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French Pages 222 [224] Year 2009
L’idée de théodicée de Leibniz à Kant
Studia Leibnitiana Sonderhefte ---------------------------------
Im Auftrage der Gottfried-Wilhelm-LeibnizGesellschaft e.V. herausgegeben von Herbert Breger, G. H. R. Parkinson, Heinrich Schepers und Wilhelm Totok In Verbindung mit Michel Fichant, Paris / Emily Grosholz, University Park / Nicholas Jolley, La Jolla / Klaus Erich Kaehler, Köln / Eberhard Knobloch, Berlin / Vittorio Mathieu, Torino / Massimo Mugnai, Pisa / Hans Poser, Berlin / Nicholas Rescher, Pittsburgh / André Robinet, Paris / Martin Schneider, Münster
Band 36
L’idée de théodicée de Leibniz à Kant: héritage, transformations, critiques Édité par Paul Rateau
Franz Steiner Verlag 2009
Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über abrufbar. ISBN 978-3-515-09351-4
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SOMMAIRE Présentation .............................................................................................................. 7 I. L¶élaboration leibnizienne .................................................................................... 9 Antonio Lamarra : La pensée monadologique de Leibniz dans la Théodicée Problèmes d¶interprétation ........................................................................... 11 Roberto Celada Ballanti : Théodicée de l¶Histoire et historiographie dans la pensée de Leibniz ............................................................................. 23 Gianfranco Mormino : Peines humaines et peines divines. Théodicée et droit de punir dans la pensée de Leibniz ................................. 37 Paul Rateau : L¶essai leibnizien de théodicée et la critique de Kant ................ 51 II. Réception et critiques ........................................................................................ 67 Stefan Lorenz: Themen und Variationen theologischer Kritik am metaphysischen Optimismus: von Budde bis Schleiermacher ............... 69 Frédéric de Buzon : Bilfinger et l¶origine du mal, une théorie de la finitude ... 93 Jean-François Goubet : La première réception wolffienne de la Théodicée leibnizienne ................................................................................................ 103 Jean-Paul Paccioni : Existibilis : science de simple intelligence et science de vision, Wolff face à Leibniz.................................................. 113 Jean-Marc Rohrbasser : Le Poème sur le désastre de Lisbonne : une philosophie de la catastrophe ............................................................... 127 III. L¶approche kantienne .................................................................................... 145 Elhanan Yakira : Du mal métaphysique au mal radical : Leibniz, Kant, et la fin des théodicées ...................................................................... 147 Robert Theis : La question de l¶optimisme dans la première pensée de Kant 157 Faustino Fabbianelli : Négation et contradiction. Les réponses du Kant précritique à Lisbonne ................................................................................ 165 Michel Fichant : Le principe de la théodicée et le concept de grandeur négative .................................................................................. 175 Volker Dieringer : Zwei Ansätze zur Lösung des Theodizee-Problems beim kritischen Kant .................................................................................. 187 Appendice ............................................................................................................ 205 Yves-Jean Harder : La philosophie de l¶histoire est-elle la véritable théodicée ? ............................................................................... 207 Index des noms .................................................................................................... 219
PRÉSENTATION En créant le terme théodicée, Leibniz n¶inventait pas simplement un mot, mais une discipline, élevée au rang de « quasi sorte de science » : la doctrine de la justice de Dieu. Le néologisme n¶est cependant pas sans poser problème : d¶une part, en raison des différents sens qu¶il a chez son inventeur, d¶autre part, en raison de l¶usage qui en a été fait ultérieurement dans la tradition philosophique. Sous la plume de Leibniz, il renvoie, selon les contextes, soit à la doctrine, soit à la matière traitée par cette doctrine (à savoir l¶attribut divin qu¶est la justice), soit encore au livre : les Essais de Théodicée1, abrégés en « la » ou « ma » Théodicée. La lettre à Des Bosses du 6 janvier 1712 rassemble ces trois acceptions : l¶auteur y explique que, dans son ouvrage, « [son] intention a été d¶appeler Théodicée la doctrine elle-même ou la matière de la dissertation, de telle sorte que Théodicée soit la doctrine du droit et de la justice de Dieu »2. Il est évident que les trois emplois ne se recoupent pas exactement, ne serait-ce parce que se trouvent abordés dans le livre des thèmes qui ne ressortissent pas strictement à la question de la justice divine. Il convient donc de distinguer la théodicée leibnizienne comme élaboration théorique, inscrite dans une perspective apologétique et morale, du texte particulier dans lequel elle se trouve exposée de la manière certes la plus achevée, mais à côté d¶autres matières (hypothèse sur la formation de la terre, observations historiques et linguistiques, considérations sur l¶harmonie préétablie et la préformation des animaux, etc.). Cette autonomie de la doctrine par rapport au livre atteste, selon nous, de l¶émergence d¶une discipline à part entière. Autorise-t-elle pour autant et par avance les reprises et les usages postérieurs ? Nous avons montré ailleurs3 les difficultés d¶une utilisation du terme théodicée en dehors du contexte leibnizien. La doctrine ainsi nommée est en effet indissociable d¶une conception théologique particulière (où la puissance est subordonnée à la sagesse, où la volonté divine, quoique libre, est déterminée au meilleur), de certaines thèses métaphysiques (telles que l¶univocité des notions, des vérités et des principes, la conformité de la foi avec la raison, ou encore l¶infinité des mondes possibles, etc.), et même d¶une forme spécifique d¶argumentation (qui admet des arguments non strictement démonstratifs). Que peut être et devenir la théodicée, une fois détachée du dispositif conceptuel dans lequel elle s¶inscrit originellement ? 1 2 3
(VVDLVGH7KpRGLFpH6XUODERQWpGH'LHXODOLEHUWpGHO¶KRPPHHWO¶RULJLQHGXPDO, publiés à Amsterdam en 1710. GP II, 428 : « >«@ PLKL DQLPXV IXLW GRFWULQDP LSVDP VHX PDWHULDP GLVVHUWDWLRQLV Theodicaeam appellare, ita ut Theodicaea sit doctrina de jure et justitia Dei ». La question du mal chez Leibniz : fondements et élaboration de la Théodicée, Paris, Honoré Champion, Travaux de philosophie, n°15, 2008, p. 397-400.
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Présentation
Il est intéressant de noter que le néologisme a non seulement survécu à Leibniz, mais également aux critiques et aux réfutations du « leibnizianisme ». Les premiers lecteurs des Essais avaient pris, par erreur, « Théodicée » pour un nom propre. La tradition en a fait un nom commun, désignant toute tentative de justification de Dieu par la raison, contre les objections tirées de l¶existence du mal dans le monde. Le mouvement d¶autonomie déjà constaté dans le cas de la doctrine (distinguée du livre) semble en quelque sorte se poursuivre. C¶est désormais le terme lui-même qui se trouve dégagé de toute référence à la philosophie dont il est pourtant issu, et qui gagne en généralité. Dans ce processus, il semble que Kant ait joué un rôle tout particulier, précisément parce qu¶il n¶avait pas en vue, dans Sur l¶insuccès de tous les essais philosophiques de Théodicée (1791), la réfutation de telle ou telle théodicée particulière (historiquement attestée), mais le concept même de théodicée. L¶objet des contributions ici réunies est d¶étudier le devenir de la théodicée après Leibniz, en particulier dans la tradition allemande jusqu¶à l¶opuscule de 1791. L¶enjeu est de savoir de quelle « théodicée » Kant parle vraiment, dans sa critique de toute tentative de justification rationnelle de Dieu. La « théodicée », à laquelle il se réfère et dont il hérite, pourrait n¶avoir de leibnizien que le nom et renvoyer, avant tout, à un genre philosophique, comprenant des doctrines très différentes. La référence, courante au XVIIIe siècle, sous le vocable général d¶« optimisme » ou de « système de l¶optimisme », aux thèses de Leibniz et d¶Alexander Pope, traduirait une extension en même temps qu¶une transformation de la notion de théodicée, dont il s¶agit de montrer les étapes et de mesurer les conséquences. Ces textes sont issus, pour l¶essentiel, d¶un colloque international organisé à l¶Université Marc-Bloch (Strasbourg II) les 12, 13 et 14 avril 2007 à Strasbourg. Ils sont rassemblés sous trois grands chapitres : il s¶agit tout d¶abord de rendre compte de la nature et de la portée du projet de théodicée, tel qu¶il fut conçu par Leibniz, ensuite de montrer la manière dont la question de la théodicée a été reprise et traitée dans le contexte de la controverse sur l¶« optimisme », enfin d¶apprécier l¶évolution de la pensée kantienne de la période précritique au constat de l¶échec de tout essai de théodicée « dogmatique ». Figure en appendice une étude sur l¶usage de la notion de théodicée par Hegel. Paul Rateau
I. L¶ÉLABORATION LEIBNIZIENNE
LA PENSÉE MONADOLOGIQUE DE LEIBNIZ DANS LA THÉODICÉE PROBLÈMES D¶INTERPRÉTATION par Antonio Lamarra (Rome) Pendant très longtemps, mais particulièrement au cours du débat philosophique du XVIIe siècle, les Essais de Théodicée et la Monadologie ont été les textes de référence fondamentaux pour la connaissance de la pensée métaphysique de Leibniz. La tradition des études leibniziennes les a mis en relation très tôt, en considérant la Monadologie à l¶instar d¶un abrégé (mais aussi d¶une systématisation) de thèses et de doctrines que le philosophe avait disséminées dans le texte, bien plus long, de la Théodicée. Même quand on avait connaissance d¶autres textes, antérieurs à la Théodicée, dans lesquels la pensée monadologique de Leibniz était en quelque mesure présente, on a attribué aux Essais de Théodicée un rôle majeur dans la genèse de la Monadologie. Cela est encore l¶opinion de J. E. Erdmann, lorsqu¶en 1840 il publie la toute première édition du manuscrit leibnizien de la Monadologie1. Ce texte, à son avis, nous offre une voie d¶accès privilégiée à la pensée métaphysique de Leibniz, une exposition brève mais presque encyclopédique de son système, autrement presque éparpillé dans les pages d¶une pluralité d¶autres ouvrages : « Haec titulo [scilicet : Monadologie] inscripsi librum Leibnitii gravissimum, si quidem reputaveris, eo primo Leibnitium totum doctrinae suae systema, cuius singulas partes sparsim eo 2 usque dedisset, breviter delineare et in modum encyclopaediae complecti conatum esse » .
D¶autre part, l¶occasion de l¶écriture de la Monadologie aurait été, suivant Erdmann, une requête du prince Eugène de Savoie, qui aurait demandé une exposition plus exacte des thèses philosophiques contenues dans la Théodicée et dans d¶autres écrits de Leibniz3. On sait aujourd¶hui que cette reconstitution des circonstances génétiques du manuscrit de la Monadologie est, pour le dire en un 1 2 3
G. G. Leibnitii Opera philosophica quae extant Latina Gallica Germanica omnia, instruxit J. E. Erdmann, Berolini, 1840, p. 705-712. Ibid., Praefatio, p. xxvii. Ibidem : « Anno MDCCXIV Leibnitius, a principe Eugenio amantissime rogatus ut sententias philosophicas, quas in Theodicaea aliisque scriptis protulisset sibi proponeret accuratius explicatas, librum composuit de quo ipse Remundio scripsit ». Erdmann ici se réfère à la lettre de Leibniz à Nicolas Rémond du 26 août 1714 (GP III, 624-625). En réalité, cette lettre accompagnait une copie des Principes de la nature et de la grâce, destinée à Rémond, comme on le comprend par la lecture de la lettre du même Rémond du 9 janvier 1715 (GP III, 630634).
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mot, fausse, en premier lieu parce que le texte rédigé par Leibniz expressément pour le prince Eugène est en réalité celui des Principes de la nature et de la grâce ; mais il faut souligner qu¶elle était toutefois le résultat d¶une tradition historiographique, qui remontait au siècle précédent4. Les éléments principaux de cette reconstitution, c¶est-à-dire, la prétendue dédicace de la Monadologie au prince Eugène et la systématisation qu¶on y trouverait de thèses contenues dans la Théodicée, étaient en effet déjà présents dans l¶Histoire de la philosophie leibnizienne, publiée par C. G. Ludovici en 1737. Suivant l¶auteur, Leibniz, qui avait donné une première exposition de sa pensée monadologique dans la Théodicée, en aurait ensuite réuni les « erste Gründe » dans la Monadologie, qu¶il avait rédigée à Vienne « auf Verlangen des Printzen Eugen », probablement à la suite de conversations savantes au sujet de la Théodicée5. Ludovici, qui n¶était point responsable de la malheureuse confusion entre les Principes de la nature et de la grâce et la Monadologie6, est par contre le premier ± à notre connaissance ± à établir une telle liaison, pour ainsi dire génétique, entre la Théodicée et la Monadologie. Seulement quelques années après, en 1744, on trouvera de nouveau établie cette liaison dans la célèbre Historia critica philosophiae de Jac. Brucker, qui contient un long chapitre dédié à la biographie et à la pensée de Leibniz. Pour Brucker aussi « [p]rima monadologiae semina sparsit Leibnitius in Theodicaea » ; ensuite le philosophe en aurait donné une exposition plus accomplie et systématique dans le texte de la Monadologie7. Brucker attribue d¶ailleurs à ce texte une fonction explicative de la pensée de Leibniz, qui dépasse largement les limites de la Théodicée et va jusqu¶à comprendre l¶ensemble de sa métaphysique. Le chapitre de l¶Historia critica dédié à la « Metaphysica Leibnitii », en effet, ne diffère pas beaucoup d¶un commentaire de la Monadologie, suivant la séquence des paragraphes du texte leibnizien, dont il incorpore souvent des passages entiers8. Avec tout le poids de son autorité, Brucker confirmait ainsi une tendance 4
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/¶LGHQWLILFDWLRQ GHV Principes de la nature et de la grâce, comme étant le texte destiné au prince Eugène, fut établie pour la première fois en 1885 par C. I. Gerhardt, dans son édition des mêmes Principes et de la Monadologie, sur la base de la correspondance entre Leibniz et Nicolas Rémond (voir GP VI, 483- '¶DXWUHV pOpPHQWV GH FRQILUPDWLRQ RQW HQVXLWH pWp fournis par C. Strack (Ursprung und sachliches Verhältnis von Leibnizens sogenannter Monadologie und den Principes de la nature et de la grâce, Inaugural-Dissertation, Berlin, 1915) et par A. Robinet (G. W. Leibniz, Principes de la nature et de la grâce fondés en nature. Principes de la philosophie ou Monadologie, Paris, PUF, 1954). Voir C. G. Ludovici, Ausführlicher Entwurff einer vollstandigen Historie der Leibnitzschen Philosophie zum Gebrauch seiner Zuhörer, Bd. 1-2, Leipzig, 1737, Bd. 1, p. 217-219. 6XU O¶RULJLQH HW OHV FDXVHV GH FHW pFKDQJH YRLU $ /DPDUUD, « Le traduzioni settecentesche della Monadologie. Christian Wolff e la prima ricezione di Leibniz », dans le livre de A. Lamarra, R. Palaia, P. Pimpinella, Le prime traduzioni della Monadologie di Leibniz (17201721). Introduzione storico-critica, sinossi dei testi, concordanze contrastive, Firenze, Leo S. Olschki, 2001, p. 1-117. Voir Jacobi Bruckeri Historia critica philosophiae, vol. iv, Pars altera, Lipsiae, 1744, p. 401n. Ibid., § xxxvii, p. 401-432.
La pensée monadologique de Leibniz dans la Théodicée
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herméneutique qui, d¶un côté, remontait jusqu¶à Hansch9 mais qui, d¶autre part, était destinée à une très grande fortune : selon cette interprétation, la Monadologie nous offrirait une exposition systématique et définitive de la métaphysique leibnizienne, par rapport à laquelle il serait possible de réinterpréter l¶ensemble de sa production philosophique précédente. La légitimité méthodologique d¶une telle attitude herméneutique mériterait un examen très approfondi, qui dépasse les limites de cette contribution, d¶autant plus si l¶on considère qu¶elle a marqué en profondeur la critique leibnizienne jusqu¶au XXe siècle. Pour en rester à notre sujet, il faudra néanmoins noter que l¶attribution à la Monadologie d¶un rôle explicatif systématique et pour ainsi dire rétrospectif, par rapport à l¶ensemble de la pensée métaphysique de Leibniz, a progressivement laissé de côté le problème spécifique des rapports entre la Théodicée et la Monadologie. Or, s¶il ne s¶agit point de revenir aux thèses d¶un Brucker ou d¶un Erdmann à propos d¶une connexion à la fois factuelle et théorique entre les textes, il faut quand même souligner qu¶elles n¶étaient pas dépourvues de tout fondement. Naturellement, il n¶est pas vrai que Leibniz avance des thèses monadologiques pour la première fois dans la Théodicée (cette opinion est plutôt le résultat de la disponibilité des textes de Leibniz au XVIIIe siècle), mais il est incontestable qu¶une grande quantité de thèmes et de doctrines monadologiques sont bien présents dans les pages de cet ouvrage. Il est désormais certain que Leibniz n¶a pas écrit la Monadologie pour le prince Eugène. Le manuscrit de ce texte appartient plutôt au nombre des papiers privés du philosophe, qu¶il n¶a laissé circuler d¶aucune façon, pas même dans le cercle le plus restreint de ses interlocuteurs privilégiés. Toutefois, il est plus que probable que les Essais de Théodicée aient été justement à l¶origine de l¶intérêt que ce grand prince a nourri pour la philosophie de Leibniz. Et si, pour satisfaire les requêtes d¶Eugène, le philosophe a plutôt rédigé les Principes de la nature et de la grâce (non moins que le petit recueil de textes qui les suivent dans le manuscrit que le prince gardait jalousement)10, il faut rappeler que l¶écriture de la Monadologie était presque parallèle à celle des Principes11. On a raison de penser qu¶à l¶origine de la rédaction de la Monadologie se trouvent les demandes d¶éclaircissements envoyées à Leibniz par Nicolas Rémond ; mais, encore une fois, c¶était précisément la lecture des Essais de Théodicée qui avait suscité en lui, outre une Voir [M. G. Hansch], G. G. Leibnitii Principia philosophiae, more geometrico demonstrata, Francofurti et Lipsiae, 1728. 10 Le recueil manuscrit que Leibniz a donné à Eugène se trouve à la Nationalbibliothek de Vienne (Cod. 10588). Il contient les six textes suivants : Principes de la nature et de la grâce fondés en raison ; Système nouveau de la nature et de la communication des substances ; Éclaircissement du système nouveau de la nature et de la communication des substances ; eFODLUFLVVHPHQWGHO¶KDUPRQLHSUppWDEOLH ; Lettre sur les changements du globe de la terre ; Objections de M. Bayle DYHFOHVUpSRQVHVGHO¶DXWHXUGX6\VWqPH. 11 2Q DUULYH j FHWWH FRQFOXVLRQ j SDUWLU GH O¶DQDO\VH GHV PDQXVFULWV EURXLOORQV HW GLIIpUHQWHV copies) des deux textes et par la comparaison de rames de papier utilisées ; voir A. Robinet, Principes, op. cit., p. 7-12. 9
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très grande admiration, le désir de recevoir des précisions à propos de la doctrine des monades12. Le problème de la présence de la pensée monadologique dans les pages de la Théodicée ne doit pas être conçu comme limité à la seule détermination de rapports factuels entre deux textes ou, encore moins, à la description de quelques circonstances que l¶on pourrait considérer presque comme anecdotiques. Il relève plutôt de la cohérence théorique profonde d¶une pensée qui, toute dynamique qu¶elle soit, se développe en réintégrant continuellement ses acquis et avance moins par ruptures que par variations. La stricte connexion théorique et conceptuelle qui relie dans la pensée de Leibniz les doctrines théologiques de la Théodicée à sa métaphysique, et notamment à sa monadologie, a été mise en pleine lumière par D. Rutherford, il y a une douzaine d¶années. En introduisant sa monographie13, qui était largement consacrée aux Essais de Théodicée, mais que lui-même ne considérait pas moins que comme « une interprétation systématique de la métaphysique de Leibniz »14, il soulignait que la critique moderne avait négligé ces Essais et pratiquement oublié qu¶il s¶agissait du seul livre au contenu philosophique que l¶auteur avait publié15. Nous pourrions ajouter à cette remarque que parfois la critique peut aussi oublier des documents, en particulier s¶il s¶agit de manuscrits et de manuscrits préparatoires, car c¶est Leibniz lui-même, en réalité, qui nous indique une connexion à la fois textuelle et théorique entre la Théodicée et la Monadologie, dans une des copies manuscrites de ce deuxième texte. Comme on le sait au moins à partir de la fin du XIXe siècle, grâce à la célèbre édition de la Monadologie publiée par Émile Boutroux16, la copie de ce texte qu¶on appelle d¶habitude A (qui fut rédigée à Vienne et qui est intermédiaire entre le brouillon autographe et sa deuxième copie, que l¶on appelle B) contient de nombreux renvois aux paragraphes de la Théodicée, destinés à disparaître dans la version finale (copie B), rédigée par Leibniz après son retour à Hanovre. Cet aspect de l¶élaboration rédactionnelle du texte pose évidemment des problèmes 12 La correspondance entre Leibniz et Rémond a débuté en juin 1713 par une lettre de ce dernier, dans laquelle il manifestait une admiration sans borne pour la Théodicée (voir GP III, 603-604). Très vite, Rémond commença à demander des précisions sur la doctrine des moQDGHVGRQWODFRQQDLVVDQFHTX¶HQDOHSXEOLFOXLSDUDvWFRPSDUDEOH© à FHOOHTX¶RQDXURLWGX Soleil par des simples rayons echappes des nuages qui le couvriroient » (lettre à Leibniz, 5 mai 1714 ; GP III, 616). 13 D. Rutherford, Leibniz and the Rational Order of Nature, Cambridge, CUP, 1995. 14 Ibid., p. 3 : « I envision this study as a systematic interpretation of Leibniz¶s metaphysics ». 15 Ibid., p. 1 : « A significant weakness of many modern studies of the philosophy of Gottfried Wilhelm Leibniz has been the negligible role they have assigned to the project of theodicy: KLVFHOHEUDWHGGHIHQVHRI*RG¶VMXVWLFHDVLWLVH[SUHVVHGLQWKHFUHDWLRQRIWKHEHVWRIDOOSRVsLEOH ZRUOGV>«@,QGRLQJVR ZHKDYHWHQGHG proportionally to neglect other aspects of his thought ± most probably, his central theological commitments. We have all but forgotten that the only philosophical book Leibniz published during his life was Essays on Theodicy ». 16 Leibnitz, /D 0RQDGRORJLH SXEOLpH G¶DSUqV OHV PDQXVFULWV HW DFFRPSDJQpH G¶pFODLUFLVsements, par É. Boutroux, Paris, 1881.
La pensée monadologique de Leibniz dans la Théodicée
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d¶interprétation, mais il montre aussi que, au moins pendant la phase viennoise de l¶écriture de la Monadologie, Leibniz avait sous les yeux un exemplaire de la Théodicée. L¶interprétation qu¶il faut donner de la présence des renvois à ce texte dans la copie A de la Monadologie n¶est pas facile, d¶autant plus que la liaison thématique entre les passages qui sont mis ainsi en relation n¶est pas toujours évidente. On peut penser que, dans un premier temps, Leibniz avait envisagé de les incorporer simplement dans le texte et qu¶il a changé d¶avis après, ou bien que, dès le début, ces renvois n¶avaient qu¶une fonction rédactionnelle provisoire de rappel et d¶aide à l¶écriture. Dans ce dernier cas, la copie B ratifie un texte que son auteur considérait désormais comme définitif et qui n¶avait plus besoin de renvois à la Théodicée. En l¶état actuel de nos connaissances, nous ne pouvons pas donner de réponse à de telles questions ; ce qui est certain, par contre, c¶est que Leibniz lui-même était conscient de l¶existence d¶une remarquable connexion théorique entre les deux textes, ou au moins d¶une continuité thématique qui, à plusieurs égards, reliait la Monadologie à la Théodicée. Cette continuité de thèmes et de problèmes n¶est d¶ailleurs qu¶un aspect particulier d¶une continuité bien plus grande qui caractérise l¶évolution de la pensée métaphysique de Leibniz. Il s¶agit évidemment d¶une continuité dynamique qui demande parfois des solutions différentes et qui n¶exclut pas la persistance de problèmes ouverts. La constitution de la pensée monadologique de Leibniz relève d¶un processus d¶élaboration qui se développe dans toute la durée de sa maturité philosophique, au moins à partir du Système nouveau17. S¶il est possible de considérer le texte de la Monadologie comme l¶accomplissement de ce processus (pour autant que l¶on puisse parler de tels accomplissements dans le cas de Leibniz), la Théodicée représente une phase de l¶évolution de la métaphysique de Leibniz assez proche de sa configuration finale. La pensée monadologique ne constitue certainement pas le centre thématique de la Théodicée, mais elle y est très présente et peut même être considérée comme un des éléments constitutifs de son horizon théorique. Tout en étant présupposée, elle émerge dans le texte, à mesure que les sujets et les problèmes abordés le demandent. Si cela est vrai en général, il faut néanmoins déterminer plus exactement quelles sont les thèses monadologiques effectivement présentes dans les pages de la Théodicée et quelles sont celles qui, par contre, y sont éventuellement absentes. Il faudra noter en premier lieu que le langage métaphysique de la Théodicée n¶est pas du tout caractérisé par la monade. Ce mot 17 3DUPLOHVpWXGHVOHVSOXVUpFHQWHVXQHH[SRVLWLRQWUqVFRQYDLQFDQWHGHO¶pYROXWLRQGHODPpWaphysique leibnizienne à partir du Discours de métaphysique, HVW SURSRVpH SDU O¶HVVDL GH 0 Fichant, « /¶LQYHQWLRQPpWDSK\VLTXH », dans le volume G. W. Leibniz, Discours de métaphysique. Monadologie, Paris, Gallimard, 2004, p. 7-147. Voir aussi le recueil édité par E. Pasini, La Monadologie de Leibniz. Genèse et contexte, Paris-Milano, Mimesis, 2005, qui contient des essais de M. Fichant, G. Mormino, V. Morfino, E. Pasini, et F. Piro. Pour une mise au SRLQWGHVSUREOqPHVWKpRULTXHVTXHODSHQVpHPRQDGRORJLTXHSRVHGDQVO¶HQVHPEOHGHODSHnsée de Leibniz, voir aussi D. Rutherford, op. cit., p. 177-290, et M. Mugnai, Introduzione alla filosofia di Leibniz, Torino, Einaudi, 2003, p. 85-163.
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en effet n¶y est pas souvent employé par Leibniz : il semble que le philosophe préfère un vocabulaire plus aisément recevable, pour un texte destiné au grand public. À sa place, nous trouvons plutôt la substance simple, la forme substantielle, ou encore l¶âme, si le discours porte sur ses relations avec le corps. Qu¶il s¶agisse là d¶expressions linguistiques largement équivalentes, on le comprend non seulement à partir de l¶analyse des contextes, mais encore de ce que Leibniz dit lui-même dans une des pages finales du livre. En effet, au § 396, en répondant à Bayle qui avait avancé des objections contre la possibilité d¶une génération spontanée des formes substantielles, il écrit : « Mais il n¶y a rien de plus commode pour moy, et pour mon systeme, que cette objection, puisque je soutiens que toutes les Ames, Entelechies, ou forces primitives, formes substantielles, substances simples, ou Monades de quelque nom qu¶on puisse appeler, ne sauroient 18 naitre naturellement, ny perir » .
Si donc nous considérons l¶équivalence sémantique entre les différentes manières de signifier la monade, il sera facile de trouver dans les pages de la Théodicée une partie remarquable des thèses exposées quelques années plus tard dans les courts paragraphes de la Monadologie et, généralement, des thèses plus caractéristiques de la pensée monadologique de la maturité philosophique de Leibniz. D¶abord, on y trouvera la doctrine de l¶harmonie préétablie entre l¶âme et le corps19, avec l¶identification dans l¶âme d¶un principe formel actif, c¶est-à-dire d¶une force primitive qui est source spontanée d¶activité20 ; le parallélisme exact entre le règne de la nature (ou des causes efficientes) et celui de la grâce (ou des causes finales)21 ; l¶harmonie entre l¶architectonique cosmologique de Dieu et sa sagesse en tant que monarque de la société des esprits22. Mais on y trouvera encore l¶opposition entre automates mécaniques et automates spirituels23 ; la nature représentative des monades par rapport à l¶univers entier24 ; la perception (avec la tendance spontanée à passer d¶une perception à la suivante), qui caractérise toute substance simple, et même l¶opposition entre perceptions confuses et distinctes : « Car il faut savoir que toute substance simple enveloppe l¶univers par ses perceptions confuses ou sentimens, et que la suite de ses perceptions est reglée par la nature particuliere de cette substance, mais d¶une maniere qui exprime toute la nature universelle : et toute perception presente tend à une perception nouvelle, comme tout mouvement qu¶elle represente tend à un autre mouvement. Mais il est impossible que l¶âme puisse connoitre distinctement toute sa nature, et s¶appercevoir comment ce nombre innombrable de petites perceptions, entassées
18 GP VI, 352. 19 Essais de Théodicée, Préface (GP VI, 41-45) ; Discours préliminaire, § 55 ; i, §§ 59-62 ; ii, §§ 188, 200, 208 ; iii, § 400. 20 Ibid., Préface (GP VI, 45) ; i, §§ 59, 65, 87 ; iii, §§ 288-290, 301, 323, 393, 400. 21 Ibid., i, §§ 22, 74, 91; ii, §§ 112, 118, 130; iii, § 247. 22 Ibid., i, § 91; ii, § 112; iii, § 247. 23 Ibid., i, §52; iii, § 403. 24 Ibid., ii, § 131; iii, §§ 291, 355-357, 403.
La pensée monadologique de Leibniz dans la Théodicée
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ou plutost concentrées, s¶y forme : il faudroit pour cela qu¶elle connût parfaitement tout 25 l¶univers qui y est enveloppé, c¶est à dire qu¶elle fût un Dieu » .
Nous pourrions aller encore plus dans le détail et mentionner d¶autres concordances entre la Théodicée et la Monadologie, tout en rappelant cependant que dans la Théodicée les doctrines monadologiques sont disséminées et pour ainsi dire éparpillées dans un grand nombre de paragraphes, au point que ± parmi les contemporains de Leibniz ± seul un lecteur très attentif aurait pu reconstituer, à partir d¶elles, une mosaïque unitaire et cohérente. À notre avis, il est beaucoup plus intéressant de rechercher les discordances que les concordances entre ces textes, afin de vérifier si des éléments significatifs de la doctrine monadologique manquent dans la Théodicée par rapport au texte plus tardif de la Monadologie. La réponse, dans un certain sens, nous est suggérée par cette même copie B du manuscrit de la Monadologie, que Leibniz avait constellée de renvois à la Théodicée. La distribution dans le texte de ces renvois n¶est pas du tout régulière, car ils sont presque complètement absents de la première vingtaine de paragraphes, c¶est-à-dire de cette partie initiale du texte où Leibniz définit les monades comme les seuls éléments de la structure métaphysique sous-jacente au monde physique et donne une description de leurs caractéristiques autant que de leur dynamique interne, sans toutefois faire des références à ce qui est extérieur aux monades. Dans la droite ligne du Système nouveau (et de la plus grande partie des écrits qui l¶avaient suivi dans les journaux savants), dans les pages de la Théodicée, la fonction prévalente de la substance simple est celle d¶être l¶entéléchie ou la forme de la multiplicité corporelle ; son domaine thématique principal est donc celui des rapports entre l¶âme et le corps. Ce qui n¶est cependant pas éclairci dans ce texte, c¶est le problème de l¶enracinement métaphysique des organismes, c¶est-à-dire le problème des relations qui relient la structure monadique de la réalité métaphysique au monde physique qui en résulte, matériel et organique. Dans certains passages, on pourrait penser que les corps organiques sont à leur tour des substances, au même titre que les âmes. Au § 61 par exemple, alors que Leibniz met en question la possibilité d¶une influence directe entre âmes et corps, il affirme que : « l¶influence physique de l¶une de ces substances sur l¶autre est inexplicable »26 ; ou encore, quelques pages plus loin, au § 65, à propos de leur dépendance mutuelle, il explique que : « [o]n peut pourtant donner un sens veritable et Philosophique à cette dépendance mutuelle, que nous concevons entre l¶âme et le corps. C¶est que l¶une de ces substances dépend de l¶autre idéalement, entant que la raison de ce qui se fait dans l¶une, peut-être renduë par ce est 27 dans l¶autre » .
Or, que les corps organiques, en eux-mêmes, c¶est-à-dire considérés en faisant abstraction du rapport à leur âme, soient des substances, n¶est pas une thèse 25 Ibid., iii, § 403 (GP VI, 356-357). Cf. i, § 64 ; ii, § 124 ; iii, §§ 291, 403. 26 GP VI, 136. 27 GP VI, 138.
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monadologique. Du point de vue de la Monadologie, en effet, les corps sont le résultat phénoménal (et donc perceptible) d¶agrégats hiérarchiquement structurés de monades. Donc il n¶existe qu¶un seul type de substances, les monades, et la structure métaphysique profonde de la réalité n¶est constituée que de monades et de relations inter-monadiques, parmi lesquelles la relation du type dominance± subordination qui est représentée par la perception d¶un corps organique vivant et animé28. Un tel monisme monadologique29, une telle réduction du corporel au monadique, ne s¶exprime pas ouvertement dans la Théodicée, où toutefois on en trouve des indices très clairs. Dès la préface, l¶union de l¶âme et du corps est rapportée plus généralement au « commerce des véritables substances entr¶elles et avec les phénomènes materiels »30 ; tandis que, au § 89, Leibniz trouve l¶occasion d¶expliquer, presque en passant, que « les substances veritablement simples et LQGLYLVLEOHV>«@VRQWOHVVHXOVHWYUDLV$WRPHVGHODQDWXUH »31. Et l¶on ne peut pas considérer en outre les corps comme de véritables substances, si « l¶idée du corps >«@HVWXQHVLPSOHQRWLRQHWQRQSDVXQHFKose réelle et actuelle »32, suivant ce que l¶on peut lire au § 372. Le rapprochement d¶un passage de la préface avec un autre tiré de l¶un des paragraphes finals de l¶ouvrage, le § 393, montre que ce manque de réalité des corps vient de l¶absence d¶un principe dynamique, puisque « le corporel tout seul ou le simple materiel ne contient que le passif »,33 alors que « [c]e qui n¶agit point, ne merite point le nom de substance ».34
28 On pourrait opposer à cette interprétation de la doctrine monadologique, suivant laquelle, en WRXWHULJXHXULOQ¶\DSDVGHYpULWDEOHVVXEVWDQFHVFRPSRVpHVOHGHV Principes de la nature et de la grâce, où Leibniz donne une définition de la substance composée (telle que celle G¶XQ RUJDQLVPH YLYDQW FRPPH FRQVWLWXpH SDU XQH PRQDGH FHQWUDOH © HQYLURQQpH G¶XQH PDVVHFRPSRVpHG¶XQHLQILQLWpG¶DXWUHVPRQDGHVTXLFRQVWLWXHQWOHFRUSVSURSUHGHFHWWHPonade centrale » (GP VI, 599). La contradiction, en réalité, disparaît si l¶RQFRQVLGqUHTXHOH texte des PrincipesjO¶LQYHUVHGHFHOXLGHODMonadologie, est un texte destiné à circuler et donc, au moins potentiellement, public. Dans le passage en question, Leibniz explique (dans XQ ODQJDJH TXL Q¶HVW SDV métaphysiquement rigoureux, mais plus accessible au public) ce TX¶LOIDXWHQWHQGUHTXDQGLOSDUOHGDQVVHVRXYUDJHVG¶XQHVXEVWDQFHFRPSRVpH LOQHV¶DJLW HQHIIHWGHULHQGHSOXVTXHG¶XQDJUpJDWGHPRQDGHVGRQWXQHHVWODGRPLQDQWHHWTXLFRllectivHPHQWSURGXLVHQWOHSKpQRPqQHSHUFHSWLEOHG¶XQFRUSVRUJDQLTXH 29 La doctrine monadologique de Leibniz HVW XQHSKLORVRSKLH PRQLVWHFDUHOOH Q¶DGPHWTX¶XQ VHXOW\SHGHVXEVWDQFHOHVPRQDGHV'HFHSRLQWGHYXHHOOHV¶RSSRVHjWRXWe sorte de dualisme (comme le dualisme forme/matière, ou bien res cogitans/res extensa '¶DXWUH SDUW LO QHV¶DJLWSDVG¶XQYpULWDEOHSKpQRPpQDOLVPHFDUOHVDSSDUHQFHVSHUFHSWLYHVGXPRQGHPDWériel ont, pour Leibniz, une objectivitpPpWDSK\VLTXHHQWDQWTXHUpVXOWDWVGHO¶DFWLYLWpHWGHV relations inter-PRQDGLTXHV/¶DIILUPDWLRQGHODQDWXUHSKpQRPpQDOHGHODPDWLqUHSDUFRQWUH IDLW GX PRQLVPH PRQDGRORJLTXH VLQRQ XQ W\SH G¶LGpDOLVPH WRXW GX PRLQV XQH SKLORVRSKLH immatérialiste. 30 GP VI, 44. 31 GP VI, 152. 32 GP VI, 337. 33 GP VI, 45. 34 GP VI, 350.
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Dans la Théodicée, la pensée monadologique de Leibniz est donc bien à l¶°XYUH PDLV XQH WHQVLRQ WKpRULTXH WUDYHUVH VRQ GLVFRXUV FRQFHUQDQW OD substantialité des corps organiques. Dans la droite ligne du Système nouveau et des éclaircissements qui l¶ont suivi, la Théodicée évoque deux types distincts de substances, les âmes et les corps ; et pourtant, dans d¶autres passages, elle parle aussi le langage monadologique de la substance simple, considérée comme la seule véritable substance. Cette tension théorique entre monisme et dualisme des substances, qui se traduit par l¶opposition entre deux définitions du corps organique (phénomène métaphysiquement fondé ou bien substance composée), caractérise la philosophie de Leibniz, au moins à partir du Discours de métaphysique. La question se pose de savoir si la présence de cette double définition révèle une véritable opposition théorique, qui serait connaturelle à sa pensée, ou bien si une autre interprétation est possible. Dans le premier cas, c¶est bien la cohérence interne de la métaphysique leibnizienne qui serait mise en cause, à moins de prendre en considération la possibilité d¶un double niveau d¶écriture ou de registre de communication. Dans cette deuxième perspective, qui est la nôtre, on remarquera alors que, au sujet du problème de la nature substantielle ou bien phénoménale des corps, une ligne de démarcation se met en place, entre les écrits destinés au public et les papiers à usage personnel du philosophe, et parfois, à l¶intérieur même de ses manuscrits privés, entre le texte dans sa version finale et l¶écriture préliminaire ou raturée. Il ne faut pas oublier en outre que, dès sa jeunesse, Leibniz a toujours suivi des stratégies précises de communication, dont l¶adoption d¶un langage acceptable par ses interlocuteurs constituait un élément majeur. Cette stratégie avait un but à la fois préventif et persuasif, car elle visait à désamorcer toute controverse stérile, mais aussi à créer les conditions les plus favorables à la transmission de thèses qui autrement auraient pu être rejetées, à cause des préjugés de l¶interlocuteur. Une fois acceptées, ces thèses devaient le mener aux mêmes conclusions logiques que celles tirées par Leibniz lui-même35. Dans ce cadre interprétatif, la substantialité des corps organiques appartient alors au registre du discours philosophique leibnizien destiné à un public qui, en raison du climat culturel de l¶époque, n¶aurait pas pu accepter leur phénoménalité et qui, avec la nature phénoménale des corps, aurait fini pour rejeter le système entier de l¶harmonie préétablie. Cela n¶empêche pas Leibniz, comme dans la Théodicée, de parsemer aussi ses écrits publics d¶indices, dans lesquels s¶exprime un discours différent, proprement monadologique, affirmant la nature phénoménale (et pourtant métaphysiquement fondée) de la corporéité organique. C¶est exactement pour les mêmes raisons que 35 /DFULWLTXHOHLEQL]LHQQHQ¶DFFRUGHSDVKDELWXHOOHPHQWEHDXFRXSG¶LPSRUWDQFHjFHWDVSHFWGH la rhétorique leibnizienne, très souvent sous-évaluée et parfois considérée comme une attitude généralement conciliatrice. Elle a été pourtant mise en évidence par C. Mercer, dans son livre, Leibniz¶s Metaphysics. Its Origin and Development, New York, CUP, 2001. Pour désigner cette stratégie rhétorique de LeibnizO¶DXWHXUDIRUJpO¶H[SUHVVLRQWUqVDSSURSULpHGHµrhetoric of attraction¶YRLUHQSDUWLFXOLHUOHFKDSLWUH© Eclecticism and conciliation, 1661-1668 », p. 23-59).
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cette thèse devait demeurer privée, ou être proposée, pour ainsi dire, à titre d¶hypothèse per absurdum, ou encore tout simplement rester confinée dans l¶espace de l¶écriture raturée. La volonté de Leibniz de ne pas faire circuler le manuscrit de la Monadologie est, à cet égard, révélatrice. Bien que la rédaction de ce texte eût débuté en raison des sollicitations de Nicolas Rémond, un admirateur fervent de sa philosophie, et malgré toutes ses insistances, Leibniz n¶enverra jamais de copie de la Monadologie ni à lui ni, d¶ailleurs, à aucun autre de ses correspondants. Cette attitude du philosophe est décelable dès la toute première phase d¶élaboration du texte. Parmi les papiers de la correspondance entre Leibniz et Rémond, on trouve aussi le brouillon d¶une lettre qui date de juillet 1714 et qui constitue selon toute probabilité la première ébauche de la Monadologie, antérieure à la rédaction même de son premier brouillon. On y trouve, en quelques pages, une synthèse du texte, voire un plan préliminaire pour sa rédaction. Le registre adopté par l¶auteur est indiscutablement monadologique et, par conséquent, dans cette lettre, la substantialité des corps est très clairement niée. Après avoir affirmé qu¶il n¶y a rien d¶autre dans l¶univers que des substances simples, c¶est-à-dire des monades et des assemblages de monades, c¶est-à-dire de corps, Leibniz explique que : « [c]ependant tous ces corps et tout ce qu¶on leur attribue, ne sont point des substances, mais seulement des phenomenes bien fondés, ou le fondement des apparences, qui sont differentes en differens observateurs, mais ont du rapport et viennent du même fondement, comme les 36 apparences d¶une même ville vue de plusieurs cotés ».
Il continue encore en affirmant que ni l¶espace, ni le temps, ni la matière ne sont des substances et que le mouvement est un phénomène non moins que les corps ; enfin, il nie l¶existence d¶autres sujets réels d¶activité en dehors des monades, ou d¶autres sortes d¶actions en dehors de leurs actions internes : « Il n¶y a point d¶action des substances que les perceptions et les appetits, toutes les autres ac37 tions sont phenomenes comme tous autres agissans ».
Face à une affirmation aussi claire de son point de vue monadologique, Leibniz prend des précautions : craignant que de telles déclarations puissent rebuter son interlocuteur, il l¶invite à ne pas trop les méditer, il lui suggère d¶y revenir à une autre occasion, il le flatte en soulignant qu¶il lui a écrit ce qu¶il n¶écrirait pas facilement à quelqu¶un d¶autre. Mais surtout il lui demande instamment de ne pas faire circuler sa lettre, parce que « [b]ien d¶autres la trouveroient ou absurde ou inintelligible »38. Enfin, même ces précautions lui sembleront insuffisantes et sa lettre au contenu monadologique ne sera jamais envoyée à Paris. C¶est donc par une certaine ironie de l¶histoire que, malgré son auteur, la Monadologie deviendra après quelques années seulement le texte le plus célèbre de Leibniz et presque l¶emblème de sa philosophie, grâce à une copie du manuscrit qui a quitté le cabinet viennois du philosophe à son insu. Directement 36 GP III, 622. 37 GP III, 623. 38 GP III, 624.
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ou indirectement en effet, cette copie fut à la base des deux traductions du texte qui, à partir des années 1720-1721, vont faire connaître un écrit autrement inaccessible, en absence de toute édition de l¶original leibnizien39. C¶est notamment la traduction en latin de Wolff40 qui assurera la fortune de la Monadologie pour un siècle et demi. Pourtant, le dévoilement imprévu de ce qui était destiné à rester soigneusement caché ne fut pas complet, parce que cette traduction a donné une version du texte dans laquelle la cohérence monadologique de la pensée leibnizienne était mise à mal et les lecteurs pouvaient trouver de nouveau des substances composées à côté des monades.41 Évidemment, une telle interférence conceptuelle, fondée sur un profond malentendu au sujet de la pensée de Leibniz, ne pouvait que confondre l¶herméneutique d¶une philosophie déjà complexe avec des registres linguistiques et théoriques multiples. Une des conséquences majeures en fut de placer pour ORQJWHPSV DX F°XU GH OD UpIOH[LRQ FULWLTXH OH SUREOqPH GH VDYRLU FRPPHQW OHV monades, en tant que substances simples, pouvaient être en même temps les seules substances véritables et les éléments constitutifs des substances composées. Dans une perspective rigoureusement monadologique, ce problème ne se pose même pas, mais il devient tout à fait central si, en perdant de vue le décalage qu¶il faut reconnaître dans les écrits de Leibniz entre écriture privée, relations épistolaires, et ouvrages destinés au grand public, on mélange des registres rhétoriques et des langages parfois très différents. La tâche de l¶interprète se complique d¶ailleurs souvent, quand des registres différents apparaissent dans le même texte : pour ce qui est de la pensée monadologique, les rapports entre la Théodicée et la Monadologie nous le montrent de façon tout à fait exemplaire.
39 ,OV¶DJLWGHGHX[WUDGXFWLRQVO¶XQHHQDOOHPDQGHWO¶DXWUHHQODWLQ/DSUHPLqUHVRXVOHWLWUH Lehr-Sätze von denen Monaden, fut publiée dans le recueil, Des Hn. Gottfried Wilh. von Leibnitz Lehr-Sätze über die Monadologie, Jena, 1720, par H. Köhler. &¶HVWELHQFHWDQFLHQ élève de Chr. Wolff qui a forgé le mot de « monadologie ªTXLQ¶HVWSDVGXWRXWOHLEQL]LHQ /DGHX[LqPHWUDGXFWLRQHVWDSSDUXHO¶DQQpHVXLYDQWHVRXVOHWLWUHGH Principia philosophiae, autore G. G. Leibnitio, dans les « Actorum eruditorum Supplementa », vol. 7 (1721), p. 500&HVGHX[WUDGXFWLRQVVRQWWRXWjIDLWLQGpSHQGDQWHVHWV¶DSSXLHQWVXUGHVFRSLHVPDQXscrites diverses, même si leur source unique est une copie effectuée par H. Köhler, à Vienne, sur la base de la copie A de Leibniz. Voir A. Lamarra, « Le traduzioni settecentesche », op. cit., p. 5-51. 40 3RXU O¶DWWULEXWLRQ j :ROII de la traduction latine de la Monadologie, voir A. Lamarra, « Le traduzioni settecentesche », op. cit., p. 87-105. 41 Dans la Monadologie, Leibniz ne mentionne jamais de « substances composées » et, pour désigner FH TXL UpVXOWH GHV DJUpJDWV GH VXEVWDQFHV VLPSOHV LO XWLOLVH O¶DGMHFWLI VXEVWDQWLYp « composé ». Dans trois passages de la traduction en latin, par contre, le texte subit un changement, en apparence mineur, mais qui a pour effet de réintroduire la substance composée GDQV OH GLVFRXUV OHLEQL]LHQ $LQVL DX O¶H[SUHVVLRQ © dans la substance simple, et non dans le composé » devient « in substantia simplici, non in composita » ; au § 30, au lieu de « jO¶(WUHjOD6XEVWDQFHDXVLPSOHHWDXFRPSRVp », nous trouvons « de ente, de substantia cum simplici, tum composita » ; et encore au § 61 (= § 63 de la traduction), « les composés » du texte leibnizien est traduit par « compositae [substantiae] ».
THÉODICÉE DE L¶HISTOIRE ET HISTORIOGRAPHIE DANS LA PENSÉE DE LEIBNIZ par Roberto Celada Ballanti (Gênes) « O Geschichte ! O Geschichte ! Was bist du ? » (G. E. Lessing, Ernst und Falk. Gespräche für Freimäurer)
1. Histoire universelle et théodicée C¶est un texte précoce, la Confessio Philosophi (1672-73), qui affirme que les sciences de la qualité et de l¶action et, parmi elles, l¶histoire, naturellement, dépendent d¶un principe rationnel ± le nihil sine ratione ± et de ses résultats théologiques : « Ita est omnino, imo ita necesse esse ; aliter scientiarum fundamenta convellentur, ut enim totum esse majus parte, Arithmeticae et Geometriae, scientiarum de quantitate, principium est ; ita nihil esse sine ratione, fundamentum est physicae et moralis, scientiarum de qualitate, vel quod idem est (qualitas enim nihil aliud est quam agendi patiendique potentia) actione, cogitatione nimirum et motu » (A VI, 3, 118).
Dans la Confessio Philosophi, en effet, le nihil sine ratione est le principe sur lequel se fondent les réflexions et les argumentations sur l¶harmonia universalis et la justitia Dei, et par l¶intermédiaire duquel on parvient à la démonstration de l¶existence de Dieu : « Vides quid ex illo theoremate sequatur, Nihil est sine ratione. Nimirum tute dixisti omnia, quae sibi ipsi ratio cur sint, non sunt, quale est peccatum quoque et damnatio, ea tamdiu in rationem, et rationem rationis, reducenda esse, donec reducantur in id quod sibi ipsi ratio est, id est Ens a se, seu Deum ; quae ratiocinatio cum demonstratione existentiae Dei coincidit » (A VI, 3, 120).
André Robinet a finement déduit de ces textes de la Confessio Philosophi des conséquences importantes pour la vision historique, en reliant théodicée, harmonie universelle et histoire : « C¶est dire qu¶une science de la qualité et de l¶action comme l¶est l¶histoire dépendra dans son ossature fondamentale de la Justitia Dei, autrement dit de la Théodicée. Je dirai donc premièrement que la conception métaphysique de l¶historicité chez Leibniz relève d¶une tendance de théologie rationnelle stricte et ne peut se comprendre que sous le couvert d¶une loi
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R. C. Ballanti d¶harmonie qui commande métaphysiquement la répartition des perfections et la sériation des 1 actes » .
Le syntagme « théodicée de l¶histoire », que nous nous approprions, peut d¶ailleurs s¶autoriser non seulement de Robinet, mais encore d¶un autre auteur insigne : Ernst Cassirer, qui l¶a utilisé, avant de l¶appliquer à Lessing et à L¶éducation du genre humain, en se référant justement à Leibniz. Dans son étude Leibniz¶ System in seinen wissenschaftlichen Grundlagen (1902), on trouve précisément les expressions : « Leibniz¶ Theodizeebegriff der Geschichte » et « philosophische Theodizee der Geschichte »2. Quelles sont les raisons qui justifient l¶établissement d¶un tel lien entre théodicée et histoire ? Et encore : dans quelle mesure et dans quelles limites peuton parler de théodicée de l¶histoire chez Leibniz ? Il nous semble que, pour répondre à ces questions, il faut commencer par deux réflexions fondamentales : d¶une part, le philosophe de Hanovre a fait sienne la nouvelle image de l¶histoire universelle, fruit des processus modernes de sécularisation, et donc désormais affranchie des schémas eschatologiques de la Bible, des deux Civitates augustiniennes ou des quatre Empires ; d¶autre part, il a lié cette nouvelle image historique universelle à son propre système métaphysique et à sa propre théodicée. Arrêtons-nous maintenant sur l¶analyse de ces deux fondements. Dans une étude intitulée Die Säkularisierung der universalhistorischen Auffassung3, Adalbert Klempt a identifié l¶existence d¶une « première phase » de la sécularisation de l¶idée d¶Universalhistorie, en l¶articulant en deux moments : 1) la fin ou la dissolution (das Ende, die Auflösung) du sens global théologique et eschatologique de l¶histoire, dont les premiers signes se trouvent dans la théologie de Luther, de Melanchthon, de Peucer ± qui marquent une progressive séparation méthodique entre histoire sacrée et histoire profane ± et, ensuite, dans la critique adressée aux schémas bibliques des quatre Empires dans la Methodus ad facilem historiarum cognitionem de Jean Bodin (1566) ; 2) les véritables débuts (die Anfänge) de l¶image moderne de l¶Universalhistorie, qui apparaissent dans trois contextes différents de recherche, parallèles et indépendants, mais qui concourent en définitive à la création d¶une nouvelle vision historique universelle : le développement de la Menschheitsgeschichte (en particulier avec Bodin, Bacon et la division de l¶histoire universelle en époque ancienne, médiévale et moderne) ; la mise en place de la nouvelle articulation du temps historique ± ante Christum natum ± succédant aux ères bibliques mondiales, ainsi que la crise des 1
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A. Robinet : Les fondements métaphysiques des travaux historiques de Leibniz, in : A. Heinekamp (Hrsg.) : Leibniz als Geschichtsforscher, Symposion des Istituto di studi filosofici Enrico Castelli und der Leibniz-Gesellschaft, Ferrara, 12. bis 15. Juni 1980 (Studia Leibnitiana, Sonderheft 10), Wiesbaden, 1982, p. 52. Voir E. Cassirer : Leibniz¶ System in seinen wissenschaftlichen Grundlagen, in : Gesammelte Werke. Hamburger Ausgabe, hrsg. von B. Recki. Text und Anmerk. bearb. von M. Simon, Bd. 1, Hamburg, 1998, p. 403 et p. 426. A. Klempt : Die Säkularisierung der universalhistorischen Auffassung. Zum Wandel des Geschichtsdenkens im 16. und 17. Jahrhundert, Göttingen-Berlin-Frankfurt, 1960.
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chronologies bibliques et l¶agrandissement des limites de l¶histoire avec les civilisations des Préadamites de Isaac La Peyrère (1655) ; enfin l¶agrandissement de l¶espace géographique avec la considération des peuples extra-européens. Les deux moments cités ne représentent pas, pour Klempt, deux aspects d¶un même phénomène, et ne sont pas liés directement selon un schéma de cause à effet, de sorte que la connaissance de l¶un puisse suffire à expliquer l¶autre. La transformation et la crise du sens global théologique et eschatologique de l¶Universalhistorie, en effet, commencent dans le domaine protestant sans aucune intention antireligieuse et se réalisent bien plus vite que l¶édification de la nouvelle image, qui, péniblement, se fraye un chemin contre la résistance des anciens schémas bibliques, encore largement pratiqués au cours du XVIIe siècle. Leibniz s¶approprie aussi ces innovations. Sur ce point, Werner Conze a souligné l¶aspect novateur de la conception de l¶histoire universelle leibnizienne, qui va encore plus loin que ce que François Bacon avait fait dans son De augmentis scientiarum : « Leibniz ± écrit Conze ±, même s¶il reste fidèle au christianisme, a abandonné dans sa systématique des sciences le dualisme des Civitates augustiniennes, ou des deux gouvernements de Luther, ou mieux, ne l¶a plus adopté, en faveur d¶une science unitaire de la nature et de l¶esprit comme vision d¶un monde pour lequel Dieu ne peut être que le sommet de la grande pyramide (Monadologie), ou la « rerum originatio radicalis », mais non plus comme Celui qui se trouve en face du monde ou qui l¶enveloppe. Bacon, déjà, avait abandonné, dans sa classification, l¶image chrétienne de l¶histoire. Dans son ouvrage, l¶Historia sacra, ou l¶histoire de l¶Église, apparaissait seulement encore comme un des trois piliers de l¶Historia civilis, ou humana, à laquelle n¶était liée que l¶Historia naturalis. Leibniz a fait sienne cette formulation, que, peut-être, il avait déjà apprise quand il était étudiant. Il est allé toutefois plus loin que Bacon. À la place de l¶Historia sacra, il y avait déjà en 1670, comme l¶atteste la lettre à Bose, et puis encore plus tard, l¶Historia religionum (histoire des religions), avec bien sûr la limite suivante : l¶histoire de l¶Église qui appartient à la religion chrétienne « vraie, révélée » 4 devait occuper la première place » .
Que l¶image de l¶histoire universelle indiquée par Conze, unitaire et non plus dualiste, divisée en une série de Historiae et de disciplines scientifiques qui convergent vers l¶unité, corresponde à celle de Leibniz, cela peut être déduit, en particulier, à partir du document auquel le chercheur se réfère ± la lettre écrite par le philosophe de Hanovre à Joh. Andreas Bose en 1670 (A I, 1, 102-104) ± aussi bien qu¶à partir du document plus avancé Mémoire pour des Personnes éclairées et de bonne intention (1692) (A IV, 4, 616), où l¶Historia sacra se trouve à nouveau dans l¶Histoire humaine sous la rubrique « Histoire des Religions, et sur tout celle de la veritable Religion revelée, avec l¶Histoire Ecclesiastique ». Mais, pour en revenir à l¶étude de Klempt, l¶aspect le plus significatif de sa reconstruction, de notre point de vue, se trouve dans la position particulière attribuée à Leibniz. Pour le chercheur, il se trouve aux débuts de la « deuxième phase » du processus de sécularisation de l¶Universalhistorie, caractérisée par
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W. Conze : Leibniz als Historiker. Leibniz zu seinem 300. Geburtstag (1646-1946), Lieferung 6, Berlin, 1951, p. 39.
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l¶emploi de la philosophie pour donner unité et sens (Sinngebung) à la nouvelle image de l¶histoire universelle, jusque là élaborée à travers des recherches distinctes et indépendantes, et qui nécessite une nouvelle unité. Cette deuxième phase correspond, selon Klempt, à ce que Karl Löwith a décrit comme la transformation sécularisante de la vision historique universelle propre à l¶hérédité biblique et théologique. Ainsi, « pour la première fois, chez Leibniz, la réflexion sur l¶Universalhistorie dans ses nouveaux aspects acquis se joint à une interprétation fondée philosophiquement, dès lors qu¶il est (en opposition avec l¶intérêt unilatéral de Descartes pour le monde de la nature) justement engagé par son grand travail de recherche historique à faire cet effort de penser le monde de l¶histoire. Au lieu d¶insoutenables représentations bibliques >«@ FKH] /HLEQL] sont posées des thèses philosophiquement fondées sur le lien étroit de l¶histoire de l¶humanité, qu¶il imagine constituée par une téléologie de la providence divine, reconnaissable même là où l¶observation des événements historiques universels peut enregistrer des discontinuités ou des 5 régressions sans aucun sens » .
Ici on peut comprendre l¶opération faite par Leibniz, avant Vico et Voltaire, qui consiste à unir l¶image nouvelle et moderne de l¶Universalhistorie à son propre système métaphysique-théologique : opération que l¶essai de Klempt, toutefois, puisqu¶il s¶arrête au seuil de la « deuxième phase » du processus de sécularisation, n¶approfondit pas davantage. Pour comprendre la modalité selon laquelle Leibniz crée cette union, il faut mettre en évidence un deuxième fondement, qui se trouve dans la pensée de Leibniz, et qui est davantage lié à sa réflexion métaphysique et religieuse qu¶à la théorie de l¶histoire universelle et sa sécularisation : il s¶agit de la transposition des concepts de Révélation et d¶Incarnation dans ceux d¶Univers et d¶harmonia mundi. Un texte d¶Émile Rolland apparaît, à ce sujet, très explicite : « Cette idée [d¶univers] joue dans la doctrine leibnizienne un rôle capital. On oserait comparer la place qu¶elle occupe dans cette synthèse à la place que dans Malebranche a prise l¶idée d¶Incarnation. [...] Pour la pensée dogmatique de Malebranche, plus près de l¶explication authentiquement chrétienne, c¶est l¶Incarnation du Fils de Dieu qui résout l¶antinomie. C¶est elle qui donne, en dépit de tous les désordres, valeur infinie au monde. C¶est la Rédemption, fondée sur l¶Incarnation elle-même, qui fait aboutir, suivant le chrétien, le dessein de la bonté divine, malgré le péché de l¶homme. Pour la pensée leibnizienne, le mot de l¶énigme est à 6 chercher dans la notion d¶un univers doué par lui-même d¶une valeur infinie » .
Il est encore plus significatif que, dans la Confessio Philosophi, pour en revenir à l¶°XYUHPHQWLRQQpHSUpFpGHPPHQWFHVRLWHQILQGHFRPSWHOHSKLORVRSKHHWQRQ le théologien, qui prenne l¶engagement de résoudre les difficultés sur la justice divine, le libre arbitre, la prédestination, la grâce, donc sur tous les sujets les plus problématiques, qui divisaient les Églises à l¶époque théologiquement troublée de Leibniz. On reconnaît ici un aspect fondamental de la pensée religieuse leibnizienne, dont on ne peut pas faire abstraction si l¶on veut comprendre la 5 6
A. Klempt : Die Säkularisierung der universalhistorischen Auffassung, op. cit., p. 128. É. Rolland : Le déterminisme monadique et le problème de Dieu dans la philosophie de Leibniz, Paris, 1935, p. 98.
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vision historique du philosophe de Hanovre : face aux polémiques théologiques, aux sectarismes, aux divisions confessionnelles, c¶est la philosophie qui assure l¶universalité religieuse authentique, en donnant aux concepts théologiques, étouffés et pris étroitement par les orthodoxies contraires, le souffle délivrant de l¶°FXPpQLFLWpjWUDYHUVG¶« universelles transpositions », pour utiliser l¶image de Jean Baruzi7, capables de faire du christianisme la vraie religion de tous les hommes, « catholique » non parce que « romaine », mais parce que « naturelle » et fondée sur la raison. En vertu d¶une telle extension universalisante, renforcée par l¶idée selon laquelle la philosophie est la vraie théologie, comme le remarque Ernst Troeltsch, « la rédemption pour Leibniz était partout et constamment active, elle était manifeste en Jésus seulement dans la composition de toutes ses plus grandes puissances. Il reconnaissait la religion dans le lien de tout l¶univers, dans la grandeur de sa réalité effective présente et dans 8 l¶extension de sa graduelle succession historique » .
Ayant donc mis en évidence les deux fondements principaux dont on a parlé jusqu¶ici, on peut maintenant comprendre le rapport que Leibniz établit entre théodicée et histoire, qui prend dans le § 149 des Essais de théodicée l¶image de l¶histoire universelle du genre humain comme roman de Dieu : « >«@HWMHVXLVVXUSULVTX¶il [Bayle] n¶ait point consideré que ce Roman de la vie humaine, qui fait l¶histoire universelle du genre humain, s¶est trouvé tout inventé dans l¶entendement divin avec une infinité d¶autres, et que la volonté de Dieu en a decerné seulement l¶existence, parce que cette suite d¶evenemens devoit convenir le mieux avec le reste des choses pour en faire resulter le meilleur. Et ces defauts apparens du monde entier, ces taches d¶un Soleil, dont le nostre n¶est qu¶un rayon, relevent sa beauté, bien loin de la diminuer, et y contribuent en procurant un plus grand bien » (GP VI, 198).
L¶exigence d¶une Rechtfertigung de l¶histoire universelle n¶a, à vrai dire, en soi rien de nouveau. La pensée occidentale connaît son existence depuis le De civitate Dei d¶Augustin, selon une tradition théologique qui va jusqu¶au Discours sur O¶histoire universelle (1681) de Jacques-Bénigne Bossuet. La solution leibnizienne à l¶ancien problème est plutôt innovante. Selon elle, au fondement de l¶ordre et de la justification du temps et de l¶histoire, il n¶y a ni les Saintes Écritures, ou une théologie dogmatique, ni les anciennes périodisations des six âges du monde ou des quatre Empires, mais un système métaphysique et théologique et une 7 8
Voir J. Baruzi : Leibniz, Paris, 1909, p. 134-135. E. Troeltsch : Leibniz und die Anfänge des Pietismus, in : Gesammelte Schriften, Bd. 4, Aufsätze zur Geistesgeschichte und Religionssoziologie, hrsg. von H. Baron, Tübingen, 1925, p. 502. Il faut se demander, à ce propos, si la notion de sécularisation adoptée par A. Klempt est OHPHLOOHXUPR\HQGHFRPSUHQGUHHWG¶H[SOLTXHUFHWDVSHct de la pensée religieuse de Leibniz. ¬PRQDYLVODQRWLRQGHVpFXODULVDWLRQVLRQYHXWO¶DSSOLTXHUDYHF.OHPSW à Leibniz, ne peut pas signifier une perte de Transcendance, une dissolution de la religion et de la théodicée GDQV OD SKLORVRSKLH GH O¶KLVWRLUH PDLV GRLW VLJQLILHU SOXW{W XQH XQLYHUVDOLVDWLRQ GX FKULVWLDQLVPHHWGHVHVFRQWHQXVSDUXQHRSpUDWLRQVSpFXODWLYHFRPPHRQO¶DGpMjGLWTXLIDLWGHOD philosophie la vraie théologie, la véritable interprétation de la religion historique. Voir à ce propos mon livre : Erudizione e teodicea. Saggio sulla concezione della storia di G.W. Leibniz, Napoli, 2004, notamment p. 403-425.
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théodicée philosophique. Les problèmes qui proviennent de la tradition de la théologie augustinienne de l¶histoire sont donc proposés de nouveau par Leibniz dans une optique certainement encore théologique et sotériologique, mais, sur la base du principe de raison, d¶une théologie rationnelle, dont l¶originalité saute aux yeux dès que l¶on fait une comparaison avec le Discours, contemporain, de Bossuet. Entre l¶histoire sainte de l¶évêque de Meaux, dans sa supériorité sur l¶histoire profane, et l¶histoire essentiellement humaine de l¶(VVDLVXUOHVP°XUV de Voltaire, l¶histoire universelle de Leibniz se présente certainement encore comme religieuse, mais elle semble fondée, plus que sur les théologies des Églises ou sur les Saintes Écritures, sur la religion naturelle, dont Leibniz trace le développement au début des Essais de théodicée qui en sont totalement imprégnés. Les Essais sont, en effet, comme l¶écrit Robinet, « avant toute autre considération, le portique élevé à la gloire de la religion naturelle qui ouvre sur le XVIIIe siècle, que refermera l¶ouvrage de Kant La religion dans les limites de la 9 simple raison » .
Décisive, dans ce contexte-là, apparaît donc l¶idée de religion naturelle qui, pour Leibniz, comme le montrent les premières pages de la Préface aux Essais de théodicée, ne peut être comprise que dans le cadre d¶un développement historique. Il peut sembler paradoxal que la religion naturelle connaisse une histoire et un progrès, qu¶elle se présente parmi trois paliers de succession historique ± le paganisme, le judaïsme, le christianisme ± mais cette théorie, à vrai dire, qui soustrait la religion naturelle à son intemporalité statique, se joint chez Leibniz à l¶idée, qui se trouve à la base de sa gnoséologie et de son ontologie, de l¶innéisme virtuel : c¶est l¶innéisme virtuel qui donne à la religion naturelle un dynamisme historique, en lui offrant les traits d¶une histoire évolutive qui reçoit, dans le christianisme ± un christianisme, certainement, comme on l¶a déjà dit, philosophique, rationnel, universel ± son accomplissement. Quelle est donc la synthèse complète entre théodicée et histoire chez Leibniz ? Elle consiste dans le fait que la théodicée leibnizienne, alors qu¶elle reste solidement et essentiellement une justification de Dieu, se présente en même temps comme une ontodicée, une défense de l¶intégrité et de la positivité de l¶être créé. En effet, Dieu ne révèle pas vraiment sa sagesse, sa bonté et sa justice en vertu d¶attributs immuables et purement transcendants qui se trouvent ab initio, au commencement, mais à travers l¶harmonie universelle du cosmos et de l¶histoire, et donc à travers les espaces, en progrès perpétuel et sans limites (De rerum originatione radicali), de l¶être cosmique et de l¶agir humain. L¶harmonie universelle c¶est Dieu, c¶est sa Gloire, que Leibniz conçoit de façon dynamique, non statique. La Gloire de Dieu est, comme l¶a écrit Baruzi10, une réalité dynamique qui se réalise progressivement dans le monde moral des esprits qui
A. Robinet : G.W. Leibniz/HPHLOOHXUGHVPRQGHVSDUODEDODQFHGHO¶(XURSH, Paris, 1994, p. 153. 10 J. Baruzi : Leibniz HWO¶RUJDQLVDWLRQUHOLJLHXVHGHODWHUUH, Paris, 1907, p. 427-509. 9
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tendent, chacun dans son propre département, des ténèbres à la lumière, dans un perfectionnement illimité. Mais, pour se révéler dans leur vérité, au-delà des apparences trompeuses, le cosmos et l¶histoire exigent la défense de Dieu contre l¶accusation d¶être inéquitable ou « trompeur ». Leur sens est lié fondamentalement aux résultats de cette défense. C¶est la théodicée, en effet, le vrai garant de la création, et donc de l¶histoire aussi, de sa vérité, de son destin. La justice de Dieu devient ainsi la condition nécessaire pour affirmer l¶existence de la justice dans l¶histoire. Chaque homme est appelé à reconnaître dans le cours historique et dans le progrès de l¶univers, derrière les apparences trompeuses de désordre, les signes de la justitia Dei et de la perfection divine que la raison ne connaît pas déjà a priori de façon irréfutable. À l¶instar de l¶harmonia universalis donc, l¶histoire du genre humain est une théophanie, un lieu théologique, où Dieu resplendit et distribue sa justice. 2. Le roman de l¶histoire universelle, l¶historiographie des annales et le temps historique Une autre réflexion, qui va dans le sens de la Begriffsgeschichte, peut être développée à propos de l¶image leibnizienne de l¶histoire universelle du genre humain, considérée comme un roman écrit par Dieu. Il est significatif que Reinhart Koselleck dans Le futur passé (Vergangene Zukunft) ait perçu dans celleci l¶une des expressions originelles du singulier collectif de Geschichte überhaupt qui, pendant le XVIIIe siècle, se serait imposé au détriment du pluriel Geschichten. Leibniz lui-même, observe l¶historien allemand, « qui concevait encore l¶historiographie et la poésie comme des arts pédagogiques relevant de la morale, pouvait déjà interpréter l¶histoire du genre humain comme le roman de Dieu, dont le dénouement était contenu dans la Création. Kant reprend cette idée, en traitant le « roman » métaphoriquement afin de souligner l¶unité naturelle de l¶histoire universelle. À un moment où la Universalhistorie contenant une somme d¶histoires singulières se transforme en Weltgeschichte, Kant cherche le fil directeur susceptible de transformer cet agrégat d¶actions humaines sans plan en un « système » raisonnable. Il est clair que seul le singulier collectif Geschichte permet de formuler de telles idées, indépendamment du fait qu¶il s¶agisse d¶une 11 Weltgeschichte ou d¶une Geschichte isolée » .
En effet, comme l¶explique l¶éminent chercheur, l¶idée d¶une Geschichte überhaupt est établie quand, vers le XVIIIe siècle, l¶idée d¶un temps historique se libère des hypothèques d¶une attente rapportée à un passé de traditions relativement statiques ou, encore, à un futur lointain d¶attentes déjà pré-établies. En ce sens, la naissance du singulier collectif Geschichte est le produit de la transformation d¶une époque, d¶un nouveau rapport à l¶expérience du temps, qui a comme point de référence le « champ d¶expérience » et l¶« horizon d¶attente ». Tant que le statisme essentiel de l¶expérience historique a rendu possible la 11 R. Koselleck : Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, traduit de O¶DOOHPDQGSDU-+RRFNHW0-C. Hoock, Paris, 1990, p. 45-46.
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compression du futur dans le passé, tous deux restant liés par l¶exemplarité des choses et des événements, le champ d¶expérience et l¶horizon d¶attente apparaissaient maîtrisables, car calqués sur un passé toujours valable puisqu¶il peut se répéter. Quand, à l¶inverse, les processus de sécularisation ouvrent le futur à la perspective d¶une nouveauté sans exemple, l¶expérience de l¶accélération historique et la pensée d¶une capacité inédite de l¶homme à construire l¶histoire produisent une transformation radicale dans la manière d¶expérimenter les attentes et les espoirs : le nouveau temps historique ± le progrès ± en brisant le tópos de l¶Historia magistra vitae, lié à l¶idée de statisme de l¶expérience historique, donc à l¶exemplarité des événements, en rendant impossible la fossilisation du passé en expérience appropriée pour le présent et le futur, impose le passage à une forme différente d¶intelligibilité de l¶avancée du monde. De ce point de vue, l¶époque moderne, pour Koselleck, est le produit d¶un écart croissant, d¶un sillon de plus en plus profond entre expérience et attente. La Zeit peut recourir à l¶attribut qualifiant de neue seulement après cette modalité originale de vivre la temporalité, enfin devenue historique parce que différenciée du devenir naturel, dans lequel l¶ancienne historiographie des annales, encore pratiquée par Leibniz, était ancrée. C¶est après cette ouverture illimitée sur le futur que la raison historique, pour gouverner les événements, a éprouvé le besoin de passer des Geschichten plurielles à la Geschichte überhaupt, à l¶histoire en général fondée sur une unité narrative. Passage qui semble présenter chez Leibniz ± il en sera d¶ailleurs encore ainsi chez Hegel ± encore une caractérisation théologique précise. Ce que l¶on a dit à propos du temps historique pour Koselleck permet de faire une observation intéressante par rapport à Leibniz : d¶un côté, son adhésion à l¶ancien modèle de l¶historiographie des annales, fondé sur des chronologies et des généalogies, illustre le fait qu¶il reste fidèle à un temps statique, lié à la nature, cyclique et uniforme ; de l¶autre, le philosophe de Hanovre, c¶est bien connu, est le théoricien du progrès, qu¶il inscrit dans un horizon universel. Je me réfère ici à l¶idée de progrès, telle qu¶on la trouve par exemple à la fin du De rerum originatione radicali, qui s¶écarte du temps naturel, puisqu¶elle est fondée sur la loi ± non naturelle, comme l¶est la loi de l¶alternance des saisons et de la succession des souverains ou des princes, mais métaphysique ± de l¶harmonie universelle, ainsi que sur la notion morale de bonheur et sur l¶expérience d¶une accélération des connaissances et des techniques. Cette opposition entre le temps statique des annales et le temps dynamique de l¶idée de progrès atteste parfaitement que Leibniz se trouve à la frontière de deux mondes, au point de convergence d¶époques où forces anciennes et nouvelles luttent avec fruit en suscitant tensions et contrastes. La rencontre, chez Leibniz, de puissances et de polarités opposées qui s¶affrontent, en créant un contraste baroque entre les lumières qui anticipent le futur et les ombres du passé qui persistent, est illustrée dans le fragment sur l¶Apokatástasis. Dans la première partie de ce texte tardif (1715), comme l¶a écrit
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Michel Fichant12, est affirmée une identité entre les faits historiques et le dépôt des actes (diplômes, transactions, traités de paix et d¶alliance, contrats de mariage, testaments et actes d¶adoption, d¶investiture ou d¶hommage, arbitrages, sentences, etc.), entre réalité historique et historiographie, qui permet de conclure à la répétitivité des Historiae publicae et privatae, selon le calcul combinatoire. Par contre, la contribution des « petites perceptions », donc des micro-stimuli, microécarts ou micro-déviations qui innervent le continuum physique, offre la possibilité de reconnaître un progrès unique du cours historique universel, en empêchant le retour cyclique de l¶Égal. Les petites perceptions établissent ainsi une autre historicité et une autre temporalité. Au statisme et à la fixité temporelle des chroniques annuelles universelles, condamnées à la fin à une répétition cyclique, s¶oppose donc le temps dynamique et flexible de la durée, fait de soubresauts et de révolutions, intérieurement lié à la vie de la monade, d¶où provient un processus universel jamais imaginable a priori, dès lors qu¶il est confié à une série de facteurs impondérables. Le temps comme durée semble donc décisif aussi pour l¶histoire. Arrêtonsnous ici sur cette forme de temps inclus dans la monade en guise de conclusion. Réflexion après réflexion, la durée pourrait être définie comme une sorte de temps en spirale, ou de temps plié, qui enveloppe, par répétition et accumulation, sur la base du principe d¶inhérence des prédicats et dans une synthèse à chaque fois unique, la série des perceptions de la substance, tendues entre la mémoire du passé, l¶attention au présent et l¶attente de l¶avenir. Le temps comme durée, dans la monade, est la tendance légalement réglée à passer d¶une perception à l¶autre, ce qui crée une série de renvois sans fin où rien n¶est isolé et où tout se compénètre. Comme l¶observe Gilles Deleuze13, ces micro-causes, ces petits ressorts qui essayent de s¶étendre, en agissant comme des petits stimuli sur la « machine » corporelle, donnent à la matière le caractère d¶une matière-force, ou d¶une matière-ressort comprimée, prête à se décharger, à éclater à chaque instant, en donnant lieu aux phénomènes sensibles selon un dynamisme éruptif, ou d¶émission que, dans une lettre à Gilles Filleau des Billettes (4/14 décembre 1696), Leibniz compare à « un vent qui souffle et qui demande du temps », et à une décharge d¶« une infinité de arquebuses à vent »14. C¶est ici la source du progrès, ou, pour dire comme Ernst Bloch, de l¶utopie, mais aussi des temps pluriels : en effet, puisqu¶il implique un passé qui ne passe pas et un futur qui n¶existe pas, le temps-durée de la monade est un croisement de temps différents, l¶expérience de la Ungleichzeitigkeit. Loin d¶être une surface 12 G.W. Leibniz : 'HO¶KRUL]RQGHODGRFWULQHKXPDLQH ± Apokatástasis pánton (La Restitution universelle) (1715). Textes inédits, traduits et annotés par Michel Fichant VXLYLVG¶XQH Postface « Plus ultra », Paris, 1991, p. 172. Voir aussi mon essai : La storia universale tra eterno ritorno e «progressus infinitus», Postface à G.W. Leibniz, Storia universale ed escatoORJLD,OIUDPPHQWRVXOO¶$SRNDWDVWDVLV édition italienne (texte latin et traduction) par R. Celada Ballanti, Genova, 2001, p. 31-100. 13 Voir G. Deleuze : Le pli. Leibniz et le Baroque, Paris, 1988, notamment p. 7-11. 14 A I, 13, 374.
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temporellement plate, linéaire, polie, elle apparaît ravinée de nervures temporelles à consistance différente, prêtes à se crisper où à se relâcher comme sur une toile élastique, percée de porosités labyrinthiques, cavités, crevasses qui emmènent vers le passé, en l¶entraînant vers le présent, et qui cachent d¶infinis, d¶imperceptibles ressorts capables de se comprimer et de se détendre vers le futur. Ainsi, nourrie de telles sèves, nourrie et alimentée par de tels flux et courants temporels qui viennent du passé et portent vers l¶avenir, la vie de la monade paraît définie par une multiplicité de stratifications temporelles flexibles, qui se chevauchent, se superposent, en suspendant le cours continu du temps et ses intervalles réguliers dans la contexture emmêlée de temps pliés, pluriels, exprimables en terme de concentration, accumulation, éclatement, accélération, arrêt, implication, explication, etc.15. 3. Principe de raison, théodicée de l¶histoire et historiographie érudite Jusqu¶à présent nous avons analysé le lien, chez Leibniz, entre théodicée et histoire à partir de l¶image de l¶histoire universelle du genre humain comme roman de Dieu (Essais de théodicée § 149). Cependant, ce roman déjà présent in mente Dei, Leibniz s¶interdit de l¶écrire à son tour, en abandonnant la perspective « scénographique », propre aux êtres finis, des monades créées, en se mettant à la place de Dieu. Pourquoi ? Nous croyons qu¶il y a des raisons profondes qui interdisent à Leibniz d¶anticiper le geste que fera Hegel : se mettre à la place de Dieu et écrire le roman de la Weltgeschichte. Que savons-nous en réalité, a priori, pour Leibniz, sur le cours de l¶histoire ? Qu¶est-ce que la théodicée nous apprend du développement des événements ? Pas grand chose à vrai dire. Nous savons, grâce à l¶enchaînement inviolable des vérités, qu¶il existe un Principe bon et sage, et que « cette supreme sagesse, jointe à une bonté qui n¶est pas moins infinie qu¶elle, n¶a pu manquer de choisir le meilleur » (GP VI, 107). Nous savons, par conséquent, contre les apparences de désordre et d¶imperfection dans les affaires humaines, que la series rerum présente parmi tant d¶autres in mente Dei est la meilleure possible, et qu¶elle représente l¶« optima universi series ». C¶est, en définitive, la certitude que la théodicée ± dans sa propre formulation a priori ± rend possible. Mais, à partir de la théodicée, comme du principe de raison, on ne peut obtenir aucune connaissance du détail individuel, ni déduire des lois universelles, prévisions ou prophéties sur l¶avenir du monde. L¶inhérence globale des prédicats au sujet échappe à la raison humaine, et pourtant, si Alexandre le Grand est mort de mort naturelle ou par empoisonnement, ou si César a traversé le Rubicon, « nous ne pouvons [le] sçavoir que par l¶histoire »16. Seul Dieu connaît a priori tous les attributs compris dans la notion d¶Alexandre ou de César et voit leur nécessité 15 Sur ce point et en général sur le problème du temps chez Leibniz, je renvoie à mon livre : Erudizione e teodicea, op. cit. (voir en particulier le premier chapitre). 16 Discours de Métaphysique § VIII ; A VI, 4B, 1541.
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(hypothétique), qui est différente de celle obtenue par l¶expérience. Et ce qui vaut pour l¶histoire de la monade individuelle vaut aussi pour les époques historiques. Le principe de raison, en effet, exclut par définition la compréhension complète des vérités contingentes. Entre la certitude a priori du Principe bon et sage ± pour le connaître on n¶a guère besoin de la Révélation, puisque « la raison nous l¶apprend par des demonstrations infaillibles »17 ± et ce que l¶on peut vérifier par expérience, il y a donc un écart, une césure, où l¶on peut placer les deux formes fondamentales de certitude morale : la foi religieuse, elle aussi expérience historique dans la mesure où elle est fondée sur l¶événement de la Révélation et sur la tradition, et la recherche historique, possédant le même objet, les vérités de fait, et le même statut cognitif, la logique du probable. Du nihil sine ratione, on ne peut donc déduire aucun schéma a priori et absolu du cours historique, aucun processus rationnel nécessaire, mais seulement la modeste confiance, à conserver face à chaque événement singulier, fondée sur la conviction que Dieu agit toujours de la manière la plus parfaite et la plus souhaitable qu¶il est possible et que la série de faits que l¶histoire enregistre est la meilleure que l¶on puisse espérer. Cela n¶exclut pas d¶agir éthiquement selon la volonté présomptive de Dieu pour favoriser la réalisation de l¶harmonie et du bien dans le monde. Pourtant, dans la perspective leibnizienne, ce sont les documents péniblement soustraits à l¶oubli, qui doivent confirmer ce que la théodicée philosophique nous dit a priori : à savoir que, grâce à l¶enchaînement inviolable des vérités, Dieu, le bon Principe, a choisi la meilleure des séries possibles d¶événements, ou qu¶une harmonie universelle lie toutes les choses, n¶élimine pas, mais au contraire requiert la recherche empirique, la connaissance du détail individuel, qu¶aucune vérité a priori ne nous dévoile, ni n¶est capable de relier au schéma global, mais que nous pouvons seulement « tirer des ténèbres » par une étude a posteriori qui procède, par phases, vers l¶universalité. Dans la représentation que le problème classique du lógon didónai prend chez Leibniz, celui du principe de raison, il reste donc de la place, au niveau historique, pour la résistance du donné, du Faktum, qui est tout à fait réfractaire aux tentatives de résorption en une analyse totalisante, et qui nécessite plutôt des procédures critiques dans le but de l¶acquisition et de la connaissance des faits : procédures auxquelles Leibniz a souvent réfléchi et dont il a souhaité, pour la connaissance historique aussi, la réalisation. Voilà la raison pour laquelle Leibniz n¶écrit pas le roman de Dieu, en se mettant à sa place. Et voilà la raison pour laquelle, selon moi, il ne peut pas, en un mot, figurer parmi les précurseurs des philosophies de l¶histoire idéalistes. Le nihil sine ratione destinait la théodicée de l¶histoire leibnizienne à rester ouverte, non systématique, non achevée comme philosophie organique de l¶histoire, en imposant, plutôt qu¶en le rendant superflu, l¶effort de la recherche empirique des données et de leur interprétation. Il s¶agit d¶une autre différence essentielle qui 17 Essais de théodicée, Discours préliminaire § 44 ; GP VI, 75.
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distingue la conception historique de Leibniz de celle de Bossuet : tandis que le philosophe de Hanovre laisse place à l¶érudition, l¶évêque français peut la condamner de façon très dure au nom de la « libido sciendi » (voir le traité De la concupiscence, daté de 1694 environ, mais publié en 1731). 4. Après Leibniz : théodicée et histoire chez Herder et Lessing En y réfléchissant, la thèse d¶un Leibniz « Geschichtsphilosoph », précurseur des philosophies de l¶histoire qui suivront, devient problématique, du moins là où elle est comprise de manière univoque18. Ainsi, comme l¶observa aussi Louis Davillé19, on ne trouve pas chez Leibniz de lois ni d¶enchaînements universels du cours de l¶histoire. Le philosophe allemand semble beaucoup moins disposé que, plus tard, Vico et Lessing à fixer des lois universelles dans l¶histoire. La vision leibnizienne, à vrai dire, n¶en a pas besoin, dès lors que l¶harmonie universelle fait office de Rechtfertigung et de lien entre les individus, sans que d¶autres législations soient nécessaires. Ainsi, pour Leibniz, l¶histoire universelle ne peut pas se déployer selon des lois générales a priori, mais elle doit être écrite à partir de propositions singulières contingentes, en direction d¶une universalité destinée à rester une idée qui régule et, en tant que telle, inachevée. Max Ettlinger l¶a remarqué, en traçant une comparaison éclairante avec Leopold von Ranke : « même dans un sens purement spéculatif, l¶attention de Leibniz est concentrée surtout sur l¶histoire universelle (Universalgeschichte). Dans chaque recherche particulière demeure chez lui, comme chez chaque grand historien, la connaissance du lien historique-universel, comme fin dernière et suprême. L¶expression de Ranke : « L¶histoire est par sa nature universelle » 20 (« Die Geschichte ist ihrer Natur nach universell ») résume bien la pensée leibnizienne » .
Ce que nous avons dit jusqu¶ici semble suffire à écarter l¶idée d¶un Leibniz partisan d¶une conception idéaliste de l¶histoire, comme on pouvait le penser sur la base de généalogies hâtives. Les développements systématiques de l¶idée d¶une fondation spéculative de l¶histoire universelle ± idée sans aucun doute présente chez Leibniz ± ne peuvent pas être obtenus directement à partir du principe de raison et d¶harmonie. Au lieu d¶inscrire Leibniz dans une tradition univoque des philosophies de l¶histoire idéalistes, il faut observer qu¶il semble plutôt anticiper, dans sa pensée, des éléments qui appartiennent aux deux formes d¶historisme qui marqueront la philosophie européenne entre la fin du XVIIIe et les débuts du XIXe siècle : je pense à la fois à l¶historisme idéaliste, absolu, à la Hegel, et à 18 Je dois encore, sur ce point, renvoyer à mon travail : Erudizione e teodicea, op. cit., p. 438449. 19 Voir L. Davillé : Leibniz +LVWRULHQ(VVDLVXUO¶DFWLYLWpHWODPpWKRGHKLVWRULTXHVGH/HLEQL], Paris, 1909 (réimpression : Darmstadt, 1986), notamment le chapitre VI. 20 M. Ettlinger : Leibniz als Geschichtsphilosoph. Mit Beigabe eines bisher unveröffentlichten /HLEQL]IUDJPHQWHVEHU³'LH:LHGHUKHUVWHOOXQJDOOHU'LQJH´ (Apokatástasis pánton), München, 1921, p. 6.
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l¶historisme critique de Herder, Humboldt, Schleiermacher, Ranke, selon un cheminement qui va jusqu¶à Dilthey, Troeltsch, Meinecke21. Deux mises au point pour terminer : quand on parle de « théodicée de l¶histoire » chez Leibniz, il faut tenir compte du fait que le philosophe de Hanovre n¶a laissé, à ce propos, que des allusions, des intuitions isolées, qui peuvent être réunies autour de l¶image du « Roman de la vie humaine, qui fait l¶histoire universelle du genre humain », écrit depuis toujours in mente Dei. De plus, chez Leibniz, l¶histoire et sa justitia, comme le montre le texte sur l¶Apokatástasis, semble s¶enraciner dans une ontodicée ou cosmodicée : c¶est-à-dire dans une défense de l¶intégrité ontologique et axiologique de l¶être créé, et pourtant être habilitée à être le locus revelationis du divin, en tant que part du plus vaste être naturel. Il ne revient pas au philosophe de la Monadologie de faire de l¶histoire humaine et de son devenir le lieu spécifique, particulier de la théodicée mais, avant Hegel, à deux penseurs qui, en se référant aux idées de Leibniz, ont porté plus radicalement la théodicée sur le terrain spécifique de l¶histoire. Il s¶agit de Herder et Lessing. En ce qui concerne le premier, Cassirer fait l¶observation suivante : « Et donc la théodicée leibnizienne de l¶histoire constitue clairement le trait fondamental de cette nouvelle conception-là qui trouve son perfectionnement et sa structuration dans les 22 Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit » .
En effet, deux convictions rapprochent la philosophie de l¶histoire de Herder à la vision historique de Leibniz : d¶une part, la conviction que « individuum est ineffabile », l¶idée que l¶histoire est constituée d¶individualités dynamiques, en évolution, et que leur ensemble produit une universalité ouverte, qui ne peut jamais être totalement close ; d¶autre part, la conviction que seule la Providence tient tous les fils du grand dessein total de l¶histoire, drame infini de scènes diverses, épopée de Dieu traversant les millénaires, les continents, les lignées humaines, fable infiniment multiple, pleine de signification, comme Herder définit l¶histoire humaine. En ce qui concerne Lessing, Cassirer écrit encore que L¶éducation du genre humain « transfère à un nouveau domaine le concept leibnizien de théodicée : en concevant la religion comme un plan divin d¶éducation, Lessing élabore une théodicée de l¶histoire, c¶est-à-dire un système de justifications qui apprécie la religion non en fonction d¶un être stable, donné au 23 commencement des temps, mais en fonction de son devenir et de la finalité de ce devenir » .
21 Sur ce point, je renvoie à F. Tessitore : Introduzione allo storicismo, Roma-Bari, 1991. Voir aussi : Storicismo e storicismi, a cura di G. Cacciatore e A. Giugliano, Milano, 2007. 22 E. Cassirer : Leibniz¶ System in seinen wissenschaftlichen Grundlagen, in : Gesammelte Werke. Hamburger Ausgabe, op. cit., Bd. 1, p. 403. 23 E. Cassirer : La philosophie des Lumières WUDGXLW GH O¶DOOHPDQG HW SUpVHQWp SDU 3 4XLOOHW Paris, 1966, p. 202.
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Wilhelm Dilthey a souligné que Lessing doit à Leibniz les concepts de développement et de continuité de l¶univers, celui du lien des parties dans une harmonie globale, de perfectionnement dans l¶horizon d¶un progrès infini24. Mais il ne faut pas exclure non plus que la connaissance que Lessing avait des Essais de théodicée ait pu l¶inspirer aussi sur un point plus précis : je pense à la thèse leibnizienne de l¶histoire des religions (de la religion naturelle) comme développement progressif en trois phases (paganisme, hébraïsme, christianisme), qui, comme je l¶ai rappelé, se trouve dans la Préface aux Essais (GP VI, 25-27), et que Lessing pourrait avoir réélaborée d¶un point de vue messianique dans la doctrine des trois époques de l¶esprit (hébraïsme, christianisme, troisième âge ou époque de l¶Évangile éternel)25. Cassirer a donc raison quand il affirme que Leibniz forge le premier la vision de la religion qui prédominera à l¶époque de Lessing et de Herder26. Il s¶agit sans aucun doute de l¶évolution interne au protestantisme que Ernst Troeltsch a défini comme un « néo-protestantisme », pour le distinguer du « vétéro-protestantisme » des origines, et qui marque un moment déterminant de la philosophie moderne que l¶on peut identifier au développement de la « pensée religieuse libérale »27; pensée dont Leibniz, Herder et Lessing, avec Kant, sont certainement les représentants les plus éminents.
24 Voir W. Dilthey : Das Erlebnis und die Dichtung. Lessing ± Goethe ± Novalis ± Hölderlin, in : Gesammelte Schriften, Bd. XXVI, hrsg. von G. Malsch, Göttingen, 2005, p. 110. 25 Sur ce point, voir W. Dilthey : Das achtzehnte Jahrhundert und die geschichtliche Welt, in : Gesammelte Schriften, op. cit., Bd. III, Studien zur Geschichte des deutschen Geistes, hrsg. von P. Ritter, 1962, p. 241-242. 26 Voir E. Cassirer : Freiheit und Form. Studien zur deutschen Geistesgeschichte, in : Gesammelte Werke. Hamburger Ausgabe, op. cit., Bd. 7, Text und Anmerk. bearb. von R. Schmücker, 2001, p. 32. 27 Voir à ce propos mon essai : Liberalität e modernità. Contributo a una determinazione storica e teoretica del pensiero religioso liberale, in : Humanitas, 5-6, Brescia, 2006, p. 797-837.
PEINES HUMAINES ET PEINES DIVINES THÉODICÉE ET DROIT DE PUNIR DANS LA PENSÉE DE LEIBNIZ par Gianfranco Mormino (Milan)
La tâche principale de la cause de Dieu leibnizienne est la démonstration que les biens et les maux, les peines et les récompenses, sont distribués selon la raison, en accord avec une norme impartiale et universelle dans laquelle consiste proprement le gouvernement du Monarque du monde. Le problème de la justice, même vu dans le contexte de la totalité de la création, présuppose la définition des conditions « juridiques » qui permettent d¶affirmer la responsabilité de Dieu et des hommes dans leurs actions ; le droit, écrit Leibniz dans les Essais de théodicée, ne peut aucunement être entendu comme ΦȞȣʌİȣșȣȞȓĮF¶est-à-dire comme « un état où l¶on n¶est responsable à personne de ce qu¶on fait »1, parce que Dieu, au moins, « se doit à soy même ce que la bonté et la justice luy demandent »2. La théodicée leibnizienne se pose donc l¶objectif minimal de disculper Dieu (ou, PLHX[ GH OH ORXHU SRXU VRQ °XYUH HW GH UHQGUH LPSXWDEOH O¶homme devant le tribunal de la raison. C¶est selon un point de vue également juridique que Leibniz pose la deuxième exigence à laquelle une théorie correcte de la justice ne peut renoncer, l¶effectivité des lois : l¶efficacité du système moral ± nihil recte gestum sine praemio, nullum peccatum sine poena ± doit être assurée par une tendance préordonnée au bien présente dans le cours des causes et des effets. Il est donc question d¶établir les conditions suffisantes d¶un juste verdict, problème qui relève de la justice humaine non moins que de la justice divine. Les premières ébauches d¶une théodicée sont tracées par Leibniz dans trois écrits de 1671, dont le premier, en latin, est perdu. L¶écrit suivant, intitulé Von der Allmacht und Allwissenheit Gottes und der Freiheit des Menschen, pose la question dans le cadre d¶un déterminisme très marqué, que la lettre à Magnus Wedderkopf de mai 1671 ne fait que renforcer. C¶est dans la Confessio Philosophi de 1672±73 que Leibniz aborde la question à partir d¶un point de vue moins lié aux positions les plus radicales du protestantisme et cherche à obtenir une notion de la liberté humaine utilisable dans les échanges iréniques. La Confessio Philosophi propose la distinction entre la nécessité de la conséquence et la nécessité du conséquent, qui est introduite en réponse à deux
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Essais de théodicée § 178, GP VI, 221. Cf. Platon, Leg. VI, 761e ; IX, 875b. Essais de théodicée § 178, GP VI, 221.
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objections proposées par le personnage du théologien. La première met en cause le mérite de Dieu dans la création des biens ; la deuxième considère la faute de l¶homme dans les péchés, qui semble annulée par la nécessité qu¶ils acquièrent dans la series rerum choisie par Dieu3. Conformément à l¶empreinte juridique de la première phase de la théodicée leibnizienne, la Confessio aborde donc la question de la liberté du point de vue de la responsabilité, non du point de vue de la défense d¶une faculté supérieure de l¶âme ; comment peut-on disculper Dieu de l¶accusation de punir le pécheur pour une faute qui ne peut pas ne pas être commise ? L¶adversaire est ici le fatalisme, considéré pourtant moins comme une théorie tendant à décourager les actions vertueuses ou prudentes que comme une vision tragiquement pessimiste du destin de l¶homme, qui est puni pour des fautes qu¶il lui est impossible d¶éviter4. Il faut donc examiner le fondement du droit de punir dans Leibniz. On lui attribue généralement la thèse selon laquelle la liberté requise pour fonder la responsabilité morale de celui qui agit doit avoir trois attributs : intelligence, spontanéité et absence de nécessité absolue, c¶est-à-dire contingence. On verra plus loin si cette position correspond vraiment à la pensée de la maturité de Leibniz ; il suffit ici de noter que la notion de responsabilité proposée dans la Confessio ne suppose aucunement la présence d¶une théorie de la contingence et, encore moins, d¶une inclination en faveur du libre arbitre ou de l¶indéterminisme : « Pour punir un délit rien d¶autre n¶est requis sinon que quelqu¶un commette un délit et sache que c¶est un délit. Il n¶est donc besoin d¶aucune autre liberté »5. Dans les écrits de Leibniz, on peut trouver différentes justifications du droit de punir, que les Essais présenteront en bonne et due forme aux §§ 68 et suivants ; une analyse suivie peut nous permettre de comprendre les relations entre la justice de Dieu et celle des hommes. Il est un point constant dans la pensée morale leibnizienne que toute peine doit être justifiée ; elle est en tout cas un mal ± un mal physique ± distingué du mal moral de la faute et qui va s¶ajouter à ce dernier. Les peines, sans doute, doivent être infligées, à moins de vouloir accepter la ruine de la philosophie morale et du gouvernement du monde et des sociétés humaines, mais leur application selon la justice requiert une relation particulière à la faute, à laquelle elles doivent suivre selon une norme certaine et en ayant un bien en vue. Il y a avant tout un droit d¶infliger le mal pour se défendre d¶une menace mortelle : par exemple « il est permis de tuer un furieux, quand on ne peut s¶en defendre autrement » ou « detruire des animaux venimeux ou fort nuisibles, quoyqu¶ils ne soyent pas tels par leur faute »6. À proprement parler, ces actes ne 3 4 5
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Cf. Confessio philosophi, A VI, 3, 124. « Quam crudele enim, miseriam, qui fecerit, immotum intueri, patrem, qui male genuerit, qui pessime educaverit, puniendum ipsummet, etiam punire velle » (ibid., 137). « Nihil aliud requiri ad puniendum scelus, quam ut quis admittat scelus, et sciat tamen esse scelus. Nulla ergo alia opus est libertate » (Conversatio cum Domino Episcopo Stenonio de libertate, A VI, 4 B, 1378 ; mes italiques). Essais de théodicée § 68, GP VI, 139-140.
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sont pas des punitions mais le simple exercice du droit à la légitime défense, chose à laquelle nul être doué de volonté pourrait renoncer. L¶autodéfense est vue par Leibniz comme une action pré-morale qui, pour être justifiée, ne requiert pas que l¶on examine la volonté de l¶agresseur, encore moins sa liberté ; elle dérive tout simplement du décret divin qui détermine toute volonté à suivre la loi du plus grand bien apparent. Dans cette justification nous trouvons un écho évident du deuxième postulat du De cive hobbesien : c¶est le propre de la nature humaine que de craindre la mort violente comme le plus grand des maux naturels. La théorie d¶un droit de punir fondé sur la toute-puissance est peut-être présente dans les tout premiers écrits mais elle est très tôt abandonnée, à cause de son caractère « tyrannique », après le tournant anti-volontariste et anti-hobbesien dans le domaine juridique. Le jeune Leibniz semble toutefois en admettre une variante plus modérée, qui fait appel à la certitude a priori de la sagesse du Législateur : Dieu punit ce qui est contraire à la loi, et avec justice, parce que cette loi, provenant du tout-puissant, est juste. Cette doctrine devient problématique lorsque la rigoureuse application du principe de raison montre que toute action humaine remonte, en dernière analyse, à Dieu, prédéterminateur de tous les événements ; il faut donc expliquer comment on peut définir comme juste une peine qui punit un acte dont le juge même est la cause première. Dans le Von der Allmacht et dans la lettre à Wedderkopf, l¶infraction à la loi suffit à provoquer la sanction divine, qui rétablit l¶équilibre harmonique altéré par la faute. La considération des circonstances défavorables qui ont infailliblement conduit le pécheur à vouloir pécher ne constitue pas une objection, puisque pour Leibniz c¶est précisément la mauvaise volonté qui est objet de réprobation. Comme on le voit dans l¶exemple de Pilate, Leibniz est conscient de la « dureté » de sa position ; pour résoudre cette difficulté il aborde le problème d¶un point de vue universel : les peines transforment les péchés en des « réquisits pour achever la perfection de la série »7 et sont donc justifiées, comme les peines infligées par la justice humaine, parce qu¶elles causent un avantage général qui se répercute non seulement sur l¶offensé (auquel on doit rendre le plaisir dont il a été privé par l¶offense) et sur la communauté8, mais aussi sur l¶offenseur même, qui peut en tirer un enseignement utile afin de ne plus pécher dans le futur. Telle est la solution préférée par Leibniz GDQVVRQ°XYUHjSartir de la Confessio et jusqu¶aux Essais. Cet utilitarisme9 n¶entre pas en conflit avec le déterminisme : le succès des châtiments montre qu¶ils appartiennent à la même chaîne causale qui conduit à 7
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« Deus non vult peccata nisi sub conditione poenae corrigentis, et per accidens tantum, ut requisita ad complendam seriei perfectionem » (Conversatio cum Domino Episcopo Stenonio de libertate, A VI, 4 B, 1378). Cf. Nouveaux Essais, II, 27, § 20, A VI, 6, 242. Déjà Gaston Grua avait observé que la sagesse leibnizienne, « science du bonheur », semble « parfois confondue, avant BenthamDYHFOHFDOFXOSUXGHQWGHO¶XWLOLWpGXVXMHWGXUHQGHPHQW de ses actes » (La justice humaine selon Leibniz, Paris, Presses Universitaires de France, 1956, p. 5). Malheureusement Grua Q¶DDFFRUGpTXHWUqVSHXG¶DWWHQWLRQjODTXHVWLRQGHVSu-
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l¶amendement des pécheurs et, en général, à l¶amélioration du monde. Bien au contraire, seul un déterminisme très marqué peut justifier l¶utilité et la légitimité des peines, à condition que le système causal amène au perfectionnement. C¶est justement cette foi dans le progrès moral de la république de Dieu qui distingue le compatibilisme leibnizien du compatibilisme hobbesien, la position du philosophe anglais étant marquée par une considération statique (quoique non nécessairement pessimiste) de l¶ordre des choses. L¶inclusion de la peine dans la chaîne causale qui conduit à ce qui est utile est un effet de la sagesse divine : la volonté étant déterminée selon la loi du meilleur bien apparent et les hommes étant sensibles au plaisir et à la douleur, la punition peut renforcer une attitude vertueuse en diminuant l¶avantage qu¶on espère tirer d¶une action mauvaise future. Il suffit donc de supposer que les hommes sont doués de raison, de mémoire et d¶attention, c¶est-à-dire que leur volonté perçoive le bien et soit déterminée par lui, ce qui est justement le contraire d¶une volonté capable de se déterminer soi-même à partir d¶un état d¶indifférence. Pour justifier l¶usage des peines correctives, on n¶a donc besoin d¶aucune liberté du vouloir ; elles se bornent à fournir aux hommes la nécessaire détermination au bien : « Puisqu¶il est seur et experimenté, que la crainte des chatimens et l¶esperance des recompenses sert à faire abstenir les hommes du mal, et les oblige à tacher de bien faire, on auroit raison et droit de s¶en servir, quand même les hommes agiroient necessairement, par quelque 10 espece de necessité que ce pourroit être » .
Du point de vue de la pratique, cette théorie suffirait à Leibniz ; mais il doit aussi exclure une intervention directe de Dieu, qui serait une absurdité métaphysique. Pour cette raison, il élabore, dès la Confessio, une théorie plus complexe, selon laquelle les péchés se punissent eux-mêmes, suivant le cours naturel des choses11. Ceux qui refusent de reconnaître les perfections de Dieu, par exemple, attirent sur eux la peine, dès lors qu¶ils seront incapables de profiter d¶elles, « comme un homme qui ne connoit point le bon Medecin en est assez puni, parcequ¶il n¶est point gueri »12. La théorie de l¶autopunition a comme avantage évident d¶assurer l¶efficacité constante des lois morales, auxquelles personne ne peut se soustraire, et d¶éviter cette absurdité d¶un Dieu devant intervenir dans les événements particuliers ; il exerce la justice simplement en posant une fois pour toutes des lois naturelles de correspondance entre le péché et la peine :
nitions et des récompenses. Il observe que leur rôle est double, « G¶DX[LOLDLUHVGXELHQFRmPXQHWGHVWLPXODQWVjO¶pGXFDWLRQ » (ibid.). Albert Heinekamp (Das Problem des Guten bei Leibniz %RQQ %RXYLHU DX FRQWUDLUH UHIXVH OH WHUPH G¶XWLOLWDULVPH SRXU TXDOLILHU OD philosophie morale de Leibniz. 10 Essais de théodicée § 71, GP VI, 140. 11 Cf. Discours de métaphysique § 7, A VI, 4 B, 1539 ; cf. aussi Nouveaux Essais, II, 28, § 11, A VI, 6, 253 et la lettre à Rudolf C. Wagner du 4 juin 1710, GP VII, 531. 12 Leibniz à Pierre Coste, Remarques sur un petiW/LYUHWUDGXLWGHO¶$QJORLVLQWLWXOp/HWWUHVXU O¶(QWKRXVLDVPH SXEOLpHj OD+D\H HQR O¶RQ PRQWUH O¶XVDJH GH OD 5DLOOHULH, GP III, 415.
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« On peut dire encore, que Dieu comme Architecte contente en tout Dieu, comme Legislateur; et qu¶ainsi les péchés doivent porter leur peine avec eux par l¶ordre de la nature ; et en vertu même de la structure mecanique des choses ; et que de même les belles actions s¶attireront leur recompenses par des voyes machinales par rapport aux corps ; quoyque cela 13 ne puisse et ne doive pas arriver toûjours sur le champ » .
Dieu n¶opère pas par des verdicts mais par des décrets simples et universels, fixés dans la puissance naturelle des choses « par une espèce d¶harmonie préétablie »14. En ce sens, Leibniz entend en général aussi l¶effet du péché originel15. Il y a une autre théorie, qu¶on pourrait nommer « rétributive », qui ne tient pas compte de la fonction corrective des peines mais qui en trouve la raison dans la nécessité, non moins esthétique que morale, pour le mal commis d¶être expié ; on reviendra plus loin sur cette position. En tout cas, la Confessio suit de très près le discours hobbesien, en refusant toute conception vindicative de la peine. L¶idée que l¶homme « mérite » une peine pour avoir librement « voulu » être mauvais est inadmissible pour Leibniz, qui voit la volonté humaine comme infailliblement déterminée dans la série des choses voulue par Dieu. Il est certain que Dieu conçoit telle situation comme une partie de la série la meilleure, puisqu¶il lui donne l¶existence ; mais il se limite à permettre la punition, il ne veut pas qu¶elle arrive. Cela nous permet de mieux comprendre certaines positions leibniziennes, comme son aversion pour l¶excessive dureté des peines éternelles16. Si l¶on considère les châtiments comme des maux qui, quoique justifiés par la faute, ne sont pas néanmoins désirables en soi, la bonté de Dieu apparaît avec plus de clarté : Dieu n¶accroît pas le mal total du monde, en les infligeant. Il en est la cause, non l¶auteur, parce qu¶il ne les veut pas mais il voit qu¶ils arrivent concomitamment aux fautes. Dans la Confessio philosophi, Leibniz refuse ouvertement une notion rétributive des peines : le péché est à la peine ce que le calcul incorrect est à l¶échec de l¶opération17. À proprement parler, la douleur de la damnation n¶est pas infligée comme une expiation du péché mais coïncide plutôt avec lui : « la haine envers Dieu, c¶est-à-dire envers l¶être le plus heureux, comporte la douleur la plus grande »18. Il n¶y a pas d¶intervention positive de Dieu : les damnés ont perdu leur salut, ils n¶en ont pas été privés par Dieu19. 13 [Monadologie] § 89, GP VI, 622 ; mes italiques. Cf. aussi Principes de la nature et de la grâce fondés en raison, § 15, GP VI, 605. 14 « ,OQ¶\DULHQGHPDXYDLVHQ'LHXLOQ¶HVWSRLQWVXVFHSWLEOHGHFROHUHRXGHKDLQHPDLVLOQH V¶HQVXLWSDVTX¶LOQHSXQLVVHSRLQW : les péchés trainent naturellement leur châtiment après eux SDUXQHHVSpFHG¶KDUPRQLHSUppWDEOie, et ces châtimens tendent tousjours au bien» (Leibniz à Pierre Coste, 5HPDUTXHVVXUXQSHWLW/LYUHWUDGXLWGHO¶$QJORLVLQWLWXOp/HWWUHVXUO¶(QWKRXsiasme, GP III, 414). 15 Cf. Essais de théodicée § 112, GP VI, 164-165. 16 Cf. Demonstrationum catholicarum conspectus, A VI, 1, 499 et De arcanis sublimium vel de summa rerum, A VI, 3, 476. 17 Cf. Confessio philosophi, A VI, 3, 138. 18 « 2GLXP>«@'HLLGHVWIHOLFLVVLPLVHTXLWXUGRORUPD[LPXVHVWHQLPRGLXPGROHre felicitate (ut amare felicitate amati gaudere), ergo maxime maxima. Dolor maximus est miseria, seu
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Dans les peines infligées avec justice, la considération de la mauvaise volonté est tout ce qu¶un juge sage requiert pour établir la responsabilité20. Les pécheurs ne sont donc pas punis par leurs actes passés, mais ils se punissent eux-mêmes par leurs actes présents, en refusant de vouloir le salut ; ils sont donc toujours damnandi, pas damnés. La liberté requise pour infliger légitimement une peine consiste dans l¶existence de réquisits internes, quelle que soit la manière dont ils sont déterminés21; cette liberté est tout à fait compatible avec la définition hobbesienne22, qui avait amené le philosophe anglais à repousser la justice vindicative dans Of liberty and necessity23 et dans le De cive24 (ouvrage bien connu de Leibniz) ; elle permet de justifier seulement les peines par lesquelles on parvient à une compréhension plus claire du bien, voire à une volonté meilleure, et ne s¶accorde pas avec une justice punitive, dont le but, comme l¶a montré Aristote, est la satisfaction de celui qui inflige la punition. À la lumière de la notion du droit de punir défendue dans la Confessio, Leibniz n¶a pas besoin d¶introduire une liberté plus ample et indéterministe que celle proposée par Hobbes dans les écrits contre Bramhall. Le déterminisme suffit à fonder une notion minime de responsabilité, entendue comme conjonction de rationalité et de spontanéité. Le choix est assuré par la capacité de notre raison, dans son état normal (c¶est-à-dire dans le silence des passions et en présence de bonnes conditions, comme les bons conseils et tout ce que la grâce peut nous donner), à distinguer entre le bien et le mal. Son évaluation ne peut être que correcte, contrairement à l¶opinion de ceux qui insistent sur la corruption inévitable du genre humain, grâce au « très ample usage de la raison qui nous a été donné »25. Que notre raison soit essentiellement saine est le réquisit
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damnatio ; unde qui odit Deum moriens, damnat seipsum » (ibid., 119). Cf. René Sève: « Dans le normativisme, la punition apparaît comme sDQFWLRQ DGMRQFWLRQ G¶XQ PDO &KH] LeibnizODSXQLWLRQRXODUpFRPSHQVH Q¶HVWSDVXQVDODLUHDWWDFKpjXQpWDWFRXSDEOHRXPéritoire), mais cet état lui-PrPHTX¶HQWDQWTX¶LPSHUIHFWLRQRXSHUIHFWLRQ FRQWLQXpH » (Leibniz HWO¶pFROHPRGHUQHGXGURLWQDWXUHO, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 120). « Beatitudine salvatorum Deus existente delectatur, amissa damnatorum non dolet [...] » (Confessio philosophi, A VI, 3, 130). Ibid., 138. « Liberum arbitrium est potentia agendi, aut non agendi, positis omnibus ad agendum requisitis, scilicet externis » (ibid., 132) ; cf. G. H. R. Parkinson: « Sufficient reason and human freedom in the Confessio Philosophi », in : S. Brown (ed.), The young Leibniz and his philosophy (1646-76), Dordrecht-Boston-London, Kluwer, 1999, p. 221. « Liberty is the absence of all the impediments to action that are not contained in the nature and intrinsical quality of the agent » (T. Hobbes : Of liberty and necessity, in : The English Works of Thomas Hobbes of Malmesbury now first collected and edited by Sir William Molesworth, Bart., J. Bohn, London, 1839-1845, reprint Scientia, Aalen, 1962, IV, 273). Cf. ibid., 253. Cf. T. Hobbes : De cive, III, 11, in : Thomae Hobbes Malmesburiensis Opera philosophica quae latine scripsit omnia in unum corpus nunc primum collecta studio et labore Gulielmi Molesworth, J. Bohn, Londini, 1839-1845, reprint Scientia, Aalen 1961, II, 113. « Quae autem bona habenda sint amplissimo dato rationis usu, indagare [possumus] » (Confessio philosophi, A VI, 3, 133).
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fondamental pour fonder la justice des peines ; si Dieu avait créé les hommes en sorte qu¶ils se trompassent toujours ou souvent, même quand quelque chose leur apparaît bon, sa justice ne tolérerait pas leur punition26. La différence entre Leibniz et la théologie plus sévère est très claire : c¶est exactement sur ce point que la théorie du De servo arbitrio doit être « adoucie »27, et certainement pas la théorie de la nécessaire dépendance de toutes nos actions à l¶égard de Dieu ; c¶est ici le vrai fondement de l¶optimisme leibnizien. Tout péché dérive donc d¶une erreur28 et pourtant il est puni, ou mieux il se punit lui-même, en conséquence de l¶harmonie entre la faute et la peine établie dans la meilleure série choisie par Dieu. Le fait que les causes de la volonté remontent à Dieu, selon le principe de raison, ne peut être considéré comme une excuse : la responsabilité du pécheur est certaine, une fois reconnu qu¶il exerce sa volonté29. Il reste donc à démontrer que l¶infaillible déroulement de la série voulue par Dieu n¶exclut pas la volonté de l¶homme. Même dans ses pages les plus nécessitaristes ± par exemple l¶écrit allemand qui commence par : « Que tout est produit selon un destin établi est aussi certain que trois fois trois font neuf »30 ± Leibniz admet que, quoique rien ne puisse être modifié, l¶homme peut néanmoins se placer dans le « bon point de vue »31, qui consiste dans la compréhension de la nécessité universelle et mathématique de la nature. La liberté d¶action, c¶est-à-dire la faculté de choix, doit être entendue comme une propriété spécifique des esprits raisonnables, mûs par la perception du bien : ils sont doués de volonté et leurs opérations sont nettement distinguées de celles des corps, qui, comme il l¶écrit dans les Nouveaux essais, « ne choisissent point (Dieu ayant choisi pour eux) »32. En insistant sur ce point, Leibniz entend avant tout affirmer l¶existence de la volonté et nier son inexplicable capacité à se soustraire à la nécessité et à se déterminer par elle-même dans l¶indifférence ; la volonté suit une loi téléologique, celle du meilleur bien apparent, qui est immuable et infaillible. C¶est en ce sens qu¶il faut entendre la différence propre entre « incliner » et « nécessiter ». Visant une fin, la volonté n¶en est pas moins totalement déterminée. L¶action téléologique n¶implique aucune possibilité de « faire autrement » ; dans une note sur la quatrième partie de l¶Éthique de
26 « Quid ni enim possit Deus facere creaturam, quae si non semper at saepe fallatur, in iis quae evidentissima apparent ; etsi non patiatur justitia Dei eam errorum suorum causa punire » (Zu Descartes¶3ULQFLSLD3KLORVRSKLDH, A VI, 3, 214). 27 Cf. Essais de théodicée, préface, GP VI, 43. 28 « Ergo omne peccatum ab errore » (Confessio philosophi, A VI, 3, 135). 29 « Dans la pratique, que puis je ou dois je demander davantage que le succès de ma volonté ? » (Leibniz à Isaac Jaquelot, 5HPDUTXHVXUO¶$SSHQGLFHGX7UDLWpGH0RQV-DTXHORWGHODFRnformité de la foy et de la raison, qui est intitulé 6\VWHPHDEUHJpGHO¶$PHHWGHODOLEHUWé, 4 septembre 1704, GP VI, 560). 30 « Daß alles durch ein festgesteltes verhängniß herfür bracht werde, ist ebenso gewiß als daß dreymahl drey Neun ist » (Initia et Specimina Scientiae novae Generalis, K, GP VII, 117). 31 « Aus dem rechten Gesicht-Punct » (ibid., 122). 32 Nouveaux Essais, II, 21, § 13, A VI, 6, 179.
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Spinoza, il écrit : « une chose peut agir avec nécessité à cause d¶une fin »33. Il apparaît donc que la contingence n¶est pas une perfection et que la liberté a sa véritable racine dans la nécessaire tendance au bien ± « Plus grande est la nécessité, plus grande est la perfection »34. Ce que les raisons inclinant ont de spécifique n¶est pas une nécessité moindre, mais un caractère rationnel, téléologique, volontaire et délibératif, qui se retrouve aussi dans la philosophie hobbesienne, où choix et nécessité coexistent. Dans le texte Du franc arbitre (entre 1678 et 1680-81), Leibniz se montre encore très proche de la position hobbesienne : la volonté est totalement dépendante de la raison et la raison a une connexion avec les traces du cerveau 35. Leibniz démontre très rigoureusement comment même le simple pouvoir de « suspendre » l¶action et la volonté « sans aucune raison qui nous y meuve »36 est chimérique, inutile et, quand bien même nous l¶eussions, dangereux. C¶est à cette période qu¶il commence à définir, d¶une manière qui deviendra habituelle chez lui, les conditions qui rendent les substances raisonnables capables de récompense et de châtiment37. Pour être « citoyens dans la cité de Dieu »38, les créatures doivent avoir la raison et l¶individualité, et conserver, ou du moins être capable de récupérer, une conscience permanente de soi39. Pour ce qui est de la responsabilité juridique donc, on ne requiert pas la faculté de pouvoir choisir entre des alternatives opposées, mais seulement celle d¶être auteur de ses actions avec une volonté rationnelle et consciente de soi, et d¶en garder la mémoire : « l¶ame intelligente, connoissant ce qu¶elle est, et pouvant dire ce MOY, qui dit beaucoup, >«@GHPHXUHHQFRUODPrPHPRUDOHPHQWHWIDLWOHPrPHSHUVRQQDJH&DUF¶est le souvenir, 40 ou la connoissance de ce moy, qui la rend capable de chastiment et de recompense » .
La théorie leibnizienne du droit de punir est donc parfaitement compatible avec une position déterministe forte, voire fondée sur elle : « la liaison des effects et des causes, bien loin d¶établir la doctrine d¶une necessité prejudiciable à la practique, sert à la détruire »41. Les moyens par lesquels les événements se produisent sont non seulement aussi nécessaires que les événements eux-mêmes,
33 « Potest quid propter finem necessario agere » (Aus und zu Spinozas Opera posthuma, A VI, 4 B, 1736n). 34 « Quo major necessitas, eo major perfectio » (Conversatio cum Domino Episcopo Stenonio de libertate, A VI, 4 B, 1380n LOV¶DJLWG¶XQHFLWDWLRQWLUpHGH6FDOLJHU). 35 Du franc arbitre, A VI, 4 B, 1409. 36 Ibid., 1408. 37 « Praemii poenaeque capaces » ([3ULQFLSLXPUDWLRFLQDQGLIXQGDPHQWDOH«], C, 16). Cf. Essais de théodicée § 89, GP VI, 151. 38 « Cives in civitate Dei » ([3ULQFLSLXPUDWLRFLQDQGLIXQGDPHQWDOH«], C, 16). Cf. aussi Definitiones cogitationesque metaphysicae (A VI, 4 B, 1402-1403), Origo animarum et mentium, A VI, 4 B, 1461 et De natura mentis et corporis, A VI, 4 B, 1490. 39 Cf. Nouveaux Essais, II, 27. 40 Discours de métaphysique § 34, A VI, 4 B, 1584. 41 Essais de théodicée, préface, GP VI, 33.
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mais [ils sont] « une partie des causes qui les rendroient necessaires »42, dans une perspective qui justifie la notion corrective et « médicinale » des châtiments, la même que celle que Leibniz proposait dans la Confessio philosophi. Les exemples de l¶utilité des pratiques correctives, même dans un régime de nécessité absolue, proposés dans les §§ 67-71 des Essais sont donc en parfait accord avec le « supercompatibilisme » leibnizien. Mais la situation est rendue plus compliquée par la digression sur la justice vindicative. Leibniz observe que Dieu s¶est réservé « en bien des rencontres »43 le droit d¶exercer un genre de justice « qui n¶a point pour but l¶amendement, ny l¶exemple, ny même la reparation du mal »44 ; cette justice punitive, « qui est proprement vindicative »45, a son fondement seulement « dans la convenance, qui demande une certaine satisfaction pour l¶expiation d¶une mauvaise action »46. À première vue, cette conception ne semble pas cohérente avec le ton éthique général des Essais, qui tendent plutôt à atténuer les aspects les plus sévères de la théologie chrétienne. Plus généralement, la légitimation de la justice vindicative semble entrer en contradiction avec la définition de la justice comme charité du sage : l¶exacte rétribution des péchés par des châtiments ne laisse pas beaucoup d¶espace à l¶exercice de la charité, si celle-ci doit être entendue comme disposition à l¶amour, voire comme volonté d¶accroître la quantité de bien présent dans le monde et de se réjouir de la félicité d¶autrui. Les châtiments sont des maux physiques : comment donc Dieu peut-il infliger des châtiments ± et en particulier le pire de tous, la damnation éternelle ± seulement pour la convenance des choses, sans avoir en vue la correction ou l¶amélioration ? Il y a évidemment un problème de cohérence : les positions de Leibniz sur la justice des peines forment-elles un système cohérent ? Et quel rôle y joue la justice vindicative ? Le contexte dans lequel Leibniz présente sa théorie de la justice vindicative est l¶examen de la question de savoir si la nécessité absolue « faisoit cesser tout merite et tout demerite, tout droit de louer et de blamer, de recompenser et de punir »47. Dans sa polémique avec les partisans d¶un nécessitarisme strict, Leibniz fait parfois usage de l¶argumentation traditionnelle selon laquelle leur système a des effets destructeurs dans les domaines moral, juridique et politique. Il est vrai cependant, en premier lieu, que son opposition n¶est pas toujours si nette : dans son premier commentaire de la lettre 78 de Spinoza, où le philosophe hollandais dit que « les hommes peuvent être excusables et pourtant être privés de la
42 « Si le bien ou le mal étoit necessaire sans ces moyens, ils seroient inutiles PDLVLOQ¶HQHVW pas ainsL&HVELHQVHWFHVPDX[Q¶DUULYHQWTXHSDUO¶DVVLVWDQFHGHFHVPR\HQVHWVLFHVHYenemens étoient necessaires, les moyens seroient une partie des causes qui les rendroient neFHVVDLUHVSXLVTXHO¶H[SHULHQFHQRXVDSSUHQGTXHVRXYHQWODFUDLQWHRXO¶HVSHUDQce empêche le mal, ou avance le bien » (Essais de théodicée § 71, GP VI, 140). 43 Ibid. § 73, GP VI, 141. 44 Ibid.. 45 Ibid.. 46 Ibid.. 47 Ibid. § 67, GP VI, 139.
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béatitude et tourmentés de plusieurs manières »48, Leibniz se borne à suggérer la prudence dans ce genre d¶affirmations et à dire qu¶il est « croyable » que les hommes doués d¶une volonté bonne sont heureux49. Mais la volonté, pour Leibniz, n¶est pas en notre pouvoir et néanmoins ceux qui n¶ont pas une volonté bonne sont punis légitimement50. Une note suivante sur le même passage est plus critique à l¶égard de la position de Spinoza51, mais il demeure vrai pour Leibniz aussi que celui qui « manque d¶une volonté droite et sincère »52 doit nécessairement mourir, quelle que puisse être la cause par laquelle cela arrive. Le vrai danger des philosophies de Hobbes et de Spinoza est plutôt dans la négation d¶une tendance nécessaire au bien, et non dans l¶affirmation de la nécessité du vouloir. Dans les appendices aux Essais, on retrouve la même position : la nécessité morale, dit Leibniz, « n¶est [...] pas celle qu¶on tache d¶eviter, et qui detruit la moralité, les recompenses, les louanges. Car ce qu¶elle porte n¶arrive pas quoyqu¶on fasse, et quoyqu¶on veuille, mais parce qu¶on le veut bien »53 ; mais la spécification « quoyqu¶on fasse, et quoyqu¶on YHXLOOH« » est une preuve évidente du fait que l¶on n¶a pas en vue ici la nécessité hobbesienne, qui admet précisément que les actions soient nécessitées et volontaires, mais le fatalisme aveugle. Certes, Leibniz joue sur l¶ambiguïté des deux formes de nécessité ; mais au § 71 des Essais, il admet à titre d¶hypothèse la théorie hobbesienne avec l¶intention de montrer que, à la différence de la raison paresseuse, elle ne conduit pas à la destruction de toute moralité et à la négation de l¶utilité des châtiments et des récompenses. Mais châtiments et récompenses ne pourraient aucunement être vindicatives, [mais ?] uniquement correctives ; elles concernent « l¶amendement, HWSRLQWODVDWLVIDFWLRQțȩȜĮıȚȞȠЁ IJȚȝȦȡȓĮȞ »54. La raison principale pour laquelle Leibniz disculpe le nécessitarisme absolu de l¶accusation de renverser toutes les lois humaines et divines est exprimée quelques lignes plus haut, au § 67 : du point de vue du sens commun, en fait, le déterminisme de Leibniz ± c¶est-à-dire la théorie de la nécessité hypothétique des actions humaines ± se distingue à peine de la théorie hobbesienne. L¶une et l¶autre nient la possibilité d¶agir autrement, s¶attirant ainsi des objections morales semblables, en dépit de leurs subtiles distinctions métaphysiques. Leibniz l¶admet 48 « Possunt quippe homines excusabiles esse, & nihilominus beatitudine carere, & multis modis cruciari » (Baruch Spinoza à Henry Oldenburg, [Ep. LXXVIII], in : Spinoza : Opera, hrsg. von Carl Gebhardt, Carl Winter, Heidelberg, 1924, IV, 327). 49 « Hoc non sine cautela transmittendum : et credibile est postulare naturam Dei, sive rerum perfectionem, ut eae tandem mentes felices esse deprehendantur, quarum voluntas recta est » (Epistolae tres D. B. De Spinoza ad D. Oldenburgium, A VI, 3, 368n). 50 « Quisquis habet pravam voluntatem, is jure punitur » (Conversatio cum Domino Episcopo Stenonio de libertate, A VI, 4 B, 1378). 51 « An Deus possit damnare et torquere innocentem. 9HUEDWHPHUDULD6SLQRVDHLQ(S«>sic] ex eo sumta quod suffocetur qui ex morsu canis rabidi furit, etsi innocens » (De religione magnorum virorum, A VI, 4 C, 2467). 52 Cf. Epistolae tres D. B. De Spinoza ad D. Oldenburgium, A VI, 3, 368 et n. 53 Essais de théodicée, Abrégé, 8, GP VI, 386. 54 Essais de théodicée § 74, GP VI, 142.
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franchement : « la necessité absolue de la suite des causes n¶adjouterait rien en cela à la certitude infaillible d¶une necessité hypothetique »55, si l¶on se borne aux conséquences pratiques. Il est donc très important pour lui que le système des châtiments et des récompenses puisse être maintenu, même dans le cas où notre liberté serait imparfaite, exempte seulement de la contrainte 56. Mais cela est possible uniquement en admettant des peines correctives. Leibniz rappelle premièrement que ni la justice de Dieu ni la justice humaine ne sont fondées sur le pouvoir ou sur la force, mais plutôt sur la raison. Même contre un allié naturel comme Grotius, qui dit que Dieu seul peut exercer la justice punitive ou rétributive, Leibniz objecte que ce droit doit être fondé sur la « souveraine raison »57 ; les législateurs humains imitent donc avec légitimité la souveraineté de Dieu dans leur domaine, « pourvu qu¶ils agissent par raison et non par passion »58. On a déjà vu que Leibniz admet l¶autodéfense et la punition corrective ou exemplaire sans pour autant admettre la contingence. Au contraire, dans la Conversation sur la liberté et le destin, Leibniz souligne encore qu¶une conception faible de la détermination causale rendrait tout à fait inutiles les sanctions : « Et même on peut dire que si les hommes estoient indifferens, et n¶estoient point inclinés à agir par les causes, ils ne se soucieroient pas des chastimens ou recompenses, et ne seroient 59 pas portés au bien par ces moyens, qui par consequent deviendroient inutiles » .
La peine est de surcroît justifiée comme récompense pour la partie offensée qui a subi le mal. Pourquoi, alors, admettre la justice vindicative ? Pour répondre à cette question, on doit recourir à la notion théologique d¶expiation : la nécessité de ne pas exclure l¶expiation est requise par la théorie de la satisfactio vicaria de Jésus-Christ, un des piliers de la théologie chrétienne, accepté également par les luthériens, les calvinistes et les catholiques 60, qui dérive du Cur Deus homo de Anselme de Canterbury. Outre le repentir et la correction, pour éteindre le péché est encore requise la satisfaction. Elle est rendue possible par la substitution du Christ, qui prend sur lui le mal, compense les péchés par ses mérites infinis et donne pleine satisfaction à la loi par sa souffrance sur la croix.
55 Ibid. § 67, GP VI, 139. 56 Cf. ibid. § 75, GP VI, 142-143. 57 « (WTXR\TXHO¶LQFRPSDUDEOH*URWLXVSDUMHQHVD\TXHOUHVWHG¶XQSDUWLTX¶LODYRLWDEDQGRnné, fasse en cela une difference entre le droit de 'LHXHWFHOX\GHO¶KRPPHlib. 2. I.B.P. C.20 jFDXVHGXVRXYHUDLQGRPDLQHGH'LHXMHFURLVTX¶LOQ¶HQDSRLQWFDU'LHXQ¶H[HUFH ce domaine que suivant la souveraine raison. Et quand la Sainte Ecriture insinue que Dieu V¶HVWUHVHUYp O¶XOWLRQFHODQ¶HVWSRLQWGLWSRXUGHWUXLUHODMXVWLFHSXQLWLYHGHVKRPPHVPDLV SRXUUHIUHQHUODSDVVLRQGHODYHQJHDQFH,OV¶DJLWQRQSDVGHFRQWHQWHUOHVSDVVLRQVGHVRIIHnVpVTXLVRQWVRXYHQWVDQVERUQHVPDLVGHFRQWHQWHUOHVDJHHWSDUFRQVHTXHQWHQFRUO¶RIIensé, HQWDQWTX¶LOYHXWHFRXWHUODUDLVRQ » (Expiation, Grua II, 881). 58 Essais de théodicée § 73, GP VI, 141. 59 Conversation sur la liberté et le destin, Grua II, 483. 60 « Das protestantische Zentraldogma », selon Ernst Troeltsch (Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen, in : Gesammelte Schriften, Scientia, Aalen, 1965, I, 447).
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La position orthodoxe est défendue par Leibniz dans les Essais contre la critique rationaliste des Sociniens61 : « le sage Legislateur ayant menacé, et ayant, pour ainsi dire, promis un châtiment, il est de sa constance de ne pas laisser l¶action entierement impunie, quand même la peine ne serviroit 62 plus à corriger personne » .
Leibniz souligne que la position des Sociniens (qui jugent absurde que quelqu¶un expie la peine à la place de quelqu¶un d¶autre et suspectent de cruauté toute peine allant au-delà de la correction) est avant tout erronée du point de vue théologique, à partir du moment où elle nie la nécessité de l¶interpositio du Christ63. Elle est en plus contraire à la piété, parce qu¶elle nous conduirait à ne pas adorer comme il faut le Dieu de miséricorde, comme il arrive dans les religions païennes où seuls les dieux mauvais sont vraiment honorés et respectés64. Le sens même de la Rédemption comme source nécessaire du pardon des péchés serait miné par une théorie de la punition limitée à la correction. Leibniz rapproche la position des Sociniens de celle de Hobbes, qui, lui aussi, exclut la justice vindicative65 ; on comprend donc la ténacité de Leibniz dans sa défense de la théorie orthodoxe de la satisfaction. Selon certains commentateurs, par exemple Parkinson, « la véritable justice vindicative »66 remplit au contraire le vide laissé par les « peines médicinales, pour ainsi dire »67, c¶est-à-dire par les théories de Hobbes et de Spinoza. La justice corrective et exemplaire manquerait d¶exprimer le vrai « élément moral »68 nécessaire pour établir une justice convenable à des êtres libres et raisonnables. C¶est surtout sur le § 17 des Remarques sur King que repose cette observation. Leibniz écrit que l¶exercice de la justice punitive vise la satisfaction du sage, la compensation du scandale et la réinstauration de la loi, sans produire, apparemment, aucun autre bien. En effet, la philosophie morale leibnizienne est parfois caractérisée par des considérations esthétiques qui
61 62 63 64 65
66 67 68
Cf. Essais de théodicée § 73, GP VI, 141. Ibid. Notes sur Huthmann, Grua I, 246-247. Cf. Leibniz à Pierre Coste, 5HPDUTXHVVXUXQSHWLW/LYUHWUDGXLWGHO¶$QJORLVLQWLWXOp/HWWUH VXUO¶(QWKRXVLDVPH, GP III, 415. « Les Sociniens, Hobbes HW TXHOTXHV DXWUHV Q¶DGPettent point cette justice punitive, qui est proprement vindicative » (Essais de théodicée § 73, GP VI, 141). Leibniz ORXHO¶pFULWGH*Uotius contre les Sociniens (Defensio fidei catholicae de satisfactione Christi adversus Faustum Socinum Senensem, Leiden 1617) : cf. Nova methodus discendae docendaeque jurisprudentiae, A VI, 1, 295, De religione magnorum virorum, A VI, 4 C, 2467, Notes sur Sophianus, Grua I, 71 et Notes sur Necessity of Faith, Grua I, 251. Essais de théodicée, « Remarques », § 17, GP VI, 417. Ibid.. « Leibniz is in effect saying that Hobbes, Spinoza and those who think like them ignore the fact that punishment contains a moral element » (G. H. R. Parkinson, Leibniz on human freedom, Wiesbaden, Franz Steiner, 1970, p. 66).
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reposent sur l¶ambiguïté de la notion d¶harmonie69 ; il n¶est donc pas étrange que les Essais, ouvrage dont le but est de défendre l¶ordre cosmologique non moins que politique et religieux, n¶excluent pas entièrement une notion rétributive de la justice. On a donc essayé d¶expliquer l¶apparition de la théorie de la justice vindicative et de l¶expiation70 dans les Essais comme la conséquence de l¶admission d¶un degré plus haut de liberté, une liberté allant au-delà de la simple exemption de la contrainte. Mais la contingence des actions humaines ne semble pas justifier les pratiques rétributives, qui demeurent à mon avis très problématiques dans la pensée de Leibniz ; comment établir un lien entre la possibilité logique d¶une action différente et la légitimation d¶une peine ayant comme fin la satisfaction de celui qui l¶inflige71 ? En réalité Leibniz ne cesse pas de soutenir que la peine est inscrite dans l¶action mauvaise : le pécheur se punit lui-même, il est « heautontimorumenos »72. Les passages sur la justice vindicative sont une concession faite à la théorie anselmienne de la satisfaction, en même temps qu¶un compromis avec les positions théologiques de la tradition, qui avaient été mises en discussion (pour des raisons très différentes) par Hobbes et par les Sociniens. Mais le système entier de la morale humaine leibnizienne indique une solution différente : le mal de la peine dérive sa légitimité du fait qu¶il est un moyen nécessaire au perfectionnement moral du monde73. Il n¶est donc pas surprenant que l¶intersubjectivité soit un point critique des Essais, ouvrage qui accorde très peu d¶attention au mal que nous infligeons aux autres ou que les autres nous infligent. Les péchés, comme il l¶écrivait déjà dans la lettre à Wedderkopf, ne sont un mal ni pour Dieu ni pour le monde, mais uniquement pour celui qui pèche ; pour Leibniz, le mal moral se situe proprement 69 « Elle est tousjours fondée dans un rapport de convenance, qui contente non seulement O¶RIIHQVpPDLVHQFRUOHV6DJHVTXLODYR\HQWFRPPHXQHEHOOH PXVLTXHRXELHQXQHERQQH architecture contente les esprits bien faits » (Essais de théodicée § 73, GP VI, 141). 70 « [Huthmann] errat dum putat [...] poenae vindicativae scopum unice esse sublationem mali e medio ; requiritur enim praeterea aliqua repensatio, ut harmoniae satisfiat quam postulat sapientia » (Notes sur Huthmann, Grua I, 246). Cf. aussi Conversation sur la liberté et le destin, Grua II, 483 et Expiation, Grua II, 880-882. Sur cette question voir G. Grua, Jurisprudence universelle et théodicée selon Leibniz, Paris, Presses Universitaires de France, 1953, p. 517521. 71 « Aristote qui estoit profond en morale a bien remarqué la difference entre deux sortes de peines, que sa langue distinguoit par ces deux mots: kolasis et timôria ; et il observe (I Rhet. c.10) que le premier signifie un chastiment fait pour le bien de celuy qui le souffre, et que le second signifie un chastiment entrepris pour contenter celuy qui le fait infliger » (Expiation, Grua II, 881-882). 72 Leibniz à Friedrich W. Bierling, 20 octobre 1712, GP VII, 510. 73 « 2XWUH TX¶LO \ D XQ RUGUH GH MXVWLFH TXL GHPDQGH TXHOTXH VDWLVIDFWLRQ HQFRU DX GHOj GH O¶DPHQGHPHQW HW GH O¶H[HPSOH 0DLV VDQV HQWUHU Oj GHGDQV LO VXIILW G¶DYRLU PRQWUp TXH O¶XWLOLWp GHV SHLQHV HW UHFRPSHQVHV des menaces et promesses subsiste, pour dire que leur GURLWVXEVLVWHDXVVLFDUOHGURLWHVWIRQGpGDQVO¶XWLOLWpFRPPXQH » (Conversation sur la liberté et le destin, Grua II, 483).
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dans le rapport entre Dieu et l¶âme, et non dans le domaine de la communauté humaine. Les exemples qu¶il propose concernent presque toujours des pécheurs contre Dieu : l¶apôtre Pierre qui renie Jésus, Judas qui le trahit, Pilate qui le condamne. Il ne rappelle que très rarement les dommages, seulement humains, d¶un Caligula ou d¶un Néron ou le mal subi par Lucrèce. Dans la perspective théologique, on peut admettre une justice rétributive. Mais dans les sociétés humaines, il en doit aller autrement : ici il vaut mieux suivre les normes d¶une justice corrective, visant l¶utilité commune, normes que Dieu a inscrites dans la puissance naturelle des choses et qui excluent la satisfaction de la vengeance, satisfaction qui est paradoxalement réservée à Dieu même.
L¶ESSAI LEIBNIZIEN DE THÉODICÉE ET LA CRITIQUE DE KANT par Paul Rateau (Strasbourg)
Dans l¶opuscule intitulé Sur l¶insuccès de toutes les tentatives philosophiques en matière de théodicée (1791), Kant s¶emploie à une double tâche : celle, négative, critique, de montrer l¶échec de la théodicée comme entreprise rationnelle de défense de la sagesse divine, et celle, positive, pratique, de mettre un terme définitif à ce « procès » intenté par la raison devant elle-même, en substituant à l¶essai spéculatif infructueux et illégitime ce qu¶il appelle la théodicée « authentique ». La critique kantienne consiste, dans le même mouvement, à disqualifier toutes les théodicées passées et même à venir ou possibles (en s¶attaquant à l¶idée directrice qui les sous-tend toutes plutôt qu¶en réfutant telle ou telle tentative particulière1), et à accomplir en quelque sorte la fin de toute théodicée, au double sens du point terminal et du but atteint, en admettant comme seule légitime la défense fondée sur le concept a priori de Dieu comme être moral et sage que nous donne la raison pratique. L¶aveu sincère de notre ignorance termine la controverse et remplit la tâche de la théodicée, en se révélant être la plaidoirie la plus décisive, pour ne pas dire la plus efficace, sur le plan de la dispute et de la théorie (puisque cet aveu conduit à opposer une fin de nonrecevoir aux objections), en même temps que la plus juste sur le plan pratique, celle que la probité commande et que, dans l¶histoire de Job (porte-parole de l¶interprétation « authentique »), Dieu agrée. Le défaut des théodicées existantes ne vient pas en effet de ce que leurs auteurs se seraient montrés incapables de trouver des arguments rationnels plus probants. L¶insuccès n¶est ni temporaire ni contingent, mais nécessaire, quels que soient les ressources et les expédients utilisés de part et d¶autre, ceux-ci ne servant qu¶à perpétuer indéfiniment le procès. Aussi serait-il vain d¶attendre de la raison la découverte dans le futur d¶arguments nouveaux et réellement concluants, susceptibles d¶acquitter enfin la Divinité2. Les deux griefs adressés par Kant à la théodicée « doctrinale » sont bien connus. Le premier est pour ainsi dire interne, car il porte sur les procédés mis en 1
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Ni le nom de Leibniz, ni celui d¶DXFXQDXWUHSKLORVRSKHQ¶DSSDUDvWGDQVOHWH[WHPrPHVLOD mention de « Versuche » dans le titre (Über das Misslingen aller philosophischen Versuche in der Theodicee) rappelle inévitablement les Essais de Théodicée. 6XU O¶LQVXFFqV GH WRXWHV OHV WHQWDWives philosophiques en matière de théodicée, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1985, tome II, p. 1403.
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°XYUHHWOHVUpVXOWDWVREWHQXVSDUODWKpRGLFpH : celle-ci ne tient pas ses promesses, puisqu¶elle ne parvient pas à lever les accusations portées contre Dieu tirées de l¶existence du mal et, plus généralement, de tout « ce qu¶il y a d¶anti-final dans le monde »3. Le second est externe à la démarche suivie proprement dite et constitue le corollaire de la critique du dogmatisme développée dans la Critique de la raison pure : la théodicée est l¶entreprise illégitime d¶une raison qui méconnaît ses bornes, puisqu¶elle prétend, sans critique préalable de son pouvoir de connaître, montrer l¶unité dans le monde sensible de la sagesse morale de Dieu (concept fourni par la raison pratique) avec sa sagesse artistique (concept sur lequel la raison spéculative fonde la téléologie et la physico-théologie). Or, il est impossible de prouver cet accord (comme de le nier), car « notre raison est absolument impuissante à pénétrer le rapport qu¶un monde tel que nous pouvons toujours le connaître par expérience entretient avec la suprême sagesse »4. Un tel savoir supposerait en effet de pouvoir s¶élever à la connaissance du monde intelligible, afin d¶expliquer comment celui-ci est le principe de l¶univers phénoménal. Il est évident que les deux reproches sont liés : l¶insuccès est la conséquence du caractère illégitime de la démarche. L¶échec est certain parce que la promesse n¶est pas tenable. La raison ne peut réaliser ce qu¶elle annonce, car elle ne peut avoir de connaissances dans un domaine (le suprasensible) où aucune intuition ne lui sera jamais donnée. La cause semble donc entendue... à moins peut-être de ne plus envisager la théodicée à partir de son concept général, mais telle qu¶elle a pu être effectivement élaborée par les philosophes dans l¶histoire. Que promet-elle réellement ? Quelles sont la nature, la valeur et la finalité des différents arguments qu¶elle déploie ? Abandonnant l¶idée de théodicée pour l¶examen d¶une théodicée particulière, nous étudierons dans quelle mesure la critique de Kant s¶applique dans le cas de la théodicée de Leibniz. 1. Les deux volets de la théodicée leibnizienne L¶essai leibnizien ne semble pas conforme au concept général sous lequel Kant entend subsumer toutes les tentatives philosophiques de théodicée, tant du point de vue de son objet, de sa fin que de ses limites. Quel est en effet le sens du néologisme théodicée, selon son inventeur même ? Rien d¶autre que ce que les deux mots grecs accolés signifient : « la justice de Dieu »5. Devant la méprise de certains lecteurs qui prenaient le terme pour le pseudonyme sous lequel l¶auteur s¶était dissimulé, Leibniz est amené à apporter les précisions suivantes : « mon intention a été d¶appeler Théodicée la doctrine elle-même ou la matière de la dissertation, de telle sorte que Théodicée soit la doctrine du droit et de la justice de 3 4 5
Ibid., p. 1393. Ibid., p. 1403. « Ces Essais de Theodicée ou de la justice de Dieu » (À Thomas Burnett, 30 octobre 1710, GP III, 321). Nous soulignons.
L¶essai leibnizien de théodicée et la critique de Kant
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Dieu »6. La théodicée n¶est donc pas d¶abord et au sens strict une défense ou une apologie de la sainteté et de la bonté de Dieu, dont le but serait de le décharger de l¶imputation du mal : elle désigne un attribut divin (la justice) et la doctrine qui expose sa nature et ses principes. Elle sera même définie comme une « quasi sorte de science »7. En un sens, la doctrine devrait suffire seule et rendre inutile tout (autre) discours de justification : car exposer la justice divine et énoncer ses lois, c¶est en même temps, ou plutôt par là même, innocenter Dieu (« La Cause de Dieu plaidée par sa justice »8) et éveiller en nous un amour sincère et pur. La justice de Dieu est sa justification, sa propre apologie9 : elle est immédiatement « justifiante », en ce qu¶elle justifie celui qui la possède au suprême degré et qui gouverne tous les esprits en observant les règles du droit universel. La théodicée ne peut être une défense que parce qu¶elle est en premier lieu une doctrine. Cette primauté de l¶aspect doctrinal interdit de voir en elle une simple réponse ad hominem ou une plaidoirie de circonstance, élaborée ad hoc en vue de répondre aux objections de Bayle, comme certaines déclarations de Leibniz, narrant les conditions de l¶écriture des Essais, pourraient le laisser entendre10. La défense s¶appuie sur une métaphysique parfaitement constituée, un traité de la bonté de Dieu, de la liberté de l¶homme et de l¶origine du mal, comme l¶indique le sous-titre de l¶ouvrage de 1710. En dépit de leur connexion, les deux volets, défensif et doctrinal, de la théodicée ne doivent pas être confondus, parce qu¶ils obéissent chacun à des règles et à des finalités propres, et mettent en jeu des types d¶argument tout à fait spécifiques. Le premier est proprement réfutatif et illustre la fameuse déclaration de la préface : « c¶est la cause de Dieu qu¶on plaide »11. Il comprend, nous le verrons, deux sortes de défense (l¶une « négative », l¶autre « positive » ou surérogatoire), dans lesquelles se trouvent employés des arguments fondés sur la simple présomption, l¶ignorance du détail, le probable ou encore sur l¶expérience, visant à réduire les objections contre la bonté divine et la perfection du monde tirées de l¶existence du mal.
À Des Bosses (6 janvier 1712), GP II, 428 : « >«@ PLKL DQLPXV IXLW GRFWULQDP LSVDP VHX materiam dissertationis Theodicaeam appellare, ita ut Theodicaea sit doctrina de jure et justitia Dei ». Voir aussi À Greiffencranz (2 mai 1715), GP VI, 12 (note**) ; GP VI, 463 : « Versuch einer THEODICAEA oder Gottrechts-/HKUH>«@ ». 7 À Des Bosses (5 février 1712), GP II, 437 « >«@HVWHQLP7KHRGLFDHDTXDVLVFLHQWLDHTXRddam genus ». 8 Causa Dei Asserta per justitiam ejus, GP VI, 437. Nous soulignons. Théodicée, préface, GP VI, 37 : « (WTXDQWjO¶RULJLQHGXPDOSDUUDSSRUWj'LHXRQIDLWXQH$SRORJLHGHVHVSHUIHctions, qui ne releve pas moins sa sainteté, sa justice et sa bonté, que sa grandeur, sa puissance et son independance ». 9 Cf. le brouillon de préface de la Théodicée, publié par Grua : « Theodicée ou apologie de la MXVWLFHGH'LHX>HWGHVDWWULEXWVTXLV¶\UDSSRUWHQW@SDUOHVQRWLRQVTX¶LOQRXVHQDGRQQpHV » (Grua, 495). 10 Cf. Théodicée, préface, GP VI, 39 ; À Th. Burnett (30 octobre 1710), GP III, 321. 11 Théodicée, préface, GP VI, 38.
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Le second est également divisé en deux parties : a) la partie théologique traite de « la conduite de Dieu » (son concours moral et physique au mal), montre que le péché ne peut lui être imputé, et établit, sans pour autant le démontrer absolument, l¶existence du meilleur univers possible ; b) la partie anthropologique montre la liberté de l¶homme, sa responsabilité dans le mal et expose les règles morales de son action. Ce volet doctrinal, qui prétend n¶avancer que des raisons a priori et démonstratives, comprend en réalité des arguments donnant une certitude morale ou encore « infaillible », mais non absolue. Dans la reconstitution théorique qu¶il propose de la théodicée, Kant ne distingue pas ce qui relève respectivement du discours doctrinal et du discours défensif, et n¶identifie pas le rôle ni la portée exacts des diverses preuves qui sont avancées dans l¶un et dans l¶autre. Certes, il reconnaît l¶obligation constante à laquelle est tenue la défense : l¶avocat ne peut se défausser au cours du procès et alléguer « l¶incompétence du tribunal de la raison humaine (exceptionem fori) ». Il voit également la limite de cette même obligation : il ne peut en effet être exigé de la théodicée qu¶elle prouve la suprême sagesse de Dieu à partir de notre expérience dans le monde (car il faudrait pour cela l¶omniscience12). Mais il passe sous silence toute la réflexion menée par Leibniz sur les règles et les obligations particulières auxquelles défenseur et opposant doivent se soumettre dans la controverse. Il n¶évoque pas davantage les limites qui s¶imposent nécessairement à la doctrine, dans l¶affirmation de la perfection du monde et dans la connaissance des fins divines. Car les Essais ne contiennent pas seulement une théodicée, mais, pour ainsi dire, les principes de toute théodicée, dans ses aspects aussi bien défensif que doctrinal. 2. Objet et limites de la défense Les règles de la défense sont énoncées à l¶occasion de l¶examen de la question de la conformité de la foi avec la raison, dans le Discours préliminaire. Ce dernier comprend en effet les principes d¶un véritable « art de disputer »13, où sont assignés le rôle et les devoirs de chaque protagoniste, respectivement du soutenant ou répondant (qui défend la thèse) et de l¶opposant (qui attaque la thèse, en avançant des objections). La conception leibnizienne de la controverse est inspirée de la disputatio de l¶École, et plus encore du débat judiciaire, où la question n¶est pas pour le soutenant de prouver la légitimité de son droit, d¶en « rendre raison », mais seulement de le « soutenir contre les objections » : « >«@XQVRXWHQDQWrespondens) n¶est point obligé de rendre raison de sa these, mais il est obligé de satisfaire aux instances d¶un opposant. Un defendeur en justice n¶est point obligé (pour l¶ordinaire) de prouver son droit, ou de mettre en avant le titre de sa possession ; mais il 14 est obligé de repondre aux raisons du demandeur » . 12 6XUO¶LQVXFFqV, p. 1395. 13 Voir Discours préliminaire, §§ 57-79, GP VI, 82-97. 14 Ibid., § 58, GP VI, 82.
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La dispute naît d¶une contestation dont l¶initiative revient, par définition, au contradicteur. L¶enjeu n¶est donc pas d¶examiner la thèse en cause, en elle-même et pour elle-même, ni d¶en établir les preuves positives, mais de juger de la recevabilité et de la solidité des arguments avancés contre elle. L¶objection est donc en réalité l¶objet principal du débat, comme l¶est dans un procès l¶accusation, dont il s¶agit de montrer le caractère fondé, probant ou non. La charge de la preuve revient ainsi à l¶opposant, le soutenant, dans la position de l¶accusé, bénéficiant de la présomption de véracité tant qu¶il n¶a pas été expressément convaincu de fausseté. Mieux : puisque le soutenant n¶est pas tenu d¶apporter les gages du bien-fondé de sa thèse, il peut aller jusqu¶à avouer qu¶il ne dispose pas de preuve véritablement concluante, parce que, par exemple, ce qu¶il défend n¶est pas susceptible d¶être démontré (c¶est le cas des mystères qui peuvent être expliqués et soutenus, mais ne sauraient être compris15). À l¶inverse, l¶adversaire ne pourra l¶emporter que s¶il apporte des raisons contraires absolument décisives, c¶est-à-dire invincibles16. Une démonstration n¶est exigible que de l¶opposant et non du soutenant, lequel doit se contenter de montrer la faiblesse ou le vice des arguments de son adversaire, sans avoir à entrer dans l¶examen des siens propres. Contrairement à ce qu¶écrit Kant, il n¶appartient donc pas au défenseur d¶« accomplir la réfutation en bonne et due forme de tous les griefs de la partie adverse »17, car il suffit de montrer que l¶objection ne porte pas, est vaine, malfondée, ou contient quelque défaut logique, pour que l¶accusation soit « déboutée ». C¶est au contradicteur de produire une réfutation en règle de la thèse soutenue. Aussi le reproche de dogmatisme ne devrait-il pas être adressé à l¶opposant plutôt qu¶au soutenant ? Sur quoi repose en effet l¶objection de Bayle ? « La maniere d¶accorder le mal moral et le mal physique de l¶homme avec tous les attributs de ce seul Principe de toutes choses infiniment parfait surpasse les lumieres philosophiques ; de sorte que les objections des Manicheens laissent des difficultés que la raison humaine ne 18 peut resoudre » .
Leibniz concède la première proposition, selon laquelle la conciliation du mal avec la perfection divine excède nos lumières, pour ce qui est seulement du « detail des raisons qui ont porté Dieu à permettre ces maux ». Mais il nie cette conséquence « que les objections qu¶on fait à cet egard ne se puissent point resoudre »19, puisqu¶il revient à l¶opposant, conformément aux règles de la dispute, de démontrer positivement l¶imperfection divine :
15 Selon la distinction établie, ibid., § 5, GP VI, 52. 16 À Jaquelot (6 octobre 1706), Grua, 65-66 : « &DU OD GHPRQVWUDWLRQ TX¶HVW HOOH DXWUH FKRVH TX¶XQDUJXPHQWLQYLQFLEOHF¶HVWjGLUHGRQWODIRUPHHVWERQQHHWGRQWODPDWLHUHFRQVLVWHHQ propositions ou evidentes oXSURXYpHVSDUGHVHPEODEOHVDUJXPHQVMXVTX¶jFHTX¶RQYLHQQH aux seules evidentes ? » ; voir aussi : Discours préliminaire, § 25, GP VI, 65. 17 Op. cit., p. 1394. 18 Note sur Bayle (été 1706), Grua, 62. 19 Ibid., 63.
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P. Rateau « Car il est possible que Dieu ait de telles raisons [de permettre les maux], quoyque nous ne puissions pas les marquer. Et celuy qui veut mettre en avant une objection qui ne se puisse point resoudre, doit prouver qu¶il est impossible que Dieu ait ces raisons. C¶est à dire il faut qu¶il apporte un argument qui infere l¶imperfection de Dieu de la permission du mal, et qui soit tel qu¶on n¶y puisse point repondre comme il faut ; c¶est à dire il faut que cet argument soit en bonne forme, et, quant à la matiere, il faut que toutes les propositions soyent ou accor20 dées ou prouvées par un autre argument de même nature » .
La seule considération de la possibilité de telles raisons inconnues de nous ne forme pas, à proprement parler, une preuve, si ce n¶est de manière provisionnelle, mais donne une présomption en faveur de la perfection divine, qui vaut tant qu¶il n¶a pas été prouvé qu¶il ne saurait exister de motifs valables de permettre le mal. Il n¶est pas nécessaire ici d¶aller plus loin, car la simple présomption doit passer pour vérité jusqu¶à preuve du contraire. Elle est le premier ressort de ce que nous appelons la défense « négative ». L¶ignorance du détail en est le second. Le soutenant (Leibniz) ne prétend connaître ni le détail des raisons divines (qui ont motivé la Création), ni le détail des considérations auxquelles Dieu a eu égard en créant (la comparaison des mondes possibles en nombre infini), ni encore le détail de l¶harmonie universelle (qui enveloppe l¶infini). La prétention à connaître le détail vient plutôt de l¶opposant (Bayle). Pour le soutenant en effet, il est aussi impossible de montrer a priori que « le mal pouvoit estre evite sans perdre quelque bien plus considerable » (l¶antithèse), que de « faire voir la connexion de ces maux avec des plus grands biens »21 (la thèse), car cela dépasse dans les deux cas les forces de la raison humaine. Cette ignorance déclarée ne constitue pas un simple expédient rhétorique permettant d¶assurer la victoire du répondant dans le cadre particulier de la dispute. Elle définit, selon nous, les limites de la théodicée comme défense, qui ne doit et ne peut entrer dans le détail de l¶harmonie universelle, et comme doctrine, qui ne peut, dans son explication du mal, aller au-delà d¶une certaine généralité et de l¶universalité des principes. En effet : « >«@LOSDURLWTXH0%D\OH y demande un peu trop, il voudroit qu¶on luy montrât en detail, comment le mal est lié avec le meilleur projet possible de l¶univers ; ce qui seroit une explication parfaite du phenomene : mais nous n¶entreprenons pas de la donner, et n¶y sommes pas obligés non plus, car on n¶est point obligé à ce qui nous est impossible dans l¶etat où nous sommes : il nous suffit de faire remarquer que rien n¶empêche qu¶un certain mal particulier ne soit lié avec ce qui est le meilleur en general. Cette explication imparfaite, et qui laisse quelque chose à decouvrir dans l¶autre vie, est suffisante pour la solution des objections, mais 22 non pas pour une comprehension de la chose » .
En l¶absence de compréhension parfaite, cette explication doit suffire sur le plan de la dispute, mais également sur le plan doctrinal. Le Discours de métaphysique l¶indiquait déjà : si nous sommes fondés à affirmer en général que l¶univers que Dieu a créé est le meilleur, d¶aller même jusqu¶à déclarer qu¶un péché particulier 20 Ibid.. 21 À Jaquelot (6 octobre 1706), Grua, 66. 22 Théodicée § 145, GP VI, 196. Nous soulignons.
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est permis parce qu¶il « se recompense avec usure dans l¶univers », nous ne pouvons, tout du moins en cette vie, pénétrer « l¶admirable oeconomie de ce choix ». Et « c¶est assez de le sçavoir, sans le comprendre » et de reconnaître avec saint Paul « la profondeur et l¶abyme de la divine sagesse, sans chercher un detail qui enveloppe des considerations infinies »23. L¶explication ne peut être qu¶a priori, métaphysique, et ne peut avancer que les raisons générales de l¶existence du mal. Elle ne saurait être particulière, rendre compte de ce mal-ci, rencontré a posteriori dans le monde, ni identifier avec certitude le bien supérieur qu¶il permet. Elle répond à la question « pourquoi le mal ? », et non à la question « pourquoi ce mal ? ». L¶originalité de la théodicée, par rapport à d¶autres tentatives de justification rationnelle du mal, est d¶assumer et de maintenir cet écart entre un discours explicatif général sur la perfection de l¶univers, la manière dont Dieu agit, et l¶interprétation qu¶il convient de faire des maux particuliers. En cela, elle se distingue par exemple de l¶explication stoïcienne : « >«@ LO VHPEOH TXH OD UDLVRQ GH OD SHUPLVVLRQ GX PDO YLHQW GHV SRVVLELOLWpV HWHUQHOOHV >@ Mais on s¶egare, en voulant monstrer en detail, avec les Stoiciens, cette utilité du mal qui releve le bien, que S. Augustin a bien reconnue en general, et qui, pour ainsi dire, fait reculer pour mieux sauter ; car peut-on entrer dans les particularités infinies de l¶Harmonie univer24 selle ? »
En affirmant que « le détail nous passe », Leibniz se refuse à montrer comment tel ou tel mal singulier entre dans le meilleur plan divin. Il rejette comme abusive toute application particulière, en quelque sorte « constitutive »25, de la thèse selon laquelle Dieu permet le mal en vue d¶un plus bien grand. Car une telle application ouvre la voie à la désignation hasardeuse de ce bien. « Il est de nécessité physique en quelque sorte que Dieu fasse tout pour le mieux (quoiqu¶il ne soit au pouvoir d¶aucune créature d¶appliquer cette proposition universelle aux cas singuliers, 26 ni d¶en tirer des conséquences certaines relativement aux actions divines libres) » .
23 Discours de métaphysique § 30, A VI, 4 B, 1576-1577. Voir aussi § 31 (problème de O¶pOHFWLRQ ; et Dialogue effectif, Grua, 366 : « B. ± $LQVLLOIDXWFURLUHTXH'LHXQ¶DXURLWSRLQW SHUPLVOHSpFKpQ\FUppOHVFUHDWXUHVGRQWLOVoDYRLWTX¶HOOHVSHFKHURLHQWV¶LOQ¶DYRLWVoXOH PR\HQG¶HQWLUHUXQELHQLQFRPSDUDEOHPHQWSOXVJUDQGTXHOHPDOTXLHQDUULYH$ ± Je souhaiterais de sçavoir quel est ce grand bien. B. ± -HSXLVDVVHXUHUTX¶LOHVWPDLVQHSXLVHQHxSOLTXHUOHGHWDLO3RXUFHODLOIDXGURLWFRQQRLVWUHO¶KDUPRQLHJHQHUDOHGHO¶XQLYHUVDXOLHXTXH QRXVQ¶HQFRQQRLVVRQVTX¶XQHWUHVSHWLWHSDUWLH&¶HVWLF\RO¶H[FODPDWLon de S. Paul a lieu ». 24 Reponse aux reflexions contenues dans la seconde Edition du Dictionnaire Critique de M. BayleDUWLFOH5RUDULXVVXUOHV\VWqPHGHO¶+DUPRQLHSUHpWDEOLH, GP IV, 567. 25 Selon la distinction kantienne entre constitutif et régulateur (in : Critique de la raison pure, « Analytique transcendantale », livre II, chapitre 2, section 3, Bibliothèque de la Pléiade, tome I, p. 916-917). 26 De natura veritatis, contingentiae et indifferentiae atque de libertate et praedeterminatione, in : A,VI, 4 B, 1520 (cité dans la traduction de Michel Fichant, in : Recherches générales sur O¶DQDO\VHGHVQRWLRQVHWGHVYpULWpV24 thèses métaphysiques et autres textes logiques et métaphysiques (abrév. : TLM), PUF, Épiméthée, 1998, p. 345). 1RWRQV TXH O¶LQWHUSUpWDWLRQ GX IDLWGLYHUJHVHORQTX¶LOV¶DJLWG¶XQELHQRXG¶XQPDO$ORUVTXHOHPDOSDUWLFXOLHUREMHWG¶XQH
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Loin donc d¶offrir l¶image d¶un rationalisme présomptueux et excessif, la théodicée indique expressément les bornes de son explication. Cette limitation théorique autorise le soutenant (dont la thèse s¶en tient au général) à écarter toutes les objections qui reposent sur les apparences d¶injustice et de désordre observées dans la petite portion d¶univers qui nous échoit, en alléguant cette harmonie universelle que nous ne voyons pas, mais que nous sommes fondés à déclarer la plus parfaite. Il s¶agit en quelque sorte d¶opposer une ignorance à une autre : l¶ignorance « savante » du soutenant, qui se déclare incapable de connaître le détail mais certain de la perfection du tout (certitude établie par la doctrine), à ce prétendu savoir, ignorant sa propre insuffisance, celui de l¶apologiste maladroit qui entend justifier Dieu jusque dans le particulier, ou encore celui du contradicteur Bayle qui, par une généralisation abusive, juge du tout à partir de la partie et, sur la base de cette connaissance partielle, condamne l¶auteur des choses. « L¶objet de Dieu a quelque chose d¶infini, ses soins embrassent l¶univers : ce que nous en connoissons n¶est presque rien, et nous voudrions mesurer sa sagesse et sa bonté par nostre connoissance. Quelle temerité, ou plustost quelle absurdité ! Les objections supposent faux ; il est ridicule de juger du droit quand on ne connoit point le fait. Dire avec S. Paul : O Altitudo Divitiarum et Sapientiae, ce n¶est point renoncer à la raison, c¶est employer plustost les raisons que nous connoissons, car elles nous apprennent cette immensité de Dieu dont l¶Apotre parle : mais c¶est avouer nostre ignorance sur les faits ; c¶est reconnaitre cependant, avant que de voir que Dieu fait tout le mieux qu¶il est possible, suivant la sagesse infinie qui 27 regle ses actions » .
Dans la défense « négative », le soutenant tient le rôle de « l¶ignorant », rôle dont il ne doit pas se départir, même lorsqu¶il est expressément invité par l¶adversaire à se prononcer sur le détail de l¶harmonie universelle ou les fins ultimes de Dieu. Le recours à la présomption et à l¶ignorance du détail lui permet de demeurer toujours à l¶extérieur du sujet débattu, de ne pas pénétrer le fond de la question, en se déclarant précisément incapable d¶y « toucher »28. Son contradicteur se trouve SHUPLVVLRQ GLYLQH QH GRLW GRQQHU OLHX j DXFXQH FRQMHFWXUH WRXFKDQW OH ELHQ VXSpULHXU TX¶LO conditionne et que Dieu a voulu, il faut au contraire regarder tout bien comme voulu expressément par Dieu : « Et en général, toutes les fois que nous voyons une chose quelconque présenter des avantages remarquables nous pouvons prononcer en toute sûreté que Dieu, quand il DFUppFHWWHFKRVHSXLVTX¶LODYDLWjHQFRQQDvWUHHWUpJOHUO¶XVDJHV¶HVWSURSRVpFHVDYDQWDJHV FRPPH ILQSDUPLG¶DXWUHV » (Animadversiones in partem generalem Principiorum Cartesianorum, GP IV, 360-361 : « Et in universum, quotiescunque rem aliquam egregias utilitates habere videmus, possumus tuto pronuntiare, hunc inter alios finem Deo eam rem producenti propositum fuisse, ut illas utilitates praeberet, cum usum hunc rei et sciverit et procurarit »). Le recours aux causes finales doit donc être prudent, dans le cas des maux, mais hardi, dans le cas des biens. On ne saurait en effet pécher par excès de « finalisme » et attribuer au Créateur WURSG¶LQWHQWLRQVERQQHV : la reconnaissance de ses bienfaits sera toujours en-deçà de ce qui peut être connu deVGHVVHLQVG¶XQHVDJHVVHLQILQLHHWG¶XQHYRORQWpVXSUrPHPHQWERQQHFI Discours de métaphysique, § 19, A VI, 4 B, 1560-1561). 27 Théodicée, § 134, GP VI, 188. 28 &IO¶LPDJHGXFLHODWWHLQWSDUODYXHHWQRQSDUOHWRXFKHULQ : Discours préliminaire, § 72, GP VI, 91 : « Nous pouvons atteindre ce qui est au dessus de nous, non pas en le penetrant,
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alors dans la position du dogmatique qui méconnaît les bornes de la raison humaine, puisqu¶il lui faudrait, pour renverser la thèse, s¶élever à une connaissance qui nous est inaccessible et que le défenseur affirme également ne pas posséder. La réfutation est donc impossible, et le soutenant peut légitimement sortir vainqueur de la dispute, dès lors qu¶il fait valoir que, pour le reste, « toutes les objections prises du train des choses, où nous remarquons des imperfections, ne sont fondées que sur de fausses apparences »29. À ce stade, il a satisfait à tous ses devoirs, de sorte que la défense « négative » suffit à terminer la controverse. Les arguments qu¶il pourra alléguer ensuite en faveur de la perfection du monde et de son ordre, de la bonté et de la sagesse divines devront par conséquent être considérés comme surérogatoires. Ils constituent la défense « positive », laquelle consiste à s¶engager sur le terrain de l¶opposant (celui de l¶expérience et des apparences30), afin, d¶une part, de réduire les objections de ce dernier par des arguments contraires31, d¶autre part, de montrer les marques et les indices a posteriori que la nature donne de l¶harmonie, ainsi que les raisons qu¶il y a de conclure que la somme des biens doit l¶emporter sur celle des maux au niveau universel32. Il faut noter que le soutenant n¶est pas tenu de mener cette seconde défense, et que, pour Leibniz, les arguments qu¶elle déploie, quoique plus probants que ceux produits par l¶adversaire, ne valent pas davantage démonstrations. Ils donnent certes, sur le plan des phénomènes, une forte présomption en faveur de l¶harmonie universelle et de la justice divine, mais leur but n¶est pas de confirmer positivement des thèses établies a priori au niveau doctrinal. Leur rôle reste essentiellement défensif, et aucun d¶entre eux ne vise à prouver l¶unité de la sagesse « morale » avec la sagesse « artistique » du Créateur dans le monde. Il s¶agit plutôt d¶opposer aux apparences prétendument contraires des « apparences » de bonté et de perfection plus fortes encore, de neutraliser l¶objection tirée de l¶expérience du mal, en montrant que celle-ci ne plaide pas nécessairement en faveur d¶un principe mauvais, mais peut très bien s¶accorder avec l¶idée d¶un Être unique infiniment sage, porté à admettre le mal en vue de l¶harmonie générale la plus excellente. Montrer le caractère non concluant des arguments développés dans cette partie défensive de la théodicée ne peut donc
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mais en le soûtenant ; comme nous pouvons atteindre le Ciel par la vue, et non pas par O¶DWWRXFKHPHQW ». Discours préliminaire, § 44, GP VI, 75. Bayle considère en effet que, du point de vue a posteriori, les apparences plaident en faveur du manichéisme, hypothèse qui, quoique « absurde et contradictoire » (philosophiquement intenable et contraire à la théologie révélée), rend bien mieX[ FRPSWH GH O¶H[SpULHQFH TXH OD connaissance a prioriSRXUWDQWYUDLHGHO¶XQLFLWpGXSUHPLHUSULQFLSHLQILQLPHQWERQHWSDrfait (cf. Dictionnaire historique et critique, article « Pauliciens »). Nous en avons identifié trois principaux O¶LQVWDQFH GH SRVVLELOLWp O¶DUJXPHQW GH IDLW HW OD notoriété. Pour une étude complète, nous renvoyons à notre ouvrage La question du mal chez Leibniz : fondements et élaboration de la Théodicée, Paris, Honoré Champion, Travaux de philosophie, n°15, 2008, p. 470-476. Voir ibid., p. 477-491.
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suffire à jeter le discrédit sur cette dernière. Affirmer ici son échec est encore manifester une méconnaissance de la finalité exacte de la défense (qui n¶a pas vocation à fournir des preuves décisives, puisque celles-ci relèvent de la doctrine) aussi bien que des règles de la dispute, suivant lesquelles toute défaite du défenseur dans une argumentation surérogatoire ne peut affaiblir réellement sa position ni entraîner corrélativement la victoire de son contradicteur (puisque celle-ci ne peut être obtenue que par une réfutation en bonne et due forme). Car outre que des objections nouvelles adressées au soutenant ne feront que relancer la controverse sans parvenir à la clore (parce qu¶elles seront elles-mêmes insuffisantes), les défauts de la défense « positive » ne sauraient remettre en cause les résultats de la défense « négative »33. 3. Une doctrine sans démonstration ? La distinction des tâches dévolues respectivement aux volets doctrinal et défensif ne signifie pas qu¶ils s¶opposent comme la partie démonstrative et constructive (principale), relevant de la science, à la partie polémique et négative (secondaire), ressortissant à l¶art des controverses. Ces deux volets de la théodicée sont indissociables et s¶impliquent l¶un l¶autre, si bien que la défense peut apparaître à la fois comme ce qui suit de la doctrine (sur laquelle elle s¶appuie et même qu¶elle engage, en particulier lorsqu¶elle recourt à des arguments positifs surérogatoires34), à titre de complément indispensable, et comme ce qui y mène, en tant que préalable, l¶exposé théorique étant le seul susceptible de mettre définitivement fin à la dispute et à toute dispute. Car, s¶il suffit, au niveau polémique, de faire jouer apparences contre apparences, présomptions contre simples vraisemblances, le triomphe de la vérité « toute nue » requiert, sur le plan philosophique, une argumentation démonstrative. Alors se dissiperont les derniers doutes et l¶expérience même des maux particuliers ne parviendra pas à ébranler les certitudes acquises :
33 0rPHORUVTX¶LOHQWUHSUHQGGHUpSRQGUHDX-delà de ce à quoi il est strictement obligé, le soutenant reste « à couvert ª 6L QRQ FRQWHQW GH UHSRXVVHU O¶REMHFWLRQ LO GpFLGH G¶DWWDTXHU OXLmême son adversaLUHWHOO¶DVVLpJpTXLVUGHVHVIRUFHVWHQWHXQH© sortie » hors de ses fortifications), la « retraite » lui est toujours permise. Une bataille livrée sur le champ des apparences et perdue par le défenseur ne saurait entamer le crédit de sa thèse (cf. Discours préliminaire, §§ 75-76, GP VI, 94-95). 34 La défense « positive », plus encore que la défense « négative », suppose la doctrine constiWXpH /¶LQVWDQFHGH SRVVLELOLWpO¶DUJXPHQWGH IDLW OD QRWRULpWpOHV LQGLFHV a posteriori G¶XQ RUGUHXQLYHUVHOHWG¶XQHVDJHVVHRUJDQLVDWULFHOHFDOFXOJOREDOGHVELHQVHWGHVPDX[VHIRndent en effet sur une certaine conception de Dieu, de ses perfections et de leurs rapports, de O¶KDUPRQLH HW GH OD QDWXUH GX PDO GRQW OD GLVWLQFWLRQ HQ PpWDphysique, physique et moral permet de comprendre une sommation globale différenciée).
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« C¶est ainsi qu¶étant assurés par des demonstrations de la bonté et de la justice de Dieu, nous meprisons les apparences de dureté et d¶injustice, que nous voyons dans cette petite partie de 35 son regne qui est exposée à nos yeux » .
Seules les raisons a priori sont décisives : « Une si bonne cause donne de la confiance : s¶il y a des apparences plausibles contre nous, il y a des demonstrations de nostre côté ; et j¶oserois bien dire à un adversaire : Aspice, quam 36 mage sit nostrum penetrabile telum » .
La théodicée n¶est pas seulement l¶exposé d¶une plaidoirie visant à justifier Dieu : elle affiche, au-delà du cadre de la dispute, une prétention théorique et une ambition démonstrative : « Il suffit donc pour aneantir l¶objection, de faire voir qu¶un monde avec le mal pouvoit être meilleur qu¶un monde sans mal : mais on est encor allé plus avant dans l¶ouvrage, et l¶on a même montré que cet Univers doit être effectivement meilleur que tout autre univers pos37 sible » .
Ou encore à Th. Burnett : « Il y a aussi par cy par là [dans les Essais] des eclaircissemens sur mon systême de l¶Harmonie préétablie, et sur quantité de matieres de la Philosophie generale et de la Theologie naturelle, où je pretends que tout se peut regler demonstrativement, et j¶en ay donné les 38 moyens » .
La théodicée leibnizienne ne révélerait-elle pas en définitive sa véritable nature « dogmatique » dans cette partie doctrinale qui prétend produire d¶authentiques démonstrations ? Ne tomberait-elle pas là sous le coup de la critique kantienne de tout essai rationnel de justification de la sagesse et de la bonté divines, en s¶aventurant présomptueusement dans le domaine du suprasensible ? Il faut tout d¶abord rappeler que Leibniz ne définit pas la théodicée comme une science, au sens strict du terme39, mais seulement comme une « quasi sorte de science ». Aussi convient-il de prendre avec une certaine circonspection ces déclarations où l¶auteur annonce des démonstrations. L¶assurance dont il fait preuve peut sembler excessive, car une démonstration n¶est pas une simple preuve, ni un raisonnement comme un autre : démontrer une proposition consiste à faire apparaître, par l¶analyse de ses termes, en substituant au défini sa définition, la coïncidence du prédicat avec le sujet, ou l¶inclusion du premier dans
35 Discours préliminaire, § 82, GP VI, 98. 36 Théodicée, § 6, GP VI, 106 : « Vois combien notre trait est plus pénétrant » (citation tirée de Virgile, Énéide, X, 481). 37 Abrégé, I, GP VI, 377. Nous soulignons. 38 À Th. Burnett (30 octobre 1710), GP III, 321. Nous soulignons. 39 La science, « connaissance certaine des propositions vraies » (Praecognita ad encyclopaediam sive scientiam universalem, A VI, 4 A, 135), se caractérise par sa systématicité et par la démonstrativité GHVHVDVVHUWLRQV(OOHHVWO¶DUUDQJHPHQWGHVYpULWpV© suivant leurs démonsWUDWLRQV OHV SOXV VLPSOHV HW GH OD PDQLqUH TX¶HOOHV QDLVVHQW OHV XQHV GHV DXWUHV » (Discours WRXFKDQWODPpWKRGHGHODFHUWLWXGHHWO¶DUWG¶LQYHQWHU, A VI, 4 A, 959).
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le second40. La démonstration suppose que la forme du raisonnement soit bonne, mais aussi que toutes les prémisses qui entrent dans sa matière soit parfaitement prouvées (c¶est-à-dire elles-mêmes démontrées)41. Seules les vérités de raison peuvent être, à proprement parler, démontrées, parce que, leur analyse étant menée à son terme en un temps fini, l¶inhérence du prédicat dans le sujet apparaît manifeste : la proposition est reconduite aux identiques (de la forme A=A). Ces vérités sont nécessaires, telles que l¶opposé implique contradiction, et d¶une certitude absolue, logique ou métaphysique. À l¶inverse, les vérités de fait peuvent seulement être prouvées, car leur analyse n¶est jamais achevée, mais engage à une régression à l¶infini. La résolution des termes s¶approche tangentiellement de la forme identique sans jamais pourtant l¶atteindre ; car il faudrait, pour expliquer parfaitement le moindre contingent, connaître ses causes, et, vu la liaison de chaque chose avec toutes les autres, tout l¶univers, ainsi que les raisons du choix divin de le créer plutôt qu¶un autre (ce qui supposerait encore de considérer tous les autres mondes possibles, par rapport auxquels le nôtre a été jugé meilleur). Dieu seul est capable d¶une telle connaissance a priori, qui n¶est pas davantage pour lui une démonstration : il ne voit pas le terme de la résolution, qui n¶existe pas, mais embrasse en une intuition unique la série infinie des raisons 42. Ces vérités sont contingentes, telles qu¶elles auraient pu être autres, que leur opposé est en soi possible, et ne donnent qu¶une certitude « morale ». Or le monde et l¶acte créateur par lequel il advient sont contingents. S¶il résulte de l¶idée de Dieu qu¶il est tout parfait, que l¶omniscience et la bonté doivent nécessairement lui être attribuées (puisqu¶elles entrent dans sa définition), le résultat de la mise en rapport de ces deux attributs ne relève pas, lui, d¶une nécessité absolue ou métaphysique : « Or cette supreme sagesse, jointe à une bonté qui n¶est pas moins infinie qu¶elle, n¶a pu manquer de choisir le meilleur »43. Quoiqu¶il soit vrai, certain et infaillible que Dieu a choisi le meilleur, cette « nécessité » n¶est pas telle qu¶elle rende impossible ce qui n¶a pas été choisi, ou que tout autre choix eût impliqué contradiction. Dieu est libre et sa volonté est seulement inclinée par son entendement, qui lui représente le meilleur. Par conséquent, la théodicée ne peut démontrer ni qu¶il choisit toujours le meilleur, ni a fortiori, par la seule considération de sa nature, que cet univers existant est le plus parfait possible. Non qu¶elle soit imparfaite ou déficiente, car la démonstration est impossible non seulement en fait, compte tenu de la limitation de nos connaissances, mais aussi en droit, pour Dieu même, en raison de la nature des propositions contingentes. 40 De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, A VI, 4 B, 1655-1656 ; Praecognita ad encyclopaediam sive scientiam universalem, A VI, 4 A, 135. 41 Discours préliminaire, § 25, GP VI, 65. 42 De libertate, contingentia et serie causarum, providentia, A VI, 4 B, 1658 : « >«@OHVYpULWpV FRQWLQJHQWHV F¶HVW-à-GLUH LQILQLHV VRQW O¶REMHW GH OD VFLHQFH GH 'LHX SDU OHTXHO HOOHV VRQW connues, non certes par démonstration, ce qui serait contradictoire, mais par une vision infaillible » (TLM, p. 334). 43 Théodicée, § 8, GP VI, 107 ; voir aussi GP III, 34-35.
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Une démonstration exacte ne serait possible qu¶à condition que Dieu soit soumis à la nécessité « brute » comme chez Straton, Hobbes ou Spinoza. Ce qui n¶a pas lieu : « Le premier principe des existences est cette proposition : Dieu veut choisir le plus parfait. Cette proposition ne peut être démontrée, elle est la première de toutes les propositions de fait, c¶est-à-dire l¶origine de toute existence contingente. C¶est tout à fait la même chose de dire que Dieu est libre et que cette proposition est un principe indémontrable. Car si l¶on pouvait rendre raison de ce premier décret divin, par là même Dieu ne l¶aurait pas décidé librement. Je dis donc que cette proposition peut être comparée aux propositions identiques. En effet, tout comme la proposition A est A, ou une chose est égale à elle-même, la proposition Dieu veut le plus parfait ne peut être démontrée. Cette proposition est l¶origine du passage de 44 la possibilité à l¶existence des créatures » .
Comment caractériser alors le type de raisonnement produit dans la partie doctrinale de la théodicée ? L¶argumentation n¶a pas la force d¶une démonstration, celle-ci étant réservée aux seules vérités nécessaires, mais d¶une preuve a priori dont le degré de certitude reste à déterminer. Faut-il considérer comme exagérées les déclarations de l¶auteur alléguant des « démonstrations » ? Il convient plutôt de reconnaître chez Leibniz une conception plus large de la démonstration, comprenant, outre les « demonstrations de necessité »45, les démonstrations de « probabilité », dont le caractère probant est variable et estimable46. Cette seconde espèce de démonstration n¶est pas conclusive et relève de ce que l¶on pourrait appeler une forme « faible » de raisonnement, qui reste cependant féconde là où une analyse complète ne peut être menée : elle est établie par le recueil de preuves (expériences, vraisemblances, généralisations hypothétiques, présomptions) convergeant vers la certitude la plus grande. La preuve a priori du choix divin du meilleur (développée dans la doctrine) s¶en distingue cependant en ceci qu¶elle n¶est pas tirée des apparences ou du vraisemblable. Elle vaut également plus que la simple présomption, admissible jusqu¶à preuve du contraire, car elle est certaine et infaillible. Elle appartient à ce qui semble être une espèce particulière de démonstration, en quelque sorte intermédiaire entre la démonstration de nécessité et la démonstration de probabilité. L¶affirmation selon laquelle Dieu a créé le meilleur univers possible est en effet une proposition contingente, quoique connue par la raison et non par 44 De libertate a necessitate in eligendo, A VI, 4 B, 1454 : « Principium primum circa Existentias est propositio haec : Deus vult eligere perfectissimum. Haec propositio demonstrari non potest, est omnium propositionum facti prima, seu origino omnis existentiae contingentis. Idem omnino est dicere Deum esse liberum, et dicere hanc propositionem esse principium indemonstrabile. Nam si ratio reddi posset hujus primi divini decreti, eo ipso Deus hoc non libere decrevisset. Dico ergo hanc propositionem comparari posse identicis. Ut enim ista A est A, seu res sibi ipsi aequalis est demonstrari non potest, ita ista : Deus vult perfectisssimum. Haec propositio est origo transitus a possibilitate ad existentiam creaturarum ». Voir aussi : Extraits de Petau, Grua, 336 ; Extraits de Twisse, Grua, 351. 45 Cf. Discours de métaphysique, § 13, A VI, 4 B, 1549 : les propositions contingentes ne relèvent pas de « demonstrations de necessité ». 46 Voir À Burnett (1/11 février 1697), GP III, 194.
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l¶expérience. Elle ressortit au degré le plus haut du probable : ce que Leibniz appelle la « probabilité infinie ou certitude morale »47, opposée à la certitude métaphysique dont le contraire implique contradiction. Est en effet moralement certain ce qui est « incomparablement plus probable que le contraire »48, et donc supérieur à la simple présomption. L¶auteur préfère cependant parler de certitude « infaillible » à propos de la détermination divine au meilleur, plutôt que de « certitude morale », réservant cette dernière qualification à des inférences établies à partir de l¶expérience, de l¶autorité ou des témoignages (ainsi la preuve de l¶existence d¶un Esprit intelligent par la beauté du monde49, les indices en faveur de la réalité des phénomènes50, ou les motifs de crédibilité en faveur de la vérité de la religion51). Cette certitude « infaillible », fondée sur une preuve entièrement a priori, s¶appuie sur une nécessité d¶un genre particulier : la nécessité morale, qui est une forme d¶obligation interne. Dieu fera toujours le meilleur, non pas parce qu¶il ne peut faire autrement, mais parce qu¶il le doit, parce qu¶il ne peut pas faire ce qui est indigne de sa perfection et contraire à sa justice52. Que Dieu choisit toujours le meilleur et que le monde existant est le plus parfait des univers possibles sont des propositions établies a priori, mais contingentes, donnant une certitude infaillible mais non absolue. L¶usage dans la partie doctrinale d¶arguments non strictement démonstratifs, la reconnaissance de l¶ignorance du détail et de limites inhérentes aux arguments surérogatoires dans la partie défensive révèlent une théodicée bien différente de celle que critique Kant dans l¶opuscule de 1791. Une théodicée qui tient ses promesses, si l¶on considère ce qu¶elle promet vraiment, au lieu de lui attribuer des fins qu¶elle n¶a jamais prétendu vouloir atteindre, et de lui reprocher d¶« échouer » là où elle n¶a jamais annoncé de succès. Elle explique, prouve, mais ne prétend ni comprendre53 absolument les raisons de la permission du péché, ni apporter une réponse consolante à la conscience affligée, puisqu¶elle se situe à un niveau de généralité qui lui interdit de se prononcer sur le particulier (pour autant que celui-ci est un mal54). La pénétration infinie et parfaite du détail est renvoyée à l¶autre vie55. La 47 Demonstrationum catholicarum Conspectus, A VI, 1, 494, c.5 ; Ad constitutionem scientiae generalis, A VI, 4 A, 451 ; De modo distinguendi phaenomena realia ab imaginariis, A VI, 4 B, 1502. 48 Introductio ad Encyclopaediam arcanam, A VI, 4 A, 530. 49 Demonstrationum catholicarum Conspectus, A VI, 1, 494, c.5 ; Conversation du marquis de Pianese et du Père Emery ermite, A VI, 4 C, 2268 ; De libertate, fato, gratia Dei, A VI, 4 B, 1605. 50 De modo distinguendi phaenomena realia ab imaginariis, A VI, 4 B, 1502. 51 Discours préliminaire, § 5, GP VI, 52. Voir aussi : Contemplatio de historia literaria statuque praesenti eruditionis, A VI, 4 A, 470 ; À Th. Burnett (1/11 février 1697), GP III, 193. 52 Cf. GP III, 32-33 ; Causa Dei, § 38, GP VI, 444 ; § 66, 448-449. 53 Cf. distinction entre expliquer, prouver, comprendre et soutenir, in : Discours préliminaire, § 5, GP VI, 52. 54 Voir supra note 26.
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théodicée ne fournit donc pas la réponse définitive et ultime au problème du mal : celle-ci est la récompense des élus, pour lesquels la justice se montrera tout à fait, telle qu¶elle est (on notera que la compréhension n¶est, en toute rigueur, jamais totale, mais se poursuit à l¶infini : aussi la raison du mal reste-t-elle, même pour les élus, pour une part encore mystérieuse). Elle ne peut livrer qu¶une connaissance incomplète et générale, quoique certaine : elle ne donne pas cette science parfaite, qui est réservée à Dieu et dont les bienheureux ne cessent de s¶approcher, mais une doctrine, c¶est-à-dire au sens étymologique, une connaissance qui peut être enseignée (doctrina, qui vient de doceo, signifie l¶enseignement, voire l¶éducation), qui est transmissible par le langage et dont le but est « l¶édification »56 des hommes. Elle répond à une finalité avant tout pratique : destinée à un public plus large que celui des seuls savants (les Essais ne sont pas écrits en latin, mais en langue vulgaire), elle vise à susciter un amour éclairé de Dieu, fondé sur une notion juste de la Divinité. Reste le second grief : l¶illégitimité de cette démarche inscrite dans le cadre de la théologie rationnelle, que Kant rejette au profit de la théodicée « authentique », celle que produit la raison pratique lorsqu¶elle oppose une fin de non-recevoir à toutes les objections contre la sagesse divine, au nom de son concept de Dieu comme être moral et sage. Comme l¶illustre l¶histoire de Job qui, sans cacher ses doutes, avoue avec franchise son incapacité à comprendre les fins de Dieu, « la théodicée n¶a pas pour objet de contribuer à l¶avantage de la science, elle est bien plutôt une affaire de foi ». Dans l¶interprétation « authentique » en effet, « il ne s¶agit pas tant de multiplier les raisonnements que de faire preuve de sincérité en remarquant l¶impuissance de notre raison, et de l¶honnêteté qui consiste à ne pas travestir en les 57 énonçant ses pensées, fût-ce dans une intention aussi pieuse qu¶on pût l¶imaginer » .
La théodicée leibnizienne est incontestablement une entreprise de la raison spéculative. Elle repose sur une conception univoque des notions de bien et de juste, qui permet d¶assurer que les règles de la justice sont les mêmes dans le Ciel et sur la terre, pour Dieu et pour la créature raisonnable. Elle s¶appuie également sur l¶idée d¶une parfaite conformité des vérités de la foi avec celles de la raison, toutes les vérités formant une chaîne unique et continue. Ce qui est au-dessus de notre raison n¶est donc pas au-dessus de la Raison, mais intelligible et donc compréhensible en droit par tout esprit. L¶affirmation de cette univocité et de cette rationalité une ne saurait cependant justifier l¶assimilation de la théodicée de Leibniz aux interprétations doctrinales défendues par les « amis » de Job. Celle-ci présente plutôt certains traits communs avec ce que Kant nomme la théodicée 55 6XUOHPRGHILFWLRQQHOODIDEOHGH6H[WXVLQGLTXHOHVERUQHVGHO¶HQWUHSULVHMXVWLILFDWULFH&H Q¶HVWTX¶XQHIRLVLQWURGXLWGDQVOHGHUQLHUDSSDUWHPHQWTXLIRUPHODSRLQWHGHODS\UDPLGHGHV mondes que Théodore verra comment le crime de Sextus (mal particulier) entre dans le meilleur plan (« sert à de grandes choses »)HQUHQGDQWSRVVLEOHODFRQVWLWXWLRQG¶© un grand Empire, qui donnera de grands exemples » (Théodicée, § 416, GP VI, 364). 56 Théodicée, préface, GP VI, 47. 57 Op. cit., p. 1408.
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« authentique ». Ni la défense, ni la doctrine n¶autorisent une explication des maux expérimentés a posteriori, mais invitent au contraire à la prudence dans l¶interprétation de ce qui paraît « anti-final ». Ni les indices visibles dans le monde d¶un ordre parfait et d¶une intelligence sage, ni les arguments en faveur de la prévalence globale du bien sur le mal, ni même l¶idée que nous avons de Dieu et de ses perfections ne permettent de vérifier de manière absolument certaine, dans l¶expérience, l¶accord entre les phénomènes tels qu¶ils apparaissent et l¶harmonie universelle, entre le mal particulier et les fins divines. Seule l¶admission dans le « conseil de Dieu »58 ou la vision béatifique promise dans l¶autre vie sont susceptibles de surmonter cette limite inhérente à notre savoir. La certitude à laquelle aboutit la théodicée n¶en est pas moins suffisante pour inspirer une croyance (Dieu a tout fait au mieux « tant absolument que pour nous »59) qu¶aucune expérience ne peut certes confirmer de façon indubitable en cette vie, mais qu¶aucun fait ne peut non plus réfuter, et une espérance (il n¶abandonnera pas ceux qui l¶aiment d¶un amour véritable et sincère), malgré les imperfections apparentes du monde et les malheurs qui frappent le juste. « Car si nous étions capables d¶entendre l¶Harmonie universelle, nous verrions que ce que nous sommes tentés de blâmer, est lié avec le plan le plus digne d¶être choisi ; en un mot nous 60 verrions, et ne croirions pas seulement, que ce que Dieu a fait est le meilleur » .
Si la théodicée est « une affaire de foi », elle ne peut l¶être que dans une parfaite continuité avec la raison théorique, comme l¶attente d¶un surcroît de raison, d¶une compréhension plus grande des raisons divines, comme la promesse d¶un savoir qui irait jusque dans l¶infini du détail.
58 Cf. les bienheureux admis à contempler « OHVDUFKLYHVGHO¶pWHUQHOOH 5DLVRQ », in : De libertate, fato, gratia Dei, A VI, 4 B, 1612 ; la fable de Sextus qui clôt la Théodicée (§§ 413-417, GP VI, 361-365). 59 Cf. Théodicée, préface, GP VI, 31. 60 Discours préliminaire, § 44, GP VI, 75. Voir aussi : Examen religionis christianae, A VI, 4 C, 2402 : « En effet la connaissance des choses fait les plus puissants délices des esprits, et comme ils [les saints] contemplent de plus près la sagesse et la perfection divines, il est à FURLUHTX¶LOVVRQWPDLQWHQDQWDGPLVSOXVSUqVDX[VHFUHWVGHODSURYLGHQFHTX¶LOVDGPLUDLHQW de loin quand ils étaient attachés à un corps, et que le gouvernement très juste de Dieu, objet avant de leur croyance, ils le connaissent maintenant, ce qui, je pense, ne peut être compris, sans la connaissance des choses singulières qui se passent parmi les hommes » (« Mentium enim potissimas delitias facit cognitio rerum, et cum ipsae Divinam Sapientiam ac perfectionem propius intueantur, credibile est ad providentiae arcana, quae in corpore existentes eminus admirabantur, nunc propius admitti, et gubernationem Dei justissimam creditam illis antea nunc cognitam esse, quod sine notitia rerum singularium quae inter homines geruntur intelligi opinor non potest »). Nous soulignons.
II. RÉCEPTION ET CRITIQUES
THEMEN UND VARIATIONEN THEOLOGISCHER KRITIK AM METAPHYSISCHEN OPTIMISMUS: VON BUDDE BIS SCHLEIERMACHER von Stefan Lorenz (Münster)
1 André Gide schreibt am 18. Oktober 1892 an Paul ValéryÄ,FKOHVHGLH7KHRGL]HH von Leibniz, bei der mir das Christentum langweilig wurde, da man es als YHUQXQIWJHPlHUZHLVHQZLOO³1 Wenn diesem Leser der Theodizee am Ende des 19. Jahrhunderts die Überlegungen Leibnizens über die beste aller möglichen Welten und die Selbstbindung Gottes an vernunftgemäße Regeln bei Erschaffung derselben als so hausbacken und bieder erscheinen, so daß sie einem den JHZLVVHUPDHQÄexistentiellen³ Gehalt des Christentums verstellen, so ist dies ein überaus zeitgebundene Stellungnahme. Sie übersieht, daß die Geschichte der Rezeption der Essais de Théodicée2 vom Beginn des 18. Jahrhunderts bis weit ins 19. Jahrhundert hinein überaus kontrovers verlaufen ist: Theologen aller möglichen Richtungen haben ± zumal in Deutschland ± den Leibnizschen Text ± anders als André Gide ± nicht so sehr als langweilig, als vielmehr als gefährlich und dem Christentum in hohem Maße abträglich empfunden. Dies ist um so bemerkenswerter, als Leibniz mit der Publikation seiner Théodicée3 große Hoffnungen verband: er hoffte mit seinem Ansatz des metaphysischen Optimismus auf Akzeptanz bei allen christlichen Konfessionen und es ist vielleicht nicht unerlaubt zu vermuten, dass er seiner Theodizee eine entscheidende Bedeutung bei seinen irenischen Bemühungen zu der von ihm 1
2
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André Gide ± Paul Valéry: Briefechsel 1890 ± 1942. Aus dem Französischen von Hella und Paul Noack. Eingeleitet und kommentiert von Robert Mallet. Nachwort von Daniel Moutote. Frankfurt/M. 1987, S. 203. Vgl. Wolfgang Hübener: Sinn und Grenzen des Leibnizschen Optimismus. In: Studia Leibnitiana X/2 (1978), S. 222-246. ± Stefan Lorenz: De mundo optimo. Studien zu Leibniz¶ Theodizee und ihrer Rezeption in Deutschland (1710-1791). Stuttgart 1997 (Studia Leibnitiana. Supplementa 31). Übrigens war der Leibniz¶sche metaphysische Optimismus keineswegs Gegenstand nur theologischer Kritik: vgl. Luca Fonnesu: Der Optimismus und seine Kritiker im Zeitalter der Aufklärung. In: Studia Leibnitiana XXVI/2 (1994), S. 131-162. Für eine genaue Analyse der Voraussetzungen, Entwicklung und Ausprägung des metaphysischen Optimismus bei Leibniz, die alle Textzeugnisse berücksichtigt vgl. jetzt die beeindruckende Studie von Paul Rateau: La question du mal chez Leibniz. Fondements et élaboration de la Théodicée. Paris 2008.
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angestrebten Union der Konfessionen und Kirchen beimaß: nicht ohne Stolz berichtet er4 am 19. April 1712 einem Korrespondenten, daß seine Theodizee sowohl bei Calvinisten5, als auch bei Jesuiten6 Beifall gefunden habe: eine größere konfessionelle Spannbreite wird man sich zu der Zeit in der Tat wohl kaum vorstellen können. Und Leibniz hat auch versucht, seine Theodizee den gelehrten Zeitgenossen zu empfehlen: so lässt er in engster Absprache mit dem Rezensenten, Michael Gottlieb Hansch (1683-1749) eine Besprechung seines Werkes erscheinen7, die den Verdacht der Heterodoxie zerstreuen soll, nachdem ein umfangreiche, im wesentlichen negativ urteilende Dissertation über das Buch unter dem Vorsitz von Johann Franz Budde erschienen war. Leibniz nimmt auch großen Anteil an einer lateinischen Übersetzung der Theodizee, die der Jesuit Bartholomäus Desbosses anfertigt und für die Leibniz noch ergänzende Bemerkungen8 beisteuert, auch wenn diese Übersetzung erst 1719, also drei Jahre nach Leibniz¶ Tod erscheinen kann9. Desbosses versieht diese Übersetzung mit einem einleitenden ÄMonitum Interpretis³, das eine Reihe von katholischen, neuscholastischen Autoren aufführt, die schon vor Leibniz gelehrt hätten, Gott habe aufgrund einer Änecessitas moralis ad optimum³ die bestmögliche Welt erwählt: ein Befund, den die neuere Forschung hat bestätigen können 10. Leibniz 4
Leibniz an Friedrich Wilhelm Bierling, Wolfenbüttel, 19. April 1712. Christian Kortholt (Hrsg.): Leibnitii Epistolae ad diversos. Vol. IV. Leipzig 1742, S. 60. 5 Hier meint Leibniz den bedeutenden, reformierten Theologen Johann Alphons Turettini (1671-1737), mit dem er von 1707 bis zu seinem Tode in brieflichem Verkehr stand. Vgl. Eduard Bodemann: Der Briefwechsel des Gottfried Wilhelm Leibniz in der Königlichen öffentlichen Bibliothek zu Hannover. Hannover 1889 (Mit Ergänzungen und Register von Gisela Krönert und Heinrich Lackmann sowie einem Vorwort von Karl-Heinz Weimann. Hildesheim 1966), S. 351, Nr. 944. ± Zur Theologie Turretinis vgl. L. Thomas (&KRLV\: TurreTurretini. In: Realencyclopädie für Protestantische Theologie und Kirche. Begründet von J. J. +HU]RJ,QGULWWHUYHUEHVVHUWHUXQGYHUPHKUWHU$XIODJH>«@KHUDXVJHJHEHQYRQ Albert Hauck. Zwanzigster Band (Leipzig 1908), S. 166-171 und Karl Barth: Die protestantische Theologie im 19. Jahrhundert. Ihre Vorgeschichte und ihre Geschichte. 6. Auflage. Zürich 1994, S. 128130. 6 So etwa bei dem Jesuiten Bartholomäus Desbosses S.J. (1668-1728) mit dem Leibniz von 1706 bis zu seinem Tode in brieflichem Kontakt stand. Vgl. Eduard Bodemann: Der Briefwechsel des Gottfried Wilhelm Leibniz in der Königlichen öffentlichen Bibliothek zu Hannover. Mit Ergänzungen und Register von Gisela Krönert und Heinrich Lackmann sowie einem Vorwort von Karl-Heinz Weimann. Hildesheim 1966, S. 22, N. 95. 7 Vgl. Stefan Lorenz: Leibniz und Michael Gottlieb Hansch. Zur Frühgeschichte der Wirkung der Essais de Théodicée in Deutschland. In: Leibniz und Europa. VI. Internationaler LeibnizKongreß. Hannover, 18. bis 23. Juli 1994. Vorträge II. Teil. Hannover 1995, S. 206-211. 8 Diese lateinischen Ergänzungen, die in einer künftigen, kritischen Ausgabe der Theodizee zu berücksichtigen sein werden, finden sich in deutscher Übersetzung: Die Theodicee. Nebst den =XVlW]HQ GHU 'HVERVVHV¶VFKHQ hEHUWUDJXQJ hEHUVHW]W YRQ 5 +DEV %GH 6WXWWJDUW R- [1885]. 9 Gottfried Wilhelm Leibniz: Tentamina Theodicaeae [...] Latinè versa & Notationibus illustrata à M. D. L. Ab ipso auctore emendata & auctiora. Francofurti 1719. [*3 - ***5: Monitum Interpretis [d.i. Bartholomaeus Des Bosses S. J.]]. 10 Vgl. Sven K. Knebel (wie Anm. 53).
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scheint diesen Aufweis der Kongruenz seiner eigenen Ansichten mit denen älterer, katholischer Autoren im Interesse allgemeinerer Akzeptanz seiner Theorien nicht eben unrecht gewesen zu sein. Freilich haben alle Bemühungen Leibnizens, die Übereinstimmung seines Theodizeedenkens mit der christlichen, zumal der lutherischen Orthodoxie zu erweisen, nicht verhindern können, dass er im Urteil einer ganzen Reihe von Zeitgenossen und der Nachwelt im Verdacht stand, sich außerhalb der Rechtgläubigkeit zu befinden: das Epitheton ÄLöwenix³, das ihm die Hannoveraner Bevölkerung zu seinen Lebzeiten anhängte11, hatte eben auch seine Entsprechung in der Kritik der Ärespublica litteraria³. Diese ist dann so massiv ± wie an anderer Stelle dargelegt ± 12, dass sich Anhänger Leibnizens im 18. Jahrhundert genötigt sahen, seine Rechtgläubigkeit in eigenen Schriften zu betonen. So fügt Christian Kortholt, der Herausgeber der vierbändigen Leibniz¶schen Briefausgabe Epistolae ad Diversos dem vierten Band einen einleitenden Essay bei mit dem Titel: Disputatio de Philosophia Leibnitii christianae religioni haud perniciosa bei13 und der Görlitzer Rektor Friedrich Christian Baumeister14, ein prominenter Wolffianer nahm unter seine Exercitationes Academicae et Scholasticae15 eine Abhandlung De religione Leibnitii mit auf16, die die Lutherische Rechtgläubigkeit Leibnizens unter Beweis stellen sollte. Welche Bedenken hegten nun Theologen gegen den metaphysischen Optimismus der Theodizee, gegen welche Invektiven mussten Leibnizianer ihren Meister in Schutz nehmen? Was genau war das Gefährliche, das Leibniz-Kritiker so nachhaltig auf den Plan rief, wenn doch er selbst sich stets in Übereinstimmung mit dem Christentum im allgemeinen und dem Luthertum im besonderen begriffen hatte? Immerhin hätte sich der Optimist Leibniz mit einigem Recht auf GDV6FKULIWZRUW*HQ EHUXIHQN|QQHQÄ9LGLWTXH'HXVFXQFWDTXDHIHFHUDW et erant valGH ERQD³ 'LH DOWSURWHVWDQWLVFKH 'RJPDWLN KDW GLHVHQ ELEOLVFKHQ 2SWLPLVPXVVRIRUPXOLHUWÄ)LQLVFUHDWLRQLVHVWFRPPXQLFDWLRVXPPLERQL³8QG im Näheren: ÄFinis ultimus est Dei gloria. Manifestavit enim Deus in et per creationem a) gloriam bonitatis, dum bonitatem suam cum craturis communicavit, b) gloriam potentiae, dum omnia creavit ex nihilo, solo nutu atque verbo, c) gloriam sapientiae, quae elucet ex rerum creaturarum mul-
11 Friedrich Christian Baumeister: Exercitationes Academicae et Scholasticae.Leipzig/Görlitz 6Ä>«@SOHEVLQILFHWD+RQQRYHUDH/HLEQLWLXPQRPLQDVVHIHUWXU/|ZQL[LHKoPLQHPTXLQLKLOFUHGDWHDTXHVHQWLDWTXDHQRQVDQHSUREHQWXULQYXOJXV³ 12 Vgl. Lorenz (wie Anm.2). 13 Godefridi Guilelmi Leibnitii Epistolae ad diversos. Volumen IV et ultimum. Leipzig 1742, S. 3-56. 14 Zu Baumeister vgl. Max Wundt: Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der Aufklärung. Tübingen 1945 (2. unveränderter Nachdruck Hildesheim/Zürich/New York 1992), S. 219220. 15 Leipzig/Görlitz 1741. 16 Baumeister (wie Anm. 15), N. VI, S. 52-60.
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S. Lorenz WLWXGLQHYDULHWDWHRUGLQHKDUPRQLD3V>³&RHOLHQDUUDQWJORULDP'HLHWopera manuum 17 HMXVDQQXQFLDWILUPDPHQWXP´@Finis intermedius est hominum salus´
In diesem Punkt dürften sich Lutheraner und Katholiken der Leibniz-Zeit kaum in Dissens befunden haben.18 Daher ist auch die Empörung Leibnizenz über die unter Johann Franz Budde entstandene, gegen die Theodizee gerichtete Dissertation19 verständlich: Leibniz glaubt, die Verfasser stünden kaum mehr auf dem Boden des Luthertums, wenn sie behaupten wollten, die Handlungen Gottes seien schlichtweg moralisch deswegen, weil er sie einfach gewollt habe, anstatt, wie Leibniz versichert, seiner Gerechtigkeit und Einsicht entsprängen. Ein solch voluntaristisches Gottesbild ÄSDUDGR[XP³ YHUWUHWHNDXPPHKUHLQOXWKHULVFKHU7KHRORJH Ä8QXV&O%8''(86,HQDHGLVSXWDWLRQHPFRQWUDPHHGLGLWGHRULJLQHPDOLFXLXVDXFWRULuvenis, idemque Respondens, mihi videtur non satis expendisse rem, de qua agit, et mirum non est, eum a me dissentire, qui paradoxum Theologis nostris, imo plerisque omnium partium, improbatum et parum tutum defendere audet: Actionum moralitatem non naturali iure, sed 20 positivo arbitrio FRQVWDUH>@´
Wie hier, hat Leibniz an unzähligen anderen Stellen seines Werkes und seiner Korrespondenz die Ansicht zurückgewiesen, das (Schöpfungs-)Handeln Gottes entspringe bloßer Willkür und sei von daher zu preisen. Das Ästat pro ratione voluntas³ ist stetes Gegenbild seiner eigenen, mit Fug Ärationalistisch³ zu nennenden Gottesvorstellung, wie er sie Zeit seines Lebens festgehalten und propagiert hat. 2 Nähern wir uns der Ausgangsfrage: was bringt einen deutschen lutherischen Theologen um 1710 dazu, Leibnizens metaphysischen Optimismus zu kritisieren? ± mit einem aufschlussreichen Zitat. Der prominente Theologe Johann Lorenz Mosheim (1694-1755)21, der sich gleichermaßen vom Pietismus wie vom 17 So Johannes Andreas Quenstedt, zit. nach Karl Hase: Hutterus redivivus. Dogmatik der evangelisch-lutherischen Kirche. Leipzig 121883, S. 128, § 65, 4, Anm. 8. 18 Vgl. etwa Ad. Tanquerey/J. B. Bord: Brevior Synopsis Theologiae Dogmaticae. Paris /Tournai/Rom 71931, S. 323, § 598. 19 Q.D.B.V.B. Doctrinae orthodoxae de origine mali contra recentiorum quorundam hypotheses modesta assertio [...] praeside Io. Franscisco Buddeo [...] respondens Georgius Christianus Knoerrius. Jena 1712. Zu einer genaueren Analyse der BuddeµVFKHQ(LQZlQGHJHJHQGLH Leibniz¶sche Theodizee vgl. Lorenz (wie Anm. 2), S. 105-119. 20 Leibniz an Bierling (wie Anm. 4), S. 60. 21 Zu Mosheim vgl. G. Nathanael Bonwetsch: Art. Mosheim. In: Realencyclopädie für Protestantische Theologie und Kirche. Begründet von J. J. Herzog. In dritter verbesserter und verPHKUWHU$XIODJH>«@KHUausgegeben von Albert Hauck. Dreizehnter Band (Leipzig 1903), S. 502-506 (S. 502 ältere Literatur) und Martin Mulsow/Ralph Häfner/Florian Neumann/Helmut Zedelmaier (Hrsg.): Johann Lorenz Mosheim (1693-1755). Theologie im Spannungsfeld von Philosophie, Philologie und Geschichte. (= Wolfenbütteler Forschungen 77). Wiesbaden 1997. Ralph Häfner ist dort der Origenes-Rezeption nachgegangen (ÄJohann Lorenz Mosheim
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Wolffianismus ferngehalten hat und der maßgeblich an der Gründung der Reformuniversität in Göttingen beteiligt war, hat im Jahre 1745 eine deutsche Übersetzung der Schrift des Origenes gegen den Christengegner Kelsos veröffentlicht22, die er mit umfangreichen Anmerkungen versehen hat. Auf S. 446 findet sich die folgende Anmerkung Mosheims zu den kosmologischen Vorstellungen des Kelsos: Ä(UOHKUHWGDVVGLHMHW]LJH :HOWGLHEHVWHVH\GLH*RWWKDEH VFKDIIHQN|QQHQ dass alles in derselben aneinander hänge, und nach den allgemeinen Gesetzen der Bewegung, die Gott in die Materie geleget hat, regieret werde; dass die Ordnung der Natur unwandelbar sey, und so fortgehet, wie sie einmal ist angeleget und eingerichtet worden; dass die Welt keiner unmittelbaren Vorsehung und Regierung Gottes, keiner Erneuerung oder Verbesserung, bedürfe, sondern durch die von Gott eingeführten Gesetze der Bewegung stets in einerley Stande erhalten werde; dass das Böse, oder das, was wir böse nennen, eine nothwendige Folge der Einrichtung und Verfassung der Welt sey; dass es nicht aus den Seelen, sondern aus der Beschaffenheit und der Verbindung der Materie entspringe; dass so viel Böses in der Welt nicht sey, als die Menschen insgemein glauben; dass vieles, was in Ansehen dieser oder jener böse ist, Wohlseyn und zum Besten der Welt nöthig, und also in Ansehen des Ganzen, zu dem es gehöret, gut und heilsam sey: dass vieles für böse gehalten werde; welches doch, wenn alles genau besehen wird, entweder demjenigen, dem es wiederfähret, oder andern Menschen, nützlich und dienlich sey. Aus der Beständigkeit und Unveränderlichkeit der Welt schließet er, dass allezeit gleich viel Böses in der Welt, und nie mehr oder weniger da sey. Da alles, sagt er, so bleibet, wie es ist, und die Gesetze der Natur stets einerley Gang und Lauf behalten: so kann zu einer Zeit weder mehr Böses noch Gutes in der Welt seyn, als zu der andern. Überwieget zuweilen an einem Orte das Böse das Gute: so wird dieser Schade anderswo durch die Übermaaße des Guten ersetzet. 8QGEH\GHVLVW]XPDOOJHPHLQHQ:RKOVH\QGHU:HOWQ|WKLJ³
Nachdem Mosheim die kosmologischen Auffassungen des Kelsos referiert hat, schließt er seine Darstellung mit der Bemerkung: Ä9LHOHGHUQHXHUQ:HLVHQEHKDXSWHQHLQHQJXWKHQ7HLOGHVMHQLJHQZDV&HOVXVYRUVHFK]HKQ hundert -DKUHQXQGYLHOHVFKRQODQJHJHOHKUHWKDEHQ³
Es ist angesichts der von Mosheim gewählten Wortwahl leicht, sich vorzustellen, ZHOFKHQGHUÄQHXHUQ:HLVHQ³0RVKHLP vor Augen hat, der die Lehren des Kelsos erneuert haben soll und welche Lehre er als so skandalös empfindet: gemeint ist hier natürlich der namentlich nicht genannte Leibniz und seine Lehre von der besten Welt. Wenn wir die eben ausführlich zitierte Passage Mosheims, die Kelsos bzw. Leibniz treffen wollte, thesenartig zusammenfassen, dann haben wir geradezu fast
und die Origenes-Rezeption in der ersten Hälfte des 18.Jahrhunderts³, a.a.O., S. 229-260.). Mosheim hatte übrigens in jungen Jahren selbst mit Leibniz in brieflichem Kontakt gestanden: vgl. Eduard Bodemann: Der Briefwechsel des Gottfried Wilhelm Leibniz in der Königlichen öffentlichen Bibliothek zu Hannover. Hannover 1889 (Mit Ergänzungen und Register von Gisela Krönert und Heinrich Lackmann sowie einem Vorwort von Karl-Heinz Weimann. Hildesheim 1966), S. 192, Nr. 664. 22 Origenes >«@Acht Bücher von der Wahrheit der Christlichen Religion wider den Weltweisen Celsus. Johann Lorenz Mosheim hat sie aus dem Griechischen übersetzet und durch Anmerkungen aufgekläret. Hamburg 1745.
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Äidealtypisch³ alle Punkte der theologischen Kritik am metaphysischen Optimismus beisammen: 1) Wenn diese Welt aufgrund eines vorgängigen Beschlusses Gottes als die beste aller möglichen gedacht wird, dann kann das nur bedeuten, daß 2) sie nicht mehr als kontingente, sondern als determinierte angesehen werden muss, daß in ihr eine Gesetzmäßigkeit herrscht, die füglich als Mechanismus oder Fatalismus beschrieben werden kann und in der demzufolge 3) keine Vorsehung (providentia specialis) statthat, da kein unmittelbares Eingreifen Gottes in den Weltlauf nach dem initialen Schöpfungsakt gefordert werden muss, insofern, als die Welt dann als ein sich selbst regulierender Mechanismus bestimmt ist und in der 4) das Übel eine Mitfolge des besten Planes ist und 5) dem Menschen auch sein moralisches Fehlverhalten nicht zurechenbar ist; daß 6) das Übel in der Welt nicht überwiegt und es ± für uns vielleicht nicht einsehbar ± aber doch 7) zur Beförderung des Guten dienen mag. Was der Theologe Mosheim an dieser Stelle (eigentümlicherweise) nicht anfügt ± was aber andere Kritiker des Leibniz¶schen Optimismus zu kritisieren nicht versäumen werden ±, ist, daß alle Annahmen, wie sie Leibniz ± zu Recht oder zu Unrecht ± unterstellt werden, zusammen genommen, die Folge haben, daß diese beste Welt der erlösenden Kreuzestat Christi eigentlich überhaupt nicht bedarf, dass sie also potentiell Äerlösungsunbedürftig³ ist und die für das &KULVWHQWXP XQDEGLQJEDUH Äoeconomia salutis³ (status integritatis: Paradies ± status corruptionis: Sündenfall ± status restitutionis: Erlösung durch Christi Kreuzestod) mit dem metaphysischen Optimismus außer Kraft gesetzt wird. Damit aber wird Leibniz mit seinem metaphysischen Optimismus in den Augen Mosheims zu einem neuen Kelsos, zu einem Feind der christlichen Religion. 3 Leibniz war dagegen der festen Überzeugung, dass sein metaphysischer Optimismus, nämlich die Vorstellung, dass Gott aus moralischer Notwendigkeit (also in durchaus freiwilliger Selbstbindung ) heraus das Bestmögliche wählt, sich mit dem Christentum nicht nur vereinbaren lasse, sondern geradezu eine seiner
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zentralen Aussagen ausmache: zu Beginn der Essais de Théodicée spricht er von ÄVROLGHSLHWp³XQGEH]HLFKQHW-HVXV&KULVWXVDOVÄGLYLQIRQGDWHXU de la religion la plus pure HWODSOXVpFODLUpH³23. Und wenn er im Anhang zur Theodizee, der Causa Dei im Paragraphen 66 EHWRQW Ä'HEHUL DXWHP DOLTXLG DSXG 'HXP LQWHOOLJLPXV QRQ KXPDQR PRUH VHG ĬİȠʌȡİʌȦѺȢ TXDQGRDOLWHUVXLVSHUIHFWLRQLEXVGHURJDUHW³24 und damit meint, von Gott in einer angemessenen Weise (ĬİȠʌȡİʌȦѺȢ) zu sprechen25, dann weiß er sich in der Tradition einer rationalististischen, nicht-voluntaristischen Gottesauffassung, die das regelgerechte Handeln des höchsten Wesens betont (potentia ordinata).26 Tatsächlich ist den Essais de Théodicée auf der einen Seite dann auch ein ungeheurer Erfolg im deutschen 18. Jahrhundert beschieden (die zahlreichen Editionen und Übersetzungen belegen dies), und ein Teil der protestantischen Theologen ± zumal im theologischen Wolffianismus ± empfindet das Leibnizsche Programm der Übereinstimmung von Vernunft und Glauben als richtungweisend27 ± hier mag eine Rückbesinnung auf die metaphysica specialis und die theologia naturalis im Protestantismus eine Rolle gespielt haben.28 23 GP VI, 25. 24 GP VI, 449. 25 Giovanna Varani: Theoprepôs. Bedeutung und Entwicklungsgeschichte eines grundlegenden Terminus der theologischen Sprache unter besonderer Berücksichtigung seiner Thematisierung bei G. W. Leibniz. In: Beiträge zur Geschichte der Sprachwissenschaft 15.2 (2005), S. 245-282. 26 Vgl. W. J. Courtenay: Art. Potentia absoluta/ordinata. In: Joachim Ritter/Karlfried Gründer (Hrsg.): Historisches Wörterbuch der Philosophie 7 (Basel 1989), Sp.1157-1162. Courtenays Artikel verfolgt den Begriffsgebrauch allerdings nur bis zum Spätmittelalter. Für weitere Belege vgl. Francis Oakley: Christian Theology and Newtonian Science: the rise of the concept of the laws of nature. In: Church History 30 (1961), S. 433-457. 27 Vgl. G. Frank : Art. Wolff, Christian, und die WolffµVFKH 7KHRORJHQVFKXOe. In: RealEncyclopädie für protestantische Theologie und Kirche. Unter Mitwirkung vieler protestantischer Theologen und Gelehrten in zweiter durchgängig verbesserter und vermehrter Auflage begonnen von J. J. Herzog und G. L. Plitt fortgeführt von A. Hauck. 17 (Leipzig 1886), S. 275-286; H. Stephan: Art. Wolff, Christian und die Wolffische Theologie. In: Realencyclopädie für protestantische Theologie und Kirche. Begründet von J. J. Herzog. In dritter verbesserter und vermehrter Auflage unter Mitwirkung vieler Theologen und anderer Gelehrten herausgegeben von Albert Hauck. 21 (Leipzig 1908), S. 452-464; Karl Barth: Die protestantische Theologie im 19. Jahrhundert. Ihre Vorgeschichte und ihre Geschichte. Zürich 11947; 6 1994, S. 135-142; Hans-Joachim Birkner: Christian Wolff. In: Martin Greschat (Hrsg.): Gestalten der Kirchengeschichte. Band 8: Die Aufklärung; Stuttgart/Berlin/Köln/Mainz 1983, S. 187-198; Walter Sparn: Vernünftiges Christentum. Über die geschichtliche Aufgabe der theologischen Aufklärung im 18. Jahrhundert in Deutschland. In: Rudolf Vierhaus (Hrsg.): Wissenschaften im Zeitalter der Aufklärung. Aus Anlaß des 250jährigen Bestehens des Verlages Vandenhoeck & Ruprecht. Göttingen 1985, S. 18-57; Wolfgang Gericke: Theologie und Kirche im Zeitalter der Aufklärung. (= Kirchengeschichte in Einzeldarstellungen herausgegeben von Gert Haendler, Kurt Meier und Joachim Rogge. Band III/2). Berlin 1989. 28 Walter Sparn: Wiederkehr der Metaphysik. Die ontologische Frage in der lutherischen Theologie des frühen 17. Jahrhunderts. Stuttgart 1976.
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Andererseits wollen ± zumal im Gefolge der Wolffianischen Streitigkeiten29 ± die Vorwürfe gegen den Leibnizianismus und seinen Optimismus nicht verstummen. Die zeitgenössische Literatur belegt dies auf eindrucksvolle Weise: bereits 1741 muss der Wolffianer Friedrich Christian Baumeister eine Zusammenfassung vorlegen, die Schneisen in das schon damals fast unübersehbare Literaturdickicht für oder gegen den Optimismus schlägt.30 Die philosophische Fakultät der Universität Jena stellte im Jahre 1733 dann zehn Lehrsätze31 zusammen, eine Verwahrung, die sich sowohl gegen Wolff, als auch gegen Leibniz ULFKWHWXQGGLHÄPLWEHVRQGHUHU'HXWOLFKNHLW]HLJWZDVGDUDQ der theologischen und philosophischen Rechtgläubigkeit jener Zeit anstössig VFKLHQ >«@³ 'LH HUVWHQ ]ZHL GHU LQNULPLQLHUWHQ 3XQNWH ULFKWHQ VLFK gegen das Prinzip des zureichenden Grundes: Ä'DVVHLQVROFKHUQH[XVXQG=XVDPPHQKDQJDOOHU'LQJHVRLQGLHVHPXQLYHUVRHQVWHKHQ sei, so dass eines allezeit von den andern dependire und ohnfehlbar veranlassete werde. 2. Dass alles, so in der Welt geschiehet, seinen zureichenden Grund habe, dadurch es dermasVHQGHWHUPLQLUHWZHUGHGDVVGHUHIIHFWHUIROJHQPVVHXQGQLFKWDXVVHQEOHLEHQN|QQH³
Der dritte Punkt unterstellt Leibniz und auch Wolff, sie lehrten einen Essentialismus bzw. Nezessitarismus, demzufolge Gott (qua einseitiger Betonung seiner Vernunft und Vernachlässigung seines Willens) in seinem Schaffenshandeln nicht frei, sondern an ihm ontisch vorgeordnete Seinsstrukturen gebunden sei: Ä'DVVGDV:HVHQHLQHV'LQJHVQLFKWYRQGHP:LOOHQ*RWWHVGHSHQGLUHVRQGHUQDHWHUQDH necessitatis sei, und also im geringsten nicht verändert werden könne: weil der Verstand Gottes die Quelle dHV:HVHQVDOOHU'LQJHVHL³
Punkt fünf bis sieben thematisiert den metaphysischen Optimismus: Ä'DVhEHOXQG%|VHUKUHYRQGHQXUVSUQJOLFKHQXQGQRWZHQGLJHQ(LQVFKUlQNXQJHQGHU Dinge her, welche denen Creaturen notwendig anhange. Daher habe Gott den Menschen so nicht auf diese Welt schaffen können, dass er ohne Sünden blieben wäre. 6. Die gegenwärtige Welt sei die beste, und der Sündenfall habe in der besten Welt nicht nachbleiben können. Wenn auch das geringste Übel von dieser Welt abginge, so wäre es nicht mehr dieselbe Welt, noch nach der vollkommensten Ausrechnung von dem Schöpfer, der sie erwählet, vor die beste gefunden worden. 7. Gott müss, vermöge seiner göttlichen Neigung das Beste erwählen, ohngeachtet des mali culpae, so aus der höchsten NotwHQGLJNHLWGDPLWYHUEXQGHQVHL³
29 Exemplarisch die Auseinandersetzung des Halleschen Pietismus mit der Leibniz-Wolffschen Philosophie: Vgl. Bruno Bianco: Freiheit gegen Fatalismus. Zu Joachim Langes Kritik an Wolff. In: Norbert Hinske (Hrsg.): Halle. Aufklärung und Pietismus (= Zentren der Aufklärung I). Heidelberg 1989, S. 111-155. 30 Friedrich Christian Baumeister: Historiam doctrinae recentius controversiae de mundo optimo exponit [...]. Leipzig/Görlitz 1741. Auch in: Ders.: Exercitationes Academicae et Scholasticae varii generis argumenta ad recentiorem philosophiam elegantiorisque stili cultum spectantia. Leipzig/Görlitz 1741, S. 245-279. 31 Hier zitiert nach Rudolf Eucken: Beiträge zur Einführung in die Geschichte der Philosophie. Leipzig 1906, S. 190-191.
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Punkt acht bis zehn des Jenaer Anathemas können hier außer Betracht bleiben: sie befassen sich mit der ± nach Auffassung der Fakultät ± fehlenden Willensfreiheit des Menschen bei Leibniz und Wolff, der praestabilierten Harmonie und der vermeintlich negativen Haltung unserer Philosophen gegenüber der Möglichkeit des Wunders. Determinismus bzw. Fatalismus, Nezessitarismus, Essentialismus und das Fehlen einer göttlichen Vorsehung nach dem Schöpfungsakt, Unterlaufen der göttlichen Heilsökonomie und die Nicht-Zurechenbarkeit der Sünde an den Menschen: das sind die Grundakkorde, die die theologischen Kritiker des metaphysischen Optimismus vom Beginn des 18. Jahrhunderts bis weit ins 19. Jahrhundert als Vorwurf anschlagen und in immer neuen Variationen zur Geltung zu bringen versuchen32, und dies über alle sonst herrschenden Grenzen hinweg: fromme Orthodoxe, radikale Pietisten, Übergangstheologen, kurz: Protestanten aller Schattierungen von Johann Franz Budde bis hin zu Schleiermacher33 und über ihn hinaus brandmarken den metaphysischen Optimismus als ein dem Christentum fremdes und feindliches Theorem. Schon die Titel der entsprechenden Einlassungen sprechen eine deutliche Sprache: so veröffentlicht im Jahre 1724 der Königsberger Professor der Theologie, Christoph Langhansen (1691-1770) als Praeses eine Dissertation: De necessitate omnium, quae existunt absoluta, in Theodicaea G. G. Leibnitii, cui Wolfianum Metaphysicae systema superstructum est, asserta34, deren Titel bereits die Stoßrichtung der Argumentation zu erkennen gibt. 4 Bereits Buddes Dissertation von 171235 hatte dies alles vorweggenommen: Budde hatte argumentierte, Leibniz¶ Optimismus hebele das heilgeschichtliche Konzept des Christentums aus und es könne in der Tat nur eine vollkommene Welt geben, und das sei die paradiesische ante lapsum. Nur so, und nicht mit irgendwelchen, womöglich auf einen Fatalismus hinauslaufenden, spekulativen Weltsystematiken könne der Kreuzestod Christi noch philosophisch eingebunden werden. Leibniz¶ Konzept kenne daher nur äußerlich eine Soteriologie (da die beste Welt nicht erlöst werden müsse), mache das Böse zu einem notwendigen Konstituens des Weltmechanismus und unterwerfe Gott einer doppelten Notwendigkeit: er sei nicht frei, zu schaffen oder nicht zu schaffen (libertas contradictionis) und er sei 32 Vgl. Lorenz (wie Anm. 2 ), passim. 33 Vgl. Stefan Lorenz: Schleiermachers frühe Fragmente zu Leibniz (1797). Idealistische Kritik am Rationalismus. In: Hans Poser (Hrsg.): Nihil sine ratione. Mensch, Natur und Technik im Wirken von G. W. Leibniz. VII. Internationaler Leibniz-Kongreß, Berlin, 10.-14. September 2001. Nachtragsband. Hannover 2002, S. 258-266. 34 Respondens: Johann Heinrich Lysius. Halle 1724. Vgl. auch ders. (Praes.)/Jacob Wessel (Resp.): Apologiam Dissertationis de Absoluta Omnium quae existunt Necessitate in 7KHRGLFHD/HLEQLWLLDVVHUWD>«@HUXGLWRUXPFHQVXUDHVXEMLFLW>@ Königsberg 1725. 35 Vgl. Anm. 19.
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nicht frei, eine solche oder eine andere Welt zu schaffen (libertas contrarietatis). Offensichtlich ist es Leibniz nicht gelungen, bei diesen Rezipienten seiner Theodizee seine Unterscheidung zwischen moralischer und absoluter Notwendigkeit deutlich zu machen: so setzte sich sein metaphysischer Optimismus bei einigen Interpreten in den Verdacht des Fatalismus, wenn nicht gar des Spinozismus. Einmal abgesehen davon, dass diese Argumente zur communis opinio unter einigen Theologen geworden sind ± im Spektrum der Optimismus-Kritiker bis hin zu radikalen Pietisten wie etwa Johann Konrad Dippel (1673-1734)36 ± ist es interessant zu sehen, daß auch durchaus philosophische Autoren starke Reserven gegenüber dem Theodizee-Denken hatten, deren Bedenken sich durchaus parallel zu denen der Theologen hielten. Hier sei nur in aller Kürze auf die ÄLeipziger Schule³37 verwiesen, dern bedeutendste Vertreter38 Andreas Rüdiger (16731731)39 und Christian August Crusius (1715-1775)40 sind. Beide, Rüdiger und Crusius stehen in einer Leipziger Schultradition in der Nachfolge von Christian Thomasius und favorisieren ein voluntaristisches Gottesbild. Das Gemeinsame GLHVHU ÄLUUDWLRQDOHQ *HJHQEHZHJXQJ³ 0 :XQGW) gegen den Rationalismus ist, ganz allgemein gesprochen, das Bestreben, noch einmal eine der christlichen Dogmatik kongruente Philosophie zu entwickeln. Dabei wird im Anschluß an Thomasius Front gegen einen aus der spätscholastischen Tradition kommenden Essentialismus in seinen frühmodernen Ausläufern gemacht. Andreas Rüdiger etwa bestreitet die Erkennbarkeit der Substanz und er leugnet die Existenz ÄHZLJHU:HVHQKHLWHQXQG:DKUKHLWHQGLHDOV5LFKWPDXQVHUHV(rkennens auftreten könnten >«@6HLQH%HJUQGXQJ>«@JUHLIW]XUFNDXIUHLQWKHRORJLVFKH$UJXPHQWH'LHÃYHWXVDVVHrWLR >«@ TXRG HVVHQWLDH UHUXP VXQW DHWHUQDH¶ besagt für [was Rüdiger freilich ablehnt. S.L.] ihn, daß weder das Wahre noch Gerechte vom Willen Gottes abhängt, sondern diesem, wie 41 GLH6FKRODVWLNHUVDJHQYRUDXVJHKW³
In der Tat hatte Leibniz sich stets vehement gegen ein solch voluntaristisches Gottesbild, wie Rüdiger es vertritt, gewehrt. Der wohl wichtigste Exponent dieser 36 Vgl. Lorenz (wie Anm. 2), S. 133-150. 37 Für eine kurze, aber instruktive Charakterisierung dieser Schule vgl. Michel Puech: Kant et la causalité. Étude sur la formation du système critique. Paris 1990, S. 114-117. 38 Daneben sind zu nennen: Adolf Friedrich Hoffmann (1703-1741) und August Friedrich Müller (1684-1761). 39 Zu Rüdiger vgl. Max Wundt: Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der Aufklärung. Tübingen 1945 (Neudruck Hildesheim/Zürich/New York 21992), S. 82-98 und Heinrich Schepers: Andreas Rüdigers Methodologie und ihre Voraussetzungen. Ein Beitrag zur Geschichte der deutschen Schulphilosophie im 18. Jahrhundert. Köln 1959. 40 Zu Crusius vgl. Wundt (wie Anm. 36), S. 254-264 und Sonia Carboncini: Crusius und die Leibniz-Wolffsche Philosophie. In: Gottfried-Wilhelm-Leibniz-Gesellschaft (Hrsg.): Leibniz. Werk und Wirkung. IV. Internationaler Leibniz-Kongreß, Hannover, 14. bis 19. November 1983. Vorträge. Hannover 1983, S. 110-116. Dies.: Einleitung zu: Christian August Crusius: Die philosophischen Hauptwerke. Band IV: Kleinere philosophische Schriften. Teil 1. Hildesheim/Zürich/New York 1987. 41 Schepers (wie Anm. 39), S. 73.
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voluntaristischen Schule ist Christian August Crusius, dessen Bedeutung für die philosophische Entwicklung Kants seit den Forschungen Heimsoeths42 und Tonellis43 erkannt ist. Die Gründe für Crusius¶ Opposition gegen den Satz vom zureichenden Grund (den er für determinierend und die Kontingenz dieser Welt bestreitend hält44) und gegen den metaphysischen Optimismus umreisst Max Wundt ganz prägnant so: Ä8QGQXU ZHQQGLH:LUNOLFKNHLWLQGHP IUHLHQ:LOOHQ*RWWHVEHJUQGHWJHGDFKW ZLUG ZLUG GLH*HIDKUGHV)DWDOLVPXVYHUPLHGHQ>«@:LUPVVHQMHGHU]HLWEHUHLWVHLQGLH5HDOLWlWEOR als solche anzuerkennen, auch wenn sie sich in keinen begrifflichen Zusammenhang auflösen lässt. Crusius VSULFKWVLFKGDKHUJHJHQGLH/HKUHYRQGHUÃEHVWHQ:HOW¶ aus, weil auch durch 45 VLHGLHIUHLH6FK|SIHUWDW*RWWHVEHVFKUlQNWVFKHLQW³
Die Ablehnung des metaphysischen Optimismus¶ durch die ÄLeipziger Schule³46 und Crusius tritt spätestens mit der philosophischen Preisaufgabe von 1753 (für 1755) der unter Friedrich II. reformierten Akademie der Wissenschaften zu Berlin in das Bewusstsein einer breiteren Öffentlichkeit. Die Akademie hatte zu einem Vergleich des Satzes von Alexander PopeÄ:KDWHYHU,6LV5,*+7³DXVGHVVHQ Essay on Man47 mit Leibniz¶ metaphysischen Optimismus aufgerufen, samt der Frage, ob ein Optimismus überhaupt valide sei.48 Die Akademie entschliesst sich ± was eine seinerzeit heftige öffentliche Diskussion hervorruft 49 ± den Siegespreis einer Abhandlung50 zuzuerkennen, die grosso modo die Crusianische Kritik am Leibniz¶schen Optimismus vertritt: Adolph Friedrich Reinhard ist ein überzeugter
42 Heinz Heimsoeth: Metaphysik und Kritik bei Ch, A. Crusius. Ein Beitrag zur ontologischen Vorgeschichte der Kritik der reinen Vernunft im 18. Jahrhundert. Berlin 1926. 43 Giorgio Tonelli: Einleitung zu: Christian August Crusius: Die Philosophischen Hauptwerke. Band 1. Hildesheim 1969. Vgl. auch Magdalene Benden: Christian August Crusius. Wille und Verstand als Prinzipien des Handelns. Bonn 1972, bes. S. 228-239: dort skizziert die Autorin die Bedeutung der Äthomasianischen Schule³ und Crusius¶IUGLH$XINOlUXQJVSKLORVRSKLH 44 Christian August Crusius: Dissertatio philosophica de usu et limitibus principii rationis determinantis, vulgo sufficientis. Leipzig 1743. 45 Max Wundt: Kant als Metaphysiker. Ein Beitrag zur Geschichte der deutschen Philosophie im 18. Jahrhundert. Stuttgart 1924, S. 69 f. 46 Vgl. Lorenz (wie Anm. 2), S. 167-175. 47 Alexander Pope: An Essay on Man. Ed. By Maynard Mack (The Twickenham Edition of the Poems of Alexander Pope. General Editor JOHN BUTT. III i). London 1950 (Reprinted 1958), S. 51 (Epistle I, v. 294). 48 Vgl. dazu Adolf Harnack: Geschichte der Königlich Preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Erster Band. Erste Hälfte. Berlin 1900, S. 404-409 49 Vgl. Christian Ziegra (Hrsg.): Sammlung der Streitschriften über die Lehre von der besten Welt. Rostock/Wismar 1759 und Harnack (wie Anm. 47). 50 'LVVHUWDWLRQ TXL D UHPSRUWp OH SUL[ SURSRVp SDU O¶$FDGpPLH 5R\DOH GHV 6FLHQFHV HW %HOOesLettres de Prusse avec les pieces qui ont concouru. Berlin 1755. [Darin mit sep. Pag.:] Le système de Mr. Pope sur la perfection du monde comparé à celui de Leibnitz avec un examen GHO¶RSWLPLVPHSRXUVDWLVIDLUHDXSUREOHPHSURSRVpSDU O¶$FDGpPLH5R\DOHGHV6FLHQFHVHW Belles-/HWWUHV GH %HUOLQ SRXU OH SUL[ GH O¶$QQp 3DU 0U $GROSKH )ULGHULF 5HLQKDUG, Secretaire de Justice de S.A.M. le Duc de Mecklembourg-Strelitz. [Einsendung:] N° VII. Devise: Nil mortalibus arduum est.
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Crusianer51 : seine Argumentation soll hier im Einzelnen nicht nachgezeichnet werden52, doch für unseren Zusammenhang seien folgende Punkte festgehalten: Reinhard erneuert (wenn auch nicht mit diesen Termini) den Essentialismus- und Nezessitarismusvorwurf gegen Leibniz. Anders als bei Pope, demzufolge Gott sich zwischen verschiedenen, gleichvollkommenen Welten entscheiden könne (der damit immerhin die libertas contrarietatis besitzt), müsse ± so Reinhard ± der Leibnizsche Gott (unter dem Primat des zureichenden, nötigenden Grundes) nur eine einzige Welt, nämlich diese bestehende Welt zur Wirklichkeit bringen: daher sei er in keiner Weise frei ± ihm fehle in dieser Perspektive sowohl die libertas contrarietatis als auch die libertas contradictionis. Daher sei der metaphysische Optimismus des Leibniz als für den Gottesbegriff gefährlich, abzulehnen. Ins Philosophische gewendet, wiederholen Crusius und Reinhard just diejenigen Argumente gegen die Theodizee, die schon lutherische Theologen vor ihnen ± Budde allen voran ± gebraucht hatten. 5 Die theologische Kritik am metaphysischen Optimismus der Leibnizschen Theodizee beschränkt sich aber durchaus nicht auf den Bereich der evangelischlutherischen Konfession. Auch im Katholizismus und ± fast unnötig zu betonen ± im Calvinismus regt sich Opposition. Sven K. Knebel hat durch seine Forschungen zeigen können, daß das Konzept der necessitas moralis Dei ad optimum schon vor Leibniz in der Jesuitenscholastik gebräuchlich war.53 Doch uneingeschränktes, unumstrittenes Gemeingut der nachtridentinischen, katholischen Theologie ist der Optimismus nicht geworden. Als der langjährige Briefpartner54 Leibnizens, der Jesuitenpater Bartholomaeus des Bosses (1668-1728) im Jahre 1719 eine noch von Leibniz 51 Vgl. Lorenz (wie Anm.2), S. 167-179. ± Der Crusianische Hintergrund der Reinhardschen Argumentation ist in dem Aufsatz von Cornelia Buschmann: Die philosophischen Preisfragen und Preisschriften der Berliner Akademie der Wissenschaften im 18. Jahrhundert. In: Wolfgang Förster (Hrsg.): Aufklärung in Berlin. Berlin 1989, S. 165-227, bes. S. 195 f. nicht präVHQW OHGLJOLFK 6 ZLUG HKHU DOOJHPHLQ DXI 5HLQKDUGV Ä+DOOHQVHU 7KHRORJLHVWXGLXP³ IU dessen Gegnerschaft gegenüber Leibniz verwiesen. 52 Vgl. Lorenz (wie Anm. 2), S. 175-179. 53 Vgl. zusammenfassend Sven K. Knebel: Wille, Würfel und Wahrscheinlichkeit. Das System der moralischen Notwendigkeit in der Jesuitenscholastik 1550-1700. Hamburg 2000. 54 Vgl. Eduard Bodemann: Der Briefwechsel des Gottfried Wilhelm Leibniz in der Königlichen öffentlichen Bibliothek zu Hannover. Hannover 1889. Mit Ergänzungen und Register von Gisela Krönert und Heinrich Lackmann, sowie einem Vorwort von Karl-Heinz Weimann. Hildesheim 1966, S. 22, Nr. 95. Der philosophisch überaus bedeutsame Briefwechsel Leibnizens mit Des Bosses ist neuerdings gleich in zwei Übersetzungen bzw. Ausgaben greifbar: Der Briefwechsel mit Bartholomäus Des Bosses. Übers., hrsg. u. m. e. Einl., Anm. u. Reg. vers. v. Cornelius Zehetner. Hamburg 2007. Und: The Leibniz-Des Bosses Correspondence. Transl., ed. And with an introduction by Brandon Look and Donald Rutherford (The Yale Leibniz Series). New Haven, Conn.: Yale University Press 2007.
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autorisierte, lateinische Übersetzung der Theodizee veröffentlicht55, kann er zwar in seinem Vorwort (Monitum Interpretis)56 eine Reihe von scholastischen und spätscholastischen Autoren nennen, die den metaphysischen Optimismus favorisierten57, muß sich aber schon gegen einen (ungenannten) katholischen Theologen zur Wehr setzen, dessen Reserven gegen die Theodizee so lauten: Ä1RQSODFHW TXRGDLW>VF/HLEQL].S.L.], deum moraliter necessitatum fuisse, ut ex omnibus possibilibus optimum eligeret, quem creavit. Hinc enim sequi videtur, quòd tam impossibile sit hunc mundum non existere, quam impossibile Deum hujus existentiam non elegisse [...] 58 VLFLQ'HRQXOODVXSHUHVVHWOLEHUWDVHOLJHQGL´
Natürlich beeilt sich Des Bosses mit Hinweis auf Scholastiker und Kirchenväter die von Leibniz geltend gemachte Änecessitas moralis ad optimum³ zu betonen, GLH HEHQ QLFKW Q|WLJH Ä>«@ QHFHVVLWDV LVWD >«@ PRUDOLWHU QRQ PHWDSK\VLcè QHFHVVLWDQWLVj/HLEQLWLRDVVHUWD>«@³59). und seine Argumentation im ÄMonitum Interpretis³ soll hier auch nicht im Einzelnen nachgezeichnet werden (wiewohl dies eine lohnende Aufgabe wäre): doch belegen die zitierten Stellen, dass sich wie im lutherischen Protestantismus auch im zeitgenössischen Katholizismus die Auseinandersetzung um die Äpotentia ordinata³XQGGLHÄpotentia absoluta³ Gottes geltend machen und zu einer Ablehnung des Theodizeedenkens führen: und dies mit ganz gleichlaufenden Argumenten hier wie dort. Das Luthertum hatte ± sehr pauschal gesprochen ± stets ein Problem damit, einerseits die Freiheit Gottes zu behaupten, andererseits nicht einen Voluntarismus in den Gottesbegriff hineinzutragen: hier war die Abgrenzung zum Calvinismus wesentlich. Von daher erklärt sich die insgesamt ambivalente Haltung zum theologischen Rationalismus eines Leibniz oder Wolff : Während sich einige lutherische Theologen im 18. Jahrhundert ± von der alten Orthodoxie bis hin zum gemäßigten und radikalen Pietismus ± auf der einen Seite als vehemente Gegner des metaphysischen Optimismus zeigen konnten60, begriffen andere das philosophische Instrumentarium der Metaphysik als willkommenes Mittel, der in die Krise geratenen Orthodoxie durch konsequente Rationalisierung womöglich apologetisch aufzuhelfen. Der in der Forschung bislang stark vernächlässigte61 ÄTheologische Wolffianismus³62 mit Gestalten wir Johann 55 Godefridi Guilielmi Leibnitii Tentamina Theodicaeae de Bonitate Die Libertate Hominis et Origine Mali. Latinè versa & Notationibus illustrata à M.D.L. [d.i. B. Des Bosses]. Ab ipso Auctore emendata & auctiora. Frankfurt: Bencard 1719. 56 A.a.O. (wie Anm. 55), Bl. 2 recto-21 verso. 57 Vgl. die Auflistung von Sven K. Knebel: Necessitas moralis ad optimum (IV). Repertorium zur Optimismusdiskussion im 17. Jahrhundert. In: Studia leibnitiana XXV/2 (1993), S. 201208. 58 Zit wie Anm. 55, Bl. 5 recto und verso. 59 A.a.O., Bl. 7 recto. 60 So etwa Valentin Ernst Löscher, Joachim Lange und Johann Konrad Dippel. Vgl. Lorenz (wie Anm.2). 61 Vgl. Nowak (u. Anm. 99). 62 Über die in Anm. 27 genannte Literatur hinaus vgl. W. Gaß: Geschichte der protestantischen Dogmatik in ihrem Zusammenhange mit der Theologie überhaupt. Dritter Band. Die Zeit des
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Gustav Reinbeck (1683-1741)63, Jakob Carpov (*1699) oder Israel Gottlieb Canz (*1690) dekliniert noch einmal den dogmatischen Bestand des Protestantismus unter dem Vorzeichen einer womöglichen Vernunftgemäßheit des Christentums durch (wobei Abstriche am Lehrbestand durchaus billigend in Kauf genommen werden)64 und ist der Lehre von der besten Welt durchaus zugetan. Freilich belegen die endlosen, und im Einzelnen kaum zu übersehenden Streitigkeiten um die theologischen Konsequenzen des Wolffianismus und eben auch um den Optimismus (die allerdings am Ende ± so hat man den Eindruck ± eher aus allseitiger Ermüdung, denn aus inhaltlich bestimmten Ergebnissen heraus versanden), wie prekär die Lage des lutherischen Wolffianismus gewesen und wie kurz seine (partielle) Dominanz gewesen ist. Für den Bereich des Calvinismus im 18. Jahrhundert liegen die Dinge hinsichtlich seines Verhältnisses zum Theodizeedenken wohl ungleich klarer: zwar hat auch hier die theologische Aufklärung ihre deutlichen Spuren hinterlassen65 und es hat auch im reformierten Bekenntnis durchaus Anhänger Leibnizens gegeben ± auf Turretini war oben66 verwiesen worden. Freilich kann die im Calvinismus fest verwurzelte, voluntaristische Gottesvorstellung mit dem Rationalismus eines Leibniz und seiner Theodizee kaum bestehen. Und tatsächlich haben wir ein beeindruckendes Zeugnis für die reformierte Opposition gegenüber dem metaphysischen Optimismus. Es ist der hugenottische Autor Philippe Naudé d. Ä. (1654-1729)67, der mit Leibniz selbst in brieflichem Kontakt gestanden hatte68, der ± obzwar kein Theologe von Profession, sondern
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Uebergangs. Berlin 1862. Zu Leibniz und Wolff: S. 105-145 und 160-184; E. Hirsch: Geschichte der neuern evangelischen Theologie im Zusammenhang mit den allgemeinen Bewegungen im europäischen Denken. Zweiter Band. Nachdruck der dritten Auflage Gütersloh 1964. Münster: Aschendorff 1984, S. 48-91; Albrecht Beutel: Aufklärung in Deutschland. ( = Die Kirche in ihrer Geschichte. Ein Handbuch. Begründet von Kurt Diertich Schmidt und Ernst Wolf. Herausgegeben von Bernd Moeller. Band 4. Lieferung O2.). Göttingen 2006. Zum theologischen Wolffianismus: § 19, S. 240-247. Vgl. Andres Straßberger: Art. Reinbeck, Johann Gustav: http://www.bautz.de/bbkl/r/reinbeck_j_g.shtml und demnächst Stefan Lorenz: Theologischer Wolffianismus. Das Beispiel Johann Gustav Reinbeck. In: J. Stolzenberg/C.-O. Rudolph (Hrsg.): Akten des I. Internationalen WolffKongresses. Hildesheim 2008. Vgl. etwa Johann Gustav Reinbeck: Betrachtungen über die in der Augspurgischen Confeßion enthaltenen und damit verknüpften Wahrheiten welche theils aus vernünftigen Gründen, allesamt aber aus heiliger Göttlicher Schrift hergeleitet [...] werden. Berlin und Leipzig 1731 ff. Vgl. etwa Eberhard Vischer: Art. Werenfels, Samuel. In: Realencyclopädie für Protestantische Theologie und Kirche. Begründet von J. J. Herzog. In dritter verbesserter und vermehrter $XIODJH>«@KHUDXVJHJHEHQYRQ$OEHUW Hauck. Einundzwanzigster Band (Leipzig 1908), S. 106-110. Vgl. Anm. 5. Vgl. Cuno: Art. Naudäus, Philippus. In: Realencyclopädie für Protestantische Theologie und Kirche. Begründet von J. J. Herzog,QGULWWHUYHUEHVVHUWHUXQGYHUPHKUWHU$XIODJH>«@Kerausgegeben von Albert Hauck. Dreizehnter Band (Leipzig 1903), S. 659-661. Eduard Bodemann: Der Briefwechsel des Gottfried Wilhelm Leibniz in der Königlichen öffentlichen Bibliothek zu Hannover. Hannover 1889 (Mit Ergänzungen und Register von Gise-
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Mathematiker (und als solcher Mitglied der Berliner Akademie69) ± in seinen zahlreichen theologischen Schriften den Standpunkt eines strikten calvinistischen Supralapsarismus (Praedestinationismus) vertritt. Seine Schrift ÄLa souveraine perfection de Dieu³ (Amsterdam 1708) propagiert rigoros einen voluntaristischen Gottesbegriff. Dies lässt ihn dann auch schriftstellerisch gegen Leibniz und seine Theodizee auftreten. Naudé verfasst eine umfangreiche Schrift mit dem Titel: ÄReflexions sur l¶excellent ouvrage qui a pour titre: Essais de Théodicée³ (um 1725), die zwar nie im Druck erschienen ist, sich aber in der Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz zu Berlin als Manuskript erhalten hat.70 An dieser Stelle sei nur auf wenige Punkte der Naudéschen Kritik an der Theodizee verwiesen: zunächst stellt er klar, daß Voraussetzung all seiner hEHUOHJXQJHQHLQNRQVHTXHQWYROXQWDULVWLVFKHV*RWWHVELOGLVWÄ,O>VFGott. S.L.] DIDLWWRXWHVFKRVHVSRXUVRL PrPH>@SRXUVD JORLUH´ 71 Und er versäumt auch nicht, das klassische Bild der Bibel anzuführen, Gott verfüge über die Welt und die Menschen gleich dem Töpfer frei über den Ton ± Naudés Schöpfergott ist frei ZLH HLQ ÄSRWLHU GH WHUUH³ GLHVHV %LOG ZLUG YRQ 9HUWUHWHUQ HLQHV J|WWOLFKHQ Voluntarismus gern gebraucht.72 Naudé verdächtigt Leibniz zunächst, mit seinem Optimismus der Suffizienz einer bloß natürlichen Religion das Wort zu reden, die die Offenbarung EHUIOVVLJ PDFKH Ä>«@ F¶est regarder l¶ Evangile comme inutile ou non QHFHVVDLUH³73 Weiterhin gehe es Leibniz bei seinen Überlegungen zu Gottes Handeln lediglich um das principium optimi, das sich als Weltenmechanizismus darstelle, bei dem Gott später nicht mehr eingreife:
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la Krönert und Heinrich Lackmann sowie einem Vorwort von Karl-Heinz Weimann. Hildesheim 1966), S. 202-203, Nr. 679 sowie H.-J. Rockar: Leibniz und sein Kreis. Handschriften von G. W. Leibniz und einigen seiner Zeitgenossen in der Forschungsbibliothek Gotha. Gotha 1979; N°. 68 u. 70. Ordentliches Mitglied 11. März 1701. Vgl. Adolf Harnack: Geschichte der Königlich Preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Dritter Band. Berlin 1900, S. 195. Unter der Signatur: Ms. Gall. 8° 114. (VIII, 399 S., 4 Bll.). Vgl. Ursula Winter: Die Handschriften des Joachimsthalschen Gymnasiums und der Carl Alexander-Bibliothek. Berlin: Deutsche Staatsbibliothek 1970, S. 22, N. 58. Verf. und Prof. Dr. Wolfgang Hübener )8 Berlin, zuletzt Hamburg) sind unabhängig voneinander auf dieses Ms. aufmerksam geworden. Inzwischen liegt eine von W. Hübener initiierte Transkription vor und Verf. bereitet eine Publikation vor. Naudé, a.a.O. (wie Anm. 70), S. 51. Naudé, a.a.O. (wie Anm. 70), S. 53. 9JO-HV³SHUYHUVDHVWKDHFYRstra cogitatio quasi OXWXPFRQWUDILJXOXPFRJLWHW´-HV³YDHTXLFRQWUDGLFLWILFWRULVXRWHVWDGHVDPLLVWHrUDHQXPTXLGGLFHWOXWXPILJXORVXRTXLGIDFLVHWRSXVWXXPDEVTXHPDQLEXVHVW´-HU ÄQXPTXLGVLFXWILJXOXVLVWHQRQSRWHURIDFHUHvobis domus Israhel ait Dominus/ecce sicut luWXPLQPDQXILJXOLVLFYRVLQPDQXPHDGRPXV,VUDKHO³6LUÄTXDVLOXWXPILJXOLLQ PDQXVLSVLXVSODVPDUHLOOXGHWGLVSRQHUH«³GDV%LOGZDQGHUW ZLUNPlFKWLJLQV1HXH 7HsWDPHQWÄDQQRQKDEHWSRWHVWDWHP figulis luti ex eadem massa facere aliud quidem vas in hoQRUHPDOLXGYHURLQFRQWXPHOLDP³Rom. 9, 21. Naudé, a. a. O. (wie Anm. 70), S. 8.
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S. Lorenz Ä(Q FHWWH PDQLqUH >VDQV SDUOHU GH OD JORLUH GH 'LHX@ HQFRUH OD ILQ SULQFLSDOH RX derniere de Dieu dans ses desseins et dans ses productions, auroit éste uniquement de creer l¶univers le 74 plus parfait et le meilleur. C¶HVWODWRXW³
Sollte das Übel und die Sünde eine notwendige, unvermeidliche Mitfolge des göttlichen Schaffenshandelns sein, so gewönnen diese ± so der Vorwurf Naudés an Leibniz ± eine ontische Qualität ± die die Denkbarkeit Gottes als frei unmöglich machen würde: Ä,OIDLWOXLPrPHVHQWLUFHSDUDGR[HORUVTX¶il ajoute qu¶il y en Dieu une necessité morale de faire le choix malgré le peché de quelques creatures. Pourquoi malgré le peché? Si le peché rend l¶univers meilleur: Il faut dire plus tost, qu¶il a esté obligé de faire ce choix à cause du 75 SHFKpTXLIDLWXQVLERQHIIHWTXHPDOJUpOHSHFKp³
EVPXIUGHQVWULNWHQ&DOYLQLVWHQÄQRVWUHUDLVRQVXSUHPH³76 GDEHLEOHLEHQÄOD predestination à l¶illustration de la sainteté de la justice et de la Majesté Supreme de Dieu n¶HVWIRQGpVXUDXFXQHSUHYLVLRQPDLVHOOHHVWDEVROXsDEVROXPHQW³77 Es sei nicht akzeptabel, daß Leibniz auf so starke Weise allein die Güte Gottes LQQHUKDOEVHLQHU$WWULEXWHEHWRQHÄ3RUTXRLGRQFGRQQHULF\XQHWHOOHSUHIHUHQFHj OD ERQWp VXU WRXV OHV DXWUHV DWWULEXWV >«@"³78 Leibniz könne (im strengen Sinn HLQHVSHUVRQDOJHGDFKWHQDEVROXWHQ*RWWHV NHLQÄEXWHWILQ³IUGDV+DQGHOQGHV höchsten Wesens bei Schöpfung einer besten Welt benennen, denn hierbei sei Gott lediglich der Exekutor von ihm selbst nicht abhängigen, vorgegebenen Essenzen: damit ist er aber eben nicht Gott, und Naudé kann auf seine Weise Leibniz GHQ9RUZXUIPDFKHQ*RWWKDQGOHQLFKWVHOEVWEHVWLPPWVRQGHUQEOLQGÄLO OHIDLWGRQFDJLUVDQVVXMHWHWVDQVUDLVRQ³79 Es kann hier nicht der Ort sein, allen Argumenten Naudés gegen den metaphysischen Optimismus nachzugehen ± dies muß einer eigenen Arbeit vorbehalten sein: doch sollte deutlich geworden sein, daß sich die theologischen Argumente gegen Leibniz¶ Theodizee im Luthertum und im Calvinismus durchaus gleichen, auch wenn bei den konfessionellen Voraussetzungen die Akzente natürlich unterschiedlich gesetzt sind: ein ardenter Calvinist wie Naudé kann ± wie gesehen ± vorbehaltlos die Macht und Souveränität Gottes gegen den theologischen Rationalismus setzen. 6 Wie stark und langanhaltend die theologisch motivierte Opposition gegen den metaphysischen Optimismus gewesen ist, kann der Verweis auf zwei Texte zeigen, die schon aus dem 19. Jahrhundert datieren, Texte also aus einer Zeit, in 74 75 76 77 78 79
Naudé, a. a. O. (wie Anm. 70), S. 129. Naudé, a. a. O. (wie Anm. 70), S. 177. Naudé, a. a. O. (wie Anm. 70), S. 214. Naudé, a. a. O. (wie Anm. 70), S. 91. Naudé, a. a. O. (wie Anm. 70), S. 228. Naudé, a. a. O. (wie Anm. 70), S. 227.
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der die Theodizee-Diskussion an Brisanz bereits verloren zu haben schien (wobei Kants Schrift ÄÜber das Misslingen aller philosophischen Versuche in der Theodizee³ von 1791 eine entscheidende Rolle spielt80).81 Dennoch belegen beide die tiefe Aversion (eines gewissen Teiles) des modernen Protestantismus gegenüber den rationalistischen Bestrebungen der theologischen Aufklärung. Zum einen ist da Johann Heinrich Jung-Stilling (1740-1817)82, der auf eine eigentümliche Weise die Riege der naturwissenschaftlich-interessierten83 AntiRationalisten im 18. Jahrhunderts (neben Johann Konrad Dippel (1673-1734)84, Friedrich Christoph Oetinger (1702-1782)85 und Emanuel Swedenborg86) ergänzt, als ein Vertreter des späten Pietismus und der Erweckungsbewegung, der in seiner Jugend in Straßburg mit Herder und Goethe zusammentraf. Jung-Stilling veröffentlicht im Jahre 1808 eine ÄTheorie der Geister-Kunde, in einer Natur-,
80 Für einen Überblick vgl. Stefan Lorenz: Art. Theodizee. In: Joachim Ritter/Karlfried Gründer (Hrsg.). Historisches Wörterbuch der Philosophie. Band 10 (Basel 1998), Sp. 1066-1073. 81 Für die weitere Diskussion im 18. und bis zum Ende 19. Jahrhunderts (mit Ausblicken auch ins 20. Jhdt.) vgl. den instruktiven, auch entlegenere Quellen berücksichtigenden Aufsatz von Ulrich Dierse: Umformulierung einer unvermeidlichen Frage. Über prominenten und weniger SURPLQHQWHQ*HEUDXFKYRQÃ7KHRGL]HH¶,QArchiv für Begriffsgeschichte 47 (2005), S. 141161. Der Aufsatz belegt in seiner Materialfülle aber schlagend, wie präsent das Theodizeeproblem auch nach dem Ende des 18. Jahrhunderts geblieben ist, wobei er Ergänzungen zur grundlegenden Monographie von Christoph Schulte: Radikal böse. Die Karriere des Bösen von Kant bis Nietzsche. München 1987 beibringt. 82 Vgl. Gustav Adolf Benrath: Art. Jung-Stilling. In: Walther Killy und Rudolf Vierhaus (Hrsg.): Deutsche Biographische Enzyklöpädie. Band 5. München 1997, S. 381. ± Johann Heinrich Jung-Stilling: Lebensgeschichte. Vollständige Ausgabe, mit Anmerkungen herausgegeben von Gustav Adolf Benrath. Darmstadt 1976. 83 Er studierte noch als Dreißigjähriger Medizin in Straßburg, wo er die Bekanntschaft von Herder und Goethe machte. 84 Zu Johann Konrad Dippels Kritik an Leibniz vgl . Lorenz (wie Anm. 2), S. 133-150. 85 Vgl. Württembergische Landesbibiothek ± Landeskirchliches Archiv Stuttgart (Hrsg.): Zum Himmelreich gelehrt: Friedrich Christoph Oetinger (1702-1782). Württembergischer Prälat., Theosoph und Naturforscher. Eine Ausstellung von Eberhard Gutekunst und Eberhard Zwink in der Württembergischen Landesbibliothek Stuttgart vom 30. September bis 26. November 1982. 86 Zu Swedenborg vgl . Ernst Benz: Emanuel Swedenborg. Naturforscher und Seher. Zweite verbesserte Auflage. Zürich 1996 und Olof Lagercranz: Vom Leben auf der anderen Seite. Ein Buch über Emanuel Swedenborg. Frankfurt/M 1997. ± Es ist interessant zu sehen, wie das an der eigenen Rationalität (und deren Aporien) irre geworden Bewusstsein der Moderne fasziniert beobachten kann, wie ein im übrigen in naturwissenschaftlicher Hinsicht auf der Höhe der Zeit befindlicher Denker wie Swedenborg zwischen zwei Welten pendeln kann, deren eine, die des Traums uQGGHU9LVLRQHQQDFK0DVWlEHQÄPRGHUQHU³ Rationalität zwar existieren kann, aber eben nur als eine Ätherapierbare³, die der Heilung zugeführt werden müsste. Vgl. Paul Valéry: Swedenborg. In: Paul Valéry. Werke. Frankfurter Ausgabe in 7 Bänden. Herausgegeben von Jürgen Schmidt-Radefeldt. Band 4: Zur Philosophie und Wissenschaft. Frankfurt/M. 1989, S. 125-143. ± Paul Valéry: ¯XYUHV. Édition établie et annotée par Jean Hytier. Vol. I. Paris 1957, S. 867-883.
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Vernunft- und Bibelmässigen Beantwortung der Frage: Was von Ahnungen, Gesichten und Geistererscheinungen geglaubt und nicht geglaubt werden müße³87 So abstrus uns das Buchprojekt heute erscheinen mag, so konsequent fügt es VLFK LQ GHQ Ä2NNXOWLVPXV GHU *RHWKH]HLW³88 ein. Die Einleitung und das erste Hauptstück dieses Werkes89 sind der minutiösen Widerlegung der voraufgegangenen, theologischen Aufklärung deshalb gewidmet, weil sie die Möglichkeit des für Jung-Stilling außer Frage stehenden, unmittelbaren Einflusses von Geistern oder des Geisterreiches auf die ÄWirklichkeit³ leugnet. Die moderne Philosophie seit Descartes und die aufgeklärte Theologie in ihrer Leibnizianischen und Wolffianischen Ausprägung LVW LKP ÄPHFKDQLVFKH 3KLORVRSKLH 'HWHUPLQLVPXVXQG)DWDOLVPXV³6 Ä:HQQ DOOH :UNXQJHQ LP :HOWDOO QDFK HZLJHQ und unveränderlichen Gesetzen geschehen >«@ VR LVW GLH :HOW HLQH 0DVFKLQH GDV LVW LKUH JDQ]H (LQULFKWXQJ LVW PHFKDQLVFK GD DEHU nun jede fremde Einwürkung in eine Maschine eine Störung, in ihrem bestimmten Gang zum Zweck, macht, so kann es keine Wesen geben, die Einfluß auf die Körperwelt haben; wenn solche Wesen zur Weltregierung, und ihre Mitwürkung in die Natur nöthig wären, so wäre das ganze Weltall eine sehr unvollkommenen Maschine, und eine solche konnte der höchst90 vollkommene Baumeister DOOHU:HOWHQQLFKWPDFKHQ³
Daher richtet sich Jung-Stillings Polemik in den folgenden Passagen gegen den metaphysischen Optimismus: Ä>«@GDV6\VWHPGHUEHVWHQ:HOW(LQJURVHU7KHLOGHQNHQGHU0lQQHUDXFKUHGOLFKH7KHROogen begnügten sich mit dieser Feigenblätter-Schürze, und liesen es nun abey bewenden, aber es gab andere, die doch die Blöse entdeckten: denn sie sagten, wenn Gott die freye Handlungen der Menschen mit in die ewigen und nothwendigen Naturgesetze verwebt hat, so werden sie unfehlbar selbst unabänderlich, folglich auch nothwendig, und der Begrif von menschliFKHU )UH\KHLW LVW 7lXVFKXQJ >«@ :DV QRFK $OOHV DXV GLHVHQ 6lW]HQ JDQ] ORJLVFK ULFKWLJ folgt, ist so höllisch, gräulich, und empörend, dass ichs nicht von weitem berühren mag. Hier hört alle göttliche Offenbarung, die Bibel mit ihrem ganzen Inhalt, die Sendung des Sohns Gottes, und sein ganzes Erlösungswerk, auf. Da findet überhaupt keine Religion mehr statt; wenn es einen Gott giebt, so geht er uns nichts an, oder wenn er etwa selbst, die alleswürkende Naturkraft wäre, so hilft uns das wieder nichts, weil Er Alles nach ewigen und unveränderOLFKHQ1DWXUJHVHW]HQUHJLHUWLQGHQHQLQ(ZLJNHLWQLFKWV]XlQGHUQLVW>«@'HUJURVH/HLbniz, war der Erfinder des Grundsatzes der besten Welt, ± er hat wohl von weitem nicht JHDKQHWGDVROFKH)ROJHQGDUDXVHQWVWHKHQZUGHQ>«@VHLQH7KHRGLFHH0HLVWHUVWFNGHV Scharfsinns, und des tiefen Denkers; aber am Ende beweist es nichts, als dass auch die höch91 ste Kunst nLFKWYHUP|JHQGVH\HLQHE|VH6DFKH]XYHUWKHLGLJHQ³
Hier haben wir zu Beginn des 19. Jahrhunderts noch einmal alle Elemente der theologischen Kritik am metaphysischen Optimismus beisammen, die auch zuvor kennengelernt hatten: die Theodizee laufe auf einen Determinismus und Fatalismus hinaus (Leibnizens Begriff der necessitas moralis wird hier nicht 87 88 89 90 91
Nürnberg 1808. Neudruck: Mit einem Nachwort von Michael Titzmann. Hildesheim 1979. Vgl. Titzmann (wie Anm. 87), S. 381*-417*. §§ 1-56, S. 1-40. Jung-Stilling (wie Anm. 87), S. 20. Jung-Stilling (wie Anm. 87), S.22-24.
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akzeptiert), sie untergrabe das heilsgeschichtliche Schema des Christentums und sei in der Konsequenz und im strengen Sinne ± Atheismus: Ä$FK*RWW:HOFKHLVNalte Vernunftweisheit! ± sie weiß von keinem Vater im Himmel, und 92 YRQNHLQHP(UO|VHU>«@³
Unsere rhapsodischen Hinweise auf die theologische Kritik des metaphysischen Optimismus sollen mit dem Hinweis auf GHQYLHOOHLFKWÄJU|WHQSURWHVWDQWLVFKHQ Theologen nach Luther und Calvin³93 schließen: Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher. Schleiermacher hatte schon in seiner Jugend als den Exponenten der Änatürlichen Religion³ des Aufklärungszeitalters Leibniz ausgemacht und gemeinsam mit Friedrich Schlegel einen AntiLeibniz geplant zu dem sich beträchtliche Vorarbeiten erhalten haben und die zum Teil zeitgenössisch publiziert wurden.94 Aber das ressentiment gegenüber Leibniz¶ metaphysischem Optimismus hält sich bei Schleiermacher durch und macht sich noch in seinem dogmatischen Hauptwerk geltend. Im dritten Abschnitt seines Buches ÄDer christliche Glaube³95 (§ 59, Abschnitt 3, Zusatz) diskutiert Schleiermacher den Unterschied zwischen der christlichen Auffassung, alles sei gut und der spekulativen Vorstellung ein besten Welt mit folgenden Worten: Ä'LH/HKUHYRQGHUEHVWHQ:HOWKDWXUVSUQJOLFK]XPDOVHLW/HLEQL], ihren Ort in der sogenannten natürlichen oder rationellen Theologie, und ist also nicht als eine Aussage über ein frommes Bewusstsein entstanden, VRQGHUQ HLQ (U]HXJQL GHU 6SHFXODWLRQ >«@ XQG VLH Eehauptet dass ohnerachtet aller Nebel und Unvollkomenheiten doch eine größere Summe von 6HLQXQG:RKOVHLQQLFKWZlUH]XHU]LHOHQJHZHVHQ>«@8QVHUH>«@>$XIIDVVXQJGDJHJHQ schließt. S.L.] freilich ebenfalls die Behauptung in sich, dass da der ganze Zeitverlauf nur eine ununterbrochen Wirksamkeit der gesammten ursprünglichen Vollkommenheit sein kann, das endliche Ergebniß eine schlechthinnige Befriedigung sein muß, und eben so jeder Moment im ganzen betrachtet befriedigend als Annäherung. Allein die Behauptung, wie sie nur von dem frommen Bewusstsein ausgeht, begehrt nicht eben so in die speculative Theologie hineingetragen zu sein, wie man jene in die christliche Glaubenslehre aufgenommen hat. Für diese aber müssen wir dabei stehn bleiben, dass die Welt gut ist, und können von der Formel, dass sie die beste VHLNHLQHQ*HEUDXFKPDFKHQ8QG]ZDUZHLOMHQHVPHKUEHVDJWDOVGLHV³
Und Schleiermacher ± ein reformierter Protestant ± wiederholt dann noch einmal den Essentialismus- und Nezessitarismusvorwurf: Ä'HU>«@$XVGUXNN>VF%HVWHDOOHUP|JOLFKHQ:HOWHQ@EH]LHKWVLFKQLFKWQXUDXIGLHYRQXQV >«@YHUZRUIHQH9RUVWHOOXQJ YRQ PHKUHUHQ:HOWHQ ZHOFKHXUVSUQJOLFK JOHLFK P|JOLFh gewesen wären wie die wirklich gewordene, sondern auch will er den gesammten Zeitverlauf in GHUZLUNOLFKHQ:HOWGDUVWHOOHQDOVGDV(UJHEQLVGHU>«@PLWWOHUHQ(UNHQQWQLVRGDVVGLHJe-
92 Jung-Stilling (wie Anm. 87), S. 25. 93 Kurt Nowak $UW6FKOHLHUPDFKHU. In: Walther Killy und Rudolf Vierhaus (Hrsg.): Deutsche Biographische Enzyklöpädie. Band 8. München 1998, S. 665-666. 94 Vgl. Stefan Lorenz: Schleiermachers frühe Fragmente zu Leibniz (1797). Idealistische Kritik am Rationalismus. In: In: Hans Poser (Hrsg.): Nihil sine ratione. VII. Internationaler LeibnizKongreß. Berlin, 10.-14. September 2001. Nachtragsband. Hannover 2002, S. 258-266. 95 Dritte unveränderte Ausgabe. Erster Band. (= Sämtliche Werke. Erste Abt. Zur Theologie. Dritter Band). Berlin 1835.
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S. Lorenz sammte hervorbringende Thätigkeit Gottes als eine kritische folglich secundäre vorausgesetzt 96 ZLUG³
Beim späten Schleiermacher ist so mit dem Ausdruck Äsecundäre Thätigkeit Gottes³ die (für einen Christen seiner Observanz nicht zu akzeptierende) Abhängigkeit Gottes von ihm vorgeordneten, ontischen Wesenheiten bei der Schaffung der bestmöglichen Welt im Sinne Leibnizens noch einmal bezeichnet. 7 Noch in seiner zuerst 1947 erschienenen Arbeit Die protestantische Theologie im 19. Jahrhundert. Ihre Vorgeschichte und ihre Geschichte 97 von Karl Barth wirken diese theologischen Bedenken und Einwände gegen den Leibnizianismus nach: hier erscheint Leibniz¶ Philosophie im allgemeinen und seine theologischen Überlegungen, wie sie sich in der Theodizee finden98, im besonderen geradezu als Paradigma der von Barth perhorreszierten ÄRational³WKHRORJLH ÄYHUQQIWLJHV &KULVWHQWXP³99) des 18. Jahrhunderts, deren Grund in einem ± aus der Sicht des dialektischen Theologen Barth ± illegitimen, weil den Anspruch der Kreuzestat Christi verkennenden Humanismus (bei Barth verstanden als ÄSelbstermächtigung³) liegt. So endet denn die Darstellung der Leibniz¶schen Position bei Barth auch folgerichtig mit der Frage: Ä8QG GDUI PDQ >«@ QLFKW IUDJHQ RE GDV DOOHV QLFKW QLFKW HGHOVWH 6WRD LVW >«@ DEHU >HLQ@ Triumph des Humanismus, der alle Fragen selber zu beantworten weiß und eine an ihn ge100 richtete Frage nicht zu kennen VFKHLQW³
Mit anderen Worten: Leibniz und sein metaphysischer Optimismus sind in dieser Perspektive alles andere als christlich, sondern eine Transformation der Theologie in ratio und Moral, mithin ein Ä$QJULII>«@JHJHQGLH(OHPHQWHGHVLm Credo niedergelegten Verständnisses des Christentums, die sich darin als nicht-natürlich oder nicht-YHUQQIWLJHUZHLVHQ>«@>GLH@VLFKGHUJewünschten Moralisierung entziehen, die sich in dem corpus doctrinae moralis, als das man
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A.a.O. (wie Anm. 95), S. 321-322. Hier zitiert nach der 6. Aufl. Zürich 1994. Vgl. Barth (wie Anm. 97), S. 57-59. Vgl. Kurt Nowak: Vernünftiges Christentum? Über die Erforschung der Aufklärung in der evangelischen Theologie Deutschlands seit 1945. Leipzig 1999. Nowak geht in einem instruktiven Kapitel (a.a.O., S. 11- GHQÄ+HPPQLVVHQGHU)RUVFKXQJ³>VFGHU(UIRUVFKXQJ der theologischen Aufklärung] vor 1945 nach. Zur Rolle Barths vgl. S. 12 f. ± Nebenbei sei einmal mehr bemerkt, dass die Erforschung der Aufklärungstheologie nach wie vor ein Stiefkind der Theologie- und Philosophiegeschichte zu sein scheint. So fehlen beispielsweise monographische Darstellung zu den führenden Vertretern des theologischen Wolffianismus, J. G. Reinbeck, J. Carpov und I. G. Canz. 100 Barth (wie Anm. 97), S. 59. Hervorhebungen von mir.
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das Christentum zu verstehen wünschte, als Fremdkörper, vielleicht geradezu als als wider101 VWUHEHQGHXQGHQWJHJHQZLUNHQGH)UHPGN|USHUHUZLHVHQ³
In gewisser Weise schließt sich hier der Kreis unserer Darstellung: hatte der eingangs zitierte Johann Lorenz Mosheim die Leibnizsche Theodizee für nicht weniger als die Repristination der Position des anti-christlichen Kelsos gehalten, so stellt sich der metaphysische Optimismus noch für Karl Barth als neuheidnischer, moralisierender Stoizismus dar, dessen Wirkung im weiteren 18. Jahrhundert nichts als die Erosion überkommener christlicher Glaubensartikel bedeutete. In der Tat ist die Rolle der Leibnizschen Theodizee für die Entwicklung der deutschen protestantischen Theologie vom 18. bis zum ersten Drittel des 19. Jahrhunderts von kaum zu überschätzenden Bedeutung: sei sie nun im Positiven eine Inspiration102 oder im Negativen ein repoussoir gewesen. Hans Erich Bödeker hat darauf hingewiesen, welch tragende Rolle die mit der Theodizee gegebene Ablehnung eines Willkürgottes für den Prozeß der deutschen protestantischen Aufklärungstheologie gehabt103 hat, an dessen Ende eine eher eudämonistisch gefärbte Bildungsreligion stand, und Wilhelm SchmidtBiggemann hat in einer Fallstudie zeigen können, was der Theodizeegedanke mit dem allmählichen, aber sicheren Verschwinden des Erbsündegedankens im 18. Jahrhundert zu tun hat104: insofern darf man den theologischen Kritikern des metaphysischen Optimismus im 18. Jahrhundert fraglos ein geschärftes Sensorium attestieren: gleichwohl ist eine umfassende Geschichte der Wirkung der Theodizee noch nicht geschrieben. Aber auch ist eine Geschichte der Vernunftkritik105 (oder besser: Kritik einer bestimmten Art von frühneuzeitlicher Rationalität) ± in die auch der theologisch begründete Gegen-Rationalismus mit eingeschrieben werden müsste ± vom 17. bis zum 19. Jahrhundert bislang weder geschrieben, noch sind teils auch nur die hier einschlägigen Texte in modernen Ausgaben zugänglich: ein schönes Beispiel ist hier etwa Joachim Langes Medicina mentis (1708), in der er schon lange vor seinem Engagement gegen Leibniz und Wolff eine systematische, gegen-rationale Philosophie entwirft. Das 101 Barth (wie Anm. 97), S. 85. 102 Vgl. Eike Christian Hirsch: Leibniz als Begründer der modernen Theologie. In: Hans Poser (Hrsg.): Nihil sine ratione. VII. Internationaler Leibniz-Kongreß. Berlin, 10.-14. September 2001. Nachtragsband. Hannover 2002, S. 218-229. 103 Vgl. seinen grundlegenden Aufsatz: Die Religiosität der Gebildeten. In: Karlfried Gründer/Karl Heinrich Rengstorf (Hrsg.): Religionskritik und Religiosität in der deutschen Aufklärung. (=Wolfenbütteler Studien zur Aufklärung 11). Heidelberg 1989, S. 145-195, bes. S. 156-158. 104 Wilhelm Schmidt-Biggemann: Geschichte der Erbsünde in der Aufklärung. Philosophiegeschichtliche Mutmaßungen. In: Ders.: Theodizee und Tatsachen. Das philosophische Profil der deutschen Aufklärung. Frankfurt/M. 1988, S. 88-116. 105 Vgl. jedoch Christoph Jamme (Hrsg.): Grundlinien der Vernunftkritik. Frankfurt/M. 1997. Hier finden sich u.a Beiträge zu Johann Georg Hamann (O. Bayer), der Weimarer Klassik (V. äPHJDþ /LFKWHQEHUJ (N. Rath), Hegel XQG GHU +HJHOVFKXOH - '¶+RQGW .-M. Kodalle) und zur Metaphysikkritik Schleiermachers (B. Bacsó).
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mag daran liegen, dass die Protagonisten der Vernunftkritik nur selten zum Gegenstand philosophiehistorischer Interesses geworden sind 106, weil deren Etikettierung als ÄDunkelmänner³, die sich dem mainstream von Aufklärung und Rationalismus (mit ± sit venia verbo ± guten Gründen) verweigerten, dazu geführt hat, sie ideengeschichtlich zu marginalisieren. Freilich fordern aber Gestalten wie Dippel, Joachim Lange, Naudé, und JungStilling, aber auch Swedenborg107, Hamann, und Oetinger und überhaupt auch alle anderen Kritiker Leibnizens zu näheren Untersuchungen geradezu auf, die dazu geeignet wären, sie aus dem Zuständigkeitsbereich der jeweiligen Spezialisten (oder Adepten) herauszulösen und ins allgemeine Bewusstsein der Ideengeschichte zu rücken, um unsere Kenntnis der Philosophie und Theologie des 18. und 19. Jahrhunderts nicht nur zu erweitern, sondern auch dergestalt zu differenzieren, dass wir lernten, die an den Ägroßen³ Texten orientierte Philosophiegeschichtsschreibung mit dem genaueren Blick auf die Diskussionen auch unter den Äminores³ zu schärfen . Die Essais de Théodicée des großen Leibniz sind jenseits ihrer inzwischen zur Kanonizität geronnenen Bedeutung als unbestrittenem philosophisch-theologischem Grundtext des Rationalismus und der Aufklärung eben auch nur ein Bezugspunkt unter anderen zum Verständnis der Ideengeschichte der hier in Rede stehenden Epoche, die sich mit bloßer Betrachtung der großen philosophischen Gestalten nur partiell erschließen lässt.
106 Ausnahmen bestätigen hier die Regel. Vgl. Bruno Bianco: Freiheit gegen Fatalismus: Zu Joachim Langes Kritik an Wolff. In: Norbert Hinske (Hrsg.): Halle. Aufklärung und Pietismus. Zentren der Aufklärung I. (Wolfenbütteler Studien zur Aufklärung 15). Heidelberg 1989, S. 111-155. Auf S. 113-115 findet sich eine treffende Charakteristik von Langes philosophischem Hauptwerk, der Medicina mentis (1704, 21708, 41718). Schon zuvor hatte Max Wundt in seinem Buch Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der Aufklärung (Tübingen 1945; ND Hildesheim/Zürich/New York 1992) Lange einen eigenen, kenntnisreichen Abschnitt gewidmet und ihm als eigenständigem Denker Gerechtigkeit widerfahren lassen ± ebenso wie dies Bianco tut. Freilich lässt sich angesichts der politischen Affinität Wundts zum Nationalsozialismus der Verdacht nicht von der Hand weisen, dass sich seine Ausführlichkeit zu Lange ± wie verdienstvoll im Einzelnen auch immer ± dem Aufspüren von ÄIrrationalismen³GLHXQWHUÄGHU6WHLQSODWWHGHVÃ5DWLRQDOLVPXV¶³$OIUHG%DHXPOHU GHVJahrhunderts begraben liegen, geschuldet ist. Ähnlich wird es sich mit Josef Nadlers Beschäftigung mit Hamann verhalten. Alfred Baeumlers aufschlussreiches Bild von der ÄSteinplatte des Rationalismus³ als Epitaph des Denkens, unter dem sich dann vorgeblich ein Älebendigeres³ (so muss man das Bild wohl ergänzen) finden lassen soll, findet sich in: Das Irrationalitätsproblem in der Ästhetik und Logik des 18. Jahrhunderts bis zur Kritik der Urteilskraft. Darmstadt 1981, S. 353. Daß solche Entgegensetzungen (hie Totes, dort Lebendiges), die anachronistisch an Ideenformationen der Vergangenheit herangetragen werden, sich durchaus weltanschaulichen Vorgaben verdanken, liegt auf der Hand. 107 Zum Verhältnis von Swedenborg etwa zur Philosophie Christian Wolffs vgl. die einschlägigen Titel bei Gerhard Biller: Wolff nach Kant. Eine Bibliographie. (= Christian Wolff. Gesammelte Werke. III. Abt. Bd. 87). Hildesheim/Zürich/New York 2004, Register s.v. Swedenborg, N. 208; 931; 1131 u. 1132.
Theologische Kritik : von Budde bis Schleiermacher
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8 Es hat bei den vorliegenden, historischen Hinweisen (die keineswegs Anspruch auf Vollständigkeit machen) auf die theologischen Kritiker des Leibnizschen Optimismus nicht darum gehen können, ob deren Argumente in systematischer Hinsicht und der Sache nach treffend und ob ihr Verständnis der Leibnizschen Metaphysik hinreichend gewesen ist: Wolfgang Hübener hat auf eine Reihe von Missverständnissen hingewiesen108, denen die zeitgenössischen Kritiker der Theodizee unterlegen sind. Leibniz selbst hat sich noch vehement gegen die ihm bekannt gewordenen Anwürfe zur Wehr gesetzt: so betont er etwa in einem Brief vom 15. März 1713 an Michael Gottlieb Hansch den Unterschied zwischen hypothetischer (moralischer) und absoluter Notwendigkeit und zeigt, dass die göttliche Wahl des Besten eben keinen Determinismus bedinge: Ä1HFHVVLWDVTXDHH[HOHFWLRQHRSWLPLIOXLWTXDPPRUDOHPDSSHOORQRQHVWIXJLHQGDQHFVLQH abnegatione summae in agendo perfectionis divinae evitari potest. Sed necessitas illa vitanda est, quae consistit in necessitate obiecti [...] qualem introducunt, qui non ex electione, sed necessitate rerum, mundum existere volunt, velut ex concursu Atomorum , aut materia ex motu, velut Democritici, item HOBBES et SPINOZA. Si mundus alius a nostro conceptu suo implicaret contradictionem, hic mundus esset necessarius. Sed [...] hinc noster est non nisi morali109 WHUQHFHVVDULXVDEVROXWHDXWHPORTXHQGRFRQWLQJHQV´
Trotz solcher und anderer Klarstellungen hat Leibniz es seiner Mit- und Nachwelt nicht ganz leicht gemacht, seinen in der Theodizee eingenommen Standpunkt wirklich zu begreifen. Man hat in ihm entweder den Deterministen oder den unkritischen Lobredner der gegenwärtigen Welt im Sinne einer Physikotheologie gesehen110 (was er beides nicht war). Wie schwer sich seine überaus differenzierte, modaltheoretisch und metaphysisch fundierte Position gegenüber Missverständnissen hat absichern können, zeigt abschließend nur die Stellungnahme eines prominenten Philosophiehistorikers des 19. Jahrhunderts, Friedrich Albert Lange, dessen Kennzeichnung der Lehre von der besten Welt ± obwohl er selbst kein Theologe ± derjenigen der hier vorgestellten Theologen strukturell überaus ähnelt: Ä,P /LFKWHGHV9HUVWandes betrachtet und nach seinen wahren Voraussetzungen und Consequenzen geprüft, ist dieser Optimismus nichts als die Anwendung eines Princips der Mechanik auf die Begründung der Weltwirklichkeit. Gott thut in der Wahl des besten unter den möglichen Welten nichts, was sich nicht auch mechanisch herstellen würde, wenn man die Ã(VVHQ]HQ¶ der Dinge als Kräfte aufeinander wirken liesse. Gott verfährt abei, wie ein Mathematiker, der eine Minimum-Aufgabe löst und er muss so verfahren, weil seine vollkommene Intelligenz an das Prinzip des zureichenden Grindes gebunden LVW>«@'LH:HOWNDQQ 108 Wolfgang Hübener (wie Anm. 2). 109 Leibniz: Epistolae ad diversos. Hrsg. v. Christian Kortholt. Leipzig 1734-1742. Band III, S. 87. 110 Freilich wäre die Nachzeichnung der Geschichte des Übergangs des Optimismus von einer eher streng metaphysisch begründeten Theorie zu einer eher physikotheologischen oder weltanschaulichen Versicherung im Laufe des 18. Jahrhunderts, eine noch zu leistende, reizvolle Aufgabe.
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S. Lorenz dabei noch herzlich schlecht sein, so ist sie doch immer die beste der möglichen Welten. Alles dies hindert aber die populäre Anwendung des Optimismus durchaus nicht, die Weisheit und Güte des Schöpfers in einem Tone zu preisen, als ob eigentlich gar kein Uebel in der Welt existierte, welches wir nicht durch unsere Bosheit und unsern Unverstand hineinbringen. Gott ist im System ohnmächtig, in der populären Anwendung der gewonnenen Begriffe lässt 111 VLFKVHLQH$OOPDFKWLQGDVKHUUOLFKVWH/LFKWVWHOOHQ³
111 Friedrich Albert Lange: Geschichte des Materialismus und Kritik seiner Bedeutung in der Gegenwart. Wohlfeile Ausgabe. Besorgt und mit biographischem Vorwort versehen von Prof. Hermann Cohen. Iserlohn 1881, S. 338. Hervorhebungen von mir.
BILFINGER ET L¶ORIGINE DU MAL, UNE THÉORIE DE LA FINITUDE par Frédéric de Buzon (Strasbourg)
Georg Bernhard Bilfinger (1693-1750) est l¶un des élèves les plus connus de Christian Wolff, sinon son premier disciple1. Il a passé chez de nombreux historiens de la philosophie allemande, depuis Ludovici, pour avoir introduit l¶expression de philosophie leibnizo-wolffienne2 : comme on le sait, Wolff a constamment rejeté cette dénomination qu¶il attribuait précisément à Bilfinger3. Quoi qu¶il en soit de l¶exactitude et de la portée de cette qualification, c¶est exactement la perspective leibnizo-wolffienne qui détermine la problématique de l¶ouvrage qu¶il consacre au problème du mal et de son explication, la De origine et permissione mali, praecipue moralis, commentatio philosophica4, dont je voudrais parler brièvement : perspective leibnizienne dans les thèses, wolffienne dans l¶écriture. 1
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Voir W. von Eberstein, Versuch einer Geschichte der Logik und Metaphysik bey den Deutschen von Leibniz bis auf gegenwärtige Zeit (in : Versuch einer Geschichte der Fortschritte der Philosophie in Deutschland, Halle, Ruff, 1794) ; E. Zeller, Geschichte der deutschen Philosophie seit Leibniz, Munich, 1873, p. 283-294. Voir notamment Ulrich G. Leinsle, Reformversuche protestantischer Metaphysik im Zeitalter des Rationalismus, Augsbourg, MaroVerlag, 1988, p. 290 et notes, qui renvoie à Ludovici, Historie der Wolffischen Philosophie, I, 244 (à propos des Dilucidationes) et H. Liebing, Zwischen Orthodoxie und Aufklärung, Tübingen, 1961, p. 11 et suiv. &HWWH LPSXWDWLRQHVW YUDLVHPEODEOHPHQWIDXWLYH HWO¶LQYHQWHXUGXWHUPH SDUDvWrWUH HQUpDOLWp Franz Budde, dans ses Bedenken über die Wolffische Philosophie, Frankfort sur le Main, 1724, § 13, comme le signalent Max Wundt, Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der Aufklärung 7ELQJHQ +LOGHVKHLP S QRWH SXLV O¶LQWURGXFWLRQ j &KU Wolff, Discours préliminaire sur la philosophie en général, trad. et intr. de Th. Arnaud, W. Feuerhahn, J.-F. Goubet et J.-M. Rohrbasser, Paris, Vrin, 2006, p. 14. Selon Wundt, O¶H[SUHVVLRQQHVHWURXYHSDVIRrmellement chez Bilfinger4XRLTX¶LOHQVRLW%LOILQJHU conjugue très fréquemment les deux noms, ainsi, Dilucidationes, § 2, §33 (mens Ill. Leibnizii et Chr. Wolffii), § 119 (systema Leibnitianum vel Wolffianum), De origine, § 95 ; Praecepta logicaPrPHV¶LOOXLDUULYHDXVVLGHGLVWLQJXHUOHVGHX[DXWHXUV,OQ¶HVWVDQVGRXWHSDVDbVROXPHQWLQGLIIpUHQWHQFHTXLFRQFHUQHOHGHVWLQXOWpULHXUGHO¶H[SUHVVLRQTX¶HOOHSURYLHQQH G¶XQDGYHUVDLUHjODGRFWULQHFRPPHO¶HVW%XGGHRXGHO¶XQGHVHVSURPRWHXUV Éditions consultées : Frankfort et Leipzig, 1724 (reprint Olms, 2002, in : Chr. Wolff, GW, III, HW7ELQJHQ,OQHSDUDvWSDVHQH[LVWHUG¶DXWUes. Le texte est cité plus bas De origine avec le numéro du paragraphe (identique dans les deux éditions). Nous traduisons les passages cités, de même que ceux des autres ouvrages de Bilfinger ; aucune traduction française ne semble disponible.
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Il s¶agit, pour l¶essentiel, d¶une reprise des Essais de Théodicée5 ou, tout au moins, d¶une énumération des positions fondamentales de l¶ouvrage leibnizien de 1710 et résumées dans la Causa Dei publiée en 17126. Bilfinger la publie pour la première fois en 1724, c¶est-à-dire un an avant son ouvrage le plus important, les Dilucidationes philosophicae de Deo, anima humana et mundo, qui, pour sa part, est un manuel complet d¶ontologie wolffienne, traitant de l¶ontologie générale et des trois disciplines spéciales. Auparavant, il avait donné en 1723, dans une Commentatio de harmonia [«] praestabilita, un examen des différentes doctrines ou systèmes de l¶union de l¶âme et du corps, et qui accorde naturellement la préférence à la théorie de Leibniz ; il avait également rédigé un bref traité sur les trois genres de connaissance que l¶on évoquera plus bas. À la lecture de tous ces ouvrages, on voit qu¶il s¶agit à l¶évidence non d¶un philosophe réellement original mais d¶un professeur qui a pour but d¶exposer de manière rationnellement convaincante une doctrine qu¶il n¶a pas inventée. Pour cette raison, en tentant de reconstruire l¶approche de Bilfinger de la question du mal, on ne peut se donner pour premier objet de décrire l¶élaboration d¶une théorie nouvelle, mais plutôt de tenter de voir comment se constitue sur un exemple particulier une philosophie d¶école, qui a ceci de paradoxal qu¶elle entend transformer un texte d¶écriture populaire, ce qu¶implicitement est la Théodicée pour Bilfinger, en un texte philosophique ; bien que Kant ne paraisse pas parler de cet aspect de la pensée de Bilfinger7, il est clair que l¶on peut considérer cet ouvrage comme une étape importante dans le genre littéraire de la théodicée. Par ailleurs, il ne s¶agit pas de savoir ici si c¶est une source précise de la réfutation kantienne : l¶essai de Kant Über das Misslingen aller philosophischer Versuche in der Theodizee (1791), s¶il ne nomme pas Bilfinger, ne nomme pas davantage Leibniz. On remarquera aussi que c¶est sans doute sur cette question que Bilfinger se démarque, de fait, le plus de son maître Wolff : bien que ce dernier fasse souvent allusion aux Essais de Théodicée, il ne leur consacre pas un ouvrage particulier. Le terme de théodicée est pris par Bilfinger non comme le nom commun d¶une science (ou quasi science) nouvelle, mais seulement comme l¶abréviation du titre du livre de Leibniz, évidemment très fréquemment cité, en français comme en latin ; l¶un des buts de Bilfinger est de donner, au maximum, l¶idée d¶une science de plein droit, c¶est-à-dire d¶une discipline exclusivement rationnelle et non populaire. C¶est pourquoi il propose un exposé continu et méthodique, qui a la structure d¶un cours. Le propos général de l¶ouvrage, posé dès la préface, est l¶examen de la perfection du monde à partir des seules déterminations du choix divin ; comme on le verra, Bilfinger rejette les arguments a posteriori et estime que la voie a priori est la plus aisée et en réalité la seule praticable. Le raisonnement est hypothétique. 5 6 7
[G.W Leibniz], (VVDLVGH7KpRGLFpHVXUODERQWpGH'LHXODOLEHUWpGHO¶KRPPHHWO¶RULJLQH du mal, Amsterdam, Troyel, 1710 (1ère édition). « petit abrégé méthodique en latin ª FRPPH O¶LQGLTXH /HLEQL] à Burnett, 30 octobre 1710, GP III, 321, Amsterdam, Troyel, 1710. Bilfinger Q¶HVWFLWpSDU.DQW que dans la seule Wahre Schätzung der lebendigen Kräften.
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(1) S¶il est certain que Dieu examine dans sa délibération l¶univers comme toutes ses déterminations ; (2) S¶il est certain que Dieu par sa délibération ne choisit pas le plus imparfaitement face au meilleur ; Alors, (3) est établi « solidement, et sans danger », ce qui s¶en déduit, « à savoir que le monde présent divinement choisi, considéré avec toutes ses déterminations prises ensemble, est le meilleur par rapport aux autres possibles. » (De origine, Praefatio (non paginée), *3). Cette première thèse générale ne contient pas encore la notion de mal, mais, comme on le verra, donne le moyen de le penser et de le situer. L¶ensemble de l¶argumentation consiste ainsi à montrer que la présence du mal ne compromet pas la vérité de la thèse (3), quels que soient les contre-exemples qu¶on pourrait produire. Le projet du livre est ainsi de trouver a priori les raisons du mal.8 1. Méthode Comment établir une doctrine déjà établie ? Il ne s¶agit pas de l¶inventer, mais de la fonder. Bilfinger rappelle fréquemment que le vrai doit être pensé par luimême, et non en fonction des autorités, quelles qu¶elles soient : ni les auteurs, ni la révélation ne peuvent se substituer à la déduction prise des définitions exactes. Même si quelques auteurs sont cités, il ne s¶agit pas de mesurer l¶un par l¶autre. Deux auteurs interviennent fréquemment dans le propos, Leibniz et Malebranche9 (plus souvent que Bayle), mais l¶enjeu est avant tout de produire la vérité de la chose elle-même par une voie exclusivement rationnelle. À ce rejet des autorités prises comme telles s¶ajoute l¶élimination aussi des méthodes historiques (par exemple au § 7), même fondées sur l¶écriture sainte : sur ce point, Bilfinger postule que l¶on peut admettre de manière universelle que ce qui est déduit rationnellement des premiers principes d¶une droite raison doit s¶accorder avec l¶écriture sainte, sans que l¶on doive craindre que deux vérités se combattent ou que ne soient pas vraies les déductions légitimes des principes. Cette méthode de rédaction est permanente chez Bilfinger et thématisée dès ses premiers travaux. Comme il l¶explique dans la thèse De triplici cognitione soutenue en 1722 devant l¶université d¶Iéna10, l¶opposition entre la connaissance historique et la connaissance philosophique est directement reprise de Wolff11 et indirectement de De origine, § 22. Bilfinger (ibid. ORXHQRWDPPHQWODGRFWULQHPDOHEUDQFKLHQQHGHODOLEHUWpWHOOHTX¶HOOH est exposée dans la Recherche de la vérité, I, I, § 2. 10 De triplici rerum cognitione, historica, philosophica et mathematica, Iéna, Buch, 1722, 22 pages (exemplaire consulté : Strasbourg, BNU, [B 101605). Cette thèse est souvent mentionQpHGDQVODELEOLRJUDSKLHFRPPHGDWpHGH7ELQJHQPDLVO¶H[HPSODLUHGH6WUDVERXUJLQGLTXH bien Iéna. Le texte est réédité dans G. B. Bilfinger, Varia in fasciculos collecta, Stuttgart, 1743, fasc. 1, p. 36-78. 11 Bilfinger renvoie (§ 10) aux Prolegomena Logicae, § 6, 7, 14 et 15. Cette référence pose un problème chronologique. ,OSRXUUDLWV¶DJLUDX YXGH ODGDWH des Vernünftige Gedanken von 8 9
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Tschirnhaus et évoque une distinction alors inédite de Leibniz même12. Cette opposition des genres de connaissances ne tient pas à une différence d¶objets ni de contenu, mais d¶appréhension : la connaissance historique est une connaissance de fait (même si ce fait est lui-même une vérité mathématique ou une connaissance philosophique), tandis qu¶une connaissance philosophique explique, à partir des idées distinctes des choses, pourquoi une chose est ou peut être ; enfin, la connaissance mathématique a pour objet de ramener les phénomènes ou les lois empiriques à la mesure (De triplici cognitione, § 48) ; la distinction de Bilfinger se rattache ainsi plus à la distinction aristotélicienne entre la connaissance du fait et la connaissance du pourquoi qu¶à la distinction leibnizienne entre vérité de fait et de raison : c¶est en effet le mode d¶acquisition par l¶esprit de la proposition, qui peut être en elle-même empirique ou théorique, qui distingue les genres de connaissances, et non la nature des vérités prises en elles-mêmes, comme c¶est le cas chez Leibniz. De même que pour Wolff, chez qui la connaissance historique sert à fonder la connaissance philosophique en lui procurant ses commencements, pour Bilfinger, la connaissance la plus parfaite est celle où « la philosophique suit l¶historique, tandis que la mathématique perfectionne l¶une et l¶autre »13. Le traitement de la question du mal ne fait aucun appel aux mathématiques, mais l¶opposition entre le philosophique et l¶historique est déterminante : elle oblige à trouver un cadre conceptuel strict, et non seulement factuel, à la double question de l¶origine et de la permission du mal. C¶est ce qu¶exprime parfaitement la division des questions établie au début du De origine (§§ 7-9), telle qu¶elle est reprise au § 476 : « Autre est cette question traitée historiquement, autre lorsqu¶elle est traitée philosophiquement. Nous concédons que celle-là est à poser à l¶Écriture sainte, mais nous estimons que celle-ci peut être déduite par des arguments, à partir même de notions universellement reçues, de Dieu, des créatures, du monde, du mal et autres choses semblables ».
L¶exigence philosophique affirmée ici conduit donc à refuser une méthode historique, naturelle, profane ou sacrée ; elle sépare donc le traitement entier de la question philosophique de toute révélation, particulière ou universelle. Elle conduit aussi au refus d¶une méthode éristique (§ 39). Bilfinger précise ainsi ne pas vouloir perdre son temps à répondre aux objections particulières contre la den Kräften des menschlichen Verstandes, 1e édition, Halle, 1713, Vorbericht von der WeltWeisheit (édition Arndt, Hildesheim, Olms, 1978) : les paragraphes cités correspondent en partie. Mais cette préface oppose la gemeine Erkenntnis à la Erkenntnis eines Welt-Weisen, ce que la traduction française de la logique allemande (2e édition, Lausanne-Genève, 1744) rendait parfaitement par, respectivement, Connaissance ordinaire et connaissance G¶XQ SKLOosophe. Or la Logica, dans le Discursus praeliminaris, § 6, 7, (voir traduction française mentionnée plus haut, p. 71-72) oppose, comme le fait Bilfinger en 1722, en référence à Wolff, la connaissance historique à la connaissance philosophiqXH ,O HVW GpOLFDW G¶DVVLPLOHU FRQQDLssance ordinaire et connaissance historique F¶HVWGRQFSOXW{WODYHUVLRQODWLQHTXHVXLW%LOILnger. Mais la première édition de la Logique latine date de 1728, soit six ans après la rédaction du De triplici. Bilfinger FLWHGRQFXQOLYUHTXLQ¶DSDVHQFRUHSDUX 12 Voir Leibniz, Nouveaux Essais«, II, 21, § 70, A VI, 6, 211. 13 De triplici cognitione, § 55.
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providence, tant pour éviter de surcharger l¶ouvrage que parce que les objections particulières, possibles ou réelles, trouvent toutes leur solution dans la thèse générale, qui sera telle qu¶aucun événement particulier ne pourra, principiellement, apparaître comme la contredisant (§ 31) : toutes les objections faites a posteriori seront susceptibles d¶être résolues en rigueur logique (cf. aussi § 477). Bilfinger propose alors un usage restreint et critique des autorités, même dans le cas de Leibniz14 ; cela peut le conduire à reprendre Leibniz lui-même, comme le signale le § 327 dans un rappel des §§ 32 et 33, « j¶ai utilisé dans ce système les principales doctrines de Leibniz, en les infléchissant cependant, pour pouvoir commodément les associer aux autres genres d¶enseignement » ; les deux paragraphes auxquels il renvoie décrivant respectivement l¶élimination maximale des opinions particulières à Leibniz, et l¶incorporation de cette doctrine au systema metaphyscum integrum de Wolff. La méthode philosophique est donc celle de l¶exposé systématique, tendant à éliminer au maximum les singularités factuelles et les noms propres. On peut ainsi comprendre ce que Bilfinger entend par système. Il ne s¶agit pas tant du système comme objet (dont une définition est donnée dans la partie II, pour expliciter le concept de monde), mais d¶abord d¶un genre d¶exposition, c¶est-à-dire, pour résumer, d¶une explication de l¶origine du mal philosophique et non historique ; générale et non particulière, a priori et non a posteriori ; abstraite et non appliquée, que ce soit aux hommes ou aux anges15. Ainsi, le péché originel est explicitement négligé tant dans sa nature que dans ses conséquences : celui-ci n¶est pas l¶origine du mal, sinon parmi les hommes. Le péché originel n¶est pas un objet philosophique, dans la mesure où les philosophes « ignorent à partir de la seule raison les choses nécessaires, privés qu¶ils sont des documents pertinents ». Bilfinger caractérise alors son attitude ainsi : « Je m¶élèverai plus haut et contemplerai la première source du mal, dans un monde affecté soit par ce mal, soit par n¶importe quel autre ; mais ce que je dirai pourra être appliqué aussi au monde présent et à chacune de ses parties affectées de quelque mal, ou bien totalement 16 souillées » .
En ce sens, Bilfinger prolonge et amplifie les arguments de Leibniz en disqualifiant toute information historique. Ainsi, Essais de Théodicée, § 156 : « Et quant à la cause du mal, il est vrai, que le Diable est l¶auteur du péché: mais l¶origine du péché vient de plus loin, sa source est dans l¶imperfection originale des créatures: cela les rend capables de pécher; et il y a des circonstances dans la suite des choses, qui font que cette 17 puissance est mise en acte » .
Bilfinger ne va quant à lui jusqu¶à l¶examen d¶aucune des circonstances concrètes. C¶est l¶un des avantages de la méthode a priori : il s¶agit de montrer de quelles sources provient le mal, sans supposer les conséquences : il ne faut pas dire « s¶il 14 Cf. § 267 : « MH QH FKHUFKH SDV O¶DXWRULWp G¶XQH SURSRVLWLRQ (sententia) dans les paroles des KRPPHVHWOHVWpPRLJQDJHV>«@ ». 15 De origine, § 288, 289 et 504. 16 Ibid., § 289. 17 GP VI, 203.
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peut naître, il naît, mais plutôt, « s¶il naît, il naît de cette source de laquelle il peut naître »18. Ainsi la question historique difficile se résout en une question plus facile. Bilfinger définit, notamment dans le début de la théologie naturelle des Dilucidationes, le modus tractandi systematicus qu¶il entend adopter en l¶opposant au mode populaire. Est appelé populaire tout mode qui s¶écarte du mode systématique, pour quelque motif que ce soit19. Il est évident que les Essais de Théodicée ne répondent pas formellement à l¶exigence de systématicité, même si les thèses qu¶ils présentent sont d¶une parfaite cohérence. Leur manque en effet ce qui les rend absolument convaincants, un ordre réellement systématique dans la rédaction. La démonstration systématique renvoie à ce que Bilfinger comprend, en en rassemblant les définitions, comme méthode mathématique et comme principes de la logique. Elle se réduit aux préceptes suivants : Aucun terme ne doit être utilisé s¶il n¶a été expliqué ; Aucune définition n¶est employée si sa possibilité n¶a pas été montrée ; Aucune proposition n¶est admise sauf si, une fois compris ses termes, son opposé est contradictoire, ou bien si elle est inférée en bonne forme de définitions antérieurement admises20. Cette présentation correspond en grande partie à ce que les Praecepta logica21 nommeront plus tard méthode des mathématiciens, par référence à la traduction latine de la Logique de Port-Royal22 (Ars cogitandi partie 4, ch. 3), purement et simplement démarquée ; cependant, le second principe posé ici, celui de la possibilité du terme défini vient beaucoup plus directement de Wolff et de Leibniz et n¶est pas formellement présent dans Port-Royal. Ainsi, Bilfinger considère-t-il comme équivalentes la présentation systématique et la présentation démonstrative, scientifique ou méthodique, en un mot philosophique. Le terme de système revient sans cesse sous la plume de Bilfinger, soit pour désigner un objet, soit un corps théorique. Le but qu¶il se donne est alors, dans le De origine, de produire une enarratio systematis23, un récit du système.
18 De origine, § 504 (à propos du § 290). 19 Dilucidationes § 371 : Popularem voco omnem illum, qui opponitur demonstrationi systematicae. 20 Dilucidationes, § 371. 21 Iéna, 1742, Olms, 2002 (Wolff, GW III, 81). Ici, § 14. 22 Logica sive ars cogitandi, multiples éditions (voir la liste dans Arnauld et Nicole, La logique RXO¶DUWGHSHQVHr, édition P. Clair et F. Girbal, Paris, Vrin, 1993, p. 8). 23 De origine,§ 503.
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2. Ennaratio systematis L¶ouvrage est assez important : il se compose de 524 paragraphes, répartis en cinq sections. Les deux premières constituent, bien qu¶elles occupent presque la moitié de l¶ouvrage, des préliminaires au traitement du problème. La première section, critica, se donne pour but d¶énoncer quelques précautions et distinctions nécessaires. Elle est très brève (48 §). La seconde, dite ontologica, part d¶une formule fondamentale sur laquelle je reviendrai et développe les définitions de tous les termes qui la composent : leur ensemble permet d¶aborder, après 243 pages la res ipsa. Celle-ci est traitée dans la troisième partie (metaphysica), intitulée Doctrina de origine et permissione mali connectens in systemate. Puis, une section IV, dite pratique, examine l¶usage moral du système qui a été décrit (usus enarrati systematis moralis) ; enfin, un épilogue rappelle les étapes précédentes et constitue, en réalité, une table raisonnée des matières et un fascicule de résultats ; elle prend d¶une certaine manière la place de la Causa dei. Comme on l¶a vu, l¶analyse doit partir de termes correctement définis. Reste que l¶introduction des définitions est provoquée par l¶exposition d¶une proposition principale (sententia principalis), énoncée au commencement de la partie ontologique (§ 49), et reprise dans l¶épilogue (§ 479) : « La proposition propre du système et quasi fondamentale, destinée à être développée en plusieurs branches est celle-ci : nous disons que cette universalité des choses (universitas rerum) ou monde est le plus parfait parmi plusieurs possibles à raison de tout le système ; de plus, en conséquence de la volonté divine qui choisit par nécessité morale le meilleur, il est préféré sagement à tous les autres, même s¶il est maculé par la faute du mal des créatures, en tant qu¶elles sont finies ; et de plus, nous disons que le motif de la permission a été pour Dieu que les imperfections qui se rencontrent dans les parties sont comprises ensemble dans l¶idée du monde, le meilleur dans sa totalité ».
L¶application de la méthode consiste donc à définir les termes employés, pour parvenir à éliminer les controverses. Elle revient à établir une sorte de dictionnaire philosophique préalable. Comme on l¶a vu, Bilfinger ne prend pas en compte les objections particulières a posteriori contre la providence, mais il fait droit aux objections générales contre la théorie. Celles-ci trouvent leur place et leur réponse dans l¶examen des définitions, c¶est-à-dire dans la partie explicitement ontologique, à titre de corollaires ajoutés aux définitions mêmes. C¶est dans les définitions que sont confrontées les doctrines ; Bilfinger reprend naturellement les éléments leibniziens et wolffiens, mais renvoie volontiers à d¶autres auteurs comme Malebranche, Crousaz (sa Logique est citée au § 150), Descartes et quelques scolastiques et fait état des controverses. Les définitions répondent aux questions, dans cet ordre : quid mundus ? quid systema ? quid perfectio ? quid malum ? quid possibile ? quid necessarium, quid voluntas consesquens ? quid sapientia ? quid finitum ? quid individuum ? quid permissio ? (§ 50). D¶autres définitions sont ajoutées à cette première liste. Ce n¶est pas le lieu de reprendre la liste de ces définitions, dans la mesure où elles sont à peu près les mêmes que celles de Leibniz, et représentent à chaque fois des
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états de la question ainsi qu¶un recueil de sources, mais on peut se borner à quelques exemples. La définition de Monde vient directement de Wolff et de la Théodicée § 8, comme ensemble des créatures existant simultanément et successivement (§ 53), muni d¶une loi exprimée par la notion de système. La définition de Système au sens, cette fois d¶un objet, est la suivante : « Nous parlons d¶un système comme d¶une multitude de choses connectées entre elles, c¶està-dire quand l¶une obtient ses déterminations de l¶autre, de sorte que suivant une loi comPXQH>«@FRQYHQDQWjODQDWXUHGHFHVFKRVHVODUDLVRQGHO¶une puisse être rendue à partir 24 de l¶autre » .
Le terme fondamental est ainsi celui de nexus, comme dans Cosmologia de Wolff. La définition de Perfection (§§ 78 et 482) par le degré d¶accord des parties du système, la perfection consistant en un consensum in varietate. Plus les parties d¶un système sont en accord, plus celui-ci est parfait. Bilfinger avoue l¶emprunt à Wolff, et non à Leibniz. Le même argument est présent dans les Dilucidationes, I, VI. Une fois posés les termes, la déduction de l¶origine du mal peut être formalisée, à partir d¶une thématisation dichotomique que l¶on peut résumer ainsi à partir du § 504. Le mal ne peut être dans un étant infini ; il est donc dans les étants finis. Un étant fini n¶est rien qu¶une réalité ou sa limitation ; le mal ne consistant pas en réalité, il est limitation. Les limitations, en tant que telles, ne naissent pas de la réalité, ni de la source des réalités, à savoir Dieu. Donc, le mal n¶est pas posé dans les limitations par une efficience divine. Au contraire, cette privation est une privation originaire (privatio orta) qui ne postule pas de cause efficiente, mais prenant sa source à partir d¶un néant radical, cohérent à la finitude des choses (finitudo rerum). En résulte une origine du mal métaphysique applicable aux autres maux, physiques et moraux. Il faut souligner la thématisation du concept de finitude, particulièrement précise, et vraisemblablement nouvelle dans le vocabulaire philosophique : « C¶est pourquoi les privations prennent leur source de la finitude par elle-même des choses, en tant que celle-ci nie la perfection, et non en tant qu¶elle l¶accepte et la pose. Les anciens 25 auraient dit, à partir d¶un néant radical » ,
ou encore, « Il est donc possible de conclure avec sûreté et généralité que la première origine du mal est fondée dans le néant, ou, au même sens, dans la finitude des choses, dans les limitations généralement nécessaires et propres à l¶être fini comme tel ; et l¶auteur de la réalité n¶agit pas de 26 son influence (influxus) dans sa production » .
Sous une forme plus résumée encore, Bilfinger pose ainsi que le mal
24 Ibid., § 62. 25 Ibid., § 302. 26 Ibid., § 303.
%LOILQJHUHWO¶RULJLQHGXPDO
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« « HVWSULYDWLRQQpG¶une privation, qui n¶a pas de cause de soi positive, prenant sa source 27 dans le néant et cohérent avec la finitude des créatures » .
Le texte leibnizien suivi le plus près, sans le préciser au demeurant, est la réponse à la cinquième objection de l¶Abrégé de la controverse réduite à des arguments en forme28. Toutefois, alors que Leibniz place parfois sur le même plan limitation et imperfection, employant de manière qui paraît souvent indifférente les deux termes, mais en dérivant la limitation de l¶imperfection, Bilfinger choisit au contraire de privilégier la limitation, ce qu¶il marque en forgeant le terme abstrait de finitude. Ses propres définitions de la perfection et de l¶imperfection sont liées à l¶accord des choses entre elles ; ainsi, au § 114, il pose que les imperfections sont dues à une absence de consensus ou à un dissensus. En revanche, Leibniz pose, dans la réponse à la Ve objection, que « toute réalité positive, ou absolue, est une perfection ». Ainsi, le changement apporté par Bilfinger est très sensible : si, pour Leibniz, « les limitations ou les privations résultent de l¶imperfection originale des créatures », c¶est au fond l¶inverse qui se produit chez Bilfinger, à savoir que l¶imperfection est l¶effet de la finitude. C¶est pourquoi il peut écrire : « [le mal] concerne donc les étants finis et imparfaits, en tant qu¶ils se distinguent de l¶étant infini et le plus parfait, c¶est-à-dire en tant que finis. C¶est pourquoi il est dû à la finitude »29. Peut-on considérer que le travail de Bilfinger se borne à modifier la présentation des thèses de Leibniz, à les purger des références historiques, à combiner systématiquement des définitions correctes, voire à proposer un terme promis à un riche avenir ? Ce serait, évidemment, l¶accomplissement de la métaphysique leibnizo-wolffienne. Mais il en va en réalité autrement. 3. Bilfinger critique de Leibniz Si l¶argumentation de Bilfinger suit généralement celle de Leibniz, elle présente quand même parfois des variations significatives ; le sens est d¶atténuer l¶apparence de nécessitarisme que peut présenter Leibniz. Deux exemples serviront à conclure ce propos, une rectification textuelle et une remarque sur le principe de raison suffisante. Dans la discussion sur l¶origine du mal, Bilfinger donne une citation de la Causa Dei (§ 69), mais en modifie le texte par le retrait d¶une négation. Leibniz : « Ainsi, le fondement du mal est nécessaire, mais sa naissance est contingente ; il est nécessaire que les maux soient possibles, mais il est contingent que les maux soient actuels. Celui
27 Ibid., § 304. Sont omis les numéros des paragraphes auxquels renvoient chacune des propositions. 28 GP VI, 383. 29 De origine, § 304.
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F. de Buzon qui en fonction de l¶harmonie des choses n¶est pas contingent passe de la puissance à l¶acte, 30 en raison de la convenance avec la meilleure suite des choses dont il fait partie » .
Bilfinger écrit : « Contingens autem (ita enim lego, vice eius, quod expressum est, non contingens autem) per harmoniam rerum a potentia transit ad actum, ob convenientiam cum optima rerum serie, 31 cujus partem fecit » .
Il s¶agit donc clairement de supprimer toute possibilité de considérer l¶harmonia rerum comme un genre diminutif de la nécessité, face à la nécessité logique, et d¶affirmer la contingence du mal en toute hypothèse. La remarque sur le principe de raison suffisante est d¶une plus grande portée encore. Bilfinger rappelle au § 327 qu¶il a intégré à son système les principales doctrines de Leibniz, mais en les accommodant parfois quelque peu. Le principe peut apparaître comme dur ou intolérable à certains en ce que la nécessité est mise dans les choses à partir de ce principe (en tout cas aux yeux de ceux qui le rejettent). Le principe est alors corrigé ainsi : « rien ne se fait sans raison » est un énoncé correct, mais sa conversion : « là où il y a une raison suffisante, alors se produit infailliblement une action » est beaucoup moins nécessaire et inexcusable dans les maux32. Par rapport aux Essais de Théodicée, qu¶apporte donc le De origine et permissione mali ? Le plus apparent est la mise en ordre systématique, qui alourdit considérablement le texte. Sur le fond, Bilfinger atténue ce qui peut apparaître, en dépit de toutes les précautions de Leibniz, comme un nécessitarisme en refusant, en réalité, la nécessité morale. Mais le plus important est sans doute le déplacement du concept fondamental de la doctrine du mal, dont l¶origine est moins l¶imperfection de la créature que sa finitude. Bilfinger ainsi n¶explique aucun mal particulier, mais réduit l¶origine de tout mal à ce concept unique.
30 GP VI, 449, trad. J. Brusnchwig, in : Essais de Théodicée, Paris, GF, p. 438 ; je souligne en gras, comme dans la citation suivante, le point relevé par Bilfinger. 31 De origine, § 306. 32 Ibid., § 508.
LA PREMIÈRE RÉCEPTION WOLFFIENNE DE LA THÉODICÉE LEIBNIZIENNE par Jean-François Goubet (Douai)
1. Propos de l¶article Le but de cet article n¶est pas de retracer l¶importante influence qu¶ont exercée les Essais de théodicée sur l¶°XYUHHQWLqUHGH:ROII, en particulier sur la rédaction de ses propres traités théologiques. Il s¶agira plutôt de porter le regard principalement sur la recension de la Théodicée que Wolff a effectuée en 17111 pour y trouver des points de contact entre les deux auteurs. Toutefois, d¶autres déclarations wolffiennes courant jusqu¶en 1720, date à laquelle il vient juste de livrer sa Métaphysique allemande, pourront être convoquées, non en ce qu¶elles renseignent sur les âpres discussions théologiques autour de la Théodicée mais en tant qu¶elles le font de la genèse de la systématique wolffienne. On doit à Giuseppe Tognon d¶avoir signé un article très érudit sur Wolff et la Théodicée leibnizienne2. Certains points y ont été établis de manière solide : Wolff copia en personne une partie du manuscrit, ainsi que l¶atteste entre autres une remarque marginale de Leibniz, et, par suite, l¶expression « oculo fugitivo » qu¶il emploie pour qualifier sa lecture du texte dans une lettre à Manteuffel ne doit pas être mal interprétée (cf. pp. 128 et 121). Nous partirons des acquis de l¶article de Giuseppe Tognon pour explorer plus abondamment qu¶il n¶a pu le faire le détail de la réception wolffienne. Que Wolff copia une partie du manuscrit ne signifie en rien qu¶il méconnaisse le reste ou qu¶il donne la préférence aux passages en question. Nous verrons au contraire qu¶un principe de recension se dégage, qui est de ne mettre en lumière que ce qui relève de la chose même, indépendamment de circonstances personnelles et, ce qui est plus, quasiment sans acception de personnes. Ainsi, il est frappant de voir que le dialogue Bayle/Leibniz disparaît pratiquement dans les 1 2
En marV SXLV HQ DYULO (Q PDUJH GH O¶H[HPSODLUH GH OD 68% GH *|WWLQJHQ VH WURXYH O¶LQGLFDWLRQPDQXVFULWHS© Christian Wolff ». « Christian Wolff H JOL µ(VVDLV GH 7KpRGLFpH¶ GL /HLEQL] », in : Lexicon philosophicum 1989/4, p. 117-131. Merci à J.-P. Paccioni GHP¶DYRLUUHQYR\pjFHWDUWLFOH-HSURILWHDXVVLGH O¶RFFDVLRQSRXUQRPPHU7K$UQDXG et J.-M. Rohrbasser comme mes compagnons de traducWLRQ GH O¶RQWRORJLH HW GH OD WKpRORJLH UDWLRQQHOOH GH OD Métaphysique allemande &¶HVW DXVVL dans la confrontation serrée avec la lettre des textes que voient le jour certaines pensées ensuite ramassées et formalisées dans un article.
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vingt-deux pages que rédige Wolff dans les Acta eruditorum. Si l¶on excepte les quelques saillies contre Hobbes et Spinoza, on ne trouve presque plus sous la plume de Wolff que la retranscription d¶un discours : la Théodicée est rendue comme un enchaînement de raisons, progressant à son train, quasi linéairement. Une fois un premier alinéa consacré à rappeler le cadre de la discussion entre Bayle et Leibniz, Wolff ne s¶attachera plus qu¶aux raisons générales et privilégiera en conséquence la préface et le discours préliminaire, dans lesquels elles apparaissent le mieux. Si Wolff a lu la Théodicée « oculo fugitivo », cela ne veut pas dire qu¶il en a sauté des passages mais bien qu¶il ne s¶est arrêté que sur certains d¶entre eux. En fait, en sa qualité de recenseur, il a été conduit par deux principes. Le premier lui enjoignait de restituer au mieux le propos du livre dont il faisait le compte rendu. Rendre justice au projet de Leibniz est un impératif herméneutique dont il ne pouvait se départir. Le second principe exigeait de Wolff qu¶il rédige un texte personnel, qui ne soit pas inféodé à sa source. Tirer des raisonnements d¶autrui ce qui convient à sa pensée propre est un impératif systématique dont il ne pouvait se défaire. Même si Wolff n¶a pas encore, en 1711, rédigé de texte logique et développé sa conception de la lecture d¶ouvrage d¶autrui, ni celle de la confection de textes scientifiques, il est déjà en mesure d¶avoir une pratique qui y soit conforme. Tenu par la fidélité au texte±source et par le réquisit de disposer des raisonnements qui ne contreviennent pas à sa pensée personnelle, Wolff choisira de ne pas explicitement critiquer Leibniz. Toutefois, les multiples louanges adressées au maître ne doivent pas abuser : certains points fondamentaux de la Théodicée sont purement et simplement tus, ce qui, à notre sens, révèle déjà des divergences, voire des désaccords, entre Wolff et son aîné. 2. La préface Wolff consacre à la préface de la Théodicée environ trois des vingt pages et demie de son compte rendu. La première d¶entre elle apparaît comme un résumé linéaire des développements leibniziens sur les formulaires de la foi, le rôle d¶Abraham, de Moïse, de Mahomet et de Jésus-Christ dans la propagation des dogmes de théologie naturelle et enfin sur la définition de la vraie foi. Wolff s¶inscrit sur ce dernier point dans la droite ligne de Leibniz : la véritable piété consiste en l¶amour de Dieu accompagné de la lumière de l¶entendement ; les dons naturels, la bonne éducation, l¶habitude de fréquenter des hommes doués de vertu peuvent l¶encourager, mais moins que les bons principes, et les perfections de l¶entendement sont les compléments de celles de la volonté. Giuseppe Tognon voyait dans les assertions leibniziennes une profession de foi éclairée, anticipant la marche des idées au dix-huitième siècle (cf. p. 130). Wolff, en effet, ne manquera jamais d¶affirmer l¶importance du domaine pratique, ni de souligner comment sa philosophie prépare à l¶action en général. On quitte la paraphrase dès qu¶on en arrive à la justification par Leibniz de ses Essais. Wolff reprend certes les attendus, à savoir le fait que beaucoup se
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trompent sur la bonté et la justice de Dieu ou recourent à sa puissance irrésistible et despotique là où il faudrait plutôt mettre en avant sa suprême bonté et la puissance de sa parfaite sagesse, mais il restitue autrement l¶entreprise des Essais. « Il [Leibniz] a appelé du nom de Théodicée », dit Wolff, « le genre de doctrine dans laquelle on traite du droit de Dieu et de la justice divine » (p. 112, faussement numérotée 114). On reconnaît ici la volonté wolffienne d¶utiliser des termes clairs et distincts, mais on voit surtout qu¶aucun mot n¶est dit ici des « deux labyrinthes fameux où notre raison s¶égare bien souvent »3, particulièrement du second, concernant la continuité et les indivisibles4. Alors que, par la suite, Wolff ne manquera pas de relever des points de détail dans l¶argumentation leibnizienne, pourvu qu¶elles aillent dans son sens, on le voit en l¶occurrence peu enclin à souligner la doctrine des unités leibnizienne ou à donner son sentiment sur la question. Qui plus est, alors que la fin de la préface leibnizienne ne sera pas avare d¶explications sur le système nouveau défendu par son auteur, la recension wolffienne n¶en pipe mot dans les pages qu¶elle lui consacre. La Théodicée leibnizienne apparaît, à la lecture des passages du compte rendu qui nous occupent, quasiment découplée de la mise en avant de l¶harmonie préétablie. Pour expliquer ce silence, plusieurs conjectures sont possibles. La première, minimale, serait que c¶est le caractère historique, narratif, plutôt que dogmatique, discursif, qui aurait déprécié les passages où Leibniz revient sommairement sur son parcours intellectuel. La seconde, plus osée, serait que Wolff ne fait pas coïncider harmonie préétablie et théodicée, puisque celle-là trouvera son lieu quelques années plus tard dans sa psychologie rationnelle quand celle-ci se verra avant tout reformulée dans sa théologie rationnelle. Il serait bien sûr outré de dire que les linéaments de la Métaphysique allemande sont déjà en germe dans la recension de la Théodicée. Quoi qu¶il en soit, il n¶en reste pas moins que la structure de l¶°XYUHIXWXUHHVWFRPSDWible avec la lecture de l¶°XYUH±source. À propos de germe, il est notable que Wolff passe sous silence tout ce qui concerne la préformation, alors que Leibniz lui-même y vient à plusieurs reprises dans le contexte de son harmonie préétablie. On a souvent mis en avant, et avec raison, le désaveu de la théorie leibnizienne de la perception et du monisme substantiel pour illustrer les différences de conception de l¶harmonie5. Il est vrai que Wolff a très vite marqué ses distances avec les unités simples leibniziennes à cet égard. Toutefois, il est un autre égard où le désaveu des monades s¶est produit : Wolff n¶a pas tardé à développer une conception propre de la croissance des germes, où la préformation était rejetée au profit d¶une autre explication, bien plus mécanique. Or cette découverte s¶est produite dans les années courant de 1709 à 1716, alors que le philosophe de Halle travaillait dans son jardin ou sa 3 4 5
Essais de Théodicée, GP VI, 29. On en trouve mention dans le second volet, p. 166. Cf. par exemple les passages sur Wolff dans la section dévolue à Gottsched par S. Lorenz : De mundo optimo. Studien zu Leibniz¶Theodizee und ihrer Rezeption in Deutschland (17101791), Stuttgart, 1997.
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chambre à coucher à la multiplication des semences 6. Wolff affirme même avoir discuté de sa découverte avec Leibniz lors de la venue de ce dernier à Halle. Quoi qu¶il en soit, il se garda bien, dans l¶ouvrage qu¶il publia sur le sujet, de montrer que sa thèse contrevenait à celle de Leibniz, pour s¶en prendre plutôt à Malebranche et à sa suite. L¶écart avec les allégations de la Théodicée ou de la Monadologie fut ainsi entièrement occulté. Pour dire encore quelques mots du compte rendu de la préface, il faut souligner que Wolff s¶appuie fortement sur trois denses paragraphes de la Théodicée7 résumant le dessein de l¶ouvrage en son entier. Les différentes appellations de la nécessité absolue, sa différence d¶avec la liberté morale, la nonexistence de la liberté de parfait équilibre, la permission du péché par Dieu, la volonté de sauver tous les hommes que Dieu a eue, la prédestination sont les thèmes sur lesquels Wolff rapporte fidèlement les positions leibniziennes. Le recenseur s¶autorise tout de même quelques ajouts, comme lorsqu¶il rappelle que la différence entre nécessités géométrique et de convenance a été méconnue tant par Spinoza que par certains cartésiens, dont Bayle, pour des raisons opposées : le premier pour avoir tout rabattu sur une nécessité aveugle, les seconds, occasionnalistes, pour avoir fait correspondre certaines sensations dans l¶âme à certaines qualités des corps « pro divino arbitrio, nullo naturalis convenientiae nexu » (p. 113). Il n¶est que là ou dans l¶évocation de Luther et d¶autres théologiens que l¶on puisse trouver, sous la plume de Wolff, référence à l¶« universalem rerum harmoniam » (p. 114). 3. Le Discours de la conformité de la foi avec la raison Wolff en vient au discours leibnizien en en rappelant l¶importance : il permet de tout comprendre plus droitement et on y découvre des choses dites nulle part ailleurs, « quoique le même thème ait tourmenté les esprits de maints hommes savants » (p. 114). Le compte rendu va ici se révéler particulièrement efficace, en rendant de manière précise en une page et demie trois points fondamentaux dans le texte±source, la différence entre types de vérités et de nécessités, celle entre expliquer et comprendre et enfin celle entre contra rationem et supra rationem (p. 115). La dernière page de la recension consacrée au discours semble à première vue se perdre dans des détails. À y regarder de plus près, il n¶en est cependant rien : Wolff met l¶accent sXU GHV FRQVLGpUDWLRQV ORJLTXHV TXH VRQ °XYUH IXWXUH développera plus à loisir. L¶°LOPRXYDQWGXOHFWHXUV¶arrête à des considérations fécondes qui pourront par après entrer dans des chaînes de raisons propres.
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7
Cf. Entdeckung der wahren Ursache von der wunderbahren Vermehrung des Getreydes. Erläuterung der Entdeckung der wahren Ursache von der wunderbahren Vermehrung des Getreydes, in : Gesammelte Werke, J. École, H. W. Arendt, Ch. A. Corr et al. (dir.), I, 24, Hildesheim, 2001. GP VI, 37-38.
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Le recenseur rappelle d¶abord qu¶il existe une exigence rationnelle d¶unité entre vérités de sources différentes, puisque celles-ci ne doivent pas se détruire l¶une l¶autre mais se placer chacune à leur place dans une chaîne de raisons. La définition postérieure de la raison par Wolff en tant qu¶« (LQVLFKW >«@ LQ GHQ Zusammenhang der Wahrheiten »8, tout comme sa conception du système en tant que corps de doctrine solidement ancré et intégralement démontré sont déjà préparées. La vérité de raison conspire avec la vérité de raison, celle de foi avec celle de foi, chacune à leur niveau. Tout n¶est pourtant pas dit par là, car il existe bien en outre une non-répugnance entre raison et croyance, ainsi que le dira clairement la Logique allemande9. Les premiers écrits de Wolff ne mentionnent pas encore le connubium entre plans distincts de vérités, quant à eux déjà reconnus, non plus qu¶ils n¶identifient expressément vérité de foi et vérité commune. Néanmoins, les développements futurs sont rendus possibles par leur enracinement dans la doctrine leibnizienne. Si Wolff avait prêté davantage attention à la comparaison que dessine Leibniz dans le § 1 entre foi et expérience, sans doute les affirmations wolffiennes auraient-elles mûri plus tôt. Le thème de l¶expérience apparaît quand il s¶agit de rendre compte de la différence entre vérités éternelles et positives10. Ces dernières, en effet, « se font connaître soit a posteriori, à savoir par l¶expérience, soit a priori, par la raison, c¶est-à-dire par des considérations de la convenance pour laquelle Dieu les a choisies » (p. 114). A priori et a posteriori ne désignent bien sûr pas deux sources de connaissance. Ils renseignent d¶un côté sur le rapport des causes et des effets, de l¶autre sur l¶accès à un même contenu propositionnel, soit par l¶universel, soit par le singulier. Or on sait, notamment grâce aux travaux de Jean-Paul Paccioni11, à quel point la téléologie se révélera importante en matière de théologie naturelle et comment le rationnel wolffien est toujours immergé dans l¶empirique, comment le monde rationnel fonctionne comme un milieu entre simple expérience et intellection d¶une raison pure. La strate de vérité intermédiaire dégagée par
« 3pQpWUDWLRQ>«@GHODFRQQH[LRQGHVYpULWpV », Vernünfftige Gedancken von Gott, der Welt und der Seele des Menschen, auch allen Dingen überhaupt, introduction et appareil critique de Ch. A. Corr, in : Gesammelte Werke, I, 2, Hildesheim, Zürich, New York, 1983, § 368, p. 224. 9 Vernünftige Gedanken, von den Kräften des menschlichen Verstandes und ihrem richtigen Gebrauche in Erkenntnis der Wahrheit, H. W. Arndt (dir.), in : Gesammelte Werke, I, 1, Hildesheim, 1965, ch. 12, § 10, p. 230. 9RLU DXVVL O¶DXWR-recension in : Acta eruditorum, mars 1713, p. 136. 10 Remarquons que Wolff FRQVDFUHUD G¶DVVH] ORQJV GpYHORSSHPHQWV DX[ YpULWpV SRVLWLYHV TXH sont les lois de la nature dans le second volet de son compte rendu, p. 164-165. Nous ne développerons pas ce thème plus avant en ces lignes, pour nous en tenir plus explicitement aux relations de la raison et de la croyance. Sur le présent thème, voir par exemple A. Charrak : Contingence et nécessité des lois de la Nature au XVIIIe siècle. La philosophie seconde des Lumières, Paris, 2006. 11 Cf. Cet esprit de profondeur. Christian WolffO¶RQWRORJLHHWODPpWDSK\VLTXH, Paris, 2006, en particulier le ch. 6 et la conclusion.
8
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Leibniz sous le nom de positive continuera à fructifier dans l¶°XYUH WDUGLYH GH Wolff. Mais revenons-en aux prises de position précoces de Wolff. La recension des différents types de nécessités va droit au but. Après avoir rappelé que les vérités éternelles sont d¶une nécessité impérieuse, le recenseur poursuit : « c¶est pourquoi, si on confond les nécessités physique ou morale avec la [nécessité] Géométrique, il apparaît que les vérités de la philosophie contredisent les [vérités] théologiques », ce qui, jusqu¶ici, fut l¶origine de tous les doutes contre la religion naturelle et le christianisme (p. 114-115). Le fondement logique des distinctions ultérieures entre expliquer et comprendre, défendre et prouver, contra rationem et supra rationem, est clairement mis en avant par Wolff. La raison, loin d¶être la contemptrice de la foi, est au contraire ce qui peut l¶aider en lui apportant un soutien, certes limité, mais de poids. Le thème wolffien de la modestie de la raison, appelé à une grande fortune, fait déjà saillie. En conséquence, on ne s¶étonnera pas que le § 7 du ch. 12 de la Logique allemande, consacré à l¶explication d¶un livre sensé, et en particulier de la Sainte Écriture, porte le titre de « Bescheidenheit, die in Erklärung der Schrift zu gebrauchen »12. Le philosophe doit encore servir le théologien raisonnable ou, pour le dire avec Leibniz, le règlement des « droits de la Foy et de la Raison >«@ IDLW VHUYLU Oa Raison à la Foy »13, foi qui, bien sûr, doit au préalable s¶être mise d¶accord avec elle-même. L¶interprétation du texte sacré n¶est pas la seule chose qui rejaillira dans la Logique allemande. Lorsque la recension souligne comment la logique d¶Aristote permet de résister infailliblement à l¶erreur lors de l¶examen d¶objections, lorsqu¶elle définit la droite raison, exempte de préjugés et de passions, comme celle qui n¶admet nulle thèse sans preuve, ni nulle preuve qui ne soit menée en bonne forme selon les règles communes de la logique, ou encore lorsqu¶elle évoque les illusions d¶optique, dues plutôt au sens commun et à la raison qu¶aux sens externes, elle souligne des points qui continueront d¶occuper Wolff dans son °uvre propre. Les sens joueront un grand rôle dans l¶acquisition des connaissances, en tant notamment qu¶ils fourniront la connaissance commune (gemein), ou historique (historica), sur laquelle les connaissances supérieures s¶appuieront. La Métaphysique allemande ne sera d¶ailleurs pas non plus en reste, car elle consacrera de longs développements à l¶âme des bêtes, dont la recension notait déjà qu¶elle était certes différente de la raison mais qu¶elle entrait dans une relation d¶analogie avec elle. 4. Les trois parties et les annexes « À partir de ces prémisses, on en arrive, dans la Première partie de l¶°XYUHjGHV difficultés qu¶il faut expliciter individuellement, [difficultés] qui ont coutume de 12 « 0RGHVWLHGRQWLOIDXWXVHUORUVGHO¶H[SOLFDWLRQGHO¶eFULWXUH », op. cit., p. 229. 13 GP VI, 102.
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causer certains embarras contre la religion, non sans quelque apparence de vérité » (p. 116) : c¶est en ces termes que Wolff entame la dernière partie de sa livraison de mars 1711. Le choix des mots « hisce praemissis » ne nous semble pas innocent, quand on sait le poids que Wolff attache à la démonstration des vérités et à leur exposition en forme. La première partie de la Théodicée demeure à ses yeux intéressante, mais on ne peut l¶entendre que si l¶on s¶est déjà rendu maître des distinctions capitales du discours préliminaire, faute de quoi l¶on s¶égarera. Le poids accordé par Wolff aux raisonnements exprès rejaillira d¶ailleurs à la toute fin de sa livraison d¶avril 1711, alors qu¶il touchera quelques mots des annexes. Les arguments des deuxième et troisième parties y apparaissent en abrégé et mis en forme, souligne Wolff (p. 167) ; le traité latin (celui traitant de la cause de Dieu), poursuit-il, est un « compendium methodicum » à l¶usage des savants, et l¶auteur y a ramassé ses « principia & dogmata » (p. 168). Le recenseur ne manque jamais l¶occasion de rappeler le statut discursif des passages qu¶il traite. Or il est clair qu¶il donne plus de poids à la démarche dogmatique, démontrant des théorèmes à partir de vérités universelles, qu¶à des réponses élégantes et brillantes à des objections. Que Leibniz ait répondu aux objections de Bayle dans les deuxième et troisième parties de l¶°XYUH n¶empêchera pourtant pas Wolff d¶en faire un compte rendu dans la livraison des Acta eruditorum d¶avril 1711. Si, selon son dessein, Wolff s¶est déjà acquitté du discours préliminaire et de la première partie de l¶°XYUH H[FHOOHQWH HQ PRQWUDQW quels principes l¶illustre Leibniz avait utilisés pour revendiquer la vérité de la religion tant naturelle que révélée (p. 159), il juge maintenant plus avisé d¶annoter les moments principaux de la controverse avec Bayle, puisqu¶il ne peut avancer toutes les objections singulières, ni toutes les réponses exactes du très perspicace Leibniz (p. 160). Les deuxième et troisième parties de la Théodicée ne sont ainsi pas présentées explicitement comme découlant du discours préliminaire et de la première partie, malgré l¶emploi du terme principia. Quoi qu¶il en soit, le second volet de la recension ne fera qu¶approfondir des points déjà vus auparavant, qu¶ils concernent Dieu, la liberté ou l¶harmonie préétablie, en n¶apportant guère de nouveautés. Le compte rendu de la première partie va quasi directement au § 7 de la Théodicée pour déployer la preuve a contingentia mundi de l¶existence de Dieu. Les choses se compliquent quand Wolff doit rendre l¶enchaînement leibnizien de la sagesse, de la bonté et de la puissance. Alors que la tripartition est absolument claire dans l¶original, la recension met d¶abord en avant intelligence et volonté, ensuite puissance et sagesse, avant de dire que l¶étant qu¶est Dieu « est praeterea summe bonum » (p. 116). Aucune formule wolffienne ne glose la déclaration leibnizienne selon laquelle « son entendement est la source des essences, et sa volonté est l¶origine des existences »14. Sans qu¶il soit possible de lire la solution propre que Wolff mettra en avant dans ses ouvrages théologiques, on voit du moins que la théorie wolffienne ne découlera pas en droite ligne d¶un apport 14 GP VI, 107.
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leibnizien immédiatement assimilé. Par ailleurs, le compte rendu rappelle comment Dieu permet le péché et le mal physique, sans pour autant les causer. Le thème du mal, bien sûr présent, est rarement mis en avant dans la recension, comme si son statut de thème second selon l¶ordre des raisons, de thème venant après la sagesse de Dieu et la liberté humaine, le devait faire s¶éclipser devant ces derniers. La liberté humaine est traitée dans son rapport à la contingence. 15
« Or les vérités contingentes dépendent du principe de raison suffisante et leur opposé n¶est pas convenable. Par là, quelque raison prévaut toujours, qui détermine la volonté au choix ; mais il suffit qu¶elle incline seulement, non qu¶elle nécessite, pour que la liberté soit conservée » (p. 119),
résume Wolff brièvement. Il y a donc nécessité dans les affaires humaines, sans qu¶on tombe par là dans le « fatum absurdum, seu Turcicum » (p. 121). Si quelqu¶un meurt de la peste, ce n¶est pas là nécessité géométrique mais hypothétique puisqu¶il n¶a rien fait pour éviter la contagion. Wolff, à la suite de Leibniz16, ajoute à cet endroit, comme pour asseoir la conformité de la raison philosophique avec la croyance populaire, qu¶un proverbe allemand stipule à bon droit que « mors vult habere causam »17. De son côté, le compte rendu de la troisième partie résumera en trois points les constituants de la liberté. La liberté humaine requiert « 1. la connaissance suffisante de l¶objet en vue de délibérer, 2. la spontanéité, en tant qu¶elle est en nous le principe pour que nous nous déterminions, 3. la contingence de la détermination, qui exclut la nécessité absolue, c¶est-à-dire Logique ou Métaphysique » (p. 163).
Même si Wolff ne dit mot de la discussion expresse avec Aristote, sa paraphrase est concise et rend justice à l¶auteur de la Théodicée. À certaines occasions, comme lors de la discussion du fatum mahometanum, Wolff rapporte que Leibniz met en avant son système de l¶harmonie préétablie. Dans le cas présent, c¶est d¶abord contre la thèse de l¶influx physique, prêtée aux scolastiques et à Descartes, que la Théodicée le prône18. Tout se passe comme si Wolff n¶avait déjà plus en vue que la question de l¶harmonie locale quand il parle pourtant du nexus rerum universalis. En outre, Wolff ne retient des passages leibniziens que leur portée critique contre Hobbes et Spinoza, qui apparaissent comme les deux repoussoirs de la recension. Une autre référence explicite à l¶harmonie préétablie se fera dans le contexte de la liberté humaine, qui tend décidément déjà à se montrer, aux yeux de Wolff, et contrairement à la définition
15 5HPDUTXRQVDXSDVVDJHTXHO¶XQGHVGHX[UHQYRLVH[SOLFLWHVGHOD Métaphysique allemande à la Théodicée aura trait au principe de raison suffisante. 16 Merci à P. Rateau G¶DYRLUUDSSHOpOHVRFFXUUHQFHVGHFHSURYHUEHHQThéodicée, § 55, et Causa Dei, § 107, GP VI, 133, 455. 17 Le proverbe original est le suivant : « Der Tod will seine Ursache haben ». 18 GP VI, 135 et suiv..
La première réception wolffienne de la Théodicée
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qu¶il en a donnée, le point le plus important de la Théodicée19. La spontanéité n¶est nullement influencée physiquement par les choses extérieures, et le concours ordinaire de Dieu suffit à ce qu¶il en soit ainsi (p. 163). Wolff tait délibérément ce que Leibniz, pourtant, affichait on ne peut plus clairement, à savoir que « chaque substance simple a de la perception, et que son individualité consiste dans la loy perpetuelle qui fait la suite des percepWLRQV TXL OX\VRQW DIIHFWpHV>«@ »20. Nous voyons une nouvelle fois que la reprise de Leibniz s¶est faite sous bénéfice d¶inventaire. 5. Les ambiguïtés de l¶émancipation philosophique wolffienne Wolff a, en bon penseur capable d¶initiative (Selbstdenker), retenu de Leibniz ce qui pouvait être intégré à sa propre doctrine, c¶est-à-dire ce qui pouvait figurer comme théorème à partir des principes qu¶il aurait posés. Cette posture se dessine déjà nettement dans le compte rendu de la Théodicée. Toutefois, elle n¶est pas si apparente dans les premiers grands textes que Wolff publie en allemand dans les années 1710, à savoir la Logique allemande et la Métaphysique allemande. On la lit au passage lorsqu¶on veut bien la trouver, comme dans la première préface de OD GHUQLqUH °XYUH FLWpH 'DQV FH WH[WH UpGLJp ILQ GpFHPEUH :ROII déclare que, alors qu¶il ne désirait pas toucher le sujet de la communauté de l¶âme et du corps, il fut tout naturellement amené, par les principes posés dans les autres chapitres, à l¶harmonie préétablie leibnizienne. Et d¶ajouter : « ich habe bloß auf die Wahrheit gesehen, und mich daher nicht bekümmert, ob sie alt oder neu ist, sondern alles in meine Kette genommen, was sich als ein Glied damit verknüpfen lassen »21. La chaîne en question est bien sûr celle des raisons, et elle signifie tout autre chose que le lien qui attacherait servilement son auteur au prestige de la tradition ou au charme de la nouveauté. Ce qui a empêché Wolff de se montrer à tous comme un philosophe autonome tint cependant à l¶autre attitude qu¶il afficha à l¶égard de la pensée leibnizienne. Nous voulons parler des déclarations selon lesquelles l¶°XYUH SURSUH VHUDLW comme l¶infrastructure de l¶°XYUH pWUDQJqUH FRPPH OH VTXHOHWWH GpPRQVWUDWLI étayant des vérités vives et déjà éclatantes. Dans une préface à la traduction allemande de pièces de Leibniz22 datée du 16 septembre 1720, Wolff se veut celui qui ramène l¶invention leibnizienne à la solidité : 19 3RXU UHSUHQGUH OD IRUPXOH TX¶D HPSOR\pH ) )abbianelli : « Leibniz, Budde et Wolff. Trois modèles de théodicée », in : 5HYXH SKLORVRSKLTXH GH OD )UDQFH HW GH O¶pWUDQJHU, 2003/3, p. 293-306, la Métaphysique allemande montrera une anthropologisation de la thématique leibnizienne. Sans doute la visée anthropocentrique plus que théocentrique est-elle déjà en germe dès 1711. 20 GP VI, 289. 21 « -¶DLWRXWERQQHPHQWUHJDUGpjODYpULWpHWSDUOjQHPHVXLVSDVVRXFLp>de savoir] si elle est DQFLHQQH RX QHXYH PDLV >DL@ SULV GDQV PD FKDvQH WRXW FH TXL V¶\ ODLVVH OLHU HQ WDQW TXH membre ». 22 Kleinere Philosophische Schriften, trad. H. Köhler révisée par C. J. Huth, Iéna, 1740.
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J.-F. Goubet « da ich in meinen vernünfftigen Gedanken von GOTT, der Welt und der Seele des Menschen, auch allen Dingen überhaupt, zugleich die metaphysischen Wahrheiten des Herrn von Leibnitz aus ihren ersten Gründen hergeleitet; so wird man sowohl die Theodicee als gegenwärtige Schreiben viel besser und gründlicher verstehen, wenn man gehörigen Fleiß und Zeit 23 auf meine Metaphysik gewendet » (feuillet (a) 4) .
Dans la recension de sa Métaphysique allemande qu¶il rédigea en août de la même année pour les Acta eruditorum, il donna même un exemple de fondation en raison du propos leibnizien : le chapitre sur Dieu « démontre surtout ce que Leibniz affirme sans démonstration dans la Théodicée, [à savoir] que Dieu considère tout l¶univers dans la plus petite partie de l¶espace que l¶on voudra » (p. 382). Le ton est donné par le nouveau maître de philosophie de Halle : son °XYUH± phare est un passage obligé pour quiconque veut se pénétrer des lumières du génie défunt. Dans ce contexte, il est difficile de reprocher aux émules d¶avoir fondu en une seule formule les philosophies leibnizienne et wolffienne24. Wolff n¶a toutefois pas uniquement influencé sa réception à court terme, mais a aussi en quelque sorte scellé son destin pour la postérité. Une sentence assassine tirée du quatre-vingtdeuxième Fragment de Friedrich Schlegel résume suffisamment la chose : « Leibniz behauptete, und Wolff bewies. Das ist genug gesagt »25. Wolff, en ne marquant pas assez sa différence d¶avec son aîné, a permis qu¶on le liquide en peu de mots. Car sans doute convient-il, lorsqu¶on désire se présenter aux suffrages futurs sous un jour avantageux, de ne pas seulement invoquer le droit d¶inventaire mais de le faire également sous couvert de rupture, fût-elle modeste.
23 « Puisque, dans mes peQVpHVUDLVRQQpHVVXU'LHXOHPRQGHHWO¶kPHGHO¶KRPPHFRPPHGH toutes les choses en général [= Métaphysique allemande@M¶DLHQPrPHWHPSVGpGXLWGHOHXUV premiers principes les vérités métaphysiques de M. de Leibniz, on comprendra alors bien mieux et solidement tant la Théodicée que le présent écrit [= traduction allemande de quatre pièces de Leibniz@ ORUVTX¶RQ >DXUD@ FRQVDFUp OH ]qOH HW OH WHPSV DSSURSULpV j PD PpWDSKysique ». Un autre passage, six pages plus loin, va dans le même sens : celui qui aura lu la Métaphysique allemande entendra plus distinctement la différence entre liberté, contingence et nécessité qui occupe une grande partie de la Théodicée. 24 Sur la philosophie « leibniziano-wolffienne », voir notamment A. Lamarra : « Contexte génétique et première réception de la Monadologie. Leibniz, Wolff HWODGRFWULQHGHO¶KDUPRQLH préétablie ». in : Revue de Synthèse, Leibniz, Wolff et les monades. Science et métaphysique, J.-P. Paccioni (dir.), tome 128, 6e série, n° 3-4, 2007, p. 311-323. 25 « Leibniz a affirmé et Wolff démontré. En voilà assez dit », Charakteristiken und Kritiken I (1796-1801), H. Eichner (dir.), in : Kritische Friedrich-Schlegel-Ausgabe, E. Behler (dir.) avec la collaboration de J.-J. Anstett et de H. Eichner, vol. I, 2, Munich, Paderborn, Vienne, 1967, p. 177.
EXISTIBILIS : SCIENCE DE SIMPLE INTELLIGENCE ET SCIENCE DE VISION, WOLFF FACE À LEIBNIZ par Jean-Paul Paccioni (Versailles) À la fin des Essais de Théodicée proprement dits, le récit de la vision par Théodore du palais des destinées se conclut et se résume en ces termes : « Si Apollon a bien représenté la science Divine de vision (qui regarde les existences) j¶espere que Pallas n¶aura pas mal fait le personnage de ce qu¶on appelle la science de simple 1 intelligence (qui regarde tous les possibles), où il faut enfin chercher la source des choses » .
C¶est la science de Dieu dans son rapport à la création qui est ici en jeu. Dans ce contexte, la science divine de vision porte sur les existences, la science divine de simple intelligence porte sur tous les possibles. Sur ce point, Wolff, dans sa Theologia Naturalis pars prior2 s¶inspire clairement de Leibniz et des scolastiques. Jean École3 le souligne à propos de la définition de la science de simple intelligence, mais c¶est pour remarquer ensuite la particularité de la position wolffienne. Nous venons de voir que dans la Théodicée la science de simple intelligence était une connaissance des choses possibles, Jean École signale que Wolff « ajoute que Dieu les connaît aussi par cette science, en tant qu¶elles sont, selon son expression « existibiles », c¶est-àdire en tant qu¶elles peuvent être actualisées ». Il s¶agit du § 221 : « On appelle science de simple intelligence, celle par laquelle Dieu connaît les choses seulement comme possibles et comme existibles. En revanche nous disons existible ce qui peut 4 exister ou ce dont la détermination de l¶acte est possible » .
Le paragraphe suivant définira d¶ailleurs le principe de l¶existibilité. Notre question sera donc la suivante : quelle est cette existibilité qui est introduite dès la définition de la science de simple intelligence par Wolff, et qui 1 2 3
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GP VI, 365. Première édition : Francfort et Leipzig, 1736. Présentation de la Theologia naturalis methodo scientifica pertractata pars prior ; Christian Wolff Gesammelte Werke (GW), I Abteilung, Band 7.1, 7.2, Hildesheim, 1978, 7.1 p. XXV. Voir aussi La Métaphysique de Christian Wolff (MW), Hildesheim, 1990, p. 362. « Scientia simplicis intelligentiae vocatur, qua Deus res tantummodo cognoscit ut possibiles et ut existibiles. Dicimus autem existibile, quod existere actu potest; seu cujus actus determinatio possibilis », p. 200-201. Wolff lui-même souligne sa différence avec les scolastiques (et la relalivise) dans la note du paragraphe en jeu.
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apparemment le distingue de ses prédécesseurs, dont Leibniz. Corrélativement : qu¶apprend-t-on ici sur la manière dont s¶articulent le possible et l¶existant dans la métaphysique wolffienne ? Pour y répondre, il faudra analyser la manière dont s¶DUWLFXOHQWVFLHQFHGHVLPSOHLQWHOOLJHQFHHWVFLHQFHGHYLVLRQGDQVOHV°XYUHVGH Leibniz et de Wolff, en tant qu¶elles se rapportent à l¶existence. Nous découvrirons ainsi comment la métaphysique wolffienne s¶inspire sur ces questions de celle de Leibniz, pour s¶en distinguer. Dans un premier temps nous nous intéresserons à la science de simple intelligence, aux possibles qu¶elle connaît, et à son rapport à l¶existibilité. Dans un second temps, nous nous intéresserons à la manière dont se distinguent et s¶articulent science de simple intelligence et science de vision par rapport à la connaissance de l¶existant. 1. La science de simple intelligence, les possibles et l¶existibilité a) Existibilité chez Leibniz et possibilité interne d¶exister chez Wolff La Causa Dei publiée à la suite de la Théodicée comporte dans ses §§ 14 et 16 des définitions plus complètes de la science des possibles comme science de simple intelligence et de la science des actuels comme science de vision5. La science de simple intelligence est définie en ces termes: « § 14 La science des possibles est celle qui s¶appelle science de simple intelligence, laquelle concerne les choses aussi bien que leurs connexions ; et dans les choses ou dans leurs con6 nexions, le nécessaire aussi bien que le contingent » .
À la différence du § 221 de la première partie de la Theologia naturalis pars prior, il n¶y a effectivement pas de référence à l¶existibilité dans cette définition. Cependant cela ne signifie pas qu¶elle soit absente des possibles en jeu. Un lecteur de Leibniz connaît nécessairement le fameux « conatus ad existentiam » des SRVVLEOHV GDQV VRQ °XYUH O¶inclination à exister des possibles, et les difficultés 5
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1RWUHH[SRVpHVWYRORQWDLUHPHQWD[pVXUODTXHVWLRQGXUDSSRUWHQWUHOHVSRVVLEOHVHWO¶H[LVWDQW dans les problèmes en jeu, en faisant seulement apparaître au second plan la question de la futurition. Nous laissons de côté la question de la science moyenne qui porte sur les futurs contingents conditionnés « les futuribles ». Cette science permettrait de concevoir une science intermédiaire entre la science des possibles et la science des existants, alors que nous allons insister sur le hiatus entre elles. Mais Wolff reconduit la science moyenne à la science de simple intelligence, en retrouvant la position de Leibniz dans la Causa Dei lorsque ce dernier écrit « Scientia vulgo dicta Media sub scientia simplicis intelligentiae comprehenditur (§ 17, GP VI, 441). Sur la science moyenne selon Wolff, voir Jean École MW, p. 363. Sur la science moyenne selon Leibniz, voir Jacques Bouveresse « Leibniz et le problème de la science moyenne », in : Leibniz, Revue internationale de philosophie, n°2/ 1994, Paris, PUF, avril 1994, p. 99-126 (et notamment la citation finale p. 126). « Possibilium est, quae vocatur Scientia simplicis intelligentiae, quae versatur tam in rebus, quam in earum connexionibus, et utraeque sunt tam necessariae quam contingentes » GP VI, 440. Traduction Brunschwig : Leibniz, Essais de théodicée, Paris, 1969, p. 427.
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d¶interprétation qu¶elle suscite. Ainsi, dans le § 7 des Essais de Théodicée, on lit qu¶une infinité d¶autres mondes sont « également possibles et également prétendants à l¶existence pour ainsi dire »7. Dans le § 201, Leibniz écrit : « L¶on peut dire qu¶aussitost que Dieu a decerné de créer quelque chose, il y a un combat entre tous les possibles, tous pretendans à l¶existence » 8. Martine de Gaudemar, à propos des notions complètes, écrit, en se réclamant de Martial Gueroult, que Leibniz « inaugure un nouveau sens de la possibilité qui, à côté de la simple concevabilité ou non-contradiction, signifie µexistentiabilité¶ »9. Or Wolff n¶entérine absolument pas un sens de la possibilité conçue comme « existentiabilité », il en reste précisément à la simple concevabilité ou noncontradiction. Dans l¶Ontologia, les possibles, définis à partir de la noncontradiction, peuvent être considérés comme ne répugnant pas à exister, ce qui signifie seulement qu¶il n¶est pas contradictoire qu¶ils existent. Cela permet de définir l¶étant à partir du possible, comme ce qui ne répugne pas à l¶existence, comme ce qui peut exister. Ainsi se définit une possibilité interne ou intrinsèque d¶exister, mais qui est par elle-même purement négative. Elle est déduite seulement du fait qu¶il n¶est pas contradictoire que le possible existe10. On est loin de ce que peut suggérer la notion d¶un « conatus ad existentiam ». b) Existibilité et puissance de Dieu chez Wolff et Leibniz Nous risquons cependant de surévaluer « l¶existentiabilité » des possibles dans l¶°XYUHGH/HLEQL]. On peut effectivement considérer que c¶est en référence à la puissance divine que les possibles sont susceptibles d¶être dotés de celle-ci, et non d¶emblée par eux-mêmes. Ainsi, c¶est lorsque Dieu a « décerné de créer quelque chose » qu¶il y a un combat de tous les possibles au § 201 de la Théodicée. Par ailleurs, lorsque dans le Ratio est in natura le possible est dit « existiturire » c¶est bien en tant qu¶il est fondé dans l¶étant nécessaire, existant en acte11. Cette remarque semble permettre de rapprocher nettement les positions de Wolff et de Leibniz. Si c¶est finalement la puissance divine qui permet aux possibles d¶être dits « existibles » chez Leibniz, il en va a priori exactement de même chez Wolff quand il évoque les choses en tant qu¶existibles au niveau de la science de simple intelligence. Ainsi, au § 222 de la première partie de la Theologia Naturalis pars prior, il définit la puissance de Dieu, au § 223, il définit
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GP VI, 106. GP VI, 236. Leibniz, de la puissance au sujet, Paris, 1994, p. 48. Nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre ouvrage : Cet esprit de profondeur. Wolff, O¶RQWRORJLHHWODPpWDSK\VLTXH, Paris, 2006, chapitre V, particulièrement p. 121-125. 11 « in Ente necessario actu existente, sine quo nulla est via qua possibile perveniret ad actum » GP VII, 289 cité par A. Robinet Architectonique disjonctive, automates systémiques et idéaliWpWUDQVFHQGDQWDOHGDQVO¶°XYUHGH*:/HLEQL], Paris, 1986, p.392.
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le « principe de l¶existibilité » en référence à celle-ci et le § 224 souligne que le possible n¶est nullement existible, si ce n¶est par la puissance de Dieu12. Reste que cette proximité n¶est qu¶apparente, et qu¶il faut en revenir malgré tout à nos premières analyses. C¶est ce que nous allons démontrer. En effet, quel que soit le possible en jeu (même s¶il s¶agit de substance possible), jamais Wolff ne s¶autoriserait à le doter vraiment d¶une puissance propre lui permettant d¶être actualisé, quand bien même il ne le tiendrait pas de lui-même. Leibniz dans les Veritates Primae n¶hésite pas à admettre que les possibles peuvent avoir une puissance d¶exister, en les désignant comme potentiels, (« Actuale quod dicit existentiam, Potentiale quod tantum essentiam »)13 ; Wolff, au contraire, dans le § 99 de l¶Ontologia14, considère comme nulle la définition de la possibilité qui l¶identifie à ce qui peut être, ou comme ce que Dieu peut produire. Il s¶insurge contre ceux qui, comme Spinoza, confondent possibilité de la chose et possibilité d¶exister. Le possible, à quelque niveau que ce soit, ne peut s¶identifier en lui-même, positivement, à la puissance, à une puissance d¶être ou d¶exister. Ainsi il faut bien distinguer l¶existibilité telle qu¶elle figure dans la métaphysique de Leibniz et telle qu¶elle figure dans la métaphysique de Wolff. c) L¶existibilité et le principe de l¶existibilité dans la Theologia Naturalis pars prior Il nous faut donc revenir sur ce que signifie la possibilité d¶exister pour Wolff, ce qui nous permettra d¶éclairer ce que sont les existibles et le principe de l¶existibilité dans la Theologia naturalis pars prior. Nous avons vu que, selon l¶Ontologia, les possibles définis à partir de la non-contradiction peuvent être considérés comme ne répugnant pas à exister, et qu¶ainsi peut se définir une possibilité interne ou intrinsèque d¶exister, qui est par elle-même purement négative. En ce sens l¶existence ne se rajoute pas de manière extérieure à leur possibilité. Par contre, ils ne peuvent exister que si d¶autres étants, différents d¶eux, contiennent en eux la raison suffisante de leur existence. Ainsi les raisons de l¶existence d¶un arbre, quand il est encore une semence, sont contenues dans des étants différents de lui : le sol fertile, la pluie etc.. C¶est pourquoi le § 17515 de l¶Ontologia définit une possibilité extrinsèque d¶exister distincte de la possibilité intrinsèque d¶exister16. La possibilité extrinsèque d¶exister engage par rapport à
12 « possibile nullum existibile est nisi per potentiam Dei », p. 202. 13 *39,,5DSSHORQVTX¶RQSHXWOLUHGDQVOHPême texte : « Omne possibile exigit existere (...) » GP VII, 194. 14 « Si possibile definitur per id, quod esse potest; possibilis definitio nulla est », p. 80. 15 P. 143. 16 5HPDUTXRQVTXHF¶HVWPDQLIHVWHPHQWFHFRQWH[WHJpQpUDOTXLSHUPHWj:ROII de définir noPLQDOHPHQWO¶H[LVWHQFHDXGHO¶Ontologia comme le complément de la possibilité. DéILQLWLRQTXLG¶DLOOHXUVQHV¶DSSOLTXHTX¶DX[pWDQWVILQLVSRXUTXLO¶H[LVWHQFHHVWXQPRGHQRQ
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un étant donné les autres étants (qui « complètent » sa possibilité intrinsèque d¶exister), et finalement la puissance même de Dieu en tant que cette puissance mène le possible à l¶acte et crée un monde. Cette possibilité extrinsèque d¶exister permet de définir l¶étant potentiel ou en puissance par opposition à l¶étant en acte. L¶étant potentiel ou en puissance (ens potentiale seu ens potentia)17 est celui qui a la raison suffisante de son existence en d¶autres étants. Ici la puissance ou la potentialité ne peut être de quelque façon que ce soit (voire métaphoriquement) le propre d¶un possible, par exemple d¶une substance possible. Est strictement potentiel ou en puissance ce qui a sa raison d¶exister dans un autre pWDQW &HWWH WKqVH HVW PDQLIHVWHPHQW DX F°XU GH O¶intervention de la notion « d¶existibilité » dans la Theologia Naturalis pars prior, dans les paragraphes que nous étudions. Depuis le début de cette étude nous avons souligné que, selon le § 221, Dieu connaît par la science de simple intelligence les choses en tant qu¶elles sont possibles et existibles. Si Wolff doit distinguer ces deux aspects, c¶est précisément parce que les possibles ne peuvent être considérés comme dotés d¶une puissance d¶exister, comme existibles. Il faut donc mentionner ensuite, à côté de la possibilité, l¶existibilité. Celle-ci ne renvoie pas aux possibles pris en eux-mêmes. Les §§ 222 à 224 qui nous avaient semblé rapprocher Wolff de Leibniz, soulignent donc au contraire leur différence. Le § 222 définit strictement la puissance de Dieu comme ce qui amène la possibilité à l¶actualité18. Le § 223 donne le principe de l¶existibilité : ce qui peut exister par Dieu, ne peut exister si ce n¶est par la puissance de Dieu19, il ne peut exister que par la force d¶un autre étant20. Enfin le § 224 souligne que le possible n¶est nullement existible, si ce n¶est par la puissance de Dieu (« possibile nullum existibile est nisi per potentiam Dei »)21 . Contrairement à ce que l¶on pouvait croire, la mention par Wolff de l¶existibilité dans la science de simple intelligence renforce donc la différence entre le possible et l¶existant. L¶existibilité engage une puissance extérieure à la possibilité intrinsèque des étants finis. Nous avons donc la réponse à ce qui FRQVWLWXH OH F°XU GH QRWUH SUREOqPH : l¶existibilité désigne pour lui, paradoxalement, l¶extériorité de l¶existence par rapport à la possibilité pour les étants finis. La suite de notre exposé va découvrir les conséquences de la position wolffienne. Nous pourrons examiner comment s¶articulent la science de simple
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XQ DWWULEXW QpFHVVDLUH TXL Q¶HVW SDV UpHOOH HW QH QRXV GLW GRQF SDV FH TX¶HVW O¶H[LVWHQFH HQ elle-même. Ontologia § 175. « possibilitas ad actualitem perducendi », p. 201. « Quicquid praeter Deum existere potest, id existere nequit, nisi per potentiam Dei », p. 202. « Aut igitur existit vi propria, aut vi entis alterius [...] Quodsi vi propria existit, erit ens a se (§27) [...] Quodsi id, quod praeter Deum existere potest, vi alterius entis existit », ibid. Ibid.
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intelligence et la science de vision, dans leur rapport à la connaissance de l¶actuel, de l¶existant. 2. La science de simple intelligence, la science de vision et la connaissance de l¶existant Il y a aussi un hiatus entre les possibles et les existants pour Leibniz. On ne doit pas croire qu¶il y a pour lui une émanation directe des possibles. La science de Pallas, la science de simple intelligence qui porte sur les possibles, n¶est pas la science d¶Apollon, la science de vision, qui porte sur les actuels. Rappelons la définition de cette dernière dans le § 16 de la Causa Dei : « § 16 La science des actuels ou du monde amené à l¶existence, et de tout ce qu¶il y a dans le monde de passé, de présent et de futur, s¶appelle science de vision ; elle ne diffère de la science de simple intelligence de ce même monde considéré comme possible, qu¶en ce qu¶il s¶y ajoute la connaissance réflexive par laquelle Dieu connaît son propre décret de l¶amener 22 23 à l¶existence . Et la prescience divine n¶a pas besoin d¶un autre fondement » .
Qu¶est-ce qui s¶ajoute à la vision d¶Apollon, à la science de vision, et qui lui permet de connaître l¶actuel, l¶être en acte, l¶existant ? En un sens, rien, si ce n¶est « la connaissance réflexive par laquelle Dieu connaît son propre décret d¶ [...] amener à l¶existence [ce même monde considéré comme possible] ». a) La science de vision dans la Theologia Naturalis de Wolff Il nous faut comprendre en quoi consiste cette connaissance réflexive, comprendre ce qui s¶ajoute exactement en elle. Mais pour le moment, contentons-nous de remarquer à quel point la position de Wolff dans la Theologia Naturalis pars prior est proche et différente de celle de Leibniz. En un sens, la connaissance réflexive en jeu dans la science de vision pour Leibniz est à l¶°XYUH SRXU :ROII dès la science de simple intelligence. L¶existibilité, éclairée par les §§ 222 à 224 de la Theologia naturalis pars prior, y figure comme une connaissance réflexive de la possibilité d¶amener à l¶existence. Certes, elle n¶apparaît pas ici comme une connaissance réflexive du décret effectif d¶amener à l¶existence. Reste que les paragraphes qui suivent le § 221 où est définie la science de simple intelligence, vont conduire progressivement au § 230 qui définit la science de vision24. 22 Souligné par nous. 23 « Scientia Actualium seu mundi ad existentiam perducti, et omnium in eo praeteritorum, praesentium et futurorum, vocatur Scientia visionis, nec differt a scientia simplicis intelligentiae hujus ipsius mundi, spectati ut possibilis, quam quod accedit cognitio reflexiva, qua Deus novit suum decretum de ipso ad existentiam perducendo. Nec alio opus est divinae praescientiae fundamento », GP VI, 441, traduction Brunschwig p. 427. 24 Au § 231 où est défini un aspect de celle-ci : la prescience. Plus loin au § 238 est défini un autre aspect de la science de vision: la recordatio, la capacité de se rappeler ce qui a eu lieu au passé.
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Il faut analyser comment science de simple intelligence et science de vision sont intriquées dans ces paragraphes. Le § 225 est ici précieux. Il montre comment opère précisément la science de simple intelligence ; on y lit que : « Dieu connaît les choses comme possibles, en tant qu¶il est soi-même conscient des idées existant dans son propre intellect, et de même il les connaît vraiment comme existibles en tant 25 qu¶il est soi-même conscient de sa propre puissance » .
Rappelons que la puissance de Dieu est la possibilité d¶amener les possibles à l¶actualité, la possibilité de les rendre actuels. Donc, de fait, le § 225 montre comment la possibilité de la science de vision est déjà comprise dans la définition de la science de simple intelligence26. Ainsi, conçue dans sa possibilité, la science de vision est une simple conscience par Dieu de sa puissance nue de créer 27. Saisie à ce niveau, la science de vision engage la toute-puissance divine. Elle n¶est cependant pas considérée comme une puissance réglée, répondant au degré supérieur de la perfection de Dieu, en relation avec sa sagesse et sa bonté. Nous saurons plus tard dans la Theologia Naturalis pars prior que ce qui passera ainsi à l¶acte est ce qui a été choisi comme meilleur. À ce stade, la conception wolffienne de la puissance divine semble peu recevable pour un strict leibnizien qui ne peut la considérer que comme une puissance brute et sans règle. Il y a là une différence avec Leibniz que Wolff ne nous semble pas arriver à résorber et qui engage toute sa conception de l¶existence et de la création. Wolff souligne que nous ne connaissons ici la science de vision que dans sa possibilité, non dans son effectivité28. En ce sens, sa position semble seulement conforme à ce qu¶indique la Théodicée au § 130 : « Il est vray que Dieu est infiniment puissant ; mais sa puissance est indeterminée29, la bonté et la sagesse 25 « Deus cognoscit res ut possibiles, quatenus sibi conscius est idearum in intellectu suo existentium; eadem vero cognoscit ut existibiles, quatenus sibi conscius est potentiae suae », p. 203. 26 /HVjYRQWSDUFRQWUHGLVWLQJXHUFHTXLjFHVWDGHGHO¶DQDO\VHSHUPHWGHGLIIérencier les deux sciences. Le § 226 relève que, dans la science de simple intelligence, les choses sont connues par Dieu en tant que productibles par lui-même (« seu ut a se productibiles » p. 204). Le § 227 souligne alors que la science de simple intelligence ne connaît pas TXHOTXHFKRVHHQWDQWTX¶LOHVWIXWXUTX¶LOHVWHQDFWHTX¶LOH[LVWHRXH[LVWHUDPDLVVHXOHPHQW HQWDQWTX¶LOpeut être produit (« sed tantummodo quod, ut aliquando existat, fieri possit », p. 205). Le § 228 et le § 229 peuvent alors souligner que la science de simple intelligence ne FRQQDvWTXHOTXHFKRVHQLDXSUpVHQWQLDXSDVVpQLDXIXWXU&¶HVWSUpFLVpPHQWFHTXHSHUPHt la science de vision (§ 230) et ce qui la différencie. Elle se définit comme la science permettant de connaître éternellement ce qui est présent, futur et passé (« Scientia visionis est, qua Deus ab aeterno cognoscit, quae in tempore futura sunt, et ubi praeter ipsum res aliae existunt, et quae praesentia sunt, et quae futura, et quae praeterita », p. 206). La prescience peut alors être définie au § 231 comme la connaissance du futur. 27 Rappelons que la puissance de Dieu est définie en ces termes au § 222 : « Potentia Dei dicitur possibilitas ad actualitatem perducendi, quae in se seu absolute spectata possibilia sunt, aut, si mavis, intresece possibilia » (p. 201). 28 Voir par exemple les notes des paragraphes 230 et 231. 29 Souligné par nous.
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jointes la determinent à produire le meilleur »30. La présentation de la science de vision dans son effectivité ne peut avoir vraiment lieu que plus loin, à partir du chapitre consacré à la volonté et à la puissance de Dieu, quand la volonté et le décret qui la détermine dans la création seront présentés. N¶est-ce pas ce qui explique notre remarque ? Il nous semble que ce n¶est pas le cas. Soulignons tout d¶abord à quel point la présentation de la science de vision est éclatée dans la Theologia Naturalis. Ainsi que nous venons de le voir, elle est tout d¶abord présentée (1) dans sa possibilité, dans le chapitre consacré à l¶entendement de Dieu et à ses attributs. Elle est ensuite présentée (2) dans son rapport à la volonté et à la puissance de Dieu (chapitre III De Potentia et Voluntate Dei), en tant que la volonté et la puissance interviennent dans la création du monde et le rendent actuel. C¶est là qu¶est traité de l¶élaboration effective du décret divin31. Enfin (3) la science de vision est présentée dans son lien avec le concours de Dieu dans la conservation du monde, au sein du chapitre consacré à la création et à la providence divine (chapitre V, § 94232). En ce sens, la présentation de la science de vision est scindée selon les divers aspects de l¶actualisation du monde. On voit à quel point Wolff doit les distinguer les uns des autres. Cela confirme d¶emblée que l¶articulation de la puissance divine et de la réalisation effective du meilleur des mondes doit prendre en compte un certain nombre de hiatus dans la pensée wolffienne. Selon la définition leibnizienne, la science de vision suppose la connaissance réflexive par laquelle Dieu connaît son propre décret d¶amener le monde à l¶existence. Analysons donc maintenant comment, selon Wolff, la science de vision va obtenir son contenu effectif lors de l¶élaboration effective du décret par lequel le monde va être créé (2)33. L¶articulation du décret qui détermine la volonté et de la puissance créatrice nous paraît poser des difficultés. Le décret est défini au § 497 comme une détermination de la volonté à faire quelque chose ou à ne pas le faire34. Il engage une consultatio qui le précède et 30 31 32 33
GP VI, 183. &¶HVWOjTXHODSUHVFLHQFHGHYLHQWHOOH-même effective. P. 916 Ici la puissance apparaît comme un aspect de la volonté (Jean École 0: pWXGLHG¶DLOOHXUVOH passage qui nous intéresse dans un chapitre intitulé « La volonté et sa toute-puissance »). 34 De même que Leibniz (Théodicée § 52, voir aussi Robinet, Architectonique, p. 421). Wolff QRXVGLWTXH GDQVVD PpWDSK\VLTXH LOQ¶\D SDVGH GLIIpUHQFHGDQVFHTXLFRQVWLWXHODYpULWp GHVFKRVHVORUVTXHOHGpFUHWLQWHUYLHQWHWORUVTX¶RQSDVVHDLQVLGHODVFLHQFHGHVLPSOHLQWHOOiJHQFH j OD VFLHQFH GH YLVLRQ &¶HVW FH TXL H[SOLTXH SRXUTXRL :ROIf minimise sa différence avec les scolastiques dans la note du § 421 O¶LQWURGXFWLRQGHO¶H[LVWLELOLWpQHPRGLILHSDVOD constitution des choses. Mais chez Wolff, on est loin de la description de la pyramide de la Théodicée, où des êtres complets développent leurs déterminations à chaque étage. Avant G¶DYRLUpWpGpWHUPLQpHVFRPPHGHYDQWH[LVWHUOHVFKRVHVDYDLHQWGHVYpULWpVVHXOHPHQWGpWHrPLQDEOHVFHQ¶HVWTX¶aprèVOHGpFUHWTX¶HOOHVVRQWGpWHUPLQpHs (§ 536, p. 483-484). Nous pouvons comprendre maintenant pourquoi la définition de la science de vision wolffienne dans la Theologia naturalis pars prior ne comporte pas, comme dans le § 14 de la Causa Dei, une référence aux connexions entre les choses (alors que Wolff vient de définir OHVPRQGHVVHQVLEOHHWLQWHOOLJLEOH /HVSRVVLEOHVQHSHXYHQWDYRLUOHVFDUDFWpULVWLTXHVTX¶LOV
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qu¶il suit (§ § 498-499), un acte de délibérer, ou une délibération (consilium) qui est un acte de l¶entendement qui s¶enquiert de ce qu¶il faut faire ou ne pas faire. Ce qui est attribué ici à Dieu ne l¶est que par éminence, Dieu ne connaît pas le doute (§ 501). L¶acte de délibérer ou la délibération de Dieu, par lequel ce qui est fait est optimum, se définit comme un jugement certain, ou l¶intuition de la plus grande certitude (§ 502). Le dessein (propositum) est alors défini au § 503 comme un acte de la volonté qui détermine l¶exécution du décret. On remarquera le rôle joué ici par l¶omniscience et l¶intellectualisme qui marque cette conception de l¶acte volontaire. La bonté de la volonté n¶intervient pas dans ces lignes. Il n¶en sera fait mention qu¶au chapitre IV : De la sagesse et de la volonté de Dieu et elle n¶apparaîtra alors que comme une conséquence de ce qui a été décrit ici (§§ 695 à 699). On est loin de la position de Leibniz dans certains textes, comme le § 228 de la Théodicée : « Je réponds que c¶est la bonté qui porte Dieu à créer, afin de se communiquer ; et cette même bonté jointe à la sagesse, le porte à créer le meilleur [...] ». L¶acte créateur wolffien, tel qu¶il est détaillé dans ces pages de la Theologia naturalis pars prior, ne peut être qu¶un acte rationnellement optimal, non un don charitable, illuminant ce qu¶il offre. Le § 52535 explique ensuite précisément quelle est vraiment la relation entre le décret de Dieu et sa puissance : « Tout ce que Dieu a décrété, il peut aussi le faire et il le fait dans le temps comme il l¶a décrété. En effet, Dieu peut faire ce qu¶il veut (§ 352). Ce qu¶il décrète vraiment, il veut le faire 36 (§ 497). Donc tout ce qu¶il a décrété il peut aussi le faire » .
La démonstration engage le fait que Dieu peut faire ce qu¶il veut. Ce qui signifie, quand on s¶appuie sur les §§ 352 et 343, qu¶il peut actualiser tous les possibles, porter tous les mondes possibles à l¶acte. Ainsi la puissance, en tant qu¶elle agit dans la création en fonction du décret, paraît plus bridée par lui que portée à une perfection maximum37. Elle est déjà maximale dans son indétermination en tant qu¶elle peut tout créer, et c¶est précisément ce qui lui permet d¶intervenir dans la création. Mais, pour qu¶elle ne donne pas l¶impression de se déployer comme une
ont pour Leibniz F¶HVW XQLTXHPHQW HQ OHV UDSSRUWDQW j O¶existibilité qui leur est extérieure TX¶RQSHXWOHVFRQVLGpUHUGDQVOHXUVFRQQH[LRQV&¶HVWSRXUTXRLF¶HVWHQSDUWDQWGHODSRVVibilité de la prescience, que, petit à petit, la capacité de la science de simple intelligence à connaître un nexus successivorum possible sera établie. 35 P. 474. 36 « Quicquid Deus decrevit, id etiam facere potest et in tempore facit, quemadmodum decrevit. Deus enim facere potest, quodcunque vult (§ 352). Quod vero decernit, illud facere vult (§ 497). Ergo quicquid decrevit, id etiam facere potest », p. 474. 37 Ainsi, le § 354 montre que la liberté de la puissance divine ne peut avoir aucune limitation et QHSHXWrWUHOLPLWpHSDUDXWUHFKRVH/HVRXOLJQHTX¶HOOHHVWLPPHQVH/HVHW nous indiquent que Dieu peut faire des miracles « WRXWHVOHVIRLVTX¶LOle veut » et peut faire ce TXLH[FqGHODQDWXUHXQLYHUVHOOH/HQRXVLQGLTXHTX¶LOSHXWSHUWXUEHUO¶RUGUHGHODQaWXUHTXDQGHWWRXWHVOHVIRLVTX¶LOOHYHXW
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puissance en elle-même aveugle et indéterminée, il faudrait qu¶elle n¶atteigne son maximum que dans l¶acte créateur38. En conséquence, lorsque le § 942 présente la science de vision en Dieu, c¶està-dire ici dans son effectivité totale, Wolff doit indiquer qu¶elle engage partie la connaissance du décret, partie la connaissance de la puissance de créer en tant qu¶elle est créatrice et conservatrice du monde39. La division en deux aspects (en partie... en partie) signifie que Wolff GRLW DGPHWWUH DX F°XU GH OD FUpDWLRQ XQH puissance de créer indéterminée en elle-même et qui reste telle, même dans sa détermination par le décret. Ainsi la science de vision, en tant qu¶elle engage l¶existibilité, doit nécessairement prendre en compte une puissance créatrice, extérieure aux possibles, qui est une simple capacité d¶amener les possibilités à l¶actualité. Dans la création, cette puissance est mise en mouvement par la volonté. En ce sens, c¶est bien la volonté qui est la source de l¶existence, de l¶effectivité (Deutsche Metaphysik § 988), elle le fait selon une inclination éclairée par l¶intelligence. C¶est en fonction de l¶ajout de la détermination qu¶est le décret qui apparaît alors, que la puissance créatrice se met à l¶°XYUH ; mais c¶est la puissance indéterminée de créer, qui proprement ajoute extérieurement l¶existence aux possibles, rend effective le choix divin. De telle sorte que l¶entendement et la volonté de Dieu restent extérieurs au surgissement et au maintien de l¶existence du monde créé, bref à l¶effectivité de la création40. Si la science de vision dans la métaphysique wolffienne peut découvrir dans l¶acte créateur l¶intervention de la sagesse et de la bonté de Dieu, elle ne peut y découvrir ce qui semble beaucoup plus facile à trouver chez Leibniz : l¶influence immédiate et perpétuelle d¶une force bonne et sage. b) La science de vision selon Leibniz C¶est ce que nous allons maintenant vérifier en appliquant maintenant cette question à l¶°XYUHGH/HLEQL] : qu¶est-ce qui s¶ajoute à la vision d¶Apollon, à la science de vision et qui lui permet de connaître l¶actuel, l¶être en acte, l¶existant ? Que se donne-t-il de plus, qu¶est-ce qui s¶ajoute dans la connaissance réflexive par laquelle Dieu connaît son propre décret d¶amener notre monde à l¶existence ? La lettre de Leibniz à Morell de septembre 1698 peut nous aider. Leibniz y écrit :
38 Nous aurons une confirmation de cet aspect en étudiant plus loin de plus près tout ce qui GLIIpUHQFLHO¶RPQLSRWHQFHZROIILHQQHGHO¶RPQLSRWHQFHOHLEQL]LHQQH 39 § 942, p. 917, note : « Scientia visionis Deo competit quoad intellectum : dependet tamen partim a decreto ipsius, partim a potentia creatrice ac conservatrice, quae cum creatrice eadem (§ 845) [...] ». 40 Nous retrouvons ici, sous une forme différente, les conclusions de notre article « Dieu dans le Miroir, Leibniz, Wolff HWO¶DFWXDOLVDWLRQGXPRQGH », in : Les Études philosophiques, juilletseptembre 2003 n°3, p. 371-387 ; article réélaboré dans Cet esprit de profondeur, chap VI.
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« L¶essence primitive de toute substance consiste dans la force : c¶est cette force en Dieu qui fait que Dieu est nécessairement, et que tout ce qui est en doit émaner. Ensuite vient la lumière ou sagesse, qui comprend toutes les idées possibles et toutes les vérités éternelles. Le 41 dernier complément est l¶amour ou la volonté qui choisit parmi les possibles ce qui est le meilleur, et c¶est là l¶origine des vérités contingentes et du monde actuel. Ainsi la volonté naît 42 lorsque la force est déterminée par la lumière » .
À la différence de Wolff, ce qui complète, pourrait-on dire ici, la possibilité, ce qui s¶ajoute à elle ne semble pas se réduire au choix d¶une volonté éclairée de manière extérieure par l¶intelligence, et à une activation de la puissance (incompréhensible pour nous) de faire venir à l¶acte :43 le dernier complément est l¶amour. Reste qu¶il semble survenir de l¶extérieur comme une détermination que la sagesse impose à la force. Un texte de Leibniz cité par Jean Baruzi nous permet d¶aller plus loin en faisant de la puissance le sujet commun de la bonté et de la sagesse : « La bonté est dans la volonté, la sagesse est dans l¶entendement. En quoi donc sera la puissance ? [...] Dans le sujet commun de la bonté et de la sagesse, qui est la source des change44 ments et des actions » .
La puissance est donc ici le sujet commun de ce qui se produit dans la volonté et dans l¶entendement. Dans ce cas, il est aisé de considérer les possibles comme « existibles » en tant qu¶ils trouvent en eux-mêmes, non de manière extérieure, leur fond, leur fondement dans la puissance. Dans ces conditions, le décret, la production qui le suit ne se réduisent pas d¶une part à un choix portant sur les possibles d¶une manière qui leur serait seulement extérieure, et d¶autre part à l¶activation, après ce choix, d¶une puissance déterminable, mais restant en elle-même indéterminée, qui fait parvenir la possibilité à l¶actualité. Ils naissent de l¶illumination d¶une puissance déjà présente. L¶entendement, la volonté et la puissance ne doivent pas être conçus comme des instances trop strictement distinguées. Les possibles en tant que tels ne doivent plus être distingués en Dieu de tout ce qui les porte à l¶actualisation. Ce qui s¶ajoute à eux alors, dans l¶acte créateur, c¶est selon la lettre à Morell citée, l¶amour qui s¶exprime en Dieu. Dans cette mesure, à la différence de la
41 Souligné par nous. 42 Grua, 139, cité par André Robinet Architectonique, p. 422 note 11. A. Robinet relève p. 423 que « le meilleur [pour Leibniz] dépend de la primordialité de la bonté », en citant le § 228 de la Théodicée ; p. 424, en citant le § 14 des 5HPDUTXHVVXUOHOLYUHGHO¶RULJLQHGXPDO, il écrit aussi : « Acte de surabondance de la bonté, acte libre distinct de celui du calcul des possibles, 'LHXHVWµSRUWpLQIDLOOLEOHPHQWjODFUpDWLRQ¶SDUVDVDJHVVHHWVDERQWpTXLDQLPHQWVDSXLssance [...] ». 43 /HFRPSOpPHQWHVW O¶DPRXUODYRORQWpLQFOLQpHDQWpFpGHPPHQWDXELHQFRQVpTXemment et de manière décrétoire, au meilleur. 44 Inédits, Philosophie II, 1909, p. 304. Cité par Martine de Gaudemar op. cit. p. 47 qui commente ainsi ces lignes : « (WVLO¶RQV¶DXWRULVHjVpSDUHUHQ'LHXO¶DFWHGHODYRORQWpHWO¶DFWH GH O¶HQWHQGHPHQW RQ GRLW VDYRLU SRXUWDQW TX¶LOV VRQW WRXV GHX[ IRQGpV GDQV OD puissance comme sujet commun ».
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perspective que nous avons discernée chez Wolff, c¶est seulement l¶amour qui s¶ajoute dans la science d¶Apollon dans la connaissance réflexive du décret. Cette interprétation, quand bien-même elle infléchirait trop la pensée de Leibniz vers un de ses aspects, a du moins l¶avantage de nous rendre sensible à tout ce qui sépare les conceptions leibniziennes et wolffiennes de l¶omnipotence divine. Plutôt que de toute-puissance, Leibniz préfère parler d¶une puissance infinie qui est à son degré supérieur de perfection dans son rapport à la sagesse et à la bonté. L¶ordre des paragraphes de la Causa Dei est ici éclairant : l¶omnipotence est présentée avant l¶omniscience45. La présentation de l¶omnipotence, comme présentation de la puissance de Dieu engage dix paragraphes. Elle est définie comme « embrassant » non seulement « l¶indépendance de Dieu à l¶égard de toutes les autres choses », mais aussi « la dépendance où toutes sont de lui » (§ 4). Tous les aspects que nous venons de distinguer et de séparer dans l¶°XYUH GH Wolff sont présents, harmonieusement liés ; ainsi la possibilité des choses est déjà mentionnée (§ 8), le rôle de la volonté libre est introduit au § 9. En tant qu¶elles sont « embrassées » par l¶omnipotence, les choses dépendent de Dieu dans leur action (§ 10)46 et le concours de Dieu est alors présenté comme immédiat et spécial (§§ 11-13). Concevoir l¶omnipotence divine, c¶est découvrir en elle tous les aspects de la divinité en tant qu¶ils concourent immédiatement à l¶effectuation de l¶existence. Wolff, par contre, dans la Theologia Naturalis pars prior, définit d¶emblée l¶omnipotence d¶une manière qui lui interdit de retrouver la position leibnizienne (§§ 347±350). Est dit « omnipotent » (§ 347) ce qui peut faire tous les possibles47. L¶omnipotence se définit comme le plus haut degré de puissance, la puissance absolument maximale en tant qu¶elle s¶étend ainsi à tous les possibles (§ 349)48. Ainsi l¶omnipotence se définit d¶emblée par son étendue illimitée, en ce sens, on aurait envie de dire : aveugle à tous les possibles. On est loin de la manière dont la puissance est portée à son degré maximal, à son omnipotence, selon Leibniz et dans les lignes de la Causa Dei que nous venons de citer. Même s¶il est toujours dangereux de donner l¶impression de conclure concernant la pensée de Leibniz, la comparaison de ces textes montre en tout cas une direction que Wolff n¶a pas prise. Et à quel point il s¶écarte de cette direction quand il doit concevoir le rôle de la puissance, de la bonté et même de la gloire de Dieu dans la création.
45 &¶HVWGDQVOHFDGUHGHO¶RPQLVFLHQFHTXHVHUont présentées la science de simple intelligence et la science de vision. 46 (QWDQWTX¶LOH[LVWHGDQVFHVDFWLRQVTXHOTXHVSHUIHFWLRQV 47 « Omnipotens dicitur, qui potest facere omnia possibilia », p. 336. 48 « Enimvero qui omnia possibilia ad actum perducere valet, omnipotens est », ibid.
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Conclusion Cette analyse de « l¶existibilité » et du rôle de la puissance divine dans la création du monde, selon l¶°XYUH GH :ROII, nous conduit donc à distinguer ici, encore une fois, la manière dont Wolff et Leibniz conçoivent l¶existence. Dans la perspective relevée notamment par Jean Baruzi et André Robinet dans la pensée de Leibniz, exister pour les créatures c¶est immédiatement être harmoniques. C¶est pour elles s¶éprouver et ± quand elles le peuvent ± se concevoir immédiatement en elles-mêmes comme produites par l¶amour et la sagesse divine. Dans la perspective de la Theologia Naturalis, exister pour les créatures c¶est être immédiatement déterminées selon le lien rationnel constituant le monde. C¶est être comme le fait d¶une production éclairée et bonne, mais d¶une production réduite en elle-même à sa puissance productive. Dans ce contexte, les créatures ne peuvent concevoir et éprouver immédiatement l¶existence en ellesmêmes que dans sa factualité. Par sa position, Wolff offre à la rationalité un champ d¶étude plus ouvert à l¶a posteriori, plus dépendant de lui, mais plus inquiétant. Sa position est plus centrale dans le développement moderne de la science et dans la réception du principe de raison. Il paraît étranger à ce qu¶on qualifiera de « mystique » dans l¶°XYUH OHLEQL]LHQQH /D TXHVWLRQ GH O¶harmonie universelle va être en grande partie prise en charge par l¶interrogation téléologique, dont il découvre le nom et la définition ;49 postérieure à la recherche des causes efficientes en physique50, elle ne semble cependant qu¶un reflet affaibli de l¶harmonie leibnizienne, d¶emblée exposé à la réfutation. Les divers étages de la pyramide de la Théodicée s¶effacent dans les pages de la Theologia Naturalis : le palais des destinées disparaît. Toutes les questions en jeu sont renvoyées à la simple question du passage du possible à l¶existant, choix qui détermine l¶enchaînement conceptuel du texte. Nous retrouvons ici les analyses d¶André Charrak à propos des « textes des lumières ». Selon lui, même quand ils « participent à la réécriture scolaire du leibnizianisme », ces textes ont en commun « de perdre de vue la dimension de virtualité que comportait la possibilité leibnizienne (la doctrine du complementum possibilitatis en est un exemple frappant), les possibilités du monde [...] sont des possibilités déréalisées par rapport à celles que thématisait Leibniz ± et ce sont ces possibilités abstraites,
49 Discursus praeliminaris de philosophia in genere (premier tome de la Philosophia rationalis sive logica, GW I, 1.1, Hildesheim, 1983) § 85, p. 38. Traduction française : Discours préliminaire sur la philosophie en général, Paris, 2006, p.127. 50 Discursus Praeliminaris § 100.p. 45 ; traduction française p. 138.
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purement métaphysiques, que suspectent, critiquent et parfois raillent Maupertuis et, surtout, d¶Alembert et Kant »51. C¶est bien une certaine conception de la possibilité, dont Wolff participe, qui va faire l¶objet des débats : les possibilités du monde y ont perdu leur virtualité et elles peuvent facilement paraître vides, face à l¶existence sur laquelle porte l¶expérimentation. La façon dont Wolff tente de thématiser la puissance divine peut sembler maladroite, mais la manière dont il tente de concevoir la grandeur de Dieu est ici déterminante : elle prend en compte notre finitude. À la différence de la Causa Dei, elle ne part pas de cette grandeur. Nous ne connaissons Dieu que par éminence. L¶acte de la volonté divine est en lui-même incompréhensible pour les créatures finies que nous sommes. Nous pouvons seulement tenter d¶approcher cet acte en nous efforçant de concevoir à leur degré suprême les perfections limitées de notre âme. C¶est probablement pourquoi Wolff se contente de définir la puissance divine comme une capacité de faire (de faire passer les possibles à l¶acte), en la concevant simplement comme illimitée. En fait, tout le système métaphysique wolffien nous reconduit à l¶acte divin, qui en lui-même nous éclaire en restant extérieur à ce que nous pouvons en concevoir. Reste qu¶il faudrait déterminer dans quelle mesure le legs wolffien est encore à l¶°XYUHGDQVQRWUHFRQFHSWLRQGHODUationalité et de l¶existence, quand celle-ci découvre l¶existence comme angoissante ou absurde.
51 Contingence et nécessité des lois de la nature au XVIIIe siècle. La philosophie seconde des lumières, Paris, 2006, p. 201.
LE POÈME SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE : UNE PHILOSOPHIE DE LA CATASTROPHE
par Jean-Marc Rohrbasser (Paris)
Le tremblement de terre de Lisbonne du 1er novembre 1755 fut vécu comme un événement de grand retentissement, à la fois comme catastrophe meurtrière et comme symbole du déchaînement dans le monde d¶un fléau qui, encore plus arbitraire que l¶épidémie, ne pouvait en tant que tel avoir été voulu par une providence divine toute bienveillante1. La catastrophe de 1755 pose à nouveau l¶ancienne et traditionnelle question de l¶origine du mal2. Leibniz venait de proposer une réponse à cette question sous la forme de la doctrine ± ancienne elle aussi ± de l¶optimisme caractéristique d¶une théodicée3. Voltaire entreprit et réussit en partie, par le retentissement qu¶eurent ses ouvrages, à faire de l¶optimisme une métaphysique ridicule4. Non seulement dans le plus connu, le roman Candide qui connut un retentissement mondial, mais encore, et surtout, immédiatement après la catastrophe, dans le Poème sur le désastre de Lisbonne, Voltaire tente, avant Kant et dans un style fort différent, de montrer l¶insuccès de tous les essais philosophiques en matière de théodicée5. 1
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Une présentation générale de l¶pYpQHPHQW± VHORQO¶DXWHXUXQ© événement monstre » ± sous ses aspects géographiques, politiques et philosophiques, figure dans Grégory Quenet, Les tremblements de terre aux XVII e et XVIIIe VLqFOHV/DQDLVVDQFHG¶XQULVTXH, Seyssel, 2005, chap. IX, p. 305-3RXUWUDLWHUGXGpEDWSKLORVRSKLTXHO¶DXWHXUGHFHWRXYUDJHV¶HVWODUJement inspiré de la thèse de Laurent Loty, /D JHQqVH GH O¶RSWLPLVPH HW GX SHVVLPLVPH (De Pierre Bayle à la Révolution française), Université de Tours, sous la direction de J.-M. Goulemot, 1995. Je dois également beaucoup à ce travail. Trois espèces du mal sont traditionnellement distinguées : « On peut prendre le mal métaphysiquement, physiquement et moralement. Le mal métaphysique consiste dans la simple imperfection, le mal physique dans la souffrance et le mal moral dans le péché. Or, quoique le mal SK\VLTXHHWOHPDOPRUDOQHVRLHQWSRLQWQpFHVVDLUHVLOVXIILWTX¶HQYHUWXGHVYpULWpVpWHUQHOOHV ils soient possibles. » (Leibniz, Théodicée, I, § 21, éd. J. Brunschwig, Paris, 1969, p. 116) Gottfried Wilhelm Leibniz, (VVDLVGHWKpRGLFpHVXUODERQWpGH'LHXODOLEHUWpGHO¶KRPPHHW O¶RULJLQHGXPDO, Amsterdam, 1710. Il convient, outre Candide et le PoèmeGHQHSDVRXEOLHUGDQVFHWWHYHLQHO¶DUWLFOH© Bien, tout est bien » du Dictionnaire philosophique (1764) et le chapitre XXVI du Philosophe ignorant, traitant « Du meilleur des mondes » (1766). Immanuel Kant, « Über das Mißlingen aller philosophischen Versuche in der Theodizee », Berlinische Monatsschrift, septembre 1791, p. 194-225.
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Voltaire n¶a-t-il vraiment rien compris au système philosophique qu¶il critique ? Quels sont l¶enjeu et le sens philosophiques du Poème sur le désastre de Lisbonne et peut-on y repérer des éléments d¶une philosophie de la catastrophe ? 1. Théodicée et optimisme Le terme « optimisme » apparaît en 1737 dans les Mémoires de Trévoux. D¶Alembert, dans l¶Encyclopédie, le définit comme « l¶opinion des philosophes qui prétendent que ce monde-ci est le meilleur que Dieu pût créer, le meilleur des mondes possibles ». Cette définition dérive de la philosophie de Malebranche et surtout de celle de Leibniz. L¶auteur de l¶article prend l¶exemple du crime de Tarquin, nécessaire, selon Leibniz, parce que cet acte « a produit la liberté de Rome et par conséquent toutes les vertus de la république romaine ». Mais le rédacteur demande immédiatement « pourquoi les vertus de la république romaine avaient besoin d¶être précédées et produites par un crime » et comment il est possible d¶accorder « cet optimisme avec la liberté de Dieu », deux questions qu¶il qualifie d¶embarrassantes. La conclusion est sans appel : « il faut avouer que toute cette métaphysique de l¶optimisme est bien creuse »6. Anticipant cette remarque, Candide, interrogé par Cacambo, répondra que l¶optimisme est « la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal »7. Dès 1747, Kant avait proposé sa définition de l¶optimisme. Il s¶agit, selon lui, de cette « conception qui légitime le mal dans le monde en supposant un Être premier, infiniment parfait, bon et puissant ». Il convient alors de se convaincre « que, malgré toutes les contradictions apparentes, ce qui a été choisi par cet Être infiniment parfait doit cependant être le meilleur de tout le possible ». La présence du mal est alors imputée, « non pas à un choix conforme à ce qui plaît à Dieu, mais à la nécessité inévitable de manques tenant à l¶essence des choses finies ». Ces manques « ont été introduits sans faute de la part de Dieu, à titre de permission, dans le plan de la création, la sagesse et la bonté divine les font tourner au mieux du tout »8. L¶optimisme est l¶un des foyers de la philosophie leibnizienne. Quoique toutes les questions dont Leibniz se propose de donner la solution soient abordées dans chacun des trois livres des Essais de théodicée, le premier est surtout consacré à démontrer a priori la justice de Dieu et à expliquer la permission du mal en général ; le deuxième traite spécialement du mal moral et le troisième du mal physique.
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« Optimisme », Encyclopédie, XI, p. 517 (1766). Voltaire, &DQGLGHRXO¶RSWLPLVPH [1759] dans Romans et contes [éd. R. Pomeau], Paris, 1966. Chap. XIX, p. 222. Immanuel Kant, « 3UHPLqUHVUpIOH[LRQVVXUO¶RSWLPLVPH ». Oeuvres philosophiques I, Trad. F Marty, Paris, 1985, p. 27-34. KantµVHandschriftlicher Nachlass, 4. Metaphysik, AK, XVII, p. 229-239.
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Comme l¶indique l¶étymologie du terme, la théodicée se donne pour objectif premier de « justifier » Dieu du procès qu¶on ne manque jamais de lui intenter au sujet du mal. Il s¶agit donc d¶un discours apologétique par lequel des croyants ± chrétiens ou déistes ± s¶efforcent de plaider en raison « la cause de Dieu », en démontrant qu¶il ne peut en aucun cas être tenu pour responsable du mal, ni dans le monde, ni en l¶homme. Une argumentation négative consiste à innocenter Dieu en soutenant qu¶il n¶aurait rien à voir avec l¶origine et le maintien du mal. Tout au plus « permet-il » le mal en vue de sauvegarder la liberté de l¶homme (Encadré). Encadré. Laisser ou permettre
Dans son Ordre divin, le pasteur Johann Peter Süssmilch présente une argumentation visant à montrer que la providence régit les lois du peuplement du monde. Selon lui, les humains ne doivent être ni trop ni trop peu sur la terre. Pour ce faire, Dieu opère en régulateur, de la façon suivante9 : « >«@VLDXOLeu de l¶actuelle proportion de 10 décès à 13 naissances, la proportion était partout [...] que 10 décès se rapportent à 11 naissances [...] alors la propagation aurait certes encore lieu, mais si lentement qu¶elle deviendrait presque imperceptible. Or ce serait chose facile pour la divine Providence. Il lui suffirait de faire mourir quelques hommes de plus. [Sie dürffte nur einige Menschen mehr sterben lassen.] [...] il suffirait que, au lieu de la moitié, 2/3 ou 3/5 ou 4/7 etc. des enfants meurent [avant leur dixième année] pour que la propagation soit IRUWHPSrFKpH>«@'H PrPHTXH'LHXSRXUUDLWDLVpPHQWDFFpOpUHUODSURSDJDWLRQV¶il donnait plus de force vitale aux enfants afin qu¶il n¶en meure pas autant si précocement, de même il pourrait tout aussi aisément la retenir s¶il en laissait mourir un plus grand nombre [... so könte er sie auch leicht aufhalten, wenn er ihrer mehrere sterben liesse] ».
Le verbe lassen VXJJqUHXQHGRXEOHLQWHUSUpWDWLRQ4XH'LHX³ODLVVH´RX³IDVVH´ mourir quelques enfants de plus, le rôle ou l¶action éventuels de la providence ne VRQWSDVOHVPrPHV/HYHUEH³ODLVVHU´VXJJqUHXQRUGUHSUppWDEOLGDQVOHTXHOOHV lois opèrent sans qu¶XQDFWHVXEVpTXHQWVRLWQpFHVVDLUH/HYHUEH³IDLUH´VXJJqUH plutôt une intervention directe, à l¶instar de celle d¶un régulateur industriel qui manipule un potentiomètre ou une touche d¶ordinateur pour envoyer ou laisser s¶échapper un peu de vapeur ou pour augmenter ou ralentir un débit. Dans l¶hypothèse providentialiste du pasteur, la naissance de tel ou tel individu est un phénomène parfaitement déterminé et programmé, résultat d¶une loi antérieurement décrétée ou de l¶action d¶une providence régulatrice : car le nombre de naissances est le résultat de l¶accumulation de toutes ces naissances individuelles, lesquelles combinées avec les décès ± qui ne sont certes pas plus fortuits que les précédentes ± produisent une vitesse de propagation dont dépend rien moins que l¶exécution du commandement fondamental du créateur. 9
Johann Peter Süssmilch, Die göttliche Ordnung in den Veränderungen des menschlischen Geschlechts, aus der Geburt, Tod, und Fortpflanzung desselben erwiesen« Berlin, 1741. Trad. J.-M. Rohrbasser, /¶2UGUHGLYLQGDQVOHVFKDQJHPHQWVGHO¶HVSqFHKXPDLQHGpPRQWUp par la naissance, la mort et la propagation de celle-ci, Paris, 1998, 3, 30, p. 99.
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Mais aussi, qu¶HOOH ³IDVVH´ RX TX¶HOOH ³ODLVVH´ PRXULU PRLQV RX GDYDQWDJH d¶enfants, la sagesse du Créateur est ici confrontée au problème du mal. En est-il de même pour les enfants de moins de dix ans ou pour les sinistrés de Lisbonne ? Leibniz propose la solution suivante10 : « Mais quelqu¶un me dira : Pourquoi nous parlez-vous de permettre ? Dieu ne fait-il pas le mal et ne le veut-il pas ? C¶est ici qu¶il sera nécessaire d¶expliquer ce que c¶est que permission [...] Mais il faut expliquer auparavant la nature de la volonté [...] dans le sens général, on peut dire que la volonté consiste dans l¶inclination à faire quelque chose à proportion du bien qu¶elle renferme. Cette volonté est appelée antécédente lorsqu¶elle est détachée, et regarde chaque bien en tant que bien [...] Le succès entier et infaillible n¶appartient qu¶à la volonté conséquente, comme on l¶appelle. C¶est elle qui est pleine, et à son égard cette règle a lieu, qu¶on ne manque jamais de faire ce que l¶on veut lorsqu¶on le peut [...] De cela il s¶ensuit que Dieu veut antécédemment le bien et conséquemment le meilleur. Et pour ce qui est du mal, Dieu ne veut point du tout le mal moral, et il ne veut point de manière absolue le mal physique ou les souffrances ».
Quand elle se fait positive, la théodicée relève de trois types principaux : 1. éthique en invoquant l¶épreuve purificatrice infligée à l¶homme en raison de ses péchés, le juste châtiment divin. Le mal est en somme la condition nécessaire et justifiée d¶une rédemption du pécheur ; 2. cosmologique, c¶est la thèse leibnizienne du « meilleur des mondes possibles », de l¶harmonie globalement positive de l¶ensemble, nonobstant les inévitables défauts qui, dans l¶ordre général du cosmos, jouent le rôle des ombres faisant ressortir les couleurs vives d¶un tableau ; cette thèse répond également à la question « pourquoi cet univers-ci et pas un autre ? »11 3. métaphysique : le mal n¶a pas d¶être, il est une absence, celle du bien puisque seul le bien coïncide avec l¶être. Ces arguments se retrouvent épars dans les textes les plus anciens dès lors que leurs auteurs s¶interrogent sur les rapports entre Dieu et le mal. La synthèse leibnizienne s¶inspire, entre autres, des thèses de saint Augustin. Elles conjuguent des arguments empruntés au néoplatonisme, qui refuse au mal quelque substantialité que ce soit, et à la révélation biblique sur la création ex nihilo qui maintient à distance le créateur et une créature capable de « décliner » loin de Dieu et d¶« incliner » vers le néant du péché. Cette imputation ne fait pas droit à la protestation de la souffrance injuste : en quoi sommes-nous concernés par un Dieu qui voit l¶ensemble sans s¶inquiéter du détail ? Ainsi, l¶optimisme, fatalisme du meilleur des mondes possibles, est qualifié par ses détracteurs, dont Voltaire, de doctrine désespérée. Après avoir, à juste titre, donné raison à Leibniz d¶avoir nommé « sa doctrine une théodicée, ou une défense de la juste cause de Dieu », Kant, en 1747, indique 10 Leibniz, Théodicée, I, §§ 22-23, p. 117-118. 11 Pour une analyse claire et détaillée de cette perspective strictement cosmologique, voir Ivar Ekeland, Le meilleur des mondes possibles. Mathématiques et destinée, Paris, 2000, p. 35-56.
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où sont, selon lui, les défauts de cette conception, qu¶il juge « considérables ». Il indique l¶incompatibilité, chez Leibniz, de la bonté et de la sagesse de Dieu avec son « infinité et [son] indépendance ». Quelle discordance, se demande Kant, interdit de lier la perfection d¶une chose à celle d¶une autre ? « Quel est », ajoutet-il, « cet insondable conflit entre la volonté générale de Dieu, qui tend exclusivement au bien, et la nécessité métaphysique » qui produit les maux ? Et si ces derniers « contraignent Dieu à les permettre, sans avoir éveillé en lui de plaisir, ils mettent alors cet Être suprêmement bienheureux en une sorte de déplaisir ». Enfin, « pourquoi faut-il que tout, dans les parties, soit désagréable, et que le plaisir soit éveillé seulement dans le tout ? »12 On notera que Kant ne se place pas encore ici sur le plan moral mais seulement dans un ordre de réflexion relatif au plaisir et à la peine, registre fort proche de celui sur lequel se place Voltaire, même si ce dernier insiste davantage sur l¶irréductible opposition entre le mal qui frappe l¶individu et un dessein qui est censé améliorer l¶ensemble. Cependant, en 1759, la catastrophe de Lisbonne n¶a pas altéré l¶optimisme kantien : « je regarderai autour de moi aussi loin que je le pourrai et j¶apprendrai à toujours mieux comprendre que l¶univers est le meilleur possible et que tout est bon par rapport à l¶univers »13. Cela s¶explique peut-être en tenant compte du deuxième des trois écrits que le philosophe de Königsberg, réagissant dès le début de 1756, avec une rapidité inhabituelle, à l¶événement, consacre aux tremblements de terre en général, et à la catastrophe de Lisbonne en particulier14. Kant se borne à une sobre analyse des causes de la catastrophe. Toutefois, dans une considération finale, il aborde, de manière assez cursive, le problème métaphysique. « On pèche très considérablement », écrit-il, « lorsque l¶on regarde pareil destin toujours comme un châtiment » qui frapperait des cités condamnées pour leurs méfaits et par là victimes de la vengeance divine. C¶est une « impertinence punissable », selon Kant. En effet, « l¶homme est si imbu de luimême qu¶il se regarde comme la seule finalité des décrets divins, comme s¶ils n¶avaient d¶autre objet en vue que lui seul pour instituer en conséquence les règles du gouvernement du monde ». Kant soutient que c¶est la nature, dans son 12 Immanuel Kant, « 3UHPLqUHVUpIOH[LRQVVXUO¶RSWLPLVPH », p. 32-33. 13 Immanuel Kant, « Versuch einiger Betrachtungen über den Optimismus von M. Immanuel Kant, wodurch er zugleich seine Vorlesungen auf das bevorstehende halbe Jahr ankündigt » [« (VVDLGHTXHOTXHVFRQVLGpUDWLRQVVXUO¶RSWLPLVPHSDU0(.SDUOHVTXHOOHVLODQQRQFHHQ même temps ses leçons du tout prochain semestre »]. Vorkritische Schriften bis 1768, Band 2, hrsg von Wilhelm Weischedel, Frankfurt am Main, 1991, p. 594 : « [ich] werde um mich schauen, so weit ich kann, und immer mehr einsehen lernen, dass das Ganze das Beste sei, und alles um den Ganzen willen gut sei ». 14 Immanuel Kant, Geschichte und Naturbeschreibung der merkwürdigen Vorfälle des Erdbebens, welches an dem Ende des 1755sten Jahres einen grossen Teil der Erde erschüttert hat. Königsberg, (mars) 1756. [Histoire et description de la nature des événements remarquables survenus lors du tremblHPHQWGHWHUUHTXLDVHFRXpjODILQGHO¶DQQpHXQHSDUWLHLmportante de la surface de la terre]. Reproduit dans Die Erschütterung der vollkommenen Welt. Die Wirkung des Erdbebens von Lissabon im Spiegel europaïscher Zeitgenossen. [Hrsg W. Breidert], Darmstadt, 1994, p. 108-136.
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ensemble, qui est l¶objet de la providence divine. Cependant, nous voyons « un nombre infiniment grand de malfaisants dormir sur leurs deux oreilles » et beaucoup d¶autres maux. C¶est que, écrit Kant, « l¶homme est dans l¶obscurité lorsqu¶il prétend deviner les desseins que Dieu a en vue dans le gouvernement du monde ». Cependant, ajoute-t-il, « nous n¶avons aucun doute lorsqu¶il s¶agit de l¶application concrète et de savoir comment nous devons user de façon appropriée à son dessein de la voie de la providence »15. Tout comme celui de Leibniz, c¶est cet optimisme modéré que Voltaire entreprend de combattre en réaction à la catastrophe de novembre 1755. 2. La catastrophe et la réaction de Voltaire dans sa correspondance Le 1er novembre 1755, date du tremblement de terre survenu à Lisbonne, est l¶une des vingt-trois dates symboliques retenues comme tournants de la conscience européenne de 5500 AJC à nos jours : l¶événement a connu un retentissement considérable et des milliers de textes en ont rendu compte16. L¶article « Tremblements de terre » dû à d¶Holbach, paru dans l¶Encyclopédie en 1766, démontre le caractère exceptionnel du désastre. L¶auteur parle de « désastre affreux », de « scène effroyable », de « tristes ravages » et ne manque pas de souligner l¶étendue de l¶aire géographique touchée ainsi que les secousses subséquentes faisant écho à celles de novembre17. Sur environ deux cent soixante mille habitants à Lisbonne, il a pu y avoir environ dix mille morts, séisme, tsunami et incendies subséquents confondus18. La catastrophe a généré un véritable traumatisme et la sensibilité à la moindre petite secousse a été ensuite augmentée. On apprend dans l¶article « Lisbonne » de l¶Encyclopédie, dû à Jaucourt, que cette ville est alors le troisième port européen après Londres et Amsterdam, tête de pont du commerce des esclaves d¶Afrique et des denrées du Brésil. Les dommages subis affectent notamment les intérêts économiques anglais et suisses19. Tous les périodiques européens publient des articles, les nouvelles se répandent à travers les correspondances d¶ambassadeurs, de négociants et de voyageurs20. L¶intérêt du grand public est tel que la catastrophe est représentée sur 15 Immanuel Kant, « 9RQGHQ8UVDFKHQGHU(UGHUVFKWWHUXQJHQ« », « Schlussbetrachtung », p. 134-135. 16 Voir Quenet op. cit., p. 306-313 et 338-356 pour une description de ce retentissement et une analyse de ses causes. 17 « Tremblements de terre », Encyclopédie, XVI, p. 580-583 (1766). 18 Ce chiffre est donné par Quenet (p. 305 et 308) comme étant le plus vraisemblable. 19 « Lisbonne », Encyclopédie, IX, p. 572-573 (1766). 20 Voir Jean-Paul Poirier, Le tremblement de terre de Lisbonne, Paris, 2005 et le numéro 6 de la revue Lumières, « Lisbonne 1755 : un tremblement de terre et de ciel », Paris, 2e semestre 2005. On peut lire également une brève mais stimulante synthèse du débat dans Jean-Pierre Dupuy, Petite métaphysique des tsunamis, Paris, 2005, aux p. 33-54. Dupuy, qui établit consWDPPHQW HW SHUWLQHPPHQW XQ SDUDOOqOH HQWUH HW DXMRXUG¶KXL LQGLTXH TXH beaucoup de
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des vêtements ou des éventails ; l¶Angleterre en fait le thème d¶un jeu de société, le « jeu du tremblement de terre ». La majorité des littérateurs et des philosophes abordent la catastrophe, non tant du point de vue de ses causes physiques ou des sentiments humains de compassion, que de celui de sa signification pour le croyant. Les tremblements de terre étaient en effet considérés comme une punition divine. Des gens craignent la fin du monde et Voltaire évoque ironiquement « le jugement dernier » (voir lettre à d¶Argental du 1er décembre ci-dessous). Mais l¶ensemble de la communauté chrétienne ressent le tremblement de terre comme une punition, d¶autant que Lisbonne est l¶une des grandes métropoles du catholicisme. L¶événement a de plus lieu le jour de la Toussaint et une partie des fidèles sont déjà à la messe lorsque la ville subit la catastrophe : c¶est surtout dans les églises que les habitants trouvent la mort. Et il y a ce jour-là d¶autant plus de monde que beaucoup viennent assister à un autodafé de juifs. Certains protestants et jansénistes accusent les jésuites d¶avoir suscité la colère divine ; les jésuites, quant à eux, s¶en prennent au premier ministre Carvalho, futur marquis de Pombal, de vouloir imposer la puissance de l¶État contre le pouvoir clérical. Il semble difficile de décider de l¶alternative suivante : ou bien ces réactions chrétiennes témoignent d¶une permanence de mentalités et de comportements peu influencés par le débat théologique ; ou bien elles correspondent à un durcissement des positions chrétiennes, la catastrophe tombant « à pic » pour réaffirmer la croyance traditionnelle face au danger déiste, voire à la menace représentée par le matérialisme et l¶athéisme. Ainsi, la fréquence des interprétations du désastre comme châtiment divin tient moins au souci pascalien de réaffirmer la culpabilité humaine et la misère de l¶homme qu¶à celui de passer sous silence les possibles implications d¶une récrimination trop humaine contre la providence. C¶est ce que ne se prive pas de faire Voltaire, tout en rejoignant, au moins en apparence, certaines prises de position de la philosophie tragique pascalienne. Outre le Poème, les réactions de Voltaire, bien connues par sa correspondance21, traduisent un étrange mélange de révolte et d¶ironie. C¶est dans une lettre datée du 24 novembre 1755, adressée à Jean-Robert Tronchin22, que Voltaire parle pour la première fois du tremblement de terre de Lisbonne. D¶emblée, la philosophie leibnizienne est désignée et mise sur la sellette. On sera en effet « bien embarrassé à deviner comment les lois du mouvement opèrent des désastres si effroyables dans le meilleur des mondes possibles »23. Les humains sont assimilés à des « fourmis », « notre prochain ». victimes thaïlandaises du tsunami du 26 décembre 2004 le ressentirent comme une revanche de la nature et un châtiment divin. 21 Voltaire, Correspondance (éd. T. Besterman). Tome IV (1754-1757). Paris, 1978. 22 À Tronchin, 24 novembre 1755, Best. 4265, p. 619. 23 En italiques dans le texte, ainsi que toutes les autres italiques des citations du présent travail.
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Voltaire mentionne alors cent mille victimes, évoque ensuite la perte économique qui va nécessairement résulter de la catastrophe. La vie humaine est comparée à un jeu de hasard : c¶est déjà là une déclaration explicite d¶anti-providentialisme immédiatement accompagnée d¶un trait d¶ironie, Voltaire se flattant « qu¶au moins les révérends pères inquisiteurs auront été écrasés comme les autres ». Il se montre enfin curieux des « suites de cette affreuse aventure ». Dans la lettre du 26 novembre24, Voltaire revient sur ses inquiétudes à propos de « cet horrible événement » et surtout des pertes économiques qu¶il peut occasionner. Deux jours plus tard25, il pose cette question au pasteur Élie Bertrand : « si Pope avait été à Lisbonne aurait-il osé dire, tout est bien ? » Le ton est toujours ironique. Plus tard26, toujours à Élie Bertrand, il parle encore de « cent mille âmes ensevelies sous les ruines » et ajoute que « voilà un terrible argument contre l¶optimisme ». On notera que Voltaire ne répugne pas à la contradiction et que, trait maintes fois remarqué, il sait s¶adapter à chaque correspondant. À la fin de sa lettre à Bertrand, pasteur, l¶auteur de Candide fait observer, dans le mode édifiant, qu¶il est « honteux dans des événements aussi épouvantables de songer à ses affaires particulières ». En revanche, deux ou trois jours plus tard, il déclare à Gabriel Cramer, son imprimeur et libraire avec qui il peut se permettre plus de liberté, que « malgré les tristes réflexions que le désastre du Portugal et de l¶Espagne fait faire sur les misères de ce monde, et malgré le profond néant de cette vie, il faut pourtant songer à ses petites affaires »27 ! Entremêlant ses propos sur la catastrophe à ses préoccupations sur l¶interprétation de son théâtre et l¶édition de L¶Orphelin de la Chine, il confie à d¶Argental28 que « l¶Europe est dans la consternation du jugement dernier arrivé dans le Portugal » et qu¶il « n¶ose plus se plaindre de [ses] coliques depuis cet accident ». Ce même 1er décembre, à Palissot de Montenoy29, il parle de « vingt villes » ayant péri, évoque de nouveau le « jugement dernier » quoiqu¶il n¶y manquât « que la trompette ». Il souligne enfin que l¶Angleterre sera la bénéficiaire de l¶événement : les Anglais « vendront chèrement tout ce qui sera nécessaire pour le rétablissement du Portugal ». Le Parlement anglais avait voté une somme de cent mille livres pour secourir le pays sinistré, somme que Voltaire voit davantage comme un investissement que comme un pur geste de solidarité. Le même jour à Pierre Pictet30, en un raccourci saisissant, Voltaire résume sa vision de la situation : « oui les Anglais prennent tout, la France souffre tout, les
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À Tronchin, 26 novembre 1755. Best. 4266, p. 620. À Élie Bertrand, 28 novembre 1755. Best. 4267, p. 620-621. À Élie Bertrand, 30 novembre 1755, Best. 4269, p. 622-623. À Gabriel Cramer, novembre-décembre 1755, Best. 4270, p. 623. ¬G¶$UJHQWDOer décembre 1755, Best. 4271, p. 623-624. À Palissot de Montenoy, 1er décembre 1755, Best. 4272, p. 624-625. À Pictet, 1er décembre 1755, Best. 4273, p. 625.
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volcans engloutissent tout. Beaumont31 qui a échappé mande qu¶il ne reste pas une maison dans Lisbonne. Le Portugal n¶est plus. Tout est abîmé. C¶est là l¶optimisme ». À Sébastien Dupont, il écrit que « le tout est bien et l¶optimisme en ont dans l¶aile », ne se risquant sans doute pas à écrire ce libre propos que rapporte, le 8 mars 1756, du Pan aux époux Freudenreich : « Je n¶ai pas vu [les] vers [de Voltaire] sur Lisbonne, mais je sais qu¶après la ruine de cette ville, le professeur Vernet32 étant allé à Saint-Jean, Voltaire lui dit : µEh bien, M. le Professeur, de cette affaire, la Providence en a dans le cul¶ »33. Les propos sur le tremblement de terre se poursuivent tout au long de décembre 1755. On notera que, peu à peu, les dimensions réelles de la catastrophe sont mieux connues, ce qui entraîne ce commentaire de Voltaire : « on dit que la moitié de cette ville est encore sur pied. On commence toujours par faire le mal ou le bien plus grand qu¶il n¶est »34. On ne suit pas, à travers la correspondance, le détail de l¶élaboration de la toute première version du Poème. En effet, Voltaire se contente d¶annoncer, d¶abord à d¶Argental, qu¶il envoie « des vers tragiques qui ne sont pas d¶une tragédie, mais [qui] pourront exercer [sa] philosophie, et celle de [sa] société »35, puis à Thieriot qu¶il a fait « un sermon » sur Lisbonne36. La première version du Poème est donc vraisemblablement écrite dans la première quinzaine de décembre 1755, en même temps que l¶article « Fornication » pour l¶Encyclopédie, à l¶égard duquel Voltaire s¶estime « d¶autant plus en droit d¶approfondir cette matière, [qu¶il y est] malheureusement très désintéressé »37. La coexistence du grave et du léger se maintient tout au long de l¶élaboration du « sermon ». Le 2 janvier 1756, l¶auteur de Candide s¶interroge sur l¶opportunité que le Poème « soit communiqué »38. Son existence est connue et la réaction de Voltaire, comme à l¶accoutumée, est, par prudence, de renier l¶°XYUH VRLW HQ LQYRTXDQW VD défiguration par des malintentionnés, soit en en déniant purement et simplement la paternité : « les vers qu¶on a la sottise de m¶attribuer sur le désastre de Lisbonne, ne sont certainement pas de moi. Si j¶en faisais, ils seraient respectueux pour la divinité et pleins de sensibilité pour les malheurs des hommes. Il n¶y a que de jeunes fous qui puissent penser autrement »39. Dans cette intéressante confession, toute en ironie antiphrastique, Voltaire confie deux choses : qu¶il considère son poème comme manquant de respect pour la divinité, d¶une part, comme d¶un 31 Étienne Bouthillier de Beaumont, juriste genevois, était à Lisbonne pour affaires. Sa lettre du 11 novembre fut lue au Conseil de Genève lHGpFHPEUHHWO¶RQHQFRQQDvWODWHQHXUSDUXQH lettre que du Pan écrivit le même jour aux époux Freudenreich. Beaumont relate le tremblement de terre de manière circonstanciée (Voltaire, Correspondance, tome IV, p. 1397-1398). 32 Jean-Jacob Vernet (1698- SURIHVVHXUG¶KLVWRLUHHWWKpRORJLHQVXLVVH 33 Correspondance, note 1, p. 1427 à Best. 4390. 34 À François-Louis Allamand, 16 décembre 1755, Best. 4288, p. 636. 35 ¬G¶$UJHQWDOdécembre 1755, Best. 4296, p. 643. 36 À Thieriot, vers le 20 décembre 1755, Best. 4297, p. 644. 37 ¬G¶$OHPEHUW, 9 décembre 1755, Best. 4282, p. 632. 38 À Thieriot, 2 janvier 1756, Best. 4322, p. 662. 39 À François de Chennevières, 1er février 1756, Best. 4349, p. 682.
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pessimisme interdisant toute sensiblerie, d¶autre part. Il s¶agit bien entendu de la première version : la seconde comblera dans une certaine mesure ces deux carences. Quelques jours plus tard, Voltaire confie à Élie Bertrand, qui vient d¶écrire un authentique sermon sur le tremblement de terre, que son « sermon en vers ne vaut pas [celui de Bertrand] en prose ; et [qu¶il] ne le croi[t] pas fait pour l¶impression »40. Ce même 10 février, il informe la duchesse de Saxe-Gotha qu¶il a « fort augmenté son sermon mais [a] peur d¶y avoir fourré quelque hérésie [et que] plus [il] réfléchi[t] sur le mal qui inonde la terre, et plus [il] retombe dans [sa] triste ignorance »41. C¶est faire allusion à la seconde version, à son pessimisme légèrement tempéré et à sa conclusion fidéiste. Reste que Voltaire estime avoir conservé la considération du mal radical, donc le rejet, à la Kant, de toute théodicée passée, présente et future. Son inquiétude ± très habituelle ± à propos de l¶orthodoxie de l¶ouvrage s¶exprime pleinement lorsqu¶il demande à d¶Argental de lui livrer ses impressions de lecture : « si ceci n¶est pas une tragédie, ce sont au moins des vers tragiques. Je vous demande en grâce de me mander s¶ils sont orthodoxes. Je les crois tels ; mais j¶ai peur d¶être un mauvais WKpRORJLHQ>«@-HYRXVGHPDQGHHQJUkFHG¶éplucher mon prêche. Le tout est bien me paraît 42 ridicule, quand le mal est sur terre et sur mer » .
À noter que le dogme de l¶optimisme est qualifié de « ridicule », à savoir méprisable et dont il y a lieu de rire, si l¶on peut. Mais il y a plus : Voltaire, en mêlant l¶état de ses intestins aux considérations sur l¶optimisme, semble prendre un malin plaisir à choquer le pieux Élie Bertrand : « J¶avais, mon cher philosophe, un redoublement de colique quand j¶ai reçu votre lettre. Ma consolation est donc que je n¶aurai pas la colique dans l¶autre monde. Vraiment je l¶espère bien, et j¶en dis un petit mot dans mon sermon ». Le véritable sujet, la proposition « tout est bien » est alors qualifié ± comme dans le sous-titre du Poème publié ± d¶axiome, mais aussitôt « ou plutôt » de plaisanterie. Si tout est bien, poursuit Voltaire, il n¶y a plus ni chute ni rédemption, « mais au contraire s¶il y a du mal dans le monde, FH PDO LQGLTXH OD FRUUXSWLRQ SDVVpH HW OD UpSDUDWLRQ j YHQLU >«@ 9RXV PH GLUH] >«@TXHMHODLVVHOHOHFWHXUGDQVODWULVWHVVHHWGDQVOHGRXWH(KELHQ ! il n¶y a qu¶à ajouter le mot d¶espérer à celui d¶adorer »43. C¶est bien la modification essentielle qui distingue la seconde version du Poème de la première. Aux frères Cramer, après avoir soutenu que les Musulmans ont raison de nous traiter de chiens « car les théologiens de toutes les sectes ont fort aboyé », il souhaite de pouvoir empêcher que le Poème se répande dans Genève44. Quelques jours plus tard, Voltaire évoque la « jérémiade sur Lisbonne », ajoutant que le Poème est raisonné et qu¶il le croit « très raisonnable ». Il précise immédiatement sa pensée : « je suis
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À Élie Bertrand, 10 février 1756, Best. 4360, p. 690. À la duchesse de Saxe-Gotha, 10 février 1756, Best. 4361, p. 691. ¬G¶$UJHQWDOIpYULHU%HVWS À Élie Bertrand, 18 février 1756, Best. 4370, p. 698. Aux frères Cramer, 25 février 1756, Best. 4377, p. 702-703.
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fâché d¶attaquer mon ami Pope mais c¶est en l¶admirant. Je n¶ai peur que d¶être trop orthodoxe, parce que cela ne me sied pas. Mais la résignation à l¶Être suprême sied toujours bien »45. Aveu d¶insincérité ? Embarras devant une position religieuse nécessaire et intenable ? Nostalgie d¶une foi profonde et dégagée de tout dogme ? À propos de la catastrophe de Lisbonne, la question de la religion de Voltaire demeure ouverte46. 3. Le Poème sur le désastre de Lisbonne Vraisemblablement composé peu après la catastrophe, le Poème sur le désastre de Lisbonne est une réaction « à chaud » à l¶événement, une forme de « journalisme poétique ». Cela expliquerait et justifierait les interprétations qui voient dans le style de l¶°XYUHXQHPDQLIHVtation de la vive émotion ressentie par l¶auteur. Dans sa version définitive, le Poème est publié en mars 1756. On en connaît une première version non publiée, intitulée Poème sur la destruction de Lisbonne, évocateur, non de la catastrophe mais de son lamentable résultat. Ce premier jet montre sans ambiguïté que, à partir du 1er novembre 1755, les hésitations de Voltaire à l¶égard de la doctrine de l¶optimisme font place à son rejet. L¶auteur de Candide ne se range cependant pas sous la bannière de l¶humanisme sacrifiant la religiosité au pragmatisme sans Dieu, mais adopte, dans cette première version, une vision radicalement pessimiste qu¶il adoucira dans la version publiée47. Le Poème développe une attaque contre la providence. Entre la compassion pour la souffrance humaine et une mise en accusation de l¶action divine qui pourrait virer à l¶athéisme, le poème maintient une ambiguïté. Le sous-titre du Poème : « ou examen de cet axiome : Tout est bien » traite explicitement d¶une proposition exposée par le poète catholique anglais Alexander Pope (1688-1744). Le poème philosophique de ce dernier48 se compose de quatre épîtres adressées à un ami. La première, leibnizienne, est consacrée à la place de l¶homme dans l¶univers, la deuxième à l¶homme comme individu, la troisième à l¶homme en société et la quatrième au bonheur de l¶homme. La proposition incriminée se trouve à la fin de la première épître49 : « C¶est un art qui se cache à l¶humaine ignorance ; Ce qui paraît hasard est l¶effet d¶un dessein, Qui dérobe à tes yeux son principe et sa fin. 45 ¬G¶$UJHQWDOPDUV%HVWS 46 Voir René Pomeau, La religion de Voltaire, Paris, 1994, III, 2, p. 287-291. 47 Deux lettres aux frères Cramer ± vers le 10 mars 1756, Best. 4399, p. 717 et 14 mars 1756, Best. 4403, p. 720 ± proposent des variantes que je reproduis en annexe. 48 Alexander Pope, An Essay on Man, Londres, 1734. 49 (VVDLVXUO¶+RPPH, SRqPHSKLORVRSKLTXHG¶$OH[DQGHU3RSH [Trad. Abbé du Resnel], Strasbourg, 1772, p. 225, vers 426-434. [« All Nature is but Art unknown to thee; / All chance direction, which thou canst not see; / All discord, harmony not understood; / All partial evil, XQLYHUVDOJRRG$QGVSLWHRI3ULGHLQHUULQJ5HDVRQ¶VVSLWH2QHWUXWKLVFOHDUWhatever is, is right. »]
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J.-M. Rohrbasser Ce qui dans l¶Univers te révolte et te blesse, Forme un parfait accord qui passe ta sagesse : Tout désordre apparent est un ordre réel ; Tout mal particulier un bien universel ; Ainsi malgré tes sens, malgré leur imposture, Conclus que tout est bien dans toute la Nature ».
Comme à l¶accoutumée, la traduction est assez éloignée de l¶original. La proposition « One truth is clear, Whatever is, is right » devrait plutôt se traduire « Une vérité est claire : quoi que ce soit qui est est comme cela doit être »50, anticipation lointaine du « ce qui est rationnel est réel et ce qui est réel est rationnel » de Hegel51. Il n¶en demeure pas moins que c¶est le « Tout est bien » ± « tout est comme il faut que ce soit » ± qui est demeuré. On notera d¶ores et déjà que l¶accent est mis sur l¶ordre de la nature. La discussion porte sur la compatibilité problématique de cet ordre ± providentiel s¶il est le fait de Dieu ± avec la catastrophe de Lisbonne, c¶est-à-dire avec la présence du mal sur terre. Voltaire parle d¶un « axiome », c¶est-à-dire d¶une « vérité indémontrable mais évidente pour quiconque en comprend le sens (principe premier), et considérée comme universelle ». Un axiome ne se démontre pas mais on peut en choisir un autre pour fonder une théorie ou une philosophie. C¶est à quoi Voltaire s¶emploie dans son Poème, mais sans combattre « l¶illustre Pope ». Il déclare en effet penser comme le poète anglais « sur presque tous les points ». Mais il se dit « pénétré des malheurs des hommes » et « s¶élève contre les abus qu¶on peut faire de cet ancien axiome Tout est bien. Il adopte cette triste et plus ancienne vérité, reconnue de tous les hommes, qu¶il y a du mal sur la terre ; il avoue que le mot Tout est bien, pris dans un sens absolu et sans l¶espérance d¶un avenir, n¶est 52 qu¶une insulte aux douleurs de notre vie » .
L¶axiome se décompose en trois propositions dont Voltaire montre l¶incompatibilité, à savoir qu¶elles ne peuvent être vraies toutes les trois en même temps : 1. Dieu est amour et infiniment bon ; 2. Dieu est tout-puissant ; 3. La catastrophe de Lisbonne (le mal et la souffrance) est possible.
50 Voltaire est parfaitement conscient de cette traduction possible (« Bien, Tout est bien », Dictionnaire philosophique, dans ¯XYUHVFRPSOqWHVGH9ROWDLUH, Paris, 1817, Tome VII, p. 496) : « tout est bien ne veut dire autre chose, sinon que le tout est dirigé par des lois immuables ; qui ne le sait pas ? » Suit une exposition, sur un mode ironique qui frise le burlesque, du cycle naturel et de sa finalité, selon Voltaire étrangère à toute considération morale. 51 Gottfried Wilhelm Friedrich Hegel, Grundlinien der Philosophie des Rechts, Berlin, 1821, p. 11 : « Was vernünftig ist, das ist wirklich; und was wirklich ist, das ist vernünftig ». Principes de la philosophie du droit [Trad. A. Kaan], Paris, 1940, Préface, p. 41. 52 Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne ou Examen de cet axiome : « Tout est bien ». Dans Voltaire, Mélanges, Paris, 1961. Préface, p. 302. Le Poème figure aux p. 304-309.
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Le texte définitif du Poème est délicatement stratégique : Voltaire y exprime ses plaintes à l¶égard de la providence sans jamais donner prise à l¶accusation de matérialisme ou d¶athéisme. Mais il se révèle être aussi son propre contradicteur et dévoile, ce faisant, les contradictions internes du déisme. La logique de l¶antioptimisme est telle que Voltaire, pour ne pas rejeter l¶idée de Dieu, est nécessairement conduit à supposer l¶immortalité de l¶âme et même à justifier Dieu en évoquant la culpabilité humaine, alors que le déiste rejette le péché originel et la nécessité de la rédemption christique. Le Poème est tout à la fois hypocrite et sincère : une véritable dénégation telle que la définit Freud 53, le refoulé étant en l¶occurrence le christianisme orthodoxe. L¶ouverture du Poème se caractérise par une vague de plaintes adressées à Dieu, alternée avec une autre vague d¶attaques contre l¶optimisme (vers 1-28). L¶attaque contre Dieu et la providence est, pour ainsi dire, détournée vers l¶optimisme, pris à partie pour deux raisons : la doctrine nie la réalité du mal, d¶une part, et elle insulte au malheur des hommes, d¶autre part. Mais la providence demeure préservée : chaque critique de l¶optimisme se clôt par le retour à la foi en un dieu, simultanément accusé et adoré (vers 29-41). La plainte et la critique peuvent même déboucher sur la prière (vers 87-90), ou sur une tentative d¶intervention anthropocentrique d¶un Dieu clément (vers 49-52). Mais comment justifier Dieu après avoir peint avec réalisme les conséquences de la catastrophe ? Comment ne pas disqualifier la thèse d¶un Dieu bon ? Voltaire accuse les optimistes eux-mêmes de défendre l¶idée d¶une culpabilité humaine (vers 17-20). L¶existence du mal s¶avère un problème insoluble (vers 75-79), et, pour ne pas nier Dieu, le mal doit demeurer un mystère (vers 126-127). Tout en en critiquant les carences, il convient de se soumettre à la providence (vers 56-58 et vers 222-228). Après en avoir exposé le détail à partir du vers 81, Voltaire fait la liste des explications possibles du mal (vers 149-160), en y rajoutant par le truchement de la note au vers 155, l¶hypothèse des « deux principes », c¶est-à-dire du manichéisme. La deuxième et la troisième hypothèses correspondent à l¶optimisme et à une forme de théodicée. La première et la quatrième hypothèses appartiennent davantage au christianisme traditionnel ; Voltaire distingue la doctrine du péché, à laquelle il s¶est toujours opposé, de celle de l¶immortalité 53 Sigmund Freud, « Die Verneinung », Imago, Bd XI, Heft 3, 1925, p. 217 et p. 218 : « Sie werden jetzt denken, ich will etwas Beleidigendes sagen, aber ich habe wirklich nicht diese Absicht." Wir verstehen, das ist die Abweisung eines eben auftauchenden Einfalles [...] Ein verdrängter Vorstellungs- oder Gedankeninhalt kann also zum Bewußtsein durchdringen, unWHU GHU%HGLQJXQJ GDȕ HU VLFK YHUQHLQHQ OlȕW 'LH 9HUQHLQXQJ LVW HLQH $UW GDV 9HUGUlQJWH zur Kenntnis zu nehmen, eigentlich schon eine Aufhebung der Verdrängung, aber freilich keine Annahme des Verdrängten » [« Vous allez penser maintenant que je veux dire quelque FKRVHG¶RIIHQVDQWPDLVMHQ¶DLUpHOOHPHQWSDVFHWWHLQWHQWLRQ. 1RXVFRPSUHQRQVTXHF¶HVWOH UHIXVG¶XQHLGpHTXLYLHQWG¶pPHUJHU>«@8QFRQWHQXGHUHSUpVHQWDWLRQRXGHSHQVpHUHIRXOp SHXW GRQF VH IUD\HU XQ SDVVDJH MXVTX¶j OD FRQVFLHQFH j FRQGLWLRQ TX¶LO VH ODLVVH GpQLHU /D GpQpJDWLRQHVWXQHIDoRQGHSUHQGUHFRQQDLVVDQFHGXUHIRXOpF¶HVWGpMjjSURSUHPHQWSDUOHU XQHOHYpHGXUHIRXOHPHQWPDLVFHQ¶HVWDVVXUpPHQWSDVXQHDFFHSWDWLRQGXUHIRXOp » (ma traduction).
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dont il doute mais qui représente la seule espérance : elle assure au chrétien une compensation des maux présents dans un autre monde infiniment juste, non plus seulement optimalement juste. L¶athéisme est absent en tant qu¶hypothèse, seulement évoqué au moment où Voltaire se range sous la bannière du fidéisme sceptique baylien (vers 190-196). Ce fidéisme ne fait cependant pas la conclusion du Poème. Les vers 197 à 217 évoquent l¶homme confessant misère, foi et ignorance. Voltaire retrouve l¶attitude pascalienne tragique de la misérable condition humaine face à un Dieu caché. La fin du Poème (vers 218-234), entièrement rajoutée dans la version publiée, témoigne, à travers les variantes, d¶un adoucissement de la tonalité pessimiste, voire désespérée, de la première version. Ainsi, la réaction de Voltaire ne se situe pas en dehors de la philosophie ou de la théologie mais s¶intègre dans le débat qui avait opposé Bayle à Leibniz sur la justification de l¶action divine. L¶exigence de bonheur individuel, certes forte chez Voltaire, n¶est pas laïcisée : le malheur humain, dans le Poème, est un fait qui menace d¶ébranler la foi et fait vaciller l¶édifice optimiste qui tentait de justifier Dieu par la raison. L¶°XYUHRSSRVHOHILGpLVPHjO¶optimisme : il ne s¶agit pas de rendre compte de l¶existence du mal mais de résoudre le problème du mal sans verser dans l¶athéisme, la solution demeurant paradoxale puisqu¶elle consiste à rejeter toute explication et à se retrancher dans le silence. Dans Candide, cette « solution » apparaîtra avec davantage encore de clarté. Mais le fidéisme voltairien n¶est pas tout à fait identique à celui de Bayle. Ce dernier s¶opposait à l¶optimisme au nom des contradictions logiques de la doctrine, notamment en ce qui concerne la liberté ; Voltaire rejette la doctrine parce qu¶elle ne prend pas assez en compte les exigences anthropocentriques, en particulier morales, de l¶individu. Voltaire, tout comme Kant, se rapproche davantage des textes bibliques, en l¶occurrence de la parabole de Job. Par ailleurs, la foi de Voltaire revient à admettre l¶existence de Dieu malgré tout ce qui vient la contredire, et à soumettre sa raison au silence sans lui intimer l¶ordre de croire à quelque mythe ou quelque dogme que ce soit. Un texte tient cependant lieu, chez Voltaire, de révélation, ce sont les Principia de Newton dont le Scholie général pose que la Nature est ordonnée par la présence infuse de Dieu qui en régit les lois54. Voltaire croit en cet ordre, malheureusement démenti par la catastrophe de Lisbonne. La contradiction, « Q°XGIDWDO », est exposée dans le Poème aux vers 69-79, où le vers 75 réaffirme la liberté de Dieu, vers accompagné d¶une copieuse note ou Voltaire défend l¶idée que certains événements demeurent étrangers au système général de l¶enchaînement de la cause et de l¶effet. Dieu aurait donc pu éviter la catastrophe de Lisbonne sans affecter le cours général de la nature, mais, insoluble 54 QuoLTX¶LO Q¶HQ SDUOH SDV GLUHFWHPHQW 1HZWRQ, dans ses notes sur les textes prophétiques, développe une interprétation des paroles des prophètes qui voit dans les phénomènes naturels O¶DQQRQFH ILJXUpHG¶pYpQHPHQWVSROLWLTXHV 1HZWRQ soutient la distinction classique entre la FDXVH SUHPLqUH HW OHV FDXVHV VHFRQGHV OH VFLHQWLILTXH QH GHYDQW V¶LQWpUHVVHU TX¶j FHOOHV-ci, tandis que celle-OjUHVWHO¶REMHWGXWKpRORJLHQ
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contradiction, il ne l¶a pas fait et c¶est reposer la question de la liberté de Dieu. À la fin de la note, Voltaire en revient au fatalisme : Dieu, « maître des destins », retrouve une liberté et une toute-puissance qui condamne la providence (indifférence divine aux conséquences de la catastrophe) et réduit l¶homme à n¶être qu¶un instrument de cette toute-puissante volonté. Ainsi, les trois propositions qui composent l¶axiome « Tout est bien » (cf. ci-dessus : 1. Dieu est amour et infiniment bon ; 2. Dieu est tout-puissant ; 3. La catastrophe de Lisbonne (le mal et la souffrance) est possible) ne peuvent être vraies en même temps. La réaction de Rousseau, pour prendre cet exemple célèbre, montre que l¶attaque contre la providence porte, et que le lecteur n¶est pas dupe de l¶intention voltairienne de dénoncer le providentialisme. L¶auteur de l¶Émile parvient, dans un sorite à la Wolff, à concilier les propositions inconciliables. Selon lui, les questions philosophiques que pose la catastrophe « se rapportent toutes à celle de l¶existence de Dieu ». Son raisonnement déroule une série de propositions conditionnelles : « si Dieu existe, il est parfait ; s¶il est parfait, il est sage, puissant et juste ; s¶il est sage et puissant, tout est bien ; s¶il est juste et puissant, mon âme est immortelle ; si mon âme est immortelle, trente ans de vie ne sont rien pour moi et sont peut-être nécessaires au maintien de l¶univers ».
Rousseau soutient que, une fois la première proposition accordée, « jamais on n¶ébranlera les suivantes ». En réalité, l¶autre clé de voûte du raisonnement est la proposition sur la durée de vie. Rousseau s¶en explique ainsi : « pour qui sent son existence, il vaut mieux exister que ne pas exister. Mais il faut appliquer cette règle à la durée totale de chaque être sensible, et non à quelques instants particuliers de sa durée, tels que la vie humaine ; ce qui montre combien la question de la Providence tient à 55 celle de l¶immortalité de l¶âme » .
4. La philosophie de Voltaire Au premier abord, la réaction voltairienne semble univoque : l¶auteur de Candide exprime un sentiment d¶humanité. La catastrophe le conduit à rejeter l¶optimisme auquel il avait adhéré, cette doctrine apparaissant comme une insulte à la misère humaine. Dès lors, affirmer que la thèse du meilleur des mondes possibles désespère au lieu de consoler, c¶est évaluer l¶optimisme du point de vue de l¶individu et faire prévaloir la souffrance individuelle sur un douteux bien commun. L¶impact individuel prévaut sur le phénomène de masse et l¶on pourrait comparer ce débat à celui qui se déroule autour de l¶inoculation de la petite vérole. Voltaire ne s¶oppose pas à la logique de l¶optimisme mais rejette la valeur même de la doctrine, substituant une philosophie des valeurs à une philosophie de
55 Jean-Jacques Rousseau, « Lettre de J. J. Rousseau à M. de Voltaire. Le 18 août 1756 ». ¯XYUHVFRPSOqWHV, Tome IV, Paris, 1969, p. 1069-1070.
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J.-M. Rohrbasser
l¶être. Cette philosophie ne se vulgarise véritablement qu¶après la Seconde Guerre mondiale avec l¶absurde d¶Albert Camus et le tragique de Clément Rosset. Cependant, lorsque, dans Candide, Voltaire se moque de Pangloss et de la métaphysique leibnizienne tout comme de la systématique wolffienne, il ne s¶engage pas pour l¶humanité, il pose, au nom d¶une évaluation des valeurs étrangère à ces métaphysiques, un problème théologique qu¶il estime tout autant métaphysique que les dogmatiques sur lesquelles il ironise. Pour Voltaire, la véritable catastrophe est dans l¶incapacité à trouver après elle une théodicée qui vaille56. C¶est cette dimension tragique qui paraît dans le Poème avec la mise en question de la providence, puis la révolte, l¶acceptation, enfin la résignation. La fin du Poème est l¶équivalent de la position enseignée par la parabole de Job. On rappelle que c¶est également à Job et à la foi que reconduit le Kant de L¶insuccès57. Faisant allusion à deux de ses tragédies, Voltaire proclame que la catastrophe de Lisbonne « est assurément plus tragique que les Orphelin et les Mérope »58. Mais Voltaire n¶a pas inséré son poème dans le cadre aristotélicien de la fatalité antique, terreur et pitié : déjà accusé d¶impiété, il devenait encore plus difficile, en adoptant ce cadre, de s¶en défendre. L¶auteur de Candide met en avant la lutte du bien et du mal. En poétique, la catastrophe est « le changement ou la révolution qui arrive à la fin de l¶action d¶un poème dramatique et qui la termine », et la question est de savoir si ce changement brusque doit ou non tourner à l¶avantage de la vertu59. Or, selon Voltaire, il y a trois leçons morales possibles à tirer de la catastrophe : 1. l¶humanité est pécheresse (chrétiens orthodoxes) ; 2. Dieu est coupable (athées) ; 3. les hommes sont innocents et la bonté de Dieu, toute secrète, n¶en est pas moins réelle (optimistes leibnizo-wolffiens). 1 et 3 sont des arguments en faveur d¶une théodicée. Voltaire, tout révolté qu¶il soit contre la providence, ne peut que discuter 2, argument à la fois pertinent dans le cadre de la catastrophe mais incompatible avec la foi. D¶où l¶ambiguïté du Poème attaquant l¶RSWLPLVPH HW QRQ GLUHFWHPHQW OD SURYLGHQFH °XYUH G¶un homme à la fois révolté par une catastrophe qui fait de Dieu un bien étrange dramaturge, et conservant nonobstant sa foi en ce Dieu, si l¶on peut dire, comme nécessaire metteur en scène. 56 4XHVWLRQ DQDORJXH WRXWHV SURSRUWLRQV JDUGpHV TXDQW DX QRPEUH GHV YLFWLPHV j FHOOH G¶XQH théodicée possible après les génocides perpétrés notamment au XXe siècle. 57 Immanuel Kant, Über das Misslingen... (1791). Trad. A.-J.-L. Delamarre, « 6XUO¶LQVXFFqVGH toutes les tentatives philosophiques en matière de théodicée », in : Oeuvres philosophiques, Tome II, Paris, 1985, p. 1405-1408. 58 ¬G¶$UJHQWDOer décembre 1755, Best. 4271, p. 624. 59 « Catastrophe ª SDU O¶DEEp 0DOOHW). Encyclopédie, II, p. 772-773 (1751). Voir aussi JeanFrançois Marmontel, Éléments de littérature [1787], Paris, 1892, Tome I, p. 250-252.
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Ainsi Voltaire entreprend à sa manière de sauver Dieu sans pour autant le justifier. En concluant le Poème sur l¶immortalité de l¶âme, Voltaire exprime l¶une des dernières hypothèses qui peuvent encore donner l¶espérance d¶avoir affaire à autre chose qu¶à un monde amoral, voire absurde60, où un Dieu indifférent ne répond plus à la prière humaine. La philosophie tragique postQLHW]VFKpHQQHWUDQFKHUDOHQ°XGYLDO¶athéisme.
60 Dupuy LQVLVWHVXUODYLVLRQDEVXUGHGHO¶H[LVWHQFHTXH9ROWDLUH met en avant, plus dans Candide que dans le Poème : « 9ROWDLUH TXL Q¶pWDLW SDV Pptaphysicien, comprit ceci, qui avait échappé à Leibniz. Soit une trajectoire humaine, chacun des pas qui la constituent obéit au SULQFLSHGHUDLVRQVXIILVDQWHPDLVLOQ¶HQUpVXOWHSDVSRXUDXWDQWTXHODWUDMHFWRLUHHOOH-même, intégration de ses divers moments, fasse sens, puisse être ordonnée selon des raisons. Les histoires rapportées dans Candide sont des chefs-G¶°XYUH GH O¶DEVXUGH OHXUV SURWDJRQLVWHV QH VHPEOHQWSDVDJLUDYHFSOXVGHUDLVRQTXHODYDJXHPHXUWULqUHHWSRXUWDQWO¶on vérifiera que FKDFXQHGHVpWDSHVV¶H[SOLTXHFDXVDOHPHQW » (Petite métaphysique des tsunamis, p. 51).
III. L¶APPROCHE KANTIENNE
DU MAL MÉTAPHYSIQUE AU MAL RADICAL : LEIBNIZ, KANT, ET LA FIN DES THÉODICÉES par Elhanan Yakira (Jérusalem)
Comme l¶atteste l¶idée même d¶organiser à Strasbourg un colloque consacré à l¶idée de théodicée de Leibniz à Kant, comme le montrent sans doute plusieurs des interventions données à ce colloque, on assiste aujourd¶hui, et depuis quelques années déjà, à un regain d¶intérêt philosophique pour la question du mal ; dans ce contexte, en effet, la question des rapports entre la pensée de Kant et celle de Leibniz sur la question du mal et sur la possibilité même d¶une théodicée, est décisive. Me plaçant d¶emblée sur le plan de la question générale du mal, m¶interrogeant sur son sens et sur son historicité, je voudrais, dans ce qui suit, suggérer que le sens profond de la théodicée leibnizienne, le moteur interne et intime du leibnizianisme, a été perdu, en tant que motivation philosophique authentique, pour Kant. Les travaux érudits, souvent remarquables, ont montré quelles étaient les modalités de ce passage de Leibniz à Kant, et ils vont sans doute nous apporter encore des renseignements précieux sur les sources, les influences ou débats qui y ont joué un rôle. M¶appuyant sur ces études, assumant leurs résultats ± nonobstant les inévitables divergences ± comme plus ou moins acquis, je m¶assigne donc la tâche qu¶on pourrait qualifier de « métaphilosophique » ou, si l¶on veut, d¶herméneutique : quel est le sens, s¶il y en a un, de ce qui se passe dans le passage de Leibniz à Kant. Qu¶il y ait une continuité ± influences, intermédiaires, terminologie commune, critique, etc. ± entre Leibniz et Kant est incontestable. Qu¶il y ait une divergence profonde entre les conceptions respectives de Leibniz et de Kant sur le mal et sur la pertinence ou la possibilité même d¶une théodicée est évidente aussi. Le temps qui sépare Leibniz et Kant, dira-t-on, n¶est, au fond, que le temps de ce qu¶on appelle la « sécularisation », de l¶avènement des « Lumières », du tournant décisif vers la question du sujet humain comme le véritable, sinon le seul, objet du savoir philosophique. C¶est ainsi que Kant lui-même le dit, par exemple dans la première phrase de son Anthropologie : « Tous les progrès dans la culture, par lesquels l¶homme fait son éducation, ont pour but d¶appliquer connaissance et aptitude ainsi acquises à l¶usage du monde ; mais en ce monde,
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E. Yakira l¶objet le plus important auquel il puisse en faire l¶application, c¶est l¶homme : car il est à lui1 même sa fin dernière » .
Pourtant, dans ce mouvement historique de sécularisation, il y aurait un « moment leibnizien ». Ce terme de « moment » a gagné récemment une place d¶honneur dans le vocabulaire des historiens. On a parlé ainsi d¶un moment vénitien, hollandais, newtonien même. Trop de « moments » peut-être. Je voudrais néanmoins défendre ± j¶ai d¶ailleurs eu l¶occasion d¶en parler une ou deux fois déjà ± l¶idée d¶un « moment leibnizien ». Parler de « moments » veut dire, tout d¶abord et surtout, que dans ce mouvement continuel de l¶histoire, y compris de l¶histoire de la pensée, il y a sinon des coupures, du moins des spécificités. Il existe, autrement dit, des phénomènes dont on ne parvient pas à comprendre le sens historique par la voie de la réduction : ils ne sont réductibles ni à ce qui les précède ni à ce qui les suit. L¶entreprise leibnizienne constituerait un tel phénomène. La question du mal et, plus généralement, le projet de « théodicée », ou de plaider la cause de Dieu, ne serait donc qu¶un aspect spécifique et concret de ce moment leibnizien. La thèse principale, dans ce contexte, est qu¶entre Leibniz et Kant le sens de la question du mal aurait changé radicalement. Pour le dire de manière simple, sinon simpliste : ce ne pas que Kant ait eu d¶autres idées que Leibniz sur le mal ; se référant constamment, explicitement ou implicitement, à Leibniz et à sa théodicée, il pose en fait une autre question que celle que celui-ci avait posée. Comme pour d¶autres questions, il faut historiciser la question du mal. Il ne s¶agit pas d¶un objet stable de la pensée, dont il faudrait simplement déchiffrer les différentes réponses ou reconstruire les différentes interprétations ; il faut en voir les enjeux, souvent cachés, prendre un peu de recul par rapport aux textes, contextualiser les propos des parties concernées, les critiques et les débats. Pour les philosophes et surtout pour les philosophes de l¶histoire, « moment » signifie passablement autre chose que pour les historiens. Ce mot s¶associe désormais à cette autre notion de la philosophie moderne, la « dialectique ». Dans la mesure où celle-ci réfère, d¶une façon très générale et sans souscrire à une position théorique précise sur sa signification, au fait qu¶il y a, d¶abord, une continuité historique, mais que celle-ci se fait sous des formes complexes et non linéaires, mon intention ici est de mettre en lumière plutôt l¶aspect de « négation », dans le passage de la problématique leibnizienne du mal à ce que Kant appelle par le même mot. Je voudrais parler, autrement dit, de ce qui se perd chez Kant. Cette perte, ou cet « oubli », n¶est qu¶un aspect ± significatif et symptomatique ± d¶une perte beaucoup plus générale et lourde de conséquences : celle de la théodicée comme projet philosophique valable et vivant. Le célèbre texte de Kant intitulé Sur l¶insuccès de tous les essais philosophiques de
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Anthropologie du point de vue pragmatique, traduit et préfacé par Michel Foucault, Paris, Vrin, 1964 ; réédition 2002, p. 15.
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théodicée2, se présente comme une simple réfutation des arguments philosophiques principaux qui prétendent plaider ± comme, évidemment, Leibniz prétend le faire ± la cause de Dieu ou, comme Kant le dit au commencement de ce petit essai, défendre « la très haute sagesse du Créateur contre les reproches que la raison lui adresse au sujet des malfaçons du monde »3. Peut-on vraiment décrire DLQVLO¶RXYUDJHgrand et compliqué, que Leibniz avait intitulé par ce terme dont il HVW O¶LQYHQWHXU ? Ou bien ± et c¶est ainsi qu¶il faut poser la question ± ce grand projet philosophique de théodicée, ne consiste-t-il vraiment qu¶en une tentative de formuler quelques arguments pour prouver que la « sagesse divine » peut être conciliée avec le constat que le monde contient du mal ? Je dis : « le grand projet de théodicée ». Le livre de Leibniz peut être décrit, en effet, comme une petite encyclopédie des arguments donnés pendant une très longue période et dans le cadre d¶une tradition qui remonte aux temps bibliques d¶une part, à la Grèce classique d¶autre part, pour répondre à ce que l¶on ne peut pas voir autrement que comme un scandale : ʥʬʡʥʨʥʲʹʸ ʥʬʲʸʥʷʩʣʶ comme dit le célèbre verset talmudique. « Les justes sont malheureux, les méchants sont heureux » serait une traduction française plus ou moins valable. Il est sans doute significatif que Kant, dans une note, dit que « >«@ FH Q¶est point parce que les bons sont malheureux, c¶est parce que les méchants ne le sont pas » que nous nous plaignons de l¶injustice qui domine dans le monde. Toute la différence est déjà là : que les bons soient malheureux ne constitue pas un scandale aux yeux du sage de Königsberg. La raison de cette indifférence, semble-t-il, est claire : on ne fait pas le devoir moral pour en être récompensé. Les malheurs qui affligent les bons n¶annulent nullement l¶absoluité de l¶exigence morale. Dans ce cas, on ne comprend pas très bien pourquoi le fait que les méchants ne souffrent pas est une chose dont il y a lieu de se plaindre. Kant, pourrait-on dire, n¶a pas tiré toutes les conséquences de sa propre critique de la théodicée. La réponse à cette question ± comment se fait-il, comment expliquer ou plutôt justifier, ou encore ne pas se révolter contre le fait, que les méchants sont heureux ± ne se réduit pas, comme il arrive souvent dans la philosophie, aux arguments bons ou moins bons que l¶on peut inventer. Ce que Kant a réfuté ± s¶il a fait effectivement quelque chose qui peut être décrit ainsi ± ce n¶est sûrement pas la pertinence ou la force des arguments, ceux de Leibniz en l¶occurrence. Ce qu¶il a fait, ou ce que ce qu¶il a fait suppose, c¶est l¶affirmation ± à tort ou à raison ± que la question n¶est pas, n¶est plus, pertinente. Que les bons ou les justes ne soient pas heureux, ou qu¶ils ne soient pas récompensés pour les biens qu¶ils ont faits, ne constitue donc pas une partie essentielle de la morale. Le summum bonum, l¶espoir d¶une réalisation éventuelle d¶une justice terrestre comme la fin de l¶histoire, se juxtapose, chez Kant, à la morale, pour ainsi dire, de l¶extérieur. Une notion comme la notion leibnizienne de justice ou de jurisprudence universelle n¶a plus de sens, VL FH Q¶HVW comme 2 3
Cité ici dans la traduction française de Paul Festugière, Paris, Vrin, 1972. Ibid., p. 195.
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idée, ou plutôt idéal, qui n¶a rien à voir non seulement avec la constitution des choses, mais également avec la morale en tant que telle. Le devoir qu¶il faut accomplir n¶a de sens que si l¶on n¶attend pas ± en tout cas pas comme un motif de l¶action ± de récompense. Or, l¶idée d¶une jurisprudence ± ou d¶une justice ± universelle est au fondement de la théodicée leibnizienne. L¶ouvrage qui a ce néologisme pour titre, les Essais de théodicée HVW XQH °XYUH SUREOpPDWLTXH HW SDUDGR[DOH 7URS longtemps négligé et même parfois méprisé, il est pourtant un livre important. Le succès considérable qu¶il a eu pendant les dernières années de la vie de Leibniz et encore très longtemps après sa mort, l¶a rendu suspect aux yeux des lecteurs, précisément dans la mesure où ils s¶intéressaient plutôt aux côtés scientifiques, YRLUHWHFKQLTXHVGHVRQ°XYUH± à la logique, aux mathématiques, à la physique, à la théorie du langage, à la jurisprudence, etc.. Jean Cavaillès a dit quelque part que Leibniz était un précurseur4. Il voulait signifier par là que Leibniz a compris mieux que la plupart de ses contemporains quel était le chemin que les sciences modernes allaient prendre. Certes, il n¶a pas eu, selon Cavaillès, les moyens théoriques de faire beaucoup plus que cela (il faut dire que, se considérant comme spinoziste, Cavaillès n¶aimait pas trop Leibniz). De ce fait, l¶intérêt qu¶on lui porte de nos jours est plutôt conditionné par la perspective qu¶ouvrent les sciences, que par celle qui est donnée par les questions abordées dans la Théodicée. Dans cette dernière perspective, Leibniz ne semble plus être véritablement un « moderne », mais plutôt un conservateur, voire simplement un réactionnaire ; en sorte qu¶au soupçon philosophique provoqué par le succès et l¶apparente facilité du livre ainsi que par son caractère soi-disant accessible, s¶ajoute le soupçon politique. C¶est probablement Russell qui a surtout contribué à répandre ce portrait peu flatteur ± et peu exact ± du savant de Hanovre. Malgré les apparences, donc, malgré le fait qu¶il a souvent l¶air ± il l¶a assez souvent en effet ± d¶un ouvrage de vulgarisation, destiné à un public « non professionnel », les Essais de Théodicée est un livre important. Très important même. On pourrait même suggérer que la Théodicée constitue, en quelque sorte, le testament philosophique et politique de Leibniz. Il est vrai que la Théodicée est, comme on vient de le dire, une sorte de résumé ou de bilan de toute une tradition philosophico-théologique, ou, en effet, d¶un champ thématique vaste qu¶on peut désigner par ce nom. Mais l¶ouvrage s¶inscrit tout à fait dans le système leibnizien, son auteur utilise les arguments traditionnels (comme il le fait d¶ailleurs souvent) selon ses propres besoins. La pensée de Leibniz est sans doute profondément originale dans ce domaine de la théodicée, même si, en effet, on peut avoir de bonnes raisons de penser qu¶il ne faut pas la qualifier de « moderne ». Or ± et le paradoxe n¶est qu¶apparent ± cette non-modernité est une marque de sa profonde modernité. Car Leibniz est moderne
4
J. Cavaillès, Sur la logique et la théorie de la science, Paris, PUF, 1960, p. 31, repris dans J. Cavaillès, ¯XYUHVFRPSOqWHVGHphilosophie des sciences, Paris, Hermann, 1994, p. 513.
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dans une forme spécifique de la modernité, malgré le refus de certains aspects importants de celle-ci. Ce qui se perd chez Kant, c¶est le sens de l¶optimisme leibnizien. Cet optimisme, Leibniz l¶expose déjà de façon claire par exemple au début du Discours de métaphysique : si, dit-il, les choses n¶étaient bonnes que pour la seule raison qu¶il les a faites, « Dieu, sachant qu¶il en est l¶auteur, n¶avait que faire de les regarder par après et de les trouver bon[ne]s, comme le témoigne la sainte écriture » (DM, §2). Dans le récit biblique de la Création, en effet, à la fin de chaque jour, Dieu voit que ce qu¶il a accompli « est bon ». Deux thèmes sont abordés dans ce deuxième paragraphe du Discours de métaphysique. Le titre de ce paragraphe est ainsi formulé : « Contre ceux qui soutiennent qu¶il n¶y a point de bonté dans les ouvrages de Dieu, ou bien que les règles de la bonté et de la beauté sont arbitraires ». La liaison que Leibniz établit ici entre ces deux thèmes est curieuse, car ils sont très différents et relèvent d¶orientations philosophiques qui sont, au fond, opposées. Si l¶on met à part les thèmes métaphysiques, gnoséologiques etc., il est clair qu¶en ce qui concerne la théologie et la morale, en ce qui concerne la question de « la bonté dans les ouvrages de Dieu », les positions respectives de Descartes et de Spinoza ne sont pas seulement opposées l¶une à l¶autre, mais encore incommensurables. Leibniz l¶a sans doute compris, mais ce qu¶il fait ici est caractéristique. Toujours un peu rusé dans ses controverses, il renvoie dos à dos ses deux grands adversaires philosophiques, Descartes et Spinoza (qui jouent sans doute, tous les deux, des rôles paradigmatiques dans son entreprise politico-philosophique), afin de se placer non pas entre les deux, mais dans une opposition de principe par rapport à eux. Le sens stratégique de ce geste est assez clair : dans cet écrit destiné au cartésien Arnauld, associer Descartes à Spinoza signifie une dénonciation de celui-là par la dénégation de celui-ci. Mais le geste de Leibniz a aussi ici un sens philosophique. Certes, c¶est un amalgame de rapprocher ainsi Descartes et Spinoza, et la démarche de Leibniz est en effet contestable. Ce qu¶il dénonce chez Descartes est son volontarisme. Même si ce n¶est probablement pas le cas chez celui-ci, le volontarisme peut être une position religieuse et théologique valable, exprimant même un rigorisme théologique souvent très radical. De l¶autre côté, la thèse spinoziste à laquelle Leibniz se réfère ici participe d¶un rejet de principe de la validité rationnelle de toute théologie et, en effet, de la pertinence philosophique de toute attitude qu¶on peut qualifier de « religieuse ». Plus précisément, il s¶agit d¶un rejet radical de toute fondation sur-naturelle de la normativité éthique, ce qui veut dire également juridique et politique. Leibniz dit encore dans ce deuxième paragraphe du Discours de métaphysique que le sentiment qui lui semble « extrêmement dangereux », pire que le volontarisme cartésien, est celui qui approche l¶opinion « des derniers novateurs », selon laquelle « la beauté de l¶univers et la bonté que nous attribuons aux ouvrages de Dieu, ne sont que des chimères des hommes qui conçoivent Dieu à leur manière ». Ce novateur, répétons-le, est sans doute Spinoza, car Leibniz s¶est en effet référé d¶abord explicitement aux « spinozistes ». Or, ici encore,
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Leibniz n¶est pas tout à fait honnête dans sa présentation de Spinoza. Ce que Spinoza a vraiment dit est assez différent de ce Leibniz lui attribue, et est aussi beaucoup plus sérieux. Dans la préface à la Quatrième partie de l¶Éthique Spinoza écrit ceci : « En ce qui concerne le bien et le mal, ils ne désignent non plus [que la notion de perfection] ULHQGHSRVLWLIGDQVOHVFKRVHV>«@(WLOVQHVRQWULHQG¶autre que des manières de penser, ou 5 notions, que nous formons de ce que nous comparons les choses entre elles » .
Ces « modes de penser », ou, en fait, ces concepts, ne sont rien moins que chimériques ou fictifs. Dans les affaires des hommes, on ne peut pas s¶en passer, ils sont incontournables et, en ce sens, réels. Ce qui est vrai et très significatif est ce qui est dit au début de la phrase citée supra : dire que le bien et le mal ne désignent (le mot latin est indicat) rien de positif dans les choses résume en quelque sorte toute la première partie de l¶Éthique. Une de ses conséquences les plus importantes est que le bien et le mal n¶ont pas de signification métaphysique. Lorsque le Dieu de Spinoza ± ou son philosophe ± voit ce qu¶il a accompli, autrement dit la « nature », il ne la qualifie pas de « bonne », il ne la dit pas être un « bien ». Plus précisément, les adjectifs moraux ne sont valables que dans le discours humain sur les hommes, et ils ne désignent rien qui appartienne à la constitution originale et ultime des choses. Mais il n¶en résulte pas que ces adjectifs soient fictifs ou qu¶ils ne désignent rien du tout. Spinoza ne le dit pas et ce n¶est pas une conséquence implicite de ses propos. Chez Kant, c¶est la même chose et en même temps très différent. S¶il y a une philosophie qui se situe aux antipodes, pour ainsi dire, du transcendantalisme kantien, c¶est bien le spinozisme. Mais il y a quand même un thème que ces deux auteurs partagent, à savoir que les notions de « bien » et de « mal » n¶ont pas de signification métaphysique, tout en étant pleinement pertinentes dans le domaine de la morale. Chez Kant, ces notions désignent les modalités de l¶action humaine : sa conformité au devoir ainsi que la motivation, ou le type de volonté, qui la détermine. Chez Spinoza, elles désignent la conformité de la vie de tel ou tel homme à une certaine idée de l¶homme qui nous sert de « modèle », ce naturae humanae exemplar dont il parle dans la préface de la Quatrième partie de l¶Éthique. Il est vrai que chez Kant le bien ± le devoir moral ± est objectif et absolu, parce qu¶il est indépendant des inclinations naturelles et des intérêts de l¶homme, ce qui n¶est évidemment pas le cas chez Spinoza. Mais dans les deux cas l¶autorité de la loi morale est tout autant réelle ; dans les deux cas elle appartient à un domaine de discours construit autour d¶une conception positive et essentielle de la liberté. Au lieu d¶affirmer que « le bien et le mal n¶ont pas de signification métaphysique », il faudrait plutôt dire qu¶ils ne l¶ont plus. Il s¶agit, comme il a été indiqué plus haut, de l¶historicité de la question du mal (et du bien) : ce qui se dessine dans les positions de Spinoza et de Kant, c¶est la nature strictement non 5
Éthique, traduction par Bernard Pautrat, Paris, Seuil, 1988, p. 339-341.
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théologique et non métaphysique des discours modernes sur le mal. Plus précisément, à travers ces deux éthiques diamétralement opposées que sont le spinozisme et le kantisme, un trait commun de la modernité philosophique apparaît : le discours éthique n¶est pas un discours sur l¶Être, mais sur la vie et l¶existence, ou sur la conduite des hommes. Or, c¶est ainsi que commencent à se dessiner les contours du « moment leibnizien » et que le sens de l¶optimisme leibnizien s¶éclaire : à savoir, justement, qu¶« il y a des règles de bonté et de perfection dans la nature des choses ». La logique de la notion de « moment » ± nous l¶avons vu plus haut ± exige qu¶on en dessine les contours en aval et en amont. Comme il est ici question surtout des rapports entre Leibniz et Kant, c¶est du premier aspect de la spécificité du leibnizianisme que l¶on parlera d¶abord. Dans le deuxième paragraphe du Discours de métaphysique, Leibniz s¶oppose directement à Descartes, mais aussi, par suite, au rigorisme théologique excessif. Toutefois, il s¶oppose surtout au rejet de la théologie, c¶est-à-dire, spécifiquement, à l¶attitude qui n¶accorde plus de pertinence philosophique à la manière dont la théologie pose la question du bien et du mal. La critique kantienne met donc fin au moment leibnizien, dans le sens suivant : sur un point essentiel, Spinoza avait raison. La philosophie morale n¶est pas une métaphysique, ni une ontologie. Il ne s¶agit pourtant pas d¶un échec philosophique. Ce n¶est pas que Leibniz n¶ait pas réussi à trouver les bons arguments pour répondre aux questions de Bayle ou au défi spinoziste. C¶est toute une tradition ± la tradition de la théodicée comme plaidoyer de la cause de Dieu ± qui disparaît ici. Il s¶agit bien d¶une fin. Pour mesurer l¶importance de l¶échec leibnizien ou de ce qui arrive ici à son terme, il est toujours bon de revenir au livre déjà ancien de Baruzi : la tentative leibnizienne, qui n¶est rien moins que dramatique, sinon tragique, de freiner la marche vers la modernité, doit être considérée, dans son sens le plus large, comme une tentative de redonner vie à la métaphysique comme la base d¶une civilisation européenne. Une génération plus tard, ce projet n¶a plus de sens. Pourtant, Spinoza n¶avait pas raison sur tout. Le philosophe critique ± la critique comme projet philosophique général ± trouve dans la religion un intérêt réel et positif. Depuis ses Leçons sur la théorie philosophique de la religion jusqu¶à La religion dans les limites de la simple raison, Kant ne cesse de revenir à la question philosophique de la religion. Or, cet intérêt pour la religion est toujours lié à la question de mal. Nous ne nous attarderons pas sur les vicissitudes et les tournants de la pensée de Kant sur la question du mal, ou simplement sur son développement. C¶est une question qui a été amplement abordée dans la littérature secondaire sur Kant6. On connaît également les démêlés de Kant avec la 6
Outre les études classiques de Victor Delbos, La philosophie pratique de Kant, Paris, Presses Universitaires de France, 1969 (3e édition), ou de Cassirer, Kants Leben und Lehre, 1918 (traduction anglaise, New Haven, Yale University Press, 1981), on consultera : K. Ward, The Development of KantµV9LHZRQ(WKLFV, Oxford, Blackwell, 1972.
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censure prussienne après la mort de Frédéric II, ainsi que les doutes et les réserves des interprètes sur le poids qu¶il faut accorder aux écrits sur la religion en général, sur La religion dans les limites de la simple raison en particulier, dans la compréhension de l¶entreprise critique. Ce qui est pourtant clair, c¶est que Kant n¶a jamais cessé de méditer sur la double question du mal et de la théodicée, et qu¶il l¶a toujours fait dans une perspective théologique ou sémi-théologique ou, en tout cas, en se rapportant à la religion comme le lieu principal des réflexions sur ces thèmes. Depuis les leibniziennes Considérations sur l¶optimisme de 1759, jusqu¶aux textes anti-leibniziens Sur l¶échec de toutes les tentatives philosophiques en matière de théodicée de 1791 et Sur le mal radical dans la nature humaine de 1792, Kant revient sans cesse sur cette problématique. Quelques conclusions semblent s¶imposer à la suite de ces considérations. La religion apparaît en général chez Kant comme une suite ou un achèvement de la philosophie morale. Sans entrer dans la discussion sur la pertinence ou le sérieux philosophique qu¶il faudrait accorder ou non à la réflexion de Kant sur la religion7, il semble que le projet d¶une philosophie morale transcendantale, ainsi qu¶il se développe surtout dans la deuxième Critique et dans les Fondements de la 0pWDSK\VLTXHGHVP°XUV, reste finalement passablement ambigu ± l¶autonomie de l¶impératif catégorique semble parfois un idéal inachevé, peut-être inachevable, et c¶est la religion qui reste le champ de l¶achèvement théorique de la morale. Par la considération des fins de l¶action morale, à la fois sur le plan de l¶action personnelle dans la notion de bonheur, et sur le plan de l¶action collective, dans la doctrine du summum bonum et dans l¶ouverture sur la philosophie de l¶histoire. Or, c¶est surtout au sujet de la question du mal que la philosophie critique de la morale semble en quête d¶achèvement. En effet, la question du mal est thématisée seulement dans le cadre du discours sur la religion. Dans les écrits sur la théorie proprement philosophique de la moralité, la question du mal se pose implicitement seulement, car le mal fait partie de tout ce qui se distingue du moral au sens exact du mot. Strictement parlant, seul ce qui est motivé par le souci d¶accomplir le devoir est un fait moral. Tout le reste, même ce qui se fait conformément au devoir, ne peut pas être considéré comme tel. Dans ce contexte, le mal perd toute spécificité, car la distinction entre ce qui se fait conformément au devoir et ce qui se fait contre lui devient secondaire, pour ne pas dire qu¶elle s¶efface. Il est significatif par exemple que Kant ne se donne pas la tâche, dans ses écrits consacrés à la philosophie morale, de proposer une phénoménologie de la violation ou transgression de la loi morale ou du devoir. Il ne le ferra vraiment que dans le Mal radical, intégré plus tard dans la Religion. Toutefois, la question de mal est incontournable. Du moins, semble-t-il, c¶est ainsi que Kant la conçoit. Comme elle dépasse donc, apparemment, le cadre de la théorie critique de la morale, cette problématique ± la question de la nature et des 7
&¶HVW VHPEOH-t-il, surtout dans la littérature anglaise sur Kant TXH V¶HVW GpYHORSSp GHSXLV TXHOTXHVDQQpHVXQGpEDWVXUODYDOHXUTX¶LOIDXGUDLWDFFRUGHUDXGLVFRXUVNDQWLHQVXUODUHOigion ; cf. notamment, Ch. L. Firestone et S. R. Palmquist (eds.), Kant and the New Philosophy of Religion, Bloomington and Indianaolis, Indiana University Press, 2006.
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origines du mal, de la possibilité d¶accommoder le fait du mal avec la loi morale, la théodicée ± est le thème principal qui spécifie la théorie philosophique de la religion par rapport à la philosophie pratique. Enfin, c¶est précisément la persistance du questionnement sur le mal chez Kant, ainsi que la liaison essentielle qu¶il a chez lui avec la philosophie de la religion, qui renforce l¶impression d¶un tournant décisif effectué par le criticisme kantien, dans la réflexion sur la question du mal et sur la problématique même de la théodicée. Comme l¶a dit Emile Fackenheim8, le « mal radical » est autre chose que le « péché originel » ; il est autre chose aussi que le mal métaphysique leibnizien. La doctrine du mal radical n¶est, au fond, qu¶une phénoménologie de l¶action mauvaise ou du péché. De la théologie philosophique leibnizienne il ne reste guère plus qu¶une enveloppe extérieure et il ne s¶agit en fin de compte (pour le dire avec Spengler) que d¶une pseudo-théologie. Dans un monde meilleur, on aurait disposer du temps et de l¶espace nécessaires pour compléter cette étude par une considération sur la place qu¶occupe le moment leibnizien dans l¶histoire de la théodicée en amont également. Dans ce monde-ci, on ne pourra que suggérer, en guise de conclusion, quelques indications générales, sans doute trop générales, de la manière selon laquelle on pourrait éventuellement montrer ce qu¶il conviendrait d¶appeler la modernité ± non kantienne ± de Leibniz dans son projet de théodicée. Ce qui sépare Leibniz et Kant, nous l¶avons dit, c¶est que chez celui-ci les attributs moraux ± bien et mal par exemple ± ne qualifient plus, ou ne sont plus applicables à, l¶Être, tandis que chez Leibniz, dans le Discours de métaphysique par exemple, on peut dire que « les choses sont bonnes ». Or, dira-t-on peut-être, il ne s¶agit de rien d¶autre que de la doctrine ancienne de l¶identité de l¶Être et du bien, de ce que l¶on appelle l¶onto-théologie ou, plus précisément, de ce que l¶on pourrait peut-être appeler l¶onto-éthique. Les racines de cette doctrine ± faut-il le rappeler ? ± remontent au platonisme et surtout au néoplatonisme d¶une part, à l¶aristotélisme et à la scolastique d¶autre part. Saint Thomas et sa doctrine de la convertibilité de l¶étant et du bon serait sans doute un bon exemple9. Or, le mal métaphysique leibnizien, la finitude originale et nécessaire de la créature en tant qu¶elle est une créature, son imperfection, est l¶origine du mal ± du mal moral ainsi que du mal physique ± mais il n¶est pas un mal en un sens éthique. Autrement dit, la spécificité du sens éthique et juridique du mal moral d¶une part, du mal physique en tant qu¶il est considéré comme justifiable par le mal moral d¶autre part, est conservée par Leibniz autrement que chez Saint Thomas.
8
9
E. fackenheim, « Kant and Radical Evil », in University of Toronto Quarterly, 23 (1953-4) (réédité dans R. F. Chadwick (ed.), Immanuel Kant. Critical Assessments, Londres et NewYork, Routledge, 1992, vol. 3, p. 259-273). Cf. L. Sentis, 6DLQW 7KRPDV G¶$TXLQ et le Mal. Foi chrétienne et théodicée, Paris, Beauchesne, 1992.
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Le Dieu leibnizien choisit le meilleur monde comme un prince sage qui agit selon une conception politico-juridique de la responsabilité : Il sait qu¶il ne peut pas s¶abstenir d¶agir, qu¶il doit absolument choisir, même s¶il ne peut pas choisir ce qui est simplement bon. En effet, par la doctrine du choix du meilleur monde possible Leibniz accorde une primauté de la pensée sur l¶Être : le possible est le pensable et le choix est délibératif. Au fond, il y a chez Leibniz une primauté du paradigme politico-juridique sur le paradigme ontologique.
LA QUESTION DE L¶OPTIMISME DANS LA PREMIÈRE PENSÉE DE KANT par Robert Theis (Luxembourg)
En 1753, l¶Académie des Sciences de Berlin mit au concours pour l¶année 1755 une question qui portait sur l¶optimisme. Elle était libellée de la manière suivante : « On demande l¶Examen du Système de Pope, contenu dans la Proposition : Tout est bien. Il s¶agit : 1° de déterminer le vrai sens de cette Proposition conformément à l¶hypothèse de son Auteur. 2° de la comparer avec le Système de l¶Optimisme, ou du choix du meilleur, pour en marquer les rapports et les différences. 3° enfin d¶alléguer les raisons qu¶on croira les plus 1 propres à confirmer ou à détruire ce Système » .
Adolf von Harnack à qui nous devons la monumentale Geschichte der preußischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin pense que sous le couvert d¶une critique du système d¶Alexander Pope, ce fut en vérité une critique de la doctrine leibnizienne du meilleur des mondes possibles et plus particulièrement de la conception leibnizienne de Dieu que l¶on visait ; une hypothèse non invraisemblable si l¶on pense que Pierre Louis Moreau de Maupertuis, qui était président de l¶Académie depuis 1745, n¶était point connu pour ses sympathies à l¶égard de la philosophie de Leibniz. Nous disposons d¶esquisses de la part de Kant qui s¶intéressait à cette question, même si finalement, il n¶a pas présenté de mémoire. Mais pourquoi s¶intéressait-il vers le milieu des années 50 à une telle question ? Nous pensons que c¶est à travers la question de l¶optimisme et de l¶exercice critique à l¶égard de Leibniz que Kant entendait mettre à l¶épreuve certaines des hypothèses ontologiques, métaphysiques et théologiques qui s¶inscrivaient dans son propre programme d¶une réforme de la métaphysique tel qu¶il se l¶était proposé dans le courant des années 50. Nous procéderons donc dans ce qui suit en deux temps : 1° nous reconstruirons la discussion kantienne des positions de Pope et de Leibniz d¶abord dans les esquisses préparatoires de la question de 1753, ensuite, plus brièvement, dans les autres écrits des années 50 où il est question de ce problème ; 2° nous montrerons ensuite, en nous basant sur les résultats de l¶analyse précédente quels sont les déplacements métaphysiques sur lesquels repose cette discussion.
1
Cf. A. von Harnack : Geschichte der preußischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, Berlin, 1900, Bd. I.1, p. 403.
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I. 1. On sait que Lessing et Mendelssohn avaient traité en commun le sujet du concours et qu¶ils avaient publié, en 1755, sous couvert d¶anonymat, leur travail Pope ein Metaphysiker ! un travail dans lequel ils montraient que tel n¶était pas le cas. Kant, en revanche, entend précisément montrer le contraire, à savoir que Pope est le métaphysicien supérieur2, mais avec cette thèse, il reste à l¶écart des discussions berlinoises. Il s¶agira de montrer, à travers l¶analyse des esquisses de Kant, non point la vérité de cette affirmation, mais sa signification, en l¶occurrence que, à travers l¶interprétation de la pensée de Pope, il entend montrer qu¶il est, lui, le métaphysicien supérieur. Essayons donc de comprendre l¶argumentation de Kant dans les Réflexions en question3. À cette fin, il importe de trouver un concept fondamental susceptible de thématiser la thèse de Pope All is right aussi bien en direction de Leibniz que de Pope. Dans une première approche, ce concept a une signification cosmologique et désigne la perfection du monde. Kant qualifie à ce titre la position de Leibniz d¶optimisme. Il dira : l¶optimisme est la « doctrine (Lehrverfassung) qui légitime le mal dans le monde en supposant un Être premier, infiniment parfait, bon et puissant ; on se convainc ainsi que, malgré toutes les contradictions apparentes, ce qui a été choisi par cet Être infiniment parfait, doit cependant être le meilleur 4 de tout le possible » (Réflexion 3704 ; 17. 231) .
Ici, la perfection du monde est déduite, non point à partir du monde, mais à partir de Dieu : le meilleur des mondes possibles est le résultat ou plutôt la résultante d¶un champ de forces, compris comme lieu de tensions, en Dieu même : « Leibniz représente les règles de la perfection comme étant en conflit mutuel dans leur exercice » (Réflexion 3705 ; 17. 236). En effet, les forces en question sont en premier lieu l¶entendement et la volonté : l¶entendement est le lieu de « la nature éternelle des choses » (Réflexion 3704 ; 17. 231) ; la volonté sous la double modalité de l¶antécédence et de la conséquence : la volonté antécédente ou anticipante étant celle qui tend vers chaque bien considéré en lui-même et, dans ce sens, « Dieu tend à tout bien en 2
3
4
Cf. T. Pinder : Kants Gedanke vom Grund aller Möglichkeit. Untersuchungen zur Vorgeschichte GHU ÄWUDQV]HQGHQWDOHQ 7KHRORJLH³ (Diss. Masch.), Berlin, 1969, p. 137. En ce qui concerne la pensée de Pope RQ VXSSRVH TXH F¶HVW GqV OH GpEXW GHV DQQpHV TXH .DQW en avait fait connaissance grâce à Carl Heinrich Rappolt (1702-1753), professeur de physique à Königsberg, plus ou moins wolffien et qui avait fait cours sur Pope en 1741 et en avait même DQQRQFpGHX[SRXUO¶DQQpHFI0.KQ : Kant. Eine Biographie, München, 2003, p. 97, note 66 [p. 521]). Ce seront les Réflexions 3704 et 3705 qui nous intéresseront en premier lieu ; la Réflexion 3703, qui fait partie du même ensemble, consiste en un résumé de la 4 e pSvWUHGHO¶Essay on Man. NouVFLWHURQVOHV°XYUHVGH.DQW G¶DSUqVO¶pGLWLRQGHOD3OpLDGH(.DQW : ¯XYUHVSKLORVophiques, sous la direction de F. Alquié, Paris, 1980sqq.), en indiquant toutefois le volume et ODSDJHGHO¶pGLWLRQGHO¶$FDGpPLHGH%HUOin.
La question de l¶optimisme dans la première pensée de Kant
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tant que bien, ad perfectionem simpliciter simplicem »5 ; la volonté conséquente étant celle qui naît du « FRQIOLWGHWRXWHVOHVYRORQWpVDQWpFpGHQWHV>«@HWF¶est du concours de toutes les volontés particulières que vient la volonté totale »6. De cela résulte, « malgré toutes les contradictions apparentes » (Réflexion 3704 ; 17. 231), que le choix qui émane de l¶être originaire est le meilleur possible et que la présence du mal ne repose pas sur le bon plaisir de Dieu, mais sur une nécessité inévitable résultant des manques essentiels des choses finies dans l¶entendement divin. Considérée du point de vue de Dieu, la réalité existante dans sa défectuosité repose sur un manque de nature ontologique. En ce qui concerne la position de Pope, il n¶existe pas, dans les Réflexions dont il est question ici, d¶exposé plus ou moins systématique des thèses de l¶épître 1 de l¶Essay à partir desquelles se laisserait reconstruire l¶opposition avec Leibniz. D¶après Kant, Pope développe l¶idée de la perfection à partir du monde, celuici étant évidemment compris comme création. Or, la perfection signifie ici : plénitude ou complétude. À ce propos, Kant allègue l¶idée de la chaîne des êtres, une idée particulièrement chère au XVIIIe siècle7 : « La première règle de la perfection du monde est qu¶il est complet au plus haut degré, que tout ce qui est possible existe, et que rien, du moment qu¶il a la capacité d¶exister, ne fait défaut ni dans la chaîne des êtres, ni dans la diversité produite par leur changement » (Réflexion 8 3704 ; 17. 235) .
En d¶autres termes, il n¶y a pas de saut dans la nature en passant des degrés les plus élevés de la perfection jusqu¶au néant. Considéré de ce point de vue, même le manque est à comprendre comme une richesse, et cela parce que dans le manque, ce n¶est pas la privation ontologique qui est décisive, mais la positivité même de la réalité (Realität) de chaque étant inscrit dans la chaîne des êtres. On dira que la différence par rapport à Leibniz est minime et que ce dernier envisage également la création du point de vue de sa richesse ± l¶idée de l¶harmonie universelle, comprise comme perfection n¶est-elle pas là pour en témoigner ?9 Paul Menzer a rendu attentif, naguère, dans sa remarquable étude sur la doctrine kantienne de l¶évolution dans la nature et l¶histoire10 que la position de Pope est moins influencée par Leibniz que par Shaftesbury pour qui l¶idée de la beauté de l¶univers et d¶une sympathie universelle est dominante, et qui considère G.W. Leibniz : Essais de théodicée, I, § 22, GP VI, 116. Ibid.. Cf. O. Lovejoy : The Great Chain of BeingsFLWpG¶DSUqVODWUDGXFWLRQDOOHPDQGHDie große Kette der Wesen, Frankfurt, 1985, p. 211). 8 Il est intéressant que dans les Réflexions en question, Kant ne fasse aucune mention de Leibniz jSURSRVGHODFKDvQHGHVrWUHVjO¶RSSRVpGHFHTXLVHUDOHFDVGDQVODCritique de la raison pure (cf. B 696). 9 Cf. Werner Schneiders : Gottes Garten. Zu Leibniz¶ Idee einer Seinsharmonie, in : De Christian Wolff à Louis Lavelle. Métaphysique et histoire de la philosophie, éd. par Robert Theis et Claude Weber, Hildesheim, 1995, p. 3. 10 Paul Menzer : Kants Lehre von der Entwicklung in Natur und Geschichte, Berlin, 1911.
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R. Theis
par conséquent le monde essentiellement d¶un point de vue esthétique ± « just design, harmony and proportion »11. Kant semble avoir perçu la nuance dans les approches de Pope et de Leibniz ± du moins du Leibniz qu¶il connaît. Pour lui, elle réside dans le fait que Leibniz considère la question de l¶optimisme du seul point de vue du choix de Dieu, ce qui signifie que le monde existant est le meilleur possible ± ce qui permet de rendre compte du manque et du mal, alors que Pope considère le monde comme étant ce qu¶il y a de plus complet, ce qui lui permet alors de développer, à partir de là, une preuve de l¶existence d¶un être originaire « omnisuffisant » (allgenugsam). Remarquons que Leibniz conclut, lui aussi, dans un texte que Kant n¶a pas connu, que l¶analyse complète des lois mécaniques et la nature des substances nous contraignent de recourir à des principes actifs indivisibles et que l¶ordre admirable qui y règne nous donne à connaître un principe universel (allumfassnd) d¶une intelligence et d¶une puissance suprêmes12. Par là même, nous avons également déjà indiqué l¶orientation de la critique que Kant adresse à l¶égard de Leibniz. Il relève deux erreurs dans la doctrine leibnizienne : la première concerne ce que l¶on pourrait appeler la logique « intradivine », à savoir le fait que le plan du meilleur des mondes possibles est placé d¶une part dans une dépendance et d¶autre part dans une indépendance par rapport à la volonté divine. Dans une dépendance dans la mesure où la volonté divine tend vers le meilleur sub respectu toti et qu¶elle impose en quelque sorte cette vue totale comme ce vers quoi elle est orientée de par sa nature. Dans une indépendance dans la mesure où les possibles sont Deo coaeternae et que le choix divin se trouve en quelque sorte contraint ou du moins nécessité. Or, ce qui se présente dès lors à l¶avant-plan, c¶est l¶imperfection dans les parties dans la mesure où les possibles demeurent originairement imparfaits13. D¶une façon quelque peu exagérée, Kant dira : « Pourquoi faut-il que tout, dans les parties, soit désagréable, et que le plaisir soit éveillé seulement dans le tout ? » (Réflexion 3705 ; 17. 237). Ce conflit en Dieu même est la raison pour laquelle la doctrine leibnizienne de l¶optimisme doit prendre la forme d¶une théodicée : « Leibniz avait raison d¶appeler sa doctrine une théodicée ou défense de la bonne cause de Dieu. Car en effet, ce n¶est rien d¶autre qu¶une justification de Dieu présumé pouvoir être l¶auteur du mal, justification assurant que, pour autant qu¶il est de lui, tout est bon, et que du moins, ce n¶est pas sa faute, si chaque chose ne prend pas un tour aussi parfait qu¶elle le devrait d¶après le souhait des hommes sincères » (Réflexion 3705 ; 17. 236).
La seconde erreur que Kant relève dans le système leibnizien concerne l¶ordre des raisons quant à la démonstration de l¶existence de Dieu. Le meilleur des mondes possibles, c¶est-à-dire le monde actuel avec les maux qui lui sont nécessairement inhérents requiert l¶existence de Dieu. Or, celle-ci doit être démontrée à partir 11 Cf. ibid., p. 32 ; 34. 12 &LWpG¶DSUqV0HQ]HU, op. cit., p. 20. 13 Cf. Essais de théodicée I, § 20, GP VI, 115.
La question de l¶optimisme dans la première pensée de Kant
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d¶autre chose que de ce monde même. Dans la Réflexion 3705, Kant note qu¶il faut présupposer l¶existence de Dieu et « d¶abord croire qu¶il y a un Être infiniment bon et infiniment parfait avant de pouvoir s¶assurer que le monde, qui HVW DFFHSWp FRPPH VRQ °XYUH SUpVHQWH EHDXWp HW UpJXODULWp » (17. 238). En définitive, le projet métaphysico-théologique de Leibniz manque d¶unité. Dans la Réflexion 3704, il avait déjà relevé que la justification de Dieu face au fait qu¶il permet le mal n¶est plausible que pour celui qui est prêt à approuver les preuves métaphysiques de l¶existence divine (cf. 17. 233). En l¶occurrence, Kant fait allusion, de toute évidence, aux preuves de l¶existence de Dieu que Leibniz expose dans la Monadologie : la preuve a posteriori à partir de l¶existence d¶êtres contingents dont la raison dernière ou suffisante se trouve dans l¶Être nécessaire14 ; la preuve a priori à partir de l¶idée même de l¶Être nécessaire qui existe nécessairement si son existence est possible15. Mais ces preuves ± voilà la signification de la critique kantienne ± demeurent déconnectées de la thèse du meilleur des mondes possibles. Cette intention de la critique de Leibniz devient plus claire si on la met en relation avec l¶interprétation qui est donnée de la position de Pope. Nous y avons déjà fait allusion : dans la Réflexion 3704, Kant note : « Pope choisissait un autre chemin qui, parmi tous ceux qui sont possibles, est le plus adapté pour rendre SHUFHSWLEOHjWRXVOHVKRPPHVODEHOOHSUHXYHGH'LHX>«@ » (17. 233). La belle preuve de Dieu ! Qui ne songe à la preuve physico-théologique dont l¶Histoire générale de la nature et théorie du ciel dira également qu¶elle est la « plus belle preuve de l¶existence de Dieu »16 ? Il ne fait aucun doute que la pointe de la remarque de Kant va dans ce sens : dans la création, même ce qui peut être considéré comme négatif est, considéré en lui-même, bon et ne l¶est surtout pas en raison « d¶un préjugé avantageux de la sagesse de l¶Être ordonnateur » (17. 234). En d¶autres termes, en raison de leur constitution et donc de leur bonté ontologique, les choses sont telles qu¶elles forment un tout bien ordonné, « un plan harmonieux » (17. 234). Il est vrai que sur ce point, Kant interprète la pensée de Pope dans le sens de sa propre théorie cosmologique. Ce qui nous amène à dire un mot de l¶optimisme inhérent à celle-ci. 2. On sait que la cosmologie et la cosmogonie kantiennes telles qu¶il les a développées une première fois ± d¶ailleurs sous couvert d¶anonymat ± dans l¶Histoire générale de la nature et théorie du ciel de 1755 repose sur l¶idée d¶une nature autarcique qui se forme sur la base des seules lois mécaniques inhérentes à la matière : « Je prends la matière du monde entier dans une dispersion générale, et j¶en fais un parfait chaos. Je vois la matière se former d¶après des lois bien établies de l¶attraction, et modifier ce
14 Cf. Leibniz, Monadologie, § 36sqq. 15 Cf. ibid., § 45. 16 Histoire générale de la nature et théorie du ciel, Ak. I 239.
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R. Theis mouvement sous l¶effet de la répulsion. Je jouis du plaisir de voir, sans l¶aide de fictions arbitraires, sous l¶action des lois bien établies du mouvement, naître un tout bien ordonné, qui paraît tellement semblable au système du monde que nous avons devant les yeux que je ne puis 17 m¶empêcher de le tenir pour identique » .
Le monde qui se forme de cette façon est organisé de façon optimale. Il est vrai que dans l¶Histoire générale, c¶est Newton qui est visé : le monde ut iacet n¶a point besoin de l¶intervention extraordinaire d¶un Être originaire. Il n¶est toutefois pas insignifiant que Kant recourt, pour interpréter cette constitution du monde, aux mêmes termes que ceux qu¶il a utilisés dans les travaux préparatoires à la question de l¶optimisme : « La nature, en comprenant en elle tous les degrés possibles de la diversité, étend son domaine sur toutes les espèces, de la perfection jusqu¶au néant, et les manques mêmes sont un 18 signe de sa profusion inépuisable » .
Or, dans l¶Histoire générale, cette reconstruction mécaniste de la nature constitue la base pour une preuve de l¶existence de Dieu de type physico-théologique : comme la matière est liée à certaines lois et « n¶est pas libre de s¶écarter de ce plan de perfection »19, elle se trouve soumise à une intention « souverainement sage » et « doit nécessairement avoir été placée dans des rapports présentant un tel accord par une cause première qui règne sur elle, et il y a un Dieu précisément parce que la nature même dans le chaos, ne peut pas procéder autrement que de façon régulière et ordonnée »20. Kant dira que cet Être originaire a en lui « la source des êtres eux-mêmes et des premières lois de leurs actions »21. 3. En 1756, Kant publie plusieurs articles dans les Königsbergisiche wöchentliche Frag- und Anzeigennachrichten sur les tremblements de terre de 1755. Dans ceux-ci, nous rencontrons encore une fois des traces de cette ontologie de la plénitude. Certes, Kant n¶est pas insensible à la tragédie humaine que cette catastrophe a provoquée. Nous ne pouvons développer son argumentation à ce propos22 et devons nous contenter ici de quelques remarques succinctes. Il importe, voilà la thèse de Kant, de ne pas s¶arrêter aux aspects de premier plan, mais de considérer l¶ensemble (Inbegriff) de la nature. C¶est alors qu¶on se rendra compte que les mêmes causes qui ont provoqué là-bas les tremblements de terre ont produit ailleurs des effets bénéfiques pour l¶homme et la nature. On peut lire dans cette remarque la même orientation que dans les Réflexions sur l¶optimisme, à savoir que l¶envers du manque est la profusion. Kant va même
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Histoire générale, Ak. I 226. Ibid., I 338 ; cf. aussi I 347. Ibid., I 228. Ibid. Ibid., I 226. Cf. à ce propos notre étude Gottes Spur in der Welt? Kant über den Optimismus um die Mitte der 1750er Jahre, in : Vernunftkritik und Aufklärung. Studien zur Philosophie Kants und seines Jahrhunderts, éd. par. M. Oberhausen e.a., Stuttgart Bad Cannstatt, 2001, p. 360sqq.
La question de l¶optimisme dans la première pensée de Kant
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jusqu¶à parler à ce propos de gratitude à l¶égard de la Providence et en tire des conclusions anthropologiques et pédagogiques. 4. Nous aimerions terminer ce tour d¶horizon au sujet de la question de l¶optimisme durant les années 50 en disant encore un mot d¶un texte de 1759 ± une annonce de ses cours pour le semestre d¶hiver de 1759-60 et qui est intitulé Essai de quelques considérations sur l¶optimisme. Ici encore, la question de la théodicée, donc de la justification de Dieu face au mal est complètement secondaire. C¶est la thèse d¶après laquelle de tous les mondes possibles, il y en a un qui est le plus parfait qui est démontrée en premier lieu. En l¶occurrence, Kant pense avoir réfuté par ses arguments la thèse de Reinhard, le lauréat du concours de 1755, qui avait soutenu qu¶il peut y avoir des mondes ayant la même somme de réalités, mais des réalités d¶une autre sorte, et que par conséquent, il peut exister « des mondes différents et pourtant d¶une égale perfection »23. La conséquence en ce qui concerne le choix libre de Dieu en serait alors que celui-ci devient complètement arbitraire. Kant établit ensuite dans un deuxième temps que le monde actuellement existant est le plus parfait. En tant qu¶existant, il est quelque chose d¶intégralement déterminé24. Ceci signifie que les limites mises à la plus grande perfection possible du monde sont fixées par les degrés de réalité des éléments qui en font partie. Ce monde-ci est donc ce qu¶il y a de plus parfait parmi tout ce qui est fini. On aura constaté la nuance qui s¶inscrit d¶ailleurs parfaitement dans la ligne des développements précédents : ce n¶est pas le manque dans les êtres qui est mis en perspective, mais leur constitution ontologique, c¶est-à-dire leur degré positif de réalité qui est nécessairement un degré fini et en vertu duquel ils entrent dans ce tout intégralement déterminé qu¶est le monde actuellement existant. II. Nous voudrions nous tourner maintenant vers ce que nous avons appelé au début les « déplacements » métaphysiques de la position kantienne au sujet de l¶optimisme. Nous avions suggéré, au début, qu¶à travers la présentation de la thèse de Pope et la critique de Leibniz, Kant articule ses propres positions métaphysiques et cosmologiques. C¶est de ces dernières que nous partirons : le monde existant est considéré comme une totalité bien ordonnée. L¶adage popien « all is right » signifie de ce point de vue que l¶enchaînement des êtres est parfait. Dans l¶Histoire générale de la nature, Kant écrira qu¶on ne peut pas regarder l¶univers ± « das Weltgebäude » ± « sans reconnaître l¶ordonnance excellente de son
23 Essai de quelques considérations, Ak. II 31. 24 Cf. ibid. Ak. II 32.
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R. Theis
organisation, et les marques sûres de la main de Dieu dans la perfection de ses relations »25. Or, ce point de vue n¶est possible que si le rapport entre les essences des choses (donc les possibles) et Dieu est compris autrement que cela n¶est le cas chez Leibniz. Or, Kant conçoit le possible comme ontologiquement dépendant de Dieu en ce sens que Dieu inscrit, dans les essences mêmes des choses, des principes grâce auxquels celles-ci s¶ordonnent en un tout harmonieux. : « >«@ OHV SURSULpWpV HVVHQWLHOOHV QH SHXYHQt avoir de nécessité indépendante, mais doivent trouver leur origine dans un entendement unique, comme fondement et source de tous les 26 êtres, dans lequel en a été formé le projet en un réseau de relations communes » .
Si Dieu est source ± remarquons que Leibniz parle également de source des essences27 ± il est le fondement des possibles (ou des essences). S¶il est le fondement, il y a en lui une supériorité sur l¶être même des possibles. Or, cela signifie qu¶il faut concevoir l¶entendement divin comme faculté précédant ontologiquement toute actuation éternelle des possibles ou des essences. Une telle conception contredit cependant au statut même de l¶entendement divin qui, pour être parfait, doit être conçu comme acte et non point comme faculté. Donc, en voulant éviter l¶impasse leibnizienne de la dépendance de Dieu vis-à-vis des possibles qui lui sont coéternels, Kant tombe dans une autre impasse, à savoir celle d¶une imperfection en Dieu même. Mais, on l¶a vu, la construction métaphysico-théologique du meilleur des mondes possibles comporte le défaut de ne pas générer de preuve de l¶existence d¶un Être parfait ; chez Leibniz, celle-ci doit être établie par une autre voie. Aux yeux de Kant, le projet métaphysique de Leibniz manque ainsi d¶unité. En revanche, la thèse d¶un monde parfaitement ordonné sur la base d¶essences complètes conduit à l¶affirmation d¶un Être souverainement sage, bon et puissant. À l¶optimisme de la théodicée vient ainsi se substituer l¶optimisme de la physicothéologie. Kant est convaincu d¶être le métaphysicien supérieur.
25 Histoire générale de la nature et théorie du ciel, Ak. I 331. 26 Ibid. Ak. I 333. 27 Cf. Monadologie, § 43.
NÉGATION ET CONTRADICTION LES RÉPONSES DU KANT PRÉCRITIQUE À LISBONNE1 par Faustino Fabbianelli (Parme)
La théodicée du jeune Kant a fait récemment l¶objet d¶un intérêt renouvelé. Robert Theis, par exemple, a entre autres choses montré comment Kant tend à remplacer le concept leibnizien de Vollkommenheit par celui popéen de Vollständigkeit. L¶accent mis sur l¶ordre du monde factuel et des essences semblerait, à son avis, indiquer comment la théorie de l¶optimisme peut se maintenir indépendamment des références théologiques2. Gerardo Cunico a soutenu que Kant oscille entre une fonctionnalisation (Reflexionen 3703-3705) et une compatibilisation du mal (Nova Dilucidatio et Versuch einiger Betrachtungen über den Optimismus) auxquelles correspond, d¶un côté, une proximité avec Pope et les crusiens, d¶un autre côté une défense de Leibniz contre Crusius3. Stefan Lorenz a au contraire indiqué comment, au-delà des discussions naturalistes kantiennes, il y a toujours des questions de théologie naturelle ; à son avis, on pourrait bien montrer comment la rectification kantienne de la physico-théologie dans l¶Allgemeine Naturgeschichte und Theorie des Himmels va de pair avec la réfutation d¶une théodicée a posteriori qui argumente de façon téléologique. Dans l¶idée d¶un mécanisme naturel capable d¶expliquer de manière autonome le mal dans le monde et de postuler l¶existence de Dieu, sans toutefois invoquer une intervention divine continue dans les événements du monde, Lorenz a cru devoir révéler la proximité de Kant avec Leibniz et sa distance d¶avec Newton4. L¶image du jeune Kant qui se profile à partir de ces études sur la théodicée kantienne est celle d¶un penseur proche de la tradition leibnizio-wolffienne et 1 2
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Je remercie Jean-François Goubet pour la révision du texte français. R. Theis : « Gottes Spur in der Welt? Kant über den Optimismus um die Mitte der 1750er Jahre », in : M. Oberhausen (Hrsg.) unter Mitwirkung von H. P. Delfosse und R. Pozzo : Vernunftkritik und Aufklärung. Studien zur Philosophie Kants und seines Jahrhunderts, StuttgartBad Cannstatt, 2001, p. 351-363 ; de Theis cf. aussi Gott. Untersuchung zur Entwicklung des theologischen Diskurses in Kants Schriften zur theoretischen Philosophie bis hin zum Erscheinen der Kritik der reinen Vernunft, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1994. G. Cunico : « La teodicea etico-teleologica », in : N. Pirillo (a cura di) : Kant e la filosofia della religione, tomo I, Brescia, 1996, p. 417-442. S. Lorenz : De mundo optimo. Studien zu Leibniz¶ Theodizee und ihrer Rezeption in Deutschland (1710±1791) (Studia Leibnitiana, Supplementa XXXI), Stuttgart, 1997, p. 211-212, 217, 219.
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F. Fabbianelli
défenseur de théories que Luca Fonnesu a très à propos et heureusement définies comme celles de l¶optimisme a priori (Leibniz) et de l¶optimisme a posteriori (Pope)5. Malgré les différences et les changements de perspective, ce qui émerge de ces études est une ligne de continuité dans la pensée du Kant précritique sur la question de la théodicée. Ma thèse est au contraire la suivante : si jusqu¶en 1759, c¶est-à-dire jusqu¶au Versuch über den Optimismus, Kant considère le mal comme une negatio logique, dans l¶écrit sur les grandeurs négatives (on est en 1763), il déclare expressément que la négation qui l¶intéresse n¶est pas logique mais réelle. Le mal n¶est donc pas seulement un defectus, une absentia, mais aussi une privatio effective. La raison de cette évolution, je la retrouve dans cette séparation entre logique et métaphysique dont parlait Kuno Fischer au début du siècle dernier6. Cest à cette séparation TX¶LO IDXW reconduire aussi les différentes évaluations que Kant donne tant du concept de fondement réel négatif, proposé dans la Nova dilucidatio, et après repris et transformé dans l¶écrit sur les grandeurs négatives, que de la relation entre Real- et Idealgrund. Mon analyse sera donc divisée en deux parties : dans une première partie (A), RQDQDO\VHUDOHV°XYUHVNDQWLHQQHVDOODQWGHMXVTX¶à 1759, dans une seconde (B), on considérera l¶écrit sur les grandeurs négatives en relation avec le binôme conceptuel qui nous intéresse, celui de négation et de contradiction. A. Aussi bien l¶Allgemeine Naturgeschichte und Theorie des Himmels que les Erdbebenaufsätze ± toutes les deux de 1755 ± soulignent la régularité et l¶ordre présents dans le monde physique. Il y a des lois générales qui expliquent mieux que le hasard épicurien la naissance et l¶évolution naturelle. L¶ordre est même le signe le plus certain de l¶origine divine du monde : « je vollkommener [die Natur] in ihren Entwickelungen ist, je besser ihre allgemeinen Gesetze zur Ordnung und Übereinstimmung führen: ein desto sicherer Beweisthum der Gottheit ist 7 sie, von welcher sie diese Verhältnisse entlehnt » .
On peut retrouver dans la nature une chaîne des membres ou un escalier des essences distinguées entre elles par leurs degrés de perfection, qui vont du plus haut au plus bas8. Perfection est ici synonyme autant de fécondité que de 5
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L. Fonnesu : « Kant, Leibniz HOD³$XINOlUXQJ´RWWLPLVPRHWHRGLFHDªLQ13LULOORDFXUD di) : Kant e la filosofia della religione, tomo II, Brescia 1996, p. 443-457 ; 452. Pour une viVLRQG¶HQVHPEOHGHODGLVFXVVLRQHXURSpHQQHVXUODWKpRGLFpHFI)RQQHVX, « The Problem of Theodicy », in : K. Haakonssen (ed. by) : The Cambridge History of Eighteenth-Century Philosophy, vol. 2, Cambridge, 2006, p. 749-778. K. Fischer : Immanuel Kant und seine Lehre, in : Id. : Geschichte der neuern Philosophie, 4. Bd., 1. Theil, Heidelberg 18984. ,OO¶H[SOLTXH, au contraire de Paulsen qui se rapportait per antiphrasin à la Vernunftlehre GH5HLPDUXVSDUO¶LQIOXHQFHGH+XPH sur le jeune Kant (p. 218219). KantµV JHVDPPHOWH 6FKULIWHQ, hrsg. von der Königlich Preußischen Akademie der Wissenschaften, Berlin-Leipzig, 1900 sq. (AA), 1, p. 334. Ibid., p. 311, 359-360.
Négation et contradiction - les réponses du Kant précritique à Lisbonne
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surabondance : de fécondité, parce que la nature est toujours capable de remplacer ce qui meurt en son sein ; de surabondance, parce qu¶elle est en mesure de produire même des choses imparfaites. Les comètes, par exemple, sont à envisager comme des imperfections naturelles qui reçoivent un sens quand on considère la nature dans son ensemble. Dans la multiplicité potentiellement infinie de la nature, la disparition d¶un membre relève donc nécessairement de la nuance ; ici vaut une loi de compensation selon laquelle la nature remplace le manque présent dans une de ses parties par une nouvelle création. Les calamités naturelles, loin de représenter des punitions divines, peuvent alors être considérées comme autant de conséquences justes des lois que Dieu a données à la nature 9. Leibnizianisme à la Pope et newtonianisme s¶unissent pour montrer comment la partie a un sens seulement dans l¶économie du tout : quoique imparfait, ou plutôt exactement parce que défectueux, chaque élément est, en tant qu¶exception à la règle, le signe le plus évident de l¶ordre divin : « Die Natur, unerachtet sie eine wesentliche Bestimmung zur Vollkommenheit und Ordnung hat, faßt in dem Umfange ihrer Mannigfaltigkeit alle mögliche Abwechselungen sogar bis auf die Mängel und Abweichungen in sich. Eben dieselbe unbeschränkte Fruchtbarkeit derselben hat die bewohnten Himmelskugeln sowohl, als die Kometen, die nützlichen Berge und die schädlichen Klippen, die bewohnbaren Landschaften und öden Wüsteneien, die Tugenden 10 und Laster hervorgebracht » .
Cette thèse est à la base même des Reflexionen 3703-3705. Suivant la formulation de l¶avis de concours sur l¶optimisme11, dans laquelle on demandait en premier lieu de définir la théorie de Pope « Tout est bien », puis de la confronter avec le système de l¶optimisme leibnizien et enfin de donner les raisons pour accepter ou refuser la doctrine de Leibniz12, Kant, après avoir donné une description du système de Pope13 et de Leibniz, déclare sa préférence pour le premier pour deux motifs : le système de l¶optimisme (Leibniz) postule en premier lieu « un GpVDFFRUG LQVRQGDEOH HQWUH OD YRORQWp XQLYHUVHOOH GH 'LHX >«@ HW OD QpFHVVLWp (métaphysique) », c¶est-à-dire les qualités métaphysiques de son intellect, en second lieu, il arrive à justifier les maux dans le monde en partant « seulement de la prémisse de l¶existence divine ». Pour Kant, au contraire, l¶ordre et l¶organisation cosmiques représentent justement la preuve la plus certaine de leur dépendance d¶un Dieu sage et bon14. 9 Ibid., p. 318, 431, 459. 10 Ibid., p. 347. 11 Cf. Lorenz, op. cit., p. 167-179. 2QSHXWYRLUDXVVLPRQDUWLFOH©³$OOHVZDVLVWGDVLVWJXW´,O FRQFRUVRVXOO¶RWWLPLVPRGHOªLQDianoia VIII (2003), p. 135-157. 12 Cf. Die Registres der Berliner Akademie der Wissenschaften 1746-1766. Dokumente für das Wirken Leonhard Eulers in Berlin. Zum 250. Geburtstag, hrsg. in Verbindung mit M. Winter und eingeleitet von E. Winter, Berlin, 1957, p. 193. 13 Mendelssohn et Lessing, dans leur Pope ein Metaphysiker!, avaient au contraire souligné O¶DV\VWpPDWLFLWpGHODUpIOH[LRQSRSpHQQHXQHVLPSOH© sinnliche Rede » : M. Mendelssohn : Gesammelte Schriften. Jubiläumsausgabe, in Gemeinschaft mit F. Bamberger u. a., Bd. 2, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1972, p. 43-80. 14 AA, 17, p. 229-239.
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Comme déjà dans la Theorie des Himmels, le discours sur la législation nécessaire du monde se voit ici soutenu par l¶idée des exceptions à la règle, à considérer comme des manques (Mängel) et des discordances (Ungereimtheiten). Recourant à l¶image de l¶escalier et des degrés, Kant peut donc affirmer: « Daher begreift das Feld der Offenbahrung der Gottlichen Macht alle Gattungen endlicher Dinge und mit einer Art des Reichthums erstreckt sich es bis auf die Mängel und verlieret sich nicht anders als durch alle Stufen der Verminderung von den höchsten Graden der Voll15 kommenheit bis zum Nichts » .
La théorie proposée par Kant est, à tout bien considérer, pareille à celle défendue par Baumgarten dans sa Metaphysica : chaque être fini est caractérisable selon une négation absolument nécessaire ± la negatio stricte dicta ± et une négation contingente ± la privatio. Alors que la première forme de négation définit le mal métaphysique, la seconde identifie le mal physique16. Pour le Kant de ces annéeslà autant que pour Baumgarten, les maux sont des cas de privation, ils sont des manques, ou imperfections contingentes. Cette détermination des essences devient possible grâce à l¶application des principes d¶identité et de contradiction : la logique et la métaphysique sont deux moments du savoir étroitement liés. Cette connexion représente aussi le cadre théorique de la Nova dilucidatio de 1755. Ce n¶est pas un hasard si l¶°XYUHYHXWrWUHXQHQRXYelle illustration de ces principes, qui valent aussi bien dans le domaine métaphysique. En discutant le principe du fondement, Kant admet les réserves que Crusius avait à propos de l¶interprétation qu¶en avaient donnée Wolff et les wolffiens lorsqu¶ils avaient cru sauver la contingence en invoquant la distinction (d¶origine leibnizienne) entre nécessité absolue et nécessité hypothétique. Comme il n¶y a rien de plus véritable que le véritable, ainsi on ne peut imaginer rien de plus déterminé que le déterminé17. La distinction à faire est selon Kant celle entre ratio cur et ratio quod : Wolff, en définissant la raison suffisante comme « id, unde intelligitur, cur aliquid fit »18, a mêlé le défini avec la définition, en affirmant donc qu¶elle est la raison par laquelle on peut comprendre pour quelle raison quelque chose est plutôt que non19. Aux yeux de Kant, Crusius a donc refusé, avec des preuves convaincantes, le principe du fondement wolffien, il a cependant aussi pensé, et cela à tort, devoir repousser, eu égard à quelques réalités, toutes les raisons déterminantes. Une volition, par exemple, peut selon Crusius être considérée comme libre seulement si elle est déterminée par sa propre actualité et non pas par des raisons qui précèdent son existence20. La liberté n¶exclut toutefois pas une détermination, pour Kant, il faut au contraire considérer un homme d¶autant plus libre qu¶il est déterminé selon un principe intérieur : « Libere agere est appetitui Ibid., p. 235. Cf. Metaphysica, §§ 137, 146 : AA, 17, p. 55, 56. AA, 1, p. 400. Ch. Wolff : Philosophia prima sive ontologia, § 56, edidit et curavit J. École, in : Id. : Gesammelte Werke, Bd. 3, Hildesheim, 1962, p. 39. 19 AA, 1, p. 393. 20 Ibid., p. 397.
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suo conformiter et quidem cum conscientia agere. Et hoc quidem rationis determinantis lege exclusum non est »21. En second lieu, en acceptant la théorie crusienne, on ne comprendrait pas pourquoi une volition serait devenue actuelle à un certain moment et non avant. Pour répondre à cette question, Kant recourt à un fondement qui explique pourquoi la volition ne s¶est pas vérifiée effectivement. Contre Crusius, il veut montrer que la raison qui explique pourquoi quelque chose se passe est identique à la raison qui explique pourquoi le contraire n¶arrive pas22. Elle équivaut à un fondement réel négatif : il n¶est donc pas vrai, comme Crusius le voulait, que l¶absence d¶un fondement positif est pareille à l¶absence de tout fondement. La volonté est déterminée réellement, bien que de façon négative, par une raison qui explique pourquoi cette faculté ne passe pas à une volition effective. On pourrait dire que Kant réfute Crusius avec les mêmes arguments crusiens ; bien qu¶il en partage les prémisses, il n¶en accepte cependant pas les conclusions. Il en admet tant la distinction entre Realgrund et Idealgrund que leur permutabilité. À la manière de Crusius, qui avait affirmé qu¶un fondement idéal n¶est pas toujours un fondement réel, mais qu¶un fondement réel est aussi un fondement idéal, « durch dessen Erkenntniß man auch zu einer Erkenntniß der in ihm gegründeten Sache mit Ueberzeugung gelangen kan »23, Kant soutient que le fondement réel négatif explique du point de vue cognitif pourquoi une certaine volition n¶a pas eu lieu. Autant la notion de fondement réel que l¶idée du passage du fondement réel au fondement idéal se verront reprises et transformées dans l¶écrit sur les grandeurs négatives. Les deux moments se trouvent en connexion directe : dans la Nova dilucidatio, Kant admet encore la transformation du fondement réel en fondement idéal parce qu¶il les tient pour des fondements logiques et parce qu¶il pense en conséquence que le premier donne lieu à une fondation et non pas à une causation. Logique et métaphysique sont encore unies ; alors que, quand elles se sépareront ± comme dans l¶écrit sur les grandeurs négatives ± on verra que le fondement réel ne pourra jamais se transformer en fondement idéal parce qu¶il ne sera plus une simple explication logico-métaphysique, mais qu¶il sera devenu une cause effective24. Quelques-uns des thèmes discutés jusqu¶ici réapparaissent dans le Versuch einiger Betrachtungen über den Optimismus : de la Nova dilucidatio revient la critique adressée à la doctrine de la liberté d¶indifférence que Crusius d¶abord et 21 Ibid., p. 403. On sait que cette liberté se verra définie dans la Critique de la raison pratique « OLEHUWpG¶XQWRXUQHEURFKH » (AA, 5, p. 97). Sur la liberté kantienne dans la Nova dilucidatio cf. E. Cafagna : « Principio di ragione e libertà del volere nella Nova dilucidatio di Kant «, in : Studi kantiani XIX (2006), p. 63-79. 22 Cf. Fischer, op. cit. p. 190. 23 Ch. A. Crusius : Entwurf der nothwendigen Vernunft=Wahrheiten, wiefern sie den zufälligen entgegen gesetzet werden, in : Id. : Die philosophischen Hauptwerke, hrsg. von G. Tonelli, Bd. 2, Hildesheim, 1964, § 37, p. 55. 24 Cf. aussi Fischer, p. 191, 216.
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Reinhard ensuite avaient défendue contre Wolff et les wolffiens ; on retrouve également la thèse selon laquelle le plaisir qui nous incline vers une certaine action ne nous dispense pas de la responsabilité de nos actions, puisqu¶il est au contraire la raison déterminante qui se trouve à la base du choix et qui rend la décision spontanée. De la Theorie des Himmels et des Reflexionen 3703-3705, qui, et ce n¶est pas un hasard, se confrontent à l¶instar du Versuch aux questions du concours sur l¶optimisme, est tirée l¶image de O¶pFKHOOH des êtres, du plus parfait au moins parfait. La proximité avec Leibniz et Pope, de même que la distance avec Crusius, sont ici aussi très claires. La défense du système de l¶optimisme passe dans cet écrit par la définition de la réalité en termes de degré plutôt qu¶en termes de qualité. À Reinhard qui avait soutenu qu¶il n¶est pas tout à fait nécessaire que le meilleur monde entre tous soit unique, parce qu¶on pourrait bien penser à deux mondes ou plus également parfaits quant à la somme ou à la grandeur de réalité contenue, bien qu¶ils soient distingués du point de vue de la qualité25, Kant répond que c¶est justement la grandeur ou le degré qui distingue un monde de l¶autre. Si en fait on considère la réalité comme telle, on y trouve seulement des caractéristiques positives ; pour distinguer réalité et réalité, il faut recourir à ce qu¶elles n¶ont pas, donc à leurs manques. « Demnach unterscheiden sich Realität und Realität von einander durch nichts als durch die einer von beiden anhängende Negationen, Abwesenheiten, Schranken, das ist nicht in Anse26 hung ihrer Beschaffenheit (QUALITATE) sondern Größe (GRADU) » .
Le degré de réalité est pourtant quelque chose de complètement déterminé ; les limites qui appartiennent à un monde sont absolument nécessaires pour lui en tant qu¶ils définissent son essence même. La négation est ici encore définie comme une non-qualité, comme une nonréalité, c¶est-à-dire comme une limite de la réalité. Kant est à ce moment encore proche de Baumgarten et de sa théorie selon laquelle les réalités sont des êtres
25 « Pourquoi donc un seul Monde contiendroit-il SOXVGHUpDOLWpTX¶DXFXQDXWUH"'DQVXQDXWUe monde il y a des Réalités, qui ne sauroient avoir lieu dans celui-ci; pourquoi donc les sommes entieres des réalités contenues dans deux Mondes divers ne pourroient-elles être égales? Deux sommes peuvent être égales, quoique les parties qui les composent, soient fort différentes; deux séries peuvent être égales, quoique leurs parties soient dans une progression toute difféUHQWH(QXQPRWRQDXURLWDXWDQWGHUDLVRQGHGLUHTX¶XQ0RQGHFRQWLHQWWRXWHVOHVUpDOLWpV SRVVLEOHVFHTXLUpSXJQHjO¶,GpHGHODILQLWXGH TXHGHGLUHTX¶LOFRPSUHQGSOXVGHUpDOLWpV TX¶DXFXQDXWUHGHV0RQGHVSRVVLEOHVª$)5HLQKDUG : « Le système de Mr. Pope sur la perfection du monde, comparé à celui de M r. GH/HLEQLW]DYHFXQH[DPHQGHO¶RSWLPLVPHSRXU VDWLVIDLUHDXSUREOHPHSURSRVpSDUO¶$FDGHPLH5R\DOHGHV6FLHQFHVHW%HOOH-Lettres de BerOLQ SRXU OH 3UL[ GH /¶$QQpH ª LQ Dissertation qui a remporté le prix proposé par O¶$FDGpPLH5R\DOHGHV6FLHQces et Belles-/HWWUHVGH3UXVVHVXUO¶RSWLPLVPHDYHFOHVSLHFHV qui ont concouru, Berlin, 1755, p. 32). 26 AA, 2, p. 31. Cette critique de Reinhard reviendra GHIDoRQLPSOLFLWHGDQVO¶pFULWVXUOHVJUDndeurs négatives : « Und es ist immer ein großer Mißverstand, wenn man die Summe der Realität mit der Größe der Vollkommenheit als einerlei ansieht » (ibid., p. 198).
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positifs et les négations des entia negativa, ou non-êtres27. La wahrhafte Verneinung dont on parle dans cet essai sur l¶optimisme28 est donc encore une privatio négative. B. Pour mesurer l¶évolution de la pensée kantienne dans les années soixante, il vaut la peine de rapporter un passage du Versuch den Begriff der negativen Größen in die Weltweisheit einzuführen (1763). Kant y déclare : « Die Verneinung, in so fern sie die Folge einer realen Entgegensetzung ist, will ich B e ra u b u n g (PRIVATIO) nennen; eine jede Verneinung aber, in so fern sie nicht aus dieser Art von 29 Repugnanz entspringt, soll hier ein Ma n ge l (DEFECTUS, ABSENTIA) heißen » .
On distingue ici deux sens de la négation, l¶un logique et l¶autre réel. Alors que la première négation relève du principe de contradiction et peut être exprimée en termes de contradiction logique, la seconde suit le principe de l¶opposition effective et est pourtant exprimable en termes de contraposition, de contraste réel. Bien que désignée par le même terme, la privation dont on parle maintenant n¶est donc plus la privation logique de Baumgarten que Kant avait acceptée jusqu¶à l¶essai sur l¶optimisme, mais une véritable soustraction réelle. Corrélativement, le négatif n¶est plus défini comme un non-être : maintenant, il est un nihil privativum, néanmoins repraesentabile, il est quelque chose d¶absolument positif30. Il représente une limite pour un autre être, il est toutefois une limite réelle. On assiste ici à la séparation entre logique et métaphysique dont on parlait auparavant. La terminologie et les significations en jeu changent ; les questions déjà abordées et résolues par Kant dans les écrits précédents trouvent maintenant des réponses différentes. La relation entre fondement et fondé, par exemple, ne peut plus être caractérisée seulement du point de vue logique, mais il faut la définir aussi du point de vue de l¶effectivité. De l¶explication logique, on passe à l¶explication réelle. Même les termes de la relation changent. Le zéro, bien qu¶il soit le résultat des deux formes de relation oppositive, donc même en étant valable pour les deux négations, est un zéro irreprésentable dans le cas de la contradiction logique. Autrement dit, tandis que la conséquence (Folge) de la connexion logique est le rien impensable, celle de la connexion réelle est le quelque chose pensable 31. Comme la conséquence, le fondement également passe d¶élément logique à force vive. Le problème du mal se voit abordé par Kant de façon correspondante : il rappelle comment les philosophes se sont rendus coupables d¶un oubli qui les a conduits à définir les maux (Übel) comme de simples négations, là où, au 27 28 29 30 31
AA, 17, p. 54-55. AA, 2, p. 31. Ibid., p. 177-178. Ibid., p. 175. Ibid., p. 171-172.
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contraire, certains maux sont un défaut (mala defectus) et d¶autres une privation (mala privationis). « Die erstern sind Verneinungen, zu deren entgegengesetzter Position kein Grund ist, die letztern setzen positive Gründe voraus, dasjenige Gute aufzuheben, wozu wirklich ein anderer Grund ist, und sind ein negatives Gute » 32. Si, dans les cas de répugnance logique, seul l¶un des deux termes opposés peut être considéré comme positif, dans les cas de répugnance réelle, les deux éléments opposés doivent être considérés comme positifs. Afin qu¶il y ait une élimination (Aufhebung) réelle, et non pas simplement logique, il faut donc une action véritable d¶un des deux éléments ; si l¶on rapporte cela à la différence entre les maux comme défaut et les maux comme privation, cela signifie que les seconds exigent un degré plus grand d¶activité33. À l¶opposition logique et réelle correspondent deux états différents d¶absence des éléments en opposition ; si, par exemple, on considère le manque tant de plaisir que de déplaisir comme dû à l¶absence des fondements ± une opposition logique donc ± ce qu¶on obtient est l¶état d¶indifférence (Gleichgültigkeit, indifferentia). Si, au contraire, ce manque est la conséquence d¶une opposition réelle, l¶état qui en résulte peut être défini comme état d¶équilibre (Gleichgewicht, aequilibrium). Dans les deux cas, le résultat de l¶opposition est zéro, dans le premier, on a cependant une négation, dans le second, une soustraction34. Des questions déjà abordées se voient maintenant résolues de façon différente : qu¶on prenne seulement le cas des omissions. Si, actuellement, je n¶ai pas une certaine idée et si elle n¶était pas non plus un moment auparavant, je peux bien sûr dire que j¶omets de la penser, vu qu¶avec cela j¶indique seulement le manque d¶un fondement. « Heißt es aber: woher ist ein Gedanke in mir nicht mehr, der kurz vorher war?, so ist die vorige Antwort ganz nichtig. Denn dieses Nichtsein ist nunmehr eine Beraubung, und das Unterlassen hat anjetzt einen ganz andern Sinn, nämlich die Aufhebung einer Thätigkeit, die kurz 35 vorher war » .
L¶omission est donc une véritable privation de réalité. Pour cela, il doit y avoir une cause positive qui annule et fasse disparaître l¶idée qu¶il y avait un moment auparavant. De la fondation logique rendue possible par le fondement réel négatif de la Nova dilucidatio, on est passé à la causation par un fondement réel positif. De manière correspondante, Kant peut à présent nier ce qu¶il avait soutenu en 1755, c¶est-à-dire la transformation déjà théorisée par Crusius de la Realgrund en Idealgrund. « Gelegentlich merke ich nur an, daß die Eintheilung des Herrn Cr u s i us in den Ideal= und 5HDOJUXQGYRQGHUPHLQLJHQJlQ]OLFKXQWHUVFKLHGHQVHL>«@1DFKXQVHUQ%HJULIIHQDEHULVW 36 der Realgrund niemals ein logischer Grund » .
32 33 34 35 36
Ibid., p. 182. Ibid., p. 183, 190. Ibid., p. 181. Ibid., p. 192. Ibid., p. 203.
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Kant introduit pour appuyer sa thèse la différence entre les deux principes qui règlent la relation entre fondement et conséquence : d¶un côté le principe d¶identité, qui rend possible un fondement logique et qui établit la conséquence sur la base d¶une décomposition des concepts contenus dans le fondement : la nécessité est par exemple le fondement de l¶immutabilité, l¶infinité de l¶omniscience. Ce sont là des cas de relation analytique. Il y a cependant un rapport synthétique TX¶LOQHVXIILWSDVGHUDSSRUWHU au principe d¶identité, dans la mesure où la conséquence n¶est déductible d¶aucune décomposition des prédicats contenus dans le fondement, mais est quelque chose de complètement différent. À tout bien considérer donc, le terme Realgrund n¶est pas suffisant pour distinguer l¶un et l¶autre cas. « Denn wenn ich etwas schon als eine Ursache wovon ansehe, oder ihr den Begriff einer Kraft beilege, so habe ich in ihr schon die Beziehung des Realgrundes zu der Folge gedacht, 37 und dann ist es leicht die Position der Folge nach der Regel der Identität einzusehen » .
Le fondement réel peut pourtant donner lieu tant à une fondation de nature logique qu¶à une causation de nature réelle. La Nova dilucidatio considérait seulement la première option, le Versuch sur les grandeurs négatives admet également la seconde.
37 Ibid., p. 203. Dans la réflexion 3843 Kant est très clair en distinguant la relation logiqueanalytique de la relation causale-synthétique : « Das Verhältnis der Ursache zur Wirkung ist kein Verhältnis der identitaet; folglich ist auch weder ähnlichkeit noch Gleicheit zwischen Ursache und wirkung, sondern conformitaet » (AA, 17, p. 310).
LE PRINCIPE DE LA THÉODICÉE ET LE CONCEPT DE GRANDEUR NÉGATIVE par Michel Fichant (Paris) En 1759, en annonçant ses cours du semestre d¶hiver par un Essai de quelques considérations sur l¶Optimisme 1, Kant assumait franchement ce qui, pour l¶époque, passait pour la thèse essentielle de la Théodicée : le monde choisi par Dieu ± ce monde ± est un monde tel qu¶il est impossible d¶en concevoir au-dessus de lui un autre qui serait meilleur. Il la soutenait alors par deux arguments ; leur distinction peut, en un sens, préfigurer celle que la démonstration bien ultérieure, en 1791, De l¶insuccès de tous les essais philosophiques de Théodicée, retrouvera dans l¶opposition entre une impossible théodicée doctrinale selon la raison et une légitime théodicée authentique selon la foi 2. Le premier de ces arguments comporte lui-même deux moments : il est fondé d¶abord sur la proposition conditionnelle que, s¶il était impossible de concevoir un monde tel qu¶il ne puisse y en avoir au-dessus de lui un meilleur, alors il serait aussi impossible que l¶entendement divin connût tous les mondes possibles. De la fausseté du conséquent se déduit celle de l¶antécédent (Ak II, 30). Le second moment de l¶argument vise à éliminer le cas où deux ou plusieurs mondes seraient égaux en bonté. Il est établi à son tour sur l¶analyse de la notion de réalité. Celleci donne lieu à quatre propositions : 1/ La perfection absolue d¶une chose consiste dans son degré de réalité. 2/ Une réalité A considérée comme telle ne contient que du positif. 3/ La négation non-A ne peut concerner une réalité qu¶à titre de limitation et donc de détermination de son degré. 4/ Par suite, deux réalités, indiscernables en tant que simples réalités, ne se distinguent l¶une de l¶autre que par les négations, les manques [Abwesenheiten] ou les limites qui affectent l¶une et pas l¶autre, et donc elles ne diffèrent pas en manière d¶être [Beschaffenheit] (qualitate), mais par le degré (gradu). Il en résulte que, supposant deux mondes distincts égaux en perfection et donc en degré de réalité, il faudrait cependant que la réalité de l¶un contînt quelque chose A qui ne fût pas compris dans la réalité de l¶autre (laquelle serait donc affectée ou limitée par non-A) : par suite ces deux réalités se distingueraient,
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Versuch einiger Betrachtungen über den Optimismus von M. IMMANUEL KANT, wodurch er zugleich seine Vorlesungen auf das bevorstehende halbe Jahr kündigt, Ak II, 27-35. Über das Mißlingen aller philosophischen Versuche in der Theodicee, Ak VIII, 263-271.
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contre l¶hypothèse, par le degré et non seulement par la disposition ou l¶état qualifié (ibid., 31). Le second argument requiert moins d¶instruction scolaire [Schulgelehrsamkeit], pour s¶ajuster seulement au jugement tout aussi contraignant d¶une intelligence droite. Il part du constat que le monde existe par l¶effet de la volonté la plus sage et la meilleure. Mais une telle volonté, guidée par un jugement infaillible, choisit le meilleur de tous les mondes possibles qui s¶offrent à elle. Donc, le monde existant est le meilleur qui pouvait être. Que s¶il a été choisi non pour sa bonté intrinsèque, mais seulement pour sa plus grande conformité avec les attributs divins, il est encore le meilleur possible : car puisque Dieu est toute réalité (alles Realität = omnitudo realitatis), rien ne peut être en plus grande harmonie avec lui que ce qui contient lui-même une plus grande réalité. « Ainsi la plus grande réalité qui peut revenir à un monde ne se trouve en nul autre que dans le monde présent » (ibid., 34). L¶élégant exercice dogmatique auquel Kant se livre dans cet Essai de 1759, et qui, dit entre parenthèses, atteste qu¶il n¶avait rien à apprendre en fait de maîtrise philosophique scolaire, présente, à la lumière des positions ultérieures de la Critique de la raison pure, l¶intérêt de signaler très exactement où, du point de vue du système catégorial, se situe le principe de la théodicée : dans la catégorie de la qualité, pour autant que celle-ci se décline en réalité, négation, limitation. D¶autre part, s¶agissant du « célèbre Leibniz », la Critique de la raison pure déploie dans sa propre architectonique le moment d¶une mise en évidence du « caractère distinctif de son cadre doctrinal dans toutes ses parties et simultanément du motif conducteur du mode de pensée qui lui est propre » (A270/B326) : il s¶agit, comme on sait, de la section consacrée à l¶amphibologie des concepts de la réflexion, placée en appendice au chapitre 3 de l¶ « Analytique des principes », et en laquelle on a pu aussi reconnaître le moment de la détermination par Kant du lieu de la Critique de la raison pure dans l¶histoire de la philosophie 3. Sans entrer dans le détail d¶un texte sur lequel j¶ai eu l¶occasion d¶intervenir ailleurs 4, je m¶en tiendrai ici au rappel sommaire de ce en quoi consiste l¶amphibologie des concepts de la réflexion. La réflexion en général n¶a pas affaire aux objets mêmes, mais elle est l¶état de l¶esprit dans lequel nous nous disposons à découvrir les conditions subjectives sous lesquelles nous pouvons parvenir à des concepts de ces objets (A260/B316).
3
4
Rudolf Malter, « Logische und transzendentale Reflexion. Zur Kants Bestimmuumg des philosophiegeschichtlichen Ortes der Kritik der reinen Vernunft », Revue Internationale de Philosophie, 35 (1981). Du même auteur, on lira aussi « reflexionsbegriff. Gedanken zu einer schwierigen Begriffsgattung und zu einem unausgeführten Lehrstück der Kritik der reinen Vedrnunft », Philosophia naturalis, 19 (1982). « /¶$PSKLERORJLHGHVFRQFHSWVGHODUpIOH[LRQ ODILQGHO¶RQWRORJLH », in : Akten des X. Innternationalen Kant-Kongresses (4-9 septembre 2005, São Paulo), De Gruyter, 2008.
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Mais c¶est bien sûr en vue du jugement que nous y parvenons : c¶est ainsi que nous établissons l¶identité de plusieurs représentations A sous un même concept B, au profit du jugement universel µTous les A sont B¶, comme nous relevons leur différence pour la formation du jugement particulier µQuelques A (seulement) sont B¶ (et d¶autres ne le sont pas). Ou encore c¶est ainsi qu¶est reconnu l¶accord de A et B, d¶où vient le jugement affirmatif µA est B¶, ou leur discordance, d¶où le jugement négatif µA n¶est pas B¶. Identité et différence, accord et discordance seront donc dits des « concepts de la réflexion », relativement à la quantité et à la qualité des jugements. Intérieur et extérieur, matière et forme seront les concepts de la réflexion relativement à la relation et à la modalité. On peut aussi appeler ces quatre couples des « concepts de comparaison », tant qu¶ils opèrent dans une réflexion simplement logique, dans laquelle nous faisons complètement abstraction du pouvoir de connaître dont relèvent les représentations comparées (A262/B318). La réflexion transcendantale au contraire superpose à la simple comparaison la localisation de ce pouvoir de connaître : je distingue alors si les représentations sont comparées entre elles comme relevant de l¶entendement pur ou de l¶intuition sensible (A261/B317). Cette sorte de réflexion est nécessaire dès lors qu¶est considérée non seulement la forme logique des concepts, mais aussi leur contenu, c¶est-à-dire leur rapport à l¶objet, pour savoir si des choses mêmes sont identiques ou différentes, accordées ou discordantes, etc.. Pour cela il faut d¶abord établir où, en quel lieu transcendantal, résident les objets, s¶ils sont noumènes selon l¶entendement ou phénomènes selon la sensibilité. L¶identification de ces lieux apporte un complément à l¶analytique que l¶on désignera, selon la même transposition des titres aristotéliciens, comme la « topique transcendantale » (A268/B324). Celle-ci corrige le sophisme de l¶entendement qu¶on peut proprement appeler l¶amphibologie transcendantale, qui tient à la confusion du pur objet intellectuel avec le phénomène (amphibologie, tout comme « la peur des gaulois » peut confondre les « localisations » de la peur : celle que ressentent les gaulois et celle qu¶ils provoquent chez leurs ennemis). Il y a plus, et voici où intervient le rapport historique, selon Kant, de la Critique de la raison pure à la philosophie de Leibniz : c¶est par cette méprise que les concepts de la réflexion ont une telle influence sur l¶usage de l¶entendement qu¶ils ont été en mesure de conduire « un des plus pénétrants de tous les philosophes » à un prétendu système de la connaissance intellectuelle, qui entreprend de déterminer ses objets sans l¶adjonction des sens. Dit autrement : « C¶est par défaut d¶une telle topique transcendantale, et par conséquent égaré par l¶amphibologie des concepts de la réflexion, que le célèbre Leibniz édifia un système intellectuel du monde, ou plutôt qu¶il crut connaître la constitution interne des choses, en comparant tous les objets uniquement avec l¶entendement et les concepts formels séparés de sa pensée. >«@,OFRPSDUDWRXWHVFKRVHVOHVXQHVDYHFOHVDXWUHVVLPSOHPHQWSDUFRQFHSWVHWQHWURXYD
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M. Fichant comme il était naturel, aucunes autres différences que celles par lesquelles l¶entendement dis5 tingue les uns des autres ses purs concepts » (A270/B326) .
Kant se mettait ainsi en mesure de reconstruire les thèses fondamentales d¶un système de Leibniz en les articulant au tableau des concepts de la réflexion : chacune de ces thèses résulte de l¶amphibologie à laquelle chacun des quatre titres peut donner lieu. On reconnaîtra aisément qu¶au couple de concepts de la réflexion « identité et différence » correspond le principe leibnizien de l¶identité des indiscernables. Leibniz associerait au couple « intérieur et extérieur » (selon la catégorie de la relation) le principe de la monadologie en vertu duquel, indépendamment de toute relation externe, une substance se caractérise par son état interne qui ne peut donc être qu¶un état représentatif. Au doublet « forme et matière », Kant fait correspondre une doctrine improprement présentée comme leibnizienne de l¶espace et du temps (qui en est bien plutôt la version postwolffienne). Venons-en au « principe de la théodicée ». En effet, au titre du groupe « accord et discordance », Kant retrouve l¶acquis d¶un de ses plus remarquables écrits précritiques. La réflexion transcendantale permet en effet de reconnaître que selon l¶entendement pur on ne peut penser aucun conflit entre des réalités (realitas noumenon), c¶est-à-dire un rapport tel qu¶en se composant dans un même sujet ces réalités supprimeraient leurs suites, comme lorsque 3 ± 3 = 0. Au contraire, dans le phénomène (realitas phaenomenon), un tel conflit de réalités est possible : c¶est le cas lorsque deux forces motrices agissent sur la même droite en directions opposées, ou lorsqu¶un plaisir contrebalance une douleur (A265/B320-321). Comme on le sait, c¶est dans le bref et brillant Essai pour introduire en philosophie le concept de grandeur négative de 1763 6 que Kant avait formulé la double interprétation de l¶opposition par laquelle quelque chose est supprimé par la position d¶autre chose. De l¶opposition logique résulte, conformément au principe de contradiction, et selon la formule de Baumgarten, un nihil negativum irrepraesentabile 7 : « Un corps en mouvement est Quelque chose [Etwas], un corps qui n¶est pas en mouvement est aussi quelque chose (cogitabile) ; mais un corps qui serait précisément dans la même ac-
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« In Ermangelung einer solchen transscendentalen Topik und mithin durch die Amphibolie der Reflexionsbegriffe hintergangen, errichtete der berühmte Leibniz ein intellectuelles System der Welt, oder glaubte vielmehr der Dinge innere Beschaffenheit zu erkennen, indem er alle Gegenstände nur mit dem Verstande und den abgesonderten formalen Begriffen seines Denkens verglich. >«@(UYHUJOLFKDOOH'LQJHEORGXUFK%HJULIIHPLWHLQDQGHUXQGIDQGZLH natürlich, keine andere Verschiedenheiten als die, durch welche der Verstand seine reinen Begriffe von einander unterscheidet ». Versuch den Begriff der negativen Größen in die Weltweisheit einzuführen, Ak II, 165-204. Baumgarten, Metahysica, editio 7, 1779, Georg Olms Verlag, Hildesheim-New York, 1982, §§ 7 et 9.
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ception et simultanément en mouvement et non en mouvement n¶est rien du tout » (Ak II, 8 171) .
Ce rien n¶est pas lui-même pensable (« cogitable ») : la pensée supposée de la réunion de A et non-A dans un même sujet est une non-pensée. Autre est l¶opposition réelle, dans le cas où deux prédicats d¶une chose s¶opposent d¶une autre manière que selon le principe de contradiction. Ici le résultat reste encore quelque chose (Etwas) qui peut être pensé (cogitabile) : ainsi l¶annulation mutuelle dans le repos des effets de forces motrices agissant sur un même corps dans les directions opposées. Ce repos est encore un non-mouvement, mais au sens d¶un nihil privativum repraesentabile 9. « Nous appellerons désormais ce Rien Zéro = 0, et c¶est sa signification identique à celle de négation (negatio), manque, défaut, qui sont par ailleurs en usage chez les philosophes, qui 10 interviendra dans la suite » (ibid., 172) .
Selon la « Table du Rien » qui, dans la Critique de la raison pure, se surajoute comme un ultime complément systématique à la fin de l¶Amphibologie des concepts de la réflexion (A290-292/B347-348), le nihil negativum sera aussi « l¶objet vide sans concept », ou l¶objet d¶un concept qui se contredit lui-même. Selon l¶isomorphisme avec la table des jugements et celle des catégories, ce sera donc l¶acception modale du Néant. En revanche le nihil privativum sera « l¶objet vide d¶un concept », ou le concept du manque d¶un objet, comme les ombres ou la froideur. Ce Rien, qui s¶oppose au Quelque chose comme la négation à la réalité, relève bien entendu de la catégorie de la qualité 11. En 1763, l¶emprunt aux mathématiques du concept de grandeurs négatives reposait sur l¶interprétation de ces dernières comme des grandeurs aussi véritables et réelles que celles qui sont dites positives : seule compte ici l¶opposition réelle qui, par exemple, défalque les parcours effectués vers l¶ouest par un bateau allant d¶Europe en Amérique de ses parcours effectués par vent contraire vers l¶est. Les deux ensembles de parcours sont aussi réellement effectués l¶un que l¶autre, même si leur somme algébrique représente la simple distance Europe-Amérique, moindre que la distance totale parcourue par le bateau à la surface de la mer : en tout il est bien allé de Bordeaux à La Nouvelle-Orléans (cf. Ak II, 173-174). C¶est par convention qu¶on affecte du signe µ±¶ les trajectoires effectuées vers l¶est parce qu¶on considère le rapport d¶opposition relativement au but finalement visé du voyage. Mais, dans l¶opposition réelle, les grandeurs dites négatives n¶ont de sens que par cette opposition elle-même qui détermine leur contribution au 8
« Ein Körper in Bewegung ist Etwas, ein Körper, der nicht in Bewegung ist, ist auch Etwas (cogitabile); allein ein Körper, der in Bewegung und in eben demselben Verstande zugleich nicht in Bewegung wäre, ist gar nichts ». 9 Baumgarten, ibid., § 54. 10 « Wir wollen dieses Nichts künftighin Zero = 0 nennen, und es ist dessen Bedeutung mit der von einer Verneinung (negatio), Mangel, Abwesenheit, die sonst bei Weltweisen im Gebrauch sind, einerlei, nur mit einer näheren Bestimmung, die weiter unten vorkommen wird ». 11 Voir mon étude « /D³7DEOHGXRien´GDQVODCritique de la raison pure de Kant », Cahiers de philosophie de O¶8QLYHUVLWpGH&DHQ, n° 43, Presses universitaires de Caen, 2007.
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résultat. Et cette contribution est bien elle aussi quelque chose de réel. Il y aura donc deux sortes de négation : celle qui est la suite d¶une opposition réelle sera dite proprement privation (Beraubung, privatio) ; mais celle qui ne procède pas d¶une telle répugnance devra plutôt s¶appeler un défaut ou un manque (Mangel, defectus, absentia) (ibid., 177-178). Cette dernière n¶a besoin d¶aucun fondement positif, alors que la première exige à la fois un fondement réel de la position et un fondement opposé tout aussi réel. Un corps en repos peut l¶être en l¶absence de force motrice, mais il peut aussi l¶être parce que l¶effet d¶une force motrice bien présente est annulé par l¶effet d¶une autre force tout aussi présente. « De façon générale, cela veut dire : que la suppression des suites d¶un fondement positif réclame toujours aussi un fondement positif » (ibid., 177) 12, dont la grandeur constitue la grandeur négative relativement à la grandeur du fondement opposé. Ce fondement positif pourra donc, à l¶instar de la manière dont on parle de grandeurs négatives, recevoir la même dénomination que le principe auquel il s¶oppose réellement : ainsi la haine est-elle non seulement absence d¶amour, mais amour négatif. La laideur n¶est pas manque de beauté, mais beauté négative. L¶erreur même est vérité négative (à ne pas confondre avec la vérité d¶une proposition négative), etc. (ibid., 181-182). Kant souligne qu¶il ne s¶agit pas seulement ici d¶un jeu sur les mots : car il y a toujours un avantage à ce que les expressions bien choisies marquent le rapport aux concepts déjà connus, comme le sait quiconque a la moindre familiarité avec les mathématiques : « La faute dans laquelle bien des philosophes sont tombés pour l¶avoir négligé saute aux yeux. On trouve que la plupart du temps ils traitent les maux comme de simples négations, alors qu¶il est manifeste d¶après nos explications : il y a des maux par défaut (mala defectus) et des maux par privation (mala privationis). Les premiers sont des négations auxquelles ne correspond aucun fondement d¶une position opposée, les seconds présupposent des fondements positifs pour supprimer le bien pour lequel il y a effectivement un autre fondement, et ils sont un bien négatif. Ce dernier est un mal bien plus grand que le premier. Ne pas donner est un mal relativement à celui qui est dans le besoin, mais voler, extorquer, dérober, est à son 13 égard un mal bien plus grand ; voler est un donner négatif » (ibid., 182) .
L¶Essai de 1763 ne va pas plus loin et il n¶évoque pas plus explicitement le thème et l¶argument d¶une théodicée, bien qu¶il mette ainsi suffisamment en question le système de concepts sur lequel elle repose. L¶Amphibologie des concepts de la 12 « Dieses will im allgemeinen Verstande so viel sagen: daß die Aufhebung der Folge eines positiven Grundes jederzeit auch einen positiven Grund erheische ». 13 « Der Fehler, darin um dieser Vernachlässigung willen viele Philosophen verfallen sind, liegt am Tage. Man findet, daß sie mehrentheils die Übel wie bloße Verneinungen behandeln, ob es gleich nach unsern Erläuterungen offenbar ist: daß es Übel des Mangels (mala defectus) und Übel der Beraubung (mala privationis) giebt. Die erstern sind Verneinungen, zu deren entgegengesetzter Position kein Grund ist, die letztern setzen positive Gründe voraus, dasjenige Gute aufzuheben, wozu wirklich ein anderer Grund ist, und sind ein negatives Gute. Dieses letztere ist ein viel größeres Übel als das erstere. Nicht geben ist in Verhältniß auf den, der bedürftig ist, ein Übel, aber Nehmen, Erpressen, Stehlen ist in Absicht auf ihn ein viel größeres, und Nehmen ist ein negatives Geben ».
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réflexion prolonge cependant l¶Essai en y ajoutant ce que le texte précritique ne pouvait encore que laisser dans l¶ombre : l¶entendement pur, par ses seuls concepts, ne peut concevoir que l¶opposition logique, et tient que toutes les réalités, comme simples affirmations, s¶accordent entre elles. L¶opposition réelle relève de la sensibilité et de ce que celle-ci comporte nécessairement d¶irréductibilité au concept dans ses formes pures (qui sont des intuitions pures) : « Dans le concept d¶une chose il n¶y a aucune discordance lorsque rien de négatif n¶est uni à de l¶affirmatif, et des concepts simplement affirmatifs ne peuvent dans leur liaison produire aucune suppression [Aufhebung]. Mais dans l¶intuition sensible, là où une réalité (par ex. un mouvement) est donnée, il se trouve des conditions (directions opposées) dont il est fait abstraction dans le concept du mouvement comme tel, qui rendent possible une discordance, qui n¶est assurément pas logique, puisqu¶elle fait d¶un positif tout pur un Zéro = 0 ; et on ne pouvait pas dire que toute réalité est en accord avec toute autre, au motif qu¶on ne trouve aucun 14 désaccord entre leurs concepts » (A282/B338) .
Avec l¶opposition des directions, reposant elle-même sur le conflit des forces dans la nature, la mécanique générale peut instituer en règle a priori la condition empirique de cette opposition réelle, qui joue entre des realitates phaenomena. Mais le concept transcendantal de réalité ignore tout de cette condition. Il n¶y a pas lieu de commenter longuement ici le choix de l¶exemple donné par Kant et la référence aux propositions pures de la science générale du mouvement. On sait assez qu¶à la catégorie de la qualité et au principe des grandeurs intensives correspond, dans la structure de la métaphysique de la nature, la dynamique ; la thèse cardinale de celle-ci est l¶affirmation du conflit des forces fondamentales, attraction et répulsion, qui déterminent le degré de remplissement de l¶espace par la matière. C¶est bien d¶un conflit réel qu¶il s¶agit et la dualité des forces doit s¶entendre comme celle de deux positions antagonistes 15. Par là, la dynamique kantienne s¶oppose à celle de Leibniz. Comme l¶avait heureusement remarqué Gueroult, Leibniz avait renvoyé l¶opposition des vitesses et des forces directives (dites aussi quantité de progrès ou de direction) au relatif, à l¶imaginaire, au fictif. Au contraire, l¶inscription du carré de la vitesse dans l¶expression mv2 des forces vives permettait à celles-ci d¶échapper à l¶opposition en se constituant en grandeurs toujours positives. Que la vitesse orientée, et la force directive correspondante, soient affectées d¶un + ou d¶un ±, l¶élévation au carré donne toujours du positif : +v par + v comme ± v par ± v font pareillement v2. Ainsi la force peut-elle être quelque chose d¶absolu et de 14 « >«@LQGHP%HJULIIHYRQHLQHP'LQJH>LVW@JDUNHLQ:LGHUVWUHLWZHQQQLFKWV9HUQHLQHQGHV mit einem bejahenden verbunden worden, und bloß bejahende Begriffe können in Verbindung gar keine Aufhebung bewirken. Allein in der sinnlichen Anschauung, darin Realität (z.B. Bewegung) gegeben wird, finden sich Bedingungen (entgegengesetzte Richtungen), von denen im Begriffe der Bewegung überhaupt abstrahirt war, die einen Widerstreit, der freilich nicht logisch ist, nämlich aus lauter Positivem ein Zero =0, möglich machen; und man konnte nicht sagen: daß darum alle Realität unter einander in Einstimmung sei, weil unter ihren Begriffen kein Widerstreit angetroffen wird ». 15 Cf. Jules Vuillemin, Physique et métaphysique kantiennes, Presses Universitaires de France, Paris, 1955.
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réel et l¶équation de la conservation de la somme des forces vives peut rejoindre « l¶axiome que le positif ne peut que s¶ajouter et jamais se retrancher » 16. Par ailleurs le facteur m de la force vive en désignait l¶élément passif, de telle sorte que la force passive ne soit rien de positif qui contredise la force active, mais se réduise à une simple limitation de celle-ci. De cette manière, les concepts fondamentaux de la dynamique pouvaient à leur tour illustrer la conception d¶un mal métaphysique. Ainsi, au § 30 de la Théodicée, Leibniz proposait de représenter la différence des substances créées et des effets de leurs actions par la différence des vitesses de bateaux emportés par le même courant, mais alourdis par des charges inégales : « L¶inertie naturelle des corps, [autre nom pour Leibniz de la force passive] [est] quelque chose qu¶on peut considérer comme une parfaite image et même comme un échantillon de la limitation originale des créatures, pour faire voir que la privation fait le formel des imperfections et des inconvénients qui se trouvent dans la substance aussi bien que dans ses actions >«@ » (GP VI, 120).
Ainsi, tout comme « Le courant est la cause du mouvement du bateau, mais non pas de son retardement, Dieu est la cause de la perfection dans la nature et dans les actions de la créature, mais la limitation de la réceptivité de la créature est la cause des défauts qu¶LO\DGDQVVRQDFWLRQ$LQVL>«@'LHX est la cause du matériel du mal, qui consiste dans le positif, et non pas du formel, qui consiste dans la privation » (ibid.).
À défaut de l¶analogie directe, Kant préserve le voisinage du thème dynamique des forces et du thème métaphysique du mal. Certes, s¶agissant de ce titre du tableau quadripartite des concepts de la réflexion, il admet dans la Critique de la raison pure que Leibniz ne confère pas ici à sa proposition « la pompe d¶un principe nouveau ». C¶est à ses successeurs qu¶il est revenu de l¶introduire expressément « dans leurs édifices doctrinaux leibnizo-wolffiens ». Dès lors « Selon ce principe, tous les maux par ex. ne sont rien que les suites des bornes des créatures, c¶est-à-dire des négations, parce que celles-ci sont les seuls termes de discordance de la réalité (il en est effectivement ainsi dans le simple concept d¶une chose en tant que telle, mais non 17 dans les choses comme phénomènes) » (A273/B329) .
Il faut ici observer que, dans ses rédactions préparatoires à une réponse, qui ne fut pas achevée, à la question de l¶Académie de Berlin sur Les Progrès de la métaphysique en Allemagne depuis l¶époque de Leibniz et de Wolff, Kant a fourni une version différente du dispositif quadripartite qui ramène la philosophie de Leibniz à ses quatre thèses fondamentales. Le principe des indiscernables occupe toujours le numéro 1. Alors que dans l¶Amphibologie des concepts de la réflexion, 16 Martial Gueroult, Dynamique et métaphysique leibniziennes, Les Belles Lettres, Paris, 1934, p. 165. 17 « Nach diesem Grundsatze sind z.E. alle Übel nichts als Folgen von den Schranken der Geschöpfe, d.i. Negationen, weil diese das einzige Widerstreitende der Realität sind (in dem bloßen Begriffe eines Dinges überhaupt ist es auch wirklich so, aber nicht in den Dingen als Erscheinungen) ».
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la Monadologie, avec le système de l¶Harmonie préétablie des substances comme corollaire, occupait le numéro 3, désormais, l¶Harmonie préétablie occupe seule le titre 3 et la Monadologie passe au numéro 4 ; la doctrine de l¶espace et du temps n¶est plus mentionnée (Ak XX, 282-285). Sauf au titre 1, les correspondances formelles avec le tableau des concepts de la réflexion et, par son intermédiaire, avec ceux des jugements et des catégories, semblent singulièrement se relâcher, Kant feignant de prendre davantage en compte la réalité d¶un corpus historiquement constitué dans le cadre de cette contribution à ce qu¶il appelle « une histoire philosophante de la philosophie » (ibid., 340). Ce relâchement paraît encore accentué lorsque Kant mentionne, cette fois au numéro 2, donc, en principe, au titre de la qualité, un principe dont assurément on pourrait dire que Leibniz lui a donné toute la pompe d¶un principe majeur et hors de pair : il s¶agit ici du principe de raison, dont on ne voit d¶abord absolument pas ce qu¶il viendrait faire, du point de vue kantien, à l¶enseigne de la qualité. Kant souligne la formulation purement intellectuelle que Leibniz aurait donnée du principe de raison, en croyant ne pas devoir supposer au Grund ou ratio que réclame le grand principe une intuition a priori et en ayant reconduit sa représentation à de simples concepts a priori. À cet égard, le correctif au principe de raison devrait relever, selon l¶« Analytique des principes », des « Analogies de l¶expérience » et donc de l¶application des catégories de la relation (cf. A783/B811). Cependant, dans le texte des Progrès, Kant formule incontinent le principe de l¶optimisme, dans toute son étendue, comme une conséquence immédiate du principe de raison tel que Leibniz l¶aurait formulé : « 6RQSULQFLSHGHODUDLVRQVXIILVDQWH>«@SURYRTXDLWODFRQVpTXHQFHTXHWRXWHVFKRVHVPétaphysiquement considérées, seraient composées de réalité et de négation, de l¶être et du nonêtre, comme chez Démocrite toutes choses dans l¶espace mondial le sont des atomes et du vide ; la raison [Grund] d¶une négation ne pourrait être rien d¶autre sinon qu¶il n¶y a pas de raison par quoi quelque chose [etwas] est posé, c¶est-à-dire pas de réalité. Ainsi fabriqua-t-il à partir de tout le mal déclaré métaphysique en union avec le bien de même espèce un monde fait de simple lumière et d¶ombres, sans prendre en considération que pour mettre un espace dans l¶ombre il doit y avoir un corps, et donc quelque chose de réel qui résiste à ce que la lu18 mière pénètre dans l¶espace » (Ak XX, 282-283) .
Du refus de prendre en compte un véritable conflit des réalités a résulté un principe qui heurte pareillement l¶entendement sain et la morale : « Que tout le
18 « 6HLQ 6DW] GHV ]XUHLFKHQGHQ *UXQGHV >«@ brachte die Folgerung hervor, daß alle Dinge, metaphysisch betrachtet, aus Realität und Negation, aus dem Sein und dem Nichtsein, wie bei dem Demokrit alle Dinge im Weltraume aus den Atomen und dem Leeren, zusammengesetzt wären, und der Grund einer Negation kein anderer sein könne, als daß kein Grund, wodurch etwas gesetzt wird, nämlich keine Realität da ist, und so brachte er aus allem sogenannten metaphysischen Bösen, in Vereinigung mit dem Guten dieser Art, eine Welt aus lauter Licht und Schatten hervor, ohne in Betrachtung zu ziehen, daß, um einen Raum in Schatten zu stellen, ein Körper da sein müsse, also etwas Reales, was dem Licht widersteht, in den Raum einzudringen ».
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mal soit, comme raison [Grund] = 0, c¶est à dire simple limitation, ou, comme disent les métaphysiciens, le formel des choses » (ibid.) 19. Il doit être possible de proposer au moins une hypothèse pour comprendre l¶association établie ici par Kant entre principe de raison et principe de la théodicée, ce dernier identifié à l¶axiome de l¶additivité de tout le positif et au rejet, selon l¶entendement, des véritables grandeurs négatives. L¶examen détaillé de cette hypothèse devrait passer par l¶étude des formulations données, à partir de Wolff et chez ses successeurs, du principe de raison et des arguments employés pour le justifier, voire chez certains pour le démontrer. On se bornera à rappeler sommairement que, dans l¶Ontologia, Wolff subordonnait l¶introduction du principe, énoncé comme Nihil est sine ratione, aux définitions préalables de la ratio, du quelque chose (aliquid) et du rien, entendu au sens du nihil negativum comme ce qui n¶a pas de notion et ne peut être conçu ou pensé 20. L¶énoncé du principe de raison peut tout autant être entendu comme un énoncé sur tout ce qui est que comme un énoncé symétrique sur le Rien. Si quelque chose requiert toujours une raison dans quelque chose, inversement, ce qui n¶est rien n¶a pas besoin de raison ou encore ce qui serait sa raison n¶est rien ou = 0. Que l¶on transpose ce jeu formulaire au nihil privativum, qui est l¶acception du Rien selon la catégorie de la qualité et donc selon l¶opposition de la réalité et de la négation, et l¶on pourra soutenir alors que si les maux ne sont rien en ce sens là, il n¶y a pas à en chercher la raison dans aucune réalité, et assurément pas dans l¶Être qui contient en lui toute réalité. Dieu, raison des choses dans ce qu¶elles ont de réel, n¶a donc pas à rendre raison de ce qui n¶a aucune réalité et n¶est que la limitation originelle et inévitable de tout ce qu¶il peut créer. On comprendrait alors pourquoi Kant faisait preuve d¶une grande perspicacité en associant le principe de raison dans son acception leibnizienne ou leibnizo-wolffienne à la question de la réalité et de la négation. Il pouvait ainsi sortir de toute théodicée en échappant à l¶interprétation purement conceptuelle du principe de raison et en reconnaissant en lui, indépendamment du principe logique de contradiction, un principe des jugements synthétiques dans la possibilité de l¶expérience 21. Du point de vue spéculatif, c¶est bien la possibilité de l¶expérience qui légitime la reconnaissance des oppositions réelles et fonde l¶utilité des grandeurs négatives dans la science de la nature comme dans la psychologie et l¶anthropologie.
19 « >«@ daß alles Böse als Grund = 0, d.i. bloße Einschränkung, oder, wie die Metaphysiker sagen, das Formale der Dinge sei ». 20 Wolff, Philosophia prima sive Ontologia, methodo scientifica pertractata, qua omnis cognitionis humanæ principia continentur, première édition, Francfort et Leipzig, 1730 (seconde édition, 1736, publiée par Jean École, Georg Olms, Hildesheim-New York, 2001), §§ 56sq. 21 Telle est en fin de compte la récupération du principe de raison à laquelle Kant procède dans la Réponse à Eberhard : Über eine Entdeckung, nach der alle neue Kritik der reinen Vernunft durch eine ältere entbehrlich gemacht werden soll, Ak VIII, 247-248.
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L¶insuccès de toute théodicée concerne cependant bien davantage la raison pratique. Pour établir la fécondité, aussi sur ce plan, de l¶introduction en philosophie du concept de grandeurs négatives, une autre étape est à parcourir. Dans les limites de cette communication, je me bornerai à en esquisser la voie. Une fois reconnue la vacuité de la notion de mal métaphysique, que reste-t-il à la raison pour penser la réalité du mal moral ? La réponse ultime de Kant, on le sait, se trouve dans la conception de ce qu¶il appelle le mal radical, qu¶il faut entendre comme la racine du mal. Une note importante de la première partie de La Religion dans les limites de la simple raison (Ak, VI, 22) prépare la mise en place de cette conception par la reprise, trente ans après, de formules qui réinvestissent l¶acquis de l¶opuscule de 1763. Le non-bien est l¶opposé contradictoire du bien = A. Mais il peut s¶agir soit d¶un simple manque de fondement (ou de raison, Grund) du bien = 0, soit d¶un fondement positif de résistance au bien = ± A. Si l¶homme était tel que sa volonté ne soit en rien touchée par des mobiles moraux, l¶accord moralement bon de sa volonté avec la loi morale serait un bien = a, auquel ne s¶opposerait qu¶un nonbien indifférent = 0. Mais c¶est un fait, du moins selon Kant, qu¶il y a en nous un mobile moral = A qui pousse la volonté à se conformer à la loi (et, comme on le sait, ce n¶est rien d¶autre que la loi elle-même faite mobile dans le sentiment singulier du respect, où la raison pratique détermine la sensibilité). Par conséquent le défaut d¶accord de la volonté avec la loi = 0 n¶est possible que comme suite d¶une opposition réelle où intervient une résistance de la volonté = ± A. La formule A ± A = 0 n¶est pas ici l¶expression de la position dans le même sujet de deux prédicats contradictoires : il s¶agit bien plutôt du conflit de deux principes aussi réels l¶un que l¶autre, dont l¶un consiste dans une volonté mauvaise qui est une véritable grandeur négative : c¶est l¶intention, directement opposée au respect, d¶inverser le rapport en soumettant la raison pratique à la sensibilité. Pour autant qu¶elle était lointainement préparée par l¶introduction en philosophie du concept de grandeurs négatives, la pensée du mal radical confirme la fin de ce qui était au principe de la théodicée leibnizienne : c¶en est bien fini désormais de la « conformité de la foi et de la raison ». Il n¶est plus possible de composer le vrai avec le vrai, celui de la raison et celui de la foi, au motif seulement logique que deux vérités, comme deux réalités selon le concept de l¶entendement, ne sauraient se contredire 22. Le duo harmonique de la raison et de la foi est rompu par la dissociation originaire du registre de la pensée et de celui de la sensibilité. L¶opposition réelle a sa place là où précisément, dans la connaissance des phénomènes, l¶entendement trouve à accorder ses concepts à la sensibilité. Mais, du point de vue pratique, sensibilité et raison pure entrent dans une autre discordance quand il s¶agit de déterminer le motif profond de l¶action : la suprématie alors de la raison pratique procède d¶un tout autre rapport entre raison et foi que celui de leur mise en conformité ; ce nouveau rapport est celui 22 Cf. Théodicée, Discours préliminaire, § 22, GP VI, 63-64.
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qui s¶instaure dans la décision de « suspendre le savoir pour faire place à la foi » (« das Wissen aufheben, um zum Glauben Platz zu bekommen », B XXX). Ce sera finalement en suivant cette foi que la théodicée authentique reconnaîtra la bonté et la justice de Dieu dans la simplicité d¶âme et dans l¶inscience dont le personnage de Job incarne le type. En face, ses accusateurs apparaissent comme les ancêtres des docteurs du faux savoir de la théodicée doctrinale 23.
23 Über das Mißlingen aller philosophischen Versuche in der Theodicee ['HO¶LQVXFFqVGHWRXV les essais philosophiques de Théodicée], Ak VIII, 265-267.
ZWEI ANSÄTZE ZUR LÖSUNG DES THEODIZEE-PROBLEMS BEIM KRITISCHEN KANT von Volker Dieringer (Mannheim)
Unter Kants Druckschriften aus den Jahren nach 1781 befindet sich mit dem im September 1791 in der Berlinische(n) Monatsschrift erschienenen Aufsatz Über das Mißlingen aller philosophischen Versuche in der Theodicee nur eine einzige Abhandlung, die eigens dem Problem des Übels gewidmet ist.1 Mit den Nachschriften zu Kants Vorlesungen über Rationaltheologie, die vermutlich auf ein entsprechendes Kolleg aus dem Wintersemester 1783/84 zurückgehen, liegt darüber hinaus aber noch eine zweite wichtige Quelle vor, die über das Theodizee-Denken des kritischen Kant Aufschluss gibt.2 Eine vergleichende Lektüre führt nun zu dem überraschenden Ergebnis, dass Kant in seinen Vorlesungen über Rationaltheologie offenbar Argumente für das Gelingen einer philosophischen Theodizee vorgetragen hat, die er einige Jahre später in seinem
1
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Kants Schriften werden zitiert nach Ausgabe der Königlich-Preussischen [später Deutschen, jetzt Berlin-Brandenburgischen] Akademie der Wissenschaften (Akademie-Ausgabe), Berlin 1900 ff., unter Angabe der Band- und Seitenzahl. Zu Kants Vorlesungen über Rationaltheologie sind insgesamt vier Nachschriften erhalten: Die Religionslehre Pölitz (AA XXVIII, 989±1126), die Natürliche Theologie Volckmann (AA XXVIII/1127±1226), die Danziger Rationaltheologie (AA XXVIII/1227±1319) sowie die Vernunft-Theologie Magath, die in der Akademie-Ausgabe allerdings nur als Variante zur Religionslehre Pölitz wiedergegeben wird (AA XXIX, 1051±1077). Hinzu kommen das sog. Fragment einer späteren Rationaltheologie (AA XXVIII/1321±1331) sowie ein weiteres Fragment aus einer zuvor unbekannten Vorlesungsnachschrift, das in der Schrift Die vornehmsten Wahrheiten der natürlichen Religion vorgetragen und gegen die neueren Einwürfe vertheidigt des Marburger Theologen Johann Franz Coing (1725±1792) von 1788 enthalten ist und erst in den 1980er Jahren von Lothar Kreimendahl entdeckt und ediert wurde (vgl. L. Kreimendahl Ä.DQWV .ROOHJ EHU 5DWLRQDOWKHRORJLH )UDgmente einer bislang unbekannten 9RUOHVXQJVQDFKVFKULIW³LQ Kant-Studien 79 (1988), S. 318±328). Zur Datierung der Vorlesungsnachschriften zur Rationaltheologie vgl. E. Adickes: Untersuchungen zu Kants physischer Geographie, Tübingen 1911, S. 41; K. Beyer: Kants Vorlesungen über die philosophische Religionslehre, Halle 1937, bes. S. 229±236; A.W. WoodÄ7UDQVODWRU¶V,QWURGXFWLRQ³ in: Immanuel Kant: Lectures on Philosophical Theology, Ithaca ± London 1978, S. 14 f.; C. Esposito Ä,QWURGX]LRQH³ LQ Immanuel Kant: Lezioni di filosofia della religione, Napoli 1988, S. 28±31; Kreimendahl, S. 318 f.; A.W. WoodÄ(GLWRU¶V,QWURGXFWLRQ³LQ Immanuel Kant: Religion and Rational Theology (= The Cambridge Edition of the Works of Immanuel Kant), Cambridge et al. 1996, S. 337 f.
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Theodizee-Aufsatz mit Entschiedenheit zurückweist.3 In der neueren deutschsprachigen Kant-Literatur hat dieser Befund zu kontroversen Deutungen Anlass gegeben. So hat Christoph Schulte die These vertreten, dass Kant nicht schon durch die Kritik der reinen Vernunft, sondern erst durch die Kritik der Urteilskraft zu der Einsicht gelangt sei, dass alle Versuche, die Annahme der Existenz eines moralischen Welturhebers angesichts der Erfahrung des Übels in unserer Welt philosophisch zu rechtfertigen, grundsätzlich zum Scheitern verurteilt seien. Denn erst die moralische Theologie der dritten Kritik, der zufolge die Realisierung des höchsten Guts als Endzweck der gesamten Schöpfung angesehen werden müsse, erlaube es Kant, die in unserer Welt existierenden Übel unter dem Oberbegriff des Zweckwidrigen zu bündeln und damit die Hürde aufzurichten, an der dann im Theodizee-Aufsatz auch die moraltheologisch gewendete Theodizee zu Fall komme, die einige Jahre zuvor in den Vorlesungen über Rationaltheologie noch aufrechterhalten werden konnte.4 Damit, so Schulte, sei das Schicksal der philosophischen Theodizee besiegelt. Übrig bleibe nur noch HLQHÄUHOLJL|VH7KHRGL]HH³EHLGHUVLFKGHUHLQ]HOQH0HQVFKÄDOVVHOEVW/HLGHQGHU vRU*RWWILQGHWXQGVLFK*RWWHV:LOOHQIJW³5 Demgegenüber hat Johannes Brachtendorf unlängst in ausdrücklichem Widerspruch zu Schulte für eine Deutung des Kantschen Theodizee-Aufsatzes ÄQLFKW DOV HLQHU JUXQGsätzlichen Theodizee-Kritik, sondern als einer
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Die Vermutung, dass die Theodizee-Argumente der Vorlesungen über Rationaltheologie gar nicht Kants eigene Meinung, sondern Positionen der Autoren widerspiegeln, deren Kompendien Kant seinen Vorlesungen zugrunde gelegt hat, erweist sich bei näherem Hinsehen als wenig plausibel. So wird weder in Johann August Eberhards Vorbereitung zur natürlichen Theologie noch im dritten, der Rationaltheologie gewidmeten Teil der Metaphysica Alexander Gottlieb Baumgartens eine dezidierte Auseinandersetzung mit Einwänden geführt, die sich gegen die Annahme eines heiligen, gütigen und gerechten Gottes richten. Hinzu kommt, dass der moralische Theismus, auf den sich die Theodizee-Argumente der Vorlesungen beziehen, inhaltlich starke Parallelen zur moralischen Theologie des Kanon-Kapitels der Kritik der reinen Vernunft aufweist. Man wird daher mit Christoph Schulte davon ausgehen können, dass Kant LQ VHLQHP .ROOHJ EHU 5DWLRQDOWKHRORJLH ÄPLW hEHU]HXJXQJ XQG $EVLFKW HLJHQH ÜberlegXQJHQ]XU7KHRGL]HHYRUWUlJWXQGGLHÃ(LQZUIH¶JHJHQVLH]XUFNZHLVW³&6FKXOWH: Ä=ZHFNZLGULJHVLQGHU(UIDKUXQJ =XU*HQHVHGHV0LOLQJHQVDOOHUSKLORVRSKLVFKHQ9HUVuche in der Theodizee bei Kant³LQKant-Studien 82 [1991], S. 373). Vgl. Schulte, Zweckwidriges in der Erfahrung, S. 384 f. C. Schulte Ä-GLVFKH 7KHRGL]HH ? Überlegungen zum Theodizee-Problem bei Immanuel Kant, Hermann CRKHQXQG0D[:HEHU³LQZeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte 49 (1997), S. 143. Eine ähnliche Sicht der Dinge wird mit Unterschieden im Detail auch von A. L. Loades: Kant DQG-RE¶V&RPIRUWHUV, Newcastle upon Tyne 1985, bes. S. 133±150; G. CavallarÄ.DQWV:HJYRQGHU7KHRGL]HH]XU$QWKURSRGL]HHXQGUHWRXUVerspätete Kritik an 2GR0DUTXDUG³LQ Kant-Studien 84 (1993), S. 90±102; F. Ricken: Religionsphilosophie (= Grundkurs Philosophie, Bd. 17), Stuttgart 2003, bes. S. 210±215; R. Wimmer: Religionsphilosophische Studien in lebenspraktischer Absicht (= Studien zur theologischen Ethik, Bd. 111), Fribourg et al. 2005, bes. S. 123±146; E. C. GalbraithÄ.DQW DQGÃ$7KHRGLF\RI3UoWHVW¶³ LQ &/ )LUHVWRQH/S.E. Palmquist (Hgg.): Kant and the New Philosophy of Religion, Bloomington et al. 2006, S. 179±189, vertreten.
Zwei Ansätze zur Lösung des Theodizee-Problems beim kritischen Kant
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1HXIXQGLHUXQJSKLORVRSKLVFKHU7KHRGL]HH³DUJXPHQWLHUW6 In seinem Aufsatz von 1791 wende sich Kant lediglich gegen den Versuch, die moralische Weisheit Gottes aus der Erfahrung zu beweisen; eine moralisch-praktische Theodizee, bei der gezeigt werde, dass das Wissen um die moralische Weisheit Gottes erstens erfahrungsvorgängig gewonnen werde und zweitens durch empirisch begründete Einwände weder bewiesen noch widerlegt werden könne, halte er dagegen nach wie vor für möglich.7 Diese grundlegende Gemeinsamkeit zwischen den Vorlesungen über Rationaltheologie und dem Theodizee-Aufsatz spricht nach (LQVFKlW]XQJ %UDFKWHQGRUIV IU GLH 7KHVH ÄGDVV NHLQ %UXFK LP 7KHRGL]HHDenken des kritischen Kant DQ]XQHKPHQLVW³8 Vor dem Hintergrund der beiden soeben vorgestellten Forschungspositionen ergeben sich nun zwei Fragen, die wechselseitig aufeinander verweisen: Erstens: Wie ist Kants Theodizee-Aufsatz von 1791 in sachlichsystematischer Hinsicht zu interpretieren? Führt Kant hier das grundsätzliche Scheitern aller Bemühungen vor Augen, die Annahme der Existenz eines weisen Welturhebers angesichts der Erfahrung des Übels in der Welt philosophisch zu rechtfertigen? Oder leistet er im Gegenteil eine Neubegründung philosophischer Theodizee im Sinne einer moralisch-praktischen Theodizee? Zweitens: In welchem Verhältnis steht die sachlich-systematische Grundaussage des Theodizee-Aufsatzes zu derjenigen der Vorlesungen über Rationaltheologie von 1783/84? Hat Kant mit seinem Aufsatz von 1791 einen radikalen Bruch mit der Theodizee-Konzeption der Vorlesungen vollzogen oder bekräftigt er dort vielmehr seine frühere Position? In den nachstehenden Überlegungen möchte ich nun in insgesamt vier Schritten einen Vorschlag zur Beantwortung dieser beiden Fragen skizzieren.9 Zunächst gilt es das Theodizee-Problem in der Form zu rekonstruieren, in der es sich für Kant sowohl in seinen Vorlesungen über Rationaltheologie als auch in seinem Theodizee-Aufsatz gestellt hat (I). Zur Interpretation der Ansätze, die Kant in diesem Zusammenhang zur Lösung des Theodizee-Problems verfolgt hat, greife ich anschließend auf die vor allem in der angloamerikanischen Literatur geläufige Unterscheidung zwischen einer philosophischen Theodizee einerseits und einer philosophischen Verteidigung des Theismus andererseits zurück (II). In einem dritten Schritt soll dann anhand jeweils eines Arguments zur Rechtfertigung der Heiligkeit, der Güte und der Gerechtigkeit Gottes aufgezeigt werden, dass Kant in seinen Vorlesungen über Rationaltheologie eine 6 7 8 9
J. Brachtendorf Ä.DQWV 7KHRGL]HH-Aufsatz ± Die Bedingungen des Gelingens philosophiVFKHU7KHRGL]HH³LQKant-Studien 93 (2002), S. 58. Vgl. ebd., S. 59±63. Brachtendorf, S. 58. Eine ausführliche Ausarbeitung dieses Interpretationsvorschlags findet sich in der Dissertation des Vfs., die demnächst unter dem Titel Kants Lösung des Theodizee-Problems. Eine Rekonstruktion, Stuttgart-Bad Cannstatt 2009 (= Forschungen und Materialien zur deutschen Aufklärung, Abt. II, Bd. 22).
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philosophische Theodizee im zuvor erläuterten Sinne vertreten hat (III). Abschließend werde ich auf das Grundsatzurteil zu sprechen kommen, mit dem Kant in seinem Theodizee-Aufsatz alle philosophischen Streitigkeiten auf dem Felde der Theodizee ein für allemal zu beenden hofft. Ich werde dafür argumentieren, dass dieses Grundsatzurteil in sachlich-systematischer Hinsicht als eine philosophische Verteidigung des moralischen Theismus gelesen werden kann (IV). I In der Literatur wird zumeist zwischen zwei Formulierungen des TheodizeeProblems unterschieden. Zum einen stellt sich die Frage, inwiefern die Existenz des Übels in der Welt mit der Existenz eines allmächtigen und allgütigen Gottes logisch widerspruchsfrei vereinbar ist. Zum anderen kann man aber auch fragen, ob die Existenz des Übels, selbst wenn sie mit der Annahme der Existenz eines allmächtigen und allgütigen Gottes logisch widerspruchsfrei vereinbar sein sollte, nicht trotzdem ein starker Beleg dafür ist, dass es vernünftiger ist, diese Annahme für falsch zu halten. Im ersten Fall wird das Theodizee-Problem als ein logisches Problem (logical problem of evil), im zweiten Fall hingegen als ein Belegproblem (evidential problem of evil) aufgefasst.10 Des Weiteren lassen sich sowohl das logische Problem des Übels als auch das Belegproblem des Übels in drei Richtungen konkretisieren. So kann man argumentieren, dass entweder die Existenz des Übels überhaupt oder die Existenz eines übergroßen Ausmaßes des Übels oder aber die Existenz augenscheinlich sinnloser Übel, die nicht der Verwirklichung eines wie auch immer beschaffenen größeren Gutes dienen, mit der Existenz eines allmächtigen und allgütigen Gottes logisch unvereinbar ist bzw. es unvernünftig erscheinen lässt, die Existenz eines solchen Wesens anzunehmen.11 Im ersten Fall kann man vom Theodizee-Problem als einem Grundsatzproblem, im zweiten Fall als einem Ausmaßproblem und im dritten Fall schließlich als einem Sinnproblem sprechen.12 Richtet man im Lichte dieser begrifflichen Differenzierungen nun den Blick auf Kant, so ist festzustellen, dass er das Theodizee-Problem sowohl in den Vorlesungen über Rationaltheologie von 1783/84 als auch im Theodizee-Aufsatz von 1791 als ein logisches Problem und dieses wiederum im Sinne eines 10 Vgl. z.B. J. Cornman et al.: Philosophical Problems and Arguments, Indianapolis 41992, S. 260±278; M. Peterson: God and Evil. An Introduction to the Issues, Boulder 1998, S. 17±32 u. 67±83; W. Rowe: Philosophy of Religion. An Introduction, Belmont 32001, S. 93±97 u. 98± 101; C. HalbigÄ7KHLVPXVXQG5DWLRQDOLWlW Neuere Beiträge zur analytischen ReligionsphiORVRSKLH³LQZeitschrift für philosophische Forschung 55 (2001), S. 441±455. Ich folge hier einem Übersetzungsvorschlag von W. Löffler: Einführung in die Religionsphilosophie, Darmstadt 2006, S. 129. 11 Vgl. Peterson, God and Evil, S. 23±27 u. 69±72. 12 Die Begriffe ÄGrundsatzproblem³ und ÄAusmaßproblem³ übernehme ich wiederum von Löffler, S. 129.
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Grundsatzproblems auffasst. Dabei wird die Existenz des Übels überhaupt als Beweis für die Falschheit des moralischen Theismus reklamiert, unabhängig von den nachgeordneten Fragen, ob in unserer Welt ein nicht zu rechtfertigendes Ausmaß an Übeln existiert und ob es unter den in unserer Welt vorkommenden Übeln sinnlose Übel gibt.13 Gegenstand der Theodizee-Debatte ist also die Annahme, dass ein moralischer Welturheber existiert, der die drei moralischen Prädikate der Heiligkeit, der Gütigkeit und der Gerechtigkeit in sich vereint. Gegen diese Annahme bringt der Theodizee-Gegner drei Einwände vor, die sich auf die Erfahrung des Zweckwidrigen in unserer Welt berufen. Dabei kommen drei Arten des Zweckwidrigen zur Sprache: Bei der ersten Art des Zweckwidrigen handelt es sich um das moralische Übel (malum morale). Dazu zählen das moralische Fehlverhalten des Menschen sowie GLH GDUDXV UHVXOWLHUHQGHQ OHLGYROOHQ )ROJHQ 'DV ÄPRUDOLVFKH =ZHFNZLGULJH³ LVW für Kant GDV ÄVFKOHFKWKLQ =ZHFNZLGULJH ZDV ZHGHU DOV =ZHFN QRFK DOV 0LWWHO YRQHLQHU:HLVKHLWJHELOOLJWXQGEHJHKUWZHUGHQNDQQ³$$9,,, Bei der zweiten Art des Zweckwidrigen handelt es sich um das natürliche oder physische Übel (malum physicum), wozu all jene Erfahrungen von Leid gerechnet werden, die zumindest grundsätzlich nicht durch moralisches Fehlverhalten des Menschen verursacht worden sind (z.B. Krankheiten oder 1DWXUNDWDVWURSKHQ 'DVÄSK\VLVFKH=ZHFNZLGULJH³LVW.DQW zufolge daVÄEHGLQJW Zweckwidrige, welches zwar nie als Zweck, aber doch als Mittel mit der Weisheit HLQHV:LOOHQV]XVDPPHQEHVWHKW³$$9,,, 'LH GULWWH $UW GHV =ZHFNZLGULJHQ EHVWHKW VFKOLHOLFK LP ÄMißverhältnis der Verbrechen und Strafen in der Welt³$$9,II/257; Hervorh. V.D.). Diese dritte Art des Zweckwidrigen betrifft die Relation zwischen der Existenz des moralischen Übels einerseits und der Existenz des natürlichen Übels andererseits. Dabei ist zu beachten, dass Kant die Gerechtigkeit Gottes ausschließlich als Strafgerechtigkeit (iustitia punitiva) und nicht als belohnende Gerechtigkeit (iustitia remunerativa) verstanden wissen will (vgl. AA VIII/257 f.). Eine Zweckwidrigkeit im Verhältnis zwischen moralischem und natürlichem Übel liegt demgemäß genau dann vor, wenn auf das Begehen einer bösen Tat nicht zwangsläufig das Erleiden natürlichen Übels als Strafe folgt. Vor diesem Hintergrund lässt sich Kants Exposition des Theodizee-Problems nun wie folgt rekonstruieren. Der Gottesbegriff des moralischen Theismus umfasst Kant zufolge die drei Prädikate der Heiligkeit, der Güte und der Gerechtigkeit, die sich wie folgt erläutern lassen: Wenn Gott ein heiliger Gesetzgeber ist, so ist es sein Wille, dass alle Menschen so handeln, wie es ihnen das Moralgesetz vorschreibt; wenn Gott ein gütiger Weltregierer ist, so ist sein 13 Die Exposition des Theodizee-Problems in den Vorlesungen über Rationaltheologie (vgl. Religionslehre Pölitz, AA XXVIII/1073±1076; Natürliche Theologie Volckmann, AA XXVIII/1183±1186; Danziger Rationaltheologie, AA XXVIII/1284±1287) ist sachlich identisch mit der im Theodizee-Aufsatz (vgl. AA VIII/255±258) vorgenommenen. Der Einfachheit halber beziehe ich mich im Folgenden auf die entsprechenden Textstellen aus dem Theodizee-Aufsatz.
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Wille auf das Wohlergehen aller seiner Geschöpfe gerichtet; und wenn Gott ein gerechter Richter ist, so wird er dafür Sorge tragen, dass jeder Mensch, der dem Moralgesetz zuwider handelt, seine angemessene Strafe erhält. Der Theodizee-Gegner bestreitet nun, dass sich folgende sieben Thesen logisch widerspruchsfrei miteinander vereinbaren lassen: (T1)
Es gibt einen Gott.
(T2)
Gott ist heilig.
(T3)
Gott ist gütig.
(T4)
Gott ist gerecht.
(T5)
In unserer Welt gibt es moralische Übel.
(T6)
In unserer Welt gibt es natürliche Übel.
(T7)
In unserer Welt besteht eine Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe.
Nach Ansicht des Theodizee-Gegners lässt sich sowohl für (T2) als auch für (T3) und (T4) zeigen, dass keine dieser drei Thesen mit (T1) und (T5) bzw. (T6) oder (T7) logisch widerspruchfrei vereinbart werden kann. Dazu bedarf es jedoch der Inanspruchnahme von insgesamt sieben Zusatzprämissen: (Z1)
Gott kann alles, was logisch möglich ist.
(Z2)
Die Vermeidung des moralischen Übels ist logisch möglich.
(Z3)
Die Vermeidung des natürlichen Übels ist logisch möglich.
(Z4)
Die Vermeidung einer Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe ist logisch möglich.
(Z5)
Es gibt keinen übergeordneten Zweck, der die Zulassung des moralischen Übels durch Gott rechtfertigen könnte.
(Z6)
Es gibt keinen übergeordneten Zweck, der die Zulassung des natürlichen Übels durch Gott rechtfertigen könnte.
(Z7)
Es gibt keinen übergeordneten Zweck, der die Zulassung einer Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe durch Gott rechtfertigen könnte.
Zwei Ansätze zur Lösung des Theodizee-Problems beim kritischen Kant
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Unter Berücksichtigung dieser Zusatzprämissen lassen sich die drei gegen die moralischen Eigenschaften Gottes gerichteten Einwände des Theodizee-Gegners nun wie folgt formulieren: Einwand A: Der Einwand gegen die Heiligkeit Gottes (1)
Es gibt einen Gott (T1) (P).
(2)
Gott ist heilig (T2) (P).
(3)
In unserer Welt gibt es moralische Übel (T5) (P).
(4)
Gott kann alles, was logisch möglich ist (Z1) (P).
(5)
Die Vermeidung des moralischen Übels ist logisch möglich (Z2) (P).
(6)
Es gibt keinen übergeordneten Zweck, der die Zulassung des moralischen Übels durch Gott rechtfertigen könnte (Z5).
(7)
Also: Es gibt keine moralischen Übel (~T5) (aus 1, 2, 4, 5 und 6).
(8)
Die Behauptung, dass es moralische Übel gibt, steht in kontradiktorischem Gegensatz zu der Behauptung, dass es keine solchen Übel gibt (P).
(9)
Also: Die Annahme, dass es einen Gott gibt, der die Eigenschaft der Heiligkeit besitzt, ist mit der Existenz des moralischen Übels in unserer Welt logisch unvereinbar (aus 3, 7 und 8).
Einwand B: Der Einwand gegen die Güte Gottes (1)
Es gibt einen Gott (T1) (P).
(2)
Gott ist gütig (T3) (P).
(3)
In unserer Welt gibt es natürliche Übel (T6) (P).
(4)
Gott kann alles, was logisch möglich ist (Z1) (P).
(5)
Die Vermeidung des natürlichen Übels ist logisch möglich (Z3) (P).
(6)
Es gibt keinen übergeordneten Zweck, der die Zulassung des natürlichen Übels durch Gott rechtfertigen könnte (Z6) (P).
(7)
Also: Es gibt keine natürlichen Übel (~T6) (aus 1, 2, 4, 5 und 6).
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(8)
Die Behauptung, dass es natürliche Übel gibt, steht in kontradiktorischem Gegensatz zu der Behauptung, dass es keine solchen Übel gibt (P).
(9)
Also: Die Annahme, dass es einen Gott gibt, der die Eigenschaft der Güte besitzt, ist mit der Existenz des natürlichen Übels in unserer Welt logisch unvereinbar (aus 3, 7 und 8).
Einwand C: Der Einwand gegen die Gerechtigkeit Gottes (1)
Es gibt einen Gott (T1) (P).
(2)
Gott ist gerecht (T4) (P).
(3)
In unserer Welt besteht eine Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe (T7) (P).
(4)
Gott kann alles, was logisch möglich ist (Z1) (P).
(5)
Die Vermeidung einer Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe ist logisch möglich (Z4) (P).
(6)
Es gibt keinen übergeordneten Zweck, der die Zulassung einer Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe durch Gott rechtfertigen könnte (Z7) (P).
(7)
Also: Es besteht keine Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe (~T7) (aus 1, 2, 4, 5 und 6).
(8)
Die Behauptung, dass eine Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe besteht, steht in kontradiktorischem Gegensatz zu der Behauptung, dass keine solche Disproportion besteht (P).
(9)
Also: Die Annahme, dass es einen Gott gibt, der die Eigenschaft der Gerechtigkeit besitzt, ist mit der Existenz einer Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe in unserer Welt logisch unvereinbar (aus 3, 7 und 8).
Damit hat der Theodizee-Gegner seine Bringschuld zunächst einmal geleistet. Es stehen nun drei gültige Einwände im Raum, in denen behauptet wird, dass die Existenz des Übels in unserer Welt zu der Annahme der Existenz eines höchsten Wesens mit moralischen Eigenschaften in logischem Widerspruch steht. Da der moralische Gottesbegriff nur dann in sich konsistent ist, wenn Gott alle drei moralischen Eigenschaften zugesprochen werden können, steht der moralische Theist vor der Aufgabe, alle drei Einwände seines Kontrahenten entkräften zu
Zwei Ansätze zur Lösung des Theodizee-Problems beim kritischen Kant
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müssen, oder anders gesagt, er muss zeigen, dass alle drei Argumente des Theodizee-Gegners zwar gültig, aber nicht schlüssig sind. Dagegen hat der Theodizee-Gegner sein Ziel bereits dann erreicht, wenn sich einer seiner drei Einwände als stichhaltig erweist. Als Anhänger eines moralischen Theismus muss Kant nun selbst an einer Entkräftung der genannten Einwände gelegen sein. Dazu muss mit den Mitteln rationaler Argumentation aufgezeigt werden, dass die Argumente des Theodizee*HJQHUV GHP %HJULII GHU PRUDOLVFKHQ :HLVKHLW *RWWHV ÄNHLQHVZHJV $EEUXFK WKXQ³$$9III/256). Mit anderen Worten, es gilt zu zeigen, dass die Existenz des Übels in der Welt zu der Annahme der Existenz eines höchsten Wesens mit moralischen Eigenschaften nicht in logischem Widerspruch steht. Dies ist die Beweislast, die der Anwalt eines moralischen Theismus im Hinblick auf eine erfolgreiche Entkräftung der Einwände des Theodizee-Gegners zu tragen hat. II Um zu verstehen, auf welche Weise Kant die soeben beschriebene Aufgabe zunächst in seinen Vorlesungen über Rationaltheologie und später in seinem Theodizee-Aufsatz zu bewältigen versucht hat, ist es hilfreich, auf eine Unterscheidung zwischen zwei Ansätzen zu einer Lösung des TheodizeeProblems zurückzugreifen, die sich in der neueren religionsphilosophischen Literatur vor allem aus dem angloamerikanischen Sprachraum eingebürgert hat.14 Beide Lösungsansätze verfolgen dieselbe Zielsetzung, nämlich die Annahme der Existenz eines weisen Welturhebers angesichts der Erfahrung des Übels in unserer Welt rational zu rechtfertigen. Sie versuchen dieses Ziel allerdings auf unterschiedlich ambitionierte Weise zu erreichen. Während es in einer philosophischen Theodizee (theodicy) darum geht, plausible Gründe namhaft zu machen, weshalb Gott das Übel in der Welt zugelassen hat, reicht es zu einer philosophischen Verteidigung (defense) des Theismus aus, die grundsätzliche vernünftige Vereinbarkeit der Existenz eines weisen Welturhebers mit der Existenz des Übels in unserer Welt aufzuzeigen. Der Begriff einer philosophischen Verteidigung des Theismus ist dabei weiter gefasst als der Begriff einer philosophischen Theodizee. In einer Theodizee ist eine Verteidigung des Theismus implizit enthalten, während es umgekehrt für den Nachweis, dass sich die theistische Überzeugung von der Existenz eines allmächtigen und allgütigen Gottes mit der Existenz des Übels in unserer Welt vernünftigerweise vereinbaren lässt, nicht zwingend erforderlich ist, dass man auch etwas über die Motive Gottes für die Zulassung des Übels sagen kann. Im Folgenden soll nun aufgezeigt werden, dass Kant in seinen Vorlesungen über Rationaltheologie noch vom Gelingen einer philosophischen Theodizee 14 Vgl. z.B. A. Plantinga: God, Freedom and Evil, Grand Rapids 1977, S. 24±29; M. Peterson et al.: Reason and Religious Belief. An Introduction to the Philosophy of Religion, Oxford et al. 3 2003, S. 137 ff.; aus der deutschsprachigen Literatur vgl. jetzt auch Löffler, S. 129.
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überzeugt ist, während er in seinem Aufsatz von 1791 nur noch eine philosophische Verteidigung seines moralischen Theismus für möglich halten wird. III In seinen Vorlesungen über Rationaltheologie bedient sich Kant zur Widerlegung der Einwände des Theodizee-Gegners dreier verschiedener Strategien. Erstens behauptet er, dass es die vom Theodizee-Gegner inkriminierten Übel in Wahrheit überhaupt nicht gibt (vgl. AA XXVIII/1081).15 Zweitens versucht er die in unserer Erfahrungswelt anzutreffenden Übel auf das metaphysische Übel (malum metaphysicum), d.h. auf die allen Geschöpfen notwendigerweise anhaftende Endlichkeit und Begrenztheit zurückzuführen (vgl. z.B. AA XXVIII/1113).16 Drittens verweist er darauf, dass die Existenz des Übels einem höheren Zweck dient und insofern als gerechtfertigt angesehen werden kann. Für die hier verfolgte Fragestellung ist nun die dritte Strategie von vorrangigem Interesse, da sie gemäß der oben gegebenen Definition dem Projekt einer philosophischen Theodizee entspricht. Auch Kant selbst scheint dieser Strategie besonderes Gewicht beigemessen zu haben, da sie auch dann noch gewählt werden kann, wenn die beiden anderen Strategien fehlgeschlagen sind (vgl. AA VIII/255). Wie also lässt sich mit ihrer Hilfe den Einwänden des Theodizee-Gegners begegnen? Gegen die Zweifel an der Heiligkeit Gottes macht Kant zunächst geltend, dass das moralische Übel nicht durch Gott, sondern durch den frei handelnden Menschen in die Welt gekommen sei, weshalb der Mensch auch die alleinige Verantwortung dafür zu tragen habe (vgl. AA XXVIII/1077).17 Es stellt sich jedoch sogleich die Frage, warum Gott als heiliger Gesetzgeber nicht verhindert hat, dass die Menschen gegen die moralischen Gesetze verstoßen. Deshalb setzt Kant sich in einem weiteren Gedankenschritt das Ziel, einen übergeordneten Zweck anzugeben, der die Zulassung des moralischen Übels durch Gott rechtfertigen könnte. Dieser Zweck besteht in der moralischen Vervollkommnung der Menschheit als ganzer (vgl. AA XXVIII/1079). Das moralische Übel ist für Kant HLQH ÄNebenfolge³ GLH XP GHU (UUHLFKXQJ GLHVHV Zieles willen in Kauf genommen werden muss (AA XXVIII/1078; H.i.O.). Würde Gott das moralische Übel verhindern, so wäre dies nur um den Preis möglich, dass 15 Unter den erhaltenen Vorlesungsnachschriften zur Rationaltheologie besitzt die Religionslehre Pölitz den am besten ausgearbeiteten Text (siehe dazu ausführlich Beyer, S. 214±228; Wood7UDQVODWRU¶V,QWURGXFWLRQ6±14). Sie wird deshalb im Folgenden als Referenztext zugrunde gelegt; die entsprechenden Parallelstellen aus der Natürlichen Theologie Volckmann und aus der Danziger Rationaltheologie werden, soweit vorhanden, jeweils im Fußnotenapparat angeben. 16 Siehe dazu auch Natürliche Theologie Volckmann, AA XXVIII/1216 f.; Danziger Rationaltheologie, AA XXVIII/1313 f. 17 Zum Folgenden siehe auch Natürliche Theologie Volckmann, AA XXVIII/1186 ff. (bricht ab); Danziger Rationaltheologie, AA XXVIII/1287 f.
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er damit zugleich den moralischen Fortschritt zum Guten verhindern und folglich seine eigenen Absichten durchkreuzen würde. Zur Rechtfertigung der Güte Gottes präsentiert Kant ein Argument, das von einem Begriff der Glückseligkeit als einem Zustand des bloßen Genießens, in dem alle Begierden zur Ruhe gekommen sind, ausgeht (vgl. AA XXVIII/1080).18 Nach Kant kann ein solcher Zustand für uns nicht mehr als ein Ideal darstellen, das wir in unserem diesseitigen Leben zwar anstreben, jedoch erst in einem jenseitigen Leben erreichen können (vgl. ebd.). Im Hinblick auf unser diesseitiges Leben N|QQHPDQGHVKDOEDOOHQIDOOVYRQHLQHPÄFortschritt zur Zufriedenheit³VSUHFKHQ (ebd.; H.i.O.). Kant zufolge ist die Erlangung der Glückseligkeit in einem künftigen Leben aber an die Bedingung der sittlichen Würdigkeit gebunden. Nicht jedem Menschen wird dereinst Glückseligkeit zuteil werden, sondern nur demjenigen, der sich ihrer durch ein tugendhaftes Leben würdig gemacht hat. Vor diesem Hintergrund gewinnt die Existenz des natürlichen Übels in unserer Welt für Kant GLH %HGHXWXQJ HLQHU Äbesondere[n] Anstalt, um die Menschen zur Glückseligkeit zu führen³ HEG +L2 'DV (UOHLGHQ QDWUOLFKHU hEHO VHL Änöthig, damit der Mensch einen Wunsch und ein Verlangen nach einem bessern =XVWDQGHWUDJHQXQG]XJOHLFKVLFKEHVWUHEHQOHUQHGHVVHOEHQZUGLJ]XZHUGHQ³ (AA XXVIII/1081; H.v.Vf.). Das natürliche Übel wird also zu einem Mittel GHNODULHUW GDV XQV GD]X DQVSRUQHQ VROO XQV GXUFK WXJHQGKDIWHV +DQGHOQ ÄHiner ununterbrochenen Glückseligkeit würdig ]X PDFKHQ³ GLH ]X HUODQJHQ DOOHUGLQJV erst in einem künftigen, erfahrungsjenseitigen Leben erhofft werden könne (ebd.; H.i.O.). Was schließlich die Rechtfertigung der Gerechtigkeit Gottes angeht, so verweist Kant darauf, dass wir ohne ein Missverhältnis zwischen Wohlverhalten und Wohlbefinden gar keine Gelegenheit zu wahrhaft tugendhaftem Handeln hätten (vgl. AA XXVIII/1081).19 'HQQ GLH Äwahre Tugend, die einer künftigen Vergeltung werth ist³N|Qnen wir laut Kant nur dadurch erlangen, dass wir unter 9HU]LFKW DXI XQVHUH LQGLYLGXHOOHQ 9RUWHLOH GHQ ÄHZLJHQ *HVHW]H[n] der 6LWWOLFKNHLW³ )ROJH OHLVWHQ HEG +L2 :lUH KLQJHJHQ :RKOYHUKDOWHQ durchgängig mit Wohlbefinden verknüpft, so würde sich unser ganzes PRUDOLVFKHV +DQGHOQ LQ NOXJHV +DQGHOQ YHUZDQGHOQ XQG Ä(LJHQQXW] ZUGH GLH 7ULHEIHGHU XQVHUHU 7XJHQGHQ VH\Q³ HEG 'LH =XODVVXQJ GHV LQ XQVHUHU :HOW anzutreffenden Missverhältnisses zwischen Wohlverhalten und Wohlbefinden durch Gott dient Kant zufolge also dem übergeordneten Zweck, uns zu moralischem Handeln zu motivieren. Vergleicht man die drei soeben dargestellten Argumente miteinander, so zeigt sich, dass Kant die Einwände des Theodizee-Gegners dadurch zu entkräften sucht, dass er behauptet, die von diesem in Anspruch genommenen Zusatzprämissen (Z5) ± (Z7) seien falsch. Im Gegensatz zum Theodizee-Gegner ist Kant durchaus der Ansicht, dass es einen übergeordneten Zweck gibt, der die Zulassung des 18 Zum Folgenden siehe auch Danziger Rationaltheologie, AA XXVIII/1289 f. 19 Zum Folgenden siehe auch Danziger Rationaltheologie, AA XXVIII/1290.
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moralischen und des natürlichen Übels sowie der Disproportion von Verbrechen und Strafe in unserer Welt durch Gott zu rechtfertigen vermag. 20 Wenn also das Anliegen einer philosophischen Theodizee darin besteht, plausible Gründe für die Zulassung des Übels durch Gott anzuführen, so wird man sagen müssen, dass sich Kant in seinen Vorlesungen über Rationaltheologie als Befürworter einer philosophischen Theodizee zu erkennen gibt. Dass dies jedoch noch nicht Kants abschließende Antwort auf die Theodizee-Frage darstellt, geht aus dem Theodizee-Aufsatz von 1791 hervor, den es nun in den Blick zu nehmen gilt. IV In seinem Theodizee-Aufsatz inszeniert Kant ein Gerichtsverfahren, bei dem der Theodizee-Gegner die Seite der Anklage, der Theodizee-Verfechter die Seite der Verteidigung vertritt. Am Schluss des Verfahrens ergeht im Namen der durch Kants Kritizismus über ihre eigenen Erkenntnismöglichkeiten und -grenzen aufgeklärten Vernunft folgendes Grundsatzurteil: Ä'HU $XVJDQJGLHVHV 5HFKWVKDQGHOVYRUGHP*HULFKWVKRIH GHU3KLORVRSKLHLVWQXQGDDOOH bisherige Theodicee das nicht leiste, was sie verspricht, nämlich die moralische Weisheit in der Weltregierung gegen die Zweifel, die dagegen aus dem, was die Erfahrung an dieser Welt zu erkennen giebt, gemacht werden, zu rechtfertigen: obgleich freilich diese Zweifel als Einwürfe, so weit unsre Einsicht in die Beschaffenheit unsrer Vernunft in Ansehung der letztern UHLFKWDXFKGDV*HJHQWKHLOQLFKWEHZHLVHQN|QQHQ³$$9,,,
In der anschließenden Begründung dieses Grundsatzurteils setzt Kant bei der bereits zu Beginn seines Aufsatzes eingeführten Unterscheidung zwischen der Kunstweisheit Gottes auf der einen und der moralischen Weisheit Gottes auf der anderen Seite an (vgl. AA VIII/256). Hiernach sind wir dazu berechtigt, Gott sowohl Kunstweisheit als auch moralische Weisheit zuzuschreiben. Die Zuschreibung der Kunstweisheit erfolgt dabei a posteriori auf der Grundlage der Erfahrung einer wechselseitigen Kausalität, die wir im inneren Aufbau der Organismen antreffen und die wir uns nur unter Zuhilfenahme einer Kausalität nach Zwecken verständlich machen können, die Zuschreibung der moralischen Weisheit hingegen a priori auf der Basis des Moralgesetzes, insofern uns dieses einen Endzweck unseres Handelns vorschreibt, dessen Realisierung wir uns nur 20 Auf die zahlreichen Schwachstellen dieser drei Argumente kann hier nicht im Einzelnen eingegangen werden. Am Beispiel des Arguments zur Rechtfertigung der Gerechtigkeit Gottes sei lediglich auf einen besonders augenfälligen Fehler hingewiesen. Wie bereits erwähnt, bestimmt Kant die Gerechtigkeit Gottes nicht als belohnende Gerechtigkeit, sondern als Strafgerechtigkeit. Dementsprechend stützt sich auch der Einwand des Theodizee-Gegners nicht auf das Bestehen einer Disproportion zwischen Wohlverhalten und Wohlbefinden, sondern zwischen Verbrechen und Strafe. In dem oben dargestellten Argument wird nun aber genau umgekehrt auf ein Missverhältnis zwischen Wohlverhalten und Wohlbefinden und nicht zwischen Verbrechen und Strafe Bezug genommen. Das Argument ist also eigentlich gar kein Argument zur Rechtfertigung der Gerechtigkeit Gottes, sondern taugt allenfalls zur Rechtfertigung der Güte Gottes.
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unter der Voraussetzung des Daseins Gottes als eines moralischen Welturhebers als möglich denken können. Nach Kant gehen nun sowohl der TheodizeeVerfechter als auch der Theodizee-Gegner in ihrer jeweiliger Argumentation implizit von derselben Grundvoraussetzung aus: Beide sind davon überzeugt, dass wir uns von der Einheit von Kunstweisheit und moralischer Weisheit Gottes einen Begriff machen können. Während der Theodizee-Verfechter die Existenz des Übels, von dem uns die Erfahrung unserer Welt Zeugnis gibt, als Ausdruck der moralischen Weisheit Gottes deutet, zieht der Theodizee-Gegner in Anbetracht der Erfahrung des Übels in unserer Welt die gegenteilige Schlussfolgerung, dass der moralische Theismus, der von Existenz eines höchsten Wesens mit moralischen Eigenschaften überzeugt ist, falsch sein muss. In beiden Argumentationen geht es also um einen Schluss von der Erfahrung auf die Wahrheit oder Falschheit der Annahme, dass es einen heiligen, gütigen und gerechten Gott gibt, der nur dann vollzogen werden kann, wenn man einen Begriff der Einheit von Kunstweisheit und moralischer Weisheit Gottes voraussetzt. Diese Voraussetzung rückt Kant nun ins Zentrum seiner Kritik, welche die Unhaltbarkeit sowohl der Position des Theodizee-Verfechters als auch der Position des Theodizee-Gegners vor Augen führen soll. Wir können uns zwar jeweils separat einen Begriff von der Kunstweisheit Gottes einerseits und der PRUDOLVFKHQ :HLVKHLW *RWWHV DQGHUHUVHLWV ELOGHQ GRFK ÄYRQ GHU Einheit in der Zusammenstimmung jener Kunstweisheit mit der moralischen Weisheit in einer Sinnenwelt haben wir keinen Begriff und können auch zu demselben nie zu JHODQJHQ KRIIHQ³ $$ 9,,, +L2 'HQQ XP GLH .XQVWZHLVKHLW XQG GLH moralische Weisheit Gottes in einem Begriff zu vereinigen, müssten wir einsehen können, auf welche Art und Weise die übersinnliche Welt der Sinnenwelt zugrunde liegt (vgl. AA VIII/264). Dies aber ist, wie Kant EHWRQWÄHLQH(LQVLFKW ]XGHUNHLQ6WHUEOLFKHUJHODQJHQNDQQ³HEG Der Gedanke, dass wir mit den Mitteln unserer endlichen Vernunft nicht erkennen können, auf welche Art und Weise die übersinnliche Welt der Sinnenwelt zugrunde liegt, wird von Kant in seinem Theodizee-Aufsatz indes nur thesenhaft eingeführt und bedarf daher der Erläuterung. Was damit gemeint ist, lässt sich anhand der nachfolgenden zitierten Textstelle aus dem neunten Abschnitt der Einleitung zur Kritik der Urteilskraft verdeutlichen: Ä'HU9HUVWDQGJLHEWGXUFKGLH0|JOLFKNHLWVHLQHU*HVHW]HDSULRULIUGLH1DWXUHLQHQ%HZHLV davon, daß diese von uns nur als Erscheinung erkannt werde, mithin zugleich Anzeige auf ein übersinnliches Substrat derselben, aber läßt dieses gänzlich unbestimmt. Die Urtheilskraft verschafft durch ihr Princip a priori der Beurtheilung der Natur nach möglichen besonderen Gesetzen derselben ihrem übersinnlichen Substrat (in uns sowohl als außer uns) Bestimmbarkeit durch das intellectuelle Vermögen. Die Vernunft aber giebt eben demselben durch ihr praktisches Gesetz a priori die Bestimmung; und so macht die Urtheilskraft den Übergang YRP*HELHWHGHV1DWXUEHJULIIV]XGHPGHV)UHLKHLWVEHJULIIVP|JOLFK³$$9+L2
Folgt man dieser Textpassage, so erkennt der Verstand die Gegenstände der Erfahrung, so wie sie uns erscheinen. Darüber hinaus kommt die theoretische Vernunft nicht umhin, ein übersinnliches Substrat der Natur außer uns zu denken, das den Gegenständen, so wie sie uns erscheinen, zugrunde liegt, dessen Begriff
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sie jedoch inhaltlich völlig unbestimmt lassen muss. Im Gegensatz dazu verfügt die praktische Vernunft über einen inhaltlich bestimmten Begriff des übersinnlichen Substrats der Natur in uns, insofern uns das Bewusstsein des Moralgesetzes als eines reinen praktischen Vernunftgesetzes die Einsicht vermittelt, dass unser Wille ein Vermögen ist, unabhängig von allen Naturursachen handeln zu können. Die Frage, auf welche Art und Weise die übersinnliche Welt der Sinnenwelt zugrunde liegt, ist somit gleichbedeutend mit der Frage nach dem kausalen Zusammenhang zwischen Freiheit und Natur. Entscheidend ist nun, dass es uns mit den Mitteln unseres endlichen Vernunftvermögens nicht gelingt, den Begriff des übersinnlichen Substrats der Natur außer uns und den Begriff des übersinnlichen Substrats der Natur in uns in einem obersten Prinzip miteinander zu vereinigen. Wir können lediglich einen Brückenschlag vom Gebiet des Naturbegriffs zum Gebiet des Freiheitsbegriffs vornehmen und damit einen Übergang zwischen diesen beiden Gebieten ermöglichen. Dieser Brückenschlag wird vollzogen von der reflektierenden Urteilskraft, insofern diese durch die Beurteilung der Natur nach dem Prinzip der Zweckmäßigkeit dem übersinnlichen Substrat sowohl der Natur außer uns als auch in uns Bestimmbarkeit durch die Vernunft überhaupt verschafft (vgl. AA V/196).21 Inwiefern jedoch das übersinnliche Substrat der Natur in uns, das die praktische Vernunft zu bestimmen vermag, und das übersinnliche Substrat der Natur außer uns, das die theoretische Vernunft unbestimmt lassen muss, eine Einheit bilden, übersteigt die Grenzen unserer Vernunfteinsicht. Darin liegt auch der Grund, weshalb wir den kausalen Zusammenhang zwischen Freiheit und Natur nicht erkennen können. Wir müssen uns vielmehr damit zufrieden geben, dass wir mit Hilfe der Unterscheidung zwischen Erscheinungen und Dingen an sich die Handlungswirksamkeit reiner praktischer Vernunft zumindest widerspruchsfrei denken können (vgl. AA V/195). In der Begründung, die Kant für sein Grundsatzurteil in Sachen Theodizee JLEWLVWVRPLWHLQÄWUDQV]HQGHQWDOHV$UJXPHQW³22 enthalten, mit dem gezeigt wird, dass die Bedingungen, unter denen ein Schluss von der Erfahrung auf die Wahrheit oder Falschheit der Annahme, dass es einen heiligen, gütigen und gerechten Gott gibt, überhaupt erst möglich ist, zumindest auf dem Boden von Kants Kritizismus unerfüllbar sind. In Standardform lässt sich dieses Argument wie folgt rekonstruieren: 21 Die systematische Tragfähigkeit dieses Brückenschlages wird in der Literatur unterschiedlich beurteilt. Siehe dazu K. Düsing: Die Teleologie in Kants Weltbegriff, Bonn 1968 (= Kantstudien-Ergänungshefte, Bd. 96); J. Peter: Das transzendentale Prinzip der Urteilskraft. Eine Untersuchung zur Funktion und Struktur der reflektierenden Urteilskraft bei Kant, Berlin ± New York 1992 (= Kantstudien-Ergänzungshefte, Bd. 126); J. FreudigerÄ.DQWV6FKOXVWHLQ :LHGLH7HOHRORJLHGLH(LQKHLWGHU9HUQXQIWVWLIWHW³LQKant-Studien 87 (1996), S. 423±435; R.-P. HorstmannÄ=ZHFNPlLJNHLWDOVWUDQV]HQGHQWDOHV3ULQ]LS± ein Prinzip und keine LöVXQJ³ LQ GHUV Bausteine kritischer Philosophie. Arbeiten zu Kant, Bodenheim 1997, S. 165±180; T. GfellerÄ:LHWUDJIlKLJLVWGHUWHOHRORJLVFKH%UFNHQVFKODJ"³LQZeitschrift für philosophische Forschung 52 (1998), S. 215±236. 22 Schulte, Zweckwidriges in der Erfahrung, S. 391.
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(1)
Die Annahme, dass es einen heiligen, gütigen und gerechten Gott gibt, ist genau dann gerechtfertigt, wenn sich zeigen lässt, dass ausgehend von der Erfahrung unserer Welt nicht auf die Wahrheit oder Falschheit dieser Annahme geschlossen werden kann (P).
(2)
Wir können nur dann von der Erfahrung unserer Welt auf die Wahrheit oder Falschheit der Annahme, dass es einen heiligen, gütigen und gerechten Gott gibt, schließen, wenn wir erkennen können, wie sich die moralische Weisheit Gottes in unserer Erfahrungswelt zeigt (P).
(3)
Wir können nur dann erkennen, wie sich die moralische Weisheit Gottes in unserer Erfahrungswelt zeigt, wenn wir die Kunstweisheit und die moralische Weisheit Gottes in einem übergeordneten Begriff vereinigen können (P).
(4)
Wir können die Kunstweisheit und die moralische Weisheit Gottes nur dann in einem übergeordneten Begriff vereinigen, wenn wir Einsicht in den kausalen Zusammenhang von Freiheit und Natur besitzen (P).
(5)
Wir können nur dann Einsicht in den kausalen Zusammenhang von Freiheit und Natur gewinnen, wenn wir erkennen, inwiefern das übersinnliche Substrat der Natur in uns und das übersinnliche Substrat der Natur außer uns eine Einheit bilden (P).
(6)
Wir können mit den Mitteln unserer endlichen Vernunft nicht erkennen, inwiefern das übersinnliche Substrat der Natur in uns und das übersinnliche Substrat der Natur außer uns eine Einheit bilden (P).
(7)
Also: Es ist uns nicht möglich, ausgehend von der Erfahrung unserer Welt auf die Wahrheit oder Falschheit der Annahme, dass es einen heiligen, gütigen und gerechten Gott gibt, zu schließen (aus 2, 3, 4, 5 und 6).
(8)
Also: Die Annahme der Existenz eines heiligen, gütigen und gerechten Gottes ist gerechtfertigt (aus 1 und 7).
Vergleicht man dieses Argument mit den Argumenten, die Kant in seinen Vorlesungen über Rationaltheologie zur Rechtfertigung der Heiligkeit, der Güte und der Gerechtigkeit Gottes präsentiert hat, so kommt ein wesentlicher Unterschied zum Vorschein: In den Vorlesungen über Rationaltheologie war Kant dem Theodizee-Gegner noch mit dem Versuch entgegengetreten, das kontradiktorische Gegenteil jeweils einer der Prämissen der von diesem vorgebrachten Einwände als wahr zu erweisen. Dabei hatte er sich selbst zum Anwalt einer philosophischen Theodizee gemacht und behauptet, es gebe einen höheren moralischen Zweck, der die Zulassung des Übels in der Welt durch Gott
202
V. Dieringer
rechtfertigt. Von diesem Verfahren ist er im Theodizee-Aufsatz abgerückt. Stattdessen wird nun danach gefragt, unter welchen Bedingungen ein Schluss von der Erfahrung auf die Existenz oder Nichtexistenz eines höchsten Wesens mit moralischen Eigenschaften überhaupt möglich ist. Kant zufolge ist dazu ein Begriff der Einheit von Kunstweisheit und moralischer Weisheit Gottes erforderlich. Innerhalb der Grenzen, die unserer Vernunft durch Kants Kritizismus gezogen sind, können wir einen solchen Begriff jedoch nicht bilden. Damit erweist sich sowohl die Position des Theodizee-Verfechters, der die Erfahrung des Übels in unserer Welt als Ausdruck der moralischen Weisheit Gottes deutet, als auch die Position des Theodizee-Gegners, der die Annahme, dass es einen heiligen, gütigen und gerechten Gott gibt, durch die Erfahrung des Übels in unserer Welt widerlegt sieht, als unhaltbar. Doch inwiefern kann man nun sagen, dass es Kant mit dem skizzierten Argument gelungen ist, den moralischen Theismus von dem Vorwurf freizusprechen, die Annahme der Existenz eines heiligen, gütigen und gerechten Gottes sei mit der Existenz des Übels logisch unvereinbar? Wie weiter oben bereits dargelegt wurde, tritt zwischen der Annahme, dass es einen moralischen Welturheber gibt, der die Eigenschaften der Heiligkeit, der Güte und der Gerechtigkeit besitzt, und der Erfahrung des Übels in unserer Welt nur dann ein logischer Widerspruch zutage, wenn aus dieser Annahme folgt, dass unsere Welt frei von allen Übeln ist. Dies ist jedoch nur dann der Fall, wenn neben den Prämissen (T1) ± (T4) auch die Zusatzprämissen (Z1) ± (Z7) wahr sind. Kants Kritik richtet sich nun gegen die Zusatzprämissen (Z5) ± (Z7), die besagen, dass es keine übergeordneten Zwecke gibt, welche die Zulassung des moralischen Übels, des natürlichen Übels und der Disproportion zwischen Verbrechen und Strafe in unserer Welt rechtfertigen könnten. Für Kant handelt es sich bei den zuletzt genannten Zusatzprämissen um Sätze, die weder verifiziert noch falsifiziert werden können. Ob es übergeordnete Zwecke gibt, die zur Rechtfertigung der Existenz der verschiedenen Übel in unserer Welt angeführt werden können, oder ob es keine solchen Zwecke gibt, entzieht sich unserer Kenntnis. Kant zufolge könnten wir in dieser Frage nur dann zu einer begründeten Entscheidung gelangen, wenn wir erkennen könnten, wie sich die moralische Weisheit Gottes in unserer Erfahrungswelt zeigt. Eine solche Erkenntnis übersteigt jedoch die Grenzen unserer Vernunft. Wir können in unserer Erfahrungswelt allenfalls Spuren der Kunstweisheit, nicht aber der moralischen Weisheit Gottes erkennen, und ein Schluss von der Kunstweisheit auf die moralische Weisheit Gottes bleibt uns mangels eines Begriffs der Einheit beider versagt. Die Einwände des Theodizee-Gegners, in denen versucht wird, einen logischen Widerspruch zwischen der Annahme der Existenz eines heiligen, gütigen und gerechten Gottes und der Existenz des Übels zu konstruieren, erweisen sich somit als unhaltbar, da alle drei Einwände jeweils auf einer Prämisse beruhen, von der wir nicht
Zwei Ansätze zur Lösung des Theodizee-Problems beim kritischen Kant
203
herausfinden können, ob sie wahr oder falsch ist, und die somit auch nicht zur Stützung der jeweiligen Konklusion herangezogen werden kann.23 Wagt man abschließend eine Bewertung des von Kant verkündeten Grundsatzurteils in Sachen Theodizee, so wird man dessen Geltungsanspruch allerdings relativieren müssen. Kants Argument, weshalb sowohl der TheodizeeVerfechter als auch der Theodizee-Gegner ihr Ziel verfehlen, ist stark und schwach zugleich. Seine Stärke liegt darin, dass es eine philosophische Verteidigung des moralischen Theismus beinhaltet, bei der gezeigt wird, dass sich die Existenz eines heiligen, gütigen und gerechten Gottes mit der Existenz des Übels in unserer Welt logisch widerspruchsfrei vereinbaren lässt. Dass zugleich die Unmöglichkeit einer philosophischen Theodizee konstatiert wird, muss nicht zwangsläufig ein Nachteil sein, da auf diese Weise auch dem alten Streit darüber, ob die für die Zulassung des Übels durch Gott angeführten Gründe plausibel sind oder nicht, ein Ende bereitet wird. Seine Schwäche zeigt sich, wenn man bedenkt, dass es in hohem Maße von Theoriestücken der Kantschen Philosophie abhängig ist, die selbst keineswegs unumstritten sind. Dabei handelt es sich zum einen um die Theorie der menschlichen Willensfreiheit als Autonomie, zum anderen um die Unterscheidung zwischen Phaenomena und Noumena. Beide Theoriestücke sind in der Kant-Literatur bis in die Gegenwart Gegenstand kontrovers geführter Debatten; das letzte Wort in Sachen Theodizee ist mit Kants Theodizee-Aufsatz also noch lange nicht gesprochen.
23 Damit präzisiere ich eine Überlegung aus meiner Dissertation Kants Lösung des TheodizeeProblems, S. 118.
APPENDICE
LA PHILOSOPHIE DE L¶HISTOIRE EST-ELLE LA VÉRITABLE THÉODICÉE ? par Yves-Jean Harder (Strasbourg)
Hegel parle peu de la théodicée dans les cours d¶histoire de la philosophie consacrés à Leibniz, et en des termes peu amènes puisqu¶il raille, avec Voltaire, « un bavardage sur la possibilité de la représentation ou de l¶imagination »1. La pensée d¶entendement qui, selon Hegel, préside à ces considérations, ne peut se départir de l¶opposition simple entre le négatif et le positif, qui sont évalués l¶un par rapport à l¶autre, dans une composition qui ne permet pas de comprendre en quoi le positif lui-même procède du négatif. Cela revient au jugement du sens commun sur la première marchandise venue : « elle n¶est certes pas parfaite, mais c¶est la meilleure qu¶on ait pu trouver, j¶ai là une très bonne raison d¶être content »2. Cette satisfaction à peu de frais manque le concept parce qu¶on n¶explique pas en quoi le mal, relativisé en imparfait, est une condition nécessaire de la production de cette chose. Cependant si Hegel porte un jugement critique sur la théodicée leibnizienne, il reprend à quelques reprises le thème de la théodicée, en un sens très différent : la justification de Dieu est la tâche non plus d¶une partie de la philosophie directement destinée à cette fin, mais de la philosophie tout entière, en tant qu¶elle trouve son contenu central dans le sacrifice de l¶absolu. Or la philosophie de l¶histoire est le moment où ce sacrifice passe de son apparition temporelle à son intériorisation conceptuelle. C¶est donc par la philosophie de l¶histoire que la philosophie tout entière se fait théodicée. Dans une addition au § 147 de l¶Encyclopédie3, Hegel, pour écarter de la philosophie de l¶histoire le reproche de fatalisme aveugle, affirme que concevoir 1 2 3
/HoRQVVXUO¶KLVWRLUHGHODSKLORVRSKLH, trad. Garniron, tome VI, Paris, Vrin, 1985 [en abrégé HPh], p. 1624. Ibid, p. 1625. Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, I, Science de la logique, traduction B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1970 [en abgrégé E SL], p. 581. Les allusions explicites à la théodicée sont rares sous la plume de Hegel. La VHXOH RFFXUUHQFH GDQV O¶Encyclopédie se trouve dans O¶DGGLWLRQ PHQWLRQQpH FRQVDFUpH j OD QpFHVVLWp /HV /HoRQV VXU OD SKLORVRSKLH GH O¶KLVWRLUH affirment également : « Notre étude est donc une théodicée, une justification de Dieu, comme Leibniz O¶DYDLW WHQWpH j VD PDQLqUH PpWDSK\VLTXHPHQW HW DYHF GHV FDWpJRULHV HQFRUH DEstraites, indéterminées. » (die Vernunft in die Geschichte, [en abrégé VF], édition Hoffmeister,
208
Y.-J. Harder
la nécessité ± ce qui est bien la tâche de la philosophie ± c¶est lui faire perdre le mode sous lequel elle apparaît, comme une extériorité mécanique dépourvue de but, simplement posée par un autre, qui est alors aussi bien contingent. Dans son apparence, la nécessité est pourtant déjà en soi le concept, mais sous une forme qui ne trouve son accomplissement que dans la pensée, laquelle, parce qu¶elle saisit la nécessité dans sa vérité, fait se dissoudre cette apparence et ne conserve plus en elle la nécessité que comme supprimée (als aufgehoben). Ce n¶est donc pas en écartant le point de vue de la nécessité, pour lui substituer celui de la finalité, que l¶on comprend le sens proprement divin des événements de l¶histoire. La connaissance de la nécessité de ce qui est arrivé donne au contraire à la philosophie de l¶histoire la « signification d¶une théodicée ». Le terme de théodicée est utilisé ici dans un sens assez indéterminé, il signifie seulement une confirmation et une justification de la Providence divine dans le gouvernement de l¶histoire. Il n¶implique donc pas que Hegel reprendrait à son compte l¶entreprise leibnizienne de justification de la sagesse Dieu contre les accusations portées contre elle du fait de l¶existence du mal dans l¶histoire. Au contraire, le propos tend clairement à démarquer la philosophie de l¶histoire d¶une telle entreprise. En effet le contexte dans lequel s¶insère la référence à la théodicée montre que Hegel est confronté à une critique qui tendrait à ramener la philosophie de l¶histoire, et peut-être, plus généralement, le monisme de l¶idéalisme absolu, à une forme de spinozisme, ou de panthéisme, d¶où serait absente la relation à un Dieu personnel transcendant. Critique qui s¶apparente à l¶accusation que le discours pieux adresse généralement à la philosophie en général lorsqu¶elle lui reproche d¶introduire en Dieu une rationalité qui tend à l¶identifier à la nécessité naturelle. Les attaques, en partie anonymes, contre le prétendu panthéisme de Hegel se multiplient en effet à partir des années 1820, et Hegel y répond dans la longue remarque au § 573 et dans la préface à la seconde édition de l¶Encyclopédie (1827), qui engage une polémique nourrie contre un certain Tholuk4. Le discours pieux, auquel Jacobi avait donné une trame argumentative, affirme que l¶usage systématique et conséquent de la raison, conduit inévitablement au fatalisme, et par là abolit la liberté, aussi bien en Dieu, qui est pur mécanisme naturel, qu¶en l¶homme, qui perd toute responsabilité ; par conséquent la distinction entre le bien et le mal n¶est plus pertinente. Mais selon Hegel ce discours pieux procède, du fait même de son refus de la conceptualité philosophique, d¶une mécompréhension de la nécessité, qui est réduite à la nécessité aveugle. L¶addition au § 147 où se trouve l¶allusion à la théodicée
4
5ème édition, Hamburg, Meiner, 1955, p. 48, nous traduisons). On trouve une mention de la théodicée dans les Leçons sur la philosophie de la religion : « &HSDUFRXUVVHUDG¶XQHFHUWDLQH manière une théodicée. » (Vorlesungen über die Philosophie der Religion, 1ère partie, édition Walter Jaeschke, Hambourg, Meiner, 1983, p 60, nous traduisons). E SL, p. 126-129. F. A. C. Tholuk, avant de publier le Florilège de la mystique orientale (1825), avait écrit un ouvrage paru anonymement, La véritable doctrine du péché et du rédempteur, ou : la véritable consécration du douteur, qui vise particulièrement le « panthéisme du concept » dont les représentants sont les Éléates, Spinoza, Fichte, Hegel.
/DSKLORVRSKLHGHO¶KLVWRLUHHVW-elle la véritable théodicée ?
209
contient une réponse à cette accusation, qu¶on pourrait formuler de la manière suivante : si l¶on veut « honorer la Providence », c¶est-à-dire préserver « la signification de la théodicée », il ne faut pas du tout chercher à exclure la nécessité de la Providence, car alors, au lieu de l¶honorer, on la rabaisse au niveau de l¶homme, et on la transforme en une subjectivité soumise à l¶arbitraire. Il s¶ensuit que la véritable théodicée n¶est pas celle qui fait reposer la bonté de Dieu sur la détermination du contingent, mais celle qui l¶associe à la nécessité. Elle n¶est donc pas la théodicée de Leibniz. Tentons de préciser, par un rapide rappel de l¶argumentation leibnizienne, par où le rationalisme de Hegel se démarque de celle-ci. La pensée leibnizienne, même si elle est tout à fait opposée à la position fondamentale du discours pieux qui dénie à la raison toute pertinence pour déterminer le plan de la Providence, partage néanmoins avec lui la critique de la « nécessité fatale », qui détruit la liberté de l¶arbitre et conduit à l¶impunité et à l¶impiété5. Sans doute Leibniz ne confond-t-il pas la nécessité avec son « idée mal entendue » qui a fait naître le « destin à la Turque », et il préconise « de marquer les differens degrés de la necessité, et de faire voir qu¶il y en a qui ne sauroient nuire ». Néanmoins la seule forme de nécessité acceptable, celle qui établit, non pas que « ce qui doit arriver arrivera, quoyque je puisse faire », mais qu¶« il arrivera, parce qu¶on fait ce qui y mene », se fonde sur une différence radicale entre la nécessité absolue, qui stipule que ce qui implique contradiction est impossible, et la nécessité relative, qui régit le rapport entre des événements en eux-mêmes contingents, puisque leurs contraires n¶impliquent pas contradiction. Il y a justification de Dieu parce qu¶on peut montrer que ce qui confère une nécessité métaphysique dans l¶ordre de la contingence, en particulier dans l¶ordre de l¶histoire, est le principe de perfection. On peut donc bien dire que « la nécessité physique dérive de la nécessité métaphysique », mais pas au sens où le monde serait « métaphysiquement nécessaire » parce que « sa non-existence impliquerait contradiction » ; seulement au sens où « le contraire impliquerait imperfection ou absurdité morale »6. Mais le monde ne pourrait pas être créé à partir du principe de perfection, s¶il devait nécessairement être créé. La nécessité absolue du monde contredirait sa perfection ± ce qui est la conséquence inadmissible du spinozisme. Pour qu¶il puisse être parfait, il faut donc pouvoir penser qu¶il est contingent, c¶est-à-dire rapporté à la libre bonté de Dieu. Néanmoins comme ce serait une « absurdité morale » de nier la bonté de Dieu, il est bien métaphysiquement nécessaire que le monde soit créé, et soit créé le 5
6
« Mais sans avoir des intentions mauvaises et portées au libertinage, on peut envisager autrePHQWOHVHVWUDQJHVVXLWHVG¶XQHQHFHVVLWpIDWDOH HQFRQVLGHUDQWTX¶HOOHGpWUXLURLWODOLEHUWpGH O¶DUELWUHVLHVVHQWLHOOHjODPRUDOLWpGHO¶DFWLRQ SXLVTXHODMXVWLFHHWO¶LQMXVWLFHODORXDQJHHW le blâme, la peine et la récompense ne sauroient avoir lieu par rapport aux actions necessaires, HWTXHSHUVRQQHQHSRXUUDHVWUHREOLJpjIDLUHO¶LPSRVVLEOHRXjQHSRLQWIDLUHFHTXLHVWQecessaire absolument. » (Théodicée, préface, GP VI, 33) Les citations qui suivent sont extraites des mêmes passages célèbres de la préface. De rerum originatione, GP VII, 304, trad. P. Schrecker, in Leibniz, Opuscules philosophiques choisis, Paris, Vrin, 2001, p. 179.
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Y.-J. Harder
meilleur des mondes possibles, même si Dieu « n¶est point contraint de le faire », et même si « il n¶y a point de necessité dans l¶objet du choix de Dieu, car une autre suite des choses est egalement possible »7. La théodicée leibnizienne justifie Dieu en introduisant la raison dans la détermination de la volonté. La raison proprement dite est bien celle qui incline, ou qui détermine, celle qui fait que « jamais rien n¶arrive, sans qu¶il y ait une cause ou du moins une raison determinante, c¶est à dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison a priori, pourquoy cela est existant plustost que non existant, et pourquoy cela est ainsi plustost que de toute autre façon »8. La réfutation du fatalisme repose essentiellement sur la distinction entre ce principe de raison déterminante et le principe de contradiction, qui seul établit une nécessité absolue : les événements de l¶histoire n¶adviennent pas avec la même nécessité qui fait que ce qui implique contradiction est faux. La raison explique pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, pourquoi ce qui est, est de telle manière plutôt que de telle autre, en ramenant l¶ordre contingent des existants à un principe pratique, qui est celui de la perfection. Mais cette unité du théorique et du pratique est, aux yeux de Hegel, un simple compromis entre des principes qui restent opposés. D¶une part, cette unité se paye d¶une division interne à la rationalité elle-même, entre la nécessité logique et la détermination réelle ; d¶autre part, le théorique intervient dans le pratique exactement comme cette nécessité qui a été d¶abord exclue de la raison : si la raison a recours, de manière à la fois ultime et formelle, au principe de perfection, les conséquences qui découlent de ce principe sont pensées, dans leur concaténation, selon une nécessité qui, bien que relative, a les mêmes effets réels que la nécessité absolue. La justification de Dieu implique qu¶il ne puisse rien changer à l¶ordre du monde, car ce serait contredire sa sagesse9. Mais la sagesse divine, pour être conséquente avec elle-même, doit considérer dans leur extériorité la volonté primordiale rapportée à la perfection et l¶actualisation de celle-ci dans l¶ensemble des événements du monde ; par conséquent ce n¶est pas la même rationalité qui institue l¶ordre du monde et qui le réalise. La bonté inaugurale est une simple supposition formelle puisqu¶il est impossible d¶expliquer en quoi sa mise en °XYUH Foncrète dans l¶histoire en procède effectivement. La raison qui agit est supposée suivre la raison qui décide, mais on ne comprend pas comment la décision, posée en dehors de l¶action, est en elle-même agissante, car la modalité concrète de l¶action suit une détermination qui s¶apparente à la nécessité. La bonne raison ne serait pas efficace sans une nécessité qui la complète, mais cette nécessité reste extérieure au fondement rationnel, donc n¶est pas bonne en ellemême. La pointe de la justification de Dieu tient dans le fondement de la volonté, 7 8 9
Théodicée, I, § 45, GP VI, 128. Ibid., § 44, GP VI, 127. « Mais Dieu luy même (dirat-on) ne pourroit donc rien changer dans le monde ? Assurement LO QH SRXUUDLW SDV j SUHVHQW OH FKDQJHU VDXI VD VDJHVVH SXLVTX¶LO D SUHYX O¶H[LVWHQFH GH FH PRQGHHWGHFHTX¶LOFRQWLHQWHW PrPHSXLVTX¶LODSULVFHWWH resolution de le faire exister » (Théodicée, I, § 53, GP VI, 131).
/DSKLORVRSKLHGHO¶KLVWRLUHHVW-elle la véritable théodicée ?
211
qui reste pourtant extérieur à ce qui la précède (la définition purement logique des possibles) et à ce qui la suit (la conséquence de Dieu avec sa sagesse dans la réalisation de son dessein). Ce n¶est pas le fondement lui-même qui produit son propre développement, mais il s¶abandonne à cet autre de soi, la nécessité, qui avait été primitivement exclu de lui. La conciliation propre à la théodicée leibnizienne n¶est donc satisfaisante ni pour la raison ni pour la religion (considérée comme le fondement de la morale). La raison doit, pour s¶affirmer comme principe, renoncer à la nécessité du concept ; elle perd l¶unité du logique et du réel au profit d¶une référence à la perfection qui, parce qu¶elle est purement formelle, apparaît comme arbitraire, voire irrationnelle. Dieu lui-même, en tant que fondement réel du principe rationnel, est l¶unité des opposés, mais il ne l¶est que de manière non rationnelle, c¶est-à-dire purement nominale. « Le mot Dieu est alors l¶expédient qui ne mène qu¶à une unité elle-même nominale ; mais la procession du multiple hors de cette unité n¶est pas mise en lumière. »10 Il se dérobe ainsi au concept qui seul permettrait de l¶identifier pleinement à la raison. Mais ce déficit du rationnel n¶est pas compensé par une promotion du religieux. Car le discours pieux reproche à la théodicée de justifier Dieu par la raison, et non par sa seule affirmation immédiate. La distinction entre la détermination et la nécessité ne suffit pas à préserver la Providence, puisqu¶elle est seulement la marque d¶un manque de conséquence dans l¶usage du principe de raison ± manque de conséquence qui n¶échappe pas au discours pieux puisque celui-ci considère que la rationalité s¶appuie toujours en dernier ressort sur une logique de la nécessité, et que, par conséquent, « si le déterministe veut être conséquent, il lui faut devenir fataliste »11. C¶est pourquoi « la philosophie de Leibniz et Wolff est non moins fataliste que celle de Spinoza et ramène le principe assidu aux principes de cette dernière »12. Le leibnizianisme manque doublement son but : d¶une part, il n¶échappe pas au reproche de fatalisme de la part du discours pieux, mais, d¶autre part, il dépouille la divinité de l¶authentique rationalité, qui ne peut être trouvée que dans l¶affirmation de la nécessité. Hegel, prenant le contre-pied de l¶entreprise leibnizienne, affirme que « ceux qui croient honorer la Providence divine en excluant d¶elle la nécessité la rabaissent, en réalité, à un arbitraire aveugle, dépourvu de raison »13. Ce n¶est pas la nécessité qui est aveugle, c¶est l¶arbitraire d¶un choix confronté à la contingence, serait-il par ailleurs motivé par la perfection. Mais si le rationalisme conséquent, en accord sur ce point avec la conscience religieuse naïve qui parle des « décrets éternels et inviolables de Dieu », exige « la reconnaissance expresse de la nécessité comme appartenant à l¶essence de Dieu »14, autrement dit si une position en apparence spinoziste 10 Hegel, HPh, p. 1639. 11 Jacobi, Lettres à Moses Mendelssohn sur la doctrine de Spinoza, traduction française J.-J. Anstett, in : ¯XYUHVSKLORVRSKLTXHVGH)-H. Jacobi, Paris, Aubier, 1946, p. 109. 12 Ibid. p. 193. 13 Hegel, E SL, Add. § 147, trad. cit. p. 581. 14 Ibid.
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semble la seule conséquente avec la philosophie ± ce qui est l¶affirmation de Jacobi ± on pourrait se demander en quoi celle-ci reste compatible avec le principe chrétien, puisque ± autre affirmation centrale de Jacobi ± « le spinozisme est athéisme »15 ? Même si Hegel ne reprend jamais à son compte cette accusation contre le spinozisme, et s¶il voit en celui-ci non un athéisme, mais un acosmisme16, il demeure que la substance absolue est étrangère au principe chrétien de la subjectivité et de la spiritualité. En quoi le Dieu qui agit selon la nécessité de sa propre nature est-il l¶esprit absolu ? D¶une manière générale, en quoi la définition hégélienne de la philosophie comme la discipline qui « enseigne à honorer la nécessité »17 et à la reconnaître dans l¶effectivité de l¶événement historique, se fonde-t-elle dans une conception chrétienne du processus spirituel ? Car s¶il est vrai que la philosophie de l¶histoire est bien, comme l¶affirme Hegel, une théodicée, c¶est qu¶on y trouve non seulement une manifestation de la raison dans l¶effectivité, mais surtout le développement de l¶esprit divin. La raison est reconnue dans l¶histoire comme nom divin. La nécessité n¶y est donc pas seulement le principe unificateur qui donne un sens à la multiplicité contingente des événements, et qui intéresse par là la recollection conceptuelle de l¶enchaînement des faits, elle est surtout le mode par lequel le sens lui-même advient, en posant sa particularité dans un mouvement qui en nie en même temps la position contingente. Dans la philosophie d¶entendement dont Leibniz est le représentant, la nécessité est pensée comme une unité étrangère à l¶existence et à la particularité concrète, puisqu¶elle définit seulement les conditions générales de la possibilité ou de la pensabilité ; c¶est pourquoi l¶existence relève de la contingence, et se trouve par là fixée dans sa singularité, à côté d¶une autre singularité. La création, comme apparition du sens dans le monde ou dans l¶événement, est alors l¶acte par lequel le concept renonce à sa nécessité pour laisser être librement autre chose que lui-même. Pour Hegel au contraire, le sens que le concept contient a en lui-même la nécessité de son propre développement dans l¶être-autre. La liberté de la création du sens n¶est pas l¶abandon de sa nécessité purement formelle ou conceptuelle, elle est la libération de cette part de soi que le concept contient dans sa nécessité propre. Et c¶est précisément cette liberté immanente au processus d¶autodétermination de ses moments qui définit sa subjectivité ou sa spiritualité. « La liberté absolue de l¶idée consiste en ce qu¶HOOH>«@VHUpVRXWjVHODLVVHUOLEUHPHQW aller hors d¶elle-PrPH OH PRPHQW GH VD SDUWLFXODULWp >«@ »18. Ce « se laisser librement aller » (sich frei zu entlassen) caractérise la subjectivité infinie de Dieu en tant que créateur. « Dieu ne peut être créateur au vrai sens du terme qu¶en tant que subjectivité infinie. Aussi est-il libre, et il peut laisser aller libres sa déterminité, son se-déterminer-soi-même ; seul 15 Jacobi, op. cit., p. 190. 16 Cf. Hegel, E SL, § 50, Remarque, trad. p. 313. 17 Des manières de traiter scientifiquement le droit naturel, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1972, p. 95. 18 E SL § 244, trad. p. 463.
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l¶être libre peut avoir ses déterminations comme quelque chose de libre en face de soi. Cet al19 ler l¶un en dehors de l¶autre dont la totalité est le monde, cet être est la bonté » .
Si la théodicée est la démonstration de la bonté qui est à l¶°XYUH GDQV OHV phénomènes du monde, et si ces phénomènes doivent être appréhendés comme spirituels essentiellement dans le développement historique de l¶esprit, alors la philosophie de l¶histoire, qui lit cette bonté dans la nécessité même du processus historique, est bien la véritable théodicée, qui est donc bien l¶accomplissement conséquent de la rationalité, mais au sens où le rationnel qui s¶y manifeste se confond avec le mystique. La philosophie de l¶histoire, comme moment de transition entre l¶esprit objectif et l¶esprit absolu, donc comme dissolution des particularités de l¶existence temporelle du concept dans l¶intériorisation éternelle du sens, est en effet le moment proprement mystique du processus de réalisation de l¶esprit, en ce que celui-ci s¶y pose essentiellement sous la forme de la négativité. Tout ce qui est parce qu¶il a reçu un sens, tout ce qu¶il y a de grand dans l¶ordre proprement humain qui est celui de la politique ou de la culture, trouve dans l¶histoire sa fin. Les États, les peuples, les grands hommes, n¶appartiennent pas à l¶histoire du fait de la positivité de leur apparition, mais du fait de leur disparition. En tant qu¶il est compris dans l¶autonomie de sa singularité, chaque esprit d¶un peuple forme une individualité purement naturelle, ce n¶est que la relation de cet esprit à l¶esprit du monde qui lui donne une dimension historique ; or cette relation signifie son déclin et sa disparition. L¶histoire est le procès par lequel l¶esprit parvient à son concept, par là il ne peut s¶en tenir à aucune position immédiate, il ne fait retour à soi que dans la négation de toute immédiateté. C¶est pourquoi « la scission (Entzweiung) contient ce qu¶il y a de plus haut dans la conscience» 20 que l¶esprit prend de lui-même dans l¶histoire. Celle-ci intéresse la philosophie par la nécessité qui se manifeste dans le passage : « Le plus important, dans la saisie et la compréhension philosophiques de l¶histoire, ce qui leur donne une âme et une valeur remarquable, c¶est d¶avoir la pensée de ce passage, et de le 21 connaître » .
Le thème central de l¶histoire n¶est pas celui de la grandeur des empires et des civilisations, c¶est au contraire celui du déclin, le fait que tout est voué au passage et à la disparition (Vergänglichkeit). « Le plus noble et le plus beau, à quoi nous nous intéressons, l¶histoire nous en a arrachés : les passions l¶ont ruiné. Tout semble disparaître, rien ne semble demeurer »22. Ce tableau de l¶histoire peut inspirer la tristesse si l¶on s¶en tient au sort de l¶individualité, serait-elle la plus belle, comme celle des dieux grecs dont le sourire n¶est pas exempt de la mélancolie que leur inspire la connaissance de leur crépuscule. Mais l¶esprit que 19 Vorlesungen über die Philosophie der Religion, in : Hegels Werke, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1969, t. 17, p. 59 (nous traduisons). 20 VF, éd. Hoffmeister p. 72. 21 Ibid. 22 VF, Hoffmeister p. 35.
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la philosophie de l¶histoire actualise ne s¶en tient pas à cette réaction de la singularité face à la singularité : il reconnaît dans cette disparition du singulier sa propre nécessité, celle de son avènement comme conscience de soi. « Le fait que tout soit voué à la disparition peut nous ébranler, mais nous le reconnaissons plus profondément comme nécessaire dans l¶idée supérieure de l¶esprit. L¶esprit est ici posé de telle sorte qu¶il accomplit par là son but final absolu, et ainsi nous devons être réconciliés 23 avec sa caducité » .
La théodicée hégélienne ne conduit pas à accepter la nécessité, comme un destin qu¶on ne peut pas éviter. Le rapport spirituel à la nécessité n¶est pas « la tranquille soumission des Anciens au destin » qui ne peut avoir un sens spirituel parce que la subjectivité n¶y est pas reconnue dans sa valeur infinie. Le point de vue moderne, issu du christianisme, est au contraire, selon Hegel, celui de la consolation. « La religion chrétienne est à considérer comme la religion de la consolation, et, en vérité, de l¶absolue consolation »24. La résignation des Anciens est l¶effacement complet de toute particularité face à l¶universalité qui se manifeste dans la nécessité. Mais dans le processus spirituel, la négation de la particularité est reconnue en même temps comme l¶avènement de la subjectivité absolue : « Dieu même est su ici comme la subjectivité absolue et la subjectivité contient le moment de la particularité, par là notre particularité elle aussi est reconnue non pas simplement comme quelque chose qui est à nier abstraitement, mais en même temps comme quelque chose qui est 25 à conserver » .
La disparition du positif dans le passage temporel est la condition de son élévation j XQH GLPHQVLRQ VSLULWXHOOH LQGpSHQGDQWH GX WHPSV 7HO HVW ELHQ OH F°XU GX christianisme : la mort est la condition nécessaire de la fin de la mortalité, la disparition dans le temps est la condition nécessaire de la disparition de la temporalité elle-même comme mode d¶existence du concept. La nécessité intratemporelle de la disparition du temporel appartient à la concrétisation de la liberté absolue. « La liberté y est ainsi reconnue dans la forme concrète et déterminée, donc sous la forme de la nécessité »26. La nécessité historique actualise l¶intériorisation de l¶HVSULWGLVSHUVpHWH[WpULRULVpGDQVVHV°XYUHVHWVHVPRPHQWV particuliers ; elle est non seulement le destin, mais « l¶esprit du destin », qui, comme la jeune fille offre des fruits cueillis de l¶arbre et détachés de la source nourricière qui les a produits, « rassemble tous les dieux individuels et tous les DWWULEXWVGHODVXEVWDQFH>«@GDQVXQXQLTXHSDQWKpRQGDQVO¶esprit conscient de lui-même comme esprit »27. Le terme de consolation apparaît faible pour dire l¶opération théologique de la philosophie de l¶histoire, car l¶esprit fini ne trouve pas seulement dans l¶esprit 23 24 25 26 27
VF, Hofmeister p. 69. E SL Add. § 147, trad. 583. Ibid. E SL Add. § 35, trad. p. 490. 3KpQRPpQRORJLH GH O¶HVSULW [en abrégé PhG], VII, La Religion, traduction B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2008, p. 616.
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absolu une compensation positive à une perte dans laquelle il est nié ± car on resterait alors à une évaluation partielle et comparative de la particularité, rapportée à une finalité qui l¶excède ; au contraire, l¶esprit apprend à reconnaître le positif non plus en dehors du négatif, dans son effet ou dans son résultat, mais dans le négatif lui-même, en tant qu¶il est toujours lui-même immédiatement nié par l¶effet rédempteur de l¶esprit. Alors que la théodicée d¶entendement justifie les effets négatifs de la puissance de Dieu en la rapportant à sa bonté, la philosophie de l¶histoire fait transparaître la bonté de Dieu non plus dans une volonté primordiale dont les conséquences, découlant des modalités de son efficience, pourraient comporter des effets secondaires négatifs mais inévitables, mais dans l¶actualisation de la puissance elle-même, dont les effets sont immédiatement négatifs. Le négatif, qui prend la forme du mal, n¶est pas une exception compensée par les effets les plus généraux de la règle, mais c¶est la règle même de l¶esprit. Le mal n¶est pas seulement une conséquence inévitable d¶un ordre qui conduit globalement au bien, il n¶est pas un inconvénient compensé, dans un calcul général des profits et des pertes, par un immense bénéfice, il est nécessaire en lui-même, bien plus : il est spirituellement nécessaire. Il ne suffit donc pas de dire que Dieu tolère le mal qu¶il ne pourrait pas éviter s¶il veut rester conséquent avec sa bonté générale, il faut dire que le mal appartient à la nécessité de sa propre bonté. C¶est pourquoi la théodicée se manifeste sous une forme essentiellement dialectique. En effet, Hegel associe la bonté de Dieu à l¶entendement, qui fait droit à la particularité comme telle, dans son infinie diversité, en la laissant être et avoir une consistance par elle-même28, et il associe la puissance de Dieu à la dialectique, qui est « la puissance universelle irrésistible devant laquelle rien, quelque sûr et ferme qu¶il puisse paraître, n¶a le pouvoir de subsister »29. Cependant cet aspect purement négatif de la puissance de Dieu qui passe tout le fini en jugement, n¶épuise pas « la profondeur de l¶essence divine » ; car le jugement qui détruit le fini est aussi ce qui le conserve et le justifie. L¶activité d¶entendement ne précède pas la dialectique, il ne fixe pas des déterminations qui seraient ensuite annulées par le mouvement déstabilisant du concept. C¶est au contraire la puissance de la spéculation qui laisse dans son principe les déterminations à la fois se poser et se nier pour les retrouver dans son propre mouvement. C¶est parce que la puissance est fondamentalement bonne dans son unité à soi qu¶elle retrouve sa bonté d¶entendement dans sa puissance dialectique. « C¶est pour ainsi dire la bonté de l¶absolu que de laisser aller (entlassen) les réalités singulières à leur jouissance de soi, et c¶est cet absolu lui-même qui les ramène dans l¶unité abso30 lue » .
Cet Entlassen qui est la liberté créatrice de l¶esprit appartient à la nécessité de son concept, et abandonne en même temps les réalités singulières à la nécessité de leur 28 E SL Add. § 80 trad. p. 511. 29 E SL Add. § 81 trad. p. 515. 30 E SL Add. § 42, 1, trad. p. 500.
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Y.-J. Harder
destin propre, puisque c¶est dans cette jouissance de soi qu¶elles trouveront leur perte. Ainsi les peuples perdent leur activité créatrice dans cette jouissance de soi : « l¶esprit d¶un peuple meurt dans la jouissance de lui-même »31. En laissant sa propre particularité accomplir par elle-même la nécessité de son destin, l¶esprit, bien loin de renoncer à son effectivité, la manifeste au contraire de manière éclatante. Telle en effet la « ruse absolue »32 de la raison, ruse qui ne consiste pas en une manipulation finalisée des réalités singulières réduites à de simples instruments d¶une puissance calculatrice, mais qui repose entièrement sur un « laisser faire » libéral dans lequel l¶esprit est certain de l¶accomplissement de son propre but. « Dieu laisse faire les hommes avec leurs passions et intérêts particuliers, et ce qui se produit par là, c¶est la réalisation de ses intentions, qui sont quelque chose d¶autre que ce pour quoi 33 s¶employaient tout d¶abord ceux dont il se sert en cette circonstance » .
Les hommes sont les forces agissantes de l¶histoire ; ils trouvent dans leurs passions l¶élément individuel actif qui confère à l¶universel une effectivité, même s¶ils ne font pas de cet universel leur fin propre. Rien d¶effectif ne se produit sans une particularisation qui comprend aussi en elle-même, une séparation d¶avec l¶universel, donc un mal. C¶est le point où la dialectique rencontre une contradiction, qui pourrait bien, pour notre époque, être une pierre d¶achoppement de la théodicée. En effet le « laisser faire » de la ruse de la raison n¶est pas, comme dans le modèle mécaniste, un simple abandon du monde aux lois devenues inviolables de sa propre causalité. Dieu ne se contente pas de prévoir les conséquences éventuellement négatives d¶un ordre généralement bon, il se sert du négatif, c¶està-dire du mal, comme tel. Car non seulement l¶homme est nécessairement mauvais par nature34, parce qu¶il poursuit des buts égoïstes déterminés par sa seule particularité, mais l¶esprit se sert pour sa puissance de ce qu¶il y a de mauvais en lui. Donc il est impossible de nier que l¶histoire, dont le théâtre est le conflit des intérêts particuliers incompatibles les uns avec les autres, soit habitée par le mal ± mal qui n¶est pas seulement la souffrance causée par une puissance naturelle sans volonté (comme le tremblement de terre de Lisbonne), mais qui découle de la volonté délibérée de l¶homme, de détruire, de tuer, de piller. « C¶est dans l¶histoire mondiale que toute la masse du mal concret nous est étalée sous les yeux »35. Or le mal ne peut être relativisé par aucun bien qu¶il permettrait d¶obtenir. La raison n¶est pas calculatrice, elle n¶agit pas de manière finalisée. D¶ailleurs les événements historiques ne sont pas en eux-mêmes utiles à l¶avènement d¶un sens qui en serait le résultat final, et qui justifierait tous les 31 32 33 34
VG, p. 68 ; trad. p. 90. E SL Add. § 209, trad. p. 614. Ibid. « ,OHVWLPSOLTXpGDQVOHFRQFHSWGHO¶HVSULWTXHO¶KRPPHHVWPDXYDLVSDUQDWXUHHWO¶RQQ¶D SDVjVHUHSUpVHQWHUTX¶LOSRXUUDLWHQrWUHDXWUHPHQt » E SL Add. § 24, 3., p. 483. 35 VG, p. 48, cité par B. Bourgeois, « La déraison historique », Études hégéliennes, Paris, PUF, 1992, p. 279.
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moyens pour y parvenir. Il est non seulement immoral, mais faux, d¶affirmer que les guerres ou les massacres ont servi à quelque chose. Pourtant Hegel affirme que « le mal dans le monde, y compris le mal moral, devrait être pensé, l¶esprit pensant devrait être réconcilié avec le négatif »36. Concevoir le mal suppose qu¶on le reconnaisse comme mal ; le malheur de l¶innocent, par exemple la souffrance des enfants, est une injustice que rien, aucun accomplissement historique, ne peut justifier. Kant a donc raison de prendre le parti de Job contre ses amis, qui cherchent à montrer qu¶il a dû, d¶une manière ou d¶une autre, mériter son malheur comme une punition. La raison entre en contradiction avec elle-même quand elle affirme à la fois que le bonheur doit légitimement être proportionné à la vertu, et qu¶elle approuve la souffrance du juste, sous prétexte que ce serait « une propriété de la vertu, que de lutter contre l¶adversité »37. Il faut reconnaître qu¶il y a là une contradiction qui est matière à scandale, c¶est-à-dire reconnaître l¶existence du mal, au lieu de le nier en le justifiant. Le mal signifie, en lui-même, l¶injustifiable, c¶est-à-dire ce qu¶aucun entendement ne peut ramener à une équivalence. Concevoir le mal implique donc de le comprendre comme contradictoire. La raison proprement historique, celle qui s¶en tient aux événements eux-mêmes, ne peut que se confronter à cette contradiction. La solution ne peut venir que d¶un auto-dépassement de cette raison historique, dans une raison religieuse, qui est aussi bien, par rapport à la raison mondaine, déraison. La raison ne se retrouve dans cette contradiction qu¶en se sacrifiant. « Le savoir ne connaît pas seulement lui-même, mais aussi le négatif de lui-même, ou sa limite. Savoir sa limite, cela signifie savoir se sacrifier »38. L¶esprit est absolu en ce qu¶il sait ce négatif de soi, cette déraison qui appartient à la nécessité de sa propre puissance infinie, comme une puissance qui n¶est pas de ce monde, mais qui est l¶unité éternelle avec soi.
36 Ibid. trad Papaionannou, Paris, Plon, 1965, repris en collection 10/18, 1978, p. 68. 37 6XU O¶LQVXFFqV GH WRXWHV OHV WHQWDWLYHV SKLORVRSKLTXHV HQ PDWLqUH GH WKpRGLFpH, in : KantµV gesammelte Schriften herausgegeben von der preußischen Akademie der Wissenschaften, Bd. VIII, Leipzig und Berlin, Walter de Gruyter, 1923, p. 261. 38 PhG, VIII, Savoir absolu, trad. cit. p. 660.
INDEX DES NOMS
Adickes, E., 187 Alembert, J. le Rond d', 126, 128, Anselme de Canterbury, 47, 49 Aristote, 42, 49, 96, 108, 110, 142, 155, 177 Arnaud, Th., 93, 103 Arnauld, A., 98, 151 Augustin d'Hippone, 24, 25, 27, 28, 57, 130 Bacon, Fr., 24, 25 Barth, K., 70, 75, 88, 89 Baruzi, J., 27, 28, 123, 125, 153 Baumeister, F. C., 71, 76, 86 Baumgarten, A. G., 168, 170, 171, 178, 179, 188 Bayle, P., 13, 16, 27, 53, 55, 56, 58, 59, 95, 103, 104, 106, 109, 127, 140, 153 Beaumont, É. B. de, 135 Benden, M., 79 Benrath, A., 85 Bentham, J., 39 Benz, E., 85 Bertrand, É, 134, 136 Beutel, A., 82 Beyer, K., 187, 196 Bianco, B., 76, 90 Bilfinger, G. B., 93-102 Biller, G., 90 Birkner, H.-J., 75 Bloch, E., 31 Bödeker, H. E., 89 Bodin, J., 24 Bonwetsch, N., 72 Bord, J. B., 72 Bose, A., 25 Bossuet, J.-B., 27, 28, 34
Bourgeois, B., 216 Boutroux, É, 14 Bouveresse, J., 114 Brachtendorf, J., 188, 189 Brucker, J., 12 Budde, J. F., 70, 72, 77, 80, 93, 111 Cacciatore, G., 35 Cafagna, E., 169 Calvin, J., 47, 70, 80, 81, 82, 83, 84, 87 Camus, A., 142 Canz, I. G., 82, 88 Carboncini, S., 78 Carpov, J., 82, 88 Carvalho, S. J. de, 133 Cassirer, E., 24, 35, 36, 153 Cavaillès, J., 150 Cavallar, G., 188 Celada Ballanti, R., 27, 31, 32, 34, 36 Celse, 73, 74, 89 Charrak, A., 107, 125 Choisy, E., 70 Conze, W., 25 Cornman, J. W., 190 Courtenay, W. J., 75 Crusius, C. A., 78, 79, 80, 165, 168, 169, 170, 172 Cunico, G., 165 Davillé, L., 34 Delbos, V., 153 Deleuze, G., 31 Des Bosses B., 70, 80, 81 Descartes, R., 26, 43, 86, 99, 110, 151, 153 Dieringer, V., 203 Dierse, U., 85
220 Dilthey, W., 36 Dippel, J. K., 78, 81, 85, 90 Düsing, K., 200 Dupuy, J.-P., 132, 143 Eberhard, J. A., 188 Eberstein, W. von, 93 École, J., 113, 114, 120 Ekeland, I., 130 Erdmann, J. E., 11, 13 Esposito, C., 187 Ettlinger, M., 34 Eucken, R., 76 Eugène de Savoie, 11, 12, 13 Fabbianelli, F., 111, 167 Fackenheim, E., 155 Feuerhahn, W., 93 Fichant, M., 15, 31, 57, 176, 179 Fichte, J. G., 208 Firestone, Ch. L., 154, 188 Fischer, K., 166, 169 Fonnesu, L., 69, 166 Frank, G., 75 Frédéric II, 154 Freud, S., 139 Freudiger, J., 200 Galbraith, E. C., 188 Gaß, W., 81 Gaudemar, M. de, 115, 123 Gerhardt, C. I., 12 Gericke, W., 75 Gfeller, T., 200 Gide, A., 69 Giugliano, A., 35 Goethe, J. W., 85, 86 Gottsched, J. Chr., 105 Goubet, J.-F., 93, 165 Grotius, H., 47, 48 Grua, G, 39, 49 Gueroult, M., 115, 181, 182 Halbig, C., 190 Hamann, J. G., 89, 90 Hansch, M. G., 13, 70, 91 Harnack, A. von, 79, 83, 157 Hase, K., 72
Index des noms
Hegel, G. W. F., 8, 30, 32, 34, 35, 89, 138, 207-217 Heimsoeth, H., 79 Heinekamp, A., 24, 40 Herder, J. G. von, 34, 35, 36, 85 Hirsch, E. C., 82, 89 Hobbes, Th., 39, 40, 41, 42, 44, 46, 48, 49, 63, 91, 104, 110 Hoffmann, A. F., 78 Holbach, P. H. d', 132 Horstmann, R.-P., 200 Hübener, W., 69, 83, 91 Humboldt, W. von, 35 Hume, D., 166 Jacobi, F.-H., 12, 208, 211, 212 Jamme, Chr., 89 Jaucourt, L. de, 132 Jung-Stilling, J. H., 85, 86, 87, 90 Kant, I, 8, 28, 29, 36, 51, 52, 54, 55, 57, 61, 64, 65, 78, 79, 85, 90, 94, 126, 127, 128, 130, 131, 132, 136, 140, 142, 147-203, 217 Klempt, A., 24, 25, 26, 27 Knebel, S. K., 70, 80, 81 Köhler, H., 21, 111 Kortholt, Chr., 70, 71, 91 Koselleck, R., 29, 30 Kreimendahl, L., 187 Kühn, M., 158 La Peyrère, I., 25 Lagercranz, O., 85 Lamarra, A., 12, 21, 112 Lange, F. A., 91, 92 Lange, J., 76, 81, 89, 90 Langhansen, Chr., 77 Leibniz, G.-W., 7, 8, 11-66, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 127, 128, 130, 131, 132, 133, 137, 140, 142, 143, 147, 148, 149, 150, 151,
Index des noms
152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 170, 176, 177, 178, 181, 182, 183, 184, 185, 207, 208, 209, 210, 211, 212 Leinsle, U. G, 93 Lessing, G.-E., 23, 24, 34, 35, 36, 158, 167 Lichtenberg, G. C., 89 Liebing, H., 93 Loades, A., 188 Löffler, W., 190, 195 Lorenz, S., 69, 70, 71, 72, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 85, 87, 105, 165, 167 Löscher, V. E., 81 Loty, L., 127 Lovejoy, O., 159 Löwith, K., 26 Ludovici, C. G., 12, 93 Luther, M., 24, 25, 47, 71, 72, 80, 81, 82, 84, 87, 106 Malebranche, N., 26, 95, 99, 106, 128 Mallet, E.-F., 142 Malter, R., 176 Marmontel, Fr., 142 Maupertuis, P. L. M. de, 126, 157 Meinecke, F., 35 Melanchthon, Ph., 24 Mendelssohn, M., 158, 167 Menzer, P., 159, 160 Mercer, C., 19 Morfino, V., 15 Mormino, G., 15 Mosheim, J. L., 72, 73, 74, 89 Müller, A. F., 78 Mugnai, M., 15 Naudé, Ph., 82, 83, 84, 90 Newton, I., 140, 148, 162, 165, 167 Nowak, K., 81, 87, 88 Oakley, F., 75 Oetinger, F. Chr., 85, 90 Origène, 72, 73 Paccioni, J.-P., 103, 107, 112, 115, 122
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Palaia, R, 12 Palmquist, S. R., 154, 188 Parkinson, G. H. R., 42, 48 Pascal, B., 133, 140 Pasini, E., 15 Paul de Tarse, 57, 58 Peter, J., 200 Peterson, M., 190, 195 Peucer, C., 24 Pimpinella, P., 12 Pinder, T., 158 Piro, F., 15 Plantinga, A. C., 195 Platon, 37, 155 Poirier, J.-P., 132 Pomeau, R., 128, 137 Pope, A., 8, 79, 80, 134, 137, 138, 157, 158, 159, 160, 161, 163, 165, 166, 167, 170 Puech, M., 78 Quenet, G., 127, 132 Quenstedt, J. A., 72 Ranke, L. von, 34, 35 Rappolt, C. H., 158 Rateau, P., 7, 59, 69, 110 Reinbeck, J. G., 82, 88 Reinhard, A. F., 79, 80, 163, 170 Rémond, N., 11, 12, 13, 14, 20 Ricken, F., 188 Robinet, A., 12, 13, 23, 24, 28, 115, 120, 123, 125 Rockar, H.-J., 83 Rohrbasser, J.-M., 93, 103, 129 Rolland, É., 26 Rosset, C., 142 Rousseau, J.-J., 141 Rowe, W., 190 Rüdiger, A., 78 Rutherford, D., 14, 15, 80 Scaliger, J. C., 44 Schepers, H., 78 Schlegel, F., 87, 112 Schleiermacher, F. D. E., 35, 77, 87, 88, 89 Schmidt-Biggemann, W., 89
222
Index des noms
Schneiders, W., 159 Schulte, Chr., 85, 188, 200 Sentis, L., 155 Sève, R., 42 Shaftesbury, A. A. C. de, 159 Sparn, W., 75 Spinoza, B., 44, 45, 46, 48, 63, 78, 91, 104, 106, 110, 116, 150, 151, 152, 153, 208, 209, 211, 212 Stephan, H., 75 Strack, C., 12 Straßberger, A., 82 Straton, 63 Süssmilch, J. P., 129 Swedenborg, E., 85, 90 Tanquerey, Ad., 72 Tessitore, F., 35 Theis, R., 159, 162, 165 Tholuk, F. A. C., 208 7KRPDVG¶$TXLQ, 155 Thomas, L., 70 Thomasius, Chr., 78 Titzmann, M., 86 Tognon, G., 103, 104 Tonelli, G., 79, 169
Troeltsch, E., 27, 35, 36, 47 Turretin, J. A., 70, 82 Valéry, P., 69, 85 Varani, G., 75 Vernet, J.-J., 135 Vico, G.-B., 26, 34 Virgile, 61 Vischer, E., 82 Voltaire (F. M. Arouet), 26, 28, 127143, 207 Vuillemin, J., 181 Ward, K., 153 Weber, Cl., 159 Werenfels, S., 82 Wimmer, R., 188 Winter, U., 83 Wolff, Chr., 12, 21, 71, 73, 75, 76, 77, 81, 82, 86, 88, 89, 90, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 103126, 141, 142, 158, 159, 165, 168, 170, 182, 184, 211 Wood, A. W., 187, 196 Wundt, M., 71, 78, 79, 90, 93 Zeller, E., 93