Les cérémoniaux catholiques en France à l'époque moderne.
 9782503529509, 250352950X

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Les cérémoniaux catholiques en France à l’époque moderne Une littérature de codification des rites liturgiques

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Église, liturgie et société dans l’Europe moderne Collection dirigée par C. Davy-Rigaux, B. Dompnier et D.-O. Hurel

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Les cérémoniaux catholiques en France à l’époque moderne Une littérature de codification des rites liturgiques

Ouvrage dirigé par

Cécile Davy-Rigaux, Bernard Dompnier et Daniel-Odon Hurel

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Représentation d’une messe en musique (22 x 28,6 cm) extraite de Encomium Musices, gravée par Adriaen Collaert d’après Johannes Stradanus, vers de Johannes Boghe [Bochius], clerc de la ville d’Anvers, édité par Philippe Galle vers 1589-1596.

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior permission of the publisher. © 2009, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. D/2009/0095/22 Isbn 978-2-503-52950-9 Printed in the E.U. on acid-free paper

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Abréviations Arch. du Min. des Aff. étr. Arch. nat. Arch. dép. aug. avt Bibl. Bibl. dioc. Bibl. mun. BnF corr. éd., éds f° MC Mgr ms., mss n.p. r rév. s.d. s.n. s.l. s.l.n.d. t. trad. v vol.

Archives du ministère des Affaires étrangères Archives nationales (Paris) Archives départementales augmenté(e) avant bibliothèque bibliothèque diocésaine Bibliothèque municipale bibliothèque nationale de France (Paris) corrigé(e) éditeur(s), édition(s) folio Minutier central des notaires (Archives nationales) Monseigneur manuscrit, manuscrits non paginé recto révisé(e), révision sans date sans nom sans lieu sans lieu ni date tome(s) traduction verso volume(s)

Les références bibliographiques entre crochets carrés [  ] renvoient à la Liste-Index des cérémoniaux imprimés donnée en fin de volume (p. 543 sqq.).

Principes de transcription des textes anciens Les textes originaux en français cités ont été transcrits selon les règles préconisées dans L’Édition des textes anciens, xvie- xviiie siècles, (B. Barbiche et M. Chatenet (dir.), Paris, Inventaire général, 1990 ; 2e éd. : Paris, Inventaire général, 1993 (« Documents et méthodes », n°1)  ; version abrégée et remaniée disponible à l’adresse suivante  : http://theleme.enc. sorbonne.fr/document28.html). 5

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Avant-propos « Liturgie et société en France aux xviie et xviiie siècles : pour une lecture historique et musicologique des rites liturgiques ». Tel était, au départ, le titre général donné à cette recherche interdisciplinaire menée entre 2003 et 2005 et qui trouve son premier résultat dans le présent livre collectif. Celui-ci a l’ambition d’être, bien plus que de simples actes, un ouvrage fondé sur une réflexion menée à partir des communications et discussions qui réunirent une trentaine de personnes 1 à l’occasion de quatre séminaires 2 organisés dans le cadre d’une Action Concertée Incitative (ACI) financée par le Ministère de la Recherche. L’objectif de cette réflexion était de poser les fondements d’une étude des pratiques liturgiques diocésaines et monastiques dans une perspective d’anthropologie culturelle de la France des xviie et xviiie siècles et, au-delà, de l’Europe moderne. À cette fin, il nous semblait méthodologiquement pertinent de partir d’une source non seulement négligée jusqu’à présent, mais aussi représentative des xvie-xviiie siècles. Le cérémonial s’imposa en raison de sa « modernité » (en 1600 le Caeremoniale episcoporum post-tridentin fonde clairement la littérature des cérémoniaux) et de l’absence d’inventaires le concernant, à la différence des bréviaires, missels, rituels et processionnaux 3. En outre, le cérémonial nous a semblé le plus approprié pour une approche globale visant à extraire la question liturgique d’un profond silence historiographique et de lui accorder toute sa place dans l’histoire culturelle et sociale de l’Ancien Régime. Cette source parle à l’historien : traitant du seul déroulement extérieur de la liturgie (gestes, postures, mouvements, manières de réciter ou de chanter), le cérémonial la contextualise d’emblée ; censé décrire, régenter et fixer les usages cérémoniels (ou les manières de procéder) d’une

  Dans ce séminaire « fermé », qui s’est cependant déroulé devant des auditeurs « actifs », on est passé, au fur et à mesure du déroulement des différentes sessions, d’une quinzaine d’intervenants programmés à presque une trentaine. 2   Pour les quatre séminaires étalés sur deux ans (décembre 2003 à mai 2005), le choix des lieux a été aussi pratique que « signifiant » : Centre national de pastorale liturgique à Paris, CERL (Centre d’études des religions du livre) à Villejuif, abbaye Saint-Pierre de Solesmes, Maison des Universités à Paris. 3   Voir notamment : W. H. Jacob Weale, Bibliographia Liturgica. Catalogus Missalium vetus latini ab anno M.CCCCLXXIV impressorum, H. Bohatta (éd.), Londres, B. Quaritch, 1928 (2e éd. : Stuttgart, A. Hiersemann, 1990) ; Hans Bohatta, Bibliographie der Breviere, 1501-1850, Leipzig, K.W. Hiersemann, 1937 (2e éd. : Stuttgart, A. Hiersemann ; Nieuwkoop, B. de Graaf, 1963) ; Robert Amiet, Missels et bréviaires imprimés : supplément aux catalogues de Weale et Bohatta, Paris, Éd. du CNRS, 1990; Annick Aussedat-Minvielle et Jean-Baptiste Molin, Répertoire des Rituels et Processionnaux imprimés conservés en France, Institut de recherche et d’histoire des textes, CNRS, 1984. 1

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assemblée religieuse plus ou moins vaste, il permet d’observer la diversité ou la régularité des pratiques et d’analyser les enjeux identitaires, hiérarchiques ou politiques qui se dessinent en arrière-plan. En tant qu’ouvrage intellectuel, le cérémonial apparaît comme un objet riche et complexe : la pertinence et la permanence de certaines structures formelles, les normes et les constantes en matière de discipline ecclésiastique et de bienséance, la représentation idéale qui le sous-tendent se mêlent à une multitude d’adaptations propres, d’évolutions, et à la prolifération de détails concrets, parfois étonnamment triviaux. Il offre en définitive une multitude de niveaux d’approche et une somme de « contradictions » (notamment dans sa tentative pour concilier la norme universelle du culte et le respect des traditions particulières), qui en font une source exemplaire tant pour l’étude des diverses réalités sonores et visuelles mises en œuvre dans les sanctuaires que pour l’approche des systèmes de représentation d’Ancien Régime. Mais ce corpus pose des problèmes spécifiques : d’une part, celui des limites du genre et de ses catégories internes (tout livre titré cérémonial n’en est pas nécessairement un, et inversement, un réel cérémonial du point de vue du contenu ne porte pas forcément ce titre) ; d’autre part, celui des compétences techniques nécessaires et celui des méthodologies à éprouver pour pouvoir aborder l’analyse d’une littérature foisonnante et spécialisée relative à l’ordonnancement des offices et des gestes qui les accompagnent et au détail des attributs des différents officiers. Il nous a donc paru primordial d’entreprendre un travail de recensement préparant l’exploitation systématique des sources, dont on trouvera une première proposition à la fin de l’ouvrage (cf. Liste-Index des cérémoniaux imprimés infra et, sous forme électronique, une description détaillée d’un bon nombre d’entre eux : cf. http://www.irpmf.cnrs.fr/). Si, dans le but de concentrer notre étude sur un corpus cohérent, nous avons ainsi choisi les cérémoniaux 4 imprimés dans la France catholique des xviie et xviiie siècles, nous avons néanmoins souhaité bénéficier du regard complémentaire de spécialistes des périodes antérieures (Moyen Âge) ou postérieures (xixe siècle), d’aires géographiques (pays de Liège) ou de confession (Réforme calviniste) différentes ; celui-ci permet à la fois de mieux dégager les structures fondamentales de notre objet principal et aussi de mieux en révéler, par contraste, les spécificités pour ce qui concerne la France moderne. Après une introduction qui recherche les emplois multiples des termes « cérémonies », « cérémonial », « cérémoniaux » dans la catholicité post-tridentine, les vingt-trois contributions centrales sont réparties en quatre axes. Le premier s’intéresse plus spécifiquement à l’histoire d’un livre liturgique et normatif et à la typologie de ses sources, à travers divers angles d’approche : typologie des cérémoniaux en milieu diocésain et monastique, leurs origines médiévales, leurs éditeurs, l’examen monographique de certains d’entre eux entre le xviie et

  Après réflexion, c’est volontairement que nous avons choisi cette forme au pluriel de « cérémonial », plutôt que « cérémonials », pour désigner ces ouvrages ; d’une part, quand le pluriel est employé à l’époque, ce qui est extrêmement rare (on parle presque toujours du cérémonial au singulier : celui qui est propre ou en général), les deux formes coexistent ; d’autre part, la forme « cérémoniaux » nous semble plus appropriée pour désigner le livre – à l’instar de « processionnaux » – par distinction avec le substantif qualifiant un ensemble de comportements qui relèvent du cérémonial ou des « cérémonials ». 4

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le xixe siècle, genèse d’un cérémonial et principes qui sous-tendent leur établissement au xixe siècle. Le deuxième axe se centre sur la question de la liturgie et des enjeux et débats, souvent âpres, qu’elle suscite, tant en France qu’à Rome ou chez les réformés, et dont les cérémoniaux constituent un terrain d’expression. Le troisième aborde, plus particulièrement à travers les milieux conventuels ou monastiques masculins et féminins, les tensions qui se révèlent entre la rigidité des prescriptions et leurs nécessaires adaptations aux lieux et aux temps. Le dernier axe s’attache aux apports spécifiques des cérémoniaux en matière de régulation des comportements, parmi lesquels les questions de la discipline et de la gestuelle liées à l’élément musical au sein des offices offrent un bon angle d’approche. Les pages qui suivent contribuent à définir le cérémonial dans sa forme comme dans son contenu et montrent combien, dorénavant, les livres liturgiques doivent être considérés comme une source incontournable non seulement pour l’histoire des pratiques cultuelles et des débats intellectuels au sein du catholicisme, mais aussi pour l’ensemble des rapports entre Église et société. La complexité des sources mise en évidence par notre entreprise et la nouveauté de ce type d’approche de l’histoire culturelle des phénomènes religieux ne permettent pas un recul suffisant pour apporter des réponses de synthèse aux problématiques posées. Nous osons croire néanmoins que le présent ouvrage aidera, par son expérimentation d’approches et de méthodes variées et complémentaires, comme par ses conclusions partielles, au développement de l’usage des sources liturgiques par la communauté des chercheurs. Dans cette perspective, il ambitionne de constituer une introduction aux études historiques des sources liturgiques. Cécile Davy-Rigaux, Bernard Dompnier, Daniel-Odon Hurel

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R e m e rc i e m e n t s

Remerciements Nous voudrions adresser nos remerciements à tous les participants au séminaire, contributeurs ou auditeurs, dont les apports et les questions ont permis d’enrichir la réflexion commune  ; à Mme Françoise Dupuis, bibliothécaire du Centre National de Pastorale Liturgique et à la communauté des moines de Solesmes pour leur accueil et pour la mise à disposition d’ouvrages durant les séances de travail ; à Nicole Lallement ; à David Penot pour son aide à la préparation du manuscrit ; à Jean-Yves Hameline, Fabien Guilloux et Alexis Meunier pour leurs relectures précises et précieuses ; au premier encore pour la mise à disposition généreuse de sa collection particulière ; à la Bibliothèque de la Maison de la Conférence des Évêques de France pour la reproduction de Caeremoniale episcoporum ; à Laurent Guillo et à Xavier Bisaro, pour nous avoir communiqué les listes de cérémoniaux qu’ils avaient établies. Enfin, nous remercions notre éditeur Brepols, particulièrement en la personne de Christophe Lebbe, pour son écoute et sa patience.

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Introduction Par Jean-Yves Hameline

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Cérémonies, cérémonial, cérémoniaux dans la catholicité post-tridentine Quand nous proposons à nos lecteurs de définir le cérémonial comme « l’ensemble des prescriptions relatives à la forme extérieure des actions et des fonctions du culte divin », nous sommes amenés à nous donner comme objet, non pas directement la connaissance des « rites et cérémonies », ou des actions elles-mêmes, ce qui reviendrait à une étude générale des formes du culte divin (ensemble qui, par la suite, recevra le nom de « liturgie »), mais celle des énoncés prescripteurs 1 qui en établissent le statut canonique, définissent le degré de solennisation et la qualification des agents, déterminent les conditions pratiques de leur réalisation. Ce faisant, nous nous mettons en position d’observer du point de vue du législateur et de ses relais le phénomène conjoncturel que semble bien avoir représenté l’entreprise de restauration cérémonielle des pratiques cultuelles, issues des recommandations et des orientations du concile de Trente, perspective dont nous acceptons l’hypothèse, et dont on devine l’importance dans la construction historique du visage moderne du catholicisme romain et de ses institutions cultuelles. Toutefois, il va sans dire que, comme pour tous les objectifs pastoraux engagés par ce même concile, aussi bien au niveau du Saint-Siège que des synodes provinciaux, l’intérêt pour les « cérémonies » de l’Église et le bon ordre du culte divin ne peut être considéré comme une véritable nouveauté  2. Lorsque s’ouvre le concile, l’organisation générale des offices et du culte est largement stabilisée et, en ce qui touche à l’Ordo missae, son ossature générale est assez uniformément partagée dans le monde catholique. Le Canon de la messe y remplit bien sa fonction de « règle » antique et intangible 3. Sur le terrain, les institutions capitulaires, les chapelles curiales et papales, les diverses familles religieuses, sont pourvues de leurs coutumiers et de leurs cérémoniaux, et, d’une manière générale, les particularités

  La notion de « prescription » est prise ici dans son sens le plus général, sans engager le débat dont nous trouverons la trace ultérieurement, entre « prescriptif » et « directif ». Signalons toutefois qu’un des contenus possibles des énoncés que nous disons prescripteurs peut porter sur le taux plus ou moins élevé de la prescriptivité. 2   Sur l’exagération de la vision du concile de Trente comme « fait de commencement », voir : Alphonse Dupront, Genèse des temps modernes, Rome, les Réformes et le Nouveau Monde, textes réunis et présentés par D. Julia et Ph. Boutry, Paris, Gallimard, Le Seuil, (« Hautes Études »), 2001, p. 177. 3   Sur les variations observables entre les missels en usage à l’époque du concile de Trente : Jean-Marie Pommarès, « L’origine du Missel romain dans la réforme de saint Pie V », Aspects historiques et théologiques du Missel romain, Centre International d’Études Liturgiques, 2000, p. 237-255. 1

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locales concernant surtout le calendrier des saints et l’accomplissement de certaines fonctions solennelles ne sont pas considérées comme mettant en cause la substantia des actions sacrées et l’unité du culte divin. On peut admettre toutefois que la diffusion de l’imprimerie a posé de manière certainement nouvelle par rapport aux pratiques médiévales la conformité des livres d’église entre eux. En revanche, les débats préparatoires à la rédaction des Decreta de observandis et evitandis in celebratione missarum, lors de la XXIIe session, tenue en 1562, font apparaître chez les Pères un sentiment d’urgence à engager la correction des lacunes et des négligences de la pratique, et à redonner aux célébrations du culte divin une dignité qu’ils estiment en péril, en vue d’une véritable édification du peuple chrétien et d’une juste réponse aux critiques humiliantes des leaders protestants. On peut penser que la mise au point du Ritus servandus in celebratione missarum à partir de l’Ordo missae de Jean Burckard (Rome, 1502) 4, et sa prescription générale liée à la promulgation du Missale romanum de 1570, visait en premier lieu à apporter une solution extensive à ce qui apparaissait comme un état alarmant des manières de célébrer. La Bulle de Clément VIII, en tête de la réédition de 1604, insistera davantage sur les aspects théologiques et proprement ecclésiastiques de l’unité rituelle et cérémonielle. L’effort pastoral introduit par les prescriptions conciliaires, qui se voudra aussi catéchétique, comme on le sait, s’appuiera sur une réaffirmation doctrinale et sur une considération théologiquement renouvelée de la médiation sacramentelle et des formes manifestes du culte divin, et en particulier des cérémonies de la messe, comme l’avaient affirmé contre les positions protestantes les canons et décrets de la session XIII (1551). Une haute théologie du Sacrifice, distinguée pour l’Eucharistie de la théologie du Sacrement, renforçait l’importance accordée à l’accomplissement rituel et cérémoniel de la messe, et à la qualification « sacerdotale » du ministre qualifié. Aussi bien, chez Charles Borromée et chez ses émules d’outre-monts, la formation d’un clergé à la hauteur des circonstances passera par le renouvellement de l’image du prêtre prêchant et célébrant, comme, plus en avant dans le xviie siècle, on le constatera en France, à travers les écrits de Pierre de Bérulle ou de Charles de Condren, et les actions de formation de saint Vincent de Paul, d’Adrien Bourdoise ou de Jean-Jacques Olier. Trois aspects de ce phénomène de restauration cérémonielle pourraient dès lors être retenus : le premier concernerait le statut théologique et la plus-value que l’on pourrait dire «  religieuse  »  5 apportés aux actions et aux fonctions cultuelles par leur réalisation cérémonielle, perspective ouvrant vers une conception théologiquement fondée de l’extériorité active du culte divin, vers une herméneutique des actions rituelles (laquelle

  Tracts on the Mass, J. W. Legg (éd.), London, Harrison and sons, 1904 (Henry Bradshaw Society, vol. XXVII, Ordo Missae Joannis Burckardi), p. 119-174. 5   Nous nous permettons de faire remarquer qu’à chaque fois que nous employons le substantif « Religion » ou l’adjectif « religieux », il s’agit le plus souvent de la « vertu de Religion », telle qu’on la trouve présentée dans la Somme Théologique de saint Thomas, IIa-IIae, Q. 81, et dont on connaît l’importance chez les disciples de Bérulle. 4

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oscillera, comme on le verra entre fondation historique et interprétation figurative) ou vers des justifications de caractère pastoral, comme les Pères du concile de Trente en avaient donné l’exemple  6 ; le second s’intéresserait à tout ce qui touche aux données proprement comportementales, individuelles et collectives, et à la connotation de valeur, voire de bienséance, qu’on pouvait leur attacher en particulier dans les comportements réglés touchant les actions, les choses sacrées et les personnes, jusqu’à constituer une sorte de «  civilité  » cérémonielle. Le troisième, plus proche des préoccupations canoniques, s’intéresserait à la manifestation de l’autorité en matière de culte divin au point d’articulation toujours sensible d’une morale des actes humains et d’une discipline de l’observance. Cette étude du « cérémonial » ainsi précisée dans ses objectifs équivaudrait mutatis mutandis à la reconstitution d’un de officiis ecclésiastique en matière de culte divin. On devine aisément que ce champ spécifique de la pratique ecclésiastique, dont la totalisation approchée (ce que nous visons par le terme commode et imprécis d’« ensemble ») est une opération qui est propre à notre position d’étude, déborde dès lors très largement la simple prise en compte des publications portant nommément le nom de Caeremoniale, tel, en premier lieu, le Caeremoniale episcoporum de 1600. Nous serions ainsi amené, au moins provisoirement, à distinguer trois emplois du terme « cérémonial » : 1/ comme catégorie générale de conduites cultuelles réglées (ordre ou champ cérémoniel) ; 2/ comme répertoire établi de prescriptions cérémonielles effectives, portant sur la forme, le mode, la distribution séquentielle des actions et les rapports hiérarchiques entre les agents (ordre des cérémonies) ; 3/ comme ouvrage spécial portant effectivement le nom de cérémonial.

Une pe r it ia La constitution de cet objet d’étude, et l’appréciation de sa réalité et de son poids historiques, sont confortées par l’existence, en concomitance avec la publication des livres post-conciliaires, de ce qu’à l’époque on pouvait appeler une « matière », une res, objet d’une expertise, d’une peritia, où s’illustreront des auteurs considérés par la suite comme de vraies autorités, au premier rang desquels Bartolomeo Gavanti, plus connu et cité sous le nom de Gavantus  7. Barnabite, proche d’Urbain VIII lors de sa réforme du Bréviaire, consulteur éminent de la Sacrorum rituum Congregatio (SRC), cet auteur, qui est aussi un homme de relations, publie en 1628, à Milan, un Thesaurus sacrorum rituum, qui sera comme le fondement de cette peritia nouvelle. Dans l’avis au lecteur, en tête de l’ouvrage, Gavantus   Les auteurs modernes parleraient ici d’une « théologie de la Liturgie ». Concile de Trente, session xxii, Cap. v. De solemnibus Missae sacrificii caeremoniis. Nous citons ce passage in extenso ci-après. 7   Ce domaine d’expertise s’étendra vers une prise en compte de plus en plus méthodique et argumentée des res liturgicae. C’est dans ce même cadre que l’on verra, pour désigner cet ensemble, s’établir et se diffuser le substantif « liturgie », jusque là réservé, dans l’esprit de la terminologie grecque, à la désignation de l’appareil cérémoniel de la messe établi dans les diverses traditions chrétiennes. Il est frappant, en 1735, de voir Merati dans la Préface qui fait suite à celle de Gavantus, dans sa réédition commentée de l’œuvre centenaire de son prédécesseur, utiliser à plusieurs reprises l’expression de res liturgica, que Gavantus ignore, et plaider pour le développement, en ce domaine dont la vitalité lui apparaît incontestable, d’une peritia étendue. 6

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cite nommément et avantageusement un certain nombre de hauts personnages romains et italiens, engagés avec ferveur dans l’entreprise de rénovation des formes pratiques du culte divin, qui, sous les règnes de Grégoire XIII et de Clément VIII, devait aboutir à la correction du Missel, à la confection et à la publication du Pontifical et du Cérémonial des évêques 8. C’est cette collégialité d’intérêt et de recherche qui l’a poussé, écrit-il, à combler la regrettable lacune que représentait, en dépit de travaux spéciaux d’une haute tenue, l’absence d’un ouvrage d’ensemble, couvrant la matière (à savoir dans un premier temps la messe et le bréviaire) de manière complète et systématique. « Libere dicam quod sentio, écrit-il, nemo rem nostram in hoc genere pertractavit integre ». Par la suite, les auteurs publiant sur cette « matière » (res nostra) feront souvent état de ce type de relations et de consultations per colloquium ou per litteras 9.

D iff icultés L’approche du « cérémonial », ou du « champ cérémoniel » tel que nous en avons proposé l’usage, se heurte d’emblée à une série de difficultés, qui, d’ailleurs, n’ont pas échappé aux contemporains. La première difficulté tient à une certaine indécision dans l’emploi des termes appropriés, ou, si l’on veut, du lexique. Une seconde difficulté tient à la dispersion des supports éditoriaux, et à la diversité de statuts et de circonstances de leur publication et de leur diffusion. Cette indécision lexicale n’est sans doute que la partie sensible d’une question autrement redoutable qui tient à la nature même de la sacramentalité catholique, telle que viennent de la définir les Pères assemblés à Trente, et à l’ampleur du projet réformateur, soucieux d’en intégrer toutes les dimensions, aussi bien théoriques que pratiques. Ainsi, quand nous évoquons la « forme extérieure des actions du culte divin », expression courante à l’époque, cette extériorité de production se présente comme une superposition, ou plus précisément (même si le terme est un peu incongru) un emboîtement de plusieurs instances : comme acte public, et donc manifeste, la « forme extérieure » relève d’une logique de l’action (ipsa actio) qui en détermine la morphologie externe, règle la qualification des agents et l’organisation séquentielle des éléments. Dans le cas des actions sacramentelles, la configuration des éléments sera soumise à la logique du signe, et à l’intégrité du modus significandi, comme le rappelle avec clarté le Catechismus ad parochos, (Pars  II, de Sacramentis). Mais cette logique de l’action, référée à l’intégrité de la matière et de la forme, est toujours prise en charge par une logique de la pratique. Celle-ci peut se décliner en logique de la mise en œuvre, ou modèle de la pratique, dont les énoncés prescripteurs pourront aider à dégager la dimension proprement comportementale, à la fois dans la « manière », le « modus », le protocole interrelationnel, et nombre d’industries dispositives en rapport avec l’effectuation in situ et in tempore. Cette instance apparaît bien comme celle 8   Alphonse Dupront évoque cette effervescence dans la Rome de Clément VIII, et de Filippo Neri, à travers la figure chaleureuse de l’archevêque de Monreale, Ludovico de Torrès, membre de la Commission de rédaction du Caeremoniale episcoporum (A. Dupront, op. cit., p. 218-221). 9   C’est le cas de Michel Bauldry et de la Commission des prêtres de la Mission, dont nous parlerons plus loin.

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du « cérémonial ». Reste une troisième instance qui concerne l’application ad casum de la forme de l’action et de la modélisation de l’acte, pratique du modèle, à la charge des agents, mais dans une certaine mesure, prévue et régulée par l’institution au moyen de directives pastorales et d’évaluations casuistiques 10.

Une certaine indécision du lexique : Ritus & caeremoniae Les exercices du culte divin sont habituellement nommés à l’aide de désignations directes qui évoquent leur forme ou leur fonction : messe, office divin, heures, procession, dédicace, etc. Les termes génériques les plus fréquents sont actiones, terme auquel se joint souvent celui de functiones, ce dernier vocable désignant l’accomplissement d’une action programmée du culte divin par un appareil ecclésiastique qualifié. À l’intérieur d’une même functio, le terme actiones peut dans certains contextes se voir opposer à preces ou à verba. L’ordonnancement général d’une fonction, portant sur les actions, les personnes, les choses, en leur site rituel et leur distribution séquentielle, recevait le plus souvent le nom d’Ordo 11. Lorsque des termes tels que Ritus & cæremoniae apparaissent, ils semblent désigner plutôt un champ global et facile à identifier d’actions cultuelles, sans prétendre engager par l’un et l’autre terme une nature bien définie et différenciée des objets désignés. Plus, même, les termes Ritus & cæremoniae tendaient à former un groupe lexical un peu figé, comme si l’usage, tacitement, laissait flotter une certaine indécision, sans trancher entre les deux. On peut penser, dans un tel cas, à un simple phénomène de redondance verbale, permettant de soutenir la communication sémantique, par allongement morphématique sans véritable apport de contenu, comme on le voit dans le langage juridique, phénomène qui subsiste dans l’expression us et coutumes, par exemple 12 . Plus précisément, on peut penser que l’expression Ritus & caeremoniae palliait l’absence de terme générique, tels que le deviendront plus tard les termes liturgia ou res liturgica. Des auteurs vraiment graves reconnaissent qu’il est difficile de différencier à coup sûr ces deux termes. Ainsi, le jésuite Tobia Lohner dans son Instructio practica prima de S. S. missae sacrificio… publiée en 1676 à Augsbourg, et souvent rééditée, avoue l’indécision lexicale qui subsiste entre ritus et caeremoniae, en particulier pour ce qui concerne l’Ordo missae : « Quid sit Ritus, seu, ut alii vocant, caeremonia missae ? Resp. Esse actionem quamdam   Le chapitre de defectibus missae était un exemple revêtu de la plus haute autorité, de cette gestion casuistique de la pratique du modèle. 11   Cette indécision du lexique (qu’il y aurait certainement risque à vouloir trop réduire) est évoquée, pour la période antérieure, dans la contribution suivante de Jean-Baptiste Lebigue. 12   Le texte latin de la Vulgate, en Exode, 18, 20, rapportant les conseils de Jéthro à Moïse, écrit : « Ostendasque populo ceremonias et ritum colendi. » La Bible de Louvain traduit : « & monstre au peuple les ceremonies et façons de le (Dieu) reverer ». M. de Sacy : « …& d’apprendre au peuple les cérémonies et la manière d’adorer Dieu ». Saint Thomas cite ce texte en ouvrant la Question 101 de la 1a 2ae, a. 1, sur les praecepta caeremonialia de l’Ancienne Loi. D’une façon générale, dans la littérature théologique le terme caeremonialia désignera le plus souvent les actes cultuels de l’Ancien Testament. 10

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externam seu sensibilem ad sacrificium missae religiosè ac decenter offerendum institutam… 13 » Plus loin, c’est le terme ritus qu’il emploie « si strictius sumantur pro actionibus ab ipso sacerdote exerceri solitis ». Mais la présence des adverbes religiose ac decenter atteste en cette matière l’impossibilité de négliger la manière ou le modus, logique comportementale de la pratique, par où précisément se réintroduit un des aspects de la dimension cérémonielle telle que nous essayons de l’appréhender 14. Lexique conciliaire Cette indécision de frontières entre ritus et caeremoniae avait reçu le soutien paradoxal du concile de Trente, session 22, Cap. 5. (De solemnibus missae sacrificii caeremoniis). Cumque natura hominum ea sit, ut non facile queat sine adminiculis exterioribus ad rerum divinarum meditationem sustolli, propterea pia mater Ecclesia ritus quosdam, ut scilicet quaedam submissa voce, alia vero elatiore in missa pronuntiarentur, instituit ; caeremonias item adhibuit, ut mysticas benedictiones, lumina, thymiata, vestes aliaque id genus multa ex apostolica disciplina et traditione, quo et majestas tanti sacrificii commendaretur, et mentes fidelium per haec visibilia religionis et pietatis signa ad rerum altissimarum, quae in hoc sacrificio latent, contemplationem excitentur.

L’emploi de ritus est explicité par l’exemple (ut scilicet) des tons de voix, en particulier la prescription de réciter le Canon submissa voce (prescription grave reprise par le canon 9). L’emploi de caeremoniae, immédiatement consécutif, est explicité par la référence à des mysticas benedictiones, lumina, thymiata, vestes. L’usage de ces adminicula exteriora étant fondé sur une requête de la nature humaine dans son approche des choses divines, que l’Église prend en compte avec attention. Il semble que le terme ritus soit employé ici pour désigner, avec une forte charge prescriptive, le mode d’accomplissement d’une action sacrée réglée par le législateur. Les caeremoniae, bien que fondées en légitime antiquité (ex apostolica disciplina et traditione), apparaissent considérées surtout dans leur effet religieux, facilitant l’accès au mystère célébré tout en induisant une profonde révérence. C’est le même emploi qui apparaît dans le texte de la Constitution Quo primum tempore par laquelle Pie V instaure l’usage du Missale romanum de 1570. On peut y lire que les ecclésiastiques de tous rangs devront lire ou chanter la messe juxta ritum, modum et normam, quae per missale hoc a nobis nunc traditur, et qu’ils ne pourront se permettre d’y ajouter ou réciter alias cerimonias, vel preces quam quae hoc Missali continentur. La différenciation des termes permet de lire dans ritus l’équivalent d’un programme global prescrit, et dans preces et caeremoniae, une différenciation des actions programmées distribuées en deux catégories communément reçues.

13   Nous le citons d’après la onzième édition : Tobia Lohner, Instructio practica prima de SS. Missae Sacrificio../.. Editio undecima, Augustae Vindelicorum, Typis et sumptibus Joannis Caspari Bencard, 1759, p. 3. 14   Notre article : « Célébrer dévotement après le concile de Trente », La Maison-Dieu, 218, 1999/2, p. 7-37.

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La Profession de foi catholique demandée par Pie IV (9 Décembre 1564) rappelle la qualification dogmatique du Septénaire sacramentel, et ajoute : Receptos quoque & approbatos Ecclesiae catholicae ritus, in supradictorum omnium sacramentorum solemni administratione recipio, et admitto. Cette formulation issue des textes promulgués par le concile, session VII, canon XIII, sera reprise en tête du Rituale romanum de 1614. « Si quis dixerit, receptos et approbatos Ecclesiae catholicae ritus in solemni sacramentorum administratione adhiberi consuetos aut contemni, aut sine peccato a ministris pro libito omitti, aut in novos alios per quemcumque ecclesiarum pastorem mutari posse : A[nathena] S[it] » Il semble que le terme ritus comporte ici de manière prédominante une signification générale d’usages réglés et prescrits. Son emploi le tient proche de mos, ou de consuetudo. Toutefois, chez les auteurs traitant des formes du culte divin et des Sacrements de l’Église, il est clair que le terme ritus désigne aussi et souvent l’action sacrée elle-même, sans toutefois jamais effacer le trait lexical de règle prescrite. Cette orientation sémantique se verra précisée en certaines occurrences par l’utilisation de l’expression ritus externus, comme on peut le lire au canon II de la même session 15. Cette double charge sémantique permet de comprendre une certaine oscillation de l’emploi selon le poids ou l’insistance accordés à l’upsa actio ou à la prescription d’observance. À l’épreuve du français Il peut être éclairant de se référer sur ce point au témoignage de l’une ou l’autre traduction de ces expressions en français. La première constatation à faire est celle d’une certaine résistance de la langue à l’emploi en français du substantif rite encore écrit rit dans le Dictionnaire de Furetière (1690), qui le définit : « Manière de faire les ceremonies de l’Eglise » en renvoyant dans ses exemples à un autre emploi du terme ritus en référence aux grandes familles linguistiques ou nationales connues, rit grec ou rit romain. Les rédacteurs de langue française traduiront ritus tantôt par usage(s) tantôt par cérémonie(s). L’oratorien Claude Arnaud, traduisant pour son Abrégé l’intitulé même de Gavantus utilise l’expression, pour lui certainement équivalente, de « cérémonies ecclésiastiques » 16. L’abbé Chanut, dans sa traduction des textes du concile (1674), utilise le terme d’usage pour traduire le terme ritus, lorsqu’il est question des tons de voix et de la langue latine (session XXII, canon 9) mais dans sa traduction du passage cité plus haut (session VII, canon XIII), il écrit : Si quelqu’un dit que les cérémonies receûës & approuvées dans l’Église catholique, et qui sont en usage dans l’administration solennelle des Sacrements peuvent être sans péché ou

15   L’expression ritus externus ou exterior apparaît en particulier à propos de la formation de l’intention (de faire ce que fait l’Église) à l’occasion de l’administration des Sacrements. Voir la 28e Proposition condamnée par Alexandre VIII en 1690 : Valet baptismus collatus a ministro, qui omnem ritum externum formamque baptizandi observat, intus vero in corde suo apud se resolvit : non intendo, quod facit Ecclesia. 16   Claude Arnaud, Abrégé du Thresor des Ceremonies ecclesiastiques du R. P. Gavantus composé en latin, Troisième édition reveüe et corrigée exactement, Lyon, P. Bailly, 1649. (1re éd. 1636 : l’une des trois approbations est de Michel Bauldry).

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méprisées ou obmises selon qu’il plait aux ministres, ou estre changées en d’autres nouvelles, par tout pasteur, quel qu’il soit : qu’il soit anathème.

De même, le Rituel d’Alet, dans la traduction qu’il donne du même passage n’hésite pas à traduire ritus par « cérémonies » : Si quelqu’un dit que les ministres des Sacrements peuvent, sans commettre aucun péché, mépriser ou omettre entièrement, selon leur volonté, les cérémonies de l’Église catholique, reçues, approuvées & usitées dans l’administration solennelle et publique des Sacrements, ou que le Pasteur particulier de chaque Église les peut changer ou en faire de nouvelles, qu’il soit anathème 17.

Mais le même Rituel d’Alet dans sa présentation d’ensemble traduira ritus par « usage » : Il nous a semblé que nous ne pouvions mieux faire que de joindre ces instructions au Rituel romain, afin que vous eussiez dans un même livre tout ce qui se doit pratiquer extérieurement dans l’administration des Sacrements, selon les usages reçus et autorisés par l’Église catholique 18.

Sacrorum rituum Congregatio Selon l’indication des dictionnaires, le terme ritus désigne aussi bien une action sacrée qu’un usage légitime et formellement établi. C’est sans doute aussi dans ce second sens qu’il faut entendre le terme dans la dénomination de la Sacrorum rituum Congregatio, fondée par Sixte-Quint (Constitution Immensa Dei Aeterni, 22 janvier 1588). Le texte de cette constitution emploie quatre fois l’expression groupée Sacri ritus et caeremoniae. L’énoncé des tâches qui incomberont à la nouvelle Congrégation énumère les rites, les cérémonies, les livres, sans éprouver le besoin de préciser davantage : Quinque Cardinales delegimus, quibus haec praecipue cura incumbere debeat, ut veteres ritus sacri ubivis locorum, in omnibus Urbis, Orbisque ecclesiis, etiam in capella nostra pontificia, in missis, divinis officiis, sacramentorum administratione ; ceterisque ad divinum cultum pertinentibus, a quibusvis personis diligenter observentur, caeremoniae, si exoleverint, restituantur, si depravatae fuerint, reformentur, libros de sacris ritibus et caeremoniae, in primis Pontificale, Rituale, Caeremoniale, prout opus fuerit reforment et emendent…

17   Il semble bien que le terme rite pour désigner une action particulière n’apparaisse pas en français avant la fin du xviie siècle. C’est l’avis du Dictionnaire historique de la langue française, A. Rey (dir.), Dictionnaires Le Robert, 1992, Tome III, p. 3261-3262. 18   Beuvelet, proche de Bourdoise au séminaire Saint-Nicolas-du-Chardonnet, dans un ouvrage explicitement destiné à la formation pastorale, ne retient que le terme « cérémonies », pour désigner les actions sacrées engagées dans la célébration du Baptême. Il les distribue en antécédentes, concomitantes, postérieures. Mathieu Beuvelet, Instruction sur le Manuel par formes de demandes et réponses familières../..Septième édition, Lyon, A. Laurens, 1677, p. 52. La définition qu’il propose à la suite de la question : « Qu’est-ce que Ceremonie ? » peut enrichir notre dossier : « Ceremonies en general, n’est autre chose qu’un acte extérieur de religion, par lequel nous rendons à Dieu quelque culte et reverence, & qui signifie quelque chose d’intérieur, sous des choses visibles.  », ibid., p. 51.

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Ritus servandus Tout se passe en un premier temps comme si le substantif ritus ne s’imposait pas d’emblée pour désigner précisément l’action sacrée dans sa forma constitutive et son opus propre. Ainsi, outre missa ou missae, la messe est désignée par sacrificium, actio (sacra, sancta)… La celebratio, déploiement privé ou public de cette actio, est réglée par un Ritus servandus, lequel se compose d’actions, de prières et de cérémonies à observer 19. On retrouve ici l’emploi très romain du substantif ritus, proche sémantiquement de mos et de consuetudo ; voisinage que renforce l’emploi de l’adverbe rite. C’est le sens que présente la formulation très nette du Rituale romanum : de Sacramento… rite administrando. Le grammairien latin Sextus Pompeius Festus auteur d’un De significatione verborum, sur la fin du iie siècle, cité par Bréal et Bailly, proposait : Ritus mos vel consuetudo, ou Ritus est mos comprobatus in administrandis sacrificiis 20. La formulation, connue des écrivains chrétiens par l’abrégé de Paul Diacre, est certainement à rapprocher de celle du Missel romain : Ritus servandus in celebratione missarum, qu’on serait presque tenté de traduire par « usage réglé à suivre dans la célébration de la messe ». Le Catechismus ad parochos, publié en 1566, et très proche de la lexicologie du concile de Trente, fait une longue et riche description-explication des ceremoniae et preces que le Rituale prescrit dans l’administration ordinaire du Baptême, les isolant toutefois de l’acte baptismal proprement sacramentel, défini par sa matière et sa forme, sans toutefois employer en ce point le terme ritus 21. Lorsque ce terme est utilisé, au chapitre de l’Extrême-onction, dans l’expression ungendi ritus, le contexte fait apparaître qu’il ne s’agit pas de l’acte d’oindre en tant que « forme » sacramentelle, mais de la manière déterminée par la pratique universelle de l’Église de l’accomplir sur un certain nombre de parties du corps. Cette acception du substantif ritus est clairement exprimée dans le Hierolexicon de Dominico Magri, publié à Rome en 1677. L’article ritus renvoie à caeremonia, lequel substantif est défini : « Actio sacra cum exteriori religionis cultu. » Après des considérations étymologiques assez communes, l’auteur termine : « …itaque differt caeremonia a cultu, sicut aqua a   Ce type d’emploi est observable dans la IIIa Pars, Q. 83 : de ritu hujus sacramenti. Ayant abordé dans les Questions précédentes les données relevant d’une théologie sacramentelle : matière, forme, ministre, saint Thomas s’intéresse à ce que nous avons appelé le « modèle de la pratique ». Il y évoque les déterminations de temps, de lieux, la disposition et l’usage d’objets adéquats, l’organisation séquentielle des paroles : lectures, adresses, prières. Le dernier Article de la Q. 83 est un court traité de defectibus . Le terme ritus au singulier, dans l’intitulé de la Question, semble bien désigner l’ordonnance ou la règle d’effectuation de l’ensemble. Il n’est employé qu’une fois pour désigner une action particulière. Saint Thomas, suivant en cela un usage très commun, préfère employer un susbtitut pronominal neutre singulier ou pluriel. On le trouve avec évidence dans l’intitulé de l’Article 5 :Utrum ea quae in celebratione hujus sacramenti aguntur sint convenientia, et par la suite fréquemment répété. Or ces « actions que l’on accomplit dans la célébration du Sacrement », et dont la description et l’interprétation, le plus souvent figurative, couvrent tout l’ensemble séquentiel de la messe, recevront chez d’autres auteurs le nom de « cérémonies », que saint Thomas préfère réserver aux actions cultuelles de l’Ancienne Loi. 20   Michel Bréal, Anatole Bailly, Dictionnaire étymologique latin, Paris, Hachette, s. d., p. 310. 21   Catechismus ad Parochos ex Decreto Concilii Tridentini editus. Ex PII V. Pont. Max. jussu promulgatus…, Lyon, Ph. Borde et L. Arnaud, 1664. Pars II, De Baptismi…§ XL, p. 158-162. Nous utilisons aussi pour désigner cet ouvrage de l’appellation commune de Catéchisme romain. 19

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lavacro ; nam caeremonia, juxta sacr. Trident. sensum, est ipsa actio ; Ritus autem est modus praescriptus, quo actio ipsa sacra facienda sit 22 ». Les cérémonies solennelles dans l’administration des Sacrements C’est sans doute du côté de la théologie des Sacrements, dont on sait à quel point elle se présenta comme un enjeu décisif à l’encontre des positions protestantes, qu’il faut chercher l’origine d’une différenciation dans l’usage lexical dont le résultat sera de conférer au terme caeremoniae une connotation un peu négative de supplémentation de moindre importance, une « disgrâce », pour employer la spirituelle expression de Bremond à propos de la prière « vocale ». La doctrine de l’École utilisait le concept de forma pour désigner l’intégrité de l’action consécratoire ou sacramentelle, doctrine classique exposée clairement dans le Catechismus ad Parochos et que l’on pouvait retrouver dans le Rituale romanum, Titulus II, C. 1, § De forma baptismi 23. Toutefois, la conception théologique de la validité sacramentelle, attachée à l’intégrité de la matière et de la forme, en dépit des efforts pour justifier la valeur religieuse et catéchétique des éléments échappant à cette intégrité ainsi restreinte, ne pouvait guère éviter d’introduire une opposition latente entre élément indispensable et élément, qu’on ne saurait certes sans témérité, dire facultatif, mais dont on ne pouvait non plus, sans erreur cette fois, dire nécessaire. Le catéchisme romain est sur ce point très clair, mais il est certainement intéressant pour notre propos de voir ses rédacteurs s’efforcer de compenser cette disgrâce théorique par une brillante défense et illustration des cérémonies, désignant par ce terme tous les actes manifestes (ante oculos positi) dont la tradition de l’Église entoure la célébration solennelle afin d’en déployer la signification religieuse, et conduire les fidèles à un réel affermissement de leur foi et de leur charité 24 . Toutefois, on peut penser que des questions telles que celles que pose le De Defectibus in celebratione missae, concernant l’intégrité et la validité de la consécration eucharistique, comme aussi celles que pose la pratique du Baptême donné en situation d’urgence, ont pu favoriser le développement de cette distinction, à la fois pratique et spéculative, entre des actions essentielles, nécessaires et suffisantes pour la validité (necessitatis causa) et des actions liées au déploiement significatif de la célébration publique (solemnitatis causa),

22   Dominico Magri et Carolo Magri, Hierolexicon, sive Sacrum Dictionarium…, Rome, P. Bernardon, 1677, p. 96. Le rapport du culte et des cérémonies avec celui du bain et de l’eau est assez inattendu, et cette assertion laisse entendre de la part des auteurs, pourtant graves, qui en traitent, une belle liberté mentale. Ce Dictionnaire est d’ailleurs pour le sujet qui nous occupe du premier intérêt. 23   Au Titulus I, §11 sont assez clairement désignés trois catégories d’actions sacrées: 1/ forma, 2/ preces, 3/ ritus et caeremoniae. Ces trois catégories se retrouvent, entre mille exemples citables, dans la Theologia Moralis de saint Alphonse de Liguori, IV, Lib. VI, Tract. I. De Sacramentis in genere. Cap. II. Dubium II. De Ministro Sacramentorum. « Peccat…1/ qui verba formae corruptè, inarticulatè, indevotè pronuntiat. 2/ Qui materiam, vel formam, vel caeremonias, contre Ecclesiae morem, quamvis accidentaliter, sine causa mutat, vel ommitit (Alphonse de Ligori, Theologia Moralis, T. IV, Anvers, Janssens et Van der Meulen, 1822, p. 338). 24   Voir Catechismus ad Parochos, op. cit., Pars II, § XV, p. 121.

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actions qui, dans le cas du Baptême, recevront le nom de « cérémonies »  25. Ainsi, dans le Rituale parisiense ad romani formam expressum, de 1654, à la question posée au parrain et à la marraine d’un enfant baptisé antérieurement sine solemnitate : « Que demande-il (ou elle) ? Respondebitur : Les Cérémonies du Baptesme 26 ». Dans des ouvrages postérieurs, on voit cependant apparaître une nouvelle différenciation, par un glissement du terme ritus de la désignation d’un usage réglé vers la désignation d’une action formellement déterminée. Et le terme ritus ayant été ainsi érigé en véritable catégorie, c’est à l’intérieur de cette catégorie que l’on va voir se différencier l’essentiel et l’accidentel. On trouve cette nouvelle disposition lexicale chez le savant GaëtanMarie Merati, à une époque évidemment plus tardive, en laquelle certains auteurs n’ont pas hésité à déceler un certain durcissement de la pensée et du contrôle institutionnel en matière de culte et de sacrements. Dans ses Novae observationes & additiones ad Gavanti commentarium, publiés en 1739, il admet l’indécision des auteurs quant au fait de donner un contenu nettement différencié à Ritus et à Caeremoniae : « Diximus supra, materiam circa quam versantur rubricae esse caeremonias et ritus : quid veniat nomine ritus, prout distinguitur à caeremonia, non conveniunt Doctores ». Et Merati de citer les emplois différents de ces deux termes chez le cardinal Bona, ou chez Quarti, ou chez Suarez. Finalement, il se rallie à la position des ces deux derniers auteurs, auxquels il joint Bellarmin, sur le fait que la différenciation la plus importante doit consister à distinguer dans la distribution de l’Ordo missae (qui est l’objet de son ouvrage, mais il est facile d’extrapoler cette conception aux Sacrements en général) ce qui est essentiel et ce qui est accidentel. Ce qui est essentiel appartient à la confection du Sacrement institué par le Christ, telles que, dans la messe, la Consécration des deux espèces et la communion du Prêtre. On pourra les nommer Ritus essentiales et les distinguer dès lors des Ritus accidentales, lesquels consistent en « actionibus, precibus, aliisque circumstantiis ab Ecclesia adjunctis quae dicuntur sacramentalia, & caeremoniae sacrae 27 ». Une quinzaine d’années après Merati, l’Oratorien Pierre Collet écrit sans hésitation de plume : « Il y a des rits essentiels, et d’autres qui ne le sont pas, et ces derniers se nomment communément cérémonies 28 ». Reste que les rites essentiels aussi bien

  Rituale romanum : « de Ritibus & Caeremoniis Baptismi, Tit. II, c. I, n°28 : Caeremoniae autem qui in Baptismi collatione praetermissae quavis ratione fuerint, quamprimum in ecclesia suppleantur… » 26   Rituale parisiense ad romani formam expressum authoritate I. & R. D. D. Joannis Franscisci de Gondy, Parisiensis Archepiscopi editum, Paris, S. et G. Cramoisy, G. et N. Clopejeau, 1654, p. 18-19. 27   Thesaurus Sacrorum Rituum ; op. cit., p. 3. 28   Pierre Collet, Traité des Saints Mystères où l’on résout les principales difficultés qui se rencontrent dans leur célébration (1753), 8e édition, Paris, Librairie de la Société Typographique, 1817, T. I, p. 16. Le même Pierre Collet, dans son Tractatus de Sacramentis in genere après avoir défini les cérémonies comme : Actus externi religionis ad Dei cultum, ejusdemque cultûs ornatum legitimè instituti, propose une classification qui peut nous être utile pour observer l’emploi du terme sur la fin de la période que nous nous sommes proposés d’examiner : Caeremoniae dividuntur 1°. In divinas, quae Deum ipsum autorem habent ; & ecclesiasticas, quae ab Apostolis eorumque successoribus institutae fuerunt ; 2°. In eas quae circa personas versantur, ut exorcismi, aspersio aquae ; & ea quae versantur circa locum, tempus, etc, ut Templorum consecrationes, sanctificatio Quadragesimae ; 3°. In generales, quae ubique, et particularesquae nonnisi certis in locis observantur… ; 4°. In temporales, quae ad tempus institutae sunt,… ; & perpetuas, quae perpetuo vigere debent, ut ritus essentiales Sacramentorum ; 5°. In essentiales, quae sinè rei interitu omitti non possunt, quales sunt de circa materiam, formam, intentionem, personnam & potestatem 25

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que les accidentels, doivent, dans leur réalisation, trouver la manière adéquate à leur signification et effectivité sacramentelle, et capable d’inspirer aux fidèles de véritables sentiments de religion. Et par là même réapparaissent des indications que nous avons pu dire, de notre point de vue, « cérémonielles », mais dont nous apercevons une sorte de dérive vers le souci de l’édification et ce que les auteurs modernes appelleront des conduites « pastorales » 29. Toutefois, l’établissement d’une hiérarchie de valeurs quant à l’accomplissement des actions sacrées entre un noyau rituel essentiel et des enveloppes cérémonielles accidentelles n’a pas pu ne pas jouer un rôle aussi important que difficile à définir, dans l’organisation mentale de l’expérience du culte divin. Elle libère le « cérémoniel » du côté de la « solemnitas », ou même de l’amplification publique de la piété et de la ferveur, comme on le voit dans le cas du culte eucharistique, et a certainement facilité son extension et son application dans le domaine de l’étiquette et du protocole. Mais, a contrario, elle a pu donner une base à l’attachement des fidèles à la messe «  privée  » ou messe basse, messe en quelque sorte « miniaturisée » et réduite à la seule dimension du Ritus servandus. Elle a pu aussi, et très paradoxalement, renforcer une position radicale qui tendra à réduire les amplifications cérémonielles et à simplifier l’exercice du culte, ramené à des formes plus strictes et plus antiques, sinon apostoliques. Dans la langue française de Furetière, ou de La Fontaine, il est patent que « faire des cérémonies » est l’équivalent de « faire des embarras » 30.

Dispersion, en partie circonstancielle, des énoncés dans des supports variés et successifs La publication des livres romains ne constitue évidemment pas en matière de cérémonial un départ absolu, loin s’en faut : la perspective éditoriale reste fondamentalement réformiste (conduire les choses ad meliorem formam)  31. Tous les historiens du culte catholique font remarquer à quel point, comme nous l’avons dit, se maintient une réelle continuité des formes, en particulier pour ce qui concerne l’Ordo missae. Il n’est pas question

Ministri versantur ; integrantes, quae licèt ad Sacramenti substantiam non pertineant, ad solemnitatem ejus complendam graviter praescriptae sunt, ut in Missâ mixtio aquae cum vino ; & accidentales, quae nec spectant ad essentiam, nec sensu mox exposito actionem ministerii complent, sed adornant, ut genuflectio, tunsio pectoris. (Pierre Collet, Institutiones Theologiae moralis, T. IV, nouvelle édition, Lyon, J.-M. Bruyset, 1768, p. 157-158). 29   « Dum Sacramentum aliquod ministrat, singula verba, quae ad illius formam et ministerium pertinent, attente, distincte, et pie, atque clara voce pronuntiabit. Similiter et alias orationes et preces devote ac religiose dicet ; nec memoriae, quae plerumque labitur, facile confidet, sed omnia recitabit in libro. Reliquas praeterea caeremonias ac ritus ita decenter, gravique actione peraget ad caelestium rerum cogitationem erigat, et attentos regat. » Rituale romanum (1614), Titulus 1, Caput unicum, § 11. 30   Fénelon utilise l’expression « chrétiens de cérémonie » pour désigner des fidèles assistants aux exercices de la Religion, sans véritable conviction ni disposition intérieure. On se rappelle évidemment la formule galante adressée par le Renard répondant à l’invitation (perverse) de la Cigogne : « Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis / Je ne fais point cérémonie ! ». 31   On se reportera pour ce qui est de la période antérieure, à l’article particulièrement documenté de JeanBaptiste Lebigue, infra.

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non plus d’abolir les laudabiles consuetudines, qui forment souvent un fond original dans les établissements ecclésiastiques de type capitulaire ou collégial, et qui relèvent de l’autorité locale (laquelle verra s’opposer souvent l’évêque et son chapitre), même s’il est patent que la Sacrorum rituum Congregatio s’efforce d’en contrôler la légitimité 32. Ces consuetudines, la plupart du temps considérées comme immémoriales, peuvent être consignées dans des ordines, coutumiers, recueils de décisions synodales, ou s’apparenter à des traditions non écrites. Parmi ces coutumes à extension réservée, et hautement louables sans être imitables, il ne faut pas oublier la situation privilégiée des cérémonies papales, et de certains grands sanctuaires romains. Les visiteurs ne manquaient pas d’en observer les particularités. Une littérature abondante et savante y était consacrée 33. Les livres romains La dispersion des énoncés en matière cérémonielle est patente dans les publications échelonnées et, sur des points de détail, pas toujours cohérentes entre elles, des livres romains 34. Michel Bauldry au chapitre premier de son Manuale sacrarum caeremoniarum rédigé sous Urbain VIII 35, ne manque pas de rappeler les textes majeurs publiés dans les éditions romaines : on rappellera donc avec lui l’existence des Rubricae generales breviarii (1568), des Rubricae generales missalis et du Ritus servandus in celebratione missarum accompagnant l’édition du Missel romain (1570), texte reconduit dans les rééditions ultérieures, sous Clément VIII (1604) et Urbain VIII (1634). Bauldry y ajoute la mention du Rituale romanum (1614) et du Pontificale romanum (1596), et parmi les ouvrages les plus importants pour son propos, le Caeremoniale episcoporum (1600) 36. Il est facile de remarquer que les énoncés proprement cérémoniels ne se présentent pas de la même façon dans ces différents ouvrages : le Bréviaire ne connaît que des rubriques 32   Un décret de la S.C.R. du 11 juin 1605, adressé aux Diocèses du Royaume d’Espagne déclare : « Librum Caeremonialem immemorabiles, et laudabiles consuetudines non tollere ». Un autre décret du 17 juin 1606 étend la portée du décret précédent « etiam in quibuscumque aliis regnis et locis, per totum Christianum orbem ». 33   On cite volontiers sur ce sujet le travail d’un religieux sacristain du Palais Apostolique sous Clément VIII : Angelo Rocca, Thesaurus pontificiarum antiquitatatum necnon rituum ac caeremoniarum, Editio secunda, Rome, F. Amidei, 1745. 34   Aimé-Georges Martimort, Les « Ordines », les ordinaires et les cérémoniaux, Turnhout, Brepols, 1991 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fasc. 56). 35   Michel Bauldry, moine bénédictin savant et voyageur, fait paraître un Manuale sacrarum caerimoniarum juxta ritum romanum (cf. infra Liste-Index [Bauldry Manuale* 1637]). Une seconde édition augmentée parue en 1646, sera souvent reproduite. Dans l’avis au lecteur, il y fait état des entretiens qu’il a eu avec des peritissimi viri de Sainte-Geneviève, de l’Oratoire, de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, de Saint-Sulpice, de Saint-Lazare. J.-J. Olier le fera venir instruire les jeunes ecclésiastiques du séminaire de Saint-Sulpice. Nous citons [Bauldry Manuale] d’après une réédition vénitienne, ex Typographia Balleoniana, 1778. 36   Dans la Constitution Apostolicae sedis du 17 juin 1614, en tête du Rituale romanum, Paul V rappelait lui aussi les publications de ses prédécesseurs.

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(calendrier, distribution séquentielle des actions définies par leur structure et leur énoncé textuel et la mention de leur forme : hymnus, psalmus, antiphona etc, rares indications du niveau de production sonore : secreto ou clara voce)  37. Outre les rubriques concernant la distribution des actions selon les exigences du calendrier, le Missel comporte un véritable cérémonial, le Ritus servandus in celebratione missarum  38, lequel sans être véritablement nouveau, constituera sans doute un des éléments les plus fermes de la « cérémonialisation » post-tridentine, ne serait-ce que par sa liaison avec ce que l’on peut appeler l’inculturation de la messe basse  39, comme messe « dévote », et de très loin la plus fréquente, aussi bien pour le prêtre que pour les fidèles, et, à ce titre fait majeur du catholicisme moderne. Le Pontifical, centré sur l’officium propre de l’évêque, comporte beaucoup plus d’énoncés touchant la réalisation pratique d’actions sacrées mettant en jeu l’ordo rerum et l’ordo hominum  : ordinations, dédicace des églises, bénédictions et consécrations. Le Rituel, ouvrage composite et d’autorité moins déterminée, comporte de nombreuses indications concernant la réalisation pratique de l’administration des Sacrements, et surtout, on y a joint, comme héritage des anciens Sacerdotale, l’important Ordo exsequiarum. Il n’est pas besoin de signaler combien cette forme pratique de la ritualité funèbre, étendue en amont à l’Extrême-onction, et à l’Ordo commendationis animae a pu revêtir d’importance, comme fait de civilisation et véritable cérémonial de la mort, dans la pratique quotidienne, voire familiale et paroissiale, aussi bien que dans les cérémonies extraordinaires impliquant la société civile. Le Caeremoniale episcoporum de 1600, publié par Clément VIII, venait pallier la restriction cérémonielle qui marquait le Ritus servandus du Missel, dans lequel la messe solennelle n’apparaissait que comme une sorte d’extension ornée d’une messe privée qui en constituait le noyau inamovible. Il envisageait d’emblée les fonctions sacrées comme des manifestations publiques et ecclésiastiques du ministère épiscopal et de sa maison dont le style et les manières pourraient s’étendre aux églises de moindre rang. Avec cette importante publication, la charge sémantique du terme cérémonie(s) et de ses dérivés, dont en premier lieu celui de cérémonial, outre la culture de haute bienséance et de domesticalité à la fois familière et respectueuse (car il s’agit bien de la « maison » du Prélat, et, partant, de la « maison » de Dieu) qu’elle attache aux actions publiques de religion, se verra toutefois marquée, de par l’origine plus curiale que capitulaire du Caeremoniale episcoporum, par une fixation inévitable à une logique protocolaire déterminant les préséances et les

  De manière assez succincte, Gavantus insèrera à la fin de son commentaire des rubriques du Bréviaire, un triple cérémonial correspondant à la récitation privée, à la récitation au chœur, et à la récitation solennelle, pour laquelle il se réfère au Caeremoniale episcoporum. Le maintien d’un minimum de gestes et attitudes dans le cadre de la récitation privée est une donnée importante à signaler. Claude Arnaud en donnera dans son Abrégé une traduction française (op. cit., p. 563-572). 38   Pour une histoire succincte du Ritus servandus, lire : Pierre Jounel, Les premières étapes de la Réforme Liturgique, II, Les Rites de la messe, Paris–Rome–Tournai–New York, 1967, p. 6-13. cf. aussi Cyrille Vogel, Introduction aux sources de l’histoire du Culte chrétien au Moyen Age, réédition anastatique, Spoleto, Centro Italiano di studi sull’alto Medioevo, 1981, p. 212-214. Sur l’Ordo Missae de Jean Burkard, voir supra note 3. Également l’ouvrage cité de A. G. Martimort, op. cit., note 34. 39   Nous employons pour la commodité l’expression « messe basse » qui nous semble faire corps avec cette inculturation du Ritus servandus en France. Dans les documents canoniques on parle plutôt de missa privata, en opposition avec les différentes formes de la missa solemnis. 37

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comportements hiérarchiques entre protagonistes d’une même fonction, et la manifestation qualifiée de l’appareil ecclésiastique, dans le cadre d’une société civile de positions et de devoirs 40. Les conciles provinciaux Par ailleurs, les nombreux conciles provinciaux qui se tiennent dans les pays catholiques au cours des décennies qui font suite à la clôture du concile de Trente (1563) 41, sans entrer le plus souvent dans les détails des actions et des fonctions cultuelles, comporteront d’importantes monitions et prescriptions concernant l’application et la discipline à apporter dans l’accomplissement du culte divin. Ces préoccupations concernant la restauration d’une valeur et d’un prestige attachés aux formes extérieures du culte font corps avec un ensemble de soucis pastoraux et institutionnels, tels que la résidence et la participation effective à l’office des bénéficiers, la clarification des fonctions cléricales, la formation du clergé (on dirait tout aussi bien d’un clergé), la doctrine chrétienne ou l’instruction des fidèles, l’exercice fervent de la Religion. Ce dernier point, plus difficile à promouvoir comme à contrôler, pourra donner lieu à des pratiques de « dévotion », dont certaines, comme les Quarante heures, d’origine romaine, pourront être considérées et traitées comme des extensions du culte canonique, et réglées par un cérémonial 42. Évolutions Plusieurs phénomènes viendront prolonger, amplifier et « travailler » ce courant d’intérêt et ce processus d’institutionnalisation concernant le champ cérémoniel : 1/ l’entrée en jeu des relais territoriaux et principalement diocésains, posant dès lors la question de leur dépendance ou de leur autonomie vis-à-vis du Siège Apostolique, 2/ les conditions de

  La réception très large du Caeremoniale episcoporum, y compris dans des lieux par ailleurs réticents quant à une trop grande hégémonie romaine, peut sans doute en partie s’expliquer par la couverture que ses dispositions protocolaires apportaient aux évêques dans leur rapport avec les autorités royales, la noblesse titrée et les pouvoirs municipaux. 41   La série des conciles milanais sous Charles Borromée, constituera un corpus de référence. Pour la France, on s’en rapportera à : Paul Broutin, La Réforme pastorale en France au xviie siècle : Recherches sur la tradition pastorale en France après le concile de Trente, Paris–Rome–Tournai–New York, Desclée et Cie, 2 vol., 1956. 42   Instruction dite « Clémentine », du Pape Clément XI, du 21 janvier 1705, confirmée par Clément XII le 1er septembre 1730. On y trouve les règles qui ordonneront l’usage et les usages intéressant l’exposition et les saluts du Saint-Sacrement. Il est clair que la contrainte où nous nous trouvons d’examiner en premier lieu les énoncés des ouvrages canoniques les plus communs, nous oblige à laisser de côté les « cérémonies extraordinaires », dont on sait qu’elles ont tenu une place primordiale dans le déploiement institutionnel, festif, fervent ou piaculaire, des manifestations du catholicisme post-tridentin : jubilés, canonisations, synodes, pèlerinages, processions, expositions de reliques, bénédictions, dédicaces, sans parler des missions et des réunions de confréries, pouvaient quelquefois s’imposer à la vue des populations avec plus d’éclat et d’attrait que le cursus canonique, et proposer par elles-mêmes une déclinaison originale du cérémonial. On se rapportera aux communications du colloque du Puy-en-Velay, des 27-29 octobre 2005 : «Les Cérémonies extraordinaires du Catholicisme baroque», à paraître, sous la direction de Bernard Dompnier. 40

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« réformation »dans lesquelles vont se trouver placés les ordres religieux et les congrégations anciennes et nouvelles, amenés à reconsidérer leurs coutumiers ou leur pratique du chœur 43, 3/ la situation d’enseignement généralisé et de pastoration active dans laquelle se trouve engagée l’Église post-tridentine (théologie, prédication, catéchisme, civilité chrétienne), faisant de la scène rituelle et cérémonielle une surface de manifestation dont on attend des fruits de fréquentation et de piété, 4/ la reconquête d’une dignité, voire d’une majesté du culte divin, donnant lieu à un impressionnant réinvestissement religieux, et, chez de très grands spirituels la formation d’une réelle sensibilité à la célébration du culte divin, mais aussi donnant lieu à une certaine inflation protocolaire, dans une civilisation marquée par les contentieux de préséances, et l’apparat souvent concurrentiel des appareils  44. Toutefois il est possible de penser que la constitution de la figure du « bon prêtre », formé par les lazaristes, les eudistes, ou par ces Messieurs de Saint-Sulpice à une célébration digne, pieuse, modeste, quoique soucieuse des subtils degrés de solennité, ait pu, quand l’influence des séminaires commencera à porter ses fruits, et sur un point où l’opposition des courants jansénistes ne jouera pas, bien au contraire, en partie dépasser les antinomies protocolaires où se perdaient les institutions capitulaires et les procédures bénéficiales. 5/ Il va sans dire que la dispersion des énoncés en matière de prescriptions cérémonielles se trouvera multipliée par le processus de consultations-réponses de la Sacrorum rituum Congregatio, réponses faisant autorité sous formes de décrets, mais limitées et sujettes à interprétation quant à leur destination territoriale, dispositif ouvrant la voie à une abondante littérature casuistique. Effort pédagogique Cette dispersion des énoncés est un des arguments évoqués par les éditeurs de manuels. Les Prêtres de la Congrégation de la Mission, avertis par la pratique des retraites de formation sacerdotale à Saint-Lazare, auxquelles reste attaché le nom de saint Vincent de Paul, le formulent avec clarté en tête d’un Manuel des cérémonies romaines qui connaîtra une large audience : C’est pourquoy, depuis quelques années, qu’il a plû à Dieu de ressusciter en son Église la grace et l’esprit du sacerdoce, plusieurs ont utilement travaillé à recueillir les saintes ceremonies de l’Église, à les mettre en ordre, à les éclaircir, & à les abreger, afin que tous les prêtres s’en pûssent instruire aisément, & que les negligens, n’eussent plus occasion de dire, qu’il leur

  On ne saurait négliger le développement d’un secteur original et quantitativement important de l’activité catholique proprement cultuelle, aux lendemains du concile de Trente, en particulier dans la mouvance franciscaine ou jésuite sous la forme des Confréries: c’est précisément sous Grégoire XIII que se voient ériger et se multiplier de nombreuses Confréries, dont Louis Chatellier a montré l’importance sociale et religieuse, et dont il souligne l’originalité dans la direction laïque des assemblées et de la célébration de l’office divin (Louis Châtellier, L’Europe des Dévots, Paris, Flammarion (Nouvelle Bibliothèque scientifique), 1987). 44   On peut penser ici à l’action de la Compagnie du Saint-Sacrement, et à son attachement à « l’équipage du Roi du Ciel » sur l’itinéraire du Saint-Viatique, au cours duquel M. de Renty ne craignait pas de faire s’arrêter quelque carrosse à six chevaux ! cf. Alain Tallon, La Compagnie du Saint-Sacrement, Paris, Le Cerf, 1990. 43

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estoit difficile d’apprendre des ceremonies dispersées en tant de livres, digerées avec peu de methode, conceuës en des termes obscurs, & écrites par quelques-uns si au long qu’elles composoient de gros volumes, dont la seule veüe rebutoit de leur lecture 45.

Le cérémonial en perspective C’est cette dispersion des énoncés, l’hétérogénéité de leurs supports et de leur statut canonique, théologique ou pastoral, concernant le domaine des ceremonialia, qui nous incite à esquisser une sorte de typologie approchée. Elle se veut plus incitatrice que systématique et plus préoccupée de faire apparaître des fonctions ou des fonctionnements que de délimiter des catégories. Cette exploration quelque peu raisonnée voudrait permettre d’évoquer au passage un certain nombre de questions que ce premier effort de classement fait apparaître en chacun des items proposés. Il va sans dire que le tracé des frontières en est sans rigueur, et que les fonctions ou les fonctionnements imaginés ont pu se trouver réalisés sous des formes et des supports très différents. Il est également clair que s’il nous est nécessaire de mentionner au passage des ouvrages, des auteurs, ou des lieux de production, cette esquisse ne constitue en aucune façon une bibliographie méthodique du sujet. Cérémonial écrit Nous entendons attirer l’attention en ce point sur l’existence ou non d’une consignation par écrit de la prescription cérémonielle. Cette dernière détermination l’oppose à la condition d’une simple tradition orale, ou au mode de transmission per usum. On peut l’identifier dans les coutumiers capitulaires ou monastiques, les registres de délibération, les statuts synodaux. Mais l’imprimé permettra des diffusions plus étendues, faisant intervenir des fonctions croisées de documentation, d’instruction, de science, ou de prestige. C’est déjà le cas de l’ouvrage de Paris de Grassi De caeremoniis cardinalium et episcoporum in eorum dioecesibus libri duo publié à Rome en 1564 et superbement réédité à Venise en 1582, ancêtre direct du Caeremoniale episcoporum de 1600. De même, l’Ordo servandus de Jean Burckard assurera au Ritus servandus du Missel de 1570, qui le démarque de très près, le prestige d’une antécédence typographique et d’une prédiffusion autorisée. Un autre aspect des choses, sans doute moins remarqué, peut apparaître sous notre intitulé de « cérémonial écrit », qu’il faudrait sans doute muer en « cérémonial décrit » et en « cérémonial rédigé ». Ce sont toutes les difficultés proprement rédactionnelles que devront vaincre les producteurs d’énoncés en matière de cérémonies. Les actions in situ, les attitudes corporelles, les opérations instrumentales ou protocolaires ne manqueront pas d’exiger un vocabulaire à la fois précis et bienséant. L’elocutio propre à ce genre relevé, mais aussi technique, d’énoncés, devra en quelque sorte participer du caractère discret, ferme et religieux qu’on attendra du Magister ceremoniarum, personnage qu’on peut dire

  [Lazaristes 1670], Avis au Lecteur.

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emblématique, que consacre le chapitre V du Premier livre du Caeremoniale episcoporum de 1600. Beaucoup de commentaires se heurteront à des obscurités de rédaction dans les énoncés officiels, mais, a contrario, la lexicologie des expressions et attitudes corporelles pourra bénéficier de catégorisations souvent très fines, et certains ouvrages, comme celui de Michel Bauldry, connaîtront un succès éditorial conséquent de par la qualité et la clarté de leur rédaction 46. Par contre, cette qualité rédactionnelle ne passera pas sans mal du latin au français. L’adaptation du Caeremoniale episcoporum demandée au sieur du Molin, Primicier d’Arles, par l’Assemblée générale du Clergé de France en 1645, et publié seulement en 1657 47, donne une idée de la difficulté par son style besogneux et peu clair. Il faut croire que la religion n’a pas été sans évoluer avec la langue, quand on mesure au contraire une réelle élégance et habileté dans la rédaction du Cérémonial des religieuses de Montmartre, publié en 1669 48. Il est vrai que les ordres religieux féminins avaient déjà une pratique multi décennale de cérémoniaux rédigés en français. On ne peut dès lors que prendre en considération l’importance de l’Abrégé de Gavantus, rédigé en cette même langue, par l’oratorien Claude Arnaud, dès 1636 49. Cérémonial prescrit Cette caractérisation, on le devine, pourrait faire l’objet d’une étude séparée ; et certains seraient sans doute tentés de lui accorder la première place. Le degré d’impérativité de la prescription rituelle et cérémonielle, qui a fait l’objet d’une abondante littérature canonique, peut être tiré de la nature proprement religieuse ou sacramentelle des actions sacrées que vient appuyer la rédaction de la prescription, et l’exhibition de ses titres d’autorité  50. Il peut se dégager des textes de promulgation des Livres authentiques  51. La création par Sixte-Quint de la Typographia Vaticana, en 1587, incita Clément VIII, en premier lieu pour le Missel, à réserver à cette seule instance romaine l’impression de l’édition faisant autorité, permettant toutefois à d’autres éditeurs de l’imprimer hors de Rome, juxta exemplar in dicta Typographia nunc editum, sous le contrôle des ordinaires des lieux. Urbain VIII renforça ces dispositions en préconisant une vigilance plus grande des autorités locales sur la conformité des nouvelles impressions avec l’original. Il reste que les ordinaires des lieux

  Voir dans ce volume, la contribution de Monique Brulin.   Cf. [Du Molin Église* 1657]. 48   Cf. [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669]. 49   Abregé des ceremonies ecclesiastiques du R. P. Gavantus, op. cit. 50   Il va sans dire que la rédaction des énoncés laisse parfois affleurer de subtiles nuances entre le prescrit et le conseillé, lorsque la matière s’y prête et n’affecte pas la substance ou la validité des actions rituelles. Ainsi en estil pour les énoncés affectant le chant et la musique (en particulier le jeu de l’orgue) dans le [CE 1600], livre 1, c. 28. 51   À l’échelon provincial ou diocésain, on devine tout l’intérêt des Mandements en tête des nouveaux livres, surtout lorsqu’il s’agira de justifier des réformes et de motiver les prescriptions. Voir en cet ouvrage la contribution de Bernard Dompnier. 46 47

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disposant déjà de livres d’Église et d’un calendrier des saints chargé de figures locales et d’offices propres, durent la plupart du temps aménager des éditions diocésaines, et qu’un domaine de jurisprudence ecclésiastique se constitua de facto. On sait que ce domaine pouvait devenir domaine sensible et l’est devenu, mais l’histoire des rapports conflictuels, surtout à partir de l’épiscopat de François de Harlay à Paris, entre l’Église de France et le Saint-Siège, dépasse de beaucoup le cadre de cet article, et on peut penser que, quelle qu’ait été la susceptibilité des chapitres, la défense des particularités cérémonielles coutumières ne revêtait pas la même importance canonique et doctrinale que la refonte calendaire et textuelle des bréviaires et des parties lues ou chantées du propre de la messe. Reste que l’on ne peut s’empêcher de penser que c’est l’intérêt même pour le culte divin, son intégration heureuse à la vie intellectuelle et spirituelle des prêtres, son application religieuse et ses répercussions sur le mode de vivre et de paraître par le moyen du cérémonial, qui a sans doute conduit à engager en ce point des réformes et des refontes, jusqu’à engager un conflit d’autorité 52. Sans doute faut-il, à propos du «  cérémonial prescrit  », se situer à un niveau de généralité plus élevé. Le « cérémonial » prend en charge la régulation de ce que l’on peut désigner comme «  l’apparaître de l’appareil  ». En amont de toute fonction méliorative d’apparat ou de prestige (mais qu’il conviendrait plutôt de considérer comme un « style »), il constitue une manifestation du Droit par la soumission même de l’appareil (in personnis) à sa propre règle d’apparence. L’ordre de l’ostension est soudé à l’ostension de l’ordre. Il est, dans ce cas, presque inévitable que se développe une majoration du contrôle, et une pratique tutioriste de la casuistique rubricaliste, reproche que les liturgistes modernes feront presque d’un commun accord à la période qui nous retient. Plus profondément, ne peut-on pas penser que cette époque éprouve à un degré de tension particulièrement élevé la nécessité commune à toute conjoncture d’articuler droitement en matière de culte la logique de l’action avec celle de l’observance, dans un contexte où la forme cérémonielle de l’action est investie d’une haute valeur religieuse, catéchétique et pastorale. Mais la logique de l’observance en tant qu’observance (et dont il n’est pas permis de mettre en doute la valeur religieuse) peut à de certains moment inverser le rapport de contenant à contenu, jusqu’à faire de l’observance un contenu prédominant sur l’action même et sa particularité d’ipsa actio. Cette tension, dont le déséquilibre est sans doute un des moteurs secrets ou explicites de tout projet réformateur, se trouvait renforcée par une ecclésiologie d’obédience et de gouvernement universel, par la hantise des responsables catholiques à relever par la ferveur et la dignité de l’apparaître les humiliations que les critiques protestantes avaient portées à l’encontre du culte romain et le haut investissement moral dont allait être chargé l’accomplissement intentionnalisé des actes cultuels 53.

  Ce souci porté par les autorités ecclésiastiques territoriales à la maintenance, à la promotion et au contrôle du culte divin, étendu du clergé au peuple fidèle, apparaît dans le fait lui-même et les procès-verbaux des Visites Pastorales. Cf . Dominique Julia, « La Réforme post-tridentine en France d’après les procès-verbaux de visites pastorales : ordre et résistances », dans La Societa religiosa nell’età moderna, Naples, Guida, 1973, p. 311-397. 53   Il suffit de prendre connaissance des énoncés portant sur les defectus ministri, touchant la direction de son intention, et ses dispositions d’âme et de corps, dans le chapitre de defectibus missae, du Missel romain. Énoncés 52

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On pourrait en d’autres termes relever une tension également très accentuée entre ce qui relèverait d’une réelle poétique théologique du culte, indéniable à cette époque, et un formalisme de l’observance et de son imposition, tension résolue avec un certain bonheur dans l’exercice du culte divin propre à Saint-Sulpice, et à beaucoup de maisons religieuses, comme en témoigne la place accordée au chant, et à l’accomplissement heureux des fonctions du culte divin chez les collaborateurs et continuateurs de Jean-Jacques Olier 54. Cérémonial enseigné Comme nous l’avons vu, les processus de réforme à l’œuvre dans les ordres religieux, tant féminins que masculins, et dans les clergés capitulaire, collégial et paroissial, vont très vite exiger des instruments de diffusion, de formation et d’instruction. À dire vrai, le cérémonial lui-même, à la manière des didascalies théâtrales, est dans son principe énonciatif d’une information en vue d’une pratique ; aussi, dans beaucoup de cas, et certainement pour ce qui est des cérémoniaux ou des coutumiers des religieuses, c’est le texte même du cérémonial, qui pouvait servir de base aux commentaires que pouvaient en faire des supérieurs ou leurs délégués, dans le cadre de la vie commune et de la préparation des offices. La formation des clercs et des prêtres inclura en première instance l’enseignement des règles de conduites pour la célébration individuelle de la messe et l’acquittement de la récitation du bréviaire. En deuxième instance apparaissent la connaissance et l’aisance à acquérir dans la participation à des offices solennels. Mais le « cérémonial enseigné » s’adresse aussi aux agents en responsabilité, et en particulier aux maîtres de cérémonies des maisons épiscopales, des chapitres et des maisons religieuses. L’ouvrage de référence qui s’imposera par son sérieux et son ampleur est certainement, nous l’avons dit, le Thesaurus sacrorum rituum de Gavantus, fondement de cette peritia en matière cérémonielle dont nous avons parlé plus haut. Le Manuale sacrarum caeremoniarum juxta ritum S. Romanae ecclesiae de Michel Bauldry, également rédigé et publié sous Urbain VIII, et dont l’auteur fait état de ses respectueuses relations avec le précédent, tente de rapprocher en un même ouvrage les perspectives de la large manifestation publique de l’appareil ecclésiastique, dispensées dans le Caeremoniale episcoporum, de la pratique individuelle du Ritus servandus. Il y ajoute le souci des adaptations nécessaires à l’accomplissement des fonctions du culte divin dans les églises de moindre rang. La sûreté

dont le ton particulièrement grave peut donner une idée de ce que sera celui des commentateurs. 54   Que l’on pense à la contribution considérable de Guillaume-Gabriel Nivers à la réestimation du « chant grégorien », et, si originale et novatrice en son temps et sa portée propre, à ses trois livres d’orgue, sans parler des Motets écrits pour les bénédictines du Saint-Sacrement, au voisinage de Saint-Sulpice. Cécile Davy-Rigaux, Guillaume-Gabriel Nivers, Un art du chant grégorien sous le règne de Louis  XIV, Paris, CNRS-Éditions, (Coll. « Science de la Musique »), 2004. cf. aussi notre contribution : « Le bonheur du chant dans la musique d’église », Le plaisir musical en France au xviie siècle, Th. Favier et M. Couvreur (dir.), Sprimont, Mardaga, 2006, p. 97-106. Dans le même ouvrage : Cécile Davy-Rigaux, « Plaisir musical et élévation de l’âme dans les nouveaux chants ecclésiastiques », p. 191-208.

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de ses informations et de ses jugements et la clarté de ses descriptions ont, comme nous l’avons dit, certainement contribué à la diffusion et aux rééditions, en particulier vénitiennes, de cet ouvrage. Nous ne pouvons pas mentionner ici en détail les entreprises et les ouvrages destinés à la formation du clergé. Pour la France, on y retrouverait les noms d’Adrien Bourdoise, de Mathieu Beuvelet, de Charles Demia  55, et les orientations pastorales ou théologiques de Pierre de Bérulle, de saint Vincent de Paul, de saint Jean Eudes ou de Jean-Jacques Olier. On peut suivre la mise en place de ces entreprises et institutions de formation dans l’ouvrage de Paul Broutin, que nous avons cité. Retenons pour notre esquisse de typologie fonctionnelle que les énoncés concernant le cérémonial mis à part, les manuels de cérémonies proprement dits, comme celui des lazaristes, ou les petits recueils d’instruction pour la célébration de la messe, destinés aux ordinands, font corps avec des ouvrages plus largement centrés sur l’action pastorale, ou sur la spiritualité sacerdotale. Ainsi, on réédite en 1676 l’Instruction des prêtres d’Antoine de Molina le chartreux (1608), comportant près de soixante pages, en son Troisième Traité, sur la célébration de la messe. Dans la mouvance post-bérullienne qui prévaut à Saint-Sulpice, le Traité des Saints Ordres attribué à J.-J. Olier, ou même les Examens particuliers de M. Tronson constituent des documents de premier ordre pour connaître l’armement théologique de la figure du prêtre célébrant (préférentiellement une certaine théologie du Sacrifice) et la formation chez ce même ecclésiastique d’une conscience du cérémonial religieusement construite. Par ailleurs, les énoncés concernant les rubriques et les cérémonies s’étendent à la mise en œuvre du Rituel, et, en particulier, à l’administration des Sacrements, dans un souci prédominant d’application et de diligence pastorale. Les rituels diocésains pourront ainsi devenir de véritables manuels de pastorale, ou s’appuyer sur des ouvrages spéciaux. Un modèle en avait été donné par l’Avvertimenti per l’Ufficio del Rettore Curato de l’archevêque italien Jean-Baptiste Costanzo, traduit en français à plusieurs reprises, et enrichi d’emprunts aux Acta de l’Église de Milan, sous le titre de Pastoral de St Charles 56 . P. Broutin cite longuement le chapitre consacré à la figure du « prêtre à l’autel », emprunté par Costanzo aux écrits de saint Charles  ; les considérations théologiques y débouchent comme naturellement vers une sorte d’éthologie prescriptive, toute fondée sur un juste exercice de la vertu de Religion. Le Rituel d’Alet, publié par Nicolas Pavillon, en 1667, et réédité par la suite, contient un chapitre développé sur la « messe de Paroisse », qui par certains côtés peut être considéré comme un « cérémonial rural » à destination des fidèles  57. Plus prosaïques, voir vraiment grondeurs, peuvent être aussi les énoncés de

  Charles Démia, Trésor clérical ou conduites pour acquérir et conserver la sainteté ecclesiastique… Seconde édition, Lyon, J. Certe, 1694. Voir aussi : Claude de la Croix, prêtre du séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Le Parfait ecclésiastique. Diverses Instructions sur toutes les fonctions cléricales disposées en tables, et rédigées en livre, corrigées et augmentées par des ecclésiastiques du même Séminaire, Paris, 1665. La 3e partie est consacrée à l’accomplissement du culte divin dans les paroisses de petites dimensions et de faibles ressources. 56   P. Broutin, op. cit. p. 347 sqq. 57   Il va sans dire que nous ne traitons ici que de la proposition cérémonielle. L’effectivité des prescriptions de leur évêque, certainement très révéré, chez les semi-montagnards du bourg d’Alet, relève d’une autre discipline. 55

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monitions rappelant les fidèles à la bienséance et à la modestie du vêtement et de la tenue, comme on peut en lire sous la plume de Mathieu Beuvelet 58. Cette exploration ouverte par le concept de « cérémonial enseigné », si on accepte de le laisser travailler en extension (au risque bien sûr de le perdre, ou tout au moins de ne plus le discerner qu’avec peine), ne peut pas ne pas rencontrer les énoncés, groupés ou dispersés, destinés à la formation ou à l’édification des fidèles. Le nombre des Instructions pour suivre la messe imprimées au xviie siècle décourageait Henri Bremond. On ne peut éviter de citer l’ouvrage de François de Harlay, archevêque de Rouen, l’oncle du futur archevêque de Paris, dans lequel le souci d’une intelligence tonique et fervente des actions sacrées de la part des fidèles est tout à fait impressionnant. Nicolas Le Tourneux, dans son ouvrage de 1680 semble en faire grand cas 59. Nous mettrions volontiers en évidence trois types de supports : 1/ les Prônes et la prédication. 2/ Le catéchisme, en particulier le catéchisme des Sacrements et le catéchisme des Fêtes 60. Sur ce point, le Catechismus ad parochos avait donné l’exemple d’une approche des Sacrements faisant une large place aux « cérémonies de l’Église » et à leur pouvoir d’édification de la foi, même si pour le Sacrifice de la messe, il renvoyait aux ouvrages spéciaux. Ainsi, il prévoyait explicitement le commentaire et l’explication des cérémonies aux fidèles assemblés pour l’une ou l’autre célébration sacramentelle, et particulièrement pour celle du Baptême 61. Par ailleurs, son rôle ne fut pas mineur dans l’établissement d’un ton, d’un lexique, d’une phraséologie pour écrire, dans le latin très habile et bien sonnant de Jules Poggiani, des choses du culte, de la prière, et des mystères de la Foi. En français, les textes ne manquent pas : un des plus significatifs en ce domaine de l’instruction chrétienne est certainement la Troisième partie des Devoirs d’un chrétien envers Dieu par demandes et par réponses de saint Jean-Baptiste de la Salle, paru en 1703, et intitulé : Du Culte exterieur et public que les chretiens sont obligez de rendre a Dieu, et des moyens de le luy rendre 62 . Les deux premières parties : Des Exercices publics de la Religion chrétienne, et Des cérémonies qui se font dans les exercices publics de la Religion chrétienne, constituent un véritable petit rituel-cérémonial, accordant une place importante aux dispositions intérieures et aux

  Mathieu Beuvelet, Instructions sur le Manuel par forme de demandes et de reponses familières pour servir à ceux qui dans les Seminaires se preparent à l’administration des Sacremens, Lyon, A. Laurens, 1677, p. 205. Il va sans dire que cet ouvrage très développé de formation pastorale contient bien autre chose que ces passages un peu sourcilleux concernant les « dispositions extérieures ». Mais il eût été facile d’évoquer le « cérémonial grondé », à travers les morigénations de prédicateurs ou d’écrivains, pas forcément jansénistes, sur l’inguérissable mauvaise tenue des fidèles à l’église. 59   La manière de bien entendre la messe de paroisse faite par feu Messire François de Harlay, Archevesque de Roüen, imprimée de nouveau par l’ordre de Messire François de Harlay, Archevêque de Paris… pour servir d’instruction à ses Diocésains, Paris, F. Muguet, 1685. Cet ouvrage, écrit l’archevêque préfacier de la nouvelle édition, « entre dans le véritable esprit des ceremonies dont l’Eglise accompagne ce Mystere ». 60   Jean-Claude Dhotel, Les origines du catéchisme moderne d’après les premiers manuels imprimés en France, Paris, Aubier, Éditions Montaigne, (« Théologie », 71), 1967, p. 190-202. Sur le catéchisme romain, id., p. 82-96. 61   Catechismus ad Parochos, Pars II, « de Baptismi Sacramento », § 1. 62   Cahiers lasalliens, Textes, Études, Documents, 22, 1964, reproduction anastatique. Voir aussi : Yves Poutet, « Une méthode d’éducation chrétienne vers 1705 : saint Jean-Baptiste de la Salle, les enfants et la messe », dans Histoire de la messe, xviie-xixe siècles, J. de Viguerie (dir.), Université d’Angers, Centre de Recherches et d’Histoire religieuse et d’Histoire des idées, 1980, nouvelle éd., 1985, p. 95-113. 58

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dispositions extérieures, aux postures du corps et à l’accomplissement des actions corporelles. 3/ Avec les manuels et traités de civilité chrétienne, dont le plus connu est sans nul doute celui du même saint Jean-Baptiste de la Salle, nous saisissons comme une limite extrême du champ de dispersion de nos énoncés, du côté de l’école et l’éducation domestique, et, nous trouvons l’occasion de confronter de la sphère ecclésiastique à la sphère profane les conceptions et le lexique d’une bienséance que l’on veut chrétienne 63. Cérémonial raisonné La peritia d’un maître des cérémonies pouvait le faire s’estimer en droit de répondre aux questions quis, quid, ubi, quando, qui auraient plutôt relevé des rubriques. Les questions quomodo, quibus auxiliis volontiers auraient trouvé leur solution dans le cérémonial. Restait la question cur ? Car l’action sacrée est à tout le moins censée sensée, si l’on peut dire. La ratio qui la fonde relève à la fois d’un modus significandi, et d’un modus tradendi. Certes, la perspective « historique » ne deviendra que peu à peu critique, mais ce que l’on pourrait appeler le sentiment de l’antécédence en matière de rites n’est jamais absent, soit qu’on invoque la radicalité théologique du « Faites ceci en mémoire de moi », ou, à un niveau très subalterne, qu’on s’en tienne à l’assertion « qu’on a toujours ici fait de cette façon ». Toutefois, la perspective réformiste engagée par les travaux des Commissions qui préparaient les nouveaux livres romains, conformément aux orientations du concile, supposait non seulement une emendatio, mais une restitutio, laquelle supposait à son tour, une recherche concernant les états plus anciens des livres et des fonctions sacrées, comme l’exprimait avec une certaine satisfaction la Constitution Quo primum tempore du 29 juin 1570, en tête du nouveau Missale romanum. Par ailleurs, l’heure est à la controverse historique et patristique avec les protestants, et les noms de Bellarmin ou de Baronius figurent dans le cercle des savants amis de Gavantus. Ce dernier avait pu utiliser un ouvrage apprécié de Sixte-Quint, publié à Rome en 1591, après la mort de son auteur, Jean-Étienne Duranti, Premier président du Parlement de Toulouse : De Ritibus Ecclesiae catholicae Libri tres, plusieurs fois réédité par la suite. Duranti y faisait preuve d’une érudition patristique et canonique tout à fait remarquable, représentant une véritable entrée de la « positive » en matière de culte divin 64. Par contre, subsistait très fortement l’idée que les cérémonies étaient des scènes figuratives, à interpréter « mystiquement ». Gavantus, outre les causae historicae qui fondent

  Jean Pungier, « La civilité de Jean-Baptiste de la Salle, ses sources, son message, une première approche », Cahiers Lassaliens, Textes, Études, Documents, 58/1996, 59/1997, 60/2000. Dans un Traité de la civilité publié anonymement à Lyon, en 1681, au chapitre IV, « des choses saintes », on peut trouver aussi une sorte de petit rituel-cérémonial couvrant toutes les occasions d’actes religieux à la maison et à l’église (id., 58/1996, p. 233-234). 64   Jean-Étienne Duranti, De Ritibus Ecclesiae Libri tres, quinta et novissima editio, Lyon, P. Landry, 1606. Sur le développement de la « théologie positive » : Léopold Willaert, Après le concile de Trente, la Restauration catholique, I 1563-1648, (Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours, fondée par A. Fliche et V. Martin, 18), Paris, Bloud et Gay, 1960, p. 230-258. Jacques Le Brun, « Théologie et Spiritualité », dans Le xviie siècle, Diversité et cohérence, J. Truchet (dir.), Paris, Berger-Levrault, 1992, p. 213-221. 63

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les Rites dans une tradition porteuse qui en éclaire le sens et les fonctions, fait intervenir des causae mysticae : « eae, quae sensum reddunt, vel allegoricum, vel tropologicum, vel analogicum ». Il convient d’ajouter que cette herméneutique associationniste d’imagination et d’intuition pour laquelle, personnellement, nous n’arrivons pas à partager la déconsidération où l’ont tenue maints liturgistes contemporains du premier rang, trouvait un champ également privilégié dans l’étymologie et la richesse des appellations. Cette approche, qui avait trouvé une sorte d’expression classique et, si l’on peut dire en une telle matière, systématique, dans le Rationale Divinorum officiorum de Durand de Mende 65, se maintient très fortement durant tout le xviie siècle 66. C’est elle en effet qui peut-être convient le mieux à l’elocutio poétique et visionnaire qui est, par exemple, celle de Jean-Jacques Olier dans son Explication des cérémonies de la grand’messe de paroisse selon l’usage romain, laquelle, toutefois, à la différence du Rational de Durand, se révèle toute imprégnée de christologie bérullienne 67. Il ne peut pas être question ici de faire l’histoire des travaux et des études concernant le culte divin qui se multiplient au cours du xviie et du xviiie siècle, et dont l’ampleur et la qualité impressionne  68. Leur lien avec l’essor de la théologie positive est évident, mais les controverses et les réformes imposent aussi des explorations proprement « spéculatives » et canoniques. On voit ainsi se différencier des domaines tels que la recherche documentaire et philologique, la théologie spéculative et spirituelle, le terrain canonique de la pratique ecclésiastique, participant tous d’un intérêt actif pour le champ sacramentel et cérémoniel, comme lieu d’expérience et d’édification pour l’Église 69. On peut lire une convergence de ces domaines d’études vers une approche raisonnée et vraiment pénétrante des formes pratiques du culte divin et de cette articulation des savoirs dans l’ouvrage bien connu de l’oratorien Pierre Le Brun sur les Prières et cérémonies de la messe 70. Dans sa préface, Pierre

  Guillaume Durand, Rationale Divinorum Officiorum, I-IV, A. Davril et T. M. Thibodeau (éd.), Turhout, Brepols, Corpus Christianorum, Continuatio mediaevalis, CXL, 1995. 66   Dans une langue proche de celle de saint François de Sales, on peut lire dans la ligne de Guillaume Durand: Claude Villette, Les Raisons de l’Office et des Ceremonies qui se font en l’Eglise Catholique, Apostolique & Romaine, nouvelle édition, Rouen, Manassez de Preaulx, 1625 (1re éd. : 1611). 67   Jean-Jacques Olier (« Prestre, ancien Curé de la Paroisse du Fauxbourg S. Germain lez-Paris, Instituteur, Fondateur, & premier Superieur du Seminaire de S. Sulpice »), Explication des ceremonies de la grand’messe de paroisse selon l’usage romain, Paris, J. Langlois, 1687. (Approbations de 1657). 68   Sur ce point particulier, cf. dom Guy Marie Oury, « Les explications de la messe en France du xvie au xviiie siècles », dans Histoire de la messe, xviie-xixe siècles, op. cit., p. 81-93. On lira avec profit dans cet ouvrage les contributions proches de notre sujet de Charles Tesseyre, « L’Eucharistie et le concile de Trente », p. 27-35. Raymond Darricau, « La messe et le prêtre dans l’esprit de l’École française », Yves Poutet, « La méthode préconisée par saint Jean-Baptiste de La Salle pour faire suivre la messe aux enfants », p. 95-113, Jean de Viguerie, « La dévotion populaire à la messe dans la France des xviie et xviiie siècles. », p. 7-25. 69   Le développement de la science érudite dans les matières religieuses à la fin du xviie siècle et au début du xviiie bénéficie des travaux du regretté Bruno Neveu : Érudition et religion aux xviie et xviiie siècles, Paris, Albin Michel, 1994. Cécile Davy-Rigaux en a montré l’extension dans le domaine du culte divin et du chant ecclésiastique : C. Davy-Rigaux, Guillaume-Gabriel Nivers…, op. cit., p. 303-407. 70   Pierre Le Brun, Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la messe, suivant les anciens auteurs et les monuments de la plupart des Églises, Paris, Fl. Delaulne, 1716. On peut évidemment y joindre : Joannis Bona, Rerum liturgicarum Libri Duo (1670),Opera omnia, Anvers, J.-B. Verdussen, 1723. 65

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Le Brun fait apparaître en quelques lignes ce qu’ont pu être les difficultés rencontrées pour parvenir, vers la fin du siècle, à cette approche intelligente et avertie, des cérémonies du culte divin : il fallait repenser et établir l’origine et l’établissement des prières et cérémonies, et pour dépasser la difficulté d’en découvrir le sens, écarter les propositions des prétendus mystiques, et celles des prétendus littéraux. Cette intelligence nourrie de la doctrine des Pères, pourraient dès lors fonder une célébration juste, écartant toute extrémité vicieuse. On sait que dans sa critique des « prétendus littéraux », Le Brun s’en prend à Claude de Vert, pourfendeur sans doute excessif des interprétations allégoriques, et, quant à lui, moyennant une incontestable érudition, prônant une explication simple, littérale et historique, non dénuée de prosaïsme, voire d’un esprit un peu systématique et quelquefois puéril dans son érudition même, de démystification 71. Cérémonial représenté Le cérémonial est si l’on peut dire d’essence représentative. Son déploiement ostensif constitue une scène manifeste en vue d’une réception proprement religieuse. Mais les reproductions artistiques de scènes empruntées directement à la célébration du culte divin, mis à part les faits miraculeux attachés à la messe de saint Grégoire, ou à celle de saint Bruno, de saint Ignace (Rubens), où à la vie de quelque martyr, ne sont pas fréquentes. C’est moins le cas d’œuvres gravées représentant des tableaux de mœurs, ou des scènes cultuelles liées à des évènements d’importance. Nous ne retiendrons ici que des « représentations » de scènes cérémonielles directement liées à un projet ecclésiastique, catéchétique ou canonique, et plus à titre d’évocation que d’étude. Il est difficile de ne pas prêter attention aux illustrations du Pontifical et du Cérémonial des évêques reproduites presque à l’identique d’une édition à l’autre. Leur lecture reste évidemment difficile, autant, d’ailleurs, que la définition de leurs objectifs. Elles n’ont pas de portée prescriptive, et ont certainement dû très vite accuser leur âge, touchant l’allure des personnages, les vêtements, les décors. Deux éléments nous paraissent à retenir : le cadre spatial du Caeremoniale episcoporum et, pour une grande part celui du Pontificale romanum, est résolument curial, plutôt que capitulaire ; les personnages sont représentés comme graves, sans raideur, participant à la scène avec une certaine liberté. On a plutôt l’impression d’une allure aisée de personnages engagés dans une séance où l’on fait appel de leur part à une civilité de bonne et juste composition, ce qui n’exclut pas des moments de participation plus marquée, mais sans exagération ni insistance. La discrétion du magister ceremoniarum se devine. Des chantres se tiennent un peu en retrait, mais à peu de distance de la scène. L’exactitude des illustrations par rapport aux prescriptions rubricales mériterait sans doute d’être examinée de près, encore que l’ethos qui s’en dégage, compte tenu des conventions iconographiques, peut paraître plus significatif pour nous renseigner non pas tant sur les comportements réels que sur les habitus du regard dans la restitution des scènes (voir Planches fig. 1-15).

  Claude de Vert, Explication simple, littérale et historique des Cérémonies de l’Eglise, seconde édition mise en meilleur ordre par l’Auteur avant sa mort, 3 vol., Paris, Fl. Delaulme, 1709, 1710, 1713.

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L’allure du « nouveau clergé » pourrait se lire sur les statues des nouveaux saints, tels que saint Ignace et ses compagnons, saint Charles Borromée, saint François de Sales, sans parler des portraits gravés des célébrités ecclésiastiques du siècle, ou des saints Pères habillés et parés à la façon moderne 72. Nous retiendrons encore trois types de supports iconographiques pouvant être rapportés de manière très étroite à cet établissement visuel du cérémonial. Monsieur Olier, sur la fin de sa vie, à un moment où la formation du clergé à Saint-Sulpice commence à trouver ses repères et ses méthodes, en particulier par la place importante accordée à l’intelligence et à l’observations des « cérémonies » dans un spécial esprit de « religion », fit peindre un tableau représentant en son centre le prêtre à l’autel au moment de l’élévation, entouré de multiples personnages représentant tous les ordres de l’Église du ciel et de l’Église de la terre, et plus indistinctement, les « membres de l’Eglise » souffrante dans les flammes du Purgatoire. Il est sans doute important de noter l’aspect que l’on pourrait dire « schématique » de cette cérémonie sacrée entre toutes, dégagée de toute référence aux limites d’un édifice, et empruntant sa concision au cérémonial de la messe basse du prêtre avec le seul jeune servant agitant la clochette. La visée dogmatique et catéchétique est évidente, mais sa portée religieuse est précisément fondée sur la réserve de sens disponible dans une scène cérémonielle, qui n’instruit les fidèles que parce qu’elle instruit l’Église 73. C’est également le Ritus servandus de la messe basse qui apparaît suivi au plus près dans de petits ouvrages présentant à la suite 34 ou 35 scènes de la messe, depuis l’entrée du prêtre jusqu’à la bénédiction finale. Le Célébrant, paré avec la plus grande exactitude, est accompagné d’un ou deux petits servants, tantôt en habit de clercs, tantôt en habit laïque. Chaque scène de la messe renvoie à un épisode de la Passion, suivant une tradition bien établie parmi les « méthodes » destinées à suivre la messe 74. Le cérémonial scénographique du ritus servandus est ramené, révérence parler, à une sorte de sémaphore de gestes, d’attitudes et de positions qui, outre le repérage de l’ordre séquentiel des « arrêts sur image », et compte évidemment tenu des gestes proprement « rituels », peut être considéré comme

  On peut se rapporter pour se faire une simple idée de la chose aux illustrations et commentaires accompagnant : Bernard Dompnier, « L’institution ecclésiale », dans Le xviie siècle, diversité et cohérence, op. cit., p. 190-201, en particulier le saisissant tableau d’Antoine (ou Louis ?) Le Nain, représentant la procession d’entrée de ministres sacrés lors d’une messe pontificale (ibid., p. 190) (voir Planches, fig. 19 et 20). 73   [M. Faillon], Vie de Monsieur Olier, Fondateur du Séminaire de Saint-Sulpice, 4e éd., Paris, Poussielgue, Wattelier, 1873, t. 3, p. 176. La scène de l’Élévation de la messe représentée en frontispice de l’édition de 1726, de l’Explication du Père Pierre Le Brun, est celle d’une messe solennelle, sans référence aux âmes du Purgatoire. À l’époque contemporaine, le grand Catéchisme en images, de La Bonne Presse, reprendra la disposition de l’image conçue par M. Olier (voir Planches, fig. 16). 74   Cette allusion aux « méthodes pour suivre la messe » pourrait suggérer la rédaction d’un paragraphe qui concernerait le « cérémonial prié » (voir Planches, fig. 17-20, 28-31). Nous nous contentons de renvoyer à : Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France…, T. IX, « La vie chrétienne sous l’Ancien Régime », Paris, Bloud et Gay, 1938, p. 129-206. Voir aussi : Histoire de la messe, xviie-xixe siècles, op. cit. La mise en rapport des actions du prêtre à l’autel selon le Ritus servandus avec des événements de la vie du Christ rapportés par les Évangiles, n’est pas ignorée de Gavantus qui y consacre un chapitre, un peu égaré, à vrai dire, à la fin de la Pars II, au Titre XVI : Mystica expositio Missae secundum ordinem totius Vitae Christi, quam repraesentat. Merati n’en fait aucun commentaire. 72

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un sommaire schématique de presque tout le répertoire du corps célébrant et priant du prêtre catholique dans une sorte de miniaturisation qui en renforce l’aspect idéogrammatique, à la fois hiératique et familier 75. Signalons enfin que le « cérémonial représenté » trouve peut-être une de ses plus originales réalisations dans l’attitude et les gestes des bras ouverts de Dieu le Père présentant son Fils en croix en la haute partie centrale d’un grand nombre de retables, précisément au dessus de la place où le prêtre célébrant la messe, saluera les fidèles, bras ouverts, en leur faisant entendre le Dominus vobiscum 76 . Cérémonial débattu La pratique du cérémonial ne semble pas avoir en aucun temps donné lieu à ce qui pourrait s’appeler une « possession tranquille », mais à l’époque qui nous intéresse, bien en amont des débats qui porteront sur les pratiques, un débat plus fondamental est rendu aigu par la querelle avec les protestants sur la légitimité des médiations sacramentelles et des formes cultuelles, débat que nous avons vu rebondir avec la distinction entre éléments essentiels et éléments non essentiels, au point de rendre difficile à justifier l’existence de ces derniers autrement que par des arguments de convenance. Cette nature contentieuse du cérémonial est évidemment renforcée par la conjoncture réformiste. Le processus de réforme auquel la pratique du cérémonial est liée engage une pression, et suscite des résistances, comme on le voit de la part de certains chapitres ou communautés religieuses. Un premier domaine de débat, nous l’avons vu plus haut, apparaît avec l’ajustement des usages locaux par rapport aux directives qui se veulent de portée «  universelle  ». On verra par exemple débattre de l’interprétation, de l’extension et de l’application de la clause des deux cents ans d’antériorité, fondant pour certains usages une légitimité locale. Même débat pour ce qui concerne l’identification des laudabiles consuetudines, débat que les susceptibilités locales ne manquent pas quelquefois de rendre un peu sensible 77.

75   Un des premiers ouvrages gravés de ce genre, dont le frontispice représente le Christ au Jardin des Oliviers, entouré des instruments de la Passion, annonce : Le Tableau de la Croix représenté dans les ceremonies de la Ste messe ensemble le trésor de la dévotion aux soufrances de N. S. I. C. Le tout enrichi de belles figures, Paris, F. Mazot, 1651 (voir Planches, fig. 18-20). Les scènes de la Passion sont représentées dans un nimbe nuageux au dessus de l’autel où le Prêtre célèbre sa messe privée, assisté de deux enfants de chœur en culottes, bas, et surplis long. Sur certaines images l’un des deux tient un livre ouvert, ou un chapelet. Ils se tiennent sans raideur, semblant même se faire des signes l’un à l’autre. Un ange d’allure enfantine circule librement avec des mimiques dévotes et facétieuses et beaucoup d’intérêt pour l’instrumentaire des chandeliers. Les publications ultérieures garderont le même rapport entre scènes de la Passion et moments de la messe, mais changeront le décor, l’allure des protagonistes, et le texte des prières d’accompagnement. Il est remarquable qu’on puisse suivre presque jusqu’au milieu du xxe siècle la continuité de ces productions. 76   Michèle Ménard, Une histoire des mentalités religieuses aux xviie et xviiie siècles, Mille retables de l’Ancien diocèse du Mans, Paris, Beauchesne, 1980, p. 201-249. 77   L’Avertissement au lecteur dans [Lazaristes 1689] reconnaît qu’il est vrai « qu’il y a quelques endroits, où l’on n’a pû se conformer parfaitement au Ceremonial des évêques, comme on l’auroit bien desiré ; mais parce qu’il

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Une morale de la célébration Un deuxième domaine de débat porte cette fois sur l’accomplissement des actions en elles-mêmes, dans leur rapport de conformité (on disait « d’exactitude », ce qui pour des contemporains de Descartes n’est pas sans portée) au modèle prescrit. Une première question agitait en amont les théologiens et les canonistes. Elle portait sur le point où s’originait et se fondait la prescription, et l’obligation en conscience : était-ce sur la rubrique, en tant que prescrite et prescrivante, sollicitant une obéissance religieuse indépendante en quelque façon de son contenu (prescription d’observance) ; était-ce sur l’ipsa actio, dont la force prescriptive se soutenait dès lors de sa signification, et de son intégration à la célébration accomplie des saints mystères. Des auteurs graves en ont débattu, mais on sent chez beaucoup l’hésitation à provoquer un quelconque amoindrissement de l’autorité de la rubrique. Les questions et les « doutes » les plus significatifs avaient été rassemblés dans le Missel de 1570, au chapitre de defectibus pour ce qui concernait la célébration de la messe. Dans ce texte, à vrai dire sans réelle nouveauté par rapport à ce que l’on pouvait lire dans le Décret ou dans la Tertia Pars de la Somme Théologique (Q. 23, Art. 6), il est question avant tout des opérations nécessaires à l’intégrité de l’action sacramentelle, et des conduites à tenir s’il survient quelque évènement pouvant la mettre en défaut. À cette problématique, qui est d’abord une sorte de casuistique opérationnelle, quoique mettant en jeu des données psychologiques aussi importantes que celle de l’intention du ministre, s’ajoute une sorte de lourde cotation morale, évaluant les manquements en terme de culpa ou de peccatum, dans une matière considérée dans sa généralité comme grave, et requérant des positions tutioristes, ou, à tout le moins probabilioristes. Par là, on le devine, ne manque pas de s’introduire une casuistique cette fois vraiment morale, dont on sait la tendance à se développer de manière autonome, et presque abstraite, en dépit de son point de départ foncièrement pragmatique. Ainsi, Gavantus (I, Pars III, Tit. XI) considère comme bien établie à son époque, chez les Théologiens et les Sommistes, la distinction entre rubricae praeceptivae et rubricae directivae, mais fait état de débats portant, comme on s’en doute, sur l’application même de cette distinction, redoutablement liée à celle de levis aut lethalis culpa. Casuistique cérémonielle De manière moins transcendante, il est vrai, beaucoup de questions se posaient qui portaient sur l’interprétation de certaines rubriques, sur des lacunes éventuelles de certains énoncés, sur des divergences décelées entre les livres autorisés, et sur la manière d’exécuter certaines actions individuelles ou collectives. On devine que les interprétations pouvaient varier, de même que les solutions pratiques observables dans les sanctuaires de poids. On

n’est pas en usage en ces endroits — là, les plus Intelligens estiment qu’il est à propos de suivre en cela la coutûme louable des païs où l’on se trouve, puisqu’aussi bien le meme Ceremonial permet de la suivre quelquefois, pour éviter les singularitez qui peuvent donner sujet de murmure au peuple. »

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voit donc se développer une sorte de casuistique étendue et que l’on pourrait dire plus « technique », dans laquelle interviennent les auteurs graves (Gavantus, Quarti, Arnaud, Bauldry, parmi les plus cités avant 1660). Outre l’appréciation de la gravité de la matière, et de la force prescriptive de la rubrique, les auteurs s’appuient le plus souvent sur trois sortes de considérations : 1/ le sens proprement religieux de l’ipsa actio, relayé par une sorte de logique rubricale, que les Lazaristes du Manuel désignent du terme de méthode, 2/  la commodité d’exécution, 3/ la bienséance teintée de modestie et de gravité exigée dans la manifestation du culte divin, avec l’évitement de ce qui pourrait provoquer étonnement ou scandale. Dans une sorte de retractatio placée en tête de la deuxième édition du Manuel, les rédacteurs évoquent trois types de difficultés qui ont suscité des interrogations et des « doutes ». Ces trois types donnent une assez bonne idée des catégories de doutes rencontrés et jugés dignes d’être retenus par les periti : le premier concerne une attitude corporelle (« en faisant la génuflexion on panche un peu la teste et les épaules d’une même action sans courber le corps »), le second évoque les conséquences de la concurrence en un même jour d’un office férial et d’une Octave sur la détermination d’un texte à lire, le troisième porte sur la détermination de la couleur des ornements des divers officiers, lors d’une messe devant le Saint-Sacrement exposé. Cette approche « méthodique » du cérémonial se distingue, on le voit, par son côté analytique, voire atomistique. Caractéristique que l’on retrouve, comme on le sait, et non sans virtuosité intellectuelle, dans la méthodologie casuistique. Une piété cérémonielle Si l’on porte l’attention vers la vie quotidienne des prêtres et la manifestation de leur ministère cultuel au sein des populations paroissiales, on peut penser que c’est sans doute l’exercice effectif du Ritus servandus qui, une fois exclue toute forme de célébration désinvolte ou irrévérencieuse, a posé de manière pratique et quotidienne la possibilité d’articuler l’exactitude d’une célébration religieusement conforme, sacramentellement efficace, liée à la juste confection des signes sacrés, et le taux minimal, ou, mieux, optimal, de dévotion protégeant de la routine, en évitant toutefois les excès que pourrait apporter une humeur peu réglée, potentiellement troublante, risquant de déborder l’exercice du rite lui-même. On a pu voir dans l’excès de la pression rubricale une sorte d’étouffoir, lié au contrôle têtu de la totalité du parcours cérémoniel, à son morcellement analytique, à son lourd investissement en terme de culpabilité, sans parler d’une institution ecclésiastique se donnant au moyen des choses du sanctuaire une sorte d’espace protégé, garantissant à des prêtres mieux formés et incontestablement dignes d’estime, un recours, voire un refuge, entre la trivialité du quotidien et les vertiges du rationalisme incroyant des élites  78. Mais il est difficile de nier qu’il y ait eu une piété proprement cérémonielle, découvrant dans l’accomplissement heureux des « cérémonies » un chemin qui mène à une zone sensible de la Religion et du sentiment religieux. L’assentiment le plus inattendu viendra peut-être de Jean-Jacques Rousseau, au plus fort de la critique sarcastique du cérémonial et de la « superstition », issue des Lumières. Assailli de doutes, mais dévoué à ses paroissiens, le vicaire savoyard met une sorte de respect   Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975 (Bibliothèque des Histoires).

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redoublé dans l’accomplissement des saints Mystères. Le cérémonial à la fois le préserve et l’engage. La poétique du rite atteint en quelque part de l’âme une sensibilité dont l’écrivain tire un véritable poème en prose, un des plus beaux éloges du cérémonial. Jean-Yves Hameline Institut catholique de Paris

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Partie I

Histoire, sources, typologies

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Les cérémoniaux manuscrits à la fin du Moyen Âge Le cérémonial est un livre qui décrit avec plus de précisions que l’ordinaire le déroulement des rites tout au long de l’année liturgique et dans les circonstances exceptionnelles de la vie conventuelle, le rôle qu’y jouent chacun des acteurs avec leur vêtement, leurs gestes, leurs attitudes, les déplacements qu’ils doivent effectuer, l’ordre des processions et des cortèges, en un mot les cérémonies. Mais à la différence des ordinaires, le cérémonial ne détermine pas les lectures, prières et chants qui, au long des jours, incombent à ces divers acteurs et à l’ensemble de la communauté canoniale, monastique ou conventuelle. C’est cette absence d’indication des textes qui caractérise surtout le cérémonial, celui-ci supposant donc que l’on possède par ailleurs un ordinaire, ou bien que les livres liturgiques que l’on utilise donnent ces textes in extenso et à la suite, sans que l’on ait à les rechercher 1.

Le mérite majeur de cette caractérisation du cérémonial par Mgr Martimort est sa souplesse, qui permet de réunir sous une même désignation un ensemble de livres hétéroclites, certes apparentés, mais très variés de forme et de contenu. Plus restrictive, elle rejetterait hors de ce corpus des manuscrits que l’usage a accoutumé depuis longtemps de nommer cérémoniaux. Le pivot de la définition est l’opposition à l’ordinaire : car si ce dernier contient fréquemment la description de cérémonies, sa nécessité première est de fournir l’incipit des textes (oraisons, chants et lectures) pour tout ou partie des offices, messes et processions de l’année. L’ordinaire pallie ainsi les difficultés naissant de la multiplicité des livres liturgiques dans un chapitre ou une abbaye, de l’économie de la copie, qui dissuade le scribe de reproduire pour une nouvelle occurrence un texte déjà présent dans le même manuscrit, et de l’absence de renvois d’un livre à l’autre. Cette fonction est en effet absente des cérémoniaux ; mais, et on le verra à la fin de cet article, la distinction entre cérémonial et ordinaire n’a clairement prévalu dans les ordres et congrégations régulières qu’à la fin du Moyen Âge. Par ailleurs, les titres portés sur les manuscrits sont de peu de secours. Liber ceremonialis, Ceremoniale, Ceremoniarium, Liber ceremoniarum peuvent couvrir ce que l’on identifierait aujourd’hui comme des rituels, des ordinaires, des coutumiers ou des pontificaux. Les bibliothécaires des xviie et xviiie siècles ont été fort généreux de ces termes pour intituler des manuscrits ne répondant pas à la classification déjà plus rigoureuse des livres liturgiques à l’époque moderne. Et le plus souvent, ces formulations sont passées telles quelles dans les catalogues postérieurs, compliquant d’autant leur dépouillement.   Aimé-Georges Martimort, Les «  Ordines  », les ordinaires et les cérémoniaux, Turnhout, Brepols, 1991 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fasc. 56), p. 89.

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Pareil flottement provient de l’acception très large des termes d’ordo, ceremonia, consuetudo, usus, ritus, dont découlent ceux d’ordinaire, de cérémonial, de coutumier, de liber usuum et de rituel. Cérémonie, coutume, usage ou rite recoupent souvent les mêmes réalités. La stricte ségrégation que nous faisons aujourd’hui entre ce qui est cultuel ou non ne vaut pas pour le Moyen Âge, et ces quatre termes servent également à caractériser le déroulement d’un sacrement d’extrême-onction et des funérailles, celui d’une messe dominicale, de l’élection d’un pape, un programme de lectures au réfectoire, l’office d’une fête, la distribution de livres au début du carême, etc. La connotation cultuelle est plus forte pour ritus, moindre pour consuetudo, usus et ceremonia. Mais tous peuvent être l’objet d’un ordo, description d’une action liturgique ou non, contenant ou non les incipit ou les textes complets nécessaires à sa célébration. C’est d’ailleurs sous cette forme d’ordines, isolés ou assemblés en recueils, qu’ont été rédigées, dès le Haut Moyen Âge, les premières descriptions de rites que ne contenaient pas les livres de la messe et de l’office : les Ordines romani 2. Ces petits « guides » autonomes constituèrent le matériau original à partir duquel furent ensuite élaborés les livres de rites et de prescriptions, dont les cérémoniaux sont un des ultimes rejetons. La confusion entretenue par ces différents termes explique la prudence montrée par Mgr Martimort dans sa caractérisation du cérémonial. En réserver ou en refuser le nom à tel ou tel manuscrit sur des critères anachroniques serait parfaitement vain. Il m’a semblé plus pertinent d’examiner les différents types de textes susceptibles d’entrer dans le cadre assez large de cette définition. Comme pour tout autre livre liturgique, c’est l’identification des diverses exigences auxquelles ils répondent qui permet de procéder à des regroupements. Trois principaux besoins ont abouti à la rédaction de cérémoniaux : la codification et la mémoire des cérémonies auxquelles participent le pape et les membres de la Curie ; la commodité de posséder dans un livre particulier les prescriptions et les textes pour la célébration de fêtes ou de rites spéciaux ; enfin, les tentatives de congrégations régulières pour coordonner le culte et la vie religieuse de leurs maisons.

Le cérémonial papal Bien connus désormais grâce aux travaux de Marc Dykmans et de Bernhard Schimmelpfennig  3, les cérémoniaux de la chapelle et de la cour du pape présentent une certaine ressemblance avec les Ordines romani. Ils ne font pas l’effet de codes exhaustifs et rigoureusement bâtis ; mais plutôt celui de recueils d’indications variées, dont la destination

  Les plus anciens de ces Ordines romani ont été édités par Michel Andrieu : Les Ordines romani du haut moyen âge, Louvain, 1931-1961 (Spicilegium sacrum Lovaniense, 11, 23, 24, 28, 29). Les recueils où ils sont compilés n’entrent pas dans le propos du présent article, consacré à la fin de la période médiévale. Pour leur bibliographie cf. A.-G. Martimort, op. cit., p. 20-45. 3   Marc Dyckmans, Le cérémonial papal de la fin du Moyen Âge à la Renaissance, Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, 1977-1985 (Bibliothèque de l’Institut historique belge de Rome, 24-27), 4 t. ; Bernhard Schimmelpfennig, Die Zeremonienbücher der römischen Kurie im Mittelalter, Tübingen, Niemeyer, 1973 (Bibliothek des deutschen historischen Institut in Rom, 40). 2

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n’est pas purement cultuelle. Leur objet est de fixer « l’étiquette » régissant la Curie et le rôle de ses membres : on peut donc y trouver des précisions tant sur les messes célébrées par un cardinal que sur le déroulement des conclaves ou du dîner suivant l’élection d’un nouveau pape. Ce ne sont pas pour autant des compilations informes. À partir du dernier tiers du xiiie siècle, les usages de la cour romaine ne sont plus notés en plusieurs ordines séparés 4 , mais structurés par un plan d’ensemble dans des traités plus étoffés : on peut dès lors parler de cérémoniaux. Il paraît indispensable toutefois de bien distinguer entre un texte identifié comme un cérémonial papal et le livre liturgique qui le contient. Le « Cérémonial de Grégoire X », celui du « cardinal évêque » de Latino Malabranca, le « Cérémonial cardinalice », celui « de Stefaneschi », etc., sont le fruit d’un patient et admirable effort de critique textuelle et historique pour retrouver les archétypes de textes tronqués, continuellement modifiés et noyés au milieu d’autres pièces. Mais dans les manuscrits eux-mêmes, ils sont rares, sinon inexistants sous la forme que leur restitue l’édition. Par exemple, le «  Cérémonial de Grégoire X » publié par M. Dykmans n’est complet que dans un seul des treize manuscrits collationnés (Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms. 526, f° 89-119v°). Qui plus est, il y est accolé à plusieurs ordines et documents antérieurs ou postérieurs, mais copiés par la même main : il n’y a nulle raison d’abstraire ces derniers du « cérémonial-livre ». Dans les autres témoins apparaît soit le texte réduit à sa première partie, soit augmenté par l’ajout d’un Ordo romanus ; parfois contaminé par des cérémoniaux plus tardifs, plus souvent encore inséré au milieu d’eux 5. Difficile donc d’affiner la typologie du « cérémonial-livre » quand il peut joindre et mêler ainsi diverses traditions textuelles concurrentes. En tel cas, le choix des matières traitées n’aide pas forcément à déterminer la qualité du destinataire. De même, la réunion de divers « cérémoniaux-textes » dans un même livre peut aussi être l’œuvre d’un érudit et non la commande d’un personnage participant aux usages de la Curie. Ce qui n’empêche pas les livres eux-mêmes d’avoir leur tradition propre, quand appendices et notes marginales portées sur un manuscrit sont insérés dans les nouvelles copies ; mais il n’existe pas de forme structurée qu’on puisse proposer comme modèle à leur identification. Seule l’analyse du contenu et des cérémonies décrites permet de caractériser le « cérémonial-livre ». C’est avec la même prudence qu’il faut évoquer le cérémonial épiscopal, établi principalement à partir du «  cérémonial du cardinal-évêque  » de Latino Malabranca et d’un ordo de la messe épiscopale que Guillaume Durand l’Ancien avait introduit dans son pontifical  6. Les rites

  Certains de ces ordines antérieurs ont pu continuer à apparaître isolément dans les manuscrits, quoiqu’intégrés par ailleurs aux cérémoniaux. C’est notamment le cas des ordines du couronnement impérial étudiés par Reinhard Elze, Die Ordines für die Weihe und Krönung des Kaisers und der Kaiserin, Hannovre, Hahnsche, 1960 (Fontes juris Germani antiqui in usum scholarum ex Monumentis Germaniae Historicis separatim editi, IX). 5   M. Dykmans, op. cit., t. I, p. 40-58. 6   Chap. 18, dans Michel Andrieu, Le Pontifical de Guillaume Durand, Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 1973 (Studi e testi, 88 ; Le Pontifical romain au Moyen Âge, 3), p. 631-662. 4

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propres aux cardinaux-évêques pouvaient en effet être aisément adaptés à tous les évêques 7. Le cérémonial papal parvient au dernier stade de son évolution au xve siècle, au moment où il subit la concurrence d’un autre type de documents : les diaires. À partir de 1406 avec François de Conzié, les maîtres des cérémonies commencent à consigner au jour le jour le protocole, les incidents et circonstances de la vie publique à la Curie, y compris réceptions, cortèges et voyages. Les diaires constituent une sorte de jurisprudence de l’étiquette curiale. Parallèlement, les cérémoniaux continuèrent d’enregistrer les usages en formation. Ils prirent au xve siècle la physionomie qu’ils gardèrent pendant les siècles suivants et furent imprimés dès 1516.

Les cérémoniaux hybrides On ne peut faire abstraction d’une seconde série de manuscrits souvent intitulés cérémoniaux dans les catalogues, et susceptibles de correspondre à la définition de Mgr Martimort, à ceci près qu’ils reproduisent partie ou totalité des textes nécessaires aux cérémonies. Celles qui y sont traitées sont de nature à les apparenter aux rituels et aux pontificaux 8. Par exemple, le ms. 189 de la bibliothèque municipale d’Amiens, de la première moitié du xvie siècle, tient du cérémonial par la description des rites, du rituel par la présence des deux premiers ordines de profession monastique et d’extrême-onction, et du processionnal à cause des répons copiés et notés dans la dernière partie du volume 9 : f° 1-6 : Ordo de profession monastique bénédictin. f° 7-36v° : Ordo d’extrême-onction et de funérailles. f° 37-38v° : Ordo pour la réception de l’évêque du lieu, d’un archevêque, d’un légat du siège apostolique, du roi ou du pape. f° 39-43v° : Ordo pour la bénédiction des cierges lors de la fête de la Purification de la Vierge. f° 43v°-44v° : Ordo du mercredi des Cendres. f° 44v°-50 : Ordo de la bénédiction des Rameaux.

7   L’un de ces cérémoniaux épiscopaux, le Pontificalis ordinis liber, a été la principale source d’inspiration du Caeremoniale episcoporum publié sur ordre de Clément VIII. Cf. A.-G. Martimort, op. cit., p. 109. 8   L’occasion de consulter bon nombre des manuscrits évoqués dans la suite de cet article m’a été donnée par les recherches préparatoires à la publication en 2008 d’un nouveau catalogue : Pascal Collomb, Jean-Baptiste Lebigue et Olivier Legendre, Catalogue des ordinaires des bibliothèques publiques de France. Je tiens donc à témoigner ma gratitude à Éric Palazzo pour m’avoir fait profiter du résultat du recensement qu’il a mené à l’Institut de recherche et d’histoire des textes entre 1992 et 1999 et qui est la base de ce futur ouvrage. 9   Une partie des manuscrits cités à partir d’ici dans le présent article ont fait l’objet de notices détaillées dans Jean-Baptiste Lebigue et Benjamin Suc, Catalogue de manuscrits liturgiques médiévaux et modernes, Orléans, Institut de recherche et d’histoire des textes, 2006 (Ædilis, Publications scientifiques 7), accessible en ligne à l’adresse suivante : http://www.cn-telma/liturgie/.

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f° 50-63v° : Ordo du lavement des pieds du Jeudi saint, lecture de la Passion, adoration de la croix, bénédiction du feu lors de la vigile de Pâques. f° 63v°-65 : Répons de procession pour l’Ascension. f° 65-67 : Répons de procession pour la Fête-Dieu. f° 67-68v° : Répons de procession pour la Visitation de la Vierge. f° 68v°-70 : Répons de procession pour l’Assomption de la Vierge. f° 70-71v° : Répons de procession pour la fête de la dédicace. f° 72-73v° : Répons de procession pour la paix ou pour obtenir la victoire. f° 74-75v° : Bénédictions de matines. Un autre manuscrit, contemporain de ce dernier (Paris, BnF, ms. latin 15618), contient les rubriques explicatives, les chants, copiés in extenso (et même les intonations des psaumes), pour la consécration et la re-consécration d’une église (f°  3-67v°), la bénédiction d’un cimetière (f° 68-79), la réconciliation d’une église et d’un cimetière (f° 79-90v°) ou d’un cimetière seul (f° 90v°-93v°) et la bénédiction d’une cloche (f° 94-104). Si tous ces rites réclament la présence d’un évêque, ce n’est pas à lui qu’est destiné ce livre : les oraisons et les bénédictions qu’il doit prononcer ne sont signalées que par leurs incipit. On a là une sorte de manuscrit complémentaire destiné au chantre et au cérémoniaire, rassemblant des pièces liturgiques et des indications qu’on s’attendrait à trouver, pour les premières, dans un antiphonaire et, pour les autres, dans un pontifical. Les assemblages les plus variés prolifèrent à l’époque moderne et jusqu’au début du xviiie siècle. L’avènement de l’imprimerie n’a pas entravé la copie manuscrite. Les rubriques détaillées évoquent celles de cérémoniaux, mais les livres de ce type ont été rédigés à une fin plus précise : réunir, à l’intention d’un ministre particulier, toutes les indications et les textes nécessaires à certaines cérémonies, en lui évitant de recourir à plusieurs autres livres. Ils tirent leur origine des libelli rituels 10, nombreux au Moyen Âge, employés non seulement pour dispenser des sacrements (baptême, extrême-onction et funérailles, pénitence, etc.), mais aussi pour assurer des cérémonies propres ou absentes des livres liturgiques les plus courants  11 : messes votives, chants propres d’une fête, consécration des fonts, profession monastique, etc. Ils font aussi penser à ces ordines « volants », dont peu ont été conservés, et qui devaient pallier l’insuffisance de prescriptions dans les autres livres liturgiques en certaines circonstances particulières. On n’en donnera comme exemple tardif que ces feuillets, datables pour deux d’entre eux de la fin du xve siècle, précisant le déroulement et

  On ne peut user véritablement du substantif « rituel » que pour les exemplaires imprimés après le concile de Trente, lorsque le rituel se spécialise pour devenir le livre des rites et sacrements dispensés par le prêtre, par opposition au pontifical destiné au seul évêque. Cf. Éric Palazzo, Histoire des livres liturgiques. Le Moyen Âge, des origines au xiiie siècle, Paris, Beauchesne, 1993, p. 197, 200. 11   À la fin du Moyen Âge, il semble que l’utilisation des libelli pour la diffusion des textes d’une ou plusieurs fêtes particulières ait presque disparu, alors qu’elle a joué un rôle déterminant jusqu’au xiiie siècle. Cf. Éric Palazzo, « Le rôle des libelli dans la pratique liturgique du Haut Moyen Âge : histoire et typologie », Revue Mabillon, nouv. série t. I (1990), p. 22-25. Ensuite, leur rédaction semble plutôt répondre à des facilités pratiques, sachant que missels, bréviaires, pontificaux, ordines, rituales et processionnaux pourvoyaient déjà à la plupart des besoins. 10

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reproduisant les chants et les oraisons d’un chapitre provincial, probablement celui des célestins de la province de France 12. La confusion des genres, qui a fait désigner ces livres de nature composite par le terme de cérémonial, s’est prolongée fort tard à l’époque moderne. Un ordo rituel du xviie siècle à l’abbaye du Paraclet, pour la prise d’habit et la profession des religieuses et des sœurs converses, a reçu, de la même main que le texte, le titre de cérémonial bénédictin 13. Même si la nature de ces manuscrits les rapproche davantage d’ordines rituels ou de pontificaux, la présence d’indications précises sur le déroulement des actions liturgiques empêche de leur dénier tout à fait l’appellation de cérémonial.

Le cérémonial et les livres de la législation conventuelle à partir du xiie siècle Face au cérémonial papal et à ces compositions hybrides, une troisième catégorie de livres peut entrer dans la définition de Mgr Martimort. Il s’agit des cérémoniaux des monastères des observances de Bursfeld et de Chezal-Benoît, rédigés dans la seconde moitié du xve siècle. Le choix des matières, purement liturgiques, et leur traitement méthodique en font des synthèses organisées, où l’agencement du texte n’est plus fondé sur l’exemplarité des cérémonies décrites, mais sur le traitement en série des éléments qui les composent. Si ces deux cérémoniaux semblent isolés au Moyen Âge et appartenir plutôt aux créations de l’époque moderne, ils sont en réalité l’ultime et non l’unique solution adoptée par les ordres monastiques et réguliers pour consigner les usages, cultuels ou non, de la vie religieuse dans leurs établissements. Le cérémonial n’a en effet pas d’ancêtre parmi les livres de prescriptions des communautés séculières. Cela tient à des nécessités différentes. Celles d’un chapitre séculier, de collégiale ou de cathédrale, se limitent à indiquer des oraisons, chants et lectures de la messe, de l’office et des processions, à décrire la préparation, les intervenants et le déroulement des cérémonies et à conserver la mémoire de particularismes locaux. Autant de besoins auxquels répond exactement un ordinaire doté de quelques rubriques générales. Les rares éléments concernant des usages non cultuels (synode, jeûnes, repas et collations, circulation dans l’église et le cloître, etc.) peuvent s’y intégrer en n’y occupant qu’une place mineure. Certaines congrégations monastiques ou régulières, comme les moines de Saint-Denis ou les chanoines de Toussaint d’Angers, ont pu faire aussi le choix d’un ordinaire 14. Mais bon nombre des grands ordres ont procédé autrement. Les exigences auxquelles ils étaient   Paris, Bibl. Mazarine, ms. 4311, pièces n° 21-23.   Paris, BnF, ms. latin 10532, f. [A] : « Cérémonial bénédictin pour les vestures et professions des religieuses du royal et célèbre monastère du Paraclet ». 14   On possède pour l’ordinaire de Saint-Denis, inexactement intitulé « cérémonial » au xviiie siècle dans ses deux témoins les plus anciens, la remarquable édition de Edward B. Foley, The First Ordinary of the Royal Abbey of Saint-Denis in France, Fribourg, The University Press, 1990 (Spicilegium Friburgense, 32). Pour celui de Toussaint d’Angers, cf. Angers, bibl. mun., ms. 86. 12 13

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confrontés diffèrent de celles d’un chapitre séculier. Pour eux, la sauvegarde de particularismes locaux est un souci secondaire ou inexistant, voire un danger à combattre. L’indication des oraisons, des chants et des lectures, quand ils disposent de livres liturgiques « étalonnés » par l’Ordre et conservent une pratique communautaire des offices et de la messe conventuelle, n’est pas indispensable. En revanche, il leur faut édicter des normes permettant d’administrer et d’organiser la vie quotidienne dans les établissements, décrire le rôle, le vêtement, les gestes et l’attitude de leurs membres, et pas seulement des acteurs du culte, normaliser le choix de certains chants, oraisons ou lectures pour quelques occasions où les livres liturgiques classiques se montrent insuffisants et, éventuellement, rassembler les décisions justificatives (statuts et définitions) des chapitres généraux ou provinciaux sur ces différents points. Les bénédictins des observances de Bursfeld et de Chezal-Benoît ont répondu à ces besoins en distinguant nettement entre les matières cultuelles et les autres. Les premières ont fait l’objet d’un cérémonial, les secondes d’un recueil de statuts organisé, en fait un véritable coutumier, dépourvu de toute prescription liturgique. Souvent, ces deux éléments sont intégrés dans un même volume, mais en constituent les deux sections distinctes. C’est le cas dans le plus ancien témoin subsistant du cérémonial de Bursfeld 15, le ms. latin 13925 de la Bibliothèque nationale de France, daté de Saint-Adalbert d’Egmont en 1502  16, mais aussi dans son édition incunable imprimée à Marienthal et dans celle de 1528-1529  17. On retrouve une disposition semblable avec le cérémonial de Chezal-Benoît, accolé également aux statuts dans le ms. latin 13322 de la Bibliothèque nationale de France 18. En fait, ces deux textes assemblés forment un tout et sont issus de la refonte raisonnée de l’organisation de la vie religieuse dans son entier. C’est par cette vision d’ensemble que ces cérémoniaux et statuts accouplés s’apparentent aux libri usuum, coutumiers, libri ordinis, statuts et prétendus ordinaires des congrégations monastiques et régulières des siècles antérieurs : comme ces derniers, ils tentent d’apporter une réponse globale à tous les aspects de la vie religieuse. C’est leur répartition, sur un critère strictement cultuel, qui constitue leur vraie nouveauté. Les tentatives antérieures sont souvent fondées, en effet, sur la rédaction de plusieurs livres distincts, mais complémentaires et parfois redondants. Les coutumiers, l’ordinaire et les statuts de Prémontré, édités par Pl. F. Lefèvre  19, sont le fruit d’une même législation. Tous traitent de matières cultuelles, y compris le recueil de statuts. Quant à l’ordinaire, il

15   Dans les divers exemplaires, manuscrits ou imprimés, contenant le cérémonial et les statuts de Bursfeld, le premier est intitulé ordinarium divinorum, alors que les seconds sont produits sous le titre de ceremoniae. Ce qui n’ôte rien à l’identification de la première partie comme cérémonial, mais donne un nouveau témoignage de la confusion qui demeurait encore entre les termes de cérémonie, ordo et coutume. 16   Charles Samaran et Robert Marichal, Catalogue des manuscrits en écriture latine portant des indications de date, de lieu ou de copiste, t. III, Paris, CNRS, 1974, p. 349. 17   Aimé-Georges Martimort, La documentation liturgique de dom Edmond Martène, Vatican, Biblioteca apostolica Vaticana, 1978 (Studi e testi, 279), p. 561. 18   Ibid., p. 563. 19   L’ordinaire de Prémontré d’après les manuscrits du xiie et du xiiie siècle, Louvain, 1941 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, fasc. 27) ; Les statuts de Prémontré réformés sur les ordres de Grégoire IX et d’Innocent IV au xiiie siècle, Louvain, 46 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, fasc. 23) ; Coutumiers

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ne saurait être comparé à celui d’une communauté séculière : sur 71 chapitres, seuls 42 sont consacrés aux offices et aux messes du temporal et du sanctoral (chap. 16-58), sans que tous les incipit des pièces nécessaires à leur célébration soient toujours cités. Le reste est constitué de prescriptions générales  : tenue des chanoines à l’église, ornementation de l’autel, luminaires, vêtements liturgiques, description des messes matutinale et conventuelle ordinaires, des processions des dimanches et fêtes, degré et caractère de la solennisation des fêtes, offices et messes pour les défunts, donc autant de chapitres qui pourraient figurer tels quels dans un cérémonial. Aucune « recette » n’a prévalu au Moyen Âge. Moins marqués que les précédents par l’héritage cistercien, les chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris ont établi, au plus tard au début du xiiie siècle, la version définitive de leur Liber ordinis 20, assimilable à un coutumier, ainsi qu’un ordinaire  21. Ce dernier est plus proche d’un ordinaire séculier que celui des prémontrés, par le soin donné à fournir les incipit d’oraisons, lectures et chants, et par son plan strictement calqué sur le déroulement du temporal et du sanctoral  22 ; il ne contient presque aucune rubrique générale ; il est de plus dénué de toute indication étrangère à la stricte célébration des messes et des offices. Pourtant, en annexe aux ordinaires de SaintVictor de Paris, on trouve un assemblage assez désordonné de prescriptions, traitant pêlemêle des processions, du jeûne quadragésimal, de la célébration des anniversaires des défunts, ou encore du soin à donner au linge d’autel, ces prescriptions ne figurant pas, pour la plupart, dans le Liber ordinis, qui contient pourtant de nombreux développements touchant au culte. Il se peut que cet appendice, qui a aussi circulé indépendamment de l’ordinaire 23, soit la compilation de statuts réglant des questions liturgiques ou approchantes, non retenus dans le Liber ordinis et peut-être accumulés au fil des décisions successives prises par le chapitre général : l’implication locale de certaines indications, notamment celles sur les stations que les processions parisiennes font à l’église abbatiale de Saint-Victor, explique peut-être qu’on les ait consignées hors du coutumier de l’ordre. Bien d’autres entreprises ont vu le jour pendant la fin du Moyen Âge. Une des moins heureuses est un « Breve » de Saint-Germain-des-Prés composé en 1395 (v. st.) sous la direction de l’abbé Guillaume l’Évêque (Paris, BnF, ms. latin 12087) 24. Celui-ci se proposait, d’après le

liturgiques de Prémontré, du xiie et du xive siècle, Louvain, 1953 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, fasc. 27). 20   On doit à Luc Jocqué et Louis Milis l’édition critique du Liber ordinis Sancti Victoris Parisiensis, Turnhout, Brepols, 1984 (Corpus Christianorum, continuatio medievalis, 61). 21   La liste la plus complète des ordinaires victorins manuscrits a été donnée par Luc Jocqué, « Les structures de la population claustrale dans l’ordre de Saint-Victor au xiie siècle : un essai d’analyse du Liber ordinis », dans L’abbaye parisienne de Saint-Victor au Moyen Âge, J. Longère (éd.), Turnhout, Brepols, 1991 (Bibliotheca victorina, 1), p. 56, note n° 6. 22   Ce choix d’un ordinaire « strict » tient peut-être au fait que le sanctoral victorin contient davantage de fêtes propres qu’à Prémontré, exigeant donc plus d’indications sur le choix des pièces liturgiques. 23   Il apparaît sous forme indépendante, relié à un diurnal de Saint-Victor de Paris, dans le ms. latin 14810 de la BnF, f° 4-11v. 24   Contrairement aux conclusions du Catalogue des manuscrits en écriture latine... (Ch. Samaran et R. Marichal, op. cit., t. III, p. 647), l’édition en cours du Breve de Saint-Germain-des-Prés révèle que la copie originale de

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prologue  25, de rassembler dans un unique ouvrage toutes les prescriptions et décisions (observancias, ordinationes et statuta) applicables aux cérémonies cultuelles comme à la vie conventuelle, et de faire ainsi la synthèse des statuts antérieurs (ab antiquis dicti monasterii registris approbatis). Le résultat pèche par l’éparpillement des prescriptions de même nature, par des redondances multiples et une fâcheuse incohérence formelle. La première partie est censée présenter le temporal des offices et des messes (f° 1v°-39) : les premiers dimanche et lundi de l’Avent servent en réalité à donner la description de la vie monastique pour tous les dimanches et féries de l’année, à quoi s’ajoutent quelques observations sur les fêtes du temps jusqu’au dimanche de la Trinité. Le sanctoral (f° 39-116), quant à lui, prend la forme d’un ordinaire, reproduisant l’incipit des pièces liturgiques des offices et des messes. Suivent des prescriptions sur la célébration des fêtes (f° 116-116v°), le programme des lectures au réfectoire (f° 117-118), une liste, présentée sous forme de calendrier, des lectures de matines pour le sanctoral, avec le renvoi aux divers exemplaires de lectionnaires et de passionnaires où elles figurent (f° 118v°-137), et enfin un imbroglio de prescriptions et de statuts touchant au culte, mais aussi à des aspects purement coutumiers, historiques ou administratifs (circulation des frères hors du monastère, scellement des lettres, administration et liste des prieurés dépendant de l’abbaye, récit de la dédicace de 1163, destination et gestion des offrandes, etc.). L’écart est grand entre les formules plus ou moins heureuses élaborées à Saint-Victor de Paris ou Saint-Germain-des-Prés et les cérémoniaux de Bursfeld et de Chezal-Benoît. Ces derniers ont pourtant des prédécesseurs dès le xiiie siècle, en particulier avec les Constitutions des guillelmites, qui ont profité de la réforme de leur ordre et de la rédaction tardive de leurs statuts pour donner à l’ensemble de leur législation une formulation très proche de celle adoptée à la fin du xve siècle. Cette congrégation d’ermites, née en Toscane du pèlerinage suscité par le tombeau de Guillaume de Maleval († 1157), a vécu longtemps selon des coutumes fort vagues, prétendument héritées d’Albert, disciple de Guillaume. Ce qui a valu aux guillelmites de se voir imposer par Grégoire IX, peu avant 1237, la Règle de saint Benoît, puis vingt ans plus tard, de n’éviter que de justesse la fusion avec les ermites de saint Augustin 26. Concurremment à la refonte des statuts en 1271, trois prieurs de l’ordre ont mis au point un Liber ordinarius ou Ordinarium, achevé, d’après son prologue, en 1277 27, et composé de deux

l’ouvrage est le ms. latin 12087, et non l’autre exemplaire contemporain (ms. latin 12086) qu’on a longtemps considéré comme son modèle à cause de son écriture moins cursive, jugée, à tort, plus archaïque. 25   Paris, BnF., ms. latin 12087, f° 1 : Hinc est quod nos, Guillelmus abbas dicti monasterii, sacre theologie professor, anno Domini currente millesimo trecentesimo nonagesimo quinto more romano, zelo motus caritatis et fraterne dilectionis hujusmodi pro posse ignorantiam cupientes enervare, observancias, ordinationes et statuta universalem monasterii memorati statum ac regimen concernentes, a bone memorie abbatibus, prelatis et fratribus nostris predecessoribus conditas et religiose observatas transcribi fecimus et extrahi, prout melius occurrebat ab antiquis dicti monasterii registris approbatis, et in hanc que sequitur formam redigi ac in loco apponi publico ut quilibet fronte serena ac firmata libertate statum suum vel officium concernentia plenius valeat intueri. 26   Cf. Irénée Noye, « Guillelmites », dans Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique, doctrine et histoire, t. vi, Paris, Beauchesne, 1967, col. 1267-1276. 27   Paris, Bibl. Mazarine, ms. 1770, f° 2v : Verum quia de Regula ipsa sicut et aliis sanctorum scriptis diversi quandoque diversa sentiunt, cum unusquisque in suo sensu habundet, ne in unius religionis observantia pro diversitate sensuum periclitaretur et confunderetur concordia et caritas animorum quam representare et fovere debet uniformitas morum, pro ipsius uniformitatis et unanimitatis observatione, primo dominus Laurentius, et deinde dominus

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livres : un cérémonial et un coutumier. Comme dans beaucoup de manuscrits et d’éditions imprimées des constitutions de Bursfeld et de Chezal-Benoît, le Liber ordinarius des guillelmites est accompagné des statuts de l’Ordre 28. L’analogie ne s’arrête pas à la disposition générale de l’ouvrage. Là encore la terminologie médiévale est trompeuse : le premier livre du Liber ordinarius des guillelmites est bien un cérémonial, contrairement à ce que semble affirmer le passage du prologue annonçant le plan de l’œuvre : Dans la première partie est traitée ce qui concerne les chants et les lectures tout au long de l’année, en commençant par l’Avent, pour les féries comme pour les jours festifs ; et après l’office des défunts a été ajouté celui des ministres de l’autel. Quant au second livre, on y montre comment les frères doivent se tenir au chœur, au chapitre, au réfectoire, au dortoir et dans les autres officines du cloître, pendant la lecture et le travail, en hiver comme en été, dans n’importe quelle activité, comme il apparaîtra [dans la table] où ont été consignées les rubriques pour chacun des chapitres 29.

En fait, seuls les intitulés des trente-trois premières rubriques  30, qui suivent la progression du temporal, peuvent évoquer la structure d’un ordinaire. Mais le contenu des chapitres correspondants et le reste du premier livre relèvent exclusivement d’un cérémonial : les incipit des pièces liturgiques en sont absents ; sauf pour la Purification de la Vierge, les fêtes du sanctoral ne font pas l’objet de rubriques séparées et agencées selon le cycle annuel, mais sont traitées par thèmes (fériations, incidence d’un dimanche, d’une fête du temporal ou d’une férie, vigiles, octaves, mémoires) ; les chapitres restants, plus d’un tiers de l’ensemble, présentent des prescriptions générales, portant entre autres sur les différentes parties de la messe, les règles pour la célébration des offices des défunts, des messes privées, le programme les lectures de matines durant l’année ou le nombre de luminaires autorisé dans les oratoires. Certes, le Liber ordinarius des guillelmites n’atteint pas le degré d’achèvement des cérémoniaux de Bursfeld et de Chezal-Benoît : la distribution des prescriptions sur un critère cultuel n’est pas encore parfaite, et trois chapitres du second livre pourraient à juste titre Guilermus, priores generales, ceterique priores, in capitulo generali anno Domini millesimo ducentesimo sexagesimo apud Sanctum Guilermum celebrato de gratia sedis apostolice speciali duorum pon[f. 3]tificum, videlicet pie memorie dominorum Innocentii et Urbani, procuraverunt antiquas constitutiones, in quibus aliqua difficultas et diversitas videbatur cum ordinationibus a Regula, non discrepantibus, sed potius ad declarationem ipsius et interpretationem necessarie supererogatis, corrigi, concordari et abreviari per tres priores ordinis, ad hoc in eodem capitulo specialiter deputatos. Quod non sine magnis laboribus atque curis prout illo in tempore ipsis congruere videbatur, correctionis officio adimpleto, presens opus anno Domini millesimo ducentesimo septuagesimo septimo, presidente domino Guilermo, generali priore, in capitulo generali presentaverunt. 28   Cf. notices en annexe à cet article. Mes dépouillements, limités pour l’instant à la France, ne m’ont permis d’en recenser que sept copies manuscrites, les plus anciennes remontant à la seconde moitié du xve siècle. Il est plus que probable que les bibliothèques de Belgique, des Pays-Bas et d’Allemagne, où les guillelmites ont été très actifs, en possèdent de nombreux autres exemplaires. 29   Paris, Bibl. Mazarine, ms. 1770, f° 3v : In prima agitur quid cantantum, quid legendum sit per circulum anni, incipiendo ab adventu Domini, [tam] diebus ferialibus quam festivis ; et post officium defunctorum adjungitur de officio ministrorum altaris. In secundo vero libello ostenditur qualiter fratres in choro, qualiter in capitulo, refectorio, dormitorio et aliis claustri officinis, tempore lectionis et laboris, tam hieme quam estate, in quolibet officio debeant se habere, sicut patebit in rubricis ad hoc singulis capitulis prenotatis [...]. 30   La capitulation du Liber ordinarius varie légèrement selon les exemplaires, qui comptent entre 70 et 80 chapitres pour le même texte.

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figurer dans le premier 31 ; de même, la structure des ordinaires laisse encore quelques traces dans l’organisation formelle du cérémonial guillelmite. Mais il s’agit bien de la dernière étape annonçant directement les cérémoniaux monastiques de la fin du xve siècle. À l’opposé, il existe un authentique ordinaire guillelmite, dont le ms. latin 10583 de la Bibliothèque nationale de France offre une copie tardive, datable de 1556 32. Il fournit, pour le temporal et les fêtes du sanctoral, l’incipit des offices et des messes, augmenté de rares indications cultuelles. Mais, si sa rédaction est sans doute antérieure à 1556, la compilation, à la fin du manuscrit, d’extraits du Liber ordinarius montre qu’il s’agit d’un « produit dérivé » du cérémonial : sans les prescriptions tirées du Liber ordinarius, notamment sur les questions d’occurrence et de concurrence des offices, l’ordinaire serait inutilisable. D’où le soin apporté par le scribe à donner un titre à chacun des extraits, parfois longs de quelques lignes seulement. Ce phénomène qui fait succéder l’ordinaire au cérémonial ou au coutumier liturgique dans la législation des grands ordres est assez répandu. L’ordinaire cistercien du xiiie siècle (Troyes, bibl. mun., ms. 1881) et ceux des deux siècles suivants (ordinaires Quoniam multi) sont largement postérieurs aux Ecclesiastica officia (le coutumier cistercien du xiie siècle) : leur rédaction provient du besoin de réorganiser et de synthétiser une matière en constante évolution et éparpillée dans des recueils de statuts postérieurs au coutumier 33.

• L’exemple des guillelmites, peu étudié jusqu’ici par les liturgistes, fait espérer d’autres découvertes dans les livres de la législation monastique et régulière. Car si les constitutions de ces ordres ont toujours intéressé les spécialistes qui voulaient en connaître l’histoire et en caractériser la spiritualité  34, peu d’études portent encore sur l’organisation formelle de ces recueils de prescriptions. Sans doute de nouvelles recherches permettront-elles de distinguer des étapes supplémentaires dans l’évolution du cérémonial jusqu’à l’époque moderne. À tous égards, cette dernière est l’héritière des approximations de la terminologie médiévale. Elle continue à nommer cérémoniaux des documents d’origine et de nature diverses. Il est néanmoins impossible de mettre fin à cette confusion. Réserver le nom de cérémonial à tel ou tel des trois ensembles présentés ici bouleverserait en vain des usages bien implantés. Une classification trop rigoureuse serait même néfaste : comment pourrait-elle rendre compte des innombrables formes intermédiaires qui conduisent d’un simple ordo au cérémonial papal, ou du prétendu ordinaire des prémontrés au cérémonial monastique de Bursfeld ? Jean-Baptiste Lebigue Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS)   À savoir les chapitres 1, 2 et 12 du second livre : Quando surgendum et agendum sit ad vigilias, De laudibus et De vesperis. 32   Cf. notice en annexe à cet article. 33   J’exprime toute ma reconnaissance à Olivier Legendre pour cette mise au point. 34   En particulier grâce à la collection du Corpus consuetudinum monasticarum, dirigée par Kassius Hallinger, et dont le treizième volume, dû à Marcel Albert (2002), est justement consacré aux statuts de Bursfeld. 31

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Annexe Sont présentées dans cette annexe de courtes notices des manuscrits recensés du Liber ordinarius et de l’ordinaire des guillelmites conservés en France. L’italique signale les passages transcrits à partir des manuscrits. Cambrai, Bibl. mun., ms.1124. Paris (Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux), 1498-1506. Papier, 268 ff. Textes f° 1-65v° : Recueil de textes touchant à la Règle de saint Benoît, aux coutumes cisterciennes et à saint Bernard. f° 67-149 : ‘Liber ordinarius’ des guillelmites — f° 67-69v° : Prologue — f° 69v°-71v° : Table des chapitres — f° 72-110v° : 1er livre (cérémonial) — f° 111v°-149 : 2d livre. f° 153-268 : Statuts, privilèges, formulaires et notes historiques des guillelmites. Historique. Manuscrit copié par Jean de Mons, guillelmite, entre 1498 et 1506 au couvent guillelmite de Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux. Cf. Denis Muzerelle, Manuscrits datés des bibliothèques de France, t. I : Cambrai, Paris, C.N.R.S., 2000, p. 123-124. Possesseur. D. Duen prior, 1687 (f° 221). Provenance. Guillelmites de Notre-Dame-du-Val à Walincourt, Nord. Le Mans, Bibl. mun., ms. 431 xviie s. D’après le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, t. 20, Paris, Plon, 1893, p. 224 : « Constitutiones fratrum ordinis S. Guillelmi », provenant de l’abbaye bénédictine de Saint-Vincent du Mans. Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms. 199. xve s., dernier quart. Papier, 123 ff. Textes f° 1-83v° : ‘Liber ordinarius’ des guillelmites — f° 1-3v° : Prologue — f° 3v°-4v° : Table des chapitres du 1er livre — f° 5-45 : 1er livre (cérémonial) — f° 45v°-46 : Table des chapitres du 2d livre — f° 47-83v° : 2d livre. f° 84-90v° : ‘Ordo’ d’extrême-onction et de funérailles à l’usage des guillelmites. f° 91-106 : Statuts des guillelmites. f° 106v°-123 : Extraits et interpolations du 1er livre du ‘Liber ordinarius’, en deux séries organisées sur le cycle de l’année liturgique (temporal et sanctoral mêlés). Cette compilation diffère de celle présente dans le ms. latin 10583, f° 91v°-104v° de la Bibliothèque nationale de France (cf. infra). Historique. Signature du scribe en lettres rouges et bleues après l’explicit : Putman (f° 113). On retrouve ce nom sur la même page que le prénom Anna, placés tous deux dans les phylactères entourant les hampes et les hastes de lettres (f° 106v°). Provenance. Paris, Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux ?

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Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms. 216. xvie s., première moitié. Papier, 101 ff. Textes f° 1-95 : ‘Liber ordinarius’ des guillelmites — f° 1-4 : Prologue — f° 5-54v° : 1er livre (cérémonial) — f° 55-95 : 2d livre. f° 95v-101v : Prologue et extraits des Statuts des guillelmites. Historique. Signature du scribe : S. C. (f° 54v°), Frater Stephanus Coppinus (f° 95). Possesseurs. Mentions d’appartenance : Sum f. M., ordinis sancti Guillermi sub regula divi Benedicti (f° 100, xviie s.) ; Achepté le 7e janvier 1704. Fr. Leonard, augustin deschaussé… (f° A). Ce dernier a surchargé une courte description de l’ouvrage avec cette mention de provenance : Il vient des Blancmanteaux… Paris, Bibl. Mazarine, ms. 1770. France (Paris ?), après 1480. Papier et parchemin, 118 ff. Textes f° 1-99v° : ‘Liber ordinarius’ des guillelmites — f° 1-4 : Prologue — f° 4-53 : 1er livre (cérémonial) — f° 54-97 : 2d livre — f° 97v°-99v° : Table des chapitres. f° 100-118v : Statuts des guillelmites. Historique. Les filigranes du papier permettent de dater le manuscrit du dernier quart du xve s. après 1480 et proviennent plutôt de Paris ou de l’Est de la France. Signature à l’encre rouge (xve s.), sur le dernier feuillet de garde en parchemin ancien : Johannes Lemoyne. Possesseur (et provenance ?). Mention d’appartenance, titre et cotes du xviiie s., de la bibliothèque de Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux : Monasterii Beatæ Mariæ Albo[rum] Mantellorum, congregationis sancti Mauri (f° 1) ; Constitutionnes guillelmitarum, xv sæc., Theol. myst. n° VI, Ss. 2. FA (dernier f° de garde sup.). Paris, BnF, ms. latin 10583. France, 1556. Papier, 119 ff. Textes f° 2-4v° : Table des chapitres de l’ordinaire (f° 5-91v°), incomplète du début par lacune matérielle. f° 5-91v° : Libellus compendiarius usuum officiorumque ecclesiasticorum fratrum guillermitarum sub Regula sancti Benedicti probe degentium. Ordinaire guillelmite (temporal et sanctoral mêlés). f° 91v°-104v° : Sequuntur nunc notabilia quedam extracta ex Ordinario valde necessaria. Compilation d’extraits du 1er livre du ‘Liber ordinarius’ des guillelmites (sauf un paragraphe, venant du chap. 10 du 2d livre). f° 105-117v° : Sequuntur tandem quedam capitula ab Ordinario excerpta notatu digna prescriptoque libello usuum ecclesiasticorum non incongrue adjuncta. Compilation d’extraits du 2d livre du ‘Liber ordinarius’ des guillelmites. f° 117v°-120v° : Tabule littere dominicales, concurrentium, aurei numeri, epactarum et indictionnum romanarum, perpetue tam pro presenti tempore quod pro futuro, initium capientes singule ab

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anno Domini millesimo quingentesimo quinquagesimo sexto. Tables de comput (f° 118), Elucidatio (f° 118-119v°) et versus mnémotechniques (f° 119v°-120). Historique. L’année de référence des tables de comput est 1556 (f° 117v°, 118). Provenance. Paris, Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux ? Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1255 xvie s., 1re moitié. Papier, 173 ff. Textes f° 2-158 : ‘Liber ordinarius’ des guillelmites — f° 2-5 : Table des chapitres — 6-9 : Prologue — f° 9v°-82 : 1er livre (cérémonial) — f° 82v°-58 : 2d livre. f° 158v°-173v° : Statuts des guillelmites, incomplets de la fin par lacune matérielle. Historique. Manuscrit copié par Denis Charvau : Ordinarium guillermitarum, quod scripsit frater Dionisius Charvau (f° 1). Possesseur. Mention d’appartenance du xvie s. : Johannes Chantrel me habet, manens in domo Sancti Guillermi, que vulgariter Alborum Mantellorum dicitur [Paris, Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux], bonorum noviciorum primus et optimus (f° 1). Provenance. Paris, Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux. Valenciennes, Bibl. mun., ms. 138 xve s., seconde moitié. Papier, 167 ff. Textes f° 1v°-144 : ‘Liber ordinarius’ des guillemites — f° 1-81 : 1er livre — f° 84-85v° : De accusationibus. Questions posées au chapitre général tenu à Paris en 1269 — f° 88-144 : 2d livre. f° 144v°-145v° : Prescriptions portant sur les frères laïcs. f° 146-167 : Statuts des guillelmites. Possesseur et provenance. Mention d’appartenance et cote du xviiie s., de l’abbaye de Saint-Amand (Nord) : Ordinarius Guilelmitarum. G 189. Hi Guilelmitae, qui nobis hoc opus reliquerunt, quique nostrum hoc Elnonense monasterium reformarunt, siti sunt in Cameracesio (f° 1).

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Cérémoniaux et manuels de cérémonies imprimés en France, xviie-xviiie siècles Le terme « cérémonial » admet plusieurs acceptions : d’une manière générale, il désigne l’ensemble et l’ordre réglé des fonctions et des actions du culte divin  ; plus spécifiquement, c’est le nom de l’ouvrage dans lequel sont consignées ces codifications 1. Je me propose de dresser ici le portrait de cette catégorie de livres d’Église dont les éditions se multiplient en France à partir du xviie siècle, suite à la publication en 1600 du Cæremoniale episcoporum, premier ouvrage imprimé à porter explicitement ce nom 2. Définir et recenser les cérémoniaux semblait au départ une tâche facile : le faible nombre des ouvrages concernés en regard de la multitude de bréviaires et de missels imprimés à l’époque moderne, et le caractère a priori stéréotypé des informations cérémonielles —  souvent jugé responsable d’un assèchement de la liturgie à l’époque moderne, ère des « rubricistes » — laissaient présager un catalogage rapide. Rien de tel pourtant à l’étude de ces ouvrages riches et complexes. Le genre est difficile à cerner : les titres, de même que l’organisation et la nature des informations retenues par les auteurs, varient constamment. En fait, témoins de différentes conceptions du culte qui se manifestent spatialement ou chronologiquement, les cérémoniaux sont aussi des révélateurs du dynamisme réformateur qui animait l’Église de France. Différents angles d’étude permettent d’envisager les cérémoniaux imprimés  : originalité des cérémonies et des informations évoquées ; points communs et divergences entre les différents types de cérémoniaux — des diocèses, des communautés religieuses et suivant l’usage romain ; importance et influence de certains textes et usages ; opposition — et complémentarité — entre traditions orales et codifications manuscrites ou imprimées. Je tenterai d’aborder ces questions à partir d’un corpus de — cérémoniaux publiés en France entre 1600 et 1789 3.

1   Pour une définition plus fine du cérémonial dans sa plus large acception, voir dans cet ouvrage l’Introduction de Jean-Yves Hameline; on se reportera également à la longue note consacrée aux cérémoniaux dans Id., « Le plain-chant dans la pratique ecclésiastique aux lendemains du concile de Trente et des réformes postconciliaires », Plain-chant et liturgie en France au xviie siècle, J. Duron (dir.), Versailles, Centre de Musique Baroque de Versailles/ Klincksieck, 1997, p. 25-26, note 20. 2   Cf. Liste-Index, [CE* 1600]. 3   Les rééditions, même augmentées, ne sont pas comptées. Une publication électronique des tables de certains de ces cérémoniaux est accessible sur le site de l’IRPMF.

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Éléments de définition D é f init ion s d’é poque « CÉRÉMONIAL. s. m. Le livre où sont contenus l’ordre et les règles des cérémonies ecclésiastiques 4 ». La définition concise proposée par le Dictionnaire de l’Académie française n’apporte guère de détails sur la nature et la composition de ce livre : elle n’envisage ni ses spécificités, ni sa complémentarité avec les autres livres d’Église, et ne donne aucune précision sur son contenu. Or la confusion, notamment avec le rituel, est aisée. Furetière ne définit-il pas celui-ci, en des termes à peu près identiques, comme le « livre qui contient l’ordre et la manière des cérémonies qu’on doit observer dans la célébration du service divin en un diocèse, en un ordre religieux 5 » ? Sans doute Furetière n’était-il pas versé dans les sciences liturgiques, mais force est de constater que même pour un ecclésiastique, la confusion était possible : le capucin Nicéphore de Paris, chargé par ses supérieurs de rédiger le Rituel des clarisses de la province de Paris, expliquait que « les livres qui traitent de ces sortes de choses [le sacrifice de la messe, l’office divin et l’administration des sacrements] se nomment indifféremment dans l’Église rituels ou cérémoniaux 6. » Nonobstant l’autorité somme toute limitée du frère Nicéphore, il existait aux xviie et xviii siècles des catégories générales de livres d’Église relativement bien délimitées 7. Cette classification des genres littéraires — en fait l’adéquation d’un contenu à un titre — avait été très probablement confortée par la publication, après le concile de Trente, des prestigieux livres romains 8. En ce qui concerne les cérémoniaux, genre dont la véritable diffusion suit en effet la publication du Cæremoniale episcoporum de 1600, il faut d’emblée noter deux phénomènes : d’une part la variété des titres que pouvaient malgré tout prendre les ouvrages qui correspondent à notre définition du cérémonial, et d’autre part le fait que des livres intitulés Cérémonial, surtout dans le monde monastique féminin, ont un contenu partiellement ou totalement différent. e

Les cérémoniaux et autres manuels de cérémonies ne fournissent guère d’éléments internes de définition. Le Cérémonial de Paris de 1703, publié sous l’autorité de l’archevêque de Paris Antoine de Noailles, présente toutefois en un chapitre liminaire des explications sur la nature du cérémonial, présenté comme le livre qui traite des cérémonies et des rites que l’Église a coutume d’observer dans la messe solennelle et dans le cursus canonique

  Nouveau dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, J.-B. Coignard, 1718, article « Cérémonial ».   Antoine Furetière, Dictionnaire universel contenant generalement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts..., La Haye/Rotterdam, A. et R. Leers, 1690, article « Rituel ». 6   [Nicéphore Filles de la Passion 1679], t. I, « Épître au révérendes Mères capucines du monastère de Paris », n.p. ; on reviendra plus loin sur le peu de rigueur avec lequel les termes « rituel » et « cérémonial » étaient employés dans le monde monastique. 7   Au Moyen Âge, les catégories étaient bien moins rigoureuses ; il faut souligner le rôle de l’imprimerie dans l’établissement progressif d’une classification plus stricte. 8   Breviarium Romanum en 1568, Missale Romanum en 1570, Pontificale Romanum en 1596, Caeremoniale episcoporum en 1600 et Rituale Romanum en 1614. 4

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accompli c’est-à-dire à l’église (soit le chant public des heures). Il distingue en outre soigneusement le cérémonial des livres avec lesquels on pourrait le confondre, et notamment du rituel qui contient les rites pour l’administration des sacrements 9. On peut d’ores et déjà retenir un premier élément de définition du cérémonial : il règle avant tout les cérémonies réalisées au chœur dans l’accomplissement des fonctions publiques du culte divin (ce que rappelle le titre même de certains ouvrages intitulés « Cérémonial du chœur » 10), sans se limiter d’ailleurs, comme on le verra, aux prescriptions concernant la messe solennelle ou l’office, mais en établissant également les règles et l’ordre des cérémonies de la messe privée et des nombreuses fonctions qui sortent du cursus canonial (processions, saluts…). Il faut néanmoins préciser cette définition en considérant ce qui fait la véritable spécificité du cérémonial, c’est-à-dire la nature de l’information cérémonielle traitée.

D e s r ubr iques au cé ré monial Le bréviaire et le missel sont conçus avant tout comme les recueils ordonnés des preces (textes, chants et lectures) proclamées et chantées au cours de l’office et de la messe. Ils comportent un minimum de règles qui fixent la manière de dire ces prières et d’accomplir les actions requises : les rubriques. Celles-ci « consignent la forme des actes prescrits, dans leur dimension littérale et fonctionnelle, et leur distribution significative dans le temps (calendrier, horaire, ordre séquentiel dans l’office) 11 ». À l’exception des rubriques générales, placées en tête du bréviaire et du missel, elles sont dispersées dans l’ouvrage au fil des prières. Pratiquement, elles fournissent essentiellement les règles nécessaires à la récitation ou à la pratique privées. Les cérémoniaux, qui ne contiennent pas les preces, ne sont pas uniquement des recueils de rubriques. Destinés à permettre le déploiement public de l’appareil ecclésiastique au cours des fonctions du culte, ils sont consacrés aux ceremoniæ (actions extérieures du culte). Les instructions et prescriptions cérémonielles qu’ils consignent concernent la manière d’accomplir les fonctions du culte : elles déterminent aussi bien la distribution séquentielle des actions que leur espace de déploiement et les différents acteurs impliqués,   [Paris 1703], « Caput prævium », p. I : « Agit Caeremoniale Parisiense de cæremoniis seu ritibus qui in sacris observari solent ab Ecclesia Parisiensi. Sunt autem diversa cæremoniarum genera pro ministrorum diversitate qui sacra peragunt, veluti pontifices et sacerdotes, tum etiam diaconi, subdiaconi et clerici minores qui in partem aliquam ministerii hujus vocantur. Hinc Pontificale ortum est, seu liber de caeremoniis quæ servari debent a pontificibus in sacris ordinationibus et aliis functionibus episcopo reservatis, de quibus non est hic sermo. Hinc Sacerdotale dictum olim, communius Rituale aut Manuale seu liber de ritibus in administratione sacramentorum baptismi, Eucharistiae, poenitentiae, extrema-unctionis et matrimonii observandis a sacerdotibus ; sed de his alias. Hinc Processionale seu supplicationum liber, qui nuper est editus. Hinc denique specialis liber de caeremoniis quae sunt observandae in solemni missae sacrificio et cursu canonico in ecclesia perficiendo, id est, in vespertini, nocturni, matutini officii recitatione, in publica item aliarum horarum decantatione ; de quibus omnibus sigillatim hic agendum. Hic autem liber speciatim Caeremoniale nuncupatur. » 10   [Clermont 1758]. 11   J.-Y. Hameline, « Le plain-chant dans la pratique ecclésiastique… », op. cit., p. 25. 9

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sans se cantonner aux seuls acteurs du culte. Le cérémonial prévoit donc le déroulement des offices, la qualité, le nombre et le rôle des « officiers » intervenants, leurs vêtements, gestes, attitudes et déplacements, ainsi que de tous les ecclésiastiques et religieux présents au chœur, les règles de préséance, le degré de solennité, les ornements de l’autel et de l’église, les positions et comportements par rapport aux « lieux » référentiels (autel, aigle, stalles…), la manipulation des objets et instruments du culte (ostensoir, encensoirs…), etc. En ce qui concerne le chant et la musique, les cérémoniaux, à la différence des autres livres d’Église — missel, pontifical, rituel, processionnal, voire bréviaire —, ne comportent pas, à de rares exceptions près, de chants notés. Ils donnent en revanche les observances relatives aux pratiques cantorales, aux choristes et autres acteurs du chant (moments d’interventions, emplacement et orientation, emplois de la psalmodie, du plain-chant, de la polyphonie, de la musique figurée), et règlent les interventions des orgues (caractère du jeu de l’organiste, jours et offices où il faut « toucher » les orgues, principes de l’alternance…). La manifestation la plus connue de ce cérémonial du chant consiste dans les changements apportés à l’allure et au caractère du chant en fonction du degré de solennité. Elle figure dans la plupart des cérémoniaux : Mais sur tout les organistes seront soigneuses d’observer la qualité des jours, en sorte qu’elles touchent plus gravement aux grandes festes et plus legerement aux moins solennelles, comme il doit estre aussi observé à la psalmodie 12.

Il faut toutefois noter que, d’un cérémonial à l’autre, la densité des indications musicales varie largement, allant de sections entièrement consacrées au chant et à la musique à la dispersion d’une maigre information au fil des chapitres 13. Les cérémoniaux ayant le souci de proposer des règles utiles à tous les lieux de culte, ils tiennent compte des adaptations à réaliser dans l’accomplissement des cérémonies selon la qualité et la taille du sanctuaire, ses ressources humaines, sa richesse en ornements ou la présence de musiciens. Le Cérémonial de Paris de 1703 distingue ainsi trois grandes classes d’églises. La première classe englobe les églises pourvues d’un grand nombre de clercs, comme les collégiales, les séminaires et les églises aux effectifs importants ; elles doivent observer toutes les cérémonies de la cathédrale. La seconde classe rassemble celles qui, à l’instar des petites paroisses, peuvent tout au plus faire venir au chœur quatre ou cinq clercs et doivent donc ajuster les prescriptions du cérémonial à leurs proportions. Quant à la troisième classe, unissant les églises qui ne comptent qu’un ou deux clercs au chœur, à l’image de la plupart des paroisses rurales, le rédacteur du Cérémonial les met en garde, lorsqu’elles adaptent à leurs capacités les règles du cérémonial, de ne pas user de cérémonies empruntées à d’autres diocèses 14. La conception qui gouverne cette classification — la volonté

  [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], p. 48.   À propos de la musique et du chant dans les cérémoniaux, voir la contribution dans cet ouvrage de Cécile Davy-Rigaux, ainsi que les chapitres correspondants dans l’ouvrage de Denise Launay, La musique religieuse en France du concile de Trente à 1804, Paris, Société française de Musicologie/Klincksieck, 1993. 14   [Paris 1703], « Caput prævium », p. V : « Supponi posse tres classes ecclesiarum tam in urbe quam in reliqua diœcesi : alias, quæ magno numero clericorum gaudent, ut sunt collegiatæ et numerosiores ecclesiæ ac seminaria ; 12 13

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d’imposer l’usage de Notre-Dame, mère et maîtresse de toutes les églises du diocèse, comme modèle suprême à suivre au plus près selon les possibilités des sanctuaires 15 — est liée à l’un des objectifs du cérémonial, l’uniformisation des cérémonies dans le diocèse, mais témoigne aussi d’un nouvel équilibre des rapports entre la cathédrale et son diocèse 16. D’un cérémonial à l’autre, le ton peut varier, et l’information cérémonielle n’est pas toujours fournie sous la forme de faits bruts. Elle est parfois agrémentée de gloses et de commentaires allégoriques ou historiques. À Montmartre, il s’agit clairement d’éviter la sécheresse d’«  une description toute simple des cérémonies  »  : «  En représentant les cérémonies qu’il faut faire, nous les avons ordinairement accompagnées des raisons ou de leurs significations tirées du sens mystique ou littéral 17 ». Le discours du riche Cérémonial de Toul est truffé de références historiques, renvoyant notamment à un passé proche et pourtant révolu, témoignant d’un certain alignement des usages de la cathédrale et du diocèse de Toul sur ceux des autres diocèses : L’usage de ce chandelier triangulaire [au cours des offices de Ténèbres] ne s’est introduit dans la cathédrale que depuis deux ans ; auparavant on préparoit neuf grands chandeliers que l’on mettoit de front en haut du chœur devant l’autel, garnis de leurs cierges, et outre cela on alumoit les cierges du ratelier à sept branches. C’est ainsi que l’on change tous les jours 18.

Il faut noter le rôle très restreint concédé aux illustrations dans les cérémoniaux français, alors même que le Caeremoniale episcoporum leur accordait une large part 19. Les alias, quæ quatuor aut quinque ad summum in choro clericos possunt adhibere, ut minores parochiæ ; alias denique, quæ ad unum aut ad summum ad duos rediguntur, qui chorum teneant, ut sunt pleræque ecclesiæ rurales. Primam classem, omnes et singulas Ecclesiæ Metropolitanæ tam in missa quam in cursu canonico cæremonias servare debere, iis tantummodo exceptis quæ ad D. D. archiepiscopum aut dignitates speciatim spectant. Secundam classem, iis cæremoniis ex isto cæremoniali decerptis uti debere, quæ suo numero et ecclesiæ conveniunt et quas difficillimum esset hic commemorare. Tertiam classem, suas cæremonias huic cæremoniali aptare pro modulo suo debere, et quantum fieri poterit ita sequi ut nullas admittat aliunde petitas ; quod maxime cavere debent qui sero ab aliis diœcesibus in hanc diœcesim translati sunt. » 15   Ibid. : « Ecclesiam metropolitanam, omnium ecclesiarum urbis et diœcesis matrem et magistram, in se formam habere omnium rituum, quos in usum reducere ceteræ ecclesiæ diœcesis pro posse debeant, tantumque eas in cultu divino per cæremonias splendescere, quantum ad ritum Ecclesiæ Metropolitanæ propius accesserint. » 16   À ce propos, voir la contribution dans cet ouvrage de Xavier Bisaro et Sébastien Gaudelus ; en 1662, Martin Sonnet proposait, outre la cathédrale, la paroisse Saint-Paul comme modèle pour les collégiales, paroisses et autres églises du diocèse ; il recommandait en des termes élogieux d’en imiter les célébrations des offices divins ([Sonnet Paris 1662], Avis au lecteur, n.p.). 17   [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], Préface, n.p. ; à propos de cette approche raisonnée du culte divin, on se reportera à la contribution de J.-Y. Hameline dans cet ouvrage  ; on notera que le rédacteur de [Paris 1703], sans nier l’utilité des explications mystiques des cérémonies, les juge déplacées dans cet ouvrage ([Paris 1703], « Caput prævium », p. II) : cette remarque fait probablement référence au Tractatus complectens significationes paramentorum ecclesiasticorum ac cæremoniarum missæ item mysteria missæ et eorum elucidationes […] necnon et mysticam expositionem missæ placé en tête de [Sonnet Paris 1662] (n.p.) ; dom Claude de Vert, grand ennemi des interprétations mystiques, constate avec satisfaction « que le chapitre préliminaire du nouveau Cérémonial de Paris ne contient […] que des raisons littérales et historiques » (Claude de Vert, Explication simple, littérale et historique des cérémonies de l’Église, Paris, F. Delaulne, 1706, t. 1, p. xxxi). 18   [Toul 1700], p. 357. 19   Sur les représentations de scènes cérémonielles à cette époque, voir dans cet ouvrage l’introduction de J.Y. Hameline.

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seules représentations de scènes du culte relevées figurent dans les cérémoniaux des congrégations de Saint-Maur (1680) et de Saint-Vanne (1695) sous la forme de petites vignettes en tête de chaque partie des ouvrages qui représentent des cérémonies au chœur (entrée des moines au chœur, funérailles d’un moine, bénédiction du Saint-Sacrement…) 20. L’unique illustration qui revient fréquemment reproduit l’« ordre pour l’encensement de l’autel » lors de la messe solennelle : elle figure l’autel et ses vingt-cinq ou vingt-neuf points d’encensement numérotés par ordre croissant  21. Incidemment, elle permet de suivre l’évolution de l’agencement et des formes de l’autel et de la réserve eucharistique 22. On peut noter également, dans quelques cérémoniaux du xixe siècle, la présence de schémas illustrant les positions et les déplacements des officiers du culte autour de l’autel 23. Dans le paysage des livres d’Église, les cérémoniaux occupent une place à part. Ni livres de chœur, ni livres de chant, ni livres d’usage, ils ne sont pas conçus en vue d’une utilisation directe au cours du service divin. Guides pratiques pour la célébration du culte, leur forme répond à leur destination : ils sont avant tout conçus pour la commodité de l’usage personnel, facilité par leur format fonctionnel et maniable  24. Leur caractère peu luxueux explique peut-être la rareté des illustrations qui impliqueraient des coûts de production supplémentaires.

Économie des cérémoniaux Pour la clarté du propos, on peut établir trois grands types de cérémoniaux, selon l’usage auquel ils sont destinés : pour les ecclésiastiques obligés de suivre les cérémonies romaines, les livres consacrés à l’usage romain (par exemple le Manuel des cérémonies romaines des lazaristes) ; les cérémoniaux des communautés régulières ou séculières (ordres et congrégations monastiques et religieuses, chanoines ou établissements particuliers) ; les cérémoniaux diocésains et cathédraux, dans la mesure où ces derniers sont en général envisagés comme des modèles pour le diocèse. Cette typologie, simplement indicative, ne prétend pas établir des catégories strictes. Il est évident que les domaines se recoupent : nombre de cérémoniaux monastiques suivent au moins partiellement l’usage romain 25.

  [Bénédictins 1695], identique à quelques détails près au Cérémonial de la congrégation vanniste ([Bénédictins Saint-Vanne 1695]), reproduit les mêmes vignettes (cf. Planches, fig. 25-27). 21   Voir par exemple : [Lazaristes 1670], p. 224 ; [Bénédictins Saint-Maur 1680], face à la p. 1 ; [Toulouse 1821], face à la p. 110 (cf. Planches, fig. 32-35). 22   Voir la représentation de la suspense eucharistique dans [Paris 1703], p. 25 ; à ce sujet, voir Jacques FoucartBorville, « Les suspenses eucharistiques dans les églises parisiennes du xiiie au xviiie siècle », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1995, p. 9-39. 23   Par exemple [Autun 1845]. 24   Il s’agit fréquemment d’in-8° d’environ 18 sur 11 cm. 25   Par exemple [Bénédictins Saint-Maur 1621]. 20

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Nature e t spécif icités des mat iè res abordées L’objectif du rédacteur d’un cérémonial est d’ordonner, clarifier et systématiser l’information cérémonielle. Des matières communes, qui ne figurent bien évidemment pas systématiquement dans tous les ouvrages et ne bénéficient pas des mêmes développements, caractérisent le genre : • Au cœur du propos de tous les cérémoniaux, l’office divin (les heures canoniales) et la messe (messes basse, haute et solennelle, messes pour les morts, devant le SaintSacrement exposé, en présence de l’évêque ou d’un personnage important, éventuellement messe pontificale). Certains ouvrages sont d’ailleurs uniquement consacrés à ce qui apparaît comme le cœur du culte divin, telle la Practique des cérémonies de la saincte messe de Louis du Molin, primicier et chanoine de l’Église d’Arles 26. • Les rites spéciaux du propre du temps et des saints : Avent, Noël, Ténèbres, Pâques, fêtes de la Vierge, Saint-Louis… • Un certain nombre de cérémonies extraordinaires : exposition du Saint-Sacrement, saluts, Quarante-heures, processions, offices votifs, prières publiques, Te Deum en action de grâces, funérailles, translation et exposition de reliques, visites de l’ordinaire, du supérieur ou de personnages importants… • Les cérémonies du chœur en général  : horaires, cloches, luminaire, ornements, situations, postures et actions du clergé, encensements, chant, orgue et musique… • Les offices des différents ministres : maître des cérémonies, sacristain, célébrant, diacre, sous-diacre, céroféraires, thuriféraire, choristes, enfants de chœur… À ce socle commun s’ajoutent, en fonction du type de cérémonial, d’autres matières. Les cérémoniaux diocésains s’articulent fréquemment autour du cérémonial de la cathédrale et du cérémonial du diocèse, éventuellement du cérémonial de l’évêque (cérémonies lorsque l’évêque officie ou en présence de l’évêque), en proposant des cérémonies alternatives en fonction du cas de figure envisagé 27. Un recueil de statuts synodaux est parfois annexé au cérémonial dans une perspective légitimante 28. Les cérémoniaux des communautés religieuses présentent des caractéristiques spécifiques. Ils se démarquent souvent par l’adjonction de cérémonies liées à la vie communautaire et régulière, dont le déroulement n’a d’ailleurs pas forcément lieu au chœur : offices particuliers (supérieur, prieur, sous-prieur…), règles à suivre au réfectoire, bénédiction de la table, confection des hosties et des ornements, tenue des chapitres, oraison mentale… Lorsque les rites de réception au noviciat, de vêture et de profession y sont joints, ces ouvrages compo-

  [Du Molin Messe* 1639].   Cf. [Lisieux 1747], passim ; [Sens 1769], passim ; on notera qu’à l’inverse [Bourges 1708] évite de mentionner les cérémonies particulières de la cathédrale, inadaptables aux autres églises du diocèse (cf. Avertissement, n.p.). 28   Cf. [Sonnet Paris 1662], [Bayeux 1677]. 26 27

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sites n’apparaissent plus réellement comme de « purs cérémoniaux », si l’on s’en tient aux critères définis précédemment : ils comportent, en vue d’une utilisation directe au cours de la célébration, des chants notés et les textes et prières à proférer. Spécialement dans le monde monastique féminin, certains livres intitulés « cérémonial », entièrement consacrés aux cérémonies de vêture et de profession, auxquelles sont même parfois jointes les règles concernant l’administration des sacrements, s’apparentent pleinement du point de vue formel à des rituels 29. Si certains ouvrages nommés « cérémonial » n’en sont donc pas, à l’inverse, des livres intitulés « rituel » peuvent être, au moins en partie, d’authentiques cérémoniaux 30. On l’aura compris, les catégories de livres d’Église sont bien moins strictes dans le monde monastique, où l’on publie des ouvrages hybrides tenant à la fois du cérémonial, du rituel, voire du coutumier  31. Cette confusion entre les genres, héritée de la fin du Moyen Âge  32, s’explique par la commodité pour un ordre ou une congrégation donnée de posséder un ouvrage comportant toutes les pratiques de la vie religieuse, « soit dans l’intérieur [du] monastère aux observances régulières, soit singulièrement dans le chœur à l’office divin et aux messes » 33.

O rgani s at ion des mat iè res et modèles À la différence des autres livres d’Église, les cérémoniaux ne possèdent pas de plantype : l’organisation des matières varie largement dans ce genre d’ouvrages, qui peuvent comporter jusqu’à sept grandes parties. On pourra se persuader de cette diversité par la comparaison des tables des matières de quelques cérémoniaux. Quelques pistes de réflexion s’imposent. En premier lieu, il faut se poser la question de l’influence du Cæremoniale episcoporum, modèle éminent pour les autres cérémoniaux, qui devait servir de référence à toutes les églises — au-delà des seules églises métropolitaines, cathédrales et collégiales. Sa diffusion en France fut considérable, et elle fut renforcée par la publication d’un abrégé en français 34. Son influence ne doit pas être sous-estimée, un grand nombre de préfaces ou d’avis au   On notera que le Répertoire des rituels et processionnaux imprimés conservés en France de Jean-Baptiste Molin et Annick Aussedat-Minvielle (Paris, éd. du CNRS, 1984) a répertorié en tant que rituels les ouvrages intitulés « cérémonial » dont le contenu relève intégralement ou partiellement du rituel ; à propos des cérémoniaux dans le monde monastique féminin, voir dans cet ouvrage la contribution de Daniel-Odon Hurel, « Les moniales et le cérémonial au xviie et xviiie siècles ». 30   Cf. [Nicéphore Filles de la Passion 1679], t. I, ou [Cisterciens 1689]. 31   L’intitulé de ces ouvrages n’était manifestement guère important (cf. aussi [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674] t. I, p. 405 : « Ce livre est proprement le rituel des cérémonies et fonctions régulières… ») ; dans le monde monastique féminin, l’ouvrage intitulé cérémonial ou rituel était assez fréquemment imprimé en deux tomes indépendants, l’un des deux étant un véritable cérémonial du chœur et l’autre le rituel (cf. le Cérémonial de l’entrée des postulantes, des vêtures et professions, et du renouvellement des vœux pour les religieuses de Sainte-Aure et le Cérémonial du chœur pour les religieuses de Sainte-Aure publiés tous deux en pagination continue à Paris chez Cl. Simon en 1782, cf. [Filles de Saint-Aure 1782]). 32   Voir dans cet ouvrage la contribution de Jean-Baptiste Lebigue supra. 33   [Nicéphore Filles de la Passion 1679], t. I, Épître, n.p. 34   Cf. [Le Marinel Abrégé CE 1639]. 29

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lecteur le mentionnent comme une référence incontournable. Les cérémoniaux consacrés aux cérémonies romaines, en particulier le Manuale sacrarum cærimoniarum du bénédictin Michel Bauldry et la Pratique des cérémonies de l’Église selon l’usage romain de Louis du Molin, le suivent d’assez près, voire en paraphrasent des passages entiers. Toutefois, il ne faut pas exagérer son influence directe sur tous les cérémoniaux imprimés en France. Sa présentation d’abord, qui comportait des illustrations et quelques passages notés, demeure une exception. Surtout, le Caeremoniale episcoporum réglait principalement les cérémonies impliquant l’évêque et sa maison, dans une perspective curiale et non pas capitulaire. Le plan de l’ouvrage, ainsi qu’une bonne partie de son contenu, centrée sur la figure de l’évêque, n’était pas adaptable tel quel dans les autres cérémoniaux 35. Du point de vue de l’organisation des cérémoniaux, on peut noter quelques tendances générales. En premier lieu, il faut souligner l’importance que les rédacteurs accordent à l’économie de leur ouvrage pour une commodité d’utilisation optimale : ils précisent souvent qu’ils ont mis tous leurs soins à le composer dans le meilleur ordre souhaitable 36. On peut également remarquer à quel point le plan des cérémoniaux reflète les évolutions des différentes catégories du culte. Au xviie siècle, il peut parfois sembler quelque peu désordonné : en 1669, le cérémonial des frères mineurs inclut au sein d’une même partie les offices des différents ministres, les cérémonies de l’office, de la messe solennelle, des funérailles, des processions… 37 Un tel plan témoigne en fait de l’unité du culte divin qui constitue un tout indissociable. Au xviiie siècle, les plans, plus rationnels à nos yeux, introduisent des distinctions d’ordre statutaire entre les cérémonies. Ils distinguent plus soigneusement la messe de l’office, et l’on voit surtout se diffuser une partie consacrée à « quelques offices et cérémonies qui se font hors le cours de l’office canonial » 38. Cet intitulé, qui figure pour la première fois dans le Caeremoniale Parisiense de 1703 39, dénote un déplacement des cadres de référence, avec une opposition plus marquée entre le cœur du culte divin — messe conventuelle et office canonial — et un ensemble ouvert de cérémonies qui varient en fonction des cérémoniaux, incluant saluts et exposition du Saint-Sacrement, processions, offices des morts et funérailles, messes votives… On notera au passage l’influence exercée semble-t-il par le Caeremoniale Parisiense de 1703 au xviiie siècle. Son plan est à quelques détails près copié par le Cérémonial de Lisieux (1747), puis par celui de Sens en 1769. Le texte même du Cérémonial de Lisieux calque d’assez près celui du Cérémonial parisien 40.   À propos du [CE], voir notamment Philippus Oppenheim, Institutiones systematico-historicæ in sacram liturgiam, t. IV, Taurini/Rome, Marietti, 1940, p. 42-55 et 119-122 et l’introduction d’Achille Maria Triacca et Manlio Sodi de l’édition anastatique de ce Cérémonial (Vatican, Libreria editrice Vaticana, 2000). 36   [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], t. I, Lettre de M. M[orel], n.p. 37   Cf. [Beauvais Frères mineurs 1669]. 38   [Bourges 1708], p. 265 (cf. Avertissement, n.p.). 39   [Paris 1703], p. 247 : « De quibusdam cæremoniis et officiis quæ fiunt extra cursum canonicum » ; cet intitulé semble abandonné dès le xixe siècle, sans doute à cause de la fortune rencontrée par l’adjectif liturgique, révélatrice de nouveaux déplacements de sens (cf. J.-Y. Hameline, « De l’usage de l’adjectif « liturgique », ou les éléments d’une grammaire de l’assentiment cultuel », La Maison-Dieu, n° 222, 2000, p. 79-106). 40   On comparera par exemple le début du chapitre II dans la première partie de chaque ouvrage : « De ingressu in chorum et egressu. Dum ultimum divini officii signum pulsari incipit, omnes illico modeste accedent ad ecclesiam. In ingressu ecclesiæ, quilibet aqua benedicta se tinget » ([Paris 1703], p. 2) ; « De ingressu in chorum et egressu. 35

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Cette observation amène à la dernière remarque : on constate un important phénomène d’intertextualité. Il ne s’agit pas des cérémoniaux publiés à l’identique, sous des titres différents, pour de pures questions de stratégie éditoriale 41, mais de la copie, plus ou moins adaptée, de passages entiers d’un ouvrage à l’autre 42.

S ources des cé ré moniaux La rédaction d’un cérémonial apparaît comme une entreprise complexe, aux sources multiples. Pour les livres décrivant l’usage romain, il fallait d’abord recueillir les prescriptions cérémonielles des livres romains, au premier rang desquels le Cérémonial des évêques, mais aussi les rubriques et le Ritus servandus in celebratione missarum du Missel, les rubriques du Bréviaire, voire du Rituel et du Pontifical romains. Il s’agissait ensuite de les confronter les unes avec les autres, ainsi qu’avec leurs commentaires, et tout particulièrement, à partir de 1628, avec ceux du Thesaurus sacrorum rituum de Gavantus, véritable ouvrage de référence en la matière 43. Il restait éventuellement à ménager en certains endroits de l’ouvrage quelques adaptations des cérémonies romaines aux « louables coutumes » du pays, pour éviter trop de «  singularitez  »  44. Les auteurs du Manuel des cérémonies romaines relatent dans l’Avertissement à l’ouvrage ces différentes étapes de la rédaction, ainsi que leurs entretiens et correspondances avec les auteurs les « plus savans » et avec « les plus célèbres cérémoniaires » romains pour résoudre les difficultés rencontrées 45. Dans les communautés religieuses qui suivaient l’usage romain, d’autres sources s’ajoutaient aux livres romains, en particulier les coutumiers et anciens cérémoniaux du monastère et de l’Ordre : La matière du cérémonial est un recueil des rubriques, offices, cérémonies et autres prières et fonctions ecclésiastiques et régulières que l’on a tiré […] des Bréviaire, Missel, Octavaire, Processional et Cérémonial romains et des usages et cérémoniaux anciens de notre Ordre, dans les choses qui ne sont pas réglées par ceux-là 46.

Dum ultimum divini officii signum pulsari incipit, accedant omnes modeste et ingrediendo ecclesiam, tingat se quilibet aqua benedicta » ([Lisieux 1747], p. 5-6). 41   Cf. [Bénédictins Saint-Vanne 1695] et [Bénédictins 1695]. 42   On peut comparer par exemple les passages consacrés au jeu de l’orgue durant la bénédiction du Saint-Sacrement dans le [Bénédictins Saint-Maur 1645], p. 533-534 et dans le [Beauvais Frères mineurs 1669], p. 433 ; à propos des passages consacrés au chant et aux orgues, voir dans cet ouvrage les filiations distinguées par Cécile Davy-Rigaux dans sa contribution ; voir aussi la contribution de François Auzeil. 43   Bartolomeo Gavanti, Thesaurus sacrorum rituum, seu commentaria in rubricas missalis et breviarii Romani, 5e éd., Anvers, 1634. 44   Ces adaptations étaient parfaitement autorisées par la hiérarchie romaine ([Lazaristes 1670], Avis au lecteur, n.p.). 45   Ibid. ; cf. également [Bauldry Manuale 1637], « Avis au lecteur », n.p. et [Du Molin Messe 1643], « Avis au lecteur », n.p. 46   [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], t. I, Préface, n.p.

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Le procédé était le même pour la rédaction des cérémoniaux diocésains, mais la compilation avait lieu principalement à partir des livres propres du diocèse, des articles relatifs au cérémonial dans les statuts synodaux et éventuellement à partir d’anciens manuscrits décrivant les usages locaux  47. Dans son mandement introduisant le nouveau Cérémonial parisien de 1703, le cardinal de Noailles justifie cette publication par la nécessité d’accorder le Cérémonial aux Bréviaire et Rituel du diocèse récemment réédités : Hæc nos momenta ad singularem Parisiensis Cæremonialis curam suscipiendam impulerunt, ut emendatiorem Ritualis et Breviarii editionem, nostro jam jussu habitam novus hic cæremoniarum codex sequeretur, ubi earum a nobis norma deinceps servanda statueretur, quam antehac convenientior 48.

À ces sources —  livres romains, livres propres, coutumiers  — il faut ajouter les cérémoniaux déjà publiés, qui pouvaient inspirer, comme on l’a vu, la forme ou le fond des nouveaux ouvrages, ainsi que d’éventuels emprunts à d’autres livres : le cérémonial des filles de la Passion de la province de Paris fournit de larges extraits, presque mot à mot, du Traité de l’exposition du Saint-Sacrement de Jean-Baptiste Thiers, sans d’ailleurs jamais citer sa source 49.

L es aute urs Il est difficile de dresser un portrait de groupe des auteurs de cérémoniaux. Bien souvent, ils ne sont pas mentionnés dans les ouvrages et leur identification est difficile. Parfois, la rédaction du cérémonial est une œuvre collective d’érudits versés dans les sciences liturgiques, connaisseurs des pratiques et des usages. C’est le cas du Manuel des cérémonies romaines, fruit du travail de « quelques-uns des prestres de la congrégation de la Mission 50 », mais aussi des cérémoniaux de Clermont, composé par « plusieurs savans ecclésiastiques » ou de Sens, rédigé par le chanoine Mahiet dont le travail est contrôlé par une commission de chanoines « anciens dans la compagnie et les plus instruits des usages » 51. Plus inhabituel semble le cas du Cérémonial des filles de la Passion publié en 1689, composé par des religieuses choisies du monastère de Paris  52. Dans les congrégations féminines, la rédaction du cérémonial est en effet fréquemment confiée à un ecclésiastique lié au couvent, comme le   À Toul, le chanoine chargé de la rédaction du Cérémonial a « lu tous les anciens missels, rituels, directoirs, statuts et autres livres de ce diocèse » ([Toul 1700], Mandement, n.p.) ; à Sens, le procédé consista à s’informer « des rits, cérémonies et usages observés dans les différentes églises de ce diocèse » et à les comparer aux « rits, cérémonies et usages […] religieusement conservés dans notre Église métropolitaine », ces derniers devant servir de règle pour les cérémonies à observer dans le diocèse ([Sens 1769], Mandement, p. VI-VII). 48   [Paris 1703], Mandement, n.p. ; on notera à la fin de ce passage la remarque dépréciative envers le Cérémonial antérieur, [Sonnet Paris 1662]. 49   On comparera les p. 786-796 de [Nicéphore Filles de la Passion 1679] t. II et les p. 325-339 du Traité de l’exposition du Saint-Sacrement de l’autel, Paris, J. Dupuis, 1673. 50   Cf. le titre de l’ouvrage. 51   [Clermont 1758], Mandement, n.p. ; [Sens 1769], Mandement, p. VII ; sur les rédacteurs des cérémoniaux diocésains, voir la contribution dans cet ouvrage de Bernard Dompnier. 52   [Filles de la Passion 1689], préface, n.p. 47

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capucin Nicéphore du monastère de Paris pour le rituel-cérémonial des filles de la Passion qui étaient sous la juridiction des capucins 53. Le cas du Cérémonial des clarisses de Bar-leDuc illustre le fonctionnement de réseaux familiaux : le directeur temporel du monastère, le prévôt de Bar Antoine Morel, frère de l’abbesse du monastère, fait appel à leur frère Jérôme Morel, docteur de Paris, provincial des Augustins de la province de France, pour établir le nouveau cérémonial 54. Du côté des ordres masculins, le cérémonial peut être rédigé par un membre de la congrégation — c’est le cas des Frères Mineurs qui confient la tâche à Antoine de Beauvais, préfet du chœur du couvent de Paris, donc très au fait des usages franciscains 55 — ou par une personnalité spécialiste de ces questions, à l’instar de Michel Bauldry à qui les mauristes ont recours pour leur cérémonial publié en 1645 56, alors qu’il était déjà bien connu pour son Manuale sacrarum caerimoniarum. D’autres auteurs gagnent une certaine notoriété en la matière en publiant plusieurs ouvrages. Contemporain de Michel Bauldry, Louis du Molin publie en 1639 la Practique des cérémonies de la saincte messe selon l’usage romain, puis en 1646 la Practique des cérémonies de la messe pontificale selon l’usage romain  57. Ces publications incitent l’Assemblée générale du clergé à lui demander un manuel plus complet, incluant les ouvrages déjà publiés et augmenté de nombreux autres offices et cérémonies. Le projet n’aboutit qu’en 1657 avec la Pratique des cérémonies de l’Église 58. Encore plus prolifique, Martin Sonnet, maître des cérémonies de Notre-Dame, rédacteur du Caeremoniale Parisiense de 1662, est l’auteur de nombreux ouvrages liturgiques pour le diocèse de Paris au tournant des années 1660 59.

Utilité et usages La publication d’un cérémonial pour un diocèse, un ordre religieux ou une église particulière repose sur la conjonction de facteurs généraux et spécifiques. Les raisons qui décident un auteur à sa rédaction, parfois à la demande d’un commanditaire précis, et qui entraînent le passage du manuscrit à l’imprimé, sont diverses.

  [Nicéphore Filles de la Passion 1679].   [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], t. I, Lettre de M. M[orel], n.p. 55   [Beauvais Frères mineurs 1669]. 56   [Bénédictins Saint-Maur 1645] ; voir à propos des cérémoniaux mauristes la contribution dans cet ouvrage de Daniel-Odon Hurel, « Du cérémonial monastique à l’usage de la congrégation de Saint-Maur aux cérémoniaux locaux ». 57   [Du Molin Messe pontificale 1646]. 58   [Du Molin Église* 1657]. 59   Il signe aussi en 1662 l’une des approbations de [Lazaristes* 1662]. 53 54

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Chronolog ie et conte xtes des publicat ion s Il convient avant tout de noter que par rapport aux autres livres d’Église, très peu de cérémoniaux sont imprimés en France à l’époque moderne. Seuls quatre-vingt-cinq sont actuellement recensés entre 1600 et 1789  60, dont voici la répartition chronologique sur la période : 12 10 8 6 4 2

16

00 16 -1 10 60 9 16 -1 6 20 1 9 16 -1 30 62 9 16 -1 6 40 3 9 16 -1 50 64 9 16 -1 60 65 9 16 -1 6 70 6 9 16 -1 80 67 9 16 -1 6 90 8 9 17 -1 00 69 9 17 -1 10 70 9 17 -1 7 20 1 9 17 -1 30 72 9 17 -1 7 40 3 9 17 -1 50 74 9 17 -1 7 60 5 9 17 -1 70 76 9 17 -1 80 77 -1 9 78 9

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Tableau 1. Cérémoniaux publiés en France 1600-1789

Au xvie siècle, peu de cérémoniaux furent imprimés en France 61 ; la véritable diffusion s’amorce à la suite de la publication du Cérémonial des évêques en 1600. Le cérémonialisme qui caractérise le catholicisme post-tridentin est lié en partie à la réaffirmation de l’importance du culte divin, aux exigences de réforme, de restauration et de reconquête de formes crédibles des cérémonies, face aux critiques des protestants, douloureusement ressenties. L’établissement de nouvelles formes extérieures du culte, plus dignes et conformes aux nouveaux idéaux, passait par la valorisation du cérémonial, véritable manifestation publique de l’institution ecclésiastique. L’utilité des cérémoniaux est souvent justifiée dans les préfaces ou mandements introducteurs de ces ouvrages par cet idéal de décence et de gravitas dans les cérémonies, envisagées sous leur double versant théologique et pastoral comme devoir envers Dieu et source d’édification pour les fidèles : L’édification que les cérémonies donnent aux fidèles est proportionnée à la décence et à la gravité avec lesquelles on les fait. Pour s’en acquitter comme il faut, il est nécessaire d’en connoître l’ordre et le détail ; c’est ce qui fait l’objet du Cérémonial 62.

  Ce compte n’inclut pas les nombreuses rééditions, même augmentées.   Le plus célèbre est sans doute celui de la congrégation monastique de Bursfeld (cf. [Bénédictins Bursfeld 1610]). 62   [Sens 1769], p. 2. 60

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Comme le montre le tableau précédent, la publication de cérémoniaux au cours des deux derniers siècles de la monarchie française n’est cependant pas répartie de manière uniforme, puisque le xviie siècle rassemble la majorité d’entre eux (environ 71 %), avec un pic dans les années 1620-1660. On peut distinguer plusieurs phases dans cette chronologie, avec des décalages suivant le type d’ouvrages. Ordres, congrégations et communautés religieuses Leurs cérémoniaux constituent la grande majorité du corpus (71  % du total). La plupart d’entre eux sont publiés au xviie siècle, en général avant 1670, dans le contexte général de la Réforme catholique. Ils suivent de plus ou moins près la réforme des ordres anciens et la création des nouveaux. D’autres motifs expliquent ces publications. Dans la préface du Cérémonial des clarisses de Bar-le-Duc sont exposées les trois raisons principales qui ont conduit à sa rédaction. La première est celle de la commodité et de l’économie face à la dispersion de l’information cérémonielle : Le dessein et la fin [du Cérémonial] est de renfermer en un seul volume ce qui appartient aux cérémonies de l’office divin […] qui sont répandues en divers livres, tant pour nous instruire tout d’un coup de ce que nous devons observer que pour nous épargner la peine de recourir à plusieurs autres livres et les dépenses qu’il y faudroit faire 63.

Les deuxième et troisième raisons consistent en la nécessité d’« établir une parfaite conformité des cérémoniaux communs de notre Ordre et de nos usages particuliers avec l’Église romaine », et d’unifier la pratique des cérémonies au sein de l’Ordre. En outre, chaque ouvrage est le fruit d’un contexte particulier. Pour les capucines du monastère de Paris, il s’agit de s’adapter aux modifications dues au déplacement du couvent en 1688 64. Dans certaines communautés particulières, on peut s’étonner de la publication d’un cérémonial, qui mentionne des fondations précises et des cérémonies locales, et de ce fait, semble difficilement destiné à une large diffusion 65. Le cas du Cérémonial de l’abbaye de Montmartre est révélateur des motifs qui incitent à faire imprimer le cérémonial plutôt que d’en réaliser des copies manuscrites : Cette nécessité de donner à chacune des religieuses un exemplaire du Cérémonial est l’une des raisons principales qui ont obligé d’en permettre l’impression plutost que d’en faire plusieurs copies manuscrites qui, outre la difficulté de les transcrire, sont ordinairement accompagnées de plusieurs fautes. Mais une autre raison est que les abbesses et supérieures de plusieurs autres monastères, spécialement celles qui ont esté élevées dans cette Maison, ayant appris que l’on travailloit au Cérémonial, ont témoigné un grand désir d’en avoir des exemplaires, afin de se conformer dans l’observance des cérémonies qu’elles y ont vu prati-

  [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], t. I,, Préface, n.p.   [Filles de la Passion 1689], t. I, Préface, n.p. 65   Cf. par exemple [Augustines Pontoise 1641]. 63 64

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quer. Ainsi nous avons cru que la charité qui doit estre la règle de toutes les actions chrétiennes, nous obligeoit de le leur communiquer, ce qui ne se pouvoit facilement faire sans avoir recours à l’impression 66.

Cérémonies romaines Les manuels de cérémonies romaines publiés en France, peu nombreux, le sont entre 1637 (Manuale sacrarum caerimoniarum de Michel Bauldry) et 1662 (Manuel des cérémonies romaines des lazaristes), dans un contexte général de diffusion du rit romain, permis par l’introduction des livres romains (dont le Cérémonial des évêques) en France, ainsi que du Thesaurus sacrorum rituum de Gavantus relayé par l’Abrégé de Claude Arnaud rédigé en français67. Ils correspondent à un certain consensus en France autour des cérémonies romaines, comme l’illustre en 1645 la demande de l’Assemblée générale du clergé à Louis du Molin de rédiger sa Pratique des cérémonies de l’Église selon l’usage romain 68. Les auteurs évoquent la dispersion des énoncés prescripteurs comme motif de rédaction, mais également comme procédé commercial, soulignant l’intérêt pratique de tels ouvrages, véritables condensés facilement utilisables par tous 69. La plupart de ces ouvrages connaissent une grande diffusion et un succès durable à travers de nombreuses rééditions. Le Manuel de Bauldry, rédigé en latin, est largement édité et diffusé en Italie, à tel point qu’il est cité dans un décret de la Congrégation des rites 70. En France, c’est surtout l’ouvrage des lazaristes qui fait référence  71. La partie consacrée à la messe basse dans le Cérémonial de Toul est même entièrement extraite du Manuel. Seule la Pratique des cérémonies de l’Église selon l’usage romain de Louis du Molin, rééditée une seule fois en 1667, n’obtint semble-t-il pas le même succès, alors que sa Practique des cérémonies de la saincte messe, augmentée en 1643 des cérémonies de la messe solennelle, puis en de nombreuses autres rééditions des cérémonies des vêpres, des matines et des laudes, demeura un succès éditorial jusqu’à la fin du xviiie siècle 72.

  [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], Préface, n.p.   Claude Arnaud, Abrégé du trésor des cérémonies ecclésiastiques du R. P. Gavantus, Paris, S. Huré, 1643 [1re éd. 1636]. 68   Pour un meilleur aperçu de la diffusion en France de la liturgie romaine, voir dans cet ouvrage la contribution de B. Dompnier. 69   Cf. [Du Molin Église 1667], Avant-propos, n.p. : « Je crois avoir pourveu à tous les deux [ceux qui sont dans les hautes et premières dignités et ceux qui servent aux moindres églises et dans les villages] en ce petit livre, épargnant le temps à ceux qui l’ont cher et les frais à ceux qui ne peuvent les porter, les uns et les autres trouvans leurs offices tout de suite et sans renvoy. » ; voir aussi dans cet ouvrage l’Introduction de J.-Y. Hameline. 70   Decreta authentica Congregationis sacrorum rituum, Rome, 1898-1901, t. 1, p. 325 (21 mars 1676). 71   Voir par exemple Pierre Collet, Examen et résolutions des principales difficultés qui se rencontrent dans la célébration des SS. Mystères, Paris, Debure/C. Herissant, 1752, Préface, p. IV ; le Manuel est réédité avec des modifications en 1670 ; augmenté d’un second volume en 1717, il connaît de nombreuses rééditions parisiennes et provinciales jusque dans les années 1840. 72   Cf. [Du Molin Messe* 1639]. Une des approbations de cet ouvrage, datée de 1642, était signée de deux spécialistes en matière cérémonielle, Michel Bauldry et Claude Arnaud. 66 67

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Diocèses et cathédrales Sur les cent trente-six diocèses que compte la France à la veille de la Révolution, seuls douze sont pourvus d’un cérémonial imprimé (Paris, Bayeux, Besançon, Metz, Toul, Bourges, Angers, Lisieux, Clermont-Ferrand, Sens, Langres et Le Mans 73), soit une proportion très faible (environ 9 %), concernant essentiellement l’est de la France et un grand bassin parisien. Il est vrai que dans les diocèses les cérémoniaux ne constituent pas le mode habituel de règlementation en matière de cérémonial, les évêques légiférant à ce sujet dans les synodes, dont les statuts faisaient souvent l’objet de recueils imprimés, ou au moyen de mandements sur des sujets précis. La première moitié du xixe siècle voit toutefois la publication de nouveaux cérémoniaux dans des diocèses qui n’en avaient pas connu avant la Révolution (Toulouse, Verdun, Grenoble, Le Puy, Autun, Poitiers, Pamiers). Les cérémoniaux diocésains constituent un genre tardif en France, puisque le premier d’entre eux, le Cérémonial de Paris rédigé par Martin Sonnet, n’est publié qu’en 1662. La date n’est pas fortuite, elle correspond à un moment où l’on constate, après une large période de diffusion des livres et du Cérémonial romains, un souci de remise à l’honneur des usages des Églises locales, en toute conformité d’ailleurs avec la norme romaine 74. Ces cérémoniaux diocésains constituent certainement l’indice d’une forte identité liturgique : tous les diocèses concernés connaissent une réforme de leur bréviaire au cours du xviiie siècle, mais aucun d’entre eux n’adopte le Bréviaire parisien. La revalorisation des « venerabiles consuetudines » s’articule généralement avec la nécessité, avancée avec force dans les préfaces ou les mandements introducteurs des cérémoniaux, d’uniformiser les usages du diocèse en bannissant disparités et abus. Le « défaut de cérémonial » peut d’ailleurs être allégué comme cause de l’hétérogénéité et de l’indécence des cérémonies dans un diocèse  75, alors que l’existence d’un cérémonial est perçue comme un facteur d’uniformisation : le curé de SaintJean-les-Deux-Jumeaux (diocèse de Meaux) rapporte un entretien de 1684 avec son évêque — Bossuet —, au cours duquel celui-ci évoque le bel ordre des cérémonies parisiennes dû d’après lui au cérémonial de Martin Sonnet : Pour les cérémonies du diocèse, et particulièrement des parroisses de la campagne, [Monseigneur me dit] qu’il avoit bien du penchant pour faire suivre celles de Paris, comme la métropole e[s]t celle où les cérémonies sont réglées avec plus d’ordre et plus d’application par le travail de Monsieur Sonnet 76.

73   À Besançon, le Cérémonial est réédité à l’identique en 1707 (cf. [Besançon 1682], [Besançon 1707]) ; à propos des cérémoniaux diocésains, on se reportera à la contribution de B. Dompnier au sein de cet ouvrage. 74   En vertu notamment de la fameuse clause des deux cents ans concédée lors de la publication du Missale Romanum de 1570 (constitution Quo primum tempore). 75   [Sens 1769], Mandement, p. VI-VII. 76   Jean-Baptiste Raveneau, Journal (1676-1688), M. Bardon et M. Veissière (éd.), Étrépilly, Les Presses du Village, 1994, p. 173.

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Us ages des cé ré moniaux Le titre des cérémoniaux précise toujours à quel usage est destiné le cérémonial (diocèse, cathédrale, communauté de chanoines, bénédictins, clarisses…). Cette information mérite pourtant d’être précisée. Dans le diocèse, le cérémonial n’est pas à l’usage de tous, et pas toujours de la même manière : il inclut ou exclut partiellement les usages de la cathédrale — le cérémonial de Langres n’est pas destiné à la cathédrale 77 — et surtout ne concerne pas les nombreux exempts de la juridiction épiscopale, abbayes et monastères qui suivent leur usage propre ou le romain. Certains quartiers entiers ne relèvent pas de l’ordinaire : à Paris, c’est tout le territoire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, incluant la paroisse SaintSulpice, qui échappe longtemps au pouvoir de l’archevêque. Les mandements de promulgation des cérémoniaux diocésains scandent souvent la liste de ceux qui doivent désormais faire usage du nouvel ouvrage. À Paris, la liste, incluant curieusement tous les religieux, évoque tous les « doyens, chapitres, abbez, prieurs, convents, curez, vicaires, supérieurs et supérieures des églises, communautez séculières et régulières, séminaires, collèges, hospitaux, chapelles et autres lieux pieux, comme aussi […] tous bénéficiers, prêtres, clercs et marguilliers desdites églises de cette ville, faux bourgs et diocèse de Paris 78 ». La plupart des autres mandements semblent plus raisonnables : l’usage du cérémonial de Lisieux est imposé simplement « à toutes les églises du diocèse, à leurs recteurs et à tous prêtres et autres clercs, quels qu’ils soient, tenus de célébrer l’office de Lisieux  79 ». Les injonctions d’achat concernent en fait généralement les paroisses : « Enjoignons […] aux marguilliers, échevins, chateliers des églises d’en fournir dans trois mois au plus tard un exemplaire dans chaque paroisse, sous peine d’y être contraints par les voyes de droit 80 ». Le mandement introductif du Cérémonial de Toul fournit même un mode d’emploi de l’ouvrage : il y est ordonné aux ecclésiastiques du diocèse « d’en faire incessamment une lecture entière, et de lire à chaque fête et solemnité l’endroit où il est traité des cérémonies qui luy sont propres » 81. Dans cette perspective, il n’est pas étonnant que la plupart des cérémoniaux diocésains soient rédigés en français (seuls les cérémoniaux parisiens de 1662 et 1703 et le cérémonial de Lisieux de 1747 sont en latin), ce qui mettait ces textes à la portée de la plus grande part du clergé, sans doute réticente à la lecture fastidieuse du latin à longues lignes. Le constat est le même pour les manuels de cérémonies romaines : si le Manuale de Michel Bauldry est publié en latin en 1637, les ouvrages de Louis du Molin et le Manuel des lazaristes de 1662 sont rédigés en langue vernaculaire « pour estre entendu[s] de tous 82 ».

  [Langres 1775], Mandement, n.p. ; à Bourges, « on n’a point […] parlé de certaines cérémonies qui sont si particulières à l’église cathédrale qu’on ne pourroit les observer ailleurs ([Bourges 1708], « Avertissement », n.p.). 78   [Sonnet Paris 1662], « Mandement de Messieurs les vicaires », n.p. 79   [Lisieux 1747], Mandement, p. VI : « Quocirca omnibus et singulis diœcesis nostræ ecclesiis, earumque rectoribus necnon omnibus, quicumque sint, presbyteris aliisve clericis qui Lexoviense officium celebrare tenentur, in Domino mandamus ac prcipimus, ut hocce nostro ceremoniali libro, nec alio quolibet, inposterum utantur. » 80   [Toul 1700], Mandement, n.p. 81   Ibid. 82   [Du Molin Église 1667], « Avant-propos », n.p. 77

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Dans les couvents, toutes les religieuses doivent posséder un exemplaire du cérémonial imprimé, car sa lecture fréquente, « l’un des plus grands soins » qu’elles doivent avoir 83, leur fournit un guide de conduite et leur évite de manquer à leurs obligations par ignorance 84. Là encore, l’usage du français semble le plus naturel, les moniales étant peu formées au latin  85. Certains membres de la communauté, plus impliqués dans le déroulement des cérémonies, se doivent d’apporter un soin particulier à la lecture et à l’apprentissage du cérémonial : à l’abbaye de Montmartre, les chantres doivent souvent lire le Cérémonial, «  afin qu’en estant parfaitement instruites, elles puissent le garder et le faire observer exactement aux autres 86 ». En outre, les instructions du cérémonial sont fréquemment lues en commun au réfectoire, spécialement les veilles de fêtes, en vue de préparer les cérémonies particulières 87. Cette vocation pédagogique du cérémonial se retrouve avant tout dans les séminaires où il sert à l’apprentissage des pratiques du culte. Cependant, dans toutes les églises, les utilisateurs « naturels » du cérémonial sont les préfets du chœur et les maîtres ou maîtresses des cérémonies, qui doivent en avoir une connaissance parfaite et veiller à leur juste application 88. Bien souvent, le public des cérémoniaux est plus large que ne le laisse entendre leur titre. Il est évident que leur utilisation et leur diffusion ne sont pas forcément cantonnées au diocèse ou à la communauté pour lequel ils ont été publiés. Certains cérémoniaux destinés à un établissement précis participent de son rayonnement et de son influence sur d’autres monastères, comme dans le cas déjà signalé du Cérémonial de l’abbaye de Montmartre. De même, on sait que le cérémonial de Paris de 1662 était connu dans le diocèse voisin de Meaux 89. Quant à l’usage romain, c’est bien souvent à lui que l’on a recours en cas de lacune ou d’imprécision dans les coutumes locales 90. En fait, en plus de leur cérémonial propre, les églises possèdent en général une série d’ouvrages de références qui permettent un retour aux sources principales ou une consultation comparée des usages. Pour les religieuses, il s’agit avant tout de mettre ces livres à la disposition des ecclésiastiques desservant leur église : les clarisses de Bar-le-Duc possèdent, outre leurs livres propres, le cérémonial des évêques, le rituel et le pontifical romains « tant pour les occasions où l’on peut en avoir affaire que pour des personnes qui peuvent venir chez nous faire quelques cérémonies et

  [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], t. I, Préface, n.p.   [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], Préface, n.p. 85   On observe d’ailleurs une longue tradition des cérémoniaux en français dans les communautés féminines (dès 1611 pour le Cérémonial des clarisses de Verdun, [Boulenger Clarisses Verdun 1611]), alors que dans les ordres et congrégations masculines, la langue des cérémoniaux demeure en général le latin. 86   [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], p. 5. 87   [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], t. I, Préface, n.p. 88   Cf. [Paris 1703], p. 363-364 ; il est fait également mention des textes essentiels que doit lire le préfet des cérémonies pour fonder sa connaissance des rites. 89   Cf. supra note 76. 90   Cf. [Lazaristes 1670], Avertissement à la seconde édition, n.p. : « on a eu egard, autant que l’on a pu, aux coutumes louables des lieux, ausquelles on renvoye souvent le lecteur, et […] l’utilité de ce Manuel n’est pas tellement restrainte à ceux qui font une particuliere profession de pratiquer les cérémonies romaines, qu’elle ne puisse aussi s’etendre aux autres qui suivent des usages différens receus dans leurs diocèses ». 83 84

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pour y avoir recours en quelques difficultés qui auroient besoin d’éclaircissement ou pour quelque autre sujet 91 ». En plus des livres romains, quelques ouvrages classiques constituaient un fonds de référence en matière de cérémonies. Le catalogue des livres de la bibliothèque des lazaristes de Versailles, établi en 1690 et augmenté jusqu’à la Révolution, permet de s’en faire une idée : sous la rubrique « Sacrorum rituum interpretes » figurent notamment deux exemplaires du Thesaurus sacrorum rituum de Gavantus, le Manuale de Michel Bauldry, deux exemplaires du cérémonial de Paris de 1662 et un exemplaire de celui de 1703. À cela s’ajoutent, ce qui n’est pas pour surprendre dans une bibliothèque de lazaristes, huit exemplaires du Manuel des cérémonies romaines 92. Enfin, le caractère général des instructions dispensées dans les cérémoniaux suppose bien souvent de les compléter, voire de les adapter dans les églises locales, en fonction de leurs spécificités. Un cérémonial ou un coutumier manuscrit pouvait remplir ce rôle : Outre le cérémonial qui donne les principes généraux et les principales modifications que commandent la différence des localités et l’insuffisance des ressources, il est nécessaire qu’il y ait dans chaque église un coutumier qui expose avec exactitude, non seulement toutes les cérémonies qui s’y font pendant l’année, mais encore les particularités du temps, de l’heure, du lieu, du mode, en un mot tous les détails que le cérémonial ne peut pas toujours prévoir et préciser 93.

• Dans la grande famille des livres d’Église, les cérémoniaux occupent une place spécifique. À la différence des autres livres, ils ne contiennent pas les prières des offices et leur usage est extérieur aux célébrations. Conçus comme des guides pour les différents acteurs du culte, ils doivent permettre l’accomplissement harmonieux du service divin. S’ils ne sont pas essentiels au déroulement du culte, comme le montre leur relative rareté, leur utilité, voire leur nécessité, sont fréquemment soulignées pour la pratique convenable des cérémonies. Certes, les prescriptions qu’ils contiennent trahissent plus les intentions du législateur, les directives ecclésiastiques et un ordre idéalisé que les pratiques réelles des différentes églises. Mais de ce fait, ils reflètent les conceptions qui fondent les sciences du culte et leur évolution. À différents moments, ils illustrent les grands mouvements qui affectent le monde catholique aux lendemains du concile de Trente : diffusion des décisions et des usages romains, Réforme catholique, réactions diverses tendant au retour aux anciens usages locaux. Par ailleurs, on est frappé par le constant souci d’uniformisation qui sous-

  [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], t. I, Préface, n.p.   BnF, ms. Nouv. acq. lat. 1262 et 1263 ; à ces cérémoniaux et manuels s’ajoutent de nombreux ouvrages liturgiques et livres de chant, le Directorium chori de Martin Sonnet (cf. [Sonnet Paris Directorium 1656]), le Parfait ecclésiastique, les Réponses aux remarques sur le nouveau Bréviaire de Paris… 93   [Autun 1845], p. 347 ; le Cérémonial de Montmartre prévoit également de possibles adaptations : « Que si dans les abbayes qui voudront pratiquer ce Cérémonial, il y a quelques observances particulières qui n’y soient pas décrites, elles pourront facilement estre suppléées en ajoutant quelques feuilles ou imprimées ou mesme écrites à la main » ([Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], Préface, n.p.). 91 92

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tend la rédaction des cérémoniaux. Faut-il y voir une marque d’insistance communautaire sur l’identité religieuse, alors même que se disloque l’ancienne unité du monde chrétien, minée par l’hérésie et la découverte de nouvelles civilisations ? Alexis Meunier École pratique des hautes études

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Portraits de quelques imprimeurs-libraires de cérémoniaux Qui furent les imprimeurs et les libraires qui fabriquèrent et diffusèrent des cérémoniaux ? Répondre à une telle question demeure aujourd’hui encore bien difficile. Cela tient pour une part à la difficulté d’en dresser une liste exhaustive. Cela tient surtout à la double difficulté d’identifier ces imprimeurs-libraires et de reconstituer ce que furent leurs carrières et leur production. Doit-on pour autant s’interdire de s’y essayer ? Certes non, c’est ce que tentera ici, en toute humilité mais en toute lucidité, l’historien du livre. Le point de départ de notre interrogation sera la Liste-Index établie dans le présent volume selon les principes qui sont précisés en introduction (cf. infra, p. 543). Au total, ce sont cent quinze titres produits par quatre-vingt-six imprimeurs-libraires, dont certains ont travaillé en association, qui ont été repérés. Sur cet ensemble, nous avons pu identifier soixante-sept imprimeurs-libraires, pour lesquels nous disposons d’éléments biographiques, parfois développés mais le plus souvent succincts. Cependant, seize individus demeurent inconnus. Par commodité, on emploiera ici le terme traditionnel d’ « imprimeur-libraire », dans la mesure où il est souvent difficile de connaître les activités réelles d’un individu à un moment donné, et ce d’autant plus qu’elles ont pu se succéder au cours d’une carrière. Après avoir rappelé les difficultés d’identification de ces gens, en évoquant les types d’instruments de travail utilisables, nous tenterons un portrait de groupe, avant de camper quelques personnalités moins méconnues que d’autres.

Comment identifier les imprimeurs-libraires ? Nous disposerons vraisemblablement un jour d’une base de données biographiques de ces personnages. Ce sera peut-être une base constituée à partir des fichiers d’autorités de la Bibliothèque nationale de France, éventuellement complétés par des informations puisées dans différents chantiers prosopographiques actuellement menés. C’est dire qu’à l’heure actuelle un certain nombre d’investigations susceptibles d’alimenter une telle base sont en cours… Mais la base elle-même demeure hypothétique ! Nous devons donc œuvrer autrement. Le premier instrument de travail utilisable pour notre propos est sans aucun doute celui conduit au service de l’Inventaire général de la Bibliothèque nationale de France par Jean-Dominique Mellot, Élisabeth Queval et leurs collaborateurs. Leur travail concourt d’ailleurs à l’alimentation de la base autorités de la 79

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bibliothèque. Effectué «  livre en main  », il relève des indications d’état-civil, de dates d’exercice, d’adresses, de marques… mais donne peu de détails sur la carrière et la production des individus recensés. Il concerne la période moderne, « vers 1500 – vers 1810 ». Cette entreprise a connu plusieurs éditions papier depuis 1995. Celle de 1997 comptait quatre mille notices. Celle de 2004 a porté ce nombre à cinq mille deux cents 1. Parallèlement à cette entreprise, une autre a été lancée au début des années 1990 par Frédéric Barbier, dans le cadre de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine du CNRS : l’enquête prosopographique « Gens du livre au xviiie siècle ». Celle-ci s’est jusqu’à présent développée sur trois zones géographiques principales : le Nord de la France, Paris et Lyon. Cette vaste enquête vise à collecter le maximum d’informations documentées sur l’état-civil, la vie familiale et la vie professionnelle (apprentissage, réception, carrière, adresses, matériel, production…) de gens qui se sont trouvés être imprimeurs et diffuseurs de livres. C’est dire qu’elle ne se limite pas aux seuls imprimeurs-libraires, mais retient dans ses filets tous les professionnels (relieurs, compagnons, colporteurs…) et non professionnels (colporteurs non autorisés, étaleurs furtifs…) qu’elle rencontre au gré des dépouillements d’archives. À ce jour, seule la région Nord a pu être traitée en totalité, et donner lieu à publication des matériaux recueillis 2. Paris, compte tenu de sa taille et de sa position dominante, constitue un énorme chantier actuellement en cours 3. Pour sa part, l’auteur de ces lignes s’est attelé au cas de Lyon. L’enquête a déjà donné lieu à de très nombreuses publications ponctuelles. Il travaille actuellement à la rédaction d’un ouvrage de synthèse sur le monde lyonnais du livre au siècle des Lumières, destiné à accompagner la publication de plus de sept cents notices biographiques sur le site web de l’Enssib. Ces matériaux se sont donc révélés intéressants pour le propos qui est le nôtre ici. On doit cependant souhaiter que le même type d’enquête puisse un jour être mené pour Rouen, ville d’une importance considérable pour la production imprimée licite ou illicite. Mais ces enquêtes prosopographiques, partielles et inachevées, ne pouvaient répondre totalement à notre but. Il nous a donc fallu, dans un second temps, nous reporter à d’anciennes monographies, non remplacées à ce jour, et aux grandes thèses « régionales » consacrées à l’histoire de l’imprimerie et de la librairie. Il n’est bien entendu pas question de les citer toutes, mais on nous permettra de signaler les principales, ou les plus utiles à notre propos. La thèse d’Henri-Jean Martin, consacrée au Paris du xviie siècle, est bien évidemment incontournable, par son sujet, par son ampleur, et par son caractère de modèle  4. La

1   Jean-Dominique Mellot et Élisabeth Queval, avec la collaboration d’Antoine Monaque, Répertoire d’imprimeurs/libraires (vers 1500-vers 1810). Nouvelle édition mise à jour et augmentée (5200 notices), Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004. 2   Frédéric Barbier, avec la collaboration de Sabine Juratic et de Michel Vangheluwe, Lumières du Nord. Imprimeurs-libraires et « Gens du livre » dans le Nord au xviiie siècle (1701-1789), Genève, Droz, 2002. 3   Frédéric Barbier, Sabine Juravic et al., Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris, 17011789, A-C., Genève, Droz, 2007 ; voir aussi Sabine Juratic, Le Monde du livre à Paris entre absolutisme et Lumières. Recherches sur l’économie de l’imprimé et sur ses acteurs, Paris, thèse de doctorat de l’EPHE (IVe section), 2003. 4   Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au xviie siècle, Genève, Droz, 1969, 2 volumes. Cet ouvrage a fait l’objet d’une nouvelle édition en 1999.

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thèse de Sabine Juratic, déjà citée, vient la prolonger pour le siècle des Lumières. Parfois, le recours à La Caille 5, un ouvrage de la fin du xviie siècle, n’est pas totalement inutile. Le Rouen du xviie siècle a, quant à lui, été magistralement étudié par Jean-Dominique Mellot 6. Quant à Lyon, outre nos propres travaux portant sur le xviiie siècle, nous avons eu recours à la thèse de Simone Legay pour le xviie siècle 7. D’autres travaux, plus anciens, ont pu également nous apporter quelques précieuses informations. Sans vouloir être exhaustif, nous signalerons les doctorats de Madeleine Ventre 8 sur le Languedoc, et de René Moulinas pour Avignon 9. Une autre publication a mérité l’attention pour son adéquation avec le sujet traité et pour ses approches : celle que Laurent Guillo a récemment consacrée aux Ballard  10. L’auteur ne s’y contente pas de publier des données généalogiques ou biographiques, mais étudie la production, le matériel typographique, et les pratiques de « mise en texte » de ses héros. Cet ensemble documentaire ne permet cependant pas d’identifier tout notre petit monde. Faute de mieux, il faut alors se tourner vers des répertoires bibliographiques, pour beaucoup en cours, qui ne peuvent donner qu’une information des plus fragmentaires. Il s’agit, pour les principaux, du Renouard 11 consacré au xviie siècle parisien, et des fascicules de la Bibliotheca bibliographica Aureliana, publiés en séries séculaires 12. Ces derniers traitent d’une ou plusieurs villes d’impression. Pour chacune d’elles, ils donnent la liste des imprimeurs-libraires par ordre alphabétique, et pour chacun d’eux sa production imprimée par ordre chronologique des éditions, avec des localisations. Les indications biographiques relatives aux imprimeurs-libraires recensés dans ces livraisons sont des plus succinctes, puisqu’elles se limitent le plus souvent à un nom et à des dates… quand elles sont connues. Malgré toutes leurs imperfections, ces différents instruments de travail nous ont permis de collecter des informations plus ou moins précises sur soixante-dix professionnels impliqués dans la production ou la diffusion de cérémoniaux. Cet ensemble de données nous autorise à esquisser un portrait de groupe de ces gens.

  Jean de La Caille, Histoire de l’imprimerie et de la librairie, où l’on voit son origine et son progrès jusqu’en 1689… Paris, Jean de La Caille, 1689. (Reprint : Genève, Slatkine, 1971). 6   Jean-Dominique Mellot, L’Édition rouennaise et ses marchés (vers 1600- vers 1730). Dynamisme provincial et centralisme parisien, Paris, École nationale des chartes, 1998. 7   Simone Legay, Un Milieu socio-professionnel : les libraires lyonnais au xviie siècle, thèse de doctorat, université Lumière Lyon 2, 1995, 2 vol. dactyl. 8   Madeleine Ventre, L’Imprimerie et la librairie en Languedoc au dernier siècle de l’Ancien Régime 1700-1789, Paris et La Haye, Mouton, 1958. 9   René Moulinas, L’Imprimerie, la librairie et la presse à Avignon au xviiie siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1974. 10   Laurent Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard imprimeurs du roy pour la musique (1599-1673), Sprimont, Mardaga, 2003, 2 vol. (Centre de musique baroque de Versailles). 11   Philippe Renouard, Répertoire des imprimeurs parisiens, libraires et fondeurs de caractères en exercice à Paris au xviie siècle, Réimpression, Nogent-le-Roi, J. Laget, 1995. 12   Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au xviie siècle, Baden-Baden et Bouxwiller, Valentin Koerner, 40 fascicules publiés depuis 1978. Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au xviiie siècle, Baden-Baden et Bouxwiller, Valentin Koerner, 17 fascicules publiés depuis 1988. 5

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Portrait de groupe Comme nous l’avons déjà souligné, notre point de départ, la liste établie recense cent quatorze éditions du xviie au xixe siècle. Celles-ci émanent de trente-trois villes françaises, et se répartissent de la façon suivante 13 : Villes d’impression

Nombre d’éditions

Angers Autun Avignon Bayeux Besançon Bourg-en-Bresse Bourges Caen Châlons-en-Champagne Château-Gontier Clermont-Ferrand Coutances Douai La Flèche Le Mans Le Puy Lille Lisieux Lyon Metz Nancy Neufchâteau Langres Paris Poitiers Remiremont Rennes Rouen Sens Strasbourg Toul Toulouse Verdun

1 1 1 1 4 1 2 1 3 1 2 2 1 2 1 1 1 1 9 1 1 2 1 53 1 1 1 3 1 1 10 1 4

  Nous excluons de ce décompte les éditions romaines et deux éditions sans lieu.

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Une remarque ne sera pas pour nous étonner, puisqu’elle confirme la hiérarchie des centres de production du royaume : Paris en tête, Lyon en deuxième position. La part de Rouen est plus énigmatique, compte tenu de la place de cette ville dans le trio de tête des centres d’impression français. Toul (dix éditions), Besançon et Verdun (quatre éditions chacune) constituent un groupe médian. D’autres centres secondaires apparaissent, mais pour un nombre d’éditions faible  : Clermont-Ferrand, Toulouse. Ce qui, en revanche, surprend, c’est le « saupoudrage » dans des cités où l’unique atelier local devait plus souvent imprimer des travaux de ville et autres « bilboquets » que de véritables livres, si ce n’est des almanachs et de petits ouvrages de dévotion. Pensons, par exemple, à Bourg-en-Bresse, Château-Gontier ou Remiremont. Autre remarque, la plupart de ces imprimeurs-libraires n’ont jamais produit qu’un seul cérémonial dans toute leur carrière. Seize de ces imprimeurs, au moins, portent le titre d’imprimeur de l’archevêque ou de l’évêque de leur ville d’exercice. Sans vouloir être exhaustif, nous citerons : Rigoine à Besançon, Boutaudon à Clermont-Ferrand, De Fay à Langres, les Monnoyer imprimeurs de l’évêque de Toul à Neufchâteau… La veuve d’Antoine Jean Nicolle a d’abord été imprimeur de l’évêque de Bayeux, avant de devenir celui de l’évêque constitutionnel du Calvados. Quant au parisien François Augustin Le Clère, il a été imprimeur « du cardinal légat » [Caprara] en 1802, avant de devenir un an plus tard celui du cardinal-archevêque de Paris. Quelques autres sont imprimeurs d’ordres religieux. À Paris, Louis Billaine est imprimeur de l’Ordre de Saint-Benoît, tandis que son confrère Jean-Baptiste Coignard est celui de l’Ordre franciscain. Dans la capitale toujours, Frédéric I Léonard est imprimeur des Ordres de Saint Dominique, Cîteaux et Prémontré. À Verdun, Pierre Perrin est devenu en 1735 imprimeur de l’Ordre de Prémontré. À Toul, Alexis Laurent est imprimeur de l’Ordre de Saint-Benoît en 1679, et devient un an plus tard imprimeur de l’évêque. Ce cas permet d’ailleurs de souligner que nombre de ces imprimeurs officiels du clergé sont également imprimeurs du roi, de la ville, ou de grands personnages. Pour ne pas allonger démesurément la liste, nous nous contenterons de mentionner trois cas parisiens : Augustin-Martin Lottin a les titres d’imprimeur du duc de Berry, du Dauphin et de la ville. Quant à Claude II Simon, il peut se targuer d’être tout à la fois imprimeur de la reine, du prince de Condé, du duc de Bourbon, de l’archevêque de Paris et de l’évêque de Fréjus. Pour leur part, les Coignard sont imprimeurs de l’Académie française, et Jean-Baptiste III est aussi celui du comte de Toulouse. Il est donc patent que la production d’un ou plusieurs cérémoniaux par ces gens n’émanait pas d’une initiative individuelle, mais relevait bien de la commande. L’examen de notre corpus démontre que les spécialistes de la musique n’y apparaissent que de manière exceptionnelle. Seuls quelques-uns d’entre eux ont été indubitablement repérés. Il s’agit de parisiens : • Pierre I Ballard chargé d’imprimer la musique du roi depuis 1594 (ce qu’il ne fit qu’à partir de 1599), payeur des chantres de la chapelle du roi et commissaire ordinaire de l’artillerie de France ;

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• Robert II (ou III) 14 Ballard, fils et successeur du précédent, y compris dans sa charge de commissaire de l’artillerie, actif de 1638 à son décès en 1672, noteur de la chapelle du roi depuis 1666 ; • Gilles Blaizot dont un successeur (Pierre) est connu comme marchand de musique ayant exercé de 1741 à 1808. • Dans un autre ordre d’idées, mais attestant d’intérêts pour la musique, on relèvera que Joseph III Carez (actif à partir de 1781), fils de Joseph II, imprimeur à Toul d’un cérémonial en 1770, fut d’abord séminariste, puis chanteur d’opéra à Nancy, avant de reprendre la succession paternelle… d’occuper de nombreuses fonctions dans l’administration révolutionnaire du département de la Meurthe et d’être député à la Législative. Une des questions que ne peut manquer de se poser l’historien est justement celle de la possession par ces différents acteurs du matériel nécessaire à la composition des cérémoniaux. Seul un examen précis, livre en main, des éditions repérées pourrait permettre de répondre à cette interrogation. S’il est bien connu que des fontes typographiques et des ornements pouvaient se prêter… à condition d’être dans une ville riche de plusieurs ateliers, tout le monde ne pouvait posséder, pour une utilisation exceptionnelle, de notes. De plus, la musique étant le plus souvent gravée, nombre d’imprimeurs, y compris de grandes villes, étaient contraints à la sous-traitance, et pour ce faire devaient se tourner vers Paris. Il est tout de même significatif de relever que le parisien Jacques Langlois était non seulement imprimeur, mais aussi fondeur de caractères, ce qui le mettait en mesure de fabriquer du matériel spécifique pour des impressions sortant de l’ordinaire. Par ailleurs, quelqu’un comme Denis Mariette pouvait se targuer d’être fils d’un graveur et marchand d’estampe, gendre du libraire et marchand d’estampes François Langlois, et d’avoir travaillé chez un autre imprimeur de cérémoniaux, Denis Thierry, avant de s’installer à son compte. Enfin, certains n’étaient que libraires et seul un examen «  livre en main  » des cérémoniaux qui portent leur nom au titre permettrait, éventuellement, de dévoiler les imprimeurs auxquels ils sous-traitèrent la fabrication. Gabriel II Clopejeau, associé à son frère Nicolas, n’était que libraire-relieur. Son nom apparaît, sur les pages de titre, tantôt associé aux Cramoisy, tantôt seul. Autre cas, le parisien Jean Billaine n’était que libraire. Il nous faut enfin souligner que ces imprimeurs-libraires n’étaient pas tous d’une orthodoxie sans faille. Huguetan, qui publia à Lyon en 1658 la Pratique des cérémonies de la sainte messe selon l’usage romain de Louis Du Molin (cf. Liste-Index infra, [Du Molin Messe* 1639]), appartenait à une famille qui, forcée d’abjurer le protestantisme en décembre 1685, préféra s’exiler vers les Pays-Bas et le Danemark. Plusieurs noms ont été mêlés aux affaires jansénistes. Pierre Perrin, qui fut actif à Verdun de 1735 à 1781, tout en étant imprimeur officiel de l’Ordre de Prémontré, vendait aussi les libelles du parti. À Paris, Antoine Vitray

  Parfois nommé Robert III pour le distinguer de son oncle Robert II (1572 ? – 1650 ?), luthiste du roi.

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fut emprisonné en 1645 pour avoir publié les Œuvres de Saint-Cyran ; son confrère Denis Langlois fut arrêté en juin 1657 pour impression de pamphlets jansénistes, puis relâché après avoir passé des aveux. Dix ans plus tard, un arrêt du 17 février 1667 lui enjoignait ainsi qu’à douze autres confrères de fermer son atelier « faute de satisfaire aux conditions requises ». L’implication de ces derniers dans la production de cérémoniaux s’explique donc sans mal. Là, comme en d’autres domaines, les professionnels du livre d’Ancien Régime ont d’abord privilégié leurs intérêts d’entrepreneurs et de commerçants sur leurs convictions personnelles. Des imprimeurs-libraires de cérémoniaux eurent maille à partir avec la justice pour contrefaçon ou production d’ouvrages prohibés. Ainsi, l’affaire qui toucha Arnoul II Cotinet, actif à Paris de 1637 à 1662. Soupçonné d’avoir publié un libelle intitulé Souspirs françois sur la paix italienne, il fut l’objet d’une perquisition du lieutenant civil au Châtelet le 13 avril 1649. À l’arrivée de la police, il se sauva par une fenêtre. Il fut condamné à mort par contumace et pendu en effigie le 7 mai 1649. La foule s’en étant alors prise au bourreau et ayant renversé la potence, la sentence fut commuée en condamnation aux galères. Enfin, le Parlement rendit un arrêt d’absolution, fin septembre 1649, ce qui permit à Cotinet de sortir de la clandestinité et de reprendre ses affaires. Plusieurs de ces professionnels ont en revanche gravi les degrés du cursus honorum de leur cité, accédant ainsi à l’échevinage. Signalons Sébastien I Cramoisy, échevin de Paris en 1639-1641. Ce dernier fit d’ailleurs une belle carrière comme directeur technique de l’Imprimerie royale en 1640, avant d’en devenir directeur en titre trois ans plus tard. Par ailleurs, on relèvera qu’Augustin-Martin Lottin, actif à Paris de 1746 à 1793, enseigna l’art typographique à Louis XVI. Comme il a déjà été dit, Joseph III Carez, de Toul, fut député à la Législative et administrateur du département de la Meurthe. Au terme de cette trop rapide évocation, force est de constater que la figure de l’imprimeur-libraire de cérémoniaux est multiple : du petit imprimeur provincial (Laurent à Remiremont) au grand professionnel de stature internationale (Cramoisy à Paris…), de l’occasionnel qui ne commit qu’un ouvrage à la dynastie spécialiste du genre (les Ballard). Afin d’essayer de donner une vision moins déformée de ce petit nombre, et parce que le portrait de groupe ne peut être que flou, nous avons choisi de présenter de façon plus précise quelques figures, en privilégiant l’exemple lyonnais… que nous connaissons moins mal que d’autres…

Quelques personnalités On l’aura compris, notre échantillon rassemble aussi bien de petits imprimeurslibraires isolés que les membres successifs de dynasties bien implantées. Si on se penche sur le cas des lyonnais recensés, c’est pour aboutir au même constat. On rencontre alors certains des plus grands professionnels de la place et des spécialistes de la production contre-réformée qui fit la réputation de la ville. En 1642, c’est Guichard II Julliéron, maillon d’une longue lignée bien connue, qui publiait en latin un cérémonial pour les Ermites de saint Augustin. Nous ne reviendrons pas sur le cas, déjà évoqué, des Huguetan représentés par plusieurs 85

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membres de cette dynastie qui dut s’exiler vers les Pays-Bas et l’Europe du Nord, après la révocation de l’Édit de Nantes. L’un d’eux, Jean-Henri, parti pour le Danemark devait y devenir comte, conseiller du roi Christian IV… et allier sa fille à la Maison d’Orange. Plus modeste est la dynastie des Molin, actifs aux xviie et xviiie siècles, qui reçurent en 1671 de la Grande Mademoiselle un privilège d’imprimer à Trévoux… qu’ils utilisèrent très peu, avant qu’il ne leur soit retiré en 1697. Antoine I, actif de 1649 à sa mort en 1688, publia en 1670 la Pratique des cérémonies de la sainte messe… de Louis Du Molin et, en association avec Pierre Compagnon et Robert Taillandier, en 1680, un Caeremoniale episcoporum (cf. [CE*1600], éd. Innocent X). Une dernière grande famille lyonnaise doit encore être évoquée : celle des Périsse dont l’activité couvre une large période allant de la réception comme libraire d’Antoine I en 1692 à la mort d’Antoine III en 1860. D’abord libraires, divisés en plusieurs branches parfois associées, les Périsse ne devinrent imprimeurs qu’en 1766 avec Jean-André Périsse-Duluc. Né en 1738, maçon, ami et collaborateur de Willermoz, il fut à la fin de l’Ancien Régime et de longues années durant le dernier syndic des imprimeurs et libraires lyonnais. Sa voie vers l’échevinage et la noblesse était toute tracée. La Révolution en décida autrement, en lui donnant à titre de lot de consolation une place de député du Tiers aux États-Généraux. Ces fonctions achevées, il revint à Lyon, ou plutôt dans sa maison de campagne de Sainte-Foy, se faisant oublier au plus fort de la tourmente, pour y mourir en 1800. Les fils de son frère Jean-Marie devaient continuer à développer l’affaire familiale, pour en faire la première firme française pour l’impression d’ouvrages religieux sous le second Empire, devant le tourangeau Mame et un autre lyonnais, Pélagaud 15. Si nous nous sommes attaché à rappeler, même brièvement, ces différentes carrières, c’est bien pour souligner, à travers le cas de Lyon, que la fabrication des cérémoniaux fut certes l’œuvre de quelques imprimeurs demeurés obscurs, mais aussi, sur la longue durée, des plus grandes dynasties de la place. Le même phénomène, toutes proportions gardées, se retrouve pour la capitale.

• Au terme de cette rapide évocation, le portrait de groupe que nous nous proposions de camper apparaîtra sans doute un peu flou. Il nous faut bien conclure qu’il n’y a pas de figure modèle de l’imprimeur de cérémoniaux. Au gré des circonstances et des commandes, ce type d’impression pouvait aussi bien occuper le modeste et unique imprimeur de Monseigneur l’évêque de quelque diocèse crotté que le maillon d’une dynastie d’une véritable métropole. Dans ce cas précis, comme dans celui plus général des ouvrages liturgiques, s’il existe des ateliers spécialisés dans ce type de production, rien n’interdit à un professionnel plus isolé de s’y lancer… et la somme de ces initiatives individuelles finit par être représentative. Mais, comme nous l’avons déjà souligné, l’enquête ici présentée n’en est qu’à ses balbutiements.   Claude Savart, Les Catholiques en France au xixe siècle. Le témoignage du livre religieux, Paris, Beauchesne, 1985. 15

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Sans nous illusionner sur l’existence d’archives d’ateliers… qui ont disparu depuis bien longtemps, il faudrait pouvoir la prolonger au moins par un examen « livre en main » de la production imprimée conservée. Dominique Varry École Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques (ENSSIB)

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Le cérémonial de la chapelle royale de Versailles sous Louis XIV : état des sources Particulièrement visible de l’extérieur, la chapelle royale, pour bien des amateurs de Versailles, n’est jamais qu’un édifice. On admire la perfection d’un sanctuaire qui constitue la grande pensée de la fin du règne de Louis XIV et auquel de nombreux artistes ont apporté leur excellent concours. Néanmoins, même sous l’angle de l’architecture et du décor, les historiens de Versailles ne se sont guère penchés sur un lieu qui garde son mystère aux yeux du public et qui est encore largement perçu comme la manifestation de cet improbable « style jésuite », si éloigné de la sensibilité gallicane. Que dire alors du cérémonial ? Même entendu au sens large d’un ensemble de règles et d’usages en vigueur, celui-ci est largement ignoré ou bien, pire encore, son existence n’est même pas envisagée. Quelques rares clichés ou anecdotes sont, il est vrai, parfois évoqués, mais, séparés de leur contexte littéraire, ils sont sollicités pour conforter l’image d’un monde parfaitement hypocrite et dont la chapelle serait le lieu symbolique par excellence 1. Alors que, dans le domaine profane, le cérémonial de cour est l’objet d’un regain d’intérêt, le maintien de cette vision réductrice dans la sphère du religieux ne laisse pas de surprendre. À dire vrai, la seule étude complète jamais publiée sur la Chapelle royale est l’ambitieuse entreprise de l’abbé Du Peyrat, ouvrage posthume paru en 1645 et dédié au jeune Louis XIV 2. Les principaux éléments d’un cérémonial de la Chapelle royale sont précisément à rechercher dans le deuxième livre de l’Histoire ecclésiastique de la cour. Pétri d’une érudition historique encore à ses débuts, l’auteur y dresse un tableau qu’il veut le plus complet possible : des pratiques archaïques, réputées pour certaines d’entre elles remonter aux temps mérovingiens, sont décrites en même temps que les usages les plus récents. Parmi ces derniers, l’adoption de la liturgie romaine, dûment signalée, date du règne d’Henri III 3. Si elle constitue un point de départ méthodologique, cette somme historique, institutionnelle et liturgique doit donc être maniée avec beaucoup de prudence : seule une approche critique, confrontée en outre 1   En la matière, une image particulièrement tenace puise son origine dans le chapitre « De la cour » des Caractères de La Bruyère : c’est en fait sur un mode satirique qu’est décrit l’usage, invraisemblable, selon lequel les courtisans eussent tourné le dos à l’autel pour regarder le roi à la tribune pendant les célébrations liturgiques (Jean de La Bruyère, Les Caractères, J. Benda (éd.), Paris, 1951, n° 74, p. 239). 2   Guillaume Du Peyrat, Histoire ecclésiastique de la cour ou les antiquitez et recherches de la Chapelle du roy de France, Paris, 1645. 3   Ibid., p. 552-555.

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aux autres sources concernant le sujet, permet d’en retirer les données utiles à la connaissance du cérémonial observé sous Louis XIV.

Institutions et cérémoniaux En tout état de cause, dans le domaine précis du cérémonial, la complexité institutionnelle que représente la Chapelle royale oppose un premier obstacle à une vision claire des choses. Contrairement à l’édifice, la Chapelle royale en tant qu’institution n’est pas une structure aisément identifiable 4. Plusieurs corps ou protagonistes individuels sont appelés à y intervenir selon des statuts et des moments différents, si bien qu’il faudrait parler de cérémonials au pluriel. En outre, tandis que la notion de cérémonial est avant tout liturgique, celle d’un culte public rendu par l’Église, la situation d’une chapelle palatine, immergée dans le contexte de la cour royale, complique encore les données du problème. Nombreux sont les aspects du cérémonial purement liés à la vie de cour et qui forment une composante dont il faut également tenir compte en ce qui concerne les sources. Mis en rapport de la sorte, tous ces éléments fort divers donnent lieu à une synthèse originale et unique. Cette complexité du langage cérémoniel en usage à la Chapelle royale se déduit de la diversité des sources elles-mêmes. Les livres liturgiques produits par le Saint-Siège sont des sources imprimées, d’une diffusion étendue, à valeur normative 5. Sans être spécifiques au cérémonial versaillais, elles sont indispensables à sa connaissance et forment les structures d’un langage obligatoire, dont les inflexions locales ne peuvent être appréciées qu’au regard de cette norme. En quelque sorte, l’application à la Chapelle royale de Versailles des règles codifiées par les instances de la hiérarchie ecclésiale constitue une première strate cérémonielle. Complétant sur le plan local ces rubriques de portée universelle ou générale, un certain nombre d’adaptations ou de particularités observées à la Chapelle royale de Versailles et par un groupe d’intervenants défini sont codifiées dans des recueils manuscrits : sorte de vade-mecum portant le titre de cérémonial ou de coutumier, ils ont pour fonction de décrire et, dans la mesure où l’usage établi est respecté, de prescrire. Aux rubriques de ces deux premiers groupes se juxtaposent, la plupart du temps, les cérémoniaux de cour : imprimés ou manuscrits, ces recueils contiennent en effet une proportion non négligeable de règles et d’usages concernant la Chapelle royale. Avec des contours plus vagues, le dernier type de sources correspond à la transcription de règles et d'usages transmis oralement ou dont la source originale a été perdue : ainsi, de nombreuses notations cérémonielles émaillent les chroniques contemporaines, manuscrites ou imprimées, ou ont été recueillies par la suite ; de même, les représentations figurées, souvent artistiques, d'une cérémonie accomplie

  Sur la Chapelle royale en tant qu’institution, voir Alexandre Maral, « Le grand aumônier de France et le diocèse de la Chapelle royale sous Louis XIV », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 158, juillet-décembre 2000 (2001), p. 475-506, et id., La Chapelle royale de Versailles sous Louis XIV. Cérémonial, liturgie et musique, Sprimont, Mardaga, 2002, p. 53-93. 5   Soigneusement définis et édités à partir de la fin du xvie siècle, les livres liturgiques romains de référence sont le bréviaire, le Missel, le Rituel, le Pontifical, le Martyrologe et le Cérémonial des évêques. 4

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à la chapelle contiennent, pour peu qu'on se soucie de les lire, des détails absents des descriptions écrites. On l'aura compris, ces sources sont nombreuses et variées, mais chacune n'offre qu'une vision particulière, liée à l’instance qui la produit. De fait, l’ouvrage qui s’intitulerait Cérémonial de la Chapelle royale de Versailles n’existe pas et n’a jamais existé. Dans une certaine mesure, il est néanmoins possible d’élaborer une synthèse donnant la nécessaire vision d’ensemble, mais l’entreprise doit se fonder sur un recensement des sources aussi exhaustif que possible. Si quelques-unes d’entre elles ont récemment refait surface, comme le très précieux Cérémonial historique de l’abbé Chuperelle, on doit toutefois déplorer la disparition d'un grand nombre de documents, ce qui laisse dans l'ombre des pans entiers du cérémonial de la Chapelle royale 6. Par souci de clarté, et aussi de respect des fonds, les sources sont présentées ici selon une logique institutionnelle, à partir de celles dont la portée est la plus générale.

Les lazaristes Appelée par Louis XIV au moment précis de l’installation de la cour et du gouvernement à Versailles, une communauté formée de prêtres et de frères de la Mission fut chargée de la desserte permanente de la chapelle royale 7. S’inscrivant dans la continuité d’une politique de faveur royale envers la congrégation fondée par saint Vincent de Paul, le geste de 1682 introduisait au sein du palais royal, sur le plan cérémoniel, la norme tridentine dans son adaptation gallicane la plus récente. Les premiers éléments d’un cérémonial des lazaristes sont précisément contenus dans les lettres patentes de 1682 qui concernent la desserte de la chapelle du château 8. Diverses dispositions y sont indiquées, comme l’horaire des messes et des offices quotidiens et des saluts du Saint-Sacrement. Pour les messes et les offices, une distinction est faite entre ceux qui doivent simplement être célébrés à voix basse et ceux qui doivent être chantés : ce dernier cas s’observe notamment lorsque le souverain est présent à Versailles. Cet acte royal indique aussi de manière très précise la nature des prières à réciter ou à chanter aux intentions de Louis XIV, tant durant son règne qu’après son décès.

  Les rares sources provenant de la chapelle royale et aujourd’hui identifiées n’ont même pas été épargnées, semble-t-il, au titre de leurs qualités artistiques. Ainsi, dans le domaine des livres de plain-chant, au moins deux « grands antiphonaires », attestés en 1692 dans les registres des comptes des Bâtiments du roi (Comptes de Bâtiments du roi sous le règne de Louis XIV, J. Guiffrey (éd.), t. III, 1688-1695, Paris, 1891, col. 662), n’ont pas été retrouvés. 7   Sur les lazaristes à Versailles, voir Alexandre Maral, « Clergé de cour et sainteté : la desserte de la Chapelle royale de Versailles sous Louis XIV », Pouvoirs, contestations et comportements dans l'Europe moderne : mélanges en l'honneur du professeur Yves-Marie Bercé, B. Barbiche, J.-P. Poussou et A. Tallon (dir.), Paris, Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2005 (Collection Roland Mousnier, 23), p. 361-383. 8   Arch. nat., O1 26, f° 112v°-115. 6

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Deux recueils particulièrement précieux proviennent de Versailles et concernent la Chapelle : il s’agit du Coutumier général pour la Chapelle royale du château de Versailles et des Remarques sur ce qu’il y a à faire d’extraordinaire à la chapelle du château de Versailles, le roy y étant, en 1725 9. Ces deux manuscrits forment un cérémonial très détaillé à l’usage des lazaristes. Ils ont été rédigés à un moment où, du fait du retour de la cour à Versailles, les pratiques du règne précédent devaient être rappelées de manière précise. Le premier d’entre eux est en fait un volume factice, composé de trois grandes parties distinctes, chacune ayant une pagination et une écriture propres. La première partie du Coutumier est de loin la plus importante : subdivisée en trois chapitres, elle développe en fait, de manière plus circonstanciée, les dispositions prévues par les lettres patentes de 1682. Après un chapitre de portée générale recensant les types de cérémonies célébrées quotidiennement ou régulièrement par les lazaristes, le détail de celles-ci est énuméré, au fil de l’année, selon deux calendriers distincts. Ordonnés selon le fil de l’année civile, ces deux cycles, qui mêlent temporal et sanctoral, ne sont distingués qu’en raison de la présence ou non du roi à Versailles. Des deux chapitres, celui qui traite « des principales festes de l’année quand le roy n’est pas à Versailles » est le plus complet, le troisième chapitre, consacré à « ce qui s’observe quand le roy ou la cour est à Versailles », ne mentionnant que les principaux changements à introduire. Pourvu d’une reliure en maroquin vert aux armes royales, le recueil des Remarques est tout entier consacré au développement du troisième chapitre du Coutumier. Il a probablement été rédigé dans un second temps, pour expliciter et compléter des prescriptions jugées trop sommaires. Les deux dernières parties du Coutumier concernent les séminaristes et les enfants de chœur appelés à intervenir à la chapelle. Leurs emplois du temps respectifs sont soigneusement détaillés et de nombreuses annotations sont susceptibles d’apporter des renseignements concernant le cérémonial. À plusieurs reprises, notamment pour les fêtes de la Purification et de la Semaine sainte, les recueils compilés par les lazaristes renvoient au second volume d’un Cérémonial portant le titre de Cérémonies romaines. De même, à propos de l’exposition du SaintSacrement, le Coutumier invite à se reporter au « premier tome de notre Cérémonial, p. 423 ». Cet ouvrage de référence est en fait le Manuel des cérémonies romaines, tiré des livres romains les plus authentiques et des écrivains les plus intelligens en cette matière, par quelques-uns des prestres de la congrégation de la Mission : publié en deux volumes à Paris en 1717, il constitue la troisième édition d’un recueil paru dès 1662 et réédité en 1670  10. Comme l’indique l’avertissement placé en tête du premier volume, il s’agit d’une compilation élaborée avant tout à partir des rubriques romaines contenues dans le Missel, le Rituel ou le Cérémonial des évêques, mais qui tient compte aussi des « usages louables reçus dans les lieux pour lesquels on a écrit ». Conçue selon un esprit pratique, cette synthèse passe en revue, dans son premier volume, tous les types de cérémonies courantes et indique les modifications à introduire en raison de circonstances de caractère plus exceptionnel. Ainsi, la première

9   BnF, mss. français 14453 et 14121. Ces deux sources sont éditées par A. Maral, La Chapelle royale…, op. cit., p. 295-338. 10   Cf. Liste-Index infra, [Lazaristes* 1662]. La deuxième édition, en un seul volume, a fait l’objet de nombreuses deux réimpressions.

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partie, qui compte cent soixante pages, est entièrement consacrée à la messe basse, présentée d’abord dans son déroulement général, puis sous la forme de la messe basse des défunts, de la messe basse célébrée en présence du Saint-Sacrement exposé et « de la messe basse qu’on célèbre devant un cardinal en quelque lieu que ce soit ou devant un archevêque en sa province et un évêque en son diocèse ». Une présentation similaire est adoptée pour la messe solennelle, l’office et « diverses cérémonies particulières », entre autres les saluts du Saint-Sacrement et les processions. C’est ainsi que l’exposition du Saint-Sacrement fait l’objet d’un développement aux p. 419-426. Divisée en deux grandes parties, le second volume décrit les cérémonies en fonction des différents ministres appelés à intervenir aux côtés du célébrant ou de l’officiant, puis, à la manière d’un coutumier, indique les particularités de chaque grande fête de l’année liturgique. On dispose ainsi d’un tableau complet des différents types de cérémonies célébrées par les lazaristes à la chapelle royale, ce qui éclaire et complète les données du Coutumier. Pour ponctuels qu’ils soient, ces renvois à un recueil liturgique de référence montrent que le Coutumier n’est qu’une source complémentaire : sa fonction est de préciser les modalités selon lesquelles des règles de portée générale, romaines en l’occurrence, sont mises en application à la chapelle royale. Les sources romaines officielles en matière de cérémonial étaient aussi utilisées par les lazaristes. C’est ce dont témoignent deux recueils imprimés, ornés de splendides reliures en maroquin rouge aux armes royales : un Caeremoniale episcoporum, édité à Paris en 1633 et dont la dernière page porte l’« Ex libris capellae regiae Versalliensis ad usum presbyterorum Congregationis Missionis » manuscrit, et un Pontificale Romanum, édité à Paris en 1664 et lui aussi revêtu, sur la page de titre, d’un « Ex libris capellae regiae Versaliensis » 11. D’autres mentions de livres parsèment le Coutumier et les Remarques : Semaine sainte, évangéliaire, processionnal, diurnal, Passion et octave de saint-Louis. Les exemplaires de ces ouvrages n’ont pu être précisément repérés à ce jour, mais il est aisé d’en connaître le contenu, puisqu’il s’agit de recueils relativement courants, extraits des livres romains de référence, essentiellement le missel, le bréviaire et le rituel. En revanche, un recueil manuscrit et enluminé tout à fait exceptionnel, probablement conservé en raison de ses qualités artistiques, est parvenu jusqu’à nous. Il s’agit du Graduale et antiphonale ad usum S.-Ludovici domus regiæ Versaliensis pro solemnioribus totius anni festivitatibus, A.D. MDCLXXXVI, que son contenu liturgique permet de rattacher aux lazaristes 12. Réalisé par l’atelier des Invalides, ce recueil contient des notations musicales traditionnelles, assez

11   Récemment identifiés par M. Pierre-Xavier Hans, conservateur au château de Versailles, que je remercie ici, ces deux recueils sont conservés au Musée national du château de Versailles. Peut-être n’ont-ils même jamais quitté le château, puisqu’ils sont décrits par l’inventaire de la chapelle du palais dressé en 1846 (Arch. nat., AJ19 418, fol. 4v, n° 17 et 18). Les deux ex-libris ne sont pas de la même écriture et ne peuvent non plus être rapprochés des différentes graphies du Coutumier et des Remarques. 12   BnF, ms. latin 8828 (notice dans le Catalogue général des manuscrits latins n°s 8823 à 8921, M.-P. Laffitte et J. Sclafer (dir.), Paris, 1997, p. 9-10). Ce recueil ne contient ni les messes ni les vêpres pour le dimanche des Rameaux, non plus que les messes pour le Jeudi saint et le Vendredi saint, que les lazaristes ne chantaient pas lorsque le roi était à Versailles. On y trouve en revanche les complies du dimanche, qu’eux seuls chantaient à la chapelle du château. Le contenu de ce manuscrit laisse penser aussi qu’il ne servait que pour les grandes solennités, car les lazaristes chantaient aussi à beaucoup d’autres fêtes que celles qui y figurent.

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proches des versions les plus courantes de la mouvance romaine, qui sont ainsi susceptibles de documenter une pratique du plain-chant propre aux lazaristes 13. En revanche, il importe de noter qu’il ne tient pas compte de la réforme d’Urbain VIII concernant le texte de certaines hymnes 14. Quoique très tardif au regard de la période étudiée, un Livre d'orgue pour la chapelle roiale de Versailles, où l'on trouvera tous les plain-chants nécessaires pour la grande messe, vespres, complies et salut pendant l'année, a été « mis en ordre » en 1772 par Luc Marchand 15. Les messes et offices des fêtes qui s’y trouvent sont précisément ceux que les lazaristes chantent. Pour peu donc que les usages qui y sont codifiés remontent au règne de Louis XIV, cette source inattendue documente, avec une méticuleuse précision, la pratique du plainchant alterné, selon des principes conformes, dans l’ensemble, à ceux du diocèse de Paris 16. C’est avant tout parce que les saluts du Saint-Sacrement étaient régulièrement célébrés par les seuls lazaristes que deux recueils peuvent être cités ici. Intitulés Prières du salut pour la chapelle du roy, recueil manuscrit non daté, et Prières qui se disent le matin, le soir et aux saluts dans la chapelle du roy, ouvrage imprimé à Paris en 1709, ils permettent de déterminer avec précision les chants exécutés au cours des saluts à la Chapelle 17.

La Maison du roi Alors que les lazaristes étaient attachés, depuis 1682, à la desserte d’un lieu, les officiers ecclésiastiques de la Maison du roi suivaient ce dernier dans tous ses déplacements, qu’ils fussent rattachés à la Chapelle-Oratoire ou à la Chapelle-Musique. De ce fait, les sources permettant de connaître leur cérémonial ne concernent pas exclusivement Versailles. En outre, du fait des disparitions massives des sources concernant l’institution de la Chapelle du roi, on ne dispose pas d’un document comparable au Coutumier des lazaristes, ce qui rend la tâche plus difficile à l’historien d’aujourd’hui. C’est donc par le biais des cérémoniaux profanes que l’on pourra tenter une première approche, la vie de cour comportant naturellement des moments importants et répétés à la   Voir Cécile Davy-Rigaux, « Plain-chant et liturgie à la Chapelle royale de Versailles (1682-1703) », Plain-chant et liturgie en France au xviie siècle, J. Duron (dir.), Paris-Versailles, 1997, p. 217-236, aux p. 230-231 et 233. 14   Cette attitude face à la réforme d’Urbain VIII semble avoir été partagée par presque tous les diocèses français, ainsi que par de nombreux ordres religieux. Sur ce sujet, peu étudié et mal connu, voir Jean Grancolas, Commentaire historique sur le bréviaire romain, avec les usages des autres églises particulières et principalement de l’église de Paris, Paris, 2 vol., 1727, vol. I, p. 28 et 178, et Pierre Battifol, Histoire du Bréviaire romain, Paris, 1893, p. 260-266. 15   Bibl. mun. de Versailles, ms. mus. 60. Voir A. Maral, La Chapelle royale…, op. cit., p. 173-175. 16   En matière de plain-chant alterné, les principes énoncés par le Cérémonial des évêques ont été adaptés de manière précise pour le diocèse de Paris, dont la pratique est détaillée par l’ouvrage de Martin Sonnet, cf. [Sonnet Paris 1662]. Voir Edward Higginbottom, « French classical organ music and the liturgy », Proceedings of the Royal Musical Association, vol. 103, 1976-77, p. 19-40. 17   Bibl. de l’Arsenal, ms. 1179, et BnF, B 16215 (exemplaire découvert par Alexis Meunier, que je remercie ici). 13

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chapelle. De ce point de vue, la source la plus générale est le résultat d’une entreprise de longue haleine, jamais achevée sous sa forme imprimée : le Cérémonial françois de Théodore et Denis Godefroy, dont les deux premiers volumes furent publiés en 1649  18. Outre son évidente portée pratique, cette synthèse des règles et usages de cour constituait le prolongement d’une œuvre de mise en ordre entreprise sous les Valois et visant à donner de la monarchie une image cérémonielle à même d’en manifester la sacralité 19. Un important matériel documentaire fut rassemblé par Denis Godefroy pour préparer la publication de deux autres volumes qui ne virent jamais le jour, annoncés pourtant dès l’avertissement du tome premier du Cérémonial françois : ils devaient traiter des cérémonies liées aux ordres de chevalerie et des pompes funèbres et fournir un ensemble de pièces justificatives constituées de récits de cérémonies, de règles et de décisions en matière de préséances et de cérémonial. Fort heureusement, ces sources inédites ont été conservées, et même complétées jusqu’à la fin du xviiie siècle  20. On y trouve un grand nombre de comptes rendus de cérémonies, tant profanes que religieuses, classées selon une typologie précise. Toutes sont décrites en fonction de la place qu’y occupe le roi et une grande attention est portée aux rangs et aux préséances des dignitaires et des courtisans, y compris à la chapelle. Ultime aboutissement du projet des Valois, l’étroite codification du cérémonial de cour accomplie sous le règne de Louis XIV, et dont Versailles a été le laboratoire privilégié, a donné lieu à la rédaction de recueils cérémoniels sans précédent par leur caractère systématique. C’est ce qui fonde l’intérêt de la très considérable collection de récits de cérémonies constituée, sous forme uniquement manuscrite, par les maîtres des cérémonies Nicolas Sainctot (en charge de 1655 à 1691) et Michel-Ancel Desgranges (en charge de 1691 à 1716, décédé en 1731)  21. Le rôle important confié à la charge de maître des cérémonies,

  Théodore et Denis Godefroy, Le Cérémonial françois, t. Ier, contenant les cérémonies observées en France aux sacres et couronnemens de roys et reynes et de quelques anciens ducs de Normandie, d’Aquitaine et de Bretagne, comme aussi à leurs entrées solennelles et à celles d’aucuns dauphins, gouverneurs de province et autres seigneurs dans diverses villes du royaume, t. II, contenant les cérémonies observées en France aux mariages et festins, naissances et baptesmes, majoritez de roys, estats généraux et particuliers, assemblées des notables, licts de justice, hommages, sermens de fidélité, réceptions et entrevuës, sermens pour l’observation des traitez, processions et Te Deum, Paris, 2 vol., 1649. 19   Voir Michèle Fogel, Les cérémonies de l’information dans la France du xvie siècle au xviiie siècle, Paris, 1989, p. 189-245. 20   Arch. nat., KK 1423-1439. Une collection comparable a été formée, mais avant la fin du xviie siècle, pour les princes de Condé, grands maîtres de France : aujourd’hui conservée à la bibliothèque du Musée Condé à Chantilly, elle comporte dix-sept volumes de généralités (ms. 1149-1165), suivis de sept volumes de récits de cérémonies (ms. 1166-1172 et, pour la table, ms. 1148). Concernant les cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit, Pierre Clairambault, généalogiste des ordres du roi, a rassemblé plusieurs comptes rendus (BnF, collection Clairambault, ms. 1160 et 1163). Dans l’ensemble, ils sont assez proches de ceux qui se trouvent dans les cartons des pièces justificatives prolongeant le Cérémonial françois de Godefroy. 21   Recueil de relations des cérémonies de la cour de France, 1645-1651 et 1661-1729, bibl. Mazarine, ms. 2737-2751, ainsi que ms. 2752 (table des sept premiers volumes, jusqu’en 1697) et ms.. 2753 (table des treize premiers volumes, jusqu’en 1723). Une autre version de cette série (comportant notamment les registres originaux de Sainctot, que Desgranges a copiés pour former la série conservée à la bibl. Mazarine) est conservée à la bibl. du Musée Condé à Chantilly, ms. 1173-1190. Desgranges s’est aussi servi de documents qui lui ont été fournis par Jules-Armand Colbert, marquis de Blainville, grand maître des cérémonies de 1685 à 1701. 18

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véritable metteur en scène des liturgies versaillaises, a ainsi permis de sauver de l’oubli un grand nombre de règles et d’usages observés à la cour  22. En ce qui concerne la chapelle, comme pour le Cérémonial françois, les cérémonies décrites relèvent d’une typologie bien précise, et malheureusement assez restreinte : mariages, baptêmes, prestations de serment, remises de barrettes, cérémonies des ordres de chevalerie, communion du roi, où le maître des cérémonies était présent en vertu de sa charge. De même, le contenu descriptif accorde une place importante aux rangs et aux préséances. Le cadre chronologique de l’entreprise, l’attention extrêmement précise accordée à certains détails de la topographie, qu’un plan vient parfois illustrer, en font une source non négligeable pour connaître le cérémonial de la chapelle royale de Versailles  23. Mais si, ici ou là, quelques indications concernent les cérémonies du sanctuaire, notamment lors des mariages princiers célébrés à la chapelle de Versailles, le propos général ne s’inscrit évidemment pas dans une perspective liturgique. Au sens ecclésiastique du terme, une partie du cérémonial devait toutefois faire l’objet d’une transcription sous le règne de Louis XIV. Bien avant l’installation de la cour à Versailles, l’abbé Nicolas Le Madre, chapelain de la Chapelle-Oratoire, s’était acquitté d’un premier travail de codification écrite à la demande du souverain lui-même : son cérémonial, destiné la Chapelle du roi, avait été composé « suivant l’usage ordinaire de l’Église » 24. Cet ouvrage, non encore retrouvé à ce jour, avait valu à son auteur d’inaugurer en 1669 l’éphémère charge de « maistre des cérémonies ecclésiastiques de nostre Chapelle et Oratoire » : soigneusement définie, celle-ci ne devait concerner que « la conduite des cérémonies purement ecclésiastiques » et « sans déroger aux droicts et fonctions qui regardent les charges de grand maistre, maistre et ayde des cérémonies de nostre Maison 25 ». Lui aussi disparu, un « registre du cérémonial de la Chapelle du roi » fut composé, avant 1701, par l’abbé Louis

  À l’instar des maîtres des cérémonies, mais malheureusement moins présents à la Chapelle, les introducteurs des ambassadeurs ont formé des collections manuscrites pour conserver la mémoire des cérémonies auxquelles ils prenaient part en vertu de leur charge, mais aussi pour constituer un outil de référence à l’usage des générations suivantes. À cet égard, il faut signaler l’œuvre de Louis-Nicolas Le Tonnelier de Breteuil, en charge de 1699 à 1715 (Mémoires concernant la charge et les fonctions d’introducteur des ambassadeurs, bibl. de l’Arsenal, ms. 3859-3865). Les Mémoires et relations de Monsieur de Sainctot sur le cérémonial et les événements de la cour de France (BnF, mss français 14117-14120 ; autres versions aux Arch. du Min. des Aff. étr., MD France 1827-1830, et à la bibl. du Musée Condé à Chantilly, mss 1193-1201) livrent des récits de cérémonies, ainsi que des synthèses correspondant à l’activité de Nicolas Sainctot comme maître des cérémonies (1655-1691) puis comme introducteur des ambassadeurs (1691-1709). De moindre ampleur, d’autres recueils compilés par Sainctot ou d’après ses écrits sont encore conservés à la BnF (Journal du sieur de Sainctot, introducteur des ambassadeurs, ms. français 6679 ; Cérémonies du règne de Louis XIV, ms. français 16633), aux Arch. nat. (K 577) ou aux Arch. du Ministère des Aff. étr. (MD France 1832-1834). Son fils Nicolas-Sixte Sainctot devait lui succéder comme introducteur des ambassadeurs de 1709 à 1716 : le manuscrit de son Journal est conservé à la bibliothèque du Musée Condé à Chantilly (ms. 1202-1207). 23   Deux plans extraits du recueil de Desgranges et indiquant l’emplacement des protagonistes à l’intérieur du sanctuaire versaillais, pour le mariage du duc de Chartres en 1692 et celui du duc de Berry en 1710, sont reproduits par A. Maral, La Chapelle royale…, op. cit., fig. 13 et 26 24   Arch. nat., O1 13, f° 344-345, « Lettres de retenue de maistre des cérémonies de la Chapelle du roy pour Nicolas Le Madre », au f° 344. 25   Ibid. Cette charge devait être supprimée en 1680, à la demande du grand maître des cérémonies de la Maison du roi. 22

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Archon, chapelain et sacristain de la Chapelle-Oratoire depuis 1681 26. À l’instar des recueils manuscrits des lazaristes, ces deux sources devaient probablement former un coutumier à l’usage de la Chapelle-Oratoire, la seconde d’entre elles documentant peut-être davantage le cérémonial versaillais. En relation évidente avec l’essor considérable donné par Louis XIV au corps de la Chapelle-Musique, l’autre grande section de la Chapelle du roi, une œuvre comparable de transcription, mais plus tardive, devait être entreprise. À cet égard, la source essentielle, récemment retrouvée, est le Cérémonial historique composé par l’abbé Chuperelle 27. Sous sa forme définitive en quatre gros volumes manuscrits d’une écriture semblable et d’une pagination continue, l’ouvrage peut être daté de 1732, date d’entrée en fonction du dédicataire, l’évêque de Rennes Louis-Guy Guérapin de Vauréal, comme maître de la Chapelle-Musique. Mais le texte même de la dédicace signale qu’il s’agit de l’aboutissement d’un travail entrepris quarante ans auparavant, avec l’approbation initiale de l’archevêque de Reims (maître de la Chapelle-Musique entre 1665 et 1710), et achevé avant 1715, à l’exception du quatrième volume et des corrections et ajouts apportés aux trois premiers jusqu’en 1731. Suivant l’exemple du modèle méthodologique de Du Peyrat, Chuperelle consacre son premier volume à un panorama historique, de Clovis à Louis XV, et souligne que ce dernier « laissa toutes les cérémonies de l’autel telles qu’elles s’estoient observées pendant le règne de Louis XIV 28 ». Le volume suivant s’apparente plutôt à un coutumier, dont la première partie est constituée d’observations générales, essentiellement d’ordre institutionnel, destinées au maître de la Chapelle-Musique, suivies d’une série d’«  observations particulières  », en vingt-neuf chapitres qui rappellent au maître tous les détails cérémoniels relatifs aux principales fêtes liturgiques, décrites selon l’ordre de l’année civile, de la Circoncision à Noël, ou à des

  Cette source est mentionnée par les Mémoires de Breteuil (Bibl. de l’Arsenal, ms. 3861, p. 187). L’abbé Louis Archon devait toutefois publier une Histoire de la Chapelle des rois de France, première partie, contenant l’histoire de la Chapelle des rois de la première et de la seconde race, Paris, 1704, suivie du volume de l’Histoire ecclesiastique de la Chapelle des rois de France, tome second, contenant l’histoire ecclésiastique de la Chapelle des rois de la troisième race, jusques à celle de Louis le Grand, avec une suite des grands aumosniers, premiers aumosniers, confesseurs et principaux officiers de la Chapelle, où l’on rapporte aussi les bulles des papes et les privileges accordez par nos rois à leurs ecclésiastiques, Paris, 1711. Dans l’avertissement de ce dernier volume, il en annonçait un troisième, qui ne fut jamais publié et dont aucune trace n’est repérée à ce jour, consacré au règne de Louis XIV, au problème de l’exemption canonique de la Chapelle et au cérémonial. 27   Arch. dép. de la Seine-Maritime, 28 F 45-48. Cette source majeure était considérée comme introuvable par Marcelle Benoît (Versailles et les musiciens du roi, 1661-1733. Étude institutionnelle et sociale, Paris, 1971, p. 193). Elle a été découverte par Jean-Marc Baffert (« L’orgue de la chapelle du château de Versailles : glanes et images (1710-1937) », L’Orgue francophone, n° 22/23, décembre 1997, p. 4-37, aux p. 27-30). Provenant du grand séminaire de Rouen, où ils ont été saisis en 1907, les quatre volumes manuscrits du Cérémonial historique avaient probablement été donnés par le cardinal de Croÿ-Solre, archevêque de Rouen entre 1823 et 1844, grand aumônier du roi entre 1821 et 1830. 28   Arch. dép. de la Seine-Maritime, 28 F 45, p. 516. Ce premier volume, entrepris dans les années 1690, porte le titre suivant : abbé Jérôme Chuperelle, Cérémonial historique. Premier volume, contenant ce qui s’est passé de remarquable dans les Chapelles de nos roys chrétiens depuis la conversion de Clovis jusqu’à Louis XV, qui fait aujourd’hui le bonheur de la France, et des changemens qui se sont faits par la succession des tems dans leurs Chapelles pendant leurs règnes, soit dans les noms qu’on donnoit aux premiers officiers ecclésiastiques, soit dans leurs fonctions, soit enfin dans les cérémonies de l’autel, dans le plain-chant et dans la musique. 26

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événements extraordinaires présentés par types (mariage, victoire militaire, sacre, cérémonies funèbres, cérémonies des ordres de chevalerie)  29. Traitant des grandes fêtes de l’année, et spécialement de celles de l’ordre du Saint-Esprit (Circoncision, Chandeleur et Pentecôte), le troisième volume est à l’usage des chapelains et clercs de chapelle, chargés d’officier aux messes et aux vêpres, mais aussi de veiller au respect du cérémonial lorsqu’un prélat extérieur à la Chapelle du roi devait célébrer à l’autel 30. Conçu vraiment comme un manuel liturgique, ce volume contient plusieurs chapitres où les gestes à accomplir sont décrits selon les fonctions occupées par les officiers à qui il est destiné : diacre, sous-diacre, prêtre assistant, porte-mitre, porte-crosse, porte-bougeoir, etc. Figurent aussi des indications concernant les chantres ecclésiastiques qui font partie de la Musique de la Chapelle, eux aussi requis pour ces cérémonies solennelles et chantées. Bien que traitant, en raison de la date à laquelle il a été composé, de « tout ce qui se passe dans la Chapelle des roys mineurs, depuis le premier jour de l’année jusqu’au dernier », le quatrième volume contient de nombreuses indications se rapportant au règne de Louis XIV 31. Comme la seconde partie du deuxième volume, mais à l’usage des chapelains, des clercs de chapelle, des chantres de la Musique et de l’organiste, les particularités des principales fêtes de l’année y sont énumérées, avec des précisions relatives aux Tuileries. Avec ses mille deux cent quatre-vingt quatorze pages, le Cérémonial historique est donc une source de premier ordre pour connaître les usages de la ChapelleMusique. Aumônier de la Maison du roi en 1698, chantre ordinaire de la Musique de la Chapelle en 1702, l’abbé Jérôme Chuperelle devait occuper enfin une charge de chantre et chapelain de la Musique à partir de 1714 32. C’est dire si cet observateur attentif a eu le loisir d’analyser les ressorts de la nébuleuse institutionnelle dans laquelle il a fait toute sa carrière. Ce précieux témoignage mérite pleinement une édition critique, ce qui apporterait sans aucun doute une lumière essentielle sur les pratiques cérémonielles de l’Ancien Régime considérées dans leur ensemble. À titre d’exemple, parmi les pratiques de la Chapelle royale qu’il prend soin de consigner, il précise que les cérémonies qui s’y déroulaient « tenoient beaucoup des romaines

  Ibid., 28 F 46, abbé Jérôme Chuperelle, Cérémonial historique, second volume, contenant tous les ordres que Nos Seigneurs les grands maistres ont à demander ou à Monsieur le Régent ou à Monsieur le gouverneur des roys mineurs, ou immédiatement de Leurs Majestés pendant toute leurs majorités, ainsi que ceux qu’ils ont à donner à Messieurs les chapelains et clercs de le Chapelle de Musique et à tous les laïques de la Musique de la Chapelle ; leurs devoirs et leurs fonctions pendant la minorité ou la majorité de nos roys. D’après la dédicace déjà citée, ce volume aurait été entrepris en 1700. 30   Ibid., 28 F 47, abbé Jérôme Chuperelle, Cérémonial historique, troisième volume, contenant tout ce que Messieurs les chapelains et clercs de la Chapelle de Musique sont obligés de faire à l’austel aux grandes festes de l’année, aux mariages de nos roys, et ce que les musiciens de la Musique de la Chapelle y doivent chanter dans leur tribune, ainsi qu’aux promotions de Nos Seigneurs les commandeurs et chevalliers de l’ordre du Saint-Esprit que font nos roys quand Leurs Majestez sont majeures. La dédicace citée plus haut signale que ce volume a été entrepris au temps où le cardinal de Polignac occupait la charge de maître de la Chapelle-Musique (1713-1716). 31   Ibid., 28 F 48, abbé Jérôme Chuperelle, Cérémonial historique, quatrième et dernier volume, contenant tout ce qui se passe dans la Chapelle des roys mineurs, depuis le premier jour de l’année jusqu’au dernier, et les cérémonies qui se doivent observer après leur mort, et celle des reines, des dauphins, des enfants de France, des frères et sœurs de nos roys, tant dans leurs chapelles qu’à l’abbaye de Saint-Denis. 32   Arch. nat., O1 42, f° 245, O1 46, f° 105v°, et O1 58, f° 246. 29

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et un peu des parisiennes 33 ». Cette indication, pour brève qu’elle soit, contribue à expliquer, entre autres, l’usage de bénir treize pièces d’or après l’échange des consentements lors des mariages célébrés à la chapelle du château : dans un de ses comptes rendus, Sainctot ajoute même, à propos du mariage de Mademoiselle de Valois avec le duc de Savoie en 1684, que cette dot symbolique était remise en silence par l’époux à sa femme, contrairement aux rubriques parisiennes 34. C’est aussi la Chapelle-Musique qui est concernée par l’Office du premier clerc de chapelle, texte anonyme de vingt-trois pages vraisemblablement écrit à la fin du xviie siècle ou au début du xviiie siècle  35. Dans le style d’un coutumier, avec des notations brèves et concrètes, des précisions sont apportées relativement aux grandes fêtes d’une partie de l’année seulement, de la Circoncision à la Pentecôte, c’est-à-dire pendant le semestre que durait le service de l’officier en question. Ainsi, à l’ombre du Cérémonial historique, de petits manuels personnels pouvaient être rédigés dans une perspective utilitaire par des officiers soucieux de consigner les détails des gestes à accomplir dans le cadre de l’exercice de leur charge. Pour isolé et partiel qu’il soit, ce témoignage apporte une indication supplémentaire sur le genre de sources susceptibles de documenter le cérémonial en vigueur à la chapelle royale de Versailles. Dans le domaine du plain-chant, une série de cinq volumes forment l’Officium quod in sacello regis festis solemnibus cantatur 36. Copié par André Danican Philidor entre 1701 et 1703, ce recueil correspond en fait à un graduel-antiphonaire à l’usage de la Musique de la Chapelle, où figurent les messes et les offices qui devaient être chantés lors des grandes fêtes. Reliés aux armes de France, ces «  grands livres  », ainsi que les désigne le Cérémonial historique, étaient utilisés à la tribune par les chantres de la Musique  37. Au regard du   Arch. dép. de la Seine-Maritime, 28 F 45, p. 516   Recueil de cérémonies formé d’après le Journal de Sainctot, BnF, ms. français 16663, fol. 340. C’est en effet dans le rituel parisien que l’on trouve la description de cet usage, qui ne devait pas être accompli en silence : « Postea parochus nummum vel nummos sumens dabit sponso qui deponet in manum dexteram sponsae jubebitque sponsum verbo sequi haec quae proferet : N., je vous doue du douaire dont il a esté convenu entre vos parens et les miens, duquel ces deniers sont la marque et la représentation. Post, annulum benedictum sacerdos sponso tradet » (Rituale Parisiense ad Romani formam expressum, authoritate […] Joannis Francisci de Gondy Parisiensis archiepiscopi editum, Paris, 1654, p. 326). Cet usage était antérieur à la réforme de l’archevêque Jean-François de Gondy, comme l’atteste une édition du rituel parisien du début du xviie siècle (Sacerdotale vulgo manuale seu agenda paroecorum et sacerdotum […] authoritate […] Henrici de Gondy Parisiensis episcopi […] auctum et recognitum, Paris, 1615, p. 48-49). On le retrouve mentionné dans l’édition faite sous les auspices du cardinal de Noailles (Rituale Parisiense auctoritate illustrissimi ac reverendissimi in Christo patris D.D. Ludovici Antonii de Noailles […] editum, Paris, 1697, p. 380). 35   Bibl. Mazarine, 35277, pièce n° 18. 36   BnF, mss nouv. acq. lat. 2512-2516. Antérieure de dix années et probablement préparatoire, une première série de cinq volumes comporte de nombreuses corrections : elle est conservée à la bibl. mun. de Versailles (ms. mus. 278-282  ; voir Denis Herlin, Catalogue du fonds musical de la Bibliothèque de Versailles, Paris, 1995, p. 607-615). Se rattachant à la série de 1701, deux volumes supplémentaires, correspondant à la Semaine sainte et à la fête de Pâques, sont datés de 1756 (BnF, nouv. acq. lat. 2518-2519) : peut-être ont-ils remplacé des volumes antérieurs, devenus trop vétustes. 37   Arch. dép. de la Seine-Maritime, 28 F 46, p. 538-539. Chuperelle fait aussi mention des « petits livres » contenant les « parties séparées », c’est-à-dire propres à une seule fête. 33 34

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Graduale et antiphonale des lazaristes, la notation musicale du recueil de Philidor présente de nombreuses variantes, dont quelques-unes, de manière significative, sont à mettre en rapport avec la tradition parisienne de plain-chant 38. Comme on l’a noté pour le recueil des lazaristes, il n’est pas tenu compte de l’hymnaire d’Urbain VIII. Si le grand motet a été amplement abordé en tant que genre musical, c’est-à-dire selon une approche avant tout musicologique, on doit déplorer encore aujourd’hui l’absence d’une étude systématique et complète des sources matérielles, témoignages irréfutables du répertoire versaillais 39. Comme l’indique l’avant-propos de Pierre Perrin pour ses Cantica pro capella regis latine composita et gallicis versibus reddita, les motets étaient en général exécutés pendant la messe basse du roi. Imprimés en deux formats distincts, les Livres du roi permettent du reste de connaître, avec une relative précision, les textes des motets et les noms de leurs compositeurs pour chaque trimestre  40. On le sait par les sources, le motet pouvait aussi remplacer tel psaume des vêpres ou encore le Benedictus des laudes des trois jours saints  41. D’un intérêt artistique évident, les motets versaillais correspondent probablement aux usages les mieux connus de la Chapelle royale et ils ont fait l’objet, pour certains d’entre eux, de restitutions musicales 42.

  C. Davy-Rigaux, op. cit., p. 231-234. En outre, des annotations fautives, portées à la mine de plomb sur l’un de ces grands livres (ms. nouv. acq. lat. 2515, au fol. 4v : « in festo sanctorum omniom »), attestent la manière dite gallicane de prononcer le latin. 39   Pour un aperçu de la question, voir A. Maral, La Chapelle royale…, op. cit., p. 184-186 (avec renvois bibliographiques). En éditant partiellement un source tardive, l’« Inventaire général des effets existans à la bibliothèque Musique à Versailles, fin de Xbre 1765 » (arch. nat., O1 3245), André Tessier a indiqué, dans certains cas, la localisation actuelle des partitions de musique religieuse alors conservées par la bibliothèque du roi, qui correspondent aux n° 642 à 801 (Revue de musicologie, t. XII, n° 38, mai 1931, p. 106-117, et n° 39, août 1931, p. 172-189, aux p. 181-185). Le fonds remontant au règne de Louis XIV avait déjà été amputé d’au moins treize volumes, vendus en 1729 dans le cadre d’une loterie (« Catalogue général de tous les vieux ballets du roy et opéras, tant de M. de Lully que de plusieurs autres compositeurs modernes, qui ont été représentez sous le règne de Louis 14 et de Louis 15, tant à la cour qu’à Paris, par la Musique du roy et celle de l’Académie royale, copié et mis en partition par M. Philidor, ordinaire de la Musique du roy et garde des livres de musique de Sa Majesté, fait à Dreux, l’an 1729 », Avignon, bibl. Ceccano, ms. 1201, f° 25v°-32v°), sans compter les inévitables pertes liées à l’usure des manuscrits. Dans son étude sur le Quare fremuerunt gentes de Lully, exécuté à Versailles en 1685, John Hajdu Heyer se livre à une analyse des sources tout à fait convaincante et propose ce faisant une véritable méthode, qui s’appuie entre autres sur l’étude des filigranes (« The sources of Lully’s grands motets », Jean-Baptiste Lully and the music of the French baroque : essays in honor of James R. Anthony, edited by John Hajdu Heyer, Cambridge, 1989, p. 81-98). De même, en publiant son Catalogue du fonds musical de la bibliothèque de Versailles, D. Herlin a dressé une liste complète des marques de provenance et donné une illustration de l’écriture de chacun des copistes recensés au service de Fossard et de Philidor (Catalogue…, op. cit., p. LIX-LXI et XCIX-CXIX). 40   Voir A. Maral, La Chapelle royale…, op. cit., p. 187. Une liste récapitulative de ces livrets est donnée par Laurent Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, imprimeurs du roy pour la musique (1599-1673), Sprimont, 2003, vol. I, p. 115-116. 41   J. Chuperelle, Cérémonial historique, second volume…, op. cit. p. 684-685, et Office du premier clerc de chapelle, bibl. Mazarine, 35277, pièce n° 18. 42   Dans son étude sur les psaumes en tant que support littéraire du motet, Jean-Paul Montagnier a dressé une recension aussi complète que possible des motets composés sous l’Ancien Régime, tant par les musiciens au service du roi que par d’autres compositeurs (« Chanter Dieu en la Chapelle royale : le grand motet et ses supports littéraires », Revue de musicologie, n° 86/2, 2000, p. 217-263). 38

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Les sources que constituent les recueils de motets apportent également quelques données supplémentaires relatives au cérémonial, inattendues parfois. Ainsi, une partition autographe du Te Deum de Lalande, copiée après 1715, porte de nombreuses corrections, coupures et changements, de manière à ce que l’exécution de la pièce n’excède pas une bonne demi-heure, « le feu roy ayant voulu qu’il ne dura guères plus que la messe ordinaire 43 ». Ou encore, au sein d’un recueil de motets en dix-sept volumes datant de 1704, la Messe à deux chœurs d’Henry Desmarest a été transcrite par un copiste qui a indiqué quelques noms de chanteurs et d’instrumentistes appartenant à la Musique de la Chapelle ou y étant associés, ce qui permet de supposer que cette messe a été chantée à la Chapelle, et dans un cadre liturgique 44.

Sources complémentaires En dehors de ces deux grands types de sources, elles-mêmes, on l’a dit, émanées plus ou moins directement des deux institutions distinctes en charge de la desserte de la chapelle royale de Versailles, d’autres documents sont à même de fournir des renseignements sur le cérémonial. Ils ont en commun de ne pas être issus d’un cadre institutionnel lié à la Chapelle et de délivrer des informations de caractère toujours fragmentaire, des notations qu’il faut aller débusquer dans un contexte qui ne traite pas de la Chapelle ou du cérémonial de cour. La chapelle accueillait régulièrement des ecclésiastiques étrangers à la Maison du roi, notamment lors des fêtes de l’ordre du Saint-Esprit, où les prélats commandeurs de l’ordre étaient appelés à célébrer la messe en présence du roi. C’est probablement afin d’instruire ces intervenants extérieurs qu’un développement sur les « cérémonies qui se font chez le roy dans la chapelle de Versailles » figure dans un recueil publié en 1701 par un chanoine de Saint-Brieuc à l’usage des aumôniers des évêques 45. En fait, les usages qui y sont consignés concernent surtout le prélat célébrant, et l’accent est mis, précisément, sur les particularités versaillaises. Ainsi, c’est dès que le roi fait son entrée dans la Chapelle que le prélat doit quitter la sacristie pour chanter la messe. Après s’être incliné devant l’autel, « il prend l’aspersoir, s’approche et se tourne vers le roy et, lui ayant fait une inclination lente des épaules et de la tête en le regardant d’abord d’une manière assurée, avec une contenance mêlée de modestie et de gravité, lui présente l’aspersoir. Le roy prend de l’eau bénite et ensuite le prélat asperse les princes, puis, ayant fait une seconde inclination au roy, s’en retourne au bas de l’autel où, étant au milieu, il quitte sa crosse et sa mitre ». Après ces

  BnF, Musique, H 400D.   BnF, Musique, Rés. F 1681-1682, Motets de Monsieur Desmarets, pensionnaire ordinaire de la Musique du roy, chantez à la Chapelle de Sa Majesté, recueil réalisé par Philidor pour le comte de Toulouse. Sur cette collection et sur l’intérêt qu’elle représente pour documenter les sources et les usages versaillais, voir Catherine Massip, « La collection musicale Toulouse-Philidor à la Bibliothèque nationale », Fontes artis musicae, vol. 30/4, octobredécembre 1983, p. 184-207. 45   Guillaume Allain, Devoirs et fonctions des aumosniers des évesques, Paris, 1701, p. 14-17 de la seconde partie. 43 44

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indications qui, on le devine, ne figurent pas sous une forme aussi précise dans les textes à l’usage des ecclésiastiques accoutumés à servir quotidiennement le roi, d’autres particularités sont consignées  : au moment de l’offertoire, une fois que le prélat célébrant est revenu s’asseoir, « le roy vient se mettre un genoux aux pieds du prélat, qui lui présente la main ; le roy baise l’anneau et le prélat fait aussitôt une bénédiction sur le roy. Ensuite de cela, le prélat quitte sa mitre, se lève et fait l’offrande, les encensemens et le Lavabo à la manière accoutumée. Le diacre, ayant encensé le prélat, descend et vient devant le roy, lui fait une inclination profonde et l’encense à l’ordinaire. Il fait une seconde inclination profonde au roy et s’en retourne à l’autel […]. Lorsque le prélat est prêt de donner la bénédiction solennelle de la fin de la messe, et qu’il en est à ces mots : Omnipotens Deus, il se tourne vers le roy et lui fait une inclination des épaules et de la tête avant que de donner la bénédiction. L’Évangile de saint Jean étant dit, le prélat descend au bas de l’autel, où, après avoir fait une génuflection, il prend sa mitre et sa crosse, reçoit des mains du diacre la bourse et le corporal par-dessus, qu’il va présenter au roy à baiser, en faisant devant et après une inclination des épaules et de la tête de la même manière assurée, comme en présentant l’aspersoir ». C’est au détour d’une Semaine sainte, un livre comportant le texte des messes et des offices entre le dimanche des Rameaux et celui de Quasimodo, que l’on trouve la description précise de la cérémonie de la Cène royale du Jeudi saint, encore désigné comme « Jeudy absolu »  46. Les détails fournis complètent avantageusement les données qui figurent dans le recueil de Du Peyrat, comme par exemple le texte complet des cinq oraisons prononcées par l’évêque entre le chant du Miserere et la formule d’absolution générale. Parmi les périodiques du temps, deux publications mentionnent régulièrement la Chapelle et ses cérémonies  47. Un véritable calendrier cérémoniel de la cour pourrait être dressé à partir des indications répétées de semaine en semaine par la Gazette de France. Même si les comptes rendus ne sont guère détaillés, ils ont le mérite de signaler toutes les grandes fêtes et toutes les cérémonies de quelque importance, ne serait-ce que la communion du roi, en indiquant les noms et qualités des intervenants. Les récits publiés par le Mercure galant sont moins fréquents, mais plus circonstanciés. Pour l’année 1685 par exemple, on trouve un développement, dans la parution d’avril, sur les dévotions du roi et de la famille royale à l’occasion de la Semaine sainte, ainsi qu’une relation complète du mariage du duc de Bourbon, publiée en août  48. D’une périodicité beaucoup plus rare, l’État de la France renseigne avant tout sur les titulaires des diverses charges de la Maison du roi. Au fil des années cependant, les éditions se sont étoffées, sous la probable impulsion de Nicolas Besongne, clerc de la Chapelle-Oratoire, chargé d’en assumer la rédaction à partir de 1661, puis de son neveu Louis Trabouillet, chapelain de la Chapelle-Oratoire, qui devait prendre

  L’Office de la Semaine sainte, corrigé de nouveau par le commandement du roy conformément au bréviaire et missel de notre saint père le pape Urbain VIII, Paris, 1664 ; p. 161-167. L’exemplaire consulté est relié au chiffre de Louis XIV (BnF, Rés. B 12461). 47   Un dépouillement de ces périodiques a été réalisé, pour chaque année, par Joseph-Adrien Le Roi, Catalogue des livres de la Bibliothèque relatifs à l’histoire de la ville, Versailles, 1875, p. 10-16 (Gazette de France) et 91-98 (Mercure galant). 48   Mercure galant, avril 1685, p. 273-278, et août 1685, p. 242-251. 46

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la relève en 1699 49. Ainsi, tandis que seulement cinq pages sont consacrées à la Chapelle du roi dans l’édition de 1661, on trouve pas moins de trente-cinq pages sur le même sujet dans celle de 1712, la dernière du règne de Louis XIV  50. Assurée par le frère Ange de SainteRosalie, l’édition de 1722 est la première à signaler, à propos des chapelains de la ChapelleOratoire, que c’est huit ou neuf ans après sa majorité, c’est-à-dire vers 1660, que Louis XIV décida de suivre chaque jour, y compris la plupart des dimanches et fêtes, une messe basse dite par ses officiers, les messes chantées par les chapelains de la Chapelle-Musique n’étant alors plus célébrées qu’aux jours solennels 51. Les trois principaux chroniqueurs du règne de Louis XIV, le marquis de Sourches (à partir de 1682), le marquis de Dangeau (à partir de 1684) et le duc de Saint-Simon (à partir de 1692), ont inévitablement écrit sur la Chapelle à de nombreuses reprises dans leurs journaux et mémoires longtemps restés inédits 52. Au prix d’un dépouillement systématique, ces sources de première main livrent un grand nombre de renseignements d’ordre cérémoniel, d’autant que leurs rédacteurs participaient pleinement de la société de cour et de ses codes si complexes de préséances. Pour alimenter son travail d’écriture, Saint-Simon a même constitué d’importants dossiers sur les cérémonies et les préséances, dans lesquels il puisait les références nécessaires autour de l’événement qu’il comptait retracer 53. C’est pourtant le duc de Luynes, chroniqueur de la cour de Louis XV, qui devait laisser les pages les plus fouillées sur les cérémonies à la chapelle  54. Là encore, même si son témoignage est plus

  Un recueil manuscrit de l’abbé Besongne, contenant des notes sur le cérémonial de cour, probablement préparatoire à la publication de l’État de la France, est conservé à la BnF, ms. français 22714. Les renseignements concernant la musique contenus dans les éditions successives de l’État de la France ont été édités dans Recherches sur la musique française classique, XXX, 1999-2000 (2003), et forment un recueil intitulé États de la France (1644-1789). La Musique : les institutions et les hommes. 50   L’Estat de la France, Paris, 1661, p. 185-189 ; L’État de la France, Paris, 1712, t. Ier, p. 15-50. 51   L’État de la France, t. Ier, Paris, 1722, p. 137 ; à la p. 146, l’usage de ne plus chanter les vêpres à la Chapelle du roi qu’aux jours solennels est dit remonter aux alentours de l’année 1669. 52   Louis-François Du Bouchet, marquis de Sourches, Mémoires du marquis de Sourches, J. de Cosnac et É. Pontal (éd.), Paris, 1882-1912, 14 vol. ; Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, Journal du marquis de Dangeau, publié par E. Soulié, L. Dussieux, Ph. de Chennevières, P. Mantz et A. de Montaiglon (éds), avec les Additions inédites du duc de Saint-Simon, F.-S. Feuillet de Conches (éd.), Paris, 1854-1860, 19 vol. (dont un vol. d’index) ; Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, Mémoires du duc de Saint-Simon, A.-M. de Boislisle (éd.), avec la collaboration de L. Lecestre (à partir du vol. XV) et de J.-M. de Boislisle (à partir du vol. XXI), Paris, 1879-1930, 43 vol. (dont deux vol. d’index). Même si elles sont beaucoup plus rares, il faut signaler aussi les notations concernant le cérémonial à la Chapelle royale de Versailles qui se trouvent dans d’autres chroniques, comme par exemple celle de l’abbé François-Timoléon de Choisy, Mémoires pour servir à l’histoire de Louis XIV, J. Mongrédien (éd.), Paris, 1983, la correspondance (en grande partie restée inédite) d’Élisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d’Orléans, dite Madame Palatine, Lettres de la princesse Palatine (1672-1722), publiées par Olivier Amiel, Paris, 1985, ou encore chez Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, Journal inédit de Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, ministre et secrétaire d’État des Affaires étrangères pendant les années 1709, 1710 et 1711, F. Masson (éd.), Paris, 1884. 53   Arch. du Min. des Aff. étr., MD France 159-196. Certains écrits ont été édités dans les Grimoires de Saint-Simon, nouveaux inédits établis, présentés et annotés par Yves Coirault, Paris, 1975. 54   Charles-Philippe d’Albert, duc de Luynes, Mémoires sur la cour de Louis XV (1735-1758), L. Dussieux et E. Soulié (éd.), Paris, 1860-1865, 17 vol. (dont un vol. d’index). 49

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récent, les multiples renvois au règne précédent doivent être soigneusement relevés pour compléter nos connaissances sur le cérémonial de la chapelle royale de Versailles. Précieux aussi à bien des égards, les documents figurés constituent un ensemble relativement homogène. Les vues de la chapelle fournissent des renseignements sur un mobilier qui n’existe plus aujourd’hui et dont la fonction est étroitement liée au cérémonial. Ainsi, le « Plan du rez-de-chaussée de la chapelle du château royal de Versailles », gravure de Pierre Ier Le Pautre publiée dans le recueil de Gilles Demortain, indique deux rangées de stalles, à l’usage des lazaristes, ainsi que l’emplacement du prie-Dieu royal au milieu du chœur liturgique  55. Pour la plupart publiées dans l’Almanach, les représentations des cérémonies importantes qui se sont déroulées à la chapelle de Versailles sont certes parfois plus fantaisistes du point de vue de la topographie, mais elles montrent toutes des détails qui recoupent, complètent ou précisent les données textuelles. À titre d’exemple, la célèbre gravure d’après le dessin, lui aussi conservé, de Sébastien Leclerc, offre une vision synthétique des cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit des 1er janvier et 2 février 1689, les plus importantes du règne en raison du nombre de chevaliers créés à cette double promotion : sous un dais placé à l’entrée du sanctuaire, du côté de l’évangile, le roi reçoit le serment de quatre nouveaux chevaliers, agenouillés devant lui 56. Cet inventaire des sources susceptibles d’apporter des informations sur les règles et usages cérémoniels de la chapelle royale de Versailles ne serait pas complet sans la mention de ces documents les plus divers qui ne se laissent découvrir que dans le cadre d’une recherche patiente et qui, chacun à leur manière, ajoutent une pierre nouvelle à un édifice bien plus complexe qu’il n’y paraît. Pour ces sources qui ne répondent à aucune typologie, il est impossible de déterminer une liste de manière définitive, le hasard des investigations pouvant encore permettre d’heureuses trouvailles. Quelques exemples seulement sont en mesure de donner une idée du caractère épars et de la diversité de ces sources. Ainsi, c’est dans le Catalogue de sa bibliothèque de musique que Sébastien de Brossard indique, de manière incidente, que la messe composée par François Cosset ad imitationem moduli Gaudeamus est pratiquement la seule à être chantée à la Chapelle du roi 57. L’existence d’un exemplaire d’une version imprimée de cette messe, chez Christophe Ballard en 1676, et provenant de la bibliothèque de la Musique du roi confirme cette remarque de Brossard et permet enfin de connaître une vraie « messe royale » 58. Dans un autre domaine, celui des

  Gilles Demortain, Les plans, profils et élévations des ville et château de Versailles, avec les bosquets et fontaines tels qu’ils sont à présent, levez sur les lieux, dessinez et gravez en 1714 et 1715, Paris, Demortain, planche 2. Gravure reproduite par Alexandre Maral, « Le mobilier de la chapelle royale de Versailles en 1715 », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1998 (1999), p. 69-104, à la p. 74. 56   Dessin préparatoire de Sébastien Leclerc (BnF, Estampes, coll. Destailleurs, n° 474) et gravure publiée dans l’Almanach pour l’an de grâce MDCLXXXX (sous le titre « La création des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit par le roi dans la Chapelle de Versailles les 1er janvier et 2 février 1689 ») reproduits par Alfred et Jeanne Marie, Mansart à Versailles, Paris, 1972, vol. II, p. 513 et 515. 57   Yolande de Brossard, La collection Sébastien de Brossard (1655-1730). Catalogue, Paris, 1994, p. 88, n° 158, à propos d’une autre messe de Cosset. 58   François Cosset, Missa quinque vocibus ad imitationem moduli Gaudeamus omnes, Paris, 1676, bibl. mun. de Versailles, M.S.A. 2, in-f. 55

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documents comptables, les registres des services de l’Argenterie, Menus-Plaisirs et Affaires de la Chambre du roi détaillent les sommes employées pour les processions de la Chandeleur et de la Fête-Dieu et de son jour octave, ou petite Fête-Dieu, ainsi que pour les cérémonies des Jeudi et Vendredi saints  59. Il est ainsi possible de connaître avec précision, année par année, le nombre de cierges, de flambeaux et d’écussons utilisés et, par recoupement, celui des intervenants des différents cortèges. Un de ces registres, celui de l’année 1714, contient un paiement au claveciniste Jean-Baptiste Danglebert pour sa présence aux offices des ténèbres de la Semaine sainte à Versailles, ainsi que pour le transport de son instrument 60 : c’est, à vrai dire, la seule indication explicite de la présence de cet instrument à la chapelle royale, dans un temps liturgique interdisant l’usage de l’orgue. Enfin, le journal et les inventaires successifs dressés par le Garde-Meuble donnent le détail des ornements, linges liturgiques et pièces d’orfèvrerie affectés à la chapelle du château de Versailles : encore une source précieuse, bien que secondaire, pour pleinement mesurer l’importance de certains aspects matériels du cérémonial versaillais 61. En définitive, seules quelques prescriptions contenues dans des lettres patentes et un recueil de plain-chant constituent les sources vraiment contemporaines du règne de Louis XIV, et dont le lien avec la chapelle royale du château de Versailles ne fait aucun doute, qui soient en mesure de documenter le cérémonial des lazaristes. Pour connaître celui des officiers ecclésiastiques de la Maison du roi, les sources sont plus variées, et il faut rappeler ici le caractère tout à fait exceptionnel du Cérémonial historique de Chuperelle, mais aucune ne donne une vision d’ensemble, indispensable pour comprendre le fonctionnement d’une institution aussi complexe. Fondé sur le postulat, raisonnable du reste, du maintien des usages en matière liturgique et cérémonielle, le recours à des sources postérieures au règne de Louis  XIV, et notamment aux Mémoires du duc de Luynes, si précises et tellement circonstanciées, permet, dans une certaine mesure, de combler quelques lacunes. Dans cet état des sources ainsi identifiées, recensées et rendues aujourd’hui disponibles, force est cependant de reconnaître une collection de membra disjecta, en rapport avec une institution abolie de longue date, qui ont pu échapper aux aléas d’une histoire quelque peu mouvementée 62. Souhaitons que leur recension suscite des investigations plus poussées, non

  Arch. nat., O1 2820-2845, registres couvrant les années 1683-1716.   Arch. nat. O1 2844, f° 50 ; source éditée par Marcelle Benoit, Musiques de cour. Chapelle, Chambre, Écurie. Recueil de documents, 1661-1733, Paris, 1971, p. 263. 61   Arch. nat., O1 3304-3308, Journal du Garde-Meuble, 1666-1715, et O1 3330-3333, Inventaire général des meubles de la Couronne, 1664-1705 (à compléter par O1 3334-3341, inventaire achevé en 1729). 62   Outre les disparitions déjà mentionnées, il faut évoquer ici les données fournies par les inventaires du GardeMeuble. Seulement deux missels d’autel sont consignés dans le chapitre des « Ornemens et linges de chapelle » de l’Inventaire général cité plus haut (Arch. nat., O1 3333, f° 160 et 160v°). Rédigée en 1717, mais plus complète, la suite de cet inventaire mentionne « un grand livre des évangiles de velin, écrit à la main, couvert de riche broderie or et argent, enrichy au milieu des armes du roy de même broderie », « onze missels romains couverts de maroquin rouge, ornés des armes et chiffres du roy », un missel parisien, un épistolier, un évangéliaire, sept missels des défunts, « un rituel parisien in-4°, relié en maroquin rouge, orné d’une campanne et des armes du roy, le tout doré, pour servir aux prélats », un autre rituel parisien, six bréviaires romains, un grand diurnal, douze processionnaux romains, quatre-vingt dix-sept offices de saint Louis, quatre-vingt-sept messes de saint Louis (ibid., O1 3337, f° 62-63, n° 149-165). Tous ces ouvrages, conservés dans la sacristie de la chapelle, sont en59 60

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seulement pour compléter un domaine qui reste, malgré tout, gravement lacunaire, mais aussi pour documenter l’institution jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, voire jusqu’à son abolition définitive au xixe siècle. Souhaitons aussi que l’intérêt nouveau accordé aux pratiques cérémonielles, liturgiques et musicales puisse s’accompagner d’une politique d’édition de sources, dont celles qui concernent la Chapelle royale constituent, à n’en pas douter, un terrain qui se prête aux analyses et aux comparaisons de toutes sortes. Alexandre Maral Conservateur au château de Versailles

core signalés dans l’inventaire des meubles du château de Versailles en 1740 (ibid., O1 3453, f° 86v°-87) et dans l’inventaire de 1751 (ibid., O1 3454, p. 475-477). On en retrouve certains dans l’Inventaire des meubles du GardeMeuble de la Couronne existans à Versailles en 1776 (ibid., O1 3457, p. 380-381), puis dans l’Inventaire des meubles des grands appartements et Chapelle du château de Versailles fait en août 1788 (ibid., O1 3476, dossier 3). Dressé pour la période s’étendant entre le 1er et le 9 prairial de l’an II (20-28 mai 1794), le procès-verbal de la vente des objets mobiliers du château de Versailles mentionne quatre lots importants de livres d’église, attribués aux citoyens Bouchard et Huart, sans donner le détail des volumes (Arch. dép. des Yvelines, 2 Q 71, procès-verbal n° 28, f° 1-2, n° 14095, 14099, 14106 et 14113).

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Les cérémoniaux de Bayeux : des modèles pour une structure inscrite dans le temps 1 Dans la lignée des réformes liturgiques engagées par le concile de Trente (1545-1563), le pape Clément VIII entérina la publication du Caeremoniale episcoporum au sein duquel fut rassemblée et décrite avec minutie la plus grande partie des cérémonies de la messe et des offices. « Du commencement de la messe » aux « oraisons après la communion de la fin de la messe » en passant par « l’offertoire jusqu’au canon », chaque parole et geste de l’officiant et de ses assistants furent codifiés avec beaucoup de soin. L’objet de cet article est d’essayer de mettre en évidence l’influence des ouvrages de Louis du Molin —  inspirés par le Caeremoniale episcoporum — sur la structure générale des cérémoniaux français. Cette brève étude repose sur une comparaison des structures générales de deux Cérémoniaux du diocèse de Bayeux, édités respectivement en 1677 et en 1819.

Le Cérémonial de Bayeux de 1677 Le premier cérémonial de Bayeux fut publié en 1677 sous l’épiscopat de François de Nesmond, évêque de Bayeux de 1659 à sa mort. Né à Paris, au sein d’une famille de magistrats, François de Nesmond (1629-1715) était le neveu, par sa mère, de Guillaume de Lamoignon, premier président au parlement de Paris. Il effectua ses études au collège de Clermont, au collège de Navarre, à la Sorbonne et entra au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Nommé évêque de Bayeux en 1659, François de Nesmond fonda un séminaire en 1669 dont la direction fut confiée à Gilles Buhot. Mgr  de Nesmond développa des conférences ecclésiastiques sur le modèle de celles créées par Vincent de Paul  2. Sur le plan liturgique, François de Nesmond fit publier un certain nombre d’ouvrages liturgiques : – le bréviaire en 1665 – l’antiphonaire en 1676

1   Je remercie Cécile Davy-Rigaux dont les conseils et la relecture de cet article m’ont permis de mener à bien cette recherche. 2   Abbé J. Laffetay, Histoire du diocèse de Bayeux, xviie et xviiie siècle, Bayeux, Imprimerie de A. Delarue, 1855, p. 2-3.

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– le Graduel, après 1676 (avec un Supplément qui indique comment on doit composer l’office de Bayeux avec le Graduel romain et comportant des pièces particulières du rite bayeusain). – le Rituel en 1687 (révision de celui de 1627) 3. Enfin, le Cérémonial pour l’Église et le diocèse de Bayeux de 1677  4 dont l’étude est l’objet de la première partie du présent article. Afin de mieux comprendre la genèse et la structure de ce Cérémonial, il est intéressant tout d’abord d’évoquer la Pratique des cérémonies de l’Eglise de Louis du Molin, chanoine de la cathédrale d’Arles 5. Publié pour la première fois en 1657, cet ouvrage fut réalisé à la demande de l’Assemblée du clergé de France en 1645. Sa rédaction demanda à son auteur douze années de travail au terme desquelles il reçut l’approbation de la même Assemblée en 1656. Au sein d’une des pièces liminaires, « Au lecteur », Louis du Molin justifiait ainsi la rédaction de son ouvrage : Jusqu’à présent nos cérémonies ont paru des énigmes, qui avaient besoin d’une longue interprétation, pour régler les différents sentiments que la diversité de leur observance faisait naître : je t’en présente le remède, sans embarras et sans apprêt de spéculation ou d’ornement de paroles, couché d’une manière simple en langue vulgaire pour être entendu de tous, m’étant bien gardé néanmoins de m’éloigner des règles du Cérémonial des évêques que je n’ai pas perdu de vue.

Et il poursuivait encore : Deux sortes de personnes sont obligées aux cérémonies de l’Église, celles qui sont dans les hautes et les premières dignités, et celles qui servent aux moindres églises et dans les villages. L’occupation des premiers ne leur permet pas de voir les livres qui leur donneraient une suffisante instruction sur ce sujet, et les derniers n’ont pas moyen d’en recouvrer. Je crois avoir pourvu à tous les deux en ce petit livre, épargnant le temps à ceux qui l’ont cher et les frais à ceux qui ne peuvent les porter, les uns et les autres trouvant leurs offices tout de suite et sans renvoi. Voilà le fond de mon petit ouvrage : quant à l’ordre je l’ai divisé en deux parties, dont la première comprend tous les offices ordinaires et arrivent plusieurs fois dans l’année : la seconde se réduit aux grandes solennités qui n’arrivent que rarement ou qu’une seule fois dans la même année 6.

Le passage « m’étant bien gardé néanmoins de m’éloigner des règles du Cérémonial des évêques que je n’ai pas perdu de vue » permet donc de comprendre par quel biais le cérémonial des évêques a pu avoir une certaine influence sur la rédaction des cérémoniaux locaux en France.

  Ibid., p. 172-178.   Cérémonial pour l’Église et le diocèse de Bayeux avec un recueil des Statuts et Ordonnances de Monseigneur l’Évêque de Bayeux et des cas réservés. Divisés en deux traités, Caen, J. Brard, 1677, xvi-287 p. (cf. [Bayeux 1677]). 5   Exemplaire consulté : [Du Molin Église 1667]. 6   Ibid., p. [viii-ix]. 3 4

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Par ailleurs, dès 1639, Louis du Molin avait rédigé la Pratique des cérémonies de la sainte messe 7 qui fut par la suite enrichie des principaux offices des heures sous le titre de Pratique des cérémonies de la sainte messe, selon l’usage romain, des vêpres, matines et laudes 8. Au sein d’une des pièces liminaires de ce dernier ouvrage, Louis du Molin écrivait : J’ai dressé cette pratique de la messe, pour laquelle je n’ai eu d’autres guides que les rubriques du Missel romain et le Cérémonial des évêques que j’ai suivi ponctuellement et le R. P. Gavantus que je n’ai jamais perdu de vue en traçant cet abrégé.

La description minutieuse du déroulement de la messe et des offices que propose le chanoine d’Arles dans ses divers ouvrages serait donc une continuité et un approfondissement pédagogique des rubriques du missel. Présentant de très nombreuses similarités avec la Pratique des cérémonies de l’Eglise de 1657, la Pratique des cérémonies de la sainte messe, selon l’usage romain, ensemble des vêpres, matines et laudes (ici éd. de 1671) conserve des intitulés et une structure un peu différents, qui peuvent être comparés à ceux du Cérémonial de Bayeux. Dans le tableau suivant, j’ai comparé les parties concernant les messes, dans ces deux ouvrages : Tableau 1 [Du Molin Messe 1671]

[Bayeux 1677]

Pratique des cérémonies de la messe basse (p. 19-97)

Traité 1 : De la Messe basse (p. 1-31)

Ce que le Prêtre fait avant que de s’habiller [et en s’habillant] (art. i)

De ce que le prêtre fait avant que de s’habiller (chap. i) De ce qu’il doit observer en s’habillant (chap. ii)

De la sortie de la Sacristie, et de la manière d’entrer à l’Autel (art. ii)

Sortie de la Sacristie et entrée à l’Autel (chap. iii)

Du commencement de la Messe (art. iii)

Du commencement de la Messe (chap. iv)

De l’Introite, du Kyrie et du Gloria in excelsis (art. iv)

De l’Introit, Kyrie et Gloria in excelsis (chap. v)

Des Oraisons (art. v)

Des Oraisons (chap. vi)

De l’Epistre jusques à l’Offertoire (art. vi)

De l’Epître jusqu’à l’Offertoire (chap. vii)

De l’Offertoire jusqu’au Canon (art. vii)

De l’Offertoire jusqu’au Canon (chap. viii)

Du Canon de la Messe jusques à la Consécration (art. viii)

Du Canon de la Messe jusqu’à la Consécration (chap. ix)

Du Canon après la Consécration (art. ix)

Du Canon après la Consécration (chap. x)

  Exemplaire consulté : [Du Molin Messe 1658].   Exemplaire consulté : [Du Molin Messe 1671].

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De l’Oraison Dominicale jusques après la Communion (art. x)

De l’Oraison Dominicale jusques après la Communion (chap. xi)

Des Oraisons après la Communion, et de la fin de la Messe (art. xi)

Des Oraisons après la Communion et fin de la Messe (chap. xii)

De la Messe des Morts (p. 98-104)

De la messe des morts, en quel jour etc. (chap. xiii)

Ce qu’il faut obmettre aux Messes pour les Morts

Ce qu’il faut obmettre aux Messes pour les Morts (chap. xiv)

De ce qu’il faut ajouter, le Sainct Sacrement étant exposé à l’autel auquel on célèbre la Messe (p. 104-110)

Ce qu’il faut adjoûter, le Saint Sacrement étant exposé à l’Autel auquel on célèbre la Messe (chap. xv)

De la Messe basse qui se dit en présence d’un Prélat dans son diocese (p. 110-112)

Ce qu’il faut adjoûter quand on célèbre en présence de Monseig. l’Évêque (chap. xvi)

De l’Office des deux Chapelains, servans l’Évêque à la Messe basse (p. 113-126) Des défauts qui peuvent arriver en la Célébration de la Messe (p. 139-172)

Des deffauts qui peuvent arriver en la célébration de la Messe (chap. xvii) Traité II : De l’office qui se fait au chœur (…)

De la Messe solennelle

De la Messe haute (chap. iii) [Introduction brève : ministres, préparatifs]

De l’Eau bénite Des Processions De l’Office du Maistre des Cérémonies De l’office du Thuriféraire De l’office des Acolytes De l’office du Soû-Diacre De l’office du Diacre De l’office du Célébrant De l’office du Prêtre assistant

De l’Eau bénîte Des Processions De l’Office du Maître des Cérémonies De l’office du Thuriféraire De l’office des Acolites De l’office du Sous-Diacre De l’office du Diacre De l’office du Prêtre De l’office du Prêtre assistant

Nous remarquons pour le Cérémonial de Bayeux une influence notoire de la Pratique des cérémonies de la sainte messe selon l’usage romain, ensemble des vêpres, matines et laudes de Louis du Molin sur les têtes de chapitres de la messe basse, de la messe basse des morts et de la messe solennelle. Mais pour autant les auteurs du Cérémonial de Bayeux ne se contentèrent pas de recopier l’ouvrage de du Molin. En effet, la Pratique des cérémonies de la sainte messe, selon l’usage romain, ensemble des vêpres, matines et laudes est divisée en trois parties. Les deux premières sont respectivement dévolues à la messe basse et à la messe solennelle et la troisième est consacrée aux offices des vêpres, des matines et des laudes. Cette division en trois parties semble correspondre en fait à une distinction entre les messes d’un côté et les offices de l’autre. 110

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Pour le Cérémonial de Bayeux, les rédacteurs ont adopté une division en deux parties : la « messe basse » et « l’office qui se fait au chœur » qui comprend les vêpres, les matines, les laudes, la messe haute et l’office de la Semaine sainte. Cette répartition en deux parties est probablement liée à l’utilisation des chapelles latérales ou du chœur de la cathédrale selon la nature des messes et des offices célébrés. D’autre part, on note l’ajout du « Recueil des statuts publiés par Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime Messire François De Nesmond, Évêque de Bayeux, de l’année 1662 et dans les synodes des années suivantes » (voir Tableau 3 infra). Enfin, la Pratique des cérémonies de la sainte messe selon l’usage romain, ensemble des vêpres, matines et laudes présente un déroulement des vêpres, des matines et des laudes selon la nature de l’église où ces offices sont célébrés, les cathédrales, les paroisses ou les collégiales ; tandis que le cérémonial de Bayeux propose une description des différents offices des vêpres, des matines et des laudes selon le degré de solennité des fêtes. Enfin, le cérémonial de Bayeux attache une importance particulière à la description de la Semaine sainte. Par ailleurs, les ouvrages de Louis du Molin ont servi aussi de modèle pour la rédaction du texte du cérémonial de Bayeux, ainsi que le montrent les exemples suivants : Tableau 2 [Du Molin Église 1667]

[Bayeux 1677]

De la Messe basse

De la Messe basse

Chap. 1. De ce que le prêtre fait avant que de s’habiller (p. 435-436) 1. Le prêtre qui veut célébrer la messe, doit avoir dit pour le moins Matines et Laudes et avoir employé quelque temps à l’Oraison. 2. S’il se doit confesser, il le doit faire avant que de prendre les ornemens Sacerdotaux. 3. Il doit dire les préparations de la Messe, si sa commodité le lui permet. 4. Il doit voir le Messel, chercher la Messe qu’il doit dire, la prévoir et parcourir, et disposer les signets aux lieux qui seront nécessaires. La Messe, autant que faire se pourra, doit être conforme à l’Office, et on ne doit dire la Messe votive sans quelque sujet raisonnable. S’il arrive quelque occasion de dire des Messes votives, on les peut dire, pourveu que ce ne soit le Dimanche ou Festes doubles, ou des jours ausquels on ne peut faire une Feste double, sçavoir durant les Octaves de l’Épiphanie, de Pasques, de Pentecoste, le Mercredy des Cendres, la Sepmaine Sainte, et aux Vigiles de la Nativité de nostre Seigneur, et de Pentecoste.

Chap. 1. De ce que le prêtre fait avant que de s’habiller (p. 1-2) 1. Le prêtre qui veut célébrer la sainte Messe, doit avoir dit pour le moins Matines et Laudes et avoir emploié quelque tems à l’oraison. 2. S’il se doit confesser, il le fera avant que de prendre les ornemens, il faut même quitter le surplis, n’étant un habit de pénitence, mais bien de chœur et de cérémonie. 3. Il aura soin de chercher la Messe qu’il doit dire, la prévoir et parcourir, et disposer les signets aux lieux qui lui seront nécessaires 4. La Messe, tant qu’il se peut, doit être conforme à l’Office, et on ne doit dire des Messes votives, sans cause raisonnable, principalement, les Dimanches et Festes doubles, et aux jours ausquels l’Église d’aucunes festes mais les transfère  ; comme au mercredi des Cendres, la Semainesainte, etc.

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De la Messe des Morts (p. 483)

De la Messe pour les Morts, en quel jour on la peut dire, et ce qu’il y faut observer (p. 43)

Les Messes des Morts (ainsi que les votives) se La Messe pour les Morts se peut dire tous les peuvent dire tous les jours, sinon aux Festes dou- jours, excepté aux Fêtes doubles et aux Dimanbles, aux Dimanches et aux Féries privilégiées ches, équelles il n’est pas permis de faire d’une feste double. En présence d’un corps non encore inhumé, on ne peut dire une Messe basse des Morts les Dimanches et festes : mais seulement une Messe haute, pourveu que le feste ne soit pas solennelle ou de premiere classe.

néanmoins en présence d’un corps non encore inhumé, on peut dire une Messe des Morts les Dimanches et Fêtes  ; pourveu que ce soit une haute messe, et que la Fête ne soit ni de premiere classe ni solennelle.

De l’office du Maistre des Cérémonies (p. 317)

De l’office du Maître des Ceremonies (p. 104-105)

Le Maistre des Cérémonies est de si grande importance, qu’il est bien difficile que sans luy on puisse pratiquer dignement les Cérémonies établies dans l’Église. C’est pourquoy il seroit à desirer qu’il y en eust principalement un aux Églises Cathédrales, et autres, où le nombre des Ecclésiastiques est assez grand pour le pouvoir faire. Il doit estre instruit de tout ce que les Ministres doivent faire, afin que tout doucement et avec modestie, il les puisse avertir quand il en aura besoin. Il doit prendre garde que tout ce qui est necessaire pour la célébration de la Messe à l’Autel, à la Crédence, ou à la Sacristie, soit préparé comme il faut, et de bonne heure. Apres avoir lavé les mains dans la Sacristie, il prend le Surplis, s’il n’avoit de coûtume de le prendre ailleurs, et le Célébrant avec ses Ministres estant habillez, il se met derriere le Célébrant, donne le signal pour partir, et fait la révérence à l’Image ensemblement avec les autres, et après saluë le Célébrant avant que de sortir de la Sacristie.

Le Maître des Ceremonies est de si grande importance, qu’il est bien difficile que sans lui on puisse pratiquer exactement les cérémonies établies dans l’Eglise, c’est pourquoy il y en doit toûjours avoir un, lorsque le nombre des Ecclésiastiques est assez grand pour le pouvoir faire : Celui qu’on appelle acolithe dans la Cathédrale, peut passer pour maître des Cérémonies. Il doit être instruit de tout ce que les Ministres doivent faire, afin qu’il les puisse avertir quand il en sera besoin, ce qu’il fera prudemment et modestement. Il se rendra des premiers à la sacristie, en surplis, où ayant fait sa prière, et lavé ses mains, il préparera et prendra garde que tout ce qui est nécessaire pour la célébration de la messe, à l’Autel, à la crédence, ou à la sacristie, soit prest comme il faut, et de bonne heure et que les Officiers soient habillés proprement. Le Célébrant et ses ministres étant habillés, il se met derriere le Célébrant, et fait l’inclination au Crucifix avec les autres, puis saluë le Célébrant avant que de sortir de la sacristie.

De l’office des Acolythes (p. 336-337)

De l’Office des Acolites (p. 116)

1. Ceux qui doivent porter les chandeliers et faire la fonction d’Acolythes, doivent avoir, s’il se peut, l’ordre d’Acolythe. 2. Ils doivent aussi, autant que faire se peut, estre de mesme hauteur, afin qu’ils portent les chandeliers également élevés.

Ceux qui doivent porter les chandeliers se nomment acolithes, parcequ’il serait à souhaiter que ceux qui y sont destinés eussent l’ordre d’acolithes. Dans la Cathédrale on se sert des deux plus jeunes enfans de Chœur.

3. Ils se servent des mêmes ornemens que le Thu- Ils se servent des mêmes habits que le thurifériféraire, sçavoir du surplis, ou d’un amict, d’une raire, c’est-à-dire du surplis ou de l’aube. aube et d’une ceinture.

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Par conséquent la filiation entre la Pratique de Louis du Molin et le cérémonial de Bayeux de 1677 paraît une réalité liturgique et historique acquise. Mais ici encore, les auteurs ne se sont pas contentés de recopier du Molin, mentionnant ici une particularité de la cathédrale de Bayeux (« celui qu’on appelle acolithe dans la Cathedrale » pouvant faire office de maître des cérémonies, son attitude prudente et modeste lorsqu’il devra avertir les différentes ministres de leurs tâches ; les plus jeunes enfants de chœurs exerçant les fonctions d’acolytes à la cathédrale), profitant là du texte repris à du Molin pour préciser certaines notions nécessitant peut-être des clarifications particulières à l’intention du clergé bayeusain (comme le fait de retirer son surplis pour se confesser avant la messe, celui-ci « n’étant un habit de pénitence, mais bien de chœur et de cérémonie »). On remarque le plus souvent une tendance à simplifier, le rédacteur ne retenant que l’essentiel des informations pour l’usage de Bayeux.

Le Cérémonial de Bayeux de 1819 Né à Poitiers, Charles Brault (1752-1833) était le fils du procureur au présidial de cette ville. Après de brillantes études, il fut nommé prêtre à Notre-Dame-la-Petite puis chanoine à la collégiale Sainte-Radegonde. Mgr Brault fut ensuite nommé évêque de Bayeux le 4 mai 1802 pour succéder à l’évêque Bisson. Son épiscopat fut marqué successivement par une alliance avec Napoléon et par un ralliement à la monarchie. Notons qu’à l’époque du Concordat de 1801, le diocèse de Bayeux comprenait les anciens diocèses de Lisieux, Séez et Coutances 9. Durant son épiscopat, Charles Brault ordonna la rédaction du nouveau Cérémonial en 1819  10. À la fin de son mandement au nouveau Cérémonial du diocèse de Bayeux, il écrivait : L’extrême difficulté de se procurer l’ancien [le Cérémonial de Bayeux de 1677], qui d’ailleurs n’est plus praticable dans tous ses points, la nécessité de réunir sous la même discipline extérieure les diverses parties d’un diocèse, qui appartenait autrefois à différentes églises, nous ont engagé à confier à d’habiles ecclésiastiques le soin de recueillir les règles anciennes et les anciens usages, pour en composer un ouvrage qui, muni de notre approbation après un mûr examen fît désormais loi dans cette matière.

Afin de mieux comprendre leurs parentés et différences voici un nouveau tableau qui compare la structure des deux cérémoniaux étudiés :

  Thierry Blot, Reconstruire l’Église après la Révolution : le diocèse de Bayeux sous l’épiscopat de Mgr Charles Brault, 1802-1923, Paris, Cerf, 1997. 10   Cérémonial du diocèse de Bayeux, publié par Monseigneur l’évêque, du consentement du chapitre de son église cathédrale, Bayeux, Imprimerie de la veuve Nicolle, librairie, rue Saint-Jean, 30. MDCCCXIX (cf. [Bayeux 1819]). 9

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Tableau 3 [Bayeux 1677]

[Bayeux 1819] Summarium ceremoniarum missæ privatæ

Traité 1 : De la Messe basse De ce que le prêtre fait avant que de s’habiller (chap. i) De ce qu’il doit observer en s’habillant (chap. ii) Sortie de la Sacristie et entrée à l’Autel (chap. iii) Du commencement de la Messe (chap. iv) De l’Introit, Kyrie et Gloria in excelsis (chap. v) Des Oraisons (chap. vi) De l’Épître jusqu’à l’Offertoire (chap. vii) De l’Offertoire jusqu’au Canon (chap. viii) Du Canon de la Messe jusqu’à la Consécration (chap. ix) Du Canon après la Consécration (chap. x) De l’Oraison Dominicale jusques après la Communion (chap. xi) Des Oraisons après la Communion et fin de la Messe (chap. xii) De la messe des morts, en quel jour etc. (chap. xiii) Ce qu’il faut obmettre aux Messes pour les Morts (chap. xiv) Ce qu’il faut adjoûter, le Saint-Sacrement étant exposé à l’Autel auquel on célèbre la Messe (chap. xv) Ce qu’il faut adjoûter quand on célèbre en presence de Monseig. l’Évêque (chap. xvi) Des deffauts qui peuvent arriver en la célébration de la Messe (chap. xvii)

Première partie : De la messe basse Chapitre I. Des cérémonies du prêtre. Art. 1. Cérémonies du prêtre à la messe ordinaire Cérémonie qui précède la sainte messe. Du commencement de la messe jusqu’à l’offertoire. Depuis l’offertoire jusqu’au canon. Depuis le canon jusqu’au pater. Depuis le Pater jusqu’à la communion. Depuis les oraisons après la communion jusqu’à la fin de la messe. De ce qui regarde la communion du peuple. Art. 2. Cérémonies du prêtre dans les messes particulières. Aux messes des morts Aux messes basses devant le Saint-Sacrement exposé. Aux messes basses devant monseigneur l’évêque.

Chapitre II. Cérémonies du clerc. Art. 1. À la messe ordinaire Cérémonies qui précèdent la messe. Depuis le commencement de la messe jusqu’à l’offertoire. Depuis l’offertoire jusqu’au canon. Depuis le canon jusqu’à la fin de la messe. Additions dans le cas où la messe est servie par deux clercs Art. 2. Cérémonies du clerc à la messe devant le Saint-Sacrement exposé Art. 3. Cérémonies du clerc à la messe des morts

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Traité II : De l’office qui se fait au chœur (cf. infra)

Seconde partie : De l’office du chœur Chapitre I. Cérémonies que l’on doit observer, soit en entrant au chœur, soit pendant le temps qu’on y passe. Art. 1. De l’entrée au chœur Art. 2. De la séance au chœur Du temps où l’on doit être assis les stalles abaissées. Du temps où l’on doit être debout. Du temps où l’on doit être à genoux. Art. 3. Des prostrations Des prostrations. Des génuflexions. Des inclinations. Chapitre II. De la psalmodie, du chant et de l’orgue. Art. 1. De la psalmodie Art. 2. Du Chant Art. 3. De l’orgue

Des Vespres (chap. i) Des Vespres des Samedis, etc. Des Vespres des Fêtes doubles Des Vespres doubles de seconde classe Des Vespres des Fêtes de premiere classe Des Vespres Episcopales

Chapitre III. Des différentes parties de l’office et des fonctions de chaque ordre en particulier. Art. 1. Des vêpres

Des Matines et des Laudes (chap. ii) Des Matines et des Laudes aux Fêtes doubles Des Matines et des Laudes des Fêtes doubles de seconde classe Des Matines et des Laudes des Fêtes doubles de première classe

Art. 2. Des matines Art. 3. Des laudes

Art. 4. Des petites heures De la Messe haute (chap. iii) [Introduction brève : ministres, préparatifs] De l’Eau bénîte Des Processions De l’Office du Maître des Ceremonies De l’office du Thuriferaire De l’office des Acolites De l’office du Sous-Diacre De l’office du Diacre De l’office du Prêtre

Art. 5. De la haute messe 1. Cérémonies qui précèdent la haute messe ; de l’eau bénite ; des processions. 2. De l’office du maître de cérémonies, à la messe ; à vêpres, au salut. Fonctions du grand acolyte à la cathédrale, à la messe ; à vêpres. Fonctions des bedeaux à la cathédrale, à la messe ; à vêpres.

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De l’office du Prêtre assistant

De la Messe solennelle pour les Morts De la Messe solennelle lorsque le Saint Sacrement est exposé De la Messe Épiscopale dans la Cathédrale De la Messe Épiscopale hors de la Cathédrale De ce qu’il faut observer lorsque M. l’Évêque assiste à la haute Messe

3. De l’office du célébrant, à la messe ; à vêpres ; à complies ; au salut. 4. De l’office du prêtre assistant, à la messe ; à vêpres. 5. De l’office du diacre. 6. De l’office du sous-diacre. 7. De l’office du grand acolyte. 8. De l’office du thuriféraire, à la messe ; à vêpres ; Office des thuriféraires à la cathédrale, aux matines, à laudes. 9. De l’office des acolytes, à la messe ; à vêpres ; au salut. 10. De l’office des céroféraires. 11. De l’office du chantre, à la messe ; à vêpres ; à complies ; au salut. 12. Office des chapiers, à la cathédrale, à la messe ; à vêpres ; Des grandes antiennes du temps de l’Avent. 13. De la messe solennelle pour les morts. 14. De la grand’messe devant le Saintsacrement exposé. 15. De la grand’messe devant monseigneur. 16. De la messe pontificale.

Des Ténèbres ou Matines des Jeudis, Vendredis et Samedis de la Semaine sainte (chap. iv)

Chapitre V [sic pour IV]. De la Semaine sainte

De l’Office, Messe et Cérémonie du Jeudi saint (chap. v)

Office du Jeudi saint, à la cathédrale.

Des Préparatifs De la sortie de la Sacristie et entrée au Chœur De la Bénédiction de l’huile des Infirmes

De la bénédiction de l’huile des infirmes.

De la confection du S. Chrême et bénédiction de l’huile des Cathécumenes Du Lavement des pieds

Du saint chrême et de l’huile des catéchumènes.

Du Lavement des Autels et de la Cérémonie qui se fait ensuite dans le Chapitre

Du lavement des autels, et de la cérémonie qui se fait dans la salle du chapitre.

De l’Office du Vendredi Saint (chap. vi) Du S. jour de Pâque (chap. vii) Des Vespres

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Des Cérémonies qu’on doit observer dans le Chœur (chap. viii) De l’entrée au Chœur et de la séance Des Cérémonies du Chœur à Vespres Des Cérémonies du Chœur à Matines Des Cérémonies du Chœur à la Messe

Cf. supra

Des Calendes (chap. ix) Des Visites (chap. x) De la Visite de M. l’Évêque De la Visite de l’Archidiacre Des Statuts publiés par Monseigneur l’Illustrissime Messire François de Nesmond, Évêque de Bayeux, de l’année 1662. et dans les Synodes des années suivantes.

Les « cérémonies du clerc » sont un ajout notable du cérémonial de 1819 au sein de la première partie toujours consacrée à la « messe basse » 11. Un autre est un chapitre consacré à la psalmodie, au chant et à l’orgue qui n’existait pas dans le cérémonial précédent. En revanche, les parties consacrées aux visites et les statuts ne sont pas reprises dans le Cérémonial de 1819. Par ailleurs, les fonctions des différents officiers sont détaillées durant le déroulement de la messe, des vêpres, des complies ou des matines ou des saluts, et non plus de la seule messe haute. Quant à ces offices, ils sont plus diversifiés dans le cérémonial de 1819 (bedeaux, grand acolyte, céroféraires, chantre, chapiers). Notons aussi un chapitre consacré à la Semaine sainte, mais moins développé que dans le cérémonial de 1677 puisqu’il ne concerne plus que le Jeudi saint, pour lequel il est d’ailleurs renvoyé à d’autres ouvrages 12. Toutefois, la structure générale de ce nouveau cérémonial est identique à celle du cérémonial de Bayeux édité en 1677. En effet, la distinction entre messe basse et offices du chœur est à nouveau observée au sein du cérémonial de Bayeux de 1819. Pour terminer, on peut observer que la structure générale (messe basse / offices chantés) du cérémonial de 1819 est commune à d’autres cérémoniaux diocésains du début du xixe siècle. De même, la structure de la messe basse, distinguant les fonctions du célébrant

  On note aussi que le « Sommaire de la messe basse » présent dans les Pratiques de du Molin, qui n’existait pas dans [Bayeux 1677], est repris au début de l’ouvrage, mais en latin dans [Bayeux 1819], tandis que les « défauts » repris dans [Bayeux 1677] (qui proviennent notamment de Gavantus, via [Du Molin Messe]) ne sont pas repris dans [Bayeux 1819], signe peut-être que cette partie n’était plus tout à fait nécessaire. 12   « De l’office de la Semaine sainte. Voyez pour les offices de cette semaine les livres liturgiques, où tout est expliqué assez au long. Nous ajouterons seulement ce qui regarde le Jeudi saint à la cathédrale » (p. 174). Il s’agit donc selon toute vraisemblance d’une cérémonie très spécifique à la cathédrale de Bayeux. De fait, on retrouve inchangée la description de la sortie de la sacristie et de l’entrée au chœur avec l’ordre exact du cortège et la place de chacun et les actes qui suivent (ex : cf. [Bayeux 1677], p. 192-193 et [Bayeux 1819], p. 176 etc.). 11

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de celles du servant 13 se retrouve dans ces mêmes cérémoniaux et semble confirmer l’avis émis par l’abbé Caron dans la préface du Manuel des cérémonies selon le rite de l’Église de Paris de 1846 : Les cérémonies de la messe basse, parce qu’elles sont le fondement essentiel de la messe haute. Un prêtre en effet ne saura jamais bien célébrer celle-ci, s’il ne s’est pas rompu, par un long exercice, aux cérémonies de la première. Aussi les a-t-on insérées dans tous les cérémoniaux publiés depuis trente ans.

Tableau 4 [Bayeux 1819]

[Bourges 1838]

1re partie : De la messe basse

1re partie : Cérémonies de la messe basse

1re partie : Cérémonies de la messe basse Chapitre 1 : Notions Section 1 : Fonctions du préliminaires célébrant Chapitre 2 : Cérémonies de la messe basse

1re partie : Messe basse 1er et 2e chapitres : notions générales sur les préparatifs de la messe 3e chapitre : la préparation du prêtre… 4e chapitre : rites de la messe

Chapitre 2 : Des cérémonies du clerc

Section 2 : Fonctions du Chapitre 3 : Des servant servants de messe

5e chapitre : Les fonctions du servant

2e partie : De l’Office du chœur (…)

2e partie : Cérémonies de l’office public (…)

2e partie : L’office public du chœur (…)

Chapitre 1 : Des cérémonies du prêtre

[Lyon 1838]

2e partie : Des offices chantés (…)

[Paris 1846]

• Cette brève étude sur les cérémoniaux de Bayeux, respectivement publiés en 1677 et 1819, met en lumière le recours à un modèle à partir duquel les auteurs de ces deux ouvrages ont élaboré une structure et un texte reprenant en partie ceux d’un Cérémonial pré-existant. Ce modèle est sans aucun doute la Pratique de Louis du Molin et ses différentes versions éditées à partir de 1639. Par ailleurs, la structure générale des cérémoniaux de Bayeux semble être aussi commune aux cérémoniaux de Bourges, de Paris ou de Lyon édités au début du xixe siècle. Cependant, les auteurs de ces différents ouvrages ont greffé sur ce modèle des conceptions et des cérémonies propres à leurs cathédrales et diocèses, par ailleurs fluctuantes selon les époques, comme le montre la comparaison des deux cérémoniaux de Bayeux. François Auzeil Bibliothèque nationale de France

  Cette division existait déjà dans [Lazaristes* 1662], auquel a pu reprendre [Bayeux 1819], le Manuel des lazaristes étant encore réédité au long du xixe siècle. 13

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« L’invention de la tradition » liturgique au xixe siècle On évoque souvent la réforme de la liturgie catholique en France au xixe siècle en employant le terme de « restauration », qui suggère qu’il s’est agi d’un retour au statu quo ante. Encore faudrait-il préciser à quel « avant » on a voulu, on a pu, revenir. Il est incontestable que la tradition ecclésiastique a été l’un des concepts structurants du mouvement de réforme liturgique. Mais la « restauration » liturgique, réactionnaire (au sens propre) dans son esprit, a malgré tout élaboré des formes nouvelles, pour répondre aux besoins de son temps. C’est ce qu’il faut entendre par ce titre apparemment provocateur « d’invention de la tradition ». J’emprunte cette formule au livre de E. Hobsbawm et de T. Ranger, The Invention of Tradition, selon lequel « les traditions inventées recouvrent une série de pratiques, normalement régies par des règles ouvertement ou tacitement acceptées et par un rituel de nature symbolique, qui cherche à inculquer certaines valeurs et certaines normes de conduite par la répétition, qui implique automatiquement la continuité avec le passé 1 ». Quoique ces deux historiens s’attachent essentiellement à des traditions nationales et qu’aucune de leurs enquêtes ne concerne le domaine liturgique, il m’a semblé pouvoir transposer leur concept dans ce domaine de façon fructueuse. Parler « d’invention » ne signifie donc pas en l’occurrence que les traditions aient été inventées de toutes pièces, mais plutôt qu’elles sont des réponses à des situations nouvelles. Et l’on ne veut pas mettre en cause la valeur des archéologies de la liturgie, mais simplement repérer le premier xixe siècle comme un moment intéressant du point de vue de l’adaptation de l’Église à la modernité, un moment de « crise moderniste » avant la lettre, comme avait pu l’être le moment baroque, qui entraîna aussi un « bricolage 2 » liturgique fécond. On traitera cette question dans un premier temps à travers les ouvrages d’histoire et de théorie, pour montrer comment s’impose dans le mouvement liturgique l’autorité de l’histoire, explorer le lien de l’histoire et de la tradition. Dans un second temps, on examinera les conséquences pratiques de la réforme, à travers la question du « style » liturgique, dans le cas particulier du vestiaire ecclésiastique, à partir de quelques cérémoniaux  3 utilisés comme sources privilégiées.   The invention of tradition, E. Hobsbawm, T. Ranger (éds), Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 1 (je traduis ; voir traduction française : L'invention de la tradition, id., traduit par Ch. Vivier, Paris, éd. Amsterdam, 2006). 2   Au sens anthropologique du mot, qui n’a rien de péjoratif. 3   J’ai utilisé les cérémoniaux du xixe siècle consultables à la bibliothèque de la Faculté catholique de Lille, notamment [Verdun 1832], [Bayeux 1840] et [Lyon 1838]. 1

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L’autorité de l’histoire Le mouvement liturgique  4 s’inscrit dans le contexte du romantisme, dominé par la référence à une chrétienté médiévale idéalisée. La jeunesse de dom Guéranger se déroule dans une atmosphère de nostalgie réactionnaire, ancrée sur une vision fantasmatique du Moyen Âge et de la Tradition, quelque limitées que soient l’influence menaisienne et celle des doctrinaires du romantisme proprement dit. Aussi le mouvement liturgique se présente-t-il d’emblée comme un contre-poison, une contre-révolution. Après la tourmente révolutionnaire et ses moments de violence déchristianisatrice, la volonté restauratrice est explicite dans le clergé, y compris parmi les évêques gallicans  5. Celui d’Arras, Monseigneur de la Tour d’Auvergne, qui appartient à cette mouvance, d’ailleurs majoritaire dans l’épiscopat, veut restaurer les traditions d’Ancien Régime et se fait des illusions sur leur ancienneté ; il vénère un passé idéalisé ; il a des institutions ecclésiastiques une conception statique. Le romantisme ultramontain pousse dans le même sens, de façon encore plus radicale 6. Le mouvement, qui recrute majoritairement parmi de jeunes intellectuels « fatigués du pragmatisme gallican », a le souci d’établir (de rétablir) une autorité chrétienne dans un monde post-révolutionnaire qu’il voit livré à l’individualisme et à l’anarchie. Pour en trouver le modèle, il se plonge dans l’étude de l’histoire, celle de l’Antiquité chrétienne avant tout, mais aussi celle du haut Moyen Âge, époque glorieuse du pontificat romain. Du point de vue du catholicisme, le lien du romantisme et de l’histoire est double : d’une part, le recours à l’histoire permet de découvrir dans la succession des civilisations l’action souterraine d’une révélation primitive dont il est le couronnement ; d’autre part, la démarche historique dessine les contours d’une science catholique. Dès la Restauration, les publications de dom Guéranger et le journal L’Avenir ouvrent la voie. L’Encyclopédie théologique de Migne, publiée entre 1844 et 1873, illustre cette première tentative de prendre en compte la modernité sans renoncer à l’apologétique 7. L’ancienneté étant a priori posée comme valeur, l’histoire procure une autorité qui semble aller de soi. La question du chant liturgique en est profondément infléchie. Alexandre Choron, dans ses Considérations sur la nécessité de rétablir le chant de l’Église de Rome (1811), promeut le chant grégorien en arguant surtout de son antiquité, plutôt que de sa valeur intrinsèque. De même dans les cérémoniaux, l’ancienneté est toujours un critère de valeur des formes liturgiques, et ce d’autant plus qu’elle est grande. Dans le cérémonial du diocèse de Verdun de 1832 (cf. [Verdun 1832]), par exemple, les rédacteurs font remonter aux

  Cf. dom Olivier Rousseau, Histoire du mouvement liturgique, esquisse historique depuis le début du xixe siècle jusqu'au Pontificat de Pie X, Paris, Cerf, 1945. 5   Cf. Yves-Marie Hilaire, Une chrétienté au xixe siècle : la vie religieuse des populations du diocèse d'Arras, 1840-1914, Villeneuve-d'Ascq, Université de Lille III, 1977, vol. 1, p. 153. 6   Cf. Austin Gough, Paris and Rome : the gallican church and the ultramontane campaign, 1848-1853, Oxford : Clarendon press, 1986 (Trad. française : Paris et Rome : les catholiques français et le pape au xixe siècle, Paris, les Éd. de l'Atelier-les Éd. ouvrières, 1996, p. 157 ). 7   Cf. La science catholique, l’Encyclopédie théologique de Migne, entre apologétique et vulgarisation, C. Langlois et F. Laplanche (dir.), Paris, Cerf, 1992. 4

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« premiers jours du christianisme » les cérémonies chrétiennes. Dans celui de Lyon, en 1838 (cf. [Lyon 1838]), on présente les rites comme reçus directement de saint Jean et de saints lyonnais. On souligne l’attachement du clergé aux traditions « reçues des pères », contre « l’esprit de nouveauté » introduit à la fin du xviiie siècle. Dans celui de Bayeux, en 1840, on fait remonter « au moins au xiie siècle » les anciens usages du diocèse et l’on brosse un portrait idéalisé de l’ancien clergé, pieux et studieux. Dans l’œuvre de dom Guéranger ou dans celle de Monseigneur Parisis, l’antiquité de la liturgie est également le premier argument en faveur de la liturgie romaine. Mais les gallicans opposent aussi aux ultramontains leurs propres « droits antiques », leurs « règles vénérables »  8. Le recours à l’histoire s’impose donc unanimement. « Cette régénération devenue nécessaire (...) nous la trouverons dans l’étude attentive de notre passé », écrit dom Guéranger en préambule de son Histoire de sainte Cécile. « Pour savoir ce que nous devons être, voyons un peu ce qu’ont été nos ancêtres 9 ». Il définit une sorte de devoir de tradition et recherche dans l’histoire un « modèle » chrétien. Monseigneur Parisis intitule de même l’un des chapitres d’un de ses ouvrages dogmatiques 10 « Pourquoi nous invoquons l’histoire ». Il y développe l’idée du respect des traditions comme moyen de perfectionnement (par opposition à l’indépendance de la raison, qui mène fatalement à l’anarchie), et propose une articulation intéressante des notions de passé et de progrès, à rebours des écrivains catholiques plus secondaires, qui tournent sans examen le dos au progrès. Dans cette promotion de l’histoire, les emprunts faits par les liturgistes aux historiens laïcs sont évidents. Comme eux, ils entendent s’appuyer sur des sources authentiques et incontestables. Dans ses Institutions liturgiques, dom Guéranger explique que ce n’est que faute d’un recueil liturgique, décrivant les rites des trois premiers siècles, que l’on postulera que les formules essentielles n’ont pu changer et que l’on citera les témoignages d’écrivains des iie et iiie siècles  11. Il insiste sur la valeur propre de ces sources, notamment de Tertullien 12. En ce qui concerne les concepts utilisés, les emprunts sont également nombreux. La notion de « génie » par exemple, est reprise mais appliquée au « génie rationaliste 13 ». Celle de « légende » vraie ou fausse, si cruciale dans l’œuvre de Jules Michelet, de même 14. Comme l’histoire laïque, l’histoire chrétienne a ses « grands hommes » : Charlemagne, saint Louis, les Pères de l’Église en premier lieu  15. On y insiste aussi sur le « génie national », censé s’exprimer de façon privilégiée dans la liturgie, ce qui amène à considérer le « style liturgique » comme un élément d’identité.

  Par exemple l’abbé Bernier, en 1847.   Dom Prosper Guéranger, Histoire de Sainte Cécile, 2e éd., Paris, J. Lecoffre, 1853, p. VII-VIII. 10   Mgr Pierre-Louis Parisis, Tradition et raison, Paris, J. Lecoffre, 1858. 11   Dom Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, 3 vol., Le Mans, Fleuriot, 1840-1851, vol. 1, p. 57. 12   Ibid., p. 71. 13   Dom P. Guéranger, Histoire…, p. XXII. 14   Ibid., p. XXIV. 15   Ceci surtout chez les écrivains subalternes, comme Mgr Joseph Gaume, Le signe de la croix au xixe siècle, Paris, Gaume frères et Duprey, 1863. 8 9

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Enfin, les découpages chronologiques sont comparables. Dom Guéranger développe l’idée d’un rite adapté à chaque époque dans un cadre conventionnel distinguant roman, gothique et Renaissance  16. Il présente le xiie siècle comme le zénith de la civilisation chrétienne, et considère les xive et xve siècles comme une époque de décadence, associée au « triomphe des passions populaires ». Il lie également Réforme, individualisme et rationalisme, et d’autres 17 reprennent la séquence Réforme – Révolution – Monarchie de Juillet 18. Les liturgistes se présentent d’ailleurs comme des historiens. Dans la préface de ses Institutions liturgiques, dom Guéranger précise que son but est bien d’écrire une histoire générale de la liturgie (dont la réforme est un but second). Si l’Année liturgique peut être qualifiée de livre «  pratique  », les Institutions liturgiques sont pour leur part un livre “archéologique”. À chaque fois qu’il mentionne les destinataires de son ouvrage, il cite non seulement les prêtres, mais les « poètes, artistes, archéologues (ou antiquaires), historiens 19 ». L’historien François Guizot 20 fait d’ailleurs appel au savant bénédictin pour collaborer à la Gallia christiana, collaboration que seul le manque de temps empêche de se concrétiser 21. Pourtant cette concurrence entre historiens et apologistes pose un vrai problème, que soulève d’emblée Benjamin Guérard dans sa critique des Institutions liturgiques  22. Il y a inconséquence, dit-il, à se référer tantôt au pouvoir de la hiérarchie ecclésiastique, tantôt aux pratiques de l’Antiquité, ce qui change la question de droit en question de fait. En reconnaissant l’autorité de l’histoire, on porte atteinte à celle de l’Église, et l’on ouvre la porte à la compétence laïque. Dom Guéranger en a bien conscience. Dans la préface du second volume de son ouvrage, il met en relief la nécessité de « devancer les hommes de la science laïque et même profane qui s’apprêtent à se lancer, au nom de la poésie et des origines nationales, sur le champ de la liturgie, comme ils ont déjà, au nom de l’art du Moyen Âge, envahi nos édifices sacrés  23  ». Ces termes montrent bien dans quel esprit militant de reconquête un homme d’Église peut alors envisager la question de l’art sacré et celle de l’histoire religieuse. Le Congrès scientifique d’archéologie chrétienne et d’histoire qui se tient à Arras en 1853 fait partie des lieux où s’expose cette concurrence. Les écrits de Gaume, comme par exemple l’Histoire naturelle, dogmatique, morale, liturgique de l’eau bénite (1866) sont une autre répartie à la science « matérialisée ». Ce « positionnement » des liturgistes en historiens les amène cependant à redéfinir la Tradition, et même éventuellement à distinguer de façon critique diverses traditions.

  Ces termes, encore courants dans les périodisations de l’histoire de l’art, ont valeur générique dans les écrits historiques contemporains (chez François Guizot par exemple). 17   Par ex. Gaume, op. cit., p. 392. 18   Sur ces découpages, voir S.-A. Leterrier, Le xixe siècle historien, Paris, Belin, 1996. 19   Dom P. Guéranger, Institutions…, vol. 1, p. XX et vol. 2, p. XIII. 20   Plus connu comme premier ministre de Louis-Philippe, Guizot est un historien « professionnel » sous la Restauration et le premier titulaire de la chaire d’histoire de la Sorbonne. 21   Cf. O. Rousseau, op. cit. 22   Bibliothèque de l’École des Chartes, 1843, t. 5, p. 188-193. 23   Dom P. Guéranger, Institutions…, vol. 2, p. XIII. 16

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Histoire et tradition Avant d’aller plus loin, il importe de préciser ce que nous entendrons ici par tradition. Les écrits liturgiques du premier xixe siècle ne font pas partie de ce qu’il est convenu d’appeler la pensée « traditionaliste », illustrée notoirement par de Maistre et de Bonald. La tradition à laquelle se réfère, par exemple, dom Guéranger, est « essentiellement ecclésiastique ». Quant à Mgr Parisis, il prend acte de la condamnation du traditionalisme par le Saint-Siège et en tire une série de conséquences en matière d’ontologie, de théologie et d’histoire. Bien sûr, le thème de l’esprit de nouveauté et des désastres qu’il entraîne n’est pas étranger aux écrits liturgiques. Il est même employé comme un stéréotype, permettant de stigmatiser pêle-mêle sous le vocable commun de «  modernité  » l’esprit de révolte, d’indépendance, la manie des nouveautés et l’anarchie des idées. Mais plutôt qu’à la Tradition (originaire), les liturgistes s’intéressent aux traditions, car « la liturgie ne se fait pas, mais se reçoit 24 ». Dom Guéranger définit la liturgie « la tradition même à son plus haut degré de puissance et de solennité », dont les cérémonies sont « le corps ». Il s’agit d’un ordre vivant, capable de combiner solidité et plasticité, dont l’enrichissement est non seulement inévitable, mais nécessaire, comme expression historique de nouveaux besoins. Loin de se limiter à l’Écriture 25, cette tradition refuse certes l’innovation complète, mais s’ouvre aux évolutions requises. Dom Guéranger introduit donc la notion de « traditions d’erreur », qu’on ne peut selon lui distinguer des traditions de vérité qu’en les rapprochant « de la source à jamais pure du Siège apostolique » — argument à vrai dire peu tenable quand on considère la réforme permanente alors engagée à Rome. De fait, les « usages arbitraires » manifestent souvent des conflits d’autorité, non seulement au niveau supérieur de la hiérarchie ecclésiastique, mais dans les paroisses. Selon Mgr Parisis  26, en quête de réforme dans son diocèse, les traditions locales sont souvent dégénérées, les « usages livrés à des souvenirs de maîtres d’école et modifiés sans fin par un arbitraire sans contrôle », auxquels seuls les évêques peuvent opposer les «  vraies traditions locales  ». Quelle que soit la différence d’instruction qui sépare les évêques des curés de campagne (sans parler de leurs ouailles), on voit bien ce qu’un tel argument a de contestable. D’où le « paradoxe restaurateur 27 » : en modifiant les traditions locales, on risque de choquer les paroissiens, attachés à ces usages, sans doute plus ou moins arbitraires et bizarres, établis de temps immémorial. Le sous-préfet de Béthune trouve en effet l’évêque d’Arras « animé d’un esprit fougueux d’innovations peu réfléchies » ; il condamne sa façon de traiter son diocèse comme un pays de mission. Double paradoxe d’ailleurs, puisque la restauration des « vraies traditions » peut en l’occurrence tourner franchement à une déchristianisation d’origine cléricale.

  Mgr Pierre-Louis Parisis, De la question liturgique, 2e éd., Paris, A. Sirou, 1846.   Dom Guéranger présente au contraire cette limitation comme une caractéristique de l’hérésie, au ive siècle comme au xviie s. La « haine de la Tradition » est associée au protestantisme et aux innovations liturgiques. 26   Mgr P.-L. Parisis, De la question liturgique…, op. cit. 27   Cf. Y.-M. Hilaire, op. cit., vol. 1, p. 272. 24 25

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Dans les cérémoniaux, l’approche de la notion de tradition est souvent plus nuancée. Dans celui de Lyon (1838), l’avant-propos évoque la tradition orale conservée dans les chapitres et dans les campagnes, mais considère la Révolution comme une vraie solution de continuité. Il montre aussi ce que l’innovation liturgique peut devoir, éventuellement, à l’émigration ou au « désir d’imiter la capitale ». Ainsi, non seulement on y reconnaît que la tradition est rompue, mais on constate que les prêtres ne cherchent pas forcément à la restaurer à leur retour, alors qu’elle est mieux conservée par les curés de campagne. Que restaurer ? Comment distinguer le bon grain de l’ivraie ? Le débat sur l’enrichissement de la tradition pose la question des limites et des critères de l’évolution souhaitable ; on insiste sur la nécessité d’une rénovation, mais aussi sur l’esprit éclairé qui doit y présider. On convient qu’il ne suffit pas de revenir à des formes antérieures, ce qui pourrait au contraire nuire au culte. Pour ramener les incrédules, il faut leur offrir le vrai, donc le beau 28. C’est ainsi que se pose la question du style liturgique adéquat.

Le style liturgique Trois définitions de la beauté propre à la liturgie se dessinent : la première insiste sur la majesté, la dignité dont les cérémonies doivent être empreintes ; la seconde sur la fonctionnalité des gestes et des objets ; la troisième sur l’importance d’éviter les deux écueils symétriques de la parcimonie et du luxe. Tous s’accordent à opposer « l’art véritable » et l’« art factice », mais ces deux notions offrent plusieurs visages. Du côté de l’art factice, on rejette à la fois le théâtre, la mode (y compris la mode antiquaire), et tout ce que Pugin regroupe sous les termes accablants de « clinquant », « fraude », « indignité », « irrévérence », « ridicule », « laideur ». Mais l’art des artistes n’a pas davantage droit de cité dans les temples ; l’élégance, le goût, y sont « hors sujet 29 ». Du côté de l’art véritable, plusieurs écoles s’opposent. Pour les uns, seul l’art gothique est approprié au culte (mais il doit être imité dans son esprit, non copié servilement). Pour les autres, il faut inventer des formes modernes, mais adaptées à l’usage ecclésiastique. De toute part, on recherche « l’essence » du catholique. En posant sur ce terrain la question de la tradition, on la métamorphose manifestement. D’autres indices et d’autres formes de cette métamorphose peuvent être également relevés 30. À travers le souci de réformer la liturgie, se manifestent les progrès de la « civilisation des mœurs ». Dans les cérémoniaux, on constate une tolérance de plus en plus faible pour tout ce qui est expression du corps. Dans celui de Verdun ([Verdun 1832]), par exemple, on insiste sur la modestie, la réserve, nécessaires au culte, on a le souci de graduer la gravité selon la circonstance. Dans celui de Bayeux ([Bayeux 1840]), on donne des précisions sur les

  Équivalence posée dans la philosophie de Victor Cousin, contemporaine.   Cette polémique concerne particulièrement les textes, proses et chants de l’office, réformés au xviiie siècle par des latinistes, que leurs successeurs jugent malavisés de préférer le latin de Virgile à celui de saint Grégoire. 30   Cf. Michel Lagrée, La Bénédiction de Prométhée, religion et technologie, xixe- xxe s., Paris, Fayard, 1999. 28 29

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postures « indécentes » à éviter, comme de marcher à reculons, de regarder ce qui se passe derrière soi, de cracher, bailler, éternuer bruyamment, tousser. Ces précisions sont particulièrement nombreuses pour tout ce qui concerne les usages musicaux (3e partie, I, 2)  : « Pendant la séance au chœur, on doit se tenir avec la plus grande modestie, s’abstenant de marcher trop promptement ou de courir, divaguer, dormir, bailler sans nécessité, faire des grimaces, regarder ça et là, lire des lettres ou des écritures, réciter son bréviaire en particulier ». On doit aussi éviter de rire, de chanter avec un autre qui chante seul, de « hausser ou abaisser sa stalle avec fracas, battre la mesure ou frapper du pied contre le dossier des stalles de devant, avoir de mauvaises tenues telles les jambes croisées ou trop ouvertes, s’appuyer nonchalamment sur les accoudoirs des stalles quand on est assis, cracher partout, bailler, tousser ou éternuer avec bruit ». Comme la négligence dans les attitudes, la saleté corporelle, celle des vêtements, celle des objets, sont condamnées avec force. Le cérémonial de Lyon ([Lyon 1838]) est particulièrement détaillé sur ce chapitre (I, 3, paragraphes 125 à 143). Enfin, lorsque l’on évoque des pratiques modernes, comme l’usage du tabac ([Verdun 1832], art. 52), celui des livres et des lettres ([Bayeux 1840], III, 1-2), c’est aussi avec un souci de contrôle rigoureux.

Les vêtements sacrés Le vestiaire est un enjeu symbolique majeur de la réforme liturgique. Dom Guéranger en parle explicitement, notamment dans la préface du troisième volume de ses Institutions liturgiques, et précise que la polémique publique soulevée par son ouvrage s’est justement concentrée sur ce point. Il s’agit bien là d’une question moderne, puisque le concile de Trente n’avait pas jugé bon de statuer sur ce chapitre, et que la soutane ne fut restaurée qu’au xixe siècle  31. Le moindre détail en est donc examiné, et il est remarquable que la première manifestation de la réforme liturgique dans le diocèse de Langres ait été, dès 1836, l’abandon du « bonnet carré » au profit de la « barrette » romaine. Là encore, les liturgistes n’innovent pas, mais reprennent un thème déjà lancé par des historiens-esthètes. Le « bougran », qui s’attire les foudres de dom Guéranger, a d’abord fait l’objet d’une condamnation sans appel de Pugin, qui le qualifiait  : «  matière vile et anticanonique ». Il dénonçait de même les aubes devenues « habillement de bal », les dentelles soit trop coûteuses, soit trop communes, le zèle mal employé des dames brodeuses, coupables, suivant les cas, de mièvrerie, de prétention, d’une fantaisie importune, mais dans tous les cas manquant de sens liturgique. Le costume liturgique soulève en effet quantité de questions. Sa matière, sa forme, les tons choisis, les ornements, le traitement dont il est susceptible (il peut être brûlé par la lessive, empesé de façon grotesque, plissé en accordéon...), son état, l’arbitraire des fabricants (notamment des Lyonnais qui veulent surtout écouler leurs tissus damassés), tous ses aspects

  Cf. Louis Trichet, Le costume du clergé. Ses origines et son évolution en France d’après les règlements de l’Église, Paris, Cerf, 1986. 31

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font l’objet de critiques amères. Les historiens du vestiaire liturgique rapportent des anecdotes savoureuses, comme celle de linges trop brodés offerts comme « mouchoirs hors ligne » par un curé intransigeant à une future mariée de sa paroisse, avec ce commentaire : « Ce n’était pas si mal ; car, après tout, les intentions de l’Église passent avant les désirs d’une personne pieuse 32 ». Les principes de la réforme du vêtement liturgique sont traités assez vaguement dans les ouvrages généraux comme Le bon curé au xixe siècle, de l’abbé Dieulin (vicaire général à Nancy), paru en 1845. Mais certains manuels fournissent des passages beaucoup plus détaillés : c’est le cas par exemple de celui de P.J.B. de Herdt  33, en 1858, ou de celui de Lerosey 34 en 1893. Tous deux mentionnent le décret du 15 mai 1819 de la Congrégation des rites. Celui-ci prohibe l’usage du coton, du fil et de la laine, pour les pièces de linge directement en contact avec les saintes espèces, au profit du lin, mais manifeste une tolérance plus grande en ce qui concerne les vêtements du célébrant et les nappes d’autel. Il précise que les ornements doivent être « confectionnés de la matière voulue, bénits, non lacérés ou déchirés, décemment purs et beaux ». Ces mesures tardent à entrer en application. Dans le cérémonial de Lyon de 1838, on parle encore d’ornements en coton que l’on conseille de brûler. L’exigence est croissante à mesure que le temps passe. Michel Lagrée, qui consacre quelques pages pénétrantes à cet objet  35, montre les nombreux problèmes pratiques soulevés par ces dispositions, notamment dans les églises les plus pauvres, et la quantité de demandes de dérogation. Il ne s’agit pas seulement de questions de moyens (au manque d’argent des paroisses, s’ajoutant les résistances de conseils municipaux soucieux de limiter les dépenses  36), un problème qu’essaie tant bien que mal d’atténuer l’Œuvre des églises pauvres, fondée à Lille en 1839, à Arras en 1853. La réforme pose des questions de goût, de discernement, qualités qui manquent non seulement à certaines dévotes zélées, mais à nombre de curés peu artistes ou tout simplement peu instruits. Elle pose aussi des problèmes sociaux, en particulier dans les régions où les ouvriers (et les femmes dans les ouvroirs) travaillent les matières prohibées. Ainsi, dans le Nord et le Pas-de-Calais, entre 1833 et 1843, la suppression de nombreuses congrégations et la réduction du train de vie du clergé entraînent un énorme déficit pour l’industrie lainière des Flandres. Ce sujet demanderait à être approfondi.



  Dom Eugène Roulin, Linges, insignes et vêtements liturgiques, Paris, P. Lethielleux, 1930, p. 16-17.   Pierre Jean-Baptiste de Herdt, Pratique de la liturgie sacrée, selon le rit romain, comme elle doit être observée dans la célébration de la messe, la récitation de l'office, l’administration des sacrements, traduite de la troisième édition latine, par F.-L.-M. Maupied,..., Paris, Gaume frères et J. Duprey, 1858, 2 vol. 34   Auguste Lerosey, Abrégé du manuel liturgique à l’usage du séminaire de Saint-Sulpice, Paris, Berche et Tralin, 1893. 35   M. Lagrée, op. cit., p. 182 sqq. 36   Cf. Y.-M. Hilaire, op. cit. 32 33

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En somme, il y a bien invention des traditions liturgiques au xixe siècle, avec des différences selon les lieux et les moments. De façon générale, la tradition est réinventée, d’abord en étant enracinée dans l’histoire (et pas seulement dans la mémoire), ensuite en étant saisie dans une perspective esthétique (pas exclusivement). La réforme de la liturgie est ouverte à des considérations modernes (de fonctionnalité, de propreté, etc.), même si la réforme prônée prend souvent l’apparence de l’ancien, voire de l’immuable. Ce trait souligne aussi l’importance de l’imaginaire chrétien dans la religion 37. Les cérémoniaux fournissent sur ces évolutions des documents remarquables, aussi intéressants du point de vue doctrinal que de celui de la sociologie historique. Pour mieux comprendre l’histoire du mouvement liturgique, il faudrait cependant approfondir, en amont, la réforme avortée de l’Église française sous le premier Empire, et s’interroger, en aval, sur la persistance des usages locaux après le triomphe de l’ultramontanisme, dans les années 1850. Sophie-Anne Leterrier Université d’Artois (Arras) CRHES

  Cf. Maurice Gruau, L’homme rituel, anthropologie du rituel catholique français, Paris, Metailié, 1999.

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Aux limites du cérémonial : les liturgies de la Grotte de Lourdes L’office de Notre-Dame de Lourdes (11 février) fut célébré pour la première fois en 1892, soit une trentaine d’années après les apparitions de la Grotte. L’histoire de son élaboration reste encore à écrire. On en trouve un récit sommaire dans le livre de l’abbé P. Bordedebat : Les apparitions de Notre-Dame de Lourdes (1909) 1. La première demande de permission de faire mémoire de la Vierge aux jours anniversaires des apparitions aurait d’abord été refusée parce qu’elle eût été une reconnaissance implicite du fait de Lourdes. Le procès canonique ayant été engagé, on rédigea un projet d’office et de messe propre. Le texte fut approuvé par Léon XIII avant que Pie X n’étendît la fête à l’Église universelle (1907) 2. Avant 1892, la liturgie de Lourdes fut en perpétuel mouvement. On sait la réticence de l’évêque de Tarbes à donner rapidement crédit aux « événements » de la Grotte. Dans le mandement épiscopal du 18 février 1862 3, à la reconnaissance publique 4 et à l’annonce de la construction du sanctuaire demandé par la Vierge, s’ajoutait une interdiction : Art. 2. Nous autorisons dans notre diocèse le culte de Notre-Dame de la Grotte de Lourdes ; mais nous défendons de publier aucune formule particulière de prières, aucun cantique, aucun livre de dévotion, relatifs à cet événement, sans notre approbation donnée par écrit 5.

Mgr Laurence entendait contrôler la prolifération dévotionnelle amorcée au moment des premières apparitions (dès la cinquième, plusieurs dizaines de personnes s’étaient massées devant la Grotte ; elles seront environ 8 000 le 4 mars 1858 lors de la quinzième),

1   Abbé P. Bordedebat, Les Apparitions de Notre-Dame de Lourdes et la société contemporaine, Paris, Téqui, 1909, particulièrement p. 273-276. 2   D’après dom Bernard Capelle, « La liturgie mariale en Occident », Maria. Études sur la Sainte Vierge, H. du Manoir (dir.), t. I, Paris, Beauchesne, 1949, p. 215-245. Pour une approche musicale de l’office, voir dom Jean Claire, « Notre-Dame de Lourdes », Revue grégorienne, novembre-décembre 1957, p. 190-205. 3   Mgr Bertrand-Sévère Laurence, « Mandement de Mgr l’évêque de Tarbes portant jugement sur l’apparition qui a eu lieu à la Grotte de Lourdes », Recueil des mandements et actes officiels de l’évêque de Tarbes, vol. II, Tarbes, J. A. Fouga, 1862, p. 285-302. Le document est reproduit sous le n° 1044 dans : René Laurentin et dom Bernard Billet, Lourdes. Documents authentiques. Tome VI. Procès de Lourdes. 2. Le jugement épiscopal. Histoire de Lourdes et Vie de Bernadette d'avril 1860 à août 1862, Paris, P. Lethielleux, 1961, p. 237-245. 4   « Art. 1er. Nous jugeons que l’Immaculée Marie, Mère de Dieu, a réellement apparu à Bernadette Soubirous, le 11 février 1858 et jours suivants, au nombre de dix-huit fois, dans la grotte de Massavielle [sic], près de la ville de Lourdes, que cette apparition revêt tous les caractères de la vérité, et que les fidèles sont fondés à la croire certaine » (ibid., p. 244). 5   Loc. cit.

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comme il l’avait déjà fait l’année précédente par une circulaire condamnant la circulation « dans le diocèse des imprimés contenant des prières et des promesses qui pourraient égarer la piété des fidèles et propager des idées superstitieuses » : [...] telle est la prière qui commence ainsi : Vierge Marie, Mère de Dieu, pleine de grâce, à la suite de laquelle on lit : Quiconque portera cette prière sur soi ne mourra pas de mort subite, etc. Telles sont encore les prières : Vierge Marie, Mère de Dieu, fontaine de consolation..., Vierge louable entre toutes les femmes, etc., que l'on dit avoir trouvée enveloppée en un linge au Saint-Sépulcre, ou avoir été bénite par le pape ; et encore la formule suivante : La Mère de Dieu, couchée dans son lit, pleurait et gémissait, etc., suivie de ces mots : Tous ceux qui sauront cette prière et ne la réciteront pas à leurs voisins souffriront de grandes peines à l'heure de la mort. Il est de notre devoir de flétrir ces détestables manœuvres, ces escroqueries déguisées, qui déshonorent notre sainte religion, qui tendent à altérer nos saintes croyances : la religion, la raison, le bon sens s'accordent à les réprouver. Vous ferez savoir à vos paroissiens que nous condamnons ces imprimés et que nous défendons de les lire et de les garder 6 .

Les apparitions de 1858 étaient une source potentielle de troubles à l’ordre chrétien. L’autorité épiscopale fut d’abord prudente. Craignant que l’affaire n’embrase le diocèse, l’évêque demeura dans l’expectative avant de désigner une commission d’enquête qui travailla essentiellement d’octobre 1858 à avril 1860. Pendant quatre ans, c’est le préfet des Hautes-Pyrénées qui administra la Grotte et les espaces environnants.

Deux ordres de la pratique Les premiers visiteurs de la Grotte avaient donc l’impression de pénétrer dans un « no man’s land » liturgique. Un temps entourée de palissades et surveillée par des agents de police 7, la Grotte fut d’abord un espace interdit où se déroulaient des pratiques échappant à toute surveillance. Le 29 juillet 1858, Louis Veuillot passe par Lourdes. « Accompagné de

6   Circulaire de juin 1857 (original perdu) citée dans René Laurentin, Lourdes. Dossier des documents authentiques. 1. Au temps des seize premières apparitions. 11 février-3 avril 1858. Deuxième édition revue et corrigée, Paris, P. Lethielleux, 1957, p. 138-139, d’après L. J. M. Cros, S. J. , Histoire de Notre-Dame de Lourdes, Paris, Beauchesne, 1927, vol. II, p. 4. La volonté de contrôler les dévotions par le clergé au xixe siècle a été souvent soulignée — parmi les travaux récents : Stéphane Boiron, « Les manifestations extérieures du culte en droit canonique », dans L'Église dans la rue. Les cérémonies extérieures du culte en France au xixe siècle. Actes du colloque des 23-24 mars 2000 à Limoges, P. d'Hollander (dir.), Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2001, p. 187-291 (et particulièrement p. 190-194) ; Michel Lagrée, Religion et modernité. France, xixe-xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, particulièrement le chapitre XVI : « Langue céleste et langue régionale au xixe siècle », p. 221-230 ; Jean-Jacques Loisel, « Piété populaire et pouvoirs diocésains. Blois au xixe siècle », Le diocèse. Espaces, représentations, pouvoirs. France, xve-xxe siècle, G. Chaix (éd.), Paris, Cerf, 2002 ; Philippe Martin, Une religion des livres (1640-1850), Paris, Cerf, 2003 (et particulièrement p. 439-487). 7   Pour une histoire générale des événements de Lourdes : Ruth Harris, Lourdes. La grande histoire des apparitions, des pèlerinages et des guérisons, Paris, J.-Cl. Lattès, 2001, 593 p. (1re éd. : Lourdes. Body and Spirit in the secular Age, Harmondsworth (England), Penguin Press, 1999, 474 p.)

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deux abbés, escorté de plusieurs autres 8 », il y trouve l’amirale Bruat, gouvernante du prince impérial. La justification qu’il lance alors (« Je ne suis pas venu en touriste. [L’Église n’a] pas prononcé mais la prière est toujours bonne  9 ! ») en dit long sur le vide rituel au lieu des apparitions. Quelques années plus tard, le même Veuillot publie deux brefs récits de sa visite à la Grotte : Un édit du maire défendait d’aller à la grotte, sous peine d’une amende. J’y allai néanmoins. Je vis la grotte à travers une barricade de planches mal jointes. À genoux sur la terre détrempée, je priai, demandant de tout mon cœur un miracle que je n’obtins pas. Je revins un peu intimidé, je le confesse, du bruit que cette chose allait faire et des blasphèmes qu’elle allait susciter 10. Celui qui écrit ces lignes a l’honneur d’être un vieux témoin. Il y a une vingtaine d’années, il traversait Lourdes [...] ; il visita la grotte gardée par un homme de police qui ne laissait point passer les curieux et qui verbalisait contre ceux qui enfreignaient sa défense mais qui profitait des occasions où il était seul pour faire sa prière au lieu de l’apparition. L’enfant avait dit à ce passant que l’Immaculée voulait qu’on fît là une belle église et qu’il y vînt de belles processions ; le gardien lui déclara procès-verbal. Le passant pria à la grotte, se lava les yeux qu’il avait malades, ne fut point guéri et s’en alla 11.

Dans le premier extrait, le polémiste donne une expression minimaliste de l’adoration : l’agenouillement et la prière devant le théâtre voilé des apparitions. Le deuxième fragment est le type même du style prosélytique dont le polémiste parisien était spécialiste. L’autorité y apparaît subvertie par la force de la parole de l’enfant visionnaire (le gardien prie en cachette et le visiteur verbalisé passe outre l’interdiction). Dans les deux narrations, l’Église est absente. Les prêtres accompagnant Veuillot demeurent en retrait. Le périmètre interdit est sous la responsabilité du préfet. Pendant longtemps, la liturgie au sens strict fut réservée à l’église paroissiale, à plusieurs centaines de mètres de la Grotte. Cependant, l’idée d’articuler les deux lieux s’imposa rapidement, d’autant que le curé de Lourdes, l’abbé Peyramale, n’était pas foncièrement hostile à ce qui se passait sur les bords du Gave.

  Lettre de Louis Veuillot à Eugène Veuillot, Bagnères, 31 juillet 1858 (dans : Louis Veuillot, Œuvres complètes. Deuxième série. Correspondance mise en ordre et annotée par François Veuillot. Tome V (Juillet 1856-Février 1859), Paris, Lethielleux, 1931, p. 320). 9   L. J. M. Cros, S. J., Journal d’enquête, p. 120, n° 80 (cité dans : René Laurentin et dom Bernard Billet, Lourdes. Documents authentiques. 3. Autour de la grotte interdite. Une phase nouvelle de l'histoire de Lourdes. Dernière apparition. Intervention du Magistère. Entrée en scène de Louis Veuillot. Visites à Bernadette. 14 juin-27 août 1858. Avec de nombreux inédits : Le calepin du garde champêtre, Le journal médical de Dozous, Le mémoire d'un avocat de Dijon et les « notes au jour le jour » d'Estrade, etc., Paris, P. Lethielleux, 1958, p. 45). 10   Louis Veuillot, « Un Évêque. La Grotte de Lourdes. La chasteté sacerdotale. Au Pouliguen, 16 septembre 1872 », Œuvres complètes. Troisième série. Mélanges mis en ordre et annotés par François Veuillot. Tome XI (18 Septembre 1871-18 Janvier 1873), Paris, Lethielleux, 1937, p. 377. 11   Louis Veuillot, « Lourdes. 18 juillet 1876 », Œuvres complètes. Troisième série. Mélanges mis en ordre et annotés par François Veuillot. Tome XIII (23 Septembre 1874-13 Mars 1877), Paris, Lethielleux, 1938, p. 367. 8

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Plusieurs documents permettent de suivre la façon dont se composa l’espace rituel lourdais dans la décennie qui suivit les apparitions. Dans l’un des plus anciens (La Grotte des Pyrénées d’Azun de Bernétas), on trouve une description de l’affluence des visiteurs dans la cité pyrénéenne un an après les événements : C’est un spectacle vraiment édifiant que celui que présente, dans la belle saison, d’abord le lieu de l’apparition et ensuite l’église paroissiale de la ville de Lourdes. Dès son arrivée à la grotte, chacun commence à se mettre à genoux pour faire sa prière, soit seul, soit dans la compagnie de ceux qui ont fait partie de son voyage. De là, ils se dirigent vers la source pour y boire, se laver les mains, le visage, en un mot, chacun l’organe ou le membre débile qu’il désire voir s’améliorer, y remplir des vases, des flacons, des bouteilles, etc. Ces actes pieux accomplis, ils se mettent encore à genoux et on les voit prier plus ou moins longtemps avant de se diriger vers l’église paroissiale, pour recommencer le jour suivant jusqu’à leur départ définitif. À l’église paroissiale se présente un autre tableau non moins édifiant, c’est la confession, la communion, la prière, des lectures pieuses, etc., jusqu’à midi. Ici il y a une pause jusque vers deux heures, et l’on voit se reproduire les exercices de dévotion jusqu’au soir. Plusieurs se font inscrire membres de la congrégation des Enfants de Marie, érigée dans la paroisse, d’autres font brûler des cierges, se livrent à la pratique du chemin de la croix, etc., etc. 12

Bien qu’aucune règle n’ait été préalablement énoncée, tous les visiteurs accomplissent les mêmes actions. Un ordre s’est mis en place qui est à la fois spatio-temporel (une déambulation aux étapes fixées d’avance) et gestuel (une série d’actes convenables). Loin d’être concurrentes, les pratiques de dévotion se cumulent. La nature du collectif qui en résulte est complexe : du plus institutionnellement normé, quand le pèlerin s’intègre aux cérémonies paroissiales, jusqu’à la communauté diffuse traversée par une double mémoire dévotionnelle. Devant la Grotte, le fidèle amène avec lui des pratiques de piété existante et imite aussi ce qu’il découvre lors de ses premières visites. Ainsi, la prière s’apprend dans un cadre où l’autorité n’est pas détenue par les clercs mais par les plus anciens, les plus expérimentés. La Grotte des Pyrénées contient un autre récit, plus détaillé. Le 12 novembre 1859, Azun de Bernétas va à la Grotte : Selon l’usage qu’on nous dit établi, nous récitâmes d’abord, chacun pour soi, une prière ; puis, ensemble, et à haute voix, l’un commençant et les autres répondant, les litanies de la Ste Vierge, plusieurs dizaines de chapelet pour la conversion des pêcheurs, pour le soulagement des âmes du purgatoire, pour l’Église, pour la France, etc. Cela fait nous allâmes boire à la source qui coule à gauche dans la Grotte ; nous y emplîmes des vases, nous priâmes tout de nouveau, et, sans perdre de temps, nous nous dirigeâmes vers l’habitation de la jeune fille 13.

12   Thomas-Marie-Joseph-Thérèse Azun de Bernétas, La Grotte des Pyrénées ou manifestation de la SainteVierge à la grotte de Lourdes (Diocèse de Tarbes) précédé d’une Notice sur les Pyrénées par T.-M.-J.-T. Azun de Bernétas, auteur de plusieurs autres publications, Tarbes, J.-P. Larrieu, 1861, p. 173. 13   T.-M.-J.-T. Azun de Bernétas, op. cit., p. 101.

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L’absence d’inscription dans un livre ne signifie pas que l’usage soit flottant. Sa transmission s’opère oralement, de fidèle à fidèle. Un an après les apparitions, un circuit s’est déjà imposé. L’itinéraire pèlerin connecte désormais systématiquement la ville (où un lieu, sanctuarisé par la présence de la voyante, peut être susbstitué à l’église paroissiale) et la Grotte des bords de l’Arve. En  1864, les premières grandes processions balancent encore entre Lourdes et Massabielle. Le 4 avril on inaugure à la Grotte la statue de Joseph Fabisch. La presse a du mal à estimer le nombre de personnes présentes (entre 10 et 20 000). La cérémonie commence à l’église où l’on écoute un sermon de sept quarts d’heures et un morceau de musique en l’honneur de Notre-Dame composé par le prédicateur — l’abbé Alix. Puis à trois heures de l’après-midi, on traverse en procession la ville pavoisée. Le lieu des apparitions est atteint par le chemin en lacets aménagé au-dessus de la Grotte devant laquelle la foule se regroupe. Mgr Laurence bénit les fidèles et consacre la statue « selon les règles du Pontifical ». Le Magnificat est entonné. Une nouvelle prédication est prononcée. Et l’on retourne enfin à Lourdes en procession 14. Le 25 juillet suivant est organisé le premier pèlerinage. Pour clôturer les fêtes de l’Adoration perpétuelle, les paroissiens de Loubajac se mettent en route pour Lourdes. Après avoir défilé dans les rues, ils s’arrêtent à l’église Saint-Pierre avant de se rendre à la Grotte où ils entendront une prédication et chanteront. Sur deux files et un cierge à la main, les femmes viendront baiser à genoux l’image que leur tend un missionnaire  15. Les autorités sont comblées. Le curé Peyramale écrit à son évêque : La procession de Loubajac a produit l’impression la plus favorable. Tout le monde a été enchanté, même le Commissaire de Police. Aussi le rapport, si rapport il y a, sera favorable. Il faut convenir que la tenue, le chant, le sermon, l’accueil fait par la ville, tout a été très bien. Le Père Miègeville a été bien inspiré jusqu’au bout. Il a fait prier pour la ville de Lourdes qui recevait cette procession avec tant de sympathie ; il a fait chanter le Domine salvum fac Imperatorem... Notre-Dame de Lourdes veille toujours sur son œuvre 16.

Toutes ces solennités sont des moments où le clergé prend possession de l’espace communal lourdais  17. À chaque fois, les cérémonies sont agencées de façon différente en puisant dans les liturgies disponibles, ajustées à la configuration des lieux et selon les particularités de la fête. La visite à la Grotte est encore une excursion sur le limes paroissial. Le pôle autour duquel les choses s’ordonnent est l’église Saint-Pierre (voire les églises des villages voisins), lieux consacrés d’où tout part et où tout revient.

14   Dom Bernard Billet, Lourdes. Documents authentiques. Tome VII. Croissance de Lourdes et vocation de Bernadette, 30 août 1862-3 juillet 1866 avec deux Dossiers annexes par M. l'abbé René Laurentin. Lettre-préface de S. Exc. Mgr Pierre-Marie Théas, Évêque de Tarbes et Lourdes, Paris, P. Lethielleux, 1966, p. 55-58 et n° 1613, p. 354-355. 15   Ibid., p. 66-67. 16   Lettre de l’abbé Peyramale à Mgr Laurence, Lourdes, 26 juillet 1864, reproduite sous le n° 1653 dans dom B. Billet, Lourdes.., op. cit., t. VII., p. 376. 17   Sur l’inscription des processions dans l’espace public au xixe siècle, voir L'Église dans la rue…, op. cit.

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Dans une lettre du 9 septembre 1864 à l’évêque de Tarbes, l’abbé Peyramale raconte la visite faite à la Grotte par des pèlerins venus pour la fête de la Nativité de la Vierge : Le concours à la Grotte hier a dépassé tout ce qu'on avait vu jusqu'à ce jour. Depuis quatre heures jusqu'à onze, l'église a été remplie de monde. À la grotte, on ne pouvait approcher de la fontaine. Malgré cette immense foule composée de gens de tout âge, de tout sexe, de toute condition, le recueillement a été parfait : on n'a rien vu que de modeste ; on n'a entendu que des chants et des prières. Les étrangers étaient dans l'admiration 18 .

Le curé de Lourdes insiste sur l’ordre qui règne à la Grotte. Les débordements des premiers mois ne sont plus qu’un lointain souvenir. Une police de la dévotion fonctionne désormais. Elle repose sur l’auto-contrôle des fidèles, sur une régulation ressemblant à ce que l’abbé Pierrot met en 1862 sous la notion de « dévotion » : « Elle consiste moins dans l’observation de quelques devoirs particuliers que dans la disposition constante à remplir tous ceux que la religion impose  19 ». En attendant des liturgies plus contraignantes, on s’impose une conduite. La Grotte n’est toujours pas un temple à ciel ouvert (en l’absence de consécration et par conséquent du mobilier nécessaire à la célébration eucharistique, c’est la fontaine qui capte l’attention des pèlerins). Elle est un simple lieu d’adoration où l’on fait mémoire de la présence mariale et où l’on vient chercher guérison en utilisant le fonds de prières et de cantiques courant. En bref, dans les premières années du pèlerinage, on célèbre à Lourdes et on prie (ou on prêche) à la Grotte. La ville se réserve la liturgie et laisse au bord du Gave les manifestations sauvages de dévotion. Cette division des fonctions rituelles ne perdura pas. Deux ans seulement après les apparitions, l’aménagement de la Grotte par les autorités ecclésiastiques commença.

L’invention d’un cérémonial La première mention d’un autel date (en l’état actuel de nos connaissances) du 8 décembre 1860  20. On en trouve une autre trace dans une correspondance de l’année

  Ibid., document n° 1674, p. 396.   Abbé Jean-Étienne Pierrot, Dictionnaire de théologie morale le premier qui ait été fait sur cette partie de la science sacrée, et néanmoins celui qu’un prêtre devrait avoir le plus souvent dans les mains après les livres saints ; présentant un exposé complet de la morale chrétienne, contenant une règle de conduite pour les principales circonstances de la vie ; offrant un complément nécessaire à toutes les éditions du dictionnaire purement dogmatique, polémique et disciplinaire de Bergier ; par M. l’abbé Pierrot, Curé de Sampigny, diocèse de Verdun, et ancien professeur de théologie au grand séminaire de cette ville ; suivi d’un plan méthodique de la théologie laissé inédit par Bergier, d’après lequel on peut lire avec suite son dictionnaire ; et d’une histoire abrégée de la théologie depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours. Publié par M. l’abbé Migne, éditeur de la Bibliothèque universelle du clergé, ou des Cours complets sur chaque branche de la science ecclésiastique, Paris, Ateliers catholiques du petit Montrouge, 1862, 2 vols, t. 1, p. 876. 20   « À l’occasion de la fête de l’Immaculée conception, le pélérinage de la grotte est considérable. On y remarque un grand nombre d’étrangers, notamment quelques familles de distinction. On a élevé dans l’intérieur de la grotte un petit autel décoré avec goût, autour duquel brûlent une trentaine de cierges. Un chœur de jeunes filles 18 19

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suivante 21. C’est d’un autel toujours provisoire qu’il est encore question lors de l’inauguration de la crypte (trois jours de solennités les 19, 20 et 21 mai 1866)  22. Le dimanche 20 mai, Mgr Laurence célèbre la messe sur un autel dressé sur un terre-plein dominant le Gave. Et ce n’est que le 21 mai 1866 (un lundi de Pentecôte), alors que les fondations de l'église en construction sont déjà visibles, qu’on consacrera un autel de marbre 23. En trente ans seulement, c’est tout un ensemble dévotionnel qui sort de terre comprenant une crypte, deux basiliques et des esplanades, des piscines et des fontaines. Peu à peu, les livres liturgiques du diocèse de Tarbes investissent les lieux. Les sanctuaires de Lourdes eurent bientôt leurs cérémoniaires. On ne sait pour le moment quasiment rien d’eux, si ce n’est que l’abbé Hubert possédait le titre en 1872. L’enquête reste à mener. Elle conduira sans doute au Père Sempé, grand ordonnateur de la vie des sanctuaires, tenant à jour un « livre du temps » (c’est-à-dire l’organisation matérielle des journées de pèlerinage) sans doute conservé dans les archives des Pères de Garaison. En revanche, il ne semble pas qu’il y eut jamais de cérémonial écrit, ce que montre par exemple l’étude de la procession du Très Saint-Sacrement, un des piliers des pratiques liturgiques de Lourdes [cf. annexe]. Avant 1888, le Saint-Sacrement est apporté pour la bénédiction aux malades, allongés devant la Grotte. Un père de l’Assomption, François Picard 24, le fait acclamer et il est ensuite ramené à la Basilique sans éclat particulier, par le chemin des lacets, quelques pèlerins valides accompagnant en priant le Père Picard. En 1888, l’abbé Lagardère (curé du diocèse de Montauban) a l’idée d’une manifestation eucharistique avec procession et acclamation : Le 22 août 1888, au déjeuner chez les Missionnaires de Lourdes, il la confia à son voisin, M. Dominique Sire, le célèbre Sulpicien. M. Sire se trouvait alors à côté de P. Hippolyte Sau-

sous la direction d’un prêtre, y fait entendre des chants religieux » (Rapport de dizaine de Lestage, commissaire de police de Lourdes, à Garnier, préfet des Hautes-Pyrénées, 8 décembre 1860, Arch. de Hautes-Pyrénées [4 M 22], reproduit sous le n° 936 dans R. Laurentin et dom B. Billet, Lourdes…, op. cit., t. VI, p. 143). 21   « J’ai fait dernièrement un pèlerinage de reconnaissance à la grotte de Lourdes. Je ne l’avais pas visitée depuis trois ans, mes impressions ont été les mêmes. Le lieu est encore aussi abrupt. Là, on ne voit briller ni l’or ni l’argent, ni les draperies précieuses. Après avoir gravi des escaliers formés par des rochers on parvient à un petit autel improvisé. À gauche, j’ai vu une lampe sur l’autel et tout autour des objets pieux consistants [sic] en chapelets, tableaux, gravures, petites bannières. La voûte de cette chapelle provisoire est un bloc énorme de rocher bruni par le temps » (deuxième lettre de l’abbé Laurent Cazaux publiée dans le Rosier de Marie, vii, samedi 2 novembre 1861, n° 37, p. 592, reproduit sous le n° 1 021 dans dom B. Billet, Lourdes…, op. cit., t VII, p. 209. 22   Dom B. Billet, Lourdes…, op. cit., t VII., p. 74. 23   « La Grotte de l'apparition [...] est devenue un imposant et gracieux sanctuaire, où, pour la première fois, le saint sacrifice sera célébré. En face de la belle statue de l'Immaculée Conception, en marbre de Carrare, s'élève un riche et élégant autel dominé par de hauts mâts où flottent des oriflammes de la Vierge Immaculée. Les ogives élancées de l'autel encadrent la tiare et les clefs de saint Pierre, qui resplendissent d'or. / La nef du temple est l'horizon : la voûte, le ciel bleu des Pyrénées, où courent des nuages blancs ; le pavé, d'immenses prairies, des champs et des collines qui s'arrondissent en amphithéâtre » (« Inauguration du sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes », Le Lavedan, Journal de Lourdes, 27 mai 1866, reproduit sous le n° 1 841 dans dom B. Billet, Lourdes…, op. cit., t VII, p. 518). 24   Sur le Père Picard, voir : R. Harris, Lourdes..., op. cit., p. 292-295.

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grain et presque en face du P. Picard. Il pria M. Lagardère d’exposer son projet à l’un et à l’autre. Le P. Picard accéda d’autant plus volontiers au désir exprimé que, le matin, lui avait-on dit, le Pèlerinage n’avait pas obtenu de guérisons. Il demanda donc au P. Edmond Bouvy de choisir dans l’Évangile des textes appropriés que l’imprimerie de la Grotte édita aussitôt, sur des feuilles volantes, pour qu’ils fussent distribués à la foule qui devait les répéter. L’ordonnance primitive de la Procession Les acclamations commencèrent, le soir même, avec la procession au milieu des malades. Ce fut le P. Edmond qui les dirigea, du haut de la chaire de la Grotte, immédiatement après le Salut qui venait d’y être donné, pendant que le Saint-Sacrement repassait au milieu des malades rangés sur le parvis de la Grotte, puis devant ceux qui se trouvaient près des Piscines, avant de regagner la basilique d’où il était descendu 25.

L’itinéraire prend alors une certaine ampleur. Depuis la Basilique supérieure, par la rampe du Rosaire récemment achevée, le Très Saint-Sacrement est descendu sous un dais. À son passage devant les piscines où les malades attendant d’être baignés sont disposés, on procède aux acclamations (avec les années, on en ajouta d’autres). Arrivé à l’autel de la Grotte, le prêtre procède à une bénédiction puis le Très Saint-Sacrement est ramené à la Basilique par le même chemin. Le parcours fut allongé en 1889, un évêque portant désormais l’ostensoir. Le 21 août 1895, on instaure une « heureuse innovation » : le célébrant s’arrête devant les malades et bénit chacun avec l’ostensoir. Enfin, lors du 25e Pèlerinage national, une nouvelle modification est introduite, sans doute par le comte de Beauchamp. Le 22 août 1897, après un Salut à la Grotte devant les 325 miraculés, la procession contourne sous la pluie l’esplanade du Rosaire pour aller sur le parvis, devant le portail, et le Saint-Sacrement bénit la foule. Le lendemain, la procession atteint (cette fois sous le soleil) le fond de l’esplanade (statue de saint Michel). Au retour, le Saint-Sacrement fait une halte sur le parvis ; les malades sont rangés sous les arbres, les miraculés étant placés devant le parvis, en arrière de l’ostensoir. Un évêque porte l’hostie. Il sort du dais, bénit les malades, revient sous le dais puis monte sur le parvis. On chante le Tantum ergo. Silence. Bénédiction avant l’entrée du SaintSacrement dans la basilique du Rosaire. Le cheminement est désormais fixé, de la Grotte vers le parvis. Il se pratique encore aujourd’hui de cette manière. Aucun livre ne consigne ce parcours ni les détails d’une procession qui n’eut pendant longtemps rien d’immuable, on vient de le voir. Pèlerin luimême, Alphonse Dupront s’interroge dans son célèbre article sur Lourdes 26:

  Louis Guérin : « La procession du Saint-Sacrement au Pèlerinage National de Lourdes », L’Eucharistie, 16 septembre 1910, p. 181-185 ; voir aussi id., « Les origines de la Procession du Saint-Sacrement et des Acclamations à Lourdes », Le Journal de la Grotte de Lourdes publié par les Chapelains du Sanctuaire, numéro hors série, [août 1936]. 26   La Table ronde, n° 125, mai 1958, repris dans : Du sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages, Paris, Gallimard, 1987, p. 340-365. 25

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Quels ordonnateurs ont composé le cérémonial de Lourdes ? Œuvre commune, progressivement élaborée, ou bien réflexion de tête froide autant qu’inspirée, il exprime parfaitement ces qualités qui tiennent à un collectif en puissance de sublimation : le rythme du jour et de la nuit rempli jusqu’à laisser tout juste le temps des besoins de la vie végétative ; l’unité donc d’exercice religieux, et dans cette unité, l’équilibre ; un fonds continu, avec des moments d’élévation unanime ; l’expression sagement alternée des grands états de la conscience religieuse. Moments du cérémonial de Lourdes, les deux grands rites processionnels 27.

On notera que l’historien emploie le mot « cérémonial » alors qu’il ne parle ici que de « cérémonies ». S’il n’existe pas de cérémonial de Lourdes (au sens de règles consignées dans un livre liturgique), on rencontre d’innombrables textes prescrivant les pratiques pèlerines à Lourdes — et donc pour partie des règles cérémonielles.

Les livrets de pèlerinage La Vierge avait institué le pèlerinage (« Vous viendrez ici en procession »). Avant même que le monde ecclésiastique prenne possession de la Grotte, on a vu qu’un ordo des dévotions s’était mis en place. L’achèvement des sanctuaires permit de passer à une autre échelle. À la fin des années 1880, l’abbé Calhiat rapporte : Jusqu’à une heure avancée de la matinée, les messe se continuent : le saint sacrifice est célébré à la grotte, à la crypte, dans la basilique. Tous les autels sont occupés ; tous sont entourés de fidèles agenouillés 28. Aux messes qui se célèbrent sans nombre, il faut ajouter les prières qui montent sans interruption et les communions qui se font sans cesse dans le même but. Les confessionnaux sont assiégés une grande partie du jour, et les absolutions pleuvent en quelque sorte sur une foule de têtes humiliées dans le repentir 29. Un autre spectacle touchant, c’est celui de la prière organisée en croisade. À Lourdes, la pièce a tous les accents et prend toutes les formules ; elle est tour à tour muette, parlante, chantante ; on la voit debout, couchée, à genoux, les bras en croix, les yeux au ciel. C’est surtout devant la grotte et les piscines qu’elle se fait humble et suppliante ; c’est là son champ de bataille et aussi son arène victorieuse 30.

Autant de signes de l’inexorable effacement de l’église paroissiale. Témoignages aussi d’une imbrication de plus en plus inextricable de la liturgie et des dévotions (ou des liturgies non sacramentelles) dans le même espace. Cette interpénétration se lit aussi dans une série documentaire « phare » des archives des sanctuaires  : les livrets de pèlerinage, que les

  Ibid., p. 349.   Abbé Henry Calhiat, À Notre-Dame de Lourdes par l’abbé Henry Calhiat, Chanoine honoraire, Missionnaire apostolique, Docteur en théologie et en droit canonique, Namur, P. Godenne, 1887, p. 358. 29   Ibid., p. 359. 30   Ibid., p. 360. 27 28

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responsables locaux firent éditer pour leurs ouailles (dès le pèlerinage des Bannières de 1872) et qui furent souvent remis à jour et enrichis année après année 31. Le livret est le mélange d’un paroissien (certaines pages en sont d’ailleurs tirées comme en atteste une double pagination indiquant que les mêmes plaques ont servi à l’imprimeur pour certains passages du paroissien et du livret), d’un recueil de cantiques circonstanciés, d’un agenda-indicateur de chemin de fer, et au bout de quelques années d’un livre de dévotion énonçant les dispositions auxquelles doivent se conformer les fidèles. Les manuels contiennent deux grands types de données  : les horaires (étapes ferroviaires, succession des messes, processions, temps libre) et la matière permettant la communauté de pratiques du groupe (plain-chant, litanies, cantiques). Les volumes ne contiennent pas de rubriques numérotées, comme la plupart des cérémoniaux mais plutôt des stations, c’est-à-dire une combinaison entre des lieux, un déroulement temporel, des postures corporelles et un acte de remémoration. Le Manuel des pèlerins de la ville et du diocèse de Nantes (1873) 32 que nous prendrons pour exemple est un répertoire de lieux : ceux entre lesquels se déploient les processions (« église paroissiale » et « église du Pèlerinage »), la place Marcadal où le groupe se réunit le soir, la ville où l’on rentre dormir, les gares détaillées dans l’horaire des chemins de fer annexé et bien entendu la Grotte. La brochure est par ailleurs un agenda portatif, planifiant l’ordre des activités de la journée : messes, processions, chants, saluts, « temps libre », visites à la Grotte, messes basses et communions. Elle décrit aussi certaines des dispositions requises des pèlerins : retenue dans les lieux publics (il est demandé « de ne pas chanter dans les gares »), discipline des mouvements de groupe, ordre à adopter dans la file des processions. Enfin, le Manuel organise la mémoire des apparitions dont les strophes de l’Ave Maria des Vendéens raconteront bientôt l’histoire  33. À  chaque acte pèlerin, correspond un chant approprié dont le livret fournit texte et musique : du « Cantique pour l’arrivée des pèlerins nantais à N.-D.-de-Lourdes » (n° 1) au « Cantique pour le retour... » (n° 2) en passant par un florilège de cantiques mariaux « destinés à être chantés pendant le voyage et pendant la procession ». Tout oppose un livre tel que le cérémonial (à portée large, notamment quand il est imprimé) et le livret de pèlerinage (éminemment situé) : cérémonial Ancrage temporel :

ancré dans le calendrier liturgique

manuel ancré dans le calendrier civil

  Les Arch. de la Grotte (Sanctuaires de Lourdes) possèdent la plus riche collection de livrets liés au pèlerinage. Nous remercions Thérèse Franque pour avoir grandement facilité notre travail sur ces documents. 32   Manuel des pèlerins de la ville et du diocèse de Nantes à Notre-Dame-de-Lourdes (14 & 15 mai 1873). Prix : 40 centimes. Vu et approuvé par Monseigneur l’Évêque de Nantes, Nantes, J. Grinsard, 1873, 33 p. 33   Jacques Cheyronnaud, « Sur l’air d’un cantique de pèlerinage : l’Ave Maria de Lourdes », Ethnologie française, vol. XI/3, 1981, p. 257-262. 31

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Déroulement des céremonies :

gestes définis par leur succession

pratiques chronométrées

Public concerné :

les lecteurs sont les célébrants (voire des clercs)

les lecteurs sont des fidèles « du rang »

Fonction :

sert à contrôler le bon accomplissement de la ritualisation de textes liturgiques

sert à ordonner prières personnelles et cérémonies publiques

Origine des pratiques :

stratification séculaire de règles

stratification annuelle de pratiques

Autorité commanditaire :

l’autorité ecclésiastique supérieure (pape, évêque, chapitre, supérieur d’ordre)

la paroisse, en collaboration avec les responsables lourdais ou nationaux du pèlerinage

Champs concernés :

s’applique à la liturgie

englobe liturgie et dévotions

Il y a une grande différence de nature entre ces deux types de prescriptions. Plus que tout, le degré de précision et d’obligation des actes y varie fortement : extrêmement détaillés pour les cérémoniaux destinés à des experts de la liturgie, très sommaires pour les manuels destinés à des pèlerins encadrés par des clercs ou des laïcs 34 et se livrant pendant quelques jours à une expérience exceptionnelle. Il existe cependant des descriptions fines des pratiques pèlerines. Elles figurent dans des documents encore plus éloignés des livres liturgiques que les manuels de pèlerinage.

Le « cérémonial » de la Grotte Dans le Manuel nantais de 1873, le dispositif prévoit pour la soirée du mercredi 14 mai un cheminement en ordre (procession sans bannières) avec récitation du rosaire et cantique (« Sainte Vierge »), le chant d’un cantique spécial à l’arrivée à la Grotte (« De la Reine des cieux »), une allocution, le chant du Magnificat, la prière du soir et le chant du Regina Cæli avant le retour en ville. Ainsi, même quand on ne célèbre pas à la Grotte, les gestes pèlerins ne sont pas laissés au choix des individus. Les séquences dévotionnelles sont structurées par

  Sur l’engagement des laïcs dans l’organisation du pèlerinage de Lourdes aux côtés d’Assomptionistes, voir : Agnès Periat, Une œuvre catholique sous la Troisième République : les hospitalités au Sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes (1881-1939), mémoire de DEA d’histoire des religions et d’anthropologie religieuse, (dir. J.-M. Mayeur), Université de Paris IV, Sorbonne, septembre 2001, 105 p.

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la musique et l’exécution de ces compositions est elle-même contrainte (les chants sont prédéterminés et le clergé nantais est présent à tous les instants). La profusion de textes générés par le phénomène lourdais permet de comparer ces prescriptions rédigées avant le départ de Nantes avec des traces de ce qui s’est finalement passé. On dispose en effet de descriptions, à mi-chemin entre reportages journalistiques et récits édifiants, produites par le rédacteur des Annales de Notre-Dame de Lourdes, à la fois périodique de prosélytisme et album de photographies instantanées produisant des images pieuses à destination de ceux qui sont loin de Lourdes ou pour permettre aux pèlerins qui ont fait le voyage d’en ramener chez eux. En mai 1873, paraît ainsi sous la plume du R. P. Sempé — chroniqueur autorisé des pèlerinages et rédacteur d’une des gestes officielles de Lourdes — un compte rendu des derniers événements : La nuit tombant, les Nantais étaient encore devant la Grotte, leur cierge à la main. Ils montèrent et redescendirent, la tête retrouvant presque à la Grotte l’extrémité de la procession. Le Gave resplendissait, les feuilles des arbres miroitaient. La chapelle apparaissait blanchissante, dans la nuit, du reflet de son immense couronne de feu. Quand ils furent réunis devant le rocher de l’Apparition, du haut de la galerie où des spectateurs s’étaient placés, on aurait dit un champ d’épis scintillants ; les longues coiffures blanches des paysannes Bretonnes éclataient comme des lis dans les éblouissements de midi. « Vous êtes un spectacle aux Anges, aux hommes, aux démons aussi, » s’écria M. l’abbé Rousteau, vicaire-général du diocèse de Nantes, en se tournant vers la foule, et il développa sa pensée en quelques mots sans apprêt mais sentis, appropriés à cette scène si grande dans sa simplicité.

On chantait, on priait à haute voix. Il y avait de grands silences. Dans un de ces moments, une voix forte chanta sur le mode des versets de l’Église : « Vive l’Immaculée Conception ! » Le peuple répéta. Le chantre reprit haussant le ton ; le peuple répéta encore. Le chantre éleva une fois encore le ton. La voix du peuple grandit pour lui répondre. Je ne savais ce que cela pourrait être et ce chant me choquait un peu par sa singularité. Mais le chantre jeta encore sur trois tons cette acclamation : « Vive Pie IX, pontife et roi ! » Et j’entendis trois fois comme un bruit montant de vagues, acclamer Pie IX. Et je vis une chose qui m’avait échappé : les pèlerins, hommes et femmes, d’un mouvement simultané, élevaient, en chantant, leur cierge de la main gauche et étendaient la main droite ouverte vers la Vierge. L’émotion me gagnait, je commençais à trouver cela grand. Un nouveau chant m’arrive à l’oreille : « Vive la France du Christ ! » Trois fois, chantre et peuple redisent d’une voix à chaque acclamation plus élevée, plus pénétrante, plus chaude et plus puissante et plus sainte de patriotisme et de foi : « Vive la France du Christ ! » Un silence sacré suivit. Un frémissement courait la foule. Les yeux étaient pleins de larmes. C’était sublime. Quelle différence avec ces clameurs désordonnées, enthousiastes sans doute, mais où il y a toujours quelque chose de tumultuaire. Les pèlerins du Var, acteurs hier, spectateurs aujourd’hui, étaient dans le ravissement 35.

  R. P. Rémi Sempé, « Les pèlerinages », Annales de Notre-Dame de Lourdes, mai 1873, p. 44-45.

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Ce récit de « ce qui est arrivé » ne coïncide pas exactement avec les indications du Manuel : la procession par les lacets n’y figurait pas, on dispose maintenant d’un résumé de l’allocution, des choses distinguées dans le livret sont ici entremêlées (chant et prières à haute voix) et la série d’acclamations n’était pas prévue. Arrêtons-nous sur ces dernières. On y observe deux mouvements. Tout d’abord une invention apparemment spontanée. Une formule d’acclamation est lancée par un anonyme puis reprise par le peuple. La formule est saisie au vol par le chantre — qui reprend la conduite des opérations en imposant des changements de tons puis en modifiant les paroles initiales. La foule adopte ensuite sans s’être consultée au préalable un même geste. Enfin, le respect collectif du silence conclusif est obtenu sans mot d’ordre ; tous les fidèles présents cependant avaient été «  informés  » par la structure tripartite standard (3  x  3) des acclamations 36. Dans un deuxième mouvement, le P. Sempé reconnaît progressivement la beauté et la validité de l’invention. Le responsable de l’aménagement du Lourdes de pierre décompose son récit en quatre temps. L’inconvenance de la formule le frappe d’abord (« Je ne savais ce que cela pourrait être et ce chant me choquait un peu par sa singularité »). Cette initiative n’appartient pas aux pratiques traditionnelles de la Grotte. « Et je vis une chose qui m’avait échappé » : aux marges du « cours célébratif » normal, le chroniqueur finit par percevoir le mouvement improvisé par la foule. Submergé par l’émotion, le P. Sempé s’avoue vaincu par la force persuasive de l’action improvisée (« L’émotion me gagnait, je commençais à trouver cela grand »). Le renversement est bientôt complet et le P. Sempé trouve finalement de l’ordre dans ce désordre (« Quelle différence avec ces clameurs désordonnées, enthousiastes sans doute, mais où il y a toujours quelque chose de tumultuaire »). Dès lors, une intégration aux « rites de la Grotte » devient possible, l’inscription dans le cérémonial oral de Lourdes est envisageable (à condition qu’il y ait réitération). Quelques années plus tard, les acclamations seront codifiées et lancées depuis la chaire installée à la lisière de la Grotte. Elles seront imprimées aussi afin que prêtres et fidèles prient d’une même voix.

• Un livre comme le Rituel à l’usage du diocèse d’Auch de 1838 37 qui, toujours en usage en 1858, peut être, à défaut, utilisé pour les cérémonies de la paroisse de Lourdes, n’aurait documenté que très partiellement les pratiques pèlerines de la Grotte qui mêlaient en   Les énoncés triples ne sont pas rares. L’antienne du Vendredi saint Ecce lignum crucis est chantée trois fois par le célébrant qui élève la voix, et monte souvent d’un ton, à chaque répétition ; les fidèles répondent à chaque fois par le chant du Venite, adoremus montant lui aussi d’un ton à chaque occurrence (nous devons cette remarque à Xavier Bisaro). 37   Rituel à l’usage du diocèse d’Auch réimprimé par ordre de Monseigneur Double, Évêque de Tarbes, à l’usage de son diocèse. Nouvelle édition revue, corrigée, augmentée et mise dans un meilleur ordre, Auch, L.-A. Brun, 1838, 626 p. Nous sommes très reconnaissant au chanoine Pierre-André Charriez de nous avoir communiqué cet ouvrage. 36

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permanence liturgies traditionnelles et dévotions (réglées). Or, une histoire des actions liturgiques se donnant pour but de décrire l’appropriation des règles par les acteurs, il nous aura fallu observer la pratique des règles (ecclésiastiques utilisant leurs livres, pèlerins venant à Lourdes manuels en main) et l’invention de cérémonies et d’usages dévotionnels. Dans toutes les situations étudiées, il n’y avait pas d’opposition frontale entre, par exemple, un clergé maître du jeu liturgique et des fidèles sommés de marcher au pas. Il n’y avait pas non plus d’opposition entre des clercs à la liturgie « sur-réglée » et des pèlerins aux dévotions « improvisées ». Nous avons pu observer en revanche une co-production, une pratique partagée où l’autorité était clairement définie et où les places n’étaient pas interchangeables. Au-delà du pèlerinage lourdais, il semble difficile d’étudier un cérémonial « pour lui-même », sans travailler simultanément sur les traces de sa mise en œuvre, sur les écarts entre le programme (qu’il soit liturgique ou dévotionnel) et sa réalisation. Dans cette perspective, Lourdes est un cas limite, à la fois par l’effervescence des pratiques (sans véritable équivalent) et par la profusion documentaire qu’elles ont généré. Mais cas éclairant sur le statut d’archive du cérémonial : de même que des pratiques ordonnées ne génèrent pas obligatoirement des livres, de même les livres rubriqués n’engendrent pas mécaniquement l’ordre des pratiques. Rémy Campos Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) ; Conservatoire de Musique de Genève

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ANNEXE 38

38   Les schémas ont été réalisés à partir des deux articles de Louis Guérin : « La procession du Saint-Sacrement au Pèlerinage National de Lourdes », et « Les origines de la Procession du Saint-Sacrement et des Acclamations à Lourdes », op. cit.

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Partie 2

Les débats liturgiques et leurs enjeux

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La publication d’un cérémonial diocésain, acte de l’autorité épiscopale Le livre liturgique, qui représente un secteur actif de l’édition dans la France de l’époque moderne, constitue un genre assez étendu, composé de catégories diverses. Missels et bréviaires sont évidemment les titres les plus fréquents du corpus, mais la liste des ouvrages, d’usage collectif ou individuel selon les cas, inclut beaucoup d’autres catégories, du rituel au processionnal, de l’antiphonaire au cérémonial. Du point de vue matériel, l’impression de la plupart de ces livres appelle des compétences et des moyens techniques particuliers, lorsqu’il faut recourir à deux couleurs d’encre ou insérer de la musique gravée. En contrepartie, imprimeurs et libraires disposent d’un marché relativement captif puisque — pour les livres à usage diocésain au moins — les évêques prescrivent aux diverses églises de n’employer que ceux qui sont édités à leur initiative 1. Dans cet ensemble d’ouvrages, les cérémoniaux passent relativement inaperçus. De médiocre format la plupart du temps, ils sont généralement d’une facture simple : une seule encre leur suffit et la musique en est théoriquement absente puisqu’ils ne contiennent pas les textes et les chants destinés à la célébration du rite, mais uniquement des instructions régissant le déroulement du culte et décrivant les actions de ses divers officiers. Ils méritent toutefois de retenir l’attention, précisément comme témoignages des pratiques de réglementation du culte, et peuvent se distribuer en trois catégories, définies à la fois par leurs auteurs et leurs destinataires. Certains de ces livres sont d’usage interne aux ordres ou congrégations religieuses ; d’autres ont une visée générale et proposent, à l’usage de la France, des adaptations et transpositions du Caeremoniale episcoporum romain de 1600 ; un troisième groupe rassemble des titres qui, publiés par les évêques, ont pour objet les modes d’organisation du culte propres à leur diocèse. Ce groupe relatif à la police épiscopale du culte est seul envisagé ici. Chaque cérémonial s’inscrit évidemment dans un contexte particulier, à l’articulation du développement de la réforme catholique dans le diocèse considéré et des orientations spirituelles et pastorales du prélat qui est alors à sa tête ; chacun aborde aussi sous un angle

1   Sur l’édition de livres liturgiques à l’époque qui nous intéresse, voir particulièrement Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au xviie siècle, Genève, Droz, 1969, (en particulier p. 104-107) ; Histoire de l’édition française, R. Chartier et H.-J. Martin (dir.), 2 vol., Paris, Promodis, 1982-1984. (Voir quelques exemples aux Planches, fig. 21-24).

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B e r na r d D om p n i e r

qui lui est propre l’héritage de traditions liturgiques locales. Mais on peut aussi considérer le corpus globalement, en s’arrêtant sur la chronologie des publications et sur la structure des livres, en s’intéressant surtout aux motivations affichées par les évêques qui ordonnent leur rédaction, dans une perspective qui touche à la fois à la conception du culte et à l’exercice de l’autorité épiscopale.

Le moment des cérémoniaux diocésains Le choix de ne retenir que les cérémoniaux publiés par les évêques à l’usage de leur diocèse limite singulièrement la chronologie couverte par la présente étude. La série ne s’ouvre en effet qu’en 1662, avec la publication du livre rédigé par Martin Sonnet et destiné au diocèse de Paris 2. Auparavant, les offices sont réglés en France soit par la transmission orale (et vécue) des pratiques, soit par des publications qui commentent et adaptent les indications des livres romains, sans que soient exclus de subtils équilibres mouvants entre les deux méthodes. Plusieurs titres accompagnent la diffusion de la liturgie romaine dans le royaume pendant la première moitié du xviie siècle et connaissent un nombre élevé de rééditions qui témoigne de leur durable succès, d’autant que, comme nous aurons l’occasion de le vérifier, les diocèses pourvus d’un cérémonial demeurent très minoritaires jusqu’à la Révolution. Le Manuale sacrarum caerimoniarum du bénédictin Michel Bauldry, imprimé pour la première fois en 1637, est le premier de ce groupe de livres 3. L’auteur, qui dit l’avoir composé à l’invitation d’un certain nombre d’évêques pour l’instruction des clercs, propose au public français une explicitation des règles de la liturgie romaine sous la forme d’une adaptation du traité de Gavantus, lui même objet de nombreuses éditions 4. L’ouvrage publié vingt ans plus tard par le chanoine Louis du Molin est lui aussi inspiré par le souci de mieux faire connaître les prescriptions des livres romains  5. Ce primicier de la cathédrale d’Arles avait déjà publié un traité de la messe paroissiale et un autre de la messe pontificale 6 lorsque l’Assemblée du clergé de 1645 lui demanda de les réunir en un seul livre, qu’il enrichirait encore de développements sur les cérémonies des vêpres pontificales. Le livre qu’il donne aux presses en 1657 correspond à cette commande et revendique une totale fidélité aux prescriptions romaines. Dans sa dédicace aux membres de l’Assemblée du clergé, l’auteur assure qu’il ne s’est «  point escarté des loix que les Souverains Pontifes, qui sont les pères communs de l’Église, ont establies », les ayant toujours considérées « comme des décisions infaillibles ». Militant de l’uniformisation du culte contre les anciens usages locaux, du Molin invite les prélats à « introduire cette utile nouveauté qui, faisant honnorer Dieu par tout avec le mesme culte, ostera la bigarreure de la robe de son   Cf. Liste-Index infra, [Sonnet Paris 1662].   Cf. [Bauldry Manuale* 1637]. 4   Bartolomeo Gavanti, Enchiridion seu manuale episcoporum pro decretis in visitatione et synodo de quacumque re condendis… La première édition de ce traité en France date de 1635 (Paris, J. Quesnel), ce qui n’exclut évidemment pas une circulation dans le royaume antérieurement à cette date. 5   Cf. [Du Molin Église* 1657]. 6   Cf. [Du Molin Messe*1639] et [Du Molin Messe pontificale 1646]. 2 3

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L a pu bl ic at ion d’u n c é r é mon i a l dio c é s a i n, ac t e de l’au t or i t é é pi s c opa l e

Espouse ». L’épître au lecteur évoque de son côté le projet de mettre un terme aux difficultés engendrées par la diversité des usages anciens : Jusques à présent nos cérémonies ont paru des énigmes, qui avoient besoin d’une longue interprétation pour régler les différents sentimens que la diversité de leur observance faisoit naistre. Je t’en présente le remède, sans embarras et sans aprest de spéculation ou d’ornement de paroles, couché d’une manière simple en langue vulgaire pour estre entendu de tous, m’estant bien gardé neantmoins de m’éloigner des règles du Cérémonial des évesques que je n’ay pas perdu de veüe 7.

Le Manuel des cérémonies romaines tiré des Livres Romains les plus authentiques, et des Ecrivains les plus intelligens en cette matiere, dont « quelques-uns des Prestres de la Congrégation de la Mission » donnent une première édition en 1662, appartient aussi à la même catégorie d’ouvrages 8. Le titre en dit à lui seul l’orientation générale, qu’un « avis au lecteur » précise à son tour : Il a esté composé principalement pour des ecclésiastiques qui, faisant profession d’observer exactement les cérémonies romaines et désirant d’y garder toute l’uniformité possible, ont jugé à propos de s’arrester à un seul livre, où les choses fussent digérées avec autant de soin qu’on a tâché de faire en celuy-cy 9.

Le même texte, qui insiste sur l’importance de l’uniformité des cérémonies, est complété par un « Avertissement », qui porte témoignage sur la stratégie de grignotage conduite au cours du xviie siècle par les tenants de la liturgie romaine à l’encontre de la diversité des traditions locales. Il est en effet proposé de recourir au Manuel chaque fois qu’existe un doute sur la manière de procéder : Comme il y a quantité de choses dans le cérémonies que les coutumes locales n’ont point déterminé, et que dans celles-là même qui ont esté réglées par un ancien usage la négligence de plusieurs cause souvent beaucoup de confusion, d’où naist en divers lieux une grande incertitude touchant ces mesmes coutumes, et une notable indécence dans le culte de Dieu, les règles qu’on propose dans ce livre pourront servir d’un remède facile et assuré à ces défauts, veu qu’elles sont nettement expliquées jusques aux moindres circonstances, et qu’elles ont esté fidèlement puisées des sources très pures dont nous avons parlé 10.

On le voit, pendant une grande partie du xviie siècle, avec l’appui de l’épiscopat et d’un certain nombre de congrégations de prêtres, tels les lazaristes, prévaut la volonté de faire adopter les usages romains, dont le Caeremoniale episcoporum, relayé par le livre de Gavantus, constitue l’épine dorsale. Dans ce contexte, les anciennes traditions locales apparaissent comme des obstacles à une uniformisation exigée par la dignité du culte. Aussi, la publication par Martin Sonnet d’un cérémonial spécifiquement destiné à l’usage du diocèse de Paris s’inscrit-elle nettement à contre-courant du discours dominant pendant la

  [Du Molin Église 1657], Avant-Propos, « Au lecteur ».   Cf. [Lazaristes* 1662]. 9   Ibid., Avis au lecteur, n. p. 10   Ibid., Avertissement, n. p. 7 8

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majeure partie du siècle. Les décennies suivantes apportent la démonstration que la volonté de réglementer les usages liturgiques est partagée par un certain nombre d’évêques, avec la publication de cérémoniaux à Bayeux (1677), Besançon (1682 et 1707), Metz (1697)  11, Toul (1700), Paris de nouveau (1703), Bourges (1708). Après une période où les productions sont peu nombreuses (Langres en 1729, Angers autour de 1730-1740), la seconde moitié du xviiie siècle donne le jour à une nouvelle série d’ouvrages (Lisieux en 1747, Clermont en 1758, Sens en 1769, Langres en 1775, Le Mans en 1789). Au total, de 1662 à 1789, on peut répertorier quinze cérémoniaux publiés à l’initiative des évêques de douze diocèses. Le nombre n’est pas considérable certes, puisque ce ne sont même pas tout à fait 10% des Églises locales qui sont concernées 12 ; cela suffit toutefois pour former un corpus permettant de conduire une réflexion sur le genre, et d’abord pour confirmer avec force la fracture du consensus qui s’était imposé au cours du xviie siècle en faveur de la liturgie romaine. Avec des décalages et des nuances, les cérémoniaux diocésains semblent donc, en première approche, participer à leur manière de l’essor de l’ample mouvement néo-gallican. Toutefois, la comparaison de la date de publication du cérémonial avec celle des autres livres liturgiques d’un même diocèse suggère que les motivations ne sont pas nécessairement identiques. Dans certains cas, la parution des divers livres s’inscrit dans un calendrier relativement serré. Le cas parisien peut être rangé dans cette catégorie, puisque le Cérémonial de 1703 paraît peu d’années après le Rituel et le Bréviaire, avec une préface qui fait explicitement référence à la nécessaire concordance des ouvrages  13. À Besançon, tous les livres liturgiques sont réimprimés vers 1700, entre les deux éditions du cérémonial : bréviaire en 1691, missel, rituel (sous forme abrégée) et processionnal en 1694, rituel complet en 1705 ; avec une parfaite continuité dans leur action, Antoine-Pierre et François-Joseph de Grammont dotent ainsi le diocèse, quelques décennies après son entrée dans le royaume, de l’ensemble des instruments utiles au culte. À Lisieux, c’est au milieu du xviiie siècle que Mgr de Brancas publie coup sur coup le rituel (1744), le cérémonial (1747), le bréviaire (1750), le missel (1752) et le processionnal (1754). Moins resserrée, la chronologie des livres liturgiques de Sens correspond toutefois aussi à un seul épiscopat, particulièrement long il est vrai : Mgr de Luynes, présent sur le siège de 1753 à 1788, publie un processionnal en 1756, un cérémonial en 1769, un autre processionnal en 1772, avant d’éditer bréviaire et missel, respectivement

  Le cérémonial de Metz représente toutefois un cas particulier, car il est destiné à la seule cathédrale, sans que soit même évoquée la possibilité d’un usage — avec les adaptations nécessaires — par les autres églises du diocèse (cf. [Metz 1697]). Je remercie vivement Philippe Martin qui m’a facilité l’accès à ce texte présent dans un nombre très limité de bibliothèques. 12   Certains évêques choisissent d’autres voies pour réglementer le déroulement du culte. Louis Pérouas souligne ainsi que Jacques Raoul inclut des directives liturgiques dans les statuts synodaux qu’il publie pour le diocèse de La Rochelle (Louis Pérouas, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1724. Sociologie et pastorale, Paris, SEVPEN, 1964, p. 283). 13   « Haec nos momenta ad singularem parisiensis Caeremonialis curam suscipiendam impulerunt, ut emendationem Ritualis et Breviarii editionem, nostro jam jussu habitam novus hic Caeremoniarum Codex sequeretur, ubi earum a nobis norma deinceps servanda statueretur, quam antehac convenientior » ([Paris 1703], Épître dédicatoire au clergé). 11

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en 1780 et 1785 14. Dans d’autres diocèses, le cérémonial voit le jour à un moment où aucun autre livre liturgique n’est publié : à Bourges, il sort des presses au milieu d’un demi-siècle sans édition dans cette catégorie 15 ; à Bayeux, alors que bréviaire, missel et autres ouvrages sont tous réimprimés entre 1743 et 1753, le cérémonial, publié dès 1677, est absent de la liste. Un troisième groupe de diocèses se dote enfin dans un temps assez court des seuls livres prescriptifs, c’est-à-dire de tous ceux dans lesquels les manières de procéder tiennent une place importante (cérémoniaux, rituels et processionnaux). Dans le diocèse d’Angers, en dépit d’un changement d’évêque au cours de cette période, le processionnal, le cérémonial et le rituel sont publiés entre 1729 et 1735 ; le rituel et le cérémonial de Toul sont tous deux imprimés en 1700 ; le cérémonial de Metz est, pour sa part, encadré par deux éditions du Rituel, en 1686 et 1713. La mise en série des dates d’impression des divers ouvrages liturgiques, qui ne fait apparaître aucun lien obligé entre la mise sous presse d’un cérémonial et celle d’un bréviaire ou d’un missel, signifie a fortiori que la publication du premier est entièrement indépendante de la mise en œuvre des réformes néo-gallicanes, et il convient donc d’écarter l’hypothèse qui ferait des cérémoniaux les instruments explicatifs de celles-ci. Bien plus, dans certains cas, le cérémonial — entendu ici comme ensemble des pratiques que rapporte le livre de ce nom — peut demeurer l’élément stable de la liturgie lors de réformes difficilement acceptées. À propos d’un conflit lyonnais de la fin du xviiie siècle, au cours duquel les chanoines s’étaient opposés à l’archevêque, dom Buenner écrit que « la résistance avait eu au moins pour effet de maintenir le cérémonial ; seul le formulaire disparaissait, on gardait le rite » 16. Cette remarque invite à articuler le rapport entre publication des cérémoniaux et réformes liturgiques d’une manière plus complexe, en prenant en compte la chronologie globale des éditions de livres liturgiques 17. La première série de cérémoniaux, à la charnière des xviie et xviiie siècles, est globalement contemporaine des plus anciens livres néo-gallicans, sortis des presses à partir de la fin de la décennie 1670 (bréviaires de Vienne en 1678, de Paris en 1680, de Cluny en 1686) et assez étroitement liés à l’activité d’une première génération de liturgistes érudits, particulièrement attentifs à la collecte des traditions locales, tels Bocquillot, Grancolas, de Vert ou encore Le Brun des Marettes. Les plus anciens cérémoniaux peuvent ainsi apparaître comme le témoignage d’une volonté — alors diffuse dans une grande partie du royaume — de préservation des héritages du passé et de réaction contre l’uniformisation romaine. Puis vient une deuxième période, durant laquelle peu de

14   Abbé Henri Bouvier, Histoire de l’Église et de l’ancien archidiocèse de Sens, t. 3 (1519-1789), Paris, A. Picard, 1911, p. 402. 15   Pour un cadre général, Le diocèse de Bourges, G. Devailly (dir.), Paris, Letouzey et Ané, 1973 (« Histoire des diocèses de France »). 16   Dom Denys Buenner, L’ancienne liturgie romaine. Le rite lyonnais, Lyon-Paris, E. Vitte, 1934, p. 96. Il semble toutefois que l’ancienne liturgie du diocèse soit encore défendue à la fin du xviiie siècle par certaines églises collégiales si l’on en croit la publication d’un Cérémonial suivant le rit lyonnais à l’usage de l’église de Bourg-enBresse (cf. [Bourg-en-Bresse 1773]). 17   Les hypothèses qui suivent découlent en partie d’une discussion avec Catherine Maire à l’issue du séminaire du Centre d’Anthropologie Religieuse Européenne du 6 décembre 2005, au cours duquel avait été présentée l’enquête sur les cérémoniaux ; je la remercie vivement de ses remarques stimulantes.

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cérémoniaux sont imprimés, bien que le néo-gallicanisme continue sa progression avec pour toile de fond la crise ouverte à la suite de la promulgation de la Constitution Unigenitus. Il semblerait ainsi que la publication de cérémoniaux s’accommode mieux des moments de sérénité que de ceux de tension. Enfin, la synchronie entre la seconde vague d’édition de cérémoniaux et l’adoption de la liturgie parisienne de Vintimille par de nombreux diocèses français suggère une relation entre les deux phénomènes, même si l’on ne peut établir un lien simple entre eux.

Des livres destinés à la mise en ordre des usages Les évêques confient ordinairement l’élaboration des cérémoniaux à des ecclésiastiques capables de débrouiller l’écheveau des usages  ; aussi doivent-ils être «  savants  », pour reprendre le qualificatif employé par l’évêque de Clermont. Ces prêtres érudits, souvent recrutés dans le milieu des directeurs de séminaires 18, sont dans d’autres cas des chanoines, par exemple à Toul ou à Sens. Ils travaillent généralement en collectant les vestiges écrits des pratiques anciennes dans les bibliothèques, comme cela est précisé pour Toul ou encore pour Clermont, où l’évêque évoque la recherche des « manuscrits les plus anciens de notre Église ». La plupart du temps, l’ébauche rédigée au terme de cette recherche est soumise à une commission majoritairement —  voire exclusivement  — composée de membres du chapitre cathédral. À Sens, il semble que les chanoines aient monopolisé les sièges ; à Toul, on évoque une commission de « personnes habiles » désignées par l’évêque et par le chapitre. Plus rarement, la procédure de consultation prend un tour plus ample, avec attente de commentaires émanant de l’ensemble du clergé. Le diocèse de Langres offre le meilleur exemple de cette manière de faire. En 1729, à la suite des premiers travaux, l’évêque publie un Prospectus Caeremonialis lingoninensis pro festis solemnibus majoribus, ouvrage ne comportant guère qu’une trentaine de pages. Il faut ensuite, à partir de cette esquisse, que « chacun puisse remarquer, dans l’exécution, ce qui pourrait être changé, ajouté ou retranché, et faire part de ses observations à celui qui est chargé des ordres de Monseigneur pour tout ce qui regarde les offices et cérémonies ecclésiastiques ». Les suggestions seront alors mises à profit « pour composer un cérémonial complet qui renfermera généralement tout ce qui doit être pratiqué dans les différentes fêtes et solennités dans le cours de l’année » 19.   On peut citer le cas de Langres où, en 1729, l’élaboration du cérémonial est confiée à Louis Renoux, oratorien et frère d’un directeur du séminaire, qui avait été nommé en 1727 maître des cérémonies du diocèse, avec une pension de 200 livres ; lors de la nouvelle révision de 1775, c’est un directeur de séminaire qui en reçoit la responsabilité (Abbé Louis-François Marcel, Les livres liturgiques du diocèse de Langres, Paris, A. Picard, 1892, p. 200). À Sens, c’est Mahiet, chanoine érudit, responsable de la bibliothèque du chapitre, qui prépare le cérémonial (Abbé H. Bouvier, op.cit., t. 3, p. 360). Dans sa contribution au présent volume, Stéphane Gomis fournit un autre exemple, pour le diocèse de Clermont. La préparation des cérémoniaux, en raison de leur contenu, conduit sans doute à s’appuyer principalement sur les ecclésiastiques érudits du diocèse, alors que d’autres livres — qui font appel à des compétences telles que le plain-chant — sont plus marqués par l’intervention de spécialistes étrangers au diocèse. 19   Abbé L.-F. Marcel, Les livres liturgiques du diocèse de Langres. Deuxième supplément, Paris, A. Picard, 1912, p. 80-81. Il semble que le projet ne débouche pas immédiatement ; le nouveau cérémonial de Langres n’est publié qu’en 1775 (cf. [Langres 1775]). 18

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La commodité d’utilisation de ces livres par le clergé destinataire représente toujours une préoccupation prioritaire de leurs concepteurs. À Bayeux en 1677, il est clairement indiqué que le cérémonial se veut un guide pour les curés, caractérisé par la « netteté » de ses prescriptions, même si cela doit parfois conduire — presque paradoxalement au siècle de Boileau  — à négliger «  la pureté du françois, afin de se mieux faire entendre  ». La présentation matérielle elle-même répond aux mêmes objectifs. Le format choisi favorise la maniabilité, sans nuire à la facilité de la lecture, d’où le recours fréquent à l’in-octavo. Les deux tiers des cérémoniaux sont en français, sans d’ailleurs que l’emploi de la langue vernaculaire s’impose particulièrement à la fin de la période considérée ; ainsi, Langres publie encore en latin en 1775. On pourrait même se demander si la préférence pour le français ne se rencontre pas surtout chez les premiers prélats qui éditent un cérémonial, particulièrement attentifs à la bonne réception de leurs instructions par la partie la moins bien formée de leur clergé, la plus hésitante aussi devant la lecture suivie de textes latins. Lorsque tous les prêtres ont effectué le cycle des humanités au collège, puis acquis de solides notions de liturgie au séminaire, le cérémonial, conçu comme un aide-mémoire technique, peut sans inconvénient majeur être rédigé dans sa langue « naturelle », celle du sacré et du culte. La comparaison du plan des ouvrages suggère, pour sa part, une évolution progressive vers une organisation standardisée du contenu. Parmi les plus anciens, celui de Bayeux commence par les chapitres relatifs à la messe basse, puis passe à ceux qui sont dédiés aux matines, vêpres et messes hautes ; il rejette en quatrième partie les généralités sur « les cérémonies à observer au chœur », qui sont ainsi précédées par les développements sur la Semaine sainte et Pâques et clôturent en quelque sorte le cérémonial, puisque l’ouvrage traite ensuite des synodes et des visites pastorales. La priorité est donc accordée aux besoins d’un clergé paroissial pas toujours au fait des règles liturgiques pour la messe basse, pourtant la plus courante ; les normes pour les cérémonies un peu plus solennelles (des vêpres dominicales aux grandes fêtes du calendrier) viennent ensuite, comme un complément 20. L’ouvrage, qui se veut pratique, recourt à une pédagogie inductive, en rejetant vers la fin les considérations générales sur les règles à observer dans le culte. Quelques années plus tard, le Cérémonial de Besançon conserve quelque chose de cette approche concrète, même s’il ne traite pas des messes basses : ses trois parties sont respectivement dédiées aux cérémonies de l’office, à celles des messes solennelles et hautes, et enfin à celles qui sont liées à certaines fêtes. Il est clair que le public visé ici est d’abord celui des prêtres qui veulent conférer un certain lustre à la liturgie mais sont démunis sur la manière de procéder, soit qu’ils manquent d’auxiliaires (comme le montre la présence de chapitres relatifs au mode de célébrer quand il n’y a qu’un seul prêtre), soit que la demande sociale ait conduit à de subtiles distinctions dans les degrés de solennité, comme pour les offices des défunts. Les cérémoniaux du xviiie siècle adoptent de leur côté un plan qui présente beaucoup de similitudes d’un ouvrage à l’autre. Les premiers chapitres sont ordinairement réservés aux « règles et cérémonies en général », ou

  On sait que ce plan peut aussi avoir été adopté par imitation de celui de l’ouvrage de du Molin. Voir supra, la contribution de François Auzeil.

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aux « cérémonies en général », ou encore aux « cérémonies communes ». Dans un ordre qui n’a rien de rigide, l’office divin est généralement présenté ensuite, avant la messe. Les livres s’achèvent presque toujours par des développements sur des points particuliers, tels que les usages propres à certaines fêtes et, finalement, par les instructions relatives aux cérémonies non incluses dans l’office, mais tenant une place importante dans le culte, telles que les Offices des défunts ou les saluts du Saint-Sacrement. Cheminant de l’approche d’ensemble aux situations particulières, les livres du xviiie siècle semblent transcrire l’exigence croissante de rationalité de leur temps ; ils indiquent surtout que la fonction d’un cérémonial n’est plus alors de parer aux besoins les plus urgents en matière de célébration du culte, mais de donner des instructions pour en assurer la dignité et la solennité, à travers des règles générales qui se déclinent ensuite au fil du calendrier, en partant du cœur de l’opus Dei pour en gagner les confins paraliturgiques. Tous les cérémoniaux, à l’exception de celui publié par Jean de Vaugirauld pour le diocèse d’Angers au début de son épiscopat  21, contiennent pour le moins une préface, un avertissement ou une ordonnance de la main de l’évêque, ou de ses vicaires généraux, tous textes qui explicitent de diverses manières les intentions que mettent en avant leurs commanditaires  22 . Le thème d’une nécessaire uniformisation des usages apparaît régulièrement comme le premier mobile des prélats qui, à peu près tous, dressent en des termes sévères le constat de leur disparité 23. Si l’archevêque de Bourges se contente de relever en 1708 que « la plupart des églises de ce diocèse observent encore aujourd’hui des rites différents », le jugement porté est souvent beaucoup moins indulgent. En 1662, les vicaires généraux de Paris déclarent dans leur mandement avoir été informés qu’en de nombreuses églises de la ville et du diocèse, « en célébrant la sainte messe, les heures canoniales et autre service divin, on ne gardoit pas l’uniformité qui est requise […] et que chacun faisoit les cérémonies à sa mode, et introduisoit des coustumes nouvelles selon son esprit particulier » ; la préface qui suit insiste à son tour sur ce point et énonce l’obligation d’abolir « omnes, si fieri possit, corruptelas, abusus, pessimas consuetudines, errores, ignorantias, negligentias, necnon omnes alios ritus inauditos, incertos et insolitos  ». Près d’un siècle plus tard, le Cérémonial de Clermont redit en écho une volonté de réforme des « abus que la négligence ou le caprice auroient introduits », et celui de Lisieux refuse de tolérer plus longtemps la dissimilitudo. La plupart du temps, les prélats donnent pour origine de leur démarche

21   On a retenu 1731 pour année d’impression de ce livre à partir du privilège accordé à ce moment pour l’ensemble des livres liturgiques du diocèse ; mais sa date peut en réalité être plus tardive puisque les annexes font référence à un réglement royal de 1742 ; mais elles ne figurent peut-être que dans une seconde impression. Jean de Vaugirauld, évêque de 1731 à 1758, était chanoine de la cathédrale et vicaire général au moment de son accession au siège épiscopal. Il apparaît comme un « évêque austère et irréprochable, mais sans grande envergure » (Le diocèse d’Angers, F. Lebrun (dir.), Paris, Beauchesne, 1981, p. 146). L’absence d’épître dédicatoire dans le cérémonial pourrait résulter d’une préparation de l’ouvrage sous la responsabilité de Poncet de La Rivière, prédécesseur de Vaugirauld. 22   Toutefois, l’épître dédicatoire du cérémonial imprimé de la cathédrale de Metz, non signée, semble plutôt l’œuvre du chapitre. 23   La fréquente simultanéité de publication de plusieurs livres prescriptifs, déjà relevée, confirme cette attention épiscopale à la mise en ordre de pratiques jugées trop hétérogènes.

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l’expérience que leur a procurée l’exercice de leur charge. L’archevêque de Sens, qui veut lui aussi faire disparaître toute « conduite arbitraire », évoque le constat dressé lors de ses visites pastorales ; l’évêque de Langres, en 1729, ajoute que la demande lui a été présentée par de nombreux curés et vicaires. Les prêtres, écrit l’archevêque de Besançon, ne trouveront qu’avantage à une uniformité qui leur permettra d’observer plus aisément les règles de la célébration. La récurrence du thème inviterait presque à penser que les réformes n’allaient précisément pas d’elles-mêmes auprès d’un clergé que les prélats tentent ainsi de persuader de rompre avec ses habitudes, thème qui affleure dans le discours de l’archevêque de Besançon lorsqu’il écrit que la diversité des modes de célébrer le culte est liée à « une routine qui est contre toutes les règles ». Pour expliquer l’origine des disparités à bannir 24, le discours épiscopal se fait parfois plus précis et renvoie à des situations particulières. L’évêque de Toul propose ainsi un développement très argumenté dans lequel l’abandon des anciennes coutumes, qu’il a pu constater au cours de ses visites de 1688 et 1689, est attribué aux guerres qui ont frappé le diocèse : L’ordre […] en fut très altéré par les troubles et la confusion que causèrent dans la province les grandes guerres depuis l’an 1634. La plupart des églises ayant été pendant plusieurs années sans pasteurs, et les peuples étant dispersez, il n’y avoit presque point d’exercice public de la religion en plusieurs endroits. Lors donc que les paroisses commencèrent à se rétablir, personne ne se resouvenant presque plus des cérémonies qu’il avoit vu pratiquer, et peu de monde ayant la commodité de chercher et trouver dans les anciens livres ce qui étoit échapé de la mémoire, la plupart inventèrent et introduisirent des cérémonies à leurs manières 25.

Sans remettre en cause de telles explications, on peut toutefois penser que le véritable motif des disparités, rarement énoncé explicitement, est à chercher du côté de l’hétérogénéité des livres en usage à la suite de la diffusion de la liturgie romaine dans le courant du xviie siècle, alors que se maintenait aussi en d’autres lieux, voire dans une même institution, l’emploi des vieilles impressions locales datant de la première moitié du xvie siècle  26. Le cérémonial de Metz évoque clairement dans sa préface le fâcheux effet du mélange de pratiques d’origines diverses ; opposant la nécessité que « le culte que l’on rend, soit à Dieu,

  « Exulet non amplius toleranda dissimilitudo », écrivait l’évêque de Lisieux en 1747.   Mandement « aux chapitres, doyens ruraux, curez, vicaires […] », dans [Toul 1700]. On relèvera que les diocèses voisins de Toul et de Metz publient simultanément leurs deux cérémoniaux (Metz en 1697, Toul en 1700). 26   À titre d’exemple, on trouvera des indications à ce sujet, pour le diocèse de Clermont, dans la contribution suivante de Stéphane Gomis. En revanche, en Bretagne, les livres romains, dont la diffusion est encouragée par l’épiscopat, semblent s’imposer assez précocement dans les divers diocèses (Bruno Restif, La Révolution des paroisses. Culture paroissiale et Réforme catholique en Haute-Bretagne aux xvie et xviie siècles, Rennes, P.U.R., 2006, p. 203-204). Pour le diocèse de Lyon, un texte de 1702 date l’abandon de « l’ancien usage » d’une « trentaine d’années » et l’attribue à « la disette de livres » (Lettre d’un curé du diocèse de Lyon, qui explique les cérémonies de l’usage de Lyon, pour les offices publics des paroisses de la campagne, congrégations et autres assemblées, Lyon, P. Valfray, p. 1). 24

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soit à ses Saints, [soit] réglé, fixé et uniforme dans une même Église » et « les cérémonies de celle de Metz [qui] peuvent s’oublier à cause de la diversité des offices et des rites romain et messin dont elle sont composées  », le chapitre cathédral —  qui a pris l’initiative de la publication du cérémonial — dit redouter que cette situation puisse « causer dans la suite quelque confusion ». Le cérémonial permettra de la sorte que « les ministres puissent garder l’uniformité de leurs fonctions au service divin et que les cérémonies faites avec toute la décence et la majesté requises élèvent leurs esprits à Dieu et ceux des fidèles qui assistent aux sacrés mystères, et les portent à cet esprit intérieur qui est l’âme du véritable culte » 27. Indubitablement, la publication de cérémoniaux correspond d’abord à une volonté d’imposer des manières de procéder identiques ; l’obligation de recourir au livre publié par l’évêque, présente dans de nombreuses préfaces de cérémoniaux diocésains, de Paris en 1662 à Langres en 1775, traduit parfaitement cette exigence première d’usages uniformisés.

Grandeur et fonction du culte Le fondement d’une telle exigence est à rechercher dans la nature même du service divin, comme l’expose l’évêque de Clermont. La diversité, fruit de la fantaisie et de l’arbitraire, ne peut s’accorder pour les représentants de l’Église tridentine avec la décence et la solennité que requiert le culte  : «  Les cérémonies exactement observées —  écrit l’archevêque de Besançon — donnent de [la] gloire à Dieu, puis que ce sont des actes extérieurs de religion, par lesquels nous luy rendons publiquement le souverain culte qui luy est dû ». Plusieurs textes liminaires, tel le mandement du cérémonial de Langres de 1775, soulignent que l’Ancien Testament montre « avec quel soin Dieu a voulu prescrire lui-même au peuple qu’il s’étoit choisi toutes les parties du culte qu’il en exigeoit »  28 ; l’archevêque de Sens fait, de son côté, référence à « la loi que Dieu dicta à Moyse » et dans laquelle « il fixa lui-même la règle et l’ordre du culte public qui devoit lui être rendu par le peuple d’Israël » avec une minutie particulière : Il prescrit lui-même le nombre des ministres qui doivent le servir dans le Sanctuaire ; il établit entr’eux un ordre hiérarchique pour maintenir la subordination ; il entre dans les plus grands détails sur la forme de leurs vêtemens, sur les étoffes et les ornemens qui doivent les distinguer, sur les fonctions qu’il distribue à chacun d’eux […] Il fixe les fêtes qui seront célébrées par son peuple et explique jusqu’aux moindres circonstances des cérémonies qui en doivent relever l’éclat et les distinguer, selon leur plus grande ou leur moindre solemnité.

Toutes les qualités que l’archevêque de Sens relève dans le culte hébraïque ne sont pas sans évoquer la splendeur du culte du catholicisme baroque. Rien d’étonnant à cela : les exigences cérémonielles ne sauraient être inférieures sous la Nouvelle Loi, puisqu’elle surpasse et parfait l’Ancienne. Le thème de la préfiguration vétéro-testamentaire est aussi développé dans le cérémonial de Paris de 1703, ou encore dans celui de Lisieux :

  [Metz 1697], préface non paginée et sans nom d’auteur.   Le texte renvoie au Lévitique et au Deutéronome.

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Christianae [ceremoniae] longe sunt excellentiores, et ad Deum in spiritu et veritate adorandum aptiores ; et ideo, quo notus olim in Judaea Deus perfectius jam in orbe christiano dignoscitur ac colitur, eo accuratius in id incumbere nos decet, ut quae divini sunt cultus, studiose ac religiose tractentia 29.

L’insistance apportée à la légitimation des cérémonies extérieures, qui ne saurait surprendre dans des ouvrages destinés tout à la fois à les décrire et à les prescrire, trouve aussi sa justification — dans le contexte des xviie et xviiie siècles français — dans une volonté de réponse à la contestation protestante du ritualisme « papiste », puis à la critique janséniste du formalisme religieux, voire à la dénonciation philosophique des « mômeries » catholiques. Une nouvelle fois, c’est le mandement de Luynes, en ouverture du cérémonial de Sens, qui est le plus explicite : Dieu, écrit-il, a prescrit lui-même des rites extérieurs « pour confondre d’avance la fausse sagesse de ces hommes vains, insensés et présomptueux qui, dans la suite des siècles, oseroient soutenir que son culte étoit arbitraire ; que l’ordre, la majesté des cérémonies de ce culte étoient des observances vaines, minutieuses et qui, loin d’honorer la Divinité, la dégradoient  ». Le même texte, comme la plupart de ceux qui abordent ce thème, apporte toutefois un soin particulier à souligner l’union étroite entre culte extérieur et culte intérieur, qui se renforcent mutuellement : Le culte extérieur se manifeste au dehors par des actes de religion publics, comme les sacrifices, les cérémonies  ; et c’est ainsi que l’homme tout entier rend à la Majesté suprême l’hommage de son respect, de son amour et de sa dépendance, et que les fidèles s’édifient mutuellement en se faisant connoître les uns aux autres, par des signes sensibles, le culte intérieur qu’ils rendent à la Divinité 30.

Paris :

Déjà, un siècle plus tôt, Martin Sonnet écrivait, dans sa dédicace aux curés de Est enim externus cultus signum et manifestatio quaedam cultus interni, qualis est laus communis, et orationes publicae, quae per Ecclesiae ministros, ex persona totius populi fidelis Deo offeruntur, quo alii quoque, quatenus per ipsorum occupationes licet, ad laudes et gratiarum actiones excitentur.

La liturgie est volontiers présentée dans ces préfaces comme un moyen de l’instruction du peuple chrétien, en même temps qu’un stimulant de sa piété. Les cérémonies, selon l’évêque de Toul, « apprennent aux fidèles par les yeux ce que la parole leur apprend par les oreilles ». La formule, empruntée à Thomas d’Aquin, se retrouve sous la plume de l’évêque de Langres en 1775, qui ajoute que les conciles désignent ces mêmes cérémonies comme « les images de la foi ». Pour l’archevêque de Besançon, « elles édifient les peuples dont elles remplissent l’esprit d’admiration et le cœur de dévotion par le respect qu’elles leur impriment pour nos saints mystères ». C’est une raison supplémentaire pour que les ecclésiastiques

29   Le texte reprend et développe celui de Paris en 1703, où l’on lit : « Christianae sunt longe puriores, et ad Deum in spiritu et veritate adorandum aptiores » 30   Cette thématique occupe une place particulièrement importante dans le mandement de l’archevêque de Bourges.

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respectent scrupuleusement le cérémonial, ajoute-t-il : les « manquemens sont toujours un sujet de scandale pour les peuples, qui perdent toute l’estime qu’ils doivent avoir pour nos mystères, dès qu’ils voyent que les prêtres les célèbrent avec tant de précipitation et de confusion qu’ils paroissent faire des jeux plutôt que des sacrifices ». Au milieu du xviiie siècle, l’évêque de Lisieux reprend l’idée de scandale, mais surtout pour souligner — dans un contexte différent — que des cérémonies indignes confortent les impies : Verum caeremoniae composite et reverenter habitae quantum provocant ad pietatem, tantum, ubi perfunctorie et perturbate aguntur, sunt offensioni, cum sacratissima religionis nostrae mysteria impiorum ludibrio exponant, qui viderint ea ritu inconcinno populis exhiberi.

Lorsqu’ils traitent des enjeux du respect des règles du culte, plusieurs prélats — tel l’archevêque de Paris en 1703 — renvoient à une prédication de François Richardot, évêque d’Arras, devant les Pères du concile de Trente : Est quippe, ut cujusdam praesulis, cum ad tridentinos Patres verba faceret, vocibus utamur, praeclarus usus caeremoniarum in Ecclesia, idemque pernecessarius, modo scienter, attente, graviter procures, quibus plebs et docetur, si eas explices, et afficitur, si religiose serves : Eae siquidem non modo ad honorem Deo exhibendum valent, sed et ad populos erudiendos, pietatemque ipsis instillandam plurimum conferunt ; eo nimirum illae sunt consilio institutae, ut altissima religionis nostrae mysteria cuique attente perpendenti referant et quasi ob oculos ponant ; eaeque, ubi perturbate nihil in eas irrepserit aut inconsulto, sed in iis omnia composite gesta fuerint et mature, efficacissima sunt ad studium religionis in omnium animis accendendum incitamenta 31.

Le succès du texte de Richardot, utilisé principalement dans les pièces liminaires qui sont destinées particulièrement au clergé, s’explique par son insistance sur la responsabilité du prêtre dans l’acte liturgique. Le respect du cérémonial s’impose ainsi doublement  : condition indispensable pour que le prêtre remplisse pleinement l’obligation de louange divine dont il a la charge, il constitue aussi une dimension essentielle de l’exercice de la fonction pastorale. De la sorte, la perfection dans l’observance des rites n’est pas placée au rang des exigences formelles ou disciplinaires, mais acquiert le statut d’obligation fondamentale de « l’état de prêtrise », pour emprunter un vocabulaire bérullien. Aussi les paroles employées sont-elles généralement dures à l’égard des prêtres qui négligeraient de s’acquitter scrupuleusement de leur devoir cultuel. L’archevêque de Besançon prescrit un respect pointilleux de son cérémonial, « non seulement parce que rien ne doit être négligé de tout ce qui peut rendre vénérable nos saints mystères, mais encor parce que les moindres manquemens qu’on y fait ne peuvent être que très injurieux à Dieu, comme le seul exemple des deux enfans d’Aaron, Nadad et Abiu, qui furent dévorés par le feu, que la colère de ce juste juge alluma contre eux pour avoir manqué à une seule cérémonie de la loy, nous en est une preuve aussi convaincante que terrible ». Le Cérémonial de Paris de 1703 se fait lui aussi très menaçant à l’égard des prêtres qui feraient preuve de négligence dans l’accomplissement de rites :   On retrouve par exemple le nom de Richardot dans l’épître dédicatoire du cérémonial de Lisieux comme dans le mandement de [Langres 1775].

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Quanta igitur ad eas [caeremonias] discendas opus est diligentia, cum, ait Leo sanctissimus pontifex, vix ferenda sit in sacerdotibus excusatio, quae praetendat inscitiam ? quanta ad eas servandas sollicitudo impendenda, cum eae sint opus Dei, quo quidem, qui facit fraudulenter, inquit sacer contextus, sive, ut fert altera versio, negligenter, habendus est maledictus ? 32.

D’autres textes, plutôt que de stigmatiser les comportements indignes, développent un discours qui insiste sur l’exemplarité attendue du prêtre dans ses fonctions liturgiques et soulignent que son attitude suscitera alors la ferveur chez les fidèles. Martin Sonnet, dans son épître aux curés de Paris, leur adresse une pressante invitation : « Prae omnibus cultum illum interiorem animae et exteriorem corporis omnium abundantius exercetis, ita ut cum tam solemni et augustiore pompa divina officia in ecclesiis vestris celebratis, omnium animos in vestri admirationem rapiatis » 33. Un siècle plus tard, l’évêque de Langres, qui reprend la même thématique, fait explicitement référence à la théologie du prêtre médiateur, dont les fonctions cultuelles manifestent le statut d’agent de Dieu parmi les hommes ; insistant sur le « respect profond » que les ecclésiastiques sont en droit d’attendre des fidèles lorsqu’ils «  paroissent en nos Temples  », il leur indique que tout dépend de leur propre comportement : C’est en n’y paroissant vous-même, en n’y exerçant les fonctions de votre saint ministère, les cérémonies, les devoirs de la religion qu’avec la dignité, la majesté qui conviennent à ceux qui ont l’honneur d’être revêtus du sacerdoce, c’est-à-dire les envoyés du très-Haut, les ministres de sa puissance et de sa miséricorde et, s’il est possible d’ajouter à ces grandes et sublimes idées, les vicaires de la charité de Jésus-Christ et de son amour immense pour les hommes.

Ainsi, menaces, injonctions et exhortations visent toutes fondamentalement à souligner que la célébration du culte constitue le cœur de la fonction sacerdotale et le plus haut degré de sa dignité. Toute la vie du prêtre doit être pensée en vue de cette action, dont la valeur pour Dieu est largement tributaire de la vie des ministres qui l’accomplissent, comme l’écrit l’archevêque de Bourges : Acquitons-nous, mes très chers frères, de toutes nos fonctions, observant jusqu’aux moindres rits et jusqu’aux moindres cérémonies, avec la bienséance, la modestie, la gravité et l’ordre qui leur conviennent ; soyez surtout bien pénétrez de la maxime que nous avons établie pour fondement de tout ce qu’il y a de culte extérieur, qu’on ne sauroit honorer Dieu comme il faut, en tout ce qu’il nous a prescrit pour notre ministère, ou l’Église en son nom, si la bonne vie ne soutient par l’exemple toutes ces actions extérieures. Dieu voit le cœur, et il veut le cœur, sans cela tout ce qu’on fait pour lui n’est qu’un corps sans âme 34.

  Le texte cité avec deux versions (dont celle de la Septante) est celui de Jérémie, 48, 10. L’évêque de Toul renvoie de son côté à Grégoire le Grand qui assure, dans une lettre à l’évêque Boniface, que « l’ignorance ou l’inobservance des cérémonies seroit honteuse dans un prêtre ». 33   On trouve une injonction analogue dans [Bourges 1708], où l’archevêque rappelle aux prêtres, d’une manière générale : « Vous devez conduire et édifier dans les différentes fonctions de votre ministère le troupeau fidèle, et pour cela travailler sans relâche à vous en rendre le modèle par la pratique de toutes les vertus ». 34   Le mandement de [Langres 1775] souligne pour sa part, en s’adressant aux prêtres : « Ce ne serait pas assez de vous appliquer à l’étude des saintes cérémonies, de les observer même avec une scrupuleuse exactitude, si l’air de recueillement, de modestie, de sainte gravité qui doit accompagner un ministre des autels dans toutes ses 32

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Uniformisation du culte et autorité épiscopale Pour favoriser l’uniformité et la dignité requises, les cérémoniaux proposent très fréquemment une adoption des manières de célébrer en vigueur à la cathédrale. À Sens, les ecclésiastiques désignés « ont tenu un grand nombre de conférences, dans lesquelles ils ont constaté les cérémonies qui se pratiquent dans l’église métropolitaine ; elles ont servi de règle pour celles qui doivent être observées dans le diocèse, étant juste et convenable que les églises particulières se conforment (autant qu’il est possible) à ce qui se pratique dans l’église métropolitaine, le modèle et l’exemple de toutes les autres ». Un siècle plus tôt, le mandement des vicaires généraux de Paris ouvrant le Cérémonial de Martin Sonnet indiquait déjà qu’il « sera facile de garder l’uniformité, selon l’usage et les cérémonies de l’Église de Paris, à laquelle toutes les autres du diocèse se doivent conformer  ». Évidemment, une telle conformation aux usages de la cathédrale suppose, bien souvent, d’opérer dans les paroisses une sorte de réduction du ritus servandus tenant compte des moyens humains disponibles pour le culte  35. Le Cérémonial de Bourges est particulièrement attentif à cette question, jusque dans la structure de ses développements : Dans toutes ces parties [du volume], on explique premièrement les cérémonies qui se peuvent observer dans les églises où il y a un nombre considérable d’ecclésiastiques ; on marque ensuite de quelle manière on peut observer ces mêmes cérémonies dans les églises où il y a peu d’ecclésiastiques, et dans celles même où il n’y a qu’un curé, ou seulement un curé et un vicaire 36.

Il faut toutefois se garder de penser que le cérémonial offre toujours un décalque total de tous les usages de la cathédrale. Il n’est pas rare d’ailleurs que, de manière très explicite, les spécificités de cette dernière soient affirmées, avec la volonté de la distinguer de la loi commune, comme c’est le cas à Langres en 1775 : N’entendons au surplus comprendre dans ladite défense et le présent mandement notre église cathédrale, dont les rits particuliers, consacrés par un long et ancien usage doivent être conservés et sont vraiment dignes d’une de premières et des plus anciennes Églises des Gaules.

Le rapport, à l’évidence complexe, entre le modèle cathédral et le cérémonial diocésain témoigne bien des enjeux de la publication de ce livre. Les rites constituent un terrain d’affirmation de l’autorité de l’évêque sur l’ensemble de son diocèse, dans l’esprit tridentin. Leur uniformisation constitue une manière de dire que la liturgie n’échappe pas plus que les autres aspects de la vie religieuse au contrôle épiscopal. La nomination de directeurs du

actions, ne se faisait remarquer davantage dans la célébration des saints mystères, ou des autres prières et fonctions publiques, que le devoir de vos charges vous impose ». 35   À Toul, on sait que l’évêque Blouet de Camilly estime que le cérémonial publié par son prédécesseur en 1700 est trop développé et confus. Aussi, par un mandement de 1721 en fait-il un ouvrage de référence, lui substituant pour le quotidien une version résumée (Abbé Pierre-Étienne Guillaume, Histoire du diocèse de Toul et de celui de Verdun, t. 4, Nancy, Thomas et Pierson, 1867, p. 65). 36   [Bourges 1708], Avertissement.

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séminaire — institution très dépendante de l’évêque et fonctionnellement tournée vers l’homogénéisation du corps sacerdotal diocésain  — pour l’élaboration du cérémonial s’inscrit dans une telle stratégie de direction du diocèse, dont la cathédrale doit être considérée comme la tête ou le centre, et donc le modèle pour les cérémonies. Mais le culte célébré dans cet édifice dépend aussi largement d’usages sur lesquels veille jalousement le chapitre 37. Bien plus, celui-ci considère qu’il a un rôle de conseil épiscopal pour les questions liturgiques, fondé notamment sur sa fonction de gardien des traditions de l’Église locale, entendue à la fois — et non sans une ambiguïté entretenue — comme la cathédrale et comme l’ensemble du diocèse  38. On peut ainsi estimer que la désignation des prêtres chargés de revoir le cérémonial dépend dans bien des cas d’un rapport de force entre l’évêque et le chapitre. De la même manière, le parti de donner à la cathédrale le statut de matrice des cérémonies pour l’ensemble des églises du diocèse, ou au contraire de conservatoire d’une tradition locale à l’abri des prescriptions épiscopales, dépend sans doute de subtils équilibres entre l’évêque et son chapitre. Quelles que soient les solutions adoptées, c’est toujours des moyens et des limites de la progression du pouvoir épiscopal, tel qu’affirmé au concile de Trente, qu’informent les procédures choisies pour la révision du cérémonial 39. Cette question des rapports de pouvoir est rendue encore plus complexe par le fait qu’elle se croise avec celle de la place que l’évêque entend accorder aux traditions liturgiques locales, auxquelles les chanoines marquent un attachement généralement inentamable, plus affirmé en tout cas que celui du chef du diocèse. Dans certains cas, l’accord semble total et l’épuration liturgique se fait par conformation au modèle de la cathédrale, véritable refuge des pratiques les plus anciennes. C’est par exemple ce que déclare l’évêque de Lisieux dans une épître dédicatoire au clergé : Studuimus, paucis in melius mutatis, pretiosas ac venerabiles dioecesis nostrae ceremoniarum reliquias, in nostrae cathedralis ecclesiae promtuariis, quasi in profugio, a temporum injuria servatas, in unum colligere, et in omnium oculis ponere ; ut in ecclesia matre, aliisque totius dioeceseos ecclesiis, quantum fieri potent, unus ubique ritus ab omnibus servetur aequaliter.

Une démarche de ce type aboutit à une recharge de légitimité de certains usages locaux, différents de ceux de l’Église universelle. Il semble qu’au xviie siècle surtout les   Il serait intéressant de s’attacher à l’étude des modes de transmission des cérémoniaux des cathédrales à l’intérieur des chapitres. Parfois, il n’existe que des textes manuscrits anciens, comme à Autun où l’on écrit au père Lebrun au début du xviiie siècle : « On n’a point de cérémonial imprimé ; il y a seulement un ancien manuscrit que les sous-chantres gardent, et qu’ils suivent pour les cérémonies de l’office » (cité dans Marie Pellechet, Notes sur les livres liturgiques des diocèses d’Autun, Chalon et Macon, Paris, H. Champion, 1883, p. 46, n° 1). Ailleurs, on prend grand soin à remettre au propre, de manière ordonnée, l’ensemble des usages. Tel est le cas à Clermont, avec le fort manuscrit rédigé vers 1700 et attribué au chanoine Périer (voir la contribution de S. Gomis). 38   La révision des calendriers liturgiques permet souvent de vérifier cette pression des chanoines pour s’imposer comme représentants de l’ensemble de l’Église locale. Ainsi, l’évêque d’Autun, Gabriel de Roquette, désigne pour cette tâche une commission de six chanoines choisis au sein du chapitre, avec l’accord de celui-ci ; toutefois, la rédaction définitive, sur la base de ce travail, est confiée à l’official de Moulins (J.-Henri Pignot, Un évêque réformateur sous Louis XIV. Gabriel de Roquette, évêque d’Autun, sa vie, son temps et le Tartuffe de Molière, Paris, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1876, 2 vol. Ici, t. I, p. 337-338). 39   Sur le même thème on consultera aussi, infra, la contribution de Xavier Bisaro. 37

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évêques assument pleinement cette affirmation d’une identité locale, qu’ils justifient par les textes des Pères et des conciles. En ouverture du cérémonial de 1662, les vicaires généraux de Paris écrivent ainsi, en se fondant sur saint Augustin 40 et saint Grégoire le Grand : Quoy que la foy soit une en toute l’Église catholique, néantmoins ses cérémonies et coustumes sont différentes selon la diversité des lieux, et elle souffre volontiers que toutes les choses qui ne sont point contraires à la foy ny aux bonnes mœurs soient gardées et observées en chacune des Églises particulières qui la composent.

La discipline récente de l’Église, ajoutent-ils, a pleinement confirmé une telle approche : « Le saint concile de Trente, suivant ces maximes, a conservé les usages et louables coustumes de chacune Église et province », et la bulle de 1568 de Pie V autorise de s’écarter du bréviaire romain si les coutumes remontent à plus de deux cents ans  41. Le discours tenu dans le Cérémonial de Bayeux va dans le même sens : Quoy que l’Église de Jésus-Christ ne soit qu’une et qu’elle ne serve, en tous lieux où elle est répandue, qu’à un seul et même Dieu, on ne doit pas néanmoins s’étonner de voir qu’elle lui rende ses hommages par des cérémonies différentes.

Le même texte invite à distinguer la « sainte variété » du « dérèglement », soulignant ainsi à sa manière que la distance par rapport aux livres et usages romains, bien loin de cautionner une anarchie cérémonielle, correspond à l’affirmation d’une identité rituelle fondée sur l’héritage dont la cathédrale est le garant et le défenseur. Le cérémonial de Toul ajoute un autre argument de défense des particularismes liturgiques en soutenant que « la diversité […] des cérémonies qui se pratiquent dans les différentes églises, figurée par les divers ornements dont cette fille du roy est environnée, ne contribue pas peu à en relever la splendeur et l’éclat ». Quant au chapitre de Metz, promoteur du cérémonial de 1697, il propose au début de la préface du livre un rappel historique de la dignité de l’Église locale, depuis sa fondation qu’il fait remonter à l’an 47 par saint Clément en personne, avant d’expliquer un peu plus avant qu’il a voulu « conserver l’honneur » de celle-ci « en conservant les précieux restes de son antiquité » par « un nouveau recueil de toutes les cérémonies […] ainsi qu’elles s’y pratiquent de temps immémorial ».

40   Sur cette question, le texte de saint Augustin le plus fréquemment cité est sa réponse aux questions posées par Januarius, dans laquelle il écrit notamment qu’un « chrétien sage et avisé » observera « ce qu’il voit pratiquer dans l’Église où il se trouve » ; il explique par ailleurs avoir consulté saint Ambroise à propos des différences dans les règles du jeûne à Milan et à Rome et rapporte la conclusion de celui-ci : « Suivez ce qui se pratique dans l’Église où vous vous trouverez, si vous voulez ne donner de scandale à personne et que personne ne vous en donne » (Les lettres de saint Augustin, traduites en françois sur l’édition nouvelle des Pères bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, t. 1, Paris, J. B. Coignard, 1684, p. 246-247). 41   La préface latine du même ouvrage, destinée aux ecclésiastiques, reprend les mêmes thèmes : « Licet Deus unus sit, diversis tamen modis, ritibus et caeremoniis ac laudabilibus consuetudinibus diversorum regnorum, provinciarum, regiorum et dioecesum ab Ecclesia praescriptis colendus est : quamvis enim, in universo orbe christiano divina officia celebrandi in Ecclesia cum augustiore pompa et solemnitate semper viguerit usus, non idem nihilominus ubique servatus est modus et ritus ».

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Ainsi le respect marqué par ces cérémoniaux à l’égard des antiques coutumes des cathédrales traduit-il — directement ou non — l’attente qui est alors celle des chapitres. Peut-être les dernières décennies du xviie siècle pourraient-elles représenter une période où leur quête de reconnaissance de leurs usages trouve des alliés dans des évêques désireux de remettre de l’ordre et de faire prévaloir l’idée d’une unité du diocèse autour de la cathédrale. Le développement de l’érudition ecclésiastique, à la même période, favorise ce mouvement en fournissant des clercs pris de passion pour la recherche des anciens textes et des antiques usages locaux. Parlera-t-on pour autant d’un mouvement gallican ? La distance prise avec le rit romain et la justification du particularisme liturgique inviteraient à conclure en ce sens, d’autant que l’époque est celle de la parution des premiers bréviaires néo-gallicans et de la Déclaration des Quatre Articles  ; la publication d’un cérémonial du diocèse de Besançon huit ans seulement après la réunion de la Franche-Comté à la France pourrait aussi constituer un indice en ce sens. Mais l’examen attentif des ouvrages ultérieurs invite à considérer l’histoire des cérémoniaux de manière plus complexe, puisque ceux qui sont publiés au xviiie siècle ne rendent pas compte du renforcement du néo-gallicanisme. Bien au contraire. Déjà en 1700, le cérémonial de Toul reproduisait des pages entières du Manuel des cérémonies romaines dans la partie consacrée à la messe basse. En 1769, dans une formulation non dépourvue d’ambiguïté, le Cérémonial de Sens assimile pour sa part l’héritage rituel ancien de la cathédrale aux traditions de l’Église universelle : Nous nous sommes informés des rits, cérémonies et usages observés dans les différentes églises de ce diocèse ; et après les avoir comparés aux rits, cérémonies et usages consacrés dans l’Église universelle par une vénérable antiquité, et religieusement conservés dans notre Église métropolitaine, nous avons trouvé qu’il y avoit plusieurs abus à réformer.

Enfin, de manière tout à fait explicite, l’auteur du cérémonial de Langres expose en 1775 la méthode qu’il a suivie dans son travail de révision. Il explique ainsi qu’il a trié parmi les usages locaux, dont tous ne méritaient pas d’être conservés, et qu’il a « supprimé […] toutes ces pratiques marquées au cours de la nouveauté et souvent aussi bizarres qu’obscures dans leurs origines ». Puis il dévoile les principes qu’il a mis en œuvre pour combler les vides causés par le rejet de cérémonies ou l’absence de documents : il y a « suppléé par la richesse et la magnificence du rit romain ». On constate ainsi que les cérémoniaux, loin d’entrer dans l’arsenal néo-gallican, peuvent prendre partiellement appui sur la liturgie romaine, notamment chez des prélats — tel Albert de Luynes à Sens 42 — qui adoptent des positions hostiles au jansénisme. De manière tout à fait claire dès lors, la publication d’un cérémonial apparaît comme une traduction de l’activité normative de l’évêque et non d’une orientation spirituelle ou liturgique. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, la moindre concession aux anciens usages de la cathédrale, désormais passés à un crible plus fin excluant tout ce qui offense la raison ou le bon goût, reflète de nouvelles exigences en matière de culte. Elle indique aussi que le rapport de force entre l’évêque et son chapitre a changé : désormais le second ne peut que difficilement résister aux projets de réforme liturgique du premier. Tout au plus la cathédrale, comme nous l’avons vu, obtient-elle le privilège de conserver certaines

  Abbé H. Bouvier, op.cit., p. 402 sqq.

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de ses coutumes  ; pour les cérémonies des paroisses, elle perd son statut de référence privilégiée.

❦ De diverses manières, les objectifs des cérémoniaux diocésains apparaissent ainsi pour partie communs avec ceux des autres livres liturgiques qui leur sont contemporains, mais aussi spécifiques pour une autre partie. Comme l’ensemble des publications relatives au culte, les cérémoniaux traduisent la forte exigence de solennité des cérémonies qui traverse l’âge baroque et retiennent pour maîtres mots la décence, la dignité, voire la majesté, qui doivent faire naître respect et dévotion dans le cœur des fidèles. Parmi les ennemis auxquels il s’attaquent, figure en bonne place la disparité, fruit de l’arbitraire et de la fantaisie, qui prive le culte de solennité et estompe sa sacralité. D’où une incessante exigence d’ordre et d’uniformité, dont les cérémoniaux constituent un outil privilégié, tandis que missels et bréviaires arrêtent la liste de ce qui doit être récité et chanté, le moment et la manière de le faire. Comme cela apparaît dans beaucoup d’entre eux, les cérémoniaux visent principalement à préciser les modalités d’adaptation des règles générales du culte à chaque église, en tenant compte des moyens disponibles, depuis les plus grandes cathédrales disposant de nombreux clercs, de chanteurs et d’instruments, jusqu’aux plus petites églises rurales. Parce qu’ils abordent ainsi quasi exclusivement les manières de procéder sans toucher au contenu des célébrations, ils sont moins directement en prise avec les conflits autour des réformes néogallicanes. Leur publication peut donc se situer dans des contextes liturgiques extrêmement variés, depuis la totale fidélité à la liturgie romaine jusqu’à l’adoption des livres parisiens de Vintimille. Cette distance à l’égard des combats du néo-gallicanisme inscrit clairement la finalité des cérémoniaux diocésains dans le champ du renforcement de l’autorité épiscopale, dont ils traduisent l’extension au domaine des pratiques liturgiques. La diversité qui se rencontre, selon les dates et les lieux, dans des modalités d’élaboration de ces livres, comme dans les clauses d’exception ou d’intégration de la cathédrale à la loi commune, traduit une inégalité des rapports de force entre le chapitre cathédral et l’évêque. Les débats autour de l’adoption des nouveaux livres liturgiques en rendent également compte ; mais peut-être est-ce avec les cérémoniaux, moins affectés par les débats idéologiques relatifs à la définition de la tradition, que se donne le mieux à lire le cheminement d’un pouvoir épiscopal conforme à la conception tridentine. Bernard Dompnier Université de Clermont-Ferrand, Institut universitaire de France

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Les livres liturgiques et les cérémoniaux de « l’Église de Clermont » aux xviie et xviiie siècles Quels sont les matériaux à la disposition du chercheur désireux de retracer les évolutions des rites liturgiques ? Tout d’abord, l’étude des cérémoniaux référencés ès qualité semble s’imposer. Pourtant, en dépit de sa richesse, il semble difficile de se satisfaire de cette seule source. Le recours aux autres livres liturgiques qui touchent à l’organisation des cérémonies s’avère donc indispensable. Cette enquête s’inscrit dans le cadre du diocèse de Clermont. Sous l’Ancien Régime, il s’agit d’une vaste entité géographique de près de huit cent cinquante paroisses, qui s’étend du nord au sud depuis Souvigny jusqu’à Mauriac. Au cours de mes investigations, l’une de mes préoccupations a été d’analyser les différentes articulations entre liturgie romaine et liturgie clermontoise ou pour le moins revendiquée comme telle. Tout d’abord, il m’a paru nécessaire de présenter les principales sources sur lesquelles il est possible de s’appuyer. Puis, je m’intéresserai plus particulièrement à une entreprise liturgique des années 1650, la parution des nouveaux Bréviaire et Missel. Enfin, pour illustrer très concrètement mon propos, j’évoquerai plus spécifiquement la célébration de l’Ascension et celle de la Fête-Dieu.

Les sources Deux cérémoniaux, propres au diocèse de Clermont, sont bien connus. Il s’agit, d’une part, d’un cérémonial manuscrit de la cathédrale datant de la fin du xviie siècle et du début du siècle suivant  ; d’autre part, d’un cérémonial imprimé en 1758. Le premier de ces documents s’intitule : « Rubriques générales qui s’observent dans l’église cathédrale de Clermont écrites l’année 1698 » 1. Cependant, une autre mention trouvée dans le corps du texte indique également la date de 1703. Il s’agit d’un gros registre in folio bien calligraphié. Le cérémonial se compose de trois parties, selon un plan qui peut sembler assez classique. La première partie est consacrée aux fêtes de chaque classe, à comment procéder « lorsque Mgr l’Evêque officie » ou bien lorsqu’il s’agit « d’une fête solennelle ». La seconde partie concerne les fêtes fixes envisagées selon chaque mois de l’année. Enfin, la troisième partie s’intéresse aux fêtes mobiles, en commençant par le mercredi des Cendres. À chaque étape de la rédaction, la principale préoccupation de l’auteur est de donner une description la plus   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 3 G Supp. 31, 572 p.

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complète possible du déroulement des offices, de la messe et du rituel qui y préside dans l’espace interne de l’édifice, mais aussi à l’extérieur, par exemple lorsqu’il importe de décrire le déroulement de certaines processions. Jusqu’à présent, le rédacteur de ce manuscrit passait pour être l’un des chanoines, le chantre Périer. Dignitaire du chapitre cathédral, chargé notamment de veiller à la solennité des offices divins, ce personnage était, très logiquement, le plus compétent pour rédiger ce recueil. J’ai pu établir cependant que l’artisan du cérémonial n’était pas le chanoine Périer mais son confrère Joseph Julien (1657-1719), chantre entre 1691 et 1719, autrement dit à l’époque de la rédaction du manuscrit 2. Le second de ces documents est le Cérémonial imprimé en 1758 à l’initiative de Mgr François-Marie Le Maistre de La Garlaye. Son titre exact est : Cérémonial du chœur selon les rits et usages de l’Église de Clermont, adapté aux églises collégiales, paroissiales communautés séculières et séminaires du diocèse imprimé par ordre de Monseigneur François-Marie Le Maistre de La Garlaye […] et du consentement du Chapitre de ladite Église de Clermont. Outre une table des matières, cet ouvrage de 422 pages est muni d’un index très précieux 3. Comme l’affirme le prélat dans sa préface : « Ce n’est pas seulement pour l’utilité de l’Église cathédrale qu’on l’a fait imprimer : on a en vûë de le rendre utile à toutes les autres Églises. » De fait, il est prescrit aux ecclésiastiques du diocèse de se servir de cet ouvrage, à l’exclusion de tout autre.

2   Cette assertion se fondait légitimement sur une annotation rédigée sur la couverture du cérémonial, libellée en ces termes : « Jean-Blaise Rochette, chanoine de la cathédrale de Clermont offre […] ce présent manuscrit du cérémonial de Clermont fait par M. Périer, grand chantre, à Clermont ce jeudi 2 mai 1810  ». Une conclusion hâtive aurait pu désigner ici Louis Périer, le neveu de Blaise Pascal, fils de Gilberte Pascal et de Florin Périer. Mais il n’en est rien. En effet, si Louis Périer (1650-1713) fut bien chanoine de la cathédrale à l’époque de la rédaction du cérémonial, il n’occupa jamais les fonctions de chantre (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 85 et Albert de Remacle, Dictionnaire généalogique. Familles d’Auvergne, Clermont-Ferrand, A.R.G.H.A., 1995, t. 3, p. 104-105. La liste des chantres du chapitre cathédral est donnée par Ambroise Tardieu, Histoire de la ville de ClermontFerrand, Moulins, Desrosiers, 1870-1871, t. 1, p. 254-255. Elle m’a été confirmée par Nathalie Da Silva, que je remercie vivement). En fait, l’ecclésiastique dont il est question est Antoine Périer (1679-1744), de Saint-Mesmin, issu d’un lignage homonyme. Celui-ci a bien été chantre du chapitre cathédral. Cependant il a occupé cette charge entre 1719 et 1744 (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, ibid. et A. de Remacle, op. cit., t. 3, p. 105-107). Il ne peut donc pas être le maître d’œuvre d’un document qui porte la date de 1698. L’artisan du cérémonial est donc, selon toute vraisemblance, Joseph Julien (1657-1719), chantre entre 1691 et 1719 (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 65 et A. de Remacle, op. cit., t. 2, p. 253-254). Dans ces conditions, comment expliquer le contenu de la note rédigée en 1810 ? La réponse se résume à une histoire de familles. En effet, Antoine Périer n’est autre que le neveu de Joseph Julien duquel il reçut son canonicat ainsi que la dignité de chantre. Lorsque plus d’un siècle plus tard, JeanBlaise Rochette (1756-1815) fait don du manuscrit au chapitre, il est fort probable qu’il ait désigné « M. Périer » comme auteur en ayant à l’esprit Louis Périer, dont le patronyme était associé au prestige de son illustre parent. Par ailleurs, il semble que notre donateur avait lui-même reçu en héritage ce registre de son oncle, Jean-Jacques Rochette, chantre de l’église cathédrale dans les années 1770 (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 93 et A. de Remacle, op. cit., t. 3, p. 228-235). Aujourd’hui, la confusion n’est plus possible. Le cérémonial de la cathédrale de Clermont de 1698 doit désormais retrouver le nom de son auteur légitime, le chantre Joseph Julien. Par ailleurs, il est à noter qu’en 1713, ce dernier « désirant contribuer a maintenir la majesté de l’office divin et recompenser l’assiduité des choristes et habituez a matines » fait une donation en faveur du chapitre cathédral (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 3G-Armoire 6-supplément F-cote 7). 3   Cf. Liste-Index infra, [Clermont 1758].

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Plus récemment, j’ai découvert dans les archives du Grand séminaire, conservées à la bibliothèque diocésaine, deux autres ouvrages. Le premier est une copie très soignée, de 136 pages, réalisée vraisemblablement au xixe siècle d’un document en latin du xviie siècle. Une annotation nous enseigne que ce cérémonial est l’œuvre d’un chanoine de la cathédrale, Claude Burin (vers 1615-1691)  4. Selon lui, cet ouvrage, qu’il qualifie de Directorium chori ecclesiae claromontensis, doit servir à « ceux que l’experiance du chœur n’aura pas randu assez capable  ». Par ailleurs, le chanoine-chantre Burin s’est employé à un travail de compilation comme il l’explique fort bien : « les manuscrits que nous avons par le soing de plusieurs de nos prédécesseurs ne s’accordent pas en tout, je me suis résolu par cet ouvrage […] de suppléer aux défauts qui peuvent se rencontrer […] et de concilier tous les écrivains qui m’ont précédé sur ce subject »  5. Le second manuscrit est un cérémonial à l’usage du séminaire de Clermont du début du xviiie siècle. Pourvu d’un index thématique, il rassemble près de 600 pages. Il se divise en deux grandes parties. La première (de 381 pages) s’intéresse aux cérémonies communes et générales, la seconde (de 217 pages) aux cérémonies propres 6. Pour être tout à fait complet, je me dois de signaler l’existence d’un ouvrage imprimé à Clermont en 1691 dont le titre est le suivant : Cérémonial à l’usage des religieuses hospitalières de l’ordre de S. Augustin, établies dans le diocèse de Clermont-Ferrand 7. Faute d’avoir eu le temps d’analyser plus précisément ces dernières sources, je ferai essentiellement référence aux cérémoniaux de 1698-1703 et de 1758. Selon l’expression très suggestive de Bernard Plongeron, deux concepts essentiels caractérisent les rites liturgiques en usage sous l’Ancien Régime : « uniformité et diversité » 8. Ce postulat peut paraître bien paradoxal. Pourtant, ces mots définissent parfaitement l’histoire d’usages complexes. Pour l’Église catholique, l’uniformité liturgique est un moyen d’affirmer son caractère universel. Pourtant, jusqu’aux décisions du concile de Trente, la plupart des diocèses possédaient des usages qui leur étaient propres. Aussi parle-t-on du bréviaire ou du missel « à l’usage du diocèse de ». C’est seulement à la suite des réformes inspirées par l’assemblée conciliaire, mais que celle-ci n’avait pu réaliser, que le pape Pie V se fait l’artisan de la réforme liturgique. Pour ce faire, il nomme une commission préparatoire. Ces travaux conduisent à la promulgation de la bulle Quod a nobis. La volonté clairement affichée est de parvenir à unifier, autant que faire se peut, les liturgies ayant cours dans toutes les paroisses du monde catholique. Les évêques, après avoir obtenu le consentement unanime du chapitre de leur cathédrale, peuvent donc adopter purement et simplement la liturgie   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 27.   Bibl. dioc., A 200092, volume relié ayant pour titre : « Cérémonies extraordinaires (1670-1698) ». Il renferme également une copie du cérémonial de 1698-1703, qui a le mérite de présenter une table des matières complète, contrairement à l’original. 6   Bibl. dioc., A 200236. 7   Bibl. dioc., A 201065, Imprimerie Damien Boujon, 105 p. (n. de l’éd. : ce « cérémonial » est en réalité un rituel ; cf. Jean-Baptiste Molin et Annik Aussedat-Minvielle, Répertoire des rituels et processionnaux imprimés conservés en France, Paris, éditions du CNRS, 1984, notice 1902, p. 418). 8   Bernard Plongeron, « Diversité et uniformité des liturgies gallicanes au xviiie siècle », Fiestas y liturgia, Madrid, 1988, p. 271-289. 4 5

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réformée. Toutefois, il est prévu que les églises, dont l’ancienneté du rite est au moins biséculaire, pourront conserver leurs livres. Pour ce faire, la condition requise consiste à les corriger conformément aux principes qui inspirent la révision romaine. Il importe donc de se conformer aux éditions du Bréviaire et du Missel romains, publiés respectivement en 1568 et en 1570 9. Dans le diocèse de Clermont, ces prescriptions trouvent leur application dans les années 1650, soit près d’un siècle plus tard. Jusqu’alors, le contexte des guerres de religion et les soucis disciplinaires avaient empêché les prélats auvergnats de s’intéresser de près aux questions liturgiques 10. Cependant, on doit relever qu’en 1584, lors de la réunion d’un concile provincial, chargé de préparer l’exécution des décrets tridentins, les représentants du diocèse de Clermont avaient opté pour la conservation de leur ancienne liturgie. Ce choix était avant tout celui du Chapitre cathédral. En effet, le siège épiscopal se trouvait alors vacant du fait du décès de son titulaire Antoine de Saint-Nectaire, le 15 septembre de la même année. Son successeur, le futur cardinal François de La Rochefoucault, ne devait prendre possession de son évêché que le 7 octobre 1585. Or, depuis les débuts du xviie siècle, les livres romains se sont répandus partout sur le territoire diocésain. La diffusion massive de la liturgie romaine s’explique notamment par le fait que les impressions du Missel et du Bréviaire disponibles sont relativement anciennes. La dernière édition du premier date de 1554 11, celle du second de 1557  12. Quant au Rituel, Guillaume Duprat en avait ordonné la réimpression en 1550  13. De fait, les exemplaires utilisés sont souvent en mauvais état. En outre, la typographie en caractère gothique a fort mal vieilli et ne correspond sans doute plus au goût du temps. Par ailleurs, les techniques d’impression de l’époque avaient ménagé l’espace avec parcimonie et multiplié les abréviations et les renvois. Bref, l’ensemble de ces ouvrages était d’un usage fort peu commode. Dans ces conditions, le dilemme qui se pose à l’autorité diocésaine est de parvenir, comme l’affirme encore en 1758 Le Maistre de La Garlaye, à rendre « uniforme dans toutes les Églises la pratique des mêmes rites et cérémonies ». Comme nous allons le voir cette exigence n’a pas toujours été facile à imposer.

Une entreprise liturgique d’envergure : le Bréviaire et le Missel de Louis d’Estaing Le 14 août 1629, dans une requête adressée à l’évêque Joachim d’Estaing, les chanoines de la collégiale Saint-Étienne de Cébazat, près de Clermont, sollicitent l’autorisation d’introduire l’office du concile de Trente alors que depuis leur érection, ils ont « observé l’office selon l’ordre de Clairmont […] soit pour les messes, heures, vespres, matines, que   Voir Nicole Lemaitre, Saint Pie V, Paris, 1994, p. 179-198.   Comme, par exemple, les nombreux conflits entre l’évêque et le chapitre cathédral ; voir Louise Welter, La Réforme ecclésiastique du diocèse de Clermont au xviie siècle, Clermont-Ferrand, De Bussac, 1956, p. 45-48. 11   Insignium ecclesiarum Claromontis atque Sancti Flori missale,[Clermont, Jean Durand], 1554. 12   Breviarum secundum usum insignum ecclesiam Claromontis atque Sancti Flori, recens impressum atque defoecatum, [Thiers, Robert Masselin], 1557. 13   A. Aussedat-Minvielle, J.-B. Molin, Répertoire des rituels et processionnaux, op. cit., p. 127-129. 9

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pour le reste de l’office divin. Pour autant, leurs dicts livres sont presques tous biffés et deschirés […] et il ne se peust trouver aulcuns livres de telle impression ». Le résultat est « que la pluspart des chanoines […] tiennent l’office et usage du concile de Trente en leur particulier, ce qui apporte du dommage au service divin d’aultant qu’ils s’absentent dudict office pour dire le leur séparément ». Et d’ajouter, « que mesme la plupart des esglises [du] diocèse ont prins l’office dudict concile pour estre plus clair, concis et plus aisé à tenir que celuy de Clairmont  ». Le 24 août suivant, l’autorisation leur est donnée de «  célébrer collégialement les offices divins et en leur particulier, conformément aux livres réformés par le décret du concile de Trente 14 ». En 1648 encore, les chanoines de la collégiale Saint-Cerneuf de Billom obtiennent du même évêque la permission « de se servir doresnavant du psaultier, cérémonial et rituel de concille de Trente, tant pour le cœur en offices ordineres et solemnels que pour le récit particulier du brévaire ». Les raisons invoquées sont sensiblement de la même nature que celles de leurs confrères : « les psaultier, cérémonial ou livre de cœur sont tellement effacés et déchirés qui leur est impossible de bien ponctuer et prononcer les parolles, poincts et pauses marqués dans les antiens rituels » 15. Globalement, Joachim d’Estaing ne semble pas avoir vu ce changement d’un mauvais œil. Dans leur édition de 1620, les statuts synodaux indiquent à propos du viatique : « On apportera le livre rituel ou celuy du concile de Trente, aux lieux où de nostre permission l’office est célébré à l’usage dudit concile ou celuy de Clermont » 16. De fait, le mouvement est assez général dans le diocèse, mais également dans un grand nombre de diocèses français 17. Afin d’avoir une idée plus précise de la situation, j’ai réalisé un sondage parmi les procès-verbaux de visites pastorales des années 1652-1656 au moment même où paraissent les nouveaux Bréviaire et Missel. Or il s’avère que 160 curés sur 172, soit 93% d’entre eux, déclarent pratiquer le rite romain et seulement 12, soit 7%, disent être restés fidèles au rite clermontois. Dans ces conditions, on pourrait penser qu’il eût été plus sage d’adopter purement et simplement la réforme de Pie V. Pourtant, dès son accession au siège épiscopal de Clermont survenue en 1650, Louis d’Estaing, frère de Joachim, s’emploie à réviser les livres liturgiques ad romani formam. Dans un premier temps, l’ordonnance synodale du 5 juin 1653 précise les intentions du nouvel évêque : Une des choses qu’avons jugé plus importante pour la gloire de Dieu, si tost qu’avons esté promeus à l’Épiscopat, a esté la reformation des divins offices, et dés lors avons avec consolation entendu les prières qui nous furent faictes par nostre clergé, de réformer et faire imprimer le Bréviaire du diocèse, Messel, et autres livres du chœur : Pourquoy du consente-

  Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 14 G 52 (liasse n°7), en date du 14 août 1629, autorisation datée du 24 août.   Ibid., 12 G 3, autorisation du 6 avril 1648. 16   Canons synodaux statuez par R. Père en Dieu Messire Joachim d’Estaing, évêque de Clairmont, Clermont, 1620. 17   A. Aussedat-Minvielle, J.-B. Molin, op. cit., p. 12-13. Voir également Plain-chant et liturgie en France au xviie siècle, J. Duron (dir.), Versailles, CMBV, 1997. 14 15

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ment de nostre chapitre cathedral, et de nostre ordonnance, desja l’ouvrage dudit Bréviaire est bien advancé, et en peu de jours aura sa perfection, châcun s’en pourvoira, afin que les Églises et les particuliers, en la récitation des heures Canoniales soient conformes, et que par la conformité de leur chant, ils rendent plus parfaictement leurs hommages religieux à l’unité de Dieu, et à la société des divines personnes 18.

En effet, il s’agit donc d’une part, du Bréviaire édité en 1654 19 ; d’autre part, du Missel paru en 1656  20. Comme l’affirme le prélat dans les différentes préfaces de ces ouvrages, l’objectif poursuivi est double. Tout d’abord, la volonté clairement affichée est la recherche de l’unité. En effet, comme le déplore l’évêque, privé d’éditions récentes du rite clermontois, le clergé s’est vu dans l’obligation d’avoir recours à des usages « étrangers », sous-entendu romains. Pourtant, dans le même temps, cette entreprise est présentée comme une œuvre de réforme. Ainsi, l’une des principales préoccupations est de réviser les leçons et de retoucher de nombreux passages, dans l’esprit des livres romains. Mais, par ailleurs, cette réfection est aussi l’occasion de réaffirmer certains éléments traditionnels de la liturgie locale. On perçoit ici combien il est important de donner satisfaction aux chanoines du chapitre cathédral, très attachés aux pratiques anciennes et très impliqués dans cette opération. Indéniablement, ces derniers ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration et la concrétisation de ce projet. Ainsi, en 1651, parmi les huit membres de la chambre ecclésiastique, six sont issus du premier des chapitres diocésains. Le 6 septembre de cette année, ceux-ci ratifient un contrat passé le 6 juillet précédent entre le chanoine Claude Burin et Nicolas Jacquard, maître imprimeur à Paris, pour l’impression du Bréviaire de Clermont  21. Nous sommes là quinze jours à peine après la nomination de Louis d’Estaing, intervenue le 19 juin précédent. C’est dire l’empressement avec lequel quelques-uns s’emploient à tout mettre en œuvre pour préserver certains rites diocésains. Claude Burin est de ceux qui font du chapitre cathédral une « citadelle du passé » 22. En effet, comme beaucoup de ses confrères, il se montre plus conservateur que le reste du clergé diocésain. N’écrit-il pas dans la préface de son cérémonial que « l’office de ceste église [cathédrale] requiert estre fait exactement

18   Canons synodaux du diocèse de Clermont, revus, corrigés et augmentés par Révérend Pere en Dieu Louis d’Estaing, evesque dudit Clermont, Clermont, Nicolas Jacquard, 1653, p. 276-285. 19   Breviarum claromontense […] Ludovici d’Estaing Claromontensis episcopi autoritate […] editum [Clermont, Nicolas Jacquard], 1654. 20   Missale claromontense, […] Ludovici d’Estaing Claromontensis episcopi autoritate […] editum [Clermont, Nicolas Jacquard], 1656. 21   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 2 G 23 f° 17, « Registre et ordonnances du clergé du diocèse de Clairmont », du 3 novembre 1647 au 10 juin 1659. Un autre contrat a également été signé avec Jehan Gasnyère, maître graveur, en date du 14 juillet (il s’agit de Jean Ganière ou Gagnière, graveur au burin et éditeur à Paris, mort en juin 1666, d’après E. Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Paris, Gründ, 1966, t. 4, p. 150). Pour de plus amples informations concernant l’imprimeur N. Jacquard, voir Pierre Egullion, Imprimeurs, libraires et relieurs du bas-pays d’Auvergne et du Puy-de-Dôme, 1491-1939, ClermontFerrand, Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts, 2000. 22   Selon l’expression de Bernard Plongeron, La vie quotidienne du clergé français au xviiie siècle, Paris, 1974, p. 113.

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selon les usages que nos prédécesseurs ont laissé depuis tant de siècles et que ce seroit un crime inexpiable d’y rien innover […] afin que l’office soit conservé dans son ancien esclat ». Dans cette perspective, il est donc entouré de membres éminents du Chapitre cathédral. Aux côtés de Claude Burin, on remarque la présence de Jacques Pereyret. Ce docteur en théologie, ancien « Grand maître au collège de Navarre », est un personnage clé des deux épiscopats successifs des frères d’Estaing 23. Quatre autres de ses confrères sont également gradués de l’Université. Ce sont les chanoines Damien Vernet, docteur en théologie  24 et François Champflour, licencié en droit canon et civil 25. Quant à Mathieu Bélisme 26 et à Jean Bellot, ils sont respectivement bacheliers en droit canon et en théologie. Ce dernier est, en fait, doyen du Chapitre de Chamalières et syndic du clergé 27. En outre, afin d’être tout à fait exhaustif, il importe de mentionner la présence de Jacques Ducroc, prévôt du Chapitre cathédral 28 et de dom Charles Charretier de Rouvignac, abbé d’Ébreuil 29. Néanmoins, tirés l’un et l’autre à 2500 exemplaires, le Bréviaire et le Missel se vendent mal. En 1656, à la suite de récriminations de ces « Messieurs de la chambre ecclésiastique », l’évêque décide que les bénéficiers « seraient contraints de se procurer les nouveaux livres sous peine de saisie de leur temporel et qu’il serait procédé envers les contrevenants comme pour un refus de paiement de décimes » 30. Cependant, cette mesure semble être restée lettre morte. En effet, les procès-verbaux de visites pastorales de l’année 1698 informent que 154 curés sur 207, soit 74,4% continuent à utiliser les livres romains pour 53, soit 25,6%, qui déclarent se servir des nouveaux livres du diocèse  31. La liturgie purement romaine reste donc toujours largement majoritaire. De fait, la chambre ecclésiastique rencontre les plus grandes difficultés pour écouler les impressions de 1654 et de 1656. Cela en dépit des injonctions répétées des autorités auprès du clergé, afin qu’il se conforme aux nouveaux Bréviaire et Missel. En définitive, il revient à l’évêque Jean-Baptiste Massillon de reprendre le dessein de son prédécesseur et de l’imposer cette fois aux plus récalcitrants 32. Nommé à Clermont en

  Sur ce Billomois, à la personnalité bien affirmée, voir notamment L. Welter, op. cit., p. 39-43 et 153-157.   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 107. 25   La famille Champflour a donné un grand nombre de chanoines au chapitre cathédral (A. de Remacle, op. cit., t. 1, p. 413-422 et A. Tardieu, op. cit., t. 2, p. 205-209). Sur ce lignage important, voir la généalogie accompagnant cet article. Notons, par ailleurs, que nous possédons un processionnal sur parchemin à l’usage du chanoine Gilbert Champflour né en 1663 (BCIU de Clermont-Ferrand, Ms. 1979, 100 p.). 26   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 17. 27   Ibid., 6 F 18. 28   Ibid., 6 F 46. 29   Ibid., 6 F 95 et Abbé Boudant, Histoire de la ville, du château et de l’abbaye d’Ébreuil, Moulins, 1865, p. 46. 30   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 2 G 23. 31   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 1 G 971-1115, procès-verbaux de visites pastorales. 32   Toutefois, il semble que François Bochart de Saron-Champigny (1687-1715) ait envisagé de réformer le bréviaire, sans succès cependant. En effet, cet évêque n’a pas édité un nouvel ouvrage, resté apparemment à l’état de projet. Il se contenta simplement de faire entrer « les offices de quelques saints nouvellement canonisés », voir Abbé C. Ossedat, Mgr Bochart de Saron, évêque de Clermont, Riom, Jouvet, 1914, p. 133-134 et les mentions consacrées à ce sujet par dom Jacques Boyer, Journal de voyage (1710-1714), Clermont-Ferrand, 1886, p. 41, 154 et 202, pour les années 1710, 1711 et 1712. La rédaction de ce projet aurait été confiée notamment à Damien Vernet 23 24

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1717, le célèbre prédicateur entreprend la rénovation du bréviaire puis du missel. La publication du premier intervient en 1732  33, celle du second en 1739  34. Jusqu’alors l’objectif poursuivi avait consisté à toiletter les rites afin de les débarrasser de leurs manifestations les plus contraires à la décence du culte. C’est toute l’œuvre de réformation du xviie siècle lorsqu’on s’emploie à faire disparaître telle ou telle représentation trop vivante. Au xviiie siècle, la réforme se veut plus radicale. Par exemple, à propos de la célébration de Noël, Massillon est amené à supprimer totalement les deux pastorales qui jalonnent cette fête. Il semble donc faire fi des usages traditionnels, trop profanes à son goût. Par là même, il s’inscrit dans le mouvement des liturgies néo-gallicanes pour lesquelles ce type de manifestations «  populaires  » est véritablement synonyme de désordres et d’indécences  35. Dans sa présentation du Bréviaire, il rappelle combien chaque prêtre se doit de lire quotidiennement cet ouvrage. Il ajoute que la prière publique est le canal le plus ordinaire et le plus fécond de toutes les grâces que Dieu répand sur les peuples ; et on ne sauroit trop ou en éloigner tout ce qui peut distraire l’esprit et dessécher le cœur, ou y rassembler tout ce qui est le plus capable de fixer l’un, et d’attendrir et d’enflammer l’autre. C’est ce que nous nous sommes proposé dans la composition de ce nouveau bréviaire : tout ce qui ne nous a pas paru convenir à la décence et à la dignité de l’office public, nous l’avons retranché : nous y avons substitué les endroits des livres saints et des pères qui nous ont paru les plus propres à nous instruire de nos devoirs, ou à exciter en nous ces mouvements tendres et vifs de repentir […]. Nous n’avons rien laissé de fabuleux, ni même de douteux dans la vie des saints que l’Église nous propose pour modèles et pour l’objet public de notre culte : ils nous ont laissé des exemples si certains et si incontestables de toutes les vertus, que l’Église n’a pas besoin de recourir à des faits supposés pour nous rendre ces héros de la religion respectables : les religions humaines ont eu besoin que l’esprit humain y ajoutât du merveilleux pour les soutenir ; mais la vérité n’a besoin que d’elle-même. Nous avons préféré, dans cette multitude de bienheureux, ceux qui ont sanctifié cette province par leur sang, par leurs exemples, et par leurs travaux apostoliques ; ou ceux que cette province, si féconde autrefois en saints ouvriers, a donné à d’autres églises. Il étoit juste de revendiquer un bien qui, nous appartenoit, le fruit heureux de la terre que nous habitons, et de partager, avec les lieux qu’ils ont illustrés par l’éclat de leur sainteté, les avantages de leur protection ; ce sont des intercesseurs que notre église a donnés au ciel, et elle est en droit de les réclamer.

(1665-1740), chanoine du Chapitre de Saint-Genès depuis 1692 et bachelier en théologie (Arch. dép. du Puy-deDôme, 6 F 107). 33   Breviarum claromontense, […] J-B. Massillon Claromontensis episcopi autoritate […] editum [Clermont, Pierre Boutaudon], 1732. 34   Missale claromontense, […] J-B. Massillon Claromontensis episcopi autoritate […] editum [Clermont, Pierre Boutaudon], 1738 [1739]. Pour une présentation des missels de cette époque, voir Pierre Jounel, « Les missels diocésains français du 18e siècle », La Maison-Dieu, n°141, 1980, p. 91-96 et Gaston Fontaine, « Présentation des missels diocésains français du 17e au 19e siècle », La Maison-Dieu, op. cit., p. 97-166. 35   Liturgie néo-gallicane ou romano-française comme le suggère certains spécialistes, voir Pierre Journel, « Les sources liturgiques anciennes et les missels français du xviiie siècle », Histoire de la messe, xviie-xixe siècles, J. de Viguerie (dir.), Angers, Université d’Angers, 1980, p. 67-80. Consulter également Henry Leclercq, « Liturgies néo-gallicanes », dans Dictionnaire d’archéologie et de liturgie chrétienne, F. Cabrol et H. Leclercq (dir.), Paris, 1930, t. 9-2, col. 1636-1729.

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De fait, la matière principale de l’ouvrage est constituée par l’Écriture sainte, les Pères de l’Église, quelques récits hagiographiques, des hymnes en vers. Les fêtes sont soigneusement cataloguées et les vies des principaux saints de l’Auvergne sont présentées brièvement. La principale originalité de l’ouvrage tient sans doute dans ses litanies de la Vierge tirées des seules Écritures  36. Les registres de délibérations de la chambre ecclésiastique donnent à nouveau la liste des membres de la commission chargée de « travailler à la composition du Bréviaire » 37. Elle est composée de sept clercs et d’un laïc. Ce dernier, « Monsieur Faucher », est le maître de musique de la psallette 38. Tout naturellement, il s’est appliqué à la composition du « plein-chant ». Les autres sont tous chanoines, sinon de la cathédrale pour trois d’entre eux, du moins de l’une des principales collégiales de la ville, à savoir Notre-Dame du Port et Saint-Genès. Tous ont fait des études universitaires : quatre sont docteurs en théologie et deux sont licenciés en théologie. Le moins gradué est maître-es-arts de l’université de Paris. En 1738, l’un d’entre eux, Antoine Moranges se voit même décerner des «  lettres de decennium » de la Sorbonne pour avoir étudié à l’université de Paris pendant dix ans et plus. Il convient de signaler tout particulièrement la présence d’un autre membre de la famille Champflour, Jean-Baptiste, alors abbé du chapitre cathédral. Il est fait évêque de Mirepoix en 1737 39. Venons-en plus spécifiquement maintenant à la description de certains rites qui se pratiquent le jour de l’Ascension et à l’occasion de la Fête-Dieu.

L’Ascension et la Fête-Dieu Inscrite jusqu’alors parmi les fêtes dites solennelles, l’Ascension gagne en solennité dans le Bréviaire de 1654 puisque Louis d’Estaing l’érige en fête solennelle annuelle. Massillon, quant à lui, va distinguer entre les annuelles majeures et mineures. C’est ce dernier degré qui va être assigné à l’Ascension. L’un des usages les plus caractéristiques de cette fête est celui de la procession solennelle qui précède la grand’messe. Instituée au moins depuis le vie siècle, son déroulement est détaillé dans le Missel de 1656. Il est repris également dans les cérémoniaux de 1698-1703 et de 1758. Ainsi, pour constituer la tête du cortège, on choisit tout d’abord quatre jeunes gens « des plus distingués par leur naissance et leur beauté ». Revêtus de tuniques, trois d’entre eux, placés en tête de la procession, sont chargés de porter des étendards ; le quatrième se voit confier « une corne d’ivoire ». L’usage qui veut qu’on porte processionnellement cet objet très particulier semble propre au diocèse de Clermont. Dans la deuxième moitié du

  Aimé Richardt, Massillon (1663-1742), Tournai, In fine, 2001, p. 156-157.   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 2 G 29, f° 73v°, « Registre des délibérations de la chambre ecclésiastique du diocèse de Clermont en Auvergne », délibération du 3 décembre 1732. 38   Nathalie Da Silva, Le chapitre cathédral de Clermont et l’Opus Dei au xviiie siècle (1691-1791), mémoire de maîtrise, Clermont II, 1992. 39   Les autres « Messieurs qui ont travaillé à la composition du bréviaire » sont : Étienne Baptiste, chanoine de Saint-Genès (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 15), Gabriel Cognot (Ibid., 6 F 36), François de Combes (A. de Remacle, op. cit., t. 1, p. 545), Antoine Moranges (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 79), Antoine Périer de SaintMesmin (voir note 2) et Joseph Vialles (Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 6 F 109). 36 37

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xviiie siècle, Joseph Micolon de Blanval (1730-1792), docteur en théologie, chanoine de la cathédrale en 1758 40, écrit à ce sujet les lignes suivantes : Pendant les jours de la Semaine sainte, pendant lesquels on ne sonne pas les cloches, le clergé était appelé jadis, à l’office, par le son d’un instrument fait de la dent d’un éléphant qui avait la figure d’une corne, travaillée en ciselure avec le plus grand art. Cet instrument n’avait rien d’ailleurs qui put inspirer le respect religieux avec lequel on le portait processionnellement par la ville le jour de l’Ascension sur un plat couvert d’un voile précieux. C’était un chanoine qui devait le porter de façon à le rendre visible à tout le peuple […]. Ce chanoine devait être aussi distingué par sa figure que par sa naissance ; quiconque n’avait pas le mérite de la noblesse et les charmes de la beauté, les agréments de la jeunesse, était exclu de ce ministère, qui n’a cessé qu’en 1732, lorsque Massillon renouvela la liturgie de l’Église de Clermont.

On aura noté que les jouvenceaux ont disparu. En effet, le Cérémonial de 1698 nous apprend que les porteurs d’étendard sont désormais choisis parmi les membres du baschœur, tandis qu’un chanoine a la responsabilité de porter la fameuse corne d’ivoire. Le monde des clercs, sans rejeter cette pratique, a donc décidé de la prendre en charge. Le plus surprenant est, si l’on suit le chanoine Micolon, que le chanoine en question devra toujours être de noble naissance et avoir belle figure ! Puis, au cours du xviiie siècle, la référence à la corne disparaît. Elle est totalement absente du Cérémonial de 1758. Il semble bien en effet qu’elle n’ait pas franchi le cap des réformes engagées par Massillon. Pour quelles raisons une telle mise en scène ne survécut-elle pas aux toilettages successifs de la liturgie traditionnelle ? En fait, en la matière, l’explication fournie par le même Micolon de Blanval semble être la plus plausible : Ceux qui veulent rendre raison de cet usage, disent qu’il avait été établi pour exprimer les chants de triomphe qui avaient accompagné l’Ascension du Sauveur, suivant le verset du psaume : Ascendit Deus 41.

Il s’agit du verset 6 du psaume 46 : Ascendit Deus in jubilatione et Dominus in voce tubae. Ce dernier est très présent tout au long de l’office. On le chante même solennellement au début de la procession. L’idée d’une trompette qui retentit est donc en quelque sorte inséparable de l’Ascension, tout comme la procession symbolise la marche de Jésus se rendant à la montagne. Au xviie siècle, on a cessé de faire résonner l’ivoire mais on continue à le porter triomphalement devant les reliques et le clergé 42. Puis, au siècle suivant, cet usage

  Ambroise Tardieu, Grand dictionnaire biographique du Puy-de-Dôme, Moulins, Desrosiers, 1878, p. 76 et du même auteur, Dictionnaire des anciennes familles de l’Auvergne, Moulins, É. Auclaire, 1884, col. 234-235. 41   Marcellin Boudet, La légende de saint Florus et ses fables (additions aux nouveaux Bollandistes), ClermontFerrand, Bellet, 1897, p. 76-77. 42   Selon toute vraisemblance cet objet est celui qui est conservé dans les collections du musée d’art RogerQuilliot de Clermont-Ferrand sous l’appellation « olifant ». Il s’agit d’une défense d’éléphant évidée, sculptée de bandes décoratives à ses extrémités. Elle daterait de la seconde moitié du xiie siècle - début du xiiie siècle. Voir notamment, E. Vimont, « Quelques feuillets détachés du catalogue du musée de Clermont-Ferrand », Revue d’Auvergne, n°1, 1892, p. 1-16. Je remercie vivement Mme Caroline Roux, directrice du musée, pour m’avoir communiqué les pièces du dossier concernant cette fameuse « corne ». 40

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est regardé désormais comme un témoignage contraire à cette nécessaire décence, qui doit être un « gage de respectabilité aux yeux des fidèles », selon les mots de l’ordinaire. Par ailleurs, à la suite de ce petit cortège, on trouve le diacre d’office, un sous-diacre, des thuriféraires, des diacres porteurs de croix, les prêtres porteurs de reliquaires, puis l’officiant. La procession descend la nef, sort par la porte nord qui s’ouvre sur le cloître, pour pénétrer dans la chapelle de saint Jean-Baptiste. C’est dans ce lieu que le célébrant procède à la bénédiction des pains. Puis, on rejoint la cathédrale pour la célébration de la messe. Les pains bénits sont distribués pendant cette dernière. Cette pratique est décrite en 1698, mais également en 1758, de la façon suivante : « Après l’élévation les deux baisles s’en doivent aller dans la sacristie avec les deux encients choristes du haut chœur pour porter les pains bénits qu’on appelle les michettes [terme jugé sans doute trop familier, il disparaît en 1758]. Ils doivent entrer au chœur au commencement de l’Agnus Dei. Un des baisles avec le choriste […] s’en vont au maître-autel sur lequel M. le baisle met dix tables de pains à savoir : quatre pour M. le célébrant, autres quatre pour le diacre et sous-diacre et deux pour le diacre et sous-diacre servant ». Les deux baisles descendent ensuite dans le chœur « suivis de deux hauts choriers qui leur présentent la corbeille aux pains, en font la distribution d’abord aux deux proviseurs, ensuite aux dignités et puis à tous les autres, suivant l’ordre qui s’observe à l’aspersion de l’eau bénite ». Pour évoquer à nouveau le thème de la théâtralisation de certains épisodes de la liturgie, il est intéressant également de voir ce qui se passe au moment de la procession de la Fête-Dieu. Cette évocation pose aussi à nouveau la question des sources qui permettent d’appréhender l’histoire « de ce culte extérieur si nécessaire », selon l’expression de l’évêque La Garlaye, même si ce dernier cherche à le codifier autant que faire se peut. Ainsi, dans ce cas de figure, les différents livres liturgiques ne disent rien des pratiques qui portent parfois les contemporains à représenter de façon très « réaliste » certains épisodes de l’histoire sainte. Dans une ordonnance prise en 1636, Joachim d’Estaing remontre aux chanoines de sa cathédrale l’indécence et le mauvais ordre des processions générales es jours de la Feste-Dieu, leur aurions fait entendre n’estre point séant que tout le corps du clergé estant en chappes vint à délaisser le Saint-Sacrement, pendant que entre ledict corps du clergé marchoient nombre d’autres personnes du peuple, après lesquels venaient plusieurs artisans ou laboureur, ensuite les pélerins de saint Jacques et encore ceulx qui représentaient les apostres avec habitz desguisés, fausses chevelures, barbes et armes immédiatement devant le Saint-Sacrement. Ce meslange de laïques les uns en habits communs, les autres en habits desguisés parmi les ecclésiastiques rendait la sollennité plaine de confusion 43.

Plus d’un siècle plus tard, en 1745, plusieurs procédures intentées contre le curé de Montferrand mettent également en cause sa manière d’organiser la procession de la FêteDieu. Celle-ci est composée de scènes très vivantes où l’on voit des « jeunes filles habillées en vierges, des enfants habillées de différentes couleurs et d’autres spectacles qui attirent la   Arch. dép. du Puy-de-Dôme, 1 G 1304, f° 108-109 r°, Registre des insinuations ecclésiastiques, ordonnance du 14 août 1636. 43

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curiosité plus qu’ils n’excitent la dévotion du bas peuple »  44. Au-delà de leur caractère anecdotique, ces différents épisodes montrent les réelles difficultés, rencontrées par les partisans de la Réforme catholique, pour faire cesser des manifestations restées très populaires.

❦ Cette évocation de quelques pages de l’histoire des cérémonies clermontoises démontre combien celles-ci constituent un bon point d’observation de l’évolution des pratiques dévotionnelles. On voit comment peu à peu, sous l’effet de l’œuvre de la Réforme catholique, les rituels les plus naïfs et les plus profanes reculent puis finissent parfois par disparaître du paysage liturgique. En effet, tout ce qui peut nuire à l’ordre et à la discipline, autrement dit chaque cérémonie ou mise en scène dont l’organisation s’oppose à la décence de l’Opus Dei, est systématiquement retranché du cérémonial. En la matière, les rénovations effectuées au xviie siècle donnent le ton. Près d’un siècle plus tard, Jean-Baptiste Massillon se contente de parachever le travail entrepris par ses prédécesseurs. Il reste encore beaucoup à faire pour comprendre tous les mécanismes qui régissent le cérémonial. Cela dit, il semble que les termes utilisés par Bernard Plongeron pour caractériser la vie liturgique, « uniformité et diversité », doivent toujours guider la réflexion du chercheur. Le constat vaut particulièrement lorsqu’on s’interroge en terme de spécificités de la liturgie clermontoise. Ainsi, les particularités de « l’Église de Clermont » semblent surtout propres à la cathédrale même si, avec le Cérémonial de 1758, celle-ci s’érige en modèle. Mais un modèle largement privé de ses aspects les plus originaux. Stéphane Gomis Université de Clermont-Ferrand

  Ibid., 7 G 22, Mémoire de 1766, avec une référence à une ordonnance du sénéchal d’Auvergne du 4 mai 1745, « pour les chanoines contre les maire et échevins de Clermont-Ferrand et Me Jean Soulhat curé de Saint-Robert de Montferrand ». 44

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ANNEXE Les principaux artisans du Bréviaire et du Missel de Louis d’Estaing (1651-1656) BELISME Mathieu (+1680) Chanoine de la cathédrale (depuis 1631) Prévôt du chapitre de Vertaizon (1603-1652) Bachelier en droit canon BELLOT Jean Doyen du chapitre de Chamalières (1647-1652) Chantre du chapitre de Notre-Dame du Port Syndic du clergé (depuis 1651) Prieur de Boudes Bachelier en théologie BURIN Claude (°vers1615-+1691) Chanoine de la cathédrale (nommé avant 1651) Chantre du chapitre (1663) Official, théologal (1684) Vicaire général (1685) CHAMPFLOUR François (°1611-+1682) Abbé du chapitre (depuis 1637) Chanoine de la cathédrale (1627) Licencié en droit canon et civil

CHARRETIER de ROUVIGNAC Charles Abbé d’Ébreuil (depuis 1624) Aumônier du roi (avant 1624) Vicaire général de l’abbé de La Chaise-Dieu (avant 1624) DUCROC Jacques (+1678) Prévôt du chapitre cathédral Vicaire général Abbé commendataire de Saint-Gilbert-deNeuffontaines (depuis 1643) PEREYRET Jacques (°vers1590-+1658) Vicaire général, official, (1651-1658) Chanoine de la cathédrale Grand maître au collège de Navarre (1635-1651) Docteur en théologie Licencié en droit VERNET Damien (+1671) Chanoine de la cathédrale Docteur en droit canon

« Messieurs qui ont travaillé à la composition du Bréviaire » de Jean-Baptiste-Massillon (1732) BAPTISTE Étienne (°1657-+ca1735) Chanoine du chapitre de Saint-Genès (1692) Chanoine du chapitre de Notre-Dame du Port (1691) Maître-es-Arts de l’Université de Paris CHAMPFLOUR Jean-Baptiste (°1683-+1768) Abbé du chapitre cathédral (1703) Vicaire général (1717-1729) Évêque de Mirepoix (1737) Docteur en théologie COGNOT Gabriel (+vers1745) Doyen du chapitre de Notre-Dame du Port (1711) Chanoine du chapitre de Vertaizon (1693) Prévôt du même chapitre (1709) Licencié en théologie

COMBES François (de) (°1665-+1740) Abbé du chapitre de Saint-Genès (1693) Docteur en théologie MORANGES Antoine (°1704-+après1750) Chanoine de Notre-Dame du Port (1731-1742) Curé de la cathédrale (1742-1750) Licencié en théologie PÉRIER de SAINT-MESMIN Antoine (°1679-+1744) Chantre du chapitre cathédral (1719) Chanoine de la cathédrale (1710) Chanoine de Chamalières puis de Notre-Dame du Port (1701) Docteur en théologie

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VIALLES Joseph (°vers1671-+1753) Chanoine de la cathédrale (1712) Chantre du chapitre cathédral (1744) Docteur en théologie

Monsieur FAUCHER Maître de musique de la cathédrale (1719-1738) « Compositeur du plein-chant »

Généalogie simplifiée de la famille CHAMPFLOUR Gérard CHAMPFLOUR (°1578-+1662) Avocat en Parlement, conseiller à la Cour des aides x 1602 Michelle Tailhandier au moins treize enfants dont : Jean CHAMPFLOUR (°1607-+1662) Visiteur général des gabelles, conseiller à la Cour des aides x 1632 Marie Fayet au moins seize enfants dont :

François CHAMPFLOUR (°1611-+1682) Chanoine de la cathédrale (1627) Abbé du chapitre (1637)

Blaise CHAMPFLOUR (°1643-+1692) Écuyer, conseiller à la Cour des aides x 1680 Hélène Delaire au moins sept enfants dont :

Gérard CHAMPFLOUR (°1633-+1697) Chanoine de la cathédrale Doyen du chapitre (1659) Vicaire général (1682)

Étienne CHAMPFLOUR (°1646-+1724) Chanoine de la cathédrale Abbé du chapitre (1682) Vicaire général (1687) Évêque de La Rochelle (1703)

Jacques CHAMPFLOUR (°1680-+1745) Écuyer, conseiller à la Cour des aides x 1712 Marie Vidal au moins sept enfants dont :

Gérard CHAMPFLOUR (°1682-+1753) Chanoine de la cathédrale Doyen du chapitre (1719) Abbé du chapitre (1737)

Jean-B. CHAMPFLOUR (°1683-+1768) Chanoine de la cathédrale Abbé du chapitre (1703) Vicaire général Évêque de Mirepoix (1737) Docteur en théologie

Étienne CHAMPFLOUR (°1714-+1797) Écuyer, procureur général à la Cour des aides x 1739 Marguerite-Antoinette de La Porte au moins huit enfants dont :

Jean-B. CHAMPFLOUR (°1720-+1798) Chanoine de la cathédrale Prévôt du chapitre (1759) Vicaire général (1746)

Jacques CHAMPFLOUR (°1742-+1814) Écuyer, conseiller au Conseil supérieur x 1774 Marie-Élisabeth Henry au moins cinq enfants

Martial CHAMPFLOUR (°1746-+?) Chanoine de la cathédrale Vicaire général (1784)

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Bigarrure et contradiction : cérémonial cathédral et stratégies ecclésiastiques face au rite parisien L’adoption du Bréviaire et du Missel parisiens par plus de cinquante diocèses français à partir de 1736 suggère une large palette de modes d’étude. Dom Guéranger par exemple inaugura en son temps une approche ecclésiologique qui installa durablement une perception schématique de ce phénomène. Il serait également envisageable d’analyser précisément le contenu des déclinaisons provinciales des livres parisiens, de tenter une typologie de leurs procédures d’adoption, mais encore d’en déterminer l’influence sur la pratique quotidienne des chapitres cathédraux et sa codification, i.e. leur cérémonial. Or, si cet angle d’étude de la diffusion du rite parisien est peut-être le plus insaisissable, il est également un des plus parlants historiquement. La transformation de cérémoniaux cathédraux au contact d’une liturgie nouvelle constitue en effet un facteur d’exacerbation de plusieurs antithèses structurelles (province/capitale, chapitre/évêque) ou ecclésiologiques (pérennité/réformisme). La question particulière du cérémonial ajoute à ces thématiques l’opposition entre usus transmis oralement et codification écrite, ou bien entre le cérémonial comme objet manuscrit et sa diclinaison imprimée. Moins conceptuellement, les discussions suscitées à cette occasion révèlent une gamme d’attitudes individuelles ou en corps permettant une autre voie de connaissance de l’évolution du milieu capitulaire à la fin de l’Ancien Régime. En définitive, le défi de l’extranéité que posa la liturgie parisienne à de nombreux chapitres provinciaux présente un fort potentiel historiographique que cet article se propose d’aborder en s’appuyant principalement sur les archives de trois grands chapitres cathédraux — Lyon, Toulouse et Chartres 1 — dont les stratégies seront analysées en regard du contexte général de crise de l’identité capitulaire au xviiie siècle.

1   Ces cas particuliers permettent d’aborder trois statuts clairement différenciés dans leur rapport au siège parisien : un suffragant (Chartres), un chapitre métropolitain géographiquement éloigné et de fondation relativement récente (Toulouse), un chapitre primatial (Lyon) pouvant concurrencer en prestige et en droit le chapitre cathédral parisien.

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De Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de France Il serait imprudent de tenter en quelques lignes une définition de l’ensemble des tenants et aboutissants de l’adoption des livres parisiens en province. Il n’en demeure pas moins nécessaire de rappeler que le constat fait en son temps par dom Guéranger 2 appelle de nombreuses nuances dès l’abord statistique de cette question. En fait, ce sont un peu moins de soixante diocèses français qui célèbrent en 1789 selon le Bréviaire et le Missel parus sous Mgr de Vintimille 3, soit presque 45% des diocèses français constituant un gros tiers des paroisses du royaume. Ce mouvement, initié dès la publication parisienne de ces livres, connaîtra une forte croissance après 1762 : symboliquement, l’expulsion des jésuites ouvre la période de plein développement du recours à des livres qu’ils combattirent sévèrement. Dans le contexte concurrentiel des liturgies néogallicanes, ce succès de la liturgie parisienne s’explique d’abord par le contenu du Bréviaire de Vintimille : il cristallise en effet nombre des attentes du clergé capitulaire d’alors. Textes scripturaires, leçons corrigées, hymnes d’une latinité irréprochable et calendrier aux orientations gallicanes affirmées caractérisent l’office parisien à partir de 1736. Mais ces particularités, partagées par nombre des livres réformés à partir de la fin du xviie siècle, ne sauraient expliquer à elles seules un tel succès. La faveur des livres parisiens repose en effet sur l’aboutissement d’un processus entamé bien plus tôt : Paris, devenu archevêché, n’aura de cesse d’endosser de facto le caractère d’une primatiale 4. Capitale spirituelle de la France des Bourbons 5, foyer principal du jansénisme et du gallicanisme, siège de la Sorbonne, autant d’éléments attirant l’attention des chanoines de province vers toute production émanant du siège épiscopal parisien. Le préjugé envers les livres parisiens était d’autant plus favorable que les adopter revenait à s’approprier un peu du prestige de Notre-Dame de Paris, en passe de devenir dès cette époque « Notre-Dame de France ». Or, l’aura de cette cathédrale provenait en partie de son cérémonial qui, outre ses spécificités, renvoyait à ce que le passé gallican proche pouvait avoir de plus enviable. En effet, si les derniers Bréviaire et Missel parisiens furent

  « Il suffira de dire que partout où cette adoption eut lieu, on fondit le calendrier et le propre diocésains avec ceux de Paris, et qu’on mit en tête du Bréviaire et du Missel le titre diocésain, le nom de l’évêque qui faisait cette adoption, et une lettre pastorale composée d’ordinaire sur le modèle de celle de Vintimille. » ; dom Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, t. II, Paris-Bruxelles, Société générale de librairie catholique, 1880, p. 329. Plus récemment, Bernard Plongeron proposa également une description de la diffusion des livres parisiens manifestement fautive lorsqu’il décrit les provinces entières de Tours, Reims et Sens comme conquises par ce rite (cf. Paris — Une histoire religieuse des origines à la Révolution, B. Plongeron (éd.), coll. « Histoire des diocèses de France », t. I, Paris, Beauchesne, 1987, p. 339). 3   Breviarium Parisiense, Paris, Sumptibus suis ediderunt Bibliopolae Usuum Parisiensium, 1736, 4 vols. ; Missale Parisiense, Paris, Sumptibus Bibliopolarum Usuum Parisiensium, 1738. 4   Cf. le constat fait par Pierre Blet, « L’Église de Paris et les Gondi », Huitième centenaire de Notre-Dame de Paris, Paris, J. Vrin, 1967, p. 357. 5   Après la timidité témoignée par les Capétiens directs et les Valois, les Bourbons installeront Notre-Dame au centre de la symbolique royale. À compter du Vœu de Louis XIII (1638), la présence royale tendra à s’effacer à la cathédrale de Reims et à l’abbaye de Saint-Denis alors que Notre-Dame deviendra « le monument obligé des grandes cérémonies bourboniennes » (Alain Erlande-Brandenburg, « Notre-Dame de Paris », Les lieux de mémoire, t. III, Paris, Gallimard, 1997, p. 4193). 2

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publiés en des temps agités sous l’épiscopat d’un archevêque à la réputation contrastée, le Cérémonial parisien, paru en 1703 sous Mgr de Noailles, était l’œuvre d’une Église encore indemne des querelles de l’Appel, l’œuvre d’un archevêque au rayonnement incontesté, l’œuvre d’un Chapitre en passe d’achever une vaste campagne de travaux tridentinisant le chœur et la nef de Notre-Dame au point d’en faire un modèle aussi discutable pour notre prudence patrimoniale qu’indiscuté à l’époque  6. Dès lors, par assimilation de l’image du sanctuaire à son cérémonial, dans un siècle pressenti par les chapitres comme celui de tous les bouleversements, la rigueur de la pratique cantorale à Notre-Dame apparaît bien souvent comme une référence. Parmi tant d’autres, l’abbé Lebeuf souligna la dimension référentielle du sanctuaire parisien en décrivant notamment le maintien de l’horaire des matines à minuit alors que la tendance générale favorisait ailleurs le décalage de cet office en fin de nuit  7. Finalement, l’image développée dans le Traité du même Lebeuf, faisant de la « célébre Église de Paris » un conservatoire de la culture cantorale  8, était durablement ancrée dans les esprits. Par conséquent, sans toujours accepter intégralement la forme du Cérémonial de Notre-Dame, les émules provinciaux tenteront de bénéficier, à l’occasion de l’adoption du Bréviaire parisien, de l’ardeur à la fois conservatrice et réformatrice du Chapitre de la capitale : à son exemple, des chanoines envisagent dès lors de retrouver l’accès à des usages tombés dans leurs diocèses en désuétude  9. Même si certains signes discordants semblent

  L’image de Notre-Dame se répand jusque dans les ouvrages dénués de toute ambition historiographique : « Cette Église, qui est la cathédrale & métropole de cette ville, est sans contredit une des plus anciennes de toute la France ; son architecture, quoique gothique, a quelque chose de si singulier & de si délicat, qu’elle a toujours passé pour la plus belle du royaume : elle est remarquable par la hardiesse de sa structure, par sa grandeur & la commodité de sa distribution. » ([abbé de Montjoie], Curiosités de l’Église de Notre-Dame de Paris avec l'explication des tableaux qui ont été donnés par le corps des orfèvres, Paris, Cl.-P. Gueffier, 1753). Cf. également le jugement de Marc-Antoine Laugier (Essai sur l’architecture, Paris, Duchesne, 1753) cité par Jules Corblet, L’Architecture du Moyen Âge jugée par les écrivains des deux derniers siècles, Paris, A. Pringuet, 1859, p. 29. 7   « Quoique la Confrérie des Matines ne subsiste plus, l’Église de Paris ne laisse pas d’être exacte à les chanter toute l’année, à quelques jours près, à l’heure de minuit ; et elle a pris de sûres mesures pour perpétuer cette louable pratique de célébrer à cette heure-là l’office nocturne, et de transmettre ce pieux usage à la postérité dans tous les siècles futurs. » ; Jean Lebeuf, Histoire de la Ville et de tout le Diocèse de Paris, t. I, Paris, Féchoz et Letouzey, 1883, p. 13. Pour d’autres traits du cérémonial du chant parisien, cf. dans ce même volume l’article de Sébastien Gaudelus et Xavier Bisaro. 8   Lebeuf tente d’y démontrer l’existence d’une « attention qu’a toujours eu la célèbre Église de Paris pour que ses écoles de chant fussent florissantes. » (Jean Lebeuf, Traité historique et pratique sur le chant ecclésiastique, Paris, Cl.-J.-B. et J.-T. Hérissant, 1741, chapitre I, p. 14). 9   Ainsi, alors que la version toulousaine du rite parisien est en voie d’achèvement, « Le sr chantre ayant parlé aud. seigneur archevêque de l’usage ou sont MM. les dignités et chanoines de l’Église de Paris de porter aux fêtes solemnelles et actions publiques des robes rouges et violettes, il auroit représenté aud. seigneur que l’ancienneté et la dignité de l’Église de Toulouse, qui jouissoit autrefois de la mesme distinction paroissoit exiger qu’on renouvellant un usage qui a servi autrefois de modèle au chapitre de Paris à ce sujet [...] » ; Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre général du 3 novembre 1770, f° 82v°-83r°. L’archevêque ayant donné son accord, les chanoines s’empressent de délibérer « qu’a la première festivité en laquelle l’on fera usage du nouveau Bréviaire messieurs les dignités prendront la soutane rouge et messieurs les chanoines la soutane violette avec des parements rouges » (ibid., f° 82r°). 6

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troubler cette unanimité  10, le prestige du modèle capitulaire parisien, le souvenir de sa grandeur et de son patrimoine liturgique rayonnaient au travers des livres de Vintimille en passe de transformer les pratiques provinciales. Le cérémonial liturgique qu’il véhiculait implicitement amplifiait l’évolution du statut de la métropole parisienne dans l’imaginaire de la France ecclésiastique. Et, lorsque le diocèse parisien sera plongé dans les incertitudes liturgiques du xixe siècle, les défenseurs des livres de Vintimille n’auront de cesse d’évoquer le prestige mais aussi l’homogénéité et la stabilité du rite local à la fin du xviiie siècle. Engagé dans la bataille pour le maintien de la liturgie parisienne, l’abbé Caron — cérémoniaire de Mgr Affre — perpétue ainsi un vibrant souvenir : Avant 1791, le Cérémonial était observé ponctuellement : il y avait uniformité entre toutes les églises, et plusieurs prêtres attachés à la personne de M. l’archevêque, ou au Chapitre, ou même à des paroisses, nous ont parlé souvent du bel ordre et de l’exactitude avec lesquels se célébraient les divins offices. À Notre-Dame, le grand nombre des chanoines et des bénéficiers y contribuaient sans doute ; mais l’attachement du Chapitre aux usages traditionnels rendait difficiles les changements qu’on aurait voulu introduire. Quand un nouveau chanoine ou bénéficier était admis dans le corps du clergé, il devait de toute nécessité se façonner entièrement aux fonctions qui lui étaient dévolues. Il en était de même dans les paroisses. Les curés tenaient à cœur de garder intactes les traditions qu’ils avaient reçues de leurs prédécesseurs 11.

Nouveaux livres, nouveau cérémonial Mais aussi positifs furent-ils, ces discours ne représentent que le reflet superficiel de la métamorphose que la liturgie parisienne opérait en province. En effet, sur un plan de pure technique cérémonielle, l’adoption des livres parisiens entraînait très concrètement une remise en cause du quotidien de la cathédrale et de son chapitre provoquée par de nombreuses décisions définissables en fonction de leur origine (maintien de l’usage local, adoption du cérémonial parisien, initiative locale), de leur domaine d’application (cérémonial du chant,

  La réalité de la vie liturgique à Notre-Dame dans la seconde moitié du xviiie siècle est encore à reconstituer. Outre les travaux récents sur les organistes du sanctuaire et le passage tumultueux de Jean-François Le Sueur à la tête de la chapelle (marqué par la publication des trois volumes de son Exposé d’une musique une, imitative et particulière à chaque solemnité…, Paris, Veuve Hérissant, 1787), les chroniques fournissent quelques indices sur le caractère mondain que prenaient certaines cérémonies, à l’image de ce compte rendu sévère des Nouvelles ecclésiastiques : « Chacun peut se convaincre par soi-même que l’Église métropolitaine devient ces jours-là comme une place publique, où tout le monde cause, se promène, s’amuse jusqu’au moment où la musique commence, sans donner aucune marque de religion, ni de respect pour le lieu saint. Les irrévérences qui s’y commettent suffiroient seules pour en bannir les personnes de piété, parce qu’il leur est impossible de n’être pas vivement affligées d’un affluence si confuse & si tumultueuse. » (Nouvelles ecclésiastiques, 14 août 1787, p. 132 col. 1). Quelle que soit la concordance des indices à ce sujet, ils ne concernent bien souvent que les cérémonies publiques (dont les populaires messes de Noël ou de Pâques) et non pas le cérémonial liturgique du Chapitre au cours des offices auxquels les fidèles n’assistaient normalement pas. 11   Cf. Liste-Index infra, [Caron Paris 1846], p. XIII.

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cérémonial du luminaire,…) ou de leur motivation (fierté pointilleuse d’ une identité locale, enthousiasme pour le modèle parisien, recherche pragmatique de confort). L’examen des 85 items — hors modification des sonneries — minutieusement listés par les chanoines chartrains  12 permet de dégager une typologie accordant une large part au cérémonial du chant et de la musique (36,5 %), des encensements (14 %), alors que la vêture, les fonctions, les postures ou les déplacements occupent minoritairement les chanoines (moins de 10 % pour chaque thème). Mais ces décisions ne donnent pas toutes lieu à modification : les mentions « selon l’ancien usage », « comme avant », « comme à l’ordinaire », « comme auparavant » reviennent régulièrement. La nécessité de pratiquer selon de nouveaux livres ne s’accompagnant pas d’un réservoir de solutions toutes faites, cette situation n’est donc pas prescriptive. Elle incite les chanoines à opérer des choix, à hiérarchiser leur mémoire collective et, finalement, à réfléchir sur leur pratique au-delà des habituels rappels à l’ordre incantatoires ponctuant leurs délibérations. En cela, et avant même d’être fixé, le nouveau cérémonial agit. La conservation d’usages concerne principalement les éléments les plus perceptibles pour les fidèles (maintien du cérémonial des reliques, de l’inclinaison vers le peuple, de l’encensement à la messe). En revanche, les transformations affectent certains traits typiques du cérémonial chartrain mais incompatible avec le liturgisme du xviiie siècle, suspicieux à l’encontre de tout reste de particularités d’origine médiévale. Ainsi, les enfants de chœur « ne porteront plus de couronnes de fleurs » ; l’adoption sans discussion du cérémonial parisien pour la fête du Saint-Sacrement — habituel prétexte à débordements — participe peut-être d’une même volonté. D’autres décisions tendent à la suppression d’incohérences manifestes (célébrant et diacre au chœur, et non plus dans les stalles à tierce de la Pentecôte) ou au respect du caractère des féries (suppression des encensements aux féries et simples). Quant au cérémonial du chant, il donne lieu à une redéfinition essentiellement motivée par la hiérarchie particulière des fêtes du calendrier parisien. Néanmoins, ces discussions de détail ne constituent que la première des phases de la transformation d’un cérémonial cathédral, opération menée selon un calendrier pragmatique et différent d’une église à l’autre. Un point commun en revanche à toutes ces situations : la période d’adaptation est souvent longue, pour occuper parfois plusieurs années de la vie d’un chapitre. Les modifications du cérémonial sont d’abord soumises au rythme d’adoption des livres. Lorsqu’une date est arrêtée pour la mise en œuvre du bréviaire, le missel correspondant attend un certain délai pour être également admis, comme à Mende où sa pratique est prévue une année après celle du Bréviaire  13, ou à Chartres, diocèse dont les chanoines réglementent ce cas de figure 14. Mais la période entre approbation de l’adoption du Bréviaire parisien et réception effective des exemplaires peut se prolonger sur de longs

  Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 334, f° 63-67.   Nouvelles ecclésiastiques, 20 mars 1765, p. 50, col. 1. 14   « … la messe jusqu’à ce que le nouveau Graduel soit fait, ou qu’on s’en soit procuré un autre, sera dite et chantée dans l’ancien Graduel et Missel » (Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 827r, chapitre du 18 juin 1783 ; avis renouvelé le 27 juin, ibid., f° 831v). 12 13

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mois  15 ; c’est donc en amont de la mise en pratique officielle des nouveaux livres que des précautions liées au nouveau cérémonial sont prises. Alors qu’à Toulouse, « depuis quelque tems [...] les musiciens négligent beaucoup leur devoir » 16, un des commissaires en charge du futur bréviaire « a dit qu’il seroit a propos de faire un règlement sur tout ce qui a rapport au cérémonial que le changement de bréviaire va occasionner [...] » 17, et ce à quelques mois de la mise en pratique de la liturgie parisienne  18. Outre une reprise en main du dispositif cantoral, cette codification peut également être l’arme mise en réserve par les chanoines les plus rétifs à une modification massive de leurs usages. Toutefois, le souci de préparer à l’avance le changement de rite ne permet pas d’éviter les périodes de transition durant lesquelles se superposent deux liturgies après la date effective d’adoption des nouveaux livres, provoquant alors d’inévitables conflits entre des pratiques coexistantes. Ces situations se règlent parfois dans l’urgence et la conscience que le moindre accroc peut conduire au scandale. Débordé, le chapitre toulousain saisit son archevêque dès les premières semaines de pratique des livres parisiens 19, ce qui n’empêche

15   Approuvé en mai 1781, le Bréviaire parisien de Chartres donne lieu à un marché signé en juin de la même année pour une réception prévue pour janvier 1783 (cf. Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 524v, cha[pitre] du 7 juillet 1781). À l’approche de l’échéance, le chambrier préviendra ses confrères « à fin que le chapitre puisse convenir de tous les changemens qu’entraîne nécessairement un nouveau bréviaire » (id., f° 692r, chapitre du 7 août 1782). Finalement, les nouveaux Bréviaires ne seront livrés qu’en juin 1783 (id., f° 826v) pour une mise en pratique prévue aux premières vêpres de la fête des apôtres Pierre et Paul (id., f° 828r). 16   Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre général du 3 avril 1773, f° 178v. 17   Ibid., 4G25, chapitre général du 11 juin 1773, f° 187v. 18   Lors du chapitre ordinaire du 17 septembre 1773, les chanoines fixèrent au premier dimanche de l’Avent la date de mise en service du nouveau Bréviaire (cf. Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, f°  198r). Certains des membres de la compagnie essayèrent de profiter des ajustements du cérémonial pour faire évoluer des pratiques jugées trop contraignantes. La répartition des heures de l’office donna lieu (comme souvent) à une tentative de libéralisation : « Mr Labbe de Cambon premier opinans a dit que quoy que les anciens usages soient toujours respectables, le plus grand bien exigeoit souvent qu’ils soient modifiés relativement aux tems et aux circonstances, que celuy où est le chapitre de dire matines a cinq heures et demie luy paroit être dans le cas, que le changement du bréviaire fournit une occasion à la comp[agnie] bien favorable de faciliter une plus grande assiduité a cet office : que son avis seroit de rettarder l[’]heure de matines a six heures et demie » (cf. chapitre du 3 octobre 1773, ibid., 4G25, f° 199v). Le chantre toulousain s’opposera à cette proposition en s’appuyant sur le contenu de certaines hymnes parisiennes : « Il seroit d’ailleurs contradictoire avec les hymnes du nouveau Bréviaire de chanter pendant le jour ce qui y est dit qu[’]on chante pendant la nuit. » (cf. ibid., 4G25, chapitre ordinaire du 8 octobre 1773, f° 200r). Plus généralement, ce dignitaire tentera à l’occasion de l’adoption des nouveaux livres de faire réaffirmer ses prérogatives en matières de maîtrise de la liturgie (cf. notamment l’amorce de son conflit avec les hebdomadiers à l’occasion du chapitre ordinaire du 10 décembre 1773, id., f° 209r-v). Ce même chapitre tentera, dans les jours précédant l’application des nouvelles rubriques, de désamorcer tout risque de dérapage en soumettant au jugement de l’archevêque une incompatibilité entre la coutume locale et le parisien (cf. chapitre ordinaire du 12 novembre 1773, id., f° 205v). 19   « M. le chantre a dit que le nouveau Bréviaire faisant naître de [sic] difficultés journalières il paroit convenable de statuer quelque chose de certain sur les différents cas qui se présentent » (Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre ordinaire du 17 décembre 1773, f° 210r ; cf. également chapitre général du 4 décembre 1773, ibid., f° 208v). En revanche, et malgré l’extrême précision de leur contenu, les registres de délibérations du chapitre de Chartres ne laissent transparaître aucune difficulté majeure dans les mois qui suivent la mise en application des nouveaux livres.

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pourtant pas un incident majeur lors du premier Samedi saint célébré selon le rite parisien 20. C’est parfois même des problèmes bien concrets qui se posent : ce même chapitre doit changer immédiatement ses pupitres de chœur car les anciens ne sont pas assez grands « pour y placer les nouveaux livres de chant » 21. Au contraire, d’autres Chapitres choisissent de traiter sur le long terme la mise en œuvre du nouveau rite. Ainsi à Vannes où, si les nouveaux bréviaires sont achetés et introduits entre juillet et octobre 1783 22, on ne désigne qu’en juillet 1787 deux chanoines pour dresser un Cérémonial propre à l’église cathédrale et voulu aussi conforme que possible à celui du diocèse de Paris  23. Enfin, les chanoines chartrains combinent les deux options en modifiant rapidement leur Cérémonial en fonction du nouveau Bréviaire 24 tout en remettant à plus tard les modalités de chant des hymnes ou d’intégration de l’orgue au nouveau Cérémonial 25. Durant ces mois d’ébullition, les choix effectués obéissent souvent à l’arbitraire de l’évêque ou au profil du dignitaire appelé à trancher. Mais ces décisions demeurent également tributaires de conditions matérielles parmi lesquelles il est possible de distinguer tout d’abord les moyens propres à chaque cathédrale. En effet, quand bien même le cérémonial parisien aurait été adopté sans discussion, sa mise en œuvre nécessitait des moyens dont ne disposait pas toute cathédrale. Les chanoines de la cathédrale de Mirepoix ou d’Alet durent ainsi se trouver dans la situation décrite par Collet : Mais veux-je donc qu’un chapitre peu nombreux, souvent composé, en grande partie, de vieillards & d’infirmes, réduit d’ailleurs par le malheur des temps à la plus incommode médiocrité, fasse l’office avec cet air de dignité & de grandeur qu’on admire dans la première Église de Paris ? Non, sans doute ; il n’y eut jamais de loi pour l’impossible. Je ne lui demande donc, ni cette multitude d’officiers, ni ce grand nombre d’ornemens, ni cette confusion de voix en tout genre, qu’on fait si bien valoir dans les grandes cathédrales 26.

Outre l’effectif du chœur, les chapitres eurent parfois à tenir compte de la capacité de leurs musiciens, voire de leur plus ou moins bonne volonté. À Vannes, à défaut de revenir au rite romain, on demande à l’évêque d’autoriser la réduction de l’office de la Sainte Vierge

  Cf. Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, f° 227v-228r.   Ibid., 4G25, chapitre général du 4 décembre 1773, f° 208v. À Chartres, le changement de pupitre est l’occasion d’une modification de la pratique cantorale : « il serait a propos de faire faire quatre pupitres pour mettre devant les musiciens de façon qu’ils ne fussent plus obligés de quitter leurs places pour chanter les antiennes et repons et de faire en conséquence quatre antiphoniers. » (Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 519r, chapitre du 26 juin 1781). 22   Arch. dép. du Morbihan, G 47 G 7* (376). 23   Loc. cit. 24   Un chanoine annonce au chapitre la charge que lui a confiée l’évêque lors de l’assemblée du 27 mars 1783 (cf. Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 791r). 25   Cf. Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 335. L’adoption du Bréviaire parisien avait en outre provoqué la composition d’un « livre de l’orgue suivant le Nouveau Breviaire » par l’organiste de la cathédrale (cf. id., G 334, f° 172v, chapitre du 31 juillet 1784). 26   Abbé Pierre Collet, Examen et Resolutions des principales difficultés qui regardent l’Office Divin [...], 6e édition revue et augmentée par l’auteur, Paris, De Bure l’aîné et C. Hérissant, 1763, p. 339. 20 21

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tout du moins pendant le carême 27 : l’expérience prouvait qu’on ne pouvait suivre le rite de Paris sans s’exposer à voir peiner le haut et le bas-chœur dont plusieurs membres avaient été visiblement incommodés par la longueur des offices 28. À Toulouse, on craint également de ne pouvoir conformer la discipline déjà aléatoire du bas-chœur avec les exigences du nouveau rite particulièrement riche en leçons à certaines fêtes 29. Adoptant un dérivé du calendrier parisien, il fallait ensuite se conformer à la nouvelle hiérarchie des fêtes déduite du système parisien. Cette réorganisation du calendrier, souvent confiée à une dignité du Chapitre cathédral, favorisait l’éclosion des sempiternelles questions de droit liturgique en général et de préséance en particulier. Chaque nouvelle classe de solennité nécessitait en effet de définir les attributs de chacun (port de chape, place dans les processions, priorité de salutation ou tout autre signe matérialisant la hiérarchie capitulaire). Les difficultés soulevées à cette occasion pouvaient devenir telles qu’un arbitrage extérieur, considéré neutre par les protagonistes, s’imposait pour clarifier l’imbroglio de la discipline liturgique à observer au regard du nouveau calendrier. Le plain-chant et la psalmodie fournissaient un troisième domaine de modification profonde du cérémonial. Outre les mélodies elles-mêmes, c’est l’ensemble du cérémonial du chant qui était touché  : distribution des périélèses, du faux-bourdon, de la musique, redéfinition de l’alternance… En dehors de véritables heures d’apprentissages  30, l’accoutumance au nouveau chant s’acquérait également au cours des offices, notamment en ce qui concerne la pratique responsoriale et antiphonale des chanoines. Il est ainsi probable que c’est dans le but de faciliter l’initiation aux nouvelles intonations que le Chapitre toulousain décida, pour une période de quelques mois, d’entonner les psaumes depuis le grand lutrin du chœur et non depuis les stalles 31. Enfin, comme l’a déjà suggéré la situation chartraine, le passage au rite parisien nécessitait également une remise en cause de particularismes locaux. Si la tendance

  Mai 1787, Arch. dép. du Morbihan, G 47 G 7* (376). L’évêque avait expressément demandé l’observance du rite parisien pour cet office en novembre 1785 : cet ordre est-il l’indice d’une adoption des livres parisiens mâtinée de diverses exceptions locales ? Proposition similaire à Chartres (cf. Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 502v°). Sur les origines et l’obligation de récitation de l’office de la Vierge et de l’office des Morts, cf. P. Collet, op. cit., chapitre III points I et II, p. 355-361. 28   L’évêque accèdera à la demande du chapitre. Le même office provoquera à Toulouse une manifestation comparable du chapitre auquel l’archevêque répondra positivement (cf. Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, f° 240v, 243v, 269v et 270r-271r). 29   « Contens jusqu’icy de l’assiduité de nos hebdomadiers et de leur zèle a remplir leurs devoirs nous croyons qu’il y auroit peut être de la dureté a aggraver leur joug et a leur imposer une gêne qu’ils nous assurent ne pouvoir supporter ; mais quand même elle ne seroit pas au dessus de leurs forces nous craignons qu’elle ne serve dans la suite a l’inquiétude et a la mauvaise volonté : les hebdomadiers mal intentionnés nous allègueront sans cesse la foiblesse de leurs estomacs pour être dispensés de leur service, et il faudroit finir par les suppléer continuellement ou playder avec eux. » (lettre à l’archevêque, décembre 1773, Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, f° 213r). 30   Le maître de la psallette de la cathédrale de Vannes reçoit une gratification de 200 l. en 1783 « égard au travail extraordinaire qu’a occasionné le changement de bréviaire, auquel il s’est porté avec le plus grand zèle » (Arch. dép. du Morbihan, G 47 G 7* (376)). 31   Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre ordinaire du 7 janvier 1774, f° 214v. 27

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dominante consistait à supprimer les dernières traces de coutumes encore épargnées par l’esprit tridentin, les nouveaux cérémoniaux laissaient parfois la place à quelques manifestations de ce type : l’évêque d’Agde, par exemple, toléra le maintien, aux côtés du rite parisien, d’une cérémonie en dialecte languedocien au matin de Pâques, ancestrale mise en scène de l’ouverture du tombeau du Christ 32.

Réformisme épiscopal et liturgie : la révolution cérémonielle Pour autant, se limiter à l’étude des modalités précises d’évolution des cérémoniaux provinciaux au contact des livres parisiens ne fournit pas l’essentiel de la signification historique de ces processus. Il faut ainsi oublier un instant la dimension purement technique de la question pour se rappeler du rôle essentiel que la réforme du cérémonial cathédral pouvait assumer aux yeux des laboureurs de diocèses, ces prélats entreprenants ainsi décrits par Mgr Marboeuf. En effet, l’introduction des livres parisiens fut conçue par certains d’entre eux comme un outil de reprise en main radicale des pratiques de chapitres qu’ils soumettaient parfois dès leur arrivée. Loménie de Brienne les impose, étant évêque de Condom au cours d’un bref épiscopat de deux ans (1761-1763) : cette réforme sera la première qu’il fera valider par le Chapitre de Toulouse, son siège suivant, et ce quelques jours à peine après son arrivée 33. Outre le contenu du Bréviaire parisien, cette procédure infligeait aux chapitres une forme d’électrochoc liturgique : la transformation du cérémonial permettait ainsi de découvrir faiblesses et abus, ainsi que de les corriger. À Lyon, la situation était d’autant plus sensible que le cérémonial du Chapitre primatial de Saint-Jean ne semblait tenir qu’en vertu d’une clef de voûte que les chanoines défendaient avec âpreté : le chant de mémoire. La compagnie était en effet tenue de chanter l’office par cœur, contrainte ayant conduit à l’établissement d’un cursus de formation complet pour les enfants de chœur (lourd apprentissage de mémoire, puis promotion au statut de clercs avant de bénéficier de l’enseignement dispensé par le séminaire propre du Chapitre). Au moment de proposer l’introduction d’un missel puis d’un bréviaire dérivés des livres parisiens, l’archevêque Mgr de Montazet déclenche une guerre de procédure durant plus d’une décennie, et développée principalement autour du statut à accorder à cette particularité du cérémonial   « Fateamur tamen quod testatur antiquissimus Breviarium Agathense, scilicet in matutinis paschalibus, adhiberi solitos esse tres presbyteros, mulieribus vestimentis indutos, in speciem trium foeminarum, Christi doloribus, & tumulo condolentium, & eosdem consueisse sic iningredi chorum, longa suspiria ducentes, & lingua nostra vernacula piso gemitus exprimentes. » ; Breviarium Agathense, Paris, apud Bibliopolas Usuum Parisiensium & Agathensium, 1765, pars hyemalis, p. 28. 33   Installé les 19 et 20 août 1763 sur le siège de Toulouse, il fait annoncer ses intentions dès le chapitre du 9 septembre : « Le dit sieur chantre a dit que monsieur l’archevêque étoit dans le dessain [sic] d’introduire dans le dioceze l’uzage du bréviaire de Paris[,] que led. sieur chantre se trouvant a l’archevêché led. sieur archevêque luy avoit fait part de ses intentions, le havoit prié de les communiqués [sic] au Chapitre qu’en conséquence il lui en fait la proposition et prie la compagnie de vouloir y déliberer. Surquoy ayant eté opiné la compagnie adopte la proposition de M. l[’]archevêque et a nommé commissaires Mr De Catellan chantre, Mr De Valette, Mr Paul, et Mr Lagorée pour concerter avec M l[’]archeveque les moyens qu[’]il y a à prendre à ce sujet. » (chapitre ordinaire du 9 septembre 1763, Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, f° 153r). 32

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lyonnais. Mais derrière le discours défensif des chanoines-comtes du chapitre, Montazet débusque les manquements à la plus élémentaire discipline capitulaire. Parlant des membres du bas-chœur sur lequel reposait la pratique effective du chant, il ne peut que constater les dégâts attribués à cette pratique : Quelqu’instruits qu’ils fussent du chant & de la psalmodie, rien ne fixoit leurs yeux, ni leur esprit ; & leur mémoire n’étoit pas assez sure pour éviter toute confusion. Aussi les méprises, les cacophonies, les interruptions étoient-elles très-fréquentes ; & sans le Gloria Patri, auquel on se hâtoit de se rallier de toutes parts, il auroit été bientôt impossible de se reconnoître ; mais cette ressource avoit l’inconvénient tout-à-la-fois d’abréger la durée, & de nuire à la majesté du Service divin 34.

Toutefois, ces arguments techniques dissimulent une remise en cause de la discipline des chanoines eux-mêmes : le chant de mémoire accentue la fracture entre clergé subalterne et corps des chanoines ; entre enfants abrutis par le fardeau d’une formation stérile  35 et bénéficiers libres de leur temps. En outre, il constitue aux yeux du prélat un encouragement à la paresse au sein du chapitre puisque « la plupart de ses membres, et les chanoines-comtes surtout, ne chantent point par cœur, et sont hors d’état de le faire »  36. Finalement, les partisans de la réforme décèlent l’abus manifeste dissimulé par cette pratique : « Est-ce bien la crainte de ne plus chanter de mémoire, qui touche si fort le Chapitre, ou n’est-ce pas plutôt celle d’être obligé de chanter ? » 37. Au cours de la négociation concluant cette crise en 1776, l’archevêque concède bien quelques articles à son chapitre  38. Mais ses exigences en contrepartie sont sans appel : établissement de nouveaux statuts capitulaires, revalorisation des distributions par rapport aux gros fruits, adoption par le Chapitre des nouveaux Bréviaire et Missel avec engagement

  Mémoire pour le syndic du clergé du diocèse de Lyon défendeur, contre les doyen, chanoines et Chapitre de l'église, comtes de Lyon, demandeurs, Paris, P.-G. Simon, 1774, p. 13. Pour remédier à cette difficulté pendant la Semaine sainte, des graduels étaient disposés de façon discrète aux pieds des chantres principaux et contre les dossiers des stalles basses depuis l’instauration des livres de Mgr de Rochebonne. Dom de Vert, au début du siècle, relevait déjà l’anachronisme de cette pratique (cf. Claude de Vert, Explication simple, litterale et historique des Cérémonies de l’Église pour l’Instruction des Nouveaux-Convertis, t. IV, Paris, F. Delaulne, 1713, p. 85-86). 35   En un siècle soucieux du renouvellement des méthodes d’enseignement, l’opposition des conceptions pédagogiques de l’archevêque et des chanoines est flagrante : volonté d’une formation privilégiant le lire-écrire puis les humanités pour le premier, défense chez les seconds d’un apprentissage mécanique par la répétition faisant de la mémoire « une table de cire molle qui reçoit facilement tous les caractères que l’on y trace » (Réponse au mémoire présenté par M. l’Archevêque, Arch. dép. du Rhône, 10G459, f° 1v). 36   Arch. dép. du Rhône, 1G16, f° 37v. Bien qu’impossible à vérifier, l’assertion semble crédible face à la faiblesse des arguments contraires des chanoines développés dans leur Réponse (id., 10G459, f° 1-4) ou dans leurs notes marginales du Mémoire conservé dans le même registre. 37   Mémoire pour le Syndic du Clergé du Diocèse de Lyon…, op. cit., p. 48. 38   Maintien de la résidence à six mois, de la juridiction du chapitre et du mode de distribution des gros fruits ; possibilité pour le Chapitre de profiter de la prison épiscopale ; soutien de l’archevêque dans l’apurement des dettes du Chapitre, l’obtention du droit à porter l’habit violet sur le lieu de résidence et l’octroi d’aides à l’entretien de la cathédrale. 34

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à leur mise en pratique  39, abandon de l’office perpétuel dans les annexes de la primatiale, réduction des coûts de fonctionnement de la manécanterie et introduction de livres de chœur. La détermination de chaque camp au fil de la guerre d’usure procédurière survenue à Lyon dit finalement combien un détail du cérémonial pouvait constituer un point de basculement pour des situations dépassant largement le cadre liturgique. Manipulé par un archevêque favorable aux livres parisiens, le cérémonial lyonnais quittait ainsi la sphère décisionnelle du chapitre pour intégrer un dispositif global de réforme et, en définitive, de marginalisation de la compagnie. La tentation d’user du cérémonial comme d’un levier d’action pour les évêques était d’autant plus forte que, lorsque les chanoines se divisaient, c’était précisément autour de cette question : le front uni capitulaire éclatait sous l’effet de la rupture d’un usus routiné qui, seul, permettait d’atténuer, sinon de masquer les clivages internes à la compagnie. Parmi les questions sensibles posées par l’adoption des livres parisiens figuraient l’épineuse redéfinition des préséances en fonction du nouveau calendrier, mais également la réorganisation de l’horaire des offices. Cette tendance, générale au xviiie siècle, provoque souvent l’opposition entre un chapitre désireux d’assouplir son rythme et un évêque soucieux de maintenir les rigueurs de journées qui commençaient parfois à 3 heures pour les fêtes à neuf leçons. À Chartres, la tentative de retarder durant toute l’année le début de matines à 6 heures se heurte à un refus épiscopal : l’assouplissement de l’horaire ne sera concédé que d’octobre à avril 40. Le Chapitre persistera dans son intention 41 avant que l’évêque ne tranche définitivement en son propre sens  42 . Accusant le coup, le Chapitre décide alors du dessaisissement de sa commission en charge du cérémonial ; ces députés, et le sous-chantre à leur tête, apparaissaient comme trop coopératifs dans la transformation des usages capitulaires au profit du modèle parisien 43. Profitant d’une absence du sous-doyen, le souschantre parvient à retourner la situation en sa faveur  44 et à résorber ainsi la fracture

39   Le Chapitre pouvait émettre ses remarques relatives aux nouveaux livres à condition qu’elles ne portent sur rien qui ne se trouve déjà dans les Bréviaires de Paris ou de Lyon. En outre, après ratification par Montazet et l’archevêque d’Embrun, les éventuelles corrections ne pouvaient donner lieu à une nouvelle édition, mais seulement à la pose de cartons pour les exemplaires de livres destinés à la primatiale. 40   Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 334, chapitre du 31 mars 1784, f° 90v. 41   Ibid., chapitre du 21 avril 1784, f° 95v à 96v. 42   Ibid., chapitre du 9 juin 1784, f° 139v. 43   « [Le sous-doyen] a dit que comme on n’a fait que des changemens dans l’ancien cérémonial, on n’a mis que les cérémonies nouvelles sans rien dire des anciennes, et a demandé s’il ne vaudroit pas mieux faire un cérémonial entier dans lequel aux anciennes cérémonies que l’on conserve, on ajouteroit les nouvelles. » (Arch. dép. d’Eureet-Loir, G 334, f° 197v, chapitre du 2 octobre 1784). 44   « La Compagnie est bien maitresse de donner et de retirer sa confiance, comme elle le juge à propos : mais elle ne prend ordinairement ce dernier parti que lors que ceux en qui elle l’a mise ne veulent ou ne peuvent plus s’en charger ; ou bien lorsque le terme de leur Commission est arrivé ; ou enfin lorsqu’elle juge qu’ils n’ont pas répondu à sa confiance et qu’ils l’ont trompée. La nomination de nouveaux commissaires pour la cons[ti]tution du cérémonial et le reglem[ent] de la sonerie, annonce qu’elle a eu cette opinion de ceux qu’elle avoit chargés précédamment de ces ouvrage[s]. Je rend bien volontiers justic hommage aux lumières et à la longue expérience des nouveaux commissaires, et je ne doute pas qu’il ne remplissent leur mission avec succès. Mais je crois devoir observer à la compagnie, pour la justification des anciens, que quoique quelqu’un ait dit avant hier, peut être un peu légèrement, qu’ils avoient voulu tout changer dans le Cérémonial et qu’ils continueroient, si on les chargeoit

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provoquée par l’évolution du cérémonial de l’horaire. La réaction du chapitre ce jour-là témoigne de la faculté pour quelques chanoines d’influer réellement sur la compagnie : il sera répondu positivement à la requête du sous-chantre 45.

Les interstices d’une négociation Un affrontement aussi violent que celui advenu à Lyon demeure néanmoins rare. Plutôt que de brusquer leurs chapitres aux réactions pas toujours contrôlables, les prélats préféraient ouvrir des négociations. Ou, en tout cas, savaient en donner les apparences… À Chartres, les modifications au Cérémonial parisien proposées par les chanoines sont symptomatiquement présentées comme une volonté de « se rapprocher davantage des usages de l’Église [locale] »  46. Mais leurs motivations réelles sont plus complexes et diverses que cela, d’autant plus que les arcanes de leurs discussions avec les députés de l’évêque demeurent impénétrables ; en chapitre général, les rapporteurs de commissions estiment bien souvent qu’une discussion « serait très longue, et peut être superflüe » 47. En fait, ce type de propos allusif étonne peu : en règle générale, il semble que l’attentisme ou le pragmatisme aient dominé les réactions des chapitres en butte avec les aléas d’un usage encore mal maîtrisé. Les chanoines toulousains proposent ainsi, en de fréquentes occasions, de « suivre [leur] ancien usage » ou de « s’en tenir a l[’]ancien usage ». En cas de doute moins facilement soluble, ils préfèrent « attendre le retour de Mgr l[’]archeveque [pour décider] » ; en revanche,

d’y ajouter les choses omises. Que le Cérémonial n’a été composé qu’après l’examen de plusieurs autres de différens diocezes qu’on a comparés, et qu’on y a cherché autant qu’il a été possible, à se conformer aux anciens usages de l’Église de Chartres, ainsi qu’aux règles générales de l’Église Universelle, et surtout à les adopter au nouveau Bréviaire, qui en étoit l’occasion, et dont il est une suite nécessaire : Qu’il l’a été fait que de concert avec les commissaires de M[gr] l’évêque et approuvé par lui dans plusieurs assemblées tenües en sa présence : Que la sonnerie n’a été réglée que sur la dignité des fêtes, pour distinguer d’une façon bien marquée le premier coup de chaque office, du dernier et de la manière la moins dispendieuse. J’ajoute que les observations de M. le soudoyen qui ont donné lieu à la nomination de nouveaux commissaires et à ce qu’elle a de désobligeans pour les anciens, n’avoient que pour objet que quelques corrections et omissions, que conséquemment cette nomination a passé de beaucoup le but qu’il se proposoit, étant d’ailleurs très persuadé que l’intention du d. sr soudoyen et de la Compagnie n’est pas de mortifier gratuitement aucun de ses membres, et pour entrer dans ses vûes, je prie M[.] l’ancien, en l’absence dudt soudoyen, de requérir qu’il soit délibéré, s’il ne conviendroit pas [d’]indiquer en Chape g[é]n[ér]al ou les observations et propositions de M[.] le soudoyen s’étoient rapellées, ainsi que celles que j[’]ai l’honneur de vous faire pour qu’il en soit délibéré de nouveau. » (ibid., f° 201r-202r, chapitre du 6 octobre 1784). 45   Le chapitre décidera finalement de la réunion des membres des deux commissions dans le but de « réunir leurs lumieres » (ibid., chapitre du 13 novembre 1784) sans accélérer pour autant l’avancement des travaux : en juin 1785, la compagnie s’accorde un nouveau sursis avant la clôture du chantier du cérémonial (ibid., f° 321v). 46   Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 502v, chapitre du 20 mai 1781. 47   Ibid., G 333, f° 502v, chapitre du 20 mai 1781. Les aménagements du Cérémonial diocésain et cathédral donneront lieu à un rapport du chambrier cinq chapitres durant (24, 26, 30 mai, 2 et 4 juin 1783 ; cf. id., f° 818r-v, 819v, 820r, 823r-v), puis à un bilan des propositions du chapitre (ibid., G 334, f° 63r-64r, 64v-67r et 68r, chapitres des 16, 18 et 21 février 1784) à l’issue duquel la compagnie décide d’une députation vers l’évêque pour conférer à ce sujet, et approuve une mise au propre rédigée du Cérémonial (ibid., G 334, f° 143r, chapitre du 19 juin 1784). De fait, les registres capitulaires ne témoignent donc que de l’approbation des assemblées à moins qu’un incident ou litige ne permette un approfondissement de la question.

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ils sauront parfois privilégier les nouvelles rubriques comme lorsque « le prêtre chantera comme à Paris  »  48, et en particulier quand l’usage parisien permet de supprimer des longueurs ou redondances. Ainsi à Chartres, le sous-chantre, proposant de conserver un usage local — le maintien du chant du répons des secondes vêpres —, est contredit par son chapitre qui « a jugé convenable qu’il n’y eut point de répons aux secondes vêpres même des annuels comme à Paris » 49. Toutefois, ces situations rendues aléatoires à force d’adaptations ou d’absence de jurisprudence liturgique claire conduisent parfois les prélats à mettre brutalement un terme à trop de tergiversations. Loménie de Brienne à Toulouse tranchera en faveur du cérémonial défini par ses nouveaux livres, cérémonial dont il exigera l’application sans discussion, et ce après avoir annoncé l’adoption du rite parisien… douze ans plus tôt 50 ! Toutefois, à côté de ces arrangements ne provoquant que des ajustements jugés acceptables tant par l’évêque que le chapitre, d’autres propositions émanant des chanoines se heurtent souvent à une fin de non-recevoir de la part des prélats, et ce dans un contexte de reflux généralisé des usages locaux et, finalement, de perte d’influence des Chapitres. À l’occasion de leur passage au rite parisien, et avant même d’aborder le devenir de leur cérémonial, les chanoines se voient souvent imposer comme à Chartres une réduction radicale des obits et fondations. Un des grands vicaires de l’évêque de Chartres annoncera ainsi au chapitre « [qu’]a l’occasion du Nouveau Bréviaire, Monsieur l’Évêque avait pensé qu’il était indispensable de supprimer quelques fêtes à l’exemple de ce qui a été fait dans le dioceze de Paris et d’autres circonvoisins »  51. Dès le lendemain, c’est à une révision de l’ensemble du cérémonial — symbole par excellence d’une identité vernaculaire — que le grand-vicaire convie fermement les chanoines : M. l’archid[iacre] de Penserais [également grand vicaire] s’est mis de nouveau au bureau et a dit que Mess. les rédacteurs du Bréviaire en adoptant les livres liturgiques de Paris avoient eu l’attention de conserver autant qu’il avait été possible le cérémonial du dioceze de Chartres, que cependant il y avait eu des changemens qui leur avoient paru indispensables, et d’autres très convenables ; qu’il avait l’honneur de faire observer à la compagnie qu’il n’existait point dans le dioceze de livre de cérémonial qui fixât d’une manière uniforme les cérémonies ecclésiastiques ; qu’il pensait que l’occasion du nouveau Bréviaire et d’un nouveau Missel

  Pour ces différents cas de figure, cf. Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre ordinaire du 17 décembre 1773, f° 210r. 49   Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 502v. 50   Cf. son vigoureux rappel à l’ordre de 1775 dans Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, f° 275r. Néanmoins, les aléas de la procédure toulousaine seront totalement occultés par les défenseurs de ces livres au XIXe siècle ; cf. abbé Adrien Salvan, Recherches historiques sur la liturgie en général et sur celle du diocèse de Toulouse en particulier, Paris, Sagnier et Bray – Toulouse, Douladoure aîné, 1850, p. 171. 51   Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 333, f° 692r, chapitre du 7 août 1782 ; pour l’aboutissement des tractations, cf. les décisions épisocales dans id., G 334, f° 124r-139r. La concomitance des deux réformes (livres/obits et fondations) à Chartres entraîne un tuilage du rite local et du rite parisien nouvellement adopté : « [le chapitre n’entend] pas néanmoins porter atteinte à l’usage ou est led. Chapitre d’acquitter d’un rit différent de celui du diocèse les fondations et autres offices qui lui sont propres jusqu’à ce que de concert avec Monsieur l’Évêque il ait jugé convenable de prendre un autre par luy sur les d. offices lors du rapport de M.M. Commis chargés de la réduction des obits et fondations. » (id., G 333, f° 503r, chapitre du 20 mai 1781). 48

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était propre à faire une maniere de revüe de toutes les cérémonies ecclésiastiques en usage dans le dioceze même à la cathé[drale] et faire les changemens, additions ou retranchemens qui seroient jugés convenables, et rédiger un cérémonial [...] 52.

De cette intervention se dégagent un argument fréquemment utilisé (l’absence de cérémonial imprimé, sans même une mention des cérémoniaux manuscrits en usage à la cathédrale) et un objectif : la constitution d’une norme diocésaine en la matière. Or, si l’église cathédrale fournissait traditionnellement une matrice liturgique appelée, dans l’idéal, à être reproduite partout ailleurs, le réformisme de prélats acquis au rite parisien promouvait des vues plus réalistes. De capitulaire, la nouvelle norme se voulait épiscopale dans son inspiration, diocésaine dans sa destination et paroissiale dans sa forme. Ces stratégies combinant ouverture et interventionnisme conduisent parfois les prélats à développer eux-mêmes la phraséologie conventionnelle de l’identité liturgique locale. Mais l’examen des vagues soulevées par le passage du diocèse de Toulouse au rite parisien permet de réaliser à quel point ces invocations tendaient à devenir un simple alibi. Alors que les livres sont en usage depuis plus d’un an, un dignitaire du Chapitre de la cathédrale Saint-Étienne proteste en termes clairs : Le dit chantre a dit qu’il a cy devant reclamé en chapitre de ce que les rédacteurs du nouveau Bréviaire et de la Rubrique y ont fait mention de certaines cérémonies qui ne se trouvent pas dans l’ancien Bréviaire de Toulouse et en ont omis d’autres qui sont présents dans l’ancienne Rubrique 53.

La frange majoritaire de la compagnie, acquise aux livres parisiens, signifie alors en termes clairs à leur collègue que le temps des identités locales n’est plus, surtout si leurs codifications remontent à la vague de conciles provinciaux tenus à la suite du concile de Trente, comme cela fut le cas à Toulouse en 1590 54. Le droit de l’évêque demeure à cet égard le premier des arguments : Tous les évêques dans leur dioceze ont le droit de changer la Rubrique du missel de leur église, et lorsque ce changement est fait on n’est point fonder à leur opposer l’ancienne Rubrique ; si de pareilles demandes étoient accueillies elles se multiplieroient à l’infini et le nouveau missel se trouveroit bientot entièrement changé 55.

Le rite parisien prime donc sans conteste dans le dosage recherché entre nouveaux livres et rite ancien : la marge de manœuvre des chapitres se réduit désormais aux aspects les plus matériels ou les plus anecdotiques de la réforme 56. Quant aux mandements qui, aux

  Arch. dép. d’Eure-et-Loir, G 334, f° 695v-696r, chapitre du 8 août 1782.   Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre ordinaire du 10 février 1775, f° 269v. 54   Pour une description des conditions de tenue et des résultats du concile toulousain de 1790, cf. abbé A. Salvan, op. cit., seconde partie, chapitre IV. 55   Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre général du 4 mars 1775, f° 273r-v. 56   À Chartres, les chanoines acceptent l’impression du Bréviaire d’un bloc, mais n’oublient pas de rappeler que « outre les réserves cy dessus, [...] il sera inséré au frontispice dudit Bréviaire ex consensu capituli » (AD Eure-etLoir, G 333, f° 503v). Même procédé pour le Processionnal (cf. ibid., f° 695r). 52 53

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origines de la réforme, évoquaient le respect des usages locaux, ils sont oubliés en une phrase : lorsque Mgr l’archevêque annonce qu’il veut faire revivre d’anciens rits particuliers à cette Église [Toulouse], il n’a sûrement pas entendu les faire revivre tout indistinctement et fixe lui même en particulier ceux qu’il veut faire observer 57.

L’archevêque Loménie de Brienne se charge donc de mettre un point final au débat en décrétant qu’une éventuelle conciliation entre usage local et usage parisien ne constitue « [qu’]un principe de bigarrure et de contradiction tandis que [son] intention a été de donner aux cérémonies une forme stable éloignée de l’arbitraire et de toute discussion » 58. Et c’est désormais à une stricte observance des exigences formulées dans les livres parisienstoulousains que le chapitre devra se tenir : « [dans ces livres ] J’ai cherché à rapprocher les rits actuels des rits anciens, mais j’ay tellement déterminé les rits nouveaux qu’il n’est plus permis de recourir aux anciens lorsque la Rubrique ne le rappelle pas » 59. En définitive, c’est bien une nouvelle épreuve infligée aux chapitres cathédraux qui se dégage de cette évocation de quelques confrontations entre cérémoniaux locaux et liturgie parisienne. Dépourvus de leurs chœurs clos, soumis à des regroupements de manses, contestés dans leurs droits les plus ancestraux, ces chanoines sont confrontés à une autre forme d’ouverture sur le monde et sur les réalités de leur temps par le biais de l’adoption de ce rite nouveau. À cette occasion, les clivages internes au sein de ces compagnies fournissent une autre voie d’approche de la diversité des profils ecclésiastiques qui les composent. Chanoines-grands vicaires relayant avec zèle les projets de leur évêque, chanoines-lettrés enthousiastes dans cette ambiance d’aggiornamento avant la lettre, chanoines-chantres soucieux du maintien de leur prérogative ou engagés au service d’évêques réformistes : autant d’individualités révélées par les défis du rite parisien, autant de choix significatifs des certitudes et des espoirs de ces Chapitres au moment même où s’accumulent les signes avant-coureurs de leur marginalisation, prélude à leur disparition définitive. Xavier Bisaro Université de Montpellier III

  Arch. dép. de Haute-Garonne, 4G25, chapitre général du 4 mars 1775, f° 273v. Le chapitre ajoute que le chantre n’est pas fondé à réclamer si tardivement alors qu’il participait à la commission d’adaptation de la liturgie parisienne à Toulouse (cf. ibid., f° 274v). 58   Lettre de l’archevêque au chapitre, ibid., f° 274v. 59   Ibid., f° 274v. 57

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Les consulteurs du Saint-Office face au Bréviaire parisien de 1736 de Mgr de Vintimille Une première version de ce travail a été présentée lors de la journée « Liturgie et Société en France aux xviie et xviiie siècle »; je l’avais intitulée « Le Bréviaire de Mgr de Vintimille devant les consulteurs du Saint-Office ». À la réflexion, il m’a paru préférable de modifier la place des protagonistes dans mon titre, de manière à mieux restituer la réalité de la situation. Celle-ci se caractérise d’abord, en effet, par le face-à-face entre un texte et une institution. Un texte hautement chargé de sens religieux, social et politique —  le Bréviaire 1 —, autrement dit le livre de l’office divin du diocèse de Paris et une institution non moins forte symboliquement, le rempart de la pureté doctrinale dans l’Église, la Congrégation du Saint-Office, plus connue sous le nom d’Inquisition. Quant à l’archevêque de Paris, Mgr Charles-Gaspard de Vintimille Du Luc 2, je l’ai mis en retrait dans la mesure où il n’a joué qu’un rôle de déclencheur dans l’affaire. Il n’a fait qu’endosser la responsabilité d’un texte élaboré avant lui et dont les jansénistes sont soupçonnés d’être les véritables auteurs. Ce sont eux qui sont visés par la censure romaine. Vous chercherez en vain, toutefois le décret de condamnation dans le catalogue de la Congrégation de l’Index, il ne s’y trouve pas et cette absence constitue bien évidemment l’un des objets de notre enquête 3. À la fin de son article consacré au « Bréviaire parisien de 1736 et le pape Clément XII, d’après une correspondance diplomatique inédite », Mgr Batiffol, historien du Bréviaire romain, nous apprend qu’un décret fut préparé qui en interdisait l’usage liturgique 4. Il ajoute que la cour de France obtint que ce décret ne serait pas publié, sur la promesse que Mgr de Vintimille ferait lui-même la correction de son Bréviaire, conformément aux observations

1   Breviarium Parisiense... D. D. Caroli-Gaspar-Guillelmi de Vintimille, ex comitibus Massiliae du Luc,... autoritate... editum.., Parisiis : sumptibus suis ediderunt bibliopolae usuum parisiensium, 1736, 4 vol. in-4°. Il est du reste rapidement traduit en français à la demande de la duchesse d’Orléans : Bréviaire de Paris, traduit en françois, imprimé par l'ordre de Mgr l'archevêque, Paris, aux dépens des libraires associés pour les usages du diocèse, 1742, 8 vol. in-4°. Comme notre analyse porte sur le fond, nous avons pris le parti de donner toutes les citations en français. 2   Charles de Vintimille du Luc, archevêque de Paris de 1729 à 1746, après avoir été évêque de Marseille de 1684 à 1708, puis archevêque d’Aix de 1708 à 1729. 3   Voir Index librorum prohibitorum, 1600-1966, J.-M. De Bujanda (éd.), Centre d’Études de la Renaissance, Université de Sherbrooke, Montréal et Genève, Médiaspaul et Droz, 2002. 4   Mgr Pierre Batiffol, « Le Bréviaire parisien de 1736 et le pape Clément XII », dans Contribution à l’histoire du bréviaire (d’après une correspondance diplomatique inédite), Paris, Letouzey et Ané, 1896, p. 310-330.

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écrites transmises officieusement de Rome  5. Mgr Batiffol est en dessous de la vérité : non seulement le « parere » fut préparé mais une congrégation fut spécialement nommée pour examiner le Bréviaire. Le produit de son travail a survécu. Une censure extrêmement attentive a effectivement été menée à son terme, bien qu’elle n’ait jamais été officialisée : le Bréviaire comporte des « innovations », des propositions « téméraires », « scandaleuses », « contraires aux décrets tout à la fois du concile de Trente, des conciles provinciaux français et de Pie V », « sentant l’hérésie », « hérétiques », « jansénistes », « quesnellistes », « appelantes », et j’en oublie. C’est précisément ce dossier que j’ai retrouvé aux archives du Saint-Office 6. Il en existe également des copies partielles aux archives du Vatican qui attestent que la censure a circulé officieusement 7.

Dossiers et enjeux d’une énigme historique En compulsant le catalogue du fonds Stanza Storica lors d’un séjour de recherches aux Archives du Saint-Office, en 1999, pour effectuer quelques sondages dans les volumes consacrés à la querelle janséniste, j’ai repéré, avec étonnement, un gros ensemble de huit dossiers composés, pour le premier (en deux parties), de pièces concernant l’impression du nouveau Bréviaire parisien de 1736 à 1740 8, le deuxième organisé de la même manière autour de la préparation de la traduction française en 1740, le troisième autour des éditions du Missel et du Rituel de 1738, le quatrième (en deux parties) autour du Missel de Troyes de 1736. Seuls le cinquième volume sur le Bréviaire de Lyon de 1738 et le sixième sur le Missel d’Orléans de 1738 ne contiennent aucune censure, les consulteurs n’ayant rien trouvé de répréhensible à leur sujet. Lors d’un nouveau séjour en 2001, je suis tombée par hasard sur un volume isolé, qui semblait réunir l’essentiel du dossier de la censure du Bréviaire parisien pour les années 1736-1740 et qui contenait même quelques lettres 9. Il s’achevait exactement au moment de l’arrivée de Benoît XIV, qui décida de ne pas donner suite à l’action de son prédécesseur Clément XII, sans doute parce qu’il préférait s’atteler, lui aussi, à une réforme du Bréviaire romain, réforme qui ne devait jamais aboutir, elle non plus ! Après un dépouillement attentif,

  Ibid., p. 330.   Arch. du Saint-Office, Stanza Storica, G6 a-g : Questione del breviario di Parigi e del messale di Troyes (17131740) et UV 75 variorum t. V : circa novum Breviarium Parisiense, Reta ab an. 1737 ad 1740. 7   Voir en particulier Arch. Vaticanes, Francia, 268, CCCL et Supplemento Francia, XXVII. 8   Arch. du Saint-Office, Stanza Storica, G6 a-g : volumes composés de plusieurs examens et censures de différents consulteurs, de décrets, d’analyses, de correspondances entre les cardinaux romains, les différents nonces de France qui se succèdent, Rainerio d’Elci jusqu’en mai 1738, Niccolo Maria Lercari, nonce intérimaire jusqu’en septembre 1739 puis Marcello Crescenzi et même le cardinal de Fleury ainsi que les principaux libelles français avec souvent leurs traductions en italien ou leurs résumés. 9   Stanza Storica, UV 75 variorum t. V : circa novum Breviarium Parisiense, Reta ab an. 1737 ad 1740. Je remercie Mgr Alessandro Cifrès, préfet des archives du Saint-Office d’avoir bien voulu accéder à la requête de numérisation de ce dossier partiel que mes collègues Pierre-Antoine Fabre et Philippe Boutry lui ont transmise au nom du CARE. Le manuscrit n’est pas folioté. Seules les pièces annexes aux censures comportent une lettre. 5 6

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j’ai pu constater qu’il s’agissait essentiellement des censures des quatre consulteurs commissaires nommés spécialement par une congrégation particulière, comme nous allons le voir, et de documents destinés au nonce de Paris, Rainerio d’Elci, archevêque de Rhodes : principalement une cinquantaine de « feuillets d’observations » donnés comme ayant été rédigés par le pape 10, et qui constituent une sorte de bilan des censures. Y sont joints une petite lettre instructive pour le nonce de Paris  11 et une autre destinée à être transmise officieusement au cardinal de Fleury 12, ainsi que des instructions pour Mgr Vintimille, sorte de canevas pour la rédaction d’un nouveau mandement 13. Le but était d’inciter le cardinal ministre et l’archevêque de Paris à suspendre le Bréviaire et à publier un mandement épiscopal de rétractation. À la suite du refus de l’archevêque qui ne consentira jamais à renier son Bréviaire, Benoît XIV changera de tactique. Il essaiera d’obtenir par la persuasion latérale ce que la pression frontale n’avait pas réussi à faire. Après l’épuisement de la première édition, au moment où il sera question d’en préparer une nouvelle, l’écrit qui contenait les corrections que Clément XII avait demandées (pièces C et E) sera transmis directement au père Vigier, l’auteur de la réforme, au début de 1743, mais d’une manière inofficieuse, comme étant « l’ouvrage d’une personne zélée, et qui pouvait fournir des lumières pour une bonne nouvelle édition de ce bréviaire »14. Le dossier n’est donc pas le simple projet d’une censure abstraite qui aurait avorté mais une censure en action ou tout au moins en recherche d’action. Il nous fait ainsi pénétrer au cœur de la diplomatie la plus officielle et officieuse. Le ton est tout à la fois alarmiste et précautionneux. Clément XII précise qu’il faut porter de « l’intérêt » et de la « vigilance » à la « gravité » de cette affaire, qu’il faut y mettre du « soin » 15. Cette censure du Bréviaire parisien de 1736 pose une véritable énigme historique : Comment Mgr de Vintimille, partisan de la constitution Unigenitus qui avait donné les preuves de son zèle antijanséniste en mettant en pratique la politique de répression lancée par le cardinal de Fleury, comment l’ennemi par excellence des jansénistes pouvait-il se retrouver à la même place que ceux qu’il réprimait et dans les mêmes dossiers du SaintOffice ? Et plus étonnant encore, qu’avait-il pu se passer dans l’esprit de l’archevêque de Paris pour qu’il confie la tâche de réformer ce qu’il avait de plus précieux, le bréviaire du diocèse, aux soins d’une commission formée par ses pires ennemis jansénisants et carrément jansénistes  ? Cela alors même que son prédécesseur, le cardinal de Noailles, pourtant quesnelliste, avait refusé de publier le bréviaire qu’il avait lui-même sollicité, information que nous confirme le canevas de la lettre au nonce de Paris destinée à être transmise au

  Pièce C : Feuillets d’observations sur les passages qui déplaisent spécialement à sa Sainteté dans le nouveau bréviaire et pièce E : ajouts. 11   Pièce A : Lettre instructive pour le nonce de Paris (Rainerio d’Elci, archevêque de Rhodes). La lettre n’est pas datée mais elle est sans doute du début de l’année 1737 si l’on en juge par les références à des correspondances en octobre et décembre 1736 et en janvier 1737. 12   Pièce B : Autre lettre au nonce mais ostensiblement destinée au cardinal de Fleury. 13   Pièce D : Instructions pour le nouveau mandement qui doit être publié par l’archevêque de Paris. 14   Benoît XIV à Tencin, 18 janvier 1743, Arch. des affaires étrangères, Correspondance de Rome, t. 791, f° 26, lettre citée par P. Batiffol, op. cit., p. 274 15   Pièce D. 10

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cardinal ministre Fleury 16. La source de cette lettre semble être la Remontrance, ou Seconde lettre à Mgr l'archevesque de Paris du père jésuite Claude-René Hongnant 17 : Il y a plus de quinze ans que ce fruit conçu dans les ténèbres était en état de paraître ; mais il fallait trouver un protecteur à l’ombre duquel il pût impunément braver le grand jour, et quels efforts n’a-t-on pas mis en œuvre pour la réussite de ce projet ? L’ouvrage était à peine achevé, qu’on s’adresse à feu Monseigneur le cardinal de Noailles pour le lui faire adopter ; mais nous savons que ce prélat le rejeta avec mécontentement, et qu’il ne voulut point souffrir qu’on lui en parlât. Feu Monseigneur de Lorraine, évêque de Bayeux, se montra plus favorable au Bréviaire ; il désira d’en introduire l’usage dans son Église, mais le soulèvement de tout son Chapitre et de tout son diocèse contre lui, l’empêcha de tenter l’entreprise, et son Altesse ne crut pas que son nom ni sa dignité pussent mettre l’ouvrage à couvert de la censure publique. Se serait-on persuadé (et qu’on juge par ce seul trait des intrigues du parti) qu’un Bréviaire ainsi proscrit dût être un jour à l’abri d’un nom aussi respectable et aussi cher à l’Église que l’est celui de Vintimille 18 ?

Cette inversion carnavalesque n’était pas passée inaperçue à l’époque, du reste, si l’on en juge par quelques pièces ironiques en vers ou chansons moqueuses à propos de Mgr de Vintimille 19. Quant aux jansénistes dits « figuristes » (parce qu’ils cherchaient partout des figures et des prophéties), ils y virent la main de la Providence. Dans une lettre du 9 mars 1736, Mgr de Colbert, l’évêque janséniste de Montpellier, compare l’archevêque de Paris « au prophète Balaam appelé pour maudire et forcé de bénir le peuple d’Israël 20 ». Une difficulté se présente donc d’emblée, celle d’accorder la politique antijanséniste menée par Vintimille sous la direction du cardinal de Fleury avec sa réforme du Bréviaire, conduite par des personnalités gallicanes, jansénisantes voire carrément jansénistes. Ce dernier point constitue l’un des enjeux importants de la discussion. Les historiens se partagent en deux camps dont nous forcerons les traits pour les besoins de la démonstration  21. Le premier, avec Jean de Viguerie  22 ou l’abbé Bremond  23 voit en Vintimille un gallican plus anti-romain qu’anti-janséniste, un habile politique qui

  Pièce B.   Sur le Père Claude-René Hongnant, de la Compagnie de Jésus, voir Carlos Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, 2 vols, Bruxelles/Paris, 1890-1900, t. IV, col. 453-455. 18   Père Claude-René Hongnant, Remontrance, ou Seconde lettre à Mgr l'archevesque de Paris, s. l. n. d. Elle est citée par dom Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans, Fleuriot, 3 vols, 1840-1851, t. II, p. 352. 19   Par exemple : Les sensibles regrets des jésuites au sujet de l’attachement de M l’archevêque de Paris à soutenir son nouveau bréviaire avec la réponse de ce prélat aux jésuites, s.l., 1737. 20   Lettre citée par l’abbé Jean-François Bergier, Histoire de la controverse et de la réforme liturgique en France au dix-neuvième siècle, Besançon, J. Bonvalot, 1862, p. 126. 21   Ce point est très bien mis en évidence par Xavier Bisaro, L’œuvre liturgique et musicologique de l’abbé Jean Lebeuf (1687-1760). Histoire, réforme et devenir du plain-chant en France au xviiie siècle, thèse de doctorat, université de Tours, 2004, p. 416-419. 22   Jean de Viguerie, « Vintimille du Luc, Charles Gaspard Guillaume de », Histoire et dictionnaire du temps des Lumières, 1715-1789, Paris, Laffont, 1995, p. 1442. 23   Abbé Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. X, La Prière et les prières de l’Ancien Régime, Paris, Bloud et Gay, 1932. 16 17

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a su user de fermeté mesurée contre les jansénistes appelants. On peut reconnaître dans la thèse une transposition du jugement qui a été assez généralement porté sur le cardinal de Fleury  24. Dans cette perspective, le Bréviaire devient la pierre de touche de la position de l’archevêque. Vintimille peut être considéré comme l’inspirateur de «  cette révolution liturgique néo gallicane qui va contribuer à diminuer pendant plus d’un siècle l’intensité de communion avec le siège romain 25 ». Le Bréviaire n’est pas janséniste et c’est uniquement par « gourmandise », péché mignon de Mgr de Vintimille, que Charles Coffin fut choisi comme « prince des poètes latins » pour rédiger les hymnes, en dépit de son engagement dans le mouvement de l’Appel de la bulle Unigenitus au prochain concile. Le principe des réformes liturgiques remonte au xviie siècle et s’enracine dans les principes tridentins du pape Pie V. L’abbé Bremond se demande même comment dom Guéranger, l’auteur des Institutions liturgiques qui dénonce le complot des jansénistes à toutes les pages de son livre, a pu ne pas s’en apercevoir puisqu’il le démontre malgré lui 26. Pour le second camp, avec par exemple Augustin Gazier, l’historien du mouvement janséniste, Vintimille est l’homme de main du cardinal de Fleury qui a mis en pratique une politique répressive contre les jansénistes appelants, particulièrement dans les paroisses parisiennes et au sein des ordres et communautés religieuses 27. Les Nouvelles ecclésiastiques sont ici la source. Elles comptabilisent les « persécutions » de l’archevêque sur plusieurs colonnes, qu’il s’agisse des interdictions d’ecclésiastiques appelants, des fermetures de séminaires et de collèges ou de son combat contre les miraculés et les convulsionnaires. Dans cette seconde perspective le bréviaire réformé représente, en revanche, une pierre d’achoppement. La conduite contradictoire de Vintimille, antijanséniste et militant d’un côté, tout en se montrant ouvert à des principes théologiques qui plaisent aux jansénistes de l’autre, en devient peu compréhensible 28. Augustin Gazier résume bien le paradoxe : Il est arrivé ainsi que Vintimille s’est contredit lui-même de la façon la plus extraordinaire. Il employait toute son autorité pour faire triompher la Bulle, et c’était par son autorité que les vérités condamnées par la Bulle éclataient de tous côté dans les chants et dans les prières de l’Église 29.

Travail de l’érudition ecclésiastique ou complot janséniste ? Sans succomber à la dramatisation entretenue par l’organe du parti janséniste, nous pensons que Vintimille a incontestablement été au service de la politique répressive du cardinal de Fleury qui entendait faire respecter la bulle Unigenitus comme loi de l’Église et

  Georges Hardy, Le cardinal Fleury et le mouvement janséniste, Paris, Champion, 1926.   J. de Viguerie, « Vintimille », op. cit., p. 1442. 26   Abbé H. Bremond, Histoire littéraire…, op. cit., p. 35. 27   Augustin-Louis Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, Champion, 1922, 2 vol. 28   Nous partageons pleinement la thèse de Xavier Bisaro, op. cit., p. 417-419 en essayant d’expliquer la raison profonde de l’existence de cette mémoire contradictoire autour du personnage de l’archevêque de Paris, Mgr de Vintimille, dans la suite de notre article. 29   A.-L. Gazier, Histoire générale…, op. cit., t. II p. 7-8. 24 25

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de l’État à la suite de l’édit royal de 1730. Il était bien, selon l’expression de Françoise de Noirfontaine, « le prélat que les circonstances exigeaient  30 ». Sa modération relative tient surtout au fait qu’il ignore le fonctionnement du parti janséniste, mais sa fermeté est constante à l’égard des appelants récidivistes qu’il pourchasse systématiquement. Il interdit tout de même quelque 300 prêtres de son diocèse et exerce de nombreuses pressions sur les ordres, les communautés, le Chapitre de Notre-Dame ou la Faculté des Arts pour faire révoquer l’Appel. Il fait révoquer trois curés jansénistes de Saint-Étienne-du-Mont, de la Villette et de Saint-Médard et prend personnellement part à la polémique contre les convulsionnaires. Son action est surveillée de près par Rome, si l’on en juge par le rapport détaillé du nonce Lercari en 1739 qui a permis au père de Dainville d’établir la carte des paroisses et des collèges suspects de jansénisme 31. L’étude récente de Ségolène de DainvilleBarbiche confirme qu’à sa mort en 1746, après un épiscopat de seize ans et demi, Vintimille avait « largement repeuplé les paroisses de Paris de curés et d’ecclésiastiques d’une orthodoxie éprouvée »32. Ce zèle de l’archevêque pour l’application de la bulle Unigenitus, connu par ailleurs de la curie et du pape, comme le dossier le révèle, rend son choix des hommes chargés de conduire le projet de réforme du Bréviaire d’autant plus déroutant. À sa décharge, le dossier du Saint-Office précise que la réforme du Bréviaire a été entreprise du vivant du cardinal de Noailles et que ce dernier a refusé d’y apporter sa caution 33. Sans doute a-t-il jugé préférable de ne pas rajouter de l’huile sur le feu de la querelle de l’Unigenitus. Ce n’était pas le bon moment pour laisser introduire des variations par rapport au Bréviaire romain qui auraient donné l’occasion de penser que le cardinal, déjà accusé d’être à la solde des jansénistes, désirait rompre la communauté de foi avec Rome. Il faut se souvenir qu’après la déposition de l’évêque janséniste de Senez, Soanen, par le concile d’Embrun, en 1727, l’archevêque de Paris fit l’objet d’une extrême pression tout à la fois de Rome et de Fleury qui voulaient à tout prix obtenir sa soumission à la constitution Unigenitus. Mais Vintimille n’a aucun complexe, lui, par rapport à la constitution Unigenitus et devant les exemples des églises de Sens, de Rouen, d’Orléans et d’autres qui avaient réformé leur liturgie, il sent que sa mission est de continuer l’œuvre de perfectionnement commencée par ses prédécesseurs. Il pense sans doute surtout à Mgr François de Harlay qui est le premier, en 1680, à mettre en application les nouveaux principes de la science ecclésiastique de son

  Françoise de Noirfontaine, « Au temps de Noailles et de Vintimille, archevêques de Paris », Le basculement religieux de Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 1998, p. 201. 31   François de Dainville, « La carte du jansénisme à Paris en 1739 d’après les papiers de la nonciature », Bulletin de la société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 1969, p. 113-124. Voir également de Ségolène de Dainville-Barbiche, « Á propos de la carte des paroisses jansénistes à Paris en 1739 », François de Dainville S.J. (1909-1971), pionnier de l’histoire de la cartographie et de l’éducation, C. Bousquet-Bressolier (éd.), Paris, École des Chartes, PRODIG, 2004, p. 167-186. 32   Ségolène de Dainville, Devenir curé à Paris. Institutions et carrières ecclésiastiques (1695-1789), Paris, PUF, 2005, p. 196. 33   Cette information confirme l’hypothèse que dom Guéranger donne dans ses Institutions liturgiques, op. cit., t. II, p. 297 et p. 352. La source semble en être la Remontrance, ou Seconde lettre…, op. cit., du Père Claude-René Hongnant, voir notes 18 et 19. 30

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temps : souci de clarté, recherche de la vérité, goût pour l’antiquité 34. C’est ce qu’il explique dans le mandement en latin daté du 3 décembre 1735 qui sert d’introduction au Bréviaire : Nous donc, aussitôt que, par le don de la Providence, nous avons eu pris le gouvernement de cette église métropolitaine, ayant été averti par des hommes sages et érudits, nous avons reconnu la nécessité d’un nouveau bréviaire. En effet, l’ordre admirable et le goût excellent de solide piété et doctrine qui brille dans plusieurs des offices des dernières éditions du Bréviaire, nous a fait désirer ardemment de voir introduire dans le reste des offices une dignité et une pureté semblables 35.

Venant ensuite au détail des améliorations que présente le nouveau Bréviaire, la lettre pastorale énumère bon nombre de principes qui se trouvent chez les érudits Frédéric-Maurice Foinard 36 ou l’abbé Jean Grancolas 37. Ces derniers avaient suivi eux-mêmes dom de Vert et Le Tourneux dans leur réforme du Bréviaire de Cluny, modèle de la réforme dite néogallicane : Dans l’arrangement de cet ouvrage, à l’exception des hymnes, des oraisons, des canons et d’un certain nombre de leçons, nous avons cru devoir tirer de l’Écriture sainte toutes les parties de l’office ; persuadés, avec les saints Pères, que ces prières seront plus agréables à la majesté divine, qui reproduisent non seulement les pensées, mais la parole même de Dieu 38.

Le psautier est réparti sur toute la semaine, des psaumes propres sont assignés à chaque jour et même à chaque heure du jour. Ceux qui sont trop longs sont coupés. Vintimille précise que « par ce partage, nous avons fait disparaître l’inégalité des offices et fait en sorte de moins fatiguer l’esprit et l’attention de ceux qui chantent l’Office »39. Le dimanche exclut toutes sortes de fêtes. Les noms de presque tous les saints papes fêtés à Rome disparaissent 40.   Voir Bruno Neveu, « La vie érudite à Paris à la fin du xviie siècle », Érudition et Religion, Paris, Albin Michel, p. 71 sqq. 35   Nous adoptons la traduction de dom Guéranger, op. cit., t. II, p. 306. 36   Frédéric-Maurice Foinard, Breviarium ecclesiasticum, Embrun, A. Nicolai, 1726, 2 vol. ; id., Analyse du bréviaire ecclésiastique, Paris, Lottin, 1726 37   Abbé Jean Grancolas, Commentaire historique sur le bréviaire romain, avec les usages des autres églises particulières et principalement de l’Église de Paris, Paris, Lottin, 1727, 2 vol. 38   Dom P. Guéranger, op. cit., t. II, p. 307. 39   Ibid., p. 308. 40   Une trentaine de saints romains issus surtout du sacramentaire grégorien sont éliminés, autant que lors de la réforme précédente entreprise par Mgr de Harlay en 1680. De plus, une bonne dizaine de saints italiens introduits au siècle précédent sont écartés. Sur la question des saints français, le mémoire d’un élève d’Alphonse Dupront, Christian Thalamy (Le calendrier parisien d’après les Bréviaires de 1584 à 1736, Maîtrise, Université Paris IV - Sorbonne, 1969-70, Bibl. du CARE), entièrement basé sur un travail de dépouillement statistique des différentes éditions du Bréviaire parisien, semble diverger d’avec les données de Pierre Jounel, Le renouveau du culte des saints dans la liturgie romaine, Edizioni liturgiche, Roma, 1986, p. 39-47. En 1680, la réforme de Mgr de Harlay a déjà réintroduit 24 saints français par rapport au Bréviaire parisien de 1607 qui en avait supprimé plus d’une cinquantaine. Si Vintimille fait bien place aux saints récents comme sainte Thérèse et saint Vincent de Paul, le calendrier local de Paris semble avoir été ajouté du temps de Mgr de Harlay et le nombre de 130 à 134 saints français demeure stable d’un bréviaire à l’autre. En revanche, les saints romains sont en constante diminution : 95 en 1584, 89 en 1607, 63 en 1680 et seulement 31 en 1736, de même que le chiffre total des saints : 348 en 1584, 280 en 34

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Les exemples de saints sont conçus de manière à porter davantage à l’imitation qu’à l’admiration du merveilleux. La morale prend une place prépondérante dans le but de l’Office. Sans doute Vintimille entendait-il aussi asseoir son autorité en faisant réformer tous les livres de son diocèse et en proclamant l’obligation absolue pour l’ensemble des églises, monastères, collèges et communautés d’en user à l’exclusion de tout autre. Dans cette préface programmatique, rien ne distingue donc le projet de Vintimille de la science ecclésiastique de son temps, si ce n’est le choix des « hommes sages et érudits », qu’il se garde bien de nommer, et qui ont commencé à travailler du vivant du cardinal de Noailles, sous la conduite de l’abbé d’Harcourt, doyen de Notre-Dame. Impossible donc de faire l’économie de l’évaluation du « jansénisme » des membres de la commission de réforme. C’est le point essentiel autour duquel tourne la polémique lancée au lendemain de la publication des quatre volumes du bréviaire le 21 février 1736. Elle est directement à l’origine de l’examen par le Saint-Office, comme nous allons le voir un peu plus loin. Le premier cas qui s’impose à l’examen est celui du principal auteur de la réforme, François-Antoine Vigier ou Viger  41, prêtre de l’Oratoire. Il semble avoir commencé son travail dès les années 1720, du temps du cardinal de Noailles, si l’on en croit le père jésuite Hongnant 42. Vigier est supérieur du séminaire de Saint-Magloire qui a été le bastion de la résistance, le fief des jansénistes figuristes formés par les abbés Duguet et d’Etemare. Il a effectivement publié, dès 1727, le Martyrologium Parisiense cum canonibus qui diebus singulis legendi ad absolutionem capituli juxta ritum Parisiensem. Par rapport au soupçon de jansénisme, on doit observer qu’il n’a jamais été appelant et qu’il va contribuer, du reste, à faire recevoir la bulle Unigenitus dans son ordre lors de l’assemblée de 1746  43. Dans un mémoire composé à ce sujet, il la qualifie de « règlement provisoire de police qui n’obligeait qu’à une soumission extérieure ». Signe qui contribue également à le dédouaner, il n’a droit à aucune notice nécrologique dans les Nouvelles ecclésiastiques ou le Nécrologe de Cerveau, sources typiquement jansénistes. Sa sensibilité est cependant nettement antiromaine et antijésuite 44. En second lieu, François-Philippe Mesenguy 45 est une sorte de caution théorique des innovations qu’il met du reste en pratique dans le missel de 1738. Acolyte, il n’a volontairement 1607, 281 en 1680, 241 en 1736. Quant aux saints français, ils ne rattraperont jamais les chiffres du Bréviaire de 1584 : 159 en 1584, 108 en 1607, 131 en 1680, 134 en 1736. 41   La notice biographique la plus complète sur François-Antoine Vigier se trouve aux archives de l’ancien Oratoire. 42   Voir note 15. 43   Dominique Julia et Willem Frijhoff, « L'Oratoire et le jansénisme : l’Assemblée générale de 1746 », Jansénisme et Révolution. Actes du colloque de Versailles tenu au Palais des Congrès les 13 et 14 octobre 1989, réunis par C. Maire, Paris, Chroniques de Port-Royal, 1990, p. 25-45. Voir également les Nouvelles ecclésiastiques, 6, 13 et 20 novembre, 1746. 44   Les archives de l’ancien Oratoire possèdent le manuscrit de conférences inédites que Vigier a prononcées au séminaire de Saint-Magloire. 45   Sur Mésenguy voir abbé René Cerveau, Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité des dix-septième et dix-huitième siècles, 7 vols, Paris, s.n., 1760-1778, t. VI, 1767, p. 202-208, Nouvelles ecclésiastiques,

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jamais été ordonné, attitude typique de l’intransigeance janséniste face au problème de conscience que posait la signature du formulaire de soumission à la Bulle. Son engagement dans le mouvement de l’Appel — il est appelant, réappelant et adhérant à la cause de Mgr de Senez —, l’a conduit dans un premier temps à adopter une conduite prudente 46. Dès 1728, il se retire du collège de Beauvais pour mener une retraite studieuse qui lui permet d’acquérir, grâce à ses publications, une réputation d’érudit ecclésiastique et d’éducateur chrétien, notamment auprès du duc et de la duchesse d’Orléans, ses protecteurs 47. Il peut être considéré comme le théoricien de la réforme bien qu’il n’ait pas participé directement à la rédaction de la première édition de 1736. Il se fait le champion, en effet, de la primauté du Bréviaire de Paris qui devrait en quelque sorte remplacer le Bréviaire romain comme modèle à imiter. Dans ses Lettres écrites de Paris à un chanoine de l’église cathédrale de ***, contenant quelques réflexions sur les nouveaux bréviaires, publiées en 1735  48, où il annonce la publication de l’ouvrage, alors sous presse, il définit le bréviaire comme « un recueil de prières, de louanges, d’actions de grâce, et d’instructions publiées par l’autorité épiscopale, et un ouvrage d’esprit, qu’un ou plusieurs particuliers ont composé suivant leur génie, leurs vues, leur goût, et certaines règles qu’ils se sont prescrites  49 ». Dans cette optique, le caractère populaire et traditionnel qui faisait du bréviaire un répertoire de formules consacrées disparaît au profit du livre d’études sacerdotales, conçu comme une composition humaine que chacun juge et modifie selon son appréciation des besoins des prêtres. Mésenguy conseille à son interlocuteur d’adopter le nouveau Bréviaire, d’une part pour éviter de grandes dépenses, mais aussi, d’autre part, en vue de rétablir l’unité, car il déplore l’absence de concertation du corps épiscopal dans le processus de réforme, où tout le monde cherche l’originalité. Mésenguy a surtout travaillé à la nouvelle version du Missel, en 1738, qui est presque entièrement de lui, et à celle du Processionnal, en 1739. Auparavant, en 1736, il avait réédité les chants et offices propres au diocèse de Montpellier, ainsi que le supplément au Missel publié sous l’autorité de l’évêque janséniste Charles-Joachim Colbert. Vintimille lui confiera la révision de la nouvelle version du Bréviaire de 1745, c’est dire s’il lui fait confiance.

6 sept. 1768, p. 141-144, et surtout l’abbé Lequeux, Mémoire sur la vie et les ouvrages de feu l’abbé François-Philippe Mésenguy, acolythe du diocèse de Beauvais, s.l., 1763. 46   Ses écrits contre la bulle Unigenitus sont restés anonymes tout au moins jusqu’en 1748, date à laquelle il choisit de publier La Constitution Unigenitus adressée à un laïque de province avec quelques réflexions sur l’acte d’appel des quatres évêques, s. l., 1748. Ses cinq Lettres à un ami sur la constitution Unigenitus, s. l., 1752, parues anonymement, sont mises à l’Index la même année. 47   Il ajoute plusieurs volumes à son Abrégé de l’histoire et de la morale de l’Ancien Testament où l’on a conservé, autant qu’il a été possible les propres paroles de l’Ecriture sainte, qu’il avait fait paraître chez Desaint en 1727 et publie plusieurs ouvrages typiques de l’érudition gallicane de son temps : Le Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ, traduit en français et précédé de l’Ordinaire de la messe, Paris, Lottin et Desaint, 1729, Histoire des fêtes mobiles que l’Église célèbre dans le cours de l’année, (en collaboration avec les abbés Goujet et Roussel), Paris, Lottin, 1730, Les Vies des saints pour tous les jours de l’année avec l’histoire des mystères de Notre-Seigneur, (en collaboration avec les mêmes), Paris, Lottin, 1730, Epîtres et évangiles des dimanches et festes de toute l’année et des féries de caresme, avec des reflexions des pratiques et des prières, Paris, Lottin et Desaint, 1737. 48   Abbé François-Philippe Mésenguy, Lettres écrites de Paris à un chanoine de l'église cathédrale de***, contenant quelques réflexions sur les nouveaux bréviaires, Paris, 1735. 49   Ibid., p. 1.

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Le jansénisme de Mésenguy est irréfragable, mais il faut considérer qu’il ne devient public que dans la seconde moitié du siècle. Mésenguy est membre actif du parti clandestin et un rédacteur des Nouvelles ecclésiastiques. Il vit dans la paroisse refuge de Saint-Étiennedu-Mont où il donne des conférences jusqu’à l’arrivée du curé antijanséniste Bouettin en 1744. Il pratique l’exégèse des figures développée par Duguet mais partage l’aversion de la plupart des théologiens figuristes vis-à-vis des convulsions. Cette appartenance à l’organisation secrète reste toutefois largement ignorée de la police et sans doute plus encore de Vintimille. Connu certes comme un appelant de base, le publiciste érudit se bat, encore en 1739, pour la révocation de l’Appel par la Faculté des Arts, mais il ne passe en aucun cas à cette époque pour un théologien important du jansénisme. Lorsque son Exposition de la doctrine chrétienne 50 sort en 1744, elle est accueillie comme un catéchisme bien composé et agréablement écrit. Elle va connaître un succès considérable dont les traductions italiennes et allemandes attestent. Ce n’est qu’à partir de la nouvelle querelle des refus de sacrements qu’il est de plus en plus désigné comme le théologien du mouvement janséniste, un second Quesnel en quelque sorte. Il faut attendre 1757 pour une première mise à l’Index sous Benoît XIV et une censure du jésuite Benvenuti qui souhaitait néanmoins qu’on traduisît cet ouvrage plein de piété quand on aurait corrigé ce qu’il y avait de trop gallican 51. Quant à la Bulle du pape zelante Clément XIII, il fallut jusqu’à neuf congrégations très mitigées pour parvenir à promulguer le bref Dum inter gravissima le 14 juin 1761 contre l’octogénaire, bref que le roi ne laissa pas transpirer en France. Troisième protagoniste de l’affaire, le plus scandaleux à l’époque même et par la suite aux yeux des historiens conservateurs — dom Guéranger s’étrangle presque d’indignation à son propos —, le laïc Charles Coffin 52, recteur de l’université de Paris depuis 1718, l’auteur des fameuses hymnes, si dérangeantes aux yeux des censeurs et si louées par l’historien janséniste Augustin Gazier 53. Dans ce cas aussi, il faut souligner que Coffin jouissait d’une solide réputation de poète et de panégyriste royal, puisque l’université l’avait choisi pour manifester sa joie à la naissance du Dauphin en 1729 54. Mais il avait également un pedigree janséniste : successeur du janséniste Rollin dans l’administration du collège de DormansBeauvais, il s’était montré, lui aussi, un appelant extrêmement actif à la Sorbonne et à la Faculté des Arts  55. En 1725, il avait déjà publié une hymne en l’honneur de la guérison de

  Abbé François-Philippe Mésenguy, Exposition de la doctrine chrétienne ou Instruction sur les principales vérités de la religion, Utrecht, 1744, 6 vol., Cologne, 1754 et 1758, 4 vol., Paris, 1767, 4 vol. 51   A.–L. Gazier, Histoire générale…, op. cit., t. II, p. 117. 52   Voir l’Éloge historique de Coffin, par Antoine Langlet dans la préface des Œuvres de M. Coffin, ancien recteur de l'Université, Paris, Desaint et Saillant, 1755, 2 vol. et l’article qui lui est consacré dans Louis Moréri, Le grand dictionnaire historique, nouv. éd., 10 vols, Paris, s.n., t. III, 1759. 53   Voir les dernières pages de la thèse latine d’Augustin-Louis Gazier, De Santolii victorini sacris hymnis, Paris, E. Thorin, 1875. Pierre Jounel parle également du « talent » de Coffin : Pierre Jounel, Liturgie aux multiples visages, Roma, Edizioni Liturgiche, 1993, p. 205. 54   Charles Coffin, Oratio in recentem ortum serenissimi Delphini, habita Universitatis nomine a Carolo Coffin,... 8 cal. decembris 1729, in exterioribus Sorbonae scholis..., Parisiis, Thiboust, 1729 55   Charles Coffin, Actes et exposition des motifs de l'appel interjetté par l'Université de Paris, le 5 octobre 1718, au futur concile général, de la Constitution de N. S. P. le pape Clément XI, qui commence par ces mots : « Unigenitus Dei filius », dattée du 8 septembre 1713, et des lettres publiées à Rome le 8 septembre 1718, avec le discours pro50

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madame La Fosse, une miraculée janséniste lors de la procession du Saint-Sacrement 56. Son rigorisme ne l’avait pas empêché, cependant, d’écrire des odes aux vins de Champagne et de Bordeaux ! Sa mort, survenue en 1749, sera directement à l’origine de la nouvelle querelle autour des billets de confession. L’hymnographe du Bréviaire de Paris mourra en effet privé de sacrements 57 !

Les critiques du père jésuite Hongnant Un mois après la parution du bréviaire, le 21  février 1736, une lettre publique anonyme  58, due très probablement au père jésuite Claude-René Hongnant, rédacteur des Mémoires de Trévoux, dénonce l’intrigue odieuse, dissimulée derrière l’autorité de l’archevêque de Paris qui lui a permis de voir le jour. Le Parlement la condamne aussitôt, en volant au secours du nouveau Bréviaire et de l’archevêque : On n’aurait pas cru qu’un bréviaire que Monsieur l’archevêque de Paris vient de donner à cette ville capitale et à son diocèse, dut faire l’occasion d’un libelle aussi téméraire que scandaleux : moins encore que cette nouvelle rédaction, effet de sa sollicitude pastorale, attendu depuis si longtemps, et préparé avec tant de soins et de précautions, put être accusée d’un penchant trop favorable, pour des sentiments et pour un parti dont ce prélat n’a jamais eu à se défendre 59.

La Lettre se présente comme une explicitation publique des plaintes qui s’étaient élevées dans la coulisse. À en croire le père Hongnant, « plusieurs pasteurs » et « un grand nombre de docteurs et d’ecclésiastique qui font l’édification de la capitale » avaient manifesté aussitôt leur désapprobation auprès de l’Archevêché et à Rome 60. Et de fait, nous avons la preuve par un décret daté du 26 février 1736 que moins d’une semaine après sa publication, le Saint-Office demande au nonce un rapport sur le nouveau Bréviaire  61. Les Nouvelles ecclésiastiques identifient précisément les protestataires :

noncé par M. Coffin,... dans l'assemblée générale tenue aux Maturins, le 13 décembre 1718, pour la procession solennelle de l'Université en l'église de Saint-Magloire, peu de temps après son appel, Paris, Thiboust, (s. d.). Voir Boris Noguès, « Les professeurs de la faculté des arts de Paris et le jansénisme au xviiie siècle, un engagement en trompe-l'œil ? », L'abbaye de port-Royal-des-champs : VIIIe centenaire, Chroniques de Port Royal, n°55, Paris, 2005, p. 311-324. 56   Charles Coffin, Hymne latine sur le miracle opéré à la procession du très-saint Sacrement dans la paroisse de Sainte Marguerite, le 31 may 1725, Paris, Ballard, 1726. 57   Voir Nouvelles ecclésiastiques, 18 sept. 1749. 58   Père Claude-René Hongnant, Lettre sur le nouveau Bréviaire de Paris, s.l.n.d., imprimé en date du 25 mars 1736. 59   Arrêt de la Cour du Parlement qui ordonne qu’un libelle intitulé « Lettre sur le nouveau Bréviaire de Paris » imprimé en 1736, daté à la fin le 25. mars 1736, sera lacéré et brûlé par l'Exécuteur de la haute justice, Paris, P. Simon, 1736, p. 1. 60   Père C.-R. Hongnant, Lettre…, op. cit., p. 11. 61   Nous suivons la table des matières du manuscrit des arch. du Saint-Office, Stanza Storica, G6 : Acta circa impressionem novi Breviarii Parisiensis, 1736.

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Les chefs des mécontents étaient d’une part, le Docteur Gaillande ; et de l’autre, MM. ­Robinet et Regnaud, que leur qualité de Grand Vicaires n’a point retenus. M. Parquet, curé de S. Nicolas des Champs, entrait aussi pour quelque chose dans cette conjuration  ; et MM.  De Saint-Sulpice et S. Nicolas du Chardonnet y ont fait un personnage digne des lumières théologiques, de l’érudition et du bon gout que tout le monde leur connaît 62.

Gaillande, en particulier, aurait cherché à persuader Vintimille qu’on tentait de lui imposer un mauvais bréviaire. Ces réactions poussent l’archevêque à nommer des commissaires pour examiner l’objet de la polémique. Ils se réunissent dans le courant du mois de juillet sous la direction de l’abbé d’Harcourt, doyen de Notre-Dame, qui avait déjà eu « une part distinguée à la conduite » du nouveau bréviaire. Avec l’abbé Jean-Omer Joly de Fleury et le père Vigier, il est d’avis de ne pas écouter les plaintes infondées, tandis que les autres membres de la commission, les abbés de la Chasse et de Romigny, se retranchent dans le silence. Le janséniste abbé Couet trouve alors un compromis en proposant de maintenir le bréviaire, tout en plaçant des cartons aux endroits qui avaient le plus choqué, et en rétablissant les strophes de l’hymne Ave Maris Stella qui avaient été éliminées au motif de l’expurger de « toutes les expressions qui semblaient attribuer formellement à la Sainte Vierge de faire par elle-même et d’opérer directement et par une puissance qui lui serait propre », comme nous l’apprennent les Nouvelles ecclésiastiques  63. Parallèlement, Fleury aurait suspendu la diffusion de l’ouvrage pendant deux mois, le temps de préparer la nouvelle version dûment corrigée, si l’on en croit une indication contenue dans le dossier du Saint-Office  64. Les corrections ne seront pas très nombreuses à l’arrivée, elles se ramènent à une dizaine : rétablissement de l’ancienne forme de l’hymne Ave Maris Stella, remplacement de l’Homélie de saint Jean-Chrysostome, jugée trop janséniste, dans l’office de saint Jacques le Majeur, suppression du canon du troisième concile de Tolède (jugé trop moliniste) placé à prime du mardi de la quatrième semaine de Carême, etc. Dans la foulée les gravures de Boucher qui illustraient la toute première édition sont également écartées par les examinateurs, plus rigoristes sur ce chapitre que les remontrants 65. La lettre du père jésuite Hongnant paraît dans la phase initiale de ces tractations le 25 mars 1736. Elle est manifestement destinée à empêcher toute forme d’accommodement « en matière de foi ». Elle s’attache à démontrer l’impossibilité de corriger ce qu’il y a de

  Nouvelles ecclésiastiques, 28 juillet 1736, p. 117.   Ibid., p. 118. Si l’on en juge par des « notes sur les cartons » conservées dans un recueil de la Bibl. Mazarine, les corrections portent surtout sur des points de détails, de style ou des fautes d’impression. Mais il conviendrait de vérifier avec le manuscrit relié des cartons du bréviaire de Paris conservé aux arch. de l’abbaye de Solesmes. Je remercie Xavier Bisaro pour cette dernière information. Quant à la toute première édition du Bréviaire de 1736, elle est extrêmement rare, il en existe un exemplaire à la réserve de la Bibl. Mazarine, encore illustrée par les gravures de Boucher. 64   Arch. du Saint-Office, Stanza Storica, UV 75 : Relatione de nuovo Breviario di Parigi (à la suite de l’ajout E et avant la lettre du secrétaire Valenti). 65   Voir Augustin Gazier, « François Boucher et le Bréviaire de 1736 », Revue de l’art chrétien, 1911, p. 121-130. 62 63

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défectueux car « l’ouvrage entier pèche dans son tout et ses parties, dans sa matière et dans sa forme »66. Ce qu’elle vise à obtenir, c’est la suppression pure et simple du Bréviaire : C'est une masse d'un levain infecté et corrompu, capable d'empoisonner tout ce qu'elle touche, on n'en peut faire d'autre usage que de la condamner aux odieuses ténèbres qui l'ont produit 67.

Il faut remarquer que le nonce ne répond aux demandes du Saint-Office que le 26 mars, précisément au lendemain de la sortie de la lettre qui fait éclater le scandale 68. Cette dernière, ainsi que la polémique à laquelle elle donne lieu notamment du fait de Vigier, qui réplique au dénonciateur, tout aussi anonymement  69, sont certainement à l’origine de l’intérêt soutenu que Rome va désormais porter à l’affaire du Bréviaire parisien, et de la décision de le soumettre à un examen du Saint-Office, dans un contexte où l’attention de Rome est focalisée sur les questions jansénistes. L’analyse du père jésuite va orienter décisivement la lecture des consulteurs ; elle contient en germes les principaux reproches qui seront adressés au bréviaire. Pour Hongnant, l’ouvrage est « capable d’alarmer la religion des fidèles et de soulever tout ce qu’il y a d’ecclésiastiques éclairés dans la capitale  70 ». Il y voit le résultat d’une nouvelle entreprise occulte du parti (janséniste, bien entendu) dont il entend débusquer les « ressorts secrets ». Il souligne l’habileté des « novateurs » qui les rend encore plus dangereux à force de perfidie. Par exemple en ce qui concerne le premier chef d’accusation qu’il met en avant, en bon jésuite qu’il est : les attentats contre le culte de la Vierge. Il souligne la duplicité des réformateurs jansénistes qui n’ont de cesse de masquer sans cesse leur projet de fond. Ils ont évité d’abolir toutes les fêtes en son honneur et toutes les prières que l’Église a coutume de lui adresser. Le trait aurait été trop criant et il aurait soulevé le peuple. Mais ils en ont fait assez pour prouver que « s’ils étaient les maîtres, on n’entendrait plus dans les temples les louanges de la Vierge  71 ». On mesure au travers d’un tel reproche la difficulté à cerner l’hérésie janséniste chez ses adversaires ; il sera repris par les consulteurs du Saint-Office avec le même trouble. Hongnant repère la suppression des formules, prières ou chants communs dans l’office De Beata in Sabbato et dans le petit office de la Vierge, l’Ora pro nobis, le Sancta Dei

  Père C.-R. Hongnant, Lettre…, op. cit., p. 11.   Loc. cit. 68   Arch. du Saint-Office, Stanza Storica, G6-a, table des matières, Acta circa impressionem novi Breviarii Parisiensis : Epistola Card. Corsini sine data, f° 1, Decret S.C. sub die 26 Februar. 1736 statuens scribendum esse Nuncio Galliarum, f° 11, Epistola nunc. Galliar. sub die 26 Mar. 1736, f° 44. 69   Père C.-R. Hongnant, Remontrance, ou Seconde lettre…, op. cit. ; id., Troisième lettre sur le nouveau Bréviaire de Paris, imprimé en 1736, en réponse à son apologiste, s.l.n.d. ; François-Antoine Vigier, Première [-Troisième] Lettre de Monsieur l'abbé *** à un de ses amis, en réponse aux libelles qui ont paru contre le nouveau Bréviaire de Paris, Paris, Simon, 1736-1737. 70   Père Hongnant, Lettre..., op. cit, p. 1. 71   Ibid., p. 2. 66 67

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genitrix, le Felix est sacra virgo Maria et l’Omni laude dignissima et enfin le Dignare me laudare te virgo sacrata, le Sub tuum praesidium en entier. Pire encore, les auteurs du Bréviaire ont retranché l’hymne Ave Maris Stella en entier. Mais il ne s’arrête pas à une critique formelle de la disparition des formules antiques. Ce qu’il démontre très bien, c’est qu’au nom de la primauté du Christ, on a ôté toutes les expressions qui semblent attribuer formellement à la Sainte Vierge tout ce qui pourrait ressembler à une puissance surnaturelle propre, le christocentrisme voulant qu’elle n’ait d’efficacité que par l’intercession auprès de son fils tout puissant. Ainsi, dans l’hymne Virgo Dei genitrix modifiée par Coffin, la Vierge est réduite à une matrice passive dans laquelle le Christ s’est formé lui-même. De même, dans l’office de la fête de l’Assomption, les antiennes Assumpta est Maria pourtant conformes, selon Hongnant, au sentiment de l’Église sur l’Assomption de la Vierge dans le ciel en corps et âme ont été éradiquées en raison de la trop grande analogie qu’elles présentent avec l’Ascension du Christ. Le jésuite en arrive à une conclusion riche d’enseignements : C’est pour fermer la bouche aux protestants qui accusent depuis longtemps les catholiques d’attribuer à la mère de Dieu le même pouvoir qu’au fils et de confondre idolatriquement le créateur avec une pure créature que les réformateurs ont autorisé ces changements. C’est ainsi qu’ils sont entrés dans le sens pervers des hérétiques et leur ont concédé le besoin de réforme de certains abus 72.

Hongnant ne peut évidemment aller jusqu’à admettre que le christocentrisme réaffirmé contre les protestants par le concile de Trente est aussi une forme de concession ! Même type de raisonnement en ce qui concerne la primauté du pape, second grief invoqué : sa qualité de vicaire du Christ sur terre, de chef visible de l’Église, de garant de l’indéfectibilité de l’Église romaine qui n’a jamais enseigné l’erreur et qui a toujours conservé dans sa pureté primitive le dépôt de la foi qui lui a été confié par saint Pierre, sont des points fondamentaux que les « novateurs » de tous les temps, et à leur suite Jansénius et Quesnel, se sont efforcés d’ébranler. Les auteurs du Bréviaire s’en inspirent. La preuve, les deux fêtes de la Chaire de saint Pierre à Rome et à Antioche ont été réunies pour n’en faire qu’une le 18 janvier. Hongnant reconstitue méticuleusement les retranchements de tout ce qui pouvait rappeler trop énergiquement la prééminence de la dignité de Pierre et par conséquent le respect et la soumission qu’on doit avoir pour ses successeurs. Il n’y a pas que les coupures, les substitutions et les ajouts sont tout aussi pernicieux. Ainsi l’invitatoire de l’Office de la nuit, toujours à la fête du Pontificat ou de la Chaire de saint Pierre, le 18 janvier, est particulièrement horrible à ses yeux : « Jésus-Christ est le chef de l’Église, venez, adorons le  73 ». En soi, la formule n’a pourtant rien de choquant ! Mais pour le jésuite, il y a deux chefs de l'Église, « l'un invisible, qui est Jésus-Christ ; l'autre visible, qui est le souverain pontife. » L’omission de la mention du pape et l’accentuation de la souveraineté du Christ sont intentionnelles à ses yeux, elles font partie du dessein d’affaiblir

  Ibid., p. 2 sqq.   Ibid., p. 6.

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la primauté de saint Pierre en regard de celle du Christ. D’ailleurs, lorsque les novateurs parlent du pontife, il est rabaissé au rang de « chef de Sénat fondé par Jésus-Christ » ou de « pasteur respectable de son troupeau 74 ». En réalité, c’est l’essence même de l’esprit tridentin qui se trouve ainsi mis sur la sellette. Car c’est le concile de Trente et nul autre qui a réaffirmé la présence du Christ au centre de l’Église. À ceci près que ses promoteurs n’avaient pas mesuré les effets de déliaison et d’autonomisation que la dynamique christocentrique allait exercer dans la durée. Sous couvert du droit divin, elle allait généraliser à tous les échelons de la hiérarchie la dissociation du ciel et de la terre signifiée dans l’incarnation du fils de Dieu. Dans le sillage du Christ chef de l’Église allaient s’engouffrer, d’abord, sans doute, le Pape infaillible de droit divin, mais aussi, peu à peu les évêques de droit divin, puis les curés de droit divin, puis les laïcs à leur tour, sans omettre les femmes pour finir, reconnues membres de plein droit du corps mystique. C’est ce principe subversif que Hongnant détecte chez les rédacteurs du Bréviaire de Paris, un principe dont il ne peut admettre qu’il appartient à son propre camp. Il le repousse du côté de l’hérésie, sans être capable de voir ce qui le relie à lui. Fort de cette première identification de l’ennemi, Hongnant passe ensuite logiquement au thème de l’élection qui veut que « Jésus-Christ ne soit pas mort pour tous les hommes en général ». Il ne manque pas de repérer quelques passages figuristes relatifs à la prophétie de la conversion des juifs, qui est un des thèmes centraux des organisateurs de la résistance à la bulle Unigenitus 75. Il termine sur le sens que certaines phrases peuvent prendre dans le contexte de la querelle de l’Unigenitus et de la dispute autour des miracles opérés par l’intercession du diacre Paris. Toute sa démonstration vise à prouver que le nouveau Bréviaire n'a pu être composé que par des disciples de Quesnel et que l'esprit de ce chef de parti s'y fait sentir partout.

La censure de la Congrégation particulière Dès le 27 avril 1736, l’assesseur du Saint-Office demande au nonce de lui transmettre la nouvelle édition du bréviaire. Par un décret du 11 juin 1736, une congrégation particulière est formée pour l’examiner 76. Elle est dirigée par les cardinaux Léandro di Porzia et Vincenzo Ludovico Gotti, défenseurs du Bréviaire, d’après la correspondance de l’abbé Certain, attaché à l’ambassade française de Rome  77. Quatre consulteurs commissaires ont été nommés sous la direction de Silvio Valenti Gonzaga, promoteur de la foi, secrétaire de la sacrée congrégation : Gioacchino Besozzi, cistercien, Tomaso Sergio, prieur de la congrégation

  Loc. cit.   Sur le figurisme, nous nous permettons de renvoyer à notre livre : Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le Jansénisme au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1998, réimp. 2005. 76   Nous suivons la table des matières du manuscrit des arch. du Saint-Office, Stanza Storica, G6 : Acta circa impressionem novi Breviarii Parisiensis, 1736. 77   Lettre de l’abbé Certain au ministre Fleury du 11 janvier 1737 citée par P. Batiffol, « Le Bréviaire parisien…», op. cit., p. 325. 74 75

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des œuvres pieuses, Francisco Zavaroni, général de l’ordre des Minimes, Aloys Maria Lucini, de l’ordre des frères prêcheurs (dominicain)  78. Ils utilisent les deux éditions de 1736, celle accompagnée des cartons et celle corrigée et expurgée des gravures de Boucher dont il n’est du reste jamais question. Tous sont parfaitement au courant de la polémique autour du bréviaire, en particulier entre Hongnant et Vigier, puisqu’ils font référence à leurs écrits, les imprimés ayant été traduits en italien. Ils ont lu Grancolas 79, qu’ils citent, et bien évidemment Mesenguy 80. Ils ont mesuré l’importance du modèle que constitue le Breviarium ecclesiasticum de Foinard  81. Ils ont également dans la tête, en arrière fond, l’affaire récente autour du nouveau Missel de Troyes de 1736, qui avait provoqué une polémique entre le neveu janséniste de Bossuet et l’archevêque de Sens, l’antijanséniste Languet de Gergy. Les quatre censures de Besozzi, Sergio, Zavaroni et Lucini sont très répétitives. L’unanimité règne entre les consulteurs, ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut si l’on en juge par le cas plus tardif de la censure de l’Encyclopédie en 1758 et 1759. Les censures sont composées de différentes parties, preliminaria, censura circa factum ou spectantes ad factum, censura theologica, summa censura ou epilogus censurarum ; elles se terminent par la censura proprement dite, qui constitue toujours l’analyse la plus longue et la plus détaillée. Tous les consulteurs ont respecté l’ordre des sept chefs d’accusation déterminés au départ par Valenti : 1/ la primauté du pape, 2/ le Christ mort pour tous les hommes, 3/ le culte de la Vierge, 4/ les oraisons antiques et les collectes, 5/ les canons et les conciles des saints pères, 6/ l’utilisation des Saintes Écritures, 7/ les hymnes de Coffin. À l’appui, tous citent peu ou prou les mêmes exemples. Le nombre des passages sélectionnés est du reste moins grand que l’on aurait pu l’imaginer : une cinquantaine de propositions environ. Les hymnes, particulièrement celles de Coffin, reviennent très souvent sur la sellette. Les disparitions d’offices, de fêtes, de saints, de collectes ou de formules sont répertoriées avec une attention scrupuleuse. L’originalité de cette censure collective consiste en ce que les propositions incriminées sont mesurées à l’aune des propositions visées par une précédente censure, celle du Nouveau Testament accompagné de Réflexions morales du janséniste Pasquier Quesnel, condamné par la bulle Unigenitus en 1713  82. Une citation anodine, mais qui comporte les termes connotés de charité ou de foi, peut attirer jusqu’à une douzaine de propositions extraites des Réflexions Morales comme preuves à l’appui de leur caractère hérétique. C’est donc avec les lunettes des cent une propositions de la constitution Unigenitus que les consulteurs ont lu le bréviaire de Mgr de Vintimille, l’archevêque pourtant bien connu à Rome pour son attachement à la même constitution ! Ils procèdent par rapprochements, en piochant dans

  Pour les indications biographiques sur tous ces cardinaux, nous renvoyons au très utile Biographical Dictionary : the Cardinals of the Holy Roman Church de Salvador Miranda, Florida International University Library, 1522-2005 : http://www.fiu.edu/~mirandas/cardinals.htm. 79   Voir note 37. 80   Voir note 47. 81   Voir note 36. 82   Lucien Ceyssens et Joseph A. G. Tans, Autour de l'Unigenitus : recherches sur la genèse de la constitution, Leuven, University Press, Peeters, 1987. 78

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le large catalogue de l’Unigenitus. Sans doute croient-ils ainsi prouver de manière indubitable le caractère hérétique des citations qu’ils isolent sur la base de leurs ressemblances et de leurs analogies avec les propositions condamnées. Tout à l’opposé, ce procédé qui aboutit souvent à empiler des passages de l’Écriture les uns sur les autres, ne fait qu’ajouter à la difficulté de cerner clairement les principes contraires à l’orthodoxie. La plupart des censeurs semblent en être conscients, mais ils attribuent ce flottement à l’habileté des « novateurs » qui avancent masqués. Il faut rappeler qu’en 1736 nous sommes encore en pleine crise de l’Unigenitus. Vingthuit pour cent d’ouvrages mis à l’Index entre 1713 et 1747 sont des ouvrages jansénistes ou appelants. Aussi est-il facile de comprendre pourquoi les consulteurs concluent unanimement à l’hérésie janséniste, dont ils tracent une ligne continue de Baius à Quesnel en passant par Jansénius. C’est à cette tradition d’hérésie, qui renvoie elle-même à la mémoire du schisme protestant, qu’ils rattachent le parti des appelants et le Bréviaire des réformateurs — réformateurs que Noailles avait sollicités avant l’arrivée de Vintimille, comme le souligne Zavaroni. Ils ont abondamment entendu parler de la polémique janséniste dont les avatars ont été soigneusement rapportés, ainsi que les seize volumes qui leur sont consacrés aux archives du Saint-Office en témoignent. Si les chefs d’accusation développés par les censeurs ressemblent beaucoup à ceux du père Hongnant, ils sont placés dans un autre ordre qui témoigne de l’idée qu’ils se font de leur importance relative. Ils concernent en premier lieu la primauté du pontife : les consulteurs déplorent l’affaiblissement voulu des prérogatives du pape et de l’autorité de l’Église romaine. Ils remarquent l’élimination des papes illustres du calendrier, la réduction de leurs fêtes, l’éradication des leçons, des octaves, des homélies, des répons, des invitatoires ou des formules traditionnelles magnifiant la primauté du Pontife, les « loca Patrum ». Par exemple dans la troisième leçon de la légende de saint François d’Assise, « l’histoire du plus grand des pontifes de la semaine sainte » disparaît ainsi que ses dernières paroles à ses disciples pour les encourager à rester fidèles à la sainte Église romaine. La fête des saints apôtres Pierre et Paul est particulièrement privilégiée par les consulteurs. Ils remarquent ainsi que la phrase traditionnelle « Tu es Petrus et super hanc Petram edificabo Ecclesiam meam » manque aux vêpres. D’une manière générale, les consulteurs ne se préoccupent pas des questions conciliaires sur le plan théorique ou canonique. Ils les condamnent au nom des propositions 73, 74 et 75 de la constitution Unigenitus car ces dernières contiennent également des conceptions ecclésiologiques qui proviennent du renforcement de la primauté du Christ dans l’Église. Elles peuvent être perçues comme entrant en contradiction avec une conception plus hiérarchique des autorités ecclésiastiques, en particulier celle du pape 83. En regard de son pouvoir absolu, le Christ amoindrit l’autorité du pontife terrestre. Comme Hongnant,

  73 : « Qu’est-ce que l’Église, sinon l’assemblée des enfants de Dieu, demeurant dans son sein, adoptés en Jésus-Christ, subsistant en sa personne, rachetés de son sang, vivant de son esprit, agissant par sa grâce, et attendant la paix du siècle à venir (2 Thess. 1, 2) ». 74 : « L’Église, ou le Christ entier, qui a pour chef le Verbe incarné et pour membres tous les saints (1 Tim. 3, 16) ». 75 : « Unité admirable de l’Église. C’est… un seul homme composé de plusieurs saints, dont il est le sanctificateur (Eph. 2, 14, 15, 16) ». Nous citons le texte de la constitution Unigenitus publié par L. Ceyssens et J. Tans, op. cit., p. 789-803. 83

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les consulteurs soulignent que c’est le Christ qui est nommé « Caput Ecclesiæ » par Quesnel et non le pape et ils invoquent, à la fête de la Chaire de Saint-Pierre, la strophe de l’hymne de l’Office de la nuit, « Vous, qui êtes le chef du Sénat auguste fondé par Jésus-Christ et le pasteur respectable de son troupeau », ainsi qu’à la fête des apôtres Pierre et Paul une autre strophe de l’hymne des premières vêpres qui les dérange beaucoup : Vous qui êtes les fondements de l’édifice éternel dont Jésus-Christ est la pierre angulaire : il vous a formés pour être les lumières brillantes du corps mystique, dont il est lui-même l’auguste chef.

On voit combien la conception mystique de l’Église sous le règne du Christ, qui rend tous ses membres égaux, peut être comprise d’une manière qui déprécie les autorités hiérarchiques au profit de ses simples membres. Cette même dynamique nivelante était déjà présente chez Pasquier Quesnel et pouvait conduire à une sanctification des membres du corps du Christ, ainsi que la proposition 73 le laisse entendre. Ainsi encore, à propos de la férie 3, les consulteurs s’offusquent des paroles démocratisantes de l’hymne aux vêpres : Qu’il est doux, Seigneur, de voir les fidèles, frères en Jésus-Christ, qui reçoivent d’un même chef et l’influence et la vie, être tous animés d’un même esprit !

Des problèmes ecclésiologiques, les consulteurs passent en deuxième lieu au thème plus théologique de la mort du Christ pour tous les hommes : c’est l’essence par excellence de l’hérésie, celle du parti des jansénistes, et avant eux, bien évidemment, des protestants qui limitent la rédemption aux seuls prédestinés. Les consulteurs reprochent classiquement aux réformateurs du bréviaire de faire un usage abusif de l’autorité de saint Augustin. Ils traquent la moindre formulation pouvant laisser entendre que la charité éternelle est destinée aux seuls élus. Sur ce point aussi, ils regrettent la disparition d’hymnes, par exemple le Christe redemptor omnium, de paroles, de leçons, de versets, d’antiennes, de répons qui célébraient le sacrifice du Christ pour tous les hommes, notamment dans la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, la fête de la Circoncision ou la fête de Saint-Paul. Par exemple, le jour de la Purification, dans la sixième leçon, le versiculum « Hic est enim, sanguis meus, qui pro multis effundetur » a été remplacé par des versets tirés des Écritures. Les consulteurs s’appuient sur les propositions 30, 31, 32, 33 84, de la bulle Unigenitus qui dénoncent la toute-puissance salvatrice prêtée à Jésus-Christ et une forme de dévotion christocentrique qui implique l’abandon total de l’homme. Ils y joignent également les

  30 : « Tous ceux que Dieu veut sauver par Jésus-Christ, le sont infailliblement (Joan 6, 40) ». 31 : « Les souhaits de Jésus ont toujours leur effet ; il porte la paix jusques au fond des cœurs, quand il la leur désire. (Joan., 40) ». 32 : « Assujettissement volontaire, médicinal et divin de Jésus-Christ… de se livrer à la mort, afin de délivrer pour jamais par son sang les aînés, c'est-à-dire les élus, de la main de l’ange exterminateur. (Gal.4, 4, 5, 6, 7) » 33 : « Combien faut-il avoir renoncé aux choses de la terre et à soi-même pour avoir la confiance de s’approprier, pour ainsi dire, Jésus-Christ, son amour, sa mort et ses mystères, comme fait saint Paul en disant, il m’a aimé et s’est livré pour moi. (Gal., 2, 20) ».

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propositions 72, 73 et 76 85 qui visent l’idée de l’Église invisible des élus. Ainsi, la strophe de l’hymne de l’office de la nuit de la férie 4 qui garantit l’élection est jugée suspecte d’hérésie : Pourquoi donc serions nous dans l’agitation et le trouble, puisque vous avez de nous un soin paternel ? Si nous désirons sincèrement le salut, le salut nous est assuré.

De même, à la fête de la Circoncision, les paroles de l’hymne de l’office de la nuit qui évoquent la loi de la charité sont perçues comme jansénistes : Mais par la première plaie qu’il reçoit, il abolit la loi ancienne, et il établit une loi plus sainte : loi de Charité qui doit être éternelle. Retranchez de notre cœur, ô Jésus, tout ce qui ne vient pas de vous : gravez au fond de nos âmes et votre nom et votre loi.

À la lecture de ces derniers extraits, il ressort que c’est en somme la dévotion christique qui est accusée de présenter des analogies avec le prédestinarisme janséniste. En troisième lieu, les consulteurs évoquent les attaques portées au culte de la Vierge et, comme le jésuite Hongnant, ils soulignent la réduction drastique des louanges, des paroles consolantes : « Maria mater gratiæ », « Mater misericordiæ ». Ils constatent la disparition des hymnes antiques ou leur transformation complète, comme dans le cas du Virgo Dei genitrix, entièrement changée par Coffin. Ils comptabilisent la suppression de fêtes, de répons comme Felix et sacra Virgo, d’antiennes, notamment dans l’office de la fête de l’Assomption l’Assumpta est Maria, d’oraisons comme Deus qui salutis eternae, de versets comme Ora pro nobis, de répons comme Beata viscera Maria Virginis, de leçons, de versiculi comme Post partum virgo inviolata permansisti , d’octaves, y compris celle de la fête de la Conception ordonnée par la Bulle de Clément IX et instituée par Louis XIV en 1669. L’hymne Ave Maris stella restituée présente des changements intolérables et « indécents ». Cette humanité qui dérange tant les consulteurs tient au fait que la Vierge n’est plus qu’un intercesseur dont les vertus de douceur et de chasteté conduisent à Jésus-Christ. C’est Jésus-Christ qui en se faisant homme a bien voulu être renfermé dans son sein et c’est uniquement lui qu’on doit adorer. Voilà le message délivré dans l’hymne Virgo Dei genitrix entièrement composée par Coffin : Dans tes chastes flancs s’est formé, celui que l’univers, le ciel, la terre, l’onde ne peuvent tenir renfermé, De là vient aujourd’hui ton bonheur et ta gloire.

La Vierge n’est plus que la « Mère des vivants », elle ne participe pas de la divinité. Sur ce point également, il apparaît au travers des exemples choisis par les consulteurs que l’accent porté sur la divinité du Christ contribue à rabaisser sa mère, à empêcher toute ressemblance entre la mère et le fils de Dieu. Mais à leurs yeux ces atteintes au culte de la

85   72 : « Marques et propriétés de l’Église chrétienne. Elle est… catholique, comprenant et tous les anges du ciel et tous les élus et les justes de la terre et de tous les siècles. (Heb. 12, 22, 23, 24) ». 76 : « Rien de si spacieux que l’Église de Dieu, puisque tous les élus et les justes de tous les siècles la composent. (Eph. 2, 22) ».

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Vierge ne peuvent relever que d’une source extérieure, l’hérésie, étant donné les similarités qu’elles présentent avec elle. En quatrième lieu, les consulteurs passent en revue les collectes et les oraisons. Ils s’adonnent à un examen attentif, sur deux colonnes, des passages anciens et nouveaux. Ils soulignent les changements de tout ou partie des formules antiques et des anciennes correspondances. Ils y détectent des « témérités » schismatiques et surtout une insistance sur l’adversité, les afflictions, les persécutions injustes, typique de la littérature quesnelliste et appelante. Les propositions 54 et 55 sur la charité et 100 sur les sacrifices des justes sont invoquées pour qualifier et attester l’esprit de schisme, accompagné des thématiques quesnellistes et appelantes sur les temps d’obscurcissement et de persécutions 86. C’est toute la tradition de l’Église romaine et parisienne antique qui est atteinte par ces changements qui attaquent aussi bien les dogmes catholiques que les Saintes Écritures. Quant aux canons, en cinquième lieu, les consulteurs déplorent leurs nombreuses mutilations, et en particulier les paroles qui expriment l’autorité du saint Pontife. Un maintien, en revanche, celui de la lettre canonique de Basile de Césarée à propos de l’interdiction du mariage sans l’accord des parents est perçu avec indignation comme un exemple de rigorisme. Les consulteurs font valoir les principes du concile de Trente qui affirment le libre consentement des époux. L’usage des Écritures, ou plus exactement ses nombreux « abus », est abordé en sixième lieu comme « l’âme de l’hérésie ». Les consulteurs considèrent les jansénistes comme des maîtres pour mettre en pièces l’Écriture et la recomposer à leur guise. C’est par ce procédé malicieux qu’ils introduisent leurs erreurs, comme les hérétiques avant eux. Les censeurs rappellent que c’est pour cette raison que la proposition 18, extraite des Réflexions Morales, avait déjà été condamnée par la bulle Unigenitus : « La semence de la parole que la main de Dieu arrose, porte toujours son fruit  ». Ce principe autorise toute les nouveautés des appelants  : l’hérésie du petit nombre des élus, le petit reste que la grâce a conservé en attendant que le prophète Élie revienne pour soutenir la foi du petit troupeau persécuté. Ce « fanatisme » est typique du parti, et particulièrement des auteurs du livre des Hexaples. Les consulteurs montrent ainsi qu’ils connaissent le manifeste programmatique de la résistance à la constitution romaine, de même que les ouvrages figuristes qui développent le thème de la venue d’Élie 87.

86   54 : « C’est elle seule, la charité, qui parle à Dieu, c’est elle seule que Dieu entend. (1 Cor. 13, 1) ». 55 : « Dieu ne couronne que la charité ; qui court par un autre mouvement et un autre motif court en vain. (1 Cor.9, 24) ». 100 : « Temps déplorable, où on croit honorer Dieu en persécutant la vérité et ses disciples. Ce temps est venu… être regardé et traité par ceux qui en sont les ministres, de la religion, comme un impie, indigne de tout commerce avec Dieu, comme un membre pourri, capable de tout corrompre dans la société des saints, c’est pour les personnes pieuses une mort plus terrible que celle du corps. En vain on se flatte de la pureté de ses intentions et d’un zèle de religion, en poursuivant des gens de bien à feu et à sang, si on est aveuglé par sa propre passion, ou emporté par celle des autres, faute de vouloir rien examiner. On croit souvent sacrifier à Dieu un impie, et on sacrifie au diable un serviteur de Dieu. (Joan. 16,2) ». 87   Les Hexaples ou les Six colonnes sur la constitution Unigenitus . La I. contient les propositions condamnées. La II. le texte de ces mêmes propositions, tirées du P. Quesnel. La III. le jugement de l'Écriture Sainte et des SS. Pères

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À ma grande surprise, mais il est vrai que Hongnant les a mis sur la piste, les consulteurs ont parfaitement repéré les passages figuristes sur la venue d’Élie et la conversion des juifs : en particulier les 4e, 5e et 6e répons des matines du septième dimanche après la Pentecôte : Qu’est-ce que Dieu répond à Élie ? Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. Il en est de même en ce tems-ci : ceux qui ont été réservés en petit nombre selon l’élection de la grâce, ont été sauvé. V. Il est vrai qu’Élie doit venir, et qu’il rétablira toutes choses, mais je vous déclare qu’Élie est déjà venu. Avant que le grand jour du Seigneur arrive, Élie réunira le cœur des pères avec leurs enfans, et le cœur des enfans avec leurs pères. Pour réunir les cœurs des pères à leurs enfans et pour rétablir les tribus d’Israël.

Comme s’il répondait à une objection, Lucini reconnaît le sens naturel que peuvent avoir les paroles citées, mais il souligne le contexte français de la résistance à la bulle Unigenitus qui induit le sens voulu par le parti. En dernier lieu, les consulteurs se focalisent sur les hymnes de Coffin qui concentrent à leurs yeux l’hérésie janséniste à l’état pur, celle de Baius et de Jansénius 88. Ils en retiennent surtout une vingtaine  89. Ce sont elles qui attirent le plus de rapprochements avec les propositions de la bulle Unigenitus : les propositions 2-4, 6-8, 10, 15, 19, 24-27, 30, 35, 39 sur la toute-puissance de la grâce et sur la négation du libre arbitre, les propositions 52, 63, 65, 66, 69 sur la charité et sur la foi, les propositions 72, 73, 75, 76 sur l’Église des élus, la proposition 89 sur le droit d’assister au sacrifice de la messe  90. C’est dans les hymnes de Coffin l’appelant que les consulteurs entendent dénicher l’essence du dogme hérétique de Jansénius, c’est pourquoi ils ne retiennent que les points classiquement litigieux au xviie siècle : la grâce, la charité, la foi, l’Église des élus, la pénitence. On a l’impression d’assister en direct à la fabrication du «  jansénisme  » à partir des effets produits par la matrice christocentique. En particulier l’hymne aux secondes vêpres de la fête de la Dédicace de l’Église concentre à elle seule 12 propositions condamnées par la bulle Unigenitus : 3, 6-8, 15, 26, 27, 52, 63, 65, 69, 89. Nous en citons quelques strophes pour montrer comment les

sur chacune des propositions condamnées. La IV. des remarques sur les différentes matières traitées dans la constitution. La V. la justification du P. Quesnel par lui même. La VI. la doctrine des Jésuites opposée à celle des SS. PP. et du P. Q., avec l'histoire du livre des Réflexions morales du P. Quesnel, et de ce qui s'est passé au sujet de la constitution jusqu'à présent, Amsterdam, N. Potgieter, 1721, 7 vol. ; Pierre Boyer (oratorien), De l’avènement d’Elie, en France, 1734-1735, 2 vol. 88   Coffin n’est pas le seul qui ait fourni des hymnes : le Tourneux et les deux Santeul, tout aussi jansénistes, de la Brunetière et Habert, évêques de Saintes et de Vabres, le père Petau jésuite, Commire, Guyet, Sébastien Vesnault, curé de Saint-Maurice de Sens et auteur en partie du bréviaire de ce diocèse. 89   « Fête de la Pentecôte : tous les hymnes, fête de l’Épiphanie : tous les hymnes, fête de saint Barnabé : tous les hymnes, fête de la Circoncision du Christ : hymne à l’Office de la nuit, fête de saint Marc : hymnes aux 1re et 2e vêpres, fête de saint Denys : hymne des vêpres, fête de saint Lazare : hymne à laudes, fête de la Dédicace de l’Église : hymne aux 2e vêpres, fête de l’Ascension du Christ : hymne à vêpres, fête des apôtres Pierre et Paul : hymne aux vêpres, fête de Saint-Stéphane : hymne à Laudes, férie 2 : hymne à vêpres et à laudes, férie 3 : hymne aux vêpres et à l’office de la nuit, férie 4 : hymne à l’office de la nuit, férie 5, hymne aux vêpres et à laudes. » 90   Nous sommes obligée de renvoyer au texte de la bulle Unigenitus publié par L. Ceyssens et J. Tans, Autour de la bulle Unigenitus…, op. cit., p. 792-803.

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consulteurs en arrivent à mettre en accusation la mystique eucharistique propre à l’esprit contre-réformé : C’est dans ce lieu sacré qu’est le trône du Tout-puissant et la porte du ciel : c’est là qu’un Dieu devient lui-même le temple, l’autel, le prêtre et le sacrifice : c’est là que l’amour toujours subsistant d’un Dieu fait homme, s’immole sans cesse à son Père pour l’oblation non sanglante de la mort. Quel autel, quelle auguste demeure, qui peut recevoir la majesté de Dieu même ! Celui que ni le ciel ni la terre ne peuvent contenir, se renfermant dans un étroit espace, consent à demeurer présent et voilé au milieu de nous. Avec quelle bonté ne se communique-t-il point aux âmes pures dans ce Saint lieu. Jésus-Christ le Dieu de charité, y prodigue toute sa tendresse pour nous : c’est un Père qui se plait à se voir au milieu de ses enfants. Loin de ce temple, vous tous dont le cœur est souillé par la contagion du péché : craignez profanes, de porter sur ce seuil auguste un pied sacrilège : un Dieu vengeur vous y attend la main levée pour punir votre témérité.

Les Observations faites par le Saint Père Les Observations faites par le Saint Père  91 donnent encore un autre classement des griefs qui met lui aussi l’accent sur les hymnes de Coffin. Elles tirent ainsi la leçon des censures qui les ont présentées comme la quintessence de l’hérésie janséniste. Les Observations sont précédées par une Lettre instructive au Nonce pour être transmise à Fleury 92 qui envisage ce qui, en l’état, cause le problème le plus épineux, le plus délicat : le mandement de Vintimille du 25 mai 1736 qui impose le nouveau Bréviaire comme une obligation incontournable. Le pape rappelle que le cardinal de Noailles, quant à lui, n’avait pas voulu approuver une réforme qui aurait causé beaucoup de tort à la religion. Les variations du nouveau bréviaire par rapport au Bréviaire romain et à la forme ancienne du Bréviaire parisien sont présentées comme un détournement de la saine doctrine. Elles ont des conséquences funestes car elles engendrent des désordres dans la relation même avec le Saint-Siège, dans l’application de la constitution Unigenitus, loi de l’Église et de l’État, d’où l’importance d’y mettre un terme. Dans le style précautionneux et indirect de la curie, il est bien précisé que le pape n’a pas perdu son estime pour l’archevêque de Paris dont le zèle et l’attachement pour le SaintSiège sont bien connus. Il importe que le nonce fasse tout ce qu’il est en son pouvoir pour obtenir de Fleury l’assurance de ses meilleures dispositions pour remédier aux « faits graves » qui inquiètent le Saint-Siège. On compte également sur l’expérience de Vintimille pour trouver une solution adéquate. Quelques remèdes sont proposés cependant d’une manière assez directive  : 1/ suspendre la récitation du Bréviaire au motif de le réformer, ou mieux encore, le retirer de la circulation, 2/ éliminer les hymnes de Coffin, déjà imprimées dans ses œuvres et à part

  Pièce C et ajout E.   Pièce A.

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sous son nom, Hymni sacri 93, 3/ rajouter les répons, les antiennes et les canons supprimés sur des feuilles annexes. Il est souligné que la suspension serait bien accueillie par l’opinion catholique. L’archevêque accrédite en effet les appelants et cette attitude heurte les catholiques français et tous ceux qui sont attachés au Saint-Siège. Les plus fidèles implorent des remèdes contre cette nouveauté et les conséquences de ce scandale sont funestes pour la religion. Une proposition est même suggérée ostensiblement à Vintimille : publier un nouveau mandement pour informer son diocèse et le monde catholique de la nécessité de supprimer le Bréviaire dans l’intérêt de l’Église. Suivent donc les « feuillets d’observations » du pape. Leur ton est dramatique, l’affaire est présentée comme un « schisme » de désobéissance à la loi de l’Église universelle. En premier lieu le pape souligne la séparation de l’Église de France d’avec l’Église mère. Il s’agit d’une rupture de la concorde et de la conformité avec l’Église romaine, avec l’unité de la Tradition. Contrairement aux réformes de Pie V, Clément VII et Urbain VIII, la réforme ne consiste plus à s’approcher de la forme du Bréviaire romain mais à produire, à l’inverse, de véritables altérations et des singularités dans les fêtes les plus solennelles et les chants. Mais le pape dit n’avoir pas perdu confiance en l’archevêque de Paris, car il connaît sa « réputation » et le zèle pour la constitution Unigenitus. Il reste persuadé que Vintimille peut remédier à cette destruction de l’unité et désigne les véritables responsables de cette rupture scandaleuse : les « dogmatistes » de France, les « factionnaires » appelants. Il accuse en particulier l’auteur des hymnes nouvelles qui ont remplacé les hymnes antiques, le sieur Coffin. Il le qualifie « d’appelant déclaré » qui diffuse le langage des nouvelles erreurs : ses chants sont contraires à la langue de toute l’Église, contraires à la simplicité chrétienne et à la tradition même des saints Pères. Pour bien accentuer la singularité et la gravité des changements, le pape se livre à un rappel historique des précédents exemples de réforme qui avaient également été la source de scandales. En 1525, le Bréviaire de Soissons avait donné lieu à une manifestation publique de la Sorbonne. En 1535, le Bréviaire de Quiñonez était déjà contraire aux usages de l’Église romaine. En 1548, le Bréviaire d’Orléans avait été censuré pour hérésie. Mais les deux premiers ne comportaient pas d’erreurs dogmatiques : les mutations ne touchaient que l’usage du rite et la forme des prières. Le pape insiste sur l’importance de l’unité des rites et des offices car la singularité et la nouveauté sont le prétexte à la désobéissance, à l’esprit de division, au scandale public. De même, le changement de la forme et du langage des prières ouvre la porte au schisme et à l’esprit du « parti des factionnaires ». C’est l’hérésie protestante qui est ainsi désignée derrière les jansénistes : les nouveaux dogmes sont en réalité les anciennes erreurs des

  Charles Coffin, Hymni sacri, Parisiis, sumptibus suis ediderunt bibliopolae Usuum Parisiensium, 1736. Certaines sont traduites en français la même année dans Hymnes du nouveau bréviaire de Paris, traduites ou paraphrasées en vers (de Santeul, Coffin et autres). Premier recueil, Paris, G. Martin, 1736. En 1786, un membre du parti janséniste, l’abbé Le Besgue de Majainville (17...-1794), en retraduira et publiera un autre recueil grâce aux fonds secrets : Hymnes du nouveau Bréviaire de Paris, traduites en vers françois, Paris, Vente et Mérigot le jeune, 1786 (autre édition : Maradan, 1788).

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hérétiques. On y retrouve le même abus des paroles de l’Écriture surtout dans les répons et les antiennes, le jeu des ambiguïtés voulues avec malice, la confusion savamment entretenue, tous procédés qui avaient été déjà dénoncés par le père Hongnant. Cette fragmentation et cette recomposition des passages des Écritures permet également d’introduire les erreurs sur la grâce qui prennent leur origine chez Calvin et chez Jansénius : non la somme d’une grâce intérieure illuminée par l’intelligence, mais la seule inspiration intérieure de la volonté du Christ. Le pape est beaucoup plus précis que les consulteurs sur la nature de l’hérésie janséniste : quesnellisme, arianisme, exclusion du ministère d’une tête visible, abolition de la loi ancienne au profit de la nouvelle alliance, Église des élus, toutes erreurs que l’on retrouve dans les écrits des appelants. Il se dit conscient de l’énormité du scandale puisque ces erreurs sont cautionnées par l’autorité de l’archevêque de Paris en personne ! Le pape termine en donnant des « instructions » pour le mandement qui devrait être publié par l’archevêque de Paris 94. Vintimille doit faire part publiquement à l’Église de Paris de son aversion pour les erreurs et de sa fidélité à la constitution Unigenitus. Il doit accuser le bréviaire de nouveautés pernicieuses afin de protéger les fidèles peu éduqués et faibles L’archevêque doit exprimer clairement que le bréviaire n’est pas son œuvre et qu’il est contraire à ses opinions. Certes, il a été publié sous son autorité comme étant son œuvre mais il s’agit en réalité d’un détournement de sens et de sentiments. Ces pressions seront vaines, l’archevêque ne cèdera sur aucun point, en dépit du retour à la charge des autorités romaines. Le dossier s’achève en effet par une correspondance de la fin de l’année 1740 95 entre le nonce, le Saint-Office et Fleury à propos de la traduction du bréviaire en langue française qui avait été demandée par la duchesse d’Orléans et qui paraitra en 8 volumes en 1742. Le 14 septembre, la Sacrée Congrégation décrète qu’il soit enjoint au cardinal ministre de prononcer une interdiction publique du bréviaire. Le 10  octobre, le nonce écrit au cardinal ministre que sa Sainteté désire la prohibition et l’abolition du bréviaire en langue française. Le 11 novembre, le Saint-Office demande au nonce de réitérer ses instances auprès de Fleury afin de prohiber l’impression par des décrets publics, Fleury ayant promis d’écrire à Vintimille pour lui donner des instructions. À la fin du mois, le 30 novembre 1740, il n’est plus question que de faire des représentations au cardinal-ministre Fleury, afin que ce dernier essaye d’obtenir les corrections nécessaires et surtout le retranchement de toutes les hymnes de Coffin. L’arrivée de Benoît XIV, le pape politicante, fera encore baisser les prétentions du Saint-Office, face aux refus réitérés de Vintimille, ainsi que Mgr Batiffol nous l’apprend  96. Quand la première édition du Bréviaire sera épuisée et qu’on parlera au commencement de 1743 d’en refaire une nouvelle, le nonce s’ouvrira à nouveau au cardinal de Fleury pour que cette édition soit corrigée conformément aux remarques qui avaient été envoyées de Rome. Cependant Benoît XIV demandera au nonce de ne point insister sur le mandement de

  Pièce A.   Nous l’avons complétée par des sondages dans le dossier suivant : archives du Saint-Office, Stanza Storica, G6 a, (I et II). 96   Mgr Pierre Batiffol, Histoire du bréviaire romain, Paris, A. Picard et fils, 1893, p. 274 ssq. 94 95

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rétractation, afin de ne pas s’aliéner l’archevêque. En dépit de ces instances réitérées, c’est directement au père Vigier que les « feuillets d’observations » du pape seront transmis comme étant l’ouvrage d’une « personne zélée » de nature à fournir des lumières pour une bonne nouvelle édition du Bréviaire. Non seulement la seconde édition du Bréviaire paraîtra presque sans changement mais c’est aux soins de Mésenguy qu’elle sera confiée ! La raison de ce laxisme est sans doute que Benoît XIV a choisi, lui aussi, de s’embarquer dans l’aventure de la réforme du bréviaire romain. À cet effet, il érige une nouvelle congrégation, dès l’année 1741, dans laquelle nous retrouvons trois de nos censeurs : Besozzi, Sergio et Valenti qui est nommé à nouveau secrétaire 97. Le travail des consulteurs, promus à leur tour au rang de réformateurs du Bréviaire romain, s’enlisera dans les marécages de leurs doutes, de leurs contradictions, de leurs perplexités et de l’insatisfaction croissante de Benoît XIV qui ne cessera cependant de nourrir l’ambition de s’atteler lui-même à la réforme jusqu’à sa mort. Mgr Batiffol, en toute honnêteté, a reconnu qu’il y avait des points communs entre les vues des liturgistes romains et celles des novateurs jansénistes du Bréviaire de Vintimille. Mais il a cette esquive imparable sur laquelle nous nous arrêterons : « le SaintSiège n’a pas résolu les doutes, ni jugé les propositions de ses consulteurs  98. » Comme si, est-il sous entendu, l’hérésie avait gagné Rome elle-même ! Ainsi, au travers de la réforme des bréviaires, le soupçon de « jansénisme » a-t-il contaminé successivement l’archevêque de Paris, puis les liturgistes du Bréviaire romain, qui se trouvent être les consulteurs du Saint-Office qui avaient censuré le Bréviaire parisien de 1736 ! Ne serait ce pas en restant parfaitement fidèles à l’esprit du concile de Trente et de Pie V que nos ex-consulteurs devenus réformateurs ont été emportés vers les confins dangereux d’une « hérésie » furieusement ressemblante à l’orthodoxie  ? Réforme protestante ou Contre-Réforme catholique  ? À l’arrivée, on retrouve toute la difficulté de cerner la nature du « jansénisme », que ce cas troublant illustre jusqu’à la caricature. Comment se démarquer du jansénisme, quand celuici ne fait que développer dans toutes ses conséquences la réaffirmation de la primauté du Christ dans l’Église par la réforme catholique ? Catherine Maire CNRS/CRPRA (Centre de recherches politiques Raymond Aron)

97   Suitbert Bäumer, Histoire du Bréviaire, R. Biron (trad. et rév.) Paris, Letouzey, 1905, 2 vol., t. II, p. 372-401, Mgr Batiffol, Histoire…, op. cit., p. 276-323 et Pierre Jounel, Le renouveau du culte des saints…, op. cit., p. 39-51. Les actes de la commission de réforme ont été découverts en 1856 par l’évêque Agoston Roskovànyi à la bibliothèque Corsini à Rome (ms 361, 362, 363) qui les a publiés en partie dans Acta Juris Pontificii, t. 24, (1885), col. 905-926. Sur l’historique de la commission voir également, du même auteur, Monumenta et literaturam de breviario complectens, Nyitra, 1861, t. V. 98   P. Batiffol, Histoire…, op. cit., p. 318.

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Benoît XIV et la réforme du Bréviaire romain La réforme du Bréviaire entreprise par Benoît XIV n’a jamais abouti. Pourtant, les travaux de la Commission qu’il avait réunie à cet effet ont été achevés en 1747. Mais le Pape, mort seulement en 1758, n’a finalement jamais promulgué le nouveau Bréviaire romain. On peut s’interroger sur les raisons de ce silence. S’agit-il d’un manque de temps comme le laissent entendre certaines lettres du Pontife au cardinal de Tencin : « Quant au Bréviaire, nous en avons repris la matière », écrit-il le 25 septembre 1748. « Mais pour en venir à bout, il faudrait avoir plus de temps que nous n’en avons, étant à dire vrai non pas assiégé mais accablé de besogne » 1. Est-ce la procédure même de la révision qui est en cause ? Lorsque Benoît XIV publie la nouvelle édition du Martyrologium romanum, il écrit en confidence au même cardinal de Tencin : « Plût à Dieu que nous eussions suivi la même méthode et que nous eussions travaillé tout seul à la correction du Bréviaire. Nous nous sommes embarqués à nommer une commission qui finalement nous a communiqué ses sentiments, si confus, si contradictoires, qu’il y a plus de travail à les corriger qu’à corriger le Bréviaire » 2. Faudraitil alors acquiescer un jugement émis par dom Guéranger, qui professait pour Benoît XIV la plus grande vénération — son « nom seul rappelle la plus vaste science liturgique dont un homme ait été orné » 3 — et qui estime que celui-ci « finit par renoncer à son projet ; sans doute le temps n’était pas venu de tenter ce grand œuvre, peut-être parce que les inconvénients qu’on voulait éviter n’étaient pas réels, ou encore que les principes qui auraient présidé à ce travail n’étaient pas de nature à l’amener à une fin heureuse et convenable » 4. En réalité, c’est seulement en 1843, lors d’un séjour à Rome, que dom Guéranger prend connaissance avec horreur des manuscrits qui rassemblent les travaux de la Commission   Lettre de Benoît XIV au cardinal de Tencin, 25 septembre 1748 (n° 322), dans Le Lettere de Benedetto XIV al Card. De Tencin, E. Morelli (éd.), t. II, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1965, p. 84. Voir également la lettre du 13 août 1755 au chanoine Peggi où Benoît XIV déclare qu’il songe à « une honnête correction du Bréviaire » et ajoute  : « Nous ne nous refusons pas au travail, ayant déjà emmagasiné abondance de matériaux, mais il y faudrait un peu de temps ; on n’en trouve pas aisément, ou si, par aventure, on en trouve, on fait l’expérience, à l’usage, du poids des années ; nous nous retrouvons présentement tourmenté par une fluxion au bras droit », dans Lettere di Benedetto XIV scritte al Canonico Pier Francesco Peggi a Bologna, 1729-1758, col diario del Conclave del 1740, F. X. Kraus (éd.), Fribourg en Brisgau – Tubingen, Akademische Verlagsbuchhandlung J.C.B. Mohr, 1884, lettre n° 157, p. 115. 2   Lettre de Benoît XIV au Cardinal de Tencin, n° 315, 7 août 1748, in E. Morelli, op. cit., t. II, p. 73. 3   Dom Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Paris-Bruxelles, Société générale de librairie catholique, 1880, p. 494. 4   Ibid., p. 470. 1

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nommée par Benoît XIV et son jugement est sans appel : à la date du 13 septembre de cette année-là, il note dans son journal : J’ai pu apprécier l’esprit de cette triste réforme que Benoît XIV n’accepta pas. L’influence des idées françaises du temps y règne en plein ; Tillemont, Baillet et Grancolas sont les oracles et gouvernent tout, jusqu’à critiquer insolemment les paroles de l’antiphonaire grégorien à la Très Sainte Vierge Sola haereses interemisti : ces messieurs répondent : sed et haereses adhuc vigent 5.

Lors de son quatrième séjour romain en 1856, dom Guéranger est nommé à la Commission pontificale chargée par Pie IX d’examiner le dossier rassemblé sous le pontificat de Benoît XIV en vue de la réforme du Bréviaire : celle-ci conclut — et on peut penser que dom Guéranger penche dans ce sens — à renvoyer l’ensemble des pièces sur les rayons des bibliothèques dont elles provenaient et à ne rien changer 6. Peut-être pouvons-nous relire aujourd’hui les documents de la Commission créée par Benoît  XIV avec d’autres lunettes que celles de dom Guéranger, et sans adopter systématiquement les positions polémiques de l’ardent bénédictin qui ne cesse de dénoncer dans ses Institutions liturgiques « la triste situation du culte catholique, en France », au xviiie siècle, « livrée ainsi à la merci de quelques docteurs particuliers qui osent, au grand jour, se mettre à la place de la tradition, cet élément souverain et si indispensable dans les institutions d’une Église de dix-huit siècles » 7.

Prospero Lambertini : un juriste et liturgiste sur la chaire de saint Pierre Avant d’examiner la réforme elle-même, il convient de rappeler que Prospero Lambertini, devenu pape à la mort de Clément XII en 1740, s’est imposé comme un candidat de compromis au 255e tour de scrutin après six mois de négociations interminables entre le groupe des cardinaux conduits par le cardinal-neveu de Clément XII, Neri Orsini, et celui conduit par le cardinal camerlingue Albani. C’est un savant liturgiste et canoniste qui a mené la plus grande partie de sa carrière à la Curie avant d’être nommé au siège d’Ancône

5   Texte du journal cité dans dom Cuthbert Johnson, Dom Guéranger et le renouveau liturgique. Une introduction à son œuvre liturgique, Paris, Téqui, 1988, p. 149, note 82. Le bénédictin fait ici allusion à l’antienne Gaude Maria Virgo qui se dit aux matines de l’office des fêtes de la Sainte Vierge : cunctas haereses sola interemisti in universo mundo. 6   Dom Guy Marie Oury, Dom Guéranger, Moine au cœur de l’Eglise, Solesmes, Éditions de Solesmes, 2000, p. 327. 7   Dom P. Guéranger, op. cit., t. II, p. 225. Dom Guéranger vise ici Frédéric-Maurice Foinard, auteur en 1720 du Projet d’un nouveau Bréviaire, dans lequel l’office divin, sans en changer la forme ordinaire, serait particulièrement composé de l’Écriture Sainte, instructif, édifiant dans un ordre naturel, sans renvois sans répétitions et très court avec des observations sur les anciens et nouveaux Bréviaires, et en 1727 d’un Breviarium ecclesiasticum, et l’abbé Jean Grancolas qui a publié cette même année 1727 un Commentaire du Bréviaire romain.

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en 1727 puis à celui de Bologne en 1731  8. Il a été avocat consistorial (de 1701 à 1708) puis promoteur de la foi à la Congrégation des Rites, c’est-à-dire qu’il a joué un rôle tout à fait essentiel dans les causes de béatification et de canonisation, et outre l’exercice d’autres fonctions curiales (comme celle de consulteur au Saint-Office ou celle d’official à la Congrégation des immunités ecclésiastiques), il fut, à partir de 1718, secrétaire de la Congrégation du Concile chargée d’appliquer les décrets et canons conciliaires de Trente. De cette expérience de gouvernement sont issues des œuvres majeures qui visent à améliorer les procédures de travail des congrégations auxquelles il a participé : ainsi rassemble-t-il l’ensemble des décisions de la Congrégation du Concile dans le Thesaurus resolutionum Sacrae Congregationis Concilii… (cinq volumes, Urbino, 1739-1740), ce qui permet aux membres de celle-ci de connaître les précédents jurisprudentiels des questions qu’ils ont à traiter et de retrouver rapidement les considérations juridiques nécessaires à la résolution de tel ou tel cas considéré. De la même façon, le De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione (4 tomes in folio, Bologne, 1734-1738) vise une utilité pratique : il s’agit de mettre en ordre les procédures propres à la Congrégation des rites dans les causes de béatification et de canonisation et de proposer un bilan historique ordonné de sa pratique juridique tout en s’appuyant sur les travaux menés par les Bollandistes dans les Acta sanctorum et sur les avancées de l’histoire ecclésiastique. Ce bilan, fondé sur une érudition sans faille, a pour but de servir de guide aux membres de la Congrégation qui ignorent souvent les très nombreux décrets édictés par le Siège Apostolique depuis Urbain VIII. Le cardinal Prospero Lambertini répond pleinement à la définition de l’intellectuel organique de l’Église qui met toute sa science au service d’un bon fonctionnement des dicastères romains en procurant des instruments du travail qui demeureraient d’ailleurs en usage jusqu’à Pie IX et Léon XIII. On saisit d’ailleurs, à travers ces outils érudits, tout l’intérêt que le futur Benoît XIV porte à la liturgie. Tout un chapitre de la seconde partie du IVe tome du De servorum Dei beatificatione est en effet consacré au Bréviaire romain et à son autorité 9. Il s’agit, en réalité, d’un bref résumé de l’histoire du Bréviaire romain et de ses réformes, en particulier sous Clément VIII et Urbain VIII. Trois points de ce chapitre peuvent être ici relevés pour notre propos. Tout d’abord, Prospero Lambertini rappelle les termes de la bulle de saint Pie V et la nécessité pour les diocèses de faire preuve d’un usage antécédent de deux cents années ininterrompues pour pouvoir continuer à utiliser leur propre bréviaire : il condamne en particulier les bréviaires diocésains introduits depuis cette date, alors même que l’usage du   Sur le pontificat de Benoît XIV, voir Baron Ludwig von Pastor, Storia dei Papi dalla fine del Medio Evo, t. XVI : Storia dei papi nel periodo dell'assolutismo dall'elezione di Benedetto XIV sino alla morte di Pio VI, 1740-1799. Parte 1. Benedetto XIV e Clemente XIII, 1740-1769, Rome, Desclée, 1953 ; les notices de Mario Rosa dans le Dizionario biografico degli Italiani, t. VIII, Rome, 1966, p. 393-408 et dans l’Enciclopedia dei Papi, t. III, Rome, Instituto della Enciclopedia Italiana, 2000, p. 446-461. On trouvera dans cette dernière une bibliographie très complète pour les années 1965-2000 ; Prospero Lambertini, Vescovo della sua città, Pastore della Cristianità, A. Zanetti (dir.), Bologne, Minerva Edizioni, 2004 ; Maria Teresa Fattori, «  Lambertini a Bologna, 1731-1740 », Rivista di Storia della Chiesa in Italia, 41e année, 2007, p. 417-461. 9   Prospero Lambertini, De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione, livre IV, Deuxième partie, chapitre XIII, Bologne, Langhi, 1738, p. 110-118 : « De Breviario Romano et ejus authoritate, aliisque nonnullis rebus, quae pertinent ad officia divina ». 8

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Bréviaire romain y avait été préalablement reçu, bréviaires desquels ont été retirées de très nombreuses fêtes inscrites au Bréviaire romain. Benoît XIV évoque à ce propos le livre publié en 1677 par l’évêque janséniste de Saint-Pons-de-Thomières, Pierre-Jean-François de Percin de Montgaillard, Du droit et du pouvoir des évêques de régler les offices divins dans leurs diocèses suivant la tradition de tous les siècles depuis Jésus-Christ jusques à présent : celui-ci y bouleversait l’ordre et les rites du Bréviaire romain en introduisant de nombreux offices en l’honneur des saints, alors que le Bréviaire romain avait été déjà reçu dans son diocèse ; il affirmait de surcroît avoir avec lui l’autorité du Saint-Esprit, celle de tous les Pontifes romains et de toute l’Église pour opérer ces mutations. De telles déclarations, rappelle l’archevêque de Bologne, ont été proscrites comme « débordant d’erreur et de scandale » 10. En second lieu, le futur pontife de l’Église romaine est parfaitement au courant des vives querelles que suscitent les leçons historiques du Bréviaire, et des critiques qui ont été portées à cet égard par l’érudition gallicane : « certains », prenant appui sur le témoignage du Père Bartolomeo Gavanti, général des barnabites qui fut membre de a commission de réforme établie par Clément VIII, s’élèvent vigoureusement contre le Bréviaire romain, affirment qu’il est rempli de fables et qu’il faut rejeter absolument son autorité dans les faits historiques alors que pour d’autres, soutenant contre ces adversaires le sens de l’Église romaine, il est impie et quasi-hérétique de douter des faits historiques rapportés dans le bréviaire et bien plus de les combattre 11.

Enfin — et c’est le troisième point qu’il faut souligner, Prospero Lambertini, tout en réaffirmant que le Bréviaire a déjà été plusieurs fois révisé et corrigé par un grand nombre d’hommes réputés pour leur piété et leur doctrine, estime qu’on ne peut raisonnablement 10   Ibid., p. 112. Le livre de l’évêque de Saint-Pons-de-Thomières a paru sans nom d’éditeur ni lieu d’édition. En 1682, le même évêque écrit une Lettre à Mr le cardinal Grimaldi, archevêque d’Aix et vice-doyen du Sacré-Collège des cardinaux avec un escrit qui sert de réponse à plusieurs difficultés faites contre le Directoire des Offices de S.-Pons, de l’année 1681, publiée à Paris en 1682. Voir également du même auteur, Recueil des factums et autres pièces qui ont servi à la défense du calendrier du diocèse de Saint-Pons, paru sans lieu d’édition en 1686. Le livre de Mgr de Percin de Montgaillard a été condamné par un décret de la Congrégation du Saint-Office en date du 27 avril 1701 qui condamne également le Recueil des factums, les Directoria et Calendaria de l’Église cathédrale de Saint-Pons qui datent de 1681 et le Proprium sanctorum du même diocèse paru en 1692. Voir Jésus Martinez de Bujanda, Index librorum prohibitorum 1600-1966, Genève, Droz ; Montréal, Médiaspaul ; Sherbrook, Centre d’Études de la Renaissance, 2002, p. 693-694. 11   Ibid., p. 113-114. Prospero Lambertini cite explicitement le livre de Bartolomeo Gavanti, Commentaria ad Rubricas Missalis et Breviarii Romani, publié à Rome en 1628. Se référant à la réforme élaborée sous l’autorité de Clément VIII à laquelle il a participé (tout comme à celle décidée par Urbain VIII), Gavanti rappelait qu’il a « paru très difficile aux cardinaux Baronius et Bellarmin de tout ramener à la vérité de l’histoire, et qu’il leur avait semblé plus prudent de retenir certains faits étayés par le témoignage d’un auteur de poids, qui ne manquaient pas de probabilité et ne pouvaient être convaincus de fausseté, bien qu’un plus grand nombre défendît l’opinion contraire ». Prospero Lambertini est très bien informé des critiques de l’érudition gallicane. Il cite en particulier le carme Honoré de Sainte-Marie, Réflexions sur les règles et l’usage de la critique où l’on traite des différentes méthodes pour démêler les véritables traditions des fausses. Et où l’on examine plusieurs pieuses créances de la vie de Jésus-Christ depuis sa Conception jusqu’à sa mort, t. II, Paris, 1719, Livre I, Dissertation II, qui s’élève contre les « critiques outrés » — Le Nain de Tillemont, Adrien Baillet, le Père Noël Alexandre — qui ont coupé « la source de la plupart des pieuses traditions sous prétexte qu’elles sont le fruit d’une trop grande crédulité de cinq ou six siècles, qui ont précédé les deux derniers », p. 78-80.

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interdire l’exposé des difficultés qui subsistent dans les faits historiques rapportés dans le Bréviaire, et la soumission de celles-ci au jugement du Siège Apostolique, afin qu’il mette en œuvre une nouvelle correction du Bréviaire, ce qui, ajoute-t-il « semble être l’avis de la plupart de ceux qui paraissent douter des histoires relatées dans plusieurs leçons du Deuxième Nocturne »  12. À cet égard, il évoque de nombreux exemples où les textes des leçons du Bréviaire lui semblent avoir été à juste titre contestés : ainsi, par exemple, les Actes de saint Venant, martyr, dont la sincérité a été mise en doute par les bollandistes 13, l’affirmation de la translation du corps de l’apôtre saint Barthélemy récusée par le cardinal Vincenzo Marin Orsini, celui-là même qui est devenu pape sous le nom de Benoît XIII 14, ou bien encore la confusion faite entre Denys l’Aréopagite et Denys, premier évêque de Paris, critiquée tout à la fois par le préfet de la Bibliothèque vaticane Emmanuel de Schelstrate et par le bollandiste Conrad Janninck  15. Il est très vraisemblable que Prospero Lambertini partage l’avis de Guido Grandi, abbé des Camaldules, qu’il cite, sur la hiérarchie que l’on peut établir dans l’autorité des textes du Bréviaire : autorité divine quand il s’agit des textes de l’Écriture, révérence à l’égard des homélies des Pères en tant que maîtres de l’Église mais avec une moindre autorité que celle due au Verbe divin, confiance tout humaine vis-à-vis des histoires et des Vies des Saints  16. Bref, le futur Benoît XIV semble tout à fait ouvert à une réforme possible des leçons historiques du bréviaire où il reconnaît, avec les plus grands savants de son époque, lacunes et erreurs.

Les réformes liturgiques françaises au travers du prisme romain Au delà de cet avis de fond, Prospero Lambertini paraît avoir été très attentif aux affaires françaises. Ce liturgiste était très certainement au courant de la polémique qui s’est élevée en France autour de l’extension à l’Église universelle de l’office de Grégoire VII, qui célébrait la constance de ce Pontife pour conserver la liberté de l’Église face à l’ingérence du pouvoir de l’Empereur : il venait à peine de quitter la Congrégation des Rites quand l’affaire   Ibid., p. 114.   Benoît XIV cite ici l’Annotatio critica qui accompagne l’édition des Acta apocrypha de ce martyr à la date du 18 mai. Acta Sanctorum Maii, tomus quartus, Anvers, 1685, p. 143-144. Les actes édités par François Baerts et Conrad Janninck parlent de la « haud dubio evidens fabulositas » des Actes apocryphes de saint Venant. 14   Vincenzo Marin Orsini, Discorso nel quale si prova che’l corpo di S. Bartolomeo apostolo stia in Benevento (9 febraro 1695), Bénévent, Imprimerie archiépiscopale, 1695. 15   La querelle autour de l’identification de Denys l’Aréopagite à l’évêque de Paris a fait rage au xviie siècle depuis les écrits de Jean de Launoy dans les années 1640 (voir à ce propos Jean-Marie Le Gall, Le Mythe de saint Denis entre Renaissance et Révolution, Seyssel, Champ Vallon, 2007, p. 230-316). Benoît XIV se réfère explicitement à Daniel Papebroch, Responsio ad exhibitionem errorum per adm. R. P. Sebastianum A Sancto Paulo, Ordinis Carmelitani in Belgio bis Provincialem… evulgatam anno MDCXCIII Coloniae, Anvers, H. Thieullier 1696, p. 161 et 317-322 ; Emmanuel de Schelstrate, Antiquitas illustrata circa concilia generalia et provincialia, decreta et gesta pontificum et praecipua totius ecclesiasticae capita, Anvers, 1678 ; 2e édition sous le titre Antiquitas ecclesiae dissertationibus, monumentis ac notis illustrata, 2 vol. in folio, Rome, Congrégation de Propaganda Fide, 16921697 ; Conrad Janninck, Apologia pro Actis sanctorum contra adm. R. P. Sebastianum a S. Paulo, provincialem carmeli flandro-belgici, Anvers, 1695. 16   Guido Grandi, Dissertationes Camaldulenses…, Lucques, Marescandoli, 1707, Dissertatio tertia, chap. 8, n° 5, cité par Benoît XIV, op. cit., t. IV, p. 115. 12 13

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a éclaté  17. Mais c’est surtout la production de livres liturgiques jansénistes qui inquiète le prélat. Dans ses Annotazioni sopra il santo Sacrificio della Missa publiées à l’aube de son pontificat en 1740, il fait clairement allusion aux disputes que ceux-ci ont provoqué, en particulier celle qui a trait à la récitation du canon à voix haute. Il évoque en effet le Missel du diocèse de Meaux publié en 1709 sous l’autorité du cardinal de Bissy et immédiatement condamné par celui-ci : le terme submissa voce y était interprété comme un simple sine cantu et la présence des répons Amen à la fin de toutes les oraisons était une habile invitation à prononcer le canon à voix haute  18. Il mentionne surtout le « très célèbre et très récent » Missel de l’Église de Troyes publié par l’évêque Jacques-Bénigne Bossuet qui comporte « six cents nouveautés » : il y condamne tant l’usage de dépouiller les autels de la croix durant la messe qui va à l’encontre de l’une des plus anciennes traditions de l’Église 19, que la norme édictée de faire réciter les secrètes « d’une voix qui puisse être entendue du peuple ». Il s’appuie ici très précisément sur les œuvres de l’infatigable combattant anti-janséniste qu’est l’archevêque de Sens Jean-Joseph Languet de Gergy 20, oeuvres qu’il cite avec éloge. Au moment où Prospero Lambertini est élu pape, nombre de problèmes liturgiques sont donc en suspens, et le dossier des livres liturgiques parisiens est à cet égard l’un des plus brûlants en raison des violentes polémiques suscitées dès leur parution. Le réexamen très récent de ce dossier a permis de faire justice d’un certain nombre d’affirmations trop radicales ou péremptoires de dom Guéranger qui en avait amplifié les termes dans ses Institutions liturgiques 21. Nous ne connaissons pas directement le jugement que l’archevêque de Bologne portait sur le travail effectué par les liturgistes gallicans de Mgr de Vintimille. Mais il est bien évidemment parfaitement informé de l’examen, entrepris à Rome, du

17   Voir à ce propos Georges Hardy, Le cardinal de Fleury et le mouvement janséniste, Paris, Champion, 1925, p. 162-170. 18   Nous citons Benoît XIV d’après la deuxième édition latine De sacrosancto Missae sacrificio libri tres, Rome, 1748, livre II, ch. XXIII, « De orationibus quae submissa voce dicuntur in Missa », p. 249. Le Missale sanctae Ecclesiae Meldensis, ... Henrici de Thyard de Bissy, Episcopi Meldensis, auctoritate, et venerabilis Capituli Meldensis consensu editum, dû à l’abbé François Le Dieu, a paru en 1709 chez l’imprimeur parisien Ch. Ballard. 19   Ibid., livre I, ch. III, « De altaris ornatu », p. 16-17. 20   Ibid., p. 17 et 249. Prospero Lambertini cite le Mandement et instruction pastorale… au sujet du nouveau Missel de Troyes (20 avril 1737), Paris, 1737 : Benoît XIV cite également du même prélat : Du véritable esprit de l’Église dans l’usage de ses cérémonies ou réfutation du traité de dom Claude Devers, Paris, Mazières, 1715. Sur le Missel de Troyes, on peut se reporter à l’étude pionnière de Franco Brovelli, « Per uno studio dei messali francesi del XVIII secolo. Saggi di analisi », Ephemerides liturgicae, t. 96, 1982, p. 279-406. Voir aussi Caroline Arpin, « La querelle du Missel de Troyes : réprimande pour infidélité ? », dans Fidélités ecclésiastiques et crise janséniste : Mgr Jean Joseph Languet de Gergy et la bulle Unigenitus, N. M. Dawson (dir.), Sherbrooke, Éditions Les fous du roi, 2001, p. 69-90 21   Dom Guéranger, op. cit., t. II, p. 249-335. Pour dom Guéranger, dans le Bréviaire parisien « tout ou presque tout était nouveau ». Les auteurs « s’étaient proposé de diminuer le culte et la vénération, de restreindre la dévotion à la Sainte Vierge, d’affaiblir l’autorité du Pontife romain » et cherchaient à « infiltrer les erreurs du temps sur les matières de la grâce et autres questions attenantes à celles-ci » (p. 264-265). Il poursuit : « Les additions et insertions faites au nouveau bréviaire parisien, dans un but janséniste, étaient nombreuses : mais, en général, elles étaient prudentes, et les précautions avaient été prises, au moins d’une certaine façon, contre les réclamations des catholiques. C’est le propre de l’hérésie de procéder par équivoques, de se retrancher dans les sinuosités d’un langage captieux » (p. 267). L’attaque frontale du bénédictin ne méconnaît donc pas le « travail » de l’adversaire.

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Bréviaire parisien par la Congrégation du Saint-Office, et il a sans aucun doute mesuré les enjeux à la fois scientifiques, ecclésiastiques et politiques de la réforme parisienne. D’une part, les liturgistes parisiens sont d’abord des savants qui se sont livrés à un très complexe travail de recomposition des prières liturgiques : dans le Missale parisiense de 1738, ils ont puisé aux éditions de sacramentaires les plus fiables et les plus récentes et n’ont pas hésité à extraire de Préfaces très anciennes, les nouveaux textes des collectes ou des secrètes, attachés qu’ils sont à construire un office en prenant dans le trésor des prières les plus antiques 22. Il y a donc ici une logique propre aux contraintes mêmes du travail de liturgiste, sur laquelle est venue se surimposer la querelle janséniste. Dans le cas du Bréviaire, comme l’a montré la récente thèse de Xavier Bisaro, un double principe a guidé les réformateurs à propos du calendrier : revenir à la tradition locale ancienne, celle du Bréviaire de la fin du Moyen Âge et réduire le nombre des fêtes du sanctoral de manière à éliminer les légendes que la critique estime douteuses et surtout à permettre une récitation hebdomadaire de l’entier psautier. Par ailleurs, la seconde innovation est le recours systématique aux textes scripturaires, les citations néo-testamentaires sont abondamment utilisées dans la composition des antiennes et répons 23. Ce choix résolu, opéré selon un canevas très complexe qui s’accorde aux thèmes du calendrier et du lectionnaire, a immédiatement fait taxer les liturgistes réunis par Monseigneur de Vintimille  24 d’hérésie et dom Guéranger ne s’est pas privé de souligner leur abandon de la tradition. C’est là, d’autre part, que réside le second enjeu, ecclésiologique, de cette réforme liturgique parisienne : opérée dans la capitale du royaume très chrétien, elle autonomise les livres gallicans de la tradition romaine et risque, par le modèle savant qu’elle propose, de constituer un précédent pour d’autres diocèses. Si, comme l’a montré Xavier Bisaro, la diffusion du rite parisien n’est pas due au complot d’un « parti » janséniste, il reste que 56 diocèses l’ont adopté en 1789, soit 43 % des diocèses français, ce qui manifeste la force d’entraînement de ce modèle, surtout à partir des années 1760  25  : les raisons de cet engouement sont multiples, mais il est clair que les prélats ont largement partagé l’avis de Monseigneur de Vintimille sur la fonction didactique et pastorale que le nouveau Bréviaire devait assumer : « Les ecclésiastiques chargés du soin des âmes y trouveront même un fonds

  Voir à cet égard Gérard O’Connor, « The « Missale Parisiense » of 1738 : A Present Day Survey », Ephemerides liturgicae, t. 117, 2003, p. 195-220 ; du même auteur, « The Annotated Orations of the 1738 « Missale Parisiense » », Ephemerides liturgicae, t. 117, 2003, p. 309-337. Le Missale Parisiense de 1738 a été réédité à Rome par C. Johnson et A. Ward en 1993 (CLV-Edizioni Liturgiche, Instrumenta Liturgica Quarreriensia : Supplementa 1). Voir également C. Johnson, Dom Guéranger et le renouveau liturgique, op. cit. , p. 147-159. 23   Voir Xavier Bisaro, Une nation de fidèles. L’Église et la liturgie parisienne au xviiie siècle, Turnhout, Brepols, 2006, p. 109-137. Au delà d’une structuration thématique de l’office férial selon les jours de la semaine et d’une refonte fondamentale des hymnes, le choix est fait de distribuer les différents versets d’un même chapitre du Nouveau Testament à travers les divers offices de la journée. Ces choix de l’Écriture ne sont pas dénués d’options théologiques fortes. 24   Voir en particulier les Lettres du Père Claude-René Hongnant, jésuite rédacteur aux Mémoires de Trévoux, sur le nouveau bréviaire de Paris imprimé en 1736, abondamment citées par dom Guéranger, op.  cit., t.  II, p. 296-311. 25   Voir X. Bisaro, op. cit., p. 258-405. 22

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riche et abondant pour leur propre édification et pour l’instruction des fidèles » 26. Par delà la querelle théologique entre Paris et Rome, une mutation culturelle fondamentale est ici en cours : le bréviaire est-il toujours le livre d’une récitation chorale et collective de l’ecclesia orans — ainsi dans les monastères, les chapitres cathédraux ou collégiaux — ou n’est-il pas principalement devenu le manuel d’une lecture quotidienne et privée à laquelle tous les prêtres sont obligés ? Enfin, la correspondance diplomatique échangée entre Rome et Paris et conservée au Ministère des Archives Étrangères fait apparaître clairement les enjeux politiques qui se nouent autour du Bréviaire de Mgr de Vintimille 27. Dès le 6 août 1736, soit quatre mois après la parution de celui-ci, l’abbé Lercari, chargé d’affaires secret du Saint-Siège dans la capitale française, a fait connaître au cardinal Giuseppe Firrao, secrétaire d’État de Clément XII, l’avis des ministres français : « S’agissant d’un ouvrage fait et examiné avec attention par le commandement de l’archevêque, il fallait se conduire avec bien de la précaution avant de prendre aucune résolution » 28 ; le même jour, Germain-Louis Chauvelin, secrétaire d’État aux Affaires Étrangères, transmet ses ordres — qui sont aussi ceux du cardinal de Fleury — au duc de Saint-Aignan, ambassadeur à Rome : Vous sentez de vous-même, Monsieur, combien il est important qu’il ne soit rien fait au sujet du bréviaire de Paris […]. Vous ne devez pas douter de l’effet que ferait en France une censure ou quelque chose qui viendrait contre ce bréviaire. La Cour de Rome doit être plus que jamais attentive aux démarches que nous attribuerions plutôt encore à de mauvais conseils, comme nous en avons eu l’expérience dans d’autres occasions qu’au zèle qui paraîtrait l’engager à quelque entreprise.

Le ministre rappelle de surcroît qu’une intervention romaine sur ce sujet serait perçue par les Parlements comme une atteinte aux maximes gallicanes et à l’autorité des évêques 29. Dans un premier temps, la Cour romaine ne semble guère avoir eu cure de ces représentations, puisque, à la date des lettres précitées, le bréviaire de Mgr de Vintimille est déjà entre les mains de la Congrégation du Saint-Office qui a nommé quatre consultants pour en faire l’examen 30. À la fin de décembre 1736 et au début de janvier 1737, le projet d’interdiction ou même de simple censure du Bréviaire semble enlisé, même si quelques théologiens ont déjà

26   Texte du mandement de Mgr de Vintimille à l’occasion du nouveau Bréviaire, Paris, 1736, cité par X. Bisaro, op. cit., p. 232, n. 5. 27   Voir à ce sujet Pierre Batiffol, « Contribution à l’histoire du bréviaire. Le bréviaire parisien de 1736 et le pape Clément XII (D’après une correspondance diplomatique inédite) », Analecta ecclesiastica seu Romana collectanea de disciplinis speculativis et practicis circa theologiam, jus canonicum, t. 4, 1896, col. 309-330. 28   Texte publié ibid., col. 310. 29   Texte publié ibid., col. 311-312. Voir également la lettre du même au même en date du 23 octobre 1736, ibid., col. 318-320 : une résolution prise à Rome « forcerait les évêques de se déclarer contre ce que cette cour aurait fait parce que les droits de l’Eglise de France et ceux de l’épiscopat seraient attaqués. Quel triomphe pour les ennemis de l’Église ! Que les Parlements ne se croiraient-ils pas en droit de faire, et quelle bonne raison de les en empêcher ! ». 30   Lettre de l’abbé de Canillac, auditeur français de la Rote au ministre Chauvelin, 10 août 1736, ibid., col. 312.

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« donné leur avis tendant à la censure » 31. En dépit des « instances » et des « sollicitations continuelles  » qui viennent de France «  de la part de ceux qui se sont déclarés contre l’ouvrage » et des « déclamations outrées de quelques Français » vivant à Rome, « qui ne sont occupés qu’à jeter de l’huile sur le feu »32, les démarches de l’ambassadeur et du cardinal Pietro Ottoboni ont conduit un certain nombre de membres de la Congrégation du SaintOffice à se persuader que « cette affaire de religion doit se régler » par des « maximes de prudence »  33, au grand dam du cardinal camerlingue Annibale Albani, « ennemi déclaré du Bréviaire », qui a pour but « d’exciter de nombreux troubles en France » 34. En septembre 1738, le cardinal Firrao, secrétaire d’État, ne cache cependant pas l’état d’extrême affliction où se trouve le Pape Clément XII de voir le Bréviaire de Paris laissé dans son état primitif sans qu’il ait été fait aucun usage des observations que Sa Sainteté, à la réquisition » du cardinal « a fait faire de tout ce qui était digne de censure dans le dit bréviaire » 35. Benoît XIV trouve donc, à son arrivée sur le trône pontifical, une condamnation du bréviaire parisien qui est comme en suspens à la Congrégation du Saint-Office 36. Il ne semble pas avoir voulu suivre la ligne dure adoptée par le camerlingue Annibale Albani qui fut l’un des compétiteurs les plus ardents lors du très long conclave de 1740. Sa correspondance avec le cardinal de Tencin nous éclaire partiellement sur ses motivations. Il a visiblement renoncé à exiger de Mgr de Vintimille un mandement rétractant l’autorisation qu’il avait donnée au Bréviaire et au Missel publiés sous son autorité. Tout comme s’y était résigné son prédécesseur Clément XII, il préfère utiliser en janvier 1743 la voie diplomatique en faisant parvenir, par l’intermédiaire du nonce, une feuille de corrections « de moindre importance » pour la nouvelle édition du Bréviaire qui est annoncée comme prochaine, feuille attribuée à une « personne zélée », susceptible de « fournir des lumières »  37. En revanche, il avoue à son correspondant qu’il considère que « l’idée d’un nouveau Bréviaire romain est belle et bonne et elle n’est pas impossible à exécuter »  38. Mais il est, dans le même temps, parfaitement

  Lettre de l’abbé Certain, attaché à l’ambassade de France à Rome au ministre Chauvelin, 11 janvier 1737, ibid., col. 325. 32   Expressions tirées de la lettre de l’abbé Certain au ministre Chauvelin, Rome, 5 octobre 1736, ibid., col. 316. 33   Extrait d’une lettre écrite de Rome au duc de Saint-Aignan, en date du 21 décembre 1736, ibid., col. 321. 34   Termes extraits de la lettre de l’abbé Certain au ministre Chauvelin, 11 janvier 1737, publiée ibid., col. 325. 35   Lettre du cardinal Firrao au cardinal de Fleury, Rome, 19 septembre 1738, publiée ibid., col. 329-330. Une feuille de corrections à introduire dans le Bréviaire parisien a donc été adressée de Rome au cardinal de Fleury. 36   Sur les censures projetées à la Congrégation du Saint-Office, on se reportera, ici-même, à la contribution de Catherine Maire. 37   Voir E. Morelli, op. cit., t. I (Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1955), lettre n° 31 en date du 18 janvier 1743, p. 46. Le cardinal de Tencin est partie prenante à cette négociation, comme le montrent les lettres n° 36 et 44 datées du 22 février 1743 (p. 54) et 19 avril 1743 (p. 68). Au reste, Benoît XIV n’est guère favorable aux condamnations. Il réprouve la conduite de son prédécesseur Clément XI qui a condamné les propositions de Quesnel : « C’est une chose dure que de condamner un livre sans entendre l’auteur vivant attaqué dans un imprimé par un autre, ce dernier fût-il un très digne prélat. La condamnation d’un livre est une empreinte (maschera) qui se colle au visage d’un auteur et aussi des approbateurs de celui-ci  », ibid., lettre n°224, 16  novembre 1746, p. 371-372. 38   Voir ibid., lettre n° 34 en date du 8 février 1743, ibid., p. 51. 31

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conscient des polémiques qu’une telle initiative va susciter, conservant un souvenir amer des conséquences de la publication de la Constitution Unigenitus par Clément XI 39 : Quant au nouveau Bréviaire, nous en reconnaissons la nécessité et l’utilité ; nous sommes très prêts à y travailler, étant exercés au travail depuis notre naissance, et prêts à mourir sur la brèche à l’instar des soldats les plus courageux : mais, très cher seigneur cardinal, le monde entier est arrivé à un tel mépris de l’autorité pontificale qu’il suffit de la réclamation d’un simple frère ou du mécontentement d’un évêque ou d’une ville, ou d’une nation pour empêcher l’exécution des choses les plus saintes et nous l’expérimentons à chaque moment, taisant en même temps les murmures de certains [cardinaux] vêtus [de pourpre] comme vous, qui entendant parler de l’idée d’un nouveau bréviaire sont horrifiés comme si l’on pensait à faire un nouveau symbole de la foi. Nous y parviendrons cependant, ayant ensemble l’intention de voir ce qui pourra se faire sans l’opposition de quiconque 40.

À la date d’avril 1743, le propos du pontife paraît donc résolu, même s’il éprouve « une grande crainte des contradictions que rencontrera » son initiative dans les pays d’outremonts 41.

Composition et travaux de la Commission de réforme du Bréviaire romain En réalité c’est tout le pontificat de Benoît XIV qui est placé sous le signe de la liturgie. Ce n’est certainement pas un hasard si, parmi les quatre académies savantes qu’il fonde dès son accession à la chaire de saint Pierre, figure une académie de liturgie et des rites sise au collège des Pii Operai près de Santa Maria ai Monti et si une chaire des rites sacrés est créée au Collegio Romano pour enseigner publiquement les cérémonies ecclésiastiques, chaire dont le premier titulaire est le jésuite portugais Manuel de Azevedo qui s’est consacré à

  Loc. cit. : « Le monde est réduit aujourd’hui à un état tel que si la chose plaît, ceux à qui elle plaît sont pour le Pape, et ceux à qui elle déplaît sont contre le Pape ; et comme il est impossible qu’une chose plaise à tout le monde, il en résulte d’inévitables ennuis pour le Pape. Les hommes de bonne volonté poussent le Pape à agir, et quand il a agi, s’ils ne se repentent pas, tout au moins protestent-ils de ne pas avoir les moyens de lui venir en aide. Nous avons vu de nos yeux le pape Clément XI de sainte mémoire se mordre plus d’une fois les doigts lorsqu’une fois publiée la constitution Unigenitus, il ne se vit plus défendu par le grand roi Louis, comme celui-ci avait promis de le faire ». 40   Ibid., lettre n° 45, datée du 26 avril 1743, p. 70. Le Pape Benoît XIV a reçu par l’intermédiaire du cardinal de Tencin un livre récemment publié qu’il définit comme « le plan de l’ecclésiastique sur le nouveau Bréviaire » et qui pourrait bien être La chronologie et la topographie du nouveau bréviaire de Paris où l’on trouve les principaux points de la vie et de la mort des saints qui sont insérés dans le calendrier et dans les légendes de l’abbé Binet, paru à Paris en 1742. 41   Ibid., lettre n° 46, datée du 3 mai 1743, p. 72. Benoît XIV ajoute : « Ne manquent pas ceux qui nous susurrent à l’oreille que, en fin de compte, rien ne se fera à Paris concernant le Bréviaire de l’archevêque, avec le motif d’attendre le nôtre, et que quand nous aurons travaillé à faire le nôtre, les premiers à ne pas vouloir l’accepter seront les évêques de France. Le propos est malveillant mais il ne laisse pas de nous tourmenter ». 39

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l’édition des œuvres complètes de Benoît XIV 42. On sait par ailleurs le jugement assez sévère que ce dernier porte sur les collaborateurs des différents dicastères romains nommés par ses prédécesseurs, Benoît XIII « qui n’avait pas d’idée du gouvernement » et Clément XII « qui avait passé toute sa vie en conversation », et sa volonté d’améliorer l’efficacité des différents organismes de la Curie 43. La commission de réforme du bréviaire romain que met en place Benoît XIV se réunit pour la première fois le 14 juillet 1741 44. Elle est alors composée de huit membres, tous ecclésiastiques, dont la plupart ont fait une carrière à la Curie romaine 45. Il n’est pas indifférent de noter que deux d’entre eux — c’est la découverte qu’a faite Catherine Maire en travaillant sur le dossier du bréviaire de Mgr de Vintimille conservé aux archives de la Congrégation du Saint-Office chargée d’examiner le bréviaire du diocèse de Paris et de proposer des censures —, Luigi Valenti Gonzaga, neveu du cardinal secrétaire d’État de Benoît  XIV Silvio Valenti Gonzaga, qui est nommé secrétaire de la nouvelle commission, et Tomaso Sergio, membre de la congrégation des Pii Operai de Naples  46, étaient consulteurs du Saint-Office. Le choix de deux consulteurs de la Sainte Inquisition qui ont lu le bréviaire de Paris à travers la grille de lecture théologique qu’est la Constitution Unigenitus garantit le pontife de toute possible suspicion de philojansénisme, et manifeste que la réforme du Bréviaire romain est devenue une affaire suivie par le Pape lui-même dans une continuité avec les examens précédemment menés au Saint-Office des textes liturgiques publiés en France 47. Mais à côté d’eux, Benoît XIV a nommé des « antiquaires », certains étant même des spécialistes de liturgie  : si nous ne savons rien des mérites du mineur franciscain Anton Maria Azzoguidi, le Somasque Gian-Francesco Baldini (1677-1764) est

42   Voir à ce propos Notizia delle Accademie erette in Roma per ordine della Santità di N. Sign. Papa Benedetto decimoquarto, Rome, G. Collini, 1740 ; voir également la préface rédigée par le jésuite Manuel de Azevedo à la seconde édition latine de De sacrosancto Missae Sacrificio libri tres, Rome, 1748 de Benoît XIV : il s’agit de la leçon inaugurale, tenue le 21 novembre 1748, de la chaire de la liturgie au Collège romain, particulièrement p. XVIXXI. 43   Voir en particulier E. Morelli, op. cit., t. III, lettre n° 582 en date du 1er août 1753, p. 68 ; Niccolo del Rè, « Benedetto XIV e la Curia Romana », Benedetto XIV (Prospero Lambertini). Convegno Internazionale di studi storici. Cento 6-9 dicembre 1979, M. Cecchelli (éd.), Cento, Centro Studi « Girolamo Baruffaldi », 1981, t. I, p. 639-662. 44   Voir la lettre du cardinal de Tencin au cardinal de Fleury datée du 21 juillet 1741, Ministère des Affaires étrangères, Correspondance de Rome, t. 785, f° 229, citée par Pierre Batiffol, Histoire du Bréviaire romain, Paris, Picard, 1893, p. 275. La lettre du 25 août précise : « Le pape est actuellement dans de très bons principes pour la réformation du Bréviaire romain, par exemple de n’admettre aucune légende douteuse » (ibid., f° 251, citée ibid.). La première réunion de la Commission a eu lieu en réalité le 14 juillet 1741. 45   Niccolo Antonelli, Antonio Maria Azzoguidi, Frère mineur conventuel, Gian-Francesco Baldini, somasque, Antonio Andrea Galli, chanoine régulier de la congrégation de San Salvatore de Bologne, Domenico Giorgi, chapelain du Pape, Tomaso Sergio, membre de la congrégation des Pii Operai de Naples, Filippo Maria Monti, secrétaire de la Congrégation de la Propaganda Fide et du Sacré Collège, qui fut nommé cardinal le 9 septembre 1743, auxquels il faut ajouter Luigi Valenti Gonzaga, qui est chargé d’assurer le secrétariat de la nouvelle commission. 46   Tomaso Sergio est, en outre, dès l’origine, membre de l’Académie d’histoire ecclésiastique des pontifes romains et secrétaire de l’Académie de liturgie, Notizia delle Accademie…, op.cit., p. 75 et 77. 47   Il y aurait lieu à ce propos d’examiner, aux archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le dossier du Missel de Troyes qui absorbe, à partir de janvier 1737, les énergies des qualificateurs.

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un spécialiste de numismatique qui réédite l’inventaire des monnaies impériales publiées à la fin du xviie siècle par Jean Foy-Vaillant 48, mais qui participe aussi à la nouvelle édition du Liber Pontificalis mise en œuvre par Francesco Bianchini. Le Bolognais Antonio-Andrea Galli, chanoine régulier de San Salvatore de Bologne, désormais établi à Rome, est consulteur de l’Index et membre de l’Académie de liturgie  49. Domenico Giorgi, qui fut longtemps bibliothécaire du cardinal Giuseppe Renato Imperiali, a écrit dès 1724 un ouvrage consacré à l’usage et à la signification des ornements sacrés dont est revêtu le Pape dans les cérémonies pontificales depuis les anciens Rituels  : il participe de l’exigence de réforme qui vise à modérer les abus de la liturgie baroque et qui est alors largement partagée par les milieux érudits romains 50. En 1730, il a publié le premier volume d’un De liturgia Romani Pontificis in solemni celebratione missarum  51. On comprend donc qu’il ait été nommé à l’Académie de liturgie dès sa création  52. Sa présence dans la Commission pontificale de réforme du Bréviaire est le signe de l’ouverture de celle-ci à l’érudition ecclésiastique contemporaine, tout comme l’est aussi celle de Nicola Maria Antonelli, qui est depuis 1733 le préfet des archives du château Saint-Ange après avoir été le surintendant de la bibliothèque du Collegio Urbano et qui est le secrétaire de l’Académie des Conciles créée par Benoît XIV 53. Quant à Filippo Maria Monti, secrétaire de la Congrégation de Propaganda Fide, c’est un Bolognais qui est l’exact contemporain de Prospero Lambertini et son ami depuis l’enfance : même si Benoît XIV n’a pas forcément une grande estime pour ses compétences, il a choisi avec lui un homme de confiance 54. Les travaux de la Commission de réforme du Bréviaire, conservés à la bibliothèque de l’Accademia dei Lincei et en partie publiés méritent à coup sûr un

  Jean Foy-Vaillant, Numismata imperatorum romanorum praestantiora a Julio Caesare ad Postumum, Rome, 1743, 3 volumes. Gian Francesco Baldini fait partie, dès l’origine, de l’Académie d’histoire et antiquités romaines, Notizia della Accademie…, op. cit., p. 78 49   Notizia delle Accademie…, op. cit., p. 76. 50   Domenico Giorgi, Gli abiti sacri del sommo Pontefice paonazzi e neri in alcune solenni funzioni della Chiesa giustificati con l’autorità degli antichi e degli scrittori liturgici, Rome, Mainardi, 1724. 51   Domenico Giorgi, De liturgia Romani Pontificis in solemni celebratione missarum : ubi sacra mysteria ex antiquis codicibus, praesertim Vaticanis, aliisque monumentis plurimum illustrantur, t. I, Rome, R. Bernabo, 1731 ; t. II et III, Rome, N. e M. Palearini, 1743-1744. 52   Notizia delle Accademie, op. cit., p. 78. 53   Ibid., p. 74. 54   Voir dans Lettere de Benedetto XIV al canonico Pier Francesco Peggi…, F. X. Kraus (éd.), op. cit., lettre n° 34 datée de Rome, 30 juin 1745, p. 27. Benoît XIV y esquisse une typologie des érudits et classe le cardinal Monti dans une première catégorie : « Les érudits dans les matières ecclésiastiques sont de trois espèces. Certains ont une bonne bibliothèque, ils lisent continuellement, et ont une excellente mémoire des choses lues : et ceux-là sont non seulement bons pour la conversation, mais, à l’occasion, ils peuvent fournir de bonnes informations. Mais s’ils ne vont pas au-delà, en pratique ils sont le plus souvent non seulement inutiles mais pernicieux. Et dans le nombre de ceux-ci (soit dit en confidence) il faut placer les cardinaux Passionei et Monti ». Selon l’abbé de Canillac auditeur français au tribunal de la Rote, qui écrit en 1743 au ministre des Affaires étrangères, le cardinal Monti « est un homme qui a beaucoup lu mais sans aucune méthode » (Arch. du Ministère des Affaires Etrangères, Correspondance de Rome, t. 792, f° 242, texte cité par P. Batiffol, Histoire…, op. cit., p. 288). Filippo Maria Monti a été nommé président de l’Académie romaine des Conciles dès sa naissance, Notizia delle Accademie…, op. cit., p. 73. 48

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réexamen critique de la part de l’historien 55. Ils se déroulent du mois de juillet 1741 à celui d’avril 1743. À l’orée de leurs recherches, les consulteurs se trouvaient confrontés à deux positions assez tranchées représentées par deux mémoires qui leur avaient été soumis. La première dissertation, rédigée en français, reprend les idées qui ont été véhiculées à Paris par les liturgistes gallicans. Il s’agit de doter le Bréviaire romain d’une « nouvelle forme expurgée de ses taches et purifiée » afin « de nourrir et d’éveiller la piété des clercs ». Le bréviaire est donc ici envisagé d’abord comme le livre de lecture individuelle et formation quotidienne du clergé séculier, plus que comme le recueil des offices choraux de la journée qui constituent la prière collective de l’Église. Ce mémoire français propose quatre modifications essentielles : il convient d’abord de corriger les légendes douteuses qui figurent encore dans les vies de saints relatées, selon les exigences de la critique historique  ; il faut ensuite réviser en profondeur la disposition du psautier, afin d’éviter la trop fréquente répétition des mêmes psaumes et l’omission systématique de certains autres : il est même nécessaire d’abréger la longueur démesurée et de réduire le nombre des psaumes récités tant dans les offices dominicaux que dans ceux des féries pour éliminer le dégoût qu’ils provoquent ; il s’agit en même temps — c’est le troisième point — d’adapter antiennes et répons à l’office au cours duquel ils sont chantés ; il est enfin proposé de revoir la distribution des fêtes doubles, semidoubles et simples du calendrier liturgique afin de consacrer entièrement les offices dominicaux aux mystères de Jésus-Christ  56. À travers les différentes propositions de ce mémoire, il est assez aisé de reconnaître tant les idées exprimées dès la décennie 1720 par les abbés Frédéric-Maurice Foinard et Jean Grancolas  57 que celles qui figurent dans le mandement par lequel Mgr de Vintimille ouvre la nouvelle édition du Bréviaire de 1736. Face à cette dissertation française, le mémoire italien soumis à l’appréciation des commissaires distingue deux éléments dans le Bréviaire romain ; l’un, fondamental, ne saurait être modifié : c’est « le nombre, la disposition et l’ordre des heures, des nocturnes, des psaumes, des antiennes, des leçons et des collectes ». Toucher à cette structure reviendrait

  Les travaux de la Commission de réforme du bréviaire conservés à la Biblioteca Corsiniana, ms 361, ont paru partiellement dans Agoston Roskoványi, Coelibatus et breviarium : dua gravissima clericorum officia e monumentis omnium seculorum demonstrata, t. V, Monumenta, et literaturam de breviario complectens, Budapest, 1861, p. 532-635 ; voir aussi Analecta juris pontificii¸t. XX, 1881, col. 905-926 ; t. XXIV, 1885, col. 506-538, 633-667, 889935. 56   Analecta juris pontificis, t. XXIV, 1885, col. 508-509. 57   Frédéric-Maurice Foinard, Projet d’un nouveau bréviaire, dans lequel l’office divin, sans en changer la forme ordinaire, serait particulièrement composé de l’Ecriture Sainte, instructif, édifiant dans un ordre naturel, sans renvois, sans répétitions,et très court avec des observations sur les anciens et les nouveaux bréviaires, Paris, P. N. Lottin, 1720 ; du même auteur, Analyse du bréviaire ecclésiastique dans laquelle on donne une idée juste et précise de cet ouvrage, dont le plan fut imprimé il y a quelques années sous le titre de Projet d’un nouveau bréviaire, Paris, P.-N. Lottin, 1726. Ce dernier ouvrage résume les principes qui ont présidé à la rédaction par le même auteur du Breviarium ecclesiasticum editi jam prospectus executionem exhiben, in gratiam ecclesiarum in quibus nova facienda erit breviariorum editio, Emmerich, A. Nicolai, 1726, 2 vol. ; Jean Grancolas, Commentaire historique et critique sur le Bréviaire romain avec les usages des autres églises particulières et principalement l’Église de Paris, Paris, P.-N. Lottin, 1727, 2 vol. Pour une analyse, très polémique, de ces écrits, on peut encore se reporter à dom Guéranger, op. cit., t. II, p. 224-241. 55

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à modifier la forme même du bréviaire qui remonte au temps de saint Jérôme. En revanche, tout ce qui relève du calendrier liturgique peut être soumis à correction et changement : on peut donc légitimement s’interroger pour savoir si l’office qui doit être célébré est celui du Seigneur ou celui des saints, si les « antiennes, les répons etc… » doivent être propres ou tirées du commun […] extraits de l’Écriture Sainte ou d’ailleurs ». Il est tout à fait légitime de soumettre à un examen attentif le calendrier, les rubriques, certains offices, particulièrement ceux qui ont été insérés dans le Bréviaire depuis la réforme d’Urbain VIII, et les Actes des Saints 58. Dès la première réunion, le 14 juillet 1741, les commissaires sont amenés à trancher entre les deux thèses défendues par les mémoires opposés et à prendre une décision sur la distribution du psautier. La majorité d’entre eux se refuse à décréter une nouvelle disposition de celui-ci et à introduire la récitation des psaumes des jours de férie lors des fêtes des saints, au nom de la tradition : « L’Église romaine a toujours été et est la plus attachée à ses traditions ; comme la distribution des psaumes qui est en usage aujourd’hui est la plus ancienne, il n’est pas facile de s’en éloigner. Le Pape a exprimé le désir d’une réforme de l’ancien Bréviaire, non la production d’un nouveau »  59. La discussion sur le psautier est donc renvoyée à un autre temps et les travaux de la première phase de la Commission se concentrent en priorité sur le calendrier, les consulteurs se référant de manière systématique aux actes de la Commission mise en place par Pie V pour la réforme du Bréviaire. La comparaison du Bréviaire de Pie V et de celui en usage en 1741 fait apparaître des différences significatives : il y avait en 1568 75 fêtes doubles et 63 semi-doubles soit au total 138 fêtes de saints, ce qui laissait presque les deux tiers de l’année pour les offices dominicaux ou fériaux. En 1741, il y a désormais 132 fêtes doubles et 96 semi-doubles, soit au total 228 fêtes de saints auxquelles il convient d’ajouter les fêtes mobiles (qui sont 36) : le total atteint de 264 fêtes ne laisse pas plus de 90 jours pour le temporal. La conclusion qu’en tire la Commission est sans appel : Il apparaît qu’au fur et à mesure que d’autres noms de saints ont été insérés dans le calendrier, nous sommes, en notre temps, tombés dans à peu près les mêmes absurdités que celles qui s’étaient insinuées avant le temps de Pie V et qui avaient infléchi l’intention des Souverains Pontifes à entreprendre une réforme du bréviaire 60.

On retrouve ici une logique similaire à celle qui a présidé à la confection du Bréviaire parisien  : redonner une place élargie au cycle temporal pour permettre la récitation hebdomadaire de l’ancien psautier, du même coup réduire le sanctoral, soit en éliminant des fêtes soit en réduisant celles-ci à des fêtes simples. Quelles règles de fonctionnement adopter cependant  ? Si, dans leur travail, les commissaires cherchent bien à se placer dans la tradition de la réforme de Pie V et de ses successeurs en consultant les archives des commissions précédentes, ils avouent n’avoir pu exactement déterminer les règles et la méthode suivies par leurs prédécesseurs 61. Il est vrai, qu’à la différence de ceux-ci, ils disposent d’instruments de travail nouveaux qui sont ceux-

    60   61   58 59

Analecta juris pontificii, op. cit., t. xxiv, 1885, col. 509. Ibid., col. 510. Ibid., col. 511-512. Ibid., col. 512.

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là même qu’ont utilisé aussi les liturgistes gallicans de Mgr de Vintimille : non seulement les éditions de textes liturgiques anciens produites par l’érudition ecclésiastique tant gallicane que péninsulaire — ainsi l’Antiphonaire grégorien publié par le théatin Giuseppe Maria Tomasi en 1691 62, les Sacramentaires grégorien (publié par dom Menard en 1642) 63, gélasien (édité par Tomasi en 1680) 64 et léonin (que Giuseppe Bianchini a fait paraître en 1735) 65, le Calendrier romain publié par les soins du génovéfain Jean Fronteau  66 — mais aussi les ouvrages consacrés à la liturgie par Bartolomeo Gavanti, Charles Guyet  67, les mauristes (Martène, Ruinart, Mabillon), voire par Benoît XIV lui-même. Concernant les fêtes de JésusChrist, les retranchements sont minimes. La règle s’impose en effet de conserver les fêtes célébrées dans l’Église universelle : à titre d’exemple, l’abandon, un instant envisagé, de la fête de la Transfiguration parce que celle-ci ne se trouve ni dans l’Antiphonaire ni dans le Sacramentaire grégoriens est finalement rejeté par référence aux Annotazioni sopra le feste de Nostro Signore de Benoît XIV  68, qui a rappelé que cette fête était reçue dans l’Église universelle tant grecque (d’après les Ménologes et les Constitutions de l’empereur Manuel Ier Comnène) que romaine. La seule fête supprimée dans cette catégorie est celle du Saint Nom de Jésus concédée aux Frères Mineurs par Clément VII en 1530 mais étendue seulement en 1721 — c’est-à-dire très récemment — par Innocent XIII à l’Église universelle et fixée au deuxième dimanche après l’Épiphanie 69. Le même raisonnement prévaut à propos des fêtes de la Vierge : sont maintenues les fêtes les plus anciennes et celles qui font l’objet d’une vénération de l’Église universelle. Les questions débattues relevant soit de la possible suppression des octaves jugées en général trop nombreuses et dont l’antiquité n’est pas évidente (ainsi pour l’Assomption, la Nativité ou la Conception de la Vierge), mais on sent poindre derrière ces questions techniques de liturgie des débats théologiques beaucoup plus anciens. Le nom même d’Assomption est discuté, des synonymes étant proposés (Pausatio,

  Antiqui libri missarum, id est Antiphonarius S. Gregorii Papae, Comes ab Albina ex Caroli Magni Imperatoris praecepto emendatus, una cum aliis lectionariis et Capitulare Evangeliorum, [G. M. Tomasi, éd.], Rome 1691. 63   Divi Gregorii Papae hujus nominis primi cognomento Magni Liber Sacramentorum nunc demum correctior et locupletior. Ex Missali ms. Sancti Eligii bibliotheca, [Dom N.-H. Ménard, éd.], Paris, D. Moreau, 1642. 64   Codices sacramentorum nongentis annis vetustiores nimirum libri tres sacramentorum Romanae Ecclesiae. Missale Gothicum, sive Gallicanum vetus. Missale Francorum. Missale Gallicanum vetus, G. M. Tomasi, éd., Rome, A. Bernabó, 1680. 65   Anastasii Bibliothecarii, De Vitis Romanorum Pontificum, t. IV, A Sancto Gregorio Magno ad Stephanum III alias IV, [G. Bianchini, éd.], Rome, 1735. Le sacramentaire léonin est publié pour la première fois dans ce volume. 66   Jean Fronteau, Kalendarium romanum nongentis annis antiquius, ex ms. Monasterii S. Genovefae parisiensis in monte aureis characteribus exarato, Paris, S. et G. Cramoisy, 1652. 67   Le livre de Charles Guyet, Heortologia sive de festis propriis locorum et ecclesiarum, paru d’abord à Paris en 1657, a été réédité à Venise en 1729 avec la traduction latine du Traité des festes de l’Eglise de Louis Thomassin paru d’abord en 1683 : Commentarius historicus et dogmaticus de dierum festorum celebratione. C’est sans doute à cette édition récente que se réfèrent les commissaires. 68   Prospero Lambertini, Annotazioni sopra le feste di Nostre Signore e della beatissima Vergini secondo l’ordine del calendario romano. Annotazioni sopra gli Atti d’alcuni santi, Bologne, 1740, 2 vol. ; l’ouvrage est traduit par Michelangelo Giacomelli, Commentarii duo de D. N. Jesu Christi matrisque ejus festis et de missae sacrificio. La référence des commissaires renvoie à la première partie § 585, Analecta juris pontificii, op. cit., col. 513. 69   Analecta juris pontificii, op. cit., t. XXIV, 1885, col. 512-514, séances des 11 août et 23 novembre 1741. 62

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Dormitio, Transitus), certains consulteurs manifestant la crainte que le maintien de cette désignation puisse être interprété comme validant une pieuse croyance en article de foi 70. Si l’unanimité se fait autour de la conservation de la fête de la Conception reconnue tant en Orient qu’en Occident, la décision sur celle de l’Octave (qui intervient dans le temps de l’Avent où les offices fériaux paraissent devoir être préférés aux fêtes) est transférée à l’avis du Pontife, les voix s’étant réparties de manière égale. En réalité, les partisans de la conservation de l’octave craignent que son abrogation ne diminue un culte jusqu’alors florissant et ne porte préjudice à la pieuse opinion qui la déclare immaculée  71. Dans ses Annotazioni sopra le feste della beatissima Vergine, Benoît XIV avait par avance répondu en citant les Controverses de Bellarmin qui écrit que quelle qu’ait été cette Conception, par le fait même qu’il s’agit de la Conception de la Mère de Dieu, sa mémoire apporte au monde une joie extraordinaire. En effet, nous avons eu alors un premier gage certain de la rédemption puisque ce n’est pas sans miracle qu’elle fut conçue d’une mère stérile. C’est pourquoi ceux qui pensent que la Vierge est née dans le péché célèbrent cette fête.

Mais Prospero Lambertini a bien pris soin de rappeler que, lorsqu’en 1709 Clément XI a fait de la Conception de la Bienheureuse Vierge Immaculée une fête de précepte, le terme Immaculée se rapporte à la Vierge et non à la Conception et conclut, en liturgiste, qu’il « ne nous appartient pas de nous engager dans ces querelles théologiques » 72. Au total, ce sont cinq fêtes de la Vierge prescrites pour l’Église universelle et quatre autres en usage dans les États de l’Église qui sont supprimées 73. Six d’entre elles dataient seulement de Benoît XIII 74 ; l’extension des trois autres à l’Église universelle est relativement récent : celle du Nom de Marie date d’un décret de 1683 promulgué par Innocent XI immédiatement après la victoire remportée par Jean Sobieski sur les Turcs à la Montagne Blanche près de Vienne ; celle de Notre-Dame de la Merci date d’un décret pris par Innocent XII en 1696 ; celle du Rosaire a été fixée par Clément XI en 1716. Bref ce sont bien des ajouts récents qui sont systématiquement éliminés.

70   Ibid., col. 514, séance du 23 novembre 1741. Les consulteurs se réfèrent, selon l’historique rédigé par le secrétaire de la commission, Valenti Gonzaga, aux annotations que Domenico Giorgi, l’un des commissaires, a faites au Martyrologe d’Adon. L’édition nouvelle de celui-ci ne paraît qu’en 1745 : Martyrologium Adonis, Archiepiscopi Viennensis ab Heriberto Rosweido […] jam pridem ad MSS exemplaria recensitum nunc ope codicum Bibliothecae Vaticanae recognitum et adnotationibus illustratum opera et studio Dominici Georgii, Rome, 1745, 2 vol. 71   Ibid., col. 515, séance du 2 février 1742. 72   P. Lambertini, Annotazioni…, op. cit., Deuxième partie, chapitre XV, § 23 et 24. L’auteur se réfère au De Controversiis de Bellarmin, t. II, livre III, chapitre 16. 73   Les fêtes prescrites par l’Église universelle sont les suivantes : Nom de la Vierge, Rosaire, Notre-Dame de la Merci, Notre-Dame du Carmel et Notre-Dame des Sept Douleurs. Celles en usage dans les États de l’Église sont : les Fiançailles de la Vierge, le Patronage, la Translation de la Maison de Lorette, l’Expectatio Partus, c’est-à-dire l’Attente de la naissance du Christ, Analecta juris pontificii, op. cit., col. 515-516, séance du 2 février 1742. 74   Il s’agit pour les États de l’Église des fêtes de la Desponsatio, de l’Expectatio Partus et de la Translatio Domus Lauretanae et, pour l’extension à l’Église universelle des fêtes de Notre-Dame du Carmel, du Patronage de la Vierge Marie et de Notre-Dame des Sept-Douleurs.

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S’agissant des Anges, seule la fête de l’Apparition de saint Michel au Monte Gargano le 8 mai est supprimée par les commissaires parce qu’elle ne concerne que le diocèse de Siponto, mais sont maintenues et la fête de la dédicace de saint Michel à la basilique romaine de la via Salaria le 29 septembre et celle, toute proche, des Anges gardiens, le 2 octobre, dont l’extension à l’Église universelle datait seulement d’un décret de Clément X en 1670, bien que toutes deux, à des dates rapprochées, utilisent les mêmes textes liturgiques. L’établissement du calendrier des fêtes des saints dure plus d’une année, du 27 mars 1742 au mois d’avril 1743. Il n’y eut, à la vérité, guère de discussion pour les saints de l’Ancien Testament (ainsi les sept frères Macchabées, ou ceux du Nouveau Testament comme Joachim et Anne (même s’il fut un moment proposé de réunir les deux fêtes en une seule conjointe des parents de la Vierge), la Nativité et la Décollation de saint Jean-Baptiste, Marthe et Marie-Madeleine (les commissaires n’ignorant nullement « la dispute qui fleurit parmi les érudits »), les Apôtres et les dédicaces des basiliques romaines : ici l’emporte l’autorité de l’antiquité de ces fêtes, et la nécessité de rappeler à la mémoire des hommes la suprématie du patriarcat de l’Église de Rome. Les seuls changements envisagés à cet égard regardent l’octave de saint JeanBaptiste (où les avis se partagent à égalité et où rien n’est décidé) et la commémoration de saint Paul le 30 juin : en dépit de l’antiquité de cette fête, l’interruption du rite par lequel le Pape se rendait ce jour-là à la basilique de Saint-Paul-hors-les-murs pousse les commissaires à ne maintenir la fête que dans les églises dédiées spécifiquement à l’apôtre Paul, les autres ne devant célébrer ce jour-là que l’octave des apôtres Pierre et Paul  75. En revanche, les discussions sur le calendrier de l’ensemble des autres saints ont été extrêmement longues et un conflit divisa longtemps les membres de la Commission. Le secrétaire de celle-ci, Valenti, avait demandé au frère mineur Azzoguidi de rédiger une proposition de calendrier liturgique : celui-ci avait exécuté la tâche, divisant l’année en deux semestres et faisant précéder chacun des deux d’une brève dissertation où il indiquait les fêtes déjà approuvées et celles qui devaient encore être examinées  ; il suggérait de soumettre à une nouvelle discussion les questions sur lesquelles les commissaires avaient jusqu’alors hésité et revenait même sur des décisions prises dans les réunions antérieures contre son propre avis. L’ensemble de ces propositions fut transmis à Domenico Giorgi dans l’espoir que, s’il donnait un avis positif sur celles-ci, les autres membres approuveraient le projet. Dans l’intervalle, Filippo Maria Monti, président de la Commission avait demandé à un expert — viro cuidam docto dont nous ignorons le nom et que seule une recherche dans les archives romaines permettrait d’identifier — de proposer et de mettre en ordre les règles qu’il fallait suivre pour maintenir les offices de saints et le rite (simple, double, semi-double) qu’on devait leur attribuer. Informé du résultat de cette consultation, Azzoguidi estime que les règles proposées doivent être rejetées pour de très nombreuses et très graves raisons (pluribus, gravissimisque de causis). Dans ces conditions le secrétaire, pour ne pas offenser le président, s’abstint de présenter aux commissaires aussi bien le mémoire demandé par ce dernier que les dissertations et le calendrier du Père Azzoguidi. D’avril à juillet 1742, période au cours de laquelle les commissaires se réunissent trois fois, aucune décision n’est prise, les suffrages

  Analecta juris pontificii, op. cit., col. 517-519.

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des consulteurs étant partagés  : toutefois ils parviennent à s’accorder à la fois sur une méthode de travail et sur des règles 76. La méthode consiste à parcourir l’ensemble du calendrier en distribuant les fêtes de saints à examiner selon la catégorie dans laquelle ces saints sont rangés : tout d’abord les martyrs non pontifes ; ensuite les évêques et confesseurs, les confesseurs non évêques, les vierges et en dernier les saintes femmes. Une enquête particulière concernerait les pontifes martyrs ou non martyrs en raison de leur haute dignité. Quant aux règles à suivre, au nombre de huit, elles sont tirées des anciens canons après une longue recherche et par un vote à l’unanimité. Sont maintenues : les fêtes des saints mentionnés dans le canon de la messe ; celles des saints figurant dans les anciens sacramentaires romains de la messe ou mentionnées dans les plus anciens calendriers de l’Église romaine pourvu qu’elles soient encore célébrées à la date de 1742 ; celles des saints dont on possède les Actes authentiques ou des panégyriques marquants rédigés par des Pères, pourvu que l’antiquité de leur culte depuis quelques siècles soit prouvée ; celle des saints papes dont il apparaît que le culte au sein de l’Église romaine remonte aux temps les plus anciens ; celles des docteurs de l’Église pour inviter les fidèles à suivre leurs traces et à s’armer de leurs leçons et de leur exemple ; celles des fondateurs d’ordres religieux. Pour manifester que la grâce du Christ est diffusée à travers toutes le nations et que Dieu doit être honoré sur toute la terre dans sa sainteté et sa justice, et pour faire savoir que toutes les Églises du monde sont attachées, par le même lien de communion à celle de Rome, maîtresse de toutes, il a été décidé qu’un certain nombre de saints (aliqui) de diverses régions dont la mémoire est déjà honorée dans le bréviaire romain seraient maintenus par un privilège spécial et en considération de raisons multiples.

Par là même, le calendrier doit ainsi exprimer « et la prééminence romaine et l’universalité de l’Église ». En revanche, toutes les fêtes des saints n’obéissant pas aux huit règles précédentes devaient être supprimées « à moins qu’ils n’aient déjà obtenu un culte dans l’Église universelle, ou une insigne et très remarquable dévotion et vénération des peuples » 77. Ces règles une fois fixées, les consulteurs peuvent se livrer à la construction du calendrier liturgique en consultant systématiquement les plus anciens sacramentaires, calendriers, Éloges des Pères, Actes des saints, martyrologes. La méthode d’exposition adoptée lors des réunions de la Commission est simple : chaque consulteur présente les résultats des recherches qu’il a menées en son particulier, l’accord se faisant en règle générale de manière unanime ; en cas de divergences, les consulteurs passent au vote et la décision est différée si les suffrages se répartissent de manière égale  78. Il n’est pas exclu que des apports d’experts extérieurs aient pu être sollicités comme le laissent à penser certaines

  Ibid., col. 519-521. Il s’agit des séances des 20 avril, 1er mai et 15 juillet 1742. L’absence de réunion entre mai et juillet est due à l’absence de Domenico Giorgi, parti « respirer un air plus pur à Castel Gandolfo », et du Père Galli, qui s’est rendu au chapitre général de son ordre à Bologne. 77   Ibid., col. 521. Les huit règles adoptées par les commissaires sont publiées dans Analecta juris pontificci, t. XX, 1881, col. 906-908 et suivies de calendriers liturgiques établis selon ces règles, col. 909-926. 78   Analecta juris pontificii, t. XXIV, 1885, col. 522. 76

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lettres de Lodovico Muratori à Fortunato Tamburini 79. Au terme de ce passage en revue, la réduction est drastique puisque 95 fêtes ont été supprimées : celles de quinze papes (parmi lesquels dix papes martyrs, mais surtout l’office de Grégoire VII dont l’extension à l’Église universelle par Benoît XIII en 1729 avait suscité la très vive polémique évoquée plus haut), celle de vingt-cinq autres martyrs, celles enfin de saints du Moyen Âge ou du seizième siècle comme Raymond de Pennafort, Laurent Giustiniani, Marguerite de Cortone, Félix de Cantalice, Jean de La Croix, François de Borgia ou Louis de Gonzague. À cette suppression s’ajoute la restauration de l’ancienne discipline selon laquelle il ne doit y avoir aucune fête en Carême sauf trois (Annonciation de la Vierge Marie, Saint-Joseph, Chaire de SaintPierre), et peu en Avent, les fêtes doubles ou semi-doubles étant transférées à d’autres jours de l’année 80. Enfin, les consulteurs, tout en maintenant les distinctions entre doubles majeurs de première et de seconde classe, doubles majeurs, doubles mineurs, semi-doubles et simples procèdent à une redistribution complète de ces classements, portant le nombre des fêtes simples à soixante-trois et celui des commémorations à vingt 81.

Nomination et travaux de la congrégation cardinalice Estimant, en avril 1743, avoir achevé la partie de son travail concernant le calendrier, la Commission décide de ne pas poursuivre plus avant ses travaux. Elle aurait pu commencer l’étude des sermons et homélies des Pères de l’Église, des Actes des saints, des antiennes, hymnes et répons. Elle préfère cependant soumettre d’abord son œuvre à Benoît XIV et obtenir son approbation sur ce socle initial avant d’entamer une nouvelle étape de ses études. Or, c’est seulement près d’un an plus tard, en mars 1744, que Benoît  XIV nomme une seconde commission, composée de cinq cardinaux pour examiner le calendrier ainsi réformé. Pourtant, les demandes de réforme du Bréviaire en provenance tant du cardinal de Tencin que du nonce apostolique Marcello Crescenzi revenu à l’été 1743 de Paris se sont faites pressantes. Deux éléments permettent de penser que le pape n’était nullement satisfait de ce premier travail des consulteurs. D’une part, après avoir gardé pendant plusieurs mois le calendrier soumis à son

79   L. A. Muratori, Carteggio con Fortunato Tamburini, édition critique par F. Valenti (Edizione nazionale del Carteggio di L. A. Muratori, vol. 42), Florence, Leo S. Olschki, 1975, lettre n° 145, Modène, 10 février 1743, et lettre n° 157, Modène, 12 avril 1743, p. 121-122 et 133. Muratori y propose des remarques sur les leçons concernant les fêtes de saint Hilaire, saint Charles Borromée, le Saint Nom de Jésus et saint Thomas de Canterbury. Benoît XIV avait la plus grande estime pour Muratori. Dans la lettre du 30 juin 1745, adressée au chanoine Peggi et déjà citée à la note 50, il le classe dans une troisième catégorie d’érudits : ceux « qui ont sous leurs ordres la bibliothèque, ont la mémoire des choses lues et des faits, ont une bonne logique, ont un jugement approprié, déduisent comme il faut, et connaissent les auteurs approuvés et les monuments non sujets à controverse : ceux-là sont vraiment ceux qui méritent d’être plus considérés que les autres. Parmi eux la première place est due en Italie à l’abbé Muratori ; et c’est de ceux-là dont a besoin le Saint-Siège », Lettere di Benedetto XIV…, op. cit., p. 28. 80   Voir, d’une part, le calendrier publié Analecta juris pontificii, t. XX, 1881, col. 911-926. Les offices dont la suppression est proposée sont signalés aux colonnes 924-926. Ce calendrier établi par le consulteur Antonio Andrea Galli en octobre 1742 est présenté pour la première fois aux commissaires le 7 décembre 1742, ibid., t. XXIV, 1885, col. 523-525. 81   Ibid., t. XXIV, 1885, col. 523-524.

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appréciation, il fait demander aux consulteurs pour quelles raisons ils ont maintenu la hiérarchie des fêtes et ne les ont pas toutes réduites à une simple commémoraison, ce qui permettrait une récitation quotidienne de l’office férial. Dans un mémoire extrêmement détaillé et érudit, les consulteurs répondent en défendant la voie qu’ils ont retenue soit pour omettre les noms de quelques saints soit en rejetant la méthode suggérée par le Pontife : la réduction de toutes les fêtes de saints à de simples commémoraisons serait contraire à l’usage le plus ancien tant de l’Église romaine que de celle d’Orient et une telle simplification pourrait susciter de très fortes résistances 82. D’autre part, on peut déduire le mécontentement du Pape d’une lettre adressée au cardinal de Tencin datée du 7 juin 1743 : à cette date, le pontife a reçu depuis deux mois le projet de calendrier liturgique et l’on peut supposer qu’il y a déjà jeté un coup d’œil. Or, s’il applaudit à l’annonce que lui fait son correspondant français selon laquelle un nouveau Bréviaire romain serait bien accueilli en France, les principes qu’il développe semblent assez éloignés des principes jusque là admis par les commissaires : Voici en général le plan que nous nous sommes proposé de suivre dans la composition de ce bréviaire. La critique étant devenue si pointilleuse et les faits que nos bons ancêtres regardaient comme indubitables étant aujourd’hui révoqués en doute, nous ne voyons d’autre moyen de nous mettre à l’abri de la critique que de composer un bréviaire dans lequel tout soit tiré de l’Écriture Sainte qui, comme le sait votre Éminence, contient beaucoup de choses sur les mystères dont nous célébrons les fêtes, sur les saints Apôtres et sur la Très Bienheureuse Vierge. On suppléera à ce qui manque par les écrits authentiques des premiers Pères. Quant aux autres saints qui ont place aujourd’hui dans le bréviaire, on se contentera d’en faire une simple commémoraison pour maintenir leur culte dans l’Église. Je ne vois pas qu’on porte à ce projet d’autre critique que celle d’établir une nouveauté d’une manière propre à diminuer le culte rendu jusqu’à présent à ces saints ; mais cette critique sera toujours moins importante que cette autre qui sera toujours inévitable — même en faisant tout son possible : celle de faire réciter au nom de l’Église des faits ou apocryphes ou douteux. Ce projet irritera ceux qui tiennent aujourd’hui ces faits pour certains, et d’une telle certitude qu’ils seraient prêts à endurer un martyre pour cette cause 83.

On comprend dès lors la stupéfaction attristée de dom Guéranger devant les manuscrits qui contiennent les travaux de la commission réunie par Benoît XIV mais qu’eût-il pensé à la lecture d’un pareil programme rédigé par la plume pontificale elle-même ? Ce qui est sûr, c’est que la composition de la nouvelle commission nommée par Benoît XIV traduit l’intérêt spécifique du Pontife pour la réforme du Bréviaire : si l’on y retrouve Filippe Maria Monti, promu cardinal au conclave du 5 septembre 1743, on y repère les cardinaux Silvio Valenti Gonzaga, qui est le propre secrétaire d’État de Benoît XIV ; Nicolo Maria Lercari, ancien secrétaire d’État de Benoît XIII de 1726 à 1730 puis nonce apostolique en France de 1739 à 1744, qui fut un observateur attentif, pour la cour romaine, des réseaux et forces jansénistes dans le royaume 84 ; Antonio Severio Gentili, qui a succédé en 1728 à Prospero Lambertini   Ibid., col. 525-526. Cette dissertation est publiée par A. de Roskovány, op. cit., p. 614-619.   E. Morelli, op. cit., t. I, lettre n° 51, datée de Castel Gandolfo, 7 juin 1743, p. 80. 84   Le cardinal Lercari n’est nommé qu’à l’été 1744 à son retour de Paris. Voir François de Dainville, « La carte du jansénisme en 1739 d’après les papiers de la nonciature de France », Bulletin de la Société de Paris et de l’Ilede-France, n° 96, 1969, p. 113-124 ; Ségolène de Dainville-Barbiche, « À propos de la carte des paroisses jansé82 83

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dans la charge de secrétaire de la Congrégation du Concile et en est préfet depuis 1737 ; Gioacchino Besozzi, abbé cistercien de Sainte-Croix de Jérusalem, qui a participé aux travaux de la commission de la Congrégation du Saint-Office chargée d’examiner le bréviaire du diocèse de Paris établi sous l’autorité de Mgr de Vintimille ; enfin Fortunato Tamburini, abbé du monastère bénédictin de Saint-Paul-hors-les-Murs et correspondant assidu de LodovicoAntonio Muratori 85. Le Pontife a donc délibérément choisi des hommes qui lui sont fidèles : il a d’ailleurs signifié tout récemment à trois d’entre eux son attachement en les promouvant au Sacré Collège 86. Aux précédents consulteurs, cette commission en adjoint deux nouveaux pour compenser et l’absence du Père Azzoguidi et la promotion au cardinalat de Filippo Maria Monti : d’une part, le Père Celestino — dans le siècle Pietro Antonio — Orlandi, procureur général de l’ordre des Célestins depuis 1737 et le jésuite Egidio Maria Giuli, professeur de droit canon  87. Les membres de cette nouvelle commission reprennent les travaux là où leurs prédécesseurs les avaient laissés. Comme eux, ils se rendent dans les grandes bibliothèques et dépôts d’archives romains : des archives du Latran et de SainteMarie-Majeure, à la Bibliothèque Vaticane, à la Vallicelliana, à la bibliothèque du Collegio Romano et à celle de la Pénitencerie Apostolique 88. Trois recherches successives vont occuper de 1744 à 1747 les commissaires, les travaux étant pratiquement interrompus du 9 juillet 1745 au 22 juin 1746, à la suite de rumeurs circulant dans la Ville Éternelle selon lesquelles le Pontife se désintéresserait complètement de la réforme 89 : c’est une lettre du pape adressée le 20 juin 1746 au secrétaire de la Commission Luigi Valenti, qui relance en fait le processus 90. Il est vraisemblable que l’évolution de la situation française a joué un rôle dans l’accélération ou les retards qui affectent les séances : à l’orée de leur reprise, en septembre 1744, Filippo Maria Monti souligne tout l’intérêt qu’il y a à solliciter l’avis du cardinal de Tencin, alors ministre d’État résidant à Paris, puisqu’il est l’un des plus ardents promoteurs de cette réforme : l’obtention de son accord et de son approbation pourraient laisser espérer la réception de la réforme dans toute la France et de là dans toutes les nations 91.

nistes à Paris en 1739 », François de Dainville, pionnier de l’histoire de la cartographie et de l’éducation, C. Bousquet-Bressolier (éd.), Paris, École des Chartes, 2004, p. 167-186. 85   Fortunato Tamburini est membre, dès l’origine de l’Académie d’histoire ecclésiastique des pontifes romains, Notizia delle Accademie…, op. cit., p. 75. Devenu cardinal, il en devient le protecteur en 1744, Argomenti de’ discorsi da farsi nell’anno MDCCXLIIII nelle Accademie istituite da Nostro Signore Papa Benedetto XIV, Rome 1744, G. Collini, p. 45. 86   C’est lors du conclave du 9 septembre 1743 que les cardinaux Besozzi, Monti et Tamburini ont été promus. Silvio Valenti Gonzaga est cardinal depuis 1738, Nicolò Maria Lercari l’est depuis 1726 et Antonio Saverio Gentili l’est depuis 1731. 87   Le Père Celestino Orlandi est, dès l’origine, membre de l’Académie romaine de liturgie, Notizia delle Accademie…, op. cit., p. 76. Sur Egidio-Maria Giuli (1691-1748), voir la notice qui lui est consacrée par Anna Rita Capoccia dans le Dizionario biografico degli Italiani, vol. 56, Rome, 2001, p. 706-709. Le Père Giuli apparaît pour la première fois sur la liste des membres de l’Académie des Conciles en 1743 : Argomenti de’ discorsi da farsi nell’anno MDCCXLIII nelle Accademie istituite da Nostro Signore Papa Benedetto XIV, Rome, G. Collini, 1743, p. 43. 88   Analecta juris pontificii, t. XXIV, 1885, col. 527. Les préfets des différentes bibliothèques romaines sont systématiquement consultés. 89   Ibid., col. 532. Le Pape adresse une lettre au secrétaire. 90   Biblioteca Corsiniana, Rome, ms 361, Monumentum XXII. 91   Analecta juris pontificii, t. XXIV, 1885, col. 526.

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Une première étape concerne la disposition du psautier sur laquelle la première commission n’avait pas définitivement tranché. Après un examen attentif des manuscrits, la conclusion est de ne rien modifier à celle-ci et de n’introduire aucune des nouveautés en usage depuis peu d’années dans quelques diocèses français. Le 20 septembre 1744, Benoît XIV participe lui-même à l’une des séances et prononce un discours où il approuve, en définitive, les résolutions déjà adoptées, c’est-à-dire le maintien de la disposition du psautier, les huit règles qui avaient permis aux consulteurs de procéder à des expulsions de fêtes dans le calendrier, et la conservation de la hiérarchie des rites selon lesquels elles sont célébrées. Il ajoute seulement une neuvième distinction historico-économique qui distribue les fêtes des saints selon que ceux-ci ont été soit canonisés par un consensus universel avant Alexandre III, soit canonisés selon le rite solennel depuis ce pontife, soit pour lesquels a été simplement prescrite, sans rite solennel, la récitation d’un office ou d’une messe étendus à l’Église universelle. Benoît XIV invite en même temps les commissaires à « mettre désormais tous leurs soins à examiner, corriger, polir ou même remplacer entièrement chaque partie du Bréviaire, de se partager entre eux la tâche et le travail pour une plus grande rapidité et commodité ; les uns étudieraient telles parties, les autres telles autres, rien ne pouvant être cependant décidé sans le consentement des autres » 92. Une deuxième étape commence alors, consacrée au propre du temps. Les consulteurs se répartissent une nouvelle fois le travail, les uns se chargeant des homélies, leçons et capitules cependant que les autres s’attachent aux antiennes, répons, hymnes et versicules 93. Les corrections sont ici peu nombreuses, le pape ayant d’ailleurs, face à des hésitations qui lui étaient soumises, fait savoir que son vœu était « une réforme du Bréviaire et non une innovation »  94. Elles concernent essentiellement le lectionnaire, certaines homélies étant substituées à d’autres jugées plus appropriées à l’office 95. C’est au cours de la troisième étape, lors de l’examen du propre des saints, que les corrections deviennent considérables  96. Ici sont mis à profit tous les instruments de l’érudition bollandiste ou gallicane, des Acta

  Ibid., col. 527-529 (citation col. 529).   Les commissaires Antonelli, Giorgi et Lercari se chargent des homélies, leçons et capitules, cependant que Baldini, Giuli, Sergio et le secrétaire Valenti étudient les antiennes, répons, hymnes et versicules. 94   Les doutes soumis au pontife étaient au nombre de trois : ne faut-il pas lire pour la leçon brève lue à Prime un canon d’un concile reçu par l’Église romaine et relatif à la discipline ecclésiastique ? Le capitule lu à laudes doit-il être répété à tierce et à vêpres ? Les capitules des offices, dans lesquels est récitée l’Écriture Sainte déjà contenue dans les leçons ne doivent-ils pas être modifiés pour faire lire d’autres parties de l’Écriture Sainte ?, Analecta pontificii, t. XXIV, 1885, op. cit., col. 530. 95   Il conviendrait ici de se livrer à une étude systématique des textes retenus et de ceux qui sont retirés, analyse qui dépasserait les limites de cette contribution. On trouvera un résumé de ces corrections dans P. Batiffol, Histoire…, op. cit., p. 303-305. On trouvera un exemple du type de travail effectué par la Commission dans A. de Roskovány, op. cit., p. 619-622 et 626-635. 96   Une nouvelle répartition du travail a eu lieu à partir du 16 janvier 1745. Antonelli, Giorgi et Lercari s’occupent du temporal de l’Avent jusqu’à Pâques ; Baldini, Giuli et Orlandi se chargent du propre des saints de décembre ; Galli, Sergio et Valenti s’attachent à celui du mois de janvier. Des conférences préalables dans chaque groupe de trois consulteurs ont lieu avant de remettre le texte écrit au secrétaire, qui le remet aux différents membres de la Commission avant chaque séance générale, Analecta juris pontificii, t. XXIV, 1885, col. 530-531. Voir P. Batiffol, Histoire…, op. cit., p. 303-312. 92 93

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Sanctorum à Adrien Baillet, Le Nain de Tillemont ou Ruinart  97. D’une part certaines antiennes sont remplacées par d’autres tirées de l’Ancien ou du Nouveau Testament : à titre d’exemple, citons ici celles de saint André  98 ou celles de saint Thomas  99. Toutefois, cette révision de l’antiphonaire et du responsorial ne prend en aucune façon les dimensions systématiques qui sont présentes dans le Bréviaire parisien. Un office entièrement nouveau pour la fête de la Conversion de saint Paul (25 janvier) avait ainsi été préparé avec des antiennes tirées de Jérémie, des Actes de Apôtres et des Épîtres de Paul 100 : les commissaires décident de ne rien changer à l’office existant, les antiennes qui y figurent étant déjà tirées de l’Écriture Sainte 101. Les commissaires sont ici fidèles à leur doctrine consistant à garder l’usage le plus antique de l’Église romaine. En revanche et d’autre part, ce sont plus de quatre-vingt fêtes de saints qui voient leurs leçons supprimées et/ou substituées par d’autres en raison de légendes ou d’actes jugés « faux », « apocryphes », « supposés », « douteux », « incertains », « corrompus », « fabuleux », « pleins d’erreurs », « indigne de toute foi » de même que sont supprimés un certain nombre d’homélies et de sermons jugés apocryphes alors même qu’ils sont attribués à saint Augustin ou à saint Jean Chrysostome  102. Sur ce dernier point — l’authenticité des homélies — il semble bien que l’examen des consulteurs ait été beaucoup plus rapide ou qu’ils n’aient pas voulu procéder à des révisions trop nombreuses : avec les instruments érudits dont ils disposaient, ils auraient pu se livrer à des éliminations beaucoup plus radicales, les mauristes ayant nié l’authenticité de textes qu’ils ont décidé de garder  103. Quoi qu’il en soit, le « toilettage » du bréviaire romain a été déjà important tant dans le choix des saints retenus que dans les leçons proposées à la piété des fidèles : ont prévalu ici deux critères majeurs, l’antiquité de l’usage de la fête dans l’Église universelle prouvée par sa présence ou son absence dans les plus grands Sacramentaires ou Calendriers, les apports d’une critique historique et diplomatique de plus en plus attentive à cerner l’authenticité des légendes hagiographiques et à procurer des éditions savantes des Pères et Docteurs de l’Église. En mars 1747, la congrégation cardinalice avait achevé ses travaux et pouvait remettre la seconde partie de son Specimen Breviarii Romani Reformati (pars aestiva et autumnalis), la première partie (pars hyemalis et verna) ayant été remise au Pontife dès le 10 septembre

  On en trouvera les références précises dans ibid., col. 633-667 et 889-934, qui publie la version révisée du bréviaire remise à Benoît XIV Specimen Breviarii Romani reformati. 98   Ibid., col. 642. Les antiennes sont tirées des l’évangile de Jean 1, 35-42 et Matthieu 4, 18-20. 99   Ibid., col. 646. Les antiennes sont tirées des l’évangile de Jean 10, 3, 5 et 6 et Jean 20, 27. 100   Voir A. de Roskovány, op. cit., p. 622-626 : celui-ci publie les changements envisagés. 101   Analecta juris pontificii, t. XXIV, 1885, col. 659. Les changements adoptés concernent les leçons : l’Évangile de Jean 6, 44 et suivants remplace l’Évangile de Matthieu 19, 27 et des passages de l’homélie de saint Augustin, In Epistolam ad Parthos se substituent à un texte de Bède le Vénérable tiré d’une homélie et consacré au passage de saint Matthieu qui était précédemment lu. 102   On se reportera ici au Specimen Breviarii Romani reformati déjà cité pour les jugements portés par les commissaires. 103   On se reportera ici à dom Germain Morin, « Les leçons apocryphes du brévaire romain », Revue Bénédictine, t. VIII, 1891, p. 270-280. Rappelons qu’à la date où écrit ce bénédictin, le Bréviaire romain n’a toujours pas été réformé. 97

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1746 104. Il reste à s’interroger sur les raisons qui ont poussé Benoît XIV a retarder indéfiniment la publication du texte réformé qui lui avait été soumis. Deux explications complémentaires semblent pouvoir être proposées. La première est d’ordre politico-religieuse. On a vu à quel point Benoît XIV et la commission cardinalice qu’il a créée pour la réforme du bréviaire sont attentifs à la situation française : le secrétaire Valenti souligne lui-même à quel point les lettres du cardinal de Tencin venues de France exercent une pression stimulante sur la sollicitude du pontife à cet égard  105. Il reste qu’à partir de 1749, les affaires de refus de sacrements sont venues prendre le relais de l’opposition à la Constitution Unigenitus par l’appel et que les espoirs d’apaisement de la querelle s’évanouissent : elles rendent beaucoup plus aléatoire l’introduction et la réception d’une réforme romaine dans le royaume 106. En second lieu, Benoît XIV, comme on l’a évoqué à l’orée de cet exposé, est insatisfait du travail qui lui a été remis et voudrait « reprendre la matière », qu’il connaît bien en tant que liturgiste. Dans une lettre au cardinal de Fleury datée du 20 octobre 1741, le cardinal de Tencin écrit que « le Pape a la démangeaison de faire des livres et des décrets » 107. Si ce jugement est sans doute rapide, on serait cependant tenté d’appliquer à Benoît XIV la citation qu’il fait dans son De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione de la Vie manuscrite de Paul IV rédigée par Antonio Caracciolo : Il mit lui-même longtemps à faire un Bréviaire réformé selon l’antique gravité et l’ancien rite ; mais comme il était tellement occupé, et qu’il voulait le faire tout seul de son propre travail, il ne put le finir et il ne resta que ses ébauches et ses principes pour ses successeurs 108.

La procrastination du liturgiste qu’était Benoît  XIV, ses tergiversations et ses atermoiements ont en réalité bloqué toute évolution du Bréviaire pour plus de cent cinquante ans puisque la réforme de celui-ci n’intervient que sous le pontificat de Pie X par la Constitution apostolique Divino Afflatu du 1er novembre 1911. Mais celle-ci s’opère dans un tout autre contexte intellectuel, et il n’entrait pas dans mon propos de l’aborder. Dominique Julia CNRS, EHESS, Centre d’antropologie religieuse européenne

  Analecta juris pontificii, t. XXIV, 1885, op. cit., col. 533-534.   Ibid., col. 532. Le secrétaire Valenti évoque à ce moment l’année 1746. 106   Dans les Institutions liturgiques, op. cit., t. II, p. 472, Dom Prosper Guéranger rend compte de l’étonnement de « personnes, graves d’ailleurs, […] de ce que ces mêmes pontifes, si zélés pour le dépôt des traditions liturgiques, n’aient pas fulminé contre les nouveautés dont les églises de France étaient le théâtre à cette époque ». Pour le bénédictin, qui cite Isaïe (ch. 42, v. 3) et l’évangile de Matthieu (ch. 12, v. 20), « la réserve que le Saint-Siège a gardée dans l’affaire des nouvelles liturgies » est due à « la maxime fondamentale du gouvernement ecclésiastique : Il n’éteindra pas la mèche qui fume encore ; il n’achèvera pas de rompre le roseau déjà brisé […]. Apprenons donc à connaître la raison sublime de cette patience du Siège apostolique » (p. 474-475). 107   Arch. du Ministère des Affaires Etrangères, Correspondance de Rome, t. 786, f° 117, texte cité par P. Batiffol, op. cit., p. 321-322. 108   P. Lambertini, De servorum Dei beatificatione, op. cit., IIe partie, ch. XIII, § 3, p. 110. L’auteur se réfère au livre IV, chapitre XVI de la Vita manuscrite de Paul IV rédigée par Antonio Caracciolo : « Attese lungo tempo esso stesso a fare un Breviario riformato secondo l’antica gravità, e rito ; ma perchè era tanto occupato, e voleva farlo lui solo di sua propria fatica, perciò non lo potè finire ma restarono i suoi abbozzi, e principi per i successori Pontefici ». 104 105

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La Réforme face à ses traditions : les controverses sur la révision du psautier et du formulaire liturgique (1646-1788) Textes liturgiques et contexte culturel interagissent étroitement. Trop souvent cependant, l’histoire des liturgies se confine à celle des textes, comme si ceux-ci évoluaient de manière autonome, sans subir les effets des mutations culturelles et sans contribuer à leur tour à influencer les pratiques et les représentations 1. Le processus de révision du psautier huguenot, intervenu entre la deuxième moitié du xviie siècle et le début du xviiie siècle, fournit l’occasion d’examiner une partie de ces interactions  2. Il permet d’étudier plus particulièrement le rôle des formulaires liturgiques comme lieu de médiation des rapports que les Églises réformées francophones entretiennent avec leur tradition. À bien des égards, ces formulaires peuvent être considérés comme un lieu de cristallisation de la relation de ces Églises à leur propre histoire. La liturgie, à la fois en tant que formulaire imprimé codifiant les paroles et les gestes du culte et comme événement rituel collectif, actualise une tradition. Elle articule une histoire collective. Or, durant cette période qui correspond à celle de la « crise de la conscience européenne » 3, cette fonction médiatrice de la liturgie réformée dans le rapport à la tradition fait l’objet d’une profonde réinterprétation. Autour de la question liturgique se révèle alors une impasse dans laquelle la Réforme se trouve prise. Sa culture rituelle s’est élaborée notamment sur le fondement de deux principes : d’une part, le retour des formes cultuelles à une sobriété et à une « pureté » qui serait conforme à leur institution divine et aux usages de l’Église primitive. Ce retour implique le rejet des traditions accumulées depuis les origines. D’autre part, la Réforme s’est fondée sur le chapitre 14,

  Le constat est ancien et souvent répété : Alphonse Dupront, Du sacré, croisades et pèlerinages, images et langages, [Paris], Gallimard, 1987, p. 493-494 ; Paul Post, « John Bossy and the study of liturgy », Omnes circumadstantes : contributions towards a history of the role of the people in the liturgy : presented to Herman Wegman on the occasion of his retirement from the chair of history of liturgy and theology in the Katholieke Theologische Universiteit Utrecht, C. Caspers and M. Schneiders (éds.), Kampen, J. H. Kok, 1990, p. 48 ; Éric Palazzo, Histoire des livres liturgiques. Le Moyen Âge, des origines au xiiie siècle, Paris, Beauchesne, 1993 p. 23-24 ; Catherine Vincent, Fiat Lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse du xiiie au xvie siècle, Paris, Cerf, 2004, p. 16. 2   Je remercie Bruno Bürki, Jennifer Mc Nutt et Maria-Cristina Pitassi pour leurs précieux commentaires sur une première version de ce texte. Cette contribution constitue une tentative de synthèse d’un dossier très volumineux qui n’a jamais fait l’objet à ma connaissance d’une analyse systématique et dont les pièces ont été en partie réunies par Pierre Pidoux dans un document resté à l’état manuscrit (Pièces relatives à la révision du texte des psaumes, xviie et xviiie siècles. Recueillies pour la plupart aux Archives d’État et à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève et classées par ordre chronologique par Pierre Pidoux, 3 vol., s.l., 1989). 3   Paul Hazard, La crise de la conscience européenne. 1680-1715 (1935), Paris, Poche, 1994. 1

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versets 14 à 16, de la première Épître de saint Paul aux Corinthiens (« si je prie en langage estrange, ma voix prie, mais mon intelligence est sans fruit »  4) pour condamner l’usage liturgique du latin et adopter le vernaculaire, comme véhicule d’une instruction et d’une oraison véritablement communautaire 5. Par conséquent, Jean Calvin a formulé en 1542 une liturgie française, La forme des prières ecclésiastiques, encadrée par de brèves explications qui justifient l’usage du vernaculaire et soulignent que la « simplicité » des formes rituelles qui y sont définies découle de la nécessité de supprimer « beaucoup de choses lesquelles avoyent esté mal introduictes ou pour le moins destournées en mauvais usage » et, par conséquent, « de revenir à la pure institution de Jésus Christ » 6. Adoptée par la plupart des Églises réformées francophones d’obédience calviniste, cette liturgie, largement diffusée à partir de la seconde moitié du xvie siècle, s’est rapidement muée en un texte intangible, à la fois en tant que document symbolique de la foi réformée, patrimoine commun à une Église géographiquement dispersée et, de manière plus marquée à partir du début du xviie siècle, comme support d’une continuité historique avec les premiers temps de la Réforme. Le formulaire liturgique est ainsi devenu l’un des signes d’une tradition confessionnelle revendiquant sa cohérence. Dans le même temps pourtant, un écart s’est creusé entre la lettre de ce texte et les normes toujours plus policées de l’expression française adoptées en particulier par les cadres des Églises réformées au xviie siècle. Cet écart a conduit ce milieu à promouvoir une révision du formulaire liturgique qui butait sur le statut de texte consacré qu’il avait acquis. Ce sont donc les débats provoqués par le tiraillement entre tradition et révision comme lieu de réinterprétation d’un héritage et d’une identité collective qui vont être ici examinés. Ces débats soulèvent cependant une seconde problématique, d’ordre historiographique. La révision du formulaire liturgique s’inscrit en réalité dans un projet global, qui concerne également la traduction française de la Bible et l’adaptation versifiée des psaumes pour le chant liturgique. Généralement, l’historiographie a opté pour une étude séparée de ces processus et privilégié l’analyse de la révision de la Bible et des psaumes, soit parce qu’elle l’intégrait à une histoire de la critique biblique 7 ou à une histoire sociale de la production littéraire au xviie siècle 8, soit parce qu’elle concentrait son attention, dans une perspective

4   La Bible française de Calvin, E.  Reuss (éd.), 2  vol., Paris, C.  A. Schwetschke,1897, t.  II, p.  571 (1  Cor. 14, 14-16). 5   Christian Grosse, « ”Que tous cognoissent et entendent ce qui se dict et faict au Temple”. Prières en français et usages liturgiques à Genève après la Réforme (1530-1570) », La prière en latin de l’Antiquité au xvie siècle : formes, évolutions, significations, J.-F. Cottier (dir.), Turnhout, Brepols, 2007, p. 361-378. Voir l’exposé — rapide et polémique — de ces conceptions dans Pierre Du Moulin, L’antibarbare ou du langage incongneu tant ès prières des particuliers qu’au service public…, Sedan, J. Jannon, 1629. 6   Jean Calvin, Joannis Calvini Opera quae supersunt omnia, G. Baum, E. Cunitz et E. Reuss (éds.), 59 vol., Brunswick, Berlin, C. A. Schwestschke et Filium, 1863-1900, t. VI, col. 202. 7   Richard Simon, Additions aux « Recherches curieuses sur la diversité des langues et religions » d'Edward Brerewood, éd. critique de J. Le Brun et J. D. Woodbridge, Paris, Presses Universitaires de France, 1983, p. 22-29 ; François Laplanche, L’écriture, le sacré et l’histoire. Érudits et politiques protestants devant la Bible en France au xviie siècle, Amsterdam et Maarssen, Apa, 1986, p. 84-85, 362, 560-568. 8   Nicolas Scharpira, Un professionnel des Lettres au xviie siècle. Valentin Conrart : une histoire sociale, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 313-318.

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nostalgique, sur le recueil des psaumes, comme lieu de mémoire de la Réforme 9. Bien qu’elles n’aient pas oblitéré complètement la dimension liturgique et qu’elles soient fondées sur le plan méthodologique, voire sur le plan historique (la correction des formulaires liturgiques s’inscrit dans un processus entamé avec les révisions de la Bible et des psaumes), ces approches n’en demeurent pas moins caractéristiques d’une historiographie qui a considéré la part rituelle de la culture réformée comme secondaire par rapport à sa dimension intellectuelle 10. Or ces approches font perdre de vue que c’est notamment en se projetant sur la liturgie que les débats concernant la modernisation des textes ont acquis une résonance sociale et ont contribué à modifier le rapport que les fidèles réformés ont entretenu avec leur tradition. Ces approches font enfin abstraction du fait que ces débats concernent des textes qui forment une unité matérielle, puisque dès le xvie siècle et jusqu’à la fin du xviie siècle la règle prévaut en milieu réformé d’imprimer le psautier conjointement à La forme des prières ecclésiastiques et la Bible avec ces deux pièces. C’est donc en partant d’une description de l’unité que forment Bible, psautier et formulaire liturgique, qu’il convient de reconstituer les débats qui ont abouti à sa dislocation au début du xviiie siècle. Entre 1542 et 1562, le psautier réformé se complète progressivement jusqu’à l’achèvement de l’adaptation française des cent cinquante psaumes versifiés par Clément Marot et à sa suite par Théodore de Bèze 11. Deux textes constituent avec les psaumes le corpus central du psautier. Il s’agit en premier lieu de La forme des prières ecclésiastiques. Pendant dix ans, entre 1542 et 1552, une dizaine d’éditions du formulaire liturgique paraissent et Jean Calvin en corrige alors régulièrement le texte, afin de simplifier le vocabulaire, de tendre à une plus grande concision et d’intégrer dans les oraisons l’expérience des persécutions religieuses que vivent en particulier les réformés du royaume de France  12. À partir de 1552, le formulaire ne subit plus de modifications notables jusqu’à la seconde moitié du xviie siècle. Le Catéchisme de l’Église de Genève constitue la seconde pièce. Rédigé par Jean Calvin en même temps que le formulaire liturgique et publié pour la première fois en 1541, il ne subit que quelques corrections très ponctuelles dans les éditions de 1549 et 1553, pour être ensuite reproduit à l’identique dans tous

  « En terminant ce travail, je regrette de l’avoir traité de manière trop aride et sans avoir suffisamment laissé voir tout l’amour que m’inspire le livre qui en est l’objet. On s’apercevra trop que ce monument élevé à notre Psautier est un monument funéraire » (Félix Bovet, Histoire du psautier des Églises réformées, Neuchâtel, Sandoz, Paris, Grassart, 1872, p. XII). 10   Bernard Roussel, « Des rituels luthériens à la liturgie réformée », Édifier ou instruire. Les avatars de la liturgie réformée du xvie au xviiie siècle, M.-C. Pitassi (éd.), Paris, Champion, 2000, p. 19 ; Christian Grosse, « ”En esprit et en vérité” ? La part du rituel dans la culture religieuse réformée (Genève, xvie siècle) », Calvinus Praeceptor Ecclesiae. Papers of the International Congress on Calvin Research, Princeton, August 20-24, 2002, H. J. Selderhuis (éd.), Genève, Droz, 2004, p. 303-322. 11   Pierre Pidoux, Le psautier huguenot du xvie siècle. Mélodies et documents, 2 vol., Bâle, Bärenreiter, 1962 ; [Jean-Daniel Candaux], Le Psautier de Genève, 1562-1865, images, commentaires et essai de bibliographie, Genève, Bibliothèque publique et universitaire, 1986. 12   Christian Grosse, « ”L’office des fidèles est d’offrir leur corps à Dieu en hostie vivante”. Martyr, sacrifice et prière liturgique dans la culture réformée (1540–1560) », Religion und Gewalt. Konflikte, Rituale, Deutungen (1500–1800), K. von Greyerz et K. Siebenhüner (éds), in Verbindung mit C. Duhamelle, H. Medick und P. Veit, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2006, p. 221-247. 9

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les psautiers du xvie et du xviie siècle 13. À ces trois éléments s’agrègent encore une série d’autres pièces : la Confession de foi des Églises de France, un formulaire pour interroger les enfants avant leur réception à la communion, un ensemble de prières propres à différentes circonstances de la vie, dont le nombre varie d’une édition à l’autre du psautier et qui finissent par être regroupées dans une liturgie du culte domestique, ainsi qu’une série de documents ayant pour fonction d’apporter des précisions concernant certaines pratiques liturgiques genevoises ou d’encadrer l’usage des psaumes comme source d’oraison ou de méditation  14. Bien plus qu’un simple recueil de chants, le psautier constitue ainsi le manuel élémentaire de la dévotion réformée. Il propose en partage à des Églises dépourvues de continuité territoriale, en particulier à partir de sa diffusion massive qui démarre en 1562, une codification des formes publiques et privées de communication avec le divin, réglée sur le modèle des usages genevois. Le psautier représente à cet égard un instrument essentiel, dans le contexte du processus de confessionnalisation, de formation d’une culture théologique et rituelle unifiée entre les Églises réformées francophones. Sa diffusion rend également possible une appropriation par les fidèles de cette culture par le biais d’une dévotion privée ou domestique, conçue comme un prolongement des services divins publics. Instaurant une relation d’authentification entre textes bibliques et formulaires liturgiques et ouvrant un accès sélectif et théologiquement contrôlé à la parole divine, le psautier cultive finalement parmi les réformés l’idée d’une cohérence profonde entre les sources scripturaires et les normes liturgiques qu’ils ont adoptées. Ce corpus se maintient avec une relative stabilité entre la révision sous la direction de Théodore de Bèze de la Bible genevoise, achevée en 1588, et la première moitié du xviie siècle 15. L’arrêt adopté par le synode des Églises réformées de France réuni à Montauban en 1594, repris ensuite par d’autres synodes (1598, 1614), indique clairement que le trait essentiel de leur liturgie est aux yeux des réformés sa conformité avec les Écritures, et il montre que cette qualité interdit alors d’en modifier le texte : On ne changera rien au formulaire des prières publiques, ni à celui de l’administration des sacremens: le tout aiant été bien et saintement dressé, en termes clairs, et pris la plupart de la Parole de Dieu 16.

13   Le texte n’est connu que par l’édition de 1545 (Confessions et catéchismes de la foi réformée, O. Fatio (dir.), 2e édition, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 25-114). 14   J.-D. Candaux, op. cit. 15   La Bible de 1588 clôt un travail de révision du texte qui s’est étalé sur cinquante ans (cf. Bernard Roussel, « La Bible de 1530 à 1600 », Le temps des Réformes et la Bible, G. Bedouelle et B. Roussel (dir.), Paris, Beauchesne (Bible de tous les temps 5), 1989, p. 279-282). « Après l’ultime révision accomplie sous l’autorité de Bèze en 1588, le texte devint quasi-canonique, et demeura inchangé pendant tout le xviie siècle » (F. Laplanche, op. cit., p. 84). En 1659 encore, le synode de Loudun défend de lire en chaire aucune autre version que celle qui est en usage (Orentin Douen, La Révocation de l’édit de Nantes à Paris, d’après des documents inédits, t. 1, Paris, Fischbacher, 1894, p. 200, n° 3). La canonisation au xviie siècle des versions vernaculaires des Écritures se vérifie également dans les traditions luthériennes et anglicanes et affecte également, selon Jonathan Sheehan, les liturgies et les catéchismes (Jonathan Sheehan, The Enlightenment Bible. Translation, Scholarship, Culture, Princeton, Oxford, Princeton University Press, 2005, p. 4). 16   Jean Aymon, Tous les synodes nationaux des Églises reformées de France..., La Haye, C. Delo, 2 vol., 1710, t. I, p. 181 (pour les décisions semblables des synodes suivants, voir : t. I, p. 219 [1598], p. 375 [1609] ; t. II, p. 24 [1614], p. 181 [1620]).

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Durant cette période d’accentuation de la controverse religieuse, de consolidation des traditions confessionnelles et de crispation de l’orthodoxie, notamment à l’encontre des contestations internes sur la question de la prédestination, l’ensemble des textes que contient le psautier sont envisagés comme exprimant un consensus doctrinal essentiel entre les réformés 17. Dans ce contexte de raidissement, la seule tentative de révision de la Bible vient du théologien genevois Jean Diodati (1576-1649). Menée de manière isolée, rapidement désapprouvée par la Compagnie des pasteurs de Genève (1618) et par le synode d’Alès (1620) et par conséquent renvoyée à son statut d’initiative privée, cette entreprise aboutit néanmoins à la publication en 1644 d’une version corrigée de la Bible, puis, en 1646, d’une nouvelle version des psaumes 18. En revanche, dès la seconde moitié du siècle, les efforts de révision se multiplient dans une « certaine effervescence » 19. Dans ce contexte, la position des synodes se modifie. Dès 1645, ils se soucient avant tout de maintenir le contrôle sur les corrections qui sont introduites dans les textes. Celui de Charenton, suivi par celui de Loudun en 1660, ordonne « de ne pas soufrir qu’on fît aucun changement dans la version de la Bible, ni dans le livre des pseaumes, ni dans la confession de foi, la liturgie, et le catéchisme, sans un ordre exprès du Consistoire, qui auroit été établi pour cet effet, par chaque Synode Provincial » 20. En 1669, deux Bibles révisées voient le jour : celle de Samuel des Marests et celle que le secrétaire de l’Académie française, Valentin Conrart, et le pasteur Adrien Daillé ont réalisée en travaillant à partir de deux Bibles catholiques. Signe des réticences que suscite encore cette activité de révision, l’ouvrage est censuré par le synode provincial de l’Île-de-France  21. Au début des années 1670, deux initiatives parallèles et concurrentes de remaniement de la traduction française de la Bible sont lancées à Charenton et à Genève, mais en raison de la révocation de l’édit de Nantes, seule la seconde aboutit en 1678 22.

17   Ainsi, en 1669, lors d’une dispute sur la grâce survenue entre pasteurs genevois, le professeur de théologie Louis Tronchin (1629-1705) « commensça à dire qu’il ne faloit plus s’arrester à ces pédanteries et formalités, qu’il faloit se contenter d’exiger la conformité à la Parole de Dieu, à notre confession de foy, à la liturgie et au catechisme etc. » (Arch. d’État de Genève (désormais : AEG), Cp. Past. R. 12, p. 380 [30 juillet 1669]). Sur les rapports entre traditions confessionnelles et « travail biblique », voir B. Roussel, « La Bible de 1530 à 1600 », op. cit., p. 253. 18   La sainte Bible interprétée par Jean Diodati, Genève, P. Aubert, 1644 ; Les Pseaumes de David en rime, revueus par Jean Diodati, Genève, P. Chouet, 1646. Voir à ce sujet : Eugène de Budé, Vie de Jean Diodati, théologien genevois, 1576-1649, Lausanne, G. Bridel, 1869, p. 170-178 ; Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève, t. XIII (1617-1618), N. Fornerod et al. (éd.), Genève, Droz, 2001, p. XX, 190, 200 et 222. 19   F. Laplanche, op. cit., p. 362. 20   J. Aymon, op. cit., t. II, p. 678. Exigeant que l’on fasse « exacte observation » de cet arrêt, le synode de Loudun ordonne « afin de remédier à la diférence qui se trouvoit dans les Éditions de la Bible, des pseaumes, de notre lyturgie et du catéchime », que le Consistoire de Paris soit informé de toutes les modifications constatées de manière qu’il puisse donner « les ordres nécessaires pour une édition plus exacte et plus correcte de la Bible, des pseaumes, de la lyturgie et du catéchime, à quoi les imprimeurs se conformeroient dès leurs impressions à l’avenir » (ibid., p. 776). 21   O. Douen, op. cit., p. 298-299 ; N. Scharpira, op. cit., p. 315-316. 22   Sur ces projets : R. Simon, op. cit., p. 22-29 ; F. Laplanche, op. cit., p. 561-571.

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Alors que de nouvelles versions des psaumes ont paru à Genève en 1654, à l’initiative du catholique converti Antoine Lardenois 23 et à Cassel en 1674 24, la révision des psaumes dans laquelle Conrart s’est lancé parvient pour sa part à ses fins en deux étapes avec la publication d’une première tranche de cinquante et un psaumes en 1677, puis d’une seconde tranche en 1679, achevée, après son décès, par les soins de son collaborateur, Marc-Antoine de La Bastide 25. L’année suivante paraît encore un recueil contenant les cinquante premiers psaumes dans un texte très remanié  26. Dans les églises, on continue cependant à chanter sur les anciens vers de Marot et Bèze. Une situation analogue prévaut pour le formulaire liturgique, puisque plusieurs versions circulent en même temps à cette époque. Alors que les imprimeurs reproduisent généralement le texte de 1552, La forme des prières ecclésiastiques annexée à un psautier publié en 1668 comporte une vingtaine de corrections. Pour la plupart, ces corrections ne visent qu’à éliminer des archaïsmes, mais certaines d’entre elles infléchissent discrètement le sens du texte 27. En 1669, paraît une édition dont le texte a été minutieusement corrigé par La Bastide : sur les seules liturgies du culte dominical, du service des prières et du culte eucharistique, plus de 600 modifications ont été introduites. Mais ce document, dont il ne semble rester aujourd’hui qu’un seul exemplaire, n’a pas eu d’influence immédiate  28. Les ministres font toujours usage de l’ancienne version qu’ils corrigent souvent à la main comme

23   Antoine Lardenois, Les pseaumes de David, mis en rime françoise par Clément Marot et Théodore de Bèze. Réduit nouvellement à une briève et facile methode pour apprendre le chant ordinaire de l’Eglise, Genève, S. Chouet, 1658 (pour les décisions de la Compagnie autorisant la publication de cet ouvrage : AEG, Cp. Past. R. 10, p. 53, 56). 24   Version nouvelle des Pseaumes de David en vers françois sur les airs de ceux de Clément Marot et de Théodore de Bèze, L. Gauvain, Cassel, S. Schadewitz, 1674 (F. Bovet, op. cit., n° 188). 25   Le livre des psaumes, en vers françois par Clément Marot et Théodore de Bèze. Retouchez par feu Monsieur Conrart…Première partie, Genève, S. de Tournes, 1677 (autre édition : Le livre des psaumes, en vers françois par Cl. Ma. & Th. de Be. Retouchez par feu Monsieur Conrart…Première partie, Charenton, A. Cellier, E. Lucas et veuve O. de Varennes, 1677). 26   Mr. Gilbert, Les psaumes en vers François, Paris, A. Cellier, 1680. 27   Les psaumes de David, Charenton, E. Lucas, 1668. La plupart des corrections modernisent : on dira « c’est pourquoi » plutôt que « parquoy » ; au lieu de « par ainsi », on emploiera « par ce moyen » ; « fructifier » au lieu de « besogner » ; « obtenir miséricorde » plutôt que « impetrer mercy »… Mais il y a aussi des modifications dont la portée est plus importante : au lieu de dire qu’il plaît à Dieu que nous l’invoquions « même du profond des enfers », la version de 1668 dit « au jour de nostre détresse » ; dans la formule d’excommunication, on ajoute que les pécheurs ne sont exclus de la cène que « s’ils ne se repentent ». C’est sans doute à ces corrections que Laurent Drelincourt fait allusion quatre ans plus tard dans un mémoire adressé aux autorités genevoises, dont il sera question plus loin et où il indique que « Mrs de Paris » ont déjà procédé à « quelques changemens légers, mais excellent dans notre liturgie et dans notre catéchisme » (Bibliothèque de Genève [désormais : BGE], Arch. ­Tronchin, vol. 100, p. 10). 28   La forme des prières ecclésiastiques : Les psaumes en vers, nouvelle édition revue exactement sur les précédentes avec la liturgie, le catéchisme et la confession de foi des églises réformées, le tout retouché et accomodé aux changements que le temps et l’usage ont apporté à la langue, Amsterdam, veuve de P. Savouret, 1669 (d’après Émile Doumergue, Essai sur l’histoire du culte réformé, principalement au xvie et au xixe siècle, Paris, Fischbacher, 1890, p. 307-341, qui signale [p. 397] qu’un exemplaire est conservé à la Bibl. de l’histoire du protestantisme français, mais cet exemplaire n’a pu être retrouvé).

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le confirme la Compagnie des pasteurs de Genève, en 1687, lorsqu’elle constate que « les liturgies des Bibles qui sont dans les temples sont toutes biffées » 29. Qu’elles portent sur la Bible, les psaumes ou le formulaire liturgique, toutes ces révisions relèvent du même projet. Dans un mémoire qu’il envoie en 1664 à un syndic genevois, et auquel feront suite de nombreuses requêtes dans le même sens adressées notamment par Conrart aux pasteurs genevois 30, le ministre Laurent Drelincourt (1626-1680) tente de rallier les autorités genevoises à ce projet et en dessine les objectifs. C’est une refonte globale des sources de la piété réformée qui est envisagée. Elle est destinée non seulement à en moderniser la lettre, mais également à harmoniser les éditions de la Bible, des psaumes et de la liturgie, et à épurer le psautier de toute une série de textes, comme des prières, qui s’y sont introduits la plupart du temps à l’initiative des imprimeurs. Tel que le conçoit Drelincourt, le projet vise, dans l’esprit des décisions synodales citées plus haut, à une reprise en main cléricale, contrôlée en particulier par la Compagnie des pasteurs et professeurs de Genève, du patrimoine commun de textes de dévotion qu’est devenu le psautier  31. La révision qu’il envisage ne concerne pas seulement la lettre de ces textes, mais vise également à « adoucir » certaines formules théologiques qui ont, à son avis, « quelque chose de dur et de cru » 32. Interrompu par la révocation de l’édit de Nantes, le processus de révision du psautier est relancé en 1688 par l’Église des réfugiés français à Zurich. Dans une lettre adressée au professeur de théologie genevois Louis Tronchin, elle l’engage à intervenir auprès des pasteurs genevois afin qu’ils consentent à introduire les Psaumes de Mr. Conrart dans l’usage public de leur Eglise », de telle sorte que cette Église puisse « autoriser par son exemple un changement si utile 33.

Peu de temps auparavant, Tronchin avait lui-même suggéré de profiter de la réimpression de la Bible afin de « revoir la derniere traduction pour addoucir ou changer quelques expressions, et pour revoir aussi la rime des pseaumes » 34. 29   AEG, Cp. Past. R. 16, p. 22 (4 novembre 1687). Une édition de la liturgie, publiée vers 1670, confirme cette pratique : alors même que son texte imprimé comporte des modifications par rapport à l’édition de 1552, une main y a porté encore, sur les seules liturgies du culte dominical, du service de prière et du culte eucharistique, une dizaine de corrections (Prières ecclésiastiques avec la manière d’administrer les sacremens et de bénir le mariage et les X. commandemens de la Loy de Dieu, s.l.n.d). 30   N. Scharpira, op. cit., p. 315. 31   Ce travail, souligne Drelincourt, « se devroit faire de concert et par autorité, afin que les anciennes éditions s’abolissant peu à peu, toutes les nouvelles fussent conformes » (Laurent Drelincourt, « Mémoire pour Monsieur Colladon, premier Syndic de la République de Genève », par, [BGE : Arch. Tronchin, vol. 100, pièce n° 3, p. 10, Niort, 7 février 1664]). 32   Drelincourt exprime en l’occurrence une sensibilité plus optimiste sur la nature humaine en reprochant à « La manière d’interroger les enfants » qu’il attribue par erreur à Théodore de Bèze d’avoir « quelque chose de dur et de cru » dans le passage suivant : « Et quand Dieu t’a donné son Saint Esprit, les peux-tu parfaitement accomplir ? Réponse Nenny pas. Une petite explication, ajoute-t-il, ou un petit adoucissement, semble icy fort à désirer » (BGE, Arch. Tronchin, vol. 100, p. 19). 33   Récit de la manière dont les Psaumes de David, retouchez par Mr. Conrart, ont été introduits dans l’Eglise de Genève, s.l.n.d. [Genève, 1700], p. 1. Cette lettre est lue à la Compagnie des Pasteurs de Genève, le 30 novembre 1688 (AEG, Cp. Past. R. 16, p. 86). 34   AEG, Cp. Past. R. 16, p. 86 (23 novembre 1688).

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Ces propositions sont formulées à un moment où, avec le décès du théologien François Turrettini, disparaît un verrou de l’orthodoxie genevoise 35. Les circonstances sont alors un peu plus favorables à des réformes, mais les réticences devant les innovations liturgiques restent fortes au sein de la Compagnie : la proposition zurichoise n’est acceptée qu’après des débats qui permettent de lever les craintes d’une majorité de ses membres. On avance alors avec la plus grande prudence en direction de la révision, qui est confiée à trois commissaires chargés « de bien et exactement examiner laditte revision des Pseaumes [de Conrart], les conferer avec l’original, et y faire toutes les remarques, observations, corrections et changemens qu’ils jugeraient necessaires ». La commission travaille durant dix-huit mois. En 1693, le projet de nouvelle version est présenté à la Compagnie des pasteurs, puis aux magistrats devant lesquels il est longuement défendu par deux membres de la commission : Tronchin et Benedict Pictet (1655-1724). Ils font à cette occasion le récit de toute l’histoire du processus de révision depuis son ébauche par Conrart. Deux ministres exposent cependant onze arguments qui les conduisent à rejeter cette réforme. Leur opposition a sans doute contribué à ralentir la publication de la nouvelle version 36. Malgré l’autorisation accordée par les magistrats en mai 1694 37, la nouvelle version n’est imprimée que deux ans plus tard. Afin d’asseoir la légitimité de ce recueil révisé et de répondre aux attentes des Églises réformées en exil qui attendaient, à l’image des Zurichois, de celle de Genève qu’elle donne l’impulsion de la réforme, son titre indique que les psaumes ont été « revus et aprouvez par les Pasteurs et les Professeurs de l'Eglise et de l'Académie de Genève »  38. Cette nouvelle version inclut outre les psaumes corrigés, La forme des prières ecclésiastiques dans la version que La Bastide avait fait paraître en 1669, à laquelle des modifications ont encore été apportées, ainsi qu’un jeu de prières, le catéchisme et la confession de foi. Introduits d’abord dans les écoles, en avril 1696  39, puis officiellement dans les cultes de l’Église de Genève seulement à l’automne 1698  40, les nouveaux psaumes et la nouvelle liturgie sont éprouvés d’abord dans les paroisses urbaines puis dans les paroisses rurales de Genève 41. Après les avoir introduits avec succès, l’Église de Genève adresse le 12 janvier 1700, sur les conseils de La Bastide 42, une lettre circulaire à un grand nombre d’Églises réformées francophones afin

  Maria-Cristina Pitassi, De l’orthodoxie aux Lumières. Genève, 1670-1737, Genève, Labor et Fides, 1992, p. 21. 36   AEG, Cp. Past. R. 17, p. 54 (31 mars), p. 55 (21 avril) ; AEG, RC 193, p. 94-96 (12 avril), p. 100-101 (19 avril 1693). 37   AEG, RC 194, p. 198 (29 mai) ; AEG, Cp. Past. R. 17, p. 104 (1er juin 1694). 38   Les Psaumes de David mis en vers françois par Cl. Marot et Th. de Bèze. Retouchez par Monsieur Conrart. Revus et aprouvez par les Pasteurs et les Professeurs de l'Eglise et de l'Académie de Genève. Avec la liturgie, le Catéchisme et la Confesion de foi des Eglises Réformées, Genève, pour la Compagnie, 1695. 39   AEG, Cp. Past. R. 17, p. 255 (3 avril 1696). 40   Une première décision d’introduire les nouveaux psaumes est prise le 20 novembre 1696 (AEG, Cp. Past. R. 17, p. 312), mais l’application de cette décision est repoussée d’abord au mois de juin suivant (AEG, Cp. Past. R. 17, p. 317 [27 novembre 1696]), puis au mois de janvier 1698 (AEG, Cp. Past. R. 17, p. 339 [12 février 1697]). Finalement l’annonce de l’introduction n’a lieu qu’au mois d’octobre 1698 (AEG, Cp. Past. R. 17, p. 511 [4 octobre] ; BGE, Arch. Tronchin, vol. 62, f° 23 [9 octobre]). 41   Sur l’ensemble des événements liés à l’introduction du nouveau psautier : Pierre-Alain Friedli, « Du ”psautier huguenot” au ”psautier romand” », Musique à Saint-Pierre, Genève, Clefs de Saint-Pierre, 1984, p. 64-67. 42   Lettre de La Bastide à Tronchin, de Londres, 15 juin 1699 (BGE, Arch. Tronchin, vol. 49, f° 18-19v°). 35

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de les informer de ce changement. Dans les mois qui suivent, parviennent à Genève les lettres d’approbation de la révision venues des Églises de Berne, de Bâle, de Berlin, de Zurich, d’Erlangen, de Zell, de Neuchâtel, de Schaffhouse, de Dublin et de Copenhague  43. Seules notes discordantes dans ce concert d’approbations sont les lettres émanant de Londres, et surtout de Hollande : le célèbre théologien et controversiste Pierre Jurieu (1637-1713), réfugié à Rotterdam, y anime une très vigoureuse opposition à l’initiative genevoise, qu’il dénonce comme « une espèce de schisme » 44. Genève achève en réalité son travail de révision alors que d’autres entreprises de même nature sont en cours ailleurs. Chacun de son côté, La Bastide ainsi que les huguenots réfugiés en Hollande ou à Berlin sont en effet également engagés dans la correction de l’ancien psautier  45. Dans cette situation de concurrence relative et de contestation, le nouveau psautier genevois fait rapidement l’objet d’une vive polémique. Dès le mois de janvier 1700, un correspondant de Louis Tronchin signale que beaucoup d’imprimés « ont déjà paru, et […] paroissent encore, sur le même sujet » 46. Au total, depuis la description systématique des différents aspects du programme de révision par Drelincourt en 1664, jusqu’à l’introduction du Psautier et de la liturgie révisés en 1700, il aura fallu près de quarante ans pour que les Églises réformées francophones 43   Récit, op. cit., p. 11-29. Dès le 23 janvier 1700, les professeurs de l’Académie de Lausanne approuvent également la révision, mais les autorités souveraines de Berne décident en 1701 de « rejeter la version de Conrart et de confirmer l’ancienne » (cité par Henri Vuilleumier, Histoire de l’Église réformée du Pays de Vaud sous le régime bernois, 4 vol., Lausanne, Éditions de la Concorde, 1927-1933, t. III, p. 587-589). 44   Cité par F. Bovet, op. cit., p. 168 (lettre de Pierre Jurieu à l’Église française de Cassel, 5 octobre 1700 ; sur Jurieu, voir : Frederick Reiner Jacob Knetsch, « Pierre Jurieu, réfugié unique et caractéristique », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 115 [1969], p. 445-478 et Jacques Le Brun, « Les œuvres spirituelles de Pierre Jurieu », La jouissance et le trouble. Recherche sur la littérature chrétienne de l’âge classique, Genève, Droz, 2004, p. 339-362). 45   Lettre de Jacques Lenfant (1661-1728) à Tronchin (BGE, Arch. Tronchin, vol. 42, f° 82 [Berlin, 9 mars 1695]) ; lettres d’Élie Bouhereau (1642- ?) à Tronchin (BGE, Arch. Tronchin, vol. 54, f° 89 [Chester, 21/31 mai 1697]). Une version corrigée du psautier paraît à Amsterdam en 1698 : Les psaumes en vers, avec la Prose et la Liturgie, le Catéchisme et la Confession de Foi des Églises Reformés. Nouvelle Édition retouchée une derniere fois, sur toutes celles qui ont précédé, Amsterdam, P. Brunel, 1698. 46   Lettre de Bouhereau à Tronchin (BGE, Arch. Tronchin, vol. 49, f° 65v° [Dublin, le 4/15 janvier 1700]). Parmi les titres qui paraissent sur la question : Mémoire des Raisons qui ont porté le Synode des Églises Wallonnes des Provinces Unies des Pais Bas assemblé à Rotterdam le 9 septembre 1700 et jours suivans à n’admettre point de nouvelle version des Pseaumes dans leur service public, Rotterdam, 1700 ; [Jean-Frédéric Ostervald], Réflexions sur un Écrit intitulé, « Memoire des raisons qui ont porté le Synode des Eglises wallonnes des Provinces-Unies des PaysBas assemblé à Rotterdam le 9. Septembre 1700. et jours suivans, à n’admettre point de nouvelle version des psaumes dans leur service public », [Londres, s.n., 1700] ; Réponse à une lettre imprimée que Monsieur Jurieu a écrite à un ministre François de Londres contre le changement des Psaumes proposé par l’Eglise de Genève, datée du 13/24 juillet 1700, Londres, août 1700 ; Mr. A. R. D[e] L[a] D[evese], Lettre sur le sujet de l’ancienne et de la nouvelle version des pseaumes en vers françois et maximes. Ou réflexions chrétiennes tirées de divers passages de l’Écriture Sainte, mises en vers françois, pour l’usage particulier de sa famille, Amsterdam, J. Desbordes, 1701 ; [Pierre Rival], Remarques sur le psautier, qu’ont dit être de Mr. de Labastide, imprimé en dernier lieu à Londres pour Jean Cailloué et Jaques Levi, en 1701, Londres, C. Lucas et N. Bouquent, 1703 ; [L. Scalberge], Réponse à la lettre critique du psautier de Mr Jurieu, Londres, C. Lucas, 1703 ; Réplique à la réponse de Monsieur Rival, aux remarques sur le Psautier de Mr. de Labastide, avec quatre lettres nécessaires au fait, Londres, l’Auteur, 18 mars 1704 ; Factum pour Mr. Scalberge contre Monsieur Rival, s.l.n.d.; Réponse a un écrit intitulé lettre d’un Gentilhomme réfugié à Londres : À un de ses Amis de la la [sic] Mer, au sujet du Nouveau Psautier. Par Mr. R[ival ?]. M., Londres, R. Roger, 1704.

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parviennent à refondre les textes qui sont au fondement de leur culture rituelle et pour régler ainsi l’héritage des Réformes du xvie siècle. L’interruption provoquée par la révocation de l’édit de Nantes et la dispersion des Églises n’expliquent pas à elles seules la lenteur du processus. D’ailleurs, l’examen et la correction à Genève de la version du psautier due à Conrart, entamée après la révocation, aura à elle seule nécessité douze ans. Cette lenteur est davantage le signe de la profondeur des enjeux que recèle l’entreprise de révision. L’analyse des débats qu’elle a suscités le confirme. À l’origine du processus, on peut identifier plusieurs motifs qui ont permis à un milieu de pasteurs et de professeurs de Saumur, Charenton, Genève et Neuchâtel de faire progressivement admettre la nécessité d’une révision des textes aux autres cadres des Églises réformées et, avec davantage de difficulté, aux fidèles en général  47. Parmi ces motifs, on distingue une certaine instabilité liturgique, résultant notamment des différences de pratiques entre les Églises et des écarts entre la réalité des usages et la norme liturgique 48 ; l’émergence de la critique biblique et le constat, repris dans les avertissements qui précèdent les révisions des psaumes, du « refroidissement du zèle des fidèles » ont également joué un rôle  49. Mais l’élément déclencheur, celui qui a focalisé l’essentiel de l’attention et que l’on retrouve développé dans toutes les préfaces des éditions révisées, c’est l’archaïsme de la langue dans laquelle Bible, psautier et liturgies sont formulés. Sur ce point, deux pressions se sont exercées. La première est venue de l’extérieur. Longtemps les Bibles réformées françaises avaient servi de modèle aux traductions catholiques. Mais dans la deuxième moitié du xviie siècle, la dynamique s’est inversée avec la publication de plusieurs Bibles catholiques, notamment celles de Port-Royal (1667) et de Le Maistre de Sacy, qui commence à paraître en 1672  50. De plus, la controverse n’a pas manqué de se moquer des formulations vieillies dont fourmillent les liturgies et les traductions réformées des textes scripturaires. Dès 1647, Moyse Amyraut (1596-1664) déplorait les moqueries dont font l’objet, à cause de la langue, ces psaumes qui un siècle auparavant faisaient selon lui l’admiration des rois eux-mêmes 51. Le souci, formulé par la

  N. Scharpira (op. cit., p. 314) a noté que leur « volonté de révision » s’est heurtée « aux réticences des protestants du Midi et de l’Ouest, mais aussi d’une partie des réformés d’Île-de-France, attachés à la spécificité des traductions protestantes ». 48   Christian Grosse, Les rituels de la Cène. Une anthropologie historique du culte eucharistique réformé à Genève (xvie – xviie siècles), thèse présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève, 2001, p. 807-820. 49   Dans son épître « Au Lecteur », Jean Diodati remarquait déjà qu’il avait été encouragé à publier les résultats de son travail de révision des psaumes pour servir de « remède aux attiédissemens, et desgoustemens qu’on remarque avec déploration avoir saisi plusieurs esprits en cette partie des exercices de piété » (Les Pseaumes de David, op. cit., qiiv°-qiiir°) ; dans l’« Avertissement » qui précède la première livraison des psaumes corrigés par Conrart, La Bastide justifie la révision en soulignant qu’il était nécessaire de s’adapter à l’évolution du goût littéraire des fidèles alors même que « le zèle s’est fort refroidy » (Le Livre des Psaumes, op. cit., Aiiiv°). 50   O. Douen, op. cit., p. 297, 367. Sur les traductions catholiques de la Bible et des liturgies en français et les problèmes spécifiques qu’elles posent à la même époque : Bernard Chedozeau, La Bible et la liturgie en français. L’Église tridentine et les traductions bibliques et liturgiques (1600-1789), Paris, Cerf, 1990 ; Georges Minois, Censure et culture sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1995, p. 88-92. 51   Apologie pour ceux de la Religion sur les sujets d’aversion que plusieurs pensent avoir contre leurs personnes et leur créance, Saumur, I. Desbordes, 1647, p. 422-423. P. Du Moulin avait auparavant également relevé que le car47

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Compagnie des pasteurs de Genève, « de n’exposer pas le service divin aux railleries de ceux de l’Eglise romaine »  52, domine dans les arguments justifiant la révision à la fin du xviie siècle. L’avis qui ouvre l’édition révisée du psautier de 1695 souligne la volonté de proposer une version des psaumes qui « par ses expressions ne donnât à personne aucun prétexte d’en parler avec mépris »  53 et la lettre circulaire du 12 janvier 1700, par laquelle l’adoption à Genève du nouveau psautier est annoncée, justifie cette réforme par « le mépris avec lequel nos adversaires parloient de nos psaumes, et les railleries qu’ils en faisoient dans leurs prédications, et dans leurs écrits, tant à cause des fautes dont ils sont remplis contre les règles de la poësie d’aujourdui, qu’à cause principalement de plusieurs expressions, qui ne sont plus supportables dans ce siècle, où la clarté, et la politesse sont tout-à-fait nécessaires » 54. La polémique catholique a également exploité l’impasse dans laquelle le choix de la langue vernaculaire a conduit les réformés. Bien informé des débats qui agitent ses anciens coreligionnaires, David Augustin Brueys (1640-1723), qui a été converti par Bossuet, pointe en 1686 la contradiction dans laquelle ils se retrouvent, en notant que les ministres « prévoyent bien que si de temps en temps l’on ne changeoit ce qui est exprimé en langue vulgaire, il deviendroit enfin totalement inintelligible, et […] que par cette raison, la langue qu’ils ont choisie deviendroit enfin moins entendue que la Latine s’ils n’y donnoient ordre » ; mais, poursuit Brueys, ces mêmes ministres savent aussi que « leurs peuples […] aiment mieux parler le langage de leurs pères, quoy-que barbare et presque inintelligible, que de rien innover dans les actes publics de leur service et de leur foy, pour n’en altérer point le vray sens »  55. Brueys montre ainsi la double difficulté qui découle de l’adoption du français comme langue liturgique. Contraints d’adapter la lettre de leurs formulaires liturgiques à l’évolution de la langue, les ministres réformés heurtent l’attachement des fidèles à l’ancienne version de ces textes ; ils sont ainsi pris en tenaille entre deux obligations : celle d’innover et celle de respecter une tradition qui s’incarne dans la permanence des mêmes formes liturgiques. Mais cette contradiction ne concerne pas seulement la forme. Modifier la langue entraîne nécessairement, selon Brueys, des infléchissements de doctrine : il n’est pas possible que la liturgie soit ainsi retouchée continuellement à diverses reprises dans le cours de plusieurs siècles, et par des mains différentes, sans que ce fréquent changement dans le langage n’apporte quelque changement dans le sens des choses, et sans donner aux Chrestiens d’un siècle des idées des mystères de la Religion Chrestienne, différentes de celles qu’en avoient les Chrestiens d’un autre 56.

dinal Du Perron avait insisté sur les dangers de la traduction en prévoyant notamment que « d’icy cent ans la traduction des Pseaumes de Marot se trouvera goffe, indepte et ridicule » (op. cit., p. 139). 52   BGE, Arch. Tronchin, vol. 62, f° 10. 53   Les Psaumes de David, op. cit., q3v°. 54   Récit…, op. cit., p. 9. 55   Défense du culte exterieur de l’Église catholique : ou l’on montre aussi les défauts qui se trouvent dans le Service publique de la Religion Prétendue Réformée […] Pour servir d’instruction aux Protestants et aux nouveaux Convertis, Paris, S. Mabre-Cramoisy, 1686, p. 216-217. 56   Ibid., p. 215.

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On reconnaît ici un argument que Bossuet systématisera deux ans plus tard dans son Histoire des variations des Églises protestantes 57. Défendant la révision des textes liturgiques, les ministres de Genève auront beau répondre, en se fondant sur la distinction classique depuis Érasme entre les points fondamentaux pour la foi (fundamentalia) et les éléments secondaires (adiaphora) 58, « que les choses consacrées ausquelles il ne faut point toucher ne sont que la doctrine, et les pensées, les instructions, les préceptes, les consolations, et les saintz mouvements qu’on trouve dans les psaumes ; mais que le langage n’est qu’un moyen d’apprendre ces choses-là, il doit estre changé dans l’Eglise toutes les fois qu’il devient inintelligible » 59, des modifications affectant la doctrine s’introduiront, comme le soupçonnait Brueys, sous le couvert des corrections apportées à la lettre des formulaires liturgiques. Une seconde pression est venue de l’intérieur même de l’Église réformée. Pour beaucoup de ministres, de professeurs, et plus généralement de lettrés réformés, la langue dans laquelle Bible, psaumes et documents liturgiques sont formulés ne doit pas rester en retrait par rapport aux progrès récents et rapides du français. Ancrée dans la langue vernaculaire, liée par conséquent à son histoire, la lettre de ces textes doit suivre le mouvement ascendant de cette langue vers davantage de pureté et de clarté. Tous ceux qui s’impliquent dans le travail de révision ont à cet égard les mêmes priorités. Selon Diodati, l’objectif est de « conformer […] le stile, en quelques endroits un peu surrané, à la netteté à laquelle la langue Françoise a esté portée depuis leur première production »  60. « La raison de cette réformation, argumente de son côté Laurent Drelincourt, c’est que la langue françoise a eu la destinée de toutes les autres langues, […] elle a changé extrêmement depuis un siècle » 61. Pour La Bastide, il faut « accommoder » les vers français des psaumes pour prendre en considération le fait que « depuis l’ancienne version il est arrivé de très-grans changement dans nôtre langue », faute de quoi, ajoute-t-il, « nôtre vieux françois deviendroit comme du grec, ou comme du latin aux peuples »  62. Dans le même sens, la Compagnie des Pasteurs genevois souligne que seule l’adaptation des textes à l’évolution de la langue permet de rester conforme au « précepte de s. Paul, qui défend de se servir dans l’Église d’une langue qu’on n’entend pas »  63. Dans sa défense du projet de révision des psaumes qu’elle présente aux magistrats en 1693, elle explique également que depuis le temps de Marot et Bèze, « il s’est fait de si grands changemens dans le langage, et il a été mis dans celui où nous sommes soit à l’égard des mots, soit à l’égard des expressions dans une si grande pureté que diverses façon

57   Jacques Bénigne Bossuet, Histoire des variations des Églises protestantes, Paris, Veuve de S. Mabre-Cramoisy, 1688 ; voir à son sujet : Alfred Rébelliau, Bossuet historien du protestantisme : étude sur l'histoire des variations et sur la controverse entre les protestants et les catholiques au xviie siècle, Paris, Hachette, 1891. 58   Sur cette distinction et son interprétation à l’époque de ces débats, voir Jacques Le Brun, « Les conditions de la croyance d’après les œuvres de controverse de Bossuet avant l’épiscopat à Meaux », La jouissance et le trouble, op. cit., p. 411- 415. 59   BGE, Arch. Tronchin, vol. 62, f° 12. 60   Les Pseaumes de David, op. cit., qiir°. 61   BGE, Arch. Tronchin, vol. 100, p. 4. 62   Le Livre des Psaumes, op. cit., Aiiir°-v°. 63   BGE, Arch. Tronchin, vol. 62, p. 9.

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de parler contenues dans les vieux pseaumes sont devenues les unes absolument inintelligibles, et d’autres basses et rampantes » 64. Au-delà d’un relatif accord sur la nécessité de préserver l’intelligibilité des textes, c’est la question du statut qu’il faut reconnaître aux canons esthétiques de la poésie et de l’éloquence, comme règle du travail de correction, qui fait débat. Des positions qui s’affrontent sur ce point deux interprétations de la nature même de la culture rituelle réformée se dégagent. Dès 1647, Amyraut distingue de façon très clairvoyante l’enjeu de la discussion en opposant la tentation de la « pompe » et de l’« élégance », qu’il décèle dans les tentatives de révision, à la « claire naïfveté » qui, selon lui, « répond si parfaitement au texte originel du Saint Prophete ». Prenant position dans cette discussion, il fait l’éloge de cette naïveté comme signe d’une « Religion [qui] n’a jamais esté superstitieuse en matière de paroles, et [qui] comme elle n’emprunte point son efficace de l’éloquence du siècle, aussi ne se donnet’elle pas beaucoup de peine d’estre parée de ces ornements. Il luy suffit, ajoute-t-il, qu’on l’entende seulement, et semble qu’elle se plaise à triompher en sa simplicité, de la pompe et de la magnificence du monde » 65. Les acteurs du débat se retrouveront par la suite sur cette ligne de partage entre partisans de l’ornement, envisagé comme une adaptation à la sensibilité littéraire du temps favorable à la stimulation du zèle religieux, et partisans d’une « simplicité » considérée comme le signe d’une éthique transcendant la vanité mondaine. S’il admet une exigence de fidélité à la version des psaumes de Marot et Bèze, qui l’amène à respecter « quelque conformité de style et de caractère entre ce qu’on retient de la version ancienne, et ce qui est refait ou retouché », La Bastide estime que la révision des psaumes doit prendre en considération que « le monde est accoutumé à tant de justesse, et à tant de politesse dans les termes, que plusieurs personnes aimeroient mieux un vers doux et coulant qui diroit molement la chose, ou ne diroit pas si precisément tout ce qu’il faut dire, qu’une manière plus pleine, mais moins ordinaire dans la poësie, qui exprimeroit un meilleur sens, ou qui l’exprimeroit avec plus de force » 66. Consciente des enjeux, la Compagnie des pasteurs de Genève tente de définir une voie étroite entre, d’une part, « une délicatesse efféminée et mondaine » « qui ne cherchoit qu’à chatouiller vainement l’oreille » et qu’il faut juger « indigne de l’Église et des serviteurs de Dieu, parce qu’elle marquoit l’effet d’un esprit vain » et, d’autre part, « une délicatesse qui consistoit à parler purement, à s’exprimer avec justesse, et à se faire entendre clairement et avec plaisir », qu’elle estime « utile », notamment parce qu’elle maintient « l’honneur de la religion » 67. Ce compromis, qui a guidé la révision du Psautier de Conrart en accordant finalement beaucoup au goût du temps, défigure aux yeux de certains l’ancienne version. Pour les ministres genevois qui se sont exprimés contre la révision en 1693, « ces nouveaux pseaumes de Monsieur Conrart, n’ont pas

64   AEG, RC 193, p. 94-96 (12 avril 1693). Dans sa lettre circulaire du 12 janvier 1700, l’Église de Genève reprend cet argumentaire : constatant « le grand nombre de mot et de phrases qu’on n’entend plus, parce qu’elles ne sont plus en usage », elle ajoute que « nulle Eglise, si elle écoute Saint Paul, ne doit faire le Service divin, ni en tout, ni en partie, en des termes qui soient inintelligibles » (Récit, op. cit., p. 9). 65   M. Amyraut, op. cit., p. 434-436. 66   Le Livre des Psaumes, op. cit., Aiiiv°-Aiiiir°. 67   BGE, Arch. Tronchin, vol. 62, f° 15.

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la force, l’énergie et l’efficace pour toucher les cœurs comme les vieux » et ils déplorent que « la délicatesse d’aujourd’hui rend la langue et la poésie stérile » 68. De même pour Jurieu, les concessions qui ont été faites au goût littéraire révèlent une sorte de tyrannie de la lettre sur l’esprit. « Sous le prétexte d’un langage plus pur et d’une versification plus exacte » on a laissé dominer, écrit-il, une « vétilleuse exactitude qui ne peut flatter que l’esprit, mais qui ne sert de rien à la conscience : et qui n’est en rien essentielle à la véritable pieté ». La « délicatesse » de la nouvelle version lui paraît « hors de saison », alors que les réformés sont persécutés pour leur foi. Au « consentement des oreilles délicates et chatouilleuses, qui ne sont proprement touchées que de la politesse et de l’élégance », il oppose dans des termes qui retrouvent ceux d’Amyraut la « dévotion solide » dont l’ancien psautier constituait, selon lui, le « suc » et la « mouelle » 69. Les concessions faites à la sensibilité esthétique se paient donc par un affadissement des textes. Dans le même sens, Pierre Rival reproche aux auteurs des révisions – il vise en particulier La Bastide – leur « fade délicatesse d’oreille », qui les conduit par exemple à remplacer dans la traduction du décalogue le terme de « paillardise » par celui, moins fort, de « luxure » ; si l’on poursuit dans cette voie, avertit-il, « il ne faudra plus qu’un ministre cite en chaire plusieurs endroits de l’Écriture, ni qu’il ose y prononcer le mot d’adultère » 70. Pour ceux qui les rejettent, les entreprises de révision sont donc allées trop loin. Il fallait, juge ainsi L. Scalberge, se contenter de « faire parler bon françois à Marot et à Bèze ». Une forme de continuité entre l’ancienne et la nouvelle version aurait pu être de la sorte maintenue. Mais en dépassant cet objectif, La Bastide et les pasteurs et professeurs de Genève ont, selon le même auteur, dénaturé les textes et rompu le fil de la tradition ; ils ont fait « perdre [au psautier de Marot et Bèze] l’idée générale dont l’esprit et la mémoire des peuples sont remplis depuis longtems » 71. L’approbation du nouveau psautier genevois par une bonne partie des Églises réformées francophones a représenté une victoire des partisans d’une adaptation des textes aux critères littéraires de leur temps sur le courant conservateur animé par Jurieu. Certes, la mesure des vers a été respectée pour permettre le chant des nouveaux psaumes sur les airs anciens. Il n’y donc pas eu rupture brutale. Les correcteurs se sont montrés très prudents. Mais les textes ont tout de même été profondément retravaillés et rendent une tonalité différente, plus conforme à la sensibilité esthétique du milieu qui a conduit la révision. La nouvelle version marque ainsi l’achèvement du processus de réappropriation par ce milieu du patrimoine commun que constituait le psautier. À l’image des synodes soucieux de maintenir un contrôle sur le processus de révision et de Drelincourt qui revendiquait en 1664 cette prise de pouvoir sur les textes de dévotion, les ministres qui ont pris part à la révision du psautier de Conrart à la fin du siècle

  AEG, RC 193, p. 94-96 (12 avril 1693).   Memoire des Raisons…, op. cit., p. 4, 6-7. 70   [P. Rival], Remarques sur le psautier, op. cit., p. 44. 71   [L. Scalberge], Réponse à la lettre critique, op. cit., p. 5-6. Dans le même esprit, la Lettre sur le sujet de l’ancienne et de la nouvelle version, propose une stratégie de révision « douce » qui se coule dans la tradition au lieu de rompre avec elle en procédant à de petites retouches à peine perceptibles ; « on conserveroit par là, argumente-t-elle, l’idée principale de nos Pseaumes dans l’esprit de ceux qui sont accoutumez à l’ancienne version » (op. cit., p. 6). 68 69

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ont conscience d’opérer une reprise en main de ce patrimoine. Les pasteurs français de Zurich à l’origine de la relance du processus reconnaissent cette dimension collective du psautier en le décrivant comme « un ouvrage plein de consolations spirituelles pour toutes sortes de Personnes, et employé tous les jours dans nos dévotions ordinaires » 72. Les pasteurs genevois admettent également que « le peuple est accoutumé aux vieux psaumes [et] qu’il y a attaché sa dévotion » ; mais ils se fondent sur leur rôle d’instructeurs pour légitimer une intervention sur le psautier visant à en retirer « les phrases hors d’usage » qui risquent selon eux de faire « dégénérer la piété en superstition » et conduisent le peuple à chanter « sans penser aux choses » 73. Ce faisant, ils modifient, selon leurs opposants, la nature du psautier ; manuel de dévotion populaire, il devient le miroir d’une culture lettrée : « les pseaumes ne sont pas seulement pour l’usage des sçavans », font ainsi remarquer deux ministres genevois en 1693, « mais aussi pour celui des simples et des ignorans qui font le plus grand nombre, et qui ne seront pas édifiés par ces nouveaux Psaumes » 74. Se situant sur le plan des relations entre les Églises réformées francophones, Jurieu reproche également aux ministres genevois de s’être arrogés par leur révision un droit de propriété sur les psaumes alors que, selon lui, ces derniers « appartiennent à toute l’Église françoise, qui est une Eglise nationale, plus qu’à celle de Genève, qui n’est qu’une Église particulière » 75. L’adoption du psautier genevois a eu pour conséquence d’inscrire davantage les textes liturgiques dans leur temps. Les positions des promoteurs de la révision évoluent sur ce point de manière significative. Drelincourt et La Bastide, dans les années 1660, sont encore convaincus que le français, selon les termes du second, a atteint « une perfection qui apparemment la fera fleurir au même état durant plusieurs siècles », rendant ainsi inutile pour longtemps toute révision postérieure à celle qu’ils avaient entreprise 76. Cet optimisme n’est plus de mise à la fin du xviie siècle. Le psautier que pasteurs et professeurs genevois soumettent à l’approbation des autres Églises ne prétend à aucune sorte de canonicité, mais il se livre comme ouvert au réexamen et à l’amendement réguliers : « les fréquens changemens qui arrivent à nôtre langue, admet l’avis qui introduit le psautier, obligeront sans doute à retoucher [les Psaumes de David en vers françois] de tems en tems » 77. Telle est également la position de l’Église française de Berlin qui approuve les psaumes de Conrart révisés à Genève tout en décidant de « faire faire ici une édition de ces psaumes avec quelques changemens de peu d’importance, mais nécessaires, pour perfectionner peu à peu cet ouvrage » 78. La Bastide lui-même a changé de

  Récit…, op. cit., p. 4.   BGE, Arch. Tronchin, vol. 62, f° 14. 74   AEG, RC 193, p. 94-96 (12 avril 1693). 75   Selon l’inventaire des arguments des adversaires de la révision que dresse Louis Tronchin (BPU, Arch. Tronchin, vol. 62, f° 45). 76   Le Livre des Psaumes, op. cit., Aiiir°. Drelincourt est dans une position analogue puisqu’il juge au sujet de la liturgie que « pour peu que l’on y mette la main en des endroits où la correction sera comme imperceptible, il n’y aura presque plus rien à souhaiter pour sa perfection » (BPU, Arch. Tronchin, vol. 100, p. 10). 77   Les Psaumes de David…revus et aprouvez par les Pasteurs et les Professeurs de l'Église et de l'Académie de Genève, op. cit., p. 3. 78   Récit…, op. cit., p. 13-14. 72 73

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position : continuant à réviser la version de Conrart en 1696, il juge que « cet ouvrage mérite qu’on y touche et retouche pour le perfectionner » 79. Cette position qui rompt avec l’idée que les textes qui nourrissent et codifient la dévotion acquièrent par leur usage collectif et par la tradition qu’ils incarnent une valeur sacrale interdisant leur adaptation aux mutations historiques  80, trouve un écho dans la polémique avec Jurieu au sujet de la légitimité de la révision. Selon le Mémoire des Églises wallonnes contre la révision genevoise, le psautier de Marot et Bèze demeure à plus d’un titre non seulement le support de cette tradition, mais un véritable « lieu de mémoire » : « faite pour la Réformation et […] née avec elle », écrit Jurieu, qui est sans doute l’auteur de ce Mémoire, l’ancienne version a été consacrée par l’usage qu’en ont fait « nos premiers Martyrs au pied des échelles ou sur les buchers » et par « les galériens du temps présent ainsi que par les combats de controverse menés pour leur défense ». Aussi condamne-t-il comme «  dangereux  » cet «  esprit de nouveauté  », mieux, cette «  démangeaison générale  » du changement, qu’il voit s’immiscer « dans les versions de la Bible, dans les corrections des prières, des liturgies, des catéchismes, des confessions de Foi » 81. L’auteur d’une Réponse à une lettre de Jurieu souligne au contraire que l’innovation fait dès l’origine partie de l’histoire des Églises réformées et il rappelle que « le respect que l’on a pour une Église fort antique et consacrée au service de Dieu depuis plusieurs siècles, n’empêche pas qu’on ne l’abbate à la fin, pour en élever une autre à la place » ; il refuse par conséquent comme un « faux principe, s’il en fût jamais, et dont les conséquences sont infiniment dangereuses », l’idée selon laquelle « dès qu’une chose est en usage dans le service Divin, on n’y peut plus toucher sans scandale ». Il récuse encore l’idée que la révision des psaumes fournit à Bossuet un argument supplémentaire dans sa dénonciation des variations des Églises protestantes. Rejetant pour finir l’autorité de la tradition, il n’en reconnaît que deux : « la parole de Dieu dans les choses essentielles » et « les lumières de la droite raison, qui varie souvent selon les circonstances des temps et des lieux » sur les points « où la parole de Dieu n’a rien décidé » 82. Tout en restant sensible au « reproche que nos adversaires nous pourroyent faire d’aimer la nouveauté », l’Église de Genève adopte finalement une position semblable. Elle ne se contente pas de rappeler l’ancien argument selon lequel la révision de la lettre des psaumes n’implique pas d’innovation en matière de doctrine, mais relève que « si toute nouveauté estoit blamable, il n’y auroit jamais eu de Réformation » 83. La polémique sur l’entreprise de révision, qui oblige ses responsables à affronter la controverse à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de l’Église réformée, est donc l’occasion d’une réinterprétation du rapport que cette Église entretient avec sa tradition, notamment

  Lettre de La Bastide à Bouhereau (BPU, Arch. Tronchin, vol. 49, f° 14 [Londres, 3 avril 1696]).   La Lettre sur le sujet de l’ancienne et de la nouvelle version, juge par exemple qu’« on seroit mal fondé […] de s’imaginer que les expressions qui ont vieilli ayent acquis une espèce de consécration qui leur donne le privilège du respect et de la sûreté, jusques là qu’il ne soit pas permis de les changer lors qu’elles vieillissent » (op. cit., p. 4-5). 81   Memoire…, op. cit., p. 5-6, 7. 82   Réponse à une lettre imprimée…, op. cit., p. 6-8, 13. 83   BGE, Arch. Tronchin, vol. 62, f° 14. 79 80

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à travers les textes qui nourrissent sa piété. Il semble qu’au terme de cette polémique, un certain nombre de cadres réformés voient davantage leur Église comme une production de l’histoire, liée par conséquent de façon étroite à l’évolution historique ; traductions de la Bible, adaptation française des psaumes et formulaires liturgiques apparaissent à leurs yeux comme des interprétations de la parole divine, ancrées dans l’histoire et évoluant de concert avec elle. En d’autres termes, ils perçoivent ces textes comme des objets culturellement enracinés. Résultant de débats et de consultations croisées par voie épistolaire sur des points extrêmement précis, les versions qu’ils publient constituent des propositions qui supportent des alternatives 84. Plus encore qu’à l’examen de l’évolution de la Bible et des psaumes, c’est à l’analyse du destin de la liturgie que cette conclusion se vérifie 85. Révisée en 1669 par La Bastide et corrigée pour le nouveau psautier en 1695, La forme des prières ecclésiastiques entre dans une période de révision régulière. Elle est en effet modifiée à chaque nouvelle édition qui paraît au début du xviiie siècle : celle de 1710  86 raccourcit sérieusement la grande prière d’intercession du culte dominical et atténue la force de certaines formules ; celle, partielle, de 1711 87, codifie les prières destinées à être lues au cours de trois nouveaux cultes et lors de circonstances particulières ; celles de 1724 88, 1730 89, 1743 90, 1754 91, 1788 92 intègrent chacune de nouvelles modifications, plus ou moins importantes selon les éditions. Introduit en 1743, un « Avertissement » expose les pratiques cultuelles genevoises « pour faire connoître l’usage de cette Liturgie, et pour donner aux étrangers une idée de la manière dont se fait parmi

  Le psautier édité à Amsterdam en 1698 indiquait déjà dans un avertissement que « l’on retient ici dans le Texte celui qui a esté deja reçü, à moins qu’il n’y ait quelque manière d’évidence qu’un autre vienne encore mieux à ce qui précède, ou à ce qui suit. Et dans ces endroits là on met à la marge les autres interprétations qui sembleroient pouvoir entrer dans le choix, afin que chacun trouve sous ses yeux à se satisfaire des unes ou des autres » (Les psaumes en vers, op. cit.). La Bible d’Ostervald (1726 et 1744) proposera également dans ses marges des traductions différentes de celle que figurait dans le texte (François Laplanche, « La Bible chez les réformés », Le siècle des Lumières et la Bible, Y. Belaval et D. Bourel (dir.), Paris, Beauchesne, 1986, p. 461). 85   Après l’inclusion en 1705 des cantiques de Benedict Pictet, les psautiers genevois ne sont plus modifiés jusqu’en 1866 (P.-A. Friedli, op. cit., p. 70). 86   À la suite de : Les Psaumes de David en Vers François, Revûs et Aprouvés par les Pasteurs et les Professeurs de l’Église et de l’Académie de Genève, Genève, L. Durant, 1710. 87   Prières qui se doivent lire dans l’Église de Genève, le Lundi au soir, le Mardi au matin, et le Vendredi au soir, Genève, pour la Compagnie des Libraires, 1711. 88   Les prières ecclésiastiques et les liturgies du Batême, de la Sainte Cène, et du Mariage, revues par les Pasteurs et les Professeurs de l’Église et de l’Académie de Genève, Genève, G. de Tournes et Fils, 1724. 89   Les prières ecclesiastiques et les liturgies du batême, de la Ste Cène et du Mariage ; revües, par les Pasteurs et les Professeurs de l’Église et de l’Academie de Genève, Genève, Fabri et Barillot, 1730. 90   La liturgie ou la manière de célébrer le service divin dans l’Église de Geneve, Revûe par la Compagnie des Pasteurs et Professeurs, Genève, H.-A. Gosse et Compagnie, 1743. 91   La liturgie ou la manière de célébrer le service divin dans l'Église de Genève, revue par la Compagnie des pasteurs et professeurs, Genève, H.-A. Gosse et Compagnie, 1754. 92   La liturgie ou la manière de célébrer le service divin dans l'Église de Genève, Genève, J. L. Pellet, 1788 (pour les modifications apportées à la liturgie de la cène de 1724 à 1788, voir : Bruno Bürki, « La sainte Cène dans la liturgie de Suisse romande », Coena Domini II. Die Abendmahlsliturgie der Reformationskirchen vom 18. bis zum 20. Jahrhundert, I. Pahl (éd.), Fribourg, Academic Press Fribourg, 2005, p. 500-505). 84

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nous le service divin ». Les corrections qui y figurent rendent compte des réformes qui ont été opérées dans la conduite des cultes entre chacune des éditions. Tout se passe donc comme si la révision des psaumes avait servi de banc d’essai pour d’autres réformes, notamment liturgiques, et qu’à partir du moment où les formulaires liturgiques ont été engagés dans une dynamique de révision, ils n’ont plus cessé d’être régulièrement adaptés. En ce sens, ce que prévoyaient les polémistes catholiques s’est avéré : l’adaptation de la lettre des textes à l’évolution de la langue devait nécessairement ouvrir la voie à d’autres variations, plus fondamentales et par là à une forme d’instabilité liturgique. Menée parallèlement à l’entreprise de rénovation du culte diligentée par Ostervald à Neuchâtel  93, la révision des psaumes a constitué le préliminaire à une refonte approfondie aussi bien des formulaires que des pratiques liturgiques. À l’ancien rythme hebdomadaire des cultes, qui alternait simplement l’accentuation sur la prédication ou sur la prière, succède un rythme plus riche, variant le caractère des « actes de piété » en modulant la part qu’y prennent non seulement le sermon et les prières, mais aussi l’instruction, la lecture biblique, ou encore l’« adoration », l’action de grâce et la louange. De nouveaux formulaires de prières sont insérés dans les livres liturgiques pour certains jours de fête qui sont alors réintroduits (Noël, Ascension, Jour de l’An) ou pour le jeûne. La cérémonie de réception des catéchumènes à la cène fait l’objet d’une nouvelle liturgie. Le sens de certains cultes est aussi transformé : ainsi la cène prend un tour plus moral  94, tandis que la présence de la figure du Christ comme médiateur s’efface au profit d’une confiance plus grande placée dans la capacité du chrétien à résister au péché 95. Inspirée en bonne partie du modèle anglican et de la liturgie zurichoise 96, ces réformes ont explicitement pour objectif d’adapter la liturgie aux besoins du temps et, plus précisément, à la pression qu’exercent d’un côté le piétisme et de l’autre le relâchement de la ferveur religieuse. Mais les auteurs de ces réformes, Ostervald en particulier, ont aussi pour prétention de réparer les «  défauts considérables  » qui se trouvent à leurs yeux dans les formulaires calviniens  97. Leur entreprise implique donc à la fois une distanciation assumée 93   Sur ces rénovations : Robert Grétillat, Jean-Frédéric Ostervald, 1663-1747, Neuchâtel, P. Attinger, [1904], p. 119-132 ; Bruno Bürki, Cène du Seigneur – eucharistie de l’Église. Le cheminement des Églises réformées romandes et françaises depuis le xviiie siècle, d’après leurs textes liturgiques, vol. B : Commentaire, Fribourg, Éditions universitaires de Fribourg (Cahiers œcuméniques n° 17B), 1985, p. 57-94, et dernièrement, Maria-Cristina Pitassi, « L’Église neuchâteloise de la première moitié du XVIIIe siècle au miroir de la correspondance de JeanAlphonse Turrettini », à paraître [je remercie l’auteur de m’avoir permis de lire son texte avant sa publication]). 94   B. Bürki, Cène du Seigneur…, op. cit., p. 58. 95   Olivier Fatio, « Le Christ des liturgies », dans Le Christ entre Orthodoxie et Lumières, M.-C. Pitassi (éd.), Actes du colloque, Genève, août 1993, Genève, Droz, 1994, p. 11-30. 96   M.-C. Pitassi, « L’Église neuchâteloise… », op. cit. ; B. Bürki, « La sainte Cène… », op. cit., p. 485-486. L’influence anglicane est très marquée chez Ostervald, de telle manière que, comme me l’a fait observer B. Bürki, il y a chez lui une vraie « ouverture à une autre tradition ». En regard de cette ouverture, les Genevois se sont montrés plus retenus. Sans doute ont-ils cependant subi aussi cette influence : en 1666 avait en effet paru à Genève une version française de la liturgie anglicane, qui comprenait une longue introduction développant les règles à suivre pour conduire des réformes liturgiques (La liturgie, c’est à dire le Formulaire des Prières publiques, de l’Administration des Sacremens ; et des autres Cérémonies et Coutumes de l’Église, selon l’usage de l’Église Anglicane…, Genève, J.-A. et S. De Tournes, 1666, p. 1-20). 97   Dans une lettre à Tronchin, du 14 août 1700, Ostervald remarque : « Nos liturgies ont des défauts considérables. Diverses personnes éclairées et pieuses, tant parmi les ecclésiastiques, que parmi les séculiers, s’en sont

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avec l’ancienne tradition liturgique et une réinterprétation des fonctions de la liturgie : destinée à apporter des réponses aux attentes des fidèles et aux préoccupations de leurs pasteurs, elle est amenée à accompagner les mutations à travers le temps sur ces deux plans. Conséquence de ce processus, l’unité rituelle que les Églises réformées réalisaient en partageant la même liturgie se désagrège également. Se percevant davantage comme un produit de l’histoire, adaptant leurs cultes aux besoins de leur temps, ces Églises vont aussi s’inscrire liturgiquement dans des contextes locaux. Leur dispersion qui résulte de la révocation de l’édit de Nantes coïncide en effet avec une diversification liturgique. À la suite de l’adoption du psautier révisé en 1695, plusieurs Églises adoptent non seulement leur propre psautier 98, mais se dotent également de formulaires liturgiques distincts de ceux de Genève, fondant ainsi dans certains cas une tradition autonome 99. Le débat sur la révision des textes sources de la culture rituelle réformée n’a pas été le seul vecteur d’un détachement des réformés par rapport à leur tradition. D’autres facteurs ont joué un rôle important. Alfred Rebelliau jugeait ainsi que L’histoire des variations de Bossuet  «  a contribué pour une part très notable à détacher les protestants […] de ces ambitions d’antiquité, de ces visées à l’unité et à la fixité dogmatique » 100. Mais la révision de la lettre des psaumes et de la liturgie en particulier a donné une dimension sociale plus large à ce processus de détachement et c’est ensuite dans les versions révisées de ces textes que les réformés ont rituellement expérimenté un processus de distanciation par rapport à leur héritage commun. Christian Grosse Université de Genève

plaints, il y a long temps. Il y a plusieurs choses dans ces liturgies qu’il seroit bon d’en oster ; il y a des choses essentielles qu’il faudroit y ajouster ; et à l’égard de la forme et de la manière, il y auroit des réformations considérables à faire » (cité par Roger Stauffenegger, Église et société : Genève au xviie siècle, 2 vol., Genève, Droz, 1983-1984, t. II, p. 844). Ostervald reprend par la suite régulièrement ces critiques pour justifier les réformes liturgiques (R. Grétillat, op. cit., p. XI (1706), XXXI (1710), XLVI (1719). Isaac Jaquelot (1647-1708), pasteur à Berlin, a les mêmes positions sur ce point (Lettres inédites adressées de 1686 à 1737 à J.-A. Turrettini, théologien genevois, E. de Budé (éd.), Paris, Librairie de la Suisse française ; Genève, J. Carey, 1887, p. 114 [23 juillet 1705]). 98   On compte durant les vingt-cinq premières années du xviiie siècle une demi-douzaine de versions du psautier qui constituent toutes des révisions de la version de Marot et Bèze corrigée par Conrart et La Bastide (Jocelyn Bouquillard, « De la Révocation à l’édit de Tolérance (1685-1787) », Psaume, 13/1996, p. 22). 99   C’est le cas notamment de l’Église de Neuchâtel (La Liturgie ou la manière de célébrer le Service Divin ; Qui est établie Dans les Églises de la Principauté de Neufchatel & Vallangin, Bâle, J. Pistorius, 1713), du Pays de Vaud (Les prières ecclésiastiques et la manière de célébrer le service divin : avec les liturgies du baptême, de la Sainte Cène et du mariage pour l'usage des églises du Pais de Vaud, Berne, s.n., 1725 [voir à ce sujet : H. Vuilleumier, op. cit., t. III, p. 590-597]), et des Églises wallonnes (Les pseaumes de David, mis en vers françois, revus et approuvez par le Synode Walon des Provinces-Unies, Nouvelle Edition, Amsterdam, Z. Chatelain, P. Mortier, La Haye, P. Gosse et J. Neaulme, 1730 ; voir sur la liturgie des Églises wallonne : Élisée Lacheret, La liturgie wallonne. Étude historique et pratique suivie des textes anciens et d’un projet de révision, La Haye, W. A. Beschoor, Paris, Fischbacher, 1890). D’autres Églises réformées constituées au moment du refuge ont également édité là où elles se sont implantées des formulaires liturgiques comme celle d’Erlangen : Cantiques sacrez pour les principales solennitez des Chrétiens, Christian-Erlang, M. Boucoiran, 1717. 100   A. Rébelliau, op. cit., p. 568.

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Planches Commentaires de Jean-Yves Hameline

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Fig. 1. Caeremoniale episcoporum, Paris, 1633, page de titre. (Cf. Liste-Index [CE*1600].)

Fig. 2. Ibid., p. 11, la « maison » épiscopale. Le Caeremoniale episcoporum développe une logique curiale plutôt que capitulaire. La « maison » épiscopale y tient une place importante. La familiarité respectueuse des participants du Conseil change à peine de registre quand il s’agit d’intégrer les attitudes propres aux actions et aux fonctions cultuelles.

Fig. 3. Ibid., p. 20, préparation de la cérémonie. Pour toute fonction du Culte divin, la préparation des dispositifs mobiles, l’apport des objets, constituent un va-et-vient à la fois sérieux par son exactitude et familier par sa mise en œuvre, déjà participant de la solemnitas (Caer. episc. I, c. 12). Ici, le Sacriste dirige les opérations.

Édition parisienne du Cérémonial des évêques (1600), imprimée en 1633, aux frais de la Société Typographique, entreprise fondée et entretenue par l’Assemblée du Clergé de France. La dédicace à Urbain VIII et la Préface de cet ouvrage de grand format et de haute facture typographique peuvent être lues comme un signe de l’adoption globale de cette publication du Saint-Siège, qui confortait la ­figure épiscopale en face des règles protocolaires de l’État monarchique et des autorités territoriales. Les planches de l’édition romaine sont très minutieusement respectées, mais soumises à une nouvelle gravure et à un remarquable tirage.

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Fig. 5. Ibid., p. 32, fin de la confession ; préparatifs de l’encensement. À la fin de la confession, dialoguée au pied de l’autel entre le prélat et ses ministres, le thuriféraire se déplace en tenant l’encensoir et la navette. On aperçoit la crédence sur laquelle sont posés le calice recouvert de son voile et une aiguière assez imposante pour le lavement des mains du prélat.

Fig. 7. Ibid., p. 78, le Légat. La même scène se déroule cette fois en présence d’un Cardinal Légat, qui l’emporte en préséance sur l’évêque. Ce dernier lui a cédé son trône et siège sur une petite estrade devant la crédence.

Fig. 4. Caeremoniale episcoporum, Paris, 1633, p. 85, habillement de l’évêque. Après le chant de Tierce, des acolytes apportent de l’autel les vêtements dont l’évêque sera paré pour la messe.

Fig. 6. Ibid., p. 37, lecture de l’Épître. Le sous-diacre chante l’Épître, escorté par le cérémoniaire. Il tient le livre ouvert dans ses mains à hauteur de lecture. L’assemblée est assise.

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Fig. 8. Caeremoniale episcoporum, Paris, 1633, p. 45, à la messe solennelle, le chant de l’Évangile. Le diacre chante l’Évangile. L’évêque est debout au trône, tenant sa crosse (baculum pastorale) à deux mains. Le Livre est posé sur un pupitre et tenu par le sous-diacre. Deux acolytes tiennent leurs cierges allumés. En arrière, le maître de cérémonies et le thuriféraire portant l’encensoir.

Fig. 10. Ibid., p. 116, l’encensement des oblats et de l’autel à l’offertoire. À la messe solennelle, l’encensement des oblats et de l’autel est une action rituelle importante de l’offertoire. On pourra se reporter aux fig. 33, 34, 35 infra, où le mode de réalisation de cette action est détaillé de manière particulièrement précise.

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Fig. 11. Ibid., p. 48, L’Élévation. La scène sacrée de l’Élévation est traitée par l’artiste d’une manière à la fois exacte et émouvante. Le diacre est agenouillé à droite du célébrant ; le sousdiacre en arrière tient la patène sous le voile huméral ; le prêtre assistant soutient le bord inférieur de la chasuble ; le thuriféraire balance un encensoir fumant. On peut être frappé par la convergence des regards. Bel exemple de lien iconographique entre observance et dévotion.

Fig. 9. Ibid., p. 130, la prédication. Dans l’esprit du concile de Trente, le Caeremoniale episcoporum prévoit l’éventualité d’une prédication (concio) par l’évêque lui-même (du trône) ou par un des prêtres assistants. On observe ici l’utilisation d’une chaire mobile. Le prédicateur a la tête couverte, de même que le clergé. Il fait face à l’évêque, dans un cadre qui reste curial. On aperçoit trois personnes laïques au premier rang sur la droite.

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Fig. 13. Ibid., p. 126, baiser de paix. Le rite de la paix (osculum pacis) dans le cadre d’une messe solennelle. La distribution de la paix se fait selon l’ordre hiérarchique. Aux fidèles laïques, elle se fait au moyen de l’instrumentum pacis, plaque de métal ornée d’un crucifix, donnée à baiser par un prêtre assistant.

Fig. 15. Ibid., p. 157, début de l’office (Deus, in adjutorium). Au début de l’office, l’évêque debout au trône, se signe en chantant le verset Deus in adjutorium. Au premier plan, deux clercs portent la crosse et la mitre. Au fond, à droite, dans une sorte de logia, un groupe de chantres autour d’un pupitre, chargé d’un livre de grand format.

Fig. 12. Caeremoniale episcoporum, Paris, 1633, p. 143, l’Élévation (missa privata). Le chapitre XXIX du Livre premier du Caeremoniale Episcoporum est consacré à la messe privée de l’évêque. On y prévoit l’assistance de deux ou trois capellani. À l’Élévation deux d’entre eux seront munis de grands cierges et l’un d’eux agitera la clochette (tintinabulum). On remarque au premier plan des fidèles laïques de condition modeste, qui peuvent être de la domesticité du prélat.

Fig. 14. Ibid., p. 129, bénédiction finale. Pour la bénédiction finale, l’évêque a coiffé la mitre et tient la crosse de la main gauche. Toute l’assistance est agenouillée.

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Fig. 16. [D’après J.-J. Olier], Le très auguste sacrifice de la Messe offert à Dieu pour tous ses desseins et dans toutes les intentions de l’Église du Ciel, de la Terre et du Purgatoire, dans M. Faillon, Vie de M. Olier, Fondateur du Séminaire de Saint-Sulpice, 4e édition, Paris, Poussielgue, 1873, vol. 3, h. t. p. 176. Cette « miniaturisation » de la messe basse, sorte de transposition visuelle, et presque pictogrammatique du rite de la Messe, a pu représenter comme une condensation de son pouvoir sacramentel, garantissant ex opere operato, mais surtout ex opere operantis Ecclesiae, sa portée proprement sacrificielle, rejoignant la Liturgie céleste, au profit des âmes soumises aux épreuves purifiantes du Purgatoire.

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Fig. 17. [Figures de la Messe], Paris, Pierre Landry, sd. [fin XVIIe s.]: n°14, Kyrie eleison. La pratique médiévale des Livres d’Heures cède la place à l’emploi de petits volumes gravés où la « messe basse » (terme commun en France pour désigner la missa privata) d’un prêtre assisté d’un ou deux jeunes garçons servants est ramenée à 33 ou 35 tableaux, qui constituent autant d’ « arrêts sur image » qui permettent au fidèle agenouillé à distance de « suivre » les différentes actions du Ritus servandus. À la manière allégorique, issue des commentateurs médiévaux, chaque scène est rapportée à un épisode de la Passion.

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Fig. 18

Fig. 19

Fig. 20

Fig. 18, 19, 20. Le Tableau de la Croix représenté dans les cérémonies de la Ste Messe…, Paris, F. Mazot, 1651 (fig. 18, page de titre), est une des plus anciennes réalisations gravées à Paris de ce type d’ouvrage présenté à la page ci-contre (fig. 17). Ici, l’atmosphère des scènes de la messe, pour des regards actuels tout au moins, n’est pas exempte d’une familiarité dévote, accentuée par la désinvolture surprenante de l’angelot assistant. Sur chaque page de droite une oraison, en latin et en français, correspond à l’épisode de la Passion représenté au dessus de la scène de la Messe. De chaque côté, deux silhouettes de saints ou de saintes avec l’oraison propre de leur office. On peut identifier ici quelques grandes figures sacerdotales de la Réforme catholique : saint Charles Borromée, saint Philippe Néri (fig. 19), saint François Xavier et saint Ignace (fig. 20), dont l’inscription au Calendrier de l’Église est toute récente. Leur allure, leurs vêtements ne sont pas sans rapport avec la nouvelle figure du prêtre que l’esprit conciliaire tend à promouvoir.

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Fig. 21. Cérémonial de l’Église cathédralle de Metz…, Metz, 1697, page de titre (cf. Liste-Index [Metz 1697]).

Fig. 22. Caeremoniale parisiense…, Paris, 1703, page de titre (cf. Liste-Index [Paris 1703]).

Fig. 23. Cérémonial du chœur, selon les rits et usages de l’Église de Clermont…, Clermont-Ferrand, 1758, page de titre (cf. Liste-Index [Clermont 1758]).

Fig. 24. Cérémonial du diocèse de Langres…, Neufchateau, 1775, page de titre (cf. Liste-Index [Langres 1775]).

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Fig. 25. Caeremoniale monasticum jussu et auctoritate capituli generalis Congregationis SS. Vitoni et Hydulphi, Ordinis Sancti Benedicti editum, Toul, 1695 (cf. Liste-Index [Bénédictins Saint-Vanne 1695]), chant de l’Office. Les moines sont debout dans les stalles du chœur, isolées du reste de l’édifice. Ils se font face en deux demischœurs. Deux chantres se tiennent au lutrin.

Fig. 26. Ibid., entrée des ministres pour une messe solennelle. Un thuriféraire, deux acolytes portant des cierges, précèdent les ministres sacrés : sous-diacre, diacre et prêtre, revêtus de leurs ornements propres, qui s’avancent les mains jointes. On peut voir sur la gauche de la gravure deux chantres en chape à l’aigle.

Fig. 27. Ibid., exposition du Saint-Sacrement. On peut remarquer la grande dimension de l’ostensoir, et la disposition du luminaire. Les Moines sont agenouillés in plano et tiennent les mains levées, comme au cours d’une action collective.

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Fig. 28.

Fig. 30.

Fig. 29.

Fig. 31.

Fig. 28, 29, 30, 31. Ces quatre gravures extraites du Tableau de la Croix présenté ci-dessus (fig. 18-20) permettent d’observer quatre actions ou attitudes du prêtre célébrant, sinon exactes, du moins telles que la mise en image permettait d’en apprécier la forme et la décence : le baiser à l’autel au début de la messe (fig. 28), l’invitation à prier adressée aux assistants virtuels à l’Orate, fratres (fig. 29), la position des mains pour une des oraisons lue dans le Livre posé sur un coussin (fig. 30), la Bénédiction finale (fig. 31).

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Fig. 32. Page de titre d’une édition vénitienne (1778) du Manuale sacrarum caeremoniarum de Dom Michel Bauldry (cf. Liste-Index [Bauldry Manuale* 1637]).

Fig. 33. Ibid. Schéma de l’encensement de l’autel.

Fig. 34 et 35. Schéma et Ordo de l’encensement de l’autel, extrait du Caeremoniale Parisiense... Paris, 1703 (cf. Liste-Index [Paris 1703], cf. supra fig. 22. Les cérémoniaux contenaient une page redoutée des ordinands lors de l’apprentissage des cérémonies de la messe. Les deux gravures présentées ici (fig. 33 et 34) ne sont, en effet, ni décoratives ni même documentaires ; ce sont des schémas que l’on pourrait dire presque techniques décrivant le programme et le parcours de l’encensement de l’autel. Le texte de l’Ordo extrait du Cérémonial parisien de 1703 (fig. 34 et 35), donne une idée de la précision et de la clarté de rédaction exigée par ce type de littérature.

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Fig. 36. Bernard Picard, Cérémonies et coutumes religieuses de tous les Peuples du monde, Vol. II, « Cérémonies et coutumes des Catholiques romains », gravures hors texte, Amsterdam, J.-F. Bernard, 1723-1743, « La procession du Saint-Sacrement le jour de la Fête-Dieu ». Dans le catholicisme romain, une importante partie des exercices religieux se passe dehors, ici, dans le décor urbain de la rue. La procession du Corpus Christi revêtait un éclat particulier : les corps constitués, les autorités de la ville ou de l’État suivent le dais, sous lequel un haut dignitaire du clergé porte le Saint-Sacrement. Des habitants se tiennent assez librement sur le parcours, ou aux fenêtres des maisons. Les stations à des « Reposoirs » aménagés pour la circonstance, pouvaient être accompagnées de musique instrumentale, comme on le voit sur la gravure.

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Fig. 37. Ibid., « La procession des Palmes le Dimanche des Rameaux » ; cérémonie d’ouverture des portes de l’église. La Semaine sainte ramenait chaque année, dans une atmosphère de gravité générale et très prégnante, des cérémonies à forte charge imaginale et symbolique (Ténèbres, Reposoir du Jeudi-Saint, Lavement des pieds, Adoration de la Croix...). La procession des Rameaux ouvrait la semaine : venant de la ville, le clergé faisait station devant l’église, demandant l’ouverture des portes. On y chantait l’Hymne Gloria laus, alternée du dehors avec deux enfants de chœur répondant en chantant de l’intérieur de l’édifice, derrière la porte fermée.

Fig. 38. Bernard Picard, op. cit., « Manière dont on rend le pain-bénit ». Cérémonie propre à la messe de paroisse, forme dite « vicaire » (ou substitutive) de participation et de partage, elle est menacée de détournement par l’ostentation des donateurs et les privilèges accordés lors de la distribution. La gravure de Picard assemble la présentation du Pain à bénir et l’offrande qui se fait à la messe après le prône et le chant du Credo, usage certainement étendu ; on le voit rapporté par P. Pouget dans le Grand Catéchisme de Montpellier (1720). Les pains sont offerts par des représentants des familles. On y joint des offrandes de luminaire et d’argent. Une des deux femmes baise l’instrumentum pacis, selon le cérémonial prévu pour l’offrande. Les autorités ecclésiastiques préconisaient en ce point un habillement décent et une allure modeste.

Fig. 39. Ibid., « Le viatique » ; la communion. Les rituels issus du Rituale romanum de 1614 (Paul V) comportent une longue section qui constitue comme un cérémonial de la mort chrétienne : Extrême-onction, Ordo commendationis animae, Office des morts, cérémonial des Funérailles. Le moment de la communion (rite dit du « viatique », muni de ses prières propres) portée de l’église à la maison du mourant avec luminaire et sonnerie de clochette, présente tous les traits d’une cérémonie publique : vêtements et insignes du prêtre, présence de témoins, amis, voisins qui se pressent jusque dans le couloir.

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Fig. 40. Charles Wild (1781-1835), “The Choir of Amiens Cathedral”, Twelve Select Examples of the Ecclesiastical Architecture of the Middle Ages chiefly in France, London, the author, sd ; aquatinte, in-folio, 37.5 cm x 27 cm (avec l’aimable autorisation de M. Douglas Yeo). Cette aquatinte réalisée au début du XIXe siècle, plus que la représentation d’une scène particulière de l’Ordo Missae a pu être destiné à faire connaître, dans un souci d’information pédagogique, la distribution topographique des places des différents officiers dans le cadre d’une messe solennelle du chapitre. La position en ligne horizontale des trois ministres sacrés à l’autel est rare dans le déroulement de l’Ordo (récitation conjointe du Gloria ou du Credo...). Les chanoines dans les hautes stalles se tiennent debout dans des postures indifférentes. Seuls deux enfants de chœur se dirigent résolument vers le bas du chœur, portant des plateaux. L’appareil cantoral est bien représenté : devant un lutrin de taille imposante, un chantre, deux chapiers parés avec leur bâton cantoral, trois autres officiers. Neuf pueri, répartis de chaque côté du chœur, à bonne distance les uns des autres. Au milieu des basses stalles, se faisant face, deux joueurs de serpent, avec à leurs côtés deux chantres devant des pupitres tournants. Celui de droite pourrait être le maître de musique. On remarque à quel point cette structure capitulaire, avec la dispersion soigneusement organisée des acteurs du chant dans tout l’espace choral, peut différer de la disposition curiale, où les chanteurs sont resserrés dans une logia ou une encoignure.

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Partie 3

Cérémoniaux monastiques : entre identité et uniformisation

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Du cérémonial monastique à l’usage de la Congrégation de Saint-Maur aux cérémoniaux locaux Livre liturgique essentiel, le cérémonial apparaît dans la congrégation de Saint-Maur comme l’un des quatre textes fondateurs produits par la jeune congrégation après trente années d’existence, dans les années 1645-1648. Pourtant, si quelques études évoquent les déclarations sur la Règle et les Constitutions, le Rituel et le Cérémonial sont totalement oubliés alors qu’ils constituent le complément liturgique essentiel à la définition de l’uniformité de la jeune réforme monastique centralisée. Cet « oubli » ou ce désintérêt historiographique eut pour conséquence première de mettre de côté la dimension liturgique de la vie monastique à l’époque moderne, véritable non sens qui nous prive d’éléments essentiels, parmi lesquels les liens entre réforme mauriste et spiritualité monastique, la dimension érudite et ses implications religieuses et liturgiques, l’uniformité du centralisme mauriste et l’affirmation nécessaire des diversités locales. L’étude du Cérémonial mauriste n’est pas sans poser de nombreux problèmes parmi lesquels la question de son auteur ou de ses auteurs et des modalités de sa rédaction, alors que la congrégation est en plein essor. Certes, il y a dom Michel Bauldry mais il y aussi le supérieur général dom Grégoire Tarrisse ainsi qu’un peu plus tard, dom Pierre-Benoît de Jumilhac. Autre question, sa réception et l’urgente nécessité de l’adapter à des situations locales contrastées, les mauristes introduits dans des nouveaux monastères devant, pour apaiser les résistances, montrer qu’ils ne sont pas des étrangers mais qu’ils sont soucieux des particularités locales, parmi lesquelles les spécificités liturgiques du sanctoral sont des éléments sensibles. Dès lors, et ce vers 1660-1670, le Chapitre général impose la rédaction de cérémoniaux locaux selon un plan précis détaillé et toute une procédure d’approbation ou de refus par le Chapitre général. Quel est alors le statut de ce cérémonial local ? Quelques éléments donnent l’impression que dans certains domaines, son rôle est tout à fait essentiel. Mais le Cérémonial de Saint-Maur n’est pas le seul livre énonçant des règles précises en matière de liturgie. La Règle de saint Benoît elle-même offre une base et les déclarations sur la Règle de 1645 contiennent bien des éléments dignes de se retrouver dans le cérémonial. Bien plus, si les mauristes en font un texte normatif fondateur c’est aussi parce qu’ils disposaient, pour le missel et le bréviaire, des éditions récentes monastiques et romaines. Surtout, le cérémonial, local en particulier, rejoint la question du sanctoral et des saints locaux. Rédaction du cérémonial local et composition d’offices propres sont donc liées. La dernière question touche les modalités d’utilisation et de réutilisation d’un livre liturgique. Le regard sur le premier Solesmes d’avant 1860 (date de la publication du Bréviaire de Château-Gontier) 285

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Da n i e l - O d on Hu r e l

pourrait éclairer cette question, à partir de la réutilisation, par dom Guéranger et ses religieux, de bréviaires bénédictins du xviie siècle et du Cérémonial mauriste de 1680.

Le cérémonial mauriste et les autres documents énonçant des règles précises en matière de liturgie Le triptyque normatif fondateur de la Congrégation est publié en 1645-1648 soit après trente années d’existence. Il s’agit de la Regula Sancti Patris Benedicti cum declarationibus Sancti Mauri (1646), des Constitutiones pro directione regiminis Congregationis Sancti Mauri (1648) et de la première édition du Cæremoniale monasticum ad usum Congregationis Sancti Mauri (1645)  1. À cet ensemble, il faut ajouter le Rituel de Saint-Maur, publié en 1648, très différent du cérémonial mauriste puisqu’il concerne le déroulement de la liturgie des malades et des funérailles ainsi que la vêture et la profession des frères sans oublier la cérémonie de la rénovation des vœux, habituellement fixée à Saint-Maur le jour de l’Épiphanie. Le cas de Saint-Maur est exemplaire. En effet, il illustre la différence majeure entre cérémonial monastique féminin et masculin. Dans le cas féminin 2, le cérémonial est volontiers regroupé avec le rituel. Chez les bénédictins de Saint-Maur mais aussi dans la Congrégation du Mont Cassin 3, plusieurs années auparavant, ou chez les moines de Saint-Vanne, le cérémonial est clairement défini comme l’ensemble des prescriptions liturgiques et comportementales selon les situations, l’année liturgique et les emplois au chœur. Dans cet ensemble, le cérémonial serait ainsi le premier texte publié suivi, quelques mois plus tard, des Déclarations qui sont, comme on le sait, un commentaire pratique de la règle bénédictine, chapitre par chapitre, et des constitutions qui concernent le fonctionnement du Chapitre général et de l’échelon central de la Congrégation. Cérémonial et Déclarations méritent des analyses croisées puisque les déclarations s’appuient essentiellement sur la Règle bénédictine dont les chapitres huit à dix-neuf organisant l’office divin suggèrent des prescriptions liturgiques et des rubriques. Mais ce n’est pas tout : les Déclarations renvoient pour l’office divin aux rubriques du Bréviaire monastique, pour la célébration de la messe au Missel romain avec les messes des saints bénédictins approuvés par Rome.

L’auteur ou les auteurs du cérémonial Il se trouve que l’auteur auquel on attribue la composition du Cérémonial mauriste de 1645, dom Michel Bauldry 4, est une personnalité qui dépasse la seule question liturgique

  Cf. Liste-Index infra, [Bénédictins Saint-Maur 1645].   Voir dans ce même ouvrage notre contribution sur le cérémonial monastique féminin. 3   Dom Zaccaria Bastardi (en religion Zacharias a Mutina), Caeremoniale Casinensium in quo omnes praelati Ordinis Sancti Benedicti, et Monachi Brevario Paul V auctoritate recognito utentes, in Pontificalibus, ac sacris functionibus instruuntur, collectum per D. Zachariam a Mutina, Casinensem Monachum, Venise, Pinelliana, 1639. 4   Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. VI, Paris, Letouzey et Ané, 1932, col. 1446-1447. 1 2

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et mauriste. Si les notices biographiques évoquent son Manuale sacrarum cæremoniarum de 1637  5, son opposition à la sécularisation de l’abbaye de Maillezais, sa collaboration au cérémonial mauriste, elles n’insistent guère sur la situation monastique de ce bénédictin. En effet, il ne fut jamais mauriste et pourtant il apparaît comme un promoteur actif de la réforme monastique bénédictine en France. Son rôle et ses excellentes relations avec les supérieurs de la Congrégation contribuent à remettre en cause l’opposition historiographique simpliste entre mauristes et anciens bénédictins et exigent une relecture de la notion même de réforme monastique dans la première moitié du xviie siècle. La collaboration de Michel Bauldry au Cérémonial mauriste, vers 1640, à la demande du supérieur général, Grégoire Tarrisse, entre dans le cadre d’une activité multiforme en faveur de la réforme bénédictine. Ses liens avec Grégoire Tarrisse remontent aux années 1621-1623 lorsque le futur supérieur général, alors prieur de Cessenon en Languedoc, offre au Chapitre général de Saint-Maur son titre pour entrer dans la Congrégation. C’est alors Bauldry qui en devient prieur commendataire  6. Bauldry et Tarrisse s’étaient connus au collège de Cluny à Paris avant 1620, haut lieu du dynamisme réformateur bénédictin 7. Cette relation va ensuite porter sur trois aspects indissociables : l’essor de la réforme mauriste, la lutte contre la sécularisation et enfin la rédaction du Cérémonial.

L’ e ss or de la ré for me maur i ste Dom Bauldry soutient certaines abbayes dans leur demande de réforme. Il aide à la réforme de Saint-Chinian, près de Cessenon (1629), est envoyé à Rome en 1624 par les mauristes plus ou moins comme procureur général (avant l’arrivée en 1626 du premier procureur mauriste) alors qu’il n’appartient pas à la Congrégation. Il obtient alors la confirmation de la bulle d’érection de la Congrégation et plusieurs bulles confirmatives des concordats marquant l’introduction des mauristes dans plusieurs abbayes 8.

L a lutte cont re les s écular i s at ion s Il s’agit d’un aspect essentiel de la réforme bénédictine des années 1620-1640, indépendamment de l’essor mauriste. Certes il y a Maillezais vers 1646-1656  9. Il y a aussi Saint-Victor de Marseille en 1647. Mais dès 1624, c’est pour cette lutte qu’il avait été envoyé par les mauristes à Rome comme procureur 10.   Cf. [Bauldry Manuale* 1637].   Edmond Martène, Histoire de la Congrégation de Saint-Maur, Ligugé, Abbaye Saint-Martin ; Paris, A. Picard, 1928, t. I, p. 134. 7   Ibid., t. III, 1929, p. 101-106. 8   Ibid.., t. I, p. 224-225, 265. 9   Léon Guilloreau, Les mémoires du RP D. B. Audebert, Paris, 1911 (105, 186, 270, 42, 65) et, récemment, ­L’abbaye de Maillezais. Des moines du marais aux soldats huguenots, C. Treffort et M. Tranchant (dir.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005 ; Lucien-Jean Bord, Maillezais, histoire d’une abbaye et d’un évêché, Paris, Geuthner, 2007. 10   E. Martène, Histoire…, op. cit., I, 1928, p. 174. 5 6

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L a rédac t ion du cé ré monial maur i ste Selon la bibliographie liturgique de l’ordre de Saint-Benoît publiée dans la Revue Mabillon en 1923 et 1924, dom Bauldry ne serait pas l’auteur du premier cérémonial à l’usage des mauristes. En effet, il existe un Cæremonialis monastici ac benedictino-romani ad usum congregationis Beati Mauri in Gallia pars prima, édité à Rouen, chez Romain de Beauvais en 1621  11, soit quatre ans après la création officielle de la Congrégation. Les archives des Chapitres généraux mauristes ne semblent pas faire mention de ce Cérémonial. Fut-il publié véritablement à l’usage de Saint-Maur ? La question mérite d’être posée dans la mesure où l’exemplaire consulté de ce Cérémonial monastique ne mentionne aucunement dans la page de titre la Congrégation de Saint-Maur qui est seulement ajoutée, sous la forme d’un ex-libris manuscrit, avec la date de 1626. Le lieu d’impression est aussi un peu surprenant, sachant que ni Bonne-Nouvelle de Rouen ni Saint-Ouen ne sont en 1621 encore réformées par la jeune Congrégation. Saint-Ouen ne le sera qu’au début des années 1660. Seule l’abbaye de Jumièges est réformée dès 1618. Néanmoins, la date de 1626, inscrite dans l’exemplaire en question à côté de la mention manuscrite « Congregationis Sancti Mauri » correspond à la date de la réforme de Bonne-Nouvelle. Quoi qu’il en soit, ce « premier » cérémonial lié à Saint-Maur est intéressant. Il est divisé en deux parties : la première constitue un cérémonial « pur » et la seconde contient le rituel pour la mort des frères. Attachons-nous donc à cette première partie. La lettre au lecteur qui l’introduit ne fait nullement mention de la nouvelle réforme bénédictine. Elle rappelle la nécessité d’harmoniser selon les rites prescrits par l’Église romaine l’ensemble des cérémonies. Le plan est très comparable au cérémonial « moderne » : L. 1 : De caeremoniis communibus (modestie au chœur, signe de croix, ce qui doit être chanté ou non, inclinations, génuflexions, situations au chœur). Ce livre se termine par quelques cérémonies extraordinaires que l’on retrouve par la suite et dans les autres cérémoniaux en fin d’ouvrage  : la manière de recevoir le roi, les princes, la reine (ou l’impératrice). L. 2 : contient les différents emplois au chœur, l’office divin et la messe et tous les aspects matériels qui tournent autour des cérémonies : le maître des cérémonies, le sacristain, les acolytes et les thuriféraires, les chantres, les ornements, les cierges et luminaires, la signification des heures de l’Office divin, l’encensement, l’aspersion de l’eau, les processions et l’ensemble des différentes messes selon leur hiérarchie. L. 3 : contient le calendrier des fêtes selon l’année liturgique. Rares sont les indices qui permettent de le rattacher à la jeune Congrégation. À la page 247, paragraphe 7, à la fin du second livre, il est fait mention du président et des visiteurs : « R. P. Praesidenti, et Visitatoribus Congregationis nostrae per aliquod ex nostris monasteriis

  Cf. [Bénédictins Saint-Maur 1621].

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transeuntibus ». L’autre mention est constituée par l’invocation qui clôt la première partie du cérémonial : « Laus Deo, Virgini Matri Mariae, et Sancto Mauro. Amen ». Autre intérêt de ce Cérémonial, le souci que les rédacteurs ont eu de signaler leurs « sources » en marge de tel ou tel chapitre ou passage : le Pontifical romain occupe une place de choix, en particulier dans les cérémonies destinées à la réception des grands de ce monde ou de l’Église. Le Caeremoniale episcoporum et les actes de l’Église de Milan constituent aussi deux sources importantes ainsi que les rubriques du Bréviaire et du Missel romain. Ce n’est pas tout, les mentions du Cérémonial du Mont-Cassin (congrégation « mère » de Saint-Vanne et de Saint-Maur) et surtout de celui de Jumièges (sans doute manuscrit) constituent des indices importants, permettant de situer l’auteur ou les auteurs de ce Cérémonial dans la proximité des tous jeunes « mauristes » de Jumièges, entre 1618 et 1621. D’ailleurs, le plan du Cérémonial du Mont-Cassin est sensiblement le même  : même répartition en trois livres malgré quelques différences dans la répartition des chapitres et insertion, en fin du troisième livre, du rituel des funérailles de l’abbé et des moines 12. Ce Cérémonial de 1621 constitue donc une première étape de l’uniformisation et de la centralisation de la réforme de Saint-Maur, parallèlement à la lente et discutée élaboration des constitutions, au sein du Chapitre général. La publication de ce volume confirme l’importance normative et liturgique du cérémonial dans le monachisme moderne et l’attachement des réformés à s’inscrire dans une revalorisation des rites et cérémonies promue par Rome à la suite de la publication des livres romains. Le recours à dom Bauldry dans les années 1630-1640 s’inscrit dans la même ligne même si son travail et l’ensemble des textes normatifs publiés parallèlement ont éclipsé cette première période.

La réception du cérémonial de 1645 et l’urgente nécessité de l’adapter à des situations locales contrastées Les Déclarations sur la Règle bénédictine sont claires  13. Elles demandent que les rubriques du bréviaire, du missel et du cérémonial monastique soient observées par tous « uniformément et religieusement ». Le plan du Cérémonial traduit bien entendu ce souhait d’uniformité. Il est très proche du cérémonial de 1621 mais sépare précisément ce qui concerne les « ministres » et de ce qui concerne les « actions ». Enfin, il relègue les « cérémonies extraordinaires » (réception des rois, reines, princes et prélats) dans les annexes (« appendix ») : Livre 1 : De communibus caeremoniis. Livre 2 : De ministris sacris. Livre 3 : De actionibus sacris.

12   Nous nous référons à l’édition de 1639 citée plus haut et donc quelque peu postérieure au cérémonial « mauriste » de 1621. 13   Regula Sancti Patris Benedicti cum Declarationibus Sancti Mauri, [Paris], sn, 1646, p. 59.

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Livre 4 : De festis totius anni et particularibus eorum Officiis. Appendix Appendix altera. Reçu dans chaque monastère, le Cérémonial est lu au Chapitre conventuel 14. La prise en compte de ce Cérémonial se heurtait à plusieurs difficultés : adaptation aux lieux et aux personnels monastiques, sachant que les chœurs mauristes n’ont pas tous la même disposition dans ces années 1650 et que nous sommes encore loin de la tridentinisation des églises mauristes ; sachant aussi que les communautés sont encore souvent doubles jusque dans les années 1670-1680 et loin de réunir partout les quinze ou vingt religieux ; sachant enfin que les anciens bénédictins reprochaient souvent aux mauristes l’éventuel non respect des usages locaux et la remise en cause possible de certaines fêtes propres. Le cérémonial a donc son complément local destiné à enraciner chaque communauté dans la connaissance de ses traditions liturgiques propres et ancestrales et à éviter la multiplication de changements qui pourraient être initiés pas les supérieurs locaux qui étaient changés tous les trois ou six ans 15. S’inspirant directement de la Règle bénédictine, chapitre 17, les Déclarations de 1646 envisagent des différences selon l’importance de la communauté pour ce qui est du chant des offices : communautés de plus de vingt-cinq moines de chœur, chant de toutes les heures du jour et de la messe conventuelle. Communautés de quinze à vingt-cinq moines : chant de la messe conventuelle avec tierce, des vêpres et de l’antienne de la Vierge à complies. Communautés de moins de quinze moines, c’est le Chapitre général ou le supérieur général qui déterminera quels offices sont chantés. Au début du xviiie siècle, c’est cette dernière situation qui sera la plus courante. Ainsi, dès 1646, dans les Déclarations, est signalée la nécessité de dresser un cérémonial local mais à une condition : que les cérémonies en question soient reçues par un usage antique. Il faut alors avoir un Liber particularis approuvé par le Chapitre général comme pour les offices propres  16. Ce devoir est étendu à tous les monastères à partir du Chapitre général de 1660 et est une des fonctions du cérémoniaire : celui-ci aura la charge « de dresser avec l’advis et par ordre du supérieur le cérémonial local et ce suivant le modèle arrêté au Chapitre général de l’année 1660 17 ». Ce cérémonial est examiné par le visiteur puis envoyé pour approbation au Chapitre général suivant.

  Dom Thomas Leroy, Curieuses recherches du Mont Saint-Michel, Caen, Vve Le Gost Clérisse, 1878, 2 vols, t. II, p. 336-337. 15   « Documents sur l’histoire des chapitres généraux de la Congrégation de Saint-Maur  », Revue Mabillon, VII/1911-1912, p. 205-223 (ici p. 205). 16   Regula Sancti Patris Benedicti …, op. cit., p. 57. 17   Règles communes et particulières pour la Congrégation de Saint-Maur, Paris, sn, 1663 (réédition en 1687), p. 47. 14

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La rédaction et le statut du cérémonial local Le plan dressé par le Chapitre général de 1657 permet de mettre en valeur la question centrale que rencontre l’adaptation du local au central : le calendrier liturgique. Plan du cérémonial local : De diebus et festis mobilibus De diebus et festis immobilibus De aliis ceremoniis quae per annum solent occurrere De ceremoniis quae contigenter eveniunt quibus certa dies vel tempus assignari non potest. V. De luminari Ecclesiae. VI. De ordine pulsandi campanas. I. II. III. IV.

Suivent par chapitre des indications très précises concernant les modalités des réponses à faire pour élaborer ce cérémonial local. Ce cérémonial local tient compte aussi, dans ces années 1660-1670, de la présence de la communauté des anciens bénédictins. Un appendix sur feuille séparée mentionne « les jours auxquels les anciens religieux ou leur supérieur font l’office, ce qui s’observe de particulier soit quand ils font l’office, soit quand ils assistent au chœur, ce qu’il y a de local pour leurs derniers sacrements et obsèques 18 ». Les religieux ne doivent pas non plus omettre d’établir un calendrier très précis des fêtes locales, des fondations et des offices propres de chaque monastère  19. La méthodologie proposée met en œuvre des moyens et des connaissances très poussées, ce qui laisse à penser que la rédaction du cérémonial local fut sans doute une opération complexe : • Faire une copie des anciens calendriers, manuscrits et imprimés, issus des anciens livres liturgiques du lieu. • Indiquer les raisons de telle ou telle fête (reliques, saint honoré dans la province ou le diocèse, saint ayant été enterré dans le monastère, saint titulaire d’un prieuré du lieu ou d’une dépendance, occasion de pèlerinage…) 20. • Extraire au long les offices propres des fêtes locales dans deux cahiers : l’un reprenant les offices écrits dans les livres propres au monastère, l’autre en s’appuyant sur le texte des bréviaires diocésains. Cette solution permet soit de choisir l’un ou l’autre soit d’en faire un nouveau à partir des deux. • Obits et fondations avec raisons ou titres de les maintenir. Une fois le cérémonial, le calendrier et les offices achevés, ils sont présentés et étudiés avec le visiteur pour les ajuster au cérémonial monastique en mentionnant les problèmes (fêtes ou fondations, introduites ou retranchées). Le tout, signé, est envoyé au secrétaire du supérieur général pour être examiné au Chapitre général. Une fois l’approbation acquise, deux copies du cérémonial, du calendrier et des offices, sont faites pour les archives de la

  « Documents sur l’histoire… », op. cit., p. 210.   Ibid., p. 222. 20   Loc. cit. 18 19

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Congrégation et celles du monastère ainsi qu’une troisième exposée en permanence pour l’usage quotidien. La rédaction d’un tel travail peut susciter des difficultés et des débats qui, en fonction des changements de supérieurs locaux ou majeurs, peuvent conduire à des impasses d’autant plus que tout semble tourner autour du calendrier des fêtes. Ainsi, si tout semble se passer correctement, mais tardivement, en quelques mois de l’année 1733 à Saint-Thierry de Reims 21, ou à Marmoutier, à la fin du xviie siècle, sous la direction de dom Claude Martin  22, la rédaction du Cérémonial de Saint-Wandrille donne lieu à des conflits internes et à une dispute qui commence en 1687 pour s’achever en 1720, rebondissant presque à chaque changement de supérieur autour de la question du maintien ou de la suppression de près de quarante saints locaux de l’abbaye normande. En résumé, on a l’impression que jusque dans les années 1710, ce sont des raisons d’autorité, tirées des Chapitres généraux et des visiteurs qui justifient l’abandon des traditions locales ; qu’à partir de 1710 ce sont des raisons d’ordre critique qui dominent, mais qu’au total les érudits des années 1720 semblent s’unir à ceux de 1660 pour aller contre l’idéal unificateur des années 1680  23 exprimé par dom Bougis, futur supérieur général et alors visiteur de Normandie : « il étoit très porté à réduire autant qu’il étoit possible toutes les communautés de la Congrégation à une manière uniforme de célébrer les divins offices 24 ». À lire la multiplication des propres locaux imprimés au xviiie siècle, on se rend bien compte que les mauristes, bien intégrés à leurs différents monastères, revendiquent ces dévotions locales. Ainsi en est-il du propre de la Chaise-Dieu, publié en 1755. En dehors du calendrier romain et propre à la Congrégation et à l’Ordre bénédictin, les mauristes de la Chaise-Dieu recentrent leur bréviaire sur le monastère, sur son histoire, sur sa grandeur passée. Ils utilisent en particulier le Bréviaire imprimé de 1552 à l’usage de la Chaise-Dieu, apportent aux textes non bibliques toutes les avancées de la critique textuelle et historique. Cela donne la mise en valeur de plusieurs dizaines de saints (parfois déjà au calendrier) selon sept rubriques : « A » désigne une fête primaire selon le droit propre de l’abbaye : moines et bienfaiteurs de l’abbaye. « B » désigne le saint dont la fête est inscrite dans le bréviaire imprimé ancien de l’abbaye (celui de 1552). « C » désigne un patron de monastères dépendant autrefois ou aujourd’hui de notre abbaye. « D » désigne un saint dont la dévotion est attestée depuis très longtemps. « P » désigne le patron d’un prieuré dépendant du monastère. 21   Dom Yves Chaussy, Saint Thierry dans la Congrégation de Saint-Maur, Chronique (1327-1767), Saint-Wandrille, Éditions de Fontenelle, 1994, p. 135 (année 1733). 22   Edmond Martène, Histoire de l’abbaye de Marmoutier, Tours, Guilland-Verger et Georget-Joubert, 2 vols, t. 2, 1875, p. 540. 23   Charles-François Toustain et René-Prosper Tassin, Histoire de l’abbaye de Saint-Wandrille depuis 1604 jusqu’en 1734, Saint-Wandrille, l’abbaye, 1936, p. 592. 24   Ibid., p. 227.

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« R » désigne un saint dont on conserve les reliques. « S » désigne le patron d’une église avec laquelle notre monastère est en union ou société. Cette concentration dévotionnelle et liturgique autour du monastère et de son histoire rejoint les débats autour de certains changements proposés, sans succès, dans les années 1760 tendant à donner plus d’autonomie aux monastères par rapport à l’échelon central, mais reste bien entendu compatible avec le cérémonial de la Congrégation toujours placé sous le regard attentif du Chapitre général triennal.

Le Chapitre général et le cérémonial : la seconde édition du Cérémonial, en 1680 25 Les décrets des Chapitres généraux ne constituent-ils pas une sorte de cérémonial ? On peut dire que non, dans la mesure où la liturgie n’est qu’un aspect des attributions de cette assemblée triennale. Cependant les décisions prises permettent de prendre la mesure de la réalité et de la spécificité du cérémonial en acte. Avant l’édition de 1645, les décrets n’évoquent jamais le cérémonial en tant que livre normatif. Aucune référence au Cérémonial de 1621, par exemple, édité à Rouen dans ces mêmes décrets des années 1620-1645, alors que sont mentionnés régulièrement des éléments de cérémonies particulières et qu’il est rappelé que l’on doit se conformer aux Déclarations sur la Règle et aux Constitutions vannistes. Les Déclarations sur la Règle dont nous avons évoqué plus haut l’importance pour certaines cérémonies semblent d’ailleurs être un des fondements du cérémonial vécu tout comme les rubriques du Missel romain. Dès les années 1620, le Chapitre général insiste sur deux dimensions : 1. La nécessaire observation exacte des cérémonies corrigées par l’assemblée capitulaire et sur le fait que les supérieurs locaux doivent signaler dans l’intervalle des Chapitres généraux les difficultés rencontrées 26. 2. La prise de conscience de la possibilité et de la nécessité d’adapter tout usage à l’échelle des communautés. Ainsi, en 1621, il est rappelé que dans les monastères où il y a peu de religieux, on n’est pas obligé de suivre exactement les rubriques du missel romain pour les messes solennelles. Ainsi, l’ensemble de ces premières remarques liées au cérémonial dans ces années 1620-1635 est à la fois le signe d’une recherche d’uniformité et d’une expérimentation destinée peut-être à terme à constituer un cérémonial propre. En effet, le lien entre intégration d’un nouveau monastère dans la Congrégation et pratique liturgique dépasse la seule adoption de nouveaux livres liturgiques. Par exemple, dès 1624, si le patron d’un monastère nouvellement admis n’est pas dans le calendrier du Bréviaire monastique, son supérieur doit   Cf. [Bénédictins Saint-Maur 1680].   Paris, Arch. nat., L. 814, admonitiones, 1623 : tous les décrets cités se trouvent dans ce registre.

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écrire au Chapitre général suivant pour qu’il désigne un jour pour instaurer la fête du saint patron. Le mot cérémonial apparaît vraiment dans les décrets des Chapitres généraux en 1639. Il s’agit cette fois-ci d’une référence précise au Caeremoniale monasticum comme livre. Cette année 1639, le Chapitre rappelle qu’en 1636 la précédente assemblée avait décidé l’élaboration du cérémonial propre, à l’initiative du supérieur général, dom Grégoire Tarrisse. On évoque ensuite le fait que le cérémonial rédigé a été expérimenté dans chaque monastère de la Congrégation. Examiné, corrigé et approuvé, il doit être observé uniformiter et inviolabiliter. Il est donc interdit de se dispenser de le suivre sauf approbation d’usages locaux. Parallèlement, ce même Chapitre de 1636, premier chapitre de l’éphémère union de Cluny avec Saint-Maur sous l’égide de Richelieu, demandait que les prieurs des monastères tiennent à la disposition des visiteurs leurs cérémoniaux propres afin qu’ils soient examinés et renvoyés pour être utilisés jusqu’au Chapitre général. Les années 1635-1645 sont donc à la fois celles de l’approbation d’usages locaux et de la montée d’une volonté d’uniformisation dont le Cérémonial de 1645 est un des quatre éléments avec les Constitutions, les Déclarations sur la Règle et le Rituel. La publication du Cérémonial, en 1645, ne donne lieu à aucun décret du Chapitre général mais les décrets prennent en compte certaines évolutions comme la nécessité d’envoyer à tous les monastères les hymnes corrigées sous Urbain VIII ou de faire diffuser et adopter immédiatement le chant des hymnes, des Kyrie, Gloria, Sanctus et Agnus nouvellement imprimés pour éviter les confusions au chœur (1648). Cependant, à partir de 1648, le Cérémonial est cité en tant que livre de référence dont on modifie quelques détails ou que l’on complète. Les deux dimensions précédentes sont toujours d’actualité : souci d’uniformité et volonté d’adapter le Cérémonial aux petites communautés, sous le contrôle du visiteur provincial puis du supérieur général (1651). Ainsi par exemple, dans les communautés de moins de huit religieux, le sous–prieur doit aussi accepter de faire fonction d’acolyte. Quelques années plus tard, en 1666 et 1675, on tente de régler le chant dans les petites communautés : « nos confrères chanteront tous les jours la grande messe et vêpres, où il y aura six religieux » (1675, n° 7) et « dans les petites communautez où l’on ne peut chanter chaque jour la messe conventuelle, nos confrères ne laisseront pas que d’y assister lors qu’on la dit à basse voix » (1666, n° 2). Dernier exemple, un règlement du Chapitre de 1657 qui précise ce qui doit être chanté dans les communautés entre 8 et 15 religieux : On chantera tous les jours en notes les leçons de matines, le saint Evangile, avec le Te decet laus, et l’oraison suivante, le martyrologe, et la brève leçon de prime, avec les versets suivans ; la grande messe et vêpres, la lecture et leçon brève de complies, avec les versets, Adjutorium, converte nos, la bénédiction et l’antienne de Notre-Dame. Aux jours de dimanche et fêtes de garde, outre ce que dessus, ils chanteront l’heure qui précède la grande messe ; et aux fêtes du second ordre, ils chanteront de plus le Te Deum à matines ; à complies l’hymne et le chapiteau  27  : mais aux fêtes de premier ordre, ils chanteront tout comme aux grandes communautez.

  Le capitule.

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Une fois l’ouvrage édité, la question de sa confrontation avec les usages locaux se pose de façon aiguë. Je ne reviens pas ici sur ce que j’ai pu dire des modalités de rédaction du cérémonial local. Cependant, la lecture attentive des décrets de ces années 1645-1650 montre que la demande est venue à la fois du Chapitre général et des communautés. En effet, dès 1648, soit trois ans après la publication du Cérémonial de 1645, des monastères présentent au Chapitre des cérémoniaux locaux. Il est alors décidé de les soumettre aux visiteurs « pour les vérifier sur les lieux, & voir à l’œil les difficultez de les réduire conformément au cérémonial monastique. » La diète annuelle doit examiner le tout de manière à faire approuver au Chapitre général suivant tout cérémonial local. C’est sans doute devant l’importance de ces envois et la diversité de leur présentation que le Chapitre général organise à partir de 1656 l’élaboration méthodique et obligatoire d’un cérémonial local (1654, n° 7). Désormais, le cérémonial mauriste s’appuie sur deux ouvrages : le Cérémonial monastique de 1645 et le Cérémonial local approuvé (1666, n° 1). Cette démarche s’accompagne d’une seconde, liée à la découverte d’un cérémonial et à sa mise en application, qui aboutit en 1651, à des « résolutions du Chapitre général 1651 des difficultez qui y ont esté proposées touchant quelques cérémonies ». Nombre de ces précisions et éclaircissements se retrouvent dans l’édition de 1680 comme la question du jubé et de l’orgue en 1669, l’exposition du Saint-Sacrement en 1651, 1654 et 1657. L’édition de 1680 apparaît donc comme le résultat et la synthèse de dispositions prises en fonction des difficultés de mise en pratique et d’adaptation aux lieux et communautés du travail de 1645. L’analyse comparée des deux éditions laisse apparaître peu de différences. Si les titres sont identiques, on constate quelques différences, tout d’abord dans la table des matières et dans les quelques illustrations. Table des matières et présentation générale L’édition de 1680 se veut beaucoup plus précise et pratique dans l’énoncé même des chapitres et paragraphes. Les livres n’ont pas de titre dans l’édition de 1645, ils en ont un dans celle de 1680 : De communibus caeremoniis, De ministris sacris, De actionibus sacris, De festis totius anni, & particularibus eorum officiis. De même, dans les paragraphes consacrés aux chantres, thuriféraires et autres ministres, est prise en compte en 1680 dans le titre mentionné dans la table des matières la mention « Horae præcedente » : exemple : De munere cantorum in missa solemni devient De munere cantorum in missa solemni & horae præcedente. La table des matières de 1680 met aussi beaucoup plus en valeur le calendrier de l’année liturgique. Là où celle de 1645 mentionne De benedictione Cinerum ou De benedictione Palmarum, celle de 1680 donne un titre plus général avant d’évoquer la bénédiction de l’un et de l’autre : De feria quarta Cinerum et De dominica Palmarum. De même, pour le Triduum pascal, De feria quinta in Caena Domini, De feria sexta Parasceves, De Sabbato sancto remplacent ou, plus exactement, chapeautent De præparandis pro officio in Caena Domini, De præparando pro officio diei Parasceves etc.

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Enfin, en 1645 comme en 1680, le Cérémonial s’achève sur deux annexes consacrées aux messes pontificales et aux objets et vêtements liturgiques. Cependant, en 1645, le Cérémonial s’achève avant la seconde de ces annexes  : De mensuris cuiusque sacrae supellectilis ad missam congruentibus, tandis qu’en 1680, il intègre ce dernier appendix. Illustrations Les illustrations des cérémoniaux sont en règle générale assez rares, sauf bien entendu dans le cas du Cérémonial des évêques (voir Planches, fig. 1-15 et Cérémonial de Saint-Vanne, fig. 25-27). Une rapide comparaison entre les deux éditions du Cérémonial mauriste met en valeur un souci essentiellement décoratif en 1645 et plus illustratif en 1680 mis à part l’Ordo incensationis altaris qui reste dans les deux cas un guide explicatif précis et nécessaire. L’édition du Cérémonial de 1621 ne contient aucune illustration en dehors de celle qui figure sur la page de titre représentant Benoît assis et entouré de moines à gauche et à droite. 1645

1680

Page de titre

Saint Benoît et sainte Scholastique sous le regard de Dieu, de part et d’autre d’un globe sur lequel figurent un serpent et les symboles des pouvoirs royal, épiscopal, monastique ou pontifical (sans auteur mentionné)

Armes de la Congrégation de SaintMaur

Avant la table des matières

Aucune

Représentation figurée s’appuyant sur la phrase d’Ezéchiel (44, 5) figurant en 1645 sur la page de titre. (voir description ci dessous) : auteur : Gantret.

Avant le début du 1er livre

Ordo incensationis altaris (auteur mentionné de la légende et de l’image : Jean Messager) : sobriété de la représentation d’un autel tridentin.

Ordo incensationis altaris : même texte et même image mais représentation plus chargée sur le plan iconographique. Absence de sobriété : encensoir fumant et clochette sur les marches de l’autel, couronne royale remplaçant sur le tabernacle la figure du Christ ressuscité… (auteurs : P. Sevin et E. G.)

En tête du 1er livre

Vignette (oiseaux et fleurs)

Entrée des moines au chœur, derrière l’autel majeur et présence de deux chantres devant le lutrin. Auteurs : Sevin et N. Guerard (?).

En tête du 2e livre (p. 46)

Vignette (oiseaux et fleurs)

p. 45 : autel sans tabernacle avec présence de reliquaires (boîtes et bustes) à l’arrière et sur les côtés, entre les six cierges. (pas d’auteurs mentionnés)

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En tête du 3e livre (p. 215)

Vignette (oiseaux et fleurs)

p. 209 : funérailles d’un moine (allongé devant l’autel orné pour l’occasion ; présence de la communauté en retrait et, vers l’extérieur, de deux laïques (femmes ?) ; auteur : N. Guérard

En tête du 4e livre (p. 383)

Vignette (oiseaux et fleurs)

p. 371 : bénédiction du SaintSacrement (N. Guérard).

L’illustration sur Ezéchiel, dans l’édition de 1680, est l’œuvre de P. Sevrin. Elle enracine la liturgie dans l’Ancien Testament. Elle s’appuie sur ce texte d’Ezéchiel : « Fils d’homme, applique ton cœur, regarde de tes yeux et écoute de tes oreilles tout ce que je vais te dire au sujet de toutes les cérémonies de la maison de Yahvé » (chapitre 44, verset 5 en partie) 28. On y voit Ezéchiel se faisant donner et expliquer par Dieu le plan du temple tandis que la vignette donnant à lire la citation est encadrée par l’alpha et l’oméga surmontés des inscriptions hébraïques et chrétiennes de Yahvé et de Jésus-Christ et d’un chandelier à sept branches, et entourée d’objets significatifs du culte : harpe de David, Table de la Loi, livre, chasuble et chandeliers, mitre et tiare, clés de Saint-Pierre, encensoir, vase et goupillon, crosses, burettes… Notons pour terminer qu’à la fin de chaque livre, dans l’édition de 1680, figurent les armes de la Congrégation de Saint-Maur. Apparemment, ces différences, réelles, restent mineures. Cela s’explique par le fait que le Cérémonial de 1645 appartient à la série des textes normatifs stabilisant la Congrégation dans son organisation définitive, après les vingt-cinq premières années d’emprunts à la Congrégation de Saint-Vanne et d’expérimentation, tout cela dans le contexte d’essor de l’institution. On peut ainsi dire que si l’œuvre est bien celle, essentiellement, de dom Michel Bauldry, bien que son nom n’apparaisse pas dans les décrets des Chapitres généraux de la période 1621-1645, les variantes de 1680 ne sont constituées que de l’intégration de modifications demandées et décidées par le Chapitre général dans les années 1670-1680. En effet, le plan et la structure de l’ouvrage sont identiques. Les changements sont donc de deux types : – les ajouts liés aux décisions du Chapitre général ; – les précisions dans la définition de tel ou tel geste ou cérémonie. Les ajouts liés au Chapitre général L’incidence de l’intégration du petit office de la Vierge sur le début des offices (p. 20 en 1680 : L. I., c. 7).

  « Pone cor tuum, et vide oculis tuis, et auribus tuis audi, quae loquor ad te, de universis caeremoniis domus Domini ». 28

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Au livre II, c. 2, § 7 (1645, p. 52) : le supérieur du chœur doit, à la fin des laudes, bénir les officiers du réfectoire. En 1680 (p. 51), on ajoute qu’il doit faire de même avec les oraisons pour le travail manuel, la conférence spirituelle et autres devoirs communautaires. Autre apport significatif et qui revient à plusieurs reprises dans tout le Cérémonial, l’ajout de cérémonies (même très légères) concernant le Chapitre général. Ainsi, l’hebdomadier (L. II, c. 3) doit ajouter à tel ou tel moment des prières pour le Chapitre général ou pour la diète annuelle. De même, en 1680, on ajoute la nécessité, à la fin des vêpres, de dire les prières demandées pour le Chapitre général ou la diète annuelle ou pour toute autre nécessité (L. III, c. 2, p. 229). Enfin, on ajoute en 1680 une précision de vocabulaire dans le texte de l’oraison prévue pour les frères défunts que l’on commémore le 14 novembre, lors de la messe du Chapitre général consacrée aux frères défunts mais aussi aux bienfaiteurs et amis de la Congrégation (1680, p.  540). Il y a là le signe tangible de l’affirmation du centralisme bénédictin définitivement adopté et de l’importance que revêt, pour l’ensemble des deux cents monastères et de la majorité des religieux absents mais représentés au Chapitre, ce temps du Chapitre général. Quelques éléments peuvent prendre en compte des textes émanant de Rome, de la Congrégation des Rites ou de bulles pontificales : ainsi, on invoque une bulle de Clément IX du 27 septembre 1669 pour justifier la possibilité de dire la messe d’une fête double qui coïnciderait avec un jour assigné pour un autel privilégié sans pour autant perdre les bénéfices des indulgences qui y sont attachées (L. III, c. 13, § 11, p. 295). D’autres ajouts concernent les saints nommés dans les litanies, en particulier dans les brèves litanies récitées après complies, décisions prises lors des Chapitres généraux (1680, p. 495). Enfin, l’index exprime aussi ce souci de précision et de sens pratique avec l’ajout de quelques renvois touchant quelques petites heures (none et sexte) et la question de l’orgue : par exemple, Quando pulsantur organa inter horas canonicas, singuli apud se recitabunt quae canuntur organis. Les précisions apportées dans la définition de tel ou tel geste ou cérémonie En 1645 (p. 23), il est dit qu’il convient de se tourner toujours vers celui qui chante l’Évangile même si c’est au lutrin, mais sans jamais tourner le dos à l’autel. En 1680 (p. 22), le texte décompose et précise : • Les moines se font face au Dominus vobiscum et à l’énoncé du titre de l’Évangile. • On se tourne vers l’autel au Gloria tibi Domine qui répond à l’annonce de l’énoncé de l’Évangile. • Pendant le chant de l’Évangile : toujours tourné vers celui qui chante l’Évangile même si c’est au lutrin sans pour autant tourner le dos à l’autel. Le même souci de précision entoure la question du chant et des pauses et au-delà le chapitre consacré aux chantres (L. II, c. 6) : répétition de telle ou telle antienne, usage du bâton de chantre précisé. De même le chapitre consacré à l’orgue (L. II, c. 13, § 7, p. 182 (1645) et 176-177 (1680) est précisé : cela concerne la façon de réciter, lorsque l’organiste joue pendant

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les heures canoniques, les parties en question ou l’interdiction de l’orgue non seulement durant l’office des défunts mais aussi, en 1680, pendant les dimanches de l’Avent sauf le 3e, mais aussi pendant la Septuagésime, la Sexagésime, la Quinquagésime et les dimanches de Carême sauf celui des Rameaux, sauf exception liée à des usages locaux et approuvée. Des précisions de détail concernent aussi, pour le sacristain, la hiérarchie et la durée des sonneries des offices, messes et Angelus. (L. II, c. 14). Le troisième livre, consacré aux actes sacrés eux-mêmes, messes et offices divers, connaît aussi des précisions. Ainsi, par exemple, l’ensemble des cérémonies qui précède la messe des défunts : en 1645 (p. 348), on rappelle qu’avant l’heure de porter le corps dans l’église, on l’expose au milieu du chapitre ou d’un autre lieu conventuel d’où on part en procession jusque devant l’autel. En 1680 (p. 338), on détaille la cérémonie : le corps est toujours porté au chapitre mais par quatre religieux ou plus si nécessaire. On récite alors en alterné le Miserere, le De Profundis et autres psaumes avec le verset Requiem. Puis à la fin, on place le corps au centre du chapitre, il est béni et entouré de quatre cierges. Par contre, la distinction faite en 1645 dans le positionnement du corps devant l’autel selon que le religieux est ou non un prêtre (pieds ou tête « versus altare ») est supprimée en 1680. Certaines précisions prennent en compte la proclamation de l’Épître ou de l’Évangile au jubé (L. II, c. 4, De diacono, 1680, p. 65, c. 5, De subdiacono, 1680, p. 81). Ainsi, ces ajouts méritent que l’on s’interroge sur la réalité de l’architecture intérieure des églises mauristes. Leur apparition dans les années 1680 apparaît comme une nécessité liée peut-être à la coexistence dans ces années 1670-1680 des traditionnels chœurs fermés par un jubé avec la formule romaine sans jubé. De même, dans le cadre de l’octave de la fête du Corpus Christi, l’édition de 1680 (p. 498, n° 4) précise les modalités de l’exposition du Saint-Sacrement selon la taille des communautés alors que la première édition (1645, p. 514) se bornait à indiquer qu’on devait exposer le Saint-Sacrement de la messe conventuelle (comprise) à complies. En 1680, on distingue les grosses communautés (plus de 15 moines) où l’on expose le SaintSacrement toute la journée pendant toute l’octave ; les communautés de huit à quinze moines où cette exposition se fait le dimanche, le jour d’une éventuelle fête de précepte et le jour de l’octave et où les autres jours on l’expose pendant la messe et du début des vêpres à complies ; enfin les petites communautés de moins de huit religieux où l’exposition a lieu pendant la messe et aux complies. De même, le cérémonial de 1680 prend en compte le cas des petites communautés pour la communion des infirmes et l’administration du viatique (p. 333, 1680). Le livre IV (De festis totius anni et particularibus eorum officiis), constitue la meilleure illustration de la volonté de rendre le plus utilisable et pratique possible le cérémonial. Dans un court avant propos, l’édition de 1645 mentionnait l’utilisation de guillemets pour tout ce qui concernait les célébrants et les sacristains (p. 383). Dans la seconde édition, on utilise les guillemets (virgulae) pour tout ce qui concerne les célébrants, les astérisques (asterici) pour tout ce qui concerne les frères réunis au chœur et enfin de petites croix (cruces) pour l’office de sacristain. Ce souci de précision conduit par ailleurs les éditeurs à détailler l’horaire des offices de la veille et de la nuit de Noël selon que le 25 décembre tombe ou non un dimanche (1645 p. 393 et 1680 p. 381).

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Ces quelques exemples mettent en valeur les liens essentiels mais paradoxaux entre la nécessité de fixer le cérémonial, la volonté affirmée dès les années 1640 mais plus encore vers 1670-1680 d’uniformiser les pratiques mauristes et l’obligation d’intégrer et de rendre compatibles les cérémoniaux locaux et cette uniformisation. L’histoire du cérémonial après 1680 rejoint l’histoire des constitutions ou des déclarations après le xviie siècle. Les Chapitres généraux des années 1684-1750 offrent quelques rappels à l’ordre, apportent de nombreuses précisions quant au sanctoral de la Congrégation et, parfois aussi, de certains monastères : Saint-Norbert passe du statut d’office semi-double à office double en 1684 tout comme SaintBruno en 1690, certains calendriers locaux doivent s’aligner sur le calendrier diocésain pour certaines fêtes (Saint-Laurent et Saint-Mathieu dans les diocèses où leurs fêtes sont transférées aux dimanches suivants, en 1696). En 1717, on décide de faire l’office de Saint-Denis et de ses compagnons dans toute la Congrégation (double mineures) mais double avec octave et office propre avec Credo dans les monastères du diocèse de Paris. On instaure certaines fêtes comme celle de Saint-Ignace et de Sainte-Thérèse ou celle de Saint-François de Sales le 29 janvier, suivant en cela le Bréviaire romain en 1705. Les changements peuvent aussi être des échanges de bons procédés dévotionnels avec d’autres congrégations autour de l’adoption de fêtes de certains fondateurs, à la demande de telle ou telle famille monastique et religieuse : on est d’accord pour intégrer l’office double de Saint-Félix de Valois et de Saint-Jean de Matha mais à condition que la Congrégation réformée de la Rédemption des captifs qui en a fait la demande fasse de même avec Saint-Maur et Saint-Placide (1711). On rencontre le même cas de figure avec Saint-Jean de Dieu en 1748, à la demande des supérieurs des Frères de la Charité.

❦ Pour conclure, je m’inspirerai des propos de Jean-Yves Hameline (cf. supra, Introduction). L’examen des deux éditions et des décrets des Chapitres généraux auxquels il faudrait ajouter le cérémonial local nous offre un Cérémonial rédigé et prescrit puis publié et imposé à tous en 1645. Il nous montre aussi un cérémonial traduit en actes non sans réactions et questions qui nourrissent les débats, se traduisant par des décrets spécifiques mais aussi par la rédaction d’abord peu méthodique puis systématisée des cérémoniaux locaux. La réponse de l’institution monastique est double : approbation du cérémonial local dans sa conformité avec l’uniformité imposée par le Cérémonial de 1645 et rationalisation à travers la seconde édition de 1680 qui intègre nombre des précisions apportées dans les années 1650-1670. La survie de la Congrégation passe par la transmission vivante et pédagogique des textes normatifs. Pour le Cérémonial, à plusieurs reprises au xviie et au xviiie siècles, il est rappelé que les prieurs locaux doivent rassembler périodiquement les prêtres au lieu de la conférence « pour leur faire répéter les cérémonies de la sainte messe, en les faisant pratiquer sur le lieu par quelqu’un d’entre eux » (1672) ; en 1688, il est demandé aux mêmes supérieurs de faire au moins une conférence par mois sur les rubriques du Bréviaire, du Missel et sur les cérémonies de la messe. Ainsi, comme le prouve le volume de 1621, le cérémonial constitue donc bien un ouvrage clé, auquel doivent se soumettre tous les religieux mais qui peut être amendé et 300

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adapté en fonction des lieux et de l’importance des communautés mais toujours sous le regard critique et approbateur des supérieurs majeurs. Les deux éditions du Cérémonial mauriste illustrent jusque dans les années 1750 une réelle réactivité du Chapitre général face à la réalité vécue au quotidien dans un ensemble monastique qui passe d’une cinquantaine de monastères lors de la rédaction du premier Cérémonial à cent quatre-vingts lors de la publication de la seconde édition. Daniel-Odon Hurel Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS-UMR 8584-CERCOR)

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Annexe

Dom Pierre Cordier, sans doute à un supérieur majeur 1er mars 1722 Rouen, Archives départementales de la Seine-Maritime, 9 H 39

† PC

A Fécamp ce 1. mars 1722

Mon Révérend Père, L’autheur de l’office de saint Philibert est par lui mesme d’un mérite et d’une réputation pour cette sorte d’ouvrages qui répondent sûrement de sa bonté et de sa beauté. S’il étoit besoin d’examinateurs et de juges, je ne suis guères propre à l’être. Mais puisque vôtre Révérence me fait l’honneur de m’en demander mon sentiment, j’ai lû cet office avec plaisir, quoiqu’avec précipitation pour le renvoyer par l’occasion du Révérend Père visiteur, et l’ai trouvé bon et conforme aux règles que l’on s’est prescrit depuis quelque temps pour ces sortes d’ouvrages. Il y a bien des choses qui peuvent convenir à tout autre abbé fondateur mais on ne peut éviter ces défauts quand on ne veut rien que de la Sainte Écriture. Il me semble qu’il y a des antiennes et des capitules d’une trop grande longueur et qui ennuieront. Je prie Votre Révérence me continuer l’honneur de sa bienveillance et le secours de ses saintes prières. J’ai l’honneur d’être avec bien du respect Mon Révérend Père, Votre très humble et très obéissant serviteur et confrère Fr. Pierre Cordier, mb.

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Les moniales et le cérémonial aux xviie et xviiie siècles : le cas des bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement Ouvrage à la fois liturgique et normatif, le cérémonial, en particulier en milieu monastique féminin, semble un document plus difficile à saisir que dans le monde bénédictin et cistercien masculin. Le cas de celui ou de ceux des bénédictines du Saint-Sacrement permet d’aborder quelques questions essentielles quant à la forme et au contenu de l’ouvrage lui-même : l’existence ou non d’un cérémonial original manuscrit ou imprimé, l’influence, voire l’utilisation d’autres textes préexistants ou contemporains, mais encore la définition du cérémonial dans le monde monastique féminin. Il faut donc d’abord s’attacher à la question globale de ces cérémoniaux monastiques féminins de l’époque moderne, essentiellement bénédictins et cisterciens et en donner les caractères principaux avant de s’attacher au cas des bénédictines du Saint-Sacrement. Concernant ces dernières, le corpus, essentiellement manuscrit, comprend près d’une dizaine de textes qui s’échelonnent entre les années 1660 et le xixe siècle. L’analyse comparée de ces différents cérémoniaux permettra de mesurer les transformations du cérémonial. Enfin, il faudra se poser la question des sources du cérémonial des bénédictines du Saint-Sacrement.

Les moniales bénédictines et cisterciennes et le cérémonial La recherche même des ouvrages que l’on peut classer dans la catégorie des cérémoniaux permet de poser la question de la définition du cérémonial pour le monde féminin monastique d’héritage médiéval. En effet, à la différence du monde bénédictin masculin, plus encore réformé, le cérémonial monastique féminin semble connaître deux grands types  : un cérémonial «  pur  », c’est-à-dire ne comprenant que les rubriques et les modalités du déroulement des cérémonies liturgiques et paraliturgiques, et un «  cérémonial-rituel  » comprenant les données du premier et, pour certaines cérémonies précises, les textes et les chants notés ou non. S’agit-il de deux modèles développés parallèlement ? Quels sont les éventuels indices qui conduiraient à penser que tel ou tel de ces deux types serait le signe d’une «  modernité  » liturgique  ? Ces deux questions renvoient aussi à l’ambiguïté du cérémonial féminin : un livre pour les sœurs avec des prescriptions rituelles spécifiques mais s’adressant aussi, pour certaines cérémonies comme les vêtures, les professions, les funérailles et certaines cérémonies locales, aux ministres de l’autel desservant le monastère.

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L es te xtes e n prés e nce Le Répertoire des rituels et processionnaux imprimés conservés en France de JeanBaptiste Molin et d’Annick Aussedat-Minvielle constitue un premier point de départ particulièrement éclairant sur la question des dénominations et des contenus possibles du cérémonial  1. Pour cela, il convient d’élargir momentanément l’enquête à l’ensemble des livres liturgiques classés sous le terme de rituels par le répertoire, concernant non seulement les moniales mais aussi l’ensemble des congrégations féminines mentionnées pour la période moderne. Parmi les rituels recensés par les auteurs, un peu moins de cent trente peuvent être retenus. Une approche quantitative de la chronologie de ces publications et de leurs titres est nécessaire. 1

2

3

1601-1620

3

1

1621-1640

9

8

1

1641-1660

5

12

1

1661-1680

1

10

1681-1700

1

1701-1720

1

4

-1600

Total

3

4

1

6

1

4

2

1

2

2

4

1

1

2

15

1

1

4

1

5 3

3

3

1

23 (17,8%) 2

21 (16,2%)

1

7 (5,4%)

1 1

2

1 8 (6,2%) 7 (5,4%)

13 (10%)

10 (7,7%) 6

1 22 (17%) 60 (46,5%)

28 (21,7)

18 (14%)

2

1781 Total

7

1

1721-1740 2

6

1

1741-1760 1761-1780

5

5 1

11 (8,5%)

8 (6,2%)

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Tableau 1 : répartition chronologique des titres : 1 : La forme et la manière…, La façon…, La manière…. 2 : Cérémonial…. 3 : Rituel…. 4 : Rituel ou Cérémonial…. 5 : Cérémonies…, Ordre des cérémonies…, Prières et cérémonies…, 6 : divers (La Reigle et…, Méthode…, Ordre…, Formulaire…). 7 : Manuel….

Plusieurs constatations s’imposent. Tout d’abord, la publication des cérémoniaux et des rituels entre dans le cadre de la chronologie de la réforme catholique : introduction des carmélites déchaussées en France (1604), réformes franciscaines (filles de la Passion en 1606, clarisses…), réformes bénédictines de quelques monastères (Montivilliers, Montmartre…), création de congrégations soit dans le cadre de ce même monachisme d’héritage bénédictin et cistercien (congrégations du Calvaire en 1618 et de Saint-Bernard vers 1625, institut de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement en 1653), soit plus généralement dans le cadre de la diffusion des pratiques religieuses nouvelles (Visitation, ursulines, hospitalières et enseignantes). Dans le contexte d’un tel dynamisme, l’élaboration d’un cérémonial ou d’un rituel répond à un besoin urgent, celui de donner aux religieuses et moniales les outils pour

  Jean-Baptiste Molin et Annick Aussedat-Minvielle, Répertoire des rituels et processionnaux imprimés conservés en France, Paris, CNRS, 1984. 1

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L e s mon i a l e s e t l e c é r é mon i a l au x x v i i e e t x v i i i e si è c l e s

accomplir dignement les principaux actes correspondant à leur statut. Les desservants ayant de leur côté les livres romains pour l’essentiel, il faut aux religieuses non seulement un guide pour les fonctions du chœur leur revenant mais aussi les modalités et les textes des principaux événements qui rythment leur vie : la prise d’habit, la profession, l’accompagnement des malades, les funérailles et les spécificités dévotionnelles et liturgiques propres à la famille à laquelle elles appartiennent. Cette double réflexion permet sans doute d’expliquer la diversité et l’originalité des «  cérémoniaux  » féminins par rapport à ceux des bénédictins et cisterciens. Première différence de taille, la langue employée. Tous ces ouvrages sont en français, laissant au latin les seuls textes liturgiques mentionnés dans la partie « rituel » des ouvrages. Un souci d’efficacité qui rejoint les deux aspects suivants : la typologie des contenus et la diversité des titres. Globalement, trois ou quatre titres se dégagent sur toute la période : Cérémonial (46,5%), loin devant les 17% d’ouvrages ayant pour titre La forme et la manière, La façon de procéder…, La manière de…et les 10% de textes intitulés Cérémonies. Parallèlement, il convient de retenir les 11,6% de Rituel ou de Rituel ou Cérémonial, deux titres qui nous rappellent les liens qui unissent ces deux ouvrages, liens sur lesquels nous reviendrons. Si elle est quantitative, cette approche doit aussi être chronologique, révélant ainsi une évolution certaine. La charnière semble se situer dans les années 1660, marquant ainsi l’interdépendance entre la publication des livres liturgiques et normatifs, l’épanouissement de la réforme monastique et la création des congrégations féminines qui se multiplient dans les dernières décennies du siècle. En effet, si 40% des « cérémoniaux » publiés le sont entre 1620 (Fontevraud) et 1660, avec une forte accélération à partir des années 1630, les quarante dernières années du xviie siècle voient la parution de 30% de textes, parmi lesquels les plus importants comme celui de Montmartre en 1669. Quant au xviiie siècle, il s’agit plus souvent de rééditions sauf dans le cas de congrégations particulièrement récentes. Si l’on s’attache à la répartition des titres, la même date de 1660 parait significative. Plus on avance dans le xviie siècle, moins la diversité des titres se fait sentir. Parmi les titres les plus répandus avant 1660, figurent La forme et la manière (et autres variantes) avec 17 des 22 exemples recensés, mais aussi 8 des 13 ouvrages intitulés Cérémonies ainsi que l’essentiel de la série d’ouvrages dont le titre commence par La Règle, Méthode, Ordre pour et autres titres plus imagés (L’Iris espanouie, « cérémonial » des clarisses publié en 1624). À partir des années 1660, s’impose le Cérémonial auquel on peut joindre les quelques Rituel ou Cérémonial et ce, quelle que soit la famille religieuse. Il y a bien entendu quelques exceptions comme ce Manuel de divers offices divins des carmélites déchaussées qui connaît plusieurs éditions de 1622 à 1780 2. Les titres des « cérémoniaux » des clarisses, des carmélites déchaussées mais aussi des filles de la Passion semblent révéler une certaine réticence à l’égard de la « modernité » que représenterait le titre de « cérémonial », et différencient nettement ces familles religieuses des nouvelles congrégations qui adoptent assez généralement le mot « cérémonial ».

  Éditions de 1628, 1634, 1661, 1680, 1705, 1735 et 1780 : cf. J.-B. Molin, A. Aussedat-Minvielle, op. cit., n° 2047, 2048, 2050, 2052, 2053, 2054, 2057. 2

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Dans ces conditions, peut-on considérer, derrière cette uniformisation du titre, une transformation du contenu ? Il ne peut s’agir ici que de quelques pistes de réflexion dans la mesure où quelques textes seulement ont pu être consultés. Cependant les éléments fournis par le Répertoire permettent de répondre en partie à cette question. Avant 1660 comme après cette date, le « cérémonial-rituel » concerne essentiellement les cérémonies de prise d’habit et de profession (toujours publiées ensemble) et assez généralement celles concernant la fin de vie et les funérailles (parfois éditées isolément). En définitive, quel que soit le titre — Cérémonial, Cérémonies, Rituel ou Rituel ou Cérémonial — et pour toute la période, le livre se concentre autour de ces trois temps forts de la vie monastique en incluant parfois des spécificités liturgiques propres à telle ou telle famille. La présence d’un cérémonial complet relié à cette trilogie concerne essentiellement les ouvrages intitulés « Cérémonial » ; quant au cérémonial isolé de tout rituel, il est relativement rare. Il s’agit, avec l’emploi de la langue vernaculaire, de la différence la plus évidente entre le monde des religieuses et celui des religieux, ces derniers (en milieu bénédictin en particulier) séparant généralement le cérémonial de l’office divin (du type Cérémonial des évêques) du rituel contenant la vêture, la profession et le décès. L’analyse comparée des contenus de quelques cérémoniaux monastiques féminins permet de conforter cette hypothèse.

Q u elqu e s cé ré moniaux fé minin s bé nédic t in s et ci ste rcie n s Quelques « cérémoniaux » féminins bénédictins et cisterciens des années 1580-1640 permettent de confirmer les caractères évoqués précédemment (cf. Annexes 1 et 2). Au nombre d’une quinzaine, ils couvrent la période allant de la fin du xvie au xixe siècle et émanent à la fois de monastères anciens et de congrégations et institutions fondées au xviie siècle. L’ensemble de ces textes est en langue vernaculaire. Même le livre des cérémonies du monastère et collège des cisterciennes de Sainte-Suzanne de Rome (1588), pourtant publié en latin, utilise la langue italienne pour certains éléments très précis. Certes, le rituel de la réception, de la prise d’habit et de la profession des sœurs mais aussi de la bénédiction des vierges et des veuves ainsi que le rituel des funérailles sont essentiellement en latin. En revanche, l’usage de l’italien est clairement affirmé pour le déroulement de l’élection de l’abbesse et pour « l’interrogatoire » mené dans le cadre de l’accompagnement de la mourante, deux éléments qui sont à la charge presque exclusive des sœurs et qui ne sont pas à proprement parler des moments liturgiques. Le texte lui-même y fait allusion lorsqu’il affirme, dans le cadre de l’« Ordo servandus in electione Abbatissae » : « Cum hic agatur de electione fienda per Moniales nostri Monasterii, quae ut plurimum linguam latinam non recte intelligunt, ideo vulgari sermone prosequemur » 3. Les autres textes donnent en latin les textes liturgiques et les chants mais décrivent l’ordonnancement des cérémonies proprement dit en français. Cette attention portée à l’utilisation de la langue et au partage entre latin et français est à relier à la question de l’utilisation de ces textes par les moniales. La présence ou l’ajout de

  Rituum sacrarum cerimoniarum venerabili monasterii et collegii Sancti Bernardi in S. Susanna de Urbe…, 1588, f° 25v°. 3

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chants notés imprimés mais aussi manuscrits contribuent à faire de ce livre un élément central du dispositif liturgique au service d’une uniformisation de la vie conventuelle. C’est le cas du Cérémonial de Montivilliers (1626) et de celui des bénédictines de Beaumont-lesTours (1694) en ce qui concerne la vêture, la profession et les funérailles. C’est aussi, dès 1638, le cas de celui des bénédictines de Saint-Joseph de Châlons-sur-Marne qui donne aussi en notation musicale les litanies de la Vierge et de Saint-Joseph, diverses antiennes, plus d’une dizaine d’hymnes mais aussi les répons de la Semaine sainte. La présence de pièces musicales dans un ouvrage qui n’est pas a priori aussi répandu dans le chœur que les livres strictement liturgiques renforcerait-elle la volonté d’imposer un modèle musical et liturgique monastique à toutes les sœurs au même titre que les constitutions, sous le contrôle des supérieurs et de la maîtresse des cérémonies ? Le Coutumier des bénédictines de Notre-Dame de la Déserte de Lyon est en ce sens caractéristique de l’ambiguïté du cérémonial, à la fois livre liturgique et livre normatif. Publié en 1640, il contient d’abord un « coutumier » traditionnel réunissant l’ensemble des règlements des différents offices de la communauté (visite, chapitre, retraite, ordre du noviciat, infirmerie, parloir, récréations, réfectoire, cuisine, élections, pensionnaires…). Le tout est suivi, avec une pagination continue, du « Directoire particulier des officières » du monastère c’est-à-dire la prieure, la maîtresse du chœur (qui n’est autre que la cérémoniaire dans la plupart des cérémoniaux), la maîtresse des novices, les chantres et la sacristine mais aussi les charges non liturgiques comme la secrétaire, la dépositaire, la portière…. Une lettre du cardinal archevêque de Lyon, datée du 11 décembre 1640 justifie la nécessité d’un tel livre : Il est nécessaire pour conserver parmy vous la paix, l’uniformité et la bonne intelligence que non seulement vous ayez une Reigle, des constitutions, mais encore un Directoire et Coustumier, afin que les choses se fassent toujours en une mesme manière et sans trouble et empressement 4.

À la suite de ce premier ensemble, est ajouté le « cérémonial pour le divin office et funérailles des religieuses », avec une nouvelle pagination, ce qui permet de penser que des éditions séparées étaient possibles. Le contenu de ce cérémonial met en valeur les prescriptions nécessaires à la bonne marche du chœur (chant, entrées, sorties, inclinaisons, processions, communion), les caractères spécifiques du calendrier local et des grandes fêtes et temps de l’année. Parmi ces prescriptions, celle concernant l’usage du bréviaire au chœur n’est guère répandue dans d’autres cérémoniaux : Les religieuses en se mettant à genoux au commencement de l’office, mettront leurs bréviaires sur leurs formes ou places. Au premier sicut erat, elles le prendront tout au long de l’office, selon que l’Église l’ordonne, pour éviter les fautes qu’on y pourroit faire. Elles observeront de le prendre et quitter si imperceptiblement que cela n’altère l’uniformité, & après l’office, elles le mettront en lieu destiné à le tenir 5.

  Coustumier des Religieuses du Monastere Royal de Nostre Dame de la Déserte, Lyon, 1640, p. 229.   Ibid., p. 18.

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Cette « première partie » s’achève sur une série de prières de dévotion. Suit une « seconde partie » avec pagination différente consacrée à la trilogie vêture, profession et préparation à la mort, seconde partie qui s’achève par la question de la réception du visiteur et de la Reine, deux éléments que l’on retrouvera plus généralement parmi les cérémonies extraordinaires ou relégués à la fin du cérémonial dans la seconde moitié du xviie siècle. Les années 1650-1660 constituent ici, comme pour l’ensemble des « cérémoniaux » féminins, un tournant. Parmi la quinzaine de livres retenus, neuf ont pour titre « cérémonial », trois, avant 1640, utilisent dans le titre le mot « cérémonies », un seul s’appelle coutumier tandis que trois restent fidèles au « Rituel » (Montargis, le Val-de-Grâce et Cîteaux). Parmi les facteurs d’uniformisation des titres et des contenus et de rapprochement entre cérémonial féminin et cérémonial masculin dans le monde bénédictin, n’y a-t-il pas l’influence de l’entourage religieux des monastères et congrégations féminines ? Les préfaces de certains des livres en question semblent révélatrices qu’il s’agisse des bénédictins de la congrégation de Saint-Vanne pour Saint-Joseph de Châlons, du Père Joseph de Paris pour les bénédictines du Calvaire ou du feuillant Pierre de Sainte-Catherine pour Montmartre et, par extension, pour nombre de monastères qui prirent en modèle le Cérémonial de Montmartre de 1669 comme Catherine de Bar, la fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, elle-même fortement influencée par les mauristes. Premier cas, celui d’un monastère récent, Saint-Joseph de Châlons, prieuré bénédictin fondé en 1614 par l’abbesse d’Avenay, la sœur de Marie de Beauvilliers et abbesse de Montmartre, Françoise de Beauvilliers. Ce prieuré obtint son indépendance en 1627 tandis que, dès 1614, les moines de la congrégation de Saint-Vanne étaient désignés comme visiteurs. Dom Philippe François qui eut un rôle essentiel dans l’encadrement monastique bénédictin féminin de cette région semble d’ailleurs avoir séjourné dans ce monastère aussi bien qu’à Juvigny ou Avenay  6. La rédaction du Cérémonial intervient quelques années après l’indépendance acquise par le prieuré et la publication de ses propres constitutions  7. La lettre au lecteur rédigée par l’imprimeur, Simon Belgrand, et placée en tête du second volume de ce Manuel des cérémonies met en perspective à la fois l’exigence d’uniformité des cérémonies qui marque le monachisme féminin et dont les conséquences sont, aux yeux de l’imprimeur, la multiplication de la publication des livres de chœur et le rôle particulier des bénédictins dans la rédaction de ce type d’ouvrages : Plusieurs m’ayant demandé quelque beau cérémonial ou façon, tant pour recevoir en habit & profession les Religieuses, que pour leur administrer les saincts sacremens estant malades, les ayder à bien mourir, & leur rendre les derniers devoirs de piété, & religion après leur mort ; j’ay creu ne le pouvoir mieux faire, que m’adressant aux religieuses du monastère de S. Joseph de Chaalons dudit Ordre, lesquelles ont esté fort soigneuses dès leur establissement de s’en faire dresser un par les plus doctes & mieux versez en ces matières, & particulierement par les Pères de leur Ordre. Ioint que je me suis persuadé, que les vertus éminentes de ces bonnes filles, & le soing infatigable qu’elles apportent en l’exacte & estroite observance de leur saincte

  Cf. Yves Chaussy, Les bénédictines et la réforme catholique en France au xviie siècle, Paris, Éditions de la Source, 1975, p. 243, 251, 257. 7   Règle de saint Benoist, avec les Constitutions… du monastère Saint-Joseph de Châlons, Châlons, 1632. 6

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règle, donnera sujet à tant de sainctes Dames abbesses & religieuses du mesme Ordre, de se servir aussi-bien qu’elles de ce mien travail, puis qu’il est certain qu’il n’y a rien qui ayt rendu si recommandable les Ordres & Congrégations de S. Benoist, que l’uniformité tant au chœur qu’autres cérémonies de l’Eglise : & qu’il est bien raisonnable, qu’ayans toutes une mesme regle, un mesme bréviaire, & façon de psalmodier, & faisans toutes une mesme profession, elles ayent aussi les mesmes cérémonies : attendu qu’il n’y a rien si puissant pour conserver la piété & dévotion és Maisons religieuses, que l’uniformité en tout, & notamment en ce que dessus 8.

Les auteurs des approbations sont, en dehors de l’évêque, deux vannistes, dom Jean Placide, prieur de Saint-Pierre de Châlons, abbaye réformée par Saint-Vanne en 1627, visiteur du monastère, et dom Laurent Maioret, prieur de Saint-Arnoult de Metz  9. Certes, en insistant sur l’uniformité des cérémonies dans le monachisme bénédictin féminin, l’imprimeur cherche à vendre son édition bien au-delà des quelques exemplaires nécessaires à la communauté de Saint-Joseph. Cependant, cet argument répond aussi à une nécessité dans la France monastique féminine des années 1620-1670  : le livre liturgique, s’il est indispensable, coûte cher, surtout pour des communautés isolées, c’est-à-dire non réunies en congrégations, soit les plus nombreuses. Missel et bréviaire monastiques suffisent à toutes les communautés moyennant quelques aménagements locaux ou spécifiques. Pourquoi ne pourrait-on pas, suivant le même raisonnement, envisager un cérémonial ou un recueil de toutes les cérémonies (dispositifs généraux et rituels des prises d’habit, profession et décès) ? Le cas des bénédictines du Calvaire offre une première réponse qui semble à première vue négative. Ce Cérémonial complet (office divin en général et « rituel » pour la vêture, la profession et la fin de vie), publié en 1634 puis réédité avec quelque modifications en 1661, se veut répondre avant tout à une exigence : fixer de façon immuable les cérémonies pour un ensemble de monastères précis, ceux de la congrégation des bénédictines du Calvaire, fondée essentiellement par le père Joseph, un peu à l’image du centralisme masculin mauriste. Les approbations de 1660 comme la préface du père Joseph de 1634, véritable commentaire spirituel et théologique de la notion de « cérémonies », ne s’adressent qu’aux filles d’Antoinette d’Orléans et n’envisagent aucune ouverture vers une possible utilisation par d’autres monastères d’un ouvrage dont l’usage, comme les constitutions d’une famille centralisée, ne peut être étendu à des monastères extérieurs à l’ensemble concerné. Autre réponse mais aussi autre milieu, le Cérémonial de Montmartre publié en 1669 par le feuillant Pierre de Sainte-Catherine. Une même Règle, celle de saint Benoît, mais des cérémonies perçues comme diverses, voilà ce qui justifie la publication d’un cérémonial « officiel ». L’on retrouve à Montmartre un raisonnement assez comparable à celui développé au début du « cérémonial » de Saint-Joseph de Châlons mais une ambition légitime au regard

  cf. [Bénédictines Châlons 1638], 2e tome : « au lecteur ».   Cf. Gilbert Cherest, Matricula religiosorum professorum clericorum et sacerdotum congregationis sanctorum Vitoni et Hydulphi (1604-1789), Paris, Lethielleux, 1963, n° 66 (Laurent Majoret, décédé en 1657) et n° 214 (Jean Placide, décédé en 1673). 8 9

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de l’influence de l’abbaye parisienne dans la France bénédictine des premières décennies du xviie siècle. Comme nous allons le voir avec le cas des bénédictines du Saint-Sacrement, le Cérémonial de Montmartre offre le modèle d’équilibre entre l’uniformisation liturgique post-tridentine et les spécificités locales issues d’une tradition et d’une histoire pluriséculaires.

Mère Mectilde et la question du cérémonial L es te xtes e n prés e nce Sans distinction de supports, manuscrits ou imprimés, nous disposons, en marge des Constitutions publiées en 1675, au moins des cérémoniaux suivants : * 1668 : Cérémonial des religieuses bénédictines de l’Institut de l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, 1re partie, Paris, Ballard, 88 pages : il contient la « cérémonie de la vesture des religieuses bénédictines de l’Institut de l’Adoration perpétuelle du SaintSacrement » suivie de la « cérémonie de la profession des religieuses bénédictines de l’Institut de l’Adoration perpétuelle du Très-Saint Sacrement ». Il s’agit d’un rituel traditionnel dans la mesure où ce petit ouvrage contient non seulement les rubriques mais surtout l’ensemble des textes et chants destinés à ces évènements essentiels de la vie monastique. Nous avons au moins une copie manuscrite de ce premier « cérémonial », sans doute de la fin du xviie siècle. Il est conservé au monastère écossais de Largs (H-01-031) et contient un ex libris : « ce livre à l’usage de ma sœur de l’Incarnation ». * Vers 1690 et avant la mort de mère Mectilde sans doute (1698) : deux manuscrits (conservés aux archives de Rouen), très proches l’un de l’autre dont un est intitulé  : Cérémonial des religieuses bénédictines du Saint-Sacrement du monastère de Dreux. Plan du Cérémonial : –  1re partie : de l’office divin (office des heures et messes) –  2e partie : fêtes mobiles, avent et carême et sanctoral, commun des saints –  3e partie : sonneries, classes des fêtes, observance du carême, oraison, confession, communion, prédication, orgue, bénédiction de l’eau et processions –  4e partie : « cérémonies extraordinaires ». * Fin xviie ou début xviiie siècle : Cérémonial des religieuses bénédictines du très saint Sacrement. Manuscrit se présentant sous la forme de livrets, non paginé, de format assez réduit, conservé aux archives de Largs (H-01-059). Plan du Cérémonial : –  1re partie : sans titre mais correspondant à l’office divin en général (office des heures, messes…) –  2e partie  : les fêtes de l’année (fêtes mobiles et sanctoral y compris avent et carême)

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–  3e partie : sonnerie des cloches, distinction des solennités et des classes des fêtes, confession, communion, prédication, orgue, bénédiction de l’eau, processions –  4e partie  : plus ou moins ce qui concerne les cérémonies extraordinaires dans l’édition du xixe siècle. * Vers 1710 : Cérémonial des religieuses Bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très saint Sacrement de l’autel. Manuscrit P  36 des archives du monastère de Rouen. Texte provenant du monastère parisien sur la reliure duquel on a ajouté, sans doute au xxe siècle, la date de 1668 mais qui, en fait, mentionne des éléments datés de 1671, 1709 et qui parle de mère Mectilde (décédée en 1698) au passé au moins à une reprise. Il est donc postérieur à 1710. Plan du Cérémonial : –  Livre premier : 1. L’ordre du chœur. 2. Des parties de l’office divin. 3. Des cérémonies particulières –  Livre second : 1. Du rang des fêtes et ce qui leur convient. 2. Des fêtes mobiles. 3. Des fêtes des saints. * xviiie siècle (ou fin xviie siècle)  : Le cérémonial des religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement de l’Autel, manuscrit à la mise en page très soignée et claire, de format in-8°. Deux éléments ont été ajoutés : une mention manuscrite évoquant le fait que dans le diocèse de Rouen on célèbre la dédicace de toutes les églises le premier dimanche d’octobre ; une autre mention contemporaine sur la page de garde : « l’on observe point ce cérémoniale, en ayant trouvé plusieurs autres ». Ce n’est pas tout puisque à ce Cérémonial, on a relié la seconde partie d’un rituel imprimé à l’usage de moniales, concernant les malades, l’extrême onction, l’accompagnement de l’agonie, l’enterrement avec des portées musicales à cinq lignes, vierges, au dessus des textes chantés. Il s’agit du Rituel des bénédictines de Notre-Dame des Anges de Montargis. Plan de ce Cérémonial : –  1re partie : des cérémonies en général –  2e partie : des cérémonies qui s’observent en quelque temps et festes de l’année. * xixe siècle : Cérémonial des religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l’autel. Manuscrit sans doute du xixe siècle dont la préface offre des variantes par rapport au précédent (manuscrit conservé au monastère de Largs avec la mention de variantes tirées d’autres manuscrits de ce même type). Ce fut sans doute un des exemplaires qui donnèrent lieu au travail préparatoire à la publication du Cérémonial de 1840. Plan du Cérémonial : – 1re partie : des cérémonies en général – 2e partie : contenant les cérémonies qui s’observent en quelques temps et fêtes de l’année : pas de calendrier précis mais seulement les spécificités qui s’observent dans certains cas (encensements, décors d’autels, livres, chants)

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–  ajouts de différentes oraisons, prières et règlements rédigés par la fondatrice concernant la récréation, le chœur, la maîtresse des cérémonies et les chantres. On peut d’ailleurs penser que ces règlements eurent un rôle important dans l’élaboration et la diffusion d’une sorte de cérémonial partiel. * 1840 : Cérémonial des bénédictines du Très-Saint-Sacrement par la V. M. Mectilde du Saint-Sacrement, institutrice de l’Adoration perpétuelle, Lille, L.  Lefort, 1840, 572  p. Ouvrage extrêmement détaillé puisque l’on passe de quatre à neuf parties, tout en affirmant qu’il est l’œuvre de la fondatrice. Plan du Cérémonial : –  1re partie : offices divins et devoirs des principales fonctions au chœur –  2e partie : tout ce qui concerne la messe et la fonction de maîtresse des cérémonies –  3e partie : « obligations essentielles de l’Institut » : adoration et réparation, office du Très-Saint-Sacrement, exposition du Saint-Sacrement –  4e partie : observances régulières : discipline, oraison mentale, chapitre des coulpes, confession et communion, travail manuel, réfectoire –  5e partie : sonneries –  6e partie : fêtes mobiles et offices propres du temps –  7e partie : fêtes des saints –  8e partie : communs (saints et dédicaces) –  9e partie : cérémonies extraordinaires.

L e cé ré monial e nt re 1660 et 1840 Les sept cérémoniaux manuscrits consultés sont assez proches les uns des autres. Leur présentation, le plus souvent de format du type imprimé in-octavo, est très inégalement soignée, posant ainsi la question de la véritable utilisation du document. La plupart néanmoins présente une table des parties et des chapitres mais peu d’entre eux ont un véritable découpage en paragraphes. Quel que soit le nombre des parties ou des livres, le cérémonial des bénédictines commence toujours par les différentes cérémonies générales ou particulières touchant l’office divin, la messe, l’organisation du chœur…, mettant dans un second temps ce qui concerne le temporal et le sanctoral. Cette disposition est la plus répandue et constitue sans doute un élément d’une définition du cérémonial, que l’on soit au xviie ou au xixe siècle. Deux exemples présentent un cérémonial en deux parties. En ce cas, la première partie est consacrée à l’ensemble des cérémonies, y compris la confession, la communion, l’assistance à la prédication, la bénédiction de l’eau, les cérémonies particulières… La seconde traite essentiellement de l’année liturgique (rangs des fêtes, fêtes mobiles, sanctoral et calendrier). C’est un peu le plan du Cérémonial de 1634 des bénédictines du Calvaire. Plus généralement, c’est le schéma suivant qui s’impose à la fin du xviie siècle : une première partie présente l’ensemble des cérémonies au chœur, l’office divin, la messe, mais aussi les inclinations, les sonneries, le port du grand habit de chœur… Une deuxième partie est

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consacrée à la fois au temporal et au sanctoral suivant l’ordre des mois, en insistant sur les spécificités de certaines fêtes propres à l’Institut. La troisième réunit les différentes observances, du réfectoire au carême en passant par le luminaire, les sonneries, la bénédiction de l’eau, la confession, la communion, l’oraison mentale… Enfin, la quatrième réunit des cérémonies particulières, celles que l’on appelle, dans le Cérémonial imprimé de 1840, les cérémonies extraordinaires. Ce plan est très proche de celui des mauristes de 1645, même si la spécificité féminine impose des différences évidentes. Il se fait aussi proche de celui de Montmartre de 1669, ce dernier, beaucoup plus complet et détaillé, isolant l’office divin de la messe et divisant l’année liturgique en trois parties. Un des manuscrits des bénédictines, toujours du xviiie siècle, présente la même séparation entre l’office divin (avec la description des heures et le devoir des officières au chœur) et la messe, reléguée dans une seconde partie mais dans laquelle on trouve aussi toutes les observances régulières (sonneries, réfectoire…). Il y a donc une véritable évolution qui aboutit, au xixe siècle, à une volonté de clarifier, de détailler et de spécifier les caractères propres à l’Institut. D’où ces neuf parties : l’office divin et les devoirs au chœur, la messe, les spécificités de l’institut (autour du Saint-Sacrement), les observances régulières, les fêtes mobiles, le sanctoral, les offices communs et les cérémonies extraordinaires. La seule comparaison entre ces différents exemplaires permet d’envisager le processus suivant : l’éventuelle utilisation d’un cérémonial monastique féminin extérieur comme source d’un premier cérémonial, la publication rapide d’un rituel des vêtures et professions, rendu nécessaire pour fixer le cadre liturgique et les spécificités de l’entrée et de l’appartenance à une nouvelle famille religieuse ; enfin, l’adaptation aux nouveaux monastères de ce cérémonial modèle avant la publication d’un Cérémonial très détaillé au xixe siècle, dans le cadre d’une restauration rapide et d’une nouvelle diffusion nationale et internationale de la congrégation.

Le modèle et les sources du cérémonial Toutes les questions liées au cérémonial, à sa constitution, à son importance et à ses adaptations trouvent quelques éléments de réponse dans l’examen de sources annexes. En voici quelques exemples qui n’ont rien d’exhaustif. Il s’agit en premier lieu d’un passage du «  registre contenant l’établissement de ce monastère de Léopol  » à Lwow en Pologne ukrainienne vers 1710, second monastère après la fondation de celui de Varsovie  : une religieuse arrivant dans le nouveau monastère apporte les « bulles de l’Institut qu’elles n’avoient point » (elles les font copier par le notaire apostolique) mais aussi quelques « papiers à copier qui leur firent plaisir » : et comme nous souhaittions fort de n’avoir qu’un même cérémonial et que je les voyois dans la disposition de prendre le nôtre [celui de la fondation de Varsovie] comme étant celuy qui avoit esté fait par l’ordre de notre digne Mère Institutrice, auquel elle avoit donné son approbation, je l’avois apporté pour cet effet et je leur aiday à le copier avant notre départ. Nous travaillâmes à régler le calendrier pour nous et pour nos mères de cette maison, à quoy nous aidèrent les Révérends Pères camaldules qui ont le même bréviaire que nous.

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Le cérémonial n’est pas le seul guide lors de la fondation d’une maison, surtout si elle est éloignée de la France. Toujours en Pologne, lors de la fondation du monastère de Varsovie, en 1687-1689, les sœurs emportent des livres de chœur et des constitutions  10. Quelques années plus tard, en 1694, Mère Mectilde promet d’envoyer tous les règlements de « toutes les charges et emplois de la Religion… J’espérais les pouvoir faire imprimer »  11. Elle doit ainsi répondre à une demande émanant des religieuses installées en Pologne car, écrit-elle dans une lettre du 11 mars 1695, sans règlements, tout est confusion, « mais quand on les pratique, tout va en bénédiction… Votre communauté qui est commençante, serait admirable si elle pratiquait tous les règlements » 12. Le cas d’une fondation lointaine n’est pas le seul concerné par la nécessité d’un cérémonial uniforme. Sans doute dans les dernières années de sa vie, dans les années 1694-1698, la fondatrice rédige un texte essentiel sur ce qui doit unir les monastères de son Institut. Canoniquement, la fondation n’a pu être érigée en congrégation, cependant « tous nos monastères » doivent être « étroittement unis et liés en charité à l’exemple des carmélites et des filles de Sainte-Marie dont toutes les maisons vivent entre elles dans une sainte union et société sans estre en congrégation d’authorité ». Dès lors, les moyens de cette union sont les suivants : d’un côté le signalement des événements et décès des religieuses entre les différents monastères, l’entraide matérielle et humaine. De l’autre, l’uniformité dans « les usages des règles, constitutions, cérémoniaux et autres règlemens propres et particuliers à notre Institut ». Cependant, le premier monastère de Paris, fondé par Catherine de Bar, demeure la référence en matière de pratique. Les autres maisons reçoivent de lui « non seulement les constitutions, coutumes et règlements particuliers mais aussy l’intelligence pour la pratiques desdittes règles et constitutions et les éclaircissements des doutes et dificultez qui pourroint arriver ». En conséquence, ce monastère de la rue Cassette ne doit rien changer et doit répondre aux demandes des autres monastères 13. Comparée à ces exigences d’uniformité, la réalité qui apparaît à partir de l’examen de ces différents cérémoniaux se fait plus complexe. Bien entendu, il n’y a aucune contradiction entre les paroles de la fondatrice et l’existence de cérémoniaux manuscrits assez proches les uns des autres mais remaniés. Néanmoins, Mère Mectilde, toujours à la fin de sa vie, exprime sa difficulté à éditer des ouvrages normatifs et donc à clore une réflexion : les Constitutions de 1675 seront sans cesse revues jusqu’à sa mort. De même, Mère Mectilde ne publiera pas ses règlements pour les officières, qu’elle faisait recopier et diffuser (ce sera fait au xixe siècle). Pour le cérémonial, la fondatrice, sans doute parce qu’elle avait séjourné un an à Montmartre dans les années 1640 et qu’elle gardait pour ces moniales un grand attachement,   En Pologne avec les bénédictines de France, Paris, Téqui, 1984, p. 42, 50.   Lettre du 26 août 1694 de Mère Mectilde à Mère Suzanne de la Passion Bompard (à Varsovie), publiée dans En Pologne…, op. cit., p. 189. 12   Lettre de Mère Mectilde à la mère Marie de Jésus Petigot, prieure de Varsovie, le 11 mars 1695, publiée dans En Pologne…, op. cit., p. 193. 13   Rouen, arch. de Largs (Dumfries 11), H 01-008 : « De l’union et société que doivent avoir ensemble tous les monastères de l’Institut de l’adoration perpétuelle du très Saint sacrement de l’Autel ». 10 11

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s’appuie sur le Cérémonial du feuillant Pierre de Sainte-Catherine, publié en 1669. La comparaison entre ce cérémonial imprimé et la plupart des textes manuscrits de la fondation mectildienne éclaire la fabrication d’un tel document. La préface de Pierre de SainteCatherine expose le pourquoi de l’édition d’un cérémonial. En premier, «  il a été jugé nécessaire que chacune en particulier eut un exemplaire du ceremonial », ce qui confirmerait l’idée que ce n’était pas forcément le cas et que seules quelques religieuses, la maîtresse des cérémonies, les chantres, la sacristine et la supérieure, pouvaient en avoir un exemplaire en leur possession ou à leur disposition, dans la sacristie par exemple. La solution des copies manuscrites a été écartée à Montmartre car, « outre la difficulté de les transcrire, elles sont ordinairement accompagnées de plusieurs fautes. » 14 Deuxième raison, et non des moindres, le fait que « les abbesses et superieures de plusieurs autres monastères, specialement celles qui ont esté élevées dans cette Maison, ayant appris que l’on travailloit au cérémonial, ont témoigné un grand desir d’en avoir des exemplaires, afin de se conformer dans l’observance des cérémonies qu’elles y ont vû pratiquer  ». Cette destination large du Cérémonial et l’importance de la réforme de Montmartre dans le paysage monastique féminin font de ce volume de 1669 un cérémonial de référence. Sa composition confirme cela : aussi pouvons-nous dire que dans cet ouvrage, on trouvera toutes les cérémonies plus communément observées dans l’Église durant tout le cours de l’année, selon l’usage romain ; auquel celles [les cérémonies] de nostre Ordre de S. Benoist ont un très-grand rapport, tant à l’office qu’à la sainte messe. C’est ce que l’on peut voir par le Cérémonial de la Congrégation de S. Maur, & que nous servant du bréviaire monastique commmun à tout l’Ordre, nous avons néanmoins le Messel romain le plus universellement reçû et observé dans les Églises 15.

Ce cérémonial est donc destiné à servir de base à de possibles adaptations : Que si dans les abbayes qui voudront pratiquer ce Cérémonial, il y a quelques observances particulières qui n’y soient pas décrites, elles pourront facilement estre suppléées, en ajoûtant quelques fuëilles, ou imprimées, ou mesme écrites à la main.

Un exemple permettra d’illustrer les modalités de cette relecture et adaptation du Cérémonial de Montmartre faite par Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Certes, les plans sont différents. Celui du Cérémonial de Montmartre, élaboré avec soin, est plus méthodique et véritablement utilisable. Il sépare ce qui concerne les officières, les attitudes au chœur (entrée et inclinaisons…), l’orgue et les luminaires de l’ensemble des cérémonies communes touchant les heures canoniales et décrivant tour à tour chacune d’elles. De même, Montmartre consacre un livre aux heures canoniales puis un autre à la messe. Enfin, comme chez les sacramentines, Montmartre fait une part au cérémonial du réfectoire. Le chapitre intitulé aussi bien à Montmartre que chez les bénédictines du Saint-Sacrement « l’ordre que l’on doit tenir pour toucher l’orgue » (voir Annexe III) est révélateur. À Montmartre, il s’agit du chapitre 13 du livre 1 (p. 44-48) et chez les bénédictines du Saint-Sacrement, il s’agit du chapitre 12 du livre 3, au moins dans le manuscrit privilégié, conservé à Rouen, sans cote   [Sainte Catherine Bénédictines Montmartre 1669], préface n. p.   Loc. cit.

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(p. 447-453). Le Cérémonial de ces dernières reprend les passages les plus significatifs et généraux mais en allégeant les développements introductifs qui proposent des références bibliques et patristiques. Les passages repris le sont presque mot à mot. Bien entendu, une insistance toute particulière est faite sur la fête du Saint-Sacrement, même si Montmartre la signale comme essentielle. En effet, les sacramentines sont invitées à se souvenir que cette fête est celle de l’Institut par excelence ; et que si elle est commune à tous les fidelles, elle est très particulière aux filles qui ont l’honneur de luy estre consacrées et de porter son nom auguste.

Pour l’essentiel, il n’y a donc pas de différence notable, même si Mère Mectilde semble vouloir resserrer et simplifier le contenu pour gagner en efficacité et mettre en valeur l’originalité liturgique et dévotionnelle de sa fondation. En offrant plus de liberté à la prieure pour introduire l’orgue à telle ou telle occasion hormis les jours clairement défendus, la fondatrice inscrit de façon officielle tout l’intérêt qu’elle porte à la musique d’église, un intérêt que l’on peut rapprocher de la présence de Guillaume-Gabriel Nivers comme organiste de son premier monastère parisien 16.

❦ À l’époque moderne, le cérémonial bénédictin féminin s’inscrit comme un élément essentiel de la mise en place d’une réforme, de la création d’une congrégation et de l’affirmation d’une identité monastique. Ce cérémonial rassemble trois événements fondateurs de la vie monastique : la vêture, la profession et la mort de la religieuse. Ces rituels constituent le plus souvent une partie du livre ou du manuel des cérémonies. La nouveauté du xvie siècle a consisté à mettre en place un directoire de l’office divin de plus en plus précis, ensemble dont la structure se rapproche des cérémoniaux bénédictins et cisterciens masculins et dont les auteurs furent souvent des moines issus du milieu réformateur ou à l’origine de telle ou telle famille (comme le père Joseph pour les calvairiennes). Le rapprochement progressif des contenus se traduit aussi dans les titres. Que l’on se situe dans le monde des moniales ou dans celui des congrégations récentes, enseignantes ou hospitalières, le mot « Cérémonial » s’impose au détriment des « Manuel », « Forme et manière », « Coutumier »… Mais l’étude de quelques cérémoniaux bénédictins, parmi lesquels celui des bénédictines du Saint-Sacrement, permet aussi de mettre en valeur les tensions entre tradition bénédictine, uniformité vers laquelle on aspire et traditions locales ou spécificités dévotionnelles. L’attention particulière aux destinataires de ces ouvrages montre, en dehors du cas particulier des cérémoniaux destinés aux monastères d’une même congrégation, la capacité de certaines abbayes féminines comme Montmartre à faire figure de référence liturgique et monastique, rôle totalement assumé, en particulier dans la préface du livre lui-même. En d’autres termes, pour une congrégation, le cérémonial, au même titre que les   Cécile Davy-Rigaux, Guillaume-Gabriel Nivers. Un art du chant grégorien sous le règne de Louis XIV, Paris, CNRS Éditions, 2004. 16

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statuts ou les constitutions, ne peut être partagé tel quel avec l’extérieur puisqu’il est un des éléments fondateurs d’une identité (bénédictines du Calvaire, cisterciennes de la Congrégation de Saint-Bernard). En revanche, dans le cas d’un monastère indépendant comme Montmartre, la rédaction et la publication d’un cérémonial peuvent s’adresser à un véritable réseau bénédictin féminin qui trouve sa source dans la dynamique spirituelle développée plusieurs années ou décennies auparavant par l’abbaye dans la réforme monastique. À côté de ces deux ensembles, certaines communautés ont pu juger nécessaire de publier un cérémonial pour diverses raisons, parmi lesquelles la consolidation d’une indépendance récemment acquise ou la volonté d’affirmer le pouvoir de l’abbesse dans le cadre d’une succession difficile peuvent rejoindre les intérêts financiers d’un éditeur. C’est le cas de Saint-Joseph de Châlons, prieuré d’Avenay devenu indépendant. C’est peut-être aussi le cas du Cérémonial de l’abbaye de Beaumont-les-Tours, publié en 1694 sous l’abbatiat de Gabrielle de Rochechouart de Mortemart, quelques années après le décès d’Anne de Béthune, abbesse dont la correspondance avec Catherine de Bar laisse entrevoir une personnalité extrêmement complexe. Publier le Cérémonial de l’abbaye permettait peut-être aussi de rappeler l’importance de cette abbaye à la fin du xvie siècle, sous l’abbatiat d’Anne Babou lorsque y séjournèrent Marie et Françoise de Beauvilliers, futures abbesses de Montmartre et d’Avenay 17. Reste à poser la question de l’impact du cérémonial dans la vie des communautés. Le cas des bénédictines du Saint-Sacrement permet de répondre en partie à la question dans la mesure où le croisement de différentes sources non liturgiques apporte un éclairage sur la relative importance du Cérémonial dans l’histoire d’une communauté féminine, avec l’accent mis sur le cérémonial des vêtures, professions et funérailles des sœurs qui donnent l’occasion de publications partielles sans doute à l’usage de l’ensemble des religieuses et pas seulement de celle qui fait l’office de cérémoniaire. C’est le cas chez les bénédictines du Saint-Sacrement en 1668 pour les vêtures et professions ; c’est celui aussi des bénédictines de Caen une trentaine d’années plus tôt pour l’accompagnement et les funérailles de sœurs décédées. Ces textes contiennent alors, comme dans un rituel, l’ensemble des textes mais aussi des chants notés. D’autre part, l’analyse comparée de ces différents textes montre l’importance accordée par Mère Mectilde, un peu comme chez les mauristes d’ailleurs, à l’expérimentation et à l’adaptation aux différents lieux, ce qui explique en partie sans doute le fait que le Cérémonial complet ne connut aucune édition avant le xixe siècle. Cette édition du xixe siècle renvoie aussi à la question de l’uniformisation et des liens entre le centralisme et le cérémonial. Il n’y a pas de cérémonial complet imprimé chez les bénédictines du Saint-Sacrement au xviie siècle mais la fondatrice, par sa personnalité et sa présence, joue un rôle fondamental dans la construction d’une physionomie spirituelle et liturgique jusqu’à son décès en 1698, son principal travail ayant été sans doute d’adapter le Cérémonial de Montmartre. La seule diffusion et adaptation de copies de ces textes règlementaires semble avoir suffi. Le cas des bénédictines du Calvaire est très différent : sans véritable fondatrice, puisque décédée dès 1618, c’est le père Joseph, peut-être inspiré par le modèle centralisé et normatif masculin et bénédictin, qui publie l’ensemble de textes

  Cf. Y. Chaussy, Les bénédictines et la réforme catholique…, op. cit.

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normatifs complets y compris le cérémonial, la congrégation du Calvaire étant beaucoup plus centralisée que l’Institut de Catherine de Bar. L’histoire monastique de l’Europe moderne ne peut faire l’économie d’un examen attentif et comparé des différents livres liturgiques en lien avec les autres livres normatifs. Le cérémonial tient donc une place de choix, car sa perspective liturgique l’oblige à proposer une uniformisation tout en intégrant des modalités spirituelles et dévotionnelles spécifiques. Daniel-Odon Hurel Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS-UMR 8584)

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Annexes

I Quelques « cérémoniaux » imprimés et manuscrits monastiques féminins (xviie-xixe siècles) Imprimés 1588 : Rituum sacrarum cerimoniarum venerabilis monasterii et collegii sancti Bernardi in Sancta Susanna de Urbe cisterciensis Ordinis, libri tres, A Petro Fulvio Romano I.V.D. et Basilicae Sanctae Mariae Majoris presbytero beneficiato, ac dictorum monasterii & collegii visitatore laborioso & collecti, anno 1588. 1622 : Cérémonies du royal monastere de Saincte-Trinité de Caen. Contenant la forme d’administrer les Sacremens aux malades, & faire les funérailles des Trespassez. Imprimé, sous l’authorité de Monseigneur l’Évesque de Bayeux, par le commadement de tres-Religieuse Dame Sœur Laurence de Budos, abbesse dudict Monastere, Caen, P. Poisson, 1622. 1626 : Cérémonial des Religieuses de l’ordre de Sainct Benoist, Paris, P. Chevalier, 1626 ; cf. Liste-Index infra, [Bénédictines 1626]. 1637 : Cérémonial des religieuses de la Congrégation de S. Bernard, Ordre de Cisteaux, Paris, P. Ballard, 1637. 1638 : Manuel des cérémonies pour les religieuses du Monastère S. Joseph de Chaalons, ordre de Sainct Benoist tiré tant des rubriques du Rituel et Missel romain que du Cérémonial, Bréviaire Monastique, & Coustumes anciennes de l’ordre, Toul, S. Belgrand et J. Laurent, 1638 ; cf. [Bénédictines Châlons 1638]. 1640 : Coustumier des Religieuses du Monastere Royal de Nostre Dame de la Déserte, [Lyon], 1640. 1648 : Ceremonial des Religieuses de la Congrégation de Sainct Bernard Ordre de Cisteaux, Lyon, P. Muguet, 1648. 1650 : Rituel pour les religieuses bénédictines de Nostre-Dame des Anges à Montargis, contenant la manière de recevoir les Sœurs à l’Habit, & à la Profession, de leur administrer les Sacremens de l’Eucharistie, & de l’Extréme-Onction, & des obseques des Trespassez, Paris, 1650 ; cf. [Bénédictines Montargis 1650]. 1661 : Cérémonial des religieuses de la Congrégation de Nostre-Dame de Calvaire, érigée en France selon la première Institution de la Regle de Sainct Benoist, Paris, É. Pepingué, 1661 ; cf. [Bénédictines Calvaire 1661]. 1665 : Rituel à l’usage des religieuses bénédictines de l’Abbaye Royalle de Nostre-Dame du Val de Grâce Qui peut estre tre-utile à toutes les autres Religieuses : et mesme aux Personnes Devotes qui vivent dans le Monde. Où il est traitté de la manière de bien recevoir les Sacrements de Confession, de Communion, & de l’Extrême-Onction, de visiter les malades, de les assister à la mort, & de faire les Convois, Services, & Enterrements des Trespassez. Conformément au Rituel Romain. Les prières latines qu’on fait en ces occasions sont traduites en françois, Paris, R. Ballard, 1665. 1668 : Cérémonial des religieuses bénédictines de l’Institut de l’adotration perpétuelle du Tres-SaintSacrement, 1. Partie, Paris, Robert Ballard, 1668 (cérémonies de la vêture et de la profession).

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1669 : Cérémonial monastique des religieuses de l’abbaye royale de Montmartre lez Paris, Ordre de Saint Benoist, Par le R. P. Dom Pierre de Sainte Catherine, visiteur de la Congrégation des Religieux Feuillans, Paris, B. Vitré & M. Vitré, 1669 ; cf. [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669]. 1694 : Cérémonial à l’usage des dames religieuses de l’Abbaye Royale de Nostre-Dame de Beaumont lez Tours, Ordre de Saint Benoist, concernant les cérémonies de la vesture & profession des Religieuses ; la manière d’administrer les Sacremens de la Confession, Communion & Extrême-Onction ; avec l’Ordre pour les Funérailles, & autres cérémonies, Tours, pour Hugues-Michel Duval, 1694. 1715 : Rituel françois pour les Religieuses de l’Ordre de Cisteaux, par Monseigneur le révérendissime Abbé et général et imprimé par son commandement, Paris, Denis Mariette, 1715 ; cf. [Cisterciennes 1715]. 1739 : Cérémonial à l’usage de l’abbaye royale de Sainte-Glossinde de Metz, Paris, J.-Ch. Ballard, 1739. 1840 : Cérémonial des bénédictines du Très Saint Sacrement par la V. M. Mectilde du Saint-Sacrement, institutrice de l’adoration perpétuelle, Lille, L. Lefort, 1840. Manuscrits xviiie s. :

Cérémonial des religieuses bénédictines de l’Institut de l’adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l’autel (Rouen, bénédictines, archives (Largs, H 01-005)). e xviii  s. : Cérémonial des religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l’autel (Rouen, bénédictines, archives, P 36). e xvii  s. : Cérémonial des religieuses bénédictines du Très Saint Sacrement (Rouen, Bénédictines, archives (Largs, H 01-059). xviie-xviiie s. : Cérémonial des religieuses bénédictines du Saint Sacrement du monastère de Dreux (Rouen, bénédictines, archives : P 38). e e xvii -xviii  s. : Cérémonial (Rouen, bénédictines, archives, non côté, format in-8). xviiie s. : Le cérémonial des religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement de l’autel (Rouen, bénédictines, archives ms. soigné de type in-8, non côté). e xix  s. (mais proche des précédents) : Cérémonial des religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle… (Rouen, Bénédictines, archives (Largs, H 01-053)).

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Cérémonial/ rituel

Cérémonial X

X

X

  Pour l’identification de l’origine des textes, se reporter à la liste figurant dans l’Annexe 1.

1

X

X (1re « partie »)

X (3e « partie »)

X (2e « partie »)

X

X

X

X

X (3e « partie »)

X

X

X

Cérémonial

1648

Aspects non strictement liturgiques

X (1er tome)

X (2nd tome)

X (2nd tome)

Coutumier

1640

X (1re « partie »)

X (2e « partie »)

Manuel des cérémonies

1638

Cérémonies spécifiques ou locales X (fin)

X (1re « partie »)

X (1er livre)

Cérémonies de l’office divin

X (3e « partie »)

X (2e livre)

X (2e et 3e livres)

Cérémonies (malades, obsèques)

X (la totalité du livre)

X (2e livre)

X (1re livre)

Cérémonial

Cérémonies de prise d’habit et profession

Cérémonial

Cérémonies

Rituum Sacrarum Cerimoniarum

1637

Premiers mots du titre

1626

1622

1588 1

X

X

X

Rituel pour

1650

Tableau comparatif des plans et contenus de quelques livres de cérémonies monastiques féminins

II

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X 4

X

X

X

Cérémonial à l’usage

1694

X

X (4e, 7e, 8e livres)

X (3e livre)

X (1er-3e livres)

X (5e livre)

X (6e livre)

Rituel françois

1715

  Il s’agit essentiellement des fêtes auxquelles l’abbesse doit faire l’office, l’ordre des processions, obits et fondations, fêtes spécifiques… 3   Cela va, suivant les cas, de règlements particuliers pour les officières du monastère à différentes cérémonies liées à l’élection de la supérieure, à la visite canonique et à la nomination des officières. 4   Des feuillets manuscrits contenant des chants notés ont été ajoutés.

2

Cérémonial/ rituel

X

Cérémonial

X

X (7e livre)

Aspects non strictement liturgiques 3 X

X (7e livre)

X (1re-2e parties)

Cérémonies spécifiques ou locales 2

X

X (1er-6e livres)

X (1re-2e parties)

Cérémonies de l’office divin

X (1re partie et seule publiée)

X

X (4e partie)

X (7e livre)

Cérémonial monastique

Cérémonies (malades, obsèques)

Cérémonial

1669

X

Rituel à l’usage

Cérémonial

1668

Cérémonies de X (3e prise d’habit et partie) profession

Premiers mots du titre

1665

1661

X

X

X

Cérémonial à l’usage

1739

X

X (9e livre)

X (1er-8e livres)

X (1er-8e livres)

X (9e livre)

Cérémonial

1840

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III Comparaison entre le Cérémonial de Montmartre et celui des Bénédictines du Saint-Sacrement Montmartre 1669 (p. 44-48)

Bénédictines du Saint-Sacrement (p. 447-453)

Ch. XIII : De l’ordre que l’on doit tenir pour toucher l’orgue, & à quels jours.

Ch. 12 : L’ordre que l’on doit tenir pour toucher l’orgue.

Il est certain que l’usage des orgues n’a point esté permis dans l’Église que plusieurs années apres son establissement, & mesme que quelques-uns des saints Pères n’en ont pas approuvé l’introduction, non plus que des autres instruments de musique, dans la crainte que cette melodie, en flattant l’oreille, ne retirast trop l’esprit de l’attention qu’il doit avoir à Dieu. Neanmoins il faut avouër qu’ils servent beaucoup, non seulement à la solemnité & à l’ornement du service divin, mais mesme que leur son a une merveilleuse vertu pour réveiller la dévotion assoupie, & échauffer l’amour de Dieu dans les ames. C’est sans doute ce qui a esté le premier & le principal but de l’Église, lorsqu’elle a permis de s’en servir à l’office. L’Escriture en plusieurs endroits de l’ancien Testament, exorte les enfants d’Israël à chanter avec les orgues & les autres instrumens de musique, des hymnes en l’honneur de Dieu : Et les vingt-quatre Vieillards dans l’Apocalypse sont representez par S. Jean devant le thrône de sa Majesté, avec des voix ressemblantes à celles [de] luths, pour donner à entendre par cette ­harmonie, les infinies bontez qu’il a pour ses créatures. Le son des orgues, dit un grave autheur, a cette force de relever le courage quelquefois abbatu dans la tristesse que causent les misères de cette vie, & d’insinuer dans les esprits une petite participation de cette joye immense dont joüissent les bien-heureux dans le ciel ; il sollicite les paresseux de faire leur devoir, & il encourage les diligens à la perseverance ; enfin il porte les justes à l’amour de Dieu, & il excite les pècheurs à la pénitence.

Il faut confesser que l’orgue sert beaucoup à la solennité et à l’ornement du service divin et qu’il a une vertu merveilleuse pour réveiller la dévotion assoupie et échauffer l’amour de Dieu dans les âmes. Il est sans doute que ç’a esté le premier et le principal but de l’Église lorsqu’elle a permis que l’on s’en servit à l’office. L’Écriture en plusieurs endroits de l’ancien testament exhorte les enfans d’Israël à chanter avec les orgues des hommes l’honneur de Dieu.

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Néanmoins comme il n’y a chose si bonne dont les hommes n’abusent, en sorte que ce qui est ordonné pour les service de leur Souverain, ils l’attirent à leur plaisir : Les organistes & toutes les autres qui toucheront les instrumens dans l’office divin, s’étudieront d’observer ce que le grand S. Bernard écrivant à un Abbé, recommande dans le chant ecclésiastique  : Que le chant, dit-il, soit plein de gravité ; qu’il ne ressente point trop, ni la rusticité, ni la délicatesse ; qu’il ait de la douceur ; mais en sorte que la légèreté ne s’y mesle pas  ; qu’il délecte tellement l’oreille, qu’il touche aussi le cœur. Ce n’est pas une petite perte de la grâce spirituelle, d’estre retiré du sens des paroles du S. Esprit par la douceur du chant, & d’avoir plus d’attention à la melodie des voix, qu’à la signification des choses que l’on chante. I. Lors donc que pour une plus grande solemnité de l’office divin, il faudra toucher l’orgue, ce sera à l’organiste de commencer les hymnes & les cantiques, tant de laudes que de vespres ; & à matines, l’hymne d’après l’Invitatoire, comme aussi apres que la Mère Abbesse aura entonné ces mots Te Deum laudamus, l’orgue reprendra le verset, & les autres seront continuez alternativement par le chœur & par l’orgue. II. Les antiennes des festes de premiere classe, tant des laudes que des deux vespres qui seront chantées en notes, seront entièrement répétées par l’orgue apres les pseaumes & les cantiques ; comme aussi quand ces trois offices seront chantez en notes, si l’orgue a esté touché à l’hymne, il répondra Deo gratias, apres Benedicamus Domino. III. Au temps de Pasques, l’antienne Regina caeli, sera commencée par l’orgue & continuée par le chœur alternativement, en toutes les festes de premiere classe, à vespres & à complies, & aux festes de seconde classe seulement à vespres. IV. Durant la grande messe, après que le premier Kyrie eleïson aura esté touché sur l’orgue, le chœur chantera le suivant, & ils continueront ainsi alternativement ; ce qu’ils feront encore à l’hymne Gloria in excelsis, après qu’il aura estré entonné par le prestre.

Mais parce que les hommes abusent souvent des choses qui sont bonnes et innocentes d’ellesmêmes, les organistes suivront cette Règle de saint Bernard : que le chant, dit-il, soit grave, qu’il ne soit ny rustique, ny délicat, qu’il ait de la douceur sans mélange de légèreté et que, si il agrée à l’oreille, il touche aussi les cœurs.

C’est un grand préjudice aux âmes fidelles d’avoir plus d’attention à la mélodie des voix qu’à la signification de choses que l’on chante.

Les antiennes des fêtes de 1re et 2de classes solennelles seront repétées par l’orgue apres les pseaumes et le Magnificat, ce qui s’observera aussi les jeudys. L’organiste commencera les hymnes et le Magnificat en ces mêmes jours et répondra Deo gratias après Benedicamus Domino.

Aux grandes messes, l’orgue jouera le Kyrie, le chœur chantera le suivant et ils continueront alternativement ; ce qu’ils feront au Gloria in excelsis, après qu’il aura été entonné par le prestre.

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Il sera touché aussi à la répétition de la fin du troisième Alleluia, apres le graduel, ou apres le quatrième Alleluia, du temps de Pasques. Les proses seront aussi chantées alternativement par l’orgue & par le chœur, finissant toûjours par l’orgue qui adjoûtera après Alleluia, quelques accords pour finir. L’offertoire tout entier sera encore touché sur l’orgue, qui en suite continuëra quelque dévot cantique, jusqu’à ce qu’il soit averty de cesser, pour donner lieu au prestre de chanter la préface. Le premier Sanctus, sera touché sur l’orgue, & le suivant chanté par le chœur, puis l’orgue reprendra le troisième, & le chœur chantera Pleni sunt, jusqu’à Benedictus, qui après les deux élévations sera continué par l’orgue en signe d’allégresse & de réjouyssance pour la venue de IESUSCHRIST nostre Roy sur l’autel. Le premier & le dernier Agnus Dei seront encore touchez sur l’orgue, comme aussi le Deo gratias, apres Ite Missa est. Mais aucune de ces parties de la messe ne sera répétée dans le chœur, comme estant dites entièrement par le prestre à l’autel. V. Quant à celles de l’office, les deux sœurs qui disent les versets, apres avoir chanté le répons bref, demeureront au milieu du chœur, où à voix intelligible elles diront les versets de l’hymne & du cantique, comme aussi les antiennes & toutes les autres choses qui seront touchées sur l’orgue ; et ayant achevé, elles feront une profonde inclination devant le S. Sacrement, & une médiocre l’une devant l’autre, puis elles s’en retourneront à leur place, sans attendre que l’orgue ait fini. VI. Lors mesme qu’aux festes semidoubles on touche l’orgue à vespres, encore que celle qui a chanté le répond bref, si c’est une professe, l’ait dit en sa place, elle ne laissera pas de venir au milieu du chœur avec sa compagne pour y dire les versets de l’hymne & de Magnificat touchez sur l’orgue ; elle y dira aussi seule le verset d’après l’hymne ; mais le Magnificat estant achevé, elle reviendra en sa chaire pour y dire le verset Benedicamus Domino, puis elle retournera au milieu pour répondre Deo gratias, pendant le son de l’orgue.

Il sera touché aussy à l’Alléluia au temps paschal et au Graduël pendant le cours de l’année. Les proses seront aussi chantées alternativement par l’orgue et par le chœur, finissant toujours par l’orgue qui ajoutera quelques accords pour finir. L’offertoire doit être encore touché tout entier sur l’orgue qui ensuitte continuera quelque dévot cantique jusqu’à ce qu’il soit averti de cesser pour donner lieu au prêtre de chanter la préface. Le 1er Sanctus sera touché sur l’orgue et le suivant, chanté par le chœur puis l’orgue reprendra le 3e, et le chœur chantera pleni sunt jusqu’à benedictus que l’orgue finira. Il commencera aussi le 1er et le 3e Agnus Dei. Il répondra Deo gratias après Ite missa est mais aucune de ces parties ne sera répétée au chœur parce que le prêtre officiant les dit entièrement à l’autel.

Quant à celles de l’office, on destinera 2 jeunes professes ou novices qui répéteront au milieu du chœur à voix intelligible les versets, antiennes et autres choses que l’orgue jouëra  ; et, ayant achevé, elles feront les inclinations ordinaires et retourneront à leurs places sans attendre que l’orgue cesse.

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VII. Lors qu’il arrivera qu’en quelque cérémonie que ce puisse estre, hors des offices on chantera un hymne, une antienne, ou un répons, il ne sera pas necessaire de réciter dans le chœur ce qui sera touché sur l’orgue ; parce que ces choses chantées hors de l’office, ne portent aucune obligation.

VIII. Quant aux jours que l’on touchera l’orgue, ce sera à toutes les festes de première classe ; aux premières & secondes vespres, à matines, & à laudes ; à la grande messe, & aux hymnes de tous les petits offices du jour. IX. Aux festes de la seconde classe solemnelle, on fera comme aux festes de première classe, excepté qu’à matines, à laudes & à l’office de complies, on ne touchera point l’orgue, non plus qu’aux quatre antiennes, tant des premieres que des secondes vespres, mais seulement à celles du cantique Magnificat. Aux festes de seconde classe & aux doubles majeures, les premieres & les secondes vespres & la grande messe seront chantées avec l’orgue. X. Il sera aussi touché par respect aux dimanches simples de l’année, à la grande messe ; & mesme à vespres, si l’office est d’une feste double, qui doivent estre celebrées le lendemain, encore que cette feste ne soit pas du nombre de celles où l’on doit toucher l’orgue. Mais si cette feste double échet au dimanche, on le touchera dès le samedy pour les premières vespres.

Lorsqu’il arrivera quelque cérémonie quelque ce puisse estre, hors des offices, qu’on chantera un hymne, antienne ou répons, il ne sera point nécessaire de réciter dans le chœur ce qui sera touché sur l’orgue parce que ces choses chantées hors de l’office ne portent aucune obligation. La veille du très Saint-Sacrement et toute l’octave, on touchera l’orgue à vêpres, à la messe, à l’exposition du matin et au salut du soir, se souvenant que cette fête est celle de l’Institut par excellence et que, si elle est commune à tous les fidelles, elle est très particulière aux filles du Saint-Sacrement qui ont l’honneur de luy estre consacrées et de porter son nom auguste. Tous les jeudys qui tiennent lieu de festes les plus considérables dans les monastères de l’Institut, on touchera l’orgue comme au propre jour de ce saint mystère. On le fera aussi aux jours vêtures et professions des religieuses.

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XI. Aux dimanches de l’Avent, excepté le troisième, & depuis la Septuagésime jusqu’à Pasques, excepté le quatrième dimanche de Caresme, on ne touche pas l’orgue à la grande messe ; on ne le fera point aussi à vespres, quand mesme on feroit l’office d’un double pour le lendemain, si ce n’est que ce fust un double majeur.

XII. Tous les jours dans les Octaves du S. Sacrement, & de S. Denis Areopagite, que la Sainte Hostie est exposée, comme aussi tous les Jeudis, quand on fait l’office du Saint-Sacrement, l’orgue sera touché à la grande messe & à vespres. Néanmoins en ces jours de jeudy, durant l’Avent & le Caresme, non plus que durant les prières de quarante heures, on ne le touchera qu’à la grande messe seulement. XIII. Les jours qu’il y aura quelque vesture ou une profession, l’orgue sera touché à la grande messe, & durant une partie de ces deux ceremonies, ainsi qu’il sera remarqué cy-apres au Septième livre. XIV. Mais sur tout les organistes seront soigneuses d’observer la qualité des jours, en sorte qu’elles touchent plus gravement aux grandes festes, & plus légèrement aux moins solemnelles, comme il doit estre aussi observé à la psalmodie.

On ne le touche point aux dimanches de l’Advent ny du Carême excepté le 3e de l’Advent que l’introit de la messe commence par ces parolles Gaudete, et le 4e du carême, Laetare Jerusalem ; on l’obmet encore aux dimanches de la Septuagésime et aux 2 suivants, s’il n’arrive une fête de 1re classe dont on fasse l’office car alors on touchera l’orgue par respect pour la fête ; ce qu’il faudra encore observer aux 3 dimanches de l’Avent et du Carême, à commencer par les 2ds pour des raisons pareilles, comme lorsque la fête de notre Père saint Benoît arrive le 2d, 3e ou 4e dimanche parce qu’alors tout ce jour est employé à la mémoire de ce grand saint.

[voir un peu plus haut]

Il sera libre à la Mère Prieure de faire toucher l’orgue à quelque dimanche que ce soit de ceux qui ne sont pas exceptés icy, quand elle le jugera à propos et qu’il se présentera quelque sujet de dévotion particulière comme seroit la réception des corps saints ou de quelque relique considérable, à la célébration d’une première messe.

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Rituels, cérémoniaux et coutumiers à l’usage de moniales cisterciennes et d’annonciades célestes du pays de Liège (xviie-xviiie siècles) Lorsque les nonces de Cologne Antonio Albergati, en 1612-1614, puis Pier Luigi Carafa, en 1628-1629, visitent les communautés de cisterciennes du diocèse de Liège, ils manifestent la plus grande attention à l’égard de la liturgie en usage, réservant leurs premiers regards à la tenue du sanctuaire et aux comportements des moniales au chœur. Installées dans cette principauté ecclésiastique depuis le xiiie siècle, ces moniales jouissent d’un prestige évident auprès des autorités, comme aux yeux de leur entourage. Toujours implantées sur les lieux de leur efflorescence, en pleine campagne, elles abritent les filles de l’aristocratie locale et se maintiennent en stricte dépendance de l’Ordre de Cîteaux. Une règle mitigée rythme une vie monastique peu contraignante, mais non dénuée d’attachements aux usages cisterciens et surtout à la célébration de l’office divin 1. En cette matière, les supérieurs cisterciens se sont déjà souciés précédemment de raviver la ferveur des moniales, engagées depuis le milieu du xve siècle dans un processus de réforme destiné à rétablir la clôture et la communauté des biens, mais voué aussi à conjuguer harmonieusement liturgie monastique et pratiques de dévotion privées 2. Au cours du xvie siècle, les cartes de visite témoignent de la volonté des cisterciens de sensibiliser leurs filles à ce sujet. Commandons et ordonnons que le sainct service divin soit faict, chanté et accomplit dévotement, révéremment et distinctement, avecque bonnes pauses et dignité, et touttes religieuses y soient assistentes saulfz les gresvement malades et celles que pour cause légitisme Madame voldrat tenir excusée et que le chœur soit mieux furnis qu’il n’at este iusque au present 3.

Si toutes les communautés n’obtempèrent pas toujours avec exactitude, il semble toutefois que ces filles de saint Bernard aient toujours manifesté un faible pour les cérémonies   Marie-Élisabeth Henneau, Les cisterciennes du pays mosan. Moniales et vie contemplative à l’époque moderne, Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, 1990. 2   Marie-Élisabeth Henneau, « Entre stalle et prie-Dieu. La religieuse liégeoise en prière », Revue de l’Histoire des religions, t. 217, fasc. 3, 2000, p. 327-344. 3   Arch. générales du Royaume à Bruxelles, Papiers d’État et de l’Audiance, n° 897, Carte de visite de Jean de Lannoy, abbé d’Aulne, pour les cisterciennes de Solières, 1554. 1

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et participé de bon cœur à la réussite de leur déroulement. Aussi les légats du pape constatentils qu’à l’exception de l’une ou l’autre abbaye en grande difficulté sur le plan disciplinaire, la liturgie monastique revêt un certain lustre chez les cisterciennes, grâce aux efforts consentis par les religieuses, soutenues en cela par leur entourage. Les mêmes observations valent également pour un bon nombre d’établissements des Pays-Bas méridionaux. Encore faut-il tempérer ce constat optimiste en rappelant le contexte difficile dans lequel évoluent ces dames, installées sur un territoire toujours en détresse, situation qui ne favorise pas le maintien de la régularité 4. Quoi qu’il en soit des réalisations effectives, le discours des religieuses manifeste leur attachement à la célébration de l’Opus Dei, selon l’antique tradition bénédictine, dont elles sont les fidèles gardiennes et « défenderesses », face à l’invasion conventuelle qui introduit de nouvelles formes de vie religieuse. Lorsqu’elles sont appelées à justifier leur choix au moment d’une élection abbatiale, elles mettent toujours et d’abord l’accent sur l’attachement de la candidate au service divin. Elle y est idéalement assidue, ponctuelle et exacte, « toujours la première et la dernière au chœur » ; ses filles attendent donc qu’elle s’y montre diligente, fervente et « expérimentée pour bien entretenir les cérémonies » 5. La fidélité des cisterciennes à ce qui fait, selon elles, la spécificité d’un ordre monastique d’antique réputation reste constante jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, en même temps que ces moniales subissent l’influence d’un entourage marqué par la réforme tridentine. Elles n’adhèrent toutefois à aucun projet visant à la création de congrégations réformées. Leur liturgie, de belle facture, attire les visiteurs, qui se pressent en nombre dans leurs établissements, en dépit d’une clôture que les autorités ecclésiastiques souhaiteraient plus étanche, mais que les cisterciennes entrouvrent sans vergogne. Mais si les critiques ne les épargnent guère à ce propos et fustigent l’esprit mondain qui envahit quelquefois leurs salons, les cisterciennes n’en tiennent pas moins, avec dignité, le rôle liturgique qui leur est dévolu — célébrer régulièrement et en nombre l’office monastique — et ne manquent pas de se justifier en présentant leur église, peut-être trop fréquentée aux yeux de certains, comme un haut lieu de révérence à la majesté divine. Témoignent notamment de cet attachement à la qualité de la liturgie, à défaut peut-être d’une ferveur intérieure très intense, les décors encore conservés, mais aussi les ouvrages achetés ou confectionnés en vue d’accomplir au mieux cette mise en scène complexe du culte divin. Dès le début du xviie siècle, il leur importe de faire bonne figure aux yeux du monde, en raison d’une concurrence redoutable, qui modifie considérablement le paysage religieux. Aussi les cisterciennes s’emploient-elles à distinguer les différents projets, en vue d’éviter tout amalgame et toute comparaison. Il y a de toutte sorte de monastères selon les vocations où Dieu nous appelle... nos monastères et abbayes sont tous establis à la campagne [...] et quoy qu’ils assujettissent les religieuses aux veux perpétuelles monastiques de chasteté, pauvreté et d’obéissance, ils ne laissent pas de

4   Marie-Élisabeth Henneau, « Heurs et malheurs de cisterciennes… L’abbaye de La Ramée entre 1566 et 1790 », La Ramée, abbaye cistercienne en Brabant wallon, T.  Coomans (éd.), Bruxelles, Racine, 2002, p.  70-96 et 213-222. 5   Marie-Élisabeth Henneau, Les cisterciennes du pays mosan…, op. cit., p. 341-342.

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servire d’un milieu entre les chapitres de chanonesses et les monastères austères des villes pour servir de retraite aux filles des premières familles et maisons du pays dont la vocation est plus fixe que celle des chanonesses et moins austère que les autres couvents 6…

Parmi les religieuses « austères » évoquées, aux antipodes de ces « bernardines » policées et cérémonieuses, les annonciades célestes s’engagent pour leur part sur une voie beaucoup plus rigoureuse et s’avèrent les plus déterminées à s’isoler volontairement du monde, au cœur de l’agitation urbaine 7. Sous la règle de saint Augustin, ces annonciades, dites célestes, en référence à la couleur turquoise de leur scapulaire, se caractérisent par une dévotion au Verbe Incarné, dont elles prétendent imiter la vie cachée en se vouant à une retraite particulièrement rigoureuse, garantie par leurs Constitutions. À première vue, ces règles ne prévoient rien qui ne corresponde aux exigences romaines, et pourtant les annonciades célestes font, ici comme ailleurs, figure d’exception. Si les textes normatifs semblent formuler pour toutes les religieuses à vœux solennels des règles identiques en matière de clôture, le jésuite Spinola, biographe de la fondatrice, met en exergue l’originalité d’une congrégation qui, « outre tous les secours ordinaires, qu'elle n'a pas moins avantageux que les autres religions, ... a pour moyen qui luy est propre, l’Esprit de séparation du monde, au plus haut degré qui soit possible 8 ». Très soudées entre elles et toujours en lien épistolaire avec la maison de Gênes, régulièrement consultée en matière de régularité et de spiritualité, les communautés s’inscrivent rapidement dans les contextes locaux, se soumettant à la juridiction des évêques et à la direction spirituelle des jésuites, ou d’autres selon les circonstances. Leur propension à la modestie et à la discrétion les incline à opter pour une liturgie sans faste, parfaitement conforme aux exigences du rite romain et aux aspirations de la fondatrice. Aussi se dotent-elles d’outils appropriés pour régler leur vie conventuelle et articuler leurs obligations au chœur avec les exigences d’une vie de retraite et les nécessités matérielles liées à des situations précaires. Leur contenu diffère sensiblement des textes en usage dans les grandes abbayes voisines. Un monde les sépare, et pourtant ces femmes se

  Arch. de l’Archevêché de Malines, Cîteaux, Generalia, n° 7, supplique adressée par les cisterciennes des diocèses de Liège et de Namur à l’abbé de Cîteaux, 1699 ; Marie-Élisabeth Henneau, « Monachisme féminin au pays de Liège à la fin du xviie siècle : une vie sub clausura perpetua ? », Revue Histoire, Économie et société, 3/2005, « La Femme dans la ville : clôtures choisies, clôtures imposées », p. 387-398. 7   L’ordre des annonciades célestes est fondé à Gênes en 1604 par Marie-Victoire Fornari, avant une expansion rapide en Franche-Comté, puis vers la France, vers les Pays-Bas méridionaux et le pays de Liège : Vesoul (1613), Nancy (1616), Saint-Mihiel (1619), Champlitte et Nozeroy (1620), Saint-Claude et Saint-Amour (1621), Joinville (1621), Paris (1622), Langres (1623), Tournai, Lyon, Dole et Avignon (1624), Liège, Lille et Mons (1628)…, Namur (1631), Huy (1637), Tongres (1640) transféré à Liège (1677)… Paul Fournier, « Annonciades », Dictionnaire d’Histoire et de Géographie ecclésiastique, t. III, Paris, Letouzey et Ané, 1924, col. 409-412. Ignazio Barbagallo, « Annunziate turchine o Celesti », Dizionario degli Istituti di Perfezione, t. 1, 1974, p. 668-670. Francesco Repetto, « Marie-Victoire Fornari-Strata », Dictionnaire de spiritualité, t. 10, 1980, col. 598-600 ; Marc Libert, L’ordre des annonciades célestes ou célestines, Bruxelles, Archives générales du Royaume, 2000. Ces annonciades ne doivent pas être confondues avec celles de France, fondées par Jeanne, fille de Louis XI et surnommées « annonciades rouges » en raison de la couleur de leur scapulaire. 8   Fabio Ambrogio Spinola, La vie de la vénérable mère Marie Victoire Fornari fondatrice de l'ordre de l'Annonciade de Gêne dit en France l'ordre céleste, traduite en nostre language par le R. P. Charles le Breton de la mesme compagnie, Paris, F. Muguet, 1662, p. 121-122. 6

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connaissent et s’estiment, tout en cultivant leurs différences, qui se manifestent notamment dans la manière de concevoir la liturgie, d’accomplir les pratiques régulières, d’occuper les temps et les lieux et de hiérarchiser les événements de la vie.

Des normes pour une liturgie à l’usage des annonciades célestes Dans les maisons sises aux Pays-Bas et à Liège, cette littérature de codification des rites et des pratiques figure à la fois sous forme imprimée et manuscrite. D’une manière générale, la terminologie utilisée par les intéressées pour désigner ces ouvrages n’est pas rigoureuse et varie selon les éditions ou les mentions manuscrites 9. D’emblée composés à l’intention d’un public féminin, les textes normatifs destinés aux annonciades célestes, pur produit de la Réforme catholique, répondent aux exigences romaines en matière de liturgie 10. Celle-ci se trouve en partie réglée par les Constitutions 11, plusieurs fois réimprimées, puis par des cérémoniaux 12, processionnaux 13 et coutumiers 14, enfin par quantité d’opuscules qui apportent des compléments de conseils pour l’une ou l’autre circonstance. Si l’on prend l’exemple des annonciades installées à Liège  15, celles du couvent « en Île  » disposent, depuis 1642, d’une édition liégeoise des Constitutions  16, augmentées   Aimé-Georges Martimort, Les « ordines », les ordinaires et les cérémoniaux, Turnhout, Brepols, 1991, p. 89.   Jean-Baptiste Molin et Annick Aussedat-Minvielle, Répertoire des rituels et processionnaux imprimés conservés en France, Paris, CNRS, 1984, n° 1887-1893. 11   Parmi les éditions en langue française recensées : Constitutions des révérendes mères du monastère de l'Annonciade de Gennes, fondées l'année de notre salut 1604, Paris, J. du Val, 1626 ; Constitutions des révérendes mères du monastère de l'Annonciade de Gennes, fondées l'année de nostre salut 1604, Liège, B. Bronckart, 1642 ; Constitutions pour les mères de l'ordre de la très-saincte Annonciade, commencé à Gênes l'année de nostre salut 1604, r'imprimée [sic] en ladite ville l'année 1643 et traduite à Paris d'italien en françois l'année 1644, Paris, M. et J. Henault, 1644. 12   Parmi les éditions en langue française recensées : Cérémonial des religieuses de l’Ordre de l’Annonciation Nostre Dame, tiré du Rituel romain et des Coustumes du mesme Ordre, Lyon, C. Cayne, 1629 (cf. Molin n° 1887). Cérémonies pour recevoir les filles ou femmes à la religion dans les monastères de l'Ordre de l'Annonciation nostre Dame sous la Reigle de sainct Augustin Docteur de l'Eglise..., Lyon, C. Cayne, 1629 (cf. Molin n° 1888) ; Cérémonial de divers offices divins pour l'usage des religieuses de l'Ordre de l'Annonciade sous la Reigle S. Augustin, Nancy, J. Garnich, 1630 ; Cérémonial des religieuses de la très-sainte Annonciade. Contenant la manière de donner l’entrée, l’habit, et la profession aux filles. L’ordre que l’on doit tenir en l’élection de la Mère Prieure. Es visites de Supérieurs. En l’administration des Saints Sacremens aux malades. Et aux obseques des Religieuses deffunctes, Paris, 1651 (cf. Molin n° 1890) ; Cérémonial des religieuses de la tres-sainte Annonciade. Contenant les Processions…, Paris, 1651 (cf. Molin n° 1891). 13   Processional pour aucunes solemnitez de l’année, servante à l’usage des religieuses Annonciades coelestes, Tournai, Quinque, 1629 (cf. Molin n° 1894). 14   Règles et advis pour les officières du monastère de l'Annonciade..., r'imprimez [sic] à Gênes & accomodez à la pratique de l'observance des constitutions... l'année 1624. Seconde impression, Paris, M. et J. Hénault, 1644. 15   Deux couvents de cet Ordre s’implantent à Liège en l’espace d’un demi siècle. Le premier est inauguré en 1628, sur l’un des îlots qu’entoure la Meuse, par des religieuses venues de Nancy. Le second ouvre ses portes au faubourg d’Avroy en 1677, après une implantation éphémère à Tongres. Marc Libert, L’ordre des annonciades célestes ou célestines, op. cit. ; Michette Demet, « Le couvent des Célestines en Île à Liège », Leodium, t. 49, 1962, p. 1-12. 16   Constitutions des révérendes mères du monastère de l'Annonciade de Gennes, fondées l'année de nostre salut 1604, Liège, B. Bronckart, 1642. On conserve encore à Liège, sans marque d’appartenance des Méditations sur les 9

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d’Adresses spirituelles 17, mais il est vraisemblable qu’elles aient eu recours, auparavant, soit à l’édition parisienne de 1626, soit à une version manuscrite. Deux ans plus tard, leur chronique fait état d’une demande introduite à Gênes en 1644 pour obtenir un cérémonial et un coutumier 18. Venues de Nancy, il serait toutefois étonnant qu’elles n’aient pu disposer du Cérémonial paru dans cette ville en 1630 19. Parmi les éditions liégeoises, on relève encore un Oratoire des Annonciades 20, rédigé par une moniale du lieu, et des Leçons… pour diverses octaves de la bienheureuse Vierge Marie  21. Dans l’inventaire de la bibliothèque des annonciades de Mons, dressé en 1784 22, figurent également, à côté de livres liturgiques plus généraux, des ouvrages spécifiquement publiés à l’intention de leur Ordre 23, qui témoignent non seulement du souci de chaque maison de s’équiper adéquatement, mais aussi du nombre de productions locales, chaque couvent ayant, semble-t-il, suscité, dans sa ville, la publication de volumes spécialement destinés à ses filles. Mais les imprimés, qui figent les pratiques dans un moment sitôt révolu, appellent des commentaires et des amendements. La plupart des maisons se dotent de compléments manuscrits chargés d’éclaircir certains points. Ainsi du constitutions des religieuses de l'ordre de l'Annonciade céleste, divisées en III parties, composées par un vertueux eclésiastique, Lyon, J. Molin, 1688 (Bibl. du Grand Séminaire de Liège, cote 11 B 2). 17   Adresses pour les religieuses de l'ordre de l'Annonciade, fondées à Gennes, l'an de nostre salut 1604, et de nouveau rimprimées, conformes à la pratique de l'observance des constitutions, pour servir d'instruction aux exercices spirituels des monastères dudit ordre, Liège, B. Bronckart, 1642. Elles portent le titre d’Advis… dans l’édition parisienne des Constitutions de 1644. 18   « Quand au désir qu’a v[ot]re R[évéren]ce d’avoir un livre des coutumes ou cérémoniales, je l’envoyeray aussitôt qu’il me sera possible afin que v[ot]re R[évéren]ce aye la consolation de se pouvoir et toutes choses conformer avec ses servantes et sœures de Genne, lesquelles aiment tant, honnorent et estiment leurs chères Mères de Liège… ». Bibl. royale de Bruxelles, Mss n° 19612, Sœur Marie Françoise Augustine Joseph [Laloire], Histoire de l’établissement de l’ordre de l’annonciade céleste dans la ville de Liège, [1746-1747], Copie d’une lettre de la mère Marie-Anne de Gênes à la prieure des annonciades de Liège, p. 162. La chronique témoigne par ailleurs d’un constant souci de fidélité aux exigences des constitutions et à celles des mères de Gênes et de Nancy, qui restent les références suprêmes pour ce qui est, notamment, du bon déroulement de la liturgie. 19   Voir note 12. Un exemplaire du Cérémonial, sans marque d’appartenance, est conservé à la Bibl. du Grand Séminaire de Liège (cote 27 S 19). 20   L’oratoire des Annonciades célestes contenant l’état du Verbe incarné pendant les neuf mois qu’il a été au ventre virginal de sa sainte Mère, commençant le 23e d’octobre jusqu’au jour sa sainte nativité, Liège, A. Bronckart, 1686 (dédicace aux religieuses de l’Annonciade céleste de Liège de VSMT). Cet opuscule dont une édition est également produite à Bar-le-Duc, chez R. Briflot, est attribué, selon la tradition liégeoise, à sœur Marie-Thérèse Peelmans du couvent des « célestines » en Île († 1706). « Son affection pour l’Enfant Jésus luy fist mettre en lumière plusieurs livres composés de diverses pratiques à son honneur, car cette dévotion étoit sa belle passion, que l’on voyoit s’augmenter sensiblement aux approches des Avents et les 25e jours de chaque mois, les Noël sur tout la portoit au ravissement et à une espèce d’extase continuelle. » Bibl. royale de Bruxelles, Mss n° 19612, Histoire de … l’annonciade céleste … de Liège, [1746-1747], copie d’une lettre de la mère Marie-Anne, prieure de Gênes à la prieure des annonciades de Liège, datée du 23 octobre 1644, p. 371. 21   Leçons prises de l'octavaire romain pour diverses octaves de la bienheureuse Vierge Marie en faveur des religieuses annonciades célestes, Liège, J. F. Bronckart, 1707. 22   Arch. générales du Royaume à Bruxelles, Comité pour la Caisse de Religion, 72/39. 23   « Cérémonial des religieuses de l’Annonciade céleste, Tournai, Quinque, 1642 ; Leçons des offices propres à l’ordre de l’Annonciade céleste, Besançon, Boudrot, 1715 ; Processionnal de l’Annonciade céleste, Tournai, Quinque, 1629 ; Constitutions des religieuses de l’Annonciade, Lyon, 1628 ; Constitutions pour les mères de l’Annonciade, Paris, 1644 ; Avis des révérendes mères de l’Annonciade, Paris, 1644 ; La Conduite intérieure de l’Annonciade, Liège, 1690 ; Règles pour les officières de l’Annonciade [s.d.] ; Adresses pour les religieuses de l’Annonciade, Lyon, 1628. »

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Coutumier manuscrit réalisé à Liège en 1743 dans l’autre couvent, installé au faubourg d’Avroy 24. Si la fidélité à la mémoire de Victoire Fornari et la volonté de correspondre à une manière, propre à leur Ordre, de célébrer l’office divin sont régulièrement évoquées, il n’en demeure pas moins que les annonciades gardent avec fierté pour ligne de conduite une obéissance scrupuleuse aux exigences de Rome, sans éprouver pour autant de crise identitaire. Il n’en va évidemment pas de même pour les cisterciennes, dont la liturgie se réfère à des sources ancestrales indépendantes de la production romaine, et que leur destin inscrit toujours en retrait de l’histoire de la branche masculine. Rien ne leur est en effet offert officiellement par l’Ordre avant la fin du xviie siècle, alors que des femmes célèbrent selon le rite cistercien depuis les origines et ce bien avant leur incorporation officielle 25. Ce retard dans la parution d’un texte adapté pour les religieuses s’explique notamment par l’histoire plus générale d’un Ordre confronté aux éclatements institutionnels et autres scissions internes, ainsi qu’aux exigences centralisatrices imposées par Rome, ressenties par certains cisterciens comme une atteinte profonde à leur identité.

La liturgie cistercienne : une histoire essentiellement écrite au masculin Pour assurer l’uniformité de leur liturgie 26, les cisterciens du xiie siècle ont constitué un Liber usuum, « référence pour une pratique unanime et uniforme dans tout l’Ordre » 27. L’histoire de la liturgie cistercienne peut ensuite se lire dans les statuts du Chapitre général, qui témoignent, au fil des années, des résolutions de problèmes ponctuels, au coup par coup, comme des difficultés à allier fidélité à la tradition cistercienne et conformité aux exigences de l’Église universelle  28. Ces décisions prises au plus haut niveau de l’Ordre viennent progressivement enrichir, mais aussi complexifier la législation primitive. S’ensuit une importante production de recueils 29 destinés à en établir la synthèse, tout en les adaptant

  Voir note 101.   Cîteaux et les femmes. Rencontres à Royaumont, B. Barrière et M.-É. Henneau (éds), Paris, Créaphis, 2001. 26   André Malet, La liturgie cistercienne, Westmalle, 1921. 27   Il n’est toutefois pas possible d’en déterminer avec exactitude le contenu, en permanente évolution. L’expression sert parfois, tout comme le terme Consuetudines, à désigner des collections de documents aujourd’hui distinguées par les historiens. Les usages propres à l’Ordre de Cîteaux, en dehors de ce qui est stipulé dans la Règle de saint Benoît sont ainsi réunis dans les Ecclesiastica officia, destinés aux moines de chœur, dans l’Usus conversorum, à l’usage des convers, et dans les Instituta Capituli generalis, discipline régulière. Au sein des Ecclesiastica officia, les matières sont réparties en cinq sections : la communauté, les lieux, l’horaire monastique et la répartition des activités, la structure des différentes parties de l’Opus Dei et le calendrier liturgique. Danièle Choisselet et Placide Vernet, Les « Ecclesiastica Officia » cisterciens du xiie siècle, Reiningue, 1989, p. 22 et 44-46. Voir aussi François de Place, « Bibliographie raisonnée des premiers documents cisterciens (1098-1200) », Cîteaux Commentarii cistercienses, 35/1984, p. 7-54. 28   Statuta capitulorum generalium Ordinis cisterciensis..., J.-M. Canivez (éd.), Louvain, 8 vol., 1933-1941 (= ciaprès Statuta). 29   Ces recueils tiennent à la fois du manuel de rubriques, du coutumier et du cérémonial. 24 25

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aux nécessités locales  30. Dans ce contexte, les initiatives privées précèdent souvent les décisions des autorités, suscitant une certaine disparité dans les pratiques en usage. Le Chapitre général ne manque pas de s’en plaindre régulièrement  31. En 1515, il confie à un religieux de Clairvaux la supervision d’une édition officielle d’un ordinarium, d’un graduel, d’un antiphonaire, d’un épistolier, d’un évangéliaire et d’un recueil des Us 32. Ces travaux aboutissent, notamment, à la parution, à Paris, en 1517, d’un Liber Usuum, héritier de la tradition primitive 33. Sous ce titre générique sont à la fois regroupés les Ecclesiastica officia et l’Usus conversorum  34. Cela n’empêche nullement la diffusion d’autres éditions, non reconnues, à la faveur du développement de l’imprimerie et souvent à l’insu du Chapitre général 35, par ailleurs confronté à la multiplication de congrégations, peu ou prou détachées de la branche mère et bientôt dotées de législations propres. Pourtant, en assemblée, les pères de l’Ordre manifestent de manière récurrente leur volonté d’uniformiser la liturgie, considérée comme l’un des champs d’action privilégiés des mouvements réformateurs, auxquels les cisterciens ne manquent pas de s’associer. Un vent de marée secoue bientôt l’Ordre, avec les réformes liturgiques réalisées par Rome après le concile de Trente. Sous la pression de monastères qui se consacrent au ministère pastoral, surtout en Italie, et, d'autre part, en raison de l'intérêt porté aux nouveaux livres liturgiques, certains religieux souhaitent vivement une romanisation de leur liturgie 36. D’autres considèrent au contraire la réforme comme une menace pour leur identité 37. Des tensions opposent dès lors les tenants des deux partis. À Cîteaux, au terme d’ardentes discussions, sous les abbatiats de Nicolas I Boucherat (1571-1584) et d’Edme de la Croix (15841604), un accord, manifestement insatisfaisant, propose un produit hybride, fait de traditions cisterciennes amplement romanisées. Dans le prolongement, Nicolas II Boucherat (16041625) est chargé par le Chapitre général de 1605 de composer un traité sur le rite cistercien 38. Les réflexions de l’abbé de Cîteaux inclinent l’assemblée à accorder davantage de concessions à Rome 39, mais les pères se rebiffent dès 1609, avec le sentiment de perdre leur âme dans ce jeu du compromis 40. Ils n’en demeurent pas moins conscients de la nécessité d’une refonte

  Robert Trilhe, « Cîteaux », Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de Liturgie, t. III, Paris, Letouzey et Ané, 1914, col. 1779-1811 ; Joseph-Marie Canivez, « Le rite cistercien », Ephemerides liturgicae, 63/1949, p. 278. 31   Statuta, t. 4, 1445, n° 7 ; t. 6, 1504, n° 9. 32   Statuta, t. 6, 1515, n° 10. 33   Liber usuum cisterciensis ordinis nonmodo ipsius ordinis communitati sed et singulis quibusque eiusdem ordinis personis pernecessarius…, Paris, E. et J. de Marnef et P. Viart, 1517. Une édition amendée paraît à la même enseigne en 1531. 34   D. Choisselet et P. Vernet, op. cit., p. 47. 35   J. M. Canivez, « Le rite cistercien », op. cit., p. 279. 36   Chrysogonus Waddell, « Les implications liturgiques de la réforme », Réformes et continuité dans l’Ordre de Cîteaux. De l’Étroite Observance à la Stricte Observance, Brecht, Cîteaux, Commentarii cistercienses, (Textes et documents, VI), 1995, p. 74. 37   En fait, les propositions romaines n’apportent guère de modifications au rite mais limitent les droits du Chapitre général en la matière, ce qui ne manqua pas de provoquer de nombreux actes de résistance. 38   Statuta, t. 7, 1605, n° 10. Il est également question de la composition d’un martyrologe adapté. Ibid., n° 14. 39   Statuta, t. 7, 1605, n° 13-18. 40   Statuta, t. 7, 1609, n° 8. 30

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des textes en usage. En 1617, Boucherat fait paraître un bréviaire 41 et un missel 42 destinés à l’Ordre tout entier. Le premier semble manquer d’unité et de cohérence. Le second fait la part belle aux rubriques romaines, au grand dam des puristes. Le Chapitre de 1618 finit par imposer l’Ordo Missae romain 43. Ces tentatives d’uniformisation produisent toutefois peu d’effets face aux réactions des conservateurs peu enclins à renoncer au rite cistercien, face aux manifestations d’indépendance des congrégations favorables au rite romain, face aux demandes isolées de communautés désireuses de l’adopter par facilité  44, enfin et surtout, face à la querelle de plus en plus aiguë entre Étroite et Commune Observances 45. Sous l’autorité du nouvel abbé de Cîteaux, Claude Vaussin (1645-1670), mais avec mandat du Chapitre général de 1651  46, paraissent enfin le Breviarum cisterciense juxta Romanum, en 1656, puis le Missale cisterciense juxta novissimam Romani recognitum correctionem, en 1657, où s’énoncent clairement les intentions des réformateurs de maintenir l’ordo bénédictin de l’office et de sauvegarder le fond de l’ancien rite cistercien, sans déroger toutefois aux instructions romaines  47. Ce compromis ne réussit toutefois pas à apaiser les ressentiments et surtout les critiques des feuillants et des congrégations italiennes à propos de la légitimité des réformes introduites par l’abbé de Cîteaux. Vaussin parvient à se sortir d’affaire en incluant la question liturgique dans un projet plus vaste de réforme, présenté en 1662 au pape Alexandre VII, lequel approuve dans sa constitution In suprema de 1666 le rite observé à Cîteaux, pour servir de modèle pour la réforme générale de l’Ordre en matière de liturgie. L’année suivante, le Chapitre général impose le bréviaire à tous les profès de l’Ordre, avec interdiction d’en modifier le contenu. Il devient donc impératif de réaliser un Rituel qui tienne compte des réformes et remplace l’ancien Liber usuum, pourtant réédité en 1636 48. Là aussi, les productions locales prolifèrent, qui tentent de conjuguer, avec plus ou moins de bonheur, respect de la tradition monastique et adaptation aux exigences romaines. Un grand nombre de cérémoniaux manuscrits tentent ainsi de résoudre les difficultés quotidiennes en matière de liturgie, en proposant des solutions « locales » au détriment de l’uniformité. Depuis 1654, le Chapitre général manifeste l’intention de s’atteler à la tâche 49. En 1666, Alexandre VII ordonne la composition d’une compilation des textes normatifs 50.

  Le bréviaire est la réédition de celui édité à Venise en 1608 par la Congrégation de Lombardie. Colomban Bock, Les codifications du droit cistercien, Westmalle, imprimerie de l’Ordre, [1955], p. 111. 42   Missale ad usum S. O. Cist. Iuxta decreta Capituli generalis dicta Ordinis, Romano conformius redditum…, Paris, S. Cramoisy, 1617. 43   Statuta, t. 7, 1618, n° 14. 44   C. Bock, op. cit., p. 113. 45   Polycarpe Zakar, Histoire de la Stricte Observance de l’Ordre cistercien depuis ses débuts jusqu’au généralat du cardinal de Richelieu (1606-1635), Rome, 1966 ; Réformes et continuité dans l’Ordre de Cîteaux…, op. cit. 46   Statuta, t. 7, 1651, n° 22. 47   Cf. C. Waddell, op. cit., p. 74 et A. Malet, op. cit., p. 20. 48   Une édition paraît chez Sébastien Cramoisy, assortie d’un privilège royal daté du 30 mai 1636. Elle reproduit toujours le texte des Ecclesiastica officia suivi de l’Usus conversorum. 49   Statuta, t. 7, 1654, n° 14. 50   Statuta, t. 7, In Suprema, 1666, n° 39. 41

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Le projet d’un futur Rituel est inscrit à l’ordre du jour du Chapitre de 1667  51. Diverses commissions de spécialistes sont chargées d’examiner une série de projets concurrents 52. Plusieurs années passent, sans résultat. Un texte est finalement présenté à l’approbation de l’abbé Jean Petit (1670-1692) en 1688. Le Rituale cisterciense sort l’année suivante de l’officine parisienne de Frédéric Léonard, tout comme l’édition du Martyrologe  53. Le contenu témoigne d’une même tendance à harmoniser usages cisterciens et exigences romaines. Huit ans plus tard, Edme Perrot, confesseur des moniales de Battant, est chargé par le Chapitre général de présenter des observations pour amendement  54, mais les affaires traînent et la version revue ne paraît qu’en 1721, chez Denis Mariette. Entre-temps, et pour répondre à la demande d’Alexandre VII, paraît une traduction française à l’intention des moniales. Le mandement est signé d’Edme Perrot, devenu abbé de Cîteaux. Le Chapitre général l’impose à l’Ordre en 1738 55.

Une codification cistercienne traduite au féminin Le Rituel françois pour les religieuses de l’Ordre de Cisteaux de 1715 connaît immédiatement un grand succès auprès des moniales du pays de Liège et des Pays-Bas méridionaux, qui s’étaient jusque là essentiellement contentées des éditions latines ad usum monachorum, assorties d’adaptations manuscrites en langue vernaculaire 56. Il existait bien une traduction de l’« Ordinaire du service divin », réalisée à la fin du xve siècle par le prieur de Clairvaux, Jean de Vepria 57, peut-être basée sur la version romaine du Liber usuum copiée deux siècles auparavant  58. Mais on ne connaît pas l’importance de sa diffusion dans les

  Statuta, t. 7, 1667, n° 23.   C. Bock, op. cit., p. 121-128 ; A. Malet, op. cit., p. 18-26 ; Statuta, t. 7, 1672, n° 52 et 204 ; 1683, n° 24, 56, 224 ; 1686, n° 14 et 22. 53   Rituale cisterciense ex libro usuum, definitionibus ordinis et Caeremoniali episcoporum collectum, Paris, F. Léonard, 1689 ; Kalendarium cisterciense seu Martyrologium sacri ordinis Cisterciensis Romanis rubricis accommodatum, Paris, F. Léonard, 1689 (cf. [Cisterciens 1689]) ; Jean-Loup Lemaître, « Le martyrologe cistercien publié à Paris en 1689 par Jean Petit », Cîteaux Commentarii cistercienses, 50/1999, p. 135-183. 54   Statuta, t. 7, 1697, n° 5. 55   Statuta, t. 7, 1738, n° 107. 56   Arch. dép. du Nord, Mss 84, Jean d’Assignies, Le Livre des observations de l’Ordre de Cysteau appellé vulgairement en latin Liber usuum, traduit de latin en nostre vulgaire en faveur des religieuses dudict ordre, par un religieux de Nostre-Dame de Cambron, 1592. Moine de Cambron, Jean d’Assignies († 1642) a participé à la réforme de Nizelles, au diocèse de Namur, dont il devient l’abbé en 1619. Entre 1605 et 1618, il est le confesseur des moniales de Flines. Émile Brouette, « Abbaye de Nizelles », Monasticon belge, t. IV, Liège, 1968, p. 336 ; Anne Bondéelle-Souchier, « Les moniales cisterciennes et leurs livres manuscrits dans la France d’Ancien Régime », Cîteaux, Commentarii cistercienses, 45/1994, p. 259. 57   La première édition de L’Ordinaire en françoys selon l’Ordre de Cisteaux paraît à Paris, chez Estienne Jehannot, en 1495. Une autre édition est réalisée par les frères de Marnef en 1515, puis par Ambroise Girault en 1534 (Charles de Visch, Bibliotheca scriptorum S. Ordinis cisterciensis, Douai, 1649, p. 174 ; J.-M. Canivez, « Le rite cistercien », op. cit., p. 277). 58   Bibl. mun. de Dijon, Mss 599, édité dans Philippe Guignard, Les monuments primitifs de la règle cistercienne, Dijon, J.-E. Rabutot, 1878. « Si parfois le texte reste au masculin, d’autres fois, il constitue une véritable adaptation à la condition des moniales (D. Choisselet et P. Vernet, op. cit., p. 50). 51 52

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régions concernées, même si l’on sait que Jean de Vepria fut un conseiller apprécié des moniales de Flines  59 et que la réforme touchant les abbayes de cisterciennes des Pays-Bas bourguignons et de la principauté de Liège à cette époque encourageait sans doute le recours à des textes normatifs plus accessibles 60. Dans le courant du xviie siècle, coutumiers et « cérémoniaux » sont publiés à l’intention de congrégations réformées, comme celles de Saint-Bernard  61 ou de Tart  62, mais les cisterciennes demeurées dans le giron de l’Ordre doivent se contenter des statuts du Chapitre général et des décrets des cartes de visite pour régler leur liturgie et composer leurs propres directoires. Ce n’est qu’en 1601 que les moniales font l’objet au Chapitre général d’une attention plus particulière, une série de quarante-trois articles leur étant spécialement consacrée 63. Il y est évidemment question de liturgie 64, mais sans que soit évoqué le projet d’un cérémonial ou d’un rituel adapté et surtout traduit. En 1618, le Chapitre s’inquiète des difficultés rencontrées par les moniales dans la compréhension du latin et les autorise à lire la Règle et le Martyrologe dans leur langue maternelle 65. Mais il ne peut encore être question de composer un rituel en langue vernaculaire, puisque la version latine pour les hommes n’existe pas ! Dans sa Constitution In suprema de 1666, le pape Alexandre VII demande avec insistance au Chapitre général la réalisation d’une compilatio et reductio des us et coutumes de l’Ordre, avec traductions à l’intention des moniales  66. Un premier effort est fourni lorsqu’un bréviaire dans lequel les rubriques ont esté mises en François pour la commodité des religieuses paraît chez Sébastien Mabre-Cramoisy, dès 1677, avec approbation du Chapitre général  ; et l’on trouve parfois l’édition latine du Bréviaire cistercien augmentée d’un Directoire de l’Office divin selon l’usage moderne du Sacré Ordre de Cisteau traduit du latin

59   Edouard Hautcoeur, Histoire de l’abbaye de Flines, Lille, 1909, p. 160 ; « Documents sur la réforme introduite à l’abbaye de Flines en 1506 », Analectes pour servir à l’histoire ecclésiastique de la Belgique, t.  9, 1872, p. 239-240. 60   Marie-Élisabeth Henneau et Alain Marchandisse, « Velléités de réformes dans l’Église de Liège des xve et xvie siècles », De Pise à Trente : la réforme de l’Église en gestation. Regards croisés entre Escaut et Meuse, J.-M. Cauchies et M. Maillard-Luypaert (éds), Centre de recherches en histoire du droit et des institutions, Cahiers 21-22, 2004, p. 153-212. 61   La Congrégation de Saint-Bernard est née des projets réformateurs et un temps rivaux de Louise de Ballon (1591-1668), moniale de l’abbaye de Sainte-Catherine du Semnoz (près d’Annecy), puis installée à Rumillly, et de Louise de Ponçonnas, autre réformatrice d’une maison sise à Grenoble. Elle est soustraite de la juridiction de l’Ordre en 1628. Alain Guerrier, Vie religieuse féminine et utopie : les Bernardines réformées en Savoie, xviie-xviiie siècles., Mémoire de maîtrise, Grenoble, 1973 ; sources : Cérémonial des religieuses de la congrégation de S. Bernard, Paris, Ballard, 1637 (cf. Molin, n° 2104), Cérémonial des religieuses de la congrégation S. Bernard, Ordre de Cisteaux, Lyon, Muguet, 1648 (cf. Molin n° 2105) ; Coustumiers et Directoires des religieuses de la Congrégation Sainct Bernard, Ordre de Cisteaux, Lyon, Vve et P. Muguet, 1648 (cf. Molin n° 2105). 62   Cérémonial pour les vestures des religieuses de l’abaye de N. Dame de Tart. Ordre de Citeaux, Dijon, J. Ressayre, 1705 (cf. Molin n° 2106) ; Cérémonies à l’usage des religieuses de l’abaye de N. Dame de Tart, dites Bernardines. Première maison des Filles de l’Ordre de Citeaux, Dijon, J. Ressayre, 1715 (cf. Molin, n° 2107). 63   Statuta, t. 7, 1601, chapitre XXX. 64   Notamment Statuta, t. 7, 1601, chapitre XXX, n° 21. D’autres articles leur sont encore consacrés en 1605 et 1609, mais sans grand développement sur le sujet. Statuta, t. 7, 1605, n° 73-81 et 1609, n° 47-56. 65   Statuta, t. 7, 1618, n° 33. 66   Statuta, t. 7, 1666, n° 39.

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en françois pour l’utilité et la commodité des religieuses du mesme Ordre. Sur le plan local, les confesseurs cisterciens, sans doute aidés de moniales compétentes, s’emploient de leur côté à réaliser des traductions et adaptations des textes normatifs, fort utiles aux religieuses en délicatesse avec le latin 67. Avant la parution du Rituel de 1715, la plupart des abbayes concernées règlent leurs cérémonies sur la base de recueils réalisés sur place, dont les moniales insèrent des extraits dans leurs livres liturgiques, en guise d’aide-mémoire 68. Cet usage perdure au xviiie siècle 69 avec, en outre, la composition de commentaires destinés à compléter ou adapter le texte édité 70. Dès la parution des nouveaux bréviaires à l’usage de l’Ordre à la fin du xviie siècle, les cisterciennes s’empressent de renouveler leurs collections de livres liturgiques  71. Elles affectionnent de les personnaliser, par des annotations manuscrites —  marques d’appartenance, événements et anniversaires familiaux, courtes oraisons… Elles consacrent en outre une part de leurs loisirs à réaliser des processionnaux, des livres de chants, des recueils de prières manuscrits, élégamment décorés  72. Leurs chapelains contribuent

  Dans la seconde moitié du xviie siècle, l’auteur anonyme d’une traduction des Constitutions destinée aux cisterciennes de Soleilmont répond dans sa préface à la demande du Chapitre général « de faire translater en langue vulgaire les Constitutions de l’Ordre » (Bibl. de l’abbaye de Soleilmont (Belgique), [Anciennes Constitutions des Religieuses de Cîteaux, faux titre du xixe s.], Mss 1741, 1 f°-85 p. [Table des matières du xixe s.], [1666]. Ignace Bourguignon, moine de Moulins (diocèse de Namur) réalise en 1731 un Nomasticon cisterciense, véritable anthologie des décisions capitulaires, traduites et ordonnées à l’intention des dames du Val Notre-Dame (Arch. de l’État à Huy, Abbaye du Val Notre-Dame, 46). Son exemplaire personnel du Rituale de 1689 est conservé à la bibl. de l’abbaye de Scourmont. 68   Le bréviaire et le psautier, notamment, reçus à la profession font partie des effets personnels de la moniale qui généralement les lègue à son décès à une parente ou une amie proche. 69   Arch. de l’État à Hasselt, Abbaye de Hocht, n° 4, Rubriques qui s’observent à Hocht, avec autres cérémonies [1776], 26 p. Idem, n° 5 [1777-1786], 17 p. + pages blanches. 70   Bibl. de l’Abbaye Notre-Dame de Scourmont (Belgique), Mss Réserve 377, [Coutumier à l’usage d’une communauté de cisterciennes du diocèse de Tournai, xviiie s.]. 71   Une importante collection de livres liturgiques a pu être retrouvée à l’abbaye du Val Notre-Dame (près de Huy). Elle est actuellement conservée au Musée d’Art religieux et d’Art mosan de Liège. Elle comporte en plus de quelques bréviaires romains, des éditions du Bréviaire cistercien avec rubriques en français, notamment un exemplaire du Bréviaire de l’Ordre de Cisteaux dans lequel les rubriques ont esté mises en François pour la commodité des Religieuses, Paris, Sébastien-Mabre Cramoisy, 1677, deux autres publiés chez Frédéric Léonard (1703), quatre chez Denis Mariette (1717 et 1727) et un chez Michel-Antoine David (1754). Mais les moniales utilisaient également des bréviaires avec rubriques en latin publiés à Anvers, chez Balthazar Morétus (1684), ou à Paris, chez Sébastien Mabre-Cramoisy (1684), Frédéric Léonard (1696) et Denis Mariette (1717 et 1727). On trouve encore un exemplaire de l’édition latine du Maryrologe [Kalendarium] de 1686, trois Psalterium cisterciense publiés à Anvers, en 1686 et deux à Paris, chez Denis Mariette, en 1717, un Processionale Ordinis cisterciensis, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1681 et un Processionale cisterciense publié chez Denis Mariette en 1717. À propos de la concurrence entre ces éditeurs parisiens, voir Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au xviie siècle…, Genève, Droz, 1969, t. 2, p. 715-717. 72   Par exemple, Musée d’Art religieux et d’Art mosan de Liège, Collection de processionnaux manuscrits du xviie s. provenant de l’abbaye du Val Notre-Dame. Bibl. de l’Université de Liège, Mss 1315, 1316, 1317, processionnaux des xvie et xviie s. provenant de l’abbaye de la Paix-Dieu. Bibl. du Grand Séminaire de Liège, Mss 27 T 31 et 27 T 32, Processionnaux du xviie s. provenant de la Paix-Dieu (cf. Marie-Élisabeth Henneau, Filles de Cîteaux au pays mosan, Catalogue d’exposition, collégiale Notre-Dame de Huy, [Bruxelles], Crédit communal, 1990, n° 119, 120, 178). 67

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également à enrichir l’armarium des moniales de leurs propres travaux de copistes  73. À l’exception de l’Officium parvum Beatae Virginae 74 et contrairement aux annonciades, les cisterciennes ne suscitent guère de publications locales d’ouvrages liturgiques. La production manuscrite, puis l’acquisition de l’édition parisienne du Rituel, au lendemain de sa parution 75, leur ont suffi.

Le Rituel françois pour les religieuses de l’Ordre de Cisteaux L’ouvrage in-8° compte 460 pages, réparties en huit livres d’inégales longueurs, détaillés dans une table des matières non paginée en fin de volume. Le premier livre traite « des pratiques en général qui s’observent en l’Église » (p. 1-73), les trois suivants détaillent le déroulement de la messe (p. 74-97), celui des offices (p. 98-222), puis passe en revue les autres pratiques régulières (p. 223-266). Viennent ensuite quatre sections consacrées aux personnes : les soins à donner aux malades et aux défuntes (p. 267-339), la réception des religieuses (p. 340-383), les charges attribuées aux différentes officières (p. 384-415) et l’élection de l’abbesse (p. 416-460). Cette distribution des matières et leurs intitulés correspondent en tous points au Rituale de 1689. Le Rituel adapte toutefois le texte aux besoins d’une communauté de femmes, évidemment exclues du sacerdoce et soumises à la juridiction exclusive d’autorités masculines. La préface non signée retrace les grandes lignes de l’histoire du Liber usuum et de sa refonte au xviie siècle. L’auteur loue la valeur de l’antique ouvrage auquel on ne crut pas devoir toucher durant des siècles, tant il faisait l’unanimité auprès des cisterciens. On s’était contenté d’en tirer un « Extrait très court en françois, pour contenter le zèle que les religieuses même avoient pour ce Livre ». L’auteur dissimule mal son amertume face aux pressions romaines :

  Par exemple, Bibl. royale de Bruxelles, Mss II 4985, Offices de S. Joseph, de la Visitation notre Dame, du S. Ange gardien, de la Présentation N[otre] Dame et du S. Nom de Jésus [écrits par fr. Gill Bureau à l’intention de dame Marie Burlen, moniale de Soleilmont, 1634], 150 f°. Ibid., Mss II 4986, Antiphonarium cisterciense, 332 f°, transcrit également à la demande de dame Marie Burlen († 1661) de Soleilmont « pour le service de ses consoeurs ». Bibl. de l’Abbaye de Kerniel à Kolen (Belgique), Antiphonaire de l’ordre de Citeaux pour l’Abbaye de Soliers. Par dom Ignace Bourguignon, Confesseur de Soliers, Religieux de Moulins, 1738, 426 p. Hymnes et l’office des morts selon l’Usage et les Tons du Sacré Ordre de Cisteaux. Faits pour le Chœur de Madame D. Barbe de Caverenne, R. Abbesse de Soliers Par Dom Ignace Bourguignon, 1739, 253 p., Graduel de Cisteaux contenant les Messes solemnelles et principales de l’année pour l’Abbaye de Soliers. Par Dom Ignace Bourguignon Confesseur de Soliers, 1738-1739, 210 p. 74   L’Officium parvum Beatae Mariae Virginis ad usum sacri ordinis cisterciensis, suivi de celui des défunts, « juxta exemplar Parisiis impressum » est imprimé à Liège chez la veuve S. Bourguignon, en 1673, qui annonce vendre aussi « tous ceux à l’usage romain et de Cîteaux ». Des exemplaires imprimés la même année, à Paris, chez Sébastien Cramoisy, sont également acquis par les cisterciennes liégeoises. Ils sont conservés à la Bibl. de l’Université de Liège et dans une collection particulière. 75   Un exemplaire ayant appartenu à dame Ferdinande de Soumagne, de l’abbaye du Val-Benoît (près de Liège) porte la date de 1716 (collection particulière). 73

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Considérant néanmoins dans les assemblées des derniers Chapitres généraux que l’Église, qui est toujours infaillible dans sa foy et dans ses mœurs, n’a pas laissé dans différentes situations où elle s’est trouvée, de composer des rituels nouveaux pour donner plus d’ordre, d’estime et de vénération à ses cérémonies, comme on le voit par le rituel romain, qui est en usage par toute la chrétienté […] C’est sur ces exemples que [l’Ordre] de Cîteaux a cru devoir ordonner qu’on travailleroit à en faire un, qui lui fut particulier, pour se rendre plus uniformes en toute manière, étant le caractère de cet Ordre de vivre d’un même esprit.

Les religieuses disposent donc d’un outil destiné à régler l’ensemble des pratiques, soit qu’elles regardassent les divins mystères, comme la célébration de la sainte messe et l’administration des saints sacremens de la pénitence, de l’Eucharistie, de l’Extrême-onction et du saint Viatique, soit que ce fut pour les cérémonies qu’il falloit garder dans la récitation des offices à l’Église, soit que ce fut pour tout ce qu’il falloit observer dans toutes les actions régulières…

L’organisation du volume hiérarchise d’emblée l’importance des sujets traités. L’essentiel de la vie cistercienne se déroule à l’Église, pour qu’y soit célébré le service divin. Ouvrage didactique, éminemment utile pour les débutantes, il reprend le b-a-ba de l’initiation à la vie monastique : « Le service de Dieu, qui se fait tous les jours dans nos Églises, ou nos oratoires, à des heures qui lui sont propres et distinguées, est de deux sortes. L’un est la messe et l’autre s’appelle l’office divin » (p. 1). Selon la tradition, les cisterciennes chantent au chœur 76 l’office régulier en entier, structuré conformément à la Règle bénédictine 77, auquel s’ajoutent celui de la Vierge  78 et l’office des défunts (p. 2). Son exécution aux différentes heures de la journée scande le quotidien de moments forts de prières vocales, auxquelles la communauté est régulièrement appelée par une sonnerie de cloches très codifiée (p. 2-7). L’évocation du sanctuaire retient ensuite l’attention pour délimiter avec précision les espaces propres à chacun des intervenants, selon son statut : le presbytère, le chœur des moniales, le chœur des infirmes, les places réservées aux novices, aux converses, aux pensionnaires. La sacristine est priée d’y veiller à la bonne distribution des livres liturgiques. On aura aussi suffisamment des livres d’Église, selon le nombre des religieuses, comme missels, livres des Épitres et des Évangiles, la Règle de S. Benoist, le rituel, des pseautiers, le recueil des hymnes, le collectaire, antiphonaires, lectionnaires, graduels, processionnaux, calendriers ou martyrologes (p. 9).

76   « Ces trois offices se disent dans le chœur et les religieuses qui n’y assisteront pas le réciteront dans un lieu et dans un tems convenables, revêtues de l’habit régulier et avec les cérémonies de l’Ordre autant que faire se pourra. » (p. 2). 77   J.-M. Canivez, « Le rite cistercien », op. cit., p. 297. 78   « Le petit office de la Sainte Vierge se récite tous les jours dans le chœur, debout, sans y rien chanter, comme il est marqué à la fin du bréviaire » (p. 2). « Chaque heure de cet office se dit immédiatement avant celles du canonial, il n’y a que complies que l’on dit après celles du grand office. Puis aussi-tôt après celles de N. Dame, on chante l’antienne du Salve regina, du ton qui est dans les pseautiers. » (p. 100).

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Quelques précisions sur le dépouillement des lieux, de mise dans les monastères cisterciens, précèdent des considérations sur l’usage des lampes et l’entretien du luminaire de l’église (p. 10-12). On trouve plus loin des remarques concernant la réserve eucharistique, la conservation des huiles, l’ostension et la préservation des reliques (p. 50-52). Viennent ensuite de plus amples développements sur les modes de comportement à adopter pour s’y rendre comme pour en sortir. Quoiqu’il faille aller à l’église avec toute la diligence possible, on doit néanmoins y aller et marcher en toutes occasions, d’une manière que l’humilité paroisse à l’extérieur, ayant la tête un peu baissée, les yeux tournés vers la terre, et lorsqu’on marchera par l’église et en communauté, on aura les mains dans les manches de la coule. Dans tous les autres lieux on pourra avoir les mains l’une sur l’autre, couvertes des manches de la coule, ou, si on a un scapulaire, on les mettra dessous, au dessous de la ceinture (p. 12-13).

La codification de la gestuelle est l’une des grandes préoccupations du Rituel, véritable manuel de civilité monastique 79. Y sont réglées avec minutie toutes les attitudes corporelles, la déambulation, la station debout ou assise, l’agenouillement, la génuflexion, l’inclination 80, l’abaissement 81, la prostration 82, l’accomplissement du signe de croix, la position des mains et des pieds, le jeu des manches, le port de la tête et la gestion du regard… Le positionnement de chacune dans les différents lieux (p. 17), mais aussi la place occupée dans le rang ou la procession indiquent clairement la tension permanente entre respect de l’idéal communautaire et manifestation d’un ordre extrêmement hiérarchisé. Il y est certes question des deux chœurs qui se font face dans les stalles et alternent leurs interventions dans une belle harmonie et communion d’esprit, mais il est aussi fait état, avec insistance, de la révérence due à l’abbesse : « Lorsque l’abbesse entrera au chœur et qu’il y aura des religieuses dans les staux, une de chaque chœur qui seront les plus proches d’elle la salueront , se courbant le corps, sortans de leurs staux et se tournant de son côté » (p. 14). La structure fixe des heures est détaillée de manière à préciser le rôle exact des intervenantes 83, principalement de l’abbesse, de la chantre, de l’invitatoire, de la semainière   « On levera et abaissera les sièges des staux avec la main, prenant garde de ne point faire de bruit : celles qui tousseront, éternueront, cracheront et se moucheront auront soin de conserver l’honnêteté et la bienséance, elles éviteront de salir les planchers du chœur et les sieges » (p. 15). 80   « On se courbe le corps les unes vers les autres, ayant les bras croisés, les paumes des mains posées sur les genoux, dans les manches de la coule », au verset du Gloria Patri jusqu’à Sicut erat, aux collectes de la Vierge et aux collectes solennelles des laudes, de la messe et des vêpres ; « on se courbe de même, se reposant sur les miséricordes » aux Kyrie eleison, aux collectes communes des fêtes etc. (p. 21). 81   « On se baisse…en mettant jusqu’à terre les doigts recourbés au dedans des mains sur le bas de la coule, sans fléchir les genoux » pour satisfaire aux fautes qu’on a faites au chœur en chantant ; « on s’abbaisse de même en mettant les deux genoux à terre » à l’élévation de l’hostie et du calice, après le premier Agnus Dei de la messe, à l’Ave Maria de l’office de la Vierge, à la salutation angélique, sauf les dimanches et durant le temps pascal (p. 22). 82   « On s’abbaisse en se couchant de tout son long, face contre terre », au chapitre à l’annonce de la fête de Noël, avant d’avouer ses fautes, quand on est « proclamé », à la fin de la lecture de la Passion, au réfectoire, en cas de maladresse (p. 23). 83   « Pour éviter le désordre qui pourroit survenir, la chantre écrira sur une feuille de papier les noms des religieuses qui chanteront l’invitatoire et qui devront imposer les répons et en chanter les versets qu’elle affichera dès la veille à l’entrée du chapitre » (p. 33). 79

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des collectes, des religieuses en charge des leçons et des répons  84. L’office est censé être chanté en plain-chant, pour autant que la communauté soit en nombre. Ailleurs, les visiteurs « règleront suivant leur prudence ce qu’il faudra seulement psalmodier » (p. 35). Mais toute autre musique est bannie, tant pour l’ordinaire qu’à l’occasion des vêtures et professions. Seul l’orgue est toléré, que l’on « touchera avec modération », les dimanches et jours de fête (p. 38-40). « On évitera les airs lascifs et profanes ». Le Rituel compte évidemment sur les qualités de la chantre pour garantir la justesse de l’exécution 85. Au chapitre XX, la moniale peut trouver l’annotation musicale du Deus in adjutorium, le ton des leçons, avec des indications concernant l’exécution des flexes, des deux points, du point bas, du point d’interrogation…, le ton des capitules et des collectes (p. 56-66). Les exigences imposées nécessitent sans conteste un long apprentissage auquel les novices sont censées consacrer à peu près tout leur temps. Mais nulle n’est infaillible en la matière. Il est donc prévu, en arrière-plan de la chorégraphie mise en place, une série d’autres mouvements imposés aux contrevenantes, distraites et maladroites, en guise de satisfactions (p.  40-42). En plus des déplacements nécessaires au bon déroulement de l’office, les processions occupent une place de choix dans la liturgie cistercienne, qu’elles aient lieu dans les cloîtres ou d’autres lieux limités par la clôture (p. 44-49). L’audition quotidienne de la Règle, avec un calendrier en répartissant la lecture au cours de l’année, occupe la dernière partie de ce livre, haussant l’événement au même rang que l’office divin, dans la liste des devoirs de la vie monastique (p. 67-73). Le deuxième livre, nettement plus court s’adresse essentiellement à la sacristine, pour lui rappeler la manière de préparer l’autel, la crédence (p. 74-77) et les ornements liturgiques appropriés (p. 77-83) 86. Les moniales sont censées entendre la messe tous les jours, depuis l’espace clos qui leur est réservé. Lorsqu’il est prévu qu’une moniale communie, le célébrant en est averti par la sacristine. Lorsqu’elle sera proche de l’ouverture de la grille, où elle doit recevoir la sainte Communion, se mettra à deux genoux sur le petit marche-pied, recevra la très-sainte Eucharistie, ayant la nappe ou le petit linge sous le menton, se relèvera, fera une génuflexion, puis s’inclinera et se retirera en sa place au chœur (p. 94).

  « Lorsque celle qui doit dire une leçon sera arrivée devant le pupitre, ou à l’analogue, et qu’elle aura demandé la bénédiction, elle ne commencera pas à lire dans le livre qui doit être ouvert, auparavant qu’elle s’en approche, qu’après que les religieuses auront abaissé leurs sièges et qu’elles seront assises ; puis elle chantera sa leçon d’une voix distincte et intelligible, gardant exactement les flexes, les deux points et le point grave […] Et fera ensuite une inclination, ne sortira pas de sa place sans avoir prévu qu’il y ait suffisamment de chandelle pour celles qui liront après » (p. 31). 85   « Il est à propos de faire encore remarquer que pour soutenir un ton de voix convenable, soit qu’on dise l’office en psalmodiant ou qu’on le chante et pour y donner plus de grâce et y observer un meilleur ordre, il faut que la chantre et son aide, chacune respectivement dans son chœur, commencent tous les pseaumes que l’invitatoire et d’autres religieuses ne doivent pas commencer » (p. 118). 86   « La communauté se place toujours en la partie du chœur la plus proche de l’autel, ensorte que quand on chante[les messes conventuelles], ou quand on les entend seulement, les anciennes soient dans les stalles ou visà-vis les plus proches des grilles » (p. 84). 84

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Le troisième livre consacré aux différentes heures de l’office occupe plus du quart du volume. On y détaille le rôle essentiel de l’invitatoire (p. 98-99) avant de décrire le déroulement des offices durant le temps ordinaire (p. 100-148) et celui des cérémonies propres aux grandes fêtes (p. 149-222). Il s’agit ici de déterminer les règles habituelles, mais surtout d’énoncer les cas d’exception qui permettent, lorsqu’ils sont scrupuleusement respectés, de faire ressortir, grâce à ce subtil nuancier, les différents degrés d’intensité des moments liturgiques. La tenue du Chapitre est longuement abordée dans la huitième partie de ce même livre. Salutations, inclinations et comportements y doivent refléter la charité mutuelle  87 autant que le rapport hiérarchique entre chacune des participantes, installées selon l’ordre d’ancienneté. Moment de communauté par excellence, le chapitre n’est guère conçu comme espace possible d’intervention spontanée, mais plutôt comme lieu d’écoute et d’adhésion tacite, et bien sûr de correction 88. Aucune religieuse ne sera assez hardie de dire un seul mot dans le Chapitre, à moins que la supérieure ne luy commande ; personne n’en sortira ; si néanmoins quelqu’une avoit quelque chose à dire, ce qui doit être très-rare, et ce qu’elle doit avoir communiqué à la supérieure auparavant que d’entrer au Chapitre, elle se lèvera de sa place, présentera la main droite à sa bouche, couverte de la manche de sa coule, et après que la supérieure, en inclinant la tête, ou par un autre signe, luy aura permis de parler, elle proposera, debout, en peu de paroles, et avec respect ce qu’elle a à dire et se rasseoira quand la supérieure luy ordonnera (p. 129).

On passe ensuite aux différents moments de la journée où la moniale n’est pas tenue d’être au chœur. « Le temps de la lecture, selon notre sainte Règle, et suivant nos pratiques, est tout cet intervalle qui se rencontre, où on n’est pas occupé à l’office divin, au travail des mains, au réfectoire et à prendre son repos » (p. 223). Ainsi se répartissent les activités dans la journée-type d’une moniale. La lecture y est traitée en premier et fort honorablement, même si elle finit par n’occuper que les temps morts  ! Deux demi-heures sont encore consacrées à l’oraison mentale « étant assemblés dans le chœur à deux genoux, la face à l’autel » (p. 225), en plus des trente minutes réservées à l’examen de conscience, le soir, après vêpres  89. Les cisterciennes sont ensuite conviées à se livrer à des travaux d’aiguille, « qui n’excèdent pas leurs forces  » et leur soient «  proportionnés  », «  afin d’éviter l’oisiveté, l’ennemie de l’âme » (p. 228-230). Les plus longs chapitres du livre abordent la question des repas — horaire, bénédictions, prières, lectures, service de table… — et codifient sévèrement les comportements des convives (p. 231-250). L’auteur en profite pour rappeler les règles d’accès aux différents lieux réguliers — réfectoire, cuisine, chauffoir, cloîtres et dortoir — qu’aucune moniale ne peut fréquenter en dehors des temps prévus ou des nécessités inhérentes à sa charge, et où, bien sûr, la plus grande réserve, voire le silence, sont de mise

  « En arrivant à leurs places, elles s’y asseoiront d’abord toutes et incontinent après se lèveront, se salueront mutuellement, les unes tournées aux autres successivement… » (p. 124). 88   Le chapitre des coulpes y est longuement traité (p. 129-135), auquel fait suite une développement sur la confession sacramentelle (p. 135-140). 89   Le Rituel règle en outre le déroulement d’une journée durant les exercices spirituels (p. 226-228). 87

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(p. 253). Deux courts chapitres, un peu hors-texte, réglant l’un le changement de stabilité d’une religieuse, l’autre la coupe régulière des cheveux, précèdent les quelques pages enfin consacrées aux converses, véritables chevilles ouvrières de la communauté, pour lesquelles des offices réduits, des emplois du temps particuliers et surtout une place séparée dans les lieux réguliers sont prévus, en signe visible de la nature différente de leurs obligations, mais aussi de l’infériorité de leur statut au sein de la communauté (p. 259-266). La description des rites accompagnant les derniers moments, puis les obsèques (p. 305-333) de la moniale, occupe un livre à elle seule, particulièrement utile pour la religieuse en charge des malades, auxquelles il est de tradition de témoigner la plus grande sollicitude (p. 267-269). L’administration des derniers sacrements et l’accompagnement de la mourante y font l’objet d’une longue description (p. 269-284), à l’usage du prêtre et de la communauté rassemblée au chevet de la mourante, elle-même supposée participer le plus longtemps possible à l’événement. Les instants ultimes y sont réglés selon un rituel latin-français imprimé en juxta (p.  287-301)  : il importe que chacune comprenne l’importance de l’événement. Le Rituel ajoute enfin des recommandations à l’égard de parents ou membres défunts de l’entourage des cisterciennes (p. 336-339). Si la mort figure bien là comme instant-clé de l’existence, un autre événement, luimême évoqué en termes funèbres dans les discours de circonstance, célèbre une autre rupture. Moments cruciaux de la vie monastique, la prise d’habit (p.  340-355), puis la profession solennelle (p. 355-368) sont régulièrement récupérées par les familles qui en font des occasions de festivités mondaines. Aussi le sixième livre du Rituel est-il particulièrement essentiel pour qui veut imposer la plus grande rigueur à l’exécution des rites prévus, comme au respect des prescriptions du concile de Trente concernant l’âge et le libre engagement de la postulante. Le Rituel cistercien maintient toutefois audacieusement tout représentant du pouvoir épiscopal à l’écart de l’événement. Seuls les supérieurs réguliers sont prévus pour recevoir les vœux. Pour cette occasion, les liturgistes se sont employés à orchestrer harmonieusement les rencontres entre les différents intervenants, masculins et féminins, dont les prises de parole, gestes et déplacements respectifs sont réglés avec la plus grande précision. Il importe notamment de solenniser les manifestations de rupture et de conversion, les rites de passage, d’union nuptiale, de soumission aux autorités, d’accueil dans la communauté, le tout articulé de part et d’autre d’une frontière que des grilles concrétisent de façon hautement symbolique. Aucune cérémonie n’est prévue par le Rituel pour l’entrée de la postulante, qui, pour autant qu’elle ait été agréée par le chapitre, peut prendre l’habit après trois mois d’essai. La véritable entrée solennelle se déroule le jour de la vêture, lorsque la jeune fille franchit les grilles du chœur, laissant ses parents à l’extérieur. La plus grande sobriété est de mise lors de cette célébration comme pour la profession solennelle. Le Rituel prévoit encore un rite simplifié pour les converses (p. 371- 376) et des cérémonies pour un changement de stabilité (p. 376-380) ou la réintégration des fugitives (p. 380-383). Le septième livre énumère les charges principales qu’une moniale de chœur peut occuper dans sa communauté, en commençant par la plus haute dignité et en abordant essentiellement leurs obligations sur le plan liturgique. L’office de sacristine (p. 389-393), puis

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celui de chantre (p. 393-402), requièrent les plus longs développements 90. Gestionnaires de l’acquisition, de la distribution et de la conservation des livres liturgiques, elles sont les principales destinataires et utilisatrices des cérémoniaux et autres rituels 91. Enfin l’énoncé des devoirs de la religieuse en charge du vestiaire offre l’occasion de régler l’ameublement des cellules (p. 409-410) et la composition de l’habit régulier (p. 411-415) 92. Le dernier chapitre envisage les cérémonies entourant l’installation d’une nouvelle abbesse ou supérieure. Le Rituel tient ici compte des diverses possibilités en fonction des contextes politique et religieux, qui impliquent ou non l’intervention du pouvoir civil dans le choix des supérieures ou prévoient l’éventualité du triennat. La présence des supérieurs cisterciens est toutefois mentionnée à toutes les étapes — élection (p. 416-430), installation (p. 430-432), bénédiction (p. 433-448) : l’événement est d’emblée situé comme une affaire interne à l’Ordre, qui souhaite éviter au maximum toute intervention extérieure. Et afin que nul n’ignore que ces femmes dotées de l’autorité suprême dans leur communauté, sont toutefois soumises à la juridiction de la branche masculine, le Rituel énonce, pour terminer, les cérémonies à observer à l’occasion de la visite régulière qui prend place entre la célébration de la messe et une assemblée solennelle au chapitre, présidé par le visiteur. La supérieure du monastère dans lequel on fait la visite, aura une grande confiance et beaucoup de soumission pour le Père visiteur, afin d’en tirer tous les avantages qu’elle doit en espérer et elle sera persuadée que le compte qu’elle rendra avec ses religieuses de l’état du Monastère doit être aussi exact que si c’étoit à Jésus Christ même (p. 457).

Ainsi l’inclusion est-elle habilement réalisée entre un premier livre qui énonce les devoirs de la cistercienne envers le Dieu unique et les derniers paragraphes qui lui imposent une parfaite obéissance à l’égard de son représentant.

Des textes à l’usage des annonciades de Liège Face à cet instrument extrêmement élaboré, les annonciades font figure de parentes pauvres. Leurs Constitutions de 1642 (226 p.), et les Adresses pour ce qui regarde le chœur et l’office (152 p.) qui leur font suite, semblent bien constituer les principales références pour

  [La chantre] doit veiller à ce que l’office se chante bien et empêcher qu’il n’arrive aucune faute et négligence à imposer les antiennes, les pseaumes, les hymnes, les répons et les petits versets, et suppléer aux manquemens qu’on y pourroit faire, et tenir la main à ce que les religieuses gardent au chœur leurs rangs et l’ordre qui doit s’y pratiquer (p. 393). 91   « C’est à la chantre de porter à l’Église les livres nécessaires pour chanter l’office divin, de les rapporter et serrer quand il faut, de prévoir ce qu’on doit y chanter auparavant que d’y aller, de faire chanter plus vite qu’à l’ordinaire quand il ya aura nécessité… Elle doit distribuer à l’Église les processionnaux quand il conviendra ; elle doit aussi préparer ce qu’il faut lire et chanter (p. 394). » 92   Marie-Élisabeth Henneau, « Se vêtir au couvent, quand on est femme ! », Quand l’habit faisait le moine. Une histoire du vêtement civil et religieux au Luxembourg, Bastogne, Musée en Piconrue, 2004, p. 139-161. 90

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l’exécution de la liturgie 93. Ces dernières relèvent toutefois davantage du discours moral et spirituel, que du registre purement liturgique. L’office divin est abordé dans la seconde partie de l’édition liégeoise des Constitutions (p. 124-145), entre de longs développements sur l’observance des vœux et la définition des différentes charges. Le « grand office », auquel les annonciades ajoutent celui de la Vierge, est censé être récité, chœur à chœur, dans une église au décor extrêmement dépouillé (p. 4446), selon le rite romain, sans fioriture, « mais avec dévotion, prononçant toutes les parolles clairement, justement et distinctement, et attendant la fin du verset avant que de commencer l’autre » (p. 124). Nous n'userons jamais d'aucun chant ou musique en nostre église, ny mesme es festes plus solennelles. Les prestres chappellains diront les messes sans chanter en quelque sorte que ce puisse estre, excepté toutesfois l’office et les messes de la Semaine sainte, en laquelle on pourra faire quelque chose plus que de coustume, pourveu que l'on n'excède point la modestie et l'humilité, qui est propre à nostre Institut: le semblable se practiquera aux obsèques des religieuses déffuntes (p. 126).

Il est ensuite question dans cette même partie, de la méditation et de l’examen de conscience (p. 129), de l’office des converses, essentiellement structuré autour de la récitation du Rosaire 94 (p. 133-134), des suffrages pour les morts (p. 136), enfin de la manière d’ouïr la messe quotidienne et de recevoir les sacrements (p. 137). Les annonciades sont autorisées à communier tous les dimanches et fêtes de commandement ainsi qu’à l’Annonciation 95. En plus de la confession ordinaire, qu’elles « s'étudieront d'expédier promptement […], ne s'arrestans pas à plusieurs manquemens generaux qui ne font que l'obscurcir: & diront seulement en peu de parolles, les fautes particulières qu'elles auront commises depuis leur dernière confession », une confession générale est prévue tous les ans (p. 143). Dans les pages consacrées aux officières, aucune recommandation n’est adressée à la prieure pour ce qui est de l’exécution de la liturgie, pas plus qu’à la maîtresse des novices, à qui il est surtout recommandé de former ses dirigées à une exacte observance de la Règle. On attend de la sacristine qu’elle fasse preuve de « propreté » à l’égard des objets et des ornements et surtout d’exactitude et de précision dans le maniement des cloches. Les Adresses s’étendent davantage sur la célébration de l’office, distinguant les avis pour son exécution « extérieure » (p. 22-27) des conseils pour sa récitation « intérieure »

  Voir note 101.   À matines et à laudes, elles récitent la « couronne de Nostre Dame », à vêpres et à complies, la troisième partie du Rosaire et aux petites heures, la « couronne de Nostre Seigneur », c’est à dire trente-trois Pater et cinq Ave, avec en outre trois Pater et trois Ave en l'honneur de la Trinité et cinq autres en l'honneur des cinq plaies du Christ. 95   À ce sujet, il est probable que les annonciades de Liège aient eu communication de l’opuscule imprimé à l’intention de leurs sœurs du couvent de Dusseldorf, fondé en 1635, par Nancy et Liège. Disposition pour se préparer à la sainte communion avec des prières avant et après icelle, et diverses affections sur les principaux mystères du Sauveur, pour servir au monastère de l'Annonciade céleste de Dusseldorf, Liège, J. F. de Milst, 1673. 93 94

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(p. 27-35). Dans un chapitre consacré à la manière de s’assembler (p. 18-22), l’auteur rappelle les devoirs de la religieuse, qui ne peut évidemment s’absenter de l’office sans permission : Il est convenable qu’avec un très-grand soing, diligence, dévotion, et amour, nous embrassions une telle œuvre, et que nous taschions de l’accomplir parfaictement ; partant chaque Sœur du chœur, ayant ouy le secon signe de l’office, laissant toutes autres choses, s’en ira au chœur, et se préparera pour louer Dieu… (p. 19).

Quelques conseils succincts rappellent les comportements à observer à l’église. [En entrant], elles feront une profonde révérence au Très sainct Sacrement et s’en iront à leur place, ayant premièrement faict une inclination à la Mère, et avant que de commencer Matines, une Sœur députée de la Mère dira l’Oraison […] avec laquelle on offre toutes les actions de ce iour à haute voix, à celle fin qu’elle soit entendue de toutes et pas une ne sortira du chœur, pour quelque nécessité que ce soit, avant que la Mère aye faict le signe de la fin…(p. 21).

La description des cérémonies est extrêmement réduite, comparée au texte cistercien : uniquement quelques mots à propos des inclinations, des déplacements (p. 23-26) et du port du manteau de chœur (p. 26-27), qui témoignent d’une simplification extrême du rituel. Seuls quelques conseils classiques de bienséance sont prodigués. Durant l’office, chacune doit demeurer avec la décence extérieure qui convient pour ne point donner scandale ny occasion aux distractions, prenant bien garde de ne point interrompre une action si noble et relevée, par des actions, paroles ou gestes importuns et fascheux… (p. 26).

Plus essentielle aux yeux des annonciades, la disposition intérieure du cœur et l’attention portée aux paroles et à leur signification, ce qu’aborde peu le Rituel cistercien. L’Adresse tient compte de la diversité des capacités d’entendement des unes et des autres. Au mieux qu'elles pourront entendre quelque sens, qu'elles taschent autant qu'il leur sera possible d'exciter en elles ces affections d'adoration, de louanges, de remerciements, de douleur des péchéz, de crainte, d'amour, de confiance, & autres choses signifiées par les paroles du psalme. Celles qui n'aura ceste capacité, d'autant que la force de l'oraison ne consiste point à entendre le sens des paroles, mais en l'amour & douceurs de Dieu, en l'institution de la saincte Eglise; elle pourra s'imaginer d'être comme une personne rustique, & simple laquelle présente une requête bien composée à un Prince, la récitant dévotement, simplement, humblement, avec intention de demander à Dieu les choses qui sont signifiées en icelles... (p. 29).

La sortie du chœur est réglée avec plus de concision encore : « [les Sœurs] iront deux à deux, faisans une profonde reverence au Très sainct Sacrement » (p. 36). On peut supposer qu’en complément de ces textes, relativement sommaires, les annonciades ont utilisé le Cérémonial de leurs mères lorraines 96. D’une toute autre facture   Cérémonial de divers offices divins pour l'usage des religieuses de l'Ordre de l'Annonciade sous la Reigle S. Augustin, Nancy, Jacob Garnich, 1630. L’ouvrage in-8° de 205 pages porte l’approbation de Charles-Chrestien de Gournay, vicaire général de l’évêché de Toul. Le couvent des annonciades de Nancy a été fondé en 1616 par des religieuses venues de Vesoul. Il a lui-même contribué à la fondation de celui de Liège en 1627 et demeure en relation étroite avec les annonciades de couvent liégeois en Île. 96

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que le Rituel cistercien, il ne privilégie que certains moments de la liturgie, sélection sans doute révélatrice d’orientations chères aux destinataires, vouées à une vie austère et retirée du monde. Il s’ouvre sur un chapitre consacré à la lecture du martyrologe, la veille de Noël. Huit chapitres sont ensuite consacrés aux processions à organiser lors des grandes fêtes — Purification, Cendres, Rameaux, Triduum pascal (p. 2-48). Une part importante du recueil aborde ensuite la manière d’administrer les malades et d’accompagner agonisantes et défuntes (p. 49-138). Là le texte ne laisse rien au hasard. La communauté est scrupuleusement encadrée pour ne manquer aucune de ces étapes cruciales, où le salut de la mourante se trouve tragiquement en jeu  97. Quelques pages traitent de la confession (p. 139-141) et de la manière d’exposer le Saint-Sacrement (p. 146-147), puis proposent une collection de Prières pour diverses circonstances (p. 142-145). On passe enfin aux considérations sur les personnes, avec les cérémonies observées lors de la visite du supérieur (p. 148-154), pour la réception des filles, novices et professes (p. 157-194) et au moment de l’élection de la prieure (p. 195-200). Ces développements sont interrompus par un chapitre sur la manière de sonner les offices, le maniement des cloches semblant préoccuper au plus haut point les annonciades (p. 155-156) 98. Le volume s’achève sur deux courts chapitres consacrés à la bénédiction des lieux conventuels (p. 203-205). Les intérêts de l’auteur sont manifestement bien éloignés des préoccupations des cisterciens. La différence se marque nettement dans l’évocation extrêmement réduite de la gestuelle, au profit d’admonestations spirituelles, qui ne trouvent pas leur place dans le Rituel, plus rigoureusement limité à des propos de liturgiste. La mise en scène des cérémonies n’est manifestement pas le premier souci des premières annonciades. On ne relève qu’une seule remarque à propos de la démarche à adopter au cours des processions 99. Les cérémonies du Vendredi saint appellent également quelques explications, notamment à propos de l’adoration de la croix, précédée de trois génuflexions très codifiées, que les annonciades ont à orchestrer dans un bel ensemble, au cours de leurs déplacements successifs (p. 31-32). Mais au quotidien, tout doit être exécuté en toute simplicité, sans perte de temps 100. Le rituel prévu pour la visite des supérieurs met évidemment en scène des représentants du pouvoir épiscopal, sous la juridiction duquel les annonciades ont tenu à se placer sans

  Marie-Élisabeth Henneau, « Mourir au couvent chez les annonciades célestes de Liège, 17 e-18e siècles », Autour des morts : mémoire et identité. Aux racines de la sociabilité, Actes du 5e Colloque international sur la sociabilité (Groupe de Recherche d’Histoire, Université de Rouen, 1998), Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 2001, p. 49-58. 98   Dans un ordre particulièrement voué au silence et à l’esprit de retraite, la cloche semble le moyen privilégié de communication, non seulement pour organiser le temps d’une journée mais aussi pour avertir chaque religieuse d’événements exceptionnels. Voir supra. 99   « Toutes prendront garde de marcher d’un pas égal, avec une distance entr’elles deux et d’estre vis-à-vis de leurs compagnes, qui seront de l’autre costé et esloignées de trois ou quatre pieds de celles qui vont devant » (p. 4). 100   « Quand la sacristaine sera advertie de l’arrivée du confesseur, elle advisera les religieuses par le son de la clochette afin qu’elles se disposent à la confession ; auquel signe les sœurs converses se trouveront au confessionnal et par après les autres selon leur rang de profession, les plus jeunes les premières et quant quelqu’une manquera de s’y trouver la dicte sacristaine l’appellera avec la clochette, en la manière ordinaire d’appeler les sœurs et fera en sorte qu’il y ait tousiours deux ou trois religieuses qui se préparassent près du confessionnal » (p. 139). 97

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hésitation, à la différence des cisterciennes toujours exemptes. Leur attachement quasi farouche à la clôture se manifeste très visiblement dans les pratiques observées à cette occasion. Il s’agit de maintenir le plus possible le supérieur à l’extérieur de la clôture. S’il lui est loisible de visiter les lieux conventuels, ses entretiens avec les religieuses se déroulent à la grille de l’église, de même que l’examen de la comptabilité. Si une religieuse sollicite une entrevue particulière, elle doit avoir lieu à la grille du chœur ou au confessionnal. La réception des filles chez les annonciades est censée se dérouler « sans beaucoup de pompe et curiositez » (p. 157), toujours en présence d’un délégué de l’évêque. Là aussi le passage du siècle au « jardin clos » est marqué du sceau de la métaphore nuptiale, assortie, au moment de la profession, d’une mise en œuvre plus théâtralisée de la mort au monde, avec l’étendue d’un drap noir sur le corps prosterné et la sonnerie des morts (p. 174). On insiste à plusieurs reprises et de manière originale sur la direction du regard tourné vers le ciel, expression sensuelle du désir et du don de soi. Ces éléments sont absents du Rituel à l’usage des cisterciennes, qui ne vivent guère l’événement de manière aussi dramatique. Le choix de la supérieure des annonciades, sous le régime du triennat, ne revêt évidemment pas le faste des élections et bénédictions des abbesses cisterciennes liégeoises élues à vie. Même si la présence de l’autorité de l’ordinaire vient solenniser l’événement, il est plutôt vécu comme une formalité accomplie dans la plus grande simplicité, qui n’exclut toutefois pas la mise en valeur de la dimension spirituelle de l’acte, dont les annonciades sont peut-être plus conscientes que leurs vénérables consœurs des abbayes voisines. Ce total dépouillement sans cesse revendiqué par les annonciades des premières générations suffit-il à satisfaire une société de religieuses tout de même inscrites dans une Église qui aime à célébrer avec une magnificence digne de la majesté divine et à faire progresser ses ouailles dans la découverte des mystères par une gradation très étudiée de ses cérémonies ? En 1743, les annonciades du faubourg d’Avroy éprouvent le besoin de se constituer un manuel de référence qui témoigne de l’adoption d’une liturgie plus complexe que les Constitutions et Adresses qui ne peuvent plus suffire à enseigner les nouvelles recrues. L’auteure affiche sa volonté de rester fidèle aux pratiques d’origine, mais prend conscience de la nécessité de s’adapter aux besoins du moment. Comme les constitutions et Règles ne s’explique pas sufficenment dans certains endroit et que nos vielles Mères nous avoient laisséz un vieux livre portant le titre de coustumié, qu’elles disoient venir de nos Mères de Gène, contenant plusieurs pratiques extérieur utiles pour le bonne ordre de la maison, nous aurons taché d’en tirer touttes celles qui peuvent estre pratiquées dans nostre pays, et en avons adjouté d’autres, à effects d’observer plus parfaitement l’esprit de nos saintes constitutions et Règles, comme sensuit, commencent par l’ordre de la journée ordinaire 101.

101   Ce Coustumié incomplet (manquent les p. 121-190) de 211 p. est conservé chez les Bénédictines de la Paix Notre-Dame à Liège. Ces dernières ont hébergé plusieurs religieuses en détresse, au lendemain de la Révolution, parmi lesquelles des annonciades du couvent d’Avroy, voisin de l’abbaye bénédictine. J’exprime ici ma gratitude à Sr Bruno Colin osb (†) qui m’en a signalé l’existence et permis la consultation.

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De ce Coustumié, aujourd’hui incomplet, ne subsistent que les trente-quatre premiers articles 102 répertoriant une série de règlements pour le bon fonctionnement de la maison, additionnés d’indications en vue de l’accomplissement des cérémonies, « celles qui sont marquée aux Constitutions, Règles et Adresse, ce trouveront renfermées ici dans celles dont nous avons tachez de n[ou]s instruire, afin de faire le tout avec la perfection possible » (p. 37). Si la table des matières semble refléter une organisation thématique, les annotations se succèdent parfois sans cohérence, selon l’inspiration de l’auteure. La journée ordinaire, depuis le lever, à 4 heures jusqu’au coucher, à 8 heures, fait alterner de manière classique offices liturgiques  103, temps de communauté —  repas et récréations  — et plages horaires consacrées au travail (p.  1-13). Quelques indications concernent les livres « mis au chœur pour la dévotion générale des sœurs. L’on ne doit pas aussi les transporter ailleurs pour son particulier […] Il est defendu d’aller regarder les livres

  « [p. 1] : Article 1 L’ordre de la journée ordinaire ; [p. 15] : Article 2. Petittes ordonnances et règlement convenable tant pour la pratique de l’assujetissement religieux que pour le bon ordre parmy la maison, éviter et reparer les petites émancipations auquelle[s] l’on peut s’échaper et nuire au recueillem[en]t ; [p. 21] : Article 3. Petites permisions générale[s] p[ou]r éviter de blesser la dépandance q[ue] devons avoir p[ou]r toutte choses et éviter le trop d’importunité aux supérieurs, et le scrupule aux inférieurs ; [p. 23] : Article 4. Touchant ce qui doit se faire toutte les semaines ; [p. 25] : Article 5. Ce qui se doit faire tous les mois ; [p. 27] : Article 6. Ce qui est de coustumes durant le cours de l’année ; [p. 37] : Article 7. touchant l’office Divin s’ensuit l’ordre de celles qui en doivent faire les fonctions : [p. 38] : Article 8. Les devoirs particulier[s] de l’officiante ; [p. 46] : Article 9. Les devoirs des chantres journalières ; [p. 48] : Article 10. Devoirs des versiculaires ; [p. 51] : Article 11. Devoirs des lectrices des lecons ; [p. 53] : Article 12. Touchant le martirologe ; [p. 55] ; Article 13. Outre les chantre[s] de chaque semaines, il y en a toujours deux qui ont pour titre les grandes chantres : devoir journaliers d’icelles ; [p. 58] : Article 14. Touchant les sermonies qui doivent estre observée généralem[en]t de touttes ; [p. 59] : Article 15. Savoir quand on doit estre debout et assise ; [p. 60] : Article 16. Savoir quand on doit estre tournée vers l’autel et en face du chœur, tournée vers l’autel, tournée en face du chœur ; [p. 61] : Article 17. Des génuflections et ausi prosternements et se courber ; [p. 66] : Article 18. Des solemnités auquelles la R[évéren]de Mere fait officiante et sermonies qu’elle observe ; [p. 67] : Article 19. Devoirs des grandes chantres lors que la R[évéren]de Mère officie ; [p. 68] : Article 20. Savoir les jours auquelles la souprieure officie ; [p. 70] : Article 21. Quelques Rubriques à observer dans la Semaine sainte ; [p. 73] : Article 22. Sermonies à observer au lavement des pieds le Jeudi Saint ; [p. 76] : La 3e partie des Constitutions traitant des divers offices du monastère, s’ensuit les coustumes adjointe[s] à ce que prescrivent les dittes constitutions, et ausi au[x] règles ; [p. 77] : Le 4e Ch[a]p[itre] contient les devoirs de la maitrese des novices, s’ensuit quelques petites coustumes luy prescrites [p. 79] : Article 25. Le Ch[a]p[itre] 5 de la sacristien[n]e, s’ensiuvent les coustumes ; [p. 80] : L’ordre des sonneries et telle. S’ensuit ce qui tombe à la charge de la sacristien[n]e lors qu’il faut administere les sacramens aux malades ; [p. 85] 26. Du Ch[a]p[itre] 6 touchant la procureuse ; [p. 86] : Article 27. S’ensuit les coustumes touchant l’infirmerie. Constitution ch[a]p[itre] 7 ; [p. 89] : Article 28. Roberie ; [p. 90] Pour le refectoire ; [p. 92] : Pour le changem[en]t des habits ; [p. 93] : Mesures des barbettes, bandons, voiles & ; [p. 95] : Article 29. Touchant la préfecte des ouvrages ; [p. 96] S’ensuit la mesure des habits ; [p. 99] Article 30 : Petit Règlement pour la dépensier pour suppléer a ce qui n’est pas suffisanment specifié dans les Règles et constitution et pour l’aider a en remplire les devoirs dans l’esprit, y compris de receuillement et de charité ; [p. 103] : C’est qui touche les depensiers et cuisinier ; [p. 106] : Article 31. Petit Règlement pour la refecturiere pour suppléer a ce qui ne pas suffisanment spécifié dans les constitution et règle et pour que le tout se fasse selon l’obéissance ;[p. 113] : Article 32. Touchant la librairiere ; [p. 115] : Article 33. Règlement des coustumes pour les tourrières ; [p. 119] : Article 34. Ordre de coutume que doivent tenir les Portiers. 103   Matines, laudes, prime, tierce et sexte sont récitées le matin, de même que none, les jours de jeûne. La messe est également célébrée avant le repas de midi (pris à 10 heures). Vêpres se dit à 2 heures, après la récréation, et complies, à 4 heures. Le souper a lieu à 6 heures, avant l’examen de conscience. 102

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qui sont au chœur à l’usage des sœurs et sur tout ceux qui sont en la place de la R[évéren] de Mère » (p. 16-17). Mais la rédactrice interrompt souvent le fil du discours par d’autres conseils, portant sur le maniement des chandelles ou la circulation autorisée dans les lieux réguliers (p. 17-18). Parmi les obligations hebdomadaires, le Coustumié répertorie les mortifications — port du cilice et emploi de la discipline — mais aussi le chapitre des coulpes et une procession en l’honneur de la Vierge  104. Le premier dimanche de chaque mois, une autre est dédiée au Rosaire 105. Friandes de ces déambulations strictement limitées à leur enclos, les annonciades organisent annuellement quantité d’autres processions, dont l’une à la mémoire de leur fondatrice, Victoire Fornari, le 16 juin. « Nous faisons ausi une Procession tous les ans à l’honneur de s[ain]t Lambert, vers le jour de sa feste ; de m[êm]e pour s[ain]t Michel, soit le propre jour ou les Dimanches après, et c’est en mémoire et action de grâce de leur protection dans les peines et difficulté que l’on a eue au sujet de nous establire en ceste maison 106 ; pour celle de s[ain]t Lambert et l’on vat faire un tour a l’ouvroire, et saint Michel, au Réfectoire ; on y porte leur image et pour prières, aux deux dittes processions, l’on dit pre[mière]ment Te Deum, puis Laudate D[omi]nu[m] De Cælis puis le Benedictus et plusieurs Oremus qui se disent par la grande chantre, com[m]e en toutte processions ; l’on porte l’image de s[ain]t Lambert, une seconde fois a la procession s[ain]t Michel. Quand aux processions du S[ain]t-Sacrament, de la Purification, Dimanche des Ramaux, elle se font selon les rubriques et sermonial (p. 32).

Au chœur, si la lecture des leçons et des versets est confiée aux novices et aux jeunes professes, il est requis que « l’officiante » soit une religieuse capitulaire, de même que les chantres, qu’elles soient « grandes chantres » ou « semainières ». La prieure ou la sousprieure se réservent ce rôle aux grandes fêtes, pour solenniser l’événement (p. 66-69). Leurs devoirs sont longuement évoqués, avec autant de minutie, sinon d’élégance de style, que dans le Rituel cistercien. L’ordre observé pour dire l’office de la Vierge fait l’objet d’une particulière attention. Une gestuelle plus élaborée semble être mise en place au xviiie siècle dans le couvent d’Avroy, de même qu’une plus rigoureuse répartition des rôles et une plus grande exactitude quant à l’orchestration des interventions et la circulation des religieuses dans les lieux de célébration.

  « Tous les samedi après l’oraison du soir, se fait une procession a l’hon[n]eur de la Sainte Vierge, a l’entour du chœur, se rendant devant son image, et pour icelle se dit Ave maris stella, le Salve Regina et l’oremus et pour finir l’ant[ienne] Sub tuum pour l’oremus c’e[st] toujours la grande chantre du coste de l’officiante qui le doit dire » (p. 24). 105   « L’on fait p[ou]r icelle un tour a l’entour du chœur et l’on se rend à l’autel de la S[ain]te Vierge, ditte du Rosaire, au chapitre ; et pour finir, l’on dit, après les litanies, l’antienne majore, qui se dit après complie, selon le temps, la grande chantre disant les oremus de m[êm]e que les samedi » (p. 25). 106   Bibl. de l’Université de Liège, mss n° 1168, Recueils dittes annalles appartenantes aux religieuses annonciate céleste de Tongre réfugiée et établies au fauxbourg d’Avroy lez Liège, c’est dez l’an 1626 jusquà l’an 1737, [Liège], s.d. : « [1697] De dire les actions de grâces que lon rendit au Seigneur de cette faveur [autorisation officielle pour les annonciades d’acquérir leur maison d’Avroy], on ne peut l’exprimer. Reste pour preuve la procession établie, qui se fait touts les ans dans l’octave de S[ain]t-Lambert et la deuzième dans loctave de s[ain]t-Michel, en mémoire et actions de grâces de cette g[ran]de bourasse appaisée et de cette victoire remportée » (p. 144). 104

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Pre[mier] Quand aux sermonies que doivent observer les chantres, touttes les fois qu’elles se doivent rendre au milieu du chœur pour y dire quelque chose, elles doivent faire l’inclination vers la récidence de la R[évéren]de Mere, s’avansant à l’égalité l’une de l’autre, pour le faire ensemble ; puis estant au pulpitre, elle doivent faire une profonde révérence au S[ain]t-Sacrament, et lors qu’elles retournent en leur place, après avoir fait la reverence au S[ain]t-Sacrament, elles doivent se tourner l’une vers l’autre et se faire une inclination, puis avansant vers leur place, faisant l’imposite l’une de l’autre, l’inclination à la R[évéren]de Mere. 2me Elles doivent ensemble, au costé du pulpitre, le psaume Venite ; celle du costé de l’officiante doit entonner l’him[n]e, et la compagne doit attendre qu’elle aie entonné, afin de faire ensemble les sermonies de la séparation (p. 46).

Les « grandes chantres » ont la responsabilité d’« entonner » les antiennes, mais les nombreux emplois du verbe « dire » laissent supposer que l’office est encore « récité » en Avroy. Quant aux postures, à l’instar du Rituel cistercien, l’ouvrage en répertorie les différentes catégories à observer selon les circonstances (p. 59-64) : « Lors du Te Deum […] lors que l’on dit Te ergo quesumus l’on doit fléchire les 2 genoux, se prosternant profondement, mettant les doits en terre à la renverse en sorte que l’on y met ausi le pouse et c’est en la place de baiser la terre » (p. 61). Le Coustumié passe ensuite en revue le rôle particulier de chacune des officières —  maîtresse des novices, procureuse, infirmière, «  robrière  107  », préfète des ouvrages, dépensière, portière… — avec, en plus de la définition de leur mission, le rappel des rites à observer au chœur, au réfectoire et aux autres lieux réguliers. Ces considérations sont interrompues par des indications sur les rubriques à observer durant la Semaine Sainte (p. 70-72) et sur le rituel du lavement des pieds (p. 73-74). L’auteure complète les Constitutions, trop laconiques sur certains sujets. Ainsi de la sonnerie des cloches, dont la responsabilité incombe à la sacristine et qui répond à une codification complexe (p. 14 et p. 79-82). En conformité avec le texte normatif de référence, le Coustumié s’emploie à garantir le respect de la stricte clôture dont la portière (p. 119-121), puis la tourière (feuillet isolé) sont les premières garantes. La partie manquante du volume comportait un chapitre consacré aux novices, dont il subsiste les dernières pages (p. 191-207) et présente davantage l’allure d’un directoire spirituel et d’une initiation à la pratique de l’humilité que celle d’un rituel liturgique à l’usage de débutantes 108.   Pour ce qui est de la gestion du vestiaire, les annonciades se voient contraintes de ne « pouvoir suivre a la lettre dans nos pays ce qui esté noté en nos constitution et règle, mais comme tout se doit toujours faire avec ordre, s’ensuit les petit règlement que l’on doit observer, se raportant toujours aux supérieurs lors qu’il seroit besoins de faire quelque changement » (p. 89). 108   Ainsi de l’admonestation en vue de régler le coucher des futures annonciades : « Estant modestement couchée, elles se recommanderont à leur Ange gardien et aux saints auquelles elles auront plus de dévotions, en les priant que pandant qu’elles dorment, ils louent la tres sainte Trinité pour elles et qu’ils luy rendent grace de tous les bénéfices qu’elle nous a fait, par les mérites de nostre Seigneur Jesus Christ et qu’il leur impètre la grâce d’estre vigilante autant qu’il faut pour louer nostre Seigneur. Puis il faut tacher de s’endormire avec quelque bonne pensées. S’éveillant de la nuite, il sera bon de s’accoutumer de dire « Jésus soiez toujours louez » ou bien « Jésus soiez moi Jésus », lesquelles paroles doivent estre tellement gravée en nostre cœur que cheminant, nous arrestant, travaillant et mangeant, nous les prononcions souvent, en nous plongeant par affection n[ou]s même et tous nos prochains en ce prétieux sang de nostre Seigneur, avec désirs que tous soient sauvéz » (p. 200-201). 107

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La liturgie vécue par des religieuses liégeoises au xviiie siècle Quels ont été les effets de cette production normative sur la vie des communautés de cisterciennes et d’annonciades ? On sait combien il importe de distinguer la norme du vécu. Les cisterciennes, on l’a dit, sont appréciées au diocèse pour le lustre de leur liturgie. Malgré les écarts dans d’autres domaines de la vie régulière, les offices sont célébrés avec régularité et les cérémonies accomplies avec exactitude, du moins dans leurs manifestations extérieures. En témoignent leur besoin de se référer régulièrement au Rituel imprimé mais aussi la production de nombreux recueils et feuillets faits main, qui précisent et adaptent les textes officiels aux besoins locaux 109, montrant ainsi le souci de moniales de célébrer avec décence, mais encore leurs réelles préoccupations esthétiques, quant à la qualité de l’exécution des gestes, chants et déplacements et quant à la beauté du décor spatial et sonore. Ceci n’exclut évidemment pas les écarts de certaines — retard au chœur, distractions, gestes malencontreux, attitudes choquantes… — sévèrement dénoncées par leurs consœurs et corrigées par les autorités. Ceci n’implique pas non plus une observance aveugle des exigences imposées par le Rituel. Les cisterciennes liégeoises célèbrent certes selon le rite de leur Ordre, mais s’accordent aussi des libertés significatives. La musique est régulièrement convoquée pour rehausser le faste de certaines cérémonies. Ainsi à l’abbaye du Val-Benoît, c’est une moniale qui tient les orgues au xviiie siècle, service pour lequel elle reçoit une formation et perçoit une rétribution… Mais lors des grandes fêtes et à l’occasion des professions, des musiciens professionnels sont embauchés, tant pour les cérémonies que pour le banquet 110. À ce propos, les cisterciennes s’autorisent des festivités dignes de noces profanes. Elles s’en excusent en invoquant la nécessité de tenir leur rang, sans pour autant déroger aux exigences du Rituel, quant au déroulement de la célébration liturgique. De la même manière, si leur tiédeur à observer la clôture est bien connue, elles ne se départissent pas de la mettre en scène dans leur église, où les grilles interviennent non seulement comme décor de ferronnerie mais comme symbole d’une séparation, spirituelle mais aussi sociale, des élues d’avec le reste du monde. On se trouve bien là au cœur d’une aristocratie qui n’abandonne rien de son prestige

109   Voir par exemple le texte du rituel concernant la procession du Jeudi saint en direction du reposoir, comparé au texte d’un recueil à l’usage des cisterciennes de Hocht. « Dès que l’Évangile de saint Jean sera dit, le chœur chantera à deux genoux l’hymne Pange Lingua gloriosi Corporis, il en dira toute ensemble les versets commencés par la chantre, en sorte que le chant puisse durer tout le tems de la cérémonie du transport et de la déposition du Très-Saint Sacrement […] Le Très-Saint Sacrement étant déposé et couvert d’un petit voile blanc de calice et les ministres s’étant retirés, on laissera allumés les quatre cierges qui sont sur l’autel et seront ardens jusques après complies » (Rituel françois pour les religieuses de l’Ordre de Cisteaux, p. 179-180). « La messe chantée, on va à la procession, la croix sorte la première, avec les deux qui portent les flambeaux et sortent du chœur par la porte qui est près du confessionnal, sans rien dire. Les flambeaux vont se mettre au marche-pied du grand autel et, dès que le prêtre prend le calice, la chantre commence l’hymne Pange lingua. On se lève, la croix rentre au chœur par la porte vers les étrangers, les dames la suivent, mais les flambeaux restent à côté du Seigneur. On sort par dessous les orgues. On vient dans la chapelle de Saint-Jean et on se met à genoux et le prêtre pose le Saint-Sacrement dans le tabernacle, ainsi fini l’office » (Arch. de l’État à Hasselt, Abbaye de Hocht, n° 4, Rubriques qui s’observent à Hocht avec autres cérémonies, p. 5). 110   Arch. de l’État à Liège, Abbaye du Val-Benoît, Registres comptables xviiie s., n° 378-397.

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en entrant au cloître, où les questions de préséance rejoignent les préoccupations du Rituel quant à la manifestation d’une hiérarchie au sein même de chaque communauté. Toute autre est la société des annonciades, plus modestes quant à leurs origines, mais surtout plus humbles dans leurs aspirations. Issues de la Réforme catholique qui leur propose un rituel simplifié, les annonciades liégeoises revendiquent avec fierté cette simplicité qui les maintient dans un respect fidèle de leurs Constitutions, sans cesse consultées, mais qui sublime aussi, spirituellement, de piètres conditions matérielles. Les deux couvents bénéficient à Liège d’une réputation de sainteté  111, malgré des rumeurs qui taxent celui d’Avroy de jansénisme et de collusion avec «  l’ennemi  ». Les annonciades, pourtant impliquées, sortent « blanchies » de cette affaire et bénéficient de l’estime des autorités épiscopales 112. Il semble bien qu’en Avroy comme en Île, la liturgie ait toujours été célébrée avec autant de rigueur, à l’abri des regards, même s’il est évident que les annonciades en Île, davantage ouvertes à la culture religieuse locale, aient assez vite sacrifié à la tentation d’introduire le chant dans leur office divin 113. Celles d’Avroy, sous l’influence d’un clergé séculier janséniste semblent être restées plus fidèles à la tradition 114. Leur attachement à la

  Marie-Élisabeth Henneau, « Saintes femmes en terre liégoise. Lecture de biographies spirituelles inédites des 17e et 18e s. », Confessional Sanctity (C./ 1500-c. 1800), J. Beyer, A. Burkardt, F. van Lieburg et M. Wingens (éds), Mayence, Verlag Ph. Von Zabern, 2003, p. 113-131. 112   Marie-Élisabeth Henneau « Quand les Annonciades célestes de Liège recevaient Antoine Arnauld ou les préoccupations spirituelles de contemplatives à la fin du 17e s. », Mélanges offerts à Robert Sauzet, Tours, Presses Universitaires François Rabelais, 1995, p. 211-221. 113   Bibl. royale de Bruxelles, Mss n° 19612, Histoire de … l’annonciade céleste … de Liège, [1746-1747], « Le ème 26  juillet de cette année 1641, le Seigneur appella à une meilleur vie la très chère sœur Marie-Louyse-Gonsague Van Hove, âgée seulement de 21 ans, professe de quatre. Elle commença la vie religieuse avec beaucoup de ferveur prennant à cœur l’exactitude aux observances qu’elle r’emplissoit avec un grand zèle, sur tout les exercices spirituelles et l’office divin qu’elle chantoit avec l’ardeur d’un petit séraphins. Car Dieu l’avoit avantagée d’une fort bonne voix et on peut dire à sa louange qu’elle l’employa volontier et sans s’épargner tant que ses forces purent luy permettre » (p. 152). « Le 24 février 1680 mourut de la mort des saints la très chère sœur Marie-Séraphine Alberte de Velpen, âgée de 63 ans, professe de 45 qu’elle at passez dans l’observance exactes de ses reigles et constitutions. Elle étoit douce, affable, noble et débonnaire dans la conversation, assidue et ponctuelle à ses devoirs, singulièrement à l’office du chœur tant de la nuit que du jour; aussi Dieu l’avoit-il avantagée d’une très bonne voix qu’elle employa toute sa vie sans s’épargner à la gloire de son Souverain Seigneur, ayant eu longues années la direction du chant ou psalmodie dont elle s’acquitta toujours avec beaucoup de ferveur et d’attachement. » (p. 248). 114   Bibl. de l’Université de Liège, mss n° 1168, Recueils dittes annalles appartenantes aux religieuses annonciate céleste … établies au fauxbourg d’Avroy lez Liège, …, [Liège], s.d.  « Cette année écoulée [1644], Dieu inspira à Mademoiselle Vandermosen de se présenter pour être religieuse ; cette demoiselle jusque là avoit com[m]e une horreur de ce couvent, mais la conversation qu’elle eut avec la Mère M[arie] Anthoinette Bernardin[n]e [Carondelet de Potelle] lui suscita quelques insclinations, qui furent pourtant combatue pour l’amour qu’elle avoit pour le plain chant et la musique » (p. 15). [1682] Quand [les novices] furent à deux, Monsieur de Gomzé, qui avoit promis son secours à la R[évéren]de Mère, après qu’elle fut élue prieure, cette hom[m]e si zélé de la perfection en toute choses, venois presq[ue] tous les jours recorder le latin aux novices, la maîtresse étoit présente, les exortoit fort à bien dire l’office divin. Souvent il étoit dans la chapelle p[ou]r l’écouter, s’il y remarquoit quelque manque, tôt il en avertissoit, si quelqu’une y discordoit, il ordon[n]oit de la faire taire. Après qu’il avoit recordez le latin aux novices, il les instruisoit, mais aussy exigoit d’elles une grande ouverture de cœur à dire leur peine et diffigultez. Il persécutoit en elle la lâcheté jusqu’à la moindre apparence, enfin c’estoit tout éclat de ferveur » (p. 79). 111

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clôture les a habitées jusqu’à leur dernier souffle. Elles ont dès lors privilégié des rites manifestant leur amour de la retraite vouée à la vénération silencieuse du Dieu caché. Les cisterciennes, pour leur part, ont préféré le célébrer publiquement avec faste dans toute sa gloire. Marie-Élisabeth Henneau Université de Liège

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Introduction aux cérémoniaux franciscains J’ai sous les yeux un exemplaire du Caeremoniale romano-seraphicum à l’usage des Frères mineurs : édition typique de 1908 1. Un livre élégant, d’un maniement facile, agréable à la lecture qui, sur plusieurs centaines de pages, décrit avec un luxe infini de détails les mille et une subtilités des cérémonies cultuelles en usage dans l’ordre. Cet ouvrage se présente comme cérémonial à la fois romain et franciscain (romano-séraphique). La référence au rite de l’Église de Rome, mater ecclesiarum, n’a rien de surprenant, elle est même une composante fondatrice du charisme de la famille franciscaine inscrite au chapitre 3 de la Regula bullata (1223) : « Que les clercs fassent l’office divin selon l’ordo de la sainte Église romaine » 2. Mais l’adjectif seraphicum apporte ici une nuance et semble indiquer l’existence de caractéristiques cérémonielles propres aux Frères mineurs et donc distinctes de la tradition romaine ; les pièces liminaires, accompagnées de savantes études publiées en parallèle par Édouard d’Alençon (1906) et Jérôme Golubovich (1910), me confirment d’ailleurs en ce sens et font remonter les origines de ces caractéristiques « franciscaines » à la plus haute et antique tradition de l’ordre 3. Voici un second ouvrage. Même facture, même présentation, mais avec un titre légèrement différent : Caeremonialis ordo romanus ad usum totius seraphici ordinis minorum s. Francisci Conventualium ; là encore édition typique de 1904 4. Le titre apporte un élément nouveau par rapport au précédent : il s’agit d’un cérémonial romain à l’usage (ad usum) des Frères mineurs, conventuels cette fois-ci. J’en ouvre un troisième : Caeremoniale romanoseraphicum ad specialem usum FF. Minorum S. Francis. Capuccinorum ; toujours édition

  Caeremoniale romano-seraphicum Ordinis Fratrum minorum, Quaracchi, Collegio San Bonaventura, 1908, XXVII-709 p. – Seconde édition : Caeremoniale romano-seraphicum Ordinis Fratrum minorum. Editio altera, Quaracchi, Collegio San Bonaventura, 1927, XIV-565 p. 2   Regula bullata, § 3 : « Clerici faciant divinum officium secundum ordinem sanctae Romanae Ecclesiae » (François d’Assise, Écrits, T. Desbonnets, T. Matura, J.-F. Godet, D. Voreux (trad.), Paris, Éditions du Cerf – Éditions franciscaines (« Sources Chrétiennes », 285), 1981, p. 184-185.) 3   Pour le texte complet des décrets : Acta Ordinis Fratrum Minorum, XXVII (1908), p. 307-310, 311 ; [Edouard d’Alençon], ofm cap., « Rituale antiquissimum Ordinis Fratrum Minorum », Analecta Ordinis Minorum Capuccinorum, XXII (1906), p. 91-95, 116-122, 183-186 ; Golubovich, Jérôme, ofm, « Ceremoniale Ord. Minorum vetustissimum seu Ordinationes Divini Officii sub B. Ioanne de Parma Ministro Gli emanate an. 1254 », Archivum Franciscanum Historicum, 3 (1910), p. 55-81. 4   Caeremonialis ordo romanus ad usum totius seraphici Ordinis minorum s. Francisci Conventualium revisus a Sacrorum Rituum Congregatione, H. Mileta (éd.), Rome, Typis Sallustianis, 1904. VIII-976 p.. 1

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typique, ici de 1892 5. Là, le titre se fait plus précis encore : ad specialem usum, indiquant, au sein de la famille franciscaine, une spécificité particulière des capucins quant à leur usage du cérémonial romain. Trois constats. Premièrement, il n’y a pas un mais plusieurs cérémoniaux franciscains qui divergent les uns des autres dans leurs contenus et dans leurs usages. Pourtant — deuxième constat — tous se réclament d’un même et unique cérémonial « antiquissimum » et « vetustissimum » de l’ordre, donc franciscain et non romain. Enfin, — troisième constat découlant des deux premiers — ces différences cérémoniales et ce rapport à un Cérémonial franciscain originel semblent jouer un rôle important dans la définition d’une identité propre à chacune des branches de l’ordre, dans leurs rapports à l’Église, à la famille franciscaine et à un passé commun. Les raisons susceptibles d’expliquer ce triple constat sont nombreuses et complexes. D’une manière générale, elles nécessitent une large connaissance de l’histoire franciscaine et, plus particulièrement encore, de son cérémonial ce qui, exception faite des études minutieuses réalisées par Stephen van Dijk pour le xiiie siècle, n’a encore jamais été entrepris pour la vaste période allant du xive siècle à nos jours 6. Cette étude n’a pas prétention à traiter le sujet de manière exhaustive, mais seulement à l’introduire. Aussi, me limiterai-je à mettre en évidence quelques jalons de cette histoire et à poser quelques remarques et réflexions d’ordre méthodologique acquises par l’expérience de la fréquentation des cérémoniaux franciscains en usage dans les provinces francophones aux xviie et xviiie siècles.

Les Ordinationes divini Officii (1240-1244) Les Ordinationes divini Officii, compilées entre 1240 et 1244 sous le généralat d’Aymon de Faversham et vraisemblablement approuvées au Chapitre général de Lyon (1247) ou de Gênes (1250), constituent le document cérémoniaire le plus ancien et le plus complet qui nous ait été conservé pour la famille franciscaine — c’est ce document dont se réclament les restaurateurs liturgiques du xxe siècle 7. Ce texte n’est pas un cérémonial au sens moderne 8, mais plutôt un agenda ou, comme son nom l’indique, un ordo dans l’acception médiévale du terme : à savoir qu’il indique « quando et quomodo cantandum sit vel legendum, Chorus

5   Caeremoniale romano-seraphicum ad specialem usum FF. Minorum S. Francisci Capuccinorum a S. Rituum Congregationis revisum et de licentia ieusdem S. Congregationis editum, Rome, Typis Vanticanis, 1892. – Seconde édition : Caeremoniale romano-seraphicum ad usum Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum, Rome, Curia Generale O.F.M. Cap., 1944. 6   Stephen Van Dijk, ofm cap, et J. Hazelden Walker, The Origins of the Modern Roman Liturgy : The Liturgy of the Papal Court and the Franciscan order in the Thirteenth century, Westminster, The Newman Press, 1960, p. 312-320 ; Idem, Sources of the Modern Roman Liturgy. The Ordinals by Haymo of Faversham and related documents (1243-1307), Leiden, E.-J. Brill (« Studia e documenta franciscana », 1-2), 1963, vol. I, p. 95-109, 209-214 et vol. II, p. 333-358. 7   S. Van Dijk, Sources of the Modern Roman Liturgy, op. cit., vol. I, p. 95-109. 8   Voir la contribution (1) d’Alexis Meunier dans le présent volume.

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regendus, campanae pulsandae, luminare accendendum etc. » 9. Cependant, pour précieuses qu’elles soient, ces Ordinationes règlent uniquement les cérémonies publiques du culte et passent sous silence bon nombre de rites propres aux Frères mineurs qui, de fait, nous demeurent inaccessibles  10. Stephen van Dijk arrête son enquête historique au chapitre de Gênes en 1302 ; les développements postérieurs de ce texte nous échappent donc. Toutefois, les sources manuscrites qu’il utilise pour son édition critique indiquent clairement que ces Ordinationes se transmettent ne varietur tout au long des xive et xve siècles, néanmoins régulièrement complétées par des amendements successifs 11. En 1508, l’empilement législatif est tel que Raynald Gratien de Cotignola, alors Ministre général de l’ordre, demande au synode de l’Observance ultramontaine réunie à Barcelone, une compilation et révision des Ordinationes 12. Le nouveau texte connaît aussitôt une importante fortune éditoriale, inséré au sein de volumineuses et savantes anthologies législatives (souvent politiques et polémiques) liées aux mouvements des observances italiennes, espagnoles et françaises 13. Parmi les principales qui en véhiculent le texte, citons par ordre chronologique les Monumenta Ordinis Minorum de Jean de Rio (Salamanque, 15061, 15112, le Speculum Minorum de Martin Morin (Rouen, 1509), le Firmamenta Trium Ordinum de Boniface de Ceva (Paris, 1512), l’Enchiridion seu Manuale (Séville, 1535), les multiples rééditions vénitiennes du Familiaris clericorum (1510, 1530, 1542, 1550 et 1561) et le Compendium privilegiorum Fratrum Minorum (15951, 16174) du capucin Jérôme de Sorbo 14. Les raisons expliquant la présence des ordinationes dans ces anthologies, qui n’ont pas pour vocation première à s’occuper de questions liturgiques, sont difficiles à déterminer. Elles ont toutefois pour conséquence de conférer un nouveau statut au texte. En entrant dans le panthéon législatif et historique de l’ordre, celui-ci perd progressivement sa double nature performative et prescriptive initiale, au profit de celle uniquement prescriptive. Les ordinationes deviennent un objet identitaire, non pas tant pour régler les cérémonies du culte que pour légitimer l’ancienneté des réformes franciscaines. D’un point de vue pratique, il est aussi possible de penser que, dès la fin du xve siècle, de par leurs complexités, les ordinationes ne correspondent plus totalement aux besoins liturgiques de l’ordre. La réforme de 1508 est symptomatique de ce point de vue, de même que la disparition du texte dans les premières décennies du xviie siècle, progressivement supplanté par la prise en compte des nouvelles normes tridentines. Il faut attendre la restauration de l’ordre au xixe siècle, et les

9   Charles de Fresne Du Cange, « Ordinale », Glossarium Mediae et infimae latinitatis, t. VI, Niort, L. Favre, 1886, p. 57. 10   S. Van Dijk, Sources of the Modern Roman Liturgy, op. cit., vol. I, p. 98-99. 11   Thomson, Williell R., « Checklist of Papal Letters relating to the Three Orders of St. Francis. Innocent III – Alexander IV », Archivum Historicum Franciscanum, 64 (1971), p. 367-580. 12   Dominicus de Gubernatis a Sospitello, ofm rif., Orbis Seraphicus Historia de tribus ordinibus a Seraphico Patriarcha S. Francesco institutis, deque eorum Progressibus, […]. Tomus Tertius, Romae, Apud Nicolaum Angelum Tinassium Impressorem Cameralem, 1684, p. 216a. – J. Golubovich, op. cit, p. 62-63. 13   Lalo, Jean-Xavier, « Les Recueils des sources juridiques franciscaines (1502-1535) », Archivum Historicum Franciscanum, 73 (1980), p. 257-340, 527-640 ; 74 (1981), p. 146-230. Ici, p. 258-265. 14   [Edouard d’Alençon], « Rituale antiquissimum », op. cit., p. 185 ; J. Golubovich, op. cit, p. 62-63 ; S. Van Dijk, Sources of the Modern Roman Liturgy, op. cit., p. 106-107; J.-X. Lalo, op. cit., p. 228-229.

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mouvements liturgiques qui l’accompagnent, pour que les ordinationes reviennent à nouveau au centre des préoccupations identitaires de la famille franciscaine.

Les cérémoniaux franciscains aux xviie et xviiie siècles Le corpus édité des cérémoniaux franciscains des xviie et xviiie siècles constitue aujourd’hui un écheveau inextricable de publications hétérogènes qui a de quoi décourager plus d’un lecteur non aguerri. C’est pourquoi un travail préliminaire sur la typologie de ces ouvrages est nécessaire avant même d’en aborder l’étude. Par souci de clarté, je me limiterai ici aux seules branches masculines de l’ordre. Face au corpus, quatre constats peuvent être posés. Tout d’abord : il n’existe pas un cérémonial franciscain, mais des dizaines de cérémoniaux. En réalité, et pour être plus juste, il convient d’écrire qu’il existe un cérémonial franciscain, puisque tous se présentent comme tel, mais que celui-ci se décline en une série de cérémoniaux différents, parfois fort éloignés les uns des autres dans leurs contenus. La lecture des pages de titre suffit à démontrer cette diversité. Certains se présentent comme cérémonial destiné à l’ensemble des Frères mineurs ([Beauvais Frères mineurs 1669] 15), d’autres à l’usage d’une seule branche ([Capucins 1764]), d’une congrégation  16 ou, plus majoritairement, d’une province ([Récollets Sainte-MarieMadeleine 1635], [Récollets Saint-Bernardin 1646], [Récollets Saint-Denis 1686], [Récollets Saint-André 1689], [Capucins Alsace 1755], [Récollets Saint-Nicolas 1758]). Il apparaît donc évident que l’unité cérémoniaire favorisée par les ordinationes au cours des quatre premiers siècles de l’ordre n’est plus opérante à partir du xviie siècle ; leur disparition après 1617 semble encore ici confirmer cette hypothèse. Le second constat vient dans la continuité du premier. Il concerne la diversité des typologies d’ouvrages affichées, véritable piège pour le lecteur peu attentif. Certains s’affichent en effet clairement comme Cérémonial ([Récollets Sainte-Marie-Madeleine 1635], [Récollets Saint-Bernardin 1646]) ou Coutumier 17, mais d’autres se présentent comme Manuel 18, Rituel

  Cf. infra Liste-Index.   Rituale monasticum in quo ceremoniarum, & ritum modi ad monasticam professionem, seu regulare institutum spectantes traduntur. Ad usum fratrum regularium Tertii Ordinis Seraphici P. S. Francisci de Poenitentia nuncupati, strictae observvantiae Congregationis Gallicae. Ex ordinatione capituli universae Congregationis, Toulouse, J. & G. Pech, 1688. 17   La tradition des coutumiers est surtout liée à la culture capucine. Ils demeurent souvent à l’état manuscrit : « Caeremoniale-Rituale », Lexicon Capuccinum. Promptuarium historico-bibliographicum Ordinis Fratrum Minorum Capuccinorum (1525-1950), Romae, Collegi S. Laurentiis Brundusini, 1951, col. 288-289. – Le Coutumier de la Province de Lyon a été édité au xixe siècle : Règlement sur les coustumes et cérémonies des capucins de la Province de Lyon de St Bonaventure. Reveu et mis en meilleure forme par ordre de la Definition et des principaux Pères de la Province, Marseille, Marius Olive, 1871. 18   Manuale seraphicum secundum ritum sanctae Romanae Ecclesiae directum. Pro praecipuis solemnitatibus, Ceremoniis, & Procesionibus, quae fieri solent apud Patres Capuccinos Ordinis Seraphici Sti Francisci, Rouen, J. Tieucelin, 1665 (rééd. 1694). 15 16

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([Récollets Saint-André 1689]) ou encore Rites  19. D’autres encore se confondent avec un Processional 20, lorsqu’ils ne se dissimulent pas sous l’allégorie 21. L’intitulé ici ne suffit plus : seule la consultation de la table des matières nous indique clairement si nous sommes en présence ou non d’un cérémonial, que celui-ci soit complet ou partiel. D’une manière provisoire, il est toutefois possible d’organiser ce corpus en trois grandes catégories : 1/ les cérémoniaux proprement dits, 2/ les cérémoniaux-rituels et, 3/ les rituels 22. Troisième constat, d’ordre chronologique : le premier cérémonial franciscain recensé est le Cerimoniale ecclesiasticum (Avignon, 1646) à l’usage des récollets de la province SaintBernardin 23. La date est bien sûr symbolique car rien n’induit que des cérémoniaux n’ont pas circulé au préalable sous des formes autres qu’imprimées : manuscrites ou de tradition orale. Rapprochons-la toutefois de deux autres dates symboliques : 1617 (dernière édition connue des ordinationes) et 1600 (publication du Caeremoniale episcoporum). Un « vide cérémoniaire » de quatre décennies apparaît alors, sur lequel il conviendra de s’interroger  24. Le quatrième et dernier constat concerne le rapport des cérémoniaux franciscains au rite romain qu’impose la Regula bullata (1223). Là encore, le manque d’homogénéité est frappant. Certes, la majorité des ouvrages fait clairement référence dans ses intitulés au caractère romain des cérémonies observées  25. Certains vont même jusqu’à se référer explicitement aux ouvrages liturgiques officiels issus de la réforme tridentine ([Récollets Saint-Nicolas 1758]). Mais quelques-uns, annonçant les restaurateurs du xxe siècle, se raccrochent déjà à un double héritage romano-séraphique ([Récollets Saint-Denis 1686], [Récollets Saint-André 1689]). D’autres font uniquement référence à leur tradition propre

  Joannes-Maria a Noto, De Sacris ritibus juxta romanam regulam usui Fratrum Minorum S. Francisci, qui vulgo Capuccini nuncupantur accomodatis, Neapoli, Typis Scorigianis, 1626. 20   Processionnal et Rituel Romain à l’usage des religieux et religieuses de l’ordre de S. François. Du Pere de Beauvais, Religieux Cordelier, & Préfet du Chœur du grand Convent, de Paris, revû, corrigé & augmenté de plusieurs choses qui concernent le Cérémonial & le Rituel du même Ordre, par un Religieux de la même Maison (Paris, P. G. Le Mercier, 17573). 21   Jacques Saleur, La Livrée seconde de l’Iris espanouïe, florissante au parterre sacré de l’Ordre de Madame Saincte Claire recueillie de divers rituels et cérémoniaux approuvez, Paris, J. Laquehay, 1624 ; la troisième partie de l’ouvrage, destiné aux clarisses, concerne curieusement la « Vêture et profession des Franciscains ». 22   Cf. dans le présent volume les remarques de Daniel-Odon Hurel (1) sur les cérémoniaux mauristes. 23   Cf. Liste-Index [Récollets Saint-Bernardin 1646] ; Je fais ici provisoirement abstraction du De Sacris ritibus (Naples, 1626) capucin et du Caeremoniale romanum (Rome, 1640) observant dont l’influence sur le territoire français n’est probablement pas à négliger. 24   Les communautés féminines franciscaines, de tradition monastique, ont été plus promptes à se doter de cérémoniaux : cf. [Clarisses Verdun 1611 et 1618], [Filles de la Passion 1619]. 25   Noto, De Sacris ritibus juxta romanam regulam usui Fratrum Minorum S. Francisci, 1626, op. cit. ; Caeremoniale Romanum ad usum Fratrum Min. Observ. Sancti Francisci. Capituli generalis Romae habiti anno x.dc. xxxix iussu aeditum, Rome, Typographia Sacrae Congreg. de Fide Propag., 1640 ; Manuale seraphicum secundum ritum sanctae Romanae Ecclesiae directum, 1665, op. cit. ; Caeremonialis ordo romanus ad usum totius ordinis Seraphici Minorum Sancti Francisci Conventualium, Milano, Federico Agnello, 1710 ; Caeremonialis ordo Romanus ad usum totius Seraphici Ordinis Minorum S. Francisci Conventualium jussu reverendissimi Patris Magistri Jo. Baptistae Constantii de Assisio ejusdem Ordinis post seraphicum patriarcham Ministri Generalis lxxxvi nunc demum in lucem editus, et novis decretis a Sac. Rit. Congregatione emanatis locupletatus, Roma, Giovanni Zempel, 1759 ; Processionnal et Rituel Romain, 1757, op. cit. 19

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([Récollets Sainte-Marie-Madeleine 1635], [Capucins 1764]) tandis que d’autres encore se qualifient vaguement d’ecclesiasticum ([Récollets Saint-Bernardin 1646], [Beauvais Frères mineurs 1669]) ou, plus curieusement, de monasticum 26. Ce quadruple constat nous oblige à poser d’emblée quelques remarques d’ordre méthodologique. La première est relative à la définition même de ce qu’est un cérémonial. La tripartition catégorielle entre cérémonial, cérémonial-rituel et rituel est traditionnelle en bibliographie  27, mais les limites entre ces catégories sont poreuses. Toutes trois codifient des réalités bibliographiques distinctes mais complémentaires qui concernent l’ensemble des actions rituelles. L’étude du cérémonial ne peut donc se réduire au seul livre homonyme qui en conserve la mémoire. En effet, de par sa nature législative, il est intimement lié à toute une série d’autres écrits normatifs (Règle, Constitutions, Statuts, Actes capitulaires) qui en régissent le contenu et auxquels il se réfère de manière plus ou moins explicite. De même, par sa nature performative, on ne peut le comprendre en le dissociant des autres ouvrages de même nature comme le Bréviaire, le Missel, le Processionnal et le Rituel — ils sont d’ailleurs souvent publiés simultanément  — confirmant l’idée d’un tout cérémonial précédemment évoqué 28. Ensuite, parce que le cérémonial se situe au centre névralgique de la codification d’une identité religieuse, il soulève toujours l’attention des contemporains 29. D’où l’intérêt de ne pas négliger les documents à caractère discursif (commentaires, textes polémiques) qui se révèlent souvent de précieux alliés pour la lecture du cérémonial. Ces remarques ne sont pas spécifiques à la seule famille franciscaine ; au contraire, elles sont communes à l’ensemble des cérémoniaux religieux. Toutefois, trois facteurs ont ici une réelle importance pour l’étude et la compréhension des ouvrages en usage dans l’ordre : les liens d’un cérémonial donné avec une des branches de la famille franciscaine, l’aire institutionnelle et géographique concernée par ledit livre (couvent, province, fédération, congrégation, ordre, famille), enfin, comme déjà évoqué, sa dépendance plus ou moins revendiquée à une certaine conception romaine des usages cérémoniels.

  Rituale monasticum, Toulouse, 1688, op. cit.   Jean-Baptiste Molin et Annick Aussedat-Minvielle, Répertoire des Rituels et Processionnaux imprimés conservés en France, Paris, Editions du CNRS (« Documents, Études et Répertoires publiés par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes »), 1984. 28   Les exemples sont nombreux. Citons le [Récollets Saint-Bernardin 1646] qui paraît simultanément à Avignon avec les Constitutiones FF. Minorum in Provincia S. Bernardini Recollectorum (Avignon, J. Bramereau, 1646). Mentionnons encore les liens étroits entre le Processionel disposé selon les regles du Missel et du Rituel Romain, à l’usage des Freres Mineurs Recollects et des Religieuses de la Province de Saint André (Tournay, J. Coulon, 1682) et [Récollets Saint-André 1689]. 29   Pour une approche et application musicale de ce phénomène : Desroches, Monique, « Musique et rituel : significations, identité et société », Musiques. Une encyclopédie pour le xxie siècle. 3. Musiques et cultures, JeanJacques Nattiez (dir.), Arles, Actes Sud – Cité de la Musique, 2005, p. 538-556. Pour la famille franciscaine : Guilloux, Fabien, « Musiques et identités franciscaines en France (xve-xviiie siècles) », Études Franciscaines, I/1-2 (2008), p. 59-88. 26

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Un cérémonial éclaté Aux xviie et xviiie siècles, la famille franciscaine se divise en trois ordres. Tous se réclament d’une même spiritualité mais demeurent autonomes dans leurs structures, leurs orientations et leurs évolutions historiques : 1er ordre : les Frères mineurs plus connus comme Franciscains ou Cordeliers (ordre masculin) ; 2e ordre : les Pauvres Dames ou Clarisses (ordre féminin) ; et 3e ordre : l’Ordre de la Pénitence ou Tiers Ordre (ordre mixte, régulier ou séculier). Le premier ordre se subdivise en quatre branches : les Frères Mineurs Conventuels dont se séparent les Frères Mineurs de la Régulière Observance (ou plus simplement Observants) en 1517, puis des mouvements plus radicaux dits de « stricte observance » que sont les Capucins et les Riformati, Alcantarins ou Récollets selon qu’ils se développent respectivement en Italie, en Espagne ou en France. À ces quatre branches masculines du premier ordre, il faut ajouter la branche régulière du Tiers Ordre, connue en France comme Congrégation de Picpus 30. L’histoire du cérémonial franciscain suit la fragmentation historique et institutionnelle de l’ordre ; les Ordinationes héritées du xiiie siècle sont les premières à en faire les frais. Aussi, d’un point de vue théorique, il ne serait pas faux d’écrire que cinq cérémoniaux franciscains coexistent aux xviie et xviiie siècles. En réalité, la question est plus complexe car, à ces données historiques et institutionnelles, s’ajoutent encore des spécificités administratives. Nous l’avons constaté, la majorité des cérémoniaux de notre corpus possède un caractère «  provincial  ». De fait, dans la famille franciscaine, la province est l’unité administrative fondamentale dont le principe d’organisation est, à quelques exceptions près, commun au Premier et au Troisième Ordre. D’un point de vue canonique, elle désigne une entité géographique regroupant un certain nombre de couvents. Chaque couvent est géré par un chapitre conventuel ayant à sa tête un gardien, élu par la communauté ou nommé par le chapitre provincial suivant les époques. Sur le même principe, le chapitre provincial administre, comme son nom l’indique, la province, préside à la promulgation des statuts provinciaux ainsi qu’à l’élection du ministre provincial. Ce dernier a pour fonction de veiller à l’application des dits statuts, de visiter les couvents placés sous sa juridiction, de préparer et convoquer le chapitre suivant, et, en dernier lieu, de représenter la province au chapitre général de l’ordre. Le chapitre général est la plus haute instance hiérarchique et juridique au sein de la famille franciscaine. Il se tient tous les trois ans et possède une autorité suprême en matière de législation. Sur le modèle du précédent, il élit un ministre général ou Général et édicte les constitutions régissant l’ordre. Ce schéma prévaut pour chacune des branches masculines de la famille franciscaine 31.

  Iriarte, Lázaro, Historia franciscana, Valencia, Provincia franciscana de San José, 1979. (trad. fr. : Histoire du franciscanisme, Éditions du Cerf – Les Éditions franciscaines, 2004). 31   L. Iriarte, Histoire du franciscanisme, op. cit., p. 121-129 ; Dalarun, Jacques, François d’Assise ou le pouvoir en question. Principes et modalités du gouvernement dans l’Ordre des Frères Mineurs, Bruxelles, De Boeck & Larcier (« Bibliothèque du Moyen Âge », 15), 1999, p. 41-116. 30

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Les branches issues des réformes (Observants, Récollets, Tertiaires réguliers) possèdent toutefois quelques particularismes administratifs avec des échelons intermédiaires que sont les congrégations et les fédérations. Pour des raisons pratiques, dès le xve siècle, l’Observance s’est organisée en deux congrégations : l’une « cismontaine », l’autre « ultramontaine » ; organisation reprise ensuite par les Récollets et les Tertiaires réguliers. La fédération, quant à elle, est une entité institutionnelle moins formelle, à caractère linguistique ou « national », regroupant plusieurs provinces autour d’un projet commun, comme par exemple la constitution d’un cérémonial (cf. ([Beauvais Frères mineurs 1669]). À cette structure administrative déjà complexe, il faut encore ajouter le phénomène des tutelles. Les Récollets par exemple n’ont pas de chapitre général, mais demeurent soumis à l’autorité de celui de l’Observance ultramontaine. Idem pour la congrégation gallicane du Tiers Ordre Régulier, ou encore pour les Capucins qui n’obtiennent leur autonomie des Conventuels qu’en 1619. En matière de législation, le schéma théorique est alors le suivant : chaque famille, province ou congrégation adopte la tradition en vigueur dans la famille spirituelle dont elle dépend. La publication d’un cérémonial peut intervenir à tous les niveaux de ce principe gigogne d’organisation administrative. D’où l’existence de cérémoniaux destinés à une famille, une congrégation, une fédération, une province, voire, dans certains cas, un couvent (surtout pour les communautés féminines). En raison du mode de gouvernement décentralisé autour de la province, les cérémoniaux «  familiaux  » sont toutefois rares. Seuls à ma connaissance peuvent être mentionnés ici le De Sacris ritibus (1626) des Capucins et les deux éditions successives du Caeremonialis (1710, 1759) des Conventuels, en notant toutefois que le premier fut mis à l’Index peu de temps après sa parution 32. La même logique explique l’absence de cérémoniaux destinés à une congrégation. Il est possible d’en citer deux : le premier à destination de l’Observance « cismontaine » (entendre italienne) est édité en 1640 sur les instances du Chapitre général tenu à Rome un an plus tôt 33 ; le second est publié en 1691 par Domenico Paltieri à l’usage de la congrégation italienne du Tiers Ordre Régulier 34. L’existence de cérémoniaux « fédéraux » est plus rare encore. L’unique exemple connu est le Caeremoniale ecclesiasticum (Paris, 1669) d’Antoine de Beauvais, réalisé à la demande des provinces francophones de l’Observance, précisément confédérées en vue d’unifier leurs cérémonies (cf. [Beauvais Frères mineurs 1669]). Juridiquement et historiquement, cet ouvrage est important car, par le jeu des tutelles, il s’adresse aussi, sans les mentionner, aux provinces françaises des Récollets et des Tertiaires réguliers. Enfin, reste la catégorie majoritaire des cérémoniaux « provinciaux » sur laquelle je ne m’étends pas.

  « Caeremoniale-Rituale », Lexicon Capuccinum, op. cit., col. 288-289.   Caeremoniale romanum ad usum Fratrum min. Observ. …, 1640, op. cit. 34   Paltieri, Domenico, tor, Caeremoniale ecclesiasticum et domesticum ad usum Fratrum Tertii Ordinis S. Francisci. Iussu Congregationis Generalis eiusdem Ordinis compilatum. Ad normam S. Romanae Ecclesiae per Admod. R. P. Magistrum Dominicum Palterium Romanum, Bononiae, Typis Petri-Mariae de Montibus, 1691. 32 33

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La concurrence des deux critères précédemment évoqués (l’usage réservé à une famille / à une entité administrative) génère d’inévitables tensions au sein de la famille franciscaine  35. Pour nous aujourd’hui, elle est surtout l’occasion de profondes méprises interprétatives. Par exemple, le statut «  fédéral  » de [Beauvais Frères mineurs 1669] s’appliquant aussi aux récollets et au Tiers Ordre régulier n’induit par nécessairement qu’il y soit unanimement reçu. On constate d’ailleurs que de nombreuses provinces récollettes se dotent d’un cérémonial propre. Même constat, mais plus subtil, pour celles du Tiers Ordre Régulier pour qui le Manuel ecclésiastique (1673) dissimule en réalité une ébauche de cérémonial, complété quelques années plus tard par un Rituale (1688) lui aussi conçu comme un compendium des cérémonies tertiaires 36. L’exemple du facteur musical peut ici nous aider à affiner notre analyse à l’intérieur même de la structure provinciale 37. La famille franciscaine se réclame du rite romain : elle en adopte donc les usages chorals et plus largement musicaux. Mais l’émergence structurée des mouvements d’Observance au xve siècle va progressivement renverser cette tendance et instaurer un système gradué de rapport à la musique au sein de la famille franciscaine. En bref, plus la réforme est austère, moins les éléments musicaux sont opérants. C’est ainsi que les observants et les récollets refusent l’usage des orgues, de la polyphonie et même du chant grégorien. Mais, précisent les constitutions, les frères devront en maintenir l’usage là où ils étaient en vigueur avant le passage à la réforme  38. À l’intérieur d’une même province se trouvent donc des couvents où l’on chante en plain-chant et d’autres en recto tono, sans que le cérémonial en usage destiné à l’ensemble de la province ne fasse allusion à cette distinction  39. Il convient donc d’être prudent quant à l’interprétation des paragraphes traitant (ou ne traitant pas) du chant et de ceux qui en dérivent (chantre, préfet de chœur, hebdomadier, organiste…), car ils ne traduisent pas nécessairement des réalités unifiées et uniformes à l’échelle provinciale 40. Cette remarque s’applique à bien d’autres domaines du cérémonial franciscain.

  F. Guilloux, « Musiques et identités franciscaines… », op. cit.   Manuel ecclesiastique selon le Romain. À l’usage des religieux Penitens du Tiers Ordre de S. François de la Congregation de France (Paris, G. Josse, 1673) ; Rituale monasticum…, 1688, op. cit. 37   Guilloux, Fabien, Les Frères mineurs et la musique en France (1550-1700), Thèse de doctorat, Université de Tours, 2005, p. 121-248. 38   F. Guilloux, « Musiques et identités franciscaines… », op. cit. ; idem, Les Frères mineurs et la musique…, op. cit., p. 207-209. 39   Une exception notable : [Beauvais Frères mineurs 1669], p. 62 ; voir aussi : Statuts des frères Mineurs Récolets de la province de S. Denis en France, Paris, E. Couterot, 1698, p. 18. 40   Voir par exemple les conclusions erronées d’Edward Higginbottom à propos de l’usage des orgues dans la tradition franciscaine (Higginbottom, Edward, « French Classical Organ Music and the Liturgy », Proceedings of the Royal Musical Association, 103 (1976-1977), p. 19-40; ici, p. 22). 35

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Identités cérémoniaires Nous l’avons vu, une distance chronologique de près d’un demi-siècle sépare le Caeremoniale episcoporum (1600) du premier cérémonial franciscain imprimé. Il aurait pourtant été logique de s’attendre à ce que les Frères mineurs, de rite romain, conforment au plus vite leurs livres liturgiques à ceux nouvellement approuvés par l’autorité pontificale et dont la publication s’échelonne de 1568 à 1614. Or, non seulement il n’en est rien mais, qui plus est, les ouvrages franciscains publiés à partir de 1646 présentent certaines ambiguïtés quant à leur identité romaine. Au sein de l’Observance, la réception des nouveaux livres tridentins est entérinée au Chapitre général de Rome en 1571 ; on y adopte le nouveau calendrier et le nouvel ordo du Breviarium romanum (1568) et du Missale romanum (1570), étant sauf l’usage du sanctoral propre à l’ordre  41. Le Rituale romanum (1614) de Paul V est reçu dans des conditions similaires au Chapitre général de Salamanque en 1618 42. Les réformes apportées au Missel et au Bréviaire de Clément VIII sont de même notifiées au Congrès général de Ségovie (1621)  43. Mais du Caeremoniale episcoporum (1600) de Clément VIII on ne trouve aucune mention dans les statuts, décrets et constitutions de l’ordre 44. Un constat identique s’observe chez les capucins qui, en 1651, reçoivent pourtant l’injonction de la Congrégation des Rites de l’adopter, mais sans pour autant susciter de réalisations concrètes de leur part  45. Idem pour les Conventuels pour qui l’adoption du Caeremoniale clémentin ne semble pas être une réalité avant le xviiie siècle 46. La nature même de l’ouvrage est la raison principale expliquant ce décalage chronologique. À l’instar du Pontificale romanum (1596) destiné aux liturgies papales, le Caeremoniale episcoporum (1600) régit les cérémonies épiscopales et ne concerne donc pas

41   « Quod Fratres officium divinum celebrent, secundum Breviarium novum. Similiter, & adamussim servetur Calendarium in novo Breviario : Licebit tamen, iuxta Rubricam Breviarij, solemnia, festivitates, & officia Sanctorum, Sanctarumque Ordinis nostri, prout antiquitus consueverant, servato ordine Breviarij, celebrare : Similiter, & Missale, respectu Missarum. » (Orbis Seraphicus, p. 355b). L’injonction est réitérée au Congrès général de l’Observance à Rome, en 1575 (Orbis Seraphicus, op. cit., p. 358b-359a). Les corrections apportées par Clément VIII au Breviarium (1602) et au Missale (1604) sont adoptées au cours du Chapitre général tenu à Rome en 1612 (Orbis Seraphicus, op. cit., p. 605a). 42   « Cum Divinum Officium, ex Regulae nostrae praescripto secundum ordinem Sanctae Romanae Ecclesiae faciendum sit ; decernitur, ut omnes in posterum, tum Fratrum, tum etiam Moniales, illud iuxta Clem. VIII. reformationem recitare teneantur, & Provinciales Ministri diligenter curent, ut in quolibet suae Provinciae Conventu nullus Breviarij, Missalis, ac Ritualis usus communiter habeatur, quam eius, quod iuxta dictam reformationem editum est : officia propria nostri Ordinis ea dumtaxtat recitare permittantur, quae novissime recognita ex concessione Sanctissimi D. Papae Pauli V in lucem prodierunt. » (Orbis Seraphicus, op. cit., p. 618a). 43   « Verum cum ex nostrae Regulae speciali praecepto teneamur, Divinum Officium persolvere secundum ordinem Sanctae Romanae Ecclesiae, statuimus, ut omnes Fratres cum omni cura & diligentia ordinem, & caeremonias observent institutas in Missali, & Breviario novissime editis, ex decreto sacri concilii Tridentini, juxta Clementis Octavi sanctionem. » (Orbis Seraphicus, op. cit., p. 630b). 44   Sur le Caeremoniale episcoporum, voir Liste-Index infra. 45   « Caeremoniale-Rituale », Lexicon Capuccinum, op. cit., col. 288-289. 46   Caeremonialis ordo romanus…, 1710, op. cit.

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prioritairement les communautés conventuelles. En ce sens, le « retard » éditorial des Frères mineurs en la matière trahit bien une situation de non urgence quant à la réception de l’ouvrage. Plusieurs solutions et explications sont ici envisageables. Les frères pouvaient tout simplement utiliser directement le cérémonial clémentin et l’adapter ou le compléter localement par des documents manuscrits. Par ailleurs, on l’a vu, les Ordinationes sont encore en circulation, au moins jusqu’en 1617. Rien n’interdit donc de penser que la première, voire la seconde génération de frères du xviie siècle, a continué d’utiliser d’anciens documents cérémoniaires, là encore adaptés aux nouvelles directives. Un rare manuscrit copié par un frère conventuel d’Arles en 1640, à partir de sources plus anciennes, montre clairement que certaines rubriques du Caeremoniale episcoporum étaient déjà en circulation dans sa province dès les premières décennies du xviie siècle 47. Ce phénomène d’adaptation se repère aussi pour les provinces capucines, pour certaines communautés féminines  48, et devient surtout évident à la consultation des cérémoniaux imprimés à partir de la seconde moitié du xviie siècle : la majorité paraphrase, lorsqu’elle ne cite pas littéralement, les rubriques du Caeremoniale episcoporum, mais généralement « accommodées » aux besoins de la famille franciscaine. Antoine de Beauvais précise ainsi que son ouvrage est «  collectum & accomodatum » sur le romain (cf. [Beauvais Frères mineurs 1669]), « juxta romanam regulam […] accomodatis » indique de son côté Jean-Marie de Noto 49 ou encore rédigé « ex Pontificali Romano, Caeremoniali episcoporum, romano rituali, Pontificum ac cardinalium decretis, rubricis Missalis et Breviarii noviter recogniti » notent les récollets de Germanie inférieure 50. La forte proportion de rituels et processionnaux imprimés dans la première moitié du xviie siècle est aussi un indice à ne pas négliger  51 : selon toute apparence, les Frères mineurs n’éditent pas de cérémoniaux car ils possèdent le romain clémentin ou vivent de tradition, en revanche, ils se dotent localement d’ouvrages contenant leurs rites propres, non consignés dans les livres romains officiels. Une autre raison expliquant l’apparition tardive des premiers cérémoniaux imprimés franciscains, est le poids de la culture cérémoniaire non écrite. Avant même d’être un texte

  Bibl. mun. Marseille, [Ms. 173 : Caeremonialis Ordo Romanus ad usum Fratrum Mino. Conv. Sancti francisci [1632]. Sur le plat supérieur intérieur : « Ad usum fratris Francisci Marcelli Ordinis Minorum Aquen. [Arles] et ab eo tra[n]scriptum et perfectum Avenione die 24a Martij 1640. ». À en croire la page de titre, il s’agit en réalité de la copie d’un Cérémonial publié à « Romae, Apud Ludovicum Grignanu[m] MDXXXII ». – Ouvrage non identifié. 48   La Bibliothèque Franciscaine Provinciale des Capucins de Paris conserve trois cérémoniaux manuscrits à l’usage du couvent des Elizabéthines de Paris : Le Cérémonial Ecclésiastique et Monastique conforme aux cérémonies de l’Église Romaine extraict en partie du Cérémonial des Pères Pénitens du tiers ordre de St François de la Congrégation de lestroicte observance [xviie siècle] (Ms. 41) ; Le Ceremonial des religieuses de S. Elizabeth [1677] (Ms. 42) ; Extrait du Cérémonial des religieuses du Royal Monastère de Ste Elizabeth pour ce qui concerne le chœur, les processions et les actes communautaires [xviie siècle] (Ms. 50). Un Cérémonial à l’usage des religieuses de Ste Claire [xviiie siècle] provenant du monastère de Rouen est signalé dans le catalogue de l’exposition, Une présence discrète. Les Clarisses à Alençon 1501-2001, Alençon, Conseil général de l’Orne, 2001, n°48, p. 60-61. 49   De Sacris ritibus, 1626, op. cit. 50   Caeremoniale FF. Minorum Recollect. almae nostrae Provinciae Germaniae inferioris ex Pontificali romano, Caeremoniali episcoporum, romano Rituali, Pontificum ac cardinalium decretis, rubricis Missalis et Breviarii noviter recogniti […], Bruxelles, Jacques Van de Velde, 1675. 51   J.-B. Molin et A. Aussedat-Minvielle, Répertoire des Rituels et Processionnaux, op. cit., p. 477-478, 484. 47

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législatif figé, le cérémonial est ce qui organise et forme en profondeur le modus vivendi quotidien de chaque religieux. La connaissance théorique du cérémonial fait d’ailleurs partie intégrante du cursus de formation de l’année de noviciat ; les frères ont donc tous un accès direct au texte. Ce point est consigné dans la ratio studiorum des Conventuels (1596, révisé en 1620) 52, se vérifie dans un rare « cahier » de notes manuscrit ayant appartenu au récollet Johannes Friscus, novice à Louvain en 1709 53, se retrouve encore dans le Traité spirituel pour les maitres des Novices (1697) de l’observant François Leroux : […] pour conclure tous les enseignemens que doit donner un Maître à ses Novices, il est encore absolument necessaire qu’il leur apprenne les Rubriques pour reciter le Breviaire. Les Ceremonies qu’on doit observer dans l’Eglise, aux Offices divins, à la Messe, & autres occasions. La science du Plein-Chant que l’on peut dire être un des plus grands ornement aux Ceremonies de nôtre sainte Religion : & de tout cela en faire de petits extraits par écrit qui une fois étant faits, peuvent servir pour toûjours en chaque Noviciat 54.

Nous savons également que la lecture des rubriques du cérémonial était usuelle au réfectoire, comme par exemple auprès des capucins flamands 55. Mais plus encore, est-ce dans et par la pratique quotidienne et communautaire, que le contenu du cérémonial est progressivement assimilé et vécu par chacun des frères. Dans cet univers, le livre-objet « cérémonial » a finalement peu de place : on le consulte éventuellement en cas de doute, à l’occasion d’une cérémonie extraordinaire ou en cas de litige. Pourquoi alors publier un cérémonial ? Sur ce point, tous les cérémoniaux franciscains des xviie et xviiie siècles sont unanimes : il s’agit d’unifier les traditions. C’est, on l’a vu, ce qui prévaut à la publication du Caeremoniale romanum (1640) de la congrégation cismontaine de l’Observance 56 et du Caeremoniale (1669) d’Antoine de Beauvais (voir supra [Beauvais Frères mineurs 1669]). Ce qui nous amène à penser que, jusqu’à la moitié du xviie siècle, les Frères mineurs vivaient encore largement de tradition, toutes branches confondues. La mise en place de coutumiers dans la famille capucine est ici exemplaire. Le 2 avril 1589, avant même la publication du Caeremoniale episcoporum (1600), la question du cérémonial est évoquée au second chapitre de la nouvelle province capucine

  Decreta Generalis Capituli Viterbiensis de Reformatione Studiorum Ordinis Minorum Conventualium, Patavii, apud Laurentium Pasquatum, 1596 ; Reformatio studiorum ord. Fratrum min. con. Sancti Francisci, Perusiae, Typis Marci Naccarini, 1620. 53   Bibl. franciscaine provinciale des Capucins de Paris, Ms. 1556. Sur les « cahiers » de noviciat, voir plus généralement l’article de Raoul de Sceaux, « Les études dans la Province des capucins de Paris aux xviie et xviiie siècles », Études Franciscaines, XXIV/69 (1974), p. 81-97. 54   Le Roux, François, « Chapitre ii. Question vi. N’y a t’il point d’autre matiere qu’un Maître doit apprendre à ses Novices ? », Traité spirituel pour les maitres des novices, Lyon, Pierre Valfray, 1697, p. 34. 55   Caeremoniale in usum Fratr. Minorum Capucinorum Provinciae Flandro-Belgicae. In quo ritus observandi in Choro, SS. Missae Sacrificio, ac praecipuis Solemnitatibus &c. elucidatur, Louvain, J.-F. Van Overbeke, 1759. 56   Orbis Seraphicus. […] Tomus quartus, Romae, N. A. Tinassium Impressorem Cameralem, 1685, p. 50b-51a. – Caeremoniale Romanum ad usum Fratrum Min. Observ. Sancti Francisci. Capituli generalis Romae habiti anno x.dc.xxxic iussu aeditum, Romae, Typographia Sacrae Congreg. de Fide Propag., 1640. 52

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d’Aquitaine où il suscite d’importantes tensions entre les frères, le provincial et le Visiteur venu de Rome. Dans les actes capitulaires, le secrétaire note : Mais ayant veu qu’il y avoit quelque différend entre ces bons religieux au sujet des cérémonies, dequelles on ne pouvoit convenir à cause que, les anciens religieux ayant esté assemblez de diverses provinces de l’ordre, chacun louoi[t] et vouloit mointenir les cérémonies de la province d’où il estoi venu. Sur quoy le R. P. Com[missai]re fit quelques ordonnances qui ne pleurent pas au R. P. Pro[vinc]ial, lequel après le départ du Com.re, ordonna qu’on ne garderoit d’autres cérémonies que celles de la province de Rome, mère et fondatrice de celle-cy. On conservera, toutefois, des cérémonies données par le père Com.re, celles qui se gardent à la vesture et à la profession des novices 57.

Trois éléments sont ici remarquables : 1/ le fait que jusqu’alors les frères vivent de tradition, d’un savoir-faire, sans cérémonial fixé par écrit 58 ; 2/ que l’adoption du rite romain souhaité par le Visiteur (ici appelé Commissaire) est perçue comme un des liens de l’unité provinciale et, plus largement, de l’ordre ; enfin, 3/ qu’en dépit des recommandations du Visiteur, le choix s’oriente finalement vers une solution « mixte » d’usages romains et locaux. Le conflit toulousain n’est pas isolé et explique en grande partie les difficultés rencontrées par certaines entités administratives à se doter d’un cérémonial propre. Il éclaire aussi les longues distances chronologiques qui séparent souvent l’érection d’une province et la consignation écrite (manuscrite ou imprimée) de son cérémonial. La province SaintBonaventure (Lyon) des capucins qui s’organise à partir de 1575, ne fixe ainsi ses constitutions qu’au chapitre de 1645. Comme à Toulouse, il y est alors demandé de rassembler les traditions de la province et de les conformer au Bréviaire et au Rituel romain : […] il fut ordonné en la deffinition du Chapitre tenu à Lion en lannée 1645 suivant le desir des p[rinci]paux pères de la province que lon dresseroit un reglem[en]t sur toutes nos anciennes coustumes qui seroient en après observées par tous les religieux de la Province sans y rien changer, nomplus quaux cerémonies du service divin conformem[en]t aux rubriques du Breviaire et Missel Romain 59.

Un cas similaire se remarque pour la Province de Paris érigée en 1594, où la publication d’un cérémonial n’est envisagé qu’en 1618 : 6°. Qu’ils leur plaise de deputer quelqu’un des freres pour faire un Ceremonial ou Rituel auquel soient specifiées toutes les Ceremonies [que] doivent observer les freres, auquel dudit pour mettre tous les Offices des saints de Notre ordre avec les Messes selon l’ordre du Missel Romain pour remedier a la confusion et diversité des impressions 60.

57   Recueil chronologique des choses qui concernent la fondation et le progrès de la Province des Capucins d’Aquitaine, ou de Tolose. (Paris, Bibl. franciscaine provinciale des Capucins, Ms. 5, p. 35-36). 58   Mémoire sur le Cérémonial et le Coutumier, Chaumont, Veuve Miot-Dadiant, [s.d.], (Bibl. franciscaine provinciale des Capucins de Paris, Ms 322(8)). 59   Règlement sur les coustumes et cérémonies des capucins de la Province de Lyon de St Bonaventure, op. cit., p. 7-8. 60   Maurice d’Épernay, ofm cap, Chapitres provinciaux des Capucins de Paris [1594-1705] (Paris, BnF, Ms. 2419, p. 165-166).

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En 1764, toujours dans l’attente d’un cérémonial provincial satisfaisant, le capucin Ange de Rennes, maître des novices de la province de Bretagne, entreprend la rédaction d’un abrégé provisoire destiné à ces derniers : En attendant que par l’ordre des premiers Supérieurs il se fasse un Cérémonial parfait & achevé, où se trouve la manière d’administrer les Sacremens & de célébrer les Divins Offices, conformément aux Rubriques romaines : Voici un petit Cérémonial dressé principalement pour les novices de l’Ordre des Capucins, où l’on trouvera ce qui se doit chanter par le Chœur aux principales solemnités de l’année. L’on n’y a pas marqué toutes les cérémonies, parce que l’on a plutôt eu dessein de mettre ce qui se doit dire, que ce qui se doit faire ; mais l’on s’est précisément arrêté aux Rubriques du Missel & Rituel romain, puisque les enfans de Saint François sont obligés de les suivre par l’exprès commandement de leur Règle. C’est en quoi les Cérémoniaux imprimés, il y a quelques tems, se trouvent défectueux, en prescrivant des choses tout-à-fait contraires à ce que les Rubriques ordonnent. On ne les condamne pas ; car on ne sçait pas la raison de leurs Auteurs que l’on respecte ; mais l’on a sujet de s’en étonner 61.

J’en viens enfin au dernier élément de cette étude : le rapport et l’équilibre délicat entre rite romain et franciscain. Les actes capitulaires des capucins de Toulouse (1589) précédemment cités apportent déjà un éclairage sur ce point, mais la publication simultanée du Caeremoniale et du Rituel d’Antoine de Beauvais en 1669 est ici plus éclairante encore. La constitution de ces deux ouvrages répond au besoin d’unification des rites locaux de tradition : afin que « dans tous les Convents on garde l’uniformité dans les Ceremonies de l’Office Divin » précisent les actes capitulaires des provinces confédérées de l’Observance française, réunies à Paris, le 8 février 1668  62. Le Caeremoniale paraît l’année suivante, en même temps que le Processional et Rituel romain. La tension entre deux rites que l’on a senti poindre dans les actes capitulaires capucins est ici manifeste : deux ouvrages, l’un rédigé en latin (Caeremoniale), l’autre en français (Processional et Rituel). Le premier souscrivant pleinement à la tradition romaine en paraphrasant le Caeremoniale episcoporum, le second comportant en revanche de très nombreux traits empruntés à la tradition franciscaine, ainsi qu’à d’autres traditions « non romaines »  63. Le succès du second sur le premier — deux rééditions du Rituel (1685, 1757), aucune du Caeremoniale 64 — est symptomatique : ce n’est donc pas d’un cérémonial romain dont ont besoin les Frères mineurs aux xviie et xviiie

  [Ange de Rennes, ofm cap.], [Capucins 1764], « Préface », n. p.   Brault, Julien, ofm « Décret ». Cité in Antoine de Beauvais, Processionnal et Rituel Romain à l’usage des religieux et religieuses de l’Ordre de St François, Paris, Gilles Blaizot, 1669, [non paginé]. 63   En réalité, des éléments typiquement franciscains. Dans son Avis au lecteur, l’auteur précise : « Pour l’ordre de ce qu’il contient ; autant que je l’ay pû j’ay suivy le Rituel Romain, sans pourtant renverser ce que ie n’ay pû condamner dans les anciens Rituels, qui ont servy & qui servent encore à present, tant pour nostre usage que pour ceux qui suivent le Romain. » (A. de Beauvais, « Avis au lecteur », Processionnal et Rituel Romain…, 1757, op. cit., n. p.). 64   Processionnal et Rituel Romain à l’usage des religieux et religieuses de l’ordre de S. François, Paris, J. Couterot et L. Guérin, 1685 ; Processionnal et Rituel Romain …, 1757, op. cit. 61 62

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siècles, mais bien de rites franciscains. Pour ces raisons, il n’est donc pas surprenant de constater la présence affichée d’un double héritage cérémoniaire (romano-séraphique) sur un certain nombre de page de titre de cérémoniaux ([Récollets Saint-Denis 1686], [Récollets Saint-André 1689]), voire de l’unique référence au séraphique lorsque la typologie de l’ouvrage l’autorise ([Récollets Sainte-Marie 1635], [Capucins 1764]).

❦ Des origines jusqu’à nos jours, la tension entre nécessité d’un propre franciscain et dépendance étroite au catholicisme romain est une constante dans l’histoire de l’ordre des Frères mineurs. Elle apparaît de manière d’autant plus sensible aux xvie, xviie et xviiie siècles qu’elle se situe sur fond de réformes internes. C’est elle, en effet, qui, pour des raisons pragmatiques mais aussi institutionnelles, conduit à l’abandon progressif des ordinationes médiévales en faveur de l’adoption tacite des nouvelles normes tridentines. Toujours à la même époque, c’est elle encore qui provoque l’éclatement mosaïque du cérémonial franciscain et favorise l’émergence et la coexistence d’une double réalité cérémoniaire, à la fois romaine et séraphique. En remettant à l’honneur les ordinationes du xiiie siècle, les restaurateurs franciscains des xixe et xxe siècles espéraient probablement résoudre cette tension et retrouver ainsi l’âge d’or mythique où rite romain et franciscain ne faisaient qu’un. De fait, la lente uniformisation de la liturgie catholique sur le modèle romain au cours des xviiie et xixe siècles — elle culmine symboliquement avec l’imposition du Bréviaire réformé de Pie X en 1911 — va partiellement réaliser ce rêve. Mais il ne fait que déplacer le problème car, ce qui pendant sept siècles avait constitué l’une des marques identitaires fortes de la famille franciscaine : le choix alors inédit de l’ordo romain au sein d’un poly-ritualisme ecclésial, s’efface et se dissous désormais dans le paysage cérémoniel catholique. Le glissement ad usum des cérémoniaux de 1892 et 1904 vers l’affirmation claire d’un rituel romano-seraphicum en 1908 peut dès lors s’interpréter comme une tentative désespérée et paradoxale de revendiquer et d’affirmer sa spécificité et ses besoins propres face aux nouvelles orientations liturgiques. Fabien Guilloux, ofm

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La place du cérémonial dans le renouveau du monachisme bénédictin au xixe siècle. Solesmes et dom Guéranger Si dans le domaine de la liturgie, l’œuvre et l’influence de dom Prosper Guéranger sont bien connues, paradoxalement la pratique liturgique de l’abbé de Solesmes et de sa communauté l’est beaucoup moins. La pratique et l’impression de nouveaux livres par exemple n’ont jamais été étudiées pour elles-mêmes. Seule l’édition des livres de chant a retenu l’attention 1. Solesmes, ainsi que les communautés qui en sont issues, offrent pourtant un champ d’investigation privilégié, permettant d’appréhender, et pas seulement en matière de liturgie, la diffusion ou la non-diffusion des modèles au xixe siècle, dans un monachisme bénédictin renouvelé qui présente avec la période antérieure, celle des réformes bénédictines de l’époque moderne, à la fois des éléments de continuité et de rupture. La question du cérémonial, dans sa grande complexité, est à ce titre particulièrement révélatrice. Disons tout de suite qu’il n’y eut jamais dans la congrégation de France — et c’est encore le cas aujourd’hui dans la congrégation de Solesmes — une édition du cérémonial semblable à celles du xviie siècle à l’usage des congrégations de Saint-Vanne et de SaintMaur. L’absence d’une édition propre du cérémonial monastique, du moins d’une édition complète telle qu’en donnèrent les vannistes et les mauristes, est due à la pratique liturgique spécifique de la communauté de Solesmes et surtout aux options liturgiques bien connues de dom Guéranger. Deux facteurs sur lesquels il convient de nous arrêter au début de cette étude. Le cérémonial n’est-il pas, dans bien des cas, vécu avant d’être mis par écrit ? C’est tout particulièrement vrai à Solesmes.

  On trouvera cependant quelques éléments dans dom Guy-Marie Oury, Dom Guéranger. Moine au cœur de l’Église (1805-1875), Solesmes, Éditions de Solesmes, 2001. Sur l’édition des livres de chant, voir dom Pierre Combe, Histoire de la restauration du chant grégorien d’après des documents inédits. Solesmes et l’Édition Vaticane, Abbaye de Solesmes, 1969, p. 15-97. La question demanderait cependant à être étudiée à frais nouveaux. Enfin sur l’œuvre liturgique de dom Guéranger, on se reportera surtout à dom Cuthbert Johnson, Prosper Guéranger (1805-1875) : a liturgical theologian. An introduction to his liturgical writtings and work, Roma, Pontificio Istituto Sant-Anselmo (Studia Anselmiana, 89 ; Analecta Liturgica, 9), 1984 ; trad. française de dom A. Gillet : Dom Guéranger et le renouveau liturgique. Une introduction à son œuvre liturgique, Paris, Téqui (coll. Croire et Savoir, 8), 1988, qui donne une importante bibliographie sur le sujet. 1

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Pratique liturgique de la communauté de Solesmes L’abbé Prosper Guéranger et ses premiers compagnons prirent dès le début de leur installation au prieuré de Solesmes, le 11 juillet 1833, une option liturgique clairement définie. Le tout premier règlement de l’association, approuvé le 19 décembre 1832 par l’évêque du Mans, Mgr Philippe Carron, embryon des futures Constitutions de 1837, précisait que l’office liturgique devait être célébré entièrement au chœur selon le rite romain, non seulement pour la messe, mais aussi pour toutes les heures liturgiques 2. « N’étant pas encore bénédictins, nous n’eussions pas eu le droit de suivre l’office monastique ; mais déjà l’adoption de la liturgie romaine nous faisait puissamment trancher avec le diocèse » écrit dom Guéranger dans ses Mémoires autobiographiques 3. En effet, le choix exclusif en faveur du rite romain n’en est pas moins significatif. Relatant la cérémonie du 11 juillet, il poursuit : Nous chantâmes les premières vêpres de saint Benoît, et dans la soirée les complies, selon le rite romain qui fut maintenu à Solesmes jusqu’aux premières vêpres de Noël de l’année 1846. Seulement à partir de 1840, nous suivions au chœur l’office monastique aux grandes fêtes de l’Ordre 4.

Dom Guéranger avait demandé au vieux chanoine Ménochet, qui au nom de l’évêque du Mans procéda à l’installation de la communauté, de chanter la messe de la Translation de saint Benoît selon le missel romain et non selon le Missale Cenomanense de Mgr CharlesLouis de Froullay (Paris, J.-B. Coignard et frères Guerin, 1749), dont une nouvelle édition devait être donnée en 1835 sous l’égide de Mgr Jean-Baptiste Bouvier. Cette orientation « romaine » du groupe est encore soulignée dans l’habillement même des futurs moines qui portaient la soutane sans le rabat français et revêtaient au chœur le surplis romain, « afin de trancher sur le clergé séculier, et nous mettre d’accord avec la liturgie que nous allions suivre », précise dom Guéranger 5. Selon le préambule au texte du règlement de 1832, la communauté de Solesmes s’était formée dans le dessein, …suo tempore, petituri sunt ad Apostolica Sede gratia, transeant ad Sancti Patris Benedicti Regulae observantiam 6. À propos de ce tout premier règlement, dom Guéranger explique toujours dans ses Mémoires autobiographiques : Dès longtemps déjà j’avais réfléchi à la forme de vie qu’il serait à propos d’établir à Solesmes. J’avais arrêté les points fondamentaux. Il s’agissait d’organiser les exercices dans l’esprit de la Règle de saint Benoît, afin de traverser la période d’essai sans alliage d’autres idées, et de manière à préparer l’avenir par une prise de possession de tout ce qui constitue essentiellement l’institut bénédictin. […]

2   « Singulis anni diebus, Officium de die celebrabitur integrum cum Missa, in Ecclesia Societatis, juxta ritum et ordinem Sanctae Romanae Ecclesiae » (Regulae Societatis regularis in dioecesi Cenomanensi existentis favente et auspice, illustrissimo ac reverendissimo D. D. Episcopo, Cenomani, Tipogr. Joh. Belonii, 1833, § 2, p. 6). 3   Dom Prosper Guéranger, Autobiographie, Solesmes, Archives dom Guéranger, V, 1996, p. 79 ; Nouv. éd., Dom Guéranger. Mémoires autobiographiques (1805-1833), Solesmes, Éditions de Solesmes, 2005, p. 181. 4   Ibid., p. 111 ; p. 251. 5   Ibid., p. 92 ; p. 212. 6   Regulae Societatis regularis …, op. cit., p. 3.

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Cet ensemble de règlements était donc dressé dans l’intention d’amener insensiblement ceux qui le suivraient à la réalisation de la Règle de saint Benoît, moyennant certaines modifications dans la forme, réclamées par les mœurs et les circonstances du temps. […] Quatre ans plus tard, cet ensemble de règlements fut présenté au Saint-Siège avec de très légères modifications, et il obtint l’approbation apostolique 7.

En effet, au cours du voyage à Rome qu’il fit à cette intention en 1837, dom Guéranger obtint de Grégoire XVI, par le bref Innumeras inter en date du 1er septembre, l’approbation des Constitutions, l’érection du prieuré de Solesmes en abbaye et l’établissement d’une nouvelle congrégation bénédictine de France, héritière de celles de Cluny, de Saint-Vanne et de Saint-Maur. À son retour à Solesmes, le nouvel abbé, qui avait lui-même émis ses vœux monastiques à Saint-Paul-hors-les-Murs le 26 juillet, recevait à la profession solennelle, le 21 novembre, ses quatre premiers compagnons. La nouvelle famille monastique de Solesmes était constituée. Dès lors, il devenait possible de prendre pour l’office choral le rite monastique. Mais des raisons essentiellement matérielles, la pénurie de livres liturgiques appropriés, le manque d’argent nécessaire à l’impression de nouveaux livres de chœur, notamment d’un bréviaire monastique, en retardèrent l’adoption complète et définitive jusqu’à la Noël 1846, les bénédictines du Calvaire d’Angers ayant alors recueilli à l’intention de la communauté de Solesmes un nombre suffisant d’exemplaires du Bréviaire romano-monastique de Paul V promulgué en 1612  8. Pour dom Guéranger, il n’était pas question en effet de se servir des nouveaux bréviaires entièrement révisés de Cluny (Paris, 1686 ; Paris, veuv. Herissant, 1779) de Saint-Vanne (Nancy, Haener, 1777) et de Saint-Maur (Paris, Ph.-D. Pierres, 1787), entachés à ses yeux de gallicanisme et de jansénisme  9. Seules les fêtes de l’Ordre furent célébrées selon le rite monastique à partir du 11 juillet 1839 : Saint-Placide le 5 octobre, Sainte-Gertrude et Saint-Odon les 17 et 18 novembre, l’Illation de saint Benoît le 4 décembre, Saint-Maur le 15 janvier 1840, etc 10. Le 11 juillet 1838 encore, la Translation de saint Benoît avait été fêtée selon le rite romain, lequel plut à la vingtaine de prêtre de La Flèche présents à la cérémonie, qui en apprécièrent, dit la chronique de l’abbaye 11, à la fois « la simplicité et la pompe ». La liturgie est l’œuvre principale de la nouvelle communauté de Solesmes. À l’objection de Lamennais, qui, informé par l’abbé Guéranger de son projet de restauration de la vie   Dom P. Guéranger, Autobiographie, op. cit., p. 78-79 ; Nouv. éd., op. cit., p. 180-182.   La Bibliothèque de l’Abbaye Saint-Pierre de Solesmes conserve encore plusieurs de ces bréviaires, sur les pages desquels en lieu et place du texte révisé des papiers collés donnent la version ancienne des hymnes, préférée de dom Guéranger. Il s’agit pour la quasi-totalité d’entre eux d’impressions du bréviaire romano-monastique de Paul V réalisées à l’usage de la congrégation de Saint-Maur, entre 1662/1664, dates de la première impression mauriste de ce bréviaire (Paris, L. Billaine), et le nouveau bréviaire de 1787. 9   Sur les jugements portés par dom Prosper Guéranger à l’encontre des bréviaires monastiques des xviie et xviiie siècles, voir ses Institutions liturgiques, 2e éd., Paris/Bruxelles, Société générale de Librairie catholique, T. I, 1878, p. 511-515 (réception du bréviaire romano-monastique de Paul V) ; T. II, 1880, p. 58-70 (bréviaire de Cluny de 1686), et p. 522-523 (bréviaires de Saint-Vanne de 1777 et de Saint-Maur de 1787). 10   Solesmes, Arch. de l’Abbaye Saint-Pierre (citées désormais Arch. Solesmes), « Chroniques de dom Louis David », Pièces 7 et 8. 11   Arch. Solesmes, « Chroniques », Pièce 1. 7 8

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bénédictine, lui faisait remarquer que dans l’Ordre il y avait le chœur, le futur abbé de Solesmes avait répondu que c’était justement la place importante accordée par saint Benoît à la célébration de la liturgie qui avait été déterminante dans son choix. Aussi le Règlement de 1832 portait en exergue le Nihil operi Dei praeponatur de la Règle bénédictine (RB 43) et ajoutait aussitôt : Illud solemne S. Benedicti axioma proprium erit quoque nostrae Societatis. Sociorum principale negotium, primumque omnium exercitiorum erit Divini Officii celebratio. Cum omni zelo, huic adimplendo vacabunt, et ad chorum advocati, primo signo, festinabunt 12.

L’office choral et les cérémonies liturgiques sont, dès le début, l’objet du plus grand soin, et ce malgré le très petit nombre des officiants. Dans ses Mémoires autobiographiques, dom Guéranger ne manque pas de préciser : À partir des vêpres de ce grand jour [11 juillet 1833], l’office divin n’a jamais été interrompu dans notre église. On y observa dès le commencement, sans jamais y déroger, l’ordre qu’on y garde encore aujourd’hui pour le chant ou la simple récitation selon le degré des fêtes, et chaque jour messe et vêpres furent chantées, malgré notre petit nombre. Les jours de fête, le célébrant revêtait le pluvial pour le capitule et encensait l’autel au Magnificat. Nous ne pouvions employer de ministres à la messe solennelle ; mais le jour de l’Assomption, le p[ère] Le Boucher servit à l’autel en qualité de Diacre, et l’on continua cet usage dans les grands jours, jusqu’à ce que nous fussions devenus plus nombreux 13.

Les bribes de chroniques laissées par les premiers moines de Solesmes et couvrant les années 1837-1842, celles rédigées notamment par le cérémoniaire de l’époque, dom Louis David  14 qui exerça cette fonction de 1839 à 1842, s’attardent longuement à décrire les nombreuses cérémonies à l’abbaye, surtout les offices pontificaux du nouvel abbé ou ceux qu’il préside plus simplement et que l’on nommait « abbatiaux »  15. La nouvelle condition de prélat de dom Guéranger, l’usage qu’il faisait désormais en sa qualité d’abbé des cérémonies propres aux évêques et des pontificalia, le droit des abbés à conférer les ordres mineurs surtout, devaient être à l’origine du violent conflit qui pendant de longues années l’opposa au nouvel évêque du Mans, Mgr Bouvier. L’abbé de Solesmes se vit restreindre, par décision romaine, l’usage des pontificalia à l’intérieur même des murs du monastère. Mais dom Guéranger donna à la mesure une interprétation large, estimant que la solennisation des célébrations liturgiques constituait l’une des bases de la vie bénédictine, telle qu’il la concevait ; et il tâchait de l’inculquer à ses moines. Des notes éparses prises à la volée par ces derniers témoignent en effet que la liturgie était l’un des sujets habituels des conférences qu’il donnait à la communauté. Il y traitait aussi bien de la signification des rites, cherchant à faire découvrir à ses auditeurs leur contenu théologique, que de la composition des livres liturgiques et de l’application des rubriques. Ainsi le 23 novembre 1852, il commence une

  Regulae Societatis regularis, op. cit. § 1, p. 5.   Dom P. Guéranger, Autobiographie, op. cit., p. 112 ; Nouv. éd., op. cit., p. 253. 14   Dom Louis David, né le 11 novembre 1812 à Laval, profès le 31 mai 1838, mort à Solesmes le 21 avril 1876. 15   Voir entre autres Arch. Solesmes, « Chroniques », Pièce 6 : « Livre des coutumes et usages de l’abbaye de Solesmes (1er nov.-27 déc. 1838) ». 12 13

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série de conférences sur les temps et les fêtes de l’année liturgique, en commentant le De Monachorum ritibus (Milan, J.-B. de La Bry, 1738) de dom Edmond Martène  16. Dans le règlement que dom Guéranger rédigera, en 1856-1858, à l’intention des novices, il écrira : Le zèle qu’ils mettront au service divin donnera la mesure de leur fidélité à leur vocation. Ce zèle se reconnaîtra non seulement à se rendre au chœur, mais aussi au soin qu’ils mettront à se bien instruire des règles de l’office divin, du chant & des cérémonies. Il ne leur suffira pas de suivre avec zèle l’enseignement des rubriques & du texte même du bréviaire ; mais ils considéreront avec une religieuse attention la pratique du service divin, afin de s’en rendre capables plus tard 17.

La formation liturgique des moines était aux yeux de dom Guéranger capitale en vue du plein épanouissement de leur vocation bénédictine. À cette fin, il établit même pour un temps, à partir du 26 avril 1840, un cours de liturgie tous les dimanches et fêtes chômées 18. L’abbé de Solesmes était alors plongé dans la composition de ses Institutions liturgiques dont les deux premiers volumes parurent coup sur coup, en 1840 et 1841. La liturgie était alors à Solesmes un vaste chantier aussi bien dans le domaine de l’étude que dans celui de la praxis. C’est bien un chantier que l’abbé de Solesmes, à son retour de Rome, avait ouvert en 1838 dans la modeste église du prieuré élevée depuis peu au rang d’église abbatiale. Il entreprit de modifier quelque peu la disposition intérieure de l’édifice mise en place par les mauristes dans les années 1740-1742, dans le sens d’une plus grande romanisation de l’espace liturgique qui était déjà celle de ses prédécesseurs à Solesmes  19. Cette dernière, il faut bien le dire, prend chez dom Guéranger une tournure nettement archéologisante. Il entreprit en haut de la nef, juste à la naissance du transept, l’excavation d’une crypte semi-circulaire à ciel ouvert destinée à recevoir le corps du martyr saint Léonce qu’il avait rapporté de Rome. Sous un arcosolium, il établit un autel sur le modèle des autels primitifs des catacombes. Enfin, il retourna le maître-autel face à la nef et le plaça juste audessus de l’autel de la crypte afin qu’il apparaisse vraiment comme la confession d’un martyr, à l’instar des basiliques romaines. Avec le chœur des stalles disposé au fond de l’église, ce nouvel agencement — qui devait avoir quelque chose d’assez insolite — n’était pas cependant pur archéologisme. N’était-il pas lui aussi en accord plus étroit avec la liturgie suivie à l’abbaye ? L’élaboration et la mise en place progressive des actions liturgiques étaient un chantier beaucoup plus vaste, ouvert celui-ci en permanence. D’une année à l’autre, les cérémonies étaient repensées, sans cesse améliorées et célébrées avec toujours plus d’ampleur à mesure aussi que les effectifs de la communauté s’accroissaient. Travail colossal pour le cérémoniaire, et sur lequel dom Guéranger, qui dans les premiers temps présidait presque tous les offices de la communauté, veillait tout particulièrement. Un exemple parmi beaucoup : si le 17

  Idem, « Journal de dom Prosper Guéranger », T. I (31 octobre 1852-24 octobre 1855), f° 2.   Dom Prosper Guéranger, Règlement du noviciat, Solesmes, Imprimerie Saint-Pierre, 1885, p. 17. 18   Arch. Solesmes, « Chronique de dom Louis David », Pièce 8. 19   Voir dom Thierry Barbeau, « La tridentinisation de l’église priorale de Solesmes », La Province du Maine, t. 106, 2004, p. 3-47. 16 17

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décembre 1838 l’intonation de la première antienne O par l’abbé, accompagné seulement du cérémoniaire et de deux acolytes, se fit sans grand déploiement, elle reçut l’année suivante un tout autre éclat que le cérémoniaire lui-même, dom David, n’a pas manqué de relater : Le 17 décembre [1839], jour de l’Expectation, ont commencé les OO [Grandes O]. Le R me P. Abbé a commencé par l’antienne O Sapientia ; on avait tendu les rideaux rouges au fond de l’abside pour masquer le tableau de S. Benoît, puis on avait fait une petite élévation pour le R me P. Abbé. Après le capitule, le cérémoniaire a invité les ministres puis le R me P. Abbé pour se rendre à la sacristie afin de s’habiller. À la fin de l’oraison du jour, le cortège est parti de la sacristie, savoir le cérémoniaire, deux acolytes en aubes, le porte-mitre auréphrygée, le portecrosse, le porte-bougeoir, le porte-livre, les deux diacres assistants tenant les fimbres du pluvial du R me P. Abbé. Rendus à l’autel où l’on avait allumé les cierges, tous ensemble ont fait la génuflexion, puis se sont rendus au fond du chœur et là le R me P. Abbé, monté sur son estrade, a entonné O Sapientia qui a été continuée par le chœur très gravement. L’abbé a dit l’oraison, ainsi que l’oraison de l’Alma. Après le Divinum auxilium, tout le cortège s’est rendu à la sacristie dans le même ordre qu’il était venu 20.

Dans ces conditions, on le comprendra aisément, la rédaction d’un cérémonial se révélait illusoire. Les prescriptions relatives à la liturgie contenues dans le Règlement de 1832, aux § 1 à 27 21, celles données par les nouvelles Constitutions de 1837 22, au ch. II : « De Opere divino » et au ch. III : « De festis » offraient un premier cadre normatif (Voir Annexe I). Pour la messe, il y avait toujours la possibilité de recourir aux rubriques du missel romain et pour les offices pontificaux présidés par l’abbé au Cérémonial des évêques, voire au Pontifical romain à l’occasion d’une collation des ordres mineurs ou encore d’une consécration d’autel comme ce fut le cas les 8 juillet et 12 octobre 1838 pour le nouvel autel de la crypte dédié au Sacré-Cœur et l’autel majeur des mauristes déplacé. Dom Guéranger, en collaboration avec dom Jean-Baptiste Nicolas-Brémon  23, devait d’ailleurs donner une nouvelle édition du Pontificale romanum de Giuseppe Catalani (1738), à Paris, chez Méquignon, en trois volumes parus en 1850, 1851 et 1852. Quant à la bonne application des rubriques, elle relevait de la compétence des cérémoniaires, ainsi que de la science et de l’esprit liturgique de l’abbé, comme en témoigne la correspondance que dom Guéranger échangea avec dom David et son nouveau cérémoniaire, dom Jean-Baptiste Bourgeteau.

Attitude de dom Guéranger face au cérémonial La question du cérémonial valut à dom Guéranger une abondante correspondance, car les problèmes pratiques surgissaient à peu près partout en France, dès lors que la liturgie suscitait un regain d’intérêt. Les réponses de l’abbé de Solesmes sont empreintes d’érudition,   Arch. Solesmes, « Chronique de dom Louis David », Pièce 7.   Regulae Societatis regularis, op. cit., p. 5-13. 22   Constitutiones congregationis Gallicae ordinis S. Benedicti a Sancta Sede approbatae cum mutationibus ab eadem Sancta Sede confirmatis, Solesmis, Typographeo Sancti Petri, 1901, p. 16-24. 23   Dom Jean-Baptiste Nicolas-Brémon, né le 26 juin 1802 à Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), profès le 8 décembre 1840, mort à Solesmes le 2 octobre 1872. 20 21

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mais surtout de bon sens. Après avoir indiqué ses sources, il soulignait l’insuffisance des livres et en appelait à la réflexion. Pour lui, il y avait un principe qui domine toutes les règles formulées, c’était la convenance. Dom Guéranger n’avait rien d’un rubriciste. À la demande de la fondatrice de la Société des petites sœurs de Jésus, mère Marie de la Réparation (Paule de Rougé), il alla jusqu’à rédiger lui-même un cérémonial pour la vêture des novices 24. On venait aussi à Solesmes étudier sur place les cérémonies et chercher conseil auprès de l’abbé. Ainsi au sujet de la visite que lui fit, le 5 août 1853, l’abbé Albin, cérémoniaire de la cathédrale du Mans et membre de la commission —  dont faisait aussi partie dom Guéranger — créée par l’évêque pour préparer le retour du diocèse à la liturgie romaine, il notait dans son Journal : « je lui ai conseillé de placer les usages du diocèse en appendice au Cérémonial romain, plutôt que de rédiger de fond en comble un cérémonial romainmanceau, ou manceau-romain qui n’aurait aucune autorité et qui n’obtiendrait aucun respect 25 ». Et à la jeune prieure de Sainte-Cécile de Solesmes, mère Cécile Bruyère, qui, en juin 1869, l’interrogeait sur l’opportunité de rédiger le cérémonial de la communauté qui n’avait que trois ans d’âge, il répondait : Écrivez ce qui est nécessaire, succinctement et posément, et surtout écrivez ce qui est déjà éprouvé par l’usage qu’on en fait, au lieu d’aligner premièrement les choses à votre table, comme on le fait de notre temps. Aussi qu’arrive-t-il ? On fait des paperasses sans fin que l’on brûle pour recommencer, ce qui est un grand inconvénient et enlève le respect pour les textes écrits qui sont les plus solennels. […] Votre cérémonial et votre coutumier se feront avec les années et non dans votre cervelle. La vie monastique est une vie toute de tradition et non de paperasses plus ou moins bien rédigées. Tant pis pour les naïfs qui se figurent qu’une institution pareille se fait la plume à la main et s’aligne méthodiquement 26.

L’attitude de dom Guéranger face au cérémonial est empreinte d’une grande pondération : antériorité de la pratique sur l’écrit dans l’élaboration du cérémonial et refus des nombreuses prescriptions hétéroclites de cérémoniaux longs et composites.

Le cérémonial de dom Jean-Baptiste Bourgeteau Après des débuts malaisés, faits aussi d’inévitables faux pas et de notes discordantes — dom Louis Soltner cite l’exemple d’un chantre qui, en plein office, était un jour reparti déposer sa chape à la sacristie, mécontent du ton qu’on lui imposait 27 —, les célébrations liturgiques se mettaient progressivement en place. La composition d’un cérémonial propre devenait possible et même nécessaire. Dom Guéranger, qui le souhaitait pour une exécution

  Voir Arch. Solesmes, « Journal de dom P. Guéranger », T. II (2 novembre 1855-26 octobre 1859), f° 123 (13 janvier 1859). 25   Id., T. I, f° 35. 26   Solesmes, Arch. de l’Abbaye Sainte-Cécile, « Annales (juin 1869) ». 27   Dom Louis Soltner, Solesmes et dom Guéranger (1805-1875), Solesmes, Éditions de Solesmes, 1974, p. 82. Dans sa chronique (Arch. Solesmes, « Chroniques », Pièce 8), dom Louis David notait le 11 décembre 1840 : « Fretillage [sic] entre D. Brémon et fr. David au sujet du cérémonial ». 24

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toujours plus parfaite de la liturgie, en avait confié dès 1843 la rédaction à dom Bourgeteau 28. Ce dernier avait été nommé cérémoniaire en 1842, en remplacement de dom David parti pour la fondation du prieuré Saint-Germain de Paris. Il l’exerça jusqu’en 1846, puis se vit de nouveau confier la charge en 1848, que cette fois-ci il devait occuper pendant plus de vingt-cinq ans, jusqu’à sa mort en 1874. Dom Bourgeteau fut un cérémoniaire sourcilleux, n’ayant pas la même souplesse que son abbé. Il écrivait justement à ce dernier, en octobre 1842, peu de temps après sa nomination Vous avez interdit les proses du moyen âge qui ne sont pas au Missel romain. Dom Nicolas [-Brémon] se propose, m’a-t-on dit, de faire chanter le répons du roi Robert à la procession de la fête des reliques. Comme il ne se trouve pas non plus dans les livres romains, je désirerais savoir votre volonté à ce sujet. Maître des cérémonies, je veux, autant qu’il est en moi, que les offices se fassent suivant le rite et les us adoptés 29.

La rédaction d’un cérémonial, à laquelle fait allusion dom Bourgeteau dans une lettre adressée le 19 juillet 1843 à dom Guéranger 30, ne semble pas avoir été menée très loin. Nous n’en avons aucune trace. Mais le projet n’était que partie remise comme en témoignent les lettres que les deux hommes échangèrent lors d’un nouveau voyage de dom Guéranger à Rome en 1856. Dom Bourgeteau demandait à celui-ci de rapporter d’Italie des ouvrages qui pourraient l’aider dans sa tâche, notamment une édition de l’Exposizione delle sacre cerimonie (Rome, 1823, 4 vol.) du liturgiste bien connu Giuseppe Baldeschi (1791-1849) : Après avoir eu le bonheur de jouir pendant plusieurs mois des belles cérémonies romaines, il ne faut pas que nous vous laissions trop à désirer en cette matière ; aussi je les étudie encore pour tâcher de nous mettre à l’unisson avec les prescriptions de cette Église qui est la mère et maîtresse de toutes les autres Églises. Pour arriver plus sûrement à ce but, je désirerais bien que vous nous procurassiez un Baldeschi sans alliage des additions de Mr. Favrel 31, ce qui vous sera facile pendant que vous êtes sur les lieux. Si, depuis, d’autres cérémoniaux bien notés avaient encore paru, je vous ferais la même demande à leur sujet, par ce moyen nous pourrions rédiger à notre tour un cérémonial parfaitement conforme aux Règles. Mais pour y adjoindre les usages monastiques, je désirerais bien connaître le cérémonial de la Congrégation du Mont-Cassin, afin de pouvoir y puiser au besoin. Il est toujours bon de s’entourer d’un bon nombre d’auteurs, surtout quand on n’a pas été à même de voir la pratique. Outre nos cérémonies de Solesmes, en fait de Romain, je n’ai vu que la messe pontificale de la Visitation du Mans, et ce n’est pas là où j’ai pu acquérir quelques bonnes notions. Le public a été très indulgent, et tout l’ensemble a été accueilli avec une vive satisfaction : le tout était néanmoins beaucoup plus mozarabe que Romain, et un maître exercé aurait trouvé beaucoup

28   Dom Jean-Baptiste Bourgeteau, né le 15 mars 1814 à Déhault (Sarthe), profès le 15 août 1840, mort à Solesmes le 17 janvier 1874. 29   Arch. Solesmes, Solesmes, octobre 1842, Lettre de dom Jean-Baptiste Bourgeteau à dom Guéranger. 30   Voir Id., Solesmes, le 19 juillet 1843, Lettre de dom Jean-Baptiste Bourgeteau à dom Guéranger. 31   Pierre Favrel, chanoine et maître des cérémonies à la cathédrale de Langres, donna une édition française de l’ouvrage de Baldeschi sous le titre Cérémonial selon le rite romain, parue à Dijon en 1847 en un vol. in-12 de 502 p. Elle fut rééditée en 1851, 1852 et 1854 (4e édition).

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à reprendre. Faisons en sorte du moins de pouvoir offrir quelque chose de mieux dans notre église abbatiale, et pour cela environnons-nous des auteurs compétents. En relisant le Cérémonial des évêques, j’ai déjà la consolation de voir que nous ne nous écartons pas trop de celui qui a la principale autorité. Votre absence pendant la Semaine sainte m’a donné l’occasion d’étudier de nouvelles cérémonies, car jusqu’à présent je les avais toujours vues accomplies par vous. Si vous nous manquez chaque jour, nous devions plus encore le sentir dans ces solennités qui ont dû nécessairement se passer avec beaucoup moins de pompe. J’espère du moins que vous nous arriverez à temps pour nous en dédommager en la Fête-Dieu 32.

Dom Guéranger lui répondait le 9 mai 1856 : J’ai fait toutes les diligences pour vous procurer un Baldeschi, le cherchant chez tous les libraires de Rome, et ce n’est qu’hier enfin que j’ai pu découvrir l’endroit où on le vend. Ce sont les Lazaristes qui en ont le monopole, et je vais en avoir, dans la journée, un exemplaire. […] Je ne pourrai malheureusement pas vous apporter un cérémonial du Mont-Cassin ; il n’y en a pas, si ce n’est un ancien qui a deux cents ans, et que l’on ne trouve que dans de rares bibliothèques. Nos pères ont leurs traditions, et ne s’inquiètent pas de grand’chose. Il y a beaucoup de rapport avec nous pour la manière d’être tournés en chœur ou vers l’autel, et pour beaucoup d’autres choses ; mais le relâchement a enlevé beaucoup de choses. Je dois dire cependant qu’ils sont plus exacts que nous à l’ancienne tradition de ne jamais s’asseoir pendant la psalmodie ; mais c’est une fatigue infinie, et je comprends que nos pères de S. Maur et de S. Vanne s’en soient affranchis. Quant aux cérémonies dans les diverses églises, même les plus insignes, je dois vous dire que nous n’avons rien à leur envier. Peu font aussi exactement que nous, et le grand nombre tourne au Mozarabe, de manière à désoler Mgr Martinucci. Il n’est pas jusqu’à la chapelle papale dont il ne se plaigne avec raison, pour les innovations déplorables qui s’y établissent depuis quelque temps. C’est ainsi que le Vendredi saint, après l’adoration de la croix, on a enlevé la croix adorée et au lieu de la placer sur l’autel pour la messe des présanctifiés, on a été mettre en place une relique de la vraie croix, sans crucifix. Mgr Martinucci m’a dit qu’il n’y a que deux ou trois ans que le cérémoniaire en chef a innové cela sous les yeux du Pape et des cardinaux qui n’ont rien dit. Ces variations se passent aussi sous les yeux des évêques, et leur donnent peu de respect pour le cérémonial. Espérons des temps meilleurs, et comme vous le dites, perfectionnons toujours nos cérémonies selon les règles, en tant qu’elles nous sont applicables ; c’est le moyen de conserver à nos offices la dignité qui convient à notre ordre. Le jour de l’Ascension, à Saint-Paul[-hors-les-Murs], sur trois abbés, pas un n’a voulu faire le pontifical ; La fête allait dans ce cas au prieur, selon la coutume de la maison ; il s’est fait remplacer pour la messe, et il a chanté les vêpres n’ayant en tout pour assistants que deux seuls pluviaux, pour être auprès de lui, pour entonner et annoncer les antiennes. Et cela dans une Basilique papale ! D[om] David en gémissait avec moi. J’en conclus, cher Père, qu’il faut faire notre cérémonial solidement, et je compte sur votre zèle pour cette grande œuvre. Je ne pourrai pas, selon votre désir, être à temps pour la Fête-Dieu, et je le regrette vivement […] 33.

32   Arch. Solesmes, Solesmes, s. d. [entre Pâques et la Fête-Dieu 1856], Lettre de dom Jean-Baptiste Bourgeteau à dom Guéranger. 33   Id., Rome, le 9 mai 1856, Lettre de dom Guéranger à dom Jean-Baptiste Bourgeteau, dans Lettres de dom Guéranger à ses moines. Fonteinne, Solesmes, Archives dom Guéranger, IV/1, 1995, p. 123-124.

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Le cérémonial projeté et dont on attendait beaucoup ne fut jamais réalisé, du moins sous la forme d’un volume imprimé. En effet, les archives de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes conservent une série de quatorze cérémoniaux particuliers  34. Ces cahiers cartonnés, de même format, 16 x 20 cm, non paginés mais aux paragraphes numérotés, rédigés par une même main anonyme, semblent bien être l’œuvre de dom Bourgeteau. Le cadre des rites qu’ils décrivent est celui de l’espace liturgique réorganisé en 1838. Leur rédaction est donc antérieure à la construction du nouveau chœur de l’église abbatiale, en 1865, et pourrait dater des années 1850. En voici la liste : – Cérémonial pour l’office de l’hebdomadier, 26 f° – Cérémonial du prêtre assistant, 12 f° – Cérémonial du diacre selon les diverses fonctions, 25 f° – Cérémonial des diacres assistants, 13 f° – Cérémonial pour les diverses fonctions du sous-diacre, 28 f° – De l’office des céroféraires ou acolytes, 17 f° – De l’office du thuriféraire, 21 f° – Des diverses fonctions des acolytes des matines, 22 f° – Des vêpres solennelles et des laudes, 12 f° (broché) – De l’office du sous-diacre, le R me abbé officiant solennellement, 14 f° – Cérémonial du porte-crosse, 10 f° – Cérémonial du porte-mitre, 19 f° – Cérémonial du porte-livre, 16 f° – Cérémonial du porte-bougeoir, 15 f° L’étude de ces cérémoniaux présente un grand intérêt pour qui souhaiterait se pencher sur la pratique liturgique de la communauté de Solesmes sous l’abbatiat de dom Guéranger. Cependant, elle ne révèle rien de vraiment spécifique, sinon que le déploiement des rites et leur faste s’apparentent à la liturgie cathédrale. Les sources de ces cérémoniaux sont les rubriques du Missel romain et le Cérémonial des évêques dont ils offrent une application concrète. Le souci de se conformer — avec souplesse cependant — aux prescriptions du rite romain, ainsi que celui de sa célébration solennelle, est constant chez dom Guéranger, comme en témoigne son Journal où il ne manque pas de consigner les modifications qu’il apportera, et ce jusqu’à la fin de sa vie, à la pratique liturgique de la communauté de Solesmes. Par exemple, il y notait à la date du 9 septembre 1862 : À la conférence spirituelle, j’ai supprimé l’usage de faire assister l’hebdomadier à la messe conventuelle par un diacre seul. Cet usage fondé sur le cérémonial monastique de la congrégation de Saint-Maur était prohibé trop clairement par les décisions de la S. Congrégation des Rites. En retour, j’ai encore multiplié les jours où la messe conventuelle sera célébrée avec ministres 35.

  Id., Boîte « Cérémoniaux ».   Id., « Journal de dom P. Guéranger », T. III (4 novembre 1859-25 juillet 1863), f° 79.

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La célébration solennelle de la liturgie est une des caractéristiques majeures du renouveau du monachisme bénédictin au xixe siècle, faisant des bénédictins des sortes de « spécialistes » de la liturgie — ce qu’ils n’avaient pas été dans les siècles précédents 36 — et les différenciant alors d’autres familles monastiques comme les trappistes  37. Certes la liturgie, davantage vécue et expérimentée dans les monastères, a toujours été un des moyens privilégiés de la recherche de Dieu, mais non comme une suppléance à la prière publique de l’Église, encore moins comme une fonction solennelle dont les bénédictins auraient eu l’exclusivité.

Pour un cérémonial choral Une des composantes d’un cérémonial monastique — du moins des cérémoniaux imprimés de l’époque moderne et qui, pour une grande part, fait leur spécificité — traite des mouvements et de la gestuelle propres à un chœur monastique, auxquels les lettres de dom Bourgeteau et de dom Guéranger citées plus haut font allusion. L’abbé Guéranger s’y était penché dès avant l’installation de la communauté à Solesmes. Dans une lettre du 31 décembre 1831 à l’abbé Auguste Fonteinne 38, il citait plaisamment un passage du Cérémonial de la congrégation de Saint-Maur :

  À ce propos, dom Jean Leclercq écrivait : « Rien de tout ceci […] n’était propre à ceux que, depuis le xviiie siècle, on nomme les ‘bénédictins’. Le rôle de la liturgie dans la vie des moines était commun à tous ceux qu’un des plus grands liturgistes du xviie siècle, le cistercien Bona, appelait les benedictini, terme qui désignait tous ceux qui vivaient selon la Règle de saint Benoît [E. R. Sala, Joannis Bona epistolae selectea, Turin, 1755, p. 152]. Rien non plus, en tout ceci, qui fit de la liturgie une « spécialité » monastique, ni dans le domaine de la spiritualité, ni dans celui de l’érudition : les érudits ‘bénédictins’ (au sens moderne de l’expression) des xviie et xviiie siècles, en Allemagne, en Espagne, en France, en Italie et ailleurs, se sont illustrés dans l’histoire de l’Église et la patristique au moins autant que dans la liturgie. D’autre part, beaucoup de grands liturgistes d’alors n’appartenaient pas à des ordres monastiques : il suffit d’évoquer Muratori et Lebœuf, prêtres séculiers, l’oratorien Le Brun, le théatin Tomasi, pour ne citer que quelques noms. Bref, la liturgie était le bien commun de tous, et l’idée d’en faire une sorte de ‘spécialité’ des bénédictins n’aurait pu venir à l’idée de personne (« Le rôle des moines dans le mouvement liturgique », Paroisse et liturgie, t. 50, 1968, p. 248-255, ici p. 249). » Voir aussi du même, « Le renouveau solesmien et le renouveau religieux du xixe siècle », Studia monastica, t. 18, 1976, p. 157-195, ici p. 176. 37   Le 8 octobre 1872, dom Guéranger disait à la conférence, à propos de l’abandon de l’usage des Pontificalia par les abbés trappistes : « Les choses en avaient été au point un certain temps qu’ils ne voulaient plus ni dalmatique, ni chasuble, ni chape à l’autel. Moi-même au temps du Père Fulgence, à la Trappe de Bellefontaine, étant allé chercher dom Nicolas[-Brémon], le bon Père Fulgence, qui était tout rempli des idées du xviiie siècle, m’invita a donner le salut une fois, mais ne me présenta que l’amict, l’aube et l’étole, et j’allai donner le salut ainsi sans chape (Arch. Solesmes, « Notes prises aux conférences sur le pontifical, le rituel et le cérémonial romain données par dom Guéranger à Saint-Pierre et à Sainte-Cécile de Solesmes (1860-1874) », p. 166-167). » 38   Auguste Fonteinne, né le 15 septembre 1804 à Ballée (Mayenne), le tout premier compagnon de l’abbé Guéranger dans son projet de restauration de la vie monastique, profès le 21 novembre 1837, exerça les fonctions de cellérier et de préchantre, mort à Solesmes le 31 août 1889. 36

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Je vous envoie la rubrique sur la manière de mettre et d’ôter le capuchon à l’Église : « avertant autem fratres ut cum tegendum vel detegendum est caput, manu decenter admota, et non excussione capitis, id semper faciant ».Ceremoniale monasticum. Lib. I. Cap. IX. Pag. 29 39.

Il a en main le seconde édition de 1680. Dans une autre lettre à l’abbé Fonteinne, du 31 mars 1833, il s’y réfère encore, lui signalant la gravure d’un autel qui accompagne cette édition 40. Pour le cérémonial choral, la communauté de Solesmes devait suivre le Cérémonial de Saint-Maur (Paris, J. Billaine, 1645 ; Paris, L. Billaine, 1680). Nous en conservons une trace dans une copie de l’édition de 1680 de ce Cérémonial réalisée pour son usage personnel par le frère Louis Paquelin 41 en 1861. Ce dernier effectuait alors son année de noviciat. Aussi s’agissait-il vraisemblablement d’un travail que l’on exigeait des novices afin qu’ils puissent ainsi s’imprégner de la gestuelle du cérémonial et en posséder une copie à laquelle, le cas échéant, ils pouvaient se référer. Le manuscrit 42 reproduit, à quelques détails près, le Livre Ier : « De communibus caeremoniis  43 », à l’exception des trois derniers chapitres. L’intitulé des chapitres dit bien la teneur de ce cérémonial choral : – Ch. I : « De ingressu Fratrum in choro, et egressu, et eorum modestia » – Ch. II : « De modo et tempore formandi signum Crucis » – Ch. III : « De pectoris tunsionibus in choro » – Ch. IV : « De inclinationibus » – Ch. V : « De genuflexionibus » – Ch. VI : « De prostrationibus » – Ch. VII : « Quando stando facie ad altare vel ad invicem conversa » – Ch. VIII : « Quando sedendum est » – Ch. IX : « Quando tegendum vel detegendum caput » L’omission du Ch. X du cérémonial de Saint-Maur : « De cantu, & quaenam cantanda notis, quaeve indirectum ; ac de pausis », du Ch. XI : « Quaenam in medio chori sunt cantanda, & quomodo » et du Ch. XII : « De quibusdam ritibus in choro servandis tempore missae ab his qui locum habent in inferioribus subselliis » qui donnent des directives pour le chant, est significative. La solennité de la célébration de l’office s’exprime par le déploiement des rites, mais aussi par la place accordée au chant. À la suite du Règlement de 1832, les Constitutions de 1837, au § 3, demandent de chanter au moins la messe et les vêpres, et pour le reste, « d’avoir

39   Arch. Solesmes, Le Mans, le 31 décembre 1831, Lettre de l’abbé Guéranger à l’abbé Auguste Fonteinne (Lettres de dom Guéranger op. cit., IV/2, 2000, p. 22). 40   Id., Paris, le 31 mars 1833, Lettre de l’abbé Guéranger à l’abbé Fonteinne (ibid., p. 54). 41   Dom Louis Paquelin, né le 14 octobre 1820 à Montmirail (Marne), profès le 8 septembre 1862, mort à Solesmes le 8 septembre 1889. 42   Arch. Solesmes, Boîte « Cérémoniaux ». 43   Caeremoniale monasticum jussu & auctoritate Capituli generalis Congregationis Sancti Mauri Ordinis S. Benedicti editum. Secunda editio eadem auctoritate emendata, Paris, L. Billaine, 1680, p. 1-29.

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égard à la dignité des fêtes 44 ». En revanche, les textes mauristes prenaient en considération non seulement le degré des fêtes, mais aussi le nombre des moines composant la communauté, déterminant minutieusement la proportion des parties chantées et des parties récitées de l’office, sans qu’il ne soit jamais question à Saint-Maur de le chanter intégralement. Pour chaque classe de fêtes, les mauristes distinguaient trois cas selon que le nombre des religieux était supérieur à vingt-cinq, compris entre quinze et vingt-cinq, ou inférieur à quinze 45. La suppression dans le cérémonial choral manuscrit du frère Paquelin des chapitres mauristes traitant du chant est à mettre en relation avec ces prescriptions des Constitutions de 1837 et le désir de l’abbé de Solesmes de revenir à l’office divin tel que saint Benoît l’avait prévu (RB 8-20). Ce qui se vérifie par ailleurs dans la distance que prend dom Guéranger à l’égard des pratiques médiévales dont Saint-Maur n’avait pas osé s’affranchir entièrement, comme la récitation du petit office de la Vierge qui n’est plus prescrite au chœur, alors que les trappistes en conservaient encore l’usage. Un Directorium chori, contenant les Toni communes de la messe et de l’office et que dom Guéranger avait voulu faire précéder de règles d’accentuation et d’exécution du chant, devait aider les moines dans la pratique du chant choral 46. Dans ce domaine, la communauté de Solesmes eut longtemps recours, du moins pour ce qui regarde le ton des lectures, aux règles en usage dans la congrégation de Saint-Maur 47. Mais l’ouvrage, réalisé par dom Paul Jausions 48 avec la collaboration de dom Joseph Pothier 49, dont l’impression était envisagée

  « Opus orationis perficitur in celebrando quotidie integraliter officio divino diei cujusque in choro, partim notis, partim sine notis, secundum dignitatem festorum ; ita tamen ut semper ad minus Missa conventualis & Vesperae notis cantentur […] » (Constitutiones congregationis Gallicae, op. cit., § 3, p. 16). 45   « Si maior fuerit Congregatio. Declaramus majorem esse Congregationem, in qua sunt 25 Monachi Clerici ; Minorem vero, in qua saltem sunt 15. & in majori quidem Congregatione notis cantabuntur quotidie omnes Horae diurnae cum Missa Conventualis, exceptis Psalmis Completorii iuxta regulam. In minori autem notis cantabitur quotidie saltem Missa Conventualis cum Hora praecedente & subsequente, Vesperis, & Antiphona Beatae Virginis in fine Completorii ; diebus tamen festis cantabuntur omnes Horae diurnae. Nocturnae etiam Vigilae cum Laudibus cantabuntur, prout in Caeremoniali » (cf. Liste-Index infra, [Bénédictins Saint-Maur 1680], Pars I, cap. X , p. 30). « At ubi fuerit minor quam 15 Monachorum Clericorum numerus, Capitulum generale, vel R. P. Super. Generalis determinabit quaenam Officia erunt notis perfolvenda » (Regula Sanctissimi Patris Benedicti cum Declarationibus congregationis Sancti Mauri, s. l. [Paris], 1646, Cap. XVII : « Quanti Psalmi per easdem horas canendi sunt », § 1, p. 66-67). Voir dom Dominique Catta, « Le chant liturgique chez les mauristes », dans Mémorial du XIVe centenaire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (Coll. Bibliothèque de la Société d’Histoire ecclésiastique de la France), 1959, p. 301-312, ici p. 302. 46   Voir dom P. Combe, op. cit., p. 38 et 57-58. 47   Dom Guéranger écrivait de Paris à dom Fonteinne le 8 mars 1841 : « J’avais dit simplement à D[om] Nicolas[Brémon], ce que j’ai répété bien des fois à la conférence spirituelle, qu’il fallait suivre pour les leçons les tons de la Congrégation de Saint-Maur ; mais je n’ai autorisé en rien la plus petite innovation dans le sens de la Trappe et de ses rites. […] Mon intention est de ne jamais faire d’innovation dans le chant, sans avoir consulté le chantre [dom Fonteinne], mais j’ai toujours considéré les règles de la Congrégation de S[aint] Maur sur ce point, comme promulguées […] Arch. Solesmes (Lettres de dom Guéranger, op. cit., p. 136) ». 48   Dom Paul Jausions, né le 15 novembre 1834 à Rennes, profès le 29 septembre 1856, mort à Vincennes (ÉtatsUnis) le 9 septembre 1870. 49   Dom Joseph Pothier, né le 7 décembre 1835 à Bouzemont (Voges), profès le 1er novembre 1860, abbé de SaintWandrille de Fontenelle le 24 juillet 1898, mort à Conques, en Belgique, le 8 décembre 1923. 44

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en 1860, mais sorti des presses seulement en 1864 sur de nouvelles bases 50, ne fut hélas jamais distribué à la communauté, tous les exemplaires à l’exception de quatre ayant été détruits dans l’incendie de l’imprimerie Vatar, à Rennes, vers 1866. Le Caeremoniale monasticum ad usum Congregationis Gallicae imprimé à Solesmes sur les presses de l’abbaye Saint-Pierre en 1887, soit douze ans après la mort de dom Guéranger, en un volume (11 x 16,5 cm) de 58 pages 51, devait reproduire les mêmes chapitres du Cérémonial de Saint-Maur recopiés par le frère Paquelin. En fait de cérémonial monastique, la congrégation de France ne connaîtra officiellement que ce cérémonial choral. L’édition de 1887 répondait en partie à une décision du chapitre général de 1886, évoquée déjà par celui de 1883, qui souhaitait pour la congrégation un cérémonial commun rédigé selon les antiques usages de l’Ordre, de ceux notamment des anciennes congrégations dont celle de France avait été déclarée héritière. Une commission avait été constituée dans ce but, mais son travail n’avait pas encore abouti. La demande ayant été renouvelée par les chapitres généraux de 1910, 1925 et 1930, une nouvelle édition du Caeremoniale monasticum paraissait en 1932, en un volume in-octavo de 109 p. 52 Si les titres des neuf chapitres du premier et unique Livre « De Caeremoniis communibus » sont, à deux exceptions près, identiques à ceux du cérémonial de Saint-Maur, le texte, quant à lui, a fait l’objet de très nombreux amendements. De plus il se voit augmenté d’un long appendice traitant entre autres de certaines particularités de la messe conventuelle (§ II et III), des processions (§ VI) ou encore des rites abbatiaux (§ VIII). Enfin selon son titre complet, Caeremoniale …Juxta Consuetudines Veterum Congregationum Cluniacensis, Sancti Mauri ac SS. Vitoni et Hydulphi, cette édition entièrement revue ne se contente pas comme celle de 1887 de reproduire le texte mauriste, mais se réfère aussi au Cérémonial de la congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe (Toul, A. Laurent, 1695) — très proche de celui de Saint-Maur — et surtout aux anciens us et coutumes de l’ordre de Cluny, aux Consuetudines de Bernard et d’Ulrich de Zell notamment. Le Chapitre général de 1956 admettra le principe que la base d’un nouveau cérémonial pour la congrégation de France devait être cherchée dans les coutumes du Cluny médiéval.

Le Cérémonial pour la vêture et la profession (1856) C’est encore aux éditions réalisées par les mauristes, en l’occurrence au rituel monastique en usage dans la congrégation (Paris, J. Billaine, 1648 ; Paris, L. Billaine, 1666) que dom Guéranger et ses premiers compagnons se référèrent pour les cérémonies de vêture et de profession, ou encore pour celle de la rénovation annuelle des vœux, le 21 novembre 53.

50   Directorium chori monasticum ad usum Congregationis Gallicae Ordinis Sancti Benedicti., Rhedonis, Typis H. Vatar, 1864, 14 x 21,5, 99 p. 51   Caeremoniale monasticum ad usum Congregationis Gallicae Ordinis Sancti Benedicti. Caeremoniae communes, Solesmis, Typographia Sancti Petri, 1887. 52   Caeremoniale monasticum ad usum Congregationis Gallicae O. S. B. Juxta Consuetudines Veterum Congregationum Cluniacensis, Sancti Mauri ac SS. Vitoni et Hydulphi, Typis Abbatiae S. Paul de Oosterholto, s. d. [1933]. 53   Voir Arch. Solesmes, « Chroniques », Pièce 1, à la date des 20 et 21 novembre 1838.

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Dans ce domaine, la communauté de Solesmes, cependant, voulut très vite se doter de rites propres  54. En 1856, dom Guéranger faisait imprimer à Rennes, chez H. Vatar, le Cérémonial pour la vêture et la profession des bénédictins de la congrégation de France, un volume (13 x 20,5 cm) de 129 pages. Il s’agit à proprement parler d’un rituel où se trouvent quelques pièces de chant noté, presque uniquement les antiennes du Mandatum, tirées du Graduel de Dijon d’après le romain de Valfray  55. Au sujet de sa constitution à partir de divers éléments provenant aussi bien du Rituel de Saint-Maur que de rites en usage dans les congrégations du Mont-Cassin et de Valladolid, dom Guéranger a laissé le jugement suivant sur ce cérémonial dans le commentaire qu’il en fit ; commentaire qui, selon la perspective mystagogique qui est aussi celle de l’abbé de Solesmes, offre toute une théologie de la profession monastique : En rédigeant ce cérémonial de nos professions, nous y avons réuni des rites empruntés aux différentes congrégations de notre ordre. Tous leurs usages ont un fond commun, auquel chacune ajoute certaines particularités. Nous nous trouvons en communion avec la plupart d’entre elles par l’adoption de quelques-uns de ces rites propres. Il en résulte un ensemble magnifique et une fonction qui est une véritable prédication pour tous les assistants et accumule sur le nouveau profès les forces sanctificatrices par l’usage répété des sacramentaux. En finissant, je vous recommande de nouveau les quatre oraisons qui précèdent la profession. Elles font partie maintenant du patrimoine de l’Église catholique, puisqu’elles ont été insérées dans le Pontifical. Elles ont par là même une force spéciale. Il importe qu’on les sache bien et qu’on les applique bien 56.

Le Cérémonial pour la vêture et la profession mériterait une étude approfondie, tout comme le rituel des moniales bénédictines de Sainte-Cécile de Solesmes, auquel dom Guéranger, avec la collaboration de dom Christophe Gauthey 57, semble avoir mis la dernière main lors d’un séjour qu’il fit au monastère Sainte-Marie-Madeleine de Marseille en avril 1869 58, mais qui ne sera imprimé qu’en 1883 en un volume (12 x 16 cm) de 122 et 16* pages 59. Le rite restauré de la Consécration des vierges sur lequel l’abbé de Solesmes a beaucoup travaillé devrait tout particulièrement retenir l’attention.

  Ainsi, lisons-nous dans les Chroniques à la date du 21 novembre 1839 : « Rénovation des vœux. À la messe grand abbatial. […] l’année prochaine on ajoutera le Te Deum marqué au rituel [de Saint-Maur] (Id., « Chronique de dom Louis David », Pièce 7) ». Et l’année suivante, à la même date : « Rénovation des vœux des profès de l’abbaye de Solesmes d’après le cérémonial fait ad hoc (Id., « Chronique de dom Louis David », Pièce 8) ». 55   Voir dom P. Combe, op. cit., p. 24. 56   Arch. Solesmes, « Conférences du Révérendissime Père Dom Prosper Guéranger, Abbé de Solesmes, sur le cérémonial de la profession monastique de la Congrégation des bénédictins de France (texte retranscrit par le frère Alphonse Guépin, le 23 novembre 1876) », f° 15. 57   Dom Christophe Gauthey, né le 8 juillet 1833 à Bourbon-Lancy (Sâone-et-Loire), profès le 10 avril 1860, prieur puis abbé de Sainte-Marie-Madeleine de Marseille le 4 avril 1876, mort à Chiari (Italie) le 8 novembre 1920. 58   Voir Arch. Solesmes, « Journal de dom Guéranger », T. V (11 juin 1867-8 septembre 1870), f° 57 (28 avril 1869). 59   Rituale Sanctae Caeciliae, Solesmis, Typis Abbatiae Sanctae-Caeciliae, 1883. 54

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Le cérémonial monastique de l’abbaye Sainte-Cécile (1876 et 1890) 60 En 1890, était imprimé sur les propres presses de l’abbaye Sainte-Cécile, en un beau volume (16 x 22,5 cm) de III, 258 et 8* pages, à la typographie particulièrement soignée, le Cérémonial monastique en usage à l’abbaye de Sainte-Cécile de Solesmes 61. Quelle part prit dom Guéranger dans la rédaction de cet ouvrage qui devait être adopté par bon nombre de monastères de moniales bénédictines non seulement en France, mais aussi en Angleterre, en Allemagne et en Belgique 62 ? Le projet initial remonte à 1869, sur la suggestion adressée alors par dom Léon Bastide 63, abbé de Saint-Martin de Ligugé, à la prieure de la jeune fondation de Sainte-Cécile (1866), mère Cécile Bruyère. Il pressait cette dernière de ne pas attendre pour mettre par écrit le cérémonial, ainsi que le coutumier. Nous avons vu plus haut comment dom Guéranger l’en dissuada, jugeant ce travail de rédaction prématuré. Mais après la mort de ce dernier, le 30 janvier 1875, l’abbesse, en ressentant le besoin pour sa communauté, se mit en devoir d’y œuvrer, vivement sollicitée par ailleurs par les abbayes Notre-Dame de Stanbrook et Notre-Dame de Jouarre qui souhaitaient adopter les usages de Sainte-Cécile. C’est un des motifs du séjour que mère Cécile Bruyère fit à Jouarre du 8 au 21 décembre 1875 où elle y travailla avec l’abbesse, mère Athanase Gilquin. À son retour à Solesmes, elle s’occupa activement de terminer la rédaction du cérémonial qui fut achevée le 28 mars 1876. Mais bientôt le développement des effectifs de la communauté, la possibilité alors d’une célébration toujours plus solennelle de la liturgie réclamèrent de nombreux amendements et additions au texte primitif. L’abbesse fut aidée pour ce nouveau travail par plusieurs de ses moniales, par mère Domitille de Marquié surtout, et par les conseils avisés de dom Lucien Fromage 64, alors cérémoniaire de l’abbaye Saint-Pierre 65. C’est cette nouvelle version du cérémonial qui fut imprimée en 1890. Si c’est à dom Guéranger que revient la formation liturgique de la communauté, son initiation aux rites et son apprentissage des rubriques — on sait avec quel soin et quelle

60   Les lignes suivantes, ne présentant qu’une toute première approche de ce cérémonial qui lui aussi mériterait une étude plus approfondie, doivent beaucoup aux renseignements qu’a bien voulu me communiquer sœur Marie des Neiges Jourdain, archiviste de l’Abbaye Sainte-Cécile de Solesmes, que je remercie tout particulièrement. 61   Cérémonial monastique en usage à l’abbaye de Sainte-Cécile de Solesmes, Solesmes, Typographie de l’abbaye de Sainte-Cécile, 1890. 62   Sur l’influence exercée sur le monde monastique féminin par l’abbaye Sainte-Cécile de Solesmes et la diffusion de son modèle, voir dom Guy-Marie Oury, Lumière et force. Mère Cécile Bruyère, première abbesse de SainteCécile (1845-1909), Solesmes, Éditions de Solesmes, 1997, p. 234-240. 63   Dom Léon Bastide, né le 21 mars 1823 à Aurillac (Cantal), profès le 15 août 1859, abbé de Saint-Martin de Ligugé de 1864 à 1877, mort à Solesmes le 12 avril 1900. 64   Dom Lucien Fromage, né le 8 mai 1845 à Saint-Cyr-la-Rosière (Orne), profès le 8 mai 1870, mort à Quarr Abbey le 2 février 1916. Nommé cérémoniaire, le 26 janvier 1874, à la mort de dom Bourgeteau, il le resta 42 ans, jusqu’à sa mort. 65   Les Archives de l’abbaye Sainte-Cécile conservent le manuscrit de la première version (1876) du Cérémonial écrit de la main même de mère Cécile Bruyère, avec en marge les remarques de dom Fromage.

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minutie il s’y employa, allant jusqu’à donner lui-même des leçons d’accentuation latine 66 —, si par ailleurs mère Cécile Bruyère sut profiter des conseils de dom Fromage, le texte imprimé du Cérémonial cependant n’en est pas moins l’œuvre de l’abbesse. Le Cérémonial de SainteCécile d’ailleurs ne s’apparente pas tant au Cérémonial de Saint-Maur qu’à ceux des grandes abbayes de femmes de l’Ancien Régime dans lesquels mère Cécile Bruyère, qui avait pu en consulter plusieurs lors de son passage à Jouarre, puisa largement. N’avait-elle pas constaté elle-même, avec une certaine satisfaction, qu’il était très proche de celui des bénédictines de Montmartre (Paris, 1669) rédigé par le feuillant dom Pierre de Sainte-Catherine ? La division des parties de l’ouvrage est semblable à celle des anciens cérémoniaux. La première partie traite des cérémonies communes (ou du cérémonial choral, dont elle reprend les mêmes titres de chapitre que l’édition mauriste adoptée par dom Guéranger, à l’exception du IXe, et en ajoute quatre nouveaux, l’un sur la communion et les autres sur la pratique du chant) ; la deuxième, des diverses officières du chœur et de leur fonction, à commencer par la charge de cérémoniaire ; la troisième, des fonctions solennelles, notamment des offices présidés par l’abbesse ; la quatrième et dernière, des particularités propres à certains jours de l’année liturgique. Pour les cérémonies de la vêture, de la profession et de la consécration des vierges, ainsi que de la bénédiction d’une abbesse, l’ouvrage renvoie au rituel monastique en usage à Sainte-Cécile et au pontifical romain, se contentant d’indiquer en appendice quelques détails supplémentaires. Enfin, dans le Prologue (voir Annexe II) qu’elle inséra en tête du cérémonial, et dont le texte remonte à la première version, mère Cécile Bruyère se fait l’écho de la pensée de dom Guéranger en la matière, avec cette même largeur d’esprit et ce même sens élevé des choses divines que l’on trouve chez l’abbé de Solesmes.

❦ Solesmes n’eut donc jamais de cérémonial analogue aux cérémoniaux monastiques de Saint-Vanne et de Saint-Maur. Dom Guéranger souhaitait pourtant la rédaction d’un cérémonial propre et en avait confié la responsabilité à dom Bourgeteau. S’il ne vit pas le jour, c’est semble-t-il avant tout pour des raisons pratiques, dont nous avons longuement parlé. Mais d’autres causes peuvent être invoquées. Tout d’abord le choix en faveur de la liturgie romaine. Le recours aux rubriques données par les livres liturgiques, le missel, voire le Cérémonial des évêques ou le Pontifical romain, pouvaient suffire. L’édition en 1887 d’un Caeremoniale monasticum traitant uniquement du cérémonial choral est suggestive. Dom Guéranger ne s’était pas montré partisan de cérémoniaux composites, faits d’éléments trop souvent hétéroclites. Pour cette partie du cérémonial plus spécifiquement monastique, il réutilise ce qu’il a sous la main, le cérémonial de Saint-Maur, mais il choisit ce qui convient à son projet, retranche ce qui ne lui est pas conforme. Ceci se vérifie par les quelques retouches apportées au texte mauriste. Par exemple à propos des « satisfactions » à faire au chœur par celui qui y commet quelque faute légère en chantant. Les mauristes prescrivaient « de toucher

  Voir dom G.-M. Oury, Mère Cécile Bruyère …, op. cit., p. 114.

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le sol de la main 67 », geste tenant lieu d’une prostration pour baiser le sol. Dom Guéranger remplace ce geste par une « génuflexion effectuée sur place 68 », rendant ainsi la satisfaction plus onéreuse, mais surtout plus signifiante, moins formaliste. Dom Guéranger préféra faire porter son attention sur les rites de la vêture et de la profession, qu’il renouvelle entièrement. De même, il restaurera le rite de la consécration des vierges à l’intention des moniales de Sainte-Cécile de Solesmes. Dans le monachisme renouvelé proposé par dom Guéranger, le cérémonial devait faire l’objet d’une refonte complète. Si elle n’a pas pu être réalisée, c’est aussi peut-être parce que dom Guéranger a voulu tout axer sur l’essentiel du propos monastique. Les Constitutions de 1837 en témoignent 69. Tout ce qui relevait des usages, de la coutume et du cérémonial a été laissé en attente afin que cet ensemble d’observances secondaires demeure sujet à d’éventuelles modifications et adaptations requises par les circonstances. On sait combien l’abbé de Solesmes répugnait à mettre par écrit ce qui auparavant n’avait pas été longuement expérimenté par la pratique liturgique concrète d’une communauté. En matière de cérémonial, nous pouvons dire que dom Guéranger, comme c’est souvent le cas chez lui, n’a pas fait œuvre définitive. Dom Thierry Barbeau Abbaye Saint-Pierre de Solesmes

  « Quoties in choro vel alibi quisquam psallendo vel cantando leviter fallitur, […] satisfaciet manu terram tangendo […]  » (Regula Sanctissimi Patris Benedicti cum Declarationibus congregationis Sancti Mauri, op.  cit., Cap. XLV : « De iis qui falluntur in Oratorio », p. 158). 68   « [Ibid.] satisfaciat genuflectendo in loco suo » (Constitutiones congregationis Gallicae, op. cit., § 7, p. 21). 69   Voir dom Roger Gazeau, « Les Constitutions de la congrégation de France », dans Sous la Règle de saint Benoît. Structures monastiques et sociétés en France du Moyen Âge à l’époque moderne, Genève/Paris, Librairie Droz (coll. École Pratique des Hautes Études, V : Hautes Études médiévales et modernes, 47), 1982, p. 149-162. 67

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ANNEXE I

Textes normatifs relatifs à la liturgie élaborés par dom Prosper Guéranger Règlement de 1832

(Regulae societatis regularis in dioecesi Cenomanensi existentis favente et auspice, illustrissimo ac reverendissimo D. D. Episcopo, Cenomani, Tipogr. Joh. Belonii, 1833, § 1-27, p. 5-13) PARS PRIMA : De regularibus exercitiis CAPUT PRIMUM : De officio divino 1. Operi divino nihil praeponatur : Illud solemne S. Benedicti axioma proprium erit quoque nostrae Societatis. Sociorum principale negotium, primumque omnium exercitiorum erit Divini Officii celebratio. Cum omni zelo, huic adimplendo vacabunt, et ad chorum advocati, primo signo, festinabunt. 2. Singulis anni diebus, Officium de die celebrabitur integrum cum Missa, in Ecclesia Societatis, juxta ritum et orinem Sanctae Romanae Ecclesiae. 3. Quotidie, notis cantabuntur Missa Conventualis, Vesperae et Antiphona B. M. V. post Completorium. Reliquum Officium psalletur indirectum vel cantabitur, secundum dignitatem festorum et numerum sociorum in choro praesentium. 4. Cantui et ceremoniis ecclesiasticis ediscendis sedulo incumbent socii. 5. In choro, illum habitum gestabunt Socii quo uti solent clerici saeculares. Attamen, à primis vesperis festi omnium Sanctorum usque ad completorium Sabbati Sancti exclusive, induent vastam hanc cappam nigri coloris cum caputio qua utuntur clerici cantores quarumdam ecclesiarum cathedralium. 6. Officio integro praesidebunt, illudque celebrabunt alternatim omnes sacerdotes Societatis ; primo Superiores qui sunt Prior et Subprior ; deinde, caeteri in suo ordine professionis, vel temporis acti in Societate. 7. In festis duplicibus secundae classis et supra, Prior integrum officium celebrare tenebitur, illique praesidere. Quod si fuerit impeditus, onus ad hebdomadarium redeat. 8. Ommes socii professi ad chorum et novitii quoque ad chorum destinati omnibus officiis intererunt. Conversi professi vel novitii quotidie intererunt missae conventuali et completorio. In dominicis et festis de praecepto, omnibus officiis diurnis intererunt prout talis assiduitas cum illorum exterioribus curis conciliari poterit. 9. In choro, stallae deprimentur ad omnes psalmos, antiphonas, lectiones et responsoria in matutinis et laudibus ; ad cantum martyrologii in prima ; in majori sacro, cum epistola et prophetiae cantantur, et tandem ad lectionem Sanctorum Patrum quae fit initio completorii. 10. Missa conventualis, id est ea quae cantabitur, quotidie celebrabitur ad intentionem generalem benefactorum Societatis. CAPUT II : De ordine et tempore officii divini 11. A festo Omnium Sanctorum usque ad Pascha exclusive, matutinum cum laudibus celebrabitur hora nona serotina, et à Paschate usque ad festum Omnium Sanctorum exclusive, celebrabitur mane, hora quarta cum dimidia. 12. A festo Omnium Sanctorum usque ad Pascha exclusive, omnes procedent ad chorum mane, hora quinta cum dimidia, et ibi quisque meditationi et orationi vacabit per semi horae spatium ; huic

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meditationi intererunt etiam fratres conversi : a Paschate usque ad festum Omnium Sanctorum, illud exercitium fiet immediate post laudes. 13. Quocumque tempore, prima, cum cantu martyrologii, celebrabitur mane, septima hora cum quadrante. 14. Quando duae celebrabuntur missae, propter occurrentiam, prima legetur sine cantu post celebrationem horae primae, omnibus in choro manentibus, usque et post ultimum evangelium. 15. Nona hora matutina, cantabitur missa conventualis cui praemittetur tertia et quam sequetur sexta. 16. Quarta hora pomeridiana, cantabuntur vesperae, quibus nona praemittetur. 17. Tempore quadragesima, omnibus hebdomadae diebus, paeterquam in dominicis, tertia et sexta celebrabuntur post primam, et missae conventuali nona praemittetur ; vesperae hora undecima matutina cum dimidia cantabuntur. 18. Feriis quarta, quinta et sexta majoris hebdomadae officium Tenebrarum diei sequentis celebrabitur hora quinta pomeridiana. His diebus, hora completorii erit tertia pomeridiana cum tribus quadrantibus. 19. Exceptis his diebus, completorium erit quotidie hora octava serotina cum dimidia. 20. Completorio praemittetur semper lectio, cum cantu, homiliae vel operis cujusdam e Sanctis Patribus. Haec lectio quae nunquam ultra semi-quarantem protrahetur, incipiet his verbis : In nomine D. N. Jesu Christi. Amen, et finem habebit signo dato a Priore. 21. Absoluto completorio, cantataque B. M. V. antiphona, recitabuntur ab unoquoque preces serotinae, sub silentio, usque ad horam nonam. CAPUT III : De festis 22. Praeter illa quatuor festa observanda ex Indulto Legati Caprarae, et praeter illa quae occurrunt in dominicis, servabuntur tanquam de praecepto sequentia : Epiphania Domini, feriae secunda et tertia post Pascha, feriae secunda et tertia infra octavam Pentecostes, festum corporis Christi, Nativitas S. Joannis Baptistae, festum S. S. A. A. Petri et Pauli, Sanctorum Patronorum Ecclesiae, Loci et Diaeceseos, item festum Depositionis et festum Translationis S. Benedicti, et festum S. Mauri ; haec festa tanquam duplicia primae classis. Deinde festa Circumcisionis Domini, Conceptionis, Nativitatis, Annuntiationis et Purificationis B. Mariae, S. Stephani protomartyris et S. Scholasticae virginis ; haec vero tanquam duplicia secundae classis. 23. His diebus, abstinebunt omnes ab operibus servilibus per totam domum. 24. Festa S. S. Benedicti, Mauri et Scholasticae celebrabuntur cum octava. CAPUT IV : De celebratione missarum privatarum 25. Sacerdotes Societatis missas privatas celebrare poterunt a fine meditationis usque ad primum, et a prima usque ad horam missae conventualis. 26. Tempus privatae missae sic aptare curent sacerdotes, ut numquam illam incipiant, finiant ve durante quocumque officio chori. 27. Si postulet necessitas, omnes Socii, etiam sacerdotes, ministrabunt missis privatis, et illud ministerium honorabile habebunt.

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Constitutions de 1837

(Constitutiones congregationis Gallicae ordinis S. Benedicti a Sancta Sede approbatae cum mutationibus ab eadem Sancta Sede confirmatis, Solesmis, Typographeo Sancti Petri, 1901, § 3-11, p. 16-24.) CAPUT II : De Opere divino 3. Opus orationis perficitur in clebrando quotidie integraliter officio divino diei cujusque in choro, partim notis, partim sine notis, secundum dignitatem festorum ; ita tamen ut semper ad minus Missa conventualis & Vesperae notis cantentur ; quod exercitium officii divini quatuor horas & amplius, ad majus autem octo de more absumit. 4. Nihil operi Dei praeponatur. Ad chorum igitur vocati fratres, relictis omnibus, alter alterum anteire alacri pietate festinent. Ecclesiam adeant in spiritu & veritate adoraturi ; in loco designato congregati, & statione facta, ad signum Superioris ordinatim bini & bini ingrediantur. Sit incessus gravis, non praeceps, totusque corporis habitus sit ad modestiam ita compositus, ut adorationem spiret, & Dei praesentiam testetur. Stent, sedeant, genuflectant ut in Ceremoniali monastico praescribitur. Alta voce semper psallatur, seu notis, seu in directum ; pariter incipiatur versus & terminetur, ac pausae convenientes fiant. Cantus non sit tardus aut languidus, nec praeceps aut concitatus, sed habita ratione solemnitatum moderatus ; & artificiosae musicorum inflexiones vitentur omnino ; vocibus non parcatur. Deferentur cucullae quoties sanctissimum Sacramentum patebit expositum ; in festis primi & secundi ordinis, ad omnes Horas ; in festis vero tertii ordinis, dominicis, & festis de paecepto, atque etiam a Kalendis Octobris usque ad Kalendas Maii, ad omnes Horas, excepto Completorio ; reliquis autem anni temporibus ad Missam tantum & Vesperas. Deferentur itidem cucullae ad sacram synaxim, in processionibus, supplicationibus publicis ; cum induuntur & professionem emittunt novitii, & in defunctorum exsequiis, aliisque solemnitatibus. 5. Ea autem omnino prohibemus incitamenta studiorum quae in detrimentum regularis observantiae vergerent ; nemo sub eo praetextu se ab exercitiis communibus & Officio divino immunem praetendat. Satis cuique temporis supererit, dummodo solitudinis amicus, otium & secularium consortia devitet, vestigiisque inhaereat majorum nostrorum, qui dum vitae regularis onera alacriter subibant, eminenti eruditione arduisque laboribus Congregationem illustrarunt. 6. Qui ad Horas nocturnas Officii canonici venerit incepto psalmo Venite exsultemus, genuflectat in medio chori usque ad signum Superioris, quo facto surgat & locum suum petat ; idemque praestent qui ad Horas diei venerint primo psalmo inchoato. Qui autem ad nocturnas Vigilias venerit psalmo Venite exsultemus finito, & ad Horas diei post finem primi psalmi, & ad Completorium prolixiori inchoata lectione, facto surgendi signo se excuset, vel petat locum negligentium, videlicet ultimam sedem inferioris chori, ubi stabit usque ad finem officii ; neque jungetur choro psallentium, nisi Superior facto signo facultatem dederit locum suum petendi, ita tamen ut in fine officii genuflexus iterum satisfaciat. Excusationes vero tarde venientium recipit Superior monasterii, & in ejus absentia Subprior, aut is qui praeest ex sacerdotibus professis ejusdem monasterii. 7. Quoties in choro vel alibi quisquam psallendo vel cantando leviter fallitur, verbi gratia, syllabam attolendam deprimendo vel deprimendam attollendo, verbum aliquod pronuntiando pro alio (si non incedat), satisfaciat genuflectendo in loco suo. Qui vero notabiliter delinquunt, seu in choro, seu ubivis, puta proferendo id quod emendari necesse est, aut sunt aliis erroris causa, vel magnum fragorem aut strepitum edunt, statim ac deliquerint, vel, si cantant soli, cum primum finierint cantum, genuflexi in medio chori satisfacient usque ad signum Superioris ; idemque praestabunt qui inter legendum, cantandum, aut aliud quidvis agendum, ab eo qui praeest fuerint correpti. 8. Hora quarta matutina excitati fratres, chorum adeunt, Matutinum cum Laudibus celebraturi ; officium Primae locum habet hora septima cum quadrante  ; hora nona Missa conventualis, quam praecedit tantummodo Tertia, nisi prius absolvenda foret Sexta, vel etiam Nona, dictantibus rubricis.

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Sexta igitur Missae, quoties licet, subjungitur ; Nona vero praecedit officium Vesperarum, cujus hora est quarta pomeridiana, extra Quadragesimam ; tandem Completorium agitur hora octava serotina cum dimidia. CAPUT III : De festis 9. Praeter illa quatuor festa celebranda in Galliis ex indulto Eminentissimi Legati Caprara, serventur etiam tanquam de praecepto sequentia : Circumcisio Domini, Epiphania ejusdem, Feriae secundae & tertiae infra Octavas Paschae & Pentecostes, Festum Corporis Christi, Immaculata Conceptio, Nativitas, Annuntiatio, & Purificatio beatae Mariae Virginis, Nativitas sancti Joannis Baptistae, Festum sanctorum Apostolorum Petri & Pauli, Sancti Stephani Protomartyris, Sanctorum Patronorum ecclesiae vel monasterii. 10. Praeterea observabunt sub praecepto festa Natalium sancti Patris Benedicti & sancti Mauri, & Translationis ejusdem sancti Benedicti, sub ritu festorum primi ordinis, in quibus festis, etiam translatis, nec domesticis, nec externis, intra monasteriorum septa licebit operi servili incumbere. Ita festum sancti Placidi, sanctae Scholasticae, omnium sanctorum Monachorum Ordinis & sancti Martini, sub ritu festorum secundi ordinis & sub praecepto observabuntur quoad fratres & commissos tantum. Quod etiam intelligendum est de festis in articulo nono relatis. 11. Diebus dominicis & festis de praecepto, his tantummodo studiis incumbent fratres quae spectant Scripturam sacram, ecclesiasticam liturgiam, Sanctorum historiam, vel mysticam & asceticam theologiam.

ANNEXE II

Prologue de mère Cécile Bruyère au Cérémonial de l’abbaye Sainte-Cécile de Solesmes

(Cérémonial monastique en usage à l’abbaye de Sainte-Cécile de Solesmes, Solesmes, Typographie de l’abbaye de Sainte-Cécile, 1890, p. I-III) Les monastères, mes très-chères filles, parcourent des phases diverses qui ont quelques analogies avec les différents âges de la vie humaine, & ce qui fait habituellement l’infériorité des œuvres de notre temps, c’est qu’au lieu de suivre cette loi si naturelle, elles sortent pour l’ordinaire formées tout entières du cerveau d’un homme. Dieu cependant a voulu imposer à toutes ses œuvres naturelles & surnaturelles cette loi du progrès & de la succession. À l’origine, lorsque la vérité était encore toute fraîchement imprimée dans la mémoire des hommes, la tradition suffisait pour y maintenir ce que le Seigneur leur avait révélé dès le commencement, & qu’ils n’auraient jamais pu atteindre par les seules forces de leur raison. Mais, lorsque dans les âmes lésées par les suites funestes du péché il se fit un obscurcissement, Dieu, pour protéger la vérité & maintenir son œuvre, écrivit sa loi sur des tables de pierre, montrant par là & l’immutabilité de ses préceptes & la fermeté de l’âme qui les doit recueillir.

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C’est chercher peut-être bien loin, mes très-chères filles, les motifs qui m’ont déterminée à entreprendre le travail qui va vous être livré. Mais rien n’est petit, rien n’est négligeable dans notre vie de Moniales. Or, il faut bien l’avouer, notre enfance est passée, les années se succèdent, les altérations sont à craindre par le fait de l’infirmité humaine, l’heure est donc venue de fixer par l’écriture ce qui est pratiqué parmi nous depuis le début. Il est à peine nécessaire de dire aux filles de la prière liturgique, à celles que l’Église charge solennellement de faire retentir la divine louange, pourquoi nous donnons tant d’importance à un simple recueil de cérémonies. Elles savent surabondamment que Dieu lui-même s’est institué le cérémoniaire de son peuple, & qu’il a dit en maint endroit de l’Écriture : « Quae est enim alia gens sic inclyta, ut habeat ceremonias … ? (Deut., IV, 8) Audi Israel ceremonias atque judicia, quae ego loquor in auribus vestris hodie : discite ea, & opere complete … Loquar tibi omnia mandata mea & ceremonias … » (Ibid., V, 1, 31) Et le courageux Néhémie, narrant les causes qui ont renversé Israël, ne craint pas de dire : « Non custodivimus mandatum tuum & ceremonias … » (2 Esd., I, 7) L’Époux divin lui-même venant abroger par son sang toutes ces cérémonies figuratives & désormais sans objet, se soumit néanmoins à leurs exigences ; mais ce fut pour les remplacer par les divines réalités de la loi de grâce. Les nouveaux fils d’Abraham, ceux qui sont engendrés par le divin Esprit opérant dans la sainte Église, auront, eux aussi, des cérémonies & des rites ; lesquels seront d’autant plus sacrés, que le culte rendu à Dieu sera égal à la majesté divine, par l’offrande journalière de l’auguste sacrifice qui est le centre & le nœud de l’Office divin. Vous vous souviendrez aussi toujours, mes très-chères filles, que saint Jean pénétrant avec son regard d’aigle les profondeurs du ciel, n’a rien trouvé de plus parfait pour nous traduire les sublimités qu’il a entrevues, que de nous décrire une fonction liturgique où la session, les prostrations, les encensements, les cantiques alternatifs & les vêtements sacrés trouvent leur place. Sans cesse nourries de la Sainte Écriture, vous n’ignorez pas quel profond symbolisme renferment les attitudes. Rien n’est vide de sens, rien n’est indifférent ; il y a là tout un monde mystérieux & sublime, qu’il faut s’efforcer de saisir. Dans cette étude le Saint-Esprit est le grand maître ; mais lors même qu’il vous eût laissées à vos propres forces, la lecture de nos Anciens pourrait vous en révéler suffisamment pour alimenter votre intelligence. Demandez à saint Denys qu’il vous enseigne ces mystères & qu’il vous en donne le goût. Enfin, puisez à pleines mains dans les trésors laissés par nos glorieuses mères, les vierges Hildegarde, Mechtilde & Gertrude. Elles ont pénétré ces divins secrets, elles vous feront animer de jour en jour davantage ces saintes cérémonies, vous les faisant aimer avec passion, & vous donnant d’offrir par tout votre être à l’Époux divin une louange qui ira toujours se perfectionnant jusqu’à l’éternel cantique de la Jérusalem céleste.

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Partie 4

Prescription rituelle et régulation des comportements

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Pour une éthologie du culte : essai de typologie des postures et gestes prescrits dans les cérémoniaux ou livres apparentés des xviie et xviiie siècles en France L’objectif de cette contribution est de dégager le lexique descriptif utilisé pour qualifier les gestes et attitudes prescrits dans les fonctions publiques du culte catholique au xviie et xviiie siècles en France, ainsi que les problèmes posés par les classifications proposées. Dans une première section, nous mettrons en évidence un certain nombre de problèmes généraux de catégorisation, ainsi que les éléments de la mise en place progressive d’un système de classification des gestes et des postures. Dans une deuxième section, nous préciserons l’observation et l’analyse en prenant appui sur un cérémonial diocésain en français — celui de Toul — et en indiquant quelques éléments comparés en d’autres ouvrages similaires.

Corpus de textes, problèmes généraux de catégorisation C or pu s de te xtes Parmi les documents qui serviront de référence, il convient de distinguer entre, d’une part, les ouvrages de prescription et, d’autre part, les commentaires des cérémonies et les manuels de formation des prêtres. 1/ Les ouvrages de prescription : cérémoniaux proprement dits ou intitulés tels 1 et le Ritus servandus in celebratione Missae (1604) en tête du Missale romanum (1570). Les cérémoniaux mettent en évidence les actions attribuées aux divers ministres ou « officiers » : l’évêque et divers prélats ; les chanoines et les choristes, le prêtre célébrant ; la place donnée au « maître des cérémonies » ou « cérémoniaire ».

  Nous n’avons pas exploré le domaine monastique mais plutôt les cérémoniaux associés à l’office cathédral.

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Nous retenons : Le Caeremoniale episcoporum 2, Rome 1600 (et son édition parisienne de 1669). Le Caeremoniale Parisiense de Martin Sonnet 3, Paris, 1662. Le Cérémonial de l’Église pour les personnes laïques de Martin Sonnet 4, Paris, P. Targa, 1658. Le Cérémonial de Toul 5 [Mgr Henry de Thyard Bissy], 1700. Le Caeremoniale Parisiense 6 [Cardinal de Noailles], 1703. Le Cérémonial du chœur selon les rits et usages de l’Église de Clermont 7 [Mgr F.-M. Le Maistre de la Garlaye], 1758. Le Cérémonial de Langres 8 [Mgr César Guillaume de la Luzerne], 1775. 2/ Les commentaires des « cérémonies » et les manuels de formation des prêtres : ces livres ont le dessein d’étayer les actions et les prescriptions liturgiques sur la Tradition et les coutumes locales. Ils proposent des commentaires sur les rubriques du Missel romain, du Bréviaire, ou encore, du Cérémonial des évêques. Ces commentaires prennent appui sur des fondements scripturaires, mais aussi sur les écrits des Pères, les décrets des papes et des conciles. Sur certains points, ils font appel à une sorte de jurisprudence liturgique. Ils avancent aussi des arguments de commodité, celle-ci étant souvent associée à un souci de bienséance ou d’agrément du geste. Citons, notamment : Thesaurus sacrorum rituum seu Commentaria in rubricas Missalis et Breviarii romani, authore adm. Rev. P. D. Barth. Gavanto, …4 tomes en un volume, Lugduni, Antonii Laurens, 1685 (1re édition 1628). Abrégé des cérémonies ecclésiastiques du R.P. Gavantus, composé en latin, traduit et augmenté, par le R.P. Claude Arnaud, prêtre de la congrégation de l’Oratoire de Jésus, 3e édition, Lyon, Pierre Bailly, 1649 (approbation Bauldry, 1641) (in 12°). Manuale sacrarum caeremoniarum juxta ritum S.  Romanae Ecclesiae…, auctore Michaele Bauldry, …Ed. Septima Veneta … Venetiis : ex typographia Balleoniana, 1726. (Paris, Jean Billaine, 1637 9).

  Cf. Liste-Index infra, [CE* 1600].   Cf. [Sonnet Paris 1662]. 4   Cérémonial de l'Église pour les personnes laïques, imprimé par le commandement de M.M. les Vicaires généraux de Mgr le Cardinal de Retz, arch. de Paris, Paris, P. Targa, 1658. 5   Cf. [Toul 1700]. 6   Cf. [Paris 1703]. 7   Cf. [Clermont 1758]. 8   Cf. [Langres 1775]. 9   Cf. [Bauldry Manuale* 1637]. 2 3

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Caeremoniale episcoporum in duos libros distributum, Clementis VIII et Innocentii X auctoritate recognitum …. Benedictum XIV Pont. Max. … cura et studio Josephi Catalani presbyteri, Romae, typis Antonii de Rubeis …, 1744 10.

Re marqu e sur l’ u s age des te r mes «  r it u s » et «  cae re moniae »   1 1 Ritus ne désigne pas à cette époque le rite au sens actuel de pratique sociale, mais plutôt l’observance, ce qui dans l’opération rituelle relève de la règle. Que sont les « cérémonies » ? Vers le milieu du xviie siècle, dans l’Instruction sur le manuel publiée par Matthieu Beuvelet, prêtre du séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le terme est défini à propos du Sacrement de baptême : Cérémonies en général, n’est autre chose qu’un acte extérieur de religion, par lequel nous rendons à Dieu quelque culte et révérence, et qui signifie quelque chose d’intérieur sous des choses visibles 12.

Dans son ouvrage L’Antiquité des cérémonies qui se pratiquent dans l’administration des sacrements 13, Jean Grancolas donne une définition qui en même temps indique la portée de ces actions : C’est par ces actions saintes et religieuses qu’elle (l’Église) fait connaître la grandeur et la majesté du Dieu qu’elle adore et qu’elle apprend aux hommes qui reçoivent par les sacrements les grâces du ciel, à pénétrer sous ces symboles extérieurs, ce que Dieu fait pour eux : […] (ces actions sont) la figure du culte intérieur et spirituel que nous devons rendre à Dieu en nous attachant à lui. […] (Elles) nous servent comme de degrez pour nous élever à Dieu ;

Témoignage révélateur, les cérémonies font connaître Dieu en ce qu’il est et en ce qu’il fait pour les hommes. Témoignage opérateur, elles manifestent l’attachement des fidèles à Dieu et servent d’appui pour s’élever vers lui. Selon le mandement de Mgr Henry de Thyard-Bissy qui introduit le Cérémonial de Toul (1700), les cérémonies sont ce que les conciles appellent les nuages de la foy, les appuis, les secours et les aiguillons de la piété, les caractères et les seaux de la religion. Elles apprennent aux fidèles par les yeux ce que la parole leur apprend par les oreilles. La nature par un instinct divin les a inspirées, Jésus Christ par l’usage qu’il en fait les a consacrées, et l’Église par sa prudence les a déterminées.

  Cf. [CE commentaires Catalani* 1744].   Nous ne faisons ici que quelques sondages. Pour plus de détail sur cette terminologie, on se reportera à l’Introduction de Jean-Yves Hameline dans ce même ouvrage. 12   Matthieu Beuvelet, Instruction sur le manuel par forme de demandes et de réponses familières pour servir à ceux qui dans les séminaires se préparent à l’administration des sacrements. Première partie, septième éd. revüe, corrigée et augmentée, Lyon, A. Laurens, 1677 (approbations : 1654-1655), p. 51. 13   Jean Grancolas (docteur en théologie de la Faculté de Paris), L’Antiquité des cérémonies qui se pratiquent dans l’administration des sacrements, adressé à Messire J. B. Bossuet, Evêque de Meaux, Paris, C. Remy, 1692. 10 11

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C atégor ies de gestes ou at t it udes pres cr it s Les gestes et attitudes prescrits sont présentés, d’une part, selon la distribution que leur donne l’ordre séquentiel de l’ordo et donc à leur place propre dans l’action sacrée, d’autre part dans des chapitres récapitulatifs, suivant un effort de classification qui tient compte de la nature des postures et des actions dans leur disposition formelle : assis, debout, incliné, ou encore signe de la croix, geste des mains, position des yeux. Pour chacune de ces catégories formelles, sont mentionnés : – des indications (parfois une description très technique) sur la manière d’accomplir certains gestes ou actions : par exemple, comment faire un signe de croix … ; – des éléments qui semblent relever d’une éthologie du comportement (tenue, allure, maintien) : « modestie, décence » ; –  des éléments se rapportant à des mœurs de sociabilité  : préséances dans les inclinations et révérences, ne pas parler inconsidérément, ne pas somnoler (taux d’investissement corporel).

Éme rge nce d’un sy stè me de cla ssif ication des postures e t de s gestes pour la mess e et l’off ice div in D’une manière générale, les énoncés des cérémoniaux ne concernent que les actions et attitudes des ministres sacrés. On peut noter toutefois que le Caeremoniale episcoporum, publié d’abord par Clément VIII en 1600, demande aux cérémoniaires d’exercer un certain contrôle sur les attitudes des fidèles invités à se lever, s’asseoir, s’agenouiller. Le Cérémonial de Martin Sonnet « pour les personnes laïques » (1658) reste assez exceptionnel 14. Quant au Missel, il n’avait pas de rubriques générales avant que paraisse en 1502 l’ordo de J. Burchard qui comporte un paragraphe à ce sujet. Comme l’a fait observer le chanoine Martimort 15, cette publication aurait influencé la famille franciscaine qui publie entre 1495 et 1510 plusieurs recueils avec rubriques générales pour la messe. Il y a lieu de supposer que nos rubriques générales dérivent de cette tradition franciscaine. L’indication de l’agenouillement prévu pendant toute la durée de la messe basse, se situe dans le cadre d’une vie conventuelle et italienne où les messes privées se célèbrent en de minuscules chapelles sans sièges : deux ou trois assistants laïcs se joignent au service et adoptent ces attitudes.

  Le Cérémonial traite notamment de l’entrée et des places des personnes laïques dans l’église, de la façon de se bien comporter dans l’église, des choses indécentes qu’il faut éviter, quand il faut être debout, assis, à genoux, de la révérence ou inclination, du signe de la croix, du baiser la terre (durant la Passion), de l’ordre des processions, de la modestie des habits. 15   Aimé-Georges Martimort, « L’intelligence des rubriques », Bulletin de Saint-Sulpice, 9/1955, Deux conférences, p. 52-59. 14

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Essayons de mettre en évidence le développement progressif d’une classification des postures et gestes en partant du Ritus servandus de la messe et de ses commentaires. Le Ritus servandus de la messe Le Ritus servandus lui-même porte en germe une recherche de présentation qui opère certains regroupements. Par exemple, dans la première partie des Rubriques générales du Missel, le titre XVI est consacré à ce qui doit être dit d’une voix claire (clara voce) ou à voix basse (secreto). Le titre XVII rassemble les manières de se tenir à genoux, assis et debout. Le titre XVIII traite des couleurs des vêtements et le titre XIX de leur qualité. Le commentaire par Gavantus des rubriques du Missel et du Bréviaire romains Cet ouvrage suit de près les Rubriques générales du Missel qu’il cite exhaustivement. Comme celui-ci, il opère en partant du cadre de la messe basse qui reste le modèle ; puis il évoque les spécificités dues à la messe solennelle, principalement pour le prêtre célébrant et les ministres qui l’entourent. Prenons quelques aspects du titre XVII : De ordine genuflectandi, sedendi et standi in Missa privata et solemnis. Alors que les termes sedere et stare renvoient plutôt à une posture que l’on tient de manière permanente pour le moment où elle est prescrite, il est plus difficile de caractériser genuflectere de ce point de vue seulement. Pour les fidèles qui assistent à la messe basse, il est assez clair qu’il s’agit d’une posture tenue, même au Temps pascal, excepté lorsqu’on lit l’Évangile. Le commentaire de la rubrique utilise d’autres expressions comme « Curvantur genua a populo in tota Missa … » ; « Sicut et privata fieri preces, etiam tempore Paschali genibus flexis 16 ». Il est intéressant de noter que, dans le cas précis de la messe basse, l’argument justifiant la tenue debout lors de la lecture de l’Évangile est le suivant : « ut promptiores se ostendant ad credendum et obediendum Evangelio  » (p.  49), c’est-à-dire, afin de manifester plus clairement sa foi et son obéissance à l’Évangile. Au cours de la messe basse, le prêtre se met à genoux pour donner l’exemple. Alors qu’à la messe solennelle, il suffit que le diacre le fasse en invitant le peuple. Le prêtre célébrant en priant doit normalement rester debout car, à travers lui, se présente la personne du Christ qui se tient en prière devant le Père qui est aux cieux. « Sacerdos autem Deum orans regulariter stare debet, qui prae se fert personam Christi stantis, orantis Patrem in caelis » (p. 50). Dans certains cas, la génuflexion trouve une sorte d’équivalent dans l’inclination profonde de la tête. Par exemple, lorsqu’on chante dans le chœur : « et incarnatus est », si le prêtre est assis il incline la tête, car il a déjà fléchi le genou lorsqu’il a récité le Symbole à voix basse avec les

  Bartolomeo Gavanti, Thesaurus sacrorum rituum, seu commentaria in rubricas Missalis et Breviarii romani, Lyon, A. Laurens, 1685 (1re édition 1628), p. 49. Référence est faite à Ac 20,36 où Paul fait ses adieux aux anciens d’Ephèse et prie avec eux en se mettant à genoux.

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ministres à l’autel. Les autres ministres font comme le prêtre célébrant. Si le prêtre est debout, il fléchit le genou. On voit poindre un argument de commodité en même temps que de bienséance. Il est en effet plus complexe de se mettre à genou à partir d’une position assise. Il faut auparavant se relever. Dans son commentaire des Rubriques du Bréviaire romain, Gavantus met en évidence trois types de gestes : génuflexion, inclination de la tête, révérence qui est un terme plus générique. Ils peuvent être prescrits pour signifier le respect et la révérence envers les personnes ou les objets majeurs, dont l’autel. – Genuflectere : lorsqu’on chante le Martyrologe de la Vigile de Noël, tous ceux qui sont dans le chœur demeurent debout jusqu’à « In Bethlehem Judae nascitur ex Maria Virgine factus homo » ; à ces paroles, on se met à genoux, tandis que le lecteur chante « Nativitas Domini nostri, etc. secundum carnem » (section X, ch. III, n°7, p. 185). – Inclinat caput : aux vêpres solennelles, arrivé à l’autel, le prêtre célébrant, encadré de deux assistants qui relèvent le bord du pluvial par le devant, ne fait pas de génuflexion si le tabernacle n’est pas sur l’autel. Pour lors, il fait une inclination de tête (idem, n°10, p. 185). – Reverentia : sont évoquées les « révérences » dues à l’autel et au célébrant. Par exemple, lorsque l’un des assistants annonce la première antienne au célébrant : « Praeintonatus Celebranti ab uno ex paratis, initium primae Antiphonae cum debitis reverentiis Altari et Celebranti » (idem, n°13). Si l’office est double, les chantres entonnent les psaumes puis tous s’assoient. Étant assis, ils se couvrent ; ils se découvrent et s’inclinent au Gloria Patri : « aperiuntur capita et inclinatur profunde ». Au dernier psaume, les acolytes avec leurs cierges allumés s’en vont avec les assistants devant le célébrant, faisant les révérences requises (« cum debitis reverentiis » (n°15). Ce signe de respect peut être aussi le fait du célébrant : lorsqu’on commence le Magnificat, il s’en va vers l’autel, tête nue, en s’inclinant (cum inclinationibus) vers chaque chœur, puis il s’en va à l’autel où il fait la révérence due (reverentia altari debita) (n°17). Après l’encensement de l’autel, tous, prêtre et assistants, s’en retournent à leur place faisant les révérences au chœur (cum debitis choro reverentiis) (n°19). Lorsque le premier assistant encense, il fait une inclination profonde de la tête, avant et après (profunde capitis inclinatione). (n°20). L’Abrégé du Thrésor des cérémonies ecclésiastiques de Gavantus par le R.P. Claude Arnaud Dès le début du titre XVII : « De l’ordre que l’on doit observer pour se tenir à genoux, assis, ou debout, tant ès messes privées, qu’ès solemnelles », l’auteur fait une présentation organisée et classificatoire des génuflexions et des inclinations. Elles sont, dit-il, « deux espèces de révérence ». Il distingue trois sortes d’inclination et trois sortes de génuflexion. Nous les présentons sous forme de tableau :

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Inclination Catégorie 1. De tête

2. Des épaules ou encore,

Marquée par ces mots Inclinat caput

Circonstance

Quand

À l’image principale en la sacristie. Toutes les fois que le prêtre arrive au milieu de l’autel, ou qu’il s’en sépare ou qu’il passe par iceluy.

Au commencement et fin de la messe. Toutes les fois qu’on dit le Gloria Patri, Oremus et lorsqu’on profère le nom de Jésus, de Marie ou d’un saint dont on fait l’office ou mémoire, ou du pape vivant. Et avec d’autres formules marquant l’adoration ou la supplication.

Inclinat se stat inclinatus aliquantulum inclinatus

3. Inclination Profunde profonde inclinat

Comment Profondément. S’il porte le calice, le prêtre le fait avec bonnet en tête.

Au Deus tu conversus jusqu’à l’oraison Aufer a nobis exclusivement. Oramus te Domine. In spiritu humilitatis – Suscipe Sancta Trinitas… Sanctus jusqu’au Benedictus exclusivement. À l’une et l’autre consécration. Agnus Dei – Domine non sum dignus. Lorsqu’on fait la somption de l’hostie sacrée. Placeat tibi Sancta Trinitas. Au pied de l’autel avant de commencer la messe. Au tombeau ou au chevalet couvert d’un drap mortuaire. Si le prêtre passe devant la croix durant les aspersions ou thurifications.

Confiteor – Munda cor meum – Jube Domine – Te igitur – Supplices te rogamus –

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Génuflexion Catégorie 1. Médiocre

À qui

Quand

Celle que font à M. les prélats ceux qui ne sont pas chanoines.

Comment En fléchissant le genoüil droit, jusqu’à demy jambe.

2. Profonde

Passant ou devant la croix, Se fait jusqu’à terre ou ou devant le Saint-Sacrement du moins sur le plus exposé. bas degré en quelque rencontre. Lorsqu’on lit les paroles Toujours à un genou. de l’Écriture évoquant que tout genou fléchit au nom de Jésus, ou Et Verbum caro factum est. Évoquant l’adoration des anges. Supplication, invocation au Saint-Esprit (Veni Sancte Spiritus).

3. Celebrans genuflexus

Comme sur la fin de la lecture de la Passion : expiravit emisit spiritu, ou tradidit spiritum. Lorsque les ecclésiastiques passent devant le S.Sacrt. exposé ou devant l’autel depuis la consécration jusqu’à la communion. Au commencement de la messe solemnelle, les chanoines en leur habit de chœur ordinaire se mettent à genoux jusqu’à ce que le prêtre monte à l’autel. Mais s’ils sont parés d’ornements, ils sont toujours debout.

En laquelle le célébrant se doit mettre à deux genoux.

Lorsque le célébrant commence le saint canon, tous ceux qui sont dans le chœur, excepté ceux qui chantent au lutrin, fléchissent les genoux jusqu’à ce que le prêtre ait remis le calice sur l’autel après l’élévation. Aux jours de féries majeures, vigiles d’un jeûne et messes des morts, on demeure à genoux dans le chœur depuis le commencement du canon jusqu’à Pax Domini. Lorsque se développe le souci pédagogique de clarifier davantage l’articulation complexe des variables, on va trouver de plus en plus fréquemment, dès la première moitié du xviie siècle, des petits sommaires des cérémonies. 406

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La classification proposée par du Molin Dans un Sommaire et abrégé de toutes les cérémonies de la messe basse 17, ouvrage qui lui est demandé par l’Assemblée générale du Clergé de France, le Sieur du Molin, chanoine d’Arles, distingue trois sortes d’inclinations : 1/ Inclination de tête : l’auteur a le souci de marquer une posture sans raideur : « Cette inclination ne doit pas être faite avec cette rigueur qu’on n’incline que la tête. Le reste du corps demeurant droit, mais il faut quelques petits mouvements des épaules, moindre pourtant qu’à la médiocre  » (p.  508). 2/ Inclination médiocre. 3/ Inclination profonde. Puis viennent trois gestes spécifiques : le célébrant élève les yeux ; le célébrant baise l’autel ; il fait le signe de la croix sur soi. Suivent des considérations sur la prononciation (haute, médiocre, basse ou secrète). Puis les positions des mains (au nombre de sept) avec pour chacune l’indication des moments de la célébration pour lesquels elles sont prescrites : jointes sur l’autel  ; ouvertes et élevées jusqu’aux épaules  ; jointes, séparées et rejointes aussitôt ; séparées sur l’autel ; main gauche seule posée sur l’autel ; main droite seule posée sur l’autel ; mains jointes devant soi à tout le reste. Le Manuel des cérémonies romaines 18 Cet ouvrage, publié par la congrégation de la Mission et qui sera largement utilisé dans les établissements de formation, propose les mêmes distinctions que l’ouvrage précédent, en regroupant comme le faisait Cl. Arnaud plusieurs postures sous la catégorie de « révérences » 19. Les subdivisions se font toujours par trois : Trois sortes de révérences en général : 1. Prostration 2. Génuflexion

en prosternant tout le corps à terre. que le prêtre fait généralement d’un seul genou ; quelquefois de tous les deux. 3. L’inclination dont il y a trois espèces : • Profonde : le prêtre baisse la moitié du corps en telle sorte qu’il puisse toucher les genoux de l’extrémité des mains. • Médiocre : en courbant à demi la tête et les épaules. • De tête : elle est de trois sortes : –  La plus grande inclination de la tête se fait en baissant la tête sur le devant et penchant aussi tant soit peu les épaules. –  L’inclination de tête moyenne se fait en baissant notablement la tête sans pencher les épaules. –  La plus petite inclination de la tête consiste à baisser légèrement la tête.

17   Cf. [Du Molin Église* 1657]. Le texte a été examiné par l’Assemblée en 1656. On trouvera, ci-joint, en Annexe II, un extrait du Sommaire et abrégé des cérémonies, p. 508-511 de l’ouvrage. 18   Cf. [Lazaristes* 1662] ; éd. consultée : [Lazaristes 1743]. 19   Ibid., t. 1, p. 96-103.

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Sont retenus ensuite : le signe de la croix que le célébrant fait sur soi, le baiser à l’autel, l’élévation des yeux ; six positions des mains (il n’est pas mentionné, comme dans l’ouvrage de du Molin, que les mains sont jointes devant soi pour tout le reste). On remarque ici une recherche de catégorisation plus affinée en ce qui concerne les types d’inclination. Ceci met en évidence un problème délicat qui est de dégager des distinctions suffisamment précises et repérables. Un certain nombre de postures sont décrites dans un système d’oppositions relativement claires : debout / assis / à genoux. Il n’en va pas de même pour des positions dont la tenue est généralement plus brève. En outre, plus on multiplie les catégories dans une même posture, le long de l’axe vertébral avec ses possibles articulations et flexions : tête, épaules, reins, genoux, plus il sera difficile d’en régler et décrire les degrés. C’est le cas de la catégorie « inclination » pour laquelle on est davantage dans un système continu d’inflexions du corps, puis de la tête, que dans un système d’oppositions 20. Entre « courber à demi tête et épaules » et « pencher tant soit peu les épaules », ou entre « baisser notablement la tête » et la « baisser légèrement », la graduation reste relativement imprécise. À la discipline des choses (gestes et postures), on s’efforce d’associer la pensée des choses, 1/ dans leur vocation différentielle du point de vue de la forme et des circonstances, ainsi que des moments de l’action liturgique ; 2/ dans leur distribution avec le reste des actions ; enfin 3/ quant à la manière 21, cette présentation organisée permet de saisir sur quoi porte la différence du geste. Elle sera reprise plus globalement dans les cérémoniaux. Ils comportent, en effet, des chapitres préalables qui développent avec soin un éthos général de la tenue au choeur, tant pour la messe que pour l’office (voir Infra et Planches, particulièrement fig. 28-31). Le Trésor clérical de Charles Démia 22 Dans ce livre, écrit en premier lieu pour la formation des clercs, Démia examine dans la troisième partie, au chapitre VIII, les « conduites pour les cérémonies de l’Église ». Il reprend la catégorisation du Manuel des cérémonies romaines, exposée ci-dessus, et, dans un but pédagogique, associe aux treize cérémonies que « l’Église pratique durant l’office et

  Ce type de classification s’est maintenu dans les livres de cérémonie jusqu’au début du xxe siècle, avec une tendance à accentuer l’aspect sémiotique qui isole le signal, de l’action où les choses se composent. L’insistance au xviie siècle sur l’enveloppe comportementale caractérisée par la bienséance, en même temps que sur une certaine grâce qui lui est liée, gardait sans doute à l’ensemble une souplesse qui s’est estompée par la suite. 21   Cf. La troisième composante du système de classification de Kenneth L. Pike, Language in Relation to a unified theory of the Structure of human behaviour, Glendale, Summer Institute of Linguistics, 3 vols, 1954-1960, cf. infra, p. 413, point B, (présentée ci-dessous note 30). 22   Charles Démia (promoteur en l’archevêché de Lyon, directeur général des écoles du diocèse, et instituteur de celles des pauvres), Trésor clérical ou conduites pour acquérir et conserver la sainteté ecclésiastique, recueilli des auteurs les plus considérables de ce tems qui ont traité de ces matières, seconde éd., Lyon, J. Certe, 1694 (1re éd. 1682), 3e partie, ch. VIII : « Conduites pour les cérémonies de l’Eglise en général, et pour celles de la messe basse en particulier », p. 243-252. 20

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dans l’administration des sacrements » ce que l’on appelait à l’époque une « explication mystique ». L’auteur les énumère dans le tableau suivant : 1. Être droit et couvert : 2. Être assis et couvert : 3. T  ourné vers l’autel étant découvert : 4. Être droit face à face : 5. Incliner la tête : 6. S’incliner médiocrement : 7. S’incliner profondément :

figure la stabilité de Dieu. représente le repos éternel et l’immortalité.

dénote les regards de Jésus Christ signifié par l’autel. marque une invitation mutuelle à louer Dieu. représente N.S. mourant en croix. témoigne une pieuse religion envers les choses saintes. signifie la profonde humilité de N.S. lavant les pieds à ses Apôtres. 8. Fléchir un seul genou : reconnaissance du souverain domaine de Dieu sur les créatures. 9.  Fléchir les deux genoux : dénote l’anéantissement devant la Majesté divine. 10. Prosterner la face contre terre : figure l’état de N.S. priant au jardin la veille de sa Passion. 11. F  aire le signe de la Croix sur le front, la bouche, le cœur, et sur soi-même : cela renferme les trois principaux Mystères de notre religion. 12. Frapper la poitrine : marque la douleur et la contrition 13. Joindre les deux mains : signifie l’union amoureuse de notre volonté avec celle de Dieu.

Charles Démia rassemble d’ailleurs à la fin de ce chapitre une « table en abrégé de toutes les parties de l’office avec les cérémonies qui s’y observent, et même leurs significations sans répéter ce qui a été dit » (p. 251-252). En voici un extrait 23 : Circonstance : Venite exultemus Hymnes Antiennes Psaumes Versets Bénédictions

Cérémonies : 8. Droit vers l’autel 9. Droit, face à face 10. Assis et quelquefois, droit face à face 11. Assis, couvert 12. Découvert, droit vers l’autel 13. Assis et découvert, parfois droit et découvert face à face

Signification : Invitation à la louange mutuelle. Louange à Dieu de ses perfections. Exhortation réciproque aux divines louanges. Exhortation pour faire les bonnes œuvres. Recueil de l’âme et renouvellement de l’attention. Effusion des grâces de Dieu pour son peuple.

C omme ntaires spir it uel s Par ses « explications mystiques », Charles Démia se situait en continuateur de la tradition médiévale, laquelle subsistait également chez Gavantus, en concurrence avec l’explication historique. Certains auteurs en font la base de commentaires spirituels des

  Ce tableau, p. 251-252, comporte 27 occurrences.

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attitudes de la prière chrétienne, dont les modèles sont à rechercher dans la prière publique de l’Église. Par exemple, dans les premières décennies du xviie siècle, Claude Villette, chanoine en l’Église de Saint-Marcel-les-Paris, traite de « l’estat du corps des Catholiques prians Dieu dans l’Eglise  », en insistant sur la révérence et l’honneur qui sont dus à Dieu 24. Cl. Villette fait remarquer que le respect dû à Dieu lorsque le fidèle se met en sa présence dans la prière était nommé par David « Service » : Servite Domine in timore, et exultate ei cum tremore (Psaume 2) 25. Soit que vous luy demandiez pardon, que ce soit en respect craintif ; soit que vous chantiez ses loüanges, que ce soit avec peur, et tremblement de ne le pas adorer avec assez de révérence et humilité ; Timor, en l’âme c’est l’attention révérente, et respectueuse ; tremor au corps est l’estat et composition du corps pendant la prière (p. 226).

Prier Dieu étant assis (p. 227) : Être assis en prière à l’église, c’est méditer. De la part de Dieu, Moïse l’ordonne à son peuple 26 (Deut 6). La Vierge Marie, et les Apôtres étaient assis en attendant le Saint-Esprit à la Pentecôte (Ac 2). Ainsi a fait saint Paul à Antioche avec ses disciples : ils entrèrent à la synagogue le jour du sabbat et ils s’assirent (Ac 13,14), pour la prière, pour la lecture et la prédication. C’est pourquoi, à l’église, au sermon, aux leçons de matines, aux chapitres et à l’Epître, nous sommes assis.

Prier Dieu étant debout (p. 227-229) : Le catholique « estant debout vacque à la considération, c’est-à-dire, adoration qui le rapporte à la veuë de l’âme admirant les haut faits de Dieu, et en cet estat l’adorer ». […] l’homme debout voit de loing ; ainsi l’âme debout considère plus attentivement et révéremment qu’assise, la méditation est lente et reposée, l’adoration est prompte et eslevée, avec plus véhémente application d’esprit […]. C’est pourquoy au sainct Sacrifice de la messe, où est continuelle adoration, le prestre, diacre ou sousdiacre sont tousjours debout […] C’est l’estat du corps que Dieu nous commande l’adorant en S. Luc unziesme : Cum stabitis ad orandum, etc. Car estre debout monstre un singulier respect à celuy que l’on escoute ou à qui on parle […] Estre debout devant son maistre est symbole d’obeyssance volontaire : c’est l’occasion pourquoy nous sommes debout à l’Evangile, pour l’escouter attentivement, pour l’exécuter promptement.

De même, les prières de stations et processions se font debout «  importunans attentivement Dieu pour la préservation de tout péril. »

  Claude Villette, Raisons de l’office et cérémonies qui se font à l’Eglise catholique, apostolique et romaine…, Rouen, J. Berthelin, 1638 (1re éd. 1611). 25   Timor signifie crainte religieuse. Tremor : tremblement. 26   Le texte du Deutéronome (6,6-7), Shema Israël (Écoute Israël), évoque la transmission des paroles que Dieu dicte à Moïse pour son peuple : « Tu les répèteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout ». 24

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Prier Dieu étant à genoux (p.229) : Fléchir le genouïl à Dieu est faire hommage et confesser sa divinité. Fléchir le genouïl du corps est confesser son infirmité ; voûter le genouïl de l’âme en sa volonté […] c’est l’adoration que les trois roys premiers chrestiens des payens ont rendu à nostre Sauveur. Forme de corps ordonné de l’Église, le catholique demandant quelque chose à Dieu, soit aux collectes, soit aux prières versiculées, comme aux jeusnes, de tousjours fléchir les deux genous en terre […] et ce tant aux prières publiques qu’en privées ; pource que, et envers Dieu, et au prochain, nous devons exemple de toute humilité.

Prier Dieu la face en terre (p. 230) : Prier Dieu la face en terre est symbole de profonde humilité, pour obtenir prompt secours de Dieu en extrême nécessité. Ainsi d’ordinaire nostre Sauveur prioit toute la nuict au mont des Olives, et principalement la nuict de sa Passion […]. À l’exemple duquel, et en révérence de sa salutaire Passion, l’Eglise nous commande à mesme jour du Vendredy sainct, à genoux, la face en terre, larmoyant, baiser, embrasser et adorer la Croix ; car en ce jour, l’Église meurt avec son Sauveur, par douleur, et compassion de sa mort. Avoir la face en terre priant, est justifier son infirmité, se confesser estre terre indigne de penser à l’infinie grandeur du Très puissant. […] Car cet estat de corps estendu sur terre, monstre que sans Dieu nostre âme ne se peut eslever à luy, comme nostre Sauveur en S. Jean 15 par les branches qui n’ont aucune force, séparées de la vigne. La teste en terre est marque de honte, effect du péché, c’est se confesser pécheur comme le Publicain en S. Luc 18. […]

On peut penser, en effet, que la forme gestuelle offre à l’interprétation un champ toujours ouvert. Les auteurs de la période post-tridentine disposent de l’approche allégorique, inspirée d’Amalaire ou de Durand de Mende, et qualifiée alors de « symbolique » ou de « mystique ». À cela s’ajoute cependant l’intérêt porté aux études historiques et archéologiques, à la recherche de l’origine et de l’authenticité de certains rites. À la fin du siècle, des auteurs comme Grancolas, Bocquillot, Thomassin développeront en premier lieu cette approche historique, alors que Claude de Vert s’ingéniera — parfois avec excès — à réintégrer une composante fonctionnelle ou plus utilitaire, voire de commodité, pour l’interprétation des pratiques anciennes de l’Église, ouvrant un débat dans lequel s’impliqueront l’autorité et la vision équilibrée de Pierre Le Brun 27.

  Pierre Le Brun, tout en reconnaissant l’intérêt du travail de dom de Vert (Claude de Vert, Explication simple, littérale et historique des cérémonies de l’Église, Paris, F. Delaulne, 1706), lui reprochera de donner dans les conjectures de quelques modernes et de chercher un peu trop systématiquement aux cérémonies des origines de commodité ou de nécessité. Il plaidera lui pour une voie moyenne ; cf. Pierre Le Brun, Explication littérale, historique et dogmatique des prières et cérémonies de la messe, suivant les anciens auteurs et les monuments de toutes les Eglises du monde chrétien, Paris, F. Delaulne, 4 vol., 1716-1726 (voir notamment la préface du premier volume). 27

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C onf rontati on à des ess ai s de t y polog ie plu s conte mporain s Évoquons ici deux types de classification qui pourraient contribuer à prolonger l’analyse d’un point de vue anthropologique : la première (A) s’inspire d’une catégorisation proposée au début du xxe siècle pour les gestes liturgiques, la seconde (B) fait référence à la pragmatique de la communication. A) Dans l’encyclopédie Liturgia publiée en 1930 28, H. Rabotin, auteur du chapitre sur le cérémonial liturgique propose de distinguer entre trois types de gestes ou plutôt « d’assemblages coordonnés de gestes » — ce qui, selon lui, désigne le cérémonial : 1. Des gestes utilitaires : Il s’agit de cérémonies nécessaires pour opérer de la meilleure manière avec commodité et adaptation aux circonstances ; par exemple : la manière de revêtir un ornement ; l’ablution du calice et des mains du prêtre après la communion. Les raisons d’utilité pratique se complètent souvent de raisons de bienséance ou de convenance sociale (ne pas tourner le dos ; quand la main droite accomplit une action, appuyer la main gauche sur l’autel, ou sur la poitrine ; etc.) 2. Des gestes interprétatifs : Ils favorisent la compréhension des actions alors que la langue est peu comprise de la plupart des assistants, par exemple se tourner vers l’autel ; ou encore, lorsque l’évêque quitte sa mitre et sa crosse pour certaines prières, alors qu’il les garde pour des actions qui signifient spécifiquement sa position de commandement. H. Rabotin met en évidence une distinction observée par Dom Claude de Vert dans son Explication des cérémonies de l’Eglise 29 : certains gestes répondent à la parole (ou l’accompagnent) : le prêtre se frappe la poitrine au « mea culpa » du Confiteor ; il joint les mains en disant « unitate… » ou « Per Deum Jesum nostrum » à la fin d’une oraison. D’autres gestes attirent des paroles : prières accompagnant la vêture des ornements de la messe ; formule de remise du vêtement blanc au baptême ; verset lavabo au lavement des mains du prêtre, etc. 3. Des gestes symboliques : On introduit une cérémonie pour traduire une nouvelle idée, comme, par exemple, au IVe siècle, le fait pour les néophytes de se tourner vers l’occident pour renoncer à Satan et vers l’orient pour la profession de foi baptismale ; ou encore, le vêtement blanc, les cierges allumés, l’encensement, … L’auteur ajoute à ces trois catégories des gestes d’imitation, tel le triple signe de croix, sur le front, la bouche et la poitrine, que le prêtre trace au début de l’évangile à la messe basse, ou le diacre à la messe haute. Il évoque un cas signalé par saint Augustin constatant que beaucoup de ses auditeurs se frappaient la poitrine pour reconnaître leurs péchés chaque fois qu’ils entendaient le mot Confiteor, alors que ce mot peut aussi exprimer la louange (par exemple, à Confitemini du psaume CXVII ou au passage d’évangile : Confiteor tibi Pater).

  Abbé Henry Rabotin, « Le cérémonial liturgique », dans Liturgia, Encyclopédie populaire des connaissances liturgiques, abbé R. Aigrain (dir.), Paris, Bloud et Gay, 1930, seconde partie, ch. XII, p. 371-396. 29   Cl. De Vert, op. cit., t. I. De Vert distingue au chapitre III « des actions qui accompagnent les paroles » et « des paroles qui sont jointes aux actions ». 28

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B) On pourrait confronter le relevé des catégories de gestes et postures appropriés à la liturgie aux éléments de classification empruntés à la pragmatique de la communication, telle que le propose, par exemple, l’analyse « tagmémique » de Pike  30. L’hypothèse de cet auteur est que le comportement humain peut être étudié comme combinaison de trois types de structuration qu’il appelle « modes » : 1. Mode de caractérisation (feature mode) qui met en évidence les traits distinctifs d’une unité de comportement : aspect différentiel par rapport à d’autres unités (comme assis, debout, à genoux, prosterné, ...). 2. Mode de manifestation : la manière (comment cela se passe). 3. Mode de substitution ou de distribution : comment on passe de l’un à l’autre trait de comportement ; passage des séquences selon les offices, les solennités, manière d’entrer et de sortir, quitter une certaine posture (par exemple, se relever après une prostration) 31. Parmi ces « modes », on peut considérer que le second, concernant la « manifestation » ou la manière, reçoit dans les livres de cérémonies un traitement privilégié. En effet, ces ouvrages mettent en évidence principalement trois aspects de l’action rituelle correspondant aux questions : Que fait-on ? Où ? et Comment ? La réponse au comment, c’est-à-dire, la manière de réaliser les actions prescrites ouvre sur le problème de l’allure, de la dignité, d’un certain éthos qui engage la valeur de l’application corporelle et toute une civilité ecclésiastique. Celle-ci se trouve réglée autant par le choix des gestes et des postures que par une composante plus générale qui donne la tonalité d’ensemble, comme nous le préciserons dans la deuxième section infra.

D e ux re marques 1. Il est difficile de faire la part des coutumes locales dans les livres diocésains ; parfois elles sont mentionnées. Mais les catégories principales sont les mêmes. 2. Nous ne disposons pas d’une grammaire infinie de gestes. Pierre Nicole, dans les Instructions théologiques et morales sur l’oraison dominicale, la salutation angélique, la sainte messe et autres prières de l’Eglise 32, observe : Il n’y a rien de plus ordinaire que de se servir des mêmes signes pour marquer différentes espèces d’honneur. Par exemple, on s’agenouille devant Dieu et devant les Rois : les Religionnaires d’Angleterre communient à genoux, et honorent par la génuflexion que plusieurs

30   Eddy Roulet, Linguistique et comportement humain. L’analyse tagmémique de Pike, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1974. L’auteur se réfère aux travaux de Kenneth L. Pike, op. cit. La théorie tagmémique intègre l’étude du langage dans une théorie plus générale de la structure du comportement humain. 31   On trouvera en Annexe III infra un lieu d’application possible pour ce type d’analyse à partir des prescriptions du Cérémonial de Toul (manière d’entrer/sortir et qualification des postures fondamentales). 32   Septième Instruction : « Des défauts des prières, du culte et de l’invocation des saints… », ch. VI : « De l’invocation des saints » ; [Nouvelle éd. (posthume) Paris, G. Desprez et J. Desessartz, 1725, p. 208-209].

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hérétiques ont soutenu n’être due qu’à Dieu, ce qu’ils ne prennent que pour de purs signes. On encense dans les églises, les supérieurs, les prêtres, les tombeaux aussi bien que le SaintSacrement. L’esprit distingue aisément la différente signification de ces signes par la différence des objets ; il y a de l’inconvénient à multiplier les signes et il vaut souvent mieux donner de différentes significations à des signes communs.

La grammaire des gestes se trouve limitée par la géométrie du corps. En conséquence, une même attitude peut avoir plusieurs significations. Nous pourrions parler d’action ou de positions marquées : par exemple, on s’assoit pour écouter la lecture ; on se met debout pour prier ; ou de positions non marquées : on s’assoit pendant une action à laquelle on ne participe pas directement, comme à l’offertoire ; on est debout en attente. Les cérémoniaux distinguent d’abord les postures par leur aspect physique et font peu intervenir leur intentionnalité, c’est-à-dire l’implication personnelle de chacun. Cette implication fait l’objet d’une prescription générale qui conduit à s’appliquer à bien faire ce qu’on fait, avec le soin apporté aux actions accomplies reverenter et distincte. Elle relève d’un éthos général en rapport avec la civilité et marqué par la modestie et la bienséance. Nous examinerons ces composantes à partir d’un ouvrage diocésain représentatif de ces points d’insistance.

Un ouvrage test : le Cérémonial de Toul, 1700 P réalable Livre remarquable par sa date de publication (1700), le Cérémonial de Toul 33 s’inscrit dans une stratégie de réorganisation diocésaine due à l’initiative énergique d’Henry de Thyard-Bissy, qui s’illustrera par la suite à la cour et sur le siège de Meaux, où il succèdera à Bossuet. Cet ouvrage témoigne d’une cérémonialisation très appuyée, où l’effort qui est fait pour rendre le culte digne se traduit par une accentuation marquée de l’appareil cérémoniel dont témoignaient les modèles antérieurs. Écrit en français, il donne une description très détaillée des actions selon leur qualité éthologique, voire plastique. Il expose une sorte de technologie de mise en scène anticipant et réglant les opérations, les mouvements, les croisements d’action, etc. Dans un esprit que, même à une époque aussi tardive, on peut encore qualifier de borroméen, il vise une remise en ordre de l’appareil d’Église non sans une insistance sur la qualification hiérarchique de ce dispositif. Le modèle est le Cérémonial des évêques de 1600 marqué par le caractère solennel des célébrations en présence de l’évêque et de divers prélats.

  Cf. [Toul 1700].

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D’une certaine manière, il peut s’accorder avec les requêtes du protestantisme sur le rejet de l’indignité et des mauvaises manières, ainsi que de la superstition ; cependant, il reste en opposition à ces mêmes requêtes par le renforcement des pompes et cérémonies de l’Église. Suivant le concile de Trente  : session  XXII, ch.  V (et canon  7), l’objectif des «  cérémonies  » prescrites (bénédictions, lumières, encensements, vêtements, …) est de souligner la majesté des célébrations, en particulier le sacrifice de la messe, et de stimuler les esprits des fidèles à la contemplation des choses les plus hautes qui s’y trouvent cachées. Lorsqu’on parcourt la table de l’ouvrage, qui compte cinq parties, les considérations sur les attitudes du corps interviennent surtout dans la première partie « contenant plusieurs règles et cérémonies générales » : ch. IV à X.

L a con sidé rat ion du cadre L’ouvrage plante d’abord le cadre : le temps (heures auxquelles on doit célébrer l’office) (ch. I), la modalité de leur annonce avec cloches et sonneries (ch. II) — l’espace : comment entrer / sortir (ch. IV) ; quelle place occuper et comment s’y tenir ? (ch. V) — Les habits (ch. III) font en quelque sorte également partie du « cadre ». L’ordre des prescriptions est celui d’une logique de l’action et d’une chrono-logique qui progressivement établit le cadre investi selon certaines manières de se placer au chœur 34.

Un é tho s gé né ral de la te nue au chœ ur : «  de la modest ie » La modestie recommandée caractérise en tous lieux l’état ecclésiastique. Elle correspond à l’idée de la juste mesure : modus. Au chœur, elle s’inscrit dans une conception hiérarchique de l’espace, relativement à deux considérations : 1/ l’idée « que Dieu est présent d’une façon particulière » et 2/ que l’on est « exposé à la vue des laïques ». D’où l’attitude exemplaire qui doit évoquer, induire « le souverain respect » dû à Dieu. Pour les actions communes, on prise l’uniformité dans les cérémonies et dans le chant : se découvrir, se couvrir, se lever, s’asseoir, s’incliner, etc. Dans le chant, il convient d’écouter les autres, de ne pas devancer, ni traîner, de s’ajuster, … d’être ensemble dans la mesure du possible. Quant à la démarche dans le chœur : « il faut marcher gravement et modestement, la tête un peu inclinée sur la poitrine et la vue baissée ». La régulation revient au préfet du chœur et nul autre ne doit s’ingérer de corriger les autres, sauf correction imperceptible qui peut se régler par un signe discret. Certaines prescriptions traduisent un souci de composition du corps avec les objets : « lorsqu’on psalmodie, pour lors on appuie sur son bonnet le bréviaire ou le diurnal dans

  Nous en donnons ci-dessous un aperçu dans l’Annexe III.

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lequel on doit toujours lire, sans se fier à sa mémoire ». On ne pose pas son bonnet sur les bancs. On garde appui pour la lecture dans le livre liturgique. Ceci règle le problème général de comportement : le livre aide aussi au maintien. Auparavant, on aurait fait état d’une position quelque peu différente. On avait de gros livres et l’on savait par cœur les textes et chants. Une nouveauté des prescriptions au xvie et au début du xviie siècle, vient de la généralisation du livre manuel, sa lisibilité, sa typographie, sa maniabilité. Dans le bréviaire parisien, on trouve en particulier le ton des psaumes. Les règles de bienséance priment ici et s’accordent avec les règles de civilité en usage dans la société. À cet effet, on a des prescriptions négatives qui reflètent sans doute quelques défauts constatés. Par exemple, « s’abstenir de parler sans nécessité » ; « éviter de rire, de dormir, de prendre du tabac, de laisser égarer leur vüe çà et là » ou encore, « de faire quelque action qui puisse divertir les autres ». Autrement dit, il faut veiller à rester centré sur l’action liturgique. Pas de bouclage du corps pour les pieds : « assis, on doit tenir les pieds également posés à terre, sans les croiser, ni trop écarter, ni mettre une jambe sur son genou. » En revanche, pour les mains : « Si elles ne sont pas occupées à tenir le bréviaire, on les croise modestement la droite sur la gauche devant la poitrine. » Il convient d’éviter les comportements « rustiques » comme d’aller communiquer avec quelqu’un et lui parler en sa place (il faut alors sortir). Les règles de préséance sont intégrées dans ces recommandations touchant la modestie, parce qu’« on ne peut pratiquer le contraire sans incivilité. » 35 La netteté, la propreté des vêtements de chœur, de la barbe et tonsure, sont recommandées, mais « sans affectation ».

Une pe rspec tiv e g lobale de bie n s éance compor te me ntale Dans une civilisation de la manifestation qui caractérise l’époque considérée, le problème de l’apparence, de l’allure, du maintien est un problème majeur. La prière publique de l’Église est un lieu pour accorder l’intérieur et l’extérieur. Un héritage antique Les auteurs de cette époque s’inspirent du De Officiis de Cicéron 36. Dans la perspective de cet ouvrage, qui concerne les obligations inhérentes à une personne donnée dans des

  [Toul 1700], p. 49.   Pour la traduction et la présentation de l’ouvrage, on se reportera à : Cicéron, Les devoirs, Introduction et Livre I, texte établi par Maurice Testard, 2e tirage, Paris, Les Belles Lettres, 1974 (Coll. des Universités de France). 35 36

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conditions données, l’officium traduit « ce qui convient » : le comportement convenable que l’on peut appeler en latin « decorum » (en grec, πρεπον). Ce convenable se remarque dans toutes les actions et les paroles et enfin dans le mouvement et l’attitude du corps : Que l’attitude, la démarche, la façon de s’asseoir, […] le visage, les yeux, le mouvement des mains observent cette convenance qui consiste en trois choses : ‘la beauté, l’ordre, la disposition appropriée à l’action’ 37.

Quatre siècles plus tard, Ambroise de Milan compose un De Officiis ministrorum qui se rattache explicitement à l’ouvrage de Cicéron, acclimatant la tradition latine classique du De Officiis dans la latinité chrétienne. Beaucoup d’auteurs chrétiens le citeront également ou s’en inspireront en l’infléchissant en particulier vers l’étude des devoirs du culte chrétien 38. Ambroise met en valeur la verecundia (respect, réserve, modestie) qui doit, notamment, qualifier les mouvements, gestes et démarches des clercs 39 : Est etiam in ipso motu, gestu, incessu tenenda verecundia. Habitus enim mentis in corporis statu cernitur. […] Itaque vox quaedam est animi corporis motus. La modestie est à observer dans le mouvement, le geste, la démarche (l’allure). En effet, la disposition de l’esprit est perçue dans la position du corps. […] Ainsi, le mouvement du corps est une certaine voix de l’âme 40.

Dans le contexte post-tridentin, on peut saisir la portée de cet héritage, par exemple, en ayant recours au remarquable éloge que François de Sales fait de la modestie dans ses Entretiens spirituels. Elle correspond, dit-il, à quatre vertus dont la plus éminente est « la bienséance de notre maintien extérieur ». S’y opposent, d’une part, le manque de mesure et de décence : « la dissolution en nos gestes, en nos contenances, c’est-à-dire la légèreté » ; d’autre part, « une contenance affectée » 41. Cette première vertu qui caractérise la modestie est « une prédication muette » telle que saint Paul la recommande aux Philippiens : « Que votre modestie paraisse devant tous les hommes »  42. Selon François de Sales, la modestie extérieure sert à l’intérieure. Elle n’en est pas seulement l’expression.

  « Formositate, ordine, ornatu et actionis apto ». De Officiis, Liv. I, ch. XXVII, p. 93 et ch. XXXV, p. 126, 128.   Par rapport à la caractérisation des gestes et des mouvements, réfléchie dans sa dimension morale, on se reportera, notamment, à l’ouvrage de Jean-Claude Schmitt, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, Gallimard, 1990 (Bibliothèque des Histoires) ; voir le chapitre I : « L’héritage antique ». 39   De Officiis ministrorum, PL 16, col. 44 ; 48-49 ; 49 c. 40   Ibid., PL 16, ch XVIII, 71, col. 44. 41   François de Sales, Entretiens spirituels VI, Œuvres, texte établi et annoté par A. Ravier et R. Devos, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1969, p. 1042-1043 et 1046. La deuxième vertu est « l’intérieure bienséance de notre entendement et de notre volonté » ; la troisième concerne la façon de parler et de converser avec le prochain ; la quatrième, l’honnêteté et bienséance des habits. On remarquera que trois sur quatre de ces vertus concernent le comportement extérieur. 42   Ph 4,5. Le terme de la Vulgate est modestia. 37 38

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Modestie et révérence Deux traits caractérisent au xviie siècle cette poétique de la bienséance : la modestie, associée à la décence, et la révérence qui revient à tenir ce qui est prescrit, c’est-à-dire faire confiance à la règle et la respecter. Les deux composantes ont un rapport, d’une part, au lieu et à l’action du culte, d’autre part, à la dignité ecclésiastique. 1. Au lieu et à l’action du culte : Le Cérémonial parisien de Martin Sonnet (1662) associe ces deux termes à propos de ceux qui servent au chœur : Omnes in choro sint eo corporis situ, qualis decet domum Dei, intuitum majestatis eius, ac praesentiam societatemve coelestium spirituum  : summamque modestiam ac reverentiam sive standum sit aut sedendum, sive flectenda genua aut caput inclinandum, […] exhhibeant […] 43. Que tous prennent dans le choeur l'attitude du corps qui convient à la maison de Dieu, au regard de sa majesté, à la présence ou à la société des esprits célestes ; qu'ils montrent une extrême modestie et révérence, que ce soit debout ou assis, en fléchissant les genoux ou inclinant la tête.

Ce même auteur a composé un Cérémonial de l'Église pour les personnes laïques, dans lequel, au chapitre IV : « De la façon de se bien comporter dans l'Église, assistant à l'office divin », il recommande d’être « modeste, sage, grave, […] avoir un maintien fort révérent et gratieux », éviter l’indécence 44. 2. À la dignité ecclésiastique : Dans ses Instructions synodales, Mgr Godeau, indique que les « dignités, offices et autres chanoines [...] témoigneront par la modestie extérieure le sentiment qu'ils ont de la présence de Dieu » 45. On peut remarquer que la plupart des recommandations et prescriptions concernant la modestie du comportement et des attitudes mettent l’accent sur la qualité de présence à Dieu et à autrui. Il s’agit, notamment, de plaire à Dieu, mais aussi d’être témoin de sa présence dans l’assemblée et le chœur des fidèles. Les auteurs d’Examens particuliers destinés aux futurs prêtres ne manquent pas de placer la « modestie » au premier rang des attitudes attendues d’un ecclésiastique. Ainsi, Charles Démia précise que, pendant l’office, la révérence consiste : dans une grande modestie intérieure et extérieure : pendant que l'on est devant le vrai Dieu, seul seigneur et souverain juge, proférant toutes les paroles sans interruption ; suivant les autres si l'on est au choeur ; gardant les médiations et autres cérémonies qui s'y observent 46.

  Cf. [Sonnet Paris 1662], Première partie, ch. IV : De ordine, gravitate, modestia, silentio et corporis habitu in choro servandis, p. 25-29. 44   M. Sonnet, Cérémonial de l'Eglise pour les personnes laïques…, op. cit., p. 12-13. 45   Mgr Antoine Godeau, Ordonnances et Instructions synodales, Paris, Vve Camusat et P. Le Petit, 1644, titre XII, p. 151. Notons qu'un comportement indécent (dormir, causer, rire, changer de place) est défendu « sous peine d'être ponctué comme absent ». 46   Ch. Démia, op. cit., p. 147. 43

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(La modestie) compose avec bienséance tous les mouvements extérieurs d'un chrétien et particulièrement d'un ecclésiastique, le parler, les regards, les postures, les gestes, les manières du corps, et généralement tout l'extérieur 47.

Comme nous l’avons observé ci-dessus pour le Cérémonial de Toul, des livres de cérémonies diocésains publiés au xviiie siècle confirmeront ces mêmes accents. Par exemple, le Cérémonial parisien de 1703 publié en latin comporte un mandement du cardinal de Noailles qui rend attentif à trois éléments lorsqu’on se tient devant Dieu : les regards, les positions du corps et le mode de voix. Dans un chapitre préliminaire, le premier article de ce même ouvrage demande que les cérémonies soient accomplies avec une disposition et une expression de tout le corps en accord avec la modestie, c’est-à-dire, vêtements soignés, allure grave, voix accordée aux autres, non précipitée, un esprit humble et un cœur attentif à Dieu par la charité. Ce comportement général caractérisera la manière dont le prêtre doit se tenir : « le corps droit, avec beaucoup de modestie et d’attention à la présence de Dieu » (Pars prima, ch. III, De modestia). Plus tard, le Cérémonial de Clermont (1758) écrit en français comporte les mêmes prescriptions (ch. I, art. III). Plus proche de la fin du xviiie siècle, le Cérémonial de Langres, également en français, remplace le terme générique « modestie » par « décence » (première partie, ch. 2), terme d’ailleurs également employé dans l’ouvrage de Clermont. Cette décence consiste à faire les cérémonies « d’une manière naturelle, grave et comme le prescrit l’Église ». Une figure caractéristique du nouvel appareil : le Magister caeremoniarum La plupart des livres de cérémonies diocésains observés comportent un chapitre consacré à l’éthos général qui doit marquer les attitudes corporelles au chœur (voir tableau en Annexe I, ainsi que les références des ouvrages données au début de cette contribution). Cette tonalité générale est présente dans le Caeremoniale episcoporum de 1600 à travers l’exposé de la fonction du « maître des cérémonies » (De officio Magistrorum caerimoniarum), Liber primus, cap. V : […] cumque opus erit aliquos ducere, aut reducere, faciat id modeste et discrete summissa voce, ac solo nutu, si fieri possit, quaecumque agenda sint, demonstrans ; non discurrat velociter, non caput volvat, aut manus jactet indecenter. […] sed quidquid aget, cum gravitate, et

47   Ibid., p.599 : ch. IX « De l’examen particulier », section IX “ Sur la modestie ”/ en général / de la tête / de la posture du corps / dans le parler / dans le marcher / dans les habits / dans les rues / dans le manger / dans les récréations / dans l’Eglise. Au début de cet examen, Démia fait référence à 2 Cor 10,1 : Obsecro vos per modestiam Christi. Le terme « modestia » est actuellement traduit par indulgence ou bonté. Le mot grec qui y correspond signifie, en même temps que douceur et bonté, la modération. Les dictionnaires de ce temps confirment la connexité des termes comme « bienséance », « justesse », « médiocrité » (au sens de juste milieu), « modestie ». Pour de plus amples développements, voir Monique Brulin, Le Verbe et la voix, la manifestation vocale dans le culte en France au xviie siècle en France, Paris, Beauchesne, 1998 (Théologie historique 106), p. 293, 272-276.

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congruenti mora, ac cum decoro corporis gestu, ita peragere curabit, ut caeteris devotionem, et reverentiam pariat, ipseque ab omnibus commendari mereatur. […] qu’il s’agisse de conduire les actions ou de les ramener dans la bonne voie, qu’il le fasse avec modestie, discrètement, à mi-voix, montrant, si possible, par un seul signe comment les accomplir ; ne pas parler rapidement, ne pas ballotter la tête, ou agiter la main de manière inconvenante. […] qu’il procède avec gravité, de manière congruente, avec une attitude bienséante du corps, ainsi aura-t-il à cœur d’opérer de telle sorte qu’il induise en chacun la dévotion et la révérence et que lui-même mérite de gagner la confiance de tous.

Le Manuel de Bauldry qui commente le Cérémonial des évêques  48 insiste sur la composition du corps (dans sa seconde partie, ch. I, article VI) et recommande pour le cérémoniaire : « Dete opera, ut omnes uniformi ritu attente, devote et reverenter divinis mysteriis atque officiis assistere, eaque tot cordis affectu admirari, et contemplari videntur ; » (éd. 1726, 16371). Qu’il s’applique à ce que tous apparaissent comme assistant aux divins mystères et offices en conformité d’action, avec attention, dévotion et respect, et comme admirant et contemplant cela avec l’attachement du coeur.

Les adverbes latins modeste, attente, devote caractérisent la manière de réciter l’office ; tous les actes de la célébration doivent être accomplis par tous « placide », « modeste », « reverenter ». À propos des inclinations (ch. IV du Manuel de Bauldry) elles seront faites avec une «  modestie grave et appropriée  », afin que le geste extérieur (gestus exterior) accompagne les choses proférées par la bouche et que la piété et le culte intérieur augmentent par le culte extérieur. » On notera l’effet en retour sur le culte intérieur produit par le geste extérieur et l’insistance du commentaire sur la prise en compte de « l’apparaître » (cf. cidessus : ut omnes… videntur). Le Cérémonial de Toul de 1700 comporte un chapitre intitulé « De l’office du Préfet de chœur ou du maître des cérémonies » (Première partie, ch. XI, p. 84-90). Il revient au Préfet de chœur — qu’on appelle chantre dans la plupart des églises et qui peut être relayé par le « souchantre » — de veiller à l’exécution des règles prescrites. Il lui est recommandé la même réserve et la même prudence que le Cérémonial des évêques requiert à l’intention du maître des cérémonies 49. Il doit avoir soin que pendant le service divin chacun observe une grande modestie dans la situation et composition du corps, et dans la pratique des cérémonies ; et même dans les autres assemblées qui se feront hors du chœur […] 50

  Cf. [Bauldry Manuale* 1637].   Ce même chapitre précise qu’il n’est pas d’usage d’avoir un cérémoniaire pour accompagner et conduire les officiants dans l’exercice actuel de leur fonction, car « les cérémonies de la messe et des offices ordinaires de la cathédrale sont fort simples, faciles et naturelles » (p. 89). Aux grandes fêtes, les huissiers capitulaires précèdent les officiants et le thuriféraire exécute ce qu’il faut attribuer au cérémoniaire. 50   [Toul 1700], p. 87. 48 49

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De l’aspect de la vertu, à la vertu de l’aspect L’importance accordée par le concile de Trente à la manifestation sensée du culte chrétien, dans sa reconquête de la respectabilité cléricale et de la dignité du culte, conduit à pousser la modestie du côté de la civilité avec une attention particulière à la représentation de soi. Il en résulte une accentuation de l’aspect, peut-être plus que de la vertu. Cependant, comme François de Sales l’avait mis en évidence, en caractérisant de manière éminente la modestie par la « bienséance du maintien extérieur »  51, on ne peut ignorer qu’il y a aussi une vertu de l’aspect. C’est ce que soulignait également un auteur janséniste comme Jean Hamon pour qui la modestie du corps est comme l’enveloppe de sa prière : La modestie  52 du corps et sa posture pleine de respect est sa prière […] quand on se tient debout si lâchement, quand on baille, quand on regarde ailleurs, quand on ne se met point à genoux dans le même temps que les autres, quand les inclinations sont imparfaites et presque forcées, j’ai de la peine à croire que l’esprit et que le cœur prie ; mais quand il prierait, ce n’est qu’une demi-prière : car où est la prière et l’attention du corps qui est sa modestie ?

L’importance donnée dans ce contexte à la « présentation » du corps priant servira d’appui à l’occasion de débats concernant l’intégration de nouveaux usages. Telle, par exemple, la génuflexion qui est mentionnée dans plusieurs ouvrages de la seconde moitié du xviie siècle comme une « révérence nouvelle » et dont certains, comme le chapelain de l’Église de Paris, Martin Sonnet, mettent en doute la capacité de développer une plus grande dévotion que ne le permettait l’inclination profonde 53. La posture à adopter devant le Saint-Sacrement est précisément l’objet de prises de position contradictoires (inclination ou génuflexion) dont l’enjeu touche une question dogmatique soulevée par les protestants. Bossuet fera remarquer que ce n’est pas par la seule posture du corps qu’on reconnaît la nature de l’adoration  ; c’est par l’intention et les circonstances 54. À propos de l’élévation, comparant les pratiques dans l’histoire, Pierre Le Brun conclut : « Il faut que chaque fidèle suive sur ce point la coutume de son Église et que sans affecter de singularité, il se prosterne intérieurement de cœur et d’esprit… » 55.



  Cf. supra, p. 418-419, Un éthos de la tenue du chœur : « de la modestie ».   Le mot est en capitales dans le texte imprimé : Traité de l’oraison continuelle, dans Traités de piété, Paris, 1689, t. II, p. 148. 53   Voir en Annexe IV quelques éléments de ce débat. 54   Jacques-Bénigne Bossuet, Explication de quelques difficultés sur les prières de la messe à un nouveau catholique, Paris, Veuve de Sébastien Mabre-Cramoisy, 1689, p. 191-192. 55   P. Le Brun, op. cit., t. II, p. 485. 51 52

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Pour récapituler les observations recueillies dans cette étude, nous voudrions retenir trois données qui caractérisent le protocole des cérémonies ecclésiastiques, qu’elles soient curiales, paroissiales, capitulaires, monastiques ou de dévotion (dans les chapelles) : 1. Les marques effectives de reconnaissance cultuelle en relation avec des objets qui symbolisent le rapport à la croyance avec, de manière centrale, l’autel et la dévotion au SaintSacrement. 2. La qualification globale marquée par un ethos général qui caractérise le groupe priant : sa modestie, décence, allure, sa dignité, en rapport avec la bienséance. 3. Le protocole intra-social centré sur la hiérarchie institutionnelle, avec les questions d’occupation des places et de préséance (par exemple, on ne passe pas devant un plus ancien, ni devant celui qui chante seul). On rejoint ici les règles plus générales de civilité. L’abondance et le détail des prescriptions ne devraient pas laisser penser à une raideur généralisée. Au contraire, les règles permettent aux actions d’être effectuées plus aisément, tout en tenant compte de la composition des choses et des personnes. On peut penser qu’il y avait même une certaine familiarité dans leur accomplissement. Monique Brulin Institut Supérieur de Liturgie (I.S.L.) de l’Institut Catholique de Paris  / Centre National de Pastorale Liturgique (CNPL)

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Pars Prima : De caeremoniis communibus Cap. I. De vestibus II. De ingressu in Chorum et egressu III. De modestia servanda in choro

56   Ce tableau ne donne pas un plan intégral des livres retenus, mais mentionne pour chacun les éléments les plus significatifs des prescriptions concernant les gestes et attitudes dans les cérémonies de l’Église.

Cap. XVIII De reverentiis et genuflexionibus, sessionibus et surrectionibus observandis, tam per Episcopum et Canonicos, quam alios quoscumque, sive in Ecclesia, sive extra eam. Et de osculationibus manuum

Première partie Des Cérémonies en général et Préliminaires Ch. I Des Habits de Choeur Ch. II De la décence dans les cérémonies avec la manière de les faire Ch. III De l’entrée …et sortie … « avec grande modestie » Ch. IV Des cérémonies du chœur en général … Ch. I Des cérémonies communes que tout le chœur doit observer Ar t icles I Des Habits II Entrée – sortie III De la modestie qu’on doit observer au chœur IV Quand il faut se tenir debout dans les stalles levées V Dans quel temps s’asseoir au chœur les stalles baissées ou sur des bancs

Caput praevium Praenotandum « Caeremonias esse peragendas vultu habituque totius corporis ad modestiam composito,… »

Première partie Ch. III. Des habits dont il faut être revêtu dans le chœur, p. 36 Ch. IV De la manière d’entrer dans le chœur et Cap. I De praefecto chori, seu magistro caere- d’en sortir Ch. V Rang et place moniarum Ch. VI De la modestie qu’il faut garder dans le Cap. II De ingressu in chœur ecclesiam et chorum Ch. VII Du chant des Cap. III De sedibus chori ecclésiastiques Ch. VIII Des choristes

En sept parties

En dix chapitres

En sept parties

En cinq parties

En quatre parties + appendices Prima parte : De sacris Ecclesiae ritibus in officio divino observandis in genere

En deux Livres

Libri primi Cap. V De officio magistrorum caerimoniarum, p. 15

Cérémonial de Langres 1775

Cérémonial du Chœur selon les Rits et usages de l’Eglise de Clermont 1758

Caeremoniale Parisiense 1703

Cérémonial de Toul 1700

Caeremoniale Parisiense M. Sonnet 1662

Caeremoniale episcoporum Rome, 1600 et éd. parisienne de 1669

Gestes et attitudes prescrits dans les cérémoniaux au XVIIe et XVIIIe siècle en France56

ANNEXE I

ANNEXES

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Cap. XXVIII De organo, organista et musicis seu cantoribus, .....et norma per eos servanda in divinis, p. 111

Cap. XXV De forma dandi benedictionem solemnem ab Episcopo

Cap. XXIV De ordine dandi pacem, p. 98

Cap. XXIII De ordine et modo imponendi Thus in Thuribulum, illudque benedicendi

Cap. V De ratione et modo cantandi et psallendi in Officio divino 2 « ..Clericorum cantus (sit) honestus et gravis et uniformis et per omnia humilis. Psalmodia plus redoleat suavitatem mentis humilitatemque et devotionem, quam aliquam ostentationem … omninoque abominabile est Deo, quando vocis elevatio plus fit propter audientes, quam propter Deum. » p. 30-31.

Cap. IV De ordine, gravitate, modestia, silentio et corporis habitu in choro servandis, p. 25-29 Cap. XIX De ordine et 1. « … summamque momodo jungendi, disjundestiam ac reverentiam gendi, elevandi tenendisive standum sit aut que manus per Episcosedendum, sive flectenda pum, vel alterum celegenua aut caput inclinanbrantem; et quomodo dum, sive caput coopevertere et convertere se debeat ad altare, vel faldis- riendum aut detegendum, torium, vel e contra ; et de sive convertendum ad Altare aut ad chorum, sive osculatione altaris, p. 80 Cap. XX De libro tenendo signandum se signo crucis, aut osculandum aliquid, apud Episcopum non sive deambulandum per celebrantem … sed praesentem et quid ex eo chorum, aut alia familia agenda sint, exhibeant … » legere debeat, p. 82

Episcopi, vel celebrantis, p. 76

Ch. IX Des différentes situations, postures et actions du clergé dans le chœur Debout Debout dans s’appuyer Debout tourné vers l’autel A genoux (à l’Office, à la Messe solennelle, quand on entend une Messe basse) Assis (Messe solennelle, Office) Quand il faut se couvrir et se découvrir : Hiver, Eté, Office, Messe De la calotte Du signe de la croix Ch. X Des trois sortes d’inclinations et de génuflexions (soit deux manières de saluer ou deux sortes de révérence) Inclinations : petite, médiocre ou profonde. Génuflexions : 1) pied droit en arrière, genoux pliés, corps droit ; 2) genou droit fléchi à terre, corps tant soit peu incliné ; 3) deux genoux à terre : prostration. Ch. XI De l’office du Préfet de chœur ou du Maître des cérémonies Pars Septima : De Ministris Cap. X De officio Praefecti caeremoniarum, p. 363.

IV. De ordine standi in choro V. Quando standum super stalla erecta VI. Quando standum in choro sedibus demissis VII. Quando standum in pedes, vel facie ad altare conversâ VIII. Quando genua flectenda, ubi et de prostrationibus IX. Quando caput detegendum aut operiendum X. De inclinationibus XI. De modo ac tempore formandi signum crucis XII. De pectoris tunsionibus XIII. De cantu ac de pausis XIV. De thurificatione … ( en 4 articles)

S’asseoir avant de se couvrir / se découvrir avant de se lever … rester découvert quand on est debout ou à genoux (règle fondée sur la décence) … « être si retenus et si réglés dans leurs regards, leurs postures, leurs démarches, que leur aspect seul inspire la piété. … » Ch II Des rites qu’il faut Ch. V Des Cérémonies du Chœur à la Messe garder en chantant Ch. VI à Vêpres, Matines Art. I Du Chœur en général, des pauses, et de et autres Heures Ch. VII Le chant du l’attention que doivent Choeur … avoir ceux qui chantent … « chanter avec respect, Seconde Partie : distinctement, dévoteDe l’Office divin ment ... » Troisième Partie : Des … Ch. III Les fonctions du cérémonies de la Messe haute Grand-Chantre, du Souchantre et des Provi- Quatrième Partie : Des cérémonies de la Messe seurs basse … Ch. X Des fonctions du Cinquième Partie : Des offices de chaque MinisMaître de Cérémonies, tre en particulier p. 414. … Ch. IV De l’office des Choristes Ch. V De l’office du Cérémoniaire, p. 351…

VI.. debout dans le chœur tourné vers l’autel VII debout tourné en chœur VIII Des inclinations IX Quand il faut faire la génuflexion X De la simple génuflexion XI Quand se découvrir ou se couvrir XII Signe de la croix

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ANNEXE III

De la manière d’entrer dans le chœur et de sortir (d’après le Cérémonial de Toul - 1700) Dans le Cérémonial de Toul, l’investissement du lieu et son désinvestissement font l’objet du chapitre IV de la première partie. Les prescriptions rejoignent une certaine « étiquette » plus qu’un « cérémonial » liturgique ; elles mettent en œuvre une sorte de rituel de passage pour prendre sa place ou la quitter. L’entrée au chœur et la sortie s’opèrent selon une symétrie inverse des actions. L’ordre des saluts est commandé par la commodité du déplacement à faire, plus que par la dignité des choses ou des personnes. L’entrée au chœur : Il est souhaité que le clergé arrive en procession ; les gestes et attitudes sont modulés en fonction du rapport au lieu, aux objets signifiants, aux personnes présentes. 1. On s’y rend « avec empressement » En entrant on se découvre, si c’est en été ; on prend de l’eau bénite en disant tout bas « Asperges me … », (au temps de Pâques : « Vidi aquam… » ou d’autres prières, chacun selon sa dévotion. On se rend en sa place. 2. Avant de monter dans les stalles, on s’arrête et se tourne vers l’autel pour saluer le Saint-Sacrement – « avec une dévote et médiocre inclination », – profonde s’il est exposé sur l’autel dans le ciboire – avec une génuflexion s’il est solennellement exposé à découvert sauf les choristes et ceux qui sont en chape (révérence). 3. Arrivé en sa place, on fait une légère inclination à ses plus proches voisins, une médiocre au chœur (salué de gauche à droite). On se prépare à la prière, à genoux, pour adorer le S. Sacrement, Puis on se tient debout en sa chaise jusqu’à ce que l’office commence. La sortie L’office achevé, chacun se met à genoux, pour faire en particulier ses actions de grâces. Après être descendu des stalles et avoir salué ses voisins, puis le choeur, on se tourne vers l’autel pour saluer le Saint-Sacrement, de la même manière qu’en entrant. On sort en silence. Si on doit sortir avant la fin, on se met à genoux l’espace d’un Pater, On se lève et salue ses voisins (inclination légère), tout le choeur (inclination médiocre), puis salut au Saint-Sacrement après être descendu des stalles.

Observations sur les postures dans le cadre du cérémonial de chœur (d’après le Cérémonial de Toul 1700) Les postures du chœur sont globalement mises en rapport avec les trois parties de l’office divin que sont la lecture, la prière ou la louange.

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La posture debout semble être la règle générale issue d’une coutume très ancienne dans l’Église : « c’est la posture la plus convenable pour chanter les louanges de Dieu » 57. Cette posture peut se différencier selon qu’elle est appuyée ou non, ou orientée vers l’autel. On se tiendra « debout sans s’appuyer » 1) pour des actions qui engagent comme entonner un chant, une antienne, 2) recevoir une marque de respect (être encensé, aspergé d’eau bénite) ou recevoir un objet lié au culte (cierge, palmes, fruits, etc.), 3) pour marquer le respect : durant les Cantiques évangéliques, au commencement des heures, à l’Évangile, pour la bénédiction, l’Angelus. La posture « debout tourné vers l’autel » rompt la disposition face à face : pour l’invitatoire, la louange invoquant les noms divins : hymne au Saint-Esprit, adresse à la Croix, à l’Hostie ; mais aussi, hymne à Marie ; adoration (et incarnatus est) ; pour recevoir la bénédiction du célébrant ; si l’on chante au milieu du chœur ; quand les choristes entonnent : psaume, hymne, cantique. La posture à genoux peut être d’usage quasi privé en ce qui concerne la préparation à l’office ou l’action de grâces qui le suit. Comme attitude collective, elle peut avoir une connotation pénitentielle ; mais aussi, de vénération et adoration devant la célébration des mystères : elle accompagne le saint Sacrifice pendant la messe solennelle lors du canon, depuis le Sanctus jusqu’à l’antienne de communion ; ou encore, l’adoration du Saint-Sacrement. Pendant la messe basse, c’est la posture constante sauf pendant l’évangile. La posture assise (sur les chaises abaissées) est prescrite à la messe solennelle pour écouter la lecture et le sermon. Le clergé est assis durant l’Épître et ce qui la suit jusqu’à l’Évangile exclusivement ; il se lève et se découvre au passage du diacre et du sous-diacre portant le texte sacré. Il est assis durant les prophéties, graduels et traits chantés. Pour l’office, la posture peut varier selon les fêtes ou solennités, ou encore selon l’importance des Heures. Le clergé est assis pendant la psalmodie et se lève au Gloria Patri. Aux fêtes doubles de 1ère et 2ème classe : on est assis pendant les leçons et leurs répons ; à matines, laudes et autres Heures, on est debout pendant le reste de l’office. Les occurrences d’être debout augmentent avec la solennité. Changement de posture : des opérations ordonnées Les prescriptions indiquent le point de départ même du changement de posture. Par exemple, en été, se découvrir 58 avant que de se lever ; ne se couvrir qu’après s’être assis. Pour s’asseoir, attendre que le Psaume (ou la leçon, ou l’épître) soit commencé (e). En fait, on ne s’assoit qu’après avoir engagé l’action correspondante (l’acte d’intonation étant lui-même une cérémonie) ; on se lève en précédant l’action prescrite de parole (par exemple, Gloria Patri). En bref : 1. Commencer le Psaume 1. Se découvrir 2. S’asseoir 2. Se lever 3. Se couvrir 3. Chanter le Gloria Patri

  Le commentateur fait observer que l’on a permis aujourd’hui aux vieux et aux infirmes de s’appuyer dans les chaises et d’y avoir une certaine « avance de bois » pour soutenir le corps : « indulgence » ou « miséricorde ». 58   En hiver, des vêpres de la Toussaint au Samedi saint exclusivement, le clergé ne se découvre pas, sauf pour l’élévation et la communion (ce qui est noté dans le cérémonial comme une adaptation récente qui date de l’année même). Les chantres et enfants de chœur sont découverts pour chanter et pour marcher dans le chœur. [Toul 1700], p. 75. 57

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ANNEXE IV

De la bienséance envers Dieu : éléments de débat sur la génuflexion Le prêtre et chapelain de l’Église de Paris, Martin Sonnet, auteur du Caeremoniale Parisiense de 1662 s’exprime ainsi à propos de la génuflexion : « La génuflexion, dit-il, est une révérence nouvelle, introduite dans quelques nouvelles églises, et qu’ont inventée, quasi par ignorance, des gens qui, sous prétexte de plus grande dévotion, suivant la mode de ce temps, mettent absolument toute leur dévotion dans une génuflexion extérieure, croyant que l’inclination diminue le culte divin, et ravale la majesté de Dieu ; ce qui est faux selon l’Écriture sainte. Dans l’Ancien Testament, tous adoraient en se courbant, comme on le voit dans une multitude de passages. C’est pour cela que, dès l’origine de l’Église, tous les prêtres et autres Clercs faisaient toujours l’inclination dans les divins offices, comme l’Église l’avait institué. » et il ajoute : « Depuis que la génuflexion est prescrite dans le missel aux ministres de l’autel, les enfants de chœur ne la font pas même depuis la consécration, non plus que ceux qui entrent au chœur en ce même temps, à moins, quant à ceux-ci, que le très-saint sacrement ne soit exposé ; car alors il est convenable que ceux qui entrent au chœur ou qui en sortent fassent la génuflexion, excepté néanmoins ceux qui sont en chapes. » 59 Le Cérémonial de Toul de 1700 distingue « deux manières générales de saluer, ou deux sortes de révérence », l’inclination et la génuflexion 60. Chacune d’elle à son tour permet trois sortes de réalisation. Voici ce qui est dit de la génuflexion : – la première se fait « en tirant tant soit peu le pied droit en arrière, et en pliant les genoux tenant le corps droit ». Cette manière est très ancienne et très usitée dans la cathédrale. On doit la faire avec gravité, sans précipitation. – la seconde s’opère « en fléchissant le seul genou droit jusqu’à terre, sans courber le corps, mais l’inclinant tant soit peu en devant, en même temps et d’une même action pour la faire d’une manière plus convenable. Elle est nouvelle et on ne la pratique guères qu’à l’autel, n’ayant été établie que pour se relever plus aisément et plus commodément après les prostrations que l’on doit faire sans aucune pose ; auparavant on ne la faisait jamais, non pas même à la messe après la consécration, car alors selon nos anciens missels, le célébrant adorait le corps et le sang de Jésus Christ étant profondément incliné, graviter ou profunde inclinatus, et non pas genuflexus ; et c’est encore l’usage des RR. PP. chartreux, et de plusieurs autres ». – la troisième consiste à « mettre les deux genoux en terre ». Les anciens livres la nomment prostration. On ne la pratique plus qu’avec quelque pose. Ces prescriptions confirment la nouveauté de la génuflexion en sa deuxième forme (un genou en terre). Les chanoines ne la pratiquent d’ailleurs que pour saluer le Saint-Sacrement quand il est solennellement exposé à découvert sur l’autel. Les autres ecclésiastiques, le font toutes les fois qu’ils saluent l’autel où repose le Saint-Sacrement, même non exposé. Les choristes et tous ceux qui sont en chapes ne le font jamais. On ne la pratique point dans les stalles. On peut constater que la limitation

  Cité dans [Caron Paris 1846] (cf. Liste-Index infra), p. 45-46. L’auteur ne donne pas de référence à cette citation. 60   [Toul 1700], Première partie, ch. X, p. 80-81. 59

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du geste vient principalement de la commodité de sa réalisation dans l’espace ou, en raison du vêtement liturgique que l’on porte. Grancolas constate que, il y a moins de trente ans, « à Châlons sur Marne, à Verdun et en d’autres cathédrales, on ne se mettait pas encore à genoux à l’élévation ; on ne le fait pas encore à Lyon. À Chartres on le fait à la messe du chœur ; mais à toutes les autres, même aux grandes messes, les chanoines restent debout. » 61 (avec une simple inclination). Claude de Vert invite à ne pas juger de l’intention à partir du seul geste extérieur : « Je say bien que de ce que la génuflexion ne se pratiquaient pas communément autrefois quelques ministres protestans prétendent en conclure qu’on ne rendait pas l’adoration souveraine à l’Eucharistie. […] » « Est-ce que ce nombre innombrable d’hommes et de femmes qui ne sont pas encore venu à faire la génuflexion devant le S. Sacrement, se rendent coupables d’une irrévérence condamnable et scandaleuse ? Mais quel étrange raisonnement, et quelle inouie et bizarre conséquence ! On a changé la posture en laquelle on rendait l’adoration au sacrement ; donc on a varié sur le sacrement même et sur ce qui regarde le dogme et la doctrine ? » 62

  Jean Grancolas, Traité de la messe et de l’office divin, seconde éd., Paris, J. Vincent, 1714.   C. de Vert, op. cit., t. 1, p. 261.

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De l’enseignement des cérémoniaux diocésains pour la connaissance des musiques d’Église dans la France des xviie et xviiie siècles Il y a quelques décennies déjà que plusieurs spécialistes de l’orgue, puis Denise Launay, ont souligné l’intérêt d’étudier les textes des cérémoniaux pour la connaissance de la pratique des musiques d’Église dans le cadre liturgique 1. La présente étude voudrait compléter ces travaux en se focalisant sur l’ensemble des différentes composantes musicales prises en compte dans les cérémoniaux diocésains édités en France aux xviie et xviiie siècles, sans se limiter aux seuls musique et orgue. Ces cérémoniaux déclinent en effet, selon les ouvrages, toutes ou quelques-unes de tout un panel de formes cantorales, plain-chant, faux-bourdon et chant sur le livre ; leurs emplois préconisés, variables d’un cérémonial à l’autre, permettent de mieux connaître leurs articulations avec l’orgue et la musique figurée au sein d’un office. Ceci conduit à prendre en compte l’ensemble des informations concernant toutes ces formes musicales telles qu’elles sont traitées dans ces ouvrages à la fois descriptifs et prescriptifs que sont les cérémoniaux, généralement destinés à être suivis par toutes les églises d’un même diocèse. Mais pour être bien appréhendées, ces diverses indications doivent être replacées dans le contexte de la Réforme catholique et des conceptions développées depuis le concile de Trente en matière de cérémonies et de chant. Je relèverai donc celles qui sont contenues dans le Cæremoniale episcoporum de Clément VIII, pour ensuite examiner comment elles furent reprises ou non, adaptées ou transformées dans les cérémoniaux diocésains imprimés français, après une période de transition marquée par les éditions des Manuels des cérémonies romaines de Michel Bauldry et des lazaristes, dans lesquelles les prescriptions romaines furent reprises et acclimatées aux pratiques gallicanes.

  Voir la bibliographie donnée dans la contribution d’Érik Kocevar infra ; Denise Launay, La musique religieuse en France du Concile de Trente à 1804, Paris, Société française de musicologie / Klincksieck, 1993, en particulier les chapitres commençant aux pages 65, 139, 277, 413. Voir aussi Jean-Yves Hameline, « Le Plain-chant aux lendemains du concile de Trente et des réformes post-conciliaires », Plain-chant et liturgie en France au xviiie siècle, J. Duron (dir.), Centre de musique baroque de Versailles, Klincksieck, Fondation Royaumont, 1997, en particulier les p. 24-27, consacrées au cérémonial du chant. 1

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Le Cæremoniale episcoporum de 1600 2 Comme le faisait observer avec justesse Denise Launay, le Cérémonial des évêques envisage sciemment, dans le domaine des éléments musicaux comme pour l’ensemble du volume, le point de vue général, universel, et se borne par conséquent à énoncer des principes essentiels destinés à toute l’Église.

L es pr incipes ess e nt iel s En premier lieu, on peut noter la présence d’un chapitre spécialement consacré à l’orgue, à l’organiste et aux musiciens ou chantres (« De organo, organista, & musicis, seu cantoribus, & norma per eos servanda in divinis », Livre I, cap. xxviii, p. 111-113), qui concentre l’essentiel des informations portant sur l’usage de l’orgue dans les offices. Quelques rares informations complémentaires concernant l’orgue et d’autres composantes musicales apparaissent toutefois dans le cours d’autres chapitres, que nous mentionnerons ci-après 3. On peut déduire du chapitre xxviii dix sections principales (non marquées dans l’édition de 1600) : 1/ les dimanches de l’année où l’orgue est permis ou non ; 2/ en présence de l’évêque et autres dignitaires de l’Église ; 3/ aux matines (Te Deum) ; 4/ principes de diction du texte avec l’orgue (hymnes et cantiques des matines, vêpres, messe) ; 5/ aux petites heures (tierce) ; 6/ aux vêpres (hymne, cantique, fin des psaumes) ; 7/ à la messe solennelle (Kyrie, Gloria, Sanctus, Agnus Dei « alternatim » ; après l’Épître, élévation, verset, communion, fin de la messe) ; 8/ principes généraux concernant l’orgue ; 9/ principes généraux concernant les musiciens et chantres ; 10/ moments où orgue et musique sont interdits. Au-delà d’une sorte de « tableau des présences au service » (D. Launay, p. 66) des principaux moments d’intervention de l’orgue dans les offices et dans l’année, il faut sans doute y voir un rappel appuyé des principes fondamentaux de bienséance, de dévotion et d’intelligibilité déjà notifiés par le concile de Trente 4. Ceci est particulièrement évident à la fin du chapitre : [8] Il faut veiller à ce que le jeu de l’orgue n’ait rien de lascif ou d’impur, que l’on ne donne pas avec lui des chants sans rapport avec l’office en cours, ou, pire, profanes ou ludiques [ie de théâtre], et que l’on n’ajoute pas d’autres instruments de musique à l’orgue. [9] De même, les chantres et musiciens veilleront à ce que l’harmonie des voix, destinée à augmenter la piété, ne porte point vers le léger ou le lascif, et qu’elle ne distraie pas de la

  Éditions utilisées : Cæremoniale episcoporum, editio princeps (1600), Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano, 2000 (édition désignée ci-après « CE ») et Cæremoniale episcoporum, Le Cérémonial des évêques du concile de Trente à Vatican II. Traduction intégrale du texte selon l’édition de 1752, établie, révisée et annotée, Institut du Christ Roi Souverain prêtre, Éditions Hora Decima, 2006 (désigné ci-après « CET »). 3   Le chapitre précédent (Livre I, cap. xxvii) donne les formules notées des chants des oraisons, collectes, etc. ; il ne sera pas abordé ici, débordant un peu notre sujet principal ; il mériterait cependant une étude comparée avec ce qui est décrit concernant ces formules de récitation (non notées) dans certains cérémoniaux diocésains français. 4   Cf. Hameline, op. cit., p. 13-17. 2

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contemplation des choses divines les âmes de ceux qui l’écoutent, mais soit dévote, distincte et intelligible 5.

Le fait même que l’organiste, les chantres et les musiciens soient rassemblés dans un même chapitre, pourtant essentiellement consacré à l’orgue, confirme que c’est bien là le sujet principal du chapitre. Une telle insistance sur ces principes de discipline et de bienséance permet de mettre en avant la dimension essentielle de respect et de révérence selon laquelle doivent se dérouler les cérémonies. À ce titre, non seulement il est nécessaire de rappeler clairement le rejet des éléments lascifs ou mondains, mais il importe de préciser les moments où l’on estime bienséantes (on non) les interventions de l’orgue dans les cérémonies. Le Cæremoniale episcoporum indique à ce sujet que l’usage de l’orgue et de la musique figurée sont clairement réservés aux dimanches et fêtes chômés 6 et à certains offices de ces jours : matines et laudes 7, messe, vêpres ; ils sont tout aussi clairement interdits pendant les périodes de pénitence  : Avent, Carême —  sauf exceptions  : 3e dimanche de l’Avent (« Gaudete »), 4e dimanche de Carême (« Lætare »), Annonciation, Jeudi et Samedi saints 8 —, et liturgie des défunts. On note toutefois une certaine ouverture à des possibilités autres, qui confirme la portée universelle de l’ouvrage, par exemple à propos de l’office des complies : On ne fait point l’encensement de l’autel au cantique Nunc dimittis, et l’on ne touche pas l’orgue, sauf si la coutume d’une Église était de célébrer cette heure avec quelque solennité, auquel cas on pourrait employer l’orgue en suivant les règles transmises plus haut 9.

De même, la présence de l’orgue à l’office de tierce (qui précède la messe) n’est pas spécifiquement prescrite, mais semble être considérée comme souhaitable, tout particulièrement lorsque l’évêque officiera ou sera présent : Il n’est pas d’usage de faire intervenir l’orgue aux autres heures canoniales qui sont récitées au chœur. Mais si la coutume existe en certains lieux de toucher les orgues même durant les [autres] heures canoniales, ou à certaines d’entre elles (comme à tierce, surtout lorsqu’elle est

  Cette traduction s’appuie sur l’édition récente citée en note 3 (CET), à laquelle seront apportées, le cas échéant, modifications ou compléments : ici, p. 119-120. « Cavendum autem, ne sonus organi sit lascivus, aut impurus, & ne cum eo proferantur cantus, qui ad officium, quod agitur, non spectent, nedum profani, aut ludic[r]i, nec alia instrumenta musicalia præter ipsum organum addantur. Idem quoque cantores, & musici observent, ne vocum harmonia, quæ ad pietatem augendam ordinata est, aliquid levitatis, aut lasciviæ præ se ferat ; ac potius audientium animos à rei divinæ contemplatione avocet, sed eorum sit devota, distincta, & intelligibilis. » (CE, cf. supra, note 3, p. 113). À ce titre, je remercie vivement Alexis Meunier et Jean-Yves Hameline pour leur aide précieuse apportée à la lecture des textes latins utilisés dans cet article et pour les discussions fructueuses qu’elle a suscitées. 6   « In omnibus Dominicis, & omnibus festis per annum occurrentibus, in quibus populi à servilibus operibus abstinere solent, decet Ecclesia organum, & musicorum cantus adhiberi. » (CE, p. 111). 7   Le terme « matines » est à prendre ici dans son sens large : si l’évêque a célébré les matines, il célèbre aussi les laudes (cf. cap. VII). 8   L’édition de 1752 ajoute et précise parmi ces exceptions les saints Matthias, Thomas d’Aquin, Grégoire le Grand, Joseph ; et précise : le Jeudi saint à la messe seulement, le Samedi saint à la messe et aux vêpres. 9   CET, p. 144 ; CE, L. II, cap. IV, p. 141. 5

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chantée pendant que l’évêque, célébrant solennellement, revêt les ornements sacrés), elle peut être conservée 10.

On peut observer à cette occasion que la présence de l’orgue est naturellement associée avec celle de l’évêque ou d’autres dignitaires (légat, cardinal, un autre évêque ou archevêque que l’évêque diocésain veut honorer) : il joue pendant les entrées et sorties de ces personnages dans l’église, se chargeant ainsi d’une fonction d’amplification ou de marquage sonore, de solennisation de l’exceptionnel, liée à la présence dans l’église d’une personnalité honorifique. Le Cæremoniale episcoporum va même jusqu’à préciser le caractère de ce que doit jouer l’orgue à ces moments, à l’occasion de la sortie des vêpres : pendant que l’évêque et les chanoines ôtent leurs vêtements et sortent de l’église, « l’orgue joue une mélodie de caractère joyeux 11 ». Dans ces moments où il assure une fonction de remplissage temporel, d’accompagnement sonore des gestes, l’organiste a tout le loisir d’improviser ou de jouer librement, sa seule contrainte consistant à s’adapter à la durée des déplacements. C’est selon le même principe qu’il interviendra pour le moment de l’offertoire de la messe 12. Ce principe consistant à adapter la durée musicale à celle de la cérémonie en cours n’est par ailleurs pas réservé au seul orgue, comme on peut le percevoir dans le cas du cantique Magnificat, chanté durant les encensements : Les chantres et l’organiste veilleront pendant ce temps à mesurer le chant et le son [de l’orgue] qui alternent, de sorte que l’encensement soit terminé avant la répétition de l’antienne 13.

Il en est de même à l’office de tierce, où il semble même que ce soit précisément ce problème de réglage de la durée qui amène à recommander la présence de l’orgue : Qu’on avertisse le chœur de poursuivre lentement les psaumes de tierce ; on pourra même, si cela se révèle nécessaire, interposer le son de l’orgue après l’un ou l’autre psaume, afin qu’ils terminent au moment où l’évêque aura lu les psaumes, avec leurs versets et sera paré comme nous allons dire 14.

Encore, aux matines de Noël, « l’évêque monte de nouveau au trône où, debout sans mitre, il attend la fin de l’hymne Te Deum que l’on pourra chanter sur une mélodie plus ornée, et avec l’intervention de l’orgue, afin que l’évêque et tous les chanoines aient le temps

  CET, p. 118-119. CE 1600, p. 112.   « organo interim hilari modulatione continuo personante » (CE, L. II, cap. I, p. 132). 12   Après avoir lu l’offertoire, l’évêque pose ses attributs et se lave les mains : pendant ce temps, on touche l’orgue, s’il y en a un (« Interim organum tangitur, si erit, prout etiam suo loco dicitur. », CE, L. II, cap. viii, p. 169). 13   CET, p. 142. « Advertant interim cantores, & organista, ut cantum, & sonum invicem alternatim ita dimentiantur, ut ante repetitionem Antiphonæ incensatio sit expleta. » (CE, L. II, cap. iii, p. 139). 14   CET, p. 155. « Chorus autem admoneatur, ut Psalmos Tertiæ lente prosequatur, interposito etiam, si opus videbitur, post quemlibet Psalmum organo, ita ut eodem tempore illos perficiant, quo Episcopus suos Psalmos cum suis Versiculis legerit, & paratus fuerit, ut infra. » (CE, L. II, cap. viii, p. 152). 10 11

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de revêtir commodément leurs ornements 15 ». Les moyens de faire durer le chant diffèrent ainsi de ceux employés par l’orgue : soit on chante plus lentement, soit on peut adopter une mélodie plus ornée, comme dans les deux exemples précédents, soit on fait durer les pauses, ainsi qu’il est précisé pour le chant du Kyrie qui clôt le chant des litanies du Samedi saint 16. En sus de ce principe d’adaptation de l’orgue et du chant à la durée des cérémonies, pour lequel il rappelle les solutions possibles, le Cæremoniale episcoporum insiste encore davantage sur un autre principe, celui de l’énonciation des paroles durant certains moments où l’orgue joue. Il est ainsi recommandé que les paroles soient dites à haute voix pendant que l’orgue joue ou, mieux encore semble-t-il, chantées : Mais il est à noter que, toutes les fois que quelque chose à chanter est figuré par l’orgue, c’està-dire qu’il alterne les versets des hymnes ou des cantiques en répondant [au chœur], quelqu’un du chœur doit prononcer à voix intelligible [les paroles de] ce qui est répondu par l’orgue. Et il serait louable que quelqu’un du chœur chante [ces paroles] à voix haute conjointement avec l’orgue 17.

Ce point concerne tous les textes exécutés en alternance entre le chœur et l’orgue, soit les hymnes et cantiques (Te Deum, Magnificat, Benedictus) des matines, laudes et vêpres, et les Kyrie, Gloria, Sanctus et Agnus Dei de la messe. Le principe reste valable lorsque l’orgue joue — selon l’usage romain — la répétition de l’antienne après le psaume : Si l’on veut, à la fin de chaque psaume, l’antienne pourra être répétée par l’orgue, pourvu que des mansionaires (ou quelqu’un député à cette fin) répètent aussi l’antienne à haute voix. Si quelqu’un voulait chanter en même temps que l’orgue, il ne devrait rien chanter d’autre que l’antienne elle-même 18.

L’orgue n’est donc pas censé se substituer au texte dans les hymnes et cantiques, mais doit le souligner, l’accompagner, et son intervention ne dispense pas de l’énonciation du texte à voix haute, voire chantée. Dans le cas des hymnes et cantiques (soit Te Deum, Magnificat, Benedictus, Gloria de la messe), une précision importante est apportée : La règle est que le premier verset des cantiques et des hymnes doit être chanté par le chœur dans un ton intelligible, et non pas par l’orgue, que ce soit aux vêpres, aux matines ou à la

15   CET, p. 191. « … denuo sedem ascendit, ubi stans sine mitra, [episcopus] expectat finem Hymni prædicti [Te Deum], qui decantari poterit prolixiori nota, et cum organi interpositione, ut commode interim Episcopus & omnes Canonici indui possint suis paramentis. » (CE, L. II, cap. xiv, p. 198). 16   « Les chapelains ou chantres déjà mentionnés poursuivent les litanies jusqu’à la fin, le chœur répondant comme nous l’avons dit ; à la fin, on chante Kyrie eleison, avec les intervalles appropriés [pour le faire durer] jusqu’à ce que l’évêque soit au trône pour chanter Gloria in excelsis Deo. » (CET, p. 240). 17   CET, p. 119. « Sed advertendum erit, ut, quandocumque per organum figuratur aliquid cantari, seu responderi alternatim versiculis Hymnorum, aut Canticorum, ab aliquo de choro intelligibili voce pronuntietur id, quod ab organo respondendum est. Et laudabile esset, ut aliquis cantor conjunctim cum organo voce clara idem cantaret » (CE, L. I, cap. xxviii, p. 112). 18   CET, p. 133. « Si placuerit, finito quolibet Psalmo, poterit Antiphona per organum repeti, dum tamen per aliquos mansionarios, aut alios ad id deputatos eadem Antiphona clara voce repetatur » (CE, L. II, cap. i, p. 127).

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messe. Il en va de même pour les strophes des hymnes auxquelles il faut s’agenouiller, telles que Te ergo quæsumus, le verset Tantum ergo Sacramentum, quand ce Sacrement est sur l’autel, et similaires, ainsi que pour le Gloria Patri, même si le verset précédent vient d’être chanté par le chœur, et pareillement pour la dernière strophe des hymnes 19.

On doit donc faire chanter par le chœur sans l’orgue certaines paroles : celles des premiers versets ou strophes, celles où l’on s’agenouille, celles de la doxologie finale. Le chœur interviendrait donc en alternance avec l’orgue plus irrégulièrement qu’on ne pourrait le penser ou le pratiquer ailleurs, notamment en France (cf. infra).

Pré s e nce de la « mu sique » dan s le C æremoni a l e epis cop or um La musique figurée est désignée sous plusieurs dénominations au cours de l’ouvrage : cantus figuratus (opposé à cantus Gregorianus), musicorum cantus (en association avec l’orgue : « organum, & musicorum cantus »), ou musica, quam figuratam vocant (opposée à canto firmo). Mais les moments précis où elle peut intervenir sont rarement indiqués ; les indications fournies sont surtout des indications de non-usage : Dans les messes et offices des défunts, ni l’orgue ni la musique figurée ne sont admis, mais le seul plain-chant, qu’il faut aussi employer aux féries de l’Avent et du Carême 20.

Parmi les rares endroits où elle est directement envisagée, on trouve citée l’hymne des vêpres des fêtes solennelles : entonnée, celle-ci est continuée par le chœur « en plain-chant ou en musique, au choix, du moment que les paroles sont distinctement intelligibles 21 ». Il n’est pas précisé comment l’orgue devra intervenir quand on introduit la musique à la place du plain-chant. Mais on peut supposer qu’il conservera le principe d’alternance, ce que tend à indiquer cette mention de polyphonie à propos du Te Deum des matines : l’évêque entonne le Te Deum qui est « poursuivi par le chœur. On pourra y mêler l’orgue, selon les règles transmises plus haut, pourvu que le verset Te ergo quæsumus soit donné à voix claire, ou bien dans une agréable harmonie vocale sans orgue (« exprimatur voce clara, alioquin cum suavi harmonia sine organo ») ; durant la récitation de ce verset, l’évêque et tous s’agenouillent 22 ».

19   CET, p. 118. « Regulare est, sive in Vesperis, sive in Matutinis, sive in Missa, ut primus versus Canticorum, & Hymnorum, & pariter versus Hymnorum, in quibus genuflectendum est, qualis est Versiculus Te ergo quæsumus &c & Versiculus Tantum ergo Sacramentum &c. quando ipsum Sacramentum est super altari, & similes, cantentur à choro in tono intelligibili, non autem ab organo : sic etiam Versiculus Gloria Patri &c. etiam si Versiculus immediate præcendens fuerit à choro pariter decantatus ; idem servatur in ultimis versibus Hymnorum. » (CE, L. I, cap. xxviii, p. 112). 20   « In Missis, & officiis defunctorum, nec organo, nec musica, quam figuratam vocant, utimur, sed canto firmo, quem etiam in tempore Adventus, & Quadragesimæ in ferialibus diebus adhiberi convenit » (CE, ibid., p. 113). 21   CET, p. 134. « … quem chorus prosequitur in cantu plano, vel musicali, prout magis placuerit ; dummodo verba distincte intelligantur », (CE, L. II, cap. i, p. 128). 22   CET, p. 147 ; CE, L. II, cap. vi, p. 144.

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L’insistance sur l’intelligibilité des paroles, ainsi que le répertoire subsistant des compositeurs romains contemporains de la Réforme catholique invitent à s’interroger sur la nature même de cette « musique » ou de cette « agréable harmonie ». Ainsi que l’a fort justement relevé D. Launay (p. 80), il pourrait tout aussi bien s’agir, dans certains cas au moins, de faux-bourdon. En revanche, on relève une certaine insistance à préciser que les psaumes des vêpres doivent être chantés (par le chœur des chanoines, bénéficiers et tous autres membres du chapitre) « in tono et cantu Gregoriano cum gravitate et decoro, ita ut eorum verba ab omnibus intelligantur » (dans le ton et le chant grégorien, avec gravité et dignité, de façon à ce que les paroles soient intelligibles de tous). On notera toutefois cette précision  : «  le verset Gloria Patri pourra être récité avec une modulation vocale plus solennelle » (« sed Versiculus Gloria Patri poterit solemniore vocis modulatione recitari » 23. S’agirait-il là de chant sur le livre ? saint :

La présence de la musique peut encore être relevée, par déduction, le jour du Jeudi Du 5e dimanche de Carême jusqu’à Pâques, les chantres n’emploieront pas le chant figuré, mais le chant grégorien, excepté le Jeudi saint 24.

Si on se reporte au chapitre xxiii, qui concerne spécifiquement les cérémonies du Jeudi saint, on trouve cette unique mention relative au moment de la procession qui suit la messe : Portant le Très-Saint-Sacrement avec dévotion, l’évêque entre sous le dais. Il est précédé par les chanoines parés, avec leurs torches [ou cierges], dans l’ordre habituel. Lorsqu’ils arrivent à la chapelle où le Sacrement doit être déposé, le dais est laissé à l’extérieur, et les chantres, en un chant pieux et dévot (« in cantu pio et devoto »), chantent O salutaris hostia ou Tantum ergo Sacramentum jusqu’à ce que le Saint-Sacrement ait été reposé par l’évêque et encensé 25.

Ce « chant pieux et dévot » pourrait donc être du « cantus figuratus ». Que faut-il entendre par là ? Du contrepoint écrit, ou improvisé (chant sur le livre), ou un plain-chant « mesuré » de type canto fratto 26 ? Les mentions concernant la musique polyphonique ou d’autres développements musicaux du plain-chant existent donc dans le Cæremoniale episcoporum, mais restent pour nous très imprécises. Elles ne sont cependant pas sans évoquer des types d’écriture alors couramment employés dans les églises séculières : cette « solemniore vocis modulatione » ferait ainsi penser au chant sur le livre, et cette « suavi harmonia sine organo », au fauxbourdon. Par ailleurs, on peut observer que le Cæremoniale episcoporum s’attache plusieurs fois à préciser les indications de caractère et d’intention que doivent revêtir ces interventions musicales, notamment à l’attention de l’orgue : joué gaiement aux entrées et sorties des

  CET, p. 133 ; CE, L. II, cap. i, p. 127.   « Cantores vero ab hac Dominica quinta Quadragesimæ usque ad Pascha, excepta feria quinta in cæna Domini, non utantur cantu figurato, sed Gregoriano » (CE, L. II, cap. xx, p. 218). 25   CET, p. 217 ; CE, L. II, cap. xxiii, p. 230. 26   Voir Il canto fratto, l’altro gregoriano, M. Gozzi (éd.), Rome, Torre d’Orfeo Editrice, 2006. 23 24

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dignitaires, l’orgue, quand il est chargé d’illustrer le moment de recueillement et d’adoration de l’élévation à la messe, doit en revanche employer un son « graviori & dulciori », ou encore être touché « cum melodia, & gravitate » 27.

Assimilation du Cæremoniale episcoporum en France Le Cæremoniale episcoporum semble avoir été clairement reçu et perçu par les liturgistes et par le clergé français comme un livre de référence, notamment par les évêques, dont le Cérémonial tridentin promeut tout particulièrement la fonction ecclésiastique en la plaçant en son centre 28. Plusieurs éditions du début du xviie siècle viennent manifester cette volonté d’appropriation et de diffusion de l’ouvrage, dont certaines sont directement promues par les évêques ou les Assemblées du clergé de France (voir Planches fig. 1-15). C’est le cas de la Pratique des cérémonies de l’Église (Paris, 1657), préparée par Louis du Molin, chanoine de la cathédrale d’Arles, à la demande de l’Assemblée du clergé de France de 1645 29. Une adaptation en français du Cæremoniale episcoporum fut effectuée dès 1639 par le père Le Marinel, chanoine de l’Église de Meaux ; intitulée Abrégé du cérémonial des évêques, contenant les offices de tous ceux qui doivent assister et servir, lorsqu’ils officient pontificalement, elle ne concerne donc que « ceux qui assistent les évesques aux divins offices ». Ces deux ouvrages ne font pas état des éléments musicaux, leurs auteurs s’en tenant à clarifier et fixer les gestes et cérémonies des messes et offices ainsi que le rôle des principaux officiers. Ce n’est en revanche pas le cas d’autres auteurs, qui proposèrent des « manuels des cérémonies romaines », synthèses raisonnées des informations concernant les cérémonies contenues dans les différents livres romains (rubriques du Missel et du Bréviaire, Rituel et en premier lieu le Cæremoniale episcoporum) alimentées par les ouvrages présents et passés des grands liturgistes (Gavantus, G. Durand), parmi lesquels on relève les ouvrages fameux et fort diffusés de Bauldry (voir Planches, fig. 32) et des lazaristes.

L e Manu a l e S a cr ar um C æremoni ar um de Michel B auldr y Le savant bénédictin Michel Bauldry édite dès 1637 ce qui deviendra un ouvrage de référence 30, le Manuale Sacrarum Cæremoniarum juxta Ritum S. Romanæ Ecclesiæ destiné aux cathédrales, collégiales, paroisses, aux églises séculières et régulières (éd. 1646). Dès

  CE, respectivement p. 112 et 174.   Cf. l’intitulé du titre, le parcours de l’évêque depuis la prise de possession de son diocèse à l’anniversaire de sa mort, en passant par ses funérailles. 29   Cf. Liste-Index infra, [Du Molin Église* 1657]. Sur l’historique de cette édition, et les éditions précédentes du même auteur, voir les contributions de François Auzeil et Alexis Meunier (1) dans le présent volume. 30   Il fit l’objet de nombreuses rééditions vénitiennes entre 1646 et 1781 au moins, ainsi que d’une édition portugaise (Coïmbra, 1740). Voir aussi « Cérémoniaux et Manuels de cérémonies imprimés » d’A. Meunier dans le présent volume. 27 28

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l’édition de 1637, un chapitre est consacré à l’orgue, « De officio organistæ », revu et augmenté dans la deuxième édition de 1646, devenant « De organistæ & musicorum officio ». Pour rédiger ce chapitre, Bauldry reprend toutes les données du chapitre équivalent du Cæremoniale episcoporum en apportant toutefois des précisions de détail et plusieurs ajouts. Ces derniers sont essentiellement de nature pratique, tels la préférence pour un organiste clerc, plutôt qu’un laïc, la présence de la clochette qui permettra d’avertir l’organiste quand il devra commencer ou terminer de jouer, ou le soin que celui-ci devra prendre de son instrument : il devra veiller à le maintenir fermé et à son bon entretien en retirant la poussière et les toiles d’araignées. Il devra se découvrir et se couvrir aux mêmes moments que le chœur ; et il devra se concerter avec le maître de musique et le maître des cérémonies, ainsi qu’avec l’autre organiste dans les lieux où il y a deux orgues. Enfin, selon Bauldry, c’est l’évêque qui devra accorder son autorisation concernant ce que l’on peut chanter en musique ou la possibilité de laisser des laïcs remplir l’office de chantre 31. Parmi les précisions, on notera cette intéressante distinction faite par le bénédictin de ce qui relève, dans le Cæremoniale episcoporum, de l’usage romain, telle la possibilité de jouer l’orgue aux Kyrie et Gloria de la messe du Jeudi saint et le Samedi saint à partir du Gloria de la messe, mais jamais pour l’office des défunts, ce qui invite à penser que ces usages pouvaient être différents en France  32. Parmi les autres précisions remarquables, celle qui concerne les instruments interdits avec l’orgue, à savoir les « tubæ, tibiæ aut cornea », ce qui semble signifier le rejet, non pas de tous les instruments comme aurait pu le laisser penser le Cérémonial des évêques, mais semble-t-il seulement de tout instrument à vent trop sonore. Suit immédiatement un avertissement à propos des « motets » (« motteta ») légers ou peu décents qui interviennent à la fin des psaumes ou au cours de l’office (« Similiter levia, ac minus decentia motteta nullo modo recitentur in fine Psalmorum, nec prorsus in toto divino officio 33 »). On serait tenté de rapprocher cette dernière remarque des définitions du motet données à la fin du xviie siècle, notamment par Furetière (repris par Brossard) qui fait suivre une définition du motet vocal de ce passage singulier : Quand le musicien prend la liberté d’y employer [dans sa composition] tout ce qui luy vient dans l’esprit, sans y appliquer aucune parole, on l’appelle fantaisie ou recherche 34.

  « Præstat ut Episcopus probet ea, quæ cantanda sunt à Musicis ex Conc. 3. Mediolanensi, sicut & Laici cantores, & ut sint induti habitu Clericali semper, dedecet enim valde Cantores in Ecclesia habitu laicali, & profano indutos esse. », [Bauldry 1646], p. 39, point xvii. 32   Cf. ibid., p. 37, point iii. Parmi les autres usages romains (« more romano »), Bauldry signale encore la possibilité pour l’orgue de jouer au Veni creator, notamment lors de la consécration de l’évêque (cf. id., p. 38, point viii). 33   Ibid., p. 39, point xiv. 34   A. Furetière, Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts…, La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690 (facsimilé, Paris, France-Expansion, cop. 1972) ; la définition complète est la suivante : « Composition de musique sur une période fort courte, elle est figurée, & enrichie de toutes les subtilités de l’art. On en fait plusieurs sur quelques versets ou antiennes, qui sont propres pour les Églises ; quand le musicien prend la liberté d’y employer tout ce qui luy vient dans l’esprit, sans y appliquer aucune parole, on l’appelle fantaisie ou recherche. Ce nom luy a esté donné à cause de sa brieveté, comme si ce n’estoit qu’un mot ». 31

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Ces moments de liberté où l’organiste peut improviser à son gré, comme à la fin des psaumes, seraient particulièrement à surveiller, selon l’avertissement ajouté par Bauldry. Ceci nous permet par ailleurs de mieux comprendre pourquoi Furetière inclut dans la définition qu’il donne du « motet » les genres instrumentaux comme la fantaisie ou le ricercar : « motet », dans son esprit comme dans celui de Bauldry et de leurs contemporains, désignerait plus généralement toute adjonction de musique figurée vocale ou instrumentale indépendante du cursus strict de la liturgie.

L e Manu el des laz ar i stes Le Manuel des cérémonies romaines qui s’observent dans les plus ordinaires offices divins, tiré des livres romains plus authentiques et des plus intelligens escrivains en cette matière, « par quelques-uns des prestres de la congrégation de la Mission », édité pour la première fois en 1662 mais mieux connu par sa seconde édition de 1670, ne propose aucun chapitre spécifique à l’orgue ou à la musique, mais les prend en compte ponctuellement au fil des descriptions des cérémonies. C’est surtout par la distance prise par ses auteurs — soucieux de s’inscrire dans un contexte français — avec les cérémonies purement romaines que l’ouvrage nous intéresse, laissant alors paraître des informations inédites. Destiné à l’usage de tous les ecclésiastiques qui suivent l’usage romain, le Manuel des lazaristes souhaitait en effet s’adresser aussi à ceux qui, en France, ne le pratiquaient pas, s’offrant aussi à eux comme modèle de référence dans les cas d’incertitude concernant leurs propres règles : l’utilité de ce manuel n’est pas tellement restrainte (sic) à ceux qui ont une particulière profession de pratiquer les cérémonies romaines, qu’elle ne puisse aussi s’étendre aux autres qui suivent des usages différens receus dans leurs diocèses : Car comme il y a quantité de choses dans les cérémonies que les coûtumes locales n’ont point déterminé, & que dans celles-là même qui ont esté réglées par un ancien usage, la négligence de plusieurs cause souvent beaucoup de confusion, d’où naist en divers lieux une grande incertitude touchant ces mêmes coûtumes, & une notable indécence dans le culte de Dieu ; les règles qu’on propose dans ce livre pourront servir d’un remède facile & assuré à ces défauts, veu qu’elles sont nettement expliquées jusques aux moindres circonstances, & qu’elles ont esté fidèlement puisées des sources très-pures dont nous avons parlé [ie Missel romain, le Cæremoniale episcoporum «  receu par Innocent  X  », le Rituel romain, les décisions de la Sacrée Congrégation des Rites] 35.

Le Manuel soulignait et reconnaissait néanmoins des spécificités romaines différentes des diocésaines ; et il convenait dans certains cas de ne pas les suivre au profit des « coûtumes loüables des lieux, ausquelles on renvoye souvent le lecteur 36 » :

  [Lazaristes 1670], « Avertissement sur cette seconde Edition », p. [3].   Loc. cit. Ainsi, suivre l’usage romain n’impliquait pas nécessairement une reprise complète des cérémonies romaines : le Cérémonial de Metz (1697) constitue le cas intéressant d’un diocèse suivant la liturgie romaine mais revendiquant des cérémonies spécifiques. 35 36

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Il est vray qu’il y a quelques endroits, où l’on n’a pû se conformer parfaitement au cérémonial des évesques, comme on l’auroit bien désiré  ; mais parce qu’il n’est pas en usage en ces endroits-là, les plus intelligens estiment qu’il est à propos de suivre, en cela, la coûtume loüable des païs où l’on se trouve, puisqu’aussi bien le même Cérémonial [des évêques] permet de la suivre quelquefois, pour éviter les singularitez qui peuvent donner sujet de murmures au peuple 37.

Allant plus loin que Bauldry dans la clarification de ce point, les lazaristes proposaient donc d’exclure de leur ouvrage celles des cérémonies romaines qu’ils considéraient comme étrangères aux pratiques cérémonielles des diocèses du royaume. C’est ainsi qu’ils notent par exemple plusieurs fois que « les chœurs de France » sont souvent éloignés de l’autel, contrairement à ceux d’Italie. Ce parti pris les conduisit en conséquence à ajouter des précisions complémentaires afin de baliser les pratiques gallicanes qu’ils prenaient en compte, comme ici dans un cas qui nous intéresse pour le chant et l’orgue, celui de la communion générale : Durant la communion du clergé ou du peuple, il n’est pas à propos de chanter au chœur autre chose que l’antienne appellée communion. Que si le nombre de communiants est fort grand, on peut cependant joüer de l’orgue d’un ton grave & devot, si le temps le permet ; mais si la coûtume ou autre raison oblige à chanter quelque chose à défaut d’orgues, il vaut mieux que ce soient les antiennes de Benedictus ou de Magnificat, des premières & secondes vespres de la Feste-Dieu, qui n’ont rien de particulier au jour de la feste, que des hymnes ou proses du S. Sacrement, qui contiennent quelque chose de propre à la solemnité de ce jour, ou mesme que les pseaumes dont le chant n’est pas en usage à la messe 38.

Ces précisions indiquant qu’on ne peut pas ajouter n’importe quel texte quand il faut prolonger la musique d’une cérémonie longue, ou que le chant des psaumes n’est pas en usage à la messe, laissent à penser que les lazaristes relevaient des pratiques qu’ils avaient pu remarquer dans certaines églises ou paroisses du royaume. Il faudrait examiner de plus près s’ils furent suivis sur ce point. Ce ne fut pas le cas à la Chapelle royale par exemple, où, comme l’on sait, à la messe ordinaire du roi (une messe basse) on chantait le plus souvent un motet sur un texte de psaume. Ces ouvrages pratiques et savants concoururent à la diffusion des cérémonies romaines en France et des indications musicales qu’elles préconisaient, en en proposant toutefois une relative « digestion » gallicane qui ouvrait la voie à la production de cérémoniaux diocésains dont le premier parut en 1662 (voir Planches, fig. 21-24). Les spécificités locales pouvaient dorénavant être révisées selon des principes plus rigoureusement établis, et assumées en toute sérénité.

  [Lazaristes 1670], « Au lecteur », p. [5-6])   Ibid., p. 471-472, point xiii.

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Les cérémoniaux diocésains français Les douze cérémoniaux diocésains consultés pour cette étude 39 relèvent de deux types principaux  : ceux qui décrivent les usages à l’attention de tout un diocèse (Paris 1662 — complété par la partie cérémonial du Directorium chori de 1656 —, Bayeux 1677, Besançon 1682/1707, Toul 1700, Paris 1703, Bourges 1708, Lisieux 1747, Clermont-Ferrand 1758, Sens 1769, Langres 1775), et ceux qui ne décrivent que les usages d’une église métropolitaine (Metz 1697, Angers ca. 1731-1742). Parmi les cérémoniaux de la première catégorie, la plupart s’emploie toutefois à distinguer ce qui concerne les usages propres de l’église métropolitaine, de façon plus ou moins lisible 40, le seul à ne pas mentionner des usages spécifiques pour la cathédrale étant Besançon. S’ils apportent souvent nombre de précisions spécifiques par rapport au Cæremoniale episcoporum, ils n’en restent pas moins conçus comme des livres généraux destinés à s’adapter aux différentes églises d’un diocèse tout entier. On peut donc s’attendre à ce que les plus précis soient les deux cérémoniaux qui ne traitent que de l’église métropolitaine. Cependant, des cérémoniaux à destination de tout un diocèse peuvent se révéler tout aussi précis sur le plan des éléments musicaux ; c’est le cas de ceux de Paris 1662, Toul et Clermont. Le seul à n’apporter aucune précision sur le plan du chant ou de la musique est celui de Bayeux. Ceci est d’autant plus regrettable que le glossaire publié en fin d’ouvrage témoigne visiblement d’une pratique cantorale élaborée, à travers ces terme et expression spécifiques : « aggraver, abaisser d’une quinte », et « Faire le verbe, est faire le neume qu’on fait lorsqu’on élève quelqu’antienne, ou qu’on commence quelque Répons » 41, qui ne sont employés nulle part à l’intérieur de l’ouvrage. Le rédacteur de ce Cérémonial, fortement inspiré par la Prattique des cérémonies de la sainte messe de Louis du Molin 42, suit en cela son modèle, et n’éprouve pas le besoin de détailler dans ce livre les diverses possibilités cantorales ou musicales dans leur lien aux offices. Le seul terme employé se rapportant au chant est le terme «  musique  », qui n’est utilisé que dans un sens très général pour désigner les interventions chantées du chœur. Cet exemple laisse ainsi percevoir quelques-unes de causes de la variabilité des informations relatives à la présence des éléments cantoraux ou musicaux 43 : influence d’un modèle, formation ou sensibilité propre du rédacteur, importance

  Le seul à avoir échappé à cette étude est le cérémonial du Mans 1789 ; je remercie vivement Jean-Yves Hameline et Bernard Dompnier de m’avoir communiqué plusieurs de ces ouvrages. 40   Plusieurs d’entre eux choisissent de suivre le modèle de Paris 1703 qui après avoir indiqué les principes généraux de chaque cérémonie ou office, distingue ensuite dans une rubrique à part, souvent notée en italiques, les usages propres de la cathédrale ; c’est ainsi le cas de Bayeux, Lisieux, Sens, et dans une moindre mesure, de Toul, Clermont. 41   [Bayeux 1677], « Explication de quelques termes particuliers à l’Eglise de Bayeux », p. [xiv]. 42   Sur cette influence, voir la contribution de F. Auzeil dans le présent ouvrage. 43   Cette variabilité du fond se double d’une variabilité de la forme : 1. dans la présentation : les informations concernant le chant, l’orgue ou la musique font l’objet de chapitres spécifiques au contenu très variable (dans lesquels peuvent être ou non déclinés en fonction du degré de solennité des fêtes, ou des cérémonies exercées par les officiers traités par corps) et/ou sont abordées au fil des descriptions des cérémonies ; 2. dans la terminologie désignant les officiers chargés du chant (chantre, sous-chantres, choristes, chappiers, proviseurs du chœur, « ailes » du chantre, chapelains et maires-chapelains, psalteurs, stipendiés) et la répartition des tâches entre ceux-ci, les 39

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que le chapitre et/ou l’évêque accorde à ce point, notamment en fonction de son rôle plus ou moins important de « marqueur » au sein de la hiérarchie capitulaire 44. La comparaison des données relevées dans le Cæremoniale episcoporum avec les informations recueillies dans ces cérémoniaux diocésains permet de mettre en évidence tant la pérennité de certains principes, que la précision ou la transformation d’autres, l’apparition de nouvelles règles et l’affirmation de particularités locales. Nous verrons ensuite comment ceux qui en traitent évoquent la présence de la musique figurée, du plain-chant et du fauxbourdon, les points où ils se rejoignent, et ceux où leurs pratiques spécifiques s’affirment.

Bi e n s éance et di s cipline ecclésia st ique En ce qui concerne tout d’abord les moments de l’année où l’orgue et la musique sont permis, les cérémoniaux français suivent en général le principe de non intervention de l’orgue et de la musique dans les périodes de pénitence. On peut toutefois constater ponctuellement des exceptions, qui viennent confirmer la validité des informations fournies par Bauldry sur ce point (cf. supra). C’est ainsi que, par exemple, on emploie la musique à la cathédrale de Toul durant les offices des morts, tout en reconnaissant que ce n’est pas la règle habituellement : Aux dimanches privilégiez, c’est-à-dire ceux qui ont la couleur violette, ainsi qu’aux offices, obsèques, & messes solemnelles des morts, on devroit tout chanter en plain chant ; cependant l’usage de la cathédrale est de chanter en musique ces jours-là 45.

En revanche, Clermont suit globalement ce que Bauldry désigne comme étant un usage romain, en introduisant l’orgue les Jeudi et Samedi saints : 15. Le Jeudi saint, l’orgue jouë à la messe, au Kyrie, au Sanctus, & à l’Agnus Dei comme aux annuels (…) comme aussi à l’Élévation jusqu’au Pater. 16. À la messe du Samedi saint, l’orgue jouë au Sanctus & à l’Agnus Dei suivant le rit des annuels, & à l’élévation (…) 46.

Le principe de la diction des paroles lorsque l’orgue joue dans les pièces en alternance, sur lequel le Cæremoniale episcoporum insiste tant, est curieusement rarement abordé. Le seul cérémonial à le reprendre est celui de Besançon (dont on notera qu’il est aussi le plus proche dans sa structure du Cérémonial des évêques) :

différents types de lutrins (lettrin, pulpitre, aigle) ; terminologie également variable de certains termes spécifiquement musicaux (neume, pneume, nume/ contrepoint, chant sur le livre, déchant). 44   Voir sur ce point la contribution dans le présent volume de X. Bisaro et S. Gaudelus. 45   [Toul 1700], « De la musique », p. 59. À Metz, si l’enterrement se fait au moment des vêpres, « le lendemain, ou jour suivant, selon la commodité, on chante la messe d’enterrement en musique & sans prose » (Metz 1697, p. 91). 46   [Clermont 1758], « De ce qui se chante sur l’orgue », p. 58.

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Si l’orgue joüe les antiennes, les choristes demeurent assis, & un enfant de chœur ou un chapelain récite debout, sans sortir de sa place, l’antienne d’une voix intelligible. Ce qui s’observe toutes les fois que l’orgue jouë quelque chose que le chœur devroit dire 47.

Doit-on comprendre que ce principe était tellement évident qu’on ne le précisait pas ou, au contraire, qu’on avait tendance à négliger ce point dans les diocèses français ? Ce n’est peut-être pas par hasard que dans son Cæremoniale canonicorum (Paris, 1657), Nicolas de Bralion concentre les directives relatives à l’orgue sur ce seul point, citant intégralement les divers passages du Cérémonial des évêques s’y rapportant. Concernant les règles d’alternance entre l’orgue et le chant, on peut noter que, contrairement à ce qui est préconisé dans le Cérémonial des évêques, les cérémoniaux diocésains français s’accordent tous à faire jouer l’orgue dès le premier verset des hymnes et cantiques et indiquent ensuite une alternance régulière (où l’orgue joue les versets impairs). Toutefois, trois d’entre eux (Paris 1662, Toul, Clermont) insistent sur le fait que l’orgue doit citer explicitement le plain-chant de ces versets quand il les joue, tel Clermont : « À la première strophe des hymnes et des proses l’orgue battra le plain chant  48 ». L’auteur du Cérémonial de Toul, résumant ce qu’il a directement repris du texte concernant l’orgue livré par Martin Sonnet dans le Cérémonial de Paris de 1662, en donne les raisons : Pour mieux diriger le chœur, & donner le véritable ton, il est nécessaire de toucher quelquefois les orgues en plain chant, c’est-à-dire de le jouer & de l’exprimer sur les orgues ; cela se doit pratiquer particulièrement au I.[er] & dernier Kyrie, au I.[er] Sanctus, au I.[er] Agnus, au Domine salvum. On observe la même chose dans les offices, au I.[er] v[erset] des cantiques, au v[erset] Te ergo quæsumus du Te Deum, à la I.[re] strophe des hymnes, et au I.[er] v[erset] des antiennes de la Vierge que l’on chante après complies.

Mais, au sujet des autres versets importants de ces textes, il précise, allant toujours dans le même sens que Sonnet : Le jeu doit être plus doux & plus dévot aux principaux versets, & aux strophes solemnelles des proses, des hymnes, & des cantiques, & toutes les fois que le chœur est tourné vers l’autel. Mais pour les réponses Amen & Deo gratias, il faut un peu se presser, & ne pas traîner long tems 49.

Paris 1662 et Toul semblent donc faire une distinction entre le premier verset, que l’orgue doit jouer en plain-chant pour permettre au chœur qui va entrer ensuite de bien chanter dans le ton, des autres versets estimés importants de ces pièces, soulignés plutôt alors pour la solennité des paroles ou de l’action cérémonielle  50. Tout en pratiquant

  [Besançon 1707], Partie I, chapitre 1, § 5 : « Du commencement des vespres jusques au capitule », p. 9.   [Clermont 1758], « De ce qui se chante sur l’orgue », p. 56. 49   [Toul 1700], « A quelles parties des offices il faut toucher les orgues », p. 63. 50   Sonnet (p. 537-539) est plus précis sur ces deux points que le rédacteur de Toul (qui reprend une bonne partie de son chapitre sur les orgues, Sonnet suivant lui-même Bauldry pour une grande partie du sien) : il indique davantage de pièces devant suivre l’un ou l’autre de ces principes ; il précise par ailleurs que ce qui doit être joué en plain-chant par l’orgue vise à éviter la cacophonie et les dissonances (points 16 à 21) — insistant en outre sur 47 48

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l’alternance orgue /chœur selon un usage différent de ce que recommande le Cæremoniale episcoporum, ces cérémoniaux rejoignent néanmoins ce dernier sur l’importance à accorder à ces versets en général ; mais l’usage à l’orgue (selon les cas), soit du plain-chant, soit d’un développement musical au caractère recueilli pour souligner les textes se substitue à leur chant par le chœur seul tel qu’on semble le pratiquer à Rome. Reste que, là encore, les cérémoniaux français ne précisent pas si les paroles correspondantes doivent être dites ou chantées en parallèle. La question de la discipline du chœur préoccupe d’ailleurs un bon nombre de nos auteurs 51. Ceux-ci n’hésitent pas à développer des chapitres entiers pour traiter de la façon de bien chanter ensemble au chœur en respectant les différentes longueurs de pauses et les alternances entre les deux chœurs, de remédier aux différentes fautes qui peuvent être commises dans le chant, des endroits et de la façon d’exécuter les neumes ; points que l’on trouve habituellement dans les méthodes de plain-chant, mais aussi dans le Manuel des lazaristes qui en énonce ainsi les principes généraux : [Au chœur, les ecclésiastiques] sont soumis à la veuë des laïques, ausquels ils doivent donner l’exemple du souverain respect qui est deu à la Divine Majesté. (…) Après la dévotion intérieure qu’on doit tascher d’entretenir en ce saint lieu par l’attention à la présence de Dieu, il n’y a rien de plus important pour la perfection du chœur, que l’uniformité dans les cérémonies & dans le chant.(…) Pour le chant, chacun doit estre fort sur ses gardes pour ne pas devancer les autres, ny traisner après eux, ny prendre un ton différent du chœur ; & pour cela on doit en chantant écouter les autres, & si l’on s’apperçoit qu’on manque en quelqu’une de ces choses, il faut se taire aussitost & attendre l’occasion de s’ajuster avec le chœur 52.

Un autre point fortement lié à la notion de bienséance et très présent dans les cérémoniaux français, pourtant non mentionné dans le Cæremoniale episcoporum, est la question de la différentiation par l’allure du chant des degrés de solennité des fêtes. Les lazaristes l’évoquaient déjà, mais sans trop entrer dans les détails, s’en tenant à mentionner la lenteur du chant pour les grandes fêtes : Après l’introït le célébrant dit au mesme lieu alternativement avec ses ministres, les Kyrie eleison, & il demeure là avec eux jusqu’à ce que le chœur chante le dernier Kyrie ; ou s’il reste encore jusques-là un temps assez notable pour aller s’asseoir, ce qui arrive seulement aux grandes festes où le chant est plus solemnel, ils s’en vont sans faire aucune inclination ny génuflexion à l’autel avant que de partir 53.

Bauldry, pour qui aussi « les jours de dimanches et fêtes, du fait même de leur solennité, doivent avoir un chant plus lent et plus solennel », est plus précis, en distinguant ensuite les

la nécessité de suivre avec précision toutes les notes du chant parisien (point 21) —, tandis que ce qui doit être joué « ad modulos, graviter, suaviter, dulciter & modulate » a pour but de faire naître la dévotion des clercs et du peuple (points 22-27). 51   Voir notamment [Paris 1703], [Angers ca. 1731-1742], [Lisieux 1747], [Sens 1769], qui y consacrent un chapitre particulier. 52   [Lazaristes 1670], « Des cérémonies du chœur en général », p. 404-406. 53   Ibid., « De la messe solemnelle », art. V, p. 232 ; c’est nous qui soulignons.

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hymnes, cantiques, la doxologie et plusieurs autres parties de la messe et de l’office comme devant être chantés particulièrement lentement 54. La grande majorité des auteurs de cérémoniaux français suivent Bauldry sur ces principes, mais avec des variantes. S’ils mettent en avant cette plus grande lenteur et gravité dans les fêtes solennelles  55, tous ne font pas la même distinction parmi les chants qu’il faudrait chanter plus lentement. Elle peut aller des seuls Benedictus et Magnificat à Bourges, à un nombre de chants important à Sens. Dans le cérémonial de Paris de 1662, Martin Sonnet pousse très loin la précision concernant les différentes vitesses d’exécution du plain-chant possibles, allant jusqu’à en distinguer cinq  : aux fêtes de 1re classe, on chante l’office « modulatissime, pausa & mensura tardissima, ac lentissime, necnon gravissime », « cantatur gravius » aux fêtes de 2e classe , « cantatur graviter » aux fêtes doubles et dimanches, « cantatur leviter » aux fêtes semi-doubles et « cantatur levius » aux féries 56. Ce qui conduit le rédacteur du Cérémonial de Toul — dont on a vu qu’il s’inspirait directement de Sonnet — à s’interroger sur les possibilités de réalisation de telles distinctions : Pour bien faire les choses dans une exacte régularité, il semble que les fêtes devroient être distinguées par le chant, & que plus elles seroient solemnelles, plus il faudroit chanter posément ; ensorte qu’aux fêtes de I.[re] classe le chant seroit très-lent ; aux fêtes de 2.[e] classe, il ne seroit pas tout à fait si grave ; il le seroit encore moins à celles de 3.[e] classe ; & ainsi en diminuant dans les autres à proportion de leur degré.

Il propose de s’en tenir à des principes plus réalistes : Mais comme il seroit trop difficile de pratiquer cette règle à la lettre, & qu’il est superflu de prescrire des loix que l’on juge ne pas pouvoir être exactement suivies, on a cru qu’il suffiroit d’établir icy deux différents degrez de gravité dans le chant & dans la psalmodie, le solemnel pour les fêtes de I.[re] et 2.[e] classe, & le simple pour tous les autres jours. Le solemnel sera tres-lent, & on y observera toute la gravité convenable ; le simple ne sera pas si grave, & il suffira de prononcer naturellement, rondement, & dévotement tous les mots sans se presser (…) ; observant même encore dans l’un & dans l’autre de ces degrez, de chanter avec une dévotion & une gravité particulière, les cantiques évangéliques, & les hymnes ; ce qui est

  « Quoad ea quæ cantanda sunt, notandum est quædam cantanda esse tardiori, & solemniori, alia vero celeriori cantu ; alia item cantanda potius recitando quam cantando. Diebus Dominicis, & festivis ob eorum solemnitatem, cantus tardior esse debet, & solemnior, præsertim Hymnorum, Canticorum Magnificat, Benedictus Dominus Deus Israel, Nunc dimittis ; item Symboli sancti Athanasii, scilicet Quicumque vult salvus esse, Hymni Te Deum laudamus, & aliorum omnium, sicut omnium etiam Psalmorum, quam diebus ferialibus similiter etiam in Officio Canonico, quam in Officio de B. Maria. Item versus Gloria Patri, & Filio, potest etiam solemniori vocis modulatione recitari. Item finis Gradualis, versus, Tractus, Kyrie eleison, & alia hujusmodi, & aliquando conclusio prædictorum, & aliorum decantatur à toto choro, ut Kyrie, Hymni Angelici, Gradualis, Tractus, Alleluia, Symboli, &c. », [Bauldry 1646], Pars II, Cap. 1, « De disciplina in choro servanda, de ingressu Clericorum in eum, ac simul de silentio, corporis habitu, modestia, &c. & de cantu », p. 124-125, point xxiii. 55   Encore une fois, il est intéressant de constater qu’en dehors de celui de Bayeux qui ne traite pas du chant et celui de Metz dont la structure s’apparente davantage à celle d’un coutumier, le seul cérémonial à ne pas mentionner les effets du differentialiter dans le chant (alors qu’il distingue bien différents degrés de solennité) est celui de Besançon, le plus proche du CE parmi les diocésains français. 56   [Sonnet Paris 1662], Pars prima, caput V, « De Ratione & modo cantandi & psallendi in officio divino », p. 36, point 21. 54

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chanté par un ou deux seulement ; & ce qui est chanté par tout le chœur à genoux, ou debout tourné vers l’autel, ou découvert 57.

L’orgue devra lui aussi s’ajuster « à la qualité et [au] degré de la fête, et par rapport aux cérémonies du chœur » ; une clochette sera ainsi utilisée pour l’avertir des moments où il doit commencer et finir ses interventions 58. À Clermont, on utilise le paramètre de la vitesse d’élocution pour marquer aussi une distinction entre les différents offices 59 : On chante plus gravement à la messe que pendant la psalmodie, à vêpres qu’à matines, à matines qu’aux petites heures, & à tierce plus que pendant les autres petites heures 60.

Ce que reprend Angers, dans une synthèse de tous les endroits concernés par ce paramètre : On doit chanter plus ou moins gravement, selon la solemnité des fêtes ; plus gravement dans les fêtes solemnelles que les dimanches & fêtes doubles ; & moins lentement les féries que les doubles & semi-doubles. On doit chanter aussi plus lentement les grandes heures que les petites heures, les cantiques Benedictus & Magnificat que les pseaumes 61.

Enfin, une autre façon d’étirer le temps lors des cérémonies majeures consiste, dans certains diocèses, à ajouter des formules mélodiques cadentielles à la fin des antiennes et répons, appelés « neumes », « pneumes » ou « numes » selon les Églises, dont Sens donne l’illustration la plus précise : « les fêtes annuelles, solemnelles & semi-annuelles, on fait la nume à la fin de toutes les antiennes qui se chantent après les pseaumes & les cantiques, excepté lorsque ces antiennes se chantent avant & après le pseaume, ou cantique, comme il se pratique aux mémoires solemnelles &c. », tandis qu’elle ne se fait « les fêtes doubles & au-dessous (…) qu’à la dernière antienne des vêpres & des laudes : à la fin de la troisième antienne de chaque Nocturne, & des antiennes de Magnificat, Benedictus, & Nunc dimittis, & de celle des petites heures » ; en revanche, « depuis l’office des Ténèbres du Jeudi saint, jusques & compris le dimanche In albis, on ne fait point de numes, si ce n’est à la messe » ni « non plus à l’office des morts, ni à la fin du Te Deum, qui se chante hors les matines » ; on ne la fait aux répons « (hors le temps Pascal) [qu’] aux premieres & secondes vêpres des fêtes annuelles » 62. La différentiation des divers degrés de solennité des fêtes, absente du Cæremoniale episcoporum — du fait probablement que ce livre étant centré sur la personne de l’évêque

  [Toul 1700], « Du plain chant & de la psalmodie », p. 50-51.   Ibid., p. 60 ; [Sonnet Paris 1662] et [Bourges 1708] soulignent aussi la présence de la clochette pour cet usage. 59   On la retrouve aussi à un moindre degré à Bourges, qui distingue par ailleurs les solennités en termes d’officiers : « fêtes de chantre » et « fête de sous-chantre », cf. p. 4. 60   [Clermont 1758], « Du chœur en général… », p. 48. 61   [Angers ca. 1731-742], « De la manière de chanter l’office divin », p. 39. 62   Ibid., « Des numes », p. 57-58. 57 58

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présent ou officiant, il ne traite finalement que des grandes solennités  63 —, s’exprime en revanche pleinement dans les cérémoniaux français, qui se destinent, eux, à un usage capitulaire et diocésain ; ils en font même le plus souvent un axe majeur de l’organisation interne des différents éléments à traiter. Nos cérémoniaux imprimés montrent que chaque Église, en fonction de ses usages, est amenée à proposer sa propre application de ce principe de solennisation par étirement du temps. Plus généralement, ce point soulève la question des différentes façons de marquer les moments solennels de l’année, de la journée ou de l’office, dont le chant n’est pas le seul paramètre concerné. Tout aussi importants et ostentatoires sont le nombre et le degré de dignité des intervenants dans les offices, la distribution hiérarchisée des actions ou des chants (notamment aux matines et aux vêpres), les emplacements à observer dans le sanctuaire, les encensements, les ornements et les vêtements liturgiques… Et même à l’intérieur de l’action chantée, le principe de l’étirement des durées, s’il est quasi-unanimement présent, n’est pas le seul moyen employé pour marquer la solennisation. Surtout, celle-ci s’établit dans un équilibrage des différents éléments et paramètres de ce marquage, qui varie selon les lieux. Les Églises d’Angers et de Sens par exemple, qui font toutes deux du «  chant  » un élément structurant fort de la solennité, proposent des agencements très divers des différentes façons de l’exprimer. Là où Angers utilisera pour distinguer ses grandes fêtes l’orgue, la musique figurée, le chant sur le livre, le faux-bourdon, la répartition alternée d’un chant entre les deux parties du chœur et l’orgue, le plain-chant, et un jeu modulable de réitérations des intonations, Sens s’en tiendra à l’orgue et au plain-chant mais en employant pour ce dernier des principes de variation multiples et divers : variation fine des vitesses d’émission selon les fêtes et les chants, adjonction de périélèses (cadences de fin d’intonation) et de « numes », distinction de la durée de trois sortes de pauses, et même distinction entre les chants à l’intérieur d’un même office, ou d’un office tout entier, par le moyen de la variation de tessiture 64. D’autres cérémoniaux s’en tiennent à des principes de hiérarchisation plutôt visibles que sonores, comme à Metz où l’hymne des matines se chante ainsi selon les fêtes : Aux jours qui ne sont pas doubles, c’est le chantre qui est de semaine qui le commence, en sa place, debout & découvert. Aux fêtes doubles, c’est le premier souchantre revêtu de ses habits d’Église ordinaires, étant debout, découvert, & sans sortir du bas stal où il se place. Et aux fêtes solemnelles, ce sont les deux souchantres ensemble, étans à leur pupiltre 65.

  Elle était toutefois présente dans le Directorium chori de Guidetti (1re éd. : Rome, R. Granjon, 1582) pour le chant romain, bien connu dans toute l’Europe par le biais de multiples rééditions. 64   On chante ainsi « d’un ton médiocrement élevé » (en contraste avec le « ton ordinaire du chœur ») « les versets Domine labia mea aperies, & Deus in adjutorium meum intende, par lesquels on commence matines tous les jours, soit fête, soit férie », « les pseaumes Lætatus sum, & Deus miseratur, qui se disent à la messe, dans l’Église métropolitaine, & autres Églises, où il est d’usage, avec les versets & oraisons qui les suivent ; le pseaume De profundis, lorsqu’on le chante pour les morts ; les pseaumes-graduels, & les pseaumes-pénitentiaux pendant le Carême, & le pseautier de David, qui se dit dans l’Église de Sens le 30 Octobre ; ainsi que le petit office de la Vierge », et « tout l’office des morts » ; encore, « les oraisons des petites heures, les jours de férie en Avent & Carême, & les jours de jeûne ou de vigile », qui se chantent aussi sur ce ton « médiocrement élevé », sont distinguées des « oraisons des grandes heures [qui] se chantent ce jour-là sur le ton ordinaire du chœur. », [Sens 1769], « Du ton, & de la mesure du plein-chant, & de la manière de chanter », p. 53-54. 65   [Metz 1697], « De l’hymne après le Venite », p. 3. 63

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Cette variabilité importante que l’on observe dans l’utilisation structurante de l’élément sonore, qui tiendrait donc autant à une logique normative interne propre à chaque ouvrage qu’à des usages locaux quant à l’équilibre entre les différents paramètres de marquage des degrés de solennité, explique sans doute en partie pourquoi la musique figurée, le chant sur le livre et le faux-bourdon ne sont pris en compte au sein des cérémonies que dans cinq de nos douze cérémoniaux : Paris 1662, Metz, Toul, Angers et Clermont.

Pré s e nce de la mu si que f ig urée et diffé re ntes for mes de chant Difficultés de la terminologie Les cérémoniaux diocésains marquent un progrès dans la distinction et la qualification des différentes formes musicales employées par rapport au Cæremoniale episcoporum, mais souffrent encore souvent de manque de rigueur. Le terme de « musique » est particulièrement le lieu d’imprécisions. Il n’est en effet pas toujours facile de déterminer si on parle du corps de musique ou d’un chant polyphonique en musique figurée, ou encore, si la mention du premier implique obligatoirement l’exécution du second. Angers entretient souvent ce type d’ambiguïté, par exemple à propos du Gloria in excelsis de la grande messe des fêtes de première solennité : « Le chantre, précédé des deux bedeaux, annonce Gloria in excelsis à M. l’evêque [ou à l’officiant], qui l’entonne ; & il est chanté par la musique 66 ». Pour établir avec une quasi-certitude qu’il s’agit probablement là de musique polyphonique, il faut avoir mené une lecture approfondie de l’ouvrage et constater qu’à Angers celle-ci est régulièrement utilisée pour l’ordinaire de la messe des grandes fêtes 67. En revanche, il est difficile de dire si la musique chante du plain-chant ou de la musique dans le cas des chants de la Passion le Vendredi saint : Le chanoine représentant Nôtre-Seigneur en la Passion, ayant un amit sur la tête, & revêtu d’une ancienne aube parée, va précédé d’un bedeau par le côté droit sur le pont au petit pulpitre de l’aigle. La musique représentant la Sinagogue, monte au jubé du côté droit. Le diacre commence la Passion (…). Le chanoine chante les paroles de Nôtre-Seigneur, & après avoir chanté ces paroles Consummatum est, il retourne à la sacristie par le côté gauche ; la musique chante les paroles des Juifs 68.

  [Angers ca. 1731-1742], « De la grande messe aux fêtes de premiere solemnité », p. 142.   Dans ce cérémonial, l’expression « en musique » n’est en revanche jamais ambiguë ; elle s’applique pour la « messe en musique », qui semble désigner l’ordinaire de la messe, ainsi pour la grande messe des dimanches : « l’orgue joue le Kyrie, on le continüe & la messe en musique. » (ibid., « De l’aspersion, de la procession, de la station, & de la grande messe des dimanches », p. 162). C’est encore plus clair quand est signalée la présence d’un motet, comme à la fin des vêpres des jours de antiennes O de l’Avent : « on chante ensuite un motet en musique, après lequel on retourne au chœur. L’orgue joüe pendant le retour. », (ibid., p. 182) 68   Ibid., « Du Vendredi saint », p. 245-246. 66 67

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Il semblerait toutefois qu’en général à Angers, la «  musique  » en tant que corps constitué assume une fonction de décharge pour le plain-chant au bénéfice des officiers du chœur. Employant le même terme dans ces deux acceptions, le Cérémonial de Metz adopte une convention typographique qui permet de distinguer la musique en tant que corps (« Musique ») de la musique figurée (« musique »). Mais cela ne permet pas pour autant de cerner si en tant que corps, la « Musique » chante de la musique figurée, ou du faux-bourdon (par ex. à la Conception de la Ste Vierge), ou encore du plain-chant 69. La terminologie servant à désigner le chant sur le livre est, elle aussi, parfois flottante. Le moins clair est Paris 1662. Dans son glossaire en français, Sonnet propose une définition de ce qu’il désigne (dans la partie cérémonial du Directorium chori de 1656, p. 533-534), comme devant être chanté « ad modulos in contrapuncto », ou simplement « in contrapuncto », ou « ad modulos » : « Cantare ad modulos, vel in contrapuncto, chanter sur le livre, en contrepoint, ou en fleurty ». Si ces différents qualificatifs semblent désigner assez clairement le chant sur le livre 70, leur profusion tendrait à supposer que celui-ci peut revêtir plusieurs formes 71. Mais quoi de plus difficile à décrire — d’autant plus pour un non musicien — que cette pratique musicale d’improvisation ? Toul se démarque là encore de son modèle parisien, témoignant de son habituelle démarche pragmatique : « Chanter sur le livre, c’est composer & chanter en même tems chacun sa partie à l’ouverture du livre, soit en contrepoint ou autrement, pendant que les Basses chantent le plain chant qui est le sujet  72 ». Quant à Clermont, il emploie pour synonymes « chant sur le livre » et « déchant », mais sans autres précisions, si ce n’est qu’on « ne chantera de cette façon que les parties ou les paroles, qui dans un moindre rit [ie : un degré de solennité moins important], auroient été chantées en plain chant & non celles qui sont entonnées par un seul ou par plusieurs 73 ». Combinaisons entre les différentes formes : variantes, règles et exceptions Si précis, voire pointilleux, sur ce qui concerne les actions et leurs emplacements, les postures, la distribution des rôles dans l’accomplissement liturgique, ces cérémoniaux diocésains frappent par leur générale imprécision pour tout ce qui concerne la musique et

  Par exemple les grandes antiennes en « O » de l’Avent sont commencées par les dignitaires, puis reprises par le premier souchantre « & la musique & l’orgue achèvent » ([Angers ca. 1731-1742], p. 137). 70   Et non une composition polyphonique en contrepoint, comme l’indique D. Launay, op. cit., p. 284. 71   On pourrait penser par exemple à un contrepoint réalisé note à note (« en contrepoint ») ou plus orné (« en fleurty »). Toutefois, un autre passage introduit de nouvelles distinctions : « In Missis & officiis defunctorum, nec Organo nec Musica, nec cantu figurato, nec contrapuncto, nec discantu, nec ad modulos uti licet, sed cantu plano firmo, & ordinario, quem etiam tempore Adventus, Septuagesimæ & Quadragesimæ in Dominis, & ferialibus diebus adhibere convenit. » ([Sonnet Paris 1662], p. 37, point 24) ; c’est la seule fois où apparaît le terme de « discantus » (tandis que le faux-bourdon n’est cette fois pas mentionné), distinct de « contrapunctus » et de « ad modulos », tout comme « musica » est distinguée de « cantu figurato » sans que l’on sache toujours à quelle réalité correspondent ces termes. 72   [Toul 1700], « De la musique », p. 57-58. 73   [Clermont 1758], « Ce qui se chante dans l’Église cathédrale en musique, en déchant & en faux bourdon », p. 60. 69

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ses différentes formes. Il faut certainement y voir, comme le rédacteur de Toul, l’effet d’un « arbitraire » lié aux capacités musicales disponibles dans les différents lieux : Dans les Églises où la musique est en usage, ce que l’on doit chanter en musique est assez arbitraire ; cela dépend du nombre et de la qualité des musiciens, des coûtumes des lieux, & d’autres circonstances 74.

Dédiés à tout un diocèse et à des églises de toutes tailles (collégiales, paroissiales citadines et rurales, grandes et petites, chapelles, monastères), ces cérémoniaux ne peuvent en effet fixer pour tous ce qui ne sera réalisable qu’à la cathédrale, d’autant que les usages de celle-ci peuvent varier selon les disponibilités du jour et dans le temps. Ceci explique qu’ils visent d’abord à décrire les cérémonies dans leur usage le plus général, applicable par le plus grand nombre d’églises, qui possèdent en principe un chœur ou des chantres et un orgue. C’est sans doute pourquoi Langres reste aussi succinct : Dans les églises qui ont une musique ; on s’en sert ordinairement à la messe solemnelle, pour chanter l’introït, les Kyrie, le Gloria, le symbole [Credo] même, le Sanctus, l’Agnus. Quelquefois les Kyrie, la prose, le Sanctus se chantent alternativement entre la musique & l’orgue. Aux vêpres solemnelles, la musique donne le cinquième pseaume (quelquefois le premier et le dernier), le cantique Magnificat : à matines quelquefois un pseaume, l’hymne Te Deum, & à laudes le cantique Benedictus 75.

Tandis que Paris 1662 (ainsi que le Directorium chori de 1656) propose souvent le choix entre diverses possibilités : les psaumes des vêpres solennelles peuvent être chantés soit tout en plain-chant « graviter, lente & mensura gravi », soit les 1er, 3e et 5e en faux-bourdon, ou en musique, le 5e pouvant encore être joué par l’orgue (probablement en alternance) aux deuxièmes vêpres ; tandis que l’hymne pourra être chantée en alternance avec l’orgue, en chant sur le livre, en musique ou en faux-bourdon (cf. infra). En cette matière, la cathédrale s’offre comme modèle à suivre ; Toul et Clermont affirment ainsi que les usages musicaux de la cathédrale ont vocation à être adaptés dans d’autres églises du diocèse 76: Quoique cet article semble ne regarder que l’Église cathédrale, il pourra pourtant servir aux autres Églises, sur tout à celles qui sont les plus considérables, & où l’on chante quelque chose en chant musical pour distinguer les solennitez auxquelles il convient s’employer cette sorte de chant, & à quelles parties de l’office il est affecté 77.

  Ibid., p. 57.   [Langres 1775], « Ce que le chœur chante, tant à l’office qu’à la messe », p. 30, point ix. 76   Sens semble compter parmi les moins directifs, tout au moins quant aux interventions de l’orgue : « Dans les autres Églises [que la cathédrale], où il y a des orgues, chacune de ces Églises peut suivre ses usages, si elles en ont de particuliers. », [Sens 1769], p. 59. 77   [Clermont 1758], « Ce qui se chante dans l’Eglise cathédrale en musique, en déchant & en faux bourdon », p. 59. 74 75

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La règle est claire selon que l’on dispose d’un corps de musique ou non : Dans les Églises où il n’y a point de musique, l’orgue & le chœur chanteront alternativement les hymnes, le Magnificat, le Benedictus, le Te Deum, les Kyrie neuf fois, le Gloria in excelsis, les proses, le Sanctus & l’Agnus Dei, ce qui ne se fera que dans les grandes solennités à la messe & à vêpres suivant la coûtume de chaque Église ; pour celles où il y a musique, on se conformera autant qu’il sera possible, aux rites de la cathédrale 78.

Mais on souligne aussi ses usages particuliers que ne sont pas censées suivre les autres églises du diocèse : On pourroit dire à l’égard du Credo qu’il seroit peut-être mieux de chanter tous ensemble tout de suite, que de le chanter par versets alternativement à deux chœurs, parce qu’étant la profession de foy qui est une par toute la terre, il semble qu’il seroit à propos de marquer cette unité jusques dans son chant, sans y faire aucune division, ainsi qu’on le pratique dans plusieurs dioceses. Mais soit qu’on le chante alternativement qui est l’usage de la cathédrale, soit qu’on le chante tous ensemble, il faut toûjours le chanter dans son chant ancien & ordinaire 79.

On constate que la cathédrale est aussi souvent conservatrice, préférant parfois en rester à l’usage du plain-chant plutôt que d’introduire de la musique : Remarquez qu’au lieu de chanter en musique figurée les trois pseaumes de vêpres, & le Magnificat, on peut les chanter en faux bourdon quand le maître de musique le juge à propos, & l’hymne de vêpres sur le livre. Mais dans la cathédrale, on se contente d’ordinaire de chanter les cinq pseaumes de vêpres en plain chant 80.

Ceci pourrait expliquer l’absence de mention de musique, faux-bourdon ou chant sur le livre dans des cérémoniaux comme Paris 1703 ou Lisieux, qui présentent probablement, non les usages réels de la cathédrale en cette matière (car elles disposaient bien de musiciens), mais leur forme idéale et pure, en quelque sorte, de toute adjonction de polyphonie extérieure au plain-chant, en dehors de l’orgue 81. C’est ainsi qu’elle entend généralement donner « le ton » en matière de cérémonies. Le Cérémonial d’Angers, qui n’expose que les usages de la cathédrale, met ainsi en exergue la splendeur des cérémonies du sanctuaire principal du diocèse et sa fonction symbolique de lieu où se confirme, de grande fête en grande fête, l’ordre hiérarchique social, tant à l’intérieur du chapitre et que dans les divers corps laïques et religieux de la ville.

  Ibid., « De ce qui se chante sur l’orgue », p. 56-57.   [Toul 1700], « Du chant ecclésiastique », p. 52. 80   Ibid., « De la musique », p. 58. 81   Le cas de Sens est moins évident : la cathédrale eut très longtemps une prédilection particulière et exclusive pour le plain-chant. 78 79

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Une comparaison systématique des mentions musicales relatives aux chants des vêpres et messes des fêtes les plus solennelles dans nos cinq cérémoniaux permet de repérer des constantes et des variantes locales 82. On relève ainsi qu’à la messe des dimanches et principales fêtes, – l’ordinaire est chanté en musique (avec certitude à Toul, Angers et Clermont), les Kyrie, Sanctus et Agnus en alternance avec l’orgue ; – l’introït est chanté pour une partie en chant sur le livre (Angers, Toul, Clermont, Paris 1662 non précisé) sauf à Metz où il se répète en faux-bourdon et à Angers où il peut être aussi chanté en musique ; – dans l’Alleluia les parties chantées par le chœur sont en chant sur le livre à Toul et Angers (ce dernier faisant de même pour le graduel) 83 ; – la prose peut être chantée en alternance orgue/ chant sur le livre (Toul, Angers, Clermont), en alternance orgue/ musique (autre solution proposée à Angers), ou en alternance orgue/ faux-bourdon à Metz ; – à l’offertoire et à l’élévation, on chante un motet à Toul (« quelquefois ») et Angers, tandis qu’à Clermont l’offertoire est chanté en chant sur le livre et l’orgue joue à l’élévation « des airs dévots et mélodieux » (p. 56) ; – l’antienne de communion est en chant sur le livre à Toul et Clermont ; – le Domine salvum est en musique à Toul, Angers et Clermont ; et qu’aux vêpres des mêmes fêtes, – les antiennes sont chantées en chant sur le livre (Paris 1656, Toul Angers, Clermont), avec leur neume ou « pneume » à Paris, Angers (à l’orgue) et Clermont, Paris 1662 précisant que les antiennes 1, 3 et 5 sont jouées à l’orgue ; l’antienne de Magnificat est aussi chantée en chant sur le livre (Paris, Toul, Angers, Clermont), mais à Paris et Clermont l’orgue commence, ce qui se fait aussi à la reprise de l’antienne à Angers ; – certains psaumes placés en position impaire 84 sont chantés en musique ou en fauxbourdon :

82   Quand certains d’entre eux ne sont pas suffisamment précis sur certains points ou ne les mentionnent pas, ils ne sont pas mentionnés dans les comparaisons qui suivent. 83   À Bourges, « on peut faire joüer par l’orgue le graduel, lorsqu’il a été entonné par les chappiers, le dernier mot des versets & la neume d’Alleluya », [Bourges 1708], p. 105-106. 84   D’autres cérémoniaux, parmi ceux qui les précisent, confirment ce choix : à Bourges et à Langres, l’orgue intervient aux premier et dernier psaumes ([Bourges 1708], p. [2] des « Quelques règles à observer dans le présent ceremonial… », [Langres 1775], p. 71) ; et dans les fêtes de seconde solennité, c’est en général le 5e psaume qui est chanté avec l’orgue.

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Paris Ps. 1, 3, 5 : en musique ou en faux-bourdon ; le Ps. 5 peut être joué avec l’orgue aux 2e vêpres

Metz Ps. 1 et 3 : en musique

Toul Ps. 1, 3, 5 : alternance orgue/ musique ou orgue/ fauxbourdon

Angers Ps. 1, 3, 5 : en alternance orgue/ fauxbourdon (Noël : Ps. 1, 3, 5 « en fauxbourdon à trois chœurs »)

Clermont

Ps. 5 en fauxbourdon aux 2e vêpres seulement

– le répons est chanté en chant sur le livre à Toul et Clermont ; avec orgue, chantres et musique à Angers ; à Paris, avec l’orgue, en alternance avec le chant sur le livre (1656), le faux-bourdon ou la musique (1662) ; – l’hymne, généralement chantée en alternance orgue/ musique, fait néanmoins aussi l’objet de traitements variés : Paris

Metz

Toul

Angers

alternance orgue/ chant sur le livre (1656)

Alternance orgue/ musique

alternance orgue/ musique

alternance orgue/ musique

ou en musique, ou en fauxbourdon (l’orgue suit le plainchant sur le 1er verset) (1662)

ou (alternance orgue/ plainchant les dimanches)

alternance orgue/ chant sur le livre

Clermont Fêtes annuelles et solennelles : alternance « à trois chœurs » : orgue/ musique/ plain-chant (par tout le chœur) Fêtes doubles majeures : alternance orgue/ chœur en plain-chant

– le cantique Magnificat se prête aussi à la variété, selon les mêmes principes, si ce n’est que dans les versions alternatives c’est cette fois le faux-bourdon qui est retenu (au lieu du chant sur le livre pour l’hymne) :

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Paris en musique ou en fauxbourdon alterné avec l’orgue (1656), ou en chant sur le livre avec l’orgue

Metz

Toul

Angers

Clermont

alternance orgue/ musique

alternance orgue/ musique ou

alternance orgue/ musique

(alternance plain-chant/ musique les dimanches, et certaines fêtes)

alternance orgue/ fauxbourdon

Fêtes annuelles et solennelles : Alternance « à trois chœurs » : orgue/ musique/ plain-chant

(l’orgue suit le plain-chant sur le 1er verset) (1662)

Fêtes doubles majeures : alternance orgue/ chœur en faux-bourdon

– suivant les Églises, l’orgue joue soit le verset Benedicamus Domino (Paris : puis « Deo dicamus » en chant sur le livre), soit plus souvent le Deo gratias (Toul, Angers, Clermont), le Benedicamus Domino étant chanté en plain-chant. L’orgue continue de jouer pendant la sortie à Angers. On voit ainsi certaines normes d’usage se dégager, tandis que de nombreuses possibilités alternatives sont mentionnées. Les spécificités locales apparaissent d’autant mieux, tel l’usage du faux-bourdon dans la messe à Metz (introït, prose), alors qu’il ne semble pas être employé à cet endroit dans les autres diocèses. Tandis que le Cérémonial de Paris de 1662 envisage souvent un grand panel de possibilités sans généralement en désigner une préférablement aux autres. On note aussi des distinctions entre divers degrés de fêtes solennelles (Clermont) ou entre les fêtes solennelles et les dimanches (Metz). Des pratiques musicales spécifiques se dessinent, comme ces alternances « à trois chœurs » à Clermont : Aux premières & secondes vêpres des fêtes annuelles, majeures et mineures, on touche de l’orgue à la première strophe de l’hymne & au premier verset du Magnificat ; le second est chanté par la musique, le troisième en plain chant par le chœur & tout de suite dans le même ordre 85.

Ce type d’alternance est aussi repris pour le Te Deum des matines de Noël, Pâques et Pentecôte. Angers témoigne de même d’une pratique « à trois chœurs », appliquée aux psaumes des vêpres de Noël, mais sans davantage de précisions : On chante aux premieres & secondes vêpres, le premier, le troisième, le cinquième pseaume en fauxbourdon à trois chœurs 86.

Le chant des litanies du Samedi saint est un peu plus détaillé et permet de relier le terme de « chœur » aux différents groupes d’intervenants (allant d’un seul à une partie du chœur) qui se partagent un chant :   Ibid., p. 57.   [Angers ca. 1731-1742], « De la fête de Noël », p. 189-190.

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On chante la première litanie à sept chœurs, le soû-chantre la commence [= chœur 1], les quatre psalteurs en chappes la répètent successivement [= chœurs 2, 3, 4, 5], ensuite le côté gauche du chœur la répète aussi [= chœur 6] & enfin le côté droit [= chœur 7] 87.

C’est donc le principe d’alternance entre plusieurs intervenants, quels que soient leur nombre et leur nature, qui justifie l’emploi de telles mentions de chœurs multiples. À Clermont, on relève encore que le chant sur le livre peut aussi être pratiqué en alternance entre les deux moitiés du chœur : [le Kyrie de la grand’messe du premier dimanche de l’Avent, et aux vigiles de Noël et de l’Assomption quand elles tombent un dimanche] est chanté en déchant par les musiciens & les enfans de chœur, lesquels montent aux stales hautes du milieu du chœur & s’y tiennent debout. (…) D’abord le grand chantre entonne solennellement en plain chant le premier Kyrie eleison, ensuite le côté du chœur qui n’est pas du côté de l’hebdomade, chante le second [en chant sur le livre], le troisième est chanté [en chant sur le livre] par le [le chœur du] côté de l’hebdomade, & ainsi de suite alternativement 88.

Cette diversité des pratiques musicales est parfois gouvernée par des règles d’enchaînement qui témoignent d’un souci d’équilibre et de variété. Ainsi le rédacteur de Toul à propos de l’enchaînement psaume / antienne : « Remarquez que toutes les fois que l’on chante un pseaume, ou un cantique en musique, il faut aussi chanter son antienne sur le livre ». Ou concernant l’équilibre musical à observer entre le Te Deum des matines et le Benedictus des laudes : « On chante en faux bourdon (…) le cantique Benedictus, lorsqu’on a chanté le Te Deum en musique » 89. Tandis que dans le Cérémonial de Paris de 1662, seule semble compter la règle de la variété, d’ailleurs explicitement affichée : Quand on célèbre deux messes le même jour, divers officiers les célèbrent, divers ornements sont employés, de même, diverses musiques, ou divers chants des Kyrie, Gloria in excelsis, Sanctus, & Agnus Dei, &c, peuvent être employés quand cela est possible 90.

À Clermont, on souligne que les intonations ne sont pas réalisées de la même façon suivant que l’on chante après en musique ou en chant sur le livre : Lorsque le Célébrant a entonné le Gloria in excelsis & le Credo, la musique poursuit aussitôt, mais si l’on doit chanter en déchant, le souchantre ou les proviseurs du chœur font une seconde intonation par ces paroles Et in terra pax, & Patrem omnipotentem 91.

  Ibid., « Du Samedi saint », p. 262-263. On relèvera encore qu’à Metz, aux complies des jours de Pâques, FêteDieu, dimanche et jour de l’octave de la même fête, premier et dernier jour des Quarante heures, « les deux derniers psaumes & le Nunc dimittis, se chantent en musique à deux chœurs », [Metz 1697], p. 73. 88   [Clermont 1758], « Des dimanches », p. 65. 89   [Toul 1700], « De la musique », respectivement, p. 59 et 58. 90   « Quando eodem die duæ Missæ sunt celebrandæ, diversi officiarii ministrant, diversa ornamenta adhibentur, item diversa musica, vel diversus cantus Kyrie, Gloria in excelsis, Sanctus, & Agnus Dei, &c, quantum fieri poterit. », [Sonnet Paris 1662], p. 112, point 21. 91   [Clermont 1758], ibid., p. 60. 87

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Dans certains cas perce sous la formulation de ces règles tout l’aléatoire généré par les contingences musicales. Ainsi, le rédacteur de Toul souligne que les Kyrie en musique peuvent être de deux types selon le nombre des parties qui sont mises en musique : On les touche [les orgues] cinq fois, quand on les chante dans le chœur en plain chant ; quatre fois quand on les chante en musique ; & deux fois seulement quand les musiciens chantent les Kyrie, les Christe, & les Kyrie entierement tout de suite.

Tout aussi susceptibles de variabilités sont les mises en musique des psaumes, cantiques et antiennes à la Vierge : Néanmoins quand on chante en musique figurée, il dépend du maître de musique de faire chanter entièrement sans aucune pose, les pseaumes, les cantiques, & les antiennes de la Vierge d’après complies, ou seulement plusieurs versets de suite desdits pseaumes & cantiques ; auquel cas les orgues commenceront toûjours, mais on ne les touchera plus qu’aux endroits que le maître de musique aura réglé, & qu’il fera sçavoir devant l’office à l’organiste 92.

Ces pièces sont donc soit entièrement exécutées en musique, soit certains passages seulement le sont (au choix du maître de musique, peut-être en fonction de la durée à respecter dans la cérémonie), et l’orgue doit alors combler les passages manquants. En revanche, quand celui-ci alterne avec le plain-chant, son rôle est évidemment plus réglé et facile à décrire : [Pour les psaumes, cantiques, hymnes, proses, antiennes de la Vierge après complies], les orgues commencent toûjours, à la réserve du Te Deum qui est entonné par le plus ancien du clergé (…). Elles finissent aussi toutes les hymnes & les proses, soit pour la dernière strophe, ou le dernier verset, soit pour Amen seulement, quand le chœur a chanté le dernier verset de la prose, ou la dernière strophe de l’hymne 93.

On entrevoit ainsi une explication supplémentaire au manque de précisions des cérémoniaux concernant la musique figurée. Place des motets On peut néanmoins relever encore à ce sujet certaines précisions concernant la place des motets. Quand ils sont signalés en tant que tels 94, on trouve ceux-ci aux places où on les attend généralement, c’est-à-dire d’abord à l’élévation ; mais, comme on l’a vu, cela est loin d’être systématique et des solutions alternatives sont couramment employées à cet endroit,

92   [Toul 1700], « À quelles parties il faut toucher les orgues », p. 62-63. On observe le même type de remarque pour le Sanctus : « [on touche l’orgue] au 1. & au 3. Sanctus jusqu’à Sabaot inclusivement, quand on chante en plain chant, le chœur poursuivant le reste jusqu’à Benedictus ; quand on chante en musique, on ne les touche qu’une fois au Sanctus ; on les touche après l’élévation pour le Benedictus, jusqu’au Pater. », p. 62. 93   Ibid., p. 62. Plus précisément encore, l’alternance entre le chœur et l’orgue est entièrement notée pour l’une des grandes antiennes à la Vierge (cf. p. 63-64). 94   Il n’est pas tenu compte ici des mentions de tel ou tel texte liturgique dit « en musique », mais uniquement de ce qui est présenté littéralement sous le nom de « motet ».

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comme l’orgue ou le chant sur le livre, ou le chant de l’O Salutaris hostia en plain-chant. On les trouve aussi naturellement, et sans doute plus couramment qu’à la messe, à tous les moments où le Saint-Sacrement est honoré, expositions, saluts, bénédictions du soir après les vêpres et processions (voir Planches, fig. 36)  95. Ils restent donc bien liés à ce geste d’adoration que préconisait le Cæremoniale episcoporum en présence du Saint-Sacrement. Certains moments semblent y être particulièrement propices. Ainsi à Angers, plusieurs motets sont chantés au cours de la procession du Saint-Sacrement : un premier motet ouvre le début de la procession, puis celle-ci, une fois formée (l’orgue joue pendant qu’elle se forme), sort de la cathédrale pour aller dans l’église des bénédictines du Ronceray ; le SaintSacrement ayant été posé sur le grand autel de celle-ci, les religieuses chantent un motet du S. Sacrement dans la Tribune sur la porte du chœur, la musique [de la cathédrale] chante après l’antienne Regina Cœli, le maire-chapelain chante le verset & l’oraison. Les religieuses chantent un second motet pendant lequel la procession se met en marche pour aller à la chapelle du Tertre de S. Laurent, le clergé séculier & régulier s’arrête, & reste en bas jusqu’à ce que le S. Sacrement & le clergé de la cathédrale soient entrez dans la chapelle. On expose dans la chapelle à la vüe du peuple le S. Sacrement sous un dais, M. l’évêque & le doyen l’encensent de trois coups ; on chante à genoux un motet en musique, tous font inclinaison profonde, & quittent leurs ornemens, ensuite il y a sermon. Après le sermon chacun prend ses ornemens pour le retour de la procession ; on chante à genoux un motet en musique avant de partir 96.

On aura ainsi entendu cinq motets au cours de cette procession, dont deux chantés par les religieuses elles-mêmes. La célébration de la messe à l’église des cordeliers le jour de la Saint-Sébastien est aussi l’occasion pour la musique de la cathédrale de chanter un motet du Saint-Sacrement devant celui-ci exposé, avant le début de la messe. Sont encore mentionnés à Angers le chant de motets pour certaines fêtes de la Vierge (Annonciation, au salut après les 1res vêpres, Assomption, à la station du matin : motet « Accendite faces ») et au jour de la Saint-Maurice, patron de l’église, où sont chantés à la messe deux motets  : le même motet «  Accendite faces  » et un motet à saint Maurille à l’offertoire ; enfin, on chante aussi un motet à la fin de la messe du 16 décembre (Avent, premier jour des « O »). À Clermont, des motets sont indiqués aux vêpres de certaines fêtes. La Sainte-Cécile est célébrée selon le « rit solennel majeur », ce qui occasionne le chant d’un motet après les commémoraisons aux premières et deuxièmes vêpres ; tandis qu’aux secondes vêpres de Noël, de la Circoncision et de l’Épiphanie, « l’orgue jouë peu de temps, après que la première & troisième antienne sur les pseaumes ont été chantées avec la neume ; & après la seconde & la troisième antienne la musique chante un petit motet, & où il n’y a point de musique pour chanter ce motet, l’orgue y suppléra » 97. Ces exemples montrent que quand des motets sont mentionnés comme étant chantés dans l’un ou l’autre des offices du cursus

  Voir dans le présent ouvrage, la contribution d’Alexis Meunier (1). On trouve aussi des motets signalés dans des saluts qui ne sont pas dédiés au Saint-Sacrement, comme à Clermont les « prières publiques » ou saluts à la Vierge, généralement le samedi après vêpres (p. 340) ou complies (p. 351). 96   [Angers ca. 1731-1742], « De la fête du S. Sacrement », p. 322-3[23]. 97   [Clermont 1758], respectivement p. 64 et 57. 95

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canonique, ils paraissent comme surajoutés, que ce soit à l’intérieur de l’office, à des moments propices au développement musical en raison de la longueur des cérémonies  98 — comme aux vêpres après les neumes et l’intervention de l’orgue qui suit certaines antiennes, ou à la messe, au moment de l’offertoire —, ou en fin d’office, au moment des commémoraisons après les vêpres ou à la fin de la messe. Comme on l’a vu pour Angers, les processions et leurs stations sont par ailleurs particulièrement favorables à la présence de motets, avec une prédilection naturellement pour la procession du jour de la Fête-Dieu. À Besançon, c’est d’ailleurs là qu’est mentionné le seul motet de tout l’ouvrage : « [au reposoir de la procession du Saint-Sacrement] le chœur chante O Salutaris Hostia, &c. ou un motet à l’honneur du Saint-Sacrement, lequel finy, les accolytes chantent le verset Panem de cœlo, comme il est porté dans le rituel du diocèse 99 ». À Clermont, on chante aussi un motet avant et après la procession de la Fête-Dieu  100 ; d’autres sont mentionnés pour les processions des grandes fêtes de la Vierge effectuées après l’office de sexte, la Visitation et l’Assomption  101. Dans Bourges, la seule procession pour laquelle un motet est mentionné est « la procession qui se fait en Action de grâce, appelée le Te Deum », quand celle-ci est célébrée solennellement : la procession fait le tour de l’église en chantant le Te Deum en alternance avec l’orgue, puis « étant retournée dans le chœur, & le Te Deum étant fini, s’il y a musique on chante un motet  102 ». À Metz la pratique de certaines processions avec motet semble échapper aux classements habituels des différents types de processions 103, étant pratiquées à deux moments où une telle pompe n’existe pas dans les autres cérémoniaux 104. 1. L’office de prime et le martyrologe aux fêtes doubles et solennelles sont chantés dans la chapelle Notre-Dame de Lorette où l’on se rend et d’où l’on revient en procession, le retour dans la nef étant l’occasion de chanter un motet : « la procession retourne à l’Église (…)

  On rejoint ici le principe développé dans le Cæremoniale episcoporum.   [Besançon 1707], p. 349. 100   « Tout le chœur doit se mettre à genoux pendant le motet qui se chante dans la nef le jour de la Fête Dieu avant et après la procession », [Clermont 1758], « Quand il faut faire la génuflexion », p. 33 ; les musiciens et le maître de musique, revêtus de tuniques par-dessus leur « surpelis » viennent se placer à gauche et à droite du dais au milieu de la nef et chantent à genoux au milieu de officiers rangés pour la procession (cf. id., « De la procession qui se fait le jour de la Fête-Dieu », p. 318-319, 321). 101   Ibid., « la procession qui se fait après sexte, le jour de la Visitation de la Sainte Vierge », p. 331 et « la procession générale qui se fait le jour de l’Assomption de la toujours au moment de la « station de la nef », p. 335. 102   [Bourges 1708], p. 287-288. 103   Le manuel des lazaristes distingue deux grandes catégories de processions, selon leur fonction (« soit pour exciter la piété des fidèles par la considération des mystères qu’elles représentent, soit pour rendre grâces à Dieu des bien-faits receus, ou pour implorer son secours dans les nécessitez ») et selon qu’elles sont : « ordinaires », dans le sens où elles sont communes à toute l’Église, ou « extraordinaires, lesquelles sont ordonnées par les prelats en des occasions importantes pour le bien public de l’Église » ; dans les deux cas, il en est de plus solennelles que d’autres, ce qui implique un appareil d’accompagnement (dont la musique) plus ou moins lourd (cf. Lazaristes 1670*], p. 503-504). 104   Le chant d’un motet dans la nef au retour de la procession qui se fait avant la messe quand l’évêque officie pontificalement à la messe de Pâques, est moins inhabituel, cf. [Metz 1697], « De la procession autour du cloître, & de ce qui précède la messe », p. 50. 98 99

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s’arrête au milieu de la nef (…). Le chœur chante un motet en musique, après lequel les enfans de chœur chantent toûjours le verset Ora pro nobis sancta Dei genitrix. Le chœur répond, Ut digni efficiamur promissionibus Christi 105 » ; 2. au retour de la procession qui suit l’aspersion de l’eau bénite aux fêtes doubles : « [de retour du cloître, la procession] va jusqu’au pulpitre de la nef en chantant Da pacem Domine diebus nostris en musique. (…) On chante là un motet en musique 106. On voudrait pour finir émettre l’hypothèse que toutes les sources ici citées sembleraient concorder pour désigner sous le terme de « motet » des compositions musicales sur des textes non intégrés à la liturgie de la messe et des heures (indépendamment du fait qu’ils soient de facture libre ou empruntés au cursus liturgique), ce qui serait une façon de les différencier dans les mêmes ouvrages des psaumes, hymnes, proses, cantiques, antiennes, messes, etc. dits « en musique ». Tout se passerait comme si ces moments de liberté pris sur le déroulement strict du cursus canonique permettaient de focaliser l’attention sur l’expression musicale, généralement associée — telle une extension du caractère d’adoration des motets pour le Saint-Sacrement —, à un moment d’effusion, de recueillement solennisé désigné comme tel au sein de la cérémonie concernée.

❦ L’orgue, le chant sur le livre, le faux-bourdon, la musique figurée, que l’on sait avoir été pratiqués dans toutes les Églises ayant publié des cérémoniaux, sont pourtant loin d’y être traités dans tous et pas toujours avec autant de précisions qu’on aurait pu l’espérer. On peut proposer plusieurs explications à un tel état de fait : – la prégnance plus ou moins forte du ou des modèle(s) choisis par le ou les rédacteur(s) du cérémonial (par exemple Bayeux/ Du Molin, Lisieux/ Paris 1703, Besançon/ Cæremoniale episcoporum, Toul/ Paris 1662), qui pousse ou non à développer ce point, à le reprendre tel quel ou à l’adapter ; – les différentes façons de marquer les degrés de solennité des fêtes : la place donnée aux composantes musicales semble découler de la façon dont chaque Église conçoit l’équilibre entre les diverses façons de les exprimer, et au sein duquel la musique remplit une fonction de marqueur très variable selon les lieux ; – la variabilité, difficile à codifier précisément, des interventions musicales et des effectifs disponibles selon les lieux, mais aussi selon les moments au sein d’un même sanctuaire ;

  Ibid., « De prime », p. 14.   Ibid., « De la bénédiction de l’eau ès jours de dimanches ordinaires », p. 16. Le moment de l’aspersion est particulièrement propice aux motets puisqu’aux fêtes solennelles « les chantres chantent Vidi aquam, ou Asperges me, en musique », puis, comme aux fêtes doubles, « La procession s’arrête ensuite au milieu de la nef, où la musique chante un motet convenable à la fête & solemnité. » (id., « De l’eau bénite aux jours de fêtes solemnelles, & de la procession qui se fait ensuite », p. 17, 18). 105 106

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–  en certains cérémoniaux, le choix délibéré de ne prendre en compte dans la description des éléments musicaux que le plain-chant et l’orgue (Paris 1703), dans une conception qui n’est sans doute pas étrangère au contexte des réformes néo-gallicanes de la liturgie où transparaît l’expression d’une certaine « nostalgie de l’Antiquité chrétienne » et de sa pureté originelle 107. Autant d’aspects qui posent la question du degré de réalité des précisions données dans un cérémonial imprimé en général. Ainsi que leur modèle, le Cæremoniale episcoporum, les cérémoniaux diocésains français décrivent avant tout leur vision idéale (et qui se veut uniforme pour toute leur zone d’influence) du déroulement des cérémonies du culte public. Sur le plan de la part « musicale » qui nous a occupée ici, l’effort principal consiste donc en l’énonciation de principes ou de règles pratiques directement liés au caractère bienséant de la représentation cérémonielle requise. Malgré tout, au-delà de cette approche principalement normative qui les anime, il est toutefois possible — si l’on veut bien y être attentif — de voir ressurgir çà et là, comme presque à l’insu des rédacteurs de ces cérémoniaux diocésains, des manifestations directes d’une pratique vivante, parfois commune, parfois strictement locale, qu’on devine dans tous les cas fortement ancrée. En cela, les cérémoniaux diocésains constituent une source d’informations irremplaçables sur les pratiques des musiques d’Église d’Ancien Régime, notamment en proposant des modèles d’enchaînements et de réalisations dont musiciens et musicologues peuvent tirer profit. Il reste encore bien des points à explorer, tels que l’analyse fine des articulations entre chant, musique, gestes et environnement cérémoniel et leurs distributions entre les différents intervenants, les recommandations destinées aux petites paroisses, ou encore la confrontation avec les cérémoniaux manuscrits, souvent plus précis du fait de leur portée plus restreinte, et avec les cérémoniaux monastiques imprimés. Par-delà leur volonté de fixer des formes idéales, les cérémoniaux ont finalement encore bien des réalités à nous révéler. Cécile Davy-Rigaux Institut de Recherche sur le Patrimoine Musical en France (CNRS/ BnF/ Culture)

  Expression empruntée au titre d’un article de Bruno Neveu : « L’érudition ecclésiastique du xviie siècle et la nostalgie de l’Antiquité chrétienne », dans Érudition et religion aux xviie et xviiie siècles, Paris, Albin Michel, 1994. 107

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Le rôle de l’organiste dans la liturgie en France aux xviie et xviiie siècles Dans les églises françaises des xviie et xviiie siècles, le rôle de l’organiste fut primordial dans le bon déroulement des offices : il n’est que de voir la taille et la magnificence des orgues qui furent construites à cette époque pour mesurer combien le clergé et les paroissiens attachaient de l’importance à un instrument qui ne fut pourtant pas facilement accepté dans les églises du fait même de ses origines « païennes », et il fallut plusieurs siècles avant que l’orgue devînt l’instrument d’église par excellence. Il est d’ailleurs assez paradoxal que l’instrument qui s’était fait entendre dans les cirques romains pendant que les premiers chrétiens étaient impitoyablement donnés en pâture aux fauves, soit devenu l’instrument emblématique de l’Église chrétienne. Aujourd’hui encore, dans notre vieille Europe, l’orgue est pour tous irrémédiablement associé au culte, qu’il soit catholique ou luthérien, et on a bien du mal à le faire sortir des églises  : par exemple, en France, il y a moins de cinq instruments dans des salles de concert —  et encore ne sont-ils pas toujours en état de marche ! —, alors que des milliers d’instruments fonctionnent, tant bien que mal, dans les églises. N’oublions pas non plus ce que les archives révèlent : les paroisses ou même les communautés religieuses s’endettèrent quelquefois très lourdement pour des dizaines d’années afin d’assouvir leur désir légitime de posséder un orgue. Les rivalités entre les paroisses d’une même ville s’exprimèrent très souvent par la construction d’instruments toujours plus beaux et plus grands, souvent au détriment de leurs finances. Si le fait est établi que l’orgue joua un rôle conséquent, on connaît en revanche un peu moins bien les modalités selon lesquelles les organistes intervenaient au cours des différents offices. Divers marchés ou conventions passés entre les représentants d’une paroisse (fabriciens), d’un chapitre (chanoines), qu’il soit collégial ou cathédral, sont connus et ont parfois été publiés, de même que des extraits de cérémoniaux en usage dans les églises ou les diocèses et contenant, bien sûr, un chapitre consacré à l’orgue. Mais tous ces documents sont rarement très précis : ils indiquent le plus souvent — mais pas toujours — les jours de l’année auxquels l’organiste était tenu de toucher l’orgue, sans véritable autre précision : le moment exact de l’intervention de l’organiste, dans tel ou tel office (matines, laudes, messe, vêpres, complies, etc.), et ce qu’il devait jouer sont des détails à peu près jamais évoqués dans les conventions ; quant aux cérémoniaux, ils ne sont pas toujours précis et, en outre, diffèrent d’une ville ou d’un monastère à l’autre.

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Quoi qu’il en soit, dans la France de l’Ancien Régime, l’orgue était pratiquement indissociable de la liturgie. Certes, dans les paroisses « pauvres » n’y avait-il pas d’orgue, mais dans la grande majorité d’entre elles, l’instrument, de plus ou moins grande taille, était là, en tribune, sur un jubé ou tout simplement contre un mur, près du chœur, voire dans le chœur, pour rehausser avec éclat le service divin. La véritable révolution aura lieu au xixe siècle, avec l’invention de l’harmonium, instrument très bon marché qui permettra véritablement à toutes les paroisses d’accéder à un accompagnement musical digne de ce nom. Le rôle de l’orgue, et conséquemment celui de l’organiste, dans la liturgie a été abordé plusieurs fois dans la littérature, notamment par Benjamin Van Wye, organiste et chef de chœur américain, auteur d’une thèse et d’un article sur l’origine des versets d’orgue utilisés dans la liturgie en France 1, en s’appuyant sur les travaux d’Yvonne Rokseth, et par Edward Higginbottom, organiste et chef de chœur anglais, actuel directeur musical du New College Choir Oxford, qui a lui aussi consacré un important article et sa thèse au rôle de l’orgue dans la liturgie en France aux xviie et xviiie siècles  2, en montrant comment les pièces présentes dans les livres d’orgue à partir de Louis Couperin s’inséraient dans une coutume liturgique, variant d’un diocèse à l’autre, avec une utilisation du plain-chant qui ne fit que décliner jusqu’à la fin du xviiie siècle. Le troisième acteur important est Norbert Dufourcq qui, après avoir détaillé le rôle des organistes parisiens dans un article de synthèse  3, s’est consacré à l’étude de « La condition sociale, artistique et financière des organistes d’Ancien Régime », avec un alinéa 6 tout particulièrement dédié au sujet qui nous préoccupe : « Les organistes et leurs interventions à l’église » 4. Parmi les différents types de recueils de cérémonies qui nous sont parvenus, manuscrits ou imprimés, certains comportent un chapitre consacré à l’orgue ou/et à l’organiste. En voici une liste — non exhaustive — des plus intéressants qui nous permettra d’esquisser avec plus ou moins de précision le rôle de l’organiste dans la liturgie catholique en France aux xviie et xviiie siècles :

1   Benjamin Van Wye, « The Influence of the Plainsong restoration in the Growth and Development of the Modern French Liturgical Organ School », PhD, University of Illinois, 1970 ; id., « The Ritual Use of the Organ in France », Journal of the American Musicological Society, XXXVIII/2 (1980), p. 287-325. 2   Edward Higginbottom, « French Classical Organ Music and the Liturgy », Proceedings of the Royal Musical Association, 103 (1976-1977), p. 19-40 ; id. « The Liturgy and French Classical Organ Music : A Study of the Liturgical Background to Organ Music in France during the Seventeenth and Eighteenth Centuries », PhD, Corpus Christi College Cambridge, 1979, 2 vol. 3   Norbert Dufourcq, « De l’emploi du temps des organistes parisiens sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV et de leur participation à l’office » La Revue musicale, 226 (1955), p. 35-47. 4   Norbert Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français 1589-1789, Paris, Picard, t. V : Miscellanea, 1985, p. 203-310 ; l’alinéa 6 est aux p. 245-249.

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L e rôl e de l’org a n i s t e da n s l a l i t u rg i e e n Fr a nc e au x x v i i e e t x v i i i e si è c l e s

Manuscrits : •  « Recüeil de L’Office Senonois En general », s.d., Bibliothèque municipale d’Auxerre, Ms. 61 5. •  « Ce que doit l’organiste de l’Église de Troyes suivant les différentes solemnités qui s’observent en la ditte Église », 1er février 1630, Archives départementales de l’Aube, G 2575 6. •  « Liste des jours que l’organiste de Saint-Roch est obligé de toucher l’orgue de lad. Église conformément à l’ordre que l’on a accoustumé de tenir dans les autres grandes paroisses de Paris », s.d. [ca 1660-1662], Arch. nat., LL 916, f° 516 7. •  Martyrologe de Saint-Josse, chapitre intitulé « Jours ausquelz on touche les orgues pour l’œuvre », 1673, Arch. nat., LL 806, f° 338 r°8. •  Jacques de Bosch, « Cérémonial de la sainte Église d’Arles pour tous les jours de l’année », 1678, Bibliothèque municipale d’Arles, Ms. M. 552, chapitre intitulé « Ordre pour l’orgue », f° 75-76 9. •  Mémoire incomplet dont il manque les premières pages [Obligations faites à l’organiste de la cathédrale de Troyes], s.d. [début du xviiie siècle], Archives départementales de l’Aube, G 2575 10. •  Registre capitulaire de Saint-Germain-l’Auxerrois, chapitre intitulé « Ordre à observer dans l’Église Royale de Saint-Germain-l’Auxerrois pour le chant de l’office divin selon les differentes festes », 6 mars 1711, Arch. nat., LL 419 11. •  Étienne Despeignes, « Répertoire général de la paroisse de Ste Oportune de Paris », 1716, Arch. nat., LL 882, chapitre « L’organiste », f° 426-428 12. •  « Cérémonial de l’Église Métropolitaine de Besançon » 1747, Bibliothèque municipale de Besançon, Ms. 113, Chapitre 11  : «  De la musique  » et Chapitre 12  : «  De l’orgue  », f° 54-57 13. Imprimés (ouvrages entre crochets carrés : se reporter à la Liste-Index infra) : •  [Chanoines augustins France 1659], Caput II : « De organo & organista. », p. 79-80 14. •  [Sonnet Paris 1662], Caput VI : « De Organista & Organis », p. 534-539 15.

5   Extraits publiés en fac-similé dans Orgue. Méthodes – Ouvrages sur la facture – Ouvrages sur le mélange des jeux – Préfaces – Extraits d’ouvrages généraux – Dictionnaires et encyclopédies – Cérémonials, J. Saint-Arroman et J.-C. Tosi (éds), Bressuire, Fuzeau, 2005, (coll. « Méthodes & Traités  : Série  I France 1600-1800  »), vol.  II, p. 71-86. 6   Document publié dans N. Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, op. cit., t. V, p. 37-41. 7   Extrait publié dans ibid., t. V, p. 51-52. 8   Chapitre publié par Érik Kocevar dans « Une dynastie d’organistes parisiens aux xviie et xviiie siècles : les Foucquet », L’Orgue, 257/2002, p. 9. 9   Chapitre publié par Jean Saint-Arroman dans Connoissance de l’Orgue, 66/1988, p. 7-11. 10   Document publié dans N. Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, op. cit., t. V, p. 72-80. 11   Extrait de délibération capitulaire publié dans Pierre Hardouin, Connoissance de l’Orgue, 75-76/1990, p. 73-75. 12   Chapitre publié dans Érik Kocevar, Collégiale Sainte-Opportune de Paris. Orgues et Organistes 1535-1790, Dijon, l’Auteur, 1996, p. 148. 13   Chapitres publiés dans Jean Saint-Arroman, Connoissance de l’Orgue, 69/1989, p. 25-28. 14   Chapitre publié — avec une traduction en français — dans Jean Saint-Arroman, Connoissance de l’Orgue, 75-76/1990, p. 76-77, et en fac-similé dans Orgue…, op. cit., vol. I, p. 165. 15   Chapitre publié dans N. Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, op. cit., t. V, p. 47-50, et en fac-similé dans Orgue…, op. cit., vol. I, p. 167-173.

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•  [CE* 1600], éd. Paris, 1669, Caput XXVIII : « De organo, organista, & musicis, seu cantoribus, & norma per eos servanda in divinis », p. 136-139 16. •  [Beauvais Frères mineurs 1669], Caput IX : « De Organistæ Officio », p. 162-164 17. •  [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], Chapitre XIII : « De l’ordre que l’on doit tenir pour toucher l’orgue, & à quels jours », p. 44-48 18. •  [Bénédictins Saint-Maur 1680], Caput XIII : « De Munere Organistæ » 19. •  [Toul 1700], « De l’Organiste et des Orgues », p. 60, « À quels jours il faut toucher les Orgues », p. 61, « À quelles parties des offices il faut toucher les Orgues », p. 61-64 20. •  [Bourges 1708], pas de chapitre consacré à l’organiste ou aux orgues, mais des références à l’orgue dans la première partie, chapitres IV-XII, p. 15-53 21. •  [Clermont 1758], Article II : « De ce qui se chante sur l’Orgue. », p. 54-59 22. •  [Sens 1769], Article V : « Des Orgues. », p. 58-59 23. •  [Langres 1775], Chapitres VIII et IX, p. 29-30 24.

À cette liste, il convient d’ajouter divers mémoires et conventions concernant un musicien en particulier  25, passées ou pas devant notaire, qui peuvent apporter quelques renseignements supplémentaires à ceux que nous donnent les cérémoniaux : •  Contrat d’organiste entre Pierre Richard et la fabrique de Saint-Nicolas-des-Champs (Paris), 3 septembre 1615, Arch. nat., MC, XCI, 174 26. •  Contrat d’organiste entre Desprez et la fabrique de Saint-Séverin (Paris), 20 décembre 1626, Arch. nat., LL 924, f° 90 27. •  Contrat d’organiste entre Nicolas Lebègue et la fabrique de Saint-Merry (Paris), 18 décembre 1664, Arch. nat., MC, CXII, 346 28. • Contrat d’organiste entre Jacques Thomelin et la fabrique de Saint-Jacques-de-la-Boucherie (Paris), 22 juin 1669, Arch. nat., MC, II, 245 29.

  Chapitre publié — avec une traduction en français — dans Jean Saint-Arroman, Connoissance de l’Orgue, 71-72/1989, p. 54-56. 17   Chapitre publié en fac-similé dans Orgue…, op. cit., vol. I, p. 181. 18   Chapitre publié en fac-similé dans Jean Saint-Arroman, Connoissance de l’Orgue, 63-64/1987, p. 3-6, et dans Orgue…, op. cit., vol. I, p. 178-179. 19   Chapitre publié en fac-similé — avec une traduction en français — dans Jean Saint-Arroman, Connoissance de l’Orgue, 69/1989, p. 28-32, et en fac-similé dans Orgue…, op. cit., vol. II, p. 19. 20   Chapitres publiés en fac-similé dans Jean Saint-Arroman, Connoissance de l’Orgue, 73/1990, p. 13-21, et dans Orgue…, op. cit., vol. II, p. 101-103. 21   Chapitres publiés en fac-similé dans Orgue…, op. cit., vol. II, p. 125-137. 22   Chapitre publié dans Jean-Christophe Tosi, Connoissance de l’Orgue, 62/1987, p. 9-14, et dans Orgue…, op. cit., vol. II, p. 226-227. 23   Chapitre publié dans Orgue…, op. cit., vol. IV, p. 180-181. 24   Chapitres publiés dans Jean Saint-Arroman, Connoissance de l’Orgue, 71-72/1989, p. 53. 25   Liste non exhaustive : pour la période qui nous intéresse, il existe des centaines de conventions ! Pour un accès plus facile au lecteur, nous avons opté pour des documents déjà publiés. 26   Extrait publié dans N. Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, op. cit., t. V, p. 30-33. 27   Ibid., t. V, p. 36-37. 28   Document publié dans Norbert Dufourcq, Nicolas Lebègue (1631-1702), Paris, Picard, 1954, p. 149-150. 29   Extrait publié dans Norbert Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, op. cit., t. V, p. 52-54. 16

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•  Contrat d’organiste entre Pierre Meliton et la fabrique de Saint-Jean-en Grève (Paris), 28 août 1670, Arch. nat., MC, V, 142 30. •  Contrat d’organiste entre Jean Rameau et la fabrique de Notre-Dame (Dijon), 10 juillet 1690, Archives départementales de la Côte d’Or, 4E2/205 31. •  Contrat d’organiste entre Edmé Vaudry et la fabrique de Saint-Jean-en Grève (Paris), 23 juillet 1737, Arch. nat., MC, L, 663 32. •  « Mémoire pour L’organiste de Notre Dame de Dijon », 21 avril 1744, Archives départementales de la Côte d’Or, G Suppl. 24/99 33.

Pour compléter ces deux listes, il est primordial de dresser la liste des recueils, manuscrits ou imprimés, d’œuvres d’orgue et qui nous sont parvenus : leur étude minutieuse permet de cerner au plus près l’influence réelle ou supposée des cérémoniaux sur les organistes qui, pour notre plus grand bonheur, couchèrent quelquefois sur le papier le résultat de leurs improvisations, puisque, rappelons-le, il existait — et il existe toujours ! — en France une tradition séculaire d’improvisation et la plupart des pièces qu’ils jouaient durant les offices étaient improvisées. Cette liste (cf. Annexe), non exhaustive, s’enrichira peut-être, dans l’avenir, grâce à de nouvelles découvertes 34. Grâce aux nombreux dépouillements d’archives effectués ici et là depuis plus de cinquante ans, nous connaissons à peu près le destin d’un organiste aux xviie et xviiie siècles, un musicien qui, dans la grande majorité des cas, était lui-même fils de musicien, voire d’organiste, d’où de véritables dynasties d’organistes comme les Foucquet ou les Couperin. Après ses études auprès d’un parent, d’un maître souvent proche de la famille ou dans une maîtrise, cas assez rare tout de même, l’organiste se mettait en quête d’une tribune, en général dans une petite paroisse, avant de conquérir des tribunes plus importantes. Dans le cas des dynasties, c’était plus facile, le fils obtenant en général la survivance du poste de son père ou de son oncle : l’organiste échappait ainsi à l’inévitable concours qui était organisé pour mettre fin à la vacance d’un poste ; suivant l’importance de ce poste, il y avait plus ou moins de prétendants qui s’affrontaient dans des épreuves écrites, avec mise en loge, puis des épreuves à la tribune, sur l’instrument convoité ou sur celui d’une paroisse voisine, durant lesquelles les concurrents devaient improviser sur des versets du plain-chant et révéler leur maîtrise dans l’art du contrepoint et de la fugue. L’organiste devait non seulement prouver ses capacités à accompagner le plain-chant et à réaliser une basse continue, mais aussi montrer son aisance dans l’improvisation sur les motifs grégoriens car c’était bien là

30   Extrait publié dans Norbert Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, Paris, Picard, 2/1982, t. I : Les Sources, p. 513-515. 31   Document publié en intégralité dans Érik Kocevar, « Les servitudes des organistes de l’église Notre-Dame de Dijon au xviiie siècle », L’Orgue, 252/1999, p. 6-9. 32   Extrait publié dans Norbert Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, op. cit., t. I, p. 553-555. 33   Document publié en intégralité dans É. Kocevar, « Les servitudes des organistes… », op. cit., p. 32-40. 34   Voir la liste établie par Norbert Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, Paris, Picard, 1972, t. IV : La Musique, p. 30-31, reprise par François Sabatier pour l’entrée « Orgue (répertoire) » du Dictionnaire de la musique en France aux xviie et xviiie siècles, M. Benoît (dir.), Paris, Fayard, 1992, p. 516. Nous avons augmenté cette liste de quelques références importantes de manuscrits découverts dans les deux dernières décennies et avons supprimé les recueils perdus qui ne peuvent, bien sûr, pas nous renseigner.

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tout le socle de son futur emploi. Après avoir remporté le concours, l’organiste signait en général un marché ou une convention, quelquefois devant notaire, pour une durée très variable, d’un an à… vingt-neuf ans, comme Jean-Philippe Rameau pour la tribune de la cathédrale de Clermont en 1715 ! Dans une convention, entre organiste et représentant de paroissiens ou de chanoines, était inscrite avec plus ou moins de précision la liste des offices auxquels l’organiste devait participer en personne. Suivant les lieux, il y avait bien sûr des différences dans le contenu des interventions et dans leur nombre, ne serait-ce qu’à cause du patron de la paroisse, par exemple, ou encore de l’importance de l’église : dans une église collégiale, l’organiste participait aux services de la paroisse et à ceux du chapitre ; dans ce cas, il arrivait que l’organiste signe deux conventions différentes, le cas extrême étant la présence de deux organistes, l’un pour la paroisse, le second pour le chapitre ! Au fil des époques, et plus particulièrement aux xviie et xviiie siècles, les interventions de l’organiste firent l’objet d’une réglementation très précise que l’on retrouve avec plus ou moins de détails dans les cérémoniaux manuscrits ou imprimés que nous ont légués divers diocèses ou ordres monastiques. Ces documents permettent d’appréhender précisément l’ordre d’importance des fêtes tel qu’il existait sous l’Ancien Régime : (Ce qui suit prend en compte une hiérarchie globale, étant entendu que les catégories et les dénominations des fêtes peuvent différer d’un diocèse à l’autre.) •  fêtes doubles de première classe ou « grands solennels » (Noël, Pâques, Pentecôte) : on y chante en général l’ordinaire de la messe Cunctipotens genitor Deus, ainsi que, au xviiie siècle, la messe Fons bonitatis ou la Messe royale de Du Mont ; •  fêtes doubles de deuxième classe ou « petits solennels » (Annonciation, par exemple) : on y chante plutôt la messe De Angelis, plus récente que Cunctipotens, mais cette messe est très rare dans les versets d’orgue présents dans les recueils manuscrits ou imprimés ; •  fêtes doubles de troisième classe ou « doubles majeurs » ; •  fêtes doubles de quatrième classe ou « doubles mineurs » ; •  rit semi-double pour les fêtes locales : on y chante souvent les messes Orbis factor ou Pater cuncta ; •  rit simple pour les féries ordinaires de l’année.

Durant ces fêtes, certains offices étaient chantés en musique et l’orgue était requis. Quelques exemples pris ici et là dans les cérémoniaux cités précédemment nous apportent des informations plus ou moins importantes, le plus intéressant étant sans conteste le cérémonial d’un monastère de femmes parisien qui révèle un luxe de détails en ce qui concerne les jours pour lesquels l’orgue intervenait : • [Sonnet Paris 1662], Caput VI « De Organista & Organis »: Quibus diebus seu festis Organa sunt pulsanda. 8. Pulsantur Organa in omnibus festis annualibus & solemnibus prime & secundæ classis, & in festis duplicibus secundæ classis. Item in aliquibus festis duplicibus maioribus, nempe festivatis à populo. Item essent pulsanda in Dominicis per annum, presertim si ab Ecclesia sufficientem retributionem Organista recipiat. Item pulsantur, quoties occurrit celebrati solemniter officium aliquod votiuum pro re gravi.

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Quando Organa non sunt pulsanda. 9. Non pulsantur in Dominicis Adventus. In festo Ss. Innocentium, nisi acciderit die Dominica. Item in Dominicis septuagesimæ & sequentibus usque ad Dominicam palmarum inclusivè : nec etiam in festis S. Andree, quando evenit in Adventu, S. Thomæ S. Matthiæ, & S. Ioseph : pulsantur tamen in festis Conceptionis & Annuntiationis semper. Nunquàm etiam pulsantur in officio Defunctis. In quibus horis sunt pulsanda Organa. 10. Pulsantur Organa in Missa, in utrisque vesperis, in Matutino & laudibus : Item pulsantur ad Salutem feu Salutationem vespertinam. Pulsantur etiam ad Completorium in festis Annualibus & solemnibus prime & secundæ classis tantùm : in aliis autem quatuor parvis horis, nempe Prima, Tertia, Sexta & Nona non pulsantur, nisi ad Tertiam in festo Pentecostes.

• [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], Chapitre XIII « De l’ordre que l’on doit tenir pour toucher l’orgue, & à quels jours » : VIII. Quant aux jours que l’on touchera l’orgue, ce sera à toutes les festes de premiere classe ; aux premieres & secondes vespres, à matines, & à laudes ; à la grande messe, & aux hymnes de tous les petits offices du jour. IX. Aux festes de la seconde classe solemnelle, on fera comme aux festes de première classe, excepté qu’à matines, à laudes & à l’office de complies, on ne touchera point l’orgue, non plus qu’aux quatre antiennes, tant des premières que des secondes vespres, mais seulement à celles du cantique Magnificat. Aux festes de seconde classe & aux doubles majeures, les premières & les secondes vespres & la grande messe seront chantées avec l’orgue. X. Il sera aussi touché par respect aux dimanches simples de l’année, à la grande messe ; & mesme à vespres, si l’office est d’une feste double, qui doive estre célébrée le lendemain, encore que cette feste ne soit pas du nombre de celles où l’on doit toucher l’orgue. Mais si cette feste double échet au dimanche, on le touchera dès le samedy pour les premières vespres. XI. Aux dimanches de l’Avent, excepté le troisième & depuis la Septuagésime jusqu’à Pasques, excepté le quatrième dimanche de Caresme, on ne touche pas l’orgue à la grande messe ; on ne le fera point aussi à vespres, quand mesme on feroit l’office d’un double pour le lendemain, si ce n’est que ce fust un double majeur. XII. Tous les jours dans les octaves du S. Sacrement, & de S. Denis Aéropagite, que la Sainte Hostie est exposée, comme aussi tous les jeudis, quand on fait l’office du Saint-Sacrement, l’orgue sera touché à la grande messe & à vespres. Neanmoins en ces jours de jeudy, durant l’Avent & le Caresme, non plus que durant les prières de Quarante heures, on ne le touchera qu’à la grande messe seulement. XIII. Les jours qu’il y aura quelque vesture ou une profession, l’orgue sera touché à la grande messe, & durant une partie de ces deux cérémonies, ainsi qu’il sera remarqué cy-après au septième Livre.

Les deux exemples suivants, qui datent d’un siècle plus tard, nous donnent un aperçu plus laconique de ce qui pouvait se pratiquer en province : • [Clermont 1758], Article II « De ce qui se chante sur l’orgue » : 1. Dans les Églises où il y a des orgues, il faut qu’on en touche aux fêtes doubles majeures, & au-dessus, même lorsque ces fêtes se rencontrent dans le temps de la Passion, excepté la fête de la Compassion de la sainte Vierge. On doit aussi toucher de l’orgue tous les dimanches, hors ceux de la Passion & des Rameaux. À la messe des Vigiles de Noël, de Pâques, de la

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Pentecôte & de l’Assomption de la sainte Vierge, à la messe du Jeudy saint, à celle de Beata le samedy, & aux autres messes solennelles pour féries, fondations ou quelqu’autre sujet public & important ; la même chose aussi doit s’observer à de certaines processions solennelles, & aux prières du soir qu’on appelle salut lorsqu’elles se font avec solemnité. 2. On ne touche point de l’orgue aux fêtes doubles mineures & au-dessous, excepté la fête de Ste. Cécile, suivant l’usage de chaque Eglise, aux féries & aux Vigiles, excepté celles dont il a été parlé ci-dessus, ni dans tout le temps de la Passion, comme on l’a expliqué ci-devant, ni à aucun office des morts.

• [Sens 1769], Article V « Des orgues » : 2. On touche l’orgue à toutes les fêtes annuelles, solemnelles, & semi-annuelles : aux messes votives & solemnelles pour cause grave : aux saluts & bénédictions du Saint-Sacrement : à la visite épiscopale, & en d’autres semblables occasions : aux Te Deum qui se chantent de l’ordre du roi, ou par l’ordonnance de Mgr L’archevêque, &c.

De l’étude des divers cérémoniaux à notre disposition, nous retiendrons que l’emploi du temps d’un organiste était assez variable d’un lieu à un autre. Pour simplifier, l’organiste touchait l’orgue le dimanche — voire aussi le jeudi dans certaines églises où était célébré l’office du Saint-Sacrement, comme Sainte-Opportune de Paris —, les veille et jour des grandes fêtes (Circoncision, Épiphanie, Purification de la Vierge, Annonciation, Pâques, Ascension, Pentecôte, Trinité, Fête-Dieu, Assomption, Nativité de la Vierge, Toussaint, Noël), de même que pour les fêtes des saints locaux et des patrons des églises, ou encore pour certains cultes particuliers (Cinq plaies du Christ, par exemple) ou encore dans le cadre de fondations dotées par de riches paroissiens. Lors des dimanches et fêtes, l’organiste était tenu de toucher l’orgue plusieurs fois dans la même journée, c’est-à-dire à la messe, aux vêpres et à l’office de complies, voire à matines et à laudes. En revanche, l’organiste ne jouait pas durant certaines périodes comme l’Avent, ou le Carême, sauf quelques exceptions comme le troisième dimanche de l’Avent (Gaudete) ou le quatrième dimanche de Carême (Lætare) et lors des fêtes solennelles tombant pendant l’Avent ou le Carême, comme l’Annonciation, le Jeudi Saint, le Samedi Saint et autres fêtes du même genre (cf. Cæremoniale episcoporum). C’est ainsi que le nombre total des services, tout au long d’une année, était très différent d’un lieu à un autre, en fonction de l’importance du lieu de culte et du nombre de fondations. Prenons deux exemples, l’un à Paris, le second en province : 251 services (162 pour la paroisse et 95 pour le chapitre) en l’église collégiale Sainte-Opportune aux xviie et xviiie siècles, 369 services en l’église paroissiale Notre-Dame de Dijon, en 1745, avec pas moins de cinq services certains jours de fête ! Et encore ce chiffre ne prend-il en compte que les services ordinaires ! Pour la Pentecôte, par exemple, à Notre-Dame de Dijon, le premier service avait lieu à 5 heures 30 et l’avant-dernier service débutait à 18 heures ! Norbert Dufourcq a quant à lui comptabilisé environ 400 services par an pour l’organiste de l’église collégiale Saint-Merry à Paris 35.

  N. Dufourcq, Le Livre de l’Orgue français, op. cit., t. V, p. 217.

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Il reste maintenant à tenter de définir à quels moments exactement des offices jouait l’organiste. Là encore, les cérémoniaux et les conventions passées avec les organistes peuvent venir à notre secours. Les messes, comme les psaumes, hymnes ou antiennes utilisés dans les autres offices, étaient chantées par des chantres, souvent doublés par un serpent. Ce plain-chant était exécuté à l’unisson ou à l’octave, en suivant le plus souvent les principes de révision entrés peu à peu en usage durant la période post-tridentine en Europe et qui avait vu la suppression des longs mélismes et le déplacement de notes des syllabes brèves vers les syllabes longues dans les proparoxytons notamment. L’exécution du plainchant variait suivant le type de fête : « lentement » aux fêtes solennelles, « modérément » aux fêtes de deuxième classe, « gravement » aux fêtes doubles et « rondement » aux autres, ainsi qu’on peut le lire dans des cérémoniaux tels que celui de l’abbaye de Montmartre ou du diocèse de Toul. De manière générale, la réforme du chant rituel monodique de la liturgie catholique se fit dans deux directions différentes : l’une vit la restauration du vieux fonds grégorien et gallican, la seconde la composition de pièces originales, soit dans le style grégorien soit dans un style nouveau, généralement plus syllabique parfois appelé « plainchant musical ». Dans les édifices religieux importants (cathédrales, collégiales) la messe et les chants prévus pour les autres offices firent l’objet d’une exécution polyphonique du plain-chant : en faux-bourdon (contrepoint note contre note avec plain-chant en taille) et en chant sur le livre (plain-chant à la basse et improvisation des autres parties). L’intérêt de ces exécutions résidait dans l’alternance entre versets chantés et versets joués à l’orgue, pratique qui se situait à l’opposé de l’exécution de la messe polyphonique dans la tradition palestrinienne, sans orgue. Le Cérémonial de Toul [Toul 1700] est particulièrement fascinant car il révèle des détails que l’on ne trouve pas aussi clairement énoncés dans les autres cérémoniaux. Ainsi, dans le chapitre intitulé « De la musique », pouvons-nous lire : Dans les Eglises où la musique est en usage, ce que l’on doit chanter en musique est assez arbitraire ; cela dépend du nombre & de la qualité des musiciens, des coûtumes des lieux, & autres circonstances : voicy néanmoins en peu de mots ce que l’on peut pratiquer à cet égard. Mais il faut remarquer auparavant qu’il y a trois manières différentes de chanter en musique, sçavoir sur le livre, en faux bourdon, & en musique figurée. La musique figurée est celle qui est composée d’accords parfaits & imparfaits, toutesfois bien rangez, précédez & suivis selon les régles, & exécutez par différentes parties, la basse étant le fondement & le sujet. Lorsque le maître s’attache en rigueur aux loix d’une exacte composition, cette musique s’apelle contre-point, qui est proprement le fond de cette science, & en quoy il faut exceller pour remporter le prix que l’on propose en quelques endroits. Quand il s’aplique moins à la régularité des accords, qu’à la beauté du chant, à l’expression de la lettre, & à la diversité de la mesure, des tons & des mouvemens, c’est ce qu’on apelle communément la musique d’Église, qui doit être plus ou moins recherchée, selon que les fêtes sont plus ou moins solemnelles. Le faux bourdon est une espèce de musique à quatre parties note pour note, l’une desquelles parties, qui s’apelle la taille, chante le plain chant.

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Chanter sur le livre, c’est composer & chanter en même tems chacun sa partie à l’ouverture du livre, soit en contrepoint ou autrement, pendant que les basses chantent le plain-chant, qui est le sujet. Aux fêtes de première classe, on chante en musique figurée, à vêpres, l’hymne & le Magnificat, & si l’on veut le 1. le 3. & le 5. pseaume : à matines, le Te Deum quand on a le tems : devant la procession, l’antienne de l’aspersion de l’eau benîte, quand il faut la faire : à la messe, les Kyrie, le Gloria in excelsis, le Credo, le Sanctus, l’Agnus, & le Domine salvum fac ; & quelquefois un motet après l’offertoire, & un autre après l’élévation. On chante sur le livre, à l’office toutes les antiennes des pseaumes & des cantiques que l’on a chanté en musique : à la messe, l’introite, la prose, & l’antienne de la communion. On chante en faux bourdon le cantique Nunc dimittis ; le cantique Benedictus, lorsque l’on a chanté le Te Deum en musique ; les réponses aux petits versets de la préface ; & le cantique de la station quand il y en a une. On chante tout le reste en plain chant, tant à l’office qu’à la messe, à la réserve des choses pour lesquelles on doit toucher de l’orgue, ainsi qu’on le marquera cy après. Néanmoins il seroit beau de chanter encore sur le livre ce que les deux chœurs doivent chanter ensemble, comme toutes les antiennes, le répons de vêpres, l’invitatoire, les réponses aux r. brefs, l’antienne de la Vierge aprés complies, &c. & à la messe ce que le chœur chante de l’Alleluia, & de son v. […]. Aux fêtes de 2. & de 3. classe, aux dimanches, & durant les octaves du 1. & du 2. ordre, à la messe on chante ordinairement toutes choses comme aux fêtes de première classe […]. Aux autres semidoubles, aux simples, & aux féries, tout se chante en plain chant, & rien en musique. Aux saluts & prieres extraordinaires, on chante en musique figurée le Te Deum (s’il faut le dire) les antiennes, les motets, & quelquefois les litanies […]. On ne parle point icy des fêtes doubles de 4. classe, parceque cette classe paroit assez superfluë, & que M. l’évêque a dessein de la suprimer […] ; en tout cas il est évident que cette sorte de fête doit être célébrée au moins comme les dimanches, puisque les doubles doivent être solemnisées du moins autant que les semidoubles, sans quoy il n’y auroit ny ordre, ny proportion.

Le chapitre suivant, intitulé « De l’organiste & des orgues » et aussi très instructif à bien des égards sur les interventions très encadrées de l’organiste : À quels jours il faut toucher les orgues. On les touche à toutes les fêtes doubles ; à tous les dimanches non privilégiez, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas la couleur violette ; durant les octaves du 1. & du 2. ordre, soit qu’on fasse l’office d’une fête ou de l’octave ; quand on fait quelque office votif & solemnel pour un grave sujet ; aux messes solemnelles, saluts, & bénédictions du S. Sacrement, & autres prières extraordinaires, dans quelque jour que ce soit ; à la réception d’un évêque ; aux batêmes, & aux mariages, quand les pareins & les époux le souhaitent, & enfin dans d’autres semblables occasions. On ne les touche point aux offices ordinaires des autres fêtes semidoubles & simples ; aux dimanches qui ont la couleur violette ; aux féries ; à la fête des SS. Innocents, à moins qu’elle n’arrive le dimanche, ou qu’elle ne soit de 1. classe ; à la messe solemnelle, aux obseques, & offices des morts ; ny aux offices votifs & extraordinaires qui demandent plûtôt des marques de pénitence, que de joye. À quelles parties des offices il faut toucher les orgues. Aux fêtes susdites ausquelles on touche les orgues, à vêpres, on les touche aux pseaumes que l’on veut chanter en musique, à l’hymne, au Magnificat de vêpres, à celuy de la station, quand

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il y en a une, & à la réponse du dernier Benedicamus Domino. À complies, on les touche à l’hymne, à Nunc dimittis, & à l’antienne de la Vierge, ainsi qu’aux antiennes & autres prières que l’on chante dans quelques Églises à une station que l’on fait après complies. À matines & à laudes, on les touche au Te Deum & au Benedictus, lorsqu’on les chante en musique ; & à la station, quand il y en a une. Aux petites heures, on ne touche point les orgues, si ce n’est à l’hymne de celle que l’on chante immédiatement devant, & après la grande messe. On ne les touche point de même aux antiennes ny aux r. de vêpres, de matines & de laudes, ny à l’invitatoire, c’est plus qu’aux endroits que le maître de musique aura réglé, & qu’il fera sçavoir devant l’office à l’organiste. Le jeu doit être plus doux & plus dévôt aux principaux versets, & aux strophes solemnelles des proses, des hymnes, & des cantiques, & toutes les fois que le chœur est tourné vers l’autel. Mais pour les réponses Amen & Deo gratias, il faut un peu se presser, & ne pas traîner long tems. Pour mieux diriger le chœur, & donner le véritable ton, il est nécessaire de toucher quelquefois les orgues en plain chant, c’est-à-dire de le joüer & de l’exprimer sur les orgues ; & cela se doit pratiquer particulièrement au 1. & dernier Kyrie, au 1. v. de la prose, & aux suivants, si l’on veut ; au 1. Sanctus, au 1. Agnus, au Domine salvum. On observe la même chose dans les offices, au 1. v. des cantiques, au v. Te ergo quæsumus du Te Deum, à la 1. strophe des hymnes, & au 1. v. des antiennes de la Vierge que l’on chante après complies. Aux saluts, & autre prières extraordinaires, on touche les orgues depuis que le célébrant est sorti de la sacristie, jusqu’à ce qu’il soit arrivé devant l’autel, ou devant le pupitre du chœur ; après quoy on les touche devant chaque antienne ou motet ; & depuis la derniere oraison, jusqu’à ce que le célébrant soit de retour dans la sacristie. Quand on sonne pour lors l’Angelus, l’organiste cesse pendant cette prière, après laquelle il recommence à joüer d’une manière festive et solemnelle pendant un Miserere ou environ, pour la sortie du peuple.

Nous pouvons compléter utilement ce texte par cet extrait du Cérémonial de Bourges [Bourges 1708] : 9. Dans les Églises où il y a des orgues, l’introït étant fini, l’orgue jouë le premier Kyrie eleison, le chœur chante le second, l’orgue jouë le troisième, & ainsi du reste[.] Aprèz que le célébrant a entonné Gloria in excelsis Deo, l’orgue continuë le premier verset, le chœur chante le second, l’orgue jouë le troisième, ainsi du reste… On peut faire joüer par l’orgue le graduel, lorsqu’il a été entonné par les chapiers, le dernier mot des versets & la neume d’Alleluya… S’il y a une prose, l’orgue jouë le premier verset, le chœur chante le second, & ainsi du reste… Aprèz le Credo, le célébrant ayant dit Oremus, l’orgue joüe l’offertoire, & continuë jusques au temps de la préface, il doit y avoir une clochette pour faire cesser l’organiste… À la fin de la préface l’orgue jouë le premier Sanctus, le chœur chante le second, l’orgue joue le troisième jusques à ces paroles Pleni sunt, &c. le chœur chante Pleni sunt cæli & Terra gloria tua, l’orgue jouë ensuite, & ne cesse point jusqu’au Pater. L’orgue jouë le premier Agnus Dei, le chœur chante le second, l’orgue jouë le troisiême, & continuë jusqu’à ce qu’il soit temps de chanter l’antienne de la communion… L’orgue jouë aussi Deo gratia aprèz Ite Missa est.

Le Cérémonial monastique des religieuses de l’Abbaye royale de Montmartre [SainteCatherine Bénédictines Montmartre 1669] semble aussi très complet sur la place de l’orgue dans la liturgie : I. Lors donc que pour une plus grande solemnité de l’office divin, il faudra toucher l’orgue, ce sera à l’organiste de commencer les hymnes & les cantiques, tant de laudes que de vespres ;

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& à matines, l’hymne d’après l’invitatoire, comme aussi après que la mère Abbesse aura entonné ces mots Te Deum laudamus, l’orgue reprendra le verset, & les autres seront continuez alternativement par le chœur & par l’orgue. II. Les antiennes des festes de premiere classe, tant des laudes que des deux vespres qui seront chantées en notes, seront entièrement répétées par l’orgue après les pseaumes & les cantiques ; comme aussi quand ces trois offices seront chantez en notes, si l’orgue a esté touché à l’hymne, il répondra Deo gratias, après Benedicamus Domino. III. Au temps de Pasques, l’antienne Regina cæli, sera commencée par l’orgue & continuée par le chœur alternativement, en toutes les festes de première classe à vespres & à complies, & aux festes de seconde classe seulement à vespres. IV. Durant la grande messe, après que le premier Kyrie eleïson aura esté touché sur l’orgue, le chœur chantera le suivant, & ils continueront ainsi alternativement ; ce qu’ils feront encore à l’hymne Gloria in excelsis, après qu’il aura esté entonné par le prestre. Il sera touché aussi à la repetition de la fin du troisiéme Alleluia, apres le graduel, ou après le quatrième Alleluia, du temps de Pasques. Les proses seront aussi chantées alternativement par l’orgue & par le chœur, finissant toûjours par l’orgue qui adjoûtera après Alleluia, quelques accords pour finir. L’offertoire tout entier sera encore touché sur l’orgue, qui en suite continuëra quelque dévot cantique, jusqu’à ce qu’il soit averty de cesser, pour donner lieu au prestre de chanter la préface. Le premier Sanctus, sera touché sur l’orgue, & le suivant chanté par le chœur, puis l’orgue reprendra le troisième, & le chœur chantera Pleni sunt, jusqu’à Benedictus, qui après les deux élévations sera continué par l’orgue en signe d’allégresse & de réjouyssance pour la venuë de Jésus-Christ nostre roy sur l’autel. Le premier et le dernier Agnus Dei seront encore touchez sur l’orgue, comme aussi le Deo gratias, après Ite Missa est. Mais aucune de ces parties de la messe ne sera répétée dans le chœur, comme estant dites entièrement par le prestre à l’autel.

Les cérémoniaux évoquent donc les principes d’alternance relatifs à certaines prières du propre et de l’ordinaire de la messe : dans cette pratique, l’orgue se substituait au chœur un verset sur deux. Il était aussi expressément demandé à l’organiste de faire entendre le plain-chant de la messe chantée dans les premiers versets du Kyrie, de la prose, du Sanctus, de l’Agnus, du Gloria, des hymnes, du Magnificat et du Te Deum soumis à la même pratique de l’alternance entre orgue et chœur. Ce type de recommandations allait parfois très loin, comme le montre cet extrait du Cérémonial de Toul [Toul 1700] : Pour garder l’uniformité dans la disposition des v.[ersets] des antiennes de la Vierge que l’on chante aprés complies, voicy ce qu’il faudra pratiquer à cet égard dans toutes les Eglises, les jours qu’on doit toucher de l’orgue. On touchera de l’orgue pour les paroles qui suivent le mot Organa ; & le chœur chantera celles qui sont aprés chorus. Organa. Salve Regina Mater misericordiæ. Chorus. Vita, dulcedo & spes nostra salve. Org. Ad te clamamus exules filij Evæ. Chor. Ad te suspiramus gementes & flentes in hac lacrymarum valle. Org. Eïa ergo advocata nostra, illos tuos misercordes oculos ad nos converte. Chor. Et Jesum benedictum fructum ventris tui nobis post hoc exilium ostende. Org. O clemens ! Chor. O pia ! Org, O dulcis Virgo Maria. Org. Alma Redemptoris Mater. Chor. Quæ pervia cæli porta manes & stella maris, succurre cadenti surger qui curat populo. Org. Tu quæ genuisti, naturâ mirante, tuum sanctum genito-

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rem. Chor. Virgo priùs ac posterius Gabrielis ab ore sumens illud Ave. Org. Peccatorum miserere. Org. Ave Regina cælorum, ave Domina Angelorum. Chor. Salve radix, salve porta, ex qua mundo lux est orta. Org. Gaude Virgo glòriosa, super omnes speciosa. Chor. Vale ô valde decora. Org. Et pro nobis Christum exora. Org. Regina cæli lætare, Alleluia. Chor. Quia quem meruisti portare. Alleluia. Chor. Resurrexit sicut dixit. Alleluia. Chor. Ora pro nobis Deum. Alleluia.

Pour les messes, en règle générale, l’organiste jouait cinq versets en alternance avec le chœur pour le Kyrie, selon le schéma suivant : Kyrie I (1er verset d’orgue) Kyrie II (chant) Kyrie III (2e verset d’orgue) Christe I (chant) Christe II (3e verset d’orgue) Christe III (chant) Kyrie I (4e verset d’orgue) Kyrie II (chant) Kyrie III (5e verset d’orgue)

Il est à noter que ces règles pouvaient être légèrement différentes d’un diocèse à l’autre et le nombre de versets joués à l’orgue était variable. Il est aussi remarquable que dans la très grande majorité des messes présentes dans les recueils manuscrits ou imprimés cités plus haut, les Kyrie comportent cinq versets. Prenons un exemple, celui de la Messe à l’usage ordinaire des paroisses pour les Festes solemnelles (sur Cunctipotens genitor Deus) de François Couperin (1690) ; l’organiste de Saint-Gervais a parfaitement respecté les usages d’alternance en composant cinq pièces pour le Kyrie : I. Plein chant du premier Kyrie, en Taille. II. Fugue sur les jeux d’anches. 2e Couplet. III. Récit de Chromhorne. 3e Couplet. IV. Dialogue sur la Trompette et le Chromhorne. 4e Couplet. V. Plein chant. 5e et dernier Couplet.

Pour les autres parties de la messe, toujours en règle générale, l’organiste intervenait de la manière suivante : • Gloria (sauf exceptions, cf. supra), 1er verset + 8 versets d’orgue en alternance avec le chœur (Et in terra pax ; Benedicimus te ; Glorificamus te ; Domine Deus, Rex cælestis ; Domine Deus, Agnus Dei ; Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram ; Quoniam tu solus sanctus ; Tu solus altissimus ; In gloria Dei Patris) • Graduel : pouvait être joué par l’organiste (dernier mot des versets et neume Alleluia) 475

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• Prose : 1er verset joué à l’orgue, puis alternance avec le chœur • [Credo : entièrement chanté, sans orgue] • Offertoire : grande pièce d’orgue souvent virtuose dans laquelle l’organiste mettait en valeur son instrument • Sanctus : 1er verset + 1 verset d’orgue en alternance avec le chœur + Benedictus 1 verset • Agnus Dei : 1er verset + 1 verset d’orgue en alternance avec le chœur • Domine Salvum fac Regem : jamais présent dans les recueils manuscrits ou imprimés • Deo gratias après l’Ite Missa est : 1 verset, pièce courte de conclusion à la messe. Pour reprendre l’exemple de François Couperin, il manque des pièces pour que sa messe soit véritablement complète. Il est évident qu’il n’a couché sur le papier que les moments les plus importants de la messe, ceux qui sollicitent le plus l’organiste. Pour le reste, il suffisait d’improviser quelques notes et accords  36 ! Outre les cinq versets d’orgue pour le Kyrie, la Messe à l’usage ordinaire des paroisses pour les Festes solemnelles comprend les pièces suivantes : • Gloria : Plein Jeu. Et in Terra pax. Petite fugue sur le Chromhorne. 2e Couplet du Gloria. Duo sur les Tierces. 3e Couplet. Dialogue sur les Trompettes, Clairon et Tierces du Grand Clavier et le Bourdon avec le Larigot du Positif. 4e Couplet. Trio à 2 dessus de Chromhorne et la basse de Tierce. 5e Couplet. Tierce en Taille. 6e Couplet. Dialogue sur la Voix humaine. 7e Couplet. Dialogue en trio du Cornet et de la Tierce. 8e Couplet. Dialogue sur les Grands jeux. 9e et dernier Couplet. • Offertoire sur les Grands jeux. • Sanctus : Plein chant du premier Sanctus en Canon. Récit de Cornet. 2e Couplet. Benedictus. Chromhorne en Taille. • Agnus Dei : Plein chant de l’Agnus Dei. En Basse et en Taille alternativement. Dialogue sur les Grands jeux. Dernier Couplet de l’Agnus. • Deo gratias. Petit plein jeu. L’examen minutieux des recueils destinés à l’orgue, qu’ils soient manuscrits ou imprimés, révèle que les messes pour orgue répondaient plus ou moins aux volontés exprimées dans les cérémoniaux : si le plain-chant n’était pas toujours utilisé autant qu’il

  Par exemple le Domine salvum n’est jamais présent dans les recueils de pièces d’orgue, manuscrits ou imprimés, ce qui laisse à penser que l’organiste improvisait sur cette partie. 36

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devait l’être — et de moins en moins au fil des années ! —, il semble bien que le plain-chant sur Cunctipotens genitor Deus était le plus présent dans les pièces d’orgue (Nivers, Lebègue, Gigault, François Couperin, Grigny, d’Anglebert, Lasceux ou Beauvarlet-Charpentier), alors que les autres, sur De Angelis, Fons bonitatis ou même la Messe royale de Du Mont ne furent utilisés que plus tard, dans la seconde moitié du xviiie siècle, par Michel Corrette, Guillaume Lasceux ou Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier. N’oublions pas que la musique qui nous est parvenue ne représente qu’une infime partie de toute celle qui a existé réellement. Outre la messe, nous avons vu à travers les exemples de cérémoniaux que l’organiste participait aussi à d’autres offices durant lesquels le principe de l’alternance avec le chœur était lui aussi de mise. C’était ainsi le cas des vêpres, durant lesquelles l’organiste jouait les versets des hymnes, des psaumes et du Magnificat où il intervenait six ou sept fois (Magnificat, Quia respexit, Et misericordia, Deposuit potentes, Suscepit Israel, Gloria Patri + Amen). Avec le Magnificat, les hymnes occupent beaucoup de place dans les recueils destinés à l’orgue. Pour l’exécution du Te Deum, à l’office de matines ou lors de certains événements exceptionnels comme les naissances des princes, les guérisons royales ou les grandes victoires royales, l’organiste était aussi requis. Cette hymne, qui présente la particularité d’être très longue avec ses trente-deux versets, imposait à l’organiste une certaine économie de moyens car il lui revenait d’en jouer seize (Te Dominum ; Tibi omnes angeli ; Sanctus ; Sanctus Dominus ; Te gloriosus ; Te martyrum ; Patrem immensæ majestatis ; Sanctum quoque  ; Tu Patris  ; Tu devicto  ; Judex crederis  ; Aeterna fac ; Et rege eos  : Et laudamus ; Miserere nostri ; In te Domine speravi). C’est pourquoi les versets des suites pour le Te Deum sont très courts, une douzaine de mesures en général, voire moins, sans développement, ce qui limite considérablement leur intérêt musical. Lors de l’office de complies, l’organiste alternait aussi avec le chœur pour le Te lucis et le Nunc dimittis. Selon les lieux, nous avons vu qu’il pouvait aussi participer au salut, pour la célébration du SaintSacrement, ou à d’autres cultes locaux ou fondations. L’office de complies est celui qui a fait le moins l’objet de compositions, en dehors des antiennes à la Vierge (Alma redemptoris Mater ; Ave Regina caelorum ; Salve Regina ; Regina cœli) que l’on trouve chez Louis Couperin et Michel Corrette. Enfin, il reste à évoquer l’un des genres les plus caractéristiques de l’orgue français que les cérémoniaux n’évoquent pas  : les noëls. Ces pièces composées sur des thèmes populaires depuis le xviie siècle, avec leur caractère naïf et joyeux, ne semblent pas avoir eu toute la faveur du clergé : on sait pourtant que certains organistes comme Louis-Claude Daquin ou Claude Balbastre attiraient vraiment les foules à Notre-Dame ou à Saint-Roch pour la messe de Minuit. Il suffit aussi de voir le nombre considérable de publications consacrées à ce genre tout au long du xviiie siècle pour avoir une idée de son succès.

❦ Pour conclure sur un thème qui nécessiterait un livre entier, il suffit de rappeler combien l’orgue était intimement lié à la liturgie catholique dans la France des xviie et xviiie siècles. L’orgue était là pour donner au service divin un éclat particulier et on sent bien, à la lecture des cérémoniaux, combien la place de l’organiste était certes strictement délimitée, 477

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mais aussi combien l’organiste avait une marge importante de liberté dans la célébration du culte puisqu’il lui était loisible d’improviser la musique : quelle chance pour les organistes surdoués, les Couperin, Marchand, Daquin, Balbastre et autres qui pouvaient laisser libre cours à leur imagination fertile, largement secondée par leur talentueuse technique instrumentale. En revanche, un métier difficile pour tous les autres, l’immense majorité des organistes, enfermés dans le carcan parfois bien rigide du plain-chant. En fait, l’essentiel était ailleurs, s’il faut en croire le rédacteur du Cérémonial de l’Église Métropolitaine de Besançon qui écrivait, en 1747, dans le chapitre 11 intitulé « De la musique. », que la musique avait été « introduite dans l’Église afin de rendre le service divin plus magnifique et plus majestueux, d’y attirer les peuples, exciter leur dévotion, nourrir leur piété » ! Érik Kocevar

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ANNEXE

Liste chronologique des recueils manuscrits et imprimés de pièces d’orgue Jehan Titelouze, Hymnes de l’Église pour toucher sur l’orgue, avec les fugues et recherches sur leur plain-chant, Paris, P. Ballard, 1623. Jehan Titelouze, Le Magnificat, ou cantique de la Vierge pour toucher sur l’orgue suivant les huit tons de l’Église, Paris, P. Ballard, 1626. Charles Racquet, 12 Versets de psaumes en duo sur les 12 modes, dans Marin Mersenne, L’Harmonie Universelle, Paris, S. Cramoisy, 1636, Chapitre : « De la Composition ». Louis Couperin, Pièces d’orgue, ms., 1650-1659. François Roberday, Fugues et caprices à 4 parties mises en partition pour l’orgue, Paris, Veuve Sanlecque, 1660. Guillaume Gabriel Nivers, Livre d’orgue contenant cent pièces de tous les tons de l’Église, Paris, l’Auteur, R. Ballard, 1665. Guillaume Gabriel Nivers, Livre d’orgue contenant la Messe et les Hymnes de l’Église, Paris, l’Auteur, R. Ballard, 1667. Jean-Nicolas Geoffroy (attribué à), Pièces d’orgue dans « Livre des pièces de clavessin dans tous les tons naturels et transposèz… », ms., ca 1675. Guillaume Gabriel Nivers, Livre d’orgue des huit tons de l’Église, Paris, l’Auteur, R. Ballard, 1675. Nicolas Lebègue, Les Pieces d’orgue… avec les varietez, les agreéments, et la manière de toucher l’orgue à présent sur tous les jeux, et particulièrement ceux qui sont en usage dans les provinces comme la tierce et cromorne en taille : les trios à deux dessus, et autres à trois claviers avec les pedalles : les dialogues, et les récits, Paris, Baillon, 1676. [Guillaume Gabriel Nivers ?], Pièces d’orgue dans « Livre d’orgue de Marguerite Thiéry », ms., ca 1676-1683. Nicolas Lebègue, Second livre d’orgue… contenant des pièces courtes et faciles sur les huit tons de l’Église et la messe des festes solemnelles, Paris, l’Auteur, ca 1678. Nicolas Gigault, Livre de musique dédié à la très Ste Vierge…contenant les cantiques sacrez qui se chantent en l’honneur de son divin enfantement. Diversifiez de plusieurs manières à II. III. et IV. parties qui peuvent estre touchez sur l’orgue & sur le clavessin…, Paris, l’Auteur, 1682. Nicolas Gigault, Livre de musique pour l’orgue…, content plus de 180. pièces de tout les caractères du touché qui est présentement en usage pour servir sur tous les jeux à 1.2.3. et 4. claviers et pedalles en basse et en taille sur des mouvements inusitez à 2.3.4 et 5. parties… le tout pour servir aux huit tons de l’Église… ; On y trouvera plusieurs messes, quelques himnes variées et fugues à leur imitation… un Te Deum, Paris, l’Auteur, 1685. Nicolas Lebègue, Troisième livre d’orgue… contenant des grandes offertoires et des élévations ; et tous les noëls les plus connus, des symphonies et les cloches que l’on peut joüer sur l’orgue et le clavecin, Paris, l’Auteur, 1685. André Raison, Livre d’orgue contenant cinq messes suffisantes pour tous les tons de l’Église ou quinze Magnificats pour ceux qui n’ont pas besoin de messe avec des élévations toutes

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particulières. Ensuite des Benedictus : et une offerte en action de grâce pour l’heureuse convalescence du Roy, Paris, l’Auteur, 1688. Gilles Julien, Premier Livre d’orgue… contenant les huit tons de l’Église pour les festes solemnels avec un motet de Ste Cæcille à trois voix et simphonie, Paris, Richard, Lesclop ; Chartres, l’Auteur, 1689. Jean Henry d’Anglebert, Pieces de clavecin… diverses chaconnes, ouvertures et autres airs de Monsieur de Lully mis sur cet instrumt . Quelques fugues pour l’orgue [5 fugues et 1 « Quatuor sur le Kyrie à trois Sujets tirés du plein chant »]. Et les Principes de l’accompagnement. Livre premier, Paris, l’Auteur, 1689. Jacques Boyvin, Premier livre d’orgue contenant les huit tons, à l’usage ordinaire de l’Église, Paris, Baussend, Le Maire ; Rouen, l’Auteur, 1690. François Couperin, Pièces d’orgue consistantes en deux messes, l’une à l’usage ordinaire des paroisses pour les festes solemnelles., l’autre propre pour les convents de religieux et religieuses, Paris, l’Auteur, 1690. Nicolas de Grigny, Premier Livre d’orgue contenant une messe et les hymnes des principales festes de l’année, Paris, P. A. le Mercier ; Reims, l’Auteur, 1699. Anonyme, Pièces d’orgue dans « Livre d’orgue de Montréal », fin du xviie siècle – début du xviiie siècle. Jacques Boyvin, Second livre d’orgue contenant les huit tons à l’usage de l’Église, Paris, C. Ballard, 1700. Louis Marchand, Livres d’orgue II, III, IV, V, ms., ca 1700-1732. Gaspard Corrette, Messe du 8e ton pour l’orgue à l’usage des dames religieuses, et utile à ceux qui touchent l’orgue, Paris, Foucault ; Rouen, l’Auteur, 1703. Jean Adam Freinsberg dit Guilain, Pièces d’orgue pour le Magnificat sur les huit tons differens de l’Église, Paris, l’Auteur, Clicquot, 1706. Pierre Du Mage, Livre d’orgue contenant une suite du premier ton, Paris, Roussel, Richard ; Saint-Quentin, Clicquot, 1708. Nicolas Clérambault, Premier livre d’orgue contenant deux suites du Ir et du IIe ton, Paris, Foucault, l’Auteur, 1710. Charles Piroye, Pièces choisies… tant pour l’orgue et le clavecin que pour toutes sortes d’instruments, Paris, Cavelier, 1712. Pierre Dandrieu, Noëls, O filii, chansons de Saint-Jacques, Stabat Mater et carillons, Paris, Boivin, ca 1714. André Raison, Second livre d’orgue sur les acclamations de la paix tant désirée… auxquelles l’auteur adjoûte plusieurs noëls, Paris, l’Auteur, 1714. Antoine Dornel, Pièces d’orgue, ms., ca 1715-1722. François Dagincourt, Pièces d’orgue dans « Livre du Père Pingré », ms., ca 1720. M. Lanes, « Petites Pièces d’orgue… », ms., ca 1720-1725. Michel Corrette, Premier livre d’orgue contenant quatre Magnificat à l’usage des dames religieuses et utile à ceux qui touchent de cet instrument, Paris, l’Auteur, Mlle Castagnarery, Le Clerc, 1737. Jean-François Dandrieu, Premier livre de pièces d’orgue, Paris, Corrette, Boivin, le Clerc, 1739.

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Louis Marchand, Pièces choisies pour l’orgue… Livre premier, 1740 [sans doute réédition posthume du Livre d’orgue de 1700]. Michel Corrette, Nouveau livre de noëls avec un carillon, pour le clavecin ou l’orgue, Paris, l’Auteur, Boivin, Le Clerc ; Lyon, Bretonne, 1741. Claude Balbastre, « Pièces de clavecin avec deux fugues pour l’orgue », ms., 1748. Claude Balbastre, « Livre contenant des pièces de différent genres d’orgue et de clavecin », ms., 1749. Claude Balbastre, « Magnificat des huit tons », ms., avt. 1750. Michel Corrette, IIe livre de pièces d’orgue contenant le V, VI, VII et VIII ton, ce qui compose avec le Ier Livre les huit tons de l’Église ; à l’usage des dames religieuses et utile à ceux qui touchent de l’orgue…, Paris, l’Auteur, Boivin, Le Clerc, Castagneri, 1750. Michel Corrette, IIIè livre d’orgue… contenant les messes et les hymnes de l’Église, pour toucher en trio sur la trompette du Gd orgue avec le fleurti sur le plein jeu du positif et plusieurs des mêmes plein chants accomodés en quatuor pour toucher sur le grand plein jeu avec les pedalles. Plus des fugues faciles pour chaqu’hymne de l’année, une suite du 1er ton, une offertoire, les antiennes de la Vierge avec des petites pièces et le Te Deum en pleinchants…, Paris, l’Auteur, Castagnery, 1756. Louis-Claude Daquin, Nouveau livre de noëls pour l’orgue et le clavecin, Dont la plûpart peuvent s’éxécuter sur les violons, flûtes, hautbois, &c., Paris, l’Auteur, 1757. Claude Balbastre, Recueil de noëls formant quatre suittes, avec des variations pour le clavecin et le forte piano [pièces couramment jouées à l’orgue par Claude Balbastre], Paris, l’Auteur, 1770. Guillaume Lasceux, Journal de pièces d’orgue contenant des messes, Magnificats et noëls à l’usage des paroisses et communautés religieuses, Paris, Boyer, Made, Le Menu, 1771. Benaut, 9 Livres de Pièces d’orgue, Paris, l’Auteur, 1776-1783. Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier, Douze noëls variés… avec un carillon des morts, Paris, l’Auteur, 1782. Guillaume Lasceux, Nouveau journal de pièces d’orgue, Paris, 1784. Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier, Journal d’orgue à l’usage des paroisses et communautés religieuses, contenant messes, hymnes, Magnificats et autres hymnes pour toutes les fêtes de l’année [12 recueils], Paris, Le Duc, 1784-1785. Michel Corrette, Pièces pour l’orgue dans un genre nouveau, à l’usage des dames religieuses et à ceux qui touchent l’orgue. Avec le mélange des jeux et la manièrre d’imiter le tonnerre, Paris, Chez les Marchands de Musique, 1787.

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Le cérémonial du chant de l’Église de Paris au début du xviiie siècle Au moment d’entreprendre une réflexion globale sur le cérémonial liturgique, le chant pourrait risquer de ne pas se voir reconnaître la place qu’il mérite. Toile de fond sonore pour des gestes et des déplacements concentrant a priori toute la signification du cérémonial, le chant mérite-t-il l’attribution du statut d’élément "agissant" ? De plus, bloquée dans un rapport de dépendance à la seule source notée, notre perception du chant ecclésiastique consiste à faire endosser à l’écrit la responsabilité de nous parler exhaustivement. Or, pour un chantre à l’époque moderne, la mélodie figée sur le livre n’est rien, ou si peu. On la corrige, on la rature, on lui en substitue une autre. Tout ce que nous nous évertuons à fixer est soumis à variabilité. Tout, mais pas le reste. Pas ces paramètres multiples qui permettent justement le passage de l’inscription à la réalité cérémonielle : chanter l’office, c’est proférer musicalement un texte dans un référentiel de temps, d’espace, de lumière ; c’est également hiérarchiser les éléments d’une parole ainsi que les hommes œuvrant à son service. Il existe donc bien un cérémonial du chant pour lequel l’Église de Paris offre un terrain d’observation privilégié tant la documentation est riche pour le demi-siècle s’écoulant entre les publications des bréviaires de 1680 et de 1736 1. Dès lors, sur la base du Caeremoniale parisiense de 1703 2 ainsi que de plusieurs sources d’archives, cet article propose d’aborder dans un premier temps les principaux paramètres généraux d’un cérémonial du chant, avant de les considérer dans le cadre particulier de la Semaine sainte, moment clef de la liturgie catholique  3. Néanmoins, aussi attirante soit l’idée de faire revivre par la description des pratiques perdues, une telle étude ne peut s’y limiter. Les textes normatifs du cérémonial parisien nous disent en effet autre chose : leur prétention à fixer l’insaisissable trahit des intentions supplémentaires, telles que la définition d’un corps ecclésiastique — un chapitre cathédral, un diocèse —, ainsi que son articulation avec une histoire en pleine redécouverte et un présent incertain. Étudier le cérémonial du chant de l’Église de Paris entre les épiscopats

  Breviarium Parisiense, Paris, Sumptibus Federici Leonard, 1680, 4 vols. ; Breviarium Parisiense, Paris, Sumptibis suis ediderunt Bibliopolae Usuum Parisiensium, 1736, 4 vols. 2   Caeremoniale Parisiense, Paris, Apud Ludovicum Josse, 1703 (cf. Liste-Index infra, [Paris 1703]). 3   Pour une étude des mélodies parisiennes durant la Semaine sainte et de leur évolution, cf. Marie-Noël Colette, « La Semaine sainte à Paris à l’époque baroque », Plain-chant et liturgie en France au xviie siècle, Versailles, Éditions du Centre de Musique Baroque de Versailles/Paris, Éditions Klincksieck, 1997, p. 187-215. 1

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des archevêques Harlay et Vintimille, c’est aussi tenter de comprendre cette obsession du cérémonial — ou plutôt de sa transcription — caractéristique du début du xviiie siècle.

Les cérémonies du chant : pratiques et acteurs Devant le foisonnement d’informations délivrées par les textes régissant le cérémonial parisien, le doute est inévitable : destinés à des praticiens aguerris de l’office, ces textes donnent légitimement le vertige au lecteur sécularisé. La méthode la plus sage consiste alors à se poster aux côtés des choristes  4, sur le banc qui leur était réservé dans le chœur, et de suivre leurs évolutions. Postés devant les livres in-folio installés sur l’aigle, la première étape du processus conduisant de la forma modulationis à l’actio canendi 5 consiste à savoir… se taire ! Acteurs parmi d’autres de la liturgie capitulaire, les choristes doivent décider en premier lieu d’intervenir ou pas en tenant notamment compte des remplacements du chant par l’orgue, et ce bien au-delà de la régularité de l’alternatim pratiqué à la messe ou au Magnificat. Moment habituel d’intervention de l’instrument, les répétitions d’antienne après le psaume étaient néanmoins exclues du cérémonial parisien  : à Paris, l’enchaînement intonation d’antienne/psaume/antienne complète (et non antienne complète/psaume/ antienne complète comme dans l’usage romain) ne cédait le pas à l’orgue que pour la neume, placée en fin d’antienne : si l’antienne énonçait un texte indispensable au déroulement de l’office, la neume n’était « [qu’]un son sans paroles »  6 et pouvait, à ce titre, être confiée à l’orgue sans risquer de corrompre l’énoncé du texte liturgique. L’approche du lutrin et l’ouverture du livre de chœur constitue l’étape suivante. Dès la lecture de la notation, certains signes appellent une intervention de la part des chantres, comme la modica trepidatio requise pour les notes caudées en fin de pièce  7. L’élévation chromatique des notes juste inférieures au repos cadentiel était également aussi automatique que naturelle pour des choristes qui devaient, en outre, savoir convertir en polyphonie le plain-chant monodique grâce aux techniques du chant sur le livre  8. Ces procédés utilisés   Ainsi sont désignés par l’abbé Lebeuf (Traité historique et pratique sur le chant ecclésiastique, Paris, Cl.-J. et J.-T. Hérissant, 1741, p. 279) les clercs membres du chœur appelés à assurer les tâches cantorales les plus exposées (intonations, chant soliste,…). C’est probablement à eux qu’était destinée la « petite estrade » décrite par Claude De Vert, Explication simple, littérale et historique des Cérémonies de l’Église pour l’Instruction des Nouveaux-Convertis, Paris, Chez Florentin Delaulne, 1713, vol. IV, p. 93. L’autre lieu stratégique du chant des choristes était naturellement la galerie du jubé. La topographie capitulaire, en dépit d’une date tardive, est lisible aux Planches, fig. 40. 5   Pour une définition pionnière de ces concepts, cf. Jean-Yves Hameline, « Le plain-chant dans la pratique ecclésiastique aux lendemains du concile de Trente et des réformes postconciliaires », Plain-chant et liturgie en France au xviie siècle, op. cit., p. 13-30, ainsi que Monique Brulin, « Le Plain-chant comme acte de chant au xviie siècle en France », id., p. 31-57. 6   J. Lebeuf, op. cit., p. 244. 7   J. Lebeuf, op. cit., p. 174 ; même ornement pour les groupes cadentiels de trois notes dont les deux premières sont répétées. Cette pratique est héritée des Rubricae generales de l’antiphonaire parisien de 1681 (elle est commentée par M. Brulin : « L’Antiphonier de Paris en 1681 », Plain-chant et liturgie en France au xviie siècle, op. cit., p. 109-123). 8   Sur le chant sur le livre, voir Louis-Joseph Marchand et Henry Madin, Traités de contrepoint simple, présentés par J.-P. C. Montagnier, Paris, Société française de musicologie, 2004. 4

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au quotidien ne forment pourtant pas l’essentiel du cérémonial du chant, essentiel qui serait plutôt défini par l’ensemble des contingences cérémonielles propres à la circonstance liturgique et à son degré de solennité. Comme toutes les autres composantes de la liturgie, le chant se voyait ainsi attribuer des signes distinctifs en lien avec sa signification, mais également sa place dans la hiérarchie des fêtes du calendrier. Le cérémonial de l’invitatoire des matines en offre un exemple à petite échelle 9. fêtes semidoubles

fêtes doubles et au-dessus

invitatoire

entonné jusqu’à la moitié par 1 ou 2 choristes ; continué par le chœur

chanté entier par les choristes avec périélèse

reprise de l’invitatoire

/

entier par le chœur sans périélèse

psaume Venite

par deux choristes

par les choristes

reprises de l’invitatoire pendant le psaume

par le chœur entière après le premier verset seconde moitié après chaque autre verset

par le chœur entière après chaque verset

doxologie reprise de l’invitatoire seconde reprise de l’invitatoire

entière par le chœur

seconde moitié [par le chœur]

/

reprise complète intonation par les choristes avec périélèse continuation par le chœur

Avant tout, le classement des fêtes est répercuté sur le chant par le paramètre de la durée. Le cérémonial cantoral participe alors d’une respiration élargie de l’ensemble de la liturgie (accroissement du nombre de leçons de matines, lectures plus longues, ralentissement du tempo du chant). Cet allongement est permis par des répétitions complètes de l’invitatoire quand elles ne sont que partielles pour les semidoubles, ou bien par des duplications qui ne sont prévues que pour les fêtes doubles 10. Mais le changement de classe se traduit également par l’introduction de formules ornementales dont la périélèse consistant à enrichir l’énoncé de l’ultime note d’une intonation 11 :

  Données fournies dans J. Lebeuf, op. cit., chapitre IX.   Selon un même principe, les fêtes annuelles provoquent une répétition supplémentaire des répons après la doxologie (cf. ibid., p. 246). Les duplications étaient également utilisées pour répondre pragmatiquement à l’allongement d’une procession : « Lorsque la réponse Deo dicamus gratias du 5 se chante pour la rentrée au chœur après une station faite dans la nef, on peut redoubler le chant à l’exemple de la Métropolitaine [sic], pour avoir le temps de rentrer avant de commencer complies. » (J. Lebeuf, op. cit., p. 282). 11   Exemple extrait de J. Lebeuf, op. cit., p. 227. Présentée ici dans sa plus simple application, la périélèse s’accompagne de cas particuliers et exceptions suffisamment nombreux pour que Lebeuf, de son propre aveu, ne puisse les présenter exhaustivement. 9

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Certes fonctionnelle (elle « doit se chanter plus lentement, pour avertir par-là le chœur, qu’il se dispose à chanter la reprise »  12), la périélèse est un marqueur cérémoniel dont l’évolution de la fréquence suit le rythme du calendrier liturgique. Comme tout élément isolé du cérémonial du chant, elle se combine au sein d’un tout associant — comme l’a rappelé Jean-Yves Hameline — posture, maintien et allure du chant. Non pas ornement isolé, la périélèse contribue à l’enveloppe cérémonielle globale du chant, ainsi que l’abbé Lebeuf le ressentait lui-même : À l’égard de l’expédient de rendre le chant plus nourri, l’expérience a fait reconnoître que lorsqu’on célèbre une grande fête, la lenteur & la gravité se réunissent très-bien avec ce genre de chant, où il a de tems en tems de petits supplémens, quelques légères échanges de notes, & même certaines suppressions d’autres notes, qui donnent & la facilité de respirer, & l’agrément pour l’acquit du chant 13.

Dans le domaine de l’adjonction de formules stéréotypées à la mélodie figure également la neume, une « tirade de sons marquée par plusieurs notes que l’on met au bout d’une antienne »  14. Choisie en fonction du mode de l’antienne parmi les onze formules notées en fin de chaque bréviaire ou antiphonaire parisien 15, la neume est justifiée — comme la périélèse — par « la solemnité de l’office, ou bien le tems qu’il faut donner pour quelque cérémonie » 16. L’effectif mis en jeu est indexé sur la circonstance liturgique (intonation des répons à un chantre pour les simples et semidoubles, à deux chantres pour les fêtes doubles 17) ou la fonction de certaines pièces sans motivation autre que le respect de l’usage local, les antiennes de psaume ou de cantique sont entonnées à Paris par un seul chantre, alors que plusieurs membres du chœur peuvent débuter les antiennes de commémoration  18. Le lieu du chant complète la gamme des indicateurs visibles de l’intégration du chant à l’identité liturgique de la cérémonie : réservé pour les circonstances les plus sobres, le chant depuis la stalle est abandonné au profit du chant dans le chœur pour les fêtes solennisées 19. Mais le cérémonial

  Ibid., p. 246.   Ibid., p. 98. 14   Ibid., p. 239. 15   Pas spécifiques au chant parisien, les neumes diffèrent légèrement d’un chant diocésain à l’autre. 16   J. Lebeuf, op. cit., p. 240. 17   Ibid., p. 245. Cf. également l’effectif doublé pour l’intonation des répons brefs de primes et complies des fêtes doubles et au-delà (ibid., p. 247). 18   Ibid., p. 226. 19   En conclusion des laudes et vêpres des fêtes simples et semi-doubles, les Benedicamus sont chantés par « un clerc debout en sa place de chœur et tourné vers l’autel ». Pour les fêtes doubles, ils sont endossés par deux clercs placés entre le banc des choristes et l’aigle (ibid., p. 269). 12 13

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réclame également la mobilité des choristes au cours d’un même office, mobilité commandée par l’articulation d’actes et de fonctions scrupuleusement différenciés ; la succession des déplacements au fil de la liturgie obéit en effet aux obligations statutaires de chacun des officiers du chant à Notre-Dame. Particulièrement exposé lors des cérémonies les plus importantes, le grand-chantre est le premier d’entre eux. En le suivant lors de la messe du Jeudi saint (à laquelle étaient directement enchaînées les vêpres), il apparaît comme le pivot du chant de cette célébration 20. lieu(x)

action(s)

de la sacristie au chœur

une fois le célébrant prêt, il sort de la sacristie et entre dans le chœur

banc des choristes

il entonne l’introït

"

il pose son aumusse pendant que le psaume de l’introït est chanté par un clerc

"

il reprend l’introït

du banc à l’autel

au pénultième Kyrie, le chantre revêt l’aumusse, va à au thrône et fait une génuflexion devant l’archevêque ; il lui annonce le Gloria

de l’autel au banc

il revient au banc et quitte son aumusse

banc des choristes

il entonne le premier Agnus Dei

"

il s’assied sur le banc jusqu’à ce que le saint chrême et les saintes huiles soient apportés

"

il commence le second Agnus Dei quand les enfants sortent du chœur

tourné vers les stalles de droite

après la communion du prêtre, le chantre annonce le psaume Credidi

banc des choristes

il entonne la première antienne

tourné vers les stalles de gauche

il annonce la seconde antienne

du banc à l’autel

une fois le dernier psaume commencé, il reprend l’aumusse, va à l’autel majeur, fait une génuflexion devant l’archevêque et lui annonce l’antienne du Magnificat

du chœur à la sacristie

lorsque le célébrant commence l’oraison, il sort du chœur pour se rendre à la sacristie

L’analyse de ses déplacements et des agissements qui leur sont associés révèle un subtil étagement de plans d’action et de fonctions au long de cette scène. A priori, le grand-chantre est un élément fixe : simplement dit, il porte chape et bâton cantoral ; il chante. Mais son degré de «  présence cérémonielle  » varie suivant qu’il est partie prenante ou non du   Cérémonial reconstitué d’après le Liber cantoralis Ecclesiae Parisiensis, continens ea quae ad D. Cantorem attinent composé en 1634, toujours en usage à Notre-Dame en 1713 et dont quelques extraits sont copiés dans BnF, ms. latin 16804, f° 67-74.

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déroulement de la liturgie. Ses entrée et sortie du chœur ne correspondent pas exactement aux limites de l’office, mais plutôt à celle de sa partie chantée : le grand-chantre ne pénètre que lorsque le célébrant est déjà en place, juste au moment où l’introït doit commencer. De même, le célébrant est en cours de récitation de l’oraison finale lors du départ du grandchantre : la présence de celui-ci confine au superflu alors que le dernier chant est achevé. Entre ces deux bornes, attaché au banc des choristes — lieu-symbole de sa fonction —, le grand-chantre est acteur de la liturgie capitulaire au même titre que ses confrères présents dans les stalles. Il se défait par conséquent de son aumusse, tout en conservant le devoir d’ouvrir la messe tout comme les vêpres, cette priorité soulignant la nature de sa dignité. En revanche lorsqu’il se meut, il sort de l’action liturgique à proprement parler pour assurer une fonction «  souterraine  ». Il quitte alors son banc pour annoncer discrètement à l’archevêque-célébrant ses intonations pendant que le chœur poursuit le chant du Kyrie. Mais cette discrétion — qui le place provisoirement à l’arrière-plan de la liturgie en cours — n’est que vocale : sous les yeux de tous, il agit en députation auprès du prélat, élément extérieur au chapitre. À cet effet, il remet son aumusse, signe indispensable à sa dignité alors qu’il quitte son banc pour atteindre un milieu exogène. Le reste de la cérémonie confirme le rôle de cet ornement vestimentaire. Lors de ses annonces en direction du chapitre, demeurant à son banc et s’adressant aux membres du chapitre, l’aumusse n’est plus indispensable ; elle le redevient lors des transferts entre chœur et sacristie. En définitive, le cérémonial parisien du chant ne se limite pas à faciliter la perception des nuances du temps liturgique ; il contribue également à former l’image d’une organisation capitulaire rigoureuse, de ses liens internes comme de ses rapports à l’ordinaire diocésain. Au travers de la mise en œuvre de son chant, le corps capitulaire prend vie.

Un cas particulier : la Semaine sainte parisienne Naturellement, le temps de Carême dans son ensemble impose une mise au niveau inférieur de l’ensemble des paramètres du cérémonial du chant. Suivant la suggestion de Lebeuf, les périélèses se font plus rares  21 tandis que, au contraire, des signaux distinctifs apparaissent. Des cérémonies propres prennent place dans la liturgie pour commémorer les derniers jours de la vie du Christ. Ainsi de la bénédiction des Rameaux et de la procession hors les murs de l’église le dimanche des Rameaux qui ouvrent la Semaine sainte par le rappel de l’entrée du Christ à Jérusalem. Puis, lors du sacrum Triduum célébrant la Cène, la crucifixion et le repos dans le Saint Sépulcre, se succèdent les offices de Ténèbres, le lavement des pieds et, le Vendredi saint, l’adoration de la croix. À ce déroulement immuable, la cathédrale Notre-Dame de Paris ajoute des cérémonies extraordinaires du fait de son statut d’église métropolitaine : absoute solennelle de l’archevêque le Mercredi saint en rémission des péchés, consécration du saint Chrême et des huiles. À chacune de ces célébrations, le cérémonial se voit modifié ou amplifié.

  J. Lebeuf, op. cit., p. 143.

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Si la procession des Rameaux demeure un office très festif et fastueux dû notamment au nombre d’intervenants, les jours suivants plongent bientôt les fidèles dans l’atmosphère de deuil propre à la Semaine sainte. Tous les passages censés évoquer la gloire du Christ sont ainsi retranchés de la liturgie pour concentrer l’attention sur les textes funèbres, et ce jusqu’au dimanche de Pâques. On ne chante plus Deus in adjutorium, ni Dominus vobiscum, ni Oremus, ni Benedicamus. Les psaumes, et tout particulièrement le Miserere, sont donnés sans doxologie 22. À la messe du Vendredi saint, on ne dit pas Pax Domini ni Agnus Dei ; on ne donne pas le baiser de paix 23. Les cloches s’arrêtent de sonner depuis l’Agnus Dei de la messe du Jeudi saint jusqu’au Gloria in excelsis de celle du Samedi saint 24. À l’identique, l’acte de chant lui-même se dépouille de ses ornements au profit d’une psalmodie « à voix directe, de manière que cela ressemble plutôt à une récitation » 25, « recto vocis tono » comme l’indique à plusieurs reprises le cérémonial parisien de 1703. Elle affecte particulièrement les psaumes de la pénitence récités le Mercredi des cendres 26, mais aussi les complies du Mercredi saint et les petites heures du Jeudi saint 27. Dans le même esprit, les leçons de Jérémie chantées lors du premier nocturne des trois jours de Ténèbres sont pourvues, et ce depuis la période post-tridentine, d’un mode de récitation propre appelé tonus lamentationum qui, dans sa version initiale romaine énoncée par Guidetti, se révèle proche du 6e mode ecclésiastique 28. Cette mélodie, avec formules introductive et conclusive, déroulée sur la corde de récitation de la, se répète à l’identique à chaque verset 29 :

Les silences, plus nombreux qu’à l’accoutumée, viennent ainsi prendre la place des textes retranchés. La lenteur de la récitation s’y superpose, soulignant à propos la solennité et le caractère funèbre du moment : l’office des Ténèbres des trois jours, qui peut être anticipé aux vêpres du jour précédent pour débuter ainsi le Mercredi saint, doit être célébré suivant le rite des fêtes semi-doubles, mais selon un rythme « mensura gravi » 30 ; à la messe du Jeudi saint, le graduel est récité « lentius solito »  31 ; lors de la bénédiction du Saint Chrême, le

  [Paris, 1703], p. 150-151.   Ibid., p. 184. 24   Ibid., p. 156. 25   J. Lebeuf, op. cit., p. 178 26   [Paris, 1703], p. 151. 27   Ibid., p. 155. 28   Günther Massenkeil, « Lamentations », The new Grove dictionnary of music and musicians, second edition, Londres, 2000, t. 14, p. 188-190. 29   Exemple extrait de Giovanni Guidetti, Directorium Chori ad usum omnium ecclesiarum tam cathedralium quam collegiatarum, 2e éd., Rome, F. Coattinum, 1589, p. 184. 30   [Paris, 1703], p. 151. 31   Ibid., p. 155. 22 23

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même Jeudi saint, on chante Consecrare tu dignare ‘mensura graviori’ 32 ; enfin, à la messe du Samedi saint, à la suite de l’épître, l’Alleluia est chanté « mensura gravissima » 33. Plus la Semaine sainte avance, plus le rythme du chant se ralentit pour illustrer l’arrêt temporel que constitue la mort du Christ. Cette simplification du chant se double pourtant d’une grande diversité des intervenants qui l’exécutent. Le chœur, peu mentionné explicitement au fil des pages consacrées à la Semaine sainte dans le cérémonial  34, parfois dédoublé comme lors des Ténèbres  35, n’en assume pas moins son rôle, lors des antiennes, psaumes, hymnes et cantiques. Célébrant, diacre et sous-diacre demeurent cependant les acteurs principaux de ces multiples offices, et tout particulièrement à la messe. C’est lors des cérémonies propres à ce temps de pénitence que l’importance et la hiérarchie des différents rôles dans le chant se modifient sensiblement. Ceci est manifeste lors de la procession du dimanche des Rameaux (voir Planches, fig. 37). Le chant y prend alors une ampleur nouvelle, augmentée à Paris du fait que la cérémonie, présidée par l’archevêque en personne, débute à l’église SainteGeneviève, en présence du clergé d’autres paroisses : Saint-Étienne-du-Mont, Saint-Benoit, Saint-Merry… L’ensemble des communautés rassemblées se dirige ensuite à travers les rues jusqu’à la porte de la Cité située rue Saint-Jacques. Un premier chœur se place alors à la plus haute fenêtre pour chanter la première strophe de l’hymne Gloria, laus et honor. Le grandchantre (« clericus praecentor ») annonce la même hymne à l’archevêque qui l’entonne, suivi par le second chœur resté dans la rue. Le premier chœur y répond par la seconde strophe de l’hymne, Israel es tu rex. À chaque nouvelle strophe chantée par le premier chœur, le second chœur répond invariablement par la strophe Gloria, laus et honor entonnée par le decanum ou tout autre dignitaire après l’annonce par le grand-chantre 36. Le rituel d’ouverture de la porte fait également l’objet d’un jeu de réponses similaire : par trois fois, l’archevêque frappe la porte de la cité tout en chantant Attollite portas. Lui répondent de l’autre côté successivement un enfant (soit une voix de dessus), un chantre alto (« alticantor ») puis un chantre basse (« bassicantor »)  37. C’est l’unique fois pour la Semaine sainte où le texte du Cérémonial parisien indique clairement les types de voix qui se font entendre. Les différentes charges et dignités du personnel ecclésiastique de l’église sont ainsi tour à tour sollicitées pour tenir leurs fonctions dans le cérémonial du chant : l’archevêque, dans l’église métropolitaine et lorsqu’il préside lui-même aux cérémonies, les prêtres, le diacre, les sous-diacres, les machicots, bénéficiers ou non, le grand-chantre, le chœur, les choristes, plus ou moins bien définis selon les cas, participent ainsi à l’architecture de la liturgie en musique par des procédés d’alternance, de répétition et d’amplification qui, dans

  Ibid., p. 165.   Ibid., p. 198. 34   Il faut comprendre cette absence par le fait que l’ouvrage de 1703 ne détaille à cette occasion que les différences notables par rapport aux cérémonies coutumières dont le détail de l’organisation est supposé être connu. 35   [Paris, 1703], p. 151. 36   Ibid., p. 146-148. 37   Ibid., p. 149. 32 33

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l’attribution des rôles, prennent en compte différents facteurs comme le grade dans la hiérarchie ecclésiastique, le degré de solennité voulu et l’effet sonore attendu. Plusieurs épisodes de la bénédiction du Saint Chrême mettent en valeur de manière lumineuse les diverses figures du chant utilisées et leur force symbolique. Le grand-chantre chante trois fois de suite Oleum cum balsamo. Plus tard, à l’approche de l’autel de l’Assomption, deux enfants chantent O redemptor, répété aussitôt par un groupe de huit enfants. Devant l’autel proprement dit, les deux enfants font entendre Audi judex etc., auxquels les huit enfants répondent encore par O redemptor. Ceci est répété à chaque station dans l’église. Puis devant le tableau représentant la sainte Vierge situé dans la nef, les deux enfants entonnent Adsit nobis etc., et le chœur poursuit avec Stat ad aram face à la porte principale du chœur. On s’achemine enfin vers l’autel par la porte droite du chœur pendant que les huit enfants chantent à nouveau O redemptor. Deux enfants poursuivent avec Arbor facta etc. près de l’aigle 38. Cette architecture peut se faire plus sophistiquée encore, et surtout plus spectaculaire quand elle se double d’effets visuels, comme c’est le cas lors de l’adoration de la croix du Vendredi saint. Par trois fois, deux prêtres en chape noire alternent avec deux prêtres en chape rouge puis avec deux enfants. Les premiers chantent les impropères Popule meus, Quia eduxi te, et Quid ultra. Les seconds leurs répondent à chaque fois en grec par Agios o theos etc., et les enfants concluent avec Sanctus Deus  39. Ici, le chant participe à part égale avec les postures, les ornements, la lumière, à une véritable mise en scène religieuse, comme lors des Ténèbres, dont la psalmodie est ponctuée par l’extinction progressive des bougies réparties sur un chandelier triangulaire et dans toute l’église. L’office se conclut dans l’obscurité par un vacarme produit par l’assistance pour rappeler le tremblement de terre au moment de la mort du Christ. Pour autant, les éléments complexes du cérémonial du chant détaillés dans le Caeremoniale parisiense concernent avant tout les églises dotées d’un clergé suffisamment fourni et formé à ce genre d’usages, au premier rang desquelles la cathédrale Notre-Dame, église métropolitaine, qui se doit de montrer la voie en la matière. Mais dans chaque cas, l’ouvrage prévoit une ou plusieurs solutions, plus légères ou plus simples, permettant à la liturgie de revêtir le même degré de solennité quelle que soit l’église dans laquelle elle prend place.

Délimiter, reconstruire, rassurer : la catharsis cérémonielle Ces précautions bienveillantes à l’égard de tous et d’une précision infaillible n’y font pourtant rien : l’adjectif parisiense placé en tête du cérémonial imprimé de 1703 n’est pas un terme neutre. Il induit une ambiguïté, si ce n’est une tension entre les deux pôles de la structure ecclésiastique auxquels il renvoie, le diocèse et la cathédrale. Idéalement, et selon

  Ibid., p. 164-165.   Ibid., p. 176.

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une conception ancestrale faisant de l’église de l’évêque la mère-matrice de toutes les autres églises du diocèse, le cérémonial de la cathédrale devrait servir de modèle unique, et ce jusqu’aux détails psalmodiques de Notre-Dame dénaturés par ajout d’ornementation : Pour ce qui est de Laus tibi, Domine Rex aeternae gloriae, on ne doit ni monter ni descendre en chantant ces six mots ; mais on doit aller tout droit, comme on l’observe exactement à Notre-Dame & dans les collégiales. Dans beaucoup de paroisses de la campagne, on laisse chanter les enfans

Ces deux maniéres doivent être rejettées de l’usage de Paris, aussi-bien que les élévations de voix sur aeternae gloriae. Les maîtres d’école pourront faire attention à ces deux points, & y remédier. 40

Cette dimension référentielle de la cathédrale est telle que lorsque le cérémonial imprimé ne peut répondre à une interrogation, il faut alors suivre « l’usage de Notre Dame de Paris »  41. Mais les forces cantorales étant hors de proportion d’une église à l’autre, les avis les plus prudents limitent à certains lieux ce devoir de reproduction de la liturgie cathédrale : selon le même auteur anonyme, « Les Églises collegiales & les seminaires doivent se conformer à l'Église metropolitaine »  42. Si le rattachement des premières se conçoit aisément — ce sont les seules églises séculières autres que Notre-Dame à être astreintes à la récitation perpétuelle de l’office —, les séminaires constituent une cible bien moins évidente. Dirigés par des membres de congrégations assez autonomistes et entretenant parfois des rapports antagonistes entre elles (lazaristes, oratoriens, sulpiciens), les séminaires n’offrent pas toujours la garantie d’une totale conformité aux vues de l’archevêque  43. En outre, la règle suivie concernant l’enseignement liturgique dispensé aux futurs prêtres diocésains est parfois floue. Si certains supérieurs convenaient de la nécessité de suivre l’usage diocésain 44 et plus encore cathédral 45, d’autres choisissaient des voies alternatives à la suite de la décision de la congrégation de la Mission prise lors de l’Assemblée de 1668 :

  J. Lebeuf, op. cit., p. 278.   De l’Autorité du nouveau Ceremonial, BnF, ms. latin 16804, f° 52v°. 42   Ibid., f° 53r°. 43   Un des épisodes les plus révélateurs des rapports tendus qui pouvaient exister entre prélats parisiens et séminaires eut certainement lieu lors de la purge du Séminaire des Trente-Trois et de celui de Saint-Magloire par Mgr de Vintimille en 1731. 44   « 5° S’il y a, pour les psaumes, les épitres, les évangiles, quelques particularités dans le diocèse où on est, il faut s’en instruire d’abord, afin de bien former ces messieurs. » ; lettre de Bonnet (Bibliothèque Municipale de Troyes, ms 208 f° 71) citée par Antoine Degert, Histoire des séminaires français jusqu’à la Révolution, Paris, G. Beauchesne & Cie, 1912, vol. II, p. 123. 45   À Bordeaux, le maître de cérémonies du séminaire travaillait à partir de « l’abrégé des cérémonies imprimé pour l’église [métropolitaine] de Saint-André » (cité dans ibid., II, p. 136). 40 41

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On récitera le Bréviaire diocésain dans nos séminaires, si l’évêque le commande ou en témoigne le désir, autrement non, étant plus à propos, pour garder l’uniformité, de réciter le Bréviaire romain. Il faut néanmoins enseigner aux ecclésiastiques du séminaire les rubriques du Bréviaire romain. 46

Amplifiée par la diffusion extensive du Manuel des cérémonies romaines 47, l’indétermination de cette situation ne pouvait convenir à un diocèse dont la liturgie récemment refondée n’allait pas tarder à cristalliser bien des enjeux identitaires. Dès lors, publier le Caeremoniale de 1703, et y soumettre les paroisses mais plus encore les séminaires revient ainsi à faire chanter son diocèse d’une voix la moins hétérogène possible, manière d’écho de la liturgie cathédrale pragmatiquement transformée — au fil du livre, les nombreuses solutions à option en témoignent —, mais bien présente à tous les échelons de la vie diocésaine. Le glissement par rapport à une conception pyramidale du cérémonial semble net. Notre-Dame demeure certes le point haut du cérémonial parisien, le concentré maximal de ses vertus et possibilités ; mais la cathédrale est désormais convoquée pour un dialogue avec l’ensemble des partenaires soumis à l’autorité de l’évêque : l’usage cérémoniel parisien, auparavant assimilé à celui de l’église-siège de l’archevêque, s’ouvre dès lors à de plus vastes horizons. Le passage du manuscrit détenu par le chanoine maître de cérémonies au livre imprimé permettait ainsi « de rendre commun à tout un diocèse ce qui n’étoit d’abord usité que dans la cathédrale » 48. Alors que la pratique cantorale de Notre-Dame évolue peu de Harlay à Vintimille 49, l’enseignement principal à retirer du Caeremoniale de 1703 réside précisément dans sa publication. Avec elle, le chapitre demeure, mais la communauté diocésaine émerge. La publication du cérémonial parisien est aussi un moyen de renouer avec l’Antiquité chrétienne, ce paradis perdu de la liturgie âprement discuté. En rattachant ses préceptes à la pratique des Pères — et ce quelles que soient les circonvolutions intellectuelles nécessaires à cette démarche —, leur chant renaît dans le présent, forcément accompagné de leurs vertus et de la pureté de cette Église primitive dont les factions ecclésiastiques du début du xviiie siècle se disputent le souvenir. Dès lors émerge un cérémonial dans le cérémonial, celui de la mise en scène d’un passé recréé par la voix du célébrant qui saura chanter les hymnes par cœur 50, être

  Ibid., p. 137.   Commandé par saint Vincent de Paul, le Manuel des cérémonies Romaines, tiré des livres Romains et des Écrivains les plus intelligens en cette matière, par quelques uns des Prêtres de la Congrégation de la Mission connut de nombreuses rééditions tant à Paris qu’en province (cf. [Lazaristes* 1662]). 48   J. Lebeuf, op. cit., p. 96-97. 49   Pour s’en rendre compte, il n’est que de constater combien Lebeuf cite, paraphrase ou traduit le directoire rédigé en 1681 par Chastelain, au point d’en reproduire exactement le plan des chapitres dans la section pratique de son Traité. 50   Liste des Rits conformes à l’Antiquité suivant le nouveau Cérémonial de Paris imprimé en 1703, BnF, ms. latin 16804, f° 101r°. Ce texte anonyme a été adressé au père oratorien Pierre Lebrun à l’occasion de l’enquête qu’il mena en amont de la publication de son Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la messe [...] (Paris, F. Delaulne-Vve F. Delaulne, 1716-1726, 4 vols.). Ce document est donc contemporain des premiers remous provoqués par la promulgation de la bulle Unigenitus dont la discussion accordera une large place à la définition et l’appropriation de l’Antiquité chrétienne. 46

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attentif aux textes chantés du propre de la messe sans les doubler privatim  51 et en restant debout pour écouter les chantres. Loin d’être anodines, ces consignes touchent à des questions extrêmement sensibles en ces temps de crise ecclésiastique violente : permettant une perception de la logique rituelle par tous, ces mesures n’en sont pas moins associées aux querelles suscitées par les discussions autour du presbytérianisme et du sacerdoce des fidèles. Les interprétations les plus engagées vont encore plus loin : sur la base d’éléments réellement promulgués par le Caeremoniale parisiense —  dont la possibilité de «  chanter le Gloria in excelsis avec le chœur » 52 —, elles encouragent ainsi à ne créer aucun décalage entre la messe du prêtre et celle des fidèles 53. Cet idéal primitiviste est également celui de Lebeuf lorsqu’il souligne « que dans l’Église de Paris il y a des pièces de chant où toutes les voix se mêlent sans aucuns accords de musique, & où les enfans-de-chœur chantent avec les autres voix en pur plainchant » 54. Dénué de tous les signaux de la temporalité (pas d’instruments de musique, pas de polyphonie) et reconstituant dans le chœur une image idéalisée des communautés chrétiennes des premiers temps, ce «  simple plainchant  » ne pouvait qu’avoir «  quelque chose de trèstouchant » 55. En dépit d’une connotation historique moindre, d’autres aspects du cérémonial du chant parisien n’en étaient pas moins rigoristes et, en cela, assimilés à une pureté idéalisée : à Notre-Dame, l’orgue n’intervient jamais pour les répons 56, pas plus qu’il ne se substitue aux antiennes «  étant juste que ces portions de l’office qui annoncent la grandeur des mystéres & des fêtes, surtout aux I. vêpres, ne soient pas comme supprimées » 57. Finalement, dans l’incessante course au mieux-disant primitiviste, la publication du cérémonial parisien, les gloses qu’il provoque et les pratiques qu’il codifie forment un tout indissociable, un ensemble complexe à l’image de ce que deviendra l’épiscopat de Noailles. Temps de rassemblement de la communauté diocésaine, temps d’affirmation de choix locaux conduisant à la renaissance d’une identité, temps ouvert à la fébrilité de l’expérience et de l’incertitude : y compris par son chant ecclésiastique, le début de siècle à Paris aiguise les esprits à la veille d’Unigenitus.

51   Pièces ou lectures concernées : épître, graduel, alleluia, prose, trait, évangile, offertoire. Cette interprétation est un bon exemple des techniques employées par les exégètes liturgistes. Son auteur reconnaît que le Caeremoniale parisiense n’interdit pas les doublures mais, comme ce même document ne les prescrit pas, il est censé induire l’absence de cette pratique. 52   Liste des Rits conformes à l’Antiquité suivant le nouveau Cérémonial de Paris imprimé en 1703, op.  cit., f° 101v°. 53   À ce titre, et toujours en interprétant les silences du cérémonial de 1703, ce document souhaite que le prêtre ne prépare pas les offrandes avant la fin du chant de l’offertoire, mais surtout qu’il ne commence la récitation du Canon qu’une fois le Benedictus terminé, et non pendant celui-ci comme cela se pratiquait en de nombreuses églises (cf. ibid., f° 101v°-102r°). 54   J. Lebeuf, op. cit., p. 142. 55   Ibid., p. 143. 56   Ibid., p. 246. 57   Ibid., p. 243. Non sans fierté, Lebeuf peut annoncer que plusieurs églises ayant adopté le Bréviaire parisien de 1736 ont choisi de pratiquer selon cette règle.

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Les effets du cérémonial du chant de l’Église de Paris ne s’arrêtent pourtant pas là. Étudié dans un tel contexte, il n’impose rien moins qu’un renouvellement de notre approche de la société ecclésiastique. À nos gravures figées, il imprime mouvements et couleurs. À la distance irréductible entre l’Église post-tridentine et notre temps, il donne un sens. Et, comme le désiraient les clercs de cette même Église, il permet de saisir — dans le sens de « comprendre » et « fixer » — l’homme dans l’écheveau des liens horizontaux en son monde, mais également dans la verticalité de son rapport à l’apparente intemporalité de la « trèslongue-durée » de l’Église. De ce fait, trop souvent taxé de formalisme étouffant et stérile, le cérémonialisme propre à l’ensemble de la société d’Ancien Régime redevient ce qu’il était pour les chanoines de Notre-Dame et leur archevêque : un moyen de construire ou de confirmer ses rapports aux autres, un moyen de trouver sa place dans l’histoire. Un moyen d’être. Xavier Bisaro Université Montpellier IIII Sébastien Gaudelus Bibliothèque nationale de France

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Les saluts du Saint-Sacrement : des offices de dévotion pour les fidèles Les saluts du Saint-Sacrement, exercices «  de dévotion  » en présence du SaintSacrement exposé dans l’ostensoir ou le ciboire, peuvent apparaître comme un champ d’étude bien exigu 1. Ils n’ont du reste guère suscité d’intérêt chez les historiens. Tout au plus ont-ils attiré l’attention de quelques liturgistes désireux « d’élucider le problème de l’origine des saluts du Saint-Sacrement 2 ». Quant à leur devenir durant l’Ancien Régime, il n’a fait l’objet que de quelques études ponctuelles  3. Pourtant, les saluts du Saint-Sacrement constituent l’une des manifestations cultuelles les plus originales du catholicisme français post-tridentin, à tel point que l’on a pu voir en eux — avec regret — « le pôle de la vie liturgique  4 » de cette époque. La déconsidération du Mouvement liturgique à l’égard des saluts du Saint-Sacrement, bientôt qualifiés de non-liturgiques ou de paraliturgiques, leur érection en tant que pratiques emblématiques de l’Ancien Régime, attirent l’attention de l’historien. L’étude du cérémonial des saluts, c’est-à-dire de l’ensemble des prescriptions cérémonielles guidant leur célébration, peut fournir une première approche du sujet. Ces prescriptions figurent bien entendu dans les cérémoniaux et les manuels de cérémonies, mais sont également disséminées dans d’autres livres et textes, rituels, statuts synodaux ou supports divers de la législation ecclésiastique en matière cultuelle. Il ne s’agit donc pas de décrire des pratiques réelles, le déroulement effectif des saluts dans les différentes églises, démarche qui nécessiterait un autre type d’enquête, mais de se pencher sur la codification de ces pratiques. Par le biais du « cérémonial prescrit » des saluts, on découvre les desseins, les intentions du législateur, les moyens mis en œuvre pour un accomplissement décent de   Je tiens à remercier vivement Jean-Yves Hameline pour son aide constante et ses réflexions stimulantes.   Édouard Dumoutet, Le Christ selon la chair et la vie liturgique au Moyen-Âge, Paris, G. Beauchesne, 1932, p. 185 ; cf. aussi Id., Le désir de voir l’hostie et les origines de la dévotion au Saint-Sacrement, Paris, Beauchesne, 1926 ; P. Browe, « Die Entstehung der Sakramentsandachten », dans Jahrbuch für Liturgiewissenschaft, 1927, n° 7, p. 83-103. 3   Jean de Viguerie, « Les fondations et la piété du peuple fidèle. Les saluts fondés à Angers aux xviie et xviiie siècles », dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 81, 1974, p. 589-597 ; Bernard Dompnier, « La musique, le culte et les dévotions : un mode de distinction », Maîtrises et chapelles aux xviie et xviiie siècles : des institutions musicales au service de Dieu, dans B. Dompnier (dir.), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2003, p. 317-341 ; Alexis Meunier, Les saluts du Saint-Sacrement : liturgie et musique en France (1600-1774), thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, 2004, 3 vol., dactyl. 4   Louis Bouyer, La vie de la liturgie : une critique constructive du Mouvement liturgique, Paris, Cerf, 1956, p. 18. 1 2

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la célébration des saluts. On peut suivre, grâce à la progressive introduction de ces cérémonies nouvelles dans les livres d’Église, leurs premières manifestations et assister à la constitution de leurs normes et de leur forme canonique. On devine aussi le regard parfois ambigu porté sur ces exercices « de dévotion » par l’institution ecclésiastique, qui doit définir leur statut et leur place au sein du culte divin.

Aux origines des saluts du Saint-Sacrement Les liturgistes qui ont tenté d’éclaircir la question de l’origine des saluts du SaintSacrement ont montré que les premiers saluts, qui datent en France du xvie siècle, n’ont pas grand-chose de commun avec les saluts du Saint-Sacrement modernes, puisque le SaintSacrement n’y était jamais exposé. Grâce à de généreux fondateurs, ils étaient célébrés, à une fréquence différente selon les églises, aussi bien les jours de fête que certains jours marqués de la semaine, et étaient de composition très variable 5. Les mêmes liturgistes ont montré que depuis la fin du xvie siècle, dans un contexte d’exaltation du culte eucharistique face aux protestants, se répandit l’habitude d’exposer fréquemment le Saint-Sacrement au cours des messes et des offices, en particulier certains jours (durant l’octave de la Fête-Dieu, les jeudis, les dimanches, durant les prières de Quarante-Heures…, voir Planches, fig. 27). Il en alla de même pour les anciens saluts auxquels se greffèrent de plus en plus fréquemment, avec des décalages chronologiques selon les régions, l’exposition et la bénédiction du Saint-Sacrement pour constituer des « saluts du Saint-Sacrement » proprement dits. Ainsi, dans la paroisse parisienne de Saint-Jacquesde-la-Boucherie, la fondation en 1613 des saluts des premiers jeudis du mois prévoyait le chant de l’O salutaris hostia au moment de l’exposition du Saint-Sacrement, suivi des vêpres du Saint-Sacrement, du De profundis, d’une procession et pour finir du Tantum ergo avant la bénédiction et la reposition du Saint-Sacrement 6. On continua toutefois à célébrer dans certaines églises et certains jours les anciens saluts sans exposition : Les saluts sont des prières particulières qui se font aprez vêpres ou même plus tard selon l’usage des églises et la comodité du peuple…. Il y en a où le Saint-Sacrement est exposé et d’autres où il n’est pas exposé […]. Lorsque le Saint-Sacrement n’est pas exposé, on peut faire les saluts de trois manières différentes, selon les fondations. La première est lorsqu’on sort du chœur en station, la seconde lorsqu’on fait la procession autour de l’église, la troisième, lorsqu’on ne sort point du chœur 7.

  Ces services du soir étaient dérivés des stations médiévales du Salve Regina ; le terme « salut », probablement issu du latin « Salve », est défini dans le Dictionnaire étymologique de Gilles Ménage : « Prières publiques qui se font le soir dans les églises, ainsi appelées du Salve Regina qu’on y chante » (Dictionnaire étymologique ou origines de la langue françoise, Paris, J. Anisson, 1694, article « Salut »). 6   Arch. nat., LL 779, fol. 292v. 7   Cf. Liste-Index infra, [Bourges 1708], p. 274 ; la permanence des saluts sans exposition au xviiie siècle, voire au-delà, est largement sous-estimée par É. Dumoutet qui les qualifie de « survivances surannées » (É. Dumoutet, Le Christ selon la chair…, p. 202) ; les auteurs évitent souvent l’indétermination du terme « salut » en l’associant à d’autres termes en doublet tels que « salut avec exposition » ou « salut et bénédiction ». 5

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En focalisant de la sorte l’attention sur les cérémonies dénommées « saluts », on passe à côté d’un autre phénomène à l’origine des saluts modernes, qui transparaît dans les documents de réglementation publiés par les autorités ecclésiastiques.

B é nédi c ti on et re posit ion du S aint - S acre me nt Lorsqu’à la fin du xvie siècle se diffuse en France l’habitude d’exposer de plus en plus fréquemment le Saint-Sacrement au cours des offices, ou du matin au soir, une pratique assez récente se répand en parallèle, celle de bénir les fidèles avec le Saint-Sacrement au moment de sa reposition, c'est-à-dire lorsqu’on le remet dans le tabernacle à la fin de l’exposition 8. Cette « bénédiction du Saint-Sacrement », liée à l’origine à la procession de la Fête-Dieu (voir Planches, fig. 36), était devenue durant le xvie siècle la conclusion logique des cérémonies d’exposition du Saint-Sacrement. Toutefois, elle ne constituait absolument pas une fonction à part entière mais prolongeait simplement les cérémonies pour les clore dignement. On observe au début du xviie siècle une évolution dans l’importance donnée à la reposition du soir, celle qui suit le dernier office du jour et clôture la journée d’exposition. Une cérémonie nouvelle se forme autour de cette reposition : précédée de sonneries de cloches, elle fait alterner encensements et chants en l’honneur du Saint-Sacrement. En 1618, le Cérémonial des clarisses de Verdun signale comment le soir du jour octave de la Fête-Dieu, « le Sainct-Sacrement sera osté solennellement de la veue des sœurs » : à la suite de complies ou à la fin de l’oraison mentale qui a lieu à sept heures, les sœurs font sonner les cloches « comme on sonne la saincte messe aux jours solemnels » ; en présence des religieuses portant un cierge, les prêtres viennent à l’autel ; les sœurs chantent le Sacris solemniis, le célébrant encense le Saint-Sacrement, chante les oraisons, et procède finalement à la bénédiction du Saint-Sacrement avant de le remettre au tabernacle. Une cérémonie semblable a lieu chaque fois que le Saint-Sacrement est exposé  9. Désormais, la reposition du soir, cérémonie indépendante, prend un tour solennel : « quand le Saint-Sacrement aura esté exposé pendant le jour […], précisent les Statuts synodaux de Meaux, le soir venu il faudra le resserrer et faire cette action avec pompe et solemnité 10 ». Or on constate qu’alors même que s’accroît l’importance de la cérémonie construite autour de la reposition du soir, un déplacement s’opère : la bénédiction du Saint-Sacrement en devient le cœur, éclipsant quelque peu la reposition proprement dite. Dans son Abrégé du trésor des cérémonies ecclésiastiques, l’oratorien Claude Arnaud donne ainsi les règles à utiliser « quand on veut donner solemnellement la bénédiction, comme on fait d’ordinaire

  La bénédiction du Saint-Sacrement pouvait intervenir à d’autres occasions, notamment lors des stations des processions eucharistiques. 9   [Boulenger Clarisses Verdun 1618], p. 399-403, p. 412 et p. 428. 10   Statuts synodaux pour le diocèse de Meaux, Paris, A. Vitré, 1654, « De la vénération du Saint-Sacrement de l’autel », p. 10. 8

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le soir quand le Saint-Sacrement a esté exposé durant le jour 11 ». Cette « louable coutume 12 » apparaît véritablement aux yeux des contemporains comme une nouveauté : en 1640, le fait de donner le soir la bénédiction du Saint-Sacrement aux fidèles « assemblés à cet effet » est décrit comme un usage nouveau par le jésuite Théophile Raynaud  13. Manifestement, la bénédiction n’est plus un simple élément conclusif mais elle est devenue le véritable pôle de la nouvelle cérémonie. Dans les livres qui fournissent les règles pour le bon déroulement de la reposition du soir, celle-ci est d’abord simplement décrite au jour où elle doit avoir lieu : elle ne bénéficie pas d’une rubrique lui conférant des règles générales pour toute l’année 14. C’est cependant rapidement chose faite  : dans le Cérémonial des bénédictins de Saint-Maur figure une rubrique intitulée « De modo recondendi Sanctissimum Sacramentum  15 ». La cérémonie n’apparaît plus alors comme une simple excroissance canonique mais comme une véritable functio separata à qui il ne manque qu’un nom spécifique pour être pleinement individualisée. En 1637, le bénédictin Michel Bauldry la qualifie d’« oratio publica pro reponendo Sancto Sacramento 16 », dénomination faisant encore état de la finalité de la cérémonie. En français, un terme revient de plus en plus fréquemment, celui de « bénédiction du Saint-Sacrement 17 », l’expression ne désignant plus seulement l’action cultuelle elle-même mais la cérémonie du soir dans sa totalité.

B é nédi c ti on e t s alut du S aint - S acre me nt  : f u sion ou conf u sion   ? D’un livre à l’autre, l’ordonnancement de la bénédiction du Saint-Sacrement est différent. Le plus souvent, elle est simplement composée d’un chant en l’honneur du SaintSacrement — fréquemment le Pange lingua ou le Tantum ergo —, de l’encensement du Saint-Sacrement et de la bénédiction avant la reposition 18. On constatera que cette cérémonie n’a a priori rien à voir avec les saluts hérités du xvie siècle : les bénédictions du SaintSacrement, cérémonies assez courtes célébrées les jours d’exposition, dont la bénédiction constituait le cœur (nulle question de fondation à leur sujet), étaient célébrées en vue de la

11   Claude Arnaud, Abrégé du trésor des cérémonies ecclésiastiques du R. P. Gavantus, Paris, S. Huré, 1643, p. 428-429. 12   [Bralion 1657], p. 292. 13   Théophile Raynaud, Heteroclita spiritualia et anomala pietatis terrestrium spectantium mortales, ad solidæ pietatis regulam directa, pars secunda, dans Opera omnia, t. 16, Lyon, H. Boissat/G. Remeus, 1665, p. 216 : « Invaluit usus a paucis annis, præter antiquum in Ecclesiæ morem, ut divina Eucharistia sæpe sæpius exponatur, et sub vesperam facto ad id populi concursu sacerdos saltem linteatus, accepto in manus quod prostabat Eucharistico cymbio benedictionem impendat, efformato in ære, cum cymbio (vulgo custodia), signo crucis. » 14   Cf. note 9. 15   [Bénédictins Saint-Maur 1645], p. 531. 16   « Prière publique pour la reposition du Saint-Sacrement » ([Bauldry 1637], p. 599). 17   Par exemple : [Ermites augustins déchaux 1632], p. 150 ; [Du Molin Église 1657], p. 687 ; [Lazaristes 1670], p. 483. 18   Par exemple : [Ermites augustins déchaux 1632], p. 165 ; Cl. Arnaud, Abrégé du trésor…, op. cit., p. 429-430 ; Rituel romain du pape Paul V à l’usage du diocèse d’Alet, Paris, Ch. Savreux, 1667, t. 2, p. 150-152.

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reposition du Saint-Sacrement, alors que les saluts du Saint-Sacrement étaient des services célébrés par dévotion sans fonction précise, généralement fondés, auxquels l’exposition et la bénédiction du Saint-Sacrement avaient été ajoutés pour donner plus de solennité. Malgré ces différences, les saluts et les bénédictions du Saint-Sacrement possédaient des caractéristiques voisines : leur caractère de services du soir par lesquels on cherchait à prolonger ou à clore l’office divin, leur horaire (le soir après vêpres ou complies), les chants qui les composaient (fréquemment issus de l’office de la Fête-Dieu), l’exposition du SaintSacrement et la bénédiction finale constituaient autant de points communs. Ces analogies expliquent la rapide fusion — ou plutôt confusion — entre les deux services. Par glissement de sens, les différents termes devinrent plus ou moins synonymes, les cérémoniaux s’appropriant celui de « salut », issu du vocabulaire des fondations. Le chanoine d’Arles Louis du Molin parle ainsi de « la bénédiction le soir qu’on appelle ordinairement le salut » et dans le cérémonial des chanoines de Saint-Augustin, il est question de la « publica oratio quam vocant salutationem » 19. Désormais, bénédiction et salut du Saint-Sacrement désignent une réalité commune, des services du soir célébrés devant l’hostie consacrée exposée, ce que confirme le Cérémonial de Besançon qui évoque en 1682 les « saluts ou bénédictions du Saint-Sacrement qui se font pendant l’octave après complies et pendant les autres temps de l’année 20 ». Pourtant, durant tout l’Ancien Régime, l’adéquation entre les deux termes n’est pas parfaite : ceux-ci peuvent, selon les circonstances, les lieux ou les auteurs, conserver leur nuance d’origine. En 1670, le Manuel des cérémonies romaines des lazaristes les distingue encore : il oppose « la bénédiction du Saint-Sacrement », courte cérémonie de reposition servant à clore une journée d’exposition, à « un salut qu’on célèbre exprès » au cours duquel « l’on expose et l’on renferme ensuite le Saint-Sacrement durant une mesme action » 21. La formulation employée dans le Rituel d’Alet est plus ambiguë — la rubrique traite « de la bénédiction du Saint-Sacrement qui se fait au soir ou au salut  22 » — mais on y décèle la même distinction.

Ordo et cérémonial des saluts La diffusion générale des saluts du Saint-Sacrement en France conduit les autorités ecclésiastiques à les soumettre, comme les autres services publics du culte, à une réglementation officielle. Ce contrôle était d’autant plus important que le Saint-Sacrement était impliqué dans ces cérémonies. Il fallait donc, dans les différents livres et documents où il était question des saluts (cérémoniaux, rituels, statuts synodaux, ordonnances épiscopales, textes et formulaires divers), fixer les normes guidant leur célébration.

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[Du Molin Église 1657], p. 681 ; [Chanoines augustins France 1659], p. 173. [Besançon 1682], p. 380. [Lazaristes 1670], p. 489. Rituel romain du pape Paul V à l’usage du diocèse d’Alet…, op. cit., t. 2, p. 150.

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D iv e rsité des s alut s La comparaison des ordo proposés par les livres amène à formuler d’emblée une première constatation. Même si la structure générale des saluts du Saint-Sacrement est proche d’un livre à l’autre — succession de chants (principalement en l’honneur du SaintSacrement) accompagnés d’encensements, bénédiction du Saint-Sacrement et reposition —, on note de larges divergences dans la composition et l’ordre des saluts. Le Cérémonial de Bourges propose vers 1708 le déroulement suivant pour le salut de la Fête-Dieu : après une procession initiale autour de l’église au chant du Pange lingua, la cérémonie se poursuit au chœur par le chant d’une antienne de la Vierge, « si c’est la coutume », du Domine salvum fac regem répété deux fois, et se termine par la bénédiction du Saint-Sacrement 23. À Lisieux, le Cérémonial indique en 1747 un ordre bien différent pour le salut de la même fête : celui-ci comporte le chant de l’Ave verum, du Pange lingua, des litanies du Saint Nom de Jésus — chantées par trois enfants au petit aigle —, après quoi a lieu une procession avec le SaintSacrement à l’intérieur ou hors de l’église ; de retour au chœur, l’Agnus Dei est chanté trois fois, suivi de l’O salutaris hostia et pour finir de la bénédiction du Saint-Sacrement 24. Cette diversité est parfois soulignée dans les livres : En quelques lieux, aux saluts de l’octave du Saint-Sacrement et autres jours qu’il est exposé, on chante les vêpres du S. Sacrement. Mais cela est trop long pour des saluts, et n’est pas en usage dans notre ordre. D’autres disent l’hymne et le Magnificat seulement avec l’antienne des 2. vêpres, le prêtre dit le capitule puis on chante l’hymne et l’antienne de Magnificat etc. La plus commune pratique est de chanter un répons, un hymne ou partie de l’hymne seulement comme Panis angelicus ou Tantum ergo ou bien O salutaris hostia deux ou 3 fois comme durant l’octave ; quelques fois la prose du S. Sacrement Lauda Sion25.

Certaines régions connaissent des pratiques spécifiques. Quelques cérémoniaux diocésains de l’est de la France consignent un usage original : au cours des saluts, le célébrant élève l’ostensoir à trois reprises au chant de l’O salutaris hostia, tandis que les prêtresassistants lèvent le devant de sa chape et que le thuriféraire encense continuellement. La similitude avec la scène de l’élévation confirme l’existence d’un lien entre la messe et les cérémonies d’exposition extra missam 26.

Rég ulati on cale ndaire et s alut s e xt raordinaires Dans un même diocèse ou un même ordre, la forme des saluts du Saint-Sacrement n’est pas figée. Elle est notamment affectée par les modifications imposées par le calendrier

  [Bourges 1708], p. 237-241.   [Lisieux 1747], p. 287-289. 25   [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], p. 346. 26   [Langres 1775], p. 548 ; [Besançon 1682], p. 383-384 ; cf. aussi É. Dumoutet, Le Christ selon la chair…, op. cit., p. 200 et « Quelques notes sur la triple ostension », dans Semaine religieuse du diocèse de Langres, 1931, n° 2, p. 21-23. 23 24

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ecclésiastique, qui repose sur l’équilibre entre le temporal, succession des fêtes commémorant les mystères de la vie du Christ, et le sanctoral, messes et offices en l’honneur de la Vierge et des saints. À l’instar de l’office divin, les saluts sont dotés d’un propre du temps et des saints, il est vrai plus ou moins élaboré. Dans le Cérémonial de Bourges, cette régulation calendaire est simplement marquée par le chant d’« un répons ou une hymne convenable à la fête à l’occasion de laquelle le Saint-Sacrement est exposé  27  », mais d’autres livres contiennent de longues pages fournissant les prières des saluts suivant le propre du temps et le propre et le commun des saints 28. Le déroulement des saluts ne dépend toutefois pas uniquement d’une stricte obéissance au calendrier. En de nombreuses églises, les saluts des dimanches et surtout des jeudis sont « entièrement du Saint-Sacrement  29 », c'est-à-dire qu’ils ne comportent que des chants en l’honneur du Saint-Sacrement (issus de l’office de la Fête-Dieu), en une sorte de déclinaison du rituel de la Fête-Dieu durant l’année. Les saluts peuvent aussi être célébrés à des occasions précises, en lien avec des événements concernant la vie publique (nécessités publiques, jubilés, actions de grâces…), souvent sur ordre de l’ordinaire : dans ce cas, des prières convenant à l’occasion pour laquelle le salut est célébré sont prescrites (litanies, supplications, Te Deum…) 30.

S ole nnité de s s alut s et ress ources des ég li s es À l’imitation des autres services publics du culte, les saluts sont réglés par un cérémonial qui codifie soigneusement les paramètres liés au degré de solennité. On peut toutefois noter que les saluts ne suivent pas la hiérarchie des fêtes établie par le bréviaire, mais sont pourvus d’une classification propre. À Besançon, on oppose simplement les « bénédictions solemnelles du Saint-Sacrement » aux saluts ordinaires, tels ceux fondés les dimanches ou les jeudis dans certaines paroisses  31. Le Cérémonial de Lisieux distingue quant à lui trois classes de saluts : ceux de la Fête-Dieu et de son octave, ceux des fêtes semiannuelles et supérieures, et ceux des fêtes doubles et inférieures  32. L’allure du chant, l’importance du luminaire et l’ensemble des paramètres cérémoniels évoluent en fonction de ce classement qui influe également sur le nombre d’« officiers » assistants le célébrant (chapiers, diacre et sous-diacre notamment) 33. La structure même de la cérémonie peut se   [Bourges 1708], p. 274.   [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], p. 358-373 ; [Sonnet Paris 1662], p. 554-557 ; [Paris 1703], p. xxiii-lix. 29   Le cérémonial parisien de 1703 les appelle « preces serotinæ totæ de Sancto Sacramento » (ibid., p. xxii et xxxviii). 30   Par exemple : Prières et oraisons pour les processions et saluts ordonnez par le mandement de son éminence Monseigneur l’archevêque du 10 mars 1705 pour la prospérité des armes du roy pendant la campagne, Paris, Josse, 1705. 31   [Besançon 1682], p. 390. 32   [Lisieux 1747], p. 325-327. 33   Cf. [Besançon 1682], p. 387 : « Pour plus grande solemnité, ceux qui doivent entonner l’hymne se revêtent de chappes, prennent les bâtons et se placent aux sièges des choristes ; on peut aussi donner au célébrant deux assistans revêtus de chappes ». 27 28

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trouver amplifiée par l’ajout de chants ou d’une procession  34. En fait, les saluts du SaintSacrement bénéficient toujours d’un important degré de solennité dû à la présence du SaintSacrement exposé à découvert. À Langres, il est demandé que l’autel soit orné « comme en un jour de fête, au moins du second ordre 35 ». Au minimum six cierges sont généralement requis sur l’autel 36. Les postures, les attitudes et les comportements au chœur sont modifiés. Il est souvent demandé au clergé d’assister agenouillé au salut, un flambeau à la main 37 et de chanter les offices « avec plus de gravité et la tête découverte 38 ». En outre, quel que soit le temps liturgique, les saluts sont dotés d’une couleur liturgique propre liée à l’exposition, le blanc suivant l’usage romain ou le rouge dans de nombreux diocèses français suivant les traditions gallicanes 39. Les aménagements à apporter à la célébration des saluts en fonction des ressources humaines et matérielles des églises sont également pris en compte dans les cérémoniaux. Le nombre d’« officiers » et la qualité des ornements liturgiques disponibles constituent les premiers paramètres à déterminer. Louis du Molin suppose la présence à un salut ordinaire du célébrant revêtu du surplis, de l’étole et du pluvial, assisté d’un chapelain, du maître des cérémonies, du thuriféraire et de deux acolytes, mais il précise que « dans les grandes églises ou grandes communautez », il est souhaitable de joindre « deux assistans revestus de pluvial » pour « honorer davantage le Saint-Sacrement » ; en revanche, « aux moindres églises, on peut donner la bénédiction le prestre n’estant revestu que du surplis et de l’estole au cas il n’y aie point de pluvial, estant accompagné au moins d’un acolythe » 40. Du point de vue de la musique et du chant, la présence de musiciens ou d’ecclésiastiques capables de « chanter en musique » est un paramètre important, dont tiennent aussi compte les textes rubricaux. Le Cérémonial de Besançon indique que « s’il y a musique », on peut chanter un motet avant la bénédiction du Saint-Sacrement  41. Il en va de même pour l’orgue  : Antoine de Beauvais, dans son Cérémonial à l’usage des Franciscains, précise que dans les couvents qui en possèdent un, il convient d’en jouer « avec mélodie » durant la bénédiction du Saint-Sacrement 42.

L e s s alut s du S aint - S acre me nt par i sie n s Les chapitres détaillés consacrés aux saluts dans les deux cérémoniaux parisiens présentent un double intérêt : ils décrivent un modèle de saluts très différent de la plupart

  Statuts synodaux pour le diocèse de Meaux…, p. 14-18.   [Langres 1775], p. 423. 36   Cf. [Ermites augustins déchaux 1632], p. 159-160. 37   [Besançon 1682], p. 388. 38   [Langres 1775], p. 542. 39   Ibid., p. 552 ; en France, le rouge est la couleur liturgique de la Fête-Dieu. 40   [Du Molin Église 1657], p. 687 et 690-691. 41   [Besançon 1682], p. 385. 42   [Beauvais Frères mineurs 1669], p. 433 : « In conventibus in quibus habentur organa, convenit ea cum melodia pulsari quo tempore datur benedictio, donec Sanctum-Sacramentum sit in tabernaculo reconditum  ; at ubi non habentur, omnes quidem silebunt ad benedictionem. » 34 35

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des autres livres consultés et permettent de comparer, à quarante ans d’écart, les règles proposées dans un même diocèse. Les « salutationes vespertinæ » ou « preces serotinæ » décrites dans les deux cérémoniaux parisiens sont des cérémonies de grande ampleur. Elles peuvent avoir lieu, selon les circonstances, avec ou sans exposition du Saint-Sacrement et sont manifestement les héritières des saluts sans exposition du xvie siècle. Elles sont d’ailleurs soigneusement distinguées des simples cérémonies de reposition du Saint-Sacrement 43. La permanence de cette distinction s’explique peut-être par l’abondance des saluts sans exposition à Paris dès le xvie  siècle et par leur large maintien durant le xviie  siècle, parallèlement aux saluts du Saint-Sacrement proprement dits, mais plus certainement par la forme originale prise par ces saluts dans le diocèse parisien. L’introduction de « salutationes vespertinæ » dans le Cérémonial de 1662 répond à une nécessité pressante : malgré leur célébration courante dans les églises parisiennes, aucun livre parisien ne les réglemente 44. Martin Sonnet reconnaît explicitement fonder les règles qu’il fournit sur les usages en cours dans le diocèse 45. La morphologie des saluts est identique à celle des vêpres parisiennes, sans la psalmodie initiale toutefois, mais avec l’ajout du Domine, salvum fac regem après l’antienne de Magnificat et du De profundis à la fin de la cérémonie (pour le fondateur) ; les chants sont issus des vêpres et de l’office du jour 46. Pour les saluts du Saint-Sacrement proprement dits, il suffit de greffer à cette structure les cérémonies et les chants liés à l’exposition du Saint-Sacrement, notamment le chant de l’O salutaris hostia accompagné d’une première bénédiction au moment de l’exposition initiale, et une seconde bénédiction à la fin du salut juste avant la reposition 47. Cette tentative d’uniformisation de la pratique des saluts n’eut apparemment pas le succès escompté, puisqu’en 1703 le nouveau Cérémonial parisien fait état d’une diversité de pratiques telle qu’il semble que l’ordre des « preces serotinæ », dépourvu de tout rite, dépend du libre arbitre de chacun  48. Pour remédier à cette situation, de nouvelles règles sont proposées. Le Cérémonial commence par fournir un modèle proche de celui de Martin Sonnet  : il est prescrit de chanter au salut les vêpres du jour, y compris la psalmodie. L’originalité de la proposition du nouveau cérémonial réside dans la possibilité qu’il accorde ensuite aux églises du diocèse de choisir, selon ce qu’elles jugeront plus convenable, entre ce

  [Paris 1703], p. 224 : « De modo recondendi SS. Sacramentum ».   [Sonnet Paris 1662], p. 553 : « Hoc officii genus, vel salus sive salutatio vespertina, cantatur in ecclesia statutis diebus ex devotione, vel fundatione vel laudabili ecclesiarum consuetudine, cum nihil de eo in breviario Parisiensi aliisque officii diœcesani libris habeatur ». 45   Ibid., p. 553-554 et 556 : « Quantum ad [ea quæ ad talem salutem seu salutationem vespertinam sunt cantanda], sæpe sæpius et ordinarie cantatur [...] » ; « Habetur sæpe sæpius salutatio vespertina prima cujusque mensis dominica et qualibet feria quinta cujusque hebdomadæ ». 46   Ibid., p. 553-554. 47   Ibid., p. 557-558. 48   [Paris 1703], p. xxi : « Multas inter causas quibus hucusque factus est ut una regula per totam urbem et diœcesim vix aut nunquam observata sit in precibus serotinis quæ extra cursum canonicum fiunt, vulgo Saluts, ea præcipua fuit, quod infinita prope modum fundationum et usuum in eas preces inducta sit diversitas, et in eis inveteraverit. Huic plerique firmiter adhærere visi sunt quasi istæ preces ab omni ritu liberæ ex uniuscujusque arbitrio penderent ». 43 44

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type de saluts et deux autres modèles alternatifs. Le premier consiste en la succession d’une leçon, d’un répons, d’un psaume, d’une hymne ou d’une prose puis d’un cantique avec son antienne, le tout suivant un propre du temps et des saints et un commun des saints soigneusement détaillés  49. Quant au second, il s’agit d’une simple réduction du modèle précédent (on y chante un répons suivi d’une hymne ou d’une prose), dans le cas où le salut suit immédiatement les vêpres 50. Dans tous les cas, les saluts du Saint-Sacrement s’achevaient par le chant de deux strophes du Pange lingua, de l’Adoro te ou d’une autre hymne ou prose du Saint-Sacrement, suivies de la bénédiction.

S oupless e des règ les Le souci d’uniformité dans la célébration du culte divin apparaît fréquemment comme un motif de publication ou de réimpression des livres d’Église. L’établissement d’un ordo des saluts dans les cérémoniaux et dans les différents textes rubricaux participe de cet objectif. Pourtant, dans le cas des saluts, l’uniformité escomptée peut surprendre : la plupart des livres accordent une grande liberté dans le choix et le nombre des chants. Pour le salut de la Fête-Dieu, Michel Bauldry propose de chanter « quelques hymnes, répons ou psaumes selon la coutume », suivies du verset Tantum ergo « ou d’un autre semblable » 51. La fréquence de formules de ce type — « … vel quid simile », « si on désire dire tout l’hymne », « les choristes peuvent encore ajouter… », « si c’est la coutume » — montre combien l’ordre des saluts est souple. Aucun chant n’est prescrit de droit commun, pas même le Tantum ergo 52. Selon certains auteurs, l’agencement des saluts peut même être modulé à discrétion : « […] les saluts sont à dévotion, et partant on les dispose comme l’on veut. Ceux qui ne goûteroient pas l’ordre cy-dessus pourront choisir ce qu’ils y trouveront à leur gré 53 ». À cela s’ajoute la possibilité pour les fidèles d’aménager l’ordre des saluts au moyen de fondations, celles-ci étant vivement encouragées par les églises pour les célébrer à moindre frais. Certains textes ecclésiastiques prévoient les modifications engendrées par les fondations, dont la plus fréquente consiste en l’ajout du De profundis à la fin de la cérémonie « pour ceux qui ont institué ou procuré l’institution des saluts 54 ». Le Cérémonial de Lisieux, quant à lui, précise que les saluts doivent entièrement suivre le rite prévu par les fondations 55. Le Cérémonial   Ce modèle, apparemment créé de toutes pièces dans le cérémonial, n’a sans doute jamais été appliqué à Paris (cf. [Caron Paris 1846], p. 259 : « comme on y indiqua des leçons, et qu’on y joignit des cantiques qui ne se trouvaient imprimés dans aucun des livres à l’usage du diocèse, ce mode de saluts paraît n’avoir jamais été mis en pratique »). 50   [Paris 1703], p. xxii. 51   [Bauldry Manuale 1637], p. 584 : « [...] in choro cantantur aliqui hymni, responsoria aut psalmi secundum consuetudinem [...] cantores incipiunt versum Tantum ergo, aut alii similes ». 52   Ce n’est qu’en 1857 qu’un décret de la Congrégation des rites rendra cette pratique obligatoire (Decreta authentica Congregationis sacrorum rituum, Rome, ex typographia polyglota, 1898-1901, t. II, p. 403-404). 53   [Claude de La Croix], Le parfait ecclésiastique ou diverses instructions sur toutes les fonctions cléricales, Paris, P. de Bresche, 1665, p. 378. 54   [Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674], p. 346-347. 55   [Lisieux 1747], p. 325 : « Ad preces serotinas, omnia fient juxta ritum in litteris fundationis expressum ». 49

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parisien de 1703 se montre bien plus réservé, puisqu’il impute aux fondations la responsabilité de « l’infinie diversité » des prières usitées et donc de la non observance d’une règle unique dans le diocèse  56. En théorie pourtant, le choix des prières et du déroulement du salut ne dépend pas totalement des fondateurs, puisqu’ils sont soumis au contrôle ecclésiastique : l’approbation de la fondation par l’ordinaire du lieu est en principe nécessaire 57. Le lexique employé dans les énoncés prescripteurs, laissant explicitement le choix aux acteurs du culte, ne laisse pas de doute sur la nature et le taux de leur prescrivité. Ils ne sont pas préceptifs au sens strict, ni même directifs, mais simplement facultatifs. Il ne s’agit donc pas de soumettre les saluts aux normes minutieuses de la messe ou des vêpres, mais de leur constituer un « ordo minimal  58 », d’établir le cadre général nécessaire à leur célébration décente. En fait, l’extension territoriale des règles qui gouvernent les saluts est restreinte, une large part est accordée aux coutumes locales : « Toutes et quantes fois que le S. Sacrement sera exposé en nos eglises, on pourra donner la bénédiction, conformément au temps et aux coustumes du pays 59 ». D’une manière significative, le ton change cependant lorsqu’il est question des actions rituelles impliquant le Saint-Sacrement : il n’est plus question, pour une matière aussi grave, d’accorder un quelconque choix. L’attention se porte avant tout sur la bénédiction du SaintSacrement, point culminant du salut. Sa réalisation pratique fait en général l’objet d’une longue et méticuleuse description : L’officiant se tourne par le côté de l’épître et donne la bénédiction au peuple par un seul signe de croix, sans rien dire, en la maniere suivante. Il élève le soleil jusqu’à la hauteur des yeux, puis l’abaissant un peu au dessous de sa ceinture, il le relève ensuite tout droit jusqu’à sa poitrine, où il fait le travers de la croix de l’épaule gauche à la droite, et après avoir achevé la croix, il retourne au milieu et aussi tost il achève le tour, remet le S. Sacrement sur l’autel, fait une génuflexion et revient en sa place où il se met à genoux comme auparavant 60.

Conformément à l’usage romain, la bénédiction du Saint-Sacrement, triple pour les évêques et simple pour les autres prêtres, se donne en silence 61. De nombreux cérémoniaux se montrent très fermes à cet égard. Dans le diocèse de Lisieux, où une grande liberté est accordée aux fondateurs pour le déroulement des saluts, la bénédiction finale avec le SaintSacrement doit être donnée en silence, quand bien même la fondation prévoirait le contraire 62.

  [Paris 1703], p. xxi.   [Besançon 1682], p.  390  ; en outre, les fondateurs semblent en général se conformer à l’usage local (B. Dompnier, « La musique, le culte et les dévotions… », op. cit., p. 339 ; A. Meunier, Les saluts du Saint-Sacrement…, op. cit., t. 1, p. 136-137). 58   Jean-Yves Hameline, « La distinction ordinaire/extraordinaire dans les textes rubricaux, les cérémoniaux, et chez leurs commentateurs autorisés  », Actes du colloque Les Cérémonies extraordinaires du catholicisme ­baroque, Le Puy en Velay, 2005, à paraître. 59   [Ermites augustins déchaux 1632], p. 159. 60   [Lazaristes 1670], p. 486-487. 61   [CE 1600], p. 276-277 ; Rituale Romanum, Anvers, B. Moret/veuve J. Moret, 1625, p. 292. 62   [Lisieux 1747], p. 327 : « Hic ritus benedicendi populum in silentio cum Sancto-Sacramento servabitur in tota diœcesi, etiam si ritus contrarius exprimatur in litteris fundationis. » 56

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Cependant, en fonction des coutumes des diocèses ou des ordres religieux, d’autres manières de procéder étaient parfois prescrites. La bénédiction pouvait être triple aussi bien pour les prêtres que pour les évêques et était fréquemment accompagnée de paroles de bénédiction de la part du célébrant. Une coutume répandue — et souvent condamnée — voulait qu’elle fût donnée lorsque le chœur chantait les paroles Sit et benedictio de la dernière strophe du Pange lingua 63. En ce qui concerne les saluts décrits dans les cérémoniaux parisiens, la situation semble quelque peu différente, car l’ordre des saluts, notamment lorsqu’il est calqué sur celui des vêpres, est strict et ne laisse pas de place aux alternatives. Cependant, le Cérémonial de 1703, en laissant le choix entre trois modèles, fournit un nouvel exemple de la liberté accordée dans la pratique des saluts 64.

Des offices pour les fidèles Tenus pour des extensions du culte canonique, les saluts du Saint-Sacrement voient leur célébration contrôlée dans les livres approuvés. Toutefois, la caractérisation du statut de ces nouvelles pratiques « de dévotion », de même que leur intégration et leur place dans les cadres préexistants du culte, ne semblent pas aller de soi.

Indéci sion s Une première indécision se fait jour à travers les choix retenus pour l’emplacement des textes rubricaux consacrés aux saluts, indécision révélatrice de la difficulté à apprécier leur place dans le culte divin. Manifestement, la détermination du livre dans lequel ils devaient figurer n’était pas évidente. Lorsque les saluts sont considérés comme une manifestation du culte eucharistique, les règles qui les gouvernent figurent dans le rituel, dans la partie consacrée à l’Eucharistie  65. Plus régulièrement, ils sont consignés dans les cérémoniaux, mais leur place au sein de cet ouvrage varie également. S’ils sont envisagés comme des extensions durant l’année du rituel de la Fête-Dieu et de son octave, temps par excellence de l’exposition du Saint-Sacrement, ils sont décrits dans le chapitre consacré à cette fête, en une rubrique proposant des règles pour toute l’année 66. Mais ils peuvent aussi

  Jean-Baptiste Thiers consacre de longues pages de son Traité de l’exposition du Saint-Sacrement aux différentes manières de donner la bénédiction du Saint-Sacrement en France, en se fondant essentiellement sur les cérémoniaux et les autres livres d’Église (Jean-Baptiste Thiers, Traité de l’exposition du Saint-Sacrement de l’autel, Paris, veuve J. Dupuys, 1677, p. 752-767). 64   [Paris 1703], p. lxviii : « Cæterum hujus cæremonialis lectores S. E. vult monitos, […] liberum omnino esse ecclesiarum præpositis ex triplici illarum precum genere pag. xxi et xxii illud seligere, quod propriis ecclesiis aut festis convenientius esse judicaverint. » 65   Par exemple : Rituel du diocèse de La Rochelle, La Rochelle, A. Nancel, 1689, p. 117. 66   [Besançon 1682], p. 380 : « Des saluts ou bénédictions du Saint-Sacrement qui se font pendant l’octave après complies et pendant les autres temps de l’année ». 63

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apparaître comme des cérémonies extraordinaires et figurer à ce titre avec d’autres exercices «  de dévotion  » dans une partie réservée aux «  cérémonies particulières  »  67. Dans le Cérémonial parisien de 1703, ils sont longuement décrits en un chapitre liminaire, comme si le rédacteur n’avait trop su où les faire figurer. Enfin, dans certains diocèses, la solution retenue consiste à intégrer la législation relative aux saluts du Saint-Sacrement dans les Statuts synodaux imprimés ou à promulguer des ordonnances spécifiquement consacrées à ces prières 68. On notera que si les règles nécessaires à l’accomplissement de la célébration des saluts figurent dans ces différents textes, les prières et les chants eux-mêmes sont parfois imprimés dans les rituels ou sous forme de formulaires spécifiques, et sont notés dans certains antiphonaires et processionnaux 69. La seconde indécision est de nature lexicale : elle tient aux difficultés que rencontrent manifestement les auteurs de ces textes à employer un terme approprié pour désigner les saluts du Saint-Sacrement. Outre le caractère plutôt indéfini du vocable français « salut », qui continue de désigner toute cérémonie du soir fondée ou célébrée par dévotion, qu’elle comporte ou non l’exposition du Saint-Sacrement, la traduction latine de ce terme non canonique emprunté au vocabulaire des fondations ne se fait pas sans difficulté. L’emploi de périphrases vagues — oratio publica, oratio serotina ou vespertina, preces ou benedictiones serotinæ, supplicationes serotinæ —, qui informent avant tout de l’horaire de la cérémonie, témoigne de l’embarras à caractériser précisément la cérémonie. La traduction littérale, employée parfois en renvoyant explicitement à la langue commune — « publica oratio quam vocant salutationem 70 » — apparaît aussi sans restriction, sous plusieurs formes (salus, salus serotina ou salutatio vespertina, voire salus de Sancto-Sacramento). Ces adaptations littérales, bien éloignées d’une latinité classique, renvoient à une coutume française peu ancienne : jamais les termes salus ou salutatio ne sont utilisés dans les livres romains 71.

D i st inc t ion s av ec les he ures Ces indécisions renvoient à une ambiguïté statutaire consubstantielle aux saluts du Saint-Sacrement. D’un certain point de vue, ils ont un lien de parenté avec l’office : leur

  [Lazaristes 1670], p. 398.   Ordonnance de Monseigneur l’illustrissime et révérendissime évêque comte de Chaalons, pair de France, touchant l’ordre que l’on doit observer aux saluts, processions et expositions du Saint-Sacrement dans toutes les églises de son diocèse. 22 juin 1699 [BnF, E 2400]. 69   Par exemple : Formulaire de saluts pour exposer le Très-Saint-Sacrement de l’autel et de quelques autres prières qui se disent aux processions pour les nécessitez publiques, à l’usage des religieuses de Sainte-Ursule de la congrégation de Paris, Paris, G. Blaizot, 1670 ; Guillaume-Gabriel Nivers, Le processionel avec les saluts, suivant l’antiphonaire des religieuses, Paris, chez l’auteur, 1706 ; Antiphonaire parisien suivant le nouveau Bréviaire imprimé par ordre de monseigneur l’archevêque. Paris, Libraires associés, 1737, 6 vols. 70   [Chanoines augustins France 1659], p. 173. 71   Les livres romains et les cérémoniaux publiés en Italie que j’ai consultés ne font jamais état de « saluts », mais présentent seulement les règles de la reposition et de la bénédiction du Saint-Sacrement ; le phénomène de diffusion généralisée des saluts sans exposition et leur « rencontre » avec les rites d’exposition du Saint-Sacrement semblent avant tout français. 67 68

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déroulement est fixé par le calendrier ecclésiastique, dans la mesure où ils sont en partie composés de chants issus de l’office du jour, et ils sont réglés par un cérémonial. Dans le cas des saluts parisiens, ils sont même exactement calqués sur les vêpres. Cependant, il existe des différences essentielles avec l’office. Célébrés « par dévotion », ils n’ont en théorie aucun caractère obligatoire, même si par coutume ou sous l’effet des fondations leur célébration est à peu près universelle en France, notamment à l’occasion de la Fête-Dieu et de son octave  72. Le corrélat en est la nature de la rétribution attachée à la célébration des saluts, rétribution non pas propter officium (comme dans le cadre d’un bénéfice), mais ad actum ou propter fundationem. Les saluts célébrés pour des occasions particulières, ainsi que les saluts des jeudis et dimanches « entièrement du Saint-Sacrement », constituent autant d’exceptions à l’inscription des saluts dans le calendrier ecclésiastique, phénomène renforcé par l’ethos spécifique des saluts du Saint-Sacrement (couleur liturgique propre, important degré de solennité, rites liés à l’exposition du Saint-Sacrement…). Enfin, la souplesse de leurs règles constitue une autre différence d’importance avec l’office divin. Certains cérémoniaux s’appliquent d’ailleurs à souligner cette différence, souvent mise en évidence dans les règles concernant la musique et le chant. Dans la mesure où les saluts ne font pas partie de l’office et que les chants qui les composent sont facultatifs, l’énonciation au chœur du texte de ces chants n’est pas obligatoire dans le cadre de l’alternance avec l’orgue : « Lorsqu’il arrivera qu’en quelque ceremonie que ce puisse estre hors des offices on chantera un hymne, une antienne ou un repons, il ne sera pas necessaire de reciter dans le chœur ce qui sera touché sur l’orgue, parce que ces choses chantées hors de l’office ne portent aucune obligation 73. » L’emploi canonique des formes musicales se révèle bien moins strict que pour l’office et la messe : aux traditionnels psalmodie et plain-chant sont souvent préférées les formes diverses de la polyphonie et de la musique figurée — faux-bourdon, chant sur le livre, contrepoint ou motet — convenant à la solennité des saluts du Saint-Sacrement : Aux saluts et prières extraordinaires, on chante en musique figurée le Te Deum (s’il le faut dire), les antiennes, les motets et quelquefois les litanies ; à l’égard des antiennes, on peut aussi les chanter sur le livre, ou seulement en plain-chant. Aux grandes fêtes, quand on chante les litanies en procession, le chœur répond en faux-bourdon. On chante aussi toujours en fauxbourdon les réponses aux versets de la bénédiction du Saint-Sacrement 74.

Dans le Cérémonial des hospitalières de la Miséricorde de Jésus, l’opposition est strictement marquée. Le ton droit et le plain-chant sont réservés aux messes et à l’office, alors qu’en dehors de ces limites, des plains-chants d’autre nature sont autorisés : Le chant à notes sera celuy dont use l’Église et qu’on appelle d’ordinaire plein-chant, ce qui s’entend seulement pour les messes et offices divins ; car pour les choses qui en sont détachées,

  Le processionnal de Toul de 1756 distingue trois motifs de célébration des saluts : par dévotion (causa devotionis), par fondation (propter fundationem) ou en cas de nécessités publiques (causa necessitatis) (Processionale Tullense, Nancy, A. Leseure, 1756, p. cxv). 73   [Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669], p. 47. 74   [Toul 1700], p. 59. 72

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comme saluts, litanies, elevations, leçons de Jeremie, Kyrie de messes composez pour l’usage des religieuses et choses semblables, il sera permis d’en avoir de plein-chant mesuré 75.

Dans ce Cérémonial, les saluts apparaissent comme des espaces de liberté musicale, laissant place à un certain bonheur du chant : « Il est libre aux monastères d’accommoder les saluts du S. Sacrement à l’usage du pays, d’y faire chanter seules les plus belles voix quelques motets de chant agréable, qui ne soient pourtant pas trop longs 76. » La place accordée à l’élément musical dans les saluts n’est pas toujours vue d’un bon œil. Certaines congrégations, dotées de constitutions plus austères, se montrent rigoureuses quant à son emploi. Les augustins déchaux n’envisagent aucune modification par rapport à leur pratique ordinaire : leur cérémonial défend « très expressément et sur peine d’office aux supérieurs d’appeler aucune musique ny instrumens, et de permettre qu’on chante autrement qu’en nostre chant commun ordinaire les prières marquées au rituel pour lesdites bénédictions 77. »

Ambig uïtés Pour la première fois, le cérémonial parisien de 1703 tente de préciser explicitement le statut des saluts : ils sont qualifiés de prières du soir « extra cursum canonicum  78 » (en français « hors le cours de l’office canonial  79 »). La fortune de cette expression, que l’on retrouve dans d’autres cérémoniaux tout au long du xviiie siècle pour désigner aussi bien les saluts que d’autres cérémonies qui, par nature, n’appartiennent pas à l’office des chanoines (comme l’office des défunts, les messes votives, les processions…) 80, atteste de l’établissement progressif de domaines bien distincts au sein du culte divin 81. Cette précision n’est pas le fruit du hasard : les saluts décrits dans les livres parisiens, construits sur le modèle des vêpres, pouvaient particulièrement prêter à confusion. En 1662, le Cérémonial de Paris s’était contenté de les qualifier bien vaguement de « genus officii 82 », expression semblant évoquer un lien de parenté avec l’office. En 1703, la confusion est d’autant plus envisageable que les règles attribuées aux saluts tendent à les confondre totalement avec les vêpres. Les cinq psaumes initiaux doivent être chantés, et surtout, on observe une véritable volonté de faire dépendre les saluts du calendrier ecclésiastique et de les intégrer à l’office du jour : non seulement les saluts constituent normalement une répétition des vêpres du jour mais ils participent aussi aux règles complexes d’occurrence et de concurrence de fêtes.

    77   78   79   80   81   82   75 76

[Augustines hospitalières Miséricorde 1685], p. 47. Ibid., p. 93. [Ermites augustins déchaux 1632], p. 159. [Paris 1703], p. xxi. [Clermont 1758], p. 201. Voir aussi [Bourges 1708], p. 265 (cf. Avertissement, n. p.) ; [Lisieux 1747], p. 305 ; [Sens 1769], p. 467. À partir du xixe siècle, on y verra une opposition entre « liturgique » et « non liturgique ». [Sonnet Paris 1662], p. 553.

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Il est notamment précisé que les dimanches et jours chômés 83, en cas de remplacement des vêpres du jour par celles d’une fête occurrente ou concurrente, on n’y fait pas mémoire de la fête des vêpres omises mais on chante ces dernières au salut 84. En outre, dans les églises où l’on ne chante pas quotidiennement les vêpres, le chant du salut sous forme des vêpres est recommandé certains jours 85. Il devient donc difficile de distinguer les véritables vêpres du salut, et cette ambiguïté transparaît dans le lexique employé : l’auteur du Cérémonial est obligé d’employer la périphrase « vêpres de l’office 86 » par opposition au vêpres chantées au salut. D’ailleurs, le changement du nom des saluts dans le Cérémonial de 1703 n’est sans doute pas fortuit : la nouvelle expression — preces serotinæ — est bien moins équivoque que celle employée en 1662 — salutatio vespertina — dont la consonance évoquait celle des vêpres (vesperæ). On peut déceler le même objectif — éviter la confusion entre les vêpres et le salut — dans l’insistance continuelle sur la nature des saluts, cérémonies « extra cursum canonicum ». La longue partie consacrée aux saluts s’achève même par le rappel pressant de ce fait : « Cæterum hujus Cæremonialis lectores S. E. vult monitos, […] hasce preces serotinas, quæ vulgo appellantur saluts, extra officium cursus canonici esse censendas 87. »

Popular ité des s alut s Le caractère ambigu de ces saluts n’était pas sans déplaire à quelques auteurs. Le célèbre curé de Champrond, Jean-Baptiste Thiers, relatant le déroulement d’un salut célébré sur le modèle des vêpres du Saint-Sacrement auquel il a assisté un soir après matines 88 dans une « célèbre église collégiale », s’offusque parce que l’on dit vêpres après matines, ce qui constitue un renversement des heures canoniales 89. Le même souci de respect envers l’ordre du cursus canonial apparaît dans une réflexion de Pierre Nicole à propos des saluts. S’interrogeant pour savoir s’il « est […] meilleur d’assister les dimanches et fêtes à l’office canonial de vêpres qu’à des saluts qui se font plus tard dans les églises, dont l’heure paraît plus commode à bien des gens 90 », Nicole souligne que les saluts ont été institués « pour y assister ensuite de vêpres et non pour exclurre vêpres 91 ». En effet, précise-t-il, les vêpres font partie de la solennité que l’Église célèbre, alors que le salut n’est qu’une dévotion à part qu’il ne faut pas privilégier, sous peine de se constituer arbitrairement une solennité particulière différente de celle de l’Église. Or, les fidèles doivent se conformer au partage de l’année en

83   À l’exception des fêtes solennelles où le salut constitue toujours une répétition des vêpres du jour ([Paris 1703], p. xxi). 84   Ibid. 85   Ibid., p. xxiii et xxxiv. 86   « Vesperæ officii » (ibid., p. xxi). 87   Ibid., p. lxviii. 88   Certains jours de fête, les matines étaient anticipées la veille dans l’après-midi (cf.  [Sonnet Paris 1662], p. 422). 89   J.-B. Thiers, Traité de l’exposition..., op. cit., 1677, p. 741. 90   Pierre Nicole, Instructions théologiques et morales sur l’oraison dominicale, la salutation angélique, la sainte messe et les autres prières de l’Église, La Haye, A. Moetiens, 1719, p. 150. 91   Ibid., p. 151.

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solennités et non pas suivre des dévotions à leur fantaisie, ces « dévotions de caprice » évoquées par Jean-Baptiste Thiers au sujet des fondations abusives pour exposer le SaintSacrement 92. Pourtant, rien ne semblait pouvoir entraver le succès des saluts. Tous les auteurs ne s’y montraient d’ailleurs pas hostiles ; bien au contraire, leur fréquentation était largement encouragée. Martin Sonnet, dans son Cérémonial pour les laïques, indique qu’il est à propos d’assister très souvent aux saluts, tout particulièrement les jours de débauche, comme durant le carnaval 93. En fait, les règles qui gouvernent leur célébration semblent découler du souci de rendre les saluts le plus accessibles possible. Le choix de l’horaire de la cérémonie est souvent guidé par cet impératif de commodité : il est certes question de décence du culte — il convient qu’il y ait assez de monde pour adorer le Saint-Sacrement —, mais il s’agit avant tout d’attirer le maximum de fidèles. Pour le temps de donner la bénédiction, quoyqu’on se puisse conformer aux coustumes du pays, néantmoins régulièrement on ne la donnera qu’en deux temps. Premièrement après vespres, lorsqu’ayant affluence de peuple, ou que le temps ne seroit beau pour y en avoir davantage le soir, ou qu’il y auroit eu prédication, durant laquelle les ministres s’estants revestus et tous les religieux disposez, ils sortiront immédiatement après icelle, avant que le peuple sorte. Secondement et plus coustumièrement elle se donnera le soir et sur le tard 94.

Le choix d’un horaire adapté est particulièrement important dans les campagnes : il y faut tenir compte de l’habitat dispersé et des distances souvent considérables que doivent parcourir les fidèles pour venir à l’église. Il n’est guère envisageable de les faire venir à plusieurs reprises durant l’après-midi, et pour cette raison, le salut suit en général immédiatement l’office : « In ecclesiis ruralibus, ubi major est distantia ab ecclesia, quovis tempore, preces serotinæ fiunt immediate post completorium 95. » À la commodité de l’horaire s’ajoutait la durée assez courte des saluts, également envisagée comme un moyen d’attirer les fidèles. Ce double avantage est souligné par l’abbé Jean Grancolas : « les peuples [y] assistent plus volontiers qu’à l’office de l’Église parce que ces saluts se disent plus tard ou ne sont pas si long que les vêpres 96 ». Les saluts décrits par

  J.-B. Thiers, De la plus solide, la plus nécessaire et souvent la plus négligée de toutes les dévotions, Paris, J. de Nully, 1702, t. 2, p. 887 : « J’appelle dévotions de caprice celles qui ne sont pas conformes à l’esprit et aux règles de l’Église, celles qui se pratiquent par choix, par humeur, par vanité, pour se donner du relief et de la distinction au dessus du commun des chrétiens. » 93   M. Sonnet, Cérémonial de l’Église pour les personnes laïques, Paris, au parvis de ladite église, 1671 (3e éd.), p. 63 et 70-71 ; dans les Statuts et règlemens des petites écoles de grammaire de la ville, cité, université, faux-bourgs et banlieue de Paris, le même auteur demande aux maîtres d’inciter les enfants à « assister souvent et devotement » au salut (Paris, 1672, Avertissement aux maîtres et maîtresses d’école, n. p.). 94   [Ermites augustins déchaux 1632], p. 163. 95   [Lisieux 1747], p. 328-329 : « Dans les églises rurales où la distance à l’église est plus grande, les prières du soir [saluts] se font en tout temps immédiatement après complies. » 96   Jean Grancolas, Traité de la messe et de l’office divin où l’on trouve une explication littérale des anciennes pratiques et des cérémonies de l’Église, appuyée sur l’autorité des Pères et des conciles, Paris, 1713, p. 359. 92

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Martin Sonnet, version abrégée des vêpres sans les longs psaumes initiaux, correspondent parfaitement à cette exigence de brièveté : On a jugé à propos que l’on ne devoit pas faire durer le salut si longtemps, afin que les peuples apportassent plus de diligence et de dévotion à y assister ; c’est pourquoy, au lieu des vespres toutes entières qui ont déjà esté dites une fois avec grande solemnité, on a cru que c’estoit assez pour la prière du soir de prendre les choses de vespres les plus solemnelles, et en retrancher la psalmodie pour abréger davantage 97.

Les saluts du Saint-Sacrement avaient donc tout pour satisfaire la piété du plus grand nombre. Horaire commode, durée limitée, solennité, importance accordée aux orgues et à la musique, tous ces éléments constituaient autant d’ingrédients de leur succès, constat partagé par le génovéfain Lalemant : les peuples mettent leur dévotion à fréquenter cette cérémonie et « l’aiment parce qu’elle est belle et douce et qu’elle n’a rien d’austère qui puisse donner de la peine ou de la pénitence  98 ». On voit même se préciser, au détour des textes, les contours de ces «  peuples  » évoqués et se dessiner un groupe social auquel sont particulièrement destinés les saluts. À en croire l’abbé Simon de Doncourt, M. Olier avait fait en sorte que les saluts à l’église Saint-Sulpice soient tous célébrés « sur le soir afin que les personnes qui n’avoient pu assister à vêpres y vinssent 99 ». Les saluts étaient célébrés tout particulièrement pour les travailleurs, les « artisans […] quittes de leurs journées et de leurs travaux » qui peuvent donc venir le soir au salut « avec plus de joie et plus de piété 100 » : [...] le peuple, qui n’a pas toujours la commodité d’assister à la messe et aux autres offices du Saint-Sacrement qui se célèbrent durant ce temps-là [l’octave de la Fête-Dieu], pourroit sans aucune incommodité assister au salut qui s’en feroit sur le soir, parce qu’alors il auroit achevé son ouvrage avec le jour et que venant ensuite à l’Église, il ne penseroit plus qu’à y rendre à Dieu avec une parfaite tranquillité d’esprit les actions de grâces et les respects qu’il luy doit 101.

On peut voir dans les saluts l’expression d’un mouvement général de miniaturisation des offices, à l’instar de la messe basse : ils apparaissent véritablement comme une réduction, un abrégé de l’office du soir pour les laïques. Le cas des saluts sur le modèle des vêpres est à ce titre particulièrement frappant : à travers les règles qui leur sont attribuées, on croirait assister à la création de « troisièmes vêpres » à l’usage des fidèles 102. À Meaux, les saluts du

  [C. de La Croix], Le Parfait ecclésiastique…, op. cit., p. 378.   Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 279, P. Lalemant, Discours touchant l’exposition du Saint-Sacrement, p. 14-15. 99   Simon de Doncourt, Remarques historiques sur l’église et la paroisse de Saint-Sulpice, Paris, N. Crapart, 1773, p. 173. 100   J.-B. Thiers, Traité de l’exposition..., op. cit., 1677, p. 498. 101   Ibid. ; Thiers considère les saluts comme des exercices de piété fort louables et estime que c’est « une sainte pratique que d’assembler les fidèles sur le soir dans les églises » ; il s’oppose en revanche à l’exposition du SaintSacrement au cours des saluts en dehors de l’octave de la Fête-Dieu (ibid., p. 596-597). 102   L’abbé Caron y voyait aussi un office à l’usage des fidèles : « La raison de cette répétition des vêpres est que, dans l’origine, le salut se célébrait tout au soir, principalement pour ceux des fidèles qui n’avaient pu assister à l’office des vêpres » (Manuel des cérémonies selon le rite de l’Église de Paris…, op. cit., p. 243) ; Jean Grancolas évoque également cette répétition des vêpres, au sujet des antiennes De Beata que l’on chantait le soir après 97 98

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Saint-Sacrement sont d’ailleurs appelés les « petites vêpres 103 », comme en écho à un autre office de dévotion, le « petit office de la Vierge ». Mais si les saluts ont repris de nombreuses caractéristiques de l’office, en définitive, ils s’en distinguent par leur finalité. À l’inverse de l’office canonial, qui est célébré coûte que coûte dans les chapitres pour la seule gloire de Dieu, avec ou sans assistance de fidèles, les saluts sont envisagés comme des cérémonies de substitution spécialement conçues pour contribuer à la piété des fidèles.

❦ En tant que cérémonies nouvelles, les saluts du Saint-Sacrement obligent le législateur ecclésiastique à adopter une démarche particulière : confronté à cette nouveauté, il doit établir des règles pour leur célébration, ce qui nous permet d’observer le processus d’enregistrement canonique de nouvelles formes du culte divin. On peut suivre dans les livres d’Église leur formation — issue aussi bien des anciens saluts fondés que de la volonté ecclésiastique de solenniser la reposition du soir — et leur évolution, bien différente selon les lieux. On constate surtout une différence avec les cérémonies du culte plus anciennes : pour une fois, le législateur est confronté à la tâche, non pas de restaurer, mais d’instaurer l’uniformité dans la célébration. L’intégration des saluts au cadre canonique ne se fait pas sans difficulté. Elle s’effectue selon le vieux principe de stratification qui veut que toute époque, sans rien enlever du culte hérité, ajoute « par dévotion » ses nouveautés : la fin du Moyen Âge avait ainsi enrichi les complies des antiennes De Beata, et le grand office du petit office de dévotion à la Vierge. Les saluts ne tiennent cependant jamais réellement lieu de supplément à l’office canonial : contrairement à l’office de la Vierge, entré « dans le tout du grand office 104 », ils n’obtiennent jamais ce caractère de coutume légitimement établie, leur célébration reste facultative (à l’exception peut-être de la Fête-Dieu  105). Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons, principalement par la légitimité contestée de l’exposition du Saint-Sacrement au cours de tous les saluts, par l’absence de forme consensuelle pour ces cérémonies et par les destinataires privilégiés de ces cérémonies : les fidèles. Ce sont donc paradoxalement les raisons mêmes qui contribuent au succès des saluts qui les maintiennent en marge de l’office canonial, « extra cursum canonicum ». Sous leurs diverses formes, parfois difficiles à distinguer de celle des heures, les saluts du Saint-Sacrement font bien l’objet d’une dévotion spéciale de la part des fidèles. Cet objectif, largement complies : « c’étoit ce qu’on appelloit le salut, parce que c’étoit ordinairement le Salve qu’on disoit, et ce nom est resté à des vêpres ou de nouvelles prières qu’on dit le soir, outre les vêpres et les complies » (Traité de la messe et de l’office divin…, op. cit., p. 359). 103   Statuts synodaux pour le diocèse de Meaux…, op. cit., p. 11. 104   Pierre Collet, Examen et résolutions des principales difficultés qui regardent l’office divin, Paris, de Bure l’aîné, 1763, p. 131. 105   Cette forme de légitimité coutumière des saluts de la Fête-Dieu est en quelque sorte confirmée, lorsque le Manuel des cérémonies selon le rite de l’Église de Paris les intègre au cursus canonicus (p. xix : « La troisième section [du Manuel, op. cit.] contient les Cérémonies et offices qui sont hors de l’ordre canonial, tels que l’exposition et les saluts du Très-Saint-Sacrement hors de l’octave de la Fête-Dieu »).

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recherché par le législateur et permis par le déploiement d’un cérémonial attrayant, s’inscrit avant tout dans les aspirations réformatrices post-tridentines d’encadrement de la religion des fidèles : il s’agit d’encourager leur piété, qui se manifeste dans leur dévotion au SaintSacrement et leur fréquentation accrue des églises. Alexis Meunier École Pratique des Hautes Études

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Conclusion Pa r Ph i l ippe L ou pè s

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Tirer les conclusions d’une aussi vaste entreprise n’est pas tâche facile, notamment en raison de l’ampleur et de la nouveauté du projet, de l’authentique interdisciplinarité faisant appel à des historiens, des liturgistes, des musicologues. Alors que dans le cadre du puissant renouveau de l’histoire religieuse qui a marqué le dernier demi-siècle, les ouvrages normatifs et pédagogiques ont été l’objet de nombreuses recherches et publications, les livres de liturgie ont suscité peu de vocations historiques. Au cours de ces dernières années, rares ont été les publications dans ce domaine. Cette lacune est d’autant plus surprenante que parallèlement, à la même époque, les études capitulaires et monastiques se sont multipliées, tant sous la forme de monographies que d’études régionales. Dans le domaine institutionnel, économique et social, nous savons tout ou presque sur les puissantes compagnies qu’étaient les grands chapitres d’Ancien Régime, sur de nombreux couvents et monastères, sur les congrégations qui les fédéraient ; en revanche la liturgie développée par ces compagnies essentiellement vouées à la louange de Dieu demeurait mal connue. Séquelles de la toute puissante École des Annales  ? Lacunes archivistiques  ? Ou craintes compréhensibles d’historiens devant cette terra incognita ou presque ? Les choses sont peut-être en train d’évoluer 1. À juste titre, dom Guéranger écrivait : « la liturgie n’est-elle pas l’âme des cathédrales ? Sans elle, que sont-elles, sinon d’immenses cadavres dans lesquels est éteinte la parole de vie » 2 ? Passionnante en soi, la liturgie est de plus en plus perçue par les historiens comme un marqueur identitaire ; la remarque vaut pour toutes les confessions, y compris les Église issues de la Réforme, car on a trop donné d’importance à la dimension intellectuelle de la Réforme et négligé sa dimension rituelle. Le timide regain d’intérêt des historiens pour la liturgie est-il dû au climat de notre temps ? C’est possible  ; nous connaissons tous la célèbre formule «  Toute histoire est histoire contemporaine ». Or, après Vatican II qui légitima des liturgies simplifiées et la publication du Missel de Paul VI —  «  rupture dans l’histoire liturgique dont les conséquences ne pouvaient être que tragiques », selon le cardinal Ratzinger  3 —, un renouveau liturgique post-conciliaire s’est fait jour à la fin du xxe siècle, avec pour corollaire le réveil des historiens, rassérénés par l’interdisciplinarité développée avec des liturgistes et des musicologues.

1   Signalons à ce propos la thèse récente de Christophe Maillard, Le chapitre collégial Saint-Martin de Tours au XVIIIe siècle (1709-1790), soutenue en 2007 à l’Université de Bordeaux III, où une large place est accordée à la liturgie, démarche d’autant plus justifiée que le plus célèbre chapitre collégial de France prétend tout au long de son existence à une liturgie spécifique. 2   Dom Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Paris, 1878, p. LXXVII. 3   Cardinal Joseph Ratzinger, Ma vie, mes souvenirs, 1927-1977, Paris, Fayard, 2005, p. 134. Édition originale : Aus meinem leben, Erinnerungen (1927-1977), dans Kardinal Ratzinger, der Erzbischof von München und Freising in Wort und Bild, K. Wagner et A. H. Ruf (éds), Munich, J. Pfeiffer, 1977.

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En lançant une grande enquête sur les cérémoniaux, le groupe interdisciplinaire fondé par Cécile Davy-Rigaux, Bernard Dompnier et Daniel-Odon Hurel a sciemment joué la difficulté. Sans prétendre à une culture de liturgiste, on sait ce qu’est un antiphonaire, un sacramentaire ou un bréviaire, mais on connaît moins l’ouvrage appelé cérémonial, même si la dénomination semble explicite. Au départ, nous disposions bien de la définition donnée par Aimé-Georges Martimort 4, mais en progressant, le groupe de recherche a pris conscience de la complexité d’un livre liturgique difficile à appréhender du fait de sa diversité, tant dans sa présentation que dans son contenu. Nous avons été frappés également par la parenté du cérémonial avec les différents livres de la famille liturgique que sont le rituel et le processionnal, ou le missel et le bréviaire par leurs rubriques, avec encore les livres réglant la vie monastique comme les coutumiers ou règles. Le couplage et même l’emboîtement de ces différents ouvrages ne simplifient pas les choses. Mais cette complexité peut enrichir la réflexion : par-delà l’étude des cérémoniaux, la problématique se prolonge du côté des réformes liturgiques. C’est la raison pour laquelle deux communications sur les bréviaires ont été jointes à la présente publication 5. Si l’ouvrage est bien centré sur les cérémoniaux, il eût été peu judicieux d’étudier ces derniers isolément : on sait pertinemment que, pour un diocèse donné, le cérémonial doit être appréhendé au sein de l’ensemble des livres liturgiques. Dans un diocèse donné, le cérémonial est souvent contemporain des révisions des autres principaux livres liturgiques, ou sa publication les suit comme une sorte de point d’orgue : par exemple, à Clermont, au Bréviaire (1732) et au Missel (1739) de Massillon, succède le Cérémonial (1758) de Le Maistre de La Garlaye 6. Le cérémonial n’est pas un livre parfaitement indispensable — il n’est pas nécessaire pour l’approbation d’un institut, à la différence des constitutions. Néanmoins, pour les bénédictins de Saint-Maur, le Cérémonial de 1645 est un des trois textes normatifs fondateurs 7 de leur jeune congrégation qui agit comme un ciment pour unir quelque deux cents monastères au passé liturgique souvent médiocre. L’importance du cérémonial apparaît clairement dans l’affaire du rite parisien, également dans le renouveau du monachisme bénédictin à Solesmes au xixe siècle et dans « l’invention de la tradition » liturgique à cette même époque 8. En bref, sujet neuf ou presque et dossier à rouvrir ; les jugements à l’emporte-pièce de dom Guéranger sont à revoir. Par ailleurs, des fonds d’archives sont à revisiter, tels les papiers de la Commission du bréviaire romain sous le pontificat de Benoît XIV, conservés à la bibliothèque de l’Académie dei Lincei. Il convient aussi de profiter d’ouvertures récentes, telles les archives du Saint-Office en 1999 9 ou de découvertes spectaculaires comme celle du

  Aimé-Georges Martimort, Les « ordines », les ordinaires et les cérémoniaux, Turnhout, Brepols, 1991 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fasc. 56). 5   Voir les contributions de C. Maire et D. Julia. 6   Voir la contribution de S. Gomis. 7   Les deux autres sont la Regula S.P.Benedicti cum declarationibus Sancti Mauri (1646) et les Constitutiones pro directione regiminis Congregationis Sancti Mauri (1648), cf. la présente contribution de D.-O. Hurel (1). 8   Voir les contributions de X. Bisaro, dom Th. Barbeau, S.-A. Leterrier. 9   Voir la contribution de C. Maire. 4

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Cérémonial historique de l’abbé Chuperelle, ouvrage essentiel pour comprendre la mise en scène liturgique à la Chapelle de Versailles 10. Sujet ouvert, interdisciplinarité, d’où la complémentarité des articles (plusieurs apparaissent en perspective) et l’heureuse diversité des angles d’approches. Tous ou presque ont été mis à contribution ; citons, par exemple, le regard élitiste de la liturgie romaine  11, l’étude comparée de cérémoniaux d’une même Église à un siècle et demi de distance 12, celle des mandements ou des informations concernant la musique dans les cérémoniaux diocésains 13, l’étude d’une liturgie en création comme celle de la grotte de Lourdes 14, l’étude de la typologie des gestes, des déplacement et de leurs significations 15… L’entreprise n’était pas facile en soi : outre la troublante imbrication des contenus, il y a les titres trompeurs et aussi les reliures qui rassemblent des ouvrages voisins ; par exemple, une reliure des bénédictines de Notre-Dame des Anges à Montargis n’associe-t-elle pas un cérémonial à un rituel ? En conséquence, la vérification du contenu s’impose toujours, démarche prudente qui a ainsi permis d’identifier dans le premier cérémonial des bénédictines du Saint-Sacrement (1668) 16 une première partie en forme de rituel. Enfin, l’intertextualité vient compliquer les choses comme à plaisir : les auteurs se copient les uns les autres et obligent à repérer les strates et les emprunts. Rude tâche donc pour les chercheurs, guettés par de multiples pièges et confrontés à des sources variées, dispersées et souvent indigestes. Selon les thèmes, on oscille entre l’indigence et une abondance qui peut même glisser vers la pléthore. Le fonds des sources à explorer est évidemment constitué d’abord par les cérémoniaux eux-mêmes : rares mais passionnants cérémoniaux manuscrits du Moyen Âge 17, mais aussi de l’époque moderne, parfois difficiles à débusquer, nombreux cérémoniaux imprimés, à un rythme soutenu dès le xviie siècle, à la suite du déterminant Caeremoniale episcoporum de 1600. Les cérémoniaux imprimés sont donc assez nombreux, moins cependant que les missels et les bréviaires, et avec un nombre de folios très variable. L’importance du corpus devrait permettre une étude sérielle, mais celle-ci serait une entreprise de longue haleine, en raison de la masse documentaire et de la diversité structurelle des cérémoniaux. Au fonds de base des cérémoniaux s’ajoutent un grand nombre de documents annexes : notes manuscrites, chroniques, mémoires, gazettes, travaux de commissions, règlements annexes comme les règles des congrégations, sources comptables, inventaires, documents iconographiques…

10   Cette source majeure, considérée comme perdue, a été récemment retrouvée aux Archives départementales de la Seine-Maritime par Jean-Marc Baffert ; cf. la présente contribution d’A. Maral. 11   Voir les contributions de C. Maire et D. Julia. 12   Il s’agit de l’étude comparée du Cérémonial de Bayeux (1677) de François de Nesmond, réédité en 1819. l’étude comparative par colonnes révèle une plus grande précision dans les gestes des célébrants au XIXe siècle ; cf. la présente contribution de Fr. Auzeil. 13   Voir les contributions de B. Dompnier, C. Davy-Rigaux, É. Kocevar. 14   Voir la contribution de R. Campos. 15   Voir les contributions de M. Brulin, X. Bisaro et S. Gaudelus. 16   Cf. D.-O. Hurel (2), supra. 17   Voir la contribution de J.-B. Lebigue.

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Ces sources diverses doivent être croisées, mais leur dispersion et leur localisation souvent surprenante ne rendent pas la tâche facile. Pour le Cérémonial des bénédictines du SaintSacrement fondées par Catherine de Bar, Daniel-Odon Hurel a trouvé des sources manuscrites jusqu’en Écosse ; il est vrai que la dispersion actuelle des archives de cet institut correspond bien à son essaimage ancien. Autre localisation plus surprenante encore : le Cérémonial historique de l’abbé Chuperelle, loin de Versailles, dans les Archives de la SeineMaritime ! Au terme de ces travaux, comment définir le cérémonial  ? C’est l’ensemble des prescriptions relatives à la forme extérieure des actions et des fonctions du culte divin. À ce titre, le cérémonial est tout à la fois prescrit, rédigé, imprimé, enseigné, représenté, rationalisé et débattu. Rarement destiné aux fidèles, le cérémonial est enseigné dans le cadre des séminaires progressivement mis en place au xviie siècle selon les prescriptions tridentines. Chez les franciscains, le cérémonial doit être su à la fin du noviciat  18. Dans un souci didactique, en particulier d’explication des origines, le cérémonial liturgique est aussi médité et rationalisé, à telle enseigne que certains cérémoniaux du xixe siècle s’appellent tout simplement Rationnels. Également, débattu, il l’est avec l’entrée en lice des casuistes et surtout, dans les chœurs des cathédrales, avec l’introduction du rite parisien. Cette nouveauté « incite les chanoines à opérer des choix, à hiérarchiser leur mémoire collective et, finalement, à réfléchir sur la pratique au-delà des habituels rappels à l’ordre incantatoires ponctuant leurs délibérations » 19. Le contexte institutionnel du cérémonial est particulièrement important : le cérémonial est prescrit par l’autorité compétente, à des degrés divers, tantôt conseillé, tantôt rendu obligatoire. Les cérémoniaux diocésains qui se multiplient sont bien la manifestation d’une autorité épiscopale renforcée par le concile de Trente. Les préfaces, riches d’enseignements, sont à cet égard explicites : à Langres, par exemple, chaque église, chaque ecclésiastique doit avoir un exemplaire du cérémonial. Le cérémonial est la référence, l’ouvrage du recours en cas d’hésitation ou de discussion. Chez les franciscains, il n’est conservé ni au chœur, espace de sa mise en pratique, ni à la sacristie, mais à la bibliothèque, où il n’est consulté que pour une cérémonie exceptionnelle ou un litige 20. Étant prescrit, le cérémonial est logiquement rédigé et si possible imprimé. Ces auteurs de cérémoniaux, qui sont-ils ? Souvent des clercs issus du milieu capitulaire qui peuvent allier la pratique à la science. Dans un diocèse, le grand chantre de la cathédrale, lorsqu’il ne manque pas d’envergure, semble tout désigné : à Clermont, pour le cérémonial manuscrit de l’extrême fin du xviie siècle, c’est très probablement le chantre Joseph Julien, identifié par Stéphane Gomis. Les congrégations féminines confient la tâche à un religieux, de leur propre

  Voir les contributions de J.-Y. Hameline et F. Guilloux.   Cf. X. Bisaro, supra. 20   Voir les contributions de B. Dompnier, X. Bisaro et F. Guilloux. 18 19

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famille monastique le plus souvent  21. Chez les franciscains, le travail incombe en toute logique au préfet du chœur. Le cérémonial est tellement important que des personnages puissants n’hésitent pas à en souligner l’importance comme le père Charles Faure, abbé de Sainte-Geneviève 22 ; mais bien souvent, la rédaction d’un cérémonial est œuvre de spécialiste, et il en est ainsi à chaque époque : le xviie siècle est ainsi dominé par deux orfèvres en la matière, Louis Du Molin et Martin Sonnet, qui demeurent encore mal connus  23. Le cérémonial rédigé fait l’objet d’une rétribution, comme le montrent des livres de pointe et des documents comptables comme ceux du trésorier de la cathédrale de Meaux 24. Ces auteurs conçoivent souvent leurs ouvrages en se référant à des modèles antérieurs, tout particulièrement en ce qui concerne la structure, mais chaque cérémonial présente cependant une approche spécifique  25. Pour imprimer un cérémonial, on a généralement recours à l’imprimeur de l’évêque, ou, de préférence, à des spécialistes du livre religieux (à Paris, les Cramoisy) ; étant donné leur production relativement réduite, il n’y a toutefois pas vraiment d’imprimeurs spécialistes des cérémoniaux 26. Dans quelle langue les cérémoniaux sont-ils rédigés ? En France, si le latin prédomine encore au début du xviie siècle et dans quelques diocèses (Paris, Lisieux), il est très vite détrôné par le français, qui connaît une impressionnante progression durant l’époque moderne, notamment dans les ouvrages destinés aux curés et aux religieuses. D’ailleurs, déjà, Louis du Molin avait rédigé dans la langue vernaculaire ses différentes publications des années 1640-50, dont un grand classique, Practique des ceremonies de la saincte messe, selon l’usage romain (Paris, à partir de 1639  27), complété par la suite par la Pratique des cérémonies de l’Eglise (Paris, 1657 28), ouvrage composé à la demande de l’Assemblée générale du Clergé de France. Du point de vue linguistique, le xviie siècle est essentiel, car à cette époque se met en place la langue spécifique des cérémoniaux. On assiste alors à un glissement sémantique du terme « cérémonie » : les funérailles sont bien des cérémonies, en revanche la messe est rarement conçue comme telle ! Par-delà la norme du texte, on peut s’interroger sur la théorie et la pratique. Certes, cette dernière est souvent difficile à appréhender ; par exemple, à Solesmes, si l’œuvre de

  Voir les contributions de D.-O. Hurel et E. Henneau ; et dans la Liste-Index infra, les noms d’auteurs des cérémoniaux monastiques féminins. 22   Voir Liste-Index, [Chanoines augustins France 1659]. 23   Martin Sonnet est dit « prêtre bénéficier de l’Eglise métropolitaine de Paris ». Il a réalisé ou supervisé plusieurs ouvrages pour l’Église de Paris entre 1656 et 1672. Il aurait fait un long séjour à la maîtrise comme maître de grammaire à partir de 1658, après avoir été gardien du vestiaire. En 1657, Louis du Molin est dit prêtre primicier et chanoine d’Arles, vicaire de l’archevêque d’Arles. 24   On fait ici référence à une communication de Georges Asselineau, « Un Mémoire-cérémonial manuscrit de l’église cathédrale de Meaux (1707) », donnée au cours du premier séminaire de notre groupe de recherche. 25   Voir les contributions de A. Meunier (1), Fr. Auzeil, C. Davy-Rigaux. 26   Voir la contribution de D. Varry. 27   Cf. [Du Molin Messe* 1639]. 28   Cf. [Du Molin Église* 1657]. 21

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dom Guéranger nous est bien connue, la pratique de sa communauté l’est beaucoup moins 29. Nous disposons cependant de quelques éléments. Ainsi, à Versailles, «  à l’ombre du Cérémonial historique », ont pu être rédigés dans une perspective pratique de petits manuels personnels, tel l’Office du premier clerc de chapelle 30. Dans une perspective voisine, à la fin du xixe siècle, une bénédictine de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement insiste sur la nécessité de simplifier le cérémonial de 1840 et ose distinguer la norme et l’usage 31. Pour les chapitres cathédraux, troublés au xviiie siècle par la querelle du rite parisien, Xavier Bisaro montre bien que l’opposition entre l’usus transmis oralement et la codification écrite est une constante. Les cérémonies décrites dans ces ouvrages sont parfois représentées dans les pittoresques et souvent très belles vignettes qui ornent certains d’entre eux — à commencer par celles du Caeremoniale episcoporum  —, ou que l’on trouve dans des ouvrages complémentaires. Tenue, allure, maintien conditionnent une éthologie du comportement dont Charles Démia a donné des « explications mystiques » dans Le trésor clérical 32. Le xviie siècle était préoccupé de décence — le maître mot des textes normatifs — mais on peut observer que c’est au xixe siècle que les attitudes se raidissent. Sur la longue durée, cet examen de la typologie des gestes et postures demeure donc riche d’enseignement 33. Quant à la ritualisation, elle concerne tout à la fois l’espace et le temps : d’une part, il y a une ritualité « dispositive » et inter-active dans le sanctuaire, d’autre part, il y a l’organisation calendaire dans le temps avec l’année liturgique. Avec les cérémoniaux, nous sommes au cœur du protocole, dans des sanctuaires où le cérémonial se déploie en fonction des rapports hiérarchiques entre les acteurs (qui sont les célébrants), l’autel, l’aigle et l’orgue. L’aspect cérémoniel prime sur la dimension artistique supposée qui, à vrai dire, ne compte guère dans l’esprit du temps. La hiérarchie de fonctions l’emporte tellement sur la hiérarchie de compétence musicale qu’on ne remplace pas un chanoine qui chante faux  ! Le cérémonial peut ainsi servir de base au décryptage de l’organisation hiérarchique, mais aussi sonore, d’une cérémonie. Les sites, souvent précisés dans le cérémonial, ont une réelle importance, car l’audibilité est régie par trois facteurs : le lieu, l’orientation, la distance. Le chœur fermé, typique des cathédrales françaises de l’époque moderne (que l’on ne retrouve guère de nos jours qu’en Espagne) est à la mesure des « musiques » capitulaires, à la différence du vaisseau adapté à la puissance des orgues et des cloches. Tous les déplacements et tous les gestes sont ritualisés, en particulier pour le grand-chantre qui est le pivot du chant et le maître de cérémonie 34.

  Voir la contribution de dom Th. Barbeau.   Cf. A. Maral, supra. 31   Cf. D.-O. Hurel, supra. 32   Charles Démia, Trésor clérical ou conduites pour acquérir et conserver la sainteté ecclésiastique, Lyon, 1682, voir les contributions de J.-Y. Hameline, D.-O. Hurel (1) et M. Brulin. 33   Voir la contribution de M. Brulin. 34   Voir l’analyse que nous donnent X. Bisaro et S. Gaudelus des déplacements et agissements du grand-chantre de Notre-Dame pour la messe du Jeudi saint, avec ses différents degrés de « présence cérémonielle », selon qu’il est partie prenante ou non du déroulement de la liturgie, supra. 29 30

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Ces cérémoniaux qui disent la norme et qui seraient censés être intangibles évoluent en fait sensiblement. Et curieusement, les révisions liturgiques connaissent un parallélisme chronologique dans l’Église catholique et dans les Églises issues de la Réforme ; par-delà les frontières confessionnelles, les mêmes problèmes se posent en même temps. Ainsi, pour l’Église réformée, rien ne bouge jusqu’au milieu du xviie siècle, puis les critiques se font jour contre l’archaïsme de la langue des psaumes de Marot et de Bèze et les initiatives de révision se multiplient  35. La période de recension a été volontairement choisie large (1600-années 1840) pour mieux saisir les possibles évolutions. Certes, au départ, il y a en principe volonté de fixité. Cette fixité rassurante est tout à fait dans l’esprit du temps ; chez les bénédictines du Saint-Sacrement, le premier monastère de Paris, rue Cassette, celui fondé par la Mère Mechtilde (Catherine de Bar), doit en principe conserver ses usages et constituer une référence exemplaire. Dans tous les domaines, on veut s’appuyer sur la tradition. Si les bréviaires publiés à la fin du xviie siècle se fondent sur les acquis de l’érudition, en revanche les cérémoniaux se réfèrent aux traditions ; le Cérémonial de Bayeux, si important du point de vue historique, se propose de « mettre par écrit les coutumes » 36. Le souci de continuité est le fait de toutes les époques ; ainsi, à Rome, sous Benoît XIV, la Commission de réforme du Bréviaire romain entend consulter méthodiquement les archives des commissions précédentes. Dans ce souci de continuité, voire de fixité, l’Antiquité est la référence obligée. Cette Antiquité bénie est invoquée à la fois par les romains et les gallicans, et ces derniers servis par les prétentions à « l’apostolicité » de plusieurs Églises de France, osent même affirmer que certains rites gallicans sont plus antiques que les rites romains 37. L’Antiquité soit, mais quelle Antiquité ? L’idéal de l’Église primitive est également invoqué par les jansénistes (l’abbé de Saint-Cyran en particulier 38), les gallicans (le chanoine Lebeuf, théoricien du rite parisien) et les jésuites. En fait, l’idéal de fixité est un leurre et l’évolution se fait jour, dans toutes les confessions, comme le montre une analyse fine de la chronologie. On ébauche un cérémonial d’exaltation pour les saluts du Saint-Sacrement qui se multiplient au xviie siècle en fin de journée 39. Cas extrême, il y a même invention cérémonielle dans le cas de la grotte de Lourdes : avant 1892, la liturgie de Lourdes est bien en perpétuel mouvement ; dans les premières années du pèlerinage, les fidèles célébraient à l’église paroissiale et priaient à la grotte, mais rapidement le centre paroissial va être marginalisé. L’ensemble monumental des sanctuaires sort de terre. À défaut de cérémonial écrit qui ne semble jamais avoir été rédigé, des cérémoniaires, personnages mal connus, existent bel et bien. Tout un rituel,

  Voir la contribution de Chr. Grosse.   Cf. [Bayeux 1677]. 37   Voir la communication de S.-A. Leterrier, et Philippe Loupès, « Les chanoines érudits de l’ancienne France ou le passé recomposé », Estudos em Homagem a L.A.Oliveira Ramos, Porto, Faculdadede letras da Universidade do Porto, 2004, t. II, p. 647-652. 38   Saint-Cyran comparait souvent l’Église à un fleuve qui n’est jamais si pur qu’à sa source. Sur sa tombe fut gravée la maxime suivante : « Tu n’auras pas une vérité nouvelle » (Ps. LXXX, 10) 39   Voir la contribution d’A. Meunier (2). 35 36

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conçu par « un collectif en puissance de sublimation » selon la belle formule d’Alphonse Dupront, est inventé pour culminer dans les grandes processions 40. Chaque siècle de la période appréhendée présente sa tonalité. Le xviie siècle est passionné de liturgie et jésuites et jansénistes rivalisent de compétence. À cette époque, la volonté de fixité et d’ancrage dans l’Église primitive se renforce progressivement. Au moyen du cérémonial, les évêques cherchent à déterminer et à fixer l’identité diocésaine, tandis que les congrégations décrivent, analysent et méditent leur spécificité régulière. L’ensemble des publications s’inscrit dans un mouvement unificateur et épurateur. Pour la congrégation de Saint-Maur, le Cérémonial de 1645 est le marqueur identitaire, la pierre angulaire d’un idéal unitaire qui va culminer dans les années 1680. Pour les évêques, surtout les évêques réformateurs, il s’agit d’unifier les usages, de développer la solennité face aux critiques des réformés, d’épurer les rites, d’imposer la décence. Dans le cadre de la Réforme catholique, tout le premier xviie siècle est imprégné de gravitas et M. Vincent et Jean-Jacques Olier sont particulièrement soucieux de la dignité des cérémonies et de la tenue des clercs. Pour la formation des ordinands de Saint-Lazare, M.  Vincent veille tout particulièrement à l’apprentissage des cérémonies. Dans son Directorium chori  41, Martin Sonnet entend également rétablir la rigueur du cérémonial parisien et insiste sur la discipline. L’idéal purificateur et unificateur va se poursuivre au xviiie siècle, toujours à partir de la cathédrale, véritable « matrice liturgique » (X. Bisaro). L’unité diocésaine et le modèle centralisé sont clairement proclamés dans le titre même du Cérémonial de Clermont de 1758 : Cérémonial du chœur selon les rits et usages de l’Église de Clermont, adapté aux églises collégiales, paroissiales, communautés séculières et séminaires du diocèse, imprimé par ordre de Monseigneur François-Marie Le Maistre de La Garlaye (…) et du consentement du chapitre de ladite Église de Clermont. L’évêque de Clermont affirme que la décence du culte recherche l’uniformité. En fait, dès les années 1680, la tendance à la diversité avait vu le jour. Chez les réformés, la révision des psaumes, ébauchée par Conrart, est menée à bien à Genève, en 1695, au grand dam de Jurieu, exilé aux Provinces-Unies. Le nouveau psautier genevois ne tardera pas à être adopté par la plupart des Églises francophones. Dans le giron catholique, la variété se fait jour également. Chez les mauristes, le mouvement unitaire avait dominé tout le xviie siècle, mais à l’époque suivante, la centralité de la congrégation, souvent jugée excessive, est remise en question, et la diversité ose s’exprimer : c’est ainsi que les bénédictins de la Chaise-Dieu reviennent à leurs saints locaux en 1755. Les cérémoniaux diocésains de Paris et de Bayeux  42 sont les premiers à prendre quelque peu leurs distances avec Rome et c’est à Vienne en 1678 qu’est imprimé le premier bréviaire néo-gallican. Au xviiie siècle, nombre de diocèses sont touchés ; ainsi, à Clermont, Massillon s’inscrit dans le mouvement des liturgies néo-gallicanes au nom de la décence de

  Voir la contribution de R. Campos.   Cf. [Sonnet Paris Directorium 1656]. 42   Cf. [Sonnet Paris 1662] et [Bayeux 1677]. 40 41

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l’Opus Dei. D’une part, il fait reculer les usages cérémoniels les plus naïfs, mais d’autre part, il manifeste sans ambages sa préférence pour les saints locaux : Nous avons préféré, dans cette multitude de bienheureux, ceux qui ont sanctifié cette province par leur sang, par leurs exemples et par leurs travaux apostoliques ; ou ceux que cette province, si féconde autrefois en saints ouvriers, a donnés à d’autres églises. Il étoit juste de revendiquer un bien qui nous appartenoit, le fruit heureux de la terre que nous habitons, et de partager, avec les lieux qu’ils ont illustrés par l’éclat de leur sainteté, les avantages de leur protection ; ce sont des intercesseurs que notre église a donnés au ciel, et elle est en droit de les réclamer 43.

Au vu des présentes contributions, se profile un xviiie siècle plus liturgique qu’on ne le perçoit habituellement. En France, qu’ils soient constitutionnaires, jansénisants ou du tiers-parti, les évêques continuent de publier des livres liturgiques exprimant leur propre sensibilité ; tel le Missel de l’Église de Troyes de Jacques-Bénigne Bossuet qui, au dire du cardinal Lambertini, comporte « six cents nouveautés » ! En toute logique, l’intérêt pour la liturgie est aussi soutenu à Rome même, où, avant de monter sur la chaire de saint Pierre, le cardinal Prospero Lambertini s’était affirmé tout à la fois comme grand liturgiste et canoniste émérite. Ensuite, « tout le pontificat de Benoît XIV est placé sous le signe de la liturgie »  44. Parmi les quatre académies savantes, qu’il établit au début de son pontificat, figure une Académie de liturgie et des rites ; et une chaire de liturgie est fondée au Collège romain. L’examen des livres liturgiques de Mgr de Vintimille et la réforme du Bréviaire romain sont des dossiers sensibles, suivis personnellement par Benoît XIV. En France, les dernières années de l’Ancien Régime sont placées sous le signe de «  la révolution cérémonielle »  45. Dès la publication des livres liturgiques de Mgr de Vintimille, plusieurs diocèses se rallient au rite parisien et le mouvement néo-gallican s’accélère après l’expulsion des jésuites, pour atteindre en 1789 un peu moins de soixante diocèses, soit 45% du total. Ce ralliement assez massif, qui correspond à certaines attentes, s’explique aussi par la fierté nationale et le prestige du modèle parisien de « Notre-Dame-de France ». La « révolution cérémonielle » affecte surtout les chapitres cathédraux, déjà sur le repli, contraints d’affronter les réalités de leur temps. Quant au xixe siècle, prolixe en publication de cérémoniaux, il se veut tellement dans la continuité qu’il remet vigoureusement à l’honneur la tradition, mais en en faisant un fourre-tout. Le mouvement liturgique renaissant, magistralement illustré par dom Guéranger à l’abbaye de Solesmes, s’articule sur un Moyen Âge idéalisé et se présente comme un contrepoison révolutionnaire. Pour s’affirmer, il utilise tous les moyens, y compris le recours partiel aux méthodes historiques ; mais, en l’occurrence, le rapport à la tradition n’est pas seulement archéologique, il est aussi fantasmagorique. Tout au long du xixe siècle, Solesmes est bien un vaste atelier, tant dans le domaine de l’étude que dans celui de la praxis. Avec des cérémonies sans cesse repensées et améliorées, c’est un chantier permanent, une école

  Cf. [Clermont 1758].   Cf. D. Julia, supra. 45   Cf. X. Bisaro supra. 43 44

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de « solennisation », un modèle d’orientation « romaine ». À partir de 1840, dom Guéranger, qui publie à cette date les deux premiers volumes de ses Institutions liturgiques, crée même un cours dominical de liturgie. La célébration solennelle de la liturgie devient la caractéristique majeure du renouveau bénédictin du xixe siècle, faisant des bénédictins, à la différence d’autres familles du monachisme, des sortes de spécialistes de la liturgie, ce qu’ils n’avaient pas été antérieurement  46. Moins en pointe, plus discrètes, les congrégations féminines, portées par la grande vague du renouveau catholique, n’en méditent pas moins sur leur identité. Elles y sont portées par leur expansion européenne voire mondiale, et par leur pouvoir attractif, avec l’agrégation de monastères qui ont eu un passé liturgique différent. Il y a donc des similitudes avec la première moitié du xviie siècle, même si le contexte général est foncièrement différent. Au moyen de leur cérémonial, qui devient un outil de réflexion, les instituts veulent clarifier, simplifier et surtout dégager leur propre spécificité.

❦ Au terme de cet ouvrage, on ne peut qu’insister sur la richesse des contributions, leur complémentarité, les apports fondamentaux sur les cérémoniaux et aussi le nouvel éclairage sur l’affaire du rite parisien, tant en France qu’à Rome. On pourrait regretter la faible participation à notre équipe des seiziémistes et des médiévistes spécialistes du xve siècle. Certains domaines, comme l’étude de la langue spécifique des cérémoniaux, auraient pu être abordés ; mais, dans ce genre d’entreprise limitée dans le temps, on ne saurait prétendre à l’exhaustivité. Parmi les initiatives futures, devra figurer la publication scientifique d’un répertoire des cérémoniaux et la poursuite des éditions critiques de ce type d’ouvrage. Il y a déjà quarante ans, François Lebrun avait donné l’exemple en publiant le Cérémonial de l’Église d’Angers dû à René Lehoreau 47. En 2004, Jacques Pycke a édité le Cérémonial de la cathédrale de Tournai 48. Le Cérémonial historique de l’abbé Chuperelle, l’ancien aumônier de la maison du roi, est le type de document qui devrait prochainement bénéficier d’une initiative de ce type. En bref, saluons l’appréciable avancée de cette enquête d’anthropologie historique qui s’insère bien dans le cadre de sociétés très ritualisées d’Ancien Régime. Et avec Ludwig Wittgenstein, nous pourrions presque dire,  « l’homme est un animal de cérémonies » 49. Philippe Loupès Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3

  Voir les présentes contributions de Th. Barbeau et S.-A. Leterrier.   René Lehoreau, Cérémonial de l’Église d’Angers, 1692-1721, publié par Fr. Lebrun, Paris, Kincksieck, 1967. 48   Jacques Pycke, Sons, couleurs, odeurs dans la cathédrale de Tournai au XVe siècle, I. Édition du cérémonial et des ordinaires, suivie d’un commentaire (I) : les acteurs, les lieux et le mobilier liturgique, Louvain, Universiteitsbibliotheek ; Bruxelles, éd. Nauwelaerts, 2004 (« Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique », 84). Sous un titre quelque peu accrocheur, l’auteur, qui est archiviste et conservateur de la cathédrale de Tournai, nous donne un texte intéressant, malheureusement sans notes historiques. 49   Cité par Fegus Kerr, La théologie après Wittgenstein, Paris, Le Cerf, 1991,p. 218. 46 47

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I ndex 1 Affre (Denis-Auguste, archevêque de Paris, 18401848), 182 Agde (Hérault), 187 Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), 195, 224 Albani (Annibale, cardinal camerlingue, XVIIIe s.), 222, 229 Albergati (Antonio, nonce à Cologne, XVIIe s.), 329 Albin (cérémoniaire du Mans, XIXe s.), 379 Alet (Aude), 20, 33, 185, 500-501 Alexandre III (pape, 1105-1181), 242 Alexandre (Noël, théologien, 1639-1724), 224 Alexandre VII (pape, 1655-1667), 336-338 Alexandre VIII (pape, 1610-1691), 19 Alibert (A., imprimeur, Besançon, XVIIIe s.), 548 Alix (abbé, XIXe s.), 133 Allain (Guillaume, liturgiste, XVIIe s.), 101 Amsterdam (Hollande), 215, 250, 253, 261, 263, 278 Amyraut (Moyse, 1596-1664), 254, 257-258 Ancône (Italie), 222 Ange de Rennes (ofm cap), 370 Ange de Sainte-Rosalie (1655-1726), 103 Angers (Maine-et-Loire), 74, 82, 150-151, 154, 442, 445, 448-450, 452-455, 458-459, 497, 528, 548, 550 Angers (bénédictines du Calvaire), 375 Angers (la Toussaint, abbaye), 50 Antoine de Beauvais (franciscain, XVIIe s.), 70, 361, 364, 367-368, 370, 466, 504, 555 Antonelli (Niccolo Maria, préfet des archives du Château Saint-Ange, XVIIIe s.), 231-232, 242 Anvers (Belgique), 36, 68, 225, 339, 507 Archon (Louis, 1645-1717), 97 Arnaud (Claude, oratorien, XVIIe s.), 19, 26, 30, 41, 73, 400, 404, 407, 499-500 Arnaud (Laurent, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 21 Arras (Pas-de-Calais), 120, 122-123, 126, 158 Assignies (Jean d’, moine de Cambron, † 1642), 337 Auch (Gers), 141 Audebert (Bernard, mauriste, XVIIe s.), 287 Augsbourg (Allemagne), 17 Augustin d’Hippone (†430), 53, 162, 212, 243, 331332, 348, 412 Augustins, 57, 70, 465, 500-501, 504, 507, 509, 511, 513, 523, 552-554 Augustines, 72, 332, 348, 511, 553, 556 Autun (Saône et Loire), 64, 74, 77, 82, 161, 550

Avenay (abbaye, Marne), 308, 317 Avignon (Vaucluse), 81-82, 100, 331, 361-362, 554 Aymon (Jean, XVIIIe s.), 248-249 Aymon de Faversham (général ofm, ), 358 Azevedo (Manuel de, jésuite, 1713-1796), 230-231 Azun de Bernétas (T.-M.-J.-T., biographe du curé d’Ars, XIXe s.), 132 Azzoguidi (Anton Maria, franciscain, XVIIIe s.), 231, 237, 241 Babou (Anne, abbesse de Beaumont-les-Tours, XVIIe s.), 317 Baillet (Adrien, historien, 1649-1706), 222, 224, 243 Baius (Michel, théologien, 1513-1589), 211, 215 Baldeschi (Giuseppe, liturgiste, 1791-1849), 380-381 Baldini (Gian-Francesco, somasque, 1677-1764), 231-232, 242 Bâle (Suisse), 253, 263 Ballard (Christophe, imprimeur, 1641-1715), 85, 104, 226, 480 Ballard (Jean-Baptiste-Christophe, imprimeur, XVIIIe s.), 205, 226, 320 Ballard (Pierre I, imprimeur, 1575/80-1693), 81, 83, 85, 100, 319, 338, 479 Ballard (Robert III, imprimeur, ca 1610-1673), 81, 84-85, 100, 310, 319, 479 Ballon (Louise de, cistercienne, 1591-1668), 338 Baptiste (Étienne, chanoine de Saint-Genès de Clermont, 1657-1735), 173, 177 Bar (Catherine de, bénédictine [mère Mechtilde], 1614-1698), 308, 314, 317-318, 522, 525 Baritel (E. éditeur, Lyon, XVIIe s.), 546 Baron (Thomas, XVIIe s.), 553 Baronius (César, 1538-1607), 35, 224 Bastardi (Zacaria, bénédictin, en religion Zacharias a Mutina,), 286 Bastide (Léon, bénédictin, XIXe s.), 388 Battant (cisterciennes, Doubs), 337 Bauldry (Michel, bénédictin et liturgiste, XVIIe s.), 16, 19, 25, 30, 32, 41, 67, 70, 73, 148, 285-289, 297, 400, 438-441, 443-446, 500, 506, 546 Bavière (Élisabeth-Charlotte de, duchesse ­d ’Orléans, dite Princesse Palatine), 103, 195, 218 Bayeux (Calvados), 74, 82, 83, 107-118, 121, 151, 153, 198, 319, 547, 550

1   Cet index concerne les personnes, les ordres ou congrégations religieuses et les lieux. Pour les imprimeurs parisiens, l’on n’a pas jugé nécessaire de préciser « Paris ». Un Index des temps et offices liturgiques est disponible ci-après, p. 541.

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Beauchamp (Comte de, XIXe s.), 136 Beaumont-les-Tours (abbaye, Indre-et-Loire), 307, 317, 320 Beauvais (Romain de, imprimeur, Rouen, XVIIe s.), 288 Beauvilliers (Françoise de, abbesse d’Avenay, XVIIe s.), 308, 317 Beauvilliers (Marie de, abbesse de Montmartre, XVIIe s.), 308, 317 Bechet (Denis, imprimeur, XVIIe s.), 547 Belgrand (Simon, imprimeur, Toul, XVIIe s.), 308, 319, 552-553, 555 Bélisme (Mathieu, chanoine de Clermont, †1680), 171, 177 Bellarmin (Robert, cardinal, 1542-1621), 23, 35, 224, 236 Bellefontaine (Trappistes, Maine-et-Loire), 383 Bellot (Jean, chanoine de Clermont, XVIIe s.), 171, 177 Bencard (Joannes Casparus, 1673-1720), 18 Bénédictines de l’Adoration perpétuelle du SaintSacrement (congrégation), 32, 303-304, 308-312, 314-316, 320, 323, 521-522, 524-525 Bénédictines du Calvaire (congrégation), 304, 308309, 312, 317-319, 375, 552, 554 Benoît de Nursie (saint, 480-547), 53, 56, 296, 327, 374-376, 378, 383, 385, 390 Benoît XIII (pape, 1649-1730), 225, 231, 240, 545 Benoit XIV (pape, 1740-1758), 196-197, 204, 218-219, 221-226, 229-232, 235-236, 239-240, 242-244, 520, 525, 527, 545 Benvenuti (jésuite, XVIIIe s.), 204 Berlin (Allemagne), 253, 259, 263 Bernabo (Angelo, imprimeur, Rome, XVIIe s.), 235 Bernabo (R., imprimeur XVIIIe s.), 232 Bernard (Jean-Frédéric, imprimeur, Amsterdam, 1683 ?-1744), 278-280 Bernardon (Pontius, imprimeur, Rome, XVIIe s.), 22 Berne (Suisse), 253, 263 Bernier (abbé, XIXe s.), 121 Bérulle (Pierre de, 1575-1629), 14, 33 Besançon (Doubs), 74, 82-83, 150, 153, 155-158, 163, 198, 333, 442-444, 446, 459-460, 465, 478, 501-504, 507-508, 548, 556-557 Besongne (Nicolas, clerc de la Chapelle-Oratoire à Versailles, XVIIe s.), 102-103 Besozzi (Gioacchino, cardinal, cistercien, abbé de Sainte-Croix de Jérusalem, XVIIIe s.), 209-210, 219, 241 Besson (A., imprimeur, Lyon, XVIIIe s.), 546 Besson (J.-B., imprimeur, Bourg-en-Bresse, XVIIIe s.), 549 Beuvelet (Mathieu, 1622-1657), 20, 33-34, 401

Bèze (Théodore de, 1519-1605), 247-248, 250-252, 256-258, 260, 263, 525 Bianchini (Francesco, 1662-1729), 232 Bianchini (Giuseppe, oratorien, 1704-1764), 235 Billaine (Jean, imprimeur, XVIIe s.), 84, 384, 386, 400, 546, 552, 554 Billaine (Louis, imprimeur, XVIIe s.), 83, 375, 384, 386, 556 Billiot (Esprit, imprimeur, XVIIIe s.), 547 Billom (Saint-Cerneuf, collégiale, Puy-de-Dôme), 169, 171 Bissy (Henri-Pons Thiard de, cardinal, 1657-1737), 226, 400-401, 414, 548 Blaizot (Gilles, imprimeur, XVIIIe s.), 84, 370, 509, 554-555 Blouet de Camilly (François, évêque de Toul, 17041721), 160 Bochard de Saron-Champigny (François, évêque de Clermont, 1687-1715), 171 Bocquillot (Lazare-André, chanoine, XVIIe s.), 151, 411 Boissat (H., imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 500 Boivin (imprimeur, XVIIe s.), 480-481 Bologne (Italie), 223-224, 226, 231-232, 235, 238, 545 Bona (Giovanni, feuillant, cardinal, 1609-1674), 23, 36, 383 Bonald (Louis-Jacques-Maurice de, évêque du Puy-en-Velay, 1787-1870), 550 Bonaventure (saint, XIIIe s.), 357, 360, 369 Borde (Philippe, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 21 Borromée (Charles, cardinal, 1538-1584), 14, 27, 38, 239, 273, 414, 545 Bossuet (Jacques-Bénigne, évêque de Meaux, 16811704), 74, 210, 226, 255-256, 260, 263, 401, 414, 421, 527 Bouchard (« citoyen », 1794), 106 Bouchard (François, imprimeur, Metz, XVIIe s.), 548 Bouchard (Jean, imprimeur, Châlons, XVIIe s.), 555 Boucher (graveur, XVIIIe s.), 206, 210 Boucherat (Nicolas I, abbé de Cîteaux, 1571-1584), 335 Boucherat (Nicolas II, abbé de Cîteaux, 1604-1625), 335-336 Boudrot (imprimeur, Besançon, XVIIe s.), 333 Bouettin (curé de Saint-Etienne du Mont, XVIIIe s.), 204 Bougis (Simon, mauriste, XVIIe s.), 292 Bouhereau (Elie, XVIIe s.), 253, 260 Boujon (Damien, imprimeur, Clermont, XVIIe s.), 197 Boulenger (Florent, XVIIe s.), 76, 82-83, 361, 499 Bourdoise (Adrien, 1584-1655), 14, 20, 33 Bourg-en-Bresse (Ain), 82-83, 151, 549

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Bourges (Cher), 65, 67, 74-75, 82, 118, 150-151, 154, 157, 159-160, 442, 446-447, 453, 459, 466, 473, 478, 498, 502-503, 511, 548, 550 Bourgeteau (Jean-Baptiste, bénédictin, XIXe s.), 378-381 Bourguignon (Ignace, cistercien, XVIIIe s.), 339-340 Boutaudon (Pierre-Louis, imprimeur, Clermont, XVIIIe s.), 83, 172, 549, 558 Bouvier (Jean-Baptiste, évêque du Mans, 18331854), 374 Bouvy (Edmond, prêtre, XIXe s.), 136 Boyer (Jacques, mauriste, XVIIIe s.), 171 Boyer (Pierre, oratorien, XVIIIe s.), 215 Bralion (Nicolas de, XVIIe s.), 444, 500, 547 Bramereau (J., imprimeur, Avignon, XVIIe s.), 362, 554 Brancas (Henri-Ignace de, évêque de Lisieux, 17141760), 150, 549 Brault (Charles, évêque de Bayeux, 1752-1833), 113 Brault (Julien, ofm), 370 Bremond (Henri, 1865-1933), 22, 34, 38, 198-199 Briard (J., imprimeur, Caen, XVIIe s.), 82, 108, 547 Briflot (R., imprimeur, Bar-le-Duc, XVIIe s.), 333 Bronckart (Baudoin, imprimeur, Liège, XVIIe s.), 332-333 Brossard (Sébastien de, 1655-1730), 104, 439 Bruat (amirale, XIXe s.), 131 Brueys (David Augustin, 1640-1723), 255-256 Brunel (Pierre, imprimeur, XVIIe s., Amsterdam), 253 Bruxelles (Belgique), 46, 180, 198, 221, 329-331, 333, 339-340, 355, 363, 367, 375, 528 Bruyère (Mère Cécile, bénédictine, XIXe s.), 379, 388-389, 394 Bruyset (Jean-Marie I, imprimeur, Lyon, XVIIIe s.), 24 Budos (Laurence de, abbesse de la Sainte-Trinité, Caen, XVIIe s.), 319 Burckard (Jean, 1450-1506), 14, 29 Bureau (Gilles, cistercien, XVIIe s.), 340 Burin (Claude, chanoine de Clermont, 1615-1691), 167, 170-171, 177 Burlen (Marie, cistercienne, XVIIe s.), 340 Bursfeld (abbaye et congrégation, Allemagne), 50-51, 53-55, 71, 551 Caen (Calvados), 82, 108, 290, 317, 319, 547 Caen (Trinité, abbaye des bénédictines), 317, 319 Calhiat (Henry, prêtre, XIXe s.), 317 Calvin (Jean, 1509-1564), 8, 218, 246-247, 262 Cambron (Belgique, abbaye Notre-Dame), 337 Canillac (abbé de, auditeur français de la Rote, XVIIIe s.), 228, 232 Capucines, 60, 72, 552, 555-558

Carafa (Pier Luigi, nonce à Cologne, XVIIe s.), 329 Carmélites déchaussées, 304-305, 314, 551, 554 Caron (Augustin-Pierre-Paul, abbé, XIXe s.), 118, 182, 428, 506, 514, 551 Carondelet de Potelle (Marie-Antoinette-Bernardine, annonciade, XVIIe s.), 355 Carron (Philippe, évêque du Mans, 1829-1833), 374 Cassel (Allemagne), 250, 253, 537 Catalani (Giuseppe, liturgiste, XVIIIe s.), 378, 401, 545 Catellan (de, chantre de Toulouse, XVIIIe s.), 187 Cayne (Claude, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 332, 553 Cazaux (Laurent, abbé, XIXe s.), 135 Cébazat (Saint-Etienne, collégiale, Puy-de-Dôme), 168 Cellier (Antoine, imprimeur, XVIIe s.), 250 Certain (prêtre, ambassade de France à Rome, XVIIIe s.), 209, 229 Certe (Jean, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 33, 408, 547 Cessenon (prieuré, Hérault), 287 Chaise-Dieu (La, abbaye, Haute-Loire), 177, 292, 526 Châlons-sur-Marne = Châlons-en-Champagne (Marne), 82, 429, 546, 553, 555 Châlons-sur-Marne (Saint-Joseph, abbaye), 307-309, 317, 319 Châlons-sur-Marne (Saint-Pierre, abbaye), 309 Chamalières (chapitre, Puy-de-Dôme), 171, 177 Champflour (François, chanoine de Clermont, 1611-1682), 171, 177-178 Champflour (Gilbert, chanoine de Clermont, XVIIe s.), 171 Champflour (Jean-Baptiste, évêque de Mirepoix, 1683-1768), 173, 177 Champlitte (annonciades, Haute-Saône), 331 Chantrel (Jean, guillelmite, XVIe s.), 58 Chanut (Martial, prêtre, XVIIe s.), 19 Charenton-le-Pont (Val-de-Marne), 249-250, 254 Charlemagne († 814), 121 Charlot (Cl., imprimeur, Nancy, XVIIe s.), 555 Charretier de Rouvignac (Charles, abbé d’Ebreuil, XVIIe s.), 171, 177 Chartres (Eure-et-Loir), 96, 179, 183-186, 189-192, 429, 480 Charvau (Denis, guillelmite, XVIe s.), 58 Chastelain (Claude, pré-chantre de l’Église de Paris, XVIIe s.), 493 Château-Gontier (Mayenne), 82-83, 285, 548 Chatelain (Zacharie, imprimeur, Amsterdam, XVIIIe s.), 263 Chauvelin (Germain-Louis, secrétaire d’État, XVIIIe s.), 228-229 Chevalier (P., imprimeur, XVIIe s.), 319, 552

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Chezal-Benoît (abbaye et congrégation, Cher), 5051, 53-54 Choron (Alexandre, 1771-1834), 120 Chouet (Pierre, imprimeur, Genève, XVIIe s.), 249 Chouet (Samuel, imprimeur, Genève, XVIIe s.), 250 Christian IV (roi de Danemark, 1577-1648), 86 Chuperelle (Jérôme, XVIIe s.), 91, 97-100, 105, 521522, 528 Cicéron, 416-417 Cisterciennes, 303, 306, 317, 320, 329-331, 334-335, 337-341, 344-345, 350, 354, 356, 557 Cîteaux (abbaye et ordre, Côte-d’Or), 83, 308, 329, 331, 334-341 Clairvaux (abbaye, Aube), 335, 337 Clarisses (Ordre des), 60, 66-68, 70, 72, 75-77, 304-305, 361, 363, 367, 499, 502-503, 506, 551, 553, 555, 557 Clément (saint), 162 Clément IX (pape, 1667-1669), 213, 298 Clément VII (pape, 1523-1534), 217, 235 Clément VIII (pape, 1592-1605), 14, 16, 25-26, 30, 48, 107, 223, 224, 366-367, 401-402, 431, 545 Clément X (pape, 1670-1676), 237 Clément XI (pape, 1700-1721), 27, 204, 229-230, 236 Clément XII (pape, 1730-1740), 27, 195-197, 222, 228-229, 231 Clément XIII (pape, 1758-1769), 204, 223 Clermont (Notre-Dame du Port), 173, 177 Clermont (Saint-Genès), 172-173, 177 Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), 61, 69, 74, 82-83, 107, 150, 152, 154-156, 161, 165-178, 274, 400, 419, 423, 442-444, 447, 449-451, 453-456, 458-459, 468-469, 511, 520, 522, 526-527, 549, 558 Clermont-Tonnerre (Anne-Antoine-Jules de, archevêque de Toulouse, 1749-1830), 550 Clopejeau (Gabriel, imprimeur, XVIIe s.), 23 Clopejeau (Nicolas, imprimeur, XVIIe s.), 84 Cluny (abbaye et Ordre, Saône-et-Loire), 151, 201, 294, 375, 386 Coffin (Charles, 1676-1749), 199, 204-205, 208, 210, 213, 215-218 Cognot (Gabriel, chanoine de Notre-Dame du Port de Clermont, † v.1745), 173, 177 Coignard (Jean-Baptiste, imprimeur, XVIIIe s.), 60, 83, 162, 374, 557 Colbert (Jean-Jules-Armand, marquis de Blainville, 1663-1704), 95 Colbert de Croissy (Charles-Joachim, évêque de Montpellier, 1696-1738), 198, 203 Colbert de Torcy (Jean-Baptiste, 1665-1746), 103 Collet (Pierre, liturgiste, XVIIIe s.), 23-24, 73, 185186, 515 Cologne (Allemagne), 204, 329 Combes (François de, chanoine de Saint-Genès de Clermont, 1665-1740), 173, 177

Compagnon (Pierre, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 86 Condom (Gers), 187 Conrart (Valentin, académicien, XVIIe s.), 246, 249-254, 257-260, 263, 526 Copenhague (Danemark), 253 Coppinus (Stephanus, XVIe s.), 57 Cordier (Pierre, mauriste, XVIIIe s.), 302 Cosset (François, compositeur, 1610-v.1670), 104 Costanzo (Jean-Baptiste), 33 Cotinet (Arnoul II, imprimeur, XVIIe s.), 85, 553 Couterot (imprimeurs, XVIIe s.), 365, 370 Cramoisy (Gabriel, imprimeur, XVIIe s.), 23, 84-85, 235, 523, 547 Cramoisy (Sébastien, imprimeur, XVIIe s.), 84-85, 336, 340, 479, 523, 547, 552-553 Crescenzi (Marcello, nonce en France, XVIIIe s.), 196, 239 Croix (Claude de, prêtre, XVIIe s.), 33, 506, 514 Croix (Edme de la, abbé de Cîteaux, 1584-1604), 335 Daillé (Adrien, pasteur, XVIIe s.), 249 Danemark, 84, 86 Dangeau (Philippe de Courcillon, Marquis de, 1643-1723), 103 Danglebert (Jean-Baptiste, 1628-1691), 105 David (Louis, bénédictin, XIXe s.), 375-381, 387 De Bure (imprimeur, XVIIIe s.), 185, 515 De Fay (imprimeur, Langres, XVIIe s.), 83, 549 Dejussieu (imprimeur, Autun, XIXe s.), 550 Delaulne (Florentin, imprimeur, XVIIIe s.), 36, 63, 188, 411, 484, 493 Delo (Charles, imprimeur, La Haye, XVIIIe s.), 248 Demia (Charles, 1637-1689), 33, 408-409, 418-419, 524 Demortain (Gilles, XVIIIe s.), 104 Denis l’Aréopagite, 225, 327, 469 Derbaix (imprimeur, Douai, XVIIIe s.), 546 Desaint (imprimeur, XVIIIe s.), 203-204 Desbordes (Isaac, imprimeur, Saumur, XVIIe s.), 254 Desbordes (Jacques, imprimeur, Amsterdam, XVIIIe s.), 253 Descartes (René, 1596-1650), 40 Desgranges (Michel-Ancel, 1736-1822), 95-96 Desmarets (Henri, musicien, 1661-1741), 101 Desprez (organiste de Saint-Séverin, XVIIe s.), 466 Desprez (Guillaume, imprimeur, 1629-1708), 413 Dieulin (vicaire général de Nancy, XIXe s.), 126 Diodati (Jean, théologien genevois, 1576-1649), 249, 254, 256 Dole (annonciades, Jura), 331 Dominicus de Gubernatis a Sospitello (ofm rif), 359

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I n de x

Dornel (Antoine, compositeur, † 1775), 480 Douai (Nord), 82, 337, 546 Douladoure (J.-M., imprimeur, Toulouse, XIXe s.), 191, 550 Drelincourt (Laurent, pasteur, 1626-1680), 250-251, 253, 256, 258-259 Drouart (J., imprimeur, XVIIe s.), 551 Du Molin (Louis, chanoine d’Arles, XVIIe s.), 30, 65, 67-68, 70, 73, 75, 84, 86, 107-111, 113, 117-118, 148-149, 153, 407-408, 438, 442, 460, 500-501, 504, 523, 546 Du Moulin (Pierre, protestant, XVIIe s.), 246, 254 Du Perron (Jacques, cardinal, 1556-1618), 255 Du Peyrat (Guillaume, homme de lettres, † vers 1640), 89, 97, 102 Dublin (Irlande), 253 Dubois (J.-F., imprimeur, XVIIe s.), 556 Ducroc (Jacques, chanoine de Clermont, † 1678), 171, 177 Duguet (abbé, XVIIIe s.), 202, 204 Dupont-Poursat (Pierre, évêque de Coutances, XIXe s.), 550 Duprat (Guillaume, évêque de Clermont, XVIe s.), 168 Durand (Jean, imprimeur, Clermont, XVIe s.), 168 Durand de Mende (Guillaume, 1230-1296), 36, 47, 411, 438 Durant (Louis, imprimeur, Genève, XVIIIe s.), 261 Duranti (Jean-Étienne, 1534-1589), 35 Dusseldorf (annonciades, Allemagne), 347 Duval (Hugues-Michel, imprimeur, Tours, XVIIe s.), 320

Fénelon (François de Salignac de La Mothe-Fénelon, 1651-1715), 24 Feuillants (congrégation cistercienne), 336, 553 Fiévet (F., imprimeur, Lille, XVIIe s.), 556 Firrao (Giuseppe, cardinal, XVIIIe s.), 228-229 Fleury (André-Hercule de, cardinal, 1653-1643), 196-200, 206, 209, 216, 218, 226, 228-229, 231, 244 Flines (cisterciennes, Nord), 337-338 Foinard (Frédéric-Maurice, 1683-1743), 201, 210, 222, 233 Fonteinne (Auguste, bénédictin, XIXe s.), 381, 383385 Fontevraud (ordre de), 305, 552 Fornari (Marie-Victoire, fondatrice des annonciades célestes, XVIe s.), 331, 334, 352 Fossard (François, violoniste et noteur du roi, 1642-1702), 100 Foy-Vaillant (Jean, numismate, 1632-1706), 232 François d’Assise (saint, 1182-1226), 211, 357, 363 François de Borgia (saint, 1510-1572), 239 François de Conzié (XVe s), 48 François de Sales (saint, évêque de Genève, 15671622), 36, 38, 300, 417, 421 François Xavier (saint, 1506-1552), 273 Frères de la Charité (congrégation), 300 Fromage (Lucien, bénédictin, XIXe s.), 388-389 Fronteau (Jean, génovéfain, XVIIe s.), 235 Froullay de Tessé (Charles-Louis, évêque du Mans, 1723-1767), 374 Fulgence (trappiste de Bellefontaine, XIXe s.), 383 Furetière (Antoine, 1619-1688), 19, 24, 60, 439-440

Edouard d’Alençon (ofm cap., XXe s.), 357, 359 Elci (Rainerio d’, nonce en France, XVIIIe s.), 196197 Embrun (Hautes-Alpes), 189, 200-201 Erlangen (Allemagne), 253, 263 Estaing (Joachim d’, évêque de Clermont, 16141650), 168-169, 171, 175 Estaing (Louis d’, évêque de Clermont, 1650-1664), 168-171, 173, 177 Etemare (Jean-Baptiste Le Sesne d’, 1682-1770), 202

Galice (dom Augustin, XVIIe s.), 554 Gaillande (docteur, XVIIIe s.), 206 Galli (Antonio Andrea, congrégation San Salvatore de Bologne, XVIIIe s.), 231-232, 238-239, 242 Gantret (graveur, XVIIe s.), 296 Garnich (Jacob, imprimeur, Nancy, XVIIe s.), 332, 348 Gauthey (Christophe, bénédictin, XIXe s.), 387 Gauvain (Louis, théologien protestant, XVIIe s.), 250 Gavanti (Bartolomeo, dit « Gavantus », 1569-1638), 15, 19, 23, 26, 30, 32, 35, 38, 40-41, 68, 73, 77, 109, 117, 148-149, 224, 235, 400, 403-404, 409, 438, 500 Gênes (Italie), 331-333, 358-359 Genève (Suisse), 245-247, 249-263, 526 Gentil (J., imprimeur, Château-Gontier, XVIIIe s.), 548 Gentili (Antonio Severio, préfet de la congrégation du Concile, XVIIIe s.), 240-241 Germont (J., imprimeur, XVIIe s.), 552 Gesvres (Léon Potier de, archevêque de Bourges, 1646-1744), 75, 154, 157, 159, 548

Fabisch (Joseph, sculpteur, XIXe s.), 133 Fabri et Barillot (imprimeurs, Genève, XVIIIe s.), 261 Faucher (maitre de musique, Clermont, XVIIIe s.), 173 Faulcon (F., imprimeur, Poitiers, XVIIIe s.), 546 Faure (Charles, génovéfain, XVIIe s.), 523 Favrel (Pierre, chanoine de Langres, XIXe s.), 380 Fécamp (La Trinité, abbaye, Seine-Maritime), 302 Félix de Cantalice (saint, 1515-1587), 239 Félix de Valois (1127-1212), 300

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I n de x

Giffart (P., imprimeur, XVIIIe s.), 557 Giffart (R., imprimeur, XVIIe s.), 552 Gilbert (traducteur des psaumes, XVIIe s.), 250 Gilquin (mère Athanase, abbesse de Jouarre, XIXe s.), 388 Giorgi (Domenico, chapelain du Pape, XVIIIe s.), 231-232, 236-238, 242 Girault (Ambroise, imprimeur, XVIe s.), 337 Giuli (Egidio Maria, jésuite, 1691-1748), 241-242 Godeau (Antoine, évêque de Vence, 1636-1672), 418 Godefroy (Denis, 1549-1622), 95 Godefroy (Théodore, 1580-1649), 95 Gomzé (Monsieur de, prêtre, Liège, XVIIe s.), 355 Gosse (Henri-Albert, imprimeur, Genève, XVIIIe s.), 263 Gosse (P., imprimeur, La Haye, XVIIIe s.), 263 Gotti (Vincenzo Ludovico, cardinal, 1664-1742), 209 Gournay (Charles-Chrestien de, vicaire général de Toul, XVIIe s.), 348 Grammont (Antoine-Pierre, évêque de Besançon, 1605-1698), 150, 548 Grammont (François-Joseph, évêque de Besançon, 1698-1717), 150 Grancolas (Jean, 1660-1752), 94, 151, 201, 210, 222, 233, 401, 411, 429, 513-514 Grandi (Guido, abbé des Camaldules, 1671-1742), 225 Grassi (Parîs de, liturgiste, XVe-XVIe s.), 29 Grégoire IX (pape, 1227-1241), 51, 53 Grégoire le Grand (saint, pape, 590-604), 37, 124, 159, 162, 433 Grégoire VII (pape, 1073-1085), 225, 239 Grégoire X (pape, 1271-1276), 47 Grégoire XIII (pape, 1572-1585), 16, 28, 545 Grégoire XVI (pape, 1831-1846), 275 Grenoble (Isère), 74 Grenoble (monastère de cisterciennes), 338 Griveau (G., imprimeur, La Flèche, XVIIe s.), 553, 557 Guéranger (Prosper, abbé de Solesmes, 1805-1875), 120-123, 125, 179-180, 198-201, 204, 221-222, 226227, 233, 240, 244, 286, 373-391, 519-520, 524, 527-528 Guérapin de Vauréal (Louis-Guy, évêque de Rennes, 1732-1759), 97 Guérard (Benjamin, 1797-1854), 122 Guérard (N., graveur, XVIIe s.), 296-297 Guérin (frères, imprimeurs, XVIIIe s.), 374 Guérin (L. imprimeur, XVIIe s.), 370 Guidetti (Giovanni, XVIe s.), 448, 489 Guillaume de Maleval († 1157), 53 Guillaume l’Evêque (abbé de Saint-Germain-desPrés, XIVe s.), 52

Guillelmites (congrégation), 53-58 Guizot (François, 1787-1874), 122 Guyet (Charles, XVIIe s.), 235 Haener (imprimeur, Nancy, XVIIIe s.), 375 Harcourt (abbé d’, chanoine de Notre-Dame de Paris, XVIIIe s.), 202, 206 Harlay de Champvallon, (François de, archevêque de Rouen, 1586-1653), 34 Harlay de Champvallon, (François de, archevêque de Rouen puis de Paris, 1625-1695), 31, 34, 200201, 484, 493 Henault (Jean, imprimeur, XVIIe s.), 332, 545, 547 Henri III (roi de France, 1551-1589), 89 Herdt (Pierre-Jean-Baptiste de, liturgiste, XIXe s.), 126 Hérissant (Claude-Jean-Baptiste, imprimeur, XVIIIe s.), 73, 181, 185 Hérissant (veuve, imprimeur, XVIIIe s.), 182, 375 Heuqueville (J. de, imprimeur, XVIIe s.), 552 Hollande, 253 Hongnant (Claude-René, jésuite, XVIIIe s.), 198, 200, 202, 205-211, 213, 215, 218, 227 Honoré de Sainte-Marie (carme, XVIIIe s.), 224 Huart (« citoyen », 1794), 106 Hubert (abbé, XIXe s.), 135 Huguetan (Jean-Henri, imprimeur, Lyon, XVIIIe s.), 84-85, 546 Huré (Sébastien, imprimeur, XVIIe s.), 73, 500, 551 Huy (couvent des annonciades, Belgique), 331, 339 Ignace de Loyola (saint, 1491-1556), 37-38, 273, 300 Imperiali (Giuseppe Renato, cardinal, XVIIIe s.), 232 Jacquard (Nicolas, imprimeur, Clermont, XVIIe s.), 170 Jacquet (N., imprimeur, Verdun, XVIIe s.), 553 Janninck (Conrad, jésuite bollandiste, 1650-1723), 225 Jannon (Jean, imprimeur, Sedan, XVIIe s.), 246 Jausions (Paul, bénédictin, XIXe s.), 385 Jean de Dieu (saint, † 1550), 300 Jean de la Croix (saint, † 1591), 239 Jean de Matha (saint, † 1213), 300 Jean de Mons (guillelmite, XVe s.), 56 Jean de Rio (XVIe s.), 359 Jean Eudes (saint, † 1680), 33 Jean-Baptiste de la Salle (saint, † 1719), 34-36 Jehannot (Étienne, imprimeur, XVe s.), 337 Joinville (annonciades, Haute-Marne), 331 Joly de Fleury (Jean-Omer, prêtre, XVIIIe s.), 206 Joseph de Paris (capucin, XVIIe s.), 308 Josse (G., imprimeur, XVIIe s.), 365, 554-555 Josse (J., imprimeur, XVIIIe s.), 558

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I n de x

Josse (Louis, imprimeur, XVIIe s.), 483, 503, 548, 557 Jouarre (abbaye, Seine-et-Marne), 388-389 Jouby (A., imprimeur, XIXe s.), 545 Jouffroy-Gonssans (François-Gaspard de, évêque du Mans, XVIIIe s.), 550 Julien (Gilles, organiste, XVIIe s.), 480 Julien (Joseph, chantre de la cathédrale de Clermont, 1657-1719), 166, 522 Julliéron (Guichard II, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 85, 553 Jumièges (abbaye, Seine-Maritime), 288-289 Jumilhac (Pierre-Benoît de, mauriste, XVIIe s.), 285 Jurieu (Pierre, 1637-1713), 253, 258-260, 526 Juvigny (abbaye, Marne), 308, 554, 556 Kürsner (imprimeur, Strasbourg, XVIIIe s.), 558 La Bastide (Marc-Antoine de, XVIIe s.), 250, 252254, 256-261, 263 La Bruyère (Jean de, 1645-1696), 89 La Bry (J.-B. de, imprimeur, Milan, XVIIIe s.), 377 La Caille (Jean de, imprimeur, XVIIe s.), 81 La Chasse (abbé de, XVIIIe s.), 206 La Flèche (Mayenne), 82, 375, 553, 557 La Fontaine (Jean de, 1621-1695), 24 La Fosse (madame, janséniste, XVIIIe s.), 205 La Luzerne (César-Guillaume de, évêque de Langres, 1770-1821), 400, 549 La Rochefoucauld (François de, cardinal, 15581645), 168 Lagardère (abbé, XIXe s.), 135-136 Lagorée ([chanoine] de Toulouse, XVIIIe s.), 187 Lalande (Michel-Richard de, compositeur, 16571726), 101 Laloire (Marie Françoise Augustine Joseph, annonciade, XVIIIe s.), 333 Lambertini (Prospero, cardinal) : voir Benoît XIV Lamennais (Félicité-Robert de, 1782-1854), 375 Landry (Pierre, imprimeur, Paris, fin XVIIe s.), 272 Landry (Pierre, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 35 Langlois (Denis, imprimeur, XVIIe s.), 85, 551 Langlois (Étienne, imprimeur, XVIIe s.), 547 Langlois (François, marchand d’estampes), 84 Langlois (Jacques, imprimeurs, XVIIe s.), 36, 84, 547, 554, 556 Langres (Haute-Marne), 74-75, 82-83, 125, 150, 152153, 155-160, 163, 274, 331, 380, 400, 419, 423, 442, 451, 453, 466, 502, 504, 522, 549 Langres (annonciades), 331 Languet de Gergy (Jean-Joseph, archevêque de Sens, 1730-1753), 210, 226 Lannoy (Jean de, abbé d’Aulne, XVIe s.), 329 Lardenois (Antoine, protestant, XVIIe s.), 250

Largs (monastère, Écosse), 310-311, 314, 320 Launay-Gagnot (imprimeur, Angers, XIXe s.), 550 Laurens (Antoine, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 20, 34, 400-401, 403 Laurent (A., imprimeur, Remiremont, XVIIIe s.), 85, 549 Laurent (Alexis, imprimeur, Toul, XVIIe s.), 83, 386, 548, 556-557 Laurent Giustiniani (saint, † 1455), 239 Laurent (J., imprimeur, Toul, XVIIe s.), 319, 554 Lazaristes (congrégation), 28-29, 33, 39, 41, 64, 68, 70, 73, 75-77, 91-94, 97, 100, 104-105, 118, 149, 381, 407, 431, 438, 440-441, 445, 459, 492-493, 500-501, 507, 509, 547 Le Besgue de Majainville († 1794), 217 Le Boucher (bénédictin, XIXe s.), 376 Le Boullenger (J., imprimeur, Rouen, XVIIe s.), 556 Le Brun (Pierre, oratorien, 1661-1729), 36-38, 383, 411, 421 Le Brun des Marettes, Jean-Baptiste, 1651-1731), 151 Le Clerc (imprimeur, XVIIe s.), 480-481 Le Clère (F.-A., imprimeur, XIXe s.), 83, 551 Le Dieu (François, abbé, XVIIIe s.), 226 Le Madre (Nicolas), 96 Le Maistre de la Garlaye (François-Marie, évêque de Clermont, 1742-1776), 166, 168, 175, 400, 520, 526, 549 Le Maistre de Sacy (Isaac-Louis, 1613-1684), 17, 254 Le Mans (Sarthe), 56, 74, 82, 150, 384, 550 Le Mans (Saint-Vincent, abbaye), 56 Le Marinel (chanoine de Meaux, XVIIe s.), 66, 438, 546 Le Nain (Antoine, 1588-1648), 38 Le Nain (Louis, 1593-1648), 38 Le Nain de Tillemont (Louis Sébastien, 1637-1698), 224, 243 Le Pautre (Pierre I, 1652-1716), 104 Le Puy-en-Velay (Haute-Loire), 74, 82, 550 Le Roux (François, franciscain, XVIIe s.), 368 Le Tourneux (Nicolas, 1640-1686), 34, 201, 215 Lebeuf (Jean, 1687-1760), 181, 198, 484-486, 488-489, 492-494, 525 Leclerc (Sébastien, graveur, XVIIe s.), 104 Lefort (L., imprimeur, Lille, XIXe s.), 312, 320 Lemoyne (Jean, XVe s.), 57 Lenfant (Jacques, 1661-1728), 253 Léon XIII (pape, 1878-1903), 129, 223, 545 Léonard (Frédéric, imprimeur, XVIIe s.), 57, 83, 337, 339, 483, 556 Lercari (Niccolo Maria, nonce en France, XVIIIe s.), 196, 200, 228, 240-242 Lerosey (éditeur, XIXe s.), 126 Liège (Belgique), 8, 329, 331-334, 337-340, 346-350, 352, 354-356

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I n de x

Ligugé (Saint-Martin, abbaye, Vienne), 287, 388 Liguori (Alphonse de, † 1787), 22 Lille (Nord), 82, 119, 126, 312, 320, 331, 556 Lille (annonciades), 331 Limoges (Haute-Vienne), 130 Lisieux (Calvados), 65, 67-68, 74-75, 82, 113, 150, 154-156, 158, 161, 442, 445, 452, 460, 502-503, 506507, 511, 513, 523, 549 Lohner (Tobias, jésuite, XVIIe-XVIIIe s.), 17-18 Loménie de Brienne (Étienne-Charles de, évêque de Condom, 1760-1763), 187, 191, 193 Londres (Angleterre), 252-253, 260 Lorraine d’Armagnac (François-Armand de, évêque de Bayeux, 1718-1728), 198 Lottin (Augustin Martin, imprimeur, XVIIIe s.), 83, 85, 201, 203, 233, 558 Loubajac (Hautes-Pyrénées), 133 Loudun (Vienne), 248-249 Louis de Gonzague (saint, † 1591), 239 Louis IX (roi de France, † 1270), 121 Louis XI (roi de France, 1423-1483), 331 Louis XIII (roi de France, 1601-1643), 180 Louis XIV (roi de France, 1638-1715), 32, 89-91, 94-98, 100, 102-103, 151, 213, 316, 464 Louis XV (roi de France, 1710-1774), 97, 103 Louis XVI (roi de France, 1754-1793), 85 Lourdes (Hautes-Pyrénées), 129-143, 521, 525 Louvain (Belgique), 17, 368 Lucas (C., imprimeur, Londres, XVIIIe s.), 253 Lucas (Estienne, imprimeur, Charenton, XVIIe s.), 250 Lucini (Aloys Maria, dominicain, XVIIIe s.), 210, 215 Lully (Jean-Baptiste, 1632-1687), 100, 480 Luxembourg, 346 Luynes (Albert de, archevêque de Sens, 1753-1788), 150, 157, 163 Luynes (Charles-Philippe d’Albert, duc de, 16951758), 103, 105 Lwow (bénédictines du saint sacrement, Pologne), 313 Lyon (Rhône), 19-21, 24, 33-35, 80-86, 118-119, 121, 124-126, 151, 155, 179, 187-190, 196, 307, 319, 331-333, 338, 358, 360, 368-369, 400-401, 403, 408, 429, 481, 500, 524, 545-547, 549-550, 553-554 Lyon (annonciades), 331-333 Lyon (cathédrale Saint-Jean), 187-190, 429 Lyon (Notre-Dame de la Déserte, abbaye), 307, 319 Mabillon (Jean, mauriste, † 1707), 235 Mabre-Cramoisy (Sébastien et veuve, imprimeur, XVIIe s.), 255-256, 338-339, 421 Madrid (Espagne), 167 Magri (Carolo), 22 Magri (Dominico, 1604-1672), 21-22

Mahiet (chanoine de Sens, XVIIIe s.), 69, 152 Maillezais (Vendée, abbaye), 287 Maioret ou Majoret (Laurent, vanniste, XVIIe s.), 309 Manceron (P.-A., imprimeur, Bourges, XIXe s.), 550 Manuel Ier Comnène (empereur, 1143-1180), 235 Maradan (imprimeur, XVIIIe s.), 217 Marboeuf (Yves-Alexandre de, évêque d’Autun, XVIIIe s.), 187 Marchand (Joseph, compositeur, 1673-1747), 484 Marchand (Louis, compositeur et organiste, 16691732), 478, 480-481 Marchand (Luc, compositeur, 1709-1799), 94 Marests (Samuel des, théologien, XVIIe s.), 249 Marguerite de Cortone (sainte, † 1297), 239 Marie de Jésus Petigot (bénédictine du Saint-Sacrement, XVIIe s.), 314 Marie de la Réparation (Paule de Rougé, Société des Petites sœurs de Jésus, XIXe s.), 379 Marienthal (Allemagne), 51 Mariette (Denis, imprimeur, XVIIIe s.), 84, 320, 337, 339, 557 Marmoutier (abbaye, Indre-et-Loire), 292 Marnef (Jean de, imprimeur, XVIe s.), 335, 337 Marot (Clément, 1496-1544), 247, 250, 252, 255-258, 260, 263, 525 Marquié (mère Domitille de, bénédictine, XIXe s.), 388 Marseille (Bouches-du-Rhône), 195, 287, 367, 387 Marseille (Saint-Victor, abbaye), 287 Marseille (Sainte-Marie-Madeleine, abbaye), 387 Martène (Edmond, mauriste, † 1740), 51, 235, 287, 292, 377 Martin (Claude, mauriste, † 1696), 292 Martin (G., imprimeur, XVIIIe s.), 217 Martinucci (Mgr, XIXe s.), 381 Mascarou-Laurence (Bertrand-Sévère, évêque de Tarbes, 1844-1870), 129, 133, 135 Massillon (Jean-Baptiste, évêque de Clermont, 1717-1742), 171-174, 176-177, 520, 526 Maurice d’Épernay (ofm cap), 369 Mauriac (Cantal), 165 Mazot (F., libraire, XVIIe s.), 39, 273 Meaux (Seine-et-Marne), 74, 76, 226, 256, 401, 414, 438, 499, 504, 514-515, 523 Ménard (Hugues, mauriste, XVIIe s.), 235 Mende (Lozère), 36, 183, 411 Méquignon (imprimeur, XIXe s.), 378 Merati (Gaetano Maria, liturgiste, XVIIIe s.), 15, 23, 38 Mesenguy (François-Philippe, 1677-1763), 202-204, 210, 219 Metz (Moselle), 74, 82, 150-151, 154-156, 162, 274, 309, 320, 440, 442-443, 446, 448-450, 453-456, 459, 548

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I n de x

Metz (Saint-Arnoult, abbaye), 309 Metz (Sainte-Glossinde, abbaye), 320 Michelangelo (Giacomelli, 1695-1774), 235 Michelet (Jules, 1798-1874), 121 Micolon de Blanval (Joseph, chanoine de Clermont, XVIIIe s.), 174 Miégeville (abbé, XIXe s.), 133 Milan (Italie), 15, 27, 33, 162, 289, 361, 377, 417 545 Milst (J.-F. de, imprimeur, Liège, XVIIe s.), 347 Minimes (Ordre), 210, 557 Mirepoix (Ariège), 173, 177-178, 185 Molin (Antoine I, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 86 Molin (J., imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 333 Molina (Antoine de, 1550-1612), 33 Monnoyer (imprimeurs, Neufchâteau, XVIIIe s.), 83, 549, 558 Mons (Belgique, annonciades), 331, 333 Mont Cassin (Italie, abbaye et congrégation), 286, 289, 380-381, 387 Montargis (Notre-Dame des Anges, abbaye, Loiret), 308, 311, 319, 521, 554, 557 Montauban (Tarn-et-Garonne), 135, 248 Malvin de Montazet (Antoine, archevêque de Lyon, 1758-1788), 187-189 Monte Gargano (Italie), 237 Montferrand : voir Clermont-Ferrand Monti (Filippo-Maria, cardinal, XVIIIe s.), 231-232, 237, 240-241 Montivilliers (abbaye, Seine-Maritime), 304, 307, 319, 552 Moranges (Antoine, chanoine de Clermont, 1704ca 1750), 173, 177 Moreau (Denys, imprimeur, XVIIe s.), 235 Morel (Antoine, prévôt de Bar, XVIIe s.), 70 Morel (Jérôme, provincial des augustins de la province de France, XVIIe s.), 66-68, 70, 72, 76-77, 502-503, 506, 555 Moretus (Balthazar, imprimeur, Anvers, XVIIe s.), 339 Morin (Martin, imprimeur, Rouen, XVIe s.), 359 Morlot (C., imprimeur, XVIIe s.), 552 Mortier (Pierre, imprimeur, Amsterdam, XVIIIe s.), 263 Moulins (abbaye cistercienne, Belgique), 339-340 Muguet (imprimeurs, XVIIe s.), 34, 319, 331, 338 Muratori (Lodovico Antonio, érudit, 1672-1750), 239, 241, 383 Namur (Belgique), 331, 337, 339 Nancy (Meurthe-et-Moselle), 82, 84, 126, 331-333, 347-348, 375, 510, 555 Nancy (annonciades), 331-333, 347-348 Neaulme (J., imprimeur, La Haye, XVIIIe s.), 263 Neufchâteau (Vosges), 82-83, 274, 549, 558

Neufchâtel (Suisse), 263 Nicéphore de Paris (capucin, XVIIe s.), 60, 66, 69-70, 555 Nicolai (Arnold, imprimeur, Emmerich, XVIIIe s.), 201, 233 Nicolas-Brémon (Jean-Baptiste, bénédictin, XIXe s.), 378-380, 383, 385 Nicole (Pierre, XVIIe s.), 413, 512 Nicolle (veuve d’Antoine-Jean, imprimeur, Bayeux, XIXe s.), 83, 113, 550 Nivers (Guillaume-Gabriel, compositeur, ca 16321714), 32, 36, 316, 477, 479, 509 Noailles (Louis-Antoine de, archevêque de Paris, 1695-1729), 60, 69, 99, 181, 197-198, 200, 202, 211, 216, 400, 419, 494, 548 Nozeroy (annonciades, Jura), 331 Olier (Jean-Jacques, 1608-1657), 14, 25, 32-33, 36, 38, 271, 514, 526 Orlandi (Celestino, procureur général des célestins, XVIIIe s.), 241-242 Orléans (Loiret), 196, 200, 217 Orléans (Antoinette d’, feuillantine, † 1618), 309 Orsini (Neri, cardinal, XVIIIe s.), 222 Orsini (Vincenzo Marin, cardinal) : voir Benoît XIII Ostervald (Jean-Frédéric, XVIIIe s.), 253, 261-263 Paix-Dieu (abbaye cistercienne, Belgique), 339 Paltieri (Domenico, tor), 364 Paquelin (Louis, bénédictin, XIXe s.), 384-386 Paris (annonciades), 331 Paris (Blancs-Manteaux, abbaye), 56-58 Paris (collège de Cluny), 287 Paris (collège de Dormans-Beauvais), 204 Paris (Imprimerie royale), 85 Paris (La Villette, paroisse), 200 Paris (Le Val de Grâce, abbaye), 308, 319 Paris (Montmartre, abbaye), 30, 62-63, 72-73, 76-77, 304-305, 308-310, 313-317, 320, 323, 389, 466, 469, 471, 473, 510, 555 Paris (Notre-Dame), 63, 70, 180-182, 200, 202, 206, 477, 487-488, 491-495, 524, 527 Paris (Saint-Benoît), 490 Paris (Saint-Étienne-du-Mont), 200, 490 Paris (Saint-Germain-des-Prés, abbaye), 52-53, 75, 385 Paris (Saint-Jacques-de-la-Boucherie), 466 Paris (Saint-Magloire), 202, 205, 492 Paris (Saint-Marcel), 410 Paris (Saint-Médard), 200 Paris (Saint-Merry), 466, 470, 490 Paris (Saint-Nicolas-des-Champs), 206, 466 Paris (Saint-Nicolas-du-Chardonnet), 20, 25, 33, 107, 206, 401

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I n de x

Paris (Saint-Sulpice), 25, 28, 32-33, 38, 75, 126, 206, 271, 514 Paris (Saint-Victor, abbaye), 52-53 Paris (Sainte-Geneviève, abbaye), 25, 58, 490, 513, 523 Paris (Sorbonne), 107, 122, 173, 180, 204, 217 Parisis (Pierre-Louis, évêque de Langres puis d’Arras, 1795-1866), 121, 123 Parquet (curé de Saint-Nicolas-des-Champs, Paris, XVIIIe s.), 206 Pasquet (P., imprimeur, Le Puy, XIXe s.), 550 Paul ([chanoine] de Toulouse, XVIIIe s.), 187 Paul IV (pape, 1476-1569), 244 Paul V (pape, 1605-1621), 25, 280, 286, 366, 375, 500-501, 551, 553 Paul VI (pape, 1963-1978), 519 Pavillon (Nicolas, évêque d’Alet, 1637-1677), 33 Pays-Bas, 54, 84, 86, 253, 330-332, 337, 338 Peelmans (Marie-Thérèse, annonciade, † 1706), 333 Peggi (Pier Francesco, chanoine, XVIIIe s.), 221, 232, 239 Pellet (Jean-Louis, imprimeur, Genève, XVIIIe s.), 261 Penserais (de, archidiacre de Chartres, XVIIIe s.), 191 Pépingué (Étienne, imprimeur, XVIIe s.), 319, 554 Percin de Montgaillard (Pierre-Jean-François de, évêque de Saint-Pons-de-Thomières, 1664-1713), 224 Pereyret (Jacques, chanoine de Clermont, 15901658), 171, 177 Périer (Louis, chanoine de Clermont, 1650-1713), 161, 166 Périer de Saint-Mesmin (Antoine, chantre de la cathédrale de Clermont, 1679-1744), 166, 173, 177 Périsse (libraires-imprimeurs, Lyon, XVIIeXVIIIe s.), 86 Périsse (A. et frères, imprimeurs, Lyon, XIXe s.), 550 Périsse-Duluc (Jean-André, imprimeur, Lyon, XVIIIe s.), 86 Perrin (Pierre, poète, 1620-1675), 100 Perrin (Pierre, imprimeur, Verdun, XVIIIe s.), 83-84, 558 Perrot (Edme, abbé de Cîteaux, XVIIIe s.), 337, 557 Petit (Jean, abbé de Cîteaux, 1670-1692), 337 Peyramale (curé de Lourdes), 131, 133-134 Philibert (saint, † 685), 302 Philidor (André Danican, 1726-1795), 99-101 Philippe Néri (saint, †1595), 16, 273 Picard ou Picart (Bernard, graveur, 1673-1733), 278-280 Picard (François, assomptionniste, XIXe s.), 135-136 Pictet (Benedict, pasteur, 1655-1724), 252, 261

Pie IV (pape, 1560-1565), 19 Pie IX (pape, 1846-1878), 140, 222-223 Pie V (pape, 1566-1572), 13, 15, 162, 167-169, 196, 199, 217, 219, 223, 234 Pie X (pape, 1903-1919), 120, 129, 244, 371 Pierre de Sainte-Catherine (feuillant, XVIIe s.), 30, 62-63, 73, 76-77, 308-309, 315, 320, 389,466, 469, 473, 510, 555 Pierres (Ph.-D., imprimeur, XVIIIe s.), 375 Pistorius (Jean, imprimeur, Bâle, XVIIIe s.), 263 Placide (Jean, vanniste, XVIIe s.), 309 Poggiani (Jules, XVIe s.), 34 Poisson (Pierre, imprimeur, Caen, XVIIe s.), 319 Poitiers (Vienne), 74, 82, 113, 546 Poncet de la Rivière (évêque d’Angers, XVIIIe s.), 154 Ponçonnas (Louise de, cistercienne, XVIIe s.), 338 Porzia (Leandro di, cardinal, 1673-1740), 209 Pothier (Joseph, bénédictin, XIXe s.), 385 Preaulx (Manassez de, imprimeur, Rouen, XVIIe s.), 36 Prémontré (ordre religieux), 51-52, 55, 83-84, 553, 558 Quarti (Paolo Maria, XVIIe s.), 23, 41 Quesnel (Jacques, imprimeur, XVIIe s.), 148 Quesnel (Pasquier, oratorien, 1634-1719), 196-197, 204, 208-212, 214-215, 218, 229 Quiñonez (Francisco de, cardinal, XVIe s.), 217 Quinque (imprimeur, Tournai, XVIIe s.), 332-333 Raveneau (Jean-Baptiste, curé, XVIIe s.), 74 Raymond de Pennafort (saint, †1275), 239 Raynaud (Théophile, jésuite, XVIIe s.), 500 Regnaud (grand vicaire de Paris, XVIIIe s.), 206 Reims (Marne), 97, 180, 292, 480 Remeus (G., imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 500 Remiremont (Vosges), 82-83, 85, 549 Remy (Christophe, imprimeur, XVIIe s.), 401 Renoux (Louis, oratorien, XVIIIe s.), 152 Ressayre (Jean, imprimeur, Dijon, XVIIIe s.), 338 Richard (Pierre, organiste, † 1652), 466 Richardot (François, évêque d’Arras, XVIe s.), 158 Richelieu (Armand-Jean du Plessis de, cardinal, 1585-1642), 294, 336 Rigoine (L. et F.-L., imprimeurs, Besançon, XVIIe s.), 83, 548, 556-557 Rival (Pierre, XVIIIe s.), 253, 258 Robinet (grand vicaire de Paris, XVIIIe s.), 206 Robiou de la Tréhonnais (Louis-Jean-Julien, évêque de Coutances, 1784-1870), 551 Rocca (Angelo, 1545-1620), 25 Chateauneuf de Rochebonne (Charles-François de, archevêque de Lyon, 1731-1740), 188 Rochechouart de Mortemart (Gabrielle, abbesse de Beaumont-les-Tours, XVIIIe s.), 317

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Rochette (Jean-Blaise, chanoine de Clermont, 1756-1815), 166 Roger (Roberto, imprimeur, Londres, XVIIIe s.), 253 Rollin (prêtre parisien, XVIIIe s.), 204 Rome (Italie), 9, 13-14, 16, 21-22, 25, 29-30, 35, 73, 120, 123, 162, 196-197, 200-201, 204-205, 207-210, 218219, 221, 224-226, 228-229, 231-232, 235-238, 241, 244, 286-287, 289, 298, 306, 334-335, 357-358, 361, 364, 366, 369, 375, 377, 380-381, 400, 423, 445, 448, 489, 506, 525-528, 545 Rome (archives du Latran), 241 Rome (bibliothèque vaticane), 196, 225, 241 Rome (Collegio Romano, bibliothèque), 230, 241 Rome (Pénitencerie apostolique, bibliothèque), 241 Rome (Saint-Paul-hors-les-Murs), 237, 241, 375, 381, 488 Rome (Saint-Siège), 13, 31, 90, 123, 216-217, 219, 228, 239, 244, 267, 375 Rome (Santa Maria ai Monti), 230 Rome (Sainte-Croix de Jérusalem, abbaye), 241 Rome (Sainte-Marie-Majeure, archives), 241 Rome (Sainte-Suzanne, cisterciennes), 306 Rome (Vallicelliana, bibliothèque), 241 Romigny (abbé de, XVIIIe s.), 206 Ronceray (abbaye bénédictine du), 458 Roncerey (J.-A. du, imprimeur, Lisieux, XVIIIe s.), 549 Roquette (Gabriel de, évêque d’Autun, 1666-1707), 161 Rotterdam (Hollande), 60, 253, 439 Rouen (Seine-Maritime), 34, 36, 80-83, 97, 200, 288, 293, 302, 310-311, 314-315, 320, 359-360, 367, 410, 480, 552, 556 Rouen (Bonne-Nouvelle, abbaye), 288 Rouen (Saint-Ouen, abbaye), 288 Rousseau (Jean-Jacques, 1712-1778), 41 Rousteau (vicaire général de Nantes, XIXe s.), 140 Rubeis (Antoine de, imprimeur, Rome, XVIIIe s.), 401, 545 Rubens (Pierre-Paul, 1577-1640), 37 Ruinart (Thierry, mauriste, † 1709), 235, 243 Rumilly (Haute-Savoie), 338 Saillant (imprimeur, XVIIIe s.), 204 Sainctot (Nicolas de, XVIIe s.), 95-96, 99 Saint-Adalbert d’Egmond (abbaye, Hollande), 51 Saint-Aignan (Duc de, ambassadeur à Rome, XVIIIe s.), 228-229 Saint-Amand-les-Eaux (abbaye, Nord), 58 Saint-Amour (annonciades, Jura), 331 Saint-Chinian (abbaye, Hérault), 287 Saint-Claude (annonciades, Jura), 331 Saint-Cyran (Jean Duvergier de Hauranne, abbé de, 1581-1643), 85, 525

Saint-Denis (abbaye, Seine-Saint-Denis), 50, 98, 180 Saint-Étienne de Cébazat (collégiale, près de Clermont), 168 Sainte-Catherine du Semnoz (abbaye, Haute-Savoie), 338 Saint-Maur (congrégation), 64, 68, 70, 162, 285-301, 373, 375, 382-387, 389, 466, 500, 520, 526, 552, 554, 556 Saint-Mihiel (annonciades, Meuse), 331 Saint-Nectaire (Antoine de, évêque de Clermont, 1561-1592), 168 Saint-Pons-de-Thomières (Hérault), 224 Saint-Simon (Louis de Rouvroy, Duc de, 1675-1755), 103 Saint-Thierry de Reims (abbaye, Marne), 292 Saint-Vanne (congrégation), 64, 68, 275, 286, 289, 297, 308-309, 373, 375, 386, 389, 556 Saint-Wandrille (abbaye, Seine-Maritime), 292, 385 Santeul (Jean-Baptiste, 1630-1697), 215, 217 Sara (R., imprimeur, XVIIe s.), 553 Saumur (Maine-et-Loire), 254 Savouret (veuve de Pierre, imprimeur, Amsterdam, XVIIe s.), 250 Savreux (Ch., imprimeur, XVIIe s.), 500 Scalberge (L.), 253, 258 Schadewitz (Salomon, imprimeur, Cassel, XVIIe s.), 250 Schaffhouse (Suisse), 253 Schelstrate (Emmanuel de, XVIIe s.), 225 Sempé (Rémi, prêtre, XIXe s.), 135, 140-141 Seneuze (imprimeur, Châlons, XVIIIe s.), 546 Sens (Yonne), 65, 67, 69, 71, 74, 82, 150-152, 155-157, 160, 163, 180, 200, 210, 215, 226, 442, 445-448, 451452, 466, 470, 511, 549 Sergio (Tomaso, congrégation des Pii Operai, XVIIIe s.), 209-210, 219, 231, 242 Sevin (P., peintre et graveur, XVIIe s.), 296 Simon (Claude II, imprimeur, XVIIIe s.), 66, 83, 558 Simon (Pierre, imprimeur, XVIIIe s.), 205, 207 Simon, (Pierre-Guillaume, imprimeur, XVIIIe s.), 188 Siponto (diocèse, Italie), 237 Sire (Dominique, sulpicien, XIXe s.), 135 Sixte-Quint (pape, 1585-1590), 20, 30, 35 Soanen (Jean, évêque de Senez, 1696-1727), 200 Sobieski (Jean III, roi de Pologne, 1629-1696), 236 Soissons (Aisne), 217 Soleilmont (abbaye cistercienne, Belgique), 339-340 Solesmes (abbaye Saint-Pierre, Sarthe), 7, 10, 206, 222, 285, 373-394, 520, 523, 527 Solesmes (abbaye Sainte-Cécile), 379, 383, 387-390, 394 Soliers (abbaye cistercienne), 340 Sonnet (Martin, liturgiste, XVIIe s.), 63, 65, 69-70, 74-75, 77, 94, 148-149, 157, 159-160, 400, 402, 418,

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I n de x

421 423, 428, 444-447, 450, 456, 465, 468, 503, 505, 511-514, 523, 526, 543, 547 Soumagne (Ferdinande de, cistercienne, XVIIIe s.), 340 Sourches (Louis-François Du Bouchet, Marquis de), 103 Souvigny (prieuré clunisien, Allier), 165 Stanbrook (Notre-Dame, abbaye, Angleterre), 388 Strasbourg (Bas-Rhin), 82, 558 Suzanne de la Passion Bompard (bénédictine du Saint-Sacrement, XVIIe s.), 314 Taillandier (Robert, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 86 Tamburini (Fortunato, abbé de Saint-Paul-horsles-Murs, Rome, XVIIIe s.), 239, 241 Tanquerey (P.-L., imprimeur, Coutances, XIXe s.), 550-551 Tarbé (P.-H., imprimeur, Sens, XVIIIe s.), 549 Tarbes (Hautes-Pyrénées), 129, 132-135, 141 Tarrisse (Grégoire, mauriste, XVIIe s.), 285, 287, 294 Tart (Le, cisterciennes, Côte-d’Or), 338 Tassin (René-Prosper, mauriste, XVIIIe s.), 292 Tencin (Pierre Guérin de, cardinal, 1680-1758), 197, 221, 229-231, 239-241, 244 Thérèse d’Avila (sainte, 1515-1582), 201, 300 Thierry (Denis, imprimeur, XVIIe s.), 84, 556 Thiers (Jean-Baptiste, XVIIe s.), 69, 508, 512-514 Thomas d’Aquin (saint, 1225-1274), 14, 17, 21, 157, 433 Thomassin (Louis, 1619-1695), 235, 411 Tolède (Espagne), 206 Tomasi (Giuseppe Maria, théatin, XVIIe s.), 235, 383 Tongres (annonciades, Belgique), 331-332, 352 Torrès (Ludovico de, 1552-1609), 16 Toubeau (F., imprimeur, Bourges, XVIIIe s.), 548 Toul (Meurthe-et-Moselle), 63, 69, 73-75, 82-85, 150-152, 155, 157, 159-160, 162-163, 275, 319, 348, 386, 399-401, 413-414, 416, 419-420, 423, 426-428, 442444, 446-447, 449-457, 460, 466, 471 474, 510, 548-549, 552-554, 556-557 Toulouse (Haute-Garonne), 35, 64, 74, 82-83, 179, 181, 184, 186-187, 191-193, 360, 362, 369-370, 550 Toulouse (cathédrale Saint-Etienne), 192 La Tour d’Auvergne-Lauraguais (Charles de, évêque d’Arras, 1802-1851), 120 Tournai (Belgique), 528 Tournai (annonciades), 331-333 Tournes (de, imprimeurs, Genève, XVIIe et XVIIIe s.), 250, 261-262 Tours (Indre-et-Loire), 180, 292, 320, 519, 557 Toustain (Charles-François, mauriste, XVIIIe s.), 292 Trente (Italie), 13, 15-16, 18, 21, 27-28, 35-36, 49, 59-60, 62, 77, 107, 125, 158, 161-162, 167-169, 192, 196, 208209, 214, 219, 223, 269, 335, 338, 345, 415, 421, 431432, 484, 522, 545

Trévoux (Ain), 86, 205, 227 Tronchin (Louis, théologien protestant, 1629-1705), 249-253, 255-257, 259-260, 262 Tronson (Louis, 1662-1700), 33 Troyes (Aube), 55, 196, 210, 226, 231, 465, 492 Tulle (Corrèze), 510 Turrettini (François, théologien, XVIIe s.), 252 Turrettini (Jean-Alphonse, théologien, XVIIIe s.), 262-263 Urbain VIII (pape, 1623-1644), 15, 25, 30, 32, 94, 100, 102, 217, 223-224, 234, 267, 294 Ursulines, 304, 554, 557 Val-Benoît (cisterciennes, Belgique), 340, 354 Valenti Gonzaga (Luigi, prélat, XVIIIe s.), 231, 241 Valenti Gonzaga (Silvio, cardinal, XVIIIe s.), 206, 209-210, 219, 231, 236-237, 240-242, 244 Valette (de, [chanoine] de Toulouse, XVIIIe s.), 187 Valfray (Pierre I, imprimeur, Lyon, XVIIe s.), 155, 368 Valfray (Pierre II, imprimeur, Lyon, XVIIIe s.), 387 Valladolid (abbaye et congrégation, Espagne), 387 Val-Notre-Dame (abbaye cistercienne, Belgique), 339 Valois, Mademoiselle de (épouse du duc de Savoie, 1684), 99 Van Hove (Marie-Louise-Gonzague (annonciade, †1641), 355 Vandermosen (annonciade, XVIIe s.), 355 Vannes (Morbihan), 185-186 Varennes (veuve de Ollivier, imprimeur, XVIIe s.), 250 Varsovie (bénédictines du Saint-Sacrement, Pologne), 313-314 Vatar (H., imprimeur, Rennes, XIXe s.), 386-387 Vatar (Julien, imprimeur, Rennes, XVIIIe s.), 370, 558 Vaugirauld (Jean de, évêque d’Angers, 1730-1758), 154 Vaussin (Claude, abbé de Cîteaux, 1645-1670), 336 Velpen (Marie-Séraphine Alberte de, annonciade, † 1680), 355 Venise (Italie), 25, 29, 33, 235, 277, 286, 336, 359, 438 Vepria (Jean de, prieur de Clairvaux, XVe s.), 337338 Verdun (Meuse), 74, 76, 82-84, 119-120, 124-125, 134, 160, 361, 429, 499, 550-551, 553, 558 Verdun (clarisses), 76, 82-83, 361, 499, 551 Verdussen (Jean-Baptiste, imprimeur, Verdun, XVIIIe s.), 36 Vernet (Damien, chanoine de Clermont, † 1671), 171, 177 Versailles (Yvelines), 77, 89-106, 169, 521-522, 524 Vert (Claude de, clunisien, XVIIe s.), 37, 63, 151, 188, 201, 411-412, 429, 484

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I n de x

Vesoul (annonciades, Haute-Saône), 331, 348 Veuillot (Louis, 1813-1883), 130-131 Vialles (Joseph, chanoine de Clermont, 1671-1753), 173, 178 Viart (Pierre, imprimeur, XVIe s.), 335 Vienne (Isère), 151 Vigier (François-Antoine, oratorien, XVIIIe s.), 197, 202, 206-207, 210, 219 Villèle (Guillaume-Aubin de, archevêque de Bourges, 1770-1841), 550 Villeneuve-Esclapon (François-Joseph de, évêque de Verdun, 1826-1831), 550 Villette (Claude, chanoine de Saint-Marcel de Paris, XVIIIe s.), 36, 410 Vincent (Jacques, imprimeur, XVIIIe s.), 429 Vincent (Jean, doctrinaire, XVIIe s.), 555 Vincent de Paul (saint, 1581-1660), 14, 28, 33, 56, 91, 107, 201, 493, 526

Vintimille Du Luc (Charles Gaspard de, archevêque de Paris, 1729-1746), 152, 164, 180, 182, 195, 197-207, 209-211, 213, 215-219, 226-229, 231, 233, 235, 241, 484, 492-493, 527 Visitation (Ordre de la), 304, 340, 380 Vitray ou Vitré (Antoine, imprimeur, XVIIe s.), 84, 499, 546 Vitré (Barthélémy, XVIIe s.), 320, 555 Vitré (Marin, XVIIe s.), 320, 555 Walincourt (Notre-Dame du Val, guillelmites, Nord), 56 Wappy (J., imprimeur, XVIIe s.), 551 Zavaroni (Francisco, général des minimes, XVIIIe s.), 210-211 Zell (Suisse), 253, 386 Zurich (Suisse), 251-253, 259

Index des temps et offices liturgiques Ascension, 49, 165, 173-174, 208, 215, 262 381, 470 Assomption, 49, 135, 208, 213, 235, 376, 456, 458-459, 470, 491 Défunts, 46, 48-49, 52, 54, 56, 64-65, 67, 93, 105, 110, 112, 114, 116, 153, 186, 280, 386, 289, 297-299, 303, 305-307, 317, 319-320, 340-341, 345, 347, 349-350, 393, 406, 433, 436, 438-439, 443, 447-448, 450, 469-470, 472, 481, 511, 523 Noël, 65, 97, 111, 134, 172, 182, 235, 237, 262, 299, 333, 342, 349, 374-375, 392, 394, 404, 434, 454-456, 458, 468-470, 477, 479-481 Pâques, 49, 65, 99, 111, 153, 182, 187, 242, 295, 324325, 327, 342, 381, 391-392, 394, 403, 426, 437, 447, 455-456, 459, 468-470, 474, 489 Pentecôte, 98-99, 135, 183, 215, 410, 455, 468, 470 Saint-Sacrement (Fête Dieu), 165, 173, 183, 313, 316, 326-327, 381 456, 459, 470, 498-499, 501-504, 506, 508, 510, 514-515 Saint-Sacrement, bénédiction, 64, 68, 136, 297, 414, 458, 470, 498-504, 507-510 Saint-Sacrement, exposition, 27, 41, 65, 67, 69, 92, 93, 114, 275, 295, 299, 312, 349, 354, 406, 421-422, 426-428, 458, 469-470, 497-498, 503-505, 508-510, 513-515 Saint-Sacrement, procession, 49, 105, 135-136, 143, 175, 205, 278, 437, 458-459, 499, 502, 509 Saint-Sacrement, saluts, 91, 93-94, 136, 154, 458, 477, 497-516, 525

Semaine sainte, 63, 65, 92-93, 99, 102, 105, 111, 116117, 153, 174, 188, 211, 279, 295, 307, 347, 351, 353, 381, 392, 447, 483, 488-491, 524 Toussaint, 427, 470 Complies, 93-94, 116-117, 290, 294, 298-299, 324, 326, 341, 347, 351-352, 354, 374, 433, 444, 456-458, 463, 469-470, 472474, 477, 485-486 489, 499, 501, 508, 513, 515, 550 Laudes, 55, 73, 100, 109-111, 115-116, 157 Matines, 49, 53-54, 61, 73, 109-111 115-117, 153, 166, 168, 181, 184, 187, 189, 215, 222, 294 324, 326, 347348, 351 382, 391-393, 410, 424, 427, 432-436, 447448, 451, 455, 456, 463, 469-470, 472-474, 477, 485, 512, 546 Messe basse ou privée, 24, 26, 32, 38-39, 54, 61, 65, 73, 93, 100, 103, 109-112, 114, 117-118, 153 163, 271273, 402-404, 407 424, 427, 441, 514, 546, 549, 551 Messe conventuelle, 51, 67, 290, 294, 298-299, 343, 382, 386-387 Messe des morts, 110, 112, 114, 299, 406 Messe de paroisse, 33-34, 36, 148, 280 Messe haute ou solennelle, 2, 26, 38, 60-61, 64-65, 67, 73 93-94, 110-112, 116-118, 173, 269, 275, 281, 293294, 324, 326-327, 340, 376, 403, 406, 412, 424, 427, 429, 432, 449, 451, 453, 456, 469-471, 472-474, 499 Messe pontificale, épiscopale, 38, 47, 65, 70, 116, 148, 296, 380, 546

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I n de x

Messe votive, 49, 67, 111, 470, 511 Processions, 17, 27, 38, 45, 49-50, 52, 61, 65, 67, 93, 95, 105, 110, 115, 131, 133, 135-141, 143, 166, 173-175, 186, 205, 278-279, 288, 299, 307, 310-311, 322, 332, 342-343, 349, 352, 354, 367, 380, 386, 393, 402, 410, 426, 437, 449, 458-460, 470, 472, 485, 488-490, 498-499, 502-504, 509-510, 526

Vêpres, 55, 61, 73, 93-94, 98, 100, 103, 109-111, 115-117, 148, 153, 168, 184, 191, 211, 212, 215, 242, 290, 294, 298-299, 324-327, 342, 344, 347, 351, 374, 376, 381382, 384-385, 301-394, 404, 424, 427, 432-437, 441, 443-444, 447-449, 451-455, 458-459, 463, 469-470, 472-474, 477, 486-489, 494, 498, 500-502, 505509, 510-515, 546, 550

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L iste-I ndex des cérémoniaux imprimés (160 0-18 4 6)  1 Cette Liste-Index a vocation à remplir plusieurs fonctions : 1 elle donne une liste qui se veut représentative et aussi complète que possible mais non exhaustive de cérémoniaux retenus selon les critères précisés ci-après ; 2 elle donne en correspondance de chaque ouvrage ou de ses diverses rééditions un titre uniforme permettant la citation courte et explicite des cérémoniaux quand ils sont cités dans les différents articles du présent ouvrage ; 3 elle sert directement d’index des cérémoniaux cités. Présentation Les ouvrages sont présentés dans l’ordre chronologique dans chacune des catégories suivantes : Le Cérémonial des évêques – Caeremoniale episcoporum (p. 545) Cérémoniaux pour l’usage romain (p. 546) Cérémoniaux pour l’usage diocésain, cathédral, collégial et /ou paroissial (p. 547) Cérémoniaux à l’usage des ordres monastiques et communautés religieuses (p. 551). Principes pour l’établissement de la Liste-Index Contenu Cette liste retient les cérémoniaux, livres de cérémonies ou ouvrages composites comportant une partie consacrée au cérémonial, imprimés en France à destination des diocèses, ordres religieux, communautés régulières ou séculières, églises particulières et ouvrages pour l’usage romain, quel que soit leur titre, depuis 1600, date de parution du Cæremoniale episcoporum, jusqu’à 1800. Cette chronologie a cependant été étendue pour les cérémoniaux diocésains, pour lesquels les éditions, peu nombreuses, ont été recensées jusqu’en 1846, date de la première édition du cérémonial parisien pour le xixe siècle ; le corpus est ainsi plus représentatif puisqu’il débute à la date tardive de 1656, correspondant à l’édition d’une partie du cérémonial parisien dans le Directorium chori de Martin Sonnet, dont une version plus complète sera donnée par le même auteur six ans plus tard. Elle ne prend pas en compte les ouvrages intitulés « cérémonial » dont le contenu ne correspond en réalité pas à un cérémonial ; c’est le cas notamment des « cérémoniaux » de vêture et de profession des religieuses publiés en volumes isolés, qui appartiennent plutôt à la catégorie du rituel du fait qu’ils comportent les formules et textes ou chants utilisés directement durant l’accomplissement du rite 2. Pour les ouvrages ayant connu plusieurs éditions ou rééditions, elle signale, quand elles sont connues, les dates de la première édition et des éventuelles éditions ultérieures qui ont pu être vérifiées sur exemplaire. Les multiples rééditions ou réimpressions de chaque édition des trois premiers groupes de la liste ne sont pas détaillées systématiquement : elles sont cependant signalées par un (*) placé avant la date de la première édition. Dans le corps du présent ouvrage, on ne mentionne (le cas échéant) que la date d’édition de l’exemplaire utilisé.

  Une liste plus complète (évolutive) et une description détaillée (description bibliographique et détails de contenu) d’un bon nombre des cérémoniaux mentionnés dans la présente Liste-Index est accessible en ligne à l’adresse suivante : http://www.irpmf.cnrs.fr/ 2   Sur cette particularité des ouvrages pour les religieuses, cf. supra, la contribution de D.-O. Hurel (2). 1

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L i s t e -I n de x de s c é r é mon i au x i m p r i m é s (16 0 0 -18 4 6)

Pour ce qui concerne les Cérémoniaux à l’usage des ordres monastiques et communautés religieuses, la multiplicité des sources et la variabilité des titres ne permettant pas toujours, dans l’état actuel des travaux, de distinguer les rééditions ou nouvelles éditions, il nous a paru en revanche préférable de les décrire chacune à leur place chronologique et de signaler les diverses éditions destinées à une même communauté par un renvoi. Transcription du titre Cette liste n’étant pas un catalogue, pour des raisons de commodité et d’uniformité, les titres (en français et en latin) sont transcrits selon les principes d’édition des textes anciens les plus couramment en usage : les accents, la ponctuation et l’emploi des majuscules suivent l’usage moderne, tandis que l’orthographe originale (sainct, Benoist, dressez…) et les abréviations évidentes (S. ou SS. respectivement pour « saint » et « saints ») sont conservées. Les titres les plus longs sont abrégés (coupure signalée par « … »). Titres uniformes Les titres uniformes retiennent les principaux éléments du titre dans l’ordre suivant : nom de l’auteur (le cas échéant) ; premier mot du titre (cérémoniaux pour l’usage romain seulement) ; destinataire (Église ou groupe religieux concernés) ; aire géographique ou province religieuse (le cas échéant ; cérémoniaux à l’usage des ordres monastiques et communautés religieuses seulement)  ; date de la première édition. Comme précisé ci-dessus, l’astérisque (*) mentionne l’existence de plusieurs éditions. Cécile Davy-Rigaux et Alexis Meunier

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L i s t e-I n de x de s c é r é mon i au x i m pr i m é s (16 0 0 -18 4 6)

Le Cérémonial des evêques – Caeremoniale episcoporum Ouvrage fondateur de la littérature des cérémoniaux de l’époque moderne, la réalisation du Caeremoniale episcoporum fut entreprise sous Grégoire XIII en 1582. D’abord confiée à deux évêques zélés de la Réforme catholique, Charles Borromée (Milan) et Gabriele Paleotti (Bologne) elle fut achevée dix-sept ans plus tard par la Sacrée Congrégation des Rites (fondée en 1587) et l’ouvrage parut sous Clément VIII en 1600. Il fit par la suite l’objet de quatre rééditions, en 1650 (Innocent XI, légères corrections d’erreurs), en 1727 (Benoît XIII, aménagements formels), 1752 (Benoît XIV, ajout de la 3e partie), et 1886 (Léon XIII, légères corrections) 3. Nous mentionnons les premières éditions romaines correspondant à chacune de ces révisions et les éditions françaises correspondantes repérées. Titre uniforme [CE* 1600]

Titre

Renvoi (p.)

Caeremoniale episcoporum jussu Clementis VIII Pont. Max. novissime reformatum. Omnibus ecclesiis, præcipue autem metropolitanis,cathedralibus, & collegiatis, perutile, ac necessario. Rome, Ex typographia linguarum externarum, 1600 éd. française : Paris, impensis Societatis typographicae librorum officii Ecclesiastici, 1633

7, 10, 15-16, 25-27, 29-30, 32, 37, 39, 48, 60, 63, 66-68, 70, 73, 76, 86, 90, 92-93, 107-109, 147149, 267-270, 289, 296, 306, 337, 361, 366368, 370, 378, 381-382, 389, 400-402, 414, 419-420, 423, 431-441, 443445, 447, 449, 458-461, 470, 521, 524

Innocent X, Rome, 1651 éds françaises : Paris, J. Henault, 1669 ; Lyon, Sumptibus Societatis Bibliopolarum, 1680 Benoit XIII, Rome, 1729 Benoît XIV, Rome, 1752 Léon XIII, Rome, 1886 [CE commentaires Catalani* 1744]

Giuseppe Catalani. Caeremoniale episcoporum in duos libros distributum, Clementis VIII et Innocentii X auctoritate recognitum, a Benedicto XIII in multis correctum, nunc vero primum commentariis illustratum, ad sanctissimum patrem Benedictum XIV, ponticem maximum… cura et studio… Rome, A. De Rubeis, 1744 Paris, A. Jouby, 1860

401

  Cf. Baudot, J., « Cérémonial », Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, t. II**, col. 3296-3297, « Introduzione » de A. M. Triacca et M. Sodi, dans Cæremoniale episcoporum, editio princeps (1600), Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano, 2000, et A. Ph. M. Mutel et P. Freeman, « Notes sur les textes », dans Cæremoniale episcoporum, Le Cérémonial des évêques du concile de Trente à Vatican II. Traduction intégrale du texte selon l’édition de 1752, établie, révisée et annotée, Institut du Christ Roi Souverain prêtre, Éditions Hora Decima, 2006. 3

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Cérémoniaux pour l’usage romain Titre uniforme [Bauldry Manuale* 1637]

Titre Michel Bauldry. Manuale sacrarum caeremoniarum, juxta ritum romanum. Paris, J. Billaine, 1637 2e éd. : Paris, 1646 Plusieurs autres éditions, notamment italiennes

Renvoi (p.) 16, 25, 30, 32, 41, 67-68, 70, 73, 75, 77, 148, 277, 287, 400, 420, 431, 438-441, 443-446, 500, 506

[Le Marinel Abrégé CE 1639]

Louis Le Marinel. Abrégé du cérémonial des évêques, contenant les offices de tous ceux qui doivent assister et servir, lorsqu’ils officient pontificalement. Paris, A. Vitray, 1639

66, 438

[Du Molin Messe* 1639]

Louis du Molin. Practique des cérémonies de la saincte messe, selon l’usage romain. 1re édition : non retrouvée, [1639 : date du privilège] : seulement partie sur la messe basse ; (à partir de la 2e éd. : augmentée de la partie sur la messe solennelle) 2e éd. : Paris, G. Clopejau, 1643 3e éd. : à préciser 4e éd. : Lyon, H. Huguetan, 1658 5e, 6e  éd. : à préciser (7e à 12e éd. : augmentées « des vespres, matines et laudes ») 7e éd. : Châlons, J. Seneuze, 1667 8e éd. : Paris, G. et N. Clopejau, 1671 « Dernière édition » : Lyon, E. Baritel, 1684 ; Lyon, A. Besson, 1720 ; « Nouvelle édition… » : Poitiers, J. F. Faulcon, 1751 ; 12e éd. : Douai, Derbaix, 1761 Nombreuses autres rééditions parisiennes, provinciales, étrangères.

65, 68, 70, 73, 84, 86, 109111, 117-118, 148, 153, 442, 460, 523

[Du Molin Messe pontificale 1646]

Louis du Molin. Practique des cérémonies de la messe pontificale, selon l’usage romain. Paris, G. Clopejau, 1646

70, 148

[Du Molin Église* 1657]

Louis du Molin. Pratique des cérémonies de l’Église selon l’usage romain dressée par ordre de l’Assemblée du clergé de France. Paris, G. et N. Clopejau, 1657

30, 67, 70, 73, 75, 108, 111, 113, 117, 148149, 153, 407408, 438, 500-501, 504, 523

2e éd. rév. corr. et aug., Paris, 1667

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L i s t e-I n de x de s c é r é mon i au x i m pr i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Bralion 1657]

Nicolas de Bralion. Caeremoniale canonicorum seu institutiones practicæ sacrorum S. R. E. rituum pro collegiatis aut aliis ecclesiis quæ ad instar illarum deserviunt juxta ritum Romanum atque adeo pro ipsis cathedralibus absente episcopo. Paris, D. Bechet et J. Henault, 1657

444, 500

[Lazaristes* 1662]

Manuel des cérémonies romaines qui s’observent dans les plus ordinaires offices divins, tiré des livres romains plus authentiques et des plus intelligens escrivains en cette matière, par quelques-uns des prestres de la Congrégation de la Mission. Paris, J. Langlois, 1662

29, 33, 39, 41, 64, 68, 70, 73, 75-77, 92, 118, 149, 407, 431, 438, 440-441, 445, 459, 493, 500-501, 507, 509

2e éd., Paris, E. Langlois, 1670 (rééd. : Lyon, J. Certe, 1679 ; Paris, E. Langlois 1689 ; Lyon, S. Potin, 1691) ; Paris, E. Billiot, 1717, 1743 ; Nombreuses autres rééditions parisiennes et provinciales y compris au xixe siècle.

Cérémoniaux pour l’usage diocésain, cathédral, collégial et /ou paroissial Titre uniforme

Titre

Renvoi (p.)

[Sonnet Paris Directorium 1656]

Martin Sonnet. Directorium chori, seu Ceremoniale sanctae et metropolitanae Ecclesiae ac dioecesis parisiensis, juxta ritum et cantum ejusdem Ecclesiae et ad usum ipsius, et omnium aliarum ecclesiarum dioecesis Parisiensis. Opera et studio sacerdotis parisini. Paris, S. et G. Cramoisy, G. et N. Clopejau, 1656

77, 442, 450451, 526, 539

[Sonnet Paris 1662]

Martin Sonnet. Caeremoniale Parisiense ad usum omnium ecclesiarum collegiatarum, parochialium et aliarum urbis et doecesis Parisiensis, juxta sacros et antiquos ritus sacro-sanctae Ecclesiæ metropolitanae Parisiensis. Paris, S. Cramoisy, G. et N. Clopejau, 1662 et Paris, sumptibus auctoris, 1662

63, 65, 69-70, 74-77, 94, 148149, 157, 159160, 400, 418, 421, 423, 428, 444-447, 450, 455-456, 465, 468, 503, 505, 511-514, 526

[Bayeux 1677]

Cérémonial pour l’Église et le diocèse de Bayeux. Avec un recueil des statuts et ordonnances de Monseigneur l’évêque de Bayeux, et des cas reservés. Divisé en deux traités. Caen, J. Briard, 1677

65, 82, 107118, 150-151, 153, 442, 521, 525-526

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L i s t e -I n de x de s c é r é mon i au x i m p r i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Besançon 1682]

[Besançon 1707]

Cérémonial du diocèse de Besançon, dressé par l'ordre de Monseigneur l’illustrissime et révérendissime Antoine Pierre de Grammont archevêque de Besançon, prince du Saint Empire, etc. Besançon, L. Rigoine, 1682 rééd. Besançon, F.-L. Rigoine et A. Alibert

74, 82-83, 153, 158, 163, 442444, 446, 459-460, 501-504, 507508

[Metz 1697]

Cérémonial de l’Église cathédrale de Metz, renouvellé par messieurs les vénérables princier, doyen, chanoines et chapitre de ladite Église, en l’année 1694. Approuvé et autorisé par Monseigneur l’archevêque d’Ambrun, évêque de Metz. Metz, veuve de F. Bouchard, 1697

74, 82, 150151, 162, 274, 440, 442-443, 446, 448-450, 453-456, 459

[Toul 1700]

Cérémonial de Toul, dressé par un chanoine de l’Église cathédrale, et imprimé par ordre d’illustrissime et révérendissime seigneur Monseigneur Henry de ThyardBissy, évêque comte de Toul. Toul, A. Laurent, 1700

63, 69, 73, 75, 82, 151, 155, 162-163, 400401, 413-414, 416, 419-420, 423, 426-428, 442-444, 446447, 450, 452, 456-457, 466, 471, 474, 510

[Paris 1703]

Caeremoniale Parisiense eminentissimi et reverendissimi in Christo Patris D. Ludovici Antonii miseratione divina S.R.E. tit. S. Mariae super Minervam prebyteri cardinalis de Noailles nuncupati, archiepiscopi Parisiensis, ducis S. Clodoaldi, paris Franciae, regis ordinis S. Spiritus commendatoris auctoritate, ac de venerabilis ejusdem Parisiensis Ecclesiae capituli consensu editum. Paris, L. Josse, 1703

60-64, 67, 69, 76, 150, 156, 158, 274, 277, 400, 423, 442, 445, 452, 460461, 483-495, 503, 505-508, 511-512, 544

[Bourges 1708]

Cérémonial de Bourges, imprimé par ordre d’illustrissime et révérendissime seigneur, Monseigneur Léon de Gesvres, patriarche archevêque de Bourges, primat des Aquitaines, conseiller du roy en ses conseils ; du consentement du vénérable Chapitre de l’Église de Bourges. Bourges, F. Toubeau, s.d. [1708 : date du mandement]

65, 67, 74-75, 82, 150-151, 154, 159-160, 442, 446-447, 453, 459, 466, 473, 498, 502503, 511

[Angers ca. 17311742]

Cérémonial de l'Église d'Angers divisé en quatre parties. Château-Gontier, J. Gentil, s.d. [1731 : date du privilège ; 1742 : date d’un règlement royal mis en annexe]

74, 82, 150-151, 154, 442, 445, 447-450, 452455, 458-459

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L i s t e-I n de x de s c é r é mon i au x i m pr i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Lisieux 1747]

Ceremoniale Lexoviense, illustrissimi ac reverendissimi in Christo Patris D.D. Henrici-Ignatii de Brancas episcopi et comitis Lexoviensis auctoritate cum consensu venerabilis ejusdem Ecclesiae capituli editum. Lisieux : J.-H. du Roncerey, 1747

65, 67-68, 74-75, 82, 150, 154-156, 158, 161, 442, 445, 452, 460, 502503, 506-507, 513, 523

[Saint-Pierre Remiremont 1750]

Cérémonial et Rituel de l'insigne Église collégiale et séculière de St Pierre de Remiremont. Remiremont, A. Laurent, 1750

82-83, 85

[Clermont 1758]

Cérémonial du chœur, selon les rits et usages de l’Église de Clermont, adapté aux églises collégiales, paroissiales, communautés séculières et séminaires du diocèse, imprimé par ordre de Monseigneur François-Marie Le Maistre de la Garlaye, évêque de Clermont, comte de Lyon, conseiller du roi en tous ses conseils etc. et du consentement du Chapitre de ladite Église de Clermont. Clermont-Ferrand, P. L. Boutaudon, 1758

61, 69, 74, 82-83, 150, 154, 165-168, 173-176, 274, 400, 419, 423, 442-444, 447, 449-451, 453456, 458-459, 466, 469, 511, 520, 526-527

[Sens 1769]

Cérémonial de l'Église métropolitaine et primatiale de Sens, et du diocèse. Sens, P.-H. Tarbé, 1769

65, 67, 69, 71, 74, 82, 150, 152, 155-157, 160, 163, 442, 445448, 451-452, 466, 470, 511

[Séminaire Toul 1770]

Manuel des cérémonies de la messe basse, à l’usage des jeunes prêtres et les clercs du séminaire de Toul, avec l’ordinaire de la messe et les prières que doivent réciter les nouveaux prêtres dans la cérémonie de l’ordination… Toul, J. Carez, 1770

84

[Bourg-en-Bresse 1773]

Cérémonial suivant le rit lyonnais à l'usage de l'Église de Bourg-en-Bresse accepté et approuvé en chapitre par délibération du 15 mars 1773. Bourg-en-Bresse, J.-B. Besson, 1773

82, 151

[Langres 1775]

Cérémonial du diocèse de Langres, publié de l’autorité de l’illustrissime et révérendissime César-Guillaume de la Luzerne, évêque, duc de Langres, pair de France, etc. Neufchâteau, Monnoyer, 1775 et Langres, De Fay, 1775

74-75, 82-83, 150, 152-153, 156-160, 163, 274, 400, 419, 423, 442, 451, 453, 466, 502, 504

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L i s t e -I n de x de s c é r é mon i au x i m p r i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Le Mans 1789]

Cérémonial de l’Église cathédrale de S. Julien du Mans imprimé par ordre de Monseigneur l’illustrissime et révérendissime [François-Gaspard de Jouffroy-Gonssans] évêque du Mans. Le Mans, Ch. Monnoyer, 1789

74, 82, 150, 442

[Bayeux 1819]

Cérémonial du diocèse de Bayeux. Bayeux, Veuve Nicolle, 1819

83, 107, 113118, 521

[Toulouse 1821]

Cérémonial à l’usage de l’Église de Toulouse, publié par ordre de Monseigneur l’illustrissime et révérendissime Anne-Antoine-Jules de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, pair de France. Toulouse, J.-M. Douladoure, 1821

64

[Coutances 1825]

Cérémonial du diocèse de Coutances rédigé et publié par ordre de Mgr… Pierre Dupont-Poursat, évêque de Coutances. Coutances, P.-L. Tanquerey, 1825

82

[Verdun 1832]

Cérémonial à l’usage de la cathédrale et du diocèse de Verdun, rédigé par l’ordre de feu Monseigneur de Villeneuve et publié, le siège vacant, par MM. les vicaires généraux capitulaires. Verdun, au séminaire du diocèse, 1832

82-83, 119120, 124-125

[Le Puy 1836]

Cérémonial à l'usage de l'Église du Puy, publié par ordre de Monseigneur l’illustrissime et révérendissime LouisJacques-Maurice de Bonald, évêque du Puy. Le Puy, P. Pasquet, 1836

74, 82

[Angers 1838]

Liber caeremonialis seu rubricae missalis Andegavensis, cum adjuncto appendice de ritibus ad vesperas et completorium servandis. Angers, Launay-Gagnot, 1838

82, 118

[Lyon 1838]

Le Cérémonial de la sainte Église de Lyon premier siège des Gaules. Lyon, Paris, Périsse frères ; Lyon, A. Perisse, 1838

82, 118-119, 121, 124-126

[Bourges 1838]

Cérémonial du diocèse de Bourges, publié par ordre de Monseigneur l’illustrissime et révérendissime GuillaumeAubin de Villèle, patriarche, archevêque de Bourges, primat des Aquitaines, etc. Bourges, P.-A. Manceron, 1838

74, 82, 118

[Autun 1845]

Cérémonial du diocèse imprimé par ordre de Monseigneur l’évêque d’Autun. Autun, Dejussieu, 1845

64, 74, 77, 82, 161

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L i s t e-I n de x de s c é r é mon i au x i m pr i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Coutances 1845]

Statuts du chapitre et cérémonial de la cathédrale de Coutances, imprimés par ordre de Monseigneur Louis-Jean Robiou, évêque de Coutances. Coutances, P.-L. Tanquerey, 1845

82

[Caron Paris 1846]

[Augustin-Pierre-Paul Caron]. Manuel des cérémonies selon le rite de l'Église de Paris, par un prêtre du diocèse. Paris, A. Le Clère et Cie, 1846

82, 118, 182, 428, 506, 514, 539

[Caron messe basse Paris 1846]

[Augustin-Pierre-Paul Caron]. Manuel des cérémonies de la messe basse selon le rite de l'Église de Paris, par un prêtre du diocèse. Paris, A. Le Clère et Cie, 1846 (extrait du précédent)

Ibid.

Cérémoniaux à l’usage des ordres monastiques et communautés religieuses Titre uniforme

Titre

Renvoi (p.)

[Bénédictins Bursfeld 1610]

Ceremoniale Benedictinum sive antiquae et germanae Pietatis Benedictinae Thesaurus absconditus. A V. V. P. P. Congreg. Bursfeldensis... Publié aussi dans : Regula sancti patris Benedicti, huic accessere paucula ipsius sancti patris opuscula ex diversis auctoribus in unum collecta et vetus ceremoniale Benedictinum a VV. PP. Congreg. Bursfeldensis ante annos centum compilatum in quo omnium capitum Regulae s. Benedicti vera praxis ostenditur ac veluti digito monstratur (Edidit F. A. Rollé) Paris, J. Drouart, 1610

71

[Boulenger Clarisses Verdun 1611]

Florent Boulenger. Cérémonial romain accommodé à l'usage des soeurs religieuses reformées du monastère Saincte Claire en la ville de Verdun. Paris, D. Langlois, 1611

76, 82-83, 361, 499

[Carmélites 1616]

Ordinaire ou Cérémonial des Religieuses deschaussées de l'ordre de la très-heureuse Vierge Marie du Mont Carmel, etc. Paris, S. Huré, 1616

304-305, 314

[Clarisses Verdun 1618]

Cérémonial des religieuses reformées, de l'Ordre de SaincteClaire, à Verdun. Tiré de l'antiquité et coustume de l'ordre, et accommodé, suivant les rubriques du Bréviaire, Messel et Rituel de nostre sainct Père Paul V. [Livre premier]. Verdun, J. Wappy, 1618

82-83, 361, 499

(Voir infra [1618])

(Voir supra 1611)

551

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L i s t e -I n de x de s c é r é mon i au x i m p r i m é s (16 0 0 -18 4 6)

Cérémonial du monastère des Filles de la Passion, de la première reigle de Saincte-Claire. Par le commandement du R. Père provincial, et des RR. PP. diffiniteurs de l'ordre des Frères mineurs capucins de la province de Paris, de l'an 1616. Paris, R. Giffart, 1619

361

[Bénédictins 1621]

Caeremonialis monastici, ac Benedictino-Romani, pars prima. Rouen, R. de Beauvais, 1621

82

[Bénédictins SaintMaur 1621]

Caeremonialis monastici, ac Benedictino-Romani ad usum congregationis Beati Mauri in Gallia, pars prima. Rouen, R. de Beauvais, 1621

64, 288-289, 293, 296, 300

[Bénédictines Montivilliers 1626]

Cérémonial des religieuses de l'abbaye de N. Dame de Montier-Villiers, Ordre de sainct Benoist. Livre premier divisé en deux parties. La I. contenant les cérémonies générales de l'office divin, avec quelques observances régulières ; la II. Les cérémonies des festes solemnelles qui arrivent le long de l'année. Avec quelques prières tant pour les nécessitez publiques que particulières. Paris, P. Chevalier, 1626

307

[Bénédictines 1626]

Cérémonial des religieuses de l'Ordre de S. Benoist. Livre premier divisé en deux parties. La I. contenant les cérémonies générales de l'office divin, avec quelques observances régulières ; la II. Les cérémonies des festes solemnelles qui arrivent le long de l'année. Avec quelques prières tant pour les nécessitez publiques que particulières. Paris, P. Chevalier, 1626

319, 321

[Bénédictins 1626]

Ceremoniale monasticum pro omnibus sub reguli S. Benedicti militantibus. Toul, S. Belgrand, 1626

82

[Bénédictines Fontevraud 1628]

Cérémonial de l'ordre de Font-Evrauld. Paris, J. de Heuqueville, 1628

305

[Ermites augustins déchaux 1632]

Ordinaire des cérémonies des frères Ermites Augustins Deschaussez de France. Paris, C. Morlot, 1632

500, 504, 507, 511, 513

[Monastique 1634]

Caeremoniale monasticum romano accomodatum. Denuo recognitum et diligenter emendatum. Paris, J. Germont et J. Billaine, 1634

/

[Bénédictines Calvaire 1634]

Rituel ou Cérémonial des religieuses de la congrégation de Nostre Dame du Calvaire, érigée en France selon la première institution de la Règle de Saint-Benoist. Paris, S. Cramoisy, 1634

304, 308-309, 312, 316-318

[Filles de la Passion 1619] (Voir infra 1679, 1689, 1725, 1773)

(Voir infra 1645, 1680)

(Voir infra 1661)

552

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L i s t e-I n de x de s c é r é mon i au x i m pr i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Récollets SainteMarie-Madeleine 1635]

Cérémonial pour les Frères mineurs recollects, de la province de sainte Marie Magdeleine. Dressé suivant le décret qui en fut fait par tous les vocaux, au Chapitre tenu au convent de La Baumete, le troisiesme jour de janvier mil six cent vingt neuf. La Flèche, G. Griveau, 1635

360-362, 371

[Prémontrés 1635]

Ordinarius sive Liber caeremoniarum ad usum Ordinis praemonstratensis renovatus et reverendiss. Paris, S. Cramoisy, 1635

/

[Feuillants 1637]

Caerimoniale sive prima pars Ritualis congregationis B. Mariae Fuliensis. Paris, sn, 1637

/

[Bénédictines Châlons 1638]

Manuel des cérémonies pour les religieuses du monastère S. Joseph de Chaalons, ordre de Sainct-Benoist. Tiré tant des rubriques du Rituel et Missel romain, que du Cérémonial, Bréviaire monastique, et Coustumes anciennes de l'ordre. Tome premier. Toul, S. Belgrand et J. Laurent, 1638

82, 307-309, 319

[Augustines Pontoise 1641]

Cérémonial des religieuses du Prieuré royal hospitalier de S. Nicolas de Pont-Oise, Ordre de Sainct Augustin. Paris, R. Sara, 1641

72, 304

[Chartreux 1641]

Ordinarium cartusiense, continens Novae collectionis statutorum eiusdem Ordinis partem primam, in qua de his tractatur quae ad uniformem modum ac ordinem Divina celebrandi officia cum eiusdem caeremoniis in toto Ordine cartusiensi faciunt. Lyon, Cl. Cayne, 1641

82

[Ermites augustins déchaux 1642]

Liber caeremoniarum fratrum discalceatorum Ordinis eremitarum S. Patris Augustini congregationis Galliarum. Lyon, G. Julliéron, 1642

82

[Baron Clarisses 1643]

Thomas Baron. Cérémonial des religieuses de l'Ordre de S. François recueilly des rubriques du Bréviaire, et du Missel, du Rituel romain de Paul V et des anciennes Constitutions des Frères mineurs, par le commandement du révérend Père Robbe, docteur en theologie de la faculté de Paris et ministre provincial en la grande province de France. Paris, A. Cotinet, 1643

/

[Chanoinesses Notre-Dame 1643]

Cérémonial des religieuses de la congrégation Nostre-Dame tiré des rubriques du Messel, Bréviaire, Pontifical, et Rituel romain. Verdun, N. Jacquet, 1643

82-83

(Voir infra 1739)

(Voir infra 1645, 1663, 1668)

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L i s t e -I n de x de s c é r é mon i au x i m p r i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Bénédictins SaintMaur 1645]

Caeremoniale monasticum. Jussu et authoritate Capituli generalis congregationis Sancti Mauri ordinis S. Benedicti editum. Paris, J. Billaine, 1645

68, 70, 285289, 297, 500

[Chanoinesses Notre-Dame 1645]

Cérémonial des religieuses de la congrégation de NostreDame, accommodé à l'usage romain selon les rubriques du Bréviaire et Missel, et conformément au Cérémonial et Rituel romains. Toul, S. Belgrand et J. Laurent, 1645

82

[Récollets SaintBernardin 1646]

Cerimoniale ecclesiasticum. Ad usus FF. Minorum in provincia S. Bernardini Recollectorum... Avignon, J. Bramereau, 1646

82, 360-362

[Ursulines Paris 1648]

Cérémonial de l'office divin pour les religieuses de SteUrsule, de la congrégation de Paris. Paris, G. Blaizot, 1648

304

[Élizabétines 1648]

Cérémonial de l’Église suivant l’ordre romain ; à l’usage des monastères des religieuses de Saincte Élizabeth, du troisième ordre de Sainct François. Lyon, s.n., 1648

82

[Bénédictines Juvigny 1649]

Cérémonial à l'usage des religieuses du monastère de Saincte Scholastique à Juvigny, ordre de Sainct Benoist. Tiré tant des rubriques du Rituel et Missel romain que du Cérémonial, Bréviaire bénédictin et Coutumes anciennes du monastère [Tome I]. Toul, S. Belgrand et J. Laurent, 1649

82, 308, 552

[Bénédictines Montargis 1650]

Le Cérémonial avec le Rituel, pour les religieuses bénédictines de N. Dame des Anges, à Montargis. 1er tome. Paris, sn, 1650

308, 311, 319, 521

[Galice Carmélites déchaussées 1659]

Dom Augustin Galice. Cérémonial pour l'usage des religieuses Carmélites deschaussées de l’ordre de Nostre Dame du Mont Carmel érigé en France selon la première règle. Paris, G. Josse, 1659

304-305, 314

[Chanoines augustins France 1659]

Caeremoniale romanum ad usum canonicorum regularium Sancti Augustini, congreg. Gallicanae, jussu et authoritate capituli generalis editum. Paris, J. Langlois, 1659

465, 501, 509, 523

[Bénédictines Calvaire 1661]

Cérémonial des religieuses de la Congrégation de NostreDame du Calvaire O. S. B. Paris, É. Pépingué, 1661

304, 309, 319

(Voir supra 1621 et infra 1680)

(Voir supra 1643 et infra 1663, 1668)

(Voir infra 1713)

(Voir infra 1706)

(Voir supra 1634)

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L i s t e-I n de x de s c é r é mon i au x i m pr i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Chanoinesses Notre-Dame 1663]

Cérémonial des religieuses de la congrégation de NostreDame, accommodé à l'usage romain… reveu, corrigé et augmenté. Seconde édition. Toul, S. Belgrand et J. Laurent, 1663 (3e éd. Luxembourg, Chevalier, 1690)

82

[Vincent Doctrinaires 1667]

Jean Vincent. Cérémonial des Pères de la congrégation de la Doctrine chrestienne. Paris, G. Josse, 1667

/

[Chanoinesses Notre-Dame 1668]

Cérémonial des religieuses de la congrégation de NostreDame, accommodé à l'usage romain…. Châlons, J. Bouchard, 1668

82

[Beauvais Frères mineurs 1669]

Antoine de Beauvais. Caeremoniale ecclesiasticum ad usum FF. Minorum a F. A. de Beauvais,... collectum et accommodatum. Jussu & authoritate Superiorum. Paris, G. Blaizot, 1669

67-68, 70, 360-362, 364365, 367-368, 370, 466, 504

[Sainte-Catherine Bénédictines Montmartre 1669]

Pierre de Sainte-Catherine. Cérémonial monastique des religieuses de l'abbaye royale de Montmartre-lez-Paris, Ordre de Saint-Benoist. Paris, B. et M. Vitré, 1669

30, 62-63, 73, 76-77, 305, 308-310, 313, 315-317, 320, 323, 389, 466, 469, 471, 473, 510

[Morel Clarisses Bar-le-Duc 1674]

Jérôme Morel. Cérémonial des pauvres religieuses de la première reigle de Sainte-Claire du monastère de Bar-leDuc, tiré des anciens cérémoniaux, usages et statuts de l'ordre, et réglé conformément aux rubriques, aux offices, et à l'usage des Bréviaire, Octavaire, Missel, Processional, Cérémonial, Rituel, et Pontifical romains, comme il est ordonné par la Règle, et les Constitutions. Tome premier. Châlons-en-Champagne, J. Bouchard, 1674

66-68, 70, 72, 76-77, 82, 502-503, 506

[Nicéphore Filles de la Passion 1679]

F. Nicéphore de Paris. Rituel des religieuses capucines, dites Filles de la Passion, de la première règle de SainteClaire, soumises à l'obéissance des révérends Pères capucins de la Province de Paris. 2 vol. Paris, D. Thierry, 1679

60, 66, 69-70

[Notre-Dame du Refuge 1679]

Seconde partie du cérémonial des religieuses de Nostre Dame de Refuge. Des cérémonies de la prise d’habit & profession, et des temps & festes particuliers de l’année selon l’ordre du Missel romain à l’usage des religieuses de Nostre Dame de Refuge tirées du livret qui a esté imprimé à Roüen par Milchard & depuis à Paris. Nancy, Cl. Charlot, 1679

82

(Voir supra 1643, 1645 et infra 1668)

(Voir supra 1643, 1645, 1663)

(Voir supra 1619 ; infra 1689, 1773)

555

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L i s t e -I n de x de s c é r é mon i au x i m p r i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Bénédictins SaintMaur 1680]

Caeremoniale monasticum jussu et auctoritate capituli generalis congregationis Sancti Mauri Ordinis Sancti Benedicti editum. Secunda editio eadem auctoritate emendata. Paris, L. Billaine, 1680

64, 286, 293300, 384-385, 466

[Augustines hospitalières Miséricorde 1685]

Cérémonial des religieuses hospitalières de la Miséricorde de Jésus de l'Ordre de Saint Augustin. Première partie. Rouen, J. Le Boullenger, 1685

82, 510-511

[Récollets SaintDenis 1686]

Caeremoniale romano-seraphicum ad usum Fratrum minorum recollectorum provinciae Sancti Dionysii in Gallia collectum. Jussu & authoritate capituli provincialis. Paris, D. Thierry, 1686

360-361, 371

[Bénédictines Besançon 1687]

Cérémonial à l'usage des religieuses du monastère de Sainte-Gertrude de Besançon, ordre de S. Benoist. Tiré tant des rubriques du Rituel et Missel romain que du Cérémonial, Bréviaire bénédictin et Coutumes anciennes du monastère, divisé en quatre parties. Besançon, L. Rigoine, 1687

82-83

[Récollets SaintAndré 1689]

Rituale romano-minoriticum, ad usum Fratrum minorum recollectorum Provinciae Sancti Andreae. In duas partes divisum : quarum prima ecclesiasticos ritus, secunda regulares continet. Jussu capituli provincialis revisum & impressum. Lille, F. Fievet, 1689

82, 360-362, 371

[Cisterciens 1689]

Rituale cisterciense ex libro usuum, definitionibus ordinis, et Caeremoniali episcoporum collectum. Paris, F. Léonard, 1689

66, 83, 305, 316, 337

[Filles de la Passion 1689]

Cérémonial des religieuses capucines, dites Filles de la Passion de la plus parfaite observance de la première règle de Ste Claire d'Assise. Première partie où il est traité des cérémonies de l'office divin, des observances régulières, et de ce qu'il faut observer aux festes de l'année. Paris, J.-F. Dubois, 1689

69, 72

[Notre-Dame de Miséricorde 1693]

Cérémonial de l'office divin pour les religieuses de Nostre Dame de Miséricorde. Paris, J. Langlois, 1693

/

[Bénédictins 1695]

Caeremoniale monasticum ordinis S. Benedicti. Toul, A. Laurent, 1695

64, 68, 82

[Bénédictins SaintVanne 1695]

Caeremoniale monasticum jussu et auctoritate capituli generalis Congregationi SS. Vitoni et Hydulphi, ordinis S. Benedicti editum. Toul, A. Laurent, 1695

64, 68, 275, 286, 289, 297, 373, 386, 389

(Voir supra 1621, 1645)

(Voir supra Juvigny 1649)

(Voir infra 1721)

(Voir supra 1619, 1679 ; infra 1725, 1773)

556

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L i s t e-I n de x de s c é r é mon i au x i m pr i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Hospitalières Saint-Joseph 1697]

Cérémonial des religieuses hospitalières de Saint-Joseph sous la règle de saint Augustin. La Flèche, G. Griveau, 1697

82

[Clarisses Salins 1700]

Rituel ou Cérémonial des religieuses de Sainte Claire du monastère de Salins, contenant leurs cérémonies régulières, et ordinaires. Divisé en cinq parties. Besançon, F.-L. Rigoine, 1700

82-83

[Minimes 1703]

Traduction nouvelle des Règles, du Correctoire et du Cérémonial de l'ordre des minimes de S. François de Paule, augmentée de quelques remarques historiques sur ces trois ouvrages et d'un petit récit de la naissance et du progrès de l'Ordre. Paris, P. Giffart, 1703

/

[Bénédictines Montargis 1706]

Cérémonial monastique pour les religieuses de NostreDame des Anges de Montargis ordre de S. Benoist. Nouvelle édition corrigée et augmentée. Divisée en 2 parties. La première traite en général des cérémonies de l’Eglise en ses offices comme elles se font en ce monastère et de quelques observances régulières. La seconde traite en particulier des solemnités de l’année du propre de chaque tems et des fêtes particulières à ce monastère. Sl, sn, 1706

308, 521

[Ursulines Paris 1713]

Cérémonial de l'office divin pour les religieuses de SteUrsule, de la congrégation de Paris. Paris, L. Josse, 1713

304

[Cisterciennes 1715]

Rituel françois pour les religieuses de l’ordre de Cisteaux. Par Monseigneur le Révérendissime Abbé et Général [Edme Perrot], et imprimé par son commandement. Paris, D. Mariette, 1715

320, 322, 337, 339

[Cisterciens 1721]

Rituale Cisterciense ex libro usuum, definitionibus ordinis, et Caeremoniali episcoporum collectum. Paris, D. Mariette, 1721

305, 316, 337

[Bénédictins Moyenmoutier 1725]

Ceremoniae locales et officia propria Mediani Monasterii. Toul, A. Laurent, 1725

82

[Filles de la Passion Passion Tours 1725]

Cérémonial des religieuses Filles de la Passion, dites capucines, selon la première règle de sainte Claire. À l'usage du monastère de Tours... Paris, J.-B. Coignard, 1725

/

(Voir supra 1650)

(Voir supra 1648)

(Voir supra 1689)

557

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L i s t e -I n de x de s c é r é mon i au x i m p r i m é s (16 0 0 -18 4 6)

[Bénédictins SaintVaast 1726]

Caeremoniale seu Ordinarium Vedastinum continens ritus et usus observari solitos in monasterio Sancti Vedasti Atrebatensis ordinis S. Benedicti, S. Sedi apostolicae immediate subjecto, circa sacrosanctum missae sacrificium, officium divinum, et alia exercitia regularia. Sl, sn, 1726

/

[Sainte-Chapelle Vincennes 1730]

Caeremoniale sacro-sanctae Regalis capellae in nemore Vincennarum. Paris, J. Josse, 1730

/

[Prémontrés 1739]

Ordinarius sive Liber caeremoniarum ad usum canonici ordinis Praemonstratensis in Capitulo generali an. 1738 renovatus et reverendiss. in Christo Patris ac Domini D. Claudii Honorati Lucas, authoritate nunc primum editus. Verdun, P. Perrin, 1739

82-84

[Bénédictines Clermont 1741]

Cérémonial monastique des religieuses réformées de l’ordre de Saint-Benoit, du monastère de Clermont. Clermont-Ferrand, P. Boutaudon, 1741

82-83

[Capucins Alsace 1755]

Caeremoniale ad usum Fratrum Minorum Sancti Francisci Capucinorum provinciae Alsaticae... Strasbourg, Kürsner, 1755

82, 360

[Récollets SaintNicolas 1758]

Caeremoniale fratrum minorum Recollectorum Provinciae S. Nicolai in Lotharingia, ritus, tum regulares, tum ecclesiasticos complectens, juxta sanctae Romanae Ecclesiae rubricas accomodatum. Neufchâteau, N. Monnoyer, 1758

82-83, 360361

[Capucins 1764]

[Ange de Rennes]. Petit cérémonial pour les principales Fêtes de l’année, et pour les cérémonies qui se font parmi les capucins. Où tout ce qui se doit chanter est mis tout au long pour la plus grande commodité des religieux, spécialement des novices. Rennes, J. Vatar, 1764

82, 360, 362, 370-371

[Filles de la Passion 1773]

Cérémonial des religieuses capucines, dites Filles de la Passion de la plus parfaite observance de la première règle de Ste Claire d'Assise. Première partie où il est traité des cérémonies de l'office divin, des observances régulières, et de ce qu'il faut observer aux festes de l'année. Paris, A. M. Lottin, 1773

/

[Filles de SainteAure 1782]

Cérémonial du chœur, pour les religieuses de Sainte-Aure, adoratrices perpétuelles du Sacré-Cœur de Jésus. Paris, Cl. Simon, 1782

66

(Voir supra 1635)

(Voir supra 1619, 1679, 1689, 1725)

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Table des mati è res

Abréviations et principes de transcription des textes anciens

5

Avant-Propos (C. Davy-Rigaux, B. Dompnier, D.-O. Hurel)

7

Introduction : Cérémonies, cérémonial, cérémoniaux dans la catholicité post-tridentine (J.-Y. Hameline)

11

I.

II.

Histoire, sources, typologies • Les cérémoniaux manuscrits à la fin du Moyen Âge (J.-B. Lebigue) • Cérémoniaux et Manuels de cérémonies imprimés en France, xviie-xviiie siècles (A. Meunier) • Portraits de quelques imprimeurs-libraires de cérémoniaux (D. Varry) • Le cérémonial de la chapelle royale de Versailles sous Louis XIV : état des sources (A. Maral) • Les cérémoniaux de Bayeux : des modèles pour une structure inscrite dans le temps (Fr. Auzeil) • « L’invention de la tradition » liturgique au xixe siècle (S.-A. Leterrier) • Aux limites du cérémonial : les liturgies de la Grotte de Lourdes (R. Campos) Les débats liturgiques et leurs enjeux • La publication d’un cérémonial diocésain, acte de l’autorité épiscopale (B. Dompnier) • Les livres liturgiques et les cérémoniaux de « l’Église de Clermont » aux xviie et xviiie siècles (S. Gomis) • Bigarrure et contradiction : cérémonial cathédral et stratégies ecclésiastiques face au rite parisien (X. Bisaro) • Les consulteurs du Saint-Office face au Bréviaire parisien de 1736 de Mgr de Vintimille (C. Maire) • Benoît XIV et la réforme du Bréviaire romain (D. Julia) • La Réforme face à ses traditions : les controverses sur la révision du psautier et du formulaire liturgique (1646-1788) (Chr. Grosse)

43 45 59 79 89 107 119 129 145 147 165 179 195 221 245

Planches (Commentaires de J.-Y. Hameline)

265

III. Cérémoniaux monastiques : entre identité et uniformisation • Du Cérémonial monastique à l’usage de la Congrégation de Saint-Maur aux cérémoniaux locaux (D.-O. Hurel) • Les moniales et le cérémonial aux xviie et xviiie siècles : le cas des bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement (D.-O. Hurel)

283 285 303 559

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Ta bl e de s m at i è r e s

• Rituels, cérémoniaux et coutumiers à l’usage de moniales cisterciennes et d’annonciades célestes du pays de Liège (M.-E. Henneau) • Introduction aux cérémoniaux franciscains (F. Guilloux) • La place du cérémonial dans le renouveau du monachisme bénédictin au xixe siècle : Solesmes et dom Guéranger (dom Th. Barbeau)

329 357 373

IV. Prescription rituelle et régulation des comportements • Pour une éthologie du culte : essai de typologie des postures et gestes prescrits dans les cérémoniaux ou livres apparentés aux xviie et xviiie siècles en France (M. Brulin) • De l’enseignement des cérémoniaux diocésains pour la connaissance des musiques d’Église dans la France des xviie et xviiie siècles  (C. Davy-Rigaux) • Le rôle de l’organiste dans la liturgie en France aux xviie et xviiie siècles (É. Kocevar) • Le cérémonial du chant de l’Église de Paris au début du xviiie siècle (X. Bisaro et S. Gaudelus) • Les saluts du Saint-Sacrement : des offices de dévotion pour les fidèles (A. Meunier)

397

497

Conclusion (Ph. Loupès)

517

Index, Index des temps et offices liturgiques

529

Liste-index des cérémoniaux imprimés (1600-1846) (C. Davy-Rigaux, A. Meunier)

543

399 431 463 483

560

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