L'Eveil à soi
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CNRS philosophie

Nishida Kitarô Traduction, introduction et notes de Jacynthe Tremblay Préface de Matsumaru Hisao

IcNRS EDITIONS)

CNRS philosophie

Catherine Darbo-Peschanski, Constructions du temps dans le monde grec ancien, 2000 Jacynthe Tremblay, Nishida Kitarô. Le Jeu de l’individuel et de l’universel, 2000 Mary-Anne Zagdoun, La Philosophie stoïcienne de PArt, 2000 Javier Teixidor, Aristote en syriaque. Paul le Perse, logicien du vie siècle, 2003 Thierry Martin (dir.), Probabilités subjectives et rationalité de l’action, 2003

À paraître : Jean-François Kervégan et Gilles Marmasse (dir.), Hegel, penseur du droit, 2004 Véronique Leru, La Crise de la substance et de la causalité. Des petits écarts cartésiens au grand écart occasionaliste, 2004 Michel Vanni, L’Impatience des réponses. L’éthique d’Emmanuel Lévinas au risque de son inscription pratique, 2004

Nishida Kitarô

L’éveil à soi

Traduction, introduction et notes de Jacynthe Tremblay

Préface de Matsumaru Hisao

( :NRS EDITIONS H i tir Miih himit lu*

75005 Paris

Illustration de couverture : Calligraphie de Ikeda Naomi

En application du Code de la propriété intellectuelle, CNRS ÉDITIONS interdit toute reproduction intégrale ou partielle du présent ouvrage, sous réserve des exceptions légales.

© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2003 ISBN : 2-271-06185-7

Préface

La

philosophie de

Nishida n’est pas une simple pensée religieuse

On retrouve souvent chez une partie des lecteurs et des chercheurs francophones l'opinion selon laquelle Nishida Kitarô serait un penseur religieux. Il est cependant difficile d’affirmer qu’il s’agit là d’un portrait exact de la philosophie de Nishida. Suzuki Daisetsu Teitarô, qui fut dès son enfance l’ami intime de Nishida, émigra aux États-Unis postérieurement à son apprentissage du Zen. Au cours du long séjoui qu'il y fit, la transmission du bouddhisme Zen au monde occidental fut par lui ressentie comme une mission pressante. Le bouddhisme Zen fait grand cas de l’apprentissage et évite le recours à l’écriture et au langage. En dépit de cela, Suzuki Daisetsu le considé­ rait comme une «pensée Zen». Grâce à ses efforts, le monde occidental commença à admettre et à comprendre le Zen dans sa quintessence par l’intermédiaire du langage. On peut dire en ce sens que Suzuki est un penseur religieux qui s’est fondé sur le bouddhisme Zen. Il en va toutefois différemment dans le cas de Nishida. Indéniablement, l’appren­ tissage du Zen avait pour lui une grande signification au moment où il saisit Inexpé­ rience pure» comme l’expérience fondamentale. Il s’efforça cependant, en adoptant cette «expérience pure» conçue comme principe unique, de comprendre la réalité au moyen de la logique rationnelle. Cette façon de faire n’est rien d’autre que de la philosophie. Descartes procéda de manière analogue. Il fonda sa philosophie sur le Cogito ergo xinn. principe qu’il découvrit là où il ne pouvait être lui-même un objet de doute, bien qu’il eût douté radicalement, et à partir duquel il s’efforça d’expliquer toutes choses. I a pensée de Nishida tient compte de la dimension de la religion. Néanmoins, elle est authentiquement une «philosophie» dont le but est de rendre compte de la réalité au moyen de la raison et de la logique. I.a philosophie de Nishida connut plusieurs développements, depuis son début jusqu’à sa période finale I •Ile commença son voyage par une saisie de l’expérience de l’indistinction sujet objet comme une • expérience pure», principe de la philosophie

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l.'Sveil à soi

sur la base duquel toutes choses pourront être ensuite expliquées. Nishida a toutefois reconnu par la suite que l’expérience pure comportait une déficience; en effet, elle était abordée du point de vue de la «conscience» subjective, ce qui devait se révéler sans issue. Au terme d’un combat désespéré, Nishida établit alors qu’on doit comprendre en tant que «soi» les actes réciproques de l’intuition et de la réflexion, c’est-à-dire les actions de la «volonté absolue», prise comme acte de la réalité. Il montra de plus que les polarisations des actes dynamiques de ce soi, à savoir le sujet et l’objet, sont pleinement saisies dans 1’ «éveil à soi», par lequel «le soi se reflète en soi». Les actes dynamiques de la volonté absolue furent désormais considérés comme «éveil à soi». Mais il subsistait aussi avec l’«éveil à soi» une autre crainte, celle de voir l’in­ dépendance de l’individuel avalée par l’universel. Nishida, faisant une fois de plus volte-face, parvint à la position du basho (lieu). Inspirée de la chôra de la philosophie de Platon, cette notion très originale fut pour la première fois en mesure de saisir le caractère dynamique de la réalité. Ce caractère dynamique permet par la même occa­ sion de montrer que l’individuel et l’universel sont les polarisations des actes de cette même réalité. En somme, Nishida fit de l’expérience pure un fondement, puis lui fit prendre la forme de l’éveil à soi. Par la même occasion, il montra que la véritable réalité continuant à se manifester de soi-même dans le monde de l’actualité est la forme du développement de la réalité dans laquelle le néant absolu s’auto-détermine comme basho. La forme de logique permettant de rendre compte de cela est la «logique du basho». Dans la mesure où l’éveil à soi n’est pas l’éveil à soi du sujet mais l’éveil à soi du basho, c’est-à-dire dans la mesure où il se trouve au sein de l’action d’éveil à soi du monde historique (pris comme universel), il est parfaitement en mesure de susciter un type de logique qui puisse déceler le site où l’éveil à soi individuel est constitué simultanément, de manière indépendante. La logique du basho permet de cette façon de saisir d’un seul coup l’entière structure contradictoire et dynamique de l’universel (le monde) et de l’individuel (qui peut désigner tant le «je» que le «tu» et le «il»). L’essai de Nishida intitulé « Je et tu » fait état de l’utilisation de cette logique du basho, en préservant l'originalité de chacun de ses aspects. A travers une explication, au moyen de cette logique, des conséquences des différentes actions de la réalité, Nishida dégage la nécessité de saisir la double signification de l’acte d’éveil à soi, à savoir que le monde historique s’auto-éveille en même temps que s’auto-éveille l’in­ dividuel se trouvant dans ce monde. On peut par conséquent affirmer que « Je et tu » est l’œuvre qui forme le tournant vers la dernière période de la philosophie de Nishida. Jacynthe Tremblay, de manière à la fois très soignée et très fidèle, parvient à faire passer cet essai en français, sans en détruire la véritable signification. Par ailleurs, ce livre de traductions fournit les essais de Nishida ayant pour titres « L’auto-identité absolument contradictoire » et « A propos de la philosophie de Descartes ». Ceux-ci traitent de ce que devrait être une philosophie fondée sur cette logique du basho et tentent simultanément de faire une étude exhaustive de la struc-

Préface

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turc logique de la réalité. Tremblay, de façon très précise, traduit admirablement ces essais, parvenant à rendre leur tournure logique particulière.

Signification de la traduction de Tremblay AUPRÈS DES LECTEURS FRANCOPHONES

Une autre opinion assez répandue parmi les francophones contemporains à propos de la philosophie de Nishida est qu’elle serait une pensée d’extrême-droite ayant apporté son soutien à la Seconde Guerre mondiale. De plus, on rencontre actuellement en France une tendance critique tenace. Pour elle, l’«école de Kyoto», mouvement de pensée centré sur Nishida et ses disciples, aurait développé une pensée qui serait responsable de la guerre. Cette tendance provient de ceci: le Japan Bashing, à savoir la réaction qu’on trouve aux Etats-Unis face à la pression exercée sur l’économie américaine par l’éco nomic japonaise des années 1990, prit appui sur une provocation des mondes politique et financier, ainsi que d’une partie des intellectuels. A cette occasion, le plan de la pensée, inclus dans la critique à l’égard du Japon, devint lui aussi objet d’accusation. Et il semblerait que c’est sous l’influence de cette tendance américaine que la propen sion à imputer la responsabilité de la guerre à la philosophie de Nishida et à l’école de Kyoto se manifesta en France également, puis devint à la mode. Cependant, la plupart de ces opinions négligent les faits suivants: Nishida était opposé à la guerre. Il se trouvait plongé dans une situation de guerre effective. Sous réserve qu’il n’était pas possible pour un individu de résister aux pressions dues à la guerre, il écrivit l’essai intitulé « Le principe du nouvel ordre mondial ». Cet essai fait montre d’un sens critique à l’égard de la guerre, tout en s’employant à corriger les erreurs de vision du monde et de la culture dont faisait preuve l’armée de terre japo­ naise, partisane du conflit. Or, il fut publié après avoir été falsifié. De plus, ceux qui professent ces opinions ne savent pas, ou bien ne cherchent pas à savoir, qu’en résistant à la conspiration par laquelle l’armée de terre japonaise cherchait à consolider son impérialisme en Asie du Sud-Est sous couvert du projet de Sphère de Coprospérité de la Grande Asie Orientale, les principaux membres de l'école de Kyoto multiplièrent avec les pacifistes des forces navales les réunions visant à enrayer l’action unilatérale de l’armée de terre. Il résulte de cette ignorance une critique dont on peut difficilement dire qu’elle s’appuie sur un fondement salis taisant, selon laquelle la philosophie de Nishida et l’école de Kyoto seraient des complices de la guerre. Ce qui se trouve à la racine des tendances qui ont été ici rapportées n’est il pas, premièrement, qu’elles se fondent sur des traductions inadéquates et que la compté licnsion de la pensée du lapon moderne s’en trouve déformée? Deuxièmement, cela

n’est-il pas que très souvent, elles développent une critique à partir d’une littérature de seconde main elle-même basée sur une critique ambiguë des textes originaux? Face à cette situation, la signification de la présente traduction par Tremblay d'essais appartenant à la pensée du Nishida de la dernière période est très importante, et cela pour trois raisons. Premièrement, elle tire son origine d’une compréhension précise d’essais de Nishida difficilement compréhensibles même pour les Japonais. Elle réussit pour cette raison à demeurer très fidèle aux textes originaux. Grâce à cette traduction, les fran­ cophones seront en mesure d’accéder à une compréhension exacte de la pensée japo­ naise et d’éviter autant que possible les interprétations arbitraires. Elle constitue par là un fondement signifiant pour la compréhension de la pensée japonaise moderne. Deuxièmement, cette traduction interprète la philosophie de Nishida à partir des concepts traditionnels de la philosophie occidentale. Il en résulte qu’un grand nombre de procédés sont mis en œuvre afin de réduire autant que faire se peut le risque de tomber dans des contresens. L’un de ces procédés consiste à fixer avec une extrême précaution les mots traduits. Par exemple, la traduction fournit l’expression française «éveil à soi» afin de montrer que jikaku ne désigne en aucune façon la conscience de soi psychologique ou la conscience de soi subjectiviste, mais bien plutôt l’éveil à soi du basho et, simul­ tanément, l’éveil à soi de l’individu, le premier étant la base du second. On trouve tellement de procédés de cette sorte qu’il est impossible de les compter. L’exemple de l’«éveil à soi» permet d’imaginer combien ont été considérables les efforts de Tremblay. Du reste, le meilleur raccourci pour découvrir la véritable signification de jikaku est probablement de lire l’essai «A propos de l’éveil à soi». Troisièmement, ce livre abonde d’explications et de notes détaillées à propos de concepts propres à la pensée de Nishida difficilement compréhensibles à l’aide des seuls concepts traditionnels de la philosophie occidentale. Cela présente des avantages inestimables pour une compréhension précise de la part du lectorat francophone. La traduction de Tremblay, qui a, comme je viens de l’expliquer, une énorme signification pour les lecteurs de langue française, est appelée à devenir un document fondamental pour la compréhension de la philosophie de Nishida.

Matsumaru Hisao, Professeur de philosophie à l’université Dokkyô

Introduction"

« J’estime que nous nous trouvons actuellement à une époque où la philosophie subjectiviste des temps modernes est acculée à une impasse et doit être reconsidérée à partir de son fondement » (NKZn, p. 178).

La traduction des

œuvres de

Nishida

Une des raisons majeures de la méconnaissance de Nishida Kitarô (1870-1945) en Occident, et dans une large mesure aussi au Japon, est la suivante. Durant les cinquantes années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, Nishida fut sévèrement critiqué, souvent injustement, pour ses idées politiques. Au cours de cette période, sa pensée fut discutée par les philosophes marxisants d’une part, et par les membres de l’école de Kyoto d’autre part, jusqu’à ce qu’on redécouvrit la signification de scs œuvres proprement philosophiques et des différents problèmes qui y sont traités. En France et aux Etats-Unis surtout, le nom de Nishida évoque le débat à propos du militarisme qui s’intensifia autour des années 1930 dans l’environnement sociopolitique au Japon et qui ébranla les fondations déjà fragiles du système parlementaire japonais. Les essais de philosophie politique de Nishida, à savoir «Le problème de la raison d’Etat» ( 1941 )*, «Le problème de la culture japonaise» (1940)2, «La méthode académique» ( 1937)1 et le «Supplément aux Essais philosophiques, 4» ( 1944)4, attes­ tent du fait que Nishida devint de plus en plus critique et prudent envers l'expansion du pouvoir militaire. Il s'opposa aux politiques domestiques des nationalistes et du gouvernement militariste en prônuiil la préservation de la liberté dans renseignement 1 I .es notes île l inlHnliH iinii

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ni pnpe 16 et siiiviintes.

et l’éducation. Cette opposition apparaît clairement dans ses écrits, qui eurent beaucoup d’impact auprès du public. Elle lui valut également d’être la cible des accusations et des menaces du camp ultranationaliste, puisqu’il était un représentant très respecté de l’académisme. Or, les essais de philosophie politique sont marginaux en regard de l’ensemble de la philosophie de Nishida. Sur les 19 volumes que comportent ses œuvres complètes5, ils totalisent environ 300 pages. Bien qu’ils aient suscité de houleux débats, ils tien­ nent peu de place, tant au plan quantitatif qu’au plan thématique. A la lecture de ces quelques textes, il apparaît clairement que le propos de Nishida est d’abord et avant tout philosophique, que son but est d’approfondir ses propres perspectives à l’occasion de thèmes politiques. Mais que connaît-on vraiment de cette œuvre philosophique proprement dite, qui couvre la longue période allant de 1911 à 1945 ? Le nom de Nishida évoque aussi le dialogue interreligieux. Le mouvement de philosophie de la religion qui s’est perpétué jusqu’aujourd’hui à travers l’«école de Kyoto» est redevable à la pensée de Nishida concernant l’expérience religieuse. Ce mouvement s’inspire surtout de V Essai sur le bien (1911)6 et de l’article intitulé «Logique du basho et vision religieuse du monde» (1945)7. Dans ces deux textes, Nishida traite plus spécifiquement de sa conception de la religion, en lien avec sa propre philosophie, laquelle était en germe lors du premier livre et avait atteint son plein accomplissement lors de la rédaction du dernier essai. UEssai sur le bien, œuvre de jeunesse dans laquelle Nishida s’essaya à une confrontation entre la philosophie occidentale et la pensée bouddhique, aborde la question de la religion par le biais de la notion d’«expérience pure» (^Ë^SWî, junsui keiken). Celle-ci désigne par exemple le fait même d’entendre un son ou de voir une couleur, avant toute conscience réfléchie consistant à savoir de quel son ou de quelle couleur il s’agit, et qui est le sujet de l’audition ou de la vision. La philosophie de Nishida ne s’arrête pas à la religion, mais elle fut élaborée en majeure partie à partir des intuitions fondamentales développées dans V Essai sur le bien. Dans l’essai «Logique du basho et vision religieuse du monde», Nishida reprend la question de la religion du point de vue, précisément, de sa logique du basho liifflf1!!, bashoteki ronri)*. La notion de basho ou de «lieu» fut développée diversement à partir de 1926. Disons brièvement que le basho le plus englobant, le basho ultime, est celui du néant absolu ($ÈLJ )!•(, zettai mu). En essayant de refonder la religion dans le basho du néant absolu, Nishida ouvrit des perspectives extrêmement intéressantes en philosophie de la religion et dans le cadre du dialogue entre le bouddhisme et le christianisme, notamment aux États-Unis. Il reviendra ponctuellement sur la question de la religion entre son premier et son dernier écrit, mais il entend d’abord, et c’est lui qui le précise, faire œuvre de philosophie. Depuis 1990, environ, avec une hausse marquée en 1995, date du cinquantième anniversaire de la mort de Nishida, plusieurs livres concernant son œuvre paraissent chaque année au Japon, et un de temps en temps en Occident9. Désormais, la connais­ sance de la philosophie de Nishida proprement dite (et non seulement de ses quelques écrits de philosophie politique et de philosophie de la religion) dépend de la produc­ tion d’essais critiques en langues occidentales. Elle est également reliée à la parution

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de bonnes traductions, car non seulement les textes traduits, mais aussi et surtout la manière dont ils sont traduits, ont une influence sur notre interprétation. Le manque de popularité de l’œuvre de Nishida est effectivement dû en bonne partie au peu de traductions disponibles en langues occidentales. Jusqu’à maintenant, seulement 4 des 19 volumes que comptent ses œuvres complètes ont été entièrement traduits. En plus de ces livres, quelques essais dispersés ont été publiés dans diflé rentes langues10. Quant aux traductions en français, elles sont encore peu nombreuses. En voici la liste: «Dieu»; La Culture japonaise en question; L’Expérience pure de la réalité. Essai sur le bien; «L’essence nationale du Japon. Kokutai»; Logique du lieu et vision religieuse du monde; «Une étude sur le bien»; «Logique prédicative»; «Le monde intelligible»; «La position de l’individuel dans le monde historique»11.

Il est aisé de constater, à la lecture de ces titres, que tous, excepté les trois derniers, sont des traductions de textes traitant surtout de philosophie de la religion ou de philosophie politique. Je ne nie en aucune façon l'importance de ces textes ni la pertinence de leur traduction. Mais j’ai voulu, en rassemblant les essais qui forment ce présent livre, poursuivre mon effort initié dans l’appendice du livre Nishida Kitarô. Le Jeu de l’individuel et de l’universel, lequel effort vise à faire connaître l’œuvre philosophique proprement dite de Nishida.

Le thème du

recueil

Ce recueil comporte la traduction française des six essais suivants de Nishida: «Le temporel et l’intemporel» ; «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique» ; «Je et tu» ; «L’auto-iden­ tité absolument contradictoire» ; «A propos de l’éveil à soi» ; «A propos de la philosophie de Descartes»12.

Le choix de ces essais est circonstanciel. La traduction de chacun d’entre eux a correspondu à l’une des étapes de ma recherche, à savoir (par ordre chronologique) le rôle de la temporalité chez Nishida (voir «Le temporel et l’intemporel») ; la notion d'auto-identité absolument contradictoire (voir «L’auto-identité absolument contra­ dictoire») ; la relationalité (voir «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique», ainsi que «Je et tu») ; et, finalement, la notion d’éveil à soi (voir «A propos de l’éveil à soi », de même que «A propos de la philosophie de Descartes»). J’ai choisi de réunir ces six essais dans un même recueil sous le thème de I ’ «éveil à soi»13 car, outre l’importance déterminante de la notion d’éveil à soi dans la philo sophie de Nishida, elle est commune à ces six essais, quoique de manière pas toujours explicite. C’est le cas, notamment, des trois premiers essais, à savoir «Le temporel et l'intemporel», «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique», ainsi que «Je et tu», lesquels traitent surtout du problème de la temporalité.

Or, il apparaît qu’à partir du livre «La détermination du néant conformément à l’éveil à soi» (NKZ 6), dont sont tirés ces trois essais, la notion d’éveil à soi est si directement liée à la notion de temporalité qu’il est permis d’avancer que la première se fonde sur la seconde. Une meilleure compréhension de la notion d’éveil à soi requiert qu’on s’attarde à la façon dont Nishida a traité de la temporalité. Dans ce sixième volume, l’auteur cherche à élucider la manière de penser l’irra­ tionnel se trouvant au fond de la réalité. Il s’efforce de voir la logique à partir de l’éveil à soi, et non le contraire. De ce volume, l’essai intitulé «Le temporel et l’intemporel» occupe le sixième rang. Il est la continuation de l’essai précédent, qui a pour titre «L’auto-détermination du maintenant éternel»14. Nishida y montre que tout ce qui existe se situe dans le temps, lequel est la forme fondamentale de la réalité. Le devenir de toute chose en ce monde, y compris le devenir du monde historique au sein duquel l’humain est relié à son corps et à autrui, se situe dans le temps. Le temps est lui-même l’auto-détermination du maintenant éternel (zj, jikaku suru) en tant qu’individu. Mentionnons également que Nishida appelle «instant» la limite de la détermination du présent. En réalité, l’instant est le véritable présent. Tout ce qui existe étant déterminé de ce point de vue temporel, Nishida s’applique à dégager aussi dans l’essai «Le temporel et l’intemporel» la forme de l’auto-détermi­ nation du maintenant éternel puis traite, à partir de cette dernière, de l’opposition et de la relation entre le temporel et l’intemporel. Selon les définitions de Nishida, le monde temporel est le monde le plus concret, celui où le présent s’auto-détermine17. Quant à l’intemporel, il est «le monde de la vie intérieure qui s’auto-détermine expressive­ ment18». Nishida traite également du monde du sujet et du monde de l'objet, ainsi que des mondes de la pensée et de la réalité. Ajoutons que Nishida aborde déjà dans cet essai le thème de l’amour, qu’il considère comme la détermination noétique de l’éveil à soi et comme «un espace qui englobe le temps et le fait s’établir19». Il restera encore pour lui à examiner plus précisément dans les essais suivants la véritable signification de l’amour et de la «détermination sociale», c’est-à-dire la relation «je-tu». Les deux essais suivants dont je propose la traduction, à savoir «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique», de même que «Je et tu», ajoutent au problème de la

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temporalité celui de l’altérité. Dans «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique Nishida se tourne principalement vers 1 '«éveil à soi du néant absolu» (&ÈJ WlK^fi I Ù. .citai mu no jikaku). Cette expression signifie que le «je» est un «je» lorsqu’au moyen d'une auto-négation, il voit au fond de soi l’autre absolu, c’est-à-dire le «tu». I ,c ■ je et le «tu» construisent leur unité personnelle en se voyant mutuellement l’un dan l’autre. Cette unité étant médiatisée par l’auto-négation (c’est ce que Nishida appelle «vivre en mourant» ou «s’auto-déterminer comme néant»), elle apparaît comme une continuité de la discontinuité. L’éveil à soi du néant absolu et l’unité personnelle (qui seront également l’objet de l’essai «Je et tu») sont à leur tour fondés sur l’amour. Le véritable amour au sens nishidien s’inspire de la notion chrétienne d’agapè. Il est avant tout un amoui personnel se retrouvant uniquement entre les personnes. Nishida l’aborde île deux manières, soit comme «amour de soi», soit comme «amour de l’autre». L’amour de soi consiste non pas à nier l’autre mais à le découvrir. Le sot qui s’aime se construit par l’amour et au sein de cet amour. Il s’aime lorsqu’il découvre sa propre personnalité en la niant, lorsqu’il vit en mourant. Il découvre son véritable >.oi en se niant d’instant en instant, c’est-à-dire en renonçant à ses désirs, car ils ne sont pas la véritable expression de lui-même. Nishida s’oppose en effet fermement a l idce habituelle voulant que l’amour de soi consiste dans la satisfaction de ses moindie désirs en établissant nettement la différence entre les désirs et l’amour. L’amour put n< serait pas possible si y était incluse la satisfaction d’un désir, puisque le désir conduit à l’objectivation des choses et des personnes. L’amour de l’autre, quant à lui, consiste non pas à nier le soi mais à le décou vrir. Il vise à aimer l’autre pour lui-même et non pas en vertu de ses mérites ou d’un but quelconque (si noble soit-il), lequel cas conduirait à en faire un objet de satisfaction personnelle. L’amour de soi contient l’amour de l’autre, et inversement Originairement, amour de soi et amour de l’autre ne sont pas différents mais se conditionnent l’un l’autre. L’autre facette de l’amour est la négation. En d’autres termes, vivre au sein de l'amour équivaut à vivre au sein de la mort. Du moment qu’il aime autrui, le soi se découvre en se rejetant20. Il vit pour l’autre en mourant à soi21. L’amour se présente donc comme la loi de combinaison qui réunit les personnalités par le biais de l'auto négation. Ou encore, il est une détermination dialectique consistant à s’affirmer en se niant et à vivre en mourant, une «unité disjointe» combinant des personnalités chacune indépendante et libre. Il acquiert également une portée sociale puisqu’il rend les personnes aptes à exercer l’une sur l’autre une influence. Tant le monde personnel (l’éveil à soi du soi personnel est la véritable détermination de l’amour) que le monde social s’établissent grâce à l’amour. Il en va de même pour le temporel (comme auto détermination du maintenant éternel), lequel est fondé noétiquement par l’amour. L’essai «Je et tu» reprend les questions principales de l’essai amour de l’autre cl dialei tique•• Partant de la perspective voulant existe (en l’oeiuiu n» < le |< cl le ..tu») se situe dans le temps soit l’auto deleiiiuiiiilion du nuiliileiiiiiil éternel, Nishida examine

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Or, il apparaît qu’à partir du livre «La détermination du néant conformément à l’éveil à soi» {NKZ 6), dont sont tirés ces trois essais, la notion d’éveil à soi est si directement liée à la notion de temporalité qu’il est permis d’avancer que la première se fonde sur la seconde. Une meilleure compréhension de la notion d’éveil à soi requiert qu’on s’attarde à la façon dont Nishida a traité de la temporalité. Dans ce sixième volume, l’auteur cherche à élucider la manière de penser l’irra­ tionnel se trouvant au fond de la réalité. Il s’efforce de voir la logique à partir de l’éveil à soi, et non le contraire. De ce volume, l’essai intitulé «Le temporel et l’intemporel» occupe le sixième rang. Il est la continuation de l’essai précédent, qui a pour titre «L’auto-détermination du maintenant éternel»14. Nishida y montre que tout ce qui existe se situe dans le temps, lequel est la forme fondamentale de la réalité. Le devenir de toute chose en ce monde, y compris le devenir du monde historique au sein duquel l’humain est relié à son corps et à autrui, se situe dans le temps. Le temps est lui-même l’auto-détermination du maintenant éternel eien no ima) - ou de «ce qui est absolument néant». A ce titre, il naît et disparaît à chaque instant dans le maintenant éternel. Selon l’expression de Nishida, «le temps tourne dans le maintenant éternel»15. D’où la caractérisation nishidienne du temps comme «continuité de la discontinuité». Le maintenant éternel, qui fonde et englobe le temps, est une détermination spatiale dans laquelle se situe toute chose, y compris le corps humain. Être situé dans le temps consiste par le fait même à être situé dans le présent, puisque Nishida conçoit le temps comme un «cercle sans circonférence» dont le centre est le présent16. Ce dernier, qui englobe le passé, le présent et le futur augustiniens, est le milieu dont procède toute chose et au sein duquel toute chose est déterminée. Milieu dans lequel se situe l’humain, il existe là où le soi s’auto-détermine en retour comme personnalité libre, là où il s’éveille à soi-même ( S jikaku suru) en tant qu’individu. Mentionnons également que Nishida appelle «instant» la limite de la détermination du présent. En réalité, l’instant est le véritable présent. Tout ce qui existe étant déterminé de ce point de vue temporel, Nishida s’applique à dégager aussi dans l’essai «Le temporel et l’intemporel» la forme de T auto-détermi ­ nation du maintenant éternel puis traite, à partir de cette dernière, de l’opposition et de la relation entre le temporel et l’intemporel. Selon les définitions de Nishida, le monde temporel est le monde le plus concret, celui où le présent s’auto-détermine17. Quant à l'intemporel, il est «le monde de la vie intérieure qui s’auto-détermine expressive­ ment18». Nishida traite également du monde du sujet et du monde de l’objet, ainsi que des mondes de la pensée et de la réalité. Ajoutons que Nishida aborde déjà dans cet essai le thème de l’amour, qu’il considère comme la détermination noétique de l’éveil à soi et comme «un espace qui englobe le temps et le fait s’établir19». Il restera encore pour lui à examiner plus précisément dans les essais suivants la véritable signification de l’amour et de la «détermination sociale», c’est-à-dire la relation «je-tu».

Les deux essais suivants dont je propose la traduction, à savoir «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique», de même que «Je et tu», ajoutent au problème de la

temporalité celui de l’altérité. Dans «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique», Nishida se tourne principalement vers l’«éveil à soi du néant absolu» (^Ê^MWlTQ-, ;ettai mu no jikaku). Cette expression signifie que le «je» est un «je» lorsqu’au moyen d’une auto-négation, il voit au fond de soi l’autre absolu, c’est-à-dire le «tu». Le «je» et le «lu» construisent leur unité personnelle en se voyant mutuellement l'un dans l’autre. Cette unité étant médiatisée par l’auto-négation (c’est ce que Nishida appelle «vivre en mourant» ou «s’auto-déterminer comme néant»), elle apparaît comme une continuité de la discontinuité. L’éveil à soi du néant absolu et l’unité personnelle (qui seront également l’objet de l’essai «Je et tu») sont à leur tour fondés sur l’amour. Le véritable amour au sens nishidien s’inspire de la notion chrétienne d’agapè. Il est avant tout un amour personnel se retrouvant uniquement entre les personnes. Nishida l’aborde de deux manières, soit comme «amour de soi», soit comme «amour de l’autre». L’amour de soi consiste non pas à nier l’autre mais à le découvrir. Le soi qui s’aime se construit par l’amour et au sein de cet amour. Il s’aime lorsqu’il découvre sa propre personnalité en la niant, lorsqu’il vit en mourant. Il découvre son véritable soi en se niant d’instant en instant, c’est-à-dire en renonçant à ses désirs, car ils ne sont pas la véritable expression de lui-même. Nishida s’oppose en effet fermement à l’idée habituelle voulant que l’amour de soi consiste dans la satisfaction de ses moindres désirs en établissant nettement la différence entre les désirs et l’amour. L’amour pur ne serait pas possible si y était incluse la satisfaction d’un désir, puisque le désir conduit ;i l’objectivation des choses et des personnes. L’amour de l’autre, quant à lui, consiste non pas à nier le soi mais à le décou vt ir. Il vise à aimer l’autre pour lui-même et non pas en vertu de ses mérites ou d’un but quelconque (si noble soit-il), lequel cas conduirait à en faire un objet de satisfaction personnelle. L’amour de soi contient l’amour de l’autre, et inversement. Originairement, amour de soi et amour de l’autre ne sont pas différents mais se conditionnent l’un l’autre. L’autre facette de l’amour est la négation. En d’autres termes, vivre au sein de l’amour équivaut à vivre au sein de la mort. Du moment qu’il aime autrui, le soi se découvre en se rejetant20. 11 vit pour l’autre en mourant à soi21. L’amour se présente donc comme la loi de combinaison qui réunit les personnalités par le biais de l’autonégation. Ou encore, il est une détermination dialectique consistant à s’affirmer en se niant et à vivre en mourant, une «unité disjointe» combinant des personnalités chacune indépendante et libre. Il acquiert également une portée sociale puisqu’il rend les personnes aptes à exercer l’une sur l’autre une influence. Tant le monde personnel (l’éveil à soi du soi personnel est la véritable détermination de l’amour) que le monde social s’établissent grâce à l’amour. Il en va de même pour le temporel (comme auto détermination du maintenant éternel), lequel est fondé noétiquement par l’amour.

L’essai «Je et tu» reprend les questions principales de l’essai «Amour de soi, amour de l’autre et dialectique». Parlant de la perspective voulant que tout ce qui existe (en l'occurrence le «je» cl le «tu») se situe dans le temps et que le temps soit l'auto-détermination du iiuiintcnant éternel, Nishida examine tout d'abord le

problème du monde extérieur et celui du monde intérieur (ou de la conscience). Si le «tu» est pour le «je» un «autre absolu» (Oflli, zettai no ta)22, s’ensuit-il que chacun possède son propre monde intérieur indépendant, puis qu’ils s’associent par l’entremise du monde extérieur? Nishida soutient que les diverses difficultés soule­ vées par la question de la relation «je-tu» sont dues au fait qu’on considère le monde intérieur et le monde extérieur comme deux mondes opposés. Or le «je», pris uniquement en tant que conscience, n’est pas un véritable soi personnel apte à entrer en relation réciproque avec un «tu». Le «je» et le «tu» sont réels l’un pour l’autre non pas en tant que «consciences», mais en tant qu’ils se situent de concert dans un même universel ou un même «milieu», c’est-à-dire le monde de la réalité historique, et en tant qu’extensions de ce dernier. Autrement dit, tant le «je» que le «tu» naissent à partir d’un même milieu, sont situés en lui et déterminés par lui, tout en s’auto-déterminant librement dans le même temps. Ils peuvent de cette manière être en relation mutuelle et interagir en tant que soi personnels. Ils peuvent se toucher et se répondre réciproquement. Faisons un pas de plus. Nishida affirme qu’ultimement, ce qui rend possible la relation «je-tu» est l’auto-négation absolue. En se niant soi-même, le «je» reconnaît l’autre comme personnalité. Cette reconnaissance est l’accomplissement de l’autonégation puisque ce faisant, le «je» devient véritablement lui-même : «Le “je” est un “je” en voyant le “tu” comme un “tu”, tandis que le “tu” est un “tu” en voyant le “je” comme un “je”23». Autrement dit, le «tu» devient la condition de l’existence du «je» et de la construction de sa personnalité. Jusque-là discontinus, l’un et l’autre se trou­ vent désormais reliés. La modalité de la reconnaissance de la personnalité de l’autre est l’agir, par lequel deux soi personnels se font mutuellement écho et se répondent. Les notions qui viennent d’être brièvement évoquées aboutissent à celle d’éveil à soi, qui est le point culminant de la relation «je-tu». Comme le répète inlassablement Nishida, l’éveil à soi consiste à «voir en soi l’autre absolu» et, inversement, à «se voir dans l’autre absolu». Dès lors que le «je» et le «tu» se constituent en se reconnaissant mutuellement comme personnalités indépendantes, ils se retrouvent réciproquement l’un dans l’autre, se voient l’un dans l’autre. Cela signifie que le «je» se combine au «tu» par l’intermédiaire de son propre fond, et inversement. En se tournant vers l’autre à partir de son propre fond, le «je» entretient avec le «tu», qu’il voit au fond de soi comme autre absolu, une relation interpersonnelle directe. Le «je» devient un véritable soi personnel lorsque, de cette manière, il voit au fond de soi le «tu» comme autre absolu et se voit à l’inverse dans cet autre absolu. C’est ainsi qu’enfin, il s’éveille à lui-même Z>, jikaku suru). Il ne peut s’éveiller à soi que par le «tu». Sa véritable identité personnelle ne provient pas de lui-même mais de l’autre absolu qu’il voit au fond de soi et avec lequel il est en relation. Dans ces conditions, le soi ne peut être conçu qu’au sens de l’éveil à soi, compris non pas comme une simple connaissance ou conscience de soi, mais comme un accès à soi médiatisé par l’auto-négation absolue et par l’autre absolu. En d’autres termes, le soi ne peut s’éveiller à soi-même qu’en rencontrant en soi l’autre absolu, c’est-à-dire en sc niant. Son identité, loin d’être fermée sur elle-même, est plutôt une «auto-identité absolument contradictoire», c'est-à-dire une identité médiatisée par l’autre et par la

négation absolue de soi24. Les problèmes de l’altérité et de la relationalité conduisent donc directement à la notion d’auto-identité et à sa remise en question. I,'essai intitulé «L’auto-identité absolument contradictoire» montre que la notion du même nom n’est pas exclusive à l’humain mais se retrace partout dans le monde historique. A cela s’ajoute que l’éveil à soi est vu dans cet essai comme l’éveil à soi de la vie historique. La plus profonde auto-détermination de l’universel est le processus d 'eveil à soi de la vie historique. Dans V Essai sur le bien, le but de Nishida était d'ela blir la manière la plus profonde de voir et de penser les choses. Au stade de l’essai I.’auto-identité absolument contradictoire», ce but est réalisé avec la notion d'éveil a soi de la vie historique, avec la logique de l’éveil à soi du soi poiétique. Nishida précise avoir dans cet essai sommairement explicité sa pensée fondamentale25. Prenons un exemple d’auto-identité absolument contradictoire, celle qui a trait a l’individuel (fP‘14^1, kobutsü)16 et au milieu kankyô). Nishida, pour qui tout ce qui existe se situe dans quelque chose, positionne dès le commencement l’individuel dans un milieu qui est le sien. En ce sens, le milieu est «ce en quoi» (J$''Ci cl s’auto-détermine, la méthode propre à la philosophie comme science est précisé ment l’«éveil à soi» que constitue ce doute radical: «Elle est un éveil à soi au moyen du doute, un meditari, tel que Descartes l’a utilisé autrefois dans les Méditations. Elle doit être une analyse négatrice radicale38». Ou encore: «Je tiens la méthode philoso plnqiie pour un éveil à soi négateur, pour une analyse au moyen de l’éveil à soi39». Nishida accorde au doute cartésien une telle importance qu’il y voit le moyen di refonder la philosophie de son époque. Il soutient en effet qu’«il faut s’efforcer de réfléchir en revenant encore une fois, et de manière profondément radicale, à la position de l’éveil à soi négateur de Descartes, à la position de l’analyse au moyen de

»

I.’éveil il soi

l éveil à soi. C’est pour ainsi dire aujourd’hui une époque où, comme à l’époque de I )escartes, les traditions de pensée habituelles doivent être considérées et critiquées à partir de leurs racines40». Cependant, Nishida apporte immédiatement à cela la restriction suivante: Descartes avait bien orienté son projet de refondation de la science en dégageant la notion d’éveil à soi comme doute radical mais malheureusement, il n’alla pas liisqu’au bout des implications de sa méthode. Il ne sut pas échapper à la logique aristotélicienne. En plaçant la réalité dans le sujet et le substratum, il tomba dans la métaphysique dogmatique», ce qui lui valut les critiques de Kant. Nishida estime dès lors que Descartes «s’était déjà écarté de la voie de l’éveil à soi négateur, qu’il avait rompu avec la méthode de l’analyse au moyen de l’éveil à soi lorsqu’il supposa, avec le cogito ergo sum, un substratum à l’extérieur41». Il apparaît donc que la proposition cogito ergo sum est, selon Nishida, la limite même de la philosophie cartésienne ; elle en démontre le caractère inachevé. Nishida reprend immédiatement ce fait évident qu’est le sum cogitans et le réinter­ prète dans sa propre perspective en affirmant qu’ il n 'est pas de l’ordre du sujet ou du subs­ tratum, mais bien plutôt la forme de l’auto-identité contradictoire (^Jftf/'Jil S|W|—; mujunteki jiko dôitsu). Cela signifie que le soi du sum cogitans est une existence auto­ contradictoire dès lors qu’il est l’objet de sa propre négation absolue42. On constate ici que même si Nishida critiqua Descartes d’avoir exposé les conditions formelles de la connaissance objective en écartant l’éveil à soi et la réalité de l’existence humaine, il accorda une très grande importance à la méthode philoso­ phique du doute universel, puisqu’elle conduit à douter de tout, jusqu’à l’existence du soi. Nishida y vit un type d’auto-négation par laquelle le sujet connaissant, tenu de douter de sa propre existence, est conduit par là à la constatation de l’éveil à soi. Ce fait même de l’éveil à soi atteint au moyen du doute négatif est extrêmement important dans la perspective de Nishida. Car le soi doit tirer son origine du doute lui-même. L’éveil à soi, tel que compris par Nishida, se présente ainsi comme le point de départ ayant servi à Descartes pour nier toutes choses. Et pourtant, constate Nishida, Descartes n’aboutit pas à l’éveil à soi véritablement négateur. Bien qu’il eut douté de sa propre existence, il ne fit pas de sa propre logique un objet de doute. Le soi cartésien demeura un soi abstrait dépourvu de corporéité, incapable de parvenir au véritable éveil à soi auto-négateur. Ce sont la logique nishidienne de l’«auto-identité absolument contradictoire» lîJÊESIfil”; zettai mujunteki jiko dôitsu)43, de même que les notions de «soi» et d’«auto-négation» que cette logique implique, qui permettront de mener à bien cette tâche. Ce qui précède a permis de percevoir de quelle manière Nishida procède dans sa recherche du véritable éveil à soi. Il en décèle l’émergence chez Descartes puis en fixe les limites afin d’en mieux cerner le statut dans sa propre perspective44. En effet, la philosophie de Descartes - aussi bien que celles de Kant et de Fichte - doivent être critiquées et réévaluées à partir de l’éveil à soi absolument négateur, puisqu’elles demeurent cantonnées à une logique subjective extrêmement limitée et unidirection­ nelle, si on la compare à la logique nishidienne de l’auto-identité absolument contra­ dictoire qui elle, part dès le début de l’auto-détermination de la véritable réalité.

liilKxliielion

I ,a tentative nishidienne de dépasser le dogmatisme kantien en faveur de l’éveil à conduit à une position logique qui, loin d’être la forme d’un soi pris comme sujet de connaissance, précède l’opposition sujet-objet. Cette position est celle de l'éveil à ni du «soi pratique» qui agit dans le monde historique et y met en jeu sa propre vie. I .'injonction nishidienne d’un «retour à Descartes» n’a précisément d'autre fin que de refonder la philosophie sur ce soi pratique historique (le véritable soi), sur l'éveil à soi du soi ayant réalisé l’unité corps-esprit shin shin ichinyo). I >c façon plus précise, l’éveil à soi négateur entraîne la négation du soi conscient abstrait, c’est-à-dire la subjectivité pure d’inspiration cartésienne et kantienne. Ainsi, le véritable soi n’est pas un soi conscient abstrait et uniquement pensé auquel il sérail illusoire de s’attacher, mais bien plutôt un soi pratique historique. Dans cette perspective, la pensée elle-même est un fait et un comportement historiques. L’éveil à soi se produit lorsque le soi crée en étant créé, ce qui signifie qu'il est un corps historique (SlÉlfrîJjHK rekishiteki shintai)45. Cette logique de la h h cc de formation historique diffère tant de la logique subjective de Descartes que ih la dialectique de Hegel, l’une et l’autre enserrées, toujours selon Nishida, dans la lupique subjective aristotélicienne. I .'auto-élucidation de la véritable réalité se fondant ainsi sur l’éveil à soi abso­ lument négateur, la philosophie a un caractère religieux car sous-jacente au «grand doute» ( taigf) se trouve une «grande illumination» (À'Im, taigo), c’est-à-dire le Pilori bouddhique. Le principe le plus élevé de la philosophie relève donc de l’auto Identité absolument contradictoire. Cela signifie que l’éveil à soi n’est pas un strict i apport de soi à soi ou une identité fermée sur elle-même. Sa réalisation implique un doute radical, une auto-négation absolue. lit Nishida d’assurer que «la philosophie étant au sens précédent le processus il'aiilo-cxpression de la réalité fondamentale qui vraiment existe par soi-même et . aulo-détermine par soi-même, elle doit être un éveil à soi négateur, une analyse au moyen de l’éveil à soi. Racine de toute réalité, science de la “réalité de la réalité”, elle doit être par conséquent la position qui voit sans voyant, la position par laquelle le monde se reflète46». Cette position du «voir sans voyant» ou du «penser sans chose qui pense», est susceptible de saisir son propre principe, à savoir un éveil à soi qui aulo-détermine. Partant, la méthode de la philosophie est un éveil à soi négateur, lundis que son objet est un «objet sans objet», à savoir un objet non objectivé, ou encore la véritable réalité qui est en soi et est conçue par soi. S’il est désormais sans issue pour la philosophie de partir du sujet pour tenter d'aboutir à l’objet, de passer de l’immanence à la transcendance, elle doit se baser sur i elle position immédiate et auto-fondatrice pour le soi, la position de l’auto-identité i onliadictoire du sujet et de l’objet. I tisons, pour conclure ces quelques remarques, que Nishida poussa la perspective de Descartes plus loin en montrant, à partir de la réalité historique spatio-temporelle, que le soi qui doute et ne peut être mis en doute n’est pas un soi conscient abstrait, mais un soi formateur historique qui crée et est créé. Il s’engagea à partir de là dans une voie encore plus radicale que celle de Descartes en adoptant un point de départ concret. soi

22

I.'éveil soi

Nishida fit jouer dans son argumentation même la méthode du doute cartésien, sous son aspect éminemment négateur. Car en déterminant d’une part le prolème de la philosophie, à savoir la véritable réalité, et d’autre part la méthode de la philosophie, à savoir l’éveil à soi négateur au moyen duquel cette véritable réalité peut être atteinte, il s’attacha à montrer ce que la philosophie n’était pas et ne pouvait plus être à sa propre époque, c’est-à-dire au cours de la première moitié du XXesiècle.

Quelques problèmes entourant la traduction de Nishida

La traduction de Nishida présente d’énormes défis. J’en retiendrai trois: le style de Nishida, sa situation à la confluence de deux traditions et son vocabulaire. Bien que Nishida ait été le premier et le plus original philosophe japonais moderne, son œuvre n’a pas encore eu un grand impact hors du Japon lorsqu’on la compare aux œuvres de Nishitani et Watsuji, par exemple. L’intérêt porté à Nishida en Europe et en Amérique du Nord est fort réduit en regard de la vaste connaissance que Nishida lui-même avait des philosophies européennes et américaines de son époque. Cette quasi-méconnaissance de la philosophie de Nishida est due bien entendu à la très grande difficulté que représente le langage de ce philosophe. Ueda Shizuteru donne une idée de cette difficulté en avouant qu’il n’est pas inhabituel de lire plusieurs pages sans avoir la moindre idée de ce que Nishida essaie d’exprimer mais qu’en même temps, quelque chose pousse à aller de l’avant, à poursuivre la lecture. En effet, il est possible de saisir, à travers ses phrases laborieuses et le vocabulaire qu’il utilise, le problème central dont il traite, ainsi que la passion dont il est animé dans sa lutte pour résoudre les questions philosophiques. D’ailleurs, Nishida lui-même se comparait à un mineur qui, à l’aide de sa pioche, serait à la recherche de filons d’or. Il découvre parfois un filon, souvent des fragments irréguliers, mais parfois aussi ébréche la pioche elle-même47. Avant 1860, date qui marque le début de l’ère Meiji, il n’existait pas au Japon de philosophie en un sens comparable à la philosophie occidentale, c’est-à-dire une pensée caractérisée par des modes d’analyse tels que la spéculation et le raisonnement, que ce dernier soit déductif ou inductif. Du début de l’ère Meiji jusqu’à Nishida, on se limita à importer la philosophie occidentale et à l’enseigner de manière répétitive48. Nishida s’efforça de construire pour la première fois une philosophie originale en se confrontant à la logique formelle et à la logique métaphysique. Toutefois, il fonctionna dans cette nouvelle voie de conceptualisation par essais et erreurs. Son style présente peu d’argumentation linéaire (introduction, développements déductifs enchaînés et conclusion). Ses textes sont en quelque sorte des «cascades de thèmes symphoniques» puisque, comme le signale Ueda, il les publiait souvent sans les réviser en détail, préférant plutôt les retravailler dans des essais et des cours ultérieurs. Par exemple, il change souvent de sujet dans une même section, sans qu’on puisse

ihikkiih -iiuii

faire de liens apparents avec les thèmes précédents. En pareil cas, il est nécessaire d’étudier le texte en entier pour en saisir les parties. Ueda exprime de la manière suivante ce qui rend difficile la lecture de Nishida. Les quelque 5000 pages de l’œuvre complète de ce dernier sont toutes écrites de la même manière. Nishida

entend commencer un traité particulier comme traité organisé, accumule une idée apres l’autre sans aucun sens de système, tente de réexprimer les choses de manière plus ordonnée mais, encore une fois, ajoute de nouvelles idées, essaie de se dépêtrer lui menu en réinterprétant ce qu’il a écrit, décide de changer de direction, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il se retrouve avec un livre qui ressemble davantage à une longue série d'articles qu’à une simple œuvre organisée49.

En somme, chaque essai est pour ainsi dire une partie d’une vaste thèse que Nishida édifia durant toute sa vie intellectuelle. Il faut toutefois nuancer ces affirmations générales et quelque peu caricaturales de Ueda en précisant deux choses. D’abord, Nishida est loin d’être le seul philosophe à avoir été indifférent à la perfection de la forme de ses écrits. Ensuite, certains essais sont décidément construits de manière beaucoup plus rigoureuse que d’autres cl présentent un caractère nettement achevé, qu’il s’agisse de l’essai «Le monde intelligible»50 ou de l’essai «Je et tu», qui constitue le troisième chapitre du présent recueil. Ce qui est vrai des différents essais, à savoir qu’il faut situer ceux-ci dans l’en semble de l’œuvre de Nishida, l’est à plus forte raison des notions philosophiques par lui développées, par exemple 1’«auto-détermination du basho» (^^01 ’l t_l|!l1 /iï, basho no jiko gentei), l’«intuition agissante» kôiteki chokkan), le •corps historique» rekishiteki shintai) ou l’«auto-identité absolument contradictoire» (MÉfà Ê El R] —; zettai mujunteki jiko dôitsü). Chacune de ces notions doit être comprise à partir de l’ensemble de l’œuvre de Nishida, chose qui nécessite une lecture toujours renouvelée de cette œuvre. Le style de Nishida se caractérise aussi par son hétérogénéité. Que l’on songe par exemple à la notion initiale d’expérience pure jwnswi keikeri) exposée dans VEssai sur le bien, dont Nishida affirme qu’elle est la réalité unique permettant d’expliquer toute chose. Or, elle est remplacée, dès le second volume de son œuvre complète, par la notion d’éveil à soi jikaku), qui sera elle-même complétée par les notions de néant absolu zettai mû) et de basho (ijjf'Jf, lieu), notamment. Cette hétérogénéité est en réalité l’expression de l’effort constant de Nishida visant à repenser les principales notions de sa pensée à partir de leur véritable fonde­ ment. Chacune d’entre elles, une fois établie, est aussitôt remise en question pour être ramenée à sa propre source. Mais n’est-ce pas là ce à quoi se sont appliqués les plus grands philosophes? Un second facteur posant des défis de traduction est la tension subie par Nishida par la confluence de deux traditions. Il développa en effet sa philosophie à un moment historique, celui de l’émergence du problème des relations entre l’Est et l’Ouest. Il lut

24

l.'t’veil (kangaeru). La traduction la plus courante de ce verbe est «penser». On doit maintenir cette signification, surtout lorsqu’il est clairement question, au niveau épistémologique, du «soi qui pense» (^À-BllEl, kangaeru jiko), de la «chose pensante» (^'Z.-S^O, kangaeru mono) cartésienne, ou encore de l’unité de «ce qui pense» et de «ce qui est pensé » ( k/ / (j 0) £ x. fl £ & 0, kangaeru mono to kangaerareru mono).



Cependant, il est beaucoup d'autres cas où traduire systématiquement par «penser» alourdirait bien inutilement le texte. En remplacement, il est possible d’adopter par exemple les verbes «considérer» ou «concevoir». Il en va exactement de même du mot Écft (imi, signification) et de ses formes verbales 41 21 (benshôhô ni oite ha, tairitsu ga soku sôgô, sôgô ga soku tairitsu to iu koto de ari, tairitsu naku shite sôgô ha nai ga, sôgô naku shite tairitsu mo nai) (NKZ 9, p. 164 [traduction, p. 156]). 74. '7 (shintai naku shite yokkyû to iu mono naku, yokkyû naku shite shintai to iu mono ha nai) (NKZ 6, p. 262-263 [traduction, p. 72]). 75. s-c

(/kyakkanteki sekai ha! ichi men ni oite dokomademo ware ware wo hitei suru mono, sunawachi zettai ni higôriteki naru mono no imi wo yûsuru to tomo ni, ware ware ga kore ni oite umare, kore ni oite ikiru to iu imi wo motsu mono denakereba naranai. Ichi men ni oite, sono haigo ni higôriteki naru mono toshite dokomademo butsuri kai to iu gotoki mono ga kangaerarenuba naranai to tomo ni, ichi men ni oite eien no seimei to iu gotoki mono ga kangaerarenuba naranu) (NKZ 6, p. 368 [traduction, p. 110]). 76. gg I® aÈ L , (jiai ha taaiwo gentei shi.taai ha jiai wo gentei suru no de aru) (NKZ 6, p. 289 (traduction, p. 87)). 77. «Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas tout à la fois au même sujet, et sous le même rapport» (Métaphysique T, 3, 1005, b 19 ; voir Seconds Analytiques, I, 11, 77 a 10). Ou encore : «Il est impossible d’être et de ne pas être tout à la fois» (Métaphysique, B, 2, 996 b 30). 78. Il serait hâtif, sur la base de ces considérations, de conclure que la pensée orientale est nihiliste, ou encore qu’elle fait fusionner les contraires et mêmes les contradictoires, c’est-à-dire qu’elle ignore le principe de contradiction au sens aristotélicien. On peut retracer le fonctionnement de ce principe 14 fois dans le Traité du milieu. 79. («Tetsugaku joron», «Introduction à la métaphysique" i dans NKZ 7, p. 5-84.

IlItlOlIlKtlOII

SI

KO. « Ali'illWf/li» («Ningcntcki son/.tti». * I 'existence humaine»), dans NKZ 9, p. 9-68. 81. J’ai constitué cette liste en m'inspirant des deux ouvrages suivants: Kôsaka, Kunitsugu |,ll|l| W Ÿ WJSï® tïSft (Nishida Kitarô. Sono shisô to gendai, Nishida Kitarô. Sa pensée et l'époque moderne), Kyoto, Minerva Shobô, 1995, 322 p. ; p. 182-184; Kayano, Yoshio et Ohashi, Ryôsuke (dit, ) i"lHirri':-l'iïïMè0f%z^0^‘j|^ (Nishida tetsugaku - Shin shiryô to kenkyû he no tekibi, la l'illlosopltie de Nishida - Guide pour une nouvelle documentation et pour la recherche), Kyoto, Minerva Sltobft, 1987,402 p.; p. 229-231. 82. Voir NKZ 9, p. 214 (traduction, p. 86). 8 t Texte chinois de l’époque T’ang appartenant à l’école Sôtô. 84. NKZ 10, p. 502-503 (traduction, p. 209). 85. J’ai développé cette même question de l’auto-identité dans le cadre de la théorie nishidienne de l 'Individuel. Voir J. Tremblay, Nishida Kitarô. Le Jeu de l'individuel et de l’universel, p. 93-117. 86. Voir art. «Détermination», dans André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philo >ophte, Paris, PUF, 1997, 665 p. ; p. 220. 87. Voir NKZ 10. p. 559 (traduction, p. 245). 88. Voir NKZ9, p. 147 (traduction, p. 145). 89. Voir J. Tremblay, Nishida Kitarô. Le Jeu de l’individuel et de l’universel, p. 275-322.

-

L’ÉVEIL À SOI

Chapitre premier

Le temporel et l’intemporel

l

/Relation

et opposition du temporel et de l’intemporei ./

< V On peut considérer en général que l’acte d’auto-détermination de ce qui s'auto di termine sans déterminant, c’est-à-dire de ce qui se voit sans voyant, est le temps. ( ’c que l’appelle la «détermination du basho del’universel du néant»2 - laquelle détci mine comme «ce qui se situe dans» -5 &0, oite arumono) ce qui s’auto-détei mine comme néant -, c’est-à-dire la détermination noétique de l’éveil à soi du néant i .1 l'amour. Mais sa détermination sur le plan de la détermination (IWÊ®I^.JlWL'. oenlei menteki gentei), c’est-à-dire la détermination noématique, est le temps. IJ ne chose qui ne peut se voir objectivement doit devenir, lorsqu’elle essaie de von objectivement, un processus infini qu’on ne peut absolument pas atteindre. I .a détermination de l’éveil à soi jikakuteki gentei) doit être un processus liilmi. Mais un simple processus infini ne laisse pas nécessairement paraître la signili i iitlon de l’éveil à soi. Il doit y avoir, dans l’éveil à soi, une dimension qui dépasse ce processus, et qui néanmoins l’englobe en elle. Notre soi n’est pas conçu comme limite ( H' |'l ■!, kyokugen) d’un tel processus. Il faut, pour déterminer le soi, /234/ que le basho >. . 1111 o-détermi ne directement.

I. Nishida Kitarô, «lUfhflfUtAc-£>HTl"d6Z'JSC7)» («Jikanteki naru mono oyobi lu lifnnlcki naru mono»), dans/Vk'Z6. p. 233-259. I'expression «détermination du basho» Ét5lfizÈ) est à comprendre à la fois comme un iu’miil subjectif et comme un génitif objectif. Dans le premier sens, c’est le basho lui-même qui se détei mme (on pourrait encore dire «se modifie») en tant que telle ou telle chose située en lui. Dans le second « ir.. le basho est déterminé ou modifié par ce qui se situe en lui.

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L'éveil £>0 jikanteki naru mono), entendu comme auto-détermination de l’universel /qu’est le plan de la noèse/. est conçu lorsque le plan du noème se situe dans le plan de la noèse. Le «monde de la nature» est pris en considération lorsque le plan de la noèse est abordé suivant le plan du noème. Le monde historique est pensé lorsque le plan du noème est englobé dans le plan de la noèse. Si on reprend cela du point de vue de l’éveil à soi du néant absolu, le /monde naturel/ désigne l’éveil à soi noématique de celui-ci, et le /monde historique/ son éveil a soi noétique. La véritable détermination noétique de l’éveil à soi du néant au sen ou le basho s’auto-détermine - doit être sociale. Dans la détermination noétique pim nous sommes déterminés au sein des relations entre le «je» et le «tu». Le basho revêt le sens de la détermination de l'amour en regard de «ce qui se situe dans» oite aru mono)9. Il doit toutefois y avoir, du côté de l’amour, une dimension d’auto-négation et, du côté de l’amour absolu, une dimension de négation absolue. Vivre au sein de la mort est le véritable amour. Le soi universel I IL1, Ippanteki jiko) - au sens où le basho s’auto-détermine -12.40/ implique d’une part que nous, individus, naissions dans /le basho/ et soyons englobés dans celui-ci, et signifie d'autre part qu’il nous nie, individus. Plan de détermination de l’éveil à soi ( É=l lï'j KH Htm, jikakuteki gentei men) du néant absolu, le soi universel suppose nécessairement la négation. Le monde de la nature est entendu comme l’auto-détermination de ce plan de l'éveil à soi négateur10. Si on tient l’éveil à soi du néant absolu pour social, le monde de la nature est pensé à la limite de la détermination noématique de ce dernier. I n ce sens, on peut considérer la nature comme un soi latent et, faisant un pas de plus, comme le Geist ausser Sich de Hegel. Il doit cependant y avoir un monde de la déter

9. «Ce qui se situe dans» désigne le contenu d'une détermination. 10. L’éveil à soi du néant absolu est un éveil à soi négateur, c’est-à-dire un éveil à soi impliquant l'auto-négation. Voir !' Ù A I l'| '/UCO V » («Dekaruto tetsugaku ni tsuite»,«À propos de la philosophie di I