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French Pages 73 Year 1995
L'economie de Keynes Jean Cartelier
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L'economie de Keynes
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OUVERTURES ECONOMIQUES Serle PREMISSES M., WYPLOSZ c., Macroeconomie. Une perspective europeenne, traduit de l'anglais par J. Houard. DE KERCHOVE A.-M. et GEELS TH" Questions a chou multiples d'economie politique. EECKHOUDT L. et CALCOEN 8., Elements de microeconomie. EsCH L., Mathimatiques pour economistes et gestionnaires. FRAIX 1., Manuel d'evaluation des projets industriels. GOUVERNEUR J., Manuel de theorie iconomique marxiste (epuise). HEERTJE A., BARTHELEMY PH., PIERETII P., Principes d'economie politique. JACQUEMIN A. et TULiCENS H., Fondements d'economie politique, 2" edition. JASKOLD 6ABSZEWICZ J., Theorie microeconomique, 2" edition. KRUGMAN P. R. et OBSTFELD M" Economie internationale, traduit de l'anglais par A. Hannequart LOWENTHAL P., Analyse conjoncturelle. Vigie de L'economie. LOWENTHAL P., Une economie politique. PHLIPS L., BLOMME R., VANDEN BERGHE c., DOR E., Analyse chronologique, 3e edition. STIGLITZ J., Principes de l'economie modeme. VARIAN H., Introduction la mlcroeconomie, 3" edition, traduit de l'anglais par B. Thiry. VARIAN H., Analyse microeconomique, 3° edition, traduit de l'anglais par J.-M. Hommet. Revision scientifique par B. Thiry. BURDA
et F. Leloup.
L'economic de Keynes
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Jean Cartelier
Serie BAL/SES BARDOS-FELTORONYI N., Geoeconomie. Etat, espace, capital. CARTELIER L, L'economie de Keynes. CORE (ed), Gestion de L'economie et de l'erureprise. L'approche quantitative. DUPRIEZ P. et OST CH., L'economie en mouvement (epuise). EMERSON M. et aI., 1992, la nouvelle economic europeenne. GILLIS M. et al., Economie du developpement, traduit de l'anglais par B. Baron-Renault. LOWENTHAL P; Economie et finances publiques. Principes et pratiques. NORRO M., Economie africaine. Analyse economique de 1'Afrique subsaharienne. PHLIPS L., Laformation des prix. SIAENS A., Monnaie etfinance, 3" edition. SINN n, SINN H. W., Demarrage froid. Une analyse des aspects economloues de L'unification allemande. traduit de I'allemand par C. Laurent.
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Hors serie JACQUEMlN A., Selection et pouvoir dans Lanouvelle iconomie industrielle. EN PREPARATION Serie PREMISSES STIGLITZ J. Economie. Microeconomie, macroeconomie. VARIAN H., Analyse microeconomique, 3" Mition. t
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INTRODUCTION
I
L'economie de Keynes esquisse d'un enjeu
La publication de la Theorie generate en 1936 est un des evenernents les plus irnportants de l'histoire de la pensee economique du XXeme siecle. Keynes y propose une theorie permettant de comprendre la Grande Depression et une politique interventionniste pour en sortie. Sur Ie plan analytique, une these centrale est avancee : les economies de arche peuvent connaitre des situations d'equilibre avec chomage involontaire. Au taux courant des salaires et en depit de prix flexibles, une fraction des travailleurs desireux d'etre ernbauches ne trouve pas d'emploi. Une telle situation est impensable pour la theorie dominante de I'epoque, du moins lorsque les hypotheses fondamentales de concurrence et de flexibilite des prix sont respectees, Selon elle, la flexibilite des prix permet toujours un ajustement a la baisse du salaire reel jusqu' a ce que I' offre et la demande s' egalisent sur Ie marche du travaiL Le seul chomage concevable dans ce cadre est Ie chornage volontaire : une fraction des individus, etant donne Ie salaire reel courant, preferent Ie loisir au travail.
,
Sur Ie plan de la politique eccnomique, Keynes preconise une intervention sur la demande globale par Ie jeu de la politique monetaire et budgetaire, heurtant ainsi les convictions liberales predominantes dans les milieux politique et academique.
© De Boeck-Wesmael s.a. 1995 Rue des Minimes 39 - B 1000 Bruxelles Toute reproduction d'UD extrait quelconque de ce livre, par quelque precede que ce soit, et notamment par photocopie au microfilm, est strictement interdite. Printed in Belgium D 1995/0074/35
ISSN 0779-2823 ISBN 2-8041-2071-6
I Daniel Diatkine, Michel Guillard, Michel Rainelli et Helene Zajdela m'ont fait beneficie de leurs cornmentaires. Qu'ils trouvent ici I'expression de rna gratitude. Mes remerciemerus vont tout particuHerernent a Carlo Benetti pour les nombreuses discussions qui m'ont conduit a des ameliorations decisives. La responsabilite des insuffisances et des erreurs m'incombe enuerement.
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l'ECONOMJE
DE KEYNES
L'ouvrage de Keynes eut un grand retentissement. Economiste celebre - il a deja publie son Traite sur La monnaie en 1930 - fonctionnaire actif et speculateur avise, Keynes est un des personnages en vue de la societe britannique,
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BIOGRAPHIQUE
John Maynard Keynes est ne en 1883 dans une Icmtlle intellectuelle bourgeoise. Son pere, John Neville Keynes etcit prolesseur de logique et d'economie a Cambridge. Apres des etudes secondoires a Eton, Keynes entre a Cambridge pour y etudier principolement les mothemofiques. II bihrrquo ou bout de quelques ormees versl'economie politi que sans obondonner tcutejois les mcthemofiques. Ses rnoltres furent Marshall et Pigou. Entre dans Ie service public en 1906, il servit oux lodes avant de revenir 0 Cambridge. II consocro so these aux probobilites, qui devint plus tard son Iraite des probabi/ites publie en 1921. II publie en 1913 un livre infitule Indian Currency and Finance qui lui vaut une grande notoriete. II est nomme un peu plus tord au Tresor pour e'occuper des relations internationales et participe aux neqcciofions du Iroite de Versailles en 1919. A cette occasion, it prend une position assez radicale sur I'attitude a ovoir vis-a-vis de l'Allemagne, soulignant I'incoherence qu'il y avait a vouloir « faire payer» I'Allemagne sans lui en accorder les moyens economiques. Ses Consequences economiques de fa paix (1919) connurent un succes de scandale. ('est vers cette epoque egalement que Keynes commenr;:a a sp€culer aussi bien sur les marches de devises que de matieres premieres. Cette activite connut des periodes critiques mais, dans j'ensemble, assura une fortune considerable a notre auteur. Keynes reprit son activite universitaire sans cesser pour autant d'intervenir dans les debats politiques et economiques de I'epoque. En 1923 parut Ie Tract on Monetary Reform. II prit nettement parti contre Ie retour de la livre 0 so parite d'avant-guerre (1925). Apres quelques annees de travail suivi, Keynes publie en 1930 son Traite sur fa Monnaie qui marque veritablement I'emergence d'une pen see nouvelle. Les annees qui suivent furent celles d'un intense travail de discussion et de reelaboration des theses soutenues dans Ie Trasre. A ce travail furent directement au indirectement associes nombre d'economistes celebres (de Robertson a Kahn en passant par Hawtrey et Harrod). Le resultat en fut la parution en 1936 de 10 Theorie generafe de I'emploi, de /'interet et de fa monnaie, qui reste Ie texte de reference pour I'etude de I'economie de Keynes. La fin des annees 1930 vit Keynes occupe, d'une part a des travaux theoriques d'explicitation, de defense et de correction des theses exposees en 1936 et, d'autre part, a des travaux plus engages, lies a 10 guerre qui eclate en 1939. II publie How to pay for the war en 1940 et reprend du service aupres du Tresor. ('est ainsi gu'en 1944, il participe activement a la Conference de Bretton-Woods qui met en place Ie systeme monetaire international de I'apres-guerre qui durera jusqu'en en 1971. A cette occasion il defend, contre 10 position americaine mois sans succes, un plan original visant a instaurer une veritable monnaie internationale, Ie bancor. Keynes meurt en 1946.
Son reuvre fut abondamment discutee, commentee et critiquee. Elle n'a pas cesse de I'etre depuis, meme si les annees 1990 ont vu une baisse sensible de I'interet porte aux auteurs anciens en general et a Keynes en particulier. Pres de
reconom.e de Keynes esquisse d'un enjeu
soixante ans apres, qu'en reste-t-il «I'economie de Keynes» ?
? Est-il encore utile de s'interroger
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sur
Une rapide «visite de chantier» permet de recenser les materiaux disponibles et d'esquisser l'enjeu de la question. Ce qui reste de l'ceuvre de Keynes se presente sous deux formes totalement differentes, qu'il convient toutes deux d'examiner. D'une part, demeurent les textes de Keynes, notamment Ie Traite sur fa monnaie, la Theorie generate et les nombreux articles dans les revues specialisees (l'edition complete des ecrits de Keynes est disponible aujourd'hui en anglais ; elle comporte 29 volumes). Une reflexion sur l'economie de Keynes passe donc inevitablement par I' etude des textes importants et comporte du merne coup un aspect «pelerinage aux sources». D'autre part, subsiste la marque des influences multiples que Keynes a exercees sur la theorie econornique des cinquante dernieres annees. A la difference de la plupart des adversaires des theories orthodoxes, Keynes a ete pris au serieux, Alors que Malthus et Sismondi ont ete peu entendus par I' establishment anglais de la premiere moitie du 1geme siecle, que Marx est reste «hors-jell) et que les Neoricardiens n'ont pas reussi a s'imposer dans les annees 1960,Ies propositions et resuItats de Keynes ont fait, des annees 1930 a aujourd'hui, I'objet d'un intense travail de reelaboration, d'interpretation et de recuperation. Les idees de Keynes ont ete plus ou moins largement incorporees dans les diverses versions de la theorie economique dominante, neoclassique·pour I'essentiel. Enqueter sur I'economie de Keynes consiste donc aussi a relever et a ordonner les traces diverses de l'impact de son reuvre sur la theorie economique majoritairement acceptee et enseignee dans la plupart des universites. Les deux parties du present ouvrage tenteront de refleter ce double caractere de \'economie de Keynes aujourd'hui. L'image de I'economie de Keynes que I'on peut saisir dans Ie Traite et dans la Theorie generale sera analysee dans la premiere partie tandis que ses reincarnations partielles successives seront evoquees dans la seconde. Mais, avant de s'embarquer dans cette expedition, une hesitation est legitime. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Que! que soit I'interet CetIe plaisir) d'une lecture des texles de Keynes, il semble bien qu'aujourd'hui peu d'economistes paraissent y puiser leur inspiration. Certains auteurs, qui se qualifient eux-memes de «Nouveaux keynesiens», n'estiment pas qu'un tel exercice so it necessaire ! Certes, d'autres keynesiens, dits «radicaux», s'efforcent de preserver I'authenticite du message, mais ils n'ont pas encore reussi a elaborer un «modele de base») de I'economie de Keynes a partir duquel un processus cumulatif d' accumulation de resultats et de connaissances soit concevable. nes
En outre, la variete des adjectifs attaches aux auteurs se reclamant de Keytitres divers revele que I'impact de son reuvre est loin d'etre univoque.
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l'ECONOMIE DE KEYNES
Ces econornistes ne sont pas seulement keynesiens ; ils sont «post-keynesiens» «neo-keynesiens» au «keynesiens radicaux», etc.
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A quai bon, des lars, evoquer l'economie de Keynes si celle-ci ne se'subsiste que dans certaines hypotheses particulieres de la theorie actuelle, par ailleurs resolument non keynesienne, et si une «authentique economie keynesienne» reste a construire ? La reponse a cette question est que I'analyse de l'economie de Keynes presente aujourd'hui encore un enjeu important, celui de la strategie a suivre pour les economistes insatisfaits par les hypotheses, raisonnements et resultats de la theorie neoclassique (dans ses diverses versions). Dans son travail de recuperation et d'enveloppement des propositions keynesiennes, la theorie neoclassique a ecarte des points essentiels de la pensee de Keynes. L'aspect radical du projet de l'auteur de la Theone generate. pour reprendre la terminologie de Favereau (1985), a lOtIO ignore au profit de son aspect pragmati que. Cela peut se comprendre : pourquoi abandonner Ie bel edifice legue par les generations precedentes s'il est possible de I'amenager pour loger les conclusions nouvelles? Mais il convient d'en voir egalement I'aspect negatif. La reintegration des resultats de Keynes au sein de la theorie actuelle est associee a I'idee qu'il n'existe pas a proprement parler une economie de Keynes, c'est-a-dire un ensemble structure de propositions logiquement reliees entre elles et formant une approche coherente et alternative. Or cela est loin d'etre sur. Nous essaierons au contraire de montrer qu' une unite profonde caracterise les approches que Keynes expose dans ses deux principaux ouvrages que sont Ie Traite sur La monnaie et la Theorie generale. Cette unite est fondee sur deux traits essentiels qui distinguent radicalement l'economie de Keynes de la theorie neoclassique : d'une part, elle prend en consideration I' asymetrie fondamentale existant entre les entrepreneurs et les non-entrepreneurs (rentiers et salaries), d'autre part, elle raisonne d'emblee dans une economie monetaire, evitant les impasses de la theorie dorninante, toujours a la recherche de 0 et C" < O. La courbe de la demande globale D est une fonction de l'emploi: D = D, + D2 = D, + C(N) = D (N). Tout se passe comme si les entrepreneurs pris ensemble pouvaicnt calculer a !'avance (sans se rendre au marche) les recettes qu'ils peuvent esperer de chaque niveau d'emploi possible. Compte tenu de la «loi psychologique fondamentale», cette relation a la forme generale representee sur Ie graphique ci-dessous:
Une facon breve et correcte, semble-t-il, de formuler Ie principe de la demande effective est: les entrepreneursfixent le montant de l'emploi enfonction de leur convenance.
O=O(N)
Cette formulation a I'immense avantage de mettre en evidence I'aspect unilateral de la decision des entrepreneurs. Elle fait clairement ressortir que Ie niveau de I' activite ne se determine pas par une confrontation au rnarche entre I' ensemble des agents. Elle a I' inconvenient d'etre un peu courte er de laisser l'economiste sur sa faim. II convient done de developper une argumentation detaillee reprenant les hypotheses habituelles qui donnent confiance aux economistes (notamment celie de maximisation du profit par les entrepreneurs).
01
«Dans un etat donne de la technique, des ressources et du cout de facteur par unite d'emploi, Ie volume de I'emploi, aussi bien dans les entreprises et industries individuelles que dans I'ensemble de I'industrie, est gouverne par Ie montant des recettes que les entrepreneurs esperent tirer du volume de production qui lui correspond» (TG, p. 46).
N
Figure 4
Raisonnons com me Keynes au niveau agrege et considerons I'ensemble des entrepreneurs comme un entrepreneur unique. A ce point de I' expose, Ie taux de I' interet et Ie montant de I'investissement sont connus. Les depenses d'investissement que font les entrepreneurs soot egalernent des recettes pour eux (economie ferrnee). Une partie des recettes est done deja connue. II reste a determiner les autres recettes attendues, celles provenant des depenses de consornmation. RappeIons que la distinction entre consommation et investissement n'a rien a voir avec la valeur d'usage des biens achetes; I'investissernent est simplement Ie nom des depenses que les entrepreneurs font entre eux et la consornmation Ie nom des depenses que les non-entrepreneurs font aupres des entrepreneurs (Voir ~G, p. 81), Keynes recourt alors a l'idee de la relation entre Ie revenu et l'epargne (deja mentionnee au chapitre I), au, ce qui revienr au rneme, a fa relation supposee exister entre Ie revenu et la consommation. Pour etre rigoureux it faudrait dire entre les revenus de facteurs (a I'exclusion des profits des entrepreneurs) et la consommation. Si une telle relation existe, it est possible alors de definir ce que Keynes appelle la courbe de la demande globale. Exprimons toutes les grandeurs en unites de salaire (salaire moyen). Le niveau de I' emploi, I' investissement et la consommation sont done exprimes par des nombres d'unites d'emploi, respectivement N, Dl et D2• Admettons en outre Ie
Les entrepreneurs doivent comparer les recettes attendues aux couts de la mise en oeuvre d'un certain volume d'emploi. On admettra que Ie «prix de l'offre globale», Z = ZeN) croit proportionnellement avec Ie niveau de l'emploi I. En tous les points de cette courbe,Ie salaire reel est egal Ii la producrivite marginate du travail (> (Orlean, p. 239). L'esperance de ['anticipation de b pour (T+I) compte tenu de l'information I en (I) est precisement egale a la valeur effective de b en (1+ I). L'cvaluation presente des actifs financiers negociables repose sur I'anticipation de leur valeur future sur Ie marchc. C' est Ie jugement des participants au marche qui fixe aujourd'hui la valeur des titres sur la base d'une croyance sur ce que sera demain ce meme jugement. II s' agit la de ce que Orlean nom me une autoreference. La circularite de ce type de logique (celie de la speculation) l'oppose a celIe que Keynes nomme logique d'entreprise. La premiere est« introvertie» et ne considere que des opinions sur des opinions; la seconde est «extravertie») et repose sur des opinions portant sur des faits objectifs quoiqu' imprevisibles (Ie prix du cuivre dans vingt ans). Le processus de speculation est auto-referentiel et on con90it que les equilibres avec anticipations rationnelles soient pertinents pour Ie decrire. L' indetermination de la solution (tout b convient), liee a la multiplicite de tels equilibres, tTaduit I'arbitraire des marches financiers et exprime la fragilite des conventions sur lesquelles fonctionnent ces marches.
survie du proief radical
121
DEBATS ET PERSPECTIVES
p.240). La logique qui vient d'etre esquissee peut etre etenduc aux marches des biens et fonder la theorie de la demande effective. (Bryant, 1983). L'incertitude radicale peut faire I'objet de formalisations fort diverses et conduit a des developpemcnts sur la rationalite tres differents de ceux retenus par la theorie neoclassique. II convient toutefois de noter, qu'en raison meme de cette diversite, des points de contact importants existent avec cette tneorie, notamme~t au travers de la notion dequilibre avec autorealisation des croyances ou des anticipations. Parfois, ce sont les memes mode~e~ qui so~t invoques. M~is, d'un ~u~re cote, cette incertitude apparait comme I'ongme (loglque) du caractere ~onetaIre de I'economie. En tant que telle, elle annonce ce qui est sans doute Ie traIt Ie plus essen tiel de la theorie non academique, a savoir qu' elle s' appuie sur une demarche monetaire.
2.
ECONOMIE MONETAIRE ET FONCTIONNEMENT DE L'EcONOMIE
De meme que la prise en consideration de I' incertitude a conduit a des analyses differentes, de meme les auteurs non academiques ont exp~ime de fa~on fort variable leur conviction sur Ie caractere monetaire de l'econonue. Selon que leur interet se porte sur I'etude des phenomenes observes dans les econ~mies co~c~etes ou que leurs preoccupations relevent de 1a theorie fon~amentale, lIs vont mSlster sur des aspects tres differents de la theorie de la monnale.
2.1 La monnaie endogene Un premier theme interessant est celui de I'endogeneite de la masse monetaire. Dans I'expose de I'economie de Keynes presente dans 1a premiere partie, un changement de ton avait ete note entre Ie Traiti et la Theorie ge~erale sur c.e point. Alors que dans Ie premier, Ie fonctionnement du sys~e,mebancaIT~ est e,xph't' dans la seconde tout semble se resumer a une quantlte de monnate fixee de CI e, d fa\=onexogene par les autorites monetaires. Un tel traitement rapproche angereu-
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L'ECONOME
DE KEYNES:
PROlONGEMENTS,
DEBATS ET PERSPECnVES
L'economie de Keynes 10 5urvie du projet radical
s:me.nt l'economie de Keynes de l'economie neoclassique et n'a pas laisse sans reaction les auteurs non acaderniques.
2.2 le circuit
L'argument central, parfaitement raisonnable, est qu'il ne peut etre ernis des moyens de paiement dans un systeme de credit que si une demande existe et que si les banques ont Ie moyen de repondre a cette demande. II s'agit done, en renouant avec une argumentation ancienne developpee par Wicksell, de reintroduire I~s banques dans la theorie economique generate et d' etudier explicitement I' ernission de la monnaie.
a cerner
Le vieil adage selon lequel «Ies prets font les depots» est remis a l'honneur c,equi ~a avoir pour effet de privilegier Ie cote dernande de credits et de faire porte; I attention davantage sur les taux de l'interet que sur les «agregats rnonctaires».
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menetcire
Ceue approche du circuit, pour l'essentiellimitee a la France, est malaisee dans la mesure ou s'en reclament des auteurs travaillant a des niveaux inc-
gaux d'abstraction. Les travaux de B. Schmitt, assez mal recus par I'establishment, en sont les meilleurs fondements theoriques.Il n'est pas possible d'exposer ici l'ensemble de la penscc de B. Schmitt (voir bibliographie). On peut toutefois tenter d'en donner une idee. traite
La question centrale est celle de lintegration de la monnaie que I' auteur de quelques propositions premieres.
a partir
Un auteur tres representatif de cette tendance est B. Moore (1988) qui oppose les «verticalistes» aux «horizontalistes», les premiers tracant une courbe d'offre de monnaie verticale (quantite de monnaie exogene ne dependant pas du taux de l'Interet), les seconds estimant que I'offre de monnaie a une elasticite infinie pour un tau x d' interet donne, fixe de facon exogene.
La monnaie est un «actif-passif'». ce qui la distingue de tous les autres objets economiques qui sont des actifs, L'ernission de monnaie ne la fait pas entrer dans les patrirnoines des entreprises car son emission implique I'existence d'une dette de merne montant. A ce stade, la monnaie n'a pas de pouvoir d'achat et n'est
Au plan global, c'est I'attribution des credits qui est a l'origine des depots et des sources de la liquidite bancaire. Plus precisement, Moore va soutenir que les banques sont «price makers» et «quantity takers» sur Ie rnarche des credits et «price takers» et «quantity makers» sur Ie rnarche du refinancement bancaire aupres de la Banque centrale. Le prix pivot du systerne est Ie taux auquella banque centrale accepte de refinancer les banques. Ce taux est fixe de facon souveraine par la banque centrale mais, a ce taux, elle est tenue de satisfaire la totalite des demand~s des banques sous peine de voir Ie systeme sombrer dans une faillite generalisee. Les banques, de leur cote. fixent leurs tau x (crediteur et debiteur) en fonetion du taux de la banque centrale. et, a ees taux, acceptent de satisfaire toutes les demandes de credit presentant les garanties normales et satisfaisant aux regles prudentielles habituelles.
De ce que la monnaie est un actif-passif, il resulte qu'elle ne peut etre utilisee que circulairement, son annulation etam in serite dans I' acte rneme de sa creation. Le circuit, chez B. Schmitt, n'est pas une categoric empirique descriptive mais bien plutot un concept comprehensif qui tente de fonder une reconstruction de l'econornie en dehors de la theorie de Ia valeur.
L'affirmation du caractere endogene de la monnaie eontredit frontalement la theorie orthodoxe de la monnaie par excellence qu' est la theorie quantitative de la monnaie. Celle-ci repose en effet sur I'hypothese d'independance de la quantite ~e mo~nale par rapport aux autres variables economiques, cette independance etant directe (MV = PT) ou indirecte comme dans la theorie du multiplicateur de credit. S'il est vrai que les moyens de paiement sont emis en n~ponse a Ia demande des agents, et notamment des entrepreneurs, il n'est plus possible de soutenir la these selon laquelle ce sont les variations des quantites nominales de monnaie qui sont a 1'origine de celles des prix et, eventuellement, des quantites. On retrouve ici une volonte d'expliciter Ie jeu complexe des actionslreactions de la Banque centrale, des banques et de I'economie que Keynes evoque dans Ie Traiti (pour I'oublier ensuite ... ). . ,D'autres auteurs ant nuance I'analyse de la monnaie endogene et ont approfondl I etude du comportement du systeme bancaire en I' integrant dans une theorie du circuit (Graziani, 1990).
pas appropriable.
L'integration de la monnaie, c'est-a-dire l'operation qui va conferer son pouvoir a la monnaie est Ie paiement des facteurs, et plus precisement, Ie paiement des salaires. C'est cette operation qui va mesurer la production. «La remuneration des travailleurs, au sens Ie plus large. est la definition de la rnesure de tous les biens nouvellement produits, de periode en periode» (1975, p. 54). Mais si Ie flux mesure Ie pouvoir d'achat. Ie reflux va Ie faire disparaltre. Ce reflux est composite au sens au l'achat de la production par les salaires n'est pas une pure et simple destruction de pouvoir d'achat; elle est egalement partiellement un transfert qui constitue Ie profit des entreprises. C' est d' ailleurs parce qu' il y ace transfert que les entreprises sont en mesure d'acquerir des biens (investissement ou consomrnation). Dans les termes de Schmitt, on dira que Ie circuit comprend des elements «composites ». «Si, ayant achete la production pour x (par l'achat des services producteurs), E la vend pour x + y, il est logiquernent necessaire d'analyser la somme x + y en ses deux composants: x est une vente mais y n'est qu'un transfert compris dans les ventes au sens large» (1975, p. 52). Une autre fa~on d'exprimer ce point est d'evoquer la difference entre la valeur (mesure par Ie salaire) et Ie prix (mesure au marche) qui comprend les transferts. L'identite des achats et des ventes (au sens strict) gouverne Ie circuit de I'economie monetaire: c'est la loi de Say selon Schmitt. Mais ceci n'estqu'une loi globale qui laisse la possibilite de ventes excedentaires compensees ex.actement par des achats excedentaires.
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l'EcONOME
DE KEYNES:
PROlONGEMENTS,
DEBATS ET PERSPECTIVES
La fenneture du circuit est automatique et apparalt au travers d'un second departernent bancaire, Ie «departement financier» qui s'ajoute au «departemem monetaire» assurant la gestion de la monnaie comme actif-passif. Les excedents sont pretes et cornblent les deficits. «Ces inscriptions dans Ie departement financier sont la «memoire» de la monnaie pretee par les services producteurs aux entreprises, prer qui permet d' achever la destruction de monnaie dans Ie departement monetaire» (1975, p. 51). C' est avec ces categories fondamentales que I' auteur entend etudier l'inflation, Ie chornage et les questions rnonetaires internationales. Mais, plutot que de Ie suivre sur ce terrain, it parait preferable ici de commenter brievement la theorie schmittienne en la situant par rapport a Keynes. C!airement, Schmitt ne cherche nullement a «recuperer» la pensee de Keynes pour la rapprocher de Ia theorie neoclassique. Tout au contraire, I'ambition est visiblernent de montrer que l'economie de Keynes peut etre fondee a partir de quelques propositions fondamentales se situant au rnerne niveau d'abstraction que les hypotheses premieres de la theorie de l'equilibre general. A ce titre, il s'inscrit totalement dans le «projet radical» de Keynes. L'interet de ce type de projet est de proposer une autre vision du fonctionnement de I'economie. Si Ia theorie de I'equilibre general nous incite «spontanement» a voir dans les phenomenes economiques Ie resultat des actions independantes d'individus homogenes et libres sur des marches interdependants, Ie «projet radical» suggere au contraire que ces memes phenomenes sont I'effet d'une structure de relations monetaires logiquement anterieure aux individus (c'est cette structure qui les definit) qui fonde leur heterogeneite et leur assigne leur place specifique: les entrepreneurs et les salaries sont dans une situation asymetrique et Ie systeme bancaire se trouve au cceur de la construction. Plus que sur les resultats precis relatifs au ch6mage ou a I'inflation, Ia lheorie de Schmitt merite de retenir I'attention par I'abstraction differente qu'elle propose et par la tentative de donner des fondements conceptuels aux choix theoriques fondamentaux qui caracterisent I' economie de Keynes. De ce point de vue, Schmitt a moins influence les economistes se reclamant du circuit (Barrere, Parguez, etc.) que d'autres auteurs ayant egalement tente d'explorer une approche purement monetaire de I'activite economique (Benetti-earteIier 1980, Aglietta~OrJean 1982).
L'eccocaue de Keynes /0
3.
survie
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du proiet radical
ASYMETRIE ENTRE ENTREPRENEURS ET PRINCIPE DE KALECKI
ET SALARIES
Un des apports des travaux qui viennent ~~etre ~v~que~ e.-st.-de~reci~e~ la nature de l'asymetrie entre entrepreneurs et salaries, qUI n .avaIt ete qu Imph~l~e= ment posee par Keynes. Notamment, C. Benetti et J. Cartelier (1980) ont explicite Ie lien existant entre le caractere monetair e du hen social et ce lu i de «subordination monetaire» du rapport salarial. Sur la base de cette analyse,
a supposer
qu'elle soit acceptee, il est possible
de justifier Ie principe de Kalec~i, d~nt ~ous :v~n~;u .q~'il etait 'prese~t dans l'economie de Keynes mais aussi qu'il disparair a I equilibre. Cecl,est d.autant plus fachcux que c'est la reference a l'equilibrc qui devient centrale a partir de la Theorie generale.
3.1 le principe de Kalecki Formule des 1933 par son auteur, il s'enonce: