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French Pages 298 [281] Year 2011
Les enjeux autour de la diaspora burkinabè Burkinabè à l’étranger, étrangers au Burkina Faso
Études Africaines Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa Dernières parutions Jean-Claude MBOLI, Origine des langues africaines Essai d’application de la méthode comparative aux langues africaines anciennes et modernes, 2010. Ngimbi KALUMVUEZIKO, Sur les traces d’Ota Benga, 2011. Lambert NICITIRETSE, Charge pastorale du curé et coresponsabilité dans l’église du Burundi, 2010. Jean Maurice NOAH, Le makossa. Une musique africaine moderne, 2010. Brice Armand DAVAKAN, Repenser les nations africaines, 2010. René N’Guettia KOUASSI, Comment développer autrement la Côte d’Ivoire ?, Des suggestions concrètes pour soutenir la dynamique du développement de ce pays, 2010. Jean-Pierre BODJOKO Lilembu, Développement de la radio catholique en RDC, 2010. Auguste ILOKI, Le droit des parcelles de terrain au Congo. Tome 1 : Droits fonciers coutumiers. Acquisition des parcelles de terrain, 2010. Abdoulay MFEWOU, Migrations, dynamiques agricoles et problèmes fonciers, 2010. Maurice ABADIE, Afrique centrale. La colonie du Niger, 2010 (reprint de l’édition de 1927). Michèle CROS et Julien BONDAZ (dir.), Sur la piste du lion. Safaris ethnographiques entre images locales et imaginaire global, 2010. Apollinaire NTAMABYALIRO, RWANDA, Pour une réconciliation, la miséricorde chrétienne. Une analyse historico-théologique du magistère épiscopal rwandais (1952-1962), 2010. Élieth P. ÉYÉBIYI, Gérer les déchets ménagers en Afrique. Le Bénin entre local et global, 2010. Zygmunt L. Ostrowski, Soudan. Conflits autour des richesses, 2010. Clotaire MOUKEGNI-SIKA, Production scientifique et pouvoir politique au Gabon. Esquisse d’une sociologie de la recherche universitaire, 2010. Innocent BIRUKA, Sagesse rwandaise et culture de la paix, 2010. Mosamete SEKOLA, Privatiser le secteur public en RDC ?, 2010. Jean-Pacifique BALAAMO-MOKELWA, Les traités internationaux du SaintSiège avec les États en Afrique (1885-2005), 2010. Kathleen GYSSELS et Bénédicte LEDENT, Présence africaine en Europe et au-delà, 2010. Joseph BOUZOUNGOULA, Services de base et dynamique sociale au Congo, 2010. Narcisse DOVENON, Le Bénin : Quelles solutions pour un développement durable ?, 2010.
Sous la direction de
Mahamadou ZONGO
Les enjeux autour de la diaspora burkinabè Burkinabè à l’étranger, étrangers au Burkina Faso
L’Harmattan
© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-14003-5 EAN : 9782296140035
Remerciements La publication de cet ouvrage n’aurait pas été possible sans la contribution de certaines personnes à qui je tiens à exprimer ma gratitude et ma reconnaissance, en particulier Sylvie Bredeloup (LPED, IRD), Brigitte Bertoncello (Université d’Aix-Marseille), Jérôme Lombard (LPED, IRD), Honoré Pouyor Somé (UFR/SH, université de Ouagadougou), Saydou Koudougou (LERDYS, université de Ouagadougou) et Jean Claude NABA (UFR/LAC) pour leur contribution à la finalisation du document.
Comité scientifique
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Pr. Bertoncello Brigitte, Professeur titulaire, UMR TELEMME, Université d’Aix-Marseille ; Bredeloup Sylvie, Directrice de recherche, IRD/LPED, Université de Provence, Marseille (France) ; Pr. Mandé Issiaka, Maître de Conférences, Université Paris-Diderot (France) ; Pr. Zoungrana Tenga Pierre, Maître de Conférences, UFR/SH, Université de Ouagadougou (Burkina Faso) ; Pr. Bantenga Moussa, Maître de Conférences, UFR/SH, Université de Ouagadougou (Burkina Faso) ; Lombart Jérôme, Chargé de recherche, IRD/ LPED, Université de Provence, Marseille (France) ;
Introduction ZONGO Mahamadou Situé au cœur de l’Afrique l’Ouest, le Burkina Faso se caractérise par une forte émigration internationale. Dès l’époque coloniale, la colonie de Haute Volta (Burkina Faso à partir de 1984) a été utilisée dans le dispositif colonial comme réservoir de main-d’œuvre pour alimenter les chantiers de mise en valeur coloniale dans les autres colonies de l’AOF. Les courants migratoires nés de cette époque n’ont pas été modifiés avec les indépendances (en 1960) même si les départs volontaires ont remplacé les migrations forcées. En définitive, il existe une forte diaspora burkinabè dans les pays de la sous-région mais de manière plus prononcée en Côte d’Ivoire, le principal pays d’immigration de l’espace ouest africain. La diaspora burkinabè, forte de 2 238 548 membres en 1998, y représentait 56,6 % de la population étrangère et 14,56 % de la population totale (RGPH Côte d’Ivoire, 1998). La crise qui s’est déclenchée dans ce pays à la fin des années 1990 et au début de la décennie 2000 a provoqué un retour massif de Burkinabè dans leur pays d’origine, même si parmi eux, certains découvraient pour la première fois «leur» pays à l’occasion de ce retour contraint. L’une des conséquences de la crise ivoirienne a été, au Burkina Faso, la naissance de débats sur la diaspora burkinabè qui aboutira à l’organisation, en juillet 2006, d’un symposium national sur les migrations1, où ont été traités des sujets aussi variés que divers (bilan global des migrations, transferts de fonds, insertion des rapatriés, politique migratoire, etc.). Cet intérêt montre l’enjeu que représente la migration pour le Burkina Faso alors que, paradoxalement, elle reste un sujet très peu documenté spécifiquement, ce qui permet d’ailleurs des spéculations sur le nombre des Burkinabè vivant à l’étranger. Au-delà de la contribution économique ou des investissements que les émigrés peuvent apporter au Burkina Faso, les débats et les discussions suscités par le retour des rapatriés soulèvent les questions du lien social, de la nationalité et de la citoyenneté dans les pays de tradition migratoire2. Ces questions se posent d’ailleurs à l’échelle de la sous-région ouest africaine où les politiques
1 CONAPO. 2006, Symposium sur les migrations au Burkina Faso, Ouagadougou, 13 – 14 – 15 juillet 2006. 2 Coordonnée par Sylvie Bredeloup, directrice de recherche au LPED (Laboratoire, Population, Environnement, Développement) à l’IRD et moi-même. .
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d’édification des Etats-nations se réalisent concomitamment à l’édification d’un espace sous-régional à vocation communautaire. Ce livre vise à documenter, à travers le cas de la diaspora burkinabè, la complexité des questions générées par les migrations. Les contributions, hormis celles de Moukaila Arouna et de Gabin Korbeogo, sont issues de recherches menées dans le cadre de la Jeune Equipe Associée «Diaspo » financée par l’IRD, dont l’objectif est d’étudier les enjeux qui se nouent autour de la constitution de la diaspora burkinabè, d’identifier les différentes initiatives prises par les membres de la diaspora burkinabè à l’étranger et dans leur pays, d’apprécier sa trajectoire historique, les modalités de sa construction et de sa dynamique, ainsi que ses évolutions au gré des opportunités, au fil des pressions politiques et, enfin, de repérer dans quelle mesure ses actions contribuent au développement économique et social du pays d’origine. Le présent document est une synthèse des premiers résultats des travaux de terrain des membres de l’équipe. Il comporte dix contributions qui abordent chacune des aspects spécifiques. Le premier texte, « Migration, diaspora et développement au Burkina Faso », après avoir montré l’historique, l’importance et les destinations des migrations internationales au Burkina Faso, analyse d’une part, leur impact sur les zones de départ et, d’autre part, la perception que les populations ont des émigrés et de leurs descendants, dont certains, à cause des difficultés qu’ils rencontrent dans leur pays de naissance, sont contraints de revenir au Burkina Faso pour y poursuivre leurs études. Le second texte, « Circulations transsahariennes et vie de transit à Agadez (Niger) », issu de recherches menées entre 2006 et 2009 dans le cadre du programme FSP (Migrations internationales, recompositions territoriales et développement) et de deux études réalisées pour le compte du Fonds des Nations Unies pour la Population, analyse la vie de transit des migrants subsahariens à Agadez au Niger, leur insertion dans une ville dans laquelle ils ne font que passer. Il montre la double fonction du Niger dans le système migratoire MaghrebAfrique subsaharienne en tant que pays d’émission de flux migratoires pour les rives Nord du Sahara et d’espace de transit privilégié pour les Subsahariens se rendant dans cette région. Le troisième texte, « La diaspora burkinabè au Ghana et sa descendance: insertion dans la société d’accueil et liens avec le «father’s land » », aborde la situation des émigrés burkinabè et leurs descendants au Ghana ainsi que leurs rapports avec le Burkina Faso, où s’est développée une image peu valorisante de l’émigré du Ghana. Contrairement à de nombreux pays de la sous-région où les
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enfants des immigrés sont traités comme des étrangers, le Ghana se particularise en considérant, à la fois sur le plan juridique et dans les perceptions des populations, les enfants issus de l’immigration comme des Ghanéens. L’article montre les implications de cette double perception contrastée (du Burkina Faso et du Ghana) sur la nature des liens avec les différents lieux. Le quatrième article, « Burkinabè en Côte d’Ivoire, Burkinabè de Côte d’Ivoire : organisation, rapports avec la société d’accueil et le pays d’origine », aborde la situation des Burkinabè en Côte d’Ivoire où les troubles politiques de ces dernières années ont contribué à restructurer le milieu associatif avec l’émergence de nouvelles fractures politiques et générationnelles, à affaiblir les organes d’Etat dans la gestion des immigrés burkinabè en Côte d’Ivoire, à la mise en place ou à la consolidation de nouvelles stratégies identitaires des Burkinabè en Côte d’Ivoire. Cet article rend compte des formes de structuration de la diaspora burkinabè, des rapports qu’elle construit avec la société d’accueil. Le cinquième article, « Les communautés chinoise et indienne au Burkina Faso : structuration, nature des liens avec le pays d’origine et modalités d’insertion dans la société d’installation », aborde un thème d’actualité, notamment les diasporas asiatiques en Afrique. A travers le cas des Chinois et des Indiens au Burkina Faso, l’article montre la nature économique de ces diasporas, mais aussi les stratégies différentes qu’adopte chaque communauté dans ses rapports avec la société d’accueil. Le sixième article, « Accueil et réinsertion des rapatriés de Côte d’Ivoire dans les départements de Gaoua et de Batié, Burkina Faso », après avoir rappelé l’historique des retours précipités au Burkina Faso depuis la fin des années 1990, revient sur «l’opération Bayiri » que l’Etat burkinabè a initiée au moment du déclenchement de la rébellion pour organiser le rapatriement des candidats au retour. L’article décrit le dispositif d’accueil ainsi que les différentes institutions qui y étaient impliquées. Il analyse enfin les stratégies d’insertion des rapatriés, leurs rapports avec la société d’accueil et les difficultés auxquels ils ont été confrontés. Le septième article, « Crises ivoiriennes, migrations de retour et recompositions des rapports villes-campagnes : la ville frontalière de Niangoloko et son hinterland », analyse les transformations générées dans une ville frontalière de la Côte d’Ivoire par l’arrivée des rapatriés. Il montre que la crise ivoirienne, après avoir provoqué la baisse des recettes des acteurs économiques de la ville de Niangoloko dont l’économie est dépendante de sa position frontalière a, grâce aux migrations de retour, entrainé une recomposition économique liée à la
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répartition des migrants dans la commune d’une part et d’autre part redéfini la nature des relations que la ville entretient avec les villages. Le huitième article, « Le réinvestissement des acquis de la migration au Burkina Faso », analyse l’investissement des acquis en migration dans les pays de départ, à travers notamment les transferts de fonds, les investissements mobiliers et immobiliers qui participent au développement socioéconomique du pays. La mise à profit des expériences acquises au cours de la migration donne un avantage à ces migrants dans les activités qu’ils entreprennent. Mais au-delà des investissements qu’ils réalisent, ces migrants initient des contributions à des associations humanitaires ou à des structures déconcentrées de l’Etat (les provinces, les régions) et aux collectivités locales (communes) qui contribuent à les rendre visibles, mais aussi tendent à exprimer leur appartenance. Le neuvième article, « Localiser des identités mobiles. Migration, ethnicité et dynamiques foncières au Gourma » , analyse le répertoire des stratégies que les acteurs et groupes stratégiques utilisent pour avoir les droits d’exploitation durables et d’appropriation des ressources naturelles dans les villages du département de Fada N’Gourma (dans la région du Gourma, située à l’est du Burkina Faso), dans un contexte marqué par les migrations internes et le retour des rapatriés de la Côte d’Ivoire, l’agriculture céréalière extensive, le développement de la culture du coton et la pluralité des institutions sociofoncières. L’analyse montre que si le pluralisme institutionnel a offert des chances d’accès aux ressources naturelles aux acteurs locaux, en fonction de leur position sociopolitique et de leurs capacités de négociation, il a en revanche accru la contestation des règles et des pratiques locales et amplifié les conflits sociofonciers sans pour autant réduire les oppositions entre les différents groupes ethniques à des ressentiments ethniques, car la communauté d’intérêts justifie la formation des groupes d’acteurs stratégiques autant que l’appartenance ethnique, l’autochtonie et l’honneur. Enfin le dernier texte, «Identité culturelle des migrants lobi/birifor rapatriés de Côte d’Ivoire à Gaoua, Burkina Faso», montre à travers les rapatriés lobi/birifor dans le sud ouest, leur zone de départ, la complexité des rapports que les émigrés entretiennent avec les familles d’origine. Cette complexité est produite par la nature des liens développés pendant l’absence mais aussi par les pratiques et les comportements des rapatriés qui engendrent des transformations dans la société d’accueil. L’article montre, in fine, que face aux contraintes diverses auxquelles elles sont confrontées, les sociétés d’origine des rapatriés avaient intégré très peu l’éventualité d’un retour définitif de ceux qui étaient partis.
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1 Migration, diaspora et développement au Burkina Faso ZONGO Mahamadou* Résumé Pays de forte tradition migratoire orientée principalement vers les pays limitrophes, le Burkina Faso dispose d’une diaspora qui se caractérise par son ancienneté et son importance ainsi que par la nature multiforme des liens qui ont été tissés au fil du temps avec les zones de départ. L’article, après une brève genèse des migrations internationales, analyse la nature problématique des relations que la société et l’Etat burkinabè entretiennent avec les émigrés. Considéré actuellement comme un acteur du développement du pays et invité à y participer, la perception de l’émigré tend à le confiner dans un rôle de bailleur (à travers les transferts de fonds et les investissements immobiliers) auréolé d’une image peu valorisante, ce qui se traduit par des difficultés d’insertion des descendants d’émigrés qui viennent poursuivre leur études au pays de leurs parents. Mots clés : Migration internationale, migration de retour, transfert de fonds, immigration, diaspo, tabouga /tabuuga, Burkina Faso
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Maître assistant, Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales (LERDYS), Département de sociologie, UFR/SH, université de Ouagadougou Contact : [email protected]
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Introduction La question de la migration, quoique très ancienne, est actuellement une des problématiques d’actualité, dans la mesure où la mondialisation a rendu les frontières très perméables tant en ce qui concerne les aspects financiers et la communication, que pour la mobilité des personnes. Ainsi, en 2005, 200 millions de migrants, soit 3% de la population mondiale, avaient été dénombrés (CEDEAO – CSAO/OCDE, 2006:3). L’Afrique contribue aussi à ce phénomène: en 2000, sur les 175 millions de migrants, 16,2 millions étaient originaires d’Afrique. Dans la même année, on y dénombrait 3,6 millions de réfugiés et 9 millions de déplacés. L’Afrique subsaharienne contribue certes à ce vaste mouvement mondial mais se singularise par la prédominance du caractère intra-régional des migrations de ses ressortissants. En effet, 86% des migrants de l’Afrique de l’Ouest (soit environ 7,5 millions) s’installent dans un autre pays de l’Afrique de l’Ouest contre environ 0,77 millions à destination de l’Europe et 0.39 millions à destination de l’Amérique du Nord (CEDEAO – CSAO/OCDE, 2006:18).
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Tableau 1 : Les destinations des migrations ouest-africaines Burkina Niger Faso
Bénin
Mali
Guinée Togo
Ghana Sénégal Côte d’Ivoire
Destination Afrique 90% 89% 88% 87% 85% 73% 66% 46% 36% Europe du 1.3% 1.8% 3.5% 4.5% 5.2% 16% 14% 42% 48% nord-ouest et du Sud Amérique 0.1% 0.3% 0.3% 0.3% 1.4% 1.9% 10% 3% 7% du nord Source : Le Monde (Hors série. «L’Atlas des migrations », coédition La vie – Le monde 2008-2009. p. 154)
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La conscience de l’importance des migrations intra-régionales a abouti à des initiatives politiques et à l’adoption de dispositifs juridiques afin de maximiser les avantages tout en minimisant les inconvénients de la migration. L’adoption de l’approche commune par les Etats membres en janvier 2008 (Trémolières, 2009), qui témoigne de cet intérêt, a été précédée de l’adoption de la Déclaration de Dakar en 2000, suivie d’un séminaire en 2001 en vue de sa mise en application. Au préalable, un accord de libre circulation et d’un traitement égalitaire de leurs ressortissants avait été adopté en 1978 (puis complété en 1979) par les Etats de la CEDEAO. Enfin, en 1994, les pays de l’UEMOA avaient adopté un traité qui garantit la liberté de circulation et abolit la discrimination par la nationalité dans l’accès aux emplois de la fonction publique pour les ressortissants des Etats-membres. Ce souci de traiter collégialement les questions migratoires dans l’espace sous-régional se développe dans un contexte international caractérisé d’une part par une trop forte médiatisation de la migration en provenance du Sud dans les pays du Nord, non pas tant à cause d’un véritable accroissement des migrants clandestins, mais plutôt à cause du contexte politique actuel dans ces pays (Trémolières, 2009: 11) et d’autre part, par l’adoption de politiques restrictives dans ces mêmes pays pour contrôler l’accès à leur territoire (l’adoption en 2008 du pacte européen sur l’immigration et l’asile par l’Union Européenne, la promotion de la migration choisie par la France, ou enfin une stratégie d’externalisation des frontières de l’espace Schengen par la construction de zones tampons telles que le Maghreb, etc.). L’approche communautaire des questions migratoires dans l’espace CEDEAO s’organise donc en écho à ce qui se passe dans les autres parties de la planète, mais aussi et surtout pour résoudre l’épineuse question des migrants communautaires dans les différents pays membres dont certains ont déjà procédé à des expulsions massives, comme ce fut le cas du Ghana en 1969 et du Nigeria en 1985. On peut aussi rappeler la promotion de la politique de l’ivoirité en Côte d’Ivoire dans la décennie 90, qui a abouti entre autres à l’indexation des étrangers comme étant la cause de problèmes rencontrés ou vécus par des nationaux (Conseil économique et social de Côte d’Ivoire. 1998). Cette approche se construit donc dans un contexte qui porte encore les stigmates des tensions interétatiques consécutives à la redéfinition de la place des étrangers par la Côte d’Ivoire dans les années 90 (Bredeloup, 2003) et qui permettent aussi de relancer
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les débats sur les questions de la citoyenneté, de l’Etat-nation, de l’intégration sous-régionale dans un espace caractérisé par une forte mobilité des populations, une faiblesse de l’ancrage de l’Etat, etc. Les débats sur la migration ne sont pas réductibles à la seule dimension économique. Si dans l’espace sous-régional, tous les pays sont touchés par les migrations, le Burkina Faso se singularise par l’importance du phénomène qui a certes été déclenché pendant la période coloniale mais qui s’est maintenu après les indépendances en 1960 pour en fin de compte être un des traits caractéristiques du pays. L’intérêt accordé à la migration par l’Etat traduit l’importance de ces implications politiques, économiques et socioculturelles. 1. Les migrations internationales au Burkina Faso Le Burkina Faso est un pays d’émigration. Déjà en 1960, le recensement faisait ressortir que 3,5% de la population totale du pays (4 317 770 habitants) vivaient à l’extérieur du pays. Ce pourcentage passera successivement à 5,94% en 1975 (sur une population totale de 5 638 200 habitants) et 10,52% en 1985 (pour une population de 7 679 544 habitants). L’importance du phénomène migratoire résulte d'une combinaison complexe de facteurs déclenchés sous la colonisation. En effet, considérée par les autorités coloniales comme un réservoir de main d’œuvre abondante, courageuse, docile et obéissante (Madré, 1996), la colonie de la Haute-Volta a été utilisée dans le dispositif de mise en valeur coloniale comme une zone d’alimentation des principaux chantiers de l’AOF (Office du Niger, construction des chemins de fer Abidjan-Niger et Sénégal-Mali, port autonome d’Abidjan, etc.). La colonie sera d’ailleurs supprimée en 1932 au profit des colonies de Côte d’Ivoire, du Niger et du Mali, afin de faciliter les procédures administratives d’acheminement de la main d’œuvre vers les grands «chantiers». En réaction aux enrôlements forcés, de nombreux Voltaïques émigrèrent alors vers la colonie voisine de la Gold Coast (actuel Ghana) où les conditions de travail et de rémunération étaient plus attractives. Après la suppression des travaux forcés et la reconstitution de la colonie dans ses frontières actuelles (en 1947), des initiatives furent adoptées pour favoriser l’émigration vers la Côte d’Ivoire, notamment, la gratuité du transport (1946) et la création en 1951 du Syndicat interprofessionnel pour l’acheminement de la main-d’œuvre.
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Après les indépendances en 1960, l’Etat voltaïque a tenté d’organiser l’émigration en signant des accords bilatéraux avec des pays d’accueil, confirmant ainsi le rôle d’exportateur de main d’œuvre du pays. Ce sont notamment : - la convention avec la Côte d’Ivoire, signée en 1960, qui sera suspendue en 1974. Entre ces deux dates, elle n’a pu contrôler que 14,2% des départs vers la Côte d’Ivoire (55 072 migrants sur un total estimé à près de 3 800 000 migrants); - la convention signée avec le Mali en 1969 (qui, théoriquement, est toujours en application puisqu’elle n’a jamais été dénoncée ou suspendue); - la convention signée avec le Gabon en 1974 et dénoncée en 1977. Une des clauses de cette convention prévoyait le transfert d’une partie du salaire des émigrés dans les institutions financières du Burkina sous forme d’épargne accessible à leur retour. L’opposition farouche des émigrés à cette clause montre les difficultés à organiser les migrations. En dépit des échecs des tentatives de contrôle et d’organisation de l’émigration, le phénomène s’est enraciné dans les habitudes et fonctionnait parfaitement en dehors de toute intervention administrative, selon des modalités flexibles et souples. En même temps qu’il se banalisait, le mouvement subissait des modifications qui portaient sur son caractère de plus en plus massif, la prolongation de la durée du séjour et enfin, la transformation d'une migration internationale de travail individuelle et masculine en une migration internationale "familiale", apparemment plus proche d'une migration de peuplement (Blion et Bredeloup, 1997). Les recensements successifs et les différentes enquêtes démographiques, hormis le recensement de 1996, ont fait ressortir un solde migratoire au détriment du Burkina Faso. En effet, l’enquête nationale sur les mouvements migratoires de 1974-1975, le recensement de 1985 (INSD, 1989:82) et celui de 2006 (Dabiré et al., 2009 :54) ont tous abouti, dans les analyses sur les migrations internationales au Burkina Faso, au constat de soldes migratoires négatifs. Seul le recensement de 1996 avait constaté un solde migratoire positif en faveur du Burkina Faso (INSD, 2000:154). Le solde migratoire négatif de 2006 a surpris, dans la mesure où le début des années 2000 a connu des vagues d’expulsions de Burkinabè (Lybie, Afrique centrale, etc.) mais aussi d’importants mouvements de retour surtout après le déclenchement de la rébellion en 2002 en Côte d’Ivoire
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(Zongo, 2008). Comme le notent Dabiré et al (2009:54) «ce solde négatif pourrait surprendre quand on pense que d’importants flux de migrants sont entrés dans notre pays ces dernières années venant surtout de la Côte d’Ivoire. On peut même remonter plus loin pour situer ces flux importants au début des années 1990. Mais il se pourrait que ces flux aient été suivis de reflux vers le même pays suite à l’apaisement de la crise sociopolitique qui secouait le pays ». En effet, en dépit du solde négatif de 1985, les analystes avaient déjà noté que «l’importance des pertes dues aux migrations se réduit considérablement par suite du développement accru du contre courant: de nombreux Burkinabè de l’étranger regagnent de plus en plus le pays» (INSD, 1989: 82). Toutefois, de tous les pays d’accueil, la Côte d’ivoire a fini par s’imposer comme la principale destination, au détriment du Ghana.
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Tableau 2 : Destinations des migrants Burkinabè entre 1919 et 1959 :
Pays de destination 1919-1923 Côte d’Ivoire 6,5% Ghana 19,5% Autres destinations 74% Total 100% Source: CONAPO (2006: 13) ;
1923-1932 11,7% 27,2% 61,1% 100%
1933-1939 25% 23,8% 51,1% 100%
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Période de départ 1940-1945 1946-1950 42,5% 47,3% 25,3% 36,9% 32,2% 15,8% 100% 100%
1951-1955 59,7% 35,4% 4,9% 100%
1956-1959 66,1% 30,1% 3,8% 100%
Le flux s’est maintenu après l’indépendance car en 1960, 56,6% des émigrés burkinabè se sont dirigés vers la Côte d’Ivoire. Les recensements successifs ont confirmé cette tendance dans la mesure où en 1975, la Côte d’Ivoire a accueilli 74,34% des émigrés burkinabè, 77% en 1985 et 77,4% en 2006. Cette constance a fini par imposer une forte diaspora de Burkinabè en Côte d’Ivoire. Selon le recensement effectué en 1998 par la Côte d’Ivoire (RGPH de 1998), sur les 3.954.550 d’étrangers qu’héberge le pays, on y dénombrait 2.238.548 Burkinabè soit 56,6% de l’ensemble des étrangers (contre 52% des étrangers en 1975 selon Zanou, 1987 :31) et 14,56% de la population totale du pays. En dépit de l’importance de l’émigration et hormis le cas de la Côte d’Ivoire, très peu de données statistiques fiables existent sur les Burkinabè de l’extérieur. Néanmoins, les estimations données du Conseil Supérieur des Burkinabè de l’Etranger (CSBE), désignaient, en 19921, le Ghana comme le second point de concentration importante des Burkinabè à l’extérieur. A défaut de chiffres précis, il est difficile de classer les pays de la sous-région en fonction de l’importance numérique des Burkinabè qu’ils hébergent. La seule certitude est que l’on rencontre des communautés de Burkinabè relativement importantes aussi bien dans les pays voisins (Togo, Niger, Bénin, Mali) que dans la totalité des pays de la sous-région, notamment le Nigeria, le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée. Si les migrations des Burkinabè concernent historiquement l’espace sous- régional et dans une certaine mesure le continent africain, il s’est développé à partir des années 1990 des axes de migration vers les pays du Golfe ainsi que l’Europe, principalement vers l’Italie à partir de la Côte d’Ivoire (Blion, 1996) et vers les Etats-Unis d’Amérique à partir de réseaux clandestins2. Ces nouvelles destinations sont très peu documentées. Néanmoins, selon l’article ci-dessus cité de Blion, les Burkinabè d’Italie, qui ont la particularité de provenir essentiellement du groupe ethnique bissa (province du Boulgou), étaient approximativement estimés, en 1993, entre 2000 et 3000 personnes dont seulement 760 disposant d’un titre de séjour régulier (Blion, 1996:56-57). Moins que leur importance numérique, c’est surtout l’action de ces immigrés sur leur région d’origine (réalisation 1
Selon ces estimations, le Ghana hébergeait à cette époque1 500 000 (Zongo, 2003b : 13).
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Ce tableau, ci-dessous, n’est pas exhaustif, il concerne uniquement les pays qui accueillent les communautés burkinabè jugées assez importantes. Ces chiffres sont approximatifs. Par exemple les Burkinabè en Italie sont estimés entre 2000 et 3000 (Blion, 1996).
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d’infrastructures communautaires, financement ou appui à certains projets, réalisations immobilières) qui a contribué à la visibilité des Bissa d’Italie (Zongo, 2009a ; Delma, 2008 ; Gouba, 2007 ; Bahiré, 2006 ; Bangré, 2005). Tableau 3: Estimation des Burkinabè à l’extérieur (1992) Pays de résidence Côte d’Ivoire Ghana Mali Sénégal Soudan Gabon France Arabie Saoudite Italie Source : CONAPO (2006a:28)
Nombre estimé 2238548 1 500 000 600 000 600 000 15 000 3 000 4 000 15 000 250
Les migrations de retour Elles sont assez mal mesurées car, avant le recensement de 1996, les informations sur les immigrés aux Burkina Faso ne distinguaient pas les migrants de retour et les étrangers. L’extrême mobilité des migrants entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso rend la mesure et l’étude de la question difficile. Même depuis le déclenchement de la rébellion, les retours massifs ont été suivis de nouveaux départs des actifs pour ceux qui y ont effectués des investissements durables (notamment les plantations). Cependant, même si l’on ne dispose pas de données systématiques, l’on constate depuis la décennie 80, un processus de retour de plus en plus important soit des émigrés eux-mêmes ou de leurs enfants (Zongo, 2003). Les migrations de retour, selon les différents recensements (1975, 1985, 1996, 2006) proviennent de la Côte d’Ivoire (40,7% des migrants de retour en 1975, 53% en 1985, 73% en 1996, 92% en 2006). Les mouvements de retour se sont accélérés à la fin des années 1990, surtout à partir de 1999 où les affrontements intercommunautaires dans la région de Tabou ont entraîné les retours précipités de près de 12 000 Burkinabè, majoritairement originaires de la région du sud-ouest. Après le
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déclenchement de la rébellion en septembre 2002, le Burkina Faso a enregistré un flot important de retours forcés (pour fuir les persécutions et les exactions des forces de l’ordre et des milices). Ils avaient été estimés à environ 400 000 personnes mais ce chiffre reste très approximatif à cause des procédures d’enregistrement3, mais aussi de la mobilité des rapatriés (Zongo, 2003). En effet, l’accalmie observée dans les zones de combat a provoqué le retour d’une partie des rapatriés (généralement les hommes) dans leurs zones de provenances en Côte d’Ivoire. Le flux de retour est en grande partie alimenté en réalité par des immigrés, c’est-à-dire des personnes nées hors du Burkina Faso4. L’analyse de l’âge des migrants de retour fait ressortir une prédominance des enfants et des jeunes comme le montrent les données du tableau 4. Tableau 4 : Répartition des émigrés selon l’âge Age -de 15 ans 15– 19 20- 24 25 - 29 Total
1996 35,7% 11,6% 13,7% 11,8% 77,8%
2006 33,5% 16% 12,6% 10,2% 72,3%
Sources: 1996 : INSD (2000 :160) 2006 : Bonayi et all, (2009 : 55) Ces données illustrent le retour de plus en plus important des enfants issus de la diaspora, principalement de la Côte d’Ivoire, dans le pays d’origine de leurs parents surtout pour des raisons de scolarisation (notamment le secondaire et le supérieur). Ce phénomène n’est pas nouveau en soi mais s’est accentué surtout dans les années 1980 pour enfin de compte aboutir à la naissance de la catégorie «diaspo».
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En mars 2003, sur les 158.114 retours enregistrés seuls 7172 personnes (soit à peu près 4,5% du flux) ont été rapatriées par «l’opération Bayiri » organisée par l’État en concertation avec les compagnies de transport privées et les bailleurs de fonds pour transporter les candidats volontaires au retour. 4 Selon le recensement de 2006 «la Côte d’Ivoire, à elle seule, est le pays de naissance de 86% des immigrants durée de vie de nationalité burkinabè » (Dabiré et al. 2009 : 58).
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Les étrangers au Burkina Faso L’analyse des résultats des recensements de 1996 et de 2006 montre que l’immigration au Burkina Faso est en réalité alimentée par l’arrivée des Burkinabè nés à l’extérieur, principalement de la Côte d’Ivoire. En effet, 90,48% des immigrés en 1996 et 93,6% en 2006 étaient des Burkinabè nés à l’extérieur. Les deux recensements montrent par contre que le Burkina Faso accueille un nombre relativement modeste d’étrangers. Tableau 5: Répartition des communautés étrangères selon la nationalité Pays d’origine Total Bénin Côte d’Ivoire Ghana Mali Niger Nigeria Sénégal Togo Autres Afrique Europe Autres
1996 (1) 61650 3977 1890 5133 24042 7604 4434 1047 4001 6152 1867 1475
2006 (2) 60074 5851 2345 2579 18526 5690 5299 1047 8710 ND 1802 ND
Sources: INSD (2000 :164) Bonayi et all. (2009 : 89 – 90) Selon le recensement de 2006, qui confirme d’ailleurs les données de 1996, les communautés étrangères vivant au Burkina Faso viennent pour l’essentiel des pays de la sous-région ouest africaine, notamment le Mali (30,8%), le Togo (9,7%), le Bénin (9,7%), le Niger (9,4%), le Nigeria (8,8%).
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2. Les enjeux de la migration L’ancienneté et l’importance de la migration des Burkinabè ont abouti à la constitution d’une forte diaspora qui constitue aujourd’hui un enjeu à la fois économique et politique. La question des transferts monétaires a été l’objet de nombreuses publications (Lachaud, 2005 ; CONAPO, 2006b) qui montrent toutes l’importance de leur contribution à l’équilibre des budgets familiaux dans la mesure où les fonds rapatriés peuvent contribuer jusqu’à 22% au budget familial (Guibert, 1990), voire à la réalisation d’infrastructures collectives (Zongo, 2009a), ainsi qu’à l’équilibre de la balance des paiements du pays. Cependant, l’analyse de l’impact des transferts doit tenir compte de son volume, mais aussi et surtout de ses domaines d’affectation. L’importance des transferts des fonds varie avec la durée de l’émigration. Ainsi, si les migrations temporaires et de long séjour permettent de rapatrier et d’injecter régulièrement des devises dans l’économie nationale, les migrations définitives ont par contre un impact négatif sur le volume et la régularité des transferts. Ceux-ci tendent d’ailleurs à disparaître avec l’agrandissement de la famille en terre d’accueil. Or les migrations vers la Côte d’Ivoire ont évolué d'une migration internationale de travail individuelle et masculine vers une migration internationale "familiale" apparemment plus proche d'une migration de peuplement (Blion et Bredeloup, 1997: 714). La diminution des transferts de fonds peut également s’expliquer par la rupture de confiance entre l’émigré et ses parents restés au pays car, comme le rappelle Blion (1996:66), «la situation économique difficile en Côte d’Ivoire incite à la prudence de la part des migrants qui hésitent à se lancer dans des investissements au pays, sans y être définitivement présents. Certains tentent de déconcentrer leurs activités vers le Burkina Faso tout en restant à Abidjan. Mais cela suppose pour eux de s’appuyer sur un proche dont la confiance fait parfois défaut. Le même grief est parfois formulé par les migrants installés en Italie qui, après avoir envoyé des sommes destinées à des investissements particuliers, constatent à leur retour qu’elles ont été utilisées à tout autre chose». Beaucoup d’émigrés en Côte d’Ivoire n’hésitent pas à rappeler que faire réaliser des investissements au pays pendant son absence est une initiative très risquée car les parents utilisent parfois les sommes transférées à d’autres fins. Il en est de même pour les acquisitions des migrants qu’ils ont laissées dans les
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villages d’origine (matériels agricoles mais plus spécifiquement le bétail) qui sont prioritairement vendues par les parents pour résoudre leurs problèmes. L’importance des transferts de fonds par les émigrés a été souvent relativisée par le manque à gagner pour le pays (Coulibaly, 1982; Blion, 1990). En effet, moins que son volume, c’est l’affectation de l’épargne des émigrés qui détermine son impact sur l’économie. Or selon des études ponctuelles qui ont été réalisées depuis la décennie 70, les revenus des émigrés sont dépensés essentiellement dans le domaine social (funérailles, don à des familles alliées, dot, etc.), l’achat des vivres pour la famille, l’achat d’effets personnels (vélo, radiocassette ainsi que des habits). La part destinée à des investissements productifs, notamment l’achat du bétail (en faible quantité d’ailleurs) et d’équipement en matériels agricoles (culture attelée) représentent moins de 20% de l’épargne (Coulibaly, 1982). Les travaux récents (Blion, 1990; 1996; Zongo, 1997; 2000; 2003; 2009a) montrent qu’il n’y a pas eu de changement dans l’utilisation de l’épargne des migrants. En définitive, les sommes transférées sont investies en priorité dans des dépenses de prestige ou ostentatoires dont l’impact sur la capacité productive de l’économie locale ou nationale reste limité. Cette situation concerne aussi bien les émigrés vers la Côte d’Ivoire (Zongo, 2000) que ceux d’Italie (Blion, 1996). Si, contrairement à la majorité des émigrés burkinabè, ceux de la province du Boulgou investissent dans l’immobilier dans leur village de départ (Béguedo notamment), dans le court terme ces investissements relèvent de l’ostentation, dans la mesure où de nombreuses villas restent inhabitées durant une grande partie de l’année à cause de la nature rurale de la localité. Une observation de la disposition des villas montre d’ailleurs une absence de schéma directeur dans l’occupation de l’espace, ce qui fait de Beguedo, dans sa structuration spatiale, un village à habitat modernisé. La relativité de l’impact positif structurant des transferts de fonds sur l’économie locale est accentuée par le départ des «bras valides» dont l’absence perturbe fondamentalement le système de production en milieu rural et par conséquent, pénalise l’économie nationale. En effet, l’émigration burkinabè est alimentée par la tranche d’âge des 15– 40 ans, c’est-à-dire ceux qui constituent la population active de l’économie. C’est sur eux que reposent normalement les activités de production, mais ce sont également eux qui sont les plus perméables aux innovations technologiques. Leur départ entraîne d’une part, le maintien prolongé des personnes
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âgées dans la production, la réorganisation de la répartition des rôles sociaux dans la production avec une implication plus active des femmes dans des opérations culturales généralement dévolues aux hommes, et d’autre part, une introduction précoce et une implication plus accentuée des enfants dans des opérations culturales dont la présence des aînés les exemptaient autrefois. Ces perturbations dérèglent non seulement l’essor de l’agriculture mais aussi et surtout inhibent les innovations nécessaires à la modernisation de l’activité agricole. Ces conséquences néfastes peuvent être relativisés par les migrations de retour si celles-ci sont le fait de personnes encore actives et non des grabataires «qui viennent terminer leur vie sur la terre des ancêtres». Les migrations de retour peuvent jouer un rôle positif quand elles se réalisent d’une part dans un minimum de conditions de préparation et d’autre part, lorsqu’elles bénéficient d’un cadre propice organisé par les autorités du pays d’accueil. Les recherches récentes (Zongo, 2009b; 2008; Bredeloup, 2006) montrent la faible implication de l’État dans les procédures et les modalités d’insertion des rapatriés en milieu rural. En définitive, la contribution de l’émigration au PIB est incontestable. Néanmoins, si cette épargne aide dans sa globalité à l’équilibre de la balance de paiement, son affectation par les migrants n’a pas pour le moment contribué à modifier les conditions de production et, à terme, la structure de l’économie du pays. Cette épargne, dont l’importance et le flux restent indexés aux conjonctures économiques et aux vicissitudes politiques des pays d’accueil, non seulement ne compense pas le départ massif et parfois définitif de la population active du milieu rural, mais peut même contribuer à y faire germer une mentalité d’assistanat (Zongo 2009a). L’émigré et la société burkinabè Les images des conditions d’arrivée des milliers de Burkinabè fuyant l’insécurité après le déclenchement de la rébellion en Côte d’Ivoire en 2002 ont suscité au Burkina Faso un véritable élan de solidarité, une sorte d’union nationale sur la nécessité d’accueillir les «compatriotes victimes de traitement inhumain» mais surtout le devoir de protection de ses ressortissants à l’étranger. A y voir de près, les réactions d’indignation et les réflexes de solidarité exprimaient moins une compassion pour les rapatriés que la nécessité de
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relever un défi patriotique voire nationaliste vis-à-vis des autorités ivoiriennes qui, depuis la guerre pour la succession du président Houphouët Boigny, n’ont cessé de désigner le Burkina Faso comme la source de toutes les tentatives de déstabilisation auxquelles leur pays est confronté. Accusé de vouloir imposer un de ses ressortissants, notamment Alassane Dramane Ouattara (ADO), à la présidence ivoirienne, le Burkina Faso a été également qualifié, après la rébellion d’«État voyou » ayant hébergé, entraîné et équipé les rebelles dont le parrain sous-régional serait le président du Faso. La récurrence de ces accusations ainsi que le traitement des Burkinabè par les agents des forces de l’ordre, aussi bien sur les axes routiers que dans les villes, surtout depuis l’instauration de la carte de séjour par le gouvernement du Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, ont fini par faire naître au Burkina Faso un sentiment d’indignation accompagné d’une dépréciation de l’image de la Côte d’Ivoire. L’attitude des autorités ivoiriennes est considérée par la quasitotalité des Burkinabè comme l’expression d’une ingratitude, d’une amnésie collective au regard de la contribution, de force ou de gré, des populations burkinabè à la prospérité ivoirienne. Il était fréquent d’entendre rappeler, même par des personnes relativement jeunes, le rôle des travailleurs burkinabè dans la construction du canal de Vridi, du port autonome d’Abidjan, du chemin de fer Abidjan-Niger (RAN), sans oublier les prélèvements de main d’œuvre de l’époque coloniale pour les plantations et les chantiers forestiers. Les sentiments de nombreux Burkinabè sur le traitement de leurs compatriotes en Côte d’Ivoire, tout comme d’ailleurs l’opération «bayiri»5, traduisaient plus une volonté de démonstration de la capacité du Burkina Faso et de ses populations à supporter des chocs, à résister à une volonté d’humiliation, voire une tentative de déstabilisation. Ce message était destiné aux autorités ivoiriennes, à la galaxie patriotique et à tous ceux qui, dans ce pays, étaient considérés comme amnésiques. Par contre le traitement des rapatriés était sujet à discussion, comme le montrent l’organisation et le traitement de ceux qui ont été rapatriés par l’opération «bayiri» : accueil médiatique à la frontière, souvent par des hautes autorités, administration des premiers soins et organisation des premiers secours d’urgence, convoyage à Ouagadougou, rassemblement au Stade du 4 août, distribution de kits (natte, provisions, vêtements,
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Voir l’article de Thomas Ouedraogo.
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médicaments), acheminement rapide dans les provinces et villages d’origine6, instructions aux responsables des structures scolaires d’inscrire tous les élèves rapatriés. Un des objectifs des autorités a été d’éviter la concentration des rapatriés dans un espace quelconque, comme l’a montré la destruction du village de Nimpouy7, afin de mieux les «invisibiliser». Le renvoi des rapatriés dans leurs provinces d’origine d’où ils regagneront leurs familles participe à cette stratégie de dispersion et «d’invisibilisation». Si théoriquement, le retour dans les familles offrait un minimum de prise en charge aux rapatriés, dans la réalité, la pratique a été moins évidente, dans la mesure où les émigrés de Côte d’Ivoire souffrent d’une mauvaise image, notamment celle d’avoir oublié leur pays d’origine au profit de leur «nouvelle patrie»8. A titre d’illustration, sont cités pêle-mêle : l’absence d’investissements dans les villages ou les localités d’origine, le complexe de supériorité des émigrés quand ils reviennent, l’espacement voire l’arrêt des visites au village, le refus de laisser leurs enfants revenir au village, mais surtout leur opposition catégorique aux mariages de leurs filles avec des hommes vivant au Burkina Faso, le non respect des coutumes… Cette vision des émigrés est transversale dans la société burkinabè, mais elle est plus marquée chez les Moosé (l’ethnie qui fournit le plus gros contingent des flux migratoires). Elle est également partagée par une certaine catégorie de l’élite intellectuelle et politique. Il n’est pas rare d’entendre, dans les échanges informels, des responsables ou des intellectuels traiter les émigrés de «personnes perdues, aux patriotismes élastiques, voire de circonstance». Certains opposent même les émigrés vers la Côte d’Ivoire (qui n’apporteraient pas grande chose au pays) aux émigrés Bissa en Italie dont les transferts de fonds et les investissements ont changé la physionomie des villages de départ9. Cette comparaison exprime la conception que les Burkinabè ont de l’émigré qui tend à être
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Les Echos du Tocsin, n°5, avaient dénoncé d’une part, les pots de vin exigés aux candidats au retour pour leur inscription sur les listes dans les services consulaires du Burkina Faso en Côte d’Ivoire et, d’autre part, l’expulsion des rapatriés du stade du 4 août pour permettre le déroulement de la CAN junior du 4 au 18 janvier 2003. 7 Village créé en majorité par des rapatriés dans la province du Boulkiemdé à environ 80 Km de la capitale sur l’axe Ouaga–Bobo. Le village a été détruit par des bulldozers dépêchés par les autorités étatiques sans explication officielle. 8 Image que tente de combattre le Tocsin, une association créée au Burkina Faso par des enfants issus de la diaspora mais dont l’adhésion est ouverte à tous 9 Pour plus d’informations sur l’impact des migrations bissa sur les zone de départ, voir Zongo (2009a)
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confiné à sa dimension utilitaire. Ainsi, la figure du « bon émigré » tend à être réduite au transfert de fonds, à la prise en charge de certaines dépenses collectives, etc. Les émigrés ont conscience de cette image qu’ils véhiculent, car à l’occasion de leur séjour dans leur village d’origine, ils ont le loisir de mesurer le traitement différencié dont ils font l’objet, en fonction de leur capacité de redistribution. Le retour non ponctué de manifestation de générosité voire d’ostentation est qualifié de «retour sec» qui expose son auteur à la risée des autres, y compris au sein de sa famille. D’ailleurs, l’espacement des retours se justifie par la nécessité de bien se préparer: «quand tu n’as rien, ce n’est pas la peine de partir au pays car tout ce que tu vas avoir là bas c’est une honte que tu ne pourras jamais oublier», selon un immigré de la région de Oumé10, pour qui «la famille au pays, c’est bien quand tu as l’argent». Face aux accusations de désintérêt pour le pays d’origine, il se dégage presqu’une unanimité chez les émigrés pour rappeler soit leur contribution ou alors les contentieux liés à l’usage non conforme des sommes qu’ils envoyaient à la famille pour des investissements spécifiques. De nombreux émigrés reconnaissent l’affaiblissement des liens avec les familles dans leurs villages d’origine mais le lient à plusieurs explications : - l’amnésie des parents car ceux qui les accusent aujourd’hui ont généralement bénéficié de contributions financières importantes pour surmonter les périodes difficiles (les mauvaises récoltes, la soudure, etc.), pour sauver l’honneur de la famille (le paiement de l’impôt de capitation avant sa suppression au début des années 80), pour l’organisation de rites contribuant à la grandeur de la famille (funérailles, dot, etc.). Selon l’immigré de Oumé, «avant, on envoyait l’argent à la famille au pays pour faire ce qu’il y a à faire, pour que la famille n’ait pas la honte. Aujourd’hui, on dit partout que nous n’avons rien fait pour le village. Mais c’est parce que nous les avons aidés qu’eux ont pu utiliser leurs petites économies pour se construire leur maison ou acheter des animaux. Mais aujourd’hui, nous on ne peut pas prouver qu’on envoyait l’argent» ; - le sentiment d’être méprisé et d’être réduit à un simple bailleur ; en effet les émigrés, désignés par le sobriquet de «Kosweto»11, sont
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Voir à ce sujet Zongo (2001). Kosweto (singulier: kosweogo) : littéralement ceux qui ont duré en brousse mais signifient surtout ceux qui ont perdu les bonnes manières et les bonnes mœurs. 11
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autant enviés pour leurs capacités financières et matérielles que méprisés lorsqu’il s’agit du «burkindlim»12. Les Kosweto et leurs enfants qualifiés de «taboussé»13 sont considérés comme perdus pour la patrie. «Si c’est pour payer, la famille se rappelle que j’existe mais quand il s’agit de prendre des décisions importantes, personne ne pense à nous et s’il se trouve que tu es au village, on t’écarte en disant que tu ne comprends plus rien au sens des valeurs», commente l’immigré à Oumé. On peut donc faire un parallèle entre cette représentation émique de l’émigré et le traitement de la migration par l’Etat. Alors que les appels et les initiatives pour favoriser les investissements de la diaspora au pays se multiplient, la reconnaissance et la mise en application de leurs droits politiques tardent à être effectives. Le droit de vote14 qui venait de leur être reconnu en 2009 a été suspendu dès janvier 2010 et reporté à 2015 avant d’avoir été appliqué. «Le Burkina aime l’argent de ses émigrés, ça au moins c’est sûr ; mais pour les émigrés eux-mêmes, ça il faut voir et sérieusement» ironisait un rapatrié qui s’apprêtait à repartir en Côte d’Ivoire. Les « diaspo »: des parents à problème Si dans son sens général, le terme «diaspo » est utilisé au Burkina Faso pour désigner l’ensemble des élèves et étudiants burkinabè nés à l’extérieur, dans la pratique il tend à être réservé exclusivement à ceux qui viennent de la Côte d’Ivoire. Cette restriction s’explique sans doute par leur importance numérique15, mais aussi et surtout leur «indiscrétion». Même si l’origine du terme est assez vague, il reste cependant lié à l’intensification de l’arrivée des enfants des émigrés burkinabè dans le système scolaire et universitaire du Burkina Faso à partir de la décennie 80 (Batenga, 2003; Kima, 2009). Le flux de retour était principalement, sinon 12
Ce terme renvoie à une certaine conception de l’idéal chez les Moosé : intégrité, désintéressement, audace et bravoure, retenu, discrétion, incorruptibilité, sens de l’honneur et du sacrifice, etc. 13 Voir le paragraphe sur les diaspo. 14 Notamment aux élections présidentielles et au référendum. 15 Sur le plan de leur importance numérique, l’étude de Kobiané et all (2010a:17 et 2010b : 15), montre en effet que la part des étudiants de l’université de Ouagadougou nés en Côte d’Ivoire est passée de 19% en 1995 à 22% en 2005 ; ce pourcentage a connu une régression en 2006 (20,3%) et en 2008 (18,2%). Selon le rapport, dans l’absolu leur nombre continue d’augmenter.
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quasi exclusivement, alimenté par le courant en provenance de la Côte d’Ivoire qui, confrontée aux tourmentes de la crise économique, a progressivement redéfini la place des étrangers dans la société ivoirienne, ce qui s’est traduit par des restrictions des conditions d’accès aux emplois, aux bourses accordées aux étrangers, ainsi qu’à leur stigmatisation. C’est dans ce contexte que s’inscrit le départ des enfants des étrangers vers les pays de leurs parents, abusivement considérés comme leur pays d’origine. Initialement appelés au Burkina Faso « les enfants issus de la diaspora », cette catégorie de Burkinabè sera progressivement désignée par le terme « diaspo» que l’on peut retenir comme une contraction de l’expression « enfants issus ou venant de la diaspora ». Le terme n’est donc pas un diminutif de « diaspora » qui renvoie à une communauté nationale vivant à l’extérieur (Chivallon, 2006 ; Schnapper, 2001 ; Ma Mung, 2006). Le terme «diaspo» n’a pas d’équivalent dans les langues nationales, même s’il est plus proche de « tabouga16 » que les Moosé17 utilisent pour désigner tous les enfants de père moaaga nés hors de l’espace géographique traditionnel des Moosé (le Moogho). Ainsi, au regard de la conception des Moosé, tous les enfants moosé nés à Bobo, Banfora, Gaoua sont des taboussé au même titre que ceux qui sont nés en Côte d’Ivoire, au Ghana, etc. Contrairement à ce terme, celui de « diaspo » désigne exclusivement ceux qui sont nés à l’extérieur du pays. L’émergence de la catégorie «diaspo» interpelle la question de citoyenneté dans nos pays. En effet, considérés comme Burkinabè en Côte d’Ivoire à cause de leur patronyme (Sawadogo, Ouédraogo, Kaboré, etc.), de leur langue (mooré, bobo, etc.), de l’origine de leur parents, et contraints de (re)joindre «leur» pays (qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils ne connaissent qu’à travers les médias), les descendants des émigrés, une fois au Burkina Faso, sont traités d’«Ivoiriens» ou de «petits Ivoiriens» dans les familles d’accueil, dans l’administration, etc., traitements auxquels ils ne s’attendaient pas. L’établissement des documents administratifs révèle au «diaspo» des difficultés à prouver sa nationalité. Selon l’article 140 du Code des personnes et de la famille, «est Burkinabè, l’enfant né d’un père ou d’une
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Singulier : tabouga ; Pluriel : taboussé. Les entretiens en février 2009 avec Diouldé Laya, sociologue nigérien et co auteur (avec Charles Pidoux) des Notes sur les mouvements migratoires depuis 1960, IRSH de 1967, il ressort que le terme Taboussi.est également utilisé au Niger pour désigner les enfants nés à l’extérieur. Il viendrait du Djerma et aurait été vulgarisé par les Haoussa avec l’importance des échanges migratoires avec le Ghana. 17 Singulier : Moaga ; Pluriel : Moose (abusivement appelés Mossi).
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mère burkinabè » et l’article 147 dispose que « la filiation ne produit effet en matière d’attribution de la nationalité burkinabè que si elle est établie par acte d’état civil ou par jugement». Le code traite du cas des enfants nés au Burkina de parents étrangers (article 155 «tout individu né au Burkina de parents étrangers acquiert la nationalité Burkinabè à sa majorité s’il a sa résidence habituelle au Burkina à cette date depuis au moins cinq ans»). Par contre, il n’est fait mention nulle part dans le Code du cas des enfants nés à l’extérieur du pays de parents burkinabè sauf pour le cas des fonctionnaires burkinabè travaillant à l’étranger pour le compte du Burkina Faso (article176). En toute logique, les enfants nés à l’extérieur de parents burkinabè ne devraient avoir de difficultés pour jouir de leur nationalité si l’on tient compte de l’article 147 ; mais c’est justement à ce niveau que réside le problème. En effet beaucoup de «diaspo » ont des difficultés à prouver juridiquement que leurs parents sont des Burkinabè pour l’une des raisons suivantes : - Certains d’entre eux ont des parents majoritairement issus du milieu rural et qui pour des raisons multiples (analphabétisme, ignorance, facilité de circulation entre les deux frontières, etc.) n’ont pas de documents d’état-civil. - D’autres par contre ont des parents qui sont nés eux-mêmes en Côte d’Ivoire et possèdent à ce titre des actes de naissance ivoiriens et qui sont par conséquent dans l’incapacité de prouver au Burkina Faso leur nationalité burkinabè. Par contre en Côte d’Ivoire, ils peuvent facilement obtenir une carte consulaire au Consulat du Burkina Faso, l’établissement de celle-ci n’exigeant pas la production du certificat de nationalité Burkinabè. C’est d’ailleurs cette carte qui sert de document d’identité à la quasi-totalité des Burkinabè nés et vivant à l’extérieur ; elle est certes valable comme document d’identité au Burkina Faso mais n’est d’aucune validité pour l’obtention d’un Certificat de Nationalité Burkinabè ou de la Carte Nationale d’Identité Burkinabè. Tous ceux qui sont dans cette situation se retrouvent confrontés aux problèmes de papiers à la fois en Côte d’Ivoire, où ils sont des étrangers en vertu du code de la nationalité18 et, surtout au Burkina Faso, où, ils éprouvent des difficultés à prouver leur nationalité par défaut des pièces
18 Où ils sont des étrangers ; le code de la nationalité adopté en 1971 est fondé sur le droit de sang. Par ignorance également, l’écrasante majorité des étrangers n’a pas utilisé le code de la nationalité de 1961 qui était fondé sur le droit du sol.
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justificatives. Certes, ils arrivent tôt ou tard à faire valoir leur droit à la nationalité, mais au delà des difficultés, c’est le sentiment d’être de nulle part qui finit par s’installer et influencer la nature des rapports avec le nouvel environnement. Outre les difficultés dans l’établissement des documents administratifs, les frustrations initiales vont non seulement se maintenir mais s’accentuer à cause des multiples difficultés dans les familles d’accueil et l’ostracisme dont ils font l’objet sur le campus où ils sont accusés «d’indiscrétion» par les «non–diaspo». En effet, le «diaspo» se remarquerait très facilement, d’abord par son « look à l’ivoirienne » (habillement, cheveux coupés très court voir crane rasé ou «coco taillé»), ensuite par son accent (ivoirien), son langage (phrase sans article), son « complexe de supériorité », ses manières (expression assez vague et flou qui permet de synthétiser tout ce qui est différent). Les rapports avec les étudiants nés aux Burkina Faso ne s’inscrivent certes pas dans le registre conflictuel mais ils restent influencés par la réserve, la suspicion, voire des accusations réciproques: Les étudiants «diaspo» sont traités de «pieds noirs», de «petits ivoiriens ratés», «d’impolis», accusés de «faire le malin19», d’être « des présomptueux ». Ils sont également accusés d’être facilement corruptibles et, à ce titre, ont été parfois présentés comme ceux sur qui les autorités de l’université ont pu agir pour briser les grèves des étudiants. Ils sont mêmes soupçonnés par certains d’être «la cinquième colonne» à cause des loyautés qu’ils conservent avec la Côte d’Ivoire. Cette accusation est généralement appuyée par le fait que leur arrivée au Burkina Faso n’a jamais été un choix mais une contrainte. Ce sentiment est très bien illustré par les propos d’un étudiant lors d’une discussion sur les migrations burkinabè : «C’est parce qu’ils ont été rejetés là-bas qu’ils sont venus se réfugier ici. S’ils n’avaient pas été contraints, ils ne seraient jamais venus ici. À leur arrivée, les propos qu’ils tiennent montrent bien qu’ils considéraient le Burkina comme un village. Si un jour la Côte d’Ivoire leur reconnaît certains droits, travailler par exemple, vous verrez, ils repartiront. Le Burkina, pour parler comme eux, «c’est en attendant20». Il faut voir avec les rapatriés, au moment où ça chauffait, ils se sont rappelés qu’ils ont un pays où ils sont venus se réfugier. Leur situation a même suscité
19 Un groupe musical, dénommé le Pouvoir, en a d’ailleurs fait un titre d’une de leurs chansons («je fais le malin»). 20 Ce qui signifie «faute de mieux».
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l’indignation nationale. Mais depuis que la situation en Côte d’Ivoire a commencé à se calmer, beaucoup d’entre eux repartent, et discrètement »21. Ils sont accusés pêle-mêle d’avoir perverti les mœurs, d’être les vecteurs de la violence à l’université, etc. En réaction à ces accusations, les « diaspo » traitent les étudiants nés au Burkina de «tinga»22, «zoblazo 200%23», «peu ouverts » de «jaloux». Selon un «diaspo», «avec nos frères burkinabè, c’est un peu difficile. Nous autres qui venons de la Côte d’Ivoire, quand on discute, on dit ce qu’on pense et après c’est fini. Mais avec nos frères «tinga», ils ne disent pas le fond de leur pensée et même après des échanges un peu animés, quand ils disent que c’est fini, c’est pas fini ; il y a manque de sincérité». Face aux difficultés, les «diaspo» s’organisent d’une part à travers la création d’associations regroupant les ressortissants des mêmes zones en Côte d’Ivoire (associations des ressortissants de l’Agnéby, du Fromager, de Sinfra, de la Cité Djibéroua, d’Adzopé, etc.) et d’autre part en se regroupant dans les zones d’habitation qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à baptiser. C’est ainsi que dans le quartier Zogona, certaines cours habitées par des «diaspo» sont baptisées (avec inscription sur le portail) «la Sorbonne», «le Château de Versailles», «le Pentagone», «la Knesset», «le Kremlin», «Matignon», «la Maison Blanche», etc. Les associations et les cours baptisées assurent plusieurs fonctions : les associations tentent de récréer des espaces de rencontre et de solidarité car certains «diaspo» ne disposent d’aucune connaissance ni d’aucun contact dans la capitale, tandis que d’autres ont été obligés de quitter les familles d’accueil. Au-delà de ce rôle de secours d’urgence, les associations permettent aux «diaspo» de récréer «un univers de notre passé récent», «de discuter de chose qui nous sont propres», «de faire la cuisine du pays». Selon un responsable d’une association : «On ne se retrouve pas seulement pour résoudre des problèmes matériels mais aussi et surtout pour exister». Cette pratique chez les «diaspo» n’est pas vraiment originale, dans la mesure où c’est une pratique adoptée par les émigrés burkinabè. Si ces pratiques permettent aux «diaspo» de s’organiser et de se retrouver, elles contribuent à renforcer le sentiment chez les autres que les «diaspo» sont des Ivoiriens. «Voir des Burkinabè se dire ressortissants de
21 L’entretien réalisé dans le cadre des recherches menées sur les migrations des Burkinabè en 2005. 22 Tinga : la traduction littérale signifie terre. Dans son contexte d’utilisation, ce terme est synonyme de paysan, brute, qui manque de raffinement, etc. 23 Titre d’une chanson ivoirienne.
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Daloa, Soubré, Yamoussoukro ou Vavoua et en plus au Burkina ici, y’a un problème. Je n’ai jamais vu ces villes sur une carte du Burkina. Même s’ils sont nés à l’extérieur, leurs parents viennent de régions du Burkina non? Pourquoi ils ne s’associent pas aux ressortissants de ces régions pour démontrer leur volonté de s’intégrer. Or tout ce qu’ils font, c’est montrer qu’ils sont Ivoiriens. Tout cela montre leur volonté de se démarquer, ce sont vraiment des parents à problème24». Selon les «diaspo», c’est parce qu’ils sont confrontés dans ces associations aux mêmes problèmes mais aussi et surtout parce qu’ils se retrouvent isolés avec des gens qu’ils ne connaissent pas, qu’ils n’éprouvent pas la nécessité de militer dans ces associations. Ne connaissant ni la région, ni les Hommes, certains étudiants «diaspo» se posent des questions : «Peut-on être ressortissant d’une région que l’on ne connaît pas ? Où l’on est vraiment étranger? Moi je ne suis pas sûr que mon père, qui aime bien cette région du Burkina, soit connu par ces gens, parce qu’il est parti de là bas il y a longtemps». En fin de compte, les descendants des immigrés burkinabè se retrouvent écartelés entre une terre d’accueil qui ne les reconnaît pas comme les siens et un pays d’origine des parents qu’ils ne connaissent pas mais qui est supposé être le leur. En définitive, citoyens de fait, ces produits de la migration se retrouvent étrangers dans leur zone de naissance mais citoyens de droit d’un pays qui ne les connaît pas, qu’ils ne connaissent pas ou pas assez et qui, à l’occasion des retours contraints, leur renvoie leur altérité. En définitive, la situation des «diaspo» montre la complexité de la citoyenneté qui, au-delà de certains aspects, notamment juridiques et formels (la pièce d’identité) et même objectifs (la langue par exemple), combine bien d’autres aspects qui sont parfois les éléments de repère qui permettent de se faire identifier et se faire admettre comme membre à part entière de la collectivité. A ce titre, les confusions entre origine et appartenance, langue et nationalité se révèlent réductrices et participent à une vision statique de la vie sociale. Conclusion La question des migrations internationales des Burkinabè s’est imposée de nouveau dans le débat public suite aux troubles sociopolitiques auxquels
24
L’expression «parents à problème » renvoie à celle de «parent à plaisanterie ».
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la Côte d’Ivoire a été confrontée à la fin de la décennie 1990 et au début des années 2000 et qui ont occasionné le rapatriement précipité de plusieurs milliers de personnes. Les débats, généralement focalisés sur les impacts économiques de la migration sur le pays, ont parfois occulté les questions politiques et juridiques qui déterminent, en dernière instance, les relations économiques. La forte médiatisation de l’impact des transferts de fonds des migrants dans l’amélioration des conditions de vie des populations bénéficiaires, tend à réduire les questions de développement à l’amélioration des conditions de vie, en occultant la capacité des populations à se prendre durablement en charge. En effet, c’est l’absence d’opportunités économiques qui sert souvent de justification à l’émigration, or l’utilisation des rémittences ne remet pas en cause la structure locale de l’économie. Par conséquent, elle génère une véritable dépendance des populations aux transferts en accentuant leur vulnérabilité, c'est-à-dire en affaiblissant leurs capacités à résister aux chocs. Ce qui repose la question centrale du rôle de l’État dans les questions du développement ainsi que l’enchâssement des différents niveaux (local, national, etc.). Replacée dans cette acception, la contribution de la migration et de la diaspora au développement du pays change de nature. En effet, la migration est primordialement entreprise pour satisfaire des aspirations individuelles qui puissent permettre de répondre à des attentes de sa phratrie. La migration est rarement entreprise pour résoudre des préoccupations collectives. Dans cette logique, il est tout à fait illusoire de vouloir faire de la migration le levier du développement. Par contre, sa contribution peut s’avérer efficace lorsqu’elle est une approche beaucoup plus large portée par une autorité publique. La contribution de la migration au développement du pays de départ dépend aussi de la nature des liens que les émigrés cultivent avec la terre d’origine. Leur apport économique est le plus souvent la traduction du sentiment de compter pour le pays comme des citoyens à part entière. Bibliographie Bahiré P.S., 2006, Migration et développement : les «Italiens» dans le développement du département de Béguedo, mémoire de maîtrise de sociologie, UFR/SH, Université de Ouagadougou Bangré E.B.P, 2005, Les migrations internationales des Bissa en Italie.
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2 Circulations transsahariennes et vie de transit à Agadez (Niger) Harouna MOUNKAILA* Résumé L’article se propose d’analyser la vie de transit des migrants subsahariens à Agadez. Il s’interroge sur l’insertion des migrants dans une ville dans laquelle ils ne font que passer. L’analyse de cette insertion, qui se fonde sur les résultats des travaux de recherche menés entre 2006 et 20091, sera développée en trois temps. Elle rend nécessaire, dans un premier temps, la compréhension de la double fonction du Niger dans le système migratoire Maghreb-Afrique subsaharienne en tant que pays d’émission de flux migratoires pour les rives Nord du Sahara et d’espace de transit privilégié pour les Subsahariens se rendant dans cette région. Elle passe ensuite par l’étude du rôle de carrefour migratoire de la ville d’Agadez dans ce système migratoire transnational. Elle montrera enfin que le transit agadézien ne s’inscrit pas dans une logique d’immigration, mais dans un jeu permanent de passage, que l’insertion temporaire de ces migrants se fait à travers un faible niveau d’occupation, leur confinement dans des logements collectifs et une interaction avec la population autochtone limitée essentiellement aux relations d’échanges. Ce passage laisse des traces dans la ville et constitue une ressource pour les populations locales, les acteurs institutionnels et non institutionnels, publics et privés, formels et informels. Mots-clés : Maghreb, Sahara, Niger, migrations de transit, circulations migratoires.
*
Géographe à Ecole Normale Supérieure de l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Email : [email protected], [email protected]. 1 Cet article s’appuie sur les résultats du programme FSP «Migrations internationales, recompositions territoriales et développement» et de deux études réalisées pour le compte du Fonds des Nations Unies pour la Population.
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Introduction Depuis plus d’une décennie, l’on assiste au développement des flux migratoires au départ de l’Afrique subsaharienne vers l’Afrique du Nord. Cet essor des flux s’accompagne d’une diversification de leur origine géographique avec leur déploiement à l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. Leur expansion intervient dans un contexte marqué par l’exacerbation des déséquilibres régionaux, la remise en question des fonctions d’accueil de certains pays africains, la dégradation de la situation économique et politique dans beaucoup de pays et le durcissement des conditions d’entrée et de séjour dans l’espace Schengen et dans les pays maghrébins (Bredeloup et Pliez, 2005). Au Niger, ces circulations migratoires se jouent et se nouent autour des villes de transit abritant les auto-gares et les quartiers avec lesquels elles sont connectées. Il s’agit, au sud, des villes de Niamey et Zinder, au nord, des villes d’Agadez, de Dirkou et d’Arlit. Dans ce système migratoire, la ville d’Agadez joue le rôle de carrefour important enregistrant chaque année le passage de dizaines de milliers de Nigériens et de ressortissants d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Cet ancrage temporaire au sein de la ville suscite des transformations spatiales et socio-économiques. Les migrations transsahariennes sont devenues un sujet majeur du débat politique euro-méditérranéen, euro-africain et africain, et focalisent l’attention des médias tant en Europe qu’en Afrique, en même temps qu’elles font l’objet d’un intérêt scientifique accru. Les relations tant historiques qu’actuelles entre les deux rives du Sahara ont fait l’objet d’une abondante littérature (Boesen et Marfaing, 2008). Certains travaux ont traité des réseaux, des filières2 et des itinéraires migratoires ; d’autres se sont intéressés aux recompositions urbaines dans les villes du Sahara. Cependant, au regard de la littérature scientifique disponible sur la question, ces travaux restent majoritairement concentrés sur les pays maghrébins, alors que ces migrations restent largement méconnues dans les pays de transit situés à la lisière Sud du Sahara (Brachet, 2007). C’est le cas du Niger qui joue une double fonction, celle de pays d’émission de flux migratoires vers la Libye et l’Algérie, mais aussi d’espace de transit privilégié pour de nombreux migrants
2
L’on peut par exemple se référer aux deux numéros de la revue Autrepart, Grégoire et Schmitz (2000), Bredeloup et Pliez (2005) et à l’ouvrage de Marfaing et Wippel (2003).
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subsahariens cherchant à émigrer vers le Maghreb et, au-delà, vers l’Europe, à travers les voies terrestres du Sahara central. En ce qui concerne le Niger, les rares travaux sur la question ne renseignent pas suffisamment sur la vie de transit, pas plus d’ailleurs qu’ils ne font cas du transit au retour, notamment lorsque celui-ci se fait sous la contrainte, en cas de refoulement ou d’expulsion des migrants3. Pourtant, l’organisation par étapes des circulations entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb donne une place croissante aux espaces de transit dans l’analyse des migrations (Drozdz et Pliez, 2004). La compréhension des migrations transsahariennes ne saurait faire l’impasse sur l’analyse des modalités d’insertion des migrants dans les différents lieux où ils inscrivent les traces de leur passage. Cet article se propose d’analyser les migrations de transit sous l’angle de la vie de transit. Il s’agit de s’interroger sur l’insertion de ces migrants dans une ville dans laquelle ils ne font que passer. Il s’agit plus spécifiquement de comprendre la façon dont les migrants subsahariens sont accueillis et logés. Notre attention ne sera pas ici portée sur le mouvement, mais plutôt sur le moment de l’installation, de la présence courte, longue ou durable, à Agadez. Il s’agit de voir comment les migrants vivent leur présence à Agadez tant du point de vue social qu’économique. Quelle est la spécificité de cette vie qui diffère de celle qui est vécue dans les lieux de destination ou de transit de longue durée ? Comment la ville d’Agadez subit l’influence de leur présence, avec l’expansion d’une économie de transit dont tirent profit les populations locales, les acteurs institutionnels et non institutionnels, publics et privés, formels et informels. Pour répondre à ces préoccupations, il conviendra de définir tout d’abord la place du Niger dans le système migratoire maghrébosubsaharien en insistant sur la profondeur historique des migrations entre le Niger et le Maghreb, leur recomposition contemporaine et le rôle de pays de transit privilégié que joue le Niger dans ce système migratoire transnational. L’analyse portera ensuite sur le rôle de carrefour de la ville 3
Les autorités libyennes, en réaction au « laxisme » et à « la complicité supposée » des autorités nigériennes en matière de contrôle des flux migratoires irréguliers vers la Libye, se « débarrassent » de temps en temps et en toute clandestinité des migrants africains (Nigériens et autres nationalités) dans des No man’s lands désertiques du Niger sans en aviser les autorités nigériennes. Les survivants de ces expulsions frauduleuses sont souvent « recueillis » par l’armée nigérienne en patrouille dans la région et acheminés sur Dirkou ou Agadez. En l’absence de structures d’accueil, ils sont laissés à leur propre sort. Ces mesures portent chaque année sur des milliers de migrants nigériens et non nigériens.
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d’Agadez dans ce système migratoire transnational et sur la nature du transit à Agadez, qui est de courte durée. L’étude portera aussi sur la vie des migrants subsahariens à Agadez à travers leur situation d’activités et les conditions du logement, ainsi que sur l’interaction avec la population locale. Enfin, cet article traitera des transformations spatiales et socioéconomiques induites par ces migrations dans la ville. 1. Le Niger dans le système migratoire maghrebo-subsaharien Pour comprendre le rôle que joue le Niger dans les migrations de transit des Subsahariens vers le Maghreb, il est utile de replacer ces déplacements dans le contexte global des migrations transsahariennes. Les mobilités entre les « deux rives » du Sahara sont anciennes, comme l’illustrent les mouvements liés à l’ancien commerce transsaharien ou à la traite esclavagiste à travers le Sahara. Historique des migrations entre le Niger et le Maghreb Le Niger occupe une position centrale dans la partie de l’hémisphère Nord du continent africain, quasiment à égale distance de l’Atlantique et de la Mer Rouge, et entre le Golfe de Guinée et la Méditerranée. Il partage 5 697 Km de frontières avec, au nord, le Mali (821 km), l’Algérie (956 Km), la Libye (354 Km), à l’est le Tchad (1 175 Km), et au sud le Nigeria (1 497 Km) et le Bénin (266 Km) et à l’ouest le Burkina Faso (628 Km). Cette position géographique qui en fait un trait d’union entre l’Afrique noire et le monde arabe, lui confère une place importante dans les échanges entre le Maghreb et l’Afrique au sud du Sahara. Elle explique pourquoi le Niger a longtemps été un espace de migration et de transit privilégié pour la traversée du Sahara4. L’évolution des migrations humaines entre le Sahel et le Maghreb s’est déroulée en trois phases principales qui correspondent chacune à une période particulière de leur évolution sociopolitique et économique. La première phase, la plus ancienne, qui correspond à l’apogée du commerce transsaharien (du 10e au 19e siècle), a été marquée par des échanges soutenus entre l’Afrique noire soudano-sahélienne d’une part, et le Maghreb et l’Egypte d’autre part5. La seconde s’étend de la colonisation à 4 5
Dévisse, 1972. Devisse, 1988.
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la fin des années 1980. Elle correspond au développement des migrations de travail des Sahéliens vers les pays dits de la « Côte »6 et dans une moindre mesure vers les pays du Maghreb sur fond de crises climatiques, économiques et politiques. Enfin, la dernière phase qui commence à la fin des années 1980 est caractérisée par l’expansion des migrations des ressortissants d’autres pays d’Afrique subsaharienne vers le Maghreb, le Niger s’affirmant comme un espace de transit privilégié tout en continuant à jouer sa fonction de pays d’émigration vers cette région. Les échanges commerciaux entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb remontent à l’Antiquité7. C’est entre le 10e et le 19e siècle qu’ils vont se développer avec la constitution des empires médiévaux soudanosahéliens et l’introduction du chameau utilisé pour le transport des marchandises (Grégoire, 2000). En effet, l’Afrique soudano-sahélienne a été un espace qui a vu s’établir et s’éteindre plusieurs États dont l’existence et la prospérité reposaient essentiellement sur une rente de situation géographique. Il s’agit en particulier de l’empire du Ghana (11e siècle), de l’empire du Mali (13e au 15e siècle), de l’empire Songhaï (15e au16e siècle), de l’empire du Kanem devenu Bornou (9e au 16e siècle) et des cités haoussa (10e au 15e siècle). Ce commerce portait sur des produits divers : tissus, soieries, armes, parfums, or, ivoire, mais aussi sur de nombreux esclaves dont le trafic à travers le Sahara a concerné plus de 8,8 millions de personnes (Coquery-Vidrovitch, 1988). Par ailleurs, ce commerce favorisa la mise en place d’axes de circulation reliant les États soudano-sahéliens au Maghreb et à l’Egypte, de même que l’émergence et le développement de tout un réseau de villes dans les franges Nord et Sud du Sahel et sur lesquelles il allait s’appuyer (Brachet, 2004). Ces relations historiques et commerciales entre le Maghreb et le Sahel se sont aussi traduites par l’installation au Maghreb de nombreux ressortissants des pays sahéliens voisins (Lahlou, 2003). La colonisation européenne au début du 19e siècle consacra le déclin de ces échanges et des flux de populations qui les accompagnent (CEDEAOCSAO/OCDE, 2006). Cette marginalisation des échanges entre les deux rives du Sahara a aussi marqué le point de départ des migrations des colonies de la zone soudano-sahélienne vers les colonies de la « Côte » où le développement d’économies de plantations nécessitait une main d’œuvre importante. Avec les indépendances des pays africains, les cycles de 6 7
Pays du Golfe de Guinée : Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire. Emerit, 1954.
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sécheresses des années 1970 et 1980 et les différentiels de développement entre les versants nord-africain et sahélien du Sahara (Bredeloup et Pliez, 2006), les migrations sahéliennes vers le Maghreb vont connaître une expansion. Entre émigration et transit, la double fonction du Niger Les flux de travailleurs depuis le Niger vers les Suds algérien et libyen s’intensifièrent dans les années 1970 et 1980 avec les cycles de sécheresses ayant durement frappé les cheptels des pasteurs sahéliens. C’est ainsi qu’au Niger, de nombreux éleveurs Touaregs et Toubous ayant perdu leurs animaux se rabattent sur les villes du Niger, mais aussi sur celles de l’Algérie et de la Libye (Clanet, 1981). Le développement de ces migrations a été aussi favorisé par des facteurs politiques. Il s’agit notamment de la création de représentations diplomatiques de ces pays au Niger et de l’ouverture d’ambassades et de consulats nigériens dans les pays du Maghreb8, du dégel des relations entre la Libye et le Niger en 1987, de l’appel lancé par le Colonel M. Kadhafi à certains jeunes migrants sahéliens pour rejoindre la Légion islamique et plus tard, dans les années 1990, de la création d’un cadre institutionnel interétatique prônant la libre circulation des personnes et des biens de part et d’autre du Sahara (Brachet, 2009). C’est le cas en particulier de la CEN SAD. Les flux d’émigration des Nigériens au Maghreb sont difficilement quantifiables. En 1999, E. Grégoire (Grégoire, 1999) estimait à 15 000 le nombre de migrants nigériens dans le seul sud algérien et à 10 000 celui des migrants nigériens en Libye. Selon les statistiques officielles libyennes, le Niger se positionne au troisième rang des pays d’Afrique subsaharienne pourvoyeurs de migrants pour la Libye avec 4,4 % des immigrants subsahariens, derrière le Soudan (70,4 %) et le Tchad (13,2 % : Drozdz et 8
L’importance des circulations, des migrations saisonnières et l’installation de nombreux migrants nigériens dans le sud-est de l’Algérie et le sud-ouest de la Libye a justifié l’ouverture de consulats généraux du Niger à Sebha (Libye) et à Tamanrasset (Algérie) dans les années 1980, de même que l’ouverture à Agadez des consulats d’Algérie et de Libye. Certains migrants nigériens en transit à Agadez mettent à profit leur séjour dans cette ville pour demander un visa algérien et libyen. Devant les difficultés d’obtention de ce « précieux sésame », beaucoup d’entre eux préfèrent ne pas perdre leur temps dans cette entreprise qui se solde souvent par un échec.
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Pliez, 2005). D’après les résultats du recensement de la population algérienne, les ressortissants du Mali et du Niger établis en Algérie étaient estimés à 20 000 personnes dont 85 % ont opté pour la nationalité algérienne (CISP, 2007). Quoi qu’il en soit, la présence de migrants nigériens dans ces deux pays est importante, comme l’attestent les statistiques sur les entrées et les sorties du territoire nigérien vers ces deux pays.
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Tableau n°1 : Flux d’entrée et de sortie 2002 Dirkou Entrées
2003 Dirkou 22 737 1 271 846 24 854 8 437 2 796 3 242 14 475 -
2004 Dirkou 20 782 1 975 1 611 24 412 2 355 1 868 1 426 5 649 1 574
Nigériens Ouest Africains Autres Total Sorties Nigériens 8 142 Ouest Africains 2 153 Autres 548 Total 10 843 Refoulés Nigériens Ouest Africains Autres 138 Total 1 712 Source : Direction régionale de la police d’Agadez ; Brachet, 2005.
2006 Dirkou 17 534 1 187 69 18 790 7 540 3 380 90 11 010 2 464 208 9 2 681
Assamaka 1 676 2 300 1 862 5 838 1 149 1 885 1 016 4 050 2 879 0 0 2 879
Le nombre de migrants de nationalité nigérienne appréhendés, refoulés ou expulsés d’Algérie et de Libye confirme l’importance de la présence des migrants nigériens dans ces deux pays. En 2006, selon les statistiques de la Direction régionale de la police d’Agadez, sur les 32 481 personnes enregistrées au poste de police de Dirkou (frontière nigéro-libyenne) (entrées, sorties et refoulés), 25 538 sont de nationalité nigérienne soit 79%. Au cours de la même année, à la frontière algéro-nigérienne, sur les 12 767 personnes enregistrées, 5 704 étaient des Nigériens (45 %). Ces chiffres ne reflètent nullement la réalité des échanges migratoires entre le Niger et les pays du Maghreb, d’autant plus qu’une bonne partie des flux échappe aux contrôles de la police. Cependant, ces migrations confirment bien que le Niger est d’abord un pays d’émigration vers le Maghreb. Selon de nombreux témoignages, les migrants nigériens continuent rarement vers l’Europe. Par conséquent, les migrations nigériennes vers les pays du Maghreb semblent s’inscrire dans une logique de migrations binaires Niger/Maghreb (Bensaâd, 2003). Les mouvements migratoires à partir du Niger vers le Maghreb connaîtront un nouveau tournant dans les années 1990 avec l’extension de leurs aires de recrutement à l’ensemble de l’Afrique de l’ouest et du centre. Le renouveau et l’essor des migrations transsahariennes sont associés au contexte socio-économique et politique des Etats africains, marqué par les difficultés économiques croissantes des Etats à la suite des plans d’ajustement structurel des années 1980 notamment, de la dévaluation du franc CFA en janvier 1994 et des différentes crises politiques qui ont émaillé l’histoire de la région avec le développement de nouvelles zones de turbulence en Afrique (Sierra Léone entre 1991-2001, Libéria entre 19891996 et 1999-2003, Côte d’Ivoire 2002). Ces facteurs économiques et politiques qui ont entraîné la transformation de certains pays d’accueil traditionnels comme la Côte-d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria en pays d’émigration, et le durcissement des politiques migratoires avec la fermeture progressive des frontières extérieures de l’espace Schengen, l’établissement de visas et une restriction dans leur attribution (Escoffier, 2003), vont favoriser l’amplification et la diversification des migrations entre les deux rives du Sahara. Toutefois, la dimension individuelle de ces migrations est à prendre en compte dans l’explique des dynamiques migratoires actuelles entre les deux rives du Sahara. Le Niger s’est imposé comme un espace de transit privilégié pour les autres Subsahariens émigrant au Maghreb et au-delà. Quelles sont les
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raisons qui expliquent ce rôle d’espace de transit dans la circulation migratoire entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb ? Le choix du Niger comme pays de transit est lié avant tout à sa position géographique, mais aussi linguistique. Le Niger est un pays limitrophe de la Libye et de l’Algérie avec lesquels il partage 1 300 km de frontière. Plusieurs routes de traversée du Sahara partent en effet du Niger, ce qui en fait le lieu de passage obligé pour les migrants se déplaçant entre les deux rives du Sahara. La plupart des migrants originaires d’Afrique centrale et de certains pays d’Afrique de l’Ouest, notamment ceux situés au sud du Niger, transitent par le Niger, comme l’illustre la figure n°1.
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Figure n°1 : Itinéraires migratoires à travers le Niger vers l’Algérie et la Libye
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Le Niger offre également des facilités linguistiques pour de nombreux migrants anglophones du Nigeria et du Ghana. En effet, le haoussa, langue de communication dominante au Niger, et ce jusqu’à Agadez, aux portes du désert, est une langue également parlée par nombre de Nigérians et de Ghanéens. Ceci facilite le passage de ces migrants au Niger, mais aussi les séjours plus ou moins longs qu’ils doivent souvent y effectuer avant de poursuivre leur voyage. Le passage par le Niger peut être lié aussi à l’existence de filières et de réseaux migratoires et marchands qui animent les circulations humaines dans cet espace migratoire maghrébo-saharien. Ces réseaux et filières utilisent le plus souvent des pistes de fraude qui permettent d’entrer illégalement en Libye et en Algérie. Ces migrations clandestines sont favorisées par l’étendue des frontières sahariennes du Niger et les difficultés à les contrôler. Enfin, le transit par le Niger peut être mis en relation avec la liberté de circulation des personnes sur le territoire nigérien, en particulier les ressortissants des pays membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)1, une liberté de circulation que consacre le protocole sur la libre circulation des personnes et des biens de 19792, malgré les entraves qui existent dans la réalité, avec notamment l’obligation, dans la plupart des cas, pour les migrants, de s’acquitter de pots-de-vin. 2. Agadez : un carrefour migratoire aux portes du Maghreb La ville d’Agadez est située à 1 000 km de Niamey, la capitale du Niger. Sa population est estimée à 96 797 habitants3. Erigée à l’intersection des pistes caravanières, Agadez joua jadis le rôle de carrefour dans les relations commerciales entre l’Afrique noire et l’Afrique arabo-berbère en raison des mouvements caravaniers dont elle constituait un des nœuds. Point de rupture de charge, relais important de ces échanges et capitale de l’Aïr, elle bâtit sa prospérité sur le commerce et sa fonction de
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Créée en 1975, la CEDEAO regroupe le Bénin, le Burkina Faso, le Cap vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée Bissau, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la Sierra Léone et le Togo. 2 Les migrants ressortissants des pays membres de la CEDEAO peuvent entrer au Niger sans visa et circuler dans le pays pendant la durée de trois mois sans avoir à présenter un permis de séjour. Au-delà de ce délai, ils sont tenus d’avoir une autorisation. 3 Direction régionale de la population et des réformes sociales.
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caravansérail (Aboubacar, 2005). En effet, elle était une plaque tournante pour les trafics entre l’empire du Mali et le Fezzan et l’Egypte et entre les Etats haoussa et les oasis du Touat, du Fezzan et de la Tripolitaine. C’est cette position stratégique et la rente de situation géographique qui lui est associée qui permirent à la ville d’atteindre son apogée au 16e siècle. A partir du 18e siècle déjà, ce centre commercial florissant va perdre son rayonnement économique et avec lui les flux d’échanges vont décliner en raison des luttes entre fractions touarègues consécutives à la disparition de l’empire songhaï et plus tard, à partir du 19e siècle, avec la colonisation qui consacra la marginalisation des axes d’échanges transsahariens au profit de la côte atlantique. Ce n’est qu’à partir du début des années 1970, à la faveur de l’exploitation de l’uranium et la réalisation d’infrastructures routières qui la relient avec les autres villes du Niger (route de l’uranium) que la ville va renouer avec sa fonction de pôle attractif4. En jouant depuis une vingtaine d’années le rôle de carrefour migratoire maghrébo-subsaharien, Agadez valorise sa fonction historique de relais important sur les pistes caravanières transsahariennes (Bensaâd, 2003). La valorisation de ce potentiel tient à l’avantage de sa position géographique, à l’existence de ressources en matière de transport et à la présence de populations rompues aux échanges transsahariens (Brachet, 2005). Ces migrations consolident par le bas les relations humaines entre l’Afrique subsaharienne de façon générale et le Maghreb. Sur le parcours nigérien des migrants subsahariens, l’étape d’Agadez se révèle être celle au cours de laquelle l’attente est la plus longue et où les préparatifs de la traversée du Sahara et des frontières peuvent prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois. C’est à Agadez que les migrants qui n’ont pas les capacités de continuer leur route séjournent plus longtemps que prévu. C’est aussi une ville qui accueille les refoulés et les expulsés de Libye. Parmi ceux-ci, certains retentent leurs chances, d’autres sollicitent de l’aide pour retourner au pays d’origine, les derniers s’installent durablement à défaut de retourner ou de continuer la route. La majorité des flux migratoires en provenance des pays d’Afrique subsaharienne convergent à Agadez au travers de deux principaux itinéraires. Le premier axe qui part de Niamey atteint Agadez en passant par Dosso et Tahoua. C’est à Niamey que se trouvent les compagnies de transport disposant de bus relativement confortables assurant 4
Le taux d’accroissement annuel moyen de la population de la ville d’Agadez était de 8,3 % entre 1977 et 1988 contre 3,6 % entre 1988 et 2001.
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quotidiennement la liaison entre la capitale du Niger et la ville d’Agadez. Au moins cinq bus5 assurent chaque jour le transport des passagers de Niamey à Agadez. C’est par ces bus qu’arrivent à Agadez les migrants originaires du Burkina Faso, du Ghana, du Togo, du Bénin, du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée, du Mali, qui ont transité par la ville de Niamey. Dans ces compagnies, il existe souvent des intermédiaires6 qui rabattent les migrants depuis les gares par lesquelles ces derniers arrivent vers les sociétés de transport. Ces compagnies jouent un rôle important dans le fonctionnement des circulations entre d’une part Niamey et certaines capitales de la sous-région (Ouagadougou, Bamako, Lomé, Cotonou, Accra, Abidjan, Dakar), et d’autre part entre la capitale nigérienne et les autres villes du Niger. Plus au centre du Niger, existe un autre axe qui part de Zinder pour aboutir à Agadez. Cet axe est en général emprunté par les Nigérians, les Camerounais, les Congolais, les Centrafricains qui, depuis le sud du Nigeria, rejoignent Kano au nord, puis Zinder au Niger. A partir d’Agadez partent deux principaux axes en direction du Maghreb, l’un vers l’Algérie et l’autre en direction de la Libye. Aujourd’hui, en raison de l’insécurité, la circulation sur les axes Agadez-Arlit et Agadez-Dirkou n’est autorisée qu’en convois organisés par les forces de défense et de sécurité. Sur l’axe Agadez-Arlit ces convois ont lieu tous les deux jours. Sur l’axe NiameyDirkou, les transporteurs profitent des convois de ravitaillement de l’armée et des sociétés d’exploration minière. Le lundi 9 février 2009 par exemple, le convoi organisé sur l’axe Agadez-Dirkou a concerné plus de 50 camions transportant plus de 5 000 migrants. D’après l’administrateur de la gare routière d’Agadez, rencontré au cours de notre séjour à Agadez, « il n’y a jamais eu autant de migrants en même temps. Leur présence dans la ville était visible. Si vous aviez été là il y a deux jours, vous les auriez rencontrés dans chaque rue ». Cependant, quels que soient les axes empruntés, les migrants sont victimes de tracasseries de toutes sortes. A la barrière de police, à l’entrée de la ville d’Agadez sur l’axe venant de Niamey, les migrants étrangers sont descendus des véhicules par les policiers qui prennent leurs pièces d’identité et les obligent à payer une somme variant entre 5 000 et 10 000 5
Les compagnies de transport privées assurant des liaisons quotidiennes entre Niamey et Agadez sont Aïr Transport, El Hadj Garba Maissadjé Transport, SNTV, Azawad Transport, Rimbo Transport Voyageurs. 6 Sur le tarif du billet Niamey-Agadez ils reçoivent une commission de 1 000 FCFA par passager amené.
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FCFA. Ceux qui refusent sont gardés au poste jusqu’à déboursement complet de la somme exigée. Ceux qui déclarent qu’ils n’ont pas les moyens sont soumis à une fouille corporelle systématique et délestés de toute somme d’argent trouvée sur eux. C’est ce qui est arrivé à Fazoumana, migrant ivoirien de 18 ans, à qui la police a confisqué les 10 000 FCFA qui lui restaient. Ceux qui sont dans l’incapacité de payer la somme exigée sont contraints de laisser leurs pièces d’identité à la police jusqu’à ce qu’ils réunissent le montant requis pour récupérer leurs pièces. C’est ce qui est arrivé à Mohamed, migrant malien qui a été obligé de travailler à Agadez pour obtenir les 5 000 FCFA nécessaires à la récupération de sa pièce d’identité. Ni les drames qui surviennent pendant la traversée du Sahara, ni la répression musclée et les expulsions qui les accompagnent, n’entament la détermination des jeunes Subsahariens qui alimentent régulièrement ces flux. Face à ces migrations, le Niger a jusqu’ici développé une attitude de laisser-faire, par faute de moyens politiques, institutionnels et financiers et surtout par faute de volonté politique. La législation nationale en matière de migration reste limitée au domaine de l’immigration. 3. Diversité des profils des migrants subsahariens transitant par Agadez Les migrants subsahariens qui transitent par Agadez présentent des profils sociodémographiques, économiques et culturels très variés. L’une des caractéristiques démographiques principales des migrants le plus souvent célibataires, est leur jeune âge, compris entre 18 et 30 ans7. L’importance de cette tranche d’âge dans la population migrante témoigne de son poids dans la population africaine. En effet, près de 2/3 de la population africaine a moins de 25 ans. Dans un pays comme le Niger, les moins de 25 ans représentent plus de 66 % de la population (Ministère de la population et l’action sociale, 2006). Il s’agit de la frange la plus active de la population qui est touchée par l’émigration vers le Maghreb et audelà. Cette situation témoigne de l’existence d’un fort potentiel migratoire dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne.
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L’implication des enfants dans les migrations de transit est confirmée par la présence parmi les 4500 migrants subsahariens expulsés de Libye en avril 2006 de 500 enfants (cf. entretien avec monsieur J. Lieby de l’UNICEF, septembre 2007).
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Les études et les témoignages ainsi que les constats sur le terrain montrent que la plupart des migrants sont des hommes capables de faire des voyages physiquement pénibles. Cependant, l’on signale la présence des femmes, même si celle-ci est insignifiante (Bensaâd, 2003). En 2006, parmi les 4 365 personnes enregistrées au poste de police de l’auto-gare d’Agadez, seules 105 étaient des femmes soit 2,4 %. En 2009, la particularité des flux migratoires, à Agadez, est marquée par l’importante augmentation du nombre de jeunes filles parmi les migrants étrangers. Il s’agit surtout de Nigérianes, mais aussi de Ghanéennes, qui sont plus nombreuses que leurs homologues du sexe masculin. L’importance croissance des femmes dans les migrations transsahariennes témoigne de nouvelles reconfigurations migratoires. Devant l’afflux important de jeunes filles parmi les migrants étrangers, l’ambassadeur du Nigeria au Niger s’est rendu à Agadez en février 2009 pour demander aux autorités de la région d’Agadez d’empêcher les jeunes Nigérianes de continuer leur voyage. Les migrants disposent d’un bon niveau d’instruction. La majorité d’entre eux ont au moins un niveau primaire. Au début des années 2000, Ali Bensaâd signalait déjà qu’un cinquième des migrants transitant par Agadez avait un niveau d’instruction variant entre la terminale et la licence (Bensaâd, 2003). Une autre caractéristique de ces migrants est la prédominance de ceux qui ont une originaire urbaine, auxquels s’ajoutent toutefois de nombreux néo-citadins. Par ailleurs, le départ en migration ne tient pas compte du rang du migrant dans la fratrie. La migration concerne aussi bien les aînés que les cadets ou encore ceux qui occupent une position entre ces deux extrêmes. La situation de la majorité des migrants au départ des pays d’origine est caractérisée par l’occupation d’un emploi. Ils sont artisans (mécaniciens, maçons, menuisiers, tapissiers), commerçants, agriculteurs, enseignants, manœuvres, chauffeurs, footballeurs, dockers, étudiants. Tous avancent comme raisons de leur départ le manque de perspectives, l’insuffisance des revenus, le chômage, la quête d’aventure, l’épanouissement professionnel, la formation, les problèmes de sécurité, et émigrent dans la perspective d’améliorer leur situation. Certains d’entre eux en sont à leur premier voyage et découvrent les vicissitudes des migrations transsahariennes sans renoncer à aller jusqu’au bout. D’autres disposent déjà d’une riche expérience migratoire acquise dans les pays du Maghreb, en Europe et dans d’autres pays africains (Côte d’Ivoire, Nigeria, Mali, Sénégal, Togo, Gabon, Burkina Faso…). Parmi
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eux, l’on trouve d’anciens expulsés de Libye, du Gabon, d’Italie, d’Espagne, des personnes en situation de réorientation migratoire en raison des crises politiques, notamment en Côte d’Ivoire. Au-delà de la richesse des expériences migratoires des uns et des autres, l’on constate que les motifs du retour dans les pays d’origine les plus souvent cités sont liés à la famille (pression des parents, aide à la famille, mariage, visite…), aux crises politiques, à la non réalisation des objectifs assignés à la migration, aux expulsions, à la maladie, à l’insuffisance de revenus et au manque ou à la perte d’un travail. Quels que soient les motifs de la migration, la décision d’émigrer s’inscrit dans la plupart des cas dans un projet familial qui met en jeu des structures spatiales éclatées. Les membres de la famille, surtout les frères et sœurs, apportent leur aide financière aux migrants ou partagent leurs connaissances de la migration pour les soutenir du départ à l’arrivée. Ce réseau familial s’étend au Niger, au reste du continent africain, à l’Europe ou aux Etats-Unis. Ce qui conforte l’idée selon laquelle la décision d’émigrer ne doit pas être considérée comme le fait d’un seul individu (Boyer, 2008). Pour les familles des migrants, l’investissement dans une migration au Maghreb ou en Europe représente le meilleur capital-risque dans l’espoir de voir cet investissement se traduire en retour par une manne financière. Cette sollicitation de l’aide des parents varie avec l’âge. Ainsi, ce sont les plus jeunes qui sollicitent le plus d’aide. Celle-ci est d’autant plus indispensable qu’ils n’occupaient aucun emploi dans leurs pays d’origine, qu’ils en sont à leur première migration et que des évènements imprévus sur les routes migratoires ont contribué à épuiser leur capital voyage. En général, ceux qui ne sollicitent pas l’aide en cas de nécessité peuvent être issus de milieux familiaux modestes. Certains d’entre eux sont obligés de travailler ou de brader les biens matériels qu’ils possèdent (vêtements, montres, téléphones portables, chaussures…) pour faire face aux différentes dépenses. C’est le cas de cet Ivoirien qui a vendu 10 complets pour financer son transport de Tahoua à Agadez. Malgré la crainte et l’angoisse que suscite la traversée du désert, ces migrants bravent tous les risques, parfois au péril de leur vie, et font preuve d’ingéniosité pour dépasser les obstacles (Mimche, 2003). Ces passagers particuliers facilement identifiables sont des proies faciles pour les agents de police qui n’hésitent pas à les gruger. Les tracasseries dont ils sont
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victimes aux postes de police imposent de longues attentes aux autres voyageurs. 4. Le temps du transit agadezien : entre attente et incertitude du départ La durée du temps passé à Agadez varie d’un migrant à un autre. Elle dépend des capacités du migrant, notamment son aptitude à financer la suite du voyage. Elle dépend aussi des capacités de tous les acteurs impliqués dans l’organisation de son transport à partir d’Agadez (courtiers en voyage, transporteurs, passeurs) vers les villes des Suds libyen et algérien. C’est pourquoi lorsque les migrants sont interrogés sur le moment du départ, les réponses qui fusent sont : « dans peu de temps », « je ne sais pas », « quand j’aurais les moyens », « j’attends de l’argent ». Ces réponses témoignent du caractère incertain du temps passé à Agadez. Même les plus « nantis » sont dans l’incertitude du départ. La durée du transit8 à Agadez varie de quelques jours à plusieurs mois, voire plusieurs années. La forme la plus fréquente est le transit de courte durée, moins d’un mois. D’après les résultats d’une étude que nous avons menée auprès de 75 migrants subsahariens en transit à Agadez, dans la plupart des cas, le transit à Agadez des Subsahariens est de courte durée. En effet, quatre migrants sur cinq affirment séjourner dans cette ville depuis moins d’un mois avant l’enquête. La moitié d’entre eux compte continuer le voyage sur la Libye dans moins d’un mois, tandis que l’autre moitié ne connaît pas encore le jour du départ. De façon générale, la ville d’Agadez est marquée par l’incertitude de la suite du voyage et celle de la durée de présence. Les raisons qui déterminent la durée de l’attente à Agadez sont nombreuses. Pour les plus « nantis », la durée de l’arrêt à Agadez se limite 8
En raison de l’insécurité dans la partie Nord du Niger, les départs à partir d’Agadez vers Arlit et Dirkou se font par convois escortés par les forces de défense et de sécurité du Niger. Ils sont organisés tous les deux jours sur l’axe Agadez-Arlit. Sur l’axe Agadez-Dirkou, les convois ont été institués en août 2009, suite aux attaques répétées des véhicules de transport de voyageurs. Sur cet axe, les transporteurs profitent des convois de ravitaillement de l’armée nigérienne et des sociétés chinoises de prospection de pétrole dans la région. Il y a un convoi par mois. Aussi les migrants empruntant cet axe doivent attendre au moins trois semaines à Agadez. Cependant, en dehors de ces convois, des départs sur Dirkou en 4 X 4 à partir d’Agadez sont clandestinement organisés pour les migrants nantis et décidés à braver l’insécurité.
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simplement à l’attente du départ. Elle varie de quelques jours à quelques semaines, le temps que les transporteurs aient le nombre souhaité de migrants pour partir ou le temps d’organiser des convois. Pour ces migrants, le Niger n’est qu’une étape qui leur permettra d’atteindre le Maghreb et l’Europe. Pour les autres, ceux qui n’ont pas les moyens de poursuivre leur voyage, soit parce qu’ils n’ont pas quitté leurs pays d’origine avec suffisamment d’argent, ou parce que les imprévus ont sérieusement grevé leurs budgets, la durée de l’attente se confond avec celle de la quête d’argent. En effet, certains migrants cherchent à arrondir leurs économies en cherchant du travail ou en sollicitant l’aide d’un membre de la famille ou d’un ami, du pays d’origine ou dans les pays d’accueil. Elle peut être aussi liée à une réinterrogation sur leurs projets migratoires face, par exemple, à des situations politiques conjoncturelles, notamment les fermetures de frontière, les expulsions, ou tout simplement les vicissitudes d’une migration vers la Libye et l’Algérie. Il arrive aussi que l’attente se transforme en installation. C’est le cas de Mandela, migrant libérien établi à Agadez depuis près de 10 ans. Il a été expulsé de Libye et s’est retrouvé à Agadez sans moyens. Il a exercé plusieurs petits boulots avant de devenir vendeur de montres et de cellulaires d’occasion. Il prétend bien gagner sa vie et s’est même marié à Agadez. C’est aussi le cas de ce Burkinabé, propriétaire de « ghetto » qui, après avoir été expulsé de Libye, s’est retrouvé à Agadez sans ressources pour rentrer au pays. 5. Une insertion précaire L’insertion temporaire des migrants se caractérise par un faible niveau d’occupation, leur confinement dans des logements collectifs et une faible interaction avec la population autochtone. Des migrants majoritairement hébergés dans des dortoirs collectifs Il existe trois formes de logement pour les migrants. Il s’agit des maisons communes, communément appelées « ghettos », les gares où certains bureaux ont été transformés en cases de passage, et d’hébergement chez des parents. Les « ghettos » constituent la forme de logement dominante. Il s’agit de maisons familiales qui sont transformées en lieux d’hébergements payants. La plupart des agences de courtage en voyage ont
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leurs ghettos dans lesquels les migrants sont « parqués » en attendant leur mise en route. Leur confinement dans des maisons communes n’est nullement une stratégie pour fuir la répression policière ou les expulsions. Il s’inscrit dans une stratégie d’appropriation d’une clientèle qu’il faut garder et mieux exploiter. Environ une centaine de lieux d’hébergement existent à Agadez dont une quinzaine de maisons occupées en permanence par les migrants en transit (Cf. graphique 2). Le nombre de lieux d’hébergement varie en fonction du nombre de migrants en transit. Aussi, si les maisons communes, concentrées principalement dans les quartiers centraux, destinées en permanence à l’hébergement des migrants sont saturées, d’autres maisons situées à la périphérie sont temporairement utilisées. Il s’agit en réalité de logements annexes qui sont libérés au fur et à mesure qu’ils se vident de leurs occupants. Cela a été le cas en 2009 lorsque les propriétaires de ghettos ont dû recourir à la location d’autres concessions dans lesquelles ils ont dû, dans certains cas, dresser des tentes. Ces ghettos peuvent contenir de 30 à 300 personnes, voire plus. Dans les pièces des maisons, ils se retrouvent coincés à 30 ou 50, vivant dans la promiscuité et dormant à même le sol sur de simples nattes en plastique. Parfois, des tentes sont érigées à l’intérieur des ghettos pour faire face à l’afflux important de migrants. Le regroupement des migrants se fait par affinité nationale, sousrégionale et ethnolinguistique. Les Sénégalais, les Maliens, les Gambiens, les Guinéens sont hébergés en majorité chez un Sénégalais qui est installé à Agadez depuis une dizaine d’années. Les Nigérians sont hébergés chez trois propriétaires de ghettos de nationalité nigériane. Les Béninois sont accueillis pour ceux qui le désirent chez un Béninois, les Maliens chez deux ressortissants maliens propriétaires de ghettos, les Burkinabé chez un Burkinabé lui-même ancien migrant, les Ghanéens chez un Ghanéen et des Nigériens propriétaires de ghettos. Les propriétaires de ghettos de nationalité nigérienne hébergent aussi des migrants d’autres nationalités, notamment des Camerounais, des Ivoiriens, des Nigérians, des Libériens. Les migrants nigériens ont leurs propres ghettos tenus par les ressortissants de leurs régions d’origine. La plupart des maisons communes ne disposent pas d’eau courante. L’approvisionnement en eau se fait auprès des vendeurs d’eau ou à la borne-fontaine. Quand des installations sanitaires sont disponibles, il s’agit de sanitaires collectifs dont les conditions d’hygiène sont déplorables.
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Ceux qui habitent dans des maisons sans sanitaires sont obligés d’aller se soulager en brousse, ce qui pose d’énormes problèmes d’assainissement. La gare routière d’Agadez dispose de toilettes et de douches publiques qui sont payantes. En général, les douches et toilettes publiques sont passablement entretenues. En ce qui concerne la cuisine, le plus souvent les migrants font des préparations collectives. Cependant, de nombreux migrants nous ont affirmé ne pas manger à leur faim. Les migrants du ghetto sénégalais cotisent chaque jour la somme de 100 FCFA par personne pour préparer le déjeuner. Un faible niveau d’occupation Pendant leur transit à Agadez, les migrants sont rarement occupés. Cette situation est liée non seulement aux difficultés qu’ils ont à trouver un emploi à Agadez à cause de la barrière linguistique et de la méfiance de certains employeurs vis-à-vis de personnes de passage dans la ville, mais aussi au temps qu’ils passent dans cette ville. Cette situation confirme le caractère temporaire du transit à Agadez. Les migrants de passage n’ont pas besoin, dans la plupart des cas, de chercher un emploi. Ceux qui cherchent une occupation au Niger sont ceux qui ont épuisé leur capital voyage et qui adoptent une stratégie du travail d’étape pour accomplir leur voyage jusqu’au pays de destination. En général, même dans ce cas, leur transit dure rarement plus d’un an, juste le temps de trouver les moyens pour payer le trajet qui conduit en Libye ou en Algérie. Dans le cas où ils cherchent un emploi, ils bénéficient du parrainage des migrants ressortissants de leurs pays installés à Agadez. Il convient de préciser ici que très peu de propriétaires de logements collectifs (ghettos) aident les migrants qu’ils hébergent à trouver un emploi. Les emplois exercés vont de la menuiserie à la maçonnerie, en passant par la mécanique, les services dans les bars, les travaux maraîchers. Il s’agit d’emplois physiquement pénibles et faiblement rémunérés. Le travail d’étape constitue, avec les aides reçues par les migrants et la vente occasionnelle d’effets personnels, leurs seules sources de revenus pendant le transit agadézien généralement synonyme d’appauvrissement.
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Une faible interaction avec la population locale Les migrants qui séjournent à Agadez sont amenés à circuler dans la ville et à fréquenter plusieurs lieux. Les échanges interculturels entre la population locale et les migrants en transit sont des échanges superficiels et intéressés. Ils restent limités aux relations d’échanges (clientscommerçants, maison de courtage-clients, employeurs-employés ou chercheurs d’emploi). Le regroupement des migrants a lieu dans les lieux d’hébergement où certains propriétaires de ghetto leur interdisent tout contact avec les Nigériens ou avec d’autres migrants n’habitant pas le même ghetto. Cet enfermement des migrants ne favorise pas les contacts avec la population locale. Aussi les migrants passent-ils la majeure partie de leur temps avec leurs corésidents. En dehors des lieux d’hébergement les principaux lieux de convergence des migrants sont le marché, les banques, les télécentres et cybercafé, les lieux de distraction, de restauration, l’église et la gare routière. Les migrants fréquentent régulièrement les banques d’Agadez qui leur offrent les services de l’opérateur de transfert d’argent Western Union. Les trois banques présentes à Agadez disposent toutes d’un guichet Western Union. Quant à Niger poste, il offre les prestations de Money Express. Les longues files devant ces guichets témoignent du recours fréquent à ce système de transferts d’argent malgré les taux élevés de commission. D’après le chef d’agence de la BIA, ces transferts portent sur de petits montants, qui dépassent rarement le million de FCFA. Selon le Directeur de la Banque Régionale de Solidarité, la force de Western Union à Agadez, ce sont les migrants étrangers en transit. Pourquoi un tel engouement pour ce mode de transfert ? D’abord parce qu’il est le plus fiable et le plus sûr même si les taux de commission sont élevés. Il permet d’éviter les abus de confiance dont ont été victimes certains migrants ayant choisi le transfert par une tierce personne. Certains migrants utilisent ce canal pour ne pas courir le risque de voyager avec beaucoup de liquidité sur eux. Aussi préfèrent-ils transférer leur argent par Western Union avant de partir de leur pays d’origine et le récupérer une fois arrivé à Agadez. D’autres confient leur argent à un membre de la famille au pays d’origine qui se chargera de le leur transférer une fois qu’ils seront à Agadez. Enfin d’autres reçoivent l’aide des membres de la
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famille au pays d’origine ou dans les pays d’accueil. A cet effet, ils contactent les membres de leurs familles par téléphone ou par mail. Cette quête d’argent frais est très fréquente pendant le processus migratoire. Les migrants sont amenés pendant leur transit à Agadez à contacter des parents, des amis laissés au pays d’origine ou dans certains pays d’accueil, qui pour donner de leurs nouvelles, qui pour solliciter l’aide des parents. Ces échanges d’informations s’appuient sur le développement des innovations technologiques prometteuses, notamment celui de la téléphonie mobile et fixe. Les migrants utilisent leurs téléphones portables et les services de la téléphonie fixe des cabines, secteur qui a connu une expansion fulgurante. La ville d’Agadez compte plusieurs dizaines de télécentres concentrés dans les lieux les plus fréquentés de la ville. Il s’agit de la gare routière, des alentours du « marché tôle », et au niveau de certains carrefours de la ville. La Sonitel, l’agence nationale de téléphonie, propose même une carte Zumuntchi pour les appels à l’international à 50 FCFA la minute. Sa cabine installée à côté de la gare routière offre un cadre agréable pour téléphoner en toute discrétion. En dehors de ces centres téléphoniques, il existe quelques cybercafés facilitant la circulation de l’information par internet. Les migrants y vont pour échanger des nouvelles avec des parents, des amis, parfois recevoir des codes autorisant le retrait de l’argent transféré par Western Union. Le lieu de contact le plus fréquent avec la population locale est sans doute le « marché tôle » où les migrants peuvent acheter le nécessaire pour la cuisine préparée en groupe et tout ce qu’il faut pour le voyage : bidons d’eau, turban, couverture, lunette, ustensiles de cuisine, nourriture. Malgré le fait que ces différentes marchandises sont proposées dans d’autres lieux (gare routière, ghetto), le « marché tôle » reste incontestablement le principal point de vente. La présence d’étalages proposant des bidons et la spécialisation de petits commerçants dans la vente de ces objets témoigne du caractère lucratif de cette activité. Les lieux de distraction comme les bars constituent aussi d’autres points de rassemblement des migrants en transit et de contact avec la population locale. Certains y vont pour prendre une boisson, d’autres notamment pour louer leur bras comme serveurs. Avec la présence importante des migrants et malgré la préparation de plats pris en commun dans les ghettos, on assiste à la multiplication de petits restaurants qui proposent des spécialités culinaires des pays d’origine des migrants, notamment du Nigeria, surtout pour les migrants qui ont du
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mal à s’adapter aux plats du Niger. Environ une dizaine de restaurants tenus par les ressortissants de ces pays proposant des mets nigérians, ghanéens et maliens existent à Agadez. Les migrants étrangers en transit à Agadez fréquentent aussi l’église. Ils y vont pour prier mais aussi pour demander de l’eau bénite ou un chapelet pour aborder la traversée du Sahara jugée dangereuse. D’autres y vont pour solliciter de l’aide. Il s’agit en général de migrants démunis qui n’ont plus de ressources pour s’acheter de quoi se nourrir. En dehors de l’église, quelques structures apportent aussi leur assistance aux migrants en transit en situation de détresse. Il s’agit notamment de la Direction régionale de la population et des réformes sociales9. Elle a institué un système d’aide aux migrants en détresse. Son assistance consiste à diligenter une enquête sur les cas soumis à son appréciation et d’établir un certificat d’indigence avant de référer les cas retenus à la mairie. Celle-ci instruit à son tour l’administration de la gare pour payer les frais de transport sur les recettes de la taxe flottante10 ou réfère les cas à la police de la barrière qui peut les confier à des transporteurs. En général ce sont les Nigériens expulsés qui ont recours à ce type d’assistance. Les autres migrants en transit sont orientés vers les associations de ressortissants de leurs pays d’origine lorsqu’elles existent. Ces structures associatives fondées en fonction des affinités nationales interviennent surtout pour assister les migrants démunis, victimes de refoulement ou d’expulsion qui se retrouvent à Agadez et qui souhaiteraient retourner dans leurs pays d’origine. Elles concernent notamment les nationalités les plus représentées à Agadez : Nigérians, Ghanéens, Burkinabé, Béninois, Maliens.
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Au cours de l’année 2008, le service communal de la population a référé à la mairie 15 cas de demande d’assistance en frais de transport. Les montants octroyés varient de 20 000 à 30 000 FCFA. 10 La taxe de voierie flottante est une taxe qui a été instituée par la mairie d’Agadez. Chaque migrant étranger en transit à Agadez qui embarque à partir de la gare routière d’Agadez est tenu de la payer. Elle est perçue par l’administration de la gare. Aujourd’hui son paiement se fait avant le départ au niveau des barrières de police à la sortie d’Agadez sur les axes Agadez - Arlit et Agadez – Dirkou. Le 09 février 2009, pour un seul convoi, l’administration de la gare a recouvré 3 413 000 FCFA à la barrière de la ville sur l’axe Agadez-Dirkou.
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6. Une faible incidence sur l’extension spatiale urbaine La ville d’Agadez est marquée par les migrations de transit. En effet, celles-ci participent à la transformation des paysages urbains. Même si cette population ne fait que passer, son ancrage temporaire a une influence sur la ville. A l’échelle de la ville d’Agadez, la présence des migrants est plus diffuse. En effet, il n’existe pas de quartiers spécifiques aux migrants en transit. Cependant, certains quartiers abritant les ghettos « permanents » se distinguent des autres par la présence de cette population migrante. Ils vivent au rythme de la rotation régulière des occupants de ces maisons. A Agadez, il s’agit des quartiers Katanga (11 concessions), Nassarawa (3 concessions), Zone aéroport (5 concessions), Sabongari (6 concessions), Tawayen Sarki (4 concessions). Avec le confinement des migrants dans des maisons communes reconnues comme telles et affectées en permanence à leur hébergement, il se produit un marquage spatial. Le terme de « ghetto », foyer pour les Sénégalais et Maliens, est souvent utilisé pour qualifier ces lieux d’hébergement. Les populations locales désignent ces maisons communes « Gidan Goirawa11 ». L’intérieur et l’extérieur de ces concessions affectées aux migrants en transit sont aussi transformés. Il n’est pas rare de voir des propriétaires de ghettos ériger des hangars et des tentes dans des concessions où dominent des maisons en banco. Compte tenu du caractère temporaire de cette présence, elle a un faible impact sur la croissance de la population urbaine. Cependant, ces migrations peuvent s’articuler avec l’immigration interne et externe. Malgré le développement d’une économie de transit, ce ne sont pas les activités vouées à la migration qui attirent le plus les immigrants nationaux ou étrangers. Si certains immigrants sont bien impliqués dans les réseaux et filières migratoires transsahariens, leur importance dans la population de la ville n’est pas significative au point de favoriser l’extension spatiale de la ville. Cependant, le développement des migrations de transit a donné lieu à l’essor de toute une gamme d’activités vouées à la migration. Ces activités
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Maison des Goirawa. A l’origine c’est sous cette appellation que les Haoussa du nord Nigeria désignaient les populations non haoussaphones de la région de Goiri. Au Niger, ce terme désigne les étrangers qui viennent du Bénin, du Togo, du sud Nigeria, de la Côte d’Ivoire, du Ghana.
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sont visibles dans les paysages urbains. Il s’agit des activités de restauration et de la vente de marchandises servant à la traversée du désert. A ce propos, l’image la plus frappante est celle des vendeurs de bidons d’eau que l’on retrouve au « marché tôle », à la gare routière et à la devanture de certains ghettos. La concentration des migrants dans les maisons communes peut entraîner des problèmes d’assainissement en l’absence de dispositif d’évacuation des eaux usées. Dans une ville du désert, l’accumulation d’excrétas pose de réels problèmes d’assainissement. Ces problèmes d’assainissement se posent avec d’autant plus d’acuité que les services municipaux présentent de nombreuses carences dans l’offre de services urbains. L’ancrage temporaire des migrants à Agadez a une faible influence sur les pratiques urbaines. En dehors de la restauration et des bars où ces étrangers transportent leur urbanité, il existe très peu d’occasions où les migrations peuvent influencer les pratiques urbaines. On aurait sans doute pensé que l’accoutrement particulier de ces migrants influencerait l’habillement des jeunes Agadéziens. Le port des pantalons jean aussi bien par les filles que par les garçons n’a pas suscité l’adoption de nouvelles modes vestimentaires dans cette frange de la population. 7. Expansion d’une économie de transit Agadez est aujourd’hui une ville dont l’économie est très marquée par le transit des migrants transsahariens, d’autant plus que la situation d’insécurité qui prévaut dans cette partie du Niger a anéanti l’une des principales activités de la région : le tourisme. C’est ce qui justifie certainement les propos de l’administrateur de la gare routière selon lesquels « avec le recul des activités touristiques consécutives à la persistance de l’insécurité dans le Nord du pays, l’économie de transit est apparue comme une alternative ». L’on comprend dès lors l’importance des migrations de transit dans l’économie locale. En effet, les migrations de transit ont favorisé la naissance et la multiplication d’activités connexes à la migration. Dans le domaine de la communication, les sociétés comme Sonitel ont vu leurs chiffres d’affaires augmenter du fait de la présence des migrants à Agadez. Les centres d’appels téléphoniques tirent de grands profits du transit des migrants, puisqu’ils sont régulièrement fréquentés par ceux-ci.
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Les migrations ont permis le développement de la filière des transports avec la mise en place de nombreuses agences de courtage aussi bien formelles qu’informelles. La gare d’Agadez compte plus d’une dizaine d’agences enregistrées à la mairie d’Agadez, sans compter les agences clandestines. Chaque agence emploi entre 5 et 20 personnes. A côté de ces agences de voyage s’est aussi développé le transport intra-urbain avec la multiplication des motos-taxis assurant le transport des migrants à l’intérieur de la ville et de la barrière de police à l’entrée d’Agadez ou des antennes de compagnies de transport privées à leur arrivée jusqu’au niveau des « ghettos ». Ce secteur procure beaucoup d’emplois aux jeunes Agadéziens dont certains sont devenus des rabatteurs de migrants (yan tchaga) pour les agences de courtage en voyage. D’autres acteurs tels que les transporteurs et les « coxers12 » tirent leur épingle du jeu. D’autres activités informelles vouées à la migration se sont développées. Il s’agit de la vente d’objets nécessaires au voyage, notamment les turbans, les lunettes, les couvertures, les ustensiles de cuisine. En ce qui concerne la restauration, se développent dans la ville de nombreux petits restaurants tenus en général par des migrants installés à Agadez. Ces restaurants proposent des mets de certain pays de provenance de migrants, en particulier ceux dont les ressortissants sont plus nombreux parmi les contingents de migrants. Ainsi, on constate la mise en place de restaurants maliens, nigérians, ghanéens. La migration de transit procure de nombreux emplois dans la ville d’Agadez en même temps qu’elle favorise le développement de multiples activités. Avec le regroupement des migrants dans des logements particuliers, la migration de transit alimente très peu le marché locatif. Elle n’a pas d’impact significatif sur le secteur de l’hôtellerie. Les migrants en transit, pour des raisons économiques et compte tenu de la connexion entre les activités d’hébergement et les activités de transport, préfèrent les conditions de promiscuité déplorables des « ghettos » au confort des chambres d’hôtel jugées trop chères. De plus, pendant leur transit agadézien, les migrants cherchent à dépenser le moins d’argent possible.
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Des démarcheurs.
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Conclusion Dans les circulations migratoires entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, la ville d’Agadez joue le rôle de carrefour migratoire. Elle tient ce statut autant à sa situation géographique sur les routes migratoires qu’à sa connexion aux réseaux migratoires. Dans cette ville, la vie de transit des migrants est surtout marquée par l’appauvrissement des migrants et l’accroissement concomitant de leur vulnérabilité. Cet appauvrissement s’accroît au fur et à mesure que la durée de l’attente se prolonge. Le transit agadézien ne s’inscrit pas dans une logique d’immigration, mais dans un jeu permanent de passage. Celui-ci dure en général de quelques semaines à quelques mois, voire une année ou plus, notamment pour ceux qui ont épuisé leurs économies et attendent la concrétisation d’une promesse d’envoi d’argent de la part des membres de la famille restés au pays d’origine ou en migration. L’insertion temporaire de ces migrants se fait à travers un faible niveau d’occupation, leur confinement dans des logements collectifs et une faible interaction avec la population autochtone. Leur présence dans la ville reste diffuse et n’agit pas sur la structuration urbaine. Même si les étapes sont longues, les migrants ne font que passer. Cet ancrage temporaire a une influence sur le développement urbain. En effet, il donne lieu à l’expansion d’une économie de transit dont tirent profit les acteurs qui organisent ou profitent de la présence des migrants à Agadez et des dépenses que ceux-ci effectuent pendant leurs séjours plus ou moins longs. L’économie de transit est devenue un secteur fondamental de l’économie de la ville, en témoignent les multiples profits qu’en tirent les populations locales. Cependant, cette économie reste fragile puisqu’elle est largement dépendante des routes migratoires, notamment de l’attitude de la Libye. La fermeture des routes migratoires signerait le déclin de cette économie liée au passage des migrants, comme ce fut le cas pour le tourisme devant la persistance de l’insécurité dans le Nord du Niger. Bibliographie Adamou A., Entre l’Afrique au sud et au nord du Sahara : la ville d’Agadez. Carrefour d’hier et d’aujourd’hui, www.codesria.org /Links /conferences/north/adamou.pdf
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3 La diaspora burkinabè au Ghana et sa descendance: insertion dans la société d’accueil et liens avec le «father’s land» Saydou KOUDOUGOU* Résumé Le Ghana a longtemps été une destination privilégiée des migrants burkinabè. Mais l’introduction du permis de résidence en 1960, l’expulsion des étrangers qui en a résulté et les crises politiques et surtout économiques que le pays a traversées jusqu’en début 2000 ont entraîné une modification des trajectoires migratoires des Burkinabè installés au Ghana, mais surtout une disqualification de la destination ghanéenne et une reconstruction de la figure du migrant au Ghana à qui est désormais associée une image d’échec. Les sobriquets qui expriment cette stigmatisation sociale, les tracasseries et suspicions dont ils se sentent victimes au Burkina Faso entretiennent chez les anciens immigrés et leurs descendants au Ghana un sentiment de déni de leur appartenance au Burkina Faso, entraînent un délitement de leurs liens au pays et renforcent leur attachement au Ghana. Toutefois, pour entretenir un certain particularisme ethnique sans une démarcation très affichée avec les populations d’origine ghanéenne, les anciens immigrés burkinabè et leurs descendants procèdent à une reconstruction identitaire par une assimilation partielle aux Haoussa, les emprunts culturels aux groupes ethniques locaux et l’engagement politique par lequel ils renforcent leur appartenance à la nation ghanéenne. Mots clés : Burkina Faso, Ghana, immigrés, trajectoire migratoire, double appartenance, déni d’appartenance, délitement des liens, réinvention de territoire d’appartenance, reconstruction identitaire.
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Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales (LERDYS), Département de Sociologie (UFR/SH), Université de Ouagadougou. E-mail : [email protected]
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Introduction Le Ghana a longtemps été une destination privilégiée des migrants de l’hinterland ouest africain avant que les crises politiques et économiques que le pays a traversées à partir de la fin des années 1960, conjuguées aux politiques migratoires très libérales et le développement économique en Côte d’Ivoire, ne détournent ces migrants de la destination ghanéenne. Malgré l’apparition de nouvelles destinations comme le Nigéria et Gabon au début des années 1970 (Amamassari, 2004) et les pays occidentaux dans les années 1990 suite aux crises socioéconomiques que traverse la plupart des pays africains subsahariens à cette période, la Côte d’Ivoire est restée la principale terre d’accueil des migrants burkinabè. Mais les immigrés burkinabè et leurs descendants au Ghana demeurent encore de nos jours une des plus importantes populations d’origine burkinabè à l’extérieur. En l’absence de statistiques globales, officielles et à jour, le nombre des ressortissants burkinabè au Ghana est estimé entre 3 et 4 millions1. Les conditions socioéconomiques, politiques (notamment coloniales) et psychologiques qui ont motivé les mouvements de départ des Voltaïques d’alors vers le Ghana ont été largement documentées dans les travaux de l’ORSTOM dans les années 1960 et 70 (Rémy, 1968 et 1973 ; Kohler 1972 ; Coulibaly, Gregory et Piché, 1974 ; Capron et Kohler, 1975 etc.) et dans ceux réalisés au Ghana dans la même période (Gaisie et de GraftJohnson 1976, Schildkrout 1978, etc.). Mais les formes d’organisation de ces populations d’origine burkinabè au Ghana, leurs rapports avec le pays d’accueil et le pays d’origine, bien qu’abordés dans certains travaux des années 1970 au Ghana (ceux de Schildkrout par exemple) demeurent peu connus comparativement à ceux de la diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire. Le présent article, basé sur les résultats d’une recherche menée en août 2009 dans le cadre du projet «Jeune Équipe Associée- Diaspo» de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et du Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales (LERDYS), propose une analyse des trajectoires migratoires de la population d’origine burkinabè
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Selon le Président du «TOCSIN», (une association burkinabè intervenant dans le domaine de l’intégration et des droits des migrants), il y a 3, 5 millions de Burkinabè en Côte d’Ivoire, 3 millions au Ghana, 1,5 million au Soudan (Cf. http://www.lefaso.net/spip.php?article33879). Le Secrétariat Général du Ministère des Affaires Etrangères du Burkina Faso et le Conseil Supérieur des Burkinabè de l’Etranger (CSBE), pour leur part, estiment à environ 4 millions le nombre de Burkinabè vivant au Ghana.
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installée au Ghana, ses rapports avec le Burkina Faso et les enjeux identitaires qu’implique la longue durée de l’installation ou le statut de «natif» au Ghana d’une frange importante de cette population. La population d’origine burkinabè au Ghana se structure en effet en deux grands groupes qui sont d’une part, les «anciens immigrés» (composés de Burkinabè installés au Ghana avant les expulsions des étrangers de ce pays en 1969) et leurs descendants et d’autre part, les «nouveaux immigrés» composés de ceux arrivés après les expulsions de 1969 et surtout à la suite de la crise sociopolitique qui a éclaté en Côte d’Ivoire en 2002. Notre analyse se focalise sur le groupe des «anciens immigrés» (aussi appelés les «vieux») et leurs descendants vivant à Accra, et s’articule autour de trois points qui sont : les trajectoires historiques de la migration burkinabè au Ghana, les formes d’identification de soi et les rapports avec «la terre du père ou du grand-père» ou le «father’s land» et enfin, les stratégies de reconstruction identitaire chez les descendants d’immigrés. 1. Trajectoires historiques de la migration Burkinabè au Ghana 1.1. Le Ghana, une destination précoloniale La migration burkinabè vers le Ghana semble antérieure à «l’époque des explorateurs» de l’Afrique de l’Ouest et est, à ses origines, liée au commerce caravanier qui s’est surtout développé au début du XIXe siècle entre les villes du nord (Tombouctou) et celles du Ghana au sud (Salaga, Kumasi). Des auteurs comme Binger, Koelle, Barth, etc., cités par AnneMarie Duperray (1985 : 182) signalent la présence de Moosé, commerçants caravaniers de kola, d’animaux ou d’esclaves dans les villes de Salaga et de Kumasi dans les premières années du XIXe siècle. Cette migration commerciale, donc saisonnière, s’accompagnait rarement d’installation qui n’intervenait que dans les cas d’échec : perte du capital au cours du voyage, manquement grave ou captivité. «Seuls ceux qui se faisaient voler leur argent ou leurs marchandises optaient de rester pour reconstituer leur capital ou pour fuir la honte au retour. Mais il y avait aussi ceux qui se faisaient prendre en esclavage et ceux qui fuyaient un bannissement. Ces derniers ne partaient d’ailleurs pas avec les caravaniers» (chef des Moosé de Sukura). A cette double fonction commerciale et initiatique (« pour prouver qu’on était maintenant un homme, il fallait ramener un chargement d’ânes de Salaga ou de Kumasi» disait le chef moaga de
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Sukura, Accra), s’est substituée, sans pour autant la remplacer à l’époque coloniale, «la migration de fuite» consécutive aux quatre politiques suivantes de l’administration coloniale française : la politique de recrutement de main-d’œuvre (en particulier le travail forcé sous toutes ses formes) ; les politiques fiscales, notamment l’impôt per capita imposé au Burkina Faso en 1895 et dont le montant s’est accru au fil des années ; les politiques de mise en valeur pour lesquelles les populations burkinabè étaient recrutées et convoyées vers le Mali et la Côte d’Ivoire, et enfin, les politiques agricoles (Gregory, Cordell et Piché, 1989). La mise en œuvre de ces politiques va d’abord provoquer de nombreux soulèvements avant d’engendrer progressivement la fuite comme stratégie majeure de résistance des populations voltaïques d’alors, changeant de ce fait le statut de «territoire entrepôt» et de «marché» des anciennes villes ghanéennes (dans les pratiques migratoires des Burkinabè) en «terre de refuge» pour ces derniers. Citant l’administrateur colonial Robert Delavignette, Gregory, Cordell et Piché (1989 : 7) notent que l’imposition de la culture du coton en 1924 puis de l’indigo et du kapok en 1927 a provoqué le départ d’environ 100.000 Burkinabè vers la Gold Coast. Le développement de la culture commerciale du cacao et des industries minières au Ghana, conjugué au caractère répulsif de l’administration coloniale au Burkina Faso ajoute une nouvelle dimension aux migrations burkinabè vers le Ghana : la migration de fuite se transforme progressivement en migration de travail. Gregory, Cordell et Piché (1989) notent qu’à partir de 1920, les migrations rurales qui représentaient 60% des migrations burkinabè vers le Ghana étaient effectuées dans 97% des cas dans le but de trouver un travail salarié dans les plantations, les chemins de fer, les mines d’or. Cette migration de travail, devenue au fil des années plus ’’libre’’, permet le développement de véritables réseaux migratoires, la présence de parents installés sur le terroir ghanéen de longue date déjà et organisés autour de chefs ethniques servant à alimenter les flux migratoires jusqu'à la fin des années 1960. Le nombre des ressortissants burkinabè au Ghana en 1960 était estimé à 100.000 hommes et 37.700 femmes selon Remy (1973 : 54) citant une enquête démographique effectuée dans l’ensemble du Ghana. Alors que selon Schildkrout (1978), pour la même période de 1960 rien que les Moosé étaient estimés à plus de 100.000. Il écrit en effet que «there are some 106.000 Mossi in Ghana, 28 per cent of whom were born in Ghana. Most
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are rural laborers who may never return to Upper Volta because they never accumulate enough wealth to become successful migrants». La fin des années 1960 marque toutefois un tournant décisif dans les migrations burkinabè vers le Ghana. Les crises politiques et économiques que traverse le Ghana (jusqu’au début des années 1980, voire fin des années 1990 pour la crise économique), la mise en œuvre de politiques migratoires très nationalistes et l’expulsion des étrangers en 1969 en application du décret dénommé « Aliens Compliance Order»2, conjugués au développement économique et à la stabilité politique en Côte d’Ivoire, détournent les migrants burkinabè de la destination ghanéenne au profit surtout de la Côte d’Ivoire à partir des années 1930. Mais la crise sociopolitique qui a éclaté en Côte d’Ivoire début 2000 a en effet, eu entre autres conséquences, l’émergence de nouveaux courants migratoires vers le Ghana. La partition de la Côte d’Ivoire en deux à partir de 2002, les difficultés d’accès au port d’Abidjan (par lequel s’effectuait la majorité des échanges maritimes du Burkina Faso) ont entraîné un repli des acteurs burkinabè du secteur portuaire vers les ports de Takoradi et de Tema au Ghana. De nombreux Burkinabè fuyant la guerre en Côte d’ivoire ont aussi transité par le Ghana où certains se sont installés. Dans la ville d’Accra, nous en avons en effet dénombré une demi-douzaine exerçant essentiellement dans la restauration, le commerce ou comme employés dans des unités agro-alimentaires. Parallèlement à cette «migration de repli», il se développe depuis la fin des années 1990, suite aux crises à répétition dans les universités du Burkina Faso, une migration d’étudiants burkinabè vers le Ghana. Le président actuel de l’Association des étudiants burkinabè au Ghana estime leur nombre à environ 2000 étudiants dont une forte proportion est installée à Accra. Ces migrations burkinabè vers le Ghana ont toutefois connu des trajectoires très diversifiées et liées aux conjonctures économiques et politiques au Ghana.
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Ce décret du nouveau gouvernement dirigé par le Dr Busia instaure la carte de séjour ou «residence permit». Entre octobre et décembre 1969, environ 250 000 immigrés nigérians, nigériens et voltaïques non-détenteurs de cette carte ont été expulsés du territoire ghanéen.
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1.2. Crises et réorientation des trajectoires migratoires des Burkinabè au Ghana Les crises politique et économique que le Ghana a connues à la fin des années 1960 ont fortement modifié les trajectoires des migrants burkinabè dans le pays. L’arrivée au pouvoir du gouvernement du Dr Busia, l’«Aliens Compliance Order» et l’expulsion des étrangers ont conduit à une redistribution spatiale des migrants burkinabè vivant sur le sol ghanéen. Il y a eu, outre le retour au pays d’origine, deux types de mouvement chez les migrants en général et ceux d’origine burkinabè en particulier. Le premier type est celui des départs vers la Côte d’Ivoire où le développement de l’économie de plantation et les politiques ultralibérales mises en place facilitent les entrées et le séjour. De nombreux migrants burkinabè traversent la frontière et s’installent dans les départements de Bondougou, de Tanda, d’Agnibilékrou, d’Abengourou et d’Aboisso ; accentuant ainsi ce mouvement amorcé au milieu des années 1960 à la suite de la baisse du prix du cacao sur le marché mondial, baisse plus fortement ressentie au Ghana qu’en Côte d’Ivoire. A cette réorientation des trajectoires vers la Côte d’Ivoire s’est ajoutée celle qui s’est opérée des zones minières et des zones de plantation vers les villes côtières, et du milieu rural vers les centres urbains. Les villes de Kumasi, de Sunyiani, de Takoradi et d’Accra où les populations d’origine burkinabè sont les plus concentrées de nos jours, sont aussi les principales villes des grandes régions de plantation et/ou des mines que sont respectivement l’Ashanti Region, le Brong Ahafo Region, le Western Region et le Greater Accra Region (Gastellu, 1982). Cette migration ruraleurbaine n’a pas été spécifique aux immigrés burkinabè. Gaisie et de GraftJohnson (1976) indiquent que les mouvements rural-urbains se sont intensifiés entre 1960 et 1974, entrainant une forte urbanisation au Ghana. Les stratégies d’insertion urbaine des Burkinabè et leurs descendants ont été, surtout après 1970, de deux types : la diversification des emplois urbains de bas revenus (manœuvres dans les chemins de fer, emploi dans les sociétés de gardiennage ou comme domestique, etc.) auxquels ils associent une petite agriculture urbaine ou l’élevage. Le deuxième type qui est une réaction au «résidence permit», est le changement de système patronymique en adoptant celui haoussa et la «construction d’une double nationalité» par l’acquisition de documents par lesquels ils sont identifiés comme Ghanéens.
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2. La longue durée d’une installation, les formes d’identification de soi et les rapports au father’s land Les anciens immigrés burkinabè et leurs descendants vivant à Accra se distinguent par la façon de s’identifier par rapport au Ghana et au Burkina Faso et la nature des liens qu’ils entretiennent avec ces deux pays. 2.1. Le double bind des anciens ou l’identité en sursis des «Ghanéens Burkinabè» Les anciens immigrés burkinabè au Ghana, dont la proportion est aujourd’hui estimée à environ deux sur cent Burkinabè dans le cas de la ville d’Accra, revendiquent une appartenance à la fois au Ghana et au Burkina Faso. Ils s’identifient comme «Ghanéens Burkinabè» en jouant sur plusieurs registres. D’abord sur le registre sociohistorique, notamment les liens ancestraux avec les peuples du nord du Ghana. Les sources historiques s’accordent en effet sur le fait que le peuplement du Burkina Faso s’est opéré en partie, à partir du Ghana. Les Moosé par exemple sont partis de Gambaga (nord Ghana) aux XIVème et XVème siècles (Izard, 1970 ; Madiéga, 1978 ; Kiethéga, 1994) pour peupler progressivement ce qui est de nos jours appelés le «plateau moaga» ou le «pays moaga». Cette souche ghanéenne des peuples Moosé du Burkina Faso et les liens de consanguinité qu’elle suppose avec les Mamprusi et Dagomba entre autres sont revisités par les immigrés d’origine moaga pour justifier leur appartenance au Ghana. La migration des Moosé au Ghana est dans cette logique, considérée comme un retour sur ‘leur’ terre ancestrale et ils bénéficient de ce fait de bienveillance due à leur statut particulier de «neveux» historiques comme l’attestent les propos de Alhadji Alhassane, installé au Ghana depuis les années 1950 et actuellement délégué consulaire : «Nous sommes des Burkinabè-Ghanéens et nous sommes chez nous au Ghana parce qu’historiquement, notre grand-mère, Yennenga, vient de Gambaga. Au Burkina, les Moosé sont allés conquérir du territoire en chassant de chez eux les Sanmogo, les Ninsi et les Kibsi. C’est ici chez nous. Nous sommes ici chez nos oncles maternels. C’est reconnu, même dans les livres d’histoire d’ici et au Burkina. (…) En 1970, quand Busia chassait les étrangers, le roi de Gambaga a dit que s’il chasse les Moosé, lui aussi
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partira parce que les Moosé sont ses neveux. C’est vrai, les Mampursi et les Dagomba sont nos ancêtres maternels». La possession de doubles documents d’identification comme les actes de naissance et d’identité burkinabè et ghanéen utilisés selon qu’ils sont au Ghana ou au Burkina et la possibilité qui leur est désormais offerte par le nouveau code électoral du Burkina Faso de voter pour l’élection du président du Faso, matérialisent cette double appartenance des anciens immigrés burkinabè qui participent déjà à toutes les consultations électorales au Ghana. Au registre sociohistorique s’ajoute une référence plus symbolique : le lieu du placenta ou «zanboko» chez les Moosé et «dosso» chez les Wangara3 qui symbolise, dans la cosmogonie moaga, wangara et des autres groupes ethniques touchés par l’enquête, un attachement imprescriptible de «l’enfant qu’il a enveloppé à la terre où il (le placenta) est enterré». Leur résidence au Ghana, alors que leur placenta est enterré au Burkina Faso, fait dire aux «vieux» que «We are here and there». Cette métaphore du placenta et le «chez nous multi situé» qu’il symbolise, les liens historiques de consanguinité et les revendications d’une «double nationalité de fait» qu’ils sous-tendent trouvent par ailleurs des explications dans les codes de nationalité des deux pays dont ils se réclament. Ils demeurent en effet, du point de vue de la loi de l’Etat burkinabè, citoyens burkinabè, par naissance (tout comme leurs descendants), alors que l’Etat de Ghana leur reconnaît aussi, de jure ou de fait, la citoyenneté ghanéenne à travers les actes suivants : le droit de vote et la ’’protection sociale’’ (pension et allocations familiales) qui ne sont accordés qu’aux personnes enregistrées ghanéennes. Pour les «vieux», outre la filiation ancestrale, ils ont, de fait, la nationalité ghanéenne pour deux raisons : Il y a d’abord l’antériorité de leur installation par rapport à l’indépendance du Ghana. Ils soutiennent en effet que «Nkrumah avait dit que ceux qui résidaient au Ghana avant l’indépendance sont des Ghanéens. Certains de nous sont ici il y a plus 70 ans. D’autres, ce sont leurs parents ou grands-parents qui sont arrivés ici il ya plus de 100 ans. Donc nous sommes Ghanéens» (Alhadji Tinga, immigré au Ghana depuis 1939).
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C’est ainsi que sont désignés les Dioula, Dafing et Sénoufo au Ghana.
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Il y a ensuite, la possession de la pension de retraite et d’une «protection sociale» (’’insurance’’) qui constituent selon eux, les dividendes de leurs investissements dans la construction de l’Etat du Ghana. La plupart de ces «vieux» ont en effet été employés dans l’armée (comme soldats des troupes britanniques pour certains), la sécurité, les chemins de fer ou dans l’administration. « Nous avons participé, avec notre sueur et notre sang, comme ouvriers ou combattants à l’indépendance du Ghana et nous continuons aujourd’hui encore. Va voir au musée militaire, des héros ont pour nom ’’ Moshe zagla’’, ’’ bushanga zagla4’’. Nkrumah avait des Burkinabè dans son entourage comme Sheikh Sinaré. Pour tout ce service au pays, nous sommes Ghanéens» (Chef des Moosé de Sukura et ancien combattant britannique). Un amendement de la constitution ghanéenne en 1996, notamment l’article 8, reconnaît d’ailleurs à tout citoyen du Ghana, la possibilité d’acquérir une autre nationalité en plus de celle du Ghana. Toutefois, la double appartenance dont se revendiquent les anciens immigrés burkinabè ne s’inscrit pas dans la logique de ce «Dual Citizenship Act 2000» qu’ils jugent «utopique», «xénophobe» et relevant d’un certain nationalisme électoraliste du National Patriotique Party (NPP) dérivé du Progress Party (PP) de Dr. Kofi Abrefa Busia à qui ils attribuent les expulsions de 1969. Les éléments constitutifs de la double appartenance et le point d’enracinement de leur appartenance diffèrent chez les descendants d’immigrés burkinabè au Ghana. 2.2. Les descendants d’immigrés : «Ghanéens purs5» d’origine burkinabè Les descendants des immigrés burkinabè au Ghana bénéficient d’une consanguinité plus récente qu’ils conjuguent avec certaines dispositions constitutionnelles pour affirmer et afficher, non pas une double appartenance comme les anciens immigrés, mais une sorte d’authenticité ghanéenne. C’est d’abord dans les termes utilisés pour les désigner que s’exprime cette forme d’«autochtonie». Au Ghana, les enfants d’immigrés ou «enfants du Zongo»6 sont des Dankassa (natifs ou «enfants de la terre» en haoussa), quels que soient leur 4
Zagla est l’équivalent de «un tel» donc «Moshe zagla» = «Mossi X»; jusqu’à une époque récente, les immigrés étaient identifiés dans les documents administratifs par leur ethnie. 5 Expression empruntée aux enquêtés.
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groupe ethnique d’appartenance et le pays d’origine de leurs parents. Par ce qualificatif très couramment utilisé, les enfants issus de l’immigration sont clairement distingués des «Bawko» ou «Haoufo» qui désignent en haoussa (mais pas de façon courante) les étrangers ou immigrés. A la différence donc de ce qui est couramment vécu en situation de migration (désignation des enfants issus de l’immigration par la nationalité du pays d’origine de leurs pères, leur indexation comme des étrangers, etc.), la notion de Dankassa marque, dans une certaine mesure, une rupture dans la ligne de démarcation imprescriptible des «étrangers» par rapport aux nationaux7. Dans le cas du Ghana, les «enfants du zongo» sont des «enfants du terroir» reconnus Ghanéens par la Constitution de 1992 qui stipule à son article 6, alinéa 2 que : «Sous réserve des prévisions de la présente constitution, toute personne née au Ghana ou à l'extérieur après l'entrée en vigueur de la présente Constitution, est un citoyen du Ghana à la date de sa naissance si l'un de ses parents ou grands-parents a été ou est un citoyen du Ghana»8 (traduction de l’auteur). Cette disposition juridique s’applique aux Dankassa d’origine burkinabè dont beaucoup sont nés de mère ghanéenne. Ils mettent cette disposition de la Constitution en rapport avec le système traditionnel matrilinéaire de parenté très en vigueur surtout dans la partie sud du pays pour ’’authentifier’’ leur appartenance au Ghana en clamant que le «Ghana est un Motherland»9 et donc, qu’ils sont «Ghanéens purs» comme 6
Traditionnellement, «zongo» désigne dans la langue haoussa (qui est la langue dominante chez les populations d’origine étrangère du Ghana) «le quartier des étrangers», des immigrés. Nous désignons donc par «enfants du Zongo», tous ceux qui sont nés au Ghana de parents ou de grands-parents immigrés. Ils sont toutefois à distinguer des «gens du zongo», terme qui désigne de nos jours et d’une façon générale, les habitants des zongo, y compris les Ghanéens d’origine qui vivent dans ces quartiers. 7 On peut tenter une comparaison avec le cas des USA où les enfants d’immigrés, nés sur le sol des USA, sont de facto américains de droit et de devoir et sont électifs à des hautes fonctions ; une reconnaissance et une «authentification» sociale, politique et idéologique des descendants d’immigrés aux USA dont le Président Obama est aujourd’hui le symbole. 8 Cet alinéa est libellé dans la Constitution comme suit: «Subject to the previsions of this constitution, a person born in or outside Ghana after the coming into force of this Constitution, shall become a citizen of Ghana at the date of his birth if either of his parents or grandparents was or is a citizen of Ghana». 9 Au Ghana, le matriarcat et le patriarcat constituent les principaux systèmes de parenté et de lignage et coïncident quasiment avec la division géopolitique entre le Nord (patriarcat) et le Sud (matriarcat) du Ghana (OSHD, 2008 : 3). Mais les migrants burkinabè s’étant plus établis dans la partie sud, notamment dans les Régions Ashanti et celles des côtes où les villes de Kumasi, de Sunyani, de Takoradi et d’Accra sont citées comme des villes de forte concentration de population d’origine burkinabè, le matriarcat constitue le système de parenté de référence des Dankassa qui sont pour la plupart nés de mère d’origine ghanéenne. Le
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l’attestent les propos suivants de deux responsables de «l’Association de la Communauté burkinabè au Ghana»: «Je suis Ghanéen et je clame que je suis Ghanéen parce que ma mère est Ghanéenne. C’est une Sissala. Les Wangara ne se réclament pas de leur mère, mais mon père est venu ici au Ghana avant l’indépendance vers 1919. Nous sommes nés ici et nous avons grandi ici au Ghana qui est un Motherland. Je suis fier du Burkina qui est le pays de mon père, mais moi, je suis Ghanéen.» (Alhadji S.). «Et dans notre loi, celui qui est né au Ghana est automatiquement Ghanéen. Donc nous sommes tous des Ghanéens, purs !» (Alhadji A. S.). 2.3. Catégorisation sociale et sentiment de déni d’appartenance au pays d’origine D’une façon générale, les anciens immigrés burkinabè au Ghana et leurs descendants revendiquent une double appartenance avec cependant un attachement plus important au Ghana. Cet attachement se saisit chez les Dankassa dans la fierté qu’ils affichent quand ils parlent du Ghana, et dans le recours aux adjectifs possessifs inclusifs « notre», «nos». Ils disent en effet : «our law», «our country», «our people», etc. pour désigner la constitution, le Ghana et le peuple ghanéen. Le Burkina Faso est désigné d’une façon plus distendue par «you» ou «your people» quand il s’agit de la population, quoique l’expression «our father’s land» traduise une attache au Burkina Faso par le père ou le grand père. Cette «mise à distance de soi» par rapport au pays d’origine du père ou du grand père s’explique en partie par le décalage entre prescription du code de nationalité du Burkina Faso et sa mise en pratique qui dissocie, dans une certaine mesure, «nationalité» et «citoyenneté» à l’égard des Burkinabè de l’étranger. L’article 140 du Code des personnes et de la famille du Burkina Faso stipule en effet que «est burkinabè, l’enfant né d’un père ou d’une mère burkinabè. Cependant, si un seul des parents est burkinabè, l’enfant qui n’est pas né au Burkina Faso a la faculté de répudier la qualité de burkinabè dans les six mois précédant sa majorité». Cette prescription qualificatif de motherland attribué au Ghana par ces Dankassa est donc une généralisation qui s’explique par le fait que le groupe sociolinguistique Kwa, dans lequel le matriarcat est le système de parenté et d’héritage prédominant, représente environ 75% de la population et comprend les Akan, les Ga-Adangbe et les Éwé, ethnies hôtes des parents immigrés des Dankassa.
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coexiste avec une non-reconnaissance de droits politiques aux Burkinabè de l’extérieur, notamment le droit de vote qui leur a été reconnu récemment en mai 200910, mais se limite aux votes référendaires et présidentiels. De ce fait, ces ’Burkinabè’ ont longtemps été des «non-citoyens burkinabè» ; une marginalisation que les tracasseries policières et les suspicions exacerbent chez les Dankassa. Le sentiment d’appartenance à la société ghanéenne s’explique aussi par le sentiment de rejet, de non-reconnaissance ou de méfiance que suscitent certains sobriquets utilisés au Burkina Faso pour désigner les descendants d’immigrés burkinabè au Ghana et ces migrants eux-mêmes quand ils y reviennent. Au Burkina Faso, et spécifiquement chez les Moosé, toute personne d’origine moaga née à l’extérieur de la société moaga est désignée par le sobriquet «tabouga» (taboussé au pluriel dans la langue moaga). Tabouga a le sens de «enfant de la brousse», «enfant inculte» au sens de «qui n’a pas été éduqué dans les valeurs du terroir» et donc culturellement impur. A la différence de la notion de Dankassa qui est socialement plus qualifiante, valorisante et valorisée (les enfants nés au Ghana de parents burkinabè sont fiers de se dire Dankassa), celle de Tabouga est péjorative et jugée offensante par les Dankassa quand ils reviennent au Burkina Faso. Tout comme le qualificatif de «ghanéen» ou «master» aussi utilisé pour désigner ceux qui rentrent du Ghana au Burkina Faso, le sobriquet Tabouga est vécu par les Dankassa d’origine moaga comme un déni de leur appartenance à la société moaga et par extension au Burkina Faso comme l’attestent les propos d’un responsable de ’’l’Association de la communauté burkinabè au Ghana’’: «Quand nous allons au Burkina, nous y sommes traités de Ghanéen, de Taboussé. On nous traite d’escrocs. On ne nous considère pas comme des Moosé ou Burkinabè du tout. Si chez ton père d’où tu te réclames on ne te reconnaît pas, on te traite de Ghanéen, de tabouga, d’étranger et d’escroc, alors qu’au Ghana tu n’es victime d’aucune discrimination, personne ne te traite d’étranger, alors, quel est ton pays ? Es-tu Ghanéen ou Burkinabè ? Je pense que tu es du pays qui te reconnaît, qui te traite comme on doit traiter un fils. Donc, nous sommes Ghanéens. Et dans notre loi, toute personne née au Ghana est automatiquement ghanéenne. Donc nous sommes tous des Ghanéens, purs».
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Mais son application a été reportée en 2015
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Le caractère offensant du sobriquet «ghanéen» ou «master» tient à son association à certains clichés et préjugés nés de l’esprit dit «trop mercantile» (sens poussé des affaires ?) couramment attribué aux ressortissants de Ghana. Ils sont indexés comme des ’’escrocs’’. Mais c’est surtout chez les filles que le qualificatif est le plus stigmatisant. Dans l’entendement populaire au Burkina Faso, le qualificatif «ghanéenne» est synonyme de «prostituée». L’origine de la prostitution dans sa forme moderne et urbaine est de façon générale attribuée aux Ghanéennes qui tenaient des maisons closes ou exerçaient comme serveuses dans les bars et boîtes de nuit des centres urbains du pays. Cette présence presqu’exclusive au départ dans les espaces socialement blâmés a eu pour conséquence, une assimilation de la Ghanéenne à la «fille de joie» dans le langage courant. Les expressions courantes, comme «c’est une ghanéenne», «il a une ghaniche», «aller chez Adjoua»11, etc., illustrent cette stigmatisation sociale que véhicule le qualificatif «ghanéenne». D’une façon générale donc, le sobriquet «ghanéen» ou «ghanéenne» est synonyme de «dégénérescence sociale» ou vécu comme telle par les migrants burkinabè au Ghana et leurs enfants. En effet, les Moosé associent ce qualificatif au terme ’’ni-yaal ga’’ (singulier de ’’ni-yaal sé’’ en langue moaga). Quoiqu’atténuée de nos jours, cette étiquette continue de susciter de la méfiance à l’égard des immigrés burkinabè au Ghana et leurs descendants quand ils viennent au Burkina, ou dans leurs rapports avec les étudiants, commerçants et fonctionnaires burkinabè qui arrivent sur le territoire ghanéen. Le caractère railleur et déshonorant de ce qualificatif de ’’ghanéen’’ est cependant à relativiser parce que récent et différemment vécu d’une ethnie à l’autre. Il résulte de l’instabilité politique et des difficultés économiques que le Ghana a connues entre la fin des années 1960 et le début des années 2000. La dépréciation du cedi (dévalué de 44% en 1971) par rapport au franc CFA, le développement et l’attrait de l’économie de plantation en Côte d’Ivoire ont d’une part, réorienté les flux migratoires de l’hinterland ouest-africain vers ce pays et entraîné d’autre part, une dévalorisation du migrant au Ghana qui ne peut plus se servir d’une stratégie devenue propre aux migrants de retour dans la conquête de notabilité : les dépenses ostentatoires de prestige dont la finalité était selon Capron et Kohler (1975) 11
Prénom courant chez les Ghanéens utilisé comme sobriquet pour désigner les prostituées au Burkina Faso.
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« l’accès à la considération et à travers elle, au pouvoir». En pays moaga, pour dire que quelque chose a perdu de sa valeur, on disait qu’il «est tombé comme Ghana», ou pour protester contre une action jugée ‘dépréciative’ on dit, jusqu’à nos jours en milieu moaga, «ya ghana là !». Ce qui peut être littéralement traduit par «c’est au Ghana, non !» ou par «ça va pas, non ?». Dans cette logique, la migration au Ghana a été disqualifiée des destinations dites valorisantes, et au migrant au Ghana est associée une «image d’échec», comme l’attestent les propos suivants d’un Burkinabè installé au Ghana depuis 70 ans environ : « Un jour à la gare routière de Ouagadougou, alors que je venais d’arriver du Ghana, j’ai entendu un jeune dire à un autre qu’un pawéogo de Côte d’Ivoire (migrant mort en CI) est mieux qu’un Ghana kaosweogo (migrant au Ghana)». Le qualificatif «ghanéen» est par contre moins vécu comme une insulte chez les Kassena12 du fait de la proximité à la fois sociale et spatiale ; les Kassena se trouvant de part et d’autre de la frontière Burkina-Ghana. « Après les expulsions des étrangers par Busia, quand on rentrait au village à Tiébélé, on nous appelait ’’les gens de Busia’’ ou les ’’Ghanéens’’. Jusqu’à présent, pour nous taquiner, on nous appelle «Ghanéens» quand nous rentrons. Mais cela ne nous dérange pas parce qu’il y a des Kassena dans le Nahouri (Burkina Faso) comme au Ghana». Mais d’une façon générale, les rapports des anciens immigrés burkinabè et leurs descendants avec le Burkina Faso sont influencés par les sobriquets. 2.4. «Ghanéens Burkinabè» et «Dankassa»: les rapports des anciens immigrés et leurs descendants avec le «father’s land» D’une façon générale, les contacts avec le pays d’origine (ou celui du père) sont peu fréquents. La moyenne des contacts physiques avec le Burkina Faso chez les personnes rencontrées est de moins d’une fois ces dix dernières années. Ce faible contact physique se conjugue avec une absence ou un faible investissement au pays d’origine. Très peu d’anciens immigrés burkinabè au Ghana ou leurs enfants possèdent des investissements (cours, commerce, bétail) au Burkina Faso. Les raisons les plus couramment évoquées peuvent être regroupées en trois types. Il y a d’abord les tracasseries douanières : le faible revenu dont dispose la
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Selon leur chef, ils sont les plus nombreux à Accra par rapport aux Lyéllé et Nuni
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majorité, le faible coût des matériaux de construction au Ghana par rapport au Burkina Faso où le cedi s’échangeait à un taux très bas jus qu’en 2007, contraignent ceux de la diaspora qui désirent construire au Burkina Faso, à une acquisition progressive des matériaux au Ghana. Mais les tracasseries douanières découragent le convoyage de ces matériaux. A ces tracasseries s’ajoute la faible ou non connaissance du marché burkinabè qui empêche d’établir des échanges commerciaux avec le Burkina Faso à partir du marché ghanéen qu’ils connaissent mieux, ou de réaliser des investissements productifs au Burkina Faso. Le troisième type d’explication, lié surtout au statut de «kaoswéogo» (pour le cas des migrants) ou de «tabouga» (pour le cas des Dankassa) est l’inscription de leurs investissements dans deux registres par les parents ou partenaires au Burkina Faso. Le premier registre est celui des dépenses ostentatoires prestigieuses auxquelles ils doivent se soumettre pour acquérir une reconnaissance sociale et une notabilité dans le village d’origine et/ou auprès des parents. Le second registre est celui de l’expropriation que ces kaoswéto (pluriel de kaoswéogo) et taboussé (pluriel de tabouga) qualifient «d’escroquerie». Dans le cas de la ville d’Accra, les anciens immigrés et leurs descendants préfèrent, de ce fait, investir au Ghana, notamment dans le secteur du transport urbain ou «trotro», dans le «business» ou commerce de divers et dans l’immobilier pour les cadres de l’administration et ceux qui ont prospéré dans les affaires au Ghana ou à la suite d’une migration en Occident. Dans tous les cas, les relations au pays d’origine du père ou du grandpère sont quasi existantes chez les descendants d’immigrés burkinabè ou Dankassa. La situation présente des similitudes avec celle décrite par Zongo (2003 : 5) dans le cas de la diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire : «Les enfants nés dans les zones d’accueil reviennent très peu dans les villages d’origine des parents. C’est parfois seulement après le décès de ceux-là et à l’occasion des funérailles qui s’en suivent qu’ils découvrent ’’leur’’ pays. Contrairement à leurs parents, ils n’entretiennent pas de rapports physiques avec le village d’origine de ces derniers. Très peu d’entre eux connaissent réellement le pays ; par conséquent, la disparition des parents, si elle n’entraîne pas une rupture définitive avec le village d’origine, influence radicalement les relations avec le pays d’origine. Les visites sont de plus en plus espacées». Comme dans le cas de la Côte
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d’Ivoire, une frange importante des Burkinabè nés au Ghana ne dispose d’aucun repère au Burkina Faso. Ce délitement des liens au «father’s land» se traduit par ailleurs dans les rapports que la diaspora et ses descendants entretiennent avec l’Ambassade. Les cérémonies commémoratives, notamment la fête de l’Indépendance qui constitue une occasion de manifestation de l’attachement au pays d’origine, connaît une participation de plus en plus faible de la diaspora et de ses descendants. Seuls les «vieux» des quartiers Nima, Maamobi et Alajo, dit-on, constituent le «cercle actif» lors des manifestations à l’Ambassade (cérémonie de bienvenue ou d’au-revoir aux diplomates, visite de personnalités ou de délégation du Burkina Faso, etc.). Ce faible rapport se traduit par ailleurs par le faible enregistrement à l’Ambassade. De 2000 à 2009, seulement 1200 personnes ont été enregistrées comme Burkinabè vivant au Ghana13 et seulement 30 naissances de 2006 à août 2009, selon le consul général de l’Ambassade. Les estimations du Secrétariat Général du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale sont cependant d’environ 3 millions de Burkinabè vivant au Ghana. Les raisons avancées par l’autorité consulaire par expliquer ce faible enregistrement sont de quatre ordres. Il y a d’abord la faible utilisation des documents administratifs qui ne susciterait qu’un faible intérêt pour l’enregistrement et la carte consulaire. «Seuls ceux qui veulent effectuer un voyage au Burkina en font. Sinon, ici, tu peux avoir 40 ans sans qu’un agent de l’administration t’ait demandé une seule fois un papier d’identité. L’essentiel c’est de parler une langue nationale et ne pas commettre d’infraction». A cette raison s’ajoute celle liée à leur identification comme Ghanéens et la peur de perdre les avantages qui y sont liés, notamment la protection sociale qui permet de bénéficier des prestations des services publics au coût fixé par la loi pour les Ghanéens, le droit de vote, etc. La troisième raison est liée aux conditions de vie modestes14 de la grande majorité des anciens immigrés burkinabè et de leurs descendants, comparativement aux populations d’origine malienne qui comptent en leur sein des grands opérateurs économiques, notamment dans les hydrocarbures, la spéculation monétaire et la rente immobilière. La faible
13 Ce chiffre pourrait tomber plus bas si l’on fait abstraction des cas de décès et de renouvellement de la carte consulaire dont la validité est de 2 ans. 14 Les quartiers Nima-Mamobi où sont concentrés les anciens immigrés burkinabè et leurs descendants sont qualifiés de «low-income-old migrant résidential area» par une équipe de géographes de l’Université de Ghana citée par Verlet (1996 : 316).
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prise en compte de la scolarisation dans les stratégies d’insertion par les immigrés burkinabè, les emplois de faible qualification et de faibles revenus qu’ils ont pour la plupart occupés ou occupent encore de nos jours, les rendent vulnérables et dépendants du système d’assistance sociale en place. Ils sont décrits d’une façon générale comme «des assistés» par certains employés de l’Ambassade, bien qu’une petite «frange plus aisée prospère [aussi de nos jours] grâce au négoce, à l’artisanat, à la spéculation monétaire, à la maîtrise du marché foncier et immobilier» (Verlet, 1996 : 316)15 ou occupe des postes administratifs ou politiques importants. La quatrième raison est liée chez certains à une sorte de «psychose des expulsions» de 1969 et de la situation récente en Côte d’Ivoire ; l’application de certaines des mesures de 1969 dont la détention du «permis de résidence» ayant été réactivée sous le Président John Kuffor. Les excès dans l’interprétation des restrictions contenues dans le «Dual Citizenship Act 2000» (article sur la double nationalité) influencent aussi la diaspora burkinabè et ses descendants dans leurs rapports avec le father’s land. De ce fait, les populations d’origine burkinabè vivant au Ghana, notamment les anciens immigrés et leurs descendants, revendiquent une double appartenance mais affichent peu leur identité burkinabè. Seuls les chefs coutumiers, les «vieux» retraités (qui ne risquent plus de tomber sous le coup des prescriptions16 du Dual Citizenship Act 2000 et quelques grands acteurs économiques affichent leur identité burkinabè.
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Cette frange est estimée par l’auteur à moins de 10% pour l’ensemble des habitants d’un quartier d’anciens immigrés comme Nima. 16 Selon l’alinéa 2 de l’article 8 de la Constitution «Without prejudice to article 94 (2) of the Constitution, no citizen of Ghana shall qualify to be appointed as a holder of any office specified in this clause if he holds the citizenship of any other country in addition to his citizenship of Ghana. (a) Ambassador or High Commissioner. (b) Secretary to the cabinet. (c) Chief of Defense Staff or any Service Chief. (d) Inspector-General of Police. (e) Commissioner, customs, Exercise and Preventive Service. (f) Director of Immigration Service. (g) Any office specified by an Act of Parliament.
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2.5. Autres raisons du délitement des liens Les liens faibles avec le pays d’origine s’expliquent aussi chez certains anciens (ceux qui ont fui les exigences de l’administration coloniale) par les ressentiments nés de cette période. Le souvenir des travaux forcés (que les vieux appellent encore ’’Bamako’’ parce que les nouvelles recrues étaient convoyées à Bamako, la capitale du Soudan français d’alors auquel était rattachée une partie de la colonie de Haute Volta après son démantèlement en 1932), des exactions que commettaient les gardes traditionnels ou Nayiir-koamba (en moré) chargés de la collecte de l’impôt, sont cités par ces «vieux» comme des motifs du non-retour, comme l’attestent les propos de Alhadji Tinga, un octogénaire installé au Ghana depuis 1939 : «La plupart des anciens comme nous ne sont pas venus du Burkina de bon gré. Ils ont fui les travaux forcés qu’il y avait sans autre salaire que le fouet. Comment veux-tu qu’ils y retournent ? Fuir et y retourner ? Pourquoi ? Au Burkina on construisait des routes avec des pioches et des brouettes, taillait des rochers sans salaire. Ici au Ghana, on balaie des cours et on est payé. ( ...) Je me rappelle encore du ’’Bamako’’. On alignait les Sonrba et Zaossé (Moosé de l’est du Burkina) comme des animaux pour aller à pied jusqu’en Côte d’Ivoire. (…). Pour les impôts, les Nayiir koamba [gardes de la cour royale] qui venaient pour les prélèvements attachaient ceux qui n’avaient pas d’argent, les battaient en les faisant chanter : ’’m’ba wakiré, wa ti yell na pagui’’ (cher centime, viens me délivrer !). Et tu veux que ceux qui ont fui cet enfer-là y retournent ? Quand nous qui rentrons souvent, nous disons à certains que le Burkina a changé, que ce n’est plus comme à cette époque, ils nous répondent d’aller flatter les Ashantis, mais pas eux ; que si c’est bon, pourquoi nous n’y restons pas ?». Le ressentiment né de cette période et des exactions qui l’ont caractérisée a engendré deux attitudes chez les anciens migrants burkinabè au Ghana : une «attitude de table rase» sur leur passé qui a consisté (ou consiste) chez ceux qui l’ont adoptée, à taire ou cacher à leur progéniture leurs origines sociales ou leur provenance géographique au Burkina Faso et une attitude d’effroi qui a consisté à transmettre à la descendance une image négative et effroyable du Burkina Faso, inhibant du coup chez les enfants tout attachement et envie de retour au father’s land. Ils sont de ce fait nombreux, les Dankassa d’origine burkinabè qui disent «Burkina Faso
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is my father’s land. But I know nothing about it. I’m Ghanaian». Ils ne parlent pas la langue de leur père, ignorent son patronyme d’origine et sa zone de provenance au Burkina Faso. Le père étant souvent la seule attache avec le Burkina Faso, sa mort scelle la rupture avec ce pays d’origine. En outre, la comparaison de certains éléments considérés de nos jours comme indicateurs de développement et/ou de démocratie renforcent chez les Dankassa et les anciens immigrés l’image d’une continuité entre le système de gouvernance politique actuel et le système traditionnel (et le despotisme qui le caractérisait). L’absence d’alternance à la tête du pays et les crises sociopolitiques que le Burkina Faso a connues en début 2000 à la suite de la mort du journaliste Nobert Zongo, sont présentées comme les preuves d’une politique dite du «mi fig mi grape», c’est-à-dire «mi-figue mi-raisin» ou politique du «half» : les dirigeants se servent à la fois de règles coutumières et de la loi moderne dans la gouvernance du pays. «Ce qui se passe au Burkina fait penser que c’est toujours dur. La mort du journaliste Norbert Zongo, qu’est ce que vous avez pu faire ? Une seule personne vous fait toujours la force. Cela veut dire que la politique n’est toujours pas correcte. La loi n’a toujours pas de force. Ici au Ghana c’est l’opposition qui a remporté les élections. Est-ce qu’au Burkina cela est possible ? C’est comme au Togo où l’opposition n’a jamais pu faire partir Eyadema et quand il est mort, c’est son fils qui l’a remplacé, comme dans la chefferie traditionnelle. Ici, cela ne se fait pas. Chez vous, c’est encore une politique du ’’half’’ : vous ne travaillez pas avec toute la loi, vous ajoutez de la force». Au delà de la gouvernance politique au Burkina Faso, c’est tout le système francophone de gouvernement (comme en témoigne la référence au Togo) et les politiques économiques et sociales qui en découlent qui sont incriminés. Au plan économique et social, les tracasseries dont certains des immigrés au Ghana ou leurs descendants ont été victimes à la frontière ou sur le territoire burkinabè, les images de catastrophes naturelles (sècheresses, famines) souvent rapportées du Burkina Faso par les médias ou les voyageurs, etc. constituent autant d’autres éléments caractéristiques de pourrissement et de déliquescence de la société burkinabè et «n’encouragent pas au retour, ni à l’investissement». Dans l’imaginaire d’une large majorité des personnes interrogées, «au Burkina il y a encore des gens qui peuvent faire une année sans manger de
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la viande ou du poisson. Ils ne mangent que du to de sorgho rouge et de sauce potassée de gombo. Comment peut-on manger du to rouge pour vivre ? Il y a des gens qui, toute leur vie n’ont jamais dormi sous la lumière. Les gens souffrent. Les femmes et les vieux ne bénéficient d’aucun système de prise en charge. C’est la misère.» (Propos d’un membre de «l’Association de la communauté burkinabè au Ghana» et par ailleurs fermier et cadre de la fonction publique du Ghana). C’est dans les politiques de prise en charge sociale mises en œuvre par l’Etat ghanéen et dont bénéficie une large partie de la diaspora étrangère au Ghana que s’enracine cette indignation des immigrés et Dankassa d’origine burkinabè. Toute personne à la retraite bénéficie en effet, en plus de sa pension, d’une assurance santé élargie à tous les membres de sa famille s’ils sont enregistrés comme Ghanéens, contre paiement annuel d’une contribution symbolique. C’est cette politique sociale qui permet par ailleurs de pratiquer ce qui est couramment appelé le «prix étranger» qui consiste à multiplier par trois le coût des prestations sanitaires offertes aux non-Ghanéens. Le dernier élément ’’répulsif’’ et explicatif du faible retour des descendants de migrants burkinabè s’analyse dans les différences entre le système éducatif ghanéen et celui au Burkina Faso, qui ne permettent pas aux Dankassa d’origine burkinabè de valoriser leur «capital scolaire» au Burkina Faso. Les problèmes d’équivalence des diplômes, les suspicions qui entourent l’authenticité et la qualité des diplômes obtenus au Ghana limitent l’insertion des détenteurs de ces diplômes dans le marché de l’emploi au Burkina Faso. Les crises sociales et les mouvements de grève dans les universités burkinabè sont aussi cités comme des preuves d’un système éducatif défaillant et non enviable. D’une façon générale donc, quelle que soit leur configuration sociale d’appartenance, les anciens immigrés et les Dankassa d’origine burkinabè concilient «réalisme existentiel» (en affichant leur appartenance au Ghana pour bénéficier des avantages liés) et symbolisme, surtout les «anciens» qui s’approprient la sagesse selon laquelle « on ne jette pas de pierre sur sa patrie». Mais dans tous les cas, leurs rapports au father’s land et au pays de résidence participent d’une reconstruction identitaire.
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3. La reconstruction identitaire des descendants d’anciens immigrés burkinabè au Ghana Outre la remobilisation des liens de parenté historiques ou actuels et les revendications de double nationalité qu’elle sous-tend, les anciens immigrés et leurs descendants opèrent une reconstruction identitaire à travers les éléments suivants : l’assimilation partielle aux Haoussa, la reconstruction des symboles du pouvoir et l’engagement politique. 3.1. L’assimilation partielle aux Haoussa L’assimilation partielle aux Haoussa est le premier élément de la stratégie de reconstruction identitaire engagée, non pas spécifiquement par les Dankassa mais par la diaspora burkinabè en général. Cette assimilation se traduit essentiellement par l’adoption de la langue haoussa qui est devenue presque la langue maternelle des immigrés burkinabè au Ghana et leurs descendants. Le haoussa a en effet remplacé, dans les familles, les langues de l’ethnie d’origine. Il existe des familles entières d’origine burkinabè au Ghana dans lesquelles pas un seul membre ne parle la langue de l’ethnie d’origine du chef de famille. L’importance du haoussa est telle que même dans les réunions des associations ethniques, il est utilisé comme langue de communication en lieu et place de la langue de l’ethnie que la majorité ne parle pas. Le «paramount chief» («chef suprême») des Moosé de Accra, intronisé depuis 15ans nous confie que c’est après son intronisation comme chef qu’il a connu le Burkina et son village natal. C’est depuis lors qu’il apprend le mooré qu’il parle encore approximativement. Cette importance de la langue haoussa s’explique essentiellement par deux choses. Son enseignement comme langue nationale au choix dans l’enseignement du premier degré et son caractère dit «commercial». Les Haoussa, que certains de nos informateurs disent être arrivés au Ghana après les Moosé et les Bissa, se sont essentiellement investis dans le commerce, rendant progressivement fondamentale leur langue dans les échanges sociaux. Elle est devenue presqu’une condition sine qua non à l’intégration dans la société ghanéenne aujourd’hui. «Si tu ne comprends pas le haoussa tu vis difficilement au Ghana» dit Alhadji Alhassane. Les Bissa et les Kassena font toutefois une exception, à une petite échelle, à cette forte adoption de la langue haoussa. Plus de Bissa et de
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Kassena parleraient leur langue maternelle que les Moosé et les Wangara ; une exception que l’on attribue à la position géographique des pays bissa et Kassena situés de part et d’autre de la frontière Ghana-Burkina. Outre la langue, il y a l’adoption du système patronymique haoussa au détriment de celui traditionnel dans toutes les familles d’origine burkinabè, sauf chez les Kassena, où l’exception est encore expliquée par la position géographique. Le nom de famille traditionnel est désormais remplacé par le prénom du père auquel s’ajoute le prénom de l’enfant17. A titre d’exemple, l’enfant qui se prénomme «Salifu» et son père «Aruna» dans la famille «Ouédraogo» (nom de famille) portera dans ce système patronymique, le nom «Salifu Aruna», alors que dans le système moaga, il porterait le nom complet «Salifu Ouédraogo». Le changement de système patronymique ne s’est toutefois pas accompagné du changement de système de filiation, qui reste patrilinéaire dans tous les groupes ethniques burkinabè présents au Ghana. Les immigrés burkinabè au Ghana et leurs descendants évitent une démarcation très nette avec la société ghanéenne en adoptant le système patronymique haoussa pour garder leur système de filiation traditionnel tout en s’appuyant, d’une façon générale, sur le matriarcat et des liens de consanguinité qui les lient aux Ghanéens pour revendiquer le rôle et statut de neveux et les avantages qui y sont liés. Ce glissement patronymique facilite la mise en œuvre de leur stratégie d’intégration par l’engagement politique qui participe aussi à la reconstruction identitaire. 3.2. L’activisme politique ou le «nationalhood» des Ghanéens d’origine burkinabè Des descendants d’immigrés burkinabè occupent aujourd’hui des postes politiques importants à tous les échelons de l’administration ghanéenne. Des ministres en fonction ou à la retraite, des députés et hauts fonctionnaires du système judiciaire, de l’armée et de la sécurité sont en effet cités comme étant de parents d’origine burkinabè. L’engagement et l’ascension politiques des Dankassa d’origine burkinabè sont facilités d’une part, par leur filiation (certains ont pour parrains politiques des oncles maternels) et par le système patronymique haoussa qu’ils ont 17
Ce système patronymique existe dans certaines ethnies du Sahel burkinabè.
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adopté, et d’autre part, par leur connaissance de la scène politique. Certains des acteurs politiques actuels ont en effet partagé leur cursus avec les Dankassa d’origine burkinabè. La présence d’acteurs d’origine burkinabè dans la sphère dirigeante de l’Etat ghanéen n’est d’ailleurs pas nouvelle. Elle trouve ses racines dans la participation des immigrés burkinabè à la Deuxième Guerre mondiale dans les rangs des troupes britanniques, le rôle de ces anciens combattants dans l’émancipation politique du pays et enfin dans le panafricanisme de Kwamé Nkrumah et le rôle clef que des immigrés d’origine burkinabè ont joué dans leur entourage. La famille du Sheikh Saleh Said Sinaré dont un des fils occupe aujourd’hui le poste de «vice chairman» du National Democratic Congress (NDC), parti au pouvoir, est citée en exemple de ce rôle fondamental joué par des immigrés burkinabè dans le système politique de feu Nkrumah. En effet, on attribue au Sheikh Sinaré, qui fut «Majore» et le premier grand imam de l’armée du Ghana, un rôle clef dans le mariage du Président Nkrumah avec son épouse Fathia, mais aussi celui de «conseiller» et de «marabout du Président». Cette représentation des Dankassa d’origine burkinabè au sommet de l’Etat et à l’Assemblée nationale constitue pour ces derniers un motif de fierté et une preuve supplémentaire qu’ils sont Ghanéens. Ils rapprochent leur situation de celle des Noirs américains et voient en la personne du Président Barak Obama, le symbole vivant d’une réussite des enfants issus de la migration sur les terres d’accueil. «Mon fils que tu vois peut être président du Ghana. Mais ’’tabouga’’ au Burkina Faso, il est sûr de ne jamais l’être» dit un membre de l’association Kadiogo Youth and development Association. 3.3. L’invention d’un territoire d’attache au Nord La réactivation de liens de parenté historiques ou le recours à ceux plus récents s’accompagne chez certains Dankassa d’une identification à un «territoire d’attache» précis, surtout au Nord où sont présents les groupes ethniques auxquels ils appartiennent au Burkina Faso. Les Bissa originaires du Boulgou, du Koulpélogo et du Zoundwéogo, provinces frontalières avec le Ghana, se réclament de Bawku, grande ville frontalière de la Région du Upper East. Une partie des Moosé se réclament aussi de Bawku ou se disent simplement Moosé du Ghana, tandis que les Wangara revendiquent une proximité parentale avec les Banda ou Bandawa dont le territoire se
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trouve dans les environs de Sunyani (Brong Ahafo Region) vers la frontière avec la Côte d’Ivoire. On trouve en effet dans cette partie du territoire ivoirien des Senoufo qui sont connus au Ghana sous le nom de Wangara. Les Kassena, présents de part et d’autre de la frontière Burkina-Ghana se réclament d’un ancêtre commun avec les Akra ou Ga qui seraient leur «cadets sociaux». Ils en veulent pour preuve les noms de famille très proches de «Ayè» chez les Kassena et «Ayèa» chez les Ga. Cette identification au Nord, que les plus anciens des Dankassa d’origine bissa expliquent par l’absence de repères au Burkina Faso, participe aussi à un besoin «d’authentification» de leur appartenance au Ghana. 3.4. La reconstruction du symbole de pouvoir La reconstruction identitaire passe aussi chez les Dankassa par une reconstruction des symboles et des rapports de pouvoir. Elle consiste en des emprunts et en la construction d’un système hybride à l’intersection de quatre systèmes politiques différents : leur système traditionnel d’appartenance, le système politique moderne ghanéen qui a d’ailleurs défini un statut particulier à la chefferie traditionnelle, le système de chefferie traditionnelle ghanéen et le système politique traditionnel haoussa. Les anciens immigrés et leurs descendants, quel que soit leur groupe ethnique d’appartenance, sont en effet organisés en chefferie coutumière avec des échelles de hiérarchie en forme pyramidale, surtout dans les groupes ethniques les plus importants numériquement. Les Bissa et les Moosé sont ainsi organisés tel qu’il suit : en haut de la pyramide, il y a les paramount chiefs (chefs suprêmes) qui représentent les Moosé ou les Bissa de l’ensemble du territoire ghanéen. Il ya ensuite les chefs traditionnels régionaux ou regional chiefs et enfin, les chefs de quartier. A cette structuration pyramidale, plus ou moins conforme aux textes organisant la chefferie coutumière au Ghana, sont aujourd’hui associés les éléments nouveaux suivants empruntés au pouvoir politique moderne : l’apparition d’«office of the chief» chez les Moosé et les Yadsé, et la constitution d’armoirie : l’emblème du pouvoir avec une devise ou «motto» (cf. photo n° 1 et 2). Ces éléments remplacent dans leurs fonctions et représentations les éléments suivants dans la chefferie traditionnelle moaga : le palais, le
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trône qui symbolisait le pouvoir d’une façon intemporelle, et le nom de règne qui traduisait toute la philosophie de pouvoir du souverain.
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Photo n°1 : Plaque affichée sur le bureau du chef suprême des Moosé d’Accra avec son emblème : une daba, un balais et sa devise «Unité et productivité)
Photos : KOUDOUGOU Saydou Photo 2 : Le symbole de pouvoir du nouveau chef Moosé-Yadga d’Accra
Photos : KOUDOUGOU Saydou
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La chefferie coutumière de la diaspora burkinabè au Ghana emprunte aussi et surtout au système politique haoussa. L’élément le plus significatif de cet emprunt est ce qui est appelé chez les Moosé d’Accra le «naam vilbu» ou «cérémonie du turban» pendant le «naam yisgu» ou cérémonie d’intronisation du chef. La «cérémonie du turban» consiste en effet à coiffer le nouveau chef d’un bonnet. Sa tête est ensuite enturbannée d’un ruban blanc par des dignitaires de la religion musulmane, dont ’’son’’ imam, choisi à cette occasion. Photo 3 : Une photo de «cérémonie du turban»
Photo : KOUDOUGOU Saydou Si la cérémonie du turban est un emprunt récent, chez certaines ethnies comme les Moosé, la présence d’un imam dans l’entourage du chef est plus ancienne, comme l’illustre l’expression ’’nab-monré’’, c’est-à-dire le ’’marabout du chef’’. Dans le cas de Ouagadougou, ce personnage recevait même du Mogho Naaba le signe de sa fonction composé d’un turban et d’un vêtement blanc, et devait jurer sur Allah et Nabiyama (le Prophète
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Mahomet) d’être fidèle au souverain, de lui obéir et de l’aider en cas de besoin (Skinner, 1964 : 298). Ce qui est nouveau, c’est surtout l’inversion des rôles dans le processus de légitimation des fonctions du chef et de celui de son imam. L’imam du chef est désormais désigné par celui-ci pour lui porter et bénir le signe de ses fonctions et du pouvoir à travers la cérémonie du turban. Ce qui traduit par ailleurs l’ancrage de l’islam chez les anciens immigrés burkinabè et leurs descendants au Ghana. La magnification des rôles et fonctions autrefois auxiliaires dans la chefferie traditionnelle ne concerne pas que ceux de l’imam. La «Reine mère», qui jouait un rôle clef mais discret dans la cour royale chez les Moosé par exemple a, dans le système actuel de chefferie des Dankassa d’origine burkinabè, un rôle public de conseil. Ces «Magasya» comme on les appelle, s’affichent comme des véritables reines des femmes. Des mutations s’observent aussi dans le sens du bonnet de chef qui a toujours existé et symbolisé le pouvoir traditionnel dans les sociétés burkinabè. Toutefois, alors que dans celles-ci, il doit être remis par un chef hiérarchiquement supérieur en signe de transfert de pouvoir, chez ces Dankassa, c’est le chef lui-même qui se procure son bonnet. Le bonnet garde néanmoins sa fonction distinctive (du détenteur du pouvoir politique par rapport à ceux qui n’en disposent pas) mais n’exprime aucun ordre hiérarchique entre différents chefs dans le même groupe. Chez les Moosé d’Accra, le chef de quartier n’enlève pas son bonnet en présence du ’’paramount chief’’ des Moosé comme le voudrait la tradition. Les raisons de cette confusion dans la chefferie tiennent à sa dimension hybride et profane puisqu’on ne lui reconnaît aucune essence sacrale. Chez les Moosé, cette chefferie est considérée comme «une chefferie de brousse» (wéo-naam), c’est-à-dire sans enracinement dans le ’’tenga’’ qui désigne à la fois le ’’territoire d’appartenance’’ et la divinité dont toute chefferie tient sa légitimité et sa puissance ou ’’panga’’ en mooré. Le bonnet de chef, ainsi réduit en un simple artefact, n’est pas obligatoire. Il peut être remplacé par un bonnet ordinaire comme en témoigne la photo n° 4 sur laquelle le «paramount chief» des Moosé d’Accra (en tenue orange) est coiffé d’un «borgo», un bonnet ordinaire présent dans la plupart des sociétés ouest africaines, tandis que le chef de Sukura, un quartier d’Accra, porte en sa présence un bonnet et une canne de chef moaga.
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Le mode électif de désignation du chef est aussi une expression et la cause de ce non enracinement de la chefferie traditionnelle de la diaspora dans le culte ancestral du pouvoir. Photo n°4 : un chef Moaga de quartier (à gauche) et le chef suprême des Moosé d’Accra (à droite)
Photo : KOUDOUGOU Saydou
Il y a enfin l’apparition du «festival», en partie emprunté au groupe Akan et en remplacement du rite d’intronisation qui couronnait tout le processus d’initiation et de sacralisation du pouvoir du chef. Le «festival» consiste à raser les cheveux d’un jeune garçon à la place du chef, à sacrifier un bélier ou un taureau (selon les moyens financiers) et à organiser une cérémonie de bénédiction du règne du chef dans les trois années qui suivent «la cérémonie du turban» (cf. photo 5).
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Photo n°5 : Photographie de photo de Festival du chef moaga Yadga d’Accra
Photo : KOUDOUGOU Saydou Par ces emprunts, les dignitaires coutumiers des Dankassa d’origine burkinabè construisent un système hybride de pouvoir qui traduit aussi une reconstruction identitaire ; les membres de chaque groupe ethnique se reconnaissant dans ce système et dans les nouveaux symboles de pouvoir.
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Schéma des emprunts et du système hybride de pouvoir des Dankassa d’origine
Système traditionnel burkinabè
Système traditionnel ghanéen
Système hybride Dankassa d’origine burkinabè
Système traditionnel haoussa
Système politique moderne ghanéen
3.5. Les mouvements associatifs comme instrument de la reconstruction identitaire Les mouvements associatifs, à connotation essentiellement ethnique, constituent de véritables instruments de la construction et de l’expression de l’identité de la diaspora burkinabè et ses descendants au Ghana. Ils sont d’autre part fortement associés à la chefferie coutumière (Cf. photo n°6) dont ils sont aussi un instrument. Ils ont en effet souvent servi à l’accès à la chefferie. Dans la ville d’Accra on dénombre aujourd’hui une douzaine d’associations ethniques dont une demi-dizaine environ chez les Moosé et les Yadsé, auxquelles s’ajoute ’’l’Association of Burkinabè Community in Ghana’’ créée en 2004. Ces associations trouvent leurs origines dans les années 1950 et dans le souci de l’Administrateur de l’Afrique Occidentale française (AOF) d’organiser ses sujets dans les colonies étrangères à travers «l’Association Fraternelle des Ressortissants de l’A.O.F» (A.F.R.A.O.F) au Ghana, devenue chez les Voltaïques, «Upper Volta Union in Ghana» (UVUG) avec l’indépendance de la Haute Volta en 1960. Ensuite se sont succédé les Comités de Défense de la Révolution (CDR) en 1983 et les Comités
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Révolutionnaires (CR) à partir de 1987. C’est dans le sillage de ces organisations formelles fédératives que se sont développées les associations ethniques avec trois spécificités importantes. Elles sont au départ mises en place par les Dankassa qui contestent aux «anciens» la légitimité de les représenter, surtout dans les instances coutumières. Elles ont de ce fait, jusqu’ici constitué un véritable lobby pour les candidats Dankassa à la chefferie coutumière surtout chez les Moosé. On cite en exemple le cas de «l’Association Buud Yellé» dont les actions (contestations, pétitions, etc.) ont conduit au premier cas de destitution de chef suprême des Moosé à Accra, notamment le Mos naaba Waongo ; ce qui constitue une mutation importante parce que dans la société traditionnelle moaga, le chef est intronisé à vie. Un ex-chef n’existe pas. Les associations constituent ensuite un appui aux chefs dont elles sont, par leurs cotisations, la source de financement des actions sociales comme les soins aux personnes démunies ou les pompes funèbres pour les cas de décès d’un membre sans parent, etc. Mais leur caractéristique identitaire la plus importante est la création de troupes culturelles. On peut citer le cas de la troupe «Korabiè Naguitissara de Tiébélé» chez les Kassena et la troupe «Liwaga» de l’Association Kadiogo chez les Moosé. Photo n°6 : Banderole de l’Association «Sidwaya» attachée sur la plaque indiquant le bureau du Chef suprême des Moosé d’Accra
Photo : KOUDOUGOU Saydou
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Conclusion Le rôle central que jouaient des villes comme Kumasi et Salaga dans le commerce caravanier au XIXe siècle et le développement d’une économie de plantation (notamment le cacao) et minière dans la première décennie postindépendance ont longtemps fait du Ghana une destination privilégiée des migrants burkinabè. Mais la mise en œuvre de politiques migratoires restrictives à la fin des années 60, l’expulsion des étrangers du territoire ghanéen et les crises politiques et économiques qui s’en sont suivies ont entraîné une disqualification de la destination ghanéenne, une redistribution spatiale et une redéfinition des stratégies d’insertion chez les Burkinabè vivant au Ghana. L’acquisition d’emplois de bas revenus dans le service public (chemin de fer, sécurité) l’adoption de la langue et du système patronymique haoussa et l’acquisition de documents d’identité ghanéenne constituent les éléments majeurs de la stratégie d’insertion à la société d’accueil. De ce fait, une frange importante de la population d’origine burkinabè au Ghana, notamment les anciens immigrés et leurs descendants, jouissent aujourd’hui pleinement de la citoyenneté. Outre les dispositions constitutionnelles qui sous-tendent cette citoyenneté, ces anciens immigrés et leurs descendants s’appuient, d’une part, sur les liens de consanguinité historiques ou actuels qui les lient aux populations ghanéennes d’origine et, d’autre part, sur l’étiquetage et la stigmatisation que véhiculent certains sobriquets et qualificatifs couramment utilisés pour les désigner au Burkina Faso, les tracasseries et suspicions dont ils sont victimes sur le sol burkinabè (bien que la loi leur reconnaisse la nationalité burkinabè), etc. pour consolider leur appartenance au Ghana. Mais au-delà donc des dispositions normatives, c’est par des éléments plus subjectifs comme le sentiment d’appartenance, la représentation de soi par rapport au pays dont la loi nous concède la possibilité d’en être le citoyen et l’identité que les autres citoyens de cet Etat nous attribuent par leur pratiques sociales et politiques que se construit le sentiment d’identité nationale. De ce point de vue, la pratique sociale a contribué à détériorer les attaches des anciens immigrés burkinabè et descendants au Ghana avec leur father’s land. Dans tous les cas, leurs liens avec le Burkina Faso sont de nos jours très lâches et se caractérisent par des contacts physiques peu fréquents et l’absence d’investissement.
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Le sentiment de déni d’appartenance au Burkina Faso et le renforcement des attaches au Ghana qui en découlent concourent par ailleurs à une reconstruction identitaire chez ces anciens immigrés burkinabè et leurs descendants au Ghana. Les moyens en œuvre dans cette reconstruction identitaire sont à la fois l’engagement politique, l’assimilation partielle à d’autres groupes immigrés et les emprunts culturels et identitaires aux systèmes sociaux traditionnels et modernes de la société d’accueil ou d’accueil des parents. Bibliographie Ammassari S., 2004, Gestion des migrations et politiques de développement : optimiser les bénéfices de la migration internationale en Afrique de l’Ouest», Genève, BIT, Cahiers des Migrations internationales, 72F, 74p. (http://www.ilo.org /puplic/ english/ protection/migrant/download/imp/imp72f.pd). Burkina Faso, 1989, ZATU N°AN VII 0013/FP/PRES du 16 novembre 1989 portant institution et application d’un Code des personnes et de la famille au Burkina Faso. Capron J. et Kohler M.J., 1975, «Economie, pouvoir et migration de travail chez les Mossi (Haute Volta), FAO/ORSTOM, 22p. Coulibaly S., Gregory J. et Piché, V. (1974), Les migrations voltaïques : importance et ambivalence de la migration voltaïque, Ouagadougou, CVRS, INSD, 144p. Duperray A-M., 1985, «Les Yarse du royaume de Ouagadougou», Cahier d’études africaines, 25,98 pp 179-212. Gaisie S.K et K.T de Graft-Johnson, 1976, «The population of Ghana», University of Ghana, CICRED, 56p. Gastellu J.M., 1982, «Les plantations de cacao au Ghana», Cah. ORSTOM. Sér. Sc. Hum, vol XVIII, n°2, pp 225-254. Gregory, J.W., Cordell, D.D. et Piché, V., 1989, «Mobilisation de la maind’œuvre burkinabè, 1900-1974 : «Une vision rétrospective», Canadian Journal of African Studies, Vo.23, n°1, pp. 73-105. Izard, M., 1970, Introduction à l’histoire des royaumes mossi. Paris, C.N.R.S ; Ouagadougou, C.V.R.S ; Recherches voltaïques n° 12 et 13 (2T) ; 434 p. Kiethéga, J. B. et al., 1994, Trame historique de l'épopée des Moosé. Université de Ouagadougou ; FLASHS; DHA; 273 p.
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4 Burkinabè en Côte d’Ivoire, Burkinabè de Côte d’Ivoire: organisation, rapports avec la société d’accueil et le pays d’origine Eric Bertrand Pasba BANGRE
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Résumé Les troubles politiques qui ont secoué la Côte d’Ivoire ces dernières années ont contribué à restructurer le milieu associatif avec l’émergence de nouvelles fractures politiques et générationnelles, à affaiblir les organes d’Etat dans la gestion des immigrés burkinabè en Côte d’Ivoire, à la mise en place ou à la consolidation de nouvelles stratégies identitaires des Burkinabè en Côte d’Ivoire. Cet article se propose de rendre compte des formes d’organisation des associations des immigrés burkinabè et des recompositions conjoncturelles induites par la crise militaro-politique survenue en Côte d’Ivoire. Ces associations d’immigrés burkinabè mettent en jeu des comportements, des phénomènes identitaires collectifs, des enjeux internes et externes de dynamiques associatives. Mots clés : association d’immigrés, communauté, migration, Burkina Faso, Côte d’Ivoire.
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Doctorant/ Université de BOUAKE (RCI). Email : [email protected]
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Introduction La formation des regroupements associatifs des immigrés burkinabè en Côte d’Ivoire a pris de telles proportions que ceux-ci appellent, à des degrés divers, des implications identitaires, culturelles, économiques, politiques qui s’inscrivent dans un contexte de résolution de la crise consécutive à la crise politico-militaire qui a entrainé la partition du pays18. Reconnues ou pas par les pouvoirs publics, les associations d’immigrés burkinabè vivant en Côte d’Ivoire foisonnent. Qui sont-elles ? Comment sont-elles organisées ? Quelle est la nature des rapports que ces associations entretiennent entre elles ? Que cherchent-elles à exprimer à travers des actions collectives ? Quelles sont les répercussions de telles actions sur la communauté burkinabè ? L’ensemble de ces interrogations oriente le contenu de cet article sur l’organisation de la communauté burkinabè vivant en Côte d’Ivoire. En effet, la gestion organisationnelle de la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire recouvre une multitude de codifications sociales et géopolitiques qui tiennent compte de la sociohistoire des deux pays. Si le phénomène migratoire des Burkinabè en Côte d’Ivoire n’est pas nouveau dans le champ des recherches en sciences sociales, l’analyse des dynamiques associatives reste un champ de réflexion peu investi. La réflexion-débat ne sera pas centré sur les caractéristiques du mouvement migratoire ou sur les ambitions codéveloppementalistes des associations d’immigrés (qui considèrent les migrants comme des acteurs et des partenaires du co-développement), mais sur les modes d’organisation associative d’une communauté étrangère massivement présente sur le sol ivoirien et les recompositions actuelles induites par les troubles sociopolitiques. Les troubles politiques qui ont secoué la Côte d’Ivoire ces dernières années ont contribué à restructurer le milieu associatif avec l’émergence de nouvelles fractures politiques et générationnelles, à affaiblir les organes d’Etat dans la gestion des émigrés burkinabè en Côte d’Ivoire, à la mise en place ou à la consolidation de nouvelles stratégies identitaires des Burkinabè en Côte d’Ivoire. Cet article s’appuie sur une recherche financée par la JEAI «DIASPO » et qui a été réalisée à Abidjan avec l’hypothèse que les difficultés rencontrées par cette communauté peuvent être analysées à partir des
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Je remercie les différents lecteurs pour leurs remarques, en particulier Sylvie Bredeloup et Brigitte Bertoncello.
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dynamiques des pratiques associatives, des réseaux sociaux, civiques ou politiques. Une enquête qualitative a été menée au sein des associations burkinabè à Abidjan. Les données ont été recueillies à partir d’entretiens réalisés avec des responsables et des membres d’associations et avec des personnes n’appartenant à aucune association. Des données ont été également recueillies auprès des délégués consulaires, des chefs de communautés, des délégués du Conseil supérieur des Burkinabè de l’extérieur (délégués CSBE). C’est à partir d’une liste de contacts des associations répertoriées au consulat que nous avons mené nos investigations. Au cours de l’enquête, nous avons découvert des associations qui ne figuraient pas sur cette liste pour des raisons que nous évoquerons dans notre réflexion. Nous avons constaté également que certains contacts d’associations étaient erronés et que certains responsables d’association étaient inconnus du consulat ou des responsables d’autres associations. La procédure employée était de recenser dans un premier temps les associations burkinabè présentes à Abidjan puis, par contact téléphonique, nous avons joint la plupart des responsables ou de personnes-contact des associations. 1. L’organisation des Burkinabè en Côte d’Ivoire Le dispositif diplomatique se compose de l’ambassade, du consulat, des délégués consulaires, des délégués CSBE, des chefs de communauté. L’ambassadeur : Il assure le volet diplomatique et relationnel entre les deux Etats. Il est secondé dans ses tâches par les consuls. Le consul : en Côte d’Ivoire, il existe 3 consulats dont un consulat honoraire. On dénombre les consulats généraux d’Abidjan et de Bouaké. Le consulat honoraire de Soubré est sous la tutelle du consulat d’Abidjan. Les consuls gèrent les affaires courantes de la communauté burkinabè. Ils veillent à l’établissement des documents administratifs et à la protection physique et matérielle des Burkinabè. Les délégués consulaires : ils se désignent comme les représentants des consuls au niveau des villes du pays. Le district d’Abidjan compte douze (12) délégués consulaires qui se repartissent à travers les différentes communes. Ils se chargent de la gestion des affaires concernant la communauté au niveau communal. Essentiellement leur tâche consiste à la collecte des pièces pour l’établissement des actes administratifs,
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l’assistance juridique. Ils sont désignés par les chefs coutumiers de leur circonscription pour un mandat de 5 ans. Les délégués CSBE (Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger) : le CSBE est rattaché au ministère des affaires étrangères et a son siège à Ouagadougou. Les délégués CSBE ont pour rôle principal la promotion du Burkina Faso dans leur pays de résidence. Ils sont au nombre de seize (16) sur toute l’étendue du territoire ivoirien. Le district d’Abidjan en compte sept (7). Ils sont élus par la communauté burkinabè. Les chefs de communautés ou chefs coutumiers : Ils représentent le pouvoir / la chefferie traditionnelle. Ils sont les responsables des différentes communautés coutumières burkinabè au sein des communes. Le pouvoir des chefs coutumiers, qui est très souvent circonscrit à la commune, s’appuie sur des instances qui sont variables d’une zone à l’autre. (Voir, à titre d’illustration, l’organisation de la commune d’Abobo, page suivante). Dans la plupart des communes, le dispositif organisationnel se limite au délégué consulaire, au chef des communautés et à son conseil de notables. L’organisation de base est confuse à cause de la difficulté de regroupement des structures de base de la communauté burkinabè. Les structures associatives ethniques ou provinciales, qui ne sont pas toujours représentées dans toutes les communes, n’arrivent pas à définir clairement leur rôle dans le dispositif communal.
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L’organisation de la communauté dans la commune d’Abobo (Abidjan) :
Le délégué consulaire
Le chef des communautés burkinabè
Conseil coutumier (composé de l’ensemble des chefs coutumiers)
Secrétariat
Conseil consultatif (composé de personnes influentes)
Conseil spécialisé (chefs de quartiers, responsables d’associations, représentants des structures dans les communes)
2. Les associations d’immigrés burkinabè en Côte d’Ivoire Genèse des mouvements associatifs burkinabè L’histoire de la création des associations burkinabè ne serait pas directement liée aux déplacements des populations burkinabè en Côte d’Ivoire. Cette histoire commencerait par l’UFOBCI19 (anciennement UFOVCI) qui est née dans un contexte politique de pré-indépendance entre les années 1954 et 1959. En effet, dans le souci de mobiliser des voix à des fins électoralistes, les leaders politiques Voltaïques et Ivoiriens du RDA ont procédé au regroupement des Voltaïques établis en Côte d’Ivoire. Ceux-ci devaient constituer une force capable de faire basculer le pouvoir au profit du RDA, cela d’autant plus que l’ancien président ivoirien Houphouët Boigny envisageait déjà un rapprochement entre les deux pays. Cette alliance politique constituait les prémices d’une forme de système économique qui a participé au miracle ivoirien (utilisation de la main d’œuvre voltaïque dans l’édification de l’économie ivoirienne). A cette période, les migrants constituaient l’essentiel de la main d’œuvre dans les travaux de construction des routes, du chemin de fer, dans les plantations de café et de cacao. Les Voltaïques ont ainsi contribué à faire de la Côte d’Ivoire la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest (Tokpa, 2006). Parmi les leaders voltaïques, on peut citer Ouézzin Coulibaly, Boniface Ouédraogo (ancien maire de la commune de Koumasi à Abidjan), Lomé Ouédraogo (ancien adjoint au maire de la commune d’Adjamé), Soumaïla Ouédraogo, Tiémoko Coulibaly. Cette union des migrants burkinabè a longtemps fonctionné sur un principe fédérateur, fondé sur une base politique. Les originaires du Burkina Faso (anciennement Haute Volta), du moins leur majorité, s’identifiaient à cette union et se reconnaissaient en elle. L’UFOBCI est ainsi restée longtemps affiliée au PDCI-RDA20. Après la création de l’UFOBCI, on a assisté à une mise en sommeil des créations d’associations. La recrudescence des créations se situe autour des années 1980 qui coïncident avec les difficultés de l’économie ivoirienne. La crise, engendrée par la baisse des prix des matières premières (le cacao et le café, principales ressources du pays), met en difficulté l’économie de la Côte d’Ivoire. Ces difficultés ont des répercussions sociales, économiques et politiques qui affectent les conditions de vie des 19 20
Union fraternelle des originaires du Burkina Faso en Côte d’Ivoire. Parti démocratique de Côte d’Ivoire/Rassemblement démocratique africain.
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populations. On peut dire avec Millet (2005 : 17) que l’émergence des associations est liée à la précarité des conditions de vie des migrants dans la société d’accueil. De nombreuses associations sont ainsi nées d’une volonté d’organiser un système d’entraide pour combattre les difficultés en Côte d’Ivoire. Les Burkinabè se sont organisés en associations informelles, traditionnelles, qui regroupaient les ressortissants de chaque région ou localité du pays d’origine. C’étaient des associations de fait, car n’ayant pas de documents administratifs de reconnaissance légale. En effet, de nombreux migrants burkinabè ont commencé à s’organiser et à se réunir en collectifs pour la résolution des difficultés dans le pays d’accueil sans chercher à formaliser leur structure. Un relatif accroissement des associations s’observe vers la fin des années 1990 qui coïncide avec l’avènement du multipartisme en Côte d’Ivoire. C’est véritablement à partir des années 2000, avec l’instabilité politique de la Côte d’Ivoire, que la communauté burkinabè voit les associations proliférer, plus autonomes et plus crédibles auprès de la population. Ces associations, grâce à leur proximité avec leurs adhérents, répondent avec efficacité aux différentes sollicitations qui leur sont adressées. Caractéristiques des associations d’immigrés burkinabè La formation des associations modernes, réorganisées sur la base des associations informelles, est à mettre à l'actif de quelques migrants burkinabè entreprenants. Les associations sont régies en Côte d’Ivoire par l’arrêté n°6 du 4 juillet 1960, la loi 60 315 du 21 septembre 1960 et le décret 72 746 du 24 novembre 1972. Selon Lanly (2001:6), certaines conditions contribuent à la formation d'association. Les difficultés rencontrées par les populations d'immigrés dans le nouvel environnement du lieu d'accueil (racisme, éloignement affectif, abus sur le marché du travail), les difficultés conjoncturelles ou structurelles que rencontre la population des communautés déterminent la création d'une association d'immigrés aux fins de résoudre certaines préoccupations. Ces mêmes conditions ont prévalu à la création des associations burkinabè en Côte d’Ivoire. La crise économique liée à la chute des prix des matières premières va détériorer les conditions de vie qui auront des répercussions sur les rapports sociaux. La chute des recettes
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des produits d’exportation liée à l’effondrement des cours mondiaux (café, cacao, hévéa) va creuser un déficit de la balance commerciale ivoirienne qui provoquera l’accroissement du taux de chômage, la détérioration des conditions d’existence de toutes les couches des populations, etc. Ces difficultés sont accentuées par l’adoption des politiques d’ajustement structurel qui s’accompagne du désengagement de l’Etat des services sociaux (éducation, santé) ; sur le plan politique, cette situation conduit, entre autres, à l’ivoirisation des emplois, l’introduction d’un titre de séjour, la remise en cause des transactions foncières par la politique de retour des jeunes à la terre (Zongo, 2006). C’est pour faire face à ce nouvel environnement que commencera la prolifération des associations pour produire un minimum de protection à leurs membres. Les différentes associations des immigrés burkinabè se distinguent les unes des autres par leurs caractéristiques et leurs typologies. On retrouve des associations fondées sur des bases géographiques (villages, départementales, provinciales) des associations ethniques, des associations politiques, des associations culturelles, des associations professionnelles, des associations de société civile, des associations de jeunesse des communes, de quartiers, des associations de défense d’intérêt général, des associations d’envergure nationale, des mutuelles et ONG, des associations d’élèves et étudiants, des associations spécifiques de ressortissants de région résidant dans une commune, des associations sportives. Il convient de noter toutefois les difficultés de répertorier l’ensemble des associations burkinabè à Abidjan et en Côte d’Ivoire pour plusieurs raisons. Certaines associations officielles ne se sont pas fait enregistrer par les services consulaires. D’autres par contre n’existent qu’en théorie et attendent leur récépissé et autres documents de fonctionnement. Des responsables d’association refusent de se faire reconnaître par les services du consulat par souci d’échapper au contrôle des autorités. Ils pensent que cette situation leur offre une indépendance organisationnelle et une plus grande liberté d’action. Au sein du milieu associatif burkinabè coexistent des associations informelles et des associations formelles. Les associations burkinabè fonctionnent pour la plupart sur la base de solidarité communautaire. Elles reposent sur une identité commune, et les immigrés originaires du village, de la localité d'origine sont en général considérés membres. Elles partagent, dans leurs textes et règlements, les mêmes objectifs : œuvrer pour le rassemblement des membres en
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établissant des liens de fraternité et de solidarité, susciter l’esprit de partage et d’entraide. Les associations d’immigrés remplissent des fonctions qui sont liées au projet migratoire (Kane, 2001) et aux problématiques sociales, économiques et politiques auxquelles sont confrontés les émigrés. Ces associations tentent la reconstruction de schèmes socioculturels en terre d’émigration. Leurs activités sont financées à partir des caisses de solidarité et d’entraide basées sur les cotisations des membres. L’essor du mouvement associatif a produit de nouvelles formes de solidarités et offre aux individus et aux groupes un cadre leur permettant de prendre des initiatives socio-économiques, culturelles et politiques. Ces associations sont structurées selon le principe de la centralisation avec des déconcentrations (en sections communales et sous-sections communales). Le type d'association le plus répandu s’inspire du découpage administratif du Burkina Faso en provinces et s'articule autour d'un bureau composé d'un président, un secrétaire général, un trésorier, et d'autres postes. Tous bénévoles, ces responsables sont le plus souvent élus par les membres de l'association, et le bureau est renouvelé régulièrement selon les textes de l’association. Généralement, les responsables des associations sont en même temps les porte-paroles. Ils sont le plus souvent initiateurs et/ou à l’origine de ces organisations, ce qui les amène délibérément à revendiquer le poste de président. 3. Visite au sein de la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire « Monsieur l’Ambassadeur, la majorité de cette population s’est organisée en associations et autres petites associations provinciales et associations non reconnues par les autorités ivoiriennes et consulaires qui ont souvent fonctionné avec des méthodes ne respectant pas les règles de gestion moderne d’une communauté (…) Monsieur l’Ambassadeur, des personnes se lèvent un matin et s’autoproclament président des Burkinabè en Côte d’Ivoire (…) ; pire, pendant la crise, nous avons vu des compatriotes qui se sont mal illustrés en prenant la parole au nom de la communauté pour vilipender la mère patrie et ses autorités diplomatiques » Extrait d’un discours lu lors de la célébration de la Journée du délégué consulaire21.
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La journée du délégué consulaire s’est tenue le 28 mai 2009. La cérémonie a été célébrée dans l’enceinte du consulat du Burkina Faso à Abidjan, en présence d’autorités ivoiriennes et burkinabè.
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Cet extrait de discours peint l’atmosphère qui règne au sein de la communauté burkinabè. Le milieu associatif des Burkinabè en Côte d’Ivoire connaît des difficultés. Si les responsables d’associations et les autorités diplomatiques se félicitent de l’organisation de la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire, il faut cependant souligner que cette communauté est traversée par de nombreux maux. Une perception réservée des services consulaires Cette perception est liée d’une part au sentiment qu’ont les Burkinabè d’être abandonnés, dans les situations difficiles, par les autorités dont ils relèvent, d’autre part à la question de la gestion des cotisations et des contributions financières et enfin à la délivrance des actes administratifs par les services consulaires. L’absence et le mutisme des autorités diplomatiques et consulaires : les personnes interrogées leur reprochent leur absence et leur mutisme face aux difficultés de la communauté. Beaucoup soulignent le manque de promptitude à secourir leurs compatriotes en difficulté, contrairement à d’autres communautés ouest-africains qui louent le travail fait par leurs représentants diplomatiques. Lors de nos enquêtes, de nombreuses personnes dénonçaient la trop grande longévité de l’ambassadeur22, son inefficacité à gérer et à défendre la communauté burkinabè. La gestion des cotisations et des contributions financières : presque tous les interviewés relèvent le coût élevé d’établissement des pièces administratives23. Ils trouvent qu’il est onéreux d’effectuer des actes administratifs au consulat. Ces difficultés dirigent les Burkinabè vers les mairies ivoiriennes pour l’établissement des actes. En outre, ils se plaignent d’avoir toujours à payer le coupon de 1 500 francs CFA servant de contribution à la construction de la Maison du Burkina24, qui n’a jamais été bâtie. Ces Burkinabè rencontrés s’interrogent sur la finalité de ces contributions qui leur sont imposées à chaque établissement de pièces administratives. 22
Peu de temps après, un article disponible sur www.ouaga.info reprenait les critiques faites à l’ambassadeur. 23 Extrait de naissance et déclaration de naissance coûtent respectivement 2 700 et 3 400 francs CFA. 24 La Maison du Burkina est un projet de construction d’un immeuble pour la communauté burkinabè.
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L’analphabétisme comme source de tension D’origine rurale, la majorité des migrants burkinabè n’a pas été scolarisée. De ce fait, les regroupements associatifs modernes comptent peu à leurs yeux. Ils sont plus animés par la volonté d’une « réussite sociale » en migration. Ils suspectent les associations d’être des instruments de contrôle et de domination. Cette situation génère des tensions intergénérationnelles car les enfants issus de la migration optent souvent pour la création d’associations excluant les « anciens » (qui sont pour la plupart analphabètes). Remettant en cause le pouvoir gérontocratique, ces jeunes affirment qu’il leur faut s’émanciper de l’emprise de leurs aînés et critiquent la monopolisation des postes de responsables des associations de jeunesse burkinabè par des personnes âgées. C’est pourquoi ils créent des associations de jeunesse et mobilisent leurs forces pour l’élection de leur porte-parole en qualité de délégué CSBE. Un des délégués que nous avons interrogé a beaucoup insisté sur l’ignorance des anciens sur la notion d’association. Une association, selon lui c’est éduquer et former. La multiplicité des représentants : chefs de communautés, délégués consulaires, délégués CSBE Les problèmes d’ordre personnel et les conflits d’insubordination animent les différends entre les délégués consulaires25 et les chefs des communautés burkinabè26. Ces conflits engendrent des divisions et favorisent la création de groupes de soutien affiliés aux différents leaders burkinabè et responsables d’associations.
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Les délégués consulaires se désignent comme les représentants des consuls au niveau des villes du pays. Le district d’Abidjan compte douze délégués consulaires qui se répartissent à travers les différentes communes. Ils se chargent, au niveau communal, de la gestion des affaires concernant la communauté. Leur tâche consiste essentiellement en la collecte des pièces pour l’établissement des actes administratifs, et l’assistance juridique. Ils sont désignés par les chefs coutumiers de leur circonscription pour un mandat de cinq ans. 26 Les chefs de communautés ou chefs coutumiers représentent le pouvoir/la chefferie traditionnelle. Ils sont les responsables des différentes communautés coutumières burkinabè dans les communes.
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Les chefs de communautés27 remettent en cause l’attitude des autorités consulaires qui privilégient la collaboration avec les délégués consulaires. Cette attitude des autorités consulaires donne aux délégués consulaires une légitimité et les élève dans la hiérarchie ; ce qui les amène très souvent à contester l’autorité des chefs coutumiers qui, à leur tour, réclament des mises au point car, selon eux, le pouvoir coutumier est le socle de la société africaine et le fondement utile pour bâtir une communauté forte. D’une manière subtile, les autorités coutumières cherchent à assujettir les délégués consulaires. Certains administrés reprochent aux délégués consulaires leur indisponibilité, leur discourtoisie. D’autres affirment même ne pas les connaître car n’ayant jamais entendu parler d’eux. Même s’ils bénéficient d’une somme de 200 francs CFA prélevée sur chaque carte d’identité consulaire établie par leur intermédiaire, les délégués consulaires présentent le manque de rémunération comme la principale entrave à leur action. Ils soulèvent parfois aussi l’ingratitude de certains membres de la communauté qui ont bénéficié de leur intervention. « Vous savez nous-mêmes on ne s’aime pas. Un de nos parents a été licencié. Son patron lui a remis 350 000 comme dommages et intérêts. J’ai pris son problème en main. On a gagné le procès. Il a reçu 1 500 000 francs. J’ai enlevé 75 000 pour moi. Il se plaint. J’ai dépensé de l’argent pour le transport, pour le téléphone » Entretien réalisé le 30/ 08/ 09 à Marcory. Les délégués consulaires eux-mêmes sont touchés par des dissensions liées en partie aux relations avec le Conseil Supérieur des Burkinabè de l’Etranger (CSBE) qui est lui-même traversé par des conflits internes. D’ailleurs, cette structure n’est toujours pas fonctionnelle en raison de désaccords en son sein. En plus de ces querelles internes, il a régné pendant longtemps des incompréhensions entre les délégués CSBE, les délégués consulaires et les chefs des communautés à cause de l’ignorance ou de la méconnaissance de leurs tâches. Les délégués CSBE apparaissent comme des rivaux aux yeux des délégués consulaires. Des interpellations suivies de réactions28 entre responsables de structures sont fréquentes au sein de la communauté ; ils s’opposent
27 Au niveau de chaque commune du district d’Abidjan, il existe une organisation, avec des rapports de pouvoir de subordination mal perçu entre le délégué consulaire et le chef de communauté. Si le délégué consulaire se considère comme hiérarchiquement supérieur au chef des communautés, il lui doit son élection ou sa nomination. Dans l’entendement des chefs de communauté, les délégués consulaires doivent être sous leur autorité
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fréquemment au sein même du consulat, pendant les réunions, parfois même en présence d’autorités venues du Burkina Faso29. L'incapacité des associations d'immigrés à mutualiser les efforts et à coordonner leurs activités concourt à rendre difficile la construction de la communauté burkinabè. Les associations : un univers fragmenté Dans un contexte de paupérisation favorisée par la crise sociopolitique, les associations souffrent de difficultés de mobilisation et d’absence de motivations de leurs membres. Dès le 19 septembre 2002, les associations ont été obligées de suspendre les réunions, car tout regroupement de personnes était suspecté de tentative de déstabilisation. La suspension des réunions a réduit les entrées des cotisations. C’est ainsi que beaucoup d’associations sont tombées en léthargie car les caisses d’entraide ont été utilisées pour des besoins d’urgences alors que les cotisations ne se renouvelaient pas. La dégradation des conditions de vie des immigrés a provoqué le désintérêt des membres d’associations. Ceux-ci étaient confrontés aux problèmes économiques et matériels (moyens de transport pour rejoindre le lieu de tenue des réunions, cotisations mensuelles). Ces difficultés sont accompagnées de rivalités internes (problèmes de leadership, monopolisation des postes de présidents et secrétaires généraux). - UFOBCI versus CNB30 Les doutes sur la nationalité du président de l’UFOBCI sont la raison principale de création du Conseil national des Burkinabè en Côte d’Ivoire. L’union comptait des Ivoiriens d’origine burkinabè et des Burkinabè. A la mort du président Tiémoko Coulibaly, la lutte pour la succession a créé de vives tensions internes. En fin de compte, la présidence est revenue à un 28
Voir « Monsieur Dominique Gnissi, de quelle nationalité êtes vous ? », lefaso.net, 09 juin 2008. Cet article est une lettre écrite par le président de la coordination des délégués consulaires de Côte d’Ivoire. 29 Lors de la visite du maire de Ouagadougou, Monsieur Simon Compaoré, et en la présence de Monsieur Boureima Badini, représentant du chef de l’Etat burkinabè dans le cadre des suivis de l’application de l’Accord politique de Ouaga, les leaders associatifs et responsables de communautés ont entretenu des propos discourtois et injurieux. 30
Conseil national des Burkinabè.
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Ivoirien d’origine burkinabè que certains membres de l’union ont récusé, ce qui sera à la source d’une scission. L’actuel président de l’UFOBCI pense que la tentative de destitution orchestrée par le groupe de détracteurs a mis en retard la communauté burkinabè. Il se défend en prenant pour exemple les anciens présidents naturalisés de la structure. L’acquisition de la nationalité ivoirienne ne doit pas être un handicap pour la candidature au poste de président, car le sentiment d’appartenance « burkin bi », construit autour de l’identité collective, doit prévaloir. Le fossé de plus en plus profond à cause des confrontations directes a conduit à la création du CNB en 2005. Les querelles entre le président de l’UFOBCI et du CNB animent les conversations. Lors des rencontres de la communauté burkinabè, les deux structures sont représentées par leurs différents responsables. Cette situation conflictuelle pose problème aux autorités diplomatiques et consulaires. - ARPSCI31 versus ADPS32 Les associations de la province du Sanguié illustrent bien les problèmes de leadership au sein de la communauté gourounsi. Des problèmes personnels entre le principal bailleur financier (consultant de justice et principal conseiller du président de l’association) et son protégé (enseignant de profession et président de l’association) ont conduit à la division de l’association. Tous regroupés au sein de l’ARPSCI, les protagonistes avaient en charge la destinée de la communauté gourounsi jusqu’à ce que le président de l’association se démarque de son principal conseiller qui visait également le poste de président de l’association. Cette mésentente est liée aux reproches faits au président de l’ARPSCI sur sa gestion personnelle de l’association et des malversations. Les désaccords entre ces deux responsables ont abouti à la création d’une autre association de Gourounsi, l’ADPS. Cette scission a fragmenté la communauté gourounsi. Dès lors, l’adhésion aux deux structures provoque des disputes entre les membres de ce groupe ethnique. Les ramifications familiales au sein de la communauté orientent le choix des futurs adhérents vers les associations. Les personnes ayant des affinités parentales avec les deux responsables restent réticentes ou observent des attitudes de retrait et de 31 32
Association des ressortissants de la province du Sanguié en Côte d’Ivoire. Association pour le développement de la province du Sanguié.
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désintérêt. Aujourd’hui, les deux structures tentent de survivre malgré ces entraves. C’est en réponse à cette difficulté de cohésion qu’est née une association33 de village de la province du Sanguié. Le consulat et la commune : une différence de légitimité Le dispositif organisationnel de la communauté burkinabè s’appuie à la fois sur le découpage administratif en vigueur au Burkina Faso et sur la variable ethnique. La mise en place d’associations de provinces qui répondent au découpage administratif du Burkina Faso ne revêt-elle pas des signes de segmentation de la communauté ? Une gestion de la communauté, basée sur les clivages ethniques, ne conduit-elle pas à révéler des velléités de domination des minorités ethniques par les majorités ? Un constat peut être fait : les deux types d’associations coexistent dans le tissu organisationnel et tendent tant bien que mal à se renforcer et à survivre dans un environnement animé par des oppositions et des alliances. Les associations provinciales ont « une longueur d’avance » sur les structures ethniques car elles bénéficient de l’onction des autorités consulaires. Elles devraient fonctionner à l’image du dispositif administratif du pays où les responsables des associations seraient les représentants de leur province d’origine. Cependant, les regroupements à base ethnique sont tolérés par ces mêmes autorités. De ce fait, les membres de la communauté burkinabè adhèrent à plusieurs associations et autres formes d’organisation. La reconnaissance des responsables des structures provinciales par les autorités consulaires pose la question de la spécification de leurs rôles par rapport aux délégués consulaires qui se présentent comme les relais officiels de l’autorité consulaire dans leurs différentes circonscriptions. Ils se désignent comme des « ambassadeurs sans salaire » travaillant pour la solidification et le rayonnement d’une communauté en proie à de nombreuses difficultés. Parallèlement aux associations provinciales et aux délégués consulaires, il existe des regroupements sur bases ethniques dirigés par un chef. Les chefs des communautés burkinabè s’entourent d’un conseil de notables (composé de chefs coutumiers et traditionnels de l’ensemble des groupes ethniques) pour régir la vie des communautés burkinabè. Mais ce conseil des notables n’est pas représentatif des différentes communautés ethniques
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C’est une petite association de 30 personnes.
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installées au Burkina Faso. Certains groupes ethniques dont l’organisation sociale traditionnelle se caractérise par leur pouvoir acéphale (non centralisé) n’y figurent pas. D’autres également, moins nombreuses, n’ont pas de représentants coutumiers, ou se joignent aux grands groupes ethniques dont ils sont proches. Le choix des représentants, malgré la dérogation, crée la polémique au sein de ces populations au pouvoir décentralisé. L’action associative des immigrés burkinabè en Côte d’Ivoire L’action associative constitue un moyen de participation citoyenne. L’entrée par le tissu associatif est le moyen pour les Burkinabè d’accéder à l’arène ivoirienne et d’y faire entendre sa voix. Cette stratégie d’inclusion permet de se positionner dans la mobilisation collective des immigrés burkinabè. Paradoxalement, les activités principales sont plus concentrées vers l’intérieur de la communauté que vers le pays d’accueil, car la dynamique associative des Burkinabè ne peut se comprendre sans faire référence aux difficultés socioéconomiques, à la xénophobie, la discrimination et la stigmatisation. La position de nombreuses associations n’est pas toujours très explicite sur l’intégration. Elles évoluent dans la promotion d’une solidarité des immigrés en situation de difficultés; comme le dit Fijalkowski (1994 :39). Partout, la création des associations s’est faite selon des objectifs larges et englobants, afin d’offrir à ses membres insécurisés par leur exil, un îlot de bonheur, c’est-à-dire aide et soutien, possibilités de contact et de soutien identitaire. Le taux de participation aux activités des associations reste faible, car en Côte d’Ivoire, afficher sa nationalité burkinabè peut vous attirer des problèmes. Les Burkinabè se méfient des associations dont ils pensent qu’elles contribuent plus à nuire qu’à construire. Les problèmes de rivalité pour le contrôle des postes de responsabilité s’y ajoutent et finissent par devenir des causes de dissension et de division. Ainsi, certains Burkinabè ont finir par trouver que les difficultés économiques sont déjà un fardeau assez lourd pour en rajouter avec des associations qui sont des regroupements de personnes intéressées par le naam34. Cette désaffection s’explique également par l’absence de service rendu aux membres car, en définitive, l’action associative se résume à des opérations de collecte de 34
Le pouvoir en langue mooré.
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dons et de fonds pour des besoins ponctuels. Les immigrés et leurs associations sont sollicités tout le temps pour des collectes de fonds pour l’organisation de cérémonies festives35. Par contre c’est grâce aux efforts de quelques membres que les associations arrivent à participer aux cotisations pour la communauté et à secourir leurs membres en difficulté. Malgré ces difficultés, les associations veulent initier des actions de développement des zones d’origine en y finançant des infrastructures. Les associations provinciales tentent de maintenir des relations avec les responsables politiques et administratifs de leurs localités afin d’avoir des faveurs (acquisition de parcelles à usage d’habitation). Cependant, l’implication des associations dans le financement des projets de développement au pays est embryonnaire. Toutefois, on pourrait dire que les initiatives en faveur du lieu d’origine traduisent l'attachement des migrants à leur communauté d'origine. La structuration selon l’origine provinciale ou l’appartenance ethnique fragmente la communauté, car la tendance est d’ignorer ceux qui ne partagent pas la même origine géographique ou qui ne sont pas de la même ethnie, même s’ils sont Burkinabè. Les associations de femmes sont moins visibles, d’abord parce qu’elles sont informelles, ensuite parce qu’elles se structurent selon les principes de la proximité résidentielle (quartiers, voire segment de quartier, etc.). Elles visent à résoudre les problèmes de vie quotidienne auxquels elles sont confrontées. Il arrive également que les femmes se regroupent dans certains lieux et/ou selon les secteurs d’activités.36 Ces femmes sont prudentes et pragmatiques dans leur organisation et refusent tout élargissement de leur association dans la mesure où leurs caisses de solidarité fonctionnent sous la forme de tontine. Vers une diaspora business On peut remarquer l’utilisation de la communauté à des fins affairistes de certains leaders d’association. En effet certains leaders de la communauté tentent de regrouper les burkinabè ou les originaires
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Les associations sont mobilisées par les autorités diplomatiques et consulaires pour la collecte d’argent à l’occasion de la journée du délégué consulaire, de l’accueil du maire de Ouagadougou, pour les préparatifs de la célébration de la fête de l’indépendance à Ouahigouya. 36 Citons par exemple l’association des femmes burkinabè d’Adjouffou, l’association des femmes burkinabè commerçantes au marché de Port Bouët…
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burkinabè autour des structures professionnelles. Selon eux, les immigrés burkinabè majoritairement analphabètes se font « gruger » par les spéculateurs ou les responsables ivoiriens impliqués dans les filières agricoles. Ceux- ci perdent énormément d’argent dans la vente de leurs productions agricoles (café, cacao, etc.). Ainsi, leur regroupement au sein des coopératives agricoles permettra de protéger leurs intérêts. Un autre responsable va plus loin en créant une coopérative d’exploitants agricoles ivoiro-burkinabè car il juge qu’il serait plus avantageux de regrouper ces exploitants ivoiriens d’origine burkinabè. Cet élargissement lui permettra de s’assurer un grand nombre d’adhérents et aura une répercussion sur la caisse de la coopérative (du simple fait des versements du droit d’adhésion). Si à priori, ces initiatives sont louables puisqu’elles permettent de défendre les intérêts des agriculteurs burkinabè, il est certain que ces organisations espèrent des retombées économiques. L’un d’eux, lui-même responsable d’une association, avoue, qu’il a créé cette autre structure pour s’enrichir. 4. Le Burkina Faso, le Bayiri Les modalités, le caractère et l’implication des familles dans l’organisation des départs laissent entrevoir des relations étroites entre le migrant et sa famille restée au village. En dépit des relations souvent conflictuelles à cause de la mauvaise gestion des biens ou des sommes d’argent qu’ils envoient à leurs familles, les migrants sont obligés de se référer à la famille pour des raisons étroitement liées à la réussite de leur aventure migratoire et leur ascension sociale. Il apparaît que pour les migrants, le départ en Côte d’Ivoire ouvre l’accès à des possibilités pour eux dans leur pays. Ils parlent quelquefois d’Eldorado ivoirien. Le migrant maintient par conséquent le contact avec la famille restée au pays car, comme l’affirme Vaugelade (1991 : 87), « si à l’évidence les migrations ont des effets sur la société d’arrivée, elles en ont aussi sur la zone de départ, notamment par l’intermédiaire des liens que les émigrés maintiennent avec leurs familles.». Les rapports qu’entretiennent les migrants avec leurs familles se matérialisent à travers les échanges de correspondances, les retours définitifs, les vacances, et surtout les investissements, les envois de fonds et leurs utilisations. Si dans leur grande majorité les enquêtés affirment que la « crise nous a ouvert les yeux », jurant de ne pas rompre les liens avec le pays d’origine,
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d’autres par contre restent dubitatifs. Les rapports avec le Burkina Faso sont diversement appréciés par les enquêtés et vont de l’attachement à l’éloignement, et même à la rupture. Les difficultés socio-économiques que rencontrent certains des migrants burkinabè ont conduit au relâchement des rapports avec le pays d’origine. De plus en plus, les séjours des immigrés au pays sont irréguliers, et les investissements s’amenuisent surtout depuis 2002, car la crise consécutive à la rébellion de septembre 2002 a contribué à la mise au chômage de nombreux Burkinabè. Exerçant pour la plupart des emplois précaires, les immigrés ont perdu leurs emplois et ne survivent que grâce aux activités des épouses qui arrivent tout juste à couvrir les dépenses. Le seul lien qu’ils maintiennent avec le pays d’origine reste la scolarisation des enfants au Burkina Faso. Cette stratégie crée une nouvelle base de rapprochement. Les enfants deviennent un relais entre les familles restées au pays et le migrant en Côte d’Ivoire. La rupture concerne certains Burkinabè nés de parents burkinabè, eux mêmes nés en Côte d’Ivoire, qui ne voient pas l’obligation de maintenir des contacts avec leur pays d’origine. Ayant vécu en Côte d’Ivoire toute leur vie, ils s’identifient symboliquement, et de façon distante, au Burkina Faso. On retrouve des personnes qui ont toujours gardé la nationalité burkinabè mais qui ignorent tout du pays. Instruits par l’accueil qui leur a été réservé lors d’un séjour au pays, des enquêtés ne souhaitent plus renouveler cette expérience. Ils justifient leur détachement en relevant la différence de mode de vie, la faiblesse économique comparativement à la Côte d’Ivoire, l’esprit des parents restés au pays. «Ils ne sont pas prêts pour nous » Entretien réalisé à Yopougon. L’option de rupture n’est pas à généraliser à l’ensemble des générations jeunes issues de l’immigration, même si les séjours en migration de plus en plus longs se traduisent plus tard par la rupture. Néanmoins, des Burkinabè issus de l’immigration en Côte d’Ivoire se soucient du rapprochement avec le pays de leur(s) parent(s). C’est ce maintien des mécanismes de solidarité entre les migrants dans différents pays et leur village d’origine, malgré le déclenchement des processus d’intégration dans les sociétés d’accueil, qui autorise à parler de la naissance de diaspora (Kane, 2001). Si la plupart des enquêtés, venus du Burkina Faso, formulent le souhait d’y retourner après leur retraite, ils n’ignorent pas les difficultés auxquelles ils seront confrontés. Les Burkinabè qui envisagent le retour au pays
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craignent des problèmes d’adaptation ou de réadaptation dans un contexte socioculturel différent de la Côte d’Ivoire. La dégradation des conditions de vie a participé à un renouvellement et une redynamisation des liens avec le pays d’origine. Depuis la fin des années 1990, on assiste à un mouvement pendulaire des migrations entreprises par les Burkinabè en Côte d’Ivoire. Les incertitudes quant à un meilleur devenir en Côte d’Ivoire ont amené les migrants burkinabè à prospecter de nouvelles zones d’investissements agricoles dans leur pays d’origine (Zongo, 2008). 5. Les immigrés burkinabè et leurs descendants dans l’arène ivoirienne L’origine comme ligne de fracture : Burkinabè venus du Burkina Faso et Burkinabè nés en Côte d’Ivoire Des sphères de différenciation et de distanciation déterminent les rapports entre les Burkinabè à partir du niveau de scolarisation, des parcours géographiques, mais surtout du lieu de naissance. Les rapports sont teintés de suspicions entre ceux venus du Burkina Faso et ceux qui sont nés en Côte d’Ivoire. Ceux venus du Faso affichent leur authenticité, affirment leur originalité burkinabè et accusent les seconds d’un manque de patriotisme. . Les Burkinabè nés en Côte d’Ivoire trouvent que ceux venus du Burkina Faso développent des sentiments de jalousie, notamment vis-à-vis de leur émancipation, de leur ouverture d’esprit et des avantages qu’ils possèdent du fait de leur lieu de naissance. Les Burkinabè nés en Côte d’Ivoire, selon ceux venus du Burkina Faso, sont proches de la culture ivoirienne, et ont ce sentiment d’être une « race moderne » et évoluée comparativement à celle du Burkina Faso. Ils se comporteraient en Ivoiriens, ignorant la langue maternelle ou l’écorchant s’ils la parlent. Ils leur reprochent aussi de ne pas connaître leur pays d’origine, d’être à la merci du pouvoir politique en place du fait qu’ils sont susceptibles de basculer d’un camp à l’autre en fonction de leurs intérêts. Ils doutent de la probité morale de leurs compatriotes. D’ailleurs, ils sont nombreux à exprimer des réserves, voire des réticences face à la participation des naturalisés à la vie communautaire et à leur prétention à présenter leur candidature à des postes de responsabilité. Lors des dernières élections des délégués CSBE, des candidatures ont été déclassées pour
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cette raison. Or il se trouve que certains responsables d’association possèdent la nationalité ivoirienne. Cette bipolarisation au sein de la communauté rappelle celle diaspotenga au Burkina Faso. La logique de constructions identitaires fondée sur la dynamique de discrimination et de stigmatisation met en exergue la rencontre d’un Burkinabè « étranger » avec un Burkinabè « réel » (Zongo, 2005 :10). Le retour d’une vague de migrants dans leur pays d’origine a créé une distinction entre les Burkinabè. Les descendants d’émigrés burkinabè en Côte d’Ivoire subissent le paradoxe d’une société burkinabè qui développe en eux le sentiment d’être étrangers à la fois dans leur pays de naissance et dans leur pays d’origine. Les trajectoires socioculturelles et migratoires forgent au Burkina Faso une forme de catégorisation des émigrés burkinabè (Zongo, 2005 ; Bantenga, 2003). Ce double sentiment de se sentir étranger en Côte d’Ivoire, d’une part, et dans sa propre communauté, d’autre part, consterne les descendants d’émigrés burkinabè. Les mêmes considérations diffusées par les catégories en face sont transposées d’un pays à l’autre. Il existe, aussi bien au Burkina Faso qu’en Côte d’Ivoire, un doute sur l’authenticité de l’appartenance des descendants des émigrés à la communauté des Burkinabè. L’appartenance à la communauté, même si elle est vérifiée ou établie, est toujours sujette à la suspicion, voire au doute, sur l’authenticité de la nationalité burkinabè. Il convient de souligner qu’une autre forme de différenciation ethnique commence à s’installer en référence aux lieux : on entend ainsi de plus en plus parler de Mossi de Côte d’Ivoire et de Mossi du Burkina Faso. Les Burkinabè et la nationalité ivoirienne: entre fraudes et naturalisation Si la communauté burkinabè se félicite et se réjouit de l’intermédiation de leur président dans le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire, elle n’est pas pour autant épargnée des tracasseries habituelles que subissent les étrangers. Malgré la suppression de la carte de séjour, les Burkinabè continuent d’être victimes des rackets. La carte consulaire que les Burkinabè surnomment la « cocaïne » présente tous les inconvénients lorsqu’elle est aperçue par les agents des forces de l’ordre. En cas de contrôle, son propriétaire est obligé de payer une somme (au minimum 500 FCFA) avant de pouvoir la récupérer. Cette carte est considérée comme une pièce dévalorisée et dévalorisante.
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Les arguments qui justifient le retrait ou la confiscation de la carte consulaire par les agents de sécurité sont généralement l’absence de la signature et de l’empreinte digitale du titulaire. Les démarches des autorités diplomatiques et consulaires à ce sujet sont restées vaines car les arrestations et les tracasseries n’ont pas cessé. Sur un autre registre, la carte de séjour a été remplacée par le certificat de résidence que tout étranger vivant en Côte d’Ivoire doit obligatoirement posséder. De façon systématique, elle est demandée quand l’étranger présente sa carte consulaire. En plus, la carte de résidence est exigée pour toutes les formalités administratives. Dans les contrôles de police, la possession de la « cocaïne » est dangereusement perçue comme un délit. Ces difficultés quotidiennes vont engendrer des stratégies diverses dont, entre autres, l’obtention des pièces d’identité ivoiriennes. «On peut avoir la carte d’identité ivoirienne sans être ivoirien » (Entretien réalisé le 02/09/ 09 à Koumassi). Ces propos peuvent être interprétés différemment. Premièrement, ils suggèrent l’idée d’une acquisition frauduleuse ; deuxièmement, ils prennent le sens de posséder légalement une carte d’identité, tout en ayant une autre fibre patriotique ; ils ouvrent donc un débat sur la citoyenneté. La fraude sur la nationalité est parfois présentée comme la réponse aux tracasseries que subissent les populations étrangères en Côte d’Ivoire et à la dégradation des conditions du séjour. Les fraudes sur la nationalité s’opèrent avec la falsification des pièces administratives. Elles impliquent plus ou moins des agents des forces de défense et de sécurité et des agents administratifs. Elles vont de la délivrance d’une attestation d’identité à partir d’un faux extrait de naissance avec ou sans changement de patronymes, à la falsification des documents appartenant à une tierce personne. Quelques cas de fraude : Un Burkinabè a utilisé la carte d’identité de sa deuxième épouse ivoirienne pour procéder à la naturalisation de tous ses enfants. Ainsi les enfants de sa première épouse ont bénéficié de la nationalité malgré les inconvénients qu’ils subiront. X est burkinabè. Il a deux enfants de son premier mariage avec une non ivoirienne. Ayant frauduleusement obtenu la nationalité ivoirienne avec un
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changement de patronyme, après son divorce d’avec sa première femme, il a eu trois enfants avec sa deuxième épouse. Si les trois derniers enfants sont reconnus ivoiriens, les enfants issus de son premier mariage ne le sont pas. En plus, ses enfants ne portent pas le même patronyme. Y est burkinabè de père et de mère. Elle a utilisé les pièces administratives de son tuteur ivoirien pour se faire établir un jugement supplétif puis une carte d’identité. L’acquisition de la nationalité ivoirienne par les Burkinabè entraîne des débats au sein de la communauté. Les responsables de la communauté, confrontés à cette situation, préconisent à leurs compatriotes de le faire dans la légalité afin de ne pas compromettre la communauté burkinabè. Les défenseurs de la naturalisation pensent qu’elle permettrait aux bénéficiaires d’exercer paisiblement leurs activités et bénéficier des avantages liés à la nationalité. Elle les mettrait à l’abri des différentes tracasseries. Des membres de la communauté se plaisent dans ce jeu de possession des deux nationalités. Ils parlent sans gêne de la double nationalité qui pourtant n’existe pas37. L’acquisition de la nationalité ivoirienne soulève la question de la citoyenneté. En effet, la confusion entre origine et nationalité est entretenue. La nationalité, qui doit se définir sur la base de documents juridiques, est souvent renvoyée aux origines et aux patronymes. On se retrouve ainsi avec de multiples catégories d’Ivoiriens «vrais Ivoiriens, authentiques », «Ivoiriens de souche», «Ivoiriens pur sang, de première classe ou 100% », «Ivoiriens de fibres multiséculaires » et « demi Ivoiriens, faux Ivoiriens », «Ivoiriens de circonstance», «Ivoiriens de seconde zone» (Bredeloup, 2003: 96). Cette situation tire son explication de l’histoire de la Côte d’Ivoire, où l’importance de l’immigration à partir de la période coloniale a fait de l’autochtonie un puissant enjeu politique. Par la suite, il s’est développé un sentiment anti-étranger avec la crise économique qui a contribué à dégrader les conditions de vie de l’ensemble de la population. La notion d’étranger a été ainsi progressivement élargie à certaines catégories d’Ivoiriens en même temps que naissait la remise en cause sociale de la naturalisation. En fin de compte, ne sont considérés comme citoyens ivoiriens que certaines populations portant des patronymes
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En 1966, un projet de double nationalité a été rejeté à l’assemblée nationale ivoirienne.
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du sud et de la zone forestière du pays, tandis que celles du nord du pays éprouvaient des difficultés à se faire accepter comme « vrais Ivoiriens ». Certains enquêtés relatent que beaucoup de leurs compatriotes éprouvent de la gêne vis-à-vis des Ivoiriens. Ils masquent leur origine burkinabè en fuyant la communauté et en changeant de nationalité et de patronyme. Ils se rapprochent des populations du Nord de Côte d’Ivoire et « créent » des liens de parenté. On assiste ainsi à une « dioulatisation » des Burkinabè. Cette technique se révèle efficace dans la mesure où elle cache leurs appartenances à une communauté à problèmes. Les changements de patronymes permettent de redéfinir l’arbre généalogique. En effet, les faussaires se réattribuent de nouveaux patronymes et rompent avec leur vie antérieure. Dans cette analyse, on peut dire avec Zongo (2006 : 31) que « sous certains Konan, Affi, Kouakou, et autres N’Guessan se profilent des Ouédraogo, des Sawadogo ou des Kaboré qui, par des choix, ont décidé de se défaire d’une identité devenue problématique ». Ce changement de patronyme est la traduction d’un complexe d’infériorité, d’un sentiment de honte et de gêne d’appartenir à la communauté burkinabè. Le patronyme oriente pour la plus grande part l’identification de l’appartenance nationale des individus. La possession d’une pièce d’identité ivoirienne n’enlève en rien les origines d’un individu. « Quand vous vous appelez Ouédraogo, Sawadogo vous êtes automatiquement classé et reconnu comme un Burkinabè.» (Entretien réalisé le 07/09/09 à Vridi). C’est dans cette logique qu’une grande confusion est faite par les populations qui, rapidement, collent l’appartenance à l’origine et à la citoyenneté, d’ou la contestation de la nationalité. Le patronyme détermine l’origine qui octroie la nationalité. La citoyenneté ivoirienne douteuse des Burkinabè d’origine est alors justifiée par ce postulat émanant de l’imaginaire populaire. Tout se passe comme si l’acquisition de la nationalité ivoirienne est innée (naissance), et réservée à une certaine catégorie de population. L’attribut de la nationalité par la naturalisation, même si elle est admise par les populations autochtones, crée des citoyens de seconde zone. « Mon frère, ça ne change rien. Tu es Burkinabè, tu es Burkinabè. Nous les Ivoiriens on se connaît » (Entretien réalisé le 24/08/09 à Treichville)
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La communauté burkinabè dans les tourmentes du processus électoral La suppression de la carte de séjour par le président Laurent Gbagbo, lors du meeting de Yopougon le 28 octobre 2007 a propulsé des leaders d’opinion burkinabè ou d’origine burkinabè sur la scène politique ivoirienne, introduisant, de gré ou de force, la communauté burkinabè dans le processus électoral. Si certains sont moins visibles sur le terrain, il n’en va pas de même pour Emile K. Portant à la fois la casquette de représentant du CDP38 en Côte d’Ivoire, de président du comité de soutien aux accords politique de Ouagadougou39 (APO), de porte-parole de la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire, il s’illustre par des actions qui interpellent les Burkinabè en Côte d’Ivoire. Empiétant sur les responsabilités du représentant du CDP (feu El Hadj Konfé), du représentant du facilitateur des APO, des autorités diplomatiques et consulaires, il a créé la polémique au sein des différents organes associatifs de la communauté burkinabè. Afin de se légitimer et repositionner son action, il a recadré son entreprise en se proclamant président du comité de soutien au CDP et aux APO, et ambassadeur de la paix. Ce réajustement lui permet de développer sans grandes difficultés ses actions de sensibilisation et de propagande. Son entrée sur la scène politique ivoirienne a surpris, et les moyens dont il dispose soulèvent des interrogations sur ses affinités relationnelles au sein de la classe politique. Si pour certains membres de la communauté, les actes de celui-ci sont salutaires car il affronte les obstacles et redonne à la communauté burkinabè son rayonnement d’antan et tout le respect qui lui est dû, par contre pour d’autres, ses activités de propagande politique sont susceptibles de créer la confusion au-delà de la communauté burkinabè, qui déjà a maille à partir avec l’imaginaire populaire ivoirien qui la suspecte d’être des envahisseurs, des assaillants. Se réclamant le principal artisan de la suppression de la carte de séjour40, Emile K. a des partisans et des détracteurs au sein de la communauté. Il est apprécié par une frange de la communauté burkinabè, car il est prompt à prendre des positions tranchées et à secourir personnellement des Burkinabè en difficultés avec les Forces de Défense et de Sécurité (FDS).
38 Le Congrès pour la démocratie et le Progrès est un parti politique burkinabè, majoritaire à l’Assemblée nationale et le parti présidentiel. 39 Accords de paix signés le 04 mars 2007. 40 Les recommandations du sommet de Marcoussis ont préconisé la suppression de la carte de séjour.
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« Emile K. fait le travail de l’ambassadeur et du consul. Quand un Burkinabè a un problème, il vient. Ou bien il envoie les gens pour venir te libérer. Est-ce que l’ambassadeur fait ça, est-ce que le consul fait ça ? Nous, c’est Emile K. qu’on connaît » Entretien réalisé à Abobo. Selon ses détracteurs, les positions d’Emile K. jettent un discrédit sur la communauté burkinabè. En effet, ils estiment que l’individu est un fauteur de troubles, profitant de ses entrées aux palais présidentiel à Abidjan et à Ouagadougou. D’ailleurs, il se serait imposé grâce à ses affinités avec les membres de la « galaxie patriotique » et avec la bénédiction de hauts responsables politiques ivoiriens et burkinabè. Les délégués consulaires, les chefs des communautés (du moins ceux qui s’opposent à lui) manifestent leur mécontentement car ils «digèrent mal le coup d’Etat » du président du comité de soutien aux APO. Il aurait profité de ses appuis relationnels pour organiser le meeting qui a servi de podium pour l’annonce de la suppression de la carte de séjour, alors que les discussions avaient été engagées par les autorités consulaires dans ce sens. La suppression de la carte de séjour a créé des tensions entre les délégués consulaires et les chefs de communautés quant à leur mise à l’écart dans l’annonce de la décision de suppression, d’une part, et d’autre part, relativement à la démarche à adopter pour la défense des intérêts de la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire. Les délégués consulaires et les chefs de communauté sont divisés sur le soutien que certains de leurs collègues apportent à Emile K. D’une manière ou d’une autre, il bénéficie également de l’aide, avouée ou non, des responsables d’associations, qui espèrent des retombées pécuniaires ou alors profiter de son réseau relationnel, ou simplement de sa sympathie. Par ailleurs, une opération de collecte de fonds initiée par Emile K. baptisée « Nous voulons la paix, aidons la Côte d’Ivoire »41, demande à chaque Burkinabè de Côte d’Ivoire de verser la somme de mille francs CFA pour soutenir le processus de sortie de crise en cours. Cette collecte de fonds a été interprétée comme une immixtion de la communauté burkinabè dans les affaires internes de la Côte d’Ivoire. Les détracteurs de Emile K. soutiennent que les fonds collectés seront remis au candidat du Front Populaire Ivoirien (parti au pouvoir en Côte d’Ivoire). Pourquoi ne pas organiser une collecte de fonds pour soutenir l’organisation des
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A ce sujet, un communiqué de l’ambassade du Burkina en Côte d’Ivoire a été diffusé dans la presse ivoirienne. Ce communiqué précisait que ni l’ambassadeur ni le consul n’étaient liés de près ou de loin à cette initiative du président du comité se soutien des APO et du CDP.
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élections de la diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire ? Au vu de cette controverse, Emile K. a annoncé dans un communiqué de presse que la contribution n’était pas obligatoire. Mais, comme le dit Z à Treichville:« Si votre argent est dedans, c’est que vous êtes dedans » Entretien réalisé à Treichville. D’ailleurs, si les Burkinabè ont été longtemps amenés à s’éloigner du processus d’identification et de la vie politique ivoirienne, il faut souligner qu’ils offrent des arguments de récupération de propagande politique. L’une des stratégies de ces leaders est de regrouper des voix d’électeurs des naturalisés42 ivoiriens d’origine burkinabè pour la victoire du président Laurent Gbagbo. Le mouvement, dont le coordonnateur est le responsable d’une association de jeunesse burkinabè, tient compte du fort taux de naturalisés d’origine burkinabè pour un énorme soutien au candidat du FPI43. La certitude d’être «mal aimés» Plusieurs analyses ont porté sur la situation des étrangers en Côte d’Ivoire. La stigmatisation des étrangers a produit des catégorisations des populations. La communauté burkinabè, numériquement la première communauté étrangère, se trouve la plus affectée par les crises qui ont touché la Côte d’Ivoire, même si cette communauté a contribué au rayonnement économique de ce pays. En effet, dans le souci de trouver une main d’œuvre pour la valorisation et l’exploitation des ressources de la zone forestière, les autorités coloniales françaises ont mis en place une politique de migration de travail vers la Côte d’Ivoire. Cette politique répondait au souci de tirer le meilleur profit des populations habitant les régions moins riches de la colonie française en vue de l’exploitation des richesses de la Basse Côte d’Ivoire (Tokpa, 2006). De nombreux Voltaïques, particulièrement les Mossi, représentant une population « trop dense pour une terre ingrate », offraient « un capital immédiatement exploitable » (Crozat, cité par Coulibaly, 1986 : 77). Ce flux migratoire s’est poursuivi avec les indépendances. Il s’est transformé, progressivement, passant d’une migration forcée à une migration volontaire, d’une migration saisonnière à une migration prolongée voire définitive dans le pays d’accueil. Les migrants voltaïques ont contribué à faire de la Côte 42 43
Association des naturalisés et métis ivoiriens pour Gbagbo (ANMIG) Front populaire ivoirien.
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d’Ivoire la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest, car ils ont participé à l’édification de l’économie. Mais la situation de crise économique qui perdure dans la sous-région et particulièrement en Côte d’Ivoire a pour effet la stigmatisation des étrangers, même par l’Etat. Les populations de souche vont plus loin que l’Etat dans la stigmatisation des étrangers. Elles se sentent envahies et menacées sur le plan de la sécurité, de l’emploi, de la maîtrise du foncier, des ressources alimentaires, etc. par les non Ivoiriens (constitués en grande partie par les Burkinabè) (Annan Yao, 1999 :551). Face au fait que la Côte d’Ivoire « oublie » leur contribution, les Burkinabè sont consternés par le traitement qui leur est réservé. D’abord, ils soulignent que les Burkinabè sont trop vite et trop facilement qualifiés d’individus mal intentionnés : c’est à cette communauté que l’on fait porter la responsabilité du grand banditisme. Or il arrive que certaines cartes d’identité, arrachées aux titulaires lors de contrôles, se retrouvent dans la presse comme pièce à conviction de l’identité de braqueurs et autres gangsters neutralisés44. Le nationalisme développé à la faveur de la dégradation économique a placé les populations étrangères dans une situation d’insécurité45. Cette situation d’insécurité se traduit par une discrimination à l’encontre des personnes étrangères et par des phénomènes de xénophobie. Les Burkinabè souffrent du regard négatif des populations locales du fait de leur appartenance socio-ethnique. Ce regard stigmatisant s’accompagne d’une dévalorisation qui, en fin de compte, discrédite toute une communauté. Les Burkinabè sont considérés comme des subalternes puisqu’ils occupent pour la plupart des emplois délaissés par les populations ivoiriennes. Ces populations n’imaginent aucune ascension sociale de ces immigrés ou de leur descendance, à la différence des autres communautés qui paraissent mieux adaptées à cette évolution. Il est fréquent d’entendre des doutes sur la nationalité burkinabè d’une personne dont l’apparence rompt avec l’image classique du Burkinabè. Pour beaucoup, tout Burkinabè est d’office analphabète...
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Les enquêtés mentionnent à chaque fois les arrestations arbitraires de Burkinabè lors de la crise de septembre 2002. Au cours de l’enquête de terrain, un interviewé attire mon attention sur un reportage lors de l’édition du journal télévisé, qui présente un groupe de malfaiteurs en précisant que le chef de gang est burkinabè. 45 Voir Moriba Touré (2000)
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Conclusion Les Burkinabè de Côte d’Ivoire tentent, dans un contexte difficile, de s’organiser et de créer des espaces de solidarité intracommunautaire. En d’autres termes, la prolifération d’organisations d’immigrés burkinabè sous forme d’associations, d’unions, d’amicales, de mutuelles, révèle une certaine volonté et dynamique de rassemblement. Les Burkinabè tentent à travers leurs expressions associatives de subvenir aux besoins des adhérents et de redorer le blason d’une communauté en quête de reconnaissance justifiée par sa participation à l’édification du pays. Au gré des turbulences et des opportunités, les associations burkinabè se trouvent dans une situation ambivalente et ambiguë. Les multiples contradictions suscitées par les oppositions, les résistances rencontrées expriment l’hétérogénéité d’une communauté burkinabè en Côte d’Ivoire traversée par des tensions multiples et multiformes, dont les plus importantes gravitent autour de l’intégration et du rapport au Burkina Faso, terre d’origine pour certains, terre des ancêtres pour d’autres. Ces dynamiques internes semblent être totalement ignorées par la société d’accueil pour qui, dans une grande proportion, patronyme rime avec nationalité. Bibliographie Anna-Yao E., 1999, « Immigration et identités culturelles en Afrique de l’ouest », in La population africaine au 21ème siècle, UEPA, Troisième conférence sur la population, Durban, pp 543-557. Batenga M. W., 2003, « Le milieu universitaire de Ouagadougou : l’insertion des étudiants burkinabè venant de la Côte-d’ivoire » in Coquery-Vidrovitch C., Georg O., Mandé I., Rajaonah F. (eds), Être étranger et migrant au XXè siècle. Enjeux identitaires et modes d’insertion, volume 1 : politiques migratoires et construction des identités, SEDET, Université Paris VII, Paris, L’Harmattan, pp 325338. Bredeloup S., 2003, «La Côte d’Ivoire ou l’étrange destin de l’étranger», in Revue européenne des migrations internationales, vol. 19, n°2, p.85113. Bredeloup S., 1994, « Dynamiques migratoires et dynamiques associati-
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5 Les communautés chinoise et indienne au Burkina Faso : structuration, nature des liens avec le pays d’origine et modalités d’insertion dans la société d’installation Lompo Y. Dimitri*
Résumé Traditionnellement reconnu comme un pays d’émigration dans la sousrégion ouest-africaine, le Burkina Faso se révèle également peu à peu comme un pays d’immigration. Le pays accueille aujourd’hui une forte communauté africaine. En outre, il reçoit de plus en plus de migrants asiatiques composés surtout de Chinois et d’Indiens qui semblent les plus visibles dans leurs activités économiques. Ces nouveaux résidents proviennent principalement de pays de transit soit pour délocaliser leurs affaires à cause de la rude concurrence, soit pour étendre leurs commerces et leurs entreprises à de nouveaux marchés. C’est essentiellement une migration de type commercial et entrepreneurial. Ces migrants gardent prioritairement des liens avec leurs pays d’origine (Chine et Inde) alors que ceux qu’ils entretiennent avec la société locale se résument à la sphère professionnelle. Les types d’activités développées sont fonction des opportunités qu’offre le pays d’installation. La coexistence de ces nouvelles communautés avec la société locale produit des stéréotypes de part et d’autre quant à leurs modes de vie respectifs. Mots-clés : communauté, diaspora, stéréotypes, liens, insertion.
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Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales (LERDYS), Département de Sociologie, UFR-SH, Université de Ouagadougou. Mail : [email protected]
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Introduction Dans la sous-région ouest-africaine, le Burkina Faso est reconnu comme étant le pourvoyeur de main-d’œuvre au travers de ses fortes communautés essaimées en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Niger. Cette tradition d’émigration ne faiblit pas malgré la détérioration de la qualité de vie dans les pays d’installation. Cependant depuis quelques années, le pays est en passe de devenir une zone d’immigration. L’on constate de plus en plus la formation de communautés étrangères. Par ailleurs, le phénomène nouveau est la présence de migrants asiatiques dont le nombre ne cesse d’augmenter. C’est ainsi que l’on rencontre des Indiens, des Chinois, des Coréens, des Japonais principalement dans la capitale Ouagadougou. De ces ressortissants asiatiques, les Chinois et les Indiens semblent plus visibles au travers de leurs activités commerciales. Et comme une coïncidence, ces migrants constituent dans le monde entier les plus fortes diasporas de leurs pays respectifs que sont la Chine et l’Inde. Si leur présence en Afrique n’est pas inédite, elle l’est par contre pour l’ensemble ouest-africain et particulièrement pour le Burkina Faso. Selon les sources de la Commission Nationale d’Intégration pour l’année 2006 (CNI), les Chinois (Taïwan et Pékin) et les Indiens sont respectivement estimés à 900 et 680 ressortissants. Cependant, le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de la même année 2006 avait enregistré 448 ressortissants asiatiques au Burkina Faso. Cette divergence statistique vient confirmer que le nombre des migrants asiatiques n’est pas exactement connu. La coexistence de ces communautés étrangères avec la société locale produit naturellement des transformations. Ces changements, bien que subtils, lents, méritent un regard sociologique. C’est dans cette perspective que s’inscrit le présent texte qui s’intéresse aux communautés chinoise et indienne au Burkina Faso. La présence asiatique en Afrique, spécifiquement chinoise et indienne, a fait l’objet de diverses études de la part de politologues, d’économistes surtout. Bien entendu, quelques sociologues commencent à s’y intéresser. Cette présence est abordée sous l’angle des relations internationales, stratégiques et commerciales, et de la coopération sud-sud (Alden et De Oliveira, 2008 ; Chaponnière, 2008 ; Lafargue, 2006 ; Racine, 2003 ; Dumont, 2008). La rivalité de ces deux « peuples monde » (Bruneau, 2001) dans l’espace sud-asiatique se déplace, selon plusieurs auteurs, aujourd’hui sur le continent africain (Lafargue,
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2007 ; Coussy et Lauseig, 1999). Quelques rares travaux ont tenté de cerner la ‘déferlante chinoise’ à partir d’un angle local (Bredeloup et Bertoncello, 2006 ; Kernen, 2008 ; Dupré et Shi, 2008 ; Sylvanus, 2009). Au Burkina Faso, l’étude de la communauté asiatique est une première, dans la mesure où les chercheurs sont focalisés sur l’émigration burkinabè, sa diaspora et l’impact de son retour. La présente étude permet de saisir la manière dont un phénomène social global s’adapte à un contexte local. Notre investigation privilégie les liens entre les migrants et les acteurs de la société locale avec pour objectif de comprendre la portée de ces échanges sur les communautés respectives. Comment les communautés chinoise et indienne parviennent-elles à se structurer? Quelles sont les activités pratiquées par les membres de ces communautés? Quel lien gardent-elles avec leurs terres d’origine? Comment arrivent-elles à s’insérer dans la société locale? Les communautés indienne et chinoise qui vivent au Burkina font-elles parties intégrantes des réseaux des diasporas mondiales indienne et chinoise? C’est à ces questions que se propose de répondre le présent article. Les données utilisées ici sont issues d’une enquête de terrain menée dans la ville de Ouagadougou dans le cadre des recherches de la Jeune équipe associée (JEAI- DIASPO) et du programme de recherche du LERDYS. L’enquête s’est déroulée du 16 juillet au 27 août 2009. Elle a permis de constituer un corpus de données à partir d’observations, d’entretiens et de données secondaires (rapports d’administration, base de données). Les acteurs impliqués dans cette étude sont principalement les migrants chinois et indiens évoluant dans plusieurs secteurs d’activité, leurs collaborateurs burkinabè et leurs employés (dans les commerces, entreprises et chantiers de construction, etc.). 1. Historique des liens sino- et indo-burkinabè Les relations qu’entretient le Burkina Faso avec la Chine Populaire et celle de Taïwan sont complexes et se sont toujours entremêlées. La « diplomatie du carnet de chèques »46 pratiquée par ces deux pays, explique l’instabilité des relations bilatérales et de coopération avec le Burkina Faso. Ce pays a établi des relations diplomatiques avec Taïwan le 14 décembre 1961. Or dès 1959, la République Populaire de Chine (RPC) connaissait 46
Kilian Hubert, Les dividendes de la trêve diplomatique, Taiwan aujourd’hui, juillet 2009, p.25
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déjà un rapprochement avec le Burkina sous le régime de Maurice Yaméogo. Mais en 1973, l’on assiste à une rupture des relations entre Taiwan et le Burkina. C’est ainsi que le 15 septembre 1973, la RPC établit des relations diplomatiques avec «le pays des Hommes intègres ». Ce nouveau partenariat se consolida sous la présidence de Sangoulé Lamizana en 1974. Les Chinois de Pékin reprennent l’ensemble des chantiers et des projets que conduisaient les Taïwanais. Entre 1984 et 1989, ces relations bilatérales connaissent une dynamique particulière au travers des visites successives des présidents Thomas Sankara et Blaise Compaoré à Pékin. Cependant, le 2 février 1994, le Burkina Faso rétablit ses relations diplomatiques avec Taïwan. A la suite de cette normalisation, le gouvernement de Pékin rompt ses relations avec le Burkina, le 4 février 1994. L’installation de la représentation diplomatique de Taïwan marque ainsi, en 1995, la reprise des projets abandonnés par Pékin. Quant à l’Inde, ses relations commerciales et économiques avec le Burkina Faso, qui sont plus récentes, ont officiellement commencé en mars 1976 lors de la visite d’une délégation du Ministère du Commerce et de l’Industrie dans ce pays. En juin 1993, une commission mixte fut créée afin de stimuler la coopération entre les deux pays dans les secteurs de l’agriculture, de l’irrigation, du textile, de l’industrie et des télécommunications. Cette coopération s’est renforcée à la suite de la visite du Premier ministre indien en novembre 1995 avec l’inauguration de l’ambassade de l’Inde au Burkina. Le lancement des projets indiens au Burkina intègre le plan d’expansion de l’Inde (Focus Africa et Team-9, Forum IndeAfrique47) qui compte doubler ses échanges avec l’ensemble du continent africain.
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Lancé en 2002, le programme Focus Africa vise à coordonner l’action des chambres de commerce de 24 pays africains avec les banques indiennes pour accroître les investissements dans les domaines informatique, scientifique et médical. Le Team-9 qui signifie Technoeconomic approach for Africa-Indian program, associe huit pays de l’Afrique de l’ouest dont le Burkina. Il a pour objectif d’accorder des crédits pour un montant de 500 millions de dollars sous forme de matériels et de transfert de technologie. Le premier ministre burkinabè a participé au premier forum Inde-Afrique en avril 2008.
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2. De la provenance au processus d’installation des Chinois et des Indiens Les migrants chinois48 et indiens qui vivent au Burkina Faso appartiennent à deux trajectoires migratoires qui s’entrecroisent. La première trajectoire caractérise les migrants qui sont directement venus de leur pays d’origine et la seconde, ceux qui ont d’abord transité par un ou des pays tiers. Les migrants anciennement installés et ceux nouvellement arrivés ont tendance à se répartir respectivement dans ces deux trajectoires. Certains enquêtés, qu’ils soient Chinois ou Indiens, se sont installés dans la sous-région. Ils correspondent de ce fait aux nouveaux arrivants. Cette installation s’inscrit dans une double perspective, soit pour un besoin d’extension dans le cadre de la recherche et de la conquête de marchés vierges ou de nouveaux débouchés, soit à l’incapacité de ces migrants entrepreneurs de résister à la concurrence devenue féroce dans les premières zones d’installation. Le constat de nouveaux arrivés Indiens et Chinois se justifie. «Je suis au Burkina depuis trois mois. J’ai fait le Ghana, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire. J’y suis venu parce que le patron me l’a demandé. Il a dit qu’il faut aller au Burkina parce qu’il y’a affaires, il y’a travail».49 Cependant, l’on rencontre également des Chinois et des Indiens qui y sont installés depuis très longtemps. D. F. est aujourd’hui le Chinois qui a le plus vécu au Faso. Il s’y est installé depuis 1984 selon le gardien de son cabinet sanitaire. Pour ce qui est des Indiens, le plus ancien (16 ans de résidence) serait le présent consul qui est également un grand commerçant. Ces anciens constituent des ponts entre le pays d’installation et les nouveaux arrivants. Ce qui explique le croisement des deux trajectoires. K. K est la responsable d’un restaurant indien dont le mari (lui aussi indien) est installé depuis 11 ans au Burkina Faso. Elle souligne «qu’elle a fait venir trois nouveaux chefs cuisiniers depuis l’Inde».
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Au cours de l’enquête, nous avons été vraiment surpris de n’avoir rencontré aucun Taïwanais à part ceux travaillant sur le chantier de construction du centre hospitalier universitaire chinois. Il n’est un secret pour personne ; depuis 1994, le Burkina n’entretient plus de relations diplomatiques avec la RPC. Cependant, sur le terrain, nous sommes surpris qu’aucun de nos interviewés ne soit de Taiwan. Nos observations et nos entretiens confirment à tout point de vue cette constatation. Les Chinois de Pékin sont plus nombreux que ceux de Taiwan selon les propos de tous les interviewés. Où sont donc les Chinois de Taiwan? N’ayant pas bénéficié d’entretien à l’ambassade de Taiwan. 49 Entretien réalisé le 14 août 2009 avec un Indien, arrivé il y avait à peine trois mois, exerçant dans le commerce général.
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La liaison des deux schémas migratoires explique la dynamique de la communauté chinoise et indienne. La migration chinoise et indienne à destination du Burkina est une migration principalement commerçante et d’entreprenariat. L’enquête a permis de constater qu’il y a des migrants envoyés par leurs entreprises pour des projets d’extension (pour une longue durée) ou pour l’installation et l’entretien d’équipements (quelques mois à une année) pour le compte d’entreprises locales. La société de forages dénommée Saïra International dont le siège social est à Ouagadougou en est un exemple parmi d’autres. Elle est une filiale du Groupe PPS installé en Inde. La société Saïra créée en 2002 est une extension du groupe PPS qui possédait déjà d’autres filiales dans la sous-région, entre autres au Ghana. Ce type d’extension exige une mobilité des professionnels spécialisés du domaine. C’est également le cas de Chinois qui travaillent à BRAFASO (Brasserie du Faso), où ils sont chargés de l’installation et de la maintenance des équipements achetés auprès de leurs entreprises d’appartenance installées en Chine. Ensuite, nous distinguons des migrants ‘aventuriers’ venus tenter leur chance dans le commerce ou dans d’autres domaines, en fonction des opportunités constatées. Si la durée de présence des premiers est brève (quelques mois et rarement plus d’une année) et plus ou moins connue avant leur arrivée, celle des seconds va dépendre de la bonne marche des affaires entreprises. C’est le cas de ce technicien indien rencontré dans une entreprise indienne de forages : « Je suis là depuis quelques mois pour un travail précis, après quoi je rentre en Inde ». Le projet d’installation des Indiens et Chinois est facilité par les relations qu’ils ont avec les anciens installés qui peuvent être des parents, des amis ou par le simple fait qu’ils viennent de la même région. «Je suis arrivé en 2005 par l’intermédiaire d’un ami. J’ai aussi deux frères ici avec moi. L’un est arrivé avant moi et l’autre après»50. « Je suis venu trouver mon frère qui était déjà là. Maintenant, il n’est plus là, il est installé à Dubaï»51. Ce chapelet de «petites familles» facilite notamment l’insertion des nouveaux arrivants et l’émergence d’une représentation de communautés. Ce qui explique que les deux schémas de migrations indiennes et chinoises soient tous actifs. Pour le cas de l’Inde, sa
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Propriétaire chinois d’une boutique (marié), entretien réalisé le 21 juillet 2009. Jeune propriétaire indien de commerce général (célibataire), entretien le 16 août 2009 dans sa boutique. 51
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population au Burkina est passée de 15 à 200 personnes de 2000 à 2008 selon son consul honoraire.52 Malgré cette installation par le biais d’intermédiaires, quelques difficultés d’insertion sont constatées. De façon objective, les Chinois soulignent les difficultés de langue, d’alimentation, de logement et de culture. « Ce que burkinabè mangent, nous peut pas manger. Nous sait pas c’est quoi Si je sors dans la rue, je ne peux pas parler avec les gens … le chinois, quand il ne te connaît pas, il ne te salue pas, ne te parle pas. Ce n’est pas comme cela au Burkina». Cette perception de la différence culturelle va sans nul doute interférer dans les relations qu’ils nouent avec la population locale. Le problème du logement se pose d’autant que les Indiens et les Chinois préfèrent habiter au centre-ville, près de leurs entreprises et de leurs commerces. Au-delà de ces difficultés, la concurrence entre les Chinois qui exercent dans le même domaine d’activités n’est pas de nature à cimenter les relations intra-communautaires chinoises. Ce Chinois venu faire de la médecine avec son père avant la rupture des relations diplomatiques entre Pékin et Ouagadougou souligne qu’avant il faisait bon vivre mais qu’il y a maintenant beaucoup de jeunes qui vendent des produits (médicamenteux) dans la rue et dans les boutiques. Ce qui l’a obligé à s’orienter vers la publicité publique comme bouée de sauvetage. Contrairement aux Chinois de la RPC, les Indiens vivant au Burkina se sont organisés en association, dans le but de cultiver l’esprit communautaire et aussi de servir de cadre d’insertion sociale et commerciale. Alors quelles sont les activités pratiquées par les membres de ces communautés dans leur pays d’installation? Comment sont-elles gérées? 3. La nature et la gestion des commerces et des entreprises Secteurs d’activités et statut des entreprises chinoises et indiennes Les activités des migrants chinois s’inscrivent pratiquement dans les trois secteurs que sont : le commerce, l’industrie, les services (publicité, restaurants, hôtel). Les commerces d’import-export, la restauration, la pharmacopée chinoise, les services, les télécommunications, l’informatique, la publicité, le BTP (Bâtiment et travaux publics), sont les 52
L’observateur n7287 du mercredi 24 au jeudi 25 décembre 2008 et Convergences, RTB, Ouagadougou, janvier 2007.
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activités les plus répandues dans la communauté chinoise. De plus, les boutiques chinoises d’articles divers sont les plus connues par la population, les autres activités n’étant pas très visibles. En 2008, selon les sources du Centre du Guichet Unique (CGU) de la Maison de l’Entreprise, il y avait douze (12) entreprises d’origine chinoise dont 07 personnes physiques et 05 personnes morales. Le total de leurs investissements s’élevait à 80 millions de francs CFA dont 20 millions de capital social. Quant aux migrants indiens, ils ont également investi les secteurs du commerce, des services, de l’industrie et de l’artisanat. Parmi les entreprises d’origine indienne, certaines sont des filiales dont l’entreprise mère est installée en Inde ou dans la sous-région. Selon le statut, les entreprises indiennes sont réparties entre les SARL53 et les entreprises individuelles. Selon encore le CGU, en 2008, les entreprises indiennes étaient également au nombre de douze (12) avec 09 personnes morales et 03 personnes physiques. Leurs investissements étaient de 71 millions dont 20 millions pour le capital social. S’il est vrai que tous ces migrants sont surtout connus pour leur expérience dans le commerce, il faut cependant souligner que les produits importés par les uns et les autres sont différents. Ce qui fait dire à un jeune commerçant indien « qu’ils n’ont pas de relations avec les Chinois parce qu’ils n’exercent pas les mêmes activités ». Pour ce qui est de leurs entreprises, la différence la plus perceptible, c’est que les Indiens font le choix de la personne morale pendant que les Chinois optent pour le statut individuel pour leurs entreprises. « Les sociétés à personne morale ont plus de contraintes pour les investisseurs alors que les sociétés à personne physique du jour au lendemain peuvent plier leurs bagages ; et vous ne savez pas où ils sont passés »54. Ceci autorise à émettre l’hypothèse que les investisseurs Indiens s’installent pour le long terme, ce qui n’est apparemment pas le cas des Chinois qui, sans contraintes, peuvent quitter le pays à la moindre difficulté, comme l’attestent quelques témoignages enregistrés lors des entretiens. L’on raconte des expériences de départ définitif et brusque de la part d’employeurs chinois sans aucune information préalable à leurs employés. Souvent, ceux-ci ne sont même pas informés des voyages qu’entreprennent les employeurs pour aller commander des articles.
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Société Anonyme à Responsabilité Limitée. Responsable des statistiques du CGU.
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Malgré le dynamisme et la capacité d’adaptation des migrants asiatiques, sur les 21 entreprises indiennes et chinoises répertoriées par le Fichier National des Entreprises et des Regroupements d’Entreprises (Néré) de la Chambre de Commerce entre 1996 à 2006, à peine cinq (5) subsistent encore aujourd’hui. Cela signifie que les sociétés indiennes et chinoises n’échappent pas à la faillite55 et à la fermeture. Et pourtant cette situation n’a pas empêché l’installation de 43 nouvelles entreprises56 en provenance d’Asie et d’Orient dont certainement de l’Inde et de la Chine. Organisation et gestion des commerces et des entreprises Les entreprises indiennes sont toujours dirigées par des Indiens avec des employés burkinabè. Ces derniers occupent souvent des postes de cadres d’entreprises. Cette stratégie permet aux structures indiennes de pouvoir s’intégrer avec moins de difficultés dans le monde des affaires. Par le biais du cadre local, ces migrants nouent des relations privilégiées avec le « haut » et le « bas ». Dans cette perspective, des agents commerciaux sont recrutés soit comme contractuels, soit comme permanents. De la même manière, des entrepreneurs chinois emploient des agents commerciaux. Ces entreprises chinoises écoulent leurs produits par la promesse de bonus ou de commissions à ces agents pendant les premiers mois, et surtout à ceux qui font les meilleures ventes. La gestion de toutes ces entreprises est de nature familiale. La succession à la tête des sociétés se fait d’un frère à un autre, d’un père à un fils. Pour quelques Indiens rencontrés, certains (en particulier les aînés) sont propriétaires de plusieurs commerces. Dans ce cas, la gestion quotidienne est facilitée par les "frères57" pendant que les propriétaires se chargent de la supervision et du contrôle. La gestion des commerces et des boutiques passe d’une main à l’autre au sein de la famille ou de la communauté. Des commerces, des ateliers de réparation électronique, des restaurants ont été cédés ou rétrocédés soit à un ancien employé chinois, soit à un parent, le premier responsable devant impérativement rentrer au pays pour des raisons sociales. C’est le cas du Restaurant de l’Orient situé
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A titre d’exemple : le Mayur Restaurant Indien et la société chinoise Guan Jinliang, Contributions de la Direction Générale de la Promotion du Secteur Privé (DGPSP), de la Direction Nationale de la Propriété Industrielle (DNPI) et de la Direction Générale du Développement Industriel. 57 Il s’agit bien des frères mais aussi de personnes ayant un lien de parenté avec les propriétaires. 56
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à la Zone du Bois, dont la gestionnaire est rentrée se marier. Ainsi, il a été cédé à son jeune frère qui, depuis quelques mois, est venu de la Chine et se charge de continuer les affaires. La gestion des commerces et des entreprises, n’est pas chose aisée. En ce qui concerne les Chinois qui possèdent deux à trois commerces, la gestion, bien que familiale, intègre des employés chinois venus de la RPC spécialement pour être caissier ou caissière. Ces derniers, présents au Burkina, depuis peu de temps, ne parlent que le français des « chiffres ». La « scénographie commerciale »58 dans les boutiques chinoises est identique. Quelques articles de tout genre sont rangés sur quelques étagères, le reste est étalé à même le sol. Là, l’on retrouve des cartons ouverts ou toujours fermés. Ce sont entre autres, des produits cosmétiques, pharmaceutiques, des jouets pour enfants, des articles de décoration, assiettes, pochettes de CD…Ce « bazar » chinois semble convaincre les consommateurs qui n’y marchandent pas leur présence. En effet, les difficultés communes aux Indiens et aux Chinois, selon leurs propos, c’est la douane et COTECNA59. Pour l’ensemble de ces commerçants, au Burkina Faso, les tarifs douaniers sont trop élevés. Cette situation entraîne la hausse des prix des produits qui se soldent par la baisse de la rentabilité. Ceci justifie à leurs yeux, la faiblesse des investissements des ressortissants asiatiques dans le pays d’installation. L’instabilité des taxes est indexée par les Chinois qui interprètent ce phénomène comme une manière de leur extorquer de l’argent. « Douanes, c’est trop cher. Avec 10 millions, tu ne peux pas sortir un conteneur de 40 pieds. Tu peux pas. Tu sais COTECNA…Va à Niamey à Lomé, à Mali, 5-7 millions, 3,5 millions et 7-9 millions. En plus de douanes, il y a trop de taxes et d’impôts. Les impôts sont très élevés. Vous savez, c’est bon de développer un pays. Mais si la douane, c’est trop cher ; il y a des conteneurs qui restent plusieurs mois à la douane. Demande à tout le monde ». Certains Chinois mettent également en exergue l’épineux problème de la corruption dont ils ont souvent été victimes. Des suppléments d’impôts leur sont demandés par certains fonctionnaires des services des Impôts. Cependant, les stéréotypes qu’ils mobilisent à propos de l’Inspection du travail coïncident avec la non-maîtrise des règlements en vigueur. Ils ne cessent, dans ce cas, de comparer constamment le système d’impôts et de 58
Graham (2003 :7). Entreprise internationale dans le domaine de l’inspection, de la sécurité, de la certification commerciale qui travaille en collaboration avec la douane nationale. 59
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taxes du Burkina à celui de la Chine. Ils confient que dans leur pays d’origine, tout commerçant sait ce qu’il doit aux impôts. Ce qui n’est pas le cas ici, se plaignent-ils. Parmi ceux qui exercent dans la pharmacopée, le refus d’octroi de l'autorisation officielle d’exercer est incompris puisque l’accord informel leur permet quand même d’administrer leurs soins à l’endroit de la population. La concurrence, bien que présente pour les commerçants locaux, s’intensifie également au fur et à mesure à l’intérieur de la communauté chinoise au point de porter atteinte aux relations interpersonnelles de tous ceux qui opèrent dans les mêmes domaines d’activités. L’ensemble des Indiens et des Chinois sont confrontés au problème de langue, mais ceci ne les empêche aucunement de conduire leurs affaires. Toutefois, ce problème linguistique affecte partiellement leurs relations avec les employés et les clients au travers du manque de communication qui est interprété par ces derniers comme un manque de respect et comme une forme dissimulée de ‘racisme’ pour quelques-uns. Venus pour commercer, ces migrants, chinois comme indiens, dans leurs activités, sont obligés de recourir aux autochtones pour certaines tâches. Le problème linguistique et le besoin de main-d’œuvre (gardien, manœuvre, agent commercial, secrétaire, etc..) imposent la nécessité de la présence de Burkinabè dans les commerces et les entreprises. 4. Les rapports de travail entre immigrés (indiens et chinois) et Burkinabè60 4.1 Les conditions de travail dans les commerces et entreprises chinois Le recrutement des employés de commerce s’opère de manière informelle, sans contrat précis, dans la plupart des cas. Il s’effectue par l’intermédiaire d’une tierce personne d’origine chinoise ou burkinabè. Les Chinois veulent travailler avec ceux qui leur ont été recommandés par leurs premiers employés. Il peut s’agir entre autres d’un parent, d’un ami ou d’un voisin de ces derniers. Les anciens migrants chinois recommandent souvent leurs employés aux nouveaux arrivants, comme c’est le cas de ce 60
Nous avons connu des refus d’entretiens de la part des employés des commerces chinois. Bien qu’ils soulignent avoir beaucoup de problèmes avec les chinois, ils se réservent de se confier à quelqu’un qui n’est pas de l’Inspection du travail, donc qui n’est pas capable de leur trouver des solutions pratiques.
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jeune chauffeur Burkinabè : « Avant de venir ici, je travaillais chez le Chinois qui vend les produits là. Quand celui-là [Chinois qui vend des vêtements dans une boutique externe au marché Rood-Woko] est venu, mon patron m’a demandé de travailler avec ce dernier ». Cependant, quelques employés ont été embauchés à l’issue d’un test de recrutement qui a été publiquement annoncé. Au début de leurs engagements, les nouveaux employés obtiennent des promesses de commissions ou de bonus. Mais à l’issue du premier mois, peu à peu, la confiance s’effrite pour laisser place aux plaintes et aux conflits, aux tensions quotidiennes qui s’achèvent, dans certains cas, par le départ des employés. La première situation dénoncée par les employés locaux concerne le temps de travail. Certaines boutiques sont ouvertes tous les jours (y compris les jours fériés) de 8h à 19h; d’autres effectuent une pause entre 12h et 15h. Pour les employés locaux des boutiques et des entreprises chinoises, il est difficile de travailler avec les Chinois. En effet, le chantier de construction du centre hospitalier universitaire confié à une entreprise chinoise de Taïwan en est un exemple concret. Il a été le théâtre de plusieurs grèves depuis le démarrage des travaux à cause des horaires et rémunérations. Les ouvriers affirment qu’au début, les travaux se déroulaient entre 7h et 20h, sans rémunération supplémentaire. Ces grèves ont conduit l’entreprise à revoir les heures de travail des ouvriers employés. Le problème n’est donc pas le temps de travail mais celui du manque de compensations financières en cas d’heures supplémentaires. En effet certains employés affirment au contraire être satisfaits, comme ce chargé de surveillance à l’entrée de la Hou boutique parce que les temps de travail du weekend et les heures supplémentaires lui sont créditées par le patron. La deuxième situation qui fait souvent l’objet de conflits entre «patrons» chinois et employés locaux, est le refus de la part des premiers de transmettre leur savoir-faire. Ce refus de transfert de connaissances affecte profondément les relations de travail. «Les Chinois, ils veulent seulement qu’on soit comme des robots, c'est-à-dire introduire le client, lui montrer le prix de la réparation. Ils ne veulent pas qu’on soit au courant de quoi que ce soit. A chaque fois que je parle de formation, ils ne veulent pas m’écouter. Ils ne veulent rien nous apprendre. Quand ils réparent même, ils ne veulent pas qu’on regarde. Nous aussi, nous ne faisons pas
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comme ils veulent».61 «Les Chinois n’aiment pas apprendre quelque chose à quelqu’un. Même s’il veut réparer une lampe défaillante, il ne le fait pas en ma présence. Il se débrouille pour me faire faire une commission et je reviendrai trouver qu’il a remis tout en ordre»62. C’est également le cas des Chinois qui sont employés à BRAFASO. Ils ne travaillent que la nuit et aux heures de fermeture, en l’absence de toute personne étrangère au groupe. En conséquence, la collaboration et l’entente constatées dans certaines boutiques, ne sont que de façade entre propriétaires et employés. Pour les employés locaux, l’essentiel n’est plus une bonne collaboration mais une meilleure rémunération. Ils affirment que les Chinois ne sont pas coopératifs. «Nous ne cherchons pas à nous entendre avec les Chinois. Ce qui nous préoccupe, c’est qu’on soit payés. Nous sommes ici pour avoir un peu un peu»63. En outre, la «liquidité»64 des liens entre les Chinois et leurs employés incite certains à développer des stratégies de débrouillardise. D’autres, cependant, adoptent des attitudes frauduleuses comme le démontre cette observation : «A l’heure de la fermeture, vint se garer un véhicule d’où sortirent deux Chinois en compagnie de leur chauffeur burkinabè. C’est le moment du nettoyage et de la fermeture de la boutique. Il est presque 19h, le chauffeur et les deux employés locaux font le ménage. Pendant ce temps, un couple chinois joue les amoureux adossé au véhicule garé. Juste après la fermeture, vint un homme sur une moto (Yamaha 100). Il a l’air de vouloir un produit. Un des Chinois qui était déjà installé dans le véhicule sortit pour lui demander ce qu’il voulait. Mais en langue locale mooré, un des employés dit au client qu’il peut faire une bonne affaire avec lui. Alors, le client fait semblant de partir et pendant ce temps, la voiture des Chinois démarre. Quelques minutes après, l’aide-vente rejoint le client qui s’était arrêté non loin de la boutique au bord de la voie. Il fait à présent nuit. Et là, il lui tend quelque chose qu’il sort de sa poche. Après quelques échanges, il revient vers nous et sollicite la monnaie de mille francs CFA. Pendant ce temps, le client patiente pour sa monnaie. Et après l’avoir reçue, il continua son chemin».65 61
Entretien avec un employé (titulaire d’un BAC et engagé depuis 2005) d’un atelier de réparation de matériel électronique, réalisé le 12 août 2009. 62 Entretien réalisé le 27 août 2009 avec le gardien d’un cabinet d’acupuncture. 63 Entretien réalisé le 15 août 2009 avec deux agents-commerciaux d’une boutique chinoise. 64 « Vivre dans la modernité », entretien avec Zygmunt Bauman, Revue sciences humaines, nº165, novembre 2005. 65 Observation réalisée devant un commerce chinois, le 09 Août 2009.
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Par ailleurs, le problème qui entache manifestement les relations entre employés et employeurs est celui des salaires. Les employés de commerce considèrent unanimement leurs salaires non seulement comme dérisoires, mais aussi comme irréguliers. Cette perception est d’autant justifiée selon eux quand on établit le ratio salairetemps de travail et multiplicité des tâches exécutées dans le cadre professionnel et privé. Pour les Chinois nouvellement installés, leurs employés leur servent de guides et de recours pour toutes difficultés administratives, de logement, de santé et de déplacement. Dans ce cas, il nous a été permis de rencontrer un Burkinabè employé comme chauffeur mais aussi comme agent-commercial à cause des problèmes de langue. Cependant, il ne perçoit que son salaire de chauffeur, sans oublier les retards dans le paiement des salaires. Du point de vue des employés, les Chinois leur manquent de respect et de reconnaissance. «Toi-même, tu sais comment sont les Chinois. Ils ne considèrent pas quelqu’un. Certains ont commencé à travailler avec eux, mais n’ont pas fait un mois, d’autres même pas une semaine. C’est la patience, sinon c’est pas facile».66 Pour les employés burkinabè, les représentations véhiculées par les Chinois se résument à cette expression : «leur mentalité, l’argent ou rien». Les vendeurs ambulants qui s’approvisionnent auprès des Chinois confirment ces stéréotypes. Ils soulignent que les Chinois sont durs en commerce. Ils n’acceptent pas de remplacer les produits défectueux. Au-delà des difficultés gérées au quotidien, certains conflits entre patrons chinois et employés locaux s’achèvent devant la justice ou à l’Inspection du travail. Les employeurs, qui ont été convoqués par leurs agents commerciaux ou qui ont traduit leurs employés en justice (dans une moindre mesure), estiment avoir toujours été lésés dans ces affaires judiciaires. «Il y a un Chinois qui employait une fille qui volait. Il y avait plusieurs preuves qui montraient qu’elle volait, mais il a perdu. Quand tu es étranger, et que ton employé pose plainte à l’inspection contre toi, on lui demande : Combien de temps as-tu travaillé avec lui combien tu veux, sans nous écouter même»67. Ils le justifient par le fait qu’ils sont des étrangers au Burkina Faso. De ce fait, en cas de problèmes, ils préfèrent les résoudre à l’amiable sans recours à la Justice. Le renouvellement du personnel des commerces chinois est la résultante de rapports difficiles
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Entretien réalisé le 05 août 2009 avec un agent commercial. Entretien réalisé le 15 août 2009 avec un Chinois qui travaille dans la publicité.
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entretenus entre les propriétaires et les employés qui s’achèvent toujours par des licenciements. Pour les employés locaux, les risques de renvoi ou de licenciement sont omniprésents. 4.2 Les rapports de travail entre Indiens et employés burkinabè L’engagement d’employés locaux comme les manœuvres, les agents commerciaux se fait également de manière informelle, toujours par l’intermédiaire d’amis et de connaissances, autant dans les commerces que dans les entreprises. Contrairement aux employés chinois, les agents locaux recrutés par les Indiens apprécient la collaboration avec leurs employeurs quand bien même se posent des problèmes de communication. La qualité de ces relations se mesure à l’augmentation des salaires et à l’apprentissage du hindi (langue principale de l’Inde) par certains employés. «Certains ont fait 5 ans avec les Indiens et parlent un peu leur langue. Sinon ici, les Indiens et les Burkinabè sont ensemble comme une famille»68. Les employeurs indiens ne remettent pas en cause la qualité des relations qu’ils entretiennent avec les Burkinabè même si certains soulignent quelques difficultés d’ordre culturel, traditionnel et managérial. Le travail avec les Burkinabè nécessite une répétition constante de certains principes au sein des entreprises et des boutiques. En effet, les employés, pour leur part, reconnaissent le besoin d’ajustement au management indien. Car les Indiens apportent dans leurs entreprises leur culture et leur savoirfaire69. Il est donc impératif de s’adapter à la ligne de conduite qui est fixée à l’endroit de l’ensemble du personnel des entreprises. 5. Les stéréotypes au cœur des représentations entre migrants et autochtones L’image des asiatiques chez les populations locales Contrairement aux observations de Le Bail (2005) qui constate qu’au Japon les Chinois sont très impliqués dans la vie citoyenne locale, les opinions populaires burkinabè qualifient les Chinois de personnes ou de
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Entretien réalisé le 8 août 2009 avec un manœuvre, 11 ans de service dans une société indienne de commerce général. 69 Jeune Afrique du 11 mai 2009.
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communautés très repliées sur elles-mêmes. Ce repli sur soi se manifeste de la façon suivante dans les commerces chinois : A l’entrée des boutiques, à gauche ou à droite, se trouve le caissier ou la caissière qui n’est jamais un(e) Burkinabè. A l’intérieur, les Chinois échangent entre eux. Pendant ce temps, les employés sont également regroupés entre eux, causant en mooré ou en français. Cette distance qui est interprétée comme la méfiance du Chinois, peut s’expliquer par le handicap linguistique. En outre, les Chinois sont accusés de refus de partage et de transmission de leurs connaissances et de leurs compétences. Cette situation ne facilite pas les relations de travail. Les employeurs chinois effectuent même souvent leurs voyages à l’insu de leurs employés. Ce qui fait dire à beaucoup que « les Chinois ne sont pas bien. Ils ne nous respectent pas ». En réaction à ces attitudes décriées, un employé disait qu’il n’est pas là pour savoir si la patronne est là pour longtemps ou pas. Ce qui le préoccupe, c’est de pouvoir entreprendre quelque chose à son propre compte par la suite. Certains expliquent cette discrétion des Chinois de la République Populaire de Chine (RPC) par le fait que leur pays n’entretient pas de relations diplomatiques avec leur pays hôte. Cette "introversion communautaire" a été l’une des difficultés que nous avons rencontrées dans le cadre de cette enquête70. Selon le président du forum d’amitié sinoburkinabè (FASIB), en ce qui concerne les chefs d’entreprises, « ce sont des hommes d’affaires privés qui ont risqué beaucoup pour venir ici et ils ne veulent pas faire quelque chose qui puisse empiéter ou nuire, ou bien des propos qui seront plus ou moins mal interprétés de la part des autorités ». La distance que les employeurs chinois établissent envers leurs employés est critiquée par ces derniers qui estiment que l’importance de leur présence mérite une plus grande considération. Selon les Burkinabè qui travaillent avec ou pour les Chinois, le don n’existe pas sans contrepartie immédiate. Cette opinion partagée par les enquêtés locaux qui travaillent avec eux, se résume par cet extrait : « Le 70
La limite de cette enquête se trouve dans la méfiance et le refus de collaborer manifestés par les membres des deux communautés. Ce refus s’est même révélé au niveau des structures officielles comme l’ambassade de Taiwan, le consul de l’Inde qui n’ont pas répondu favorablement à notre demande d’entretien ou de données de leurs ressortissants, malgré l’insistance dont nous avons fait montre. Plusieurs Indiens nous ont recommandé de rencontrer le consul qui seul peut donner selon eux le point de vue de la communauté. Beaucoup de Chinois également se sont réservés face à notre demande d’entretien. Ce qui ne nous a pas permis d’approfondir certaines questions qui étaient au départ une priorité pour l’enquête en question.
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Chinois ne sait pas faire un cadeau. Même quand il le fait, il te demande toujours d’exécuter une tâche (si) petite soit-elle, avant de faire le geste »71. Quant aux représentations populaires à l’endroit des Indiens, la rigueur et l’amour du travail retiennent l’attention des enquêtés. Un cliché de parcimonie leur est aussi attribué. C'est-à-dire qu’ils sont économes, cherchant toujours à minimiser leurs dépenses. Cette image vient du fait que beaucoup de boutiques ou d’entreprises indiennes constituent a priori le cadre de logement pour leur personnel. Et comme elles sont dans la plupart des cas situées au centre-ville, les dépenses des Indiens pour un loyer sont quasi-nulles au niveau individuel. Cependant, quelques commentaires soulignent qu’ils commencent à investir dans l’achat de magasins ou d’entrepôts et de terrain. Les Burkinabè vus par les Indiens et les Chinois Selon une opinion dominante dans la communauté indienne, le Burkina Faso se présente comme un pays qui offre des opportunités d’affaires et de commerce. Beaucoup d’indiens ont décidé de s’y installer dans le cadre de l’extension de leurs activités ou de la création d’une entreprise filiale. Ils soulignent également l’acceptation par les Burkinabè de la culture indienne (cinéma, musique « hindous »). Cette estime de la culture se traduit par l’engouement populaire pour les films « hindous » et les manifestations culturelles comme les «Nuits indiennes»72. Malgré l’appréciation positive populaire réciproque, il n’est nulle part fait cas d’un mariage mixte entre ces deux communautés. Au cours de nos entretiens avec de jeunes Indiens célibataires, l’éventualité d’un tel mariage apparaît peu probable au regard des réactions suscitées. Pour certains Indiens, le Burkinabè manque parfois de rigueur. Dans le cadre du travail, il faut constamment lui rappeler certains principes, même s’ils reconnaissent qu’avec la nouvelle génération, les choses sont en train de changer et que le Burkina va se développer. Le pays d’installation représente symboliquement la sécurité. L’absence de vol des marchandises compte aux yeux des commerçants indiens.
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Entretien réalisé avec le gardien de D.G Médecine Chinoise au secteur 15, le 27 août 2009. Initiée par Madame Thiombiano Safia. Elle est la promotrice des soirées dénommées « nuits indiennes » qui se déroulent à Ouagadougou. Pendant ces nuits, des burkinabè chantent et dansent au rythme de la musique « hindous ». 72
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S’il est vrai que presque tous les Chinois affirment que le « Burkina est bon », il faut reconnaître également qu’ils ont cultivé certains stéréotypes à cause d’expériences jugées désagréables. La perception chinoise de la politique de développement du Burkina est sans ambiguïté. La politique du Burkina leur semble « bizarre » (pour les ressortissants de la RPC) selon quelques-uns. L’explication de ce jugement se trouve d’abord dans la hausse des frais de dédouanement. Conséquence, certains Chinois se replient dans les autres pays de la sous-région. Les nouveaux tarifs douaniers sont interprétés comme une stratégie ou une volonté politique de réduire le nombre d’étrangers (a priori chinois) du Burkina. Jugeant leur pays hôte comme très pauvre, ils sont convaincus que seuls les étrangers et la baisse des frais de douanes peuvent apporter le développement du pays, à l’image de l’ouverture de la Chine qui a propulsé celui-ci à son actuel rang mondial. « Avant, Burkina devant Mali, Niger ; maintenant dernier. Il faut changer politique. Tu sais pourquoi Chine développe fort, fort ? Il a ouvert, étrangers sont entrés. Français, Américains, Européens pendant trois ans sans impôts ; et après 7%. Et depuis, Chine monte fort, fort comme Etats-Unis». Par ailleurs, pour certains Chinois, il y a « trop d’escrocs » au Burkina Faso. Cette représentation est une construction émanant des difficultés que cette frange de la communauté chinoise rencontre dans le cadre de ses activités commerciales. Dans les opérations de transit, certains ont été floués par des transitaires. C’est le cas de ce Chinois qui ne peut plus retirer son conteneur à cause d’un transitaire qui a disparu non seulement avec tous les documents, mais aussi avec le montant du dédouanement. Cette image justifie à leurs yeux les échecs qu’ils ont connus lors des procès en justice et des convocations à l’Inspection du travail. Parmi eux, certains ont été victimes de pratiques frauduleuses et de corruption de la part des fonctionnaires burkinabè. « Tu sais si deux ou trois personnes te trompent, tu dis que tout le monde est escroc. Les Burkinabè pensent que nous Chinois, le matériel, qu’on va donner seulement ». Pour illustrer son propos, l’interviewé nous présente deux commandes de banderoles publicitaires qu’il a achevées depuis quelque temps mais dont les commanditaires n’ont plus mis le pied dans sa boutique. Les lieux de travail ou les espaces communs partagés entre les migrants chinois, indiens et les Burkinabè induisent une production de l’altérité. Ce processus au niveau « local » croise les discours du niveau « global ». C’est-à-dire que l’identification que l’on a tendance à attribuer à l’étranger
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est liée également à ce qui est dit de lui dans d’autres localités de façon globale. Le phénomène de construction d’autrui se pose toujours « comme des processus et des dynamiques toujours singuliers qui émergent dans des configurations spécifiques des rapports sociaux dans lesquelles s’inscrit leur signification. L’individu, marqué comme un étranger par le biais d’une identification composée aux signes extérieurs de son groupe d’appartenance, construit sa position et sa définition de lui-même dans la reproduction et l’expulsion sur un tiers "Autre" de la négativité étrangère à laquelle il est astreint» (Althabe et Sélim, 1986 :379-380). Les interactions quotidiennes, les rapports de séparation et de distanciation (dans l’imaginaire) qui ont été évoqués de part et d’autre entre les migrants (chinois et indiens) et les Burkinabè produisent une distinction dans le champ des relations sociales. Cette construction se conjugue à une ambivalence qui allie « attirance et répulsion », « fascination et rejet » pour les deux groupes sociaux en présence. Cette ambivalence justifie l’apparente contradiction des représentations et des discours véhiculés les uns par rapport aux autres au sein des communautés respectives. 6. De l’organisation communautaire aux liens intercommunautaires Les modes d’organisation des immigrés asiatiques Le réseau familial ou d’amitié est la clé organisationnelle des migrations et de l’insertion des Indiens et des Chinois. Les nouveaux venus s’établissent par l’intermédiaire de ceux qui les ont précédés. La fréquentation des lieux communs comme les restaurants indiens et chinois, le déplacement collectif (en voiture ou à moto) activent le sentiment communautaire de ces immigrés asiatiques. Le logement, le recrutement de leurs employés se font selon les consignes des anciens installés. Cependant, l’observation au cours de l’enquête a permis de cerner quelques nuances entre Chinois et Indiens. Du point de vue des employés locaux, les Indiens s’adaptent très rapidement. Ils mènent régulièrement des activités collectives. Chaque dimanche, les Indiens se retrouvent sur le terrain René Monory pour une partie de football, le sport n’étant pas une priorité mais une occasion de renforcer les liens communautaires. De même, la création de l’Association Indienne du Burkina (en 2004, reconnue en 2007) exprime non seulement le fort attachement communautaire, mais également la volonté de faciliter l’insertion des nouveaux et de la communauté tout
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entière. Elle joue également le rôle de moyen de gestion des flux migratoires indiens. La communauté indienne, par son association, initie des actions de développement en faveur du pays d’installation. Ces gestes sont interprétés comme une stratégie d’insertion des immigrés à travers une implication visible (dons de soutien à une formation sanitaire, dons de vêtements aux sinistrés des pluies diluviennes du 1er septembre 2009…). L’insertion dans la société locale ou du moins l’établissement de liens avec la société d’accueil, semble s’inscrire dans les objectifs de certains membres de la communauté. Les Chinois de la RPC ne disposent pas d’association formelle73 mais se rencontrent afin d’échanger de manière informelle, à certaines occasions. L’inexistence des relations diplomatiques entre Ouagadougou et Pékin en est certainement la raison fondamentale. Les plus anciens dans le pays jouent le rôle de « consuls » en cas de problèmes. Cette perception communautaire chinoise ne signifie pas pour autant homogénéité. La concurrence entre Chinois opérant dans les mêmes domaines d’activités corrode ce lien. « Je ne peux pas te mettre en contact avec d’autres Chinois à cause de la compétition. Les Chinois qui ont le même domaine d’activités ne se parlent pas ». Les liens avec les Burkinabè (autres que les employés) Les Asiatiques (Chinois et Indiens), dans la plupart des cas, sont caractérisés comme étant des populations insulaires et fermées. Ce fait est confirmé par l’analyse de Pieke (1999 cité par Gao: 2004) qui constate que les Chinois n’émigrent pas à destination d’un pays étranger mais vers une extension de leurs propres communautés. Cette réalité explique également l’essaimage de plusieurs colonies chinoises plus ou moins importantes à travers le monde entier. Les Indiens semblent, eux, cultiver des relations avec les Burkinabè dans le cadre de la profession et de la vie sociale. Dans le cadre de la conduite de leurs affaires, les Indiens ont noué des liens privilégiés autant avec les autorités politiques qu’administratives. « Les Indiens, ici, sont bien posés en matière de relations. Au niveau du haut, il y a un Burkinabè qui est avec eux, dans la société. Tu sais, quand tu es étranger et que tu arrives à quelque part, il faut avoir un fils du pays
73 Cependant, il existe une communauté des hommes d’affaires chinois de la RPC qui s’est illustrée par une contribution financière en réponse à la demande de solidarité lancée par le Chef de l’Etat, pour venir en aide aux sinistrés des pluies du 1er septembre à Ouagadougou.
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avec toi. Parce que tu ne sais pas demain. Si c’est ça, ils en ont. Ils ont des amis burkinabè aussi »74. Cette capacité des Indiens à tisser des relations avec le « haut » et la population du pays leur assure une plus grande adaptation ou insertion dans la vie sociale et commerciale. Conséquence, ils dissimulent les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, à l’opposé des Chinois. En effet, les commerçants Indiens ont le monopole de certaines marchandises comme l’alimentaire, les liqueurs. Ils occupent donc le rang de grossistes pour les détaillants ou autres grossistes locaux. Pour un employé d’un commerce général indien, « ici, les Indiens et les Burkinabè sont ensemble comme une famille ». En outre, les relations de voisinage se déroulent dans de bonnes conditions. La familiarité entre Indiens et Burkinabè dans les commerces est un exemple concret de cette symbiose sociale. Contrairement aux Indiens, les Chinois connaissent de fréquentes frictions autant avec leurs employés qu’avec leurs clients. La suspicion des Chinois envers leurs clients est souvent source de conflits. Elle s’explique certainement par le fait que les boutiques chinoises ne désemplissent jamais. Le problème linguistique limite les relations entre Chinois et Burkinabè, en dehors du lien commercial. Les Chinois se retiennent à chaque fois que leurs interlocuteurs abordent un sujet qui n’est pas celui de l’achat d’un article ou de la demande d’un service. Cette situation s’est manifestée quand nous tentions de les aborder dans le cadre de l’enquête. Dès que l’objet de la visite se détourne des achats, le rideau du silence tombe entre vous. Le même qui avait commencé à parler français rétorque ne plus bien parler français. Qu’importe l’insistance, la discussion ne reprendra plus. L’autre source de tensions entre Chinois et clients est la qualité des objets achetés ou du service rendu. Bien que qualifiant les produits de « chinoiseries », les clients font le plein des boutiques à cause de leur faible coût. Cependant, il n’est pas rare une telle scène : A mon arrivée, il y a trop de bruit à l’intérieur. Le ton monte. Je discerne la voix de chinois, des clients et des aides-ventes. Quelques temps après, deux dames sortent de la boutique, se plaignant de la qualité des produits qui leur ont été vendus auparavant : « pour des…on nous donne des produits diabétiques, pour tuer quelqu’un. A ma surprise, ayant assisté
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Entretien réalisé avec un employé de la société indienne SONICO, le 08 août 2009
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à la scène et ne cessant de se moquer, deux jeunes gens se sont fait virer par le propriétaire chinois très remonté ».75 Si les Chinois entretiennent des relations « liquides » avec les clients et leurs employés, ils gardent inconditionnellement des liens avec le pays d’origine. On remarque également cette attitude chez les migrants indiens. Les e-liens : les moyens de connexion avec la mère-patrie Les Indiens comme les Chinois sont permanemment en contact avec leurs familles et amis restés au pays ou ailleurs dans le monde entier. Dans presque toutes les boutiques et entreprises chinoises et indiennes, les technologies de l’information et de la communication constituent l’interface entre les immigrés et leurs réseaux familial, diasporique et amical installés dans le pays d’origine ou d’autres lieux de transit ou d’immigration. En moyenne, toute boutique chinoise est équipée au moins d’un ordinateur connecté à internet. Cet outil permet aux migrants de demeurer en contact avec la Chine. Dans les entreprises indiennes, il existe même des fonds de communication destinés à permettre au personnel indien d’être relié aux familles au travers de sites de communication. En effet, comme le soutenait Nedelcu (2009) pour ce qui concerne les Roumains, l’internet apparaît comme un nouvel environnement social en favorisant la reproduction des réseaux migratoires, des processus de reconstruction identitaire et surtout des pratiques transnationales d’organisation diasporique. Cette analyse vaut aussi bien pour les Chinois que pour les Indiens. Les voyages constituent le second moyen d’interconnexion entre les Asiatiques et leurs terres-mère. Pour les Chinois, les voyages en Chine s’effectuent tout au plus deux fois par an. Ils concernent rarement l’ensemble de la famille : soit la femme, soit le mari, le neveu ou l’oncle. Ceci permet la continuité des affaires. L’un des plus anciens migrants chinois nous confiait que depuis 16 ans d’installation en terre burkinabè, il n’est rentré que trois fois en Chine. Dans l’une des entreprises indiennes, un migrant indien que nous avons rencontré, après trois années passées au Burkina, est rentré voir sa famille en Inde. Ces voyages sont d’autant moins fréquents que les Chinois et les Indiens font les commandes des 75
Observation réalisée le 12 août 2009 à Hou Boutique (chinoise).
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marchandises et de leurs articles à partir de leur pays d’installation. Donc, les principales raisons de ces quelques voyages sont d’ordre familial surtout (épouse rentrée pour accoucher, scolarisation des enfants, mariage). Ceci explique par ailleurs la sous-représentativité des femmes dans les communautés chinoise et indienne du Burkina. L’interconnexion réduit conséquemment la distance des migrants d’avec le pays d’origine. Avec une relation assez limitée avec les autochtones et une connexion permanente avec les pays de départ, les migrants indiens et chinois parviennent-ils à s’adapter en terre burkinabè? 7. La capacité d’adaptation et la contribution des communautés asiatiques Loin de la terre-mère asiatique, les Chinois et Indiens installés au Burkina manifestent une capacité d’adaptation dans le contexte social et politique du pays hôte. Les types d’activités menées d’un pays à un autre par ces commerçants et entrepreneurs varient en fonction des opportunités de la société d’installation. Si au Mali, le secteur hôtelier porte de plus en plus un manteau chinois (Kernen, 2008 ; Bourdarias, 2009), ici au Burkina Faso un seul hôtel tente difficilement de servir une clientèle jugée encore marginale. La majorité des activités des Chinois s’insèrent de façon silencieuse dans le tissu socio-économique, contrairement à certains pays de l’Afrique de l’ouest, où la présence asiatique a suscité à plusieurs reprises, des heurts avec les autochtones comme les manifestations antichinoises au Cameroun, en Afrique du Sud, au Sénégal, (Perrot et Malaquais, 2009), au Cap-Vert, à Khartoum (Thiollet, 2009 : 111) et très récemment en Algérie76. Les marchés et « yaar » de la capitale ne constituent en aucun cas une priorité pour ces deux communautés. Ce qui n’est pas le cas des Chinois implantés au grand marché de Lomé (Sylvanus, 2009). Dans la symbolique autochtone, cette attitude est le signe d’une volonté de négocier et de cohabiter avec les locaux. L’inexistence de « marché indien ou chinois », où ils seraient majoritaires, minimise leur présence, leur impact sur la consommation des biens.
76 Le 06 août 2009, le gouvernement de Pékin appelle les autorités algériennes à prendre des mesures en vue de protéger les 25 000 chinois qui vivent à Alger et cela à l’issue des émeutes qui ont opposé les Chinois aux Algériens. La tension serait partie d’une altercation entre un homme d’affaires chinois et un commerçant algérois qui reprochait au premier de s’être garé devant son magasin. Voir ; consulté le 06 Août 2009.
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La capacité de repli et de redéploiement des Chinois et Indiens provient d’un capital culturel assez important. La plupart des interviewés assurent avoir suivi plusieurs types de formations. Ce qui leur permet de passer d’une activité à une autre, en cas d’extension ou d’échec. C’est le cas de ce Chinois avec lequel nous avions eu une conversation : « J’ai fait des études en médecine, informatique et en soudure». Aujourd’hui, il est reconverti dans le métier de la publicité publique parce que le domaine lui parait vierge, alors qu’il affirme être venu au Burkina pour pratiquer la médecine. Pour l’instant, un seul Chinois est installé dans le marché « RoodWoko », le marché central de Ouagadougou, rouvert en juin 2009 après l’incendie qui l’avait partiellement ravagé en 2003. A son arrivée, il exerçait dans les produits pharmaceutiques mais l’invasion de ce secteur et la perte des revenus l’ont contraint à commercialiser désormais des produits cosmétiques (parfums, savons). L’on assiste aussi à la délocalisation fréquente des commerçants chinois à l’intérieur d’une même ville ou d’une ville à une autre. Il peut s’agir également d’installation de représentation de certaines entreprises indiennes dans les villes moyennes du Burkina. Quel est l’intérêt de la présence indienne et chinoise pour la communauté burkinabè ? La première perception populaire de l’intérêt de la présence indienne et chinoise, c’est sa contribution à l’emploi des jeunes dans les commerces et les entreprises. De façon objective, malgré les critiques souvent sévères à l’égard de leurs responsables, agents commerciaux, aides-vente, employés ordinaires (contractuels et permanents), manœuvres, gardiens, vendeurs ambulants vivent connectés avec ces derniers. S’il nous est impossible pour cette étude de dresser le bilan du nombre d’employés dans les commerces, les services et les sociétés asiatiques, on peut quand même souligner que Dragon Hôtel emploie à lui seul trente-six (36) burkinabè sur un total de trente huit employés. L’entreprise indienne Diamond Cement, quant à elle, a créé plus de 175 emplois directs et plus de 200 emplois contractuels. Chaque boutique indienne ou chinoise engage au moins deux aides-vente. La plupart des employés locaux reconnaissent la contribution de leurs employeurs au développement du pays. Le second intérêt manifesté à l’endroit de la présence asiatique est la baisse des coûts des différents produits de consommation. Cette réduction facilite l’accès aux produits des couches sociales les plus défavorisées. Bien entendu, cela n’empêche pas que ces produits soient qualifiés de
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« chinoiseries », représentant la faible qualité de ces derniers. L’émergence de sociétés de fabrication de motos ‘JC’ en est un exemple parmi tant d’autres. Les établissements de commerces, les locaux des entreprises, les logements et les magasins, loués par les Chinois et les Indiens, rapportent des montants assez élevés aux propriétaires. L’ensemble de ces infrastructures est situé au centre-ville où le prix d’un local est le plus élevé de la capitale. Un agent commercial d’une boutique chinoise se confie : « Les gens disent que c’est cher [les articles], mais c’est le prix qu’il a fixé. Et puis, la location de la boutique fait 250 000 F/ mois ». Sans conteste, l’on peut dire que les activités commerciales indiennes et chinoises participent à l’économie du pays, même si la part importante s’inscrit dans l’informel. En effet, la contribution de ces entrepreneurs au titre des impôts, des taxes et des recettes douanières est considérable. La seule entreprise indienne Diamond Cement verse en moyenne 150 millions de francs CFA par an au titre des frais et taxes douaniers. 8. Les causes de l’immigration Les raisons de la présence chinoise et indienne Pour les Indiens, ce qui justifie de plus en plus leur présence au Burkina, c’est la stabilité politique et la sécurité des biens. Un jeune Indien explique que sa société avait envisagé auparavant s’installer en Côte d’Ivoire, mais les évènements qui ont eu lieu dans ce pays l’en ont dissuadé. Cette raison est largement partagée par leurs employés qui estiment que la paix au Burkina Faso est la raison fondamentale de cette installation de plus en plus marquée. Globalement, l’immigration indienne s’explique par le fait que le Burkina est «un pays propice pour les affaires». La volonté d’extension et de conquête des parts de marchés fait émerger ou naître des filiales d’entreprises et de commerces déjà installés dans la sous-région à partir d’où les prospections ont été menées. La possibilité de trouver des débouchés, d’écouler des produits et de faire du profit détermine la présence indienne, dans ce nouveau contexte de mondialisation. Le fait que l’on rencontre de nouveaux arrivés (moins de trois mois pour quelquesuns) suppose que cette trajectoire est active et même très dynamique. Enfin, l’appréciation positive de la culture indienne (l’art vestimentaire, la musique et le cinéma «hindous») par le peuple burkinabè est une raison de
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la volonté des migrants indiens de s’y installer et d’y investir dans le long terme. De façon spécifique, la plupart des Chinois rencontrés justifient leur présence au Burkina Faso par le fait que dans les premières localités d’installation, les marchés se sont progressivement refermés. Donc, le pays d’installation n’est pas le choix de première instance. Ce choix du Burkina renseigne sur leur incapacité à tirer profit de la concurrence dans les pays de transit. Les nouveaux marchés sont considérés comme zones vierges. Le principe n’est pas de s’y installer pour le long terme, mais de tirer des profits et des opportunités de façon rapide. Les Chinois reconnaissent que si le marché continue à baisser, ils iront voir ailleurs. Un Chinois77 affirme qu’il était auparavant à Lomé et que là-bas, il n’y a plus d’affaires. Selon un Togolais, gérant d’un hôtel chinois, les Chinois seraient environ 23 000 à Lomé. Autrement dit, les affaires ne marchent plus bien à cause du nombre élevé de Chinois opérant presque dans les mêmes activités. Ce qui signifie que la migration chinoise est une migration de transit ou du moins temporaire (le temps de prospérité des affaires), mais dont la nature dépendra des opportunités trouvées dans le nouveau pays. Face aux nouveaux tarifs douaniers, certains Chinois disent attendre de voir : « Y’aura des élections pour voir si le président…celui qui sera reconduit, ça va changer? Si ça ne change pas, on va quitter ici ». Pour preuves, déjà quelques Chinois auraient quitté le Burkina à la suite des hausses78 des tarifs de dédouanement des marchandises. Cette hausse a affecté le nombre de Chinois, surtout des propriétaires de cabinets de soins ou pharmacopée traditionnelle. Il n’en resterait que deux selon les données de la DGPML79. L’«asiatisation» des marchés locaux Aujourd’hui, sur l’ensemble du continent africain, aucun pays n’échappe à l’afflux des produits chinois et indiens (textiles, habillement, machines, outils électriques et électroniques et autres biens de consommation…) sur son marché. Cette présence en Afrique de l’ouest est
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Ce Chinois qui vit à Ouagadougou depuis 8 ans a deux boutiques (une en face du marché et l’autre en face du Lycée Gal-Yam) et un restaurant. Il y a un mois, il a fait venir directement de Pékin un autre Chinois pour l’aider dans la gestion d’une de ses boutiques. 78 Cette hausse est évoquée par les enquêtés qui font le lien avec l’arrivée du nouveau Premier Ministre Tertius Zongo. 79 Direction Générale de la Pharmacie, du Médicament et des Laboratoires.
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récente, contrairement à l’Afrique orientale et australe qui furent la première destination des Asiatiques. Les produits de grande consommation, de luxe, l’alimentaire, l’électroménager, les produits pharmaceutiques « made in China » circulent aussi bien dans les grandes agglomérations que dans le milieu rural. Aucun domaine d’activités n’est en reste. Le marché chinois s’est invité sur le continent : « La Chine aujourd’hui est comme vous le savez l’usine du monde qui fabrique quasiment, pratiquement tout pour le monde entier. Et on dit que 85% de produits de consommation courante, des équipements […]. Nous mêmes, nos pays sont envahis par les marchandises chinoises. Nos commerçants importent essentiellement de la Chine Populaire ».80 La compétitivité de ces produits leur garantit un bon accueil de la part des consommateurs, des détaillants et même des commerçants semi- grossistes. En effet, cet accès au marché africain est d’autant plus facile que les normes sur les produits manufacturés sont moins exigeantes que celles des pays occidentaux81. Pour le moment, cette colonisation du marché par les produits chinois n’a pas provoqué de façon manifeste, ni une opposition des commerçants, ni un boycott de la part des consommateurs burkinabè. Mais rien ne garantit qu’un tel phénomène ne se produise. Pour cela, l’exemple malien est illustratif. Selon Bourdarias (2009 :31), l’installation dans ce pays des premières entreprises d’import-export, au départ n’a pas occasionné de concurrence entre les Chinois et les autochtones maliens. Mais l’avènement des commerces de distribution a rendu la concurrence réelle. Conséquence, la représentation du Chinois envahisseur s’est forgée et installée dans l’imagerie populaire. Il est difficile de parler de quartier ou de marché chinois ou indien à Ouagadougou. Cependant, il est certain que les Chinois et les Indiens ont un attachement manifeste pour le centre-ville. Il constitue la zone de prédilection de ces migrants. Leurs commerces sont installés aux abords des grandes rues et avenues qui traversent le centre-ville et desservent Rood-Woko qui est le marché central de la capitale du Burkina Faso. Non loin de ces commerces, se trouvent leurs logements. Par ailleurs, certains habitent au rez-de-chaussée de leurs entreprises ou au dessus des locaux réservés pour le service ou la vente d’articles. Malgré le coût très élevé du 80
Entretien du 25 août 2009 avec le président du Parti Africain de l’Indépendance (PAI). H.B, La Chine en Afrique: invasion ou effet d’optique ?, Topic, septembre 2007,http://www.hec.fr/var/fre/storage/original/application/3597884ef436ce5d49b462021d4e 2677.pdf, consulté le 14 septembre 2009. 81
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loyer et des locaux, vivre à proximité de son commerce ou lieu de travail permet certainement de minimiser les frais de déplacement. Bien que n’étant pas majoritaire, leur présence est plus visible dans ces espaces. En effet, ces lieux commerciaux constituent également en grande partie ceux du logement. Souvent ces espaces commerciaux sont partagés entre Chinois et Indiens. Sur la même rue, l’on peut rencontrer deux à quatre Chinois ou Indiens. Cependant, l’on peut parler de "quartier asiatique" partant du seul principe que c’est le lieu par excellence où les Chinois et les Indiens sont le plus représentés même s’ils sont loin d’être majoritaires sur ces artères. Pour eux, «le marché, c’est là où vient tout le monde ».
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Graphique 1 : Evolution des échanges Burkina Faso-Etats-Unis (en millions de francs CFA) entre 2005 et 2007
Graphique 2 : Evolution des échanges Burkina Faso-Maroc (en millions de francs CFA) entre 2005 et 2007
Graphique 3 : Evolution des échanges Burkina Faso-Chine (en millions de francs CFA) entre 2005 et 2007
Graphique 4 : Evolution des échanges Burkina Faso-Inde (en millions de francs CFA) entre 2005 et 2007
Source : calculs de l’auteur ; données de la Direction Générale du Commerce/INSD 2008. La présence d’articles chinois et indiens sur le marché s’explique aisément. Une analyse comparative entre les quatre (04) graphiques cidessus révèle que si les échanges commerciaux entre le Maroc et le Burkina Faso sont plus importants (en terme de valeur), le fait marquant est l’évolution plus prononcée des importations en provenance de l’Inde et
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particulièrement de la Chine (RPC). Les graphiques 3 et 4 représentent l’impulsion d’entrée massive des produits chinois et indiens au Burkina Faso. Cette "colonisation" du marché burkinabè est évidente avec la baisse des exportations burkinabè vers ces deux pays, alors que les importations en provenance de ces derniers sont presqu’en constante hausse. Cette impression d’expansion fulgurante se lit dans la diversité des produits importés de ces pays (textiles, habillement, outils électriques et électroniques, biens de consommation, électroménager, informatique…). Conclusion Le présent article met en lumière la présence asiatique au Burkina Faso. Organisés prioritairement autour des commerces, les communautés chinoise et indienne sont en train de se structurer. Numériquement marginales, elles marquent déjà de leur empreinte la société d’installation. Le faible pouvoir d’achat des Burkinabè et le faible coût des produits chinois et indiens expliquent la "colonisation" de l’ensemble du pays par ces produits. La rapide croissance des importations en provenance de la Chine et de l’Inde pour le marché burkinabè laisse entrevoir une inondation globale de ce marché. Le rapport entre exportations du Burkina à destination de ces pays et importations en provenance de ces pays est un indice fort. Le caractère récent de cette immigration asiatique conforte l’idée selon laquelle les années à venir seront ‘indienne et chinoise’, si ces deux communautés parviennent à s’adapter complètement vis-à-vis de la hausse des frais et taxes douaniers, véritable obstacle à la rentabilité des commerces et des entreprises selon leurs analyses. Les communautés chinoise et indienne en terre burkinabè ne se constituent pas en marge des réseaux diasporiques de leurs pays d’origine respectifs. Il existe donc des interconnexions avec les communautés vivant déjà dans la sous-région. Ce lien se justifie par le fait que les migrants proviennent de zones de transit comme le Mali, le Bénin, le Togo, etc. Ce qui nous fait dire, en particulier pour les Chinois, que leur installation n’est jamais définitive. Tôt ou tard, la zone d’installation devient une zone de transit pour atteindre de nouveaux pays ; soit pour une délocalisation, soit pour une extension des affaires commerciales. Les liens entre ces communautés et la société locale nous semblent pour l’instant limités à la sphère professionnelle. Les représentations de "bons
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migrants" ou "mauvais migrants" qui se dégagent dans la construction de l’image de l’étranger à travers cette étude sont issues des brassages quotidiens et des interrelations avec la population locale en fonction de la jonction du local et du global. Ces représentations sont inhérentes à la production de l’altérité et de l’étranger en particulier en tout lieu. Les Chinois installés se considèrent comme étrangers et comme susceptibles de quitter le pays en cas de faible profit. Les Indiens, bien que se percevant comme étrangers, semblent vouloir s’enraciner dans le pays hôte. Ce fait se confirme au regard du statut des entreprises installées (personnes physiques pour les Chinois et personnes morales pour les Indiens). Il est nécessaire de souligner que ces ressortissants asiatiques gardent le contact avec leurs pays d’origine, surtout à cause de la famille qui y est restée, principalement par le biais des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les communautés chinoise et indienne qui sont installées dans la société locale burkinabè ne vivent pas en marge des réseaux diasporiques de leurs pays d’origine répandus partout dans le monde entier. Elles s’inscrivent dans le même processus ; seulement, elles s’adaptent à la terre d’accueil en tenant compte des opportunités, des contraintes et des liens entretenus avec les pays de départ. Bibliographie Alden C. et al., 2008, «Chine et Afrique : facteur et résultante de la dynamique mondiale», Afrique contemporaine, nº228, 4, pp.119-133. Apoteker T, Le Dragon et l’Eléphant : Pourquoi la Chine attire-t-elle tellement plus d’investissements étrangers que l’Inde ? www.tac-financial.com /publ/lesechos200403.pdf. Bambio Z. F, «L’offensive commerciale chinoise au Burkina Faso : impact économique», http://www.investir-bf.info/index.php/L-offensive-commerciale-chinoise-au-Burkina-Faso-Impact-%C3%A9conomique. html. Betke D., Les immigrants chinois stimulent l’économie de marché en Afrique de l’ouest. La « main invisible » de l’Extrême-Orient, www.rural21.com/uploads/media/rural_fr_29-31_01.pdf. Bénéï V., 2005, «L’Inde à l’étranger imaginaire, diasporas et nationalités», L’Homme, nº 173, pp.175-185. Bourdarias F., 2009, «Mobilités chinoises et dynamiques sociales locales au Mali», Politique africaine, nº113, pp.28-54.
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6 Accueil et réinsertion des rapatriés de Côte d’Ivoire dans les départements de Gaoua et de Batié, Burkina Faso Thomas OUEDRAOGO* Résumé Face à l’insécurité et aux différentes formes de préjudices, consécutives aux crises socio-politiques, subies par les Burkinabè résidant en Côte d’ivoire, le gouvernement burkinabè a décrété la mise en place de “l’opération Bayiri” le 13 novembre 2002. Cette opération a consisté au convoi volontaire des Burkinabè de Côte-D’ivoire. Il s’en est suivi une politique d’insertion socio-économique à travers la définition de programmes d’activités diverses au profit des rapatriés mais aussi leur accueil dans leurs familles d’origine ou, à défaut, leur installation dans des sites propices à la pratique de l’agriculture (dans le Sud-ouest et l’Ouest.). Le présent article se propose d’explorer le fondement des dispositifs d’accueil de l’opération Bayiri dans les départements de Gaoua et de Batié afin d’évaluer l’efficience et la validité de ces dispositifs. Il tente de répondre aux préoccupations légitimes caractéristiques de l’intégration sociale. Mots clés : migration de retour, rapatrié, conflit foncier, crise, Etat.
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Sociologue, au CGD (Centre de Gouvernance Démocratique). Mail : [email protected]
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Introduction Actuellement, les conditions requises pour un séjour en Europe sont protocolaires et les mesures contre l’immigration sévères : expulsion en France “des sans papiers”, difficultés pour obtenir le visa, délai butoir pour évacuer les immigrés clandestins (2007 fut la date retenue pour épurer la Hollande des immigrés), etc. Les restrictions sont également manifestes en Afrique : expulsion des étrangers dans certains pays notamment le Gabon, le Nigeria, le Zimbabwe, la Côte d’Ivoire... Dans le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, les difficultés rencontrées par les étrangers commencent avec la chute des prix de produits de base (café, cacao) et la conjoncture économique qui en découle. Elles s’accentuent avec les impasses politiques (querelle de succession au père de la nation après 1993) et la dégradation des conditions de vie (la pauvreté urbaine). Dans cette situation de crise, l’étranger est considéré comme le “porte-malheur” et est de ce fait exposé aux traitements xénophobes. Le corollaire a été l’expulsion des étrangers, en l’occurrence des Burkinabè, suite au conflit de Tabou en 1999 (15.000 expulsés). Ce conflit marque le début d’un “retour contraint” progressif des Burkinabè vers le pays d’origine. Ces mouvements de retour atteignent leur paroxysme après les évènements du 19 septembre 2002, évènements qui ont plongé la Côte d’Ivoire dans une période difficile et éprouvante surtout pour les étrangers. Après le déclenchement de la rébellion et face à l’insécurité et aux différentes formes de préjudices subies par les Burkinabè résidant en Côte d’Ivoire, le gouvernement burkinabè a décidé la mise en place de “l’opération Bayiri” le 13 novembre 2002. Cette opération a consisté à rapatrier les volontaires pour le retour au pays. Le gouvernement a prévu en outre à leur intention une politique d’insertion socio-économique à travers la définition de programmes d’activités diverses. Il a également facilité l’insertion des rapatriés dans leur famille d’origine ou, à défaut, encouragé l’installation des rapatriés dans des sites propices à la pratique de l’agriculture (dans le Sud-ouest et l’Ouest.). Ainsi avons-nous choisi de réfléchir sur les fondements, l’efficience et la validité des dispositifs mis en place dans le cadre de l’opération Bayiri dans les départements de Gaoua et de Batié. Le choix de cette zone comme milieu d’étude se justifie par le nombre élevé de rapatriés d’une part, et de l’autre, par la diversité ethnique des rapatriés.
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L’étude a été menée en 2004 et a concerné les populations de Gaoua et de Batié, deux zones réputées attractives pour les rapatriés. La production des données a requis 46 jours parmi les rapatriés, pendant lesquels une enquête qualitative a permis de collecter des informations factuelles. Ces données ont été recueillies à l’aide d’un canevas qui présentait l’avantage de structurer les entretiens et de préparer le traitement manuel auquel les informations étaient soumises. De nombreuses études ont été menées sur l’historique des mouvements de populations en Haute Volta. Certaines ont porté sur les motivations et les raisons qui poussent les Burkinabè à migrer (Lesseling, 1975) et l’importance des flux migratoires (Vaugelade, 1980). Les récentes études portent sur l’impact des migrations sur le développement du Burkina Faso (Zongo, 2003), les perspectives pour la réinsertion socio-économique des rapatriés de Côte d’Ivoire (Bredeloup et Bertoncello, 2004.), etc. Certaines études (Zongo, 2003) ont révélé les limites de l’intérêt que les autorités accordent à la situation des rapatriés : après avoir accueilli "chaleureusement" leurs compatriotes dans des sites de fortune (notamment les stades), les autorités ont consenti à l’évacuation des sites pour la préparation des échéances sportives. L’attitude de certains responsables de l’opération Bayiri a également inspiré de sérieuses suspicions sur la transparence de la gestion du fonds collecté au profit des rapatriés (L’Indépendant N°559 du 25 mai 2004). La réflexion peut alors porter, de façon spécifique, sur la question suivante : "Quels sont les moyens et les stratégies adoptés par l’Etat pour réussir l’insertion socio-économique des rapatriés de Côte d’Ivoire dans le cadre du plan opérationnel inter-ministériel ?" Les interrogations qui se rattachent à cette question se déclinent comme suit : Comment concilier les intérêts d’une population résidente (majoritairement pauvre) et d’une population recommandée (installée par le truchement des programmes) dans une perspective d’insertion socioéconomique ? Quels sont les moyens effectifs du gouvernement burkinabè pour rendre efficaces les projets et les programmes ? Comment se fait le mode d’appropriation des programmes par les rapatriés ? L’objectif principal vise l’analyse du dispositif d’accueil et d’insertion socio-économique des rapatriés. L’étude peut contribuer à accroître les connaissances déjà capitalisées sur les migrations au Burkina Faso à travers un éclairage sur l’insertion socio-économique des rapatriés de Côte d’Ivoire. Elle peut aider à apprécier la présence et la légitimité de l’Etat au
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niveau local. La recherche permettra de mettre en évidence le rapport entre les discours officiels et les actions effectivement menées par l’Etat au profit des rapatriés dans la région de Gaoua. Dans le contexte de crise entre l’Etat ivoirien et l’Etat burkinabè, l’accueil et l’installation des rapatriés de Côte d’Ivoire au Burkina Faso traduisent, par hypothèse, la volonté de l’Etat d’affirmer sa capacité de gestion et de protection de l’intérêt public. 1. Historique des retours Après la période coloniale, un flux important de migrants burkinabè (ex Voltaïques), pour de multiples raisons, va progressivement essaimer l’espace ivoirien. Selon INSD (1998) et le CSBE (1992), l’effectif des Burkinabè résidant en Côte d’Ivoire se situe entre 2,5 et 3 millions. Cette forte présence des Burkinabè trouve une explication avec la théorie de la main-d’œuvre rurale excédentaire et celle de la disparité des salaires telle que conçue par Todaro (Ricca, 2000). La migration s’expliquerait alors par la quête de l’équilibre et la recherche du bien-être. Cependant, au cours des décennies 70 et 80, les récurrences des crises surtout économiques obligent les pays d’immigration à adopter des politiques restrictives. Cette situation n’est pas spécifique à la Côte d’Ivoire car déjà, entre 1969 et 1970, les pays d’immigration ont mis en place un dispositif pour encourager le retour des étrangers. En Europe, cette stratégie repose sur l’octroi d’une allocation de déplacement, la création de conditions d’existence plus favorables dans les pays d’origine des immigrés, le financement de leurs différents projets, etc. Le retour comme projet ou comme précaution Le retour peut être considéré comme un projet lorsqu’il s’inscrit dans la perspective d’une migration de travail. Le migrant garde alors la ferme intention de revenir dans son milieu d’origine lorsqu’il estime que les objectifs fixés au départ, sont atteints. Selon Lesseling (1976:14), le retour des migrants entretient et pérennise le mouvement migratoire : « à la limite, nous pensons que s’il n’y avait pas de migrants revenus, il n’y aurait pas de migrations nouvelles, mais un éclatement de la société vers de nouvelles normes économiques et sociales, peut-être mieux adaptées aux besoins du pays ». Le retour est libre et témoigne d’une certaine
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satisfaction du migrant. Les analyses de Vaugelade (1982 :1183-1218) montrent la timidité des retours : pour 336 000 personnes enregistrées pour le départ vers la Côte d’Ivoire, on accueillait 165 000 personnes de retour entre 1969 et 1973. Cependant le chemin du retour sera continuellement animé par un grand nombre de migrants burkinabè surtout après les crises des années 1980. La crise des années 1980 et les conditions de vie des Burkinabè de Côte d’Ivoire La chute des prix de certains produits de base (café, cacao) réduit la solvabilité de l’Etat ivoirien qui procède à une ″ivoirisation" des emplois et à une redéfinition des lois d’accès au foncier. La première marque d’ivoirisation a été l’impossibilité pour les non Ivoiriens d’accéder à de hautes fonctions à partir de la décennie 80. Dix ans après, c’est toute l’échelle de l’économie qui sera atteinte. L’imposition de la carte de séjour en 1991 montre la limite de la tolérance des autorités d’une "terre jadis hospitalière" (Blion, 1996). Nana (cité par Zongo, 2003:8) affirme que dans cette période de crise, l’étranger « est considéré comme quelqu’un qui vient s’approprier les richesses du pays». Ainsi, il est traité en bouc émissaire et accusé d’être le responsable des difficultés que connaît la Côte d’Ivoire. Après la mort du premier président de la Côte d’Ivoire en 1993, les héritiers ont vite fait de rompre avec la politique d’accueil. Cette politique qui attirait les migrants de toute origine vers la Côte d’Ivoire, fait place à une politique de discrimination et à une pratique de la xénophobie organisée dans la théorie de « l’ivoirité ». On peut alors s’interroger sur les conditions de vie des étrangers, en général, et celles des migrants burkinabè, en particulier. A ce sujet, la représentation permanente de la Haute Volta (1980) renseigne sur les conditions de vie des Burkinabè en Côte d’Ivoire : plus de deux millions de Burkinabè vivaient dans ce pays. Ils étaient soumis aux travaux dangereux et moins valorisés; ils habitaient les quartiers les plus pauvres ; ils connaissaient également la précarité et l’insécurité au niveau de l’emploi, les licenciements sans droits, les accusations infondées de vols, la faiblesse du SMAG (inférieur à 10 000 FCFA par mois), et surtout l’utilisation de certains Burkinabè contre leurs compatriotes notamment les "agents secrets". Lesseling (1975) fait remonter les difficultés que
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rencontrent les étrangers à l’époque d’Houphouët Boigny : l’acquisition obligatoire de la carte du parti, l’acquittement de l’impôt à hauteur de 12% en fonction de la catégorie professionnelle, le manque de temps de loisir (un jour par semaine), un travail pénible et prolongé (20 heures par jour) d’où la consommation du ’’picky picky’’, une sorte d’amphétamine aux conséquences redoutables, pour remédier à l’épuisement. Cette situation critique qui fait penser au retour prend de l’ampleur au gré des conjonctures politiques et économiques. Le conflit de Tabou en 1999 sera l’effet catalyseur d’un retour progressif des Burkinabè de Côte d’Ivoire. Le conflit de Tabou Les crises dues à la chute de l’économie rurale auront une incidence sur l’économie ivoirienne en général. Depuis, un climat tendu caractérise les relations entre autochtones et allogènes. Ces derniers ont pu surmonter, d’une certaine manière, les effets néfastes de ces années de crise en raison de leur capacité d’adaptation. Ainsi, les immigrés burkinabè ont pris des mesures pour prévenir les dysfonctionnements dans le secteur agricole. Ces mesures de maintien dans l’économie rurale sont, entre autres, la non scolarisation des enfants, l’organisation domestique et communautaire qui bénéficie de l’appui des aides familiales, la diversification des activités agricoles à travers la culture du maïs, l’importance des activités féminines (notamment la production et la commercialisation des condiments), etc. Cela a permis aux Burkinabè non seulement de résister à la récession économique, mais aussi de renverser la hiérarchie du point de vue économique. Une recomposition économique s’opère en leur faveur au détriment des nationaux ivoiriens (Zongo, 2003). C’est ainsi qu’en 1975, la population étrangère africaine (21%) occupait 46 % des emplois et percevait plus de 26% de la masse salariale (Ministère du Plan, 1976-80). De même, Touré (cité par Bredeloup, 2003) relève qu’en 1993, le taux d’activités des étrangers s’élevait à 73,2%. Cette visibilité des étrangers sur le plan économique a engendré des frustrations chez les autochtones. Elle a également suscité des conflits au nombre desquels on peut retenir (Zongo, 2003) : - le conflit de Tabou en 1999 : dans cette zone du Sud-ouest de la Côte d’Ivoire, un conflit foncier oppose un étranger (Burkinabè) à un autochtone. Ce conflit dégénère en un affrontement interethnique dont le résultat a été l’expulsion de quinze mille (15
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000) Burkinabè hors de la région. C’est le début d’un exode des Burkinabè de Côte d’Ivoire vers le pays d’origine ; - le conflit de Bloléquin en 2001, né d’un différend entre un Burkinabè et un Guéré dans la sous-préfecture de Bloléquin. Ce conflit entraîne le déplacement de six mille (6 000) Burkinabè ; - le conflit de Bonoua : il a pour origine une querelle entre un étranger (un gardien de marché) et un autochtone. Ce conflit amène les autochtones à prendre des mesures restrictives contre les étrangers en général, et les Burkinabè en particulier. Les différents conflits, aux origines banales mais aux conséquences lourdes pour les étrangers, sont révélateurs du climat d’insécurité qui pèse sur ces derniers. De même, la loi foncière de 1998 exclut les étrangers de la propriété sur le plan foncier et accorde la propriété exclusive de la terre aux autochtones. Les étrangers vivent alors dans une insécurité foncière et sont exposés aux traitements xénophobes. Pour y échapper, certains adoptent des attitudes comme l’effacement ou le rejet de l’identité authentique. Le conflit foncier désigne alors l’état d’opposition et de contradiction entre les propriétaires terriens traditionnels et les populations installées par le truchement des textes. L’eldorado ivoirien devient donc « un enfer sur terre » comme le souligne Sawadogo Jacob (Sidwaya du 08/10/2002) : « un de mes compagnons a été tué sous mes yeux pour avoir refusé de payer ou tout simplement il n’avait rien.» Cette atmosphère entre autochtones et étrangers prendra une dimension inquiétante à partir de la mort d’Houphouët Boigny et l’avènement d’Henri K. Bedié au pouvoir. Celui-ci va promouvoir le concept d’ivoirité à des fins politiques. Ainsi, une frange de la population ivoirienne, notamment les nordistes, sera considérée comme « ivoiriens de second degré ». De ce fait, leur origine ivoirienne est mise en doute, ainsi que leur droit civique, contrairement aux sudistes. L’ensemble de ces frustrations va aboutir à la rébellion du 19 septembre 2002. En effet, à cette date, une rébellion tente un coup de force pour rétablir «la justice et la vraie démocratie » en Côte d’Ivoire. Ces événements ont plongé la Côte d’Ivoire dans la période la plus trouble de son histoire. Ainsi, le pays est divisé en deux entités. Une partie, notamment Bouaké, Séguéla, Man, Odiénné et Bouna, est occupée par les insurgés ; l’autre partie se trouve sous le contrôle des forces loyalistes. La Côte d’Ivoire est ainsi partagée en «zone loyaliste» et en "zone occupée". Les autorités ivoiriennes accusent le Burkina Faso de
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soutenir la rébellion. Accusations qui exposent les ressortissants burkinabè à la vindicte populaire dont les effets et les conséquences sont lourds : tueries massives, enlèvement et disparition des personnes, baisse de l’activité économique, etc. Cette situation sera à l’origine du retour massif des migrants burkinabè de Côte d’Ivoire vers le Burkina Faso. Face à cette situation en Côte d’Ivoire, les autorités burkinabè ont mis en place un dispositif pour faciliter le retour de ses ressortissants, principalement au Sud-ouest à partir de 1999. A cette date, en effet, un grand nombre de personnes a été touché par le conflit de Tabou dont le corollaire fut le retour massif des Burkinabè de Côte d’Ivoire. Ces retours vont s’accentuer avec la crise de septembre 2002, cette fois avec une ampleur nationale. L’opération de rapatriement a été organisée avec l’appui des autorités administratives du Poni dans le but de convoyer les personnes originaires du Sud-ouest burkinabè et contraintes de rejoindre leur pays. Au total, le Noumbiel a reçu 770 hommes et 476 femmes. Le Poni a enregistré 3581 hommes et 3245 femmes. Contrairement aux impressions recueillies au cours des entretiens, les hommes se sont révélés numériquement plus importants que les femmes ; en effet, l’idée était répandue que de nombreux rapatriés rentraient mettre leur famille à l’abri pour aussitôt repartir. On constate également des disparités au niveau des départements. Les principales zones de concentration sont Gaoua (avec 2444 rapatriés), Kampti (4096) et Lorépeni (4275). Les femmes ont également un effectif peu élevé surtout dans les départements qui ont reçu peu de rapatriés notamment Legmoin (3 femmes contre 61 hommes) et Malba (4 femmes contre 14 hommes). Toutefois, les femmes à cette période sont plus nombreuses dans les départements de Boroum-Boroum (26 femmes contre 23 hommes) et à Lorépeni (933 femmes contre 634 hommes). En somme, le Sud-ouest a reçu à la période de juillet 2003 un effectif total de 20 226 rapatriés dont 5537 hommes, 4782 femmes et 10 226 enfants. Ces entrées vont se poursuivre au gré des perturbations politicomilitaires de la Côte d’Ivoire. Le profil sociodémographique des rapatriés présente les caractéristiques suivantes (Zoungrana, 2003:21) à la date du 7 Février 2003: - les ethnies dominantes sont les Lobi et les Birifor; - 90% des rapatriés pratiquent l’animisme ; - 55% sont mariés, 45% célibataires et 5% veuves ;
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on compte 7 personnes par ménage (taille moyenne) ; le Poni a enregistré des zones de forte concentration de rapatriés. Il s’agit respectivement des départements de Lorépeni, Kampti, Gaoua et Nako. Mais le Noumbiel connaît également quelques poches de concentration notamment à Batié et à Legmoin.
2 Les enjeux politiques de la crise ivoirienne et l’organisation de l’opération Bayiri Les enjeux politiques Les autorités burkinabè ont, depuis toujours, accordé une attention aux déplacements des compatriotes vers la Côte d’Ivoire. Déjà, les propos du Général Lamizana rapportés par Coulibaly (1982:20) montrent que la migration soutient le développement du Burkina Faso:« De par la densité de sa population, la pauvreté de sa terre et aussi la qualité de ses hommes, la Haute Volta a toujours été un réservoir de main-d’œuvre hautement appréciée à l’extérieur de nos frontières. Jusqu’en 1973, les transferts privés (notamment les économies réalisées par nos concitoyens à l’étranger) étaient du même ordre de grandeur que les transferts gouvernementaux aides (environs 10 milliards de F CFA) quand ils n’excédaient pas ce niveau. Autre moyen de comparaison : l’épargne de nos compatriotes égalait en valeur nos exportations». Les recettes dues à la migration des Voltaïques vers la Côte d’Ivoire sont nécessaires pour équilibrer l’économie du Burkina Faso. Cette dépendance vis–à-vis de la Côte d’Ivoire va susciter des attitudes de laxisme politique ou une disposition à la négociation chez les autorités burkinabè. Le Premier Ministre (L’Observateur Paalga du 14/10/2002) déclarait : « nous avons trois (3) millions de nos compatriotes qui vivent dans ce pays … On ne peut pas se comparer à un autre pays qui n’a que quelques milliers de ressortissants … Il n’est pas question d’organiser un rapatriement massif mais de travailler avec la communauté internationale pour trouver une solution à ce problème ». D’ailleurs, Ricca (1990 :158) soulignait que « les retours massifs font peur. Les gouvernements qui s’y trouvent confrontés les considèrent beaucoup plus comme une épreuve à subir que comme une chance à saisir ».
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Toutefois, la récurrence des crises en Côte d’Ivoire va freiner la contribution des Burkinabè de Côte d’Ivoire au développement du pays. A ce sujet, le Général Lamizana (Coulibaly, 1982 :20) déclarait que « non seulement le niveau de ces transferts [fonds des migrants] a stagné, mais la distorsion des termes de l’échange s’est aggravée au point que pour équilibrer notre balance des paiements, il faudrait aujourd’hui multiplier, par deux, le montant transféré. Cette valorisation de la rémunération du travailleur voltaïque à l’étranger n’est pas de notre pouvoir, ce qui me fait penser, devant la dévalorisation de cet investissement humain, que notre pays aura de plus en plus intérêt à retenir ses fils sur la terre natale ». Ces dispositions officielles n’ont pas pu empêcher la constitution de réseaux informels dont les missions se résument à l’accueil, à la protection et à l’insertion socio-économiques des nouveaux venus. Au Burkina Faso, la migration revêt un aspect vital pour l’individu et pour sa société. Cette détermination fait de chaque Burkinabè un « migrant potentiel » et confine l’Etat dans un aveu d’impuissance : son incapacité à maîtriser les flux migratoires. Mais sa responsabilité est engagée en période de crise et son secours attendu devant l’expulsion des migrants burkinabé de Côte d’Ivoire. Pour gérer les retours massifs, le gouvernement s’est résolu à organiser l’opération Bayiri. L’organisation de l’opération Bayiri L’exacerbation de la crise et ses conséquences sur les étrangers en général, et les Burkinabè en particulier, ont imposé la quête d’une solution rapide et efficace. Ce d’autant plus que la France, le Mali, la Guinée avaient déjà organisé le retour volontaire de leurs ressortissants. Devant l’insécurité due à la crise et la pression de la société civile burkinabè, le gouvernement procède à la mise en place de l’opération Bayiri. Cette opération qui a consisté au rapatriement volontaire des migrants de retour depuis la Côte d’Ivoire et le dispositif qui l’accompagne font suite à une décision du Gouvernement. Selon le Ministre de l’Action sociale et de la solidarité nationale (L’Observateur Paalga du 14-17/08/2003), « son but est de faciliter le retour volontaire de tous nos compatriotes qui étaient en situation difficile en Côte d’Ivoire suite à la crise qui secoue ce pays ». Le Ministre précise que le terme Bayiri ne doit pas faire mystère. Il a été choisi pour donner une visibilité à l’action du gouvernement: c’est un appel
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patriotique à un retour sur la « terre des ancêtres » après les épreuves et les préjudices subis à l’étranger. C’est un moment de solidarité et de patriotisme. Dans cet esprit de cohésion, les Verts (Sidwaya n°3906), parti d’opposition, déclaraient : « Les verts du Burkina en appellent au respect des valeurs de paix. Ils s’associent à toutes les actions en cours visant à trouver une solution pacifique et durable à ce douloureux événement qui nous interpelle tous, population, autorités ivoiriennes et burkinabè à la sauvegarde, au respect des valeurs et vitalités, de paix, de dignité et des droits humains ». De même, le professeur Ki Zerbo (Sidwaya du 10/10/2002) réputé radical parmi les opposants, offre une analyse pertinente sur la situation en Côte d’Ivoire. Pour le professeur, la Côte d’Ivoire vit actuellement une crise d’identité ou mieux d’ « identification culturelle ». Déchiré entre nord et sud, en proie à une dérive xénophobe jamais égalée, le pays se ’’cherche’’ et cherche une âme. Tous ces maux sont imputables à ’’la vision politique’’ des successeurs d’Houphouët Boigny. Le professeur s’oppose, cette fois- ci, à la classe politique ivoirienne, et plaide pour son pays : « Accuser le Burkina Faso d’agression sans preuve aucune, c’est allumer un feu de brousse dont personne ne contrôlera les ravages ». Face à cet effort de solidarité et d’unité, le Ministre de l’Action sociale et de la solidarité nationale (L’Observateur Paalga du 14 -17/08/2003) confie : « C’est la première fois que j’ai vu une chaîne de solidarité se tisser autour d’une action gouvernementale ». Dans ces conditions, le gouvernement procède à l’organisation de l’accueil et de l’installation des rapatriés de Côte d’Ivoire. Cette tâche est dévolue au CONASUR dont les missions classiques étaient, entre autres : - mettre en œuvre un plan de secours d’urgence ; - concevoir et élaborer des programmes sectoriels d’intervention en cas de calamités naturelles y compris la réhabilitation ; - former le personnel à la prévention des catastrophes naturelles et en gestion des programmes de secours d’urgence et de réhabilitation ; - informer, sensibiliser les populations sur les mesures préventives à adopter en vue d’atténuer en cas de catastrophe naturelle, les conséquences sur leur vie ; et - superviser, appuyer et encadrer les structures décentralisées du CONASUR dans la mise en œuvre des programmes. De façon pratique, le rôle du CONASUR consiste à : - organiser les constats et les évaluations des sinistres (localités, victimes, dégâts, besoins) ;
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mobiliser et coordonner l’aide d’urgence nécessaire aux sinistrés (Ouédraogo, 2003:10-11). Depuis sa création en 1973, le CONASUR a été chargé de gérer les catastrophes naturelles. Ses missions ont été réorientées suite au retour massif des Burkinabè de Côte d’Ivoire. Le gouvernement lui assigne les missions particulières qui portent sur l’accueil, l’installation et la prise en charge des rapatriés de Côte d’Ivoire. Pour les autorités (Sidwaya du 08/12/1999), « au-delà des secours d’urgence, il s’agit à court et moyen termes, d’aider les personnes en détresse à pouvoir s’adapter et se réinsérer dans leur milieu d’origine ». Pour ce faire, un fonds de soutien a été institué auprès du Trésor public. Le CONASUR est en collaboration technique avec l’Organisation internationale des migrations (OIM) (transport des rapatriés) ; il bénéficie de l’aide alimentaire de la FAO à travers le PAM. Le ministre en charge de l’Action sociale (L’Observateur Paalga du 14 –17/08/2003) fait le bilan suivant: « Le total des contributions s’élève à 558 254 627 F CFA avec 543 736 803 F CFA comme dépenses ». Cette opération n’a concerné qu’environ 5% de ceux qui sont revenus (Zongo, 2003) estimés à trois cent mille (300 000) personnes. Face à ce retour massif des compatriotes, les autorités burkinabè tenteront de leur assurer une réinsertion socio-économique. Les principaux acteurs de l’accueil Des actions à multiples dimensions ont été menées au profit des rapatriés de Côte d’Ivoire. Dans la phase d’urgence, les actions ont consisté en : - l’accueil des rapatriés ; - l’identification, l’installation et l’accompagnement dans les localités ou villages d’origine ; - la satisfaction des besoins d’urgence en matière d’approvisionnement en eau, d’alimentation et de santé ; - la fourniture de matériels de survie composés de nattes, de couvertures, d’effets d’habillements etc. ; - la prise en charge post psycho-traumatique. Ces différentes actions ont pu se réaliser grâce à des structures plus ou moins spécialisées.
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L’Action sociale Cette structure est représentée au niveau du Sud-ouest par les antennes provinciales du Poni, du Noumbiel, de la Bougouriba et du Ioba. Il y a aussi des antennes de fortune comme celle de Lorepéni. L’Action Sociale a joué un rôle important dans « la promotion de la solidarité nationale ». Ses missions sont diverses selon les responsables des différentes représentations. En résumé, les missions portent sur l’accueil, l’identification et l’enregistrement des rapatriés. L’Action sociale, par le truchement des agents techniques, conseille les couches vulnérables et règle les différends entre les bénéficiaires (rapatriés). Elle permet d’alimenter permanemment les statistiques afin de donner une visibilité au phénomène : 80% des rapatriés proviennent du Sud-ouest. Ainsi, l’Action sociale peut être vue comme pionnière de l’accueil et de l’installation des rapatriés depuis 1999 où elle a reçu mandat de conduire l’opération de décompte et de s’impliquer dans le COPROSUR, la section provinciale du CONASUR. Ces différentes attributions favorisent le contact permanent entre les agents de l’Action sociale et les rapatriés dont ils connaissent les préoccupations et les problèmes. Aussi, la fréquentation des rapatriés dans les locaux de l’Action Sociale au niveau de Gaoua et de Batié est remarquable. Il ressort de nos échanges que ces visites sont permanentes et se prolongeraient à domicile. La Croix-Rouge Les tentatives pour obtenir un entretien avec cette structure ont été infructueuses. A l’évidence, elle se caractérise par un manque de personnel permanent. En dépit de cette contrainte, la Croix-Rouge s’est activement illustrée dans l’accueil et l’enregistrement des rapatriés, surtout ceux de 2002. Ses agents, sous une tente de 15 km², ont séjourné 3 à 4 mois à la frontière avec le Ghana pour accueillir et viser les entrées. A la date du 4 avril 2002, les agents avaient enregistré 10.000 Burkinabè et 600 autres personnes qui devaient continuer vers le Mali. Ils ont été témoins du traitement dont les rapatriés ont été victimes : le seau d’eau vendu relativement cher, le plat de riz vendu à 150 F et le nombre élevé de blessés. La Croix-Rouge a
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collaboré avec les autorités locales (Préfet, Haut-commissaire), les forces de sécurité (la gendarmerie, la police), les transporteurs et l’Action sociale. La collaboration avec l’Action Sociale a souvent été entachée de méfiance ou d’incompréhension : L’action de la Croix-Rouge est peu connue par les rapatriés ou est le plus souvent mise au compte de l’Action sociale, pourvoyeuse de vivres. Les autres acteurs Dans le cadre du COPROSUR, plusieurs acteurs ont aidé à l’accueil et à l’installation des rapatriés. On peut citer entre autres les autorités administratives, les sociétés de transports, les forces de sécurité et la population. C’est ainsi que le MEBA (Ministère de l’enseignement de base et de l’alphabétisation), avec le concours de l’UNICEF et par le biais du CONASUR, a œuvré à faciliter l’accueil et la scolarisation des enfants rapatriés : achat de tentes, facilité d’inscription, formation des encadreurs et enseignants en matière de gestion de crise, réhabilitation psychologique, etc. De même, depuis le conflit de Tabou, la population a montré un intérêt pour l’accueil des rapatriés : « Par contre, au niveau de Sidimoukar et de Niobini à Gaoua, les rapatriés ont rejoint leur famille. L’émigration est considérée comme un rite de passage chez les jeunes de la région. Elle est un acte pour se libérer des contraintes». Comme l’affirme Madeleine Père (1982:103), « le besoin de promotion sociale pousse les jeunes à partir. Le départ à l’étranger est ressenti comme initiation à la modernité. Le Lobi a besoin de se mesurer à l’épreuve. Il ne peut plus déployer sa bravoure dans la guerre et presque plus dans la chasse. Il la montre dans l’émigration de laquelle il devient un homme nouveau, courageux et honoré. Emigrer est devenu pour les jeunes une nécessité encore plus sociale qu’économique. Celui qui n’émigre pas, à un moment ou à un autre, n’est qu’un affreux qui n’a rien dans le ventre, un propre à rien ». Les crises en Côte-d’Ivoire ont donc catalysé un retour chez soi. En somme, l’accueil et l’installation des rapatriés ont été assurés par plusieurs sensibilités dont l’objectif principal était de favoriser l’intégration de ceux-ci dans la région du Sud-ouest.
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3. L’insertion socio-économique des rapatriés Bien avant la crise ivoirienne, les dirigeants du Burkina Faso avaient tenté de lutter contre l’émigration à travers une insertion socio-économique des paysans. L’objectif était de favoriser « la fixation des jeunes sur leur terroir », ce qui s’était concrétisé par la réalisation de chantiers économiques : l’Aménagement des Vallées de Kou (AVK), l’Aménagement des Vallées des Voltas (AVV) et l’instauration du travail à haute intensité de main-d’œuvre dans les zones fertiles. Ce dernier projet financé par le BIT (Bureau international du travail) en 1982 avait pour objectif de réduire la pauvreté et d’accompagner les politiques dans leur effort d’insertion socio-économique des paysans avec les critères suivants : - la pauvreté relative de la zone, notamment le bas niveau du PNB ; - le déficit céréalier, c’est–à-dire l’incapacité à subvenir aux besoins alimentaires ; - la disponibilité de la main-d’œuvre nationale ; et - les zones où il y a une forte tendance à l’émigration (soit plus de 50.000 personnes par an). Les autorités créent également des possibilités pour : - la formation des jeunes sur les méthodes culturales à travers les FJA ; et - la formation des artisans par la création des CNPAR. Les efforts des politiques pour assurer la promotion socio-économique des paysans burkinabè ne sont pas toujours à la hauteur des attentes individuelles et personnelles qui demeurent insatisfaites. D’où la continuité des flux migratoires en direction de la Côte-d’Ivoire. Coulibaly (1982) était pessimiste à ce sujet : « Est-ce la solution de sortir du tas des millions de paysans croupissant dans la misère quelques éléments pour les rendre riches ? » L’interrogation, dans une certaine mesure, vaut pour la problématique de l’insertion socio-économique des rapatriés de Côte-d’Ivoire. En effet, le Burkina Faso a une population pauvre (45,3 %). Ainsi, les autorités sont tenues de prendre en compte le contexte national avant l’élaboration du plan d’insertion des rapatriés. Ce projet a été confié à une cellule technique dirigée par le MASSN et composée de sept experts issus de quatre ministères. Elle a pour objectifs l’élaboration des programmes en tenant compte des aspects suivants :
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le renforcement des programmes existants dans la perspective d’intégrer les rapatriés ; - la relecture de certains programmes en vue de leur adaptation aux nouveaux besoins exprimés; et - l’initiation de nouveaux programmes nécessaires à la prise en charge des besoins de réinsertion socio-économique des rapatriés (CASEM, 2003:19). Les programmes ont peu ou prou intégré les principales préoccupations des rapatriés, notamment les besoins sociaux d’urgence (alimentation, santé et éducation) et l’appui aux activités économiques génératrices de revenus (agriculture, élevage, commerce et artisanat). Pour rendre le plan opérationnel, les actions du plan ont été définies comme suit : - les actions humanitaires d’urgence, notamment l’alimentation et la santé ; - les actions à court terme (début d’insertion à partir de décembre 2003) et - les actions à moyen terme (la période couvrant 2004-2005). Ces actions connaissent un déficit de financements qui sont respectivement de 2 427 284 270 F CFA, 5 192 484 270 FCFA et 228 650 000 FCFA pour les différentes actions. Les programmes accordent un budget important au domaine de l’agriculture (3.395.000.000 FCFA) et de l’élevage (3.255.100.887 FCFA). Toutefois, les fonds alloués à l’environnement (461.178.500 FCFA) sont modestes. Ce en dépit d’un contexte national et international marqué par la promotion du concept de développement humain durable. Le budget consacre une part importante à l’agriculture et à l’élevage. Sur l’ensemble du budget, l’essentiel du financement était à rechercher. Le financement à rechercher est très élevé (7 421 134 270 FCFA). Il concerne le programme 1 (Programme d’appui dans le domaine de l’Action Sociale) avec un déficit de 3 984 884 270 FCFA, le programme 2 (Programme d’appui dans le domaine de l’enseignement secondaire, supérieur et de la recherche scientifique) dont le déficit se chiffrait à 2 326 000 000 FCFA, le programme 7 (Programme d’appui dans le domaine de la protection de l’environnement) avec un déficit de 435 250 000 FCFA, le programme 8 (Programme d’appui dans le domaine du renforcement de la sécurité) avec un déficit de 500 000 000 FCFA, et le programme 10 (Programme d’appui ponctuel et spécifique) avec un déficit de 200 000 000
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FCFA). Les programmes qui avaient des déficits élevés étaient ceux qui ne bénéficiaient pas d’une contribution financière de l’Etat. Selon les autorités, « à terme, la mise en œuvre devrait permettre de réduire l’aggravation du problème de pauvreté au Burkina Faso, de même que le chômage et le sous-emploi. Il contribuera à freiner les conséquences sociosanitaires des conditions de vie actuelles des rapatriés, tout comme la recrudescence de la délinquance qui pourrait survenir» (Plan opérationnel, 2003:4-5). On peut noter des similitudes entre le projet de réinsertion adopté jadis par le Ghana et l’opération Bayiri, notamment par l’inscription de la réinsertion dans une perspective de développement du pays. Aussi, l’opération ghanéenne destinée à l’accueil, à l’installation et à la réinsertion socio-économique a une parenté avec l’opération Bayiri, relayée par l’OIM Burkina, à travers leurs objectifs et leur mode de fonctionnement. A l’instar du programme ghanéen de réinsertion socio-économique, le programme burkinabè vise à associer les rapatriés de la Côte d’Ivoire au programme de développement du pays. Ainsi, le Ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources Halieutiques a lancé le 19 juin 2003 un programme de réinsertion socio-économique au profit des rapatriés. Ce programme est financé à hauteur de 3 000 000 000 FCFA par la Banque Mondiale. Il vise à accroître les productions halieutiques, agricoles et forestières (Plan opérationnel, 2003) et est de fait appuyé par différentes structures de développement. On constate un nombre important de projets conçus pour assurer la réinsertion socio-économique des rapatriés de Côte d’Ivoire. Ces programmes s’inscrivent dans la perspective de lutte contre la pauvreté et surtout la promotion de l’auto-prise en charge des paysans dans un contexte de désengagement de l’Etat. Les appuis concernent principalement l’agriculture et l’élevage. Les interventions couvrent également le domaine du petit commerce (vente de céréale, de légumes, de beurre etc.) et le renforcement des performances (formation de menuisiers, de vaccinateurs, etc.). Ces interventions ont un impact relativement mitigé sur les bénéficiaires. Les objectifs de ces projets sont appropriés ou réappropriés par les bénéficiaires qui les interprètent en leur faveur. Les interventions ne garantissent pas l’unité des actions paysannes autour de l’idéal de la participation, mais suscitent des divisions dans les communautés bénéficiaires. Ces communautés (rapatriés et non rapatriés) sont animées par des perceptions différentes surtout accentuées par la particularité
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culturelle des populations du Sud-ouest du Burkina Faso. Or comme le précise Madeleine Père (1882:596), « le développement économique n’aura quelques chances de succès que dans la mesure où il tiendra compte du domaine culturel, c’est-à-dire de la langue, du style de vie et d’habitat, des valeurs de groupe, de la manière propre de penser, d’éduquer, d’exister, de ses rapports de lignages et interlignages villageois, de ses rapports religieux notamment avec la terre, avec les ancêtres aussi bien qu’avec l’argent, avec les richesses et l’usage à en faire ou à ne pas en faire ». Les principaux problèmes des rapatriés concernent la scolarisation chez les enfants non parrainés, l’accès difficile à l’eau et la précarité des logements. Cette situation limitait la fréquentation des services médicaux. Les rapatriés font recours à ce que l’on a coutume d’appeler la «pharmacie ambulante » « pharmacie par terre » (produits prohibés) pour se soigner en cas de maladie. Ces difficultés sont aussi surmontées, par moments, grâce aux activités menées. Les activités menées par les rapatriés Par le truchement des projets, les rapatriés sont organisés, souvent avec leur famille d’accueil, dans des groupements. Ils mènent des activités diverses avec cependant une importance accordée à l’agriculture. A Sidimoukar, à Niobini et à Batié, les rapatriés travaillent dans les champs collectifs au titre des groupements, et dans les champs individuels. Les variétés choisies répondent à la qualité du sol et dépendent de la disponibilité des terres cultivables. A Niobini, Sidimoukar ou à Kgakonon, les variétés cultivées sont le mil, l’arachide et le coton (en expérimentation à Niobini). Les légumes et les tubercules sont cultivés dans les jardins principalement à Sidimoukar. A Batié, ces mêmes variétés sont pratiquées, mais les rapatriés s’investissent de plus en plus dans les plantations. Ainsi, des espèces comme l’anacardier, l’oranger, etc., sont plantées dans les champs collectifs ou individuels des rapatriés. A Bayirnoma, pour 37 concessions supposées habitées dans le site, seulement 26 concessions sont réellement occupées. Les absences s’expliquent par une pratique reconnue aux planteurs. Ils quittent leur zone habituelle de résidence pour s’installer dans les campements auprès des
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champs. Ils y reviennent lorsque la période de récolte prend fin. Sur les 26 concessions régulièrement habitées, 4 chefs de concession n’ont pas de plantations. Les autres (22 concessions) ont des superficies de plantations variant de 2 à 12 ha. Les concessions sont souvent très éloignées des plantations (la distance varie de 6 à 20 km). Ils s’investissent dans l’arboriculture, constat qui contraste avec les conclusions du rapport de stage de terrain d’un groupe d’étudiants ; conclusions selon lesquelles, « si la majorité des migrants de retour ont perdu leurs matériels, leur argent, leurs champs, en un mot la quasi totalité de leurs biens, il ne leur reste donc que leur savoir-faire comme composante du capital migratoire qui puisse être validé. Il se trouve que ce savoir-faire se résume dans la connaissance que les rapatriés ont en matière de culture et de plantation. Or, cette dernière activité bien qu’ayant accueilli l’essentiel des rapatriés burkinabè ne saurait être pratiquée ou praticable ici au Burkina Faso, eu égard au climat qui ne s’y prête pas » (Sawadogo, 2004 : 47). Ces termes tranchent avec la détermination réelle des rapatriés. Car même dans la zone étudiée par ce groupe d’étudiants (Sidimoukar et Niobini), mais aussi Batié et Lorépéni, les jeunes ont créé des plantations d’anacardiers dans lesquelles ils capitalisent ce qu’ils ont appris pendant leur migration. Ces plantations permettent aux rapatriés de se valoriser car ils finissent par employer les jeunes Birifor qui travaillent comme ouvriers agricoles. Un jeune rapatrié explique que « le vieux Compaoré a plus de 10 ha de plantations. Il est vieux et seul. Il est donc obligé d’engager les jeunes Birifor comme contractuels dans son champ. Le contrat continue avec la traite » (entretien du 27/11/04 à Batié). L’agriculture est surtout pratiquée par les hommes. Les femmes sont des "aides", notamment pour les tâches domestiques et les travaux moins pénibles (culture de l’arachide, élevage …). Elles bénéficient également de fonds (accordés par certains projets) pour exercer le petit commerce : tourteaux d’arachide, beurre de karité, igname, huile d’arachide, etc. Ces activités sont également pratiquées par les femmes de Sidimoukar, de Niobini et dans une moindre mesure par les femmes de Kgakonon, ces dernières n’ayant pas accès aux prêts PRSR. Les femmes et les jeunes rapatriés ont également accès au crédit PNDSA II réservé à l’élevage. Ainsi, l’embouche porcine prend de l’ampleur par rapport aux autres espèces dont l’élevage est associé à des considérations sociales. A ce sujet, Diallo (1978:15) note que « les bœufs, moutons et chèvres ont, eux aussi leur place dans la maison, une étable ou un couloir est pour eux. Les
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vaches d’une race très petite, d’une taille de 0,70 m à 1m ne donnent que peu de lait. Elles sont surtout là pour payer la dot et pour quelques grands sacrifices ». Les taurins sont élevés pour les sacrifices. Dans ce contexte l’élevage, loin d’être une activité économique, est plutôt destiné à remplir certaines obligations sociales. Malgré les crédits et autres avantages tels que l’encadrement technique, l’élevage de ces espèces est peu développé. Les rapatriés ont acquis des aptitudes pour exercer de nouveaux métiers : la carbonisation, la vaccination de volaille, la menuiserie, etc. Un rapatrié de Bouna, actuellement installé à Niobini, satisfait de la formation, déclare : « Nous remercions le PNDSA II et [le Ministère de] l’Environnement. Avant la formation je ne savais pas que l’on peut transformer le bois en charbon. Aujourd’hui, grâce à la formation, je peux en devenir un industriel ». Les rapatriés sont donc engagés dans plusieurs domaines d’activités : l’agriculture, l’élevage, le petit commerce et les métiers (menuiserie, maçonnerie etc.). Ces activités sont pratiquées avec plus ou moins de difficultés. Difficultés liées aux activités des rapatriés Les difficultés liées aux activités menées sont diverses. Les rapatriés sont confrontés aux problèmes fonciers, contrairement aux conclusions des différents rapports y afférant (PRSR, 2003 ; DEP/Poni, 2002, etc.). Ces conclusions étaient partagées par des étudiants (2004 :52) qui remarquent que « l’accès à la terre est donc en grande partie garanti aux rapatriés ». Toutes les productions documentaires relatives au foncier dans la région s’accordent sur le fait que la terre ne se vend pas. Nos entretiens le confirment assez bien. Toutefois, le mode « de placement » est très flexible. Parce qu’elle ne se vend pas, la terre est difficile à obtenir même pour ceux qui retournent en famille (Lobi, Birifor). Le terrain de recherches a également révélé les difficultés rencontrées par les agents techniques de l’Etat ou des ONG dans la mise en œuvre des projets au profit des rapatriés et de leurs familles d’accueil. Les interventions sont souvent ponctuées d’irrégularités (retard causé par les cérémonies rituelles ou la lenteur administrative) et d’incompréhension ou de suspicion (méfiance à l’endroit des agents du PNDSA II). Ainsi, les entretiens ont permis d’apprécier l’appropriation des objectifs des projets par les bénéficiaires : l’efficacité et la dynamique souhaitées sont sacrifiées au profit de l’intérêt de certains responsables de
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groupements. D’où les divisions et l’émiettement des groupements pour attirer les financements. Ces faits créditent l’hypothèse selon laquelle l’insertion des rapatriés va mettre en évidence les conflits entre normes et règles locales versus règles étatiques. De même, les résultats de l’enquête relèvent des difficultés pour l’accès à la terre, notamment chez les rapatriés. Ces derniers vivent dans une insécurité foncière, étant donné qu’ils obtiennent la terre de façon informelle. L’usage qu’ils en font (les plantations) provoque des réticences chez les non rapatriés et entame la qualité des relations entre rapatriés et non rapatriés (Birifor surtout). Les corollaires des conflits fonciers sont le refus de céder la terre aux rapatriés ou la volonté de la leur retirer. Cette attitude a été saisie par J. P. Jacob dans son étude sur les Gourounsi : « Je considère la société paysanne comme un circuit fermé. Sauf dans les cas spéciaux, un paysan voit son existence déterminée et limitée par les ressources naturelles et sociales de son village et de ses environs. En conséquence, si le bien existe en quantités limitées, sans possibilité de l’augmenter et si le système est fermé, il ressort qu’un individu ou une famille ne peut améliorer sa position qu’aux dépens des autres. D’où le fait que toute amélioration apparente de bien pour quiconque est considérée comme une menace pour la communauté toute entière » (Jacob, 1998:135). 4. L’univers des relations Les relations avec le pays d’origine et l’organisation sociale en terre d’accueil La durée moyenne de séjour en Côte d’Ivoire des rapatriés a été estimée à 10 ans (Zougrana, 2003 :22). Il ressort, en outre, des rapports sur le diagnostic (Zoungrana, 2003 ; PRSR, 2003) que les rapatriés, Lobi et Birifor, se regroupaient en Côte d’Ivoire. En effet, dans les zones de migration, les migrants font venir leurs un ou plusieurs parents, jeunes de préférence, pour renforcer l’effectif des ouvriers agricoles dans les plantations. Les parents, ainsi récupérés, travaillent au compte de l’aîné -celui qui les a conduit en Côte-d’Ivoire. Parallèlement, les jeunes se constituent un capital en travaillant comme contractuels dans les plantations des autochtones. A terme, ils finissent par acquérir des lopins de terre pour s’installer à leur propre compte, mais toujours à proximité des leurs. Ce processus aboutit à la reconstitution de leur zone de départ. C’est
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l’expérience de D.M., jeune Lobi, actuellement installé à Sidimoukar comme délégué d’un groupement de rapatriés. Il avait le projet de s’installer auprès de ses parents après une riche expérience dans les autres localités : «J’ai fait quinze années en Côte d’Ivoire. Les cinq premières années j’étais à Doropo. Après, j’ai fait cinq autres années à côté de Tabou. Au bout de ces dix années, j’ai eu assez d’argent pour créer un champ à côté de mon grand frère. » (Entretien du 02/12/2004 à Sidimoukar). Le parcours migratoire est lié à l’activité exercée. Les planteurs se sédentarisent après avoir crée un champ. Par contre, certaines activités favorisent le déplacement. Les relations entre rapatriés et non rapatriés. Le concept de rapatrié se rapproche de la notion du migrant de retour entendue au sens d’une personne qui quitte un pays d’accueil pour son pays d’origine, même si le retour s’effectue dans un contexte de crise. Au cours des entretiens, la plupart des rapatriés affichent leur satisfaction pour l’hospitalité des non rapatriés. Ceux qui sont installés auprès des leurs (Lobi, Birifor) exaltent la nature de leur relation. Mais dans les faits, les rapatriés ont souvent des relations difficiles avec leurs parents qu’ils accusent de sorcellerie ou de velléité de spoliation. Nombre de rapatriés accusent, au cours des entretiens à Batié et à Niobini, les non rapatriés de vouloir s’approprier les dotations réservées aux rapatriés. Ainsi les rapatriés entretiennent-ils des relations relativement réservées avec les non rapatriés, étant donné que la compréhension et la tolérance finissent par l’emporter sur la division. Les relations entre rapatriés Les rapatriés entre eux ont des relations variables. A Sidimoukar, les jeunes rapatriés se retrouvent le soir pour le thé (la majorité est jeune et protestante). Ils évoquent ensemble le passé ou quelques sujets d’actualité, le séminaire des pasteurs, etc. Toutefois, les rapatriés ont souvent des relations contrastées entre eux. Les problèmes sont liés au contrôle des acquis. On reproche à certains leaders rapatriés d’être cupides ou de monopoliser les décisions.
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Une journée ordinaire : La tournée des lieux saints82 Il est 14h ! C’est l’heure d’arrêter le travail dans un centre de carbonisation. Deux jeunes rapatriés auxquels nous tenions compagnie décident de suspendre. Ils portent l’information au groupe de femmes qui font équipe à part, à une cinquantaine de mètres. Nous sommes invités à faire avec eux le tour, c’est-à-dire découvrir leur fréquentation. Après une toilette rapide, nous prenons la route qui mène à Gaoua. La première destination est la « tombe » (un cabaret) du Désert, un secteur au flanc de la "Colline du pouvoir". Nous recevons le « déplacement83», un avant-goût qui stimule la commande. Dix minutes après, nous sommes tous interpellés pour cotiser le prix d’un « seau » (400 FCFA). La somme est réunie et la commande est lancée. Après 38 mn, le seau est vide et nous nous déplaçons vers « Ventilo », un autre cabaret. Le scénario est identique. Nous continuons à «Tranquille», la dernière escale avant le retour à Niobini. « Tranquille », nous dit–on, est le cabaret à l’abri des problèmes de la ville, où l’on est sûr de retourner sans risque. « Tranquille » est surtout le cabaret qui accueille les rapatriés venus échanger sur leur aventure. Là, on s’appelle Gbagbo, Guéi et autres sans crainte ni menace. On dépense également tout son argent à "Tranquille"(nous y sommes retournés 3 fois). Il est habituel d’entendre quelqu’un lancer : « Qui a encore 50 F » ? Oui ! "On se vide les poches" pour entretenir son image de vrai aventurier, quelqu’un de sociable et surtout l’image de quelqu’un qui connaît la Côte d’Ivoire, nous dit-on. Nous comprenons dès lors la préférence affichée pour "Tranquille", mais aussi nous décelons une cause de la précarité économique chez les rapatriés.
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Le titre a une dominante allégorique : c’est une référence au dieu Bacchus, dieu de l’alcool considéré comme l’exutoire où l’on déverse les amertumes liées aux train-trains quotidiens. Cet encadré est un témoignage de l’auteur sur le comportement des rapatriés couramment
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Les relations entre rapatriés et Administration Les rapatriés reprochent à l’Administration sa lenteur qui entame la motivation des bénéficiaires. A Niobini, le matériel agricole est arrivé en pleine saison. A Sidimoukar, la promesse de réhabiliter le poste de santé primaire n’a pas été tenue. A Batié, les rapatriés ont longtemps attendu la couverture par le PRSR (programme de réinsertion socioéconomique des rapatriés) des membres du groupement qui ne sont pas bénéficiaires du crédit agricole. Mais dans l’ensemble, l’Administration et les projets sont appréciés. Les différentes actions sont perçues par les rapatriés comme une charité, une sensibilité des autorités à leurs problèmes. Les agents de l’Administration et des projets, quant à eux, savent apprécier l’engagement des rapatriés au niveau des groupements. Ils apprécient également les changements induits par les rapatriés depuis 1999. Ces changements concernent la construction des maisons (deux pentes en tôles), la bonne moisson en 2003 et surtout l’esprit d’ouverture qui favorise l’intervention des projets dans les villages. Au cours des entretiens avec les responsables de projets, il ressort que les rapatriés sont réceptifs. Pour les encourager, la mairie a facilité l’accès aux boutiques et aux parcelles prioritairement à ceux qui étaient intéressés par des activités socioéconomiques. Toutefois, les responsables de structures reprochent aux rapatriés leur instabilité résidentielle qui ne permet pas de concevoir un projet fiable avec eux. Le FAARF (Fonds d’appui aux activités rémunératrices des femmes) a refusé un crédit aux femmes du groupement Patindé de Batié. La structure refuse de collaborer avec des personnes très imprévisibles. Ainsi, le séjour des rapatriés, originaires ou non, de la région du Sud-Ouest se caractérise par l’espoir d’une insertion socio-économique et les difficultés qui se rattachent à l’effort d’adaptation au milieu. Le projet des rapatriés est discernable à partir de cette réalité Conclusion L’arrivée massive des Burkinabè de Côte d’Ivoire a inspiré un dispositif d’accueil (sites, convois, etc.) pour canaliser les retours et faciliter réunis dans les cabarets. Il précise la qualité des relations entre rapatriés et décrypte les perceptions que ces derniers ont de leur situation actuelle. 83 Petite quantité servie aux nouveaux arrivants dans le cabaret pour leur permettre d’apprécier la qualité du dolo (bière de mil).
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l’installation des rapatriés. Ce dispositif a été un message symbolique et politique pour répondre aux attentes à la fois de la société burkinabé et de sa diaspora. Les actions en faveur des rapatriés permettent de relever que l’Etat a voulu exprimer qu’il assumait pleinement son rôle de garant de la protection et de la défense des Burkinabè. Cette volonté s’inscrit dans un contexte de désengagement de l’Etat, d’où l’option d’encourager/soutenir l’autopromotion, ce qui montre en même temps les limites de l’intervention de l’Etat. Le retour des rapatriés dans leurs familles d’origine a permis d’amortir les chocs et favoriser leur insertion qui restera pourtant fragile, précaire et problématique. Les rapatriés, parce qu’ils ont une autre conception de l’agriculture (notamment le développement de l’arboriculture), suscitent des reflexes de précaution, voire de contestation chez les autochtones. Si cette conception de l’agriculture a un écho favorable auprès des services étatiques, elle s’accompagne en même temps d’une suspicion quant à la volonté des rapatriés de développer des attaches solides avec la société d’accueil. Bibliographie Bartiller J.L., Quesnel A., Vaugelade J., 1985, La Migration de la Jeunesse du Burkina Faso, ORSTOM, Ouagadougou. Bertoncello B, Bredeloup S., 2004, «Rapport de mission pour le démarrage du volet burkinabè du programme de recherche « circulations migratoires entre l’Afrique Noire et le Monde Arabe et nouvelle configuration urbaine », 3-4 mars, Ouagadougou. Blion R. et Regoni I., 2001, D’un voyage à l’autre : des voix de l’immigration pour un développement pluriel, Karthala, Paris. Blion R., Bredeloup S., 1997. «La Côte-d’Ivoire dans les stratégies migratoires des Burkinabé et des Sénégalais» in Contamin et MemelFote (eds) Le modèle ivoirien en questions. Crises, ajustements, recompositions, Paris, Karthala/Orstom, pp. Blion R., 1990, «Phénomènes migratoires et migration de retour : l’analyse socio-économique du retour des migrants burkinabè de la Côte d’Ivoire», Université de Paris I Panthéon Sorbonne, Paris. Capron J. et Kohler J.M., 1976, Migration de travail à l’Etranger et développement national, ORSTOM, Ouagadougou.
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7 Crises ivoiriennes, migrations de retour et recompositions des rapports villes-campagnes : la ville frontalière de Niangoloko et son hinterland Sihé NEYA* Résumé Les crises ivoiriennes n’ont pas seulement provoqué le retour de la diaspora burkinabè, elles ont aussi réduit les flux de marchandises entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, entraînant ainsi une baisse des recettes des acteurs économiques de la ville de Niangoloko dont l’économie est dépendante de sa position frontalière. Cependant, les migrations de retour ont contribué à atténuer les conséquences économiques à travers une recomposition économique liée à la distribution des migrants dans la commune. En effet, de nombreux migrants de la commune se sont inscrits dans un « ‘véritable système résidentiel’ formé d’une pluralité de résidences (au moins deux) diversifiées, fonctionnellement spécialisées et interdépendantes» (Le Bris, Osmont, Maric, Simon, 1987:8). Leurs lieux de résidence situés en ville et au village sont des espaces de vie qui assurent leur reproduction sociale et économique. Cette situation a intensifié la mobilité entre la ville de Niangoloko et la campagne où ces migrants mènent des activités. Par ailleurs, leur installation dans les villages a augmenté l’effectif de la population, renforçant ainsi le fonctionnement des marchés villageois. Mots-clés: Burkina Faso, Niangoloko, ville frontalière, crises ivoiriennes, migration de retour/migrants de retour, migrations internes/migrants internes, rapatriés, relations villes-campagnes.
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Université de Ouagadougou. Email : [email protected].
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Introduction La ville et la campagne sont des espaces interdépendants liés par des flux de personnes, de marchandises, d’informations, de produits agricoles, etc. Les ruraux migrent vers les centres urbains à la recherche d’un emploi salarié. En revanche, les campagnes approvisionnent les centres urbains en produits agricoles. Par ailleurs, les migrants, à travers leur système résidentiel, établissent un continuum spatial fonctionnel, qui assure leur reproduction sociale et économique. Aussi le milieu rural représente-t-il un lieu de refuge pour de nombreux citadins en temps de crises urbaines (chômages, licenciement, etc.) (Beauchemin, 2003). Cependant, dans l’analyse des rapports villes-campagnes, les relations entre les villes frontalières et leurs campagnes ont été occultées. La dynamique économique de ces espaces situés aux confins des États a souvent été analysée avec comme variable explicative la présence d’une frontière. Ainsi, ce sont les échanges commerciaux, légaux comme illégaux, qui se nouent et dénouent qui ont le plus intéressé les chercheurs. La ville frontalière n’évolue pas en autarcie par rapport aux campagnes. Celles-ci représentent pour de nombreux citadins un lieu alternatif en cas de crise. Cela est d’autant plus fondé quand ces dernières sont habitées par des migrants, considérés comme des acteurs de développement. La dynamique des relations entre la ville frontalière de Niangoloko et son hinterland est un cas d’école de l’analyse des rapports entre villes frontalières et campagnes dans un contexte de crises et de migrations. Outre le fait qu’ils aient été affectés par la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire, ces deux espaces ont accueilli des migrants de retour en provenance de ce pays. Ainsi, d’une ville dépendante de sa position frontalière, elle est devenue un espace de migrants. Car, les crises ivoiriennes ont freiné son dynamisme économique, mais l’installation des migrants de retour et leur distribution spatiale dans la commune a redonné un souffle à l’économie locale. La question qui a servi de fil conducteur à cette recherche était par conséquent la suivante : comment les crises sociopolitiques en Côte d’Ivoire et les migrations de retour ont-elles affecté la ville frontalière de Niangoloko et les relations entre celle-ci et ses campagnes ? L’article s’appuie sur deux sources de données: l’enquête menée en 2008 dans le cadre de la Jeune Equipe Associée de l’IRD, JEAI
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«Diaspo»84, et la recherche documentaire. Dans un premier temps, nousessaierons de présenter le cadre théorique et méthodologique de notre recherche. Ensuite, nous proposerons une analyse des effets de la crise sur la ville de Niangoloko. Enfin, nous aborderons la question de l’influence des migrations de retour sur la reconfiguration des relations villescampagnes dans la commune de Niangoloko. Les enquêtes ont eu pour but de comprendre les transformations socioéconomiques et spatiales liées au retour des rapatriés. Elles ont consisté en une collecte de données qualitatives auprès de la mairie, des services de l’agriculture, des chefs de gare et de la douane, des syndicats de commerçants et des migrants de retour de la Côte d’Ivoire, ainsi que des populations autochtones. L’objectif était d’appréhender, à travers les entretiens menés auprès de ces acteurs, les conséquences sociales, économiques et spatiales des migrations de retour suite aux crises sociopolitiques et foncières en Côte d’Ivoire ces dernières années dans la ville de Niangoloko et ses campagnes. Les entretiens avec ces acteurs s’articulaient autour de l’installation des rapatriés et de leur répartition spatiale, de l’impact de ces retours et des crises ivoiriennes sur la commune, des activités économiques de migrants de retour et du rapport de ces derniers avec la Côte d’ Ivoire. Les échanges ont conduit à enquêter les commerçants de la « zone douane » sur la date d’installation dans la ville et d’ouverture de leur commerce, sur leur provenance, sur les taxes payées en « zone douane » et sur leur perception de la crise. Parallèlement, une cartographie des commerces dans cette zone et des lieux d’installation des migrants de retour a été menée. La ville frontalière, entre frontière et campagne Le dynamisme de la ville frontalière tient à leur situation géographique en périphérie d’un ou de plusieurs État(s), ce qui génère la création de services, la circulation des marchandises et des personnes. En effet, c’est une agglomération urbaine située à proximité d’une frontière d’État et dont l’organisation et le fonctionnement sont influencés par cette limite (Reitel et Zander, 2004). 84
La JEAI est coordonné au Burkina Faso par Monsieur Zongo Mahamadou, enseignant à l’Université de Ouagadougou. Nous avons participé à cette étude en qualité d’étudiant membre de l’équipe.
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Cependant, s’il y a un facteur qui influence la dynamique des villes frontalières, c’est bien la nature des relations qui lient deux États voisins. Celles-là vivent «(…) aux rythmes géopolitiques d’une frontière internationale qui s’ouvre et se ferme, favorisant tout à la fois la mobilité et la sédentarité, le respect de la norme et de sa transgression. La frontière (…) utilisée à des desseins variés, parfois contradictoires, servant tant l’individu que la nation, et ce, avec des temporalités distinctes» (Veascograciet, 2008). Ainsi, la ville frontalière est cet espace qui impulse mobilité et sédentarité profitant à l’Etat mais aussi à ceux qui l’habitent. Cette dynamique reste remarquable lorsque l’État où se situe la ville frontalière entretient d’importantes relations économiques avec le territoire étatique voisin. En effet, ces zones urbaines «sont dépendantes (…) des politiques des États et surtout des relations entre les États» (Reitel et Zander, id : 2). Les crises entre États frontaliers sont révélatrices de la vitalité des villes frontalières et de la capacité des habitants à faire preuve d’ingéniosité pour assurer leur reproduction sociale et économique. Les espaces urbains frontaliers entretiennent aussi des relations avec la campagne environnante, même si cet aspect a souvent été occulté dans l’analyse de la dynamique des pôles urbains situés aux frontières des Etats. Ainsi, dans les relations villes-campagnes, la ville est souvent considérée comme cet espace qui attire les ressortissants des campagnes avec des emplois. Cependant, certains auteurs ont montré que la campagne nourrit les zones urbaines, par le biais de leur approvisionnement en produits agricoles (Pélissier, 2006). Pour Beauchemin (2003), le milieu rural est une solution pour les citadins, surtout en temps de crise. Si cet auteur reconnaît que la mobilité des citadins vers les campagnes n’est pas un phénomène nouveau, il note néanmoins que le schéma classique de cette émigration urbaine n’est pas toujours vérifié85. Les crises, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire depuis 1970, amènent des citadins, vieux comme jeunes, à migrer vers les campagnes. «L’émigration urbaine relève aussi de stratégies économiques» (Beauchemin, 2003). Ainsi, la mobilité vers les campagnes devient une alternative pour les citadins lorsque la ville ne répond pas à leurs attentes (accès aux sources de revenus). Cela est d’autant plus important lorsque l’installation de migrants, considérée comme facteur de développement et de croissance démographique, entraîne une dynamique dans les zones rurales. 85
Dans le schéma classique des rapports ville-campagne, la migration de retour est surtout décrite comme une migration de «vieux» (Zachariah et al., 1980 cités par Beauchemin, 2003)
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Comment appréhender la dynamique des villes frontalières et des rapports qu’elles entretiennent avec les campagnes dans un contexte de crises et d’immigrations ? En s’appuyant sur les données des enquêtes de la JEAI, nous essayerons d’apporter des éléments de réponse à la manière dont la ville frontalière de Niangoloko s’est restructurée suite aux crises ivoiriennes et aux migrations de retour qu’elles ont entraînées. 1. Les fondements économiques de Niangoloko Située dans le sud-ouest du Burkina Faso, dans l’extrême Sud de la province de la Comoé, la ville de Niangoloko forme avec quatorze autres localités une commune frontalière à la Côte d’Ivoire. Traversée par le chemin de fer et la route nationale, principaux axes d’entrée ou de sortie des flux de personnes et de marchandises en provenance de la Côte d’Ivoire ou du Burkina Faso, Niangoloko représente un espace stratégique dans les relations entre les deux pays. Cette position frontalière, conjuguée aux conditions agro-climatiques et pédologiques locales, constitue les fondements du dynamisme économique de cette commune, partagée entre le rural et l’urbain. Niangoloko, une ville frontalière tricéphale S’il y a des services administratifs qui caractérisent la frontière, ce sont bien la douane, la police, l’armée. «Leur présence participe à l’amorce d’une économie et d’une vie urbaine en générant d’autres activités (commerces, services)» (Reitel et Zander, 2004:2). Trois facteurs contribuent à l’essor de ces entités urbaines frontalières: la circulation des marchandises et des personnes, le contrôle, et l’instrumentalisation de la frontière. Pour ce qui concerne la ville de Niangoloko, ce sont surtout les deux premiers facteurs qui expliquent son rayonnement économique. En effet, le contrôle des flux en provenance de Côte d’Ivoire ou en partance vers ce pays, qui impose le stationnement des cars, attire des femmes et des hommes, ambulants ou sédentaires, qui exercent diverses activités commerciales. A ceux-ci s’ajoute l’implantation de nombreuses sociétés burkinabè de transit chargées de l’établissement des dossiers d’acheminement des marchandises vers le Niger, le Mali ou vers l’intérieur du pays.
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Outre le poste de douane qui génère d’intenses activités de commerce, la ville de Niangoloko a l’avantage de disposer d’une gare ferroviaire abritant un service douanier. Ainsi, deux postes de contrôle douanier, où les marchandises en transit sont déchargées et rechargés, sont présents, ce qui crée des emplois pour de nombreux jeunes. La gare ferroviaire, l’espace communément appelé « zone douane », et le marché central qui jouxte la gare routière, constituent les principaux lieux d’échanges économiques de la ville (voir schéma page suivante). La dispersion des lieux de commerce, l’arrivée périodique du «train express» en provenance d’Abidjan, le marché central où les villageois et les citadins affluent les dimanches, ainsi que le stationnement des véhicules au niveau de la douane expliquent l’importance du colportage dans la ville. En effet, la présence du train en provenance de Côte d’Ivoire et son stop qui dure près de deux heures attirent vers la gare ferroviaire tous les commerçants de la ville désireux de se fournir en produits de la côte tels que l’attiéké, la banane, l’huile de palme, etc. En retour, ils proposent les produits locaux saisonniers (mangue, karité, néré, etc.) et importés (pagnes, chaussures, etc.) aux voyageurs. Ce marché informel qui se crée est d’autant plus important que le passage du train de passagers en provenance de Côte d’Ivoire a lieu tous les trois jours (lundi, mercredi et vendredi). La multiplication des lieux de commerce oblige de nombreux commerçants à employer des jeunes pour faciliter la circulation de leurs marchandises entre les centres commerciaux. Il faut être ici et partout pour profiter des échanges commerciaux qui surviennent entre la gare ferroviaire, la « zone douane » et le marché central.
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Des conditions agro-climatiques attrayantes En plus de la multiplicité des centres commerciaux, les conditions agroclimatiques et la relative disponibilité foncière dans l’arrière-pays offrent les possibilités d’y diversifier les activités agricoles et d’espérer de bons rendements. Située dans la zone pré-guinéenne du Burkina Faso, la commune de Niangoloko, à l’image de la province de la Comoé, a une moyenne pluviométrique annuelle de 1073,3 mm1. Par rapport au reste du pays, Niangoloko est caractérisée par la présence d’une longue saison pluvieuse qui s’étend de mars/avril à novembre. Le réseau hydrographique est important, la commune étant drainée par deux importants cours d’eaux, La Comoé et La Léraba ainsi que leurs affluents. Ce bassin hydrographique offre de nombreux bas-fonds, favorables à certaines productions qu’on retrouve dans les pays côtiers. En témoigne l’émergence de la culture du palmier à huile à la suite de l’installation des migrants revenus de Côte d’Ivoire. C’est le cas de Adama Traoré, un migrant de retour installé en 2004, commerçant en « zone douane » avant de se reconvertir dans l’agriculture dans laquelle il possède une exploitation de vingt-et-un hectares de palmiers en maturité. Celui-ci souligne que Niangoloko et ses alentours regorgent de potentialités pouvant permettre le développement des cultures côtières. Cet avis est partagé par S.Y., rapatrié en provenance d’Abolikro et établi dans le quartier Tabou de Niangoloko en octobre 2000. « Je compte rechercher des terres à même de me permettre de cultiver le palmier à huile. A notre arrivée, nous avons fait le tour de la région et on a constaté que les conditions agro-climatiques et pédologiques pouvaient permettre la pratique de cette culture (le palmier à huile). Mais il faut des moyens, nous n’avons encore rien entrepris. Cependant, je compte me servir des recettes des plantations de Côte d’Ivoire actuellement gérées par des frè-res, pour essayer de pratiquer la culture du palmier à huile dans la région »2. Les atouts agro-climatiques et pédologiques de la commune, conjugués à la relative disponibilité foncière et à la faible densité de la population proclamée dans les discours de nombreux migrants, ont joué un rôle
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Cette moyenne a été calculée sur une période de 30 ans à partir des données pluviométriques de la station agro-climatique de Bérégadougou, situé au Nord-est de la province de la Comoé (Néya S., 2007). 2 Entretien NEYA S. avec A.K., Niangoloko, septembre 2008.
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important dans l’immigration agricole. En effet, longtemps épargnée par l’intensité de la colonisation agricole en provenance du nord du pays, la commune de Niangoloko va progressivement enregistrer d’importants flux d’immigration agricole en provenance du pays mossi et de l’ancienne zone de colonisation agricole.3 Ces flux d’immigration ont ainsi entraîné un accroissement des superficies emblavées et, partant, de la production céréalière et cotonnière de la commune. Ainsi, en l’espace d’une décennie, cet espace considéré comme une ville de transit est devenu un véritable lieu de convergence de migrants internationaux de Côte d’Ivoire et de l’intérieur du pays. Cette situation a contribué à l’accélération de la croissance démographique et au renforcement de l’économie de cet espace frontalier. 2. Les conséquences des crises ivoiriennes à Niangoloko, entre opportunités et difficultés Plusieurs crises ont marqué ces dernières années la Côte d’Ivoire : coup d’État de décembre 1999, conflits fonciers entre autochtones kroumen et émigrés burkinabè ou descendants d’émigrés dans la région de Tabou, élection présidentielle contestée d’octobre 2000 et enfin déclenchement en 2002 de la rébellion qui a entraîné la partition du pays en deux entités. Dans la commune de Niangoloko, ces crises ont eu une même conséquence : l’installation de migrants de retour et la baisse du trafic routier. Quand la frontière arrête de faire vivre la ville frontalière La baisse du trafic routier, qui sous-entend la diminution de la clientèle composée essentiellement des voyageurs et de camions marchandises, a provoqué un ralentissement des activités économiques. La frontière avait été fermée à la suite du déclenchement de la rébellion, et l’axe Abidjan-PôOuagadougou préféré au tronçon Abidjan-Niangoloko-Ouagadougou. De nombreux commerces et bureaux de transit ont alors fermé. « Pendant la crise, notamment la fermeture de la frontière, beaucoup de commerces 3
La «vieille zone de colonisation agricole» est située dans le Nord de l’Ouest du Burkina et forme avec le front pionnier récent l’Ouest du Burkina, qui couvre les provinces suivantes: Kossi, Sourou, Nayala, Banwa, Mouhoun, Balés, Kénédougou, Houet, Comoé, Léraba, Noumbiel, Poni, Bougouriba et Ioba.
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avaient fermé. Les marchands ambulants de pagnes, chaussures, etc. étaient tous partis », affirme Mr. O., adjoint du chef de poste de douane à Niangoloko. Et même si la frontière a été rouverte officiellement en septembre 2003, la précarité de la situation en Côte d’Ivoire amène de nombreux passagers et transporteurs à préférer entrer dans ce pays ou au Burkina Faso par le Ghana. Cette réorientation des flux de marchandise en provenance du port d’Abidjan pour les pays sahéliens de la région ouestafricaine s’est d’autant plus accentuée que ces pays ont diversifié leurs ports de transit. « La crise en Côte d’Ivoire a paralysé les activités de transit; on a passé deux ans sans activités, ce qui a eu pour conséquence la fermeture de certains bureaux de transit, surtout avec la fermeture de la frontière. De 2003 à 2005, sur 60 agences de transit, plus de la moitié a fermé. Sans trafic, pas d’activités de transit. Pendant la crise, les axes favorables étaient Bitou-Ouaga et Ghana-Ouaga. Mais, depuis 2006, une reprise timide a commencé à se faire sentir. Avant la crise, le trafic était important entre novembre et avril, puis faible entre mai à mi-septembre. C’était les vacances, on pouvait enregistrer 200 camions [par jour] sur la période. Or, pendant la crise on a connu des semaines sans aucun camion, donc imaginez les conséquences. Actuellement, les activités reprennent, on peut enregistrer entre 15 et 30 camions par jour. La crise profite plus aux commerçants, surtout à ceux qui font le commerce général en ravitaillant la zone rebelle en marchandises. Ce qui a entraîné le développement de la contrebande d’essence. Plus de 80% du carburant de Niangoloko vient de Côte d’Ivoire. Avant, ça n’existait pas, la majorité des vendeurs se ravitaillait à Bobo »4. La crise n’a pas seulement affecté le commerce, mais elle a aussi touché les recettes budgétaires de la commune de Niangoloko. La vitalité financière de cette dernière dépend en effet des taxes prélevées sur le trafic routier et le stationnement de véhicules en transit. Tous les commerçants désireraient posséder un hangar au poste de douane, ce qui permettrait à la municipalité d’accroître ses recettes budgétaires à travers les taxes perçues pour occupation du domaine communal. Comme l’indique le maire de la commune, les recettes de la municipalité reposent essentiellement sur le 4
Entretien NEYA S. avec I.F., Z.R. et B.I. respectivement président, secrétaire général et secrétaire à l’information de l’Amicale des transitaires de Niangoloko (ATN), Niangoloko, septembre 2008.
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trafic, notamment sur les taxes de stationnement et d’occupation du domaine public.
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Recettes budgétaires récouvréesdans dans la commune de Niangoloko Evolution des recettes budgétaires la commune de Niangoloko suite aux crises ivoirienne
Recette (en FR CFA)
140000000 120000000 100000000 80000000 60000000 40000000 20000000 0 1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Année Produits domaniaux Source: Mairie de Niangoloko, 2008
Total des recettes recouvrées
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L’évolution des recettes communales révèle une baisse du total des recettes recouvrées depuis 1999, année marquant le début de l’effritement des relations ivoiro-burkinabè. Cependant, l’on constate une lente reprise des activités depuis l’ouverture de la frontière en 2003.1 Le paradoxe d’une crise Si la crise ivoirienne a eu des effets négatifs sur la ville de Niangoloko, cette situation a poussé de nombreux citadins à émigrer vers les campagnes et les sites d’orpaillage. En effet, selon S.B., migrant en provenance de Séguénéga (province du Yatenga) et installé en « zone douane » depuis 1998, « pendant la crise, il n’y avait pas assez de passagers, donc pas de clients. Beaucoup de commerçants ont fermé et sont partis dans les sites d’orpaillage. Je suis moi-même allé faire deux ans sur le site d’orpaillage de Moussobadougou, j’y ai déménagé avec ma boutique et je suis revenu il y a quatre ans ». Ainsi, la ville qui regroupait en 1996 43,4% de la population de la commune n’en abritait plus que 36% en 2004. Cependant, au même moment où certains citadins émigraient vers les campagnes et les sites d’orpaillage, la ville attirait des commerçants. Les entretiens en « zone douane », montrent que sur 40 commerçants interrogés sur leurs lieux de provenance et date d’installation, 18 venaient de l’intérieur du pays, notamment des provinces du Houet et du Yatenga, 16 de Côte d’Ivoire et qu’ils s’y étaient installés entre 2003 et 20082. L’immigration des commerçants dans un contexte d’instabilité s’explique par les opportunités qu’offrait la quasi-absence d’un contrôle rigoureux à la frontière. Sinon comment comprendre ces installations quand on sait que la clientèle, à savoir les passagers et les véhicules, se faisait rare. Comme eux-mêmes le disent, « Côte d’Ivoire gbangban ni yé dô gnin, ayé dô faga ». Autrement dit, la guerre en Côte d’Ivoire a certes permis à certains de se développer, mais elle a aussi paralysé l’activité d’autres. L’instabilité sociopolitique dans ce pays a eu des conséquences aussi bien négatives que positives. Cette ambivalence de la crise ivoirienne
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Les produits domaniaux couvrent les rubriques suivantes: vente des produits du jardin communal, location des propriétés communales, redevance pour occupation du domaine public, concession dans les cimetières, droits de place au marché, droits de stationnement, location de terrain et de boutiques, redevance pour appareil distributeur d'essence, autres produits domaniaux. Ils représentaient en 1998, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006 respectivement 59.6 %, 51 %, 79 %, 63.2 %, 58.6 %, 38 %, 4.2 %, 41.5%, 31.7 % du total des recettes budgétaires recouvrées. 2 Ces installations peuvent aussi s’expliquer par la reprise du trafic après l’ouverture de la frontière, même si celles-ci restaient faibles.
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et de ses effets sur la ville de Niangoloko se traduit par le fait que, pendant que certains citadins voyaient leurs recettes baisser, d’autres enregistraient une hausse des leurs. Trois activités commerciales ont connu un essor en cette période de crise et fait le bonheur de certains citadins: la contrebande d’essence : communément appelé «essence Marcoussis», le carburant qui circule entre les villes de Niangoloko, Banfora et Bobo-Dioulasso, a connu deux périodes clés: la période de pleine crise, entre 2002 et 2004, qui a vu émerger des contrebandiers qui ravitaillaient la zone rebelle en Côte d’Ivoire. La deuxième, après 2004, qui a fait suite à la flambée des prix de l’essence au Burkina et pendant laquelle le circuit s’est inversé, les contrebandiers ravitaillant le Burkina Faso par la Côte d’Ivoire. «La première phase, le Burkina ravitaille la zone rebelle, c’était au moment de la pleine crise, un (1) litre se vendait entre 3 000 et 4 000 francs CFA. Je connais un monsieur qui a construit deux villas dans la crise à travers avec cette activité. Lors de la deuxième phase, l’essence était achetée en Côte d’Ivoire à 425 francs CFA et revendu au Burkina Faso à 525[sic] ». O.O., jeune contrebandier de 30 ans environ, installé en « zone douane », affirme avoir réussi dans la contrebande d’essence. Il aurait débuté cette activité en 2004 avec un vélo, mais il utilise actuellement une moto sur laquelle il transporte 7 ou 8 bidons de 20 litres chacun et fait deux voyages par jour entre les villes de Niangoloko et de Ouangolodougou. Cela lui aurait permis d’acheter des bœufs et des motos pour lui et ses frères. Le commerce général : Il regroupe des commerçants qui vendent presque tout. Ceux-ci ne sont pas spécialisés dans la vente d’une marchandise spécifique, mais les offrent en fonction des besoins de la zone rebelle qui accédait difficilement aux marchandises en provenance du port d’Abidjan. Ces commerçants franchissent la frontière et approvisionnent en hors taxes la zone en sucre, céréales, bœufs, appareils de téléphonie mobile, denrées alimentaires, motos, etc. Le transit des produits de la zone rebelle : Pendant la crise, l’activité de transit était quasi morte mais elle a vu émerger des bureaux de transit spécialisés dans l’acheminement des produits en provenance de la zone rebelle : cacao, coton, bois de teck, etc. Depuis le déclenchement de la rébellion, les produits agricoles de la zone rebelle, du fait de la non accessibilité du port d’Abidjan, transitaient par le Burkina. Ainsi, pendant la période de traite, l’on pouvait voir stationner des vingtaines de camions « dix tonnes » pour les procédures douanières. Celles-ci étaient à la charge
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de certains bureaux de transit sus-cités. Au-delà des bureaux de transit qui ont été crées, cette activité faisait le bonheur de certains jeunes (essentiellement en provenance de Ouangolodougou) qui étaient chargés de compter tous les chargements de café et cacao qui transitaient par la douane de Niangoloko. La porosité de la frontière due à l’absence de contrôles rigoureux, la baisse du trafic, les besoins de la zone rebelle, sont autant de facteurs qui ont permis le développement d’une économie transfrontalière de proximité qui, elle, a fait le bonheur de nombreux citadins. Par contre, ceux qui n’avaient pas la possibilité de s’insérer dans ce type d’échanges commerciaux se sont réorientés vers les villages qui se développaient à la périphérie de la ville. 3. Les enjeux de la migration de retour sur l’économie locale La migration de retour a influencé l’économie à travers le système résidentiel local des migrants qui implique davantage de mobilité, la croissance démographique et leur statut professionnel. Immigration, croissance démographique et émergence d’un système résidentiel bipolaire Zone de transit, de passage, la ville frontalière de Niangoloko et son hinterland ont enregistré ces dernières années des flux d’immigration importants d’émigrés burkinabé provenant de Côte d’Ivoire. En 2004, on dénombrait 2 263 migrants de retour répartis entre la ville et la campagne. Comme le montre le graphique ci-dessous, les localités qui ont accueilli plus de 100 ménages de migrants sont les villages de Boko, Folonzo, Kimini, Ouangolodougou et la ville de Niangoloko (Nana, 2005).
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de migrants de retour de la commune Niangoloko RépartitionMénages des ménages de migrants de retour de la Côte de d’Ivoire établisaux crisessuite ivoiriennes dans la commune de Niangoloko aux crises ivoiriennes
Effectif des ménages
700 600 500 400 300 200 100
D an go B ui ok nd o ou go u D iéf ou l fo a K lon ak z ou o m K ar ana ab or os so K im K in M o ut i o iti ér ura id ou go O ua Non u ng f ol ês s od o ou go Ti er u ko T i ur a m p To erb un a do u Ye ra n N dé ian ré go lo ko
0
Villages de la commune
Effectif de ménages
Source: Fiche CONASUR, avril 2004: Action sociale/Niangoloko, mars2004
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La commune n’a pas seulement accueilli des migrants de retour. De nombreux migrants internes en provenance essentiellement des provinces du Houët, du Kénédougou, des Banwa et du Tuy s’y sont installés en nombre considérable. Ces flux d’immigration internes sont à l’image de ceux qu’enregistre la province de la Comoé ces dernières années. En effet, en 2006, 2 271, 989, 701 et 1 671 résidents de la région des Cascades avaient en 2005 pour lieu de résidence respectivement les régions administratives des Hauts-bassins, du Sud-ouest, de la Boucle du Mouhoun et la Côte d’Ivoire (INSD, 2006)1. Cependant, cette migration a un caractère essentiellement agricole. Les migrants, à leur arrivée, se sont dispersés dans les campagnes à la recherche de terres cultivables. Il en est de même pour les migrants internes dont la mobilité s’inscrit dans une logique de colonisation agricole. Toutefois, cette dernière, même si elle date de la deuxième moitié de la décennie 1990, a connu un essor pendant l’afflux massif des rapatriés de Côte d’Ivoire. L’élan patriotique des populations burkinabè, à la suite du rapatriement de leurs compatriotes de la Côte d’Ivoire lors de « l’opération Bayiri », a facilité l’accès à la terre. Ainsi, des migrants internes, par le biais des réseaux sociaux qui impliquaient les migrants de retour, ont pu accéder à la terre dans les mêmes conditions, en se faisant passer pour eux. La forte installation des migrants de retour conjuguée à celle des migrants de l’intérieur a accéléré la croissance démographique. Comme le note le maire, « la crise a beaucoup joué sur la croissance de la population, en renforçant les problèmes liés aux infrastructures de base ». De 19 629 habitants en 1985, l’effectif de la population dans la commune est passé à 30 356 en 1996 puis à 46 980 et 54 136 respectivement en 2004 et 2006, soit un taux de progression de 178 %2. Certaines localités verront leurs effectifs doubler en dix ans, en particulier dans les villages de Boko, Diéfoula, Kimini, Nonfêsso et Toundoura. Si cette croissance a exacerbé la question de l’accessibilité des infrastructures de base, elle a aussi renforcé le dynamisme économique de la ville et de son hinterland ainsi que les échanges commerciaux.
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Même si elles permettent d’avoir une idée de l’immigration dans la région, ces données restent limitées en ce sens qu’elles occultent tous les migrants installés dans la commune en 2006. 2 Les données de 2004 sont celles du recensement administratif.
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Les migrants, entre pluri-résidences et pluri-activités Installés dans la ville à leur arrivée, de nombreux migrants de retour ont migré vers les campagnes pour y pratiquer l’agriculture, laissant en ville une partie de leur famille. Leur structure familiale est cependant « multipolaire » (Courgeau, 1988), ce qui se traduit par une répartition des résidences entre la ville et la campagne.3 « Les unités sont séparées par la distance, mais continuent de fonctionner comme un tout économique » (Findley, 1999:166). La double activité, agriculture et commerce, permet ainsi d’assurer la reproduction sociale et économique de la famille. A.K. est un migrant de retour arrivé en 2004. D’abord, commerçant en « zone douane », il a migré en campagne où il possède un domaine de 200 hectares. Son frère et quelques enfants résident à la campagne, tandis que l’épouse et d’autres enfants sont en ville où l’épouse exerce le commerce des produits tirés des d’activités agricoles de l’époux. A.K. se rend chaque vendredi en ville, mais retourne en campagne les dimanches. Il en est de même pour la famille Sawadogo, des rapatriés installés en 2002 au quartier Tabou de Niangoloko. Deux de ses fils avec leurs épouses habitent les villages de Boko et Nonfêsso où ils cultivent. Cependant, la gestion du grenier est du ressort du père qui, lui, réside en ville, même s’il se rend en campagne. La distribution spatiale de la cellule familiale dans la commune a établi entre la ville de Niangoloko et ses campagnes environnantes un continuum, tant parmi les commerçants que chez les agriculteurs. L’hinterland de la commune n’est plus ce lieu que les ruraux quittent pour s’installer temporairement en ville à la recherche d’opportunités de travail4 . En effet, la distribution de l’espace de vie des familles à travers la ville et la campagne révèle une situation de bi-activités vécue par les migrants. Agriculteur en campagne et commerçant en ville, le commerce entretenu par les épouses ou les enfants a renforcé la mobilité de ces migrants de retour entre ces deux espaces qui assurent leur reproduction sociale et économique. Ce qui montre que leur espace de vie ne s’ancre pas dans un
3
Cette multipolarité dépasse même le cadre de la commune et du territoire national. Ces migrants de retour ou descendants d’émigrés burkinabè, bien que rentrés au pays, n’ont pas rompu les relations avec la Côte d’Ivoire. Ils s’y rendent périodiquement, en fonction de la traite du café, cacao. 4 La ville, dépourvue d’unité industrielle, n’offre de perspective d’emplois que dans le secteur informel. Ainsi, les jeunes qui migrent se font employer dans le secteur informel par le biais des réseaux familiaux.
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territoire mais prend de plus en plus la forme d’un réseau de lieux qu’il fréquente selon ses besoins et les opportunités offertes par ces lieux5 (Dureau, 2004). Ces opportunités qu’offrent les lieux n’ont pas seulement affecté la mobilité des migrants, elles ont aussi renforcé celle des citadins, notamment ceux pour qui la ville n’offrait pas assez d’opportunités économiques dans un contexte de crises marquées par la baisse du trafic routier et ferroviaire. Ainsi, certains d’entre eux se transforment en agriculteurs ou jouent le rôle de relais de citadins commerçants. Ceux-là ont des représentants dans les campagnes chargés de collecter les marchandises, céréales, noix de karité, etc., qui sont ensuite transportées vers la ville de Niangoloko, pour être acheminées vers les grands centres urbains. Ces échanges commerciaux entre la ville et la campagne se sont d’autant plus renforcés que les marchés villageois devenaient de gros centres d’échanges commerciaux à la suite de l’installation des migrants. Les marchés ruraux, de nouvelles opportunités pour les commerçants Les marchés villageois ont toujours existé dans la commune de Niangoloko, de même que les échanges entre la ville et ses campagnes. Cependant, la ville de Niangoloko était plus orientée vers les marchés intérieurs et ceux des « grandes agglomérations » limitrophes de la commune, Ouango-Côte d’Ivoire, Soubakaniédougou et Banfora. Les crises ivoiriennes, avec leur corollaire de migrations de retour de la Côte d’ivoire, et surtout l’installation des migrants dans les villages au Burkina Faso, ont donné un sens nouveau au milieu rural. Cette immigration massive des émigrés burkinabé de Côte d’Ivoire et des migrants internes dans les campagnes a renforcé le dynamisme des campagnes. Leur présence a dynamisé les « lôgôdougou » locaux, marchés villageois de la commune où l’on a enregistré une forte communauté de migrants de retour, mais aussi d’immigrants internes. C’est le cas des villages de Boko, Kimini, Ouangolodougou, Folonzo et Timperba où la croissance démographique avec comme corollaire l’augmentation du nombre de clients potentiels a tiré vers le haut le commerce local. Par 5
La notion d’espace de vie couvre «la portion d’espace où l’individu effectue ses activités. Cette notion englobe non seulement le séjour, mais également tous les autres lieux avec lesquels l’individu est en rapport (Courgeau, 1981).
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ailleurs, l’on assiste à l’émergence d’une société de consommation des produits marchands et à la forte implication des migrants dans le commerce, processus qui « s’accompagne dans certains villages de la fixation des commerces, de l’ouverture de lieux de distraction (vidéo club, soirée dansante les jours de marchés, etc.) » (Zongo, 2009:96). Les villages ont pris le visage de villes. Si l’on assiste à une dynamisation de l’économie campagnarde, il ne faut pas ignorer que cela profite d’abord aux commerçants de la ville. Chaque jour de la semaine se tient un marché important, où l’on peut écouler des marchandises ou en acheter (céréales, noix de karité, de cajou, etc.).
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Cependant, les flux de la ville vers la campagne restent importants les lundi, mardi, jeudi, vendredi et dimanche, qui représentaient respectivement les « logôdougou » de Folozon, Ouangolodougou, Boko, Kimini et Niangoloko, toutes des localités abritant une forte communauté de migrants de retour. Par ailleurs, des marchés ont été crées en 2008 dans des villages où la présence des migrants est remarquable, à l’instar des villages de Timperba et de Nonfêsso.
Les jours de marchés villageois dans la commune de Niangoloko Lundi : Folonzo
Mardi: Ouangolodougou
Jeudi : Boko
Dimanche : Niangoloko
Mercredi : Nofêsso
Vendredi : Kimini
Samedi : Toundoura
NEYA Sihé
L’importance de la mobilité de la ville vers la campagne les jours de marché a favorisé l’émergence du transport urbain-rural. H.B., en provenance de Niangoloko, est aujourd’hui étudiant à l’université de Ouagadougou, mais auparavant il fréquentait les marchés villageois. Selon lui, «le dynamisme des marchés a vu croître le nombre des véhicules ‘logôdougou’, dont les transporteurs étaient aussi des migrants de retour rentrés au pays avec leur voiture, ils avaient un prix social, par exemple, l’axe Niangoloko-Kimini coûtait 700 francs CFA en aller-retour. Parmi ces transporteurs, il y avait SOTRACOF, la Famille Dermé qui avait deux véhicules, et Yacouba, un migrant de retour. Cependant, au moment de la fermeture de la frontière, tous les dix-tonnes s’étaient orientés dans le transport des personnes et des marchandises vers ‘logôdougou’».
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Dans cette nouvelle configuration des rapports ville-campagne, les commerçants basés dans la ville de Niangoloko embauchent des jeunes, généralement des migrants de retour. Ceux-ci sont amenés à parcourir les marchés pour l’achat des céréales. Mais ils ont aussi des relais, qui représentent leur «djatigui» (hôtes) le jour des marchés. Ces hôtes achètent les céréales pour les commerçants et le jour de marché, ceux-ci viennent les ramasser. L’essor des marchés est à mettre aussi au compte de l’expansion de la culture du coton dans cette zone, activité agricole qui s’est développée suite aux flux d’immigration. Ainsi, pendant la saison sèche, qui est surtout le moment de la traite du coton, les échanges entre la ville de Niangoloko et son hinterland s’intensifient davantage. C’est également à cette période que de nombreux migrants de retour, s’ils ne se rendent pas en Côte d’Ivoire, exercent des activités de commerce. Conclusion L’instabilité sociopolitique en Côte d’Ivoire a fragilisé l’économie de la ville de Niangoloko à travers la baisse des recettes des différents acteurs économiques de ce milieu urbain, la municipalité, l’État à travers la douane, les commerçants, etc. Toutefois, certains ont engrangé des bénéfices par le canal des activités de contrebande, de commerce de proximité avec la zone rebelle ivoirienne. Ce contexte a révélé la vulnérabilité de la ville de Niangoloko qui ne tirait sa vitalité économique que de sa position frontalière avec la Côte d’Ivoire. Cependant, en même tant que la crise paralysait l’économie de la ville, celle-ci accueillait des migrants, de retour de la Côte d’Ivoire et en provenance des zones agricoles de l’Ouest du Burkina et du « plateau central ». Cette immigration a renforcé le dynamisme économique des campagnes, attirant ainsi les citadins affectés par la crise. Les marchés locaux deviennent de ce fait une aubaine pour les commerçants de la ville en manque de clientèle dans un contexte de récession économique. La mobilité entre Niangoloko et son hinterland où circulent marchandises et personnes se renforce. Toutefois, le retour de la stabilité en Côte d’Ivoire et la reprise du trafic suscitent des interrogations quant à la pérennisation de ces nouveaux rapports villes-campagnes nés à la faveur des crises ivoiriennes et des migrations de retour. Cela est d’autant plus important que de nombreux
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migrants de retour entretiennent toujours des rapports avec la Côte d’Ivoire, où certains ont des investissements importants (plantations, commerces, habitations, etc.). Ainsi, de nouvelles questions se dégagent quant au rôle de la frontière dans la dynamique économique des villes frontalières. L’espace urbain frontalier doit-il se tourner essentiellement vers sa frontière ? La crise ivoirienne a révélé le rôle que peut jouer la migration sur le dynamisme économique des zones frontalières, surtout lorsque celles-ci regorgent de potentialité à même d’impulser le développement. Bibliographie Beauchemin C., 2003, «Exclusion urbaine et insertion rurale : les logiques de l’émigration urbaine». Communication proposée au colloque ‘’rural-urbain : les nouvelles frontières. Permanences et changements des inégalités socio-spatiales’’. Consulté le 16-12-2008 sur http://cris.beauchemin.free.fr/pdf/communication%20Poitierspdf. Courgeau D., 1981, Méthodes de mesure de la mobilité spatiale : migrations internes, mobilité temporaire, navette, Ed l’Institut National d’Etudes Démographique, 302p. Dureau F., 2004, Introduction à l’Atelier Mobilité et résidence, du 16 au 17 novembre 2004, Nogent-Sur-Marne, CEPED, [CDROM]. Findley S. E., 1999, «La famille africaine et la migration », In la famille africaine : politique démographique et développement, Karthala, p.153-194. Le Bris E., Osmont A., Maric A., Simon A., 1987, Famille et résidence dans les villes africaines, Dakar, Bamako, Saint-Louis, Lomé. L’Harmattan «villes et entreprises», 268 p. Nana P., 2005, «Migration, peuplement et dynamiques foncières en zone de front pionnier agricole: cas du département de Niangoloko (Province de la Comoé)». Rapport d’étude, Projet CLAIMS/ISSP/UO, 153p. Néya S., 2007, «Les problèmes fonciers en zones de front pionnier agricole: cas de Dèrègouè dans la province de la Comoé». Mémoire de maîtrise, Université de Ouagadougou, UFR/SH, Département de géographie, 125 p. Pélissier P, 2006, «Les interactions rurales-urbaines en Afrique de l’Ouest
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et centrale », le Bulletin de l’APAD, n°19. Mis en ligne le 12 juillet sur http://apad.revues.org/document442.html Reitel B. et Zander P, 2004, « Ville frontalière ». Hypergeo, 3 p, Consulté le 12-08-2009 sur http://www.hypergeo. eu/IMG/_ article_ PDF/ article_206.pdf. Velasco-graciet H., 2008, Mobilité et frontière, ingrédients d’une alchimie territoriale au Pays basques. In Géoconfluences : la frontière, discontinuités et dynamiques. Consulté le 30-11-2009 sur http:// geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/typespace/ frontier/Front Scient5. htm. Zongo M., 2009, «Niangoloko, un carrefour migratoire au Nord de la Côte d’Ivoire ». In Hommes et Migration, 1279, p.88-102. Zongo M., 2008, «Accueil et insertion des "rapatriés" en zone rurale au Burkina Faso : l’exemple de la province de la Comoé, In l’Asile du Sud, La Dispute, p.139-161.
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8 Le réinvestissement des acquis de la migration au Burkina Faso Oumarou S. KOURAOGO* Résumé Le Burkina Faso est un pays d’émigration vers ses voisins et principalement le Ghana et la Côte d’Ivoire. Le réinvestissement des migrants burkinabè à travers les transferts de fonds, les investissements mobiliers et immobiliers participe au développement socioéconomique du pays. La mise à profit des expériences acquises au cours de la migration donne un avantage à ces migrants dans les activités qu’ils entreprennent. Ainsi, des transporteurs burkinabè installés en Côte d’Ivoire dans le prolongement de leurs activités, confortent leur position au Burkina Faso. C’est aussi le cas des couturiers, des restaurateurs et de bons nombres d’agriculteurs. Au-delà des investissements aussi bien immobiliers que mobiliers, les migrants burkinabè contribuent de par leur action envers des structures publiques et privées à valoriser la migration. Des dons en matériels et en espèces de certains migrants à des associations humanitaires ou à des structures déconcentrées de l’Etat comme les provinces, les régions et même parfois à des collectivités locales (communes) sont de plus en plus fréquents et médiatisés. Toute chose qui contribue à les rendre visibles et en même temps rappelle leur appartenance à la patrie. Les investissements des migrants en termes de réalisation et l’envergure des activités que certains mènent, laissent percevoir les effets positifs de la migration, ce qui nourrit d’ailleurs le lien entretenu entre migration et développement. Mots clés : Burkina Faso, migration de retour, capital migratoire, investissements des migrants, secteur d’activité.
*
Laboratoire d’Etudes et de Recherches sur les Dynamiques Sociales (LERDYS), Département de Sociologie, UFR-SH, Université de Ouagadougou, Mail : [email protected].
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Introduction Les phénomènes migratoires sont et restent une préoccupation d’actualité et concernent de ce fait tous les continents. Ces migrations, lorsqu'elles ne sont pas forcées, résultent directement de la répartition inégale des richesses, qui pousse les personnes à aller là où sont ces richesses (Ricca, 1990). De nombreuses migrations sont dues à des catastrophes naturelles comme les guerres, la famine et les effets des changements climatiques entrainant les inondations. D’autres ont cependant été motivées par la recherche d’un mieux-être tant pour le migrant que pour sa famille, qui, bien souvent, reste, à tout le moins dans un premier temps, au pays. Cette recherche d’un mieux-être se matérialise pour le migrant d’une part par la recherche de terres, de meilleures conditions de vie politique (donc la recherche de la liberté), l’établissement pour une meilleure rentabilité commerciale. D’autre part, ce mieux-être pourrait être l’accès à un emploi salarié, duquel il va tirer un revenu lui permettant à la fois de couvrir ses besoins dans la société d’immigration mais aussi de transférer une certaine somme d’argent à sa famille restée dans le pays d’origine. Pour les Etats tant émetteurs que récepteurs de migration, ces transferts migratoires sont aussi au cœur des justifications économiques et sociales apportées aux politiques d’émigration ou d’immigration (Blion, 2004). Les transferts de biens, de capitaux ou de pratiques accompagnent ou prolongent ces mobilités et fonctionnent comme autant de facteurs d'échanges et d'interactions sociales et économiques entre les groupes. De nos jours, il est question de penser la migration non pas à travers le schéma classique de la migration (modèle de Lewis, Fei, Rani et celui de Harris Todaro cité par Ricca, 1990), mais de voir en termes d’impact de la migration, surtout dans les zones d’origine, la question du réinvestissement de ses acquis. En effet, le migrant, durant son parcours, acquiert des connaissances, des compétences et savoir-faire à travers l’apprentissage. Ces expériences et compétences sont très souvent mises à profit par les migrants tant dans les pays d’accueil que dans les pays d’origine une fois de retour. Les migrants peuvent être légitimés par leur capacité à pouvoir résoudre un problème particulier (compétence et savoir-faire acquis à l’extérieur) (Levy, 2005).
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Ainsi, à partir d’enquêtes de terrain, et de l’état des connaissances de la littérature scientifique sur les migrations burkinabè, nous essayerons de saisir les stratégies et les moyens mis en œuvre par les migrants à travers les réseaux sociaux, parentaux, culturels, pour s'insérer dans le tissu économique. L’objectif du présent article est d’analyser le réinvestissement des acquis des migrants de retour surtout de la Côte d’ivoire au Burkina Faso. Il s’agit de voir comment ces migrants de retour valorisent les savoirfaire acquis au cours de la migration et dans quels secteurs d’activités ils évoluent. 1. Eléments de synthèse sur les migrations burkinabè Depuis la période coloniale, le Burkina Faso est présenté par de nombreux auteurs comme un pays d’émigration. Selon Kabbanji et Piché (2006), de 1900 à 1931, 70% des migrations lient le Burkina Faso à l’extérieur, dont 40% de départs et 30% de retours. Dans la même période, les mouvements sont essentiellement masculins, vingt-cinq hommes quittant vers le Ghana ou la Côte d’Ivoire pour une femme. Les destinations internationales prennent encore plus d’ampleur de 1932 à 1946 pour les migrations masculines burkinabé, qui représentent alors 80% de toutes les migrations de la période (Kabbanji, Piché et Dabiré, 2007). La mise en place du système colonial en Afrique de l’Ouest aura des conséquences considérables sur les migrations. Ainsi, dans le cadre de la mise en valeur de la colonie de la Côte d’Ivoire, la Haute Volta, actuelle Burkina Faso, est considérée comme réservoir de main-d’œuvre. Des Voltaïques ont été transférés et implantés dans le bassin du Niger pour la mise en valeur de la vallée dudit fleuve. Il a existé également des migrations pour la production arachidière au Sénégal. Il est vrai que c’est la Côte d’Ivoire en particulier qui a reçu le plus gros des contingents migratoires voltaïques. Selon Kabbanji et Piché (2006), 683 000 travailleurs burkinabè auraient été acheminés vers la Côte d’Ivoire entre 1933 et 1959. C’est ainsi qu’en 1951, les organisations du patronat en Côte d’Ivoire créent le Syndicat Interprofessionnel pour l’Acheminement de la Main-d’œuvre (SIAMO) qui installera plusieurs centres de recrutement au Burkina Faso. Son budget était subventionné par le gouvernement ivoirien. Le SIAMO parviendra à recruter, de 1953 à 1959, autour de 20 000 hommes par année.
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Les activités du SIAMO ont été interdites par le gouvernement de la Haute Volta après son accession à l’indépendance en 1960 et depuis cette date, les migrations vers la Côte d’Ivoire ont pris un caractère individuel et familial (Zachariah, 1978). Les Burkinabé représentaient et ce, pour les trois recensements, autour de 50% de l’ensemble des immigrants internationaux de nationalité étrangère en Côte d’Ivoire (52,3% en 1975, 49,7% en 1988, 54,3% en 1998). En termes relatifs, la population burkinabè (immigrants et leurs descendants confondus) est estimée en 1975 à 11,54% de la population totale résidente en Côte d’Ivoire. Cette proportion est passée de 14,47% en 1988, à 13,42% selon l’enquête de 1993 et enfin à 14,57% en 1998 (Kabbanji et Piché (2006). Pour Kabbanji, Piché et Dabiré (2007), même si les flux migratoires du Burkina Faso sont toujours déficitaires dans ses échanges avec l’étranger entre 1969-73 et 1995-99, la part des migrations internationales dans les migrations totales diminue de 6,4%, celles-ci liant toujours majoritairement le milieu rural Burkinabè à la Côte d’Ivoire. Ils précisent que pour la dernière période quinquennale, l’étranger cède la place au milieu rural Burkinabè comme principale destination des flux migratoires pour l’ensemble du pays. Ceci s’explique par l’augmentation des migrations de retour de l’étranger. Ainsi, le Burkina Faso connaît dès la fin des années 90, un retour de plus en plus important de ses ressortissants installés à l’extérieur. Certains de ces retours sont réalisés sous la contrainte, donc sans préparation, c’est le cas de Tabou (en Côte d’Ivoire) en 1999 ou des rapatriés à partir du déclenchement de la rébellion. Selon Zongo (2003), le ministère de l’action sociale, estimait qu’entre novembre 2002 et avril 2003, environ 200 000 Burkinabé ont rejoint la patrie. On peut citer également le cas des expulsés de la Libye en 2000, 2005 et 2007. Parmi ces migrants de retour, certains sont restés définitivement parce qu’ils n’avaient plus la possibilité de repartir. Ils sont nombreux à vouloir s’insérer dans la vie professionnelle en mettant à profit leur expérience tout en alliant carrière migratoire et insertion professionnelle. 2. Réinsertion des migrants de retour au Burkina Faso Dans l’histoire des migrations burkinabè, des tentatives de réinsertion économique ont vu le jour même si elles ont connu des échecs. En 1984, un programme d’accompagnement et de réinsertion des migrants de retour a
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été mis en place. Le but de ce programme était de mobiliser l’épargne des migrants en le canalisant vers la production agricole ou l’immobilier, donc vers des activités génératrices d’emplois et de revenus. En même temps, de grands projets nécessitant une nombreuse main-d’œuvre sont mis en place (aménagement de la vallée des Volta, prolongement du chemin de fer vers le nord, etc.) (Kabbanji et Piché (200). Ricca (1990) aborde le sujet des retours massifs des migrants et la réinsertion socioéconomique des expulsés dans trois pays, à savoir le Ghana, le Zimbabwe et le Burkina. Pour ce qui concerne le Burkina Faso, le programme d’insertion socioéconomique s’inscrit dans la politique des dirigeants de la révolution de 1983. Selon Ricca (1990), le gouvernement a prévu une disposition « plus modeste et réaliste d’offrir à ceux qui décident de quitter spontanément le pays où ils ont trouvé un emploi, des conditions de retour qui soient à la fois dignes pour le migrant et utiles pour le pays ». Ce programme a permis l’acquisition, par les migrants, de terrains pour l’exploitation agricole, de parcelles pour la construction de logements. La seconde tentative de réinsertion socioéconomique des Burkinabè de l’étranger est observée avec le retour des Burkinabè de la Côte d’Ivoire suite aux évènements de Tabou en 1999. En 2003, le gouvernement, face à l’urgence de la situation, crée l’opération Bayiri, dont l’objectif initial était d’organiser le retour volontaire de Burkinabè dont les maisons avaient été détruites en Côte d’Ivoire. Cependant, cette opération n’a concerné que 7172 personnes, soit à peu près 4,5% (Zongo, 2003). Selon Bredeloup (2006), la gestion de la réinsertion des migrants s’est faite par étapes : de l’accueil depuis la frontière en passant par les centres de transit jusque dans les localités ou les villages d’origine. Le programme de réinsertion lancé officiellement le 19 juin 2003 par le ministre de l’agriculture, constituait la deuxième étape du processus de réinsertion des migrants de retour de Côte d’Ivoire dans le cadre de l’opération Bayiri. Le programme était centré sur les productions agricoles, halieutiques et forestières, mais la majeure partie des migrants de retour n’ont pas obtenu d’aide de l’Etat pour s’insérer dans le tissu économique national. 3. L’impact des migrations Les migrations internationales ont des impacts à la fois positifs et négatifs sur le développement. Si l’accent a souvent été mis sur les aspects positifs des transferts de capital humain acquis à l’étranger vers les pays
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d’origine, il a été, dans le même temps, avancé que les migrants de retour, ayant en général occupé des emplois sous-qualifiés qui ne leurs apprennent pratiquement rien, ne ramènent que très peu de capital humain ou, quand ils acquièrent de nouvelles connaissances, que celles-ci ne leur sont que très rarement utiles dans leur contexte d’origine (Savina, 2004). Dans certains cas, l'émigration appauvrit la région, elle ne permet donc pas d'en bouleverser radicalement les structures dans le sens du progrès. Pour Amin (1972), en considérant les qualifications professionnelles acquises par le migrant, que peut-il en faire une fois rentré dans un village condamné à la stagnation ? De même, pendant la décennie 1960-1970, des auteurs comme Assogba (2002) estiment que l’émigration des ressortissants africains était surtout considérée comme nuisible au développement de l’Afrique. Mais plus tard, pour Gaillard Jacques et Gaillard Anne-Marie cité par Assogba (2002), il a été admis que les émigrants pouvaient aussi représenter potentiellement des diasporas susceptibles d'être mobilisées au profit de leur pays d'origine. Depuis lors, on tend de plus en plus à analyser les migrations sous une optique de gain, et des études mettent en lumière l’implication des diasporas africaines à titre de partenaires (formels ou informels) dans les projets de développement local dans leurs régions, villes et villages d’origine. Ceci se matérialise par exemple par l’établissement de nouvelles entreprises et la création d’emplois, ainsi que le renforcement de la gestion de structures déjà existantes dans les secteurs public et privé. Ces apports de la diaspora peuvent représenter une source appréciable de financement. On a constaté que, dans certains pays africains, les contributions des émigrés en France ont dépassé l’aide publique au développement octroyée par le pays hôte. C’est par exemple le cas de la diaspora malienne en France, dont les transferts financiers réalisés, soit par voie bancaire soit par des réseaux informels, ont eu un impact certain sur la vie des communautés d’origine. Le montant global des transferts habituellement enregistré par les autorités maliennes ainsi que par les partenaires au développement est de 180 millions d’euro, soit 120 milliards de FCFA/ an (Assemblée nationale du Burkina Faso, 2008). Selon Boutillier, Quesnel et Vaugelade (1985:246), « les transferts des revenus des migrants burkinabè représentaient 45 milliards de francs CFA en 1982 et ont permis de combler les deux tiers du déficit commercial du pays ». Pour Abdou Salam FALL (2003), ces transferts augmentent le pouvoir d’achat dans les pays d’origine, facilitent l’accès des populations
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aux équipements domestiques et participent de l’amélioration de leur cadre de vie. Les émigrés atténuent la crise des finances publiques et favorisent l’internationalisation des changes et la mondialisation des capitaux. De nos jours, il n’existe pas de statistiques sur les transferts de fonds des Burkinabè de l’extérieur. Selon le ministre délégué Minata SAMATE, les transferts de fonds s’élèvent à près de cinquante (50) milliards de F CFA par an. "Le chiffre est plus important si l’on prend en compte les transferts par les canaux non formels1". Cela permet notamment de subvenir aux besoins des parents restés au pays. Mais le ministre délégué à la Coopération a souhaité que ces actions ne restent pas dans le cadre familial. Ainsi, ces flux monétaires relativement élevés provenant des migrations participent au développement des zones de départ, même si certains auteurs (Amin, 1972 ; Zongo, 2003) ont montré comment l'argent envoyé par les migrants sert à valoriser l'intéressé dans le statut traditionnel de son village d'origine à travers des dépenses ostentatoires (montant des dots progressivement relevées) ou du gaspillage qui prend des formes diverses (consommation, thésaurisation). 4. Les réinvestissements des acquis de la migration au Burkina Faso Le processus d'insertion socio-économique des migrants de retour est entendu ici comme un processus dynamique d'installation (de durée plus ou moins longue). Il s'agit de voir comment migrants et non migrants arrivent à satisfaire un certain nombre de besoins, alors qu'ils ne disposent peut-être pas des mêmes atouts pour y faire face ni les mêmes exigences à satisfaire. La migration a pour effet d’élargir l'espace de vie de l'individu, qui, néanmoins, garde souvent des contacts avec son village d'origine, ses premières relations de travail. Ce changement d'espace de vie n'exclut pas non plus qu'au cours de son existence, l'individu revienne séjourner dans son lieu d'origine. C'est souvent le but de nombreux migrants qui partent à la recherche de revenus monétaires, afin de construire un logement, d'ouvrir un commerce, de créer une activité artisanale dans leur localité d'origine. Les conséquences des
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L’Observateur Paalga N°7057 du vendredi 25 au dimanche 27 janvier 2008.
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migrations varient selon la nature de l’économie locale, les opportunités urbaines, et les dynamiques sociales en œuvre. Ainsi, selon le rapport final de SAED2 (1986 : 7), « à l’occasion des déplacements, les hommes rencontrent des cultures autres que celles de leur ethnie d’origine ; vivent des expériences autres que celles de leurs compatriotes… Il y a transformation de leurs mentalités qui, à l’occasion de leur retour, peut faire tache d’huile dans leur village ». Bons nombres d’émigrés burkinabè, sous l’effet de la crise en Côte d’Ivoire, sont rentrés au pays depuis les années 2000. Ils sont nombreux à vouloir s’insérer dans la vie professionnelle en mettant à profit leur expérience tout en alliant carrière migratoire et insertion professionnelle. C’est de cette catégorie de migrants de retour qu’il s’agit. Ils sont allés en Côte d’Ivoire ou au Ghana à la recherche du bien-être social et se sont retrouvés dans les plantations de café et cacao. A la faveur de la crise ivoirienne, ils sont nombreux à se tourner vers leur pays d’origine et contribuent tant bien que mal à son développement socioéconomique. Les transferts de fonds de certains Burkinabè restés à l’étranger servent à la réalisation d'investissement dans les domaines du commerce, du bâtiment, des transports et de l'agriculture. Ainsi, ceux qui sont de retour investissent principalement dans les secteurs du transport, de l’import-export, de l’immobilier, de l’agriculture, de la restauration et de l’art vestimentaire. Le secteur des transports de voyageurs Le réinvestissement dans leur pays d’origine des transporteurs burkinabè ayant émigré en Côte d’Ivoire est aussi à comprendre à la lumière des positions prises par le gouvernement burkinabè en matière de réinsertion des migrants de retour. Son intervention s’est, en effet, limitée au rapatriement en zone rurale de quelques milliers de ressortissants, puis à la réinsertion de quelques-uns dans les activités agricoles dans les zones encore mal exploitées du pays, avec l’appui logistique et financier de la Banque mondiale. Bredeloup et Kouraogo (2007) montrent que la crise ivoirienne a contribué à la reconversion professionnelle des transporteurs burkinabè en Côte d’Ivoire, mais elle les a aussi nourris en permettant une relance de l’activité de transport et l’essor de nouveaux axes, de nouvelles
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Société Africaine d’Etude et de Développement.
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circulations. Ils sont alors quelques-uns à occuper ce nouveau créneau, proposant des liaisons inter-régionales régulières avec les villes de Bamako à l’Ouest, de Lomé et Cotonou au Sud-est. Ils ont contribué à moderniser le secteur des transports de voyageurs avec un parc d’autobus entièrement renouvelé. Le secteur connaît un essor considérable depuis l’arrivée de ces transporteurs à partir de la crise ivoirienne au début des années 2000. Des emplois ont été créés par l’ouverture des gares et escales et le recrutement d’employés, notamment les chauffeurs, les convoyeurs, les bagagistes et les apprentis. Des travaux en 2005 (Kouraogo, 2005) ont montrés que des sociétés de transport appartenant à des émigrés burkinabè installées en Côte d’Ivoire ont fait leur retour au pays. Tous planteurs et par la suite acheteurs de café et de cacao avant d’être transporteurs, ils participent au développement du pays par la création d’emplois. La société Transport SANA Rasmané (TSR) employait en 2005 près de 250 personnes, et ZOUNDI Sibiri Transport (ZST), 115 personnes (Kouraogo, 2007). Les actions entreprises par ces transporteurs burkinabè rentrés de Côte d’Ivoire ont contribué à une amélioration sensible du secteur, tant au niveau de l’organisation que de la règlementation. On assiste à une offre de transport de qualité par l’introduction de moyens modernes de transport, notamment des bus et minibus climatisés, à une augmentation de la desserte en lignes nationales et internationales. Le secteur a ainsi connu un essor considérable, quand bien même les collègues transporteurs restés au pays étaient obligés de faire des investissements supplémentaires dans leurs sociétés respectives pour pouvoir faire face à la concurrence. L’import-export Le secteur de l’import-export est également investi par des émigrés burkinabè, et notamment ceux ayant séjourné Côte d’Ivoire. Dans une interview accordée au quotidien L’Observateur Paalga du 12 août 2009, Issaka Sawadogo affirme : « Je suis le président du Conseil d’administration de la Société de transport ivoiro-burkinabè (STIB) et de la Société de transit ivoiro-burkinabè (SOTRASIB) et président de la Confédération des fédérations nationales des filières bétail viande des pays membres de l’UEMOA (COFENABVI-PAM-UEMOA). Au niveau du Mali aussi, j’ai la Société ivoiro-malienne de transit et de bétail (SIM-TB) ». En terme d’emplois créés, le promoteur précise que la STIB emploie 218
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personnes, la SOTRASIB près de 120 et la Confédération environ 1000 personnes. Un autre promoteur émigré qui évolue dans le domaine de l’importexport, travaillant antérieurement dans le domaine de l’achat du café-cacao en Côte d’Ivoire, a été contraint par la crise ivoirienne à regagner sa patrie. Ainsi, après la CTI (Center and International Trade), il crée la société Watam (West African Trade And Manufacturing) connue dans la distribution de cyclomoteursI. Il a investi 1, 050 milliards dans la zone industrielle de Kossodo sur un site de 24 000 m². Depuis sa création en 2006, elle a apporté 1,5 milliards de F CFA à titre d’impôts reversés. Pour M. Ouédroago, l’arrivée de Watam a marqué un tournant sur le marché des cycles, arguant qu’elle a su capter de nouveaux clients à travers une politique de petits prix (http://www.lefaso.net/spip.php?article29883). L’immobilier Le secteur de l’immobilier est un créneau porteur pour bon nombre d’émigrés burkinabè. Un simple tour du côté des gros villages de Garango, Niaogo ou de Béguédo dans la province du Boulgou permet de se rendre compte de la réalité de la participation des Burkinabè de l'étranger au développement de leur pays d'origine. Selon Bertoncello (2005), des projets d’accompagnements sont menés sur divers fronts pour inciter les Burkinabè de l’étranger à effectuer les transferts d’argent par le biais bancaire et d’investir dans l’immobilier. En terme d'investissement immobilier, le Centre de gestion des cités (CEGECI) compte à son actif 50 villas à la cité An IV A, sis Avenue Kwamé N'Krumah, de type F5 dont une douzaine de villas de type F4 à la cité An III appartiennent à des compatriotes vivant à l'étranger (villas N°199 à 210). Dans d'autres villes du Burkina Faso, telle Bobo-Dioulasso, des villas ont été construites par la diaspora3. La demande de logements formulée par la diaspora est forte. Selon M. Bruno Djiguemdé, « nous ne pouvons pas satisfaire les demandes. Ce qu'il y a à faire, c'est de trouver un autre site et de mettre en œuvre un nouveau projet de construction de logements »4. Pour la directrice commerciale de la SONATUR qui s’exprime dans le même quotidien, « des compatriotes
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« Plus de 20 milliards de FCFA transférés chaque année. La diaspora burkinabè » consultée sur le site de : http://fr.excelafrica.com/archive/index.php?t-2865.html. 4 Ibidem.
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vivant au Mali, en Côte d'Ivoire, au Gabon, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada...ont déjà bénéficié des parcelles viabilisées ». Selon elle, il existe trois types de zones (A, B, C) à Ouaga 2000 (quartier chic de la capitale) qui indiquent chacune le niveau d'aménagement des parcelles. Dans cette zone, le mètre carré qui se vendait à 12 000 FCFA est passé à 14 000 FCFA. Les Burkinabè de l'étranger sont la plupart du temps intéressés par ce type de zone et demandent le plus souvent des parcelles de 1000 m² et même au-delà. En termes de chiffres, plus de 500 Burkinabè de la diaspora ont sollicité les services de la SONATUR au cours de l'année 2004. L’agriculture Ils sont nombreux, les émigrés burkinabè à investir dans l’agriculture dans l’Ouest du Burkina Faso. Les spéculations sont principalement le maïs, le manioc, la banane, l’anacarde, le riz et les plantes comme le palmier à huile. Selon Adama Traoré, rentré de Soubré et basé à Niangoloko, « c’est en 2002 que j’ai commencé à exploiter mon champ en plantant 4 ha de palmiers à huile. J’ai fait venir la pépinière de la Côte d’Ivoire car je n’en trouvais pas ici. La deuxième année, j’ai ajouté 6 ha de palmiers et 16 ha d’anacardes. En 2004 j’ai mis 10 ha de palmiers et fait la riziculture et la culture du maïs » 5. Monsieur Traoré est aidé par des manœuvres. En 2002 il a travaillé avec 10 manœuvres et avec 08 manœuvres en 2003 et en 2004. De 2005 à 2007, faute de moyens financiers, il se contente de 03 manœuvres par an. La plupart des émigrés burkinabè tentent tant bien que mal de faire valoir leur savoir-faire capitalisé au cours de la migration. D’autres secteurs sont investis par les émigrés. Selon BREDELOUP (2006 : 198), « les Burkinabè réinstallés dans la capitale s’efforcent de valoriser des savoir-faire acquis sur le territoire ivoirien. Le transport de passagers, le gardiennage, la restauration, la couture, la coiffure, … sont autant de créneaux porteurs qu’ils essaient d’exploiter dans leur pays d’origine ». On constate que les promoteurs des restaurants sont des Burkinabè qui sont rentrés de la Côte d’Ivoire ou qui font des va–et-vient entre les deux pays. Ces restaurants proposent des spécialités africaines en général et
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Entretien du 17/12/2007, à Niangoloko.
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particulièrement des mets ivoiriens. C’est le cas également de l’Association des femmes rapatriées dans le quartier Tampouy (cours de la solidarité)6 qui est spécialisée dans la transformation du manioc en attiéké (couscous de manioc) et qui ravitaille des hôtels de la capitale. Le secteur de la couture est aussi animé par des créateurs stylistes modélistes comme Bazemsé, Pathéo, Nass Mode, qui sont tous des émigrés burkinabè rentrés de la Côte d’Ivoire. Ils organisent des défilés de mode et participent à des rencontres internationales sur la mode africaine. Selon Mr D.M7, styliste au secteur 28 à Ouagadougou, « la préparation du retour se fait dans le pays d’accueil dès le choix de la profession. En effet, les émigrés exerçant une profession indépendante sont plus disposés à explorer des créneaux rentables de reconversion et sont moins assujettis à un confinement professionnel. En cas de réussite de l’activité, l’émigré s’enrichit plus rapidement que le salarié. Durant la migration, il est très lié à des professionnels de son pays d’accueil ». En somme, les émigrés burkinabè sont de plus en plus visibles dans de nombreux secteurs de l’économie du pays. Ils sont dans l’immobilier, l’agriculture, le commerce, le transport et bien d’autres secteurs d’activité. Ils contribuent à leur manière au développement socio-économique du pays. Certains font des gestes de solidarité envers les plus démunis et d’autres appuient l’Etat à travers des dons de matériels. C’est le cas de Issaka Sawadogo résident à Ouangolodougou en Côte d’Ivoire qui affirme lors d’une interview accordée au quotidien L’observateur Paalga : « J’ai refait le gouvernorat du Centre-Nord à Kaya à près de 18 millions, et offert 12 motos à la gendarmerie de Kaya et Barsalogho. La Télévision nationale burkinabè a aussi bénéficié, 7 millions de F CFA pour sa station de Bobo-Dioulasso, j’ai remis au directeur de cabinet du ministre de l’Administration territoriale qui l’a représenté à une cérémonie à Niangoloko 12 motos au profit de la gendarmerie et de la police de Niangoloko. A cela, il faut ajouter 6 motos offertes à la mairie de BoboDioulasso » (L’Observateur Paalga du 12 août 2009). Comme Issaka Sawadogo, les émigrés burkinabè contribuent comme ils peuvent aux actions de développement entreprises par le gouvernement. Ils étaient nombreux à se manifester à l’appel lancé par le président du Faso suite aux inondations du 1er septembre 2009, à travers des dons en
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Entretien du 27/09/2007 avec une des responsables de l’Association dénommée Cours de la Solidarité. 7 Entretien réalisé du 23/08/09, 17h 40 à Ouagadougou.
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matériels et surtout en espèces à l’endroit des sinistrés. Toute chose qui participe au renforcement de la solidarité et qui marque leur appartenance à la patrie. Conclusion Les migrants de retour contribuent de par leurs investissements à la redynamisation des processus d’urbanisation et à une transformation sociospatiale, ralentis souvent par l’indisponibilité de moyens financiers. Les transformations opérées dans l’espace physique et dans les différents secteurs de l’économie s’accompagnent de mutations tant au niveau social, culturel (mutations des relations interpersonnelles, des rapports à l’environnement, à l’autorité, etc.), que politique. Les réseaux ont tendance à regrouper les membres pour créer des filières à la fois professionnelles et familiales dans le pays d’accueil. Considérés comme des déracinés, les migrants sont qualifiés de « paweogo », « tabouga » ou de « kosweogo »8 selon qu’ils ont décidé de mourir en terre d’accueil ou dans leur pays d’origine, en opposition aux natifs, les « tenga ». Ces désignations renseignent sur la difficulté qu’il y a, au Burkina Faso, à valoriser la migration, souvent assimilée par certains natifs à une fuite devant les difficultés, plutôt qu’à une expérience enrichissante. Au-delà des investissements financiers que les émigrés apportent, ils valorisent également leur savoir-faire acquis au cours de leur migration. Ils investissent dans des secteurs où ils ont de l’expérience et de la compétence dans les activités. Les promoteurs de transport, les couturiers, les restaurateurs tout comme les commerçants, valorisent leur talent dans les activités qu’ils menaient dans les pays d’accueil. Les émigrés burkinabè, à qui l’on a longtemps fait le reproche de ne pas investir dans leur pays d’origine, sont aujourd’hui présents dans les différents secteurs de l’économie nationale.
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Trois termes en mooré pour désigner ceux qui sont restés, nés ou ceux qui ont « duré en brousse », c’est-à-dire à l’étranger. « Tenga », littéralement « terre », désigne ceux qui n’ont pas quitté le terroir.
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9 Localiser des identités mobiles Migration, ethnicité et dynamiques foncières au Gourma Gabin KORBEOGO* Résumé Dans un contexte marqué par les migrations fulbé et moosé, les rapatriés de la Côte d’Ivoire, l’agriculture céréalière extensive, le développement de la culture du coton et la pluralité des institutions sociofoncières, cet article analyse le répertoire des stratégies que les acteurs et groupes stratégiques utilisent pour avoir les droits d’exploitation durables et d’appropriation des ressources naturelles dans les villages du département de Fada N’Gourma (région du Gourma, située dans l’est du Burkina Faso). Si le pluralisme institutionnel, à travers la multiplication de lieux de négociation foncière (Commission villageoise de gestion des terroirs, chefs traditionnels, Responsable administratif de village, services techniques de l’État, etc.), a offert des chances d’accès aux ressources naturelles aux acteurs locaux, en fonction de leur position sociopolitique et de leurs capacités de négociation, il a en revanche accru la contestation des règles et des pratiques locales et amplifié les conflits socio-fonciers. Toutefois, il ne faut pas réduire les oppositions entre Fulbé, Gourmantché et Moosé à des ressentiments ethniques ; car la communauté d’intérêts justifie la formation des groupes d’acteurs stratégiques autant que l’appartenance ethnique, l’autochtonie et l’honneur. Enfin, la multiplication des conflits et de la pression sur les ressources naturelles tout comme l’insécurité des tenures foncières dans les arènes locales du Gourma rural, sont liés au faible niveau d’intégration des acteurs sociaux aussi bien dans l’espace politique villageois que dans l’espace politique national. Mots-clés : Foncier, Migrations, Compétition foncière, conflits fonciers, pluralisme institutionnel, stratégies des acteurs, politique locale, sécurisation foncière, région du Gourma, Burkina Faso. *
Enseignant au département de sociologie, Université de Ouagadougou. Mail : [email protected].
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Introduction Les deux dernières décennies ont été marquées par les violences dans les formations sociales locales autour de la gestion des ressources naturelles9. Au Burkina Faso, l’actualité rurale a été marquée par des affrontements meurtriers, dont les récents cas sanglants de Pô et de Baléré, qui ont alimenté les manchettes de la presse nationale et renouvelé la critique sociale sur l’impérieuse question de la sécurisation foncière rurale. Pour l’étude du cas spécifique de la localité agropastorale de Baléré, située à près d’une trentaine de kilomètres de Fada N’Gourma, tous les comptes rendus de la presse et de certains observateurs nationaux sur les évènements malheureux s’accordent à dire qu’il s’agit d’un conflit interethnique ou entre éleveurs fulbé et agriculteurs gourmantché. Cependant, cette double référence « ethniciste » et « écologiste », suffitelle à rendre efficacement compte de la situation réelle? Ma réponse à cette question sera négative. Les données de mes enquêtes contredisent en effet ces commentaires substantialistes qui semblent passer sous silence les effets des mutations identitaires, économiques, politiques et culturelles qui s’opèrent dans les sociétés paysannes locales en pleine recomposition démographique. Cet article examine, à partir d’une enquête approfondie, les stratégies que les acteurs locaux déploient pour tirer un meilleur profit des espaces disputés dans la région du Gourma. Cette interrogation se pose avec acuité d’autant plus que les effets conjugués des pénuries céréalières, de la dégradation des sols, des migrations accentuées par les retours massifs des Burkinabè de Côte d’Ivoire ne font qu’accroître la pression foncière dans cette région orientale du pays. Rapatriés de la Côte d’Ivoire suite à la crise sociopolitique de 1999 (Bredeloup 2008, Chauveau 2000), les nouveaux migrants sont majoritairement d’anciens ouvriers agricoles, originaires des villages moosé voisins du Gourma (sous-groupes yaana et zaoga) et du Yatenga (le sous-groupe yadega), situé au nord et centre-nord du Burkina Faso. Les luttes socio-foncières se déroulent aussi dans un contexte général de libéralisme économique et de décentralisation politique qui, en ramenant les pouvoirs au village, a permis une multiplication des lieux de négociation et une exacerbation de la compétition politique dans les arènes 9
Ce texte est une version remaniée de l’article publié dans les working papers de l’université de Mainz, en Allemagne (no. 67). Les données proviennent des enquêtes réalisées dans le cadre du programme BIOTA, notamment le sous-projet ouest-africain BIOTA W11.
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locales (Bierschenk et Olivier de Sardan, 1998). Les implications combinées de cette dynamique sociopolitique et migratoire vont ainsi contribuer à précariser les équilibres toujours provisoires des écosystèmes locaux. Tout en récusant les simples oppositions entre groupes ethniques ou entre agriculteurs et éleveurs, il faudrait montrer que le contexte actuel de recompositions des identités sociales et professionnelles anciennes rend moins crédibles ces catégorisations. Pour mieux saisir le problème, j’adopte ainsi l’approche historique et transactionnelle qui permet d’analyser les stratégies des acteurs, les arrangements informels tout comme les contraintes systémiques qui se manifestent dans les microprocessus de négociation (Moore, 2000 ; Ostrom, 1990). Les données de cet article sont issues d’une recherche empirique (entretiens individuels et de groupe approfondis et observations ethnographiques) de douze mois conduite entre novembre 2004 décembre 2005. Compte tenu de l’actualité judiciaire du « dossier de Baléré » conduit par le tribunal de grande instance (TGI) de Fada N’Gourma, l’analyse de cette jacquerie paysanne se base sur les rapports sur la situation faits par le Mouvement burkinabé des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP), la brigade locale de gendarmerie et le TGI à partir des dépositions des parties prenantes, et les données de première main collectées auprès des populations locales. 1. Note sur l’histoire du peuplement local Pour mieux comprendre l’origine sociale des antagonismes dans la région du Gourma, il est nécessaire de relire l'histoire du peuplement local qui laisse voir les itinéraires des différents groupes sociaux, leurs évolutions démographique et politique. L’histoire sociale du milieu autorise une meilleure intelligibilité des dynamiques foncières en cours. Ainsi, les récits moosé et fulbé locaux reconnaissent tous le Fulbé M. Bodé10 comme le premier habitant de Baléré. Ce dernier, en provenance de Boulsa, situé au centre du pays, s’y est installé depuis 1980. Il dit n’y avoir trouvé que « la vraie brousse, les animaux sauvages tels que des lions, des hyènes et des singes » la première année de son implantation sur accord des autorités coutumières de Lorogou, de Pissokodogo et de Diabo, et « grâce à la bénédiction d’Allah ». Par contre, il confie que le nom Baléré qui
10 Tous les noms qui figurent dans le texte sont des pseudonymes. J’ai adopté le principe de l’anonymat pour couvrir l’identité réelle des acteurs qui sont impliqués dans la crise sociale qui perdure à Baléré.
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existait déjà avant son arrivée a été donné par les populations voisines de Koli et de Sakandou qui se disputaient les droits de chasse de la zone autrefois giboyeuse. Suite aux intermédiations des anciens des deux villages, une conciliation a été organisée à l’ombre d’un Khaya senegalensis (caïlcédrat) afin d’aplanir les divergences nées du contentieux foncier. C’est ainsi qu’après avoir conclu un accord de non-agression, les négociateurs donnèrent le nom moaaga de « baan loyire kuka » à cette « brousse » ; ce qui signifie littéralement « le caïlcédrat qui a permis d’éviter le déshonneur ». C’est cette étiologie qui, après avoir subi les influences dialectales zaoga et yaana, a donné « Baléré ». La famille M. Bodé fut rejointe par la suite par d’autres familles fulbé, les Barry avec lesquels elle entretient des relations de parenté à plaisanterie, les Bandé, les Diao et les Diallo. Tous installés dans un même bloc de parcelles, les Fulbé vivent essentiellement des produits de l’élevage bovin et ovin et de la petite production céréalière des champs de case. Le regroupement spatial des habitations fulbé avait donc laissé libre un vaste espace s’étendant des huttes au bas-fond qui ceinture le village, qui servait au pâturage et à l’abreuvage du bétail en errance. Dix ans plus tard (à la fin de l’année 1980) la communauté fulbé a été rejointe par M. Kali en provenance de Diapangou. Cependant, ce dernier s’est installé à près de sept kilomètres des Fulbé. Progressivement, sa prospérité agricole a attiré des groupes successifs d’agriculteurs gourmantché puis moosé des contrées voisines de Diapangou, Saatenga, Comin-yanga, et Diabo. Plus de la moitié des migrants moosé est constituée d’anciens ouvriers agricoles en Côte d’Ivoire qui sont rentrés suite à la crise sociopolitique sur fond de xénophobie à l’encontre des exploitants forestiers étrangers et burkinabè en particulier. En plus de l’agriculture céréalière d’autosubsistance, les Gourmantché et les Moosé pratiquent les cultures de rente (principalement le coton et la pastèque) tout comme l’élevage des bovins et des ovins qu’ils acquièrent avec les revenus des cultures commerciales. Les échanges socio-économiques entre les Gourmantché et les Moosé sont riches et varient principalement entre l’entraide culturale, le mariage et le commerce d’aliments. Par contre, les échanges entre ces derniers et les éleveurs fulbé sont moins intenses et concernent surtout le commerce alimentaire ou céréalier et le troc des produits de l’élevage fulbé contre les céréales des Gourmantché et des Moosé. Sur le plan politique, grâce à son statut de plus grand producteur agricole et pastoral local, de tuteur des nouveaux venus gourmantché et moosé, de médiateur des conflits, sa générosité, et son
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« charisme », M. Kali est devenu un big man, respecté et écouté par les habitants de Baléré. En outre, il est reconnu comme l’«interface» (Long, 1989) entre ses clients gourmantché et moosé avec les éleveurs fulbé et les services de l’administration publique (services d’agriculture et d’élevage, préfecture, etc.). Au niveau de l’occupation socio-spatiale, à quelques exceptions près, chaque nouveau venu s’est installé sur le chemin de son village d’origine. Cette forme d’appropriation de l’espace local est soutenue par une double logique : elle a un sens symbolique et stratégique. Si, d’une part, elle rappelle au migrant son devoir de mémoire et de retour à sa terre natale même s’il se plait dans son lieu d’adoption, d’autre part, elle lui permet de rejoindre aisément son village en cas de « surprise désagréable ». Par exemple au moment des affrontements, les Gourmantché ont d’abord fait appel au renfort de leurs parents des localités voisines comme Diapangou avant de s’y réfugier pour échapper aux arrestations policières. Les Moosé quant à eux ont regagné leur village situé en moyenne à une quinzaine de kilomètres. Autre fait historique à noter, c’est que les Gourmantché et les Moosé ont choisi d’appeler Zinghiné la rive (droite) du bas-fond sur laquelle ils sont installés. Cette appellation est en souvenir de jingli (ce qui signifie fétiche en gourmantché), un fétiche abandonné par des Gourmantché de Diapangou fuyant une guerre de conquête intervillageoise. La partition linguistique du village situé pourtant sur un même terroir va pousser plus tard à la distanciation des relations sociales et nourrir les contradictions socio-foncières ultérieures. Ainsi, après avoir séjourné à Zinghiné quelques temps, les « fuyards » se sont par la suite établis à Comin-yanga d’où revenaient, jusqu’à une période relativement récente, leurs descendants pour accomplir les sacrifices annuels sur le fétiche lignager (jingli). Mais les descendants « métis », nés de mariages mixtes entre Gourmantché et Moosé, ont progressivement perdu, par le biais de la colonisation culturelle de la société d’accueil, l’usage de la langue et les convenances socioculturelles gourmantché au profit de ceux de leur matriclan moaaga. C’est le cas de M. Bani, un jeune agriculteur de trente cinq ans, qui a deux femmes dont la première est Gourmantché et la seconde Moaaga. Il est né de parents directs gourmantché et de grands-parents moosé. Même si M. Bani reconnaît toujours son origine moaaga avec une maîtrise acceptable du moore, il se considère aujourd’hui comme un Gourmantché de plein droit. Sa biographie montre que c’est le brassage matrimonial et
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interculturel qui a produit sa mixité identitaire. Beau-fils du big man M. Kali, M. Bani, qui est cité comme l’un des meneurs des affrontements, est l’actuel porte-parole des Gourmantché qui se réclament autochtones et propriétaires des terres. Et bien qu’il soit un Gourmantché de « souche non pure », la dynamique intergénérationnelle lui a permis d’acquérir la légitimité politique locale et les droits de propriété sur les terres qu’il exploite. Pourtant, conformément au principe traditionnel gourmantché, qui accorde un primat juridique aux droits politiques et fonciers aux descendants de la lignée patrilinéaire originelle, M. Bani n’avait pas droit à ces privilèges. Mais sa proximité avec M. Kali, la bravoure dont il a fait preuve tout au long de la crise, et l’inexistence d’une instance centrale de légitimation des références identitaires lui ont valu les avantages politiques et fonciers. Le cas de M. Bani pose une question anthropologique fondamentale : celle des contradictions de l’héritage, à savoir l’ordre de succession et la reproduction des lignées dans les sociétés paysannes en mutation. Il est alors nécessaire d’inscrire les propriétés identitaires (ethniques) tout comme les droits d’usage et d’appropriation des ressources naturelles dans une perspective dynamique et historique, et plus précisément suivant les configurations spécifiques des rapports de pouvoir et l’importance des enjeux fonciers. Par conséquent, la négociation des droits d’usage et d’appropriation des ressources naturelles dans un contexte de migration et de pluralisme institutionnel implique plusieurs registres de légitimité et exige des acteurs sociaux l’investissement de valeurs symboliques et matérielles accréditantes. 2. L’efficacité des « investissements sociaux » dans la compétition foncière La constitution d’un capital social à travers les alliances matrimoniales, les entraides culturales, l’adhésion aux groupements associatifs et politiques est une stratégie opératoire dans les arènes socio-foncières locales. Ainsi, les acteurs locaux, surtout les nouveaux établis moosé et gourmantché (notamment les non natifs des localités d’enquêtes), s’intègrent dans les réseaux sociaux afin de faciliter leur intégration sociale et sécuriser leurs droits d’usage des ressources naturelles. Par exemple, c’est à travers les liens du mariage interethnique que l’intégration de M. Bani à Zinghiné a été facilitée. Outre les échanges matrimoniaux entre autochtones gourmantché et migrants moosé, accusés par leurs tuteurs de
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pratiquer l’endogamie, les mariages entre les membres des unités lignagères autochtones permettent aussi le renforcement des relations d’interdépendance sociales. Et par ce biais, les règles de la concurrence sociale s’en trouvent relativement pacifiées, comme le déclare un trentenaire moaaga de Zinghiné dont la mère et l’épouse sont Gourmantché : «Si quelqu’un te donne sa fille en mariage, je ne vois pas comment il va refuser de te donner la terre à cultiver pour te nourrir et nourrir sa fille. Par exemple moi, je suis Zaoga de Diabo, mais ma mère est Gourmantché d’ici, ma femme aussi. Donc je cultive sur les terres de mes oncles et de mes beaux-parents.» (Entretien avec Y.L, 30 ans, Moaaga, Baléré le 15.02.2005). Les filiations conjugales permettent aussi d’établir des liens d’entraides culturales entre les familles prestataires. Car dans ce milieu agricole où la force de travail domestique est précaire à cause de la migration des cadets sociaux (à l’intérieur du Gourma ou vers le Niger, le Bénin et la Côte d’Ivoire) et de la désintégration des anciennes grandes unités domestiques et d’exploitation agricole, la disponibilité de la main d’œuvre est devenue un enjeu majeur pour les familles. À titre illustratif, on peut citer le cas de M. Daogo, un migrant moaaga originaire de Kaya, qui a été accueilli avec sa femme par un tuteur, M. Koandé, à Kpendima (un hameau de culture de Natiaboani situé à environ trente kilomètres de Fada N’Gourma) au cours de l’année 2005. Cette localité était autrefois une « brousse profonde » abritant des lions et des éléphants et réservée à la chasse sportive du roi Yuabli du Gourma. Migrant gourmantché originaire de Bogandé, M. Koandé a quitté son village suite aux décès de ses quatre femmes et de ses huit enfants. Il a été le premier à habiter ce hameau de culture il y a vingtcinq ans. S’il considère les décès des membres de sa famille comme la manifestation de la volonté divine, ses voisins, eux, jugent ces malheurs comme « la contrepartie de ses alliances mystiques malveillantes ». M. Koandé, qui est d’ailleurs craint dans la région, n’hésite pas à menacer ses adversaires de représailles mystiques (maladie, mort) en cas de dispute. Ainsi, suite au refus qu’il a opposé au creusage de puits pour l’abreuvement du bétail dans « son bas-fond » où il exploite une grande superficie de manioc, une affaire foncière l’a opposé aux éleveurs locaux (fulbé, moosé et gourmantché). Sollicités pour résoudre le contentieux foncier, les chefs coutumiers de Natiaboani et du Gourma ont échoué
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devant la détermination de M. Koandé à user de ses pouvoirs magiques pour faire triompher sa décision. C’est suite à la saisine du T.G.I de Fada N’Gourma et à l’intervention musclée des gardes pénitentiaires que M. Koandé a été contraint de se débarrasser des amulettes et fétiches qu’il portait au tribunal avant sa mise en détention préventive durant une semaine. L’affaire reste pendante car l’instruction judiciaire n’a pas eu lieu. M. Koandé se dit abusé par les juges qu’il accuse d’avoir été soudoyés par les plaignants (les Fulbé et le Gourmantché Bacou dit « Bandit », considéré comme le plus grand éleveur de Kpendima). Ainsi, au cours des oppositions locales et de la procédure judiciaire qui a conduit à l’arrestation de M. Koandé, le migrant moaaga M. Daogo s’est montré constamment solidaire de son tuteur. Il s’est établi, avec sa femme, dans la concession de champ de son tuteur située à côté de l’espace disputé. M. Daogo s’est entièrement mis à la disposition de son logeur pour ses travaux champêtres. En reconnaissance de la « bonne conduite » de M. Daogo, la saison agricole qui a suivi (2006), son tuteur lui a concédé des droits d’exploitation de deux champs. Pour ainsi dire, la fourniture de la force de travail agricole et la solidarité du migrant moaaga en faveur de son tuteur dans le conflit représentent un investissement social qui lui a assuré l'accès à la terre. Aussi, dans plusieurs antagonismes autour de l’exploitation et l’appropriation des ressources naturelles, les responsables coutumiers gourmantché, mis en minorité démographique par l'afflux de migrants fulbé, accueillent favorablement les allochtones moosé qu'ils installent sur les « terres litigieuses » qui séparent souvent les espaces agricoles et pastoraux. Ces terres qui sont généralement boisées et enrichies par l’apport organique des excrétas du bétail, sont l’objet de pression agropastorale et de contentieux socio-fonciers. Les autorités politiques et socio-foncières gourmantché utilisent ainsi les nouveaux arrivants moosé comme « boucliers humains » ou « boucs émissaires » dans leurs stratégies de contrôle des espaces disputés avec les Fulbé. L’attitude politique des autochtones gourmantché est effectivement perçue par les protagonistes locaux (les clients moosé et les rivaux fulbé) comme une stratégie d'accumulation et de sécurisation des propriétés foncières lignagères à travers l’inversion avantageuse de la structure démographique et des rapports de pouvoir locaux. De ce fait, la transformation de l’équilibre démographique local confère aux autochtones gourmantché une supériorité politique nécessaire au renforcement de leur force de résistance et de contrôle foncier.
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Ces stratégies politiques et socio-foncières ont été observées dans les localités de Baléré, Kpendima, mais aussi dans le hameau de culture de Namungu où les autochtones gourmantché riverains de la réserve privée de chasse et de vision, par le biais du tutorat foncier de migrants moosé, s’opposent aux plans des autorités forestières de les expulser des terres qu’ils exploitent à l’intérieur des limites initiales de la réserve écologique. En outre, les regroupements par affinité favorisent les entraides culturales pouvant évoluer vers des groupements de producteurs de coton (GPC). Dans de pareils cas, les modalités de cooptation des membres et de composition du bureau respectent souvent les hiérarchies de la structure politique ancienne. Il est vrai que dans les associations villageoises, les critères de désignation des responsables tiennent compte des qualités sociales telles que le niveau d’instruction (scolaire ou alphabétisation), du capital social (lien de parenté avec un fonctionnaire influent ou un riche commerçant local, réputation magico-religieuse), mais surtout de l’appartenance à la famille souche fondatrice du village. Pour preuve, à Potiamanga (situé à cinq kilomètres de Fada N’Gourma), le représentant administratif du village, membre du lignage autochtone et régnant, est le président du GPC et de la commission villageoise de gestion des terroirs (CVGT). Par contre à Momba (situé à douze kilomètres de Fada N’Gourma), le représentant administratif du village, le fils du chef coutumier, absent lors de la constitution des bureaux du GPC et de la CVGT, n’est pas membre des structures dirigeantes des deux organisations paysannes. Par conséquent, celui-ci et certains membres de sa famille boycottent les activités du GPC et de la CVGT et contestent la légitimité de leurs représentants élus, non membres de leur lignage, ainsi que leurs capacités à défendre les intérêts du village dans ces structures. Également partisans de la tactique d’intégration sociale, certains Gourmantché préfèrent adhérer aux GPC pour renforcer leurs relations sociales et surtout bénéficier du soutien institutionnel de la Société cotonnière du Gourma (SOCOMA) dans les différends fonciers ou en cas de dévastation de champs de coton par le bétail. Dans ces situations précises, la structure cotonnière qui octroie les intrants à crédit aux producteurs est obligée d’intervenir en faveur de ses débiteurs pour protéger ses investissements. C’est ce qu’illustrent les propos d’un vieux migrant gourmantché, originaire de Bogandé : Comme je suis étranger à Natiaboani ici, il fallait que je trouve une occasion pour faciliter mon intégration dans le village […] S’il s’agit de
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problème de terre il y a une différenciation entre Gourmantché. On peut commencer à dire que tu es Gourmantché de Diapaga, de Bogandé ou de Fada pour t’écarter de la compétition foncière, mais en adhérant au groupement de coton ça me permet de me frotter aux gens du village, les autochtones surtout et ça peut m’aider en cas de problème de terre par exemple. (Entretien avec Y.M, Gourmantché, 60 ans, Natiaboani le 27.05.2005). Ainsi, bon nombre d'agents sociaux préfèrent l'« investissement dans les relations sociales » (Berry, 1989:51-52) qui paraît plus fiable et rentable en termes d'accès aux droits d’exploitation durable des ressources naturelles, plutôt que le recours à la médiation des institutions étatiques, sujettes à des dénonciations de corruptions et dont les attributions techniques sont peu connues des paysans locaux. Loin d'être isolés, les investissements sociaux qui se réalisent soit par le travail, soit par le mariage, ou encore par d’autres formes de solidarité, sont fréquents et participent aussi à la recomposition des réseaux sociaux du Gourma rural. 3. Entre commérages et discrimination socio-foncière Il est intéressant dans cette étude de voir la fonction des représentations de l’Autre par des potins dépréciatifs dans les conflits locaux comme à Baléré. Des auteurs comme Gluckman (1963), Elias et Scotson (1997) et Scott (1985) ont montré que le commérage est un moyen d’expression idéologique et de renforcement ou d’affaiblissement de la cohésion d’un groupe social. Les usages sociaux du commérage ont été observés au Gourma où les différents groupes stratégiques utilisent les potins dépréciatifs pour stigmatiser et exclure leurs concurrents des échanges sociaux, en particulier de l’accès aux droits d’exploitation et d’appropriation des ressources naturelles. L’analyse de cette stratégie discursive (usage du commérage) permet alors de comprendre les conditions historiques de production des images négatives de l’«Autre » ainsi que les modalités d’usage du commérage comme un moyen d’exclusion socio-foncière par les groupes d’acteurs locaux. Comme le soutiennent Elias et Scotson (1997: 202) : « Mener une enquête très fouillée à l’intérieur d’une communauté divisée permet aussi de mieux comprendre la nature et les fonctions du commérage (gossip) ». Dans la région du Gourma, les potins et images négatives de l’Autre justifient en partie la prohibition matrimoniale entre Fulbé et Gourmantché
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par les normes coutumières de chaque groupe ethnique. Dans certaines circonstances également, les commérages ont contribué à amplifier les rivalités sociales autour du contrôle des ressources naturelles : «Tout sauf le Fulbé, nous ne devons pas nous marier à ces gens-là; on n'est pas né trouver, cela ne fait pas partie de nos traditions ! Donc, on ne peut jamais le faire aussi […] Tu sais la méchanceté du Fulbé a une origine divine […] Un jour Dieu faisait le partage des vertus à des gens d'origines ethniques différentes, les premiers ont choisi le bien, l'amour, la bravoure, le travail. Il restait alors deux vertus: l'ingratitude et la méchanceté. Le Fulbé qui était le dernier à choisir, a demandé à emporter la méchanceté et l’ingratitude. Tu comprends donc pourquoi les Fulbé sont mauvais depuis l’origine. Ils n’ont pas de terre car ils ne sont pas d’ici, ce sont les terres de nos ancêtres. Et le Fulbé est de nulle part, donc il ne peut pas revendiquer la propriété d’une terre.» (Entretien avec le responsable coutumier de Potiamanga, 70 ans, Gourmantché, le 22.04.2005). «On ne peut plus vivre avec les Gourmantché, ce sont des criminels […] Ils sont jaloux de nos fortunes seulement. La seule solution à la crise actuelle c'est de nous séparer seulement, sinon on ne peut plus s'entendre avec des gens qui sont intolérants et ne veulent pas une coexistence pacifique […] Eux aussi, ils ne veulent pas nous voir. Ils nous ont massacrés comme du bétail, c'est quelque chose qui ne peut jamais finir même dans l'esprit de nos enfants, ils ne pourront pas pardonner cela puisqu'ils ont vécu cela et ça les a beaucoup traumatisés […] Ils veulent qu'on disparaisse, donc pourquoi nous allons chercher à vivre avec eux encore ?» (Entretien avec B.H., 65ans, responsable adjoint de la communauté fulbé, Baléré, mars 2005). Les témoignages montrent que l'aversion intercommunautaire prend ses racines aussi bien dans l’allégorie que dans le langage. Il existe par exemple en fulfulde l'expression péjorative haaБe11 qui sert à désigner « les autres ou les non Fulbé » (Gourmantché et Moosé). L’expression signifie en réalité « amers » ou « mauvais » mais les Fulbé la traduisent à ceux qui ne comprennent pas leur langue comme signifiant « les autres ». En conséquence, les stocks d'images et d’expressions avilissantes 11
La signification de la métaphore fulbe a été révélée avec la complicité de mon guide gourmantché dont la mère est Fulbe. Par son intermédiaire, j’ai aussi bénéficié des facilités pour les contacts et la découverte de la signification des éléments de l’univers idéologique fulbe.
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historiquement constitués structurent les perceptions sociales de chaque groupe social et disposent ses membres à assimiler la rencontre des « concurrents » à un fait désagréable ou de mauvais augures. La survenue des divergences foncières peut être ainsi l’expression des dispositions idéologiques conflictuelles des groupes concurrents. Sous l’étendard identitaire, la sauvegarde du patrimoine foncier lignager devient une « charge commune » qui engage l'«honneur12 » (Bourdieu et Sayad, 1964: 87-89 ; Lund, 1999) de chaque membre du groupe stratégique et dont la faillite symbolise la perte de son prestige social. Néanmoins, la compréhension acceptable du problème doit considérer que l'idéologie, qui produit entre autres les « charges d'honneur », ne peut être mieux comprise qu'en étant considérée comme le langage des conditions matérielles des sociétés locales. Cette remarque autorise au moins une réserve par rapport à la défense acharnée des patrimoines fonciers lignagers uniquement au nom de l' « honneur » comme le montre Lund (1999) dans le cas du Liptako (Dori). Enfin, la référence à la « morale de l'honneur » africaine, ou encore à l' « irrationnel », pour rendre compte des conflits fonciers néglige parfois les effets des changements sociopolitiques et économiques qui influencent les perceptions et les pratiques sociales en milieu rural. 4. De la cohabitation paisible à la confrontation violente Les différents témoignages reconnaissent que la cohabitation entre les Gourmantché, les Fulbé et les Moosé était relativement paisible. En cas de différends, les leaders d’opinion des trois communautés trouvaient toujours des arrangements dans le but surtout de préserver l’harmonie sociale qui dure depuis près de quinze ans. À titre d’exemple, les populations locales avaient, de façon consensuelle, conçu une fourrière où étaient parqués les animaux ayant commis des dégâts dans les exploitations agricoles. Les propriétaires des bestiaux étaient astreints à des amendes, collégialement fixées par la commission représentative des différentes parties et ce, après l’évaluation des préjudices causés. Il arrivait même que les éleveurs fautifs soient exonérés des amendes au cas où les dommages agricoles n’étaient pas « considérables ». D’ailleurs, pour prévenir les dégâts agricoles, les propriétaires des champs étaient chargés de garder leurs exploitations la journée et les jeunes bouviers s’occupaient de la surveillance des troupeaux
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Honneur se dit bàngu en gulmancéma, burkindi en moore et laaБal en fulfulde.
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la nuit. Les arrangements étaient certes conclus avec la collaboration des différentes parties, mais surtout grâce à l’influence du big man, M. Kali. Mais l’harmonie sociale entre les trois groupes ethniques a été remise en cause en février 2004 par un différend foncier, apparu dans un contexte marqué par l’afflux de nouveaux migrants moosé (rapatriés de la Côte d’Ivoire), la pression sociale sur les ressources naturelles et la multiplication des disputes à cause de la dévastation des champs par le bétail. En effet, suite à l’hostilité des éleveurs fulbé au défrichement du nouveau champ d’un Gourmantché à côté de leur enclos, ceux-là ont saisi la préfecture de Diabo. Le préfet a ainsi décrété l’interdiction de toute défriche dans la zone colonisée par les Fulbé. Face au non respect de cette mesure, jugée inique et partisane par les parties gourmantché et moaaga, la préfecture de Fada N’Gourma, puis le T.G.I ont été successivement saisis pour traiter le différend foncier qui commençait à menacer les compromis sociaux antérieurs. Les deux instances administrative et juridique (la préfecture et le T.G.I) ont confirmé la mesure d’interdiction d’exploitation agricole de l’espace disputé, qui servait également de « frontière naturelle » entre Fulbé et Gourmantché-Moosé. Toutefois, les autorités publiques ont précisé que l’interdiction concernait les exploitants agricoles dont les champs ont été implantés dans la zone après 2002. Cependant, l’intrusion juridicoadministrative dans la crise socio-foncière, avec les implications politiques qu’elle a occasionnées, n’a pas permis de rétablir le calme. Au contraire, la situation sociale s’est davantage détériorée avec l’assassinat du big man M. Kali en mars 2004, suite à un vol à main armée un jour de marché. Alertés après le crime, de nombreux Gourmantché qui étaient au marché se sont rendus au domicile de la victime. Sur le lieu du crime, ils ont retrouvé des vélos abandonnés par les meurtriers. Les veuves du défunt ont en outre affirmé avoir reconnu les assassins qui seraient des « Fulbé de Baléré ». Les différentes déclarations de la partie endeuillée se sont accordées pour soutenir que les preuves sont établies sur l’identité fulbé des coupables. Les parents du défunt ont ainsi saisi la gendarmerie de Fada N’Gourma qui leur aurait suggéré d’arrêter les prétendus coupables et de les y conduire. C’est ce qui a été fait. Les plaignants ont arrêté cinq Fulbé qu’ils ont conduits à la gendarmerie de Fada N’Gourma où ils ont été détenus puis libérés quelques jours plus tard. Les appréciations sur la gestion judiciaire du dossier sont très contrastées. Si les Fulbé ont été confortés par la relaxe des cinq membres de leur communauté pour « absence de preuves », les
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Gourmantché ont en revanche été vexés et ont jugé que le traitement du dossier n’a pas été « trop clair » mais a été plutôt « partial et corrompu ». Les « railleries » des Fulbé qui se sont vantés d’avoir remporté la « victoire judiciaire » et les frustrations des Gourmantché ont donc alimenté les intimidations et les provocations réciproques ainsi que la volonté des protagonistes à se faire justice. Ainsi, suite à la décision d’un Gourmantché, M. Bouba, de construire une case à proximité de l’enclos de M. Bali, précédemment arrêté pour l’assassinat de M. Kali, et ce, malgré l’interdiction administrative précédemment mentionnée, il y a eu des échauffourées et une nouvelle plainte judiciaire de la partie fulbé qui s’est sentie provoquée. S’en sont suivies les violences verbales et les attaques des 29 et 30 juin 2004 qui ont fait successivement cinq et quatre victimes fulbé. Il y a eu parmi les victimes quatre anciens détenus dans l’« affaire M. Kali » et leurs proches. Les massacres qui se sont produits ont été unanimement appréciés comme étant la vengeance gourmantché de l’impunité de l’assassinat de leur leader. À l’issue des affrontements violents, une forte délégation des émeutiers gourmantché est allée porter la nouvelle à sa majesté Kupiendieli, roi du Gourma. Ensuite, elle s’est rendue à la gendarmerie pour se déclarer coupable des massacres. Après les évènements, six Gourmantché et dix-sept Moosé ont été arrêtés et détenus pour « culpabilité dans les expéditions meurtrières » et « incitations à la rébellion » selon les mots de la gendarmerie. Deux ans (en 2006) après les attaques sanglantes, certains prévenus ont été libérés ; d’autres, « jugés dangereux » pour l’ordre public villageois, sont toujours en prison et le dossier judiciaire demeurait pendant. Ce récit des violences paysannes a permis d’analyser les logiques politiques et institutionnelles de la compétition sociale dans les arènes foncières du Gourma ainsi que les ressources et les stratégies multiformes que les acteurs locaux y investissent. Il ne s’agit pas de montrer que le monopole de la violence y est le principal atout dans la concurrence foncière, mais d’affirmer que la période de crise constitue une circonstance privilégiée d’observation de la formation des groupes stratégiques et des stratégies de négociation identitaire et socio-foncière des acteurs locaux.
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5. État distant et conflits fonciers entre autochtones et allogènes Dans ce point, il s’agit d’analyser le rôle de l’État dans les conflits fonciers à partir des faits de terrain. Pour ce faire, j’adopte la perspective socio-historique qui révèle comment l’irruption de la violence paysanne est liée à la « modestie de l’État » (Ouédraogo, 1997: 126-136) ou au fait que l’État soit distant (Bierschenk et Olivier de Sardan, 1997). Ce modèle d’analyse est fécond dans la mesure où il permet le questionnement des perceptions locales de l’État, de ses attributions foncières, en permanente contradiction avec les normes locales et les usages stratégiques du pluralisme institutionnel par les acteurs locaux. Les enquêtes font ressortir que le niveau de connaissance populaire de la législation foncière est limité dans le fond. Cette connaissance relative qui se rencontre surtout chez les hommes, les femmes militantes d’associations et les migrants, se résume souvent à l’idée vague selon laquelle « la terre appartient au gouvernement », comme le consacre la Réorganisation agraire et foncière (RAF) de 198413 (sous la Révolution sankariste) qui a été modifiée en 1991 et en 1996. La référence à la période révolutionnaire est importante, car nombreux sont les enquêtés qui déclarent avoir connu la loi foncière à cette période. La politique volontariste, la dénonciation de la « féodalité », dont l’un des principaux fondements était le contrôle foncier, et l’implantation des Comités de défense de la Révolution (CDR) sur toute l’étendue du territoire ont permis de promouvoir et d’imposer avec un succès relatif la volonté de l’État révolutionnaire, censé incarner la « volonté populaire », en matière foncière (Tallet, 1989). En outre, la récurrence des disputes foncières, les migrations internationales (vers la Côte d’Ivoire surtout), les émissions radiophoniques dans les langues locales et l’action éducative des organisations paysannes et non gouvernementales ont été aussi des cadres d’information sur la RAF, même si sa légitimité est localement contestée : «Le gouvernement est venu nous trouver ici et il veut retirer les terres de nos ancêtres. Ce n'est pas possible ! Si on retire ces terres, de quoi allons nous vivre et qu'allons nous laisser à nos enfants surtout que maintenant tout se vend ? Ah, ça profite aux riches et aux fonctionnaires. Mais comme c'est une question de force, on est obligé de nous débrouiller pour vivre. On garde toujours les souvenirs amers du baalo 13
La première RAF a été adoptée par ordonnance n° 84- 050/CNR/PRES du 4 août 1984, elle a été relue en 1991 et 1996.
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[l’administration coloniale] qui nous faisait payer même ce que nous n'avions pas bouffé. Ce qu'on nous demande actuellement là, ce n'est pas plus que l'impôt!» (Entretien avec K.M., 60 ans, Gourmantché, Potiamanga, mars 2005). Le sentiment d’injustice foncière de cet ancien agriculteur est également partagé par la majorité de ceux qui se réclament autochtones. Ceux-ci contestent la légitimité foncière de l’État dont la représentation y est parfois malaisée et caricaturale, tant il se confond alternativement au gouvernement, aux fonctionnaires ou simplement au Président de la République : « On ne sait même pas qui est le gouvernement, ils sont jusqu'à Ouagadougou, c'est loin de notre brousse là! » dit un septuagénaire gourmantché. Même si les mauvais souvenirs de l’impôt de capitation et de la répression coloniale atténuent la résistance des aînés, chez les cadets sociaux par contre, le sentiment d’injustice est ravivé par le fait que le processus de libéralisation économique et les conditionnalités des programmes d’ajustement structurel (PAS) ont rendu payante la majorité des actes sanitaires, administratifs et scolaires. La nouvelle conjoncture socio-économique explique d’ailleurs la réussite de la culture du coton dont les revenus, en plus du fait qu’ils couvrent les besoins vitaux (achat de céréales en temps de soudure, santé, scolarité des enfants, établissement d’actes administratifs), favorisent les nouveaux mariages et l’achat de motocycles à vitesse d’origine asiatique (Sukida, JC ou Rainbow). Ce sont surtout les jeunes chefs de ménages autochtones, membres des GPC, qui voient à travers la « nouvelle femme » et l’acquisition des biens mobiliers des signes de distinction sociale. C’est ainsi que l’on peut voir les jours de marché des villages ou le dimanche, jour de « grand marché » de Fada N’Gourma, les scènes d’exhibitions de jeunes producteurs de coton sur leur motocycle. Le besoin d’affirmation de soi qui passe par la culture du coton, en substitution à l’émigration sous-régionale, a exacerbé la pression et les conflits fonciers au Gourma rural. La culture du coton, à travers l’utilisation des pesticides, appauvrit les sols, raccourcit la durée de leur fertilité et occasionne ainsi les retraits de terres usufructuaires par les autochtones gourmantché. Cette appréciation est partagée aussi bien par les autorités administratives locales (les juges, les responsables de la SOCOMA, les forestiers, etc.) que par les populations locales elles-mêmes. Du côté des allochtones moosé, qui jouissent d’une faible légitimité traditionnelle ou locale, l’autorité foncière de l’État est mieux reconnue. Mieux, ceux-ci souhaitent vivement l’application de la RAF qui pourrait
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sécuriser leurs droits d’exploitation et leurs ambitions d’appropriation foncière. On pourrait citer le cas de M. Kaboré, originaire de Boulsa, et ancien planteur en Côte d’Ivoire qui a fui suite à la crise sociopolitique. Revenu au Burkina depuis 2000, il a rejoint Natiaboani au cours de la même année. À travers les largesses qu’il a garanties à un chef de village local (Gourmantché), M. Kaboré a pu acquérir une grande superficie de terre, dans le hameau de culture de Manbora, dont une partie a servi à la réalisation d’un verger dans lequel il a planté des arbres à karité, des baobabs, des manguiers et des papayers. Il déclare avoir eu l’amour de la plantation au cours de son expérience ivoirienne. Mais suite aux invasions répétées de son verger par les animaux des autochtones et ses plaintes auprès des intéressés restées sans suite, M. Kaboré a procédé à l’abattage des bêtes. S’ensuivirent les réactions de colère des autochtones et les demandes de son expulsion de la localité. En effet, la clôture de son exploitation et la plantation des espèces comme le baobab (Adansonia digitata), espèce pouvant vivre près de cent ans selon des témoins locaux (paysans et forestiers), prouvent, selon certains autochtones, que le nouvel arrivant moaaga prétend à la propriété définitive des terres qu’il exploite. Ses démarches entreprises auprès de l’autorité coutumière ayant permis son installation n’ont pas rassuré M. Kaboré. Au contraire, l’autorité traditionnelle a stigmatisé le comportement de son client et s’est ralliée aux autochtones gourmantché. Se sentant menacé, M. Kaboré a porté l’affaire devant les services forestiers, puis au T.G.I de Fada N’Gourma, où il a été conforté dans ses droits. Les autorités administratives et judiciaires ont demandé le maintien du migrant moaaga dans le village, parce que celui-ci détenait un acte administratif de reconnaissance foncière, mais aussi parce que la plantation d’arbres contribue au « développement local ». Ces épisodes fonciers qui sont relativement fréquents dans le Gourma rural témoignent du conflit de compétences entre l’administration publique et les autorités coutumières dans les processus d’obtention de parcelles et de gestion des litiges fonciers. Le « pluralisme institutionnel » (Berry, 1989) a ainsi multiplié les lieux de négociation et occasionné le clientélisme dans les procédures d'obtention des droits d’usage temporaire et d’appropriation des ressources naturelles dans les arènes locales. À Baléré, l’émergence et la violence du conflit s’expliquent aussi par la situation d’institutional vacuum (Kopytoff, 1997), c’est à dire l’absence d’une autorité politique centrale qui a le monopole de la violence légitime. Disputée entre les départements de Diabo, de Comin-yanga et de Fada
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N’Gourma, cette localité enclavée n’abrite aucun service public (école, centre de santé par exemple). Chacune des trois préfectures perçoit les taxes sur les nouveaux défrichements qui s’élèvent à environ cinq mille francs CFA par « champ » (la superficie n’est pas précisée, c’est uniquement la superficie des champs de coton qui est évaluée en hectares). Ainsi, la confusion administrative conjuguée à la faiblesse relative des échanges socio-économiques entre les différentes communautés (Fulbé et Gourmantché surtout) n’a pas permis la mise en place d’une institution politique centrale locale. De l’avis de sa majesté Kupiendieli, l’absence d’une telle autorité centrale de monopole de la violence légitime est à la base de l’éclatement du conflit à Baléré: «Les incidents de Baléré ont été sérieux parce qu’il n’y avait pas de chef responsable de cette zone. Parce que cette zone est à cheval entre deux chefferies qui étaient vacantes (Diabo et Diapangou). Donc les populations laissées à elles-mêmes se sont comportées en fonction des réflexes individuels, sans aucune autorité pour les orienter, et c’est pourquoi ça dégénéré. Il y a des précédents, des manquements. » (Entretien avec sa majesté Kupiendieli, le 21.11.2005, Fada N’Gourma). Les péripéties des combats ont mis à nu la faiblesse du contrôle des pulsions et de la cohésion des unités sociales concurrentes. En l’absence d’une intégration des différents groupes stratégiques dans l’espace sociopolitique local, les résistances se sont organisées à des niveaux individuels et factionnels. De même, la fragilité de l’ancrage étatique favorise l’instrumentalisation des catégories identitaires pour le contrôle du foncier rural (Ouédraogo et Sall, 2008). Dans ce contexte, chaque groupe a fait recours à ses ressortissants politiques influents pour remporter la bataille physique et judiciaire. Cependant, les affrontements n’ont pas permis l’apaisement de la situation car les rivalités sont toujours vives dans la région et le contentieux judiciaire est en instance. Conclusion Avec les flux migratoires des deux dernières décennies, les villages gourmantché connaissent une mutation de leurs structures démographiques et socio-foncières. Outre la promotion de la culture cotonnière de rente et les incertitudes induites par l’application de la RAF, la colonisation agricole moaga et les pratiques pastorales fulbé ont accentué la pression foncière et les conflits liés au contrôle des ressources naturelles au Gourma
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rural. Pour faire face aux mutations socio-foncières, les autochtones gourmantché ont favorisé le transfert intergénérationnel (la transmission des droits aux cadets sociaux par les ainés) et affirmé davantage la gestion intrafamiliale (transmission suivant la lignée patrilinéaire au détriment de la lignée adelphique14) des droits fonciers dans les arènes sociopolitiques locales. Aussi, la recomposition des structures sociales générées par les migrations et les interdépendances politiques a révélé la fluidité des frontières des identités et des groupes sociaux stratégiques. D’une part, le tutorat foncier a permis aux autochtones, propriétaires fonciers coutumiers, d’accueillir et d’utiliser les nouveaux venus moosé ou fulbé comme des clients des institutions politiques locales. Dans ce cas, les droits d’accès aux ressources naturelles des migrants sont garantis par le biais de leur allégeance aux tuteurs fonciers ; ceux-là se plient ainsi aux exigences des règles coutumières et des mécanismes clientélistes locaux. D’autre part, les désaccords sur les règles pragmatiques locales ou le non respect des clauses du tutorat par les migrants ont créé des crises et radicalisé les procédures néo-traditionnelles d’accès aux ressources foncières. Dans cette situation, les migrants sont plus enclins à l’application de la RAF et à la formalisation des transactions foncières pour assurer leurs chances d’accès aux ressources naturelles, comme l’ont aussi observé Zongo et Mathieu (2000) à l’ouest du Burkina Faso. Ainsi, je soutiens, à la suite de Chauveau (2000) et de Lentz 2006), que les conflits d’intérêts entre les autochtones et les migrants provoquent l’autochtonisation et la politisation plus accrue des enjeux fonciers dans les arènes locales. Bibliographie Berry S., 1989, “Social institutions and access to resources”. In Africa 59(1), pp. 41-55. Bierschenk T. et Olivier de Sardan J.P, 1997, “Local Politics and Distant State in Rural Central African Republic”. In Journal of Modern African studies 35 (3), pp. 441-468. 14
«Les systèmes adelphiques sont classificatoires. L’adelphie s’organise collatéralement en fratries de générations successives (séniore, juniore, enfantine) à la tête desquelles le doyen de tous représente l’autorité. Dans un système patrilinéaire, les hommes se reconnaissent collatéraux d’une même fratrie lorsqu’ils sont réputés enfants des collatéraux de la génération précédente, sans qu’il y ait une relation institutionnelle ou formelle significative entre un géniteur et sa progéniture » (Meillassoux, 2000 : 40).
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Bierschenk T. et Olivier de Sardan J.P., (éds), 1998, Les pouvoirs au village. Le Bénin rural entre démocratisation et décentralisation, Paris, Karthala. Bourdieu P. et Sayad A., 1964, Le déracinement. Crise de l'agriculture traditionnelle en Algérie, Paris, Minuit. Chauveau J.-P., 2000, « Question foncière et construction nation en Côte d’Ivoire. Les enjeux silencieux d’un coup d’état ». In Politique Africaine 78, pp. 94-128. Bredeloup S., 2008, «Stratégies identitaires et migratoires des ressortissants africains résidant à Abidjan: quelle évolution possible. » In Ouédraogo J.-B. et Sall E. (éds), Frontières de la citoyenneté et violence politique en Côte d’Ivoire, Dakar, CODESRIA, pp. 125-147. Elias N et. Scotson J. L., 1997, Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard. Gluckman M., 1963, “Gossip and Scandal”. In Current Anthropology 4, pp. 307-316. Lund C., 1999, “A question of honour: Property disputes and brokerage in Burkina Faso”. In Africa 69 (4), pp. 575-591. Moore S.F., 2000, Law as Process. An Anthropological Approach, Hamburg, Lit Verlag. Kopytoff I., 1987, “The Internal African Frontier: The Making of African Political Culture”. In Kopytoff I. (ed.). The African Frontier: The Reproduction of Traditional African Societies, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, pp. 3-84. Lentz C., 2006, “First-comers and late-comers: indigenous theories of land ownership in the West Africa savanna”. In Kuba R.et Lenz C. (éds), Land and politics of belonging in west Africa, Leiden, Bril, pp. 35-56. Long N. 1989, “Conclusion: Theoretical Reflections on Actor, Structure and Interface”. In Long N. (ed.), Encounters at the interface. A perspective on social discontinuities in rural development, Wageningen, Wageningen Studies in Sociology 27, pp. 221-243. Meillassoux C., 2000, « Construire et déconstruire la parenté », In Sociétés Contemporaines 38, pp. 37-47. Ostrom E., 1990, Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge, Cambridge University Press. Ouédraogo J-B, 1997, Violences et communautés en Afrique Noire, Paris, L’Harmattan. Ouédraogo J.-B., et Sall E., 2008, « Introduction: citoyenneté, violence et crise de paradigmes dominants ». In Ouédraogo J.-B. et Sall E. (éds),
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10 Identité culturelle des migrants Lobi/Birifor rapatriés de Côte d’Ivoire à Gaoua, Burkina Faso Augustin PALE*
Résumé Ce texte pose la problématique de l’identité des rapatriés Lobi/Birifor de Côte d’Ivoire à Gaoua à travers une mise en parallèle entre les nonmigrants et ces migrants retournés au milieu d’origine dans des conditions particulières. Ce retour, même s’il est souvent exprimé au travers d’expressions tendant à édulcorer la réalité, il n’en demeure pas moins qu’il cache beaucoup de non-dits dont la Grounded Theory Approach de Glaser et Strauss, mise en œuvre au travers d’entretiens approfondis, nous a permis d’en cerner les multiples implications identitaires. Au-delà de l’apparent accueil exemplaire dont les rapatriés ont pu bénéficier, cet afflux massif et inattendu de migrants a suscité des problèmes de fond. Ces problèmes, aux dimensions multiples, souvent liés au choc de cultures, ont tout de même été déterminants dans le processus d’insertion intracommunautaire des rapatriés. Par ailleurs, étant dans une large mesure au fondement de nombre de changements socioculturels et symboliques aujourd’hui perceptibles en pays lobi/birifor, le rapatriement, plus que tout autre phénomène social, a contribué, dans une large mesure, à aplanir les clivages intercommunautaires en mêlant le destin des uns et des autres. Mots clés : Migrations lobi/birifor, Identité, Rapatriés, Côte d’Ivoire, Gaoua/Burkina Faso.
*
Maitre assistant au Département de sociologie, UFR/SH, Université de Ouagadougou. Mail : [email protected];
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Introduction En général, traiter des questions identitaires est une entreprise fastidieuse dans la mesure où la littérature qui les aborde plus directement est trop abondante pour que nous en fassions un état dans ce texte. Cependant, il faut signaler que nombre d’approches se sont focalisées sur les constructions identitaires et leurs conséquences en mettant en tension les deux pôles représentés par l’universalisme et les particularismes ethniques (Jolivet et al. 2000 : 6). En Afrique, les études sur les migrations en relation avec la question identitaire, quoique peu foisonnantes, ont tout de même montré l’intérêt des populations migrantes pour leurs origines, à travers l’accueil des nouveaux, le transfert d’argent vers le milieu d’origine (Tsafack-Nanfosso et Tchouassi, 2007) et la redynamisation de la culture par les associations de ressortissants ainsi que leur rôle dans le processus d’arrimage à la société d’accueil et la mise en place d’une identité culturelle singulière (Quiminal, 1997, 1998, 2000 ; Diop et Benoist, 2005). Les migrations intra-africaines ont été étudiées principalement sous deux angles : celui de l’histoire du peuplement (errances désordonnées ou mouvements organisés) et celui du phénomène aujourd’hui préoccupant de la situation des réfugiés (Coquery-Vidrovitch, 2003:7). Pour ce qui est de la question spécifique des migrants lobi rapatriés de Côte d’Ivoire, il n y a pas encore eu de recherches spécifiques qui s’y soient consacrées. Cet article essaie de mettre en lumière certaines facettes de la recomposition de l’identité des migrants lobi/birifor expulsés de la Côte d’Ivoire, suite aux événements de Tabou, en mettant en exergue, la tension consubstantielle à tout enjeu identitaire, ce lieu d’accord et/ou de désaccord qui suscite la récurrente et troublante question que Touraine (1997) se pose à juste titre : « Pourrons-nous vivre ensemble ? » Il s’agit de mettre en regard certaine facettes de l’appartenance au groupe, cette dimension de l’identité plurielle, composite, à même de rendre compte de la multiplicité des répertoires dans lesquels s’énoncent simultanément et alternativement les stratégies identitaires (Otayek, 1999 :2), plutôt que de s’appesantir sur la « notion aujourd’hui dépassée, d’identité comme substance » (Jolivet et al., 1989 : 7). Partant de questionnements révélateurs des problèmes d’ancrage au milieu d’origine, tels ceux relatifs à l’accueil, au choc culturel et au devenir d’une population migrante hétérogène contrainte au retour, ce texte
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s’articule autour de cinq (5) points essentiels et de sous-thèmes dans le but d’une meilleure intelligibilité de la problématique d’ensemble: Ces cinq points sont : - la zone d’étude et la méthodologie d’enquête ; - le rappel succinct des migrations de travail des Lobi/Birifor vers le Sud ivoirien et le conflit de Tabou ; - les perceptions croisées entre les rapatriés et les non-migrants ; - les rapatriés dans la trame des changements sociaux en pays lobi/birifor ; - les stratégies d’enracinement des rapatriés au milieu d’origine. 1. La zone de recherche et la méthodologie de la recherche La zone de recherche Ville située à 380 km de Ouagadougou la capitale du Burkina Faso et à environ 70 km de la frontière de la Côte d’Ivoire et à 50 km de la frontière du Ghana via Dapola, Gaoua est à la fois le chef lieu de la province du Poni et de la région du sud-ouest. Bâtie sur un ensemble de collines et de dépressions, la localité est suffisamment arrosée, ce qui en a fait une zone à fortes potentialités agropastorales. D’une manière générale, toute la région est soumise à une grande mobilité des populations de très longue date. Au-delà du classique mouvement de peuplement, les migrations saisonnières de travail sont devenues un véritable phénomène culturel (Père, 1988) et identitaire (Palé, 2009) qui vide les campagnes de leurs bras valides au profit du Sud ivoirien. Méthodologie de l’étude Etant donné que l’étude porte sur les questions d’identité culturelle, il a paru nécessaire d’adopter une démarche de proximité, c'est-à-dire une approche ethnographique, afin de faire la jonction entre les éléments soumis à l’observation directe et les discours des enquêtés. Les recherches de terrains se sont déroulées du 18 au 28 septembre 2008, puis du 12 au 23 août 2009. Elles se sont focalisées sur les Lobi et les Birifor qui constituent les deux groupes majoritaires dans la localité et qui ont été les plus concernés par les retours précipités. Cependant, les recherches ultérieures
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s’attacheront à questionner les interactions que ces communautés entretiennent entre elles et les autres groupes de la localité. Des enquêtes sélectives ont été pratiquées dans huit localités assez représentatives de la zone d’étude, dans la mesure où elles ont été fortement touchées par le retour en masse des populations. Il s’agit de : Sidoumoukar, Tambil, Niobini, Hello, Tonkar, Bonko, Horkopouo et Gaoua. Cette dernière localité, compte tenu de son caractère semi-urbain et du brassage de sa population, a été moins touchée (en tout cas directement) par le phénomène que ses villages satellites, où le flux de migrants vers la Côte d’Ivoire a toujours été bien nourri. Cependant, Gaoua demeure le centre le plus important du pays lobi/birifor, point de convergence des migrants. C’est également la ville où nombre d’entre eux mènent des activités lucratives, ludiques et administratives ; ce qui en a fait un site privilégié d’observation. En termes de démarche, nous avons privilégié l’observation de situations dans lesquelles se négocient aujourd’hui de nouveaux consensus identitaires (entre non-migrants et migrants, entre villages voisins), en distinguant celles qui se nouent au sein des communautés et celles qui commencent à émerger à leurs frontières. Nous avons aussi cherché à cerner les conditions de production et d’énonciation de nouveaux discours à travers un corpus constitué essentiellement d’entretiens approfondis. Nous avons conduit, de façon formelle, une soixantaine d’entretiens tant avec les migrants – en prenant en compte la différence de sexe, la durée du séjour en Côte d’Ivoire, le projet de vie – qu’avec les non-migrantsconstitués de chefs de ménages ou leur(s) épouse(s) et de jeunes. En outre, nous avons discuté des questions identitaires et d’insertion sociale des migrants avec d’autres types d’acteurs privilégiés, dont les responsables d’associations, d’administration publique (Haut commissariat, Action sociale…) qui ont été impliquées d’une manière ou d’une autre dans l’accueil des rapatriés. Les données ainsi recueillies nous ont permis de mettre en lumière le problème de rapatriement et les enjeux socio-cultuels et identitaires qu’il soulève. 2. Les migrations des Lobi/Birifor vers le sud ivoirien Dès les années 1920, le développement de la culture du cacao et du café dans le Sud-est ivoirien a attiré une forte main d’œuvre des pays sahéliens, dont celle du Burkina Faso (ex-Haute Volta) en particulier. Les autorités
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coloniales encouragèrent l’installation de Voltaïques dans le Centre-Ouest ivoirien afin de valoriser les potentialités de cette région dans l’agriculture d’exportation (Chauveau, 2000 : 4). Pour ce qui concerne le phénomène migratoire dans la zone, la politique de l’administration coloniale des années 1920 a incontestablement contribué à renforcer la migration des Lobi/Birifor vers la Côte d’Ivoire (Fiéloux, 1980 : 24), initialement plus orientée vers le Nord-Est ivoirien, notamment les localités de Doropo, Bouna et Tehini où leurs incidences dans le développement agro-pastorale ont été notables (Fiéloux, 1980 ; Savonnet, 1962). Mais pendant la Première Guerre mondiale, ces migrations vont connaître un coup d’arrêt lié aux campagnes de pacification et de réorganisation des Lobi entreprises par l’administration coloniale. En réalité, les nombreuses investigations sur les Lobi et les Birifor (Labouret, 1931 ; Savonnet, 1962 ; Fieloux, 1980 ; Père, 1988), ont surtout permis de retracer le processus migratoire, c'est-à-dire, le mouvement par lequel les Lobi se sont implantés au Burkina Faso (exHaute Volta) et en Côte d’Ivoire. Par contre, le volet des migrations de travail de ces populations n’a jamais été bien documenté. Ces migrations saisonnières, d’une importance capitale, touchent en général toute la région du Sud-ouest, en particulier la province du Poni. En effet, aucune famille n’en est épargnée, notamment en milieu rural. Cependant, il serait difficile de les évaluer en termes statistiques, compte tenu de leur caractère brownien. Par ailleurs, les incidences directes ou indirectes de ce type de migration sur les plans politique, économique et culturel, tant sur le territoire d’accueil que sur celui de départ, n’ont pas été suffisamment mises en exergue ; ce qui constitue une zone d’ombre autour d’une problématique majeure qui demande à être élucidée. La question des migrations des Burkinabè, et celles des populations du Sud-ouest en particulier, a été relancée à la fin des années 90 avec les affrontements intercommunautaires suite à un conflit foncier accentué par l’action législative de l’Etat et l’instrumentalisation politique (Chauveau, 2000: 18 ). Depuis lors, ce fut un cycle infernal d’un engrenage tragique, qui connaîtra ses péroraisons les plus critiques suite aux élections chaotiques de 2001 et le déclenchement du conflit armé en septembre 2002. Devenus la cible des organisations politiques proches du pouvoir en place, des milliers de Burkinabè, toutes appartenances confondues, furent contraints de quitter la Côte d’Ivoire dans des conditions souvent tragiques. C’est ainsi que des actions multiformes ont été initiées par les autorités
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politiques, les partenaires au développement et autres associations à base communautaire, dénommées Opération Bayiri (la patrie en moore), sous les auspices du Comité national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR) et du Ministère de l’Action sociale et de la solidarité nationale (MASSN). Au titre de ces actions en faveur des rapatriés, il y avait entre autres : - le convoyage des expulsés de la Côte d’Ivoire au Burkina Faso ; - la satisfaction de leurs besoins de base (vêtements, alimentation, soins de santé…) ; - le programme de réinsertion sociale et économique... Ces dispositions visaient à répondre aux besoins prioritaires de ces populations, pour la plupart démunies, mais également à faciliter leur insertion communautaire. Dans le paragraphe qui suit, nous tentons d’appréhender, plutôt de confronter les discours des rapatriés aux premiers moments de leur arrivée à ceux des non-migrants. 3. Perceptions croisées entre rapatriés et non-migrants Nous mettons ici en lumière les perceptions que les non-migrants et les rapatriés ont les uns des autres. De l’avis des uns et des autres, l’accueil aux premières heures de l’arrivée des rapatriés au milieu d’origine s’est fait assez aisément. « Nous, quand nous sommes arrivés avec les enfants, les parents ont été très gentils avec nous. Ils nous ont attrapés (gno, accueilli) comme il se devait (vla). On ne peut pas se plaindre de nos proches ; ils ont fait ce qu’ils pouvaient pour nous »15. « Nos parents, est-ce qu’ils ont le choix. Ah ! Si de l’autre côté on nous a chassé, est-ce-que eux, qui sont nos parents (a si nibè), peuvent ne pas vouloir de nous ici. Ce n’est pas possible. Moi j’ai pu faire venir ma famille, on est resté chez nous avec les autres. Ce sont mes petits frères qui sont retournés au campement pour s’occuper des plantations »16. En se référant à de tels propos, on peut rapidement déduire que l’accueil et, dans une certaine mesure, l’insertion familiale des rapatriés se sont faits sans difficulté. Or, dans les faits, il ressort en filigrane que l’accueil et la capacité d’insertion des migrants ont été fonction du lien qu’ils avaient gardé avec la communauté d’origine. En effet, les migrants qui ont su 15 16
Migrante de la zone de Tabou rentrée avec ses 4 enfants, résidant à Tambil. Migrant rapatrié de la région de Kètèsso, originaire de Horkopouo.
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maintenir le pont entre eux et le milieu d’origine à travers les retours fréquents, les appuis/soutiens multiformes aux parents, ont connu une insertion familiale plus aisée que ceux qui avaient rompu les liens avec le village. « Ecoutez, on vous rend ce que vous avez donné… Beaucoup de nos parents ne pensaient pas qu’ils allaient revenir ici un jour. Il a fallu qu’il y ait leur conflit d’Abidjan pour qu’on les voit ici après je ne sais combien d’années d’absence… ».17 « Nul n’est bête, là. On s’entraide. Mais si tu n’as jamais aidé quelqu’un ici, ni tes parents, ceux-là même qui t’ont mis au monde, alors que tu avais l’argent, comment aujourd’hui tu vas revenir les mains vides et croire qu’on va se mettre à se fatiguer parce que toi on t’a chassé de la brousse [c’est dire, la Côte d’Ivoire18] ? … Ah ! Non ! Pourquoi avoir pitié d’une personne de ce genre… Moi je ne me fatigue pas pour des gens comme ça » !19 Quant aux structures d’accueil, comme le Programme alimentaire mondial (PAM) ou la Croix-Rouge, les rapatriés disent sans ambages qu’elles ont été pour eux d’un appui incommensurable : « Ces gens nous ont sauvés (hu ta sèrè). Ils nous donnaient les vivres, les semences, les machettes, en tout cas beaucoup de choses20 ». « …On ne peut pas gâter leur nom. Ils nous ont soutenus. On est arrivé sans rien mais grâce à eux on a pu s’en sortir. S’ils n’étaient pas là, je ne dis pas qu’on allait tous crever mais, je reconnais qu’ils nous ont aidés21». Si l’aide accordée aux rapatriés leur permettait dans une certaine mesure de subvenir à leurs besoins, il n’en demeure pas moins qu’elle constituait une source de discorde entre eux et les autres membres de la famille. Partant, au lieu de faciliter l’insertion sociale, cette aide, du fait qu’elle ne transitait pas par l’unité domestique (yir en birifor22), posait problème. En d’autres termes, en ne s’inspirant pas des modalités de partage ou de redistribution des biens au sein du yir, ces aides tendaient à creuser un fossé entre ses membres (yir-deme). En réalité, les sédentaires se sentaient mis à l’écart de ce processus, ce qui tendait à dichotomiser la société entre rapatriés, jouissant des privilèges des ONG et les autres qui sont en 17
Non-migrant, habitant de Bonko. Nous avons déjà abordé ces représentations des espaces identitaire ailleurs (Palé, 2000). 19 Non-migrant, potière à Nionibi. 20 Rapatrié, Résidant à Hello. 21 Rapatriée originaire de Tonkar. 22 Dit cuor par les Lobi. 18
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quelque sorte exclus. Ainsi pour les sédentaires, une certaine ségrégation était alors née de ces aides/soutiens ; ce qui a affecté dans une certaine mesure leurs relations avec les rapatriés et contribué à remettre en cause les élans de solidarité. « Nul n’est bête. Il y en a, quand ils montaient à Gaoua prendre leurs vivres et consorts, on dirait les anciens combattants qui allaient prendre leur pension. Ils nous narguaient presque (a won na ni mir kpè fu en birifor). Pourtant quand ils sont revenus ici sans rien, c’est nous qui nous sommes occupés d’eux23 ». « …Ce n’est pas parce qu’on ne parle pas qu’on est idiot. Je voyais des choses mais je ne disais rien. Quand même ça m’a ouvert les yeux. Tu nourris des gens et après c’est comme si tu n’avais rien fait du tout … Moi, après, je ne me donnais plus à eux comme avant. Comme ils avaient leur Dieu [parlant des structures de prise en charge]24 ». Ces propos mettent en exergue les difficultés d’insertion rencontrées par les migrants rapatriés dans leur milieu d’origine. Ces questions d’insertion seront amplifiées par celles relatives au choc de culture. 4. Le choc de culture Plusieurs aspects entrent en ligne de compte dans ce choc de culture dont les plus importants sont la conception différentielle du temps et de l’espace, des techniques culturales, ainsi que les habitudes alimentaires. La conception différenciée du temps et de l’espace La perception et la gestion du temps constituent un élément fondamental de différenciation entre non-migrants et rapatriés, dans la mesure où les seconds traitent les premiers de nonchalants et d’indolents alors que le temps est précieux. « Quand je regarde nos gens ici, c’est comme s’ils avaient tout leur temps. Ah ! Si tu vis comme ça en Côte d’Ivoire, c’est le soleil qui va te remercier [autrement dit, tu ne vas jamais atteindre tes objectifs]. Moi, quand je vois les gens même marcher ici, souvent ça me fait mal. On dirait
23
Non-migrant, chef de famille, de Tonkar. Non-migrant, résidant à Niobini.
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qu’ils n’ont même pas d’os dans le corps. C’est quoi ça ? Va faire ça en brousse [Côte d’Ivoire], tu sauras si tu auras à manger… » 25 Par contre pour les non-migrants, les rapatriés se caractérisent par « leur amour de la vitesse », tout ce qui pourrait faire la différence entre eux et les autres. Ainsi, ils ont la réputation de rouler vite ou, de se donner ‘l’illusion’ de s’occuper de tout et de rien. « Nos gens là (a si tô sô), ils passent tout leur temps à faire inutilement la vitesse comme des fous (gbankoun dara)…. Ici c’est pas Abidjan ! C’est eux les rapatriés et les gens de Sanamtenga26 [pour désigner les orpailleurs] qui filent ici comme s’ils veulent s’envoler. Beaucoup meurent avec leur moto. Maintenant, nos propres enfants sont en train de vouloir filer comme eux et voilà que les accidents se multiplient. »27 Au-delà de la question de la gestion du temps qui tend à mettre en collision les rapatriés et les autres, les espaces partagés dans la vie de tous les jours sont perçus différemment. Ainsi, pour nombre de rapatriés, les espaces domestiques et villageois semblent ne pas répondre à leurs aspirations. Ils tranchent avec ce que beaucoup d’entre eux « ont connu en brousse », ce qui n’est pas sans conséquence sur la trame identitaire des deux groupes (Martinelli, 1995). En effet, l’identité culturelle qui se définit à travers son ancrage dans un paysage, se trouve ici comme déchirée (Petrich, 1989). Ainsi, nombre de rapatriés se sont trouvés déboussolés quand ils sont revenus chez eux. «Vraiment je ne voyais pas les choses ainsi avant de venir. Ah ! C’était pénible. Quand nous sommes arrivés avec les enfants, l’endroit qu’on m’a montré à moi et à mes enfants, quand j’ai regardé, mon corps marchait [autrement dit, elle était très choquée et surprise]. Dans mon ventre, je me suis demandé comment on va dormir dans ce petit trou sombre, crasseux. Même les souris (hwone) valaient mieux que nous. Mais comme on n’avait pas le choix, qu’est-ce qu’on pouvait faire… »28 « …Laisser une grande maison de l’autre côté et venir ici souffrir comme ça... Quand il pleut, l’eau goutte de partout sur nous. Quand ce n’est pas le cas, c’est la fumée qu’il y a partout ; on ne peut même pas bien
25
Rapatrié résidant à Gaoua. En mooré. Sanam = or ; tenga = village, site… 27 Non-migrant résidant à Niobini. 28 Rapatriée, résidant à Tonkar. 26
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respirer. Comme l’homme ne se promène pas avec sa maison comme une tortue, c’est pourquoi, sinon ils allaient voir. »29 Pour la plupart des non-migrants, les rapatriés ne pouvaient pas mériter mieux, dans la mesure où beaucoup d’entre eux sont revenus au Burkina Faso les bras ballants, ou tout simplement sans y avoir fait la moindre réalisation. « Moi, mes frères, quand ils sont revenus, tout ce qu’on leur proposait, ils faisaient des moues de mépris alors qu’ils n’ont rien laissé avant de partir et ils sont revenus comme ils étaient partis. … De telles personnes ne peuvent pas dauber sur moi. »30 « Tout le monde [faisant allusion aux rapatriés] voulait montrer qu’il avait laissé de bonnes choses en Côte d’Ivoire alors qu’on n’a rien vu de bon. Chacun parle de ses biens, de sa grande maison, sa voiture Eh ! Tout ça c’est que du vent. Comme on n’est pas allé là-bas ils peuvent tout dire… »31 Autant de propos qui traduisent des points de césure entre les rapatriés et leurs proches du milieu d’origine. Le milieu physique et les techniques culturales Pour nombre de rapatriés, notamment ceux qui ont rompu les liens avec le milieu d’origine depuis des décennies (ou qui venaient pour la première fois au Burkina Faso), le milieu naturel et les techniques agraires ont été considérés comme des aspects contrastifs entre ‘‘ici’’ ’’et ‘’là-bas’’. Par conséquent, le milieu d’origine se pose, plutôt, s’oppose au milieu d’immigration comme le jour et la nuit. Ainsi, nombre de rapatriés n’ont cessé d’évoquer les difficultés qu’ils ont eu à s’adapter au soleil ardent du Burkina Faso, au climat rigoureux et aux sols ingrats. « …Je me demandais comment cette terre toute sèche (wer kow) pouvait nourrir tout ce monde. »32 C’est ainsi que les semences et les engrais que le PAM et la CroixRouge leur donnaient ont été perçus comme un pis-aller. Parce qu’ils se demandaient bien ce qu’ils pouvaient en faire. Il en était de même des instruments agraires.
29
Rapatrié de Tambil. Habitant de Sidoumoukar. 31 Non-migrant, commerçant résidant à Gaoua. 32 Rapatrié, résident de Horkopouo. 30
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«La houe on n’avait perdu toute habitude de cet outil. Vous vous imaginez, se courber pendant des heures et des heures avec cette petite lame pour gratter le sol ; vous-même vous voyez que c’est difficile. La machette au moins on en est habitué. Mais ici son travail est peu [on l’utilise peu] compte tenu de ces sols. Vous voyez un peu les cailloux. »33 Les habitudes alimentaires Tout comme les difficultés liées à la représentation de l’espace/temps, se nourrir n’a pas été chose facile pour les rapatriés. En effet, pour nombre d’entre eux, les repas en pays lobi/birifor, essentiellement à base de céréales comme le mil ou le maïs, heurtaient leurs habitudes alimentaires antérieures à base de tubercules et de fruits (igname, manioc, bananes, etc.). Ainsi, à la place du tô de tous les jours qu’ils consommaient par obligation, ils auraient préféré l’atchèkè et le foutou34 et, de temps en temps, le riz et les pâtes alimentaires (« macaroni », « spaghetti ») notamment pour ceux qui résidaient dans les grands centres urbains. A cette ’routine alimentaire’ du milieu d’origine à base de céréales que les rapatriés n’appréciaient guère, il faut également ajouter le problème du nombre de repas journaliers. Les migrants, notamment ceux qui sont restés longtemps en Côte d’Ivoire, avaient de la peine à se contenter d’un repas par jour. ’’Comme nos enfants ne sont pas du tout habitués au tô de mil, au début je ne savais pas vraiment quoi faire pour eux. Tantôt ils ne voulaient pas manger ou tantôt ils se plaignaient après le repas de ne pas être rassasiés. Finalement je ne savais pas ce que je pouvais vraiment donner aux plus petits (bissan yira). En plus ils étaient habitués à manger bien et plusieurs fois au campement (kongosso)35 .’’ Par conséquent, dans certains foyers, les chefs de familles se sont sentis contraints d’offrir deux (2) repas par jour afin de permettre à leurs hôtes de ne pas trop pâtir de ce changement d’habitude. Mais au moment de nos enquêtes, tous les rapatriés étaient unanimes à admettre qu’ils ont fini par s’accoutumer au régime et aux rythmes alimentaires. Cependant, de temps en temps, ils tentent de recréer leurs habitudes alimentaires de la Côte d’Ivoire, en préparant les mets comme l’atchèkè et le foutou afin de
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Rapatrié, aujourd’hui propriétaire de vergers et de grands chants, résidant à Tambil. Plats bien prisés en Côte d’Ivoire, l’un à base de manioc et l’autre à base d’igname. 35 Rapatriée, mère de plusieurs enfants résidant à Niobini. 34
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changer un peu et aussi se faire de l’argent,36 un des moyens fondamentaux de l’ancrage des rapatriés dans leur terroir. 5. Le rapatrié dans la trame des changements sociaux en pays Lobi Les changements et les innovations sont de plusieurs ordres. Mais, il serait hasardeux de ne les imputer directement qu’aux rapatriés. Car par moments, la distinction entre migrant de retour et rapatrié n’est pas toujours aisée voire pertinente. Malgré ces difficultés, un certain nombre de changements pourraient être mis sur le compte des rapatriés. Ces changements, se déclinant en plusieurs volets, concernent : le vestimentaire et le social, la religion et la célébration des funérailles. Le vestimentaire et le social Le vestimentaire occupe une place importante dans la représentation de soi, dans la mesure où, à partir de l’habillement, les rapatriés, tout comme d’ailleurs tous les migrants de retour, se mettent en valeur dans le but de se différencier des autres. C’est ainsi qu’il n’est plus rare de voir une jeune fille lobi, des villages les plus reculés, porter son fagot de bois pour le marché de Gaoua, en arborant : une jupe blue-jean, un tee-shirt ‘’Dallas’’ et un cellulaire pendant au cou, chose presque inimaginable avant le retour des rapatriés. Sur le plan social, le retour des rapatriés a aussi bousculé, dans un sens ou dans un autre, les comportements en milieu rural, notamment chez les jeunes. Ainsi, sur le plan des rapports intergénérationnels, des changements se sont opérés, comme le traduisent ces propos d’un sédentaire : ’’Depuis que ces gens sont revenus de la Côte d’Ivoire avec leurs bêtises (broubrou), nos propres enfants qui les regardent croient que c’est bien ce qu’ils font. Alors, ils ne veulent plus respecter personne, même nous qui sommes leurs parents. Vous croyez que c’est bien ? Avant, les filles au village ne tombaient pas enceintes comme ça. Maintenant, tu les vois avec les jeunes bras dessus dessous… Nos enfants les copient de plus en plus et le résultat est là : on ne peut plus contrôler nos enfants…37’’ En plus de ces propos, des exemples sont pris dans la vie quotidienne pour montrer l’inobservance de quelques normes par les jeunes rapatriés ; 36 37
Nous y reviendrons dans les stratégies d’insertion sociale. Propos d’un résident de Bonko.
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ce qui constitue pour leurs parents ou grands parents des ’’dettes’’ (hel) qu’ils doivent ’’payer’’. Autrement dit, le non respect de la coutume, dont les conséquences ne sont pas des moindres, pèserait sur les épaules des non-migrants qui se sentent obligés de résoudre le problème en accomplissant un certain nombre de rites. ’’Maintenant, nous qui avons bien attrapé le chemin de nos grands parents, nous sommes toujours contraints d’agir. J’ai mon neveu qui est revenu de la Côte d’Ivoire et qui a couché avec une fille à même le sol. Tout le monde ici sait que ça ne se fait pas. Mais eux, est-ce qu’ils le savent encore. …C’est suite à un problème que le devin a signalé ça. Alors il a fallu que je cherche tout ce qu’il fallait pour aller faire les rites de purification à l’autel de la terre. Si nos enfants d’ici suivent ça, est-ce que c’est bien ?’’38 Par ailleurs, nombre d’enquêtés reconnaissent que l’influence des rapatriés dans la vie de tous les jours dans les villages a changé, dans une large mesure, leurs mentalités. Ainsi, ces derniers seraient plus prompts à se réunir, à écouter et à prendre des initiatives sur les questions de développement local ; ce qui n’était pas habituel dans la zone39. Le religieux et la célébration des funérailles Sur le plan des croyances, on note l’apparition de changements notables. A la place de la religion traditionnelle des Lobi/Birifor, marquée par la dévotion aux esprits des ancêtres (tila), nombre d’églises protestantes ou catholiques modifient le paysage religieux des villages. Même si ce changement religieux ne peut pas être mis seulement sur le compte des rapatriés, il faut cependant noter que l’arrivée de ces derniers a donné un dynamisme sans égal à la pratique des religions révélées : conversions, forte affluence des fidèles dans les églises/chapelles, amélioration du répertoire des chants, etc. Cette mutation sur le plan des croyances n’est pas toujours perçue d’un bon œil par les non-migrants, car elle tend à diviser la société entre les gens qui ’’saluent Dieu’’ c'est-à-dire, les adeptes des religions révélées, et ceux qui s’adonnent à la religion des aïeux. Ceci est d’autant plus visible dans certaines cérémonies, dont les funérailles, où les adeptes des religions traditionnelles se conforment à la
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Résident de Tonkar. Ce volet pourrait constituer une problématique à part nécessitant d’autres instigations approfondies. 39
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tradition (balafon, jet de cauris, séance de divination…) et où les autres se mettent à l’écart de toutes ces pratiques traditionnelles qui risqueraient de compromettre leur foi. Par ailleurs, en ce qui concerne la célébration des funérailles en milieu rural, des changements, fortement liés au retour massif des migrants et à l’influence des citadins, s’opèrent. Contrairement aux habitudes locales où les funérailles constituaient un moment d’extérioriser son réseau de relations sociales ou d’exprimer sa solidarité avec les autres membres de la communauté en apportant une assistance ponctuelle à la famille endeuillée (notamment les repas, la boisson, les cauris ou l’argent symbolique), on tend actuellement vers un schéma contraire. En effet, il appartient de plus en plus à la famille endeuillée d’entretenir les participants aux funérailles en leur offrant bière de mil (dolo), thé, café, ou en imprimant et distribuant des tee-shirts à l’effigie du défunt... ’’Pour ces migrants, tout est bien pour donner la fête. C’est leur habitude en Côte d’Ivoire où au Ghana. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, pour une cérémonie comme celle de la séparation de l’âme avec le milieu domestique (siè irfu) qui s’accompagnait de musique de balafon, de nos jours, les jeunes sous l’influence des migrants utilisent parallèlement à la musique traditionnelle, le magnétophone et font la fête. C’est leur mentalité de la Côte d’Ivoire qu’ils ont amenée ici’’40. Des propos qui seront confirmés par un migrant rapatrié qui s’en explique : « Il ne faut pas toujours attendre que les autres vous donnent à pareilles occasions. Mais vous devez aussi leur apporter quelque chose comme la boisson, la nourriture… Nos gens ici ne comprennent pas ça. Or en brousse c’est comme ça et je trouve que c’est une bonne chose. Pourquoi attendre que les autres vous donnent parce que vous êtes en deuil. Ah ! Si tu reçois, fais aussi quelque chose pour eux ». On voit ici transparaître une certaine conception maussienne du don et du contre-don mais qui ne correspond pas aux attentes des non-migrants. En effet, pour ces derniers, le terrain du don est comme déplacé sur un autre où ce sont les ’’choses’’ sans valeur symbolique traditionnelle, plutôt dénuées de toute authenticité, qui sont privilégiées. « Apporter la nourriture qu’aux membres de la famille endeuillée et leur donner les cauris ou l’argent symbolique, c’est ça l’essentiel (a- la in
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Propos d’un enquêté originaire de Bonko.
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hien). Mais acheter le dolo et faire la cuisine remplir les lieux pour tout le monde, coudre des complets [des uniformes] n’est pas le chemin de nos aïeux [ce n’est pas notre coutume]… C’est comme si la personne veut se montrer. Je connais le Ghana et la Côte d’Ivoire. Quand j’étais jeune j’y ai vécu. Donc je connais bien leurs façons de faire. Il ne faut pas oublier qu’ils ont leurs façons de faire et nous avons aussi les nôtres. …Attrapons toujours notre chemin [conformons-nous à nos traditions]» 41. La communication La facilitation de la communication liée aux nouvelles technologies, notamment le cellulaire, a entrainé des changements notables en milieu rural. Ces changements ont été mieux ressentis en pays lobi quand les rapatriés sont rentrés avec leurs téléphones portables. L’enclavement dont souffraient les villages a été rompu par le retour des migrants et favorisé, dans une certaine mesure, leur ouverture au monde. Ainsi, aux multiples difficultés d’antan de s’enquérir des nouvelles d’un proche en ‘’brousse’’, de nos jours, celles-ci ont été aplanies en grande partie par les technologies de l’information et de la communication –dont le cellulaire. Par ailleurs, les rapatriés jouissent de réseaux de relations éparpillées dans la localité et, qui, de ce fait, suscitera la densification les communications inter-villageoises. Autrement dit, on assiste à un élargissement des territoires, des espaces identitaires et interculturels (Appadurai, 2001) dénotant la cohésion entre les communautés du fait du partage des risques ; ce qui les amène à repenser autrement le monde et leur cadre de vie immédiat (Beck, 2001 ; Giddens, 1994) comme le confirment les propos suivants : « Après ce qu’on a vécu lors du conflit, chacun sait que ha ! Quand ça chauffe (a di kpor) on est tous pareils. Il n’y a pas à dire que tu es de tel village ou de telle ethnie (car). Quand le malheur arrive, il vous touche tous sans distinction. Là où je suis, j’ai des amis partout maintenant dans les villages environnants. S’il n’y avait pas cette histoire [parlant du conflit et du rapatriement], est-ce qu’on allait se connaître ? Partout où tu vas maintenant, tu as des connaissances. Maintenant quand tu circules, tu ne crains rien. Quand ce n’est pas toi-même, ce sont tes enfants qui ont des amis un peu partout» 42. 41 42
, Migrant de retour, résident à Tambil. Rapatrié, résidant à Hello.
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A l’altérité d’antan, une certaine reconfiguration des identités se met petit à petit en place compte tenu de la conscience aiguë des communautés de partager le même destin. En d’autres termes, la multiplication et l’accélération des échanges ainsi que le développement des techniques de communication ont contribué à bouleverser les anciens cadres de référence spatiaux et temporels (Jolivet et al. 2000:8). Au-delà de ces changements dont les rapatriés sont la principale cheville ouvrière, beaucoup de stratégies sont développées dans un sens ou dans l’autre en vue de leur ancrage communautaire. 6. Les stratégies d’enracinement au milieu d’origine Les stratégies développées par les rapatriés en vue de leur enracinement sont de plusieurs ordres. Sur le plan économique Afin de s’insérer dans leur milieu d’origine, les rapatriés mènent un certain nombre d’activités qui leur permettent aussi bien de se procurer de l’argent que de marquer dans une certaine mesure leur présence en tant qu’acteurs parmi les autres – mais des acteurs différents tout de même. Ainsi, beaucoup d’entre eux se sont engagés dans des activités auxquelles les non-migrants n’étaient pas assez familiers : commerce de charbon, de friperie, d’atchèkè, de farine de manioc konkoti …, toute une gamme d’activités qu’ils ont créées ou, auxquelles ils ont su donner de l’importance, comme c’est le cas avec la pêche et la culture maraîchère. De même, grâce aux rapatriés, les boutiques ont bourgeonné, ici et là, comme on peut le constater à Gaoua et dans les petites localités environnantes. Somme toute, les activités économiques ont permis à de nombreux rapatriés de se donner une certaine visibilité en se procurant de l’argent, un des éléments essentiels pour se faire facilement accepter par les autres, compte tenu de son importance et de sa signification socio-symbolique majeure (Zelizer, 2005). «De nos jours il faut avoir l’argent. Quand tu as l’argent on te considère autrement. Je le voyais quand nous étions arrivés nouvellement. Comme parmi nous, il y en avait qui sont revenus lourds [avec d’importantes sommes d’argent], leurs choses étaient plus faciles… C’est comme ça. Tout le monde a compris qu’avec l’argent on te prend pour
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quelqu’un d’autre ; donc, il faut travailler beaucoup, beaucoup, sinon même ton petit frère qui a plus que toi, on va le considérer plus que toi… »43. Sur le plan politique Du côté politique, comme le retour des rapatriés a été suivi, quelques temps après, par les législatives de mai 2002, ces derniers ont constitué un électorat qu’il fallait séduire. Ainsi, en les considérant comme un électorat potentiel avec lequel il faut tisser et entretenir des liens de fidélité (Bouju, 2000 :152), les politiciens locaux avaient voulu les maintenir dans leur giron, ce qui aurait suscité des tensions. En effet, les manipulations et les logiques de séductions (Briquet et al. 1998 : 5) auxquelles les politiciens soumettaient les rapatriés avaient, par endroit, créé des divisions aussi bien entre rapatriés eux-mêmes que entre rapatriés et non-migrants. En réalité, les représentants des partis politiques tentaient d’infiltrer, de façon verticale, les associations des rapatriés, en tentant d’inféoder leurs responsables dans l’optique de conquérir tous les autres membres. « … Les gens avaient voulu passer par le canal des aides aux rapatriés, pour recruter, grossir le nombre de leurs électeurs. Mais connaissant nos parents, tu penses que c’était simple ?… Houm ! je te disais que ce n’était pas simple. Tu connais nos gens, chacun est parti de son côté. Même quand le président de l’association est de tel parti, il ne faut pas croire que les autres vont le suivre hein ! C’est tout ça, plus les problèmes de leadership et les autres petits problèmes qui ont mis l’association KO »44. Il ressort en filigrane que les problèmes politiques entre les acteurs (rapatriés entre eux, rapatriés et les autres) ont fragilisé dans une certaine mesure leurs relations sociales. Ces mêmes problèmes relationnels ont en partie joué sur la survie de l’association faîtière des rapatriés qui a été mise en place à Niobini / Djantara 45.
43
Rapatrié de tabou, originaire de Tambil. Responsable d’une association à Gaoua. 45 L’association communautaire de réinsertion des rapatriés de Niobini/Djantara par exemple n’est plus vraiment fonctionnelle. Son responsable a rejoint Bouna. Il faut dire que nombre de rapatriés sont retournés en Côte d’Ivoire. 44
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Sur le plan social Les rapatriés ont su développer des stratégies dans le but d’une insertion pérenne dans leur communauté. Ainsi, ceux qui parmi eux avaient des moyens, ont investi dans l’immobilier à Gaoua pour marquer dans une certaine mesure leur ancrage effectif dans leur milieu d’origine. Dans la même logique, ceux qui ont des enfants en Côte d’Ivoire, en tout cas pour la plupart, ont dû les transférer pour les inscrire au Burkina Faso dans les lycées et collèges. A travers ces enfants, les parents extériorisent leur volonté de nouer un lien durable et tangible avec leur pays d’origine et ce, à travers un enracinement social indubitable. « Nos enfants sont sur place. Demain quand ils seront quelqu’un, est-ce qu’ils vont penser à repartir ailleurs ? … Tu ne vas pas laisser des enfants ici et puis aller te perdre [t’éterniser] en brousse. En plus, demain, c’est eux qui vont s’occuper de nous et de leurs petits frères…Il faut que ces enfants sachent que c’est ici chez eux... » 46 « Moi j’ai les enfants ici. Ils vont à l’école à Gaoua. Le plus grand, lui, il est à Ouagadougou dans la grande école [l’université], une de leurs mères est à Gaoua là-bas pour s’occuper d’eux. Les deux autres femmes sont en Côte d’Ivoire avec mes frères à la plantation. Quand je retourne, c’est juste pour régler quelques problèmes et puis je reviens. …On ne peut pas avoir sa queue [une suite, une progéniture] quelque part et ne pas en tenir compte… »47. En s’inscrivant aujourd’hui dans une certaine logique d’enracinement dans leur paysage socioculturel, les rapatriés développent des stratégies pour maintenir des liens, réels ou symboliques, avec la société d’accueil, car presque tous sont retournés en Côte d’Ivoire depuis l’accalmie dans le conflit entre les différents protagonistes. Conclusion Il ressort de cette étude que l’identité culturelle des rapatriés lobi à Gaoua revêt plusieurs facettes qui sont d’ordre socio-économique, politique et culturel. On remarque par exemple que la perception croisée entre les acteurs est fonction de la relation du migrant rapatrié avec son
46
Rapatrié, planteur faisant la navette entre le Burkina et la Côte d’Ivoire, originaire de Horkopouo. 47 Rapatrié, originaire de Sidoumoukar.
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milieu d’origine. En effet, le choc culturel est d’autant plus ressenti que le migrant n’est pas dans une situation de branchement (Amselle, 2001) avec son milieu d’origine. Ainsi, ceux qui avaient rompu les liens avec le pays lobi depuis longtemps ou qui en faisaient leur première expérience, se sont trouvés dans une situation d’a-pesanteur culturelle dénotant leur déterritorialisation identitaire (Cros, 1995). Pour surmonter ces difficultés et éviter la situation de déconnexion identitaire, de nombreux rapatriés ont su mettre en place des stratégies diverses permettant leur ancrage dans leur milieu d’origine : activités commerciales, réalisation de certains projets à long terme : construction des maisons, aménagements des champs/vergers, scolarisation des enfants au Burkina Faso, etc. Pour ce qui est de la communication interethnique et inter-villageoise, nous pouvons affirmer que la brutalité des retours a été comme un moyen d’aplanissement des clivages intercommunautaires, exprimé par l’établissement et l’élargissement des réseaux d’amitiés et de connaissances là où on n’en avait pas auparavant. Sur le plan socioculturel, il ressort en filigrane que des changements perceptibles, imputables, en grande partie, aux rapatriés, se dessinent ça et là en pays lobi/birifor. On peut citer entre autres : les rapports intergénérationnels, la modification du paysage religieux et de la célébration des funérailles. Par ailleurs, le retour progressif des rapatriés en Côte d’Ivoire a contribué à éviter les problèmes, notamment sur le plan foncier où se manifestent déjà des signes de tension à cause de la pression liée à l’occupation des terres. Bibliographie Amselle J.-L., 2001, Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Seuil, 2001. Appadurai A., 2001, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot. Beck U., 2001, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité. Paris, Aubier. Briquet J.-L., Sawicki F., 1998, Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, PUF, coll. Politique d’aujourd’hui. Bouju J., 2000, «Clientélisme, corruption et gouvernance locale à Mopti (Mali) », In : M-J. Jolivet (éd.), Logiques identitaires, logiques territoriales, Autrepart, 14, IRD-L’Aube, pp. 143-163.
292
Chauveau J-P., 2000, La question foncière en Côte d’Ivoire et le coup d’Etat. Ou Comment remettre à zéro le compteur de l’histoire, London, International Institute for Environment and Development, Programmes Zones Arides, dossier n°95. Coquery-Vidrovitch C., Georg O., Mandé I., Rajaonah F., (éds), 2003, «Introduction», Etre étranger et migrant en Afrique au XXe siècle, Enjeux identitaires et modes d’insertion, Volume I : Politiques migratoires et construction des identités, Paris, L’Harmattan, pp. 714. Cros M., 1995, « Territorialisation, migrations et errances Lobi (Burkina Faso et Côte-d'Ivoire) », In Vincent J.-F., Dory D., Verdier R. (Eds), La construction religieuse du territoire, L'Harmattan, Paris, pp. 224234. Diop M-C., Benoist J., 2007, «Présentation», In Diop, M-C., Benoist J., (sous la dir. de), L’Afrique des associations Entre culture et développement, Paris, Karthala-CREPOS,pp. 9-14. Fiéloux M., 1980, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales des lobi de Haute-Volta vers la Côte d’Ivoire, Paris, Travaux et documents de l’Orstom n° 110. Giddens A., 1994, Les conséquences de la modernité. Paris, L’Harmattan. Jolivet M-J., Rey-Hulman D., Schlemmer B., 1989, Questions d’identités comparées, Paris, ORSTOM. Jolivet M-J., Léna Ph., 2000, «Des territoires aux identités», In : M-J. Jolivet (éd.), Logiques identitaires, logiques territoriales, Autrepart,14, IRD-L’Aube, pp. 5-16. Labouret H., 1931, Les tribus du rameau Lobi, Paris, institut d'Ethnologie. Otayek R. 1999, « La démocratie entre mobilisations identitaires et besoin d’État : y a-t-il une « exception » africaine ? », Autrepart,10, IRDL’Aube, pp. 5-22. Martinelli B., 1995, «Trames d’appartenance et chaînes d’identité. Entre Dogon et Moosé dans le Yatenga et la plaine du Séno» (Burkina Faso et Mali), Cahiers des Sciences Humaines, XXXI (2), pp.365-405. Palé A., 2009, «Les frontières de la maladie : le VIH/SIDA et l’identité dévalorisée du migrant lobi, Burkina Faso», Cahiers du Cerleshs, Tome XXIV, nº 32, Université de Ouagadougou, pp. 107-124. Palé A., 2000, «De l’organisation spatio-territoriale aux coulisses d’une démocratie au Burkina Faso : l’exemple du ‘’pays lobi’’» Québec,
293
IAPETUS, Bulletin de liaison scientifique afro-québécois, n°V, pp. 3343. Petrich P., 1989, « L'identité déchirée : le cas mocho », In : F de Sivers (ed.) Questions d’identité, 4, Paris, Peeters-Selaf, pp. 151-171,. Père M., 1988, Les lobi, tradition et changement, Siloë, 2 vol, Laval. Quiminal C., 2000, «Construction des identités en situation migratoire : territoire des hommes, territoire des femmes», In M-J. Jolivet (éd.), Logiques identitaires, logiques territoriales, Autrepart, 14, IRDL’Aube, pp. 107-120. Quiminal C., 1998, «Comment peut-on être africain en France »? Journal des anthropologues 72, pp. 49-63. Quiminal C., 1997, « Un réseau d’associations de femmes africaines », Hommes et migrations 1208, pp. 24-30. Savonnet G., 1962, «La colonisation du pays koulango (Haute Côte d’Ivoire) par les Lobi de Haute Volta», Cahiers d’Outre Mer, XV (57), pp. 25-46 Touraine A., 1997, Pourrons-nous vivre ensemble ? Egaux et Différents, Paris, Fayard. Tsafack-Nanfosso R., Tchouassi G., 2007 « Aspects économiques et financiers de l’émigration en Afrique » In Pondi, J-M (sous la dir. de), Immigration et diaspora. Un regard africain, Paris Maisonneuse et Larose/Afredit Africaine d’édition, pp. 109-131. Zelizer V. A., 2005, La signification sociale de l'argent, Paris, Seuil.
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Table des matières
MIGRATION, DIASPORA ET DÉVELOPPEMENT AU BURKINA FASO ZONGO MAHAMADOU ............................................................................ 15 CIRCULATIONS TRANSSAHARIENNES ET VIE DE TRANSIT À AGADEZ (NIGER) HAROUNA MOUNKAILA ....................................................................... 45 LA
DIASPORA BURKINABÈ AU
GHANA
ET SA DESCENDANCE: INSERTION
DANS LA SOCIÉTÉ D’ACCUEIL ET LIENS AVEC LE «FATHER’S LAND»
SAYDOU KOUDOUGOU......................................................................... 77 BURKINABÈ
EN
CÔTE
D’IVOIRE,
BURKINABÈ
DE
CÔTE
D’IVOIRE:
ORGANISATION, RAPPORTS AVEC LA SOCIÉTÉ D’ACCUEIL ET LE PAYS D’ORIGINE
ERIC BERTRAND PASBA BANGRE ........................................................ 113 LES
COMMUNAUTÉS
CHINOISE
ET
INDIENNE
BURKINA FASO : PAYS D’ORIGINE ET
AU
STRUCTURATION, NATURE DES LIENS AVEC LE
MODALITÉS D’INSERTION DANS LA SOCIÉTÉ D’INSTALLATION
LOMPO Y. DIMITRI ................................................................................. 145 ACCUEIL
CÔTE D’IVOIRE DANS LES DÉPARTEMENTS DE GAOUA ET DE BATIÉ, BURKINA FASO THOMAS OUEDRAOGO ....................................................................... 181 CRISES
ET RÉINSERTION DES RAPATRIÉS DE
IVOIRIENNES, MIGRATIONS DE RETOUR ET RECOMPOSITIONS DES
RAPPORTS VILLES-CAMPAGNES
: LA
VILLE FRONTALIÈRE DE
NIANGOLOKO
ET SON HINTERLAND
SIHÉ NEYA............................................................................................ 209 LE RÉINVESTISSEMENT DES ACQUIS DE LA MIGRATION AU BURKINA FASO OUMAROU S. KOURAOGO .................................................................. 235
295
LOCALISER
DES
IDENTITÉS
MOBILES.
MIGRATION,
ETHNICITÉ
ET
DYNAMIQUES FONCIÈRES AU GOURMA
GABIN KORBEOGO.............................................................................. 251 IDENTITÉ CULTURELLE DES MIGRANTS LOBI/BIRIFOR RAPATRIÉS DE CÔTE D’IVOIRE À GAOUA, BURKINA FASO AUGUSTIN PALE.................................................................................... 273
296
L'HARMATTAN, ITALIA Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L'HARMATTAN BURKINA FASO Rue 15.167 Route du Pô Patte d’oie 12 BP 226 Ouagadougou 12 (00226) 76 59 79 86 ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa L’HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028 En face du restaurant le cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE M. Etien N’dah Ahmon Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 L’HARMATTAN MAURITANIE Espace El Kettab du livre francophone N° 472 avenue Palais des Congrès BP 316 Nouakchott (00222) 63 25 980 L’HARMATTAN CAMEROUN BP 11486 Yaoundé (00237) 458 67 00 (00237) 976 61 66 [email protected]