente d'inter-adoubement. Partager avec l'autre la raison du désaccord, revient donc à s'astreindre impérativement à une éthique autre, celle d'une mise en réseau des experts et d'une mise en acte de l' agone, 47
induisant de facto l'accord indispensable de toute conscience avec l'idée que, seul le principe d'individuation par la ratio de l'expertise sauvegarde pour l' œuvre une réelle chance de survivre éternellement à son auteur. De tous les diopiens reconnus, Grégoire Biyogo est l'un des rares qui se soit libéré progressivement du dogme séculaire et du revendicationnisme systématique. Puisque lui seul à ce jour pose clairement la question des conditions de lisibilité du texte diopien. Nous le citons: « La question de la lisibilité de l 'œuvre ouvre enfin sur un intérêt d'ordre herméneutique. Comment lire l 'œuvre d'un historien qui lui-même était un lecteur impénitent? Comment interpréter autrement une œuvre qui, au demeurant, fournit elle-même sa propre grille de lecture des textes? »12 Cela dit, l'œuvre de Diop ne pourrait sur-vivre au dogme de la souveraine évidence que si l'école diopienne (en toutes ses composantes) se pliait enfin à l'exigence non négociable de l'adoption d'une esthétique rigoureuse de la réception qui s'énoncerait en ces termes: D'entrée, nous tenons à rappeler la nécessité primordiale d'un rapport solitaire à l'œuvre. Lire Diop en solitaire, c'est «La décision de se rendre libre par soi-même, par sa volonté, à la suite d'une décision réfléchie et assumée
(...)
L'âge de maturité échoit à ceux qui sont (...) gagnés par l'exigence de liberté, la négation tutélaire de l'Autre, de sa directivité »13, c'est-à-dire l'éclosion subjective de l'être qui pense. Lire ici met la pensée et la parole qui la sous-tend, face à leur propre exigence de jugement. « En jugeant les jugements qu'elles portent, elles ne peuvent invoquer d'autre instance 12Grégoire Biyogo, Aux sources égyptiennes du savoir vol. 2, Système et anti-système chez Cheikh Anta Diop, Paris, Editions Menaibuc, 2002, p. 18. 13Idem., p. 85. 48
qu'elles-mêmes» 14, affirme Jacques Poulain. Car il est dans la nature d'une proposition ou d'une pensée, de s'ajuster par principe à ce qu'elle se représente être « comme mouvements d'auto-objectivation ». (Cf Jacques Poulain) Nous pensons que l'ère de l' auto légitimation est lisible à travers le rapport au texte, à l' œuvre, à la matière, à l'objet, etc., comme mode d'accès à la culture, à la science ou même à l'histoire. A cet effet, un sujet qui pense doit pouvoir penser qu'il pense vrai etjuste, à l'instant où il se met à penser. Cela veut dire qu'on ne saurait affirmer une chose, sans jamais la présumerJ'uste et vraie, du seul fait de cette affirmation. Il y a là énoncés, les fonds baptismaux de l'expérience de pensée. Ce primordium ne garantit nullement que sa pensée soit vraie aux yeux de ses pairs ou des autres experts. Mais cela est un gage pour l'émergence d'une communauté savante. Car c'est ici même que va éclore un processus d'authentification d'un rapport vrai à 1'histoire, à l'art et à I'historiographie de notre époque. C'est cette esthétique nouvelle (cette épistémè) qui, désormais, doit régenter notre rapport à l' œuvre et à la pensée diopiennes. Au demeurant, toute pensée est toujours une instanciation auto-objectivante du jugement. Elle se tient d'emblée du fait même de l'expérience comme instance critique de sa propre mise en acte. A cet égard elle se pose impérativement comme évidure de toute présomption d'accord anticipé qui se tienne tel un dogme au sein de la communauté savante. Cela veut dire infine qu'une pensée ne peut présumer être juste (si tant est qu'il en soit le cas) aux yeux d'autrui que si elle est au préalable à même de subvertir ce que Jacques Poulain appelle l'adulation aveugle du consensus. Car c'est par une mise en retrait, au sens d'une autonomie radicale de jugement, que s'épanouirait une véritable relation 14
Jacques Poulain, La loi de la vérité ou la logique philosophique du jugement, Paris, Editions Albin Michel, «Bibliothèque du Collège international de philosophie », 1993, p. 15. 49
savante entre l'expert et la matière. Cette relation est (certes) précaire (car à travers elle, la pensée et la science doivent se risquer à l'expérience du non lieu comme moment de rupture avec la communauté). Mais c'est l'expert solitaire qui induit la révolution (au sens ancien de l'achèvement d'un cycle) là où la science ordinaire ne sait plus désapprendre et ne saurait se déprendre des vieilles certitudes. Ici donc, le penseur vient inquiéter, pourfendre les lieux convenus. De ce pas, il est haï certes par ses pairs, mais ne doit nullement s'inquiéter de la haine (et de l'opprobre) que jettent sur lui les membres de la communauté. En l'occurrence, l'expert solitaire, c'est celui-là qui ouvre et offre à l'altérité du texte - diopien, de son œuvre, la possibilité de faire advenir au cœur de la pensée diopienne, la précarité nécessaire de sa propre condition. Il a la vertu du risque, porte le risque du vertige, le vertige du non lieu. Il oblige ici ses pairs à l'expérience du non lieu, et en cela même, instaure une grammaire nouvelle, une hétéro-logie qui provoque, au sens de provocare : appeler dehors. De sa mise en retrait, l'expert refait incursion au sein de la communauté, instaure le non lieu, trouble ainsi la sérénité de ses pairs, et se tient pour ainsi dire au pas de la porte comme interface entre la communauté et son altérité. L'acte de pro-vocation ici posé rendrait ainsi à la pensée diopienne sa vertu première. Il faut alors ruiner définitivement le diopisme triomphant, pour lui subroger l'autre discours, celui d'une intelligence critique, susceptible d'écrire une rationalité nouvelle du texte. Et définir, énoncer de nouveaux « critères de lisibilité» pour garder l'œuvre de toute globalisation idéologique. Le rôle de l'expert est alors de neutraliser les pesanteurs, d'annihiler les stéréotypes qui, à terme, risqueraient d'anéantir l' « édifice ». Car ce n'est guère à partir d'une « lecture internaliste» que l'on réussirait à circonscrire l' « économie virtuelle» ou même le lieu d'inauguralité de l'œuvre diopienne. La relation savante au texte original est primordiale. Encore faudrait-il (00')
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préciser de suite que ce n~est pas « du dedans» que l~objet de l'œuvre diopienne va être reconstruit. L'expert doit à la fois partir et se départir de la science première. Son rapport à la doctrine et à l'institution doit souffrir, pâtir de la nécessité de
rompre avec la science ordinaire, de s'affranchir du dogme séculaire. Mais également sa relation au texte et à I~œuvre ne doit plus être assujettie à un mode de lecture essentiellement linéaire. Aussi est-il appelé à mettre en œuvre une grammaire qui fonctionne par déconstruction méthodique et croisements intertextuels, par remembrement de l 'œuvre et recoupements thématiques. Il n~y a plus « d'exégèse internaliste» à faire, dès lors que le texte lui-même nous convie à le déconstruire, pour formaliser I~« économie virtuelle» de sa propre ratio comme discours. c. A. Diop avait déconstruit l~égyptologie traditionnelle, pour lui préférer une rationalité nouvelle qui rendit possible l'élaboration d'un discours autre. De la même manière, il est d'ores et déjà nécessaire de ré-investir la pensée diopienne au nom d'une grammaire ouverte: « L 'œuvre de Diop se déploie ainsi comme un système ouvert à sa propre rectification» 15. Le partage de la raison (ou la raison du désaccord) met ici en lumière, grâce au principe d'auto-invalidation inhérent à l'œuvre elle-même, la marge d'erreur possible. En ce sens, la lecture solitaire est un exercice de patience; la patience critique est sa caractéristique principale. Dès lors, toute relation au texte doit se faire à partir d'une grammaire ouverte. Car le procédé linéaire (et doctrinaire) laisse planer sur l' œuvre, un soupçon de systématicité absolue. Et interdit toute transformation vers une hétérologie, vers une fécondité nouvelle. Aussi faire de l'œuvre (et de la pensée) diopiennes une clôture, un enseignement non falsifiable (ou un dogme indépassable) revient-il à ruiner cette vocation, propre à tout texte, pour s'ouvrir à I~altérité. La grammaire ouverte (et par remembrement thématique) est
15
Grégoire Biyogo, Op. Cit., p. 17. 51
a contrario de nature à sortir l'œuvre de son isolement interne. Comment cela s'agence-t-il ? Elle s'appuie pour l'essentiel sur la possibilité de procéder à la redistribution thématique d'un texte global (ou alors d'une œuvre entière) à partir de la relation proxémique que le lecteur entretient avec la matière. Remembrer un texte, c'est réécrire sa trame, son armature, à la lumière de l'affiliation qui rassemble (par ré-agencement thématique) les différents moments à l'intérieur de son économie propre. Afin d'établir des passerelles vers un autre texte. Ce qui redessinerait, non pas l'intelligence globale d'une pensée, ou d'une œuvre, mais l'espace de trans-action qui définit chaque fois le rapport à une partie de l'œuvre. Grâce à cette relation sub-versive au dogme établi, une esthétique nouvelle est devenue possible.
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Texte 2. Esquisse de projet pour une sociologie historique autour de l'individu, le clan, et la conscience du temps à l'aune de la pensée diopienne. Contribution aux recherches actuelles en anthropobiologie Auguste Eyéné Essono Nous proposons ici une lecture par croisements thématiques et greffes par recoupements de textes, de la question centrale de l'individu au sein du clan, du groupe, à travers quelques textes diopiens. Dans Antériorité des civilisations nègres, Diop affirme: « En remontant le cours de I'histoire de la société humaine, le tenne ultime auquel la science aboutit avec certitude est la cellule clanique. Au-delà c'est (...) la supposition, l'effort pénible de reconstitution, la conjecture fondée sur quelques faits disparates. »116 Cette assertion dit à peu près la vérité sur le sujet. En effet on aurait bien du mal à penser qu'au-delà du clan, une archéologie fondamentale soit encore possible, qui pousse le questionnement jusqu'à une situation pré-clanique de l'être, humainement pensable. Aussi sommes-nous (pour l'essentiel) d'accord avec Cheikh Anta Diop pour dire: « Ce sont des clans qui se sont juxtaposés pour donner la tribu, qui ont fusionné par la suite pour engendrer la nation. »2 Mais la raison du désaccord survient immédiatement, dès qu'il déclare: «Les «ménages» qui composent le clan ne constituent qu'une réalité secondaire. Le clan est le facteur de cohésion principal sans lequel le couple isolé serait écrasé, 1
Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres -mythe ou vérité historique? Paris, Présence africaine, « Collection Préhistoire/Antiquité négro-africaine », 1967, réédité en 1993, p. 75. 2 Idem., p. 75.
dans la solitude, par la nature. »3 L'auteur de Nations nègres et culture affirme par ailleurs: « Dans 1'histoire des sociétés humaines, il n'est point de familles qui surgissent de l'absolu pour former une nation »4. Il y a là aussi, l'affirmation d'une évidence première, de nature à susciter un accord ( le partage de la vérité) entre les experts. Néanmoins l'égyptologue semble nier ici implicitement la place de l'individu au sein du clan. Car en posant clairement la prééminence du phylum clanique sur lafamille, C. A. Diop minimise la dynamique individuante à l'intérieur du groupe. Pourtant, si l'on pousse à sa conséquence (logique) ultime cette réthorique diopienne, on pourrait in fine en inférer que: si le clan repose (évidemment) sur lafamille, celle-ci (via le même principe) éclot à travers la relation dynamique entre les individus. Un constat s'impose d'emblée: Cheikh Anta Diop ne tire pas la proposition susmentionnée jusqu'à ses derniers présupposés. Probablement est-ce à cause de sa conception par trop linéariste (et collectiviste) de la conscience du temps. En effet le bourbier de cette sociologie (historique) est à tous égards son matérialisme linéo-temporel. En accordant de fait une primauté au phylum clanique (pour expliquer l'évolution socio-historique du genre humain), Cheikh Anta Diop oublie trop souvent (comme la plupart des penseurs de sa génération parmi lesquels les évolutionnistes africanistes) qu'une société est faite de groupements humains certes mais aussi d'entités5 singulières essentiellement mues par une volonté intrinsèque, viscérale d'individuation. Et qu'à l'intérieur du groupe (clan ou tribu), la conscience du temps reste en définitive (et pour l'essentiel) déterminée par les identités virtuelles6. Car toute société est structurée à travers 3
4 5
Ibid.
Ibid
Au sens latin de entitas, qui vient de ens, entis, dont la racine est esse « être». 6 Ce terme désigne les individus (les identités singulières) dans la mesure où ils sont en mouvement (dans leur interaction avec le groupe, la société) pour toujours éclore vers plus de pouvoir-être. Et c'est en cela que chaque 58
la dunamis agonale qui existe entre le groupe (en tant qu'il se veut dépositaire des pratiques collectives, des rites et des traditions qu'il met en mouvement via la temporalité linéaire) et l'individu fort de sa subjectivité synchrotemporelle. Les évolutionnistes en font très peu cas, dont CAD. En vérité, l'égyptologue sénégalais ne pose pas la vraie question sur le sujet, à savoir: quel est le destin réel de l'individualité temporelle au sein du clan, de la tribu ( du groupe de lignées) chantres des traditions et de la symbio-totémie en tant qu'elle assigne l'être à la temporalité linéaire? Partisan d'un fort postulat évolutionniste, CAD n'a donc pu s'interroger plus avant sur l'importance même du principe individuationniste à l'intérieur du groupe ou de la société. Il reste prisonnier de l' hypostase aporétique du fait calendaire et de la diachronie temporelle en tant qu'ils reposent sur deux dogmes essentiels: d'une part l'ancestralisme, et d'autre part le précepte de révolution, qui tiennent l'individu en étau entre le totémisme ethno-biologique et l'utopisme. C'est pour cela qu'il nous paraît urgent de rompre avec toute lecture néo-évolutionniste de l' œuvre diopienne. On ne peut plus inféoder ici le rapport (à la pensée) et donc au texte, à une vision foncièrement linéaire réglée sur le vieux postulat ressassé tel un lieu indépassable d'une Egypte originairement nègre, dépositaire de la Nubie. Cet axiome?, s'il s'inscrit d'emblée à travers la doctrine évolutionniste de l'asymétrie temporelle, nie en conséquence à la personne, toute subjectivité individuante. Accordant ainsi une importance absolue à l'ethnos, au phulon. Affirmer que« Le sociologue n'appréhende avec certitude que le clan» 8, sans jamais faire allusion à l' agonê individualité reste toujours virtuelle. 7 Au sens (grec) de axiôma qui vient de axioun : «juger digne, valable ». Dans la mesure où la proposition s'imposerait d'entrée telle une évidence qui ne demande plus à être démontrée. 8 Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres -mythe ou vérité historique? Paris, Présence africaine, « Collection Préhistoire! Antiquité négro-africaine », 1967, réédité en 1993, p. 76. 59
de l'entité individuante au sein du groupe, c'est occulter le rôle matinal de l'individu à l'intérieur de la sphère ethnobiologique. Car si le sociologue ne peut expliquer le substratum du fait social que par l'existence -présumée originaire et le fonctionnement du phylum, cela reviendrait à dire qu'aux aurores91'individu n'a pas encore émergé. Or, au regard d'un certain nombre de données objectives disponibles à ce jour sur bien des aspects de l'univers préhistorique, on peut tout à fait démontrer qu'à l'intérieur du groupe, l'affirmation de l'identité singulière est déjà une réalité. En l'occurrence, l'expérience du beau et la pratique de l'art par 1'homme préhistorique, sont des faits avérés comme en témoignent l'art pariétal (sur des parois et des plafonds, dans différentes grottes mises au jour de par le monde entier), la peinture rupestre, la gravure aussi, etc. Cheikh Anta Diop le reconnaît lui-même, lorsqu'il affirme: «Manifesté dès l'Aurignacien comme une des premières créations de l 'Homo sapiens, l'art se développe au Solutréen pour s'épanouir magnifiquement au Magdalénien. »/0 Il en fait aussi allusion aux pages 19 et 21 de Antériorité des civilisations nègres. Ainsi l'art est-il par nature (voire par principe), une forme efficiente de subversion radicale dans sa relation à l'ordre, et au temps calendaire. Car il ne peut se poser autrement qu'en niant (de fait) la tradition, les pratiques collectives, etc. Or désobéir -nier ou même contester est un acte d'individuation. Pour sa part, le groupe est une instance de conciliation entre la diachronie temporelle d'une part, les pratiques collectives d'autre part. Il ne constitue en rien une force de subversion, car ne pouvant être lui-même et son 9
Ce substantif désigne ici, l'émergence du phénomène humain. 10Bulletin de l'Institut fondamental d'Afrique Noire, Tome ~ série B, n° 3, Juillet 1973, Dakar. Cité dans ANKH, Revue d'égyptologie et des civilisations africaines, n° 8/9 1999-2000 p. 14. 60
contraire. Sa fonction repose sur le principe de symbiototémie - en tant que celui-ci établit un vrai rapport d'identification symbolique entre l'homme et le temps, mais également sur la divinisation et l'assignation du temps-récit à un ordre calendaire rigide. Par contre, sur fond d'un réel désir d'individuation et à travers l' esthétisation des corps, l'individu, lui, développe un rapport subversif à l'égard des traditions. C'est ici qu'une dialectique agonale s'établit entre le groupe -le clan et l'identité virtuelle qui anime chaque individualité. Elle est l'Alpha et l'Omega de toutes formes de clan, et en tant que tel, régit et structure les premières ébauches de société dans la préhistoire. C. A. Diop n'en tient pas réellement compte, lorsqu'il ne privilégie que le principe linéaire selon lequel toutes sociétés s'intègrent dans une continuité historique. Cette vision est un avatar de la conception judéo-chrétienne du temps. Et obéit à l'idée de révolution permanente, propre au monde moderne. Ce qui justifie (chez l'individu moderne) la subjectivation symbolique de la terre (ou même du terroir) comme socle de réalisation sociopolitique, c'est l'idée même de révolution, en cela qu'elle assigne l' héritier présomptif à l'ordre séculier et à l'utopie temporelle. Puisque l'attachement à la terre soustend le principe de cyclique-linéarité comme antithèse d'une vision synchrotemporelle de l'existence. Ici, l'ancestralisme foncier (plateforme de sensibilisation de la raison), concilie le droit du sang et le droit du sol sur fond d'un évolutionnisme utopiste. Dans les sociétés modernes, si le droit du sol reste foncièrement lié au droit du sang, c'est surtout parce que le passé et l'avenir, la figure de l'ancêtre et celle du descendant sédimentent à travers une représentation symbolique de la relation à la terre qui pour passer de génération en génération, se fonde sur le précepte judéo-chrétien de temps-histoire. En ce sens toute révolution populaire va confondre le temporel et l' historique à travers une courbe rigide qui assigne le destin de chaque individualité au temps cyclique-linéaire. Dans la mesure où 61
la terre appartient aux héritiers présomptifs (ceux-là mêmes qui sont en droit de revendiquer l'affiliation par le sang à un groupe de lignées), la révolution permanente reste ici l'artifice sur la base duquel la symbio-totémie s'inféode à la sphère politique. Tout comme la législation et le mode de gouvemance demeurent tributaires de l'ordre symbolique. Au Moyen Âge par exemple, le sacre de Charlemagne (en 800) à travers l'Empire chrétien scelle définitivement le pacte entre l'Eglise, le totémisme foncier et la pensée de l'utopie. Malgré le déclin inéluctable et la déliquescence auxquels son royaume sera voué plus tard Il, et l'émergence des seigneurs, le vieux continent -européen va désormais s'épanouir à partir de trois principaux crédos : la symbolique -forte de l 'héritage terrien, le lien séculier qu'elle engendre entre le droit du sol et le droit du sang, et le modèle de l'utopie judéo-chrétienne. Et c'est sur fond de cet humus religieux, ethnobiologique, déjà en sédiment sous une forme différente depuis l'Antiquité gréco-romaine, consolidé par le système féodal, qu'émergera l'Etat-nation. On ne saurait stigmatiser, comme l'a fait CAD, une telle relation à la terrel2, tout en inscrivant l'espace négro-africain dans une optique monolinéaire de la temporalité/3. Il
Il faut savoir, à cet effet, que {(Les trois petits-fils de Charlemagne se partagent l'Empire après sa mort étant donné que la succession au trône n'était réglée par aucune tradition (00.) Chaque royaume ira s'affaiblissant et se morcelant. Au Xè siècle, de nouvel1es invasions barbares (les Normands, les Hongrois, etc.) plongèrent l'Europe dans l'anarchie et la faiblesse politique. La plupart des rois n'avaient qu'un titre sans pouvoir, ne pouvaient plus assurer la sécurité de leurs sujets. Cette situation poussa ces derniers à se grouper autour de chefs locaux assez puissants pour les protéger. Le régime féodal va naître: le seigneur qui s'installera sur une terre, qui y aura construit une forteresse soit en bois, soit en pierres capable d'abriter, en cas d'invasion, les paysans des alentours, deviendra leur chef effectif et il s'établira ainsi des rapports de dépendance» Cf. Cheikh Anta Diop, in L 'Afrique Noire pré-coloniale, Paris, Editions Présence africaine, 1960, 1987, p. 43. 12
Il affIrme notamment à cet égard: « Tansdis qu'au Moyen Âge tout le
système féodal va dériver de la possession de la terre, par une frustration 62
Il Y a là, ce nous semble, une contradiction. Car le monde moderne n'est attaché au terroir que parce qu'il n'a jamais su 'profaner' les sépultures des ancêtres grec et romainJ4. Il est donc prisonnier de ses reliques et totems. C'est ce que nous appelons l'ancestralisme. Or assumer une certaine relation au passé, du fait de son attachement à la terre des ancêtres et au limon ethno-biologique qui nous rattache à eux, n'a de sens que parce qu'on inscrit son rapport au temps dans le schéma linéaire de continuité historique, qui dans le monde moderne se fonde sur la symbio-totémie (la confusion judéo-chrétienne entre le temps et l'histoire) et l'idée répandue d'un principe de révolution permanente. En ce lieu, au-delà des apparences, l'être est pris en étau entre la symbio-totémie ancestraliste et l'utopisme rémanent. Sa relation au temps est de facto ajustée à la courbe cyclique-calendaire de la société, et cela sur fond de collectivisation systématique. Ici l'individualisme - vision de l'être qui a tant fait croire que la notion d'individu était un concept réel dans la culture moderne, n'est qu'un leurre, une simple réaction face au collectivisme. L'Homme est partagé entre la sensibilisation de la raison, (son attachement romantique à la terre) et l'universalisme; entre le mythe paradoxalement moderne de l'ancêtre premier progressive des habitants protégés - c'est ainsi qu'est née la noblesse terrienne -, en Afrique Noire, ni le roi, ni un seigneur quelconque n'ont jamais eu le sentiment d'une possession réelle du sol. La possession de la terre n'a jamais polarisé la conscience du pouvoir politique (...)}) Cf. Idem., p. 100. 13Sur ce sujet, la vision de Cheikh Anta Diop est clairement exprimée et revendiquée à travers de nombreux passages, d'un ouvrage à un autre. En l'occurrence, il affirme: « Quelqu'idée que l'on ait sur les races qui ont peuplé l'Egypte et le reste de l'Afrique noire, on est obligé de convenir que l'Egypte et l'Afrique noire appartiennent au même univers culturel: la culture africaine actuelle plonge ses racines dans le limon de la vallée du Nil.}) Cf. Antériorité des civilisations nègres - mythe ou vérité historique? Paris, Présence africaine, « Collection Préhistoire/Antiquité négro-africaine », 1967, réédité en 1993, p. 74. 14Or Cheikh Anta Diop nous exhorte à effectuer un retour vers l'Egypte pharaonique, donc à une forme d' ancestralisme. 63
et l'impératif de transmettre les héritages. Et en toile de fond, une révolution qui n'en finit plus; sauf qu'elle reste à jamais une promesse, infiniment remise aux calendes grecques. Nous pensons qu'il existe d'autres modèles possibles. A fortiori, si l'on considère que l'individu s'épanouit toujours déjà en rupture avec toutes formes de totems. A commencer par le phylum ethno-biologique. Ce qui ne veut pas dire que l'être doive nier ses origines. Au contraire, il est primordial (pour tout Homme) de se situer et d'exister par rapport à un certain continuum historique et culturel. De ce point de vue, Cheikh Anta Diop a tout à fait raison; la « culture n'est pas une création spontanée et ne peut être que la continuation d'une culture antérieure »15. Néanmoins, c'est en niant l'Egypte par exemple, non pas sa vérité historique, mais plutôt comme totem et relique, que les Africains vont réhabiliter la relation à leur passé présumé. Les travaux de C. A. Diop permettraient (à condition de bien connaître l'œuvre et d'en re-distribuer thématiquement les enjeux théoriques) de découvrir le phylum, pour ne jamais s'y installer. Si le chantre des traditions, c'est la terre des ancêtres, en son principe diachro-temporel du passage des générations, la relation sacrée à l'habitat et à la terre comme terroir, héritage et symbolique forte de la filiation ethno-biologique, aboutit à la formation d'un totem: l'assignation collectiviste du destin individuel de la personne à la courbe du temps. Ce faisceau de valeurs gouverne le monde moderne depuis la Grèce et la Rome antiques. A cet effet, C. A. Diop a parfaitement raison de dire que le patriarcat par exemple est le régime dominant dans le berceau nordique. Puisque, c'est par le père qu'on hérite de la terre. C'est lui, et non la mère (car elle n'en a pas le pouvoir), qui transmet aux jeunes générations, la terre des ancêtres et les reliques du clan. Et c'est par le père que le patrimoine foncier finit par être 15 Idem., p. 74.
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inféodé à la sphère politique. Car, c'est l' homme qUI gouverne. Sous le système féodal, par exemple, le vilain tout comme le noble (grâce à la patria potestas « puissance paternelle») ont le devoir de sauvegarder leur patrimoine (voire l'étendre si nécessaire) et d'assurer à leurs descendants les conditions qui garantissent le continuum consanguin de la propriété. C'est de la même manière que le pouvoir politique, incarné par le seigneur (un peu à la façon des Césars romains) doit ici sans cesse repousser les frontières de son territoire. Or nous savons que toute forme de souveraineté paternelle porte en elle une certaine linéarité totémique, fondée sur le lien filial à un terroir, incarnée à l'intérieur de regroupements de plusieurs familles. A travers ce modèle les êtres identifient en quelque façon leur cycle de vie à l'asymétrie temporelle. Il peut s'agir d'individus soit partageant des liens de sang, soit regroupés autour d'intérêts communs susceptibles de croître à travers la subjectivation spatio-temporelle d'un enchaînement de calendes. A contrario l'idée d'une relation transversale au monde, à travers une réelle synchronie temporelle, peut aussi constituer un modèle de pensée (de progrès) pour les Africains. Non pas qu'une Egypte originairement nègre, tributaire de la Nubie, n'ait jamais existé. Mais découvrir que naguère, l'Egypte fut nègre, qu'elle tint pour l'essentiel son développement de sa connexion historique, culturelle et biologique avec la Nubie, et que l'Africain (actuel) en serait le légitime dépositaire, ne bouleverse pas réellement l'ordre des choses en Afrique. C'est pour cela, qu'à la différence de C. A. Diop, nous posons, comme dynamique sociale, la dialectique agonale de l'individu face au clan, à la famille, à la collectivité, etc. Il n'est pas question en ce lieu de promouvoir l'ego individuum (simple posture symétrique face à la dominante collectiviste) mais une approche de l'être en quête de soi. 65
La sociologie évolutionniste a de toute évidence fait faillite sur cette question essentielle. Ce n'est que par souci d'un vil consensus universaliste qu'elle affirme la primauté du clan sur l'individu. Et Cheikh Anta Diop reproduit quasiment le même schéma et minimalise de ce fait la place de l'individu dans la société. Celui-ci plie et glisse sous l'ombre envahissante du passé, le fantôme omniprésent des ancêtres. Le mécanisme temporel devient alors circulaire, pour reprendre le mot de Kaempfer16. Car le passé à cet égard nous a toujours déjà devancés. Ce temps cyclique finit par se figer. N'oublions pas que le totem a pour conséquence principale de condenser le temps, de diviniser la temporalité, par le biais d'un objet-culte auquel on affecte un coefficient de religiosité et dont la finalité est alors de préserver, grâce à un pouvoir présumé réel et authentique, le caractère cyclique de l'être. La terre des ancêtres, la nation dont il faut pérenniser à tout prix l'héritage, devient à cet égard un véritable objet de culte auquel on doit en même temps (absolument) s'identifier ( tel qu'on s'identifierait à l'objetculte, lequel est censé pour sa part figer la symbolique mimotemporelle de l'héritage), et finir en fin de compte par ne plus être soi-même. Pourtant en Afrique,« La terre est une propriété collective indivise (...) la notion de propriété privée est (...) marginale. » 17En somme, « l'esprit de la classe nobiliaire n'est pas tourné vers le sol, vers la possession de grands domaines fonciers que l'on fait
cultiverpar des serfs rivés à la ff/èbe en ce sens il n y apas eu de féodalité en Afrique (...)>>8. 16
"
Wolfgang Kaempfer, Le doublejeu du temps à la lumière de
l'expérience humaine, Paris, L'Harmattan, « La Philosophie en commun », 1998, p. 126. 17Cheikh Anta Diop, Op. Cit., p. 122. 18 Cheikh Anta Diop, L'Afrique Noire pré-coloniale, Paris, Présence 66
Ici, la répartition des classes sociales ne s'est pas faite sur fond de marchandisation de l'espace ou d'appropriation des terres). ln fine, comme le reconnaît C. A. Diop, la révolution populaire ne s'est pas imposée telle une nécessité impérieuse. C'est ce qui explique que l'Etat-nation, ferté du romantisme, est un régime propre à l'Occident. La révolution populaire n'a de sens dans le monde moderne que par rapport au principe même de révolution permanente, la symbio-totémie imprimant de fait un caractère asymétrique au mouvement révolutionnaire. Ce n'est (donc) pour rien si ce précepte est complètement étranger aux différentes aires culturelles en Egypte et dans l'Afrique sub-saharienne. Les sociétés africaines (traditionnelles) étaient régies par un système généralisé de castes 19,selon lequel le statut social et professionnel de chaque individu était directement (du fait de ses origines sociologiques) affilié à son ascendant. Il n'est donc pas très étonnant qu'elles « soient restées relativement stables »20,pense C. A. Diop. Surtout si l'appareil d'Etat était en général (et en toutes ses variantes) largement représentatif de l'ensemble des castes qui composaient la société. Dans les royaumes de Mossi au Xè siècle (le Burkina-fasso actuel) et
africaine, 1960, 1987, P.20. 19
Comme dans l'Egypte ancienne où « il existait sept castes (...) celles des prêtres, des guerriers, des commerçants, des interprètes, des pêcheurs, des bergers, des porchers. « Ces castes étaient héréditaires en ce sens que le fils héritait de la profession du père. Ainsi tous les fils de guerriers ne pouvaient devenir que des guerriers, tous les fils de commerçants ne pouvaient devenir que commerçants, ainsi de suite. » Cf. Antériorité des civilisations nègres mythe ou vérité historique, Paris, Présence Africaine, 1967, 1993 pour la présente édition, p. 92. 20 Cheikh Anta Diop, L'Afrique Noire pre-coloniale, Paris, Editions Présence africaine, 1960, 1987, p. 12. 67
de Cayor21 (probablement ancienne province de l'empire de Ghana à son apogée -IIlè-Xè siècles devenue royaume à part entière, séparée de Djoloff au XVlè siècle), la gouvemance et l'appareil d'Etat s'appuyaient essentiellement sur la mixité administrative inspirée de la géographie sociale telle qu'elle était lisible à travers le système généralisé de castes22. Selon la Constitution du pays Mossi par exemple, « les ministres qui assistent l'empereur, au lieu d'être des ressortissants de la haute noblesse des Nakomsé, sont choisis systématiquement en dehors de celle-ci, parmi le bas peuple et les esclaves. Ils représentent (...) les différentes catégories sociales, les (...) professions, les différentes castes, auprès du trône. »23.De la même façon: « Le kidiranga naba, chef de la cavalerie, sort de trois familles mossi ordinaires.
21D'après Cheikh Anta Diop, la Constitution du Cayor, similaire à celle de Mossi « était donc en vigueur jusqu'en 1870. Ce fait montre que les constitutions politiques africaines n'ont pas sensiblement évolué dans le temps. C'est seulement dans le cas où la branche royale s'est islamisée que l'on a constaté certaines transformations. C'est le cas du Ghana, du Mali, du Songhaï. » Cf. Idem., p. 53. Le roi du Cayor se nommait Le Darnel. Ce fut une dynastie. Sept dynasties au total qui ont pu résister définitivement à l'Islam. Même si Latdjor Diop, « l'un des derniers Damels du Cayor » a dû se convertir à la fin (par stratégie) « pour trouver de nouveaux alliés au Saloum auprès du marabout toucouleur Ma Ba Diakhou et au Trarza » pour mieux résister à l'Occident. 22D'après l'exposé de Diop sur ces questions, « La monarchie Mossi est constitutionnelle. L'empereur, le moro Naba, sort héréditairement de la famille du Moro Naba défunt (...), sa désignation n'est pas automatique. Il est choisi par un Collège « électoral» de quatre dignitaires, présidé par le Premier ministre, le togo naba, comme en Ethiopie. Il est effectivement investi par ce dernier qui, pourtant, n'est pas un Nakomsé (c'est-à-dire un noble), mais sort d'une famille ordinaire: il est, en réalité, le représentant du peuple, de l'ensemble des hommes de condition libre, des citoyens qui composent la nation mossi. » Idem., p. 50. 23Idem., p. 50- 51. 68
«Le esclave.
rassam naba sort toujours de la même famille »24
A cause de (ou bien grâce à) cette mixité en vigueur jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat, la révolution populaire n'a jamais eu lieu. Ceci dit, les solutions pour l'épanouissement de l'individu ne résident pas nécessairement dans le principe de révolution populaire qui collectivise les personnes en les inféodant à la temporalité linéaire (en tant qu'elle sert de véritable support sociologique au principe de révolution permanente). Ce n'est pas non plus à l'intérieur des castes qu'il faut aller chercher le salut de l'individu. C'est pour cela que l'Afrique (actuelle) aurait plutôt intérêt à s'affranchir des reliques et des derniers bastions du système de castes. (Il est vrai que les sociétés africaines sont restées viables et stables pendant des siècles. Mais cela n'a été possible que grâce à l'astreinte culturelle et ethno-biologique que l'inertie du clan a pu exercer sur l'individu.) En définitive, il y a lieu d'opérer une première révolution théorique au sens kantien, en replaçant l'individu au centre du monde. Donc provoquer un renversement des valeurs qui implique de fait le décentrement de la tribu (ou même de la communauté intégrale), pour que, de sa position centrifuge privilégiée, l'individu soit réellement en situation par rapport à la tradition, à la courbe calendaire du temps.
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24'
Idem., p. 50.
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III. LE DROIT PUBLIC Contribution
au droit africain: « dé-fossiliser » la lecture de Cheikh Anta Diop. Léandre Serge MOYEN
Docteur NR en Droit Public Diplômé de l'Ecole de Formation des Barreaux de Paris (EFB) Chercheur à l'Institut Cheikh Anta Diop (ICAD)/ FRANCE
La problématique du droit africain est sans cesse renouvelée. Bien qu'ayant bénéficié de contributions prestigieuses, ce droit, toujours en perpétuelle mutation droit en transition diront certains - n'a pas encore trouvé son point d'ancrage. D'aucuns en viennent, à juste titre, à prononcer l'oraison funèbre de la coutume l, pan essentiel sur lequel ce droit était censé trouver son identité. En effet, la coutume, c'est ce qui reste du droit proprement africain, c'est-à-dire comme substrat de son unité juridique. Ceux qui croyaient avoir apprivoisé le contenu de ce droit2 ne sont pas au bout de leurs peines si l'on ajoute à cela d'autres facteurs comme la crise endémique de légitimité du droit étatique sur ce continent. Cette situation est, à notre avis, imputable au refus de prendre en compte l'apport des autres sciences comme l'économie, la philosophie, la sociologie, la psychologie, la médecine, la mathématique, I'histoire, etc. Car ce que le droit recherche dans les autres disciplines, c'est 1
Etienne Le Roy, « L'adieu au droit coutumier», in L'immigrationface
aux lois de la République, sous la direction de Edwige Rude-Antoine, éd. Karthala, Paris, 1992, p.20. 2 V. par exemple Kéba Mbaye, « Sources et évolution du droit africain », in Mélanges P. F. Gonidec, L.G.DJ., 1985, p.339.
la lecture que celles-ci font de la réalité et les conclusions qu'elles en tirent. Le droit africain, par conséquent, gagnerait à observer les phénomènes sociaux sous divers angles possibles. A ce titre, faire le rapprochement entre l' œuvre de Cheikh Anta Diop et le droit n'est ni présomptueux ni vain comme on peut être tenté de le penser. En effet, le sujet est certes original, puisqu'à notre connaissance, il n'a pas de précédent mais il n'est pas sans intérêt. C'est ce que nous nous proposons de montrer. Le caractère encyclopédique de cette œuvre devrait militer en faveur d'un examen juridique sérieux des thèmes attachés à la science du droit, et que l'auteur a abordés. Il est vrai que les théoriciens du droit, surtout, répugnent à interpréter les faits selon les qualifications qu'en donnent les non-spécialistes3. Mais nul ne saurait légitimement souffrir le grief d'associer Cheikh Anta Diop à la longue liste des penseurs qui ont alimenté la théorie du droit par l'influence qu'ils ont exercée, à diverses époques, sur de nombreuses générations de juristes4. Il convient, avant toute chose, d'élaguer le sujet. Notre travail consiste à interroger l' œuvre de Diop dans le but, d'une part, de rechercher ou simplement de constater son apport au droit africain, et d'autre part d'extraire de son œuvre des éléments, des concepts qui seraient de nature à alimenter la théorie du droit africain, dans la mesure où cet 3
V. par exemple Pierre-François Gonidec, L'Etat africain: évolution,
fédéralisme, centralisation et décentralisation, LGDJ, 1èreéd., 1970, p.3. 4 Machiavel, David Hume, John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Kant, G. W. F. Hegel, Karl Marx, Emile Durkheim, Bourdieu et bien d'autres ont influencé plusieurs générations de juristes, et contribué à faire avancer la théorie du droit. Par ailleurs, il convient de noter l'apport, au droit, de la philosophie (V. Par exemple l'ouvrage de référence de M. Albert Brimo, Les grands courants de la philosophie du droit et de l'Etat, 3e éd., Pedone, 1978. ), de la sociologie (Y. Georges ComB, Le droit privé: essai de sociologie juridique simplifiée, 1924; Jean Carbonnier, Flexible droit? ,. Valentin Petev, « Yirtualité et construction de la réalité sociale et juridique », Archives de philosophie du droit, 1999, p.27). 74
apport serait inexistant. Il s'agit, en un mot, de théoriser sur l'état du droit en Afrique à partir de l' œuvre scientifique et politique de Cheikh Anta Diop. Le droit de l'Etat, c'est-à-dire le droit positif dont l'Etat est le concepteur et le garant5, droit considéré comme le résultat d'une lutte d'intérêts6, échappe aux chercheurs, aux intellectuels, bref aux théoriciens. Par conséquent, sur ce terrain, l'apport de Diop, à notre réflexion, est sans doute inexistant, ou tout au moins mineur si tant est qu'il ait pu même indirectement inspirer les choix politiques. C'est ainsi que la théorie de l'Etat fédéral africain, qui lui est si chère? a été reléguée au nombre des utopies8 et classée comme irrecevable - dans l'immédiat du moins - par les décideurs. Par conséquent, nous ne pouvons que nous intéresser à l'aspect théorique du droit africain tel que l'appréhendent et l'entendent les théoriciens du droit. Il peut s'agir du droit comme idéal à atteindre, comme quête en vue de l'insertion du continent africain à travers la dynamique du développement dans le contexte de la mondialisation et de la globalisation. Car la question du droit africain se pose aussi 5 Jacques Ghestin, Gilles Goubeaux, Traité de droit civil: Introduction générale, 4e éd., L.G.D.J., 1994, p. 19. 6 Coulombel disait que « le droit n'est qu'une arme dans les conflits de la force» : in Introduction à l'étude du droit et du droit civil, 1969, p.81. Pour Jacques Ghestin, Gilles Goubeaux (Op. cit., p.18), « le plus fort à l'habileté d'établir des règles générales auxquelles il se soumet lui-même par une sorte d' auto limitati on, le plus faible a l'intelligence de se soumettre à ces règles en attendant d'avoir, à son tour, la force pour instaurer un ordre juridique nouveau». Le droit en Afrique a été et demeure le produit des rapports de force; il est l'expression des conflits de normes endogènes et exogènes; de la coutume et du droit écrit; de la tradition et de la modernité. 7 V. notamment Les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral Africain, éd. Présence afticaine, 1960. 8 V. Pierre-François Gonidec, op. cit., p.145. L'auteur se contente de mentionner les différentes tentatives avortées du fédéralisme en Aftique, ainsi que les raisons politiques de ces échecs, mais il évite tout débat sur la pertinence du fédéralisme, ce qui l'aurait conduit à procéder à l'examen de la thèse Diopiste sur ce point. 75
en termes de construction d'un système juridique désaliénant qui plonge ses racines dans le passé pour s'ouvrir à la modernité en empruntant à l'un et à l'autre des normes nécessaires à son enrichissement, et qui ne seraient pas incompatibles avec l'idéal à atteindre. Dès lors l'effectivité d'un système de normes se ramène à la question de sa spécificité. .'
Il nous semble qJle sur ce point, Cheikh Anta Diop soit
incontournable, dans la mesure où il défend, comme beaucoup d'autres après lui, la thèse de l'unité culturelle et sociologique de l'Afrique à partir de l'Egypte antique, qui devrait, d'après lui, induire une unité politique: « les études africaines, écrit-il, ne sortiront du cercle vicieux où elles se meuvent, pour retrouver tout leur sens et toute leur fécondité, qu'en s'orientant vers la vallée du Nil »9. Le projet diopien avait pour ambition et pour finalité de restituer à l'Afrique son histoire authentique, qui a été longtemps falsifiée par les idéologies coloniales dominantes à des fins d'asservissement et d'aliénation. Autrement dit, aucune discipline scientifique proprement africaine ne peut germer et prospérer sans son référent EgyptienlO. De ce point de vue, Diop apparaît comme le triple penseur de la décolonisation de la désaliénation et surtout de l'émancipation pour ainsi dire, 9 Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres: mythe ou vérité historique? , éd. Présence Africaine, 1967, p.12. Cette idée a été exprimée avec plus d'impact, après lui, par ses héritiers qui soutiennent que tout séjour hors d'Egypte est une sortie de la mémoire antérieure de l'humanité. V notamment Grégoire Biyogo, Kémit Anti-démocrate ?, éd. Menaibuc, 2000, p.60. 10 C'est encore Diop qui écrit: « l'Egypte a joué vis-à-vis de l'Afrique le même rôle que la civilisation gréco-latine vis-à-vis de l'occident. Un spécialiste européen, d'un domaine quelconque des sciences humaines, serait malvenu de vouloir faire œuvre scientifique s'il se coupait du passé gréco-latin. Dans le même ordre d'idée, les faits culturels africains ne retrouveront leur sens profond et leur cohérence que par référence à l'Egypte », Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, éd. Présence africaine, 1981, p. 387. 76
puis de la science et de la culture africaines. Or, depuis la conférence de Bandoeng qui a donné naissance au mouvement des non-alignés, et qui a préfiguré le nouvel ordre économique mondial 11, les juristes africains ont fait de la désaliénation du droit colonial une préoccupation permanentel2. Cependant, la théorisation du droit Africain, entreprise au demeurant complexe qui nécessite pourtant l'implication de toutes les disciplines scientifiques, semble se réaliser sans référence à Diop. On a la nette impression que le diopisme, prisé dans bien d'autres domaines 13,se révèle être le parent pauvre de la recherche juridique. Il serait gratuit et inexact d'imputer cet oubli (ou indifférence?) au caractère non juridique de l'objet d'étude du savant sénégalais. Il est curieux que les débats juridiques, qui devraient être l'occasion de réfuter les idéologies dominantes se soient faits en marge de l'anthropologie, de l'ethnologie et de l'histoire africainesl4. Certes, Cheikh Anta Diop n'avait-il pas et n'a Il
Mohammed Bedjaoui, Pour un nouvel ordre économique
international,
UNESCO, Paris, 1979; E. Jouve, Relations internationales du Tiersmonde, Berger-Levrault, 1979 ; par exemple Maurice Flory, « Mondialisation et droit international du développement », R.G.D./.P., 1997, p.609 et s. 12Cela est particulièrement vrai dans les Etats anciennement socialistes: V. Jean-Marie Breton (sous la direction de), Droit public congolais, éd. Economica, 1987, p.172. C'est aussi le cas du Zaïre de Mobutu qui avait opté pour l'authenticité, c'est-à-dire le recours aux sources. 13 Nombre de thèmes esquissés par Cheikh Anta Diop ont eu des prolongements heureux de la part de ses disciples, qui sont restés fidèles à la doctrine du maître. Il en est ainsi de la théorie de la souveraineté qui a été développée dans le domaine de la politique monétaire: V. Nicolas Agbohou, Le franc CFA et l'Euro contre l'Afrique, éd. Solidarité internationale, 1999. 14Nous avons en mémoire la référence faite par Maurice Kamto, dans sa thèse de doctorat (Pouvoir et droit en Afrique noire, LGDJ, 1987, p.48 et s.) à Lewis H. Morgan dans son ouvrage intitulé: La société archaïque, paru aux U.S.A en 1877 et traduit de l'américain par H. Jaouiche, Paris, éd. Anthropos, 1971, 653 P. Cet ethnologue américain du XIXè siècle défendait la thèse de l'évolutionnisme social. Selon lui, les sociétés africaines seraient des sociétés prélogiques, fétichistes et qui échappent à 77
jamais prétendu avoir le monopole des thèmes par lui abordés. Et les juristes se sont bien gardés de le mentionner toutes les fois qu'ils avaient à reconstituer l'histoire du droit africain. Cela a été particulièrement vrai en matière de protection des droits de I'homme où il s'est révélé impératif de se défaire de l'image des Etats sans droit qui était faite à l'Afrique15. Chose curieuse, la Charte africaine des droits de l'homme exalte « les traditions historiques et flesJvaleurs de la civilisation africaine », sans qu'on sache où commencent ces traditions ni quels en sont le référent et le contenu. La question du référent pouvait d'autant moins être esquivée que I'histoire. Ces thèses, on le sait, ont été développées par des auteurs comme Joseph-Arthur comte de Gobineau dont on a par ailleurs unanimement relevé l'influence sur l'idéologie nazie. Or, directement ou indirectement, quel qu'en soit le degré d'implication, ces thèses ont plus ou moins été incorporées à l'ordonnancement juridique international. Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici le processus de croisement des grandes puissances européennes et des royaumes africains au XIXè siècle, et qui a donné lieu à des traités sui generis, qui reflétaient déjà les rapports de domination. Ces traités étaient fondés sur la négation de l'idée que les sociétés africaines fussent capables de produire des règles de droit. La maxime ubi societas ibi jus (1à où est la société est le droit) n'avait pas vocation à s'appliquer aux sociétés africaines. Le droit issu de la SDN avait entériné cet état de chose. L'ONU fait table rase sans condamner formellement la colonisation. Par conséquent, et nous y reviendrons, le premier à avoir gagné la bataille des idées sur cette question c'est bien Cheikh Anta Diop, dans Nations nègres et culture, éd. Présence africaine, 1954. Or, à l'évidence ses travaux n'ont pas alimenté l'argumentaire de Maurice Kamto pas plus qu'ils n'ont suscité d'intérêt de la part des fondateurs de l'Organisation de l'unité afticaine. Sur les débats pour la création de l'OUA, v. Ba Abdoul, Bruno Koffi, Sahli Fethi, L'organisation de l'unité africaine: de la charte d'Addis-Abéba à la Convention des droits de l'homme et des peuples, éd. Silex, 1984, p.Il et s. 15Le juge Kéba Mbaye s'est livré à cet exercice, d'abord au début des années 1970 (V. « Le monde noir et les droits de l'Homme », Revue internationale des droits de I 'homme, 1970, p. 690), ensuite récemment, depuis l'adoption de la chartre africaine des droits de l'homme et des peuples (V. « L'Afrique et les droits de I'homme », R.J.P. I.C., 1994, p.4 ; Kéba Mbaye, Les droits de l'Homme en Afrique, éd. Pedone, 2002). 78
l'identité des traditions culturelles et juridiques est un fait d'évidence. Devant un vide aussi frappant sur des périodes importantes de I'histoire de l'Afrique, les théoriciens du droit ont manifesté de l'indifférence à l'égard des ethnologues et égyptologues16. Cette lacune a commencé par être comblée depuis quelques années seulement, d'abord par des références timides aux travaux de Diop17. En dépit de ces recours, on n'allait guère au-delà des grands empires africains comme Ghana, Gao, qui ont connu leur apogée quelques siècles seulement après Jésus-Christ18. Cette démarche confortait l'hypothèse de l'incapacité, pour le juriste, formé à l'esprit cartésien et aux méthodes analytiques, d'extraire l'impératif juridique de pratiques sociales qui fondaient les normes de comportement sur une relation permanente au sacré19. Ensuite, la nécessité de rattacher le droit africain à sa souche égyptienne s'est faite de plus en plus pressante20 réhabilitant par la même occasion - et sûrement de façon détournée Cheikh Anta Diop. Sans lui, le théoricien du droit africain - se retrouve dans la situation de celui qui, voulant faire table rase du passé, pour tomber à pieds joints dans l'universalisme, découvre que non seulement l'universalisme n'exclut pas les particularismes
16
Le professeur Jean Poirier a mis l'accent sur l'insuffisante
communication entre les deux mondes: V. « L'avenir des droits de I'homme unité juridique et pluralité culturelle », R.J.P.I. C., 200 l, p.3. 17Fatsah Ouguergouz, La charte africaine des droits de l'homme et des peuples: une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, éd. PUF, 1993, p.5 à 12. 18 Ibid. p.8 et s. 19 Gérard Conac, « Introduction générale », in Gérard Conac (Sous la direction de), Dynamiques et finalité des droits africains, éd. Economica, 1980. 20V. Fatou Kiné Camara, Pouvoir etjustice dans la tradition des peuples noirs, éd. L'Harmattan, 2004 ; Maurice Wanyou, « Quelques aspects de la survivance des institutions de l'Egypte ancienne en Afrique noire », Revue juridique et politique des Etats francophones, n° 2, Avril-juin 2005, p.229. 79
tenant à l'histoire, à la culture et aux réalités de chaque peuple21, mais encore il constitue un réceptacle de valeurs communes d'origines diverses. Le théoricien se voit reprocher, sans contredit, d'être venu au festin culturel les bras ballants; de se servir sans rien apporter aux autres. Cette anecdote traduit l'instabilité d'une théorie du droit africain, toujours à la recherche de racines sans lesquelles elle ne saurait être opératoire. La théorie du droit africain s'est parfois fourvoyée en promenant des regards désespérés un peu partout à la fois, sans toujours parvenir à ses fins22. Le temps est peut-être venu d'inventer d'autres paradigmes et d'explorer d'autres pistes. Il nous semble, à cet égard qu'une lecture herméneutique de l' œuvre de Diop devrait contribuer à faire avancer les recherches en ce domaine. Les quelques rares études qui ont fait mention de l'illustre savant n'ont prêté à son œuvre qu'un intérêt historique. Croyant se dispenser de scruter les fossiles juridiques, elles n'ont certainement pas perçu que, par elle, pouvait être réglée la question embarrassante de l'identité du droit africain. Après quoi, il serait possible de voir à travers son œuvre les interactions, les enchevêtrements entre les référents négroafricain et judéo-chrétien par exemple. Cette démarche comparative peut avoir des implications bénéfiques à I'heure de la démocratisation des Etats africains, et de la construction de l'Etat de droit sur le continent. Par conséquent, la réflexion est ouverte et les juristes sont invités à revisiter l' œuvre de Diop dans sa globalité pour évaluer, à l'épreuve de la science juridique, la pertinence des thématiques qui y ont été abordées. Il faut 21
V. Yoïchi Higuchi, «L'idée de 1789 entre la modernité et les
traditions », in Le nouveau constitutionnalisme, Mélanges Gérard Conac, éd. Economica, 2001, p.III. 22 Ce reproche ne s'adresse pas seulement au droit, mais aussi à toutes les disciplines relevant des sciences humaines: V. par exemple Grégoire Biyogo, Kémit Anti-démocrate ? Essai d'élucidation de l'énigme de la souveraineté en Afrique et dans le monde noir, éd. Menaibuc, 2002, p. 16 et s. 80
revenir à une lecture juridique de la pensée de Cheikh Anta Diop (I), qui n'a jamais été faite. Elle permettra d'en mesurer les implications, sur la construction d'une théorie du droit africain et de contribuer à son renouvellement (II).
I. Lecture juridique de la pensée de Cheikh Anta Diop Il s'agit de traduire, en des termes juridiques, la pensée de Cheikh Anta Diop; de lui donner un contenu juridiquement défendable, c'est-à-dire d'en évaluer la pertinence à l'épreuve du droit. L'un des versants de la question consistera à s'interroger sur le degré d'influence des thèses diopiennes à la théorie du droit, et si le théoricien du droit peut en tirer des concepts opératoires. Nul doute que les idées de Diop ont effleuré l'esprit des juristes. A l'évidence, le lien apparaît incontestablement dans le fait qu'étant le produit de la frustration coloniale, il a été porteur d'un projet intellectuel et politique émancipateur. Le droit n'a jamais autant revêtu la plénitude de son caractère instrumental qu'à l'épreuve de la décolonisation. Et des concepts chers à Diop, tels que la souveraineté, l'égalité, la solidarité, l'unité, le fédéralisme etc., ont recueilli les suffrages des juristes. Bien qu'il n'en soit que l'un des multiples promoteurs, Cheikh Anta Diop les met au service de la réhabilitation et de l'élévation du continent africain tout entier au concert des nations. On voit d'ailleurs que dans son esprit, à la manière d'un juriste rompu aux arcanes du droit, l'ensemble des principes concourent à l'affirmation de la souveraineté de l'Etat africain (A) et aussi à son unité (B)23, l'une et l'autre étant irrémédiablement liées par un rapport dialectique.
23
Du reste, les juristes n'envisagent pas la souveraineté sans son
corollaire l'unité. V. par exemple, Roland Debbasch, Le principe révolutionnaire d'unité et d'indivisibilité de la République, Essai d'histoire politique, éd. P.U.A.M., Economica, 1988, p.33. 81
A. Le principe de la souveraineté L' œuvre intellectuelle de Cheikh Anta Diop est inséparable de son projet politique. La souveraineté africaine a été pour lui une quête permanente tant dans son œuvre intellectuelle que dans son projet politique24. Le contexte s'y prêtait notamment à ses débuts, dans les années 1950. L'Afrique est sous domination coloniale. Sur le plan juridique, rien de vraiment concret ne laisse augurer des lendemains meilleurs dans ce contexte hérité de l'esclavage. En effet, le processus de la colonisation du droit africain a pour point de départ le Code noir de sinistre mémoire. Ce code retire pour la première fois à l'Africain la personnalité juridique, pour le réduire à un statut à peu près équivalent à celui d'un bien meuble. Dès lors, l'Africain était légalement devenu l'objet d'un commerce juridique. Le Code a, pour ainsi dire, donné une assise légale à l'esclavage et à la traite des noirs. Il ne concernait cependant que les personnes physiques et n'impliquait nullement les entités constituées en Etats. C'est la conférence de Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 qui décréta que l'Afrique tout entière n'était qu'une terra nullius, dépourvue de règles de droit, et devait, dès lors, être gérée selon le bon vouloir de l'occupant européen25. La Société des Nations (SDN), créée au lendemain de la première guerre mondiale pour organiser 24 Sur l'unité de son œuvre politique et intellectuelle, V. par exemple Pathé Diagne, Cheikh Ânta DIOP et l'Afrique dans l'histoire du monde, éd. Sankorél L'Harmattan, 1999; Doumbi Fakoli, Le guide du panafricanisme, éd. Silex I Nouvelles du Sud, 2000. 25 Il en résulte que les Traités d'occupation offerts aux chefferies et royaumes africains, pourtant constitués en Etats, ne prenaient pas en compte les règles juridiques en vigueur dans ces territoires. Le principe même de l'autonomie de la volonté n'était pas observé. Ils comportaient des dispositions inacceptables lorsqu'ils n'étaient pas entachés de vices de forme. Ainsi, le Traité conclu le 10 septembre 1880 entre la France et le Roi Makoko, chef Batéké, dans l'embouchure du Congo, stipulait que 82
la paix entre les nations, perpétua ce droit impérialiste. Elle légitima la négation du droit des peuples à di~oser d'euxmêmes que l'Europe avait opposée à l'Afrique2 , avec toutes les conséquences qui devaient en découler pour les peuples encore sous Occupation27. La paix entre les nations s'est ce dernier cédait son territoire à la France à laquelle il cédait ses droits héréditaires de suprématie. A partir de ce moment, les cultures séculaires ainsi que les civilisations locales étaient anéanties, et l'occupant avait tout le loisir, ce qu'il fit d'aiIleurs sans heurts, d'implanter outre-mer ses lois. V. par exemple Henri Brunschwig, Le partage de l'Afrique noire, éd. Flammarion, 1971, réémp. 1999. 26 Le problème de l'autodétermination des peuples s'est posée pour la première fois à la SDN dans l'affaire des îles d'Aland (Y. Fernand de Visscher, « La question des îles d'Aland », R.D.! et de législation comparée, 1921, p.45 ; Boursot, L'affaire des îles d'Aland et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Dijon, 1923). Les îles d'Aland appartenant à la souveraineté suédoise, furent conquises par Alexandre 1er qui les rattacha à la Finlande dont il avait pris également possession. Lorsque après la première guerre mondiale, la Finlande devint une République indépendante, les populations des îles Aland et la Suède manifestèrent le désir de s'unir en vertu du principe des nationalités. Aland réclama un plébiscite que lui refusa la Finlande, qui invoqua ses droits souverains sur ce territoire. Saisi de la question, le Conseil de la SDN constata d'abord que le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'était pas un droit généralement reconnu, qui d'ailleurs n'était point inscrit dans le pacte de la SDN (Pour plus de détails V. S. Calogeropoulos-Stratis, Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, éd. Bruylant, BruxeIles, 1973, p.56) ; ensuite le conseil se déclara compétent avant de conclure que « d'une manière générale, il appartient exclusivement à la souveraineté de tout Etat définitivement constitué d'accorder ou de refuser à une fraction de sa population le droit de déterminer son propre sort politique par la voie d'un plébiscite ou par un autre moyen» : S. Calogeropoulos-Stratis, op. cit., p.55. 27 L'une des conséquences, et non la moindre sur l'évolution du droit, est que les droits subjectifs des autochtones, notamment en Afrique francophone, ont été brutalement emportés par la politique assimilationniste de la métropole. La France avait naturellement tenté d'imposer une politique d'assimilation dans les colonies, en préconisant l'uniformité du droit entre la métropole et les colonies, au nom de la politique civilisatrice et émancipatrice des peuples qu'elle prétendait véhiculer. Ainsi, le 5 novembre 1930, le Code civil français est promulgué au Sénégal par arrêté du Gouverneur: « Le territoire de la 83
depuis plus ou moins faite sur ce compromis. Ainsi la Charte
des Nations Unies, même si elle inscrit, à son article 1er la nécessité de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes» ne fait pas de ce dernier droit une obligation juridique à la charge des Etats. Tout au plus, se contente-t-elle d'encourager les puissances coloniales à favoriser l'émancipation progressive des territoires occupés vers leur libre administration. La Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 inaugure une ère nouvelle en invitant tous les peuples de la terre à agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Mais dans l'immédiat elle ti'est guère suivie. Cela est particulièrement vrai dans les colonies d'Afrique francophone après la confirmation de l'autonomie dans le cadre de l'empire français par la conférence de Brazzaville de 1944. Cheikh Anta Diop défend l'indépendance et la souveraineté de l'Etat africain dans le cadre de son parti politique, le Rassemblement démocratique Africain (R.D.A.). Ses positions sont fortement argumentées dans ses œuvres scientifiques. Il considère comme un impératif absolu la désaliénation culturelle qui semble à ses yeux la principale clé de la souveraineté de la même manière que l'aliénation culturelle a ouvert la voie à l'asservissement des peuples d'Afrique: «La négation de l 'histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs, écrit-il, est le meurtre culturel, mental, qui a déjà précédé et préparé le génocide ici et là dans le colonie est considéré, dans l'application du droit civil comme une partie intégrante de la métropole. Tout individu né libre et habitant le Sénégal et ses dépendances jouira dans la colonie des droits accordés par le Code civil aux citoyens français...». Mais cet arrêté ne se limitait qu'à quelques communes du Sénégal (Dakar, Saint-Louis, Gorée, Rufisque) et ne concernait pas le reste des autochtones sénégalais et africains. D'où, autre conséquence, les inégalités entre tous les sujets devant la loi: V. A. Y. Ba, «Du colonisé à l'immigré: les vicissitudes d'un statut », Revue de droit international comparé, 1997, p.139. 84
monde »28. Par conséquent, pour affranchir un peuple il faut lui donner les moyens intellectuels de son ambition. C'est là que l'œuvre de l'historien se démarque de la théorie du droit, et peut lui apporter de la matière. Car, comme l'écrit Hans Kelsen, « la théorie pure du droit désire [...] exposer le droit tel qu'il est, sans chercher à lejustifier ou à le critiquer. Elle se préoccupe de savoir ce qu'il est et ce qu'il peut être et non s'il est juste ou pourrait le devenir [...] elle veut être une science et se borner à comprendre la nature et la structure du droit positif »29.La théorie du droit africain a peut-être été victime de la méthode, de son rigorisme, se bornant à comprendre le droit positif sans toujours se risquer à anticiper sur les faits, au point de se laisser surprendre par les événements30, - faute d'avoir flairé le sens de l'histoire - qui, pourtant, se sont déroulés sous leurs yeux. Ainsi, la souveraineté acquise au début des années 60 n'a pas été précédée d'un cadre juridique, fruit d'une longue maturation théorique. C'est la raison pour laquelle l'Afrique a hérité d'un droit positif extraverti, d'inspiration coloniale. L'uti 28 Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, éd. Présence africaine, 1981, p.10. 29 Hans Kelsen, Théorie pure du droit, adapté de l'Allemand par Henri Thevenaz, éd. De la Braconnière, Neuchâtel, 1988, p.64. 30Notons que dans des Etats comme la France, il existe ce qu'il convient d'appeler la doctrine administrative, qui est construite à partir des matériaux fournis par le Conseil d'Etat agissant dans le cadre de ses fonctions consultatives. Outre, les avis qu'il rend, le Conseil joue également la fonction d'observatoire, en ce sens qu'il est appelé à réfléchir sur les évolutions du droit français compte tenu de l'environnement sociologique, politique, économique, social, mais aussi des pratiques en vigueur dans d'autres Etats. Il rend ainsi, chaque année, un rapport d'activité. Un travail parallèle se fait au niveau de la Cour de cassation. On voit bien que ces réflexions qui anticipent sur les évolutions possibles et souhaitables du droit, vont au-delà de la théorie pure du droit. Or, en Afrique rares sont les auteurs qui ont esquissé une réflexion dans le même sens. V. cependant, Maurice A. Glélé, « Pour l'Etat de droit en Afrique », in Mélanges Gonidec, éd. L.G.D.J., 1985, p.18l. Encore que les questions que soulève l'auteur ne sont pas d'ordre purement institutionnel, et dépassent l'analyse strictement juridique. 85
possidetis juris n'est rien moins qu'une manifestation de cette impuissance du droit devant la poussée des idéologies. Plus près de nous, la démocratisation des régimes politiques africains et l'adoption du multipartisme nous laissent la désagréable impression de l'extranéisation du droit. La démarche de Diop est à l'opposé de celle des juristes. En définitive, l'auteur de Nations nègres et culture invite les chercheurs, notamment dans le domaine du droit, à dépasser la réalité aliénante pour rechercher, au contact de l'Egypte antique et des monarchies constitutionnelles précoloniales, un modèle virtuel qui serait l'expression juridique de nos traditions, de notre culture et de notre histoire. L'analyse que peut tirer le juriste de sa démonstration est la suivante: la souveraineté de l'Etat africain est une nécessité historique et surtout un fait d'évidence, la colonisation n'ayant été qu'une parenthèse dans ce processus dont la continuité historique est connue depuis la vallée du Ni131.Et cette continuité révèle de puissants empires constitués sous la forme de régimes politiques modernes, traitant déjà « sur un pied d'égalité avec leurs contemporains les plus puissants de l'occident »32. Sur la foi des dépositions de témoins oculaires mais aussi de documents écrits, Diop en déduit que les monarques africains étaient loin d'être des roitelets. D'où il infère l'urgence de rétablir la souveraineté des Etats africains, qui n'est après tout que la concrétisation du principe d'égalité entre les nations consacré par la Charte des Nations Unies. La revendication de la souveraineté, à partir d'un modèle idéalisé dont on ne trouve nulle part de trace, même si son existence n'est pas contestée, pose quelques difficultés au juriste. La simplification presque naïve de l'équation décolonisation-souveraineté ne rend pas compte de la complexité des rapports de force qui caractérisent la 31
V. Nations nègres, op. cil., p.40 1; Civilisation ou barbarie, op. cil., p.272. 32Nations nègres et culture, p.349. 86
Communauté internationale. En effet, dès lors que sont en cause les intérêts liés à la puissance de l'Etat, le droit devient un simple instrument au service du pouvoir33. Aujourd'hui comme par le passé, l'idée hégélienne de la guerre comme vecteur historique du progrès des civilisations, qui a engendré une idéologie conflictuelle des relations intemationales34, n'est pas dénuée de justification si l'on en juge par les faits. Dès lors, les mobiles qui ont conduit au déclin et à la déchéance des empires africains apparaissent évidents. Et il devient utopique de parler de souveraineté si les raisons des échecs antérieurs ne sont pas pensées et maîtrisées. Le problème n'a pas échappé à Cheikh Anta Diop qui s'est insurgé: «Pourquoi des peuples responsables de grandes civilisations sont-ils tombés bien bas par la suite, en particulier les peuples africains? »35.Nous analyserons plus loin la pertinence des arguments qu'il a avancés pour conjurer le signe indien. On peut noter que les causes endogènes de l'échec des régimes traditionnels n'ont pas été localisées; et c'est à l'épreuve du nouveau droit international issu de la Charte des Nations Unies que l'on a compris que la souveraineté impliquait avant toute chose la maîtrise de l'économie et de la technologie. Ces deux facteurs n'ont pas été suffisamment pris en compte par Diop. Certes, il met l'accent
-
tout
comme Kwamé
Nkrumah
-
sur
la
maîtrise des matières premières36. Mais les différents programmes de développement mis en place par les Nations Unies sur la base des résolutions prises à l'initiative des pays du Tiers-Monde, qui ont essayé de mettre en pratique le principe du droit des peuples à disposer permanemment de 33
V. Sur les rapports entre le pouvoir et le droit dans les relations internationales, V. Robert Kolb, Réflexions de philosophie du droit international: problèmes fondamentaux du droit international public, éd. Bruylant, Bruxelles, 2003, p.119 et s. 34 V. par exemple A. V. Lundstedt, Le droit des gens, danger de mort pour les peuples, Paris, 1925. 35Civilisation ou barbarie, op. cit., p.274. 36V. Les fondements économiques... op. cit., p.73 et s. 87
leurs ressources naturelles, n'ont pas résolu le problème de la souveraineté37. C'est la preuve que la souveraineté, comme cela a été souvent rappelé, est un processus graduel qui doit composer avec les privilèges des pays développés et de leurs firmes38. Du reste, il est aisé de déduire de cette analyse l'idée qu'une évaluation réelle des potentialités de l'Afrique n'a pas été faite avant que fussent envisagées les questions de souveraineté. Le contentieux colonial, jamais éteint dans des conditions saines et transparentes, est un cas topique de cette impréparation. Cependant, à la décharge de Cheikh Anta Diop, - car ce grief est imputable à tous les mouvements indépendantistes des années 50 - on doit noter que la souveraineté de l'Afrique s'est faite au détriment de son projet, qui à ce jour, n'a jamais été expérimenté. En effet, contrairement à l'option qu'ont choisie les politiques, Diop n'a jamais souhaité pour les Etats africains un destin séparé. Le destin fédéral de l'Afrique, selon l'heureuse formule que nous lui empruntons, est son projet, qu'il expose dans un premier temps dans Nations nègres et culture39 avant de le développer quelques 37
Parmi les mesures qui ont été décidées, il y a notamment celles concernant la souveraineté économique des pays en développement, connue sous l'appellation « droit des peuples à disposer de leurs ressources ». V. Guy Feuer et Hervé Cassan, Le droit international du développement, 2e éd., Dalloz, 1991, p.196 et s. Il semblerait que les résultats soient encourageants dans certains domaines: V. par exemple Sidi QuId Mohamed Abdellahi, « La coopération entre l'Union Européenne et les pays du Maghreb: les accords de pêche conclus par la Mauritanie avec l'Union Européenne », Revue juridique et politique Indépendance et Coopération, n° 3, 2004, p.462. 38 V. Ahmed Mahiou, « Une finalité entre le développement et la dépendance », in La formation des normes en droit international du développement, éd. du CNRS, Paris, 1984, p.17. 39 V. notamment la préface à l'édition de 1954 où il écrit: « Il devient donc clair que c'est seulement l'existence d'Etats africains indépendants fédérés au sein d'un Gouvernement central démocratique [. ..] qui permettra aux africains de s'épanouir pleinement et de donner toute leur 88
années plus tard40. Les thèses diopiennes ne sont pas des recettes toutes faites, mais des concepts exploitables dans tous les domaines scientifiques pour affranchir l'Afrique. Les résultats des recherches entreprises dans le domaine monétaire, qui s'inscrivent dans le droit fil de la pensée de Diop41 ainsi que les expériences actuelles des unions économiques sous-régionales révèlent que l'unité africaine dans le cadre d'un Etat fédéral est loin d'être une utopie, et qu'au contraire elle se fera indubitablement. En revanche là où, l'ambiguïté apparaît pour le théoricien du droit à la lecture de la pensée de Diop c'est que la question de l'intangibilité des frontières issues de la colonisation n'est pas réglée. Cette question est pourtant essentielle. Car, pour qu'il y ait Gouvernement fédéral, il faut des Etats fédérés. Mais quelles sont les limites de ces derniers? Là-dessus, la réponse du savant est indécise. Tantôt, il penche pour le rétablissement des empires précoloniaux42, solution manifestement insatisfaisante pour plusieurs raisons qu'on ne saurait traiter dans le cadre limité de cet article, tantôt pour les limites coloniales, tantôt il estime la question sans objet43. Il croit trouver la parade à cette question dans le cadre de l'unité de l'Afrique. Ainsi, la souveraineté, pour lui dépend moins de la puissance économique que du sentiment d'appartenance à une même culture et à une parenté linguistique.
mesure dans les différents domaines de la création, de se faire respecter - voire aimer - de tuer toutes les formes de paternalisme... » (p.18). 40 Les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d'Afrique noire, éd. Présence africaine, 1960. 41V Nicolas Agbohou, Lefranc CFA et l'Euro contre l'Afrique, op. cita 42V. L'Afrique noire pré-coloniale, éd. Présence africaine, 1987. 43 V. Les fondements économiques... op. cit., p.40. Ce qui semble le plus important à ses yeux c'est la délimitation de l'Etat fédéral: un Etat fédéral « [...] des côtes libyques de la méditerranée au Cap, de l'Océan atlantique à l'Océan indien [...] » (V. la préface de Nations nègres et culture, éd. de 1954). 89
B. Le principe de l'unité La théorie de l'unité africaine traverse toute la pensée de Cheikh Anta Diop. Il ne s'agit pas seulement d'une unité circonstancielle et conjoncturelle qui trouverait sa justification dans la lutte pour la libération du peuple africain des liens de la colonisation et de la servilité. Mais elle est un principe de vie, puisqu'elle est une réalité historique, psychique et géographique, qui ne demande qu'à être complétée par une unité linguistique, par le choix d'une langue africaine « appropriée» qu'on érigerait au rang d'une langue modeme44, sans doute au même titre que les langues des nations occidentales. Car, pour Diop il ne peut y avoir unité nationale sans unité linguistique. Il va sans dire que cette unité linguistique tombe sous le sens, compte tenu de la parenté linguistique qui existe entre toutes les langues africaines et entre ces dernières et l'Egyptien ancien. Il ajoute un dernier élément, qui n'est pas des moindres: l'unité politique qui, d'après lui, se serait réalisée à la faveur des contradictions de l'impérialisme45. Diop voit dans l'unité politique la clé du fédéralisme africain46. Sans doute parce que sa réalisation ne peut être qu'un acte de volonté manifestée par l'élite politique africaine, et destinée à produire des effets juridiques, en l'occurrence l'abandon partiel ou total de la souveraineté au profit de l'Etat central africain. Mais cette analyse faite avant l'indépendance des Etats africains allait être démentie par les événements. Et c'est pour cette raison que le fédéralisme est davantage demeuré au stade de projet47 qu'autre chose. 44
V. Les fondements
économiques
et culturels.
. ., op. cit., p.17 et s.
45V. Nations nègres et culture, op. cit., p.538. 46Ibid. 47Point n'est besoin de rappeler ici que l'unité africaine dans le cadre du fédéralisme, qui était aussi la proposition de Kwamé Nkrumah à l'OUA (V. Maurice Glélé-Ahanhanzo, Introduction à l'organisation de l'unité africaine et aux organisations régionales africaines, LODJ, 1986, p.20 et s., n'a pas fait J'unanimité. 90
Qu'à cela ne tienne, on note ici que l'accouchement d'une unité politique, si elle veut s'inscrire dans la pérennité, doit être le résultat d'un accord de volontés. Le consensualisme est de rigueur ici. L'autonomie de la volonté, c'est un principe démocratique admis dans les Etats de droit, prévaut sur toutes les considérations objectives relevées plus haut (historiques, géographiques, linguistiques, culturelles etc.). La démarche que propose Diop est la même qui a guidé les grandes nations vers l'unité. L'exemple de la France, qui, à bien des égards s'apparente à un Etat fédéral48, est édifiant de ce point de vue. L'unité nationale de la France est bien plus ancienne que la révolution, mais la révolution a eu le mérite de la parachever, de la consacrer: « elle fait éclater les particularismes locaux ou régionaux, en brisant les vieux cadres historiques, les provinces [...] en leurs substituant des cadres neufs »49. La proclamation de l'unité et de l'indivisibilité de la République dans les différents textes fondamentaux qui se sont succédé depuis la Révolution concrétise le contrat social. Ainsi que l'écrit M. Roland Debbasch, « une fois posé l'axiome fondamental, le principe d'unité, les constituants s'efforcent de lui donner l'effectivité
48
V. Les analyses consacrées à la question de l'unité constitutionnelle de la France révèlent que, sauf à accorder l'indépendance politique aux territoires d'Outre-mer, on serait en présence d'un Etat fédéral. V. par exemple, Yves Brard, « Nouvelle-Calédonie et Polynésie française: les "lois du pays" (de la spécialité législative au partage du pouvoir législatif) », LPA, 6 juin 2001, n° 112, p.4 ; Jean-Yves Faberon et Guy Agniel (sous la direction de), La souveraineté partagée en NouvelleCalédonie et en droit comparé, Paris, La Documentation française, 2000 ; Olivier Gohin, « Les lois du pays: contribution au désordre normatif français », RDP, 2006, p.85. 49 René Remond, Introduction à I 'histoire de notre temps, T. 1, l'Ancien Régime et le Révolution (1750-1815), éd. du Seuil, 1974, p.191. Sur l'évolution de la France vers l'unité, on peut lire Roland Debbasch, op. cit., p.29 et s.
91
d'un principe constitutionnel en en déduisant toute une série de conséquences J.uridiques »50. En d'autres termes, l'unité ne peut être que la traduction juridique d'un choix politique. Le juge français de la loi a ainsi été amené à rendre sur une question touchant à l'unité et à l'indivisibilité de la République, une décision dont les motifs ne cessent de nous rappeler le caractère foncièrement politique de la forme de l'Etat. Il lui était demandé d'ériger au rang de principe constitutionnel la notion de peuple Corse, composante du peuple français51. Sa réponse fut négative. Son refus fut ainsi motivé: « considérant que la France est, ainsi que le proclame l'article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible [...],. que dès lors la mention faite par le législateur du "peuple corse, composante du peuple français" est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Il apparaît, à la lecture de cette décision, que le multiculturalisme qui est l'une des caractéristiques essentielles de la société française, n'implique pas juridiquement l'existence de peuples distincts. C'est la volonté politique qui règle le sort de toutes les communautés à l'intérieur d'un Etat. Ceci étant, dans un sens ou dans l'autre, cette décision n'est pas contraire aux thèses diopiennes. En dépit de la clarté de cette démonstration juridique qui donne de l'envergure, et une dimension nouvelle à la théorie diopienne de l'unité, le savant Sénégalais s'est vu opposer un argument bien curieux: l'unité culturelle ou sociologique ne suffit pas à justifier la création d'un Etat fédéral52. Mais si tel est le cas, 50 51
Op. cit., p.20. C.C.,
91-290
DC,
9 ma
1991,
statut
de la Corse,
Recueil
de
jurisprudence constitutionnelle, p.438. 52 Sur l'ensemble des arguments avancés par les Chefs d'Etats africains fondateurs de l'Organisation de l'Unité Africaine pour réfuter le principe 92
pourquoi donc l'avoir obligé à déployer autant d'arguments massifs en faveur de l'identité culturelle de tous les africains? Le plus curieux c'est que les arguments opposés sont utilisés pour parvenir à la même conclusion. Il nous semble que le propos de Diop consistait à établir que le projet unitaire serait facilité par l'unité culturelle et linguistique existante. Arrêtons-nous un instant sur le cas français. Deux auteurs, Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, Professeurs de droit, montrent, à propos de l'identité de la France qu'elle est, pour certains moins évidente, pour d'autres menacée53. Ils ajoutent que pour la plupart des pays aujourd'hui, «on pourrait dire qu'ils sont diversité »54.Cela n'a pas empêché la réalisation d'un Etat unitaire. A combien plus forte raison un Etat fédéral se fera-t-il si une unité culturelle minimum existe. Après tout, le sentiment d'appartenance à une nation, à une fédération est un état d'esprit, une idéologie55 ; comme disait Ernest Renan « le vouloir-vivre collectif ». Si, comme il a été soutenu, l'Etat offre « un cadre opérationnel à la nation »56, en facilitant son épanouissement, le fédéralisme africain devrait être entendu comme le facteur de l'unité, et non comme on le pense souvent à tort, sa conséquence. La doctrine actuelle du droit africain, dans sa majorité s'oriente dans cette direction. Ainsi, alors qu'on croyait la revendication unitaireS7 éteinte après les atermoiements et errements politiques, un auteur s'est du fédéralisme, on peut lire Axelle Kabou, Et si l'Afrique refusait le développement?, Ed. L'Harmattan, 1991, p. 196 et s. 53 Charles Debbasch et Jean-Marie Pontier, La société française, éd. Armand Colin, 2001, p.69. 54 Ibid., 55
p.70. V. Florence Galletti, Les transformations du droit public africain
francophone: entre étatisme et libéralisation, éd. Bruylant, Bruxelles, 2004, p.17!. 56Ibid. 57 Dans les années 1970, des juristes africains, comme M. BipoumWoum, voyaient dans l'unité africaine, «une nécessité historique, 93
récemment élevé pour montrer, avec pertinence, le caractère farfelu de la thèse de l'hétérogénéité de l'Afrique comme obstacle à l'unification politique, estimant qu' « admettre des orientations régionales communes en Afrique, c'est commencer à la percevoir comme entité »58. Il ajoute qu'ainsi, elle existerait dès lors «comme l'un des cadres d'impulsion en droit international». Cheikh Anta Diop ne disait pas autre chose. Par conséquent, les critiques adressées à Cheikh Anta Diop sur le prétendu caractère artificiel de l'Etat qu'il propose sont dépourvues de fondement. Non seulement, l'unité culturelle est une réalité incontestable, mais encore elle bénéficie d'un cadre juridique, ou, à défaut, de soutiens politiques officiels, ce qui corrobore bien la thèse de l'unité psychique. Le président Julius Nyéréré parlait d' « unité émotionnelle »59. L'échec de l'unité africaine a causé un traumatisme collectif dont les institutions portent encore la marque. Ce traumatisme s'est longtemps ex~rimé sous la forme d'une revendication identitaire idoine6 , avant que les institutions
intellectuelle et logique » (v. BI Bipoun Woum in Droit international africain, LGDJ, p.I8. 58V. Blaise Tchikaya, « La juridictionnalisation du règlement des conflits internationaux en Afrique », R.D.P., 2006, p.459. 59Julius Nyéréré, Socialisme, Démocratie et Unité africaine, éd. Présence africaine, 1970, p.67. 60 Toutes ou presque toutes les élites politiques et intellectuelles de l'Afrique s'évertuent à rappeler constamment la nature socialiste et communautaire de la société africaine. Ces caractéristiques, nous en convenons, constituent la manifestation la plus évidente de l'unité africaine. On a parlé à ce propos de sentiment d' africanité, de cause commune: V. par exemple, Amadou Hampaté Ba, « La notion de personne en Afrique noire », in La notion de personne en Afrique noire, éd. L'Harmattan, 1993, p.181 ; Julius Nyéréré, Socialisme, Démocratie et Unité africaine, éd. Présence africaine, 1970; L. S. Senghor, Pour une voie africaine du socialisme (Rapport sur la doctrine et le programme présenté au congrès constitutif du parti de la fédération africaine), in Afrique nouvelle, Dakar, 10 et 17 juillet 1959. 94
publiques entreprennent de 1' apaiser. Ainsi, en 1993, le Conseil constitutionnel Sénégalais a rendu une décision dans laquelle il a reconnu, comme un principe à valeur constitutionnelle, l'aspiration à l'unité africaine, dont la violation emporte la censure61. Cette décision paraît bien singulière, dans la mesure où, ailleurs en Afrique, les règles supranationales qui prescrivent l'unité africaine ont un caractère purement déclamatoire62, n'impliquant aucune obligation à la charge des Etats. A 1'heure actuelle, seulement quelques Etats ont inscrit l'unité africaine comme un objectif constitutionnel63. Le juge Sénégalais, conscient que la Charte de l'Organisation de l'Unité africaine, ne pouvait pas servir de norme de référence pour justifier un transfert de souveraineté au profit d'un organisme interétatique, a préféré qualifier l'unité africaine d'objectif à valeur constitutionnelle, « l'aspiration» ne pouvant revêtir que ce caractère. Or l'objectif à valeur constitutionnelle n'est pas un principe constitutionnel. Il a, comme l'écrit le professeur François Luchaire, un caractère permissif4, dans la mesure où il permet de limiter l'application de certains principes constitutionnels, sous le contrôle du juge constitutionnel. Il élargit donc la marge du législateur. Il est vrai qu'il y a un risque d'extension des dérogations aux normes constitutionnelles65. Mais le but que visait le juge, dans le cas qui nous intéresse était sans doute politique. Il ne fallait à aucun prix entraver l'unité africaine encore balbutiante, 61 Conseil Const., 16 décembre 1993, Aff. N° 31 ci 93, Penant, 1998, p.225, note Alioune SalI. 62 V. Pierre-François Gonidec, Relations internationales africaines, L.G.D.J., 1996, p.200. 63 V. Roland Adjovi, «L'union africaine: étude critique d'un projet ambitieux », R.J.P.I.C., 2001, n° 1, p.3. 64 F. Luchaire, «Brèves remarques sur une création du Conseil constitutionnel: l'objectif de valeur constitutionnelle », R.F.D.C., 2005, 675. 65 V. Dominique Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, éd. Montchrestien, 2006, p.113. 95
quitte à faire échec aux principes constitutionnels. Cette décision paraît donc avoir un caractère politique66. Elle soulève néanmoins, entre autres, la question de la réciprocité. Or, dans la plupart des Etats qui ne font pas encore de l'unité politique une obligation juridiquement sanctionnée, le problème est réglé par des moyens politiques67, au prix de sérieuses entorses aux règles (y compris procédurales) du droit68. L'unité africaine est donc, comme le dit Diop lui-même, une question de conscience historique. Elle doit être le seul moyen permettant à l'Afrique de renouer avec la plénitude de ses attributs de souveraineté qu'elle a perdus au cours des âges. En soi, cette démarche n'est pas originale. Ce qui l'est c'est le fait que l'Egypte noire devient un concept scientifique opératoire69, en sorte qu'en rétablissant la 66
Les motifs de la décision dujuge Sénégalaistrahissent naturellementle
(;~]oixpolitique auquel on a voulu donner l'impérium qui lui aurait fait défaut: «Considérant, en effet, que la réalisation de l'unité africaine impliquant nécessairement un abandon de souveraineté de la part des Etats qui y participent, le peuple sénégalais, par cette décision constitutionnelle, accepte d'accomplir un tel effort ». La Charte de l'OUA ne pouvait pas servir de norme de référence, en l'occurrence, pour justifier l'abandon de souveraineté. Dans le cas contraire, on comprend moins que le juge Sénégalais parle d'effort là où il serait question de faire valoir le droit, c'est-à-dire l'effectivité de la règle de droit. 67 A l'occasion de la ratification du Traité OHADA, sur l'harmonisation des règles du droit des affaires en Afrique, par les parties signataires, on sait que certains États, à l'instar du Gabon qui avait pourtant prévu un contrôle obligatoire de constitutionnalité dudit traité avant sa ratification, ne se sont pas embarrassés de cette formalité qu'ils ont purement et simplement enjambée: V. Jean-Jacques Raynal, « Intégration et souveraineté: le problème de la constitutionnalité du traité OHADA », Penant, 2000, p.5. Ici, on peut observer que la quête de l'unité africaine est inscrite dans la mémoire collective. 68V. par exemple Placide Moudoudou, « La Cour suprême, l'OHADA et la CEMAC : deux poids deux mesures? », Bulletin OHADA, n° 002, p.12-14. 69V. Civilisation ou barbarie..., op. cit., p.9. 96
continuité de son passé historique, c'est-à-dire en démontrant son ascendance égyptienne, le noir africain devient 1'héritier d'une civilisation plusieurs fois millénaire dont il peut utiliser la richesse dans tous les domaines du savoir. Mis à profit dans le domaine de la philosophie, ce paradigme a fait voler en éclat la thèse ancienne et communément partagée de l'origine exclusivement grecque de la philosophie7o. Il devient dès lors enrichissant de s'interroger sur le bénéfice que peut tirer le droit africain de la fréquentation de la pensée de Diop. C'est la problématique de ses implications dans le champ de la théorie du droit. II. Les implications du diopisme sur la théorie du droit africain Nous avons vu que les théoriciens tiennent pour anhistorique le droit africain. Non point que l'Afrique n'ait pas produit de normes juridiques, mais l'accord quasi unanime semble se faire sur l'impossibilité de tirer, des règles traditionnelles, des concepts opératoires, dans le droit moderne. Or, l'étude de la pensée de Diop, telle que nous l'avons exposée, entraîne un renversement de perspectives. Désormais, la question se pose de savoir si, à partir du moment où le raccordement avec l'Egypte antique a été établi au moyen de la parenté culturelle et socio-linguistique, on peut trouver une continuité juridique qui permettrait de ruiner les apories véhiculées depuis l'aube de la captivité. La -réponse à cette question est affirmative (A). Bien plus, il apparaît qu'aux sources de l'universalisme se trouve le droit africain (B).
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V. Grégoire Biyogo, Les origines égyptiennes de la philosophie, éd.
Menaibuc, 2000; Théophile OBenga, L'Egypte, la Grèce et l'école d'Alexandrie. Histoire interculturelle dans l'antiquité: aux sources égyptienne de la philosophie, éd. L'Harmattan, 2005. 97
A. La continuité juridique depuis l'Egypte Le droit et la science juridique se nourrissent de la tradition, des usages et de la coutume d'un peuple. On n'imagine pas un système juridique faisant abstraction de son héritage historique7!. En dépit de l'œuvre destructrice de la colonisation le droit africain ne fait pas exception à cette règle. Nous ne reviendrons pas ici sur l'unité de ce droit qui a déjà été relevée72. La particularité de notre contribution est d'essayer de montrer, en se référant à l'œuvre de Cheikh Anta Diop, le lien, à travers le droit, entre l'Egypte antique et l'Afrique noire. Car, les auteurs refusent de faire remonter le droit précolonial à l'Egypte, sans doute parce qu'ils jugent cette démarche sans intérêt. Mais il faudra aussi saisir les éléments du particularisme de ce droit par rapport aux aires juridiques non africaines. De façon tout a fait arbitraire, et parce que la question est d'actualité, nous nous intéresserons au droit des droits de I'homme, qui révèle une continuité philosophique depuis l'Egypte, différente de la philosophie occidentale des droits de l'homme. Mais le faisceau d'indice aurait pu être élargi à l'infini.
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Le droit en Europe, et principalementen France, qui est le seul exemple
que nous connaissions le mieux, n'est pas allé sans ses traditions, ses usages, ses mœurs. Il existe à ce sujet une littérature abondante, nous nous bornerons à mentionner quelques ouvrages de référence: François Geny, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tomes 1 et 2, 1904; Perreau, Technique de la jurisprudence en droit privé, Paris, 1923; Carvois de Satemault, « Le rapprochement des législations canonique et civile en matière de mariage », R. T.D. Civ., 1921, p.75 ; Marcel Planiol et Georges Ripert, Traité pratique de droit civil français, tome 2, La famille; Eismein, « La coutume doit-elle être reconnue comme source du droit civil français? », Bull. de la société d'études législatives, 1905, p.533-544. 72V. par exemple Kéba Mbaye, « Sources et évolution du droit africain », in Mélanges P. F. Gonidec, L.G.D.J., 1985, p.339; Pierre François Gonidec, « Constitutionnalismes africains », RJPIC, n° 1, janv-avril 1996, P 42. 98
Il est établi de façon formelle que ce système de normes «baigne dans une philosophie différente de celle qui a inspiré la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen» 73. Selon le juge Kéba Mbaye, les droits de I'homme en Afrique procèdent d'une conception sui generis. L'allusion est ici faite au caractère sacré de ce droit. TI va sans dire que le droit en Afrique précoloniale était inséparable de son essence divine; il était sacré. D'où l'obéissance inconditionnelle aux ancêtres. «En Afrique, écrit le juge Kéba Mbaye, l'individu se soumet volontiers à la prédominance de l'archétype du totem, de l'ancêtre commun ou du génie protecteur »74.Ces droits « empruntent la forme du rite auquel il faut obéir, parce qu'il commande comme à un impératif catégorique au sens kantien du terme »75. Ce droit, nous dit encore Kéba Mbaye, était socialiste et humaniste76. Ces deux caractéristiques fondamentales, commandaient la pratique de la justice, de l'équité et de la s,olidarité sous peine. de sanctions divines. L'historien Joseph Ki-Zerbo met l'accent sur le caractère obligatoire de ce dernier trait dont l'inobservation est ressentie comme un mal de nature à rompre l'équilibre social, mais aussi l'équilibre cosmique77. La philosophie des droits de l'homme proclamée par les Révolutionnaires est individualiste et laïque. Elle s'opposerait donc fondamentalement à celle que véhicule le droit africain78. 73
Kéba Mbaye, «L'Afrique et les droits de I'homme », R.J.P.I. C., 1994, p.l. 74 Ibid. 75
Kéba Mbaye, «Le monde noir et les droits de l'homme », Revue
internationale des droits de I 'homme, 1970, p.690. 76V. «L'Afrique et les droits de l'homme », op. cit. 77Joseph Ki-Zerbo, A quand l'Afrique? Entretien avec René Holenstein, éd. de L'aube, 2003, p.113 et 114. 7~V. Pierre François Gonidec, «Constitutionnalismes africains », RJPIC, nOl, janv-avriI1996, p 42 ; Jean Poirier, «L'avenir des droits de l'homme unité juridique et pluralité culturelle », R.J.P.I.C., 2001, p.3. V. aussi Michel Alliot, Le droit et le service public au miroir de l'anthropologie, Textes choisis et édités par Camille Kuyu, éd. Karthala, 2003, p.265. 99
Or, la parenté juridique va de soi, dans la mesure où il n'est pas contesté que le droit Égyptien tout entier était fondé sur la morale. Il est évident que cette morale est celle qu'incarne et véhicule la Maat, considérée comme un corpus de règles morales et juridiques79. Les valeurs enseignées par la Maat sont celles de vérité, d'équité, de solidarité et de justice. La quête de l'équité par exemple, est un principe de vie, parce qu'elle implique l'accomplissement de la volonté divine. La morale était le droit; et le droit devait être appliqué au risque de s'exposer aux sanctions divines8o. L'observation du droit africain montre bien que c'est la Maat égyptienne que l'Afrique pré coloniale a conservée presque intacte au travers de ses pérégrinations séculaires. Elle n'a pas pu s'évanouir dans les méandres de 1'histoire humaine sans laisser de traces. Ainsi que le prouvent les études les plus récentes, la juxtaposition des règles des droits égyptien et noir africain révèle « l'unité de l'histoire du droit et des institutions de l'Afrique noire» 81. Certaines de ces règles, comme celle de la solidarité, ont survécu à la colonisation82. 79 La maat peut être considérée aussi comme l'ancêtre des systèmes modernes de protection des droits de l'Homme. Elle constitue un ensemble de règles juridiques qui sont directement issues de la morale. Dans la Maat la concordance entre la morale et le droit est absolue. Étant ordre, vérité, justice, félicité suprême, la Maat «invite I'homme en société à faire et à dire, à penser et à agir, à vivre et à mourir, selon le vrai, le normal, le juste milieu, bref selon la vertu, avec tout ce que ce mot implique, dans la mentalité négro-égyptienne, d'hiératique, de traditionnel et de transcendant, d'impératif absolu» : Théophile Obenga, La philosophie africaine de la période pharaonique: 2780-330 avant notre ère, éd. L'Harmattan, 1996, p.51O. 80V. par exemple Théophile OBenga, La philosophie africaine..., op. cit., p.179 ; François Daumas, La civilisation de l'Egypte pharaonique, éd. Arthaud, 1987, p.167. 81 V. par exemple Maurice Wanyou, « Quelques aspects de la survivance des institutions de l'Egypte ancienne en Afrique noire », Revue juridique et politique des Etatsfrancophones, na 2, Avril-juin 2005, p.229. 82 Sur les différentes conventions renfermant des dispositions culturelles, V. par ex. Pierre-François Gonidec, L'OUA trente ans après, éd. Karthala.
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Ce sont elles que les conventions interafricaines, ont adoptées en faisant abstraction du référent. Comme pour donner raison à ceux qui soutiennent qu'on « ne sait [...] pas d'où viennent ces systèmes juridiques» 83 ! Ce faisant, faute d'en saisir la charge vitale, les décideurs africains les ont souvent troquées contre des règles importées, qui ont pour résultat la récusation de l'unité historique et culturelle. Ce qui prouve bien que la continuité historique n'a pas été saisie dans son essence. La dimension ontologique des principes juridiques est évacuée. Le droit africain s'en est trouvé doublement affaibli, par le processus colonial de sa laïcisation et par la perte de l'autorité de l'Etat, qui n'a pas les moyens de résister à l'impérialisme juridique. Cet impérialisme marque de son sceau les canaux d'importation des règles étrangères. Le droit d'entrée et du séjour des étrangers par exemple reflète bien plus l'individualisme occidental que l'hospitalité africaine inscrite dans la Charte africaine des droits de I'homme et des peuples84. Or, la Charte africaine est conforme à la tradition hospitalière dont l'Egypte antique et l'Afrique précoloniale ont donné l'image85. Mais c'est paradoxalement, outre-mer que le Conseil d'Etat français s'est réapproprié le principe africain de la solidarité, en élaborant un véritable droit de
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Etienne Le Roy, « L'adieu au droit coutumier», in L'immigrationface
aux lois de la République, sous la direction de Edwige Rude-Antoine, éd. Karthala, 1992, p.20. 84 V. Léandre Serge Moyen, «Les nouvelles conventions francoafricaines relatives à la circulation des personnes: évolution ou statu quo? », Penant, 2004, p.50 1. 85V. Pour l'Egypte, François Daumas, op. cit., p.159 et s. ; Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture... op. cit., p.49. Pour l'Afrique précoloniale : T. Olawale Elias, La nature du droit coutumier africain, éd. Présence afticaine, 1961, p.124; Cheikh Anta Diop, L'Afrique noire précoloniale, op. cit., p.89 et 128 ; Joseph Ki-Zerbo, A quand l'Afrique? Entretien avec René Holenstein, éd. de L'aube, 2003, p. 113. L'article 12 de la charte africaine des droits de 1'homme et des peuples autorise toute personne à circuler librement et à choisir sa résidence à l'intérieur d'un État.
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l'hospitalité86. L'élévation de la solidarité sociale au rang d'un principe normati:r7, fait même douter que l'Afrique ait jamais eu le monopole de la solidarité88 Il s'ensuit que l'unité de l'Afrique ne peut pas faire l'économie d'une unification des règles juridiques. Celle-ci ne se fera qu'en prenant en compte le legs, c'est-à-dire en déterminant la part de l'Afrique dans le passé le plus lointain. Le droit savant de l'Etat a emprunté au droit colonial, ou tout au moins au droit de l'ancien maître les techniques modernes, qui sont apparues avec la complexification des rapports sociaux89. Et il ne saurait être question d'y renoncer, pour 86 L'affaire concernait une ressortissante algérienne malvoyante et âgée de soixante quinze ans qui avait rejoint ses enfants résidant régulièrement en France et ses petits enfants et arrières petits-enfants de nationalité française. Les juges du fond lui ont obstinément refusé la carte de séjour mention « vie privée et familiale », en excipant du fait que, dans son cas, il n'y avait pas une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale. Le Conseil d'État avait censuré la décision des premiers juges pour erreur manifeste d'appréciation, et avait enjoint à l'autorité préfectorale de délivrer à l'intéressée le titre de séjour sollicité (C.E., 20 novembre 2002, Zaddam, Req., n° 228835). Cette décision qui n'est pas la première illustre de quelle manière la Haute juridiction administrative est très attachée aux règles de I'hospitalité et de la solidarité, en prenant parfois des libertés avec la loi qu'elle interprète de façon fort libérale et audacieuse. 87Jean-Marie Pontier, Les calamités publiques, éd. Berger-Levrault, 1980 ; Jean-Marie Pontier, « Sida, de la responsabilité à la garantie sociale (à propos de la loi du 31 décembre 1991) », R.F.D.A., 1992, p.533 ; Yvonne Lambert-Faivre, « L'évolution de la responsabilité civile d'une dette de responsabilité à une créance d'indemnisation », R. T.D.Civ, 1987, p.1 ; Thierry Serge Renoux, L'indemnisation publique des victimes d'attentats, Economica, P.U.A.M., 1988. Sur l'évolution de la solidarité en France, on peut se référer à la très intéressante thèse du Professeur Michel Borgetto, La notion de fraternité en droit public français: le passé, le présent et l'avenir de la solidarité, éd. L.G.DJ., 2003. 88 Denis Dambre, « L'Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité? », http//www.Lefaso.net. 89 On peut citer quelques techniques et théories très savantes mises en œuvre par le juge administratif français et le Conseil constitutionnel, qui ont été imités par les juridictions africaines: ainsi de la théorie de l'acte 102
revêtir le manteau juridique de l'Afrique antique. En revanche, la plupart des règles qui constituent le droit objectif des Etats et même les droits subjectifs, que l'opinion tient pour extraverties, faisaient bien partie de l'univers juridique africain avant d'être balayées par les invasions successives. Il apparaît que le régime politique pharaonique se présente aux yeux de 1'historien du droit comme le gisement le plus ancien dans lequel I'humanité a puisé les éléments de ses montages normatifs9o. Il est certain, de ce point de vue, que l'Afrique se trouve aux sources de l'universalisme.
B. L'Afrique noire aux sources de l'universalisme Le choix de cet intitulé peut paraître remettre en cause bien des certitudes. Car la confrontation entre la Torah révélée à Moïse, par le Dieu créateur, témoin fidèle de la splendeur et de la décadence de l'Egypte, et les pratiques culturelles et juridiques africaines codifiées ou non dans la Maat est inévitable. La tendance consiste souvent à mettre en avant l'antériorité d'une civilisation sur les autres; d'un référent normatif sur les autres. Nous voulons nous borner à confirmer l'idée d'un universalisme parcicipatif, c'està-dire en tant que rencontre des valeurs, en montrant seulement les points de croisement entre deux civilisations et
détachable qui a reçu maintes applications; la personnalité morale; la théorie du changement dans les circonstances de droit et de fait etc. On peut aussi mentionner la technique de la conformité sous réserve, le contrôle de proportionnalité, la technique de l'erreur manifeste d'appréciation, la théorie du bilan coûts-avantages etc. L'Afrique traditionnelle a sans aucun doute pratiqué ces techniques à un niveau peu développé. Car, il est impossible qu'elles soient absentes dans un univers juridique qui, comme celui de cette Afrique, pratique l'équité et la conciliation. 90 V. Bernadette Menu, Égypte pharaonique: nouvelles recherches sur I 'histoire juridique, économique et sociale de l'ancienne Égypte, éd. L'Harmattan, 2004, p.85. 103
deux cultures qui ont eu, pendant un laps de temps assez court (évalué à l'échelle de 1'univers), une communauté de destins dont nous sommes aujourd'hui redevables. Il s'ensuit que les similitudes entre les modes de vie, les rites, les coutumes pratiqués encore aujourd'hui en Afrique et ceux qui sont décrits dans les Saintes Ecritures sont si frappantes qu'il est permis d'accréditer sans aucun doute possible la thèse de l'ascendance égyptienne de l'Afrique91 et probablement l'ascendance africaine de l'Egypte: La libation92, la circoncision93 ; l' ordalie94 etc. sont des pratiques que ces deux cultures avaient en partage pendant des siècles. Plusieurs de ces pratiques ont acquis force de loi. Les deux sources de droit, - on l'a dit pour l'Egypte et pour l'Afrique précoloniale - se considèrent comme d'essence divine. Le droit de la famille est celui où se sont, dès l'origine, manifestées les ressemblances culturelles. Aussi curieux que cela puisse paraître, le régime matrimonial en Egypte pharaonique était la monogamie95, alors que celle-ci est aujourd'hui considérée comme l'exclusivité de la civilisation occidentale96. Il est aussi écrit dans le livre de la genèse que « 1'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair »97. La parole manifestée en Jésus-Christ a confirmé, longtemps après, la volonté céleste98. Elle précise que « les deux deviendront une seule chair »99. Ces passages bibliques 91
V. aussi Cheikh Anta Diop, Unitéculturelle... op. cit.
92 Prescrite à Moïse par Dieu, au mont Sinaï (Livre des Nombres, Chap. 15 v 4 à 7), et dont on trouve des exemples bien avant Moïse (Genèse Chap. 35 v 14). 93Genèse Chap. 17 v 9 à 14. 94Nombres Chap. 5 v Il à 28. 95Adolf Erman et Hermann Ranke, La civilisation égyptienne, Traduit de l'allemand par Charles Mathien, 1988, p.204 et s. 96 V. par exemple Jean Carbonnier, Droit civil, Tome 2, La famille, l'enfant, le couple, PUF, 2002, p.443 et s. 97genèse, Chap.2, verset 24. 98 V. Matthieu 19v 5. Mais aussi après Jésus: Première Épître aux Corinthiens 6v 16; Éphésiens 5 v 31. 104
excluent expressément la polygamie du plan de Dieu. On trouve aussi, dans les deux systèmes de normes, l'interdiction divine des pratiques homosexuellesloo, de l'inceste 101, etc. Sur le plan des droits de I'homme, la Bible a institué plusieurs normes de protection des droits individuels dont l'une des plus remarquables qui est sans doute l'ancêtre de la notion de droits de la défense, est la notion de "villes de refuge", villes où pouvait s'enfuir le meurtrier qui avait tué quelqu'un involontairement, afin qu'il ne fût pas mis à mort avant d'avoir comparu devant l'assemblée pour être jugél02. Cheikh Anta Diop révèle l'existence en Afrique précoloniale de villes de refuge dont le rôle ne se limite pas seulement à accueillir les meurtriers, mais aussi les ~~atrides ; à fournir l'hospitalité et à l'indigent et à l'étrangerlO . L'essentiel de la philosophie humaniste biblique se retrouve donc dans la coutume africaine, ou tout au moins dans l'âme africaine. Dès lors, la revendication de particularismes juridiques ou normatifs au nom d'un héritage moral ou religieuxI04 ne rend pas compte de l'universalisme initial dans lequel toute la morale humaine baigne, surtout si cet héritage est rogné par des lois modernes qui se trouvent en procès avec le référentlo5. Or, ce sont ces lois rebelles qui risquent à terme de supplanter la coutume africaine sous prétexte de s'aligner sur l'universalisme, parce que le droit coutumier serait dépourvu de référent et de consistance. Ce qui serait fort regrettable, dans la mesure où, ce droit coutumier à donné à l'Afrique des lois généreuses qu'elle 99
Marc 10v 7 et 8.
100Lévitique, 18 v 22 ; Lévitique 20 v 13. 101Lévitique, 20 v. 12, 17, v 20 102V. Nombres 35 v 9 à 15 ; Deutéronome 19 v 1 à 13 ; Josué 20. 103V. L'Afrique noire précoloniale, op. cit., p.96 et s. 104V. par exemple, L 'héritage religieux du droit en Europe, Actes du Congrès européen de l'Union Internationale des Juristes Catholiques, Monaco, 20-23 novembre 2003, éd. Pierre Téqui, Paris, 2004. lOS Il suffit de se référer aux lois qui consacrent ou qui entérinent l'homosexualité, admettent le divorce, l'avortement, le concubinage etc. 105
peut mettre à l'actif de sa spécificité et de son unité, et qui par un juste retour des choses, s'intègrent parfaitement dans les référents judéo-chrétien et égyptien, qui est la maatl06. Il est d'ailleurs curieux que la question de l'essence des normes préoccupe si peu les juristes africains, alors qu'en Occident elle est au cœur de toutes les initiatives parlementaires relatives à la confection des lois. Qu'il s'agisse de la réglementation du séjour des étrangers - notamment quand il a été question de confisquer aux polygames le droit de mener une vie familiale normale dans le cadre du regroupement familialI 07-; qu'il s'agisse, en France, des textes réglementant les méthodes contraceptives et abortives, les valeurs fondamentales de la société sont systématiquement rappelées. Des juridictions comme le Conseil d'Etat français ont acquis l'image de gardien de l'ordre morall08. On peut certes douter qu'en régime de séparation des pouvoirs une juridiction, quel que soit son degré d'autonomie, puisse rester longtemps fidèle aux traditions lorsque la société, dans son ensemble, s'en sépare. S'il l'a été c'est d'abord et avant tout parce que les lois dont il sanctionne les violations sont restées conformes à l'ordre moral établi, ce qui est d'abord à l'honneur du législateur, qui en démocratie, incarne seul la volonté générale. Dans ces conditions, nous ne voyons pas en quoi 106
Les codes de la famille des pays africains,énoncentun certain nombre
de principes qui vont tous dans le sens d'une protection de la famille au sens large, sans discrimination tenant à l'origine des personnes. Ainsi, le Code congolais de la famille prévoit à son article 262 qu'au regard de la loi, les enfants issus du mariage ont les mêmes droits et obligations que ceux qui sont nés hors mariage. Ce Code rend hommage à l'humanisme de la séculaire coutume. V. aussi Dieudonné Nkounkou, « L'apparence dans le droit de la filiation hors mariage (article 264 du Code de la famille congolais) », Revue congolaise de droit, janv-juin 1989, p.lO. 107A l'occasion des débats parlementaires, les députés ont souvent justifié leurs choix par les traditions et mœurs judéo-chrétiennes: V. par exemple Ass. Nat, 2e séance du 12 décembre 1997,J.O., Débats, n° 92,7477 et s. 108V. Marguerite Canedo, «Le Conseil d'Etat gardien de la moralité publique? », R.F.D.A., 2000, p.1282. 106
Cheikh Anta Diop serait un auteur passéiste dont la contribution n'aurait d'utilité que pour l'historien du droit. Bien au contraire, le chemin frayé par Diop permettra de réconcilier la société africaine avec son droit, dans l'optique de la construction d'un système juridique endogène.
Conclusion Tout au long de l'exposé, nous avons eu le souci d'être l'interprète du savant Sénégalais. Toute œuvre scientifique comportant une dimension politique, comme c'est le cas, doit pouvoir être traduite juridiquement, ce qui est la condition essentielle de sa réception sociale. La recherche de la continuité historique à laquelle Cheikh Anta Diop conviait les intellectuels africains a été formulée, dans le champ de la recherche juridique, comme une impérieuse nécessité. Non pour satisfaire une curiosité malsaine consistant en une béate contemplation d'un passé figé, mais, comme l'écrivait le Professeur Gérard Conac au début des années 1980, «pour apporter une contribution utile à la connaissance des anciennes sociétés africaines» 109.Il ajoutait, dans le même passage, que le juriste doit aussi s'attacher à cette démarche pour ses propres préoccupations. Nul doute que l'auteur nourrissait de voir s'évanouir dans l'imaginaire collectif, imbu des modèles dominants, les spéculations qui ont donné une image déformée du droit traditionnel. Mais cette démarche semble compromise, parce que l'esprit des juristes (autant que le droit qu'ils théorisent) baigne dans le relativisme. Ce relativisme est incarné par des auteurs comme Léon Duguit, qui ne voyait dans le droit que le produit constant et spontané des faits, lesquels s'opposent aux traditions. Car, pour lui le droit est dialectiquell0. La 109 Gérard Conac, Dynamiques et finalités des droits africains, éd. Economica, 1980. V. la partie introductive. 110Léon Duguit, Les transformations générales du droit privé depuis le 107
tendance actuelle consiste à opposer le progrès social à la tradition III . Ce relativisme, dont l'autre nom est le pragmatismeII2, proclame, au nom de la liberté de penser, de dire et de faire, le renversement de toutes les valeurs que la société tient pour vraies, pour essentielles sinon sacrées 113. Cette modernité à laquelle le droit fait parfois des concessions discutablesII4, se généralise et s'universalise au mépris de la tradition, de la coutume, des usages. Le droit africain est forcément pris dans ce tourbillon. Il va devoir pourtant apporter, aux questions de notre époque (par exemple bioéthiqueII5, avortement, famille, homoparentalité, Code Napoléon, éd. Librairie Félix Alcan, Paris, 1920, p.3 et s. III V. Pierre Le Coz, Quelle philosophie de la famille pour la médecine de la reproduction? éd. L'Harmattan, 2006, p.16 et s. 112Richard Rorty, Objectivisme, relativisme et vérité, Paris, PUF, 1994, p.230 et s. Pour une critique du pragmatisme américain, V. Paul Valadier, L'anarchie des valeurs: le relativisme est-il fatal?, éd. Albin Michel, Paris, 1997, p.180 et s. 113V. Paul Valadier, op. cit., p.18 et s. 114
V. Gabriel Roujou de Boubée et Bertrand de Lamy, «Contribution
supplémentaire à l'étude de la protection pénale du fœtus (à propos de l'arrêt de la chambre criminelle du 30 juin 1999) », D., 2000, p.181. La réflexion des deux auteurs concernait la décision très médiatisée de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Un médecin ayant provoqué accidentellement l'expulsion d'un fœtus âgé de vingt à vingt quatre semaines, fut condamné pour homicide involontaire par la Cour d'appel de Lyon (V. C.A Lyon, 13 mars 1997, JCP, 1997, II, n° 22955, note G. Faure; D, 1997, Jurisprudence, p.557, note Serverin) sur le fondement de l'article 221-6 du nouveau Code pénal, lequel punit le fait de causer involontairement la mort. La chambre criminelle s'était appuyée sur le critère de viabilité, en avançant la notion de personne humaine pour rejeter l'incrimination de l'atteinte à la vie. Mais la notion de personne humaine qui est d'un usage civiliste n'est pas suffisamment convaincante pour rendre compte de l'intention du législateur, qui visait la protection de la vie. Il est par conséquent critiquable de prétendre que le fœtus n'est pas un être vivant. 115Il est remarquable de constater que le droit positif et la doctrine du droit sur le continent africain sont en retard sur le débat qui s'est déjà engagé dans le domaine médical entre les relativistes et les universalistes. Sur l'ensemble de la question, V. Mylène Botbol-Baum, «Débat sur les 108
transsexualisme...), des solutions propres qui ne seraient pas de nature à compromettre ni la cohésion sociale ni l'unité à laquelle aspire l'Afrique. Si le droit politique (régimes politiques, institutions publiques) fait appel à des solutions universellement admises, il en va différemment en matière des droits individuels, et d'une manière générale, des droits subjectifs. Ici, les solutions sont souvent éthiques, dans la mesure où elles se rattachent nécessairement à la philosophie que véhicule la culture d'une société ou d'un peuple. La question soulevée récemment dans le domaine de la bioéthique résume parfaitement notre problématique: «comment établir une transculturalité assurant une dimension plus respectueuse des conditions contextuelles, au lieu de l'universalisme de l'accès aux soins issus du discours des droits de I'homme adopté par la bioéthique occidentale? »116.Et fort curieusement, c'est à l'épreuve de l'universalisme que l'unité prétendue ou réelle du droit africain va s'affirmer. On ne saurait méconnaître l'apport de l'anthropologie, qui, en mettant en lumière la personnalité profonde de l'âme noire, à travers des rites séculaires (l'usage du corps en fait partie), de sa relation au sacré et à autrui, de sa place dans l'univers et des rapports qu'elle entretient avec son environnement (ainsi de l'origine du droit de l'environnement dans l' antiquité africaine) etc., offre aux juristes africains une perception différente des questions actuelles intéressant le droit et des solutions originales qui n'ont que très peu à voir avec des recettes importées qui ne s'accordent pas toujours avec les réalités. Le mérite de l'égyptologie et de Cheikh Anta Diop est d'avoir révélé l'essence particulière d'une
limites de la régulation de la recherche dans les pays du sud », in Mylène Botbol-Baum (Sous la direction de), Bioéthique dans les pays du .fud: Récits de médecins africains, éd. L'Harmattan, 2006, p.9 et s. 116Mylène Botbol-Baum, « La justice dans un contexte transculturel », in Mylène Botbol-Baum (sous la direction de), op. cit., p.21. L'auteur penche pour des solutions normatives proprement africaines. 109
culture, d'une philosophie et d'avoir établi son unité historique. La Charte Africaine des droits de l 'Homme et des Peuples, peut-être, lui saura-t-elle gré d'avoir réconcilié ,son. ,. e' tan t avec son etre J 17 , sa verlta bl e essence. L ' œuvre etalt ambitieuse; elle est loin d'avoir livré tous ses secrets. Aux juristes, aux praticiens et aux politiques d'en extraire toutes les virtualités possibles. A
117Nous entendons par là que la Charte africaine n'avait pas, et ne nous donne pas l'impression d'avoir une claire conscience des traditions qu'elle exalte. Tout au plus en avait-elle une conscience confuse, au sens où l'entendait Hegel (Hegel, La raison dans l 'histoire, éd. 10 18, 1979, p. 25). Il a fallu donc un travail de mémoire qui serait l'équivalent, par exemple, pour la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, de toutes les contributions des auteurs du siècle des Lumières concernant les droits naturels attachés à la personne humaine, comme la liberté, l'égalité, la résistance à l'oppression et à la tyrannie etc. La contribution de Cheikh Anta Diop, si elle n'a pas alimenté les travaux préparatoires de la Charte, pourra être utilement mise à profit par les tribunaux appelés à donner un contenu aux vagues principes qui y sont dégagés. Une chose est sûre: la lecture de ces principes sera forcément contextuelle.
110
III. DROIT PUBLIC Relire le Droit International économique à la lumière de la problématique diopienne du développement de l'Afrique: De l'ordre colonial à la souveraineté d'un Etat fédéral Bienvenu Romuald GOBERT Docteur en Droit International, chercheur à l'Institut Cheikh Anta Diop (ICAD) de Paris. Introduction Aborder l'étude de la pensée de Cheikh Anta Diop sous le prisme économique et juridique peut paraître insolite, voire provocateur dans le sens où on ne connaît davantage le penseur et le savant que sous l'angle scientifique. En réalité, ses préoccupations sur la situation de l'Afrique sont allées au-delà de son domaine de prédilection initial. De ce fait, il ne pouvait se désintéresser ni des problèmes cruciaux de développement ni même ceux du continent noirl et de son devenir. C'est dans le contexte historique de la domination ~9loniale que l'essentiel de sa pensée a vu le jour, avec les problèmes spécifiques qui l'ont mise en mouvement2. Sans conteste, Diop a été influencé par les mouvements panafricanistes de source négro-américaine et négro-africaine anglophone.3 Est-ce pour autant que l'on puisse ou que l'on 1
J.-M. Ela, Cheikh Anta Diop ou l'honneur de penser, éd. L'Harmattan,
coll. Classiques pour demain, 1989, p 135. Lire aussi M'baké Diop, Cheikh Anta Diop, l'homme et l'œuvre, éd. Présence Africaine, Paris, 2003, p 110. 2 J.-M. Ela, op. cit., p 132. 3 Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop et l'Afrique dans l'histoire du monde, éd. L'Harmattan/Sankoré, Paris-Dakar, 1999, pp. 28-30.
doive la considérer comme une pensée militante ou datée? Ne doit-on pas au contraire la reconsidérer sous un nouvel éclairage? Pourquoi finalement une relecture du projet diopien du développement de l'Afrique est-elle impérieuse? A priori, on pourrait être tenté de penser que c'est toute la problématique du savant sur la question qui est à remettre en cause ou à réfuter du fait des avancées actuelles sur la question. Il s'agit bien au contraire, en ce qui nous concerne, de réévaluer l'apport ou du moins la pensée du savant après plusieurs décennies des indépendances africaines, de la revisiter, de jauger sa pertinence dans le contexte de la mondialisation libérale, de la bonne gouvemance économique et politique, du développement durable, du problème endémique de la dette et ses conséquences et de la géopolitique du continent4. C'est une tâche qui nous incombe, au moment où le destin de l'Afrique est à la croisée des chemins, et que des questions se posent de façon récurrente sur les voies de développement
4
B. Boumakani, « La bonne gouvernance et l'État en Afrique» in RJPIC, janv/avril, 2002, pp 21-45; Dominique Carreau, Droit international économique, 7e éd., Pédone, Paris, 2005, 688p; Robert Charvin, Relations internationales, droit et mondialisation: un monde à sens unique, éd. L'Harmattan, Paris, 2000 344 p; Lire aussi: Constantini, « L'Afrique, ajustement et conditionnalité » in L'Ordre mondial relâché: sens et puissance après la guerre froide, sous la direction de Zaki Laïdi, Presses de la refondation nationale en sciences politiques, 1993, pp 233263 ; James D. Thwaites (sous la direction), La mondialisation: origines, développement et effets, Les presses universitaires de Laval/ l'Harmattan, 2000, 874p; Makhtar Diouf, L'Afrique dans la mondialisation, éd. L'Harmattan, colI. "Forum du Tiers-Monde", Paris, 2002, 244 p; Mahman Tidjani Alou, « Globalisation: l'État africain en question» in Afrique contemporaine, 3e trim. 2001, pp 11-23; Maurice Flory, « Mondialisation et droit international du développement», revue générale du droit international public, 1997, pp 610-633 ; Patricia Rosiak, Les transformations du droit international économique: les États et la société civile face à la mondialisation économique, éd. L'Harmattan, Coll. "Logiques juridiques", Paris, 2003, 330 p. 112
efficaces et viables à mettre en œuvres pour sortir de cette ornière. Diop avait perçu ce problème et attiré l'attention des élites et des dirigeants sur le drame des peuples africains, dû essentiellement à l'impuissance des équipes au pouvoir, à leur incapacité6, à leur allégeance à l'ancien colonisateur, et finalement, au risque de creuser un fossé énorme entre les populations et eux. Le colloque de Dakar de 1982 sur « la problématique de l'Etat en Afrique Noire », dans son rapport final, reconnaissait en effet, que « L'Etat néo-colonial se trouve géré contre les intérêts des travailleurs et des peuples. Il n'est pas exagéré de le qualifier comme monocratie, comme Etat patrimonial ou pouvoir personnel ». Les situations de désordre qu'on note aujourd'hui, ponctuées par des guerres civiles, des coups d'Etat qui resurgissent de façon troublante, le divorce entre le pouvoir et les populations etc. devraient davantage nous inciter à repenser le modèle de structure politique plus apte à favoriser le développement économique, à créer des conditions d'une véritable démocratie et d'une stabilité sans faille. On assiste malheureusement à la paupérisation, la prolétarisation croissantes des populations et à l'émergence d'une bourgeoisie locale qui investit l'appareil d'Etat et l'administration à titre exclusif. Ayant pris la mesure de la situation,
- car
l'enjeu en est
grand -, Diop met en exergue une stratégie de développement dont la nitescence, la lisibilité et l'universalité sont indéniables. C'est à juste titre qu'il l'intitule, les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d'Afrique Noire. Il s'agit d'un vrai programme politique et économique à la disposition de l'intelligentsia africaine et des gouvernants. 5
Christian Ndombi, « Quelles voies de développement pour l'Afrique? » in RJPIC, 1998, pp 33-38. 6 Cheikh Anta Diop, Les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d'Afrique Noire, Présence Africaine, Paris, 1960, 1974, 2005, 124 p. 113
Aujourd'hui, plus qu'hier, il suscite des débats quant à la fiabilité et la faisabilité d'un tel projet en Afrique Noire, au moment où le capitalisme mondial ne cesse de perfectionner son système de prédation économique et de capture 7. Convaincu des potentialités énormes de l'Afrique, de son passé historique, culturel, linguistique commun, ainsi que de l'importance de son aire géographique, Diop pense que les conditions de la construction d'un Etat fédéral en Afrique sont réunies. Dans cette optique, la lecture de la stratégie diopienne de développement de l'Afrique apparaît comme une vision volontariste et moderniste (I) qui nécessite une relecture à la lumière de l'évolution des relations internationales présentes (II). 1- Une vision volontariste développement de l'Afrique
et
moderniste
du
La pensée diopienne est globalement pluridisciplinaire, en ce qu'elle couvre tout un espace, touchant pour ainsi dire des domaines variés: l'Égypte, la physique, l'intégration économique, la renaissance culturelle, l'unité politique du continent, la géopolitique8 etc. avec une seule passion: l'Afrique.
Aussi,
l'unité
politique de l'Afrique
- facteur
déterminant pour l'adoption du fédéralisme - ne peut se faire que par la prise en compte de son passé culturel (A). Diop jette par ailleurs les bases du développement industriel autocentré et auto entretenu, ceci par une mise en valeur des ressources naturelles du continent dont il souligne l'importance (B).
7
Monique Chemillier Gendreau, Droit international et démocratie, les raisons d'un échec, éd. Textuel, Paris, 2002, p 187. 8 Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop et l'Afrique dans l'histoire du monde, op. cit., p 28
114
A- L'unité culturelle l'unification politique
africaine
comme fondement
de
L'essentiel de la pensée diopienne est élaborée dans le contexte historique de la domination coloniale de l'Afrique, avons-nous souligné. A cet effet, il sera le premier à énoncer, en Afrique francophone, de façon claire et sous ses multiples aspects, le princi pe de l'indépendance économique et politique du continent. Sans doute influencé par les mouvements de décolonisation qui s'affirmaient déjà, et dont la conférence de Bandoung de 1955 en sera l'expression. Sa problématique de l'unification politique s'articule autour de deux points principaux que nous entendons élucider. 1- Le fédéralisme, facteur de développement, et de progrès social
de stabilité
La stratégie de Diop vise avant tout la constitution d'un État fédéral en Afrique post-coloniale9. Celui-ci serait un rempart efficace à la fois contre la domination étrangère et contre les divisions intestines, propres à freiner le développement du continent. L'Etat post-colonial a montré suffisamment ses faiblesses, son incapacité à impulser une réelle alternative de développement au point qu'on en est à se poser la question de savoir si l'Etat moderne en Afrique est un moteur de développement ou un 9
C A Diop écrit ceci de très significatif:« Il devient donc clair que c'est
seulement l'existence d'Etats Africains Indépendantsfédérés au sein d'un Gouvernement central démocratique [...] qui permettra aux Africains de s'épanouir pleinement et de donner toute leur mesure dans différents domaines de la création, de se faire respecter -voire aimer- de tuer toutes formes de paternalisme, de faire tourner une page de la philosophie, de faire progresser I 'humanité en rendant possible une fraternisation entre les peuples qui deviendra alors d'autant plus facile qu'elle s'établira entre Etats indépendants au même degré et non plus entre dominants et dominés. Voir, C A Diop, Nations nègres et culture, éd. Présence Africaine, Paris, 2003, p 18. 115
facteur de régression et de non développementlo. C'est une question fondamentale qui nous conduit à considérer que la fédération telle qu'elle est pensée et souhaitée par les panafricanistes, nous paraît être de façon évidente - même si d'aucuns pensent que cela est peu probablel 1 la formule unique qui soit capable de donner aux populations un avenir après tant de siècles d'incertitudes économiques et d'oppression sociale 12. Ainsi, la constitution d'un État fédéral en Afrique Noire qui reposerait sur les partis politiques 13,une sorte « d'ÉtatsUnis d'Afrique »14, occupe une place quasi- centrale dans la stratégie de développement de Cheikh Anta Diop. Il serait pour ainsi dire, le socle, le moyen de réaliser l'unité politique, historique et culturelle du continent1S qui passe par
-
10Maurice A Glélé, « Pour l'Etat de droit en Afrique» in l'Etat moderne horizon 2000, aspects internes et externes, Mélanges offerts à P F Gonidec, LGDJ, Paris, 1985, pp 181-185. On peut lire également l'ouvrage controversé d'Axelle Kabou, Et si l'Afrique refusait le développement?, éd I'Harmattan, Paris, 1996, 207p. Il Nous faisons référence, hormis les hésitations ou l'hostilité de certains dirigeants africains, à P F Gonidec, notamment dans son ouvrage, l'Etat africain, LGDJ, Paris, 1970, pp 145-182. 12 Julius Nyeréré, Socialisme, démocratie et unité africaine. La Déclaration d'Arusha, Présence Africaine, Paris, 1970, p 68. 13 Avant les indépendances africaines, il existait un certain nombre de partis politiques qui fédéraient les élites des colonies françaises de langues et d'origines différentes au nombre desquels on peut citer: le Rassemblement Démocratique Africain (RDA), Mouvement Socialiste Africain (MSA) qui découle de la SFIO et qui avait des sections en Afrique Occidentale Française (AOF) et en Afrique Equatoriale Française (AEF). 14 Lire par exemple Abdoulaye Wade, Un destin pour l'Afrique, éd. Karthala, Paris, 1989; Kwamé N'kumah, Ghana, autobiographie, éd. Présence Africaine, Paris, 1960, pp 69-70 ; Julius Nyeréré, Socialisme, démocratie et unité africaine. La Déclaration d'Arusha, op. cit pp 67-76.
15Cheikh Anta Diop, « Unité culturelle de l'Afrique Noire», 1er congrès
des Écrivains et Artistes Noirs, n° spécial, Présence Africaine, 1956; Joseph-Marie Essomba, L'archéologie au Cameroun, Actes du premier colloque international de Yaoundé (6-9 janvier 1986), éd. Karthala, Paris, 1992.
116
un choix judicieux des institutions démocratiques nouvelles, d'une politique de développement et d'une réappropriation de la culture nègre millénairel6. Ceci ne peut se concevoir sans une indépendance réelle du continent, c'est-à-dire sans un gouvernement fédéral17: «...11 importe donc de poser comme principe l'idée d'une Fédération d'États Démocratiques Africains, allant du Sahara au Cap en passant par le Soudan dit anglo-égyptien» 18. Les frontières tracées par le colonisateur seraient ici tout simplement des limites administratives. L'idée même que sous-tend cette démarche, c'est la rupture complète avec l'ordre colonial et celui néo-colonial, et donc l'appel à la libération complète du continent de toute pression émanant d'un monstre économique quelconque.19 Par conséquent, «seules, les perspectives grandioses de construction d'un État africain continental moderne et fort, permettent de créer l'enthousiasme, l'esprit d'abnégation, un 16
L'idée de base de cette culture s'articule autour de l'unification de l'histoire nègre, c'est à dire tirant sa source de l'Égypte pharaonique nègre. L'essentiel de la pensée de Cheick Anta Diop essaye de démontrer cette unité culturelle: Nations nègres et culture (1954); l'Unité culturelle de l'Afrique noire (1960); Antériorité des civilisations nègres (1967); Civilisation ou barbarie (1981); Lesfondements économiques et culturels d'un Étatfédéral d'Afrique noire (1960, 1974, 2005). 17 Ici transparaissent les notions de nationalisme et panafricanisme qui pour Anta Diop sont inséparables. Pour la première fois avec les députés malgaches et le leader camerounais Ruben Urn Nyobé le problème de l'indépendance est envisagé: «c'est en février J952, alors que j'étais secrétaire général des étudiants du RDA, que nous avons posé le problème de l'indépendance politique du continent et celui de la création d'un futur Étatfédéral [...] Les déclarations qui ont cours aujourd'hui, à ce sujet, frisent l'imposture et sont, pour le moins, des contre-vérités flagrantes» Propos rapportés par J-M Ela, Cheikh Anta Diop ou l'honneur de penser, op. cit., p 92. 18Ali A. Mazrui et J FAde Ajayi, «Tendances de la philosophie et de la science en Afrique» in Histoire Générale de l'Afrique, Vol. VII, Unesco, 1980. 19 J.-M. Ela" Cheikh Anta Diop ou l 'honneur de penser, op. cit. p 75. 117
véritable sentiment patriotique. »20 Ce qui éviterait ainsi le morcellement politique de l'Afrique qui, finalement, a annihilé les efforts pour l'indépendance réelle et a permis à l'ancienne ~uissance coloniale de reprendre l'initiative des événements 1. L'unité culturelle serait dans ce cas, un apport, "un pont de pierre" selon l'expression de Nyeréré22, un trait commun à l'émancipation politique et économique de toute l'Afrique. Ceci pour la simple raison qu'il y a sur le continent l'unité de différents aspects de la vie: unité historique, unité linguistique, unité géographique, unité historique, de même que le socle commun de l'organisation de la famille africaine précoloniale, celle de l'État, les conceptions philosophiques et morales23, etc. qui permettent d'envisager une telle organisation. Celle-ci garantirait à ses habitants, une sécurité certaine, comme préalable au développement économique24, contrairement à l'État post-colonial25 qui a montré ses limites en ce domaine, en ce qu'il a privilégié avant tout, consciemment ou inconsciemment en tout cas, la sécurisation du pouvoir sur celle de la nation entière et des citoyens.
20
C.A. Diop, Les fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique, op. cit., pSI. 21 Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres: mythe ou vérité historique? Ed. Présence Africaine, Paris, 1974, P 283. 22Julius Nyerere, Socialisme, démocratie et unité africaine, op. cit., p 68. 23 C.A. Diop, Les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d 'Afrique Noire, op. cit., p 17. 24 « L'Afrique, la Chine et les USA» in Jeune Afrique, n0240, Il juillet 1965. 25Dominique Bangoura (sous la direction de), L'Union Africaineface aux enjeux de paix, de sécurité et de défense: actes de la conférence de I 'OPSA, éd. I'Harmattan, coH. "Sociétés africaines et diaspora", Paris, 2003, 253 p; I. Nguéma, « Etat, violence, droits de l'Homme et développement en Aftique» in L'avenir de l'Etat-Nation, Coll. "Alternatives Sud", CETRI, 1995, pp 125-139; Tshiyembé Mwayila, l'État post colonial, facteur d'insécurité en Afrique, éd. Présence africaine, Paris, 1990, 157 p. 118
La crainte de Cheikh, c'est justement l'affaiblissement du continent du fait de la prolifération d'États morcelés, voués à la dictature, à l'impuissance politique et économique. Sans doute est-ce parce que l'Afrique a connu une très longue tradition d'unité et de concentration du pouvoir26. Pour cette raison, la conception africaine moderne de l'État est uniformisatrice et centralisatrice, héritière de la conception française, jacobine et élitiste27. Malgré l'introduction d'une dose de décentralisation28 au milieu des années 80, le pouvoir politique et les structures administratives sont demeurés fortement centralisés et rigides29. L'accession des pays africains à la souveraineté internationale, par le jeu des indépendances nominales et de la balkanisation des Etats30, loin de changer les choses a, au contraire, contribué de façon constante à régresser l'idée panafricaine. Aucune circonstance ne pourrait disculper les élites et les politiques de repousser l'échéance de l'avènement de cet Etat fédéral. La fédération en Afrique paraît naturelle31 liée au patrimoine culturel commun, au passé et devrait permettre à chaque Etat de dépasser ses particularismes, ses singularités qui ne sont qu'apparentes pour donner naissance à une structure politique qui accorderait à chaque entité étatique 26
P F Gonidec, Les systèmes politiques
démocraties, 27
africains: les nouvelles
3e éd. L.G .DJ., Paris, 1997, P 32.
Thierry Michalon, Quel Etat pour l'Afrique? éd. L' Harmattan, Paris, 1999, p 69. 28 Charles Nach Mback, « La décentralisation en Afrique: enjeux et perspectives» in Afrique contemporaine, n° spécial, 3e trim. 2001, pp 95114. 29 Maurice Glélé, « Pour l'Etat de droit en Afrique» in L'Etat moderne horizon 2000: aspects internes et externes, Mélanges offerts à P F Gonidec, op. cit., p 183. 30Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop et l'Afrique dans l'histoire du monde, op. cit. P 3 1 .
31Julius Nyeréré, Socialisme, démocratie et unité africaine, op. cit., p 69. 119
l'autonomie32 et la participation réelles aux institutions fédérales. L'unification en Afrique ne pourrait sans doute pas se faire par la force ou la domination d'un Etat par un autre, comme cela a été le cas de l'ex URSS avec les Etats baltes, mais par la concertation, par l'adhésion de toutes les composantes et de tous les particularismes à l'ensemble national. Dans ce cas de figure, évidemment, il faut bien que le pragmatisme l'emporte sur le juridisme33. L'exemple le plus intéressant est celui des Etats-Unis d'Amérique où des peuples d'origines et de langues diverses ont pu construire un modèle de fédéralisme réussi. Pourtant sous domination de la couronne britannique autrefois, elles ont dû mener une guerre pour acquérir leur indépendance et opter pour la confédération puis la fédération34. Or, les pays africains qui ont connu et connaissent encore toutes formes de domination 32
L'autonomie doit être entendue comme «la souveraineté»des autorités
politiques fédérées dans leur domaine de juridiction, et la capacité d'édicter les normes régissant leur communauté; elle va de pair avec la participation égalitaire de ces mêmes communautés dans les institutions fédérales et l'édiction des normes communes ». Voir en ce sens Maurice Croisat, Jean-Louis Quermone, L'Europe et le fédéralisme, éd. Monchrestien, 2e éd, Paris, 1999, p 12. 33 J. Vanderlinden, « l'Etat fédéral, l'Etat africain de l'an 2000 ?» in l'Etat moderne horizon 2000, aspects internes et externes, Mélanges offerts à P F Gonidec, op. cit., P 323. 34 Aux Etats-Unis, les treize Etats fondateurs, une fois l'indépendance acquise, vont adopter en novembre 1777, « les Articles de la Confédération» qui établissent entre eux une confédération des EtatsUnis d'Amérique. Chaque Etat conserve sa souveraineté, sa liberté et son indépendance et aussi tous les pouvoirs, juridictions et droits (art.2). C'est avec la constitution de 1787 que naît l'Etat fédéral. Elle répartit des droits respectifs de l'Etat fédéral et des Etats fédérés. Elle renforce en outre le caractère centralisé de l'Etat fédéral malgré la guerre de sécession entre le Nord et le Sud. Les désaccords et les litiges susceptibles de naître entre Etats d'une part et entre un Etat et l'Etat fédéral, d'autre part, sont soumis à la Cour suprême. Voir Marie-France Toinet, Hubert Kempf, « L'expérience fédérale américaine» in M. Méheut (sous la direction), Le fédéralisme est il pensable pour une Europe prochaine, éd. Kimé, Paris, 1994, pp 81-100.
120
étrangère, pourraient initier l'unification politique, et lier ainsi le destin de tout le continent. C'est à juste titre que Diop affirme que: «L'Afrique, dans sa structure politique d'Etats juxtaposés, était déjà comparable à l'Europe. L'impérialisme, en nivelant ces individualités, en introduisant le dénominateur commun du colonialisme a, chose paradoxale, introduit en même temps l'unité politique qui peut permettre maintenant la réalisation d'unefédération africaine à l'échelle continentale »35.Tout est donc question de volonté et de réalisme politiques. 2- Le bicaméralisme comme mode de gouvernement Diop préconise de transposer le modèle de gouvernement de type bicaméral exercé par les ancêtres dans l'État fédéral moderne. S'appuyant sur le passé africain, notamment celui de l'Égypte pharaonique, fondé sur le matriarcat36, ce régime bicaméral est basé sur la place prépondérante qui est faite à la femme. Celle-ci n'est plus considérée comme une simple courtisane, mais comme actrice, participant pleinement à la gestion de la cité, de la communauté. Ce qui introduit, on l'a compris, une dualité des sexes et des prérogatives dans la gestion des affaires publiques. Au moment où de par le monde, il est question de revoir la place accordée à la femme dans la vie publique ou politique3?, Diop estime que l'Afrique doit restaurer ce 35
C A Diop, Nations nègres et culture, op. cit., p 538. 36 C.A. Diop, L'unité culturelle de l'Afrique Noire. Domaines du patriarcat et du matriarcat dans l'antiquité classique, éd. Présence Africaine, Paris, 1982. 37En France par exemple, le parlement a légiféré sur la participation de la femme à la vie publique, notamment en introduisant le principe de la parité. C'est la loi N°2000/493 du 6 juin 2000 qui l'a consacré. Mais dans les faits, cette parité est loin d'être atteinte, d'autant que les places réservées aux femmes au gouvernement, de même leur nombre au parlement, paraît dérisoire. 121
bicaméralisme sur une base moderne. Il consisterait ainsi à imaginer un système efficace, inédit qui accorderait une représentation équitable à l'élément féminin de la nation.38 Aussi, le rôle de la femme ou mieux sa place dans la sphère politique est-il reconnu par un certain nombre de textes à vocation universelle, conférant à celle-ci les mêmes droits qu'à l'homme. Ceux-ci sont consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 qui a placé tous les Droits (civiles, politiques, économiques, sociaux et culturels) sur la même égalité, relevant ainsi leur caractère interdépendant et indivisible39. De plus, ni la Charte africaine des peuples ni les textes constitutionnels des pays africains ne dérogent à cette règle4o. Cependant, dans la pratique, on est effaré de constater une sous-représentation politique de la femme africaine. Cela est lié sans doute au poids de la culture et surtout à l'idéologie du parti unique qui a confiné et réduit la participation de la 38
C.A. Diop, Lesfondements économiqueset culturels d'un Étatfédéral
d'Afrique Noire, op. cil., p 54. 39 La Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 apparaît comme le texte de référence. Elle a ainsi renforcé le principe des droits politiques égaux des femmes et des hommes (art. 21) et approfondi les concepts d'égalité et de liberté. Dans sa lignée, on trouve la Convention concernant les droits politiques de la femme, adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU et entrée en vigueur le 7 juillet 1989; la Déclaration sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, proclamée par l'A G. de l'ONU le 7 novembre 1967; la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes, entrée en vigueur le 3 septembre 1981 etc. A cela s'ajoutent des Déclarations, des conférences sur la condition de la femme et sa place dans la vie politique. 40 Au plan régional, la Charte afticaine des droits de l'Homme et des peuples constitue sans nul doute l'instrument principal de promotion et de protection des droits de la femme, ainsi que la garantie de leur place dans la société. Aussi, depuis 1977, année de la première conférence régionale sur l'intégration de la femme dans le développement tenue à Nouakchott en Mauritanie en 1977, d'autres initiatives de ce genre ont eu lieu sur le continent, ayant pour objet, la place et le rôle de la femme dans le processus politique et de développement économique et social. 122
femme à la gestion de la cité, à l'instrumentalisation idéologique, à l'animation associative et au rôle de la femme au foyer. Généralement, on lui attribue un statut instrumental ou bien encore un statut idéologique. Ce qui ne sont ni plus ni moins que des préju~és ou des mythes que l'on colle à la personnalité féminine 1. Et pourtant, «.. .Si sont pris en considération les intérêts des femmes, si les femmes sont représentées dans la vie publique, il pourrait bien en résulter une profonde transformation de la vie publique elle-même »42. L'avènement de la démocratie en Afrique constitue un levier, une passerelle qui doit impulser un véritable élan de réformes qui permettraient de «normaliser le rôle politique de la femme, de restituer à celle-ci sa dignité de mère de famille, de réaliser une fois pour toutes, de la seule manière efficace, valable, ce qu'on appelle dans tous les pays du monde la promotion de la femme» 43. De la même manière, une perspective économique est envisagée dans la problématique diopienne de développement.
41 Hadiza Djibo, La participation des femmes à la vie politique: les exemples du Sénégal et du Niger, Coll. Sociétés africaines et diaspora, éd. L'Harmattan, Paris, 2001, pp 57-65. 42
Diammond I, Hartsock N. 1981, Beyong interests in politiques: a
comment on « When are interests interesting? The problem of political representations of women », American political science review, vo1.75, p 717. 43 C.A. Diop, Les fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique Noire, op. cit., p 55. 123
B- L'approche économique diopienne de développement
de
la
problématique
La vision diopienne du développement de l'Afrique met en place une stratégie de la mise en valeur du sol et du soussol africains ainsi que des sources d'énergie pour amorcer une industrialisation de grande envergure. Elle apparaît comme une véritable politique d'aménagement du territoire, alliant modernisation et équilibre entre régions pourvues et régions dépourvues, entre celles qui sont enclavées et celles qui ne le sont pas. Pour cela, il procède tout d'abord au -recensement de tous ces éléments disponibles, et ensuite il les repartit en zones à forte concentration énergétique et de matières premières. 1- La mise en valeur énergétique du continent.
rationnelle
du
potentiel
Les sources d'énergie constituent un atout important pour l'Afrique pour la bataille du développement économique comme partout ailleurs. Cette question est centrale chez Diop qui en propose une stratégie incluant le court et le long terme44. Il s'agit ainsi des sources d'énergie renouvelables et non renouvelables, de l'écologie et sans oublier évidemment de prendre en compte les progrès scientifiques à venir. Car Diop sait que «l'Afrique ne manque donc pas d'énergie, mais celle-ci est mal identifiée, mal distribuée: l'interconnexion du réseau africain pour la création d'un marché intégré de l'énergie est un impératif économique» 45. En effet, en raison de ses réserves d'énergie hydraulique 44 C.A.Diop, « Pour une doctrine énergétique africaine» in Taxaw, n07, janvier 1978, p 26. Il énumère un certain nombre de sources d'énergie indispensables et disponibles en Afrique, telles que: l'énergie hydroélectrique (ban-age), l'énergie solaire, l'énergie géothermique, l'énergie nucléaire, les hydrocarbures, l'énergie thermonucléaire etc. 45 Université et développement solidaire, Berger-Levrault, Paris, Institut International d'Etudes Sociales, Genève, 1982, pp 95-101. 124
encore inexploitées, de la façade sur l'Atlantique couverte de forêts riches d'essences appropriées, l'Afrique dispose d'un potentiel varié de produits énergétiques en qllantités suffisantes pour ses besoins. Cependant, le continent se trouve dans une situation paradoxale: l'inégale répartition des ressources entre différents pays ou différentes régions favorise des situations d'abondance ou de surabondance à côté des situations de pénuries et de crise46. A titre d'exemple, le fleuve Congo, deuxième fleuve du monde après l'Amazone par le volume de son débit peut constituer un fournisseur d'énergie non négligeable si une politique volontariste était mise en œuvre. D'autre part, Le barrage hydroélectrique d'Inga au Congo Démocratique, représente à lui seul près de 200/0du potentiel continental. Là encore, on enregistre un cas d'inégale répartition des ressources. Les problèmes d'interconnexion et de distribution enregistrés sur le continent rendent les échanges interafricains dans ce domaine très limités. En effet, l'étroitesse des marchés intérieurs nationaux, poussent les pays africains davantage vers l'exportation. Cela est d'autant plus vrai que dans le domaine des produits pétroliers, l'essentiel de la production est destiné aux marchés extérieurs, c'est-à-dire hors du continent. Ici se posent les problèmes relatifs à l'offre et la demande et de la coopération interafricaine. Les énergies nouvelles et renouvelables (solaire, éolienne, déchets agricoles...) restent largement utilisées sur le continent, mais de façon traditionnelle pour ne pas dire artisanale comme il en est du bois. En définitive, l'Afrique regorge de toutes sortes de sources d'énergie, la stratégie diopienne de développement 46
Sibi Bonfils, « Analyse de la situation énergétique en Afrique» in
Ajustement structurel et gestion du secteur énergétique en Afrique, colloque Douala, 14-15 mai 1992, ouvrage sous la direction de A. Lapointe et G. Zaccour, éd., Technip, 1993, pp 4-5. 125
vise à les intégrer dans une politique commune d'industrialisation. Mais, aujourd'hui, l'offre d'énergie entre États africains illustre bien le type de problème mineur au départ, et qui devient un vrai casse-tête politique: «... dominée par un ensemble de problèmes qui au fil des ans, ont transformé une situation globalement excédentaire et de confort relatif en une situation de crise qu'il est devenu urgent de corriger. Les solutions sont nationales, mais les coopérations interafricaine et internationale ont un rôle à jouer.»47 C'est le prix à payer pour asseoir et réaliser une véritable politique d'industrialisation en Afrique. 2- La réhabilitation industriel.
et le développement
du
tissu
Il est évident qu'aucune politique d'industrialisation n'est possible sans matières premières, sources d'énergie, investissements massifs et ciblés, personnels qualifiés, voies de communication viables, recherche scientifique, rechechedéveloppement... La stratégie Diopienne du développement de l'Afrique tient effectivement compte de ces éléments, même s'ils ne sont pas toujours explicitement mentionnés. Conscient de la richesse du continent en matières premières et en ressources d'énergie, Anta Diop pense résolument qu'une industrialisation de l'Afrique est possible eu égard à ses potentialités. Ainsi, la concentration concomitante des sources d'énergie et de matières premières le persuade d'élaborer et de proposer un plan d'industrialisation d'ensemble qui comprend finalement huit sites ou zones à vocation industrielle, incluant le développement des activités agricoles et de pêche48. Chaque zone ainsi définie, comprend 47
Sibi Bonfils, op. Cit., p 7. 48Ainsi huit zones ou pôles d'industrialisation sont répertoriés: Bassin du Congo, golfe du Bénin, Côte-d'Ivoire et Ghana, GuinéeILibéria et SierraLéone, Sénégal/MalilNiger, Soudan nolothique/Grands Lacs/Ethiopie, bassin du Zambèze, Afrique du Sud. 126
par rapport à ses atouts, à ses potentialités du sol et du soussol, un certain nombre d'infrastructures industrielles, allant de l'industrie légère à l'industrie lourde. Cette politique de développement d'ensemble, constitue sans doute une vision moderniste dans laquelle doit dorénavant se projeter l'Afrique, pour une réelle indépendance politique, économique et culturelle. Car ce continent est un vaste chantier où tout est à construire, tout est reconstruire, tout est à remettre en ordre. La mise en œuvre de cette politique d'industrialisation exige donc la combinaison de quatre éléments qui paraissent indispensables et incontournables: les investissements, les moyens de transport; la formation des cadres techniques et la recherche scientifique. Car ce vaste plan ne peut se réaliser sans voies de communications transcontinentales, sans maîtrise par les Africains eux-mêmes à la fois de l'exploitation, de la gestion et des techniques de commercialisation sur les marchés internationaux de leurs matières premières. De même qu'il est inconcevable de mettre en œuvre une politique d'industrialisation sans, d'une part, des cadres autochtones capables d'assurer le fonctionnement et la maintenance du matériel industriel et, d'autre part, sans recherche scientifique susceptible d'adapter l'Afrique aux exigences du monde moderne49. Ce plan d'industrialisation de Diop curieusement a été repris dans ses grandes orientations par la défunte OUA5o - sans citer ses sources -. Plus qu'un catalogue 49
C.A. Diop, Les fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique Noire, op. cit., p 118. 50 Le Plan d'Action de Lagos portait sur quatre axes: a) une révolution agricole qui avait pour vocation de créer les conditions de la modernisation des structures agraires, des techniques de production et des systèmes d'exploitation, b) une révolution des transports et des communications qui visait la construction de réseaux modernes de chemins de fer, de routes, de canaux de navigation, de ports et d'aéroports et de télécommunications, c) une révolution industrielle qui mettait 127
d'intentions, le Plan d'Action de Lagos adopté à l'unanimité par les Etats membres de l'organisation, se présente au regard de différents chapitres, comme un grand projet de modernisation industrielle. Basé sur le concept de développement endogène et autoentretenu à l'échelle continentale, il intègre une transformation industrielle d'ensemble eu égard aux fantastiques potentialités naturelles de l'Afrique. Mais ce plan si ambitieux ne pouvait connaître un début d'exécution en ce qu'il n'est pas conçu et mené dans le cadre d'un Etat fédéral, car certains pays demeurent encore des chasses gardées occidentales51. Ce plan a été accueilli avec hostilité par l'Occident qui ne pouvait souffrir l'émergence de nouvelles puissances industrielles concurrentielles d'un continent au potentiel énergétique et minéral prodigieux. D'où la nécessité de revisiter la problématique diopienne du développement de l'Afrique dans un contexte économique et politique de plus en plus inégal, au sens d'Amin. 11- De la nécessité d'une relecture de la problématique diopienne du développement de l'Afrique. Sa problématique du développement de l'Afrique demeure une contribution valable au-delà des époques et des contextes historique, ayant qu'un seul but, l'indépendance économique du continent. Ceci étant, il l'accent sur l'extension du machinisme dans tous les secteurs d'activités, d) une révolution scientifique et technique dont le but était la liquidation de l'alphabétisme, de l'ignorance et l'extension de l'école moderne pour la généralisation de l'éducation, de l'enseignement technique et de la formation professionnelle en vue de réaliser une révolution intellectuelle et morale fondée sur une nouvelle vision du monde et une conception combattante de la vie. Le PAL met l'accent sur la formation des ressources humaines afm que les Africains, intellectuellement et techniquement bien formés, puissent s'affmner comme principaux acteurs du développement de leur pays. SI J. M. Ela, Cheikh Anta Diop ou l'honneur de penser, op. cit. p 93. 128
importe d'intégrer, de reconsidérer la lecture de sa VISIon dans l'environnement international actuel. Ainsi, les questions posées hier, demeurent et trouvent une autre approche, selon qu'il est de bon aloi de considérer des évolutions ou des involutions ou encore des situations de stagnation. Aussi, dans le domaine politique comme dans le domaine économique, l'Afrique a opté pour une intégration à rebours par le renversement de la pyramide, s'éloignant de la sorte de l'approche diopienne (A). Elle a été pour ainsi dire contrainte de renforcer son unité pour être à même de suivre et de s'adapter à la marche forcée qui lui est imposée par l'évolution actuelle (B). A- Les égoïsmes nationaux, écueil à l'unification politique africaine. L'unité culturelle propice à l'édification d'un État fédéral d'Afrique Noire, dans son fond comme dans sa forme telle que l'a pensée C.A.Ùiop52, ne trouve pas d'écho auprès des dirigeants politiques et des élites intellectuelles africains, préférant alors se confiner au parti uni~ue et peu ou prou à l'intégration régionale et sous-régionale 3. Au lendemain des indépendances africaines, les États nouveaux ont hérité des structures étatiques coloniales, traduisant la conception uniformisatrice et centralisatrice inspirée du modèle français. Les égoïsmes nationaux ont conduit chaque État «... à devenir un micro-univers industriel pour essayer de se suffire à lui-même...» 54La difficulté de vulgariser et de 52
C.A. Diop estime «qu'il faut cesser de tromper les masses par des rafistolages mineurs et accomplir l'acte qui consomme la rupture avec les faux ensembles (Communauté, Commonwealth, Eurafrique) sans lendemain historique. Il faut faire basculer définitivement l'Afrique noire sur la pente de son destin fédéral ». Voir, Les fondements économiques et culturels d'un État fédéral d'Afrique Noire op. cit., p 30. 53M L Ropivia, Géopolitique africaine de l'intégration, éd. L'Harmattan, Paris, 1994, p 13. 54J-M. Ela, Cheikh Anta Diop, ou 1'honneur de penser, op. cit., pp 95-96. 129
redynamiser cette unité culturelle et politique de l'Afrique noire préétablie55, et d'en faire une priorité pour la mise en place d'une structure politique unique à l'échelle continentale, n'a au moment où se joue le destin de l'Afrique, connu un début de réalisation. Cette situation résulte d'un manque de volonté politique et de pragmatisme, expression démagogique des élites intellectuelles et dirigeants politi~ues. En créant l'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A.) 6 en 1963 à Addis-Abeba en Éthiopie, l'Afrique a paradoxalement enterré l'unité politique qu'elle entendait pourtant réaliser. Elle a entériné de ce fait les frontières décidées et tracées par l'Europe à la conférence de Berlin57. Sous les principes de l'intangibilité des frontières et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres, l'O.U.A. a complètement renvoyé aux calendes grecques, la réalisation de ce grand projet fédéral cher à Diop, Kwamé N'Krumah et Julius Nyerere. Ayant pris acte de la création de cette organisation continentale, Diop constate avec lucidité et réalisme que l'Afrique est entrée « dans une ère d'humilité et Certains comme Houphouët Boigny n'ont pas manqué de cacher leur égoïsme vis-à-vis du projet fédéral en arguant des arguments d'ordre économique: «plutôt que de faire éponger par les territoires un peu plus riches le déficit des territoires pauvres, il valait mieux laisser les premiers consacrer toutes leurs ressources à leur développement économique et social et rapidement ils pourraient... (Soutenir) leurs voisins les plus défavorisés» Voir en ce sens l'ouvrage de Joseph Roger De Benoist, L'Afrique occidentale française de J944 à J960, NEA, Dakar, 1982, pp 305-306. 55C.A.Diop, L'Afrique Noire pré coloniale, éd. Présence africaine, Paris, 1987, 278p; J. Vanderlinden: « l'Etat fédéral, Etat africain de l'an 2000 » op. cit., p 308. 56En effet, la défunte O.U.A. dans ses principes, privilégie l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation. 57H. Brunschwig, Le partage de l'Afrique Noire, .éd., Flammarion, Paris, 1971, 186 p; Abd Benmessaoud Tredano, Intangibilité des frontières coloniales et espace étatique en Afrique, BAM, 1989. 130
d'humiliation »58. La seule manière de sortir de cette situation n'est autre que l'adoption de façon définitive et résolue d'une solution politique de nature fédérale59. Mais, dans la réalité, les choses ne se présenteront pas ainsi. Les thèses de l'O.U.A. vont à l'encontre de la problématique diopienne et en font une lecture politi~ue. C'est l'exemple de la Charte culturelle de l'O.U.A.6. Bien qu'affirmant l'identité culturelle de l'Afrique, elle reconnaît expressément que la coopération interafricaine doit être le moyen de favoriser «la consolidation d'une solidarité et d'une fraternité intégrées au sein d'une unité culturelle plus vaste qui transcende les divergences ethniques et nationales» (préambule), dans le but de renforcer l'unité africaine61. Il est à noter que dans le contexte actuel, on ne peut pas perdre de vue les identités nationales. En effet, certaines dispositions de la charte concernent les cultures nationales62 et reconnaissent la diversité culturelle au sein d'un même espace étatique63 de même qu'est le fait ethnique. Cette diversité ne rend point incompatible "le vouloir vivre ensemble,,64 . La Conférence ministérielle de la culture, organisée par l'UNESCO, à Accra en 1975 « a reconnu que la diversité culturelle représente en Afrique une réalité vivante. Loin d'être un élément de division, la diversité culturelle doit être perçue comme un facteur d'équilibre et d'unité ...» Les conclusions du colloque de 58
59
J-M. Ela, Cheikh Anta Diop ou I 'honneur de penser, op. cit., p 95.
C.A. Diop « L'Afrique doit s'unir» in Jeune Afrique, n0240, juillet 1965; Nations nègres et culture, op. Cit., p 18. 60 Il s'agit de la Charte adoptée lors de la conférence de l'O.U.A. à PortLouis en 1976 et ouverte à l'adhésion des États membres. 61 er Art.l e de la charte. 62 Art.3 et suivants de la charte. 63
L'article 5 de la charte dispose à cet effet: « l'affirmation d'une identité
nationale ne doit pas se faire au prix de l'appauvrissement et de la sujétion des diverses cultures existant au sein d'un même État ». 64Maurice Glélé, « Pour un Etat de droit en Afrique» op. cit., p 187. 131
Dakar, en 1982 sur « la problématique de l'Etat en Afrique noire» vont dans le même sens65La Charte de l'O.U.A., bien qu'affirmant de façon timide l'unité culturelle africaine, se départit du schéma diopien sur deux points: d'une part, elle reconnaît implicitement que cette unité culturelle préexistante est une donnée qu'il faut se réapproprier au moyen d'une coopération interafricaine, et de ce fait, elle se présente comme un objectif à atteindre; d'autre part, les cultures nationales sont la symbiose de la culture traditionnelle préhistorique et la culture actuelle qui se nourrit d'apports étrangers, notamment dans les domaines technique et scientifique. Au total, cette charte ne tient pas du bon bout le problème et est par nature contradictoire. L'unité culturelle africaine est préexistante et est visible au-delà même du continent, notamment à travers la diaspora africaine dispersée à travers le ,monde. Elle a un socle histori~ue et linguistique commun: l'Egypte antique pharaonique6. Bien que reconnaissant l'unité culturelle, cette charte se refuse par motifs politiques et idéologiques à la considérer comme acquise et se contente de la situer comme objectif à atteindre. De même qu'il convient de souligner que les cultures nationales font partie du patrimoine nègre et ne se démarquent nullement de la culture originelle. Pas plus que ne l'est le fait ethnique.
65
Idem.
66 Théophile Obenga, l'Afrique dans l'antiquité, Égypte pharaonique, Afrique noire, éd. Présence africaine, Paris, 1973. Il introduit le concept linguistique de négro-égyptien pour démontrer justement l'unité culturelle de l'Afrique. L.S Senghor avec le concept de l'africanité rejoint la thèse diopienne de l'unité culturelle, en ce qu'il soutient l'unité socioculturelle détermine l'unification politique de l'Afrique. Les deux sur ce point sont indéfectiblement liées. Julius Nyeréré quant à lui estime qu'il y a un sentiment d' africanité qui serait un sentiment de cause commune, corroboré par la vie culturelle et politique sur tout l'ensemble du continent.
132
L'acte de création de L'Union Africaine (U.A.) pas plus que la charte instituant l'O.U.A., ne se prononcera clairement sur le projet fédéral67. Au contraire, elle va dans le même sens que cette dernière. En inscrivant dans l'Acte constitutif comme l'un des objectifs, la défense de la souveraineté68 des Etats membres, l'UA se positionne non pas sur le terrain du fédéralisme, mais sur celui des Etats unitaires, c'est-à-dire la pérennisation du modèle d'Etats issus de la décolonisation. Rien à voir donc avec le fédéralisme, si l'on considère le fait que l'indépendance et l'intégrité territoriales doivent en effet être défendues dans le seul cadre d'Etats unitaires. C'est dans la logique des choses que la survivance de l'un des principes sur lequel s'est fondée l'O.U.A., à savoir l'intangibilité des frontières, soit repris par l'UA69. Bien qu'un peu plus ambitieuse70 que sa devancière, la nouvelle institution multinationale ne marque guère de grands progrès dans le sens du fédéralisme71. Au contraire, dans ses 67
L'acte constitutif de l'Union Africaine (UA) pose clairement le problème en ce que l'un de ses objectifs est la défense de la «souveraineté de l'intégrité territoriale de ses États membres» (Art 3al(b)). Cette charte rappelle ici la notion d'État non au sens d'États fédérés, mais d'États membres à part entière, c'est à dire au sens du droit international. Voir en ce sens: Roland Adjovi, « L'Union Africaine: étude critique d'un projet ambitieux» in RJPIC, janvier/avril2002, p 15. 68L'article 4 de l'Acte constitutif de l'U.A. consacre l'égalité souveraine entre tous les Etats membres de l'Union. 69Art 4, alinéa (b) de l'Acte constitutif de l'U.A. A cela il faut ajouter le principe initial de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat membre. 70 L'Union Africaine conçue sur le modèle européen, marque timidement le pas en se dotant d'institutions modernes, notamment un Conseil des ministres, un Parlement, une Banque centrale, un Fonds monétaire et une Cour de justice. 71 S. Ghardi: «Les Etats-Unis d'Afrique, faut-il y croire?» in Jeune Afrique, 21-27 septembre 1999, pp 14-18. Comme en 1963 lors de la création de l'O.U.A., il Y avait un courant qui était pour la constitution d'un Etat unique d'Afrique, une espèce d'Etats-Unis d'Afrique, avec un gouvernement continental. C'est la position de Nkrumah qui a été battue 133
principes, elle confinne le même conservatisme et la même frilosité qui ont animé l'O.U.A. L'échec de l'unification politique en Afrique dans la perspective de la fédération réside plus dans le manque de volonté politique que dans d'autres considérations. Les élites et les politiques, timorés par les enjeux d'un Etat fédéral, n'hésitent pas à arguer la diversité culturelle et linguistique, voire raciale, pour justifier leurs égoïsmes et leur manque d'engagement réel. Or, justement, le fédéralisme est toujours le pari d'une unité dans le maintien de la plus grande diversité possible. C'est pour cette raison que les projets d'intégration politique sans perspective fédérale et sans volonté politique forte, resteront au stade de la simple déclaration d'intentions. CA. Diop constatant l'absence d'un centre de décision imposable à tous ne s'est fait guère d'illusion quant à l'avenir de l'O.U.A72. Les événements de ces derniers temps lui donnent entièrement raison, puisque cette organisation supranationale n'existe plus. L'U.A. qui lui succède, caractérisée par un mimétisme aliénant et sidérant évident, ne court-elle pas le risque de connaître le même destin que la précédente? C'est ici que les, thèses diopiennes du développement retrouvent de leur verve et de leur constance.
en brèche par ses pairs africains favorables au morcellement, à la pluralité d'Etats indépendants. La même question s'est posée lors de la création de l'U.A. La Libye voulait que fût inscrite dans le projet de déclaration finale, l'union dans le cadre d'une fédération d'Etats africains, avec un Etat unique, détenteur de la souveraineté. Projet rejeté par les autres pays africains qui ont préféré le statu quo. 72 C.A. Diop déclarait à propos de l'O.U.A. que « l'expérience politique africaine de ces dernières années ne nous laisse aucune illusion à ce po int de vue, même pour l'O. U.A ». ln Afrique/Asie, 9 novembre 1981. 134
B- La problématique
diopienne face à la mondialisation.
Le néo-libéralisme qui apparaît dans un contexte mondial d'ouverture des marchés et de poussée du libre-échange et de la division internationale du travail, démontre plus que jamais la pertinence de la problématique diopienne du développement de l'Afrique. Plus que jamais, il appartient aux élites et aux dirigeants de repenser sans complexe ni réserve, une structure politique adéquate, compatible avec l'ère cosmique du moment73. La mondialisation, génère un processus cumulatif et inégal de croissance et de distribution de richesses qui n'est guère favorable à l'Afrique qui se retrouve ainsi marginalisée74. Elle implique pour les Etats africains, l'insertion dans un monde dominé par la logique du marché, et conduit indubitablement leur subordination à l'échange inégal75. Sous le couvert du "tout monde", s'exercent en réalité des rapports de domination entre le Nord et le Sud76. La conséquence en est la transformation, la mutation de la souveraineté fleine et effective77, attribut de tout Etat moderne, en fiction
Le
pouvoIr
du
7
.
marché
73
mondial
a
contribué
C.A. Diop cité par JM Ela, Cheikh Anta Diop ou L 'honneur de penser, op. cit., p 95. 74 Paul Collier, «La marginalisation de l'Afrique» in Mondialisation: origines, développement et effets, op. cit., pp 853-872. 7SMohamed Salah Mohamed Mahmoud, « Mondialisation et souveraineté de l'Etat », JOI, juillet/août/septembre, 1996, p 630. 76 Monique ChemilIier Gendreau, Droit international et démocratie mondiale, les raisons d'un échec, op. cit., P 178. 77 J. Combacau, S. Sur, Droit international public, 5éd. Monchrestien, Paris, 2001, p 233. La Charte de l'ONU en son article 2 proclame l'égalité souveraine des Etats membres. Les constitutions africaines reprennent également ce principe et se considèrent comme Etats souverains et membres à part entière de la communauté internationale. 78 Maurice Kamto, « Souveraineté et pauvreté dans l'ordre international contemporain» in Mélanges offerts à Paul Isoart, A Pédone, Paris, 1996, p 300. 135
malheureusement à affaiblir davantage l'Etat africain considéré déjà comme "Etat faible" ou comme "Etat à souveraineté limitée,,79. Celui-ci a été amené au nom de la liberté économique à céder des pans entiers de l'économie nationale. La polarisation ou mieux la centralisation du pôle de décisions concernant la destinée du monde se trouvant au Nord, les pays du Sud, malgré eux, se trouvent inféodés à toutes décisions économiques et politiques qui leur sont ainsi imposées8o. Dès lors, le credo qui consistait à opposer l'égalité des Etats à la réduction des inégalités d'hégémonie, de puissance, voire plus simplement l'intégration de l'inégalité de développement à une catégorie de pays, c'est-à-dire l'ensemble des pays du SUd81se trouve dilué dans le monde actuel dominé par la logique du marché. Pour le capitalisme libéral, la solution, l'alternative au sous-développement et à la pauvreté serait donc l'accès au marché. L'inconvénient cependant réside dans le fait que le marché implique la concurrence et consacre le triomphe du meilleur8 . Ce qui entraîne la disparition des plus faibles, sinon leur régression, du moins leur marginalisation car, la philosophie contradictoire du libre échangisme consiste d'un côté, à ouvrir les frontières au commerce international, de l'autre à exclure les pays pauvres. Autrement dit, les plus riches deviennent plus riches et les plus pauvres s'enfoncent davantage dans la pauvreté. 79
PF Gonidec, « L'Etat de droit en Afrique. Le sens des mots» in RJPIC, janvier/avril 1998, p 9. 80 La référence peut être ainsi faite aux notions de "bonne gouvernance ", "transparence de l'appareil d'Etat", "responsabilisation", notions édictées par le FMI et la Banque Mondiale. 81 G de Lacharrière, « La catégorie juridique des pays en voie de développement» in Pays en voie développement et transformation du droit international, SFDI, colloque d'Aix, éd. Pédone, Paris, 1974, p 41. 82M Flory, « Mondialisation et droit international du développement» op. cit, p 624. 136
L'évolution de la concurrence internationale, ainsi que de la structuration de la division internationale du tra\laiI83, risque de creuser encore un peu plus et de façon irréversible le fossé entre le Nord et le Sud. Grosso modo, la mondialisation n'offre aucune solution aux problèmes de l'Afrique. Pas plus que les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) imposés par les institutions de Bretton Woods et leur mise en vigueur sur le continent depuis la moitié des années 198084.Les réformes ou les mesures qui en découlent, sont en réalité conjoncturelles et non structurelles. Elles formulent la subordination des économies africaines à la contrainte du service de la dette. Les conséquences sont dévastatrices désastre social, instabilité croissante, déstructuration des sociétés, diminution de la part de l'Afrique dans Ie commerce international. La logique du libre échangisme s'appréhende à travers le pouvoir des entreprises multinationales et des institutions financières internationales. Les premières considèrent l'Afrique comme un terrain conquis où, transgressant les conventions qu'elles ont elles-mêmes signées85, donnent libre cours à la satisfaction de leurs appétits économiques. Les initiatives africaines prises pour encourager le développement dans le cadre de l'Union Africaine, ~ar le renforcement de la coopération et de la coordination 6 des 83
José Antonio Sequeira Carvalho, Enjeux et nouvelles approches pour la coopération au développement, éd. L'Harmattan, Coll. "Questions contemporaines", Paris, 2003, p 44. 84 Makhtar Diouf, L'endettement puis l'ajustement. L'Afrique des institutions de Bretton Woods, ColI. "Forum du Tiers Monde", éd. L'Harmattan, Paris, 2002, 230p. ; Raisons et déraisons de la dette, ColI. "Alternatives sud", CETRI, 2002, 266 p. 85Le pouvoir des transnationales, ColI. "Alternatives sud", CETRI, 2002, 324 p. 86 Lakhdar Benazzi, « La coopération Euro-Africaine à l'épreuve de la 137
ensembles régionaux ou sous régionaux existants87 n'arrivent pas à sortir le continent du marasme dans lequel il est plongé88. Quelques avancées ont été enregistrées cependant, et se traduisent parfois par la mise en route de quelques infrastructures économiques ou la réalisation des projets communs89. Le risque de la prolifération de ces ensembles régionaux et sous-régionaux, c'est de voir à la longue des doubles emplois dans le fonctionnement de ces derniers ou encore entre elles et l'UA. Il en est ainsi de certains organes (Parlement communautaire, Cour de justice de la Communauté, Conseil des ministres pour ce qui est de la CEMAC) qui se retrouvent également au nombre des organes de l'UA. En plus, l'intégration sous-régionale se heurte à beaucoup d'obstacles comme la libre circulation des personnes entre les pays membres qui vont à l'encontre de l'idéal communautaire que l'on entend pourtant construire9o. mondialisation» in RJPIC, juillet/septembre 2004, p 296. 87
On trouve au rang de ces organisationsrégionales et sous-régionales:
l'Union du Maghreb Arabe pour l'Afrique du Nord (UMA), la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), la Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale (CEEAC), la Southern Africa Development Community (SADEC), l'JOAD, l'East Africa Community etc. A côté il y a des sous ensembles qui reposent sur une communauté linguistique ou historique: l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC) Voir en sens Laurent Zang, « L'intégration en Afrique centrale: de !'UDEAC à la CEMAC» in RJPIC, juillet/septembre 2004, pp 411-419. 88Rapport sur le développement en Afrique; gestion du secteur public en Afrique, BAD, Economica, 2005. 89
Certains projets se sont traduits par la création des infrastructures de
communication, des institutions bancaires, la création de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), l'institution d'un passeport communautaire dans la CEMAC, libéralisation des échanges intra communautaires. 90Le cas de l' ivoirité en Côte-d' Ivoire est une aberration, dès lors que ce concept est contraire à l'accord constitutif de la CEDEAO et à la Charte 138
Face à la mondialisation, certaines personnalités politiques ont initié une autre forme de coopération basée sur le partenariat91, et peut apparaître comme une alternative aux effets négatifs du libéralisme économique. Il s'agit du point de vue des Africains d'une relecture de la mondialisation, à partir de la situation du continent, en envisageant la résorption de la disparité structurelle entre pays développés et l'Afrique, l'amélioration des soins de santé et de l'agriculture, le renforcement de la régionalisation, le relèvement du niveau de l'éducation, le désendettement etc. Les initiatives parcellaires et solitaires, ne sont pas de nature à renforcer l'unité du continent, mais éparpillent les forces, les idées, l'ingéniosité etc. La réalité économique telle que décrite ci-dessus, devrait inciter davantage les pays africains à repenser le type d'Etat à même d'assurer le développement économique du continent et l'avenir des populations. Diop stigmatise la faiblesse chronique, la stagnation, voire la régression où les Etats africains sont plongés ainsi que leur incurie congénitale. Pour en sortir, il propose comme solution l'adoption d'une structure politique de type fédéral92 en ce sens qu'elle implique un abandon réel des souverainetés locales encore africaine des droits de l'Homme et des Peuples de 1981 (art.12) qui prévoient la libre circulation des personnes dans l'espace communautaire. Par un discours démagogique, les autorités ivoiriennes ont incité leurs compatriotes à expulser des milliers de Burkinabés, violant ainsi les dispositions de ces instruments juridiques continental et sous régional qu'elles ont pourtant signés. C'est le cas également entre Sénégalais et Mauritaniens etc. Voir en ce sens Marc Antoine Pérouse de Montclos, « L'Afrique rejette ses propres immigrés» in Le Monde diplomatique, décembre 1999. 91Le Nouveau Partenariat Pour le Développement de l'Afrique (NEPAD) est l'initiative des présidents Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Thabo Mbeki (Afrique du Sud), Olusegun Obasandjo (Nigéria), et Abdoulaye Wade (Sénégal). 92J-M Ela, Cheikh Anta Diop ou I 'honneur de penser, op. cit, p 95. 139
hypothéquées. C'est la raison pour laquelle « un Etat fédéral continental ou subcontinental offre un espace politique et économique, en sécurité, suffisamment stabilisé pour qu'une formule rationnelle de développement économique de nos pays aux potentialités diverses puisse être mise en œuvre »93. C'est dans une telle structure que les «fardeaux économiques . 94 .", etre portes et soczaux» des uns et des autres pourraIent ensemble. Sans doute aujourd'hui, dans l'environnement économique actuel dominé par le libre échangisme, plus qu'hier, il importe aux Etats africains de revisiter la problématique diopienne de développement, qui demeure toujours crédible, en phase avec le contexte international actuel. Réalise-t-on un seul instant la force et la puissance que peut représenter l'UA comme Etat fédéral, avec les différentes composantes que sont les Etats actuels? Au moment où l'on voit émerger de nouvelles puissances économiques, des grands blocs, l'Afrique, nonobstant l'existence des organisations économiques régionales et des fabuleux potentiels de son sous-sol, de ses forêts, du pétrole et des matières premières, reste inexistante sur la scène internationale. N'est-il pas temps pour elle de faire basculer enfin l'Afrique sur la pente de son destin fédéral, et pour paraphraser .Diop95 d'abandonner la frilosité et les égoïsmes nationaux?
93 Mahtar Diouf, Intégration économique, perspectives africaines, Nouvelles Editions Afticaines/Publisud, 1984, Préface de Cheikh Anta Diop. 94
Julius Nyeréré, Socialisme, démocratie et unité africaine. La
Déclaration d'Arusha, op. cit., p 68. 95 CA Diop, les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d'Afrique Noire, op. cit., P 31. 140
Conclusion La thématique de l'intégration politique du continent africain, resurgit de façon récurrente dans les débats actuels même si parfois elle est mise en veilleuse. La question fondamentale qui se pose est celle du choix qu'ont à faire les Africains entre une unification politique dans la perspective de l'édification d'un Etat fédéral à la manière des Etats-Unis, et simplement l'adoption du statu quo, en conservant les mêmes entités étatiques héritées de la colonisation. Sur ce point, les conceptions demeurent jusqu'à présent antithétiques. Entre les deux, émerge une troisième voie qui va quasiment dans le même sens que la deuxième, et privilégie le développement des regroupements régionaux comme processus menant à l'unité africaine96. Lors de la création de l'Organisation de l'Unité Africaine (l'OUA), les débats ont débouché justement sur la forme à donner à cette unité. Finalement, les tenants d'une Afrique pluri-étatique l'ont emporté sur ceux qui défendaient plutôt une grande et unique entité étatique à l'échelle continentale. La création de l'Union Africaine a relancé le débat, mais sans rien changer au fond. Tout compte fait, plus de quarante cinq ans après les indépendances, l'Afrique est plus désunie qu'unie, elle a régressé plus qu'elle n'a avancé. Les ensembles économiques régionaux et sous-régionaux créés pour assurer l'intégration des Etats membres, ne sont en fait que des pis-aller, sans perspective de développement crédible. L'inter-coopération, la circulation des personnes, des biens et des capitaux demeurent très faibles, voire insignifiantes. La réalité aujourd'hui, c'est que l'Afrique ne pèse pas sur la scène 96
Adekunde Ajala et Opeyemi Ola sont deux auteurs qui privilégient ce schéma, cités par Marc Louis Ropivia, Géopolitique de l'intégration en Afrique noire, op. cit. Cette approche est celle qui est quasiment suivie par la majorité des pays africains. 141
internationale, en dépit de ses immenses richesses. Au contraire, c'est un continent à la traîne, sous perfusion financière. Le mérite de Diop, il convient de le souligner, c'est d'avoir eu non seulement la pugnacité de réhabiliter l'histoire africaine97 sans complexe aucun, mais encore d'avoir compris qu'une Afrique réellement indépendante, c'est une Afrique unifiée dans le cadre d'un Etat fédéral. L'unité culturelle apparaît dans ce cas précis comme la passerelle qui permettrait d'envisager cette unification politique. La mise en œuvre rationnelle des potentialités diverses dont le sol et le sous-sol africains regorgent contribuerait au développement économique. La problématique diopienne, aussi concise soit-elle, comporte une dimension visionnaire indéniable au point où nombreuses de ses propositions sont reprises par certaines instances98. Elle démontre par ailleurs que dans le contexte actuel de la mondialisation, la nécessité d'avoir un Etat fort, susceptible de peser sur la scène internationale s'impose. Ce qui existe à I'heure actuelle ne permet pas de répondre véritablement aux problèmes de l'inévitable intégration économique du continent. Mais les limites d'une telle approche de développement résident surtout dans le financement des grands projets, du transfert de technologie et du savoir-faire, de l'exportation des produits. . . qui se posent du reste, avec acuité. Le problème réel est de savoir si l'Afrique repoussera encore plus longtemps l'échéance de l'avènement de l'Etat fédéral - ce qui apparaît comme son destin - lorsque l'Union Européenne dont elle s'inspire, évolue lentement mais sûrement vers un processus
97
J. Fonkoué, Différence et identité. Les sociologues africainsface à la
sociologie, Silex, Paris, 1985, p 31. 98 On peut citer à titre d'exemple le Plan d'Action de Lagos, la Charte culturelle de l'OUA qui relève l'identité culturelle africaine. 142
qUI consacre une structure nature fédérale99.
99
politique
unIque qui serait de
Le débat aujourd'hui sur l'adoption d'une Constitution européenne,
nous amène à ce constat. Les structures communautaires (Parlement, Commission, Conseil des ministres européens, Défense commune, Cour européenne de justice, Banque centrale européenne...) évoluent vers un fonctionnement de type fédéral intergouvernemental. L'adoption de l'Euro et celle du principe de la citoyenneté européenne, confortent cette volonté. La démarche pragmatique des fondateurs de l'Europe s'appuie sur une interdépendance économique pour construire ensuite l'interdépendance politique. Proudhon estime que l'Europe n'est qu'une structure fédérale destinée à assurer la paix. C'est également la démarche de Robert Schumann qui pose explicitement le problème d'une future fédération européenne. Voir en ce sens, Patrice Rolland, «La théorie Proudhonienne peut-elle éclairer la question du fédéralisme européen? », in Le fédéralisme est-il pensable pour une Europe prochaine?, Martine Méheut (sous la direction de), op. cit., pp. 67-68. 143
IV. INDICATIONS SUCCINCTES SUR LES AUTEURS DU MANIFESTE Les auteurs sont tous membres et chercheurs de l'Institut Cheikh Anta DIOP (ICAD), dont le siège est à l'Université Omar Bongo de Libreville et la Représentation internationale en France, avec un siège à Paris. I. Grégoire Biyogo, Président du colloque, fondateur et Directeur de recherche de l'ICAD. Directeur de collection aux éditions L'Harmattan. Professeur HDR, enseigne la poétique à l'Université Omar Bongo de Libreville et la méthodologie de la recherche au séminaire doctoral du CEF de Paris XII. Historien de la philosophie, spécialiste de Derrida et de Rorty. Docteur NR en poétique de Paris IVSorbonne, L'écriture et le Mal, 4 Vol. 1250 pages. Et auteur d'une Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) en épistémologie des sciences humaines: La Théorie en questions. Querelles actuelles, apories et résolution des énigmes. Contribution aux recherches sur l'épistémologie des sciences de I 'homme. Paris XII, juillet 2004, 4 volumes, 1000 p. A publié 13 livres~ dont 2
sur Cheikh Anta DIOP:
- Aux
Sources égyptiennes du savoir, vol. I Généalogie et enjeux de la pensée de Cheikh Anta DIOP, Paris, Héliopolis, 1998, Rééd. Ménaibuc, 2000, 356 p.
- Aux Sources égyptiennes du savoir. Volume II. Système et anti-système : Cheikh Anta DIOP et la destruction du logos classique. Paris, Ménaibuc, 2002, 150 p.
Les 5 dernières publications:
- Traité de méthodologie et d'épistémologie de la recherche, Paris, L'Harmattan, ColI. « Recherche et pédagogie », 2005, 125p. -Adieu à Jacques Derrida, enjeux et perspectives de la déconstruction, Paris, L'Harmattan, ColI. « Recherche et pédagogie» 2005, 150p. - Histoire de la philosophie africaine, 4 volumes, Paris, L'Harmattan,2006. 1. Le berceau égyptien de la philosophie 2. La philosophie moderne et contemporaine 3. Les grands courants de pensée et les livres critiques 4. Entre la postmodernité et le néopragmatisme II. Auguste Eyéné Essono, Philosophe, Représentant de l'Institut Cheikh Anta DIOP en France, Directeur de rédaction de la Revue scientifique de l'ICAD, « Le Papyrus ». Docteur NR en philosophie de l'Université Paris 8. Auteur d'une thèse en philosophie, intitulée: I 'homme et le temps - pour une lecture anthropobiologique de l'être. Et d'une autre en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris 8, intitulée: le mythe, l'écriture et la technique - de la brisure phonétique du signe, à l'avènement, du Gramme, de l'Archive et du phénomène moderne d'abstraction numérique du langage. A coordonné avec Benjamin Ngadi le n° I du Papyrus. -"De Kémit anti-démocrate à Origine égyptienne de la philosophie ou vice versa, une pensée en gestation", in L'Ecriture, l'Afrique et I 'humanité, Papyrus, Cahiers de l'Institut Cheikh Anta Diop, pp. 74-81 -' 'Ce que lire Cheikh Anta Diop veut dire aujourd 'hui", pp. 38-55. -"Esquisse de projet pour une sociologie historique autour de l'individu, le clan, et la conscience du temps à l'aune de la 146
pensée diopienne. Contribution aux recherches actuelles en anthropobiologie", pp. 56-72.
III. Léandre Serge MOYEN, docteur NR en droit public de l'université d'Aix Marseille III, La responsabilité des communes du fait de leur intervention dans le domaine économique (2000). Enseignant chercheur à l'ICAD France. A écrit un article dans le n° I de la Revue Le papyrus, dont il est directeur-Adjoint de la rédaction. Achève deux ouvrages, dont l'un sur Le Congo Brazzaville: Autopsie d'une crise politique. Et l'autre sur Les Conventions franco-africaines en collaboration avec Bienvenu GOBERT.
IV. Bienvenu GOBERT, docteur en droit international Toulouse I, L'évolution de la réglementation des investissements étrangers au Congo. Auteur de deux ouvrages sous presse, en collaboration avec Léandre Serge Moyen et des articles à paraître: - Le Congo-Brazzaville: Autopsie d'une crise;
- Les
conventions franco-africaines.
De la conditionalité économique à la conditionnalité politique: les vicissitudes de la démocratie en Afrique francophone subsaharienne ; - Le NEP AD ou le renouveau dans la continuité: réflexion sur /a notion de solidarité internationale en matière de coopération Nord/Sud; - Relire le Droit International économique à la lumière de la probématique diopienne du développement de l'Afrique: De l'ordre colonial à la souveraineté d'un Etat fédéral. (à paraître au prochain numéro) Rédacteur en chef de la revue Le Papyrus.
147
v. ANNEXE. Allocution d'ouverture du colloque Prononcée par Grégoire Biyogo, Président du colloque, Directeur de recherches à l'Institut Cheikh Anta Diop (Universités de Paris XII (France) et Université Omar Bongo (Gabon).
1. Préambule Messieurs les Présidents de séance, Messieurs les Directeurs d'Instituts, des centres de recherche, des éditions et des revues scientifiques, Messieurs les chercheurs travaillant sur l' œuvre du professeur Cheikh Anta Diop, l'Afrique et l'Egypte ancienne, distingués invités, il m'honore particulièrement de vous adresser ma gratitude pour avoir accepté de participer à ce colloque. Je voudrais pour cela vous adresser ma cordiale bienvenue à cette rencontre scientifique, en ma qualité de Président du colloque et au nom de l'Institut Cheikh Anta Diop que je dirige, et qui a pris la responsabilité d'organiser ce colloque historique. Historique, d'abord parce qu'il réunit pour la première fois les meilleurs experts de l' œuvre de Cheikh Anta Diop, les spécialistes des recherches sur l'Afrique ainsi que les principaux représentants des courants, de conceptions et des pratiques du champ de recherche qu'il est désormais convenu de désigner sous l'appellation des antiquités africaines, elles-mêmes élucidant le passé égyptonubien de l'Afrique et les institutions anciennes d'Afrique Noire. Historique aussi parce que le colloque entend commémorer autrement l'an XX du décès de l'égyptologue, historien et physicien africain, Cheikh Anta Diop (19862006), notamment sous le signe du bilan, de la re-lecture critique et de la mise en perspectives de son œuvre. En effet, quel est le Bilan de la lecture de cette œuvre, 20 ans après le
décès de l'égyptologue? Et comment la lire aujourd'hui, face aux avancées de la science et de la pensée modernes? Quelle réception en a-t-on donné? Et quelles innovations comportet-elle ? Usons-nous de traditions de lecture pour lire Diop? De façon générale, quels sont les résultats actuels des recherches diopiennes ? Par ailleurs, quelle est la contribution des sciences et de la philosophie d'Egypte au développement de la science et de la pensée modernes? Telles sont ici formulées quelques unes des grandes interrogations auxquelles les experts devront apporter des réponses précises. Avant toute chose, il convient d'indiquer quelques précautions d'usage nécessaires à la qualité du déroulement des travaux de ce colloque. Il est question que chaque courant invité rende compte de sa lecture de l' œuvre de Cheikh Anta Diop ou de la science égyptienne en présentant avec clarté les résultats de ses recherches. Et cela, pendant deux jours, respectivement aujourd'hui et demain 12 mars 2006 de 9 h à 14 h 30 mn. Les discussions seront arbitrées par des Présidents de séance, composés de professeurs des universités et des Maîtres de conférences. Au terme des travaux, une synthèse générale sera lue par le comité scientifique du colloque pendant la séance de clôture. Par ailleurs, pour garantir la sérénité du déroulement des travaux et la qualité technique des démonstrations, ainsi que le niveau de responsabilité scientifique auquel sont parvenus les spécialistes invités, le comité scientifique ne s'autorisera ni de dérapage ni de passion incontrôlée dans les communications et dans les débats. Au contraire, invite-t-il à une expertise saine, qui puisse mettre d'accord ou opposer les spécialistes sur la base des arguments démontrables et des théories attestées.
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2. Objets 22 ans après le décès de DIOP, il était devenu indispensable et urgent d'inviter les principaux universitaires et chercheurs travaillant sur - ou autour de - son œuvre, sur l'Afrique Noire et sur l'Egypte ancienne et ayant créé des structures (instituts et centres de recherche, revues, éditions) et les principaux courants de pensée à en renouveler radicalement la lecture à travers un impératif méthodologique, herméneutique et théorique: le retour au texte de Cheikh Anta DIOP lui-même par un corps-à-corps permanent avec les arguments. Il est donc question d'inviter la communauté des pairs à retourner à l' œuvre diopienne elle-même et à y séjourner durablement, au lieu où elle argumente, en signalant aussi bien ses avancées que ses éventuelles apories internes. Réévaluer les théories qu'elle élabore, défend ou invalide, tel est l'horizon qu'entend entrouvrir ce colloque qui, lui-même voudrait définir un nouveau départ dans les recherches diopiennes et sur notre rapport avec l'argumentation interne avec les textes diopiens. Ceci implique un recommencement plus technique et plus critique, un travail de lecture plus rigoureux, répudiant toute surinterprétation comme toute mésinterprétation, tout militantisme ruineux, avec le risque de la dilatation des notions, des concepts et des théories qui, il convient de le souligner, a largement prévalu jusqu'ici, à quelques exceptions près. Il convient désormais de lire Diop avec des traditions de lecture, en mettant l'accent sur la dimension méthodologique et épistémologique. Le dessein de ce colloque, conformément à l'argument qui y a présidé et qui a été expressément adressé aux invités, est une nouvelle décision ferme: celle de rendre compte de façon méthodique de l' œuvre diopienne et de son rapport à la science, en inventant d'autres formes de lectures, d'exégèses et d'herméneutiques.
151
Ici, en effet, lire, ce n'est déjà plus chercher le sens ultime ou unique de l 'œuvre, mais la mise à l'épreuve permanente des anciens acquis en les confrontant aux avancées de la science, pour en ré-inventer sans cesse les horizons de sens. Ici, lire, ce ne sera jamais plus prononcer la vérité exclusive de l'œuvre, mais élaborer des théories à partir de l'œuvre elle-même et avec les travaux des commentateurs, sans usage arbitraire de l'esquive ni pratique autoritaire de la rature de tel ou tel auteur: la science commence par cette exigence de dialogue avec les pairs, sans distinction autre que la qualité des travaux, quitte à réfuter telle ou telle proposition jugée inexacte. Il n'est pas pertinent de travailler sur le diopisme sans prendre acte à la fois des 13 livres écrits par DIOP luimême, et par les ouvrages sur son corpus, les thèses, les colloques, les articles... Toute forme de travail procédant de la sorte ne peut se départir de la pauvreté des résultats et du risque des redites, du piétinement et sourtout de la sousinformation.
..
Le vrai, en temps postmoderne et néopragmatiste est devenu ouvert, dialogique, complexe, infidèle aux grilles de lectures unilinéaires, et à toute rationalité imputant à l'appropriation, à la propriété. Désormais, le vrai n'aura plus de terre ni de demeure, fût- il attentif à ses contextes d'énonciation. La vérité n'est pas plus celle des Grecs et des Européens que celle des Africains. Elle est écrite par ceux qui, sans distinction d'origine raciale ou sociale, de foi et de sexe, à un moment donné, en accord avec des règles qu'eux-mêmes accréditent, conformément à la science moderne, décident comme tel. Ce colloque voudrait attirer l'attention sur le fait qu'une telle communauté est née dans le demi-silence des marges et dans la persévérance scientifique, dont les principaux courants et les chefs de file animent ici même ce colloque. I. Le courant systémique de L'Institut Cheikh Anta DIOP (ICAD) de l'Université Omar BONGO de Libreville, (sa Représentation internationale à Paris et la revue scientifique 152
« Le Papyrus », dirigée par Auguste Eyéné. Centre spécialisé en épistémologie des sciences humaines et sociales. Directeur: Pre Grégoire BIYOGO - 4 communications, dont Le statut de l'argumentation et de la démonstration chez Cheikh Anta DIOP et Théophile OBENGA, Ce que lire Cheikh Anta DIOP veut dire aujourd'hui, Enjeux juridiques de l'œuvre de Cheikh Anta DIOP, Repenser le droit international avec DIOP. II. Le courant philosophique platonicien Djibril Samb.
de l'IF AN, dirigé par le
III. Le courant égyptologique de L'Institut Africain d'Etudes Prospectives (et l'unité Centre d'Etudes Egyptologique Cheikh Anta DIOP) en Allemagne. - Directeur: Pre Mababingue BILOLO - 1. Communication sur PLOTIN, l'égyptien. IV. Le courant Epistémologique de la revue Maât, African Philosophical Review (et les éditions Danoïa). - Directeur: Emmanuel MALOLO DIS SAKE à l'Université de Douala. - 1 communication sur la mathématique égyptienne à l'aune de la théorie moderne des sciences. V. Le courant historique et égyptologique de L'Institut d'Egyptologie et des Civilisations Africaines (IECA). - Directeur: Jean Charles Coovi GOMEZ. - 2 communications souhaitées, dont la contribution de Cheikh Anta DIOP à la philosophie universelle et la réception de DIOP dans les Caraïbes et les Amériques. V. Le courant historique de la Revue Afrique-Caraïbes (et les éditions Ménaibuc) -Directeur: Salomon MEZEPO
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-
1 communication sur la contribution de l'Afrique à la civilisation européenne et la grammaire égyptienne. VI. Le courant philosophique du Centre d'Etudes Cheikh Anta DIOP (CECAD) et (les éditions du CIREF). - Directeur: Yves KOUNOUGOUS. - 1 communication souhaitée sur les quatre axes de la pensée de Cheikh Anta DIOP face à la mondialisation. VII. Le courant sociologique du Centre d'Etudes Africaines de l'EHESS-CNRS - Chercheur: Jean FONKOUE - 1 communication souhaitée sur Diop au carrefour l'historiographie de DIOP. VIII. Le courant historique et égyptologique de l'Institut Africa Maât - Directeur: Renetous ETILA / chercheurs et auteurs: Jean Philippe OMOTUNDE et Doumbi FAKOL y - Les mathématiques égyptiennes IX. Le courant mathématique de L'UNIVERSITE JUSSIEUX Pre Pascal KOSSIVI HADJAMAGBO
DE
Le courant exégétique et égyptologique de Ankh et des éditions khepera, dirigé par Théophile OBENGA et par Cheikh Mbacke DIOP; Faite d'erreurs, d'essais et de dessaisissement, une telle conception de la vérité ne nous est pas seulement contemporaine, elle nous exonère encore des mauvaises batailles et nous invite à relire l'univers selon ce qu'il est convenu d'appeler le paradigme chaologique, celui attaché à décrire l'ordre chaotique irréductible du monde. Une telle invitation adressée aux chercheurs africains de créer des programmes de recherche adaptés à l'évolution de la science figure expressément dans Civilisation ou barbarie. 154
Or, seule cette intelligence perspectiviste du vrai permet de repérer sous la diversité des courants ici rassemblés ce qui fait l'unité dialectique et la solidarité scientifique du diopisme, tout en se maintenant dans la confrontation permanente et la controverse. Dans le nécessaire échange contradictoire. Un tel perspectivisme épistémologique et herméneutique invite à abandonner une certaine tradition linéaire, passionnée et à la vérité paresseuse, afin d'instruire rigoureusement les modalités d'un déplacement radical de la lecture de Cheikh Anta DIOP, et des antiquités égyptonubiennes africaines à la lumière de l'épistémologie moderne. La solidarité scientifique n'est pas à chercher dans des débats ad hominem, dans le manichéisme, le refus de citer les pairs - qui induit une pratique du plagiat-, le soupçon malsain et la conspiration du silence. Point de solidarité diopienne dans ces lieux travaillés par des errements et par la misère de la pensée. Mais bien à l'intérieur de ces rencontres faites de controverses fortes, de discussions continues, de réponses sans cesse formulées comme chez DIOP lui-même au demeurant. Cette exigence méthodique est lisible lors des colloques. C'est seulement de cette façon que nous pourrions recommencer à nous lire et à lire Cheikh Anta DIOP, c'està-dire à réinventer et à poursuivre l'une des œuvres les plus fécondes du XXè siècle, qui a eu le mérite de souligner la crise de la rationalité et la nécessité d'une révolution scientifique pour décrire correctement l'univers. Le parti qui est celui du président du colloque, est que les conditions historiques d'une telle révolution scientifique sont désormais réunies au sein des recherches en cours:
- Existence
d'une nouvelle élite rigoureusement
formée
(bien que peu nombreuse). - Renouvellement de la masse critique permettant de réfuter des allégations fausses jusqu'ici considérées comme des vérités.
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- Création des écoles rivales et des courants de pensée en débats - Début encore timide d'une lecture patiente de l'œuvre de DIOP - Début de lecture des textes sur DIOP - Naissance des premières revues scientifiques - Naissance des premières éditions autonomes -Naissance des premiers instituts attachés à la recherche, à l'enseignement et à la diplomation. (Dès l'année prochaine, nous allons faire soutenir les premières écoles doctorales dans le cadre de nos centres de recherche, dans une dynamique de coopération universitaire). - Organisation des Salons du Livre annuels (celui de Libreville qu'organise l'ICAD). -Organisation des colloques tournants (MENAIBUC). -Organisation d'une éthique de la recherche scientifique fondée sur l'échange contradictoire des courants rivaux, attachés au strict contrôle des connaissances. Toutefois, pour que cette révolution puisse être orchestrée, les recherches diopiennes gagnent à élaborer: I-une science ouverte - dont la traduction politique est la tolérance. 2-une éthique de la recherche scientifique fondée sur l'évaluation permanente du statut des arguments et de la démonstration. Cette irréductible part d'incertitude et de chaos qui participe de la matière invite à l'élaboration d'une logique ouverte et d'une herméneutique autre comme fondements d'une science nouvelle et pluridisciplinaire. Elle nous concerne tous les savants, les chercheurs et nous appelle à un travail ardu, dans l'acuité intellectuelle et le demisilence de nos situations conjoncturelles, pour conquérir ce nouveau paradigme et renouveler les sciences humaines et sociales en Afrique comme ailleurs. 3. Le défi méthodologique et théorique du colloque
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Mesdames, Messieurs, chers invités, par delà notre exhortation et notre invitation à abandonner le temps faible de la lecture du diopisme qui, à notre avis, a régné jusqu'ici sans partage du fait de l'absence d'une lecture circulaire des arguments et d'une discussion large entre différents auteurs, ce que l'Institut que je dirige a voulu tenter dans ce colloque, est de rendre possible la rencontre des chercheurs diopiens venus d'horizons divers, pour permettre le croisements de leurs méthodes et de leurs théories, la découverte des travaux de leurs revues, ceux de leurs des instituts et de leurs éditions à travers des rapprochements qui, hier encore, étaient impensables, impossibles. Peut-être l'essentiel est-il d'inciter à la prise de conscience de l'émergence sous nos yeux d'une nouvelle génération de chercheurs construisant graduellement une communauté savante, et portant la responsabilité historique de former sans cesse de jeunes chercheurs capables d'intégrer par la suite le paradigme dont l'élaboration a commencé avec DIOP et que nous entendons poursuivre et affiner. C'est ici que nous redécouvrons l' œuvre diopienne comme le lieu d'une nouvelle forme de solidarité dynamique, selon le prisme de la critique, de l'autocritique, auquel il conviendra d'ajouter l'autodérision, l'humour, voire l'ironie. D'où la nécessité d'une pensée diopienne redevenue objet d'investigations distanciées, pensées critiques, prenant des distances avec l'hagiographie et l'apologétique, redevenue aussi un travail de lecture critique interne et externe, pour garantir la chance de forcer la porte de la postérité. L'universalité et la force de l'œuvre diopienne tiennent du projet d'émancipation des hommes et du monde par la science et par la philosophie. Pour terminer, je voudrais rappeler que les avancées des recherches actuelles sur l'Afrique doivent nous obliger à plus de prudence, à plus de vigilance et surtout à plus de travail encore qu'autrefois: la naissance de la vie autour de la Rift Valley, l'Eve africaine et la sapientisation de l'homme, 157
l'antériorité historique des civilisations nègres, de la géométrie, de la médecine et de la philosophie et leur diffusion sur le reste du monde, l'invention égyptienne de la Grèce, Egypte nègre (dont la version tardive est Athéna fille de l'Egypte), la présence précolombienne des Noirs en Amérique, l'Ethiopie terre hébraïque, elle-même, fille de la Nubie. Aussi convient-il de faire bon usage de ces découvertes décisives, en nous accordant sur celles qui sont scientifiquement attestées et en abandonnant celles qui n'auraient pas satisfait au statut de science. La grande nouveauté des recherches sur l'Afrique est la prise en charge par les spécialistes africains, et notamment par les diopiens eux-mêmes du passé de l'Afrique à la lumière de l'Egypte et de la Nubie. L'autre nouveauté est que la relecture du passé africain entraîne nécessairement la relecture du passé des autres continents, notamment de la Grèce, de la Chine, de l'Inde, et bien plus tard, de l'Europe. Or, il y a seulement cinquante ans, nul ne pouvait admettre les hypothèses en vigueur aujourd'hui. Un tel renversement de perspectives doit rendre les hommes de science assez humbles et les obliger à abandonner les hypothèses devenues obsolètes. Le défie de la science de notre époque est là, dans cette nouvelle éthique de la découverte scientifique, développée par Richard Rorty, qui demande au chercheur de cesser de persévérer dans la justification des hypothèses fausses, et de prendre l'habitude d'abandonner les hypothèses récusées. En cela, ce colloque se veut unique, parce qu'il détermine pour la première fois l'avenir de la recherche sur l'Afrique, l'Egypte et le monde moderne, par la décision inaugurale de la mise à l'épreuve de I 'œuvre de DIOP et du diopisme par les diopiens eux-mêmes, afin d'en renouveler de l'intérieur l'effort et l'exigence de travail si fécond et si exemplaire de DIOP. Ce courage, cet Œdipe, cette responsabilité scientifique, voilà le secret de la réinvention et
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de la survie des grandes œuvres dans I'histoire, qUI autrement mourraient. Appelant à une telle réforme, je déclare ouvert le colloque International Cheikh Anta DIOP de Paris, organisé par l'Institut Cheikh Anta DIOP (ICAD) de l'Université Omar Bongo de Libreville.
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