L'Occupation du monde: Tome 2, Généalogie de la morale économique 2930601442, 9782930601441

Dans le prolongement de l’Occupation du monde paru en 2018, Généalogie de la morale économique expose quelques-unes des

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French Pages 445 [446] Year 2020

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L'Occupation du monde: Tome 2, Généalogie de la morale économique
 2930601442, 9782930601441

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Sylvain Piron Généalogie de la morale économique

Sylvain Piron (iénéalogie de la morale économique. VOccupation du monde, t. 2 Sylvain Piron est médiéviste, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales(Paris). Il est notamment l’auteur de Dialectique du monstre (Zones sensibles, 2015, Grand Prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois), et de UOccupation du monde (Zones sensibles, 2018). Conception graphique : Zones sensibles (Bruxelles) Photogravure : Olivier «Mistral » Dengis (Bruxelles) Typographie : Arnhem Pro &Lexicon Papiers : PlanoPlus 300 gr. &90 gr. (f s c , p e f c ) Impression &embossage : Graphius (Gand) Brochage : Benelux Boekbinders (Woerden, Pays-Bas) Made in Belgium & The Netherlands Copyright © 2020 Zones sensibles Diffusion-distribution : Leç Belles-Lettres 25, rue du Général Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France T. + 331451519 90 1F. + 33 145 15 19 99 1www.bldd.fr www.zones-sensibles.orgl9 7 8 2 9 3 0 6 0 1 4 4 1 1D /2020/ 12.254/4

Sylvain Piron

GÉNÉALOGIE DE LA MORALE ÉCONOMIQUE L’Occupation du monde, 2

Z

s

2020 ZONES SENSIBLES

Pactum serva

Ecce H om o

Qu’as-tu fait de ta vie, pitance de roi ? J’ai vu l’homme. Je n’ai pas vu l’homme comme la mouette, vague au ventre, qui file rapide sur la mer indéfinie. J’ai vu l’homme à la torche faible, ployé et qui cherchait. Il avait le sérieux de la puce qui saute, mais son saut était rare et réglementé. Sa cathédrale avait la flèche molle. Il était préoccupé. Je n’ai pas entendu l’homme, les yeux humides de piété, dire au serpent qui le pique mortellement: «Puisses-tu renaître homme et lire les Védas!» Mais j ’ai entendu l’homme comme un char lourd sur sa lancée écrasant mourants et morts et il ne se retournait pas.

[■··]

Je n’ai pas vu l’homme circulant dans la plaine et les plateaux de son être intérieur, mais je l’ai vu faisant travailler des atomes et de la vapeur d’eau, bombardant des fractions d’atomes, regardant avec des lunettes son estomac, sa vessie, les os de son corps et se cherchant en petits mor­ ceaux, en réflexes de chien. Je n’ai pas entendu le chant de l’homme, le chant de la contemplation des mondes, le chant de la sphère, le chant de l’immensité, le chant de l’éternelle attente. Mais j ’ai entendu son chant comme une dérision, comme un spasme. J’ai entendu sa voix comme un commandement, semblable à celle du tigre, lequel se charge en personne de son ravitaillement et s’y met tout entier. J’ai vu les visages de l’homme. Je n’ai pas vu le visage de l’homme comme un mur blanc qui fait lever les ombres de la pensée, comme une boule de cristal qui délivre des passages de l’avenir, mais comme une image qui fait peur et qui inspire la méfiance. Henri Michaux, Épreuves, exorcismes (1946).

C h a p itr e i E X O R C IS M E D U CAPITAL

Il y a quelque chose qui cloche. Les forêts brûlent, les glaciers fondent, les populations d’in­ sectes et d’oiseaux s’éteignent à grande vitesse1. On découvre des résidus de plastique là où l’on n’imaginait pas en trouver, jusqu’au sommet des montagnes ou au fond des océans. Les plus scep­ tiques finissent par comprendre que les experts du g i e c n’exagé­ raient pas, mais minoraient au contraire les risques pour ne pas effrayer les populations et proposer des objectifs modestes aux pouvoirs publics. L’Arctique se réchauffe bien plus vite que prévu, la fonte du permafrost accentuant la probabilité d’une augmenta­ tion exponentielle de la concentration de méthane dans l’atmos­ phère. Ce ne sont pas que des chiffres. Où que nous soyons, nous voyons le monde se défaire sous nos yeux. Rappelez-vous, l’Indre était à sec en septembre. Venise sous les eaux en novembre. La submersion des métropoles côtières a commencé par Djakarta. Bombay aura disparu dans trente ans. Sydney suffoque déjà. Il n’y a plus besoin de faire un grand effort d’imagination pour entre­ voir la catastrophe. Nous y sommes. Ce n’est pas encore l’effon­ drement, mais un lent glissement qui va s’accélérant*. * Ce chapitre a été rédigé en décembre 2019, dans l’ignorance de la propagation à Wuhan du virus qui allait gripper l’économie mondiale. Plutôt que de tenter une maladroite mise à jour après coup, il m’a semblé utile de conserver à titre docu­ mentaire un souvenir de l’état où en était la réflexion et des horizons concevables à ce moment. 9

CHAPITRE I

Pendant ce temps, la machinerie des sociétés industrielles continue de tourner à plein régime. Les émissions de gaz à effet de serre progressent d’année en année, au même rythme que le commerce mondial. À peine peut-on discerner quelques inflexions minimes à la marge. Le trafic aérien commencerait à régresser en Suède, la fréquentation des hypermarchés décline lentement. S’il est difficile de trouver d’autres exemples probants dans les indicateurs économiques, des signes encourageants sur­ gissent sur d’autres plans. La troupe des réfractaires s’accroît de semaine en semaine. Depuis deux ans, elle commence à prendre une ampleur et une tournure intéressantes, avec l’irruption de la jeunesse au-devant de la scène. Au-delà de la protestation, ce sont aussi des actions qui prennent forme. Certains se préparent à des existences moins faciles, quittent les métropoles pour retour­ ner dans les villages. Des démarches collectives s’organisent, fondées sur la solidarité et l’entraide. Pourtant, ce qui frappe le plus quand on observe le cours de l’existence dans les villes euro­ péennes, c’est la puissance des routines que n’altère pas la publi­ cation quotidienne de nouveaux comptes rendus du désastre. Chacun s’affaire à ses tâches, à ses projets, à ses distractions. Les habitudes acquises se prolongent, au prix de quelques aménage­ ments. Même ceux qui voudraient s’en défaire sont pris au piège du monde de la consommation qui ne cesse d’inventer des strata­ gèmes pour rendre indispensables des achats superflus. De leur côté, par calcul ou par faiblesse, les grandes organisations pour­ suivent sur leur lancée, sans guère manifester de penchant accru pour la sobriété. Pendant que les insanités publicitaires conti­ nuent d’obstruer l’horizon, un nouveau visage du capitalisme, prétendument vert, prospère, tandis que les marchés financiers continuent à spéculer sur la dégradation des conditions de vie et l’angoisse qu’elle engendre. Entre les dévastations industrielles avérées et la propension inchangée à absorber les dernières ten­ dances de la mode, ce que l’on sait et ce que l’on fait, la disso­ nance est maximale. Les diverses explications que l’on peut proposer pour expliquer cette incapacité collective se résument en un constat. Les socié­ tés occidentales sont affligées d’une ankylosé généralisée, une gêne temporaire du mouvement qui entrave l’adaptation aux cir­ constances. Elles sont prises dans une contradiction béante qui devient chaque jour plus oppressante. Alors que les obstacles à surmonter sont clairement identifiés, les démocraties semblent avoir totalement perdu la maîtrise de leur destin (sans parler des nations dominées qui ne l’ont jamais eu entre leurs mains, ni des 10

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dictatures qui n’ont pas à se soucier de feindre une détermina­ tion autonome). La soumission volontaire des populations et de leurs représentants à la puissance du capital est le phénomène le plus fascinant qui caractérise l’époque. Depuis une quarantaine d’années, les sociétés politiques ont délégué leur capacité d’inven­ tion de l’avenir aux seules forces économiques2. Sous couvert d’un objectif bénéfique pour tous - le retour du plein emploi après la crise des années 1970 -, la dérégulation des marchés et leur mon­ dialisation ont favorisé une concentration inouïe des revenus et un accroissement insupportable des inégalités. Dans leur définition classique, le travail et le commerce étaient compris comme des moyens subalternes, destinés à pourvoir aux nécessités essentielles, afin de permettre la réalisation d’une vie bonne et heureuse. Pour le dire avec Aristote, «la richesse n’est évidemment pas le bien recherché, car elle n’est utile qu’en fonc­ tion d’autre chose encore»3. C’est encore ainsi que John Maynard Keynes envisageait en 1930 l’avenir de ses petits-enfants. Ceux-ci pourraient, pensait-il, une fois atteint un état de prospérité durable, se consacrer aux «arts de la vie»4. Dès lors que la satis­ faction des besoins fondamentaux serait couverte, l’avidité capi­ taliste, admise depuis deux siècles par les moralistes modernes comme un mal nécessaire, pourrait être mise de côté. Elle est au contraire devenue la norme morale dominante. Le culte du profit s’affiche sans doute avec moins de pudeur aux États-Unis que sur le vieux continent. Le prestige de l’accumulation des richesses y atteint un tel degré qu’un président a pu y être élu pour posséder cette unique vertu, à l’exclusion de toutes les autres5. Toutefois, en Europe comme partout ailleurs, l’économie est devenue une fin en elle-même. Depuis près de cinquante ans, dans le débat public, les impératifs économiques priment sur toute autre considéra­ tion. Ce faisant, la marchandisation généralisée et la tyrannie de l’efficacité détruisent méthodiquement la place que conservaient encore des «arts de la vie» qui supposent, dans leur raison d’être, une certaine gratuité et des temporalités indéterminées. Le même mouvement de fond qui assèche toutes les formes culturelles au profit du seul règne de la marchandise se trouve ainsi être à l’ori­ gine simultanée du désastre écologique, de l’accroissement des injustices sociales et du marasme politique. Il y a plus de 130 ans, Friedrich Nietzsche vitupérait la morale bourgeoise et ses hypocrisies, issues d’un christianisme déclaré «ennemi de la vie». À l’âge de l’opulence, il n’y a plus guère de motif de faire porter la critique sur les conséquences délétères des «idéaux ascétiques»6. La question qui se pose est plutôt de 11

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comprendre ce que signifient les idéaux économiques et le chemi­ nement souterrain qui a fait procéder les seconds des premiers. Nous avons à déchiffrer, pour parler comme Walter Benjamin, l’af­ finité qui a permis au capitalisme de proliférer comme un parasite sur le christianisme7. Parce qu’ils se présentent sous l’apparence d’une libération à l’égard de toute contrainte morale d’origine religieuse, flattant les appétits sensuels, les idéaux économiques exercent une séduction qui leur assure une domination impla­ cable. Mais cette impression d’émancipation est trompeuse. Elle dissimule un asservissement plus âpre encore que ne l’était le joug des églises. Le règne de la marchandise n’apporte aucun sou­ lagement à ses fidèles, mais les soumet à des règles impitoyables dont le sens finit par leur échapper. L’injonction d’occuper sa vie à travailler et faire carrière, en s’endettant sans compter pour accu­ muler et consommer toujours plus n’a pas d’autre objet, en fin de compte, que d’assurer la reproduction du capital, érigée en condi­ tion de possibilité de la vie collective, au prix d’une destruction continue des conditions matérielles de vie sur terre. À la suite de Benjamin, on est parfois tenté d’identifier cette emprise des pro­ cessus économiques sur les existences à une nouvelle religion. L’analogie qui fait florès depuis un quart de siècle mériterait d’être examinée de près, comme un symptôme de cette éprouvante hégé­ monie8. Il me semble toutefois plus pertinent d’analyser le règne de l’idéologie économique comme une pathologie sociale dont la caractéristique majeure est l’absence radicale de tout esprit. S’il y a bien eu transfert et dérivation de l’une à l’autre forme d’organi­ sation globale des significations, avec une persistance flagrante de certains modes d’expression dogmatique, la disparité de leurs contenus retient de les mettre sur le même plan. Tout au plus pourrait-on parler de «religion séculière» dans le cas du commu­ nisme, variante radicalisée de la domination économique qui s’est manifestée historiquement comme un capitalisme d’État et qui ne sera pas considérée ici comme une perspective susceptible de conduire à une libération. Plus d’un siècle après que Nietzsche a proclamé la mort de Dieu, il faut donc reprendre le marteau de la critique pour éprou­ ver les nouvelles idoles de l’époque avec une détermination égale. Appeler à l’inversion de toutes les valeurs revient aujourd’hui à destituer la seule valeur régnante. Il n’y aura pas d’issue à l’im­ passe dans laquelle s’enferre la société industrielle tant que la mesure sociale fondamentale sera fournie par la production d’uni­ tés de valeur marchande et non pas, disons, par la contribution au bien-être collectif de tous les hôtes de la biosphère. 12

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Ce chapitre introductif propose de faire une nouvelle fois le tour de la question, pour en faire ressortir les enjeux politiques, avant de s’engager dans différentes explorations qui seront insé­ parablement historiques et critiques. Le recours à l’histoire Comme ce livre entend le montrer, cette domination de l’écono­ mie vient de très loin. Pour apprécier les embarras du monde contemporain, l’histoire intellectuelle du Moyen Âge occidental offre un excellent obser­ vatoire. Le privilège de la période médiévale tient à la position qu’elle occupe: elle constitue l’altérité la plus proche du monde moderne. De ce fait, elle propose un point de vue sans égal pour juger de son devenir. Placé dans une perspective de longue durée, le moment présent perd un peu de son caractère de surgissement indéchiffrable. Les médiévistes peuvent y reconnaître certains thèmes familiers de la théologie chrétienne qui, étrangement, prennent une saillance plus nette ces derniers temps avec l’épa­ nouissement sans frein de l’idéologie néo-libérale. L’obsession du travail comme seule activité sociale valide qui doit occuper l’essentiel du temps profane des fidèles; l’idée que les rapports sociaux sont fondés sur des choix rationnels, énoncés par des personnes singulières, responsables de leurs actes devant Dieu; la certitude que les humains, voués à l’égoïsme par l’effet du péché originel, ne savent rechercher spontanément que leur propre intérêt; la croyance qu’une intervention providentielle met en cohérence leurs décisions individuelles pour le bien de tous. Les principaux dogmes de la théologie économique contempo­ raine ne sont que des reformulations, sous d’autres habits, de pro­ positions doctrinales énoncées au cours du second millénaire de l’histoire chrétienne9. On aura l’occasion d’en examiner certaines de plus près dans les chapitres qui suivent. Le mystère qui reste à élucider sera de comprendre pourquoi ces idées ont refait surface aussi puissamment dans les dernières décennies. L’histoire de la pensée économique, si l’on accepte d’en étendre les bornes en amont du x v m e siècle, permet de rendre sensible la persistance de cette structure de pensée. Les économistes sont habituellement rétifs à une telle extension, préférant croire que les fondements de leur discipline ont été formulés de façon purement rationnelle à l’âge des Lumières, lorsqu’auraient sou­ dain reflué la superstition et l’obscurantisme religieux10. En réa­ lité, pour une très large part, le raisonnement économique est un produit de la rationalité scolastique. Le déni de ces origines se 13

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manifeste notamment par l’indifférence de la discipline à l’égard d’œuvres aussi marquantes que celles du franciscain languedo­ cien Pierre de Jean Olivi à la fin du x m e siècle, que l’on a présenté dans le précédent volume, ou du jésuite flamand Léonard Lessius au début du x v n e auquel Wim Decock a consacré un livre essen­ tiel11. Ces ancêtres sont gênants à plusieurs titres. Leur seule exis­ tence révèle l’origine impure d’un questionnement qui ne relève­ rait pas d’une stricte approche scientifique mais aurait, je tremble à le dire, quelque chose à voir avec Dieu. La finesse de leurs raison­ nements pourrait bien éclipser certaines apories des économistes classiques, comme l’avait justement perçu Joseph Schumpeter (on y viendra au chapitre v m )12. En décrivant des sujets actifs au sein de communautés politiques organisées, nouant des relations au moyen de contrats définis par des qualifications juridiques, les scolastiques énoncent distinctement les conditions de possibilité institutionnelles et morales de l’échange marchand que la tradi­ tion classique et néo-classique tend à occulter. À ce titre, la lecture des scolastiques pourrait utilement alimenter une critique interne à la discipline. C’est un autre aspect qui nous intéresse davantage ici. Les réflexions d’Olivi et de Lessius rendent un son familier aux oreilles modernes pour des motifs convergents. Tous deux pro­ posent une philosophie morale et juridique des relations com­ merciales et financières, particulièrement bien informée des pra­ tiques contemporaines et compréhensive à l’égard des bourgeoi­ sies marchandes, au nom d’une doctrine de la liberté de la volonté qui accorde une part essentielle au libre-arbitre dans l’obtention du salut13. Loin de se réduire à une simple justification cynique du profit marchand et financier, leur proposition de fond est d’ordre éthique. L’un comme l’autre envisagent la possibilité d’un comportement économique juste, orienté par le bien commun, assumé librement par des acteurs qui ont la décence de ne pas prendre plus que leur part, sans excéder les limites du juste prix ni abuser de la faiblesse d’autrui. La ressemblance de cette conduite avec ce que l’historien britannique E. P. Thompson décrit comme 1’«économie morale» de la classe ouvrière anglaise au xvme siècle n’est pas fortuite14. Dans son Traité, Olivi cherche avant tout à énoncer les règles de justice que se donnent les communautés urbaines dans lesquelles il vit, dont il défend la légitimité pour de multiples raisons, théologiques, philosophiques et pratiques à la fois. La régulation morale des marchés n’est pas une invention de théologien, mais la réponse de collectifs organisés à l’expansion des relations monétaires qui menacent leur équilibre interne. 14

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L’adoption comme terme de référence de la figure inverse du marchand égoïste qui n’agit que dans son seul intérêt pro­ cède bien plus nettement, quant à elle, d’une source religieuse, appliquée à une nouvelle situation politique. Son émergence ne se comprend que dans le cadre de l’anthropologie calviniste de Thomas Hobbes. La constitution du monstre artificiel et paci­ ficateur qu’est son Léviathan visait à résoudre la question d’une socialisation d’individus radicalement corrompus par le péché originel. La socialisation par le marché n’est qu’une variante de ce premier modèle qui dérive de la solution donnée par John Locke au même problème. (Cette généalogie peut surprendre, mais pour comprendre quelque chose à cette histoire, il ne faut surtout pas disjoindre la pensée de l’économie de celle de la politique). Une figure aussi absurde et étrangère à toute expérience humaine que celle de l’individu tourné vers la maximisation de son utilité n’au­ rait pu être conçue hors d’un tel étayage dogmatique. La crispa­ tion de l’économie néo-classique sur cette hypothèse anthropolo­ gique lui interdit d’entrer en dialogue avec des états plus récents de la réflexion psychologique ou sociologique. Au lieu de chercher à combler cet écart par des échanges ouverts, le mouvement de fond qui s’observe est au contraire une tendance à la colonisation des disciplines voisines15. Une psychologie de laboratoire, indif­ férente à une problématique aussi massive que celle de l’incons­ cient, est ainsi chargée de valider les a priori des théories du choix rationnel16. L’incapacité dont témoigne la science économique à engager une réflexion critique sur ses postulats est due pour l’es­ sentiel à l’héritage refoulé de sa provenance théologique. L’éthique des relations marchandes formulée par les scolas­ tiques importe également comme rouage d’un processus his­ torique qui s’est déroulé au cours du second millénaire de notre ère. En courant le risque de la simplification, on peut le résumer d’une formule: l’Occident chrétien a produit sans le vouloir les instruments de sa déchristianisation. Dans un premier temps, à partir du x ie siècle, affichant des prétentions impériales qu’elle ne pouvait exercer, l’Église romaine a rendu sensible la dissociation des légitimités politique et religieuse, ce qui a facilité à terme leur désemboîtement. En retour, la bureaucratie céleste de la papauté a fourni un modèle aux royautés d’Occident. Empruntant à la théo­ rie juridique et à la théologie scolastique, celles-ci se sont défi­ nies peu à peu comme des corps politiques abstraits, dotés d’une perpétuité sans variation, semblable à celle des anges, au sein de limites territoriales circonscrites17. Cette construction institution­ nelle a ainsi permis de subordonner l’autorité spirituelle au sein 15

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d’Églises nationales, avant qu’elle se retourne (en Angleterre, puis en France) contre des monarques de droit divin, au nom de l’au­ tonomie de corps politiques qui affirmaient ainsi leur capacité à se doter de leur propre représentation. En parallèle, un processus similaire s’est déroulé dans l’ordre de la connaissance. Cherchant à attraper Dieu dans les filets de la logique en concevant une divi­ nité intégralement rationnelle, les théologiens ont élaboré un savoir du monde, physique et métaphysique, issu de ce monstre de rationalité qui a fini par ramener le Créateur au rang d’une simple hypothèse dont la science moderne a finalement cru pouvoir se passer. Ce mouvement n’aurait pu se déployer sans prendre appui sur une dynamique matérielle qui en constitue le troisième terme. C’est ce que je propose de décrire par le mot d’«occupation», en prenant le terme dans un double sens. D’une part, la prise de pos­ session d’un espace occupé de part en part de façon continue, l’installation humaine dans un maillage étroit liant les campagnes aux villes, qui déborde ensuite dans les continents nouvellement conquis en adoptant des formes de domination extensive; de l’autre, une pleine occupation du temps investi dans des activités pratiques, la mobilisation des énergies dans le travail ou l’échange. Le désenchantement du monde s’est joué sur ces trois tableaux, dans l’ordre du pouvoir, du savoir et de ces pratiques sociales aux­ quelles nous donnons par commodité le nom d’économie. Sur ces trois plans, liés entre eux par une solidarité étroite, l’expérience terrestre a pris corps, à l’écart de la médiation religieuse, mais avec la paradoxale bénédiction de cette dernière. Les réflexions d’Olivi ou de Lessius en fournissent l’approbation la plus lucide dans le domaine économique. De leur point de vue, l’approfondissement d’une dynamique de la transcendance divine conduisait très logi­ quement à inviter les humains à construire leur monde social en fonction de règles de justice adaptées à leur situation18. Il faut donner raison à Marcel Gauchet. L’Occident est bien sorti de la religion, en comprenant le terme au sens très précis d’une structuration de la vie collective sur un mode hiérarchique, dépendant d’un au-delà qui lui impose ses règles d’organisation. Au cours du dernier demi-siècle, la dernière étape en a été franchie en Occident et le reste du monde suit la même route cahin-caha, au prix de réactions parfois tumultueuses. Toutes les structures qui englobaient les individus dans des totalités plus vastes qu’eux se sont dissoutes les unes après les autres, laissant subsister des sujets sans appartenance essentielle, chargés de se définir euxmêmes et souvent passablement embarrassés par l’exercice qui leur est imposé19. Cet ultime retrait du divin est à coup sûr la 16

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source majeure du désarroi actuel. Pour autant, nous ne sommes pas entrés d’un coup dans un univers radicalement neuf. Les prin­ cipales institutions qui balisent ce paysage - l’État, la science et le capitalisme - restent marquées par l’histoire qui les a consti­ tuées. On en retient généralement l’aspect le plus moderne, leur froide efficacité rationnelle. Mais en les observant dans une autre lumière, sous l’angle de leur provenance, de la dialectique qui en a porté la constitution et des résidus de ce parcours qui demeurent inscrits en elles, il est permis de formuler un diagnostic légère­ ment différent. Nous vivons dans les ruines du christianisme20. Dans les ruines du christianisme Pour présenter un début de vraisemblance, l’analyse ne peut s’en tenir au seul cas de la pensée économique qui serait demeu­ rée un étrange vestige du passé, égaré au milieu d’un univers devenu intégralement moderne. Le marteau de la critique généa­ logique doit s’abattre avec une vigueur égale sur tous les complices du règne de l’utile pour éprouver la matière dont ils sont faits. Commençons par l’évidence la mieux cachée, dont on tire rarement toutes les conséquences. L’athéisme est une croyance à l’inexistence de Dieu. Ce n’est pas autre chose qu’une théologie négative qui se retourne en affirmation, pour conclure de l’incon­ naissable à l’inexistant: tout phénomène qui excède l’expérience ordinaire ne saurait avoir de réalité. Or, comme le savent tous ceux qui étudient des périodes anciennes ou des phénomènes rares, l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. La certitude qu’il n’existe rien au-delà de la matière que l’instrumentation scientifique parvient à cerner dans ses détecteurs de particules ou à visualiser par l’imagerie cérébrale n’est pas mieux fondée que la conviction d’une survie de l’esprit humain à la mort biolo­ gique. Si le propre d’une attitude scientifique consiste à admettre les limites de la connaissance qu’elle peut atteindre, l’humilité devrait être une règle épistémologique fondamentale sur ce point. L’anthropologie et l’histoire des religions témoignent, dans toutes les cultures connues, d’une infinie diversité de relations avec des esprits, des ancêtres ou des divinités. Les dénoncer au nom de la science comme autant de superstitions, en reproduisant jusqu’au vocabulaire des missionnaires chrétiens, serait le comble de l’eth­ nocentrisme. Il est tout aussi présomptueux d’affirmer, sur la foi du matérialisme occidental, que ces phénomènes ne seraient que le seul fruit de l’imagination21. Existe-t-il une autre réalité qui échapperait à nos radars? À la vérité, nous n’en savons rien. Les règles de l’anthropologie symétrique invitent à faire preuve d’un 17

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peu plus de modestie dans les jugements qu’un Occidental peut porter sur ce qui dépasse son entendement. Dans cette perspec­ tive, s’il fallait prendre également au sérieux tous les témoignages d’expériences de l’au-delà comme autant de sondages d’un conti­ nent inconnu, sa géographie serait d’une complexité sans nom. À ce compte, l’invisible serait tout sauf transparent. Nous vivons dans les ruines du christianisme, non pas au sens où certains décombres en demeureraient visibles çà et là. C’est plutôt que l’ensemble des institutions et des manières de penser du monde occidental ont été modelées par une entreprise de ratio­ nalisation du divin. Elles portent en elles l’empreinte d’un Dieu conçu par des logiciens comme capable d’accomplir tout ce qui n’est pas une contradiction dans les termes, mais qui se contente la plupart du temps de maintenir en l’état un ordre rationnel du monde créé. Son retrait laisse subsister la coexistence incon­ grue d’un matérialisme sans esprit et du fantôme d’une toutepuissance créatrice et omnisciente. Il faut prendre un recul impor­ tant pour discerner les traces imprimées par cette absence, car la définition même du réel que nous avons l’habitude de percevoir est tributaire de cette opération. Les sciences qui se proposent d’identifier des «lois de la nature» portent en elles, sans toujours le savoir, la réminiscence d’un Dieu législateur, créant à travers son Logos un monde unique et ordonné, composé d’éléments dis­ crets et intégralement connaissable en droit par la raison. La mise en équations différentielles qui procure un caractère scientifique à ces lois, à partir de Newton, n’efface pas leur tournure normative. Lorsque Galilée proclame que le grand livre de l’univers «est écrit dans une langue mathématique»22, il prolonge une métaphore rendue célèbre par Hugues de Saint-Victor au début du x n e siècle («Tout cet univers sensible est pareil à un livre écrit du doigt de Dieu»23), qui est loin d’être éteinte. Lors de l’annonce du premier séquençage complet du génome humain en juin 2000, le respon­ sable du projet déclara son émotion d’avoir mis au jour «notre propre livret d’instructions, connu auparavant de Dieu seul»24. Les moyens d’investigation changent plus vite que la structura­ tion symbolique de la réalité. L’oubli du Moyen Âge entretient l’illusion que la modernité savante se serait construite depuis le x v n e siècle dans une relation directe à la philosophie grecque alors que celle-ci a d’abord été, pour une très large part, reconfigurée par la théologie rationnelle du x m e siècle. L’Aristote des Occidentaux, avec et contre lequel s’est constituée la physique moderne, est d’abord celui qu’ont lu et commenté Albert le Grand et Thomas d’Aquin. La science 18

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occidentale s’est organisée en prenant appui sur des catégories mises en place à la faveur d’une dissociation entre les savoirs natu­ rels et la théologie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le processus n’a pas toujours été conflictuel et les plus rationalistes ne sont pas forcément ceux que l’on attendrait dans ce rôle. L’un des cas les plus évidents concerne la dichotomie entre la matière et l’esprit. Celui que je voudrais évoquer de façon un peu plus pré­ cise tient à la construction du concept de nature25. Naturel et surnaturel L’entreprise comparatiste menée par Philippe Descola a pro­ curé l’un des remaniements intellectuels les plus stimulants de ce début de millénaire26. En montrant que l’opposition entre nature et culture n’avait rien d’universel, mais constituait une disjonc­ tion particulière de la modernité, il a ouvert une brèche qui per­ met d’accueillir de nouveaux questionnements sur les relations qu’entretiennent les humains avec leurs milieux. (Pour autant, comme le rappelle Virginie Maris, il serait téméraire de liquider totalement ce concept de nature si l’on veut continuer à penser la «part sauvage du monde»27.) Dans son exposé de la formation de ce grand partage, Descola endosse le récit que fait Michel Foucault d’un surgissement brusque et inexpliqué de l’épistémologie des modernes au x v n e siècle28. Sur ce point, Foucault péchait par ignorance, en se contentant d’un tableau rapide et approximatif des savoirs de la Renaissance, avec une indifférence totale pour la pensée du Moyen Âge central29. Cinquante ans après Les Mots et les choses, l’affirmation d’une telle discontinuité n’est plus tenable. À rebours de l’idée d’un surgissement soudain, une lec­ ture plus attentive des sources conduit à identifier une lente construction qui s’étend sur plusieurs siècles et débute dans les salles de cours de théologie au milieu du x m e siècle. Le concept de nature s’est constitué à la faveur du déploiement d’une distinction entre les causes naturelles et surnaturelles. Pour que la «nature» devienne un objet de science et d’investi­ gation, il fallait qu’elle puisse être conçue hors de tout élément «surnaturel». L’introduction de cette distinction a été le fait de Thomas d’Aquin. Il s’agissait, pour le maître dominicain, de situer les terrains respectifs de la physique aristotélicienne et d’une théologie d’inspiration néo-platonicienne provenant du pseudo-Denys l’Aréopagite, en reprenant le vocabulaire propre à chacun. (L’adjectif supernaturalis est fréquent dans les traduc­ tions latines de Denys, pour désigner ce qui sort de l’ordinaire, sans posséder de sens technique précis.) Si les deux ordres de 19

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phénomènes relèvent de règles différentes, ils forment ensemble un monde unifié. Dans un rapport d’emboîtement hiérarchique, tous les étants participent à l’être, lequel agit à travers eux et est ainsi constamment présent au monde. Cette intrication passe également par la reconnaissance, chez l’être humain, d’un désir naturel d’atteindre des réalités surnaturelles que seule la divinité peut lui accorder, par un don gratuit30. Les facultés naturelles des humains les poussent à désirer un bien - le salut et la vision béatifique de l’au-delà - qu’ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes. La distinction s’est rapidement imposée dans le vocabulaire scolastique. Inévitablement, à l’encontre de son usage initial, elle a peu à peu servi à penser la dissociation des ordres de réalité. Quelques années après la mort de Thomas d’Aquin, Olivi a été le premier à la faire jouer en ce sens. Abandonnant toute notion de participation, il accorde à la causalité surnaturelle le seul rôle de maintenir dans l’être, par une création continuée, des étants dotés d’une puissance d’agir autonome31. Le point de rupture a été atteint bien plus tard, au tout début du xvie siècle, par un dominicain qui se voulait fidèle à son maître. Le cardinal Thomas de Vio, dit Cajetan, ne luttait plus pour imposer la lecture des philosophes mais au contraire pour défendre, contre une inva­ sion par la philosophie, l’autonomie d’un champ théologique gouverné par la liberté divine32. Afin de mettre en valeur l’ordre surnaturel dans sa différence fondamentale, l’hypothèse de la «pure nature» consistait à imaginer par contraste un état dans lequel les humains n’auraient pas d’autres désirs que ceux qu’ils peuvent satisfaire en cette vie. Cette piste revenait à envisager l’autonomie complète du monde naturel et social qui serait pen­ sable, par hypothèse, hors de toute relation à Dieu33. L’expression n’est pas restée confinée dans le champ clos des écoles; on la trouve sous la plume de philosophes et de savants qui cherchent à déchiffrer les règles d’un monde au sein duquel la divinité n’in­ tervient plus, mais qu’elle a néanmoins ordonné dans sa sagesse. La constitution d’un univers concevable sans Dieu n’a pas été obtenue de haute lutte grâce à l’action de courageux penseurs opprimés par une Église attardée, mais voulue par les théologiens eux-mêmes. De ce fait, le monde matériel laissé à la curiosité des savoirs profanes souffre d’un irréparable défaut de conception. Sa structure s’est d’abord organisée en fonction du point de vue d’un Dieu absent.

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L’ombre des postulats chrétiens Nous n’avons pas une expérience immédiate des choses. Le monde qui nous entoure ne nous devient intelligible qu’en fonction d’une élaboration par l’esprit humain de diverses média­ tions qui lui donnent sens, la production de ce qu’Ernst Cassirer qualifie de «formes symboliques». L’objectivité scientifique n’est pas une donnée immédiate de l’expérience, mais le résultat d’une construction interprétative. La proposition de Cassirer, nourrie de lectures menées dans la bibliothèque d’Aby Warburg tout au long des années 1920, constituait une réponse au nouveau pay­ sage scientifique qui émergeait alors34. La découverte de géomé­ tries non euclidiennes et leur usage en physique imposaient de rénover la définition kantienne de la production de l’objectivité. La démarche de Cassirer a pour intérêt majeur d’envisager une pluralité de formes symboliques dont la connaissance scientifique n’est qu’une branche, enchevêtrée avec d’autres (langage, mythe, art ou religion) pour constituer un monde de représentations. De ce fait, le savoir le plus abstrait reste malgré tout contraint par l’univers symbolique dans lequel il s’exprime. Énoncé très som­ mairement, ce programme constitue l’un des fondements théo­ riques de la recherche menée ici. En dépit de percées indiscutables qui ont rompu avec l’imagi­ naire de la mécanique newtonienne (l’évolution des espèces, la relativité générale ou la physique quantique), l’organisation des savoirs actuels témoigne de difficultés à constituer un nouvel uni­ vers symbolique qui s’émanciperait des postulats de la cosmologie chrétienne. Prenons l’exemple de l’astrophysique, champ actif s’il en est, où de nouvelles observations donnent lieu de mois en mois à des découvertes majeures. À ce jour, la théorie dominante rend compte des données recueillies au sein du scenario d’une expan­ sion accélérée de l’Univers. La théorie n’est cependant pas stricte­ ment issue de l’observation, puisqu’elle doit faire appel à un cer­ tain nombre d’entités dont les caractéristiques sortent de l’ordi­ naire, postulées pour le maintien de sa cohérence mais impos­ sibles à observer, telles qu’une «énergie sombre» à la pression négative qui occuperait uniformément l’essentiel de l’Univers, ou la «matière noire» dont les concentrations supposées permet­ traient d’expliquer la distribution des objets observés. Ce serait une critique injuste et trop facile d’invoquer un arrière-plan chré­ tien de l’hypothèse du Big Bang, en dépit du rôle qu’a tenu dans sa formulation initiale l’abbé catholique belge Georges Lemaître, puisque la théorie de l’expansion est en réalité indifférente à l’hypothèse d’un commencement absolu35. Le point crucial tient 21

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davantage au postulat d’une unité homogène de l’Univers, avec lequel il semble bien plus difficile de rompre. À titre d’expérience de pensée, il vaudrait la peine d’imaginer ce que pourrait être une astrophysique imprégnée de métaphysique indienne ou chinoise, qui ne répugnent ni l’une ni l’autre à la pluralité des principes ou des mondes. La discipline scientifique dans laquelle la vision mécaniste demeure la plus prégnante est actuellement la génétique. Celle-ci s’est développée depuis les années i960 sur la base d’une concep­ tion réductrice du vivant qui prend facilement, on l’a vu plus haut, des accents théologiques. La génétique a été initialement pensée par référence à l’informatique, I’adn étant comparée à un programme capable de décrire dans son intégralité le dévelop­ pement et le comportement d’un organisme. Comme le montre Giuseppe Longo, ce fut une erreur grossière de prendre la méta­ phore à la lettre, en dissociant le logiciel que serait I’adn de la matérialité du vivant36. Si la séparation du logiciel et du matériel est essentielle en informatique, elle conduit à des simplifications dramatiques en biologie. En témoigne l’échec total de la «guerre contre le cancer» lancée à grands frais par Nixon en 1971, menée au moyen d’une thérapie génétique qui était censée «reprogram­ mer» les cellules cancéreuses. En dépit de financements colossaux et de l’implication intéressée de l’industrie pharmaceutique, les résultats sont indigents. Près de cinquante ans plus tard, seul un nombre infime de traitements est proposé à des coûts prohibitifs. L’hypothèse de travail était tout simplement fausse. Depuis que l’observation des cellules individuelles est possible, on découvre au contraire de fortes irrégularités dans l’expression des gènes. Jean-Jacques Kupiec souligne l’omniprésence de variations aléa­ toires dans un vivant qu’il décrit comme «anarchique»37. Les organismes ne se développent pas de façon autocentrée selon une structure prédéterminée par leur codage génétique, mais en rela­ tion à un milieu dont ils font partie et qui les pénètre. La probabi­ lité d’un développement cancéreux ne peut se comprendre au seul niveau de la cellule, mais dans l’organisation des tissus, en fonc­ tion de l’état global de l’organisme et de ses relations avec l’éco­ système environnant. L’une des rares avancées notables est d’ail­ leurs venue de ce côté, avec la mise en évidence par la biologiste argentine Ana Soto du rôle cancérigène des perturbateurs endo­ criniens produits par l’industrie du plastique38. (Beauté de l’ap­ proche contextuelle : c’est en analysant la composition des éprou­ vettes dans lesquelles elle observait une prolifération anormale de tissus cancéreux qu’Ana Soto a isolé la molécule responsable.) 22

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Les convergences de la génétique avec l’économie néo-libérale mériteraient de longs développements. Ils ne se réduisent pas aux convoitises que suscite la commercialisation du vivant. Dans sa variante «évolutionniste», la génétique fournit une confirmation naturelle des axiomes néo-libéraux - séparation des individus, compétition, sélection des meilleurs -, en les confortant par une justification de l’inégalité innée des talents que le raisonnement économique serait incapable de produire39. Complices, les deux disciplines présentent également des parentés épistémologiques. Elles privilégient le calcul d’éléments discrets sur la mesure de grandeurs continues et partagent l’illusion d’un contrôle total exercé depuis le point de vue d’un observateur extérieur au sys­ tème. Elles font, en somme, perdurer le fantôme d’une toute-puis­ sance omnisciente. On peut présumer sans trop de risques d’er­ reur que l’exploitation du «big data», recherche mécanique de cor­ rélations significatives sans problématisation théorique préalable, reconduisant les mêmes biais, sera tout aussi stérile. Les moyens d’investigations changent décidément plus vite que la structura­ tion symbolique de la réalité. Ces schémas mécanistes sont guettés par l’obsolescence. Dans de nombreux domaines, les pistes de recherche les plus fruc­ tueuses remettent en cause les partages anciens. De nouvelles interprétations philosophiques de la physique quantique visent à dépasser la dualité entre l’esprit et la matière, en explorant l’hypothèse d’une intrication des phénomènes physiques et psy­ chiques40. L’hypothèse de l’intrication se confirme aussi dans l’ordre du vivant. Il est maintenant bien connu que les arbres communiquent entre eux, qu’ils peuvent former des réseaux potentiellement immortels41. Ce ne sont pas les seuls végétaux dotés d’intelligence. Comme le montrent les expériences réali­ sées par Monica Gagliano, des plantes aussi frêles que les petits pois savent faire preuve d’imagination dans leur recherche de l’eau ou de la lumière42. Lorsque les modalités de la communi­ cation végétale seront mieux comprises, on découvrira peut-être que les animaux savent aussi se parler sur les mêmes fréquences, les humains partageant logiquement cette aptitude. Sur de mul­ tiples fronts, ces travaux confortent le programme énoncé il y a plus d’un demi-siècle par Gregory Bateson, visant à dépasser la séparation entre la matière et l’esprit, en accordant une précédence aux relations entre les termes d’un système sur les indi­ vidus qui le composent43. Attribuer le privilège de l’esprit aux seuls humains revient à reconduire le statut que leur accordait la théologie chrétienne, qui réservait aux créatures rationnelles la 23

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possibilité d’accéder au salut. Sur ce point, le rationalisme athée le plus intransigeant est en réalité parfaitement solidaire de son adversaire déclaré44. La machine folle La question n’est plus de savoir quand ou comment s’effon­ drera le capitalisme spéculatif. L’urgence est plutôt de réfléchir aux fondements sur lesquels une société démocratique, ayant la justice et l’écologie comme mots d’ordre, peut se recomposer après sa chute. L’aggravation de la dévastation environnementale est intrinsè­ quement liée à la mutation financière de l’économie au cours de ces dernières décennies. Pour reprendre l’expression de Maurice Allais, 1974 a bien été l’année de la «cassure» d’un modèle de déve­ loppement autocentré des vieux pays industrialisés45. L’ouverture des échanges et l’essor des marchés financiers ont causé depuis cette date une destruction continue de l’emploi industriel de ces nations qui a eu pour contrepartie une concentration des richesses et du pouvoir à l’échelle mondiale46. Mais il faut bien avoir en tête la cause première de la cassure. En laissant flotter le dollar en 1971, sous le poids de leurs déficits public, commercial et énergétique, les États-Unis ont choisi d’assurer leur hégémonie mondiale par l’endettement. Pierre-Yves Gomez fait ressortir un détail significa­ tif. C’est en 1974 que les caisses de retraite, auparavant intégrées aux grandes entreprises, sont constituées en entités séparées, inci­ tées à investir en actions et obligations (comme il le suggère, il est plus parlant de conserver la traduction correcte de «caisses de retraite » pour décrire ces trop fameux pension funds, afin de ne pas perdre de vue le transfert de temporalités qui s’opère par ce biais, l’endettement sur le futur et la réduction des coûts du travail actuel finançant les loisirs des générations précédentes)47. L’expansion rapide de la bourse de New York a été suivie par celles des places mondiales dans la décennie suivante. Avec la fougue des nouveaux convertis, de hauts fonctionnaires français, proches ou issus du parti socialiste, ont alors imposé dans les institutions internatio­ nales le dogme de la libre circulation des capitaux48. En Europe, l’Acte unique de 1986 qui lui accorde un statut quasiment consti­ tutionnel a été la grande œuvre de Jacques Delors. Depuis cette époque, la puissance publique a été comme dévorée de l’inté­ rieur par les intérêts financiers des banques et des grandes firmes multinationales49. Le phénomène a été particulièrement odieux dans la France mitterrandienne, dont le macronisme constitue la sinistre continuation, toute honte bue désormais, sans que le 24

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pays ait connu le moindre répit entre temps. L’effondrement de l’empire soviétique a assuré à ce nouveau régime une emprise mondiale, portée par un sentiment de triomphe idéologique et culturel irréversible. Les technologies numériques lui ont procuré plusieurs vagues d’accélération, à différents étages du processus, aussi bien dans les protocoles d’échange, les biens d’équipement, les contenus et la multiplication infinie des intermédiations. Dans ce capitalisme spéculatif, sous le régime de la cotation en continu, les entreprises ne sont plus valorisées en fonction de leurs résul­ tats passés, mais selon des perspectives de profit publiées de tri­ mestre en trimestre. L’obligation de maintenir une rentabilité financière élevée à court terme accentue la tendance à la concen­ tration des entreprises dans chaque secteur. Un impératif d’inno­ vation permanente conduit au renouvellement de produits à durée de vie toujours plus brève, dans une temporalité si courte qu’elle empêche en réalité toute innovation technique majeure et qui bride évidemment toute vision à long terme50. Aimanté par la nécessité d’annoncer des profits à venir, de créer sans cesse «de la valeur pour l’actionnaire», le système financier est incapable d’intégrer la notion de limites matérielles impo­ sées par l’environnement, ou morales dictées par la conscience. On sait à présent que le lobby des industries pétrolières a engagé une campagne de désinformation dès la fin des années 1980, quand la corrélation entre la combustion des énergies fossiles et le changement climatique est entrée dans le débat public, pour nier des faits avérés et discréditer la possibilité d’alternatives viables51. Mais c’est dans son principe même que ce capitalisme techno-financier est négationniste. Les outils qu’impose l’idéo­ logie néo-libérale ont voué la planète à trente ans d’inaction, en interdisant d’adopter des réglementations contraignantes. Outre le scandale conceptuel qui fait prévaloir un calcul de rentabilité (l’analyse coûts-bénéfices) sur la décision politique52, l’hypothèse d’une maîtrise des émissions de gaz à effet de serre par le marché du carbone est une impasse dont l’absurdité a été plusieurs fois dénoncée53. En privilégiant la compensation plutôt que la réduc­ tion des pollutions, avec des conséquences parfois dramatiques pour les populations des pays pauvres qui ont à subir la mise en œuvre de ces compensations de riches, l’idée même d’un marché des «droits à polluer» démontre qu’un ordre capitaliste, pourvu d’œillères si serrées, ne peut concevoir d’autre perspective qu’une spéculation sur le désastre. Le risque le plus imminent de rupture des approvisionnements de base dans les pays développés tient moins à l’épuisement des 25

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ressources qu’aux fragilités de sociétés usées par la mondialisation commerciale, conjuguées au regain de dispositions belliqueuses en de nombreux points du globe. Le premier effondrement qui s’en suivra pourrait être celui du système financier mondial. À la suite de la crise de 2008, aucune réforme structurelle n’a été enga­ gée54. Comme après l’éclatement de chaque bulle spéculative, les banques centrales ont eu pour seule réponse une nouvelle injec­ tion massive de liquidités, sans que soient posées de limites à la dérégulation. Le crédit facile a attisé depuis dix ans une profusion d’activités superflues et la constitution de nouvelles bulles, fidu­ ciaires ou immobilières. La privatisation des marchés financiers, loin de renforcer la stabilité et la transparence, encourage au contraire des pratiques de plus en plus opaques55. L’intrication mutuelle des économies est telle que les productions les plus simples sont fractionnées en de multiples composants fabriqués autour du globe56. L’interdépendance généralisée était desti­ née à prévenir les conflits : la Chine accumulant les bons du tré­ sor américains n’aurait pas intérêt à détruire son débiteur. Portée à un tel degré, elle rend le système vulnérable à la moindre crise géopolitique sérieuse. Le pilotage par les marchés, aveuglé par la confiance auto-entretenue en une croissance illimitée, est inca­ pable de rectifier de lui-même une trajectoire suicidaire. Il y aura fatalement, dans un temps rapproché, un nouvel effondrement des marchés financiers dont je ne me hasarderai pas à prédire les causes immédiates, ni les conséquences possibles. À un moment donné, l’édifice des croyances sur lequel repose l’économie spécu­ lative se heurtera à une réalité plus dure que lui. Ce sera l’occasion de mettre à nu les contradictions du système, pour proposer une refonte complète des normes qui organisent les sociétés libérales*. Le choix qui nous attend En cette même année 1974, Cornelius Castoriadis prononça une critique cinglante de la notion de développement et des consé­ quences qu’elle emporte. Ce texte aux intonations prophétiques se concluait par des phrases qui méritent d’être citées intégralement: «La crise avance vers un point où, soit nous serons confrontés avec une catastrophe naturelle ou sociale, soit, avant ou après cela, les hommes réagiront d’une manière ou d’une autre et tenteront d’établir de nouvelles formes de vie sociale qui aient pour eux un * Je n’imaginais évidemment pas que la propagation d’un virus suffirait à mettre à l’arrêt l’économie mondiale, en révélant d’un coup l’incroyable fragilité de l’inter­ connexion globale. Cette chute contrôlée a permis d’amortir la violence du choc redouté, mais les effets n’en seront pas moins profonds. 26

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sens. Cela, nous ne pouvons pas le faire pour eux et à leur place ; pas plus que nous ne pouvons dire comment cela pourrait être fait. Ce que nous pouvons faire, c’est détruire les mythes qui, plus que l’argent ou les armées, constituent l’obstacle le plus formidable sur la voie d’une reconstruction de la société humaine»57. Mettant ce programme en œuvre, ce livre présente une his­ toire de longue durée des mythes occidentaux qui sous-tendent la domination de la morale économique, afin de les attaquer à la racine pour aider à s’en libérer. Castoriadis écrivait peu après que se soit refermée une première phase de critiques de la société de consommation et de l’idéologie du développement, dans les années 1967-72. Cinquante ans plus tard, le délitement politique et la montée de l’insignifiance ont produit une telle dévastation de l’imaginaire social que la tâche semble à reprendre à la base. Il y a urgence à recomposer un monde «qui ait un sens» pour ceux qui l’habitent. Si nous ne parvenons pas à engager cette recons­ truction maintenant, la tâche en reviendra à une prochaine géné­ ration, dans des conditions plus difficiles encore. Les bouillonne­ ments démocratiques que l’on observe depuis quelque temps, de Hong-Kong au Chili en passant par le Liban et les ronds-points français, indiquent déjà les fronts sur lesquels se jouera la trans­ formation: renversement des ploutocraties corrompues, décon­ centration des pouvoirs, réponses aux exigences d’équité sociale et de rémission de la planète. À titre individuel, la réponse la plus saine consiste à fuir des métropoles devenues barbares58. Que ce soit sous la forme de pra­ tiques communautaires alternatives ou selon des agencements éclairés par les principes du socialisme municipal, la conquête de l’autonomie à l’échelle locale est assurément la meilleure façon de reconstruire des existences collectives dotées de sens. La pro­ lifération de cellules anarchiques est un bienfait pour tous, qui démontre par l’exemple la possibilité d’ouvrir d’autres horizons. Ces expériences ne peuvent toutefois pas constituer la seule règle de composition sociale. La vie en société ne se résume pas à des rassemblements par affinités dans des communautés choisies; elle implique au contraire de coexister avec des personnes avec qui nous n’avons souvent pas grand-chose en commun et parfois rien d’autre que l’appartenance à une histoire commune. Or celleci entre bien plus intimement dans la définition de notre person­ nalité que nous ne sommes spontanément amenés à le penser. Nous sommes des êtres historiques et sociaux à une profon­ deur difficilement concevable et énonçable dans les catégories du discours contemporain. Ce qu’on désigne très mal comme la 27

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question de l’identité personnelle, par exemple, se traduirait plus adéquatement comme la composition des multiples mémoires traumatiques dont nous sommes constitués, provenant de strates parfois très anciennes de nos histoires familiales. Ce genre d’héri­ tage n’éclaire que par raccroc nos singularités les plus secrètes ; il trace surtout, bien en amont de toute décision consciente, les plans d’action sur lesquels nous pourrons exercer des respon­ sabilités que nous sommes libres d’assumer ou non, quitte à en inventer les formes, le renoncement se payant souvent de nou­ veaux traumas qu’auront à porter nos successeurs. L’expérience des migrants qui transportent avec eux d’interminables bagages immatériels rend plus aisément perceptible cette pesanteur de l’histoire, mais il n’est aucune subjectivité sédentaire qui ne soit lestée de pareils souvenirs. Il faut de même ranger parmi ces mémoires antérieures l’appartenance à des sujets collectifs que nous n’avons évidem­ ment pas choisis à la naissance, face auxquels nous pouvons entretenir des colères légitimes, mais qui nous constituent indélébilement tout autant que, pour une part infime, nous entrons dans leur définition. Le type de réalité que possèdent ces abstrac­ tions agissantes est malaisé à saisir car elles ne se laissent perce­ voir qu’à travers leurs symboles, les préposés qui les représentent ou les rituels qu’elles imposent. Leur nature est celle d’entités métaphysiques artificielles qui correspondent exactement à la définition des anges selon Thomas d’Aquin: un corps immense et immatériel, mais cependant limité dans l’espace et capable de se rendre parfois visible aux humains, unique en son espèce et inva­ riable à travers le temps, demeurant inchangé dans une perpétuité sans fin59. Ce que nous nommons la Nation peut ainsi se com­ prendre comme l’unité inter-temporelle dans laquelle s’agrègent d’innombrables mémoires traumatiques, traversées par des mon­ tagnes de haine et de ressentiment issues des massacres et des injustices qui ont scandé son histoire, mais qui parvient néan­ moins à opposer à ces affects négatifs l’ossature abstraite d’une continuité de l’existence collective à travers le temps. L’État n’est au fond pas autre chose que l’instance réflexive à travers laquelle la Nation se rapporte à elle-même comme un sujet, pour définir les règles de la coexistence et produire des denrées aussi pré­ cieuses que la paix, la tranquillité et la justice. On peut trouver hideux le visage actuel qu’affichent ces entités et infiniment méprisables les titulaires qui les incarnent, mais ce n’est pas en souhaitant sa fragmentation qu’on fera dispa­ raître cette enveloppe métaphysique de la vie collective. Il est vrai 28

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que la tournure prise ces dernières années est particulièrement inquiétante: un peu partout se consolident des régimes autori­ taires adossés à un capitalisme à tendance monopolistique, dotés de nouveaux outils de surveillance et de contrôle, pratiquant des formes toujours plus acérées d’apartheid social et racial. Face à la puissance de feu de cette alliance entre des États policiers et des groupes industriels hypertrophiés, la perspective d’une société libérée de l’asservissement au capital peut passer pour une douce rêverie. Ce serait méconnaître une donnée essentielle de la vie sociale. L’avenir se construit par la force de projection de nos désirs. C’est sur ce plan là que se jouera le combat. L’emprise qu’exercent la marchandise et la technocratie ne tient pas qu’à la peur et la coercition. Elle a pour premier aliment une aspiration diffuse au conformisme et à l’obéissance, une demande de protec­ tion adressée à un pouvoir chargé de garantir que l’avidité glou­ tonne pourra se poursuivre sans trêve. Lorsque cette promesse sera finalement prise en défaut, peut-être sera-t-il enfin possible de convaincre plus largement qu’une vie commune fondée sur le respect et le soutien mutuel, l’autolimitation et le partage, procu­ rant à tous des conditions de vie décentes, serait infiniment préfé­ rable à un régime fondé sur la compétition qui conduit au gaspil­ lage des matières et des talents. La société du futur La prévalence de certaines dispositions morales ne suffira évi­ demment pas à subordonner les intérêts économiques à des fina­ lités écologiques et sociales plus élevées. Je ne parle pas ici de tous les combats à mener, sur mille terrains, pour faire entendre des voix dissonantes, dénoncer la médiocrité de politiciens soumis, interrompre des processus techniques dévastateurs, défendre nos plages et nos forêts. Pour reprendre le vocabulaire de Castoriadis, la lutte a pour enjeu central d’instaurer de nouvelles significations imaginaires qui permettront de plier la machine productive à une compréhension plus riche de ce que signifie la présence humaine sur Terre - en commençant par tordre son orgueil de prédateur ultime pour admettre la supériorité des abeilles et des graminées. Le renversement ne pourra pas s’en tenir à la sphère des inten­ tions. Il impliquera aussi de réviser toutes les normes juridiques, comptables, bancaires, fiscales et techniques des sociétés indus­ trielles mondialisées, de la même façon qu’elles ont toutes été reformulées plus ou moins lourdement ces dernières décennies sous l’impact de la pression néo-libérale. Le droit a sans doute été le terrain sur lequel l’offensive idéologique a été la plus visible, 29

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avec la généralisation d’une doctrine, promue par les juristes et économistes de l’école de Chicago, qui réduit la jurisprudence à un instrument au service de calculs d’utilité économique60. Le renversement idéologique impliquera, dans ce domaine comme dans d’autres, la défense de principes intangibles aux­ quels les intérêts financiers auront à se plier. Cette reformulation normative ne sera donc pas un simple chantier théorique; elle n’adviendra qu’au moyen d’une résistance résolue et inventive, menée pas à pas sur chaque front. Si les circonstances de ces com­ bats sont imprévisibles, il est néanmoins permis de les éclairer par quelques considérations générales. Castoriadis parlait d’insignifiance pour désigner le processus de régression des capacités de représentation et d’action collec­ tives dans lequel le monde est embarqué depuis un demi-siècle61. Avec quelques décennies de recul, le terme semble un peu faible. Pour bien en identifier le foyer, la déperdition de sens et l’impuis­ sance politique doivent être rapportées à une involution plus profonde. Marcel Gauchet emploie le mot de «désymbolisation» pour désigner un mouvement par lequel la seule efficacité des actes oblitère leur expressivité qui manifestait l’inscription des individus dans des totalités plus vastes qu’eux62. Le cœur de son analyse porte sur l’abstraction de l’État dont la dimension symbo­ lique semble désormais comme enfouie et ineffable, alors que son empire sur les vies humaines ne cesse de s’accroître. L’hégémonie des fonctions économiques et la subjectivation du droit consti­ tuent les autres facettes de cette éclipse du symbolisme politique. Portée à son terme, la formation de sociétés autonomes qui ne reconnaissent pas d’autre source de légitimité que les droits humains a produit une figure anthropologique inédite : un indi­ vidu privé, délié de toute appartenance, conçu comme posses­ seur de lui-même, qui n’a pour seul horizon que la satisfaction de ses appétits. La consommation des biens marchands et l’équiva­ lence monétaire deviennent dès lors l’unique langage commun dans lequel de tels êtres parviennent à s’entendre. La politique moderne semble ainsi vouée à l’enfermement dans les platitudes d’une matière dépourvue d’esprit. La pensée écologique est susceptible de proposer plusieurs voies de secours pour sortir de cette impasse. L’idée d’une liberté absolue du sujet est, comme on le devine, le dernier avatar d’une théologie de la liberté divine. Il est parfaitement concevable de l’abandonner, sans amoindrir en rien les capacités politiques des sujets à qui ce privilège exorbitant a été attribué. En tant que protection face à l’arbitraire et l’oppression, la sphère des droits 30

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humains présente une légitimité incontestable et inéliminable. Mais la revendication insatiable de droits individuels devient aujourd’hui la plus grande entrave à la pensée d’une collecti­ vité agissante. La solution à ce dilemme passe par une concep­ tion alternative de la liberté et du sujet de droit qui admette une notion d’autolimitation. L’espace manque ici pour développer pleinement ce thème, mais on peut du moins en esquisser la for­ mule directrice. Pour aller à l’essentiel, il s’agirait de redéfinir ce concept comme une liberté consciente de ses conditions de pos­ sibilité écologiques, éthiques et sociales. Au lieu de prendre le sujet isolé comme point de départ et d’arrivée, cette liberté aurait pour ressort la compréhension de l’appartenance de chacun à des totalités vivantes, biologiques et sociales, emboîtées ou connexes, composées d’êtres de multiples espèces. Une telle liberté réflexive trouverait son point d’arrêt, non pas là où commence celle d’au­ trui, comme le veut la définition classique des pensées libérales, mais dans la mise en danger des totalités biologiques et sociales dont l’une et l’autre sont tributaires. Cette compréhension aurait pour sens de faire prévaloir un désir d’harmonie écologique et sociale sur celui des satisfactions individuelles immédiates. Une telle reformulation devrait de même conduire la disci­ pline économique à réviser tous ses axiomes. Prenant comme postulat, non plus la séparation des individus mais l’intrication de l’ensemble des composants d’un système écologique et social, elle n’aurait plus pour préoccupation centrale la maximisation de l’utilité individuelle, mais l’homéostase du système, le maintien d’un équilibre qui imposerait tout autant de contenir les prélève­ ments effectués sur les milieux environnants que les inégalités de patrimoine et de revenus. Pour être légitime et acceptable, tout profit marchand devrait être jugé à l’aune de son impact sur les totalités qu’il affecte. L’écologie peut également fournir le ressort d’une nouvelle symbolisation de l’existence collective en apportant une réponse à la question du spirituel après la religion. Dégagés de l’emprise qu’exerçaient les clergés et les dogmes, les sujets des régimes laïcs sont libres de définir leurs façons de se rapporter à ce qui les dépasse63. La gamme des idéaux disponibles est immense. Les règles du pluralisme démocratiques sont telles que personne ne peut occuper une position d’arbitre pour dicter à autrui le sens de la vie. Il est cependant une question à laquelle nul ne saurait échapper. L’interdépendance de tous les êtres composant la bios­ phère prend une vraisemblance accrue au moment où l’on com­ mence à concevoir que la nouvelle extinction massive des espèces 31

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pourrait s’étendre à l’humanité elle-même. Sur ce plan, le Covid19 a servi d’accélérateur à des considérations qui demeuraient encore latentes pour la plupart. L’intérêt récent pour les multiples façons que l’humanité a eu de se relier au monde animal ou végé­ tal importe moins par ses conséquences pratiques qu’en raison de son retentissement dans l’ordre symbolique. Ce mouvement conduit à une redécouverte de l’humain comme être biologique, conscient de sa coappartenance radicale à la biosphère et des continuités matérielles qui le lient au reste du vivant. Pour aller au terme de cet attachement à toutes les formes de vie ou de présence terrestres, il reste encore à explorer le sentiment d’appartenance à la profondeur géologique de la planète et, à partir de là, ressentir la fragilité et la beauté de cette présence dans le cosmos. Le succès que rencontrent les propositions de Philippe Descola tient pour une bonne part à l’espoir qu’elles suscitent de parvenir à s’éman­ ciper de notre condition moderne. Il est cependant douteux que nos sociétés soient réellement capables de sortir du naturalisme et de la séparation entre sujet et objet. L’illusion que chacun pour­ rait librement choisir son régime ontologique est un avatar parti­ culièrement frappant de la prégnance de l’univers de l’autonomie dans lequel nous baignons. A tout le moins pouvons-nous tenter de lutter pour rendre le naturalisme poreux, à l’image des lacunes de la connaissance scientifique, en le transperçant de brèches qui laisseraient passer d’autres formes de relations au monde. Il est également possible d’entendre la notion de «spirituel» dans le sens plus commun de relations à des esprits ou des divi­ nités invisibles - peu importe, en l’occurrence, qu’on les com­ prenne comme transcendants ou immanents, c’est précisément cette distinction qu’il s’agit de dépasser. En bâtissant son uni­ vers conceptuel sur la disjonction entre le naturel et le surnatu­ rel, l’Occident n’en a pour autant pas fini avec l’invisible. Il se l’est seulement rendu définitivement opaque et incompréhensible par la raison, en s’infligeant une amputation mentale dont les effets ne cessent de se faire sentir. Au sein ou à l’écart des traditions reçues, la multiplication des curiosités que l’on perçoit à présent pour différentes formes de perception de phénomènes occultes mérite davantage d’égards que le mépris que les sciences sociales opposent habituellement aux savoirs ésotériques. Sans accorder au contenu de ces expériences subjectives la valeur d’une connais­ sance scientifique, on peut néanmoins les reconnaître comme un moyen supplémentaire d’œuvrer à la réconciliation avec le milieu environnant. Par-delà nature et surnature, immanence et trans­ cendance, il reste à tracer le programme d’une écologie de l’esprit 32

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qui admettrait sérieusement que les humains n’ont pas le privi­ lège de la conscience. Baruch Spinoza est, dit-on, le philosophe préféré des Français. Son succès tient pour partie aux équivoques permises par une pensée qui se prête à des lectures contraires, selon que l’on insiste sur un versant ou l’autre de son propos64. À mes yeux, c’est dans sa difficulté même que Spinoza se révèle comme le philosophe le plus actuel. L’équivalence entre Dieu et la nature produit un court-circuit qu’il faut, si j ’ose dire, maintenir sous tension, plu­ tôt que de céder à la tentation typique des modernes d’en évacuer le terme le plus gênant. La proposition signifie d’une part que le divin n’est pas séparé du monde et qu’il ne peut donc prétendre le diriger à distance par l’entremise d’instances hiérarchiques; mais si toutes les choses pensantes ou étendues sont comprises comme des attributs ou des affections d’attributs de la substance divine, leurs relations se trouvent placées sous le signe d’un enchevêtre­ ment sans fin au sein duquel les humains ne disposent d’aucun privilège face à l’infinité d’autres êtres tout aussi divins. La possi­ bilité d’accéder à la conscience d’être des attributs de la substance universelle et de ressentir la connexion intime de toutes choses n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui. Les recherches les plus récentes auxquelles on faisait référence plus haut semblent apporter un début de démonstration empirique des hypothèses ontologiques spinozistes. Il est très étrange que personne n’ait signalé de son vivant à Bateson, qui considérait le dualisme de Descartes comme la principale source du malheur occidental, qu’un polisseur de verres de lunettes de La Haye avait énoncé trois siècles plus tôt la solution qu’il recherchait. Dans la banlieue d’Amiens, le projet d’aménagement d’un centre commercial a été l’occasion de fouilles d’un site du paléo­ lithique supérieur, daté de 22 000 ans avant notre ère, qui ont mis au jour en novembre 2019 une stupéfiante statuette de quelques centimètres: la Déesse de Renancourt, divinité féminine de la fécondité, sans utilité manifeste pour nous, d’une valeur inesti­ mable, bouleversante comme un message que nous adressent de très lointains aïeux. Imaginez qu’elle puisse servir de talisman pour pratiquer un exorcisme du capital. t Ce livre se compose d’une douzaine d’études, distribuées en deux parties. Dans un premier temps, il sera surtout question d’explo­ rer les mythologies chrétiennes liées au travail, dans le but de 33

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faire ressortir la profondeur temporelle de nos conditionnements et des idéologies qui nous les inculquent. Je n’en dis pas plus pour l’instant car le chapitre qui vient a pour fonction d’introduire à ces questionnements. À partir du huitième chapitre, un second volet prolongera cette critique historique des présupposés de la pen­ sée économique en abordant certaines notions cardinales telles que valeur, monnaie, risque, capital, sans prétention à l’exhausti­ vité. La notion de marché aurait eu sa place dans le tableau, si un article d’Alain Guéry n’avait pas déjà brillamment exposé l’essen­ tiel de ce que j ’aurais pu dire sur le sujet65. D’autres études ont dû être laissées de côté, par manque de place et de temps66. Si ces notions et institutions ne possèdent pas toujours de signification théologique par elles-mêmes, elles n’en ont pas moins été for­ gées dans la même dynamique occidentale du second millénaire que l’on tentera ainsi d’éclairer sous plusieurs angles. On devine déjà que le sens global de ces recherches vise à défaire l’attache conceptuelle qui lie étroitement travail et valeur ou, pour parler plus crûment, à conjurer cette malédiction. Comme le suggère sa couverture, cet ouvrage forme un tout et propose donc à sa lectrice de faire l’expérience d’une lecture continue. Toutefois, de même que l’on pouvait choisir de placer l’aiguille sur un vinyle au début de nos morceaux préférés, rien n’empêche de procéder à une écoute fragmentaire de ces études qui possèdent chacune leur unité. On découvrira peut-être après coup que certains enchaînements étaient utiles à l’intelligence globale du propos. Il sera toujours possible alors de revenir en arrière pour reprendre plus haut le fil du raisonnement. Dans son ensemble, ce livre est le fruit d’une rédaction menée au cours de l’année qui vient de s’écouler, sans hésiter à pratiquer l’art du remploi lorsque les circonstances l’exigeaient, en particu­ lier dans la seconde partie. Certains blocs ont été parfois repris à l’identique d’articles d’âge déjà vénérable tandis que d’autres travaux déjà publiés ont été totalement réécrits - tout en conser­ vant le même titre, pour le divertissement des bibliographes. Les plus anciennes recherches dont les fruits apparaissent ici ont été engagées il y a tout juste trente ans. Je m’étais alors fixé un objectif à la mesure de mon exaspération: terrasser l’idéologie néo-libérale au moyen de l’histoire médiévale. En visant bien, me disais-je, il devrait être possible d’abattre un rhinocéros lancé au galop à l’aide d’une sarbacane. J’étais si bien embusqué que c’est à peine si je parvins à décocher quelques fléchettes, et leur troupe était considérablement plus nombreuse que j ’aurais pu le conce­ voir dans ma naïveté. Au moment où l’objet de mon ressentiment 34

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commence à vaciller, j ’admets volontiers que mes efforts n’y ont pas été pour grand-chose. Que les matériaux réunis à l’occasion de ce travail de sape puissent du moins offrir quelque matière à la reconstruction à venir. Histoire et généalogie Les considérations intempestives des premières pages suffisent à faire comprendre l’orientation générale de ce volume. Il convient toutefois de préciser le sens dans lequel doit s’entendre son titre, en tête d’un ouvrage qui ne renonce pas totalement à l’usage de la méthode historique et des règles de la philologie. La généalogie désigne simplement une façon de prendre les choses à rebours. Au lieu d’exposer le déploiement d’un phénomène dans sa durée selon une ligne de fuite destinée à se perdre dans les brumes du présent, la démarche cherche d’abord à identifier certains nœuds problématiques actuels, pour tenter d’en dénouer les fils en remon­ tant aussi loin que de besoin. Le livre ne prétend ainsi pas don­ ner une vue complète de l’économie médiévale, ni même de son vocabulaire, mais seulement tracer quelques perspectives en vue d’éclairer certains points aveugles qui empêchent nos contempo­ rains de percevoir l’ampleur des troubles dans lesquels ils sont pris. Depuis quelques années, j ’ai pris l’habitude de présenter mon métier d’historien comme celui d’un thérapeute spécialisé, chargé de procurer des soins aux fantômes du passé. L’intervention relève parfois la nécromancie. Il s’agit alors de faire parler les morts - de préférence, les faibles ou les vaincus -, autant pour leur rendre justice et soulager leur peine que pour éclairer les vivants qui pourraient se reconnaître en eux, dans leurs désirs et leurs tour­ ments. La démarche n’est pas très différente lorsqu’elle s’attelle à la prise en charge de névroses collectives. Elle peut alors se com­ parer aux soins d’un acupuncteur qui, pour soulager un torticolis ou une migraine, place ses aiguilles le long du dos et des membres jusqu’à certains orteils, à la seule différence que le traitement ne s’applique pas à un corps humain mais à un objet d’une nature qui ne se laisse pas si facilement cerner. La vie psychique des sociétés se manifeste rarement en pleine lumière, si ce n’est lors de certaines démonstrations d’émotions collectives. En temps ordinaires, il faut multiplier les auscultations pour en percevoir les feuilletages et les replis, en identifier les zones douloureuses et les frustrations qui ne passent pas. Une fois mise en évidence la provenance lointaine de certains (roubles contemporains, le traitement adéquat ne consiste pas à (rancher dans le passé pour isoler le bien du mal, prendre parti 35

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pour un bloc contre un autre. L’histoire de la liberté et celle de l’oppression forment un tout qui ne se divise pas en deux moi­ tiés d’un simple coup de sabre. Combien de résistants admirables sont-ils devenus d’abominables tortionnaires dans les guerres coloniales? La Révolution qui met à bas la monarchie n’a-t-elle pas produit la Terreur puis l’Empire? Une enquête sur les arrièrepensées qui orientent et encouragent l’exploitation capitaliste de la planète n’a pas pour but d’imputer des responsabilités à tel ou tel facteur que l’on pourrait isoler pour l’accabler de reproches, en raison de ses conséquences éloignées et parfois totalement imprévisibles. Depuis quelle éminence pourrions-nous prétendre surplomber l’écoulement des siècles pour distribuer bons et mau­ vais points? La traversée de l’histoire chrétienne qui sera menée dans les prochains chapitres n’implique donc aucun jugement de ce type. Il est possible, toutefois, que l’on ne puisse s’empêcher de trouver certains moments du parcours un peu plus sombres que d’autres. Mais l’on y découvrira également, chemin faisant, des ressources inattendues, susceptibles d’alimenter les luttes ou l’imagination contemporaines. Ce livre ne milite pas pour l’abolition du capitalisme, même s’il juge bien préférables d’autres formes d’organisations collec­ tives que celles qu’aimante la seule recherche du profit. Une pri­ vation de liberté en ce domaine ne peut conduire qu’à des régimes autoritaires et centralisés, ce qui irait, je pense, à l’opposé du but recherché. L’horizon proposé est sensiblement différent. Il ne s’agirait que de brider et d’encadrer les dispositifs susceptibles de produire une aggravation des inégalités sociales ou des dévasta­ tions environnementales, en les pliant à des normes supérieures. Le précédent volume suggérait d’emprunter la voie d’une insur­ rection spirituelle. Le moment est venu de déplier cette proposi­ tion. Son volet négatif se conçoit sans difficulté : le sens de notre présence sur Terre ne peut se résumer à produire et à consommer toujours plus. Il est en revanche difficile d’énoncer ce que serait un désir légitime, partageable par tous. Si l’on admet avec Spinoza qu’esprit et matière sont deux modes d’une même substance, le régime habituel de l’expérience corporelle qui est notre lot ne nous permet d’atteindre quelque chose de spirituel qu’à travers le sensible - sans tenir compte ici des perceptions inhabituelles obtenues dans des états modifiés de conscience. La formule la plus générale se résumerait alors à sentir, connaître, comprendre ou célébrer les vibrations de la matière, que ce soit dans la récep­ tivité, l’observation ou la création d’œuvres artificielles. Sans engager d’efforts héroïques, une telle expérience peut être toute 36

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entière contenue dans l’attention portée à autrui, de quelque espèce qu’il soit. Comme on le verra dans le dernier chapitre, j ’ai choisi le nom de poésie pour désigner un tel rapport au monde qui n’aurait d’yeux que pour la découverte de la beauté des êtres et de leurs relations. Pour lui faire la place qui lui revient, ce livre invite à pratiquer un exorcisme du malin génie qui nous opprime et que guide un insatiable appétit de destruction.

Chapitre π M Y T H O L O G I E S D U T R A V A IL

Fac et aliquid operis, ut semper te diabolus inveniat occupatum

Active-toi à quelque ouvrage, que le diable te trouve toujours occupé Jérôme à Rusticus (411) Lose no time; be always employ’d in something useful; cut off all unnecessary action

Ne perds pas de temps ; sois toujours employé à quelque chose d’utile ; supprime toute action superflue Benjamin Franklin (1728) We are told we must work and use our talents to create wealth

Il nous est demandé de travailler et d’employer nos talents pour créer des richesses Margaret Thatcher (1988)1

Les résidus théologiques du tournant néo-libéral Il est rassurant pour l’esprit de penser que le tournant néo-libé­ ral pourrait se résumer à un changement de doctrine politique dicté par ressoufflement de l’État-providence et conforté par l’effi­ cacité des politiques monétaristes face à l’inflation généralisée des années 1970. La réorientation du mode de régulation économique tiendrait pour l’essentiel à des causes économiques. L’inflexion idéologique qui lui a conféré son assise ne serait que la traduc­ tion d’une progression irrésistible de revendications individua­ listes. Le diagnostic rend bien compte de l’apparence des événe­ ments, mais il laisse peut-être dans l’ombre un élément essentiel. Ce tournant a pris ses expressions les plus spectaculaires dans des pays dont les dirigeants se référaient explicitement à des principes issus de leur éducation dans des sectes protestantes. L’inspiration religieuse de Margaret Thatcher et celle de Ronald Reagan n’en sont évidemment pas la cause majeure, mais elles en constituent 39

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un aspect qui n’a rien d’anecdotique. Elles rendent visible le socle de très longue durée sur lequel a pu s’appuyer un renversement idéologique que tous les protagonistes ont perçu comme fou­ droyant et dont le caractère le plus étrange a été d’associer révo­ lution conservatrice et engouement pour l’économie de marché. Dans une sorte de répétition burlesque du processus décrit par Max Weber pour le x v m e siècle, le regain de l’esprit du capita­ lisme autour de 1980 est venu d’un retour de flamme de l’éthique protestante du travail et de la responsabilité individuelle. Les sermons de Margaret Thatcher La conversion de Margaret Thatcher à la doctrine monétariste au printemps 1974 a été stimulée par son collègue et comparse Keith Joseph, juif non pratiquant, qui entendait tirer les leçons de l’échec électoral d’Edward Heath en lançant «une nouvelle croisade pour l’entreprise privée»2. Joseph employa peu après le terme de «conversion» pour qualifier ce que ses biographes décrivent comme l’expression plus ouverte de convictions qui avaient été tenues en bride durant l’exercice de fonctions ministé­ rielles dans le gouvernement Heath3. Le groupe de réflexion et de pression qu’ils fondèrent ensemble entendait se faire l’écho des doctrines de Milton Friedman au sein du parti conservateur, mais son inspiration philosophique centrale provenait de Friedrich Hayek et du principe de la liberté individuelle comme unique fon­ dement de la société. Pour Thatcher, cette réflexion collective avait pour intérêt de donner un corps doctrinal à des critiques qu’elle formulait depuis plusieurs années contre l’excès d’intervention gouvernementale dans différents domaines4. Reprenant à l’au­ tomne 1974 le thème du «combat pour la liberté», elle le reformu­ lait dans son propre vocabulaire en le décrivant comme un effort spirituel quotidien, ayant pour but de transmettre aux générations futures un legs historique de la nation britannique5. Sa touche personnelle apparaissait à certains détails, comme la mention de la frugalité [thrift) en tant que source de l’épargne - son insistance à employer ce mot durant toute sa carrière évoque inséparable­ ment l’ascétisme puritain et le souvenir des périodes de la guerre et de la reconstruction6. Hayek la félicita en qualifiant sa victoire électorale de 1979 de «plus beau cadeau qu’on aurait pu me faire pour mes quatre-vingts ans»; la nouvelle dirigeante remercia le professeur en lui promettant de mettre en œuvres ses idées, mais c’est à sa façon et selon ses principes qu’elle mena sa révolution7. Au moment de son accession au pouvoir, Margaret Thatcher déclara avec force et émotion qu’elle «devait presque tout» à son 40

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père, modeste épicier d’une petite ville du Lincolnshire, prédica­ teur de l’église méthodiste locale, juge de paix (alderman), conseil­ ler municipal et finalement maire de Grantham8. Elle pensait au premier chef à la transmission de valeurs morales qui consti­ tuaient en effet l’ossature de sa pensée politique et de son pro­ gramme électoral. Plus radicalement encore, cette fidélité peut éclairer le sens de son engagement et sa volonté d’effacer toute trace d’une longue parenthèse collectiviste dans l’histoire bri­ tannique, inaugurée avec les nationalisations de 1945. Le désir de réparer l’humiliation subie lorsque la nouvelle municipalité tra­ vailliste destitua son père, Alfred Roberts, de sa charge judiciaire en 1952 a pu être une force motrice redoutable de son action gou­ vernementale9. La référence continuelle aux valeurs apprises dans l’enfance, qui la conduit par exemple à comparer le niveau de vie contemporain des plus pauvres aux privations subies dans une maison dépourvue d’eau chaude, autorise à formuler une hypo­ thèse simple : la Dame de fer a mené la transformation implacable du Royaume-Uni, enfermée dans la bulle d’un dialogue avec son père, cramponnée aux leçons reçues à Grantham. Bien qu’elle ait rejoint l’Église anglicane après son mariage avec un riche homme d’affaires, elle conserva sa pleine indépendance méthodiste en matière de jugement religieux et de liberté de parole10. Tout au long de sa carrière politique, elle n’hésita jamais à faire état de sa lecture personnelle de la Bible et de ses opi­ nions théologiques dans les contextes les plus variés, aussi bien à la radio qu’en s’adressant à des assemblées réunies dans des églises11. En s’exprimant ainsi, «en tant que chrétienne et femme politique»12, Margaret Thatcher ne percevait aucune confusion des rôles, satisfaite de rappeler que la Bible n’enseigne pas de doctrine politique univoque. Cette déclaration ne s’appliquait évi­ demment qu’au seul sens littéral du récit biblique, car elle annon­ çait dans le même temps, sans la moindre retenue, que son projet de «société libre et responsable» requérait une renaissance spiri­ tuelle. Il ne s’agissait pas simplement de renouer avec un passé glorieux, dans un regain de patriotisme, mais de redonner vigueur à des vertus qu’elle associait à l’époque victorienne (indépen­ dance, frugalité, travail et esprit d’entreprise). La politique, disaitelle à des ecclésiastiques, a pour fonction «d’établir les conditions clans lesquelles les hommes et les femmes peuvent passer leur vie fugace dans ce monde à se préparer au prochain»13. Elle pouvait de même énoncer à la radio sans sourciller que «la raison fonda­ mentale de la présence sur terre est d’affermir votre caractère afin d’être préparé au prochain monde»14. Bien qu’elle ait effectué sur 41

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ce plan un renversement doctrinal spectaculaire, son programme n’avait pas l’économie pour centre de gravité, mais des questions politiques et morales touchant à la «nature humaine»15. Pour définir le rôle qui lui revenait, en tant qu’inspiratrice d’un renou­ veau de «l’esprit de la Nation», elle se situait dans la continuité des prophètes bibliques, des réformateurs religieux ou des pilotes héroïques de la bataille d’Angleterre qu’elle avait admirés dans son adolescence16. En réponse aux critiques cinglantes des prélats de l’Église angli­ cane face aux conséquences de sa politique sur les conditions de vie des plus démunis et à son insensibilité à leur égard17, elle entreprit de se justifier sur le terrain théologique. Un discours que l’on peut qualifier de «sermon» adressé à l’Assemblée générale de l’Église (calviniste) d’Écosse résumait l’essentiel du message chré­ tien en trois points qui tous concernent le principe de la respon­ sabilité individuelle: les humains sont dotés par Dieu d’un «droit fondamental à choisir entre le bien et le mal»; leur Créateur, qui les a faits à son image, attend d’eux qu’ils exercent «leur propre pouvoir de pensée et de jugement en effectuant ce choix» (le sou­ lignement est le sien)18. Le vocabulaire employé témoigne d’un flottement significatif entre la théologie du libre-arbitre et la doc­ trine moderne du choix rationnel. Alors que l’une implique une dépendance radicale envers la divinité et que l’autre exprime la pleine souveraineté de l’individu disposant de «droits fondamen­ taux», leur convertibilité mutuelle est une évidence pour Margaret Thatcher. Démontrant ainsi la continuité qui lie ces deux figures, elle pourra nous épargner d’avoir à consacrer un chapitre entier à établir cette filiation19. Le troisième point abordé confirme quant à lui l’hypothèse énoncée plus haut: en rappelant que le Christ lui-même «a choisi de donner sa vie pour la rédemption de nos péchés», elle résume à sa façon le mystère de la Passion en ne s’autorisant que de l’impression laissée par un sermon entendu à Grantham - alors que la théologie calviniste souligne au contraire qu’il a été appelé par le Père et s’est montré «obéissant jusqu’à la mort» (Ph 2,8), sans jamais manifester de volonté propre20. À ce credo minimal, le sermon ajoute l’obligation du travail et de la création de richesses. Une citation trop célèbre de la seconde épître de Paul aux Thessaloniciens, «Celui qui ne veut pas tra­ vailler, qu’il ne mange pas non plus» (2 Th 3,10), propage une méfiance séculaire à l’égard des pauvres et des mendiants valides, particulièrement aiguisée dans les milieux protestants (on revien­ dra au chapitre vi sur le sens originel de cette phrase sortie de son contexte21). Avec l’appel à faire fructifier les talents donnés par 42

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le Créateur et la promesse d’abondance issue de la mise à dispo­ sition de la création, apparaît un autre thème majeur de la tradi­ tion chrétienne tiré de la Genèse22. Le travail est présenté, dans un autre discours prononcé en chaire, à la fois comme un devoir et comme une vertu23. Inévitablement, cette dignité du travail et l’affront à l’estime de soi que constitue le chômage sont présentés comme des vérités apprises dans l’enfance24. Pour Thatcher, l’accumulation des richesses est intégralement positive et n’appelle aucune limitation. Le seul choix moral auquel elle se réfère concerne l’usage qui en est fait. Le point crucial, répété de discours en discours - «le rôle de l’État dans une société chrétienne est d’encourager la vertu et non pas de l’usurper»25 n’était guère qu’un prétexte pour justifier le démantèlement de l’État social. La mobilisation de la parabole du bon Samaritain comme exemple de richesses employées de façon secourable a été ressentie par les théologiens avertis comme l’un de ses argu­ ments les plus écœurants («Personne ne se souviendrait du bon Samaritain s’il n’avait eu que des bonnes intentions; il avait aussi de l’argent»26). C’est également en termes religieux qu’elle justi­ fiait la priorité accordée à la lutte contre l’inflation, décrite comme un «mal» {evil) qui ruine les efforts des honnêtes travailleursépargnants27. La cruauté de la politique thatchérienne pro­ cède d’une application méthodique de ces préceptes moraux. L’abandon de l’objectif du plein emploi (qu’un gouvernement ne peut ni donner, ni promettre, selon la formule de Keith Joseph28) en faveur de la maîtrise de l’inflation par des taux d’intérêts élevés a produit une hausse massive du chômage dont les victimes ont été considérées comme responsables de leur situation. Il manque beaucoup de choses dans la théologie de Madame Thatcher. Il y est rarement question de l’amour inconditionnel du prochain. Comme elle l’avoue sans fard, il lui a été difficile de comprendre le sens du commandement d’aimer autrui comme soi-même29. À dire vrai, ce qu’elle énonce dans ses multiples déclarations n’est pas une véritable théologie, mais le ressassement de maximes entendues dans sa jeunesse, mises au service d’un renouvellement de l’idéologie du capitalisme qui n’avait plus grand chose à voir avec les valeurs d’épargne et d’effort qu’elle défendait. Le plus surprenant est qu’elle ne semble pas s’en être rendu compte. En conclusion d’un entretien de 1988, elle confia à un journaliste avoir vécu ses six premières années à Downing Street dans le cauchemar que le socialisme ait définitivement détruit l’esprit d’entreprise anglais, avant d’observer sa renais­ sance à partir de 1986, au moment de la dérégulation de la bourse 43

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de Londres, dans une euphorie financière qui n’avait vraiment rien de victorien30. Le mystère de Margaret Thatcher tient à l’ana­ chronisme permanent dans lequel elle a vécu, faisant advenir le neuf en conservant l’esprit tourné vers une époque révolue. Cette conjonction improbable lui a conféré une armature mentale inflexible face aux événements. C’est ce qui a donné à son action un retentissement exemplaire dans le monde entier. Pensons par contraste à Raymond Barre qui avait mis en œuvre une politique monétariste dès 1976. Également inspiré par Hayek dont il avait traduit un livre vingt ans plus tôt, il a choisi d’avancer à petits pas et n’a jamais tenté de donner à sa politique d’austé­ rité la dimension tragique d’un sacrifice historique de la nation française31. Quant à Hayek lui-même, athée revendiqué depuis l’adolescence, le fait qu’il ait conclu son dernier livre de 1988 sur la nécessité de la religion pour assurer le maintien de la civilisation pourrait être vu comme un hommage tardif rendu à l’instrumen­ talisation de la rhétorique chrétienne par Margaret Thatcher32. Reagan, propagandiste de la libre entreprise Le cas de Ronald Reagan sera plus simple à traiter et nous per­ mettra d’aller rapidement au fond des choses. Comme Thatcher, Reagan venait d’une famille de commerçants modestes d’une petite ville de province, dans l’Illinois. Sa figure de référence n’était pas son père, catholique irlandais davantage porté sur la boisson que sur l’église, mais sa mère, membre du courant évan­ gélique des Disciples du Christ, qui lui transmit pour principal bagage religieux la certitude de la victoire finale du bien sur le mal33. À l’âge de 11 ans, la lecture d’un roman édifiant qui, ditil, le marqua à jamais, le décida à se faire baptiser (l’intrigue de That Printer of Udells, vaguement inspirée de la biographie de Benjamin Franklin, se résume ainsi: un jeune garçon pauvre du Midwest, entré dans une congrégation de Disciples, construit son destin par le travail acharné chez un imprimeur, son dévouement à la communauté locale et la propagation des principes chrétiens ; il obtient finalement la main de la jeune femme qu’il courtise et se laisse élire représentant à Washington34). Au-delà d’une foi résolument optimiste, on ne lui connaît guère d’intérêt pour la Bible ou la théologie. S’il évoque souvent Dieu et les vertus chré­ tiennes, les propos politiques de Reagan contiennent peu de réfé­ rences bibliques, si ce n’est une tonalité apocalyptique qui soustend ses fréquentes références au combat entre le bien et le mal. Le thème le plus visible concerne le destin des États-Unis d’Amé­ rique, décrits comme nouvelle terre promise jouissant d’une place 44

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privilégiée dans le plan divin35, «une ville resplendissante sur la colline» selon l’image classique inlassablement reprise dans ses discours les plus importants36. Ses origines familiales le situaient dans le camp démocrate. Enthousiasmé par le New Deal qui avait fourni un emploi à son père, Reagan ne cessa jamais d’admirer Roosevelt, même après avoir pris ses distances avec le parti, sous l’effet de la menace communiste dont il dénonça les activités à Hollywood dans les années d’après-guerre. Devenu républicain, il sut jouer de son changement d’affiliation pour blâmer le glisse­ ment de son ancien parti vers le «socialisme». C’est à un personnage de l’ombre, artisan crucial d’une recons­ truction de la droite conservatrice américaine dans l’après-guerre, qu’il doit son éducation et sa carrière politique37. À la suite des grandes grèves des années 1945-46, Lemuel Boulware avait été nommé vice-président de General Electric en charge des relations avec le personnel. Percevant que l’accroissement du pouvoir syn­ dical et de l’intervention étatique menaçait l’ensemble du capi­ talisme américain, il mit sur pied une redoutable «campagne publicitaire» en faveur de la liberté du marché ( g e étant l’un des plus grands employeurs du pays, son action eut un retentisse­ ment énorme)38. Un de ses objectifs majeurs visait à détourner la loyauté des salariés des syndicats pour l’orienter vers l’entre­ prise. Après avoir abreuvé son encadrement de matériel de pro­ pagande, issu de penseurs comme Hayek ou d’essayistes plus banals, Boulware cherchait un moyen d’atteindre les ouvriers pour les détacher des valeurs de solidarité du New Deal. Comme il l’admit plus tard, les ecclésiastiques n’étaient d’aucune uti­ lité dans ce rôle39. En 1954, l’embauche de Reagan, alors réduit à jouer des sketchs à Las Vegas après une carrière de second plan à Hollywood, fut son coup de maître. Associé à l’image de la marque comme présentateur d’une émission télévisée hebdoma­ daire, l’acteur allait à la rencontre des ouvrières et ouvriers, pro­ mouvoir l’image de g e et celle du capitalisme. Sa peur de prendre l’avion l’astreignait à de longs voyages en train à travers le pays en compagnie de cadres de l’entreprise qui assurèrent sa formation idéologique accélérée. Pendant près de dix ans, Reagan fut ainsi un propagandiste de choc de la liberté d’entreprendre, décriant l’interventionnisme de l’État fédéral, présenté comme le véritable oppresseur de la classe ouvrière. Depuis le milieu des années 1930, certains grands patrons et quelques intellectuels conservateurs tentaient de reconstruire des réseaux d’influence pour défendre de telles idées, au moyen de diverses fondations et cercles de réflexion. La nomination de 45

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Barry Goldwater comme candidat républicain en 1964 fut le pre­ mier succès notable de ce courant, mais l’extravagance de leur champion et l’enthousiasme débordant de ses soutiens en rui­ nèrent rapidement la crédibilité40. Une semaine avant l’élection, Reagan dénonça l’excès de contrôle gouvernemental sous une forme plus rassurante dans un discours télévisé remarqué, dont les derniers mots laissaient toutefois entendre une inquiétante note apocalyptique41. Cette intervention fit comprendre qu’il était la bonne personne pour défendre la cause, ce qui lui valut par ricochet deux mandats comme gouverneur de Californie (1967-75). Au début des années 1970, la montée des contestations du capi­ talisme aux États-Unis produisit en retour une politisation accrue du grand patronat42. Pour atteindre ses objectifs, le conservatisme devait élargir ses bases. Reagan était à nouveau l’homme de la situation, capable de capter les suffrages du mouvement évangé­ liste qui s’organisait pour s’opposer à l’intervention étatique dans le domaine de l’éducation religieuse43. Son rapprochement avec le courant de la «Moral Majority» du télévangéliste Jerry Falwell fut un élément décisif de l’élection de 1980. En dépit de leurs différences de style, Thatcher et Reagan pré­ sentent de nombreux points communs qui peuvent expliquer la complicité qu’ils affichaient. L’intransigeance de leur hostilité face à l’Union Soviétique a facilité l’assimilation de toute forme de socialisme au risque d’un glissement vers l’extinction totalitaire des libertés individuelles. La dramatisation de la menace exté­ rieure, au moment où la faiblesse de l’ennemi devenait patente, était mise au service d’intérêts intérieurs, en imposant l’idée qu’un tournant radical était indispensable à la reprise des his­ toires nationales. L’évocation de leurs origines modestes et pro­ vinciales a permis à ces deux champions de la liberté d’attirer un électorat populaire vers un courant dont l’objectif central visait à défendre les grandes entreprises et combattre les syndicats. Dans le cas américain, l’exacerbation de thèmes profondément ancrés dans la culture nationale ont également été mis à profit: l’éloge des vertus de l’autonomie locale, la résistance au gouvernement central, ainsi qu’un élément racial avec lequel Reagan a sciem­ ment joué en s’acharnant sur les mères célibataires de couleur, supposées bénéficier de prestations sociales indues (thème de la «Welfare Queen», fréquent dans ses discours dès 1976)44. Les références chrétiennes pourraient donc sembler accessoires dans cette opération. De fait, l’idéologie néo-libérale n’a rien de religieux par elle-même. Elle a compté parmi ses défenseurs les plus acharnés la sinistre romancière d’origine russe Ayn Rand, dont 46

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l’éthique de l’égoïsme s’accompagnait d’un athéisme radical45. Comme on l’a vu, les différentes Églises n’ont guère été enchan­ tées par cette croisade pour l’indifférence à autrui. Il me semble pourtant que cette dimension religieuse du discours néo-libéral a rempli une fonction essentielle dans le tournant des années 1980. Elle a constitué le ciment qui a permis de donner des allures conservatrices à un projet révolutionnaire. Au moyen d’une confu­ sion conceptuelle éhontée, le principe de la responsabilité indi­ viduelle - qui est la véritable signification du libre-arbitre - a été dégradé et travesti en éloge d’un capitalisme ouvert aux petits porteurs ou en slogans destinés à justifier le démantèlement de l’État-providence. L’effondrement des régimes communistes en 1989 a fait brusquement descendre le niveau des attentes eschatologiques, rendant ainsi obsolète la nécessité d’associer un voca­ bulaire chrétien à l’affirmation d’une idéologie désormais assurée de sa victoire. Francis Fukuyama a formulé le lieu commun qui s’imposait alors en parlant d’une fin de l’histoire. Jerry Falwell luimême en a tiré les conséquences en prononçant la dissolution de la Moral Majority en 1989. Si l’euphorie des années 1990 a pu don­ ner à certains l’impression d’une victoire providentielle, démon­ trant que Dieu était définitivement du côté du capital et non du socialisme, l’ardeur au travail et l’âpreté au gain ont continué à être vantées au cours des trente dernières années sans la moindre once de mysticisme. L’idéologie néo-libérale n’a rien de religieux par elle-même. Chez ceux de ses partisans qui se déclarent croyants (de quelque religion que ce soit, sur ce point peu importe), elle donne lieu à une foi égoïste qui s’épanouit dans la réussite individuelle et les possessions matérielles, dans la négation de toute recherche de l’esprit, d’effacement de soi et de responsabilité envers autrui. Cependant, les axiomes sur lesquels elle repose sont assurément issus d’une longue tradition juive et chrétienne. Ce résidu théo­ logique est d’autant plus inexpugnable qu’il passe généralement inaperçu. Tout l’intérêt des sermons de Margaret Thatcher est de l’avoir énoncé distinctement avec une candeur admirable. Une histoire complète des métamorphoses de l’idée de liberté récla­ merait au moins un livre entier. On se concentrera dans les cha­ pitres qui suivent sur le second motif théologique évoqué par la Dame de fer, celui du commandement de travailler. Sur ce plan également, même s’il est moins souvent observé, le renversement a été spectaculaire. Dans les années 1970, il paraissait raisonnable d’estimer que les gains de productivité, équitablement répartis, conduiraient à une 47

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inéluctable réduction du temps de travail. Si l’on en juge à cette aune, en réduisant la semaine de travail à 35 heures, Lionel Jospin a bien été le dernier des socialistes46. Avec le prestige retrouvé du capitalisme, la tendance inverse s’est imposée - les glapissements sur ce thème de Nicolas Sarkozy sont encore dans les mémoires. Allant au-delà des rêves les plus fous de Boulware, les nouvelles méthodes de gestion des années 1980 ont fait passer pour un progrès social l’adhésion des salariés à la culture d’entreprise [corporate culture). Comme l’observait peu après la sociologue Arlie Hochschild, les activités professionnelles sont plus que jamais devenues le centre de l’existence toute entière, leur voca­ bulaire et les manières apprises au travail colonisant la vie domes­ tique47. L’addiction est particulièrement sévère aux États-Unis. En 2018, 768 millions de journées de congés payés n’ont pas été prises par les salariés, la durée moyenne de ce temps de repos étant orientée à la baisse depuis 20 ans48. La centralité accordée au travail n’est pas le propre du capita­ lisme. Ce sujet est en effet celui sur lequel son affinité de fond avec le projet communiste est la moins discutable. Lénine ne considérait-il pas la formule de l’épître aux Thessaloniciens comme «première règle du socialisme» qui fut inscrite dans la constitution soviétique49? Pour être particulièrement acérée dans la culture protestante, cette obsession ne lui est pas non plus exclusive. Le grand rabbin de Londres, Immanuel Jakobovits, ami personnel de Thatcher, a été l’un des rares responsables religieux à la défendre en rappelant, non sans raison, que l’éthique juive encourage également le travail50. Pour le dire avec l’humour subtil de Bertrand Russell, «le fait de croire que le travail est une vertu est la cause de grands maux dans le monde moderne». Cette morale de possédants «a conduit les riches, durant des millénaires, à prêcher la dignité du travail, tout en prenant bien soin eux-mêmes de manquer à ce noble idéal»51. Au ive siècle déjà, Jean Chrysostome avait perçu ce détourne­ ment hypocrite du message chrétien et reprochait aux patriciens d’Antioche de refuser l’aumône aux pauvres sous prétexte de leur paresse: «Répondez-moi, à votre tour: ce que vous possédez vousmême, le devez-vous à votre travail? Ne l’avez-vous pas reçu en héritage de vos pères?»52. Afin de mener avec méthode une cri­ tique de cette exaltation du travail, une plongée de longue durée dans l’histoire des monothéismes s’impose donc. Mais c’est le mot lui-même qu’il faut commencer par interroger, pour tenter de desserrer le joug qu’il impose à la réflexion. 48

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Démanteler le travail À la fin des années 1980, alors qu’il cherchait à se dégager du concept encombrant de «mentalités» dont la lourdeur et l’exces­ sive généralité étaient critiquées de toutes parts, Jacques Le Goff proposait, pour «introduire la pensée du qualitatif en histoire», de mener «une histoire des valeurs»53. L’expression n’a guère eu de fortune, mais elle conviendrait bien pour décrire, rétrospecti­ vement, les recherches menées dans les décennies précédentes sur «les idées et les attitudes à l’égard du travail au Moyen Âge»54. La réponse qu’il y a apportée est ambiguë. Face aux cultures antiques qui associaient par principe les activités manuelles à la condition servile, la promotion du travail en Occident entre le x ie et le x m e siècle est indéniable. La disparition des formes anciennes d’esclavage constitue à l’évidence une part majeure de l’explication. Cependant, Le Goff débutait invariablement ses interventions sur ce point en rappelant qu’alors, «le travail n’était pas une “valeur”, il n’y avait même pas de mot pour le désigner»55. Rompant avec le complexe d’infériorité du médiéviste intimidé par la suite des événements, je propose d’effectuer un renverse­ ment de perspective. La formulation d’un concept abstrait de tra­ vail est inséparable de la révolution industrielle et de l’exposition classique des principes de l’économie politique par Adam Smith. Loin de marquer un progrès absolu dans la compréhension de phénomènes sociaux, cette émergence peut s’interpréter comme un accident historique, lié à une conjoncture particulière. Il n’y a rien de scandaleux à penser que ce concept a cessé d’être per­ tinent près de deux siècles et demi plus tard et qu’il serait utile aujourd’hui de s’en débarrasser pour s’émanciper de l’imaginaire productiviste qu’il implique. Plutôt que de concevoir son absence médiévale comme une insuffisance, il pourrait au contraire se révéler intéressant de prendre appui sur ce manque pour penser de façon plus subtile la diversité des activités humaines. Mise au point étymologique Commençons par régler son compte à la fausse étymologie qui fait dériver le mot d’un hypothétique instrument de torture. Les lexicographes du xixe siècle avaient trouvé une solution satisfai­ sante, en rattachant les différents termes qui apparaissent dans les langues romanes (cast, trabajo, cat. treball, fr. travail, it. travaglio, port, trabalho, prov. trebalh) à un dérivé du latin trabs (la poutre, d’où provient également le mot entraves)56. Le travail du maréchalferrant, structure en bois dans laquelle l’animal est maintenu immobile pendant qu’il est ferré ou soumis à d’autres traitements, 49

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serait le témoin direct de ce sens premier. Une objection a d’abord été soulevée à propos du seul terme provençal trebalh, qui s’expli­ querait mieux par une dérivation depuis le latin tripalium, avant qu’une brève note de Leo Spitzer généralise la proposition en 194357. Cette étymologie a été acceptée avec enthousiasme dans l’après-guerre par tous les auteurs de dictionnaires, sans doute moins en raison de la force des arguments linguistiques que pour l’idée sous-jacente qu’elle suggérait du travail comme alié­ nation radicale, soumis dès l’origine à la violence de la machine. La grande faveur publique dont jouit cette solution, invariable­ ment rappelée en tête de toute étude sur la question, doit beau­ coup à une foi marxiste dans l’émancipation future d’un travail qui pourrait être définitivement libéré des atrocités féodales et de l’exploitation bourgeoise. Ce raccourci étymologique se heurte toutefois à une difficulté d’ordre historique. Rien n’indique qu’un instrument de torture formé de trois pieux (tri-palium) ait jamais existé. Dans les deux documents mérovingiens des v ie et v m e siècles où le terme apparaît, il est question d’un trepalium ou trebalium que les manuscrits écrivent plus souvent trabalium. Les tournures employées montrent qu’il ne s’agit pas d’un instrument mais du lieu où se pratique la tor­ ture58. Le synode d’Auxerre qui interdit aux clercs d’aller au trepa­ lium fait écho aux termes d’un concile tenu à Mâcon (585) dont les canons réprouvent la curiosité malsaine de certains qui sont assez «déments» pour assister fréquemment aux interrogatoires et exé­ cutions59. La troisième et dernière occurrence latine du terme, dans un glossaire messin du xie siècle, parle encore d’un lieu «où sont fouettés les criminels» et propose comme synonyme la mar­ gelle d’un puits (puteal). L’association de ces termes incite à y voir une structure en bois, que ce soit une clôture ou une estrade, déli­ mitant l’espace de l’interrogatoire ou du châtiment60. Plus crû­ ment encore, comme le pensait Furetière, il pourrait s’agir d’une cage dans laquelle le prisonnier était attaché pendant qu’il rece­ vait des coups, variante carcérale du travail à chevaux61. Comme on le voit, les références à une scène judiciaire concrète sont très rares. Ce n’est pas le substantif qualifiant cet espace qui a fait la fortune du terme, mais le verbe travailler qui émerge dans la documentation écrite au x ie siècle avec le sens très général de «tourmenter». L’usage précoce de la construction réflexive se tra­ vailler, «se tourmenter», signale que le rapport avec les supplices et punitions était depuis longtemps distendu. Certains cher­ cheurs ont tenté de trouver une étymologie distincte à ce verbe, sans parvenir à une proposition convaincante62. Le spectacle de 50

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l’interrogatoire, ou plus simplement encore l’idée d’un assujet­ tissement à une structure en bois, semble avoir conduit à la for­ mation, par métonymie, d’un verbe en latin tardif et mérovin­ gien, Hrabaliare, dont l’emploi a connu par la suite une extension notable dans les langues romanes émergentes. Pris dans le sens passif des tourments subis, ce verbe a donné lieu à un substan­ tif qui dénote avant tout la peine et la fatigue, plus rarement la souffrance extrême comme dans le cas du travail de l’accouche­ ment (acception employée dès le x n e siècle). La spécialisation de l’anglais travel se rattache sans difficulté à cette racine, puisque le mot est attesté en français au sens des fatigues du voyage à partir du x iv e siècle63. Il n’était donc pas nécessaire de torturer l’étymologie pour mettre en évidence le caractère pénible des activités couvertes par le mot travail. Dès sa première attestation, peu après 1100, il est employé comme un équivalent du latin labor (effort, peine), qui a donné lieu à des formes vernaculaires très tôt répandues (fr. labeur, an. labour, it. lavoro)64. Cependant, les raisons qui ont conduit quelques siècles plus tard à faire de travail une notion englobante n’ont rien à voir avec son étymologie. Au Moyen Âge central, le verbe le plus fréquent n’avait aucune connotation péjorative : ovrer/ ouvrer, du latin operare, désigne la réalisation d’un ouvrage ou l’ac­ complissement d’une action, notamment dans le domaine médi­ cal (sens assumé par la suite par opérer)65. Le verbe perd de sa fré­ quence au xve siècle et disparaît au siècle suivant pour des raisons phonétiques, du fait d’une confusion croissante avec les formes rigoureusement identiques du verbe ouvrir. La variante «œuvrer», attestée dès le x n e siècle, aurait pu éviter les ambiguïtés mais elle n’a pas réussi à prendre le relais. Alors que labourer se spécialise dans les activités agricoles, les sonorités claires et ouvertes de tra­ vailler offraient une solution séduisante pour sortir de cet embar­ ras, dès le début du x v ie siècle. La promotion du verbe entraîne celle de travail dont la fréquence égale celle de labeur dès la seconde moitié du x v ie siècle, avant de l’éclipser définitivement66. Dans les résonances modernes de ce mot, les échos des tourments mérovingiens sont tellement affaiblis qu’on les entend à peine. Le rabâchage d’une étymologie simplifiée n’est qu’une mauvaise excuse pour ignorer la richesse du lexique médiéval. Le travail des Modernes Comme le souligne François Vatin, la formulation du concept physique de «travail» autour de 1800 par des ingénieurs français liés à l’École polytechnique ne constitue pas un motif secondaire 51

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de la fortune dont a joui le terme durant tout le siècle67. Dans la discipline nouvelle de la «mécanique industrielle», les ques­ tions techniques et économiques étaient indissociables, puisqu’il s’agissait d’atteindre l’efficacité maximale des rendements d’une force appliquée à une machine. Les mémoires produits à l’époque napoléonienne par des ingénieurs, patentés ou assimilés, ne sont donc pas étrangers à l’histoire de la pensée économique. Selon Joseph Montgolfier, «la force est une chose précieuse qu’il faut économiser», dont le prix dépend du besoin qu’on en a et de la difficulté à l’obtenir68. L’optimisation des emplois de la force vive implique aussi bien des facteurs techniques que financiers. Pour reprendre les termes de la première définition donnée par Charles Coulomb en 1799: «Il y a deux choses à distinguer dans le travail des hommes ou des animaux: l’effet que peut produire l’em­ ploi de leur forces appliquées à une machine, et la fatigue qu’ils éprouvent en produisant cet effet. Pour tirer tout le parti possible de la force des hommes, il faut augmenter l’effet sans augmenter la fatigue; c’est-à-dire qu’en supposant que nous ayons une for­ mule qui représente l’effet et une autre qui représente la fatigue, il faut, pour tirer le plus grand parti des forces animales, que l’effet divisé par la fatigue soit un maximum »69. Le travail est ainsi conçu comme un rapport mathématique entre le produit final (tra­ vail sortant) et la force vive engagée dans sa production (travail entrant). Ce rapport suppose toutefois la présence nécessaire d’un troisième terme, l’instrument susceptible de recevoir des amélio­ rations. La nouvelle conceptualisation de la mécanique n’est pas une pure découverte de l’esprit, mais l’effet d’une réflexion appli­ quée à l’usage de machines industrielles. De fait, dans les mêmes milieux, l’étude physique de la machine à vapeur conduit à mettre en évidence les fondements de la thermodynamique - le premier mémoire de Sadi Carnot sur le sujet date de 182470. Pour ce qui est de la réflexion proprement économique, le tour­ nant est d’habitude placé un demi-siècle plus tôt. Selon l’éloge de Karl Marx, universellement répété, Adam Smith serait le premier auteur qui ait formulé un concept «abstrait» de travail, indépen­ dant des types d’activité dans lequel il est impliqué71. L’habitude qui s’est prise de considérer YEnquête sur la nature et les causes de la richesse des Nations (1776) comme fondation d’une nouvelle dis­ cipline induit une erreur de perspective. Cette œuvre est l’aboutis­ sement des recherches d’un philosophe moral, curieux d’explorer toutes les facettes de la sociabilité humaine, qui choisit ce ter­ rain pour mener une réflexion dont l’orientation ultime était de nature politique - le cinquième et dernier livre, rarement lu par 52

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les économistes, envisage une réforme des finances publiques, de la justice et de l’éducation, tout en critiquant le coût des guerres coloniales72. Comme pour d’autres penseurs du siècle des Lumières, l’éloge des activités productrices est d’abord pour Smith le moyen prudent d’une dénonciation de l’oisiveté parasite de l’aristocratie et d’un ordre social fondé sur la naissance et les privilèges, qui autorise à mettre en avant les bienfaits de la liberté personnelle73. Sa défense du libre-échange comme facteur de pro­ grès découle aussi bien de la détestation des monopoles commer­ ciaux qui procurent des gains indus à certains privilégiés que de la transposition sur ce terrain d’un idéal de confrontation éclairée des opinions au sein de la République des lettres. La Richesse des nations est une œuvre complexe, en équilibre instable, déchirée entre deux inspirations. Orphelin de père, Smith avait trouvé en David Hume un guide et un modèle, sans toutefois parvenir à partager publiquement l’incrédulité joyeuse de son ami dont il n’osa préparer lui-même une édition posthume des Dialogues sur la religion naturelle. Dès ses premières leçons sur la rhétorique et le droit, données à Edimbourg en 1748-51, il cherchait à donner une exposition plus systématique à l’approche expérimentale de la nature humaine de Hume, en l’appuyant sur une histoire conjecturale des progrès de la civilisation74. Il pour­ suivit cette tâche dans la Théorie des sentiments moraux (1759) qui assura sa célébrité. Lors des quelques mois passés à Paris en 1766, la rencontre de François Quesnay et du cercle de ses disciples lui apporta une nouvelle stimulation. Impressionné par la vision synthétique du flux des dépenses et des revenus exposée dans le Tableau économique, son sens historique l’incitait cependant à faire de la théorie générale des Physiocrates, qui postulait une origine agricole de toute création de richesse, un simple cas par­ ticulier, adapté à la situation française. Comme il le confia par la suite, Adam Smith avait prévu de dédier son livre à Quesnay, s’il se fût encore trouvé en vie au moment de la publication - hélas, le médecin de Louis xv décéda deux ans trop tôt. Le dialogue engagé avec ses interlocuteurs parisiens se laisse néanmoins sentir en de nombreux passages. Au retour de son long voyage en France, alors que Smith s’était retiré chez sa vieille mère à Kirkcaldy en 1767 pour se consacrer à l’ouvrage dont il avait commencé la rédac­ tion durant les mois passés à Toulouse, Hume invita son ami à le rejoindre à Edimbourg, de l’autre côté de l’estuaire de la Forth, pour discuter gaiement jusqu’à ce que tout désaccord entre leurs opinions fût aplani75. Smith préféra se rendre à Londres pour achever son livre au contact des milieux marchands et se tenir au 53

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courant des nouvelles de la crise américaine dont il envisageait l’indépendance comme une tragédie inconcevable. L’historiographie allemande de la fin du xixe siècle a suscité un interminable débat en inventant «das Adam Smith Problem» qui suppose une incohérence entre la Théorie des sentiments moraux, où la sympathie constitue le motif principal de la sociabilité humaine, et l’essai économique qui fait appel au seul intérêt. L’énigme se résout très simplement: la sociabilité marchande, genre très parti­ culier des relations humaines, ne mobilise qu’une gamme réduite de sentiments moraux76. La Richesse des nations tient pour acquis les résultats du précédent livre qui avait ouvert à son auteur les portes des salons parisiens et des clubs britanniques, constam­ ment réimprimé, et dont le titre était rappelé sur la page de garde du nouvel ouvrage. Celui-ci, toutefois, ne répond qu’à une partie du projet annoncé d’expliciter les «principes généraux des lois et du gouvernement» et l’histoire de leurs changements77. Sans qu’il y ait incohérence sur le plan des principes, on constate néanmoins une discontinuité flagrante dans l’ampleur accordée à des problèmes d’économie politique au sein d’une recherche qui se donnait pour horizon la question plus générale de la justice. L’enchevêtrement des types d’argumentation constitue l’une des plus grandes difficultés de La Richesse des Nations ; l’ouvrage, pour ainsi dire, se promène à différents étages, sans toujours avertir le lecteur de ses déplacements subits. La première phrase de l’intro­ duction résume le propos général du livre en un axiome: «le travail (labour) annuel d’une Nation» constitue sa véritable richesse qui lui procure les produits qu’elle consomme ou lui fournit le moyen d’acquérir ceux qu’elle importe78. Smith reprend ici le vocabulaire de Quesnay et semble annoncer une reformulation des catégories du Tableau économique ; du moins se place-t-il au même niveau de généralité. La distinction entre le «travail productif» et le «travail improductif», annoncée dans l’introduction et développée dans le second livre, fait également écho à la division entre la «classe pro­ ductive» et la «classe stérile» de Quesnay, dont Smith entreprend de modifier les contours79. Cependant, à la différence du médecin français, le philosophe écossais n’a jamais recours à des données statistiques pour étayer ses affirmations, prenant alternativement appui sur des exemples historiques ou de simples conjectures, comme on l’observe en parcourant le premier livre80. La division du travail est tout d’abord présentée comme cause générale de l’amélioration des facultés productives observables dans l’histoire, qui permet de comparer avantageusement la situa­ tion d’un paysan laborieux d’Europe à celle d’un roi d’Afrique81. 54

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La décomposition de la production d’épingles en dix-huit opéra­ tions distinctes, prise en exemple dès la première page, ne pro­ vient pas d’une observation directe; Smith y confond d’ailleurs deux questions distinctes, le découpage du processus technique en opérations successives et la distribution des tâches au sein de l’atelier, en exagérant considérablement les gains permis par le second volet82. Cette tendance à la division est ensuite rap­ portée à un «penchant naturel», issu non pas de «principes pre­ miers de la nature humaine», mais d’une «conséquence néces­ saire de l’usage de la raison et de la parole», faisant ainsi écho à ses premières leçons d’Edimbourg sur la rhétorique, inspirées de l’anthropologie de Hume83. Les considérations sur l’extension des marchés qui forment le chapitre suivant consistent essentiel­ lement en exemples historiques prouvant la supériorité du com­ merce par voie d’eau. L’invention de la monnaie donne lieu à une variante de la «fable du troc», poncif des histoires conjecturales du x v m e siècle84. Jusqu’à ce stade, le lecteur a suivi une histoire naturelle de la production et du commerce, déduite de proprié­ tés de l’esprit humain, sans être préparé aux affirmations sur les­ quelles se clôt ce chapitre concernant la distinction des concepts de «valeur en usage» et «valeur en échange», ni à la démonstra­ tion qui présente au chapitre suivant le travail comme «mesure réelle de la valeur échangeable». Le changement de registre est alors très net. Smith se place sur le terrain de la démonstration théorique, sans l’éclairer de ses habituels apologues. L’observation qui en forme le point de départ est une trivialité : l’achat d’une marchandise nous dispense des efforts de la produire85. Le passage progressif à l’abstraction mérite d’être observé de près. Cet achat reviendrait à «comman­ der» un travail; la valeur de la denrée avec laquelle s’effectue cet achat équivaudrait ainsi à la «quantité de travail» qu’elle com­ mande. La généralisation qui est aussitôt proposée - «Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute mar­ chandise» - présente plusieurs difficultés, dont on ne soulignera ici qu’une seule86. Cette conclusion semble bien prématurée car il n’est pas établi que la «quantité de travail» épargnée par l’un des contractants soit équivalente à celle que doit déployer l’autre pour le satisfaire. Une conjecture, reprenant les exemples employés plus haut, aurait permis de rendre ce point sensible. Dans l’état de la société envisagé, avant l’invention de la monnaie, la compa­ raison ne porte que sur le travail «épargné» par l’un et celui qu’il «commande» à l’autre. Lorsqu’un boucher échange une pièce de bœuf contre un certain nombre de pains, le travail du boulanger 55

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qu’il «commande» est bien plus efficace que l’effort qu’il aurait dû consentir pour produire lui-même son pain, en vertu du principe de la division des tâches. À ce stade, il n’est pas non plus démon­ tré que la denrée donnée en échange (le morceau de viande) contient nécessairement la même «quantité de travail» que les miches de pain qu’elle permet d’acquérir. Par principe, les spécia­ lisations respectives impliquent que ces activités soient de natures différenciées, sans quoi l’échange de leurs produits n’aurait pas été nécessaire. Pour identifier une «mesure réelle» des denrées échangées, comme souhaite le faire l’auteur, il faudrait parvenir à rendre commensurables des travaux hétérogènes. Le paragraphe chargé d’établir ce point commence par admettre la difficulté de l’exercice. Le lexique employé témoigne lui-même d’un grand embarras. En quelques lignes, Smith fait appel à pas moins de huit substantifs différents [labour, work, hardship, inge­ nuity, business, trade, industry, employment) pour admettre qu’un «travail» n’est jamais exactement l’équivalent d’un autre, puisque des éléments qualitatifs doivent entrer en ligne de compte: fatigue, habileté, durée de l’apprentissage87. Faisant l’aveu de la complexité d’une notion qui n’avait pas été définie et ne le sera pas davantage par la suite, il admet également que seul l’échange des marchandises permet d’établir une proportion de leur valeur, non pas selon une mesure précise, mais au moyen de marchandages et négociations [by the higgling and bargaining of the market) qui permettent d’aboutir à une «égalité grossière» [rough equality)88. Ce qui devait être la «mesure réelle» des productions doit à son tour être mesuré par l’établissement d’un prix d’échange grâce auquel des travaux concrets sont comparés sur un marché. Adam Smith n’avait donc pas déduit, mais seulement postulé l’exis­ tence d’une quantité de travail abstrait; au moment de la faire apparaître, il ne parvient à la mesurer qu’au moyen d’un échange marchand. Le raisonnement est grevé d’une faille qui ne sera pas colmatée dans le reste de l’ouvrage89. Dans le sixième chapitre, consacré à «l’état avancé de la société», le travail passe désormais au second plan derrière une nouvelle notion. Le prix des marchan­ dises se décompose en salaire du travail, profit du capital et rente de la terre. Porté par son analyse, Smith est finalement amené à faire du salaire l’unique grandeur homogène qui permet de com­ parer des travaux de qualification, pénibilité et ingéniosité variées ; foin d’une «mesure réelle», seule une expression monétaire est apte à fournir une évaluation chiffrée de ces activités. La tentative d’introduire un concept abstrait de travail ne se révèle donc guère concluante. La proposition générale à 56

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l’enseigne de laquelle est placé le livre ne se convertit pas en des­ cription théorique adéquate du circuit des richesses. Smith avait pour projet de renverser le modèle de Quesnay qui faisait de la dépense l’acte premier et réduisait la «classe productive» au seul travail de la terre. Comme le montre le premier exemple employé, le travail dont l’efficacité s’accroît avec la division des tâches est celui de l’ouvrier des manufactures. L’indiscutable importance historique de Smith est d’avoir été le premier penseur de l’expan­ sion industrielle. Engagé dans le débat avec les Physiocrates, il en infère un concept universel de travail qui présente sans doute une pertinence politique à l’échelle globale («le travail d’une nation»), mais qui ne démontre pas son bien-fondé comme mesure unique de la valeur échangeable. Une once de morale calviniste s’est sans doute également glissée dans l’équation. Bien qu’il ait apparem­ ment perdu tout sentiment religieux dès l’époque de ses études à Oxford, en partie sous l’effet d’une lecture de l’anthropologie empirique de Hume90, il avait été éduqué dans un milieu presby­ térien, avec lequel il n’osa jamais rompre publiquement et dont le souvenir des principes moraux s’est peut-être trouvé exacerbé au contact prolongé des lettrés parisiens. Mais en fin de compte, la raison fondamentale de cette orientation semble bien être d’ordre philosophique et provenir d’une fidélité au lien entre travail et propriété énoncé un siècle plus tôt par Locke. Un aparté sur le travail colonial Au terme d’une quinzaine d’années passées à Oxford, ayant obtenu un diplôme de médecine, John Locke eut la bonne fortune d’entrer en 1667 au service du comte de Shaftesbury, Lord Ashley, Chancelier de l’Échiquier, qu’il soigna d’un kyste au foie. Ashley était l’un des huit «Lords propriétaires» que le roi Charles 11 avait récompensé de leur fidélité pendant la guerre civile anglaise en leur confiant l’exclusivité des droits sur la colonie fondée au sud du 36e parallèle nord qu’il nommait Caroline en l’hon­ neur de son père. Ashley confia à Locke la tâche de secrétaire de la Commission du commerce auprès du Conseil privé du roi qui avait la main sur le trafic transatlantique ; il le mit également au service des Lords propriétaires, en rédigeant avec lui une constitu­ tion pour la nouvelle colonie. Comme l’a montré David Armitage, le chapitre v du second Traité sur le gouvernement civil consacré à «la propriété des choses» fut composé dans ce contexte, en fonc­ tion de préoccupations coloniales91. L’argument général de ce chapitre est bien connu: dans l’état de nature, la propriété que chacun possède sur lui-même s’étend aux fruits du travail de son 57

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corps et de ses mains, puis à la terre qui a été améliorée et culti­ vée par ce labeur92. On entend distinctement, à l’arrière-plan de ces propos, la justification des enclosures de terres communes, appropriées au nom de l’utilité supérieure conférée par le labeur à une terre vaine [He by his labour does, as it were, inclose it from the common)93. Mais les références à l’Amérique et à ses vastes espaces non cultivés abondent également dans ce chapitre, à tel point que le Nouveau monde est pris comme paradigme de l’état initial de la Terre avant le partage des possessions (Thus in the beginning all the world was America)94. On trouve notamment dans ces pages l’exemple repris par Smith d’un roi ayant un niveau de vie infé­ rieur à celui d’un laboureur anglais, preuve s’il en était d’un lien étroit entre les deux œuvres95. L’ensemble de ce chapitre doit donc se lire à deux niveaux. Si l’argument présente une portée générale visant à défendre la liberté de l’individu entreprenant, il a pour objet plus immé­ diat de justifier l’appropriation des terres incultes d’Amérique. Défenseur de la tolérance religieuse, Locke refuse de justifier l’éviction des autochtones par leur idolâtrie ou de leur ignorance de la religion chrétienne. La constitution de la Caroline reconnaît que leurs erreurs en matière de foi «ne nous donnent pas de droit de les expulser ou de les maltraiter», misant plutôt sur leur conver­ sion pacifique à brève échéance96. Le droit de première occupa­ tion ne suffit pourtant pas à leur reconnaître un titre légitime de possession. Sans employer le mot, Locke y fait référence en évo­ quant la capture des animaux sauvages par les Amérindiens, ce que le droit romain traitait comme une occupatio, mais il refuse d’étendre ce bénéfice à la seule habitation nomade des terres97. Le philosophe a beau se réclamer d’un raisonnement mené selon le droit naturel, les références bibliques tiennent une place déter­ minante dans son argumentaire. En l’occurrence, il combine deux injonctions issues du livre de la Genèse: «Lorsque Dieu a donné en commun la terre au genre humain, il a commandé en même temps à l’homme de travailler» (on fera l’histoire de ce comman­ dement au chapitre iv). La propriété du sol n’est donc pas pro­ mise à tous de façon égale. Elle sera réservée à l’être «industrieux et rationnel» qui méritera d’obtenir par ces qualités un titre de propriété sur la terre qu’il mettra en culture98. La mesure de cette appropriation primitive sera fournie par les capacités de chacun à cultiver sa parcelle. L’importance de ce texte est incalculable pour l’histoire de la pensée politique. Contrairement à Thomas Hobbes, qui considé­ rait qu’à l’état de nature, aucune possession ne pouvait être ferme 58

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et stable avant l'institution d'un être politique artificiel, destiné à garantir les droits des citoyens (l'État-Léviathan)99, Locke admet une antériorité de la propriété sur l'institution politique. Il ne s'agit pas d'une idée totalement neuve. La chronologie suggérée par le récit biblique imposait de placer le travail d'Adam avant la fondation des communautés organisées et des villes. Jean Duns Scot avait fourni vers 1300 la version la plus élaborée du récit de la division initiale des terres. Le précepte de la possession commune de tous les biens a été révoqué par l’expulsion du jardin d'Éden, afin d’éviter que les mauvais et les cupides ne prennent une part excessive des biens communs. Cette division des propriétés qui définit et garantit une part équitable pour chacun n'a pu se faire qu'au nom d’un droit positif, mais celui-ci pouvait très bien décou­ ler de la seule autorité paternelle, comme le montre l'exemple de Noé répartissant les terres entre ses fils après le déluge100. Or, il faut se souvenir que Locke avait réagi très vivement à la Patriarcha de Robert Filmer qui faisait dériver l’autorité royale d'une auto­ rité paternelle confiée à Adam dès l'origine101. À la suite du cha­ pitre sur la propriété, Locke précise que les parents ont une obli­ gation de prendre soin de leurs enfants mineurs, mais n'exercent aucune domination sur eux au-delà de leur majorité. La défense de la liberté individuelle face au pouvoir absolu passe par l'affir­ mation d'une propriété inaliénable de soi-même et du fruit de son travail. L'ensemble de cette argumentation doit s'entendre à l’arrière-plan du propos d'Adam Smith, comme sa prémisse fon­ damentale. Il en découle ainsi cette idée centrale de la tradition libérale selon laquelle le marché aurait un caractère «naturel», antérieur à la formation d’une société politique. Cette naturalité, comme l'avait bien compris Gunnar Myrdal, se comprend au sens du «droit naturel» qui continue d'infuser secrètement toute pen­ sée économique prétendument autonome102. Quelle que soit l’importance des conclusions théoriques aux­ quelles parvient Locke, la discordance entre les raisons énoncées et la réalité de l'occupation de la Caroline est tellement criante qu’il faut se boucher les oreilles et se cacher les yeux pour ne pas en être troublé. Les seuls propriétaires de la colonie sont les Lords qui ne fournissent à l'évidence aucun travail mais bénéfi­ cient d’une concession royale. La constitution ne déclare pas les Amérindiens dépourvus de tout droit sur le sol; du moins inter­ dit-elle à quiconque de détenir ou revendiquer une terre par achat ou don auprès des autochtones103. C'est plutôt afin d’éviter les conflits que les Lords prévoient de laisser des espaces vacants nutour des campements indiens, sans se soucier de préserver 59

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leurs territoires de chasse, réduisant drastiquement l’espace qui leur était accessible. En revanche, ils escomptaient bien que la colonie serait rapidement peuplée de planteurs des Caraïbes, venus en premier lieu de la Barbade avec leurs esclaves africains pour cultiver le riz ou le tabac. Comme on sait, ce fut le cas104. Pour clore cette boucle, retenons donc qu’au fondement de la doc­ trine «libérale» de l’antériorité du marché sur la constitution de la société politique au nom du droit de propriété obtenu par le travail individuel, se cache un raisonnement visant à justifier l’ap­ propriation des terres autochtones au profit de grands domaines esclavagistes, produisant des cultures d’exportation pour le béné­ fice ultime d’une poignée d’aristocrates anglais. En somme, le condensé des racines du capitalisme moderne. Triomphe du travail abstrait Adam Smith n’est pas responsable de l’opération qui a consti­ tué l’économie politique en domaine séparé. Il en a seulement livré les clés. L’effectuation de l’opération doit plutôt être impu­ tée à ses lecteurs qui se sont concentrés sur les premiers livres de la Richesse de Nations, négligeant l’ensemble de son projet philo­ sophique pour faire de lui le fondateur d’une nouvelle discipline. Habile agent de change, David Ricardo qui se retira de la Bourse de Londres après avoir fait fortune en spéculant sur le résultat de la bataille de Waterloo fut l’un des plus fervents admirateurs d’un ouvrage découvert lors d’ennuyeuses vacances thermales à Bath pendant l’été 1799105. Entre autres corrections, il élabore dans ses Principes d'économie politique (1817) le concept d’un «tra­ vail incorporé dans la marchandise» (the quantity of labour bes­ towed on a commodity), dont on a constaté l’absence chez Smith, et observe sa présence dans le capital fixe, lui-même produit par un travail antérieur106. La première version du Traité d'économie politique de Jean-Baptiste Say, publiée en 1803, constitue pour l’essentiel une reformulation passablement critique du propos de Smith à l’usage du public français (on en reparlera au cha­ pitre vu). Le décalage de plus de vingt ans qui sépare la première publication de sa reprise par des économistes mérite d’être noté. La Richesse des Nations avait connu un succès immédiat dans les cafés et salons de l’Europe entière, mais le livre avait davantage été lu comme un manifeste politique en faveur de la liberté du commerce et de l’industrie que comme un traité analytique107. L’un des témoins les plus marquants en est l’abbé Sieyès qui en tirait les conséquences dans ses pamphlets et discours de 1789, en revendiquant des droits politiques pour le Tiers État au nom 60

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du travail fourni par les classes productives qui font subsister la Nation108. Pour boucler notre parcours, on notera donc que le concept de travail auquel Smith faisait appel sans parvenir à bien le définir ne s’est décanté qu’après la définition qu’en ont donnée les physiciens français. L’abstraction du concept n’est concevable que par référence au processus de transformation d’une matière par une force vive outillée. Le travail abstrait est un sous-produit de l’industrialisation. Tout en développant les avancées analytiques de Ricardo - le capital comme travail accumulé -, Karl Marx cherchait à reprendre l’interrogation de Smith sur la genèse de la marchandise pour l’aborder, non plus sur le terrain d’une histoire conjecturale, mais sur celui des rapports sociaux de production. L’obstination avec laquelle il s’est enferré dans le vocabulaire de l’économie politique classique pour en produire la critique se comprend mieux si l’on tient compte de son bagage philosophique. Hegel, qui avait lu Adam Smith en traduction allemande à Iéna en 1805, faisait du travail abstrait une forme de la «puissance du négatif» par lequel l’individu accède à la conscience de soi et participe à un travail universel109. (Bien évidemment, Hegel ne cessait de méditer les leçons de Kant qui reconnaissait lui-même avoir été tiré de son «sommeil dogmatique» par Hume: la boucle est plus complexe.110) Persuadé de détenir des outils dialectiques qui lui permettraient de résoudre les apories de Smith, Marx n’a jamais voulu s’affranchir de l’équation qui liait le travail et la valeur, esti­ mant avoir trouvé une solution à la mesure abstraite sur laquelle butaient Smith et Ricardo, avec la notion de «temps de travail socialement nécessaire à la production d’une marchandise»111. Comme de nombreux commentateurs l’ont relevé, en parti­ culier Castoriadis, la réflexion de Marx oscille entre deux points de vue difficilement compatibles. Il formule d’une part, avec une redoutable perspicacité, une sociologie historique et cri­ tique des rapports de production et de l’industrialisation dont il est le témoin. De l’autre, la poursuite d’un débat avec les éco­ nomistes, mené avec son arsenal philosophique, le maintient dans l’ornière d’une discussion sur le travail comme essence de la nature humaine, dont la forme historique du capitalisme ferait apparaître la vérité112. Dès ses premiers écrits sur le sujet (l’Ébauche des manuscrits parisiens de 1844), le travail n’est pré­ senté comme «réalisation de la vie générique de l’homme» que pour déplorer l’aliénation de l’ouvrier, dépossédé des fruits de son labeur113. L’industrie assure une domination sans égale de la nature, au prix d’une soumission de l’ouvrier qui la réalise à la 61

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puissance du capital qui l’organise114. La contradiction ne pourra se résoudre que par un renversement révolutionnaire qui resti­ tuera à la classe ouvrière la maîtrise de cette puissance. Certains passages qui évoquent un dépassement futur du travail «dicté par la nécessité » semblent en porte-à-faux avec une anthropologie qui en fait au contraire l’essence de l’humain115. Une autre tension oppose l’essence du travail abstrait, phénomène purement social «dans lequel n’entre pas un atome de matière», et sa forme his­ torique réelle qui consiste en «dépense physiologique de force humaine»116. Les tendances récentes de la marxologie invitent alternativement à reformuler les concepts de valeur ou de tra­ vail117. Je propose pour ma part de les abandonner l’un et l’autre, pour tenter de produire une pensée critique plus adaptée à la situation contemporaine. Se libérer du travail Comme l’a montré le parcours que nous avons suivi jusqu’ici, la formulation d’un concept abstrait de travail est moins une conquête absolue de l’intelligence humaine que le résultat d’un processus idéologique au double visage qui convient aussi bien aux libéraux qu’aux socialistes, sans fondamentalement déplaire aux conservateurs118. L’élément central tient à l’extension prise par un terme {travail/labour) dont la seule définition rigoureuse a été donnée au même moment par des ingénieurs et physi­ ciens: l’application d’une force musculaire à un dispositif dans le but d’en produire un effet. L’émergence du concept coïncide donc avec le moment très particulier de la découverte des facul­ tés inouïes de transformation que procurent les machines et les moteurs. Cependant, comme le signale l’importance qu’accordait déjà Locke à ce thème un siècle auparavant, le mouvement vient de bien plus loin. Revenons-y un instant: tout de même, associer la liberté inaliénable de la personne humaine au travail de ses mains, c’est un raisonnement bien étrange auquel Aristote, pour ne citer que lui, n’aurait rien compris. L’argument peut se justi­ fier au nom des conséquences qui en seront tirées : l’attribution au sujet du produit de son activité et de la matière sur laquelle il l’exerce revient à élargir et consolider la sphère inviolable de l’in­ dividualité face à l’oppression possible d’un pouvoir tyrannique. Mais il faut surtout considérer son antécédent. On y découvre l’idée d’un être humain aimanté par les efforts du corps et de l’esprit qu’il doit effectuer pour accomplir son salut - qu’il y ait été ou non prédestiné ne change ici rien à l’affaire. Le labeur est un devoir pour le chrétien, en tant que pénitence, comme acte 62

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de louange ou par simple obligation morale issue de la création divine. Les moines du désert d’Égypte au iv e siècle en ont fixé le premier modèle, comme on le verra au chapitre vi. En dépit de l’infériorité sociale manifeste attaché au labeur physique, celuici a bénéficié d’une valorisation morale dans la culture chré­ tienne tout au long du second millénaire, dont les bourgeoisies modernes ont tiré parti, dans leur lente conquête du pouvoir, face à l’oisiveté aristocratique. La tendance à légitimer des acti­ vités intellectuelles par référence au travail manuel a également une longue histoire derrière elle. Dans les premières années du x m e siècle, la réflexion des juristes concernant la légitimité de la rémunération des enseignants aboutit à cette conclusion: si la science est un don de Dieu qui ne peut être vendu, le labeur déployé par le maître qui la transmet mérite une compensation119. Ce n’est pas le savoir mais la sueur qui justifie le salaire - lequel désigne étymologiquement la ration de sel accordée à un soldat ou un magistrat. Le paradoxe d’un prestige moral attaché à des tâches subalternes est une curiosité issue du christianisme face à laquelle il serait sans doute temps de prendre quelques distances. Le mot a pris une telle extension que l’on ne mesure plus très bien les réalités qu’il recouvre. Quand nous parlons de travail, nous englobons sous le même terme une quantité d’actes et de représentations dont l’association n’a rien de nécessaire. Outre l’effort musculaire engagé dans une tâche productive et le résul­ tat de cet effort, le terme sert également à désigner la relation contractuelle nouée avec un employeur, le savoir-faire mis en œuvre dans une activité ou le temps passé dans une situation de subordination à attendre que l’horaire imposé soit écoulé. Pour d’excellentes raisons, des féministes marxistes ont proposé au siècle dernier de revendiquer le mot pour donner une visibilité et une reconnaissance aux tâches domestiques non rémunérées. Par extension, il est couramment employé au sujet des devoirs sco­ laires. Est-il vraiment indispensable d’assimiler toutes ces figures en un seul concept? Le maintien d’une référence au travail ouvrier comme modèle de toute activité professionnelle revient à confor­ ter un surmoi collectif, marxiste et chrétien à la fois, qui fait de la production de richesses l’horizon ultime de la vie humaine. L’une des propositions les plus intéressantes pour dépecer ce concept tentaculaire a été formulée par Hannah Arendt, dans sa fameuse tripartition de la vie active en travail, œuvre et action. Par défaut, le troisième terme englobe les rapports humains qui ne passent pas par la médiation des choses. La distinction entre les deux premiers se prévaut d’une réalité linguistique indiscutable 63

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qui s’observe dans de nombreuses langues où l’effort pénible (ilabor) et la réalisation d’un ouvrage (opus) appartiennent à des réalités différentes. En revanche, la tentative d’ancrer l’opposi­ tion des deux notions dans un contraste entre les besoins natu­ rels du corps et la production de biens artificiels est nettement moins convaincante120. Si la direction prise est la bonne, il faut aller encore plus bien loin dans le démembrement du concept de travail pour cesser de faire de l’acte de production marchande le prototype de toute activité sociale. C’est précisément afin de conserver sa dignité au travail corporel qu’il serait préférable de ne pas employer le même terme pour désigner des pratiques qui peuvent être référées à d’autres fonctions parfaitement identi­ fiables, telles que l’enseignement, le soin ou la protection, mais aussi la recherche ou la création artistique. Le rappel du sens de ces missions constitue la meilleure façon de résister à la pression néo-libérale qui s’exerce depuis une vingtaine d’années sur l’orga­ nisation des services publics, en poussant à les concevoir, sur le modèle d’une production commerciale, en fonction d’objectifs de «performance» chiffrés121. La poursuite de cette réflexion invi­ terait à faire du travail productif, non pas le paradigme, mais un simple cas particulier dans lequel se nouent des questions plus vastes. Outre le sens de l’activité accomplie et sa contribution au bien commun, il y aurait ainsi à examiner le rapport aux outils, les relations de subordination, la distribution des revenus. Il est acquis que la robotisation et l’informatisation ne conduisent pas à l’abolition du travail, puisqu’elles requièrent des présences pour assurer des opérations de conception et de contrôle des machines ou de production des données122. En revanche, la problématique majeure des prochaines décennies excède très largement les limites de la question du travail, puisque l’asservissement crois­ sant des humains aux machines intelligentes concerne l’intégralité de l’existence. De la même manière, c’est dans la perspective d’un renouveau des pratiques démocratiques qu’il faudrait réfléchir à la place des salariés dans l’entreprise, comme partie prenante d’un projet collectif et non comme simple coût du travail, traité comme variable d’ajustement dans des calculs de rentabilité financière à court terme. Enfin, l’hypothèse d’une garantie de revenu pour tous aiderait à percevoir dans une autre lumière les activités bénévoles indispensables à la réalité du fonctionnement social. Les chapitres qui suivent n’ont pas l’ambition de proposer une discussion théorique en vue d’une redéfinition du concept de tra­ vail. Ils se contenteront d’apporter des matériaux à la réflexion, en explorant les strates les plus archaïques des conditions de 64

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possibilité de l’idéologie économique. Dans un premier temps, trois études seront consacrées à la mythologie du travail dans le livre de la Genèse. On tâchera d’abord de comprendre quand et pourquoi se répand dans l’iconographie occidentale le motif d’Eve filant la laine aux côtés d’un Adam laboureur, alors que la malédiction prononcée dans le texte biblique ne devait affecter que l’homme seul (chapitre m). L’attention se portera ensuite sur un verset négligé : à peine le premier humain créé, Yahvé le plaça dans le jardin qu’il avait planté «pour qu’il le travaille et le garde» (Gn 2,15). L’histoire des commentaires de ce verset, dans la très longue durée, permet de scander les épisodes de la construction d’un imaginaire d’un travail antérieur à la faute, inscrit dans les dispositions initiales de l’humanité (chapitre iv). Dans ce par­ cours, Augustin tient une part essentielle. Comme on le verra, son interprétation littérale du premier travail d’Adam est directe­ ment associée à la constitution de la doctrine du péché originel. L’enquête sur la formation du texte biblique s’est révélée si riche qu’il a paru nécessaire d’y consacrer un chapitre à part dont je pré­ fère ne rien dire pour l’instant, afin de laisser la surprise entière (chapitre v). Pour étudier plus directement l’enchaînement d ’où est sortie l’idée que le travail est une vertu, on remontera ensuite aux sources de l’obligation d’occuper pleinement son temps, des Pères du désert aux puritains (chapitre vi). L’étude des transfor­ mations de la notion & industria pourra se conclure par une invita­ tion à retrouver le sens classique de terme (chapitre vu). On verra ainsi s’éclairer peu à peu le point commun qui lie le christianisme augustinien et le capitalisme. Tous deux sont fondés sur une valo­ risation de l’effort et de la souffrance, en vue d’une récompense retardée. L’espoir du salut, projeté dans le monde terrestre, se réduit à l’accumulation de biens matériels, d’argent ou de pouvoir. Dans les deux cas, l’orientation vers une récompense attendue éloigne de la jouissance du présent. Les humains sont, dit-on, dotés de mains pour en faire quelque chose. Il n’est pas certain que le travail manuel, même lorsqu’il se réduit à taper sur un clavier d’ordinateur, en soit la destination pri­ vilégiée. Pour Aristote, la station debout accordée à l’être humain, «parce que sa nature et son essence sont divines », lui procure éga­ lement l’usage des mains qui sont, grâce à l’astucieuse disposition des cinq doigts, aptes à tout saisir et tout presser, «un outil qui tient lieu des autres»123. Par un raisonnement inverse, observant que leurs capacités préhensives permettent de libérer la bouche de ces fonctions pour se consacrer à l’expression de la parole, Grégoire de Nysse faisait des mains le signe de la rationalité124. 65

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Non sans raison, Robert Desnos préférait y voir l’instrument de la sensualité125. Nos capacités sont en effet illimitées. L’un des prin­ cipaux messages de ce livre serait d’inviter à se libérer des conno­ tations morales issues d’une histoire millénaire qui réclame de mesurer à la sueur versée la valeur des services rendus.

Chapitre ni EVE AU F U S E A U

Autant prendre les choses par le début1. Le jardin d’Éden, Adam, sa côte. Eve, l’arbre et le serpent. La malédiction et l’expulsion. La scène du jardin est une forêt de symboles, on pourrait y pas­ ser un livre entier. Le récit présente en modèle réduit un ensemble de questions essentielles auxquelles l’humanité est confron­ tée: ses rapports avec le monde animal et végétal, les relations entre femme et homme, le dialogue avec le divin et l’obéissance à la loi, l’expérience de la nudité et la découverte de la mortalité. Commençons par le plus connu, avec la punition de la transgres­ sion. Après la consommation du fruit défendu, les trois protago­ nistes de l’affaire sont convoqués et soumis au jugement divin. Adam, premier interpellé, dénonce Eve qui rejette à son tour la faute sur l’animal; ils sont sermonnés dans l’ordre inverse, l’un après l’autre. Le serpent qui a suggéré de goûter à l’arbre de la connaissance du bien et du mal est privé de ses pattes, condamné à ramper au sol et à être l’ennemi de la femme et de sa descen­ dance (Gn 3,14-15). À celle-ci, selon la version latine de saint Jérôme qui a fait autorité du ive au xvie siècle, le Seigneur dit: «Je mul­ tiplierai la peine de tes grossesses. C’est dans la douleur que tu mettras des fils au monde. Tu seras sous le pouvoir de l’homme 67

FIG. 1

Monreale, cathédrale Santa Maria Nuova.

FIG. 2

Palerm e, chapelle Palatine.

C H A P I T R E III

La richesse de la documentation visuelle offerte par Monreale ne s’arrête pas là. Une porte monumentale en bronze, comman­ dée au célèbre sculpteur Bonanno Pisano, architecte de la tour de Pise, fut conçue sur place et apportée par bateau en 1186. Son décor présente un résumé de l’histoire sainte en une quaran­ taine de tableaux dont trois sont consacrés aux conséquences de la désobéissance. La première illustre le verset de la malédiction du travail [f ig . 3 ]. Adam est assis sur un rocher avec Eve à ses côtés. Le bras levé, il appelle à l’aide un ange dans le ciel qui tient d’une main une épée et lui tend de l’autre une houe. Le couple, vêtu de peaux de bêtes, semble totalement désemparé. Une deu­ xième scène représente la soumission de la femme à l’homme, sous une formule non canonique exprimée non pas en latin mais en vernaculaire pisan (Eva serve a Adam). Un panier sur la tête et une sacoche à la main, elle apporte des victuailles à Adam, courbé, qui se relève de son effort. Si le filage de la laine n’est pas repré­ senté, il pourrait sembler sous-entendu puisque les époux sont désormais habillés de tuniques tissées, la corde qui ceint celle de la femme étant particulièrement visible. De façon distincte, Bonnano suggère ensuite, dans un troisième panneau, les dou­ leurs de l’enfantement. Dans la grotte d’un rocher, Eve allaite un enfant emmailloté, Adam portant l’autre dans ses bras8. Le cycle imaginé par le sculpteur pisan n’a ni antécédent direct, ni des­ cendance avérée. La soumission féminine, en particulier, n’est presque jamais représentée dans une scène à part. Ces panneaux témoignent autant de l’importance accordée à ce sujet à la fin du x iie siècle que de l’inventivité qu’il pouvait stimuler. Le cloître adjacent est l’un des plus vastes et des plus richement ornés de cette époque. Une centaine de chapiteaux reposant sur des colonnes doubles ont été réalisés par plusieurs ateliers, pro­ venant de France, d’Espagne ou d’Italie. Derrière la variété des motifs, le thème unifiant qui se profile est à nouveau la gloire de la monarchie et sa généalogie biblique9. Le chapiteau consacré à Adam et Eve propose une troisième version de l’expulsion du jar­ din, très proche du modèle de la chapelle Palatine. On y voit Adam qui pioche la terre en regardant derrière lui Eve affligée, une main sur la joue10. En un seul édifice, voulu par le même commandi­ taire et réalisé dans des délais très courts, cohabitent ainsi trois représentations du travail d’Adam dont deux mettent en avant des détails absents du texte biblique: l’attribution à Eve des instru­ ments du filage et l’intervention d’un ange apportant un outil de labour. Notre enquête visera à situer et comprendre l’apparition de ces éléments narratifs.

EVE AU F U S E A U

À la recherche d’antécédents antiques Les travaux d’histoire de l’art médiéval sur le cycle de la Genèse se sont moins intéressés aux innovations qu’à la transmission de modèles anciens. Considérant que la production monumentale (fresques, reliefs ou vitraux) dépend souvent de supports mobiles, ils accordent une place centrale à un codex illustré, sans doute produit en Égypte vers la fin du Ve siècle, auquel est reconnue la valeur d’archétype d’une très vaste série de représentations. Après être passée par Venise, cette Genèse illustrée fut offerte au roi Henri v m , puis acquise par le collectionneur Robert Cotton, avant d’être presque intégralement détruite par le feu en 1761. Parmi les témoignages indirects qui ont permis à Kurt Weitzmann et Herbert Kessler d’en proposer une reconstitution, la coupole de la Genèse à San Marco de Venise, réalisée dans les années 1220, paraît offrir la reproduction la plus fidèle de ce modèle11. La res­ titution du manuscrit Cotton propose d’attribuer à Eve des ins­ truments de filage. La prégnance d’une telle hypothèse explique pourquoi l’histoire du thème d’Ève au travail n’est jamais abordée dans sa globalité. Cette proposition est toutefois purement hypo­ thétique, puisque la page en question avait été soustraite au codex avant même l’incendie12. La restitution de Weitzmann et Kessler ne se fonde que sur le témoignage de San Marco. Or celui-ci paraît, sur ce point, difficilement recevable. Les mosaïstes vénitiens ont en effet représenté Eve de façon très inhabituelle [fig . 4]. Assise sur un trône orné de joyaux, vêtue d’une peau de bête retournée, elle tient verticalement une quenouille et un fuseau dans sa main droite, la tête tournée vers Adam au travail13. Cette image est sans équivalent dans l’iconographie d’Ève, à une date où sa représenta­ tion en filandière était devenue courante dans le monde occiden­ tal14. Siégeant en majesté, elle ne travaille pas mais tient les attri­ buts du filage comme un sceptre, dans une attitude qui cadre mal avec les débuts de la vie en exil hors d’Éden. Il s’agit à l’évidence d’une image composite associant des éléments hétérogènes dont on cherchera plus loin à comprendre la formation. L’incongruité de cet assemblage suggère que la quenouille et le fuseau n’appa­ raissaient pas dans la page perdue du manuscrit Cotton. Le travail de la laine n’était cependant pas une hypothèse absurde comme première activité d’Ève. Dans le judaïsme ancien, comme dans bien d’autres cultures antiques, le filage tenait une place majeure dans la construction des identités féminines15. Rome célébrait ainsi Gaia Cæcilia, la déesse au fuseau, divinité du mariage et des vertus domestiques16. Le seul cas où l’on a cru 73

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FIG . 3

M onreale, porte de la cathédrale Santa Maria Nuova.

FIG. 4

V enise, b a siliq u e San M arco.

E V E AU F U S E A U

reconnaître une figuration d’Ève liée au travail de la laine dans l’art paléochrétien n’est cependant pas convaincant. Sur une face du sarcophage de marbre d’Adelfia retrouvé dans les catacombes de Syracuse, d’époque constantinienne (ca. 330-350), la première d’une douzaine de scènes montre le Christ-Logos entouré du pre­ mier couple. Tourné vers Adam, il lui offre une gerbe d’épis, une autre botte étant posée au sol entre eux, et tend à Eve de la main gauche une brebis ou un agneau, en tenant l’animal par les pattes avant. La scène est habituellement comprise comme illustrant, au moyen de ces symboles, l’imposition du travail après l’expulsion, l’homme recevant la tâche de cultiver le sol et la femme celle de filer la laine17. Cette interprétation semble largement surdétermi­ née par la fortune iconographique médiévale du travail d’Adam et Eve. Le geste qu’accomplit le Christ de sa main droite, posée à plat sur la gerbe, est celui d’une bénédiction. Il faut donc comprendre cette scène comme illustration d’un autre verset de Gn, 1,28: «Dieu les bénit et leur dit: “Soyez féconds et prolifiques, remplis­ sez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre”.» La fécondité serait ainsi symboliquement transmise à Adam, la domination des animaux à Ève. La plupart des témoignages que l’on peut réunir sur l’ico­ nographie ancienne d’Ève après l’expulsion illustrent plutôt, conformément au récit biblique, les douleurs de l’enfantement. Une fresque, à présent détruite, de San Paolo fuori le mura (ve s.) montrait Ève assise avec son premier-né. La fréquence de ce motif à Rome et dans les alentours laisse supposer qu’il était égale­ ment présent à la basilique Saint-Pierre18. Dans le manuscrit du Pentateuque de Tours (fin v ie s.), Ève est assise sous une tonnelle, un enfant dans les bras19. De façon unanime, les bibles carolin­ giennes produites à Saint-Martin de Tours la représentent allai­ tant, vêtue d’un simple voile, pendant qu’Adam travaille la terre20. Cette figuration est du reste conforme au commentaire profondé­ ment misogyne d’Augustin sur la création d’Ève. Si Dieu a voulu donner à l’homme une compagne, ce n’est ni pour l’aider à culti­ ver le sol, ni en raison des bienfaits d’une vie commune, puisque dans les deux cas, un autre homme aurait été plus utile. La créa­ tion d’Ève ne se justifie qu’en vue de la procréation d’une des­ cendance: «Supprimez la propagation de l’espèce, l’union de la femme avec l’homme, à mes yeux, n’a plus aucun but»21. Un motif alternatif, d’origine byzantine, présente Ève vêtue comme Adam d’une tunique de peau, la tête inclinée dans une expression de tristesse qui peut être comprise comme désespoir 77

C H A P I T R E III

ou pénitence22. On l’a vu à Palerme, puis dans la nef et le cloître de Monreale23. Il se comprend au regard de l’importance accordée à l’épisode de la remise des peaux de bêtes chez les Pères grecs24. Ce geste est généralement compris en écho à l’avertissement divin formulé après l’interdiction de goûter de l’arbre de la connais­ sance («vous en mourrez», Gn 2,16) et en lien avec la défense de manger de l’arbre de vie (Gn 3,22). Conséquence de la faute, la remise des habits de peaux d’animaux morts signifie l’acquisition de la mortalité par une nature humaine qui était initialement des­ tinée à l’immortalité25. L’image fait parfois résonner des mytho­ logies plus anciennes de la chute de l’âme dans une enveloppe corporelle26. Par contraste avec la tunique de lin blanc que le chrétien reçoit à l’occasion du baptême, l’habit de peau symbolise la vie charnelle issue de la désobéissance, soumise aux passions et devenue bestiale en raison de son penchant pour la matière 27. Mais cette punition est en même temps un bienfait qui pousse à la pénitence. Ces tuniques de peaux sont effectivement le modèle du cilice pénitentiel, tunique en poil de chèvre, parfois garnie de clous, portée à même la peau. La tristesse d’Ève recouverte d’une toison animale équivaut à la déploration de la nouvelle condition mortelle imposée à l’humanité. Eve aux champs Un troisième type iconographique, moins répandu mais his­ toriquement très significatif, étend à la femme le travail agricole dévolu à l’homme. L’exemple le plus célèbre a été réalisé par le sculpteur Wiligelmo pour la façade de la cathédrale de Modène, consacrée en 1099. Une frise composée de quatre plaques déroule un cycle de la Genèse, de la création d’Adam à l’arche de Noé. Les travaux des premiers parents occupent la moitié de la seconde plaque, après les scènes de la malédiction et de l’expulsion. Habillés de longues tuniques de paysans, Adam et Eve attaquent tous deux la même motte de terre sur laquelle pousse un arbre, les manches de leurs instruments formant un angle droit28 [f ig . 5]. La symétrie des corps et des outils enfoncés dans le sol signale une parfaite égalité dans l’effort. Cette mise en valeur du travail agricole constitue un ajout narratif délibéré de l’artiste qui invite les spectateurs à se reconnaître dans des figures destinées à leur paraître contemporaines. Il faut aussi noter la position de ces reliefs, placés à deux mètres du sol, immédiatement à gauche du portail principal de l’édifice. La tête inclinée des deux parents peut se lire comme un appel à la pénitence qui accompagne les fidèles à l’entrée de la cathédrale. 78

E V E AU F U S E A U

Une même association dans l’effort se retrouve au sud de la péninsule italienne, sur l’une des plaques d’ivoire de la cathé­ drale de Salerne [f ig . 6 ]. Les deux premiers humains, vêtus d’une simple culotte, sont penchés, côte à côte, chacun travail­ lant la terre, Adam avec une houe et Eve un sarcloir. Cet ensemble exceptionnel de soixante-dix plaques a fait l’objet de nombreuses interrogations quant à sa date et sa disposition originelle. Les derniers résultats suggèrent de l’interpréter comme décoration d’une chaire qui aurait été réalisée vers le milieu du x n e siècle, à l’époque où la ville émerge comme centre culturel important, dotée de la principale école de médecine d’Occident29. En dépit de l’appartenance de Salerne au royaume de Sicile, sur ce point, la commande de l’archevêque tourne le dos au modèle oriental retenu aux mêmes dates pour Roger π à Palerme. Afin de cerner l’apparition de ce thème iconographique, il faut tenir compte d’une Bible produite vers 1030 au monastère catalan de Ripoll (Vat. lat. 5729) qui montre le couple cultivant un sol hos­ tile [f ig . 7]. Dans le coin supérieur gauche d’une planche consa­ crée à l’histoire d’Abel et Caïn, Adam bine une motte d’un coup de sarcloir tandis qu’Ève, agenouillée, coupe des épis à l’aide d’un couteau. L’abbé Oliba, promoteur d’un moment de créativité culturelle intense à Ripoll dans la première moitié du x ie siècle, a effectué plusieurs séjours en Italie, qui l’ont notamment conduit en Lombardie où il aurait éventuellement pu rencontrer une telle image30. Il faut toutefois se tourner dans une autre direction pour remonter à l’origine de ce motif, en considérant deux manuscrits anglo-saxons. Le codex Junius 11 de la bibliothèque Bodleian d’Oxford, réa­ lisé autour de l’an 1000, contient un long poème paraphrasant la Genèse qui a longtemps été associé au nom de Caedmon. Il est orné d’une iconographie inhabituellement abondante réalisée pour l’essentiel à l’encre noire, parfois rehaussée de rouge. Après deux dessins illustrant la scène de l’expulsion (p. 45 et 46), puis une autre la naissance des enfants (p. 47), une planche est consa­ crée à l’histoire d’Abel et Caïn (p. 49) [fig. 8 ]. Elle présente, dans le coin supérieur gauche, un couple travaillant la terre à l’aide de bêches. L’homme barbu est assurément Adam, initiant Abel aux travaux des champs, au moyen d’un outil adapté au labour des terres lourdes, qui est reconnu depuis longtemps comme typique de l’iconographie insulaire31. Même si la disposition sur la page est identique à celle qu’occupe le couple au travail dans la Bible de Ripoll, il est impossible de voir ici Eve, puisque dans ce codex les femmes sont constamment représentées vêtues d’une coiffe. 79

FIG. 5

Modène, cathédrale Santa Maria.

FIG. 6

Salerne, cathédrale Maria degli Angeli.

ne. 7 Hible de Ripoll, Vat. lat. 5729, f. 6r.

FIG. 8

Codex Junius ii, Bodleian, Oxford, p. 49.

EVE AU FU SE A U

En revanche, dans un autre manuscrit produit à Cantorbéry dans le deuxième quart du x ie siècle, qui contient une paraphrase anglo-saxonne de la Genèse due à Aelfric d’Eynsham, l’illustration du même passage montre effectivement le couple occupé à une activité agricole. Adam creuse le sol en appuyant de son pied sur la bêche, alors qu’Ève derrière lui, portant une coiffe, tient vertica­ lement au-dessus de sa tête une fourche à deux pointes32. Sans se recouper exactement, ces deux cycles partagent une même source d’inspiration. On peut en effet retrouver à l’arrièreplan de chacun des allusions à un écrit grec non canonique, la Vie d’Adam et Ève9 rédigée au premier siècle avant l’ère chrétienne et très largement diffusée dans sa version latine en Occident. Selon les premiers chapitres de cette légende, après avoir été chassé du jardin d’Éden, le couple souffre de la faim, n’ayant que des herbes à manger. La pénitence qu’ils décident d’accomplir dans un fleuve est interrompue par une nouvelle tentation d’Ève par Satan. Répondant aux prières d’Adam, Dieu envoie finalement des anges leur porter secours, notamment pour faciliter la mise tu monde de Caïn. Aussitôt après, l’archange Michel remet à Adam des semis en lui apprenant à cultiver la terre pour nourrir la famille33. Les manuscrits anglo-saxons ne proposent pas des illustra­ tions de la légende au sens strict. Les artistes y piochent des élé­ ments qui permettent d’enrichir le récit biblique en fonction de leurs propres intérêts. Négligeant les premières souffrances du couple, sa pénitence ou le rôle que joue Satan, décrit comme le père adultérin de Caïn34, ils ne retiennent du récit que le seul apprentissage de l’agriculture35. Dans le codex d’Aelfric, Adam et ftve tiennent leurs instruments en écoutant la leçon d’un ange qui donne l’exemple en enfonçant lui-même sa bêche dans le sol. Nans respecter la chronologie du récit, le codex Junius 11 montre dès le franchissement de la porte du jardin Adam avec une bêche à l’épaule, tenant de l’autre main un sac rempli de semis. À ses Côtés, Eve tient dans sa main droite, devant sa poitrine, un objet rond de la taille d’une pomme qui est parfois interprété comme Une fusaïole, c’est-à-dire l’anneau servant de volant d’inertie au Hin du fuseau36. Il paraît toutefois difficile de voir ici une allusion lUNNi discrète à un thème qui n’est pas encore attesté à cette date. CJette lecture est d’autant moins justifiée que l’objet, qui n’était aans doute qu’une pomme, disparaît à l’image suivante où Eve l'avance les mains nues tendues vers l’avant, pendant qu’Adam, lana lâcher ses ustensiles, écarte les bras en se tournant vers le Chérubin qui garde la porte du jardin. 85

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Le choix des artistes est évidemment orienté par le contenu des textes qu’ils illustrent. Si le poème du pseudo-Caedmon ne mentionne pas la remise providentielle d’outils et de semis, la description des premiers moments hors du jardin s’accom­ pagne toutefois d’une évocation de la providence divine à l’égard des pécheurs. Pour leur consolation, le Père leur accorde «les richesses du sol» en commandant à la terre et aux mers de pro­ duire des fruits pour eux37. Quant à la paraphrase d’Aelfric, elle n’insiste pas spécialement sur ce thème, mais il vaut la peine de signaler que certaines des plus anciennes mentions médiévales de la division de la société en trois ordres (laboratores, bellatores et oratores) figurent dans d’autres textes de l’abbé d’Eynsham38. Si ses propos visaient d’abord à inviter les membres du haut clergé à s’abstenir de prendre les armes, à chaque fois, le texte rappelle en premier lieu la fonction nourricière des laboureurs. Trop de décorations d’églises médiévales ont été détruites, notamment en Angleterre, pour qu’il soit utile de formuler des hypothèses sur les modalités de transmission de cette image au xie siècle. On se contentera d’un premier résultat. Apparue autour de l’an mil ou peu avant, l’iconographie d’un travail agricole conjoint des deux parents a tiré parti de la Vie d’Adam et Ève pour donner corps aux conditions d’existence du couple après l’expul­ sion d’Éden. Ce n’est pas seulement cette image, mais le cycle entier de la Genèse rénové par des artistes anglo-saxons qui s’est rapidement retrouvé en Lombardie ou en Catalogne. D’autres scènes qui n’apparaissent que dans cette légende, telles que l’enterrement d’Abel ou la protection de l’arche de Noé par deux anges, figurent ainsi dans certains des cycles que nous venons de croiser39. L’importance de la légende juive ne doit pas être sures­ timée. Elle suggérait des solutions à un désir largement partagé de donner un sens actif à ce moment de l’histoire humaine, mais cette demande pouvait être satisfaite par d’autres voies. Ainsi, l’un des chapiteaux du cloître de Moissac (achevé en 1100) choisit de présenter les travaux du couple en miroir du paradis qu’il vient de perdre. On y voit Adam élaguer un arbre dont Ève est en train de cueillir un fruit40. La représentation d’Eve labourant aux côtés d’Adam, dans un rapport de stricte égalité, se raréfie au-delà de 115041. Cette dis­ parition n’indique évidemment pas la fin de la participation des femmes aux travaux agricoles, mais le passage de leur activité dans l’invisible. L’image a toutefois connu une descendance litté­ raire avec le Jeu dAdam, plus ancien drame liturgique d’Occident, produit en France du Nord au milieu ou dans la seconde moitié du 86

EVE AU F U SE A U

xiie siècle, qui glose et amplifie le récit de la Genèse. Une didascalie latine décrit ainsi les gestes des premiers parents dans les ins­ tants qui suivent l’expulsion: «Adam prit alors une pioche {fosso­ rium) et Ève un râteau {rastrum) et ils commencèrent à cultiver la terre et à y semer du blé»42. Le texte s’inspire ici des images dis­ ponibles. Toutefois, à cette époque, le travail de la laine devenait déjà en Occident l’attribut le plus commun de la première femme. La quenouille à long manche Le motif d’Ève filant apparaît dans le sillage de ces témoins anglo-saxons. Sa plus ancienne attestation figure dans les extraor­ dinaires peintures qui ornent la voûte de l’abbaye bénédictine de Saint-Savin-sur-Gartempe, en Poitou, datées des environs de 110043 [fig . 9]. Sans enfant, élégamment habillée et la tête couverte, elle est dépeinte en pleine action, la quenouille passée dans la cein­ ture de sa robe, tenant le fil entre ses doigts écartés. À sa droite, la section dévolue au travail d’Adam est malheureusement per­ due. Quatre-vingt-dix kilomètres au nord, dans les peintures de la crypte de Saint-Nicolas de Tavant en Touraine, inspirées de celles de Saint-Savin, Ève file dans une posture semblable, alors qu’Adam à sa gauche manie une bêche. On a remarqué depuis longtemps que l’usage de cet outil trahit une origine anglaise. Celle-ci est corroborée par d’autres détails des peintures de Saint-Savin et de Tavant, à commencer par les habits et la coiffe que porte Ève qui rappellent le décor des manuscrits de Cantorbéry44. Mais c’est sur l’outil qu’elle manipule qu’il faut à présent se concentrer. Au cours du Haut Moyen Âge s’est généralisé en Occident l’usage d’une quenouille à long manche, posée à terre ou passée dans la ceinture, qui laisse les deux mains libres pour étirer et lisser le fil45, à la différence des quenouilles à courte queue qui sc tenaient d’une main, l’autre étant placée sur le fil juste en desNous46. C’est bien cette longue quenouille que l’on voit à SaintSttvin, Tavant et dans toutes les représentations septentrionales d’Ève. Une main, généralement la gauche, dévide la masse de laine fixée autour de la quenouille, tandis que l’autre maintient entre le pouce et l’index le fil qui s’embobine sur le fuseau. Comme dans In création de Wiligelmo, la puissance de l’image tient à la préciNion des gestes et au dynamisme de l’action qu’elle met en scène. Dans la plupart des enluminures ou vitraux qui représentent le llluge dans la seconde moitié du x n e siècle, comme à Saint-Savin, Ève travaille les bras écartés, les mains sensiblement à la même huuteur, dans une position destinée à réduire la fatigue47. Après 1220, sa posture est souvent moins conforme aux gestes habituels 87

FIG. 9

Abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe.



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des fileuses. Toutefois, l’attention aux conditions effectives du tra­ vail se vérifie à nouveau à l’occasion d’une innovation technique ultérieure. Le rouet est ainsi représenté pour la première fois dans le riche psautier de Geoffrey Luttrell, produit dans la région de Lincoln dans le second quart du xive siècle, moins d’un siècle après l’introduction de l’outil en Occident48. Dans les peintures de Saint-Savin, George Henderson a noté que l’espace situé à droite d’Ève, dans lequel toute décoration est perdue, est trop vaste pour accueillir uniquement la scène du tra­ vail d’Adam49. Telle que se déploie la narration, il conviendrait d’y placer un épisode intermédiaire entre l’expulsion du jardin et les premiers travaux. Il ne peut s’agir que de celui de la remise des outils par l’ange. À défaut de pouvoir l’observer sur la voûte de Saint-Savin, une narration complète est présente dans le psautier de Winchester réalisé pour l’évêque Henri de Blois au milieu du xiie siècle50. Dans une page divisée en trois registres, sous une scène de l’expulsion conforme au texte biblique (Dieu réprimande le couple, qu’un chérubin accompagne ensuite hors du jardin), un autre ange remet à Adam et Eve la bêche et les outils de filage dont ils font ensuite usage, le registre inférieur étant occupé par l’his­ toire d’Abel et Caïn. Si elle correspond probablement à la version originelle du thème iconographique, cette composition en deux temps n’est que rarement adoptée. On préfère parfois ne conserver que la trans­ mission des outils à chacun des deux parents, comme dans les voussures de l’abbaye de Malmesbury (achevée en 1180)51. Une for­ mulation synthétique, fusionnant les deux scènes, montre l’ange apportant uniquement la bêche à Adam alors qu’Ève file déjà. Parmi des exemples peu connus, les magnifiques fonts baptismaux de l’église paroissiale d’East Meon, dans le Hampshire, sculptés dans un bloc de pierre noire de Tournai (ca. 1140) en fournissent un cas remarquable52 [fig . io ]. Ici, l’ange manie lui-même la bêche devant Adam, pendant qu’Ève file d’une quenouille énorme dont le manche est passé dans sa ceinture53. Outre sa taille, légère­ ment supérieure à celle de l’homme, et l’ampleur de l’outil qu’elle manie, le médaillon qu’elle porte sur la poitrine renforce encore sa prépondérance visuelle. Le support employé est également digne d’intérêt. La description des conséquences du péché originel sur les côtés d’un ustensile destiné à l’effacer par le baptême produit une puissante condensation de l’histoire du salut. La représentation la plus fréquente se concentre sur la seule image d’Ève filant et Adam bêchant. Pour donner une idée de la diffusion temporelle et géographique de ce modèle, on le trouve 90

E V E AU F U S E A U

par exemple dans le psautier Hunter (Angleterre, ca. 1150-1170), sur les vitraux de l’église paroissiale de Normée (commune de FèreChampenoise, ca. 1170) ou dans le Hortus deliciarum de Herrade de Landsberg (Alsace, troisième quart du x n e siècle). Au-delà du x iie siècle, sous des formes variées, la scène des travaux orne les portails, les chapiteaux ou les verrières d’innombrables églises à travers tout l’Occident54. Elle figure également dans des psautiers, livres d’heures ou retables, mais aussi comme illustration d’ou­ vrages profanes55. En Italie, l’introduction du filage de la laine dans l’iconogra­ phie d’Eve a été l’œuvre d’un autre maître de la sculpture romane qui signe du nom de Niccolo. S’il n’a pas été l’élève de Wiligelmo, il a du moins travaillé en même temps que lui à la cathédrale de Plaisance. Ses dernières réalisations, datées de 1138, ornent la façade de la basilique San Zeno à Vérone. Immédiatement à gauche du portail, un cycle de six hauts-reliefs consacrés à la Genèse culmine dans la scène des travaux [f i g . h ]. Pendant qu’Adam pioche une motte de terre, dans une posture proche de celle de la cathédrale de Modène, Eve assise allaite en même temps les deux enfants placés sur ses genoux, tout en filant la laine d’un air maussade, la main gauche relevée tenant fermement la que­ nouille. Avec une finesse admirable, le sculpteur fait passer le fil qui se dévide devant les deux enfants et suggère la rotation que la main droite impose au fuseau56. Par une invention remarquable, le sculpteur traduit en une seule image les trois thèmes associés à Eve (affliction, maternité et filage) Dans les mêmes années, de façon indépendante, la frise romane de la cathédrale de Lincoln présente une composition voisine. Eve allongée, la poitrine décou­ verte, file la laine avec l’aide de Caïn à ses pieds, tandis qu’Adam est secondé par Abel dans le travail de la terre57. Les deux œuvres, strictement contemporaines, superposent à la représentation clas­ sique de la maternité les attributs bien plus récents du filage de la laine. La nouvelle iconographie se répand dans un premier temps, non pas en effaçant, mais en se surimposant à l’ancienne image pour produire une représentation frappante de la double peine infligée à la femme. La charge des enfants n’enlève pas la néces­ sité du travail de la laine. Cette visibilité donnée au travail féminin est d’autant plus remarquable qu’elle est rare. À partir du x n e siècle, une iconogra­ phie illustrant les travaux des différents mois de l’année se répand en Occident sur différents types de supports, monumentaux ou livresques58. Le travail y est exclusivement agricole et masculin. En contrepoint, Eve fournit une figure de l’activité liée non à la 91

FIG. 10

East Meon, Hampshire, église paroissiale. Photographie de Gordon Plumb, reproduite avec son aimable autorisation.

F I G . 11

Vérone, basilique San Zeno.

EVE AU F U SE A U

production, mais à la transformation des matières59. Elle rend visible une tâche féminine rarement évoquée dans les sources écrites et faiblement attestée par les trouvailles archéologiques. Le filage, préparant la matière première des industries textiles qui prennent leur essor dans les villes d’Italie, de France du nord ou des Pays-Bas au x n e siècle, est une activité domestique mal rému­ nérée qui se pratique à une grande échelle dans le monde rural60. Si la représentation d’Ève aux champs était particulièrement adap­ tée aux conditions du x ie siècle, sa nouvelle image accompagne la proto-industrialisation de l’âge suivant. Le secours angélique Après avoir situé aussi précisément que possible l’apparition successive de ces deux images d’Ève au travail, il vaut la peine de s’attarder un instant sur le rôle tenu dans ces scènes par une autre figure. Sur la porte de bronze de Monreale, Bonanno Pisano montre un ange qui tend une houe à Adam, tout en le mena­ çant d’une épée. Comme on l’a compris, l’ambivalence de ce geste condense deux interventions angéliques distinctes. L’épée est celle du chérubin qui garde les portes du jardin d’Éden; l’outil, celui que remet l’archange Michel dans le récit apo­ cryphe. En combinant ces deux épisodes, la nouvelle narration mise au point en Angleterre imposait de représenter coup sur coup deux figures angéliques agissant dans des sens opposés. Parmi les rares les témoins qui suivent cette voie, un psautier pro­ duit pour Geoffroy Plantagenet vers 1190 montre tour à tour, sur la même page, le chérubin chargé de l’expulsion, puis la remise des outils effectuée par l’archange, en les distinguant par le drapé de leurs tuniques et la couleur de leurs ailes61. La mise en série des deux figures n’allait pas sans difficultés, en raison de l’impor­ tance accordée au chérubin comme gardien du paradis perdu62. Certaines formulations témoignent ainsi d’une réticence à intro­ duire l’archange secourable, notamment dans l’aire germanique. Dans le Hortus deliciarum, dessiné au Mont-Saint-Odile, ou dans la Genèse de Millstatt produite en Carinthie vers 1200, une place est laissée pour une scène intermédiaire entre l’expulsion et les travaux. Mais au lieu d’y faire apparaître l’ange qui apporte les outils, cet espace est au contraire dévolu au chérubin qui garde la porte fermée du jardin63. La fusion des deux gestes en un seul personnage fournis­ sait à Bonanno une façon élégante d’éviter les répétitions. Son invention donnait corps à une ambiguïté dont on peut trouver certaines traces ailleurs. Sur la porte de bronze de la cathédrale 95

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d’Hildesheim, réalisée en 1015 pour l’évêque Bernward, l’épée que tient l’ange dans sa main gauche le désigne comme gardien des portes d’Éden. Pourtant, il semble adresser en même temps un signe de bénédiction à Adam laboureur qui lève les yeux vers lui. Cette hésitation quant au sens de l’intervention angélique s’accroît encore lorsqu’une troisième tâche lui est dévolue. Pour les théologiens, Dieu n’a pu accomplir les actions matérielles qui lui sont attribuées dans la Bible qu’en prenant une apparence visible. On peut alors comprendre que les habits de peaux ont été remis «par l’intermédiaire d’un ange», comme l’observe André de Saint-Victor dans ses notes exégétiques des années 1140, inspirées par ses contacts avec les rabbins de France64. Bien qu’elle soit peu abondante, l’iconographie de ce geste n’en est pas moins significative. Suivant la tradition des Pères, les théologiens médiévaux com­ prennent toujours ce moment comme annonce de la mortalité65. Mais, au x m e siècle, s’y ajoutent d’autres nuances. Henri de Gand souligne que les vêtements de peau ont également été donnés comme protection contre le froid66. Pour Pierre de Jean Olivi, la scène contient une nuance de compassion de la part de la divinité «qui les a vêtus en raison de leurs nécessités, et pour leur témoi­ gner une certaine affection et l’espoir d’une protection et d’une réparation»67. Les images expriment effectivement une telle pro­ messe de secours et de miséricorde face à la rigueur de l’exil dans le monde, en associant la remise des outils et des habits68. Une telle inflexion se traduit visuellement par l’abandon de la vêture primitive en peaux de bêtes couvrant tout le corps. Cette formule italo-byzantine, encore présente à Palerme et Monreale, tend à s’effacer après les années 1220 dans le monde latin. Vers cette date, le portail de la cathédrale d’Amiens en fournit l’un des exemples les plus tardifs69. La tendance à la nudité, totale ou partielle, semble plus fréquente dans le monde méditerra­ néen. Mais le modèle dominant, issu de l’iconographie anglosaxonne présente toujours un couple en habits contemporains. Du fait de la transformation du code visuel, à l’encontre du texte biblique, ce sont donc des habits tissés qu’un ange, ou Dieu en personne, remettent au couple après l’expulsion. Dans les vitraux de la Sainte-Chapelle (1240), Dieu habille Adam d’une tunique rouge. Peu après, à la cathédrale de Tours, il tend au couple nu un habit d’un jaune éclatant qui évoque davantage la gloire future que l’expiation de la faute70. Dans le portail des libraires de la cathédrale de Rouen (fin x m e s.), Dieu remet d’un même geste au couple leurs vêtements et la bêche71. À Cahors, dans les peintures 96

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murales de la cathédrale (vers 1320 ), les deux dons sont figurés l’un après l’autre. Un ange habille Adam et Eve, avant qu’un autre leur apporte, d’une main la quenouille et le fuseau, de l’autre la bêche72. Le redoublement des gestes témoigne encore plus puis­ samment de la sollicitude du Créateur, qui prépare les humains aux rigueurs de la vie hors du jardin. Le déplacement de la remise des habits après l’expulsion se comprend par attraction exercée par l’imaginaire du don des outils. L’image qui condensait la pénalité prend le sens d’une pro­ messe de restauration. Cette connotation peut aussi bien se trans­ mettre en l’absence de figuration d’un geste secourable. Dans les voussures extérieures de la baie centrale du portail nord de Chartres, Dieu accompagne les différentes scènes de la Genèse, de la création aux travaux d’Adam et Eve. Outre la mise en regard de ces deux actes productifs, l’oeuvre de Dieu et celle des humains, sa présence bienveillante à côté du couple accentue la valeur réparatrice donnée à l’action humaine dont la construction du bâtiment lui-même est une manifestation éclatante. Cette signifi­ cation se dégage plus fortement encore lorsque la scène marque le début d’un cycle, comme cela devient souvent le cas en Italie à la fin du x m e siècle73. Dans le décor de la fontaine majeure de Pérouse (1293) sculpté par Nicola et Giovanni Pisano, l’expulsion du jardin introduit aux travaux des douze mois de l’année et aux arts libéraux. Ce modèle est repris dans les reliefs ornant le cam­ panile de Florence, conçus par Giotto et continués par Andrea Pisano (1334-36), dans une auto-célébration de la création artis­ tique74. Les travaux des parents sont suivis de ceux des trois fils de Lamech (Jabal, Jubal et Tubalcaïn, respectivement ancêtres des bergers, musiciens et forgerons) puis de la description de tous les métiers, manuels ou intellectuels. Dans un sermon prononcé en 1410, Jean Gerson, chancelier de l’université de Paris, explique que la remise des habits symbolise l’apprentissage de toutes les techniques nécessaires à la vie75. La théologie savante entérine la prégnance d’une interprétation élaborée au fil des siècles par la création visuelle. Dominée par la tradition, l’exégèse biblique est par nature conservatrice. Pourtant, dans ce cas, des théologiens avaient tra­ duit conceptuellement depuis longtemps les significations por­ tées par la nouvelle iconographie. Au moment précis où se géné­ ralise le thème d’Adam et Eve au travail, vers 1120, Hugues de Saint-Victor fait une place aux arts mécaniques dans la division des savoirs76. Son successeur à l’abbaye Saint-Victor de Paris, l’An­ glais Richard, a repris son cours d’introduction aux études une 97

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trentaine d’années plus tard. En est issu un Liber Exceptionum, encore plus largement diffusé. Pour introduire au tableau des sciences, les premières pages proposent une mise en série des trois biens donnés à l’humanité, des maux qui les ont corrompus, des remèdes qui y sont apportés et des disciplines inventées pour y pourvoir. La troisième série se concentre sur la condition maté­ rielle de l’humanité. Si l’immortalité première a été perdue par l’infirmité introduite à l’occasion du péché originel, son remède est la nécessité, à laquelle répondent les arts mécaniques qui sont destinés à fournir les biens nécessaires au corps humain77. Le théologien ne le précise pas, mais il s’agit évidemment en pre­ mier lieu de la nourriture et du vêtement. Ce cheminement abs­ trait correspond trait pour trait à l’iconographie qui se stabilise au même moment. Or, comme le rappelle François Sigaut, le travail outillé est précisément ce qui distingue l’homme des autres ani­ maux78. À la perte de l’immortalité succède, sans transition, l’ac­ quisition d’une compétence outillée qui marque «l’entrée dans la civilisation matérielle»79. Eve et Marie Pour conclure ce parcours, il reste à montrer à quel point les mosaïques de San Marco constituent un étonnant patchwork d’inspirations variées. Première étrangeté, dès l’expulsion du jar­ din, Adam et Eve portent déjà à l’épaule les outils de leurs futurs travaux. On reconnaît ici un motif issu de la légende apocryphe, présent dans le cod. Junius n ou le Psautier de Saint Albans. Le traitement de l’habit d’Ève est sans équivalent. La référence à la tunique de peau est conservée, mais celle-ci est retournée afin de doter Eve d’une pelisse dont on voit seulement dépasser les franges inférieures, l’élément d’animalité étant ainsi relégué vers les parties les plus basses du corps. Elle est pourvue des instru­ ments du travail de la laine qui s’étaient généralisés en Occident au cours du x n e siècle. La courte taille de sa quenouille trahit cependant une inspiration antique ou orientale. Le trône sur lequel elle est assise, les bras à plat, paraît tellement déplacé dans ce contexte qu’on ne peut le comprendre que comme un renvoi à une image célèbre. La mosaïque vénitienne fait écho à l’Annoncia­ tion de Sainte-Marie-Majeure, basilique romaine réalisée dans la foulée du concile d’Éphèse (431) qui avait proclamé Marie mère de Dieu (theotokos)80. Entourée d’anges, vêtue comme une impéra­ trice sur un trône, la Vierge y tient une quenouille sous le bras en guise de sceptre. La scène s’inspire d’un épisode du Protévangile de Jacques où Marie file la pourpre destinée au voile du tabernacle 98

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du Temple de Jérusalem au moment où l’ange lui annonce la conception de Jésus, la couleur rouge signifiant l’humanité du Christ et la valeur salvifique de son sang81. Si cet attribut reste habituel dans le christianisme oriental, il s’efface dans le monde latin à la fin du x n e siècle82. À cette date, en Occident, quand elle n’a pas les mains vides, Marie est plus généralement dépeinte lors de l’Annonciation tenant le livre des prophéties d’Isaïe qui annon­ çaient qu’une vierge enfanterait83. Ce n’est qu’avec la ContreRéforme que l’image de Marie filant revient en force, mais il s’agira désormais de filer un lin blanc virginal84. Le parallèle entre Eve et Marie est un lieu commun de la théo­ logie: «Par la première, la mort est entrée dans le monde, et la vie par la seconde»85. Différents dispositifs visuels ont pu être employés pour établir entre elles un jeu de renvoi. Pourtant, la mise en relation des deux femmes par le filage est restée excep­ tionnelle. Le transfert qui s’opère de l’une à l’autre dans la cou­ pole de San Marco passe par un jeu de références qui n’était acces­ sible que dans des zones de contact entre les cultures byzantine et latine et n’a guère eu de descendance. Le seul exemple d’un rapprochement explicite entre les fileuses nous ramène au point de départ de cette enquête. À Monreale, dans une basilique dédiée à la Vierge, l’Annonciation est représentée deux fois. Sur l’arc triomphal de l’abside centrale, à la droite du Christ pantocrator, Marie reçoit l’annonce, la main droite levée, la gauche tenant une quenouille et un fuseau de pourpre. Dans le transept gauche, au début du cycle de la vie du Christ, une autre Annonciation montre à nouveau Marie tenant dans sa main gauche baissée une que­ nouille et un fuseau de fil blanc. La scène des travaux d’Adam et Eve, placée sur la paroi de la nef, ne regarde que de biais l’Annonciation du chœur. Pourtant, l’effet d’écho entre elles est renforcé par un détail subtil: la laine enroulée sur le fuseau d’Ève a la même couleur rouge que la pourpre de Marie. Entre les deux femmes, le fil invisible qui se tisse à l’intérieur de l’église est celui du salut qui va, à rebours de l’histoire, de la réparatrice à la pre­ mière pécheresse. Conclusion Eve filant est donc une image proprement médiévale, dont la diffusion doit se comprendre sur le fond de la «révolution indus­ trieuse» des xie-xm e siècles dont Mathieu Arnoux a récem­ ment dressé un tableau d’ensemble, en rappelant très justement l’importance tenue par l’image d’Adam, prototype du labou­ reur86. L’invention du thème d’Ève au fuseau me semble plus 99

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déterminante encore. Car si le travail de l’homme est une stricte illustration de la punition énoncée par le texte biblique - un tra­ vail pénible, face à une nature hostile - celui de la femme n’avait aucune nécessité. C’est par solidarité avec l’homme que la femme se met à l’ouvrage, pour montrer que la punition concerne la condition humaine après la chute dans son intégralité. De ce fait, cette image ne semble guère chargée de connotations négatives, si ce n’est certaines représentations tardives qui dénoncent la fri­ volité des accoutrements féminins87. C’est un point qu’il faut sou­ ligner car Eve jouit parmi les théologiens d’une exécrable réputa­ tion; séduite par le serpent, elle porte la charge principale de la culpabilité originelle. Le renversement est encore plus frappant si l’on considère que les attributs de la maternité et de la responsa­ bilité de la maisonnée dont elle est dotée sont des symboles de vie et de fécondité, tandis qu’Adam est au contraire pourvu d’un ins­ trument de la mortalité. La bêche avec laquelle il travaille la terre est également celle du fossoyeur qui creuse la tombe et l’outil avec lequel Caïn est fréquemment représenté tuant son frère. Comme le dit le fossoyeur d’Hamlet: «Autrefois, il n’y avait pas de nobles, mais des jardiniers, des creuseurs de fosses et de tombes: ils exercent la profession d’Adam»88. En attribuant les outils du filage à Eve, l’iconographie médiévale a produit une invention doctri­ nale mineure mais notable. Dans l’imaginaire chrétien du Moyen Age central, les conséquences du péché originel ont basculé du côté du travail. Celui-ci n’est pas que douleur et pénitence, mais aussi réparation et apprentissage de la civilisation.

Chapitre ιν ADAM JA R D IN IE R

Dans son célèbre article de 1967 sur les «racines historiques de notre crise environnementale» qu’il voyait plonger en profondeur dans le sol de lOccident médiéval, Lynn White faisait reposer un pan de son argumentation sur la première injonction donnée aux humains par leur créateur: «Soyez féconds, multipliez-vous, rem­ plissez la terre et soumettez-la» (Gn 1,2e)1. À eux seuls, ces impéra­ tifs auraient directement été à l’origine d’un projet de domination du monde naturel. Faute d’avoir proposé une démonstration plus précise de l’histoire des lectures de ce verset et de leur impact, son article fut durement critiqué sur ce point. Jeremy Cohen a eu beau jeu de montrer que, de l’Antiquité au Moyen Âge, les interpréta­ tions juives et chrétiennes de ce commandement s’étaient surtout concentrées sur le devoir de procréer2. Toutefois, en prolongeant l’enquête jusqu’au x v n e siècle anglais, comme l’a fait l’historien australien Peter Harrison, on découvre que cet encouragement divin a bien constitué l’une des principales inspirations d’un pro­ gramme d’exploration des secrets de la nature tourné vers leur exploitation3. Lynn White n’aurait donc pas eu entièrement tort. Il se serait seulement trompé d’époque, en attribuant au Moyen Age des attitudes typiques de la première modernité qui tirent de la Bible une exhortation à occuper et transformer les milieux de vie. La question, comme on va le voir, est encore un peu plus compliquée puisqu’elle impose de tenir également compte de plu­ sieurs versets des chapitres suivants de la Genèse. 101

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La punition d’Adam après l’expulsion du jardin d’Éden affecte en premier lieu, non pas les capacités de l’être humain, mais la terre qui produira désormais des plantes hostiles à son action («Le sol sera maudit à cause de toi [...] il fera germer pour toi l’épine et le chardon», Gn 3,17-18), ce qui le contraindra à se nourrir dans l’ef­ fort, à la sueur de son front. Outre la perte de l’état d’innocence et de la connaissance universelle des créatures qui l’accompagnait, le péché originel produit un désordre général de la nature. La grande restauration qu’envisageait Francis Bacon au début du x v n e siècle portait sur ces deux plans. Grâce à la découverte empirique de cau­ salités cachées dans les processus naturels, les humains peuvent espérer retrouver «dans une certaine mesure» aussi bien le savoir originel par lequel Adam a su nommer toutes choses créées que la domination universelle qui lui était promise. Leur intelligence pratique mettait ainsi les nouveaux savants en position de corriger les perturbations provoquées par la faute des premiers parents4. Le grand poète et prédicateur John Donne fournit l’expression la plus concise de ce programme : «notre occupation vise à remettre droit /la nature en son premier état» (our business is to recti­ fie /nature to what she was)5. La démarche expérimentale prônée par Bacon, prolongée par les travaux de la Royal Society, marque une inflexion notable dans l’investigation des causes naturelles dont Joseph Glanvill énonçait clairement en 1655 les objectifs intéressés: «connaître les moyens de subjuguer la nature et de la mettre au service de nos intentions et de nos desseins»6. Cette nouvelle orientation repose sur des préoccupations religieuses qui n’ont pas d’équivalent strict dans les siècles précédents. Un pes­ simisme calviniste quant à la corruption radicale de la nature humaine par le péché originel y est tempéré par l’espérance d’un retour, «dans une certaine mesure», à l’état d’innocence, en met­ tant à profit l’étincelle de raison laissée dans l’esprit humain. Cette inflexion représente moins un commencement absolu que le point d’arrivée d’une trajectoire qui demeure à expliquer. Le programme de Bacon suppose en effet un préalable qui ne va pas de soi. Si l’enquête sur les causalités naturelles a pu être associée à un projet de «rectification» des désordres observés, c’est que le sujet connaissant et agissant se trouvait placé dans une position d’altérité face à un monde dénaturé. Comme le révèle l’écume théologique qui entoure les débuts de la science moderne, une telle séparation entre l’esprit humain et le cours des choses, susceptible d’être «rectifié», a pour source la doctrine du péché originel qui prend corps avec saint Augustin. Le divorce entre l’humanité et le reste de la création qui se déploie alors 102

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provient bien de conceptions théologiques typiques du christia­ nisme occidental. Lynn White avait entièrement raison, même si la démonstration des conséquences de la Genèse sur l’appétit de domination occidental du monde naturel passe par un chemine­ ment bien plus complexe que ce qu’il présentait comme une évi­ dence. Afin de donner une vision plus complète de la mythologie du travail issue du premier livre biblique, ce chapitre se concen­ trera sur un autre verset, moins souvent pris en compte7. Travailler au jardin Après avoir modelé Adam avec la poussière du sol (Gn 2,7) et planté un jardin (Gn 2,8-9), il est dit que «le Seigneur Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden, pour le cultiver et le garder» (Gn 2,15: le’ovdâ ou le’chomrà, bpmn ibwmn ; ut operaretur et custodiret illum dans la version latine de saint Jérôme). Ce pas­ sage qui ne retient plus guère l’attention des biblistes modernes a longtemps posé une difficulté aux interprètes anciens. Comment comprendre qu’un travail ait été imposé à Adam lors de son séjour dans le jardin des délices? Créé dans sa perfection, le paradis avait-il besoin d’être entretenu par une intervention humaine ? Souvent négligé, ce passage a toutefois été mobilisé, de façon oblique, à l’occasion des discussions ouvertes par l’article de Lynn White. Dans un cours donné en 1969 sur «la vision occidentale du monde et l’inévitabilité de la crise écologique», John Black, pro­ fesseur de foresterie à Edimbourg, en a tiré parti, considérant que par ce verset Dieu avait confié aux humains une mission d’«inten­ dance» {stewardship) à l’égard de la création, que l’on pouvait opposer au projet de domination despotique du monde fondé sur Gn 1,28®. La proposition a rencontré un grand succès chez les théologiens et philosophes de l’environnement, notamment de la part du pape François dans sa déclaration Laudato si’9. En dépit de l’intérêt de cette notion d’«intendance» qui s’accorde bien aux sensibilités contemporaines, elle ne nous retiendra pas ici car elle présente l’inconvénient de ne pas être fondée dans la lettre ou les traditions interprétatives de la Genèse10. Pour la même rai­ son, ce n’est pas le lieu d’engager une discussion avec des auteurs contemporains qui cherchent à donner une lecture écologique de la Bible, aussi suggestifs que soient leurs propos11. Plutôt que de proposer de nouveaux commentaires d’un texte reçu, on s’intéres­ sera uniquement à la formation et à la réception des différentes versions de la lettre biblique, seuls plans d’analyse pertinents pour comprendre comment le récit de la Genèse a irrigué l’imaginaire occidental dans la longue durée de l’histoire juive et chrétienne. 103

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De ce point de vue, l’argument de John Black a pour faiblesse de ne dépendre que d’une branche très minoritaire de la tradition textuelle. L’idée d’«intendance» lui a été suggérée par la «Version autorisée» de la Bible anglaise réalisée pour le roi Jacques 1er en 1611 : And the Lord God tooke the man, and put him into the garden of Eden, to dresse it, and to keepe it. Le verbe to dresse est employé au sens de «entretenir, aménager», pour exprimer une action que la traduction latine reçue durant le Moyen Âge désignait sans ambiguïté comme la culture de la terre (ut operaretur). Les nou­ velles versions de la Bible traduites directement sur l’hébreu au xvie siècle n’avaient pas conduit à des révisions drastiques sur ce point. En allemand, le travail d’équipe publié sous le nom de Martin Luther en 1534 conserve les verbes «cultiver» (bauen) et «protéger» (bewahren)12. La traduction française de Pierre Robert Olivétan, parue l’année suivante à Neuchâtel, maintient de même l’expression «pour le cultiver et le garder»13. La divergence anglaise remonte à la traduction de William Tyndale, publiée à Anvers dès 153014. Cette variante ne peut s’autoriser d’aucune nuance du verbe hébreu la’avod. Loin d’être une correction justi­ fiée par le recours au texte originel, la révision de Tyndale semble plutôt extrapoler une tendance interprétative qui imagine Adam en jardinier d’Éden, modèle du gentleman anglais qui trouve dans l’aménagement des parcs «le plus pur de tous les plaisirs humains», pour citer un texte de jeunesse de Francis Bacon15. En observant de près l’ensemble de la réception d’un même verset au cours d’une vingtaine de siècles, sans en sauter un seul, la démarche choisie revient à promener un miroir de poche le long de l’histoire, dans lequel se refléteront les préoccupations chan­ geantes des interprètes et du monde social qui s’agite derrière leur épaule. Comme on le verra, l’orientation dominante de cette histoire est celle d’une déperdition de sens. Au fil du temps s’est imposée dans le christianisme latin une tendance à prendre à la lettre le récit des premiers chapitres de la Genèse. De façon tou­ jours plus prononcée, le texte sacré a été lu comme histoire véri­ table des débuts de l’humanité. La lecture au premier degré des créationnistes américains contemporains qui abolit tout symbo­ lisme en constitue l’aplatissement définitif. À l’inverse, les anciens exégètes étaient parfaitement conscients de la teneur mytholo­ gique de ce récit. Nous n’allons pas leur donner tort. Afin de prévenir la lassitude et les répétitions, le cheminement suivi dans ce chapitre procédera à rebours, par sauts successifs qui nous conduiront aux principaux paliers de cette histoire inter­ prétative. De là, nous observerons tour à tour le ruissellement de 104

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ces dispositifs herméneutiques dans les différentes confessions ou chapelles chrétiennes, avec quelques incursions dans certaines traditions juives. (Faute de reprise de ce verset biblique dans le Coran, l’islam sera laissé de côté16.) Luther, Augustin, Origène et Philon d’Alexandrie marqueront les étapes majeures de cette remontée qui se poursuivra au chapitre suivant par un examen de la composition même du texte biblique. L’ascension pourra parfois sembler un peu rude et la traversée de certaines forêts au feuillage dru légèrement inquiétante. Que ces difficultés ne vous arrêtent pas, je vous promets que l’effort sera récompensé. Adam et la Réforme Dès la première exposition synthétique de sa nouvelle théolo­ gie, trois ans après sa rupture avec Rome, Martin Luther fait jouer un rôle crucial à Gn 2,15. Les quatre-vingt-quinze thèses affichées le 31 octobre 1517 sur la porte de l’église de Wittemberg niaient que des contributions versées à la construction de la basilique Saint-Pierre pussent libérer les âmes du purgatoire et contes­ taient l’efficacité de toute intercession ecclésiastique. L’argument central avait été énoncé quelques mois plus tôt lors d’une précé­ dente controverse : seule la foi procure la grâce qui peut libérer de l’empire du péché17. De la liberté du chrétien, imprimé en octobre 1520, offre un exposé plus abouti de cette doctrine et de ses impli­ cations. Libre par l’esprit, l’humain est dans sa chair esclave du péché originel. Les œuvres corporelles ne confèrent aucune vertu puisque les méchants peuvent aussi bien les accomplir. Le salut ne saurait donc venir que de la foi qui naît des profondeurs de l’âme, de l’accueil de la parole du Sauveur qui unit l’âme péche­ resse à la plénitude de grâce, de vie et de salut qu’est le Christ. Si les actes extérieurs ne contribuent pas au salut, ils sont néan­ moins indispensables pour soumettre le corps et le purifier afin de plaire à Dieu. Contrairement à une erreur commise par ses adversaires et cer­ tains de ses partisans, le salut par la foi seule de Luther ne conduit pas à l’abandon de tout devoir terrestre18. Dieu ne se prête à aucun marchandage, ni ne délègue ses pouvoirs salvifiques à ses vicaires, mais la domination du corps et de ses passions requiert des efforts incessants. Le juste qui parviendrait à le rendre parfai!ement obéissant peut trouver dans la situation initiale d’Adam avant la chute le modèle d’une activité qui exclut toute oisiveté : Adam avait été créé par Dieu juste, intègre et sans péché, de sorte qu’il n’avait pas besoin de devenir juste ni d’être justifié en cultivant et en 105

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gardant le jardin. Mais, pour le soustraire à l’oisiveté, Dieu lui a confié la tâche de planter, de cultiver et de garder le paradis. Il ne s’agissait là que d’œuvres libres, accomplies dans la seule intention de plaire à Dieu et nullement pour acquérir une justice qu’il possédait aupara­ vant et que nous aurions tous possédée par naissance naturelle. Il en va de même pour l’œuvre du croyant. Par sa foi, il est replacé dans le paradis; il est recréé; il n’a besoin d’aucune œuvre pour devenir juste. Mais, afin qu’il échappe à l’oisiveté et qu’il exerce et entretienne son corps, il se voit prescrire des œuvres libres de ce genre, qu’il doit accomplir uniquement pour plaire à Dieu19.

Une quinzaine d’années avant la traduction de la Bible en allemand où résonne la fameuse notion de Beruf (la profession comme vocation) à laquelle Max Weber attachait tant d’impor­ tance20, les premières activités imposées à Adam fournissent déjà la clé d’une éthique de l’occupation. L’être humain, dans sa nature première incorrompue, est voué au travail de la terre et à l’exercice corporel, par un «mandat» dont «quelques vestiges» gardent encore une actualité après la chute. Si le remaniement doctrinal luthérien accorde une importance nouvelle à ce tout premier commandement donné à la créature, sur le fond, il n’y a guère d’innovation exégétique. Luther s’appuie ici sur l’interpréta­ tion de ce passage donnée par son théologien de référence qu’est Augustin. Le commentaire de la Genèse auquel il travaille dans les dix dernières années de sa vie (1535-1545) lui fournit l’occasion d’amplifier sa description des premiers pas de l’humanité. Placé dans la «demeure et résidence royale» d’Éden où tous les animaux lui sont soumis, «comme dans une citadelle et dans un temple», Adam reçoit de Dieu une double tâche: «Il travaillera, c’est-à-dire qu’il cultivera ce jardin, et il le protégera, il en sera le gardien»21. Profitant de l’occasion pour reprendre l’une de ses polémiques favorites, Luther souligne que si «l’homme n’a pas été créé pour être oisif mais pour travailler [...] il faut donc justement condam­ ner l’état d’oisiveté qui est celui des moines et des moniales». Philippe Mélanchton, préposé à la défense argumentée des thèses de Luther face aux polémiques des théologiens catho­ liques et ouvrier bienveillant de la concorde entre les différents courants réformés, eut rapidement l’occasion de préciser le sens qui doit être accordé à ces «œuvres naturelles» dont le travail d’Adam fournit l’exemple. La notion centrale est une «dignité de la vocation» qui donne à chacun sa place dans le peuple de Dieu22. L’accomplissement de cette vocation n’a pas pour enjeu le salut individuel, mais l’obéissance aux commandements qui 106

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doit nécessairement suivre la réconciliation par la foi. Un reste de lumière naturelle préservé malgré le péché originel permet aux humains d’exécuter ces actes qui relèvent de la justice civile23. Cette notion de «vocation», que Luther traduira par Berufe t qui tiendra une place centrale chez Calvin, est inscrite au cœur du projet de réforme par un effet de structure. Dès lors que les fidèles ne sont plus guidés par la médiation du clergé, mais par un appel intérieur, la mise en œuvre de cette foi dans des activités pratiques est destinée à occuper leur vie entière. Si les œuvres ne font plus le salut des protestants, leur nécessité s’impose à eux de façon plus impérieuse encore. Pour cette raison, une même insistance sur le travail initial d’Adam se lit chez les premiers réformateurs: Œcolampade à Bâle, Zwingli à Zürich, Wolfgang Musculus à Berne24. Commentant à son tour la Genèse en 1554, Jean Calvin souligne fortement «que les hommes ont esté crééz pour s’employer à faire quelque chose, et non pour estre paresseux et oisifs [...] Parquoy il n’y a rien plus contraire à l’ordre de nature que consumer sa vie à boire, manger et dormir»25. De façon originale et fort inattendue, Calvin consi­ dère que la tâche de «garder» s’applique non pas au paradis luimême, mais à la profusion de ses fruits qu’il convient d’épargner: «Moyse adjouste qu’Adam fut ordonné gardien de ce jardin: pour montrer que nous possédons ce que Dieu nous a mis en main à telle condition, que nous nous contentons d’en user frugale­ ment et modérément, gardans ce qui est de résidu»26. Toute une morale de la frugalité peut alors découler de ce second comman­ dement qui apprend à entretenir et à préserver, sans négligence ni consommation excessive, les richesses reçues de Dieu27. L’éthique protestante du travail et de l’épargne est déjà contenue in nuce dans cette lecture de la Genèse. Cette inflexion a beau être unique dans le corpus étudié, elle a connu un impact considérable en rai­ son du prestige attaché à son auteur. François du Jon, protestant d’origine berrichonne, prolonge cette veine interprétative en plaçant le travail au centre de la vie édénique. Formé à l’école de Calvin et de Théodore de Bèze à Genève, enseignant à Heidelberg puis à Leyde, il fut l’un des théologiens réformés les plus influents de la fin du xvie siècle28. Sa traduction de la Bible, composée avec son beau-père, le juif italien converti Emanuele Tremellio, modifie le premier des deux verbes (ut operaretur) pour accentuer son caractère agricole (ad colendum)29. Toutefois, dans son traité sur la Genèse, publié en 1589, les nuances lexicales s’effacent. Aucune distinction n’est faite entre la «première vocation du genre humain» et la peine 107

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infligée lors de l’expulsion du jardin. Toute trace de joie paradi­ siaque ayant définitivement disparu, les deux verbes du verset 2,15 ne se comprennent plus qu’au sens d’un «labeur {labor) d’acqué­ rir, puis de conserver les choses obtenues par le labeur pour les nécessités de la vie présente». Cette leçon commande à toute la postérité d’Adam de «s’occupe[r] d’activités légitimes» et de ne pas s’y soustraire par oisiveté30. Il est impossible de faire en quelques pages le tour de la mon­ tagne de commentaires et de traités suscités par la Genèse aux xvie et x viie siècles, notamment dans le monde anglais31. On a déjà signalé l’importance que revêt la connaissance universelle attribuée à Adam dans l’état d’innocence comme modèle pour la nouvelle science32. Dès la première énonciation de son pro­ gramme d’«avancement des savoirs» (1605), Francis Bacon sou­ ligne que la première activité humaine au paradis ne pouvait être qu’un «travail d’étude», tout entier livré au «plaisir d’expéri­ menter»33. En dépit d’une convergence flagrante de cette inter­ prétation avec ses propres préoccupations, Bacon ne fait ici que reprendre un thème qu’Augustin avait déjà formulé, comme on le verra. Loin d’être menées au titre de la sola Scriptura, les lec­ tures protestantes de la Genèse sont largement tributaires d’une longue tradition exégétique. Toutes les harmoniques du com­ mentaire augustinien se retrouvent par exemple dans le tableau que dresse le pasteur puritain londonien George Walker, en 1641, des premiers pas d’Adam en Éden: abhorrant l’oisiveté, il trouve son plaisir dans l’exercice de la raison et d’une activité corporelle menée sans effort ni fatigue, occupé à contempler les œuvres de Dieu tout en prenant soin du jardin34. La principale nouveauté de ces textes tient à l’insistance avec laquelle cet épisode est présenté en modèle d’une occupation diligente, apte à redresser la vie des humains corrompus par des travaux honnêtes35. La possibilité d’un retour à cet Adam primitif est le propre des Modernes. La tendance à ramener le travail du premier homme à l’entre­ tien du jardin, sensible dès la traduction de la King James' Bible, atteint son acmé dans le grand poème de John Milton. Son Paradis perdu (première édition en 1667, révisée en 1674), trans­ position poétique du récit biblique, orne la vie édénique d’une surabondance de détails concrets. Chaque jour, le couple se livre à un «riant jardinage» et de «fraîches occupations», destinées à rendre plus agréables leurs promenades idylliques, en écartant les branchages ou en ramassant les feuilles tombées au sol36. Pour les gentilshommes de la Royal Society, cette figure adamique offrait un moyen peu coûteux de convertir un éthos nobiliaire, 108

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caractérisé par l’oisiveté et les plaisirs, en dévotes occupations horticoles et expérimentations scientifiques37. Sur ce point, les critiques se font rarement entendre, mais elles n’en sont que plus significatives. John Salkeld, ancien catholique devenu recteur anglican dans le Somerset, y trouvait par exemple l’occasion en 1617 de dénoncer la paresse aristocratique qui se glorifie de vivre du travail d’autrui38. Dans les mêmes années, le prolifique théo­ logien réformé Johannes Piscator faisait l’éloge de l’agriculture édénique en citant comme un proverbe le thème d’un sermon célèbre prononcé par John Bail en 1381 pour encourager la révolte des paysans: «Quand Adam labourait et Eve filait, où étaient les nobles?»39 Le potentiel égalitaire du mythe d’Éden fut pleinement mobilisé durant la guerre civile anglaise par Gerrard Winstanley qui proclamait l’abolition de la propriété privée et le retour aux conditions de vie adamiques, en menant des tentatives d’occupa­ tion collectives de terres qui connurent un retentissement bien plus profond que leur courte durée (1649-1650)40. De la Contre-Réforme au christianisme social Les thèses de Luther sur le salut et la foi, encore radicalisées par Calvin, ont eu des répercussions profondes dans l’Église catho­ lique, non seulement en raison de la sécession de vastes régions européennes mais du fait des interminables discussions sur la grâce et le libre-arbitre qu’elles ont conduit à ouvrir, dont les que­ relles jansénistes forment la partie la mieux connue. À cet égard, la première activité d’Adam au paradis ne constituait pas un ter­ rain d’affrontement de première importance. Dans les premières décennies du x v ie siècle, face au double défi de la Réforme et de l’humanisme, le principal enjeu visait à confronter les interpré­ tations reçues au texte hébreu41. Le cardinal dominicain Cajétan, qui avait été chargé de débattre avec Luther en 1518, consacra les dernières années de sa vie à produire un commentaire littéral de la Bible qui tînt compte des résultats de la nouvelle philologie biblique, avec l’aide de secrétaires hébraïsants42. Observant, à la Niiite de Johannes Reuchlin, que le pronom employé dans le verset est de genre féminin, il en conclut que les deux verbes ne peuvent se rapporter qu’à la terre du jardin43. Le seul sens admissible est donc celui d’un travail agricole, qui peut logiquement être divisé en deux aspects: pourvoir le bien et se prémunir du mal44. Tant pour les catholiques que pour les protestants, conformément ii la tradition, la création du premier homme hors des limites d’Éden servait à montrer qu’il n’en était pas l’héritier légitime mais un simple invité, établi par Dieu sur ses terres par un contrat 109

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de métayage45. Au début du x v n e siècle, le grand théologien jésuite Francisco Suarez résume efficacement l’idée centrale que retiennent tous les catholiques, à la suite d’Augustin : Dieu a voulu qu’Adam «cultive, par un suave exercice corporel et une honnête occupation du corps, sans fatigue»46. Son confrère limbourgeois Cornelius Van den Steen {a Lapide) y voit l’occasion de souligner l’antiquité et la noblesse de l’activité agricole47. Outre l’impor­ tance moindre de ce verset dans la théologie morale et la culture catholiques48, la principale nuance face aux lectures protestantes tient à l’absence de tout glissement vers l’idée d’un délassement nobiliaire par le jardinage. Ce passage ne donne que très exceptionnellement prise à des polémiques. Le père Marin Mersenne, figure centrale de l’Europe savante du deuxième quart du x v n e siècle qui débuta dans la car­ rière littéraire en redoutable apologiste, trouva sur ce point l’occa­ sion de défendre l’excellence de la vie contemplative des moines que les réformés voulaient vouer aux activités manuelles49. On ne trouve chez les Jansénistes qu’un très modeste infléchissement de la tendance dominante. Reprenant une formulation d’Augustin négligée par les interprètes contemporains, la Bible de Port-Royal glose le verbe «garder», non pas au sens d’une surveillance maté­ rielle, mais comme obéissance aux commandements divins qui aurait permis aux humains de demeurer au jardin50. Au cours du x v m e siècle, à mesure qu’enfle la nouvelle mytho­ logie d’un «état de nature», le poids qu’exerce la Genèse dans les imaginaires semble se défaire. On peut toutefois se demander s'il n’y a pas eu transfert de l’un à l’autre. Immanuel Kant en fournit un indice lorsqu’il bâtit ses Conjectures sur le commencement de Vhistoire selon la trame du récit biblique51. Pour ne pas enjamber trop prestement le siècle des Lumières, on peut s’arrêter sur la sub­ tile intertextualité de la conclusion du Candide de Voltaire: «Il faut cultiver notre jardin.» Entre le philosophe Pangloss qui trouve aus­ sitôt la confirmation biblique de cette sentence dans la Genèse et Martin le pessimiste qui la comprend au sens d’un abrutissement par le travail, «seul moyen de rendre la vie supportable», Candide maintient sa conclusion inchangée dans laquelle on peut entendre résonner les différentes voix de Voltaire, adepte du jardin d’Épicure dans sa jeunesse, à présent riche et désabusé du monde, orga­ nisant la mise en culture de son domaine de Ferney52. Au siècle suivant, le scandale de la condition ouvrière issue de la première industrialisation, pudiquement décrit comme «question sociale», fut l’occasion d’un renouveau de la réflexion catholique sur le travail53. À la suite de la révolution parisienne de no

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février 1848, le prédicateur dominicain Henri Lacordaire acheva ses conférences de Carême à Notre-Dame, destinées à l’édifica­ tion de la jeunesse bourgeoise et aristocratique, par des considé­ rations qui définissaient le travail en référence à l’acte créateur divin. «Son essence se résume dans ce mot énergique et glorieux: Faire»54. L’activité d’Adam au jardin prend alors une portée exem­ plaire, comme travail temporel qui doit être redoublé d’un «travail spirituel», concrétisé par le repos dominical dont Lacordaire sol­ licitait le rétablissement. L’année suivante, le nouvel archevêque de Paris, Monseigneur Sibour, parvint à réunir pour la première fois depuis la Révolution un concile provincial. Parmi ses décrets, une double condamnation visait tant le socialisme de Proudhon que le libéralisme incarné par Jean-Baptiste Say. Tout aussi insup­ portable que de mobiliser la charité à l’appui d’une critique de la propriété, le concile dénonçait «cette philosophie perverse» qui détruit tout sentiment fraternel en enseignant «que l’intérêt de chacun est le fondement de toutes les obligations morales»; c’est au contraire au nom de l’amour du prochain que les catholiques étaient appelés à secourir leurs frères dans le besoin55. Deux ans plus tard, Sibour défendit ce décret dans un long traité qui citait Gn 2,15 pour observer que «le travail est une loi de notre nature, et que l’observation de cette loi a été un devoir pour l’homme, même dans son état primitif, alors qu’il jouissait de l’intégrité de ses prérogatives»56. La réponse de Proudhon, quelques années plus tard, se plaçait sur le terrain exégétique, en articulant à sa façon les deux «allégories» bibliques. Le travail antérieur au péché cor­ respond au point de vue subjectif d’une humanité décrite comme «ouvrière » du fait de sa constitution ; les obstacles placés par la nature après la chute n’en forment que le point de vue objectif auquel s’arrête «l’ancienne école économique», sans comprendre que, «selon la pensée supérieure du mythe», le travail comme liberté est destiné à s’imposer sur la fatalité du labeur57. Sur ce point, les adversaires étaient fondamentalement d’accord. Depuis la fin du xixe siècle, dans sa confrontation avec la société moderne, l’Église catholique a tenté par différents moyens de revendiquer à son tour une éthique du travail, notamment avec la promotion de saint Joseph charpentier, modèle du bon ouvrier, à qui Pie xii consacra la fête du i er mai en 195558. À titre de simple illustration, on peut observer les propos tenus par le fondateur de l’Opus Dei. La sanctification des activités professionnelles est évoquée dès le premier recueil de José Maria Escrivâ, rédigé durant la Guerre d’Espagne59. L’éloge des vocations profession­ nelles et de la persévérance à demeurer à sa place que l’on trouve 111

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dans des textes ultérieurs ne déparent pas de propos calvinistes60. Gn 2,15 est l’occasion de rappeler que «cette obligation n’est pas née comme une séquelle du péché originel»61. J’ose à peine rap­ peler les appropriations pétainistes ou nazies des mots-clés du socialisme : malheureusement, elles appartiennent pleinement à cette histoire62. L’usage convergent de ce verset par des courants si différents par ailleurs permet de suggérer que protestants, catholiques, socialistes et fascistes ont tous assimilé, peu à peu, le même «point de vue subjectif» (pour reprendre la formulation de Proudhon): l’expérience humaine sur Terre trouve son expres­ sion privilégiée dans le travail, considéré comme vertueux par luimême. Les totalitarismes du xxe siècle y apportent la nuance d’un sacrifice à une cause plus grande que celle de l’individu qui n’a plus rien de divin, nul besoin de s’y appesantir. Les textes passés en revue ouvrent une fenêtre sur ce qui consti­ tue le cœur du problème occidental que ce livre cherche à mettre en lumière. La sanctification du faire, au nom d’une foi en un bonheur futur dans l’au-delà, a conduit à dissocier le sens des activités proposées sur terre aux fidèles et leurs finalités ultimes. À célébrer l’effort pour l’effort, les religions modernes ont encou­ ragé une activité de transformation du monde matériel à laquelle aucune limite n’était posée. L’éloignement du divin, prenant des allures plus abstraites, a produit comme un appel d’air par lequel s’est engouffrée cette quête infinie du faire et de l’avoir, dans un mouvement qui a rapidement échappé des mains de ses promo­ teurs spirituels, trouvant sa raison d’être en lui-même, tourné vers le façonnement d’un avenir terrestre. Cette poursuite obstinée de l’action pour l’action qui se paie en route de petites satisfactions futiles, sans jamais savoir s’arrêter durablement dans le repos d’un état de contentement, peut-être continue-t-elle d’être mue par le fantasme d’une rétribution à venir? Il est bon de rappeler à ce stade que le penseur moderne le plus éloigné de l’idée que le travail pût être une vertu, pareillement étranger à toute notion de péché originel, Baruch Spinoza, travailleur manuel de son état, opposait à la célébration du faire la clarté de la pure joie d’être63. Ce premier parcours nous a également montré que l’obsession du travail n’est pas une invention de la modernité. Pour en retra­ cer l’origine, il nous faut à présent remonter le filon des lectures médiévales et antiques du même verset. Lire la Genèse au sens littéral Augustin est un vrai père pour le christianisme latin. Outre les formulations classiques qu’il a données à un nombre élevé de 112

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questions doctrinales, son oeuvre foisonnante a également légué un arsenal infini de propositions dans lesquelles les réformateurs de chaque époque ont pu trouver des arguments pour contester les solutions admises en leur temps, si bien que l’histoire de la théologie chrétienne occidentale pourrait s’écrire comme une succession de disputes sur la meilleure compréhension de sa pen­ sée. Toutes les interprétations modernes de Gn 2,15 que l’on vient de parcourir dépendent de quelques pages d’Augustin, qu’elles tendent toutefois à plier dans un certain sens. Avant de s’interro­ ger sur le trajet qui l’a conduit à énoncer de telles propositions, on commencera par présenter ce texte et sa réception médiévale. De la Genèse au sens littéral, rédigée entre 402 et 415, est la moins étudiée de ses grandes œuvres de la maturité. Cherchant à rendre compte de chaque mot du texte biblique en écartant tout recours aux allégories, l’évêque d’Hippone commence par souligner le paradoxe d’un travail qui semblerait imposé au pre­ mier homme avant la chute: «Mais que devait-il travailler? et que devait-il garder? Le Seigneur a-t-il voulu que le premier homme se livrât au travail de la terre ? N’est-il pas peu vraisemblable qu’avant le péché, il ait condamné l’homme au travail?»64. Un savoir d’ex­ périence permet de répondre à cet étonnement: «Nous le pen­ serions, si nous ne voyions certains s’adonner avec tant de plai­ sir (1tanta voluptate) au travail de la terre qu’ils ne l’abandonnent qu’à contrecœur pour d’autres tâches.» L’éloge de l’intervention humaine dans le développement naturel des plantes, au moyen des semis, bouturages et autres greffes, prend une tournure méta­ physique. Ces gestes peuvent être décrits comme une forme de dialogue que la raison humaine entretient avec la «nature des choses». En s’interrogeant sur ce que la croissance des végétaux doit au seul déploiement des forces naturelles et ce qui revient à l’action humaine, le cultivateur est reconduit par deux voies dif­ férentes à reconnaître la providence du Créateur qui a aussi bien produit la nature que doté l’homme de raison65. Érigée en modèle de coopération entre les humains et Dieu, l’agriculture fournit ainsi une clé pour exposer le double aspect, naturel et volontaire, de la providence divine, lequel suscite en retour l’émerveillement du jardinier. Le travail initial d’Adam est décrit comme un plaisir de l’esprit, activité innocente qui convient idéalement aux sages (l’rancis Bacon s’est assurément souvenu de ce passage)66. Sur l’interprétation du second verbe, «garder», Augustin exclut toute nécessité d’avoir à se préserver des bêtes sauvages. Les animaux, créés auparavant, étaient déjà dévoués à l’homme qui avait reçu la lâche de les nommer. Le verbe doit donc être compris au sens qu’il 113

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a dans l’expression «garder quelque chose pour soi»: Adam devait agir en sorte de conserver le jardin et de n’en être pas expulsé67. Ces explications ne semblent toutefois pas pleinement convain­ cantes. Augustin leur préfère pour finir un autre sens, plus satis­ faisant pour l’esprit, même s’il est grammaticalement alambiqué. La phrase pourrait en effet se comprendre en faisant de Dieu le sujet des deux verbes et d’Adam leur complément d’objet: après avoir créé l’homme, le Seigneur l’aurait placé dans le jardin des délices pour «l’agir et le conserver», au sens où le juste est main­ tenu dans le bien par une assistance qui se renouvelle constam­ ment et peut cesser d’un instant à l’autre, dès que la volonté humaine se détourne de son Créateur68. Le fait que ce verset soit le premier lieu de l’Écriture dans lequel Dieu est désigné comme Seigneur ajoute encore à la plausibilité de cette lecture. Comme on l’a vu, le recours à l’hébreu au xvie siècle rendra intenable cette acrobatie syntaxique. Il en subsistera néanmoins quelque chose dans la lecture de Luther qui souligne avec insistance la jus­ tice d’Adam. Les hésitations d’Augustin à donner un sens littéral à la forme la plus obvie du texte témoignent de difficultés, courantes aux ive et ve siècle, face à l’oxymore d’un travail paradisiaque. Seul Jean Chrysostome, énonçait clairement l’importance d’une activité cor­ porelle imposée à Adam, afin de le prémunir contre l’oisiveté et de l’amener à reconnaître que Dieu ne lui a confié le jardin qu’à condi­ tion qu’il en prenne soin69. Ambroise de Milan témoigne égale­ ment d’un certain flottement, même si la postérité a surtout retenu de sa lecture du verset un enseignement moral à valeur géné­ rale, invitant à préserver le fruit d’un acte accompli70. La même leçon se retrouve dans les sermons sur le livre de Job prononcés à Constantinople vers 580 par Grégoire le Grand, quelques années avant d’être élu pape, et qui, rassemblés sous le titre de Morales, connurent une immense popularité pendant des siècles. Mettant en garde contre la vaine gloire qui peut naître d’une bonne action et la corrompre, à l’instar d’Éléazar périssant sous l’éléphant qu’il avait abattu, Gn 2,15 lui sert à rappeler qu’il ne suffit pas de travailler, c’est-à-dire d’accomplir le bien; encore faut-il le conserver en ayant l’humilité de pas s’enorgueillir de ses actes71. À la génération sui­ vante, dans l’Espagne wisigothique, Isidore de Séville proposait une lecture allégorique de ce verset, comme annonce prophétique du Christ, destiné à effectuer et à conserver la volonté du Père en réunissant tous les peuples en une Église72. Pour prévenir tout malentendu, il faut préciser que ces dif­ férents usages ne sont pas nécessairement contradictoires. 114

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L’exégèse médiévale se caractérise par une disposition cumulative qui n’oppose pas les interprétations mais cherche au contraire à multiplier les angles de lecture pour éclairer la profondeur du texte sacré73. La Glose ordinaire, instrument de travail composé dans la première moitié du x n e siècle, rassemble ainsi les diffé­ rents thèmes évoqués par les Pères en associant l’insistance sur la réalité d’un travail sans labeur selon Augustin et Chrysostome à la signification morale qu’Ambroise et Grégoire tirent du verset74. Lectures médiévales Une règle habituellement suivie par les commentateurs médié­ vaux consiste à prendre appui sur l’étude autorisée la plus fouil­ lée. Sans conteste, l’approche de la Genèse est dominée par l’auto­ rité d’Augustin. Les exégètes se contentent souvent de reprendre sur ce point les deux volets de sa démonstration, sans trancher entre le travail plaisant d’Adam ou l’action divine. C’est ce que font Bède le Vénérable au début du v m e siècle, Raban Maur, Angelôme de Luxeuil ou Rémi d’Auxerre au ix e siècle75. À la fin du x n e siècle, YHistoria scholastica de Pierre Comestor, résumé scolaire de l’histoire biblique, juxtapose brièvement les deux pistes76. Peu après, il est notable que certains des premiers exé­ gètes de l’université parisienne ne retiennent que le sens moral. Étienne Langton comprend les deux verbes au sens d’une action exercée par l’homme sur son propre esprit, afin de faire le bien et d’éviter le mal77. Le maître dominicain Hugues de Saint-Cher mentionne uniquement l’opération justificatrice de Dieu exercée dans l’homme78. À la génération suivante, dans son Commentaire des Sentences, Thomas d’Aquin n’admet que cet aspect avant d’ac­ cepter dans sa Somme de théologie les deux branches suggérées par Augustin79. En dépit d’un parti-pris croissant pour le sens litté­ ral dans l’exégèse universitaire, au début du x iv e siècle, le grand bibliste franciscain Nicolas de Lyre place toujours côte à côte les deux solutions, sans trancher entre elles80. De façon plus origi­ nale, tirant parti d’une autre facette des explications d’Augustin, Albert le Grand se montre sensible à la dimension cognitive de la première activité d’Adam qui aurait ainsi pu accroître sa connais­ sance innée des créatures par un savoir expérimental; assumant la nature humaine dans sa totalité, le Christ aurait lui aussi pu apprendre quelque chose par expérience81. Au-delà de ces réticences, les refus explicites d’admettre la pos­ sibilité d’une activité manuelle d’Adam avant la chute sont rares, mais ils méritent de retenir l’attention. Un document de la tra­ dition biblique irlandaise du v m e siècle témoigne du motif le 115

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plus évident d’incompréhension, en estimant qu’«il n’y avait nul besoin de travailler ni de garder le paradis avant le péché»82. Peu après, à la cour de Charles le Chauve, cette position est davantage étayée par le génial théologien irlandais Jean Scot, dit Érigène, traducteur et commentateur du pseudo-Denys. Il montre dans le Periphyseon qu’une interprétation allégorique du jardin d’Éden, inspirée de Origène et Grégoire de Nysse, ne revient pas à nier la matérialité de la création83. L’objection la plus intéressante, dans les premières décennies du x n e siècle, émane de l’abbé Robert de Liège qu’une tradition allemande a fait connaître sous le nom de Rupert de Deutz. De tempérament acariâtre, Robert tourne en dérision l’hypothèse littéraliste dans ses commentaires sur l’Évan­ gile de Jean: «Pouvons-nous considérer qu’il lui fut imposé de travailler à la sueur de son front pour se nourrir de tout le bois du paradis, ou de protéger la pomme du paradis d’un voleur qui viendrait de nuit la cueillir en fracturant les clôtures?» La phrase signifie plutôt qu’Adam «doit témoigner sa fidélité à son créateur par des louanges et des actions de grâces, et conserver le paradis en respectant le conseil qui lui a été donné, afin de ne pas perdre ce séjour en commettant le péché»84. L’importance accordée à cette compréhension du verset corres­ pond à une option théologique personnelle. Rejetant l’interpréta­ tion commune de l’Incarnation du Christ comme réparation du péché, Robert est l’un des premiers à poser la question contrefactuelle d’un monde qui serait resté indemne de la faute origi­ nelle85. Dans cette hypothèse, le Verbe ne s’en serait pas moins fait homme, pour accomplir un plan divin conçu de toute éternité; seul son sacrifice aurait été requis pour sauver l’humanité cou­ pable. C’est tout aussi inconditionnellement que Dieu aurait placé l’homme et la femme au paradis. Dans cette perspective, l’ouvrage initial confié à Adam revêt une signification majeure qui ne peut se réduire à quelques activités triviales. En confiant la responsa­ bilité du monde terrestre aux humains, Dieu attendait d’eux qu’ils expriment en retour leur foi et l’amour de leur créateur86. Cette voix apparemment discordante ne va donc pas à contre-courant de la tendance générale. Elle accorde aux humains une dignité et une place encore plus élevées au sein du monde créé. Rejetant une thèse généralement admise depuis Grégoire le Grand, l’huma­ nité, selon Robert, n’a pas été créée en remplacement des anges déchus ; elle est placée d’emblée au cœur du projet divin87. À la même époque, d’autres théologiens acceptent sans dif­ ficulté la réalité matérielle d’une culture de la terre édénique. Bruno d’Asti, abbé du Mont-Cassin, se contente d’une phrase 116

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d’explication qui sera souvent reprise: «parce que l’oisiveté est ennemie de l’âme, afin qu’il ne vive oisif, il lui est ordonné d’œuvrer»88. Dans son Hexaemeron, rédigé dans les années 1130, Pierre Abélard précise que Dieu a confié au premier homme une mission de cultivateur et de gardien89. Ce sont à peu près les termes qu’utilise, une génération plus tard, le Jeu d’Adam dont on a parlé plus haut. Alors que Dieu avait commandé à Adam d’habiter et de garder le jardin, le diable le tente en lui suggé­ rant de «monter plus haut» et ne pas se contenter d’une fonction subalterne, dans la soumission à son seigneur90. Dans son traité De operibus sex dierum rédigé vers 1150, Ernaud de Bonneval, abbé bénédictin du pays chartrain, brosse une description fabuleuse des beautés du jardin d’Éden91. Dans cette nature dépourvue de toute hostilité, le premier homme se livrait à «une culture déli­ cieuse», qu’il s’agît de ménager de la lumière ou au contraire de l’ombre, de préparer des enclos ou des étables pour les animaux afin d’éviter qu’ils allassent de tous côtés piétiner les fleurs du jar­ din92. Par opposition à la terre qui sera maudite après le péché, le prémontré Philippe de Harvengt parle d’une terre «bénie dans tes œuvres», supposant ainsi qu’Adam devait y accomplir certaines opérations93. Hugues de Boves, archevêque de Rouen, présente ce travail comme l’occasion d’une coopération de l’humanité à l’œuvre divine qu’Adam parachève par des labours et des boutu­ rages, faisant sienne la terre qu’il cultive94. Plus brièvement, à la fin du siècle, le cistercien anglais Baudoin de Forde imagine son ouvrage par symétrie avec celui du Créateur, occupant six journées ή des tâches agréables avant le repos du septième jour95. Comme l’a noté Emmanuel Bain, le texte le plus important du xn e siècle sur le sujet provient du chanoine parisien Hugues de Saint-Victor96. Le sixième livre de son De sacramentis (laissé ina­ chevé à sa mort en 1141) est entièrement consacré à la question contrefactuelle d’un monde qui n’aurait pas été infecté par le péché. Doté de toutes les perfections concevables, le prototype humain idéal aurait trouvé dans la culture de la terre le premier horizon de ses actes corporels afin de s’exercer, non pas dans l’effort mais le plaisir, «par le labour, les semailles, les plantations cl autres ouvrages de ce type par lesquels la nature, déjà bonne par elle-même, une fois mise en culture, reçoit une amélioration sup­ plémentaire»97. Outre le plaisir de l’exercice corporel, cet ouvrage lui fournit également l’occasion d’un apprentissage. Développant une métaphore proposée par Augustin, Hugues ajoute que cette amélioration du monde extérieur est indexée sur les progrès spi­ rituels de l’être humain, créé comme une sorte de terre fertile 117

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qu’il est lui-même chargé de mettre en valeur98. Bien que ce para­ graphe ne fasse pour l’essentiel qu’amplifier certaines suggestions d’Augustin, il leur donne une tournure plus acérée en soulignant la responsabilité que Dieu laisse aux humains de faire fructifier la création. L’intérêt du Victorin pour ce sujet n’est pas surpre­ nant, vu l’importance qu’il accorde aux arts mécaniques dans son fameux manuel d’introduction aux études (Didascalicon) - arts dont on comprend bien ici que la nécessité n’est apparue qu’avec la chute, une fois que la relation avec la nature s’est trouvée affec­ tée d’une négativité. Ce même programme de travail militait éga­ lement pour un primat du sens littéral dont l’établissement était nécessaire à toute lecture spirituelle de l’Écriture99. Par contraste, on peut s’étonner du peu d’empressement des théologiens univer­ sitaires à valoriser l’activité d’Adam, alors qu’ils partageaient les mêmes règles herméneutiques. Le renversement sur ce point n’intervient pas avant le dernier quart du x m e siècle100. Le franciscain Pierre de Jean Olivi, héros des épisodes précé­ dents101, est le premier exégète qui ait invalidé la seconde propo­ sition d’Augustin dans son commentaire de la Genèse produit à Montpellier en 1280, au motif que la construction grammaticale qui fait de Dieu le sujet de la phrase n’est «pas très littérale». Les arguments avancés sont proches de ceux d’Hugues de SaintVictor. L’être humain a été doté de puissances corporelles, afin que celles-ci trouvent à s’exercer par des actes physiques. Ses capa­ cités intellectuelles indiquent la finalité de son agir qui lui four­ nit «l’expérience la plus évidente de son pouvoir sur les choses inférieures, de sa prudence et de sa prévoyance en les dirigeant et en les gouvernant; de surcroît, il était adapté que les choses susceptibles d’être ainsi dirigées reçoivent quelque amélioration à travers son gouvernement»102. Par comparaison avec Augustin, l’accent se déplace d’une découverte par l’homme de l’action divine dans la nature et en lui, vers une découverte de la place et du rôle que Dieu lui accorde dans sa création. Quelques décennies plus tard, un commentaire anonyme de la Genèse largement ins­ piré de celui d’Olivi résume son propos en ces termes: «Il faut dire que ce lieu offrait gratuitement tout ce qui peut être produit par un effet naturel ou par l’administration secrète de Dieu ; toutefois, certains fruits particuliers peuvent y croître, du fait de l’industrie de l’homme; et ce dernier peut ainsi rendre ce lieu encore un peu plus agréable»103. On trouve encore après 1300 quelques interprétations symbo­ liques du verset. Olivi lui-même fait une lecture allégorique de la profusion des fruits de jardin que produira Adam, comme annonce 118

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des conversions futures au règne du Christ104. Bernardin de Sienne y voit une allégorie de la profession religieuse105. En plein xve siècle, Denys le Chartreux préfère encore ridée d’une action divine en l’homme106. L’usage du sens littéral semble néan­ moins l’emporter. L’archevêque irlandais Richard Fitzralph y a par exemple recours dans ses sermons qui dénoncent le désœu­ vrement des ordres mendiants107. Pour Jean Gerson, dans son De contractibus, l’exemple d’Adam prouve qu’il est contre-nature de vouloir vivre sans travail comme le font les usuriers108. Dans ses traités et sermons réformateurs des années 1375-80, John Wyclif tranche la «difficulté scolastique» sur ce point en faveur d’un tra­ vail sans fatigue109. Il en tire notamment comme argument que l’oisiveté répugne à l’état primordial des humains110. Le verset vient à l’appui de sa demande d’une dévolution des possessions ecclésiastiques aux pouvoirs civils: ce travail manuel procure une occupation constante qui offre moins de distractions que l’exer­ cice du droit de propriété111. Une considération théologique mérite d’être soulignée en raison de sa radicalité. L’oisiveté est à tel point odieuse à Dieu qui ne peut cesser d’agir en lui-même et d’opérer à l’extérieur, qu’il a disposé les humains à accomplir continuelle­ ment sa louange, par leurs différents organes intellectuels et cor­ porels112. Wycliff est parfois considéré comme un «précurseur» de Luther. Pour ce qui est de l’importance accordée au travail d’Adam comme modèle et mesure de l’activité attendue des humains, la démonstration est incontestable. Mais l’insistance sur ce point n’était pas nécessairement polémique. Aux mêmes dates, l’évêque de Rochester Thomas Brinton en déduisait que l’être humain est destiné par nature à travailler113. Sur le continent, le commentaire monumental produit par Henri de Langenstein à l’université de Vienne dans les années 1385-1397, tranche également pour une acti­ vité concrète, en apportant de nouveaux arguments: «À quoi bon l’être humain aurait-il reçu de telles mains, s’il n’avait dû accomplir nucun ouvrage manuel ou artificiel dans l’état d’innocence?»114 Lu nature paradisiaque subit une sévère normalisation, puisque l'intervention humaine est jugée nécessaire à l’épanouissement et à In reproduction des plantations divines115. L’inflexion la plus nette de l’histoire que nous cherchons à reconstituer ne doit donc pas êt rc placée vers 1520, mais dans le troisième quart du x iv e siècle. Pendant ce temps en Orient Le séjour au paradis d’Adam et de son épouse, jamais nom­ mée, ne tient qu’une place mineure dans le Coran où le premier humain n’est introduit qu’en tant que témoin et protagoniste de 119

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la chute du diable [Iblîs)116. Le jardin d’Éden y est essentiellement associé à la promesse de récompenses futures. Quoique la tradi­ tion musulmane ne présente de ce fait aucune réflexion utile à notre enquête, le Moyen-Orient ne doit pas être négligé dans ce panorama. Le dominicain Luis Ystella, théologien à la curie papale dans les premières années du x v n e siècle, cherchait sans doute à impres­ sionner par son érudition lorsqu’il tenta d’élargir le cercle des Pères de l’Église partisans d’une activité agricole d’Adam en Éden en invoquant l’autorité de l’évêque syriaque Moses Bar Képhas, actif entre Mossoul et Tikrit dans la seconde moitié du ixe siècle, dont le De paradiso avait été imprimé en 1569 à Anvers, dans la traduction du premier savant occidental maîtrisant cette langue, Andreas Maes117. Si le traité argumente en faveur de la matérialité du jardin et fait la louange de ses arbres incomparablement plus grands et plus beaux que ceux du monde ultérieur, corrompu par la malédiction de la chute, pas un mot n’est dit des actes qu’au­ rait pu accomplir le premier homme dans un tel décor118. Il aurait fallu descendre la vallée du Tigre, quelques décennies plus tard, et changer d’affiliation religieuse pour trouver un texte conforme au sens souhaité. Natif d’Égypte mais enseignant dans les écoles talmudiques de Babylonie des années 920-930, Saadia Gaon émerge comme le premier penseur juif médiéval nettement identifié, poète et auteur de traités qui couvrent tous les domaines du savoir. Marqué par la culture philosophique du monde abbasside, son approche de l’Écriture cherche à montrer que la révélation est conforme aux enseignements de la raison119. Sa traduction de la Bible en arabe, accompagnée de commentaires, témoigne également d’une connaissance de la tradition chrétienne syriaque. Soucieux de concilier la raison et la révélation prophétique, il s’interroge à pro­ pos de Gn 2,15 sur le déplacement d’Adam en Éden. Puisque l’Éternel n’interfère pas dans les actions humaines, la formule doit se comprendre au sens d’un commandement, transmis par un ange, de se rendre dans le jardin pour s’en occuper afin de le maintenir en ordre, en ramassant les fruits ou les feuilles tombées au sol120. Allant à l’encontre de la tradition talmudique, l’école issue de Saadia qui privilégie l’analyse grammaticale et l’explication litté­ rale (peshat) prospère en Occident à partir du x ie siècle. Rachi, plus illustre représentant de ce courant, n’a pas laissé de com­ mentaire sur Gn 2,15. En revanche, le poète et philosophe anda­ lou Abraham Ibn Ezra, exilé à partir de 1140 dans les terres chré­ tiennes, en traite dans son commentaire du Pentateuque rédigé à 120

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Rouen, dans lequel il insiste sur la matérialité des actions deman­ dées à Adam. Les verbes ne se réfèrent à la terre, mais au seul jar­ din clos (ganah) dont il avait la garde. Ibn Ezra avait sans doute en mémoire les bassins des jardins fleuris de Cordoue lorsqu’il estimait que la tâche confiée à Adam relevait de l’irrigation, et la garde du lieu, sa protection contre les animaux qui auraient pu le souiller121. En revanche, deux générations plus tard, Maimonide rejetait la signification littérale d’un récit de paradis qui lui sem­ blait rempli d’absurdités et d’actions inconvenantes à Dieu, der­ rière lesquelles se cachent des vérités philosophiques que l’inter­ prète doit savoir reconnaître. Le Guide des Égarés n’aborde que la première moitié du verset 2,15, à propos du transfert d’Adam en Éden, en le comprenant au sens d’une élévation de l’être humain, placé dans un état supérieur à celui de toutes les créatures maté­ rielles dépourvues de raison122. Ce type de lecture allégorique, comme on va le voir à présent, avait été jusque-là dominant dans la tradition juive comme au sein du christianisme. Philon d’Alexandrie Sans trancher en faveur de cette voie, Augustin a donc ouvert la brèche qui a conduit à promouvoir dans le monde chrétien une lecture littérale de l’activité imposée à Adam dans le jardin d’Éden. Bien qu’il prétende avoir observé lui-même des cultiva­ teurs enthousiastes, il ne peut y avoir aucun doute sur sa véritable source. La comparaison des textes montre que sa première propo­ sition s’est inspirée des Questions sur la Genèse de Philon d’Alexan­ drie qu’il a peut-être connues dans une version latine à présent perdue, à moins qu’il n’ait su, dans son âge mûr, suffisamment de grec pour les lire en version originale123. À propos du verset 2,15, la proximité des interrogations et des formulations est flagrante. Philon commence par le même constat de prescriptions inu­ tiles - «En effet, le paradis n’avait pas besoin de travail, car il était parfait en tout, pour avoir été planté par Dieu ; ni de gardien, car qui y avait-il pour le détériorer?» - avant d’admettre que les deux actions commandées au premier homme étaient convenables et salutaires. Plus précis dans la description des soins qui pouvaient être apportés au jardin («creuser tout autour, l’ameublir, le pio­ cher, établir un fossé, l’irriguer»), Philon comprend la demande de protection comme réponse au risque d’intrusion de bêtes sau­ vages, hypothèse qu’Augustin évoque avant de l’écarter; il range également sous ce chef les tâches d’irrigation124. Une première lecture de cette page pourrait laisser penser que Philon a déjà livré une interprétation littérale du verset. Ce serait aller un peu vite en 121

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besogne. Pour y voir plus clair, commençons par poser nos bagages au terme de cette remontée de vingt siècles d’histoire biblique. La focalisation de la conscience occidentale sur quelques rares moments antiques qu’elle reconnaît comme ses origines «clas­ siques» - la Grèce de Périclès, la fin de la période républicaine à Rome - laisse dans l’ombre des phénomènes de grande ampleur qui n’ont pas été moins déterminants dans son façonnement. L’épopée fulgurante d’Alexandre le Grand à travers le Proche et le Moyen-Orient (334-323 avant l’ère commune) a métamorphosé pour des siècles un vaste espace allant de l’Égypte aux fron­ tières de l’Inde, y laissant une empreinte grecque étonnamment durable125. Alexandrie, métropole économique et culturelle de cet univers dont la fameuse bibliothèque était destinée à rassembler en un même lieu tous les savoirs du monde, était en grande par­ tie une ville juive126. De ce judaïsme alexandrin de langue et de culture grecque, pratiquant de la Bible en traduction, on connaît surtout des textes anonymes comme le Livre de la Sagesse. Philon est le seul auteur pour lequel une œuvre abondante ait été conser­ vée. Membre d’une famille en vue, son frère et son neveu occu­ paient des positions de premier plan dans l’administration impé­ riale romaine et lui-même fut chargé en l’an 38 d’une mission auprès de Caligula en défense de sa communauté127. S’adressant à des juifs tentés par une assimilation complète à la culture grecque et aux structures romaines, il cherchait à rendre compte des témoignages de l’Écriture au sein d’une cosmologie d’inspiration platonicienne, sans se priver d’emprunts aux différentes écoles philosophiques128. À rebours de ses intentions, il fut surtout lu par des chrétiens qui l’adoptèrent comme maître d’exégèse, pré­ servèrent ses manuscrits et le traitèrent parfois comme le premier des Pères de l’Église129. Les écrits de Philon se distribuent en trois ensembles. L'Exposition de la Loi, couvrant l’ensemble du Pentateuque en dix traités, correspond à un projet de défense du judaïsme face à un public grec. Le commentaire allégorique de la Genèse, en dix-neuf traités, semble davantage destiné aux initiés. Des Questions et réponses plus brèves, portant sur différents passages de la Genèse et de l’Exode, se rapprochent par leur forme d’exercices scolaires, sans qu’il soit certain qu’elles proviennent d’un enseignement à la synagogue130. Unique ouvrage consacré au premier chapitre de la Genèse, appartenant conjointement aux deux premières séaires, le traité sur la création {De opificio mundi) décrit l’engendrement instantané d’un monde intelligible par la divinité dont le récit biblique des six premiers jours expose l’ordonnancement interne. 122

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À cette première création des idées succède la production maté­ rielle des êtres sensibles exposée dans le second chapitre. Après l’être humain générique, créé le sixième jour à l’image de Dieu, «mâle et femelle» à la fois, un être singulier est ensuite façonné à partir de la poussière du sol, qui se distingue du premier comme «l’homme céleste et l’homme terrestre»131. Philon n’a aucun doute quant à la matérialité du monde créé sur lequel Adam reçoit la souveraineté132. Les épisodes qui s’y déroulent ne doivent tou­ tefois pas être pris à la lettre: «Croire qu’il s’agit de vignes, d’oli­ viers, de pommiers, de grenadiers ou d’arbres de ce genre, c’est une grande naïveté, difficilement curable». Ces arbres désignent les différentes vertus dont l’âme humaine est dotée après que l’homme «façonné» a été transporté dans le jardin133. Dans cette perspective, Gn 2,15 décrit «ces deux dons de cultiver les vertus et de ne jamais s’en écarter, et de toujours tenir et garder chacune d’elle. “Cultiver” veut dire “agir” et “garder”, “se souvenir”»134. Les Questions et réponses sur la Genèse partagent les mêmes pré­ supposés. Le jardin d’Éden se comprend comme «un symbole de la sagesse»135. Pour atteindre la signification du récit, «il faut fuir le sens littéral»136. Est-il alors concevable que la question sur le travail et la garde du jardin dont Augustin s’est inspiré se soit can­ tonnée à ce seul registre? Philon fournit certes une description concrète de l’activité confiée à Adam, mais il précise qu’il s’agis­ sait ainsi de donner aux «cultivateurs, comme une loi de tout ce qu’il faut faire». L’épisode présente donc une valeur morale dont on comprend mieux le sens en découvrant que l’agriculture est prise de façon habituelle comme métaphore de la «culture de l’âme». Philon consacre un livre entier à l’opposition entre Abel et Caïn, un autre aux travaux de Noé. Dans les deux cas, le même contraste est brossé entre le bon cultivateur (géorgos) représenté par Noé et le simple «travailleur de la terre» (ergazoménos) dont le type est Caïn137. Le premier est un homme de métier (itechnites), doté de compétences qui le rendent capable d’exercer des opéra­ tions complexes telles que la greffe, dont Philon livre une longue description qu’il dit avoir observé lui-même138. Le bon cultivateur, qui fait ainsi appel à la raison pour dominer une nature sauvage, est le modèle de l’homme vertueux, tandis que le simple travail­ leur qui ne réussit que par hasard, sans expérience ni méthode, est l’image du méchant. L’intérêt du savant alexandrin pour les tâches ngricoles est indiscutable, mais loin d’en faire un encouragement nux travaux pratiques, il y trouve surtout la métaphore d’une sou­ veraineté de l’humanité sur le reste de la création et de l’esprit sur le corps. Seuls les aléas d’une transmission fragmentaire ont pu 123

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faire de cette page le point de départ d’une compréhension litté­ rale des premières tâches imposées à Adam. À l’inverse, pour les théologiens chrétiens des premiers siècles, Philon a d’abord été le maître des allégories philosophiques. Le divin Origène et sa postérité Aborder Origène après avoir longtemps erré dans les brumes froides du Moyen Âge latin, c’est se trouver soudain exposé à un excès de lumière en découvrant un christianisme heureux et léger, libre des affres du péché originel augustinien. Malgré l’impact de son commentaire du Cantique des Cantiques sur la mystique médiévale et renaissante, sa réprobation doctrinale par deux conciles plusieurs siècles après sa mort lui a valu d’être long­ temps tenu en lisière des histoires du christianisme, avant de faire l’objet d’un regain d’intérêt notable depuis le milieu du xxe siècle139. Lecteur de Philon dont il a contribué à transmettre les manuscrits, Origène en a tiré les outils de la première interpré­ tation chrétienne du canon biblique140. Après le martyre de son père en 200, il fut dès l’âge de 15 ans enseignant de grammaire, puis rapidement maître d’Écriture, à laquelle il se consacra entiè­ rement après l’arrêt des persécutions de Septime Sévère, se faisant lui-même «eunuque pour le royaume de Dieu»141. Rencontrant parfois l’hostilité du fait de ses succès et de positions métaphy­ siques hardies, il fut contraint de quitter Alexandrie pour avoir dit, lors d’un débat public avec un gnostique nommé Candide, que si toute chose doit retourner au premier principe dont elle a émané, Satan aussi devra être sauvé142. Avec le soutien de riches patrons, il poursuivit à Césarée Maritime un projet de longue haleine d’étude et d’établissement critique du texte biblique, fondant une biblio­ thèque où furent conservés les manuscrits de Philon143. Origène est également l’un des derniers Pères qui prenne appui sur la transmission orale d’un enseignement reçu par les Apôtres et pratique une certaine forme de transmission ésotérique, selon le modèle des écoles philosophiques144. Son grand Traité des principes énonce à plusieurs reprises les raisons de l’opacité du texte biblique dont le sens littéral est parfois «déraisonnable et impossible»145. Chacune de ces absurdités apparentes offre une exhortation à la compréhension allégorique146. Les premières et dernières pages de l’Écriture, sommet et terme du mouvement de procession et de retour à l’origine, ont un statut à part et ne doivent pas être prises à la lettre147. Elles donnent accès aux deux propositions les plus controversées d’Origène: la préexistence des âmes à leur descente dans les corps, lorsqu’elles se lassent de la 124

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contemplation divine148, et la restauration finale de toute la créa­ tion en Dieu, c’est-à-dire, d’après le terme grec, l’apocatastase. Le commentaire d’Origène sur la Genèse n’a pas été conservé, ce qui n’est pas surprenant tant son rejet de la matérialité du jar­ din d’Éden a choqué dans les siècles ultérieurs149. Les fragments ou allusions conservés prônent une lecture allégorique de ces pages: «Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté des arbres dans un jardin en Éden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même, que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre?»150. Le récit devrait être pris comme figuration mytholo­ gique de la descente des âmes dans des corps diaphanes, suivie de l’attribution d’une condition matérielle et mortelle aux humains à la suite de la désobéissance151. Il serait toutefois hasardeux de se prononcer sur la teneur exacte d’argumentations dont on ne peut qu’imaginer la richesse. L’affirmation de saint Paul - «le péché est entré dans le monde par un seul homme» (Rm 5,12) - a conduit Origène à souligner la réalité historique d’Adam et de sa faute, dans son imposant com­ mentaire sur l’Épître aux Romains, rédigé quelques années plus tard à Césarée. La pratique courante du baptême des enfants constitue la principale raison d’admettre une transmission héré­ ditaire du péché, quoique la causalité se comprenne mieux au titre de l’exemple donné par les premiers parents152. Cette souil­ lure est toutefois intégralement effacée par le sacrement, comme le signale un fragment cité par Eusèbe de Césarée qui fait appel à Gn 2,15: «Ceux qui renaissent par le baptême sont placés dans le paradis, c’est-à-dire l’Église, afin qu’ils accomplissent des œuvres spirituelles». L’existence corporelle n’apparaît pas comme une pénalité, mais plutôt l’occasion d’un apprentissage visant à res­ taurer l’image divine par l’exercice des vertus153. Commentant la construction bancale de Rm 5,12, Origène suggère que Paul a omis d’énoncer clairement le second terme de la comparai­ son - «tous reprendront vie dans le Christ», pour ne pas donner d’espoir facile154. La seconde moitié du iv e siècle constitue le véritable âge d’or de la théologie chrétienne, où de grands intellectuels disposent d’un accès vivant à la culture classique, dans une période de for­ mulation des dogmes et de confrontation entre des voies concur­ rentes. Didyme l’Aveugle, fidèle disciple d’Origène, occupa une chaire d’enseignement à Alexandrie jusqu’à sa mort en 398 à un 125

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âge avancé. Il fut également touché par les condamnations du vie siècle. Une copie sur papyrus de son propre commentaire de la Genèse, miraculeusement retrouvée par des soldats anglais en 1941, déchirée et roulée en boule dans le renfoncement d’une falaise de carrières de calcaire au sud du Caire, comporte également des lacunes dans les passages qui concernent le jardin, signe que l’enseignement de l’école origéniste était sur ce point particulière­ ment choquant155. À la reprise du manuscrit, lors de l’expulsion, on comprend que Didyme excluait toute compréhension de l’Éden au «sens historique» et le présentait «allégoriquement, comme un lieu divin, séjour des puissances bienheureuses»156. En appelant Adam d’un vibrant «Où es-tu?» (Gn 3,9), Dieu le plonge d’un coup dans la matière en l’assignant à la spatialité dont il était aupara­ vant affranchi157. La remise des tuniques de peaux correspond à la donation des corps, qui fournissent aux humains un utile ins­ trument pour agir dans le monde matériel158. Adaptée à ce nouvel état, la corporéité n’a pour lui non plus rien d’une punition. En marge de son enseignement, Didyme recevait dans sa cellule de nombreux visiteurs qu’il introduisait à l’exégèse allégorique. Dans les années 360-370, Origène était largement reçu comme auteur de référence, en matière d’herméneutique et de pensée de la liberté. Les Pères cappadociens ne cachaient pas leur admi­ ration pour lui, comme le montre la composition par Grégoire de Nazianze d’une anthologie de ses écrits159. Les homélies de Basile de Césarée sur les six jours de la création sont tellement prolixes sur le monde animal qu’elles ne font qu’effleurer la créa­ tion de l’humanité160. Sur ce sujet, son frère cadet Grégoire de Nysse dresse un tableau remarquablement informé en matière médicale. S’il admet, avec Philon, la distinction entre une créa­ tion générique de l’être humain à l’image de Dieu et la forma­ tion des individus singuliers, ceux-ci ont été selon lui d’emblée pourvus d’âme et de corps161. Opposé à la préexistence des âmes, il accorde toutefois, à la suite d’Origène, une signification pure­ ment spirituelle au jardin d’Éden dans lequel Dieu n’aurait pu offrir des délices matériels aux premiers humains162. À défaut de référence explicite dans son traité, une allusion à Gn 2,15 dans un autre contexte prend le verset au sens d’un travail spirituel stable, opposé à l’imprudence de ceux s’aventurent en pleine mer163. Sur un autre point qui n’est pas sans intérêt, Grégoire développe, à la suite de Philon et d’Origène, un thème d’origine stoïcienne qui présente l’être humain comme la culmination de la création, que ses faiblesses corporelles poussent à inventer des techniques de domination des autres animaux164. 126

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À la même époque, Origène exerce également son attrait sur les Latins. Jérôme de Stridon et son ami d’enfance Rufin d’Aquilée, qui viennent se former en Orient au début des années 370, auprès de Didyme ou de Grégoire de Nazianze à Constantinople, avant de se fixer en Palestine, l’un à Jérusalem, l’autre à Bethléem, dans des monastères fondés pour accueillir les pèlerins par de riches veuves romaines, Mélanie et Paula, tombent eux aussi sous son charme et cherchent à le rendre accessible en latin. Lorsqu’il sait enfin suf­ fisamment d’hébreu pour entreprendre sa traduction de la Bible, dans les années 389-393, c’est à l’aide d’Origène que Jérôme met au point sa méthode de travail et ses commentaires textuels. Pendant ce temps, à Milan, l’évêque Ambroise produisait des sermons dans un style allégorique inspiré de Philon et d’Origène. Son De paradiso, composé vers 380, présente le jardin comme une métaphore de l’âme dont les rivières sont les vertus; Adam y représente l’esprit et Eve les sens. Citant nommément Philon, il reproche à l’exégète juif de s’en être tenu au sens moral, mais c’est bien sur son interprétation qu’Ambroise calque son explication du verset. La règle que fournit le commandement donné au premier homme, d’accomplir un ouvrage et d’en conserver le fruit, peut s’entendre au sens matériel comme «loi donnée à la postérité», mais elle vaut aussi pour toute œuvre vertueuse165. Dans ces années, la principale résistance à l’allégorie venait d’Antioche dont l’école se distinguait précisément par une prio­ rité accordée au sens littéral. Jean Chrysostome défend ainsi dans ses Sermons sur la Genèse, prêchés peu après 386, une compréhen­ sion matérielle du jardin d’Éden. Les actions prescrites à Adam l’invitent à reconnaître ce qu’il doit à son créateur: «L’homme ne devait pas oublier que Dieu était son maître, et qu’il ne lui avait donné la jouissance de ce jardin de délices qu’à la condition d’en prendre soin»166. Il peut ainsi rendre grâces à Dieu des bienfaits reçus sans avoir encore rien accompli167; en outre, la bienveil­ lance divine lui enseigne les vertus d’une activité qui préserve de l’oisiveté ou de l’orgueil. Soudainement, en 393, l’équilibre des forces intellectuelles bas­ cula. Le vieil évêque de Chypre, Épiphane de Salamine, médiocre théologien mais pourfendeur invétéré de toutes les hérésies dont il avait dressé vingt ans plus tôt le catalogue dans son Panarion, prit l’occasion d’un voyage en Judée pour dénoncer la diffusion de thèses origénistes dans les monastères de Palestine, pour entrer aussitôt en conflit avec l’évêque Jean de Jérusalem168. Jérôme, qui louait encore quelques mois plus tôt 1’«immortel talent» du théo­ logien alexandrin169, retourna prestement sa tunique et s’engagea 127

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dans une campagne de dénigrement. Rufin, au contraire, persista dans son projet de traductions latines. Alors que les polémiques s’envenimaient à Jérusalem et à Rome, l’évêque Théophile d’Alexandrie prit à son tour parti en 400 contre l’origénisme, per­ sécutant un cercle de moines qu’il avait jusqu’alors protégé. Ces circonstances, comme on va le voir, importent grandement pour comprendre l’évolution intellectuelle d’Augustin dans ces mêmes années. Les tourments du jeune Augustin Tout au long de sa carrière, Augustin n’a cessé de revenir sur le livre de la Genèse. Le premier ouvrage qu’il rédigea à son retour en Afrique du Nord, en 388-89, fut un commentaire allégo­ rique de ses premiers chapitres, dirigé contre les Manichéens170. Il tenta de compléter peu après ce texte de circonstance, rédigé à la demande d’un correspondant, par un commentaire littéral qui fut rapidement abandonné, faute de compétences suffisantes. Devenu évêque d’Hippone, il consacra les trois derniers livres des Confessions (397-400) à une méditation sur le premier chapitre de la Genèse. Le grand commentaire littéral, mis en route vers 402, le retint plus de dix ans. La dernière polémique qui l’occupa en 421-422, contre le pélagien Julien d’Eclane, lui fournit une ultime occasion de revenir longuement sur certains passages du livre171. Pour donner un aperçu complet de sa trajectoire, il faut également rappeler les circonstances de sa première conversion, à l’âge de 19 ans. Sur ce point, les Confessions fournissent moins un récit qu’une déploration de l’erreur commise. On peut toutefois rete­ nir que c’est après une première tentative malheureuse d’aborder la Bible, dont la langue fruste rebuta l’apprenti rhéteur, qu’il se tourna vers les Manichéens et demeura pendant dix années leur disciple (374-384)172. La juxtaposition des épisodes autorise à pen­ ser qu’il jugea alors leur cosmogonie dualiste plus satisfaisante que le récit biblique173. Comme l’ont montré depuis longtemps Berthold Altaner et Roland Teske, les premiers écrits d’Augustin contiennent de nom­ breux échos de Philon et d’Origène174. C’est en particulier le cas pour De la Genèse contre les Manichéens où le jardin d’Éden est compris au sens figuré comme «les délices spirituelles» offerts à l’âme intellective, dont les fleuves représentent les vertus cardi­ nales, tandis que le travail confié à Adam consiste «uniquement à garder ce que l’on possède»175. L’ampleur des emprunts rend dou­ teux que cette connaissance soit uniquement passée par l’inter­ médiaire d’Ambroise176. Gyôrgy Heidl a récemment proposé une 128

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hypothèse forte177. Les jeunes gens qui cherchaient leur voie dans le dédale des options religieuses à Milan vers 386 n’étaient pas seu­ lement marqués par la prédication allégorique de leur évêque ; ils bénéficiaient eux-mêmes d’un accès direct à la théologie alexan­ drine. Dans les traités rédigés lors des six mois de retraite passés â Cassiciacum, entre le moment de sa conversion et son baptême ù Pâques 387, qui enregistrent des débats menés avec ses proches et quelques amis, Augustin évoque «certains livres bien rem­ plis» qui répandirent sur lui «les parfums de l’Arabie», l’incitant ù s’écarter des pompes de ce monde178. L’hypothèse qu’une ver­ sion latine des homélies d’Origène sur le Cantique des Cantiques uit alors été disponible en latin fournirait une solution élégante à cette allusion. Ce tout premier dialogue, Contre les Académiciens, contient également une référence à la doctrine de l’apocatastase qu ’Augustin prit soin de révoquer, quarante ans plus tard, dans scs Rétractations179. Si ces lectures ont joué un tel rôle dans le processus de sa conversion, pourquoi ne les évoque-t-il pas dans les Confessions, où seule est mentionnée l’étude de livres platoniciens, habituelle­ ment identifiés à ceux de Porphyre et Plotin? Leur rédaction, au plus fort de la crise suscitée par Épiphane, suffirait à expliquer sa prudence sur ce point. Il faut en outre rappeler que l’ouvrage n’est pas une autobiographie qui dévoilerait tous les secrets d’une âme, mais un texte de louange divine entremêlé à des réflexions théo­ logiques sur de multiples questions. Observant les méandres de won parcours, Augustin s’interroge notamment sur la lenteur de la volonté à vaincre les habitudes prises par le corps et le mystère de l’élection divine. Quelques mois plus tôt, répondant à des pro­ blèmes soulevés par Simplicien, nouvel évêque de Milan, il avait formulé une réponse définitive à la question de l’origine du mal qui le taraudait depuis longtemps. Si la création divine est intégra­ lement bonne, la faute a transformé la «masse d’argile» dont Adam était fait en cette triste boue du péché que toute sa descendance reçoit en partage180. Au moyen d’une introspection, les Confessions observent cette omniprésence du mal. Outre l’incapacité à se déta­ cher du désir sexuel, de la première érection adolescente aux rêves érotiques qui tourmentent encore l’évêque d’Hippone181, le récit détaille les larcins et mensonges - vols dans le cellier, saccage d’un poirier - mais aussi les brimades infligées par les maîtres d’école ou le bizutage subi de la part des étudiants de Carthage182. La des­ cription des vices des petits enfants ne se fonde plus sur des sou­ venirs, mais sur l’observation de nourrissons tyranniques à l’image desquels il imagine sa méchanceté native183. 129

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Le rude examen biographique auquel il se livre dans les Confessions semble donc avoir pour principale raison d’être de justifier par l’exemple sa nouvelle doctrine d’une infection par le péché originel. Le très inhabituel retour sur soi qui en résulte autorise à formuler une hypothèse sur la genèse de cette étrange doctrine. Les humiliations subies et la honte des fautes commises dans son enfance et sa jeunesse auraient produit chez le jeune Augustin une image tellement négative de lui-même qu’après avoir cherché en vain à s’en soulager chez les Manichéens, il aurait finalement résolu son sentiment d’indignité en l’extrapolant à l’échelle de l’humanité entière. Sans être voulu par Dieu, le mal proviendrait d’une faute très ancienne dont chacun porte encore le fardeau, sans en être responsable. Cette proposition conduit à accorder un poids considérable à la réalité des actes accomplis dans le jardin. Une fois goûté le fruit défendu, les yeux du pre­ mier couple s’ouvrent sur «les désordres de la concupiscence» qui condamneront désormais l’humanité à se trainer dans la fange184. En traitant mécaniquement les Pélagiens d’hérétiques, pour endosser sans trop y penser le point de vue d’Augustin, on oublie que sa doctrine s’écartait bien davantage des traditions reçues et qu’il n’obtint la condamnation de ses adversaires qu’en raison de son autorité supérieure. Prenant appui sur les écrits de jeunesse d’Augustin et le commentaire d’Origène sur l’Épître aux Romains, traduit par Rufin vers 410, Pélage n’accordait pas d’autre univer­ salité au péché initial d’Adam qu’une valeur d’exemple, en reje­ tant toute idée d’une corruption de la nature humaine185. Il n’y a parfois qu’un pas du côté de chez Swann à celui de Guermantes. Le défenseur le plus virulent de Pélage, Julien d’Éclane, avait été formé à l’école littéraliste d’Antioche. Les deux traditions exégétiques pouvaient sans difficulté nouer une alliance pour résister à la monstruosité de ces nouvelles propositions. Afin de souligner que la faute d’Adam n’avait pas entraîné la déchéance complète de la nature, mais qu’il n’avait subi qu’une condamnation person­ nelle modeste, Julien rappelle le travail qui lui incombait déjà en Éden. Il observe en outre que le châtiment se résume à l’appari­ tion de ronces et d’épines; la sueur, loin d’être une punition, est davantage un réconfort pour l’ouvrier186. Le jardin comme sanctuaire La subtilité de ces élaborations théologiques s’écarte du sens accordé au verset qui nous intéresse dans la tradition rabbinique et chez les premiers chrétiens. Les deux verbes «travailler» et «gar­ der» qui définissaient la mission d’Adam sont accolés plusieurs 130

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Ibis dans le livre des Nombres pour qualifier la tâche confiée à la tribu de Lévi de desservir le lieu sacré (Nm 3,7-8, 8,26, 18,5-6). Ce rapprochement contribue à dresser un parallèle entre le jardin et le premier sanctuaire mobile érigé dans le désert (Ex 25-40)187, pour comprendre l’activité imposée au premier homme comme préfiguration d’un culte rendu au sanctuaire. De fait, le verbe la’abod désigne aussi bien le travail de la terre que la célébration de la divinité, selon une polysémie qui se retrouve dans le latin colere (d’où proviennent le «culte» et la «culture»). La racine indoeuropéenne à laquelle se rattache le verbe latin évoque un mouve­ ment circulaire qui peut prendre une nuance de protection, par exemple à propos de la conduite du bétail que le pasteur entoure, mais qui peut également se traduire par l’idée de circonscrip­ tion d’un espace. Les plus anciens usages du mot latin évoquent ainsi l’habitation d’un lieu et sa mise en culture, les deux signi­ fications étant réversibles pour un peuple agricole. Le verbe sert également à exprimer l’habitation de ce lieu par les dieux. Par extension, il désigne la relation à ces divinités sous la forme du culte qui leur est rendu188. Comme l’avait observé Hannah Arendt, c’est à partir de l’époque classique, notamment chez Cicéron, que lu «culture» s’applique au soin apporté aux choses de l’esprit189. Un hébreu, la dérivation s’est effectuée selon d’autres associa­ tions, comme le montre un examen des emplois de lafabod dans le texte biblique. Le sens premier de «travail de la terre» est d’abord passé par l’idée de «travail contraint» (Gn 29,15 ou 31,6 à propos de Jacob et Laban), voire «esclavage» (Ex 1,14 pour décrire la situa­ tion des Hébreux en Égypte), puis «soumission» à un supérieur (1 R 5,1, à propos de la sujétion des pays voisins à Salomon), avant île prendre la connotation de «culte» rendu aux idoles (Dt 7,4; 7,16) ou à Yhwh (Ex 3,12; 4,23). Plusieurs de ces nuances confluent dans l’usage du verbe comme «service» accompli par les lévites dans le tabernacle (Nm 3,7; 4,23; 7,5), puisque les actes qui leur Nont demandés - prendre soin des différents ustensiles, monter et démonter la tente, etc. - impliquent un travail physique préparaloi re à la célébration du culte 19°. Entre ces différents sens, celui qui prime est bien entendu celui (|ui indique la finalité de l’action. La compréhension de la scène N'est trouvée orientée par le sens paraliturgique pris par lafavod dans le livre des Nombres. Ainsi, dans le plus ancien Targum palestinien, traduction glosée de la Torah en araméen destinée à la récitation durant les célébrations rituelles à la synagogue, pro­ duite dans les premiers siècles de l’ère commune, les deux verbes Nont éclairés par des compléments qui leur donnent le sens de: 131

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«pour rendre un culte selon la Loi et pour garder ses commande­ ments»191. Ce sens est aussi celui que retiennent les premiers auteurs chrétiens, comme Théophile d’Antioche (vers 170), pour qui les verbes «ne signifient pas d’autre travail que de garder le précepte du Seigneur et de ne pas se perdre par une désobéis­ sance ; et telle fut la perte causée par le péché »192. Travail et repos dans le judaïsme ancien La Genèse invitait à aborder sous un autre angle la question du travail, de façon plus directe. Au septième jour de la création, le Créateur se retourne sur son œuvre pour la sanctifier (Gn 2,24). Cette pause marque la première institution du sacré, dans une relation qu’il noue d’abord avec lui-même. Le shabbat, terme qui exprime l’instant où il a cessé de créer, célèbre à la fois l’inter­ ruption de l’action et l’accomplissement de l’ouvrage. Ce n’est que bien plus tard dans le récit biblique que ce repos définit le rythme fondamental de l’alliance passée avec les humains. Après l’énoncé de l’identité divine («Je suis Yhwh ton Elohim») et sa revendication d’exclusivité («tu n’auras pas d’autre dieu face à moi»), le quatrième commandement donné à Moïse appelle à honorer le créateur par le souvenir de son repos: «tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage (melakhah), mais le septième jour, c’est le shabbat de Yhwh ton Elohim, tu ne feras aucun ouvrage...» (Ex 20,9-10, repris en Dt 5,13-14). Lors d’un plus long séjour sur la montagne, les instructions détaillées qu’il reçoit pour la construction du sanctuaire s’achèvent par l’inventaire des compétences requises (Ex 31,4-5). La liste de ces «ouvrages d’art» (imelekhet mahashavot) est immédiatement suivie d’une demande renouvelée d’observer le shabbat, sous peine de mort, en signe de 1’«alliance perpétuelle» nouée entre la divinité et les enfants d’Israël (Ex 31,13-17). Le Talmud a été sensible à la proximité de ces deux passages et y a trouvé des arguments pour circonscrire la nature des activités prohibées. L’observance du shabbat exclut les travaux accomplis intentionnellement, dans un but construc­ tif et à l’aide des techniques habituelles193. En prenant la fabrica­ tion du tabernacle comme prototype du travail, les talmudistes l’ont défini comme une activité réfléchie de transformation de la matière. Il faut également tenir compte du relief que lui donne l’alternance des jours ouvrés et du repos hebdomadaire. Dans son effectuation puis dans sa privation, le travail est tour à tour démonstration des capacités de l’agir humain et célébration de la puissance divine. En vue d’une réflexion contemporaine, la leçon mérite d’être entendue: le comprendre, non pas comme 132

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confrontation avec la nature, mais en fonction de sa finalité et de ses limites. L’observance du shabbat a tenu une part essentielle dans la construction de l’identité des communautés juives dès l’époque antique194. Le christianisme en a conservé le principe, sans par­ venir à lui accorder une importance comparable, en raison de la place centrale qu’y prend la célébration de la venue du Messie195. Hors du contexte des commentaires de la loi (Halakha), les réflexions talmudiques sur le travail demeurent aimantées par la question du repos hebdomadaire. Parmi les recueils qui com­ posent la Michna, première tradition orale des rabbins mise par écrit au IIe siècle de notre ère, le traité Pirqé Avot rassemble des enseignements moraux prononcés par une succession de sages. Le passage qui montre le plus clairement le sens accordé au tra­ vail est prononcé par Rabban Gamliel, qui l’associe à part égale à l’étude: «Il est bon d’étudier la Torah conjointement à l’exercice d’un métier, car le labeur des deux fait oublier la perversion; et toute étude de la Torah qui n’est pas accompagnée d’un travail finit par s’annuler et provoque la perversion»196. Pour les maîtres de ce temps, l’idéal d’une vie consacrée à l’étude impose un labeur manuel qui permet au savant de conserver son indépen­ dance. (Il est probable que ce maître soit le Gamaliel aux pieds de qui s’est formé l’apôtre Paul, qui insistait également dans des formules devenues fameuses sur la nécessité de gagner sa vie au moyen d’un travail manuel.197) Dans une autre sentence mar­ quante, Chernaya dit: «aime l’ouvrage (melakhah), hais la fonction dirigeante, et ne cherche pas à approcher du pouvoir»198. Sur le premier point, les commentaires rassemblés au ive siècle dans YAvot de Rabbi Nathan soulignent d’abord la nécessité de travailler pendant la semaine, pour ne pas avoir à le faire le septième jour. Afin d’exacerber le contraste entre ces deux temps, Rabbi Josué se livrait à des travaux sans utilité pour être saisi par la tombée de la nuit du vendredi en pleine activité199. La seule référence à Gn 2,15 se situe encore face au shabbat. «Rabbi Siméon, fils d’Eléazar dit: Adam lui-même n’a goûté [aucun fruit] avant d’avoir accompli son ouvrage, selon le verset: Yhwh Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder»200. Dans la tradition des commentaires midrachiques, Genèse Rabbah (ve-vie siècles) présente une discussion sur ce point entre Rabbi Youdan et Rabbi Bérékhia. Un rapprochement sémantique suggère que le Seigneur a placé Adam dans le jardin afin de lui accorder un repos, mais il semble impossible d’y voir sa condition initiale. La solution impose de différencier le point d’application 133

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des deux verbes: “pour le cultiver” doit renvoyer aux six journées de travail et “pour le garder” à l’observance du shabbat dans lequel s’accomplira la promesse du repos. Il est cependant préférable d’entendre le commandement au sens des sacrifices qui doivent être offerts, en comprenant le’ovda dans un sens liturgique201. Les Chapitres de Rabbi Eliézer (composés au v m e siècle) rejettent encore plus fermement l’hypothèse de tout travail agricole imposé à Adam: «Est-ce que les arbres ne poussaient pas d’eux-mêmes? N’y avait-il pas un fleuve qui traversait le jardin? [...] Que peut signifier l’expression “le servir et le garder”, sinon se consacrer aux paroles de la Torah et garder tous ses commandements?»202. L’association du shabbat à la promesse du repos rendait diffi­ cilement acceptable l’idée d’une activité manuelle d’Adam. Si la compréhension littérale de Gn 2,15 n’était pas impossible, les exemples antiques en sont rares dans le judaïsme ancien. Le cas le plus notable est celui du livre des Jubilés qui compte au nombre des écrits non canoniques retrouvés dans les manuscrits de la Mer Morte. Conservé en une douzaine d’exemplaires dans les grottes de Qumrân, ce texte n’a été reçu et conservé que par l’Église éthio­ pienne. Afin de fonder tous les commandements de la loi révélée à Moïse dans l’histoire du peuple d’Israël, le livre présente une réécriture méthodique de la Genèse et des premiers chapitres de l’Exode. Le récit de la création et les légendes des patriarches sont inscrits dans une «répartition légale et certifiée du temps», scan­ dée par des jubilés d’une durée de cinquante ans. La vie au jardin d’Éden appartient pleinement à cette histoire terrestre. Adam y est décrit en véritable jardinier qui s’occupe de ses plantations durant une période de sept ans. Mettant en œuvre les enseignements horticoles que lui prodigue la divinité, «il protégeait le jardin de l’atteinte des oiseaux, des fauves et des bêtes, cueillait ses fruits et en mangeait, en mettait de côté pour lui et pour sa femme»203. Ce savoir, appris au paradis, est mis en œuvre sans déperdition après l’expulsion204. L’intérêt des Jubilés pour le travail agricole se vérifie dans un autre épisode original qui enrichit le récit de la jeu­ nesse d’Abraham en le présentant en héros civilisateur. Premier signe de son élection divine, avant son départ d’Ur en Chaldée, il chasse une nuée de corbeaux qui menace les semailles en cou­ rant soixante-dix fois au devant d’eux, puis apprend aux paysans à perfectionner la charrue en l’équipant d’un versoir205. Si les Esséniens de Qumrân, principaux lecteurs de ce livre, sont habi­ tuellement décrits comme une secte ascétique à tendance apoca­ lyptique, ce genre de détails suggère qu’ils accordaient aussi une valeur notable au travail de la terre. 134

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Pour équilibrer le tableau, on peut observer une tendance oppoNée dans les courants gnostiques apparus aux premiers siècles de Père commune dans les milieux du judaïsme hellénistique et parmi les premiers chrétiens. Le Livre des secrets de Jean (ou Apocryphe de Jean), composé avant 180, fait partie des documents retrouvés dans une jarre enfouie dans le sol à Nag Hammadi en Haute Égypte206. Il se présente comme révélation faite par Jésus à Pupôtre Jean d’une cosmologie ésotérique. La création du monde passe par une succession d’étapes qu’il vaut la peine de détailler. La divinité suprême, «père de toute chose», produit tout d’abord comme première pensée une entité à la fois féminine et mascu­ line, Barbelo, laquelle engendre à son tour différentes perfections divines éternelles (les Éons). La dernière d’entre elles, Sophia, en voulant penser par elle-même sans l’assentiment de l’Esprit, donne naissance à un monstre qu’elle projette hors de la sphère des êtres immortels et à qui elle donne le nom de Yaldabaoth, lequel commence par produire une armée de démons, puis crée avec eux le monde visible dont parle la Genèse. Le récit biblique est alors reformulé avec une aigreur redoutable. Insufflant Nans le savoir dans la créature humaine une lumière issue de sa propre mère, dont il ne connaît pas la nature et qui le dépasse, Yaldabaoth en devient fou de rage et de jalousie. Cherchant à se venger des humains en les plongeant dans le monde de l’obscu­ rité matérielle, il projette sa créature dans le jardin pour lui faire goûter des fruits amers, en lui interdisant de toucher à l’arbre de la connaissance {gnosis) par lequel Sophia transmet sa lumière. Le paradoxe d’un travail à accomplir dans le lieu des délices ne se pose pas ici, puisque ce séjour est déjà une punition. Par un nou­ veau retournement, Jésus explique alors qu’il a donné lui-même le conseil de goûter au fruit défendu pour accéder à la connaissance, le serpent n’ayant fait qu’enseigner à Eve le désir sexuel dont elle aurait besoin pour assurer la propagation de l’espèce. Les retour­ nements qui scandent le récit biblique prennent ainsi sens, en tant qu’effets d’une lutte entre puissances divines et démo­ niaques. Bien que la démultiplication des mondes invisibles et les conflits qui s’y livrent produisent une distorsion de la répartition des rôles, on peut convenir que la cosmologie gnostique propose une rationalisation efficace des difficultés du texte reçu. Les traditions' ésotériques n’impliquent pas nécessairement une telle dévaluation du premier séjour terrestre décrit par l’Écri­ ture. Dans le Zohar, texte fondamental de la kabbale mis par écrit nu x m e siècle autour de Moïse de Leon, mais attribué à l’enseigne­ ment d’un maître du 11e siècle, le jardin d’Éden est présenté comme 135

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une métaphore de la présence divine. La leçon de Rabbi Siméon sur l’arbre de vie est interrompue par un ancien qui en explique la fonc­ tion, comme une «colonne centrale» reliant l’En-haut et l’En-Bas où le souffle circule de l’âme céleste à l’individualité terrestre207. C’est par leur conjonction que l’être humain devient véritablement vivant. Reprenant sa leçon, Siméon explique que l’homme est placé dans le jardin pour conserver la Présence divine (ichekinah), par l’étude et l’observance de la Torah, en proposant une solution ori­ ginale à la distinction des deux actions imposées à Adam: «le Saint, béni soit-Il, l’installe dans son jardin, qui est la Présence. Il l’y dis­ pose afin que l’homme “le travaille” de par les commandements positifs et “le garde” de par les commandements négatifs»208. Conclusion Laissons pour finir la parole à Philon: «Au sens littéral, le para­ dis n’a nullement besoin d’explication. En effet, c’est un endroit touffu, rempli de toute espèce d’arbres»209. Au cours de notre promenade, nous avons vu ses frondaisons prendre des teintes variées. L’interprétation allégorique prédomine dans les premiers siècles. Avec Augustin, qui accorde à la matérialité du péché des premiers parents une importance inédite et fait de leur décou­ verte du désir sexuel une dégradation irrémédiable de la nature humaine, un premier pas est franchi en faveur d’une lecture lit­ térale d’un travail plaisant imposé au premier homme, sans tou­ tefois que l’hypothèse paraisse tout à fait satisfaisante. Dans les régions occidentales, à partir x n e siècle, l’habitude se prend davantage d’y voir Adam à l’ouvrage, cherchant à rendre meil­ leure et plus agréable la création divine. Après 1350, cette acti­ vité revêt un sens moins positif et vise surtout à se prémunir de l’oisiveté vicieuse, indiquant une pente qui s’accentuera encore avec Luther et la formulation du dogme moderne par excellence : l’être humain est né pour travailler. Pour résister à ce glissement, il m’a semblé utile de rappeler la richesse des interprétations allé­ goriques antérieures qui font du paradis terrestre un espace hors du temps et de l’espace commun. Face à l’appauvrissement littéraliste et à la primauté de l’utile dictés par la théologie économique, je ramène de cette promenade dans les hautes époques un pro­ gramme de résistance élémentaire : donner un sens allégorique à nos forêts.

Chapitre v L’E X P U L S I O N D E LA D E E S S E

Après avoir traversé, étape par étape, les interprétations de la pre­ mière activité imposée à Adam dans le jardin d’Éden, il reste à assouvir une dernière curiosité, en posant enfin la question lais­ sée en suspens : quel était le sens originel de ce texte qui a pesé d’un tel poids dans la formation des imaginaires occidentaux? Cette question va nous conduire à entrer, non sans appréhension, dans un domaine hautement spécialisé qui fait l’objet depuis des siècles d’innombrables travaux savants. Le texte biblique que nous connaissons correspond à une version stabilisée par des éru­ dits juifs peu avant le début de notre ère. La traduction grecque de la Septante, réalisée à Alexandrie trois siècles plus tôt, donne accès à une version antérieure, sensiblement différente, à travers le filtre d’une nouvelle langue. Le texte a été sans cesse remanié et réorganisé au cours des siècles. L’histoire de sa composition fait encore l’objet d’âpres débats1. Sa principale ligne de force ne fait du moins aucun doute. Strate après strate, les cercles de lettrés qui ont pris part à sa rédaction visaient à reconnaître Yahvé comme seule divinité célébrée par le peuple hébreu (monolâtrie), puis comme divinité unique et exclusive (monothéisme)2. Ce proces­ sus est souvent étudié dans son déploiement, sans toujours prêter une attention suffisante à l’ensemble de ses implications. Comme le suggère le titre donné à ce chapitre, la transformation d’un dieu masculin en divinité exclusive s’est accompagnée de l’expul­ sion de la déesse qui lui était associée dans l’ancien panthéon des 137

CHAPITRE V

Israélites. Par touches successives, nous serons amenés à formuler l’hypothèse que la rédaction de l’histoire du jardin d’Éden aurait quelque chose à voir avec cette éviction. Le récit que nous connais­ sons serait le résultat d’une appropriation, par les partisans du dieu unique, d’un récit mythique initialement associé à une divi­ nité féminine. Pour avancer avec toute la prudence requise sur un terrain aussi sensible, la démarche suivie sera semblable au par­ cours sinueux d’un serpent qui ferait sa mue sous nos yeux. Ce chapitre est né du précédent, dans la poursuite d’une enquête sur les lectures de la Genèse. Avant qu’on s’y engage, un petit panonceau devrait sans doute annoncer aux lectrices et aux lecteurs qu’il relève d’un genre sensiblement différent et qu’il embrayera sur de nouvelles questions. Ceux qui souhaiteraient poursuivre avec rigueur et assiduité l’examen des racines de l’idéo­ logie moderne du travail sont invités à passer par-dessus, quitte à le lire séparément une fois le livre achevé. D’autres pourraient au contraire vouloir commencer leur lecture ici, par le milieu de l’ouvrage, sans forcément aller plus loin, et je serais le dernier à les en blâmer. Qui sait pourquoi les choses sont placées là où elles le sont? Ce chapitre appartient bien au livre dont il constitue à peu près le centre; en un autre sens, il est placé en son dehors, comme suspendu au-dessus des interrogations historiques qui s’y déploient, animé par le désir aussi futile qu’irrépressible de remonter avant le commencement. Composition de la Genèse Les premiers chapitres de la Genèse posent un problème bien connu. La création du monde et de l’humanité se répète deux fois, en des termes difficilement conciliables. Selon le premier récit, Dieu crée par la parole les éléments, puis les êtres ani­ més, dont l’humanité produite en dernier lieu, à la fois «mâle et femelle», pour finalement se reposer le septième jour (Gn 1,1-2,4a). Le second récit s’organise autour du jardin d’Éden. Après avoir modelé le premier homme de la poussière du sol d’une steppe désertique, Dieu plante un jardin et y place sa créature, l’entoure d’animaux puis la dote d’une compagne, en leur interdisant de manger du fruit de l’un des deux arbres placés au centre du jardin, avant que le couple désobéissant n’en soit expulsé (Gn 2,4^3,23). Depuis le x v m e siècle, la critique biblique a pris l’habitude de dis­ tinguer ces narrations à leur façon de nommer Dieu : elohim dans un cas, yhwh elohim dans l’autre. (Je conserve la graphie du tétragramme Yhwh qui ne se prononce pas.) Le second récit, caracté­ risé par la double dénomination et qualifié pour cette raison de 138

L’E X P U L S I O N D E LA D É E S S E

document «yahviste», a longtemps été considéré comme le début d'un vaste ensemble, de date très ancienne (xe siècle avant Père commune), bien antérieur à un autre document dit «sacerdotal» dont ferait partie le premier récit, la Torah résultant de l’assemblnge de ces deux textes autonomes. Cette «hypothèse documen­ taire» est à présent abandonnée au profit d'une vision plus souple de la composition progressive du Livre à partir d’une multitude de fragments, produits puis ajointés et révisés à différents moments, en fonction d’intérêts et de situations historiques renouvelés3. Ces moments successifs ont néanmoins un point commun. À chaque étape, les textes bibliques ont été produits ou remaniés au sein de cercles liés à la monarchie de Judée ou au Temple de Jérusalem, pur un parti qui cherchait à imposer puis défendre le culte exclusif de Yhwh et qui a conçu, au cours de ce processus conflictuel, dans les dernières phases de la captivité babylonienne, l’idée d’un dieu universel, plus puissant que toutes les puissances terrestres4. Les données mises au jour par l’archéologie ont également conduit à des révisions drastiques de la chronologie biblique5. Aucune trace n’a en effet été retrouvée d’un exode du peuple hébreu fuyant l’Égypte dans le désert, de la conquête rapide de Canaan et d’un puissant royaume de Salomon. La figure même de Moïse semble n’avoir aucune réalité historique. À la place, on observe la lente formation d’un peuple israélite, longtemps Nemi-nomade, dans les hautes terres de l’ancien pays de Canaan. Cette civilisation urbaine apparentée aux Phéniciens, formée d’un réseau de cités-États, s’est effondrée comme beaucoup d’autres à la fin de l’âge du bronze, entre le x n e siècle et le Xe siècle6. Au lieu d’un affrontement entre deux entités étrangères l’une à l’autre, les relations entre Israël et Canaan doivent plutôt se concevoir comme une transformation graduelle. L’ancienne religion des Israélites admet ainsi une pluralité de divinités, initialement associées à des sanctuaires locaux, dont le culte peut prendre ou perdre de l’ampleur au fil du temps, au gré des succès militaires ou thérapeutiques qu’ils procurent. Yhwh, originaire d’une région située au sud de la Judée (Edom), s’est ainsi imposé face à El, divi­ nité majeure de Canaan7. Les recherches archéologiques ont également permis de pré­ ciser le contexte de première mise par écrit ou de rassemble­ ments de textes bibliques. Les premières traces du royaume d’Israël, dans les collines du Nord, ne remontent qu’au ixe siècle. Après la destruction de sa capitale Samarie par l’empire assyrien en 722, une partie de sa population qui échappe à la déportation sc déplace vers le sud, dans le royaume de Juda. Celui-ci connaît 139

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alors, suite à l’affaiblissement de son voisin, une rapide expan­ sion démographique que l’archéologie a pu documenter. Les plus anciens textes prophétiques ou les traditions orales liées à certains patriarches, produites dans le royaume de Samarie au v m e siècle, auraient alors été transférés en Juda8. C’est cepen­ dant autour du Temple de Jérusalem que la première composition d’écrits bibliques est documentée, au moment où la pratique de l’écriture devient plus fréquente dans le royaume, sous le règne de Josias (649-609)9. Sous ce roi fut promulguée une loi (préten­ dument mise au jour par le grand prêtre lors de travaux de répa­ ration du Temple), dans laquelle on reconnaît depuis longtemps l’essentiel du Deutéronome. Les réformes menées à cette époque, vers 621, décrites en 2 Rois 22-23, imposaient le culte d’un dieu unique d’Israël dans le Temple de Jérusalem, la suppression des autres sanctuaires et la destruction des idoles. À cette occasion, ont notamment été effacées toutes les traces des liturgies de Baal, mais aussi celles d’Ashérah, divinité féminine de la fertilité dont l’archéologie révèle qu’elle était régulièrement associée à Yhwh jusqu’à cette date10. Avec l’abandon de l’hypothèse documentaire, la datation rela­ tive des deux récits de la création est parfois remise en question. La thèse récente de Walter Bührer a montré qu’il n’y avait aucune raison de placer la rédaction de Gn 2-3 à une date tardive. Son antériorité se révèle notamment par son ignorance des élabora­ tions conceptuelles les plus originales de Gn 1, telles que l’acte de création effectué par la seule parole ou l’humanité créée à l’image de Dieu11. Le créateur du premier chapitre qui produit le monde à partir du néant semble incomparablement plus puis­ sant que la divinité anthropomorphe qui «se promène dans le jardin à la fraîcheur du soir» (Gn 3,8) et peine à se faire obéir de ses créatures. L’ordre de rédaction des récits ne peut faire aucun doute, tant la conception du divin a nettement évolué de l’un à l’autre texte. Cette relation entre les textes incorporés dans la Torah n’exclut cependant pas la grande antiquité d’un mythe de création du monde en six jours, qui forme le noyau du calendrier hébraïque. Parfois discutée, l’unité narrative du second récit paraît assurée, à l’exception du tableau des fleuves baignant le jardin qui constitue un ajout d’un style différent et manifeste­ ment plus tardif (Gn 2,10-14). Le verset 2,15 présente toutefois certaines difficultés. Les deux verbes sont associés à un suffixe féminin («pour la travailler et la garder») qui ne peut se référer au jardin, de genre masculin en hébreu, mais plutôt à la terre sur laquelle il a été planté12. 140

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Le verset semble d’autre part redondant avec ce qui a été dit aupa­ ravant, puisqu’il redouble Gn 2,8: «Le Seigneur Yhwh planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait façonné». Il semble s’agir d’une formule de reprise (Wiederaufnahme), des­ tinée à relancer la narration après la digression géographique concernant les fleuves. Toutefois, Gn 2,15 n’est pas une simple répétition puisque la phrase ajoute au verset précédent la tâche confiée à Adam de travailler {‘bd) et de garder (smr) le jardin. Loin d’être accessoire, cette mission semble bien appartenir à la structure d’un récit fondé sur le lien entre le premier homme, Adam, et l’humus, adamah. Le monde est initialement présenté comme une steppe aride sur laquelle «il n’y avait aucun homme pour cultiver la terre» (2,5). Adam y est modelé avec la pous­ sière prise du sol (2,7). Une fois placé dans le jardin, il est voué au travail de la terre (2,15). Pour punition de la désobéissance du couple, la terre est maudite et rendue hostile (3,17). L’homme devra la travailler à la sueur de son front, avant de retourner à la terre comme poussière (3,19). Les avant-derniers mots du cha­ pitre, faisant écho à l’ouverture du récit, rappellent une dernière fois qu’il a été chassé d’Éden «pour cultiver la terre dont il a été pris» (3,23) - la mise en place des chérubins à la porte du jardin ayant valeur de conclusion. De part en part, le rapport à la terre et à la nourriture est donc maintenu, y compris dans les scènes liées au jardin. Même si la formulation de Gn 2,15 a sans doute été modifiée pour servir de couture après l’insertion de l’excursus géographique sur les fleuves traversant le jardin (Gn 2,10-14), il est raisonnable d’estimer que la mission de travail et de surveil­ lance appartenait au récit initial. Le même thème constitue encore un fil directeur des épisodes suivants. Sans donner de raison, Yhwh dédaigne l’offrande de Caïn le laboureur (4,5) puis adresse une nouvelle malédiction à la terre qu’il cultive après le meurtre de son frère Abel (4,12). Dans la généalogie des patriarches, Noé (dont le nom signifie repos) est annoncé prophétiquement par son père comme celui qui «nous consolera de notre travail et de la peine de nos mains sur cette terre que le Seigneur a maudite» (5,29). Lui seul et sa famille seront épargnés lorsque Yhwh, face à l’accroissement de la méchanceté des humains, regrettera sa création et décidera de l’exterminer. Après le déluge, une fois que Noé a dressé un autel pour y offrir des sacrifices de chacune des espèces animales sau­ vées dans l’arche, Yhwh révoque les châtiments adressés à Adam et Caïn: «Je ne maudirai plus la terre à cause des humains» (8,21). L’alliance qui est ensuite passée avec Noé, ses fils et l’ensemble 141

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des êtres vivants (9,1-17) appartient certainement à une strate rédactionnelle ultérieure, puisqu’elle tresse ensemble les deux récits de création. La divinité transcendante du premier chapitre commence par répéter la bénédiction initiale: «Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre» (9,1b, reprenant 1,28a). Noé est finalement décrit comme un «cultivateur» qui plante sa vigne (9,20), sombrant aussitôt dans l’ivresse (9,21), ce que l’on peut lire comme le souvenir d’un ethos nomade, méprisant à l’égard de la sédentarisation viticole. Comme Adam, Noé reçoit à son tour la domination sur l’ensemble de la terre et des animaux. Cette royauté universelle se divise à partir de ses fils, décrits comme fondateurs de nations de langues différentes (10,5), avant qu’ap­ paraissent, à la troisième génération, les premières villes fondées par Nemrod, le «chasseur héroïque» (10,9). Dans une ultime catas­ trophe universelle, pour s’assurer que l’humanité ne parvienne à ses fins en atteignant le ciel au moyen d’un ouvrage collectif, Yhwh met fin à la construction de la tour de Babel, en brouillant les langues qui permettaient la compréhension mutuelle et en dis­ persant l’humanité sur toute la surface de la terre (11,6-9). À s’en tenir au seul plan de la structure narrative, sans entrer dans un examen ligne par ligne d’un texte plusieurs fois remanié, le motif initial de l’aridité du sol invite à percevoir le récit qui court du jardin au déluge comme un mythe d’invention de l’agriculture et de la domestication des animaux, qui culmine dans l’instau­ ration du sacrifice animal (Gn 2,4b-4,i6; 6,1-6,8 et différents pas­ sages de l’histoire de Noé); à cette première trame se superpose l’annonce de l’alliance nouée entre la divinité et les humains (Gn 9), elle-même adossée à une cosmogonie initiale (Gn 1-2,4a) et prolongée par un mythe des origines de la division politique (Gn 10-11). Le seul élément de datation sur lequel s’accordent tous les chercheurs tient à la mise en forme définitive de la Torah (comprenant les cinq livres du Pentateuque) sous la domination Achéménide, entre la seconde moitié du Ve et le i v e siècle avant notre ère13. Cette première Bible constitue un tel patchwork de textes d’origines variées, retouchés à différentes reprises, que toute tentative de datation d’un seul de ses morceaux est une affaire hautement délicate14. Il semble toutefois raisonnable d’ad­ mettre qu’un écart temporel notable sépare la rédaction finale des premiers chapitres de la Genèse, par un auteur «sacerdotal» de la période perse, de leurs strates les plus anciennes. Celle-ci gagne en tous cas à être rapprochée de récits épiques mésopotamiens du second millénaire. Une telle comparaison a notamment pour inté­ rêt de mettre en relief l’un de ses traits les plus déroutants. Les 142

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changements d’attitude de Yhwh vis-à-vis des premiers humains, qui se montre tour à tour menaçant ou bienveillant, paraissent en effet moins erratiques si on les comprend comme résultat de Pattribution à un dieu unique d’actions contradictoires qui reve­ naient initialement à différentes entités. Mythologies comparées Le point de comparaison le plus éclairant de toute la mytholo­ gie ancienne est offert par l’épopée d’Atrahasîs (le «supersage»), composée au x v m e siècle en langue akkadienne15. Les ressem­ blances de ce récit avec la trame des plus anciens chapitres de la Genèse, notamment l’épisode du déluge, ont été notées depuis longtemps. Lassées de devoir irriguer une plaine aride en creu­ sant sans fin des canaux, comme les dieux supérieurs leur en imposaient la corvée depuis des millénaires, les divinités infé­ rieures se révoltent, leur mutinerie amenant les grands dieux à créer des humains pour les remplacer dans cet ouvrage, en façon­ nant d’un coup quatorze de ces nouvelles créatures, d’argile et du sang d’un dieu sacrifié. Lorsque la multiplication de ces derniers et leur tapage finissent par déranger la tranquillité des dieux, Enlil leur envoie des fléaux à répétition pour réduire leur nombre, qu’un humain très sage, Atrahasîs, déjoue à chaque fois grâce aux conseils d’Enki. Prévenu par un songe, il parvient à échapper au déluge en construisant une arche dans laquelle il abrite sa famille et des spécimens de tous les êtres vivants. En récompense de sa sagesse, il est doué d’immortalité, tandis que la durée de la vie humaine est réduite et que différentes maladies limitent sa pro­ pagation. Pour saisir toute la saveur de ce mythe, il faut encore le compléter par l’épopée de Gilgamesh, roi et héros aidé des dieux qui, confronté à la mort de son ami Enkidu, apprend du seul humain élevé à la condition divine, mais exilé au bout du monde (Atrahasîs, présent ici sous le nom de Utanapishtim) qu’il ne pourra échapper pour sa part à la mortalité. James C. Scott a récemment proposé une brillante analyse de l’origine des premiers États au moyen d’une interprétation biolo­ gique et environnementale des données archéologiques concer­ nant la Mésopotamie ancienne16. Il souligne que la domestication des animaux et l’apparition de l’agriculture sont antérieures de plusieurs siècles à l’émergence des États. Les premières cultures agraires ont été le fait de groupes humains de taille réduite, ins­ tallés dans les marais du delta du Tigre et de l’Euphrate. Ce n’est que bien plus tard qu’ont surgi des pouvoirs centraux dont la caractéristique majeure a été d’imposer la culture d’une céréale 143

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standardisée, susceptible de faire l’objet d’un prélèvement fiscal uniforme et d’être stockée durablement. Ce travail passionnant se concentre sur les seules données matérielles, en faisant à dessein l’impasse sur les bouleversements symboliques qui accompagnent l’apparition de l’État. La matière des épopées mésopotamiennes offrait pourtant de quoi nourrir un chapitre supplémentaire qui aurait utilement complété l’analyse d’ensemble. Les premières villes étatiques sont en effet dotées, non seulement de murailles, de palais et de greniers publics, mais aussi de temples et de prêtres. L’apparition d’un pouvoir séparé parmi les humains n’im­ plique pas uniquement d’établir des rapports sociaux dissymé­ triques, dont la concentration des richesses au profit des gouver­ nants n’est qu’un aspect. Elle impose également de réaménager les relations avec l’invisible en fonction d’un schème hiérarchique qui place le souverain humain en position de médiateur, repré­ sentant sur terre des divinités et divinisé lui-même pour cette rai­ son. Or, plus instamment encore que le pouvoir politique, l’invi­ sible réclame lui aussi son dû, sous la forme neuve du sacrifice. (La question appellerait des digressions trop copieuses pour qu’on s’y aventure davantage ici. Pour le dire rapidement en reprenant les termes de Philippe Descola, l’apparition de l’État implique nécessairement un basculement vers l’analogisme, dont le sacri­ fice animal ou humain est l’un des traits marquants17.) L’apparition d’un pouvoir agissant au présent, imposant l’obéis­ sance à ses sujets, produit également un nouveau régime de tem­ poralité qui modifie les façons de concevoir l’action humaine. Un regard comparatiste peut rendre ce basculement perceptible en observant l’importance qu’accordent les récits mésopotamiens au travail contraint et à l’invention des outils. Par exemple, dans un court poème sumérien très significatif, le dieu Enlil instaure la corvée et invente son outil, la houe, en fixant ainsi le destin des humains à venir avant même d’en avoir produit un premier exemplaire dans la «fabrique à chair»18. Or ces deux éléments (tra­ vail contraint et outillage) sont absents des légendes agraires que l’on peut qualifier, par contraste, de non étatiques. L’apparition de la culture des plantes est généralement présentée comme une découverte accidentelle ou héroïque, advenue dans un passé avec lequel aucune communication n’est possible. La figure fondatrice en est souvent la fille d’un chef qui meurt, transformée en graine ou racine pour nourrir son peuple19. Même si les rituels agraires impliquent dans les deux cas une relation au monde souterrain, une différence notable s’observe. Dans l’univers hiérarchique, la mise en relation avec le temps des ancêtres prend désormais la 144

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forme d’une intercession. Ce n’est pas sans raison que Gilgamesh, héros par excellence de l’émergence de la royauté sacrée, est éga­ lement la figure centrale du culte des morts. Le matériau épique s’accordait donc parfaitement au schéma interprétatif de Scott, puisque les maladies et la surmortalité dont la mythologie retrace l’origine sont des traits qu’il associe à la formation des villes. En outre, coïncidence intéressante à relever, la seule explication qu’il suggère pour rendre compte de l’apparition de l’État fait elle aussi appel à une variante du déluge. La montée des eaux dans le Golfe Persique aurait contraint à l’abandon des villages auto­ nomes installés dans les marécages, provoquant un déplacement des populations vers l’intérieur des terres, sur un sol désertique dont l’irrigation réclamait des travaux collectifs. En se déprenant des habitudes mentales imposées par des millénaires d’interprétations juives ou chrétiennes, une confron­ tation avec la matière mésopotamienne permet d’envisager d’un autre œil la première strate de la Genèse20. Le rassemblement des divinités plurielles du panthéon suméro-akkadien en un seul dieu ethnique d’Israël a pour contrepartie la concentration de la race humaine en un couple de figures nettement indivi­ dualisées, ancêtres généalogiques du peuple hébreu. Par com­ paraison, la situation initiale du premier humain semble bien plus favorable, puisque le jardin d’Éden est conçu comme un séjour royal21. Cette nuance a bien été perçue par les traducteurs alexandrins de la Septante, témoins précieux du sens ancien de la lettre hébraïque qui emploient le terme de paradeisos, issu d’un mot iranien ancien (avestique) désignant les parcs des souve­ rains achéménides, conçus pour l’agrément et pour la chasse22. Toute l’importance du verset 2,15 se révèle ici. Les deux verbes qu’il contient indiquent que l’homme a été placé dans le jardin, non pas en qualité de roi, mais pour servir le dieu qui y règne, en prenant soin de son domaine et en le protégeant des intrusions. Conçu comme un espace fermé, séparé du reste du monde par une clôture, le jardin est donc un lieu habité par une divinité clans lequel Adam est admis comme serviteur - oasis rêvée d’un peuple nomade. L’arbre de vie cosmique placé en son centre est une forme symbolique courante au Proche-Orient ancien qui relie la terre au ciel23. Si Yhwh apparaît d’abord comme une divinité prévenante à l’égard de sa créature, il se montre naïf et doué de peu d’autorité. Le serpent n’a rien de diabolique24. Seul animal cloué de parole, il représente plutôt le sommet de l’intelligence animale qui persuade les humains de s’élever au-dessus de leur état de subordonnés, en goûtant à l’arbre de la connaissance du 145

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bien et du mal pour devenir «comme des dieux». Il n’y a aucune ironie dans les paroles de Yhwh qui constate que les premiers humains sont devenus «pareils à l’un de nous»25. Les punitions qu’il leur inflige et qu’il fait ensuite subir à leurs descendants se comprennent comme un long processus de différenciation des conditions divines et humaines. Comme dans l’épopée d’Atrahasîs, la rectification majeure porte sur la durée de la vie accordée aux humains, finalement réduite à 120 ans. Au terme de ce proces­ sus, après le déluge, les modalités adéquates du culte divin et de l’activité humaine sont désormais réglées. Dès l’expulsion d’Éden, cette séparation se manifeste également par l’apparition d’un nou­ veau type d’êtres, serviteurs inflexibles destinés à servir d’intermé­ diaires entre Yhwh et l’humanité. Les chérubins, chargés de «gar­ der» les portes du jardin et le chemin de l’arbre de vie (Gn 3,24), prennent le relais de la tâche de gardien initialement confiée à Adam. Figures classiques de l’iconographie proche-orientale (nommés kuribu en akkadien, même si l’étymologie n’est peutêtre pas directe), ces créatures hybrides, humains ou quadrupèdes ailés représentés à l’entrée des temples, remplissent une fonction de gardiens des lieux sacrés26. Dernier détail significatif: le travail qui revient à Adam après l’expulsion n’est pas de nature servile. De la même façon, les tâches accomplies par ses fils témoignent des activités agraires et pastorales d’un peuple sans esclaves. Dans les récits de l’Exode, la servitude apparaît comme un fléau associé à un séjour en Égypte, dont la sortie est décrite comme le moment constitutif du peuple hébreu. Ashérah, la déesse oubliée Résumons les éléments réunis jusqu’à présent. L’épisode du jar­ din d’Éden est assurément antérieur au premier récit de création, mise par écrit d’une mythologie bien plus ancienne réalisée dans un milieu dont le monothéisme a mûri durant la captivité babylo­ nienne. Il pourrait donc être légitime de situer la composition de Gn 2-3 avant l’exil et de la rapprocher des textes produits autour du Deutéronome par un groupe de conseillers royaux, prêtres et scribes judéens, partisans du culte exclusif de Yhwh, vers la fin du v iie siècle. La présence de références au jardin d’Éden dans plu­ sieurs chapitres d’Ezéchiel, rédigés au début de l’exil, vient égale­ ment conforter cette datation (Éz 28,13; 31,8; 36,35). La comparai­ son avec les épopées mésopotamiennes met en évidence la reprise de quelques thèmes communs: création des humains, destinés au travail de la terre, par modelage de boue ; déluge universel et protection par un héros civilisateur. Elle fait aussi apparaître, de 146

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façon plus décisive, un certain nombre de traits singuliers du récit biblique: l’interdiction, la transgression, la punition et l’expul­ sion forment une dramaturgie qui n’a pas d’équivalent dans les épopées du Proche-Orient ancien. L’hypothèse d’une rédaction de ce récit à l’époque des réformes de Josias n’est pas prouvée, mais le contexte historique la ren­ drait plausible. À la faveur de l’affaiblissement de l’empire néo­ assyrien, le roi de Juda s’affirme en conquérant, qui reconstruit le l emple, centralise à Jérusalem la liturgie et le prélèvement fiscal, en détruisant tous les autres sanctuaires du pays. Le massacre des prêtres de ces sanctuaires n’est qu’insinué par quelques formules allusives, mais il paraît bien avéré (2 R 23,5). Si Josias a bien accédé au trône à l’âge de huit ans, une période de régence aurait pu don­ ner à certains groupes, partisans exclusifs de Yhwh pour des rai­ sons inséparablement politiques et religieuses (un dieu unique destiné à défendre le royaume face à ses voisins), une emprise sur les orientations du jeune monarque. Les noms évoqués dans le récit de redécouverte de l’ancienne loi semblent ainsi mettre en lumière un petit cercle de prêtres, secrétaires et conseillers du roi impliqués dans l’opération (2 R 22,11-14). Outre la proclamation d’une loi qui aurait été révélée à Moïse, l’ensemble textuel produit à cette époque comprend des récits historiques qui présentent Josias en nouveau David et nouveau Salomon. La chronique des deux livres des Rois, qui décerne des louanges ou des blâmes à ces prédécesseurs selon leur fidélité ou leur trahison de Yhwh, reforinule à la gloire de Josias des récits trouvés dans les «livres des Annales» des rois d’Israël ou de Juda27. Dès le règne de Jéroboam, premier roi d’Israël qui construit des sanctuaires à Bethel et Dan afin d’honorer Yhwh sous l’apparence d’un veau d’or, un prophète anonyme intervient au nom du dieu pour annoncer qu’un futur Josias, issu de la maison de David, offrira en sacrifice les prêtres idolâtres (1R i3,2-io)28. La production d’un récit des origines trou­ verait bien sa place au sein d’un tel ensemble, présentant un Dieu législateur qui ordonne, punit et finalement protège les humains, en fixant les premières règles du culte qu’ils auront à lui rendre. L’expulsion des idoles du Temple et la destruction des sanctuaires se seraient ainsi prolongées par l’élimination des divinités hon­ nies du matériel légendaire. Pour annoncer d’un mot l’hypothèse qui sera soumise à examen, les rédacteurs du récit en auraient chassé Ashérah, déesse mère liée en particulier aux arbres, en attribuant à Yhwh les fonctions qui lui étaient dévolues. La société judéenne accordait sans nul doute depuis longtemps une pri­ mauté aux mâles, mais l’ampleur des nouvelles dispositions de 147

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la loi consacrées à la soumission des femmes, à la dissociation des vêtures masculines et féminines et à la morale sexuelle sug­ gère qu’un aspect important des réformes visait à accentuer cette domination (Dt 22,13-23,1). L’absence d’Ashérah du texte biblique ne doit pas surprendre puisque le livre a été écrit par des lettrés, prêtres, scribes ou pro­ phètes, qui avaient pour dessein de l’effacer et évitaient, pour cette raison, de la nommer. Dénonçant les divinités allogènes qui fra­ gilisent le royaume de Juda, le livre des Rois s’ouvre et se clôt en rapportant comment Salomon se prosternait devant les divinités importées par ses épouses étrangères (1R 1,5,33 ; 2 R 23,13). Ashérah ne figure pas au nombre de ces dieux rabaissés, renvoyés à une ori­ gine extérieure qui menace la préservation du royaume. On peut y voir le signe qu’elle était pour sa part une déesse autochtone, pré­ sente de longue date dans les pratiques cultuelles des Israélites. Longtemps oubliée ou confondue avec la divinité mésopotamienne Ishtar/Astarté (avec laquelle elle partage néanmoins cer­ tains traits, on y reviendra plus loin), sa figure a refait lentement surface dans l’historiographie au xxe siècle29. Les fouilles menées à Ougarit, sur la côte syrienne, capitale d’un royaume de culture cananéenne aux xive-xm e siècles avant notre ère, ont fait appa­ raître des textes qui la présentent comme conjointe de la princi­ pale divinité, El, et la mère des soixante-dix dieux mineurs. Dans les villes côtières de Tyr et Sidon, elle est vénérée comme «Dame Ashérah de la mer». D’autres traces plus anciennes, à Babylone, précisent son profil de déesse de la fécondité et de la sensualité30. Elle semble avoir été également associée à des fonctions domes­ tiques, liées au filage de la laine31. Son iconographie ancienne la présente comme un arbre sacré flanqué de deux animaux qui se restaurent à ses branchages (bouquetins ou oiseaux), souvent associée à un lion, attribut classique d’une déesse mère. Une variante notable remplace l’arbre par un triangle pubien. Stylisée sur des pendentifs cananéens, elle se résume à un visage, des seins et un pubis, accompagnés d’un arbre32. L’intérêt pour cette déesse a été soudainement relancé dans les années 1970 avec la découverte d’inscriptions du v u Ie siècle, au nord du Sinaï, puis dans la région d’Hébron, qui invoquent la bénédiction de «Yhwh et son Ashérah»33. Au terme de longues discussions pour savoir si la formule désignait le dieu et sa conjointe ou plutôt un objet la symbolisant, il semble maintenant admis que la bénédiction se rapporte à un symbole d’Ashérah, mais que l’objet suppose une réalité de la déesse34. L’association n’a rien de surprenant: Yhwh ayant fini par supplanter El, il a été doté de la même épouse. 148

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Dans le texte biblique, la quarantaine d’occurrences de son nom a généralement le sens d’un «poteau sacré», planté à côté d’un autel ou d’une stèle de Yhwh, que les prophètes et réforma­ teurs invitent à arracher et brûler35. (Un lecteur non averti ne la reconnaîtra donc pas sous ce nom commun dans une traduction moderne). Aucune trace archéologique n’a été retrouvée d’un tel poteau de bois qui devait probablement figurer le plus souvent un arbre stylisé36. On devine qu’au sein du Temple de Jérusalem, elle était représentée par une statue anthropomorphe nue pour laquelle des femmes étaient chargées de tisser des robes (2 R 23,7). Le poteau était parfois planté «sous tout arbre verdoyant, au som­ met des collines» (1 R 14,32; 2 R 17,10). Le code de Josias confirme l’existence de ces deux types d’implantations distinctes. À côté de l’injonction de purifier le sanctuaire de toute présence idolâtre, le Deutéronome réclame la destruction de poteaux placés au som­ met des collines (Dt 12,2-3, parallèle en Ex 34,13). Les bâmôt, terme traduit par «hauts lieux» dont le sens est longtemps resté impré­ cis, entrent dans la première catégorie, puisqu’il est à présent éta­ bli que ces sanctuaires, dotés d’une cour ouverte, étaient placés à côté de la citadelle, au point le plus élevé d’une ville37. En regard de ce culte urbain, l’existence d’une liturgie d’Ashérah en plein air, dans la fraîcheur de bosquets odorants, semble donc difficile à nier. Elle est d’autant moins contestable que la mémoire du sens du mot Ashérah comme bois sacré a été préservée dans la tradi­ tion juive, que ce soit dans la traduction grecque de la Septante ou dans les commentaires de la Michna38. Les sanctuaires des «hauts lieux» devraient donc se comprendre comme des transpositions urbaines de ces bosquets. La déesse était également vénérée sous une troisième forme. Des figurines en terre cuite, dont plusieurs centaines ont été retrouvées dans la Juda des v m e et v n e siècles, représentent une femme-pilier tenant dans ses mains des seins proéminents. Elle est parfois dotée de la coiffe bouffante de la déesse égyptienne Hathor, la partie inférieure de son corps évoquant le tronc d’un arbre39. Parfois déposées dans des sanctuaires, ces figurines ont été le plus souvent retrouvées dans un contexte domestique qui suggère l’usage votif d’une déesse maternelle et nourricière. Idle est encore la «Reine du ciel» pour laquelle les femmes cui­ saient des galettes en forme d’étoiles, c’est-à-dire rondes40. Cette désignation n’est évoquée que tardivement, dans les plaintes de Judéens exilés que rapporte le prophète Jérémie, persuadés que la suppression de son culte a causé la destruction du Temple (Jr 44,i7-i9)41. Bien que certains chercheurs préfèrent voir ici 149

CHAPITRE V

une référence à Astarté, déité astrale généralement associée à la planète Vénus, seule Ashérah faisait l’objet d’un culte public en Judée. Son interruption pourrait légitimement avoir été vécue comme une tragédie par une grande partie du peuple42. Son sta­ tut de reine mère et de garante de la fertilité justifiait un quali­ ficatif céleste qui la plaçait à la tête de «toute l’armée des deux» (2 R 23,4) dont le culte fut détruit en même temps que le sien. Dans sa critique de l’idolâtrie, Isaïe associe à plusieurs reprises les poteaux d’Ashérah aux «emblèmes du soleil» (17,8; 27,9). Cette iconographie n’a pas été retrouvée, mais elle ne serait pas surpre­ nante si l’on pense aux relations qu’elle entretient avec l’Égyptienne Hathor, représentée comme une déesse vache portant sur la tête un disque solaire entre ses cornes. Les communautés juives d’Éléphantine, île du Nil au sud de l’Égypte, coupées des transfor­ mations théologiques de la captivité babylonienne, ont longtemps continué à adorer jusqu’au ive siècle, à côté de Yhwh, une déesse féminine qui avait désormais pris les traits d’Anat, elle-même ava­ tar d’Hathor. En dépit de l’hostilité que démontrent à son égard les parti­ sans exclusifs de Yhwh, Ashérah est donc demeurée pendant des siècles une figure majeure de la vie religieuse du peuple d’Israël et de Juda. Seul un petit nombre de rois et de prophètes est dit avoir mené des actions hostiles avant Josias: Asa (1 R 15,12), Gédéon (Jg 6,25, 36) ou Ezéchias (2 R 18,4). Il est notable que sa célébration ait été plusieurs fois introduite par des reines. Maaka, l’épouse de Roboam, avait installé dans le Temple de Jérusalem «une idole infâme pour Ashérah» (1 R 14,23). Son petit-fils Asa la détruisit, en révoquant les pouvoirs de la reine mère, dans un geste d’affir­ mation de l’autorité masculine43. À Samarie, Achab fabriqua à la demande de son épouse Jézabel un poteau sacré (1 R 16,32) qui est demeuré debout jusqu’à la destruction de la ville (2 R 13,7) et ne semble donc pas avoir été atteint par les actions menées par Jéhu contre l’adoration de Baal (2 R 10,27). Ces deux reines, comme bien d’autres passées sous silence, pourraient avoir tenu une place cen­ trale dans une dévotion royale à la déesse mère44. Incise sur le sacrifice des premiers-nés Parmi les stratégies de dénigrement de l’ancienne religion par les partisans du culte exclusif de Yhwh qui ne touchent qu’indirectement Ashérah, il reste encore à évoquer la légende des sacrifices d’enfants45. Pour en juger sereinement, il faut prendre comme texte de référence le document historique le mieux daté qui aurait mis fin à la pratique, soit la prescription du Deutéronome qui 150

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réclame: «Qu’on ne trouve chez toi personne qui fasse passer son Ills ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, tl’astrologue, d’augure, de magicien» (Dt 18,10). Les connotations de ce chapitre pointent davantage du côté de la magie que du sacri­ fice. Le récit des destructions ordonnées par Josias rapporte qu’il Interrompit cet usage en souillant un lieu («dans la vallée de BenIlinnôm») où le rituel était pratiqué «en l’honneur du roi» (melekh) (2 R 23,1ο)46. L’emplacement du sanctuaire détruit fut rempli d’os­ sements humains, afin de le rendre impur à jamais (23,13). À s’en tenir aux documents produits à l’époque de la suppres­ sion des pratiques idolâtres, à la fin du v n e siècle, l’hypothèse qu’il se soit agi d’un sacrifice d’enfants par le feu semble exclue. L’abolition même de tels gestes était déjà renvoyée dans un passé mythique. Les livres historiques disponibles à cette date compor­ taient un récit de l’épisode dans lequel, à la sortie d’Égypte, la demande de consacrer à Yhwh les enfants premiers-nés est rache­ tée par l’immolation des premières têtes de bétail (Ex 13,1-15). Le décret de Pharaon imposant de faire périr par noyade tous les nourrissons mâles est au contraire présenté comme le degré maximal de l’asservissement des Hébreux (Ex 1,22). Dans une autre branche des légendes anciennes, le sacrifice d’Isaac sup­ pose comme une évidence que seuls les animaux devaient habi­ tuellement subir ce sort, puisque Abraham se prépare à obéir en demandant: «Où est l’agneau pour le sacrifice?» (Gn 22,7). Pour revenir à la matière historique du v n e siècle, le livre des Rois reproche à trois reprises à différents souverains idolâtres d’avoir lait «passer par le feu» leurs propres enfants, cet acte étant placé en regard, soit du culte d’Ashérah (2 R 16,3), soit de différentes formes de divinations (17,17; 21,6)47. L’expression semble difficile­ ment pouvoir signifier une mise à mort de l’héritier du trône. Par contraste, le seul acte de ce genre mentionné dans les Annales est accompli dans une situation de crise, lorsque Mésha, roi de Moab, Nacrifie son fils sur la muraille de sa ville assiégée, infligeant un • grand courroux» aux Israélites (2 R 3,27), qui pourrait exprimer leur horreur face à cette pratique barbare. Le verbe «passer» (’èr), qui peut impliquer l’action de franchir une porte, un pont ou un Meuve, voire un simple changement d’état, semble devoir se com­ prendre ici au sens d’un acte de purification. Un commandement du livre des Nombres est parfois invoqué à l’appui d’un emploi de ce verbe au sens d’une immolation: «Tout objet qui peut aller au leu, vous le ferez passer par le feu pour le rendre pur» (Nb 31,23). λ l’évidence, cette demande n’implique pas une crémation qui l'crait disparaître l’objet en question comme dans un holocauste. 151

CHAPITRE V

Le «passage par le feu » semble donc devoir se comprendre comme une simple fumigation de matière aromatique. Le rituel prohibé devait consister en une purification de l’enfant nouveau-né, des­ tinée à écarter de lui les forces maléfiques, que ce soit en faisant passer autour de lui des fumées d’encens ou en le portant par-des­ sus un autel sur lequel brûlaient les aromates. L’interdiction por­ tait sans doute davantage sur les divinités invoquées lors ce rite que sur l’usage lui-même qui semble s’être maintenu longtemps, si l’on en croit la myrrhe et l’encens que les rois mages appor­ taient à l’enfant Jésus. Seuls les témoignages des livres prophétiques suggèrent de façon insistante que le «passage par le feu» impliquait une mise à mort sacrificielle. Dans deux chapitres en prose de Jérémie, l’expression est transformée, par l’emploi d’un verbe plus expli­ cite, en «brûler au feu leurs fils et leurs filles» (Jr 7,31) ou com­ plétée par l’idée que les rois de Juda versaient le «sang d’enfants innocents» dans des offrandes à Baal (Jr 19,4-6). Ces textes tardifs relèvent d’une évidente amplification polémique, produite à l’oc­ casion d’une interprétation créative des condamnations énoncées par le Deutéronome, selon une forme que l’on pourrait qualifier de proto-midrashique. Il faut comprendre dans le même sens les occurrences qui figurent dans le livre d’Ézéchiel, produit dans les premières années de la déportation à Babylone. Ces passages, plus complexes à analyser, dénoncent les infidélités de Jérusalem et d’Is­ raël envers leur dieu, en mentionnant parmi les pratiques idolâtres aussi bien un «passage par le feu» (Éz 20,25-26,31; 23,37) que l’im­ molation par égorgement des enfants (16,20-21; 23,39). H paraît diffi­ cile d’accorder à de telles récriminations la valeur d’une preuve his­ torique témoignant d’usages réguliers48. Des restes archéologiques d’enfants sacrifiés ont certes été retrouvés à Carthage, mais rien de tel n’a été mis au jour dans le monde Phénicien ou Cananéen. De ce dossier difficile, on peut retenir pour ce qui nous concerne ici une conclusion simple : Ashérah ne dévorait pas ses enfants. Retrouver Gomer Les études textuelles qui ont permis de retrouver la présence de la déesse se concentrent habituellement sur les passages dans les­ quels son nom est présent. Bien que le mot n’y apparaisse pas, les éléments les plus précis pour observer les liturgies qui lui étaient consacrées me semblent fournis par le quatrième chapitre du livre d’Osée. Ce très ancien prophète est à son tour victime d’une manie de la datation tardive {Spätdatierung) qui voudrait déplacer la rédaction de son poème au retour de la captivité babylonienne, 152

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dans la Jérusalem dépeuplée de l’administration achéménide49. Pourtant, le contexte qu’il évoque est bien le royaume du Nord, menacé par la puissance assyrienne, au milieu du v m e siècle. Même si le poème a pu être mis par écrit à une date un peu ulté­ rieure, en faisant peut-être l’objet de certains aménagements, sa composition doit être située quelques décennies avant la chute de Samarie, autour de 74050. À la différence des prophètes de Juda, Amos peu avant lui ou Jérémie plus d’un siècle plus tard, Osée ne s’intéresse guère à des questions de justice sociale51. Son pro­ pos vise avant tout à promouvoir le culte exclusif de Yhwh qui lui semble essentiel pour assurer la défense du royaume face à ses ennemis. Sa polémique dénonce en premier lieu l’adoration de son dieu sous forme d’un veau d’or, fait par des mains humaines, à Bethel (Os 8,4-6). Bien que le nom de Baal constitue l’objet majeur de ses invectives, son poème contient également, de façon à peine voilée, l’expression d’un combat et d’une rivalité avec la déesse des arbres52. Le fait qu’elle ne soit pas nommée doit encore une fois se comprendre comme une stratégie de la prétérition. Marié par commandement de Yhwh à une femme «se livrant à la prostitution», Osée déplore son infidélité («Elle courrait après ses amants, et moi elle m’oubliait», Os 2,13), avant d’en faire, dans les chapitres suivants, la métaphore des égarements d’Israël qui traite son dieu en étranger en persistant dans le culte des idoles. D’un même souffle, le prophète annonce la punition et la pitié, la ruine promise au royaume infidèle qui sera vaincu par ses enne­ mis (Os 13,1-14,1), et le pardon du peuple qui reviendra à l’amour de son dieu (Os 14,2-10). Plutôt que d’accepter à la lettre les termes employés par Osée pour décrire Gomer, sa femme, dans une image qui a été ensuite fréquemment reprise dans les livres bibliques et la théologie juive et chrétienne, il faut se souvenir de son intention polémique et faire l’effort d’envisager la situation, non pas du point de vue de l’auteur, mais en pensant à celle qui n’a pas eu accès à l’écrit. Les qualificatifs dégradants qu’il emploie pourraient recouvrir une situation plus complexe. Pour s’en tenir aux faits, on comprend qu’Osée s’est marié à une femme qui lui a donné un fils, puis l’a quitté et a connu d’autres hommes dont elle a eu deux enfants. Il décide pourtant de la reprendre, en échange d’un important paiement d’argent, d’orge et de vin, en vue d’un nouveau mariage qui pourra avoir lieu après une période d’absti­ nence (Os 3,2-3: «Pendant de longs jours tu resteras à moi, sans te prostituer et sans être à un homme; j ’agirai de même à ton égard»)53. À suivre la structure narrative du livre, l’énonciation de la prophétie prendrait place durant cette période d’attente. 153

CHAPITRE V

La qualité poétique du texte d’Osée tient à sa capacité à nouer dans un même souffle les dimensions personnelles et collec­ tives de son message, à s’adresser à sa femme dans les termes qu’emprunte Yhwh pour parler à son peuple. Sur ces deux plans, le poème est à la fois un chant de récrimination et de pardon, d’amour et de blâme. Sans bien entendu confondre les deux dimensions, il faut être sensible à leur entrelacement pour retrou­ ver Gomer dans son existence concrète. Le discours fonctionne sur les deux niveaux car les deux sujets de plainte sont étroitement liés. Si elle prend d’autres amants, c’est aussi qu’elle honore d’autres divinités. Pour rendre compte de cette situation, je propose de tester l’hypothèse la plus simple qui rende fidèlement compte de tous les indices donnés par le texte : Gomer serait une desservante d’Ashérah qui ne se satisfait pas de la dévotion exclusive de Yhwh à laquelle Osée est attaché. Pour renverser la désignation infâmante en adoptant son propre point de vue, la femme «prostituée et adul­ tère» serait plutôt une femme libre qui ne se soumet pas à la domi­ nation jalouse d’un seul dieu et d’un seul homme. Les scènes de trahison que déplore le prophète pourraient alors fournir un aperçu précieux des liturgies d’Ashérah. Il est d’abord question d’une forme de divination par un arbre et sa branche (Os 4,12). L’unique forme de dendromancie attestée dans des textes bibliques tient au bruit du vent dans la cime des micocouliers qui annonce à David l’heure de passer à l’attaque (2 S 5,34)54. Puisqu’il n’est pas question ici de feuillage, mais de la réponse donnée par une branche, on peut supposer par analogie qu’il s’agissait de déterminer un moment propice en fonction de l’ombre que pro­ jettent au sol des rameaux agités par le vent. Osée évoque ensuite des réjouissances, le jour dit, avec sacrifices et offrandes en haut des collines ombragées. La mention de trois types d’arbres (chêne, peuplier et térébinthe) qui seront par la suite subsumés dans la formule standardisée «sous tout arbre verdoyant» suffit à indi­ quer l’ancienneté de ce passage55. Le chêne isolé est propice à la rencontre du divin, comme celui de Mambré où Yhwh apparut à Abraham (Gn 12,6-7), ou celui de Sichem sous lequel Josué érigea un autel (Jos 24,26). L’ombre qu’il procure dans des régions arides définit un espace sacré qui peut également servir de lieu de sépul­ ture (Gn 35,8). Le peuplier qui ne pousse qu’à proximité des points d’eau et non pas sur les collines pourrait n’être cité ici que par une licence poétique, à moins qu’il y figure au titre du bruissement de sa frondaison. Plus précieux pour notre enquête est le pistachier térébinthe au parfum capiteux dont le nom est homonyme du mot «déesse» {’elat). C’est sous cette essence qu’un ange de Yhwh 154

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npparaît à Gédéon pour lui demander d’y bâtir un autel (Jg 6,11-25) ou que Jacob enterre les bijoux des divinités étrangères (Gn 35,4). Un demi-siècle après Osée, Isaïe dénonce les plaisirs pris sous cet arbre et les sacrifices qui s’y commettent («Vous serez bien déçus des térébinthes que vous aimiez tant, vous aurez honte de vos jardins d’élection», Is i,29)56. Les célébrations en haut des col­ lines évoquent immanquablement Ashérah. En l’absence de tout poteau sculpté dans le poème, la présence de la déesse se devine sous la forme vivante de ces arbres odorants. Dans ces bosquets, «les prêtres s’en vont à l’écart avec les pros­ tituées et partagent les sacrifices avec les courtisanes sacrées» (Os 4,14). Après avoir été longtemps accepté sans discussion, l'existence de la prostitution sacrée dans le Proche-Orient ancien et dans le monde biblique en particulier fait à présent l’objet d’une critique radicale, sans doute excessive57. Ce passage est l’un des trois lieux dans la Bible où sont associés, à propos des mêmes personnes, deux termes connotant la prostitution (zonah) et la sacralité (o, le «paiement» des foires, journées durant lesquelles les mar­ chands soldaient les comptes des opérations nouées au cours des «cmaines précédentes par des écritures45. La trajectoire suivie par le mot témoigne de l’inspiration italienne de la nouvelle tech­ nique financière; porté par cette caisse de résonance, il se diffuse dès lors dans les régions du Nord de la France et en Angleterre46. Dans son expansion, il croise une autre famille de mots qui «'étaient formés à partir de l’adjectif quietus (calme, au repos; parllcipe passé de quiescere) auquel s’attachait depuis l’antiquité tar­ dive la valeur juridique de possession tranquille d’un bien47. Sur le participe se construit un nouveau verbe, quietare, et son dérivé, m quietare, dont l’usage est particulièrement fréquent en Val de Loire dans la seconde moitié du x ie siècle lorsqu’il s’agit de s’ac­ quitter d’un règlement ou de dresser une quittance (1quitancia)48. Le plus ancien emploi attesté d’un substantif ayant le sens de pniement, en 1060 dans le Vendômois, fait apparaître un petit 229

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seigneur nommé Gauscelin Gasnache qui harcelait les moines de Marmoutier en prétendant ne pas avoir reçu, à titre d'acquietatio, le cheval qu’un prieur lui avait promis, et se tint ensuite pour apaisé en échange de dix sous de plus49. Au cours du x n e siècle, il devient habituel que le créancier satisfait se déclare quitte, payé et content de ce qu’il réclamait50. Selon un mouvement qui cette fois se dirige de la Champagne vers le sud, ce vocabulaire se retrouve à la fin du siècle à Gênes51. Dans ses Derivationes, le grammairien Uguccio de Pise note l’emploi du verbe au sens de «régler une dette», en observant que la chute de la diphtongue, quito au lieu de quieto, relève d’un usage vulgaire tout à fait irrégulier52. Une étude plus fine de cette documentation serait nécessaire pour en tirer des conclusions rigoureuses. On se contentera pour l’instant de deux observations. La rénovation du vocabulaire employé témoigne d’une érosion des notions juridiques clas­ siques, en faisant appel à des représentations qui évoquent ce que Louis Gernet qualifiait de pré-droit: celui qui «prend» un bien doit s’acquitter d’un règlement pour «apaiser» le créancier, afin qu’il se tienne tranquille et ne réclame plus rien53. Il est remar­ quable que cette relation soit décrite comme pacification dans une conjoncture historique où le vocabulaire de la paix prend une importance majeure. Face à la fragmentation des relations de pou­ voir et l’accroissement des violences entre vicomtes et seigneurs rivaux, à partir des années 980, des évêques se réunissent pour présider à de larges rassemblements de plein air du peuple et des chevaliers, formulant le serment collectif de s’abstenir d’actes cruels à l’encontre du clergé, des lieux saints, mais aussi des pos­ sessions. Parti d’Auvergne, le mouvement de la «paix de Dieu» se propage à travers le Midi, puis en Bourgogne, pour atteindre fina­ lement les régions du Nord54. Le concile de Saint-Paulien en Velay, vers 993, dont les clauses sont les plus détaillées, inclut dans ce serment la protection des marchands {negotiatores) et de leurs biens55. La paix de Dieu n’est bien entendu pas exactement celle du marché, mais il est indiscutable que l’une a favorisé l’autre. La documentation conservée enregistre certaines hésitations qui se révèlent très significatives. Un acte passé à Rome en 1025, dans un latin très dégradé, transforme l’idée même d’un pacte (pactio) en apaisement (pacatio)56. Pons Gerall vicomte de Cabrera, don nant une terre au monastère de Sant Cugat en 1062, décrit cet acte comme une pacificatio57. L’idée d’établir une paix par un accord écrit est assurément présente dans ces documents. Les données rassemblées dans ces pages ressemblent à des cailloux jetés dans l’océan, fragiles témoignages qui émergent de 230

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l'épais silence de ces siècles peu documentés. Il ne suffit pas de nuivre la diffusion spatiale des traces visibles pour en fournir une Interprétation complète; la question serait plutôt de savoir si Ton peut identifier dans les grands-fonds une ligne de faille sou ter­ rui ne. L’évolution linguistique obéit pour une large part à des fac­ teurs purement linguistiques; tels ou tels mots deviennent impro­ nonçables ou incompréhensibles et doivent être remplacés par le plus proche élément disponible; il arrive également que certains termes deviennent obsolètes parce que les significations qu’ils transmettent cessent d’être pertinentes. L’effacement du lexique lié λ solutio pourrait ainsi se comparer à la subduction d’un héritage romain, qui s’efface sous la montée d’un vocabulaire porteur d’un autre imaginaire des relations d’échange. La référence à un ordre Juridique complexe cède la place à une notion plus immédiate de pacification des relations. Cette piste pourrait être confirmée par la résurgence de l’usage de la paumée qui avait beaucoup intéressé Durkheim58: outre l’accord sur la chose et le prix, le contrat n’est Nccllé que lorsque les paumes des contractants se frappent59. Valor : cartographie d’un néologisme Pour ne pas se perdre dans les méandres de l’histoire du mot, mieux vaut s’équiper d’une boussole afin de saisir par avance l’in­ térêt que présente la formation de valor, en particulier lorsqu’il CNt employé à propos de biens matériels. Les différents substuntifs latins disponibles (appretiatio, aestimatio, taxatio) expri­ maient toujours le résultat d’une activité sociale ou judiciaire d'évaluation et non une caractéristique de la chose évaluée. Émile Henveniste signale la singularité du terme pretium dans le champ Indo-européen, qui ne peut être rapproché que de la seule racine inter-pret; le sens initial désignerait alors «ce qui a été convenu entre les parties»60. Même quand le prix se résume à une expresNlon monétaire (pecunia aestimata), il ne se confond pas avec la chose dont il fournit la mesure; au contraire, comme le souligne Irès justement Yan Thomas, le prix résulte toujours d’une attri­ bution, par un jugement ou un arbitrage qui sanctionne ainsi l'appartenance de la chose à la sphère des biens susceptibles d’enIrer dans les patrimoines privés, par opposition aux biens sacrés ou publics61. L’un des plus anciens emplois attestés, chez Caton l’Ancien, témoigne que dans le commerce également, le prix est ci* que l’on obtient d’une vente62. Dans les usages médiévaux, le pretium correspond toujours à ce qui est donné en échange lors d’une transaction, sans impliquer nécessairement l’expression d’une grandeur numérique63. Alors que le prix est indissociable 231

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d’une certaine situation ou d’une procédure par laquelle il est attribué à un bien, par contraste, du simple fait de ses propriétés linguistiques, valor fait du résultat de ce processus d’évaluation une qualité inhérente à la chose elle-même. Condensant de façon synthétique l’ensemble des relations sociales dans lesquels sont prises les marchandises, la notion de valeur a été l’instrument sémantique qui a permis de gommer ces médiations et rendre concevable une «antériorité de la relation aux choses sur le lien de société», pour résumer la façon dont Louis Dumont définis­ sait l’idéologie économique qui caractérise le monde moderne de l’égalité64. Face à l’apparente objectivité impliquée par l’usage de cette notion, il est préférable de se rappeler à quel point celleci est construite. Affirmer que la valeur consiste en ceci ou cela relève d’une décision métaphysique face à laquelle on peut préfé­ rer conserver une certaine circonspection. Dans ce qui suit, plus prudemment, le terme sera pris au sens d’une «mesure de la qua­ lité sociale des biens». Il peut y avoir une certaine équivoque à parler de l’absence d’un concept de valeur avant l’apparition du mot. À l’évidence, tout vocabulaire de l’évaluation implique un certain concept de valeur qui n’a pas besoin d’être exprimé par un substantif pour être dis­ tinctement conçu, de même qu’il n’est pas nécessaire de disposer de la notion de «poids» pour comprendre que telle chose pèse davantage que telle autre. En revanche, l’apparition du substantif ouvre un espace réflexif qui n’était pas disponible auparavant, en suscitant une interrogation sur cette étrange propriété désormais reconnue aux choses de posséder une valeur. C’est à ce titre que la première conceptualisation du mot mérite d’être considérée comme le point de départ de l’histoire de la réflexion économique occidentale. Absent de la langue latine classique, le substantif valor, -oris a été forgé de façon indépendante au v n e siècle dans l’Espagne wisigothique et dans l’Angleterre saxonne - dans des régions qu’on pourrait qualifier de périphériques si le terme avait un sens dans un Occident aussi fragmenté; il a ensuite circulé discrètement, avant de se manifester plus vivement au cours du x ie siècle65. Mais c’est seulement vers la fin de ce siècle que le mot prend la signifi­ cation qui nous intéresse ici, attachée à des biens dont il exprime une qualité sociale qui se traduit par une expression numérique. L’histoire que nous retraçons ne suit pas le même genre d’intrigue que l’apparition des mots étudiés auparavant. Il s’agit davantage ici de percevoir une inflexion dans les usages d’un terme neuf qui peut s’adapter à de multiples situations. 232

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La polysémie de valor, qui se manifeste très tôt, recoupe 1rs différentes significations classiques du verbe valere, dont l'étymologie indo-européenne renvoyait à une idée de force et de puissance66. Outre le sens général de puissance (qui donne lieu mi substantif valentia), l’usage le plus commun désignait à Rome la bonne santé (d’où valetudo et la salutation valel), mais le verbe exprimait également la force juridique d’une loi, voire la signifi­ cation des paroles. Appliqué à la monnaie, dans le prolongement de cet usage linguistique, il qualifiait des relations d’équivalence entre différentes pièces67. La langue du droit employait prin­ cipalement le verbe au sujet de la validité des contrats - valetf non valet, le jugement claque comme un fouet dans les avis des Juristes. Dans un usage secondaire, valere pouvait aussi se référer au prix des divers éléments composant le patrimoine: terre, héri­ tage, esclave et toute chose (res)68. Les fragments de jurisprudence réunis dans le Digeste - compilation réalisée au V e à la demande de l’empereur Justinien qui fit simultanément détruire l’essen­ tiel de la littérature juridique ancienne - ne proposent cepen­ dant aucune règle destinée à mesurer cette grandeur qui n’a pas de nom, si ce n’est un principe invitant à se référer à l’estimation commune, en écartant les sentiments particuliers qu’un tel pour­ rait avoir à l’égard d’une res - si, par exemple, un esclave acciden­ tellement tué par un tiers était le fils naturel de son propriétaire69. Appartenant à l’ordre des faits, l’établissement de cette estimation ne concerne pas le juriste. De son côté, la langue littéraire semble réticente à entériner un tel usage de valere. On soupçonne toute­ fois, à lire quelques sermons au peuple dans lesquels Augustin emploie la langue courante, que la question quantum valet («com­ bien ça coûte?») appartenait aux échanges quotidiens70. Dans la même lignée, le participe présent valens a été employé durant tout le Haut Moyen Âge pour exprimer le rapport d’équivalence entre un bien et son prix71. La fréquence de cet usage pourrait inciter à minimiser l’importance de que revêt l’apparition de valor dans ce sens. Comme l’a magistralement montré Jacques Le Goff à propos du passage d’un feu purgatoire au lieu du Purgatoire, la création d’un substantif qui se répand largement implique toujours un déplacement significatif72. La construction de valor, -oris, sur le patron de dolor ou pudor, coulait de source. Le pas fut franchi vers 650 par Eugène, arche­ vêque de Tolède, dans les premières lignes d’une lettre adressée au roi Chindaswinth, rendant grâces de ses capacités mentales octroyées par le Christ73. L’invention semble avoir plu. Le neveu d’Eugène, Ildefonse, archevêque à son tour et plus tard canonisé 233

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comme lui, en fit usage dans un traité sur la virginité de Marie, puis dans un autre74. Succédant sur le trône à son père en 654, Receswinth munit la publication d’un ensemble de lois d’une formule proclamant leur validité perpétuelle, prenant valor en ce sens comme y invitait l’emploi juridique du verbe75. J’ai longtemps pensé que les archevêques et rois wisigoths avaient eu le mono­ pole de cette invention mais il me faut admettre que, de façon indépendante, l’entourage du premier roi saxon de Kent converti au christianisme, Ethelbert, avait eu recours à la même tournure quelques décennies plus tôt, dans la publication d’un autre code de lois (vers 610). Il s’agissait alors de traduire deux occurrences du mot worth dans des clauses énonçant le principe de la compen­ sation d’une cuisse blessée par une lance, ou du pied ou de l’œil arraché à un esclave, sans en fixer le montant exact76. On n’entrera pas ici dans l’examen détaillé de ce terme apparenté à l’allemand Wert. Un travail récent suggère que worth et Wert peuvent tous deux se rattacher à l’adjectif proto-germanique *werpa, qui devrait être à son tour rapproché du verbe *werpan (tourner, devenir, d’où all. werden, mais aussi Wurst)77. Cette suggestion un peu molle ne me semble pas en état d’invalider la proposition bien plus forte de Philip Grierson qui associait weorp, le prix, à wair, l’homme. Leur association dans la fameuse notion de wergeld, le prix d’une vie humaine, qui peut être exigé comme compensation d’un meurtre, pour le prix de la fiancée ou celui d’un esclave, fait surgir toute la profondeur anthropologique qu’implique l’idée d’une mesure de la valeur78. Une autre traduction latine plus tardive de lois anglosaxonnes reprend l’équivalence entre worth et valor dans le cadre d’un tarif, qui porte cette fois sur des animaux, morts ou vivants79. Seuls deux autres usages anglo-saxons de valor sont attestés. Dans un traité d’arithmétique attribué à Bède le Vénérable, valor exprime la valeur numérique des lettres de l’alphabet latin80, tan­ dis qu’un pénitentiel attribué à Egbert d’York invite à distribuer la valeur d’une obole aux pauvres81. Hors de ces deux foyers, le mot apparaît également dans une formule de bénédiction du sel dans le sacramentaire attribué à Grégoire le Grand, que les tra­ vaux de Jean Deshusses ont permis de dater des années 650-67082. La source de cet emploi n’est pas douteuse: les relations entre Rome et Tolède étaient alors bien plus étroites qu’avec Canterbury et le sens de puissance accordé à valor correspond mieux à l’usage qu’en faisait Eugène. Le seul autre emploi antérieur à l’an mil apparaît fugacement dans des sermons anonymes d’un manuscrit de Saint-Mihiel du Xe siècle83. Une fois passé le cap de 1050, c’est l’efflorescence. 234

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Le sens de «vertu, puissance», fréquent dans la poésie latine, glisse parfois vers l’évocation d’une grandeur plus abstraite84. Vers 1100, le poète et peintre de Saint-Omer connu sous le nom cie Petrus Pictor chante ainsi les louanges de la Flandre en la déclarant «pleine de valeur»85. Attribuée à des personnes, en vernaculaire, valor désigne en premier lieu la bravoure du che­ valier. Dans la Chanson de Roland (fin x ie s.), le traître Ganelon vante la grant valor de Charlemagne pour stimuler les ardeurs du roi sarrasin, tandis que Roland veut prouver sa valor par le fer et l’acier86. Le terme sert aussi à marquer plus précisément un statut social. Le code de justice des comtes de Barcelone qui définit les «usages» des relations féodo-vassaliques au milieu du x n e siècle lait de la valor un critère de classement hiérarchique des cheva­ liers87. Dans la langue des troubadours, le pretz désigne l’estime ou le mérite reconnu sur l’échelle de la courtoisie, tandis que la valor représente davantage des qualités personnelles88. Parmi les développements ultérieurs, le mot est parfois pris dans des tra­ vaux savants au sens d’une grandeur numérique. À cet égard, il faut souligner l’usage remarquable qu’en fait vers 1280 le domini­ cain écossais Jérôme de Moray dans un chapitre de son De musica consacré à la «musique mesurée» pour exprimer les longueurs relatives des différentes notes, pauses et ligatures - dans un sens qui est toujours utilisé de nos jours89. Pour en venir enfin au point qui nous intéresse, le premier usage de valor pour qualifier un bien nous reconduit à Barcelone en 1068, à l’occasion d’un échange de terres négocié entre l’ab­ besse de Santas Creus et un voisin, propriétaire d’un terrain adja­ cent au monastère, qui recevra en retour un immeuble et ses dépendances donnant sur les vieilles arches du bourg (c’est-àdire, les restes de l’aqueduc romain); si quelqu’un devait rompre l’échange en s’opposant à la cession de cet immeuble, l’abbesse serait tenue d’en restituer le triple, «dans un tel lieu où tu pour­ rais obtenir la même valeur, dans le même bourg»90. Si les biens échangés ne font pas l’objet d’une évaluation monétaire, cette précision géographique révèle la sensibilité des contractants à cet égard. Avant que l’usage du mot ne se généralise, d’autres néolo­ gismes sont employés avec le même sens dans différentes régions. Une douzaine d’années plus tard, le tarif d’un péage angevin a ainsi recours à l’infinitif substantivé valere pour exprimer un prin­ cipe de proportionnalité des redevances prélevées en fonction de la valeur des biens91. À Redon, en 1092, le vicomte Eudes lègue à ses enfants les biens de son épouse défunte en les présentant comme les waloria de toutes ses possessions92. Avec la Charte de 235

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paix de Valenciennes, concédée en 1114 par le comte de Hainaut pour garantir la sécurité des bourgeois et marchands de la ville et de leurs biens face aux violences et pillages des chevaliers et écuyers, le nouvel instrument sémantique révèle tout son inté­ rêt. Si quelqu’un s’empare du bien d’autrui en pensant avoir un titre à le faire, mais qu’il ne peut plus le restituer en l’état lorsque l’autre le réclame, «si le bien n’est plus apparent et a été dépensé, et que l’autre jure de la valeur [valor] de la chose, le coupable sera tenu de la restituer dans les sept jours»93. À la différence du prix offert à l’occasion d’une transaction, la notion de valeur possède la capacité d’évoquer une chose absente et de la représenter par une expression monétaire. Le potentiel réflexif dont le mot est porteur se confirme rapidement. Aux mêmes dates, Guigues Ier, prieur de Chartreuse, dans le Dauphiné, à l’écart du monde sur sa montagne, note dans ses Méditations: «Ce n’est pas selon leurs valeurs [valentias) que nous nous affligeons de la perte des choses ou que nous nous réjouissons de les obtenir, mais selon l’amour que nous leur portons»94. Employant un terme classique pour exprimer une idée nouvelle, Guigues énonce déjà le principe de la distinction entre valeur d’échange et valeur d’usage. Catalogne, Anjou et Hainaut constituent, dans des styles différents, trois pôles avancés de la nouvelle société et des pratiques de l’écrit et de la comptabilité qui l’accompagnent95; que le même vocabu­ laire atteigne un religieux qui n’avait jamais quitté son Dauphiné natal donne une indication de l’extension de cette nouvelle sensi­ bilité en Occident. La multiplicité de ces inventions suggère que nous n’avons pas à faire à la diffusion mécanique d’un terme bien pratique mais dépourvu de portée symbolique. Les témoignages que l’on peut réunir sur ces premiers usages de valor et ses acolytes produisent au contraire l’impression d’un déplacement du regard porté sur les possessions matérielles qui ne sont plus traitées comme des phénomènes secondaires, annexes du statut personnel de leurs possesseurs, mais comme des êtres dotés d’une qualité propre. À titre de confirmation, on peut signaler l’émergence d’une nou­ velle série de substantifs qui expriment une autre facette de ce processus de manifestation de la valeur dans l’espace lexical. Le verbe constare, doté d’une très riche polysémie en latin clas­ sique (se tenir stable, persister, être manifeste, être constitué de, etc.), pouvait accessoirement avoir la signification du prix d’un bien. Il n’a donné lieu qu’indirectement à la formation de substan­ tifs - constantia (constance) par l’intermédiaire de son participe présent constans, ou constitutio via son fréquentatif constituai. 236

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Ln revanche, à partir de la fin du x ie siècle, on voit apparaître en lutin ou en vernaculaire plusieurs formes qui toutes évoquent une valeur saisie sous Tangle de la dépense. L’attestation la plus ancienne figure dans la Vie de saint Anselme, rédigée par son disciple Eadmer. Désigné archevêque de Canterbury par la volonté du roi Guillaume Rufus en 1093, pressé de faire en retour un don aux finances royales, le nouveau prélat s’y refuse avec une intransigeance inflexible, pour ne pas Ncmbler commettre un acte de simonie en versant une somme d’argent en échange d’une charge ecclésiastique. Une délégation d’évêques tente en vain de le convaincre en lui rappelant qu’il vient de recevoir sans la moindre anicroche un bénéfice «qu’il n’aurait pu obtenir sans de nombreux périls, un grand effort et un grand coût (.constamen)»96. L’évêque de Rochester Gondulf qui faisait sans doute partie de cette troupe avait pour sa part cédé aux demandes de Rufus en construisant un château, pour «un coût (any-Robert Dufour, Le divin marché, Paris, Denoël, 2007. 9. Jean-Claude Perrot, H istoire intellectuelle de l'économie politiqu e, Paris, Éditions de I'ehess, 1992; Wim Decock, Theologians an d contract law. The m oral transform ation o f (he ius commune (ca. 1500-1650), Leyde/Boston, Brill, 2013. 10. Dernier exemple en date, Jacques Mistral, La Science de la richesse. Essai su r la construction de la p en sée économique, Paris, Gallimard, 2019, qui fait commencer son récit à la fin du xvn e siècle. m. S. Piron, L’Occupation du m onde, Bruxelles, Zones sensibles, 2018; W. Decock, l e Marché du mérite. Penser le droit e t l ’économie avec Léonard Lessius, Ibid., 2019. Voir Pierre de Jean Olivi, Traité des contrats, éd. S. Piron, Paris, Belles-Lettres, 2012. 12. Joseph A. Schumpeter, H istoire de l ’analyse économique, Paris, Gallimard, 1982 11954], 3 vols. 13. W. Decock, Le marché du m érite, p. 189-192. 14. E.P. Thompson, «The moral economy of the English crowd in the eighteenth cen­ tury», P a st &Present, 50,1971, p. 76-136. 357

NOTES

15. Parmi ces extensions frauduleuses, la palme revient à un champ qui, sous le nom de «philosophie de l’économie», étend le raisonnement économique en philosophie, au lieu d’accomplir sa tâche légitime qui devrait être de mener une réflexion critique sur les postulats de la discipline. 16. Cette psychologie expérimentale est la seule autre discipline que parvient à men­ tionner, dans un ouvrage de vulgarisation, le récipiendaire du prix de la Banque de Suède, Jean Tirole, Économie du bien commun, Paris, p u f , 2016. 17. Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1989 [1957]. 18. Ce paragraphe résume à grands traits l’argumentaire de M. Gauchet, Le désenchan­ tement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, 1985, avec quelques inflexions minimes. 19. M. Gauchet, Le Nouveau Monde. 20. L’argument proposé ici peut se lire comme le miroir inversé de celui d’Hans Blumenberg, La Légitimité des Temps Modernes, Paris, Gallimard, 1999, en conservant toutefois une grande partie des leçons. 21. C’est la voie qu’emprunte, dans un livre par ailleurs important, Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2019. 22. Galileo Galilei, Il Saggiatore, Firenze, Giunti-Barberà, 1968, (Le opere di Galileo Galilei) t. 5, p. 232. 23. Hugues de Saint-Victor, De tribus diebus, éd. Dominique Poirel, Brepols ( c c c m , 177), 2002, p. 10. 24. Déclaration de Francis Collins, BBC News, 26 juin 2000: «It is humbling for me and awe-inspiring to realize that we have caught the first glimpse of our own instruction book, previously known only to God. » Lors de cette présentation à la Maison Blanche, Bill Clinton a renchéri: «Today we are learning the language in which God created life». 25. Je résume ici la démonstration présentée dans «Nature et surnaturel», dans G. Cometti, P. Le Roux, T. Manicone, N. Martin (éd.), Au seuil de la forêt. Hommage à Philippe Descola, Paris, Tautem, 2019, p. 837-854 [en ligne: https://halshs.archives0uvertes.fr/halshs-02360785]. 26. P. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. 27. Virginie Maris, La Part sauvage du monde, Paris, Seuil, 2018. 28. Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966. 29. Marie-Luce Demonet, «Le sophisme des signatures, de Foucault à Agamben», dans L. Gerbier, O. Guerrier (éd.), Foucault et la Renaissance. Actes du colloque international de Toulouse (13-16 mars 2012), à paraître. 30. Henri de Lubac, Surnaturel. Études historiques, Paris, Lethielleux, 2010 [1946]. 31. Gloria Frost, «Peter Olivi’s rejection of God’s concurrence with created causes», British Journalfor the History of Philosophy, 22, 2014, p. 655-679. 32. Olivier Boulnois, «Puissance neutre et puissance obédientielle. De l’homme à Dieu selon Duns Scot et Cajétan», dans B. Pinchard, S. Ricci (éd.), Rationalisme analogique et humanisme théologique. La culture de Thomas de Vio «II Gaetano », Naples, Vivarium, 1993, p- 31-69. 33. Jacob Schmutz, «La doctrine médiévale des causes et la théologie de la nature pure (xme-xviie siècles)», Revue thomiste, 101, 2001, p. 217-264. 34. Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques, Paris, Minuit, 1972,3 vols [192329]. Jean Lassègue, Cassirer. Du transcendantal au sémiotique, Paris, Vrin, 2016. 35. Jean-Marc Lévy-Leblond, Aux contraires. L’exercice de la pensée et la pratique de la science, Paris, Gallimard, 1996, p. 215-222. 36. Giuseppe Longo, «Information and Causality: Mathematical Reflections on Cancer Biology», Organisms. Journal of Biological Sciences, 2, 2018, p. 83-103, à qui je dois éga­ lement la citation de F. Collins (supra, note 22). Voir aussi l’entretien, «Complessità, scienza e démocrazia», MEGAchip, Democrazia nella comunicazione, 10 mai 2016, 358

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Irud. fr., «Complexité, science et démocratie», disponible sur le site Glass Bead [en ligne: http://www.glass-bead.org]. Pour une histoire détaillée de cette métaphore, Lily I·:. Kray, Who Wrote the Book o f Life ? A H istory o f the Genetic Code , Stanford University Press, 2000. ,17. Jean-Jacques Kupiec, Et s i le vivant é ta it anarchique , Paris, Les Liens qui Libèrent, 1019, dont le raisonnement part de cette critique: «L’idée de l’ordre, pour ne pas dire l'obsession, entrave la compréhension du vivant. Elle consiste à croire que chaque chose est déterminée dans ses rapports aux autres, possède une place attitrée et que le monde ne saurait exister autrement. Cette idée sévit dans tous les domaines, mais la vie en est le champ privilégié.» J’ajoute simplement que ce préjugé procède d’une racine théologique. ,{H. Ana Soto et Carlos Sonnenschein, La Société des cellules , Paris, Syllepse, 2005 [1999]. lin dernier lieu, voir Maël Montévil, G. Longo, A. Soto, «From the century of the gene lo that of the organism. Introduction to new theoretical perspectives», Life Sciences, Information Sciences , Londres, Wiley, 2018, p. 81-97. ,19. Susan McKinnon, La Génétique néo-libérale. Les m ythes de la psychologie évolution­ niste, Paris, L’Éclat, 2011. 40. Pierre Uzan, Conscience e t physique quantique, Paris, Vrin, 2013. 41. Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres , Paris, Les Arènes, 2017 [2015]; Richard Powers, UArbre-monde , Paris, Cherche-Midi, 2018. 42. Monica Gagliano, Thus spoke the p la n t, Berkeley, North Atlantic Books, 2018. 43. Gregory Bateson, Vers une écologie de Vesprit, Paris, Seuil, 1977 [1972]. 44. Les militants du déterminisme génétique sont indifféremment des athées convain­ cus comme Richard Dawkins ou Steven Pinker, ou des chrétiens militants comme Prancis Collins. 45. Maurice Allais, La M ondialisation. La destruction des em plois et de la croissance, l'évidence em pirique , Paris, Éditions Clément Juglar, 1999. 46. Benjamin Coriat, «L’installation de la finance en France. Genèse, formes spéci­ fiques et impacts sur l’Industrie», Revue de la régulation , 3/4,2008 [en ligne: http://journols.openedition.org/regulation/6743]. 47. Pierre-Yves Gomez, L'Esprit m alin du capitalism e, Paris, Desclée de Brouwer, 2019. 4« . Rawi Abdelal, C apital rules. The construction o f global finance, Harvard University Press, 2007. 49. Colin Crouch, L'étrange survie du néolibéralism e, Diaphane, 2013 [2011]. Ho. Toute avancée scientifique majeure ne peut provenir que d’une recherche fonda­ mentale libre de définir ses orientations et d’aller à contre-courant des pentes habi­ tuelles, ce qu’inhibent les politiques de la recherche menées depuis vingt ans qui ne financent plus que des résultats connus d’avance. Hi. Geoffrey Supran, Naomi Oreske, «Assessing ExxonMobil’s climate change commu­ nications (1977-2014)», Environmental Research Letters, i2 /8 ,2017,084019. Hi. Antonin Pottier, Com m ent les économ istes réchauffent la plan ète, Paris, Seuil, 2016. HJ. Frédéric Hache, 50 shades o f green. The fa lla cy o f environm ental m arkets, Green Finance Observatory, mai 2019. fl4. Voir entre autres, Philip Mirowski, Never let a serious crisis go to waste. H ow neoliIwralism su rvived the fin an cial m eltdow n, Londres, Verso, 2013 ; Adam Tooze, Crashed. , à 17 ces dernières années. Ces données ne proviennent pas d’une recherche universitaire, mais d’une étude financée par l’organisation patronale du secteur du Voyage qui déplore et dénonce un manque à gagner [en ligne: https://www.ustravel. urg|. En France, la même addiction pousse à aller au travail en étant malade, cf. «Quel llrn entre les conditions de travail et le présentéisme des salariés en cas de maladie?», direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, 5 août 2020 |i>mligne : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques]. 363

NOTES

49. Vladimir I. Lénine, L’État et la révolution, Paris, Seghers, 1971 [1917], p. 166, cité par Burnet, Celui qui ne travaille pas , p. 85-86. 50. Entretien au Guardian, 1988, cité par A. E. Weiss, «The Religious Mind»: «Many people in this country are work-shy. In the Jewish view, work itself enables; if we did more of it we would be competitive and flourishing. » 51. Bertrand Russell, Éloge de l’oisiveté, Paris, Allia, 2002 [1932]. 52. R. Burnet, Celui qui ne travaille pas , p. 60-64. 53. J. Le Goff, «La déférence a-t-elle existé au Moyen Âge?», Communications, 69, 2000, p. 27-36, voir p. 35: «Ce que je prône en définitive pour introduire la pensée du qua­ litatif en Histoire, c’est une histoire des valeurs.» Je remercie Étienne Anheim de m’avoir signalé cet entretien très éclairant. Les propos tenus dans les séminaires de cette époque se retrouvent dans J. Le Goff, «Rire au Moyen Age», Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 3,1989 [en ligne: https://d0i.0rg/10.4000/ccrh.2918]. 54. Pour la formulation, Id., Une vie pour l’histoire, entretiens avec Marc Heurgon, Paris, La Découverte, 1996, p. 87. Pour des synthèses de cette enquête, parues après le recueil Pour un autre Moyen Âge, Temps, travail et culture en Occident, Paris, Gallimard, 1978, voir «Pour une étude du travail dans les idéologies et les mentalités du Moyen Âge», dans Lavorare nelMedioevo. Rappresentazioni ed esempi dalTltalia dei secc. x-xvi, Todi, Accademia Tudertina, 1983, p. 9-33; Id., «Le travail dans les systèmes de valeurs de l’Occident médiéval», dans J. Hamesse, C. Muraille Samaran (éd.), Le Travail au Moyen Age: une approche interdisciplinaire, Louvain-la-Neuve, 1990, p. 7-21. 55. J. Le Goff, «Travail, techniques et artisans dans les systèmes de valeur du haut Moyen Âge (ve-xe siècles), dans Artigianato e Tecnica nella società dell’alto medioevo occidentale, Spolète, ci s a m , 1971, p. 240. 56. Friedrich Diez, Etymologisches Wörterbuch der romanischen Sprachen, Bonn, Marcus, 1853, p. 325. 57. Paul Meyer, «L’étymologie du provençal trebahl», Romania, 67,1888, p. 421-424; Leo Spitzer, «Fr. travail», Romanic Review, 34,1943, p. 374-379. 58. André Eskénazi, «L’étymologie de Travail», Romania, 126, 2008, p. 296-372 (en part, p. 325-348), dont on peut retenir certaines données, sans adhérer à l’ensemble du raisonnement. 59. Jean Gaudemet, Brigitte Basdevant, Les Conciles mérovingiens (v ie siècle-vne siècle), Paris, Le Cerf, 1989, t. 2, p. 477: «Le lieu où a lieu l’interrogatoire» (ad locum exami­ nationis reorum). Hugo Schuchardt avait déjà noté que dans la Lex Romana Curiensis, manuel de droit dérivé du Bréviaire d ’Alaric produit en Suisse orientale au début du v m e siècle, le trebalium est équivalent au flagellatorium, chambre de torture (Zeitschriftfür romanische Philologie, 1,1877, p. 112, n. 1). 60. George Nicholson, «Français travailler, travail», Romania, 53, 1927, p. 206-213, note que travail peut désigner un catafalque, estrade sur laquelle est placé le cercueil, dans des documents de la fin du Moyen Âge. 61. Antoine Furetière, Dictionnaire universel, La Haye, Arnout et Reinier Leers, 1690, p. 728, notait: «On en a fait aussi autrefois pour donner la question». Le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) [en ligne : http://www.atilf.fr/dmf], s.v. Travaih, donne le sens de «dispositif semblable au travail du maréchal-ferrant servant à attacher un pri sonnier», en citant trois exemples des xive et xve siècles. Il serait cependant difficile de postuler une continuité depuis les temps mérovingiens. 62. G. Nicholson, «Français travailler», propose l’étymologie *tra-baiulare, «molester Λ l’excès», qui est séduisante quant au sens et à la phonétique mais a le tort d’être totn lement hypothétique. Sur le changement de sens de baiulare, de «porter sur le dos» i\ «administrer», cf. Jean-Paul Chauveau, «De la nécessité pour l’étymologie de reconsti tuer l’histoire des sens», Recherches linguistiques de Vincennes, 38,2009 [en ligne: http:// journals.openedition.org/rlv/1755]. 63. Philippe de Mézières, Testament, cité dans Dictionnaire du Moyen Français (1330 1500), s.v. travail: «Car il approche fort au terme de son pèlerinage et a la fin de son grant travel. » 364

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0/5 de Guillaum e j éd. J.E. Matzke, Paris, Picard, 1899, p. 22: «quite serrad pur sun travail » est traduit par «quietus pro labore suo» (années 1150-1170). Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) [en ligne : http://www.atilf.fr/dmf]. (>(). Dictionnaire du Moyen Français, fréquence absolue par demi-siècle. 67. François Vatin, Le Travail, économie e t physique (1780-1830), Paris, p u f , 1993. ΛΗ. J. Montgolfier, «Mémoire sur la possibilité de substituer le bélier hydraulique à l’ancienne machine de Marly», Journal de VÉcolepolytechnique, 1808, p. 289-317, voir p. 290. I , 'urgument a par la suite été résumé par l’adage: «La force vive est ce qui se paie». f»9. Charles Coulomb, «Résultats de plusieurs expériences destinées à déterminer lu quantité d’action que les hommes peuvent fournir par leur travail journalier, sui­ vant différentes manières dont ils emploient leurs forces», M ém oires de VAcadémie des Hcicnces, 1799, p. 380-428, disponible sur Gallica.bnf.fr. 70. F. Vatin, «Le “travail physique” comme valeur mécanique (xvm e-xixe siècles)», Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 110, 2009, p. 117-135, qui comporte une cri­ tique éclairée du livre de Philip Mirowski, Plus de lumière que de chaleur. L'économie comme physique sociale, la ph ysiqu e comme économie de la nature, Paris, Economica, 1001 [1989]. 71. Karl Marx, Introduction générale à la critique de l'économie p o litiqu e [1857], in Id., Philosophie, Paris, Gallimard, 1994, p. 475: «Ce fut un immense progrès, lorsque Adam Nmith rejeta toute détermination de l’activité créatrice et ne considéra que le travail tout court [...].» Werner Conze, «Arbeit», dans O. Brunner, W. Conze, R. Koselleck Geschichtliche Grundbegriffe. H istorisches Lexikon zu r politisch-sozialen Sprache in Deutschland, éd., Stuttgart, Klett-Cotta, 1972,1.1, p. 154-215. 72. Pour une lecture sensible aux enjeux politiques, voir Daniel Diatkine, Adam Smith, lu découverte du capitalism e et de ses lim ites, Paris, Seuil, 2019.

73. L’économie politique était également pour Quesnay la façade tolérable d’une cri­ tique de la monarchie absolue et de l’aristocratie stérile, cf. Gino Longhitano, Il projietto politico d i François Quesnay, Catane, c u e c m , 1988. 74. J’adopte la perspective tracée par Nicholas Phillipson, Adam Smith. An enlightened Hfe, Londres, Allen Lane, 2010, qui a le grand mérite de restituer l’unité du projet intel­ lectuel de Smith. 75. Lettre citée par N. Phillipson, Adam Sm ith, p. 102. 76. Jean-Daniel Boyer, «Adam Smith Problem ou problème des sciences sociales? Détour par l’anthropologie d’Adam Smith», Revue Française de Socio-Économie, 3, 2009, P· .17-5 3 · 77. A. Smith, Théorie des sentim ents moraux, trad. M. Biziou, Cl. Gautier et J, -Fr. Pradeau, Paris, p u f , 1999, p. 19-20: «Dans le dernier paragraphe de la première édition, j’affirmais que j’entreprendrais dans un prochain ouvrage de donner une explication des principes généraux du droit et du gouvernement, puis des révolutions qu'ils connurent au fil des différents âges et époques de la société. » ;H. Adam Smith, An Inquiry into the N ature an d Causes o f the Wealth o f Nations, éd. W. H. Todd, Oxford University Press, 1975 [1776] ; Recherches su r la nature et les causes de lu richesse des N ations, Paris, Flammarion, 1991, p. 65: «Le travail annuel d’une nation cnI le fonds primitif qui fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécesxnircs et commode à la vie; et ces choses sont toujours ou le produit immédiat de ce Irnvail, ou achetées des autres nations avec lui.» L’édition originale (Londres, Strathan M( ladell, 1776) ne met pas de majuscule à labour dans la première phrase, contraire­ ment à l’habitude qui s’est prise par la suite. 79. F. Quesnay, «Philosophie rurale», dans François Quesnay e t la Physiocratie, Paris, ini:i>, 1958, t. 2, p. 698-690. Voir surtout le «Mémoire sur les avantages de l’industrie cl du commerce et sur la fécondité de la classe prétendue stérile par quelques auteurs économiques», objections rédigées par Quesnay lui-même afin d’y publier une réponse duns la livraison suivante du Journal de l'agriculture, du commerce et des finances {Ibid., p, 743-758. Ces deux textes sont parus en novembre 1765 et janvier 1766, pendant le N é jn u r d’Adam Smith en France. 365

NOTES

80. La tension est sensible dès l’intitulé général du livre, Recherches, p. 70, qui associe un jugement historique et l’énoncé d’un ordre de nature: «Des causes qui ont perfec­ tionné les facultés productives du travail et de l’ordre suivant lequel ses produits se distribuent naturellement dans les différentes classes du peuple» (je souligne). 81. Smith, Recherches, t. 1, p. 79. Le thème était déjà évoqué par David Hume, Traité de la nature humain. Essai pour introduire la méthode expérimentale de raisonnement dans les sujets moraux, ni, 2,3. 82. Ibid., p. 72. Voir le compte-rendu de Jean-Louis Peaucelle, Adam Smith et la division du travail, La naissance d'une idée fausse , Paris, L’Harmattan, 2007, par François Sigaut, Documents pour l’histoire des techniques, 18, 2009, p. 234-236. 83. Smith, Recherches, 1.1, p. 81. 84. Jean-Michel Servet, «La fable du troc», Dix-huitième Siècle, 26,1994, p. 103-115. 85. Smith, Recherches, 1.1, p. 99.

86. On reviendra plus loin sur le choix d’identifier une «mesure réelle» et non moné­ taire (chapitre ix). 87. Smith, Inquiry, p. 48-49; Recherches, t. 1, p. 100: «Il est souvent difficile de fixer la proportion entre deux différentes quantités de travail [...] il n’est pas aisé de trouver une mesure exacte applicable au travail ou au talent (hardship or ingenuity). » 88. Inquiry, p. 49 ; Recherches p. 101. 89. Jean Cartelier, L’Intrus et l’absent. Essai sur le travail et le salariat dans la théorie économique, Nanterre, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2016, p. 40-51, qui est éga­ lement précieux dans sa lecture de Ricardo et Marx. 90. N. Phillipson, Adam Smith, p. 71. Smith fut réprimandé pour avoir lu le sulfureux Treatise of Human Nature, paru en 1739, au moment de son départ pour Oxford. 91. David Armitage, «John Locke, Carolina, and the Two Treatises of Government», Political Theory, 32, 2004, p. 602-627. 92. John Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, tr. D. Mazel, Paris, GF-Flammarion, 1985, p. 162-167. 93. Id., Second Treatise of Civil Government, V, § 32. La traduction française (p. 166) ne rend pas cette nuance. Voir aussi, § 28: «We see in commons, which remain so by com­ pact, that it is the taking any part of what is common, and removing it out of the state nature leaves it in, which begins the property; without which the common is of no use. And the taking of this or that part, does not depend on the express consent of all the commoner» (trad. p. 166). 94. Ibid., § 26: «The fruit, or venison, which nourishes the wild Indian, who knows no enclosure»; § 30: «This law of reason makes the deer that Indian’s who hath killed it»; § 36 : «Let him plant in some inland, vacant places of America »; § 37 : «In the wild woods and uncultivated waste of America»; § 41: «Several nations of the Americans are of this, who are rich in land, and poor in all the comforts of life»; § 43,46,48,49 (trad. p. 163-180). 95. Ibid. § 41: «A king of a large and fruitful territory there, feeds, lodges, and is clad worse than a day-labourer in England » (trad. p. 174). 96. The Fundamental constitutions of Carolina, § 97, dans The Works of John Locke, 1824, t. 9, p. 195: «But since the natives of that place, who will be concerned in our planta tion, are utterly strangers to Christianity, whose idolatry, ignorance, or mistake gives us no right to expel or use them ill... » 97. Second Treatise, v § 30. Voir Rolf Knütel, «Arbres errants, îles flottantes, animaux fugitifs et trésors enfouis», Revue historique de droit français et étranger, 76, 199H, p. 187-214. 98. Second Treatise, § 34: «He gave it to the use of the industrious and rational, (and labour was to be his title to it) ; not to the fancy or covetousness of the quarrelsome and contentious» (trad. p. 165). 99. Thomas Hobbes, Léviathan, 14, Paris, Gallimard, 2000, p. 250: «La validité des contrats ne commence qu’avec la constitution d’une puissance civile suffisante pour forcer les humains à respecter les conventions. Et c’est alors que la propriété corn mence aussi.» 366

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ιοο. Jean Duns Scot, Ordinatio in quartum Sententiarum , d. 14, q. 2, éd. L. Wadding, l.yon, 1669 {Opera om nia , t. 9), p. 149-163. 101. Robert Filmer, Patriarcha , éd. J. P. Sommerville, Cambridge University Press, 1991, traduction dans Franck Lessay, Le d éb a t Locke-Filmer, Paris, p u f , 1998. Rédigé avant 1642, le texte ne fut publié qu’en 1680, et suscita la réaction de Locke dans le premier traité Du Gouvernem ent civil. 102. G. Myrdal, The P olitical Elem ent in the developm ent o f economic theory , Londres, Koutledge &Kegan Paul, 1953 [1930] 103. Fundam ental C onstitution , § 112. 104. Alan Gallay, The Indian slave trade. The rise o f the english em pire in the am erican nouth, 1670-1717, Yale University Press, 2002, p. 44-50. C’est contre la volonté des Lords (|ue les colons se livrèrent au commerce d’esclaves indiens, vendus au Nord ou dans les Antilles, à partir de 1675. 105. David Ricardo, Des principes de Véconomie politiqu e et de Tim pôt , Paris, llnmmarion, 1993 [1821], ch. 1: «Adam Smith, who so accurately defined the original Nource of exchangeable value...» 106. Sur Ricardo, voir l’analyse insurpassable de Piero Sraffa, Production de marchan­ dises p a r des m archandises. Prélude à une critique de la théorie économique , Paris, Dunod, 1999 [i960]. 107. Des traductions en allemand, danois et français sont publiées dès les années 177817K0. Le même décalage dans la réception de Smith comme philosophe, puis comme économiste, s’observe en Allemagne, cf. W. Conze, «Arbeit», p. 176-181. 108. Emmanuel Siéyès, Qu’est-ce que le Tiers E tat?, ch. 1: «Tels sont les travaux qui sou­ tiennent la société. Qui les supporte? Le Tiers état.[...] chargé de tout ce qu’il y a de vraiment pénible, de tous les soins que l’ordre privilégié refuse d’y remplir»; Dire sur lu question du veto royal, à la séance du 7 septem bre 1789, Paris, Baudouin, 1798, p. 13-14: *les systèmes politiques aujourd’hui sont exclusivement fondés sur le travail; les facul­ tés productives de l’homme sont tout [...] Nous sommes donc forcés de ne voir, dans la plus grand partie des hommes, que des machines de travail. Cependant vous ne pouvez plis refuser la qualité de Citoyen, et les droits du civisme, à cette multitude sans instruc­ tion, qu’un travail forcé absorbe en entier.» Voir Catherine Larrère, L’Invention de l’éco­ nomie au x v ii i e siècle : du droit naturel à la physiocratie, Paris, puf , 1992, p. 289. 109. K. Marx, «Ébauche d’une critique de l’économie politique» (1844), in Id., Philosophie , p. 202-207. Sur la lecture de Smith par Hegel, voir Marie-Jeanne KönigsonMontain, «La première philosophie de l’esprit de Hegel», Revue des sciences philoso­ phiques e t théologiques, 85, 2001, p. 23-37; G.W.F. Hegel, Phénom énologie de l ’esprit, hiris, Aubier, 1991, p. 249-250; Id., Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard, 1940, p. 228-229. Sur le travail universel, Phénoménologie, p. 337,392-393. Iin. I. Kant, Prolégom ènes à toute m étaphysique fu tu re, Paris, Vrin, 1997, p. 18. in. K. Marx, Le C apital, 1, 1, dans Id., Œuvres. 1 Économie, éd. M. Rubel, Gallimard, p. 566. IIj. C. Castoriadis, «Valeur, égalité, justice, politique, de Marx à Aristote et d’Aristote à nous», dans Les Carrefours du labyrinthe, 1, Paris, Seuil, 1978, p. 325-413. Iij. Karl Marx, «Ébauche d’une critique de l’économie politique» (1844), in Id., Œuvres. Il Économie, Paris, Gallimard, 1966, p. 62-65. 114. Je reprends ici, en les synthétisant, les termes d’André Gorz, M étam orphoses du tra­ vail. Critique de la raison économique, Paris, Gallimard, 2004 [1988], p. 40-41. H',. C’est une critique que formule notamment Hannah Arendt, La Condition humaine, |i, 142-143· no. Castoriadis, «Valeur, égalité»», p. 344; Isaac Roubine, Essais su r la théorie de la Valeur de M arx, Paris, Syllepse, 2009. 117. Moishe Postone, Temps, travail e t dom ination sociale, Paris, Mille et une nuits, 2003 |l99,i| ; Robert Kurz, La Substance du capital, Paris, L’Échappée, 2019 [2004-2005]. UN. Pour reprendre la distinction des idéologies proposée par Karl Mannheim, Idéologie e t utopie, Paris, Éd. de la m s h , 2006 [1936]. 367

NOTES

119. Gaines Post, Kiron Giocarinis, Richard Kay, «The medieval heritage of a humanis­ tic ideal : “scientia dono dei est, unde non vendi potest"», Traditio, 11,1955, p. 195-234. 120. Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961 [1958]. La distinction proposée entre «le travail du corps» et «l’œuvre des mains» prend appui sur une expression employée une seule fois par Locke («The Labour of his Body and the Work of his Hands») qui ne semble pas leur attribuer de signification différenciée. 121. A. Supiot, La Gouvernance par les nombres, Paris, Fayard, 2015, ch. 8. 122. Antonio Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Paris, Seuil, 2019. 123. Aristote, Parties des animaux, 687a. Rappelons que le grec ancien qualifie d’un même mot (organon) les organes corporels et les instruments extra corporels. 124. Grégoire de Nysse, La Création de l’homme, Paris, Cerf, 2002, p. 112-113. 125. R. Desnos, «The Night of loveless nights» (1930), Fortunes, Paris, Gallimard, 1965, Ρ· 5 2 -5 3 ·

N OTE S DU C H A PI TR E III

1. Ce chapitre reprend, sous une forme légèrement modifiée, la première moitié d’un article, «Eve au fuseau, Adam jardinier», dans G. Briguglia, I. Rosier-Catach (éd.), Adam, la nature humaine, avant et après. Epistémologie de la chute, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p. 283-323. 2. Jane Barr, «The Vulgate Genesis and St Jerome’s attitude to women», Studia Patristica, 17,1982, p. 268-273. Plus généralement, sur les différentes versions de ce ver­ set, Hanneke Reuling, After Eden. Church Fathers and Rabbis on Genesis 3:16-21, Leyde, Brill, 2006, p. 32-38. 3. On croisera bien entendu de nombreux travaux qui ont éclairé certains aspects de la question, mais aucun ne l’a prise dans sa globalité. Je remercie pour leurs conseils dans cette enquête Chiara Franceschini, Delphine Galloy et Vicki-Marie Petrick. 4. Henri Bercher, Annie Courteaux, Jean Mouton, «Une abbaye latine dans la société musulmane : Monreale au x n e siècle», Annale e s c , 34/3,1979, p. 525-547. 5. T. Dittelbach, Rex Imago Christi. Der Dom von Monreale. Bildsprache und Zeremoniell in Mosaikkunst und Architektur, Wiesbaden, 2003 6. Ernst Kitzinger, I Mosaici dei periodo normanno in Sicilia. V. Il duomo di Monreale: i mosaici delle navate, Palerme, Accademia nazionale di scienze, lettere e arti di Palermo, 1996, planches 51, 53, 54: «Adam cepit laborare terram.» Pour des reproductions en couleurs, voir La cathédrale de Monreale. La splendeur des mosaïques, Paris, Cerf, 2013. 7. Beat Brenk, La Cappella Palatina a Palermo, Modène, Franco Cosimo Panini, 2010, vol. 1, p. 333, fig. 407. 8. Salvatore Settis, «Iconografia dell’arte italiana 1100-1500: una linea», in Storia dell Arte Italiana, I. Materiali e problemi, 3. L’esperienza dell’antico, dell’Europa, della reli giosità, G. Previtali (éd.), Turin, Einaudi, 1979, p. 175-270, voir p. 188-189 et fig. 242-244.

9. Louise-Elisabeth Queyrel, «Les chapiteaux du cloître de Monreale: la légitimation de la dynastie normande en Sicile (1166-1185)», Bulletin du centre d ’études médiévales d’Auxerre, 18, 2014 [en ligne : http://cem.revues.org/13404]. 10. Voir la campagne photographique réalisée par le Kunsthistorisches Institut in Florenz, http://cenobium.isti.cnr.it; le cycle de la Genèse orne le 20e chapiteau du cêté est. 11. Kurt Weitzmann, Herbert Kessler, The Cotton Genesis, Princeton University Press, 1986; K. Weitzmann, «The Genesis Mosaics of San Marco and the Cotton Genesis Miniatures», in Otto Demus (éd.), The Mosaics of San Marco in Venice, Chicago, 19H4, t. 2, p. 105-142. 12. Weitzmann &Kessler, p. 57-58; Anthony Cutler, «The end of antiquity in two ilium! nated manuscripts »Journal of Roman Archeology, 2,1989, p. 401-409, souligne le dangei de procéder à de telles inférences en prenant précisément l’exemple d’Ève filant (p. 406) 368

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II. Kessler admet désormais cette critique, «The Cotton Genesis and Creation in San Marco in Venice», Cahiers archéologiques , 53,2009-2010, p. 17-32. 13. Otto Demus, The M osaics o f San Marco in Venice, Chicago, University of Chicago Press, 1984; Penny H. Jolly, M ade in G od’s Im age? Eve and Adam in the Genesis M osaics at San Marco, Venice , Berkeley, University of California Press, 1997. 14. La seule représentation apparentée figure dans une initiale historiée de la Bible d'Autun (Autun, Bibliothèque municipale, s 197, f. 6), produite en Vénétie dans la Ncconde moitié du xme siècle. 15. Miriam Peskowitz, Spinning fan tasies. Rabbis, gender an d h istory , Berkeley, University of California Press, 1997. if). Nicole Boëls-Janssen, «La déesse au fuseau et la sacralisation du lanificium matro­ nal », dans Aere Perennius, H omm ages à H ubert Zehnacker , Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 55-70. 17. Mariarita Sgarlata, «Il sarcofago di Adelfia», dans Et lux fu it. Le catacom be e il sarcofago d i Adelfia, Palerme, Lombardi, 1998, p. 15-34. iH. Kristin B. Aavitsland, Imagining the human condition in m edieval Rome: The Cistercian fresco cycle a t A bbazia dette Tre Fontane , Famham, Ashgate, 2012, p. 80-81; H. L. Kessler, Old St Peter an d church decoration in m edieval Italy, Spoleto, cisam, 2002. 19. Dorothy Verkerk, Early m edieval Bible illumination and the Ashbum ham Pentateuch, Cambridge, Cambridge University Press, 2004. Ce manuscrit exceptionnel, peut-être produit en Afrique du Nord, est l’un des très rares qui montre Adam manœuvrant une charrue. 10. H. Kessler, «Hic Homo Formatur: The Genesis Frontispieces of the Carolingian Bibles », The A rt Bulletin, 53-2, 1971, p. 143-160; Id., The Illu strated Bibles fro m Tours, Princeton, Princeton University Press, 1977. 11. Augustin, De la Genèse au sens littéral, livre 9, ch. 5. 12. K. Aavitsland, Im agining the Human Condition, p. 83. 13. Il est présent dans les grandes «Bibles atlantiques» produites en Italie entre le milieu du xie siècle et la fin du x n e. 14. Jean Pépin, «Saint Augustin et le symbolisme néoplatonicien de la vêture», Augustinus M agister, 1, 1954, 292-301; Gil Bartholeyns, «L’artefact anthropologique mi Adam trois fois vêtu. Création et évolution dans le christianisme médiéval», dans A. Paravicini Bagliani (éd.), Adam , le prem ier hom m e, Firenze, Sismel (Micrologus, 45) *012, p. 255-276. 45. Origène, H om élies su r le Lévitique, M. Borret (éd., trad.), Le Cerf (sc 286), 1981, p. 277-279. A(>. Id., Contre Celse, M. Borret (éd., trad.), Le Cerf (sc 136) 1968, p. 288-90; Didyme l'Aveugle, Sur la Genèse, P. Nautin (éd., trad.), Paris, Le Cerf, 1976 (sc 233), p. 251. 47. Grégoire de Nysse, L’âm e e t la résurrection. Dialogue avec sa sœ u r Macrine, B. Pottier (Irad), Bruxelles, Lessius, 2001, p. 156-157. ah. Chiara Frugoni (éd.), Il Duomo d i M odena, Modena, Franco Cosimo Panini, 1999, vol. 1, p. 54-55, fig. 27 et 30, 31; Ead., «Chiesa e lavoro agricolo nei testi e nelle immaμΐηί dall’età tardo antica all’età romanica», in V. Fumagalli (éd.), M edioevo ru rale; sulle trucce della civiltà contadina, Bologne, Il Mulino, 1980, p. 331-342. A·). Prancesca Dell’Acqua, «The hidden sides of the Salerno ivories. Hypotheses about Ilu· original object program, and cultural milieu», dans Fr. Dell’Acqua e t al. (éd.), The Salerno ivories. Objects, histories, contexts, Berlin, Gebr. Mann, 2016, p. 211-239. in. Sur l’éventuelle provenance lombarde du motif, cf. Andreina Contessa, «Le Bibbie nitnlane di Ripoll e di Roda e gli antichi cicli biblici lombardi della Genesi», Arte tam barda, 140, 2004, p. 5-24. 31. George Henderson, «The sources of the Genesis cycle at Saint-Savin »,Journal o f the british Archeological Association, 26, 1963, p. 24; Michael Camille, «When Adam delW'd. Laboring on the land in English medieval art», in Del Sweeney (éd.), Agriculture In the M iddle Ages. Technology, practice an d representation, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1995, p. 247-276. M. Camille voit ici Abel et Caïn au travail. 369

NOTES

32. British Library, Cotton m s Claudius B iv, f. jv. Benjamin C. Withers, The illustrated Old English Hexateuch, Cotton Claudius B.iv: The frontier of seeing and reading in AngloSaxon England, Londres, British Library, 2007. 33. Vita latina Adae et Evae, J.-P. Pettorelli et J.-D. Kaestli (éd.), Turnhout, Brepols ( c c s l ) , 2012, p. 329. Les épisodes initiaux sont omis dans la version grecque traduite dans La Bible. Écrits intertestamentaires, Gallimard, 1987. Pour une comparaison entre les différents états du texte, voir J.-D. Kaestli, «La Vie d ’Adam et Eve. Un enchaînement d’intrigues épisodiques au service d’une intrigue unifiante», Analyse narrative et Bible, C. Focant et A. Wénin (éd.), Leuven, Peeters, 2005, p. 321-336. 34. Kurt Flasch, Le Diable dans la pensée européenne, Paris, Vrin, 2019, p. 61-62, souligne l’importance de ce texte dans la construction de la figure de Satan. 35. Leslie Brubaker, Vision and meaning in ninth-century Byzantium: Image as exege­ sis in the homilies of Gregory of Nazianzus, Cambridge, Cambridge University Press, 1 9 9 9 , p. 222. Il s’agit du cod. Paris, BnF, gr. 510, f. 52V. La Vie dAdam et Eve a circulé en grec sans ces premiers chapitres, ce qui a certainement entravé la diffusion de cette iconographie dans le monde oriental. Le même choix visuel n’apparaît que dans un unique manuscrit byzantin du ix e siècle réalisé vers 8 8 0 pour l’empereur Basile Ier le Macédonien, dans lequel Adam nu reçoit une fourche d’un archange qui se tient droit en face de lui. 36. G. Zarnecki, Romanesque Lincoln. The sculpture of the cathedral of Lincoln, Lincoln, Honywood, 1988, p. 45; Kristine Edmonson Haney, «Some Old Testament pictures in the psalter of Henri de Blois», Gesta, 24,1985, η. 31. 3 7 · Colette Stévanovich, La Genèse du manuscrit Junius xi de la Bodléienne, éd., Paris, A M A ES, 1992, p. 315, V. 9 5 2 -9 6 4 · 38. Timothy E. Powell, «The idea of the three orders of society and social stratification in Early Medieval England », Anglo-Saxon England, 23,1994, p. 103-132. 39. A. Contessa, «Le Bibbie», p. 15; Mira Friedman, «L’arche de Noé de Saint-Savin», Cahiers de Civilisation Médiévale, 40,1997, p. 123-143. 40. Christian de Mérindol, «Le cloître de Moissac. Trois enquêtes distributionnelles», Comptes rendus des séances de Va i b l , 2009,153-4, P· 1689-1750, p. 1706. 41. Parmi de rares cas plus tardifs, une Bible historiée produite à la fin du x n e siècle pour Sanche vu de Navarre montre le couple nu, maniant la bêche (Amiens, b m 108, f. 2v). Ils apprennent le labour d’un ange, vêtus de peaux de bêtes, dans une fresque de l’abbaye de Sigena en Aragon, réalisée par un artiste anglais au début du x m e siècle, selon Otto Pächt, «A Cycle of English Frescoes in Spain», Burlington Magazine, 103, 1961, p. 166-176. 42. Lejeu dAdam, Christophe Chaguinian (éd. et trad.), Orléans, Paradigme, 2014, p. 110-112. La proposition de Chiara Frugoni, qui fait dériver la sculpture de Modène du drame litur­ gique, paraît contredite par la chronologie. 43. Robert Favreau et al., Saint-Savin. L’abbaye et ses peintures murales, Poitiers, Connaissance et promotion du patrimoine de Poitou-Charentes, 1999. 44. George Henderson, «The Sources of the Genesis Cycle at Saint-Savin », Journal of the British Archeological Association, 26,1963, p. 11-26. 45. Dominique Cardon, La draperie au Moyen Age. Essor d ’une grande industrie euro péenne, Paris, c n r s Editions, 1999, p. 221-229. 46. Dans la Genèse de Vienne du vie siècle (Wien, Österreichische Nationalbibliothek, cod. theol. gr. 31, f. i6r), la femme de Putiphar file avec une telle quenouille courte, tenue au-dessus du fuseau, dans un geste très différent des Èves médiévales. 47. Paris, Bibl. Mazarine, 36, f. 6; Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, 8, f. 7V; Reims, Bibliothèque municipale, 34. Voir aussi les vitraux de l’église de Normée (commune de Fère Champenoise, Marne). 48. À propos de ce manuscrit, voir M. Camille, «Labouring for the Lord; the plough man and the social order in the Luttrell psalter», Art History, 10,1987, p. 423-454. 49. Yvonne Labande-Mailfert, «Le cycle de l’Ancien Testament à Saint-Savin», Revue d ’histoire de la spiritualité, 50, 1974, p. 369-396, considérait que cet espace devait être

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rempli par Adam maniant une charrue, comme dans le Pentateuque de Tours, qui a Inspiré les fresques de Saint-Julien de Tours, solution que rejette G. Henderson, suivi pnr Yves Christe, dans R. Favreau, Saint-Savin , p. 121. 50. K. Edmondson Haney, «Some Old Testament Pictures in the Psalter of Henri de lllois», G esta , 24,1985, Ρ· 3 3 -4 5 î Londres, British Library, Cotton Nero c iv, f. 2r. ili. K. Galbraith, «The iconography of the biblical scenes at Malmesbury Abbey», Journal o f the British Archeological A ssociation , 28, 1965, p. 39-56. Voir également le ( .’arrow Psalter, Baltimore, Walters Art Museum w 34, f. 22v, East Anglia (ca. 1250). Dans le portail de Lincoln, seul un sachet contenant les semis, tenu par une main divine apparaît en l'air, à la gauche d’Adam. 1)2. Voir aussi un vitrail de la cathédrale de Lincoln dans Jasmine Allen, «Adam digging and Eve spinning», Vidimus , 28,20o8 [en ligne: http://vidimus.org/issues/issue-28]. *13. M. Camille, «When Adam Delved», p. 254, fig. 34. Entre autres exemples anglais peu connus, voir les peintures murales de St Agatha, Easby, Yorkshire, ou celles de Bledlow, liuckinghamshire, c.1300, clichés de Anne Marshall, http://www.paintedchurch.org/. 34. Andrée Mazure, «Le thème d’Adam et Eve dans l’art», dans J.-D. Rey, A. Mazure, J. M. Lacroix (éd.), A dam e t Eve, Paris, Mazenod, 1967, p. 113-114. Pour la diffusion dans le bassin parisien au milieu du xme siècle, voir Linda Morey Papanicolaou, «The ico­ nography of the Genesis window of the cathedral of Tours», G esta , 20, 1981, p. 1791H9; Franck Thénard-Duvivier, Images sculptées au seuil des cathédrales. Les p o rta ils de Houen, Lyon e t Avignon ( x m e- x i v e siècles), Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2012 [en ligne: http://books.openedition.org/purh/845, § 36]. 55. Interrogation de la base Mandragore de la Bnf: http://mandragore.bnf.fr/html/ ticcueil.html. H6. Chapiteau de la cathédrale de Parme, sculpté par Benedetto Antelami dans la Ncconde moitié du x n e siècle: Eve file debout, devant Adam bêchant, tous deux torse nu. »17. George Zarnecki, Rom anesque Lincoln , p. 43-47. La datation la plus récente conclut Aune pose des panneaux dans les années 1140. Pour une confrontation des deux réaliN U tio n s , voir Chiara Frugoni, «Modena-Lincoln: un viaggio mancato», dans Wiligelmo e lanfranco nell’Europa rom anica , Modène, Panini, 1985, p. 55-65. flH. Perrine Mane, Calendriers e t techniques agricoles (France-Italie, x i i e- x m e siècles), Paris, Le Sycomore, 1983. ty). J. Le Goff, «Pour une étude du travail», dansLavorare n e lM e d io Evo, p. 9-33. (m. D. Cardon, La Draperie, p. 211-231. fil. Leyde, Universitaire Bibliotheken, bpl 7 6 A. ta. Dans les Bibles romanes d’Alard (Valenciennes, bm 9], de Marchiennes (Douai, ιιμ,ι) et Anchin (Douai, bm 2). (ij. Rosalie B. Green, «Adam and Eve cycle in the H ortus deliciarum », dans K. Weitzmann (éd.), Late Classical an d M ediaeval Studies in H onor o f A lbert M athias FriendJr, Princeton University Press, 1955, p. 340-347. Î14. André de Saint-Victor, Expositio su per H eptateuchum , C. Lohr, R. Berndt (éd.), 'Uirnhout, Brepols (cccm, 53), 1986: «Fecit quoque Deus (angelico ministerio) tunicas pelliceas ad lanearum distantiam et in du it eas, ne de nuditatis suae turpitudine irreme(Ilabiliter dolerent.» 1)5. Pierre Comestor, H istoria scholastica, c. 24 (pl 198,1074-75). (*(*. Henri de Gand, Lectura ordinaria super Sacram Scripturam, R. Macken (éd.), I eiiven University Press, 1980, p. 243. (»7. Petrus Johannis Olivi, Lectura su per Genesim, éd. David Flood, St. Bonaventure, Iranciscan Institute Publications, 2008, commente ainsi, p. 160: «Eos quidem induit propter eorum necessitatem et aliqualem in eos ostendendam pietatem et spem pro­ tectionis ac reparationis.» fiH. Louis Réau, Iconographie de Vart chrétien, Paris, puf, 1953, confond les deux scènes. ( m). La conservation de cette vêture dans les mosaïques du baptistère de Florence (ni. 1280) est un archaïsme volontaire. 371

NOTES

70. Linda Morey, Papanicolaou, «The iconography», ne relève pas l’intérêt de cette image. 71. Même association dans les splendides voussures du portail de la collégiale SaintThiébaut à Thann (xve s.). 72. Jean Rocacher, «Les relations entre l’iconographie de la Genèse et les peintures du massif occidental de la cathédrale de Cahors», in Le décor des églises en France méridio­ nale, Toulouse, Privat (Cahiers de Fanjeaux, 28), 1993 p. 233-254. 73. K. B. Aavitsland, Imagining the Human Condition, p. 93-99. 74. Ludovic Nys, «Le testament artistique de Giotto. Les reliefs hexagonaux du cam­ panile de Florence», in Le verbe, l’image et les représentations de la société urbaine au Moyen Age, M. Boone, É. Lecuppre-Desjardin, J.-P. Sosson (éd.), Anvers, 2002, p. 87-106. 75. Jean Gerson, Opera oratoria (Œuvres complètes, P. Glorieux éd., t. 5), p. 222: «Sic dici­ tur Gen. quod Dominus fecit ipsi Adae tunicas pelliceas, hoc est ut opinari fas est, fieri docuit sicut parare cibos, uti medicis, colere agros et ita de reliquis.» 76. M.-D. Chenu, «Civilisation urbaine et théologie. L’école de Saint-Victor au x iie siècle», Annales ESC, 29, 1974, p. 1253-1263; M. Arnoux, Le temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (x n e-xive siècles), Paris, Albin Michel, 2012, 77. Richard de Saint-Victor, Liber Exceptionum, éd. J. Chatillon, Paris, Vrin, 1958, p. 104-106. 78. François Sigaut, Comment Homo devint Faber, Paris, c n r s Editions, 2012. La dis­ tinction n’échappait pas aux contemporains. Dans ses notes citées plus haut, André de Saint-Victor souligne bien que les tuniques de peau ne sont pas des habits tissés. 79. J. Le Goff, «L’immaginario di Wiligelmo», dans Wiligelmo e Lanfranco, p. 13-22, voir p. 19. 80. P. H. Jolly, Made in God’s Image, p. 61-62. 81. Joanne D. Sieger, «Visual Metaphor as Theology: Leo the Great’s sermons on the incarnation and the arch mosaics at S. Maria Maggiore», Gesta, 26,1987, p. 85-86. 82. Émile Mâle, L’Art religieux du x m e siècle en France, étude sur l’iconographie du Moyen Âge et sur ses sources d’inspiration, Paris, Leroux, 1898, p. 317. Pour une attes­ tation carolingienne, cf. Suzanne Lewis, «A Byzantine virgo militans at Charlemagne’s court», Viator, 11,1980, p. 71-93. 83. Interrogation de la base «Enluminures», http://www.enluminures.culture.fr. Dans les manuscrits conservés dans les bibliothèques publiques françaises, Marie ne file jamais; elle apparaît le plus souvent les mains ouvertes, puis avec un livre à partir du dernier quart du xne s. 84. Marlène Albert-Llorca, «Les fils de la Vierge. Broderie et dentelle dans l’éducation des jeunes filles», L’Homme, 35,1995, p. 99-122. 85. Heiric d’Auxerre, Homiliaeper circulum anni, horn. 5, 12: «Sicut per primam mors, ita per hanc uita intrauit in mundum. » 86. Mathieu Arnoux, Le temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (x ie-xivesiècles), Paris, Albin Michel, 2012. 87. Vitraux de Thann. 88. Shakespeare, Hamlet, V, 1: «There is no ancient gentlemen, but gardeners, ditchers and gravemakers: they hold up Adam’s profession.»

N O T E S D U C H A P I T R E IV

1. Lynn White Jr, Les Racines historiques de notre crise environnementale, Paris, p u f , 2018 [1967]. Voir L’Occupation du monde, p. 33-39. Le présent chapitre constitue une version totalement refondue et augmentée de la seconde partie de l’article «Éve au fuseau, Adam jardinier». Les éditions anciennes ont été consultées en version numérisée sur différents sites, notamment Archive.org et Gallica.bnf.fr. 2. Jeremy Cohen, “Be fertile and increase, fill the Earth and master it’’. The ancient and medieval career of a biblical text, Ithaca, Cornell University Press, 1989. 372

PAGES 9 6 -1 0 6

,|. Peter Harrison, «Subduing the earth: Genesis 1, Early Modern science, and the exploitation of nature», Journal o f Religion, 79, 1999, p. 86-109. Voir aussi, Joanna Plcciotto, «Reforming the garden. The experimentalist Eden and paradise lost», Knglish Literary H istory , 72,2005, p. 23-78, qui ne connaît pas les travaux de P. Harrison. 4. Francis Bacon, Novum organum , trad. M. Malherbe et J.-M Pousseur, Paris, p u f , 1986, p. 73: «Cette science naturelle pure et immaculée, par laquelle Adam a imposé les noms aux choses selon leur propriété», et 11,52, p. 334. fl, John Donne, «To sir Edward Herbert», lignes 33-34: «Our business is to rectifie/ mi!ure to what she was», cité par P. Harrison, «Subduing», p. 104. Λ, Joseph Glanvill, Scepsis scientiflca , Londres, Eversden, 1665, p. 18: «To know the ways of captivating nature, and making her subserve our purposes and designments. » 7, Dans ces différents articles, J. Le Goff signale ce verset, mais sans approfondir son Interprétation. La seule étude systématique de sa réception porte sur une période très restreinte: Emmanuel Bain, «Au paradis pour cultiver la terre? Le “travail” d’Adam au XIIe siècle», Revue d ’A uvergne, 619, 2014, p. 175-192. H,John Black, The Dominion o f man. The search f o r ecological responsibility, Edinburgh University Press, 1970. I). Bourg, Une nouvelle Terre, Paris, Desclée de Brouwer, 2018 ;Pape François, L audato s i ’. Sur la sauvegarde de la m aison commune, § 67, Paris, Parole et silence, 2015, p. 53. 10. Seul un auteur du xvn e siècle emploie ce terme, le juge Matthew Hale, The M m itive Origination o f mankind, considered and exam ined according to the light o f nature, London, W. Godbid, 1677, p. 317: «As soon as he had created him, gave him this

Inferior World, as his Usufructuary and Steward at least.» 11. John B. Callicott, Genèse. La Bible e t l’écologie, Marseille, Wildproject, 2009 [1991]. 12. Martin Luther, Biblia, Wittemberg, Hans Lufft, 1534: «Und Gott der h e r r e nam den Menschen und satz in inn den Garten Eden, das er in bawet und bewaret.» La traduc­ tion du Pentateuque était achevée dès 1524. Elle a été mise à profit par Ulrich Zwingli, Dus Alt Testam ent zuo teütsch, Zürich, Froschauer, 1527, p. 4: «Und Gott der h e r r nam den menschen und satz jn in den garten Eden, das en in bauwete un bewarte.» 13. Pierre Robert Olivétan (trad.), La Bible qui est toute la sainte Escripture, [Neuchâtel, Pierre de Wingle], 1535, f. 1: «Or le Seigneur Dieu print l’homme et le colloqua au iardln de Eden, pour le cultiver et le garder. »Jacques Lefèvre d’Étaples disait: «Affin qu’il nnvrast et qu’il le gardist», La Saincte Bible en Françoys, Anvers, L’Empereur, 1530, f. îv. 14. William Tÿndale (trad.), The Pentateuch, [Anvers, Johan Hoochstraten], 1530, f. iii: • And the l o r d God toke Adam and put him in the garden of Eden, to dresse it and to kepe it.» Cette traduction est reprise par la Bible de Genève [1560], accompagnée de cette glose: «God wolde not haue man ydle, thog as yet here there was no nede to labour» («Dieu n’a pas voulu laissé l’homme oisif, bien qu’il n’y ait encore eu nul licNoin de travailler»). ift. Francis Bacon, Essais, Paris, Aubier Montaigne, 1972, p. 327: «Dieu tout-puisxanl commença par planter un jardin, et c’est en effet le plus pur de tous les plaisirs humains. C’est le plus grand rafraîchissement pour l’âme de l’homme, et sans lui tous le* édifices et palais ne sont que des bâtisses grossières.» Voir Keith Thomas, Dans le jardin de la nature. Les m utations des sensibilités en Angleterre à l ’époque m oderne (15001H00), Paris, Gallimard, 1985. •f·. Jacqueline Chabbi, On a p erdu Adam. La création dans le Coran, Paris, Seuil, 2019. I/, Martin Luther, Controverse au su jet des forces e t de la volonté de l ’homme sans la grâce I·»-,171 et Quatre-vingt-quinze thèses [1517], dans Œ uvres, 1.1, éd. M. Lienhard, M. Arnold,

Paris, Gallimard, 1999. ill. Thomas Murner, Vom dem großen Lutherischen Narren [1522], éd. Th. Neukirchen, Heidelberg, Winter, 2014. 19. M. Luther, De la liberté du chrétien, Ibid., § 22, p. 854. 20. M. Weber, L’Éthique p ro testa n te e t l ’esprit du capitalism e, Paris, Gallimard, 2003. 21. M. Luther, Com m entaire du livre de la Genèse, Genève, Labor et fides (Œ uvres, 1.17), BJ7 ÎÏ. p-104-105. 373

NOTES

22. Ph. Melanchton, Loci communes rerum theologicarum, Bâle, 1561 [1523], p. 278-279: «Ainsi chaque membre de l’Église ressent la plus haute de toutes les vocations, d’être membre du peuple de Dieu...» 23. Ph. Melanchton, De articulisfidei [Confession d’Augsbourg], 1531, art. 18 ; Id., In obscu­ riora aliquot capita Geneseos annotationes, Haguenau, Secerius, 1523 [non paginé, sur Plantaverat autem dominus]. 24. Johann Œcolampades, In Genesim Enarratio, Bâle, [Bebel] 1536, f. 34V; Huldrych Zwingli, Farrago annotationum in Genesim, Zurich, Froescher, 1527; Wolfgang Musculus, In Mosis Genesim plenissimi commentarii, Bâle, Hervagios, 1554, p. 62.

Certains passages de ces différents auteurs sont repris, avec Luther et Calvin, dans Genesis cum catholica expositione ecclesiastica, éd. Aug. Mariorat, Paris, Estienne, 1562, p. 20. 25. J. Calvin, Commentaire sur le premier livre de Moyse dit Genèse, Genève, Gérard, 1554, P· 3 5 · 26. Ibid. 27. Sur ces thèmes, voir aussi, J. Calvin, L’Institution chrétienne, 11, 8,45-46. 28. Son fils, François du Jon (Franciscus Junius junior), pionnier de la philologie ger­ manique, légua à la Bibliothèque Bodleian sa collection de manuscrits parmi lesquels se trouve le fameux codex Junius 11 dont il a été question au chapitre précédent. 29. Biblia sacra, Hanovre, Wechel, 1596, p. 3: «Collocavit ipsum in horto Hedenis, ad colendum eum et ad custodiendum eum.» 30. Fr. Junius, Prôtoktisia, seu Creationis a Deo factae et in ea prioris Adami, Heidelberg, 1589, p. 108-109: «Tum labore acquirendi, tum res labore partas conservandi ad usum et necessitatem praesentis vitae. [...] simpliciter id docet Adami exemplo, oportere ut homo quisque se occupet in actionibus legitimis.» Cinq ans plus tard, il emploie le mot «occupatio» dans son Libri Geneseos analysis, Genève, Sanctandreana, 1594, p. 20. 31. On trouvera un accès commode à la plupart de ces oeuvres dans la Post-Reformation Digital Library [en ligne: http://www.prdl.org]. 32. Peter Harrison, The Bible, protestantism and the rise of natural science, Cambridge University Press, 2001; Joanna Picciotto, Labors of innocence in early modern England, Harvard University Press, 2010, qui ne connaît toujours pas les travaux de P. Harrison. 33. Francis Bacon, Du Progrès et de la promotion des savoirs, Paris, Gallimard, 1991 [1605], p. 49: «Quand la création fut achevée, il nous est exposé que l’homme fut mis dans le jardin pour y travailler. Le travail qui lui fut alors imparti ne pouvait être autre chose qu’un travail d’étude, c’est-à-dire une tâche ayant pour seules fins l’exercice et l’expérience, et non la nécessité [...] l’homme devait donc nécessairement s’employer au plaisir d’expérimenter, et ce ne pouvait être une affaire de labeur en vue de l’utile.» 34. G. Walker, The History of the creation as it is written by Moses in the first and second chapters of Genesis, Londres, Bartlet, 1641, p. 247-248. Andrew Willet, Hexapla in Genesin, Londres, Havilland, 1633, p. 26, emploie des termes identiques à ceux d’Au­ gustin: «In which kinde of husbandrie many even now doe take a delight, and hold it rather to bee a recreation, than any wearinesse unto them. » 35. G. Walker, Ibid. : «If wee bee idle and negligent in honest and good labour, our per­ verse, rebellious and restlesse nature will lead us into evill exercises and wicked works.» 36. John Milton, Le Paradis perdu [1674], trad. Chateaubriand, Paris, Gallimard, p. 125-133. 37. Steven Shapin, Une Histoire sociale de la vérité. Science et mondanité dans l’Angleterre du x v n e siècle, Paris, La Découverte, 2014 [1994], p. 73-78. 38. John Salked, A Treatise of Paradise and the principal concents thereof, Londres, Butter, 1617, p. 143-144· 39. Johannes Piscator, Commentarius in Genesin, Herborn, Corvin, 1611, p. 57-58. Sur la révolte de 1381, voir Rodney Hilton, Bond men made free. Medieval peasant movements and the english rising of 1381, Londres, Methuen, 1373. 40. Gerrard Winstanley, The Complete Works, éd. Th.N. Corns, A. Hughes, D. Leowenstein, Oxford University Press, 2009, 2 vols., voir en particulier The mysterie 374

PAGES 106-111

i f God concerning the whole creation, The Sain ts P aradise, A Declaration to the Powers o f Kngland. Une édition française des textes de Winstanley, édités et traduits par Laurent

( ,'urelly et Mickaël Popelard, est à paraître aux éditions Zones sensibles en 2022. 41. (iuy Bedouelle, Bernard Roussel (éd.), Le Temps des Réformes e t la Bible, Paris, lienuchesne, 1989, p. 53-123. 42. Michael O’Connor, C ajetan’s biblical commentaries. M otive an d m ethod , Leyde, Brill, 1017, p. 138-143· 43. Johannes Reuchlin, De rudim entis hebraicis, Pforzheim, Anshelm, 1506, p. 54, qui traduit donc : «Ut operaretur et custodiret illam. » 44. Thomas de Vio Caietanus cardinalis, In Pentateuchum M osis , Rome, Bladio, 1531, p. 12. Benedictus Pererius, Com mentariorum e t disputationum in Genesim , Lyon, Cardon, 1607, p. 434. 45. W. Musculus, In M osis Genesim, p. 62: «In similitudinem heri alicuius qui mun­ dum suum colono alicui certis conditionibus locat»; David Pareus, In Genesin M osis commentarius , Francfort, Rhodius, 1609, c. 372; Cornelius a Lapide, Com m entaria In Pentateuchum M oysis , Anvers, Nutius & Meursius, 1616, p. 89 ; Laurent de Brindisi, Kxplanatio in Genesim [ca. 1585], in Opera om nia, vol. 3,1959, p. 234 ; Antonio Escobar y Mendoza, Com m entarii litterales e t m orales in Pentatheucum , Lyon, Borde, Arnaud et Klgaud, 1670, p. 52. 4. Francisco Suarez, De opere sex dierum , Lyon, Boissat, 1635, III, q. 6, p. 140 : «Ut ope­ raretur et custodiret illum, id est, ut ipsum coleret corporali et suavi exercitatione, et honesta corporis occupatione sine labore, ut sancti statim citandi interpretantur.» 47. C. a Lapide, C om m entaria, p. 89. 4N. À titre d’exemple, dans sa paraphrase de la Genèse, l’Arétin ne trouve aucune mntière à amplifier ce verset, à la différence de tous les autres, cf. Il Genesi d i M. Pietro Aretino, Venise, Francesco Marcoloni, 1539, p. 10: «In cosi alta parte fu posto lhuomo du Dio magno, accio che la coltivasse et guardasse.» 49. Marin Mersenne, Quaestiones celeberrim ae in Genesim, Paris, Cramoisy, 1623, ι\ 1183-84. no. l a Sainte Bible en latin e t en fran cois, trad. Louis-Isaac Le Maître de Sacy, Paris, Desprez et Desessartz, 1717, p. 3: «Le Seigneur Dieu prit donc l’homme et le mit dans le paradis des délices, afin qu’il le cultivât, ce qu’il aurait fait sans peine, et qu’il le gardât, pour lui-même, en se rendant digne par son humble obéissance d’y demeu­ rer toujours.» Cette inflexion est conforme à l’usage de Jansenius, Augustinus, Louvain, Zegers, 1640, c. 161b: «Par ce qui est ajouté “et le garde”, il est signifié de quelle opéra­ tion il s'agissait. En effet, dans la tranquillité de la vie bienheureuse, dont la mort est absente, toute opération revient à garder ce que tu possèdes.» ni. I. Kant, Conjectures su r le comm encem ent de Vhistoire humaine [1786], dans Id., Histoire e t politiqu e, Paris, Vrin, 1999, p. 101-116. ni. Voltaire, Candide ou l ’optim ism e, Paris, Magnard, 1985, p. 306: «Je sais aussi, dit t imdide, qu’il faut cultiver notre jardin. - Vous avez raison, dit Pangloss; car quand l'homme fut mis dans le jardin d’Eden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travail­ lai ; ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. - Travaillons sans raisonner, dit Martin, c’est le seul moyen de rendre la vie supportable.» Nicholas Cronk, «Arouet, poêle épicurien. Les voix de l’épicurisme dans la poésie de jeunesse de Voltaire», Dixhuitième Siècle, 35,2003, p. 157-170. A.|. Jean-Baptiste Duroselle, Les D ébuts du catholicism e social en France (1822-1870), Fin is,

pu f

, 1951.

VI· Henri-Dominique Lacordaire, Conférences de Notre-Dame de Paris, Paris, Sagnier et Miny, t. 3,1848, p. 227: «Travailler, c’est faire. On peut faire avec peine: mais la peine n'est pas l’essence du travail. Son essence se résume dans ce mot énergique et glo­ rieux: Faire. Or, vous ne pensez pas que Dieu, qui a tout fait, eût destiné l’homme à une immortelle oisiveté.» AV Decreta concilii provincialis P arisiis h abiti, Paris, Lecoffre et Le Clère, 1850. Al». M andem ent de M onseigneur l ’archevêque de Paris, Paris, Le Clère, 1851, p. 34. 375

NOTES

57. P.-J. Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l'Église, nouveaux principes de philosophie pratique , t. 2, Paris, Garnier, 1858, t. 2, p. 166-170. Sur ce texte, voir Paul Vignaux, «Travail et théologie. Notes en marge de Proudhon », Journal de Psychologie, 1,1948, p. 65-68, dans les actes d’un colloque organisé par Ignace Meyerson à Toulouse en 1941. Voir I. Gouarné (éd.), Les Sciences sociales face à Vichy. Le colloque «Travail et Techniques» de 1941, Paris, Classiques Garnier, 2019. 58. Daniele Menozzi, «Un patrono per la Chiesa minacciata dalla rivoluzione: nuovi significati del culto a san Giuseppe tra Otto e Novecento», Rivista di storia del cristianesimo, 2, 2005, p. 39-68. 59. José Maria Escriva, Chemin, Paris, Casterman, 1957 [1939], § 359: «À l’exercice habituel de ta profession, ajoute un motif surnaturel et tu auras sanctifié le travail»; Id., Amis de Dieu, Paris, Fayard, 1981 [1977], § 55: «Le travail de chacun d’entre nous, cette tâche qui occupe nos journées et nos énergies, doit être une offrande digne du Créateur, operatio Dei, travail de Dieu et pour Dieu: en un mot, une activité bien accomplie, irréprochable.» 60. Chemin, § 825: «Continue à remplir exactement tes obligations présentes. - Ce tra­ vail humble, monotone et minime est une prière condensée en actions et te dispose â la grâce de l’autre tâche, grande, large et profonde dont tu rêves.» 61. Amis de Dieu, § 57. 62. Sur l’origine de la formule pétainiste, «Travail, famille, patrie», voir Albert Kéchichian, Les Croix-de-feu à /’âge des fascismes: Travail, famille, patrie , Seyssel, Champ Vallon, 2006. 63. Baruch Spinoza, Lettre 19, dans Traité politique, Lettres, Paris, Garnier Flammarion, 1966, p. 183. 64. Augustin, La Genèse au sens littéral. De Genesi ad litteram , éd. J. Zycha, trad. A. Agaësse, A. Solignac, Paris, Desclée de Brouwer, 1972, p. 35. Sur ce texte, voir Jean-Marie Salamito, «Travail et travailleurs dans l’œuvre de saint Augustin», dans D. Mercure et J. Spurk (éd.), Le Travail dans l'histoire de la pensée occidentale, Québec, Presses de l’université Laval, 2003, p. 33-59. 65. Augustin, La Genèse au sens littéral, vm , § 15, p. 34-40. Voir aussi, ix, 15-16. 66. Ibid., vm , § 18, p. 39. 67. Ibid., vm , § 22, p. 42. 68. Ibid., vm , § 25-27, p. 48-50: «Est alius in his verbis sensus, quem puto non imme­ rito praeponendum, ut ipsum hominem operaretur Deus et custodiret.» 69. Jean Chrysostome, Homelies 14, p g 53, c. 115. 70. Ambroise, De paradiso, éd. C. Schenkl (c s e l , 32), 1897, p. 281: «Operibus noua quae­ rat et parta custodiat.» Dans le même sens, Pierre de Celle, Sermones, p l 202, c. 732: «Parum est enim operari, nisi custodias quod operatus fueris»; Gautier de Saint-Victor, Sermones, éd. J. Châtillon (c c c m 30), 1975, p. 163-164: «Multi magna operantur, et quia diligentiam circa ea quae faciunt non habent, totum fructum amittunt [...] ut operare­ tur et custodiret, sine qua custodia fructu careret. » 71. Grégoire le Grand, Morales surJob, χιχ, 21, éd. M. Adriaen (c c s l 143A), 1979, p. 984. 72. Isidore de Séville, Mysticorum expositiones sacramentorum, p l 83, c. 217. 73. Gilbert Dahan, L'Exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval, x n e-xive siècles, Paris, Cerf, 1999. 74. Biblia sacra cum Glossa et postilla, Anvers, Meursius, 1634, p. 73. 75. Bède le Vénérable, Libri quattuor in principium Genesis, éd. C. W. Ones (c c s l , 118A), 1967, p. 50-51; Raban Maur, Commentaria in Genesim, p l 107, c. 480-481; Angelôme de Luxeuil, Commentarius in Genesin, p l 115, c. 132-133; Rémi d’Auxerre, Expositio super Genesim, eéd. B. Van Name Edwards (c c c m 136), p. 43. 76. Pierre Comestor, Scolastica Historia. Liber Genesis, éd. A. Sylwan (c c c m 191), 2005, p. 32. 77. Étienne Langton, Postilla in Genesim, Paris, b n f lat. 355, f. gv: «In paradyso ut opera­ retur mentem excolando et a viciis separando, et hoc per exercitium boni, et custodiret per evitationem mali, et hec sunt due partes iusticie, declinare a malo et facere bonum.» 376

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78. Hugues de Saint Cher, Postilla su per Genesim, Paris, b n f , lat. 357, f. lira: "Operaretur dominus in se...» Dans la même génération, l’équipe de franciscains qui produit la Sum m a Fratris Alexandri privilégie également cette réponse (Quaracchi, Coll. S. Bonaventurae, 1928, p. 375). 79. Thomas d’Aquin, In II Sententiarum , Dist. 17, q. 3, art. 2 ; Id., Sum m a theologiae , Ia, (|. 102, art. 3. Ho. Nicolas de Lyre, Biblia sacra cum Glossa , Anvers, Keerberg, 1617, p. 1634. Voir aussi Nicolas de Gorran, In Genesim , b n f lat. 14416, f. 24vb; Dominique Grima, Super Genesim , Paris, b n f lat. 365, f. 44vb. Ht. Albert le Grand, Com m entarii in tertium librum Sententiarum , Paris, Borgnet, 1894 [Opera om nia , t. 28), p. 248: «Licet Adam omnium naturarum habuerit scientiam, quod Inmen profecerit in cognitione experimenti. Ergo a simili, licet Christus scientiam Imbuerit omnium, etiam cognitione experimenti proficere potuit.» 82. Pauca p rob lem a ta de enigm atibus ex tom is canonicis, éd. G. MacGinty (cccm 173), 2000, p. 188: «Non opus ei laborare neque custodire paradissum ante peccatum.» 83. Jean Scot Érigène, Periphyseon, éd. É. Jeauneau (cccm 164), 1996, t. 4, p. 106-109. 84. Robert de Liège, Com m entaria in evangelia san cti Iohannis , éd. H. Haacke (cccm 9), 1969, p. 327. 83. !d., De Gloria et honore filii hom inis su per M attheum , éd. H. Haacke (cccm 29), 1979, p . 415. Cf. John Van Engen, R upert c f D eutz , Berkeley, University of California Press, 1983, p. 354-357. La question d’un monde sans péché est déjà soulevée peu avant par Anselme de Canterbury. 86. Robert de Liège, De sancta trin itate e t operibus eius , éd. Η . Haacke (cccm 21), p. 221-222. 87. Ibid. : « Igitur et uere bonus et sapiens deus et prior dedit et cum rationabili condi­ tione dedit paradisum homini caelum angelo.» 88. Bruno d’Asti, In Genesim , PL 164, c. 164A «Et quia otiositas inimica est animae, ne otiose vivat, operari jubetur»; échos chez Aelred de Rievaulx, Serm ones , éd. G. Raciti ( c c c m 2c ), t. 3, p. 611; Irimbert d’Admont, H om iliae dom inicales , p l 174, c. 150. 89. Pierre Abélard, Expositio in Hexameron, éd. M. Romig, D. Luscombe (cccm 15), 1004, p. 96. 90. Jeu d A d a m , éd. Ch. Chaguinian, Orléans, Paradigme, 2014, p. 78 et p. 86: «Ne munIc·ras jâmes plus halt? Molt te porras tenir por chier/Quant Deus t’a fet son jardenier! Deus t’a feit gardein de son ort,/Ja ne querras altre déport?» 91. Frnaud de Bonneval, De operibus sex dierum , p l 189, c. 1536C. 92. Ibid., c. 1536D. 93. Philippe de Harvengt, Responsio de salu te p rim i hom inis , p l 203, c. 593-622. 94. Hugues de Boves (ou d’Amiens), Tractatus in H exaem eron , Troyes, Médiathèque, rod. 423, f. ii3ra: «Operatur terram non creando eam, se exercendo congruis laboribus et fecundando surculis atque seminibus. Et facit suam quam reddit excultam» (pour corriger l’édition de Fr. Lecomte, Archives d ’H istoire Doctrinale et Littéraire du Moyen V . t. 25,1958, p. 235-294). 95. Baudouin de Forde, Serm ones , éd. D.N. Bell (cccm 99), 1991, sermo 14, p. 212: In qua re homini exemplum proposuit, ante peccatum sine labore operandi, et postmodum quiescendi.» Il est possible que cette interprétation soit fondée sur une connaissance de la tradition juive qui comprend le séjour en Éden comme un repos. 96. Cf. E. Bain, «Au paradis pour cultiver», p. 184. 97. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis Christiane fidei , éd. R. Berndt, Münster, Aschendorff, 2008, p. 154: «Foris etiam in terre culturas sive in arando, sive in semiiumdo, sive in plantando, et caeteris huiusmodi operibus quibus natura bona exculta profectum capit in melius, primum hominem non ad laborem, sed ad delectationem exercendum, ut et opus esset ad delectationem, et exemplum ad eruditionem.» L’idée il tiinélioration est redoublée par les termes profectum in melius. 98. Ibid., «Nam et intus similiter quaedam terra erat quae bona quidem creata erat, et lumen si bene excoleretur adhuc melior esse poterat.» 377

NOTES

99. Hugues de Saint-Victor, Didascalicon. L’art de lire, Paris, Cerf, 1991. Voir G. Dahan, L’Exégèse, p. 239-240.

100. Après avoir accordé la préférence à l’action divine en Adam, Henri de Gand accepte le sens littéral quelques pages plus loin, cf. Lectura ordinaria super Sacram Scripturam, éd. R. Macken, Leuven University Press, 1980, p. 196-198, 206. Le commentaire attribué par erreur à Guillaume d’Alton, Paris b n f lat. 526, f. iora, ne retient que ce sens. 101. L’Occupation du monde, p. 160-176. 102. Pierre de Jean Olivi, Lectura super Genesim, éd. D. Flood, St. Bonaventure, f i p , 2008, p. 111. 103. [Anonyme de Zélande], Lectura super Genesim, in Thomas d’Aquin, Opera omnia, Parme, Fiaccadori, 1868, t. 23. Sur ce texte, voir S. Piron, «Note sur le commentaire sur la Genèse publié dans les oeuvres de Thomas d’Aquin», Oliviana, 1, 2003 [en ligne: http://oliviana.revues.org/22]. 104. P. J. Olivi, Lectura, p. 111. 105. Bernardin de Sienne, Tractatus de Spiritu sancto et de inspirationibus, Quaracchi, Coll. S. Bonaventurae (Opera omnia, 6), 1959, p. 257. 106. Denys le Chartreux, Enarratio in Genesim, Monstreux, Typis Cartusiae, 1896, art. 20, p. 78, 90. 107. Maria A. Moisa, «Fourteenth-Century preachers’ view of the poor: class or status group?», dans R. Samuel, G. Jones (éd.), Culture, ideology, politics, Londres, Routledge, 1983, p. 160-175: «In the first ordynaunce of man God ordeyned hym so that anoon as man was made, God put hym in Paradys for he schuld worche &kepe Paradys. » 108. Jean Gerson, De contractibus, éd. P. Glorieux, Paris-Tournai, Desclée, 1973 (Œuvres complètes, 9), p. 392. 109. John Wyclif, Tractatus de statu innocencie, éd. J. Loserth et F. D. Matthew, Londres, Paul, 1922, p. 523: «De isto autem opere limitato homini innocenti est difficultas scolastica apud multos ... non autem fuisset ille labor fatigativus vel homini tediosus sed solaciosa quodammodo fruicio.» Sur le contexte de ces écrits, voir Stephen E. Lahey, Metaphysics and Politics in the Thought of John Wyclif, Cambridge University Press, 2003. 110. Id., Tractatus de statu innocencie, cap. 3, p. 492. 111. Id., Tractatus de ciuili dominio, t. 4, p. 383. 112. Id., Sermones, vol. 4, p. 250: «Quod autem ocium sit Deo maxime odiosum ex hoc evidet, quod Deus non potest cessare ad intra agere et necessario semper operatur ad extra [...] ad hoc Deus ordinavit homini tot organa, ut ad laudem Dei sui nunc operetur uno genere operis et nunc alio. » 113. Cité par Siegfried Wenzel, The Sin of sloth. Acedia in medieval thought and litera­ ture, University of Norht Carolina Press, i960, p. 91. Voir Mary A. Devlin, The Sermons of Thomas Brinton, Bishop of Rochester 1373-1389, Londres, Royal Historical Society, 1954. 114. Henri de Langenstein, Lectura super Genesim, Wien, Österreichischen Nationalbibliothek, cod 3922, f. 374V: «Ad quid enim homo manus recepisset tales si nichil manualis aut artificialis operis facturus erat in statu innocencie?» 115. Ibid.: «Videtur ergo quod pro statui illo hominis arte, industria et prudencia piante conservate fuissent, et melius et habundancius crescerent illa quorum fructu et aspectu homo refici debuit, nisi eis in generacione vegetalium ars iuvet naturam, nec ita bene proveniunt, nec tam bonum et convenientem fructum afferunt. Non enim videtur quod in paradiso plante a principio formate semper eedem numero durassent, sed potius quod senio periissent, et per consequens ibi videtur fuisse opus plantacione et hominis cooperacione orirentur, et pulchre et ordinate crescerent ut decuit in paradiso. » 116. Le Coran, tr. Régis Blachère, Paris, Maisonneuve & Larose, 1966: Sourate i i , 29/3136/38 (p. 33), vi 1,18/19-24/25 (p. 176), X X , 114/115-121/123 (p. 345-346). Voir J. Chabbi, On a perdu Adam, p. 291-319. 117. Ludovici Ystella Valentini, o p , Commentaria in sacram Genesim, Rome, Paolini, 1601, p. 31. Les propos attribués à Bar Képha sont en réalité ceux d’Augustin: «Moses Syrus advertit, nec labor erat homini aut afflictio spiritus, sed voluntatis exhilaratio, et 378

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operatio iucunda ad experientiam et virium suarum exercitium.» De la même façon, Ystella enrôle indûment dans la même cause Théophile d’Antioche et Séverin de Gabala. 118. Moses Bar Cepha, De Paradiso com m entarius , Anvers, Plantin, 1569, p. 41: «Illud porro affirmamus quoque, neque arbores, necque fructus paradisi, etsi arbores fruc­ tusque appellentes, tales omnino fuisse, quales hic apud nos progignitur, sed longe his praecellentiores, elegantiores, maiores. Nam ut ita statuamus, hisce inducimur rationibus. Primum illi fructus non fuere exsecrationi divine obnoxii, necque dannati ut hi nostri, deinde si in hac nostra detestabili terra atque infelice alia loca.» 119. Pour une introduction à ce penseur génial trop méconnu, voir Gyôngyi Hegedus, Saadya Gaon. The double p a th o f the m ystic an d the ration alist , Leyde, Brill, 2013. 120. Moshe Zucker, Saadya’s Com m entary on Genesis [en hébreu], New York, Jewish Thological Seminary of America, 1984, p. 62-81, cité par Bruno Chiesa, Creazione e caduta delVuomo nelVesegesi giudeo-araba m edievale, Brescia, Paideia, 1989, p. 121. 121. Abraham ibn Ezra, Com m entaire du P entateuque , 2,15, traduction anglaise dispo­ nible sur Sefaria [en ligne : https://www.sefaria.org/]. Je remercie Angela Guidi pour son aide sur ce texte. 122. Moïse ben Maimoun dit Maimonide, Le Guide des égarés , tr. S. Munk, Paris, Maisonneuve et Larose, 1970 [1861], 12, p. 252. 123. Le débat sur ce point est résumé par Aimé Solignac, «Philon d’Alexandrie. Influence sur les Pères de l’Église», Dictionnaire de S piritu alité , Paris, Beauchesne, 1984,1. 12, c. 1366-1374. David T. Runia, Philo in early Christian literature. A Survey , AssenMinneapolis, Van Gorcum-Fortress Press, 1993, p. 326, penche pour une lecture de lu version grecque. Les convergences sur le verset 2,15 n’ont pas été relevées par les spécialistes. 124. Philon d’Alexandrie, Quaestiones et solutiones in Genesim. A. E versione Armeniaca, livres /-//, Paris, Cerf, 1979, p. 79. 123. Samuel K. Eddy, The King is dead. Studies in the Near Eastern resistance to Hellenism, ,{34-31BC , Lincoln, University of Nebraska Press, 1961. 126. Christian Jacob, François de Polignac (éd.), Alexandrie 111e siècle αν. J.-C. Tous les savoirs du m onde ou le rêve d ’universalité des Ptolém ées , Paris, Autrement, 1992. 127. Daniel R. Schwartz, «Philo, his family and his times», dans A. Kamesar (éd.), The Cambridge Com panion to Philo , Cambridge University Press, 2009, p. 9-31. Pour une Introduction synthétique, voir aussi Francesca Calabi, Filone d i Alessandria , Rome, Curocci, 2013. Maren R. Niehoff, Philo o f Alexandria. An intellectual biography , Yale University Press, 2017, me semble accorder une importance exagérée au séjour romain de Philon. 128. Valentin Nikiprowetzky, Le com m entaire de l ’Écriture chez Philon d ’A lexandrie. Son caractère e t sa portée. O bservations ph ilologiqu es , Leyde, Brill, 1977. 129. D. T. Runia, Philo in early Christian literature. Sur les raisons de cette appropria­ tion, voir V. Nikiprowetzky, «La spiritualisation des sacrifices et le culte sacrificiel au temple de Jérusalem chez Philon d’Alexandrie», dans Id., Études Philoniennes, Paris, Ρ· 39'4θ ; De opificio , p. 245. •34. Id., Legum allegoriae , § 88, p. 91. 133. Id., Quaestiones e t solutiones § 6, p. 67-69; § 8, p. 71 379

NOTES

136. Ibid., § 11, p. 73· 137. Id., De agricultura, Paris, Cerf, 1961, p. 31; Quod deterius potiori insidiari soleat , Paris, Cerf, 1965, p. 85. 138. Ibid., p. 87-89. La même fascination pour les greffes se retrouve dans le second livre des Géorgiques de Virgile. 139. Gilles Dorival, Alain Le Boulluec, L’Abeille et l’acier. Clément d ’Alexandrie et Origène, Paris, Belles-Lettres, 2018, nouvel instrument de travail de référence qui ne remplace pas Pierre Nautin, Origène. Sa vie et son œuvre, Paris, Beauchesne, 1977. Henri de Lubac, Histoire et esprit. Intelligence de l’Écriture d ’après Origène, Paris, Aubier, 1950, marque une première étape dans sa redécouverte. 140. David T. Runia, Philo in ancient Christian literature ; Annewies van den Hoek, «philo and Origen. A descriptive catalogue of their relationship», Studia Philonica, 12, 2000, p. 44-121. 141. La réalité de la castration volontaire dOrigène est régulièrement remise en cause (P. Nautin, Origène, p. 45; G. Dorival, L’Abeille, p. 181-182). Le fait que le récit en soit transmis par une source qui lui est favorable (Eusèbe de Césarée) suffit à dissiper tout doute à ce sujet. 142. P. Nautin, Origène, p. 169. Le débat n’est connu que par le résumé qu’en fait une lettre de Jérôme. 143. Les amoureux de la littérature française se réjouiront d’apprendre que le neveu de Philon, Marcus Alexander, fut le premier époux de Bérénice dont il est dit, dans la tra­ gédie de Racine, que le soupirant Antiochus demeura longtemps errant dans Césarée. 144. Guy G. Stroumsa, «Clement, Origen and Jewish Esoteric Traditions», Origeniana sexta. Origène et la Bible, G. Dorival, A. Le Boulluec (éd.), Leuven University Press, 1995, p. 53-69; Origène, Traité des principes (sc 252), p. 79. 145. Traité des principes, p. 357. 146. Jean Pépin, «À propos de l’histoire de l’exégèse allégorique: l’absurdité, signe de l’allégorie», Studia Patristica, 1,1957, p. 395-413. 147. Origène, In Evangelium Matthaei (24, 31), dans Origenes Matthäuserklärung, éd. U. Treu, Berlin, Akademie Verlag, 1976,1.11, p. 115. 148. Marguerite Harl, «Recherches sur l’origénisme d’Origène: la satiété (Â:oros) de la contemplation comme motif de la chute des âmes», Studia Patristica, 8, 1966, p. 374-405. 149. Voir la tentative de reconstruction proposée par Caroline Bammel, «Adam in Origen », dans The Making of orthodoxy. Essays in honour of Henry Chadwick, R. Williams (éd.), Cambridge University Press, 1989, p. 62-93. Le commentaire sur la Genèse, rédigé Λ Alexandrie parallèlement au Traité des principes, consacrait treize volumes aux quatre premiers livres. Les Homélies sur la Genèse, éd. L. Doutreleau (SC 7bis), 1985, ne corn portent pas celle qui devait porter sur le second chapitre. 150. Origène, Traité des principes, iv, 3,1, t. 3, p. 343. 151. Ce corps diaphane correspond à un «intermédiaire qui unit la substance intellec tuelle au corps dense», Didyme l’Aveugle, Sur la Genèse. Texte inédit d ’après un papyrus de Toura, éd. P. Nautin, L. Doutreleau (SC 233, 244), 1976, p. 253. 152. Stephen Bagby, Sin in Origen’s commentary on Romans, New York, Lexington Books/ Fortress Academie, 2018, p 67-73. 153. Henri Crouzel, Théologie de l’image de Dieu chez Origène, Paris, Aubier, 1956. 154. F. Cocchini, «Il linguaggio di Paolo “servo fedele e prudente” nel Commento dl Origene alla lettera ai Romani», Studia patristica, 18,1989, p. 355-364. 155. Didyme, Sur la Genèse. Voir Richard A. Layton, Didymus the Blind and His Circle in Late-Antique Alexandria, University of Illinois Press, 2004. 156. Didyme, Sur la Genèse, p. 197-199, p. 241. 157. Ibid., p. 213. 158. Ibid., p. 251-255. 159. Origène, Philocalie (sc 226,320), 1983. 160. Basile de Césarée, Homélies sur l’Hexaeméron (sc 26), 1968. 380

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ι6ι. Grégoire de Nysse, La Création de l'homme (sc 6), 2002 [1943], p. 154-155,228-237. 162. Ib id . j p. 164: «La vie avant la faute était en quelque sorte angélique»; p. 173-174: «Je ne puis admettre qu’il s’agisse de nourriture corporelle pas plus que de jouissance charnelle. » 163. Grégoire de Nysse, Sur les titres des Psaum es , éd. J. Reynard (sc 466), 2002, p. 241: «Ceux qui so n t descendus, dit-il, en m er su r des navires (Ps 106,23) et qui, au lieu de tra­ vailler le jardin où ils avaient tout d’abord été placés, font couler leur travail.» 164. Grégoire de Nysse, La Création, p. 90,102-104; Origène, Contre Celse (sc 136), 1968, p. 375-383; Philon, De opificio, p. 197-199. Voir Cicéron, De natura deorum , π, 6,17. 165. Ambroise, De paradiso , éd. C. Schenkl ( c s e l ), 1896, p. 281. 166. Jean Chrysostome, Sermons su r la Genèse, 13 (sc 433). 167. Chrysostome, pg 53, c. 109. 168. Antoine Guillaumont, Les Kephalaia Gnostica d'Évagre le Pontique e t l'histoire de Vorigénisme chez les Grecs et chez les Syriens , E.A. Clark, The Origenist Controversy. The Cultural construction o f an early Christian debate, Princeton, 1992. 169. Jérôme, Les hommes illustres, 54, Paris, Migne, 2010, p. 119. 170. Augustin, Sur la Genèse contre les manichéens. Sur la Genèse au sens littéral, livre inachevé, Turnhout, Brepols, 2004. 171. Id., Contra Iulianum (Opus im perfectus ), t. 2, éd. M. Zelzer, c s e l , 2004. 172. Id., Confessions, ni, 6, Paris, Seuil, 1982, p. 75. 173. Voir aussi le récit de l’attrait du manichéisme dans De b eata vita, 1,4, Paris, Desclée de Brouwer, 1986, p. 56-57. 174. B. Altaner, «Augustinus und Philo von Alexandrien, eine quellenkrisiche Untersuchung» et «Augustinus und Origenes», in Id., Kleine patristisch e Schriften, Merlin, Akademie, 1967; R. Teske, «Origen and St. Augustine’s First Commentaries on Genesis», Origeniana, 51992, p. 180-186. 175. Augustin, De Genesi contra M anichaeos, 11,9-11. 176. Solution classique proposée par Pierre Courcelle, «Saint Augustin a-t-il lu Philon d’Alexandrie ?», Revue des études anciennes, 63,1961, p. 78-85. 177. Gyôrgy Heidl, Origen's influence on the you n g Augustine. A chapter o f the history o f Origenism, Piscataway, Gorgias press, 2003. 178. Augustin, Contre les Académiciens, 2, 2, 5, dans Dialogues philosophiques, Paris, Desclée de Brouwer, 1955, p. 63; Heidl, Origen's influence, p. 11-15. 179. Id., Les Révisions, 1, 7, 6, Paris, Desclée de Brouwer, 1950, p. 306-307: «Il ne faut pas entendre ces paroles comme si “tout revenait à la place d’où il s’est écarté”, ainsi que l'n pensé Origène [...] Car ceux qui sont punis du feu éternel ne reviennent pas à Dieu dont ils se sont éloignés.» 1H0. Id, 83 questions, 68, 3, Paris, Desclée de Brouwer, 1952, p. 274-275; A Simplicien, Maris, Desclée de Brouwer, 1952,1, 2,16-20, p. 478-503. ; C. Bammel, «Augustine, Origen, and the Exegesis of St. Paul», Augustinianum, 32,1992, p. 341-368. Le même terme, lutus, cmployé par Paul au sens de l’argile du potier (Rm 9,21) peut également se comprendre au sens de «boue», comme c’est le cas ici. •Mi. Augustin, Confessions, 11,3, p. 58; vi, 15, p. 159; x, 30, p. 279. 1M2. Ibid., 1,19, p. 49-50; π, 4, p. 60-61; I, 9, p. 38-39 (dans l’ordre des épisodes évoqués). 1H3. Ibid., I, 7, p. 35-36. •84. Augustin, La Genèse au sens littéral, xi, 31. Augustin souligne fortement la matérialllé de l’épisode. Ma lecture est notamment tributaire de celle de Kurt Flasch, Augustin, linführung in sein Denken, Nördlingen, Reclam, 1980. 1H5. Thomas P. Scheck, Origen and the history o f justification . The legacy o f Origen's ( om m entary on Romans, University of Notre Dame Press, 2008. IMi». Julien d’Eclane cité par Augustin, Contra Iulianum (Opus imperfectus), éd. M. Zelzer ( c s e l ), 2004, t. 2, vi, 27. 1M7. Gordon J. Wenham, «Sanctuary symbolism in the garden of Eden ninry», Proceedings o f the N inth World Congress o f Jewish Studies, Jerusalem, 1986, |> 19-25. 381

NOTES

188. Alfred Ernout, Antoine Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 1931, p. 132-133. 189. Hannah Arendt, La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, dans Id., L’humaine condition, Paris, Quarto, Gallimard, 2012, p. 775-778. 190. Francis Brown, Samuel R. Driver, Charles A. Briggs, A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament, 1891-1905, p. 715. 191. Targum du Pentateuque, 1. 1, Genèse, trad. fr. R. Le Déaut (sc 245), 1978, p. 87. 192. Théophile d’Antioche, Trois livres à Autolycus, éd. G. Bardy (sc 20), 1948, p. 108. M. Alexandre, Le commencement du livre, p. 267-268, fournit d’autres exemples. 193. Georges Hansel, «Le Shabbat sous l’œil du Talmud», dans Explorations talmu diques, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 167-178. 194. Lutz Doering, Schabbat. Sabbathalacha und -praxis im antiken Judentum und Urchristentum, Tübingen, Mohr Siebeck, 1999. 195. En revanche, l’islam ne prévoit aucun jour de repos. La solennité du vendredi est seulement liée à la grande prière du jour de marché, cf. S.D. Goiten, «Le culte du Vendredi musulman: son arrière-plan social et économique», Annales ESC, 13, 1958, p. 488-500. 196. Commentaires du Traité des Pères. Pirqé Avot, Michna 2, trad. É. Smilévitch, Lagrasse, Verdier, 1990, p. 92-93. 197. Act 22,3. Gamaliel intervient aussi devant le Sanhedrin pour défendre Pierre et ses compagnons, 5,34-39. Sur Paul et le travail, voir plus loin, ch. 6. 198. Leçons des Pères du monde, 1, 10, trad. É. Smilévitch, Lagrasse, Verdier, 1983, p. 26. Je remercie Maurice Kriegel pour ses conseils au sujet de ces textes. 199. Ibid., p. 348: «...une fois rabbi Josué déménageait ses meubles d’une maison à une autre et d’un coin à un autre, la veille du Sabbat. Ils lui demandèrent: Rabbi, pourquoi agis-tu ainsi? Il répondit: je fais en sorte que le Sabbat tombe [au moment où nous travaillons].» 200. Ibid., p. 137. 201. Midrach Rabba, t. I Genèse Rabba, trad. B. Maruani, A. Cohen-Arazi, Verdier, 1987, p. 194. 202. Chapitres de Rabbi Éliézer, trad. É. Smilévitch et M.-A. Ouaknin, Lagrasse, Verdier, 1992, p. 82-83. 203. Jubilés, ni, 16, La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987, p. 630. 204. Ibid., 111,35, P· 652. 205. Ibid., xi, 18-24, P· 688-689. 206. Michel Tardieu, Écrits gnostiques. Codex de Berlin, Paris, Cerf, 1984; G.P. Luttikhuizen, «Critical Gnostic Interpretations of Genesis», dans The Exegetical Encounter between jews and Christians in late antiquity, éd. E. Grypeou et H. Spurling, Leiden, 2009, p. 75-86. Ce récit est attribué au groupe des «Ophites» par Irénée de Lyon, Contre les hérétiques, 1, 30 (SC 264), 1979, p. 365-385. 207. Le Zohar, trad. Charles Mopsik, Lagrasse, Verdier, 1981,1.1, p. 153. 208. Ibid., p. 153 et 601. 209. Philon, Quaestiones et solutiones, § 6, p. 67.

NOTES DU C H A PITR E V

1. Pour une mise au point sur l’état des recherches et des débats, voir Thomas Römer, Jean-Daniel Macchi et Christophe Nihan, Introduction à l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2009. 2. Thomas Römer, L’Invention de Dieu, Paris, Seuil, 2014; Ron Naiweld, Histoire de Yahvé. Lafabrique d ’un mythe occidental, Paris, Fayard, 2019. 3. Thomas B. Dozeman, Konrad Schmid éd., A Farewell to the Yahwist? The composi tion of the Pentateuch in recent european interpretation, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2006. Inévitablement, une «nouvelle hypothèse documentaire» a déjrt 382

PAGES 1 3 1 -1 4 7

trouvé ses partisans, cf. Joel S. Baden, The Com position o f the Pentateuch. Renewing the Documentary H ypothesis , Yale University Press, 2012. 4, Morton Smith, Palestinian p a rties an d politics th at sh aped the Old Testam ent, Columbia University Press, 1971; Patricia Dutcher-Walls, «The Social Location of the Deuteronomists: A Sociological Study of Factional Politics in Late Pre-Exilic Judah», journalfor the Study o f the Old T estam ent , 52,1991, p. 77-94. It, Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l'archéologie , Paris, Bayard, 2002 [2000]. f». 1. Finkelstein, Le Royaum e biblique oublié , Paris, Odile Jacob, 2013. 7. T Römer, L'Invention de Dieu. H, I. Finkelstein et T. Römer, Aux origines de la Torah. Nouvelles rencontres, nouvelles perspectives, Paris, Bayard, 2019, p. g, I. Finkelstein et N. A. Silberman, La Bible dévoilée. 10. On y reviendra plus loin. 11. Walter Bührer, Am Anfang... Untersuchungen zu r Textegenese und zu r relativ-chronolo­ gischen Einordnung von Gen 1-3, Göttingen, Vandenhoeck &Ruprecht, 2014. 12. Monique Alexandre, Le comm encem ent du livre, Genèse i-v. La version grecque de la Septante e t sa réception, Paris, Beauchesne, 1988, p. 267-268. i,|. Christophe Nihan, «The Emergence of the Pentateuch as “Torah”: A survey of presrnt issues and new avenues of research», Religion Com pass, 2010. 14. Thomas Römer, «How to date Pentateuchal texts. Some case studies», dans The Formation o f the Pentateuch. Bridging the academ ic cultures o f Europe, Israel, an d North America, éd. Jan C. Gertz et al., Tübingen, Mohr Siebeck, 2016, p. 357-370. L’ensemble

lie*ce volume fournit le meilleur guide pour l’état actuel des discussions. L’article a été repris en français dans T. Römer, I. Finkelstein, Aux origines de la Torah. Nouvelles ren­ contres, nouvelles perspectives, Paris Bayard, 2019. Ifl. Jean Bottéro, Samuel Noah Kramer, Lorsque les dieux fa isa ien t l'homme. M ythologie mésopotam ienne, Paris, Gallimard, 1983, p. 541-567. Le rapprochement entre cette mythologie et la Bible est classique depuis l’étude d’Alexander Heidel, The Gilgamesh Fpic and Old Testam ent Parallels, University of Chicago Press, 1949. Ifi. James C. Scott, H omo dom esticus. Une histoire profonde des prem iers É tats, Paris, I. MDécouverte, 2019 [2017]. 17. Ph. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. Jean-Pierre Albert, • les animaux, les hommes et l’Alliance», L'Homme, 189, 2009, p. 81-114, confronte de façon plus précise les premiers chapitres de la Genèse aux catégories de Descola, avec îles résultats proches de ceux que je propose. iH. Bottéro et Kramer, Lorsque les dieux, p. 509. ig. André G. Haudricourt et Louis Hédin, L'Homme et les p la n tes cultivées, Paris, AnneMurie Métailié, 1987 [1943], p. 89-90. 20. Je m’appuie notamment sur Bernard F. Batto, In the Beginning. Essays on creation motifs in the ancient Near E ast an d the Bible, Winona Lake, Eisenbrauns, 2013. 21. Manfred Hutter, «Adam als Gärtner und König (Gen 2, 8.15)», Biblische Zeitschrift, |o, 1986, p. 258-262. 22. François Sigaut, «Les forêts entre rêves et réalités», Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 6,1990 [en ligne: URL: http://ccrh.revues.org/2861]. 11. Zofja Ameisenowa, «The tree of life in Jewish iconography», The Journal o f the Warburg a n d Courtauld In stitu tes, 2 , 1938-1939, p. 326-345, voir p. 329. 24. I/association du serpent à Satan apparaît pour la première fois dans la Vie d'Adam et i've, au Ier siècle avant l’ère commune, Kurt Flasch, Le D iable dans la pensée europèvnne, Paris, Vrin, 2019, p. 61-62. AfVl a formule est souvent considérée comme ironique dans l’exégèse chrétienne. 2fi. Alice Wood, O f wings a n d wheels. A synthetic stu dy o f the biblical cherubim, Berlin, De Gruyter, 2008. 27. Voir 1 R 11,41 (Salomon); 14,19 (Jéroboam); 14,29 (Roboam); 15,25 (Asa); 15,31 (Nuilab), etc. 383

NOTES

28. Thomas Römer, La Première Histoire d ’Israël. L’École deutéronomiste à l’œuvre, Genève, Labor et Fides, 2007. 29. John Day, «Asherah in the Hebrew Bible and Northwest Semitic Literature ajournai of Biblical Studies, 105, 1986, p. 385-408; Id., Yakweh and the Gods and Goddesses of Canaan, Londres, Bloomsbury Publishing, 2010, p. 42-67; Thomas Römer, L’Invention de Dieu, p. 213-228. 30. J. Day, «Asherah», p. 386, 390. 31. Susan Ackerman, «Asherah, the West Semitic Goddess of Spinning and Weaving?», Journal of Near Eastern Studies, 67, 2008, p. 1-30. 32. Ruth Hestrin, «The Lachish ewer and the Asherah», Israel Exploration Journal, 37, 1987, p. 212-223; Id·» «Understanding Asherah - Exploring Semitic iconography», Biblical Archaeology Review, 17/5,1991, p. 50-59 33. André Lemaire, «Les inscriptions de Khirbet El-Qôm et lAshérah de y h w h », Revue biblique, 84,1977, p. 595-608 ; William Dever, Did God have a wife ? Archaeology and folk religion in ancient Israel, Grand Rapids, Eerdmans, 2005. Je refuse d’employer pour la décrire le terme de «parèdre» qui s’applique au sens strict à une petite déesse assise sur le côté du trône de son époux dominateur. Ashérah n’est jamais présentée de la sorte. 34. J. A. Emerton, «“Yahweh and his Asherah”: The goddess or her symbol?», Vetus Testamentum, 49, 1999, p. 315-337; Judith Hadley, «Yahweh and “His Asherah”; Archaeological and textual evidence for the cult of the goddess», in W. Dietrich and M.A. Klopfenstein (éd.), Ein Gott Allein?, Fribourg, Universitätsverlag, 1994, p. 235-264. 35. Stéphanie Anthonioz, «Astarte in the Bible and her Relation to Asherah», dans David Sugimoto (éd.), Transformation of a Goddess. Isthar, Astarte, Aphrodite, Fribourg, Academic Press, Göttingen, Vandenhoeck &Ruprecht, 2014, p. 125-139. 36. Le rapprochement avec le chandelier à sept branches n’est pas très convaincant, cf. Joan E. Taylor, «The Asherah, the Menorah and the sacred tree »Journalfor the study of the Old Testament, 66,1995, p. 29-54. 37. Lisbeth S. Fried, «The high places (Bâmôt) and the reforms of Hezekiah and Josiah : An archaeological investigation », Journal of the American Oriental Society, 122, 2002, p. 437-465. Les conclusions de l’article sont toutefois à nuancer. La difficulté à identi­ fier des traces archéologiques de ces réformes ne signifie pas qu’elles n’aient eu aucun effet. 38. John Day, Yahweh, p. 53. 39. Dever, Did God had a wife ; David T. Sugimoto, «The judean pillar figurines and the “Queen of Heaven”» in Id. (éd.), Transformation, p. 141-155, suggère que les figurines se rapportent à un culte particulier d’Astarté comme «reine du Ciel». 40. Voir Am 5,26 qui mentionne, dans le contexte des cérémonies que rejette le pro­ phète, les offrandes de «l’étoile de vos dieux que vous vous êtes faits». 41. Voir aussi Jr 7,18: «Les enfants ramassent des fagots, les pères allument le feu et les femmes pétrissent la pâte pour faire des gâteaux à la Reine du ciel. » 42. M. Delcor, «Le culte de la “Reine du ciel” selon Jer. 7,18; 44,17-19,26 et ses survi­ vances. Aspects de la religion populaire féminine aux alentours de l’Exil en Juda et dans les communautés juives d’Égypte», dans W.C. Delsman et al. (éd.), Von Kanaan bis Kerala. Festschrift für J.P. van der Ploeg, Kevelaer, Butzon &Bercker, 1982, p. 101-122. Contra T. Römer, La Naissance de Dieu, p. 226-227. 43. Raphael Patai, «The Goddess Asherah »Journal of Near East Studies, 24,1965, p. 37-52 44. S. Ackerman, «The queen mother and the cult in ancient Israel »Journal of Biblical Literature, 112,1993, p. 385-401. 45. Cet excursus me semble requis pour aller contre la tendance actuelle de l’historio­ graphie qui tend à conclure à la réalité de ces pratiques. Voir en dernier lieu Dominik Markl, «Polemics against child sacrifice in Deuteronomy and the deuteronomistic history», in G. van Kooten, J. van Ruiten (éd.), Intolerance, polemics, and debate in Antiquity. Politico-cultural, philosophical, and religious forms of critical conversation,

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46. De ce passage dérive la figure du «Moloch» à qui ces sacrifices auraient été offerts, en Lévitique 18,21. La littérature sur la question est immense, il suffit d’en retenir que cette figure est une construction tardive qui ne correspond à aucune divinité ancienne. 47. Dans un jugement global sur les fils d’Israël, aussitôt après l’évocation des idoles ri'Ashérah et du culte de l’armée des cieux, le «passage par le feu» est associé à la divi­ nation et à des enchantements (17,17) tandis que Manassé «observait les nuages et les Ncrpents pour en tirer des pronostics, et il établit des gens qui évoquaient les esprits et qui prédisaient l’avenir» (21,6). 48. Au contraire, c’est que fait par exemple, Karin Finsterbusch, «The first-born between sacrifice and redemption in the hebrew Bible», dans K. Finsterbusch, A. Lange (éd.), H uman sacrifice injewish and Christian tradition, 2006, p. 88-91. 49. Suzanne Rudnig-Zelt, H oseastudien: Redaktionskritische Untersuchungen zu r Genese des Hoseabuches, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2006; Roman Vielhauer, Das Werden des Buches H osea: eine redaktionsgeschichtliche Untersuchung ; Berlin, De Gruyter, 2007, qui postule jusqu’à six strates rédactionnelles successives. 50. John Day, «Hosea and the Baal cuit», in Id. (éd.), Prophecy an d the P roph ets in Ancient Israel , London T&T Clark International, 2010, p. 202-224. I. Finkelstein et T. Römer, Aux origines de la Torah. Γ,ι. Amos ; Jérémie, 22,3 «Défendez le droit et la justice, libérez le spolié du pouvoir de l’exploiteur, n’opprimez pas, ne maltraitez pas l’immigré, l’orphelin et la veuve » ; 22,12 : »Malheureux celui qui construit son palais au mépris de la justice, et ses étages au mépris du droit ; qui fait travailler les autres pour rien, sans leur donner de salaire. » 1)2. Marie-Theres Wacker, «Spuren der Göttin im Hoseabuch», dans Walter Dietrich, Martin Klopfenstein (éd.), Ein G ott allein? JHWH-Verehrung und biblisch er Monotheismus im K ontext der israelitischen und altorientalischen Religionsgeschichte,

Fribourg-Göttingen, Universitätsverlag-Vandenhoeck &Ruprecht, 1994, p. 329-348. 53. La version de la Septante, qui mentionne une mesure d’orge et une autre de vin, semble ici préférable au texte massorétique qui compte deux mesures d’orge, cf. Walter Vogels, «Hosea’s Gift to Gomer (Hos 3,2)», Biblica , 69,1988, p. 414. 54. Ézéchiel dénonce un autre rituel dont le sens n’est sans doute pas divinatoire: «élèvent un rameau jusqu’à leur nez» (Ez 8,17). 55. W.L. Holladay, «On every high hill and under every green tree», Vetus testa m en tu m , ii, 1961, p. 170-176. 56. Les premiers chapitres d’Isaïe (1-39) sont considérés comme datant de la fin du vm e siècle. 57. Stephanie Lynn Budin, The M yth o f Sacred P rostitution in A n tiqu ity , Cambridge University Press, 2008; Karin Adams, «Metaphor and dissonance: A reinterpretation of Hosea 4:13-14», Journal o f Biblical Literature, 127, 2008, p. 291-305; James E. Miller, «Critical response to Karin Adams’s reinterpretation of Hosea 4:13-14», Jou rn al o f Biblical Literature, 128,2009, p. 503-506. 58. J. Day, «Does the Old Testament refer to sacred prostitution and did it actually exist in ancient Israel ?», dans C. McCarthy, J.F. Healey (éd.), Biblical an d N ear Eastern essays. Studies in honour o f Kevin J. C athcart , London, T&T International, 2004, p. 2-21. 59. Ibid., p. 2-4; Miller, «Critical Response». 60. Samuel Noah Kramer, Jean Bottéro, L’Érotisme sacré àSumer e t àBabylone, Paris, Berg International, 2011; Tikva Frymer-Kensky, In the wake o f the goddesses: Women, culture, and the biblical transformation o f pagan m yth, New York, Fawcett, Columbine, 1992. 61. L’Érotism e sacré, p. 100-101. 62. Bernard Mathieu, La poésie am oureuse de l’Égypte ancienne. Recherches su r un genre littéraire au Nouvel Empire, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1996. 63. J. Day, Asherah, p. 57; Marie-Theres Wacker, «Spuren der Göttin im Hoseabuch». 64. Cette rhétorique se poursuit dans d’autres livres plus tardifs, par exemple Ps 29,5 : «La voie de Yhwh brise les cèdres. » 65. Grégoire de Nysse, Discours catéchétique E. Mühlenberg, Paris, Cerf (sc 453), 2000, p. 188-190. 38 5

NOTES

66. À propos de Bachofen et sa postérité, voir Philippe Borgeaud, avec Nicole Durisch, Antje Kolde, Grégoire Sommer, La Mythologie du matriarcat. L’atelier de Johann Jakob Bachofen, Genève, Droz, 1999. 67. Edwin O. James, Le culte de la Déesse-Mère dans l’histoire des religions, Paris, Payot, i960 [1959]. 68. François d’Eaubonne, Les femmes avant le patriarcat, Paris, Payot, 1976. Outre O.E. James, Gordon Childe et Mircea Eliade, l’ouvrage s’appuie trop largement sur les tra­ vaux à la qualité douteuse de Jean Markale, Lafemme celtique, Payot, 1974. 69. Merlin Stone, Quand Dieu était femme. À la découverte de la Grande Déesse source du pouvoir des femmes, Montréal, L’Étincelle [1976]. Je remercie Angela Guidi de m’avoir incité à prendre ce livre en considération. 70. Je découvre également après coup que Merlin Stone comprend de façon conver­ gente avec mes propositions les relations de Gomer et Osée, p. 242 et 273. 71. M. Gimbutas, The Gods and Goddesses of Old Europe, γοοο to 3500 b c : myths, legends and cult images, Londres, Thames and Hudson, 1974; Id., Le Langage de la Déesse, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2006 [1989]. 72. David Jay Brown, Rebecca McClen Novik, «Learning the Language of the Goddess with Marija Gimbutas», in Mavericks of the mind. Conversations for the new millenium, Crossing Press, 1993. 73. Lynn Meskell, «Goddesses, Gimbutas, and the “New Age” archaeology», Antiquity, 69,1995, P- 7 4 - 8 6 74. Jean-Paul Demoule, Naissance de la figure. L’art paléolithique à l’âge de fer, Paris, Gallimard, 2007 [2017] ; Claudine Cohen, Femmes de la préhistoire, 2016, p. 153-183. Pour une vue d’ensemble, voir Patrick Snyder, «Les statuettes féminines préhistoriques: nouvelles critiques féministes du mythe de la déesse-mère», Religiologiques, 36, 2018, p. 91-103. 75. J. Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture. La Révolution des sym­ boles au Néolithique, Paris, c n r s Éditions, 1994. 76. Alain Testart, La Déesse et le grain. Trois essais sur les religions néolithiques, Paris, Errance, 2010. 77. David Sugimoto (éd.), Transformation of a Goddess. 78. Philippe Borgeaud, La Mère des dieux. De Cybèle à la Vierge Marie, Paris, Le Seuil, 1996. 79. Daniel Boyarin, La Partition dujudaïsme et du christianisme, Paris, Cerf, 2011 [2009]. 80. Charles Mopsik, Le sexe des âmes, Paris-Tel-Aviv, Éditions de l’Éclat, 2003. 81. Arthur Green, A Guide to the Zohar, Stanford University Press, 2004, p. 94-98. 82. Patricia Cox Miller (éd.), Women in early Christianity. Translations from greek texts, Washington, The Catholic University of America Press, 2005. 83. Voir toutefois Act 6,1 («les veuves étaient oubliées dans le service quotidien»); 9,39 («toutes les veuves se tenaient devant lui»); 16,13 («nous avons parlé aux femmes qui s’y trouvaient réunies»); 17, 2 («beaucoup devinrent croyants, ainsi que des femmes grecques de haut rang»). Les réticences de Paul à soutenir toutes les veuves (1 Tim 5,316) est également une indication de leur nombre. 84. Carolyn Osiek, Margaret Y. MacDonald, Janet H. Tulloch, A woman’s place. House churches in earliest Christianity, Minneapolis, Fortress Press, 2006. 85. Miri Rubin, Mother of God. A History of the Virgin Mary, Yale University Press, 2009. 86. Epiphane de Salamine, Panarion, éd. F. Williams, Leyde, Brill, 2013, t. 2, p. 637-645. 87. Coran, Sourate 5,1169, cité par Ph. Borgeaud, La Mère, p. 181. 88. Gérard de Frachet, Vie des frères de l’ordre des frères prêcheurs, Paris, Lethielleux, 1912, p. 14. 89. Éric Geoffroy, Allah auféminin, Paris, Albin Michel, 2020. 90. Emilie Hache, Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Paris, Cambourakis, 2016, p. 17, écrit que Merlin Stone «fabule un récit féministe des origines», alors que sa démarche se présente comme examen critique des données archéologiques el mythologiques qu’elle avait pu rassembler. De même, Jeanne Burgart Goûtai, Être 386

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Paris, L’Échappée, 2020, p. 130, écrit: «Ce n’est pas la prétendue scientificité du discours, mais la force symbolique, la puissance de mobiliN U tio n , la portée heuristique, l’appel de nouvelles contrées et de nouveaux imaginaires qui comptent.» écoféministe. Théories e t pratiqu es,

N O TES D U C H A PIT R E VI

I. (Jary Becker, «A Theory of the allocation of time», Economic Journal, 75,1965, p. 493517, cf. p. 494: «In recent years economists increasingly recognise that a household is truly a “small factory”: it combines capital goods, raw materials and labour to clean, feed, procreate and otherwise produce useful commodities. » A. Arlie Russell Hochschild, The Time bind. When work becom es hom e a n d hom e becom es work, New York, Metropolitan /Holt, 1997. 3. Jonathan Crary, 7/24. Le C apitalism e à Vassaut du som m eil, Paris, La Découverte, 2016 j-2013]4, Max Weber, L’Éthique p ro testa n te e t l ’esprit du capitalism e, su ivi d ’autres essais, trad. J, -R Grossein, Paris, Gallimard, 2003 [1920], p. 60. fl. Frédérique Woerther, L’Éthos aristotélicien. Genèse d ’une notion rhétorique, Paris, Vrln, 2007. ft, M. Weber, L’Éthique pro testan te, p. 45: «Une disposition qui, dans le cadre d’une pro­ fession, aspire systématiquement à un profit légitime au plan rationnel.» Voir aussi P· 5 4 7, Thomas S. Kidd, Benjamin Franklin. The religious life o f a fou n din g fa th er, Yale University Press, 2017. N. I). Franklin, The “Autobiography” an d other w ritings on politics, economics an d vir­ tue, éd. A. Houston, Cambridge University Press, 2004, p. 10 ; Daniel Defoe, An Essay upon projects, Londres, Cassel, 1887 [1697] ; Cotton Mather, Essays to do good, Glasgow, Chalmer and Collins, 1825 [1710], qui résume le programme moral adressé aux enfants «n quatre mots, p. 98: «Obéissance, honnêteté, industrie et piété.» g, B. Franklin, Autobiography, p. 143: «1. It is necessary for me to be extremely frugal for some time, till I have paid what I owe. 2 To endeavour to speak truth in every instwnce [...] 3 To apply myself industriously to whatever business I take in hand, and not divert my mind form my business by any foolish project of growing suddenly rich; for Industry and patience are the surest means of plenty. 4 1 resolve to speak ill of no man.» 10, H. Franklin, Autobiography, p. 67-73. 11. Ibid., p. 69. Ces vertus ont pour nom: Temperance, Silence, Order, Resolution, Frugality, Industry, Sincerity, Justice, Moderation, Cleanliness, Tranquility, Chastity, Humility. I a . Ibid.: «Lose no time; be always employ’d in something useful; cut off all unnecesmiry action.» 13. H. Franklin, Advice to a you n g tradesm an, w ritten by an o ld one [1748], dans Autobiography, p. 200. 13. Ibid., p. 65. La King James* Bible traduisait par: «a man diligent in his business». Ift. J'ui utilisé John Telford, The Life o f John Wesley, Londres, Hodder &Stoughton, 1886. if». M. Weber, L’Éthique, p. 241-243. Le passage signalé par John Ashley est cité à par­ ili ile Ia traduction allemande de Robert Southey, The Life o f Wesley and the rise and progress o f m ethodism , Londres, Longman, 1820. J’ai trouvé utile Sondra Wheeler, "I’msperity and its discontents», Reflections. A m agazine o f theological and ethical Inquiry fro m Yale divin ity school, 2010 [en ligne : https://reflections.yale.edu]. I/. John Wesley, «Thoughts upon Methodism», dans The Works o f John Wesley, éd. îh. Jackson, Londres, Wesleyan Conference, 1872,1.13, p. 258-261: «lam not afraid that Ilie people called Methodists should ever cease to exist either in Europe or America. Mul I am afraid, lest they should only exist as a dead sect, having the form of religion without the power [...] I fear, wherever riches have increased, (exceeding few are the 387

NOTES

exceptions,) the essence of religion, the mind that was in Christ, has decreased in the same proportion. Therefore do I not see how it is possible, in the nature of things, for any revival of true religion to continue long. For religion must necessarily produce both industry and frugality; and these cannot but produce riches. But as riches increase, so will pride, anger, and love of the world in all its branches.» 18. Id., Sermon 116, dans Works, t. 7, p. 281-290. 19. Id., Sermon 50 [1744], dans Works, t. 6, p. 124-136, cf. p. 130: «Gain all you can by honest industry. Use all possible diligence in your calling. Lose no time. [...] If you understand your particular calling, as you ought, you will have no time that hangs upon your hands. » 20. Sur l’importance de l’aumône dans la longue durée, Gary A. Anderson, Charity. The Place of the poor in the biblical tradition, Yale University Press, 2013, traduction frail çaise à paraître, Zones Sensibles, 2021. 21. J. Wesley, Sermon 116, Works, t. 7, p. 290, à propos de la loi inexorable : «Now, if there be no way to prevent this, Christianity is inconsistent with itself, and, of consequence, cannot stand, cannot continue long among any people; since, wherever it generally prevails, it saps its own foundation.» 22. Id., Sermon 126, Works, t. 7, p. 357. Voir aussi les derniers mots, p. 362: «O leave nothing behind you! Send all you have before you into a better world! Lend it, lend it all unto the Lord, and it shall be paid you again !» 23. Kathleen D. McCarthy, American Creéd. Philanthropy and the rise of civil society, University of Chicago Press, 2003, p. 14-29. Plus généralement, Olivier Zunz, La Philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d ’État, Paris, Fayard, 2012. 24. La philanthropie moderne se distingue également de l’évergétisme antique qui répond à des principes différents, cf. Paul Veyne, Le pain et le cirque. Sociologie reli gieuse d'un pluralisme politique, Paris, Seuil, 1976. 25. Pallade, Histoire lausiaque, 2, éd. A. Lucot, Paris, Picard, 1912, p. 41. 26. Les Sentences des Pères du Désert. Collection alphabétique, éd. L. Régnault, Sablé-sur Sarthe, Solesmes, 1981, p. 50. 27. Histoire lausiaque, 59, p. 361. 28. Histoire lausiaque, 10, p. 79. 29. Apophtegmes. Collection systématique, 55, p. 215. 30. Histoire lausiaque, 24, p. 187. Je le précise ici pour les curieux: il s’agissait d’un ulcère des testicules. 31. Jean Cassien, Institutions, 10, 24, éd. J.-Cl. Guy (sc 109), 1965, p. 423-425. 32. Athanase d’Alexandrie, Vie de saint Antoine, éd. G.J.M. Bartelink (sc 400), 1994, p· 137· 33. Arthur Vööbus, History of asceticism in the Syrian Orient. A contribution to the history of culture in the Near East, Louvain, csco, 1958, 2 vols. 34. Jean Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Paris, Cerf, 1974 [1958]; P. Nautin, Origène. Sa vie et son œuvre, Paris, Beauchesne, 1977, p. 417; Origène, Homélies sur Jérémie, 20,2 (sc 130), p. 257. 35. Antoine Guillaumont, «Philon et les origines du monachisme», dans Id., Aux ori gines du monachisme chrétien, Bégrolles, Abbaye de Bellefontaine, 1979, p. 25-37. 36. Leslie Dossey, «Watchful Greeks and lazy Romans. Disciplining sleep in Late Antiquity »Journal of early Christian studies, 21, 2013, p. 209-239. Voir Platon, République, 9 »5 7 ie-5 7 2a ; Lois, 7, 8o8b-c. ; Jamblique, Vie de Pythagore, 13-14. 37. Vie d'Antoine, p. 131,136. 38. A. Guillaumont, «Monachisme et éthique judéo-chrétienne», dans Id., Aux origines, p. 47-66. 39. C’est le cas de l’ermite Paul de Thèbes. 40. Susanna Elm, Virgins of God. The making of asceticism in Late Antiquity, Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 283-289. 41. Ibid., p. 81-92, qui tire parti de la Vie de Macrine rédigée par son autre frère Grégoire de Nysse. 388

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41. Peter Brown, «The Rise and function of the holy man in Late Antiquity», The Journal 1971, p. 80-101. 4,|. Adalbert de Vogüé, H istoire littéraire du m ouvem ent m onastique dans l ’an tiqu ité, Puris, Cerf, 1991,1.1, p. 17-21. La lecture de la première version latine de cette vie eut un I Ale déterminant dans les conversions au christianisme de Jérôme et d’Augustin. 44. A. Guillaumont, Un Philosophe au désert, Évagre le P ontique , Paris, Vrin, 2004; Histoire lausiaque, p. 261-281. Sur toutes les personnalités rencontrées par Évagre, voir plus haut, ch. 4, p. 125-128. 45. Les Sentences des Pères , p. 94: «Il y eut un jour aux Cellules une assemblée sur une tid'aire, et l’abbé Évagre prit la parole. Le prêtre lui dit: “Nous savons, abbé, que si tu étais dans ton pays, tu serais sans doute évêque à la tête d’un grand nombre; mais ici, lu résides en étranger.” Celui-ci, rempli de componction, ne se troubla pas mais, dode­ linant de la tête, lui dit: “C’est vrai, Père, cependant j’ai parlé une seule fois et je n’y reviendrai pas une seconde”.» 46. Emanuele Coccia, «Regula e t vita. Il diritto monastico e la regola francescana», Mvdioevo e Rinascim ento , 20,2006, p. 97-147. 47. Sentences , p. 26. 4N. Histoire lausiaque , p. 219; Regula S. Pachomi (pg 23), c. 277: «Hec sunt praecepta vitalia.» 49. Règle de sa in t Benoît , 73, éd. A. de Vogüé (sc 182), 1972, p. 673: «De ce que l’obser­ vation de toute justice ne se trouve pas prescrite dans cette règle.» Voir Anne-Marie Helvétius, «Normes et pratiques de la vie monastique en Gaule avant 1050: présenta­ tion des sources écrites», dans La vie quotidienne des m oines , p. 371-386. flo. Jean Gribomont, H istoire du texte des Ascétiques de S. Basile, Louvain, Publications Universitaires, 1953. f|i. Regula Pachom i (pg 23), c. 288, art 53: «Que personne ne tienne la main d’un autre, que ce soit en marchant, assis ou debout, mais qu’on garde une coudée de distance.» fli. A. Guillaumont, «Le travail manuel dans le monachisme ancien. Contestation et vnlorisation», dans Id., Aux origines du m onachism e, p. 117-128. (Vf. Sur cette épître et le débat quant à son authenticité, qui ne fait pas de doute à mes yeux, voir Yann Redalié, La deuxièm e Épître aux Thessaloniciens , Genève, Labor et Fides, ion. Sur l’usage de ce verset, Régis Burnet, Celui qui ne travaille p a s ne mange p a s! Vingt siècles de répression des pauvres, Paris, Cerf, 2015 et plus haut, ch. 2, p. 22, 25. Μ· Voir plus haut, ch. 4, p. 133. H(l. Athanase, Vie de sa in t Antoine, p . 139. flfi. Ewa Wipszicka, «Les activités de production et la structure sociale des commu­ nautés monastiques égyptiennes», dans O. Delouis et M. Mossakowska-Gaubert (éd.), i j Roman S tu dies , 6i,

l a Vie quotidienne des m oines en Orient e t en Occident ( i v e-x e siècle). 1, L’é ta t des sources,

l.c*Caire, ifao, 2015, p. 57-68. (17. Sentences, p. 41 (Agathon, 16). flH. Sentences, p. 274. (19. Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, éd. P. Maraval (SC 178), 1971, p. 159,165,177. fm. Basile de Césarée, Les Règles m onastiques, Maredsous, 1969, q. 29, p. 107-108. fu. Ibid., q. 41, p. 129; q. 82 p. 226. fut. Ibid., q. 41, p. 130: «Si quelqu’un possède un métier non désapprouvé par la com­ munauté, il ne faut pas qu’il l’abandonne.» fij. Sentences, p. 293. fi4. Basile, Les Règles, q. 58, p. 210; Id., P etit recueil ascétique, Bégrolles-en-Mauges, Ahbaye de Bellefontaine, 2013, p. 147-148. f·!,. Basile, Les Règles, q. 37, p. 122. M». Sentences, p. 233. fi7. Sentences, p. 261. fiH. Évagre le Pontique, Traité p ra tiq u e ou le moine, éd. A. et C. Guillaumont (sc 170171), 1971, p. 507: «Que les pensées mauvaises troublent l’âme ou ne la trouble pas, tria ne dépend pas de nous; mais qu’elles s’attardent ou ne s’attardent pas, qu’elles ilrdcnchent les passions ou ne les déclenchent pas, voilà qui dépend de nous.» 389

NOTES

69. Origène, Homélies sur Luc, éd. H. Crouzel (sc 87), 1962, p. 503, sur les tentations du Christ au désert, source importante pour la doctrine d’Évagre. 70. Histoire lausiaque, 18, p 121-125. 71. Albert Pietersma, The Apocryphon ofjannes and Jambres the magicians, Leyde, Brill,

1997, ρ· 32, 116-121. Sentences, p . 14.

72.

73. Jérôme, Epistulae, éd. I. Hilberg (c s e l 56), 1918, Ep. 125 (411), p. 130: «Ne laisse pas aller ton esprit à diverses émotions, car si elles se logent dans ton cœur, elle te domine­ ront et te conduiront aux pires transgressions. Mets-toi plutôt à quelque ouvrage, que le diable te trouve toujours occupé [...] tresse un petit panier de jonc on une corbeille d’osier souple, laboure ton terrain, divise ton parterre en parcelles égales que tu irri­ gueras après y avoir semé des choux ou posé des plantes. » 74. Il est toutefois vraisemblable que l’homme Jésus, éduqué par des rabbins qui prô­ naient et pratiquaient eux-mêmes le travail manuel, a dû apprendre une profession, à l’instar de Paul. 75. Cette interprétation était courante au Moyen Âge, cf. Johannes de Caulibus, Meditationes vitae Christi, éd. M. Stallings-Taney (c c c m 153), 1997,15,102: «Ils ne l’esti­ maient pas mais le méprisaient et se moquaient de lui en disant “qui est celui-ci, n’estce pas le fils de l’artisan ?” et d’autres paroles moqueuses et dégradantes. » 76. Ibid., 15, 167, Jésus aide seulement sa mère. Le travail aux côtés de Joseph est une invention de Jean Gerson, Josephina, éd. Isabel Iribarren, Paris, Belles-Lettres, 2019, 1.1, p. 180-183 (“À partir d’ici, il est permis de déduire bien des choses/qu’il n’est certes pas nécessaire de croire, etc.»). Gerson développe une suggestion de Ludolphe le Chartreux, Vita Christi, éd. L. M. Rigollot, Paris, 1865, p. 133: «Jésus qui leur était sou­ mis dut partager leurs travaux, afin de montrer sa parfaite obéissance.» En revanche, dans l'Histoire de Joseph le charpentier, apocryphe du vie siècle, la narration de Jésus évoque le labeur de Joseph et de ses frères Jacques et Simon, mais non le sien, cf. Écrits apocryphes chrétiens, P. Géoltrain, J.-D. Kaestli (éds.), Paris, Gallimard, 2005, t. 2, p. 35. 77. La proximité de thèmes et de vocabulaire entre les deux lettres, d’où l’on déduit parfois que la seconde est un faux, laisse plutôt penser que cette dernière a été écrite pour préciser le message de la première, à peu de temps d’écart, celui qu’il a fallu à Timothée pour faire l’aller-retour d’Athènes à Thessalonique. L’insistance de Paul à affirmer qu’il signe de sa main pour authentifier le document implique que le corps de la lettre a été dicté à un scribe et doit être perçu comme un signe d’authenticité, non de fausseté. 78. Les élucubrations de Carl Schmitt qui identifiait le katéchon à l’empire, romain ou nazi, continuent malheureusement de susciter une bibliographie infinie. Pour s’en prémunir, voir au moins Marco Rizzi, «Storia di un inganno (ermeneutico): il Katéchon e l’Anticristo nelle intepretazioni del 11 e ni secolo della Seconda lettera ai Tessalonicesi», dans M. Nicoletti (éd.), Il Katéchon (2TS 2,6-7) e l’Anticristo. Tecnologia e politica difronte al mistero delVanomia, Brescia, Morcelliana, 2009, p. 41-56 et Gian Luca Potestà, Le Dernier Messie. Prophétie et souveraineté au Moyen Âge, Paris, Belles-Lettres, 2018 [2014]. 79. La première épître aux Thessaloniciens est habituellement considérée comme plus ancien document conservé de Paul, rédigé lors de son séjour à Athènes ou Corinthe (vers 51-52), et donc antérieure à la première épître aux Corinthiens dans laquelle on identifie traditionnellement l’expression des vertus théologales (1 Cor 13,4-7). 80. Le terme qui revient le plus souvent est le pluriel «co-ouvriers», συνεργοί (ι Cor 3,9; 2 Cor 1,24 ; Col 4,11 ; Phil 1,24 ; 3 Jn 1,8). 81. Vie dAntoine, p. 187: «Car si nous vivons aussi comme devant mourir chaque jour, nous ne pécherons pas». Évagre, Le Pratique, p. 567: «Voici ce que disait notre maître [Macaire l’Egyptien] saint et très pratique: Il faut que le moine se tienne toujours prêt, comme s’il devait mourir le lendemain, et, inversement, qu’il use de son corps comme s’il devait vivre avec lui de nombreuses années.» 82. Histoire lausiaque, 47, p. 317. 390

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H,). A. Guillaumont, «Le dépaysement comme forme d’ascèse dans le monachisme ancien », dans Id., Aux origines du monachisme. H4. Sentences , p. 306. Hjv Sentences (Pœmen, 22), p. 228 H6. Les observations présentées ici viennent d’une analyse de l’ensemble des témoi­ gnages rapportés par Pallade dans L’H istoire lausiaque et la Collection alphabétique , qui me semble représenter un état antérieur du regroupement des paroles des anciens. Je n’ignore pas que la Collection systém atiqu e contient une longue section intitulée ■Des vieillards clairvoyants» (éd. J-Cl. Guy, sc 498, 2005, p. 39-137). On peut seulement rn déduire de cet écart que les premiers Pères étaient plus discrets sur leurs visions. H7. Les Apophtegm es des Pères. Collection systém atique, éd. J.-C. Guy (SC 474), p. 35-37, Abba Jean Colobos. HH. Sentences , p. 264: Seuls Pambon, Sisoès et Silvain avaient «le visage glorifié». H9. H istoire lausiaque. Ces dons sont attribués à Benjamin (12), Macaire le jeune (15), Moïse PÉthiopien (19), Paul le Simple (22), Etienne (24), Moïse le Libyen (39) Innocent (44), Sisinnius (49). 90. H istoire lausiaque , 38, p. 279: «Et à un de ses disciples il dit ce qui devait arriver au bout de dix-huit ans, lui ayant tout prophétisé selon une vision.» Macaire d’Égypte (17) et la vierge Piamoun (31) avaient aussi un don de prédiction, qui n’implique pas de vision. 91. H istoire lausiaque , 35, p. 235: «Ayant passé trente années complètes enfermé et rece­ vant par une fenêtre de celui qui l’assistait les choses nécessaires, il fut jugé digne du don de prédictions. Entre autres même il envoya différentes prédictions au bienheu­ reux empereur Théodose, et, à propos du tyran Maxime, qu’après l’avoir vaincu, il s’en reviendra des Gaules. Et pareillement encore il lui donna de bonnes nouvelles au sujet du tyran Eugène.» 92. H istoire lausiaque , 47, p. 315: «Il avait un don de science des divines écritures de l'Ancien et du Nouveau Testament, l’interprétant tout entier sans avoir lu d’écritures; mais il était modeste au point de voiler sa vertu de prophétie. » 93. Athanase, Vie d ’A ntoine , épisodes des philosophes., p. 321-323. 94. Ibid. j p. 294: «Étant descendu de la montagne sur l’exhortation des évêques et de tous les frères, il alla à Alexandrie, condamna publiquement les ariens»; Id., Lettres, Abbaye de Bellefontaine, 1976, p. 109. 95. Code Théodosien, 16, 3, 1-2. Voir Giorgio Barone Adesi, M onachesimo ortodosso t/’Oriente e t diritto rom ano nel tardo antico , Milan, Giuffrè, 1990, p. 235-242. 96. Antoine, Lettres , p. 75. Voir aussi, p. 45-48. 97. Weber, L’Éthique , p. 135-136. 9H. Voir plus haut, ch. iv, p. 124-125. 99. Francis Tiso, Rainbow body an d resurrection. Spiritual attainm ent, the dissolution o f the m aterial body, an d the case ofK h en poA Chö , Berkeley, North Atlantic Books, 2016. 100. Évagre, Le P ratique , p. 521-523. 101. Dans une bibliographie pléthorique, voir en dernier lieu Julie Giangiobbe, ••I.C péché d’acedia, de l’aversion à l’indifférence. Une réflexion à partir d’Évagre», Revue des sciences philosoph iqu es e t théologiques , 100, 2016, p. 185-208. Pour une lecture psychanalytique, Lucrèce Luciani-Zidane, L’A cédie. Le vice de fo rm e du christianism e. I>e Saint Paul à Lacan , Paris, Cerf, 2009. 102. Pionnier de cette lecture psychologique, Paul Alphandéry, «De quelques docu­ ments médiévaux relatifs à des états psychasthéniques »Journal de psychologie normale et pathologique , 25,1929, p. 763-787. Plus récemment, Bernard Forthomme, De l ’acédie m onastique à l’anxio-dépression. H istoire philosophique de la transform ation d ’un vice en puthologie, Paris, Synthélabo, 2000. 103. Évagre, Le Pratique , p. 565: «Il ne faut pas déserter la cellule à l’heure des tenta­

tions, si plausibles que soient les prétextes que l’on se forge; mais il faut rester assis à l'intérieur, être persévérant [hypomenein), et accueillir vaillamment tous les assaillants, Ions, mais surtout le démon de l’acédie». 391

NOTES

104. Sentences (Hierax 1), p. 333. 105. I. Heullant-Donat, J. Claustre, É. Lusset (éd.), Enfermements. Le cloître et la prison (v ie-x v m e siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2011. Le rapport entre couvent, prison et usine est bien entendu un argument central de Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison,, Paris, Gallimard, 1975, qui ne s’est cependant pas vrai­ ment soucié d’établir une généalogie précise. 106. Pierre Musso, La Religion industrielle. Monastère, manufacture, usine. Une généalo­ gie de l’entreprise, Paris, Fayard, 2017. Tout en partageant la thèse générale, je ne suis pas convaincu par l’ensemble de la démonstration, notamment en raison d’un appui non critique pris sur les propositions de Pierre Legendre qui reposent sur une vision de l’histoire du droit médiéval invalidée par les recherches menées depuis 60 ans. 107. De nombreuses synthèses de qualité sur l’histoire du monachisme latin peuvent nous dispenser d’en proposer ici un tableau complet. Outre les travaux d’A. de Vogüé, voir en dernier lieu, Jean-Luc Molinier, Solitude et communion (iv e-vie siècle), Paris, Cerf, 2016, 2 vols. 108. Règle des quatre pères dans Les Règles des saints Pères. Trois règles de Lérins au v esiècle, éd. A. de Vogüé (SC 297), 1982, p. 183: «Nous voulons donc qu’un seul soit à la tête de tous.» 109. Ibid., p. 195-197. La deuxième règle maintient l’horaire, en précisant que les trois heures d’études pourront être supprimées au bénéfice de travaux communs, p. 279. 110. Alypius, Ordo monasterii, 2: «Operentur a mane usque ad sextam, et a sexta usque ad nonam vacent lectioni, et ad nonam reddant codices.» 111. Jacques Dalarun, Modèle monastique. Un laboratoire de la modernité, c n r s Éditions, 2019, p. 29-30. 112. Jean-Claude Schmitt, Les Rythmes au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2016, p. 255-265. 113. Règle du Maître, 50, éd. A. de Vogüé (sc 106), t. 2, p. 223: «Lorsqu’un frère travaille en fixant les yeux sur son travail manuel, il occupe son esprit à ce qu’il fait, il n’a pas le temps de songer à rien et il ne sombre pas dans les flots du désir. En effet, sa pensée ne se dessèche pas dans les distractions provenant des yeux, dès lors que sa main, occu­ pée avec son esprit, exécute quelque chose.» 114. Ibid., 3-6, p. 365-381· 115. Règle de saint Benoît, 48, éd. A. de Vogüé (sc 182), 1972, p. 601: «Car c’est alors qu’ils sont vraiment moines, s’ils vivent du travail (labor) de leurs mains.» Cette clause n’est pas une légitimation du travail des champs, mais la justification d’une exception. 116. Ibid., 7 (SC 181), p. 489: «À l’œuvre de Dieu, à l’oratoire, au monastère, au jardin, en voyage, aux champs, partout, qu’il soit assis, en marche ou debout, il ait sans cesse la tête inclinée, le regard fixé au sol, et se croyant à tout instant coupable de ses péchés, il croie déjà comparaître au terrible jugement.» 117. Vie des Pères du Jura, éd. F. Martin (sc 142), 1968, p. 248-250, 264. Il est précisé, p. 252, que Romain avait rapporté d’un séjour à Lyon un exemplaire de la Vie des Pères et les Institutions de Cassien. 118. Jonas de Bobbio, Vie de saint Colomban et ses disciples, trad. A. de Vogüé, Bellefontaine, 1988, p. 111,133. 119. Michel Lauwers, «Le “travail” sans la domination? Notes d’historiographie et de sémantique à propos du labeur des cultivateurs dans l’Occident médiéval», dans A. Dierkens, N. Schroeder, A. Wilkin (éd.), Écrire l’histoire de la paysannerie médiévale, un pari impossible?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 303-332; Id., «Opus manuum et labor agrorum. À propos de l’organisation socio-spatiale de la production et de l’approvisionnement des monastères dans l’Occident médiéval», dans Monachesimi d ’Oriente et d’Occidente nell’alto Medioevo, Spolète, c i s a m , 2017, p. 877-917. 120. Synthèse dans Emilia Jamroziak, The Cistercian order in medieval Europe, 1090-1500, Londres, Routledge, 2013, p. 184-198. En dernier lieu, A. Baudin, P. Benoît, J. Rouillard, B. Rouzeau (éd.), L’Industrie cistercienne (xne-xxie siècles), Paris, Somogy, 2019. 121. Conrad d’Eberbach, Le Grand Exorde de Cîteaux, J. Berlioz (éd.), Turnhout, Brepols, 1998, p. 127-130. Seul contre-exemple, p.111, l’abbé Henri participe à la récolte du foin. 392

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in. J. Le Goff, «Les trois fonctions indo-européennes, l’histoire et l’Europe féodale», p. 1187-1215, voir p. 1205-1207, où Le Goff conteste l’interprétation île Georges Duby. 123. Morton W. Bloomfield, The Seven deadly sins. An introduction to the history o f a religious concept, w ith special reference to m edieval english literature , Michigan State College Press, 1952; Carla Casagrande, Silvana Vecchio, H istoire des péch és capitaux au Moyen Âge , Paris, Aubier, 2003 [2000] ; Siegfried Wenzel, The Sin o f sloth. Acedia in m edieval thought an d literature , University of North Carolina Press, 1967. 124. Jean Cassien, Institutions cénobitiques , 10,1 éd. J.-C. Guy (sc 109), 1965, p. 385. 125. S. Wenzel, «Acedia, 700-1200», Traditio , 22,1966, p. 73-102. 126. S. Wenzel, Sloth. 127. Speculum m orale , col. 1205, cité par S. Wenzel, Sloth , p. 91. Cette vaste compilation est due à un franciscain actif à proximité de la cour capétienne à la fin du xi 11e siècle, ef. Tomas Zahora, «Amending Aquinas: textual bricolage of the Speculum dom inarum ns an authorial strategy in the compilation Speculum m orale », Cahiers de recherches m édiévales e t hum anistes , 24,2012, p. 505-524. 128. Guillaume Peyraud, Sum mae virtutum ac vitiorum . Paris, Boullenger, 1648, t. 2, p. 165-210. 129. Ibid., p. 181-182. 130. Hilârio Franco Junior, Cocagne. H istoire d'un p a y s im aginaire , Paris, Arkhè, 2013 I »998], qui reproduit le fabliau ; Jean-Claude Schmitt, Les Rythm es au Moyen Âge , Paris, Gallimard, 2016, p. 670-678. 131. G. Peyraud, Sum mae virtu tu m , p. 172-173. 132. C’est le sens que propose la Traduction œcuménique de la Bible, menée sur le texte hébreu: «Observe les circonstances et garde-toi du mal.» La King James’ Bible avait: «Observe the opportunity.» 133. Geoffroy d’Auxerre, De colloquio Sim oni cum Jesu , PL 184, c. 465C. 134. Anselme de Canterbury, «Méditation pour provoquer la peur», trad. C. Giraud, écrits spirituels du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2019, p. 77. 135. G. Peyraud, Sum m ae , p. 173: «Si nous perdons le temps, d’une certaine façon, nous nous perdons nous-mêmes. » 136. Jourdain de Saxe, Serm ones , éd. B. Hodel, Rome, Institutum historicum Ordinis fratrum praedicatorum, 2005, Sermo 2, in principio quadragesime ; il est employé au xm e siècle par Guillaume d’Auvergne, Étienne de Bourbon, Humbert de Romans, et jusqu’au xvie siècle par Charles Borromée, H omeliae, éd. J. A. Saxii, Augsbourg, Veith, 1758, Homélie 44, p. 307-308. 137. J. Le Goff, «Temps de l’Église, temps du marchand », Annales ESC , 15, i960, p. 417-433. Sur ce texte, je me permets de renvoyer à S. Piron, «Historien du temps», dans Une autre histoire : Jacques Le G off (1924-2014),]. Revel, J.-Cl. Schmitt (éd.), Paris, Éditions de i T l H E S S , 2OI5, p. 7I-77 138. Cité par S. Wenzel, The Sin o f sloth, p. 91. Voir Mary A. Devlin, The Serm ons o f Thomas Brinton, Bishop o f Rochester 1373-1389, Londres, Royal Historical Society, 1954. 139. Columba M. Battle, Die Adhortationes sanctorum patrum, Verba seniorum im lateinischen M ittelalter. Überlieferung ; Fortleben und Wirkung, Münster, Aschendorff, 1972; Patrick Henriet, «Remarques sur les origines et sur l’importance des recueils ile Vitae p a tru m dans le monde latin», dans P.F. Alberto, P. Chiesa, M. Goullet (éd.), Annales e s c , 34,1979,

Understanding hagiography. Studies in the textu al transm ission o f early m edieval saints' lives, Firenze, Galluzzo, 2020, p. 191-209. 140. Lester K. Little, Religious p o v erty an d the p rofit economy in m edieval Europe,

London, 1978, p. 70-83. 141. Humbert de Romans, Opera de vita regulari, éd. J. J. Berthier, Roma, Befani, 18881889,2 vols. 142. Alain Boureau, «Vitae fratru m , Vitae patru m . L’Ordre dominicain et le modèle des Pères du désert au x m e siècle», M élanges de l'École fran çaise de Rome. Moyen Âge, tem ps m odernes, 99,1987, p. 79-100. 393

NOTES

143. Jacques de Voragine, La Légende dorée, Alain Boureau et al. (éd.), Paris, Gallimard, 2004. 144. L’histoire des moines d’Égypte, suivie de La vie de saint Paul le simple, éd. M. Szkilnik, Genève, Droz, 1993. Voir aussi les textes étudiés par Élisabeth Pinto-Mathieu, La Vie des Pères. Genèse de contes religieux du xi 11e siècle, Paris, Champion, 2009. 145. Domenico Cavalca, Vite dei santi Padri, éd. C. Delcorno, Firenze, Galluzzo, 2009; Carlo Delcorno, La tradizione delle “Vite dei santi padri”, Venezia, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 2000; Id., Città e deserto: studi sulle ‘Vite dei Santi Padri’ di Domenico Cavalca, Spoleto, ci sam, 2016. 146. Alessandra Malquori, Il Giardino dell’anima. Ascesi e propaganda nelle Tebaidi flo­ rentine del Quattrocento, Florence, Centro Di, 2012; Ead. (dir), Atlante delle Tebaidi e dei ternifigurativi, Florence, Centro Di, 2013. 147. Christian Bec, Les Marchands écrivains. Affaires et humanisme à Florence, 1375-1434, La Haye-Paris, Mouton, 1967. Voir par exemple Giovanni di Pagolo Morelli, Ricordi, éd. Cl. Tripodi, Firenze University Press, 2019, p. 167: «Senpre leali sieno i tuoi guadangni/e di sudore il tuo pane si bangni.» 148. John Van Engen, Sisters and brothers of the Common Life. The Devotio Moderna and the world of the later Middle Ages, University of Pennsylvania Press, 2008; Devotio moderna. Basic Writings, éd. J. Van Engen, Mahwah, Paulist Press, 1988. 149. Theo Klausmann, Consuetudo Consuetudine Vincitur. Die Hausordnungen der Brüder vom gemeinsamen Leben im Bildungs- und Sozialisationsprogramm der Devotio moderna, Berne, Peter Lang, 2003. 150. Florent Radewijns, Petit manuel pour le dévot moderne, éd. fr. J. Legrand, Turnhout,

Brepols, 1999. 151. Thomas a Kempis, L’Imitation de Jésus-Christ, 1, 19, trad. F. de Lammenais, Paris, Garnier, 1864, p. 66: «Ne soyez jamais tout a fait oisif, mais lisez, ou écrivez, ou priez, ou méditez, ou travaillez à quelque chose d’utile à la communauté. Il ne faut cepen­ dant s’appliquer qu’avec discrétion aux exercices du corps, et ils ne conviennent pas également à tous. » 152. Martin Luther, «Jugement de Martin Luther sur les vœux monastiques» [1521], dans Œuvres, p. 887-888. 133. Ibid., p. 898. 154. Ibid., p. 891, 943. 155. Ibid., p. 893. 156. La biographie récente la plus précise est celle de François Delmas-Goyon, Saint François d’Assise. Le frère de toute créature, Paris, Éditions franciscaines, 2008. Je résume ici un argumentaire développé dans S. Piron, «An Institution made of indi­ viduals. Peter John Olivi and Angelo Clareno on the franciscan experience», dans J. Sabapathy, A. Fitzpatrick (éd.), Institutions and individuals in medieval scholasticism, University of London Press, 2020, p. 157-176. 157. Frère Jean, Du Commencement de l’ordre, 11a, dans Francois d ’Assise. Écrits, Vies, témoignages, J. Dalarun (éd.), Paris, Cerf-Éditions franciscaines, 2010,1 . 1, p. 995; [Rufin d’Assise], Légende des trois compagnons, 28-29, Ibid., p. 1116-1117. 158. Frère Léon, Compilation d ’Assise, 18, Ibid., p. 1237-1239. Sur l’importance du témoi­ gnage de Léon, voir S. Piron, «Note sur Léon et Rufin, l’écriture et le corps», Archivum franciscanum historicum, 110, 2018, p. 365-375. 159. Testament, dans François d ’Assise, 1.1, p. 510. 160. J. Dalarun, Gouverner c’est servir. Essai de démocratie médiévale, Paris, Alma, 2012. 161. Règle et vie desfrères mineurs (non bullata), 5, dans François d ’Assise, 1. 1, p. 195. 162. Règle et vie des frères mineurs (bullata), 10,3, Ibid., p. 269. 163. Règle du Maître, 1.1, p. 351-353, repris dans Règle de saint Benoît, ch. 2. 164. S. Piron, «L’expérience subjective chez Pierre de Jean Olivi», dans O. Boulnois (éd.), Généalogies du sujet. De saint Anselme à Malebranche, Paris, Vrin, 2007, p. 43-54. 165. Pierre de Jean Olivi, Quaestiones in secundum librum Sententiarum, éd. B. Jansen, Quaracchi, Collegium S. Bonaventurae, 1922-1926, t. 2, q. 52, p. 199-200, q. 54, t. 2, 394

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p. 249-251 ; t 3, q. 74, p. 126. La comparaison avec John Locke, Identité e t difference, l'invention de la conscience, éd É. Balibar, Paris, Seuil, 1998, est très instructive. 166. David Burr, Olivi an d franciscan poverty. The origins o f the usus p a u per controversy, University of Pennsylvania Press, 1989. 167. Aquilino Emmen, «La dottrina dell’Olivi sui valore religioso dei voti», S tu difran cescani, 63,1966, p. 88-108. 168. D. Burr, Olivi andfranciscan poverty. 169. P. J. Olivi, Quaestio de votis dispensan dis , dans Quaestiones de rom ano pontifice , éd. M. Bartoli, Grottaferrata, 2002, p. 121-170. 170. D. Burr, The Spiritual Franciscans. From p ro te st to persecution in the century after Saint Francis, Pennsylvania University Press, 2000 ; Louisa Burnham, So Great a light, So grea t a fire. The béguins heretics o f Languedoc, Cornell University Press, 2007. 171. Guillaume dOckham, Dialogus , éd. A. Salerno, Milan, Bompiani, 2015, p. 614. 172. S. Piron, «La bibliothèque portative des fraticelles, 1. Le manuscrit de Pesaro», Oliviana, 5, 2016 [en ligne: https://journals.openedition.org/oliviana/804]; Id., «The dissemination of Barthélemy Sicard’s P ostilla super Danielem » dans Michael Bailey, Sean L. Field (éd.), Late m edieval heresy. New Perspectives. Studies in honor o f R obert E. Lerner, Londres, Boydell &Brewer, 2018, p. 35-55. 173. Gian Luca Potestà, Angelo Clareno. D ai poveri erem iti a i fra tice lli , Rome, i s i m e , 1990; Id., «Genesi e fo rtu n a delle traduzioni d i Angelo Clareno», dans B. Cabouret, A. Peters-Custot, C. Rouxpetel (éd.), La réception des Pères grecs e t orientaux en Italie au Moyen Âge ( v e-x v e siècle), Paris-Lyon, Le Cerf-MOM, 2020, p. 269-286; Armelle Le Huërou, «Angelo Clareno et quelques Pères grecs», Oliviana, 6, 2020 [en ligne: http://journals.openedition.org/oliviana/1369]. 174. Bernardin de Sienne, Quadragesim ale de Euangelio aeterno, sermo 24, Quaracchi, Collegium S. Bonaventurae (Opera om nia, t. 3), 1956, p. 393 sq, reprend l’essentiel de la doctrine du vœu d’Olivi. 175. B. Franklin, A utobiography, p. 8 : «Little or no Notice was ever taken of what related to the Victuals on the Table, whether it was well or ill drest, in or out of season, of good or bad flavour, preferable or inferior to this or that other thing of the kind; so that I was bro’t up in such a perfect Inattention to those Matters as to be quite Indifferent what kind of Food was set before me. » 176. Walter Benjamin, Le C apitalism e comme religion, Paris, Payot, 2019 [1921], p. 59. 177. Quaestiones, t. 2, q. 57. 178. Albert Schmucki, «La valeur de Vamor am icitiae dans l’éthique olivienne», à paraître.

N O TES D U C H A PIT R E VII

1. M. Weber, L’Éthique p ro testan te, p. 56 : «Le concept à'industria et la valeur qui lui est accordée sont évidemment empruntés en dernière instance à l’ascèse monastique. » 2. Paul Harsin, «De quand date le mot industrie?», Annales d ’histoire économique et sociale, 2,1930, p. 235-242, clôt le débat entre Henri Sée et Henri Hauser en montrant que cet emploi du mot est acquis dès le début du xvm e siècle. Voir aussi Arnault Skornicki, «La deuxième vie du doux commerce. Métamorphoses et crise d’un lieu commun à l’aube de l’ère industrielle», Astérion, 20, 2019 [en ligne: http://journals.openedition.org/asterion/3889]. 3. Pierre Musso, La Religion industrielle , p. 31-39. 4. Même si la langue anglaise appartient au groupe germanique, on estime qu’environ 60% du lexique anglais est d’origine française ou latine. Sur la formation de la langue moderne comme un créole français-saxon, voir Christiane Dalton-Puffer, «Middle English is a creole and its opposite. On the value of plausible speculation », dans J. Fisiak (éd.), Linguistic change under contact conditions, Berlin, Mouton, 2001, Ρ· 3 5 -5 0 . 395

NOTES

5. Giovanni Balbi, Catholicon, Venise, J. Badius, 1506: «Industrius, a, um, i: studiosus, agilis, vigilans, efficax, perseverans, impiger, solers; unde industrie adv., industria, i. assiduitas, studium, cupiditas, ardor, aviditas, perseverantia, solertia, vigilantia.» 6. Firmin Le Ver, Dictionnaire latin-français, &d. B. Merrilees, W. Edwards, Turnhout, Brepols, 1994, p. 233: «Industria: entente, diligence, soing, soubstivetés, estudie, idest studium, cura, diligentia, providentia, solertia, vigilantia et frequens exercitium circa honestam rem»; Guillaume Le Talleur, Dictionarius familiaris et compendiosus, éd. W. Edwards, B. Merrilees, Brepols, 2002. 7. Festus, De significatione verborum, 94, 15: «Industrium: antiqui dicebant indostruum, quasi qui, quicquid ageret, intro strueret et studeret domi. » 8. É. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Minuit, 1969, 1.1, p. 306. 9. Salluste, De Catilinae coniuratione, 52. 10. Cicéron, Pro lege Manilia (de imperio Cn. Pompei) oratio, 29, p. 16. 11. Tacite, Annales, 1, 44, 5. 12. J. Hellegouarc’h, Le Vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, Belles-Lettres, 1972, p. 252-254. Je remercie Sarah Rey et Pierre Vesperini pour leurs conseils sur tous ces textes classiques. 13. Tiberius Claudius Donatus, Interpretationes Virgilianae, éd. H. Georg, Leipzig, Teubner, 1905,1. 1, p. 89. 14. Augustin, De nuptiis et concupiscentia, 2, 9 : «Tous les ouvriers agissent avec tout le travail et l’industrie possible pour ne pas rougir de leurs œuvres»; Sermones ad popu­ lum, 223G : «Ils veillent, ouvriers, paysans, marins, pêcheurs, voyageurs, marchands [...] et tout ce qui relève des arts et de l’industrie où se passe la vie humaine.» Voir Sabine McCormack, «The Virtue of Work. An Augustinian Transformation», Antiquité tardive, 9 , 2 0 0 1 , p. 219-237. 15. Pierre Damien, Epistulae, éd. K. Reindel, Munich, m g h , 1983, t. 2, p. 414: «Le verre est fait de sable, par l’industrie de l’art humain». 16. Ambroise, De officiis, 1, 18, p. 28-30: «Que la nature informe le mouvement. Sans doute s’il y a quelque vice dans la nature, que l’industrie l’amende: si l’art fait défaut, que ne fasse pas défaut la correction [...] En effet en imitant la nature, l’industrie a accru la grâce»; Cassiodore, Variarum libri duodecim , 12,14: «Là le champ nu est cou­ vert de bétail, par industrie plus que par nature»; Jean Cassien, Collationes, 6, 16, éd. M. Petschenig (c s e l 13), 1886, p. 175. 17. Diffinitiones magistri Hugonis, dans Roger Baron, «Hugues de Saint-Victor lexico­ graphe. Trois textes inédits», Cultura neolatina, 16,1956, p. 128: «Industria est scientia cum labore adquisita.» 18. Ibid. : «Natura creatrix est quedam vis et potencia divinitus rebus insita alia ex aliis in suo genere perducens [...] Studium est vehemens applicatio animi ad aliquid agen­ dum cum delectatione faciendi.» 19. Marie-Dominique Chenu, La Théologie au x n e siècle, Paris, Vrin, 1957. 20. Alain de Lille, Distinctiones (p l , 210) c. 871 ; La Plainte de Nature, Grenoble, J. Millon, 2013. 21. De tribus diebus, éd. D. Poirel (c c c m , 177), 2002. 22. De contemplatione (Beniamin maior), éd. J. Grosfillier, Brepols, Turnhout, 2014, p. 161-163: «Autre, en effet, est l’action de la nature, et autre celle de l’industrie.» 23. Par exemple, Michel de Montaigne, Essais, 2, 12: «Dieu est bon par sa nature, l’homme par son industrie, qui est plus.» 24. Bernard de Clairvaux, Sermones super Cantica Canticorum, p. 297: «Ce que j’ai dit doit être présumé de la grâce, non pas de la nature ni de l’industrie»; Robert de Liège, Liber apologeticorum de uoluntate Dei, éd. M. L. Arduini (c c c m 28), 2012, p. 14: «La divi­ nité, qu’il ne possède pas par nature, peut être obtenue par industrie, avec l’aide de la grâce.» 25. Thomas Gallus, Explanatio in libros Dionysii éd. D. A. Lawell (c c c m 223), 2011, p. 641: «Il a en effet deux ailes dans la nature, deux dans l’industrie, deux au-delà de la nature 396

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et l’industrie.» Voir aussi, p. 634. Repris par Bonaventure, C ollationes in H exaemeron [Opera Om nia, s)» Quaracchi, Coll. S. Bonaventurae, 1891 p. 441; Jean Gerson, Super Cantica Canticorum (1Œuvres com plètes, t. 8), éd. P. Glorieux, Paris, Tournai, 1973, p. 627. 26. Thomas Aquinas, Sententia libri Ethicorum , i, 14. 27. Voir plus haut, chapitre iv, p. 118. 28. Pseudo-Chrysostome, Opus im perfectus in M attheum (pg 56, 839), dans Grat. 88,11 (1, 309-310): «Celui qui achète une chose afin de s’enrichir en la revendant entière et inchangée, celui-là est un marchand qui doit être expulsé du temple de Dieu.» 29. Cette argumentation est celle de la Sum ma fra tris A lexandri , t. 4» Quaracchi, Coll. S. Bonaventurae, 1948, p. 723. Voir Odd Langholm, Economics in the m edieval schools. Wealth, exchange, value, m oney an d usury according to the Paris theological tradition, 1200-1350, Leiden, Brill, 1992. 30. Henri de Gand, Q uodlibet i , éd. R. Macken, Leuven University Press, 1979, p. 229. 31. Jean Duns Scot, O rdinatio, iv, dist. 15, q. 2, in John Duns Scotus, P olitical and Economic P hilosophy , éd. A. Wolter, St Bonaventure, Franciscan Institute, 2001, p. 58. 32. Pierre de Jean Olivi, Traité des contrats, p. 115-117. 33. Giovanni Ceccarelli, «Le jeu comme contrat et le risicum chez Olivi», dans A. Boureau, S. Piron (éd.), Pierre de Jean Olivi (1248-1298). Pensée scolastique, dissidence spirituelle e t société, Paris, Vrin, 1999, p. 239-250. 34. Guillaume d’Auxerre, Sum ma aurea, éd. J. Ribailler, Grottaferrata, t. 111-2, p. 937, est le dernier à s’y opposer. 35. Thomas d’Aquin, Sum ma theologiae, nanae, q. 78, art. 3. 36. Le plus ancien usage que je relève se trouve chez un obscur avocat au Parlement de Bordeaux, Jean Constantin, Com m entaria in leges regias, Paris, Les Angeliers, 1545, p. 42V. La notion est intégrée au Code civil napoléonien, art. 547. 37. Nicole Oresme, Le Livre de politiqu es dA ristote, éd. A. Menut, Philadelphie, American Philosophical Association, 1971, p. 44: «Par la prudence et industrie qui est expliquée et descripte en cest doctrine les policies ont esté instituées, gardées et refor­ mées et les royalmes et princeys maintenus tant comme estoit possible», etc. 38. Ibid., p. 50: «Industrie de gouverner maison»; p. 62: «Industrie d’aquerir et garder pecune. Et par pecune est a entendre monnoie. » 39. Ibid., p. 188 : «Les uns sunt mal gardans et negligens de acquérir et les autres sunt de grande industrie, conveteus et curieus de aquerir. » 40. Exemples proposés par le Dictionnaire de Moyen fran çais [en ligne : http://www.atilf. fr/dmf]. 41. René de Lespinasse, Les M étiers e t corporations de la ville de Paris, ±4e-i8 e siècles, Paris, Imprimerie Nationale, 1892, t. 2, p. 401: «En l’art, science et industrie dudit mestier» (1407) ; etc. 42. Guillaume de Saint-André, Le Livre du Bon Jehan duc de Bretagne, v. 545: «Giens d’industrie.» 43. Oxford English Dictionary, Oxford, Clarendon Press, t. 2, p. 1209. 44. Ibid., p. 1205. 45. Dante, Convivio, iv, 7: «Per sua industria, cioè per acorgimento e per bontade d’ingegno, solo da sé guidato, per lo diritto cammino si va là dove intende...» J’ai souligné l’importance que le jeune Dante accordait à la qualité de son ingenium dans «Le poète et le théologien. Une rencontre dans le studium de Santa Croce», Picenum Seraphicum, 19, 2000, p. 87-134. 46. Voir les exemples donnés dans le Tesoro della lingua italiana delle origini [en ligne : http://tlio.ovi.cnr. it/TL10]. 47. Voir Antonio Montefusco (éd.), Francesco da Barberino a l crocevia: culture, società, bilinguism o, à paraître, Berlin, De Gruyter. 48. Francesco da Barberino, I Docum enti dAm ore, éd. Fr. Egidi, Roma, Società Filologica Romana, 1905, t. 2, p. 3-4. 49. Sara Bischetti, «Il punto sui Docum enti dAmore», dans A. Montefusco, Francesco da Barberinos.

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NOTES

50. Laurence Harf-Lancner et Maud Pérez-Simon, «Une lecture profane de YOvide moralisé », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 30, 2015, p. 167-196. 51. P. Musso, La Religion industrielle. 52. Georges Chastellain, Œuvres historiques inédites, éd. J. A. Buchon, Paris, Desrez, 1837, p. xxix-xxx. 53. Hélène Vérin, Entrepreneurs, entreprise. Histoire d ’une idée, Paris, Classiques Garnier, 2011 [1982]. 54. G. Chastellain, Œuvres historiques, p. xxx: «Dont sa diligence et activité qui tout se convertissoit en affaires publiques et en chose de prouffit et de gloire à son maître, tant multiplia en biens que en l’état de sa vocation n’avoit pareil à lui au monde. » 55. Giovanni Botero, Des Causes de la grandeur des villes, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2014, p. 39-42. 56. Louis de Jaucourt, «Industrie», Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers éd. D. Diderot et J. d’Alembert, Paris, 1765. 57. J.-B. Say, Traité d ’économie politique, Paris, Calmann-Lévy, 1972 [1803], p. 000. 58. Voir plus haut, chapitre 11, p. 56. 59. J.-B Say, Traité. 60. Ce décompte additionne les emplois du substantif industry et de l’adjectif indus­ trious. Les citations proviennent de la Glasgow Edition des œuvres d’A. Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, éd. W.B. Todd, Oxford University Press, 1975. J’indique entre parenthèses le passage correspondant dans la traduction française de G. Garnier, GF-Flammarion, 1991, 2 vols., mais en proposant dans le corps du texte mes propres traductions. 61. An Inquiry, p. 470 : «A workman can easily transfer his industry from one of them to another. » 62. An Inquiry, p. 604 (trad, fr, t. 2, p. 217). 63. An Inquiry, p. 11. 64. A chaque fois, le mot est accompagné de synonymes, pour indiquer qu’il est pris en un sens spécial, An Inquiry, p. 788: «Their exertion, their zeal and industry»; p. 791: «Their industry and vigilance.» 65. An Inquiry, p. 331. 66. An Inquiry, p 294: «Idle people who produce nothing [...] industrious people, who reproduce, with a profit, the value of their annual consumption» (11,1). 67. L’opposition entre «nations industrieuses» et «nations paresseuses» est un topos au x vm e siècle, dont l’expression la plus célèbre se trouve dans la théorie des climats de Montesquieu, L’Esprit des Lois (1758). 68. An Inquiry, p. 99: «The wages of labour are the encouragement of industry, which, like every other human quality, improves in proportion to the encouragement it receives» (trad p. 153). 69. An Inquiry, p. 75: «The whole quantity of industry annually employed in order to bring any commodity to market» (1, 7); p. 295: «When we compute the quantity of industry which the circulating capital of any society can employ» (trad. p. 378). 70. An Inquiry, p. 296 (trad. p. 378). 71. An Inquiry, p. 337(trad. p. 424). 72. An Inquiry, p. 277: «The same quantity of industry produces a much greater quan­ tity of work» (trad. p. 354). 73. An Inquiry, p. 10,11,13: «The skill, dexterity, and judgment with which its labour is generally applied » (trad. p. 65-67). 74. An Inquiry, p. 21: «Many improvements have been made by the ingenuity of the makers of the machines», ou p. 140. Le mot peut évoquer certains aspects de \'indus­ tria, p 65: «If the one species of labour requires an uncommon degree of dexterity and ingenuity»; p. 67: «Labour of inspection and direction». 75. An Inquiry, p. 10 (trad. p. 65). 76. Cette lecture a été établie par Anne-Claire Hoyng, Turgot et Smith, une étrange proximité, Paris, Champion, 2015. Contrôleur général des finances, Turgot employait 398

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le mot dans son acception courante de secteur distinct de l’agriculture et du com­ merce. Critiquant les scolastiques au sujet de l’usure, il leur reprend la justification du profit marchand par la triade travail, industrie et risque. Anne Robert Jacques I\irgot, Réflexions , § 62, 67, dans Id., Formation e t distribution des richesses , Paris, (iF-Flammarion, 1997, p. 195-196,200. 77. J. Steuart, An Inquiry into the Principles o f P olitical Oeconomy , éd. A. Skinner, Kdinburgh, Scottish Economic Society, 1966. 78. Smith, An Inquiry , p. 781-783, trad. t. 2, p. 406. 79. Say, Traité , ch. 6. 80. Ibid., ch. 13. 81. Jean-Antoine Chaptal, De Vindustrie fra n ça ise , Paris, Renouard, 1819,1.1, p. xxi-xxii. 82. Ibid., t. 2, p. 373. Une seule exception, 1.1, p. 28, il est question à propos de Gênes de «l’industrie et l’activité de ses habitants, l’habileté de ses matelots». 83. Sur la continuité avec Say, voir Adrien Lutz, «On commercial gluts, or when the Saint-Simonians adopted Jean-Baptiste Say’s view», Journal o f the H istory o f Economic Thought, 41, 2019, p. 209-236. Sur la fonction politique attribuée à l’industrialisation, Arnault Skornicki, «La deuxième vie du doux commerce. Métamorphoses et crise d’un lieu commun à l’aube de l’ère industrielle», A stérion , 20, 2019 [en ligne: https://journals.openedition.org/asterion/3889]. 84. Désiré Nisard, cité par Éric Chevillard, D ém olir N isard , Paris, Minuit, 2006, p. 181, lequel tire son information de Michel Lagrange, «Désiré Nisard, homme de lettres, homme d’esprit», Annales de Bourgogne , 63, 1991, p. 111-125. Ce dernier ne donne pas la provenance exacte de la citation, p. 119. La genèse du recueil de Charles Baudelaire et les différentes éditions de Fleurs du m al (1841-1867) correspondent à la phase de plus grande activité de Nisard qui fut élu à l’Académie française en 1850.

N O TES D U C H A PIT R E V III

1. L. Gernet, «La notion mythique de la valeur en Grèce», Journal de Psychologie, 41,1948, repris dans Id., Anthropologie de la Grèce antique, Paris, Flammarion, 1982 [1968], p. 121. 2. Le troisième quart de ce chapitre reprend, avec peu de modifications, un article inti­ tulé «Albert le Grand et le concept de valeur», dans R. Lambertini, L. Sileo (dir.), I Beni di questo mondo. Teorie etico-economiche nel laboratorio delVEuropa medievale, Porto, FID E M , 2010, p . I 3 I-I5 6 .

3. L’Autriche allemande englobait toutes les régions germanophones de l’ancien empire, avant la signature du traité de Saint-Germain-en-Laye. Pour une vue d’en­ semble de son projet intellectuel, Yuichi Shionoya, Schum peter an d the idea o f social science. A m etatheorical study, Cambridge University Press, 2007. Les biographies dis­ ponibles ne sont pas vraiment à la mesure de ce personnage flamboyant. Voir Richard Swedberg, Joseph Schumpeter. H is life an d w ork, Londres, Polity Press, 1991. 4. La scène est rapportée par Felix Somary, The Raven o f Zürich, Londres, Hurst, 1986 [i960], p. 120-121. Quand Weber, qui était sorti de ses gonds en hurlant et trépignant, fut parti, Schumpeter commenta en souriant: «Comment peut-on se comporter ainsi dans un café ?» L’enjeu de la rencontre concernait la succession de la chaire qu’occu­ pait Weber à l’université de Vienne, qui échappa donc à Schumpeter. 5. J. A. Schumpeter, Capitalism e, socialism e e t démocratie. La doctrine m arxiste, le capi­ talism e p eu t-il survivre ?, Paris, Payot, 1963. 6. Karl Polanyi, La Grande Transformation. Aux origines politiqu es et économiques de notre tem ps, Paris, Gallimard, 1983 [1944]. Je rappelle que la «transformation» annon­ cée par le titre ne correspond pas à l’avènement du libéralisme au xixe siècle, mais au début de son éclipse dans les années 1930. 7. J. A. Schumpeter, Esquisse d ’une histoire de la science économique des origines au débu t du x x e siècle, Paris, Dalloz, 1962 [1914]. L’étude fut publiée dans le premier volume du Grundriss der Sozialökonom ik. 399

NOTES

8. J. A. Schumpeter, Histoire de l'analyse économique, Paris, Gallimard, 1983 [1954], 3 vols. Soutenue en 1938, la thèse d’Elizabeth Boody fut publiée longtemps après son décès en 1953 '.English Overseas Trade Statistics, 1697-1808, Oxford, Clarendon, i960. 9. Schumpeter, Histoire de l’analyse, 1.1, ρ . ηη. ίο. Eugen von Böhm-Bawerk, Histoire critique des théories de l’intérêt du capital, Paris, Giard &Brière, 1903 [1884], p. 19-27. 11. Robert Loring Allen, Opening Doors. The Life and Work of Joseph Schumpeter, New Brunswick, Transaction Books, 1990, t. 2, p. 2-3. 12. Bernard W. Dempsey, Interest and usury, intr. J. A. Schumpeter, Londres, Dobson, 1948. Sur les auteurs étudiés, voir à présent Wim Decock, Le Marché du mérite, Bruxelles, Zones Sensibles, 2019. 13. Schumpeter, Histoire de l’analyse, 1.1, p. 157-168. 14. Ibid., p. 146, mais surtout p. 419-421, où l’analyse d’Olivi est décrite plus précisément chez Galiani qui la reprend verbatim. On y reviendra à la fin de ce chapitre. 15. Ibid., p. 388-403. 16. Voir L’Occupation du monde, p. 179-180. 17. Schumpeter, Histoire de l’analyse, p. 331. La position de Quesnay face à cette antino­ mie est plus complexe que ne le dit Schumpeter, car il articule approche monétaire et approche réelle. 18. Jean Cartelier, Money, markets and capital. The casefor a monetary analysis, Londres, Routledge, 2018. 19. Schumpeter, Histoire de l’analyse, 1.1, p. 403: «À mon sens, ces progrès en spirale ne sont pas rares: des théories qu’il est un progrès d’écarter peuvent revenir pour écarter celles qui leur avaient fait subir ce sort, et les deux phases de ce mouvement peuvent s’avérer bénéfiques pour les progrès de cette chose étrange qu’est la connaissance scientifique. » 20. Ibid., t. 3, p. 4 3 5 -4 4 2 , 4 7 5 -4 7 9 · 21. Don Patinkin, La Monnaie, l’intérêt et les prix. Une intégration de la théorie de la mon­ naie et de la théorie de la valeur, Paris, PUF, 1972 [1956]. 22. En raison de la perspective choisie, je n’engage pas ici une discussion avec la pro­ position d’histoire du concept de valeur proposée par Louis Dumont, Essais sur l’in­ dividualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Seuil, p. 254-299. 23. R. Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éd. de I’e h e s s , 1990. 24. J.-Cl. Perrot, Une Histoire intellectuelle de l’économie politique. x v ie-x v m e siècles, Paris, Éd. de I’e h e s s , 1992. 25. Anne-Marie Bautier, Monique Duchet-Suchaux, «Des néologismes en latin médié­ val. Approche statistique et répartition linguistique», Archivum latinitatis Medii Aevi, 44-45,1 9 8 5 , p. 43-63. 26. Sur la formation des langues romanes, Michel Banniard, Viva voce. Communication écrite et communication orale du iv e au ix e siècle en Occident latin, Paris, Institut des études augustiniennes, 1992. 27. Voir par exemple les travaux de Nicolas Perreaux, «L’écriture du monde (11). L’écriture comme facteur de régionalisation et de spiritualisation du mundus: études lexicales et sémantiques», Bulletin du centre d ’études médiévales d ’Auxerre, 20, 2016 [en ligne: http://journals.openedition.org/cem/14452]. 28. Giacomo Todeschini, Les Marchands et le Temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la richesse du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, Albin Michel, 2017 [2002], qu’il est utile d’éclairer par la lecture d’un livre antérieur: Ilprezzo della salvezza. Lessici medievali delpensiero economico, Rome, Nuova Italia scientifica, 1994. 29. Id., Les Marchands et le Temple, p. 21: «Le problème du sens des théories ou des doctrines économiques prémodernes n’est pas ici primordial, pour la simple et bonne raison qu’on n’est pas fondé à identifier une construction doctrinaire, donc théori­ quement structurée, à partir de systèmes signifiants dont la nature scientifique n’a 4 00

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été reconnue qu’après la phase de genèse discursive qui nous occupe ici.» La plupart îles théologiens scolastiques considéraient leur discipline comme une science et tous étaient convaincus de tenir des propos «théoriquement structurés». 30. La même sensibilité à la diversité des positions se retrouve chez Wim Decock, Le Marché du m érite.

.ii. G. Todeschini, Au p a y s des sans-nom. Gens de m auvaise vie, personnes suspectes ou ordinaires du Moyen Âge à Vépoque m oderne , Lagrasse, Verdier, 2015 [2007]. .μ. U. Eco, Trattato d i sem iotica generale , Milan, Bompiani, 1975, qui n’a été que partiel­ lement traduit en français, La produ ction des signes , Paris, Livre de poche, 1992. 33. Les recherches présentées ici ont été menées en 2003 dans les fichiers du «Nouveau Du Cange»; avec un grand retard, j’adresse toute ma reconnaissance à Caroline Meid et Bruno Bon pour leur accueil. Parmi les différents dictionnaires utilisés, voir en particulier le remarquable Dictionnaire étym ologique de l'Ancien Français publié à Heidelberg [en ligne : http://www.deaf-page.de]. Pour une vue d’ensemble du lexique latin classique, voir Léon Nadjo, LArgent e t les affaires à Rome des origines au 11e siècle avant J.-C. Étude d'un vocabulaire technique , Louvain-Paris, Peeters, 1989. .14. Le retour de m ercari en français sous la forme «commercer» est tardif (xve s.), mais son usage est attesté en italien au x m e siècle. 35. Le plus ancien exemple que je relève est un serment du comte de Besalù à l’arche­ vêque de Narbonne en 1053. Clovis Brunei, Les p lu s anciennes chartes en langue proven­ çale , Recueil des pièces originales antérieures au x i 11e siècle, Paris, 1926, p. 5, n° 3, traite la forme acaptara comme un terme occitan. 36. Giulio Bertoni, Testi antichi fra n cesi p e r uso delle scuole d i filologia rom anza , RomeMilan, Albrighi-Sedati et C°, 1908, p. 15: «Acheder co que li preirets/preiest li que de cest periculo nos liberet. » 37. La Vie de sa in t A lexis , 40, éd. G. Paris, L. Pannier, Paris, Franck, 1872, p. 141 : «Donc li achatet filie d’un noble franc.» Un vers de la dernière strophe confirme ce sens: «En icest siecle nos achat pais e joie. » 38. Paul Diacre, De verborum significatione 66,2: «Emere quod nunc est m ercari , antiqui accipiebant pro su m ere », cité par Alfred Ernout et Antoine Meillet, Dictionnaire étym o­ logique de la langue latin e , Paris, Klincksieck, 2001 [1932], p. 195. 39. B ritton , éd. F. M. Nichols, Oxford, Clarendon, 1865,1.1, p. 157-158,163,243 ; t. 2, p. 125127. Le traité est daté d’environ 1291. Le mot «paye» est employé à l’occasion, t. 2, p. 31. 40. Novum Glossarium M ediae L atinitatis ab anno d c c c usque ad annum m c c , dir. Y. Lefèvre, P-Panis, Copenhague, Munksgaard, 1985, passim . B. Capasso (éd.), Monumenta a d N eapolitani ducatus historiam pertin en tia , Napoli, 1892, t. 11/1, p. 22 (a. 921) : «Pagant et refundunt», dans un accord passé entre frères et sœurs pour modi­ fier les termes d’un héritage; p. 39 (a. 937): «in pagationem dederant»; p. 64-65, n° 80 (a. 952): «In pagatione [...] acceperat [...] auri sol. x». 41. J. Rouquette, A. Villemagne (éd.), Cartulaire de M aguelone , I, Montpellier, 1912, p. 92 (a. 1126): «Propter hoc solvimentum habui [...] hos CL solidos suprascriptos pacavit nobis.» L’emploi de solvim entum semble restreint au Bas-Languedoc du x n e siècle. 42. Cartulaire du chapitre de l ’église m étropolitaine Sainte-M arie d'Auch, éd. Cyprien Lacave La Plagne Barris, Paris-Auch, 1899, p. 16 (a. 1060) : «Pageramenta com­ posui [...] Satisfeci ergo sibi principi scilicet». 43. Colecciôn diplom âtica d el m onasterio de Sahagün (Siglos IX y X), éd. J. M. Minguez Fernandez Leon, 1976 (a. 1125) : «accepimus [...] et toto a pagamento». 44. Il cartolare d i Giovanni Scriba , éd. M. Chiaudano, M. Mattia, Turin, Lattes, 1935, p. 85 (a. 1157): «Nullum pagamentum accipiam.» Ce document, sur lequel on revien­ dra au chapitre suivant, est le plus ancien registre notarial conservé. Le vernaculaire pagam ento est attesté dans les années 1240, cf. Paola Manni, «Frammenti d’un Libro di conti in volgare pistoiese della prima metà del Dugento», S tu di linguistici italiani, 8, 1982, p. 68. 45. Guillaume d ’A ngleterre, rom an du x n e siècle, éd. M. Wilmotte, Paris, Champion, 1927 (ca. 1170), V. 590: «Au paiement de ceste foire.» Le débat sur l’attribution de ce roman 401

NOTES

à Chrétien de Troyes n’est toujours pas tranché. Sur les instruments commerciaux, Marta Calleri, Dino Puncuh, «Ii documento commerciale in area mediterranea», dans Libri, documenti, epigrafi medievali: possibilità di studi comparativi, Spolète, c i s a m , 2002, p. 273-376. 46. À titre, d’exemple, chez Chrétien de Troyes, Cliges, éd. W. Foerster, Halle, Niemeyer, 1884, V. 6052: «Li troi mire lor paiemant/Car les dames les ont païez» (vers 1176). 47. Bengt Löfstedt, «Das französische quitte und das lateinische quietus», Neuphilologische Mitteilungen, 80,1979, p. 385-386. 48. Le verbe est employé dans la Chanson de Roland, au sens de «laisser la vie sauve » (éd. Bédier, v. 492). 49. Cartulaire de Marmoutier pour le Vendômois, éd. A. de Tremault Paris-Vendôme, 1893, p. 148 (c. 1060). La même formulation se retrouve dans C. Métais (éd.), Cartulaire de l’abbaye cardinale de la Trinité de Vendôme, Paris, 1893,1 . 1, 259, p. 409 (a. 1077). 50. Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, Paris, Picard, 1899, p. 22: «Quite serrad pur sun travail», déjà cité au chapitre 11. 51. Oberto Scriba de Mercato (1190), éd. M. Chiauduno, R. Morozzo della Roca, Gênes, 1938, passim: «Bene sum quietus»; p. 75: «Debent solvere et aquietare.» 52. Uguccione da Pisa, Derivationes, éd. E. Cecchini et al., Florence, Sismel, 2004, p. 1007-1008: «Quieo, -es ... quieto, -as, quietum facere, unde et ponitur quandoque pro absolvere a debito vel reddere debitum ; quidam tamen in hac significatione subtra­ hunt -e- et dicunt quito -as, quod magis vulgare est quam regulare. » 53. L. Gernet, «Droit et prédroit en Grèce ancienne» (1948), repris dans Id., Droit et ins­ titutions en Grèce antique, Paris, Flammarion, 1982 [1968]. 54. En dernier lieu, Geoffrey Koziol, The Peace of God, Amsterdam University Press, 2018. 55. Christian Lauranson-Rosaz, «La Paix populaire dans les Montagnes d’Auvergne au xe siècle », dans Maisons de Dieu et Hommes d ’Église. Florilège en l’honneur de PierreRoger Gaussin, Saint-Étienne, c e r c o r , 1992, p. 289-333. 56. Ecclesia S. Mariae in Via Lata tabularium, éd. L. M. Hartmann, Vienne, 1895-1913, p. 60, n° 48 (a. 1025) : «Deinde venimus in conbenia et in amica pacatione... » 57. Cartulario de Sant Cugat del Vallès, éd. J. Rius Serra, Barcelona, csic, 1945-1947,1.11, p. 291, n° 626: «Definimus itaque nos supradicti et tradimus atque pacificamus hunc alodium ...] in antea haec deffinicio vel pacificatio firma et stabilis permaneat omni tempore. » 58. Émile Durkheim, Leçons de sociologie, Paris, p u f , 1997, Leçons 15 à 18 «Le droit contractuel », p. 198-244. 59. Consuetudines et libertates ville Montispessulani (1204), éd. Charles Girard, Essai sur l’histoire du droit français au Moyen Âge, t. 1, Paris-Lepizig, Videcoq-Michelsen, 1846, § 100: «Emptio vel venditio non valet sine palmata, vel sine solutione pretii, particulari vel universali, vel sine rei traditione»; Roger Aubenas, Cours d ’histoire du droit privé. Anciens pays de droit écrit, t. 5, Contrats et obligation, Aix-en-Provence, 1956, p. 51. 60. É. Benveniste, Vocabulaire des institutions européennes, Paris, Minuit, 1969, t. 1, p. 140. 61. Yan Thomas, «La valeur des choses. Le droit romain hors la religion», Annales HSS, 57, 2002, p. 1431-1462. En traduisant pretium par «valeur», Yan Thomas contribue malencontreusement à brouiller la distance qu’il cherche à mettre en évidence. 62. Cato, DeAgri Cultura 2, 7,1. 63. Laurent Feller, Agnès Gramain, Florence Weber, La fortune de Karol Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au haut Moyen Âge, Rome, e f r , 2005, p. 79. 64. Louis Dumont, Homo Aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 1977, p. 13; l’expression ramassée vient de M. Gauchet, Le désenchan­ tement du monde, p. 116. 65. Un premier aperçu était fourni par Barbara Schuchard, Valor. Zu seiner Wortgeschichte im lateinischen und romanischen des Mittelalters, Bonn, Romanistisches Seminar, 1970. 402

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(>(>. A. Ernout, A. Meillet, Dictionnaire étym ologique, p. 711-712. É. Benveniste, Vocabulaire, ne traite pas de cette famille, ni de celle à laquelle appartiennent l’anglais ·7. Tite-Live, H istoire romaine, 38,11: «Dum pro argenteis decem aureus unus valeret»; Varron, De lingua latina, 36, 5: «Denarii, quod denos aeris valebant.» (»8. Vocabularium lurisprudentiae Rom anae auspicis In stitu ti Savigniani institutum , t. 4, Berlin, De Gruyter, 1929, col. 1184. La signification «aestimatio vel taxatio» est nette­ ment moins fréquente que le sens de «ratum esse». (»9. Digeste, 9, 2, 33: «Si servum meum occidisti, non affectiones aestimandas esse puto (veluti si filium tuum naturalem quis occiderit, quem tu magno emptum velles) sed quanti omnibus valeret.» Cf. Nathan Matthews, «The valuation of property in the Koman Law», H arvard Law Review, 34,1921, p. 229-259. 70. Augustin, Serm ones a d populum , sermo 127 ( p l 38), c. 707 71. Laurent Feller, «Sur la formation des prix dans l’économie du Haut Moyen Âge», Annales. H istoire, Sciences Sociales, 66,2011, p. 627-661. 72. J. Le Goff, La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981. 73. Eugène de Tolède, D racontii librorum recognitio, Epistula a d Chindasuinthum , in Opera om nia, éd. P.F. Alberto ( c c s l 114) 2005, p. 325: «Plus uolendo quam ualendo deseruiens [...] Christo domino tribuente ualorem pro tenuitate mei sensuli [...].» 74. Ildefonse de Tolède, De virginitate sanctae M ariae, éd. V. Yarza Urquiola (c c s l 114A), 2007, p. 221: «Fidei meae praerogatiua [...] qui ualore aeternitatis consolident quae ego lassedinis fragilitate tardior et lentus adstruxeram. » Voir aussi, De cognitione baptism i, Ibid., p. 366: «Vere principem mundi increpationis suae valore demonstret.» 75. Liber iudiciorum sive Lex Visigothorum edita a Reccessvindo, éd. K. Zeumer, Hanovre, Hahn, 1902, p. 410: «Ad perennem memoriam valorem ei perpetuum innodamus.» Le mot est employé trois fois dans le même sens lors de la rénovation de ces lois par Krvige en 681. 76. Ethelbert, Decretum de rebus Dei et ecclesiae non abstrahendis (PL 80) c. 351 «Si quis dextrum femur lancea transpunxerit, valore suo illud compenset»; c. 354: «Si servi oculus et pes excutiatur, omni valore compensetur. » 77. Guus Kroonen, Etym ological dictionary ofproto-germ anic, Leyde, Brill, 2013, p. 582. 78. Philip Grierson, «The Origins of money», Research in economic anthropology, 1, 1978, p. 1-35, voir p. 14-18. Le même argumentaire est développé par Alain Testait (éd.), Aux origines de la m onnaie, Paris, Errance, 2001. 79. Die Gesetze der Angelsachsen, éd. F. Liebermann, Halle, Niemeyer, 1903,1.1, p. 327: «Supra ualorem .iiii. denariorum» (a. 1102), traduisant l’anglo-saxonfoew erpen igw eord. Les deux premières traductions latines portaient: «Quattuor denariorum ualens.» 80. Bède (?), De arithm eticis num eris liber ( p l 190), c. 647: «Il y a a sept lettres dans l’alphabet [...] dont la valeur (valor) des lettres est comme suit.» 81. Egbert d’York (?), P oenitentiale ( p l 89), c. 402: «S’il ne connaît pas les psaumes, ni ne peut jeûner, qu’il distribue chaque jour une obole, ou sa valeur (valor) aux pauvres.» Ce passage n’apparaît pas dans une édition critique du Pénitentiel : Councils and eccle­ siastical docum ents relating to Great Britain an d Ireland (200-1295), éd. A.W. Haddan et al., t. 3, Oxford, Clarendon, 1878, p. 173-213. 82. Jean Deshusses, Le sacram entaire grégorien. Ses principales fo rm es d'après les p lu s anciens m anuscrits, Fribourg, Éd. universitaires, 1971, t. 1, c. 155: «Tuae virtute contra omnes spiritus immundos valorem possit accipere.» 83. Pseudo Fulgence de Ruspe, Serm ones ( p l 65), c. 8 8 6 : «Le quadrige d’une juste valeur ne sera pas revêtu d’une masse d’argent, mais d’une tenture d’or flamboyant. » La valeur indique ici le prestige du char, et non pas une grandeur marchande. 8 4 . Sigebert de Gembloux, Passio Sanctae Luciae Virginis, éd. E. Dümmler, Berlin, 1893, p. 27 (a. 1051-1071). 85. Petrus Pictor, De laude Flandrie, v. 28, p. 57, in Id., Carm ina, éd. L. Van Acker ( c c c m 25), 1972: «Je ne peux pas même énumérer combien tu es pleine de valeur (valore)»; voir aussi, Ibid., De dom nus vobiscum, v. 21, p. 50; De excidio rom ani imperii, 403

NOTES

22, p. 82. L’usage de ce sens abstrait se prolonge jusqu’à Dante, Paradiso, 1, 106-107: «Qui veggion l’alte creature/l’orma de l’etterno valore.» 86. Chanson de Roland, éd. J. Bédier, v. 534: «Sa grant valor ki purreit acunter»; v. 1362: «Fers e acers i deit aveir valor. » Dans le même sens, l’adjectif «vaillant» qui dérive du participe présent valens est courant fin xie siècle. 87. Usatges de Barcelona, éd. R. d’Abadal i Vinyals, Barcelone, 1913, p. 5: «Et si celui qui a capturé l’autre est supérieur à celui qui a été pris, qu’il libère le chevalier selon sa valeur»; p. 10 «Que chaque femme soit évaluée selon la valeur de son époux». Voir Michel Zimmermann, «La représentation de la noblesse dans la version primitive des Usatges de Barcelone (milieu du xn e siècle)», Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales, 25, 2002, p. 13-37. 88. Glynnis M. Cropp, Le Vocabulaire courtois des troubadours de l'époque classique, Genève, Droz, 1975, p. 432-438. 89. Jérôme de Moray, Tractatus de musica, 26, éd. Chr. Meyer, G. Lobrichon, C. HertelGeay (c c c m , 226), 2012, p. 218: «La connaissance de la valeur des unités est détermi­ née par le rapport qu’elles ont les unes aux autres. » Du fait d’une mauvaise interpréta­ tion de son nom latin, de Moravia, on a longtemps pensé qu’il venait de Moravie. Voir Michel Huglo et Marcel Pérès (éd.), Jérôme de Moravie. Un théoricien de la musique dans le milieu intellectuel parisien du xi 11e siècle, Paris, Créaphis, Paris, 1992. 90. El Llibre Blanch de Santas Creus (cartulario dei siglo xii), éd. F. Udina Martorell, Barcelone, 1947, p. 17-18: «In talem locum, ubi similem tibi possit optinere valorem in eodem burgo. » 91. Cartulaire de Saint-Aubin d'Angers, éd. A. Bertrand de Broussillon, Angers, 1903,1. 1, p. 263 (ca. 1080): «De aliis rebus secundum suum valere pedagium dabitur, de plus valentibus plus, de minus minus.» 92. Cartulaire de l'abbaye de Redon en Bretagne, éd. A. de Courson, Paris, 1863, p. 251: «Condonavit Eudonus vicecomes waloria totius sui honoris.» 93. Charta pacis Valencenensis, éd. W. Arndt, Monumenta Germaniae Historia, Scriptores, t. 21, Hanovre, Hahn, 1869, p. 608: «Si quis aufferat aliquam rem ab aliquo et credat quod iuste possit facere [...] et si res non sit apparens et fuerit expensa, et alius iuret de valore rei, reus tenebitur restituere infra septem dies. » Si le voleur conteste la valeur, le défendeur produira deux témoins de son voisinage. Le premier article de la charte débute ainsi: «omnis mercator veniens aut recedens ad forum Valencense assecuratur omni tempore.» 94. Guigues I e r , prieur de Chartreuse, Méditations (SC 308), 1983 (ca. 1110), § 228, p. 174: «Non enim secundum earum valentias dolemus rerum amissione vel gaudemus adep­ tione, sed secundum amorem quo eis subdimur.» 95. M. Zimmerman, Écrire et lire en Catalogne ( ix e-x n e siècle), Madrid, Casa de Velâzquez, 2003; Robert Berkhofer, Day of Reckoning: Power and Accountability in Medieval France, University of Pennsylvania Press, 2004. 96. Eadmer, The Life of St Anselm, Archbishop of Canterbury, éd. R. Southern, Londres, 1962, (ca. 1120), p. 71: «Quod enim sine multis periculis magnoque labore atque constamine obtinere non posses.» 97. The Life of Gundulf Bishop of Rochester, éd. R. Thomson, Toronto, p i m s , 1977, p. 80. 98. Wace, Roman de Rou, éd. A.J. Holden, Paris, Picard, 1970, t. 2, p. 78 v. 1869: «Grant coust avez sofert et por Dex et por moi»; p. 157, v. 4384: «Huit jours fist lez Franchoiz à son coust sejorner», etc. 99. Benoît de Sainte-Maure, Chronique des Ducs de Normandie, éd. F. Michel, Paris, 1836, t. II, p. 60, v. 17094. 100. Rufin, Summa decretorum, éd. H. Singer, Paderborn, 1902, p. 201: «Horum autem quedam sunt inpretiabilia de iure et de facto; quedam inpretiabilia de iure sed pretiabilia de facto; quedam pretiabilia utroque modo.» Sur les débats qui conduisent à cette formulation, voir Charles de Miramon, «Spiritualia et temporalia : naissance d’un couple », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte: Kanonistische Abteilung, 92, 2006, p. 224-287. V.

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ιοί. Cassiodore, Variorum, éd. A. Fridh ( c c s l 96), 4,1; 11,1: «Quasi diadema eximium inpretiabilis»; Vita S. Scholasticae, Acta Sanctorum , c. 405: «Qunus maximum et inappretiabile accipiat. » 102. Godefroid de Fontaines, Q uodlibet V, 14 éd. M. De Wulf, J. Hoffmans, Louvain, Institut supérieur de philosophie, 1914, p. 66-67. Jamais avare d’un néologisme abs­ trait, Duns Scot va jusqu’à parler de l’«appréciabilité», Lectura su per III Sententiarum , dist. 26, Opera om nia , vol. 21, p. 186: «Le caractère appréciable est pris comme simple aptitude à l’appréciabilité, en tant qu’il est apte à être apprécié comme le substrat d’une raison d’appréciabilité.» 103. Voir L’Occupation du m onde , p. 126,153-154. 104. J. W. Baldwin, M asters, princes an d merchants. The social view s o f P eter the Chanter and his circle , Princeton University Press, 1970. 105. Odd Langholm, Economies in the m edieval schools. Wealth, exchange, value, money and usury according to the Paris theological tradition, 1200-1350 , Leyde, Brill, 1992. 106. Pour une vue d’ensemble, Nicholas J. Theocarakis, «Nicomachean Ethics in poli­ tical economy. The trajectory of the problem of value», H istory o f Economic Ideas , 14, 2006, p. 9-53. Cet article que j’ai découvert après la composition de ce chapitre suit exactement le même trajet, en se concentrant sur les traces de lecture d’Aristote et non à ses commentateurs médiévaux. 107. Anthony Kenny, The A ristotelian Ethics. A study o f the relationship betw en the Eudemian an d the Nicomachean Ethics o f A ristotle, Oxford, Clarendon Press, 2016 [1978]· 108. Aristote, Éthique à Nicomaque, 1133a 19-1133 b 18, trad. R. Bodéüs, Paris, GF-Flammarion, 2004, p. 248-251. 109. Ibid.,1111 a 1-9, p. 236. 110. C. Castoriadis, «Valeur, égalité, justice, politique de Marx à Aristote et d’Aristote à nous» [1975], dans Les Carrefours du labyrinthe, 1, Paris, Seuil, 1978, p. 364-368. 111. Le carré est dessiné sous cette forme dans les manuscrits médiévaux, à l’occasion de chacun des trois exemples donnés par Aristote. 112. Paul Jorion, «Le prix comme proportion chez Aristote», Revue du mau ss , 15-16, 1992, p. 100-110, propose de résoudre en ce sens les difficultés, en considérant que l’ar­ chitecte serait de statut supérieur. 113. Arnaud Berthoud, A ristote e t l ’argent, Paris, Maspéro, 1981, p. 38. 114. Aristote, Les Politiques, 1, 1256 b 40-1257 b 18, trad. P. Pellegrin, Paris, GF-Flamma­ rion, 1992, p. 115-120. 115. N. Theocarakis, «Nicomachean Ethics », p. 34-35, relève les usages d’Aristote dans les Leçons de jurisprudence, la Théorie des sentim ents moraux et les échos qui en demeurent dans la Richesse des Nations. 116. Le choix de ces exemples se comprend à la lumière des leçons de 1763 où les bou­ chers et boulangers étaient présentés comme des corporations fermées, bénéficiant de privilèges indus. L’attribution de ces rôles à des individus isolés est un plaidoyer pour la liberalisation de l’accès à ces professions: «The butchers and bakers raise the price of their goods as they please, because none but their own corporation is allowed to sell to the market, and therefore their meat must be taken, whether good or not. On this account there is always required a magistrat to fix the price. » 117. K. Marx, Le C apital, I, 2, Gallimard, 1967, p. 589-591. Pour une critique détaillée de cette lecture, voir C. Castoriadis, «Valeur, égalité», p. 325-352. 118. J. A. Schumpeter, H istoire de l ’analyse économique, 1.1, p. 97-100. P. Jorion y voit au contraire le mérite d’Aristote. 119. K. Polanyi, «Aristote découvre l’économie», dans Commerce e t marchés dans les prem iers empires. Sur la diversité des économies, Lormont, Le Bord de l’eau, 2017 [1957], p. 131-160. 120. M. Finley, «Aristotle and Economie Analysis», dans J. Barnes (éd.), Articles on Aristotle //: Ethics an d Politics, Londres, Duckworth, 1977, p. 140-158. 121. C. Castoriadis, «Valeur, égalité», p. 352. 405

NOTES

122. Voir par exemple, G. Campagnolo et M. Lagueux, «Les rapports d’échange selon Aristote, Éthique à Nicomaque v et vm -ix», Dialogue. Revue canadienne de philosophie, 43, 2004, p. 4 4 3 -4 6 9 . 123. Averroès, In Moralia Nichomachia expositione, dans Aristote, Libri Morali, Venise, Giunta, 1572, p. 72 : «Comme le vendeur n’a pas toujours besoin d’acheter autre chose Λ ce moment-là, mais qu’il en aura besoin dans l’avenir, l’argent devient pour lui comme un garant pour suppléer une nécessité future. » 124. Pour donner un exemple précis, Ethica Nicomachea, Translatio Roberti Grosseteste, recensio pura (Aristoteles Latinus, xxvi, 1-3, fasc. 3), 1973, p. 237: «Nihil enim prohi­ bet melius esse alterius opus quam alterius.» La phrase est ainsi glosée par Albert le Grand, Super Ethica. Commentum et quaestiones. Libros quinque priores, éd. W. Kübel, Münster, Aschendorff, 1968, p. 343: «Quod quandoque opus unius valet melius quam opus alterius» (je souligne). 125. Anna Cariotta Dionisotti, «On the Greek Studies of Robert Grosseteste», dans A.CL Dionisotti, A. Grafton, J. Kraye (éd.), The Uses of Greek and Latin: Historical Essays, Londres, Warburg Institute, 1988, p. 19-39 ; James McEvoy, «Robert Grosseteste’s Greek scholarship. A survey of present knowledge », Franciscan Studies, 56,1998, p. 255-264. 126. Jean Dunbabin, «Robert Grosseteste as translator, transmitter and commenta­ tor. The Nicomachean Ethics» Traditio, 28, 1972, p. 460-472. James McEvoy, «Language, Tongue and Thought in the Writings of Robert Grosseteste», in Sprache und Erkenntnis im Mittelalter (Miscellanea Medievalia, 13), Berlin-New York, De Gruyter, 1981, t. 2, P· 585-592, suggère que Grosseteste avait préparé des tables d’équivalences lors de ses traductions du pseudo-Denys. 127. Le terme est traduit 9 fois par necessitas (qui sert aussi à traduire anangké), 2 fois par indigentia, 1 fois par utilitas ou usus, et dans trois autres lieux par opus. En revanche, l’équivalence entre ergon et opus, -eris est constante. 128. O. Langholm, Price and Value Theory in the Aristotelian Tradition, Bergen-Oslo, Universitetsforlaget, 1979, p. 45, insiste à juste titre sur l’importance que revêt le choix & indigentia plutôt que necessitas. 129. L. Sturlese, Storia della filosofia tedesca nel medioevo. Il secolo x m , Florence, Olschki, 1996, souligne l’importance cruciale du commentaire de l'Éthique dans le «tournant philosophique» d’Albert, en négligeant quelque peu l’aspect théologique de ce programme. Sur l’importance de cette période pour Thomas d’Aquin, voir Jean-Pierre Torrell, Initiation à saint Thomas d'Aquin. Sa personne et son œuvre, ParisFribourg, Cerf-Éditions Universitaires, 1993, p. 36-40 et en dernier lieu A. Oliva, Les débuts de l’enseignement de Thomas d ’Aquin et sa conception de la Sacra doctrina, avec l’édition du prologue de son commentaire des Sentences, Paris, Vrin, 2006, p. 214-220. 130. Albert le Grand, Ethica, in Opera Omnia, t. 7, éd. A. Borgnet, Paris, Vivès, 1891. Odd Langholm, Price and Value, et Joel Kaye, Economy and Nature in the Fourteenth Century. Money, Market Exchange, and the Emergence of Scientific Thought, Cambridge University Press, 1998, font le choix de combiner ces deux approches de YÉthique afin de restituer

ce que serait la compréhension globale qu’en a Albert, en perdant de la sorte ce qui fait la fraîcheur et l’intérêt de ce premier commentaire. 131. O. Langholm, Price and Value, p. 67-68, estime qu’Albert hésite entre les deux sens. Je ne vois aucun passage qui autoriserait pareille interprétation. Ce n’est que dans son deuxième commentaire de YÉthique qu’il joue à son tour de l’homonymie des deux termes opus, tandis que dans ce premier commentaire, toutes les occurrences sont comprises au sens d'ergon. 132. Albert, Super Ethica, v, 7, p. 342: «Ton ouvrage [opus) ne doit pas toujours être donné pour le mien, quand il n’est pas de valeur égale [...] en effet, il ne faut pas que, s’il te donne son ouvrage, tu lui donnes le tien, mais que tu lui rendes par un prix, selon la proportion de l’ouvrage à l’ouvrage.» 133. Id., p. 343: «Et il faut que cette conjontion se fasse selon la proportion de la ligne latérale, car le bâtisseur dépasse le cordonnier dans le labeur (labore) et les dépenses qu’il met dans son ouvrage autnat que la maison dépasse la chausse.» 406

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134. La formule est depuis longtemps courante dans la tradition canoniste, cf. Rufin, p. 341: «Si en effet par ses labeurs et ses dépenses, il a rendu la chose meilleure, alors le bénéfice (questus ) de ce bien sera parfaitement licite pour un laïc, comme pour les artisans. » 135. Super Ethica, p. 343: «Car si le bâtisseur ne recevait pour la maison qu’une seule chausse, il ne ferait jamais de maison.» 136. Ibid., p. 345: «Les ouvrages artificiels peuvent être mesurés selon la vérité de leur espèces, en tant qu’ils ont été produits par un certain art, et ainsi l’ouvrage qui mesure et contient tout est celui qui est le plus simple dans ce genre. On peut le comprendre soit selon la raison, et alors l’ouvrage qui contient tout est le principe même de l’œuvre [ipsa ratio operis ); ou bien comme l’ouvrage premier et le plus simple selon l’être, auquel tous les ouvrages sont rapportés, et tel est l’ouvrage de la Cité.» 137. Ibid., p. 346: «Et il dit que, puisque les ouvrages sont issus d’arts si divers, ils ne peuvent pas être mesurés par un seul selon la vérité de leur espèce, mais selon qu’ils sont destinés à l’œuvre, c’est-à-dire à au grand labeur de la communauté, ils sont mesurés de façon suffisante par un seul. » 138. J. Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Age, Paris, Seuil, 1985 [1957], p. 67-68; JeanPierre Torrell, Initiation à sa in t Thomas dAquin, p. 37. 139. J.B. Schneyer, «Albert der Grossen Ausburger Predigtzyklus über den hl. Augustinus», Recherches de théologie ancienne et m édiévale, 36, 1969, p. 105: «[La cité] fut faite pour cela, que tous y rendent compte de ce qu’ils ont reçu et également, s’ils se plaignent des autres, qu’ils y trouvent un complément de justice - c’est cela le propre de la ville (urbanitas). De même, ils doivent être unis par la communication mutuelle de leurs biens. De là vient que la cité est dite comme l’union des citoyens. » 140. Ibid., p. 120: «Le droit de la cité consiste en trois choses: le semblable, l’égal et l’équitable. Le semblable regarde la communication d’affects, l’égal la communication de biens et l’équitable la communication des affaires. [...] Si en effet tu prends mon travail et ne me donnes pas le tien, ce n’est pas égal, l’union ne peut tenir»; p. 122: «Note qu’il y a justice si tu obtiens mon travail [...] et que tu me transmettes un salaire pour ce travail. De fait, il n’est pas équitable que tu aies toujours ma sueur et que moi je n’aie rien de la tienne, et inversement.» 141. Ibid., p. 118: «La cité ne peut tenir, s’il n’y a pas en elle des gens qui peuvent faire des dépenses, entretenir une grande maison (familia ) et en temps de guerre pourvoir pour les autres sur leurs biens. Alors en effet les cordonniers, fabricants et hommes de ce genre ne pourraient maintenir la cité, à moins qu’ils ne soient aidés par de telles gens. » 142. Super Ethica, p. 344: «Or si ces choses sont mesurées quant à leur accident, qui est d’être appréciable, selon qu’elles viennent en usage et utilité de la communauté, elles peuvent ainsi avoir une mesure [...] selon qu’elles servent à la communauté, et elles sont ainsi appréciables. » 143. Super Ethica, p. 345: «Et ainsi il est en notre pouvoir de facilement l’échanger contre quelque chose qui nous est utile, car elle est la mesure de toute chose. » 144. Ibid. : «Toutefois, pour qu’il y ait équivalence de proportion, il convient donc [...] que le nombre de chaussures équivaille à la maison en proportion de ce que le bâtisseur dépasse le cordonnier en dépenses, travail et utilité.» Je ne vois pas en quoi cette formule indique­ rait «that Albert was uncertain about the meaning of opus», comme le pense Langholm. 145. Cette idée, déjà exprimée brièvement dans le premier commentaire, p. 341 et 343, est développée dans le second commentaire, Albert le Grand, Ethica, p. 353: «Il ne fera plus de lit, et ainsi sera détruit cet art qui consiste à faire des lits. » 146. Super Ethica, p. 344: «Si elles sont mesurées selon cet accident qui est d’être appré­ ciable, selon qu’elles viennent en usage et utilité de la communauté, toutes choses peuvent ainsi avoir une mesure, laquelle est le prix le plus certain entre tous, car telle doit être la règle de la mesure. » 147. Ibid., p. 346: «Quelqu’un pourrait dire que la monnaie n’a pas toujours une valeur égale ; elle aura donc besoin de quelque chose qui la mesure, car la mesure doit tou­ jours être certaine. » Summa decretorum ,

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NOTES

148. Ibid. : «Donc, pour qu’il y ait échange, il faut que quelque chose serve de mesure, ce que fait la monnaie. » 149. Ethica, p. 358: «Cette unité qui selon la vérité est reçue en toutes choses, que nous nommons le besoin (opus) ou le manque (indigentia), certains l’appellent usage ou uti­ lité», p. 358; Ibid., p. 359: «Et nous avons dit que le besoin (opus) était l’usage, l’utilité ou le manque (indigentiam)»; Ibid. : «Que le besoin (opus) ou le manque (indigentia) ou l’usage, comme un seul étant, contienne toutes choses échangeables.» 150. Ibid.: «Le besoin (opus) est mesuré selon l’un des nombres de son genre [...] il faut le prendre selon une relation à l’usage, c’est-à-dire, en tant qu’il sert par son usage à combler le besoin.» 151. Ibid., p. 358: «De même que le paysan par rapport à la nourriture, de même le cor­ donnier face à la chaussure, selon le besoin qu’en a la ville (urbanitatis indigentiam), et selon le rapport du paysan au cordonnier, ainsi la nourriture face à la chaussure, selon le même mode de leur besoin.» 152. R.-A. Gauthier, «Préface», dans Thomas d’Aquin, Tabula libri Ethicorum, (Opera omnia, 48), Rome, Ad Sanctae Sabinae, 1971, p. B. 5-55. 153. Thomas d’Aquin, Sententia libri Ethicorum, éd. R.-A. Gauthier (Opera omnia, 47), Rome, Ad Sanctae Sabinae, 1969, p. 29. 154. Gilles de Lessines, De usuris in communi et de usurarum contractibus, dans Thomas d’Aquin, Opera omnia, Parma, Fiaccadori, 1852, t. 17, p. 414-415: «Par exemple, si nous voulons déterminer l’égalité entre une maison et un lit, qui sont des choses distinctes et séparées, il faut que nous posions par un certain nombre une estimation de chacun.» 155. Augustin, De civitate Dei, 11, 16 ( c c s l 48, 336); La Cité de Dieu, Paris, Seuil, 1994, t. 2, p. 34. 156. Sententia libri Ethicorum, p. 295: «Cette unique qui mesure tout, selon la vérité de la chose, est le besoin (indigentia), qui contient tous les biens échangeables, en tant qu’ils sont rapportés au besoin humain. Les choses en effet ne sont pas appré­ ciées selon la dignité de leur nature, autrement une souris, qui est un animal sensible, serait d’un plus grand prix qu’une perle, qui est une chose inanimée. Mais les prix sont imposés selon que les humains en ont besoin pour leurs usages.» 157. Thomas d’Aquin, Summa theologiae, na nae, q. 77, a. 2, ad 3. 158. Pierre de Jean Olivi, Traité des contrats, éd. S. Piron, Paris, Belles-Lettres, 2012. 159. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, na nae q. 77, art. 1 et Olivi, Traité des contrats q. 1: «An res possint licite et absque peccato plus vendi quam valeant vel minus emi.» 160. Traité des contrats, p. 99: «On doit dire que la valeur des choses est comprise selon deux modes. En premier lieu, d’après la bonté réelle de leur nature [...] Selon un second mode, elle est comprise en relation à notre usage. » 161. Ibid., p. 101 : «Selon que la chose, par ses qualités et ses propriétés naturelles, est.» 162. Ibid., p. 53: «D’une deuxième façon, selon que les choses, du fait de la rareté ou de la difficulté à les trouver, nous deviennent plus nécessaires, pour autant qu’en raison de leur pénurie, nous en avons un plus grand besoin et une faculté moindre de les posséder et d’en faire usage [...]. Ainsi, les quatre éléments, à savoir l’eau, la terre, l’air et le feu, sont pour nous, en raison de leur abondance, d’un prix plus faible que l’or ou le baume, bien qu’ils soient d’eux-mêmes bien plus nécessaires et utiles à notre vie.» Bernardin de Sienne qui note raritas, dans son exemplaire personnel, en marge de ce passage, a largement contribué à populariser cette transformation. 163. Ibid., p. 53. 164. Ibid., p. 55. 165. K. E. Boulding, «The Economies of the Coming Spaceship Earth», dans H. Jarrett, Environmental Quality in a Growing Economy, Baltimore, John Hopkins Press, 1966, P· 3 - 1 4 · 166. Id., «Economics as a Moral Science», American Economic Review, 59,1969, p. 1-12. 167. Id., «After Samuelson, who needs Adam Smith?», History of Political Economy, 3, 1971, p. 225-237, cf. p. 232-233: «The antihistorical school, which is now so common in the United States, where the history of thought is regarded as slightly depraved 408

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entertainment, fit only for people who really like medieval Latin, so that o n e became a fully-fledged, chartered Ph.D. economist without ever reading a n y th in g that was published more than ten years ago.» 168. J. Schumpeter, H istoire de Vanalyse , 1. 1, p. 38. 169. Correspondance personnelle, courrier du 8 mars 2011: «Itwas only a t t h a t point that a certain sense of the futility of the abstract modelling and th e o r is in g in what ought by rights to be a social science dawned on me.» 170. O. Langholm, Price and Value ; Id., Wealth and Money in the A r is to te lia n T r a d i ti o n , Hergen, 1983; The A ristotelian Analyses o f Usury, Bergen, 1984. 171. Id., «Olivi to Hutcheson: tracing an early tradition in value theory». J o u r n a l o f the H istory o f Economic Thought , 31, 2009, p. 131-141, voir p. 134: «I cannot t h i n k of any thirteenth-century author who comes as close as Peter Olivi to suggesting a n integral theory of value - or, in medieval terms, an integral doctrine of thejust price. » 172. À propos de la Regula m ercatorum , rédigée en vernaculaire à l’usage d e la com­ munauté des marchands toulousains, voir S. Piron, «Contexte, situation, co n jo n c tu re » , P- 54-55.

173. Giovanni Ceccarelli, S. Piron, «Gerald Odonis’ Economies Treatise », V i v a r i u m , 47, 2009, p. 164-204. 174. Voir, Olivi, Traité des contrats , p. 323. 175. Gabriel Biel, Com mentarius in quartum librum Sententiarum, Brescia, B o z z o la , 1574, dist. 15, q. 10, p. 387-389, avec notamment l’emploi de raritas et c o m p l a c e n ti a . Tout un passage repris d’Antonin provient à la lettre d’Olivi, dist. 15, q. 2, p. 284-2,86- Conrad Summenhart, De contractibus licitis, atque illicitis , Venise, Ziletti, 1580, p. 2 6 4 -2 6 6 : cri­ tères de rarita s, com placibilitas , discussion de la latitudo et l’essentiel de l a troisièm e question d’Olivi. 176. Juan de Medina, De penitentia, restitutione et contractibus, Ingolstadt, Sartorius, 1581, t. 2, q. 31, p. 196; Pedro de Aragon, De iustitia et iure, Lyon, Landry, 1596, p . 438. 177. Luis de Molina, De Iustitia et iure, Venise, Sessa, 1614, t. 2, q. 347, p. 231-232 ; 178. Hugo Grotius, Le droit de la guerre e t de la p a ix , II, 12,14, Paris, PUF, 1 9 9 9 , p . 339. 179. La première étude qui tente de situer Pufendorf dans l’histoire de la p e n s é e écono­ mique est toute récente: Arild Sæther, N atural Law and the Origin o f P o l i t i c a l E c o n o m y . Sam uel Pufendorf and the H istory o f Economics, Londres, Routledge, 201-7. L’auteur ignore malheureusement les travaux de son compatriote Langholm. 180. Sa dépendance envers la scolastique a été établie par Peter Haggenmact i e r , G ro tiu s et la doctrine de la guerre ju ste , Genève, Publications de l’Institut u n iv ersita ire des hautes études internationales, 1983. 181. Samuel Pufendorf, De ju re naturae et gentium, éd. Fr Böhling, Berlin, A kadem ie Verlag, 1998, t. 2, p. 445; Id., Le droit de la nature et des gens, ou système g é n é r a l d e s p r i n ­ cipes les p lu s im portants, Amsterdam, Kuyper, 1706, t. 2, p. 2. 182. Pufendorf, De ju re , p. 451: «Operarum et actionum pretia intendit e a r u m d e m diffi­ cultas, dexteritas, utilitas, necessitas ; agentium raritas, dignitas, libertas. » 183. Gershom Carmichael, De officio hominis, Glasgow, 1723, p. 236: «In g e n e r e hic dici potest, pretium rerum ex his duobus capitibus pendere, indigentia, sc. e t a cq u iren d i difficultate. » 184. Francis Hutcheson, Philosophiae M oralis Institutio Compendiaria, G la s g o w , Foulis, 1742, p. 186; Id., A system o f m oral philosophy, 1755, p. 54: «The prices of g o o d s depend on these two jointly, the demand on account of some use or other which m a n y desire, and the difficulty of acquiring or cultivating for human use». 185. A. Sæther, N atural Law, p. 231-233. 186. A. Smith, Leçons sur la jurisprudence, Paris, Dalloz, 2009. Sur l’usage du « prix natu­ rel » dans la seconde scolastique, W. Decock, Le Marché du mérite, p. 89. 187. Smith, Leçons, p. 524-525: «On raconte qu’un marchand et un voyageur, dont les tombes peuvent encore être vues, se rencontrèrent dans le désert d’A rabie e t le mar­ chand ayant besoin d’eau, donna 10 000 ducats au voyageur pour une c r u c h e d’eau. Bien que ce fût sous le joug de la nécessité, il n’aurait pu donner ce prix s ’il n’avait 409

NOTES

été en possession que de 100 couronnes. Si [la quantité d’un bien] est inférieure à ce qui serait suffisant pour satisfaire la demande, les parties rivalisent pour l’obtenir. |... | Le prix est ainsi régulé par la demande et la quantité dans laquelle se trouve une chose pour satisfaire cette demande et, chaque fois que cette quantité n’en est pas suffisante, le prix sera déterminé par la fortune de ceux qui s’en portent acquéreurs»; Olivi, Traité p. 109: «Si le prix des choses nécessaires à notre vie était fixé par équivalence à ce que chacune nous confère en particulier, un tel prix serait comme inappréciable. En effet, pour celui qui souffre de soif et qui serait sur le point de mourir s’il n’avait d’eau, un verre d’eau vaut dans ce cas une quantité infinie d’or et bien plus encore.» 188. A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations, p. 99 (traduction modifiée). 189. Smith, Inquiry, I, 4, p. 44. 190. J. A. Schumpeter, Histoire de l’analyse, 1.1, p. 409 et 419. 191. André Tiran, Cecilia Camino (éd.), Ferdinando Galiani, économie et politique, Paris, Classiques Garnier, 2018, volume collectif dont aucune contribution ne considère l’éventualité de sources scolastiques. 192. Ferdinando Galiani, Delia moneta. De la monnaie, éd. A. Tiran, Paris, Economie«, 2005, p. 67-69: «La valeur est donc un rapport (una ragione) et celui-ci se décompose en deux éléments principes que j’exprime par les mots d’Utilité et de Rareté. Il est évident que l’air et l’eau qui sont des éléments très utiles à la vie des hommes, n’ont aucune valeur car il leur manque la rareté ; par contre, un sachet de sable des rivages du Japon serait chose rare, mais à supposé qu’elle n’ait pas d’utilité particulière, elle serait sans valeur» (traduction modifiée). 193. Ibid., p. 85-87: «Les arts et les études, qui nécessitent beaucoup de temps pour les apprentissages, qui demandent de grandes dépenses de la part des parents, sont esti­ mées à un prix plus élevé»; comparer avec Olivi, Traité, p. 115-117: «Pour bien accom­ plir des offices les plus élevés, une compétence et une industrie plus grandes et une acuité d’esprit supérieure sont exigées [...] cette compétence et cette industrie s’ac­ quièrent communément par de longs et grands apprentissage, expériences et labeurs, et de nombreux risques et dépenses. » 194. Bernardin de Sienne, Quadragesimale de evangelio aeterno, éd. J. de la Haye, t. 2, Venise, Poletti, 1745. Voir Sermon 35, p. 203-204. 195. Steven L. Kaplan, Raisonner sur les blés. Essais sur les lumières économiques, Paris, Fayard, 2016. Voir p. 69-184 pour l’analyse de l’intervention de Galiani, qui malheureu­ sement ne tient pas compte des positions énoncées dans Delia moneta. 196. F. Galiani, Dialogues sur le commerce des bleds, Paris, Fayard, 1984 [1770], p. 174-175: «Un enthousiasme vif et innocent d’amour pour les hommes, une fois entré dans leur cœur honnête et vertueux, a enfanté dans leur tête un monde idéal.» 197. Ibid., p. 123. 198. Condorcet, Vie de Turgot, Berne, Kirchberger & Hatter, 1787, p. 8, résume un dis­ cours prononcé par Turgot étudiant faisant l’éloge de la scolastique «qui produisit dans la logique, comme dans la morale et dans une partie de la métaphysique, une subtilité, une précision d’idées, dont l’habitude, inconnue aux anciens, a contribué plus qu’on ne croit aux progrès de la bonne philosophie». Sur Condorcet économiste, voirJ-Cl. Perrot, Une Histoire intellectuelle de l’économie politique, p. 357-376. 199. A. Turgot, Formation et la distribution des richesses, Paris, GF-Flammarion, 1997 [1776], p. 175: «Tant que l’on considere chaque échange comme isolé et en particulier, la valeur de chacune des choses échangées n’a d’autre mesure que le besoin ou le désir et les moyens des contractans balancés de part et d’autre, et n’est fixée que par l’ac­ cord de leur volonté» [texte corrigé sur l’édition originale]. À propos des deux jeunes chinois, Henri Cordier, «Les Chinois de Turgot », Mélanges d ’histoire et de géographie orientale, Paris, Maisonneuve, 1920, t. 2, p. 31-39. 200. Turgot, «Valeurs et monnaies», dans Id., Réflexions, p. 282-284: «C’est, par cette raison, que l’eau, malgré sa nécessité et la multitude d’agréments qu’elle procure à l’homme, n’est point regardée comme une chose précieuse dans les pays bien arrosés, 410

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que l’homme ne cherche point à s’en assurer la possession, parce que l’abondance de cette substance la lui fait trouver sous sa main. » Sur ce texte, voir Peter Groenewegen, Eighteenth-century economics. Turgot, Beccaria and Sm ith and their contem poraries , Londres, Routledge, 2002. 201. Aliénor Bertrand, «Lire Le Commerce e t le gouvernem ent: contre l’interprétation néolibérale de Condillac», Les Études philosoph iqu es , 191, 2019, p. 137-159. 202. Étienne Bonnot de Condillac, Le Commerce et le gouvernem ent considérés relative­ ment Vun à Vautre , 1776), dans Id., Œ uvres com plètes de Condillac, Paris, Dufart, 1803, p. 18. 203. Guy Debord, La Société du spectacle , § 42, dans Œ uvres , Paris, Gallimard, 2014, p. 778, décrit ainsi l’étape suivante: «Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. » 204. Marx, Le C apital , 1, 4 «le caractère fétiche de la marchandise et son secret», (Euvres, Paris, Gallimard, 1966,1.1, p. 606. 205. Antoine Destutt de Tracy, Traité d ’économie p o litiq u e , Paris, Bouguet et Lévi, 1823, ch. 4: «Les biens nécessaires à la satisfaction de ces besoins ne tirent eux-mêmes leur valeur nécessaire et naturelle que du travail qu’a coûté leur acquisition. Ainsi le tra­ vail, notre seul bien originaire, n’est évalué que par lui-même, et l’unité est de même espèce que les quantités calculées. » 206. Auguste Walras, De la nature de la richesse e t de l ’origine de la valeur , Paris, Alcan, 1938 [1831], ch. 3: «Tout objet qui a de la valeur, la doit uniquement à sa limitation.» 207. Le C apital , 1, 1. C’est par un abus de langage qu’André Orléan attribue l’idée d’une «valeur substance» à tous les classiques et néo-classiques, alors que l’usage de ce terme est propre à Marx, cf. A. Orléan, L’Empire de la valeur. Refonder l ’économie , Paris, Seuil, 2011, p. 19-53. 208. J. A. Schumpeter, H istoire de l ’analyse , t. 3, p. 223. 209. Emil Kauder, «Genesis of the marginal utility theory. From Aristotle to the end of the eighteenth century», Economic Journal , 63,1953, p. 638-650. Gilles Campagnolo, Carl Mengen Entre A ristote et H ayek: aux sources de l ’économie m oderne , Paris, Éditions du c n r s , 2008. C. Menger, Principes d ’économie po litiq u e , éd. G. Campagnolo, Paris, Seuil, 2020. 210. Vilfredo Pareto, Cours d ’économie po litiq u e , Genève, Droz, 1964 [1896]. 211. Pufendorf, D eju re , 5,1,7: «Quaedam res non communiter sed a singulis magis aes­ timantur, ex peculiari aliquo affectu, id quod vocari solet pretium affectionis. »Voir une thèse soutenue sous la direction de Christian Thomasius, Philipp Reinhold von Hecht, Dissertatio inauguralis iuridica de pretio affectionis, in res fu n gibiles , Magdebourg, 1701. 212. Olivi, Traité des contrats , p. 107. 213. É. Durkheim, De la division du travail social , Paris, p u f , 1986 [1930], p . 189. 214. René de Mas-Latrie, «Du droit de marque ou droit de représailles au Moyen Âge», Bibliothèque de l ’Ecole des Chartes , 27, 1866, p. 529-577; Pierre-Clément Timbal, «Les lettres de marque dans le droit de la France médiévale», Recueil de la Société Jean Bodin , 10, L’étranger , Bruxelles, 1958, p. 109-138; Arnaud Bartolomei, «Des biens aux personnes. I«es représailles à l’encontre des marchands français de Cadix durant les guerres francoespagnoles (1793-1814)», Mélanges de la Casa de Velâzquez, 40,2010, p. 171-189. 215. Karl Löwith, Heidegger. Denker in dürftiger Zeit. Zur Stellung der Philosophie im 20 Jahrhundert, Stuttgart, Metzler, 1984. 216. F. Nietzsche, Le Gai Savoir , Paris, Gallimard, 1982, § 269, p. 185. 217. Ibid., §55, p. 91. 218. I. Kant, Fondem ents p o u r la m étaphysique des m œurs [1785], Paris, Hatier, 2000, p. 79. La notion de prix de l’affection (Affektionpreis ) que Kant connaît à travers Pufendorf et son école dérive indirectement de l’idée d’agrément à posséder telle ou telle chose qu’Olivi (beneplacitum , com placibilitas pour Bernardin). 219. Ibid. 220. Olivi, Traité des contrats , p. 99. 221. Augustin, La Cité de D ieu , 11,16, t. 2, p. 34. 411

NOTES

222. S. Piron, «François d’Assise et les créatures. Le témoignage de la Vita brevior», dans M. Cutino, I. Iribarren, Fr. Vinel (éd.), La restauration de la création. Quelle place pour les animaux ?, Leyde, Bril, 2018, p. 231-241. 223. Frère Léon, Compilation d ’Assise, 83, dans J. Dalarun (dir.), François d ’Assise. Écrits, Vies, témoignages, Paris, Cerf-Éditions franciscaines, 2010, p. 1316-1320, en part. p. 1317. 224. J. Dalarun, Le Cantique defrère Soleil. François d ’Assise réconcilié, Paris, Alma, 2014. 225. S. Piron, «Les écrits de frère Léon. Introduction», Ibid., p. 1165-1184; Armelle Le Huërou, S. Piron, «Une prière attribuée à Conrad d’Offida», Oliviana, 6, 2020 [en ligne: https://journals.openedition.org/oliviana/943]. 226. Sur ce sujet, on attend les résultats de la thèse d’Éloïse Bérard. 227. M. Mauss, «Essai sur le don» (1924) dans Id., Sociologie et anthropologie, Paris, p u f , 1950.

N O TES D U C H A PITR E IX

1. Ce chapitre reprend et complète: «L’apparition du resicum en Méditerranée occi­ dentale, xiie-xm e siècles», dans E. Collas-Heddeland, M. Coudry, O. Kämmerer, A. J. Lemaître, B. Martin (dir.), Pour une histoire culturelle du risque. Genèse, évolution, actualité du concept dans les sociétés occidentales, Strasbourg, Éditions Histoire et Anthropologie, 2004, p. 59-76 . 2. Ulrich Beck La Société du risque. Sur la voie d ’une autre modernité, Paris, Aubier, 2001 [1986]. Voir à présent Rachel Z. Friedman, Probable justice. Risk, insurance, and the Welfare State, University of Chicago Press, 2020. 3. Alain Guerreau, «L’Europe médiévale: une civilisation sans la notion de risque», Risques. Les cahiers de l’assurance, 31,1997, p. 11-18. 4. F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, x v e-x v m e siècle, Paris, Armand Colin, 1979,3 vols. 5. Fred Astren, «Goitein, medieval jews and the “new mediterranean studies”», Jewish Quarterly Review, 102, 2012, p. 513-531, esquisse une comparaison entre Goitein et Braudel, qui se sont connus de loin, et sont tous deux décédés en 1985. 6. Gershom Scholem, De Berlin à Jérusalem, Paris, Albin Michel, 1984, p. 222. 7. S. D. Goiten, A Mediterranean society. The Jewish communities of the arab world as portrayed in the documentation of the Cairo Geniza, University of California Press, 19671993, 6 vols. Les travaux de Goitein ont inspiré le récit d’Amitav Ghosh, Un infidèle en Égypte, Paris, Seuil, 1994. Voir à présent Jessica L. Goldberg, Trade and institutions in the medieval Mediterranean. The Geniza merchants and their business world, Cambridge University Press, 2012. 8. Abraham Udovich, «At the origin of the western commenda: Islam, Israel, Byzantium », Speculum, 37,1962, p. 198-207. 9. Quentin Van Doosselaere, Commercial Agreements and Social Dynamics in Medieval Genoa, Cambridge University Press, 2012. Ce travail utilise notamment les recherches de Michel Balard, La Romanie génoise (x n e-début du x v e siècle), Rome, e f r , 1976, 2 vols, et Georges Jehel, Les Génois en Méditerranée occidentale, fin x ie-début x iv e siècle : ébauche d ’une stratégie pour un empire, Amiens, Centre d’histoire des sociétés, 1993. 10. Benjamin Z. Kedar, Merchants in crisis. Genoese and Venetian men of affairs and the fourteenth-century depression, Yale University Press, 1976, p. 43. 11. La prosa italiana delle origini. I, Testi toscani di carattere pratico, éd. A. Castellani, Bologne, Pàtron, 1982, p. 23-30. Pour une analyse sous un angle comptable, voir Geoffrey A. Lee, «The florentine bank ledger fragments of 1211. Some new insights», Journal of accounting research, 11,1973, p. 47-61. 12. André E. Sayous, «Le rôle du capital dans la vie locale et le commerce extérieur de Venise entre 1050 et 1150», Revue belge de philologie et d ’histoire, 13,1934, p. 657-696, voir p. 692-693, actes de 1089 et 1103, mais par la suite, les formulaires préfèrent la forme «caput et prode ». 412

PAGES 2 6 9 - 2 7 9

13. Walther von Wartburg, Französisches etym ologisches W örterbuch, Bâle, Zbinden, 1959, t. 9, p. 417-420. 14. Max Pfister, Wolfgang Schweickard, Lessico etim ologico italiano, Wiesbaden, Reichert, 2008, c. 1739 sq. 15. Léger d’Autun, Testam ent ( p l 9 6 ) c. 3 7 9 : «Quas villas cum catallis suis, servis utriusque sexus, vineis, pratis, aquis, stagnis, cursibus, recursibus, sylvis, pascuis majoris peculii vel minoris, etc. » 16. Olivi, Traité des contrats , p. 233. 17. La remarque a été formulée par B.Z. Kedar, «Again: Arabie rizq , Medieval latin risicum », S tu di M edievali 10,1969, p. 255-259. 18. N. Lagomaggiore, «Rime genovesi della fine del secolo xm e dei principio del χιν», Archivio glottologico italiano , 2,1886, p. 248. 19. Cf. Trésor de la Langue Française , s.v. «Risque ». 20. H. Kruger, Zur Geschichte von danger im Französischen , Berlin, 1967. Voir la liste des usages de dangier répertoriés par F. Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue fr a n ­ çaise e t de tous ses dialectes du i x e au x v e siècle, Paris, Lechevallier, 1880-1902, p. 420-422. 21. E. Th. Tsolakes, Μιχαήλ Γλυκά Στίχοι ούς έγραψε καθ’ον κατεσχέθη καιρού (Michael Glyka. Vers q u ’il écrivit lorsqu ’il éta it en prison ), Thessalonique, 1959, p. 8, vers 198: Ψυχή μου κακορρίζικε, μιαν εφάνής ώραν (Ô mon âme infortunée, tu as resplendi une heure). Je tiens à remercier Dionysios Stathakopoulos de m’avoir transmis une copie de ce texte et d’autres informations utiles concernant Glykas. 22. J. Schmitt, «Rhizikon-risico», dans M iscellanea Linguistica in onore d i Graziadio Ascoli, Turin, Loescher, 1901, p. 389-402. 23. H. et R. Kahane, «Risk», dans Verba et Vocabula. Ersnt Gamillscheg Testim onial, Munich, 1968, p. 483-491, repris in Eid., Graeca et Romanica Scripta Selecta , vol. 1, Romance an d M editerranean Lexicology , Amsterdam, Hakkert, 1979. 24. R. Morozzo della Rocca, A. Lombardo (éd.), Docum enti del commercio veneziano nei secoli χ ι - x m , Rome, 1940. Les Kahane se fondaient sur la traduction d’un acte vénitien proposée par R. S. Lopez &I. W. Raymond, M edieval Trade in the M editerranean World, Columbia University Press, 1955, p. 170, qui emploie l’anglais risk pour rendre une for­ mule où figure le terme periculum et non pas resicum. Cruelle leçon pour les historiens et linguistes qui ne travaillent pas sur les documents originaux. 25. Le vers 198, cité plus haut, n. 21, est une répétition, avec cette unique modification, du vers 196 : Ψυχή μου κακοτύχερε, μιαν εφάνής ώραν (Ô mon âme malchanceuse, tu as été heureuse une heure). 26. C. Du Cange, Glossarium ad scriptores m ediae e t infimae graecitatis, t. 2, Lyon, 1688, col. 1297-98. C’est notamment le cas dans la traduction en grec des Assises de Jérusalem , au début du xive siècle, qui contient plus de quarante occurrences de rhizikon. 27. M. Chiaudano, M. Mattia (éd.), Il cartolare d i Giovanni Scriba. Docum enti e stu d i p er la storia del commercio e del diritto commerciale italiano, Turin, Lattes, 1935, p. 37, n°69 (26 avr. 1156): «Ego iordanus [...] accepi a te [...] libras tres centas decem et solidos octo quas portare debeo ad laborandum apud Valenciam a d tuum resicum. » Toutes les occurrences de resicum dans le registre sont signalées dans l’index. 28. C onstitutum usus, rub. xi, inj. M. Pardessus, Collection de lois m aritim es antérieures au x v m e siècle, Paris, Imprimerie royale, 1837, t. 4, p. 571: «Si quis pecuniam vel rem aliquam in societatem vel praestantiam maris ab aliquo in aliquo ligno navigabili a d risicum sive fortunam ipsius ligni deferendam suscepit. » 29. E. Monaci, C resto m a zia Ita lia n a d ei p rim i secoli, Citta di Castello, Lapi, 1889, p. 17: «Se questo avere se perdesse sentia frodo et sentia impedimentu ke fosse palese per la terra, ke la mitade se ne fose a d resicu de Johanni de tuctu, et a la mitade de Plandideo.» Le texte avait d’abord été publié par G. Levi, «Una carta volgare picena del sec. xn», G iornale d i filo lo g ia rom anza, 1, 1878, p. 234-237, qui fournit les détails de la localisation, puis étudié par Cesare Paoli, «Di una carta latina-volgare del 1193», Archivio Storico Italian o, 5,1890, p. 275-278, qui analyse cor­ rectement l’acte. 413

NOTES

30. Anne-Marie Bautier, «Contribution à un vocabulaire économique du Midi de lu France», Archivum Latinitatis Medii Aevi, 29, 1959, p. 214-215. Voir aussi les variations dans les chartes commerciales des Manduel, éditées par Louis Blancard, Documents inédits sur le commerce de Marseille au Moyen-Âge, Marseille, Barlatier-Feissat, 1884,1 . 1, p. 1-25. Dans les mêmes années (1227-1228), différents notaires emploient les formes risigum, resigum ou resegum. 3 1 . J. M. Pardessus, Collection, t. 4, p. 2 5 3 . Je note aussi la forme reseque ( 1 3 0 1 ) , in Archives de la Ville de Montpellier, B B 2 , f. 13V, Inventaire analytique, Montpellier, 1984. 32. Joan Coromines, Diccionari etimologic i complementari de la llengua catalana, amb la col.laboracio de J. Gulsoy i M. Cahner, vol. vu, r-sof, Barcelone, Curial, 1991 [1987], qui reprend et développe un examen antérieur proposé in Juan Corominas, Diccionario Critico etimolôgico castellano e hispànico, con la colaboracion de J. A. Pascual, vol. 5, Ri-x, Madrid, Gredos, 1983, p. 13-18 [1954]. 33. L. A. Muratori, Antiquitates italicae Medii Aevi, t. 4, Milan, 1741, col. 84: «Et teneatur et debeat Potestas venire ad civitatem Senensem et recedere suis propriis expensis et suum rischium et fortunam...»; R. S. Lopez, «The unexplored wealth of the notarial archives in Pisa and Lucca», dans Mélanges d ’histoire du Moyen Âge dédiés à la mémoire de Louis Halphen, Ch.-E. Perrin (éd.), Paris, puf, 1951, p. 429: «Ad riscum maris et gentis. » 34. Pierre Guiraud, Dictionnaire des étymologies obscures, Paris, Payot, 1982, p. 468. L’hypothèse est reprise dans le Dictionnaire Historique de la Langue Française, Alain Rey (éd.), Paris, Le Robert, 2000, t. 3, p. 3260. On trouve bien une fois la graphie rixicum, mais à une date tardive, dans L. Liagre de Sturler, Les Relations commerciales entre Gênes, la Belgique et l’Outremont d ’après les archives notariales génoises (1320-1400),

Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, 1969, t. 2, p. 432, n° 324 (an. 1370). 35. M. Dévie, Dictionnaire étymologique de tous les mots d ’origine orientale, Supplément à É. Littré, Dictionnaire de la languefrançaise, Paris, Hachette, 1883. 36. F. Corriente, Diccionario de arabismosy voces afines en iberorromance, Madrid, Gredos, 1999, P· 426. Je dois la connaissance de cette référence, ainsi que de celle citée à la note suivante et de nombreuses autres informations, à l’amabilité de Françoise Quinsat. 37. Coran, xxix, 17, tr. R. Blachère, Paris, Maisonneuve et Larose, 1966, p. 423: «Ceux que vous adorez, en dehors d’Allah, ne peuvent vous procurer aucune attribution. Recherchez donc votre attribution auprès d’Allah». 38. O. Bencheikh, «Risque et l’arbe rizq », Bulletin de la s e l e f a , 1, 2002, p. 1-6. C’est davantage au premier sens indiqué ici qu’il faut rattacher l’emploi de rizq dans les réflexions économiques d’Ibn Khaldoun, Muqaddima, v, 1, trad. A. Cheddadi, Paris, Gallimard, 2002, p. 759-762. Je remercie Alain Boureau de m’avoir signalé ces pages remarquables. 39. Cette tendance peut être confirmée par l’étrangeté de la tournure suivante, employée une seule fois par un notaire marseillais: ad fortunam Dei et tuam, in L. Blancard, Documents, n°i2, p.16 (an. 1226), alors que la formule standard est: ad for­ tunam Dei et tuum resegum.

40. B. Z. Kedar, «Again : Arabie rizq», p. 259. 41. Raffaella Petti, Enrico Giusti (éd.), Un ponte sui Mediterraneo. Leonardo Pisano, la scienza araba e la rinascita della matematica in Occidente, Florence, Polistampa, 2016. 42. G. B. Pellegrini, «Il fosso Caligi e gli arabismi pisani», Rendicontidell’Accademia dei Lincei, Ser. vin, vol. 11,1956, p. 142-176; Id., «L’elemento arabo nelle lingue neolatine», dans L’Occidente e l’Islam nell’alto medioevo, x u Settimane di studio dei centro italiano sull’alto medioevo, Spoleto, ci sam, 1965, t. 2, p. 697-790, voir p. 668-672. 43. M. Chiaudano, M. Moresco, Il cartolare di Giovanni Scriba, p. ix-x. 44. Michele Amari (éd.), Diplomi arabi del R. Archivio Fiorentino, Firenze, 1863. 45. O. Bencheikh, «Risque», p. 5-6. 46. Statuti di Bologna dall’anno 1245 all’anno 1267, éd. L. Frati, Bologne, 1869, t. 2, p. 191 «Quod nullus qui emit folexellos debeat emere nisi ad libram et non ad risecum seu ad oculum». 414

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47. Il cartolare di Giovanni Scriba, n° 739, p. 399 (an. 1160). 48. John H. Pryor, Business contracts of Medieval Provence. Selected notulae from the cartulary of Giraud Amalric of Marseilles, 1248, Toronto, 1981, p. 100-104. Pour une vue d’ensemble sur l’histoire du change maritime, cf. R. De Roover, L’Évolution de la lettre de change, x iv e-x v m esiècles, Paris, 1953. 49. Il Cartulario di Arnaldo Cumano, p. 59, n°io9 (an. 1178): «Do potestatem uxori inee Adelaxe de omnibus bonis meis administrandis, et me vivente et post decessum meum, ea lege quod possit bona mea et filii mei tractare et administrare tamquam sua propria et mandare ad laborandum ad meum et filii mei risigum. » Le même registre contient cinq autres testaments dotés d’une clause comparable. 30. L. Blancard, Documents, n° 295, t. 2, p. 317-318: «Item, volo et mando quod dicti gadiatores mei posint vendere de meis bonis... et resegare et mitere, tarn per mare quam per terram, absque periculo suo.» Voir aussi J. H. Pryor, Business contracts, n°86, p. 220 et n°9o, p. 223. Tous ces actes datent du printemps 1248. 51. A. Kolsen, «Randnoten zu Emil Levys provenzalischen Wörtebüchern », Archiv für das Studium der neueren Sprachen, c x l i , p. 145. Le vers en question est toutefois d’in­ terprétation délicate : Que nostra ley s’en vai trop rezeguan. 32. Concordia Mantuae cum Ferraria, dans L. Muratori, Antiquitates italicae Medii Aevi, Milan, 1741, t. 4, c. 445. 53. Ibid., col. 84. 34. Martin Pennitz, Das Periculum rei venditae: ein Beitrag zum ‘aktionenrechtlichen Denken’ im römischen Privatrecht, Vienne, Böhlau, 2000. 35. Pierre le Chantre, Summa de sacramentis et animae consiliis, pars ni, 2a, J.-A. Dugauquier éd., Louvain-Lille, 1963, § 214, p. 186. 36. Le traitement le plus complet de ces cas, constamment repris par la suite, est fourni par Guillaume de Rennes dans Summa S. Raymundi de Peniafort, Avignon, Delorme, 1715, P· 3 3 4 -3 3 5 · 37. X, 5, 19, 19: «Ceux qui prêtent une certaine somme d’argent aux marchands qui naviguent ou vont aux foires, pour recevoir quelque chose au-delà du principal, du fait qu’ils ont pris sur eux le risque, cela est jugé usuraire.» 38. G. Ceccarelli, Il gioco e il peccato. Economia e rischio nel Tardo Medioevo, Bologne, Mulino, 2003. 39. Summa Raymundi, p. 332-333. 60. Sur ces discussions, T. P. McLaughlin, «The Teaching of the Canonists on Usury (xnth, x m th and xivth Centuries)», Medieval Studies, 1,1939, p. 103-104,144-147. 61. Summa Raymundi, p. 333, s.v. periculum : «Huiusmodi receptio periculi excusat hic potissimum ab usura.» 62. Il Cartulario di Arnaldo Cumano, p. 518: «Nous [...] reconnaissons avoir reçu de toi [ ...] tant de tes biens pour lesquels nous devons te donner 7 livres de rebus [...] Ces deniers iront au risque de mer de la vieille Fourmi, pour une moitié et pour l’autre moité au risque de mer d’Amedeo Monte.» Un autre exemple plus tardif, amis plus explicite, à Narbonne dans A. Blanc, Le livre de comptes de Jacme Olivier, marchand narbonnais du x iv e siècle, Paris, 1899, t. 2, p. 395-398. 63. Pierre de Jean Olivi, Quodlibet, i, 17, dans Traité des contrats, p. 395-401. 64. Pseudo Chrysostome, dans Grat. 88,11 (c. 309-310). 65. Summafratris Alexandri, Quaracchi, Coll. S. Bonaventurae, 1948, t. 4, p. 724. 66. Olivi, Traité, p. 115. 67. Ibid., p. 139-141. 68. Ibid., p. 211. 69. Ibid., p. 209-211. 70. J. H. Pryor, Business contracts, p. 105-110, donne des exemples de cessions de droits (cessio iuris). Voir en particulier la notule 9, p. 108, qui porte sur un contrat de com­ mande, mais dans laquelle l’ensemble des droits est cédé, et non pas la seule «proba­ bilité du profit». 71. Olivi, Traité, p. 213. 415

NOTES

72. Ibid., p. 217. 73. Ibid., p. 223. 74. Ibid., p. 219: «L’intérêt de ce gain probable était donc, d’une certaine façon, contenu dans sa cause et comme à l’état de semence dans ce capital»; p. 233: «Ce qui est destiné, par une ferme décision de son propriétaire, à produire un certain profit probable n’a pas seulement la caractère de l’argent simple ou de la chose même, mais contient en outre une certaine raison séminale de profit que nous appelons communément “capital”. » 75. Petrus Johannis Olivi, Quaestiones de Incarnatione et Redemptione, A. Emmen (éd.), Grottaferrata, 1981, p. 111: «In donatione iuris potest dari aliquid futurum, ut verbi gru tia possum alicui cum instrumento dare domum quam sum facturus, et etiam obligare me ad faciendum eam; sic etiam possum dare lucrum, quod sum lucraturus. Sic ergo Deus potuit dare patribus meritum...» 76. D. Burr, Olivi’s Peaceable Kingdom. A Reading of the Apocalypse Commentary, Philadelphie, 1993. 77. K. Pomian, L’Ordre du temps, Paris, Gallimard, 1984, p. 291-295. 78. Sur les premières assurances, cf. F. Edler de Roover, «Early examples of Marine Insurance», The Journal of Economic History, 5 (1945), p. 172-200; L.A. Boiteux, La Fortune de mer, le besoin de sécurité et les débuts de l’assurance maritime, Paris 1968 ; E. Spagnesi, «Aspetti dell’assicurazione medievale», in L’assicurazione in Italia fino all’Unità. Saggi storici in onore di Eugenio Artom, Milan, 1975, p. 3-189. 79. Bartolomaeus de Sancto Concordio, Summa de casibus conscientiae, Venise, 1474. À propos de ce texte, voir E. Spagnesi, «Aspetti dell’assicurazione», p. 24-25,46-47. 80. Pour une vue complète des réflexions savantes sur les contrats d’assurance, voir G. Ceccarelli, «Risky business: Theological and Canonical Thought on Insurance from the Thirteenth to the Seventh Century »Journal of Medieval and Early Modern Studies, 31, 2001, p. 607-658. Voir également à présent, Id., Un mercato del rischio. Assicurare e farsi assicurare nella Firenze rinascimentale, Venezia, Marsilio, 2012. 81. Des pistes bien plus intéressantes sont présentées par Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz, Aux bords de Virreversible. Sociologie pragmatique des transformations, Paris, Petra, 2017. 82. J. Richard, avec A. Rambaud, Révolution comptable Pour une entreprise écologique et sociale, Ivry, Éd. de l’Atelier, 2020.

N O TES DU C H A PITR E X

1. Martine Orange, «La banque d’Angleterre brise le tabou du non-financement deN États », Mediapart, 9 avril 2020. 2. Stephanie Kelton, The deficit myth. Modem monetary theory and the birth of the people’s economy, New York, Public Affairs, 2020. 3. Massimo Amato, L’Énigme de la monnaie, Paris, Cerf, 2015 [2010], p. 60-80. 4. Eric Monnet, Controlling credit. Central banking and the planned economy in postwar France (1948-1973), Cambridge University Press, 2018. 5. C’est peut-être une erreur de jugement, mais il ne paraît pas indispensable d’attri buer des revenus monétaires aux animaux. 6. A défaut d’une édition critique satisfaisante des versions latine et française de son ouvrage, j’utilise Nicole Oresme, Tractatus de origine, natura, jure et mutationibus monetarum, éd. Tommaso Brollo, Paolo Evangelisti, Edizioni Università di Trieste, 2020. Le texte français reproduit l’édition Wolowski qui incorpore de nombreuses interpolations tardives. 7. Aristote, Éthique à Nicomaque, 1133330-31, trad. R. Bodéüs, Paris, GF-Flammarion, 2004, p. 249. 8. Isidore de Séville, Étymologies, xvi, 18: «La monnaie (moneta) est appelée ainsi parce qu’elle avertit {monet), afin qu’on ne fasse aucune fraude dans le métal ou dans le poids». L’étymologie exacte de l’épithète latine moneta est toujours sujette à débat. 416

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i). Andrew Meadows, Jonathan Williams, «M oneta and the monuments. Coinage and politics in republican Rome», Journal o f Roman Stu dies , 91, 2001, p. 27-49. 10. Christine Desan, M aking money. Coin, currency, and the com ing o f capitalism , Oxford University Press, 2015, propose un point de vue assez proche de celui que je défends, illustré à partir du cas anglais. 11. Nigel Dodd, The Social Life o f m oney, Princeton University Press, 2014. 12. William Stanley Jevons, M oney an d the m echanism o f exchange, London, King, 1875, p.14-16, est le premier qui ait défini ces trois fonctions, sans faire référence sur ce point ΛAristote qu’il cite à d’autres sujets. 13. M. Aglietta et A. Orléan, La Violence de la m onnaie, Paris, PUF, 1982. 14. A. Orléan, UEmpire de la valeur. Refonder l ’économie, Paris, Seuil, 2011 ; M. Aglietta, avec Pepita Ould Ahmed et Jean-François Ponsot, La M onnaie entre dettes et souverai­ neté, Paris, Odile Jacob, 2016. 15. Bernard Schmitt, Théorie unitaire de la monnaie, nationale e t internationale, Albeuve, Castella, 1975; Suzanne de Brunhoff, La M onnaie chez M arx, Paris, Éditions sociales, 1967. À propos de cette dernière, voir R. Bellofiore e t al. (éd.), Penser la m onnaie e t la finance avec Marx. Autour de Suzanne de Brunhoff, Rennes, p u r , 2018. 16. Pierre Alary, Ludovic Desmedt (dir.), «Autour de l’institutionnalisme monétaire», Revue de la régulation, 26, 2019, consacre un dossier à ces auteurs, comprenant des entretiens avec Jean Cartelier, André Orléan, Jean-Michel Servet et Bruno Théret |en ligne: https://j0urnals.0penediti0n.0rg/regulati0n/16030]. Voir aussi, P. Alary, J. Blanc, L. Desmedt, B. Théret (éd.), Théories fran çaises de la m onnaie, Paris, p u f , 2016. 17. D. Graeber, D ette :5 0 0 ο ans d ’histoire, Arles, Actes Sud, 2016 [2011]. 18. C. Benetti, J. Cartelier, M archands, sa la ria t e t capitalistes, Paris, Maspéro, 1980. Les enjeux sont mieux explicités dans J. Cartelier, «Théorie de la valeur ou hétérodo­ xie monétaire: les termes d’un choix», Économie Appliquée, 38, 1985, p. 63-82. Voir à présent, Id., Money, m arkets an d c a p ita l The case f o r a m onetary analysis, Londres, Routledge, 2018. 19. Paul Dumonchel, Jean-Pierre Dupuy, L’Enfer des choses. René Girard et la logique de l ’économie, Paris, Seuil, 1979 . 20. J. Cartelier, «Note sur La Violence de la m onn aie », Revue économique, 34,1983, p. 395401. La citation provient de La Violence de la m onnaie, p. 34. 21. M. Aglietta, A. Orléan, La Monnaie, entre violence e t confiance, Paris, O. Jacob, 2002, p. 35-37, explicitent leur désaccord avec C. Benetti et J. Cartelier. 22. M. Aglietta, A. Orléan, La M onnaie souveraine, Paris, O. Jacob, 1998. 23. Charles Malamoud (éd.), Lien de vie, nœ ud mortel. Les représentations de la dette en Chine, au Japon e t dans le m onde indien, Éd. de I’e h e s s , 1988. 24. Je résume ici une lecture critique présentée dans «La dette de Panurge», L’Homme. Revue fran ça ise d ’anthropologie, 162,2002, p. 255-270. 25. Je me concentre sur ce seul cas en raison de l’importance qu’il a pris dans la réflexion collective. Pour une vision plus générale des paléomonnaies, voir Jean-Michel Servet, Les M onnaies du lien, Presses Universitaires de Lyon, 2012; Francis Dupuy, «Les "monnaies primitives”»,L’H omm e, 190,2009, p. 129-151. 26. D. de Coppet, «Pour une étude des échanges cérémoniels en Mélanésie », L’Homme, H, 1968, p. 45-57; Id., «1, 4, 8; 9, 7. La monnaie: présence des morts et mesure du temps», L’H omm e, 10,1970, p. 17-39. 27. C. Barraud, D. de Coppet, A. Iteanu et R. Jamous, «Des relations et des morts. (Quatre sociétés vues sous l’angle des échanges», dans J.-C. Galey (éd.), Différences, valeurs, hiérarchies. Textes offerts à Louis Dumont, Paris, Éd. de I’e h e s s , 1984, p. 421520, cf. p. 507. 28. D. de Coppet, «Une monnaie pour une communauté mélanésienne comparée à la nôtre pour l’individu des sociétés européennes», dans La M onnaie souveraine, p. 159211, cf. p. 198-201 29. Je fais ici allusion au sous-titre du livre d’A. Orléan, L’Empire de la valeur. Refonder l'économie. 417

NOTES

30. Marcel Mauss, «Essai sur le don», dans Sociologie et anthropologie, Paris, p u f , 1950, p. 1 7 8 - 1 7 9 · 31. Maurice Bloch, Jonathan Parry (éd.), Money and the morality of exchange, Cambridge University Press, 1989. 32. Ces usages ne sont pas récents, cf. Turgot, Formation et distribution des richesses, Paris, GF-Flammarion, 1997, p. 182: «Je me souviens d’avoir vu au collège des noyaux d’abricots échangés et troqués, comme une espèce de monnaie, entre les écoliers qui s’en servaient pour jouer à certains jeux.» 33. Pierre Clastres, «Échange et pouvoir: philosophie de la chefferie indienne» [1962], repris dans La Société contre l’État, Paris, Minuit, 1974. 34. D. de Coppet, «1, 4, 8; 9, 7», p. 36-37. 35. Par ex., Georges Le Rider, La Naissance de la monnaie. Pratiques monétaires de l’Orient ancien, Paris, p u f , 2001, p. 80-99; Raymond Descat, «Monnaie multiple et mon­ naie frappée en Grèce archaïque», Revue numismatique, 157, 2001, p. 69-81. 36. Clarisse Herrenschmitt, Les Trois Écritures. Langue, nombre, code, Paris, Gallimard, 2007, p. 229-262. 37. Bernhard Laum, Heiliges Geld. Eine historische Untersuchung über den sakralen Ursprung des Geldes, Tübingen, Mohr, 1924. Traduction française très partielle dans Genèses, 8,1992, p. 60-85. Voir l’étude de N. Parise, Bernhard Laum. Origine della moneta e teoria del sacrificio, Rome, Istituto Italiano di Numismatica, 1997. 38. Hérodote, Histoire, i, 14; vi, 125. 39. Ibid., I, 29-33; Xénophon, Cyropédie, vu, 2. 40. Philip Grierson, «The Origins of money», Research in economic anthropology, 1,1978, p. 1-35, cf. p. 4-5. Le raisonnement économique, tenu notamment par G. Le Rider, sug­ gérant que ces premières émissions monétaires visaient à réaliser un profit fiscal, me semble anachronique et dérisoire au regard des richesses dont jouissaient ces rois. 41. L. Gernet, «La notion mythique de la valeur en Grèce», Journal de psychologie, 41, 1948, repris dans Anthropologie de la Grèce antique, Paris, Flammarion, 1982, p. 121-179, voir p. 156-170. Voir aussi Karl Polanyi, La Subsistance de l’homme. La place de l’écono­ mie, p. 180. 42. Pindare, Pythiques, iv, 11. 43. L. Gernet, «La notion mythique», p. 179. 44. Grégoire de Tours, Histoire des Francs, Paris, Belles-Lettres, 1963-1965, 2 vols. Chlodéric, qui prétend s’emparer du royaume de son père Sigebert et de ses trésors, se fait fracasser le crâne en ouvrant le coffre par les émissaires de Clovis, qui rap­ portent le trésor à leur roi; Childebert trucide Amalaric et s’empare de son trésor; Clotaire prend ceux de Childebert; Chilpéric, ceux de son père Clotaire, puis ceux de Brunehaut, veuve de Sigebert; Didier saisit les trésors de Rigonthe, fille de Chilpéric à Toulouse, que Gontran récupère à Comminges en massacrant Gondovald et tous les habitants, etc. 45. Richard Seaford, Money and the early greek mind. Homer, philosophy, tragedy, Cambridge University Press, 2004, p. 96-98,111-114. 46. Olivier Picard, «Monnaies et guerre en Grèce classique», Pallas, 51,1999, p. 205-221; Id., «Monnaie et circulation monétaire à l’époque classique», Pallas, 74, 2007, p.111-126. 47. Ph. Descola, «La chefferie amérindienne dans l’anthropologie politique», Revue française de science politique, 38,1988, p. 818-827. 48. A. Testait, Les Chasseurs-cueilleurs ou l’origine des inégalités, Nanterre, Société d’eth­ nographie, 1982. 49. Ch. Stépanoff, «Des inégalités inégales. Les richesses, la hiérarchie et l’invisible en Asie septentrionale», L’Homme, 234-235, 2020, p. 267-290. 50. Helen Codere, «Money-Exchange Systems and a Theory of Money», Man, 3, 1968, Ρ· 557-577 ; Thomas Crump, The Phenomenon of money, Londres, Routlege &Kegan Paul, 1981. 51. Cl. Herrenschmitt, Les Trois Écritures, p. 263-289. 52. Alain Testait (dir.), Aux origines de la monnaie, Paris, Errance, 2001. 418

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S3- Brigitte Derlon, «L’intestinal et le matriciel: aux origines mythiques d’une “mon­ naie” mélanésienne (Nouvelle-Irlande, plateau Lelet)», L'Homme, 162, 2002, p. 157-180. 54. Michel Lelart, «Le Thaler de Marie-Thérèse d’Autriche», Économie et sociétés, 38, 2007, p. 321-346. 55. Carl Menger, «On the origin of money» dans G. Campagnolo (éd.), Existe-t-il une doctrine Menger? Aux origines de la pensée économique autrichienne, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2011: «La monnaie n’a pas été créée par la loi. λ l’origine, son institution est le fait de la société, pas de l’État.» 56. Charles A.E. Goodhart, «The two concepts of money: implications for the analysis of optimal currency areas», European journal of political economy, 14, 1998, p. 407-432. J. M. Keynes, A Theory of money. The pure theory of money, Cambridge University Press, 1971 [1930], p. 4, faisait la même observation. 57. Code Pénal, art. 442-4: «La mise en circulation de tout signe monétaire non auto­ risé ayant pour objet de remplacer les pièces de monnaie ou les billets de banque ayant cours légal en France est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.» 58. Ibid., art. 442-1: «Trente ans de réclusion criminelle et 450000 euros d’amende.» 59. Fr. Simiand, «La monnaie, réalité sociale», Annales Sociologiques, Série D. Sociologie économique, 1, 1934, p. 1-58, citation p. 39, prolongée par les remarques de M. Mauss, P· 5 9 -7 5 »repris in Id., Oeuvres, Paris, Minuit, t. 2, p. 116-120. 60. Ce qui suit synthétise et met à jour un article ancien: «Monnaie et majesté royale au xive siècle», Annales. Histoire, Sciences Sociales, 51,1996, p. 324-354. 61. Laurent Feller, «Sur la formation des prix dans l’économie du haut Moyen Âge», Annales. Histoire, Sciences Sociales, 66, 2011, p. 627-661. 62. Thibault Cardon, Les Usages des monnaies (mi x n e-début x v ie s.). Pour une approche archéologique, anthropologique et historique des monnaies médiévales, thèse, Paris, Éditions de I’e h e s s , 2015, à paraître, Presses universitaires de Caen, 2020. 63. Ibid., p. 73-77, qui confirme l’hypothèse d’Adrien Blanchet, «La monnaie et l’Église. Relations d’établissements religieux avec des émissions monétaires», Comptes-rendus des séances de lAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres, 94,1950, p. 18-26. 64. Jean-Pierre Devroey, «Activité monétaire, marchés et politique à l’âge des empereurs carolingiens», Revue belge de numismatique et de sigillographie, 161, 2015, p. 177-232. 65. Michael F. Hendy, «From public to private. The western barbarian coinages as a mirror of the disintegration of late Roman structures», Viator, 19,1984, p. 29-78. 66. Françoise Dumas-Dubourg, Le Trésor de Fécamp et le monnayage en Francia occiden­ tale pendant la seconde moitié du x e siècle, Paris, Bibliothèque Nationale, 1971. 67. J.-P. Devroey, «Activité monétaire», p. 33-35., 68. André Chédeville, Chartres et ses campagnes, x ie-x m e siècles, Paris, 1973, cité par Marc Bompaire, «Tanquam monetam patrie propriam (Clermont, 1282). Une approche des identités monétaires médiévales?», Revue numismatique, 168, 2012, p. 35-48. 69. Thomas N. Bisson, Conservation of coinage. Monetary exploitation and its restraint i n France, Catalonia and Aragon (c. a . d . 1000-c. 1225), Oxford, Clarendon, 1979. 70. Marc Bompaire, «Les ateliers de Melgueil, Cahors et Rodez d’après les sources écrites», dans G. Depeyrot (éd.), Trésors et émissions monétaires du Languedoc et de Gascogne (x n e et x m e siècles), Toulouse, Association pour la promotion de l’archéolo­ gie en Midi-Pyrénées, 1987, p. 12-23. 71. Le français n’a pas conservé la corrence, proposé par Nicolas Oresme dans sa traduc­ tion de la Politique d’Aristote. 72. Charte impériale de 1037 accordant le droit de monnaie à l’évêque d’Ascoli: ac libere ac secure currentes per totum regnum, cité par G. Salvioli, «Moneta», Enciclopedia Giuridica Italiana, S. P. Mancini dir., Milan, Vallardi, 1901. 73. Pierre Toubert, Les Structures du Latium médiéval du ix e à lafin du x n e siècle, Rome, École Française de Rome, 1973, p. 552-624; Id., «Une des premières vérifications de la loi de Gresham: la circulation monétaire dans l’état pontifical vers 1200», Revue numis­ matique, 15,1973, p. 180-189. 419

NOTES

74. Peter Spufford, Money and its use in medieval Europe, Cambridge University Press, 1988, 75. Ibid., p. 197. 76. Ibid., p. 199-200. 77. Ordonnances des rois de France de la troisième race, éd. E. de Laurière, Paris, Imprimerie royale, 1723,1.1, p. 93-94. 78. Ordonnances, 1.1, p. 95, art. 2 (nov. 1265). Sans succès si l’on en croit Gérard d’Abbe­ ville, cf. Pierre Michaud-Quantin, «La politique monétaire à la Faculté de théologie de Paris en 1265», Le Moyen Âge, 68,1962, p. 137-151. 79. Ibid., 1.12, p. 329 (10 mars 1295). 80. Ibid., 1.1, p. 429, art. 4 (19 mai 1305). 81. Adolphe Dieudonné, «L’ordonnance ou règlement de 1315 sur le monnayage des barons», Bibliothèque de l'École des Chartes, 93,1932, p. 5-54. 82. Paul Guilhiermoz, «Avis sur la question monétaire», Revue Numismatique, 25, 1922, P- 7 3 83. Vue d’ensemble dans Jean Favier, Philippe le Bel (1978), repris in Un roi de marbre, Paris, Fayard, 2005; Céline Balasse, 1306, l’expulsion des juifs du royaume de France, Bruxelles, De Boeck, 2008 ; Alain Demurger, La Persécution des Templiers. Journal (13071314), Paris, Payot, 2015. 84. Joseph R. Strayer «Pierre de Chalon and the origins of the french customs service», dans Festschrift Percy Ernst Schramm, Wiesbaden, Steiner, 1964,1.1, p. 334-339. 85. Code, X, 71,1: «Les contribuables sont libres d’acquitter leurs impositions en argent monnayé ou en masse, pourvu qu’à cet égard on observe une proportion exacte.» 86. M. Bompaire, «La question monétaire. Avis et consultations à l’époque de Philippe le Bel et de ses fils», dans J. Kerhervé, A. Rigaudière (éd.), Monnaie, fiscalité et finances au temps de Philippe le Bel, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2007, p 105-140. 87. M. Bompaire, «Richard Huguet, de Florence, maître des monnaies de Philippe le Bel», Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 2007, p. 90-106; Xavier Hélary, «Révolution monétaire, révolution fiscales? Le poids de la guerre dans les finances royales sous le règne de Philippe le Bel», dans Monnaie, fiscalité et finances, p. 229-254. 88. Jacques Queinnec, «Les ressources monétaires du Trésor, 1298-1300», dans Monnaie, fiscalité et finances, p. 279-311; M. Bompaire, «Quelques spécificités des monnayages médiévaux. Le seigneuriage et autres innovations au temps de Philippe le Bel», Dialogues d’histoire ancienne, supplément 20, 2020, p. 107-123. 89. Elisabeth A. R. Brown, «Royal Salvation and the needs of the State in late Capetian France», dans Order and innovation in the Middle Ages. Essays in honor ofJ.R. Strayer, Princeton University Press, 1976, p. 365-379. 90. Maurice Prou, «Recueil de documents monétaires», Revue numismatique, 14, 1896, p. 301: «Abeisser et amenuyser la monaye est privileges seus et especiaux au roy de sen droit royaul [...] et encor en un seul cas, c’est assavoir en nécessité, et leurs ne met le gaain ne convertist en son profit especial, mais ou profit et en la deffense dou com­ mun» (1309). 91. Marc Bloch, «Mutations monétaires dans l’ancienne France», Annales e s c , 8,1953, P· 4 3 5 -4 3 7 · 92. À dire vrai, l’économie monétaire moderne ne parvient pas davantage à en com­ prendre les effets, cf. Arthur J. Rolnick, François R. Velde, Warren E. Weber, «The Debasement puzzle. An essay on medieval monetary history», Journal of Economie History, 56,1996, p. 789-808. 93. M. Bompaire, F. Dumas, Numismatique médiévale, Turnhout, Brepols, 2000, p . 3 4 0 -3 4 1 .

94. En 1309, le roi déclare encore qu’il pourrait «avoir grand profit» en entérinant le cours commercial des mailles tournois, Ordonnances, 1.1, p. 455, art. 11 (18 jan. 1309). 95. Ibid., 1.1, p. 477 (27 jan. 1311) ; p. 481 (16 mai 1311) ; etc. 420

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96. La qualification de «marchandises» pour désigner les pièces décriées ou les espèces étrangères interdites n’est attestée que tardivement (Ordonnances, t. 20, p. 56, 29 jan. 1488), mais l’idée est présente dès le x m e siècle, avec l’ordre de les prendre «à la value» du métal. 97. Cette période correspond à celle où Enguerrand de Marigny prend une importance croissante dans les affaires financières et militaires du royaume. 98. Alain Guerreau, «Réflexions sur les mutations monétaires en France à la fin du Moyen Age», dans G. Depeyrot, T. Hackens et Gh. Moucharte (éd.), Rythmes de la pro­ duction monétaire, de l’antiquité à nos jours , Louvain-la-Neuve, Séminaire Marcel Hoc, 1987, p. 521-535. 99. Ordonnances, t. 1, p. 469 (oct. 1309), p. 482 (16 mai 1311). Bernard Chevalier, «Les changeurs en France dans la première moitié du xive siècle», dans Économies et Sociétés au Moyen Age. Mélanges offerts à E. Perroy, Paris, Publications de la Sorbonne, 1973, p-153-160. 100. Dante, Paradis, xix, 119 : falseggiando la moneta. L’évêque de Pamiers, Bernard Saissset, était accusé d’avoir qualifié le roi de faux-monnayeur en 1301, mais le cas est isolé. 101. René Guénon, Le Règne de la quantité ou les signes des temps, Paris, Gallimard, 1972 [1945], p. 108-112; Id., Autorité spirituelle et pouvoir temporel, Paris, Trédaniel, 1984 [1929], p. 81-86: «Un des principaux auteurs de la déviation caractéristique de l’époque moderne. » 102. Joseph Petit et al. (éd.), Essai de restitution des plus anciens mémoriaux de la Chambre des Comptes de Paris, Paris, Alcan, 1899, p. 147, xii. 103. M. Bompaire, «La question monétaire». 104. Documents parisiens du règne de Philippe vi de Valois (1328-1350), éd. J. Viard Paris, Société de l’histoire de Paris, 1900, t. 2, p. 222-224; Philippe Wolff, Commerce et marchands de Toulouse (vers 1350- vers 1450), Paris, Plon, 1954, p. 319-320 ; Archives Nationales, jj 75, f. 20, 28, 68v, 127. 105. Grandes chroniques de France, éd. J. Viard, Paris, Société de l’histoire de France, t. 9, p. 79. 106. Documents parisiens, p. 290-291. 107. Paris, b n f , Baluze 391, n° 528 (expédition au sénéchal et au receveur de Beaucaire); Archives Nationales, z ib 55, f. 4V (expédition au prévôt et au receveur de Paris), per­ met de corriger Ordonnances, t. 2, p. 254-256. 108. Ordonnances, t. 3, p. 34, art. 23 (28 déc. 1355): «Nous retourneriens à nostre demaine des monnoyes»; Grandes chroniques de France. Chronique des règnes de Jean h et Charles V, éd. Robert Delachenal, Paris, Société de l’histoire de France, 1910,1.1, p. 97 : «Le droit de faire monnoie et de la muer appartenoit au roy pour cause de l’eritage de la Couronne de France» (jan. 1357). 109. La version française est disponible dans une édition qui ne distingue pas plu­ sieurs interpolations : Traictié de la première invention des monnaies, éd. L. Wolowski Paris, Guillaumin, 1864. Pour la version latine, Charles Johnson, The De Moneta of Nicholas Oresme and English Mint Documents, Londres, 1956. Ces deux éditions sont reproduites dans le volume de Trieste, 2020 (cité note 6). Une traduction moderne publiée en 1989 est inutilisable. L’édition critique de la version française préparée dans la thèse de J. E. Parker, Maître Nicole Oresme: Le traictié des monnoyes, University of Syracuse, 1952, est demeurée inédite. Sur le fond, la meilleure analyse du texte est présentée par Lucien Gillard, «Nicole Oresme, économiste», Revue Historique, 279, 1988, p.1-39. 110. En dernier lieu, Adam Woodhouse, «“Who owns the money?” Currency, property, and popular sovereignty in Nicole Oresme’s De moneta», Speculum, 92, 2017, p. 85-116, synthèse correcte qui n’apporte rien de neuf et ne tient pas compte du contexte de rédaction. 111. Michel Hébert, Parlementer. Assemblées représentatives et échanges politiques en Europe occidentale à lafin du Moyen Age, Paris, De Boccard, 2014. 421

NOTES

112. Raymond Cazelles, Société politique, noblesse et Couronne sous Jean le Bon et Charles v, Genève, Droz, 1982, p. 302-303, Jacques Krynen, L’Empire du roi. Idées et croyances politiques en France, x m e-xve siècles, Paris, 1993, p. 419-426. 113. Ordonnances, t. 3, p. 46 (13jan. 1356). 114. Comparer avec Oresme, Traité, ch. 8, p. 254: «Il est assavoir que jamais, sans evi­ dente nécessité, ne se doivent muer les premières loix, statuz, coustumes et ordon­ nances touchant la communaulté.» 115. Émile Bridrey, La Théorie de la monnaie au x iv e siècle. Nicole Oresme. Étude d ’his­ toire des doctrines et faits économique, Paris, Giard et Brière, 1906, p. 33-55, démontre l’existence de deux versions et en propose les dates les plus vraisemblables. 116. R. Cazelles, Étienne Marcel. La révolte de Paris, Paris, Tallandier, 1984. 117. Oresme, Traité, prologue, p. 116, trad., p. 232. 118. Ibid., ch. 5, p. 129. La traduction française (p. 241) modifie la formulation: «Une personne publicque et députée par plusieurs de la communaulté.» 119. Ibid., ch. 7, p. 130: moneta est communitatis. Oresme n’emploie pas le concept d’ins­ titution, mais c’est le sens qu’il faut donner à moneta, par opposition à la pecunia que possèdent les particuliers. Les deux termes sont rendus en français par «monnaie». 120. Ibid., ch. 12-13. 121. Ibid., ch. 22, p. 168. Oresme note également que cette imposition serait la plus équitable et la plus simple à collecter rapidement. 122. Ibid., ch. 23, p. 172. 123. Ibid., p. 174. 124. Ibid., ch. 25, p. 180. Le thème des inégalités excessives de richesses revient fré­ quemment dans Le Livre de Politiques d ’Aristote, éd. A.D. Menut, Transactions of the American Philosophical Society, vol. 60, part. 6, Philadelphie, 1970, p. 88b, 91a, 94b, 144b, 187a, 189a. 125. Oresme, Traité, ch. 26, p. 184. 126. Joel Kaye, Histoire de l’équilibre (1250-1375). L’apparition d ’un nouveau modèle d ’équilibre et son impact sur la pensée, Paris, Belles-Lettres, 2017 [2014], perçoit au contraire une rupture dans les positions d’Oresme. 127. James Morgan Blythe, Le Gouvernement idéal et la constitution mixte au Moyen Âge, Fribourg, Presses Universitaires, 2015 [1992]. 128. B. Grévin, La Première Loi du royaume. L’acte de fixation de la majorité des rois de France (1374), Paris, Classiques Garnier, 2020. 129. Ordonnances, t. 3, p. 530 (3 nov. 1361): «Afin que le fait et ordonnance des mon· noyés soit toute une par tout nostre royaume.» Voir R. Cazelles, «La stabilisation de la monnaie par la création du Franc (décembre 1360) : blocage d’une société», Traditio, 32, 1976, p. 293-311. 130. Guy Bois, «Sur la monnaie et les prix à la fin du Moyen Âge», Annales e s c , 34,1979, p · 3 1 9 -3 2 3 ·

131. Ordonnances, t. 11, p. 122 (26 juin 1421); Ibid., t. 13, p. 39 (30 sept. 1423): «L’autorité de nous et de nostre royal majesté a qui appartient instituer la valeur de nosdictes monoyes. » 132. Sur ces questions, je me permets de renvoyer à S. Piron, Nicole Oresme: violence, langage et raison politique, Florence, Institut Universitaire Européen, 1997 [en ligne: https://hal.archives-0uvertes.fr/halshs-00489554]. 133. Jean Bodin, Les Six Livres de la République, Paris, Fayard, 1986,1. 1, p. 331. 134. Id., «Réponse au paradoxe de monsieur de Malestroict», dans Jean-Yves Le Branchu (éd.), Écrits notables sur la monnaie (x vie siècle). De Copernic à Davanzati, Paris, Alcan, 1934,1.1, p. 145. 135· Je reprends ici quelques passages de la seconde partie de «Contexte, situation, conjoncture», dans Florent Brayard (éd.), Des contextes en histoire, Paris, Centre de recherches historiques, 2013, p. 27-65. 136. Ordonnances, t. 1, p. 484: «Et jaçoit ce que nous deffendons toutes mannières d’usures, celles usures qui sont trop griez et non portables, et lesquelles plus 422

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grievement desgastent les biens et la sustance de nos subgiez, deffendons plus forte­ ment et poursuivons.» 137. Ordonnances, 1.1, p. 489 (19 sept. 1311). L’ordre d’expulsion a sans doute été envoyé le 22 août, en même temps qu’un autre mandement visant les juifs qui étaient revenus dans le royaume, Ibid., p. 488. 138. John B. Henneman, «Taxation of Italians by the French crown (1311-1363)», Mediaeval Studies, 31, 1969, p. 15-45; Robert-Henri Bautier, «Les Lombards et les problèmes du crédit et France aux x m e et xive siècles», Commerce méditerranéen et banquiers italiens au Moyen Âge, Aldershot, Variorum, 1992 139. Marie Dejoux, «Gouvernement et pénitence. Les enquêtes de réparation des usures juives de Louis ix (1247-1270)», Annales h s s , 69, 2014, p. 849-874. 140. Ordonnances, 1.1, p. 494 (30 jan. 1312). 141. Ordonnances, 1.1, p. 508-509: «Mais aucuns mal entendans et mauvaisement inter­ pretant la sentence et les paroles de cette ordonnance, jaçoit qu’elles soient claires et entendables, pour ce que en cette ordonnance n’avons mis peine nommément contre ceux qui useront et fréquenteront usures de menües quantité, s’efforcent d’arguer que nous entendons que celles menües usures se puissent bonnement user [...] déclarons par ces presentes letres que nous en l’ordonnance dessus dite avons reprouvé et deffendu et encore reprouvons et deffendons toutes maniérés d’usures, de quelque quan­ tité qu’elles soient causée, comme elles sont de Dieu et des saints peres deffendües.» 142. Monique Bourin, François Menant, John Drendel (éd.), Les disettes dans la conjonc­ ture de 1300 en Méditerranée occidentale, Rome, e f r , 2011; M. Bourin, Sandro Carocci, Fr. Menant, Luis To Figueras, «Les campagnes de la Méditerranée occidentale autour de 1300: tensions destructrices, tensions novatrices», Annales h s s , 66, 2011, p. 663-704. 143. William C. Jordan, The Great Famine, Princeton University Press, 1996. 144. Geoffroi de Paris, «Chronique rimée», Recueil des historiens des Gaules et de la France, Paris, Palmé, 1840, t. 22, p. 119: «Car juifs furent debonères/Trop plus en fesant telz affères/Que ne sont ore crestien.» 145. David Kusman, «Textes concernant une consultation de l’Université de Paris par le duc de Brabant et la Ville de Bruxelles en 1318-1319. Lombards et pouvoirs en Brabant au début du xive siècle», Bulletin de la Commission Royale d ’Histoire, 161,1995, p. 171- 225. 146. Joseph Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chrétiens et le prêt d ’argent dans la société médiévale, Paris, Les Belles-Lettres, 2000 [1990], p. 165-167. 147. Corpus iuris canonici, éd. E. Friedberg, Leipzig, 1882, t. 2, col. 1184. 148. Durand de Saint-Pourçain, In quattuor sententiarum, Paris, Lepreux, 1515, f. 28irarb. Durand conclut en admettant: «Je n’ai jamais lu ni entendu nulle part qu’une telle chose ait été statuée ou ordonnée. » 149. «Dixi quod non videbatur mihi quomodo usura sit peccatum, nisi quia prohi­ bita. Istud revoco tamquam falsum et contra bonos mores. » Cf. Konstanty Michalski, «La révocation par frère Barthélemy, en 1316, de 13 thèses incriminées », dans A. Lang, J. Leckner, M. Schmaus (éd.), Aus der Geisteswelt des Mittelalters. Studien und Texte Martin Grabmann gewidmet, Münster, Aschendoff, 1935, p. 1091-1098. 1 5 0 . François de Meyronnes, In quatuor libros Sententiarum, Venise, 1 5 2 0 , iv Sent. d. 16, a. 3 , f. 2 0 3 V - 2 0 4 : «Mais qu’en est-il selon le droit naturel? il n’apparaît pas, par une raison démonstrative, qu’elle soit illicite.» 151. Pierre de Jean Olivi, Traité des contrats, p. 156-176. 152. La question est publiée dans Giovanni Ceccarelli, S. Piron, «Gerald Odonis’ Economics Treatise», Vivarium, 47, 2009, p. 164-204, cf. p. 201. Guiral ne cite pas Ex gravi mais d’autres décrétales plus anciennes, sans doute parce que les canons de Vienne n’avaient pas encore fait l’objet d’une publication officielle (celle-ci fut retardé jusqu’à l’élection de Jean x x i i ). 153. «Ad quartum dico quod non vendo tibi industriam tuam, sed vendo tibi cessa­ tionem industrie mee que mihi est dampnosa, et tibi utilis. Non enim ex eadem pecu­ nia possumus ambo uti simul.» 423

NOTES

154. Guiral se montre bien plus prudent dans son commentaire de l’Éthique qui connut un grand retentissement, cf. Langholm, Economies in the medieval schools, Leyde, Brill, 1992, p. 528-529. 155. S. Piron, «Marchands et confesseurs. Le Traité des contrats d’Olivi dans son contexte (Narbonne, fin x m e-début xive siècle)», dans L'Argent au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 289-308. 156. Aristote, Les Politiques, 125631-125838, tr. P. Pellegrin, p. 110-122. 157. Alain Grandjean, Nicolas Dufrêne, Une Monnaie écologique, Paris, Odile Jacob, 2020. 158. Silvio Gesell, L'Ordre économique naturel, Paris, Issautier, 1948 [1918], p. 211.

NOTE S DU C H A PI TR E XI

1. Ce chapitre reproduit avec peu de changements «Le devoir de gratitude. Émergence et vogue de la notion d'antidora au x m e siècle», dans D. Quaglioni, G. Todeschini, G. M. Varanini (éds.), Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione. Linguaggi a confronto (sec. x ii- x v i) , Rome, e f r , 2005, p. 73-101. 2. Grat. 734-738, C. 13, q. 3-4. Sur la prohibition de l’usure dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, cf. R. P. Maloney, «Early conciliar legislation on usury», Revue de théologie ancienne et médiévale, 39, 1972, p. 145-157; Id., «The teaching of the Fathers on usury. An historical study on the development of Christian thinking», Vigiliae Christianae, 27,1973, p. 241-265. 3. Le seul décret postérieur à Latran iv est une lettre adressée par Grégoire ix, répon­ dant à un point soulevé par Raymond de Penafort pour compléter la jurisprudence pontificale, Naviganti, x, 5,19,19 (x, 816). 4. Peter Spufford, Money and its Use in Medieval Europe, Cambridge University Press, 1988, p. 240-263. 5. Benjamin N. Nelson, «Blancardo (the Jew?) of Genoa and the Restitution of Usury in Medieval Italy», dans Studi in onore di Gino Luzzato, Milan, Giuffrè, 1949,1.1, p. 98-116. 6. F. Broomfield «Introduction», dans Thomas de Chobham, Summa confessorum, Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1968. 7. John W. Baldwin, Masters, princes and merchant. The social views of Peter the Chanter and his circle, Princeton University Press, 1970, p. 293-303; Alberto Forni, «La “nouvelle prédication” des disciples de Foulques de Neuilly: intentions, techniques et réac­ tions», dans Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages reli­ gieux du x n e au x v esiècle, Rome, e f r , 1981, p. 22-24. 8. Rufin, Summa decretorum, éd. H. Singer, Paderborn, 1902, p. 197: «Parmi tous les crimes ecclésiastiques, le plus grand est la simonie, en raison de son ancienneté et de sa perversité»; Thomas de Chobham, Summa confessorum, p. 504, les range sur le même plan, en commençant significativement par traiter de l’usure. 9. Voir en dernier lieu, G. Todeschini, Les Marchands et le Temple. 10. Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, éd. J. Ribaillier, Paris-Grottaferrata, Éd. du CNRS-Coll. S. Bonaventurae, 1986, t. ni, 2, p. 911. 11. Jacques Le Goff, La Bourse et la vie. Économie et religion au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1986. 12. x, 5,19,3, Quia in omnibus (11, 812). Tout au long du x m e siècle, la même injonction est adressée aux juifs, cf. Joseph Shatzmiller, Shylock revu et corrigé. Les juifs, les chré­ tiens et le prêt d’argent dans la société médiévale, Paris, Belles-Lettres, 2000 [1990]. 13. Robert E. Lerner, «A Collection of sermons given in Paris c. 1267 including a new text by saint Bonaventure on the life of saint Francis», Speculum, 49, 1974, p. 476, contient plusieurs citations saisissantes. Bernardin de Sienne reprend un passage de Guillaume Peyraud sur le même thème: «Les pièces ont des dents [...] elles mangent les chairs et les os des pauvres chrétiens», Opera omnia, t. 4, Quaracchi, 1956, p. 3 9 7 · 14. J. Le Goff, La Bourse, p. 61, à propos d’un sermon de Jacques de Vitry. 424

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15. Conformément à l’usage médiéval, l’emploi du pluriel, les usures (gain usuraire), se distingue de l’usure au singulier (péché). 16. B. N. Nelson, The idea of usury. From tribal brotherhood to universal otherhood, Princeton University Press, 1949. Essentiel pour la mise en place problématique, cet ouvrage mériterait toutefois d’être enrichi par la prise en compte de nouvelles sources. 17. Grat. C. 14, q. 3, diet, post c. 4 (i, 735): Ecce evidenter ostenditur quod quicquid ultra sortem exigitur usura est. 18. Rufinus, Summa decretorum, p. 341, ad C. 14 q. 3. La notion de turpe lucrum apparais­

sait in Grat. C. 14, q. 4, c. 9. 1 9 . Huguccio, Summa decretorum, ad C. 1 4 , q. 3 , Paris, b n f lat. 3 8 9 2 , f. 2 7 1 V 3 : «Si on exige donc pour un prêt (mutuo) quelque chose au-delà du principal, quoi que ce soit, c’est de l’usure, et il n’y a l’usure n’est commise que dans ce seul cas.» 20. Bernard de Pavie, Summa decretalium, 5, 15, 6, éd. E. A. Laspeyres, Ratisbonne, Manz, i860, p. 236. Cf. T. P. Mc Laughlin, «The Teaching of the canonists», p. 97. 21. X, 5, 19, 6 (π, 813), canon In civitate : «Bien que de tels contrats ne puissent pas être qualifiés d’usuraires du fait de leur forme, néanmoins, les vendeurs encourent un péché...» Cette extension ne signifie pas pour autant un raidissement. Le même Alexandre ni, dans une lettre non reprise par les compilateurs, commande aux cha­ noines de Pise d’emprunter, à usure si nécessaire. Ce texte peu connu est signalé par T. P. Mc Laughlin, «The Teaching of the canonists», p. 110. 22. X, 5,19,10 (π, 814): «Puisqu’en effet, ce qu’il faut tenir dans de tels cas est manifes­ tement connu par l’Évangile de Luc, où il est dit “donnez en prêt, sans rien attendre en retour”, de tels hommes, en raison de l’intention de profit qu’ils ont sont jugés mal agir, comme toute usure et surplus est interdit par la loi.» 23. Bernard de Pavie, 5,15, 3, p. 234: «Le profit que l’on fait d’un prêt, selon un pacte ou une extorsion, tombe sous le nom et le vice d’usure ; mais ce qui est offert gratuitement par le débiteur est autre chose, qui appelé un don, dont [Urbain ni] dit, je ne le juge pas devoir être réprimandé.» Ce cas est toujours accepté au x m e siècle. Hostiensis le mentionne dans sa liste de douze cas ou il est possible de recevoir davantage que ce qui a été prêté, sous le nom de gratis dans. 24. La glose d’Accurse (mort en 1263) a été rédigée sur une période assez longue, reprenant, sans toujours en citer l’origine, des gloses produites depuis le début du xiie siècle. 2 5 . Corpus iuris civilis Iustinianei cum commentariis Accursii, Lyon, 1 6 2 7 , t. 1 , c. 7 4 7 7 4 9 , D .5 . 3 . 2 5 . 1 1 : «Ils ne seront pas censés s’être enrichis des biens de la succession, s’ils les ont donnés, pas même quand ils auraient récompensés par cette donation quelqu’un envers qui ils avaient des obligations. Mais s’ils avaient reçu des présents (antidora) en reconnaissance de leurs libéralités, ces présents seront censés les avoir enrichis, et on les regardera comme une espèce d’échange.»; Glose s.v. obligaverunt: «Cette obligation naturelle provient des purs mouvements de l’esprit. Toute créature est en effet mue à faire du bien à celui qui lui en a fait; et une telle obligation procède de l’instinct de nature, elle n’est pas identique à celle par laquelle naît un pacte nu; en effet, elle est encore plus efficace.» 26. Azon, sur D. 1,1, 5, s. v. dominia distincta : «Potest tamen dici quedam obligatio natu­ ralis, id est instinctu nature proueniens, ut in alendis liberis et procreandis et ut bene­ facias tibi benefacienti », cité par Rudolf Weigand, Die Naturrechtslehre der Legisten und Dekretisten von Irnerius bisAccursius und von Gratian bis Johannes Teutonicus, Munich, Hueber, 1967, p. 103. 27. X, 3, 26, 7 (11, 540) : «Comme dans les devoirs de la charité, nous sommes en premier lieu redevables à ceux dont nous reconnaissons avoir reçu des bienfaits [...]». 28. Alanus Anglicus, Apparatus in Compilationem primam , Paris, b n f lat. 3932, f. 3 3V 3 , mg. sup., sur Comp. 1, 3, 26, 4, Cum in officiis, s. v. benefitium: «Donatarius enim donatori naturaliter est obligatus ad antidota, ut ff. de pet. her. habetur, sed si lege, § consuluit», repris par Tancrède, Apparatus in Compilationem primam , Paris, b n f lat. 3931A, f· 36r3, qui attribue cette glose à Alanus. 425

NOTES

29. Tancrède, Ibid., f. 72m, sur Comp. 1, 5, 15, 12, Consuluit, s. v. sperantes: «Supple, causa mutandi (corriger: mutui, conformément à toutes les reprises ultérieures de cette glose), vel spe lucri principaliter posita, secundario aliquid sperare non puto malum [...] nonne naturaliter debitorem obligatus ad antidora, ff. de pet. her., sed si lege, § consuluit. » Cette glose n’apparaît pas dans la première version de l’apparat d’Alanus, Paris, b n f lat. 3932, f. 64rb, où les dernières phrases de Consuluit ne sont pas commentées. Charles de Miramon me confirme que Tancrède est avant tout un com­ pilateur dont Alanus est la source principale. Pour cette raison, il paraît plus prudent d’attribuer cette glose à Alanus. 30. Decretum Gratiani, Turin, 1588, col. 1241, sur Grat. 14, 3, 1, s. v. plusquam: «Si le créancier prête gratuitement de l’argent à quelqu’un, le débiteur est tenu envers lui aux antidora [...] il est naturellement obligé envers lui à quelque chose, mais alors pourquoi cette obligation naturelle ne peut-elle se traduire au au civil, en faisant un pacte de donner ces choses, auxquelles on est tenu?»; ibid., s. v. expectas: «Mais que se passe-t-il s’il prête à la condition que l’autre lui fasse un prêt en retour, quand il en aura besoin? Je ne crois pas qu’on puisse traduire cela par un pacte, et ainsi, dans ce cas, l’obligation naturelle ne peut donner lieu à un pacte.» 31. Bartolomé Clavero, La grâce du don. Anthropologie catholique de l’économie moderne, Paris, Albin Michel, 1996 [1991]. 32. Ibid., p. 168: «C’était là le monde concevable et plausible de Yantidora universelle. Tout est grâce et tout bénéfice »; p. 190 : «Finalement, tout est antidora. » 33. Voir plus loin, note 53. 34. L’Apparatus de Tancrède (cité n. 28) est l’un des rares exemples du x m e siècle qui présente la graphie antidora. Celle-ci est en revanche constamment rétablie dans les éditions modernes. La première édition des œuvres de Guillaume d’Auvergne (1507) emploie encore antidota, la seconde (1674) corrige en antidora. 35. Marcel Mauss, «Gift, gift», dans Mélanges offerts à Charles Andler, Strasbourg, 1924, p. 243-247, repris in Id., Œuvres , Paris, Minuit, 1969, t. 3, p. 46-51. Il ne s’agit pas d’une étymologie archaïque, mais d’une dérivation à partir de dosis (le fait de don­ ner, la quantité donnée, la dose), servant en latin de substitut à venenum, cf. Émile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris, Minuit, 1969, t. 1, p. 68. 36. M. Mauss, «Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques», Année Sociologique, seconde série, 1 (1923-24), repris in Sociologie et anthropologie, Paris, p u f , 1950. 37. Cf. Alain Boureau, «Propositions pour une histoire restreinte des mentalités», Annales e s c , 44,1989, p. 1491-1506. 38. Étienne de Tournai, Lettres, éd. J. Desilve, Valenciennes-Paris, Lemaître, 1893, p. 169170: «C’est une parole digne de celui qui reçoit un bienfait, qu’il se reconnaisse obligé à des antidora. [...] Nous avons reçu votre don de sorte que nous vénérons l’effet de l’amour dans le présent et l’affect de celui qui aime dans le dispensateur du présent. Il est juste que nous rendions de solennelles grâces pour un cheval si solennel qu’il conviendrait d’être monté par de grands prélats ou des princes palatins. Les cavaliers des autres chevaux le voient et l’envient. S’il y eut quelque retard dans l’offrande, il est adéquatement effacé.» Il est possible que la graphie antidora ait été restituée par l’édi­ teur, mais je n’ai pas vérifié les manuscrits. Sur l’ensemble de ce recueil de lettres, cf. J. Warichez, Étienne de Tournai et son temps, 1128 à 1203, Paris-Tournai, Casterman, 1937. 39. Code, 1, 14, 4: «Digna vox maiestate regnantis legibus alligatum se principem profiteri. » 40. Guibert de Tournai, Vita S. Eleutherii, in J. P. Migne éd., Patrologia latina, t. 65, c. 81. 41. Lettres des deux amants attribuées à Héloïse et Abélard, tr. S. Piron, Paris, Gallimard, 2005. Les lettres 23 et 79 de la femme sont construites sur ce thème. 42. Thomas de Chobham, Summa confessorum, F. Broomfield éd., Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1968, p. 504, passage cité par Jacques Le Goff, La Bourse et la vie, p. 18-19, dont je modifie légèrement la traduction. 426

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43. Thomas de Chobham, Summa, p. 505. «Si je t’avais prêté des deniers ou encore du blé ou du vin, aussitôt les deniers sont les tiens, le blé ou le vin sont à toi. Et donc si j’en reçois un prix, j’obtiendrais un gain de ce qui est à toi, non à moi. Donc, le prêteur ne vend rien au débiteur qui soit à lui, mais seulement le temps qui est à Dieu.» 44. Robert de Courçon, De usura, éd. G. Lefèvre, Travaux et mémoires de l’Université de Lille, 1902, p. 13. L’éditeur a constamment restitué une graphie moderne, on peut suspecter que les manuscrits parlent d'antidota. 45. En règle générale, quand il est question d'antidota, il ne s’agit jamais de rapports noués avec un usurier. 46. Guillelmus Altissidorensis, Summa aurea, éd. J. Ribaillier, Grottaferrata, 1986,1.111-1, p. 376. «Les préceptes naturels et les préceptes de la loi divine [...] ne sont pas iden­ tiques formellement, mais matériellement.» Ce type de distinction est courant depuis le milieu du x n e siècle, cf. Odon Lottin, «Les premières définitions et classifications des vertus au Moyen Age», dans Id., Psychologie et morale aux x n e et x m e siècle, Louvain-Gembloux, Abbaye du Mont César-Duculot, 1949, t. 3, p. 99-150. 47. Summa aurea, 111-2, p. 932: «À propos de cette surabondance dans laquelle n’inter­ vient pas de pacte [...] On se demande si c’est de l’usure. Il semble que non, car chacun doit être reconnaissant des bienfaits, et donc, celui qui reçoit un prêt est tenu d’être reconnaissant du prêt, puisque le prêt est un bienfait. » 48. Ibid., p. 933-934: «Mais au contraire, celui-ci agit directement contre le précepte “donnez en prêt” [...] l’argumentation ne vaut pas: celui-ci peut espérer ce à quoi est tenu celui qui reçoit le prêt, et donc il peut espérer un surplus. Le surplus est en effet un don au-delà du principal, mais en raison d’un prêt, on ne peut espérer aucun surplus.» 49. Ibid., p. 934 [...] «Celui-ci peut licitement espérer d’un prêt, recevoir un prêt, non pas en raison du prêt, mais par la charité du bénéficiaire, qui est rendue attentive du fait que l’autre lui a fait gratuitement un prêt; en effet, les bienfaits mutuels entre­ tiennent la charité.» 50. Ibid., m -ι, p. 446: «Ex predictis patet quibus danda est elemosina, scilicet pauperi­ bus in quibus est ymago Dei et nostra, et quod eis damus, quodam modo Deo damus, cum ipsi sint imago Dei et eis demus, in quantum tales sunt.» Sur la théologie de l’au­ mône, voir G. Anderson, Charity. 51. Summa S. Raymundi de Peniafort, Avignon, 1715, De usuris, § 4, p. 329: «À ceci je dis, sauf meilleur jugement, avec Alanus et Tancrède, que le créancier ne doit d’aucune façon ajouter un pacte, ni avoir pour espoir principal ou comme intention d’obtenir une telle rétribution, mais pour Dieu et par charité, il doit prêter à son prochain dans le besoin, et alors, si par hasard il espère que ce débiteur lui fera un prêt en retour, ou quelque chose de semblable quand il en aura besoin, cela n’est peut-être pas à réprouver. » 52. Guillaume d’Auvergne, De meritis, in Opera omnia, Orléans, Hotot, 1674,1.1, p. 310-315. En l’absence d’une édition critique, il est utile de confronter cette édition à celle de la Summa operum, Paris, 1507, f. i59va-i6ivb. 53. Ibid., p. 311a: «Il semble à certains à ce sujet que, puisque l’œuvre ou le service de grâce ne procure pas de mérite, à moins d’être offert gratuitement, l’amour naturel en Dieu, soit recherche son propre avantage, soit vise à s’acquitter du devoir d’un certain service; c’est par un tel amour qu’il est consacré à Dieu. Il n’est pas offert gratuite­ ment, mais de façon vénale, puisque l’on cherche par là un profit, ou à s’acquitter d’un devoir. Le règlement d’une dette n’oblige en rien le créancier. Mais nous avons déclaré dans la première partie de ce traité que l’amour naturel n’est pas absolument tel, il possède au contraire quelque chose de la gratuité, pour ainsi dire, car par lui, quel­ quefois, quelque chose est aimé gratuitement et de nombreux bienfaits sont offerts. Nous en faisons en effet quotidiennement l’expérience, chez des pécheurs aux cœurs très pervers. Et par ce type d’amour ou de bienfaisance, on peut obliger le bénéficiaire aux antidotes. Mais si quelqu’un était bienfaisant à l’égard d’un autre, ou aimait ainsi quelqu’un, puisqu’il n’agirait pas en vue de Dieu, ce dernier ne serait en rien obligé envers lui.» 427

NOTES

54. Summa fratris Alexandri, Quaracchi, 1948, t. 4, p. 913-914: «Au contraire: chacun est tenu d’être reconnaissant des bienfaits reçus, et donc celui qui reçoit un prêt doit être reconnaissant à l’égard du prêteur, et donc celui-là peut espérer de lui un certain bien­ fait, et donc un surplus. [...] Il faut répondre que le prêteur peut espérer ce à quoi est tenu le bénéficiaire, car dans un semblable cas de nécessité, le bénéficiaire du prêt sera tenu de donner à celui qui lui a donné, de même que s’il ne lui avait pas prêté aupa­ ravant. C’est pourquoi le prêteur peut espérer cela du bénéficiaire, non pas en raison du prêt, mais par la charité de celui qui a reçu un prêt; les bienfaits mutuels attisent la charité, et également car selon le précepte de Dieu, il doit donner en prêt aux indi­ gents. Et de la sorte, on résout le second cas. On doit bien concéder que celui qui prête peut espérer recevoir dans une situation similaire un prêt de la part de celui qui a reçu le prêt, car l’autre y est tenu. Toutefois, s’il lui a fait le prêt dans cette intention, celui-ci n’est pas méritoire, car il n’a pas placé Dieu comme finalité du prêt.» 55. Petrus de Trabibus, Quodlibet, i, 39, Florence, b n c , Conv. Sopp. D. 6 . 359, f. ii2rb-va: «Il faut dire qu’on peut espérer de deux façons, soit parce que l’on a donné l’argent principalement pour un gain, et alors on espère obtenir quelque chose, et cette façon n’est pas acceptée [...] D’une seconde façon, on peut donner l’argent principalement en raison de l’amitié ou du voisinage, et de secondairement parce que celui-là devra être reconnaissant, et on peut et doit espérer de lui des dons fait par libre donation [...] C’est pourquoi la glose dit que l’on peut bien espérer des antidotes [...]. » 5 6 . Guiral Ot, De contractibus, q. 1 2 , Escorial, Bibi. Convento San Lorenzo, D. in. 1 2 , f. 15V. 5 7 . Johannes Andreae, Mercuriales, Lyon, 1 5 1 0 , f. 7 5 V 3 . 58. Sur ces événements, voir en dernier lieu Florian Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin x e-début x iv e siècle. L’exemple des familles d ’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2002.

59. Carpentras, Bibliothèque Municipale, cod. 1855, f· 3 5 8: «Et recognosco tibi G. de Lira predicti loci abbati quod post hanc donationem et cessionem et remissionem a me et nomine monasterii recipienti factam, contulisti in me temporalem tuam antidoram, pro qua dedisti et munerasti michi caritative duo milia solidorum regalis coro­ natorum, de quibus omnibus numerando satisfecisti mihi in solidum.» Cet emploi est signalé par D. Carpentier, in C. du Cange, Glossarium Medice et infimae latinitatis Paris, Didot, 1840, t. 1, p. 302. Une édition partielle de l’acte, sans ce passage, figure in A. de Ruffi, Histoire de la ville de Marseille, 2e éd., Marseille, 1696, p. 492. 60. Friedrich Hefele éd., Freiburger Urkundenbuch, I Band, Freiburg im Breisgau, 1940, 66 (12.2.1239), p. 52-55. 61. C. du Cange, Glossarium , loc. cit.; O. Prinz et al., Mittellateinisches Wörterbuch biz zum ausgehenden des 13. Jahrhundert, Band 1, a - b , c . H. Beck, München, 1967. 62. Thomas d’Aquin, Summa theologiae, na nae, q. 78, a. 2, ad 2. 63. Egidio Forcellini, Lexicon totius latinitatis [1771], s.v. gratitudo. 64. Notker le Bègue, Quid singulae litterae in superscriptione significent cantilenae ( p l 87) c. 37A : «Gratitudinemque pro g interdum indicat.» 65. Thomas d’Aquin, Summa, nanae, q.106, a. 1 ad 3: «Bien que l’amitié soit conservée par la récompense des bienfaits, celle-ci concerne spécialement la vertu de gratitude. » 6 6 . Ibid., q. 1 0 6 , a. 5 : «Comme on prend en considération deux choses en donnant, l’af­ fection et le don, de même on les prend également toutes deux en considération dans la récompense du bienfait. » Commentant ce passage, Jean de Fribourg lui associe la glose d’Alanus, cf. Summa confessorum, Rome, 1 5 1 8 , f. 8 4 V . 67. Summa theologiae. Ha Ilae, q. 78, a. 2, ad 4: «Et il n’y a ici à exiger ou attendre rien d’autre que l’affection de la bienveillance, qui ne tombe pas sous une estimation d’argent et à partir de laquelle peut procéder un prêt spontané. Mais il lui répugne l’obligation de faire un prêt à l’avenir, car une telle obligation pourrait être également estimée en argent»; Ibid., ad 6: «Sans quoi, s’il veut que l’usage de cette chose lui soit accordé en plus gratuitement, c’est comme s’il recevait de l’argent pour un prêt, ce qui est usuraire, à moins que ce ne soit une chose dont l’usage est habituellement concédé sans prix entre amis, comme c’est le cas pour le prêt de livres. » 428

PAGES 3 4 1 - 3 5 6

68. Traité des contrats, éd. S. Piron, Paris, Belles-Lettres, 2012. 69. Pierre de Jean Olivi, Lectura super Lucam, passage traduit dans Traité des contrats, p. 4 0 5 - 4 1 1 · 70. Olivi, Traité, p. 183: «Comme les paroles précédentes du Christ le montrent à l’évi­ dence, il parle ici de la perfection d’un prêt gratuit surérogatoire, qu’il s’agisse de la surérogation d’un conseil évangélique, ou de la surérogation d’un précepte chrétien transcendant la justice et les faveurs mutuelles que se font les gentils. Ceux-ci, en effet, n’accordent pas la faveur d’un prêt par amour de Dieu, ni dans l’espoir d’une récompense éternelle, mais dans toutes les bonnes actions qu’ils accomplissent, ils ne placent leur espoir que dans cette vie-ci, et c’est contre un tel espoir que parle le Christ lorsqu’il dit sans rien espérer en retour. » 71. Ibid.. 72. Olivi, Quaestiones in secundum librum Sententiarum, B. Jansen éd., Quaracchi, 1924, t. 2, p. 321: «...naturellement, chacun se sent obligé à rendre grâce à son bienfaiteur. Et toutefois, là où il n’y a pas de liberté, il n’y a aucune liberté, il n’y a aucun motif de gratitude ou d’ingratitude, puisque rien ne peut être donné ou offert en retour par celui qui n’a aucune liberté dans ses actions.» 73. Dominicus Soto, De iustitia et iure, Lyon, apud heredes Iacobi Unctae, 1559, p. 387: «Il est question de ces choses qui, dans la civilité humaine, appartiennent à la grâce et à l’urbanité, c’est-à-dire , tout ce qui tombe pas sous une obligation, mais qui sont habituellement données gratuitement.» 74. David Hume, Traité de la nature humaine, Paris, Flammarion, 1993, p. 127: «Mais bien que cet échange intéressé entre les hommes commence à s’établir et à prévaloir dans la société, il n’abolit pas entièrement les relations d’amitié et les bons offices, qui sont plus généreux et plus nobles. Je peux encore rendre des services à des personnes que j’aime et que je connais plus particulièrement, sans avoir de profit en vue [...]. Par conséquent, afin de distinguer ces deux sortes différentes d’échange, l’intéressé et celui qui ne l’est pas, il y a une certaine formule verbale inventée pour le premier, par laquelle nous nous enga­ geons à l’accomplissement d’une action. Cette formule verbale constitue ce que nous appelons une promesse, qui est la sanction de l’échange intéressé entre les hommes.» 75. Albert O. Hirschmann, Les passions et les intérêts. Justifications politiques du capita­ lisme avant son apogée, Paris, p u f , 1980 [1977]; Pierre Rosanvallon, Le Libéralisme éco­ nomique. Histoire de l’idée de marché, Paris, Seuil, 1989 [1979] ; Pierre Force, Self-Interest before Adam Smith. A genealogy of economic science, Cambridge University Press, 2003. 76. Au hasard, voir Gary Becker, «The Economie Approach to Human Behavior», dans J. Elster (éd.), Rational choice, New York University Press, 1986, p. 112, cité par P. Force, Self-Interest, p. 8. NO TE S DU C H A PI T R E XII

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6. Pour finir, j’exprime toute ma gratitude aux amis qui ont bien voulu lire et com­ menter différents chapitres, et pour certains m’apporter un secours précieux dans les dernières corrections: Éloïse Bérard, Grégory Delaplace, Angela Guidi, Sophie Laguës, Grégoire Langouët, Alexandre Laumonier, Armelle Le Huërou, Matti Leprêtre, Nastassja Martin, Giuliano Milani, Edith Nuss, Gian Luca Potestà, Antonin Pottier, Sarah Rey, Clémence Seurat, Harold Van Lent. Leur responsabilité n’est pas engagée.

ABRÉVIATIONS

Livres bibliques et deutérocanoniques Am : Amos Ct: Cantique des cantiques Dt : Deutéronome Ex : Exode Ez: Ézéchiel Gn: Genèse Is : Isaïe Jb:Job Jos:Josué Jr: Jérémie Jg:Juges Lv : Lévitique i M, 2 M : Maccabées Na: Nahoum Nb : Nombres Os : Osée Pr : Proverbes Ps : Psaumes i R, 2 R: Rois i S, 2 S : Samuel Sg : Sagesse Sir: Siracide (Ecclésiastique) Za : Zacharie

Eph : Épître aux Éphésiens Je: Épître de Jacques Jn:Jean 1,2,3 Jn: Épîtres de Jean Gai : Épître aux Galates Le : Luc Mc : Marc Mt: Matthieu Ph : Épître aux Philippiens Phil : Épître à Philémon Rm : Épître aux Romains i Th, 2 Th : Épîtres aux Thessaloniciens i Tim: Timothée Collections et éditions de référence • c c s l / c m : Corpus Christianorum Series Latina/ Continuatio Mediaevalis,

Turnhout, Brepols, 1953-. • C S E L : Corpus Scriptorum Ecclesiasti­ corum Latinorum, Vienne-Berlin, 1864• P L / P G Patrologia graeca/ Patrologia latina , Paris, Migne, 1841-1866. • sc : Sources Chrétiennes, Paris,

Le Cerf, 1942-. • Grat. : Gratianus, Decretum , éd. E. Friedberg, Corpus luris Canonici, 1.1, Leipzig, 1879. • X : Liber Extra, éd. E. Friedberg, Corpus luris Canonici, t.2, Leipzig, 1881.

Nouveau testament Act : Actes des Apôtres Col : Épître aux Colossiens i Cor, 2 Cor: Épîtres aux Corinthiens 430

B IB L IO G R A PH IE SELECTIVE

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INDEX OM N IU M ANIM ANTIUM

Andrea Pisano, 97 Angelo Clareno, 202 Angelôme de Luxeuil, 115 anges, 28, 85, 86,187, 252 an gu ille , 323 Anselme de Canterbury, 194, 237 Antoine le Grand, 178-179,181-183,186188,191,198 Antonin de Florence, 223, 257 Aphrodite, 166 Apollon, 303 Arachné, 214 arbre de la con n aissan ce , 67, 68, 78,120, 123,125,135,138,146,160 arbre de v ie , 78,120,123,125,136,138, 145-146,160,167 a rb res , 23, 86,147-149,154-161,167,169 Arendt, Hannah, 63,131 Aristote, 11,18-19, 62, 65, 212, 224, 227, 239-252, 254, 258, 264, 266, 267, 2962 9 7 , 306-307, 319-323, 327-328, 342,

A b b a A c h ill e , 177, 2 0 4

Abba Chérémon, 186 Abba Dorothée, 177 Abba Étienne le Libyen, 177 Abba Hierax, 190 Abba Lucius, 177,182 Abba Pachôme, 179,180,187,190 Abba Palémon, 179 Abba Pambon, 177 Abba Paphnuce, 187 Abba Paul Termite, 177 Abba Poemen, 179,182,187 Abba Sisoès, 182 Abel, 79, 86, 90-91,123,141 Abraham, 134,151,154,159, Abraham Ibn Ezra, 120-121 Accurse, 334-335 Achab (roi), 150 Adam, 59, 65, 67-100,102-136,141-142, 145-146,159-161,192-193, 210 Adelphia, 77 Aelfric d’Eynsham, 85-86 Aglietta, Michel, 297, 298, 308, agneau, 7 7 ,151, 3 i 5 Aimar du Montel, 313 Alanus Anglicus, 3 3 3 '3 3 5 , 339’342, 350 Albert le Grand, 18,115, 243, 245-253, 259, 264, 342 Alembert, Jean d’, 216 Alexandre de Hales, 287, 345 Alexandre III, 329 Alexandre le Grand, 122 Allah, 167,168 Allais, Maurice, 24 Ambroise de Milan, 114,127,128 Anima Sarra, 187 Amos (prophète), 153,158 Anat (déesse), 150 André de Saint-Victor, 96

3 4 6 -3 4 7

Armitage, David, 57 Arnoux, Mathieu, 99 Artémis, 303 Asa (roi de Juda), 150 Ashérah, 140,146-164,166-167 Ashley, Lord (comte de Shaftesbury), 57 Astarté, 148,150,166 Athanase d’Alexandrie, 179,182,187 Athéna, 214 Atrahâsis, 143,146 Augustin d’Hippone, 65, 77,102,105, 106,108,110,112-115,117,118,121, 123,128-130,136,191,198,199, 209, 233, 252, 268 Averroès, 243-244, 247 Azon, 334 437

INDEX O M N IU M

ANIM ANTIUM

Brunhoff, Suzanne de, 287 Bruno dAsti, 116 Bührer, Walter, 140 Burgondion de Marseille, 343 Burr, David, 201

Ba al , 140,150,152-153,155

Bachofen, Johan Jakob, 164 Bacon, Francis, 102,104,108,113 Bain, Emmanuel, 117 Barre, Raymond, 44, Barthélemy (O. Cist.), 325 Bartolomeo di San Concordio, 290 Basile de Césarée, 126,179-180,182, 202 Bateson, Gregory, 23, 33 Baucis, 355 Baudelaire, Charles, 220 Baucis, 000 Baudoin de Forde, 117 Becher, Johan Joachim, 224 Beck, Ulrich, 271, 291 Becker, Gary, 171-172 Bède le Vénérable, 115, 234 Benetti, Carlo, 298-299 Benjamin, Walter, 12, 204, 272 Benoît d’Aniane, 191 Benoît de Nursie, 180,191,199 Benoît de Sainte-Maure, 237 Benveniste, Émile, 208, 231 Bernard de Clairvaux, 194,199 Bernard de Pavie, 333 Bernard de Tiron, 195 Bernard Gui, 257 Bernardin de Sienne, 119, 202, 257-258, 261, 263 Bernward (év. de Hildesheim), 96 Bèze, Théodore de, 107

Ca e d m o n (pseudo), 79, 86 Caïn Cajetan Thomas de Vio dit, 20, Caligula, 122 Calvin, Jean, 42,102,107,109, Candide (gnostique), 124 Candide (personnage), 110 Cardon, Thibault, 310 Carmichael, Gershom, 259-260 Carnot, Sadi, 52 Cartelier, Jean, 298-299 Cassirer, Ernst, 21 Castoriadis, Cornelius, 26-27, 30, 61 Caton lAncien, 231 Cauvin, Jacques, 165 Ceccarelli, Giovanni, 291 cèdre, 159 cerf, 303 Chaptal, Jean-Antoine, 220 Char, René, 354 chardon, 68 Charlemagne, 235, 353 Charles de Navarre, 319 Charles le Chauve, 116 Charles IV le Bel, 316 Charles V, 213, 319, 321-322 châtaigne, 262 chauve-souris, 9, 293 chêne,154,156,159 Chenu, Marie-Dominique, 210 chérubins, 68, 85, 90, 95,141,146 cheval, 211 chèvre , 78 Chindaswinth, 233 Christine de Pizan, 213, 220 Cicéron, 131, 208-209, 212, 338 Clastres, Pierre, 305 Clavero, Bartolomé, 335, 348 Clovis, 304 Codere, Helen, 306 Cohen, Jeremy, 101 Condillac, Étienne Bonnot de, 261, 263-264 Conrad d’Eberbach, 192 Conrad d’Offida, 269

biche, 3 0 3

Binswanger, Hans Christoph, 355 Black John, 103-104 blé 87, 262, Bodin, Jean, 322 bœuf ss

Böhm-Bawerk, Eugen von, 223 Boisguilbert, Pierre Le Pesant de, 224 Bonanno Pisano, 72, 95 Bonaventure, 345 Boniface vin, 313 Boody, Elizabeth, 222 Borgeaud, Philippe, 165,168 Botero, Giovanni, 215 Boulding, Kenneth, 256 Boulware, Lemuel, 45, 48 bouquetins, 148 Boureau, Alain,196 Braudel, Fernand, 272-273 brebis, 77 438

INDEX O M N IU M

ANIM ANTIUM

Ernaud de Bonneval, 117 Escrivâ, José Maria, 111 Ethelbert (roi de Kent), 234 Étienne de Muret, 195 Étienne de Tournai, 337, 339 Étienne Langton, 115 Étienne Marcel, 319 Eudème, 239 Eudes (vicomte de Redon), 235 Eugène (arch, de Tolède), 233, 234 Ève, 65, 67-100,109,127,135,159-161, 192,226 Évagre le Pontique, 179,187-189,191,193 Ezéchias (roi de Juda), 150,162 Ézéchiel, 146,152,156,159,163

Conrad Summenhart, 258 Constantin, 178 Coppet, Daniel de, 300-302 Coromines, Joan, 280 Corriente, Federico, 281 Coulomb, Charles, 52 crapau d, 268-269 Crésu s, 303-304 Cybèle, 165 cyprès, 157 Cyrus, 304 D a nte A l ig h ie r i , 214,315,316 d a u p h in s, 300

David, 147,154 Déborah (prophétesse), 158 Decock, Wim, 14 Defoe, Daniel, 173 Delors, Jacques, 24 Dempsey, Bernard ? 223 Denys lAréopagite (pseudo), 19,116, 210, 245 Denys le Chartreux, 119 Descartes, René, 32, 258 Descola, Philippe, 19, 32,144, 305 Deshusses, Jean, 234 Desnos, Robert, 68 Destutt de Tracy, Antoine, 264 Dévie, Marcel, 281 Diderot, Denis, 216, 261 Donne, John, 102 Dumont, Louis, 232, 300 Dumuzi, 155 Dupuy, Jean-Pierre, 298 Durand de Saint-Pourçain, 325 Durkheim, Émile, 231, 267

Fa lw ell , Jerry, 46 Faust, 3 5 5 - 3 5 6 Feller, Laurent, 310 Festus, 208,228 Filmer, Robert, 59 Finkelstein, Israël, 163 Finley, Moses, 243 Fisher, Irving, 266 fleu rs, 220 Florent Radewijns, 197 Foucault, Michel, 19 fo u rm i, 269 Fra Angelico, 196 Francesco da Barberino, 214, 215 François (pape), 103 François d’Assise, 198, 201, 269 François de Meyronnes, 325 Franklin, Benjamin, 39, 44,173-176, 203 Friedman, Milton, 40 Fukuyama, Francis, 47 Furetière, Antoine, 50

de Ca n t e r b u r y , 237 Eaubonne, Françoise d’, 164 Eco, Umberto, 227 écureuil, 213 Édouard ni, 317 Eerehau, Aliki Nono’ohimae, 300, 301 Egbert d’York, 234 El, 139,148 Éléazar, 114 élép h a n t, 114 Enki, 143 Enkidu ,143 Enlil, 143,144 Épiphane de Salamine, 127,129,168

Ea d m e r

Ga g l ia n o , Monica, 23

Gaia Cæcilia, 73 Galiani, Ferdinando, 261, 262 Galilée, Galileo, 18 Ganelon, 235 Gauchet, Marcel, 16, 30 Gauscelin Gasnache, 229 Gauthier, René-Antoine, 240 Gédéon, 150,155 Geert Grote, 197 gen évrier, 157 Geoffrey Chaucer, 213 Geoffrey Luttrell, 90 439

INDEX O M N IU M

Geoffroi de Paris, 324 Geoffroy dAuxerre, 194 Geoffroy Plantagenet, 95 Georges Chastellain, 215 Georgescu-Roegen, Nicolae, 256 Gérard de Clairvaux, 192 Gérard de Frachet, 196 Gernet, Louis 221, 230, 304 Gilgamesh, 143,145 Gilles de Lessines, 252 Gimbutas, Marija, 164,165 Giotto, 97 Giovanni Balbi, 208 Giovanni Boccaccio, 214 Giovanni dAndrea, 342 Giovanni Scriba, 273, 279, 282 Girard, René, 299 Giraud Amalric, 284 Glanvill, Joseph, 102 Godefroid de Fontaines, 238 Goethe, Johann Wolgang von, 355-356 Goitein, Shelomo Dov, 272, 273 Goldwater, Barry, 46 Gomer, 152-154, * 5 7 Gomez, Pierre Yves, 24 Gondulf (év. de Rochester), 237 Goodhart, Charles, 308 Grâces, 240, 342 Graeber, David, 298 Gratien, 211, 287, 329, 333 Green, Arthur, 167 Grégoire de Nazianze, 126,127,179 Grégoire de Nysse, 65,116,126,162 Grégoire de Tours, 304 Grégoire ix (pape), 199 Grégoire le Grand, 114,116,193, 234 g re n a d ie r , 123 Grévin, Benoît, 321 Grotius, Hugo, 258 Guénon, René, 316, 318, 327 Guéry, Alain, 34 Gui Gui, 257 Guibert de Tournai, 338 Guigues Ier (de Chartreuse), 236 Guillaume d’Æbelholt, 337 Guillaume dAuvergne, 335, 336, 341, 345, 347 Guillaume dAuxerre, 239, 340, 341 Guillaume d’Ockham, 201 Guillaume de Rennes, 286 Guillaume 11 (roi de Sicile), 69

ANIM ANTIUM

Guillaume Peyraud, 193,194 Guillaume Rufus (roi dAngleterre), 237 Guiral Ot, 257, 326-328, 342 H a m l e t , 100

Harrison Peter, 101 Hart, Keith, 309 Hathor, 149,150 Hayek, Friedrich, 40, 44, 45 Heath, Edward, 40 Hegel, G.W., 61 Héloïse, 338 Hendy, Michael, 311 Henri de Blois (év. de Winchester), 90 Henri de Gand, 96, 211 Henri v dAngleterre 322 Henri vin (roi dAngleterre), 73 Héraclite, 306, 356 h erbe , 68, 85, 352 Hermès, 166 Herrade de Landsberg, 91 Herrenschmitt, Clarisse, 303, 306 Hobbes, Thomas, 15, 58, 258 Hochschild, Arlie Russell, 48 Huguccio (canoniste), 333, 334 Hugues de Boves (arch, de Rouen), 117 Hugues de Saint-Cher, 115 Hugues de Saint-Victor, 18, 97,118,193, 209,210 Hume, David, 53, 55, 57, 61, 348-350 Hutcheson, Francis, 259 I l d e f o n s e (arch, de Tolède), 233 Inanna : voir Ishtar Isaac, 151 Isabelle de Hainaut, 312 Isaïe, 99,150,155,159 Ishtar, 148,155,161 Isidore de Séville, 114 Isis, 164 Ja c o b , 131,155 Jacques Cœur, 215 Jacques de Voragine 196 Jacques Ier (roi d’Écosse), 213 Jacques Ier (roi dAngleterre), 104 ja g u a r , 166 Jakobovits, Immanuel, 48 James, Edwin O., 164 Jannès et Jambrès (magiciens), 182 Janus, 309

440

IN DEX O M N IU M

Jason,304 Jean Cassien, 179,193 Jean Chrysostome, 48,114,115,127,179, 211, 287 Jean de Lycopolis, 187 Jean Duns Scot, 59, 211, 258 Jean Gerson, 97,119,184, 213 Jean Gualbert, 195 Jean Scot Érigène, 116 Jean le Bon, 319 Jean xxn (pape), 201 Jean-Baptiste, 178 Jéhu (roi de Samarie), 150 Jérémie, 149,152,153,156 Jérôme de Moray, 235 Jérôme de Stridon, 127 Jésus, 99,135,152,167,168,174,178,180, 183-185, 202, 211 Jevons, William Stanley, 265 Jézabel, 150 Johannes Teutonicus, 335 John Bail, 109 John de Basingstoke, 244 John Wycliff, 119 Jon, François du (junior), 374 Jon, François du, 107 Joseph (père de Jésus), 111 Joseph, Keith, 40, 43 Josias, 140,147,149-151,155,156,159, 160,162,163,167 Jospin, Lionel, 48 Jourdain de Saxe, 195 Junius : voir Jon Justinien, 233, 314, 337

ANIM ANTIUM

331

Lemaître, Georges, 21 Lénine, Vladimir Oulianov dit, 48 Léon (frère), 199, 269 Leonardo Fibonacci, 282 Lessius, Léonard, 14,16, 223 lin, 78, 99 lio n , 148,193 lis , 1 5 7 , 3 1 8 Little, Lester K., 195 Littré, Émile, 281 Locke, John, 15, 57-59, 62, 200 Longo, Giuseppe, 22 Louis IX (saint Louis), 312, 316, 323 Louis le Pieux, 310 Louis X le Hutin, 316 Lugo, Juan de, 223 Luther, Martin, 104-107,109,114,119, 136,198, 202 M aaka (reine de Samarie), 150 Macaire dAlexandrie, 182,183 Macrine, 179,182 Maes, Andreas, 120 Mahomet, 168 Maimonide, Moshe ben Maïmon dit, 121 Malinowski, Bronislaw, 301 Manuel Ier Comnène, 278 Marcellina (disciple de Carpocrate), 168 Marie, 98, 99,165,167,168, 233 Marie-Thérèse dAutriche, 308 Maris, Virginie, 19 Martin de Tours, 190,191 Martin le pessimiste, 110 Marx, Karl, 52, 61, 222, 223, 242, 264, 265, 267, 297 Mather, Cotton, 174 Mauss, Marcel, 269, 301, 307, 310, 336,

Ka fk a , Franz, 221, 222, 243 Kant Immanuel, 61,110, 268 Kedar, Benjamin Z., 281 Kenny, Anthony, 239 Kessler, Herbert, 73 Keynes, John Maynard, 11, 222, 224, 297, 298,328 Koselleck, Reinhart, 225, 227 Kupiec, Jean-Jacques, 22

345

Maximilla (montaniste), 168 Médée, 304 Medina, Juan de, 258 Mélanchton, Philippe, 106 Mélanie, 127,179 Méphistophélès, 355 Menger, Cari, 265, 266, 308 Mercure, 166 Mersenne, Marin, 110 Mésha (roi de Moab), 151

La c o r d a ir e , Henri, 111

Lamech et ses fils, 97 Langholm, Odd, 256 Laum, Bernhard, 304 Lauwers, Michel, 192 Le Goff, Jacques, 49,195, 212, 233, 247, 441

IN DEX O M N IU M

Michaux, Henri, 7, 354 Michel (archange), 85,95 Michel d’Éphèse, 240 Michel Glycas, 278 micocoulier, 154 Milton, John, 108 Moïse, 132,134,139,147,159,161,167, 183 Moïse de Leon, 135 Molina, Luis de, 223, 258 Montgolfier, Joseph, 52 Mopsik, Charles, 167 Moses Bar Képhas, 120 moutons, 286 Musso, Pierre, 207, 214 Myrdal, Gunnar 59 N a h o u m (prophète), 156 Nelson, Benjamin, 332 Nemrod, 142 Nestorius, 168 Newton, Isaac, 18 Niccolo (sculpteur), 91 Nicola et Giovanni Pisano, 97 Nicolas de Lyre, 115 Nicolas ni (pape), 201 Nicolaus Graecus, 244 Nicole Oresme, 212, 296, 297, 318-322 Nicomaque, 226, 239, 342 Nietzsche, Friedrich ,11,12,168, 267, 268,351 Nisard, Désiré, 220 Nixon, Richard, 22, 295 Noé, 59, 78, 86,123,141,142 Notker le Bègue, 345 Œ colam pade,

Jean Husschin dit, 107

oiseaux^ 9, 77,134,148

Oliba (abbé de Ripoll), 79 olives, 282 Olivétan, Pierre Robert, 104 olivier, 157 orange, 262 Origène, 105,116,124-130,178,179,188 Orléan, André, 297-299, 308 Osée, 153-159,163 179,180,183 Pangloss, 110 Pangolin, 9, 293 Panurge, 300 Pa l l a d e ,

ANIM ANTIUM

Paolo Uccello, 196 Pareto, Vilfredo, 266 Patinkin, Don, 224 Paul de Tarse (saint), 42,125,133,168, 181,184-186, 203 Paul Diacre, 228 Peirol (troubadour), 284 Périclès, 122 Perrot, Jean-Claude, 225 petit pois, 23 Petrus de Trabibus, 342 Petrus Pictor, 235 Petty, William, 224 peuplier , 154,157 Philémon, 355 Philippe Auguste, 312 Philippe de Harvengt, 117 Philippe ni le Hardi, 313 Philippe iv le Bel, 297, 313-316, 318, 323325, 327 Philippe v le Long, 316 Philippe vi de Valois, 316, 324 Philon dAlexandrie, 105,121-124,126128,136,178 Pierre Abélard, 117, 338 Pierre Bersuire, 212 Pierre Comestor, 115 Pierre Damien, 195, 209 Pierre de Jean Olivi 14,16, 20, 96,118, 198, 200-202, 204, 211, 215, 223, 253258, 260, 261, 264, 266, 268, 269, 274, 275, 288-290, 326, 327, 346-348 Pierre le Chantre, 285, 330, 333 Pinda, 304 Piscator, Johannes, 109 pistachier térébinthe , 155 Plutarque, 173 Poissons, 77,184 Polanyi, Karl, 222, 225, 243 Pomian, Krzysztof 290 pomme , 85,116 pomme de terre, 328 pommier , 123 Pons Gerall (vicomte de Cabrera), 230 Priscilla (montaniste), 168 Proudhon, 111,112 puce , 7, 269 Pufendorf, Samuel, 258 François, 53, 54, 57, 216, 224 Quintilia (montaniste), 168

Quesnay,

442

INDEX O M N IU M R a b a n M a u r , 115 Rabbi Bérékhia, 133 Rabbi Chernaya, 133 Rabbi Gamaliel, 133,181 Rabbi Josué, 133 Rabbi Siméon, fils d’Eléazar, 133,136 Rabbi Youdan, 133 Rabelais, François, 300 Rachi, 120 Rambaud, Alexandre, 292 Rand,Ayn 47 r a t , 269 Raymond de Penafort, 286, 287, 329, 341 Reagan, Ronald, 39, 44-46 Receswinth, 234 Rémi d Auxerre, 115 Reuchlin, Johannes, 109 rh in océros , 34 Ricardo, David, 60, 61, 264 Richard de Saint-Victor, 97, 210 Richard Fitzralph, 119 Richard, Jacques, 292 nz, 60 Robert dArbrissel, 195 Robert de Courçon, 339 Robert de Liège, 116 Robert Grosseteste, 243-246, 264 Roberts, Alfred, 41 Roboam, 150 Rodolphe de Habsbourg, 343 Roger π (roi de Sicile) 69, 79 Roland 235 Römer, Thomas 163 Romuald 195 Roncelin de Marseille 343 Roosevelt, Franklin 45, 222 Roy, Joseph 265 Rufin (canoniste) 237, 248, 333 Rufin dAquilée 127,128,130 Russell, Bertrand 48 Rusticus 39,183

ANIM ANTIUM

Schmitt, Bernard, 297 Scholem, Gershom, 272 Schumpeter, Joseph A., 14, 221-225, 243» 256, 261, 265 Scott, James C., 143 Seaford, Richard, 304 Sénèque, 194, 338 Septime Sévère, 124 se rp e n t , 7, 67,100,135,138,145,161 Sibour, Monseigneur (arch, de Paris), 111 Sieyès, Emmanuel (abbé), 60 Sigaut, François, 98 Siméon le Stylite, 179 Simiand, François, 301, 310 Simmel, Georg, 296 Siracide, 194 Siti, Walter, 355 Smith, Adam, 49, 52-61, 217-219, 224, 225, 242, 256, 259, 260, 263-265, 267, 296, 298,348, 349 Socrate, 174 Sombart, Werner, 272 Soto, Ana, 22 Soto, Domingo, 348 so u ris , 268, 269 Spinoza, Baruch, 33, 36,112 Spitzer, Leo, 50 Stépanoff, Charles, 305 Steuart, James, 219 Stone, Merlin, 164 Suarez Francisco, 110 t a b a c , 60 Tamar, 155 Tancrède (canoniste), 333, 341, 350 Taor dAntinoé, 177 ta u rea u , 165, 304 Testart, Alain, 305, 307 Thalès, 306 Thatcher, Margaret, 39-44, 46, 48, 352 Théodose, 187 Théophile (moine), 192 Théophile dAlexandrie, 128 Théophile dAntioche, 132 Thomas a Kempis, 197 Thomas Brinton (év. de Rochester),

Sa ad ia Ga o n , 120

Saint-Simon, 220 Salkeld, John, 109 Salluste, 208 Salomon, 131,139,147,148,156,174 Sarkozy, Nicolas, 48 Satan, 85,124 Say, Jean-Baptiste, 60,111, 217, 219, 220, 264

1 1 9 ,1 9 5

Thomas dAquin, 18-20, 28,115, 200, 212, 240, 245, 247, 251-254, 258, 268, 269, 326, 3 4 4 - 3 4 9 443

INDEX O M N IU M

Thomas de Chobham, 338 Thomas Gallus, 210 Thomas, Yan, 231, 237 Thompson, Edward R, 14 tilleu ls , 355 Todeschini, Giacomo, 226, 227, 330 Tremellio, Emanuele, 107 Turgot, Anne Robert, 219, 261-263 Tÿndale, William, 104 U b e r t i n d e C a s a l e , 202 Udovich, Abraham, 273 Uguccio de Pise (grammairien), 230 Urbain in, 333, 334 d e n S t e e n [a L apide), Cornelius 110 Van Dooselaere, Quentin, 273 Vatin, Francois, 51 Vénus, 150,166 Véronèse, 214 vers à soie, 283 vigne, 123,142 Vincent de Beauvais (pseudo), 193 Viveiros de Castro, Eduardo, 166 Voltaire, François-Marie Arouët dit, 110

Va n

ANIM ANTIUM

Wace, 237 Walker, George, 108 Walras, Auguste, 265 Walras, Léon, 265, 298 Warburg, Aby, 21 Wauchier de Denain, 196 Weber, Max, 40,106,172,175,188, 204, 207, 222,227 Weitzmann, Kurt, 73 Wesley, Charles, 175 Wesley, John 175,176 White, Kenneth, 355 White, Lynn, 101,103, 353 Wiligelmo (sculpteur), 78, 87, 91 Winstanley, Gerrard, 109 Wolfgang Musculus, 107 Yh w h , 131,132,133,138-151,153-163, 166.

Ystella, Luis, 120 Za c h a r ie , 159

Zwingli, Ulrich, 107

INDEX DES PRINCIPALES THESES D É F E N D U E S D A N S CE L IV R E

La notion à'antidora a servi à construire une distinction entre les registres du contrat et de la gratitude, 335-347 L’athéisme est une théologie négative qui affirme l’inexistence de l’inconnaissable, 17-18 L’avenir se construit par la force de projection de nos désirs, 29 Le récit de paradis (Genèse 2-3) dérive de chants de louanges adressées à la déesse Ashérah, 157-162 L’iconographie d’Ève au travail apparaît à la fin du Xe siècle, 79-87 Gomer, la femme d’Osée, était une prêtresse d’Ashérah, 152-157 Les humains sont des animaux qui broutent une herbe métaphysique, 352 Le concept d 'industria n’est pas d’origine monastique, mais romaine, 207-210 La notion d’intendance [stewardship) dérive d’une traduction tardive de la Genèse, 103-104 La monnaie est à l’image de Janus bifrons, tournée vers le passé de l’histoire collec­ tive pour ouvrir sur l’avenir, 309 À bien lire les Évangiles, Jésus n’a jamais travaillé, 183-184 Les deuxième et troisième chapitres de la Genèse ont été composés à l’époque des réformes de Josias, 147 Le katéchôn n’a rien à voir avec l’Empire romain, mais désigne la durée de l’an­ nonce de la Bonne nouvelle, 185 Les premières pièces de monnaie frappée servaient d’offrandes à Artémis, 303 Les trois fonctions attribuées à la monnaie par les économistes ne se rencontrent pas chez Aristote, 297 La monnaie gagne à être pensée selon ses différences spécifiques au sein du genre des choses métaphoriques, 300-302 Le concept moderne de nature provient de la disjonction établie par Thomas d’Aquin entre le naturel et le surnaturel, 19-20 Nicole Oresme a participé activement aux assemblées des États du royaume de décembre 1355 et de janvier 1358, et a rédigé son Traité des monnaies dans ces circonstances, 318-319 Lejeune Augustin a eu accès au commentaire du Cantique des cantiques d’Origène et aux Questions sur la Genèse de Philon d’Alexandrie, 121,128-129, Augustin a inventé la doctrine du péché originel en projetant sur la condition hu­ maine ses frustrations d’enfant humilié, 129-130 Le programme de Francis Bacon visait à corriger les effets du péché originel, 102 Le culte d’Ashérah ne comprenait pas de rituel de mise à mort d’enfant, 150-152 445

IN DEX DES PRINCIPALES TH ESES

Le mot risque est un arabisme, emprunté au milieu du xne siècle à l’arabe rizq par les Pisans, 281-284 L’obsession chrétienne pour l’occupation du temps découle de l’appel à la patience de Paul aux Thessaloniciens, 184-186 Toute la politique de Margaret Thatcher s’explique par le désir de venger l’humilia­ tion subie par son père, 41 Le concept abstrait de travail chez Adam Smith n’est pas correctement déduit, 54-57 Il est temps de se débarrasser de ce concept abstrait de travail, 62-66 La monnaie provient du trésor, 302-306 Le trip a liu m , instrument de torture à trois pieux, n’a jamais existé, 49-51 Le canon Ex g ra v i du concile de Vienne dénonce la dépénalisation de l’usure pro­ clamée par Philippe le Bel, 324-325 Albert le Grand fonde l’analyse économique en cherchant à donner un sens à un passage d’Aristote qu’il ne comprend pas, 246-251 Le mot va lo r est un néologisme médiéval d’emblée polysémique, 232-236 Henri de Langenstein employait déjà le concept de « vocation » à la fin du XIVe siècle, 119

Plus d’un siècle après que Nietzsche a proclamé la mort de Dieu, ce livre reprend le marteau de la critique pour éprouver les nouvelles idoles de l’époque avec une détermination égale. Appeler à l’inversion de toutes les valeurs revient aujourd’hui à destituer la seule valeur régnante. Il n’y aura pas d’issue à l’impasse dans laquelle s’enferre la société industrielle tant que la mesure sociale fondamentale sera fournie par la production d’unités de valeur marchande et non pas, disons, par la contribution au bien-être collectif de tous les hôtes de la biosphère. Pour apprécier les embarras du monde contemporain, l’histoire intellectuelle du Moyen Âge occidental offre un excellent observatoire. Le privilège de la période médiévale tient à la position qu’elle occupe : elle constitue l’altérité la plus proche du monde moderne. De ce fait, elle propose un point de vue sans égal pour juger de son devenir. Placé dans une perspective de longue durée, le moment présent perd un peu de son caractère de surgissement indéchiffrable.