L'économie allemande sous le nazisme : un aspect de la décadence du capitalisme

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Bibliothèque

Générale

d ’E c o n o m i e

Politique

---------- Charles Bettelheim --------

L'ECONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME UN ASPECT DE LA DECADENCE DU CAPITALISME

L i b r a i r i e M a r c e l R i v i è r e et C ie ------------------------------------------ p

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L'ÉCONOMIE

ALLEMANDE

SOUS LE NAZISME UN ASPECT DE LA DÉCADENCE DU CAPITALISME

OUVRAGE OU MEME AUTEUR publié dans la même Collection

LA PLANIFICATION SOVIETIQUE 3* édition, mise à jour et complétée 359 pages — 200 Frs.

Tons droit» d· reproduction et de traduction réservé· pour tous pays·

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Générale

d ’E c o n o m i e

Politique

---------- Charles Bettelheim ----------

L'ECONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME UN ASPECT DE IA DECADENCE DU CAPITALISME P ré f a c e de D av id R o u sset

L i b r a i r i e M a r c e l R i v i è r e et C te 31,

RUE

JACOB,

1940

PARIS-VI*

PREFACE

L’histoire dont parle ce livre n’est pas morte. Les armées alliées ont recouvert la totalité du territoire allemand, l’Etat allemand a été détruit, son gouvernement central a cessé d’exis­ ter, son économie est démantelée, toutes les grandes voies com­ merciales sont des ruines béantes et les usines de hauts murs solitaires, d’immenses halls vides, sans main-d’œuvre et sans cadres techniques, des alignements de machines mortes. Tout ce grand pays est comme un cimetière et les êtres qui le hantent d’étranges fantômes sans horizon. Les premières fresques de la défaite se dégagent encore que les zones d’occupation construisent des Allemagnes. Les Russes fabriquent le vide, un vide extraordinairement parfait qui ne laisse que des squelettes de murailles comme des embrasures muettes sur la plaine. Et accroché à la brique, un panneau poli­ tique pour le peuple offre la collaboration contre le nazisme et prépare d’éventuels futurs. La zone française est un désert de gestes inutiles, une passivité morne et désespérée, l’attente lasse d’un hiver fossoyeur qui laisse femmes et enfants désemparés, tandis que les hommes fuient les cités solitaires. La zone améri­ caine vibre de démarches et d’ordres, les courroies tournent entre des murs détruits, les usines reprennent leur être, retrouvent une fièvre au milieu de villes assassinées. Les camions militaires charroient la substantielle moelle des affaires. Des papiers se signent, des arrestations s’opèrent, et tout ce qui se reconstruit passe outre-Atlantique. Officiellement des mesures sont prises qui désarticulent et démembrent, tandis que renaissent les appa­ reils encore exsangues des anciens partis, obstinés sur le chemin de l’unité. Les Allemagnes se diversifient et s’axent, mais l’Alle­ magne n’est encore que décombres, ruines stupéfaites. Ce cadavre pèse toujours très lourd sur l’Europe et dans le monde. Il continue une lente pourriture qui décompose l’orga­ nisme économique mondial. Déjà les puissances construisent des décors en fonction de futurs conflits, dès maintenant présents. Le partage des eaux passe en Allemagne. Dans le dénuement intellectuel extrême, les miasmes du nazisme restent, et virulents, non seulement en Allemagne, mais partout dans le monde. Il est clair que la deuxième guerre mon-

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diale n’a pas rompu la fatalité des crises et des guerres. La paix demeure entièrement à construire. Nous sommes seulement en face d’une nouvelle pause. Pause extraordinairement précieuse et décisive, car il n’est pas sûr qu’au lendemain du troisième conflit mondial, des problèmes demeurent encore posés. Pour peser et résoudre, il faut un minimum de vie économique et de culture ; en dessous il n’est plus que de laisser l’existence biolo­ gique se reprendre et poursuivre. Et l’affaire se résout dans un champ relativement étroit qui se compose des puissances les plus hautement armées économiquement. Que les pays coloniaux ou semi-coloniaux, que les régions historiquement en retard dans leur développement puissent jouer un rôle, parfois déterminant, dans la crise sociale présente, est certes indéniable, mais l’effon­ drement d’états les plus puissamment évolués peut entraîner une dégénérescence radicale de toute la société mondiale. Le rejet de l’Europe en dehors du marché mondial, la désagrégation du prolétariat allemand, l’extrême affaiblissement du prolétariat européen, qui sont les conséquences du fascisme et de la seconde guerre, présentent un symptôme de gravité d’une envergure abso­ lument nouvelle. C’est ce qui fait l’actualité vivante d’un ouvrage comme € L’Economie Allemande saus le Nazisme s. Λ L’expérience allemande a une valeur définitive. La bour­ geoisie allemande a tout tenté pour surmonter la crise sans que les rapports de propriété soient modifiés. Cette tentative s’est soldée par un échec sanglant entraînant une destruction inouïe de vies humaines et de valeurs. Cette expérience est décisive en particulier pour l’Europe qui connaît aujourd’hui une amplifi­ cation de la crise vécue par l’Allemagne au lendemain de la pre­ mière guerre mondiale. L’examen de cette véhémente tentative des sphères dirigeantes allemandes est aussi une réponse à toutes les « solutions » illusoires des théoriciens bourgeois. Il serait d’une gravité exceptionnelle de cacher ces faits, de camoufler les conclusions véritables en c expliquant * le drame allemcuid par des raisons « raciales », par une pseudo-théorie du « tempérament » germanique. Une telle interprétation ne fait que reprendre l’argumentation nazie et ce n’est pas accidentel­ lement. La € théorie de la race » est une pièce maîtresse de l’œuvre de mystification du nazisme. Elle avait pour but d’aveugler l’opi­ nion sur les véritables racines économiques et sociales de la crise. La théorie du < tempérament germanique » poursuit des

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fins analogues. Elle fait de la crise allemande un phénomène autonome, correspondant étroitement à un milieu psychologique et disparaissant avec lui. Elle mystifie Vopinion sur la véritable nature et la portée réelle de la crise allemande. Et cette mystifi­ cation a comme la « théorie de la race » pour but de préserver la hiérarchie sociale existante et les rapports de propriété qui la soutiennent. Pour y parvenir on a créé de faux coupables : d’un côté le Juif, le démocrate, le communiste ; de l’autre, le Germain. Les camps de concentration par leur existence et leur compo­ sition ont mis publiquement à nu ces deux mystifications : les camps ont été créés avant tout pour les Allemands, et nous avons vécu des mois durant avec des politiques allemands qui avaient hanté les camps pendant Î2 ans et connu toutes les tortures (1). ** Charles Bettelheim met largement en lumière les origines économiques du drame social et politique allemand et de la guerre. La première conflagration mondiale, en provoquant un écart catastrophique entre le potentiel économique du Reich et le marché accessible, a posé le thème fondamental de la crise. Thème camouflé momentanément par les cours successifs de l’inflation et des emprunts, mais en réalité démesurément déve­ loppé par eux. Si la puissance industrielle allemande bondit à nouveau à la seconde place dans le monde, son marché intérieur se resserre encore, par la seule existence en pleine « prospérité > de deux millions de chômeurs, tandis que les marchés extérieurs disponibles demeurent médiocres, et que la dépendance de l’étranger s’accroît lourdement. Vienne la tornade de 1929 et les fondations d’argile de ce grandiose édifice vont apparaître dans une lucidité brutale. La production s’effondre du deuxième étage mondial au cinquième rang, dans un fantastique développement du chômage. La structure financière est si dangereusement lézar­ dée que la seule banqueroute sauvera l’appareil bancaire et la construction économique allemande ne survivra que par la prise en charge massive par l’Etat de dettes hallucinantes. Et quelles étaient alors en ce virage décisif les voies ouver­ tes ? Faire exploser les principes de rentabilité capitaliste et construire au delà de ces décombres la propriété collective. C’était élargir infiniment le marché intérieur en dégageant tous les horizons ouverts au pouvoir d’achat des masses. Mais l’opé(1) Note de VEditeur. — L'auteur de la préface a été déporté dans lea camps de concentration (Buchenwald et Nenengamme) d’octobre 1049 au δ mai 1945.

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ration exigeait une extermination systématique de la hiérarchie sociale existante et pour durer imposait une intégration U.R.S.S.ALLEMAGNE. Elle signifiait que fussent rassemblées et nouées9 en une action oiolente et disciplinée, toutes les puissances révolutionnaires des masses. Une telle route ne pouvait être qu'abomination aux yeux de la bourgeoisie allemande, et nous savons toutes les ruses et tous les détours génialement inventés, tous les risques courus à Vextrême possible pour égarer et désemparer les masses et aveugler Vissue menaçante. Rien n'était moins tolérable alors en Allemagne que la dévaluation. Quelques gestes esquissés en ce sens et des frénésies auraient été déclenchées dans le pays, toutes les angoisses des classes moyennes réveillées, les mordant au ventre, tempête panique avec à toucher du doigt le spectre d'un nouvel effondrement du Reichsmark. Mais même les têtes rassies des experts ne voyaient point là de solution, fûtce à court terme. Quelle facilité pour ces gens d'imaginer si l'on se risquait, les ripostes au de là des frontières, les dévaluations à la chaîne, toutes les devantures fêlées au plus vite, et le fantas­ tique chaos monétaire où le monde s'embourberait. Restait la porte étroite de l'esclavage. La France et les Anglo-Saxons pro­ posaient une aide, bien entendu avec dessous de table politique. L'accepter c'était vassaliser l'Etat, ouvrir grandes les portes à la colonisation étrangère. Qui pouvait prendre la responsabilité d'abaisser le pavillon, d'enterrer les impatiences, les illusions, les véhémences, et les ambitions chaudement nourries de tout un romantisme de la défaite ? Qui plus encore aurait pu l'imposer ? Alors il n'était pas d'autre chemin ; un seul demeurait inélucta­ blement avec toute sa folie intempestive, mais aussi avec elle : le réarmement massif, un vaste programme de travaux publics étouffant le chômage et préparant l'Allemagne à s'ouvrir les marchés extérieurs nécessaires par la violence. La porte, la seule porte était hitlérienne. La révolution révoquée, il ne demeurait plus de choix. L'hitlérisme apparaissait comme une fatalité implacable et avec lui, en lui, sur ses épaules, sur son visage : la guerre. Tous les falbalas dépouillés, chassées toutes les kermesses, nous avons là, mises à nu, les assises et la fonction du nazisme. En gerbes claires des ruines, sa signification dans l'univers pourrisscuit du capita­ lisme se développe comme naturellement. *** Le national-socialisme n'est rien d'autre que la garde plé­ béienne autour du capital monopoleur. Avec ses ripailles, ses relents, et ses masques de carnaval. Mais le maçon, l'ajusteur, le

▼ terrassier, le mineur, le cheminot, le petit boutiquier, le camelot, ou le paysan accroché à sa boue, sont les adversaires acharnés des monopoles. Rien ne pourra les contraindre à se sacrifier pour leurs pires ennemis si des fantômes ne sont créés capables d'opérer une diversion totale. C'est la grande invention du capital juif, responsable de tous les malheurs, et de ses laquais les démo­ crates, les socialistes, les communistes. Sans la mystification et orchestrée par tous les hauts-parleurs, toutes les radios, toutes les tribunes, toutes les scènes, les nazis seraient absolument incompréhensibles. La poussière ancestrale des mythes agglu­ tinée au ciment des puissances économiques dresse les cloisons objectives où se paralysent les classes moyennes, le prolétariat, la paysannerie, qui ont été génialement exploités et sans se contraindre à de la logique, sans égard et sans crainte des contra­ dictions, mais les chevauchant dans tous les sens possibles. Charles Bettelheim a remarquablement analysé les variations de la politique des trusts à l'égard de la petite bourgeoisie. Dieu a failli à son rôle, et tous les Saints de tous les Paradis avec lui. Hitler usurpe leur fonction. C'est lui le sauveur du petit bourgeois et uri sauveur temporel. Lui seul est capable de l'arracher à la prolétarisation, de lui redonner un rôle social qui justifie son être, alors que la crise vous enterrait toute existence autonome et plongeait le boutiquier désancré dans le monologue d'Hamlet. La farce c'est qu'Hitler dans sa démagogie la plus criarde, mais qui lui permit souverainement d'assembler toutes les faims et tous les désespoirs, servit ce faisant, et le plus consciencieuse­ ment, les exigences des monopoleurs. Ces messieurs ne sont point si naïfs qu'ils ne se rendent compte que la vague qui les porte, si elle renverse le château de sable des classes moyennes, ruine finalement leur propre socle de bronze. Ils s'efforcent en consé­ quence de monter des digues et de parer aux effondrements, en organisant une exploitation de la petite bourgeoisie dans les cadres de la propriété privée qui la transforme en salariat, tout en lui donnant une impression de « sécurité * sociale. Ils iront donc puisque c'est nécessaire jusqu'à relativement freiner la concentration et ils amplifieront le sens par une orchestration tonitruante de toutes les transes verbales. Mais il faut un salaire et ils le trouvent dans l'établissement d'une politique rigide des prix et des traitements, avec la contre-partie décisive d'accorder aux monopoles et à leur agent, l'Etat, un contrôle dictatorial limitant très strictement les droits et publiant une charte des devoirs de la petite bourgeoisie exaspérée. Le petit industriel, l'homme d'affaires tenace et moyen, le marchand de tripes du coin, le boulanger dans son fournil, le

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paysan jusqu’aux épaules dans son trou de glaise remuée, Vavocat gris de paperasses, l’intellectuel chasseur de gouttières, le rentier illusoire, tous bien pressurés, bien séchés, bien étirés sous le pressoir, tiennent abusivement à leur existence différente, à leurs différences, Ils sont tous des tartarins sociaux, mais avec une frénétique ténacité. Le sol glisse et dérape sous leurs pieds comme si le monde se transformait en un système dément d’esca­ liers mécaniques qui inéluotablement descendent. Et l’on a beau remonter en courant, toujours l’on descend. Ils courent après tous les appels. Ils croient tout. Ils se prennent à tous les maquil­ lages. Ils sont la proie de toutes les puissances rassurantes : des dupes magnifiques. Mais ils flairent, ils flairent terriblement. Ils croient les grands messieurs qui sont à la tête des grandes socié­ tés d’assurances pour l’éternité sociale, mais de l’autre œil, ils voient, ils dénoncent les traquenards, les souricières économiques. Et alors, ils protestent, ils en appellent au droit, à la dignité, ils brandissent les Dieux et refusent. Ce ne sont que des pantins. Le son tombe de toutes les éventrures. Des pantins, des Dummen» mais les ficelles coupées. Il faut d’autres cordages pour les tirer. Les grands messieurs montent, haute en couleur, la pièce plé­ béienne. On débite à la tonne, à la chaîne, du socialisme en grand, en petit, de toutes les façons. Le calcul est simple, comme tou­ jours. Les trusts ont besoin d’une politique plébéienne pour imposer aux classes moyennes sous la pression des masses des mesures favorables aux monopoles et qui seront présentées sous des formules socialistes. Le deuxième pilier contradictoire tdu temple national-socialiste. Mais qu’importe la contradiction où passe seulement la furie des exaltations oratoires ? Et puis, il faut bien nécessairement aussi duper, ployer, domestiquer, cette gélatineuse et mouvante et toujours croissante méduse prolé­ tarienne. (En 1939, 53,6 % du total de la population). L’Allemagne subit dans toutes ses fibres un long retard his­ torique. C’est une dernière-née, qui m it trop longtemps à se ras­ sembler, qui se cherche encore dans un monde soudé, homogène, d’une seule tige — une dernière venue tout encore désemparée d ’être et qui rêve de droit d’aînesse. Et le rêve trouble de ses présences multiples dans la dispersion, le national-socialisme en a fait la corne d’or, sa trompette de Jéricho. Il a vêtu les fastes du seul capable de promouvoir à la vie l’unité intérieure et l’absorption en un Reich des Allemands du dehors. La pro­ pagande a découvert sa nuit du Walpurgis. Elle a célébré dans le sang des mystagogues les noces somptueuses du National-Socia­ lisme et de l’Armée. La société contemporaine est un casse-tête d’escaliers à

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Tenvers et d'étages chavirés. Les audaces einsteiniennes, les aventures mathématiques de la technique, la dialectique matérialiste, cohabitent ingénûment dans des mansardes uniques avec la présence réelle de l'hostie, la puissance magique du prêtre, les pouvoirs révélateurs d'une cartomancie zodiacale et l'extraordi­ naire profusion d'une faune primitive. Lorsque le tam-tam des dislocations sociales fait entendre son roulement obscur, la déme­ sure envahit les cerveaux. Les pieds vont de l'avant et marchent, les superstitions drainent les têtes. Les désespoirs se nourrissent des hantises les plus antiques. La note fondamentale du nationalsocialisme a longuement vibré solitaire. Les portes de la guerre et du mythe sont ouvertes. La crise jeta dans le monde les bêtes aveugles de la désespérance. Le national-socialisme en fit des violences et des haines. Il en édifia son opulent et sinistre Sinaî des camps de concentration. Toutes les clefs de la mystification nazie nous sont mainte­ nant données. A « L’Economie Allemande sous le Nazisme » comporte une claire analyse de VEtat. Et non seulement dans le chapitre : « Vue d'ensemble sur le rôle de l'Etat », mais à tous les tournants du livre à propos des interventions dans l'économie et de la nature capitaliste de l'Etat, comme dans l'analyse de la politique des salaires. C'est le pilori de Déat, de la meute des fous et des cyniques à gages. Les tonneaux renversés, on voit le fond rapiécé de leur pseudo-socialisme. Et le mécanisme en action se dé­ monte : mises à jour les limites de l'intervention étatique, ison caractère formel, les difficultés non-surmontées sont encore mul­ tipliées, les déformations structurelles accusées en des grimaces malsaines. La torpille des « espaces vitaux » avec sa gaine des « blocs économiques » livre la naïveté de ses secrets. Le voile du temple déchiré, le Saint des Saints n'est qu'une salle vide entiè­ rement nue, proclamant dans ses dalles national-socialistes la seule nécessité d'assurer envers et contre vents et tempêtes au capital monopoleur, la marge bénéficiaire exigée.

Les apprentis sorciers doivent un salaire. La scène de Harzsbourg en octobre Î931 rencontre une première échéance dans la purge de sang de 193k. Le balancier inexorable : les bourgeois sauvés doivent supporter sur leurs épaules et dans leurs cheveux les singes grimaçants et rustres de la bureaucratie

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nazie. Les ennuis s’engraissent, mais les réconforts m ontent et s'étalent en huileuses satisfactions : les profits appropriés par les capitalistes passent de 6,6 milliards de RM en 1933 à 15 mil­ liards de RM en 1938, soit une progression de 127 % ; la trusti­ fication gagne son marathon : en 1932, 12 % des sociétés par actions représentant 84 % du capital total étaient impliquées dans les Konzern, en 1935 (seulement 3 ans après) les chiffres sont de 48 % figurant 90 % de la totalité du capital. (E t ces chif­ fres comme le montre Bettelheim camouflent en vérité une extension plus grande encore des trusts) ; les cartels instrum ents des Konzern sont les voies impériales de la puissance des trusts dans l’Etat nazi. Le droit grimé masque et affirme le triomphant pouvoir des monopoleurs. (Loi sur les sociétés par actions entrée en vigueur au VToctobre 1937 confirmant officiellement l’action prépondérante des bcmques sur l’économie ; réprivatisation des parts de l’Etat dans les banques, série ininterrompue des repri­ vatisations dans l’économie constituant un éclatant aveu public des fins réelles poursuivies par le nazisme, et, en corrolaire, inté­ gration grandissante des capitalistes dans l’appareil administra­ tif chargé des tâches d’orientation économique). *** Les maîtres-chanteurs usent leur voix sur les planches. L ’exercice du pouvoir au profit des monopoleurs opère les cata­ ractes, décille les regards, et les poutres se voient bien épaisses. Les stucs de la mystification s’effritent en partie. L ’institution de Z’Erbhôf ne rallie pas le paysan, elle l’exaspère. Le bien deve­ nu incessible et insaisissable, les emprunts ne se font plus que détournés et difficiles. La terre tire le serf chez le paysan. Elle l’englue et se colle à lui sans le payer. Sa rente ne se hisse pas au niveau d’un salaire d’ouvrier moyen. Dans les villes, les petits bourgeois sont ravagés par les Diktats des trusts et les lois de la guerre (ordonnance du 30 janvier 43 sur le fermeture des entreprises et du 7 septembre de la même année sur la concen­ tration commerciale). Les duperies de la propagande claquent comme des enseignes sur les murs et tombent le long des trottoirs sous la bourrasque (septembre 1933, l’assurance-chômage sup­ primée pour les ouvriers agricoles ; les agrairiens recouvrent le droit de châtier leurs salariés : amendes et peines corporelles ; la rétribution des heures supplémentaires réduite à rien ; la fuite des campagnes interdite par l’administration « La section de l'Homme ^ ; en mai 1934 interdiction aux entreprises urbaines d’embaucher d’anciens travailleurs agricoles ; extension du sa-

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laire en nature ; rétablissement des contraintes seigneuriales sous la forme de Heuer linge ; interdiction aux paysans de trans­ former eux-mêmes leurs produits, de fournir directement le consommateur ; 1936 : 75 % des commerces de Falimentation ne fournissent plus qu’un revenu mensuel de 80 RM, moins que le salaire d’un ouvrier qualifié ; encore en décembre kO. une ordonnance diminue de 10 % le bénéfice unitaire par marchan­ dise dans le commerce de détail du textile ; en bref toute la poli­ tique des prix fait payer aux classes moyennes les bénéfices du capital monopoleur ; illustration unique dans les annales : les salaires n’ont pas augmenté en pleine période de reprise écono­ mique, signe par excellence révélateur de la désintégration orga­ nique du salariat, ressort de la fatalité guerrière : le maintien des bas salaires oblitérant toute nouvelle ouverture du marché intérieur et vouant de ce fait, inéluctablement, le nazisme à la guerre). *** Le nazisme a connu la nostalgie des Dieux : la désaffection des autels. Les cymbales retentissantes laissaient d’étranges étangs de silence dans les eaux profondes du pays. Il fallait à tout prix faire retomber de lourdes paupières sur les cerveaux. Dans quel arsenal puiser les sortilèges susceptibles d’émouvoir et de tuer la pensée, de consumer sur les hauts lieux puants des charniers l’opposition prête encore à grimper aux reins de la démystification relative, et d’en finir enfin avec la cause de tous les troubles : l’audace de regarder ? Les camps de concentration sont nés de ces peurs et de cette solitude. La terreur arrachée aux ténèbres du sol, revêtue de tous les prestiges de la technique, nourrie des huiles saintes de savantes dépravations, a tordu le pays en de fantastiques feux de la Saint-Jean, éteint la lumière dans les regards, vidé les cervelles, laissé les corps -stupéfaits, dans le calme béat des suicides. *** Aujourd’hui l’indigence et le dénûment de l’Europe sont tels qu’il n’est plus loisible au vieux continent de réintégrer le marché mondial sans renier totalement la véture élimée du capitalisme. Les fêtes neuves sont possibles, mais point certaines. Les maté­ riaux épars attendent. L’usure verte peut venir aux prochaines saisons et transformer l’acier en ces os blancs qu’un effleurement réduit en poudre. Si les mains hâtives s’y prêtent, les chemins de halage connaîtront encore l’enchantement des fleuves vivants. Les rapports de propriété transformés, la voie de l’unification

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et de la planification ouverte, FEurope retrouve son être et toutes les puissances de création. Charles Bettelheim montre ici ce qui est la mort. Et ce faisant, il lutte âprement pour vivre. Ce n'est pas sans signification que la première esquisse de ce travail soit parue illégalement sous la botte nazie. Les chemins précis se dégagent. Les contacts nécessaires entre ceux qui connurent, d’une falaise de FEurope à l’autre, la vérité nazie, et au-devant des rangs avec les illégaux et les concentrationnaires politiques allemands, qui la subirent cruellement douze années, les accords possibles qui se dessinent avec FEst planifié en reconstruction — les premières marches de nouveaux départs se creusent dans la terre encore molle du déluge. Septembre 45. D. Rousset.

INTRODUCTION L’Allemagne vient d’être le théâtre d’une « expérience » économique extraordinairement complexe, dont on a donné les interprétations les plus diverses et les plus contradictoires, sans jamais essayer d’aborder la question dans toute son ampleur. Il apparaît pourtant indispensable, même maintenant — et peutêtre surtout maintenant — d’en tenter une analyse d’ensemble, car il y a dans cette « expérience », dans la démagogie et les mystifications qui l’entourent, des éléments qui dépassent le cadre même de l’Allemagne, des problèmes qui se posent sur la base du capitalisme des monopoles et se développent à partir des contradictions qui naissent au sein de l’économie mondiale. Deux problèmes, notamment, ont un intérêt général et perma­ nent, et se trouvent ici éclairés d’une façon concrète. 1* le problème du « vrai socialisme », c’est-à-dire de la démagogie qui renaît sans cesse autour des mesures interven­ tionnistes prises sur la base du capitalisme des monopoles, démagogie à laquelle le nazisme a donné son maximum de déve­ loppement. Il importe de mettre en lumière la signification de cette démagogie — pour mieux la démasquer — et aussi, de dégager par l’analyse, quels en sont les fondements objectifs, c’est-à-dire les faits qui tendent à donner à cette démagogie une apparence de réalité. C’est là un effort de « démystification » qui n ’est pas valable seulement pour l’Allemagne nazie, mais pour tous les pays où le capitalisme, par son développement même, tend à donner naissance à une intervention croissante de l’Etat que certains qualifient de « socialiste » ou de t révolu­ tionnaire ». 2° le problème des débouchés tel qu’il se posé à la fois sur le plan intérieur et sur le plan international. Sur le plan inté­ rieur, où la politique économique des monopoles de fait tend constamment à un rétrécissement du marché. Sur le plan inter­ national où surgit le problème des rapports entre les économies nationales et l’économie mondiale, problème qui s’insère préci­ sément dans celui, plus général, des rapports entre forces pro­ ductives et débouchés, et dont un aspect particulier est constitué par la question des possibilités d’exportations de produits finis et d’importations de matières premières. Pour la France, comme

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pour VEurope, ce sont des problèmes d’actualité. Leur analyse, pour le passé, éclaire indirectement l’aspect économique des contradictions qui ont conduit à la guerre. Au premier problème correspond, à la fois, l’étude de la structure réelle de l'économie allemande, c’est-à-dire l’étude des rapports de propriété, du rôle de la propriété privée, des grandes formations monopolistiques et des banques, du rôle de l’Etat ainsi que l’étude de l’échec auquel a abouti la politique écono­ mique du nazisme. Cette étude est indispensable pour briser toutes les mystifications auxquelles a donné lieu le système éco­ nomique allemand. Ele ne vient pas trop tard. Il n’est pas inutile, une fois le système brisé par la critique des armes, d’en achever la déroute par l’arme de la critique, car tant que survivront dans le monde — et pas seulement en Allemagne — des bases écono­ miques semblables à celles sur lesquelles ce système s’est élevé, des systèmes analogues tendront à renaître, sans doute avec le même cortège de mensonge et de barbarie. Au second problème correspond l’analyse de la dynamique économique qui — sur une base historique donnée — a engendré le développement du national-socialisme, sa montée au pouvoir et sa politique économique^ Cette dynamique est précisément dominée par la contradiction existant entre les forces productives et les capacités d’absorption du marché intérieur allemand, et par les formes prises successivement par cette contradiction à mesure que — sur la base du capitalisme des monopoles — des essais de solution lui étaient donnés„ Là non plus, l’analyse ne vient pas trop tard. Car, sur des fondements historiques varia­ bles, c’est — tant que subsiste le capitalisme des monopoles et le cloisonnement national des économies mondiales — la même dynamique économique qui tend sans cesse à prévaloir, et à engendrer des tentatives de solutions analogues, jusques et y compris la « solution > guerrière. L’élude de la dynamique économique sera scindée ·en deux parties, la première et la dernière de cette étude. Dans la pre­ mière nous étudierons l’évolution de l’économie allemande depuis la fondation de FEmpire allemand jusqu’à la montée au pouvoir du national-socialisme ; dans la dernière nous étudierons l’évo­ lution de l’économie allemande sous le nazisme. Les parties cen­ trales de cet ouvrage seront consacrées l’une à la structure de l’économie allemande, Vautre au rôle de l’Etat dans la vie écono­ mique.

PREMIERE PARTIE CHAPITRE UNIQUE

LE DYNAMIQUE DE L’ECONOMIE ALLEMANDE DE 1860 A 1933 ET LA MONTEE AU POUVOIR DU NATIONAL-SOCIALISME. Une des caractéristiques de l’histoire de l’Allemagne est la date tardive à laquelle ce pays a réalisé son unité nationale. En fait, cette unité ne date guère que de la première moitié du xix* siècle, et encore celle-ci s’est-elle réalisée tout d’abord seulement sur le terrain économique, avec le Zolleverein de 1834, tandis que sur le plan politique l’unité de l’Allemagne n’a été réalisée qu’au XX' siècle, en dépit de la création de l’Empire allemand au lendemain de la guerre de 1870. La date tardive de cette unifi­ cation de l’Allemagne est sans doute due à des facteurs histo­ riques et géographiques sur lesquels nous n’avons pas à insister ici. Toujours est-il que ce retard de l’Allemagne sur les autres pays de l’Europe a eu pour conséquence que le Reich n’a fait que tardivement son entrée dans le commerce mondial et que les po­ sitions économiques mondiales de l’Allemagne ont toujours été relativement faibles. Néanmoins ce pays a connu, surtout à partir de 1860, un essor industriel remarquable qui devait rapidement aboutir à faire naître une sorte de contradiction entre sa puis­ sance de production et ses possibilités de vente.

SECTION I

De 1860 à 1913. En 1860, l’Allemagne était encore un pays industriellement peu développé, avec une large base agraire. En 1868, la moitié de la population était encore agricole et un tiers seulement avait une occupation industrielle ou artisanale. La production agricole

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l ' é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

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représentait 60 % de la production de marchandises et les arti­ sans travaillant pour le marché local fournissaient la plus grande partie de la production non agricole (leurs ventes se montaient à 82 % du chiffre d’affaires réalisé sur produits ouvrés ou semiouvrés). L’éparpillement territorial de la production industrielle, tel qu’il existait avant le Zollverein, subsistait encore et seules quelques régions (Saxe, province rhénane) avaient un caractère nettement industriel. En 1860, le système corporatif existait en­ core dans quelques provinces et, dans l’industrie, la manufacture prédominait sur l’usine disposant d’un moteur. La plupart des fabriques groupaient de 30 à 100 ouvriers contre 100 à 500 en Grande-Bretagne à la même époque. Par rapport à ce pays, la consommation par tête était très faible. En 1850, les chiffres de consommation étaient les suivants : Fonte brute (Par tête d’habitant) Allemagne · ........... Grande-Bretagne . .

Kg 12 78

Houille

Coton

% 1.700

Kg 0,6 10,0

Laine

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En 1860, l’Allemagne, du point de vue de la valeur de sa production industrielle, était au quatrième rang derrière la Grande-Bretagne, la France et les U.S.A. De 1860 à 1913 l’essor de l’industrie allemande apparaît remarquable ; tandis que de 1800 à 1860 l’indice (base 100 en 1913) de la production indus­ trielle — artisanat compris — a un peu plus que quintuplé, passant de 2,5 à 13,8, de 1860 à 1913 il fait plus que septupler. La valeur de la production industrielle (sans l'artisanat) passe d’environ 2 milliards de marks en 1860 à 20 milliards environ en 1913. Aussi, à cette date, l’Allemagne est-elle passée au second rang des pays industriels ; après les U. S. A., tandis que la Grande-Bretagne est passée au troisième rang et la France (de­ puis 1880) au quatrième. La progression industrielle de l’Alle­ magne, favorisée par l’annexion des régions riches en minerais de fer de la Lorraine, a surtout été sensible en ce qui concerne la production sidérurgique dont l’indice passe de 4 à 100 de 1860 à 1913, tandis que l’industrie houillère voit son indice passer de 12 à 100 et l’industrie textile de 16 à 100. Alors que l’indice de la production industrielle allemande était multiplié par 7, celui de la Grande-Bretagne était multiplié par moins de 3 et celui de la France par moins de 4 ; seuls les U. S. A. enregistraient une progression plus rapide — le coefficient était de 12 — si bien

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que la production industrielle allemande qui représentait 90 % de la production américaine de I860, ne représente plus, à la veille de la première guerre mondiale, que 40 % de la produc­ tion américaine. Cet essor industriel est accompagné d’une rapide concentra­ tion économique : la production industrielle croît 3 fois plus vite que le nombre des entreprises. De 1875 à 1907, la production par entreprise passe de l’indice 100 à l’indice 410 tandis que l’indice de la productivité du travail passe de 100 à 225 par ouvrier, progressant plus vite que le salaire nominal dont l’indice passe de 100 à 175 pendant la même période. Le revenu national fait plus que doubler de 1890 à 1913 passant de 23,5 à 50 mil­ liards de marks, ce qui ouvre un large marché intérieur aux objets de consommation ; il est vrai que les revenus les plus élevés progressent plus vite que les autres, ce qui accélère le rythme de l’accumulation intérieure du capital (ainsi de 1893 i 1913, le revenu du travail — au sens large — a progressé de 3,3 % par an en moyenne, le profit des entreprises de 6 %). L’essor industriel est accompagné d’un essor agricole — bien que l’importance de la population rurale diminue — ; de 1860 à 1913, le rythme d’accroissement moyen de la production agricole est en effet de 2,5 % par an, contre 3,8. % pour l’in­ dustrie. Dans le domaine du commerce mondial, l’Allemagne lutte de plus en plus victorieusement contre la concurrence britan­ nique ; de 1880 à 1913 les exportations anglaises de biens de consommation sont multipliées par 2,9, les exportations alle­ mandes par 6 ; pour les exportations de biens de production, les coefficients sont respectivement de 3 et de 21. Cet essor des exportations allemandes, et les profits ainsi réalisés ont permis à l’Allemagne de prendre rang parmi les pays exportateurs de capitaux. Dès 1880, le montant des capitaux allemands investis à l’étranger atteignait 5 milliards de marks ; en 1900, il était de 14 milliards et en 1913 de 24 milliards ; l’Allemagne prenait ainsi rang derrière les deux grands pays exportateurs de capitaux, la Grande-Bretagne et la France, dont les investissements à l’étranger étaient, en 1913, estimés à 46 et 32 milliards de marks. Bref, en 1913, l’économie allemande, après une période de croissance rapide, se trouve, du point de vue industriel, au deuxième rang des grandes puissances et, du point de vue des exportations de capitaux au 3* rang. Pourtant des points faibles apparaissent dans cette évolution.

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L’ÉCONOMIE ALLEMANDE SOÜ8 LE NAZISME

I e) Du point de vue des matières premières, les bases de Tindustrie allemande sont insuffisantes. En 1913, l’Allemagne ne disposait en suffisance que de charbon, de zinc et de potasse ; elle manquait de pétrole, de cuivre, d’étain, de nickel, de soufre, etc... ; même pour le minerai de fer elle était déficitaire. 2°) Du point de vue des débouchés, après la période d’es­ sor, l’Allemagne, qui dispose d’un appareil de production capable de travailler en grand pour le marché mondial, se heurte aux positions acquises par les autres grandes puissances ; c’est la rançon de son industrialisation tardive, conséquence elle-même des obstacles auxquels s’est heurtée la constitution de son unité économique et de son unité nationale. En effet, en 1876, alors que la France et l’Angleterre jouissaient déjà de leurs immenses pos­ sessions, le domaine colonial allemand était presque inexistant et l’extension qu’il a prise au cours des années suivantes n’a eu aucune importance pour le développement économique de l’Al­ lemagne, comme source de matières premières ou de débouchés. Tandis qu’en 1913 l'Angleterre dirigeait près de 40 % de ses exportations vers ses possessions, l’Allemagne ne dirigeait vers ses colonies les plus évoluées que moins d’un demi pour cent de ses exportations, soit moins de 50 millions de marks. D’autre part, tandis que sur tous les autres marchés l’Allemagne prenait une place honorable à côté de la Grande-Bretagne, elle se voyait éliminée des possessions britanniques où ses exportations se montaient à 410 mitions de marks, contre 4.800 millions pour les exportations anglaises. Le problème des débouchés se posait d’ailleurs de façon aiguë pour l’économie allemande, autant du point de vue de l’exportation des marchandises que du point de vue de l’exportation des capitaux : les colonies allemandes n ’avaient absorbé que 1,5 % des capitaux allemands exportés — (370 millions de marks). La nécessité où se trouvait l’Allemagne vers 1913 de s’assurer le contrôle d’un certain nombre de mar­ chés pour ses produits et ses capitaux — sauf à voir éclater la contradiction entre le développement de ses forces productives et les possibilités d’écoulement — est sans conteste une des sources du premier conflit mondial. 3e) Les obstacles auxquels se heurtait ainsi l’économie alle­ mande soumettaient celle-ci, en quelque sorte, à un vieillissement prématuré. Ce fait s’exprime par deux sortes de chiffres : en premier lieu, le rythme de croissance annuelle de l’industrie, qui avait été en augmentant de décade en décade jusqu’en 1890 (2,7 % de 1860 à 1870, 4,1 % de 1870 à 1880, 6,4 % de 1880 à 1890) commence à diminuer à partir de là (6,1 % de 1890 à 1900

DYNAMIQUE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

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et 4,2 % de 1900 à 1913). Ein second lieu, la part de l’Allemagne dans la production industrielle mondiale qui avait été en crois­ sant de 1860 à 1900 (atteignant 15 % en 1890 et 17 % en 1900) commence & décroître au début du xx* siècle et, en 1913, elle se trouve, à nouveau, aux environs de 15 %. Ainsi, dés avant la première guerre mondiale, l’Allemagne était entrée dans les rangs des vieux pays industriels.

SECTION II

De 1913 à 1933.

Les années qui vont de 1913 à 1933 sont particulièrement riches en événements, étant donné qu’elles sont marquées suc­ cessivement par la guerre mondiale, par les secousses économi­ ques et sociales dues à l’inflation et par la crise économique. Nous retrouverons les conséquences de ces faits si nous analysons successivement la situation agricole, industrielle et la situation mondiale de l’Allemagne. § 1. — Agriculture.

La guerre elle-même a fait subir à l’agriculture allemande une crise de production extrêmement grave, d’autant plus grave que l’Allemagne se trouvait de plus en plus isolée de ses sources de ravitaillement extérieures. La fin de la première guerre mon­ diale a été marquée, pour l’Allemagne, par une profonde crise alimentaire. La situation agricole de l’Allemagne s’est toutefois améliorée au cours des années qui ont suivi la guerre, surtout après la stabilisation du mark. On peut même dire que sur l’agriculture allemande a soufflé, à partir de 1924, un vent de rationalisation, qui devait d’ailleurs avoir pour conséquence un endettement massif des cultivateurs. De 1924-1925 à 1927-1928 l’indice de la production agricole (base 100 pour les années 1927-28 à 1928-29) est passé de 80 à 95. La progression a donc été de l’ordre de 29 %. En dépit de cette progression, l’agriculture allemande a joué un rôle de moins en moins considérable dans la vie économique du Reich, en raison du développement plus rapide encore du secteur industriel ; c’est ainsi qu’entre les deux années extrêmes ci-des­ sus indiquées, la part de l’agriculture dans la production totale de l’Allemagne est tombée de 22,7 % à 20,9 %. Mais c’est surtout la crise économique qui devait faire subir & l’agriculture allemande les plus grosses difficultés. Au cours de la crise économique, l’indice de la production agricole, loin d’avoir diminué, comme l’a fait l’indice de la production indus­ trielle, a continué a progresser, les cultivateurs cherchant à compenser la baisse des prix en produisant davantage. C’est

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ainsi que Vindice de la production agricole (même base que pré­ cédemment) a atteint 105 en 1928-29, 107 en 1929-30, 110 en 1930-31 et 109 en 1931-32. En dépit de cette progression de la production, la baisse des prix agricoles, de l’ordre de 40 %, a été telle que les agriculteurs ont vu leur situation empirer. On peut d’ailleurs penser que l’accroissement de la production de l’agricultüre, en présence d’une production industrielle en régression, n ’a fait que contribuer à l’effondrement des prix agricoles. D’après des calculs faits par l’office statistique du Reich, au cours de la crise économique, le recul du revenu brut de l’agriculture a été de l’ordre de 28,5 %, ce qui a rendu déficitaire la situation de la grande majorité des exploitations agricoles, étant donné le haut niveau et la fixité des loyers et des charges hypothécaires. Les créanciers hypothécaires ont été amenés à effectuer des sai­ sies massives ; c’est ainsi que l’on a vu, au cours de cette pé­ riode, la valeur des terrains et du matériel agricole s’effondrer et, dans de nombreux cas, le produit de la réalisation des biens des cultivateurs saisis, permettre à peine de rembourser la moitié de leurs dettes hypothécaires. En conséquence, l’agriculture a cessé de plus en plus d’offrir le moindre débouché aux produits industriels. § 2. — I ndustrie. La guerre de 1914-1918 a été marquée pour l’industrie alle­ mande par un lent recul de la production. L'indice de la produc­ tion industrielle, base 100 en 1913, tombe à 83 dès 1914, à 67 en 1915, à 64 en 1916, à 62 en 1917 et 57 en 1918. La première année de paix, loin de marquer un relèvement, devait marquer un nou­ vel effondrement, puisqu'on retrouve l’indice à 39. Le recul de la production industrielle allemande a donc été plus profond que ne l’a été celui de la production industrielle dans l’ensemble des pays belligérants européens puisque, pour ceux-ci, le recul de l’indice de la production entre 1913 et 1919 n’a été que de 27 %. Tous les produits industriels ont été touchés sauf l’industrie des métaux non ferreux dont l’indice est passé de 100 en 1913 à 234 en 1918. La production sidérurgique allemande voit son indice tomber de 100 à 53 de 1913 à 1918, tandis que l’indice de la production des mines tombe de 100 à 83, et celui de l’industrie textile de 100 à 17. Ce recul s’explique à la fois par la réduction du nombre des travailleurs et par la chute de la productivité du travail, dont la régression est, en moyenne, de 20 % au cours de la guerre. Comme nous l’avons signalé plus haut, la cessation des hostilités ne devait pas amener une solution rapide des difficultés

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industrielles de l'Allemagne. Nous avons vu le bas niveau auquel se situe l’indice de la production industrielle en 1919. Ce bas niveau, d'ailleurs, est dû en partie aux cessions de territoires qui ont marqué pour l’Allemagne les traités de paix de 1918. L'Allemagne a perdu environ 11 % de sa capacité de production dans l’industrie des biens de production et environ 6 Va % de sa capacité de production dans l’industrie des objets de consom­ mation. C’est surtout l’industrie sidérurgique qui a été touchée puisqu’on estime que la perte de capacité productive a été de 43 % pour la fonte, de 35 % pour l’acier et de 31 % pour les laminés. Parmi les causes qui expliquent la prolongation de la situa­ tion difficile de l’industrie, il faut faire certainement une place importante aux convulsions politiques qui ont marqué, pour l’Al­ lemagne, la période d’après guerre. Par la suite, les années 1920 à 1923 sont marquées par une certaine reprise, liée d’ailleurs & des phénomènes inflationnistes. De 1919 à 1922, le volume de la production industrielle s’accroît de 90 %, mais il ne représente encore que 71 % de la production d’avant-guerre. En 1923, la crise ultime de l’inflation et l'occupation de la Rhur amènent un nouveau recul de la production industrielle. L'indice représen­ tatif de celle-ci se retrouve alors à 48 contre 100 en 1913. Au cours des années qui suivent, on assiste à une nouvelle progression de la production industrielle. L’indice passe de 48, où nous l’avons laissé en 1923, à 83 en 1925, à 79 en 1926, à 100 en 1927 et à 102 en 1928 et 1929. On voit que l’industrie alle­ mande a eu du mal à dépasser le niveau qui avait été atteint en 1913. 11 faut d’ailleurs signaler que, dès 1926 la production des objets de consommation se heurte à la limitation du marché. Toutefois, en tenant compte de ce que cet indice s’applique à un territoire moins étendu on constate que la progression de la production industrielle allemande entre 1913 et 1928-29 a été d’environ 12 % ; la progression la plus forte ayant été celle des moyens de production. On peut estimer que cette dernière repré­ sente en 1929, 58,5 % de la production industrielle totale de l’Allemagne, contre 53,3 % en 1913. La progression de la production industrielle allemande au cours des années précédentes est due à la fois à la progression considérable de l’emploi (le nombre des ouvriers disposant d’un emploi atteint 9.431.000 en 1929, contre 8.339.000 en 1926) et à la progression de la productivité du travail ; c’est même cette progression qui constitue un des faits les plus remarquables de la période que nous examinons. En effet, tandis que la produc­ tivité du travail industriel n’avait augmenté que de 11 % de

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1907 à 1925, c’est-à-dire en 18 ans, on assiste à un essor extraor­ dinaire de cette productivité au cours de la période de quatre ans qui va de 1925 à 1929. Cet accroissement est de 67 % dans la production du coke, de 41 % dans la production de la fonte, de 29 % dans les mines de lignite et de 33 % dans les houillères. Si nous considérons l'ensemble de la production industrielle, nous voyons que pour celle-ci la progression de la productivité du travail avait été de 1 à 1 V, %, tandis que de 1925 à 1935, cet accroissement a été de 3 l/ 2 %. En fait, pendant la période de 1924-1929, le progrès technique a été plus rapide qu’avant la première guerre mondiale et l'Allemagne s’est trouvée à la tête du progrès, aux côtés des Etats-Unis. Le développement de la production industrielle globale de l’Allemagne n’a évidemment pas affecté de la même manière toutes les branches de l’industrie. On constate même que, tandis que certaines branches ont progressé beaucoup plus que la moyenne, d’autres ont régressé. Parmi celles qui ont connu une régression particulièrement importante, il faut citer les indus­ tries extractives du fer, du plomb, du zinc, de l’étain et de la houille pour lesquelles l’indice de la production, en 1928, se situe nettement au-dessous de l’indice de 1913 ; particulièrement nota­ ble est le recul de 75 % dans l’extraction de minerai de fer, de 43 % dans l'extraction du minerai de plomb, et de 52 % dans l’extraction de minerai de zinc. Certaines productions industriel­ les sont également en régression au cours de la période en ques­ tion. Il en est ainsi notamment de la production d’étain, de la production de sucre et de bière, ainsi que du tissage du lin. Dans une certaine mesure, ce recul s’explique par les cessions de terri­ toires ; il en est ainsi pour le minerai de fer, pour le plomb et le zinc. Dans d’autres cas, c’est l’évolution de la conjoncture gé­ nérale et l'évolution des prix qui a fait que certaines productions ont cessé d’être rentables pour l’industrie allemande. Parmi les industries qui, au contraire, ont connu un net progrès au cours de la période 1913-1929, il faut citer notamment l’industrie de la lignite (son indice se trouve à 190 en 1928 contre 100 en 1913), l’industrie du cuir (indice 219), du laiton (840), de l’azote (588), du caoutchouc (228), de la soie artificielle (633), du gaz (341), de l’électricité (412), ainsi que la production des ca­ mions (1.010). Cependant, en dépit des rapides progrès de certaines bran­ ches de la production industrielle, autrement dit en dépit des progrès de la productivité du travail, l’Allemagne, n’a pas con­ servé sa place dans la production industrielle mondiale. Alors que de 1860 à 1913, le taux annuel d’accroissement de la produc-

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tion industrielle allemande a été de 3,8 % (c’est-à-dire égal au taux mondial), ce taux n’a plus été que de 0,8 % entre 1913 et 1927-1929 (contre un taux mondial de 2,1 %). Cependant, au cours de la période 1925-1929, l’Allemagne prend le deuxième rang parmi les grands pays industriels, derrière les Etats-Unis, avant la Grande-Bretagne et la France. Ceci s’explique par le fait qu’en face du taux de progression allemand de 0,8 %, on trouve un taux de progression britannique de 0,2 %, tandis que d’autres pays, qui progressaient plus vite que l’Allemagne (ce qui a été le cas de la France avec un taux de progression de 1,5 %) se trou­ vaient encore trop loin d’elle pour pouvoir "prendre le second rang. Parmi les pays ayant enregistré une rapide progression dans leur production industrielle au cours de la période consi­ dérée, il faut noter l’Italie, avec 3,2 %, le Canada, avec 4,6 %, et la Russie, avec 6,3 %. Quant aux Etats-Unis, leur taux de pro­ gression était plus considérable que le taux allemand, puisqu’il s’est élevé à 3,2 %. Le résultat de toute cette évolution a été que la production industrielle allemande, qui représentait encore 40 % de la production américaine en 1913, ne représentait que moins de 24 % de cette production en 1929. Par rapport à la pro­ duction industrielle mondiale, une étude spéciale de l’Institut allemand de conjoncture, parue en 1932, estime que cette part, qui était encore de 17 % en 1909, et 15 % en 1919, n’était plus que de 11,3 % en 1928, contre 44,8 % pour les Etats-Unis, 9,3 % pour la Grande-Bretagne, et 7 % pour la France. Un phénomène particulièrement caractéristique d’une si­ tuation économique en réalité malsaine, est que cet essor de la production industrielle allemande n’a pas été capable de résorber entièrement le chômage. En dépit de la « prospérité », on comp­ tait officiellement en Allemagne en 1929, avant la crise, près de 2.000.000 de chômeurs ; en 1928, on en comptait 1.353.000, soit 8,8 % des ouvriers inscrits aux caisses syndicales. Ce phénomène n ’était d’ailleurs pas spécifiquement allemand. La Grande-Bre­ tagne, et les Etats-Unis, en pleine « prospérité », connaissaient aussi un chômage massif. Une telle situation ne devait pas peu contribuer à rendre le marché intérieur particulièrement étro it Mais, avec la crise, cette situation devait s’aggraver dans des pro­ portions inconnues jusqu’alors. En fait, l’Alleniagne a connu une crise d’une gravité excep­ tionnelle. Si l’on tient compte de l’importance relative de l’ap­ pareil industriel allemand, et de la mauvaise situation de ses finances, on peut dire que l’Allemagne est le pays qui a le plus souffert de la grande crise économique de 1929. De la base 100 en 1929, on voit la production industrielle s’effondrer à 55 en

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1932 ; le recul est particulièrement considérable pour la produc­ tion des biens d’investissement dont l’indice tombe à 34 (contre 100 en 1929). La production de la fonte (indice 30 en 1932) et celle de l’acier (indice 35) sont particulièrement touchées. De même encore, le bâtiment (indice 25). L’industrie ne souffre pas seulement du recul de sa production, mais aussi du recul consi­ dérable des prix ; les prix de gros sont en régression d’environ 35 % entre 1929 et 1935. Enfm on enregistre une progression extrêmement considérable du chômage puisque le nombre des chômeurs triple au cours de la période considérée, pour atteindre 6.000.000 en 1932. Si bien que plus de 30 % des travailleurs salariés sont en chômage. Dans certaines régions du Reich, la proportion atteint près de 50 %. La situation de la classe ou­ vrière se trouve encore aggravée par l’effondrement des salaires, effondrement que l’on peut estimer à 35 % pour les salaires no­ minaux. Il résulte évidemment de tout ceci un resserrement catastrophique du marché intérieur. § 3. — Relations

économiques avec l ’étranger.

Un des premiers faits qui marquent la situation économique de l’Allemagne, par rapport aux pays étrangers à la suite de la guerre de 1914-1918, est constitué par les réparations que l’Alle­ magne devait payer en vertu des traités de paix. En fait, à la suite de ces traités, l’Allemagne a perdu la quasi totalité des capitaux qu’elle avait placés à l’étranger, au cours des années précédentes. On assiste à un phénomène extrêmement important, la transformation d’un pays créancier sur l’étranger en pays dé­ biteur de l’étranger, transformation d’autant plus remarquable qu’elle donne lieu à une situation exceptionnelle puisqu’un pays fortement industrialisé a désormais une position débitrice. En fait, l’aggravation de la situation économique de l’Allemagne par rapport à l’extérieur devait avoir de graves conséquences quant & sa situation monétaire et financière. L’inflation qui a marqué les années 1919 à 1923 a tout d’abord permis à l’Allemagne de maintenir une balance des paiements relativement équilibrée, grâce à la « prime à l’exportation » que représentait la dépré­ ciation monétaire. Mais la hausse brutale des prix intérieurs allemands devait en fin de période d’inflation, en anéantir l’effet, si bien que l’Allemagne s’est trouvée de plus en plus éliminée du marché mondial. En automne 1923, les exportations alleman­ des ne représentaient plus qu’un tiers de leur niveau de l’été de 1922. Le recul des exportations allemandes, alors que, dès avant la guerre, la balance commerciale de l’Allemagne était défi­ citaire, devait amener une situation difficile du point de vue de

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la balance des comptes ; cette situation était d’autant plus diffi­ cile que l’Allemagne se trouvait privée, nous l’avons déjà dit, des revenus que lui fournissaient, avant la guerre, ses capitaux placés à l’étranger. En définitive, alors qu’en 1914 on pouvait estimer à environ 1.500.000.000 de R.M. par an le montant net de l’excé­ dent de la balance des comptes que l’Allemagne pouvait placer chaque année à l’étranger, c’est au contraire, au lendemain de la guerre, à une somme à peu prés équivalente que se monte le solde net du déficit de la balance des comptes allemands. Au­ trement dit, c’est à environ 1 milliard 1/2 de R.M. par an que se montent les importations de capitaux en Allemagne au cours des années qui ont précédé la crise mondiale. Ici encore on cons­ tate que, pour la première fois, un pays hautement industrialisé, au lieu d’être exportateur de capitaux, devient importateur de capitaux. Pour se faire une idée juste de l’importance des modifi­ cations de la situation de l’Allemagne du point de vue financier international, il faut tenir compte à la fois du montant des répa­ rations payé par l’Allemagne, montant qui, de 1924 à 1929, a atteint 8.589.000.000 de R.M., et des emprunts faits à l’étranger par l’industrie allemande. Ces emprunts ont, dans une large me­ sure, permis l’essor industriel allemand que nous avons précé­ demment signalé. Ceci est surtout vrai à partir de 1923, année de la stabilisation à partir de laquelle les importateurs se sont trouvés mis en confiance. De même que de 1919 à 1923, l’Alle­ magne avait connu une conjoncture d’inflation, on a pu dire que de 1924 à 1929, elle a connu une conjoncture d’emprunts inter­ nationaux. En fait, ce sont les banques de New-York, de Londres, d’Amsterdam, de Zurich, de Paris et de Bâle, qui ont permis, en avançant à l’Allemagne, des sommes supérieures à celles que celle-ci avait payées pour les réparations, de reconstruire son in­ dustrie selon les principes de la technique la plus moderne. Il faut ajouter que, lors de cette reconstruction, on n ’a pas toujours tenu compte des possibilités réelles d’absorption du marché. Une des conséquences de ce gonflement de l’endettement allemand vis-à-vis de l’étranger a naturellement été l’accroisse­ ment de la charge des intérêts que ^’Allemagne a dû payer chaque année à ses créanciers étrangers. £ette charge d’intérêts qui était de 166.000.000 de marks, en 1924, est passée à 326.000.000 en 1925, 513.000.000 en 1926, 680.000.000 en 1927, 945.000.000 en 1928 et 1.255.000.000 en 1929. Cette charge écrasante d ’intérêts devait inéluctablement conduire l’Allemagne à des difficultés ex­ trêmement graves, lors de la moindre crise économique. C’est ce qui s’est produit au cours des années 1929-1932. Les faillites à l'intérieur de l’Allemagne, les difficultés du commerce

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et de l'industrie, en rendant de plus en plus difficile la situation des banques allemandes, principales débitrices de l'étranger, ont amené petit à petit les créanciers extérieurs à douter de la solva­ bilité de leurs débiteurs et à refuser le renouvellement de leurs prêts. C’est dans cette évolution de l’attitude des créanciers étran­ gers de l'Allemagne, bien plus que dans l'évolution du commerce extérieur allemand qu'il faut voir la source des difficultés ban­ caires et monétaires qui ont marqué les années 1931-1932. En effet, au cours des années de crise, le commerce extérieur alle­ mand a évolué d'une façon plutôt favorable, car les importations ont connu une régression encore plus considérable que les expor­ tations (ce qui s'explique en fait par la paralysie d'une certaine partie de l'appareil industriel, paralysie qui a entraîné la sus­ pension de la plupart des importations de matières premières). Au total, à partir de 1930, on enregistre, non plus un solde dé­ biteur, mais un solde créditeur de la balance commerciale, ce solde atteint 1.643.000.000 de marks en 1930, 2.872.000.000 en 1931 et 1.072.000.000 en 1932. Les difficultés économiques que l'Allemagne devait connaître dans ses rapports avec l'étranger ne sont donc pas nées de sa situation commerciale, mais de l'am­ pleur de son endettement. Ceci nous amène à traiter également la situation financière de l'Allemagne. § 4. — S ituation

fin a n c ièr e .

Si nous remontons aux années de l'immédiat après guerre, nous voyons que celles-ci ont été caractérisées par une inflation sans précédent. Ce sont surtout les années 1920 à 1923 qui ont marqué le maximum de la tendance inflationniste. Il n'est pas sans intérêt de considérer quelles ont été les principales consé­ quences des phénomènes inflationnistes, tant en ce qui concerne la structure économique et sociale de l'Allemagne, qu'en ce qui concerne le rythme de l'accumulation du capital et le rythme de la concentration économique. Voici les principales conséquences de l'inflation : I e Du point de vue industriel. a) L'inflation entraîne une hausse des prix plus rapide que celle des salaires, donc une baisse du salaire réel et un accrois­ sement du profit. Pendant tout la période d'inflation — qui, au total, a duré plus de cinq ans, — les salaires sont restés très au-dessous du niveau d'avant-guerre, la productivité du travail n'ayant que peu diminué — sauf dans la toute dernière période d'inflation, le professeur Lederer a pu estimer à 24 ou 28 mil-

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liards de marks-or le montant des salaires non payés réellement dont a profité l’industrie. b) L’industrie, dans la mesure où elle répercute les impôts sur les prix et dans la mesure où elle prélève elle-même les im­ pôts à la source, a bénéficié de la dépréciation de l’argent entre le moment où elle encaissait celui-ci et le moment où elle versait cet argent au fisc. c) Enfin, l’industrie, grâce à la dépréciation monétaire, a été libérée pratiquement des charges d’intérêts et d’amortisse­ ment de sa dette. Elle a bénéficié ainsi d’une somme de 50 mil­ liards de marks. En bref, à la fin de la période d’inflation, le grand capital allemand avait pu réaliser de gigantesques bénéfices du fait d’une exploitation accrue des ouvriers allemands et du fait de l’expro­ priation d’une grande partie de ses créanciers, représentants des classes moyennes. Ces bénéfices ont servi à la rationalisation de l’appareil de production, à l’extension des forces productives. A la fin de la période d’inflation l’appareil de production de l’Alle­ magne était, en de nombreux secteurs, plus puissant qu’avant la guerre dont il était sorti très diminué. De même, le système ferroviaire avait été complètement rééquipé : l’Allemagne qui avait 25.000 locomotives et 250.000 wagons en 1913, qui avait dû c£der à la fin de la guerre 5.000 locomotives et 150.000 wa­ gons, se trouve après l’inflation, en possession de 31.000 locomo­ tives et de 750.000 wagons. 2* Du point de vue monétaire et financier. L’inflation a abouti à la démonétisation de l’ancien mark (qui ne représentait plus que 1/1000.000.000.000 de sa valeur nominale) et à la substitution à celui-ci d’une nouvelle unité monétaire, le reichsmark défini par un poids de 0 gr. 3584 d’or fin ; elle a abouti à l’anéantissement de la dette intérieure. En conséquence, lorsqu’à la suite du moratoire Hoover et de diverses manipulations l’Allemagne est arrivée à se libérer pratiquement de sa dette extérieure en n ’en payant que de petites fractions, elle est devenue un pays presque sans dettes, alors que les bud­ gets français et anglais continuaient à supporter la lourde charge des conséquences financières de la guerre. Les possibilités d’em­ prunts d’Etat, lors de la venue au pouvoir du national-socialisme, devaient donc être beaucoup plus considérables en Allemagne, qu’en France ou en Angleterre. 3° Du point de vue social. L’inflation a non seulement eu pour conséquence l’abaisse-

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ment du niveau de vie de la classe ouvrière, mais encore la prolé­ tarisation de nombreux éléments des classes moyennes. Celles-ci, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’agriculteurs, ont perdu alors la valeur des sommes qu’elles avaient placées dans les caisses d’épargne et dans les banques. Pour vivre, elles durent vendre les actions qu’elles possédaient — actions rachetées par les grandes entreprises qui développèrent ainsi leur réseau de participations — et leurs maisons. Ainsi, d’importantes couches de la population qui jouissaient, avant la guerre, d’un revenu ne provenant pas de leur travail, durent s'incorporer au processus de production : les possibilités de production se sont trouvées ainsi augmentées, tandis que disparaissait une partie du pouvoir de consommation qui s’exerçait jusque là sur le marché intérieur. La contradiction entre les forces productives et les facultés d’ab­ sorption du marché devait, à la longue, s’en trouver encore accrue. Le retour de la stabilité monétaire a été accompagné de la disparition de la quasi totalité des liquidités des entreprises, liquidités anéanties par la dépréciation totale de l’ancienne unité monétaire. Cet anéantissement a été une des premières causes du recours massif des entreprises et des banques allemandes aux emprunts extérieurs. Cet endettement s’est trouvé encore accru du fait que l’expansion de l’appareil industriel allemand a, dans une large mesure, été financé, au cours des années suivantes, par les capitaux étrangers. Fait grave d’ailleurs, ces capitaux avaient été prêtés à court terme aux banques allemandes et celles-ci se trouvaient constamment sous la menace de demandes massives de remboursement. Avec le développement de la crise écono­ mique et financière, notamment de la crise aux Etats-Unis, cette menace devait se concrétiser et ceci d’autant plus que la situation économique de l’Allemagne donnait à ses créanciers de nombreux motifs de crainte. L’orage éclata au printemps de 1931. Le point de départ occasionnel en fut la faillite brutale de l’Oesterreichische-Kreditanstalt — la puissante banque autrichienne contrôlée par Rotschild et dont les intérêts s’étendaient à toute l’Europe cen­ trale et balkanique. Cette faillite fut le signal de l’accélération des retraits des capitaux étrangers. Les banquiers américains, anglais et suisses qui avaient prêté des milliards à court terme à l’Allemagne, à l’Autriche et aux Etats successeurs de la mo­ narchie bicéphale, et qui commençaient depuis quelque temps à retirer une partie de leurs fonds — dont ils avaient de plus en plus besoin du fait de la crise qui ravageait leur propre pays — se mirent à douter de la solvabilité de leurs débiteurs étrangers.

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La faillite de la K reditanstalt de Vienne fut donc le signal d’une véritable ruée, de retraits massifs opérés tant en Allemagne qu’en Europe centrale. Le système bancaire allemand, pas plus que la Reichbank, n’étaient prêts à faire face à une telle situation. Bien plus, les banques allemandes avaient tellement cru pouvoir dis­ poser pour longtemps des capitaux étrangers qu’elles en avaient investi une importante partie à long terme, contrairement aux règles d’une prudente gestion bancaire puisque ces capitaux étrangers leur avaient été prêtés à court terme. Tout d’abord, il ne fut pris aucune mesure contre ce rush. On pensait alors que le meilleur moyen de remettre les créanciers en confiance était de répondre immédiatement à toute demande de remboursement. La Reichsbank mit donc à contribution ses réserves d’or et de devises. Le mot d’ordre était : < Payer, payer, payer ». En quelques semaines, la Reichsbank versa plus d’un milliard d’or et de devises à l'étranger. Les réserves de la Reich­ bank en or tombèrent, fin 1931, à moins de la moitié de leur montant de fin 1930 (de 2.216 à 984 millions de R.M.) et les de­ vises de conversion tombèrent à près du tiers (de 469 à 172 mil­ lions R.M.). Les banques allemandes débitrices directes de l’étranger, commencèrent en juin, à connaître des difficultés croissantes de liquidités bien que la Reichsbank jouât son rôle de banque des banques. L’effondrement du système bancaire allemand semblait iné­ vitable. Sur le terrain politique, cependant, un geste était fait de la part du gouvernement des U.S.A. < qui avait des craintes quant au remboursement des dépôts américains en Allemagne » ; en juin, le Président Hoover proclama un moratoire d’un an quant au paiement des réparations (en juillet 1932, la conférence de Lausanne a trait aux réparations). La mesure était insuffi­ sante, car les difficultés étaient dues bien plus aux dettes com­ merciales qu’aux dettes politiques. Seule, une aide financière internationale — qui impliquait la coopération de la France — pouvait apporter une solution. Une entrevue fut préparée entre le Président du Conseil, Laval, et le chancelier du Reich, Brüning ; mais l’entrevue n’eut pas lieu, la France ayant posé des condi­ tions politiques à sa coopération (l’Allemagne devait adhérer à un € Locarno » oriental et renoncer à la construction d'un cui­ rassé). En vain, le Président Hindenburg fit appel au Président Hoover, celui-ci exigea aussi l’adhésion de l’Allemagne aux con­ ditions posées par le gouvernement Laval. La catastrophe de­ venait inévitable. Le 13 juillet 1931, une des grandes banques allemandes : la Darmstädter und National Bank fermait ses gui­ chets. Les autres grandes banques devaient faire appel à la police

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pour trouver protection contre la foule des déposants affolés qui se ruaient à leurs guichets. Le soir même du 13, un décret pro­ clamait les e vacances bancaires » : toutes les banques alleman­ des fermaient leurs portes, les bourses cessaient de fonctionner ; les premières ne devaient rouvrir que progressivement, les se­ condes ne reprirent leur activité que le 11 avril 1932. Entre l’ef­ fondrement monétaire et l’effondrement bancaire, l’Allemagne avait choisi la deuxième solution. Elle s’engageait ainsi — en partie contre son gré — dans une voie qui devait l’isoler de plus en plus de l’économie mondiale. Au cours du mois de juillet, cependant, l’Angleterre offrait de nouveau à l’Allemagne, une aide économique : elle proposait de mettre sur pied un emprunt international d’un milliard de R.M. Mais, là encore, des conditions politiques étaient mises à cette intervention. L’Allemagne devait renoncer solennellement, pour dix ans, à toute modification de ses frontières. Le chan­ celier Brüning refusa à nouveau ; il engageait ainsi l’Allemagne à sortir par ses propres moyens d’une crise dont il ne mesurait pas l’ampleur et dont elle était incapable de sortir par les « mé­ thodes classiques ». § 5. — L’étranglement du marché intérieur allemand. Si nous considérons la situation d’ensemble de l’économie allemande, telle qu’elle est résultée de l’évolution de la crise, nous constatons que celle-ci a eu pour conséquence un étranglement considérable des débouchés intérieurs. Le montant des ventes intérieures des principales industries est tombé à 75.927.000.000 de marks en 1929 à moins de 38 milliards en 1932, soit un recul de près de 50 %. Les ventes au détail ont régressé encore plus fortement. Pour ne prendre qu’un exemple, l’indice de la valeur des ventes de vêtements au détail tombe de 168 en 1929 à 100 en 1932. ' Cette régression est liée à l’effondrement du revenu national allemand consécutif au développment du chômage et à la baisse des salaires. De 1929 à 1932, le revenu national allemand tombe de 76.000.000.000 à 46.000.000.000, soit un recul de 40 %. Dans ce revenu national réduit, la part des salaires elle-même s’est trouvée amoindrie, tombant de 58,6 à 56,6 %. Indiquons, à titre de comparaison, qu’aux Etats-Unis, pendant la même période, le recul du revenu national a été également de 40 %, tandis qu’il n’a été que de 16 % en France et de 12 % au Royaume-Uni. Dans ces conditions, les faillites industrielles et commer­ ciales ne pouvaient que se multiplier. Ces faillites, à leur tour, ont entraîné dans des difficultés sans nombre l’appareil bancaire.

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et celui-ci n’a pu être sauvé que par l’intervention massive du crédit de l’Etat, intervention qui a eu pour conséquence ta prise en charge par l’Etat des dettes que les particuliers n’ont pu rem­ bourser aux banques. On peut parler ici d’une socialisation des pertes. Fin 1932, on peut considérer que l’économie allemande avait atteint un certain état de stabilisation à un bas niveau de crise. Le nombre des faillites n’était plus très considérable, l’appareil bancaire avait été assaini, mais l'économie semblait incapable de repartir par ses propres moyens. Que manquait-il donc à la ma­ chine économique pour pouvoir repartir ? Ce qui manquait, ce n’était ni l’outillage (dans l’industrie lourde, il n’était utilisé qu’à concurrence d’environ 30 %), ni les fonds (une fois passée l’alerte financière, les liquidités s’étaient à nouveau amassées dans les caisses des entreprises et des ban­ ques, cela d’autant plus que les dettes étrangères avaient été moratoriées), ni la main-d’œuvre ; ce qui manquait à la machine économique, c’étaient les débouchés, les possibilités de vente, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et si les ventes à l’intérieur avaient une importance prédominante, pour la plupart des éta­ blissements, les ventes à l’extérieur avaient une importance décisive pour l’économie nationale, car faute d’exportations suf­ fisantes, il était impossible d’importer assez de matières premières pour que l’économie puisse fonctionner normalement. Il s’agis­ sait, donc, avant tout, de rouvrir des débouchés aux entreprises, et, pour commencer, de leur rouvrir des débouchés à l’intérieur de l’Allemagne. (Nous examinerons ensuite comment des débou­ chés extérieurs ont pu être trouvés). Comment se fait-il que les débouchés intérieurs ne se soient pas développés d’eux-mêmes, comme à la fin de chaque période de dépression ? A cette question, il est plusieurs réponses. Tout d’abord, l’extension des débouchés se trouvait entravée par la profondeur même de la crise qui avait privé de travail, et par conséquent de leur pouvoir d’achat, des millions d’ou­ vriers, en même temps que des dizaines de milliers d’entreprises agricoles ne réalisaient plus aucun produit net. Ensuite, l’étendue mondiale de la crise, la désorganisation des marchés interna­ tionaux, le chaos des monnaies s’opposaient à ce que l’impulsion de la reprise vint du dehors, d’autant plus que l’Allemagne, du fait des mesures de moratoire et du contrôle des changes, était isolée du reste du monde. Enfin,, il faut noter que l’impulsion à la reprise au cours des crises antérieures avait été donnée par celles des entreprises qui, comptant sur des possibilités futures de vente — afin de prendre

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de l’avance sur leurs concurrentes — procédaient à la remise en état de leur matériel et à de nouveaux investissements ; ces nou­ veaux investissements se traduisaient par des commandes aux industries productrices de biens de production, qui recommen­ çaient à tourner, à embaucher de nouveaux ouvriers, distribuant ainsi des revenus grâce auxquels l’industrie des biens de consom­ mation voyait ses ventes reprendre, d’où de la part de cette in­ dustrie, une remise en état de son matériel, de nouveaux investis­ sements, etc... Or, en Allemagne, en 1932, aucune entreprise im­ portante ne prit l’initiative d'anticiper ainsi sur la demande future, de procéder à de nouveaux investissements, ce qui, pré­ cisément, aurait pu avoir une action favorable sur la demande. Ce manque d’initiative privée tenait, sans doute, à la profondeur de la crise elle-même mais il tenait aussi au fait que, désormais, les organismes disposant d’un monopole économique plus ou moins considérable jouaient dans l’économie allemande un rôle décisif. Or, le propre des organismes monopoleurs est, dans les branches où ils dominent, d’établir un programme de production en fonction des possibilités actuelles du marché ; dans la mesure où ces possibilités actuelles sont inférieures aux possibilités de production, cela aboutit à s’opposer à tout investissement nou­ veau, donc, à s’opposer pratiquement au mécanisme ordinaire de la reprise économique. Ce phénomène tient à ce que, loin de dominer effectivement le marché — ce qui impliquerait la possi­ bilité de l’étendre ou de le restreindre à volonté — les monopoles sont en fait dominés par lui ; ils le connaissent certes mieux que l’entreprise isolée d’un régime où domine la concurrence, mais, s’ils le connaissent davantage, c’est pour mieux s’y adapter, pour adapter leur programme de production aux possibilités ré­ duites de vente. Autrement dit, plus les monopoles dominent, plus restreintes sont les impulsions qui ont chance de redonner spontanément son essor ό la machine économique ; cela est d’au­ tant plus vrai que ces impulsions ne peuvent guère venir des branches où subsiste la concurrence car ce sont ces branches qui souffrent le plus de la crise, du fait que leurs prix de vente sont les plus atteints par la baisse. Pour toutes ces raisons, le marché n’avait guère de chance de s’élargir de lui-même devant les entreprises, la contradiction entre le niveau élevé des forces productives et le caractère limité du marché n’avait guère de chance d’être résolue même momen­ tanément, comme elle l’avait été au cours des crises précédentes. C’est pourquoi la nécessité s’imposait d’ajouter au marché inté­ rieur limité un marché supplémentaire constitué par les com­ mandes d’Etat. Certes, l’inconvénient de ce processus est que

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l'Etat, pour pouvoir passer ces commandes, est obligé d'emprun­ ter, c’est-à-dire de s'endetter, sans qu’il en résulte pour lui d’enri­ chissement direct (car ces commandes portent en général sur des biens n’ayant pas de valeur économique, sur des armements) : ce sont, au contraire, les entreprises auxquelles il passe com­ mande, ainsi que ses prêteurs, qui s’enrichissent. On voit appa­ raître une différence profonde entre une économie reposant sur la propriété privée et une économie qui repose, comme l’économie soviétique, sur la propriété collective car, dans une telle éco­ nomie, l’Etat s’enrichit en même temps que les entreprises et, en conséquence, la dette publique ne joue qu’un rôle secondaire. Quels que soient les inconvénients du procédé, il n ’est pas moins capable d’ouvrir à l’économie des débouchés énormes — pour peu qu’on l’utilise systématiquement — et par conséquent, de permettre à l’économie de se remettre en marche. Précisément, le national-socialisme a fait de ce procédé une application gran­ diose. Si nous voulons résumer l’évolution de l’économie allemande telle que l’avons examinée au cours des pages précédentes, nous pouvons l’exprimer dans les termes suivants. Au lendemain de la guerre, un grand pays industriel devenait, pour la première fois, de créancier de l’étranger, débiteur de l’étranger. La contradic­ tion qui, dès avant la première guerre mondiale, existait entre le potentiel industriel de l’Allemagne et ses possibilités de vente se trouvait encore accrue. La conjoncture d’inflation, puis la con­ joncture d’emprunts, ont masqué, pendant un certain temps, la situation effective, alors qu’en réalité inflation et emprunts ne faisaient qu’aggraver les difficultés à venir. Grâce à l’inflation et aux emprunts étrangers, l’appareil industriel allemand reprit dans le monde la seconde place qu’il avait un moment perdue, mais ses débouchés extérieurs ne se trouvaient pas accrus (l’évo­ lution des exportations en témoigne), ses débouchés intérieurs se réduisaient du fait, notamment, de l’extension du chômage qui, en pleine « prospérité », frappait près de 2 millions d’ouvriers. D’autre part, la dépendance de l’Allemagne à l’égard de l’étran­ ger, la charge des intérêts qu’elle avait à payer, allaient croissants d’année en année. Dans la chaîne des grands pays capitalistes, elle devenait un chaînon particulièrement faible, le plus faible du fait de son industrialisation intensive qui eut exigé un large marché intérieur et extérieur dont, précisément, elle était privée. La crise économique mondiale de 1929 allait révéler au monde la faiblesse réelle de l’économie allemande. Au point de

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vue de la production industrielle, du 2* rang dans le monde, l’Al­ lemagne passa au 5* ; son revenu national se réduisit d’une façon catastrophique. La proportion des chômeurs atteignit un niveau inconnu jusqu’alors et seulement analogue aux U.S.A., l’appareil hancaire étroitement dépendant de l’étranger risqua de ^’écrou­ ler définitivement sous la pression des demandes de rembour­ sement. 11 ne resta debout que grâce à la banqueroute, à la ces­ sation de paiements. D’une façon générale, la structure économi­ que et sociale de l’Allemagne ne fut maintenue que grâce à la socialisation des pertes du fait que l’Etat prit en charge les pertes de l’économie privée. Mais cela ne résolvait pas le problème du fonctionnement de l’appareil économique allemand, celui-ci était et demeurait paralysé. Pour sortir de cette paralysie, différentes voies s’offraient. La première, la plus radicale, eut été d’élargir le marché intérieur par le bouleversement des formes d’appro­ priation, par la substitution de la propriété collective à la pro­ priété privée, seul moyen permettant de renoncer aux principes de la rentabilité capitaliste et de développer le pouvoir d’achat des masses en fonction du potentiel de production. Mais aucun mouvement politique ne se proposait sérieusement un tel but ou ceux qui le proposaient sérieusement n’avaient pas — pour de multiples raisons sur lesquelles il n’est pas utile d’insister ici — une audience suffisante. Une seconde solution, la plus simple, semble-t-il, eût été de s’engager dans la même voie que celle que devaient suivre, en septembre 1931, les pays du bloc-sterling : la voie de la dévalua­ tion. Pratiquement, une telle voie était fermée à l’Allemagne : toucher ouvertement à la valeur de la monnaie dans un pays qui, sept ans plus tôt, sortait de la plus terrible crise monétaire des temps modernes, c’était risquer la panique et courir à un nouvel effondrement du reichsmark. D’ailleurs, les résultats concrets d’une telle politique, même si l’effondrement du reichsmark avait pu être évité, se seraient vraisemblablement révélés très li­ mités (1), d’une part, parce que le marché intérieur joue ordinai­ rement pour l’Allemagne, un rôle secondaire — et la dévaluation a son principal effet sur les exportations — d’autre part, et sur­ tout parce qu’une telle mesure n’aurait pas manqué de susciter des répliques analogues de toutes parts (puisque l’Angleterre n’a pas eu besoin d’un tel exemple pour dévaluer la livre sterling) ;1 (1) A propos des conséquences d'une dévaluation évento elle du mark, Mandelbaum déclare que la < dépréciation de la monnaie n’aurait probable­ ment pas rétabli réquflibre de la balance. L'élasticité de la demande inté­ rieure pour les importations et de la demande étrangère n’était pas suflsante pour permettre de rectifier la situation de la balance sans une sé­ rieuse aggravation des termes des contrats de vente i (p. 184).

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si donc l’Allemagne avait choisi cette voie, les dévaluations au­ raient succédé aux dévaluations, et le monde eut sans doute été jeté dans un chaos monétaire plus grave que celui que Ton a connu depuis 1931. Une troisième solution était pour l'Allemagne d’accepter l'aide financière qui lui fut proposée successivement par la France et les pays anglo-saxons, au prix de concessions politiques. L’Al­ lemagne serait entrée ainsi, à nouveau, dans la voie d’une colla­ boration apparente avec les puissances occidentales et les U.S.A., et dans la voie de son intégration à une économie mondiale, d’ail­ leurs assez mal en point. A vrai dire, on aurait assisté, sous le masque de cette collaboration, à une véritable colonisation finan­ cière de l’Allemagne, à une mainmise du capital anglo-saxon sur l’économie allemande. Politiquement, l’Allemagne ne pouvait pas accepter une telle solution ; aucun parti ne pouvait prendre la responsabilité d’une telle renonciation. 11 ne restait plus alors pour ceux qui ne voulaient pas toucher aux formes de propriété, que la quatrième et dernière solution, celle que proposait prati­ quement le national-socialisme : ouvrir à l’industrie allemande des débouchés provisoires grâce au réarmement massif et aux travaux publics, puis, au moyen des armes ainsi forgées, ouvrir â l’Allemagne, d’une façon définitive, les débouchés extérieurs qui, faute d’un marché intérieur suffisant, sont indispensables à ses produits et à ses capitaux et qui seuls peuvent lui fournir les devises nécessaires à ses achats de matières premières.

SECTION III

Montée au pouvoir du national-socialism·. Le national-socialisme a trouvé une première base politique dans la crise économique elle-même, dans le désarroi des masses, en grande partie livrées au chômage, et dans le dégoût suscité par l’impuissance des partis traditionnels, tant bourgeois que prolétariens, à résoudre les difficultés nées de la crise. En parti­ culier, le national-socialisme a trouvé un certain écho auprès d’une partie des masses ouvrières, lassées de l’incapacité de leurs leaders à proposer une solution à leurs difficultés ou à promou­ voir une action efficace. En fait, le national-socialisme s’est servi d’un programme démagogique capable d’entraîner les éléments « nouveaux » du prolétariat allemand, les éléments qui avaient été prolétarisés au cours des convulsions de la guerre, de l’après guerre, de l’inflation et de la crise économique et qui — par leur origine petite bourgeoisie — restaient attachés et aux mots d’or­ dre du nationalisme et à la propriété privée dont le national-socia­ lisme (en opposition aux partis prolétariens) se faisait le défen­ seur. La conjoncture politique qui a porté au pouvoir le nationalsocialisme est donc inséparable de la conjoncture économique, mais celle-ci n’a pas été seule à agir. Avant d’être l’expression du mécontentement et du désespoir des masses condamnées au chômage et à la misère par la crise d’un régime et l’impuissance des dirigeants — de juin 1919 à janvier 1933, on a enregistré 224.900 suicides non politiques — le national-socialisme a été un de ces mouvements, nombreux en Allemagne qui sont nés au lendemain de la défaite de 1918, à la fois en protestation contre cette défaite et en opposition aux mouvements ouvriers révolu­ tionnaires. Le national-socialisme a donc commencé par être un mouvement de protestation contre les humiliations du traité de Versailles et contre les politiciens qui y avaient souscrit. 11 ex­ primait aussi la volonté d’unité de l’Allemagne, unité jamais parfaitement réalisée, même sur le territoire du Reich où les différents c pays > restés des anciens Etats, et les différentes villes libres jouissaient chacun d’un statut juridique et administratif particulier, disposant d’un parlement, d’un gouvernement indé-

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pendant et de représentations diplomatiques auprès du Reich. Ce manque d’unité intérieure était le résultat de l’impuissance ou s’était trouvée la bourgeoisie allemande d’accomplir sa propre révolution et du fait que les principales réalisations qui dans d’autres pays étaient dues à la révolution démocratique bour­ geoise étaient l’œuvre, en Allemagne, du gouvernement autori­ taire prussien qui les avaient imposées en quelque sorte d’en haut. Mais le national-socialisme exprimait aussi la volonté d’unir en un seul Etat tous les Allemands, c’est-à-dire la volonté d’unir à l’Allemagne les « Allemands du dehors », notamment les Autrichiens. A cet égard, il était animé d’un souffle national, aujourd’hui éteint dans les pays qui ont réalisé depuis longtemps leur unité, et qui a été un des éléments essentiels de son dyna­ misme. En tant qu’il se faisait le porte-parole des revendications nationales de l’Allemagne, le national-socialisme trouvait un écho auprès des couches de la population les plus sensibles à ces revendications, auprès des petits bourgeois, des employés, fonc­ tionnaires, petits commerçants, cultivateurs, etc. Il entrait ainsi en concurrence, mais non en opposition, avec les partis nationaux traditionnels, avec lesquels il put même d’abord conclure des accords politiques, puis fusionner par intégration de ces partis au parti national-socialiste. De même dans ce domaine, ses ob­ jectifs — qui impliquaient la reconstitution d’une puissante ar­ mée allemande — se conciliaient parfaitement avec ceux de la Reichswehr. Ils se conciliaient aussi avec les objectifs de la grande bourgeoisie, qui avait besoin d’un Etat allemand fort, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et pour laquelle la reconstitu­ tion de la puissance militaire de l’Allemagne devait être non seulement une source directe de profits — par la remise en mar­ che de l’industrie lourde — mais aussi un moyen d’action pour reconquérir lés marchés extérieurs dont l’économie allemande avait absolument besoin. C’est parce que le national-socialisme a su mettre en avant les mots d’ordre conformes aux aspirations nationales et sociales d’une partie importante du peuple allemand, qu’il a pu trouver la base grâce à laquelle son ascension au pouvoir a été possible ; mais c’est en même temps, parce qu’il s’est fait le défenseur de la propriété privée que non seulement il n’a pas eu à se heurter à l’opposition des maîtres de l’appareil économique allemand, à l’opposition des dirigeants des Konzern, des banque, des grandes sociétés par actions, mais qu’il a eu leur soutien ; il suffit de rappeler le bloc formé en 1927 entre le mouvement na­ tional-socialiste et Hugenberg (chef du parti deutsch-nationil et

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président du Conseil d’Administration des aciéries Krupp, diri­ geant du plus grand consortium de journaux allemands, les édi­ tions Scherl, de l’agence de publicité Ala, de TU. F. A., etc.), l’alliance conclue avec les milieux de droite en Octobre 1931, lors de la conférence de Harzburg où Adolf Hitler et Rudolf Hess ren­ contrèrent officiellement Hugenberg, Linalt et von Sybel (repré­ sentant du capital agricole), Grandi (de l’Union des Mines d’Es­ sen), Schlenken et Poensgen (du cartel de l’acier), Krueger (du trust de la potasse), Bluhm et Gok (des chantiers navals), Ravené (de l’industrie du fer), Reinacker (de l’industrie des machines), Delius (des textiles), Schacht, Seide, Düsterborg, tandis que Krupp et von Thyssen en voyage en Amérique s’étaient fait excu­ ser. De même, l’entente entre les représentants des milieux écono­ miques et le mouvement national-socialiste est marquée par les circonstances dans lesquelles s’est produite la chute du gouver­ nement Schleicher et la constitution, en Janvier 1933, du gou­ vernement d’Adolf Hitler, avec la participation de von Papen et de Hugenberg et le soutien du mouvement conservateur du « Casque d’Acier », fusionné depuis avec les milices nationales socialistes. Ce soutien apporté par la grande industrie au natio­ nal-socialisme s'explique, par la crainte que ses dirigeants éprou­ vaient de voir la misère des masses donner naissance à un mou­ vement ouvrier révolutionnaire, auquel la République de Weimar n ’aùrau pu opposer aucune force. 11 s’explique aussi par l’impos­ sibilité où étaient ces dirigeants de la grande industrie, malgré l’importance des moyens financiers dont ils disposaient et la puissance de l’appareil économique dont ils étaient les maîtres, à remettre cet appareil en marche, à mettre fin à la paralysie dont souffrait l’économie allemande. Pour cela l’action massive de l’Etat était indispensable, et le programme national-socialiste prévoyait précisément une telle action mais — contrairement aux programmes socialiste et communiste — il prévoyait cette action dans le respect de la propriété privée et même de l’ini­ tiative privée, c’est-à-dire, étant donnée la situation de fait, dans le respect de la propriété des Konzern et des banques et dans le respect de leur initiative. En conséquence, les maîtres effectifs de l’économie n’étaient pas hostiles, un grand nombre étaient même disposés à tenter l’expérience du national-socialisme ; mê­ me si cette expérience devait brider quelque peu — en raison des aspirations sociales des masses qui suivaient le national-socialis­ me — leur liberté de mouvement. C’est dans cette conjoncture politique que le national-socialisme a accédé au pouvoir. La conjoncture dans laquelle cette accession s’est réalisée devait, avons-nous dit plus haut, marquer fortement la politique

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économique du national-socialisme. Elle l'obligeait — ce qui avait toujours été dans l'intention de ses dirigeants, leur pro­ gramme en est un témoignage — a respecter la propriété privée et par conséquent, la répartition de cette propriété et la distri­ bution des revenus (en salaires, profits, loyers, etc...) qui en ré­ sultait. Par là même, toute action directe sur l'étendue du marché intérieur des objets de consommation était rendue impossible, les principes de la rentabilité capitaliste s’y opposant. D'autre part, étant donnés les moyens puissants dont disposaient les grands organismes capitalistes, il ne pouvait être question de rien faire sans eux sans risquer de déclencher les pires troubles économiques (chute brutale des cours en Bourse, retraits des dé­ pôts, congédiements massifs d’ouvriers et d’employés). Ces trou­ bles, le national-socialisme voulait les éviter, sa préoccupation prédominante étant de remettre le plus rapidement possible la machine économique en marche, afin de résorber le chômage (1) et de procéder à un réarmement massif. C’était la condition pre­ mière pour la réalisation de ses aspirations nationales. Dans ces conditions, une seule voie s'ouvrait à lui : celle de la collaboration avec les dirigeants effectifs de l'économie, avec les banques et la grande industrie. Concrètement, cette collabo­ ration s’est manifestée par les commandes massives passées à l'industrie lourde, en vue de la réalisation d’un programme de travaux publics et de réarmement, par le recours au marché mo­ nétaire (c’est-à-dire aux banques) pour le financement de ces commandes — car les caisses de l'Etat étaient vides — et par la collaboration avec l'industrie, en vue de développer les profits de celle-ci, (ces profits pouvant être capitalisés et servir ainsi à souscrire aux emprunts nécessaires à la consolidation de la dette à court terme). Le national-socialisme, au début, pensait remet­ tre ainsi en marche la machine économique et espérait qu'une fois en mouvement, cette machine continuerait à tourner d’ellemême ; en fait, l’initiative privée — pour de multiples raisons dont nous aurons à parler — n'a jamais opéré la relève de l’ini­ tiative publique et, au contraire, les commandes d’Etat ont du se faire de plus en plus nombreuses. Le national-socialisme a donc dû s’appuyer de plus en plus ouvertement, au point de vue économique, sur la grande industrie et les banques. Ceci devait l’amener parallèlement à s'appuyer de1 (1) C’était là un de ses principaux objectifs dans le domaine social (en juillet 1933, Adolf Hitler déclarait : < Il ne s'agit pas à l’heure actuelle de programme ou d’idées, mais d’assurer le pain quotidien à cinq million· de chômeurs. C'est en leur donnant du travail que nous acquerrons la plus forte autorité »).

DYNAMIQUE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

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plus en plus ouvertement, au point de vue politique, sur l'armée et à rompre plus ou moins rapidement avec les éléments qui l’avaient suivi, confiants dans ses promesses « socialistes ». Parmi ces éléments se sont trouvées notamment certaines couches des sections d’assaut qui, en 1934, demandaient que l’on passât à la « seconde révolution ». Une fois au pouvoir, les dirigeants na­ zis ne pouvaient que condamner avec virulence une telle reven­ dication. On sait le sort qui, le 30 Juin 1934, devait frapper les chefs de ce mouvement (1). Nous aurons à voir, dans la IV· Partie de cette étude, par quelles mesures le nazisme est arrivé en fait à résorber le chô­ mage et à remettre en route la machine économique allemande ; nous verrons alors â quelles impasses devait conduire la politi­ que économique du national-socialisme. Mais, avant d’aborder ces aspects du problème, il nous faut examiner à travers quelle structure économique s’est exercée cette action du nazisme — ou, plutôt, quelle structure économique a conditionné cette action.1

(1) Dès l’été 1934, en effet, se précipite la liquidation des éléments les plus actifs du parti nazi. Le 28 Juin. Hitler ayant dû se rendre chez Krty>p reçoit ses ordres. Le 29 Juin, Blomberg décrète l’état d’alerte pour la Reichswehr, et le 30 les plus anciens collaborateurs de Hitler sont, sur ses ordres, abattus comme aes chiens. Peu de temps après les S. A. sont désarmés et entrent en voie de liquidation, puis vient le tour des S.S. Fin 1934, il n’y a déjà plus que l’armée qui porte les armes.

DEUXIEME PARTIE

Structure de l’Economie Allem ande Pour analyser la structure économique de l’Allemagne sous le régime nazi, il faut avant tout rechercher quelle était, sous ce régime, la forme d’appropriation dominante. Cette recherche mettra en lumière les contradictions qui dominent la dynamique économique et elle éclairera la nature de classe de l’Etat nazi — et de tout Etat qui repose sur une structure analogue. Il faut, en effet, observer que la nature de classe d’un Etat est déterminée non par ses formes politiques, mais par son contenu social, c’està-dire par le caractère des formes de propriété, et des rapports juridiques, que l’Etat donne, sauvegarde et défend. L’étude des formes de propriété dominantes doit conduire à analyser la répartition même des moyens de production, ce qui revient, à l'étape actuelle du capitalisme, à étudier les degrés et les formes de la concentration économique, industrielle et bancaire. Au cen­ tre de cette étude se trouveront — comme ils se trouvent au centre de la vie économique — les trusts, les cartels et les ban­ ques. Ainsi seront déterminées les couches économiques les plus fortes au sein de la bourgeoisie, de même que les modalités de l'organisation économique du capitalisme (modalités qui servent précisément de base à la démagogie du pseudo « socialisme »).

CHAPITRE I

VUE D'ENSEMBLE SUR LA STRUCTURE ECONOMIQUE ET SOCIALE. La structure économique et sociale d’un pays se trouve ca­ ractérisée par de multiples éléments : par l’importance relative des villes et des campagnes, par l’importance relative des diffé­ rentes classes sociales, par la répartition de la propriété (pro­ priété privée, propriété capitaliste, propriété publique). Cette structure, d’ailleurs, évolue dans le temps, car si elle condition­ ne la dynamique économique, celle-ci réagit également sur elle ; c’est pourquoi il convient d’examiner la structure économique d’un pays à différents moments. C’est ce que nous ferons ici.

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l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

SECTION I

Les villes et les campagnes. L’Allemagne apparait comme un des pays les plus indus­ trialisés du monde, comme un pays où le capitalisme a connu un développement maximum. C’est ainsi qu’en 1927-1928 (c’est à dire juste avant· la crise économique) l’agriculture ne fournissait que 20,9 % de la production totale de marchandises, le reste étant fourni par l'industrie. Les chiffres relatifs à la population donc à la structure sociale, confirment cette constatation. Si l’on considère — avec les statistiques — comme rurale la population des communes de moins de 2.000 habitants et comme urbaine la population des communes de plus de 2.000 habitants, on voit que la population de l’Allemagne s’est successivement répartie comme suit entre les villes et les campagnes : Population urbaine et population rurale (1) 1 1939 1933 ! 1925 I Chiffres absolus (en mil­ en % du en % du total lions) total 20,88 30,1 32,8 ! 35,4

Communes de moins de 2.000 hab. Communes i 48,44 69,9 de plus de 2.000 hab. , 67,2 ! 64,6 Pratiquement comme toujours, la population agricole ne représente qu’une partie de la population rurale. Le tableau cidessous nous en donne la confirmation ; il met d’ailleurs en lu­ mière une série de faits importants et que nous tenons à souli­ gner. Répartition de la population par sphère d'activité. 1933 1925 _____1939 Nombre Γ Chiffres en % du de personnes vivant de absolus total(1) en % du total 14.882.000 ! 18,0 22,8 .20,8 Agriculture et forêts......... 42,2 31.466.000 41.0 39.0 Industrie et artisanat......... 12.058.000 15,8 16,7 16,0 Commerce et transport---7.677.000 10,1 7.7 ' 6,8 Services publics et privés .. 2,0 1 2,4 Domestiques...................... 1.628.000 ! 2,1 Sans profess, et indépendants 10.361.000 1 13,0 13,6 1 9,1 (1) y compris la population des territoires annexés en 1939. (1) Sauf indications contraires, nos chiffres sont empruntés aux publi­ cations courantes du Statistisches Reichsamt et de l'Institut für Konjunktur­ forschung.

STRUCTURE DB L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

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Les chiffres précédents indiquent le nombre de personnes vivant d’une profession donnée, c’est-à-dire non seulement ceux qui travaillent mais aussi les membres de leur famille n'ayant pas de revenus propres. La catégorie « sans profession et indépen­ dants » comprend à la fois des chefs d’entreprises et des rentiers, des pensionnés, des gens vivant de leur fortune et ceux vivant de l’assistance. Ces remarques indiquent que les conclusions à tirer d’une telle statistique sont très limitées. Différents points appa­ raissent cependant assez nettement. I e) de 1925 à 1639 les rapports entre les différents groupes sont à peine modifiés. 2°) la proportion des personnes vivant de l’agriculture et des forêts a subi un recul régulier et considérable ; d’où la prédomi­ nance croissante de l’élément urbain sur l’élément rural. 3°) la proportion des personnes vivant de l’industrie et de l’artisanat reste toujours dominante, bien qu’elle soit en recul par rapport à 1925 du fait de la progression du groupe « services publics et privés ». Le progrès par rapport à 1933 indique à la fois une nouvelle vague d’industrialisation (industries de guerre) et la résorption du chômage. 4°) l’importance relative du commerce et des transports se révèle assez stable, en dépit d’une légère régression qui reflète sans doute, le progrès de la concentration commerciale. 5°) le fait le plus caractéristique est la croissance rapide de l’importance relative du groupe « services publics et privés ». Ce groupe passe de 6,8 à 10,1 %. C’est un aspect particulier du parasitisme caractéristique de l’économie contemporaine. Un nombre de plus en plus grand de personnes est employé à des besognes improductives. Ce phénomène est étroitement lié au développement des trusts, des cartels, des banques et de la bureaucratie d’Etat. 6°) il est difficile de tirer des conclusions quant à l’évolution du dernier groupe, étant donnée son hétérogénéité. Ce qui reste néanmoins caractéristique, c’est le maintien et même l’accroisse­ ment de la proportion de personnes vivant sans travailler (ce fait est d’autant plus net que ce groupe comprend des indépendants dont le nombre est en recul). Il y a là un trait extrêmement im­ portant, et qui traduit en partie le vieillissement moyen de la population. Nous avons été ainsi amenés à dire quelques mots de la répartition professionnelle de la population, il b o u s faut traiter maintenant de l’importance relative des différentes classes so­ ciales : pour autant que les statistiques permettent de le faire.

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L’ÉCONOMIE ALLEMANDE SO l'S LE NAZISME

SECTION II

Importance relative des différentes classes sociales. Disons tout* d'abord que le nombre des personnes vivant d’une activité professionnelle (de là leur propre ou de celle de leurs parents) a évolué comme suit (en 1.000). 1925 : 57.436 mille 1933 : 57.082 mille 1939 : 59.286 mille. Le nombre absolu des gens vivant d’une activité profession­ nelle est donc en augmentation, ce qui est la conséquence de l’ac­ croissement de la population. Sur ce nombre absolu, les diffé­ rentes classes sociales représentent les proportions suivantes :

Indépendants..................... Aide familiale ................... Employés et fonctionnaires. Ouvriers ............................

1933 1933 1925 en chiffres en % du en % du totai absolus total 9.612 mille 16.2 19,8 20,9 5.837 » 9,8 9,6 9,8 12.095 > 20.4 18,5 19.1 33.742 > 53,6 52,1 50.2

Cette statistique nous permet les observations suivantes : 1°) la proportion des indépendants (dont font partie les patrons grands et petits) a diminué de façon considérable, ce qui traduit sur ce plan aussi, la structure de plus en plus concentrée de l’économie allemande. En chiffres absolus, le nombre des indé­ pendants tombe de 11.274.000 en 1933 à 9.612.000 en 1939. 2· la proportion assez faible de ceux qui tirent leurs ressour­ ces d'un travail familial (artisanat, agriculture et domestiques) se maintient à peu près constante. 3°) on assiste à une progression du groupe des employés et des fonctionnaires, mais cette progression n'est pas très considéra­ ble puisque de 1925 à 1939, on passe de 19,1 à 20,4 %. Cepen­ dant, du fait du recul des indépendants, ceux-ci sont désormais au 3e rang par ordre d’importance alors que le groupe des em­ ployés et des fonctionnaires passe au 2e rang. Ajoutons que la progression est due beaucoup plus aux employés (travaillant pour le capital privé) qu’aux fonctionnaires. En effet, alors que de 1933 à 1939, la proportion des employés passe de 11,8 à 13,3 %, la proportion des fonctionnaires passe seulement de 6,7 à 7,1

STRUCTURE DE L’ÉCONOMIE ALLEMANDE

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bien que soient compris comme fonctionnaires non seulement les fonctionnaires civils et religieux, mais aussi les officiers, sous-officiers, soldats engagés et rengagés, chefs du service du travail, chefs et hommes des unités armées des S.S. et des S.A. Etant don­ né que le nombre des « fonctionnaires militaires » s’est considé­ rablement accru, il faut en conclure que le fonctionnarisme pro­ prement dit est très loin de s’être développé autant que le bu­ reaucratisme privé. 4°) Enfin, on constate que la lente croissance du prolétariat ouvrier s’est continuée pendant toute cette période. Désormais le prolétariat ouvrier ne représente pas seulement le groupe numé­ riquement le plus important, ce qui était déjà le cas en 1925, mais il représente nettement plus de la moitié du peuple alle­ mand (53,8 %). Il y a là un fait d’une très grande portée qui révèle entre autres, que la grande bourgeoisie devait rencontrer des difficultés croissantes pour s’appuyer sur des « classes moyen­ nes > de moins en moins nombreuses contre un prolétariat de plus en plus nombreux ; d’où la nécessité de se constituer une base plébéienne en utilisant une fraction du prolétariat (1). Ce fait, a des degrés différents, peut être constaté dans tous les pays de capitalisme évolué. Les chiffres qui précèdent nous donnent déjà un premier aperçu de la manière dont se présente la répartition de la pro­ priété tout au moins de la propriété des moyens de production ; en effet, pratiquement, la totalité des ouvriers, employés, fonc­ tionnaires et aides familiaux, — soit 84 % de la population — sont à quelques exceptions près, exclus de la propriété des moyens de production. Seuls, les 16 % d’« indépendants » partipent à la propriété des moyens de production, encore faut-il ajouter que cette participation peut se présenter tant sous la forme de la propriété privée proprement dite quç sous la forme de la propriété capitaliste.1

(1) Ce n*est pas par hasard que le parti national-socialiste lui-méme a été amené à s'intituler parti ouvrier national-socialiste.

SECTION III

Répartition de la propriété. La propriété des moyens de production peut revêtir la forme soit de la propriété privée (capitaliste ou non) soit de la propriété publique. Le régime capitaliste est caractérisé par la prédomi­ nance de la propriété privée, singulièrement de la propriété capi­ taliste (1) ; néanmoins, la propriété publique (de l'E tat ou des collectivités) y a toujours quelque place, pour des raisons diver­ ses que nous n'avons pas à examiner ici. En Allemagne, en dépit de la démagogie déployée autour du < socialisme >, la propriété publique est restée l'exception. En 1938, elle ne représentait qu’environ 5 % de la « fortune natio­ nale ». Si l’on considère seulement les entreprises publiques constituées en sociétés — à l'exception des Postes et des Chemins de fer — et que l'on compare leur capital au capital total des sociétés par actions et des sociétés à responsabilité limitée, on voit que la part des entreprises publiques est de 7,3 % de ce capital en 1932 et de 8,7 % à fin décembre 1939. Cette légère progression est due à l'incorporation des entreprises publiques d'Autriche et des Sudètes et au développement d’un certain nom­ bre d'entreprises publiques, d'ailleurs non rentables, dans le ca­ dre du Plan de 4 ans. Nous reviendrons sur cette question. Ajou­ tons néanmoins, dès maintenant, que si Ton fait la balance, d'une part des avoirs et des créances de l’Etat et des collectivités pu­ bliques, d’autre part de leurs dettes, on constate que l’Etat et les collectivités publiques ne disposent d'aucun actif net mais sont au contraire, largement débiteurs. La propriété privée des moyens de production est donc bien la forme dominante de la propriété ; mais à son tour, la propriété capitaliste domine la propriété privée proprement dite et sous sa forme la plus typique, celle des trusts, des konzern et des cartels. Toute la législation du IIIe Reich a tendu vers le renforcement de cette propriété privée capitaliste ou non.1 (1) Rappelons que la propriété capitaliste se distingue de la propriété

proprement dite, en ceci que cette dernière implique que le proprié?»rivée aire des moyens de production mette lui-méme ces moyens en mouvement, tandis que la propriété capitaliste suppose que le propriétaire fasse mettre ses moyens de production en monvement par des talariés.

CHAPITRE

II

PROPRIETE PRIVEE ET PROPRIETE CAPITALISTE. SECTION I

La propriété privée. I. --- A LA CAMPAGNE. Dans une économie capitaliste développée, la propriété pri­ vée non capitaliste des moyens de production est représentée essentiellement, dans les campagnes, par la propriété paysanne, par la propriété parcellaire. La propriété parcellaire est à la base des tendances conservatrices des campagnes. Aussi bien la légis­ lation paysanne du IIP Reich qui se fixait pour but de défendre la propriété parcellaire, apparait-elle essentiellement conservatrice et en contradiction avec les phrases révolutionnaires et socialistes des nazis. La loi principale à cet égard est celle du 29 Septembre 1933, complétée par le décret du 21 Décembre 1936 et qui met en vigueur l’institution de l’Erbhof. De ce fait, la petite propriété paysanne est érigée en un bien de famille incessible et insaisis­ sable, transmis intégralement suivant un ordre de succession pré­ cisé par la loi. La législation espérait ainsi créer une base stable à l’ordre établi : nous verrons comment, en définitive, elle' a échoué (1). La loi du 14 Juillet 1933 tend à développer la petite propriété en organisant le morcellement par rachat des terres des grands propriétaires fonciers féodaux. En fait, cette loi n’a pratiquement pas été appliquée, les liens de la propriété féodale et de la bour­ geoisie monopoliste étant trop étroits dans un pays comme l’Alle­ magne où la tâche de la révolution bourgeoise a été accomplie e par en haut », par le Prince de Bismarck. En réalité le nombre des familles paysannes installées, chaque année, sur les parcelles rachetées au prix fort aux féodaux, est ridiculement infime et va en diminuant : il tombe de 4.914 en 1935 à 1.400 en 1938.1 (1) En 1038. il j avait 673.000 Erbhöfe d’une superficie totale de 15.562.000 hectares, soit 32 % de la surface cultivée.

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L’écO N O M IE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

Toute cette législation est d’une énorme importance. Elle jette une lumière crue sur cet aspect conservateur de la politique nazie, une lumière d’autant plus crue que le maintien de la petite propriété paysanne va à l’encontre des besoins économiques du Reich et, principalement de son économie de guerre. Celle-ci vise à la suffisance économique et, singulièrement, à la suffisance agricole. Or l’exploitation de la parcelle ne permet aucune divi­ sion du travail. Elle ne permet aucune utilisation rationnelle des méthodes scientifiques, (tracteurs, moissonneuses, batteuses, etc.). Elle déverse peu de produits sur le marché, parce qu’elle produit surtout pour les besoins propres de ses exploitants. Elle est infi­ niment moins sensible que la grande exploitation aux prix du marché, si bien que les tentatives faites en vue d’accroître la production agricole en augmentant le prix des produits de l’agri­ culture ont beaucoup moins de chance de réussir sur la base de la petite propriété que sur la base des grandes exploitations. Si le régime nazi a accepté tous ces inconvénients, c’est en raison de sa volonté de maintenir intact un des facteurs du conservatisme social ; c’est aussi, sans doute, en raison du fait que le paysan individuel constitue un excellent soldat d’infanterie et un bon père de famille nombreuse (1). Si cette protection accrue de la propriété paysanne privée a des inconvénients du point de vue de l’économie allemande dans son ensemble, elle n’a pas moins d’inconvénients pour le paysan lui-même, car elle tue le crédit du paysan dont la propriété est transformée en Erbhof. Il lui est extrêmement difficile d’emprun­ ter (2), alors que ses biens sont insaisissables. Cette « protec­ tion » empêche d’ailleurs également le paysan de vendre son bien (puisqu’il est incessible) pour changer de métier, si bien qu’en définitive, le paysan est plus ou moins (3) rivé à une terre qui ne1 (1) Ainsi, à la fête de la paysannerie allemande, à l'automne 1936, le Ministre national-socialiste de l'agriculture Darré, a déclaré : La paysan­ nerie doit comprendre clairement : à l'époque de la technique moderne, des transports modernes, des méthodes modernes de travail et d'économie, elle possède aussi peu de raison d'être économique que le voilier par rapport au bateau à vapeur. Au point de vue purement économique, la forme et la randeur de l'exploitation paysanne ne sont pas rentables. La seule raison 'être de la paysannerie est le fait, que nous enseigne l’histoire, à savoir : lin peuple ne se renouvelle que par sa paysannerie, un peuple doit maintenir en vie sa paysannerie pour maintenir sa propre existence >. (Berlin Tage­ blatt, 30-11-36). (2) En 1932-33 les dettes de l'agriculture se montaient à 11,6 milliards RM, en 1936-37 elles se montent à 11,1 milliards ; mais grâce à la baisse du taux de l'intérêt, due en partie à l'inflation de crédit, la charge des inté­ rêts de cette dette qui était de 850 millions R. M. en 1932-33 tombe à 670 m illions en 1937-38. Ce qui n'empêche pas l'agriculture allemande d'être fortement d é fic ita ir e . (3) Nous disons < plus ou moins > parce que, en fait, cette législation n'a pas arrêté la désertion des campagnes.

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MONTÉE AU POUVOIR DU

NATIONAL-SOCIALISME

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lui fournit même pas l’équivalent d’un salaire moyen. Ceci expri­ me bien les contradictions dans lesquelles se débat le régime en voulant affermir sa base sociale dans les campagnes, il ne réussit qu’à accroître le mécontentement paysan ; cela a d’ailleurs pour résultat la nécessité d’encadrer fortement la paysannerie : c’est la signification du Reichsnaehrstand dont nous parlerons plus loin. Pour préciser l’importance relative, dans l’agriculture, de la propriété privée et de la propriété capitaliste (car nous ne revien­ drons pas sur cette question dans la prochaine section) disons que si l’on considère comme grandes exploitations (1) les exploi­ tations de plus de 100 hectares et comme moyennes exploitations — à caractère le plus souvent capitaliste — les exploitations de 20 à 100 hectares, on voit que les premières disposent d’un peu plus de 25 % des surfaces cultivées, et que les premières et les secondes réunies disposent de près de la moitié des surfaces cul­ tivées (en France, les exploitations de plus de 100 hectares dispo­ sent d’environ 16 % des surfaces cultivées). Les exploitations capitalistes ont donc, par les terres dont elles disposent, sensible­ ment autant d’importance que les exploitations non capitalistes : elles en ont beaucoup plus, si on prend en considération leur part dans la production marchande et les moyens financiers dont elles peuvent disposer. II. — A LA VILLE. Dans les villes, la propriété privée des moyens de production est représentée par le petit commerce, l’artisanat et la toute petite industrie. Les éléments sociaux que groupent ces activités sont certainement beaucoup moins dociles ; beaucoup plus portées à la critique et à la revendication que les petits paysans, aussi ne faut-il pas s’étonner que la petite propriété commerciale, artisa­ nale et industrielle n’ait été l’objet de tentatives de protection systématiques. Ceci s’explique en outre par le fait qu’elle se trouve, en certains cas, en concurrence directe avec les grands monopoles industriels. La petite propriété industrielle et commerciale a littérale­ ment été ravagée sous la pression des trusts, c’est ce qu’exprime la disparition de plusieurs dizaines de milliers d’entreprises in­ dustrielles et commerciales entre 1932 et 1939. Avec la guerre de multiples mesures de « concentration provisoire » ont été prises dans l’industrie et le commerce, notamment en vertu des ordon­ nances du 30 Janvier 1943, sur la fermeture des entreprises et du1 (1) Nous avons préféré arrêter notre attention sur la répartition des exploitations plutôt que sur la répartition de la seule propriété du sol.

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L’ÉCONOMIB ALLEMANDE SOUS LB NAZISMB

7 Septembre 1943, sur la concentration commerciale. C’est d’ail­ leurs surtout le commerce qui a souffert de ces mesures, puisqu’il a dû fournir au cours de la guerre une main-d’œuvre s’élevant à 2 millions de personnes (1). Il faut toutefois souligner que ces mesures sont liées à l’éco­ nomie de guerre. Non qu’il faille attribuer une grande valeur aux déclarations officielles sur le caractère provisoire des mesures en question, ni une signification exagérée aux mesures prises à dif­ férents moments en faveur du petit commerce (2) (notamment à la lutte contre les grands magasins qui se trouvent d’ailleurs être des concurrents en voie de croissance, par intégration par le haut, des Konzern industriels, alors que le petit com­ merçant est un client plus docile et plus facile à exploi­ ter). Mais, il faut tenir compte d’une tendance profonde du capitalisme des monopoles au développement d’une nouvelle for­ me d’exploitation : l’exploitation du petit et moyen capitaliste, du petit et moyen entrepreneur par le capital monopoleur. Il s’agit là d’une exploitation dont l’instrument est la petite pro­ priété elle-même ; de plus en plus, le petit industriel, le petit commerçant ou l’artisan, loin de trouver dans sa propriété des conditions d’une vie meilleure et d’une indépendance plus grande que celle du salarié, trouve dans sa propriété même les conditions d*un bas niveau de vie et d’une sujétion de tous les instants. Cette exploitation se fait de mille façons, en particulier par le jeu des prix et du crédit. Par le jeu des prix, on voit de plus en plus lés grandes firmes industrielles imposer aux commerçants, leurs acheteurs, les prix auxquels ceux-ci doivent revendre la marchan­ dise qu’ils leur fournissent, si bien que les commerçants appa­ raissent comme des p la n és du capital industriel, rémunérés par une sorte de commission ; d’autre part, les prix élevés auxquels les industriels jouissant d’un.monopole de vente des matières premières fournissent les petits industriels transformateurs lais­ sent à ceux-ci une marge bénéficiaire qui n’est guère plus élevée (1) Dès avant la guerre, les nazis avaient pris de m ultiples mesures qui, en fait, ont favorisé la concentration économique — nous en traiterons plus loin. , . Une mesure au’il faut aussi citer est l’ordonnance du 18 Février 1941 qui prononce la dissolution des centrales des coopératives de consommation d Allemagne et d’Autriche. Le Front du Travail est chargé d’opérer la liquidation de 1 avoir de ces organisations et la vente de leurs établisse­ nt mesure est importante car le système cooPinn, n i i rteSSa,t Alle^ a^ en Autriche et dans les Sudètes, dix milrtffirfpK Ha ^ « mi? ate,î r?· (fai? ,nes de coopérateurs comprises). Les motifs Ρλ Λ rîfnrnrPAnnt hAiS0ll,.tl0n des coopératives sont : leur attitude politique, AnlwnD fC?r n c e dél°y ale * Φ1 elle» font au commerce privé, le fait qu’elles [ T c T v “ n U ? a Z : X Z co n d a m n é C0,lectÎviste » “« « * -

MONTÉS AU POUVOIR DU NATIONAL-SOCIALISMS

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qu’un salaire. Quant au crédit, les conditions faites, le plus sou­ vent, aux petits et moyens industriels sont telles qu’elles ne leur laissent qu’un maigre bénéfice (d’où les tentatives, presque tou­ jours infructueuses, de développer des c banques populaires *). Ces possiblités dont jouit le capital monopoleur d’exploiter indi­ rectement petits industriels et petits commerçants tendent à frei­ ner le processus de concentration vertical, tandis que d’autres facteurs tendraient à freiner la concentration horizontale. En ef­ fet, dans la mesure où, avec le capitalisme des monopoles, se développe une politique sévère des prix et des salaires, les gran­ des entreprises ont intérêt à ce que subsistent à côté d’elles des entreprises de petites dimensions, aux prix de revient élevés. En effet, lorsqu’intervient une fixation des prix de vente par l’au­ torité politique, celle-ci est obligée de tenir compte du niveau élevé des prix de revient des petites entreprises, faute de quoi elle les condamnerait à disparaître ; ce faisant, elle permet aux gran­ des entreprises, travaillant à meilleur compte de réaliser des superbénéfices. De même, en présence des revendications ouvriè­ res pour des salaires plus élevés — que les grandes entreprises pourraient accorder sans difficultés — il est toujours possible à l'autorité publique et au patronat de se retrancher, surtout lors­ qu'un salaire professionnel unique est établi, derrière la situation précaire des petites entreprises, incapables de supporter une hausse de salaires. Dans un cas comme dans l’autre on comprend que les grandes entreprises ont intérêt à laisser subsister à côté d’elles les petites entreprises, plutôt qu’à les éliminer en baissant leurs prix de vente autant qu’elles pourraient le faire si elles ne considéraient que le niveau de leurs prix de revient. En fait, les quelques interventions de l’Etat en faveur du petit commerce et de la petite industrie — interventions présen­ tées démagogiquement comme prises dans l’intérêt des « petits » contre les « gros » — ne font que renforcer la tendance propre au capitalisme des monopoles de laisser subsister, chaque fois qu’il y a intérêt, une foule de petits producteurs et de petits commer­ çants. D’ailleurs, aux raisons ci-dessus indiquées de défense des petites et moyennes entreprises, vient s’en ajouter une autre, de nature politique, la crainte des risques sociaux que représente pour le capitalisme une prolétarisation accélérée des classes moyennes (1). Cette tendance a une grande importance, non seulement1 (1) CTest sans doute pour cette raison que, sans cesse, il a été répété que < le maintien de la prospérité de la classe moyenne est un des principes fondamentaux de la politique économique du national-socialisme ».

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parce qu’elle constitue un facteur de cristallisation de la structure économique et sociale, mais encore parce qu’elle peut contribuer dans certaines circontances à donner aux artisans, petits indus­ triels et commerçants, un sentiment de sécurité que ne lui don­ nait pas le capitalisme libéral. Cette tendance d’ailleurs est forte­ ment contrariée, nous venons de le voir, par les phénomènes de réconomie de guerre (et, avec le développement du capitalisme des monopoles et de l’impérialisme qui en résulte, l’économie de guerre tend de plus en plus à prendre le pas sur l’économie de paix) elle est également brisée par les crises que connaît l’écono­ mie contemporaine. 11 n’en reste pas moins que le fait qu'une partie de la petite bourgeoisie est toujours propriétaire contribue à lui donner un sentiment de sécurité et d’indépendance. Le fascisme s’emploie à confirmer des illusions « d’indépendance économique » en « glorifiant » l’initiative privée, (cela aussi en vue de ♦ justifier » l’existence des monopoles privés, des actes de reprivatisation, etc...). Cependant, la propagande fasciste se heurte à un écueil, au fait que les petits propriétaires se trouvent brimés par l’accumulation des mesures de contrôle et de surveil­ lance de la part des monopoleurs et de celle de l’Etat, mesures qui viennent restreindre leur droit de propriété. C’est ce qui explique — avec la croissance numérique du prolétariat — que la grande bourgeoisie est, à certains moments, contrainte de ne plus s’appuyer sur les petits bourgeois, et se voit même obligée pour soumettre les classes moyennes à son emprise de s'appuyer sur le prolétariat lui-même, où, tout au moins, sur la fraction du prolétariat la moins consciente de ses intérêts. Une des fonctions du mouvement fasciste est précisément l’utilisation de l'hostilité des larges masses à l’égard de l’ordre existant pour imposer aux petits bourgeois un ensemble de mesures dictées par le grand capital. Chacune de ces mesures, qui représente effectivement des entraves supplémentaires mises aux droits de la petite pro­ priété est alors représentée comme une mesure « socialiste *. C'est là un fait qu’il ne faut pas oublier : le grand capital en affermissant sa domination brime et opprime de plus en plus la petite propriété, il ne peut y parvenir qu’en s’appuyant non plus sur la petite bourgeoisie elle-même, mais sur les masses à qui les mesures utiles au grand capital sont présentées comme des mesures progressives. Si l’opposition du petit bourgeois qui se rebelle contre tout ce qui vient limiter ses droits est purement conservatrice car elle tend à maintenir des formes économiques périmées et à s’opposer aux mesures de règlementation et de ra­ tionalisation de la production, il en est autrement de celle susci­ tée par la constatation que le petit bourgeois peut être amené à

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faire de Yexploitation donl il est victime de la part du grand ca­ pital, exploitation que les mesures de contrôle et de surveillance ne font que renforcer. Pour résumer nos observations quant à la propriété privée, nous pouvons dire qu’en ce qui concerne la petite propriété par­ cellaire rurale nous assistons à une tentative en vue de renforcer cette forme de propriété ; qu’en ce qui concerne la petite pro­ priété urbaine (même lorsqu'il s’agit déjà de la propriété de petits capitalistes) nous assistons à un traitement beaucoup plus défa­ vorable. Dans ce dernier cas, le régime ne craint pas de laisser jouer les lois de la concentration et de l’expropriation, cela sur­ tout lorsque la petite propriété est concurrente des monopoles industriels ou lorsqu’elle freine le développement de l’économie de guerre.

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SECTION II

La propriété capitaliste· La propriété capitaliste, par opposition à la propriété privée « pure et simple >, est la propriété privée en tant qu’elle porte sur des moyens de production ou d’échange mis en mouvement non par leur propriétaire même, mais par des salariés. La pro­ priété capitaliste implique, d’une part, le salariat, d’autre part, l’existence de revenus ne correspondant à aucun travail de la part de ceux qui les perçoivent : profits, intérêts, rentes, loyers, etc. Si toute propriété privée n’est pas propriété capitaliste, toute propriété privée des moyens de production et d’échange engendre en permanence la propriété capitaliste. Elle devient propriété capitaliste à partir d’une certaine dimension, à partir du moment où les moyens de production ou d’échange appartenant à une personne sont trop importants ou nombreux pour pouvoir être mis en œuvre par leur propriétaire et que, pour cette mise en œuvre, est exigée la collaboration d’un certain nombre de sala­ riés (1). Nous avons ici un exemple typique de transformation de la quantité en qualité ; la propriété privée en s’accumulant entre les mains d’un individu devient propriété capitaliste, de­ vient source de revenus sans travail. A son tour d’ailleurs, la propriété capitaliste en s’accumulant tend de plus en plus à perdre le caractère individuel et à prendre un caractère social, dans les sociétés par actions, les trusts et les cartels. La propriété capitaliste est en Allemagne la forme domi­ nante de propriété dans le commerce, les transports, l’industrie, la banque et les assurances. Cela ressort de la structure même de ces entreprises dont les effectifs sont en majorité des sala­ riés (2). Si, pour les raisons de commodité indiquées en note, nous considérons comme étant des entreprises capitalistes les seules12 (1) Cette collaboration suppose qu’existent des personnes qui. par le fait qu’elles ne possèdent elles-mêmes aucun moyen de production, sont obli­ gées de s’embaucher comme salariées pour le compte d'autrui ; autrement dit, la propriété capitaliste de certains suppose la « non propriété > d’autres.

(2) Il y a sans doute des degrés aans le caractère capitaliste d'une entreprise. Tant qu’une entreprise ne fournit pas à celui qui en est le chef ou le propriétaire un revenu supérieur au revenu qui revient € normalement » — étant donné le niveau des salaires — à un salarié qui effectue un tra­ vail analogue à celui qu'il effectue lui-même, cette entreprise n'a pas un

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entreprises employant plus de 5 personnes (patrons compris), nous voyons que ces entreprises (1) groupent en 1925 (2) 73,4 % de la population active dans l'industrie de transformation, 97,5 % dans l'industrie extractive, 41,2 % dans le commerce et 70,5 % pour l'ensemble des activités productives, commerciales (y com­ pris banques et assurances) et de transport. Et ce sont là les chiffres de 1925 ; depuis lors, l'importance relative des entre­ prises capitalistes s'est encore accrue par suite des phénomènes de concentration économique. Nous devons, ici, répondre à une objection que des années de propagande ont pu ancrer dans les esprits. Certains peuvent en effet penser qu’en dépit de cette structure économique la pro­ priété capitaliste avait cessé d'exister en Allemagne, les capita­ listes ayant été privés de tous droits, en faveur de l'Etat. Les partisans de cette thèse font valoir, pour la défendre, la multipli­ cité des interventions de l’Etat qui, prétendent-ils, ont fait perdre aux propriétaires des moyens de production et aux chefs d'entre­ prises, tout pouvoir de décision et d’initiative, tout droit de ges­ tion et d’administration. Nous montrerons ce qu’il y a d’exagéré dans cette manière de voir, mais auparavant, nous voulons souli-

caractère capitaliste. Elle prend progressivement ce caractère, au fur et à mesure que, croissant en importance, elle fournit à son chef ou à son pro­ priétaire un revenu supérieur à celui qui revient « normalement * à son travail, revenu dont le suiplus constitue u n p ro fit. Pratiquement, pour des raisons de commodité statistique, on peut admettre que la plupart des en­ treprises employant moins de 5 personnes ne sont pas des entreprises capi­ talistes. 11 faut d’ailleurs noter que des entreprises même plus importantes peuvent ne pas fournir un profit, soit pour des raisons de conjoncture, soit arce qu’elles doivent transférer sous forme d’intérêts ou de loyers les prots qui — à vrai dire — ont pris naissance dans leur sein (dans ces cas on assiste à la naissance de nouvelles catégories de revenus capitalistes : lovers, fermages, intérêts, etc...) ; soit parce qu’elles sont obligées de surpayer feurs fournitures — une partie de leurst fournisseurs étant des monopoleurs — ou parce qu’elles sont obligées de vendre leurs produits au-dessous de leur valeur — car leur acheteur jouit d’une position de monopole — ; dans tous ces cas, l’inexistence de profits réalises par l’entreprise, ou la réduction de ces profits, a pour corollaire la réalisation de surprofits par d’autres entreprises. Inversement, une entreprise de moins de 5 personnes peut, pour des raisons diverses, fournir à son chef ou à son propriétaire un revenu supérieur à celui de petites entreprises qui travaillent avec des fonds im ­ portants ; de telles entreprises, en dépit de leur taille sont des entreprises capitalistes. (1) En réalité, les statistiques font état des € établissements » (unité technique de production) et non des entreprises (unité économique), ce qui tend encore À faire sous-estimer le caractère capitaliste de l’économie ; en effet, une grande entreprise capitaliste peut fort Dien être composée de nom­ breux petits établissements ; il en est ainsi fréquemment dans le commerce (succursales multiples). (2) Les chiffres de 1925 sont les seuls significatifs, le dernier recense­ ment, celui de 1933, correspondant à une année de crise.

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gner que toutes ces « restrictions » aux droits de la propriété capitaliste n’en modifient pas la nature (1). § 1. — L a nature de la propriété capitaliste .

Ce qui constitue la nature de la propriété capitaliste, indé­ pendamment des droits plus ou moins étendus qui peuvent y être attachés par la législation ou par la coutume, c’est la possi­ bilité qu’elle donne au propriétaire d’un capital dans la mesure où il le fait valoir (soit lui-même, soit par l’intermédiaire d’un représentant, soit en le prêtant ou le louant) de jouir d’un revenu sans travail. La propriété capitaliste implique d’une part, en l’ab­ sence de l’esclavage et du servage, l’existence de revenus sala­ riés, d’autre part l’existence de revenus ne correspondant à aucun travail de la part de ceux qui les touchent : profits d’entrepre­ neurs, intérêts, loyers, rentes, etc... Du moment que ces catégories de revenus existent et sont perçus par des personnes privées (qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales), il y a capita­ lisme et donc propriété capitaliste. L’ensemble des revenus capi­ talistes a sa source dans la différence entre la valeur totale du produit social (2) (défalcation faite des amortissements et de la valeur des matières premières et auxiliaires dépensées pour obte­ nir ce produit) et la valeur distribuée aux salariés sous forme de salaires ; cette différence peut être qualifiée de « profit total », profit total toujours supérieur au total des seuls profits d’entre­ preneurs puisqu’il inclut aussi les loyers, les intérêts, les ren­ tes, etc.... L’existence de la propriété capitaliste se trouve donc carac­ térisée par le mécanisme de répartition du produit social, par l’existence d’une part, de revenus capitalistes, d’autre part, du salaire. Tant que ce mécanisme subsiste, subsiste aussi la pro­ priété capitaliste. Or, il est clair pour tous ceux qui se sont penchés sur l’économie allemande que ce mécanisme de répar­ tition subsiste. En effet, d’une part on a vu non seulement se maintenir mais croître les profits des capitalistes allemands ; les12 (1) Comme l’écrit MandeH>aum : « Il ne faut pas oublier que le sys­ tème de contrôle a laissé intact en Allemagne des éléments essentiels du système économique actuel, tels que : titres de propriété, libre choix de l'emploi, le mobile du profit et l’initiative Drivée. Il ne faut pas confondre non plus contrôle utilitaire et imposition arbitraire par le Gouvernement de décisions s'appliquant aux groupes économiques intéressés. Sauf en ce qui concerne la détermination des salaires, les décisions relatives k la politique industrielle, à la formation des prix et autres matières du même genre étaient habituellement prises par voie de négociations avec les groupes inté­ ressés, avec leurs « dirigeants » et étaient le résultat de pressions et de compromis ». (op. c it., p. 182). (2) Ceci peut être formulé aussi bien dans le cadre d’une théorie sub­ jective de la valeur que dans le cadre d’une théorie objective.

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profits industriels et commerciaux avoués officiellement sont passés de 6,6 milliards RM. en 1933 à 15 milliards en 1938, soit une progression de 127 % — nous reviendrons sur ces chiffres D’autre part, les salaires sont restés stables, à un niveau qui permettait juste l’entretien de la classe ouvrière (1). Tout ceci confirme pleinement l’existence de la propriété capitaliste. Les différentes restrictions aux droits des capitalistes sontelles donc sans signification ? Bien au contraire, la signification de ces restrictions est d’une grande importance. Pour la saisir, il n’est pas inutile de jeter un coup d’œil rapide sur l’évolution du capitalisme. Lorsque le capitalisme industriel a pris naissance, le type d’entreprise dominante était l’entreprise individuelle, à la tête de laquelle se trouvait un chef d’entreprise qui risquait prin­ cipalement son capital et accessoirement une partie du capital de ses bailleurs de fonds. L’essor du capitalisme a été accompagné du développement de formes nouvelles d’entreprises dont le type essentiel est la société anonyme par actions. Ce développement a été rendu indis­ pensable par l’évolution de la technique ; celle-ci reposant de plus en plus sur la production mécanique et à grande échelle, il a été de moins en moins possible — en dépit de la concentration des fortunes — à un entrepreneur isolé, de fournir les capitaux nécessaires à l’équipement d’une entreprise conformément aux exigences de la technique nouvelle. Le groupement des capitaux s’est alors imposé et l’on a assisté à l’essor des sociétés industriel­ les et commerciales. Or, cet essor même, devait progressivement modifier les droits des capitalistes, comme l’ont remarquablement mis en lumière les deux économistes américains Bear et Means. D’une part la « foule » des petits capitalistes, actionnaires et obligataires, a de plus en plus été éliminée de la direction des entreprises qui pourtant étaient « les siennes » (cela en particu­ lier est vrai, juridiquement des actionnaires) elle a perdu ses pouvoirs d’initiative et de décision, ses droits de gestion et d’ad­ ministration (2). D’autre part, une minorité d’actionnaires, les plus impor­ tants, accédaient seuls aux conseils d’administration, à la prési-12 (1) Indiquons simplement ici que le salaire horaire d’un manœuvre homme est passé de 62,3 reichspfennig en 1933 à 62,6 rpf en 1938, tandis que le prix des objets de consommation montait de 20 % toujours d’après les statistiques officielles. Nous reviendrons aussi sur ces chiffres dans la 4* partie ae cette étude. (2) Cette perte de droits et de pouvoirs s’est réalisée progressivement, en vertu de coutumes qui se sont prises (coutumes d’ailleurs en grande par­ tie imposées par les nécessités techniques de la direction d’une grande so­ ciété) ; finalement la loi est venue la sanctionner en accroissant les droits des conseils d’administration et des présidents de ces conseils.

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ftcations profondes dans les rapports de droits ; elle a réduit les droits d’une partie des capitalistes et accru les droits des autres ; mais les premiers comme les seconds n’en sont pas moins restés des capitalistes qui, en cette qualité, ont continué à percevoir cha­ cun, sous des formes diverses, une partie du profit total, dence de ces conseils, à la direction effective des affaires. Ainsi l’évolution de la technique de la production a entraîné des modiAu cours d’une étape nouvelle, celle que le capitalisme par­ court actuellement, la nécessité d’une gestion collective, d’une gestion dépassant le cadre de chaque entreprise — même lorsque celle-ci atteint des dimensions gigantesques — s’impose de plus en plus. A leur tour, de même qu’hier les actionnaires des sociétés par actions, les chefs d’entreprise se voient privés d’une partie de leurs pouvoirs d’initiative et de décision, d’une partie de leurs droits de gestion et d’administration. Cette dépossession a lieu, tantôt au profit d’organismes « professionnels » à la tête desquels on trouve les chefs des entre­ prises les plus importantes — (comme à la tête des sociétés par actions on trouve les plus importants actionnaires, tantôt au profit d’organismes d’Ëtat à la tête desquels se trouvent des fonc­ tionnaires qui ne peuvent d’ailleurs agir utilement qu’en accord avec les chefs des principales entreprises. Dans un cas comme dans l’autre, qu’il s’agisse d’organismes d’Etat ou qu’il s’agisse d’organismes professionnels, on assiste à une modification des rapports de droits, mais les chefs d’entreprises comme les action­ naires, les obligataires, les rentiers, etc... n’en restent pas moins des capitalistes. La nature capitaliste des revenus apparaît même de plus en plus clairement au fur et à mesure que ceux-ci devien­ nent plus indépendants de l’activité de ceux qui les perçoivent, de leur initiative et de leurs risques. Si l’évolution ci-dessus décrite ne modifie pas le mécanisme de la formation du profit total, elle tend à en modifier la répar­ tition de la même façon que le fait déjà l’apparition des mono­ poles. Alors que la répartition réalisée au sein d’une économie concurrentielle était « égalitaire » (à chacun selon son apport en capital) celle réalisée au sein d’une économie où dominent des monopoles tend à être inégale : une part proportionnellement plus forte allant au capital monopoleur. L’apparition d’organis­ mes de direction économique collective (étatiques ou profession­ nels) agissant sur les prix, les crédits, les quantités de matières travaillées, les contingents de production autorisés, etc... tend à nouveau à modifier la répartition du profit total. Cette répartition bien que continuant, en principe, à être proportionnelle aux ap-

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ports en capitaux (1) favorise en fait — comme nous le verrons — les groupes capitalistes les plus puissants dans l’Etat, c’est-àdire, précisément, les groupes de monopoleurs. Tout cela, évi­ demment, laisse subsister la propriété capitaliste — cela la sup­ pose même — mais modifie la dynamique du capitalisme. Nous aurons à le voir concrètement dans la quatrième partie de cette étude. Ces observations liminaires étant faites, il nous faut exa­ miner de plus près dans quelle mesure la législation nationalesocialiste a effectivement modifié les droits attachés à la propriété capitaliste, ou, plus précisément, les droits des chefs d’entreprise. Pour cela, nous nous placerons dans le cadre de l’entreprise. Nous examinerons d’abord les droits du capitaliste entrepreneur à l’in­ térieur de l’entreprise, puis dans les relations de l’entreprise avec l’extérieur. Cette distinction très artificielle est simplement adop­ tée pour la clarté de l’exposé. § 2. — Les d ro its

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l ’e n tre p re n e u r a l ’in té r ie u r

DE L’E N T R E P R IS E .

A l’intérieur de l’entreprise, les droits du capitaliste entre­ preneur (représenté par un Président du Conseil d’Administration, par un Administrateur-Délégué ou un Directeur, il n’im­ porte, puisqu’il s'agit toujours d’une personnification du capi­ tal (2) ont été maintenus et même renforcés par la législation nazie. Ils ont été maintenus en ce qui concerne l’organisation matérielle ; le capitalisme entrepreneur organise comme il l’en­ tend le processus de production ; il a le libre choix des procédés de fabrication, des machines qu’il entend utiliser et de la manière dont elles seront utilisées. Les seules limitations sont relatives à l’hygiène et à la sécurité du travail mais elles ne sont pas parti­ culières à l’Allemagne nazie, elles existent dans tous les pays capitalistes avancés et elles existaient avant l’arrivée au pouvoir12 (1) On peut en trouver une preuve parmi beaucoup d’autres, dans le développement de la notion de b én éfice m in im u m , notion fiscale apparue à l’occasion de l’imposition de guerre sur les accroissements de bénéfices. Cette notion, définie par une ordonnance de Mai 1944 (Reichsgcsetzblatt du 31-51944) aboutit à ce que soit considéré comme minimum un bénéfice annuel égal h 5 % du capital investi, plus un bénéfice sur le chiffre d’affaires va­ riant de 10 % de ce chiffre d’affaires lorsque celui-ci est égal au minimum à 20 % du capital engagé, à 1 % du chiffre d’affaires lorsque celui-ci atteint 1.000 % du prix engagé. Toute la législation sur les prix s’appuie aussi sur l’idée d’un < bénéfice normal » conçu d’une façon analogue. (2) Il est inutile de souligner aussi qu’il doit s’agir d’un capital auto­ nome. Ainsi, le Président du Conseil d’Aaministration d’une société filiale d’un trust est lié pour la plupart de ses décisions aux décisions des diri[eants du trust. C^est, si l’on veut, une restriction des droits du capital de a filiale, mais corrélative à l’extension des droits du capital trusteur ; cela ne modifie en rien les droits du capital en général.

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de THitlérisme. Ces limitations sont la conséquence en partie de Faction ouvrière, en partie de la volonté des entrepreneurs qui ont intérêt à avoir des ouvriers en bonne santé (1). En définitive, du point de vue de l’organisation matérielle, la législation nazie a maintenu intacts les droits du capital, ceci souligne déjà qu’on ne peut parler de « planification » de la production dans un pays où le processus élémentaire de la production dépend des déci­ sions des entrepreneurs privés. Cette simple constatation fait res­ sortir ici déjà tout ce qu’il y a de faux dans les rapprochements que font certains esprits entre l’économie soviétique et l’économie allemande puisque en U.R.S.S., la propriété des moyens de pro­ duction est socialisée et que les directeurs d’usine ne sont que des fonctionnaires liés par le plan dans l’organisation matérielle de la production. Si les droits du capital, en ce qui concerne l’organisation matérielle de la production ont été simplement maintenus, ces droits par rapport au travail ont été au contraire accrus, ce qui encore une fois met en relief le caractère réel d’un régime qui se prétendait socialiste. Mais examinons les faits. Le fait primordial c’est que les syndicats ouvriers ont été dissous et remplacés par une organisation officielle : le Front du Travail. Celui-ci se fixe pour tâche non la défense des intérêts ouvriers mais l’organisation de la collaboration entre ouvriers et patrons. En définitive, cet organisme n’a servi qu’à entretenir quelques bureaucrates nazis (2) et à organiser quelques institu­ tions de propagande. Λ coté des règlements d’entreprises, la loi du 20 Janvier 1934 prévoit la possibilité pour le Préfet du Travail, s’il le juge utile, d’élaborer un règlement tarifaire (Tarifordnung). Ce règlement tarifaire, que la loi de 1934 considère comme une exception détermine le taux des salaires pour une branche économique donnée et dans la limite de la circonscription préfectorale. Lors­ qu’il y a règlement tarifaire, les patrons sont tenus d’en respecter les termes lors de la rédaction soit du règlement d’entreprise, (1) Mais Taction ouvrière est nécessaire pour faire respecter par cha­ que capitaliste les règlements de sécurité et d’hygiène. Nous en avons une preuve dans les statistiques des accidents du travail et des maladies pro­ fessionnelles. Nombre des assurés Années Blessés et malades Blessés et malades professionnels par 1.000 assurés 1932 24.207.835 828.980 34 1933 25.655.161 929.592 37 1934 26.458.534 1.173.592 44 (2) Les dépenses administratives du front du travail s'élevaient à (0 millions par an environ. L’administration centrale comptait 7.000 fonction­ naires. Les cotisations ouvrières variaient en fonction du salaire. Le front du travail avait en plus été. doté du patrimoine des anciens syndicats ou­ vriers.

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soit des contrats individuels. Il y a là une limitation indubitable aux droits du capital, mais infiniment moins gênante pour lui que la procédure des contrats collectifs puisqu’aussi bien le règle­ ment tarifaire est élaboré par le Préfet du Travail, c’est-à-dire par un fonctionnaire (1), Pour en finir avec cette question des règle­ ments tarifaires, il reste à préciser qu’ils se sont multipliés au cours de ces dernières années, au fur et à mesure que la dimi­ nution du chômage entraînait le risque, pour le patronat, de susciter une hausse des salaires. Grâce à la fixation des salaires par le Préfet du Travail, les patrons évitent de se faire concur­ rence entre eux sur le marché du travail et par suite, de faire monter les salaires. Le décret du 23 Juin 1938 est venu encore renforcer ce barrage à la hausse des salaires en ordonnant au Préfet du Travail de faire obstacle à toute élévation de salaire. Ein définitive, le règlement tarifaire qui apparaissait d’abord com­ me une limitation aux droits du capital apparaît en réalité comme un renforcement de ce droit, puisqu'il interdit aux ou­ vriers de profiter même de l’amélioration de la conjoncture. A cet égard, on peut dire que les droits du capitaliste à l’intérieur de l’entreprise ont été maintenus et renforcés par la législation nazie. § 3. — L es

droits de l ’entrepreneur dans les DE L’ENTREPRISE AVEC L’EXTÉRIEUR.

rapports

Les droits du capital à l’extérieur de l’entreprise sont repré­ sentés par la possibilité de conclure librement des contrats de vente et d’achat (qu’il s’agisse de force de travail ou de marchan­ dises) et des contrats de crédit ou d’emprunts, ainsi que par la possibilité de s’investir librement, bref, parce qu’on appelle la libre concurrence. Il ne fait pas de doute que cette libre concurrence, dont le jeu a pour résultat, comme nous l’avons déjà dit, de répartir d’une certaine façon entre les capitalistes, le profit total et de permettre l’égalisation du taux des profits, en dépit des différences de com­ position organique du capital (grâce à la concurrence des capi­ taux autour des sphères- de placement) se trouve considérable­ ment diminuée dans tous les pays de capitalisme avancé, par la1 (1) Deux faits sont à noter d'ailleurs : d’une part, en cas de violation du règlement tarifaire par un patron, les ouvriers n’ont aucune voie de re­ cours, seul le Préfet du Travail a compétence pour intenter les poursuites contre les patrons — le ministre du travail a, en outre, le droit d’arrêter les poursuites — aussi sont-elles exceptionnelles. D’autre part, si un pa­ tron demande que le règlement tarifaire ne lui soit pas appliqué, le Préfet du Travail peut lui accorder une dérogation, à condition quTl fournisse des « justifications > suffisantes.

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formation des grands organismes monopolistiques produits de la concurrence elle-même. Mais l'apparition de ces monopoles ne modifie ni le droit du capital, à une part du profit total, ni le montant de celui-ci, mais seulement la répartition, en favorisant le transfert d’un surprofit aux formations monopolistiques : c’est le profit de monopole. La question qui se pose pour nous en examinant l’économie allemande, c’est précisément de savoir si nous y rencontrons des phénomènes du même ordre que ceux qui existent dans toute économie capitaliste avancée ou des phénomènes fondamentale­ ment différents. Pour le voir examinons les principales manifes­ tations d’activité extérieure de l’entrepreneur capitaliste. 1) Le choix des ouvriers et des employés. Ici, la liberté du capitalisme est presque complète, et en dehors des interdictions « raciales » le capitaliste est libre d’en­ gager ou de révoquer les ouvriers et les employés. Il n’y a là à signaler que quelques exceptions. a) En ce qui concerne le renvoi, des règles de préavis et de justification très voisines de celles existant antérieurement, ont été posées par la loi du 20 Janvier 1936. Ces lois ne limitent pra­ tiquement pas le droit de renvoi du patron, elles ne font qu’en « modérer » l’exercice. b) En ce qui concerne l’engagement, il est interdit à un patron d’embaucher un ouvrier qui a déjà du travail chez un autre patron: Il s’agit ici d'un principe de solidarité qui doit éviter les hausses de salaires consécutives à la surenchère pa­ tronale. c) Enfin, au début du régime, on a obligé certaines grandes sociétés ou certaines grandes banques à des changements dans le haut personnel, afin d’éliminer les hommes trop ouvertement hostiles au nazisme. II s’est agi en définitive d’une sanction contre ces hommes, sanction moins grave que l’emprisonnement ou l’exil (ou pire) et qui ne touchait guère plus que ces dernières me­ sures, le libre choix du personnel d’une entreprise. On peut donc parler ici du maintien d’une liberté absolue du capitalisme en ce qui concerne le choix des ouvriers et des em­ ployés. 2) Le choix des moyens de production. Aucune loi ne limite, en Allemagne nazie l’achat par les entrepreneurs des moyens de production : machines, outils ou matières premières dont ils peuvent avoir besoin. Légalement la liberté de l’entrepreneur est ici complète, ses droits sont intacts.

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En fait, cependant, une certain nombre d'obstacles viennent s’op­ poser au libre exercice de ces droits. Ces obstacles peuvent se ranger sous les rubriques usivantes : a) Obstacles mis aux achats à Vextérieur de l’Allemagne ; nous aurons à en parler plus loin. Disons tout de suite que ces obstacles tiennent d’abord à une extension du protectionnisme qui existe dans tous les pays et qui vise soit à favoriser tel ou tel groupe de capitalistes industriels nationaux, soit à sauvegarder l’équilibre de la balance des Comptes et, par conséquent, la stabi­ lité de la monnaie (ce qui est de l’intérêt de la majorité des capi­ talistes, et surtout, des banques). D’autre part, ces obstacles tien­ nent aux visées d’une économie de guerre destinée elle-même ό satisfaire les appétits impérialistes du capital financier. b) Obstacles mis aux achats de certains produits « rares > par des industries non indispensables à l’économie de guerre. Ici, les obstacles mis aux achats de certains capitalistes se traduisent par des facilités accordées à d’autres. Il s’agit en définitive d’un ordre de priorité pour des marchandises relativement rares, ordre de priorité dicté par les besoins de l’économie de guerre. Nous verrons d’ailleurs plus loin comment les autorisations d’achat sont délivrées et le rôle que jouent, dans la répartition des moyens de production rationnés (essentiellement des matiè­ res premières) les grands organismes capitalistes (1). Ces deux premières séries d’obstacles (à l’exception de ceux qui sont inhérents au protectionnisme) sont simplement la consé­ quence de Véconomie de guerre, nous les avons vu naître dans tous les pays belligérants, aussi bien au cours de la guerre 19141918 qu'au cours de la guerre actuelle. 11 s'agit là d’une limitation temporaire aux droits des capitalistes industriels au profit du capital financier et de la réalisation des tendances impérialistes qu’il suscite. c) Mais il est un autre obstacle apporté à la libre acquisition des moyens de production. Cet obstacle tient à la fixation des prix (2). Le fait que les prix sont fixés, ou plus exactement que les hausses de prix sont, en principe, interdites, empêche les capi­ talistes de se faire concurrence entre eux, pour l’acquisition des moyens de production dont ils ont besoin. L’interdiction faite aux industriels d’offrir un prix plus élevé que leur concurrent est un 12 (1) Indiquons dès maintenant et nous y reviendrons à propos des car­ tels, que les capitalistes peuvent s’entendre entre eux ou que les capitalistes les plus puissants d’une branche de production peuvent imposer leur volonté aux autres, pour interdire l’emploi de certaines machines ou le développe­ ment de l’outillage, ceci afin d’éviter la surproduction et de maintenir des prix élevés. (2) Nous revenons plus loin sur cette question.

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obstacle qui peut empêcher tel ou tel capitaliste de réaliser une acquisition déterminée. Il y a là une entrave certaine aux droits du capitaliste. Quelle est la nature et la portée de cette entrave ? Pour Vessentiel cet obstacle est dans la nature de l'économie de guerre. Mais secondairement cet obstacle est lié à une certaine conception des crises cycliques, conception qui voit dans les fluctuations des prix la cause principale des crises, d’où l’idée de lutter contre les crises en luttant contre les mouvements des prix, idée mise en application déjà par le Chancelier Brûning. La portée de cette mesure ne doit nullement être surestimée car, nous le verrons, les prix, loin d’être stables, enregistrent une lente montée, ce qui est une preuve que les lois du marché sont plus fortes que les règlementations. 3) Choix des lieux d'installation, des lieux d'achat et de vente. Ici une liberté quasi absolue est laissée aux capitalistes, liberté limitée seulement par des considérations stratégiques (en ce qui concerne les lieux d’établissement des nouvelles entre­ prises), par les accords de cartels qui peuvent déterminer des zones de ventes et d’achats (1) et par les mesures protectionnistes ou de contrôle des changes qui peuvent mettre obstacle aux achats à l’étranger. 4) Le droit pour le capital de s'investir librement. Ce droit a été fortement limité. Voyons les raisons de cette limitation, ses formes, et sa portée. a) Les raisons de cette limitation sont de différentes sortes. Il y a eu, tout d’abord, au début du régime, et c’est la raison pour ainsi dire « durable > de cette limitation, la volonté d’empêcher le développement d’entreprises concurrentes des cartels, cela en un moment de dépression économique, de restriction des affaires. Cette limitation était, en définitive, l'affirmation des droits de priorité du capital c ancien », du capital « établi », du capital déjà investi, sur le capital « jeune », sur le capital nouvellement formé. C’est une tendance constante du capital monopoliste d’écraser dans l’œuf ses jeunes concurrents ; grâce au nazisme, le capital monopoliste obtint ainsi le moyen légal de le faire. < Une justification » a été donnée de cette mesure dans la loi des rendements non proportionnels : on sait que les entreprises sont techniquement conçues pour un certain niveau de produc­ tion pour lequel le prix de revient est minimum, ce niveau est celui du rendement optimum, il se situe, suivant les cas, entre 1 (1) Mais il s’agit là d'accords privés, conséquence du droit ponr les capitalistes de se concerter et de collaborer.

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75 et 90 % de la capacité maxima de production. Au-dessous de ce niveau optimum le prix de revient augmente d’autant plus qu’on s’éloigne de l’optimum. En temps de crise, ce sont préci­ sément les grandes entreprises, les entreprises techniquement destinées à produire en grand qui travaillent le plus au-dessous de leur optimum et qui voient donc leur prix de revient s’élever, juste au moment où leur prix de vente baisse. C’est là un phé­ nomène classique mais qui n’est apparu dans toute son ampleur que depuis le développement de la très grande industrie. On comprend facilement que cette conséquence de la loi des rende­ ments non proportionnels ait été mise en avant par les idéologues des trusts et des cartels (propriétaires des plus grandes entre­ prises) pour « justifier » les mesures de lutte contre les t jeunes » concurrents qui, en écoulant leurs produits sur le marché, res­ treignaient encore les débouchés, et donc la production des anciennes entreprises, entraînant pour celles-ci une hausse des coûts. Quoiqu’il en soit de cette « justification », il n’en reste pas moins que nous avons affaire ici à une mesure destinée à proté­ ger le capital monopoliste (1), à limiter la production et le progrès technique (les nouvelles entreprises étant en général, mieux outillées que les anciennes) donc à une mesure réactionnaire qui tend à la stabilisation et à la stagnation, ce qui caractérise bien les mesures dictées par les intérêts du capital monopoliste. A cette première raison de limiter la liberté d’investissement du capital sont venues s’en ajouter d’autres, liées au développe­ ment de l'économie de guerre. Avec l’essor de l’économie de guerre, il a fallu interdire les investissements dans un grand nombre de branches de la production utilisant des matières pre­ mières ou de l’outillage nécessaires à l’industrie d’armement ou même avec la résorption du chômage, il a fallu interdire le déve­ loppement d’industries susceptibles d’accaparer la main-d’œuvre nécessaire aux armements. Enfin, à un certain moment, l’accrois­ sement des besoins financiers de l’industrie lourde et des budgets militaires a contraint à canaliser les capitaux neufs dans cette seule direction, d’où un motif supplémentaire pour limiter les investissements nouveaux. Ces dernières raisons qui ont pris de plus en plus d’importance ont un caractère « passager » tout au moins dans la mesure où l’économie de guerre ne tend pas à1 (1) A propos do contrôle do marché des capitaux, Mandelbaom déclare que ce contrôle « est devenu un instrument pour diriger l'épargne dans le· voles désirées. Les différentes interdictions relatives aux investissement· réels ont eu de· fonctions analogues, mais le plus souvent, elles ont servi à protéger les cartels existants contre de nouvelles concurrences ou contre la rupture dans la répartition des quota » (op. eit, p. 191, Note 3).

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allem ande so u s

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devenir la forme d’organisation économique la plus fréquente au stade de l’impérialisme. b) Les formes de ces limitations indiquent bien qu’il s’agit avant tout de la protection des intérêts des capitalistes ancienne­ ment établis. En effet, la loi qui sert de base à ces limitations est celle du 15 Juillet 1933, dite loi des cartels obligatoires. Cette loi ne crée pas seulement la possibilité de constituer des cartels obligatoires ou d’obliger des indépendants à adhérer a un cartel, elle crée aussi la possibilité de prononcer à la demande des diri­ geants d’un cartel (obligatoire ou volontaire), l’interdiction de créer de nouvelles entreprises dans la branche intéressée, ou d’étendre les entreprises existantes (ce qui serait un moyen de tourner la précédente interdiction) (1). Sous cette forme il appa­ raît nettement que la limitation au droit du capital de s’investir librement n’est qu’une extension des droits des capitaux c an­ ciens » par rapport aux capitaux « nouveaux » non une limitation du droit du capital en général. Mais, ce qui est plus intéressant encore, c’est que, sauf dans des cas exceptionnels, même les limitations nées de l’économie de guerre ne peuvent jouer que par l’intermédiaire des cartels, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’organismes privés, d’instruments du capital. c) La portée de cette limitation apparaît clairement à partir des données précédentes. Il s’agit ici non d’une restriction aux droits du capital, mais d’une modification de la portée de ces droits et d’un accroissement de la puissance du capital monopo­ liste. Fondamentalement, cette limitation a une portée régres­ sive elle tend à réduire, à ralentir le progrès technique, le déve­ loppement des forces productives. Accessoirement, dans le cadre de l’économie de guerre, elle a un portée progressive, tout au moins pour la forme en ce sens qu’elle tend à orienter les inves­ tissements, à organiser l’économie ; mais ce n ’est que la forme qui est progressive car le contenu c’est tout simplement l’orienta­ tion vers l'industrie des armements, vers les engins de destruction et non vers le développement des formes productives. La question de la portée de cette limitation soulève le problème de la comparaison avec ce qui se passe dans les autres pays de capi­ talisme avancé. Dans ces pays existe-t-il une liberté d’investisse­ ment ? Il est évident qu’il suffit de poser la question pour devoir répondre par la négative. Dans tous ces pays, et même à l’échelle internationale, les trusts et les cartels s’opposent à la naissance1 (1) Quand une telle interdiction a été prononcée, il est toujours loisi­ ble au cartel, moyennant certaines autorisations, d’accorder des déroga­ tions, soit pour étendre telle entreprise existante, soit pour fonder une en­ treprise nouvelle.

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et au développement des jeunes concurrents et l'arsenal des armes employées par eux est particulièrement bien fourni. Ces armes vont de la baisse momentanée des prix (pour couler le jeu­ ne concurrent) aux actes de sabotage pur et simple (au moyen d’hommes de mains) en passant par les achats massifs de ma­ tières premières (afin d’en priver le nouveau concurrent) et les accords avec les sociétés de transports routiers ou ferroviaires, pour paralyser le ravitaillement ou l’écoulement des produits du nouveau rival. Ces armes comportent aussi la collaboration des banques (intimement liées au capital des monopoles industriels) qui refusent leur crédit et leur aide financière & la nouvelle entre­ prise. Ceci montre bien que l’utilisation de la puissance de l’Etat n ’est pour les cartels et les trusts allemands qu’un moyen supplémenlaire d’action ; ce qui met une fois de plus en lumière l’entier dévouement du nazisme aux intérêts du capital financier. 5) La fixation des prix de vente. Ici aussi, les droits du capitaliste individuel ont été limités. La plupart des prix de vente sont fixés, réglementés et imposés aux capitalistes. Quelles sont les raisons, les formes et la portée de cette règlementation : c’est ce que nous allons examiner main­ tenant. a) Les raisons de cette règlementation ont déjà été signalées en partie (voir ci-dessus page 63). A un premier stade il s’est agi de lutter contre la baisse des prix, de protéger les capitalistes contre la tendance à la baisse qui résulte de la concurrence des vendeurs sur un marché réduit. A un second stade, à la suite des injections de crédit à caractère inflationniste (dont nous traite­ rons ultérieurement), il s’est agi de freiner une hausse désor­ donnée des prix (1) qui aurait nui à l’équilibre de Véconomie de guerre et aurait réduit Vampleur des exportations (tout en ris­ quant d’être une cause de troubles sociaux). A ce second stade, il s’est donc agi de défendre les « intérêts généraux » de l’impé­ rialisme allemand : mais ce qui est à souligner c’est que, dans cette « défense des intérêts généraux » de l’impérialisme, les intérêts particuliers immédiats et directs des gros monopoleurs n ’ont pas été négligés. La stabilisation des prix (toute relative d’ailleurs) s’est faite de telle sorte que les prix ont été, autant que possible, maintenus au niveau de 1932, année de fin de crise. Ceci signifie que les prix des produits non cartellisés ont été mainte­ nus autant que possible au bas niveau de crise, tandis que les prix1 (1) Ce qui aurait posé le problème de la stabilité monétaire et le pro­ blème du change.

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des produits cartellisés, eux, étaient autant que possible main­ tenus au haut niveau convenu par des accords de cartels (1). Ainsi, la fixation des prix a eu pour résultat, et pour but, de maintenir et d’accroître les profits de monopole des cartels ; au détriment des capitalistes non monopoleurs. Cette fixation des prix n’a donc pas abouti à réduire le profit total touché par les capitalistes, mais simplement a organiser la répartition de ce profit total au bénéfice des monopoles capitalistes. b) Les formes adoptées pour la fixation des prix concordent bien avec les buts visés. S’agit-il de fixer les prix des produits cartellisés ? L’administration procède par voie de négociation avec les cartels, négociations qui aboutissent le plus souvent à des hausses de prix, mais quelquefois aussi à des baisses (2) (sans doute lorsque ces baisses, en accroissant les débouchés font jouer la loi des rendements non proportionnels en faveur des cartels). S’agit-il de fixer les prix des produits non cartellisés ? On procède par voie d’autorité, quelquefois après consultation des entrepre­ neurs les plus « représentatifs s de la branche intéressée. S’agit-il enfin de fixer les prix de détail, on procède par voie d’autorité sans aucune consultation : comme le dit Priester, c’est principa­ lement le profit commercial, profit du détaillant, de l'artisan, du petit industriel qui est réduit (3). c) La portée des mesures de règlementation des prix ressort des considérations précédentes. U ne s’agit pas de réduire le pro­ fit (ce qui se traduirait par une augmentation de salaire réel), il s’agit d’organiser avec la collaboration des monopoles le transfert à ces mêmes monopoles d’une partie du profit produit dans les entreprises non cartellisées. Il s’agit aussi d’accroître le profit perçu par l’industrie dans son ensemble, par opposition au com­ merce. C’est à cela que tendent les mesures draconiennes contre la hausse des prix de détail — (qui risquerait d’entraîner la haus­ se des salaires payés par les industriels) alors que la hausse des prix de gros est assez largement tolérée (voir 4* partie). En défi­ nitive la limitation du droit du capitaliste à fixer librement ses prix, n’est qu’une façon d9organiser Vexploitation du secteur non cartellisé ou trusté, de l’économie par le secteur cartellisé ou123 (1) Même ti ces prix notaient pins effectivement pratiqués et étaient simplement prévus par les accords au cartel, si bien que les cartels ont eu le droit avec le développement de la conjecture d’armements, d'augmenter leurs prix en les portant de leur bas niveau réel au haut niveau prévu par les accords. (2) P ribstbh , Das Deutsche Wirtschaftswunder, p . 32. (3) En guise de consolation à cette partie des classes moyennes, qui a fourni une des bases du nazisme, on prena des mesures contre les détaillants juifs, on interdit l’ouverture de nouveaux magasins, on liquide les coopéra­ tives de consommation.

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trusté. Avant, cette exploitation se faisait sans l’aide de l’Etat (ou avec l’aide accidentelle de l’Etat, après la prise de pouvoir des valets du capital financier, cette exploitation s’est faite avec l'aide systématique de l’Etat. Pour en finir avec la question de la portée des mesures de fixation de prix, il reste à déterminer dans quelle mesure dans une économie capitaliste de type non fasciste (1), les capitalistes sont « libres » de fixer leurs prix. Tout d’abord, même en faisant abstraction des mesures de contrôle des prix décidées par l’Etat dans la plupart des pays capitalistes (mesures dictées par des considérations d’économie de guerre, par la crainte des troubles sociaux, par des considérations monétaires, etc...) il est évident que la plupart des capitalistes ne peuvent pas fixer c librement » leurs prix, soit que le marché soit dominé par un trust soit que le capitaliste individuel fasse partie d’un cartel, soit qu’il s’agisse d'un commerçant obligé de revendre à un prix imposé (ce qui est le plus souvent le cas). Autrement dit, partout apparaît, com­ me une tendance inhérente au capitalime, le contrôle des prix par l’intermédiaire d’un trust, d’un cartel, ou de l’industriel four­ nisseur. Mais la question de la « liberté > du capitaliste de fixer ses prix a un autre aspect, beaucoup plus important. En réalité, cette liberté est une pure illusion. Les prix ne sont pas déterminés par le capitaliste (quoiqu’il puisse en penser) ; les prix sont dé­ terminés par la valeur ou par le prix de production ; ils résul­ tent à la fois des conditions de la production et de celles du mar­ ché. Ainsi, l’apparition des trusts et des cartels s’identifie à l'apparition d’une certaine « liberté » pour les monopoleurs de fixer eux-mêmes les prix. Cette liberté a pour pendant la nécessité pour les capitalistes non monopoleurs de subir les conséquences directes ou indirectes de ces p rii imposés (conséquences parmi lesquelles se trouve le transfert d’une partie du profit total aux monopoleurs). Le développement des monopoles équivaut en ce sens à un progrès vers la liberté, mais vers la liberté des monopo­ leurs, liberté limitée d’ailleurs par les conditions du marché qui ne permettent pas de hausser indéfiniment les prix ; si bien que les prix de monopoles sont, eux aussi, en dernière analyse, déter­ minés par le marché qui reste le maître tout puissant de l’écono­ mie capitaliste, organisée ou non. En conclusion, il apparaît donc que la législation sur les prix, dans son ensemble, si elle limite les droits du capital non monopoleur, accroît au contraire, et par voie de conséquence, les droits des monopoles.1 (1) Au sens général de ce mot, étant entendu qu’en on sens particulier le fascisme désigne un phénomène spécifiquement Italien ayant des carac­ tères historiques distincts du nasisme.

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le

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6) Le choix des liens financiers. Dans ce domaine, la liberté des capitalistes et entrepreneurs est entière ; ils peuvent choisir la ou les banques qu’ils veulent, ils peuvent accroître ou diminuer librement leurs participations à d’autres entreprises et c’est cette possibilité qui favorise le déve­ loppement des Konzern, comme nous le verrons aux chapitres suivants. 7) Liberté de la concurrence. De tout ce qui précède, il résulte que si les droits du capital en général ont été maintenus et même renforcés, il ne s’en est pas moins produit un déplacement de droits au profit du capital monopoleur, déplacement de droits qui ne peut avoir pour consé­ quence que de modifier l’aspect de la concurrence, d’en limiter le champ sans toutefois la faire disparaître entièrement. Pour mettre ce fait en lumière, il suffit d’examiner comment la concur­ rence se manifeste en Allemagne. Elle se manifeste : a) Par le maintien du « secret commercial ». b) Par le maintien des secrets de fabrication, avec tout ce que cela peut comporter d’entraves au progrès. Ces deux faits, à eux seuls, prouvent l’absurdité de ceux qui parlent d'une « planification nazie ». c) Par la lutte (des monopoleurs entre eux d’une part, des monopoleurs et des capitalistes non monopoleurs d’autre part) pour les matières premières, pour les machines, pour la maind’œuvre, pour les commandes (des particuliers ou de l’Etat), pour les subventions, pour les crédits, pour les capitaux, etc.... Cette lutte est, en définitive, le maintien de Vanarchie de la concur­ rence en dépit de l’apparition des formes monopolistiques. d) Par la manière même dont s’opèrent la concentration et Vorganisation économiques. D’une part, les fusions d’entreprises se font (ou même se défont) dans la majorité des cas, au gré des opérations de vente ou d’achat d’actions, au gré des opérations boursières ou bancaires (ce qui est la conséquence du régime de la propriété privée). D’autre part, les cartels sont dominés par les entreprises ou les groupes d’entreprises financièrement les plus forts. La concurrence continue à l’intérieur des cartels, en vue de la modification des rapports de force, au profit de tel ou tel groupe. La loi de la force (économique ou financière) continue à régir l’économie. En d’autres termes, il y a combinaison de la libre concurrence (sous des formes particulières où le mécanisme des prix de vente joue un rôle relativement secondaire) et du monopole ; la libre concurrence entraîne Vanarchie économique ;

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cette anarchie économique croit dans la mesure où les lois du marché régulatrices a posteriori, ont perdu de leur force. C'est ici que l'intervention de l'Etat représentant des intérêts « géné­ raux » du capital, apparaît comme une nécessité, mais une né­ cessité qui n'est admise par le capital financier qu’à condition qu’il ait acquis lui-même le contrôle de l'E ta t C’est de la même façon que les prévisions des monopoles relativement à la partie du marché contrôlée par eux, apparais­ sent comme une nécessité ; les limitations a priori de la produc­ tion (avec ce qu’elle représentent de régressif) sont à la fois un moyen de pallier l’anarchie de la production, dans les branches contrôlées par des monopoles (c’est en ce sens qu’il y a substitu­ tion d’une économie de monopole à une économie concurrentielle) et un facteur tendant à accroître l’anarchie dans les autres branches. En conclusion de cette section, consacrée à la propriété capi­ taliste, on peut dire que, si les droits du capital ont été mainte­ nus par le nazisme, on n’en assiste pas moins à certaines modifi­ cations dans les pouvoirs de décisions dont peuvent jouer les différents chefs d’entreprise. Ces modifications ont finalement favorisé l’accroissement de la masse de profits réalisés par le capital et entraîné une répartition de ce profit plus favorable au capital monopoleur. En ce sens, la restriction des droits des capitalistes non monopoleurs est simplement corrélative de l’ex­ tension des droits des capitalistes monopoleurs. Le renforcement des pouvoir de ces derniers s'exprime, aussi, dans le développe­ ment des Konzern et des cartels ; c’est ce développement que nous allons examiner maintenant.

C H A P I T R E III

LA CONCENTRATION ECONOMIQUE : LES CARTELS ET LES TRUSTS. La concentration industrielle aboutit à la formation de puissantes sociétés par actions, de trusts et de cartels dominant des branches entières de la vie économique ; nous allons exami­ ner les principaux aspects de la concentration industrielle en Allemagne au cours de ees dernières années. Cet examen, indis­ pensable pour avoir une vue nette de la structure économique du Reich (et du rôle joué par le grand capital monopoleur), sera di­ visé en trois sections successives : Section 1 : Tableau d’ensemble de la concentration ; Section 2 : La concentration des trusts et des cartels ; Section 3 : Liaison avec le capital mondial.

SECTION I

Tableau d'ensemble de la concentration· On peut avoir une première vue du développement de la concentration économique en Allemagne au moyen de statisti­ ques indiquant le nombre de suppressions et de fondations d’en­ treprises depuis 1933. En 1932, il y avait 361.866 entreprises, depuis lors on a : 1933 12.733 19.155 — 6.422

1934 15.540 19.103 — 3.563

1935 16.538 25.461 — 8.923

1936 17.789 25.528 — 7.739

1 1937___ 1 23.865 j 28.816 1 — 4.951

Autrement dit de 1932 à 1937 la diminution du nombre des entreprises est de 31.598 unités. De ce fait, le nombre absolu d’entreprises est tombé de 361.866 en 1932 à 320.268 en 1937, dont 94.000 pour l’industrie et 199.000 pour le commerce, soit une diminution de l’ordre de 9 %. Il y a là un signe certain de concentration, puisque pendant cette même période les investis-

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L*éC0N 01flB ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

sements se sont considérablement accrus, de même que le nombre des travailleurs employés. Cependant, pour prendre une vue plus précise de l'état de concentration en Allemagne, il est indispen­ sable de nous reporter aux statistiques relatives aux sociétés par actions et aux sociétés à responsabilité limitée. § 1. — Les

sociétés par actions.

Le nombre des sociétés par actions a subi l’évolution sui­ vante (1) : 1927 11.966

ί

1931

1933

1937

10.437

9.148

6.094

j 1938 [ j 5.518

1939 5.353

soit un recul de 43 % de 1933 à 1939. Pendant ce même temps, le capital action nominal (de plus en plus inférieur au capital dont les sociétés par actions disposent réellement, du fait du jeu des réserves et des amortissements (2) est tombé de 20.635 mil­ lions RM. à 20.334 millions RM. En fait, nous assistons à un recul du capital nominal jusqu’en 1937, il est alors au plus bas, avec 18.744 millions, depuis lors, il croit régulièrement (3). Le résultat de cette double évolution, c’est que le capital nominal moyen des sociétés par actions est passé de 2,2 millions en 1933 à 3,8 millions en 1939 ; ce qui indique un progrès considérable de la concentration des capitaux. Cette concentration apparaît encore plus forte si Ton considère la répartition des sociétés par actions d’après l’importance de leurs capitaux nominaux. On a le tableau suivant : ital — actions Montant du capital ____

Jusqu’à

plus de

5.000 50.000 100.000 500.000 1 million 5 millions 20 millions 50 millions 50 millions

! Nombre de i Capital (en 1 Sociétés i millions RM

RM I RM j RM RM j RM j RM , RM RM j RM !

36 200 290 1.687 842 1.629 474 132 63

! i

I !

0,2 4,4 17,0 402,4 542,3 3.403,2 4.181,8 3.807,3 7.976,0

(1) Pour l’année 1939, il s’agit du 31 décembre de l’année. (2) Les biens des nombreuses sociétés liquidées ont pu être achetés par d'autres, sans qu’il soit procédé à des augmentations du capital nominal. (3) La régression du nombre des sociétés ne traduit qu’en partie le nombre des suppressions : en 1937, il y a eu 1.162 suppressions de sociétés (par liquidation, incorporation ou transformation) et création de 52 sociétés avec un capital total de 590 millions (moyenne 11,3 m illions). En 1938, suppression de 614, fondation de 38 avec un capital total de 935 millions (moyenne 24,4 m illions). En 1939, suppression de 337, fondation de 172.

STRUCTURE DE L'AcONOMIB ALLEMANDE 03 ------------- ψ--------------------------------------------------------------------------------

Ainsi, les firmes des deux derniers groupes (de 20 à 50 mil­ lions de RM. et de plus de 50 millions) au nombre de 195, dispo­ sent d’un capital action de 11,78 milliards. En d’autres termes, 3,6 % des sociétés par actions disposent de 58 % du capitalactions allemand. En 1933, le sociétés ayant un capital-actions de plus de 20 millions étaient au nombre de 174 et disposaient avec 10.809 millions de 52,4 % du capital-actions allemand. Les progrès de la concentration sont donc indiscutables. Ces progrès apparaîtront encore plus considérables quand nous aurons étudié le développement des Konzerns car nous verrons alors que les 195 plus grosses sociétés allemandes contrôlent par le système des participations un nombre considérable de sociétés moins impor­ tantes. Pour en terminer avec cet aperçu de la concentration des sociétés par actions, il est bon de jeter un coup d’œil sur les deux secteurs les plus concentrés de l’économie allemande. Dans Vindiistrie extractive il y avait, en 1932, *51 sociétés disposant d’un capital-actions de 2.858,4 millions RM. (soit un capital moyen de 56 millions), en 1938 il n’y a plus que 29 socié­ tés disposant d’un capital-actions de 2.139 millions (le capitalactions ou capital nominal, est seul en recul ; l’actif de ces socié­ tés, le capital géré par elles, s’est au contraire accru, mais il n’en existe pas de statistiques d’ensemble) soit un capital moyen de 73 millions. Dans Vindustrie chimique, il y avait, en 1932, 464 sociétés disposant d’un capital nominal de 1.925 millions (soit un capital moyen de 4,1 millions) ; en 1938, il n’y avait plus que 254 sociétés disposant d’un capital nominal de 1.924 millioons (soit un capital moyen de 7,5 millions) les 7 plus grosses sociétés disposent, d’ail­ leurs, d’un capital-actions total de 1.163 millions (166 millions par société). § 2. — Les so c ié té s a re s p o n s a b ilité lim itée («. m. b. h .). Les sociétés à responsabilité limitée réunissent des capitaux beaucoup moins importants que les sociétés par actions, aussi nous leur consacrerons de moins longs développements. A la suite de l’inflation, un nombre énorme de G. M. B. H. avait été fondé ; fin 1923, il y en avait 71.343 ; mais depuis 1925 les suppressions sont plus nombreuses que les fondations et en 1939» il n’y a plus que 23.505 G. M. B. H. Mais plus importante que l ’examen de ce recul est l’étude des sociétés touchées par lu t En distinguant les grandes et les petites sociétés, d’après le montant de leur capital, on s’aperçoit qu’il y a diminution du nombre des petites sociétés et augmentation du nombre des très grosses sociétés, ce qui est

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l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

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un signe de concentration accélérée . Pour observer ce processus, nous disposons seulement de chiffres englobant la période 19361939, mais ils sont déjà très caractéristiques, les voici : réparti­ tion des G. M. B. H. d’après l’importance de leur capital (1).1 CAPITAL Josou’à

pins de

500 5.000 20.000 60.000 100.000 600.000 1 million 5 millions 20 millions 20 millions de

RM RM RM RM RM RM RM RM RM RM

fin 1936

fin 1939

907 2.103 5.866 19.076 4.104 5.563 808 714 92 18

391 976 2.660 10.950 2.896 4.114 704 685 104 25

39.249

23.505

Différence en % — 57 — 54 — 55 — 43 — 30 — 26 — 13 — 4,1 + 13 + 39 — 40

(1) Pour mieux caractériser encore cette concentration, il fant indiquer one d’après une statistique publiée en 1937 (et qui n’a pas été continuée depuis), sur 30.434 Q. M. B. H., il j en avait 4.703 à participation passive (c’est-à-dire auxquelles participaient d’autres sociétés), mais ces sociétés étaient parmi les plus importantes, elles représentaient 3£7 milliards R.M. sur un capital total de 4,o3 milliards, soit plus de la moitié de ce capital. La plus forte part de ces participations appartenait aux sociétés par actions ; nous aurons à revenir sur cette question.

STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

SECTION

M

II

La concentration des trusts et des cartels. La concentration capitaliste aboutit à un certain degré ό la formation et à l’expansion de monopoles capitalistes : trusts et Konzern, cartels, syndicats industriels et consortiums ; ainsi la concurrence engendre elle-même, de plus en plus, la limitation de la concurrence et la formation de grandes unités monopolisant la totalité ou la quasi totalité d’une branche économique. Ces monopoles, sur la base de la propriété privée, apparaissent spon­ tanément à un certain degré de concentration de l’industrie, à un certain degré de développement des forces productives. 11 n’y a pas de différence de nature efttre les diverses formes de mono­ pole capitaliste, toutes visent à ttû seul et même but : la domi­ nation d’une branche donnée de l’économie, afin d’obtenir un pro­ fit maximum. Toutefois, il est bon pbtir avoir une vision concrète des choses de faire ressortir les différences existant entre diver­ ses formes. Dans les trust# et lès Konzern (1) de nombreuses entreprises distinctes sont réunies et soumises à une direction uni­ que parce que la majorité des actions de ces entreprises appar­ tiennent à une même société par actions, à un même groupe fi­ nancier ou à une même famille. Dans le trust et le Konzern toutes les entreprises dépendantes ne forment plus, à vrai dire, qu’une seule et même entreprise, leur séparation est maintenue parce qu’une telle forme de domination indirecte présente des avan­ tages divers ; elle est possible avec un capital relativement plus faible que lorsqu’il faut dominer directement toutes les entre­ prises intéressées, elle présente des commodités de gestion, des avantages fiscaux, etc.... Dans les cartels, les syndicats industriels et les consortiums, il s’agit de groupements d’entreprises appar­ tenant à des capitalistes différents et qui ont décidé (volontaire­ ment ou par contrainte), tout en conservant chacun leur pro­ priété et leurs profits, de se concerter pour adopter une attitude commune et pour dominer la branche économique qu’ils repré-1 (1) Le Konzern se distingue en principe du trust par le fait que celui-ci, plus spécialisé que le Konzern, parvient plus facilement à la domination de l'ensemble d'une branche donnée de l'économie. Le Konzern — forme cou­ rante en Allemagne — ne parvient à une telle domination qu’en passant des accords avec les Konzern ayant un chanm d'activité analogue, d'où la coexis­ tence « classique > en Allemagne, des Konzern et des accords de cartel.

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sentent. Cette différence aboutit à ce que « à l’inverse de la trust!· sation. la cartellisation n’amène pas la disparition des antagonis­ mes entre les entreprises isolées adhérant au cartel > (1). Voyons donc comment est réalisée en Allemagne la concentration par voie de trust (ou Konzern) et de cartels (ou syndicats industriels et consortiums) et pour cela, procédons, d’abord, à un indispen­ sable historique. § 1. — H isto r iq u e .

On peut résumer de la façon suivante l’histoire des mono­ poles : 1°) Les années 1860 et 1870 marquent le point culminant et la limite du développement de la libre concurrence. Les mono­ poles ne sont que des embryons à peine visibles. 2°) Après la crise de 1873, on assiste à une période de large développement des cartels qui, néanmoins, sont encore l’excep­ tion. Ils manquent de stabilité et ils constituent encore un phé­ nomène transitoire. 3°) A la suite de l’essor économique de la fin du xix* siècle et de la crise de 1900-1003, les cartels deviennent une des bases de la vie économique toute entière. En ce qui concerne les cartels en Allemagne, leur nombre a varié de la façon suivante (d’après les estimations) (2). 1865 : 4 1875 : 8 1887 : 70

1888 : 75 1890 : 117 1896 : 250

1905 : 385 1925 : de 1.500 à 2.500 1911 : 600 1930 : 2.100 (3) 1922 : plus de 1937 : 1.700 (3) mille

Dans la cartellisation de 1925, se reflètent encore les condi­ tions exceptionnellement favorables à la concentration de la pé­ riode d’inflation d’où, ultérieurement, une tendance au recul. Cette tendance traduit d’ailleurs, à partir de 1933, une concen­ tration croissante. Le mouvement de cartellisation ne prend tout son sens que si l’on examine les branches économiques touchées par lui, ainsi que le mouvement de « trustisation > parallèle. Tout d’abord, il faut souligner que, dès 1905, les 385 cartels réunissent 12.000 des1*3 (1) HiLFBRDiNe. Organisât ionsmacht and Staatsgewalt. Neue Zeit, > an­ née, tome II, p. 140. (3) P. Haossmann, Kontern und Kartelle fm Zeichen der Wirtschaft* lenkung, lu rich -U ip tlx 1938, M. 38-39. (3) Estimation administrative qui ne tient pins compta des organisa­ tions cartellisées dans l’agrlctiltnre, la Banque, la Bourse, les transports et les assurances.

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plus importantes entreprises qui concentrent 50 % environ de la force motrice allemande (vapeur et électricité) (1). Le développement de ces trusts proprement dits commence en 1903-1904 (2). Il ne faut pas négliger, dès cette époque, la liaison étroite de la cartellisation et de la trustisation, c’est ainsi que dans de nom­ breux cas, des sociétés d’intérêts communs en se liant à des car­ tels de prix, forment les prémices et les succédanés de véritables trusts (le trust véritable au sens américain du mot, domine effec­ tivement une branche donnée de l’économie ; les sociétés d’inté­ rêts communs ne font que contrôler une partie importante d’une branche donnée). En 1916, par exemple, la Badische-Anilin und Soda Fabrik a conclu un accord de cartel avec Höchst pour les prix de vente de l’indigo artificiel. A côté des grandes ententes de l’industrie chimique, se forment aussi de nombreuses ententes dans l’industrie électrique et dans l’industrie minière. Une parenthèse intéressante est constituée par la première guerre mondiale où l’on enregistre un contrôle croissant de l’Etat sur les trusts et les cartels, par l’intermédiaire des offices de ma­ tières premières, du contrôle des investissements, de prescrip­ tions relatives h la spécialisation, à la normalisation, etc... Pen­ dant cette période se constitue une structure économique très voi­ sine de celle de l’Allemagne nazie, structure qui s’est complète­ ment écroulée au lendemain de la guerre. Comme le souligne Haussinann « la rapidité surprenante avec laquelle l’édifice com­ pliqué de la direction économique de guerre tombe dans l’oubli.12 (1) Certains cartels, dès leur fondation, dominent presque entièrement quelques branches d'industrie. Ainsi, le syndicat rhéno-wespnalien du char­ bon, fondé en 1893, détient déjà 86,7 % de la production houillère de la région qu'il contrôle : en 1910, ce pourcentage est passé à 95.4 (ce qui représente 56 % de la production allemande). Pendant cette même première d&ade du siècle, se constitue le syndicat de l'acier, contrôlant 43 à 44 % de la production nationale et le syndicat du sucre (raffineries) qui englobe 47 entreprises, mais détient 70 % de la vente sur le marché intérieur et 80 % des exportations de sucre. A cette même époque, se constituent les deux Konzern de l’électricité S ie m e n s - S c h u c k e r t et A.E.G. qui contrôlent 40 % de l’énergie produite. (2) C’est en octobre 1904 qu’est posée la première pierre, qui servira de fondement au Konzern de 17. G. F a r b e n in d u s tr ie , par la formation d’une société d’intérêts communs entre les H ö c h ste r F a r b e n w e r k e et la firme L é o ­ p o ld C a ssel la e t C1· G. Af. B . H ., ce qui entraîne la transformation de cette dernière en société par commandite, avec un capital actions de 10 m illions de M. et 10 m illions de M. d'obligations et l’échange d'actions entre les deux firmes. D’autres contrats du même genre sont conclus dans l’industrie chi­ mique, notamment entre la G e ls e n k ir c h e n B e r w e r k s g e s e lls c h a ft et le A a c h e n e r H u tte n o e r e in « Rote Erde », etc... En 1916, est fondé le grand trust chimique qui englobe déjà l’essentiel des usines de VI. G. F a r b e n in d u s tr ie . En 1920, a lieu sous la direction de Hugo Stinnes, la fondation de la S ie m e n s - R h e in E lb e S c h u c k e r t U n io n G . If. fl. H ., qui unit le trust de l’industrie lourde Rhein Elbe Union au Konzern électrique S ie m e n s - S c h u c k e r t.

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à la fin de la guerre et fait place à d’autres formes d’organisation révèle en combien peu de temps de tels organismes de contrainte, suscités par des nécessités économiques ou politiques particu­ lières, font place, dès que les nécessités disparaissent, à d’autres formes d’organisation normales » (1). Au lendemain de la guerre se développe un mouvement de Konzern et de cartels « qui se poursuit encore jusqu’à aujour­ d’hui (2) ». Tout d’abord, il faut signaler la formation d’orga­ nismes économiques communs à l’industrie houillère et à l’in­ dustrie de la potasse, puissantes formations privées qui fonction­ nent toujours. Puis, vient la période d’inflation qui favorise la constitution rapide des camels et des Konzern. Au lendemain de la stabilisation on assiste à un double processus : d’une part, une série de Konzern constitués sur des bases artificielles s’écroulent (Stinnes, Sichel, Kahn, Castiglioni, etc...) ; d’autre part, dans les industries chimiques, photographiques, des wagons, du linoléum, du laiton, etc... — et sous le mot d’ordre de la « rationalisation » — commence un mouvement qui tend, de plus en plus nette­ ment, à constituer des konzern semblables à de véritables tru sts. Ein même temps, se constituent des cartels dans l’industrie de transformation, cartels qui entrent en lutte contre les cartels de matières premières, de plus en plus puissants. Parallèlement, les cartels internationaux, notamment ceux de l’acier, du rail, des lampes à incandescence, concluent des accords avec les cartels allemands. Puis vient la grande crise qui entraîne des faillites retentissantes (Darmstadter Bank et Dresdner Bank) et un cer­ tain recul de la concentration sous forme de konzern et de cartels, c’est là que se place l’ordonnance contre les prix « non-économi­ ques ». Nous en arrivons ainsi à 1933. § 2. — L es konzern depuis la prise du PAR LE NATIONAL-SOCIALISME.

pouvoir

Pour étudier le mouvement des cartels et des trusts depuis 1933, nous procéderons de deux façons. D’une part, nous étu­ dierons le développement des participations ; d’autre part, nous examinerons individuellement les principaux Konzern (3). I) Le mouvement des participations. Fin 1932, sur 9.634 A. G. (Sociétés par actions) 4,060 étaient impliquées dans la formation de Konzern. Ces 4.060 sociétés réu-123 (1) Haussmann. « Konzerne... », o p . eit., p. 41. (2) Haussmajîn. « Konzerne... », o p. cit., p. 41. (3) Cet examen est fait partie dans la suite de ce chapitre, et partie dans l’annexe 1.

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nissaient un capital nominal de 18,8 milliards RM. sur un capital nominal total pour l’ensemble des A. G. de 22,3 milliards RM. En tenant compte aussi bien des participations actives que des parti­ cipations passives, on constate que 45 % des A. G. représentant 84 % du capital total des A. G. était impliqué dans les Konzern. On a une vue plus précise de la situation lorsqu'on sait que le nombre des A. G. ayant des participations actives, c'est-à-dire contrôlant d'autres A. G. était de 981 avec un capital de 14.417 millions, tandis que le nombre des A. G. contrôlées (à participa­ tion passive) était de 8.824, avec un capital de 17.557 millions. Fin 1935, soit 3 ans seulement après, sur les 7.840 A. G. exis­ tant alors et réunissant un capital de 19.556 millions, 822 A. G. avec un capital de 11.824 millions contrôlaient d’autres A. G. ; 60 % du capital de toutes les A. G. appartenait donc aux 11 % d'A. G. ayant des participations actives ; en même temps, 2.566 A. G. ayant un capital de 16.662 millions( soit 45 % des A. G. disposant de 85 % du capital total) étaient sous contrôle (1). En tenant compte aussi bien des participations actives que des parti­ cipations passives, on constate que 48 % des A. G. (42 % en 1932), représentent 90 % du capital total des A. G. (84 % en 1932) étaient impliquées dans les Konzern. Soit un progrès consi­ dérable de la trustisation en cette courte période. Si nous examinons comment a évolué le montant des parti­ cipations, par rapport au capital total de toutes les A. G. nous constatons les pourcentages suivants : 1931 1932 1933 1936

: 44,5 : 48,5 : 54,8 : 57,4

% % % %

Pour savoir comment la trustisation s’est développée au cours de ces dernières années, nous sommes obligés de nous reporter à une statistique plus restreinte qui ne tient compte que des A. G. les plus importantes. D'après cette statistique nous voyons que pour l’exercice 1932-1933, 2.627 A. G. réunissant un capital nominal de 15.597 millions déclaraient un poste titres et titres et participations de 7.119 millions, alors qu’en 1936, 3.036 A. G. réunissant un capital nominal de 17.426 millions décla­ raient un poste titres et participations de 9.619 millions (on (1) Comme l’indlouent les chiffres, les sociétés contrôlées sont souvent elles-mêmes des sociétés qui en contrôlent d'autres.

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passe donc de 45,8 % à 55,2 % du capital nominal des sociétés intéressées) ; il n’y a pas de statistique plus récente (1). 2) Les principaux Konzern. Si le nazisme a laissé se développer le mouvement de trustisation tel qu’il ressort des précédentes statistiques, si même il l’a favorisé, ainsi que nous le verrons (alors qu’il avait pour mot d’ordre « lutte contre les monopoles capitalistes », il n ’a pas non plus touché à la constitution économique et technique de ces grands organismes comme le reconnaît Haussman, économiste of­ ficiel allemand (2). Les principaux Konzern existaient déjà en 1932 ; ils ont seulement vu leur puissance s’accroître par la suite. Examinons l’un d’entre eux d’après les chiffres des bilans et les rapports des conseils d’Administration. L’I. G. Farbenindustrie est le plus important des Konzern allemands, avec un capital-actions originaire de 720 millions RM. A son actif on trouve, en 1939, des usines d’une valeur de 211,9 millions, des immeubles et magasins de 81,4 millions, des pro­ priétés non bâties de 86,8 millions, des machines de 236,3 mil­ lions, des stocks de 140 millions, des créances de 427 millions (1936), des participations de 278 millions, etc.... L’I. G. Farben distribuait, en 1939, 341,4 millions de salaires et faisait cette mê­ me année 698,9 millions de recettes brutes et 55,2 millions de bénéfices nets. Cette énorme société capitaliste emploie 25 % du personnel de toute l’industrie chimique allemande, possède 33 % du capital nominal de cette industrie et 40 % de la valeur des investissements, elle fournit 33 % de la production et 66 % des exportations de l’industrie chimique (3). Son rayon d ’action s’é­ tend en dehors de la fabrication des colorants proprement dits : à la pharmacie, aux produits photographiques, à la soie artifi­ ci) Ces statistiques ne réflètent pas toujours des mouvements réels, mais de simples jeux d'écritures. Ainsi, pour un certain nombre d'A. G., le montant des participations a dim inué, ce qui ne signifie pas un phénomène de déconcentration, car il s'agit dans l'immense m ajorité des cas, de filiales qui se sont fondues dans la société mère (cette diminution des participations reflète donc, au contraire, une concentration plus poussée). D’autre part, et surtout, les statistiques ne font pas ressortir la part des Konzern clans les différentes entreprises (part minoritaire ou m ajoritaire), ni l'importance de ces différentes entreprises ; d’ailleurs, même si l’on établissait la liste dé­ taillée de toutes les entreprises soumises à chaque Konzern, on ne pourrait pas aboutir à des conclusions précises, car la puissance effective des Konzern dépend aussi des contrats qui lient ces énormes organismes capitalistes privés aux différentes entreprises, des relations personnelles ou familiales des dirigeants des Konzern, des liens de cartels, etc... Ce que la statistique met à jour, c’est la base permanente de la puissance des trusts, l’évolution des participations (à un certain nombre d^erreurs près), c’est-à-dire l'éoo lution des rapports de propriété capitaliste. (2) H aussm ann. < Konzerne... », op. cit., pp. 93-94. (3) Haussmann. « Die Wirtschaftliche Konzentration... », BAle, 1940, p. 18.

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cielle, à la laine cellulosique, aux produits azotés, aux parfums, aux carburants, à la houille, etc.... Malheureusement, les compterendus d'activité ne permettent pas, et permettent de moins en moins, d'avoir des données précises sur la répartition des recettes entre les différentes entreprises, sur le montant des participations à Vétranger, etc.... Ce n'est qu’à la fin du compte-rendu de 1936 que l’on trouve un bref rappel du contrat conclu avec la filiale suisse : Internationale Gesellschaft für Chemische Unternehmung gen A. G. (I. G. Chemie) chargée de la gestion de la plupart des filiales étrangères de 1*1. G. Farben et fondée à Bâle, en 1928, au capital de 290 millions de francs suisses. Un contrat garantit à ΓΙ. G. Chemie un dividende égal à celui de ΓΙ. G. Farben ; ce contrat a été modifié en 1936 et la société distribue depuis des dividendes supérieurs à ceux de ΓΙ. G. Farben, ce qui a été rendu possible à la suite de l'accroissement des bénéfices de ΓAmerican /. G. (filiale américaine) et de la filiale Scandinave (Norsk Hydro). Toutes ces liaisons internationales ne sont pas mentionnées dans le compte-rendu officiel de ΓΙ. G. Farben. Il en est de même de l’existence (primordiale pour le mécanisme de la domination des monopoles privés sur le marché allemand) de sociétés d’intérêts communs avec d'autres Konzern, notamment : Riebeck-MontanRheinstahl (Mines et aciéries) et I. G. Farben, et Matthias Stinnes Mühlheimer Werk, cette dernière entreprise représentant la participation de ΓΙ. G. Farben à l’industrie houillère allemande. Enfin n'est nullement rappelé, non plus, le contrat conclu en 1927 avec la Standard Oil Company of New-Jersey (contrôlée par la Famille Américaine Harkness), ni la fondation en 1929, aux Etats-Unis, de la filiale directe Standard I. G. Company. Tel est le principal Konzern allemand, tel qu’il apparaît avec ses liaisons nationales et internationales. Il est pourtant moins puissant que les principaux trusts américains qui contrôlent souvent 80 % de la production de leur branche. La concentration économique a abouti en Allemagne, comme on peut le voir par l’exemple ci-dessus et par l'annexe 1, à la domination de l’économie par de gigantesques Konzern, propriétés privées soit d’une famille (Konzern personnels ou familiaux) soit d'un petit groupe de personnes (Konzern impersonnels) que l’on retrouve dans les principaux conseils d’administration de l’industrie et de la banque. En définitive, l’économie allemande est dominée par le grand capital, le nazisme n’a apporté aucun changement à ce fait, il n'a apporté aucune modification au fonc­ tionnement des Konzern, la forme de propriété qu'il a défendue est celle du grand capital. Quelquefois, on a voulu citer comme intervention de l’Etat

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dans les Konzern, la création des sociétés d’intérêts communs à caractère obligatoire. En réalité, l’Etat est intervenu ici, non pour briser les Konzern mais pour en créer. Concrètement, d’ailleurs, cette intervention est limitée aux besoins de Vindustrie de guerre et se fait dans Vintérêt du capital privé. Ces sociétés d’intérêts communs sont fondées lorsqu’on se trouve en présence d’une rentabilité incertaine. Au contraire, lorsqu’il est sûr qu’une en­ treprise ne peut être rentable, sauf par des procédés tout à fait artificiels, c’est l’Etat qui en prend la direction (dans l’intérêt de l’économie de guerre). L’exemple le plus frappant de société d’intérêt commun à caractère obligatoire nous est fourni par la Braunkohle-Benzin A. G. (Brabag) pour la fabrication de l’essence synthétique et par la Kontinental Oel A. G. (1). Tel est un des premiers aspects de la concentration capita­ liste en Allemagne : la domination des principaux secteurs de l’économie par les Konzern ; le second aspect est fourni par les cartels. § 3 . — L es cartels d epu is 1933. Les cartels ne peuvent jouer un rôle que lorsque la concen­ tration capitaliste est suffisamment avancée, du moins dans cer­ taines branches, pour qu’un accord pour la domination du mar­ ché puisse être conclu entre un nombre restreint de capitalistes mais lorsque la concentration capitafiste continue à se déve­ lopper et qu’une ou deux grandes sociétés, trusts ou Konzern, dominent effectivement le marché, les cartels deviennent inutiles. Le cartel est essentiellement un instrument de transition dans la voie de la trustisation, ce qui explique qu’aux Etats-Unis, où les trusts sont extrêmement puissants, les cartels ne jouent qu’un rôle relativement secondaire et qu’en Allemagne où les Konzern n’ont pas encore la puissance de véritable trusts, les cartels aient un rôle plus important. Cette observation explique aussi qu’en Allemagne, avec l’accroissement de puissance des Konzern, les cartels ont tendance à jouer un rôle moins décisif. Il est bon de rappeler ici que de 1932 à 1935 le capital des A. G. impliquées dans les Konzern est passé de 84 à 90 % du capital total des A. G. et que cette part a dû encore augmenter depuis, d’où un moindre besoin d’accords de cartels. Les cartels sont de simples accords par lesquels un certain nombre de firmes s’entendent, soit sur les conditions de vente, soit sur les prix, soit sur les quantités à produir ou à vendre par les différents adhérents. Une énumération des cartels n’offre qu’un intérêt restreint. Il suffit d’indiquer que des accords de (1) Voir annexe 2.

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cartels permettent aux capitalistes des branches les plus concentrées de dominer effectivement le marché des produits fournis par leurs entreprises, de fixer leurs prix (soit directement, soit en réglementant la production) et même de fixer leur bénéfice uni­ taire (cartels de comptabilité). Des accords de cette sorte ont une importance décisive dans la métallurgie (nous avons vu la liste des cartels auxquels participent les Vereinigte Stahlwerke), dans Tindustrie houillère et dans l'industrie de la lignite, dans les industries de la potasse, des glaces, du matériel électrique, du papier journal, des pâtes à papier, des produits acétiques, du car­ bure de calcium, du sulfate de soude, de l'azote, de la céruse, du ciment, des couleurs d’aniline, des dérivés iodés, etc., etc.... Le nombre de ces ententes capitalistes, destinées à organiser le mar­ ché, et encore plus à organiser le dépouillement du public, était de 1700 en 1937 (chiffre plus réduit qu'en 1931 et qui indique un progrès de la concentration). Aux cartels « volontaires », l'Etat a ajouté, à la demande du grand capital, des branches qui n’arri­ vaient pas à s'organiser, un certain nombre de cartels obligatoi­ res (1). Pour bien préciser le rôle de ces formations dans la struc­ ture économique de l’Allemagne nationale-socialiste, nous allons examiner séparément, à l'aide d'exemples, les cartels « volon­ taires » et les cartels obligatoires. 1°) Les cartels t volontaires ». Le terme de « volontaire » doit être compris en ce sens qu’il n’y a pas pour les industriels d'obligation légale d'adhésion, mais cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas pour eux d'obligation écono­ mique. En fait, c’est ce qui se passe. C’est ce que Kestner appelait « la contrainte à l’organisation ». Le rôle des cartels volontaires, qui était très étendu au début du siècle alors que la concentra­ tion était moins prononcée, se trouve quelque peu réduit, du fait de la concentration accrue ; désormais un grand nombre d’ac­ cords sont passés directement entre les Konzern, sans prendre la forme de cartels et le rôle de ceux-ci est « restreint » aux ques­ tions de vente, de prix, de débouchés et de répartition de matiè­ res premières quelquefois de fixation du bénéfice unitaire. Mais prenons un exemple. (1) Il faut indiquer qu’au cours de la guerre s’est dessiné un mou­ vement de c o n c e n tr a tio n e t d e r a tio n a lis a tio n d e s c a r te ls , mouvement devant aboutir à - regroupement des cartels, donc à une réduction de leur nombre. Au début de 1943, sur 2.200 cartels qui existaient alors (au dire de la presse économique allemande), on estimait pouvoir n’en laisser subsister que 600 environ, qui reprendraient les t&cbes des disparus. Sur ces 500, 250 environ devaient avoir la forme de syndicats de producteurs. Ces cartels devaient être entièrement intégrés au système de répartition des matières premières, des commandes et des produits. Ce projet de € concentration cartellaire » a connu un début de realisation.

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Le Syndicat Houiller rhéno-wesphalien, qui existe depuis 1893, a été renouvelé chaque fois que l’accord venait à échéance, le dernier renouvellement d’avant-guerre a eu lieu en 1937, pour une période se terminant au 31 Mars 1942. A cette date, l’accord a été à nouveau prorogé. Ce syndicat est, depuis de longues an­ nées, principalement, un cartel de répartition des commandes. Les commandes sont réparties entre les adhérents d’après des normes fixées dans le contrat de cartel, afin d’éviter la concur­ rence directe (1) entre les adhérents, concurrence génératrice de la baisse des prix. Il s’agit, en définitive, comme pour tous les mo­ nopoles, de maintenir les prix durablement au-dessus de la va­ leur, ce qui revient, pour les capitalistes du secteur cartellisé à s’approprier une part supplémentaire de profit (2) (3). Dans un certain nombre de cas, dans les branches qui ne sont pas fortement concentrées, comme le textile par exemple, on voit se former des cartels de comptabilité, destinés à calculer le prix de revient de chaque entreprise, de manière que chacune d’elles fasse le même bénéfice unitaire, parce que vendant à un prix plus ou moins élevé. Un tel système laisse subsister la concurrence, mais elle la « réglemente », en ce sens que la concur­ rence « déloyale » est impossible (du moins théoriquement). Ce système laisse la possibilité de fonctionner de façon rentable même aux entreprises ayant un prix de revient élevé, le prix de vente de chaque entreprise étant proportionné à son prix de revient. Cette possibilité n’existe d’ailleurs que s’il n’y a pas encombrement du marché, mais pénurie ; en période d’encom-123 (1) La concurrence in d ir e c te génératrice de progrès technique est main­ tenue, en ce sens que la répartition des commandes, se faisant sur la base de la puissance économique des différents adhérents au moment du renou­ vellement de l’accord, chacun d’eux peut avoir intérêt à accroître son po­ tentiel de production. (2) Ce qui est caractéristique de l'état avancé de la concentration alle­ mande, c’est que certaines entreprises se sont senties assez puissantes pour résoudre pratiquement, en dehors du syndicat, des problèmes comme celui de la production de pétrole synthétique, en partant de la houille (Procédé Fischer Tropsch), et celui de la distribution du gaz à grande distance. Ces problèmes ont été résolus, soit par les entreprises séparément, soit en fondant des sociétés d’intérêts communs (en dehors du syndicat) ; c’est ce qui a eu lieu pour le gaz, pour la fondation de la R h u r -G a s A.G . Par contre, dans le domaine de l’industrie électrique, le syndicat a dû intervenir, c'est ainsi qu’en août 1937 a été fondé, en fonction avec le syndicat houiller rhénowestphalien, Y E le c tro G e m e in s c h a fts u n te r n e h m e n s des houillères de l’ouest, sous la firme : S te in k o h le n - E le c k tr iz itâ ts A. G., au capital minimum de 600.000 RM., car le capital effectivement nécessaire ne pouvait encore être prévu ; depuis lors, le capital de cette société, dépendant étroitement du syndicat, a dû être porté à 40 millions RM. La société, h laquelle participent tous les puits adhérents au syndicat, a décidé notamment, en tant que repré­ sentante des intérêts électrique des houillères rhéno-westphaliennes, de con­ clure un accord avec les V e re in ig te E le k tr iz itä ts w e r k e A . G. d e D o r tm u n d , pour une production commune d’énergie électrique, au moyen de la houille du bassin rhéno-wesphalien. (3) On trouvera d’autres exemples dans l’annexe n· 9.

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brement, il est évident que les firmes qui voudraient vendre plus cher que les autres ne pourraient écouler leur production. Le cartel de comptabilité ne peut donc jouer un rôle utile que dans une économie de guerre. 2°) Les cartels obligatoires. En vertu de la loi du 15 Juillet 1933, l'Etat peut réunir les entreprises d’une branche donnée de la production, en un cartel obligatoire. 11 s'agit ici d’une forme nouvelle de la contrainte à « l’organisation » par les grands Konzern. Lorsque la contrainte économique exercée par ces derniers n’agit pas assez efficace­ ment, il se tournent vers l’Etat, et lui demandent de les aider au moyen de la contrainte légale. La loi de 1933 est un succès pour le capital monopoleur, mais ce succès n’est pas le premier de ce genre. Dès 1910, les grandes sociétés de potasse obtenaient une loi formant le cartel obligatoire de la potasse ; en 1920 a été fondée de la même manière, l’entente obligatoire (depuis dis­ soute) de la sidérurgie ; en 1930, l’entente de l’industrie du sucre, en 1932 de nouveaux cartels sont fondés et notamment le cartel obligatoire de la navigation sur l’Elbe. La loi de 1933 donne sim­ plement aux Konzern de nouvelles possibilités : possibilité d’im­ poser la formation d’un cartel, possibilité d’obliger légalement les indépendants à entrer dans un cartel déjà existant, possibilité d'évincer toute nouvelle concurrence en interdisant la construc­ tion de nouvelles entreprises ou l’extension des anciennes (ce qui permet de hausser ou de maintenir abusivement les prix, etc...). Comme la réalité l'a montré, les Konzern ne se sont pas fait faute d’utiliser ces possibilités. Le lien étroit qui existe entre les cartels volontaires et les cartels obligatoires, apparaît nettement dans ce double fait : tan­ tôt des cartels obligatoires se transforment en cartels volontaires, tantôt, inversement, des cartels volontaires, venant a échéance, ne peuvent être maintenus que sous la forme des cartels obli­ gatoires. Ainsi les cartels de l’industrie sidérurgique n ’ont pu être renouvelés volontairement en 1940, du fait du désaccord d’une minorité relativement aux clauses à y insérer ; ces cartels ont alors été prorogés, pour un an, sous forme obligatoire. Au con­ traire, en 1941, ces mêmes cartels ont été prorogés de façon vo­ lontaire jusqu’au 30 Juin 1942 (1). Il n’est pas inutile de souligner que même dans le cas où la constitution d’un cartel obligatoire a une autre « utilité > que de (1) O sont là des accords qui en pleine guerre, continuaient à prévoir des pénalités pour les-usines dépassant le pourcentage de production à elles assigné par les accords.

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L’ÉCONOMIE ALLEMANDS SOUS LE NAZISME

venir en aide aux monopoleurs, elle ne leur rend pas moins service. Ainsi, avec le développement de l'économie de guerre, il a été de plus en plus nécessaire de créer des offices de répartition9 chargés de répartir les produits en assurant la priorité aux be­ soins de l'armée, puis aux exportateurs, etc.... En fait, ce sont les cartels que les nazis ont le plus souvent promu au rang d’office de répartition (1). C'est pourquoi, lorsque la répartition doit être réglementée dans une branche où il n’existe pas de cartel, ou des cartels trop peu puissants, on se sert de la procédure des cartels obligatoires dont l'Etat nomme les dirigeants. Or, ces dirigeants sont toujours les monopoleurs. Prenons un exemple. Au début de la guerre, il a été nécessaire de constituer un office de répartition des piles et batteries d’accumulateurs, ce qui a eu lieu par une ordonnance du 13 Novembre 1939, prise en application de la loi de 1933. L'ordonnance dispose, en résumé : § 1. — Les entreprises fabriquant des piles et des batteries d’accumulateurs sont réunies en office de répartition des piles et batteries. § 2. — 1) L’office de répartition a pour tâche de prendre soin de la répartition, conformément aux besoins de l’économie natio­ nale, des commandes importantes de piles et de batteries. 2) L’office pourra être chargé d’autres tâches. 3) Les ordres et les avis de l’office devront être suivis par les membres. § 3. — En cas de protestation contre les ordres et les avis de l’office, la décision dépend du chef de groupe de l’industrie électrique (qui est lui-même un gros monopoleur). § 4. — 1) Un conseil sera formé auprès de l’office, il sera formé de fabricants de piles et de batteries. 2) Le conseil doit surveiller la réalisation de la répartition et poser les principes de celle-ci. Le conseil règle les détails de la répartition des commandes importantes. Un tel texte met en lumière que les offices de répartition des commandes, loin d’être des organismes bureaucratiques et l’ex(1) Lorsque, du fait de l’importance des commandes publiques et du plein emploi des entreprises de l’industrie lourde, ainsi mie du fait de· restrictions apportées aux importations il a été nécessaire de procéder à la répartition des produite Industriels — afin de satisfaire par priorité les besoins considérés comme le» plus urgents et d’éviter la hausse brutale des — on a intégré les cartels au système de répartition qui s’est constitué. ÊInrixfait, les organismes publics ne sont chargés que des aspects les plus gé­ néraux de la répartition, tandis que lef cartels — organismes privés — sont chargés de la sous-répartition.

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pression de la main-mise de l’Etat sur l’économie sont, tout sim­ plement, des cartels. Mais la Kartell-Rundschau de décembre 1039, (pages 609 et suivantes), à laquelle nous empruntons cet exemple, montre en même temps le lien étroit existant entre car­ tel volontaire et cartel obligatoire. En effet, dans notre exemple, a été promu au rang de cartel obligatoire le Reichwerband der Batterienindustrie (Association de l’industrie des batteries) qui existait depuis de nombreuses années et qui réunissait déjà les 3/4 de la production. Tandis que jusque-là l’association ne groupait, sur les 50 firmes productrices d’Allemagne, que les 6 plus importantes, les autres ayant préféré rester en dehors de ce cartel constitué par des monopoleurs dominant le marché de façon décisive, la loi est venue obliger les dissidents à entrer dans le cartel.

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l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

SECTION III

Liaisons avec le capital étranger. Pour avoir une vue complète de la domination du capital monopoleur sur l'économie allemande, il faut ajouter que cette domination était exercée en collaboration avec le capital étranger. Ceci de deux façons : soit du fait de l’investissement des capitaux étrangers en Allemagne soit du fait de la participation à des cartels internationaux. C’est sans doute de cette façon que le nazisme a pu s’affirmer « national > après s’étre affirmé < socia­ liste >. § 1. — Les

investissements étrangers.

Il est extrêmement difficile de suivre le mouvement des in­ vestissements étrangers en Allemagne, car on assiste dans ce domaine au jeu de deux tendances contradictoires. D’une part, en effet, les emprunts étrangers proprement dits ont complète­ ment cessé, après 1933, et les entreprises allemandes ont pu, grâce à leurs bénéfices croissants, rembourser la plus grande partie de leurs dettes étrangères. D'autre part, l’emprise réelle du capital international a eu tendance à s’accroître en conséquence de deux faits : l ü) Les limitations apportées aux transferts des capitaux étrangers ont eu pour résultat que ceux-ci ont été obli­ gés de rester en Allemagne, si bien que les créanciers étrangers transformaient les sommes qui leur étaient remboursées en parti­ cipations à des entreprises allemandes. 2°) Les entreprises fon­ dées par le capital étranger participaient comme les entreprises allemandes à la conjoncture d’armement, elles voyaient aussi leurs profits augmenter à une allure vertigineuse et, ne pouvant transférer qu’une partie de ces profits, elles investissaient le reste dans l’économie allemande. Ainsi le trust anglais Unilever a étendu le réseau de ses participations à l’industrie du papier, Brown Beveri (filiale de la Westinghouse) à l’industrie électrique (Siemens était lié par contrat à Brown Beveri) etc.... La plus grande firme automobile allemande Opel (à laquelle participait la Général Motors) (1) a considérablement étendu ses établisse­ ments, et la Société Ford (filiale de la Ford américaine) a suivi la même voie, etc... (Siemens, par ailleurs, était lié par voie de participations à la General Electric Co). (1)

P r ie s t e r , < Das Deutsche Wirtschaftswunder », op. e it., p. 38.

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En définitive, il semble que la puissance effective du capital étranger (puissance qui se traduit bien plus par des investisse­ ments que par des crédits) se soit accrue sous le régime nazi. Indiquons que la firme Opel a vu son bénéfice brut passer de 36,3 millions en 1933 à 157,4 en 1939. Pour Ford, les chiffres correspondants sont 0,4 et 21,2 millions (1). Il n’est pas sans intérêt de noter que c’est surtout avec le capital industriel et bancaire britannique que le capital allemand entretenait, depuis de longues années, des liaisons particuliére­ ment étroites. Un exemple particulièrement frappant de ces liai­ sons sont celles qui existaient entre la grande banque anglaise Schrœder and Co. et le Baron Kurt von Schrœder, nommé € chef > du système bancaire allemand, au sein du groupe du Reich de la Banque. Citons aussi le groupe Mannesmann Röhren Werke qui était en réalité un groupe germano-anglais disposant de plusieurs filiales en Angleterre, aux conseils d’administration desquelles siégeait M. Arthur Chamberlain, le cousin du Premier Ministre, signataire des accords de Munich. De même encore, indiquons les liens qui existaient entre le trust Courtaulds et la Vereinigte Glanzstoff (qui avaient fondé à Cologne une société d’intérêts communs). Indiquons, enfin, que Siemens disposait de plusieurs filiales anglaises, notamment la Saint Helens Cable and Rubber Cy, au conseil d’administration de laquelle se trouve M. John Fergussen, administrateur de plusieurs affaires de la fa­ mille Chamberlain. § 2. — L es

cartels internationaux.

L’Allemagne, après la France, était le pays dont le capital monopoleur participait au plus grand nombre de cartels inter­ nationaux. L’Allemagne, à la veille de la guerre, participait à 57 cartels internationaux, la France (avec ses colonies) à 66 et l’Angleterre à 40 (l’U.R.S.S. ne participait qu’à 2 cartels de matiè­ res premières: le bois et le platine) (2). Avant de donner quelques indications sur l’objet de ces ententes, il faut bien comprendre la signification théorique de la participation du capital mono­ poleur d’un pays à un cartel international. Cette signification est la suivante : ce capital accepte de limiter son activité (soit dans la production, soit dans l’exportation), de l’assujettir aux condi­ tions posées par le cartel international. A ce point de vue, on peut dire que des branche essentielles de l’économie allemande12 (1) JEn Avril 1941, F ord a porté son capital de 20 à 32 millions de marks. (2) Cf. L. Ballande, Les ententes économiques internationales. Paris, 1937.

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L’ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

étaient contrôlées (en dépit des affirmations du national-socia­ lisme) tout au moins partiellement, par le capital international. Les principaux cartels internationaux auxquels l’Allemagne a donné son adhésion sont les suivants : acier, aluminium, azote, ciment, couleurs d’aniline, dérivés iodés, fer blanc, feuillards, rail, papier journal, produits acétiques, rayonne, câbles armés, glaces, verres de lunettes, brome, 14 produits pharmaceutiques, 6 produits chimiques, etc.... Ces quelques indications, relatives aux investissements étran­ gers et aux cartels internationaux, suffisent à mettre en lumière Timportance des liaisons qui existaient entre le capital allemand et le capital étranger.

En résumé, on assiste, sous le régime nazi, à un accroisse­ ment constant et régulier de la puissance du capital monopoleur. Cet accroissement de puissance s’opère de deux manières, d’une part grâce à un processus de trustisation accéléré (développement des Konzern) sur lequel nous aurons encore â revenir, pour met­ tre en lumière le rôle joué par les lois nazies, d’autre part par la puissance accrue que les cartels donnent aux Konzern. Nous nous arrêterons un instant sur ce dernier point. Les cartels, dès leur apparition, tendent à constituer des monopoles capitalistes visant à porter au maximum le profit des capitalistes qu’ils groupent. Le cartel, cependant, laisse aux dif­ férentes entreprises une indépendance relative, indépendance qu’ignorent les entreprises qui font partie d’un trust ou d’un Konzern. Avec l’accroissement de puissance des Konzern eux-mê­ mes, la nature des cartels se modifie ; ceux-ci deviennent de plus en plus rinstrument du Konzern adhérent le plus puissant, qui acquiert ainsi, pratiquement, une puissance égale à celle d’un trust. Comme le reconnaît l’économiste allemand, Haussmann, quand un Konzern participe pour 30 à 50 % aux accords de cartels, comme c’est maintenant le cas de façon courante, il est évident qu’une telle part dans la production et dans les débouchés, liée à la puissance du capital que cela suppose et aux possibilités d’action que cela permet, donne au Konzern une influence déci­ sive sur le marché. « Mais il en résulte qu’en Allemagne aussi, peu à peu les Konzern les plus importants se transforment en trusts typiques avec cette différence, par rapport à l’Amérique, que le Konzern exerce son influence sur le marché non directe­ ment, mais par la voix indirecte de son influence dans les cartels intéressés ». (1) (1)

Haussmann, < Kartelle.... », op. e i t , ρ. 122.

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De tout ce qui précède, ii résulte que l’économie allemande, sous le régime nazi, était de plus en plus, entre les mains des trusts, que la forme de propriété sur laquelle reposait l’Etat nazi, que la forme de propriété qu’il maintenait, qu’il sauvegardait, qu’il défendait et qu’il accroissait était ta propriété capitaliste de quelques monopoleurs. Sur une telle base, il ne peut y avoir d’autre c direction > de l’économie par l’Etat qu’une direction conforme aux intérêts du capital monopoleur. Penser que, sur cette base, il puisse y avoir une politique différente, c’est ignorer les nécessités économiques et sociologiques élémentaires. Il est trop évident que toute mesure heurtant les intérêts essentiels des monopoleurs aurait rencontré leur opposition, opposition toute puissante. Les monopoleurs ont entre leurs mains tous les < le­ viers de commande », toutes les possibilités d’action ; ils ont l’argent qui sert à corrompre les fonctionnaires, ils ont les moyens de production, ils ont, en liaison avec les banques (nous reviendrons sur ce point), la maîtrise absolue du crédit et des finances et la possibilité de réduire du jour au lendemain l’Etat à la faillite. L’Etat, dans ces conditions, ne peut rien faire contre le capital monopoleur, il ne peut que Voider, être son serviteur et son valet. Le fait qu’il en a effectivement été ainsi apparaît avec une extrême clarté quand on étudie les bilans des grandes socié­ tés industrielles, ce que nous ferons dans la 4* partie de cette étude.

C H A P IT R E

IV

LES GRANDES BANQUES ET LES COMPAGNIES D’ASSURANCES. Comme Tont démontré tous ceux qui se sont penchés sérieu­ sement sur le développement récent du capitalisme, celui-ci n'est pas caractérisé seulement par la puissance effective et le rôle des monopoles, mais encore par le rôle de premier plan qu'y jouent les banques. Au cours du xix* Siècle s’est affirmée la prédominance du capital industriel. Au χχ· Siècle, on voit les grands organismes bancaires prendre de plus en plus possession, d’une façon ou d’une autre, du capital industriel. Ce fait a une importance déci­ sive et entraîne la transformation du capital bancaire lui-même. Cette prise de possession s’opère, le plus souvent, par voie de fusion du capital bancaire et de cette partie du capital industriel qui a déjà un caractère de monopole. Le résultat de cette fusion, c’est le capital financier. A mesure que se développent les opéra­ tions bancaires et qu’elles se concentrent dans un petit nombre d’établissements, les banques se transforment, et de simples inter­ médiaires qu’elles étaient, deviennent de puissants monopoles disposant de presque tous les fonds des capitalistes et des petits propriétaires. Cette transformation de nombreux petits intermé­ diaires modestes en un nombre réduit de monopoleurs constitue un des processus essentiels de la transformation du capitalisme. C’est cette transformation qu’il faut avoir présente à l’esprit pour comprendre la portée nouvelle du phénomène d’exportation des capitaux à notre époque. Le rôle joué en Allemagne par le capital financier, produit de Vinterpénétration des banques et des mono­ poles industriels remonte au début du xx* Siècle. Dès cette époque le nombre des très grandes banques allemandes n’est plus que de neuf, étroitement liées entre elles par des « communautés d’in­ térêts s et à l’industrie par le système des participations (1). Dès cette époque, ce sont les mêmes personnages (Siemens, Krupp, etc...) que l’on trouve dans les conseils d’administration des grands Konzern et des grandes banques. dès cette époque, un (1) 11 est bon de rappeler que les chiffres précédemment cités, relatifs aux participations, comprennent aussi les participations des banques à l’in­ du strie ; la proportion de ces participations est même considérable, comme l’indiquent les bilans des granaes banques.

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L'ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

économiste comme Lansburgh pouvait affirmer que < les 300 personnes qui gouvernent aujourd’hui économiquement l’Allema­ gne se réduiront avec le temps à 50, 25 ou moins encore », pré­ diction qui était en voie de réalisation, comme le montre le déve­ loppement de la concentration bancaire au cours des dernières années. Le nazisme n’a fait que favoriser cette évolution, il ne pou­ vait d’ailleurs guère s’y opposer, car défendant la propriété pri­ vée, il devait en admettre toutes les conséquences, y compris le développement du capital financier. Pour donner une première vue de la concentration des éta­ blissements financiers au cours des cinq premières années de la domination nazie, indiquons que le nombre des sociétés par actions s’occupant de banque, de bourse et d’assurances est tombé de 915 en 1932 ä 513 en 1938, tandis que le capital moyen de ces sociétés passait de 4,2 à 5,4 millions RM. soit une augmentation de 28 % en cinq ans (1). Mais ces chiffres n’indiquent pas encore l’accroissement de puissance des grandes banques et des grandes compagnies d’assurances ; on n’a une idée exacte de cet accrois­ sement qu’en examinant le développement de l’activité de ces instituts.

(1) De fin 1937 à fin 1943. le nombre des banques constituées sons for­ me de sociétés par actions a encore considérablement diminué ; il est tombé de 348 k 333, alors que le montant des bilans de ces banques est passé de 16 à 46 miUiards RM.

STRUCTURE DB L'ÉCONOMIE ALLEMANDS



SECTION I

Lm grandes banques. Sur les neuf banques qui, au début du xx* siècle, représentent l’essentiel de l’appareil bancaire allemand, quelques-unes sont déjà nettement en tête des autres. Il en est ainsi de la Deutsche Bank, de la Diskonto Gesellschaft, du Schaffhausenschen Bank­ verein, de la Commerzbank, de la Dresdner Bank, et d l^Ia Darmstaedter Bank. Ce sont presque les mêmes établissements que l’on trouve à la tête du système bancaire allemand à la veille de l’arrivée au pouvoir des nazis. Ainsi, l’on retrouve la Deustche Bank, mais agrandie par sa .fusion avec le Schaffhausenschen Bankverein (en 1914) et avec la Diskonto Gesellschaft (en 1929), la Commerzbank (fusionnée, entre autres, avec l’importante Pri­ vât Bank) ; la Dresdner Bank ; la Berliner Handelsgesellschaft (agrandie depuis 1919) ; on trouve, en outre, la Reichskredit­ gesellschaft, banque de caractère public, puisque banque de la Viag (Konzern public dont nous aurons à reparler). Enfin, à la veille de la guerre, comme au début du siècle, nous trouvons la Reichsbank, banque d’émission semi-publique, dont le rôle est limité à la sphère de la circulation, c’est-à-dire au réescompte et aux opérations sur les titres publics, mais qui n ’a aucun rôle, ni dans le placement des grands emprunts industriels, ni dans le jeu des participations, ni dans l’octroi des crédits à long terme au commerce et à l’industrie et qui, par conséquent, ne nous inté­ resse pas ici, puisque nous nous occupons de l’interpénétration du capital bancaire et du capital industriel interpénétration qui a donné naissance au capital financier. Ce capital financier est (à l’exception près de la Reichskreditgesellschaft) essentiellement privé, il est représenté par les grandes banques que nous venons d’énumérer, et dont nous allons indiquer le développement d’ac­ tivité à partir de 1933 (1). L a D eu ts c h e B ank .

La Deutsche Bank, était, à la veille de la guerre, la plus importante des banques allemandes, son capital qui était de 130 millions jusqu’à fin 1941, a été porté alors à 160 millions RM. (26 millions de ces nouvelles actions étant offertes dans la proportion de 1 contre 5 aux anciens actionnaires). A (1) l'annexe 3.

Cet examen est fait partie dans la suite de ce chapitre, partie dans

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L’ÉCONOMIE

a l l e m a n d e s o u s l e n a z is m e

partir de 1935, le champ d’action de la Deutsche Bank s’est accru d’année en année. Elle a une position dominante dans l’industrie lourde. Lors de l’entrée en guerre de l’Allemagne, elle possédait, depuis longtemps déjà, une filiale en Turquie, une en Bulgarie (Credit Bank de Sofia). En 1938, elle a été appelée à participer à concurrence de 25 % à la Creditanstalt de Vienne, par le rachat d’une partie des actions appartenant à l’ancien Etat autrichien (la majorité — 51 % — est restée cependant à la banque publique Reichskreditgesellschaft). En 1940, ayant porté ses réserves à 66,5 millions, elle dispose, avec ses 160 millions de capital, de fonds à elle s’élevant à 226,5 millions, ce qui la met à la tête de toutes les banques allemandes ; son champ d ’action s’est d’ailleurs encore étendu par la fondation de succursales à Brûx, Cracovie, Bielitz, Teschen, Memel, Oderberg, Loez, Posen, etc... ; en même temps, dans les Sudètes, elle a repris les filiales de la Boehmische Union Bank et les 3 filiales de la Deutsche Agrar und Industriebank. Au Luxembourg, elle est à la tête de la Banque Générale du Luxembourg. En Slovaquie, elle participe à l’Union Bank de Presbourg. Le système bancaire tchèque et slo­ vaque de la Deutsche Bank lui permet, en même temps, de domi­ ner solidement l’industrie lourde de ces pays. L’occupation de la France renforce encore ses positions ; ainsi, en Janvier 1941, la filiale tchèque, la Boehmische Union Bank ,a racheté à l’Union Européenne Industrielle et Financière (groupe Schneider-Creusot) son paquet d’actions de la Berg und Hüttenwerke A. G. (mines et hauts-fourneaux). En Hollande, la Deutsche Bank a acquis un paquet d’actions de 10 millions de florins du Konzern Algemeene Kunstzidje Unie N. V. En Roumanie, elle a racheté les partici­ pations belges de la Banca Commerciale Romana de Bucarest, cette banque, au capital de 300 millions de Lei, doit être le point d’appui en Roumanie des intérêts pétroliers de la Deutsche Bank. Au total, de 1937 à 1940, les participations bancaires durables de la Deutsche Bank sont passées de 37 à 70 millions RM. En Allemagne, la Deutsche Bank, outre ses nombreuses agen­ ces de Berlin, disposait au début de 1940, de représentations sur 303 places sous forme de 131 succursales, 138 agences et 34 gui­ chets de paiement. Si on y ajoute 138 caisses urbaines de dépôt, le total des représentations dont disposait alors la Deutsche Bank était de 487. En 1939, le nombre des employés de la Deutsche Bank était de 19.000 (sur un total de 55.000 employés de banque pour toute l’Allemagne). La Deutsche Bank déploie alors une énorme activité finan­ cière ; presque toutes les émissions industrielles passent entre ses

8TRUCTURB DB L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

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mains. En 1939, elle participe, avec d’autres banques, à 82 consor­ tiums d’émissions d’actions. De même, pour les obligations, de fin Avril 1939 à Mars 1940, la Deutsche Bank participe à 82 consor­ tiums (avec d’autres banques) d’émissions d’actions. De même pour les obligations de fin Avril 1939 à Mars 1940, la Deutsche Bank a participé à 3Θ emprunts industriels, d’un montant de 924 millions (il n’y a eu, pendant cette période, que 2 émissions d’obligations auxquelles la Deutsche Bank n'ait pas participé). L’importance croissante de ces opérations explique la croissance constante des recettes de cet établissement financier (1). Les comptes-créditeurs de la Deutsche Bank ont évolué com­ me suit : Comptes-créditeurs de la Deutsche-Bank (en millions RM.) 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940 1941 1942 1943 2813 2610 2330 2344 2395 2555 2867 3237 4171 5172 5718 6528 La progression, ici, a été plus rapide et plus ample que pour la Dresdner-Bank. Nous ne pensons pas utile de donner des indi­ cations détaillées sur l’évolution des portefeuilles < effets » et Bons du Trésor ; indiquons, seulement, que le premier s’est monté, successivement à 475 millions en 1933, & 770 millions en 1939 et 941 millions en 1943. Tandis que, pour les mêmes années, le second a atteint ; 251 millions, 1.148 millions et 4.635 millions.

(1) Il est k noter d'ailleurs que les petits actionnaires ont participé bien faiblement à ces recettes ; le conseil d’administration, en effet, avait décidé depuis 1935 de ne comptabiliser aux bénéfices nets que les intérêts des capitaux et les commissions, toutes les autres recettes étant affectées aux réserves et aux amortissements, ce qui explique que les bénéfices nets de la Deutsche Bank tombent de 25,4 à 7,9 millions de 1932 à 1939 (cependant, le dividende, qui était nul depuis la crise Jusqu’en 1934, a été porté de 4 % en 1935 à 6 % en 1937 et a été maintenu ensuite à ce niveau).

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L'ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

SECTION II

Les compagnies d’assurancss.

Avec le développement du capitalisme» la gestion des fonds de réserve et d’assurance se fait de moins en moins par les entre­ prises privées elles-mêmes, mais de plus en plus socialement par des entreprises spécialisées, les Compagnies d’Assurances (qu’il s’agisse d’assurances sur les personnes ou d’assurances sur des choses). Le résultat de cette évolution» c’est que des masses énor­ mes de capital-argent sont à la disposition des compagnies d'as­ surances qui peuvent les investir» ou les prêter» et jouer ainsi un rôle de premier plan dans l’économie d’un pays et dans les finances de l’Etat. Cette évolution transforme les compagnies d’assurances de simples gestionnaires de fonds d’assurances en puissants instituts financiers dont le rôle est proche de celui des banques, & cette différence importante près que leurs besoins de sécurité étant plus grands que ceux des banques, elles ne peuvent jouer le même rôle que celles-ci à l’égard de l’industrie et sont obligées de se tourner soit vers les investissements immobiliers, soit vers les crédits hypothécaires, soit vers les emprunts d’E ta t La puissance financière des Compagnies d’Assurances alle­ mandes s’est énormément accrue sous le régime nazi, par suite du renforcement de la puissance du capital industriel et de l’accrois­ sement des gros revenus. Voici un tableau révélant cet accroisse­ ment de puissance financière (tiré de la Frankfurter Zeitung du 22 Novembre 1940) : Am

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Mill.RM % 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938

237 271 266 267 262 263 242 255 258

300 327 346 387 434 490 566 662 739

9.8 8.9 8.5 8.9 9.0 9.2 9.5 10.1 10.2

Eapmts publics

Titres

%

Mil.

%

Mil.

56.8 55.9 55.8 53.4 50.8 47.1 44.3 40.7 37.4

214 271 304 350 356 399 487 651 697

7.0 7.5 7.5 7.1 6.9 7.5 8.2 9.9 9.6

» a .— a ; _____

n fM m s n v

Mill. 1737 2046 2264 2368 2458 2522 2618 2669 2713

681 808 855 1014 1280 1586 1846 2158 2683

UHém Prêts sir polices M * %

Mil.

%

22.3 22.1 21.1 22.9 26.3 29.4 31.2 32.9 37.0

126 207 292 317 334 361 398 423 430

4.1 5.6 7.2 7.1 6.8 6.8 6.7 6.4 5.9

Mil. 3058 3662 4060 4437 4843 5359 5915 6564 7261

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Ainsi, de 1932 à 1938, le nombre des Compagnies a diminué de 8 unités alors que le total des investissements passait de 4.060 à 7.261 millions, en augmentation de 78 %. En valeur abso­ lue, tous les investissements se sont accrus mais il faut souligner surtout l’accroissement de la propriété des Compagnies, passant de 346 à 739 millions (-f 113 %), et celui du poste t titres > pas­ sant de 855 à 2.683 millions (-f 213 %) ; par suite, ce porte­ feuille représente, en 1938, 37 % du total des investissements, contre 21,1 % en 1932. 11 y a là un fait extrêmement important : ce portefeuille étant constitué aussi bien par des valeurs indus­ trielles que par des valeurs d’Etat son accroissement indique à la fois une emprise plus grande des Compagnies d’Assurances sur l’industrie et un endettement croissant de l’Etat à l’égard des Compagnies d’Assurances ; à ces accroissements relatifs corres­ pondent, évidemment, les diminutions relatives, une des dimi­ nutions relatives ayant le plus d’importance est celle du montant des hypothèques. Bien que la valeur absolue de celles-ci soit passée de 1.737 millions en 1930 à 2.713 millions en 1938 (-f 56 %) la part des hypothèques dans le total des investisse­ ments est tombée à 37,4 % (c’est encore le principal des inves­ tissements des Compagnies d’Assurances, immédiatement avant les titres), contre 55,9 % en 1931, et 55,8 % en 1932. Il y a là une profonde modification structurelle, modification qui apparaît en­ core plus importante si Ton songe qu’en 1913, 82,7 % des inves­ tissements des Compagnies d’Assurances sur la vie (les seules touchées alors par la statistique) avaient la forme d’hypothèques et seulement 3 % celle de titres (ceux-ci venant en avant-dernier lieu, juste avant la propriété foncière qui ne représente que 1,8 % des investissements). Cette modification structurelle a eu pour conséquence de transformer les Compagnies d’Assurances alle­ mandes en véritables instituts financiers, puisque 37 % de leurs investissements se font désormais sous forme de titres. (Nous verrons, à propos de la plus importante des Compagnies d’Assu­ rances allemandes, comment se répartit le portefeuille « titres »). Cet accroissement des investissements se traduit par un accroissement considérable des revenus des capitaux des Compa­ gnies d’Assurances. Ceux-ci passent, pour les plus importantes Compagnies d’Assurances sur la vie, au nombre de 79 en 1931 et de 77 en 1938, de 211 à 297 millions par an, en augmentation de 41 % (contre une augmentation de 106 % des investissements); l’accroissement des revenus plus faible que celui des investisse­ ments traduit la baisse générale du taux de l’intérêt consécutive à l’accroissement de la liquidité de l’économie allemande et à l’accumulation du capital argent. L’évolution est la même pour

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l ’économie allem ande sous l e nazisme

les Compagnies d’Assurances sur les biens dont les plus impor­ tantes (au nombre de 88 en 1933 et de 86 en 1938) voient les reve­ nus de leurs investissements passer de 29,5 à 38 millions (soit un taux de 6,5 % en 1933 et de 5,4 % en 1938). A ces revenus vien­ nent s’ajouter les recettes techniques (excès des primes sur les paiements) essentiellement variables d’année en année, parfois positives, parfois négatives. De l’ensemble de ces chiffres ressort un accroissement énor­ me de la puissance des compagnies d’assurances, tant au point de vue de leurs capitaux qu’au point de vue de leurs revenus. On aura une idée plus nette encore du rôle que ces compagnies jouaient dans l’économie allemande en examinant les bilans du principal Konzern d’assurances allemand, le Konzern Allianz. L’Allianz qui encaissait chaque année 480 millions de RM. de primes, et qui était la plus importante des compagnies d’assuran­ ces du continent européen, était divisée en deux groupes : AU lianz 1 (assurance sur les biens : vols, incendies, machines, inon­ dations, assurances-crédit, etc...). Allianz II (vie et accidents). Voici les principaux postes du bilan de chaque groupe : Allianz l

1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939

Primes brutes .

156,6 146,7 150,6 159 170,5 186^5 204^6 THji ACTIF 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1930

Biens fonds Titres (1) dont empr. Etat » > commun. > obi. corn. » » privées > actions Autres Participations Avoirs auprès d’autres Cies d’Assurances

51.1 18,6 , qui a conduit les banques à de grosses difficultés au cours de la crise de 1930. Mais il ne faudrait pas interpréter cette réduction comme une émancipation de l’industrie ; il s’agit beau­ coup plus d’une réorganisation technique. D’une part, une partie des effets détenus au titre des « participations > est simplement comptabilisée au poste < titres », d’autre part, les banques, au lieu de contrôler directement telle ou telle firme, la contrôlent indirectement, par l’intermédiaire des Konzern à la direction desquels elles participent. Pour elles, le résultat est le même, mais les risques sont moindres et le processus de formation du capital financier n’en est qu’accéléré puisque, avec une moindre

8TRUCTURB DB L’ÊCONOMIB ALLEMANDS

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gomme, il est possible de contrôler un plus grand capital (1). Ce processus, qui a pour base la propriété privée du capital, conduit évidemment à des luttes entré les différents groupes ban­ caires, à des < rafles > en Bourse et à des opérations purement spéculatives. C’est ainsi, pour prendre un exemple qui s’est pré­ senté au cours de la guerre, que deux groupes industriels (der­ rière lesquels se trouvent de grandes banques) se sont disputé les actions de la Pommersche Zuckersiederei (sucrerie) et que l’on a vu le cours de ces actions passer de 134 % du nominal au 25 Septembre 1940, à 246 %, 251 % et 255 % au début de 1941. (Frankfurter Zeitung du 8 Janvier 1941). Une telle hausse a, évi­ demment, un caractère purement spéculatif. Ce sont sans doute de tels faits qui incitaient M. Déat à écrire que « le régime écono­ mique et social de l’Allemagne interdit la spéculation, limite les bénéfices, assure le contrôle de la collectivité sur les affaires. Il est tout à fait clair que ce climat est peu propice aux dévergon­ dages bancaires et aux rafles boursicotières * (2). c) Les émissions et les introductions en Bourse. C’est encore en prenant en mains les opérations d’émission de valeurs industrielles, et l’introduction de ces dernières en Bourse, que les banques s’assurent, en même temps que de confortables bénéfices, un large contrôle sur l'industrie. Pour ces opérations de placement, ou d’introduction, les grandes banques s’associent le plus souvent en consortium. Le résultat de cette pratique c’est que les grandes banques monopolisent le marché du crédit et qu’il est devenu impossible, même aux plus fortes entreprises industrielles, de placer leurs titres, sans passer par les banques. Celles-ci, à l'occasion de chacune de ces opérations, res­ serrent leur contrôle sur l’industrie. Nous avons vu, précédem­ ment, que la Deutsche Bank participe à la quasi-totalité des émis­ sions, et celles-ci représentent, depuis ceS dernières années en y comprenant les augmentations de capital, une somme annuelle de 1 à 2 milliards de RM. Les augmentations du capital, de plus, représentant une source importante de bénéfices, car elles sont12 (1) C est. pourquoi il est rare que les banques aient besoin de détenir une part importante des actions d'une entreprise pour la contrôler effective­ ment. Le cas ne se présente guère que pour des branches assez peu concen­ trées, comme la brasserie par exemple ; dans ce cas, par contre, U arrive que les banques soient les principales actionnaires ; ainsi la Hofbrauhauss Hanau, importante brasserie, a 45 % de son capital entre les mains de la Bank fuer Brau Industrie. Cest pour la même raison que les banques contrôlent directement un certain nombre d'entreprises de l'Industrie du bojs, ainsi la Boehmische Unionbank (filiale de la Deutsche Bank) contrôle directement un certain nombre de firmes hongroises « Clotilde >, « Szohga >, etc... qui ont. d'ailleurs, le comte Teleki parmi leurs administrateurs. (2) € Œuvre >, du 18 Janvier 1941.

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L’éCONOMIB ALLEMANDS SOUS LB NAZISME

l'occasion pour les grandes banques de racheter à vil prix aux petits actonnaires, ne possédant pas des sommes suffisantes pour en profiter, leurs droits de souscription aux nouveaux titres (c’est là un procédé que signalait aussi la € Frankfurter Zeitung > (30 Décembre 1940). rf) Entrée dans les conseils dfadministration. Enfin, c’est en entrant dans les organes dirigeants de l’in­ dustrie elle-même, dans les conseils d’administration des Konzern que les banques prennent le contrôle de ceux-ci. Les banquiers entrent de diverses façons dans les conseils d’administration : ils peuvent y entrer à l’occasion de telle opération de crédit (leur entrée préalable étant une condition de l’opération), ils peuvent y entrer du fait qu’ils possèdent des actions du Konzern ce qui leur permet de participer aux assemblées générales des action­ naires et d’y voter, ils peuvent encore y entrer du fait qu’ils détiennent les actions de leurs clients (petits et moyens action­ naires) qui les chargent de les < représenter > aux assemblées générales, en leur délivrant pleins pouvoirs. C’est ainsi que, lors d’une assemblée générale d’actionnaires de la firme Elektrische Licht und Kraft Anlagen, firme dépendant en partie de Siemens, la Deutsche Bank représentait 13,51 millions (sur un capital de 22,5 millions de RM.) suivie de loin par la Dresdner Bank (1,38 millions) et la Kommerzbank (0,87 millions) (1). Ce procédé de pénétration directe des' banques dans la ges­ tion du capital industriel s’est tellement développé que chaque grande banque possède désormais un service des « assemblées générales > qui a pour tâche de réunir les pouvoirs nécessaires à la Banque pour s’assurer une majorité ou une forte part aux assemblées d’actionnaires des grandes sociétés. Les banques peu­ vent ainsi imposer l’entrée d’un certain nombre de leurs direc­ teurs ou administrateurs dans les conseils d’administration des Konzern industriels ; et elles ne s’en font pas faute. On en a la preuve lorsqu’on examine les statistiques des conseils d’adminis­ tration ; on voit alors — comme déjà indiqué — que la Deutsche Bank domine dans l’industrie lourde et dans l’industrie chimi­ que, la Kommerzbank dans la potasse ; la Dresdner Bank dans le bois, les cuirs et les peaux, etc.... Cette forme de domination s’exerce aussi bien sur les très grandes firmes que sur les petites, aussi bien sur les Konzern personnels que sur les Konzern familiaux. Ainsi, on ne trouve pas seulement plusieurs banquiers siégeant au Conseil d’admi(1) Frankfurter Zeitung SO. XII, 1940.

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n

nistration du grand Konzern Hoesch, conseil présidé par le Dr. Kimmich, président de la Deutsche Bank, mais aussi dans les conseils d’administration de firmes moins importantes comme Fuchs Wagon (Deutsche Bank), comme Prometheus Werke (Dresdner Bank), comme Waldtor-Hütte (présidé par la « Dresd­ ner » mais avec la présence, dans le conseil d’administration, de la « Deutsche Bank ») qui est en même temps sous le contrôle du Konzern Mühlig-Union. Les banques, enfin, sont présentes dans les conseils d’administration des Konzern personnels ; ainsi pour ne prendre qu’un exemple, l’important Konzern du Comte de Ballestrem est dirigé par un conseil de 5 membres dont 3 sont banquiers l’un, le vice-président, étant membre du conseil d’ad­ ministration de la Deutsche Bank, les deux autres représentant la Dresdner Bank et la Banque Delbrueck, Schickler et Cie. Cette forme de domination du capital bancaire, de fusion avec le capi­ tal industriel, est de plus en plus la manifestation essentielle du capital financier. La législation nazie, ici encore, est venue ren­ forcer la domination des magnats du capital financier, en leur donnant de plus en plus de pouvoir pour la gestion des entre­ prises, en face de la masse des petits actionnaires. Il s’agit princi­ palement ici de la loi sur les sociétés par actions, loi qui est entrée en vigueur le 1er Octobre 1937. En vertu des dispositions de ce nouveau texte législatif, les actionnaires se voient retirer tout droit d’agir directement sur la gestion des entreprises. Le conseil d’administration a ses pouvoirs considérablement renfor­ cés par rapport à l’assemblée générale des actionnaires, et la présidence du conseil d’administration a ses pouvoirs accrus par rapport au conseil lui-même, le § 103 de la loi retire même aux actionnaires le droit de décider eux-mêmes du montant du divi­ dende, le soin en est laissé au conseil d’administration. Ainsi, les représentants du capital financier, une fois installés aux postes de commande, grâce, entre autres, aux pleins pouvoirs des petits et moyens actionnaires, ont désormais une puissance plus grande que jamais. * ♦ *

Tel est le tableau de la domination du capital financier ; ce tableau révèle à quel point les banques sont devenues, comme certains publicistes l’ont affirmé, les éléments décisifs du réglage de l’économie. Aussi peut-on se demander si, à travers les ban­ ques, l’Etat n’a pas réussi à prendre en mains l’économie ellemême. § 2. — L’E tat e t l e c a p ita l fin an cier. Pour étudier les rapports de l’Etat et du capital financier.

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l ’économie allem an d e sous l e nazisme

on doit se placer à trois points de vue : celui de la participation de l'Etat au capital bancaire, celui de la législation bancaire et eelui de l’endettement de l'Etat vis-à-vis des banques. a) La participation de FEtat au capital bancaire. Au moment de l’avènement au pouvoir du nazisme, l’Etat était le principal actionnaire d’une partie des grandes banques allemandes ; celles-ci ne devaient d’ailleurs qu’à lui de subsister encore. Voici comment se répartissait, en 1932, le capital-actions des grandes banques de Berlin (en millions de Reichsmark) : (1)

Capital détenu

1* Par le public ... 2* Par la Banque d’escompte-Or (2) 3* Par le Reich ..

Berliner- Deutsche Dresdner Commerz handels- Bank Bank Privât gesellschaft Bank

Reichs Kredit Gesell

28

94

14

24

0

0 0

50 0 - ---144

S3 103 —■■150

45 11

0 40

■- — 28

.

80

-

40

Soit 154 millions détenus par le Reich et 128 par la Banque d’Escompte-Or, contre 160 millions répartis entre de nombreux particuliers. Ce n’est d’ailleurs pas afin de c mettre la main s sur l’orga­ nisation bancaire que le Reich avait acquis cette large part du capital bancaire (3). C’est pour sauver les banques de la faillite. Le système bancaire allemand, qui avait été considérable­ ment affecté par l’inflation et par ses suites, qui avait été obligé d’emprunter des sommes considérables à l’étranger (pour remet­ tre en marche l’économie allemande et pour aider au paiement des « réparations >) et dont l’activité était étroitement liée à celle de l’industrie, a souffert plus que n’importe quel autre système bancaire de l’approfondissement de la crise économique en 1931. On le sait, la faillite de la Credit Anstalt de Vienne, les retraits massifs des créanciers étrangers, la faillite d’un certain nombre de grandes entreprises industrielles, auxquelles les ban­ ques allemandes étaient intéressées, les exportations croissantes de capitaux, précipitèrent la ruine du système bancaire allemand. Au cours du premier semestre de 1931, 3,5 milliards de RM. de capital ont été retirés d’Allemagne ; dans les seuls mois de JuinJuillet 1931, 2,25 milliards de retraits sont effectués aux guichets des banques allemandes. La Nordwolle (Konzern du textile)12 (1) Dauphin-Mbumbh, « La Banque >, op. cit., p. 639. (2) Filiale de la Reichsbank. (S) Nous examinons plus loin l’activité bancaire de l’Etat.

STRUCTURE DB L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

»9

s’écroule. Les tentatives de réorganisation bancaire faites par le chancelier Brünning se heurtent, le 12 Juillet 1931, à l’hostilité des banquiers qui, réunis à la Chancellerie, se disputent violem­ ment. Et l’une après l’autre, les grandes banques allemandes, en commençant par la Darmstaedter et la Dresdner Bank s’écroulent· La Deutsche Bank, seule, reste debout, mais paralysée. Les 14 et 15 Juillet 1931, toutes les banques du Reich ferment leurs portes, ce n’est que le 5 Août qu’elles peuvent reprendre à peu près leurs opérations normales, mais seulement avec l’aide et l’appui crois­ sant de l’Etat, auquel les banquiers, la veille défenseurs ardents du « libéralisme », font de plus en plus appel. En Juillet 1931 est créée l’Akzeptbank, dont près de la moitié du capital est souscrit par l’Etat, et qui a pour mission d’accepter le papier douteux des grandes .banques privées. Puis, l’Etat passe à la garantie des dépôts de la Darmstaedter Bank et de la Dresdner Bank. Ensuite, l’Etat prend en charge une partie des pertes bancaires, pratique­ ment, le Reich achète une grande partie des actions des banques, qu’il paye à leur valeur nominale, et il détruit ces actions, ou il en réduit la valeur. Enfin, l’Etat passe à la réorganisation du capital bancaire ; ainsi, après avoir racheté la quasi totalité des actions de la Danat et de la Dresdner, il fusionne les deux ban­ ques ensemble et accomplit ainsi le « miracle » de faire renaître une nouvelle Dresdner, « banque privée » qui a coûté au Reich la bagatelle de 445 millions de RM. Pour couronner le tout, l’Etat prend en charge les crédits gelés des banques, tout en leur en laissant la gestion, puisque la Definag et la Tilka (créées spécia­ lement pour gérer ces crédits) sont administrées par des ban­ quiers. Au moment de t’arrivée des nazis au pouvoir, la situation était donc la suivante : l’Etat était le principal actionnaire et le principal créancier des grandes banques, dont la plupart ne sem­ blaient plus « privées > que par une simple fiction juridique. Qu’allaient faire les nazis ? Eux dont le programme prévoyait la nationalisation des banques et du crédit et la lutte contre « l’esclavage de l’intérêt »? Ce qu’ils allaient faire, le voici : ils allaient s’empresser de c reprivatiser » l’essentiel du système bancaire. Dès le mois de Décembre 1933, le ministre de l’Econo­ mie, Schmitt, annonce que le Reich se propose d’abandonner les parts importantes qu’il possède depuis deux ans dans le capital de certains grands établissements de crédit, comme la Deutsche Diskonto Bank (1). Peu de temps après, il recède 20 millions des (1) La Deutsche Diskonto Bank a fusionné depuis avec la Deutsche Bank.

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L*ÉCONOMlB ALLBMANDB SOUS LE ΝΛΖΙ8ΜΕ

actions à cette banque et, en 1937, l'ensemble des participations du Reich aux grandes banques privées est liquidé. Il y a là un processus d’une grande importance ; d’une part, parce que loin d’être isolé, il s’est produit aussi dans le domaine de l’industrie et des transports, d’autre part, parce qu’il montre que c la bureaucratie ^ nazie était la servante des intérêts du capital financier. La bureaucratie n’a pas cherché à conserver et même à accroître le plus possible son pouvoir économique, cha­ que membre de l’appareil bureaucratique a cherché à accroître sa propre fortune en réalisant un € petit bénéfice » à l’occasion de la cession aux capitalistes d’une partie des avoirs de l’Etat, ou a cherché à obtenir, à cette occasion, une « petite place » dans une grande banque. La puissance de ce processus indique, enfin, com­ bien est chimérique l’idée d’un « contrôle sur les banques » tant qu’est maintenue la propriété privée du capital, avec toute la force de corruption qu’implique la concentration de ce capital. b) La législation bancaire. Ici, encore, un bref historique est indispensable. La question d’une réforme de la législation bancaire, en effet, ne s’est pas posée seulement avec l'instauration du régime nazi. Déjà, de 1927 à 1930, une commission d'enquête avait étudié de multiples projets de réforme relatifs soit à la direction et à la répartition du crédit, soit, même, au contrôle du crédit. Ce sont les conclu­ sions de cette commission qui ont servi de base aux travaux du Comité d'experts institué par le Reich au lendemain des journées de Juillet 1931. Après deux mois de travaux, le Comité conclut, comme il fallait s’y attendre, qu’il est inutile de soumettre les banques privées au contrôle du Reich, le Comité prévoit simple­ ment l’institution d’un Commissaire du Reich chargé d'observer et d'influencer par ses suggestions l’activité des banques. L’or­ donnance du 19 Septembre 1931 qui nomme ce commissaire, prévoit, en outre, qu’il doit travailler en contact étroit avec la Reichsbank. En réalité, il est apparu très vite que ce commissaire devait borner son rôle à limiter la concurrence des banques, à leur faire adopter des conditions uniformes et à les aider à dimi­ nuer leurs frais généraux. Pratiquement, ce commissaire a eu pour tâche de renforcer la solidarité des banques privées, ce qui s’est manifesté par l’accord interbancaire du 9 Janvier 1932 fixant les taux d’intérêt créditeurs et débiteurs et déterminant les moda­ lités des ouvertures de crédit. Nous arrivons ainsi à 1933, année de la prise du pouvoir du nazisme. Qu’allaient faire les nazis qui avaient inscrit à leur programme la nationalisation du crédit et des banques ? Rien, pendant plusieurs mois. Puis, à la demande de plusieurs ban-

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quiers, Hitler promulgua la loi du 7 Août 1933 qui apportait simplement la sanction de la loi à l’accord interbancaire de 1932 ; désormais le commissaire était autorisé à frapper d’une amende, pouvant atteindre 100.000 RM. les banques qui viole­ raient les clauses de l’accord. D’autre part, cependant, les banquiers décident d’opposer leur propre projet de loi bancaire au programme nazi. Ils sont d’autant plus pressés d’agir ainsi que leur situation financière est encore loin d’être saine. En effet, la Dresdner Bank et l’impor­ tante banque de Leipzig, l’Allegemeine Kredit Anstalt sont obli­ gées, à nouveau, de procéder à la réduction de leur capital. L’ini­ tiative est prise par la Reichsbank, dont le conseil décide, le 30 Juin 1933, de constituer une commission d'enquête, sous la prési­ dence de Schacht. Le gouvernement nazi s’empresse de donner son agrément au projet. La commission se réunit, pour la pre­ mière fois, le 6 Septembre 1933. Fait caractéristique, autant la commission avait été pressée de se réunir (et avait affirmé être pressée de conclure) autant, en fait, elle ne souhaitait pas aboutir rapidement. Schacht avait promis que les travaux de la commis­ sion seraient terminés fin 1933 ; ils ne l’ont été que fin Novem­ bre 1934. Les conclusions de cette commission, formée à la demande des banques privées, ont été reprises intégralement, dans la loi bancaire du 4 Décembre 1934, entrée en application le 1er Janvier 1935. Il est vrai que parmi les 15 membres de la commission se trouvaient deux nazis : Keppier, délégué de Hitler, et Feder, le « théoricien » du parti, mais leurs interventions et leurs discours furent d’« une rare prudence » (1). La loi ainsi élaborée reste fidèle au < libéralisme » antérieur. Elle repousse la mainmise de l’Etat sur les banques, et même sur la Reichsbank et institue simplement une sorte de « contrôle », par cette dernière, des autres banques ; encore ce contrôle est-il qualifié « d’élastique » par la Commission elle-même. Mais voyons d’un peu plus près les travaux de la Commission et le résultat de ces travaux. Keppier, ouvrant la première séance, dé­ clare que le Chancelier renonce à soumettre les questions écono­ miques à des considérations « politiques » et que le problème bancaire doit être envisagé seulement sous l’angle « technique ». Feder, qui prend la parole ensuite, et qui a compris l’avertisse­ ment, après un coup de chapeau à l’étatisation (dont, la veille encore il se posait en ardent défenseur) estime finalement que la liberté des banques privées présente des « avantages ». Les ban(1)

Dauphin-Meünier , « La Banque », op. cit., p. 261.

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l'éco n o m ie allem an d e so u s l e nazism e

quiers se sentent dès lors soulagés. Ce sont d'ailleurs les ban­ quiers qui doivent le plus à l'aide de l'Etat (ceux de la Dresdner de la Kredit Anstalt de Leipzig, etc...) qui signalent avec le plus de virulence les « dangers > de toute immixtion de l'Etat dans le système bancaire. Le principe de l'étatisation est donc rejeté. Le principe de la fusion du secteur alors mixte (Dresdner, etc...) mais reprivatisé depuis, avec le secteur public (nous aurons bien­ tôt à parler des banques publiques qui jouent un rôle secondaire dans la vie économique allemande) est également rejeté. La Commission conclut au maintien de la structure existante du système bancaire. En fait, nous l'avons vu, les banques mixtes ont été entièrement reprivatisées en 1936-37, ce que leurs diri­ geants n’espéraient pas encore en 1934. Au cours des travaux de la Commission, se place un épisode qui n'est pas sans intérêt, parce qu’il met en lumière un aspect nouveau de la lutte du capital industriel contre le capital finan­ cier. L'offensive a été prise par le magnat de l'industrie lourde Thyssen, qui avait largement subventionné le mouvement hitlé­ rien : Thyssen, demandait non pas la nationalisation des banques, mais leur mise en tutelle par l'Etat. Il demandait, à la fois, un contrôle étroit de l'Etat sur les banques et leur décentralisation, l’établissement de banques régionales et spécialisées. Il espérait ainsi réduire la domination de la banque sur l’industrie. Cette offensive accompagnée d'une campagne de presse, et soutenue par un banquier étroitement lié aux banques locales, von Schrœder (1) n’aboutit qu’à un compromis et à un compromis qui est, au fond, une victoire des grandes banques. En effet, la Commis­ sion d’enquête souligna qu’il n’y avait pas de raison de toucher à la structure centralisée de l’appareil bancaire allemand, mais qu’il pouvait y avoir intérêt à soutenir plus que par le passé les banques régionales. D’autre part, la Commerzbank, la Dresdner et la Deutsche Bank fermèrent ou échangèrent 22 de leurs suc­ cursales. L’essentiel des travaux de la Commission est, en définitive, l’institution du contrôle élastique dont nous avons parlé plus haut. Revenons sur ce point. La loi du 4 Décembre 1934 institue auprès de la Reichsbank un Office de Contrôle formé par le prési­ dent et le vice-président de la Reichsbank et par les ministres des Finances, de l’Economie, de l’Agriculture et de l'Intérieur. Le Commissaire aux Banques, institué en 1931, est maintenu, il de(1) Promu ultérieurement, comme nous l'avons indiqué, « chef s du système bancaire allemand.

STRUCTURE DB L'ACONOMXB ALLEMANDE

to s

vient l’organe exécutif de 1’OfHce de Contrôle. Ce commissaire est chargé de suivre les affaires des instituts de crédit et ses pouvoirs s’étendent, désormais, aux Caisses d’Epargne et à leurs centrales de virem ent Les modifications de capital, les mesures de rationa­ lisation, les fusions, les changements de direction, les créations de succursales, etc... doivent lui être notifiées. En fait, il s’agit d’empêcher la création de nouvelles banques ou l’ouverture de succursales locales faisant concurrence à une succursale d’une banque déjà établie sur une place. En même temps, la significa­ tion des termes de « banque », de « banquier », de « caisse d’épar­ gne », etc... est strictement précisée, ce qui a pour effet de proté­ ger les banques contre la concurrence des caisses locales de crédit et des 'caisses d’épargne. La loi prend, d’autre part, une série de mesures destinées à rendre aux épargnants la «confiance» dans les banques, confiance qui avait été ébranlée par la crise. A cet effet, une certaine pro­ portion minima est fixée, par rapport aux dépôts, pour les liqui­ dités de caisse (10 % des dépôts) et pour les liquidités de second rang (30 % des dépôts) ; ces dernières doivent être constituées sous forme d’effets commerciaux et de titres du Reich, des pays et des communes, acceptés par la Reichsbank. Il y a là une dispo­ sition importante pour les finances publiques, puisqu’elle permet un placement supplémentaire d’emprunts ; cette disposition vient faire suite à la loi du 27 Octobre 1933, qui permet à la Reichsbank d’acheter, sur le marché des valeurs, des titres d’Etat, afin d’en soutenir le cours, c’est la politique « d’open m arket». De cette façon, d’une part, doit être évitée l’immobilisation d’une trop grande partie des avoirs des banques (immobilisation qui avait contribué à aggraver la crise bancaire de 1931), d’autre part est ouvert à l’Etat un nouveau champ de placement. Dans le même ordre d’idées, des règles sont fixées pour les caisses d’épargne, règles qui les obligent à employer la plus grande partie de leurs dépôts en fonds d'Etat et à limiter leurs opérations de crédits à l'artisanat et à la petite industrie, dimi­ nuant ainsi la concurrence faite aux banques par les Caisses d’épargne. C’est aussi dans le dessein de rétablir la confiance que les banques sont astreintes à publier, après l’avoir soumis à la Reichsbank, un bilan annuel et, lorsque leur chiffre d’affaires dépasse un million de RM., un bilan mensuel. Enfin, toujours afin de rétablir la « confiance »c’est-à-dire, en définitive, dans l’intérêt des banques elles-mêmes, la loi fixe différentes règles en ce qui concerne les opérations de crédit. La principale de ces règles consiste à interdire aux banques de consentir des crédits disproportionnés à leurs ressources ; dans

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l' économie allemande sous le nazisme

ce but, un rapport de 1 à 5 doit désormais être établi entre les ressources propres des banques (capital et réserves) et les enga­ gements (placements, acceptations, émissions, comptes de dépôt et comptes courants). L'office de contrôle doit veiller au respect de cette prescription. Dans le même but, un montant maximum de crédit peut être accordé à chaque client, ce montant est fonc­ tion d’un pourcentage du capital de garantie dont dispose le client, pourcentage variable suivant le genre d'entreprise. Le pourcentage maximum peut être dépassé si le commissaire aux banques le permet et après avis conforme de tous les directeurs de banque. C’est encore pour donner plus de sécurité aux crédits bancaires que la loi fait une obligation à tout emprunteur d'une somme de plus de 5.000 RM. de communiquer son bilan et de laisser la banque vérifier sa comptabilité (sauf dispense accordée par le Commissaire). Toujours dans le même but, les crédits qu’une banque peut accorder à un de ses directeurs sont soumis à certaines restrictions, restrictions très légères d’ailleurs (en Tchécoslovaquie de tels crédits étaient complètement inter­ dits). (1) Enfin, est créée une t centrale des risques », qui réunit les renseignements sur les gros débiteurs, et que les banques doivent aviser des crédits qu’elles consentent aux débiteurs de plus d'un million. Ceci, afin d’éviter qu’un débiteur ne se fasse consentir, sur la même garantie, des avances par plusieurs banques ; ainsi doit être évité que ne se reproduise le même « accident » qu’en 1931 où 3 banques (la Danat, la Dresdner et la Schrœder) avaient consenti simultanément un crédit important à la Nordwolle, sur le point de faire faillite. Cette centrale des risques a donc simple­ ment pour but d’accroître la solidarité des banques. 11 faut ajou­ ter, d’ailleurs, que les banques sont parvenues, dans une cer­ taine mesure, à se dérober à ces obligations en consentant leurs crédits, non plus aux Konzern eux-mêmes, mais à la multitude de leurs filiales. Ainsi, en quelques mois, la proportion des crédits inférieurs à 20.000 RM. est passée de 8 % à 53 % (2). De ce qui précède, il ressort que, ainsi que l’a indiqué Schacht lui-même, que le but de cette législation est : la concen­ tration de toutes les forces de l’organisation bancaire, l’économie des liquidités existantes ou à venir, l’élimination des opérations hasardeuses, la diminution des faux frais, la division rationnelle du travail bancaire, la suppression d’une concurrence déréglée et nuisible et la fixation d’une liquidité convenable (3). (1)

D a u p h in -M e u n ie r , «

(2)

Ibid, p. 272.

(3)

P r ie s t e r ,

La Banque », op.

c it.,

p. 271.

« Das Deutsche Wirtschaftswunder », p. 82.

STRUCTURE DB L’éCONOMIE ALLEMANDE

105

Si la loi bancaire du 4 Décembre 1934 apparaît très nette­ ment comme une loi destinée à renforcer l’appareil bancaire privé, il n’en reste pas moins vrai qu’elle contient des disposi­ tions destinées à élargir le marché des emprunts d’Etat. Il est évident que l’extension des pouvoirs du Commissaire aux banques donne à l’Etat des possibilités de contrôle et l'action dépassant ceux dont il disposait jusque-là. Comme l’écrit Guérin : « L’Etat exerce line surveillance très active sur les comptes en banque de chaque particulier, s’oppose au besoin par la force aux retraits dé fonds, s’assure que tous les fonds disponibles des banques sont bien convertis en papier d’Etat ». (1). Mais il ne faut pas, partant de cette constatation, s’imaginer que l’Etat, en Allemagne, est maître de l’appareil bancaire. Il n’en est maître que dans la mesure où il est soumis aux banquiers. En fait, les mesures de pression ne s’exercent, et ne peuvent s’exercer que sur les petits épargnants. Les gros capitalistes disposent, dans le cadre du régime, d’armes trop efficaces pour que le gouverne­ ment puisse (à supposer qu’il en ait jamais l’intention), leur forcer la main. Si l’Etat disposait d’une maîtrise réelle, et non pas formelle, de l’appareil bancaire, il ne serait pas obligé de subir le poids d’une charge d'intérêts qui mine ses propres finances. Mais, en fait, l’Etat doit accepter le taux d’intérêt que lui font les banquiers et qui dépend, dans une large mesure, du degré de liquidité de l’économie. C’est ce qui explique que le Reich, en dépit de son « contrôle » sur les banques privées ait été sans cesse obligé de payer l’argent plus cher que le gouvernement anglais, qui dispose d’infiniment moins de moyens de « contrôle ». C’est ce qui explique aussi les fluctuations du taux de l’inté­ rêt, ce dernier marquant, avec l’accroissement de la liquidité de l’économie, une tendance à là baisse. On peut même ajouter que, sous l’inflation de crédit, consécutive à la guerre, cette baisse a été telle que les nazis, serviteurs des banquiers, se sont employés à le freiner ; nous aurons à revenir sur ce point. Pour en finir avec cette question, il reste deux points à signaler. D’une part, l’Etat dispose de moyens de pression (pour obtenir la souscription à ses emprunts) beaucoup plus efficaces à l’égard des caisses d’épargne que des banques. Les caisses d’épargne, en effet, sont plus nombreuses, plus dispersées, moins puissantes que les ban­ ques, leurs déposants ne sont que de petits épargnants. Ceci12 (1) D. G u é r in , < Fascisme », op. c i t p. 194. (2) Ainsi, en pleine guerre, debut 1941, le Reich payait pour ses em­ prunts à moyen terme, de 3,5 à 4,5 % d’intérêt, alors que TAngleterre ne payait que 2,5 à 3 %.

106

L’ÉCONOMIE ALLEMANDE EOUS LE NAZISME

n ’empêche d'ailleurs pas que le total de leurs dépôts soit environ sept fois plus grand que le total des dépôts des banques, et pré­ sente de ce fait plus d’importance que ces derniers pour les emprunts d’Etat. 11 faut souligner aussi qu’en dépit des < moyens de pression » dont le Reich dispose à l'égard des caisses d’épar­ gne, il a jugé utile d’avoir son propre réseau, et que, par suite, une caisse d’épargne postale a été créée en 1938. D’autre part, pour placer une partie de ces emprunts, le Reich a obligé les actionnaires de toutes les sociétés par actions à y souscrire avec la partie de leur dividende excédant 6 % ou 8 % (1). Pratiquement, les sociétés par actions qui décidaient de payer un dividende de plus de 6 % ou 8 % devaient (sauf dans certains cas exceptionnels) constituer un fonds spécial avec la partie des dividendes excédant ce pourcentage. Ce fonds était géré par la Banque d’Escompte-Or et investi en titres du Reich ; au bout de 4 ans il était restitué aux actionnaires avec les intérêts ; il s’agissait donc là d’un prêt temporaire des actionnaires à l’E tat Ce prêt n’était d’ailleurs obligatoire que dans une faible mesure, puisqu’il suffisait de maintenir à 6 % ou 8 % le dividende distri­ bué pour que la loi ne joue pas, et c’est ce à quoi se sont décidées un grand nombre d’entreprises, au détrim ent il est vrai, des petits actionnaires. On peut ajouter que cette manière d’agir a eu pour conséquence de retirer de son attrait aux placements sous forme d’actions, ce qui n’était pas sans bénéficier au marché des valeurs du Reich. Pour en terminer avec la législation intéressant l’appareil financier, il reste à indiquer qu’en ce qui concerne les sociétés d’assurances, il n’y a aucune mesure législative vraiment nou­ velle. On peut simplement indiquer que le Reich s’est employé à favoriser la tendance déjà ancienne qui fait investir de plus en plus aux Compagnies d’Assurances leurs disponibilités en titres, et qu’il a renforcé la puissance des Compagnies d’Assurances capitalistes en prononçant la dissolution de la plupart des sociétés mutuelles d’assurances (très nombreuses en Allemagne avant 1933 et constituées sous l’égide des partis ouvriers ou des syndi­ cats) et en transférant purement et simplement leurs avoirs aux Compagnies d’Assurances. c) L’endettement de l’Etat. Il ne s’agit pas ici de tracer le tableau détaillé de l’endette­ ment du Reich, nous aurons à le faire dans la III* Partie de notre étude, mais il s’agit, pour préciser la structure de l’écono(1) Loi sur les emprunts (AnleihstockgeseU). du 29 mars et du 4 dé* cembre 1934.

STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

107

mie allemande et la puissance effective des banques dans cette économie, de mettre en lumière les conséquences de l’augmen­ tation de la dette publique. Marx écrit quelque part : « La dette publique, c’est-à-dire l’aliénation de l’Etat... donne son véritable caractère à l’ère capi­ taliste» (1). «La dette publique, c’est-à-dire l’aliénation de l’Etat», l’expression mérite d’être retenue car elle souligne comment l’existence de la dette publique et son accroissement ont pour corollaire l’asservissement croissant de l’Etat. Historiquement, c’est sur la base de la dette publique que se sont développés la bourse et le système bancaire, et les titres de la dette publique continuent aujourd’hui encore à constituer une des « matières premières » essentielles des opérations de banque et de bourse. Si un premier aspect du développement de la dette publique est l’asservissement de l’Etat et l’essor du système bancaire, un second aspect est l’accroissement du nombre des créanciers auto­ risés à prélever certaines sommes sur le montant des impôts. Au fur et à mesure que la dette s’accroît, il faut que les impôts s’ac­ croissent, que les prélèvements effectués sur le revenu national augmentent, afin que les sommes ainsi réunies soient remises aux créanciers de l’Etat. Par l’intermédiaire de la dette publique, et au moyen d’un capital purement fictif, les créanciers de l’Etat, en l’occurence les banques, s’approprient une part croissante du revenu national. Les nazis ayant accru l’endettement de l’Etat ont donc contribué non seulement à asservir davantage l’Etat aux Banques, mais encore à aliéner une part croissante du revenu national au profit des créanciers de l’Etat. Bien plus, lorsque la charge de la dette publique s’accroît, il est nécessaire d’accroître les impôts, mais cet accroissement, à partir d’un certain niveau de la dette, ne permet même plus de payer les intérêts de celle-ci, et ses intérêts ne peuvent plus alors être payés qu’au moyen de l’emprunt. En outre, toute nouvelle dépense extraordinaire ne peut plus être couverte que par l’em­ prunt. Il y a là un véritable cercle qui entraîne l’accroissement automatique de la puissance des banques. Tel est le germe d’une progression automatique et de la fiscalité et de la dette publique. Aussi, dans ses effets directs, immédiats, l’accroissement de la dette publique se traduit par le renforcement des « droits » des créanciers de l’Etat sur celui-ci et sur le travail national ; mais il faut encore ajouter que dans ses effets indirects, médiats, l’accroissement de la dette publique contribue à fortifier la posi­ tion du grand capital, en entraînant la ruine des petites entre(1)

Marx ,

« Le Capital », édition Costes, tome 4, p. SOI.

108

l'économ ie allem ande sous l e nazisme

prises, écrasées, sous le poids d’impôts croissants. Il y a une véritable action expropriatrice de la dette publique par l’inter­ médiaire de la fiscalité. Si ces conséquences de l’endettement de l’Etat sont indubi­ tables, il faut encore, pour parler d’un accroissement de la puis­ sance effective des banques ou, plus exactement, du capital financier, que ce dernier soit le principal créancier de l’Etat et que ses créances aient augmenté. Nous allons voir que c’est ce qui a eu lieu en Allemagne à la suite de l’avènement au pouvoir des nazis. Le fait que le capital financier est le principal créancier de l’Etat apparaît nettement lorsqu’on sait que la part des banques, des caisses d’épargne, des grands Konzern et des sociétés d’assu­ rances dans les créances sur l’Etat (effets publics) varie, selon les estimations, de 89,8 à 92 % (1), la part des particuliers variant inversement de 10,2 à 8 %. Il suffit de se souvenir d’ailleurs de l’accroissement des postes « Bons du Trésor » dans les bilans des banques et des compagnies d’assurances pour se rendre compte de l’accroissement des créances détenues par ces instituts sur l’Etat. Une autre statistique nous indique comment se répartis­ sent les valeurs à revenus fixe entre les instituts de crédits et d’assurances, d’une part, et le public (y compris les entreprises) d’autre part. Cette statistique, qui tient donc compte aussi des valeurs industrielles à revenu fixe, met également en lumière la puissance croissante du capital financier. (Valeur en milliards de Marks) Fin d’année Montant total Propriété Propriété des titres ou de mois des instituts du public 1913 1929 1932 1939 Août 1940

68,0 20,4 22,6 44,3 54,0

7,4 5,2 6,1 22,9 31,0

60,6 15,2 16,5 21,4 23,0

Propriété des Instituts (en %) 11 26 27 52 57

Ce qui est le plus caractéristique dans ce tableau, c’est le passage de 27 à 57 % de la part des Instituts au cours de 8 années de régime nazi. Une autre statistique vient d’ailleurs éclai­ rer le précédent tableau et lui donner toute sa signification. Il s’agit de la statistique des principaux postes du capital-argent allemand. (1) Le premier chiffre est celui de l’ofilcé statistique du Reich, pour 1937, le second est donné dans un article (Wen gehören die Wertpapiere) de la W ir ts c h a fts k u r v e , III, 1939, p. 313, sq.

109

STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

En Milliards RM. Dépôts ............................................................ Dépôts d’épargne ..................................... Investissements des assurances privées et publiques .......................................... Valeurs à revenu fix e ................................ Actions ........................................................... Bons d’impôts ..........................................

1913

1939

12,3 23,3

19,5 30,0

7,9 60,0 17,0

15,5 21,5 20,0 4,0

Ce tableau révèle que le total des valeurs à revenu fixe, des actions et des bons d’impôts, ne représente plus que 40 % du capital-argent du public, contre 70 % en 1913 ; la part de l’épar­ gnant proprement dit (qui s’obtiendrait en excluant les entre­ prises) a diminué de façon encore plus considérable, étant donné que la plus grande partie des actions sont la propriété d ’entre­ prises (du fait de l’extension des Konzern). Ce phénomène indique une méfiance extrême de l’épargnant à l’égard de toutes les valeurs, qu’elles soient ou non à revenu fixe, et une préférence marquée pour les dépôts qui peuvent être retirés du jour au lendemain, sans que leur montant varie avec les fluctuations du marché. Cela a donné une base infiniment fragile aux finances allemandes, tout mouvement un peu important de retrait risquant de mettre banques et caisses d’épargnes dans l’obligation de ven­ dre leurs titres pour se procurer des liquidités. Cet état de choses a mis plus étroitement que jamais l’Etat dans la dépendance des banques et n’aurait pu être modifié que si l’Etat était parvenu à placer dans le public une masse suffisante d’emprunts de consoli­ dation, mais toutes les tentatives de ce genre ont lamentablement échoué. Comme nous l’avons dit, l’accroissement de la puissance du capital financier et de son emprise sur l’Etat, dépend, d’une part, de la fraction des emprunts publics détenus par le capital finan­ cier (et nous avons vu que cette fraction est considérable), d’autre part du montant absolu de la dette publique. Comme nous aurons à suivre l’évolution de ce montant dans la IV* partie de cette étude, nous ne donnerons ici, sur ce point, que quelques indica­ tions. Au 31 Mars 1933, la dette du Reich atteignait 11,63 mil­ liards RM. ; au 31 Août 1939, elle atteignait 37,34 milliards ; elle s’était donc accrue d’environ 26 milliards en 6 ans et demi. Avec la guerre, nous le verrons, la dette publique devait connaître un accroissement encore plus considérable. Ainsi, on peut affirmer que le trait essentiel de la structure économique allemande que nous venons de décrire — et, à des degrés variables, des traits analogues se retrouvent dans tous les

110

LtCO NO W B ALLEMANDS SODS LB NAZISMS

pays de capitalisme avancé — est la domination absolue du capital financier tant sur l’industrie que sur l’Etat lui-même, domination qui est à la base, & la fois, de la puissance du capital financier et de son enrichissement ultérieur, par appropriation d’une fraction toujours plus grande du revenu national. Dans ces conditions, il est évident que les mesures d’organisation écono­ mique, auxquelles nous arrivons maintenant, ne peuvent avoir qu’une signification subordonnée et limitée.

C H A P IT R E

V

MESURES DE CONCENTRATION ET D'ORGANISATION ECONOMIQUE.

Le renforcement des positions du grand capital s’est trouvé encore accru par un ensemble de mesures administratives ou législatives prises par les nazis. Sans revenir ni sur la suppression des syndicats ouvriers et de la représentation ouvrière, ni sur rinstitution de cartels obligatoires, sans parler encore de l’ac­ croissement de puissance du grand capital, du fait de la politique d’autarcie, il est indispensable d’examiner ici la portée de quel­ ques mesures qui ont contribué à renforcer ou à créer certaines formes d’organisation. Il s’agit des mesures qui ont favorisé la concentration économique, des mesures relatives à la constitution de e groupes économiques » et ♦ à Vorganisation de l'agricul­ ture >.

SECTION I

Mesuras ayant contribué à la concentration économique.

Comme nous l’avons déjà indiqué, la concentration de la production aux mains de quelques Konzern s’est particulière­ ment accélérée grâce au régime nazi. Ainsi, de 1932 à 1939, Sie­ mens-électricité a étendu ses participations à l’industrie des câbles, de la radio, du gramophone et à l’industrie de guerre ; /. G. Farben s’est renforcée en étendant son activité à de nouveaux domaines : carburants synthétiques, laine cellulosique, cellulose de hêtre, Buna, etc... et a en même temps pris des participations nouvelles dans la pharmacie, les articles de ménage, etc... Man­ nesmann s’est étendu par concentration verticale en s’incorpo­ rant des laminoirs, la fabrication de bicyclettes et, à l’autre extrê-

112

L'ÉCONOMIE ALLEMAND B SOUS LE NAZISME

mité, des charbonnages, etc... 11 est inutile de revenir en détail sur ces exemples, par contre, il est bon de voir dans quelle mesure et par quelles mesures les nazis ont aidé à ce processus. § 1. — L es

reprivatisations .

Les nazis n’ont pas seulement reprivatisé les participations de l’Etat aux grandes banques et aux aciéries, mais aussi ses participations à l’industrie textile, aux charbonnages, aux compa­ gnies de transports fluviaux ou maritimes ( 1 ), toutes participa­ tions qui avaient été acquises au cours de la crise et à l’occasion de renflouements. De même, des entreprises municipales, souvent florissantes, ont été rendues au capital privé, ce qui a permis au capital monopoleur de renforcer ses positions, notamment dans les industries de l’électricité et du gaz. § 2. — L’« aryanisation >

de l ’économie.

Les mesures prises contre les Juifs, et aussi contre les étran­ gers, ont contribué à accélérer la concentration économique. Ceci est surtout vrai en ce qui concerne la banque, le commerce de gros, la confection, les articles de ménage, etc.... Dans le domaine de la confection et des articles de ménage, on a assisté en quel­ ques années à la transformation d’une organisation très décon­ centrée en une organisation fortement concentrée. A l’échelle locale, on retrouve le même phénomène, ainsi les boulangeries de Vienne (qui étaient en grande partie juives), ou l’industrie du sucre de la Moravie méridionale, sont maintenant entre les mains de quelques monopoleurs fortement liés aux grandes banques. En ce qui concerne l’élimination des étrangers, celle-ci a joué un grand rôle surtout dans les Sudètes, où les intérêts tchèques très puissants, ont été éliminés au profit des Konzern allemands (2).12 (1) Le Reich qui avait entre les mains la majorité des actions d*un certain nombre de grandes firmes de navigation (4 la suite des secours ap>ortés par lui à ces Cies lors de la crise) a reprivatisé au cours de 1940, en eur recédant ces actions, les grandes sociétés H apag, L lo a d , et les A frik a r se d e r e in . Ces reprivatisations font suite à celles effectuées dans le même domaine au cours des premières années du régime et qui ont bénéficié λ V H am bu rg S u d a m e r ik a n isc h e A.G. et à la H a n za A.G . A cette occasion, la € National Zeitung * d’Essen, un des organes de Gœring, fait l’éloge de l’initiative privée qui doit être c favorisée > parce qu'elle « parvient tou­ jours le mieux à découvrir les nouvelles possibilités de développement et à les utiliser pour le mieux > (F. Z. 21-1-1941). En mars 1941 ont été également reprivatisées les actions de la C° A fric a - L in ien . (2) Pour toute cette question, de nombreux renseignements sont conte­ nus dans un article de W ir ts c h a fts k u r v e , 1939, I, p. 136, sq.

Ï

STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

§ 3. — L a

spécialisation des

113

K onzern .

Différentes mesures législatives ou administratives ont été prises pour pousser, en meme temps qu’à la c normalisation » et à la « standardisation s de la production, à la spécialisation des Konzern. Cette spécialisation a évidemment pour effet de renfor­ cer les Konzern et de leur donner de plus en plus, la forme de trusts ; puisque-là où deux Konzern contrôlaient, par exemple, chacun 40 % de la production de deux branches différentes, cha­ cun pourra contrôler désormais 80 % d’une branche déterminée. Ce processus de spécialisation se réalise de différentes manières, mais le plus souvent par échanges d’actions et délimitation des domaines de travail. Il ne faut pas négliger non plus le rôle de la fondation d’entreprises communes à plusieurs Konzern ou car­ tels et le rôle des achats en Bourse (1) et (2). § 4. — L’expui.sion

des petits entrepreneurs.

Les mesures que nous venons d’examiner ont contribué directement au renforcement du grand capital. A côté d’elles la fermeture pure et simple des petites entreprises a renforcé indi­ rectement le capital monopoleur. Indirectement, car les grandes firmes n’ont pas racheté les fonds et l’outillage des petits entre­ preneurs mais elles ont été débarrassées de leur concurrence et elles retrouvent désormais les petits entiepreneurs sur le marché12 (1) Ce phénomène de spécialisation des Konzern a certainement des traits progressifs, mais il ne faut pas non plus en exagérer l'importance, car il y a là surtout une tendance, contrariée par de nombreux autres facteurs liés eux aussi au renforcement du grana capitaL A cet égard, il faut signaler que de nombreux Konzern s'étendent u n iq u e m e n t p o u r p la c e r le u r s a v o ir s. Il en est ainsi aussi bien pour les Konzern proprement dits que pour les grandes fortunes familiales (Henschel-Kassel, Werhahn-Neuss, etc...) qui se sont rapidement accrues grâce à la sollicitude nazie. Dans le même ordre d'idées, il faut signaler que les mesures prises par les nazis en ma­ tière monétaire, afin d'éviter les sorties de capitaux, ont contribué, dans une certaine mesure, à r e n fo rc e r la p o s itio n du c a p ita l étra n g e r . En effet, les firmes étrangères ne pouvant transférer qu’une infime partie de leurs bénéfices acquièrent de fortes participations dans l’industrie allemande. C'est ainsi, nous l’avons vu, que le trust anglais Unilever a acheté avant la guerre des participations dans l'industrie du papier et de la cellulose. (2) Voici à titre d’exemple, les principales formes d’extension depuis 1935, de Mannesmann . Le rôle de « raryanisation » y apparaît nettem ent En 1935, Mannesmann se rattache les usines B us de la Sarre, à la suite de la liquidation de la participation française de 60 %. En 1936, la parti­ cipation de Mannesmann à Kronprinz A.G. pour l’industrie métallurgique (6 m illions R.M.) est portée à la majorité ; peu de temps avant, la Kronprinz avait acheté les R ö h re n w e rk e C o p p e l g .m .b J i. (capital 1,5 m illions). En 1938, Mannesmann achète le capital total de la firme juive W o lf N e tte r et J a c o b i (15 millions) qui disposait de cinq usines. La même année est conclu un accord d'intérêts avec V E isen bau S ch iege (2,6 millions). En 1938 encore, Mannesmann achète la majorité (76 %) de la firme juive H ahn Seh en W e r k s (10 m illions). Du même coup, Mannesmann contrôle les participations de la firme H ahn K a m m e ric h -W e rk e (2,5 m illions), F ra n z S e iffe rt e t C o m p a g n ie (1,35) G e se llsc h a ft f ü r H o ch d ru c k rsh rle itu n g e n , W e r k ze u g m a s c h in e n fa b r ik , R ic h a rd W e b e r e t C o m p a g n ie , etc..., etc...

114

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

du travail, car ils sont devenus des salariés dont le travail doit laisser un profit au capital-monopoleur. C’est par dizaine de milliers que les petits entrepreneurs ont dû abandonner leurs entreprises et se transformer en prolétai­ res ; ainsi rien que pour les artisans proprement dits, 104.000 d’entre eux sont devenus des salariés entre le mois d’Avril 1936 et le mois d’Avril 1938. Cette expropriation des petits entrepreneurs s’est faite jus­ que-là soit à la suite de mesures administratives directes, soit en rendant tout travail impossible aux artisans, ce qui se fait simple­ ment en ne leur fournissant pas de matières premières ou en restreignant le crédit. Cependant, à partir de 1938, des mesures de plus en plus nombreuses ont été prises afin d’accélérer ce processus de prolé­ tarisation, qui renforce les positions du capital monopoleur ( 1 ). Ainsi, un décret du 4 Mars 1939, décide que les artisans employés à un travail « inopportun » ou « non conforme à leurs capacités » pourront être obligés à exécuter d’autres travaux. Mais une me­ sure plus radicale encore a été prise quelques joiyrs après, le 7 Mars 1939, et cette mesure touche non seulement les artisans, mais aussi les commerçants et les petits industriels. En effet, le gouvernement hitlérien a décidé la suppression pure et simple de toutes les entreprises dont te chiffre d'affaires n ’atteint pas un certain minimum variable suivant les catégories d’activités. Le décret du 7 Mars 1939 décide, en outre, que tous ceux qui auront perdu leur emploi du fait de cette mesure devront s’em­ baucher dans la grande industrie avant le premier Avril 1939. De ce fait, le poids spécifique du grand capital, dans la production et dans le commerce se trouve doublement accru.

(1) U importe au plus haut point de souligner — comme nous l’avons déjà fait — que cette tendance à la prolétarisation est étroitement liée à l’économie de guerre et a u x b e so in s d e m a in -d 'œ u v r e de l’industrie d’ar­ mements. Nous sommes en présence, ici, d’un phénomène c o n jo n c tu r e l . Au contraire, la tendance propre du capitalisme des monopoles est de réaliser l'e x p lo ita tio n des différentes sphères de la vie économique s a n s ex p ro ­ p r i a ti o n , par le Jeu des prix et du crédit. L’im périalisme amène un ralentis­ sement du processus de prolétarisation, une tendance à la c r i s ta l li s a t io n des rapports de propriété.

STRUCTURE DB L'ÉCONOM E ALLEMANDE

115

SECTION II

Les groupes économiques. Le programme national-socialiste prévoyait la lutte contre les trusts, les cartels, les associations patronales. Nous avons déjà vu ce qui a été accompli dans la « lutte contre les trusts et les cartels ». Il nous reste à voir comment la c lutte » contre les associations patronales s’est terminée... au profit de ces dernières. Les nazis ayant préconisé la constitution « corporative » de l’économie, la puissante confédération de l’industrie allemande (analogue avec infiniment plus de force à la C. G. P. F. en France) se baptise « corporation » de l’industrie allemande le 6 Avril 1933, mais elle reste une organisation purement patronale, sous la présidence de Krupp. Pendant un moment, sous la poussée de l’agitation démagogique suscitée par le parti nazi lui-même, ainsi que par les sous-chefs du nazisme, désireux de se recruter une clientèle personnelle, on continue à parler d’organisation c cor­ porative » ; le 31 Mai 1933 est même annoncée la promulgation d’une loi corporative, mais celle-ci n’a jamais eu lieu. Comme l’indique D. Guérin « dès Juillet 1933, la grande industrie soute­ nue par la Reichswehr oppose son veto ; Hitler annonce brusque­ ment la clôture de la Révolution nationale » (1). Au début de 1934, le 27 Février, est promulguée une loi qui organise les t groupes économiques », qui sont de purs groupe­ ments patronaux, dans lesquels ni les salariés, ni les fonction­ naires nazis, n’interviennent. Des concessions apparentes restent cependant faites aux revendications du programme national-so­ cialiste (revendications auxquelles les sous-führer du parti sont toujours attachés) ; les dirigeants des groupes économiques sont nommés et non élus, ces dirigeants n'ont pas à subir le contrôle d’assemblées délibératives ; les groupes de l’industrie sont au nombre de 7 au lieu de l’unique confédération ou « corporation > de l’industrie allemande. Ces concessions ne devaient pas durer longtemps, pas plus longtemps que la puissance des c extrémis­ tes » du parti hitlérien. Une fois ces extrémistes c liquidés », l’évolution des c grou­ pes économiques » dans le sens d;i renforcement de la puissance du grand capital va pouvoir s’accélérer. (1)

D. G uérin , F ascism e..., op. cit, p. 172.

116

l ’é c o n o m i e a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

Tel est, en bref, l’historique des groupes économiques dont nous allons maintenant étudier le rôle et la signification dans la structure économique de l’Allemagne. L’intérêt de cet historique est, surtout, de mettre en lumière à quel point les c accrochages » entre la volonté des grands capitalistes et les désirs de certains démagogues nazis se sont produits sur des questions « secon­ daires », sur des questions qui ne concernent nullement la forme de l’appropriation, et de montrer comment même pour ces ques­ tions « secondaires », la lutte s’est toujours terminée à l’avantage du grand capital. Revenons à nos groupes économiques. § 1. Organisation. — La loi qui régit finalement l’organisation et le fonctionnement des groupes économiques est celle du 27 Novembre 1934. Cette loi précise que les groupes économiques sont des associations (§ 5) ; les associations économiques exis­ tantes sont transformées en groupes économiques ( 1 ), avec leurs créances et leurs dettes (§ 6 ). L’ensemble des groupes forme six groupes d’Empire : Industrie (2), Artisanat, Commerce, Banque, Assurances et Energie (§ 2). Tous les entrepreneurs et toutes les entreprises sont membres obligatoires des groupes (§ 3), ceux-ci sont donc des organismes purement capitalistes. Les groupes d’une même région se réunissent en un groupe de région. L’orga­ nisation régionale de l’industrie et du commerce est représentée dans les chambres de l’économie. Les groupes d’Empire, les grou­ pes principaux et les chambres de l’Economie ont leur représen­ tation commune dans la chambre de l’Economie d’Empire (§ 7). Chaque groupe a à sa tête un dirigeant (Leiter). Les diri­ geants des groupes d’Empire et ceux des groupes principaux de l’industrie sont nommés par le ministre de l’Economie. Les dirigeants des groupes inférieurs sont nommés soit par le minis­ tre (pour les W irtschaftsgruppen), soit par le dirigeant du groupe supérieur (§ 1 1 ). § 2. Fonctions. — Le § 16 est particulièrement important, car il indique quelles sont les tâches du groupe. Ce paragraphe pré-12 ( 1)

Une ordonnance du 12 Janvier 1935 transforme purement et simconfédération de l'in-

lement la poissante organsation patronale qu'est la Sustrie allemande en groupe d’Empire de l’industrie.

(2) L’industrie forme de nouveau un s e u l g ro u p e , ce qui indique que le grand capital a regagné ses positions, positions qu'il n’avait d’ailleurs per­ dues que sur le papier, la confédération de l’industrie allem ande n’ayant, en fait, jam ais cessé de fonctionner. Le groupe d’Empire (Reichsgruppe) de l’industrie est lui-même divisé en 7 groupes principaux (Haultgruppen) : mines et métallurgie, chimie, machines, etc... eux-mêmes divisés en groupes spécialisés (Fachgruppen) au nombre de 28 dans l’industrie, divisés en sous-groupes (Untergruppen), cf. Lbscurb, R é g im e d e lib e r té e t d 'a u to r ité , p. 22 .

STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

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voit que le groupe économique a pour tâche de conseiller et de protéger ses membres pour tout ce qui intéresse leur profession. Le dirigeant du groupe doit aider à la bonne fin des affaires des membres du groupe « en tenant compte de l’intérêt général de l’industrie et en préservant l’intérêt de l’Etat », ce qui n ’est évi­ demment qu’une phrase. Dans l’intérêt du groupe, ou dans l’inté­ rêt de l'organisation économique, le dirigeant peut envoyer des instructions aux membres, celles-ci ayant un caractère obliga­ toire, en ce sens que la désobéissance peut être sanctionnée par une amende de 1.000 RM. En cas de refus de payer Tarnende, l’affaire est jugée en dernier ressort par le dirigeant du groupe d’Empire ou du groupe principal, c’est-à-dire sans intervention d’aucun fonctionnaire). Pour bien comprendre quel est le rôle des groupes économi­ ques, il faut indiquer encore que la loi de Février 1934, qui a jeté les bases de cette organisation, exclut les groupes de la régle­ mentation des prix et des marchés et laisse les cartels seuls com­ pétents. En fait, des conflits de compétence s’étant produits entre ces deux formes d’organisation de défense des intérêts patronaux, des précisions ont dû être apportées. Tout d’abord une circulaire du 27 Février 1935 souligne la nécessité d’une «collaboration étroite et confiante entre les groupes et les cartels ». Puis, le 12 Novembre 1936, une ordonnance du ministre de l’Economie, or­ donnance fondamentale en la matière, vient à la fois définir les tâches des groupes et préciser leurs attributions par rapport aux cartels (ce texte complète une ordonnance antérieure, du 7 Juil­ let 1936). Le texte du 12 Novembre 1936 précise : la tâche des groupes et des Chambres consiste à élever leurs membres dans le sens de la meilleure organisation économique et de la plus haute pro­ ductivité. A cette fin les groupes et les chambres doivent entre­ prendre tous les travaux nécessaires ( 1 ) dans le domaine techni­ que, économique et statistique. En fait, les groupes se chargent ainsi d’un ensemble de travaux qui incombaient aux anciennes associations patronales, ou même aux services comptables ou commerciaux des entreprises particulières. Il y a là, sans doute, une source de simplification, d’unification et d’économie d’efforts et d’argent. Ainsi, les groupes sont chargés de l'analyse des mar­ chés, de l’établissement des directives communes à toute une branche de comptabilité, de la normalisation ou standardisation (ce qui a permis de réduire considérablement le nombre de mo(1) Les groupes et les chambres ont pour ressources financières les coti­ sations de leurs membres.

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L'ÉCONOMIE ALLEMANDE 80U S LE NAZISME

dèles de chaque objet) ( 1 ), de la comparaison des formes d'entre­ prises au point de vue du rendement, etc.... L'ordonnance du 12 Novembre 1936 précise que, dans le domaine technique, les grou­ pes et les chambres devront mettre à l’étude les questions de la production et de l’économie des matières premières ; dans ce domaine, ils doivent collaborer avec les offices spécialisés, qu’ils soient publics ou privés. Dans le domaine économique, les grou­ pes doivent poser les principes d’une comptabilité unitaire, ce qui permet aux entreprises non seulement de connaître la structure de leurs propres prix de revient, mais aussi d’établir des compa­ raisons avec les prix de revient d’autres entreprises, ou tout au moins, avec le prix de revient moyen de leur branche ; d'où un progrès possible dans le sens de la baisse des coûts. Il est à souligner que cette ordonnance interdit aux groupes de prendre quelque mesure que ce soit sous forme de prescriptions, en vue de réglementer le marché. L’ordonnance indique que ces mesures ne doivent être prises que par les syndicats et cartels car, ajoutet-elle, l’autorisation donnée aux groupes d’agir en vue de régle­ menter le marché conduirait à une cartellisation générale et à la hausse des prix. On ne peut mieux avouer que l’interdiction faite aux groupes de réglementer le marché est dirigée contre les entreprises non cartellisées (c'est-à-dire au profit des entreprises cartellisées) qui ne peuvent profiter de Vexistence des groupes pour contrôler le marché et leurs produits. L’ordonnance prévoit aussi, que, « autant que cela est nécessaire » devront être sépa­ rées les fonctions de directeur des groupes et des chambres d’une part, des cartels d’autre part (2 ) ; que les groupes devront tenir un relevé à jour des accords de cartels ; que la Chambre de l’Economie d’Empire et les groupes d’Empire de l’industrie et du commerce auront le droit de s’informer des accords de cartels et de participer aux négociations que ces accords supposent. En résumé, il apparaît que le rôle des groupes et des cham­ bres économiques est, essentiellement, dfunifier, autant que cela est possible en régime capitaliste, les conditions de production (normalisation) le calcul des prix de revient et la comptabilité. Leur rôlç est aussi de réaliser un travail de statistique, d’analyse du marché et de recherche dans le domaine de la production ou12

(1) Ainsi, sur proposition du groupe de l'automobile, Π a été décidé, le 25 juillet 1939, de ramener de 52 à 30 le nombre des types de voitures tourisme, de 113 à 29 celui des camions lourds, de 30 à 8 des camions légers, de 150 à 30 des motocyclettes. Les accessoires sont aussi touchés par cette mesure, qui ramène leur nombre de 5.381 à 739. (2) En fait, cette « union personnelle » subsiste toujours.

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de l’utilisation des matières premières ( 1 ). En ce qui concerne le rôle respectif des groupes et de cette forme particulière de cartels que Ton appelle « cartels de comp­ tabilité * on peut dire que les groupes n’ont à mettre au point que les directives de calcul des prix de revient, c’est-à-dire qu’ils ont surtout à éclairer l’entreprise sur l’état de ses coûts et à régler non les aspects matériels, mais les aspects formels de la compta­ bilité tandis que le cartel de comptabilité, bien que ne fixant pas le prix de vente, lui assigne cependant une limite minima (afin de permettre de subsister aux entreprises produisant au coût le plus élevé) qui est le résultat de la comptabilité. Si bien que l’on peut dire que les directives de comptabilité accroissent la concur­ rence (les entreprises les mieux outillées pouvant profiter intégra­ lement du niveau plus bas de leur coût, grâce à la connnaissance exacte qu’elles en acquièrent), tandis que les cartels de compta­ bilité limitent la concurrence, bien qu’à un moindre degré que les cartels de prix. En fait, d’ailleurs, les groupes peuvent se transformer facilement, devenir l’équivalent de cartels de compta­ bilité, d’où la crainte constante, qui s’exprime dans les textes des lois et ordonnances, de voir les branches économiques non concentrées profiter de l’existence des groupes. Pour en finir avec l’étude des fonctions des groupes, il reste à indiquer que dans les régions polonaises annexées au Reich (ré­ gions orientales) et dont les Polonais avaient été expulsés, les groupes ont été chargés de faire fonctionner la plupart des entre­ prises de leur catégorie. Ainsi, le groupe d’Empire du commerce a été appelé à fonder la « Société pour la reconstruction commer­ ciale de l’Est * qui, à son tour, a fondé des sociétés centrales chargées, à la fois, du commerce de gros et du commerce de détail, et dont la tâche est t de se rendre elles-mêmes, inutiles, par l’éta(1) Pratiquement dans ce domaine, les groupes travaillent en collaboration avec les industries scientifiques et sous la direction, lorsque c’est nécessaire, d’un office central. Ainsi le problème de l’emballage intéresse, étant données les matières premières utilisées à cette fin, les groupes du fer, du zinc, de l’étain, du plomb, de l’aluminium, du verre, de la céramique, des textiles naturels, des textiles artificiels, du bois, d u . liège, du papier, du carton, du caoutchouc, etc... d’où la nécessité de créer un Office central < la communauté du travail pour l’étude des matières premières d’embal­ lage ». (F r a n k fu r te r Z e it u n g , du 24 janvier 1941). Cet office, après étude, propose des mesures techniques qui, si besoin est, peuvent être imposées aux entreprises particulières par voie d’ordonnances (il 7 a là un trait carac­ téristique de l’économie de guérir). De cette façon a été mise au point une série de récipients en carton pouvant remplacer les bottes de conserves en métal et les bidons d’huile automobile. De la même façon, la tendance à remplacer les emballages durables (en bois) par des einballages à perte (en carton) a été freinée, grâce à la mise en œuvre d’un service de ramassage des* caisses (t oi est constitué par les fabricants de caisses), etc... Dans ce domaine te c h n iq u e , il est incontestable que les groupes, surtout les groupes spécialisés (Xacngruppen), peuvent jouer un rôle utile.

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l ' é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

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blissement et l’équipement d’entreprises indépendantes (1). Tous les bénéfices sont employés à cette fin. 11 s’agit là d’une institution de transition, institution fondée, d’ailleurs, par le capital privé, qui n ’est appelée à fonctionner centralement que tant qu’elle n’est pas parvenue à mettre sur pied un appareil commercial indépendant. De la même façon, ont été fondées, dans les régions orientales, des sociétés pour les huiles minérales, pour les machi­ nes agricoles, pour les marchandises destinées aux campagnes, etc.... Il y a là un cas exceptionnel où les groupes ont été chargés d’une fonction de gestion économique, qui sort de leurs attributions ordinaires d’études ou de recherches. Il est aussi à souligner, com­ me l’a fait d’ailleurs la Frankfurter Zeitung, que, même là où la situation exigeait une économie collective, on n ’a créé que des institutions de transition et que la gestion de ces institutions de transition n’a même pas été assumée par l’Etat et ses fonction­ naires, mais par ces associations de capitalistes que sont les groupes économiques, et dans le but de préparer le terrain à l’entreprise privée proprement dite. § 3. La participation des différents patrons ά la marche des groupes. — Le fait que les dirigeants des groupes sont nommés par le ministre ne doit nullement faire croire que ces dirigeants sont nommés en dehors de la volonté des patrons ; en fait, d’une part, ce sont les anciennes associations patronales qui ont été transformées en groupes économiques, avec leurs dirigeants et leur budget ; d’autre part, les différents patrons ont de nouveau la possibilité de sanctionner l’activité des dirigeants des groupes. Voyons ce dernier point de plus près. L’ordonnance du 27 Novembre 1934 précise le rôle et les attributions des conseils et des assemblées des membres des grou­ pes (2). Le paragraphe 18 indique que les conseils sont composés des dirigeants des groupes subordonnés ; ainsi le conseil du grou­ pe d’Empire de l’Industrie est constitué par les dirigeants des groupes principaux et des groupes régionaux du groupe d’Em* pire.... Le conseil examine la comptabilité et fixe le budget du groupe et le montant des cotisations, décide de l’achat de biensfonds ou d’immeubles (§ 19), etc.... Les décisions sont prises à la majorité, mais, dans certains cas, le dirigeant peut passer outre aux décisions du conseil. Le 2Γ paragraphe prévoit, pour les groupes spécialisés infé­ rieurs, au moins une assemblée par an. Les autres groupes peu-12 (1)

F r a n k fu r te r

Zeitung, du 1er février 1941.

(2) Les assemblées délibératives des patrons sont des reconstitutions de celles qui existaient avant.

STRUCTURE DB L'ÉCONOMIE ALLEMANDS

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vent aussi tenir des assemblées, mais seulement sur décision de leurs dirigeants. Le rôle principal (paragr. 22) des assemblées est d’accorder ou de refuser leur confiance au membre dirigeant du groupe. Le vote est secret. En bref, on voit que l'activité des entrepreneurs appelés au rôle de dirigeant du groupe (qui étaient en général les plus gros entrepreneurs de leur branche) bien que contrôlée par les autres patrons, ne l'était que faiblement. Ceci se soldait, évidemment, par un renforcement de la position du grand capital, qui détenait les postes de commande de la plupart des groupes et des chambres économiques ( 1 ).

(1) Au cours de guerre, on a pu relever une tendance de plus en plus nette de confier à des organismes plus centralisés que les groupes écono­ miques, mais de caractère également « professionnel », des tâches qui reve­ naient antérieurement aux groupes et même des tâches qui revenaient, dans une large mesure, à des administrations d’Etat. C’est ainsi que sont nées les U n io n s d u R e ic h . Ces Unions étaient des organismes privés, constitués sur initiative gou­ vernementale, par des chefs de grandes entreprises et des représentants de l’Etat, et oui devaient, dans les domaines pour lesquels ils étaient créés (fer, charbon, fibres végétales, etc...) se charger d’un certain nombre de tâches. A côté de la normalisation, la plus importante était la tâche de répar­ tition. Dans ce dernier domaine, fes Unions devaient, non pas pas être sou­ mises aux Offices publics de répartition, mais se substituer à ces Offices. La presse allemande a longuement commenté la création des Unions du Reich, en soulignant que cette création correspondait à u n e e x te n s io n d u c h a m p d ra c tio n d e l'in i tia t iv e p r iv é e . Une des premières Unions du Reich qui ait été formée était c l’Union d’Empire du charbon », constituée le 20 mars 1941, elle était chargée de la répartition du charbon. A sa tête, on trouvait quelques dirigeants de grands Konzern : Von Bohlen (de chez Krupp), Fr. Flick, Knepper, etc... La compétence des Unions a été progressivement âendue, notamment en matière de prix. Ainsi, une ordonnance du 4 mars 1943 donnait à l’Union des Fibres Artificielles et à l’Union du Textile le droit de fixer des prix, sous réserve de l’approbation du commissaire aux prix. Déjà, auparavant, des décisions du même ordre, mais d’une portée moins large, avaient été prises en faveur d’autres Unions du Reich, notamment de l’Union d’Empire du Fer.

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l ' é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

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SECTION III

L’organisation de l’agriculture.

En ce qui concerne l'agriculture, une série de mesures ont été prises qui ont profondément modifié son organisation économi­ que. Ces mesures ont permis d'encadrer économiquement la paysannerie et ont facilité son exploitation par le grand capital investi dans l'industrie de transformation des produits agricoles. Pratiquement, après avoir promis aux petits et moyens paysans une amélioration de leurs prix de vente ( 1), le régime a c orga­ nisé », les agriculteurs de telle sorte qu'ils ne puissent pas profi­ ter de l'amélioration de la conjoncture (sauf pour les gros agra­ riens ; pour les hobereaux, intimement liés par des attaches personnelles et familiales au haut personnel politique et au capital industriel). La forme de cette organisation, c’est le Reichsnährstand, la Corporation alimentaire. Le Reichsnährstand n'est une corporation que de nom : d’une part, parce qu’il ne groupe, en dehors de l’agriculture, que les entreprises et les entrepreneurs fournissant des produits agri­ coles bruts ou élaborés, à l'exception des ouvriers de ces entre­ prises (2 ), d’autre part, parce qu'il est géré principalement par des fonctionnaires et non par les agriculteurs eux-mêmes. Ce dernier trait s'explique par deux raisons : 1° La Reichsnährstand est, en principe, un instrument d’or­ ganisation et non de défense des intérêts corporatifs (et ceci distingue le Reichsnährstand des groupes économiques). 2e Le Reichsnährstand vise à jeter les bases d’une économie de guerre et à réaliser la suffisance alimentaire du Reich ; ce qui ne peut s’obtenir, à défaut de sacrifices financiers (dont on ne veut pas, pour ne pas diminuer les bénéfices du grand capital industriel et bancaire) que par des mesures de contrainte. A cet égard, le Reichsnährstand reconstitue, en plus étendu, FOffice12 (1) Dans les premiers mois du régime nazi, par relèvement des droit· de douane, certaines hausses des prix des produits de la petite agriculture ont été obtenues ;· depuis lors, ces prix ont été stabilisés, tandis que con­ tinuaient à monter ceux de la grande culture (céréales et fourrages) et ceux de l’industrie. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous étudierons le mouvement des prix agricoles. (2) Les ouvriers agricoles, par contre, sont incorporés de force an Reichsnährstand, ce qui ne leur est d’aucun avantage, mais les contraint à payer une cotisation.

STRUCTURE DE L’éCOROMlB ALLEMANDS

123

Central du Ravitaillement (Kriegsernährungsamt) qui avait été établi en Mai 1916 et auquel, en Septembre 1916, von Batocki avait adjoint VOfiice de fixation des prix pour les produits alimentaires ( 1 ). Les lois qui fondent le Reichsnährstand datent du 15 Juillet, du 13 et du 26 Septembre, et du 9 Décembre 1933. Pour étudier cet élément important de l'organisation économique du Reich, nous examinerons successivement la structure du Reichsnähr­ stand et ses fonctions. § 1. — L a structure du Reichsnährstand. Le Reichsnährstand groupait, sur une base locale, les agricul­ teurs proprement dits, absorbant les chambres d'agriculture, les chambres de paysans et les syndicats agricoles; il groupait, en outre, les sociétés de crédit agricole, les coopératives de produc­ tion et de vente (surtout pour le vin et le lait), le commerce des denrées agricoles, la meunerie, la laiterie, la fromagerie, les abattoirs, les distilleries, les sucreries, les fabriques de conserves, les scieries de bois et, d’une façon générale, toutes les industries de transformation des produits agricoles. D’autre part, le Reichsnährstand groupait ces mêmes entreprises par catégories de produits, sous forme d'ententes (Verbände) ; nous reviendrons sur ces ententes à propos de l’organisation du marché agricole. L’ensemble des groupements locaux d’un cercle (Kreis) était réuni en une « paysannerie * de cercle. Les paysanneries de cercles étaient elles-mêmes réunies au sein des dix-neuf sections du Reichsnährstand, secf»ons qui couvraient à peu près la cir­ conscription d’un Etat fédéré. Les chefs de toutes les paysanne­ ries étaient nommés ; en fait, on trouvait parmi eux un grand nombre de hobereaux.

§ 2. — L es fonctions. A tous les échelons, depuis le Reichsnährstand jusqu’aux paysanneries locales, les services étaient groupés en trois sections: l’Homme, la ferme et le marché. I e) Section de Fhomme. La section de l’homme avait théoriquement, surtout un but de propagande et d’éducation. Pratiquement, elle avait pour tâche essentielle d’encadrer les paysans, de lutter contre la désertion des campagnes, c’est-à-dire de fournir des salariés aux cultiva­ teurs et avant tout aux gros agrariens. La lutte contre la désertion (1) P BRroux , A lle m a g n e e t I t a li e , en numéro spécial de la Revne d’Economie Politique : D e la F ra n c e d ’a o a n t-g u e rre à la F ra n c e d ’a u jo u r ­ d 'h u i, p. 562.

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L'ÉCONOMIE ALLEMANDE S OUA LE NAZISME

des campagnes était devenue d’autant plus indispensable que de­ puis l’arrivée au pouvoir des nazis la ruée vers les villes tendait à s’accélérer, les agrariens ayant profité de l’appui des nazis pour aggraver les conditions de travail dans les campagnes. Les syndi­ cats des ouvriers agricoles ont été dissous au même titre que les autres, en mars 1934. Dès Septembre 1933, les ouvriers agricoles ont été exclus du bénéfice de l’assurance chômage. Les agrariens ont été à nouveau autorisés à appliquer eux-mêmes des peines disciplinaires à leurs salariés ; amendes et même châtiments cor­ porels. La rétribution des heures supplémentaires a été ramenée à une somme dérisoire. Les salaires eux-mêmes ont été abaissés, grâce à la complicité des curateurs du travail ; souvent les sa­ laires étaient de 50 à 70 % inférieurs aux allocations de chômage des ouvriers de l’industrie (1). On comprend que dans ces condi­ tions, la désertion des campagnes se soit accélérée. La tâche de la « section de l’homme » était de lutter contre ce processus, éminemment contraire à la volonté d’autarcie agricole, et surtout, aux intérêts des agrariens. C’est à l’instigation de cette section du Reichsnährstand qu’une loi du 15 Mai 1934 interdit l’embauchage dans les entreprises urbaines de ceux qui ont tra­ vaillé dans l’agriculture au cours des trois années précédentes ; c’est cette section, aussi, qui inspire le décret du 25 Février 1935 prescrivant le refoulement hors des villes, sous menaces de sanc­ tions pénales, des hommes et des femmes touchés par la précé­ dente disposition ; c’est la « section de l’homme t du Reichsnähr­ stand qui, pour attacher le prolétariat rural à la terre des hobe­ reaux préconise et obtient l’extension à un nombre toujours plus grand de salariés du salaire en nature, au lieu du salaire en ar­ gent (ce qui d’ailleurs contribue à diminuer le marché des objets de consommation). C’est cette section, enfin, qui préconise, et obtient, la résurrection du système féodal des Heuerlinge, qui consiste, de la part des agrariens, à concéder aux journaliers un petit lopin de terre, en échange de quoi ils doivent à leur maître un nombre considérable de journées de travail : c’est le système de la corvée seigneuriale redécouvert par le national-socialisme, et qu’un des chefs de paysannerie qualifie de « moyen le plus effi­ cace pour arrêter l’exode de la campagne et attacher le journalier agricole à la glèbe (2 ). 11 faut d’ailleurs dire tout de suite que toutes ces mesures n’ont nullement empêché la désertion des campagnes. De 1933 à 1939 le nombre des travailleurs de l’agriculture et des forêts a

(1) (2)

G uérin , F a sc ism e ... op. c i t Ib id , p. 222.

p. 221.

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STRUCTURE DE L'ÉCONOMIE ALLEMANDE

diminué, pour l'ancien Reich, de 1,45 millions, soit de 10 % ( 1 ). La Reichsnährstand est parvenu à compenser en partie cette fuite de la main-d’œuvre agricole, d’une part, par la prolongation de la durée du travail, d’autre part, par l’institution de la Land­ hilf e et du Landjahr, sorte de « services agricoles » qui mettent à la disposition des hobereaux de la main-d’œuvre qu’ils ne rému­ nèrent qu’en lui fournissant de la nourriture. Bien mieux, après avoir été appliquée de façon restreinte une disposition imposant une année de service gratuit obligatoire comme fille de ferme (ou domestique en ville) aux jeunes filles ou jeunes femmes dési­ reuses de travailler dans des administrations, dans le commerce ou dans certaines industries, a été étendue à la demande du Reichsnährstand à toutes les jeunes filles ou jeunes femmes de moins de 25 ans désireuses de travailler dans quelque branche que ce soit. Cette disposition, prise le 4 Janvier 1939, a effet rétroactif jusqu’au 1er Mars 1938. Elle permet de recruter chaque année (pour 1 an) 400.000 filles de fermes ou domestiques. Toutes ces mesures révèlent combien la section de l’homme est tout simplement au service des agrariens. 2*) La section de la ferme. La section de la ferme avait pour but l’amélioration des con­ ditions techniques de la production. C’est cette section qui a ab­ sorbé les anciennes chambres d’agriculture, avec leurs laboratoi­ res et leurs écoles d’agriculture. Elle s’occupait donc des recherches scientifiques, du drainage, de l’irrigation, du déboise­ ment, etc.... C’était là, tout au moins, l’aspect « théorique * de son activité, aspect qui a d’ailleurs une certaine importance pratique. Plus concrètement, la section de la ferme servait de commisplacier à l’industrie chimique et à l’industrie productrice de machines agricoles. Cette activité visait à permettre la réalisation de la suffisance agricole (et l’accroissement des bénéfices de VL G. Farben et des firmes de machines agricoles). La vente de machines agricoles a augmenté de la façon sui­ vante (en millions de RM.) (2) : 1932

1934

1936

1938

84

134

240

30012

(1) Et ce n’est là qu'une moyenne ; dans certaines régions, la dimi­ nution, au cours des six premières années du régime nazi, a été bien pins considérable ; ainsi elle a été de 21.2 % dans la région de Francfort, de 25,7 % dans celle de Wiesbaden et de 41,1 % dans celle de Berlin. (2) L a u f e n b u r g e r , U E conom ie a lle m a n d e .... op. cit, p. 27.

L’ÉCONOMiB ALLEMANDS SOUS LE NAZISMS

126

La vente des engrais a progressé comme suit (en mille ton­ nes) ( 1 ) : Potasse- Acide phosphoAzote synthé­ KO— rique ΡΟδ Chaux tique N— 1933-34 1937-38

383 632

718 1.156

471 690

686 1.269

Comme toujours, les progrès techniques de l’agriculture se sont heurtés aux limites du marché capitaliste. Les intérêts de la masse des paysans ont été sacrifiés à ceux des Konzern de l’industrie, et à la volonté d’avoir une base alimentaire pour la préparation de la guerre impérialiste. 3°) La section du marché. L’organisation du marché par le Reichsnährstand ne s’est réalisée que peu à peu. En automne 1933, la loi ne prévoit encore que la fixation de prix minimum pour les céréales, dont les prix tendaient à s’effondrer à la suite d’une très bonne récolte (les céréales en Allemagne sont presqu’exclusivement produites par les agrariens et les gros cultivateurs). En 1934, à la suite d’une mauvaise récolte, tendant à faire monter les prix de tous les produits agricoles, sont instituées des « ententes de marché ^ et des commissaires chargés de maintenir des prix maxima à la pro­ duction et aux différents échelons de la distribution, les gains des détaillants sont ainsi sévèrement réduits, et les prix de détail des produits agricoles ne montent que de 7 %, en dépit d’une hausse de 20 % (en moyenne) à la production. En 1935, à la suite d’une autre mauvaise récolte, le Reichsnährstand se propose encore de maintenir les prix au moyen de la taxation (ce qui a lieu pour la plupart des produits) mais surtout par la réglemen­ tation de l’offre et de la demande. En 1936, la récolte, à nouveau mauvaise, contribue encore à étendre la réglementation de l’offre par le système des livraisons obligatoires. La section du marché utilise deux formes de réglementation. Une réglementation purement autoritaire, pour les produits « se­ condaires » fournis par les paysans pauvres et moyens ; une réglementation par voie d'ententes obligatoires, la plus courante, pour les autres produits. Les ententes sont des groupements obligatoires des producteurs d’un même produit (blé, lait, etc...) dont les présidents (agrariens ou industriels) sont nommés. Au moment de la guerre, ces ententes étaient constituées par grandes catégories de produits, organisant le marché sur une base régio(1)

Ibid,

p. 27.

STRUCTURE DE L'A c ONOMIB ALLEMANDE

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nale ; il y avait 2 0 ententes régionales pour les céréales ; pour le lait, il y avait une entente par ville et campagne environnante. Les ententes régionales étaient groupées, toujours pour chaque catégorie de produits, en unions centrales, chargées de l’organisation du marché sur le plan national. Voyons rapidement quel est le rôle des Unions Centrales et des ententes. a) Les Unions centrales. — Le rôle des unions centrales est, essentiellement, de permettre l’adaptation de l’offre à la demande en maintenant le plus possible la stabilité des prix. Cette adapta­ tion se fait de deux manières : en cas d’excès de l’offre d’un pro­ duit agricole, l’Union qui a la charge de ce produit doit organiser le stockage de 1’« excédent » ; en cas d’insuffisance de l’offre, l’Union doit chiffrer les besoins d’importation. Dans leur tâche, les Unions sont aidées par des organismes administratifs dotés de moyens financiers propres : les Offices du Reich. Ce sont ces of­ fices qui sont chargés des importations (pour les céréales, les frais de stockage étant très élevés, c’est l’Office du Reich qui procède lui-même au stockage) ; ce dernier problème d’ailleurs n’a pris de l’importance qu’à partir de 1938 (1937 a encore été une année de mauvaise récolte), année où s’est également affirmée la néces­ sité de constituer des stocks de guerre (même par voie d’impor­ tation) ; fin Avril 1939, le stock de blé atteignit 31 millions de quintaux, celui de seigle 40 millions de quintaux. b) Les ententes. — Le rôle des ententes (régionales) est beau­ coup plus intéressant que celui des Unions centrales : les ententes représentent une institution nouvelle dont l’intervention est des plus importantes. Pour comprendre la fonction de ces organis­ mes, reportons-nous à la loi du 17 Avril 1936 qui organise la production, l’industrie et le commerce des produits laitiers (se substituant ainsi à la loi du 27 Mars 1934). Cette loi est fonda­ mentale, car c’est sur son modèle qu’ont été organisées ultérieu­ rement les ententes des céréales, des fourrages, des semences, du bétail et de la viande, des corps gras, des œufs, de la volaille et du miel, des produits viticoles, des pommes de terre, des produits de brasserie, du sucre et de la confiserie, du poisson, de la laine, de la soie, du bois et des forêts. Voyons donc cette loi du 17 Avril 1936. Le § 1 prévoit que doivent s’unir en ententes de la laiterie : I e) les entreprises produisant du lait ; 2 *) les entreprises tra­ vaillant ou transformant le lait ; 3e) les entreprises vendant du lait ou des produits laitiers. L’entente englobe donc les différents échelons de la production et de la vente. De la même façon l’entente des céréales comprend les cultivateurs, les meuniers et

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l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s l e n a z is m e

les boulangers, on a donc une liaison verticale et non horizontale comme dans l'industrie. Le § 4 indique quels sont les buts et les tâches des ententes ; il indique que les ententes ont à organiser le marché et à assurer le ravitaillement des consommateurs. A cette fin, les ententes peuvent réglementer la production, la vente et la consommation, elles peuvent imposer à leurs membres des obligations de livrai­ son, d’achat et de stockage ; elles peuvent fixer le degré d’utili­ sation des entreprises de transformation, le chiffre d’affaires mi­ nimum des entreprises de distribution (commerce) et désigner les entreprises < inutiles » de ces deux groupes qui doivent être fermées momentanément ou définitivement ; elles peuvent fixer les prix, les écarts de prix, etc.... Ce paragraphe est particulière­ ment important, il montre comment la production agricole peut être, dans une certaine mesure, orientée. Cette orientation se fait par les obligations de livraison auxquelles sont soumis les culti­ vateurs ; le montant des livraisons obligatoires varie selon les régions ; en ce qui concerne les céréales, il est fixé en proportion des surfaces ensemencées par chaque cultivateur. Les prix payés pour les livraisons obligatoires sont souvent inférieurs aux prix payés pour les quantités fournies en excédent sur ces livraisons et qui sont des prix maxima : parfois, une partie de l’excédent sur les livraisons est payée, elle-même, à un prix intermédiaire entre le prix maxima et les prix payés pour les livraisons. Ce système a pour conséquence que, seuls, les paysans ayant un rendement (à l’hectare s’il s’agit de culture, ou par tête de bétail, s’il s’agit d’élevage) très élevé, grâce à un outillage perfectionné (ou parce qu’ils possèdent un cheptel de qualité) peuvent béné­ ficier des prix maxima ; les autres, paysans pauvres et moyens, ne peuvent que satisfaire à leurs obligations de livraisons. Bien plus, il arrivait que le paysan pauvre ou moyen après avoir satis­ fait à ses obligations de livraison, fût obligé de racheter (et cette fois au prix maximum) aux gros cultivateurs ou aux hobereaux, les produits dont il avait besoin pour son exploitation (semences, fourrage, etc...). C’est aussi ce système qui poussait les paysans à faire des dépenses considérables pour l’achat d’engrais ou de ma­ chines agricoles, de manière à augmenter leur rendement à l’hec­ tare, afin de disposer de produits en excédent sur les obligations de livraison et pouvant être vendus à meilleur prix. Les obliga­ tions d’achat (aux industries de transformation ou au commerce) étaient la contre-partie des obligations de livrer. 11 est à souligner en effet, que ces livraisons obligatoires n’étaient pas effectuées à des organismes d’Etat ou même à des coopératives, mais à des in­ dustriels ou à des commerçants. Ces derniers pouvaient, en outre,

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se débarrasser de leurs concurrents gênants, en faisant fermer les entreprises de ceux-ci lorsqu’elles n’avaient pas un chiffre d’affai­ res suffisant (les gros brasseurs, meuniers et sucriers ont ainsi considérablement accru leur propre chiffre d’affaires, et leur puis­ sance économique). D’autre part, la réglementation des prix a permis aux industries de transformation d’accroître leurs béné­ fices sans que les prix de détail en aient été affectés, la marge de bénéfices des détaillants ayant été considérablement diminuée et les petits commerçants réduits à la portion congrue, ceci au béné­ fice du capital industriel dans son ensemble, qui aurait eu sans cela à supporter d’inévitables hausses de salaires. Enfin la régle­ mentation des prix a également permis de développer certaines cultures ; nous reviendrons sur ce point dans un instant. Le § 5 prévoit dans quelles conditions une indemnité peut être accordées aux entreprises subissant un grave dommage du fait de la nouvelle réglementation (essentiellement du fait de la fermeture de certains établissements) ; aucune indemnité n’est prévue pour le personnel de ces entreprises. Le § 6 indique qu’en cas de besoin l’Union Centrale peut se substituer aux ententes pour donner certains ordres. Le § 7 est particulièrement intéressant, parce qu’il fait res­ sortir la différence de nature entre les ententes et les groupes économiques que nous avons précédemment étudiés. En effet, ce § indique que la force policière peut être employée contre les membres des ententes qui ne se soumettent pas aux ordres de celles-ci (rien de semblable dans la législation relative aux grou­ pes économiques, le besoin ne s’en faisant pas sentir, ces groupes ayant pour rôle de défendre les intérêts de leurs membres) ; pra­ tiquement, il s’agit d’imposer aux paysans une série de mesures contraires à leurs intérêts ; en particulier, H leur a été interdit de transformer eux-mêmes la plupart de leurs produits (notam­ ment le lait) afin de les obliger à les livrer, sous forme de ma­ tières premières peu payées, aux industries de transformation ; de même il a été interdit aux paysans de fournir directement le consommateur ou le détaillant, ce qui leur aurait permis de béné­ ficier eux-mêmes de l’écart entre le prix de gros et le prix de détail ou de demi-gros, cela au bénéfice des trusts et en particulier du trust laitier. La résistance des paysans a été telle que la Ges­ tapo a dû maintes fois intervenir. Le § 10 d’ailleurs prévoit que la désobéissance aux mesures décidées par les ententes peut être sanctionnée par de la prison et par des amendes allant jusqu’à 100.000 RM. Le caractère réel de ces ententes, qui bénéficient au capital industriel et, dans une certaine mesure, aux hobereaux producteurs de céréales, apparaît ainsi nettement.

TROISIEME PARTIE

Etat e t Economie Au cours des pages qui précèdent, nous ayons examiné les traits caractéristiques de la structure économique de l'Allemagne. La connaissance de cette structure suppose, encore, pour être complète, que nous ayons mis en lumière la place occupée par les entreprises publiques dans la vie économique. D'autre part, on ne peut saisir la dynamique de l'économie allemande au cours des années qui ont suivi la prise de pouvoir par les nazis que si l'on sait quelles ont été les principales modalités de l'intervention de l'Etat dans la vie économique au cours de cette période. Ce sont ces deux aspects du rôle de l'Etat — aspects qui touchent à la fois aux questions de structure et aux questions de dynamique économique — que nous examinerons au cours de cette III* partie de notre étude, en remettant simplement à la IV* partie ce qui touche le plus directement à la dynamique économique : l'évolu­ tion des commandes publiques, des dépenses et des recettes de l’Etat.

CHAPITRE PREMIER

L'INTERVENTION DE L'ETAT DANS LA VIE ECONOMIQUE ALLEMANDE.

S'il convient d'examiner dans un chapitre à part le rôle joué par l'Etat dans la vie économique de l'Allemagne, il convient aussi de bien préciser la signification et l'importance de cette intervention de l'Etat. A vrai dire, d'une façon générale, la plu­ part des mesures législatives constituent des interventions de l'Etat dans la vie économique, puisqu'elles délimitent les condi­ tions de la production et de l'échange ; l'Etat, notamment en établissant et en faisant respecter les règles de la propriété privée, pose les bases d'un certain système économique. Tout au moins, les choses apparaissent ainsi ; mais la réalité est exacte­ ment inverse, car la production et les rapports de production

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l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

le

n a z is m e

qu'elle implique s’imposent aux hommes (en tant qu’ils représen­ tent le résultat d’un certain degré de développement de la techni­ que) et les rapports de droit ne sont que l’expression systématique de ces rapports de production. L’intervention de l’Etat, en tant que représentant et agent d’une classe qui domine la société du fait même des rapports de production existants, consiste à donner une expression juridique à ces rapports de production ; c’est en ce sens relatif que l’intervention consiste aussi à défendre ces rapports de production (base de la puissance de la classe sociale que l’Etat représente) alors même que le développement des for­ ces productrives fait entrer ces dernières en contradiction avec les rapports de propriété existants. C’est de cette façon que, par l'in­ termédiaire de la législation elle-même, il y a intervention de l’Etat dans la vie économique, d’où les révolutions politiques et sociales qui accompagnent le développement des forces produc­ tives. Cependant, quand on parle d’intervention de l'Etat dans la vie économique, ce n’est pas en ce sens large ; on ne se préoccupe pas tant alors des mesures législatives que de l’intervention direc­ te de l’Etat dans la vie économique, par l’intermédiaire de ses fonctionnaires. C’est en ce sens restreint que nous traiterons ici du rôle de l’Etat. La signification donnée dans ce chapitre aux termes « inter­ vention de l’Etat » ayant été précisée, il reste à déterminer Pimportance théorique de cette intervention. Il est évident que cette intervention n’a qu’une importance secondaire. Ce qui est décisif, c’est de savoir quelle forme de propriété (donc quelle classe so­ ciale) a ses intérêts défendus par l’Etat et par sa législation, car les mesures prises directement par l’Etat, au moyen de ses fonc­ tionnaires, ne peuvent avoir pour but de détruire l’ordre écono­ mique qu’il défend et qu’il maintient par toute sa législation. Si l’ordre économique soutenu par l’Etat, par sa législation géné­ rale, est d’ordre capitaliste, si la classe dont il défend les inté­ rêts ( 1 ) est celle des capitalistes monopoleurs et financiers, son (1) Il faut bien prendre garde ici, que la défense des intérêts d’une classe sociale ne se confond pas avec la liberté des individus composant cette même classe sociale. Il se peut, en effet, qu’une partie numériquement importante de ces individus n'ait pas une vision claire de leur propre in­ térêt, et que dans cette mesure, ils se rebellent contre le pouvoir politique, [ui agit pourtant en définitive, d’une façon qui leur est essentiellement avorable. Dans cette mesure, si le pouvoir politique est un pouvoir autori­ taire, ils s’exposent à des sanctions et à des représailles. C’est ce qui explique qu’un certain nombre de capitalistes allemands, même parmi les plus im­ portants, aient pu être poursuivis par la police et obligés de s'expatrier. C’est là, un aspect particulier des rapports entre la classe dominante et l’Etat, rapports trop complexes pour que nous puissions nous permettre de les analyser dans cette note. Il convient cependant de souligner, d’une part, que, même du point de

?

ÉTAT ET ÉCONOMIQUE

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intervention directe dans l'économie, même lorsqu'il procède par voie d’étatisation, ne peut avoir d’autre but que de maintenir le régime dont il est le représentant ( 1 ). La portée relativement secondaire des phénomènes d’inter­ vention directe de l’Etat dans l’économie étant ainsi déterminée, il nous faut examiner les différents domaines dans lesquels s’est manifestée l’intervention de l’Etat sur l’économie de l’Allemagne nationale-socialiste.

vue de ses intérêts, une classe sociale n’est jamais parfaitement homoaéne, ne, par exemple, il peut y avoir des différences d'intérêts au sein de la asse des capitalistes industriels, notamment entre les chefs d'entreprises de l’industrie lourde et les chefs d'entreprises de l’industrie légère. Si, en vertu d'une politique donnée, l’Etat intervient en faveur du premier de ces deux groupes, il apparaît comme agissant en contradiction avec les intérêts du second. D’autre part, il faut noter que les sanctions que le pouvoir politique »rend à l’égard de certains membres de la classe dominante ne peuvent amais aller contre les intérêts de l’ensemble de cette classe ; c’est ainsi qu’en Allemagne, les sanctions prises contre les industriels qui ne se pliaient pas aux directives politiques, n’ont jamais été jusqu'à la confiscation, au profit de l'Etat, de leurs biens (ce qui aurait entraîné fin transfert d'une partie des richesses, du secteur privé au secteur public), mais ont été repré­ sentées, tout au plus, par la mise sous séquestre ou par la dévolution de leurs bjens à leurs héritiers ou successeurs. (1) C’est ce qu’un économiste comme Keynes a bien compris lorsqu'il demande l'étatisation de branches entières de l’économie, dans le dessein de sauvegarder et d’accroître le profit du secteur privé.

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J

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L*iC0NOiMB AMJWAMttK M V « LB NAZISMS

SECTION I

Les entreprises publiques dens la production.

L'expérience montre, depuis le dernier quart du xix* siècle, que les périodes de crise sont des périodes d’étatisation, l’Etat se substituant à certains entrepreneurs défaillants, et les périodes de reprise économique des périodes de reprivatisation, l’Etat recédant aux capitalistes des entreprises à nouveau rentables ; le régime nazi n’a pas voulu déroger à cette habitude, bien que la reprise économique ait été due à la conjoncture d’armements provoquée par l’Etat lui-même. Aussi, dans la production, com­ me dans le crédit, les reprivatisations se sont succédées à un rythme accéléré ; le phénomène a pris toute son ampleur en 19361937, années où, de surcroît, l’Etat a eu besoin d’augmenter encore ses recettes financières pour combler le déficit du budget. C’est de cette façon que les nazis ont reprivatisé les actions des Vereinigte-Stahlwerke, de la Deschimag (chantiers navals), de la Hambiirg-Sudamérikanische A. G. et de toutes les sociétés dont nous avons précédemment parlé. Le montant exact, certainement considérable de ses opérations est impossible à chiffrer pour 3 raisons : parce que le Reich n’a pas publié un état détaillé et complet de ses recettes et de ses dépenses, parce que les statis­ tiques ne considéraient comme entreprises d’Etat (du moins jusqu’en 1936) que celles auxquelles l’Etat participe à concur­ rence d’au moins 90 % et, enfin, parce qu’un grand nombre de ses actions, bien que payées par l’Etat, n’étaient pas juridique­ ment, la propriété du Reich, mais se trouvaient en sa possession seulement à titre de garantie. Néanmoins, la tendance à la reprivatisation des entreprises les plus rentables est un fait très net et nullement contesté par les dirigeants nazis, qui depuis qu’ils ont été au pouvoir n’ont pas perdu une occasion pour faire l’éloge de . « l’initiative privée*. Cette tendance est compensée, dans une faible mesure, par le développement d’entreprises publiques ou semi-publiques dans des branches de production non-rentables, ou qui ne pourraient être rentables qu’au détriment du capital monopoleur. Nous allons examiner, en deux paragraphes successifs, les statistiques des entreprises publiques et les principaux Konzern publics.

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§ 1. — L es

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entreprises publiques.

Des statistiques complètes sur les entreprises du Reich et des pays (anciens Etats) n’ont été publiées qu’à partir de 1936. A partir de 1936f cette statistique englobe les participations de 75 % et indique, en outre, le capital de ces entreprises. Le nombre de ces entreprises a varié comme suit : 1934 = 201 1935 = 207 (après le retour de la Sarre) 1936 = 285 (la base statistique passe de 90 à 75 %) 1937 = 302 1938 = 333 (avec les Sudètes et l’Autriche) 1939 = 372. 11 est évident que de tels chiffres n’ont pas grande significa­ tion, d’une part, parce qu’ils ne tiennent pas compte des diffé­ rentes fondations et liquidations (ainsi de 1935 à 1936, 22 entre­ prises ont été liquidées et 6 fondées) ; d’autre part, et surtout, parce qu’ils ne donnent d’indication ni sur le capital, ni sur la nature des entreprises. Voici donc une statistique relative à l’évolution du capital total des entreprises d’Etat (mais il faut se souvenir que du fait de l’enchevêtrement des participations réci­ proques les double$ comptes sont très nombreux). 1936 = 17.131 millions RM. 1937 = 17.236,3 » » 1938 = 21.339,6 » » (cette augmentation provien à concurrence de 4.103,3 millions, des chemins de fer et des P.T.T. de l’Autriche et des Sudètes). Voici maintenant, pour les principales branches de la pro­ duction (en y comprenant les transports) l’évolution du capital des entreprises publiques :

Transports ............ Distributions (eau. gaz, électricité .. Mines, carrières et s a lin e s .................. H ydrauliques........ Usines métallurgi­ ques ...................... S. de participations

Capital en Millions de R.M. 1938 (1) 1937 1936 15.344,9 (2) 15.456,4 (3) 19.436,6

en % du total 91 %

604,5

611,6

604,0

2,6 %

303,6 79,1

299,6 79,1

359,9 78,2

1,6 % 0,36 %

71,5 355,0

75,4 345,0

88,0 352,2

0,41 % 2,5 %

(1) Sont désormais comptées les entreprises d*Etat autrichiennes et Sudètes. (2) Y compris les P. T. T. (Reichspost). (3) Cette rubrique comprend désormais les transports automobiles groupés jusque-là sous une rubrique spéciale.

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l e n a z is m e

Il apparaît que les entreprises d’Etat sont représentées à concurrence de 93 % par ce qu’on appelle les services publics, c’est-à-dire les chemins de fer, les P. T. T. et les entreprises de distribution d’eau, de gaz et d’électricité. Il apparaît aussi qu’au cours de la période couverte par cette statistique, seules (en dehors des transports), les entreprises minières et métallurgiques tendent un peu à se développer, bien que leur importance rela­ tive (3,01 %) reste toujours minime. Le capital total des entreprises d’Etat autres que les chemins de fer et les P. T. T. a évolué comme suit (en milliards de RM.) : 1936 1937 1938 1,94 1,98 2.37 Ce qui fait, pour ces entreprises, un capital moyen de 6 mil­ lions RM. environ. En fait, pour ces entreprises, le capital moyen varie entre 90 millions (en moyenne) pour les sociétés de parti­ cipations et 2,7 millions pour l’agriculture, en passant par 4,7 millions pour la distribution (eau, gaz, électricité) et 5 millions pour l’industrie. Ce sont là des chiffres inffmes à côté de ceux des grandes firmes privées. Il convient d’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’entreprises publiques, de mettre en face des chiffres du capital celui des dettes qui lient ces entreprises à leurs créanciers (dont les plus importantes sont les grandes banques privées) or, ces chiffres sont en progression constante et importante comme l’indique le tableau suivant : Dettes de toutes les entreprises du Reich (en millions RM.) 1933 4.704,0 1934 5.215,9 1936 7.284 1938 8.539,9 1939 10.753,2 C’est là un nouvel aspect de € l’aliénation » de l’Etat et de ses entreprises au capital privé. Cette « aliénation * apparaît encore plus grande lorsqu’on ne considère que le capital et les dettes des entreprises ne s’occupant pas de transports (l’Etat s’étant directement chargé des dettes des entreprises de trans­ port au lendemain de la guerre 1914-1919). En faisant cette distinction, on voit que pour un capital de 2,37 milliards RM. ces entreprises avaient, en 1938, une dette de 4,7 milliards, c’est-à-dire une dette se montant à 198 % de leur capital.

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Pour en finir avec les statistiques, il reste à indiquer à quel pourcentage se montait la part des collectivités publiques (y compris les communes et les villes hanséatiques) dans le capital total des sociétés anonymes, par branches de production ( 1 ). 47,54 % Transport 37,17 % Eau, gaz, électricité 0,88 % Matières premières 0,40 % Industrie La place infime des entreprises publiques dans la production proprement dite apparaît ainsi encore plus nettement. La plupart de ces entreprises publiques étant groupées en Konzern, il nous reste à décrire rapidement les principaux Konzerns publics : §

2.



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1*) La Viag. La Viag (Vereinigte Industrieunternehmungen A. G.) est es­ sentiellement un holding qui détient les actions d’un grand nom­ bre d’entreprises publiques (si bien que le capital de la Viag fait en grande partie double emploi avec celui des sociétés dont elle est actionnaire, phénomène dont il faut tenir compte lorsqu’on veut interpréter les statistiques précédentes) ; elle est organique­ ment liée à la Reichskreditgesellschaft, qui fait donc partie, avec son capital, du Konzern Viag. La Viag tire son origine de la guerre de 1914-18 (c’est l’ori­ gine des participations aux Deutschen Industriewerken A. G.) et de la nécessité de grouper les différentes entreprises d’Etat (no­ tamment les usines électriques). Le capital de la Viag au début de la guerre était de 230 millions RM. (2) (3). La Viag fonctionne selon les principes de Véconomie privée et notamment elle vise à obtenir la rentabilité maxima de ses entreprises (c’est-à-dire un taux élevé du profit) : son dividende qui était de 6 % en 1935-1936 a été porté ensuite à 6,5 % (en 1936-1937) et à 8 % (en 1937-1938).123 (1) Statistique de 1937, mais les pourcentages n’ont guère changé depuis. (2) Il a été porté à cette somme en 1938, par une augmentation de caital (le capital antérieur était de 180 m illions RM.) destinée à permettre la Viag d'absorber les entreprises de l’ancien Etat autrichien : usines sidé­ rurgiques électriques, C red ita n sta lt autrichienne, B a n ko erein de Vienne, etc... (3) A la tête par ordre d’importance, des entreprises auxquelles parti­ cipe la Viaa, viennent les Elektrowerke (usines électriques) avec un capital de 110 m illions RM., puis les usines d’aluminium au capital de 36 millions, et les usines métallurgiques et mécaniques au capital de 46 m illions, les usines de nitrate et de calcium au capital de 20 m illions ; le personnel total du Konzern se monte à environ 70.000.

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L*ÉCONOMlB ALLEMANDE SOUS LB NAZISMS

2#) Les Hermann Geering Werke. La fondation dee Hermann Geering Werke (mines de fer et de métallurgie) a eu lieu en Juillet 1937, en vertu d’une ordon­ nance en date du 23 Juillet du « responsable du plan de 4 ans ». L’entreprise était fondée au capital provisoire de 5 millions RM· capital porté, en 1938, à 400 millions (265 millions RM. d’actions originaires acquises par le Reich, 130 millions d'actions préféren­ tielles à caractère obligatoire, c’est-à-dire avec un dividende garanti placées auprès des banques et des « milieux économiques intéressés »). Des motifs de la loi et des commentaires officiels qui ont suivi sa publication, il ressort que l’Etat, en procédant à cette fondation, vise à intervenir à la place de l’initiative privée là où l’industrie privée, de son propre point de vue, considère comme trop risquées l’exploitation et la transformation de mi­ nerais de fer particulièrement pauvres. Les commentaires souli­ gnent, en même temps, que les domaines où l’initiative privée est résolue à réaliser d’elle-même et avec une rapidité suffisante les tâches prévues par le plan de 4 ans, doivent être laissés intégrale­ ment à Vindustrie privée. « Le fait que le Reich assure, pour com­ mencer, la direction de la nouvelle société ne doit pas être inter­ prété comme indiquant que le Reich, pour une raison de principe ou une autre désire fonder une entreprise d’Etat », écrit la Frankfurter Zeitung. La participation est librement ouverte à l’industrie privée : dans le Conseil d’administration se trouvent réunis non seulement des fonctionnaires du plan de 4 ans, du ministère des finances et de la Société de Révision (banque d’Etat) mais aussi des représentants de l’économie privée. Ces observations montrent que les Hermann Gœring Werke ont été créés pour substituer à l’initiative individuelle défaillante (par rapport aux tâches du plan de 4 ans) l’initiative de l’E tat Au point de vue théorique, cette mesure présente un certain inté­ rêt. En effet, les Hermann Gœring Werke se chargent de l’exploi­ tation de certains minerais dont l’industrie privée ne veut pas parce qu’elle n’est pas assez rentable (ou parce qu’elle est défici­ taire), le prix de revient des produits obtenus avec des minerais à faible teneur métallique dépassant le prix du marché. Il y a là un obstacle courant au développement de certaines branches de production dans une région ou dans un pays, obstacle qui est le signe du caractère antiéconomique — au moins momentané — du développement de ces branches. Dans celles-ci, un produit donné ne peut être obtenu que moyennant une dépense de travail supérieure à celle exigée pour la production du même produit dans une autre région, ou à l’étranger. Pourtant, depuis la nais­ sance du capitalisme, l’Etat agissant par voie de subvention ou

ÉTAT BT ÉCONOMIQUE

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plus couramment, de production douanière permet à de telles branches de production de se développer et à des capitalistes d’y prospérer. C’est de cette dernière façon, à l’aide de la protection doua­ nière, qu’ont pu être développées la production de pétrole synthé­ tique et la production de caoutchouc synthétique. S’il n ’en a pas été de même ici, c’est que l’Etat a voulu protéger le profit des industries métallurgiques et mécaniques. Ce profit aurait été gra­ vement lésé par une hausse du prix et la hausse des droits de douane du minerai de fer, étant donné que plus des 2 / 3 du mi­ nerai utilisé pour ces industries sont d’origine étrangère. En d’autres termes, si l’Etat a créé les Hermann Gœring Werke, c’est pour maintenir les profils du grand capital, tout en ne renonçant pas à l’exploitation des gisements « nationaux > (afin de se pré­ server le plus possible, en prévision de la guerre impérialiste, des conséquences du blocus). Après 1938, les Hermann Gœring Werke se sont à nouveau accrues, surtout par rachat d’entreprises métallurgiques appar­ tenant à la Viag ; ainsi la Borsig A . G. (capital 50 millions RM.) a été acquise par le Konzern Gœring en Juin 1938, du fait de l’achat à la Viag (au cours de 170 %) de 26,56 millions de RM. d’actions (valeur nominale) de Borsig. 11 y a là un simple proces­ sus de regroupement des entreprises publiques ( 1 ). 3e) Les sociétés charbonnières. L’Etat prussien, avant 1914, avait acquis, en vue de s’assurer certaines recettes budgétaires, une série de mines de charbon ; c’est ainsi qu’il acheta notamment, dès avant la guerre de 1914, d'abord la majorité, puis la participation restante, de la Société minière « Hibernia », dont la gestion fut poursuivie d’après les principes de l’économie privée, alors que d’autres mines dépen­ daient directement du Ministère des Finances. En 1923, la plus grande partie des mines gérées par le ministère ont été transfé­ rées à une société publique, au capital de 67 millions, fondée à cet effet, la Bergwerke A. G. (Recklinghausen) tandis que les (1) A la suite de ces changements, il a été nécessaire, au point de vue technique, de procéder à la division du Konzern en plusieurs unités, avec remaniement du capital. C’est ce qui a eu lieu en janvier 1941 : à partir de cette date fonctionnent : la Société R eich sw erk e < H erm a n n G oerina » (capital, 250 m illions RM.), qui dirige le Konzern ; la Société des Munitions et Machines « H. G. » (capital 80 m illions de RM.) ; la Société des Mines et Hauts-Fourneaux e H. G. » (capital 560 m illions de RM.) ; la Société de Navigation intérieure c H. G. » (capital 12,50 m illions RM.) ; la Société Minière des Alpes (capital 180 m illions RM.). Comme toujours, ces sociétés possèdent des double comptes nombreux dans la composition de leur capital, es actions jouent d’ailleurs ici, comme le note la F ra n k fu rte r Z e itu n g , dm 15 février 1941, plutôt un rôle o rg a n isa tio n n el qu’un rôle Énancier.

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autres mines et les hauts-fourneaux de l’Etat prussien ont été transférés à la Preuasische Bergwerke und Hutten A. G. (Preussag). Les nazis n’ont fait que continuer ce lent processus d’orga­ nisation. Ainsi, en 1934, la Société Hibernia (capital 72 millions RM.) et la Bergwerke A. G. de Recklinghausen ont été fusionnées en une société unique, la « Bergwergesellschaft Hibernia » (ca­ pital 150 millions). Dans la même ligne, a été fondée, pour l’exploitation de certaines mines de la Sarre, YAktiengesellschaft für die Saargraben. Telles sont les données essentielles sur les participations de l'Etat à la production ; elles montrent qu’en dépit de l’importance propre de certains Konzern publics, le rôle de l’Etat dans la pro­ duction industrielle et dans celle des matières premières était tout à fait minime ; elles montrent aussi que cette participation de l’Etat ne s’est véritablement accrue que pour les productions non rentables (et dans le but de maintenir de hauts profits au capital monopoleur), alors qu’elles était au contraire, en recul, pour les branches les plus prospères (le mouvement de repriva­ tisation en est la meilleure preuve).

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SECTION II

L’activité bancaire de l’Etat.

§ 1. --- L a REICHSBANK.

1) L'Etat et la Reichsbank. Après la terrible crise monétaire traversée par l'Allemagne en 1922-1923, crise qui s’est terminée par l’effondrement du mark (le 5 Novembre 1923, le dollar était coté 4.200 milliards de marks), il a été nécessaire de créer une nouvelle unité monétaire. C’est alors que fut créée, en attendant la réorganisation de la Reichs­ bank, une monnaie provisoire, le rentenmark (ordonnance du 15 Octobre 1923) émis par la Rentenbank, banque entièrement indé­ pendante de l’Etat, au capital de 3.200 millions de rentenmarks souscrits par l’industrie, la banque et l’agriculture. Les crédits délivrés par la Rentenbank étant très strictement limités, ce qui aboutissait à étrangler le commerce et l’industrie, la Reichsbank crée, le 15 Mars 1924, une filiale, la banque d'escompte-or ( Golddiskontobank) au capital de 10 millions de livres-sterling, fourni par la Reichsbank et un consortium de grandes banques (1). Enfin la loi du 30 Août 1924 réorganise la Reichsbank. La Reichsbank redevient alors institut d’émission ; statu­ tairement son indépendance est absolue vis-à-vis du gouverne­ ment. La Reichsbank est constituée au capital de 150 millions RM. ; 90 millions proviennent d’actions anciennes dont le nomi­ nal est réduit de moitié, le reste d’une émission d’actions nou­ velles, libérables seulement en or et en devises-or. La Reichsbank a un privilège d’émission pendant 50 ans. Le reichsmark (la nou­ velle unité monétaire) est une monnaie d’or, gagée par de Γ ο γ ou des devises-or et par des créances commerciales à court terme. La loi prévoit un pourcentage minimum de couverture (40 % ) et définit le RM. par 0 gr. 3.383 d’or fin (valant un trillion de marks papier). Le caractère privé de la Reichsbank qui travaille en vue du profit, est affirmé par la loi ; en fait, étant données les fonctions de la banque d’émission, la Reichsbank travaille toujours en liai­ son étroite avec le ministère des Finances. (1) Par la suite, les actions souscrites par le consortium ont été échan­ gées contre des actions à la Reichsbank elle-même.

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La loi de 1924 a dû subir ses premières modifications en Juil­ let 1931, à la suite de la crise des changes ; ces modifications inté­ ressent essentiellement le fonctionnement de la Reichsbank par rapport à l’étranger ; nous en parlerons plus loin. Puis, en Sep­ tembre 1931, nous l’avons déjà indiqué, est nommé un commis­ saire du Reich, chargé d’observer l’activité des instituts de crédit, ce commissaire travaille en contact avec la Reichsbank. Ein 1933, c’est l’arrivée au pouvoir des nazis. Quelles modifications vont-ils apporter au statut de la Reichsbank ? Ils en apportent trois prin­ cipales : a) Dès 1933, la Reichsbank est autorisée à acheter des fonds d'Etat pour influencer leurs cours en bourse ; c’est la politique de Topen market, qui garde en Allemagne une ampleur réduite. Le montant des fonds d’Etat détenus par la Reichsbank passe de 269,4 millions fin 1933 à 556,8 millions en 1938. b) La loi de 1934, dont nous avons parlé, et sur laquelle nous ne revenons ici que pour mémoire, donne à la Reichsbank une place prépondérante dans l’Office de contrôle institué par cette loi. c) Enfin, à la veille de la guerre, il apparaît nécessaire de réaliser une plus grande synchronisation entre l’activité de la Reichsbank et celle du Trésor, c’est l’objet de la loi publiée le 15 Juin 1939. En vertu de cette loi, la Reichsbank est placée sous l’autorité directe du chancelier du Reich ; c’est lui qui fixe désor­ mais le montant des bons du Trésor que la banque peut acheter et vendre, qui fixe le montant des avances que la banque peut accorder au trésor ; il est appelé à régler toutes les questions monétaires. Le capital de la banque est maintenu à 150 raillions R.M. ; le dividende est définitivement fixé à 5 % (garantie de divi­ dende) ; si le bénéfice permet un dividende supérieur, l’excédent revient à l’Etat (cette dernière mesure apparaît comme purement démagogique lorsqu’on voit les dispositions qui la suivent) ; les actionnaires allemands reçoivent en échange de 500 RM. (valeur nominale) d’anciennes actions, 500 RM. d’actions nouvelles et, en outre, 500 RM. de Bons du Trésor à 4,5 %, ce qui doit leur assurer (avec effet rétroactif au 1er Avril 1939) un rendement annuel de 9.5 %, Les actionnaires étrangers reçoivent en échange d’une ac­ tion de la Reichsbank (valeur nominale 100 RM.) une action privi­ légiée de 200 RM., sans droit de vote, de la Golddiskontobank por­ tant intérêt à 4 % (donc intérêt effectif 8 %) à partir de l’exercice 1939. En outre, le porteur étranger a droit à une bonification de 1 .5 % ; le dividende ainsi que la bonification sont transférables. Enfin, la valeur du kg. d’or est fixée à 2.784 RM. (donc la défini-

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tion en or de Vunité monétaire n’est pas modifiée) ; mais tout lien est rompu entre la quantité de monnaie en circulation et l’im­ portance des réserves d’or et de devises étrangères, ce qui ne fait qu’entériner un état de fait. La loi de 1939 est surtout importante au point de vue des relations de ta Reichsbank et de l’Etat. La véritable portée de cette loi est de permettre à l’Etat d’obtenir encore plus facilement qu’auparavant des fonds de la Reichsbank, c’est la porte ouverte à l'inflation, puisque la Reichsbank, au-delà d’une certaine limite, ne peut avancer de l’argent à l’Etat (ou acheter des bons du Tré­ sor) qu’en imprimant des billets ; ceci marque, en même temps, l’importance limitée de la réforme dans la mesure, tout au moins, où les nazis ne veulent pas de l’inflation, par crainte de ses consé­ quences économiques et sociales. Par contre, la loi ne modifie nullement les relations de la Reichsbank avec l’économie, elle ne touche en rien au jeu du réescompte. A vrai dire, ce n’est pas tellement du côté des modifications législatives qu’il faut tourner ses regards, pour évaluer l’influence de l’Etat sur la Reichsbank, que du côté des modifications écono­ miques. Le trait essentiel au point de vue financier et monétaire, de la conjoncture allemande qui a suivi l’arrivée au pouvoir des nazis, c’est l’inflation de crédit et l’accroissement de la liquidité de l’économie. Le résultat de cette conjoncture, c’est la limitation des besoins de réescompte de la part des banques (nous aurons à revenir sur ce point), donc la limitation des opérations de la Reichsbank avec l’économie, dont les paiements se balancent faci­ lement. Pour ne pas laisser son capital inemployé, la Reichsbank se tourne naturellement vers l’Etat qui, chargé d’énormes dépen­ ses de guerre, est désormais le plus gros emprunteur. La conjonc­ tion s’opère ainsi entre le désir d’accroître ses gains, de la part de la Reichsbank et le besoin de crédit de l’Etat. La Reichsbank (et sa filiale la Golddiskontobank) voient croître de la façon sui­ vante leur portefeuille de bons et de traites (traites non commer­ ciales). Portefeuille de traites et bons (millions RMJ détenus par la Reichsbank et la Golddiskontobank : Octobre 1932 Octobre 1936 Avril 1937 Avril 1938 Avril 1939 3.221 5.567 6.302 7.434 9.724 En l’espace de sept ans le montant des traites et bons déte­ nus par l’institut d’émission, et sa filiale, a donc triplé (le rythme de l’augmentation est encore plus considérable depuis le prin­ temps de 1939). Cet accroissement est tel qu'il a entraîné une

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augmentation importante de la circulation de billets. Nous aurons à revenir sur ce point. En résumé, les liens entre la Reichsbank et l’Etat se sont incontestablement resserrés depuis 1933, mais sans que cela im­ plique un changement structurel ; il s’agit essentiellement d’une collaboration plus étroite du Trésor et de la Reichsbank et de la mise à la disposition de l’Etat d’une part plus importante des moyens financiers, forcément limités (nous avons vu pourquoi) de la banque d’émission. 2) La Reichsbank et Véconomie allemande. Tandis que l’influence de l’Etat sur la Reichsbank a pro­ gressé, l’influence financière de la Reichsbank sur l'économie allemande a plutôt diminué. Elle a diminué en raison de l’évolu­ tion de la conjoncture, et cela apparaît à différents égards. a) Développement de l'auto-financement. — Avec l’accrois­ sement énorme de leurs recettes, les grands Konzern disposent de plus en plus de moyens financiers à eux et recourent de moins en moins à l’escompte et au crédit (1). Comme l’écrit Laufenburger : < L’action régulatrice de la banque d’émission devient... problématique lorsque de grands trusts industriels s’émancipent pour pratiquer le selffînancing * (2 ). b) Le recul des opérations d'escompte et de réescompte. — En fait, on constate qu’après avoir crû pendant un moment, ce qui était inévitable étant donné l’augmentation des chiffres d’af­ faires, le montant des escomptes est entré en voie de régression, du fait de l’accroissement des liquidités. Après avoir atteint, en 1937,, 2.658,4 millions RM. le portefeuille commercial des 5 grandes banques allemandes (portefeuille qui comprend aussi un certain montant de traites spéciales) est tombé à 2.038 millions RM. en 1939 (3). Le recul des réescomptes de la R.B., qui a plus d’importance au point de vue qui nous intéresse ici, est encore plus net. Le montant des engagements des cinq grandes banques berlinoises et de trois grandes banques de province vis-à-vis de123 (1) On se fera uoe idée de l’essor que le nazisme a donné à la puissance financière des grands Konzern et à l’auto-flnancement, lorsqu’on saura que le revenu des sociétés par actions non réparti entre les actionnaires (donc utilisé par ces sociétés) est passé de 175 millions RM. en 1933 à 3,42 mil­ liards en 1938. (2) L a u fen b u r g e r , L'intervention de l'Etat en matière économique, p. 234. (3) La guerre a entraîné une lente remontée de l’importance de ce porte­ feuille qui avait atteint, fin 1943, 2.337 millions RM., chiffre encore inferieur à celui de 1937. D’ailleurs, de 1938 à 1943, la part du portefenille-effets dans le bilan des 5 grandes banques est tombée de 30.2 à 8,8 %.

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la R. B. du fait du réescompte, a varié comme suit (en millions RM.) : Début : 1934 1935 1936 1937 1939 Montant : 1.003 739 640 783 869 L’importance pour le système bancaire des réescomptes à la R. B. est donc en voie de recul, ce qui aboutit encore à diminuer les possibilités d’action de l’institut d’émission, action qui se manifestait autrefois essentiellement par le jeu du taux de l’es­ compte ; comme l’écrit encore Laufenburger : c La raréfaction dans plusieurs pays des effets de commerce prive la technique du taux de l’escompte de son principal champ d’action » ( 1 ). Le tableau précédent révèle combien étaient faibles, dans de telles conditions, les possibilités d’action de la R. B. sur l’activité des banques (et par leur intermédiaire sur l’activité du commerce et de l’industrie). Il y a là un fait que l’on retrouve dans toutes les économies capitalistes contemporaines, et qui s’est soldé par l’échec, notamment aux U. S. A. et en Grande-Bretagne, des ten­ tatives d'action sur la vie économique par l’intermédiaire des instituts d’émission. § 2. — L es

établissements publics de dépôts, de crédit et d’acceptation.

Le système du crédit, le système bancaire, est pour l’essen­ tiel, nous l’avons vu, entre les mains du capital privé. Les grandes banques d’affaires et de dépôts, étroitement liées au capital monopoleur qui dirige effectivement l’activité économique et dont l’Etat dépend étroitement pour son propre crédit, sont aux mains du capital privé. L’Etat qui détenait une partie des actions de certaines de ces grandes banques a même renoncé à cette participation. Les nazis, qui prétendaient vouloir nationaliser le crédit, ont « reprivatisé » les actions de la Dresdner Bank, de la Commerzbank, etc. Seules sont restées banques publiques les banques de peu d’importance pour la vie économique du pays ; nous allons en dire quelques mots dans le présent paragraphe. Le nombre des banques publiques est très considérable en Allemagne. Ce nombre dépasse 300. Ce fait s’explique par la constitution politique de l’Allemagne, qui n’a réalisé que lente­ ment son unité nationale. Par suite, chaque « Etat >, et même chaque province, a son système de banques publiques ; la Bavière, la Saxe, la Prusse, le Wurtemberg, etc... ont chacun leurs banques (1)

Lautbnburobr, U in terven tio n de VEtat en m a tière économ iquet

op . cit., p. 334.

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d’Etat, leurs banques hypothécaires et autres. Ces banques n’ont qu’un champ d’activité restreint, aussi bien quant aux opérations qu’elles pratiquent que quant à l’étendue territoriale de ces opé­ rations. Rien ne montre mieux l’indifférence du régime nazi à leur égard et son asservissement au capital financier que le fait que le Troisième Reich, qui a pris tant de mesures d’unification politique, ait laissé ces banques dans cet état d’ « éparpillement », on pourrait même dire c d’émiettement », qui leur enlève le peu d’importance qu’elles pouvaient avoir. Cependant, certaines ban­ ques publiques occupent dans l’économie allemande une place plus importante que les autres, d’où la nécessité de diviser notre exposé en trois points : 1 ·) Les banques d’importance secondaire ; 2e) Les banques de dépôts et de gestion ; 3 e) Les banques de garantie. 1·) Les banques d'importance secondaire. Les banques ou instituts de crédit d'importance secondaire sont les innombrables banques publiques locales ou régionales. Parmi elles, il faut citer les banques de chaque Etat, banques qui ont essentiellement dans leurs attributions les mouvements de caisse de ces unités administratives et la gestion des liquidités des entreprises publiques des pays et des communes de la ré­ gion ; elles acceptent d’ailleurs aussi des dépôts des particuliers : les caisses de crédit agricole, qui doivent permettre aux cultivateurs de « mobiliser » plus facilement leurs stocks, c’està-dire d’obtenir des avances sur ces stocks. les banques hypothécaires nombreuses, et qui tirent souvent leur origine des banques publiques créées en vue de fournir aux cultivateurs, en hypothéquant leurs biens, les moyens de racheter les redevances féodales qui les liaient aux hobereaux, les caisses d'épargne, créées un peu partout, et destinées à recueillir les épargnes paysannes et artisanales, ou même ouvriè­ res, que les banques proprement dites ne sont pas capables d’at­ teindre ; après 1937, le Reich a superposé aux précédentes une caisse d'épargne postale, destinée à drainer les épargnes qui n ’avaient pas encore pu être atteintes. Enfin, il faut citer les offices de compensation et de virement qui jouent surtout un rôle technique. 2 e) Les banques de dépôt et de gestion. La principale, la seule qui étende son activité à l’échelle du Reich est la Reichs-Kredit-Gesellschaft, banque de la Viag, dont nous avons déjà parlé. C’est une banque sans succursales. Par

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l’importance de ses affaires, elles vient loin derrière les grandes banques privées à succursales ; ainsi, en 1939, le montant des comptes créditeurs de la R. K. G. atteignait seulement 559 mil­ lions RM. alors que le bilan de la Deutsche Bank indiquait à ce même poste 3.237 millions, et celui de la Commerzbank 1.266 millions. La R. K. G. est la seule banque publique qui étende ainsi son activité à l’échelle du Reich, tout en n’étant pas étroitement spécialisée. A côté d’elle, il faut citer peut-être, bien que ce fût officiellement une banque privée, la banque du Front du Travail (Bank der Deutschen Arbeit) créée en 1935 au capital de 20 mil­ lions RM. (capital porté à 26 millions en 1936). Cette banque, qui avait aussi une activité générale, était une banque à succursales ; le montant de ses comptes créditeurs a atteint en 1939, 781 mil­ lions ; son principal objet était la gestion du patrimoine du Front du Travail et des institutions créées par lui (1). Enfin, comme banque chargée surtout de la gestion des participations du Reich aux entreprises publiques, il faut citer la Deutsche Revisions und Treuhand A. G. (Société de révisions). Cette banque travaille pa­ rallèlement à la R. K. G. dans les tâches de contrôle de l’activité des entreprises publiques ; ce sont ses représentants qui sié­ geaient dans les conseils d’administration de la plupart de ces entreprises publiques et notamment, nous l’avons signalé, dans le conseil d’administration des Hermann Gœring Werke. 3e) Les banques de garantie, Avec les banques de garantie, nous arrivons aux plus impor­ tants des instituts de crédit de l’Etat, non pas tant par les moyens financiers dont ils disposent que par leur rôle économique, ce rôle consistant pratiquement à permettre aux banques privées de réa­ liser certaines opérations avec le minimum de risque. Ce sont donc des instituts ayant pour rôle d9aider les banques privées. Parmi ces banques, il faut citer la Garantie und Akzeptbank, le Deutsche Finanzierung Institut, l’Oeffa, la Deutsche Bau und Bodenbank, la Bank fur Deutsche Industrie Obligationen, etc... (voir Annexe 4). Le fonctionnement de ces dernières banques est très particu­ lier. Il consiste à garantir les traites tirées par les capitalistes sur l’administration pour le compte de laquelle ils travaillent. Tout industriel qui a reçu une commande d’un organisme public, des chemins de fer par exemple, est autorisé à tirer une traite (dans (1) Au cours de la guerre, le montaot des dépôts de ces deux banques a suivi le mouvement ascendant précédemment signalé pour les grandes banques privées ; ainsi, les comptes créditeurs de la première ont atteint, fin 1943, 1.105 millions RM., ceux de la seconde, 4.197 millions RM.

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ce cas sur la Reichsbahn, compagnie des chemins de fer), avant même d’avoir procédé à la livraison, ceci distingue un tel effet d’une traite commerciale ordinaire. La traite ainsi tirée, et qui est à trois mois (mais les traites du travail sont renouvelables pendant 54 mois et c’est là une autre particularité) est alors acceptée par la banque d’acceptation chargée d’aider à l’approvi­ sionnement de la Reichsbahn. Cela signifie que cette banque n'escompte pas la traite, elle ne paye pas Vindustriel, elle donne simplement à sa traite une garantie qui va permettre à une ban­ que privée d’escompter la traite, de procéder à Vopération réelle. La banque d’acceptation ne fait donc nullement concurrence, du moins en général, au capital bancaire privé, elle ne diminue nullement le volume de « sa matière première ». Cela, d’une part, parce que la banque privée qui a consenti l’avance est assurée du paiement de l’échéance, puisqu’elle a la garantie d ’une banque d’Etat, d’autre part, parce que cette garantie va lui permettre, si elle a le moindre besoin de liquidité de réescompter la traite à la Reichsbank, ce qu’elle n’aurait pu faire sans cela, la R. B. n ’ac­ ceptant que du < papier » à court terme (alors que les traites de travail sont renouvelables pendant 54 mois, ainsi que nous l’avons indiqué). Ce mécanisme a permis aux banques privées d’étendre le champ de leur activité (et donc le volume de leur bénéfice) à des opérations qui leur auraient été sans cela interdites. Il y a là un moyen de développer une forme particulière d'inflation, Γίηflation de crédit. En effet, la banque qui escompte à un industriel les traites dont nous venons de parler, paye rarem ent en numé­ raire le montant de son escompte ; dans la plupart des cas elle se contente de créditer le compte-courant que l’industriel entre­ tient chez elle. Le montant de l’escompte étant ainsi porté au crédit de son compte-courant, l’industriel peut en disposer au moyen de chèques, payer ses fournisseurs par virements, par compensation, etc... tout se solde par jeux d'érritures. Ce qui n ’empêche qu’il faut que la banque ait tou joui ~ ^ caisse une somme suffisante de numéraire, pour faire face aux demandes éventuelles de paiement en espèces et en portefeuille une somme suffisante de cpapier» escomptable à la Reichsbank, pour pouvoir renouveler ou accroître son encaisse liquide, chaque fois que besoin est. Dans ce mécanisme de « préfinancement », les banques pu­ bliques jouent donc seulement le rôle d'auxiliaire du capital ban­ caire privé ; grâce à ces banques, ce capital a pu opérer sur. 7 à 8 milliards RM. de traites escomptées à un intérêt assez élevé, les renouvelant lui-même. C’est grâce à cette inflation de crédit que, dans une large mesure, la reprise économique, sous forme de

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conjoncture d’armement, a pu être financée. Nous reviendrons §ur ce point. Il est bon de signaler, d’ailleurs, que certaines des banques d’acceptation, notamment les plus anciennes, qui disposaient de quelques moyens financiers, ont fait aussi de l’escompte propre­ ment dit ; mais étant donnée la faiblesse extrême de leurs dispo­ nibilités ce genre d’opération est resté pour elles exceptionnel ; d’autant plus que, faute de liquidité, elles étaient obligées de faire réescompter presqu’aussitôt leurs « papiers > par la Reichs­ bank, ce qui risquait d’amener rapidement une inflation moné­ taire ( 1 ). Pour en finir avec les banques d’acceptation, il nous reste, à dire un mot des fonctions de la Golddiskontbank. La Golddiskontbank n'est pas à proprement parler une banque d’acceptation, c’est une filiale de la Reichsbank qui, selon les moments a été chargée de diverses fonctions. Lors de l’entrée en guerre de l’Allemagne, en dehors d’opérations qui intéressent plutôt le com­ merce extérieur, la Golddiskontbank a notamment pour rôle d’aider à boucher les brèches de l’édifice financier par lesquelles pourrait s’infiltrer l’inflation monétaire. Dans ce but la Golddiskontbank émet des effets spéciaux, les Solawechsel (ou DegoWechsel) qui peuvent être escomptés directement à la Reichsbank. Les banques privées font l’escompte de ces effets, car précisément l’inflation du crédit, en diminuant la demande d’escompte de la part du commerce et de l’industrie (nous avons déjà signalé ce phénomène) laisse entre leurs mains des disponibilités qu’elles cherchent à employer de façon fructueuse (2 ).

Telle était la structure de l’appareil bancaire public de l’Al­ lemagne. On le voit, cet appareil est composé de trois sortes de (1) Indiquons pour montrer combien ce risque était réel, que tandis que le réescompte des banques privées à la Reichsbank était en voie de ré(nous avons donné les chiffres un peu plus haut), le réescompte des Sression a noues d’acceptation était en progrès (signe de leur situation financière pénible). Voici, à titre d’exemple, l’évolution des engagements des cinq prin­ cipales banques d’acceptation vis-à-vis de la Reichsbank, du fait du rées­ compte (en RM.) : Fin 1933 1934 1936 1936 1933 785 1.432 2.274 1.453 1.359 Le recul qui se fait jour dès 1936 indique que ces banques ont renoncé, dans une large mesure, à faire elles-mêmes l’escompte. Ce recul traduit aussi la diminution du volume des traites du travail, de plus en plus remplacées alors par des emprunts de trésorerie à court terme. (2) Par la souscription des banques aux Solawechsel, la liquidité de l’économie se trouve diminuée ; d’autre part, la Golddiskontbank utilise le numéraire qu’elle a - obtenu de cette façon à racheter des traites à la Reichsbank dont le portefeuille commercial diminue d’autant. Quant au

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banques. En premier lieu, il comporte des instituts ayant un rôle économique très limité, car les fonds dont ils disposent, bien que considérables numériquement, ont une destination trop précise pour jouer un rôle économique général. En second lieu, il com­ prend des banques chargées de la gestion des participations ban­ caires publiques et qui, accessoirement, acceptent des dépôts : ces banques, les plus proches des grandes banques privées ont un chiffre d’affaires très inférieur à ces dernières. Enfin, cet appareil bancaire comprend les banques d’acceptation jouant un rôle im­ portant dans le mécanisme de l’inflation de crédit, qui servent d’auxiliaires aux banques privées et qui ont permis à l’Etat de financer d’importantes dépenses sans recourir apparemment à l’emprunt. 11 faut ajouter, pour avoir une vue complète de l’appareil financier public, au sens le plus large, qu’on doit aussi tenir compte de l’existence de caisses d’assurances (locales, provin­ ciales < d’Etat » ou d’Empire) les plus importantes de ces caisses sont celles d’assurances sociales. A vrai dire, lorsqu’il s’agit d’as­ surances obligatoires, on se trouve plus près économiquement de ramifications de l’appareil fiscal que d’organismes financiers. En définitive, si l’on groupe sous une même rubrique tous ces organismes, aux fonctions les plus diverses et à l’importance le plus souvent minime, pour la vie économique du pays, on s’aperçoit que le montant total des participations des collectivités publiques (municipalités comprises) à des organismes bancaires, hypothécaires, de crédit agricole, de gestion, d’épargne et d’as­ surances atteignait (avec la participation réciproque) la propor­ tion de 2 0 % environ du capital des sociétés anonymes s’occupant des mêmes activités, proportion assez importante, qui ne corres­ pond nullement à l’influence réduite exercée par ces organismes.

numéraire que la Reichsbank obtient ainsi, il sort, par là même, de la circa· lation monétairet et c’est un des principaux buts visés par cette opération. Le montant des Solawechsel a atteint, au début de 1939, la somme de 1.899 millions, son plus haut niveau du temps de paix. Il faut ajouter que les banques recherchent aussi les Solawechsel, pour une raison de technique comptable : ces effets s'inscrivent au poste « portefeuille commercial », ear nous savons que ce poste tend à diminuer singulièrement, au moins en im­ portance relative : grâce à cet artifice, les banques arrivent à masquer toute l’ampleur du phénomène.

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SECTION III

La réglementation des prix et des salaires.

Nous avons déjà fourni quelques indications sur la politique des prix et des salaires, c'est pourquoi nous ne reviendrons ici sur cette question que pour indiquer le mécanisme et la portée de l'intervention de l’Etat national-socialiste dans ce domaine. Notre exposé sera divisé en deux paragraphes consacrés, le premier, aux prix, le second, aux salaires. § 1. — Les p r ix .

La première mesure de réglementation des prix qui ait laissé des traces sur la législation nazie en cette matière est antérieure de plusieurs années à la montée au pouvoir du national-socia­ lisme. 11 s’agit d’une ordonnance du 28 Juillet 1930 prévoyant des mesures de lutte contre les prix c non-économiques >. Ce terme désigne les prix « trop bas». Un peu plus tard, le 8 Décembre 1931, était institué un commissaire du Reich à la surveillance des prix. En vertu du décret du 23 Octobre 1936, qui crée l’Adminis­ tration du Plan de 4 ans, est créé aussi — au sein de cette Admi­ nistration — une section des prix qui se substitue au Commissa­ riat ; mais à la suite de plusieurs réorganisations, est créé à nouveau un Commissariat aux Prix, d’ailleurs hiérarchiquement subordonné à l’Administration du Plan de 4 ans. Le nazisme, ici, n’a nullement innové. L’idée directrice de sa politique économique en cette matière a été de stabiliser les prix. Ce qui indique déjà de la part de l’Etat une attitude passive. 11 ne cherche pas à diriger les prix, accepte ceux qui existent, à quelques exceptions près. Dès 1933, Hitler affirme la nécessité de stabiliser les prix et les salaires (nous avons déjà indiqué les rai­ sons de cette attitude) ; en fait les prix montent. En automne 1936 la hausse est brutale, si brutale même que des répercussions économiques graves sont à redouter. L’ordonnance du 26 Novem­ bre 1936 intervient alors qui fixe, en principe, les prix à leur ni­ veau du 17 Septembre 1936, à l’exception des prix du textile qui sont stabilisés au niveau du 30 Novembre 1936. Cette ordonnance représente une tentative de freinage des tendances à la hausse, tendances prenant principalement leur source dans l’inflation de crédit et dans l’autarcie. En fait, la hausse est ralentie, mais

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îlle n’en continue pas moins ; elle est d’ailleurs autorisée par le § 3 de l’ordonnance du 26 Novembre 1936 qui prévoit que des dérogations peuvent être accordées (1). En face de cette hausse, particulièrement grave pour les produits destinés au consomma­ teur, l’Etat prend différentes sortes de mesures. Indices des prix ( 1913 = 100) En gros

1933 Août 1939

Produits agricoles : 8 6 .8 108.8 Biens de consomma­ tion : 111.7 136.1

Détail

1933 Août 1939

Alimentation :

112.3 124.9

Habillement :

106.7 133.6

1°) Afin d’éviter que la hausse des prix de gros ne se réper­ cute trop sur le coût de la vie, le bénéfice commercial a été limité. Le détaillant n’a le droit de vendre les produits qu’en ajoutant un pourcentage limité au prix de gros. C’est là un système largement pratiqué dans tous les pays par les trusts et les cartels qui obli­ gent les commerçants à vendre leurs produits à un certain prix, c'est le système des « prix'imposés ». En Allemagne, cette fixation des prix de détail a été peu à peu étendue à presque tous les pro­ duits et le pourcentage de bénéfice commercial progressivement limité. La situation des petits commerçants est devenue de plus en plus difficile car, en fait, ils ont été de plus en plus exploités par le capital industriel. Pendant que le profit du capital indus­ triel croît régulièrement, le profit du petit commerçant décroît Dès 1936, 75 % des entreprises du commerce d’alimentation ne laissaient à leurs propriétaires qu’un revenu mensuel de 80 RM., inférieur au salaire d’un ouvrier qualifié (le pouvoir d’achat du RM. équivaut à cette époque à environ 8 f.). En fait, dans le domaine industriel, la fixation des prix est conforme aux désirs des entrepreneurs, et leur permet de larges bénéfices ; dans le domaine commercial, la fixation des prix aboutit à une véritable exploitation du petit détaillant. Grâce à cette politique, le capital industriel conserve pour lui une part de plus en plus grande des profits. Une politique des prix identique a été poursuivie après le début de la guerre ; ainsi une ordonnance du 23 Décembre 1940 décide que le bénéfice unitaire par marchandise doit être diminué de 10 % dans le commerce de détail du textile. Seuls les détail­ lants, dont le chiffre d’affaires est déjà diminué par le rationne­ ment, doivent supporter le poids d’une mesure qui a sa source (1) Ces dérogations sont accordées, en principe, lorsque les entrepre­ neurs peuvent prouver que leurs prix de revient ont augmenté. Les entrcTeneurs administrer cette preuve soit antérieurement à la hausse Se leurs peuvent prix de revient, soit postérieurement ; c’est la base du système, de plus en plus développé du « pré-calcul » et du « post-calcul » des prix.

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dans la hausse des prix de gros du textile, hausse que les détail­ lants avaient répercutée en partie sur leurs prix de vente, comme Tindique l’index des prix de détail de l’habillement, qui est passé de 133,6 en Août 1939 à 143,6 en Octobre 1940. 2e) Dans le dessein de permettre un contrôle plus facile des prix de détail par les autorités administratives et policières, l’af­ fichage de tous les prix de détail a été progressivement exigé. Finalement une circulaire du commissaire aux prix, en date du 5 Décembre 1940 ordonne l’affichage de tous les prix et tarifs par les détaillants artisans, restaurateurs, hôteliers et garagistes. 3°) En ce qui concerne les commandes d’Etat, le niveau des prix n’est que très indirectement déterminé par le marché, les produits achetés par l’Etat (surtout des armements) étant fournis par un nombre restreint d’entreprises et n’étant pas vendus au public. 11 n’y a pas de cours coté pour de tels produits ; dans de tels cas, le prix peut être fixé par voie de « soumission », c’est-àdire par voie d’enchère au rabais de la part des industriels. Les nazis ont renoncé à ce mode de fixation des prix. Une ordonnance du 21 Novembre 1938 décide que les prix des commandes publi­ ques doivent être fixés sur la base des prix de revient, en laissant aux entrepreneurs un profit c raisonnable ». Les modalités de calcul du prix de revient ont donné lieu, à leur tour, à une régle­ mentation très complexe. Celle-ci d’ailleurs, ne nous intéresse pas ; ce qu'il importe de retenir, c’est l’introduction d’un procédé qui élimine la concurrence entre les fournisseurs de l’Etat et leur évite ainsi d’avoir à se contenter d’un profit trop « maigre ». En contre-partie, le budget de l’Etat se trouve protégé grâce à la connaissance des prix de revient, contre la coalition des fournis­ seurs qui peuvent s’entendre pour ne pas baisser leurs prix audelà d’une certaine limite, afin de s’assurer un profit « léonin ». 4°) Le § 22 de l’ordonnance du 4 Septembre 1939 (ordon­ nance de l’économie de guerre) fait une obligation à chaque entrepreneur de fixer ses prix et ses tarifs à un niveau qui convienne à la situation de guerre ; c’est là une obligation < mo­ rale » dont la violation peut entraîner des sanctions pénales au cas où elle aboutirait à des profits « excessifs ». Une telle ordon­ nance peut avoir une portée très différente suivant le critérium dont on se sert pour distinguer un profit « excessif » d’un profit qui ne l’est pas. En fait, on constate que la portée de ce texte n’est pas du tout la même pour les industriels et pour les com­ merçants. On constate, aussi, qu’il n’a nullement empêché le capital industriel et bancaire d’accroître ses profits au cours de la guerre, ce qui prouve que, selon l’expression du commissaire

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aux prix» le par. 2 2 de l'ordonnance d’économie de guerre pose avant tout un « devoir moral » (Frankfurter Zeitung du 23 Fé­ vrier 1941). Au mois de Mars 1941» le commissaire aux prix a donné de nouvelles précisions sur la portée du par. 22. Il a souli­ gné qu’il ne s’agissait là ni d’une sanction ni d’un impôt (il n’y a pas en Allemagne d’impôts sur les bénéfices de guerre) mais d’une mesure visant à garantir le mieux possible la stabilité des prix« stabilité c sur laquelle repose toute la politique économique alle­ mande... ». Le but visé est de compenser les accroissements de profits réalisés sur certains produits (lorsque ces profits sont dus à la diminution des frais généraux), et les accroissements de coût enregistrés sur d’autres. Les profits dépassant ceux de la der­ nière année de paix (ou ceux d’une des dernières années de paix) doivent être utilisés par chaque entreprise à baisser les prix des produits vendus par elle, en choisissant, de préférence, des pro­ duits destinés à une large consommation. Si, pour une raison ou pour une autre, il est impossible de réaliser ces baisses, ces profits supplémentaires devront être remis au fisc (renversement des bénéfices). Des exceptions sont possibles. En aucun cas les pro­ fits supplémentaires ne doivent être utilisés des fins sociales. 5°) Il est intéressant de signaler une mesure prise dans l'industrie textile. Il s’agit d’une mesure, en date du 15 avril 1941, qui fixe les prix (prix maxima) de certaines marchandises types (essentiellement vêtements de travail) non seulement au détail, mais aussi à la production. Ces prix laissant une marge de béné­ fices moins élevée que ceux des autres marchandises il a été décidé que lors de la répartition des matières premières, un cer­ tain pourcentage devra être réservé à la production de ces mar­ chandises types. Les industriels se voient ainsi indirectement imposer la production d’une certaine quantité de ces marchan­ dises types à bas prix. C’est la première fois qu’une ordonnance essaye de réglementer les prix d’une marchandise depuis la ma­ tière première jusqu’au produit fini, en accompagnant cette réglementation des mesures portant sur la répartition de la matiè­ re première, dictant ainsi à l’entrepreneur des décisions qui ne sont pas motivées par la seule perspective de la rentabilité. C’est donc une mesure d’un caractère tout à fait exceptionnel et dictée par les craintes qu’a suscitées la hausse des prix des textiles de 1939 à 1941. D’une façon générale, la guerre a entraîné une réglementa­ tion de plus en plus sévère des prix, et un contrôle très serré du respect des mesures réglementaires. Les groupes économiques.

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les Unions du Reich et les cartels ( 1 ) (qualifiés d’organes de ^ a d ­ ministration autonome de l’économie) participant d’ailleurs tou­ jours davantage à cette réglementation et à ce contrôle (si bien qu’il aurait été presque aussi justifié d’en parler à propos de l’organisation économique qu'à propos de l’intervention de l’Etat). En outre, pendant la guerre, les prix autorisés pour chaque caté­ gorie de marchandises ont été le plus souvent fixés de façon uni­ taire (et non plus sur la base d’une majoration autorisée), d’après les conditions de production d’une. « bonne entreprise *. Une action a même été amorcée pour réaliser une baisse des prix, en décrétant une baisse générale des prix de vente de 5 sauf justification de l’impossibilité de procéder à une telle réduction (circulaire du 7 Avril 1943). En fait, de telles mesures ne peuvent être réalisées avec l’aide des représentants de l’industrie que parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre général d’une politique favorable aux intérêts industriels. Pratiquement, dans ce domaine, l’intervention de l'Etat vise, essentiellement, à stabiliser les prix, afin d’assurer le meilleur fonctionnement possible de l’économie de guerre, d’éviter la haus­ se des salaires, la dépréciation de la monnaie, l’inflation et ses conséquences économiques et sociales. Il ne s’agit ni d’une direc­ tion des prix, ni encore moins (sauf dans des cas exceptionnels) d’une direction de l’économie par les prix, mais d’une lutte constante en vue d’endiguer les conséquences de la multiplica­ tion des moyens de paiement. Cette orientation générale vers la stabilisation n’exclut nullement que les capitalistes les plus puis­ sants aient pu faire jouer la réglementation des prix à leur profit, en obtenant des modifications tant à leurs propres prix qu’aux prix de détail. Comme le montrera l’analyse que nous ferons de la dynamique économique, ces modifications ont eu lieu au bénéfice du capital industriel (et du capital financier, étroitement lié à lui) et au détriment du capital commercial ; la répartition du profit total entre ces deux sphères d’investissement a cessé d’être proportionnelle au capital avancé, la part la plus large revenant à l’industrie qui prend ainsi, avec l’aide de l’Etat, une position de monopole par rapport au commerce. D’ailleurs, ainsi que le confirment les statistiques, en raison de la procédure adoptée pour l’établissement des prix, la répar­ tition du profit total au sein du capital industriel lui-même se fait, de plus en plus, au profit des capitalistes monopoleurs, donc au détriment des autres industriels. Ainsi s’est réalisé avec l’aide (1) Discours du Commissaire aux Prix, du 29 janvier 1943 et articles du Dr Rentrop, parus au début de Février 1943, dans le journal officiel du Commissaire aux Prix.

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de l’Etat* ce qui se produit spontanément* et à un moindre degré* dans tous les pays. En ce sens* on peut donc dire que l’intervention de l’Etat en matière de prix est souple et peu profonde (puisque passive et non active) et qu’elle aboutit surtout à aider à la réalisation des ten­ dances propres au capitalisme des monopoles. Ces caractères de l'intervention de l’Etat sont encore plus nets en ce qui concerne les salaires. § 2. — L es salaires. Comme nous l’avons déjà vu* les salaires ne sont plus fixés par des contrats collectifs de travail* mais par les contrats individuels. Ces contrats individuels* sont l’œuvre des patrons qui sont tenus* dans le cas où il existe un règlement tarifaire* de s’y conformer* sauf autorisation du Préfet du Travail. En fait, nous l’avons vu aussi* les règlements tarifaires sont devenus de plus en plus fréquents avec la résorption du chômage et la course aux ouvriers qui en est la conséquence. Un décret du 25 Juin 1936 permet aux Préfets d’abaisser les salaires lorsque les taux prati­ qués sont « susceptibles de compromettre l’exécution du plan de quatre ans ». Les Préfets doivent de plus en plus veiller à empê­ cher les hausses des salaires. En d’autres termes* l’intervention de l’Etat vise à maintenir le salaire ouvrier au plus bas niveau possible. Cette intervention dans la plupart des cas* peut rester tout à fait superficielle* les patrons étant eux-mêmes intéressés au maintien de bas salaires dans leurs entreprises. Exceptionnelle­ ment* lorsque le manque de main-d’œuvre pousse certains entre­ preneurs à des concessions, l’Etat intervient pour les obliger à maintenir de bas salaires ( 1 ). Le Ministre du Travail a voulu expliquer cette politique des salaires en affirmant qu’elle tendait à deux buts : 1 ) assurer l’exé­ cution du plan de 4 ans, c’est-à-dire le développement des arme­ ments ; 2 ) tenir les prix allemands assez bas pour concurrencer victorieusement les pays étrangers sur le marché international. En réalité, si ces considérations ont joué un rôle, le désir d’ac­ croître les profits du grand capitalisme* — qui avait aidé les nazis à accéder au pouvoir — n’a pa$ dû jouer un rôle moindre. L’étude de l’évolution de ces profits après 1933 le prouve. Le but visé par la politique des salaires a été mieux réalisé que celui visé par la politique des prix, ce qui s’explique aisé(1) Mandblbaum souligne que* dans certains cas* lorsque la maind’œuvre a commencé à manquer, les patrons ont essayé de développer leur recrutement en accordant des hausses de salaires. Cest pour éviter ae telles évasions par rapport à la politique économique, que les Préfets du Travaü ont été autorises en 1938 à imposer les salaires maxima. L’auteur ajoute que* en fait, ceux-ci ont été appliqué avant-guerre dans deux industries (note 1. p. 192).

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ment. L’indice officiel du salaire nominal horaire pour les hom­ mes et les femmes des mines, de l’industrie et des transports tombe de 82 en 1932 (base 100 en 1929) qui est le fond de la crise, à 80 en 1939 ( 1 ). La baisse est de 20 % par rapport à 1929, elle est légère par rapport à 1932, elle n’en existe pas moins et elle est particulièrement caractéristique puisqu’elle se produit en période d’essor. La baisse du salaire horaire effectivement touché est encore plus considérable, nous le verrons. Un décret pris au début de la guerre (16 Octobre 1939) pose le principe de Vinterdiction de toute augmentation de salaire (sous le prétexte que nul ne doit tirer profit de la guerre !) C’est en application de ce décret qu’une ordonnance du 23 Avril 1941 interdit aux employeurs de payer à leurs nouveaux salariés, lors­ que ceux-ci ont été congédiés par leur précédent patron, un salaire supérieur à celui qu’ils touchaient dans leur ancien em­ ploi, même si le travail pour lequel ils sont embauchés est régu­ lièrement mieux rémunéré que leur ancien emploi. Au 1er Octobre 1942, une loi est entrée en vigueur qui devait permettre une révision fondamentale des salaires, afin d’aboutir à une unification à l’échelle du Reich et d’accroître les différences de rémunération entre les manœuvres et les ouvriers qualifiés. Le Gauleiter Sauckel a précisé que cette mesure ne devait aboutir à aucun relèvement du niveau général des salaires, ni de la part des salaires dans le prix de revient, notamment grâce à la réduc­ tion des salaires accordés aux manœuvres spécialisés. Il est dif­ ficile de savoir dans quelle mesure cette loi a été appliquée. Au total, l’intervention de l’Etat dans l’Allemagne nazie, au point de vue des salaires, n’a en aucune façon visé à améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière ; mais elle a abouti, du fait de la baisse du salaire horaire réel qu’elle a entraîné, à provoquer — ainsi que nous le verrons — une expansion du volume du profit total. Cela suffit à caractériser l’intervention de l'Etat dans ce domaine, et à montrer que cette intervention n’a pu — en dépit de la « puissance » tant vantée de l’Etat totalitaire — aller contre la répartition du produit social qui résulte de la répartition même des moyens de production. Ceci n’a d’ailleurs rien d’étonnant quand on sait que ce même Etat a tout fait pour maintenir cette répartition des moyens de production (notamment en faveur des Konzern). Il y aurait eu contradiction à accepter et même à dé­ fendre ce maintien et à en refuser les conséquences dans le do­ maine de la répartition du produit social. (1) Ces chiffres et ceux qui suivent immédiatement sont cités d'après le N° de février 1940 de la Revue Internationale du Travail, p. 220.

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SECTION IV

Les organes du plan de quatre ans et l’économie de guerre. Le plan de 4 ans, intitulé « deuxième plan de 4 ans > (le « premier » étant censé avoir couvert la période 1933-1936) com­ mence théoriquement fin 1936. Son but est d’accroître l’indépen­ dance économique du Reich. La mise en œuvre de ce plan a rendu nécessaire le développement d’organes spéciaux, destinés à inté­ resser les firmes privées à un certain nombre de fabrications — plutôt qu’à y engager l’Etat lui-même — et à faire obstacle, dans la mesure du possible, aux répercussions sur la situation écono­ mique générale de l’expansion de crédit et de l’isolement crois­ sant de l’Allemagne par rapport à l’économie mondiale. Avec la guerre, le rôle de ces organes et d’organes nouveaux, dits « étatsmajors économiques » s'est encore accru. Voici comment la Frankfurter Zeitung du 18 Janvier 1941 s’exprimait sur l’ensem­ ble de ces organismes : « Dans les Etats-Majors, les Comités et les organismes du plan de 4 ans, a pris corps une collaboration nouvelle et particulièrement étroite entre l’Etat et les entreprises. L’Etal indiquait les lignes directrices, réunissait les intéressés, écartait les obstacles et assurait, lorsque cela était nécessaire, la rentabilité indispensable à la longue pour tout travail économique privé ». Pratiquement, l’administration du plan de 4 ans ne vise nullement à réaliser une planification générale de l’économie, mais seulement à permettre la réalisation de certaines tâches économiques et techniques en assurant, pour l’accomplissement de ces tâches, la réunion des éléments matériels, humains et fi­ nanciers. C’est un décret du 23 Octobre 1936 qui crée l’administration du plan de 4 ans par transformation du Commissariat du Reich pour les devises et les matières premières. A l’origine, l’Adminis­ tration du Plan comporte 6 sections : 1°) La production des matières remplacement ; 2°) La répartition des matières pre­ mières ; 3°) L’emploi de la main-d’œuvre ; 4°) La production agricole (dans la mesure où elle intéresse la réalisation du plan) ; 5°) La formation des prix ; 6 °) La question des devises. Ce cadre originaire a subi ensuite de nombreuses modifications car l’im­ portance même des besoins en devises et en matières premières

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suscités par la réalisation du plan a fendu nécessaire un contrôle de plus en plus rigoureux. Le chef du Plan de 4 ans, Gœring, a vu s’accroître ses pouvoirs sur le Ministère de l’Economie, auquel d’ailleurs devaient être fatalement incorporées certaines des sec­ tions de l’Administration du Plan (notamment la répartition de certaines matières premières) tandis que la section des prix était constituée en un Commissariat aux prix, d’ailleurs hiérarchique­ ment subordonné à l’Administration du Plan. Comme nous l’avons déjà dit, l’Administration du Plan de 4 ans n ’assume, en principe, aucune tâche de gestion économique. Son rôle est d’orienter l’activité de certaines entreprises dans le sens de la réalisation des tâches du plan. Exceptionnellement, elle y parvient par la création d’entreprises publiques — c’est ainsi que sont nées les Hermann Gœring Werke, dont nous avons déjà parlé. Généralement elle y parvient par le jeu des commandes publiques ; par l’organisation d’un système de répartition et de priorité pour tous les produits « rares * : l’Administration du Plan peut être amenée à fixer les contingents par branches d’acti­ vité (les Unions du Reich, les groupes et les cartels collaborent d’ailleurs à cette tâche à des titres divers) en intervenant dans la fixation des prix, afin d'encourager certaines productions en les rendant particulièrement rentables (c’est un des cas où la fixation des prix a un rôle actif) ; en intervenant dans la répartition des devises ; en favorisant la constitution de sociétés d9intérêts communs entre des entreprises privées qui, isolées, n’auraient pu rem­ plir certaines tâches, etc... elle a donc avant tout un rôle organi­ sationnel, elle doit autant que possible aplanir la voie des entre­ prises privées chargées des commandes militaires et de la pro­ duction des Ersatz. C’est ici le lieu de dissiper les nombreuses équivoques qui existent à propos de « la planification > nazie. Les plans de 4 ans ne sont nullement des plans intéressant l’économie allemande dans son ensemble. Au contraire, l’Etat n’a jamais été aussi dépourvu de larges perspectives économiques qu’à la suite de l’arrivée des nazis au pouvoir. Le projet des nazis, pour résorber le chômage, était la limitation de l’usage des machines ; en fait, le machinisme et la rationalisation ont connu un essor étonnant. Les nazis avaient un < plan » de retour à la terre ; en fait, nous l’avons vu, 1.450.000 travailleurs ont quitté l’agriculture. Les nazis voulaient mettre fin à l’activité professionnelle des femmes ; en fait, le pourcentage de femmes employées dans l’industrie n’a fait qu’augmenter, pour atteindre 32,8 % du total des ouvriers en 1938 ,etc.... Les plans nazis n’intéressent qu’un secteur limité de l’économie ; ces plans établissent uniquement une liste des

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usines métallurgiques» des usines de caoutchouc artificiel· de pétrole synthétique, des travaux publics, etc... auxquels seront consacrées les subventions de l'Etat, auxquels seront assurées, par priorité, des matières premières, des machines, des devises, etc.... Ils fixent l’importance des tâches à remplir, ils fixent aussi des délais, mais ils nyimposent rien ; les entreprises travaillant pour satisfaire les commandes prévues par les plans, uniquement pour réaliser un profit. Quand il le faut, ce profit est assuré par des hausses de prix, et au moyen de droits protecteurs (caout­ chouc synthétique, pétrole synthétique, etc...) ; quand on veut éviter les hausses de prix on recourt aux subventions ou à la gestion directe des secteurs déficitaires par l’Etat (usines Her­ mann Gœring). En résumé, en dépit des plans de 4 ans, l’intervention de l’Etat dans le domaine de l’industrie des armements et des ersatz (bien qu’elle se manifeste de façon multiple, bien qu'elle exprime une tendance à l’organisation de l’économie) reste par­ tielle et mal coordonnée. Rien ne le montre mieux que le fait que — encore à la veille de la guerre — les commandes même de l’Etat étaient distribuées de façon anarchique, surchargeant cer­ taines usines alors que d’autres disposaient de temps. A la veille de la guerre, l’Etat allemand n’était même pas parvenu à « plani­ fier » ses commandes, il était encore plus loin d’être capable de planifier l'économie nationale dans son ensemble. En dehors des organes du Plan de 4 ans, d’autres organes, de caractère militaire ont pris naissance, qui étaient chargés de donner des directives économiques. Ein fait, on assiste à l’inter­ vention croissante de l’état-major dans l’élaboratioiî des direc­ tives économiques (militarisation de l’économie) et à la formation d’une « administration de l'économie de guerre et de l’arme­ ment » au sein de l’armée. Cette administration n ’intervient pas directement, mais elle fait connaître les besoins de l’armée et propose des solutions. Cette administration militaire ne doit pas être confondue avec les états-majors économiques. En effet, au fur et à mesure que les taches militaires ont pris, de façon décisive, le pas sur les tâches civiles requérant en quantités toujours croissantes des hommes, du matériel et des moyens financiers, il a été nécessaire de mettre sur pied soit à l’échelle nationale — par branche d’acti­ vité — soit à l’échelle régionale, des < états-majors de direction économique», «états-m ajors» composés de représentants des différents organismes ayant une fonction économique et qui ont pour rôle d’assurer à l’économie privée les moyens dont elle a besoin pour résoudre les tâches qui lui sont confiées. Avec la

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guerre, des « états-majors de l’économie de guerre » se sont subs­ titués aux précédents. Ces nouveaux organismes ont fait une place très large aux représentants de l’armée. Celle-ci d’ailleurs dispose depuis longtemps, comme nous l’avons dit, de ses propres organes économiques : les sections économiques de l’état-major. Toutes ces évolutions aboutissent, en définitive, à une militarisation croissante de l’économie, militarisation profondément différente, d’ailleurs d’une socialisation, car elle ne vise qu’à donner des directives à l’économie privée et à assurer à celle-ci, qui travaille selon les principes de la rentabilité, tous les moyens de réaliser ces directives avec un maximum de rapidité et d'efficacité. Une évolution qu’il convient particulièrement de souligner, parce que parallèle à celle qui a abouti à la création des c unions du Reich >, consiste à donner une place plus large auprès des < états-majors de l’économie de guerre » aux représentants de l’économie privée. Cette évolution est marquée par l’institution, annoncée par deux articles du Secrétaire d’Etat Landfried, parus dans la presse éco­ nomique allemande au début d’Avril 1943, de conseils auprès des états-majors, conseils constitués par des représentants de l’éco­ nomie privée. Au total, il apparaît que le rôle de coordination de l’Etat s’est développé parallèlement aux efforts d ’autarcie et à l’économie de guerre ; mais il apparaît, çn même temps, qu’en dépit du déve­ loppement de ses interventions, l’Etat a toujours cherché à laisser le maximum de place à l’initiative des capitalistes privés, soit en les encourageant par le jeu des prix, des subventions, de la pro­ tection douanière, soit en les faisant participer aux organer de direction économique. Ce dernier trait révèle qu’en Allemagne, comme dans d’autres pays, on a assisté en même temps qu’au développement de l’intervention de l’Etat à l'intégration d’une partie des capitalistes (généralement les plus puissants) à l’ap­ pareil administratif ou para-administratif chargé de tâches d’orientation économique. A vrai dire, l’intervention croissante de l’Etat dans la vie éco­ nomique du Reich a été dans une large mesure suscitée par l’état d’isolement où se trouvait l’Allemagne par rapport au marché mondial. Ce sont les difficultés d’exportation, l’insuffisance des quantités de devises disponibles, la nécessité de procéder à une répartition des matières premières importées qui ont entraîné le développement de cette intervention. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’elle se manifeste aussi dans les rapports mêmes de l’Allemagne avec l’économie mondiale -— c’est ce que nous allons voir maintenant.

CHAPITRE II L’ETAT ET LES RELATIONS DE L’ALLEMAGNE AVEC LE MARCHE MONDIAL L’intervention de l’Etat dans le commerce extérieur est un phénomène pour ainsi dire < classique ». Depuis la constitution des Etats modernes, les nations ont une politique commerciale et cette politique se traduit, de la part de l’Etat, par l'institution de droits de douane ou la négociation de traités de commerce. Même à l’apogée du libéralisme économique du xix* siècle il s’est agi, de la part de l’Etat, de protéger, autant qu’ils en avaient « besoin », certains industriels contre la concurrence étrangère. C’était là signification du protectionnisme d’alors. Il s’agissait de venir au secours des capitalistes « protégés », de leur permettre d’élever leurs prix au-dessus de ceux du marché mondial, d’accroître leur profit (aux dépens des consommateurs) et d’accélérer ainsi l’accu­ mulation du capital. Depuis l’apparition des monopoles capita­ listes et, plus nettement encore, depuis le début du n * siècle, la signification du protectionnisme s’est trouvée modifiée. Tandis que le protectionnisme ancien avait un but défensif, le protec­ tionnisme nouveau a un but offensif. Tandis qu’auparavant étaient protégées les branches de la production qui n’étaient pas capables de supporter la concurrence du marché mondial, on protège maintenant les branches les plus développées, les plus aptes à supporter la concurrence. Les droits de douane contem­ porains visent à protéger les cartels et les trusts, à leur permettre de fixer, sur le marché intérieur, des prix toujours plus élevés ; ils sont destinés à accroître les profits de monopole, facilitant ainsi le dumping de la part du capital monopoleur. Derrière les hautes barrières douanières, les monopoles sont libres d’élever leurs prix, autant que le permet la faculté d’ab­ sorption du marché. Cette faculté d’absorption croît soit avec le pouvoir d’achat de chaque individu, soit avec le nombre d’indi­ vidus vivant derrière ces barrières douanières. Le capital ne pou­ vant accroître le pouvoir d’achat des masses qu’à ses propres dépens (1), il ne lui reste, pour augmenter ses profits qu’à pousser (1) En effet, si le profit total a sa source dans la différence entre la râleur totale du produit social (défalcation faite des amortissements et de la râleur des matières premières et auxiliaires dépensées pour obtenir ce produit) et la râleur distribuée aux salariés, toute augmentation de cette râleur — sous forme de hausse du taux des salaires par exemple — réduit, toutes choses égales (Tailleurs, le montant du profit total.

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à Vextension du territoire national. Enfin, plus les monopoles capitalistes se renforcent, plus ils cherchent à accaparer pour eux-mêmes leur marché « national », tout en ne renonçant en aucune façon au marché mondial, ni pour leurs débouchés (1), ni pour leurs placements. La tendance à l’accaparement du mar­ ché national est la base réelle des politiques « autarciques » et de l’idéologie nationalisle tandis que la tendance à l’exportation des marchandises et du capital correspond au phénomène d’inter­ nationalisation du capital, et à la formation des cartels inter­ nationaux. Rien ne montre mieux le caractère réel de l’Etat allemand, la soumission complète des nazis au capital financier, que l’achar­ nement avec lequel, par la politique d ’autarcie, ils ont réservé le marché intérieur au capital monopoleur du Reich, que l’achar­ nement avec lequel ils se sont efforcés, par leur politique de conquêtes et de guerre, d’accroître la capacité d’absorption de ce marché. L’intégration successive, dans les frontières douanières du Reich, de l’Autriche, des Sudètes, du protectorat de BohêmeMoravie, des régions orientales (Pologne, etc...) marquent les éta­ pes successives de cette politique d’annexion. L’importance du développement des exportations pour les industriels est évidente. Le développement des exportations leur permet d’accroître leur chiffre d’affaires, de développer au maxi­ mum les forces productives, d’utiliser les procédés techniques les plus perfectionnés (qui supposent toujours une production i grande échelle) et cela sans encombrer le marché intérieur de nouveaux produits qui pèseraient sur les prix dans le sens de la baisse. Mais à côté de Vexportation de marchandises apparaît aussi Vexportation des capitaux. Cette exportation apparaît de façon massive lorsque dans les pays capitalistes avancés, l’accu­ mulation du capital se fait à un rythme accéléré alors que les possibilités d’investissement y sont limitées, du fait de la limi­ tation même du marché. Ce phénomène devient très important avec le développement du capital financier dont les profits sont considérables, mais dont les débouchés intérieurs sont d’autant plus restreints que les prix élevés des monopoles diminuent la demande. C’est ce qui explique que le stade du capitalisme des monopoles et du capital financier soit précisément celui où, avec les exportations croissantes de capital, s’exacerbent les tendances impérialistes. Finalement, tandis que ce qui caractérisait l’ancien (1) Il ιι'βιι est autrement que lorsque ces monopoles reposent sur des bases techniques faibles, ce qui ne leur permet pas (l'entrer en lutte sur le marché mondial ; c'est précisément là la situation de la plupart des mono­ poles français.

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capitalisme, où régnait la libre concurrence, c’était l’exportation des marchandises, ce qui caractérise le capitalisme actuel, où régnent les monopoles, c’est l’exportation du capital. Cette expor­ tation est due au fait que dans les pays capitalistes avancés existe un « excédent de capital *, excédent tout relatif d’ailleurs et qui provient de ce que le capitalisme n’est pas capable d’élever le niveau de vie des masses. La nécessité de l’exportation des capitaux résulte de la « maturité excessive » du capitalisme dans certains pays où les placements « avantageux » font défaut. Cette nécessité est d’autant plus grande, pour les capitalistes, que les investissements dans les sphères les plus avantageuses sont extrêmement limités (du fait même des limitations de production réalisées par les monopoles) et que les sphères non monopolisées rapportent un très bas taux du profit. On voit donc, au stade du capitalisme des monopoles, que l’on peut qualifier de stade de Timpérialisme, se développer à la fois l’exportation des marchan­ dises et celle des capitaux. Ces deux formes d'exportation se conditionnent, et, en même temps, se limitent l’une l’autre. Elles se conditionnent l’une l’autre, en ce sens que l’exportation des marchandises fournit le moyen de transférer les capitaux d’un pays dans un autre et qu’inversement, le capital doit se transfor­ mer, de sa forme argent, en moyens de production, achetés le plus souvent (les prêteurs y pourvoient) dans les pays exportateurs du capital. Pourtant, à la longue ces exportations entrent en conflit, car les pays qui développent leur industrie, grâce aux capitaux étrangers arrivent,à un certain moment, à avoir moins besoin de marchandises étrangères (ou plutôt, ils cessent d’avoir besoin des mêmes marchandises) et prétendent, à leur tour, exporter des produits finis. En fait, dans tous les pays de capitalisme avancé, l’inter­ vention de l’Etat vise à accroître les exportations. L’Etat appuie le capital dans sa lutte pour la conquête de nouveaux débouchés et de nouvelles sphères d’investissement. La concurrence, qui diminue sur le marché intérieur, s’exaspère sur le plan interna­ tional. Cette concurrence, lorsque les Etats s’en mêlent, peut aboutir en dernière instance, au recours à la force, â la technique militaire. En ce sens, la guerre est la forme suprême d’interven­ tion de l’Etat en matière d’exportation. Examinons d’abord les formes plus « pacifiques > d’inter­ vention pratiquées par l'Etat allemand. Tout d’abord, il faut rappeler qu'il n'existait pas en Alle­ magne de monopole du commerce extérieur. Le commerce exté­ rieur était le fait du capital privé (sauf pour quelques produits.

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céréales notamment, dont le gouvernement voulait maintenir les prix stables et qui étaient achetés à l’étranger par des offices pu­ blics qui les revendaient à l’intérieur à prix fixe, c’est-à-dire m êm e à perte. Ce sont des commerçants privés qui achetaient et qui ven­ daient à l’étranger ; ils se livraient aux opérations qu’ils enten­ daient, dans les limites de plus en plus strictes, d’ailleurs, du contrôle des changes, du contrôle des importations et des accords de paiement.

É rvr e t

È couom a

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SECTION I

Le contrôle des changes.

A la suite de la crise bancaire, et en conséquence du mora­ toire des transferts et de la poussée des capitaux qui cherchaient à s’exporter (1), alors que les moyens de transfert faisaient dé­ faut, il a été nécessaire de contrôler les opérations de change. Les ordonnances des 15 et 18 Juillet 1931 centralisent toutes les opé­ rations de change auprès de la Reichsbank ; elles ordonnent la remise à cette banque des instruments de paiement étrangers et des créances exprimées en monnaies étrangères. Les transactions à terme sont désormais interdites. Le contrôle des changes a été ensuite réglementé par l’ordonnance du 1er Août 1931, qui re­ prend les dispositions précédentes, en se proposant de maintenir le RM. à sa parité or, d’enrayer la fuite massive des capitaux et de contrôler le règlement des créances étrangères. Cette dernière ordonnance a été suivie elle-même d’une série de décrets et de règlements extrêmement variés, mais qui ne modifient pas le principe du contrôle. On peut dire que cette réglementation a été suscitée par la situation exceptionnelle d’un pays disposant à l’intérieur d’une masse importante de capitaux — dont une partie tendait à s'exporter — et pourtant endetté à tel point vis-à-vis de l’étranger que les moyens de transfert (les devises étrangères) lui faisaient défaut. Le premier pas dans la voie du contrôle des changes est constitué par la centralisation des affaires de change auprès de la Reichsbank. Ici encore les banques privées étaient entrées dans la voie de la centralisation des opérations de change avant que la loi l’ait imposé. Dès Novembre 1921, les banques berlinoises avaient fondé un organisme centralisateur, la Devisenabrech­ nungstelle, qui centralisait toutes opérations sur devises. En 1931, il n’y a eu qu’à transmettre à la Reichsbank les attributions de la Devisenabrechnungstelle. Désormais, la Reichsbank fixe les cours des devises étrangères, sur la base de la parité-or du RM. c’est à elle que, par l’intermédiaire des banques, les exportateurs doivent vendre leurs créances sur l’étranger (leurs devises), c’est elle qui (1) Il s’agissait U d’exportations de capitaux ayant un but s p é c u l a ti f (fuite devant le Mark) et pouvant provoquer l’effondrement de la monnaie).

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l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

vend aux importateurs de marchandises ou aux exportateurs de capitaux, les devises dont ils ont besoin (1). C’est ainsi que le contrôle intervient. Le contrôle vise à éviter le déficit de la Balance des Comptes ; il vise à éviter que les dettes étrangères ne deviennent plus im­ portantes que les créances sur l’étranger, cela afin de maintenir la stabilité du RM. à sa parité-or. 11 faut, autant que possible, que les importations ne dépassent pas les exportations, afin qu’il ne reste pas de dettes à payer en or. En fait, les dettes étrangères du Reich étaient telles qu’en dépit de la limitation des paiements à l'étranger, les sorties d’or étaient inévitables (2). Le contrôle est double. En ce qui concerne les exportations ; elles ne sont en général soumises à aucune limitation (sauf pen­ dant la guerre, où l’exportation de certains produits est interdite), le contrôle se borne ici à une surveillance exercée dans le but d’obliger les exportateurs à remettre à la Reichsbank les devises provenant de leurs ventes à l’étranger. En ce qui concerne les importations, le contrôle a un rôle plus actif. Les besoins d’importations sont en effet énormes (du fait du réarmement) ; les possibilités de paiement à l’étranger, les devises, sont, au contraire, en quantité assez limitée. Il faut donc répartir ce nombre limité de devises entre les différents importateurs. Cette répartition a lieu sur la base de principes de priorité : doivent d’abord être servis les importateurs de matières premières servant à la fabrication d’objets destinés à être expor­ tés (l’exportation des produits finis laissant un excédent de de­ vises) puis viennent les besoins d’armement, puis les autres im­ portations. C’est sur la base de ces principes que les Offices de Devises dépendant du Ministère de l’Economie, délivrent des devi­ ses aux intéressés, importateurs de marchandises ou exportateurs de capitaux. Ces derniers n’obtiennent des devises qu’exceptionnellement ; en fait, seul le capital monopoleur obtient des devises (1) Il est interdit aux particuliers de se livrer à des transactions sur devises, d'importer ou d’exporter sans autorisation aussi bien des devises que des marks. (2) Ces sorties d’or ont été rendues inévitables aussi par le fait que les importations, malgré des restrictions draconiennes en ce qui concerne les objets de consommation destinés aux larges masses (notamment en ma­ tière die textiles), se sont constamment accrues par suite des besoins énormes de l'industrie de guerre, de la fabrication des armements. Cette évolution, et la nécessité d’effectuer des paiements relatifs aux anciennes dettee d’une part, l’augmentation d'un certain nombre de dépenses à l’étranger d’autre part, ont eu pour résultat la diminution des réserves d’or de la Reichsbank, réserves qui évoluent de la façon suivante : (E n m i ll io n s d e R M .)

1932 = 806,2 1933 = 386,2 1934 = 79,1

1935 = 82,6

1936 = 66,5 1937 = 70,6 1938 = 70,7

ÉTAT ET ÉCONOMIE

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pour développer ses investissements étrangers ; c'est ainsi que se sont développées les filiales ou les participations étrangères des Konzern et des banques. La répartition se fait selon un plan de répartition établi en collaboration avec les groupes économiques. En fait, grâce à ce système, les grandes entreprises sont assurées de recevoir les devises dont elles ont besoin par priorité sur les entreprises moins puissantes. Pratiquement, la répartition des devises a dû se faire de plus en plus en fonction de l’activité industrielle ; elle a donc pris une place subordonnée par rapport aux décisions émanant des offices dfimportation et du Commissariat du Reich aux Devises et aux Matières premières.

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SECTION II

Λα c o m de Mars 1934« la Reîch&hank décida de réduire, f n e façon générale, les contingents de devises attribuées an commerce d'importation pour des fins chiles et de ne remettre qse le plus tard possible les devises nécessaires aux importateurs. D'autre part, une loi autorisait le Ministre de l'Economie — qui était alors le Dr. Schacht, également Président de la Reichsbank — à surveiller les envois de matières premières en constituant des offices de contrôle pour les importations de coton, de laine, de métaux non ferreux, de caoutchouc, de fibres de bois et de graines oléagineuses. Ces offices de contrôle étaient autorisés à établir des contingents maxima poor des envois de matières premières et à fixer des normes quant à Γimportance des stocks à détenir par le commerce et Undo*trie. Cette première mesure ne suffisait pas. Les importateurs, au lieu d’acheter des matières premières, se mirent à acheter des produits demi-fabriques, ou meme des pro­ duits finis. Le déficit en devises de l’Allemagne persista donc. Le 14 Juin, un moratoire général des transferts était proclamé par l'Allemagne pour les dettes à moyen et à long terme (!). Au cours du mois suivant, les pays créanciers, Grande-Bretagne, France, Hollande, Belgique, Suisse notamment, répondirent en exigeant la signature par l’Allemagne d’accords de clearing aux termes desquels une partie des devises provenant des exportations allemandes était automatiquement affectée au remboursement d’une partie des créances sur l’Allemagne : les disponibilités eu devises du Reich se trouvaient à nouveau réduites. De nouvelles mesures de contrôle devenaient nécessaires dans le domaine des importations. Ces mesures furent annoncées par le Dr. Schacht, le 26 Août 1934, à l’occasion de l’inauguration de la Foire de Leipzig. Elles devaient entrer dans l’histoire économique alle­ mande sous la dénomination de « Nouveau plan de 4 ans ». Le nouveau plan de 4 ans reposait sur le principe de l’équi­ libre entre les importations et les exportations et, si possible, devait aboutir à l’apparition d’un excédent de la balance commer­ ciale. En conséquence, d’une part les exportations devaient être poussées au maximum, d’autre part, les importations devaient (1)

Environ 160 m illions de Marks, pins 130 m illions de devises.

ÉTAT ST ÉCOHOM1E

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être maintenues dans les limites des exportations. Cette limitation automatique des importations aurait été catastrophique pour l'ef­ fort d’armement allemand si elle avait dû s’appliquer aussi bien aux matières nécessaires aux commandes militaires qu’aux autres importations. C’est pourquoi le nouveau plan prévoit que le mon­ tant total des importations autorisées sera réparti entre les diffé­ rentes catégories de marchandises importées en fonction de leur importance pour l’économie. Les catégories de marchandises considérées comme « vitales » reçoivent dès lors les plus forts contingents, les autres reçoivent des contingents d’autant plus faibles que leur caractère « vital » parait moins grand. En même temps, des accords commerciaux sont, aussi souvent que possible» passés avec les pays étrangers, afin d’éviter des réactions que ris­ quent de déclencher le recul de certaines importations et le pro­ grès des autres. A l’intérieur du Reich, pour faire fonctionner le système, de nouveaux offices de contrôle des importations sont créés. Fin 1Θ34, il y en a 25, dont notamment les offices pour le fer et l’acier, pour les métaux non ferreux, pour le charbon, pour les huiles minérales, pour les produits chimiques, pour les grais­ ses industrielles, etc... Ces offices ne fixent plus comme avant des contingents généraux pour chaque importateur, mais ils délivrent, en accord avec les groupes économiques, des autorisations pour chaque importation et pour chaque paiement à l'étranger. Ein 1939, on comptait 28 offices et il faut ajouter que certains d’entre eux étaient exceptionnellement habilités à procéder eux-mêmes aux importations lorsque les prix intérieurs allemands risquaient d’être influencés par les prix du marché mondial. Dans de tels cas, et il en était ainsi, nous l’avons vu, pour les céréales, l’office revendait à l’intérieur du Reich au prix du marché national, sans se préoccuper de son prix d’achat. En cas de déficit, le budget du Reich venait au secours de l’office. En fait, l’institution des Offices d’importation ne vise pas seulement à réaliser une politique des devises, mais elle constitue aussi un moyen de protéger le capital € national s contre la con­ currence étrangère. C’est — à l’égal des mesures de contingente­ ment que nous avons connues en France — une nouvelle arme protectionniste, plus sûre que le droit de douane.

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L’écONOMIB ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

SECTION III

Les accords de paiement.

Les accords de paiement se répartissent, en gros, en deux catégories : les accords de paiement qui laissent subsister le paiement en devises (ces accords prennent alors souvent la forme d’accords de transfert) ; les accords qui éliminent les mouve­ ments de devises ou accords de clearing. Les accords de paiement, comme les accords commerciaux, ou les traités de commerce, sont négociés d’Etat à Etat, ce qui n’exclut nullement l’intervention constante de ceux qui sont considérés comme les principaux inté­ ressés : les capitalistes. a) Les accords de transfert supposent que les paiements se font dans l’une des monnaies en présence. Ainsi, avant la guerre, les importateurs anglais de marchandises allemandes payaient leurs dettes à la Reichsbank. La Reichsbank payait les exporta­ teurs allemands en marks et conservait les livres pour les vendre contre des RM. aux importateurs allemands de marchandises an­ glaises. Le même système existait avec la Suisse, l’U. R. S. S., etc... Il n’y a là qu’un complément du contrôle des changes. Néanmoins, des clauses complémentaires sont parfois insérées dans ces ac­ cords ; ainsi la Reichsbank peut être obligée de conserver une partie des devises qu’elle obtient, en vertu de l’accord, pour payer les anciennes dettes de l’Allemagne (dettes publiqus ou privées) à l’égard du pays co-contractant. C’est dans cette mesure qu’il y a transfert. Il faut signaler enfin que le cours auquel la monnaie étrangère est convertie en monnaie allemande (le nombre de RM. qu’un Allemand doit payer ou recevoir pour une unité de monnaie étrangère) est prévu par l’accord. Ce cours peut être soit le cours du jour sur le marché des changes, soit un cours conventionnel. b) Les accords de clearing suppriment tout règlement en devises. Le mécanisme du clearing vise à la compensation des importations et des exportations. C’est pourquoi, dans un grand nombre de cas, les opérations faites par l’intermédiaire du clea­ ring ne sont soumises ni au contrôle des importations, ni au contrôle des changes, elles sont libres. Le montant annuel des opérations de clearing peut être, soit illimité, soit limité, cela

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dépend des termes de l’accord. L’inconvénient de la liberté com­ plète des opérations, dans le cas où les exportations et les impor­ tations ne tendent pas spontanément à s'équilibrer, a conduit, lors de la rédaction de certains accords, à prévoir que les importations et les exportations seraient surveillées, mais dans ce cas la sur­ veillance est, le plus souvent, le fait non de fonctionnaires mais de capitalistes, industriels ou commerçants (1).

(1) Le mécanisme du clearing est en général le suivant : à la suite d’un accord entre deux pays (disons, ΓAllemagne et la Roumanie), des Caisses d e C o m p e n s a tio n sont créées dans chacun de ces pays. Désormais, en Alle­ magne, les importateurs de marchandises roumaines, au lieu d’acheter des lei (avec leur RM. pour payer leurs exportateurs roumains) verseront le montant de leurs dettes, en RM., à la Caisse de Compensation de Berlin. En Roumanie, les importateurs roumains de marchandises allemandes feront de même. Inversement, les exportateurs allemands qui étaient autrefois payés en RM. par les importateurs roumains seront désormais payés (tou­ jours en RM) par la Caisse de Compensation. Celle-ci règle les exportateurs avec l’argent reçu par elle des importateurs. De même, en Roumanie. Comme le démontre l’anafyse théorique, ce m é c a n is m e n e d iffè r e p a s fo n d a m e n ta ­ le m e n t de celui du change libre, il est moins souple, mais il permet plus aisément des manipulations favorables aux exportateurs.

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l ’é c o n o m i e a l l e m a n d e s o v a LE n a z i s m e

SECTION IV

Intervention de l’Etat en faveur des exportateurs.

L’Etat nazi est intervenu de multiples manières en faveur des exportateurs, afin de faciliter leurs opérations. Il y était en quel­ que sorte contraint par le fait que l’Allemagne, pour de nombreu­ ses raisons, se trouvait de plus en plus éliminée du marché mon­ dial. Ces mesures ne constituent, à ce point de vue, qu’un aspect de l’effort de réintégration de l’économie allemande dans l’écono­ mie mondiale. Cette réintégration était d’autant plus nécessaire que les débouchés extérieurs étaient d’une nécessité vitale pour une grande partie de l’industrie allemande dont les efforts pro­ ductifs dépassaient de beaucoup les capacités d'absorption du marché national. De plus, l’économie allemande, dans son ensem­ ble, n’avait pas d’autre moyen de payer ses importations que de vendre suffisamment de produits à l’étranger. Pourtant, cette réin­ tégration se heurtait à d’énormes difficultés, difficultés issues de la crise économique et de la dépression qui avait entraîné une véritable décomposition du marché mondial et un chaos moné­ taire sans précédent. C’est pour vaincre ces difficultés, pour pou­ voir continuer à exporter et pour pouvoir accroître ses exporta­ tions, en dépit de la dévaluation des principales monnaies — alors que le Reichsmark restait attaché à sa valeur or de 1924 — et des mesures de contingentement et de protectionnisme douanier pri­ ses à l’étranger que l’Allemagne a dû recourir à des « succéda­ nés » de la dévaluation et à l’utilisation des accords de clearing dont la conclusion, nous l’avons vu, lui avait été en partie imposée par les pays créanciers. § 1. — L e s

€ su c céd an és > d e

la

d é v a lu a tio n .

Comme le Reich ne pouvait se permettre de toucher à sa monnaie sans risquer de déclencher utie crise de confiance qui aurait menacé tout le système financier, il lui fallait trouver un mbyen d’aligner, par une manipulation indirecte du cours des changes, les prix allemands sur les prix mondiaux. Dès l’été de 1933, les exportateurs allemands ont été auto­ risés à accepter en paiement d’une partie de leurs ventes à l’étran­ ger, les marks que leurs acheteurs pouvaient se procurer dans certaines conditions auprès des créanciers de l’Allemagne. Le

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mécanisme de ce procédé est le suivant : le Reich a interdit suc­ cessivement, à partir de 1931, le transfert de la plupart de ses dettes étrangères, mais un moratoire des transferts n’impliquait pas un moratoire des paiements. Autrement dit, les débiteurs alle­ mands de l’étranger (particuliers, entreprises industrielles ou commerciales, banques, etc...) continuaient à être obligés de payer régulièrement le montant de leurs dettes (capital ou intérêts), mais ce paiement avait lieu en devises et non en marks et il se faisait, non entre les mains du créancier, mais au guichet d’une caisse publique, dite caisse de conversion. Les créanciers étran­ gers n’ayant pas la possibilité de convertir les marks ainsi versés à leur nom auprès de la caisse de conversion pouvaient, soit les utiliser à certaines fins déterminées par la loi sur le marché inté­ rieur allemand, soit les céder à des importateurs de produits allemands. Ceux-ci, étant donné l’abondance relative de l’offre de ces marks bloqués, les leur achetaient à un cours inférieur à celui du mark officiel, du mark libre. D’après leurs possibilités d’em­ ploi et leur origine, ces marks bloqués ont porté des noms variés : Registermark, Effectensperrmark, Kreditsperrmark, etc.... Bien souvent le Kreditsperrmark et l’Effectensperrmark n’ont plus été cotés qu’à 20 % de leur valeur nominale. Grâce à cette dévalua­ tion limitée à une fraction des marks offerts aux importateurs étrangers, ceux-ci bénéficiaient d’une sorte de prime aux exporta­ tions. En effet, lorsque des industriels étrangers achetaient de tels marks à bon compte, une machine coûtant 1.000 RM. et qui, par conséquent, n’aurait pu être achetée, au cours officiel qu’à 15.000 francs, ne leur revenait grâce à l’utilisation pour une partie de leur paiement de marks bloqués, qu’à 5 ou 6.000 francs. Ce sont les créanciers de l’Allemagne qui faisaient les frais de l’opé­ ration. A la même époque, c’est-à-dire en 1933, certains exporta­ teurs allemands furent autorisés à ne pas verser à la Reichsbank l’intégralité des devises provenant de leurs ventes à l’étranger (comme ils auraient dû le faire en vertu du contrôle des changes institué depuis l’été 1931) et d’en utiliser une partie à racheter sur les Bourses étrangères des titres des emprunts étrangers alle­ mands qui y étaient cotés à bas prix, car les services de ces em­ prunts avait été suspendus. Les exportateurs vendaient ensuite en Allemagne ces mêmes titres aux collectivités émettrices, qui les achetaient à un cours voisin du pair, ces collectivités amortis(1) Pour Mandelbanm, la mise en œuvre de cours spéciaux de dépré­ ciation du mark a permis à l’Allemagne de faire jouer un mécanisme de discrimination et de différenciation des prix à l'exportation, de nature à adapter ces prix au pouvoir d'achat de chaque marché (p. 187).

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sani ainsi leurs dettes extérieures sans sortir de devises. Ce pro­ cédé avait l’avantage de faire bénéficier l’exportateur de la diffé­ rence entre le cours étranger des titres achetés et le prix qui lui était payé en Allemagne. Ce bénéfice lui permettait de consentir un fort rabais sur ses prix d’exportation. De même nature est le procédé qui consistait à autoriser les exportateurs à conserver un certain montant de devises pour acheter à l’étranger des Scrips, c’est-à-dire les titres de créance remis par la Caisse de conversion, dont nous avons précédemment parlé, aux créanciers de l'Allemagne, titres de créance négociables comme des effets de commerce. Ces Scrips, cotés fort au-dessous du pair à l’étranger — toujours en raison du moratoire des trans­ ferts — étaient rachetés au pair aux exportateurs par la Golddiskontbank qui obtenait ensuite le paiement intégral des débi­ teurs allemands ou le paiement par la Caisse de conversion ellemême si celle-ci avait été intégralement réglée. Ces procédés ont permis aux exportateurs qui en bénéfi­ ciaient — c’est-à-dire aux exportateurs opérant au minimum sur 20.000 puis sur 10.000 marks et justifiant d’une perte commer­ ciale — d’abaisser sérieusement leurs prix de vente. Ils ont eu en même temps pour l’Allemagne l’avantage de permettre un amor­ tissement important de la dette étrangère — au détriment tou­ jours des créanciers étrangers obligés de céder à bas prix leurs titres de créance. Pourtant ces procédés présentaient pour l’éco­ nomie allemande elle-même un double inconvénient : d’une part ils impliquaient qu’une partie des devises qui aurait pu être remise à l'Office de Contrôle des Changes du fait des exportations, lui échappait (ce qui limitait d’autant les possibilités d’importa­ tions), d’autre part, ils poussaient les exportateurs à réduire de plus en plus leurs prix à l’exportation, sans se soucier de savoir si, avec plus de ténacité, ils seraient parvenus à vendre plus cher, puisqu’ils étaient assurés que leurs pertes commerciales devaient être compensées par des opérations financières accessoires. On ris­ quait donc d’assister à une baisse générale des prix allemands à l’exportation, sans aucun bénéfice pour l’économie nationale. Aussi, au début de 1935, ces procédés ont-ils été réservés à des cas exceptionnels et a-t-on institué, au cours de l’été de 1935, une forme de subvention générale aux exportations. Il s’agit de la création d’une Caisse générale de compensation pour les exportations, caisse créée à l’image de celles qui avaient été formées dès la fin de 1934 par les industriels du ciment, de l’automobile et de la soie artificielle. La Caisse générale de com­ pensation des exportations a été constituée sur l’initiative du groupe du Reich de l’industrie et elle était gérée par la Golddis-

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kontbank. Toutes les entreprises industrielles sont tenues, à par­ tir de la création de cette caisse, de verser à celle-ci un certain pourcentage de leur chiffre d'affaires, pourcentage qui peut at­ teindre, dans certains cas, jusqu’à 8 %. Le taux exact est fixé au début de chaque année pour chaque branche. Le produit de ces versements a dépassé, à certains moments, un milliard de marks par an, grâce à quoi des subventions massives ont été accordées aux exportateurs. Par le jeu de ce système, en dépit de la hausse des prix intérieurs allemands, on a pu assister, ainsi que nous le verrons dans la 4* partie de cette étude, à une baisse des prix de l’industrie allemande à l’exportation. Dans certains cas les primes à l’exportation ont même permis aux industriels alle­ mands d’offrir des prix d’exportation égaux aux 2/3 du prix de revient du produit exporté. Ce procédé, d’une portée générale, du moins pour le secteur industriel, a permis d’atteindre pratique­ ment des résultats très voisins de ceux qu’aurait donné une déva­ luation et ceci sans toucher officiellement à la monnaie et sans présenter les mêmes caractères brutal et global, qu’une déva­ luation proprement dite. Pourtant il présente à la longue les mêmes inconvénients que cette mesure monétaire, par les charges qu’il fait peser sur l’industrie du fait des prélèvements sur le chif­ fre d’affaires, il agit sur le niveau des prix, il engendre une ten­ dance à la hausse qui rend le fonctionnement du système de plus en plus onéreux. C’est, entre autres, l’apparition de cette tendance — déjà favorisée par la reprise économique suscitée par les com­ mandes publiques massives — qui a conduit à instituer une réglementation de plus en plus sévère des prix. Ainsi que nous l’avons dit, c'est aussi par l’utilisation des accords de clearing que l’offensive des exportations allemandes a pu être développée. Nous allons en examiner les principaux aspects. § 2. — L’utilisation des accords de clearing. Il est intéressant de mettre en lumière l’utilisation que le Reich a su faire de ces accords pour développer ses propres expor­ tations. Ces utilisations elles-mêmes présentent deux aspects : la dépréciation des marks de compensation et l’accroissement du pouvoir d'achat des fournisseurs. I e) La dépréciation des marks de compensation s’est présen­ tée surtout dans les relations de l’Allemagne avec les pays de l’Amérique latine. En effet, du fait des accords de clearing passés avec ces pays, des offices de clearing n’ont pas été institués à l’étranger, mais les paiements faits par les importateurs alle­ mands ont simplement été versés au nom des exportateurs étran-

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l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

gers à des comptes spéciaux tenus par la Reichsbank, comptes dénommés c Aski », « Ausländersonderkonten ». Les étrangers pouvaient utiliser les sommes ainsi déposées à leur nom pour des achats de marchandises en Allemagne, achats grâce auxquels se réalisait la compensation. Au lieu de procéder eux-mêmes à cette compensation, ils avaient le droit de vendre leurs avoirs t aski » à ceux qui désiraient acheter des marchandises allemandes. En fait, ces marks t aski » étaient cotés librement et leur cours fort inférieur à celui du Reichsmark. Il en résultait un gros avantage pour les acheteurs de ces marks qui bénéficiaient ainsi pratique­ ment d’une monnaie qui tout en étant dévaluée à l’étranger avait en Allemagne exactement la même valeur que le Reichsmark or­ dinaire. La dépréciation des marks de compensation a donc été aussi un moyen de favoriser les exportations allemandes. Evidem­ ment, ce procédé présentait l’inconvénient de rendre les importa­ tions plus onéreuses car les exportateurs étrangers de produits destinés à l’Allemagne exigeaient, bien entendu, lorsqu’ils étaient payés en marks Aski un supplément de prix porportionnel à la dépréciation au change de ces marks. On peut donc dire que par ce procédé les exportations ont pu être faites à bon marché en rendant les importations plus onéreuses, ce qui est le propre de toute dévaluation. Ici encore on aboutissait à une tendance & la hausse des prix intérieurs et à la nécessité de réglementer les prix pour ne pas voir les importations devenir de plus en plus coû­ teuses au fur et à mesure de la hausse des prix intérieurs alle­ mands. Fin 1935, le trafic en marks Aski a été sévèrement régle­ menté et limité. 2*) L’accroissement du pouvoir d’achat en marks des four­ nisseurs. Dans ses relations commerciales avec les pays du sud-est européen, l’Allemagne a su également tirer parti du jeu des ac­ cords de clearing — accords dont la structure est différente de celles des précédents. Ils impliquent l’existence, tant en Alle­ magne que dans le pays co-contractant, d’Offices de clearing ef­ fectuant en monnaie nationale les paiements dus aux exporta­ teurs, grâce à l’argent reçu des importateurs. Avec ces pays, l’Al­ lemagne est partie du principe que plus elle achetait à un pays par l’intermédiaire du clearing, plus grossissaient les crédits consentis involontairement par ce pays à l’Allemagne et plus ce pays chercherait à se rembourser en achetant — ou en favorisant l’achat par ses nationaux — des marchandises allemandes. C’est pourquoi, les achats effectués par les firmes allemandes dans les pays du sud-est ont été soumis à un minimum de réglementa­ tion. Effectivement, on a enregistré un accroissement considéra­ ble du commerce allemand avec ces pays. Ceux-ci ont été conduits

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à se fournir de plus en plus en Allemagne, afin d'utiliser leurs avoirs de clearing, et de moins en moins dans les autres pays. Ils avaient, en effet, de moins en moins de devises et leurs prix inté­ rieurs tendaient de plus en plus à monter au-dessus de ceux du marché mondial, du fait des achats massifs faits par l’Allemagne et du fait que se fournissant de produits allemands plus onéreux que les autres (car les exportations vers les pays à clearing ne bénéficiaient d’aucune prime ni d’aucun rabais) le niveau général de leurs prix s’en ressentait forcément. Ainsi, progressivement, ces pays sont tombés .dans la dépendance économique de l’Alle­ magne, qui est devenue leur principal fournisseur comme le mon­ trent les chiffres suivants : La Bulgarie qui tirait 29,8 % de ses importations d’Allema­ gne en 1929, en tire 44,4 % en 1933, 58,2 % en 1937 et 65 % en 1939. Cette évolution s’est un peu modifiée avec la guerre : sous l’influence des achats croissants de l'Allemagne en Bulgarie, celleci s’est trouvée en 1940, dans l’impossibilité de se couvrir entière­ ment en marchandises allemandes (la guerre a imposé à l’Alle­ magne la restriction des exportations en échange de ses avoirs de clearing). En mai 1940, la Banque Nationale de Bulgarie, qui fait désormais l’avance des fonds aux exportateurs bulgares, a même dû renoncer formellement à l’étalon-or et déclarer que les avoirs de clearing entraient légalement dans la couverture de sa circu­ lation fiduciaire. La Yougoslavie qui tirait 29,3 % de ses importations d'Alle­ magne en 1933 a vu ce pourcentage passer à 42,7 % en 1937. Pendant le même temps, les pourcentages d’importations d’Alle­ magne sont passés pour la Roumanie, de 27,8 à 40,1 % (à 50,6 % en 1940) et, pour la Hongrie, de 39,7 à 44,2 % (48,4 % en 1939 et 52,9 % en 1940) (1). La position commerciale de l’Allemagne vis-à-vis de ces pays est d’autant plus forte que ses exportations vers chacun d’eux ne représentent qu’un faible pourcentage de ses exportations totales (en 1937 : 1,2 % pour la Bulgarie, 2,3 % pour la Yougoslavie, 2,2 % pour la Roumanie et 1,9 % pour la Hongrie). Ces derniers chiffres montrent le faible poids qu’avaient pour le commerce extérieur allemand dans son ensemble, les opéra­ tions réalisées dans les pays à monnaie contrôlée : l’essentiel des opérations commerciales devait continuer à se réaliser avec les (1) De fin 1946 à fin 1943, les avoirs da clearing, représentés essen­ tiellement par des créances sur l'Allemagne, de certains pays se sont accrus de façon très considérable. Ainsi, les avoirs de clearing et devises assim ilées de la Roumanie sont passés de 6.860 m illions à 82.300 m illions de lei. Les avoirs correspondants en Bohème-Moravie sont passés de 7.800 m illions à 27.300 m illions de couronnes.

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grands pays à devises libres, pays disposant seuls en quantité suffisante des matières premières essentielles ; mais c’est précisé­ ment avec ces pays que les opérations étaient le plus difficile, faute d’accord politique et économique. Aussi, du fait de ses disponibilités insuffisantes en devises, l’Allemagne s’est-elle vue dans l’obligation de procéder au contrôle des importations. On peut se demander pourquoi les pays du sud-est européen ont accepté que leur soit ainsi faite une situation en définitive assez désavantageuse (1). A cette question on peut trouver deux ordres de réponses : la première est que ces pays manquaient d’un débouché extérieur et que l’extension du marché intérieur allemand, extension financée par les commandes d’Etat, alimen­ tées elle-mêmes par l’emprunt, ouvrait aux pays du sud-est des possibilités nouvelles de vente. En d'autres termes, les ventes des pays du sud-est européen à l’Allemagne ont été indirectement financées par les emprunts de l’Etat allemand. Ceci signifie qu’au procédé < classique t qui avait été appliqué jusque-là aux pays du sud-est, procédé classique consistant pour ceux-ci à emprunter des devises aux pays étrangers, on a substitué une méthode d’em­ prunts indirects dans laquelle l’acheteur des produits était le pays même qui contractait les emprunts. Une autre raison pour laquelle les pays du sud-est ont ac­ cepté de conclure des accords de clearing de cet ordre avec l’Allemagne réside dans le fait que ces accords prévoyaient des cours de change relativement avantageux pour les pays étrangers contractant avec l’Allemagne. C’est là un des aspects de l’utili­ sation du mécanisme de clearing par l’impérialisme allemand. Ce mécanisme est fort simple. Il consiste à fixer pour le mark un cours de clearing supérieur à sa valeur réelle. De ce fait, le rap­ port d’échange (qui, nous le rappelons, est un rapport de compta­ bilité) mark-monnaie du pays co-contractant, est fixé à un niveau supérieur à celui du rapport des pouvoirs d’achats. Tout se passe comme si la monnaie du pays co-contractant était dévaluée, le mark réévalué. Le mark se trouvant ainsi comptabilisé à un cours élevé, l’importateur allemand peut payer une somme modique en marks, tandis que l’exportateur étranger reçoit une somme élevée de sa monnaie nationale. L’importateur allemand oriente donc ses (1) L'Institut Royal des Affaires Internationales résume ainsi l'in­ fluence de la politique commerciale de l'Allemagne à l'égard des pays du Sud-Est européen : < Jusqu’au printemps de 1939, les Pays du Sud-Est européen ont gagné, au point de vue matériel et en considérant les contrats à court terme du fait de l'accroissement des achats allemands. L'Allemagne a aidé k l’accroisement de leur revenu national et même elle n'a pas tiré partie de sa position dominante au point de modifier les termes des con­ trats an sa faveur, si bien que les revenus réels ont été accrus ». (South E a s te r n E u ro p e , Londres, 1939, pp. 198-199.

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achats vers les pays à clearing (1) (d’autant plus qu’il se soustrait ainsi à la plupart des formalités de contrôle), qui sont pour lui, en tant qu’il paye en marks, des pays vendant à bon marché. L’exportateur étranger d’un pays à clearing vend de préfé­ rence aux importateurs allemands, puisque dans sa monnaie na­ tionale, il reçoit ainsi un prix élevé. Tel est le bon côté de la médaille, mais elle a aussi son revers. Ce revers apparaît pour les importateurs étrangers de marchandises allemandes. Ceux-ci, dans les pays à clearings, loin de pouvoir bénéficier, comme ceux des pays à devises libres, de marks à bas prix pour pouvoir effec­ tuer leurs achats en Allemagne, sont obligés d’effectuer leurs paie­ ments sur la base du cours de clearing, qui est précisément un cours élevé. En fait, si les importateurs allemands achètent à un bon prix les produits en provenance des pays à clearing, ce bon prix ce n ’est pas eux qui le paient, mais les importateurs de ces pays 1 On peut se demander, alors, comment il se fait que les importa­ teurs étrangers consentent à acheter cher en Allemagne ce qu’ils pourraient se procurer meilleur marché dans les pays à devises libres, par rapport auxquels leur monnaie n’est pas autant dépré­ ciée (quand elle n’est pas, au contraire, relativement réévaluée, du fait des dévaluations étrangères) ; cela s’explique par le contrôle des changes qui, dans leur propre pays, limite les pos­ sibilités d’achats dans les pays à devises libres, et qui les limite d’autant plus que les exportations vers ces pays ont été plus faibles, ce qui est justement le cas avec le développement des exportations vers l’Allemagne. Ainsi, dans le cadre des accords de clearing, l’Allemagne, en développant ses importations, grâce à la fixation d’un certain cours de clearing est assurée de déve­ lopper aussi ses exportations ; c’est là un des moyens essentiels du développement des exportations allemandes, moyen dont nous avions renvoyé l’étude au présent paragraphe. Il a fallu les condi­ tions exceptionnelles de la crise de 1929 pour qu’il se trouve des pays prêts à accepter de s’engager dans une voie qui limite de plus en plus leur liberté économique. Les conséquences de ce sys­ tème sont telles que, non seulement les pays liés par ces accords ont de moins en moins de possibilités d’exporter ailleurs qu’en Allemagne, et donc de moins en moins de possibilités d’acheter ailleurs qu’en Allemagne, mais encore il arrive que ces pays soient obligés d’acheter en Allemagne des produits dont ils n’ont nul (1) Tout au moins vers ceux pour lesquels les cours ont été fixés de cette façon, ce qui n'est pas toujours le cas, un exenmle nous en est donné par l'accord de clearing qui avait été conclu, avant la guerre, entre l'Alle­ magne et la France.

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besoin (en subventionnant les importateurs !) uniquement pour rétablir l’équilibre du clearing (dans les cas où aucun autre moyen d’équilibre n’a été prévu), afin que leurs propres exportateurs puissent être payés. C’est de cette façon que les pays ayant conclu des accords de clearing avec l’Allemagne (1) ont vu diminuer leurs disponibilités en devises libres (donc leur liberté d’action) et que l’Allemagne a pu financer ses importations par ses propres exportations. En ce sens, on peut parler ici d’un véritable impérialisme des importations. Ajoutons que ce système, combiné avec les faveurs accordées en Allemagne aux exportateurs vendant aux pays à devises libres a abouti à accroître aussi les exportations de l’Alle­ magne à destination des pays à devises libres, et au détriment des pays liés à l’Allemagne par des accords de clearing prévoyant un cours élevé du mark, et cela de la façon suivante : les importa­ teurs allemands achetaient des produits sur les marchés de l’Eu­ rope du Sud-Est et les revendaient à relativement bas prix aux pays à devises libres. Une telle opération qui tout en accroissant les possibilités d’exportations vers les pays à clearing faisait ga­ gner des devises à l’Allemagne, était avantageuse pour les impor­ tateurs allemands, précisément parce qu’ils payaient bon marché les produits dans les pays & clearing et qu’ils les vendaient cher (2) dans les pays à devises libres. Comme nous l’avons vu, le résultat de cette politique a été que les pays du Sud-Est européen sont tombés de plus en plus dans la cTépendance, tout d’abord économique, puis politique, de l’Allemagne.

(1) Dans la mesure où ces accords prévoyaient un cours élevé du mark, ce qui a été le cas pour tous les pays du sqd-est européen. (2) Cher pour eux, bon marche pour les importateurs étrangers qui bénéficiaient de marks à un cours inférieur à la parité (marks bloqués ou autres).

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SECTION V

Matures en faveur des exportations de capitaux.

L’exportation du capital a posé à l’impérialisme allemand des problèmes très particuliers et très complexes. L’exportation du capital est une opération qui comporte en général deux phases distinctes. En premier lieu, il faut que le capital s9accumule dans le pays exportateur, et s’y accumule alors sous sa forme moné­ taire ; ainsi en Allemagne, les capitaux accumulés seront repré­ sentés par un certain nombre de millions de marks, en Angleterre par des millions de livres, etc.... En second lieu, il faut que ce capital soit transféré à l’étranger. Les sommes investies à l’étran­ ger, en Europe Centrale, par exemple, n’y sont pas investies en livres ou en RM. mais en Pengoes, lei, dinars, etc.... Il faut donc que les capitalistes exportateurs se procurent ces devises en ven­ dant les RM., les livres, etc... ou en les échangeant contre de l’or. Pratiquement, l’exportation de capital à l’étranger suppose donc deux choses : 1°) que ce capital existe à l’intérieur ; 2e) qu’il puisse être transféré à l’étranger grâce à un excédent de la Ba­ lance des Comptes ou à une réserve d’or. L’excédent de la Balance des Comptes provient lui-même du fait que la valeur des expor­ tations de marchandises ou de services (1) dépasse celle des importations. Il en résulte qu’en dépit de l’accumulation massive du capi­ tal à l’intérieur d’un pays, l’exportation de ce capital peut se heurter & de graves difficultés, faute d’un excédent de la Balance des Comptes (ou d’une réserve suffisante d’or). C’est précisément la situation de l’Allemagne après 1918. Depuis cette époque, les créances sur l’étranger ont, tout au moins jusqu’en 1931, été absorbées et même dépassées par les dettes sur l’étranger. Aucun excédent important de créances n’a pu apparaître. Ce phénomène s’explique, en premier lieu, par la charge des < réparations *. Jusqu’en 1931, l’Allemagne a payé, au titre des réparations, des sommes variables mais se montant souvent à plus d’un milliard de marks par an. En second lieu, à la suite de (1) En comprenant dans les services à l'actif de la Balance des Comptes, les recettes provenant des intérêts des capitaux placés à l'étranger et, au passif, les dépenses dues au paiement des intérêts des capitaux étrangers placés dans le pays.

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l'inflation, l’Allemagne a été obligée d’emprunter des sommes considérables à l’étranger, sous forme d’emprunts bancaires à court terme. La nécessité de payer l’intérêt de ces emprunts a diminué sérieusement l’actif de la Balance des Comptes. En bref, le capital qui s’accumulait en Allemagne (et il s’y accumulait d’autant plus vite que les emprunts faits aux banques étrangères furent investis dans l’industrie) ne trouvait pas de possibilités de transfert. L’Etat s’est efforcé de remédier à cette situation ; mais avant d’étudier les mesures prises ici, il faut que nous donnions quelques indications sur la situation du marché mondial des capitaux depuis 1931. La crise financière de 1931 a donné naissance à un phéno­ mène sans précédent, du moins par son ampleur, dans l’histoire du capitalisme. A la suite de la restriction catastrophique des débouchés et de la baisse mondiale des prix, les pays débiteurs ont été dans l’impossibilité d’assurer le paiement des intérêts de leurs dettes. Ces pays, parmi lesquels il faut citer (en dehors de l’Allemagne qui est, en même temps un pays prêteur) tous les pays de l’Europe Centrale et balkanique ainsi que ceux de l’Amé­ rique latine, ont vu disparaître les principaux postes actifs de leur balance des Comptes. Du fait du recul de leurs exportations, du recul des sommes envoyées chez eux par les ouvriers émigrés, etc... ils se sont trouvés dans l’impossibilité de payer les annuités et même les intérêts de leurs dettes. Ces pays ont dû recourir, coup sur coup, aux moratoires de paiement, aux moratoires de transfert et aux dévaluations monétaires. Les prêteurs ont perdu alors des milliards. A la suite de cette crise, dont les effets se sont prolongés sous forme de contrôle des changes et de moratoires de transfert, les prêteurs ont hésité, le plus souvent, à reprendre leurs opérations de prêt. Les exportations de capitaux ont été réduites à peu près à néant, du moins sous leur forme classique. Les immenses capitaux qui, jusque là, s’investissaient dans les pays économiquement arriérés, afin d’y bénéficier d’un taux élevé du profit (car les salaires sont bas dans ces pays) se sont employés dans des placements internationaux à très court terme (en de­ hors de la production) et dans la spéculation monétaire. Ils ont pris le nom de capitaux errants. La disparition presque totale de nouvelles exportations de capitaux (les anciens capitaux prêtés restant investis dans les pays emprunteurs) a contribué à accroître la désorganisation de l’économie mondiale. Les pays de l’Europe Centrale et balkanique ont eu leur économie gravement menacée, leur propre accumu­ lation de capital étant insuffisante. D’autre part, les exportations

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industrielles allemandes à destination de ces pays ont également souffert, car une partie des capitaux prétés dans ces régions, prin­ cipalement par la France et la Grande-Bretagne, servait à l'achat de marchandises allemandes. Les capitalistes allemands ont eu ainsi plus de mal à vendre leurs marchandises sur le marché international. La méfiance à l’égard des investissements à l'étran­ ger (par crainte des faillites et des dévaluations) a alors donné tout leur essor à deux tendances propres à l’impérialisme. D’une part, les capitaux qui s’accumulaient dans les pays capitalistes avancés ont été investis de plus en plus dans les colonies de ces pays, afin d’éviter les risques de dévaluation et le risque d’étre € frustrés » par des moratoires de transfert des capitaux ainsi investis. C’est là la base matérielle de l’idéologie des € blocs impé­ riaux ». D’autre part la plus grande partie des capitaux accumulés a été employée sur place, en emprunts d’Etat et dans l’industrie d’armements. L’Allemagne, dépourvue de colonies, a recouru en grand à cette dernière méthode, révélant par là que lorsque l’ex­ portation de capital devient difficile ou hasardeuse, il reste tou­ jours aux capitalistes un moyen de mettre leur capital c en valeur » : l’industrie d’armements. L’industrie d’armements a d’ailleurs l’avantage de renforcer la puissance militaire, de faci­ liter les annexions, de préparer le terrain à la forme précédente de « mise en valeur » du capital, c’est-à-dire à l'exportation du capital dans les pays soumis. En ce sens, le réarmement est un moyen propre, à la fois à suppléer à l’exportation du capital, et à la préparer. Mais cette utilisation du capital, si elle est profi­ table aux capitalistes, diminue la quantité d’objets de consom­ mation disponibles, elle risque d’accroitre la tension sociale et le mécontentement ouvrier. C’est pourquoi elle ne peut être réalisée en grand que grâce à la dictature du type fasciste. Ce rappel était indispensable pour souligner le fait que, pen­ dant la période qui va de 1933 à la guerre, l’exportation du capital joue, pour l’impérialisme allemand, un rôle relativement secon­ daire, ce qui ne signifie nullement qu’il y ait renoncé, mais ce qui signifie que cette exportation a lieu sur une faible échelle et dans la mesure seulement où l’impérialisme allemand a pu se créer un substitut des blocs impériaux en accroissant son emprise économique et politique sur les pays emprunteurs de l’Europe Centrale et balkanique. Voici les principales mesures prises en Allemagne pour faci­ liter ou accroître les exportations de capitaux, en dépit· de l’insuf­ fisance des moyens de transfert.

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1°) Le moratoire des transferts. Une première mesure a été imposée par la crise mondiale. Cette crise a diminué d'environ 75 % les exportations allemandes (également il est vrai, les importations) et a conduit les banques étrangères à réclamer le remboursement massif de leurs prêts. Cette exigence risquant de provoquer une crise des changes a conduit le gouvernement allemand à proclamer en 1931 un mora­ toire des transferts. Ultérieurement, la situation de la Balance des Comptes de l'Allemagne s'est améliorée, laissant parfois un solde disponible qui, n'étant pas utilisé à payer les dettes étrangères (du fait du moratoire) a pu être employé pour les exportations de capitaux. Néanmoins ce solde a toujours été assez mince, en raison des besoins d’importation de matières premières. 2e) Les mesures en faveur des exportations de marchandises. L’ensemble des mesures prises en vue de favoriser les expor­ tations de marchandises (mesures déjà indiquées) permettent pour autant qu’elles se traduisent par un accroissement du mon­ tant des créances sur l’étranger, des opérations d ’exportation de capitaux. 3 e) Les crédits commerciaux. A vrai dire les crédits commerciaux sont le plus souvent accordés par des banques privées et ne représentent qu’une expor­ tation de capital à court terme, et non un investissement. Cepen­ dant, il arrive que l’Etat intervienne en vue d’aider les banques à accorder de tels crédits, en leur garantissant le remboursement Ces crédits commerciaux, pratiqués depuis longtemps dans tous les pays, ont l’avantage de nfexiger aucun transfert. Ce sont des crédits ouverts par des banques allemandes à des emprunteurs étrangers, crédits grâce auxquels ces emprunteurs peuvent ache­ ter des marchandises en Allemagne. La banque fait ainsi un pla­ cement à l’étranger, placement rémunéré par un taux d'intérêt très élevé et les exportateurs allemands de marchandises voient s'accroître leurs bénéfices, puisque les sommes ainsi prêtées ne peuvent être utilisées qu’en Allemagne. 4e) Utilisation des accords de clearing. Les accords de clearing ont été utilisés par l'Allemagne tantôt pour prêter, tantôt pour em prunter des capitaux. Pour emprunter des capitaux, il suffit que les capitalistes allemands achètent des quantités importantes des marchandises dans le cadre des accords de clearing ; dans la mesure où ces achats ne sont pas compensés par des ventes de même valeur, les pays ven-

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deurs se trouvent avoir prêté du capital à l’Allemagne. Inverse­ ment dans la mesure où les industriels allemands fournissent des marchandises à des pays étrangers pour une valeur supérieure à celle des marchandises achetées par ce pays à l’Allemagne, l’Allemagne se trouve dans la situation d’un prêteur de capital. Ce procédé a été systématisé : les banques allemandes ont avancé aux industriels exportateurs allemands les sommes nécessaires pour reconstituer leurs disponibilités en RM., les sociétés alle­ mandes, installées dans les pays ayant une dette de clearing visà-vis de l’Allemagne se sont servies de leurs créances de clearing pour acheter des participations aux entreprises industrielles de ces pays. Par l’intermédiaire du clearing, la forme c classique > d’exportation du capital par accroissement des participations industrielles, a repris corps.

Λ Au total, il apparaît donc nettement que les modifications de structure subies par l’économie allemande à partir de 1933, que le développement à partir de cette époque des organes étati­ ques ou para-étatiques (chargés de tâches économiques) qui se sont développés au sein de cette économie à partir de cette époque sont conditionnés, à la fois, par la situation économique inté­ rieure de l’Allemagne et par les problèmes que posaient les rela­ tions de ce pays avec le marché mondial. A vrai dire, comme le montre l’étude de la dynamique de l’économie allemande, ce sont même ces derniers problèmes qui ont joué le principal rôle dans la mesure où ils ont agi aussi sur la situation économique inté­ rieure du Reich.

CH A PITR E

III

VUE D'ENSEMBLE SUR LE ROLE DE L’ETAT.

Nous avons ainsi fait le tour des principaux aspects de l’intervention de l’Etat dans l’économie allemande. Cependant l’étude que nous venons de faire nous ayant obligé d’examiner un certain nombre de détails techniques, les aspects généraux et théoriques du rôle de l’Etat dans l’économie allemande sont forcément restés dans l’ombre. Ces aspects généraux constituant, en définitive, l’essentiel du problème posé par les deux chapitres précédents, nous voulons y revenir plus spécialement, en résumant les gran­ des lignes de nos constatations. Les chapitres de la 1*· Partie de cette étude ont déjà mis en lumière le rôle économique dominant du grand capital, du capital financier. Ils ont également mis en lumière que le nazisme n’a rien fait pour diminuer cette puissance, que celle-ci, au contraire, s’est accrue. Ceci souligne la nature réelle de l’Etat nazi, prétendu « socialiste ». En second lieu, nous avons vu que les organismes de direc­ tion économique (groupes économiques, Unions du Reich, cartels obligatoires, etc...) constitués par les représentants du grand capi­ tal, ainsi que les monopoles eux-mêmes, ont été de plus en plus dotés d’une puissance supplémentaire. A leur puissance économi­ que vient s’ajouter la puissance de la force publique, du moins dans la mesure où les décisions des dirigeants de ces organismes peuvent être imposées à tous les capitalistes par voie réglemen­ taire ou législative, et à l'aide de l’appareil judiciaire et policier de l’Etat. Ces différents points étant soulignés, il nous faut dégager la portée de l’intervention de l’Etat dans les différents domaines de la vie économique. § 1. — P roduction

et transports.

En ce qui concerne la production et les transports, le rôle de l’Etat est triple : 1) Il intervient en tant que producteur et transporteur ; en

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tant que propriétaire des moyens de production et de transport. Dans ce domaine nous assistons à une double tendance : A) La tendance fondamentale de la politique nazi est, nous l’avons vu, la reprioatisation ; il est inutile de revenir encore une fois sur les faits, mais nous devons en tirer la conclusion que, dans un des domaines les plus importants, dans le domaine de la propriété des moyens de production et de transport, le fascis­ me — bien que se réclamant du socialisme — marque non un progrès mais un recul de la propriété collective. C’est pour com­ penser les conséquences de ce recul, en un moment où l’interven­ tion croissante de l’Etat dans l’économie aurait plutôt exigé une évolution inverse, qu’il a été nécessaire de confier des pouvoirs de la puissance publique aux représentants des monopoles. B) Concurremment au développement de Véconomie de guer­ re, de l’autarcie, et en vue de protéger le profit du capital privé, le fascisme hitlérien a développé certains secteurs de la produc­ tion étatisée. Il s’est agi principalement pour l’Etat de se charger de secteurs non rentables de la production. Dans ce domaine, il y a progrès de la propriété publique, mais ce progrès est lié au déve­ loppement de Véconomie de guerre, et n ’a qu’une portée écono­ mique restreinte, puisque l’appropriation publique porte ici essentiellement sur des forces de destruction. 2) L’Etat intervient dans la production en vue de la limiter. Il agit par voie réglementaire, en collaboration avec les cartels, libres ou t obligatoires ». C’est ainsi que l’extension d’une cer­ taine branche de la production peut être interdite, que l’utili­ sation de l’appareil de production existant dans une branche peut être réduite à un certain pourcentage de sa capacité de produc­ tion, que l’emploi de nouvelles machines peut être prohibé, etc... I/E tat intervient donc pour limiter le développement des forces productives, en vue d’éviter « le danger d’un accroissement nonéconomique de la capacité de production », selon l’expression des ordonnances et des décrets. L’Etat intervient en vue de renforcer la politique des cartels et des trusts qui ont pour but la limi­ tation de la production, afin de maintenir des prix élevés. A ce titre, cette intervention de l’Etat dans la production participe du caractère régressif de l’activité des monopoles. Elle accroît les tendances au parasitisme et au malthusianisme économique propres à l’impérialisme, en accroissant la puissance des mono­ poles, la fixité des prix et la possibilité de s’opposer au progrès technique. 3) Enfin avec le développement de l’économie de guerre, l'Etat intervient en vue d’orienter la production. On peut consi-

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ÉCONOME»

dérer ceci comme un progrès, tout au moins formel, par rapport au capitalisme libérai, mais ce progrès est le fait de l’économie de guerre elle-même. Il faut ajouter d’ailleurs que cette orien­ tation de la production a lieu d’une manière incomplète et indi­ recte. Il n’existe, en aucune façon, un plan d’ensemble de l’éco­ nomie. Les plans allemands sont partiels et loin de développer harmonieusement les différentes branches de la production, ils aboutissent à une déformation profonde de l’économie par l’hy­ pertrophie de l’industrie lourde au service des armements. D’aube part, cette orientation de la production a lieu, en général, de façon indirecte, l’Etat n’étant pas propriétaire des moyens de production ; elle s’opère par le jeu des prix, de l’intérêt et du profit La conséquence en est l’imperfection d’une telle méthode d’orientation, l’apparition d’obstacles sans cesse renaissants et des risques constants de crises. § 2. — L e

c r é d it

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En ce qui concerne le crédit, le rôle de l’Etat est plus complexe. Tout d’abord nous l’avons vu, en dépit de la multipli­ cité des banques publiques, celles-ci ont un rôle relativement secondaire dans l’édifice bancaire et financier du Reich, ce qui s’explique par la pauvreté même de ces banques en moyens finan­ ciers. Par contre, l’Etat exerce une profonde influence sur les marchés des capitaux et sur les banques en tant qu’il est le plus important emprunteur du Reich. L’influence des emprunts d’Etat est décisive en ce qui concerne le placement des capitaux. Gr&ce aux emprunts d’Etat, les capitaux parviennent à se placer d’une façon rémunératrice sans avoir à s’investir, sans avoir à accroître la production (or la crainte subsiste toujours de voir celle-ci s» heurter rapidement à des débouchés étroitement limités). Le phé­ nomène a une double importance. Il marque l'aliénation crois­ sante de l’Etat au capital financier, car la dette de l’Etat vis-à-vis des banques croit d’année en année ainsi que la part de revenu national qui échoit au capital financier, par l’intermédiaire de l’Etat. Mais le phénomène marque aussi un nouvel aspect du para­ sitisme de l’économie allemande. L’accumulation du capital ne sert plus que dans une faible mesure à développer les forces pro­ ductives (en dehors des besoins de la guerre et de l’autarcie) (1), elle sert au contraire à accroître la dette de l’Etat et les revenus (1) L'autarcie ne présente d’ailleurs nullement un accroissement des forces productives, du moins en général, car la fabrication des ersatz de­ mande, pour obtenir nne même satisfaction, u n e d é p e n se p lu s g ra n d e d e tra va il, ce qui souligne la diminution de la productivité du travail dans une économie autarcique. Nous avons, U aussi» un phénomène régressif.

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du capitalisme rentier purement parasitaire. Dans ce même do­ maine, le rôle de l’Etat revêt encore une certaine importance, dans la mesure où l’Etat vient apporter son aide aux banques dans leur tendance à drainer tout le capital liquide du pays. L’intervention de l’Etat, ici encore, contribue simplement à accroître la puis­ sance du capital financier. Enfin, et c’est là que le rôle de l’Etat dans le domaine conjoncturel a été important, l’Etat a favorisé par sa politique économique une véritable inflation de crédit ex­ trêmement dangereuse pour l’économie allemande, lourde de me­ naces de crise, mais grâce à laquelle la conjoncture dfarmement et la guerre ont pu être financées. Nous reviendrons sur ce point dans la 4* partie consacrée à l’étude de l’évolution de l'économie allemande. § 3. — Les prix et les salaires. En ce qui concerne les prix, nous avons vu que l’Etat a sur­ tout une attitude passive. Pratiquement, l’Etat aide à la réali­ sation des tendances propres à l’impérialisme en matière de prix. Il permet que s’ouvrent largement les ciseaux entre prix agricoles et prix industriels. Il autorise les prix élevés pour les produits des monopoles, favorisant ainsi la formation des surprofits de mono­ poles. En d’autres termes, si l’Etat contrôle les prix, il ne les di­ rige pas. Le contrôle des prix par l’Etat a surtout pour rôle de freiner la hausse des prix, conséquence de l’inflation de crédit, afin d’éviter la dépréciation intérieure de la monnaie (économi­ quement et socialement dangereuse). La collaboration étroite des représentants des grandes sociétés à la politique des prix est d’ailleurs un gage de ce que cette politique ne va pas contre les intérêts réels du grand capital. L’efficacité de Faction de l’Etat en matière de prix s’explique précisément par sa collaboration avec le grand capital, dont cette action satisfait les tendances essen­ tielles. En ce qui concerne les salaires, nous nous trouvons encore en présence d’une collaboration étroite de l’appareil d’Etat et des capitalistes pour maintenir de bas salaires. C’est une tendance naturelle au capitalisme de maintenir les salaires le plus bas pos­ sible, dans le but d’accroître le profit total. Le fascisme contribue de toutes ses forces à la réalisation de cette tendance, afin d’aider les capitalistes (1). L’Etat ici, comme en matière de prix, tire sa puissance économique surtout du fait qu’il est l’instrument du (1) Mandblbaum . - Traitant de la stabilisation obligatoire, l'auteur dé­ clare : « Décidée à un moment où le chômage existait à une large échelle et où il n*y avait pas de danger que les dépenses publiques conduisent à l'in­ flation, la stabilisation des salaires de base a dû servir à la fin politique de gagner la confiance des classes possédantes... », p. 191.

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grand capital, l'auxiliaire des tendances puissantes qui sont la conséquence d’un certain mode d'appropriation. § 4. — Le p r o f i t . En ce qui concerne le profit total, qu’il se présente sous forme de profit d'entrepreneur, d’intérêt ou de rente (loyers), l’inter­ vention de l’Etat reste très secondaire. 1) Le taux du profit n’est soumis à aucune réglementation directe ; par contre, il se trouve indirectement influencé par la réglementation des prix et des salaires que nous venons d’exa­ miner. Cependant, la fraction du profit répartie aux actionnaires s’est trouvée, dans un grand nombre de cas, en vertu de diffé­ rentes lois, limitée à un certain pourcentage du capital nominal (du moins de façon momentanée, par versements de la part de dividende dépassant 6 ou 8 % à un fond d’emprunt), mais ces lois ne modifient en rien le taux du profit et favorisent le dévelop­ pement des Konzern qui limitent la part des profits destinés à la répartition et accroissent d’autant leurs fonds d’autofinance­ ment (1). Une mesure particulièrement importante a été prise au début de la guerre par l’ordonnance, déjà citée, « d’économie de guerre ». Cette ordonnance, dans son paragraphe 22, prévoit que pendant la durée de la guerre, les profits devront se maintenir au niveau des profits de temps de paix. Le soin de réaliser cette limitation est laissé à chaque entrepreneur, sous le contrôle du commissaire aux prix. Ce dernier point est très important, car il confirme qu'il ne s’agit pas ici d’une intervention de l’Etat dans le domaine du profit (2), mais d’un moyen destiné à freiner la hausse générale des prix, en obligeant les entrepreneurs à em­ ployer leurs bénéfices de guerre au maintien de la stabilité de leurs prix de vente. 2) Le taux de l’intérêt est soumis plus fortement à l’inter­ vention de l’Etat. D’une part, pour satisfaire, au moins partiel­ lement, aux promesses faites par eux à la paysannerie, du temps où ils étaient dans l’opposition, les nazis ont proclamé — aussitôt après la prise du pouvoir — un moratoire des hypothèques (car des milliers de paysans étaient menacés de saisie) et une réduc­ tion des intérêts hypothécaires. Il s’çst agi là d’une mesure de caractère plus social qu’économique. De même, une loi du 21 décembre 1933, venant au secours des finances communales, pro(1) Il en est de même des dispositions fiscales de guerre frappant les dividendes de plus de 6 %. (2) Dans une conférence tenue à Berlin le 18 mars 1941« le commis­ saire aux Prix a souligné que ce texte ne visait pas à réglementer les profits, mais avait pour but de mettre obstacle à une nouvelle hausse des prix (F. Z, 19-8-1941).

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cède à une conversion quasi forcée des emprunts communaux, dont beaucoup portaient intérêt à 10 et 11 % (1). D’autre part, l’Etat, en tant que principal emprunteur, exer­ ce évidemment une influence sur le marché des capitaux, et donc, sur le taux de l’intérêt. Cette influence, il l’exerce plus encore par sa politique d’expansion de crédit et de conjoncture de guerre. En fait, ce sont ces derniers facteurs qui ont été les plus impor­ tants ; le résultat a été, étant donné l’accroissement énorme des profits et le peu de propension des capitalistes à développer leur propre entreprise, une offre de capital telle que le taux de l’intérêt a baissé de façon sensible. Nous aurons à revenir sur ce point. 11 importe de souligner ici que toute action sur le taux d’intérêt ne fait que modifier la façon dont les capitalistes se partagent le profit total. Toutes choses égales d’ailleurs, si le taux d’intérêt monte, la part du profit d’entrepreneur baisse ; si le taux d’intérêt baisse, la part du profit d’entrepreneur croît. Cette constatation est très importante parce qu’elle souligne la portée limitée des fluctuations du taux de l’intérêt, sauf à un point de vue étroite­ ment conjoncturel. 3) La rente, c’est-à-dire les loyers, est la forme de répartition du profit total qui a été l’objet de la réglementation la plus nombreuse (dès avant le régime nazi) dans le sens d’une fixation de la plupart des loyers urbains (législation sur les loyers) (2) et des fermages (législation beaucoup plus souple que celle des loyers urbains). Cette réglementation a son origine dans les pro­ blèmes « sociaux », mais sa racine profonde est le conflit qui oppose propriété foncière et capital industriel. Elle marque une victoire du capital industriel sur la propriété foncière, puisque la fixation des loyers interdit aux propriétaires fonciers de profiter des conjonctures favorables ou même de la hausse des prix pour élever leurs loyers, ce qui se répercuterait sur les besoins en argent des salariés. La fixation des loyers urbains maintient stable un élément important du coût de la vie ; les industriels peuvent ainsi payer des salaires moindres que si les loyers avaient subi une hausse ; le taux du profit d’entrepreneur se trouve accru d’autant. Il en est de même de toute législation sur les fermages, (1) La loi du 21 décembre 1933 offre aux porteurs (pour la plupart des particuliers et non des banques) l’option entre la transformation de leurs obligations communales en obligations 4 %, ou le maintien du taux de 10 % avec un moratoire de cinq ans. La conversion a été acceptée par la plupart des porteurs. U faut ajouter que les nouvelles obligations ayant été cotees à des cours très voisins du pair, il semble que la conversion n’ait fait que ramener le taux d’intérét payé par les communes a u n iv e a u réel d u m a rc h é d e s c a p ita u x . Il en a été de même avec la conversion des lettres de gase (Pfandbriefe) qui a eu lieu en vertu de la loi du 24 Janvier 1936. (2) ...qui intéresse surtout les immeubles construits avant 1914.

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pour autant qu’elle se répercute sur les prix des denrées alimen­ taires ou des matières premières d’origine agricoles. Ceci signifie que la législation sur les loyers a pour effet de susciter un trans* fert du profit au bénéfice du capital industriel et au détriment de la propriété foncière. Il faut ajouter que la fixation des loyers, en détournant les capitaux des investissements immobiliers, a fortement contribué à aggraver la pénurie des logements, susci­ tant ainsi des problèmes très graves. 4 e) On a dit, parfois, que par l’intermédiaire de la fiscalité (d’autant plus lourde que l'Etat a dû dépenser des sommes consi­ dérables pour remettre en marche la machine économique alle­ mande et pour financer la guerre, et la préparation à la guerre) on assiste à une action de l’Etat sur la répartition du profit total (1). Ceci n’est vrai qu’en partie, car cette action n ’est pas le fruit d’une « volonté interventionniste » mais des nécessités éco­ nomiques ; il en résulte que, dans l’ensemble, le système fiscal allemand est « neutre » et ne tend pas à avantager certains capi­ talistes au détriment d’autres. 11 n’en reste pas moins que : A) la fiscalité, par la pression qu’elle exerce sur les salaires réels, tend à accroître la masse du profit total (si l’on considère, logiquement, que l’ensemble du produit social non-approprié par les salariés constitue le profit total) ; B) la fiscalité tend à réduire la part du profit total dont le capital peut disposer directement ; ce qui peut, notamment, entra­ ver l’accumulation du capital et le développement des forces productives — dans la mesure où l’Etat fait usage de la part qu’il s’approprie non pour des investissements productifs, mais pour des dépenses de consommation ou même de destruction. C) les dépenses auxquelles l’Etat peut se livrer grâce à ses recettes fiscales entraînent, elles, une certaine re-répartition du profit total entre les bénéficiaires de ces dépenses. En fait, par le canal de ces dépenses, une partie — la plus faible — du profit total va aux fonctionnaires, une autre partie, beaucoup plus considérable, va aux propriétaires de titres d’Etat (capitalistesrentiers). On pensera, sans doute, que parmi les bénéficiaires des dépenses publiques — parmi ceux à qui est attribué, grâce au mécanisme « fiscalité-dépenses publiques », une partie du profit total — il faut ranger aussi les titulaires de commandes publi(1) Finalement, tont Impôt — à moins de porter sur la substance même de la richesse du pays — est prélevé sur le profit (sur le produit net, disaient les Physiocrates; ; les impôts assis sur les objets de consommation ou les salaires ne font que réduire le niveau réel des salaires, donc accroître le profit total. D’ailleurs, de plus en plus, le stoppage à la source, en matière d’impôt sur les salaires, donne à celui-ci sa vraie signification.

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ques. Ceci est à la fois faux et vrai. Ceci est faux, en ce sens que les titulaires de commandes livrent en échange des sommes que l'Etat leur verse des marchandises dont la valeur équivaut (ou est censée équivaloir) à l’argent qu’ils reçoivent — si bien que l’Etat, en principe, ne s’appauvrit pas par les commandes en question, puisqu’il conserve par devers lui la part du profit qui correspond à ces commandes, part qui est désormais matérialisée non plus par de l’argent liquide, mais par des routes, des aérodromes, des casernes ou des canons. Ceci est vrai, en ce sens que les comman­ des de l’Etat ouvrent à leurs titulaires des débouchés supplémen­ taires et la possiblilité de réaliser sur les ventes faites à l’Etat de nouveaux profits (1). En résumé, la re-répartition du profit qui a lieu par l’inter­ médiaire du sytème fiscal bénéficie (si on fait abstraction de la part relativement faible qui va aux fonctionnaires) d’une part, à la fraction du capital investie en titres d’Etat, d’autre part, à l’Etat lui-même qui voit son « actif » s’accroître. Il est vrai que la plu­ part des biens dont l’Etat s’c enrichit s ainsi sont sans grande valeur marchande et que la majorité d’entre eux sont destinés non à la satisfaction des besoins de la collectivité mais à être mis au service des tendances impérialistes qui sont celles du capital financier. En ce sens, il est tout à fait vrai de dire que la partie essentielle du profit approprié par l’Etat est destinée à accroître la puissance du capital financier. La politique fiscale des nazis, étant donné l’emploi fait par l’Etat des recettes fiscales, loin de prouver leur caractère c anti-capitaliste » — comme certains voulaient le faire croire — ne révèle donc, finalement, que leur dévouement à la cause de l’impérialisme. § 5. — Les

relations économiques internationales.

En ce qui concerne les relations économiques internationales, l’Etat a eu surtout pour rôle d’organiser les cadres d’une activité qui reste avant tout le fait des capitalistes privés. L’Etat a agi ici pour maintenir la stabilité extérieure de la monnaie et pour fortifier les bases de l’économie de guerre, mais aussi, et surtout, l'Etat est intervenu pour aider à la réalisation des tendances pro­ pres à l’impérialisme. L’Etat est intervenu afin d’aider à l’expor(1) Une partie de ces nouveaux profits nourra, d’ailleurs, être à nouveau appropriée par l’Etat, grâce à la fiscalité. Il faut précisément se rendre compte que les profits en question ne sont pas dus, en principe, au transfert par rEtat aux titulaires de commandes d’une partie du profit total que l’Etat s’était précédemment approprié par l’intermédiaire du système fiscal, mais au fait que — dans l’industrie intéressée par les commandes en question comme dans les autres — il existe un certain écart entre le prix de vente des produits et les dépenses que leur production exige, écart qui est préci­ sément la source de tous profits.

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tation des produits fabriqués, à l’exportation des capitaux, à l'importation des matières premières. Dans toutes ces mesures* l’Etat s’est révélé l’auxiliaire du grand capital. Plus que partout cela est apparu dans la négociation des accords commerciaux où l’Etat s’est montré prêt à appuyer effectivement de sa force militaire les revendications extérieures du capital monopoleur et bancaire. ***

Finalement, il apparaît que la puissance tant vantée de l’Etat sous le régime nazi tenait non pas à son opposition au capital fi­ nancier, mais à son étroite alliance avec lui. ’C’est la conjugaison de la force économique du capital monopoleur et du capital ban­ caire, d’une part, et de la force politique, militaire et policière de l’Etat qui a donné à ce dernier tous ses moyens d’action. Mais, comme il ressort déjà de ce que nous avons dit — et comme cela apparaîtra encore par la suite — cette conjugaison n’a pu se faire que par la subordination des intérêts économiques et politiques de l’Allemagne aux intérêts du capital financier. Cette subordi­ nation se trouvait d’autant plus facilement maintenue que la puissance de ce capital s’est trouvée constamment accrue (du fait de l’endettement croissant de l’Etat, du développement des Konzern, de la concentration bancaire, etc...) en conséquence mê­ me de la politique nationale-socialiste. Cette politique elle-même a été entièrement dominée par les difficultés rencontrées par les producteurs en face d’un marché intérieur trop étroit et de l’éli­ mination progressive de l’Allemagne du marché mondial. Nous abordons ici le centre même de la dynamique de l’économie alle­ mande qu’il nous faut maintenant étudier.

QUATRIEME PARTIE

L’Evolution de l’Economie allem ande sous le Nazisme De tous les aspects de l’économie allemande c’est certaine­ ment la dynamique de cette économie qui a le plus frappé les observateurs. Ceux-ci ont été étonnés de la rapidité du < relève­ ment » économique de l’Allemagne ; aussi convient-il d’examiner de près l’évolution de l’économie allemande depuis 1933 et d’en rechercher la portée réelle. C’est ce que nous allons tenter de faire au cours des chapitres suivants.

CHAPITRE

I

LA POLITIQUE ECONOMIQUE DU NATIONAL-SOCIALISME ET L'EVOLUTION DE LA SITUATION DE L'INDUSTRIE· SECTION I

L'ouverture, par l'Etat, de nouveaux débouchés intérieurs. Le problème essentiel pour la remise en marche de la ma­ chine économique allemande était, nous l’avons vu, l’ouverture de nouveaux débouchés. L’alliance étroite entre le nazisme et le grand capital interdisait le recours à la hausse des salaires comme moyen d’ouvrir des débouchés supplémentaires à l’indus­ trie, aussi la première mesure prise fût-elle la mesure classique du recours aux travaux publics. Très rapidement l’effet de ceux-ci fut dépassé par l’importance croissante des commandes d’arme­ ments et également par les investissements rendus nécessaires

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par l’extension de la politique autarcique. Nous allons retracer au cours des pages suivantes l’évolution des dépenses destinées aux travaux publics, aux commandes d’armements et à l’effort autarcique. 1w) Les travaux publics. Les travaux publics proprement dits ont absorbé des sommes considérables et pourtant ces sommes apparaissent très faibles comparativement aux dépenses qui devaient suivre. Le poste le plus important de dépenses est représenté par la construction de routes et d’autostrades, qui a exigé 1.612 millions RM., puis viennent les réparations d’immeubles (privés et publics) qui ont exigé 200 millions RM., les travaux de régularisation de cours d’eau, de construction de ponts, de canaux, etc... qui se sont montés à 350 millions RM. et différents travaux d’améliora­ tions foncières et de colonisation, pour plus de 700 millions RM. Au total, ces travaux publics ont représenté 3.267 millions RM. plus, fin 1933, 500 millions RM. pour la mise en état de loge­ ments ; cela signifie qu’en quelques mois il y a eu pour environ 3.700 millions de travaux publics ; si on ajout ? à cette somme, les quelques 500 millions dépensés par les chemins de fer en 1933 et 1934 pour l’entretien et le renouvellement de leur matériel (c’est-à-dire pour des travaux qui n’avaient pas été faits depuis plusieurs années) et les 600 ou 700 millions de subventions ou de remises d’impôts (sauf pour les impôts sur les salaires qui n’ont pas bénéficié de ces remises) accordées aux particuliers s’enga­ geant à effectuer des réparations et des transformations immo­ bilières, on a un total de dépenses pour grands travaux d’environ 5 milliards RM. et s’étageant sur environ deux ans. Ce sont ces travaux qui sont en grande partie à la base de l’augmentation du revenu national que l’on enregistre à partir de 1933. En effet, le revenu national atteint 46,5 milliards en 1933 et 52,7 milliards en 1934 — si l’on se souvient qu’en 1932 le revenu national était de 45,2 milliards, on a une augmentation de 1,3 milliards en 1933 et de 6,2 milliards en 1934. 11 est d’ailleurs intéressant de noter que l’augmentation de sommes distribuées en salaires et traite­ ments est loin d’évoluer de la même façon : ces sommes se main­ tiennent en 1933 au même niveau qu’en 1932 (26 milliards) et ne progressent qu’en 1934 à 29,2 milliards. Ce phénomène qui n’em­ pêche pas que le nombre des chômeurs tombe de 5.579.000 en 1932 à 4.733.000 en 1933 et à 2.657.000 en 1934, tient au fait que les travaux utilisent une main-d’œuvre très peu payée (le taux ne dépasse pas beaucoup celui des allocations de chômage) et même, quelquefois, la main-d’œuvre des camps de travail — de-

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puis le 31 Juillet 1933 les travailleurs des camps ne sont plus considérés comme chômeurs. Les années suivantes, et jusqu’en 1936, les dépenses pour grands travaux ont continué à croître ; elles se sont montées à 4.710 millions KM. en 1935 et à 5.093 millions RM. en 1936. A partir de cette époque, les dépenses pour grands travaux dimi­ nuent fortement ; d’ailleurs, dès 1934, ces dépenses passent au second plan par rapport aux commandes d’armement. 2· Les commandes d'armement. Si, du point de vue social, le national-socialisme considérait comme primordiale la lutte contre le chômage, du point de vue national, il considérait comme primordial le rétablissement d’une puissance armée, en tant qu’instrument indispensable de la force allemande et de la conquête de Γ« espace vital ». Le 22e point du programme national-socialiste de 1920 souligne que la première préoccupation du parti au pouvoir sera de « remplacer la troupe de mercenaires par une armée nationale » et, effectivement, dès Janvier 1933 le plan de quatre ans soumis par le Chancelier Hitler au maréchal Hindenburg prévoit la résorption du chômage par le développement massif et rapide de la production d’armements. Abstraction faite des problèmes financiers — sur lesquels nous reviendrons plus loin — la réalisation d’un tel programme était rendue possible par trois circonstances favorables : A) Jusqu’à cette date, le Reich était pratiquement désarmé, une production massive ne risquait donc pas de s’accumuler inu­ tilement à côté d’armes déjà produites ; par contre, le développe­ ment à donner à la production d’armements, devait être le plus rapide possible pour abréger au maximum la période pendant laquelle le Reich serait encore vulnérable et soumis aux risques d'une intervention étrangère sous prétexte de violation des clau­ ses de désarmement du traité de Versailles. B) L’Etat-Major de la Reichswehr avait déjà préparé les dos­ siers de fabrication, des prototypes étaient construits, des cadres étaient prêts (formés dans les usines d’armements allemandes établies à l’étranger) si bien qu’il n’y avait qu’à passer des com­ mandes. C) Enfin l’appareil de production de l’industrie lourde dispo­ sait d’une énorme réserve de puissance de production puisque cet appareil ne tournait qu’à 30 % de sa capacité (de ce point de vue l’ampleur même de la crise a été un élément favorable au réarme­ ment allemand. Il n ’y avait donc qu’à le remettre en marche et non pas à le mettre sur pied ni à modifier l’orientation de sa pro-

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duction. En conséquence, on peut voir la production de fonte et d’acier évoluer comme suit : Fonte Acier (en millions de tonnes) 1932 3.936 5.772 1933 5.268 7.584 1934 8.736 11.880 1935 12.540 16.104 Ainsi de 1932 à 1935, sous l’impulsion des commandes d’Etat, l’appareil de l’industrie lourde s’est remis en marche, la pro­ duction de fonte a été multipliée par 3,2 et celle de l’acier par 2,8. Le niveau de production de 1927-29 était ainsi presque retrouvé ; en 1936, il était dépassé. (Nous reprendrons plus loin Jes chiffres relatifs à la production et au chômage). Quelle a été l’ampleur des commandes d’armements ? Etant donné que depuis 1934 les chiffres du budget du Reich ne sont plus publiés on est réduit à des estimations (rendues possibles notamment grâce â la publication du montant des recettes fisca­ les, d’une part, de l’endettement public, d’autre part). D’après la revue anglaise t The Banker s de Février 1937, les dépenses totales de l’Allemagne et les dépenses d'armements ont évolué comme suit, de 1932-1933 à 1936-1937 : Dépenses totales Dépenses d’armements (én milliards R.M.) Exercice 1932-33 6.7 3,0 1933- 34 9.7 5,5 1934- 35 12,2 6,0 1935- 36 16.7 1936- 37 18.8 12,6 Il semble que pour 1937-38, on puisse estimer les dépenses militaires à 15 milliards RM. et, pour 1938-39 à 17 ou 18 milliards, au moins. On arrive ainsi à un total de dépenses d’armements de 63 ou 64 milliards RM. Ce qui semble confirmer le fait que ces estimations ne sont pas exagérées, c’est la déclaration faite, en 1939, par Hitler, déclaration selon laquelle les dépenses de réarme­ ment du Reich se seraient élevées à 90 milliards RM. (mais ce chiffre a pu être arrondi vers le haut et il comporte sans doute, des dépenses non spécifiquement militaires, telles celles exigées par l’effort d’autarcie). Les dépenses d’armement prennent donc dès 1934-35 une am­ pleur plus considérable que les dépenses des travaux publics. On a une idée de l’ampleur de ces dépenses — et par conséquent du coup de fouet donné par elles à l’économie — en les rapprochant du chiffre des salaires et traitements distribués : en 1933 ce chif­ fre était de 26 milliards (13 fois le montant des dépenses d’arme-

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ment de 1933-34), en 1938, il était de 42,7 milliards (à peine plus de deux fois et demie le montant des dépenses d’armement de 1938-1939). Pour cette dernière année, les dépenses d'armement équivalent à environ un quart du revenu national. Ces rapproche­ ments mettent en lumière l’ampleur des débouchés supplémen­ taires que l’effort d’armement a ouverts directement à l’industrie allemande, puisqu’en 1938-39 les seules dépenses purement mili­ taires équivalaient à 69,2 % des salaires et traitements distribués en 1933 et que pour toute la période 1933-34-1938-39 le montant des dépenses d’armement équivaut à 246 % des salaires et traite­ ments distribués en 1933. En outre, on pouvoit espérer que par les salaires supplémentaires distribués dans l’industrie d’arme­ ment et les industries annexes — ainsi que par les profits réalisés dans ces industries — un marché nouveau s’ouvrirait à l’ensemble de l’appareil industriel. Néanmoins, en fait, l’extension du marché intérieur qui est résulté de cette politique était encore insuffisante à maintenir en pleine marche l’appareil économique allemand en Fabsence de vastes investissements privés et dans l’éventualité d’un ralentissement de l’effort d’armement. Précisément, la politi­ que d’autarcie devait ouvrir de nouveaux débouchés à l’industrie allemande. 3e La politique d9autarcie. Fin 1936, on pouvait prévoir déjà que — sauf complications extérieures — qui se sont effectivement produites — le réarme­ ment allemand touchait à sa fin. En effet, une fois acquis un certain potentiel militaire il est inutile, en temps de paix, d’accu­ muler un matériel qui risque d’être rapidement dépassé par les progrès de la technique. Un tel potentiel une fois atteint, il reste, certes, des commandes courantes à passer à l’industrie d’arme­ ments — afin de renouveler le matériel et de l’adapter aux nou­ velles nécessités techniques — mais l’importance de ces comman­ des est forcément très inférieure à celle qu’exige le réarmement d’une grande puissance pratiquement désarmée. C’est pourquoi il a fallu prévoir, dans l’éventualité d’un ralentissement du volu­ me des commandes d’armements, la mise en route de travaux destinés à assurer à l’Allemagne une certaine indépendance éco­ nomique. Il ne fait d’ailleurs pas de doute que la recherche de cette indépendance a été dictée aussi par des considérations militaires et par le souvenir du blocus dont les Empires centraux ont cruellement souffert au cours de la guerre 1914-1918. Mais le fait que la préoccupation du maintien en activité de l’économie allemande a aussi dicté la politique d’autarcie est confirmé par Hitler lui-même dans un de ses discours de Nuremberg. En effet,

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lors du Congrès du Parti, à l’automne 1936, Hitler déclara : « Dans quatre ans l’Allemagne doit être complètement indépen­ dante de l’étranger en ce qui concerne toutes les matières qui peuvent être fabriquées d’une façon ou d’une autre par le génie allemand, par notre industrie chimique, et notre industrie méca­ nique, ainsi que par nos mines. La construction de cette grande industrie allemande de matières premières occupera de façon économiquement utile les masses d’hommes que libérera la fin de notre réarmement ». Il est difficile d’estimer le montant des dépenses exigées par la politique d’autarcie ; d’autant plus difficile que cette politique s’est, en fait, poursuivie parallèlement à des dépenses d’arme­ ments croissantes (la construction de la ligne Siegfried a exigé de 5 à 10 milliards RM. tandis que l’annexion de l’Autriche, puis des régions des Sudètes exigeaient d’importantes dépenses militaires). Une autre difficulté d’estimation provient du fait que ces dépenses ont été, dans une certaine mesure, assurées par les entreprises privées et les banques, le Reich garantissant la rentabilité des investissements et leur amortissement ; ces dépenses ne se tra­ duisent donc pas toutes, loin de là, par des dépenses publiques. Il est possible que la politique d’autarcie ait exigé une vingtaine de milliards de fonds publics, quant aux fonds privés mis en œuvre, il ne serait possible d’en estimer le montant qu’à la suite de longues recherches qui dépasseraient le cadre de cette étude. En effet, pour connaître le montant des investissements exigés par la politique d’autarcie, il ne suffit pas de se reporter aux émissions publiques d’actions et d’obligations auxquelles ont pro­ cédé les entreprises privées chargées de la réalisation de cette politique, car ces entreprises (grâce précisément à la garantie du Reich) ont bénéficié de crédits bancaires souvent plus importants que le montant de leurs fonds propres. Ainsi, de fin 1938 à fin 1941, les 13 usines régionales de fibrane ont accru leur capital-ac­ tions de 179 millions RM. tandis que les banques leur avançaient 147 millions RM.. au total, les crédits bancaires consentis à ces entreprises représentent, fin 1941, 82 % de leur capital-actions et pour certaines d’entre elles plus de 100 % (184 % chez Zellwolle Lenzing, 126 % chez Kurmärkische Zellwolle). En outre, beau­ coup de ces entreprises sont rattachées à des Konzern déjà exis­ tants qui les financent directement par divers procédés sans qu’il soit possible de procéder à une estimation des sommes ainsi mises en jeu. Quoi qu’il en soit, il ne fait pas de doute que la mise sur pied d’une industrie d’ersatz ou de matières premières nationales a ouvert de nouveaux et importants débouchés aux industries sidé-

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rurgiques, mécaniques et chimiques de l’Allemagne, sans d’ail­ leurs que ces débouchés soient, il s’en faut, de même ampleur que ceux qu’avaient ouverts la politique de réarmement et sans, non plus, que les dépenses ainsi engagées aboutissent à un développe­ ment des forces productives. 11 y a plutôt régression des forces productives, car c’est avec une plus grande quantité de travail et de capital que l’Allemagne se procure par cette voie les produits — ou des produits analogues, souvent de moindre qualité — qui lui manquent. Nous examinerons plus loin les résultats obtenus dans le domaine de l’autarcie. Telles sont les principales dépenses dont l’Etat a dû assumer la charge pour remettre en marche la machine économique alle­ mande. Ces dépenses, les caisses de l’Etat étant vides au moment de la prise du pouvoir par le National-Socialisme et les impôts ne rentrant guère du fait de l’appauvrissement de larges couches de la population, il n’a été possible de les financer que par l’em­ prunt et, tout d’abord, en recourant au marché monétaire. La nécessité d’une étroite collaboration entre l’Etat et les banques était ainsi posée.

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SECTION II

Evolution do la production industriollo. Au cours des pages précédentes nous avons indiqué comment a évolué, sous le coup de fouet des commandes de guerre, la pro­ duction de fonte et d’acier ; mais c’est indirectement toute la production industrielle qui a connu, au cours des années qui ont suivi 1933, une reprise étonnante. Cette reprise est d’ailleurs facile à expliquer du fait de la résorption du chômage entraînée par l’embauchage massif pour les travaux publics, les commandes de guerre et l’autarcie. Voici tout d’abord quelle a été l’évolution d’ensemble de la production industrielle allemande jusqu’à la guerre : Indices de la production industrielle (base 100 en 1928) Indice général 1932 1933 1934 1935 1930 1937 1938 juin 1939

59 66 83 96 107 117 125 133

Biens de Biens production (1) d'investissement (2) 46 54 77 99 113 126 136 147

35 45 75 102 117 128 140 152

Biens de consommation 78 83 85 91 98 103 107 113

1) Evolution de Tindice général. On voit que c’est vers 1936 que le niveau de la production industrielle allemande a rejoint le niveau de 1929 ; au cours de la période 1932-1936, le taux moyen annuel de progression de l’indice a été de 16 %. Au cours de la période suivante, la pro­ gression continue mais à un taux ralenti : 9 % en moyenne par an car à partir de 1936 l’appareil de production tourne à peu près à 1 0 0 % et toute augmentation de la production suppose un déve­ loppement préalable des forces productives, c’est-à-dire des inves­ tissements nouveaux. Au total, en 1939, le niveau de 1928 est dé­ passé de 33 % ; entre les deux dates du fait des accroissements de territoires et de la croissance naturelle, la population s’est accrue (1) Matières premières, machines, outillage, etc... (9) Seulement machines et outillage.

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS LE ΝΛΖΙ8ΜΒ

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de 12,5 %; par rapport à 1932 la progression de la production est de 125,4 % — mais ce chiffre exprime surtout la profondeur de la dépression de 1932. 2) Production des biens de production. Tout aussi notable que l'évolution de l’indice général est l’é­ volution des indices caractéristiques de la production de biens de production et de la production de biens de consommation, évo­ lution qui vient renforcer les traits caractéristiques de la struc­ ture industrielle allemande. La production des biens de production englobe, d’une part, la production des matières de base et de l’énergie, d’autre part, la production des « biens d’investissement *, y compris les cons­ tructions. Cette production est évidemment loin de refléter l’am­ pleur des investissements productifs, car elle est destinée en grande partie à satisfaire les besoins militaires (artillerie, moto­ risation de l’armée, aviation, etc.) ; il est évidemment impossible, faute de données suffisantes sur ces derniers besoins, de faire le départ entre ce qui a été utilisé directement dans le secteur civil et ce qui a été utilisé à des fins militaires. D’ailleurs cette venti­ lation serait dans une large mesure artificielle, car une grande partie des investissements proprement dits ont été faits dans l'industrie de guerre et ne seraient que difficilement utilisables à des fins non militaires. En Juin 1939, la production de biens de production avait dépassé de 47 % son niveau de 1928 et de 220 % le niveau de 1932 ; plus considérable encore est la progression de la production des c biens d’investissements >, puisqu’elle est de 52 % par rapport à 1928 et de 334 % par rapport à 1932. Si l’on se souvient qu’en 1935 le montant total des investissements était inférieur de 17 % au montant total des investissements de 1928 tandis que l’indice de la production des biens d’investissements avait déjà dépassé le niveau de 1928, on voit l’écart qui existe entre l’évolution des investissements réellement effectués et celle de la production de « biens d’investissement s . 3) Production des biens de consommation. Toute différente de la précédente est l’évolution de la pro­ duction de biens de consommation. En 1939, l’indice représentatif de cette production n’est qu’à 13 % au-dessus de son niveau de 1928 et à 45 % au-dessus du niveau de 1932. Si l’on tient compte de l’accroissement de la population qui, comme nous l’avons vu, a été de 12,5 % de 1928 à 1939, si l’on tient compte en outre, de l’évolution de la production agricole, de l’évolution des importa­ tions de denrées alimentaires et de produits fabriqué, si Ton tient

208

LÎàCOÂOMIE

compte, enfin, des besoins militaires en objet de consommation (vêtements, chaussures, etc...) on a une confirmation de la quasistagnation du niveau de vie de la population civile. 4) Structure industrielle. Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, cette évolution — très favo­ rable à l’accroissement du potentiel de guerre allemand — n’a fait qu’amplifier les traits caractéristiques de la structure industrielle allemande. On se souvient que cette structure était caractérisée notamment par l’importance prédominante de l’industrie produc­ trice de biens de production : celle-ci représentait plus de 60 % de la production industrielle totale en 1929 (40 % seulement en 1932) ; or en 1939, cette branche de l’industrie a non seulement repris son premier rang, mais sa part est désormais de 65,4 % du total contre 34,6 % pour les objets de consommation. 5) Uindustrie allemande dans Findustrie mondiale. Enfin, en conséquence de cette évolution, l’Allemagne a repris une place plus importante dans la production industrielle mondiale. Sa production industrielle dépasse à nouveau celle de l’Angleterre, elle est à nouveau au 3* rang derrière les U. S. A. et l’U. R. S. S. En pourcentage, on peut estimer que sa production industrielle représentait, à la veille de la guerre, environ 11 % de la production mondiale ( 1 ). En résumé, dans le domaine industriel, la politique écono­ mique nazie a eu pour conséquence la remise en marche de l’appareil de production et la résorption du chômage. Ainsi grâce à l’aiguillon artificiel des commandes publiques alimentées par l’emprunt, d’industrie allemande a repris une place importante dans la production mondiale. Les consommateurs n’ont d’ailleurs pas profité de cette évolution. II est vrai que les dirigeants nazis s’en préoccupaient fort peu. L’alliance étroite du grand capital et du nazisme ne permettait d’ailleurs pas une expansion quelque peu considérable de la consommation ; celle-ci supposant un accroissement parallèle des salaires, auquel les grands industriels se sont refusés, c’est justement le problème de l’évolution des salaires, des prix et des profits qui va retenir maintenant notre attention.

(1) Ao plus fort de la crise de 1937, cette part a été de près de 15 % ; mais la production mondiale était très inférieure à ce qu’elle aurait pu être si l’appareil de production avait tourné à plein.

EVOLUTION DB L’Ac ONOMIB BOVS LB NAZIS MX

209

SECTION III

Salaires« prix et profits. 1·) Chômage. La première conséquence, celle qui a le plus frappé d’ailleurs les observateurs et les Allemands même, a été la réduction du chômage au cours des années qui ont suivi la montée au pouvoir du nazisme. En fait, cette réduction du chômage, consécutive non seulement à la remise en marche de l'économie mais aussi à l’introduction du service du travail obligatoire, puis du service militaire, s’exprime dans les chiffres suivants : Nombre de chômeurs Moyenne de l'année :

1932 ............ 1933 ............ 1934 ............ 1935 ................

5.575.492 4.804.028 2.718.309 2.151.039

1936 1937 1938 1939

............ 1.592.655 ............ 912.312 ............ 429.461 (1)......... 38.379

Cependant, comme nous aurons l’occasion de le voir, cette réduction du chômage et l’accroissement considérable de l’emploi qui en est réulté n’ont pas entraîné une véritable amélioration du sort de la classe ouvrière. La principale raison en est la stabi­ lisation du taux des salaires nominaux, alors que les prix ont été en hausse. 2e) Taux des salaires. Depuis 1933, le mouvement des salaires est caractérisé non seulement par une relative stabilité, comme c’est le cas pour les prix, mais par une stabilité quasi absolue. Le fait qu’une pé­ riode de reprise économique, d’extension de l’emploi, de hausse du coût de la vie et d’accroisement des profits n’ait été accompa­ gnée d’aucune hausse des salaires est un phénomène unique dans l’histoire du salariat Un tel fait n’a été possible qu’à la suite de la dissolution de toutes les organisations ouvrières. Elles ont été remplacées par un organisme officiel, le Front du Travail, dirigé par des fonctionnaires et chargé essentiellement des tâches de propagande. Voici comment d’après les statistiques officielles, a évolué le taux des salaires horaires (il s’agit là des salaires bruts, tels qu’ils se présentent avant tout prélèvement). (1) Fin juillet 1939.

210

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

Taux moyens des salaires horaires d’après les tarifs homologués, pour les classes d’âge les mieux payées, dans 17 branches d’industrie. Hommes qualifiés 1928 (moyenne) 1933 > 1936 » 1937 » 1938 décembre 1940 > 1941 > 1942 octobre

Hommes manoeuvres

en reichspf. en reichspf. 75,2 95,9 62,3 70,5 62,2 78.3 62,3 78,5 79,0 62,6 79,2 63,0 80,0 63,9 80,8 64,1

Femmes Femmes qualifiées manœuvres et spécialisées en reichspf. en reichspf. 60,3 49,8 58,7 43,4 43,4 51,6 51,5 43,4 44,0 51,5 44,1 51,5 51,9 44,5 52,3 44,6

Ainsi, après avoir été stabilisés (1) — et même après avoir baissé par moments — jusqu’en 1937-1938, les salaires tarifaires enregistrent une très légère hausse à partir de 1938, hausse nulle­ ment comparable d’ailleurs à celle subie par les prix des objets de consommation. Indice des salaires bruts horaires (Moyenne pour tout le Reich) (1936 = 100) 1929 ................ 129,5 1933 ................... 94,6 1936.. ............... 100,0 1939 .................. 108,6

1940 ................. 1941 ................. 1942 .................

111,2 116,4 118,2

La hausse des salaires bruts nominaux horaires a donc été de 14 % de 1933 à 1939 et de 9 % de 1938 à 1942. Nous verrons que la hausse du coût de la vie, telle qu’elle ressort des statisti­ ques officielles, les prélèvements massifs auxquels étaient soumis les salaires, etc... ont compensé cette hausse des salaires nomi­ naux, même en tenant compte de la prolongation de la durée du travail, prolongation qui a fait augmenter les salaires hebdoma­ daires plus que les salaires horaires. 3·) Prix. Le mouvement des prix est, depuis 1933, régulièrement orien­ té vers la hausse, en dépit des mesures prises pour s’opposer à un (1) En dépit de cette quasi stabilité· on enregistre une hausse des sa laires bruts nominaux horaires effectivement payés. En effet, certains contrats individuels de travail prévoient des salaires supérieurs anx salaires tarifai­ res (ce qui a été de plus en plus fréquemment interdit à la suite des mesures prises en 1936 qu’à partir de la guerre pour bloquer les salaires effectifs), par suite des changements de répartition de la main-d’œuvre entre les diffé­ rentes branches d’industrie, etc...

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS LB NAZISME

211

tel mouvement, considéré comme dangereux, à la fois du point de vue des exportations allemandes et du point de vue de la conjoncture économique interne, notamment du fait des risques de répercussion de cette hausse sur le niveau des salaires. Nous avons déjà donné quelques indications sur l'évolution des prix de 1933 à 1938, nous ne reviendrons pas sur le détail de ces indications, mais nous retracerons simplement l'évolution géné­ rale des prix jusqu'au début de 1943. Indices des prix de gros (1913 = 100)

1928 (raoy.) 1 1933 > 1936 > 1937 » 1938 1939 août 1941 janvier 1 1942 » 1943

Produits agricoles

Matières Premières industrielles et demi-produits

134,3 86.4 107,5 106,0 105,9 108,8 111,2 113,7 118,6

134,1 88,4 94,0 96,2 94,1 94,9 99,6 102,2 102,4

Produits finis industriels Moyens de Objets de production consommât 137,0 114,2 113,0 113,2 113,0 112,8 113,3 113,5 113,8

174,9 111,7 127,3 133,3 135,4 136,1 146,8 147,0 149,6

La hausse des prix apparaît donc particulièrement nette pour les produits industriels destinés à la consommation, alors que les prix des moyens de production sont extrêmement stables — car l'industrie de moyens de production dont le taux de marche était très faible en 1933 a pu répartir ses charges fixes sur une pro­ duction considérablement accrue, grâce aux commandes publi­ ques. Les matières premières, qui ont $ubi une hausse assez sensible jusqu'en 1937, ont baissé au cours de 1939 — essentielle­ ment sous l'influence de la dépression mondiale et de la baisse des cours sur les marchés internationaux — pour reprendre leur marche ascendante en 1939 ; quant aux produits agricoles, nous ne reviendrons pas sur l’évolution de leur prix jusqu’en 1938, par contre, il importe de noter que de 1938 à 1943, la hausse dans ce domaine a été considérable, sous la poussée des prix de revient fortement accrus par les conditions de la guerre (c’est-à-dire sans qu’il doive en résulter une amélioration réelle de la situation de l’agriculture). 4*) Profits. De cette évolution divergente des prix et des salaires devait inéluctablement résulter un accroissement des profits, d’autant plus que, comme nous l’avons vu, on a assisté à un accroissement de la production industrielle. Cet accroissement des profits est véritablement ici l’œuvre de l’Etat. Il est d’ailleurs difficile

212

l ' é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

d'estimer avec précision dans quelle mesure les nazis sont parve· nus à accroître les profits du capital industriel et par incidence du capital commercial. Comme on le sait, les statistiques relatives aux profits sont parmi les plus discutables et toujours très infé­ rieures à la réalité. Voici néanmoins comment, d'après les statis­ tiques officielles, ont évolué les profits ( 1 ). Profits industriels et commerciaux en milliards RM. 1933 ........ ....... 1934 ................ 1935 ....... ........

6 .6

7.9 9,2

1936 . 1937 . 1938 .

De 1933 à 1938, l'accroissement des profits enregistrés par la statistique est donc de 8,4 milliards ou de 127 %. L'accroissement des revenus épargnables tel qu'il apparaît dans une telle statisti­ que, qui ne le reflète qu'incomplètement, a donc été considérable. Il apparaît encore plus grand si l'on tient compte de l'accroisse­ ment, pendant la même période, des revenus du capital et des bénéfices non répartis des sociétés ; alors qu'en 1931, les sociétés devaient prélever un milliard sur leurs réserves, elles mettaient officiellement en réserve avant la présente guerre près de 3 mil­ liards par an. En fait, les réserves occultes ont été beaucoup plus importantes, comme le montrent les sommes considérables aux­ quelles s'élèvent actuellement les accroissements de capital par incorporation de réserves. L'analyse des bilans des grandes entreprises industrielles met en lumière que ce sont surtout les principales firmes qui ont pro­ fité de cet accroissement des bénéfices. Nous reproduisons ci-des­ sous un tableau qui indique comment ont évolué les recettes brutes d'un certain nombre de grands Konzern allemands (nous avons préféré nous arrêter aux chiffres des recettes brutes, étant (1) Mamdelbaum donne le tableau snivant de révaluation de la produc­ tivité du travail et de la part des profits dans la production industrielle : 1925 1929 1992 1939 1994 1936 1937 Production par homme-heure dans l’industrie (1928 = 100) 90 105 114 115 110 115 114 Part des profits perçus dans la production in­ dustrielle nette (en %) 61,8 69,9 67,5 68,0 69,4 69,5 p. 195, notes 3 et 4. Commentant l’évolution des salaires réels et des profits, l’auteur con­ clut : < Ainsi, si nous considérons tous les changements qui ont eu lieu au cours de la période qui s’ouvre après 1929 il apparati que la politique alle­ mande a été essentiellement dirigée dans le sens d*un abaissement de la part des salaires dans le revenu total et de l’accroissement de la part des profits >. (p. 196).

213

EVOLUTION DE L’ÉCONOMIE 80U 8 LE NAZISME

donné le caractère beaucoup plus contestable, parce que mini­ misé, des chiffres relatifs aux recettes nettes) : 1932 1933 Deutsche Waffen n. Munitionsfabrik ken A. G............ Bayerische Motorenwerke A. G. O r e n s t e i n and Koppel A. G....... Philipp Holzmann Fried. Krupp A. G. lllseder Hätte A.G. Kali-Chemie . . . . Gesel. f ü r Elekt r i sc h e Unter­ nehmung .......... I. G. Farbenindus­ trie ................... Mannesmannröh­ renwerke .......... Wanderer Werke . Vereinigte Stahl­ werke ............... Bremer Wollk&me­ re i ..................... Gruschnitz Textil­ werke ............... Stöhr et O* A. G. A. E. G................... Siemens S.............. Siemens H. . . . . . . Total Siemens . . .

1934

1935

1936

1937 1938

1939

2,6

3,8

11,9

21,7

29,7

31,7

41*

10,7

16,1

20,7

22,4

23,6

23*

29,5

4M 32*

7,0

7,6

16,5

18,4

21,3

18,6

22,7

25*

9,6 10,8 26,7 39,8 45,8 40,0 61,6 72,8 116,0 130,0 192,0 246,0 287,8 316,6 331,6 396,9 9,1 14,5 25,8 32,6 38* — 46,6 13,5 18,9 17,9 19,3 22,2 20,7 ! ü * 25,6 6,2 6,3 10,0 12,8 16,6 16,8 15,0 26* 470,0 491,3 666,1 611,9 704,6 635,0 698,9 786.3 45,4 8,4

60,4 9,5

64,9 17,2

82,6 104,5 121,3 136,1 150* 23,6 29,75 31,1 34,8

107,8 105,6 141 (>) 192,0 193,0 215,0 222,9 11.2

H,1

7,6 7,0 142,1 154,2 144,Q 298,2

* 6,0 9,0 167,0 119,9 107,8 227,7

12,5

11,7

12,5

9,0 8,3 9,0 9,5 9.8 9,9 141,5 138,8 172,1 168,0 — — 138,0 — 306,0 — —

— 10,1 9,8 226,4 313,0 212,0 625,0



12,6

7,6 8,0 9,8 9,3 266* 207.5 278 (·) 840 (») 191 (») 234 (*> 469,0 674,6

Ainsi, tandis que l’Etat s’appauvrissait et s’endettait, le capital privé s’enrichissait. Il faut d’ailleurs bien comprendre que c’est là une des conséquences inéluctables du fait que la propriété des moyens de production est restée privée. En effet, l’Etat, pour pouvoir disposer des moyens financiers nécessaires au paiement de ses commandes de guerre devait pouvoir accroître ses recettes. Or cela ne lui a été possible qu’en recourant à l’em­ prunt et, pour recourir à l’emprunt, il lui fallait favoriser le développement des revenus les plus facilement susceptibles de s’investir en titrés représentatifs de la dette publique. Ces revenus sont essentiellement constitués par les profits industriels et com­ merciaux. Nous aurons d’ailleurs à revenir sur ce point lorsque nou& examinerons le financement de la politique économique nazie.

(t)

Changement des bases comptables.

CHAPITRE

II

EVOLUTION DE LA SITUATION DE L’AGRICULTURE. La situation de l'agriculture, au lendemain de la crise éco­ nomique de 1929, était particulièrement grave, non pas tant d'ailleurs du point de vue du niveau de la production agricole que du point de vue des prix et des revenus des agriculteurs. Le problème auquel les nazis se sont attaqués au point de vue agricole, après leur montée au pouvoir, a été surtout celui de la suffisance alimentaire. Leur but ici était visiblement de permettre à l'Allemagne de subsister, en cas de guerre, par ses propres moyens, ou tout au moins de n'avoir besoin que d'un minimum d'importations agricoles. Dans cet effort d'autarcie alimentaire, les considérations économiques sont nettement passées au second plan, si bien que l'évolution des revenus agricoles a été, dans l'ensemble, très peu favorable aux cultivateurs. Dans les der­ nières années de l’avant-guerre, on a même pu noter une situation très grave des exploitations paysannes. Nous envisagerons succes­ sivement l’évolution de la production agricole, celle des prix et celle des revenu paysans. SECTION I

La production agricole. Quels ont été les résultats des efforts faits pour accroître la production agricole ? Les chiffres suivants répondent à cette question : A) Récoltes de céréales panifiables (en 1.000 tonnes). Blé.

moyenne 1930/34 1933 1934 1935 1936 1937 1936 1939

4.650 5.765 4.676 4.790 4.523 4.576 5.852 5.584 (1)

S e ig

le

.

7.840 8.727 7.608 7.475 7.386 6.917 8.606 9.455 (1)

(1) Avec ΓAutriche et les Sudètes : en 1938, U récolte autrichienne a été de 441.000 tonnes pour le blé et de 691.000 tonnes pour le seigle.

216

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s l e n a z is m e

Pendant la période considérée, toutes les récoltes de céréales panifiables ont été inférieures — sauf en 1938 et 1939, années de très bonne récolte — à la récolte de 1933 et même à celle de la moyenne des années 1930-34. Les efforts faits en vue d’accroître la production, tout en laissant monter les prix des céréales relati­ vement plus que ceux des autres produits agricoles, en favorisant l'emploi des machines et des engrais chimiques et en mettant en œuvre le système de livraisons obligatoires, n’ont donc guère ap­ porté de résultats en ce qui concerne l’importance des récoltes. Cet échec s’explique par la réduction considérable des surfaces cultivées qui tombent de 2.317.530 hectares en 1933 à 2.120.829 hectares en 1939 (sans l'Autriche et les Sudètes) pour le froment et de 4.524.182 hectares à 4.248.360 hectares pour le seigle. Un tel recul n’est pas particulier aux céréales panifiables, il est commun à un grand nombre de cultures et il s’explique par la réduction générale des surfaces cultivables due à la construction de casernes, de terrains militaires, de stades, de fortifications, d’autostrades, etc.... En 1936, le Ministre du Reich à l’agriculture estimait à 612.000 hectares les superficies ainsi enlevées aux cultures ; de 1936 à 1939 c’est encore environ 300.000 hectares qui ont été enlevés de cette façon aux cultivateurs. Une telle évo­ lution ne pouvait, évidemment, qu’être difficilement compensée par la mise en culture de landes et de terrains marécageux et par l’augmentation des rendements à l’hectare ; en fait ceux-ci pas­ sent de 21,5 à 26,6 quintaux pour le blé, de 1932 à 1936 et de 18,8 à 18 quintaux pour le seigle. B) Les récoltes de céréales non panifiables n’ont pas évolué non plus de façon très favorable, comme l’indiquent les chiffres suivants : Récoltes de céréales non panifiables (en 1.000 tonnes) Av

1930/1934 1933 1936 1937 1938 1939

o in e

.

6.205 6.952 5.618 5.919 6.360 6.877 (1)

O

rqb

.

3.391 3.468 3.399 3.638 4.256 4.262(1 )

C) Pour les pommes de terre et les betteraves à sucre, l’évo­ lution a été, au contraire, satisfaisante. La récolte de pommes de terre est passée de 44.071.000 tonnes en 1933 à 50.894.000 en 1938 (1) Y compris l'Autriche et Sudètes ; les récoltes autrichiennes de 1(38 se sont élevées i 436.000 qntntanx pour l’avoine et à 306.000 quintaux pour l’orge.

217

EVOLUTION DB L’ÉCONOMIB SOUS. LB NAZISMS

et à 56.280.000 tonnes en 1939 (avec l’Autriche qui a récolté 3.256.000 tonnes en 1938). La production du sucre est passée de 1.285.000 tonnes en 1933 à 1.911.000 tonnes en 1938 et à 2.088.000 tonnes en 1939 (dont environ 105.000 tonnes pour l’Autriche). D) La production de plantes oléagineuses, favorisée par des prix relativement élevés, a fortement progressé. Ainsi, la produc­ tion de colza est passée de 50.000 tonnes environ en 1934 à près de 130.000 tonnes en 1938, les surfaces ensemencées en colza ayant presque doublé. D’une façon générale, les rendements à l’hectare ont beau­ coup augmenté grâce à une culture plus intensive mais aussi beaucoup plus onéreuse ; en effet, les quantités d’engrais utilisées par hectare de culture ont considérablement augmenté. Le poids consommé à l’hectare de culture est passé de 11,7 à 22,2 kgs pour les engrais azotés de 1925-26 à 1937-38, et 13,6 à 24,3 kgs pour les engrais phosphatés et de 21,5 à 40,5 kgs pour les engrais à base de potasse ( 1 ). E) Enfin, dans le domaine de l’élevage, on ne note pas d’im­ portants progrès quantitatifs. Voici quelques chiffres : Nombre de têtes de bétail (en millions de têtes) Bo

1933 1937 1938 1939 (1) (1)

v in s .

19,7 20,5 19,9 19,9

Ov

in s

3,4 4,7 4,8 4,9

.

P

o r c in s

.

23,9 23,8 23,5 25,2

Ca

p r in s

.

2 .6 2 ,6

2,5 2,3

Ancien territoire.

On ne note de progrès sensibles que pour les porcins et les ovins. Le cheptel bovin, au contraire, est stable, mais il y a aug­ mentation du nombre de vaches — d’où accroissement de la production de lait et de beurre. F) La suffisance alimentaire. — Au total, le bilan de la « bataille de la production » bien que n’étant pas défavorable sur le plan quantitatif n’apparait pas fortement positif ; l’impossi­ bilité d’étendre les surfaces cultivées ou de compenser les pertes de terrains affectées à des usages non agricoles, ainsi que le manque de main-d’œuvre, expliquent la faiblesse de ces résultats. En conséquence, le taux de suffisance alimentaire passe seulement de 81 % en 1933 à 83 % en 1939, selon les statistiques alleman­ des (2 ) et il semble que cet accroissement du taux de suffisance (1)

Ces poids sont calculés en azote, KH) et PH)123 pars.

(2) Notamment H ans von dbr Decken et Hans L iebb dans V iertel­ ja h re h e fte f ü r W irtech a ftefo rsch u n g du 12-10-1940.

u t

soit dû davantage à la restriction des im portations et de hi wBMflmBatifln qu'aux pngR S de la production. De ce point de vne on pent même dire que la situation de l'Allemagne de IM · est moins favorable que celle de 1913. D 'antre part, la consom­ mation d’nn certain nombre de denrées fondam entales se tronve réduite par rapport à 1913. Consommation de certaines denrées par habitant (en *9*> 1999-13 1937

Farine de blé Légume secs Pommes de terre

lit 4Jk 299

111 23 199

D’autre part, les réserves on les possibilités de prod action ae sont trouvées diminuées absolument on relativem ent à la popu­ lation pour l'ensemble des produits et plus spécialem ent pour le bétaiL Population et surface eultiafe Surface Population (1) Surface agricole (2) cultivée (3) 1913 1939

C7A 79.7

SU 31J

2M

ns

Ainsi, tandis que la population s’est accrue de près de 19 %. b surface agricole s'est réduite légèrement et la surface cultivée ■ diminué de prés de 13 %. De même le cbeptel a dim inué ou a ragmen té moins que proportionnellem ent à la population. Par rapport à 1913. on a : Pourcentage «faccroissem ent ( -{-> on de dim inution ( —} du cheptel de 1913 i 1939 Bovins -F 7JS % Ovins — 3j9 % Porcias + IM % Caprins — 284 *

E T w m ox

μ

ilc o m a n socs ia

21·

SECTION* U

L'évolution des prix agricoles est également caractéristiqne de la m anière dont les nazis ont considéré le prnhli nn persan. On soit très nettement, à tnrvers révolution des prix, que le nationalvortahune a farvorisè l’Industrie aux dépens de ragrieuH nre et qu'au sein de celte dernière, il a favorisé la culture (qui est le fait des grandes exploitations) an détrim ent de Télévage (qui est le fait des petits et moyens paysans). Cette manière de faire derail d’ailleurs aeoir ses répercussions, comme noos le verrons, sur révolution des débouchés industriels. Voici comment ont évolué les prix de gros agricoles et ceux des objets de consommation industriels : Iltd ices des prix de gros agricoles et des objets de O N U M M M f M (base 2 6 9 en 1913} IX 1 - | rruotins F o f T i p i M iw ti ttM r ic h

1933 1934 1933 1936 1937 1939

( U 7 M

90 99,4 *74

*9.6

96.4 192,0 194,9 167,5 1699 1974

997 1697 1194 1144 1199 1199

117J7 1174 1244 1274 1334 1394

Ce taU eao est très c sn d é m tiq e e . O monbre que. seuls les a du niveau de prix des animaux de boucherie sont a 1913, tandis qne les prix de tons les autres produits ont an d r u m de ce niveau, les prix des produits indus triels de consommation ayant m onté de pins de 35 % et ceux des aliments végétaux de près de 1C %. C’est le phénomène des ciseaux entre les prix agri­ coles et industriels . Certes, de 1933 à 1938. 3 y a en une légère am élioration relative, mais le phénomène n’en subsiste pas moins dams tonte son am pleur, et U est d’autant pins grave qu'avec les efforts d’autarcie alim entaire les prix de revient de l'agriculture ont augmenté pins que les p ris de vente des produits agricoles. comme le traduit le bilan déficitaire de l'agriculture.

220

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s l e n a c m m b

SECTION III

Revenus agricoles. L ’évolution

des revenus agricoles .

D’après l'Office Statistique du Reich, le revenu de l’agricul­ ture et des forêts aurait évolué comme suit : Revenu de Vagriculture et des forêts (en milliards RM.) 1929 1933 1934 1935 1936 1937 1938 TT Ίμ Γ wiT ΊΤϊΓ IjT Dès 1935, le niveau de 1929 aurait à nouveau été atteint et depuis lors la progression aurait été très lente. Cependant, cette statistique a l’inconvénient de ne pas distinguer entre les revenus des forêts et ceux de l’agriculture — qui ont dû évoluer moins favorablement —, en outre, et surtout, elle a l’inconvénient de ne pas faire état de l’ensemble des charges d’exploitation. Deux autres statistiques sont beaucoup plus précises, mais elles ne sont établies que pour la seule année 1937-1938. La première a été établie par l’Institut de conjoncture de Berlin ; elle fait ressortir une perle nette de 4,3 milliards RM. La seconde, établie par les services d’études du Reichsnährstand (or­ ganisation corporative de l’agriculture) fait ressortir une perte nette de 4,5 milliards. Ce bilan déficitaire est le résultat de la politique de suffisance alimentaire imposée à l'agriculture alle­ mande et en vertu de laquelle l’accroissement du rendement en nature a été recherché même au détriment de la rentabilité éco­ nomique. La conséquence de cet état de choses est que l’industrie (si on fait abstraction des deux branches d’industrie qui ont béné­ ficié de l’effort d’autarcie alimentaire, l’industrie des engrais chi­ miques et celle des machines agricoles) a trouvé un débouché de plus en plus réduit dans l’agriculture qui a été incapable de pro­ céder à l’entretien et au renouvellement de son matériel et de ses bâtiments. Le montant de ces arriérés de dépenses d’entretien et de renouvellement — qui ne comporte aucun investissement nou­ veau — est estimé à 40 milliards RM. par les statisticiens du Reich (1). L’agriculture a donc vécu en consommant sa propre substance, ce qui ne pouvait que conduire, à la longue, à une pro­ fonde détérioration de ses forces productives. 5 ,5

(1) Voir notamment réditorial économique tie la < F r a n k fu r te r Z ei­ tu n g », do 9 Mai 1943.

CHAPITRE III LES DEBOUCHES INTERIEURS REELS. De plus en plus, avec le développement dans tous les pays Tinflation monétaire, ou de crédits, il convient de distinguer entre les débouchés « réels » et les débouchés « fictifs ». Nous appelons débouchés réels des débouchés qui correspondent ä des achats s’appuyant de la part de ceux qui les effectuent sur des revenus leur permettant de régler ces achats sans endettement Au contraire ,on peut considérer comme débouchés fictifs ceux qui correspondent à des achats financés par l’accroissement des dettes des acheteurs, lorsque la situation est telle que l’on sait que ces dettes ne pourront jamais être remboursées. C’est de plus en plus souvent le cas des commandes publiques financées par l’endettement de l’Etat, car la dette publique prend la plupart du temps des proportions telles qu’il est impossible d’en envisager le remboursement et que la solutioil que l’histoire révèle comme s’imposant toujours est une solution de dévaluation avouée ou occulte. En fait, nous aurons à y revenir, l’essor de l’économie allemande sous le régime nazi est essentiellement lié à l’essor des débouchés fictifs, c’est-à-dire à l'essor de l’endettement de l’Etat. Au contraire, les débouchés réels, ceux qui correspondent aux revenus de la population, sont restés stationnaires, si bien que les difficultés économiques nées de la crise sont restées constamment sous-jacentes au développement économique apparent. Les dé­ bouchés intérieurs d’un pays sont constitués, d’une part, par les revenus qui sont destinés à s’employer en achats d’objets de consommation, d’autre part, par les investissements publics ou privés qui constituent le débouché des industries productrices des moyens de production. Dans la mesure où les investissements publics sont financés par la voie d’un endettement non amortissa­ ble, ils ne constituent pas, au sens où nous l’avons entendu plus haut, des débouchés réels. C’est pourquoi nous ne tiendrons comp­ te dans ce qui suivra, que des investissements privés. Nous som­ mes ainsi menés à examiner, d’une part, l’évolution des salaires et des revenus agricoles, d’autre part, l’évolution des investisse­ ments privés.

222

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o d s

l e n a z is m e

SECTION I

Salaires at ravanus Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons déjà dit quant à l’évolution des revenus agricoles. Il importe seulement de souligner que cette évolution ne pouvait être que défavorable à l’accroissement des débouchés intérieurs réels de l’industrie. Quant à l’évolution de la masse des salaires réels, on peut en don­ ner l’analyse suivante : Les

r ev en u s

du t r a v a i l s a la r ié .

L’accroissement des revenus du travail salarié a été, comme nous l’avons vu, systématiquement freiné par le gouvernement ; aussi assiste-t-on à ce fait remarquable qu’en 1938 le taux moyen des salaires horaires industriels se trouve beaucoup plus bas qu’en 1929 (— 18 %) et très peu au-dessus du niveau atteint en 1932 (-f 9 %). En conséquence, en dépit de l’accroissement de l’emploi (le nombre des ouvriers et employés travaillant effecti­ vement est de 17,6 millions en 1929, de 12,5 millions en 1932 et de 20,4 en 1938) et de l’allongement de la journée de travail, la masse des salaires et traitements distribués en 1938 est encore inférieure à celle distribuée en 1929. On sait qu’à cette époque déjà — où les ouvriers étaient moins nombreux et travaillaient moins longtemps — le marché intérieur était trop étroit pour permettre l’écoulement de la production. Montant total des salaires et traitements distribués (en milliards RM.) 1929 ... .............. 43 1935 ............... . . . 32,2 1933 ... .............. 26 1936 ............... . . . 35,6 1934 .................. 29,2 1937 ............... . . . 38,8 1938 ............ ............. 42,7 Cependant, pour connaître l’évolution du revenu réel des travailleurs salariés, il faut tenir compte de l’évolution du coût de la vie, des différents prélèvements (impôts, cotisations officiel­ les ou officieuses, etc.) auxquels sont soumis directement ou indi­ rectement les revenus du travail ainsi que des revenus perçus à divers titres par les travailleurs. Si nous prenons en considération ces différents éléments pour la période 1932-1938, afin de voir dans quelle mesure la demande intérieure définitive d’objets de

EVOLUTION DK L’ÉCONOMIE SOUS LB MAZUMB

223

consommation a pu être influencée par l’évolution des revenus des salariés, nous aboutissons aux résultats suivants : Entre 1932 et 1938 ont été institués de nombreux prélève­ ments soit obligatoires, soit théoriquement facultatifs ; en Août 1936, le Dr. Wotschke estimait, au cours d’une session de la Chambre Economique du Reich, que ces prélèvements représen­ taient, en moyenne, 2 0 % des salaires — et il ne tenait pas compte de toutes les cotisations payées par les ouvriers. Au cours des années ultérieures on considère que la part de ces prélèvements a augmenté de 3 %. En nous en tenant au chiffre de 23 % et en l’appliquant aux 42,7 milliards distribués en 1938, il ressort une somme de 9,8 milliards. (1) (2) Enfin, pour avoir une image de l’évolution du revenu nomi­ nal des travailleurs salariés, il faut tenir compte de la réduction des revenus provenant des dépenses d’assurance et d’assistance sociales (essentiellement les secours de chômage) au cours de la période considérée. Ces dépenses ont évolué comme suit : Dépenses d’assistance (en milliards RM.) 1932 ............... 1933 ...............

2,8 1934 .............. 2,3 1935 ..............

1,6 1,3

1936 1937

0,9 0,4

Nous ne possédons pas le chiffre de 1938, mais nous ad­ mettons qu’il n’y a pas eu de nouvelle réduction entre 1937 et 1938 ; en conséquence, la réduction subie par les revenus de cet ordre est de 2,4 milliards RM. Au total, on peut résumer les estimations ci-dessus de la façon suivante : En 1932, les revenus des travailleurs salariés étaient de 26 — (- 2 , 8 milliards — 28,8 milliards dont il faut déduire 3 mil­ liards de prélèvements, soit 25,8 milliards. En 1938, ces revenus étaient de 42,7 4 - 0,4 = 43,1 milliards dont il faut déduire 9,8 milliards, soit 33,3 milliards. De 1932 à 1938, le revenu nominal total des salariés s’est donc accru de seulement 7,5 milliards ou de 29 % . Mais il faut tenir compte aussi de l’augmentation du coût de la vie ; en effet, d’après les données officielles — qui ne tiennent (1) Cf. J. Kuczthski, G e r m a n o u n d e r F a s c is m 1933 to th e p r e s e n t d a g , London 1943, p. 109 à 108 et p. 174. (9) Wirtschaft and Statistik, 9 Februar Heft, 1949.

224

l ' é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

le

n a z is m e

compte que des dépenses les plus nécessaires — le coût de la vie a évolué comme suit : Indice du coût de la vie (base 100 en 1913-11) 1932 ...................... 1933 ..................... 1934 ..................... 1938

120,6 1935 118,0 1936 121,1 1937 .................... 125,6

123,0 124,5 125,0

Sur cette base, le coût de la vie (1) a augmenté de 4,1 % entre 1932 et 1938 (cependant, les prix de gros des produits in­ dustriels de consommation montaient de 15 % environ). En fait, en tenant compte de la hausse des prix des denrées alimentaires et de leur place dans les dépenses ouvrières, on doit admettre une hausse d’au moins 7 % du coût de la vie (2). D’après les calculs précédents, il apparaît que le revenu total réel des salariés (revenu qui représente officiellement plus de 50 % du revenu national total) n’a augmenté que de 20 % de 1932 à 1938. (3). Même si on considère que ces calculs reposent sur des bases discutables ,il n’en reste pas moins qu’aucune exten­ sion sensible du marché intérieur des objets de consommation n’a pu avoir lieu du côté des salariés ; il y a là une explication suffi­ sante du manque < d’initiative privée > et du fait que les entre­ preneurs n’ont pas pris sur eux de procéder a de nouveaux inves­ tissements (4). Une confirmation de cette stagnation des revenus privés se trouve dans l’échec rencontré par la tentative de production en masse d’objets de consommation de longue durée, deux tentatives en effet ont été faites sous le régime nazi. 11 s’agissait, d’une part, du développement de la « voiture populaire > et, d’autre part, du développement de la vente de récepteurs de T. S. F. Dans les deux cas les programmes de fabrication n’ont pu être réalisés, faute de débouchés suffisants. (1) L’insuffisance de cet index comme indice de la hausse du coût de la vie a été reconnue même de source officielle allemande (notamment par le Vierteljahreshefte zur Wirtschaftsforschuna, 1939-40, η* 1, p. 14). (2) Cf. J. K u czy nsk i , op. c it .f p. 106. Le même auteur indique que, d’après les statistiques du Statisches Reichsamt, le minimum vital corres­ pondait en 1937 à 40 R.M. par semaine, alors que le salaire industriel net était de 22,5 R M. (p. 108). (3) Rappelons qu’en 1932, le volume des salaires et traitements ne re­ présentait que 60 % du volume de 1929. (4) Cette conclusion est aussi celle de Oppenheimer-Bluhm dans son ouvrage « The standard of Living of German Labor under Nazi Rule » (New-York 1943) ; celui-ci écrit : < ...la situation des travailleurs a empiré sous la domination nazie, mais la diminution du niveau de vie a varié sui­ vant les différentes classes de travailleurs... Les travailleurs industriels n’ont que peu perdu de leur pouvoir d’achat ; m ais par contre, les fonction­ naires l’ont vu diminuer jusqu'à 20 % ».

225

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS LB NAZISHB

SECTION II

Les investissements privés. Comme nous l'avons indiqué plus haut, les investissements privés constituent, en définitive, le débouché réel de l’industrie des moyens de production. Il importe donc d’analyser d’aussi près que possible l’évolution des investissements privés pour voir dans quelle mesure les nazis, qui ont échoué dans leur effort en vue d’ouvrir un marché intérieur à l’industrie allemande d’objets de consommation, ont également échoué dans leur effort en vue d’ouvrir un débouché réel à l’industrie allemande des moyens de production. L’évolution des investissements est très difficile à suivre, nous reproduisons ci-dessous, sous toutes réserves, un tableau in­ séré dans un rapport publié par la Reichskreditgesellschaft : Volume des investissements publics et privés (en millions RM.) 1928

1932

1933

1934

4.690

1.706

2.180

4.050

6.450 7.600

8.600 9.800

2.825

760

875

1.350

1.570

1.900

2.000

2.500

1.020

220

200

290

390

500

600

700

246 2.615

550 440

600 555

725 1.070

774 850 1.660 2.100

900 2.500

1.000

1.680

550

650

700

900

1.000

T otal ................. 13.675

4.225

5.060

1. Administration e t transports · .......... 2. Construction de logements ............... S. Electricité, gaz et eau ....................... 4. Agriculture, forêts, etc................................ 5. In d u str ie ............... 6 . Artisanat, commerce, etc.......................

1935

750

1036

850

1937

1938

3.300

8.186 11.600 18.800 16.400 18.300

Dans ce tableau, les investissements publics sont représentés par ceux de l’administration (qui comprend la défense nationale et les transports), par une grande partie des constructions de lo­ gements et des services publics, par une faible fraction des inves­ tissements dans les forêts et dans l’industrie. Pratiquement, on peut considérer que les rubriques 1, 2, 3, représentent les inves­ tissements publics et les rubriques 4, 5, 6. les investissements privés. Ceci posé, le tableau permet les observations suivantes : 1* Ce n’est qu’en 1936 que le volume total des investisse­ ments dépasse le volume total des investissements de 1928 ; 1936

226

L'ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

est précisément l’année où l'appareil de production de l’industrie lourde fonctionne à plein rendement et où de nouveaux investis­ sements productifs deviennent nécessaires. A partir de 1936« en outre« l'essor donné à l’industrie d’Ersatz nécessite aussi de nou­ veaux investissements ; un grand nombre de ces derniers inves­ tissements sont le fait de l'industrie privée, mais ils sont réalisés avec la garantie de l’Etat. 2° Pour toute la période 1933-1938, le total des investisse­ ments s’est élevé à 72,3 milliards (et seulement à 42,3 milliards $i l'on tient compte que 30 milliards ont servi au remplacement du matériel usagé), dont 59,1 milliards pour les 4 dernières an­ nées, alors que les 4 dernières années de la dernière période de « prospérité » de 1926 à 1929, le volume des investissements a été de 54 milliards. 3* Dans le total des investissements, les investissements privés, et ce sont principalement eux qui sont productifs (1), jouent un assez faible rôle ; ils se montent à 21,9 milliards, contre 50,4 milliards pour les investissements publics, soit à 30,2 % du total des investissements. 4* En outre, en dépit de leur accroissement en valeur abso­ lue, les investissements privés représentent une part de plus en plus faible des investissements totaux ; ils se montent à 32,1 % du total pour 1933 et 1934 et à 29,5 % du total pour 1937 et 1938. Ces chiffres apparaissent faibles par rapport à ceux de l'année 1928 où les investissements privés représentaient 38,5 % du total des investissements, alors que les investissements publics avaient eux-mêmes en grande partie, un caractère productif (45,2 % des investissements publics — représentant plus de 3,8 milliards — ont eu lieu en 1928 dans l’électricité, le gaz, l’eau et les cons­ tructions de logement contre 26,5 % — représentant 3,2 milliards — en 1938). 5° Enfin, alors que le volume des investissements n’avait pas rattrapé même en 1938, le niveau de 1928 dans le commerce et l’artisanat, dans l’électricité, le gaz, l’eau et la construction des logements — et que le niveau des investissements de 1928 n’avait été rattrapé par l’industrie qu’en 1938 malgré les énormes som­ mes exigées par l’effort d’autarcie —, dès 1935, les investisse­ ments dans le secteur de l’administration et des transports dé­ passaient le niveau de 1928. Au total, ce n’est qu’en 1938 que ce que nous avons considéré comme investissements privés dépasse le niveau de 1928, alors G) Les investissements dans le sectetur de l'adm inistration et des arme­ ments ne peuvent être considérés comme économiquement productifs.

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS LE NAZISME

227

que l’importance des commandes d’armements a nécessité le déve­ loppement des industries appelées à répondre à ces commandes et que l’effort d’autarcie a rendu nécessaire des investissements industriels relativement importants. L’ensemble de ces constatations révèle que la reprise écono­ mique allemande n’a pas cessé d’être une reprise alimentée prin­ cipalement par les dépenses publiques improductives. Si l’indus­ trie des biens d’investissements a pu tourner à plein, si même elle a eu besoin de procéder à une extension de son appareil de pro­ duction, cela est dû, avant tout, aux commandes d’armement et ä l’effort d’autarcie économique, effort soutenu par les subven­ tions de l’Etat (1), le crédit public et la protection douanière. Il n’y a donc pas eu, au cours des années considérées, de solution effective aux difficultés de l’économie allemande — car on ne peut pas considérer comme une solution de faire tourner la machine économique au moyen de commandes publiques qui, non seule­ ment ne permettent aucun accroissement de richesse, mais encore ne peuvent être faites que grâce à l’emprunt, à l’endette­ ment et donc à l’appauvrissement croissant de l’Etat. Il n ’y a pas eu, non plus, au cours de cette période, de développement réel des forces productives, si ce n’est dans des secteurs limités de l’in­ dustrie lourde ; il y a eu même régression dans la mesure où, en raison de l’effort d’autarcie, ont été développées des industries de remplacement faiblement productives. Le fait que les investissements productifs ont, dans l’ensem­ ble, été relativement faibles au cours de la période considérée, s’exprime nettement dans la réduction pendant un certain nom­ bre d’années de la période de paix, du capital nominal total des sociétés par actions. Ce capital évolue de la façon suivante : Capital nominal des Sociétés par actions (en milliards RM.). Nouveau Reich (a) Ancien Reich

18,70 fin 1937 . . . . .. 18,70 1932 . . . . .. 22,26 18,65 fin 1938 . . . . ,.. 18,74 1933 . . . . .. 20,63 19,48 fin 1939 .. . . ... 20,33 1934 ... ... 19,79 19,96 fin 1940 ... ... 21,49 1935 ... ... 19,56 22,54 fin 1941 . . . . .. 24,90 1936 . . . . .. 19,2 (a) Le < Nouveau Reich > comprenait outre l’ancien territoire, successivement, l’Autriche, les Sudètes, Dantzig, la Haute-Silésie, la ré­ gion de Merael, Eupen-Malmédy, etc... fin fin fin fin fin

(1) L’Etat a investi des sommes considérables dans des entreprises privées, pour toutes les productions qui — parce que liées à la conjoncture d’armements — comportaient trop de risques pour l'industrie privée. Ces investissem ents ont été mis à la disposition des entreprises privées aux ter­ mes du contrat de < prêt et de location ». Ce n’est qu’au cours de la guerre que ce système a été modifié en raison des charges financières considéra-

228

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

Ainsi, — si l’on ne tient pas compte des agrandissements ter­ ritoriaux — le capital nominal des sociétés par actions alleman­ des a diminué jusqu’à fin 1938 : à cette date, il se trouve inférieur de 3,6 milliards au niveau de fin 1932. Ce n’est qu’avec la guerre que l’on enregistre un accroisse­ ment du capital nominal total, accroissement assez rapide en 1939, plus lent en 1940, et qui reprend brusquement en 1941, du fait, essentiellement, des augmentations de capital par incorpo­ rations de réserves, c’est-à-dire d’augmentations purement comp­ tables, sans appel aucun au marché financier et sans investisse­ ment nouveau. Une telle évolution est hautement caractéristique d’une stagnation économique réelle. Certes, cette évolution ne si­ gnifie pas forcément un déclin absolu des forces productives (1) — car les moyens de production des sociétés qui disparaissent ou qui réduisent leur capital ne sont pas pour cela anéantis — mais elle indique qu'il n’y a eu en Allemagne, pendant cette période, aucune activité créatrice nouvelle importante, puisque les fonda­ tions de sociétés par actions (et les entreprises publiques ont aussi en Allemagne la forme de sociétés par actions) ne sont pas ar­ rivées dans l’ensemble à compenser les disparitions par liquida­ tion, fusion, absorption, changement de forme, etc..., sauf d’une manière purement comptable. Enfin, une dernière preuve de la stagnation des investisse­ ments productifs peut être trouvée dans l’évolution des émissions blés qu’il fait peser sur les finances publiques. En vertu d’une ordonnance du 28 mars 1943 du Ministère de l’Armement, il est prévu que, sauf excep­ tion, le Reich ne procédera pas à de nouveaux investissem ents dans les entreprises privées ; que celles-ci devront racheter à leur valeur actuelle les machines qui leur étaient laissées en prêt ou location et assumer les investissements nécessaires aux nouvelles commandes ; en compensation, l’Etat s’engage à indemniser les industriels pour les investissem ents aux­ quels ils auront ainsi procédé et qui, n’ayant pu être amortis, ne pourront être économiquement utilisés. (1) Pourtant, il n’est pas absolument certain qu’un tel déclin n’ait pas effectivement eu lieu, au moins dans certaines branches, comme semble l’indiquer la statistique suivante — publiée dans le Statistisches Jahrbuch de 1938 — qui malheureusement s’arrête en 1934 ; cette statistique a été établie en déduisant des sommes investies en installations nouvelles ou de rempla­ cement le montant des amortissements normaux : Investissements nets — en m illions RM — 1929 1930 1931 1932 1933 1934

1) 2) 3) 4) 5) 6) 7)

Industrie (sans les constructions indus­ trielles ....................... Eau, gaz, électricité Transports privés . Agriculture, forêts, etc................................. Logements ............... Administrations . . Autres groupes éco­ nomiques .................

+ 399 + 766 + 691

— 42 + 406 + 450

— 642 — 881 + 59 — 104 + 12 — 235

— 743 — 118 — 58

— 233 — 11 + 289

+ 259 + 1721 + 1500

+ 169 + 1255 + 1008

+ 7 — 86 — 4 — 436 + 625 + 396

— 64 — 330 + 700

+ 77 + 136 + 2200

+ 522

+ 245

+ 18 — 255

— 150

— 100

EVOLUTION DB L'ÊCONOMIB SOUS LB NAZISMS r

229

d’obligations par les entreprises privées (émissions qui ont tou­ jours eu moins d'importance en Allemagne que les émissions d'ac­ tions). Ainsi, en face d'une émission de 294 millions en 1928, on trouve 2 millions en 1933, 4 millions en 1934, 3 millions en 1935 ; à partir de ce moment, on enregistre une certaine hausse à 47 millions, 258 millions et 107 millions en 1936, 1937 et 1938. Néanmoins, comme on le voit, à aucun moment de la période de paix, les emprunts des entreprises privées n’ont retrouvé l'impor­ tance qu’ils ont eu en 1928. Plus spécialement, si l'on considère l’importance totale des fonds mis, sous forme de prêts à la dis­ position des entreprises industrielles par le. marché financier, on voit que ces fonds ont régulièrement diminué depuis 1930. A cette époque, le montant total des obligations industrielles en circu­ lation était de 4.708 millions RM., il est descendu — du fait des remboursements, amortissements, etc... — à 2.578 millions fin 1936 ; depuis lors, il est remonté à 2.859 millions en 1938 et 3.239 millions en 1939 ; fin 1940, il devait atteindre environ 4 mil­ liards (en tenant compte des agrandissements territoriaux du Reich). 11 faut d’ailleurs noter que les chiffres relatifs aux opé­ rations sur le marché financier ont moins de signification que ceux des investissements, en raison de l’essor de l’auto-financement. En bref, quels que soient les indices auxquels on se réfère, on voit que la reprise économique à laquelle ont donné lieu les importantes commandes publiques, n’a pas permis un essor des investissements privés, les seuls effectivement productifs, étant donnée la structure économique du Reich. Nous devons exami­ ner maintenant quelles sont les raisons de ce phénomène évidem­ ment très grave , puisqu’il s’oppose à ce que les industries pro­ ductrices de biens d’investissement — industries décisives pour la vie économique allemande — aient une pleine activité sur une base saine.

230

L'ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LB NAZISME

SECTION III

Causes de la stagnation des débouchés.

Les causes de la stagnation des débouchés intérieurs ne sont pas extrêmement difficiles à saisir lorsque Ton a analysé les tendances profondes qui ont animé la politique économique du nazisme, tendances qui révèlent les contradictions dans lesquelles se sont débattus les nazis en tant que serviteurs du grand capital· Tout d’abord, la stagnation des salaires s’explique par la vo­ lonté qu’avaient les nazis d’accroitre le plus rapidement possible les profits des gros industriels. Les profits s’accroissaient d’autant plus que (les salaires étant maintenus bas) les prix montaient et que, par conséquent, la marge bénéficiaire allait s’accroissant. On a ici, s’il en était besoin, une preuve du caractère essentiellement capitaliste du régime national socialiste, car ce qui intéresse le capitalisme, ce n’est pas le développement de la production, mais l’accroissement du profit. D’ailleurs, ces tendances économiques de la politique nazie s’expliquent essentiellement par la structure même de l’économie allemande telle que nous l’avons analysée au cours des deux premières parties de cette étude. Quant à l’évolution des revenus agricoles, elle s’explique par les mêmes tendances et notamment par la volonté de ne pas accroître le coût de la vie en laissant monter le prix des denrées alimentaires, car, à la longue, il est évident qu’un accroissement sérieux du coût de ces denrées aurait nécessité un réajustement des salaires nominaux. D’autre part, les revenus agricoles et les prix agricoles ont été maintenus bas parce que le nazisme a voulu que l’industrie allemande trouve sur nlace des matières pre­ mières d’origine agricole au meilleur é possible. Le problème de la stagnation des investissements privés est évidemment plus complexe. On sait en effet que l’évolution éco­ nomique « classique » veut que tout essor des profits soit accom­ pagné d’un essor des investissements industriels. Or, précisé­ ment, nous l’avons vu, on n’assiste pas, au cours de la reprise économique suscitée par la politique national socialiste, à un essor des investissements privés. C’est certainement là la pierre d’achoppement de l’échec de cette politique. En effet, on peut imaginer que si les investissements privés avaient réussi à un certain moment à « relayer > les investissements publics, la ma-

E V O L U T IO ND EL 'E C O N O M IEE O U SL BN A Z E S M B

T

231

chine économique aurait pu continuer à tourner d'elle même ; sous réserve évidemment des crises économiques toujours à pré­ voir. Comment s’explique donc cette stagnation des investisse­ ments privés ? A notre sens elle s'explique par l’interférence d’un certain nombre de facteurs dont le plus important est certaine­ ment l’accroissement de la dette publique elle-même et le déve­ loppement de plus en plus considérable de l’effort d’armement du Reich, lié à sa préparation intensive à la guerre. Voici en tout cas quelques précisions numériques sur les différents éléments qui ont contribué à freiner le développement des investissements privés. 1) L'étroitesse du marché des capitaux. L’absence d’importants investissements privés a pu s’expli­ quer, tout d’abord, par l’étroitesse du marché des capitaux et par le taux élevé de l’intérêt. En effet, en 1932 le taux de l’intérêt à long terme, qui s’exprime par exemple dans le rendement effectif des obligations 4 1/2 % est de 8,38 % et en 1933 et 1934, il est encore de 7,15 et de 6,57 % ; le marché des capitaux absorbe seulement pour 1.122 millions RM. de titres nouveaux en 1933 et 481 et 1.802 millions RM. en 1934 et 1935 (contre 2.496 millions en 1928). 11 y a donc là un facteur qui freine certainement la reprise de investissements privés ; pourtant, à partir de 1936, cette explication n’est plus suffisante. En effet, on voit alors le rendement effectif des obligations 4,5 % tomber à 5,08 % en 1935 puis à 4,67 % et 4,54 % en 1937, pour descendre au-dessous de 4,5 % en 1938, alors que le marché des capitaux, grâce à l’accrois­ sement des profits de la grande industrie, se révèle capable d’ab­ sorber des titres nouveaux, pour un montant qui dépasse large­ ment celui qu’il avait été capable d’aborber en 1928, puisque ce montant est de 3.113 millions en 1936, 3.741 millions en 1937 et 8.673 millions en 1938. De ce point de vue, il y a une réussite cer­ taine : le marché est plus mdamment pourvu de capitaux frais qu’il ne l’a jamais été : / ü une remarquable accumulation de capital, qui représente 11 milliards RM. en 1938, si l’on tient compte des capitaux accumulés qui ne se sont pas présentés di­ rectement sur le marché ; ces 11 milliards représentent près de 17 % du revenu national de l’année, déduction faite de l’impôt personnel. 2) L'importance des émissions publiques et la situation internationale. Autrement dit, on ne peut plus affirmer, qu’à partir de 1936, c’est le manque de capitaux frais ou la cherté des capitaux qui

232

L’éCONOMlB ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

expliquent la stagnation relative des investissements. Par contre, on peut faire état de la concurrence que l’Etat fait à l’industrie privée sur le marché des capitaux, concurrence que reflète nette­ ment le tableau suivant : Montant des émissions de titres (en millions RM.) Emissions publiques (1) Emissions privées (2) 1.633 863 1928 160 511 1932 93 1.029 1933 334 147 1934 1.643 159 1935 438 2.671 1936 591 3.150 1937 7.744 989 1938 (1) Etats, collectivités publiques, Reiçhspost, Reichsbahn, (2) Actions et obligations.

Total 2.496 671 1.122 481 1.802 3.113 3.741 8.673 etc.

Ce tableau révèle que si le marché financier a été de plus en plus abondamment fourni, les émissions publiques ont constam­ ment drainé la plus grande partie (de 85 à 91 %) des capitaux frais qui s’offraient ainsi, si bien que le total des émissions privées est constamment resté très inférieur au niveau de 1928. Pourtant, il y a ici une constatation plus qu’une explication ; c’est qu’en effet, l’accroissement continu des émissions publiques ne s’est pas imposé au Reich, il n’a pas été la conséquence d’un déficit croissant du budget ordinaire, qu’il aurait bien fallu cou­ vrir par l’emprunt, mais il a été dans une large mesure la conséquence de la situation politique et économique internatio­ nale. Ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, cette évolution des emprunts publics est liée essentiellement à l’çffort de préparation à la guerre de l’Allemagne, effort qui s’est accru au fur et à me­ sure qu’il est apparu aux dirigeants allemands que la réintégra­ tion de l’Allemagne dans l’économie mondiale, telle qu’ils la conce­ vaient, ne pourrait finalement se réaliser que par les armes. A cet égard on peut dire qu’une des dernières tentatives faites par les dirigeants nazis en vue d’une réintégration c pacifique », tout au moins provisoirement, de l’Allemagne dans l’économie mondiale, a été faite par le Dr. Schacht au cours de l’été 1936. On se souvient de la visite rendue par Schacht, en Août 1936, au chef du Gouver­ nement français et l’on sait que les problèmes abordés au cours des entretiens d’alors furent essentiellement des problèmes éco­ nomiques. On connaît aussi l’échec que devait rencontrer cette tentative allemande. Sur le plan de la politique allemande, les

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS LE NAZISME

233

conclusions de cet échec devaient être tirées au mois de Septem­ bre 1936, lorsque Hitler déclara que l’Allemagne continuerait à lutter pour son c indépendance économique et politique », notam­ ment en mettant sur pied une puissante industrie de matières de remplacement. Pratiquement cet échec signifiait pour l’économie allemande, non seulement des difficultés quant à son ravitaille­ ment en matières premières, mais également qu’aucun débouché extérieur nouveau ne devait s’ouvrir à elle, sauf à être conquis au moyen des armes économiques et, éventuellement, militaires. Cela signifiait aussi l’inutilité de tout investissement privé nouveau et la nécessité d’investissements en fournitures de guerre. C’est donc dans cette situation qu’il faut voir une des raisons, à la fois de l’absence d’investissements privés à une large échelle et de la nécessité où s’est trouvé l’Etat de continuer sa politique de commandes publiques et d’emprunts : ce n’est pas parce que l'Etat a emprunté que l’industrie n’a pas pu investir, c’est plutôt parce que l’industrie ne pouvait pas investir que l’Etat a dû emprunter. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue l’action réci­ proque des deux phénomènes . Pourtant, il n’y a là qu’un des aspects de la question. En effet, si la situation internationale était telle qu’il était impossible à l’Allemagne d’acquérir de nouveaux débouchés extérieurs, on doit se demander quels obstacles s’opposaient au développement des débouchés intérieurs (qui ont toujours eu pour l’Allemagne une importance décisive) autrement que sous forme de comman­ des publiques. 3) La stagnation des débouchés finaux. Il est évident cependant qu’une des causes essentielles de la stagnation des investissements privés doit être trouvée dans la stagnation des débouchés intérieurs des industries productrices d’objets de consommation. Dans la mesure où ces industries ne pouvaient accroître leurs ventes, elles ne pouvaient non plus ali­ menter de commandes de machines et d’outillage l’industrie pro­ ductrice de biens d’investissement. C’est donc dans la stagnation des débouchés finaux qu’il faut voir une des raisons profondes qui permettent d’expliquer que les investissements privés n’ont pas assuré la relève (comme les nazis l’avaient tout d’abord espéré) des commandes publiques. Il y a là un phénomène économique qui n’est pas spécifiquement allemand mais qui, au contraire, caractérise l’économie de la plupart des grands pays, sauf l’U. R. S. S., et qui a pour conséquence la stagnation des forces produc­ tives elles-mêmes et le fait que le capital-argent qui s’accumule bien qu’étant épargné ne se trouve pas investi. Ce capital conserve

234

L’ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZfeMB

sa forme liquide, est thésaurisé, déposé en banque à court terme ou placé en emprunts d’Etat qui rapportent, certes, des intérêts à leurs propriétaires mais qui ne permettent pas d’accroître le revenu national, et chargent, au contraire, ce revenu du poids même des intérêts. Cependant, le phénomène, de la stagnation des débouchés intérieurs doit lui-même être expliqué. L’explication la plus facile consiste à incriminer l’insuffisance de l’initiative privée. On rap­ pelle alors le fait, certes exact en lui-même qu’au cours des pré­ cédentes dépressions économiques, l’ouverture de nouveaux dé­ bouchés avait été assurée par la reprise des investissements privés qui finançaient eux-même leurs propres débouchés par l’accrois­ sement du revenu national auquel ils contribuaient, du fait de l’élargissement du marché du travail, du fait de la hausse des salaires, des distributions de dividendes, d’intérêts, etc... auxquels ils donnaient lieu. Sous cette forme, ce n’est plus la stagnation des débouchés intérieurs qui explique l’absence d ’investissements à une large échelle, c’est, au contraire, l’absence d’investissements à une large échelle qui explique la stagnation des débouchés. Ce renversement de point de vue est loin d’être entièrement inexact, car il révèle ici encore une importante action réciproque dont il faut tenir absolument compte, mais il ne suffit pas à éclaircir la question, parce qu’il ne fait pas comprendre d’oit vient cette insuffisance de l’initiative privée, insuffisance indubitable mais qu’il faut justement expliquer. En ce qui concerne l’économie allemande, l’insuffisance de l’initiative privée s’explique, tout d’abord par la situation interna­ tionale elle-même, sur laquelle il est inutile de revenir. Elle s’ex­ plique, ensuite, et c’est là — comme le précédent — un phéno­ mène de caractère international et un phénomène vraiment décisif (car il conditionne la situation internationale elle-même), par l’action des grands monopoles économiques (Konzern, cartels, en­ tentes, etc...), qui, dans leur volonté de maintenir de hauts prix, de fortes marges bénéficiaires et la stabilité de leur situation, sont conduits à freiner le plus possible un essor de la production dans le secteur qu’ils contrôlent, à freiner, surtout, de nouveaux inves­ tissements, stoppant par là même les initiatives qui pourraient élargir à nouveau le champ de l’activité économique. Enfin, l’in­ suffisance de l’initiative privée s’explique, plus particulièrement en ce qui concerne l’Allemagne, par le fait qu’en dépit de l’activité économique accrue suscitée par les commandes publiques, on n ’assiste pas à un élargissement sensible du marché des objets de consommation. 11 n’est pas inutile de donner quelques préci-

EVOLUTION DB L'ÉCONOMIE SOUS LE NAZISME

235

sions sur ce dernier point ainsi que sur l'action de grands mono­ poles économiques. L’action des grands monopoles économiques a été favorisée par le gouvernement national-socialiste en raison de la conjonc­ ture politique elle-même dans laquelle il a accédé au pouvoir, con­ joncture qui, comme nous l’avons vu, lui rendait indispensable la collaboration étroite avec les dirigeants effectifs de l’économie al­ lemande. Mais l’action des grands monopoles a dû être favorisée aussi pour des raisons structurelles : parce que c’est seulement par leur intermédiaire qu’une action décisive sur la vie économi­ que était possible et parce que c’est grâce à leur existence qu’on pouvait espérer réaliser l’accumulation rapide des profits dont l’Etat avait besoin pour fournir abondamment le marché des capitaux. Nous sommes donc ici en présence d’un aspect parti­ culièrement important de la collaboration de l’Etat et de l’indus­ trie, collaboration qui — dans ce domaine — s’est exprimée par des mesures d’organisation économique qui ont assuré des posi­ tions nouvelles aux dirigeants des grands Konzern, notamment par la loi déjà signalée sur les cartels obligatoires, loi qui permet d’imposer l’organisation cartellaire même dans les branches de l’économie où la majorité des entrepreneurs se heurtait à une minorité dissidente suffisamment forte. Le maintien de l’étroitesse du marché des objets de consom­ mation tient au fait que la reprise de l’activité économique n’a pas été accompagnée d’un essor des revenus principalement des­ tinés à la consommation (salaires et revenus agricoles) ; c’est là la conséquence de la collaboration entre l’Etat et l’industrie, colla­ boration qui impliquait, d’une part, le maintien des salaires au plus bas niveau possible, pratiquement au niveau où les avaient fait descendre la crise, d’autre part, la hausse des prix industriels plus forte que celle des prix agricoles. Si l’on veut résumer toute l’analyse précédente de l’évolution des débouchés intérieurs, on peut l’exprimer en disant que ces débouchés, pour autant qu’il s’agit de débouchés réels, se sont trouvés étouffés par la double action des monopoles économiques qui ont freiné le développement de leurs investissements et par celle de l’Etat lui-même qui, par son effort de guerre, a absorbé de plus en plus largement les disponibilités en capitaux.

CHAPITRE

IV

L’ALLEMAGNE ET LE MARCHÉ MONDIAL

Nous avons vu au cours de la l'* partie de cette étude comment la crise économique avait été accompagnée d’un effon­ drement des importations et des exportations allemandes. Nous rappellerons ici simplement quelques chiffres essentiels. De 1929 ό 1933, la valeur des importations allemandes était tombée de 13.447 millions à 4.204 millions. Pendant le même temps, la valeur des exportations de l’Allemagne tombait de 13.483 millions à 4.871 millions. C’est donc à un véritable étranglement des dé­ bouchés extérieurs de l'Allemagne que l’on a assisté au cours de ces années de crise. On conçoit que, dans ces conditions, un des efforts essentiels du nazisme, qui prétendait réaliser une reprise de la vie économique allemande, ait porté sur le développement des débouchés extérieurs. Cet effort devait être d’autant plus tenace que, comme nous l’avons vu, le nazisme avait échoué en ce qui concerne le développement des débouchés intérieurs. Si on veut résumer les données essentielles du problème des relations de l’Allemagne nazie avec l’économie mondiale, on peut l’expri­ mer en ces termes : l’absence d’un marché intérieur suffisamment large, d’une part, la nécessité d’importer des quantités impor­ tantes de matières premières pour satisfaire aux besoins de l’ef­ fort de préparation à la guerre, d’autre part, ont nécessité de la part de l’Allemagne un effort considérable pour la conquête ou le maintien de ses positions sur les marchés étrangers. Nous avons déjà eu l’occasion, au cours de la 3* partie de cette étude, de voir quelles ont été les méthodes employées pour assurer le développe­ ment des exportations et des importations. Il nous faut voir préci­ sément maintenant dans quelle mesure ces méthodes ont porté leurs fruits. Nous analyserons tout d’abord l’évolution d’ensemble des importations et des exportations de l’Allemagne de 1933 à 1939.

238

l ' é c o n o m ie a l l e m a n d e s o d s

l e n a z is m b

SECTION I

Valeur des importations et des exportations. (en millions RM.) Importations Exportations 1933 1934 1935 1936 1937 1938

..................... 4.204 .................... 4.451 .................... 4.159 ..................... 4.218 .................... 5.468 .................... 5.449 (1) ........................................... 6.052 1939 (2) ............ 3.194 (3)

4.871 4.167 4.270 4.768 5.911 5.257 (1) (2) 5.619 (2) 3.314 (3)

Balance + 667 — 284 + 111 + 550 + 443 — 192 (1) — 433 (2) + 120 (3)

Ce tableau permet de faire les constatations suivantes : Au cours de la crise et de la dépression, les importations s’étaient profondément effondrées, elle se sont effondrées bien plus que les exportations, ce qui a permis un remarquable redres­ sement de la balance commerciale dont l'excédent est passé de 36 à 1.072 millions — nous avons déjà signalé précédemment ce fait. 1 ) Dès 1933, la situation se modifie. Si les importations se réduisent encore légèrement, les exportations elles, s'effondrent et l'excédent de la balance commerciale se réduit. Il faut voir l'explication de ce renversement de tendance, d'une part, dans le fait que les commande publiques permettent désormais aux in­ dustrie exportatrices de vendre à meilleur prix sur le marché intérieur, d’autre part, et surtout, dans le fait qu’on assiste à cette époque (sous l'influence de la dévaluation du dollar) à un effondrement des prix des produits fabriqués, qui représentent le principal poste de exportations allemandes. En 1934, ce renver­ sement de tendance se confirme d’autant plus que les importa­ tions augmentent et que nombre de pays se ferment toujours davantage aux produits étrangers, grâce à une recrudescence de la protection douanière et au contingentement. La balance devient déficitaire avec 284 millions. 2) En 1935 et 1936, on assiste à un redressement de la situa­ tion sous l’influence du « Nouveau Plan > du Dr. Schacht. Les importations sont sévèrement bridées et les exportations aug­ mentent à nouveau ; l’excédent de la balance commerciale repa­ raît et dépasse même 500 millions en 1936. En 1937, importations et exportations augmentent fortement, mais ces dernières moins que les importations, l’excédent de la balance diminue. (1) (2)

Ancien Reich. Grande Allemagne.

(3) Jusqu'à fin Juillet.

EVOLUTION DE L’iC O N O M B EOUS LE N A O M IS

239

3) En 1938, les exportations allemandes ne parviennent pas & être maintenues au niveau antérieur et le déficit de la balance réparait ; ce déficit est très important si on considère le commerce extérieur de la Grande-Allemagne toute entière. Ceci met en lumière l’aspect négatif des annexions : les régions annexées n’ont apporté qu’un surplus d’exportations de 350 millions environ, alors que le surplus d’importations dépasse 600 millions. La dé­ pendance économique du Reich s’est accrue. Au début de 1939, la situation s’est redressée, la balance est & nouveau positive, grâce à une sévère compression des importations. 4) Enfin, bien que l’on enregistre de 1933 à 1938 une pro­ gression presque régulière de là valeur totale du commerce exté­ rieur, qui passe de 9.075 â 10.706 millions (4- 18 %) ; le commer­ ce extérieur allemand ne parvient pas à reprendre la place qu’il occupait sur le marché mondial jusqu’à la crise de 1929, année où il se montait au total de 26.930 millions. Cependant, dans cette évolution, il ne faut pas négliger que les mouvements de prix ont eu leur rôle, c’est pourquoi il est nécesaire d’examiner rapidement l’évolution du volume du com­ merce extérieur allemand, volume calculé sur la base des prix de 1932.

240

SECTION II

Volum· das importations et des exportations. (en raillions RM.) Importations

Exportations

6.485 1929 4.667 1932 4.469 1933 4.708 1934 4.289 1935 4.133 1936 4.843 1937 5.063 1938 (1) Ce tableau permet de faire les constatations

9.650 5.739 5.384 4.807 5.177 5.712 7.114 6.594 suivantes :

1) Les quantités de produits effectivement importées ont beaucoup moins progressé que la valeur des importations, ce qui signifie que l’Allemagne a dû payer ses importations de plus en plus cher ; ainsi, en 1938, elle a dû payer 5.449 millions RM. pour des produits qui lui auraient coûté 5.063 millions aux prix de 1932, soit une hausse des prix d'importation de 7 % — alors que les prix-or mondiaux sont légèrement en baisse au cours de cette période. Nous avons vu que cette situation du commerce allemand tient au fait que l’Allemagne, faute de devises et de crédit international n’a pas pu acquérir les produits qu’elle importait sur les places où ils se trouvaient au meilleur compte, mais a dû les acheter principalement sur les places où elle dé­ posait de disponibilités, du fait des exportations qu’elle y effec­ tu a it Au total, de 1933 à 1938, l’Allemagne a payé 27.949 millions pour des marchandises qu’elle aurait acquises à 27.505 si elle avait bénéficié des mêmes prix qu’en 1932 (sans parler de la baisse des prix qui a eu lieu sur le marché mondial) ; le manque à gagner est donc de 444 millions. 2) Les quantités de produits effectivement exportés ont progressé plus que la valeur des exportations, ce qui signifie que l’Allemagne a dû vendre ses exportations de moins en moins cher ; ainsi, en 1938, elle n’a obtenu que 5.257 millions RM. pour des marchandises qui lui auraient rapporté 6.594 millions aux prix de 1932, soit une baisse des prix d’exportations de 21 %, bien plus considérable que la baisse des prix-or mondiaux. Nous avons vu que cette situation du commerce allemand tient au fait que l’Allemagne a dû consentir des prix de plus en plus bas — en uti­ lisant différents procédés de primes à l’exportation — pour vain­ cre les obstacles dressés contre ses produits, du fait des dévalua(1)

Ancien Reich.

EVOLUTION DE

l ’ÛCONOMIB

241

SOU8 LE NAZISME

fions étrangères, des droits de douane de plus en plus élevés et des contingentements. Au total, de 1933 à 1938, l’Allemagne a obtenu 29.224 millions pour des marchandises qu’elle aurait vendues 34.788 millions si elle avait bénéficié des mêmes prix qu’en 1932, soit un manque à gagner de 5.544 millions RM. Etant donnée la hausse des prix intérieurs allemand pendant cette période, l’Etat a dû dédommager les industries exportatrices de la réduction croissante de leur marge bénéficiaire à l’exportation ; ces dédom­ magements ne pouvant être financés que par prélèvement sur des revenus existants on peut dire que les débouchés extérieurs n’ont pu être maintenus qu’en réduisant les débouchés intérieurs. ( 1 ) 3) L’augmentation du volume total du commerce extérieur allemand, par rapport à 1933, du fait de la baisse considérable des prix d’exportation, est plus sensible que l’augmentation de la valeur totale ; tandis que cette dernière progresse de 18 %, le volume total progresse de 20 %. Néanmoins, en volume comme en valeur, le commerce allemand a une place réduite dans le commerce mondial, comme le montre le tableau suivant : Part de VAllemagne dans le commerce mondial (en %) E

n valeur

Importations

.

Exportations

E

n volum e

.

Importations Exportations

9,9 9,1 8,4 8,1 6,3 8,9 9,5 9,1 6,5 9.2 7,4 9.2 7,0 6,9 9,3 7.8 7,2 9,4 7,2 8.1 11 n’est évidemment pas sans intérêt pour saisir la signification concrète des données précédentes d’analyser rapidement, d’une part la nature et l’origine des principales importations alle­ mandes, d’autre part, la nature et la destination des principales exportations du Reich. 1929 1932 1934 1935 1936 1937

9.1

9.9

8.1

1 1 ,0

(1) D’après Howard Ellis, le taux officiel du mark après 1933 était surévalué de 45 à 75 % comparativement au sterling. « Cette surestimation n'était qu'incomplètement éliminée par les subsi­ des et les taux différentiels si bien que les étrangers ont dû payer de 10 à 30 % de plus pour les marchandises allemandes oue pour les marchandises britanniques, fl est possible que les prix de discrimination auxquels l'AUemagne a vendu sur différents marchés aient été soit plus hauts soit plus bas que l'optimum qui pouvait être obtenu dans les conditions d'un com­ merce monopolistique, si bien que le revenu acquis en fin de compte a pu être inférieur à cefui acquis en vendant à des prix uniformes ». Howard Ellis : « Exchange Control in Germany, Quaterly Journal of Eco­ nomics », Suppléments Volume 54, 2* partie.

242

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s l b n a z is m e

SECTION III

Principales catégories d'importations et origine de ces importations. En 1937 — année moyenne — les produits alimentaires re­ présentaient 37,4 % des importations, les matières premières 36,5 %, les demi-produits 17,9 % et les produits finis 7,38 % (-(- 0,9 % de marchandises non spécifiées). La faible importance des produits finis et la grande importance des matières premières et des demi-produits fait ressortir le rôle décisif de l’industrie allemande, forte consommatrice de matières premières et pour­ voyeuse essentielle du marché intérieur. La situation de 1937 est, en outre, le résultat d’un effort d’organisation des importa­ tions qui a tendu à donner la plus large place, nous l’avons vu dans la 3* partie, aux matières premières et aux demi-produits nécessaires à l’industrie travaillant pour les commandes publi­ ques — essentiellement les commandes d’armement — au détri­ ment des produits alimentaires et des produits finis. Ceci ressort nettement de la comparaison des chiffres de 1937 et 1938 avec ceux de 1929 et de 1932 et 1933. Répartition des im portations par catégories

en % du total Produits Matières premières alimentaires 1929 1932 1933 1937 1938

40 45,7 39,8 37,4 38,7

29,2 27,3 32,5 36,5 34,0

Demiproduits 17,7 15,1 16,7 17,9 19,2

Produits finis 13,1 11,9 1 2 ,0

7,3 7,3

Quant à l’origine des importations allemandes, elle est prin­ cipalement européenne : l’Europe fournit en effet 55,6 % des importations. Néanmoins, si de la part de l’Europe on déduit les importations provenant de Grande-Bretagne (5,6 % du total), d’Irlande (0,3 %), d’Islande (0,1 %), des possessions britanniques de Méditerranée (0,3 %) et d’U. R. S. S. (1,2 % ), on voit que les pays avec lesquels l’Allemagne est restée en relation pendant la plus grande partie de la guerre lui fournissaient, en 1937, 48,1 % de ses importations. Cette proportion est encore fort respectable ; cependant, il ne faut pas oublier que pour un grand nombre de produits essentiels, soit au point de vue alimentaire, soit au point de vue industriel, les principaux fournisseurs de l’Allemagne

EVOLUTION DB L’ACONOMIB SOUS LE NAZISMS

243

étaient des pays d’outre-mer. U en est ainsi pour le blé, les graines oléagineuses, la laine, le coton, le caoutchouc, les minerais de manganèse, de cuivre, de plomb, les carburants et les huiles de graissage, ainsi que pour le cuivre métallique. Par ordre d’im por­ tance, les principaux fournisseurs de l’Allemagne étaient la Grande-Bretagne (5,6 % du total) et son Empire (10 % ), l'Argen­ tine (5,40 %), les U. S. A. (6,2 %), la Suède (4,2 % ), l’Italie (4 %), la Hollande (3,9 %), la Belgique (3,6 %), le Brésil (3,4 %), la Roumanie (3,3 %) et la France (2,9 %).

244

l/iC O N O M lB ALLEMANDE SOCS LB » f l S W

SECTION IV

Principales catégories d'exportations En 1937s les produits alimentaires représentaient 1*5 % des exportations totales de l'Allemagne* les matières premières 9*8 % , les demi-produits (9*2 %) et les produits finis 79*5 %. Plus encore que la structure des importations* celle des exportations exprime le rôle décisif de l'industrie dans l’économie allemande* le rôle secondaire de l'agriculture. En outre, l’évolution de l'importance relative des principales catégories d'exportations met nettement en lumière le fait que les exportations allemandes n'ont pu se maintenir sur le marché mondial que grâce aux subsides touchés directement ou indirectement par les exportateurs : les exporta­ teurs de produits fabriqués bénéficiant seuls de ces subsides voient seuls leurs ventes â l'étranger s’accroître, tandis que les autres sont de moins en moins en mesure de résister & la concur­ rence que les producteurs de pays à monnaie dépréciée sont ca­ pables de leur faire. Voici un tableau significatif : Répartition des exportations par catégorie (en % du total)

Produits alimentaires

Matières premières

Demiproduits

Produits finis

6,5 11,7 11,8 70,0 10.1 4,5 75,7 0.7 4,6 9,7 10.6 75,1 9,8 9,2 1.5 793 9*5 1,0 73 823 Ce tableau met en lumière, d’une façon saisissante. l’éliminatkm croissante du marché mondial des produits allemands dont l’exportation n’a pas été systématiquement soutenue. Il importe également de rapprocher la répartition des expor­ tations par pays de la répartition — précédemment indiquée — des importations. On constate alors que la balance des échanges commerciaux de l'Allemagne avec l'Europe était fortement excé­ dentaire au profit de l'Allemagne* il en résulte que la part de l'Europe dans les exportations de l'Allemagne était plus forte que ses importations ; elle est de 69*3 % en 1937 — même en faisant abstraction de la Grande-Bretagne et de ses possessions européennes et de 1*U. R. S. S.* la part de l'Europe dans les expor­ tations allemandes est de 59*7 %. Les principaux clients de l'Alle­ magne sont — en 1937 — la Hollande (7*9 % des exportations), la Grande-Bretagne (7*3 % ) et son Empire (6,2 %), la France 1929 1932 1933 1937 1938

BVOLÜTION D I L'ÉCO N O U B SOUS LB

24»

(Μ %), l’Italie (5,3 % ), la Belgique - Luxembourg (4,9 %), la Suède (4,7 % ), la Suisse (3,9 %), le Danemark (3,6 %), les U. S. A. (3,5 %) et le Brésil (3 %). Des chiffres précédents, on peut dégager les indicatione suivantes : 1) En dépit de la reprise de l’activité économique qui carac­ térise la période 1933-1938, la valeur du commerce extérieur alle­ mand est restée très inférieure à celle du commerce de 1929. L’Allemagne ne peut donc plus satisfaire ses besoins d’importa­ tions dans la même mesure qu’avant la crise, et le marché mon­ dial lui offre donc un moins grand débouché qu’avant 1929. 2) Etant donné que les besoins de l’industrie en matières premières sont au moins au même niveau qu’en 1929, il a été nécessaire de faire à ces besoins une place de plus en plus large dans les importations, tandis que le manque de devises — résul­ tant de la situation débitrice internationale de l’Allemagne — contraignait, faute de crédit international, à une réduction an maximum des autres importations. Une véritable organisation des importations a donc été, nous l’avons vu, imposée par les faits. 3) La divergence croissante entre les prix allemands et les prix mondiaux a rendu également nécessaire une aide de l’Etat aux exportateurs, aide faute de laquelle l’Allemagne n’aurait pas pu vendre suffisamment de produits i l’étranger pour payer ses Importations. Pratiquement, cette aide a bénéficié essentiellement i l’industrie, et, plus particulièrement, à l’industrie lourde ; elle n’est pas sans avoir eu un effet restrictif sur les débouchés inté­ rieurs. 4) Enfin, nous avons vu que l’Europe jouait un rôle essentiel dans les exportations de l’Allemagne, tandis que les pays d’outre­ mer avaient une importance décisive pour ses importations. Nous n ’insisterons pas sur ce point, mais nous soulignerons simplement les graves difficultés qui résultent de cette situation lorsque les échanges se règlent par voie de compensation bilatérale, comme c’est le cas avec les accords de clearing.

C H A P IT R E

V

FINANCEMENT DE LA POLITIQUE ECONOMIQUE.

Avec le problème du financement de la politique économique du IIP Reich, nous abordons en quelque sorte un des points fon­ damentaux de l'expérience économique nationale-socialiste. Ein effet, c’est en réalité par un effort de financement qu'ont été créés les débouchés artificiels qui ont permis à l'économie allemande de redémarrer, et même de prendre une plus grande expansion. Nous avons déjà vu par quel mécanisme de financement complexe le potentiel d’exportations du Reich s'est trouvé accru. En parti­ culier, nous avons insisté sur le fait que le financement des expor­ tations, c'est-à-dire le financement de l’extension du marché exté­ rieur, a été réalisé tout d’abord aux dépens des créanciers étrangers du Reich, ensuite par un mécanisme de prélèvements au profit de la caisse centrale des industries du Reich, et enfin par l’utilisation des accords de clearing. Nous ne reviendrons donc pas ici sur le problème du financement du marché extérieur et nous nous contenterons d’examiner celui du financement du mar­ ché intérieur. Ce financement a été rendu nécessaire par les commandes considérables passées par l’Etat à l’industrie allemande. Nous avons vu quel a été le montant de ces commandes ; il nous faut préciser maintenant quels ont été les voies et moyens qui ont permis de les payer. Il nous faut montrer aussi à quel point l’ac­ croissement du marché intérieur, que l’on peut identifier ici au revenu national, est lié étroitement à l’accroissement des dépen­ ses publiques. Le parallélisme de l’accroissement du revenu national et de l’accroissement des dépenses publiques est lin fait particulière­ ment frappant et qui révèle en définitive l’échec de la politique économique nationale-socialiste, puisque le revenu national a été incapable de s’accroître plus que ne le lui permettaient directe­ ment les injections de crédit réalisées par l’intermédiaire des finances publiques. Le tableau ci-dessous confirme que le reve­ nu national allemand s’est entre 1932 et 1938, accru d’environ

248

l ’é c o n o m i e a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

104 milliards» ce qui correspond, en gros, au m ontant de l'accrois­ sement des dépenses publiques pendant la même période ( 1 ) : R

bvenv

n a t io n a l

A

c c r o is s e m e n t r a ppo r t

a

(En milliards de R.M.). 45.17 1.34 46.51 7.34 52.71 13.49 58.66 19.71 64.88 27.71 72.88 34.55 79.72

1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 T

otal

des

a c c r o is s e m e n t s

....

pa r

1932

104.34

La cause profonde de cet échec réside dans la stagnation des revenus destinés à la consommation (salaires et revenus des petits et moyens paysans). Cette stagnation s’explique par les me­ sures prises en matière de salaires et en matière de prix, mesures dictées elles-mêmes par la structure économique et sociale du Reich, qui s'opposait à ce que le revenu des travailleurs fut consi­ déré non pas comme un simple salaire, mais comme un des leviers décisifs pour l’extension du marché intérieur. La conséquence de cette situation devait être l’accroissement de la dette publique, c’est-à-dire, la transformation du capitalargent non en moyens de production, mais en créances sur l’Etat ne servant à accroître ni le revenu national ni les forces produc­ tives. A la longue, il allait en résulter que le financement des dépenses publiques devait de plus en plus reposer sur le marché monétaire et de moins en moins sur le marché financier (fait que nous avons déjà signalé et sur lequel nous ne reviendrons pas) ; il allait en résulter aussi que le financement des dépenses publi­ ques devait de plus en plus reposer sur l’emprunt et de moins en moins sur l’im pôt

(1) D’après Majvdslbaum, le montant des accroissements par rapport an niveau de 1932 de dépenses publiques au cours de la période 1933-1994 à 1937-1938 se monte à 40 milliards de marks ; l’accroissement de la dette publioue représenterait environ 18 milliards (j compris la dette secrète). Le total des dépenses publiques au cours de cette période aurait été de l’ordre de 115 milliards (p. 183, note 2).

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE EOUS LE NAZISME

249

SECTION I

Le recourt au marché monétaire et la collaboration de l’Etat et des banquet. Dès leur arrivée au pouvoir, les nazis ont pu profiter du fait que leur ascension avait été favorisée par le capital financier pour demander aux banques de les aider à financer une première tenta­ tive de reprise économique. Le recours par préférence au marché monétaire tel qu’il a été conçu par les économistes nazis en 1933 pouvait se trouver jutifié par l’idée que ce recours n ’aurait qu’une durée momentanée et qu’il finirait par se solder par une opération de consolidation le jour où la reprise économique aurait pris une ampleur suffisante. En fait, l’ampleur même des dépenses publi­ ques n’a jamais permis de réduire sensiblement la dette à court terme. Ce qu’il y a de nouveau dans le mode de financement inau­ guré par le nazisme, c’est à la fois son ampleur et les formes qui lui ont été données. En ce qui concerne ce dernier point, il faut noter en effet que pendant la première période des recours au marché monétaire, l’émission des bons du trésor a joué un rôle très effacé, alors que le rôle essentiel a été tenu par des traites spéciales — dont nous avons parlé au cours de la 3* partie de cette étude — émises non par l’Etat, mais par les entrepreneurs privés, titulaires de commandes publiques. Nous sommes ainsi amenés à distinguer deux formes de recours au marché moné­ taire : les traites spéciales et les emprunts à court terme propre­ ment dits. § 1. — L es

traites spéciales .

Les traites spéciales (Sonderwechsel, Arbeitsbeschaffungs­ wechsel) sont, comme nous l’avons déjà indiqué, tirées par les entrepreneurs titulaires de marchés de travaux publics sur un organisme public ou semi-public chargé de l’accéptation de cette traite à laquelle le Reich donne en outre sa garantie ; ces orga­ nismes ont, la plupart, la forme bancaire (Deutsche Bank und Bodenbank, Deutsche Verkehrskreditbank, Bank für Deutsche In­ dustrie-obligation, Oeffa, Bank der Deutschen Arbeit, etc.) cer­ tains d’entre eux avaient déjà été créés par les Gouvernements Papen et Schleicher — qui avaient déjà recours à ce mode de financement, mais à une petite échelle — d’autres n’ont été créés qu’après la prise du pouvoir par le national-socialisme.

250

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s

l e n a z is m e

Le procédé de financement par traites spéciales est avanta­ geux à la fois pour l’Etat et pour le banquier escompteur. Pour l’Etat, il présente l’avantage d’une plus grande discrétion que l’émission de bons du trésor. En effet, tandis que l’essentiel des émissions des bons du trésor s’inscrit dans le montant de la dette à court terme ou à moyen terme de l’Etat dont les chiffres sont régulièrement publiés, le montant des traites spéciales en circu­ lation n’est pas publié et ne fait l’objet que de déclarations occa­ sionnelles. Autrement dit, le système des traites spéciales a, du point de vue de l’Etat, l’avantage d’être un système de finance­ ment en quelque sorte secret. C’est ce qui, d’ailleurs, rend difficile l’étude de l’ampleur prise par ce mode de financement. Du point de vue des banques, l’avantage du système est de leur fournir un réemploi de leurs liquidités plus rémunérateur que les bons du trésor et dont le caratère non commercial n’ap­ paraît pas directement dans les bilans ( 1 ). Quel a été le montant des émissions de traites spéciales ? Il est évidemment difficile de répondre à cette question, étant donnée la discrétion même qui caractérise la mise en circulation de ces effets. Cependant, pour la période 1933-36 — période es­ sentielle pour ce mode de financement — on dispose, d’une part d’une statistique officielle allemande relative ä la circulation d’ef­ fets de commerce et de traites spéciales, d’autre part de différen­ tes déclarations également officielles. Nous distinguerons donc là période de 1933-1936 et la période 1936-1939 ; nous envisagerons ensuite rapidement la période 1939-1943, pour ne pas avoir à y revenir. 1·) De 1933 à 1936, on voit la circulation totale de traites

(1) Le fait que le système des traites spéciales offre des avantages à U fois pour l*Etat et pour les banques était éminemment propre à amorcer une collaboration fructueuse entre eux. Néanmoins pour que cette collaboration fût pleine et entière, il fallait que le système fût entre les mains d’un homme dans lequel les banquiers eussent pleinement confiance — car le crédit ne s’impose pas — c’est ce que Hitler savait pertinemment ; aussi dès la prise du pouvoir, pensa-t-il à remettre le Dr Schacht à la tête de la Reichsbank et, le 17 mars 1933 — le sort du Président en fonction ayant été réglé par sa nomminatlon comme ambassadeur à Washington — le D» Schacht prenait effectivement la direction de l’Institut d’émission ; en même temps, il était nommé président de la commission de contrôle des dépens«* ubliques. Ce n’était d’ailleurs qu’un premier pas puisqu’en 1934. le 90 uillet, le Dr Schacht devenait également Ministre de l’économie, en rempla­ cement du Dr Schmidt Ce n’est que fin Janvier 1999 que le D* Schacht devait uitter la direction de la Reichsbank. après avoir établi des liens de conance entre le nouveau régime et Fappareil bancaire, mais après avoir échoué dans une autre tftahe : la réintégration pacifique de l’économie alle­ mande dans l’économie mondiale.

Î Q

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS UR NAZISME

251

commerciales et de traites spéciales évoluer comme suit : (en millions RM.) F

1932

1933

in

a v r il

1934

.

1935

1936

15.150 Circulation totale .. 11.327 11.736 14.818 10.223 1* Dont portefeuille des banques (1 ) . 6.703 12.173 7.118 8.505 10.203 a) dont Reichs­ bank ........ 3.172 4.423 3.193 3.888 3.149 b) dont 5 gran­ des banques b e r l i n o i2.374 ses (2 ) ---1.613 1.699 1.790 2.178 2* Dont circulation extérieure a u x 4.624 banques ........... 3.105 3.231 4.588 2.977 (1) Ainsi que Caisses d’épargne, banques d’£tat, etc... (2) Deutsche Bank, Dresdner Bank, Berliner Handelsgesellschaft, Commerzbank, Reichskreditgesellschaft. Nous ne savons pas quelle est, dans ce total, la part des traites purement commerciales et celle des traites spéciales ; mais, d’après certaines déclarations du ministre des finances du Reich, la part de ces dernières paraît tout à fait prépondérante ; en effet, le 6 mai 1934, le ministre évaluait à 4 milliards le mon­ tant des traites spéciales et en septembre 1935 il estimait ce montant & 6 milliards environ ; étant donné que de 1933 à 1934 l’accroissement de la circulation n’a été que 1,5 milliard et que de 1933 à 1935 il n’a été que de 4,6 milliards environ, on est forcé de conclure que la différence doit tenir à la réduction du montant des effets purement commerciaux en circulation. Quoiqu’il en soit, il semble que, jusqu’en 1936, ce mode de financement ait permis au Reich de couvrir les dépenses se montant à environ 8 milliards RM. (si l’on tient compte des traites spéciales qui ont été remboursées). La plus grande part dans cet effort de finan­ cement revient aux banques, puisqu’en 1936 la circulation en dehors des banques est inférieure ό ce qu’elle était en 1933 ; néanmoins, à certains moments, la circulation en dehors des ban­ ques s’est fortement accrue (en 1935, l’augmentation de cette cir­ culation est égale à 50 % environ de la circulation de 1933). Le portefeuille total des banques s’est accru régulièrement ; en 19â6, il est supérieur de près de 50 % au portefeuille de 1933. Dans cet accroissement, la Reichsbank prend une large part — bien que l’on ait voulu éviter au maximum le recours à l’Institut d’émis­ sion — puisque son portefeuille est en augmentation de 43 % de 1933 à 1936 et que ce portefeuille est constamment plus impor-

252

L'ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LB NAZISME

tant que celui des 5 grandes banques berlinoises ; néanmoins, tandis que la Reichsbank n’a absorbé que 1.274 millions RM. d’effets, l’ensemble du système bancaire moins la Reichsbank en a absorbé pour 3.781 millions, ce qui représente une augmen­ tation du portefeuille effets de près de 95 %. Il est remarquable que les 5 grandes banques berlinoises voient leur part dans le portefeuille bancaire total (sauf la Reichsbank) décroître de 44 % en 1933, ä 30 % en 1936, ce qui traduit la plus grande dispersion des effets à travers le système bancaire. Si nous nous demandons comment les banques ont trouvé le moyen d’absorber pour des montants aussi importants de traites spéciales, nous voyons qu’elles ont trouvé des ressources : a) dans leurs liquidités antérieures ; b) dans les remboursements des crédits qu’elles avaient consentis aux entreprises avant la crise économique et dont celles-ci ont pu se libérer au fur et à mesure de la reprise des affaires ; c) dans les dépôts faits à leurs guichets de billets jusque là thésaurisés ; d) dans la réduction des besoins d’escompte d’effets purement commerciaux ; e) dans le verse­ ment en compte des bénéfices des industries bénéficiant de com­ mandes d’Etat ; /) dans l’augmentation des dépôts d’épargne ; g) dans l’augmentation du volume de monnaie de banque : le montant des escomptes étant inscrit au crédit des bénéficiaires qui en font usage par virements et compensations ( 1 ) ; h) dans l’augmentation de la circulation monétaire, du fait des recours de réescompte (ce dernier point sera examiné plus loin). 2*) De 1936 à 1939, le recours au système des traites spé­ ciales a connu une éclipse momentanée, car il a paru dangereux de continuer d’utiliser ce procédé, alors que l’appareil de pro­ duction tournait déjà presque à plein — il a, en effet, pour consé­ quence, une augmentation du pouvoir d’achat disponible, aug­ mentation qui risque de peser gravement sur les prix si on ne peut y répondre par un accroissement immédiat de la production, ce qui est précisément le cas lorsque l’appareil de production est pleinement employé — et il a paru plus opportun de recourir à l’émission de Bons du Trésor à court et moyen termes, ces Bons constituant d’ailleurs un instrument de financement moins oné­ reux que les traites spéciales. Néanmoins, dès l’été 1937, les besoins financiers du Reich étaient tels qu’il fallut recourir à nouveau à ce mode de finance(1)

gresse

Le montant des dépôts de tontes les banquet commerciales pro­ comme suit : (en m illions RM)

1933

1934

1935

1936

9.717

10.309

10.836

11.637

EVOLUTION OB i/tCONOM IB SOUS LB WXEIBME

2 »

ment, mais concurremment à rémission de Bons du Trésor. Puis, avec l’annexion de l’Autriche et des Sudètes, il a été procédé à l’émission de nouvelles traites spéciales. Au total, le portefeuille de traites commerciales et spéciales des Banques a évolué comme suit : (en millions RM.) Fin Octobre. Fin Avril. 1936 1937 1938 1939 Reichsbank (1) Autres banques Total .......

5.567 7.283

6.302 8.324

7.434 9.200

9.724 11.233

12.850

14.626

16.634

20.957

(1) et Goldiskontobank. Finalement, de 1936 à 1937, l’augmentation est de plus de milliards (plus de 61 %), même si l’on admet que les effets purement commerciaux participent quelque peu à cette augmen­ tation — ce qui n’est pas certain, car les profits réalisés par les entreprises les dispensent de plus en plus du recours au crédit commercial et permettent même à certaines d’entre elles d’absor­ ber un montant considérable (mais inconnu) de traites spécia­ les —, il n’en reste pas moins que cette forme de financement a fourni encore environ^ 7 milliards, en provenance des banques, au cours de cette période ; si bien que de 1933 à 1939, le total des fonds obtenus grâce aux traites spéciales, en ne tenant pas compte des traites remboursées et en estimant à 2 milliards de RM. le portefeuille non-bancaire, se monte sans doute, au mini­ mum à 16 milliards RM. Il est intéressant de noter que dans l’aug­ mentation du portefeuille bancaire, la Reichsbank prend au cours de la 2 * période une plus large part que les autres banques ; en effet, tandis que, pendant la première période, l’accroissement du portefeuille de la Reichsbank avait été de 43 %, contre un accrois­ sement de 95 % pour les autres banques, pendant la deuxième période l’accroissement du portefeuille de la Reichsbank est de 73 % contre un accroissement de seulement 53 % du portefeuille des autres banques. Ces chiffres expriment la tension du marché monétaire qui parvient de plus en plus difficilement à absorber la masse des effets qui sont présentés à l’escompte, d’où la nécessité croissante du recours â l’Institut d’émission.

8

3°) De 1939 à 1943. — A partir du début de la guerre, le re­ cours au système des traites spéciales a connu un nouvel essor, comme l’indique le fait déjà signalé que le portefeuille traites des seules 5 grandes banques berlinoises s’est accru de plus de

254

L ÎC O N O M U ALLEMANDE SOUS LE NAZISMS

300 millions RM. de 1939 à 1943, évoluant comme suit : 1939 : 2.038,7 1940 : 2.167,5 1941 : 2.165,7

1942 : 2.366,9 1943 : 2.337,5

soit un accroissement de 15 %, qui représente — en supposant un accroissement du même ordre pour l’ensemble du système bancaire, sauf la Reichsbank — une augmentation du portefeuille traites des banques de l’ordre de 3 milliards RM. § 2. — L es

bons du

T résor

a court terme.

Ce n’est pas seulement le montant du financement par traites spéciales qu’il est difficile de connaître et qu’on ne peut qu’es· timer, c’est aussi celui du financement au moyen des Bons du Trésor, car il a été émis pour un montant inconnu de Bons de Réarmement, c’est-à-dire de Bons du Trésor émis en plus de ceux figurant dans les statistiques officielles. Seules les émissions enre­ gistrées par les statistiques sont connues ; en l’absence de moyens d’estimation pour les autres, nous ne tiendrons compte que des indications officielles. Pour la commodité de notre analyse, nous distinguerons la période 1933-1938 et la période 1938-1942. a) De 1933 à 1938, la dette à très court terme, telle qu’elle ressort des statistiques officielles, n’a que faiblement progressé, comme l’indique le tableau suivant : D ette à très court ternie

(en millions RM.) 31/3/1933 ............... 31/3/1934 ............... 31/3/1935 ...............

1.514 1.932 2.404

31/3/1936 ................ 31/3/1937 ................ 31/3/1938 ................

2.899 2.383 2,345

La plus forte augmentation se situe donc en 1936, où elle est de l'ordre de 1.380 millions ; mais à partir de 1936, il est pos­ sible de réduire cette partie de la dette, si bien que de 1934 à 1938, le montant des dépenses financées définitivement par l’em­ prunt à très court terme n’est que d’un peu plus de 400 millions. Cependant, d’une part, cette sorte d’emprunts n ’a pas été absorbée seulement par les banques et, d’autre part, les banques ont ab­ sorbé pour un montant très considérable d’emprunts à court et même à moyen termes. Il est difficile de préciser quelle est l’im­ portance de l’aide apportée sous cette dernière forme par les banques (les caisses d’épargne) et les Sociétés d’Assurances à

EVOLUTION DB L’ÉCONOMIB SOUS LB NAZISMS

256

l’Etat, mais cette aide a dû se chiffrer par 14 ou 15 milliards, ainsi que nous le révèle indirectement une statistique que nous commenterons en traitant de la période 1938-1943). Pour en finir avec cette première période, il importe de souligner que la dette & très court terme, dont les titres sont principalement destinés aux banques, a progressé relativement plus vite de 1933 à 1938 que les autres formes de dette, si bien que ces dernières qui re­ présentaient 8 8 % de la dette publique en 1933, ne représentent plus que 85,3 % de cette dette en 1938. b) De 1938 à 1943. — A partir de 1938, on assiste à une pro­ fonde modification des besoins financiers du Reich. Ces besoins, déjà énormes au cours des années antérieures, s’accroissent en­ core à partir de mars 1938,. si bien qu’on voit, à la fois augmenter de façon vertigineuse le montant de la dette à très court terme, le montant des autres formes de dette et apparaître de nouveaux modes de financement. Ces derniers mettent d’ailleurs en jeu principalement les disponibilités des entreprises industrielles, nous en parlerons donc ultérieurement. En ce qui concerne l’accroissement de la dette à très court terme, le tableau suivant en montre l’importance. Dette à très court terme (en milliards RM.) 31/3/1938 .. 2,35 31/3/1940 .. 18,05 31/12/1942 . . 88,01 31/3/1939 .. 6,53 31/12/1940 . 36,45 81/12/1943 . . 142,3 31/8/1939 ... 9,09 31/12/1941 . 64,27 30/4/1944 . . 159,4 Ce tableau est très instructif, car il révèle que dès 1938 une profonde transformation s’est opérée dans la situation financière du Reich, transformation qui met de plus en plus au premier plan l’emprunt à très court terme, l'emprunt auprès des banques. En effet, tandis que de mars 1933 à mars 1938 la dette à très court terme ne s’est accrue que de moins de 800 millions, et qu’elle a même été en régression à partir de 1936, on assiste en l’espace de quelques mois à un gonflement de la dette flottante de l’ordre de plusieurs milliards (à savoir de plus de 4 milliards de mars 1938 à mars 1939 et de près de 7 milliards de mars 1939 à la veille de la guerre). De ce fait, l’importance relative de la dette flottante s’accroît encore ,passant de 11,9 % de la dette publique totale au 31-3-1938 à 21,2 % au 31-3-1939 et à 24,3 % au 31-81939. Au total, à la veille de la guerre, le national-socialisme était parvenu à financer pour 7,6 milliards RM. de dépenses à l’aide d’emprunts à très court terme ; soit une somme sensiblement égale à la moitié de celle financée au moyen des traites spéciales, dont le rôle reste donc, jusque là, prépondérant.

256

l ’é c o n o m i e a l l e m a n d e s o u s

§ 3 . — Situation

l e n a z is m e

financière des banques.

Nous avons eu l’occasion, au cours de la 2e partie de cette au capital financier d’affermir ses positions. Ce que nous venons étude, de montrer combien le régime national-socialiste a permis de voir quant à l’endettement de l’Etat auprès des banques nous révèle quel a été le mécanisme de cette consolidation de position du capital financier. Concrètement, cette situation se traduit par l’accroissement considérable des recettes brutes bancaires (1). Le chiffre des recettes brutes des cinq grandes banques berlinoises se monte en 1935 à 282 millions de marks. En 1939, ce chiffre est porté à 371 millions, en 1940 on arrive à 386 millions et en 1943 à 420 millions. De 1935 à 1943, l’accroissement a donc été de 140 millions, soit de plus de 50 %.

(1) Encore one fois noos ne tenons pas compte des bénéfices nets, étant donné que des procédés comptables permettent de masquer facilement réten­ due de ceux-ci.

EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS LE NAZISME

257

SECTION II

L’impôt.

Si le premier effort de financement des dépenses publiques a été constitué par le recours au marché monétaire, il est évident que ce recours ne pouvait être, dans l’esprit de ses promoteurs, qu’un moyen momentané. Ils espéraient que la reprise écono­ mique suscitée par les dépenses massives de l’Etat permettrait un accroissement suffisant des recettes fiscales et des possibilités d’emprunt à long terme pour mettre fin à l’accroissement de la dette flottante. En fait, nous savons qu’il n’en a pas été ainsi, mais il n’en reste pas moins que la recrudescence d’activité éco­ nomique due aux dépenses publiques elles-mêmes a permis d’accroitre également les recettes fiscales et de couvrir ainsi partiel­ lement un nouvel accroissement des dépenses publiques. Nous examinerons quelle a été l’évolution des recettes fiscales totales, afin de mettre en lumière la part des commandes publiques finan­ cées par l’impôt ; nous rapprocherons ensuite l’évolution des re­ cettes fiscales de celle de la dette publique, ce qui mettra en lu­ mière la tension financière croissante ; enfin, nous dirons quel­ ques mots de la politique fiscale. § 1. — L e financement des commandes publiques

PAR L’IMPOT.

Les recettes fiscales du Reich, des pays et des communes ont évolué comme suit, de 1932/1933 à 1938/1939 : Recettes fiscales du Reich, des pays et des communes (en milliards RM.) Accroissement par rapport h 1932/33 1932/33 (1) 1933/34 1934/35 1935/36 1936/37 1937/38 1938/39

10,2 10,6 11,8 13,3 15,5 18,9 23,0 Accroissement total .........

(1)

Du 1 r avril au 31 mars de l'année suivante.



0,4 1.6 3,1 5,3 8.7 12,8 31,9

258

l ’é c o n o m ib a l l e m a n d s s o u s

l e n a z is m e

Il ressort de ce tableau qu’en admettant que les dépenses autres que celles nécessitées par les commandes publiques sont restées stables de 1932/33 à 1937/38, les plus-values fiscales ont fourni Jusqu’à fin mars 1939, une somme de près de 32 mil­ liards RM. ; fin août 1939, cette somme devait être de près de 40 milliards soit, en gros, équivalente à celle que nous avons pu admettre pour l’accroissement de la dette du Reich pendant la même période. Toutefois, il est probable que les dépenses publiques cou­ rantes ont dû s’accroître pendant la période considérée, sauf ce­ pendant — nous l’avons vu — les dépenses d’assistance qui ont diminué. D’après le tableau de la page 223, les économies réali­ sées de ce dernier chef s’élèvent à 7,5 milliards jusqu’à fin 1938. A fin août 1939, les économies de cet ordre devaient donc attein­ dre 9,6 milliards environ, somme qui dépasse certainement de beaucoup les accroissements de dépenses courantes et qui doit donc laisser un solde positif à ajouter aux plus-values fiscales. Au total, il semble que l’on puisse affirmer que les plusvalues fiscales et les réductions de dépenses d’assistance ont per­ mis de financer pour un montant de commandes publiques à peu près équivalent à celui qui a pu être financé par les emprunts du Reich« Il est peu probable que cet équilibre se trouverait forte­ ment modifié si l’on tenait compte, à côté des recettes fiscales proprement dites, des plus-values de recettes enregistrées par le domaine public et par les entreprises publiques, ainsi que des recettes provenant des cotisations, quêtes ( 1 ), loteries, etc..., et, & côté des emprunts du Reich, des emprunts des autres collec­ tivités publiques et des entreprises publiques. Accroissement des dettes publiques et plus-values fiscales (au sens large) s’établi­ raient sans doute chacun aux environs de 50 milliards RM. § 2. — La

tension financière croissante .

Ainsi que nous l’avons indiqué déjà, le fait que le revenu national ne s’est accru que dans la mesure où les commandes publiques donnaient un débouché supplémentaire à l’industrie et le fait corrélatif de l’absence d’investissements privés à une échelle un peu étendue a eu pour conséquence une tension finan­ cière qui s’est accrue du jour où l’appareil de production étant utilisé à plein (du moins dans les secteurs intéressant les com­ mandes publiques), une augmentation du revenu national ne pouvait plus avoir lieu par le seul accroissement de l’emploi des moyens de production existants. Ce phénomène était d’autant (1) Da 1er avril 1933 au 31 mars 1939, le Secours d’Hiver a cotise plus de 2,6 milliards RM.

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EVOLUTION DE L'ÉCONOMIE SOUS LE NAZISME

plus inévitable que les commandes publiques, loin de se maintenir au même niveau, augmentaient d’année en année, sous la pres­ sion des besoins croissants de l’armée, en présence d’une'situation internationale de plus en plus tendue. A partir de 1936, la tension financière se manifeste par le fait que l’accroissement annuel de l’emprunt dépasse nettement l’accroissement annuel des recettes fiscales. Voici un tableau où nous avons mis en regard l’évolution du produit des impôts perçus par l’Etat et l’évolution de la dette publique de l’Etat (sans compter les traites spéciales ni les Bons de réarmement). I mpôts

Montant absolu

perçus par le

Re ic h :

Dette

du

Reich :

Accroissement Montant Accroissement par rapport à absolu par rapport à l’année précé­ l’année précé­ dente. dente. (en millions de R.M.). — ____ 1932/33 6.647 11.690 1933/34 6.846 11.793 199 103 8.224 1.388 1934/35 12.452 659 9.654 1.430 1935/36 14.372 1.920 1936/37 11.482 1.828 16.058 1.686 13.964 2.482 1937/38 19.098 3.040 17.712 1938/39 3.748 30.676 11.578 Jusqu’en 1934/35, la dette du Reich s’accroît plus lentement que les recettes fiscales ; à partir de là, il y a d’abord équilibre entre les deux sortes d’accroissements, puis à dater d’avril 1937, on voit la dette publique progresser plus vite que les recettes fis­ cales. En 1938/39, l’accroissement de la dette est trois fois plus important que celui des recettes fiscales et il est égal à près de 6 8 % des recettes fiscales totales. Fait plus grave, l’accrois­ sement de la dette publique est alors supérieur à l’accroissement annuel du revenu national — 6,9 milliards en 1938. La tension financière explique l’appel massif au marché monétaire et les expédients de crédit auxquels on aura de nouveau recours, ainsi que nous l’avons précédemment signalé. Avec la guerre et les dépenses qu’elle exige, l’évolution précé­ dente se confirme évidemment. Ein effet, les recettes fiscales du Reich atteignent 23,5 milliards en 1939/40, 27,7 milliards en 1940/41 et 32,3 milliards en 1941/42, soit des accroissements de 7,8, de 3,7 et de 5,1 milliards, tandis que la dette du Reich monte à 52,1 milliards en 1939/40, à 90 milliards en 1940/41 et à 141,7 milliards en 1941/42, soit des accroissements de 21,5, de 37,9 et 51,7 milliards. § 3. — La politique fiscaxe. Tant que l’Etat espérait n’avoir qu’à donner l’impulsion ini-

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tiale à l'économie et qu’il comptait sur l’initiative privée pour en­ tretenir une large activité économique, tant que l’on escomptait que sur la base de la remise sur pied d’une armée déjà capable d’inspirer la crainte (comme au printemps de 1936), le Reich pourrait retrouver une certaine place dans l’économie mondiale, la tendance a été aux dégrèvements fiscaux. An contraire, lorsqu’à la fin de 1936 il est apparu nettement que dans le cadre de l’iso­ lement économique du Reich l’initiative privée resterait déficiente et que la réintégration de l’Allemagne dans l’économie mondiale n ’aurait chance de s’accomplir que par la force des armes, on a assisté à un resserrement de la fiscalité. La tendance aux dégrèvements et aux exemptions d’impôts s’est surtout manifestée en faveur des titulaires de gros revenus et de l’industrie. Ainsi, en 1933, les impôts arriérés échus au 1er janvier 1933 — sauf les impôts sur les salaires — furent remis aux contribuables de bonne foi qui s’engageaient à entreprendre des réparations et l’entretien immobilier. Le montant des remises d’impôt pour 1933 est évalué à 500 millions RM. De même, l’in­ dustrie automobile bénéficia de la suppression de la taxe à la circulation frappant les voitures neuves. D’autres impôts encore furent réduits ou supprimés. On estime à 400 millions RM. le montant des dégrèvements en 1934/1935. Pour les raisons indiquées plus haut, la tendance se renverse à partir de 1936. D’une part, le contrôle fiscal se fait de plus en plus sévère, afin de réduire la fraude au minimum. D’autre part, d’importants relèvements d’impôts ont lieu. Ainsi, fin 1936, le taux de l’impôt sur les revenus des sociétés est porté de 2 0 à 25 % pour l’exercice 1936 et à 30 % pour l’exercice 1937. En juillet 1938, ce même impôt est porté à 35 % pour l’exercice 1938 et à 40 % pour l’exercice 1939. Au cours de la guerre, cet impôt a subi de nouveaux relèvements. Des impôts nouveaux sont égale­ ment institués à partir de 1937 ; en outre, le domaine des exoné­ rations admis pour les anciens impôts est considérablement ré­ duit, notamment en ce qui concerne l’impôt sur les salaires et, en février 1939, des surtaxes très lourdes sont mises à la charge des célibataires et des contribuables mariés sans enfant. Nous avons indiqué plus haut l’institution en mars 1939 d’un impôt sur les excédents de revenus — au cours de la guerre cet impôt a été supprimé ; par contre, ont été institués un certain nombre d’impôts de consommation. Toutes ces mesures fiscales n’ont pas permis de rétablir l’équilibre entre l’impôt et l’emprunt, puisque la part de celui-ci dans le financement des dépenses publiques a été sans cesse croissant.

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SECTION III

Le recours au marché financier et la collaboration de l’Etat et du capital industriel. Les nazis, en favorisant le développement des profits indus­ triels, n’ont pas fait que payer une sorte de dette de reconnais­ sance aux industriels, mais ils ont également obéi à une nécessité inéluctable, de leur politique économique d’ensemble. En effet, leur politique économique supposait qu’ils pussent trouver sur le marché financier des sommes suffisamment importantes pour pouvoir continuer à développer leur politique de commandes pu­ bliques et leur politique de réarmement. Or, ces sommes impor­ tantes, ils ne pouvaient espérer les trouver qu'à la condition que l’industrie fasse des bénéfices suffisamment substantiels pour les offrir sur le marché des capitaux à long terme. Les chiffres que nous allons examiner ci-dessous montrent dans quelle mesure cet objectif a été atteint : § 1. — L e recours de l’E tat au marché financier. L’accroissement enregistré par la dette à très court terme de 1933 à 1939 (et plus encore depuis), tant sous forme de traites spéciales que de Bons du Trésor, prouve à lui seul que le projet qui avait été formé tout d'abord de procéder au bout d ’un certain temps à la consolidation de la dette flottante, n’a pu être réalisé. A certains moments, il est vrai, la dette flottante s'est trouvée légèrement réduite, alors que la dette à long terme s’accroissait ; mais, dans l’ensemble, il n'a été réalisé aucune grande opération de consolidation. Ceci ne signifie pas que le marché financier n'ait été d’aucun secours pour l’Etat, mais cela signifie que l’aide apportée par ce marché à l’Etat lui a également servi à couvrir ses énormes dépenses ; c’est ce que montrent les chiffres relatifs à l’augmentation de la dette publique à court, moyen et long termes. Montant de la dette autre qu'à très court terme (en milliards RM.) 31/8/1939 __ __ 25,11 10,12 31/3/1933 ......... 31/3/1940 __ __ 29,90 9,86(1) 31/3/1934 ....... 31/12/1940 . . . . . . . . 43,05 31/3/1935 ......... .. 10,05 (1) 31/12/1941 . . . . . . . . 62,24 31/3/1936 ......... .. 11,47 31/12/1942 . . . . . . . . 87,62 31/3/1937 ......... .. 13,67 31/12/1943 . . . . . . . . 110,75 31/3/1938 ......... .. 16,75 31/3/1939 ......... .. 24,21 (1) Le recal sur 1933 tient à la réduction de la dette extérieure du Reich ainsi qu'à la réduction de l'ancienne dette (qui avait survécu à l'inflation), la première qui se montait à 3 milliards en 1933 n'est plus que de 2,02

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L’àCOKOAtlB ALLEMANDE. SOU« LB NAEISVB

On voit que la dette autre qu’à très court terme a aussi lar­ gement contribué à financer les dépenses de l’Etat ; de mars 1933 à mars 1939, elle a fourni plus de 14 milliards, l’augmentation étant surtout rapide à partir de 1936. Pendant les 9 derniers mois de 1939 et au début de 1940, le marché financier n ’a pas fourni une somme aussi importante qu’au cours du précédent exercice» mais à partir du printemps de 1940, il absorbe à nouveau d’im­ portants emprunts ; fin 1942, l’accroissement de la dette autre qu’à très court terme était de plus de 63 milliards par rapport à mars 1939 et de plus de 77 milliards par rapport à 1933. On voit que l’aide apportée à l’Etat par le marché financier, alimenté principalement mais non exclusivement — par les profits indus­ triels ( 1 ), a été considérable ; néanmoins, elle n’a été suffi­ sante pour permettre ni une réduction absolue (ce que nous avons déjà vu), ni même une réduction relative de la dette flottante. En effet, la part de la dette autre qu’à très court terme (qui est elle-même constituée en partie par dettes à court et à moyen termes) loin d’augmenter, diminue, comme le fait ressortir le tableau suivant : Part de la dette autre qu’à très court terme dans la dette publique totale. 31/12/1940 ............. 54,1 % 31/3/1933 ............ 88,0 % 31/12/1941 ............. 48,4 % 31/3/1938 ............. 85,3 % 31/12/1942 ............. 47,2 % 31/3/1939 ............ 78,5 % 31/12/1943 ............. 43,8 % 31/3/1940 ............ 57,4 % Cette évolution indique qu’en dépit de l’aide considérable apportée par le marché financier, cette aide n’a pas été suffisante pour maintenir au faible niveau où elle se trouvait en 1933, la part de la dette flottante dans la dette publique totale. Ce fait traduit un demi-échec de la collaboration de l’industrie et de l’Etat. Ce demi-échec s’explique, d’une part, par le peu d’empres­ sement mis par les industriels, du fait de l’expérience de l’infla­ tion et de la situation politique internationale à placer leurs avoirs en valeurs à revenu fixe ; il s’explique, d’autre part, par milliards en 1934 et de 1,77 milliard en 1935 ; la seconde qui était de 4,42 milliards en 1933, tombe, au cours des deux années suivantes A 4,24 et 3,42 milliards. Au cours des années suivantes le recul se poursuit mais il est plus lent que l'accroissement de la nouvelle dette intérieure ; en effet, en mars 1939, on retrouve la dette extérieure à 1,26 milliard et l’ancienne dette λ 3,3 milliards. L’accroissement de la nouvelle dette intérieure (autre qu'A très court terme) est donc plus considérable crue ne le fait ressortir le tableau, elle passe de 2,7 milliards en 1933 à 19,65 milliards en mars 1939. soit une progression de 628 % contre une progression de seulement 139 % pour l’ensemble de la dette à très court terme pendant la même période. ( 1) L’importance décisive pour les emprunts publics des revenus des grandes sociétés ressort du fait qu’en 1939 on estim ait que 92 % des ef­ fets publics appartenaient à des organismes économiques (Stés Industrielles, commerciales et bancaires) contre 8 % seulement à des particuliers.

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rimportance même des dépenses publiques. Il ne faut d'ailleurs pas perdre de vue que, dans une certaine mesure, l’énormité même des dépenses publiques tient au fait que les industriels — comme nous aurons à le voir dans un instant — n’ont pas assuré la relève des commandes publiques par l’élargissement de leurs investissements. L’échec dont nous parlons est cependant loin d’avoir été total. Non seulement la grande industrie a pu absorber une partie considérable des 77 milliards émis de 1933 à 1939 en titres autres qu’à très court terme, mais encore, les remboursements des dettes dues par l’industrie aux banques, l’accroissement des dépôts ban­ caires de l’industrie, etc... ont permis aux banques de soutenir efficacement la politique économique de l’Etat. Il n ’y a donc bien que demi-échec, mais celui-ci a été suffisant pour obliger l’Etat, d’abord à prendre certaines mesures de réglementation qui ont d’ailleurs porté plus préjudice aux petits actionnaires et aux petits épargnants qu’aux grands industriels, puis à recourir à des expédients en matière de crédit et de fiscalité. § 2. — L es

mesures de réglementation.

Les mesures de réglementation sont principalement repré­ sentées : 1) par les lois du 29 mars et du 4 décembre 1934 dont nous avons parlé ( 1 ). Ces lois qui n’ont eu qu’une application temporaire — elles ont été prorogées pour 4 ans fin 1937 — n’ont d’ailleurs fourni que très peu de ressources au Trésor : 35 à 40 millions ; les diri­ geants des grandes sociétés préférant limiter leurs dividendes au maximum prescrit. La conséquence pratique de ces deux lois a surtout été de renforcer la position des administrateurs des so­ ciétés, vis-à-vis de l’Assemblée générale des actionnaires (position encore renforcée ultérieurement par l’article 103 de la loi de 1937 sur les sociétés par actions qui limite sérieusement les pouvoirs (1) Ces lois ne doivent être confondues ni dans lenr principe ni dans leur but avec la loi du 21 juin 1941, qui soumet à des prélèvements très éle­ vés les répartitions de dividendes supérieures à 6 ou à 8 % du capital nomi­ nal. Cette loi, en effet, a surtout visé à pousser les sociétés disposant d'im­ portantes réserves — principalement Occultes —, du fait même des bénéfices non distribués antérieurement, à réajuster leur capital au montant effectif de leurs fonds propres, au moyen de distributions gratuites d'actions ; ceci, d’une part, afin de redonner un peu plus de sincérité aux bilans des sociétés allemandes, d’autre part, afin de fournir du « matériel > supplémentaire aux Bourses de valeur. La demande était pendant la guerre, presque toujours très supérieure à l’offre, ce qui provoquait une hausse des cours que Ton peut estimer dangereuse pour la valeur de la monnaie. Il faut préciser, d’ailleurs, qu’une fraction importante des prélèvements qui pouvaient être faits sur les dividendes excédentaires était versée λ une caisse qui les plaçait en fonds d’Etat et qui les gérait au profit des actionnaires auxquels ces prélèvements devaient revenir après la guerre.

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de l’Assemblée générale des actionnaires en matière de fixation de dividendes), de diminuer le montant des bénéfices nets décla­ rés au bilan et de favoriser l’auto-financement. 2 ) par les restrictions apportées aux émissions de valeurs industrielles, en vertu, notamment, d’une loi promulguée déjà en 1931, et qui soumet à l’autorisation préalable du ministre de l’Economie, l’émission des valeurs industrielles. Cette loi a per­ mis pendant toute une période — jusqu’en 1937 environ — de réserver pratiquement le marché financier aux émissions de titres d’Etat. L’application de la loi a dû d’ailleurs être assouplie dans la mesure où l’on espérait voir l’initiative privée assurer la relève des commandes d’Etat et dans la mesure, aussi, où le plein emploi de l’industrie des biens d’investissements et la création d’une in­ dustrie d’Ersatz rendaient nécessaires des émissions de valeurs industrielles. En outre, à certains moments, le marché est même apparu à tel point saturé de fonds publics que l’Etat a renoncé à y émettre de nouveaux titres, réservant le marché aux émissions privées ; il en a été ainsi pendant les huit premiers mois de 1939, après le quasi-échec, fin 1938, d’une grande émission de fonds d’Etat à long terme. Nous reviendrons sur les émissions indus­ trielles en traitant des investissements privés.

3) par les restrictions apportées à certains investissements, considérés comme économiquement nuisibles, restrictions pou­ vant être réalisées non seulement grâce aux mesures (de plus en plus nombreuses à mesure que l’économie allemande prenait le visage d’une économie de préparation à la guerre) de répartition des matières premières, mais encore par le jeu de la loi du 15 Juil­ let 1933 sur les cartels obligatoires. Les fonds qui se seraient ainsi investis se trouvaient donc disponibles et avaient quelques chances d’être utilisés en souscription aux émissions de fonds d’Etat. 4) par le procédé des « emprunts de liquidité * placés plus ou moins obligatoirement auprès des caisses d’épargne, des cais* ses d’assurances sociales, etc... dont le pourcentage de liquidité dépasse un certain montant. Ce procédé touche surtout à l’emploi fait par ces organismes (qui gèreht les disponibilités de la petite épargne) des fonds qui leur sont confiés. Il peut avoir l’inconvé­ nient de réduire exagérément le pourcentage de liquidité d’insti­ tutions qui doivent être à même de répondre à d’importantes de­ mandes de remboursement.

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SECTION IV

Les expédients en matière de crédit et de fiscalité.

L’insuffisance pratique des mesures précédentes — insuffi­ sance tenant au fait que l’industrie reste, en définitive, maîtresse de ses profits et que, si l’on peut orienter ceux-ci vers les em­ prunts publics, on ne peut les contraindre à s’y investir — a eu pour conséquence la nécessité pour l’Etat de mettre en œuvre un certain nombre d’expédients*se situant sur les limites du crédit public et de la fiscalité. Les deux principaux de ces expédients sont constitués par les bons d’impôts et par les fonds d’immo­ bilisation des entreprises. § 1. — L es

bons d’impôts .

Peu après la démission du Dr. Schacht, de la direction de la Reichsbank, le Dr. Funk promulgua un nouveau plan financier sous la forme de la loi du 2 0 Mars 1939. Cette loi prévoyait, d’une part, la renonciation de l’Etat aux émissions à long et à moyen terme (nous avons déjà signalé ce point) ; d’autre part, l’institu­ tion d’un nouveau système de paiement des commandes passées par le Reich au moyen de bons d’impôts ; enfin, la création d’un impôt sur les excédents de revenus. C’est l’institution du paie­ ment en bons d’impôts qui nous intéresse ici. Du fait de l’institution des Bons d’impôts, il était décidé que pour les fournitures à lui faites, le Reich (et certaines collectivités publiques) pourrait se libérer à concurrence de 60 % en numé­ raire et de 40 % en Bons d’impôts ; ces bons ne sont pas rembour­ sables mais sont admis après un certain délai en paiement des impôts dus au Reich. Le délai au bout duquel ces Bons sont ac­ ceptés par le Reich varie selon la catégorie des Bons ; les Bons de la catégorie n° 1 sont acceptés au pair au bout de 7 mois, les Bons de la catégorie n° 2 sont acceptés à 1 1 2 % de leur valeur nomi­ nale au bout de 37 mois. L’Etat effectue ses paiements en Bons, à proportion égale pour chaque catégorie. Tant que les Bons ne sont pas donnés en paiement par leurs détenteurs pour le règle­ ment de leurs impôts, ces détenteurs peuvent soit les conserver en portefeuille, soit les utiliser comme moyen de paiement. S’ils les utilisent comme moyen de paiement, leurs fournisseurs indus­ triels sont obligés de les accepter à concurrence de 40 % du règle-

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ment qui leur est fait, les Bons 1 étant pris au pair, les Bons 2 au pair augmenté d’une bonification de 1 / 3 % par mois à partir du deuxième mois qui suit l’émission. S’ils les conservent en porte­ feuille, ils jouissent, pour autant qu’il s’agit de Bons 1 d’assez grands avantages fiscaux (avantages consistant dans la faculté d’amortir plus rapidement leur capital investi). En réalité ces Bons d’impôts ont représenté, à la fois, une émission supplémentaire de monnaie et une sorte d’emprunt forcé (d’ailleurs fort bien rémunéré) impôsé à l’industrie qui profitait des commandes d’Etat. L’émission de ces Bons a été très consi­ dérable, le maximum de circulation a été atteint en novembre 1939 (à partir de ce moment les émissions de Bons d’impôt ont été définitivement suspendues), date à laquelle les sommes ainsi indirectement empruntées à l’industrie se sont élevées à 4.834 millions (soit un peu moins du huitième de la dette publique to­ tale). Par la suite elles ont très régulièrement diminué — ce qui prouve que les industriels ne se soucient pas trop de conserver ces effets en portefeuille — ; fin 1942, il ne restait plus que pour 1,2 milliard environ de Bons en circulation, presqu’exclusivement des Bons 1, donnant droit à des avantages fiscaux importants. § 2.

— L e s fonds d’immobilisation des entreprises .

C’est une ordonnance du 31 Octobre 1941 qui institue en même temps, « l’épargne d'acier» ( 1 ) et les fonds d’immobili­ sation des entreprises. Tandis que la première institution vise (1) I/épargne d'acier est constituée par la fraction de leurs salaires que les ouvriers déclarent vouloir (la question reste ouverte de savoir dans quelle mesure il s'agit d'une détermination librement prise : M. Fritz Rein­ hardt, secrétaire d'Ëtat aux Finances a en tout cas déclaré que l'épargne d'acier ne doit pas être une épargne forcée) épargner chaque mois. Cette frac­ tion — qui ne peut d’ailleurs excéder une certaine somme — est alors versée à leur nom auprès d’une banque ou d'une caisse d’épargne par leur em­ ployeur. Les revenus ainsi épargnés sont exonérés de tout impôt, de même les intérêts rapportés par ces épargnes ; par contre, aucune somme déposée à un compte d'épargne ne pourra en être retirée moins de 12 mois après la fin des hostilités. On possédé peu de renseignements sur l’importance des sommes versées à ces comptes bloqués ; il semble qu'elles soient loin d’être aussi importantes que celles auxquelles on s'attendait au moment de la promulgation de l’ordonnance (on parlait alors de 3 m illiards par an. ce qui aurait entraîné une moins value fiscale d’environ 600 m illions RM.). Le but de cette institution ne semble nullement avoir été de fournir au Reich une source d'emprunts supplémentaires — en réalité la plus grande partie des sommes versées à l’épargne d’acier aurait sans doute été épargnée de toutes façons — car sous l’influence de la pénurie très grande d’objets de consommation suscitée par la guerre, une forte proportion des revenus dépen­ sés normalement en objets de consommation a dû être épargnée par leur· détenteurs, comme l’indique le fait qu’au cours des deux premières année· de guerre les dépôts dans le· caisses publiques d'épargne sont passés de 21,6 à 35 milliards, soit un accroissement de 14,4 milliards ou de 38 % ; le but réel de l’institution a été de détourner autant que possible du système finan­ cier la menace de demandes massives de remboursement des énormes som­ mes déposées par force dans les caisses d’Epargne du fait de la disette.

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plutôt, ainsi que nous l'indiquons en note, à immobiliser pour un certain temps les revenus qui ne peuvent se convertir en ob­ jets de consommation faute de marchandises, la seconde vise non seulement ce but, mais elle est destinée en même temps à faire affluer des fonds vers le Trésor. Dans ce but l'institution des fonds d’immobilisation se présente comme suit : les industriels qui versent à un compte bloqué du Trésor certaines sommes pourront, après la guerre, acquérir à l’aide de ces sommes du ma­ tériel amortissable dont le coût d’acquisition sera alors déduit du bénéfice imposable de l’entreprise. Des ordonnances ultérieures ont étendu ces dispositions au commerce et à l’artisanat et ont eréé des fonds du même ordre pour les stocks ne pouvant actuel­ lement être renouvelés. Le succès de cette institution a été assez mince, les sommes ainsi bloquées représentaient, fin 1942, seule­ ment 800 millions RM. — moins de 1 % de la dette publique to­ tale —. En définitive, la collaboration de l’Etat et de l’industrie se solde, pour l’industrie, par un accroissement considérable de ses recettes, de ses bénéfices nets et de ses fonds propres (réserves avouées ou occultes) — ceci surtout pour la grande industrie —. Pour l’Etat, cette collaboration se solde, certes, par un important soutien financier — bien rétribué d’ailleurs — apporté par l’industrie à l’Etat, cependant, même avant la guerre, ce soutien a été insuffisant en face des énormes dépenses publiques. En outre, il n ’a été accordé, dans une large mesure, qu’indirectement, par l’intermédiaire du système bancaire qui avait la gestion des disponibilités sans cesse croissantes de l’industrie, disponibi­ lités que celle-ci ne voulait immobiliser en fonds d’Etat que pour une fraction relativement faible. Le même phénomène caractérise la période de guerre : les disponibilités se sont orientées vers les dépôts à vue ou à court délai de préavis ou vers les valeurs à revenu variable dont les cours, malgré un freinage extraordinai­ rement sévère étaient, au début de 1943, en hausse de près de 70% par rapport aux cours du début de la guerre (si bien que depuis les premiers mois de 1943 il a fallu procéder au stoppage des cours). 11 en résulte pour ces valeurs, un rendement plus faible que pour les fonds d’Etat dont la rémunération reste toujours assez élevée, en dépit d’une baisse sensible du taux d’intérêt. Ce rendement est de 3,5 % en moyenne sur le marché financier et de 2 5 / 8 % sur le marché monétaire. Au total donc, on peut dire que dans une large mesure le financement de la politique économique du national-socialisme

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a été réalisé grâce à l'emprunt à court, à moyen et à long termes, c’est-à-dire grâce à l’endettement de l’Etat. 11 y a là un phéno­ mène d’une extrême importance théorique. Nous assistons sous le régime nazi à une accumulation extrêmement rapide des capitaux privés, mais à une accumulation qui n’aboutit que dans une faible mesure à l’accroissement des forces productives étant don­ né que les capitaux ainsi constitués, au lieu de s’investir en moyens de production, sont dirigés vers les caisses de l’Etat. Ceci signifie qu’en réalité la politique nationale-socialiste a permis de fournir une solution momentanée (et cette solution ne pouvait être que momentanée) au problème des débouchés nécessaires aux marchandises et aux capitaux. Aux marchandises, l’Etat a ouvert le débouché de ses commandes, aux capitaux, il a ouvert le débouché de ses emprunts. Ainsi se trouvaient résolus (résolus, nous le répétons encore une fois, d’une façon seulement momen­ tanée) les problèmes qui avaient lourdement pesé sur l’économie allemande, les problèmes de l’exportation des marchandises et de l’exportation des capitaux puisque, par l’intermédiaire de l’Etat, se trouvaient ouverts des débouchés intérieurs artificiels. Il est évident qu’une telle politique ne pouvait continuer sur une longue période, puisqu’elle devait aboutir à accroître le montant de la dette publique, c’est-à-dire la part du revenu national que l’Etat devait absorber pour la redistribuer sous forme d’intérêts aux porteurs de titres représentatifs de la dette publique. Cette politi­ que devait avoir pour aboutissement logique l’appropriation par le capital financier d’une fraction de plus en plus grande de la part, il est évident qu’étant donnée la structure économique et travail. Pour éviter une telle issue*,il fallait à tout prix que le nazisme trouvât le moyen d’offrir des débouchés réels aux mar­ chandises et aux capitaux du Reich ; étant incapable de les offrir à l’intérieur du pays, il devait inéluctablement les chercher à l’ex­ térieur et recourir ainsi à la solution guerrière. En d’autres ter­ mes, il apparaît que les méthodes mêmes de financement de la politique économique nazie devaient conduire ou à l’effondre­ ment financier ou à la guerre, et sans doute aux deux. Et, d’autre part, il est évident qu’étant donnée la structure économique et sociale du Reich, structure économique et sociale que les nazis ont voulu consolider, il ne pouvait être question d’une politique économique sensiblement différente de celle qui fut suivie à par­ tir de 1933. Il nous reste à montrer comment le fonctionnement même de ce mode de financement par l’emprunt et l’impôt s’est avéré de plus en plus difficile et comment la porte a dû être ou­ verte progressivement à l’inflation monétaire proprement dite.

EVOLUTION DB L’ÉCONOMIE SOUS LB NAZISMB

269

SECTION V

Circulation fiduciaire et inflation. Comme le montre le tableau suivant, la circulation fiduciaire a considérablement augmenté depuis 1933 : Billets de la Reichsbank en circulation (en millions RM.) Fin 1932 .. > 1933 . . > 1934 . . > 1935 ..

3.560 3.645 3.901 4.285

Fin Fin Fin Fin Fin

Oct. Déc. Oct. Oct. Oct.

1936 1936 1937 1938 1939

.. 4.713 .. 4.980 .. 5.275 .. 7.744 .. 11.000

Fin Février 1940 . . Fin Octobre 1940 .. Fin Février 1941 . . Fin Mai 1941 ........ Fin Avril 1942 Fin Avril 1943 15 Août 1943 .......... Fin Déc. 1943 ........

11.877 12.101

13.976 14.046 20.047 25.442 28.046 33.683

Ce tableau est extrêmement instructif, car il révèle quelles ont été les étapes du financement des dépenses publiques. En effet, jusqu’en 1935, l’accroissement de la circulation a eu lieu sur un rythme extrêmement lent, puisque de fin 1932 à fin 1935, la circulation augmente de moins de 700 millions RM. (donc de 2 2 %* tandis que la production industrielle progresse de 7 7 %) ; mais à partir de 1935, le tableau change. Comme nous l’avons déjà dit, en 1936, l’industrie travaille à pleine capacité et par conséquent la production ne peut plus que progresser lentement, grâce à de nouveaux investissements. Or c’est précisément à ce moment que la circulation fiduciaire croit rapidement car les besoins financiers de l’Etat augmentent aussi rapidement. De fin 1935 à fin 1936, la circulation s’accroît de 700 millions — autant qu’au cours des 3 années précédentes. D’Octobre 1936 à Octobre 1937, la progression est de plus de 500 millions, l’année suivante elle est de 1.500 millions et dOctobre 1938 à Octobre 1939 elle est de 3.300 millions environ. Au total, pendant la période qui va de fin 1932 au deuxième mois de la guerre, la circulation a plus que triplé — dépassant dès 1937 le niveau de 5.044 millions at­ teint fin 1929 — il est vrai que le territoire allemand s’est pendant ce temps agrandi de la Sarre, de l’Autriche et des Sudètes. La guerre, au début, n’a pas entraîné une accélération du rythme de l’accroissement de la circulation, au contraire, celui-ci s’est ralenti sous l’influence de la liquidité de plus en plus grande de l’économie, due, notamment, à l’épuisement des stocks. C’est ainsi que de fin Octobre 1939 à fin Mai 1941, l’accroissement est

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de 3 milliards environ, dont la plus grande partie (environ 2 mil­ liards) provient de la période Octobre 1940-Mai 1941. Avec la guerre germano-soviétique, par contre, on assiste à un accrois­ sement brutal de la circulation : 6 milliards de Mai 1941 à Avril 1942, près de 5,5 milliards d'Avril 1942 à Avril 1943. Pour ces deux dernières années l’accroissement annuel de la circulation est donc de beaucoup supérieur à la circulation de 1932. Il y a là un phénomène de nature inflationniste, puisque pendant la même période la production des biens destinés au marché est en régres­ sion. Au total, de fin 1932 à fin Avril 1943, la circulation s’est accrue de près de 2 2 milliards ou de plus de 600 %. % Comment tous ce billets sont-ils entrés dans la circulation ? Ils y sont entrés, essentiellement, par la voie du réescompte des traites et des Bons du Trésor auprès de la Reichsbank, réescomp­ te grâce auquel les banques ont pu élargir de plus en plus leurs crédits —- se livrant elles-mêmes à une inflation de crédit. On retrouve la trace de ce phénomène dans le gonflement du porte­ feuille effets de la Reichsbank, portefeuille constitué dans une mesure sans cesse croissante par des effets publics (traites spé­ ciales et Bons du Trésor). Ce portefeuille passe de 2.946 millions fin 1932 à 41.342 millions fin 1943 ; les étapes de cet accroisse­ ment retraçant à peu de choses près celles de l’accroissement de la circulation fiduciaire. A l’inflation monétaire proprement dite, il faut évidemment ajouter l’inflation de crédit dont nous avons déjà aperçu l’am­ pleur lorsque nous avons examiné, dans la deuxième partie de cette étude, l’accroissement considérable des comptes créditeurs des grandes banques allemandes. Cette inflation de crédit rendue nécessaire pour le financement de la politique économique nazie, constitue en fait une menace constante pour la monnaie, puisqu’à tout instant pèse sur les banques le risque de voir une partie des déposants exiger la transformation de leur monnaie scriptu­ rale en billets de banque. En fait d’ailleurs, cette situation a entraîné de la part du public en Allemagne une méfiance crois­ sante vis-à-vis de la monnaie, méfiance qui s’est traduite par la fuite devant la monnaie et par la recherche de valeurs réelles. Le système de blocage des prix, dont nous avons vu la relative efficacité, a d’ailleurs eu pour conséquence que la monnaie, en réalité plus fortement dépréciée que ne le font ressortir les prix officiels, a de plus en plus été incapable de jouer son rôle d’instru­ ment des échanges et rien n’est plus caractéristique de cet état de choses que la création, à titre officiel, d’établissements munici­ paux dans lesquels le particuliers peuvent se livrer à des opéra-

EVOLUTION PB L'ÉCONOMIE 80U S LE NAZISME

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tions de troc — l’officialisation du troc constitue un aveu de la déchéance de la fonction monétaire du Mark. **♦ Ainsi, lorsqu’on examine comment la politique économique nazie a pu être menée à bien, on s’aperçoit que cette politique reposait essentiellement sur une « inflation dirigée » qualifiée d’« expansion de crédit ». C’est grâce à cette inflation que l’Etat a pu financer les énormes dépenses qui ont maintenu en activité l’appareil industriel. Concevable comme méthode transitoire, une telle manière de faire ne peut aboutir sur une longue période qu’à la désagrégation du système monétaire et financier. C’est précisé­ ment ce qu’avait souligné le Dr. Schacht lorsqu’après trois ans de ce mode de financement, il en recommandait l’abandon. Mais cet abandon aurait signifié une nouvelle crise économique, la para­ lysie de l’appareil industriel, puisque, nous l’avons vu, l’initiative privée était incapable de se substituer aux commandes politiques. Ayant à choisir entre une crise économique et sociale immédiate et une crise financière et monétaire plus lointaine, les nazis ont choisi la seconde voie ; dès 1939, les symptômes de cette crise financière et monétaire étaient déjà perceptibles. Le Reich en était conduit à recourir à des expédients financiers de plus en plus nombreux (bons d’impôts, retour aux traites spéciales) ; à certains égard, la guerre devait reculer l’échéance d’une telle crise, en permettant la mise en œuvre d’un effort fiscal plus sévère, en permettant de prendre des nlesures destinées à rendre plus efficace la fermeture du circuit monétaire, en libérant une part croissante de capital investi en stocks et en outillage qui n ’ont pu être renouvelés, etc... A d’autres points de vue, cepen­ dant, la guerre, en accélérant encore le rythme des dépenses pu­ bliques, accélérait aussi le processus de désorganisation financière et monétaire déjà perceptible à la veille du conflit. L’étude du financement de la politique économique du nazis­ me permet ainsi de dévoiler le « secret » de la « réussite » de cette politique : celle-ci a consisté à reculer l’échéance d’une crise économique que la situation objective de l’économie alle­ mande (prise dans la contradiction entre sa puissance productive et ses débouchés) rendait inévitable, en mettant en œuvre — dans le cadre d’une économie fortement contrôlée — une « con­ joncture d’emprunts » qui, inéluctablement, devait conduire à la banqueroute, même si l’effondrement militaire n’avait pas eu lieu.

CONCLUSION

Au cours des pages qui précèdent, nous avons essayé d’exa­ miner les principaux aspects de ce que fut l’expérience écono­ mique dii national-socialisme. Nous avons ainsi laissé de côté des faits d’une importance historique parfois considérable (tel celui de l’appoint de puissance que l’Allemagne a trouvé au cours de la guerre, du fait même de son expansion militaire à travers la plus grande partie de l’Europe) ( 1 ), mais qui n ’entraient pas di­ rectement dans notre propos. Nous voulions, avant tout, mettre en lumière les conditions dans lesquelles le nazisme est monté au pouvoir, les contradictions économiques devant lesquelles il s’est trouvé placé et l’impossibilité où il a été de les surmonter. Il nous faut, maintenant, en guise de conclusion, tenter de dégager d’une façon schématique la signification profonde et la portée de l’ana­ lyse précédente. Au début de 1933, deux problèmes (qui n’en formaient à vrai dire qu’un seul) se posaient à l'Allemagne : le problème de la limitation de son marché intérieur, le problème de la limitation de son marché extérieur. L’urgence du premier était plus grande que celle du second. Résoudre le premier signifiait remettre en marche la machine économique, mettre fin au chômage, mettre fin à l’excédent du capital fixe. Cependant, la solution, même arti­ ficielle, du premier problème devait rendre, à son tour, urgente celle du second. La machine économique pour tourner à plein allait, en effet, avoir besoin de matières premières venant de l’étranger et, pour pouvoir acheter ces matières premières, il fal­ lait que l’Allemagne exportât en quantité suffisante. C’est à ce moment que la limitation de son marché d’exportation — par rapport à ses possibilités de production et à ses besoins d’impor­ tation — allait se faire sentir le plus lourdement ; c’est à ce mo­ ment qu’allait se poser, d’une façon ou d’une autre, le problème d’une réintégration de l’Allemagne dans le marché mondial. Le fait que l’Allemagne nazie ait souffert de la limitation de son marché intérieur n’est généralement pas aperçu. Il est même contesté, et les premiers à le contester ont été les nazis eux( 1) 11 y a d’ailleurs un aspect économique de cette expansion dont Tétude présente un haut intérêt ; mais cette étude n’entrait pas dans le cadre que nous avons fixé au présent ouvrage.

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L’ÉCONOMIE ALLEMANDE

sou s

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mêmes qui faisaient ressortir qu’à la suite de leur montée au pouvoir l'Allemagne n’a connu aucune crise de surproduction. Les nazis, et leurs valets étrangers, notamment Déat, invoquaient un tel fait pour affirmer que l'économie nationale socialiste avait su surmonter le problème des crises cycliques et la limitation du marché capitaliste — il y avait là, en effet, un excellent aliment pour la démagogie « socialiste » des hitlériens. La réalité est autre, et elle est plus complexe. La limitation du marché s’entend en ce sens que le pouvoir de consommation — déterminé non par les seuls besoins mais par les revenus — est inférieur au pouvoir de production. Cette limi­ tation du marché s’exprime, dans une économie capitaliste où do­ mine la concurrence, par la surproduction des objets de consom­ mation, surproduction qui se manifeste brutalement dans les cri­ ses cycliques. Mais cette limitation peut se manifester encore — et avec le développement des monopoles privés et de l’économie dirigée (dirigée en fait au profit des monopoles) il en est de plus en plus souvent ainsi — par Vinutilisation partielle de l’appareil de production et par Uaccumulation du capital-argent qui ne trouve pas à s’investir productivement à l'intérieur, d’où le déve­ loppement des exportations de capitaux, d’une part, de la dette publique, d’autre part. Il est vrai que l’Allemagne nazie a ignoré, dans l’ensemble, le phénomène de la surproduction ; mais ceci ne s’explique pas par l’accroissement de la consommation. La consommation, repré­ sentée par la valeur réelle du chiffre d’affaires du commerce de détail, est toujours restée très inférieure à celle de 1928. Si, donc, il n ’y a pas eu surproduction, cela tient à Vutilisation seulement partielle du marché en faveur de Pappareil de production d*objets de consommation. Cette utilisation partielle est manifeste jusqu’à 1937, car jusqu’à cette date l’indice de la production industrielle des biens de consommation reste à un niveau inférieur à celui de 1929 (1) ; elle est moins manifeste au cours des deux dernières années d’avant-guerre, où le niveau de 1929 est dépassé ; mais deux faits doivent être ici pris en considération : d’une part, dès 1929 (avant la crise) l’appareil de production n’était que partiel­ lement utilisé (2 ), d’autre part, avec l’intensification de la prépa­ ration à la guerre, l’industrie des biens de consommation — bien que produisant de plus en plus — produit de moins en moins pour le marché, car une partie sans cesse croissante de cette pro(1) Année où la production maxima avait été atteinte dans ce domaine. (2) En 1929, le pourcentage de la capacité de production utilisée dans l’industrie allemande était de 71 % dans le textile, 60 % dans la chaussure, 61 % dans l'industrie chimique, 40 % dans l ’industrie du lin, etc...

CONCLUSION

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duction (textiles, vêtements, chaussures, aliments, conserves, etc.) est destinée à l’armée et aux stocks de guerre — et n’est donc pas payée par les revenus de la population, mais par les capitaux que l’Etat a drainés au moyen de l’emprunt. La diminution de la pro­ duction d’objets de consommation destinés au marché peut, cer­ tes, être attribuée, en partie, à l’économie de guerre et de prépa­ ration à la guerre, mais elle est attribuable surtout (sauf pour la période de guerre proprement dite) à la volonté des mono­ poles, aidés de l’Etat, de ne pas dépasser les limites du marché, afin précisément d’éviter la surproduction et la baisse des prix. Ainsi, la limitation du marché des objets de consommation, c’est-à-dire du marché définitif (puisque les moyens de produc­ tion sont eux-mêmes destinés à la fabrication d’objets de consom­ mation), s’est exprimée, en premier lieu, par l’utilisation seule­ ment partielle en faveur du marché de l’appareil de production. Cette situation se reflète dans le contenu de la plupart des enten­ tes et des accords de cartels qui réduisent l’activité des entreprises de leurs adhérents à un certain pourcentage de leur capacité de production. Ceci signifie que ces accords ont pour but la réparti­ tion des débouchés et la limitation de la production aux possi­ bilités d’écoulement ; il en est de même pour les cartels obliga­ toires. Contrairement à ce qu’affirmaient les théoriciens nazis, et à ce que pensent souvent les partisans dés ententes, ceci fait ressortir combien peu, dans de telles conditions, l’économie est dirigée. Ce qui « dirige » l’économie, c’est encore le marché, — et il s’agit du marché capitaliste, dominé par le profit — puisqu’aussi bien c’est à lui que la production est obligée de s’adapter, et les nazis, par le fait même qu’ils ont défendu le profit des mo­ nopoles, ont été incapables de dominer réellement le marché, c’est-à-dire, de l’approfondir effectivement. La différence est moins grande qu’on ne le croit souvent en­ tre une économie capitaliste dirigée et une économie concurren­ tielle. Une différence existe cependant, et elle n’est pas de petite importance, elle réside dans le fait qu’avec la disparition de la concurrence, la limitation du marché capitaliste exerce son action restrictive sur la production non a posteriori et par à-coups (à-coups séparés par des périodes d’expansion), dans les crises de surproduction, mais a priori et de façon presque constante, si bien qu’on assiste à uue paralysie quasi chronique (dont le chômage permanent est une des principales manifestations), masquée seulement par l’expansion économique artificielle liée à la préparation à la guerre. Cette substitution d’une action restrictive a priori (que connaît depuis de longues années l’éco-

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L’écONOMIB ALLEMANDS SOUS LE NAZISME

nomie française) ( 1 ) à l’action restrictive a posteriori, telle qu’elle se manifeste dans les crises cycliques (2 ), ne change rien à la subordination de la vie économique au marché ; mais elle en modifiée les conséquences ; elle modifie la dynamique écono­ mique. En effet, cette adaptation a priori ralentit le progrès technique (3) ; elle est un frein aux investissements productifs ; elle enlève au capitalisme ce qu’il avait de progressif lorsqu’il était concurrentiel ; elle est à la base des tendances régressives qui caractérisent l’économie capitaliste moderne ; elle est à la base, aussi, de l’accumulation du capital-argent — d’un capital qui « refuse > de s’investir productivement sur le marché inté­ rie u r—f des phénomènes d’exportation des capitaux et du déve­ loppement de la dette publique. En Allemagne, ce refus d’investir — qui apparait comme une incapacité de l’initiative privée à se substituer aux commandes d’Etat — a précisément obligé l’Etat à poursuivre sans cesse son programme d’emprunts et de dépen­ ses publiques, & soutenir même de ses deniers ou de son crédit les investissements privés dans les sphères utiles à l’économie de guerre et à l’autarcie. Comme nous l’avons indiqué au cours de notre analyse de de l’économie allemande, la limitation du marché par rapport aux possibilités de production se manifestait, au mo­ ment de la prise du pouvoir par les nazis, par la paralysie de l’appareil de production et, en conséquence, par la faible masse de profit que cet appareil ainsi paralysé permettait alors d’accu­ muler. On comprend donc que les premières mesures qui aient été prises aient d’abord visé à favoriser cette accumulation, notamment au profit de l’Etat, afin de lui permettre de couvrir ses besoins financiers (4). Ce n’est qu’ensuite, lorsque la machine économique s’est remise à tourner à plein, que la masse de profit 1’évolution

(1) On lui a même donné en France le nom de « mathuslanisme éco­ nomique s. (2) Cette action restrictive ne suffit d’ailleurs pas à éviter les crises cycliques, si elle n’est pas compensée par l’adjuvant des commandes publi­ ques, mais celles-ci, avec l ’endettement de l’Etat, préparent sa faillite ou la cascade des dévaluations. (3) On notera que cette tentative d'adaptation a p r io r i représente un essai de p la n ific a tio n (c’est là aussi un aliment pour la démagogie < socia­ liste > des nazis) de l'économie ; mais c'est une planification très incom­ plète, insuffisante, puisqu’elle ne porte pas sur l 'e s s e n tie l, sur les d é b o u c h é s. (4) I) faut ranger parmi ces mesures les lois dont nous avons déjà parlé du 29 mars et du 4 décembre 1934, par lesquelles le montant des dividendes à répartir entre les actionnaires s'est trouvé lim ité à 6 ou 8 %, l'excédent du dividende effectif sur le dividende maximum autorisé devant être versé à un fonds d’emprunts de l'Etat, pour être restitué au bout de 4 ans aux actionnaires ; en fait, les sociétés ont lim ité leurs distributions de divi­ dendes de telle sorte que les sommes placées en fonds d’Etat par suite de cette loi n’ont pas dépassé le montant infime de 25 à 40 m illions par an. Pratiquement, ces mesures ont surtout permis un certain essor de l'auto­ financement et un renforcement des pouvoirs des conseils d'administration;

CONCLUSION

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annuellement réalisé et accumulé a posé — en raison de la limi­ tation du marché et de la politique des monopoles — le problème de la pléthore du capital-argent. La pléthore du capital-argent — (Geldfülle) (1) — en face d'investissements industriels limités, a fait se tourner les déten­ teurs de ce capital « excédentaire » vers la Bourse, pour y acqué­ rir des valeurs (industrielles ou publiques), ahn de ne pas < lais­ ser dormir leur argent». C’est alors qu’il est devenu nécessaire d'introduire un système de freinage des hausses (autorisation d'un certain pourcentage de hausse seulement), principalement pour les actions industrielles, et même de répartition des titres entre les demandeurs. Avec la guerre, ce système a pris son maximum d’extension. Mais, ce sont surtout les emprunts d'Etat qui ont permis d’absorber une grande partie de la pléthore de capital-argent. Comme nous l’avons dit, ces emprunts peuvent, dans une certaine mesure, être considérés comme un « ersatz » de l'exportation du capital ; ce devait être aussi un moyen de préparer celle-ci, par la force des armes. Nous avons vu, en effet, que cette exportation se heurtait en Allemagne à des difficultés particulières du fat de la pénurie des devises, pénurie due à la fois aux obstacles rencontrés par l’exportation des marchandises et l’absence d’entrées de devises sous forme de paiements d’inté­ rêts et d’arrérages. Sur le plan intérieur, les nazis n’ont nullement su do­ miner les contradictions qui sont inhérentes au capitalisme des monopoles, et cela parce qu’ils étaient les auxiliaires du ca­ pital financier. Aussi bien, le nazisme a-t-il participé directement au caractère régressif du capitalisme des monopoles, caractère régressif qui apparaît surtout dans un pays comme l’Allemagne, tard venu au rang de grande puissance, et qui n ’a donc jamais pu lorsque ces mesures ont été abandonnées, parce qu*elles devenaient financiè­ rement inutiles, une loi est Intervenue pour accroître officiellement les pou­ voirs des conseils d’administration à l’egard des assemblées générales d’ac­ tionnaires, notamment en matière de fixation de dividendes. Parmi les mesures destinées à canaliser le capital-argent, il faut encore citer une loi de 1931, donc antérieure au nazisme, par laquelle était inter­ dite toute émission de valeurs industrielles, sauf a u to r is a tio n p r é a la b le . Au début du régime nazi, cette loi a été appliquée de façon stricte, peu d’autori­ sations ont été données, afin, à la fols, de réserver le marché aux titres d’Etat et d’éviter la fondation de nouvelles entreprises. Ce n’est qu’à partir de 1937, nous l’avons vu, que le marché a été progressivement ouvert aux émissions d’actions et d'obligations industrielles. (1) L e H a m b u r g e r F r e m d e n b la tt du 18-2-1944, indique que la forma­ tion du capital-argent en 1943 a porté sur une somme d’environ 66 m illiards de marks contre 56 milliards cannée précédente ; ces deux sommes cor­ respondent à peu près à l’endettement du Reich. Sur le total de 65 m illiards, 65 m illiards proviennent de l’autofinancement de l’industrie et de l'accrois­ sement des dépôts ; 14 % de l’accroissement de la circulation des billets de la Reichsbank.

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s’intégrer entièrement à l’économie mondiale. Ce caractère régres­ sif — qui ne se manifeste pas seulement sur le terrain culturel et moral — a été d’autant plus marqué que les monopoles privés ont pu prendre appui sur l’appareil d’Etat. Il faut d’ailleurs sou­ ligner que, sur le terrain économique, le caractère régressif du capitalisme des monopoles appuyé par la puissance de l’Etat — et c’est là la « formule » économique du nazisme — ne se manifeste pas directement par une régression des forces productives, par une diminution de la productivité du travail. Un tel recul n’est nullement exclu, il a même quelquefois eu lieu au début du régime hitlérien (interdiction de l’emploi des machines pour certains travaux, interdiction d’investissements, etc.), mais les phénomènes d'économie de guerre — forme suprême de la concurrence internationale et dernière force « progressive » du capitalisme — masquent ces tendances régressives. Celles-ci se manifestent essentiellement par la relative lenteur et le caractère partiel des progrès effectués dans les secteurs intéressant l’éco­ nomie de guerre, alors que les progrès de la science moderne permettraient une véritable révolution de la technique indus­ trielle et agricole. Nous avons vu que le caractère régressif du capitalisme des monopoles, plus spécialement de l’économie nazie, s’explique par le fait que les monopoles ont la possibilité (toujours partielle d’ailleurs) de prévoir les limitations du marché et d’y adapter à Vavance leur production et leurs investissements. D’où la ten­ dance à la stagnation des forces productives, au chômage chroni­ que, etc..., tendance masquée seulement par les phénomènes d’éco­ nomie de guerre ou de préparation à la guerre. Le capitalisme concurrentiel était, au contraire, incapable de prévoir la limita­ tion du marché et développait la production sans en tenir compte (ce qui avait précisément pour conséquence d’approfondir rela­ tivement le marché). Certains penseront, peut-être, que la limitation du marché intérieur en Allemagne a été quelque chose de fortuit et qu’elle était due à une < mauvaise organisation » de la répartition des revenus. Cela est, à la fois, vrai et faux. Cela est vrai, en ce sens qu’une autre c organisation » de la répartition, par extension des revenus des ouvriers et des paysans, aurait évidemment permis, simultanément d’approfondir le marché des objets de consom­ mation et de réduire la pléthore du capital-argent (en réduisant la masse des profits). Cela est faux, en ce sens que la répartition des revenus ne peut pas être « organisée » en elle-même ; cette ré­ partition n’est pas — pour employer une expression mathémati-

CONCLUSION

27t

que — une « variable indépendante » ; elle est au contraire une résultante, elle est fonction de la répartition préalable de la propriété. Une répartition donnée de la propriété — et nous retrouvons ici l’aspect struturel de la question, aspect examiné au cours de la deuxième partie de cet ouvrage — a pour consé­ quence une répartition donnée des revenus sous forme de salai­ res, profits, intérêts, rentes, profits de monopoles, etc. Il est par­ faitement utopique de croire qu’un Etat qui s’efforce de maintenir une répartition donnée de la propriété puisse s’opposer à la répar­ tition des revenus qui en découle. D’une façon plus générale, pen­ ser qu’il est possible de modifier la répartition des revenus, d'organiser un plan de cette répartition sur la base de la propriété privée, c’est penser quelque chose de contradictoire. On ne peut en effet concevoir qu’une répartition sociale des revenus se super­ posa à une répartition privée de la propriété. C’est là la pierre d’achoppement des tentatives de planification en régime de pro­ priété privée. Cela signifie que ces tentatives ne peuvent aboutir qu’à systématiser les tendances économiques qui résultent de la répartition même de la propriété. Nous pensons voir dans ce fait un des principaux enseignements que nous laisse l’expérience économique du national-socialisme. L’analyse de l’économie de l’Allemagne nazie nous apprend encore autre chose. Elle nous apprend, notamment, que cette éco­ nomie révèle, en plus développé, ce que d’autres économies capi­ talistes révèlent de façon plus ou moins nette. Soulignons, notam­ ment, le développement de l’organisation obligatoire des industriels (cartels obligatoires), l’importance prise par l’organisation pro­ fessionnelle, la place dominante des monopoles, l’aide considéra­ ble apportée par l’Etat à l’économie (sous forme de commandes massives, de garantie de crédit, etc.), le développement de la législation des prix, l’organisation offensive des rapports avec le marché mondial (dumping, utilisation des clearings, etc...). Ces ressemblances ne sont pas fortuites. Elles indiquent que le capita­ lisme actuel contient en puissance une structure économique analogue à celle de l’Allemagne nazie. Ce qui signifie que l’élimi­ nation définitive d’un retour offensif du nazisme, sans doute sous un autre nom, avec d’autres apparences politiques et éven­ tuellement dans un autre pays que l’Allemagne, suppose des mo­ difications fondamentales dans la structure économique et sociale des pays économiquement évolués. Pour l’Allemagne, la faillite du national-socialisme est ins­ crite dans sa chair vive. Mais cela ne signifie pas que les diffi­ cultés qui ont donné naissance, en Allemagne, au national-socia-

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a llem ande so u s

l e n a z is m e

lisme soient pour autant résolues. Ces difficultés subsistent inté­ gralement. Le problème du marché intérieur allemand» le problème du marché extérieur de l'Allemagne continuent à se poser. Certes, la guerre a réduit, du fait de ses ravages, les forces productives de l'Allemagne ; mais l'expérience montre combien rapidement — et cela est heureux — les reconstructions peuvent aujourd’hui s’opérer. Certes, le régime de l'occupation peut frei­ ner cette reconstruction ; mais l'occupation ne peut indéfiniment se prolonger, c'est l'évidence même. Certes, encore, on peut compter interdire à l’Allemagne de développer son industrie audelà d’un certain degré, mais c'est alors la perspective d’un chô­ mage chronique pour une partie plus ou moins importante du prolétariat allemand ; on peut imposer à l'Allemagne une charge de réparations plus ou moins lourde, réduisant ainsi la fraction de sa production qu’elle a à écouler sur son marché intérieur, mais on accroît sans doute alors les difficultés du capitalisme mondial ( 1 ) qui se trouvera rapidement, pensons-nous, devant une crise de débouchés. Ainsi, de quelque façon que l’on retourne le problème, les mêmes difficultés ressurgissent. Il dépend finalement d’une trans­ formation économique et sociale en Allemagne même que soit résolu le problème de son marché intérieur. Il ne peut lui appar­ tenir à elle seule de résoudre le problème de son marché exté­ rieur — la guerre a précisément représenté une tentative de ce genre. Une solution ne peut ici être trouvée que sur l’arène inter­ nationale. Il est d'ailleurs évident que les déclarations sur le libre accès de tous les pays aux sources de matières premières ne sont que des phrases, car ce « libre accès » est parfaitement vain, si tous les pays ne disposent pas des moyens de paiement inter­ nationaux indispensables. La mise sur pied d’un clearing ou d'une banque internationale ne résout rien non plus, aucun crédit ni aucun artifice ne peuvent éliminer la nécessité dans laquelle se trouve chaque pays de devoir, au total, exporter autant de mar­ chandises et de services qu'il en importe. C’est donc bien le pro­ blème des exportations qui devra être résolu, et cela est vrai, à une plus large échelle, des exportations européennes en général — c’est en ce sens que nous disions, au début de cet ouvrage, que l’expérience allemande d’entre les deux guerres risque de préfi­ gurer en quelque manière l'expérience européenne à venir. (1) Pour rU.R.S.S. la question est entièrement différente, sa structure économique et sociale lui permet d'absorber sans aucun risque de crise n'im­ porte quelle quantité de marchandises ; ce qui explique — en plus des dévastations subies par ce pays — l’importance de ses revendications en matière de réparations.

CONCLUSION

281

Le véritable problème est celui de l’équilibre des échanges internationaux, celui de l’intégration de tous les pays dans une économie mondiale équilibrée ; nous n’avons pas à examiner, ici, les questions que posent cette intégration et cet équilibre, mais nous voulons seulement souligner, pour conclure, que la grande leçon de l’expérience allemande de l’entre deux-guerres est celle de l’importance mondiale que revêtent ces deux questions.

ANNEXE I

Les principaux Konzern, A. — On peut citer immédiatement après ΓΙ .G. Farben, les Vereinigte Stahlwerke, Konzern qui a son siège à Dusseldorf. Cette société, au capital de fondation de 460 millions RM., avait en 1940 des réserves de 131,6 et 147,2 millions RM. Son actif comprenait des investissements d’une valeur de plus d’un mil­ liard 1/2, des participations se montant à 685 millions, des créan­ ces de 2 0 0 millions sur des filiales et des sociétés contrôlées, et réalisait des recettes se montant à 292 millions. Ces recettes se répartissaient ainsi entre les principales filiales, en 1938 : Gelsenkirchener Bergwerks A. G. 62,25 millions August Thyssen-Hütte A. G. 29,4 Dortmund-Hoerder Huttenverein A. G. 19,3 Bochumer Verein für Gussstahlfabrication A. G. 11,9 Deutsche Eisenwerke A. G. 1 1 ,6 Deutsche Röhrenwerke A. G. 25,9 — Hüttenwerke Siegerland A .G. 9.7 Westfalische Union A. G. 5,6 6 ,0 Bandeisenwalzwerke A. G. « Wurag » — Eisen-und-Stahlwerke A. G. 1.3 — 0 ,8 Siegener Eisenbahnbedarf A. G. etc.... Le bilan de ce Konzern est conçu de telle façon qu’il concen­ tre l’essentiel de la propriété des investissements et des établis­ sements, tandis que le capital circulant est comptabilisé dans le bilan des sociétés filiales (dont les deux principales sont la Gelsenkirchener Bergwerks A. G. et la August Thyssen-Hütte A. G.), présentées comme simples locataires des établissements, si bien que les recettes des filiales passent intégralement à la sociétémère. La constitution des Vereinigte Stahlwerke offre ainsi l’ima­ ge de la concentration liée à la décentralisation, du fait de la réunion comptable de la valeur des investissements et des parti­ cipations dans le bilan de la société-mère, tandis que l’adminis­ tration des différentes entreprises est comptabilisée par les sociétés filiales auxquelles ces entreprises appartenaient autrefois, avant d’être incorporées au Konzern. Parmi les faits qui ont accru la puissance des Vereinigte Stahlwerke au cours de ces dernières années, il faut mentionner, en premier lieu, la « reprivatisation s —

— —











284

L’Ac ONOMIB ALLEMANDS SOUS CB NAZISME

du paquet d’actions de 100 millions RM.» qui était entre les mains de l’Etat, jusqu’en 1937. La vente a eu lieu sur le marché» les Vereinigte Stahlwerke s’étant engagées & racheter en bourse un paquet d’actions de même valeur ; le Konzern réunit l’argent né­ cessaire à cet achat essentiellement par la vente des actions et obligations qu’il avait en portefeuille de VEisener-SteinkohlenBergwerks A. G. (ces actions ont éjté rachetées par le Flick-Konzern, ce qui a permis à ce dernier d’accroître son emprise sur l’industrie houillière) ; à la suite de ce rachat» les Vereinigte Stahlwerke ont ramené leur capital originaire à 460 millions RM. D’une certaine importance aussi pour l’accroissement de la puissance des Vereinigte Stahlwerke» est l’émission d’un emprunt 5 % d’un montant de 55 millions RM. par la Gelsenkirchen-Benzin A . G. (filiale de la Gelsenkirchener Bergwerke A. GJ et destiné à l’installation d’une usine d’hydrogénation de la houille (procédé I. G. Farben), dont le coût de 125 millions a été couvert en partie par dès crédits bancaires. Enfin, pour mesurer la puissance des Vereinigte Stahlwerke A. G. il faut examiner la part qu’a ce Konzern dans les principaux cartels de vente de l’industrie sidérurgique. Voici lés chiffres : (au 30 Septembre 1936) (1) CARTELS. de la fonte brute : Vente » .......................... Consommation ............. Association des produits A dont ....................................... Semi-produits .................. Superstructure * ............. Pieces moulues ........... .... des fers en barre : A lle m a g n e .......................... Etranger .............................. Cartel universel du fer : Allemagne .......................... E tra n g er.............................. Feuillards : A lle m a g n e .......................... E tr a n g e r .............................. Tôle brute ............................ Tôle m oyenne : Allemagne . ...................... E tra n g er....................... .. Tôle fine ................................ Exportations de tôle fine . Cartel du galvanisé ........... Fil lam iné ............................ Cartel des fils de fer . . . . Syndicat des tubes ........... (1)

Part de toutes les sociétés en 1.000 t.

Part des

V e r e in i g te - S ta n l m e r k e en 1.000 t. | en % du total

39,2 % 50,8 %

2.152 687

843 349

5.338 1.471 2.448 1.418

1.854 520 1.080 254

3.595 1.180

988 321

27,5 % 27,2 %

343 95

128 52

37,5 % 64,7 %

970 323

339 103 672

34,9 % 31,8 % 36,0 %

34 14 352 52 . . 471

12,1 % 11,5 %

1.866

278 116 1.344 139 - - 1.703 963

Haussmann, « Konzerne... >e op. c i t * p. 868.

212

84,7 35.3 44,1 17,9

26,2 37,0 38,5 27,7

%

% % %

% % % %

22,0 %

45,4 %

ANNEXES

285

On voit que la part des Vereinigte Stahlwerke couvre, selon le cas, de moins de 30 à plus de 50 % du marché des principaux produits sidérurgiques, produits dont le marché est lui-même contrôlé entièrement par les cartels privés fondés par les Konzern de la sidérurgie. B. — Parmi les Konzern jouant un rôle de premier plan, il faudrait aussi éludier le Konzern de la potasse de la Salzdetfurth A. G. Les trois principales sociétés de la potasse ont été réunies, au cours de ces dernières années, par incorporation des usines de potasse d9Aschersleben et de Westeregln à la Salzdetfurth A. G. dont le capital a été porté de 16 à 44 millions ; la production proprement dite de la potasse étant remise à une nouvelle filiale la Vereinigte Kaliwerke Salzdetfurth A . G. (capital 28 millions). La société-mère Salzdetfurth A. G. ne possède dès lors, en dehors d’un petit avoir foncier (immeubles et terres) que des par­ ticipations à des filiales. Ces filiales se répartissent en : groupe de la potasse, groupe du sel gemme, groupe chimique et entre­ prises diverses — dont font notamment partie l’importante Mansfeld A. G. (mines et hauts-fourneaux) ; le groupe chimique comprend aussi des usines de forces motrices, des mines de lignite et les principaux établissements commerciaux du Konzern. C. — Une étude complète des Konzern supposerait l’étude des sociétés Mannesmann (capital 159 millions RM.) ; Rheinische Stahlwerke (150 millions) ; Wintershall (125 millions) ; Λ. E. G. (120 millions) ; Hamburger Hochbahn (108 millions) ; Klôckner (105 millions) ; Hoesch (101 millions), etc... mais cette étude dé­ passerait le cadre de ce travail et n’apprendrait rien de fonda­ mentalement nouveau quant à la structure concentrée de l’écono­ mie allemande ; par contre, il est bon de jeter aussi un coup d’œil sur les Konzern qui au lieu d’être impersonnels, comme les pré­ cédents, sont au contraire personnels ou familiaux dans leur constitution. D. — Dans cet ordre d’idée, il faut citer, tout d’abord, le Konzern Henkel et Cie de Düsseldorf, Konzern dont la puissance s’est considérablement accrue sous le nazisme. Le société-mère de ce Konzern a été fondée en 1870 pour la fabrication de composés de soude, son activité s’est étendue ensuite aux produits de la­ vage et de nettoyage — fabrication et commerce —. Finalement, la Henkel et Cie G. M. B. H. (au capital de 24 millions), qui gère les entreprises de Düsseldorf, les plus importantes du Konzern, est en même temps propriétaire de participations et d’une société de financement. Il faut noter, parmi les sociétés de production dé­ pendantes : la Henkel et Cie G. M. B. H. de Genthin (capital 1,5

286

L'ÉCONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

millions) chargée de l’approvisionnement des marchés du Centre et de l’Est de l’Allemagne, la Henkel et Cie A . G. de Hanau (5 millions) qui est surtout une société foncière, et l’organisme de vente de la Henkel et Cie (1 million) versant un dividende fixe de 10 % à la société-mère. 11 faut ajouter aux précédentes, des sociétés de matières premières comme la Matthes et Weber A. G. (1,5 mil­ lions) et des participations dites « de flanc » comme à la Norddeutsche Hefe-Industrie A. G., à la Deutsche Gold und Silberschei­ deanstalt, à la Gladbacher Woll Industrie A . G., à la Holzwerke Zapfendorf A. G., à la fabrique de papiers Inden de Julich, etc... Le capital de la société-mère, qui a réparti jusqu’à 15 % du divi­ dende, était au moment où la guerre a éclaté, la propriété des trois enfants du fondateur du Konzern, Fritz Henkel. E. — Le Flick-Konzern est un exemple typique d’un grand Konzern minier à direction personnelle, la direction et la proprié­ té étant réunies entre les mains du fondateur et initiateur Frédérick F lick . La société-mère, sous forme de Holding, a été long­ temps la Siegner Eisen-Industrie A. G. (capital 25 millions) ; celleci est, en 1937, presque seule propriétaire de la Mitteldeutsche Stahlwerke A. G. (50 millions) qui dispose à son tour de 80 % du capital des Mazhùtte (26,5 millions) ; cette société, à nou­ veau, possède 51 % du capital de la Harpener Bergbau A. G. (capital autrefois de 90 millions réduit à 60 millions par transfor­ mation d’une partie des actions en obligations) ; celle-ci est pro­ priétaire des parts de mine de la société d’exploitation t MontCenis », si bien que la Stahlwerke A. G. participe à concurrence de 51 % au syndicat houiller de la Ruhr. D’autre part, le bilan de la Siegener Einsenindustrie A. G. contient aussi la participa­ tion majoritaire aux Aciéries et Laminoirs de Henningsdorf, qui eux-mêmes sont liés au Mittel-Stahl. Après 1937, quelques modifications ont été apportées à cette constitution : la Siegener Eisen-Industrie A. G. a été transformée en une société de personnes : la Société par commandite Friedrich Flick ; en même temps, des usines des Mitteldeutsche Stahlwerke, situées dans le Brandebourg, ont été reprises à cette dernière société et incorporées à la société en commandite ; les Mitteldeutsche Stahlwerke ont été payées de cet achat au moyen de 12 millions RM. (valeur nomi­ nale) de leurs propres actions. De cette façon il ne subsistait plus au début de la guerre qu’un petit nombre d’actionnaires indépen­ dants des Mitteldeutsche Stahlwerke ; la société Friedrich Flick leur a d’ailleurs fait offrir, par un consortium bancaire, l’échange de leurs actions contre des actions des Maxhütte avec une garan-

ANNEXES

287

tie de dividende de 8 %. Après toutes ces transformations, il ne subsistait plus que la propriété privée de la famille Flick, avec à sa tête la société par commandite Friedrich Flick et seulement quelques actionnaires extérieurs pour les Maxhûtte. Ainsi s’est finalement réalisé un Konzern purement personnel sur la base technique de la liaison des usines sidérurgiques avec les mines de houille ï cette forme personnelle de Konzern n’a été réalisée qu’après une lente évolution, au cours de laquelle la participation de F lick aux Vereinigte-Stahlwerke a joué un certain rôle. F. — Le Konzern Krupp, dont la puissance était énorme, a une constitution infiniment plus simple que le précédent. Il se trouve à mi-chemin entre le Konzern impersonnel et le Konzern person­ nel. A l’origine, ce Konzern a eu une forme purement personnelle, mais à la mort de son créateur, Friedrich A. Krupp, et conformé­ ment à ses dernières volontés, la firme a été transformée le 2 2 Avril 1903 en la F. A. Krupp A. G. au capital de 160 millions. Le capital tout entier est resté propriété de la famille Krupp ; mais seul l’héritier le plus âgé est chargé de la direction, d’après le testament de Krupp. En fait, la propriété est passée à la fille de Krupp qui a d’abord accordé les pleins pouvoirs au conseil d’ad­ ministration de la société. Mais à la suite de Son mariage avec von Bohlen, le Président du Conseil d’Administration, la direction et la propriété du Konzern se sont trouvées de nouveau réunies. Ainsi ce facteur primordial de la vie économique allemande, en dépit de la forme de la société anonyme, est en fait un Konzern personnel et familial. Au cours de la guerre, d’ailleurs, différentes mesures ont été prises pour garantir le caractère « familial * de cette firme qui était une des « protégées * du régime hitlérien. G. — Le Konzern Siemens, également i mi-chemin entre le Konzern personnel et le Konzern impersonnel, a une constitution très complexe et des liaisons internationales importantes. Il mé­ rite d’être examiné de près parce qu’il montre bien comment le grand capital allemand et, à ses côtés, le capital international continuent sous le nazisme a dominer toute l’économie allemande. Le Konzern Siemens est formé de deux sociétés à participa­ tions majoritaires réciproques : Siemens et Halske A. G. et Sie­ mens Schuckert G. M. B. H. La firme Siemens et Halske A. G., société de fabrication (com­ me la Siemens Schuckert d’ailleurs) qui au moment de la guerre avait une dette de 10 millions de dollars-or vis-à-vis de l’Interna­ tional General Electric Co. Inc. New-York (filiale de la General Electric Co. de New-York) a pour filiales : Siemens Bau-Union, société de constructions (participation minoritaire de Siemens

288

L’éCONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

Schlickert), Industrie Unternehmung A. G., dite € Inag s, Siemens Reiniger-Werke A. G., Heraeus Vacuumschmelze A. G., Teleph. Apparat-Fabrik G. M. B. H., Protos Telephon G. M. B. H. (avec des usines à Berlin, Breslau, Düsseldorf), Niedersäochs, Telephon G. M. B. H., Ozon G. M. B. H., Telefunken G. M. B. H. (1), Polizeiruf G. M. B. H., Norddeutsche Seekabelwerke A. G. (société de cables sous-marins) qui a pour filiale : Felten und Guillaume, Siemens Apparate und Maschinen G. M. B. H., Siemens-Planiawerke A. G. (charbons). D’autre part, Siemens et Halske a des participations minoritaires à Osram G. M. B. H. (participations aussi d’A. E. G. et de Inter-Gen. Electric Co. Inc.), Deutsche Betriebs Gesel. für Drahtlose Telegraphie G. Μ. B. H. (25 % à A. E. G.), Vereinigte Bayer Telephonwerke et à une dizaine d’autres sociétés. 11 faut mentionner encore, en raison de son importance, la participation à Elek. Licht und Kraft Anlagen Berlin, à laquelle Siemens et Halske est aussi liée par contrat. Cette participation est impor­ tante parce que le holding qu’est Elek. Licht und Kraft a pour filiales : Cassirer und Co., Stock und Co. A. G. (à Berlin), Gesel. für Elektrizitarswerke (holding suisse qui domine la compagnie espagnole Chade et la compagnie belge Sidro). En outre, Elek. Licht und Kraft participe en Allemagne à un holding, à une entre­ prise de fabrication électrique, à une société de tramways et à onze sociétés de distribution d’électricité. Enfin, Siemens et Halske participait à la Compagnie Générale de Télégraphie et de Téléphone de Paris, Siemens Brothers and Co. Ltd. Londres, Elektro-Techna A. G. à Prague, Olap S. A. à Milan (majorité), Sirti à Milan, Griech. Telefon A. G. à Athènes (majorité), Opticolor A. G. en Suisse, Fernkabel G. M. B. H. à Pra­ gue, Cie Internationale de Telefonos à Buenos-Ayres (majorité). Si nous passons à Siemens-Schuckert, nous voyons que celleci a pour filiales : Heliowattwerke Elektriztäts A. G. (par l’inter­ médiaire de Elek. Licht und Kraft), Siemens Elektrowärme G. M. B. H., Isaria Zählerwerke A. G. (machines à calculer), Protos G. M. B. H. (appareils électriques ménagers), Ruthsseicher G. M. B. H. , Siemens-Lurgi-Cottrel Elektrofilter G. M. B. H. (50 % et 50 % à Metall. Ges. A. G.). Siemens-Schuckert participe aussi à Berg­ mann Elek. et à sept sociétés de distribution. Enfin, SiemensSchuckert participait à Oesterr. S. S. Werke à Vienne (majorité) ; cette firme participant elle-même à : Siemens Elek. A. G. à Pra­ gue, S. S. Elektr. A. G. à Budapest, Elek. A. G. Siemens à Sofia, Siemens A. G. en Yougoslavie, Rumân. Elektr. Gesel. S. S. A. G. à (1) La participation à Telefunken (Radio-électricité) est de 50 % ; les autres 60 % appartiennent à TA.E.G.

ANNEXES

289

Bucarest, à Polnische Kabelfabrik à Varsovie, à Fuzi Denki Seizo K. K. à Tokio, à Soc. Elect. Métalurgica Argentina A. G. BuenosAyres, à Int. Benson Patent Verwertungs A. G. à Zurich (50 %), à Int. Jungstromturbinen Union A. G. à Bâle, Virumaa Elektri. S. A. à Talinn (majorité), et à Siemens Industria Electr. S. A. à Ma­ drid (majorité). On voit la puissance énorme de ce Konzern, propriété de la famille Siemens, qui domine l’industrie électrique en Allemagne, et qui contrôle de nombreuses branches annexes non seulement en Allemagne mais aussi à l'étranger.

ANNEXE II La Brabag et la Kontinental Oel A. G. Voici dans les grandes lignes, l’origine et le fonctionnement de la Brabag et de. la Kontinental Oel A. G. : A. — La Brabag a été fondée par un arrêté du 23 Octobre 1934 (comme suite à une ordonnance du 28 Septembre 1934) qui décide de la constitution d’une société d’intérêts communs de toutes les entreprises de lignite, société d’intérêts communs desti­ née elle-même à financer la Brabag (capital de 100 millions RM.) constituée sous forme de société par actions pour la production de carburants et d’huiles de graissage en partant de la lignite. Cet arrêté a été pris à la demande des grosses entreprises de lignite (notamment de la Rheinische A. G. für Braunkohlenbergbau et de la Roddergrube A. G.) très tentées de s’ouvrir ce nou­ veau débouché, mais n’osant pas avancer elles-mêmes tous les fonds. Ces grosses entreprises avaient autrefois fait deux tentati­ ves pour créer en Allemagne une industrie de l’essence synthéti­ que (cartel de l’essence synthétique, dissous avant même d’avoir fonctionné, et usine Leuna qui a fonctionné, mais qui, après avoir été au bord de la faillite, a dû être renflouée par l’Etat). Cette troisième tentative devait, enfin, être couronnée de succès. Grâce à l’intervention de l’Etat, aux droits de douane à l’impor­ tation de l’essence naturelle, aux subventions, à la participation forcée de toute l’industrie de la lignite à la Brabag, celle-ci a pu fonctionner et même être très rentable. Ainsi l’intervention de l’Etat a eu pour résultat de donner naissance à un nouveau Konzern privé, sur lequel il dispose, il est vrai, d’un certain droit de contrôle. Ce droit est un droit de veto du ministre de l’écono­ mie contre < les décisions et les ordres de l’assemblée générale des actionnaires et du conseil d’administration quand il l’estime né­ cessaire dans l’intérêt du Reich et du peuple ». A vrai dire, l’arrêté de fondation de la Brabag n ’a joué qu’un rôle secondaire dans la formation de ce Konzern; ce qui a joué un rôle décisif, c’est le protectionnisme douanier, selon la méthode classique pratiquée depuis Colbert (car il ne s’agit pas ici d’un protectionnisme de dumping). On a la preuve de cette affirmation dans le développement libre des Konzern concurrents. Ainsi, en février 1937, sept entreprises rhénanes de lignite ont formé libre­ ment une société commune pour la production d’essence synthé­ tique, la < Union » Rheinische Braunkohlen Kraftstoff A. G. au

ANNEXES

291

capita] de 45 millions RM., dont les principaux actionnaires sont Rheinische A . G. für Braunkohlenbergbau (avec 19,22 millions d’actions) et Roddergrube (avec 14,81 millions) ; les cinq autres entreprises n’ayant que de petits paquets d’actions. Cette cUnion»f qui est un Konzern purement privé, s’est considérablement déve­ loppée. Outre son capital, il dispose au début de la guerre de 45 millions de réserves, de 105 millions versés par des obligatai­ res (1), d’emprunts à court terme (se montant en 1938 à 20 mil­ lions). Enfin, fait à souligner, l’Union a acquis dès 1938 pour 26,3 millions RM. d’actions de la Brabag. Elle dispose donc, dès cette époque, de plus du quart des actions de la Brabag. En dehors de YUnion, d'autres sociétés se sont formées pour la production de l’essence synthétique, notamment : la Chemische Werke-Essener Steinkohlen A. G., filiale commune de YEssener Steinkohlenbergwerke et du Harpener Bergbau A. G. (du Flick Konzern), la Gelsenkirchen Benzin A. G., patronnée par les Verei­ nigte Stahlwerke, la Hydrierwerke Politz A. G. (patronnée par 17. G. Farben-lndustrie et accessoirement par la Deutsch-Amerika­ nische Petroleum Gesellschaft) et la Krupp Treibstoff werke G. 3f. B. H. (filiale de Krupp). Ceci montre que l’intervention de l’Etat dans la formation de la Brabag n’a eu qu’un rôle accessoire, puisqu’aussi bien d’autres sociétés privées importantes pour la production de l’essence syn­ thétique ont pu se former sur la base de l’initiative privée. L’E tat n’est intervenu que pour aider les deux principaux producteurs de lignite à réunir des moyens financiers suffisants pour la mise en œuvre de leur projet, tout le bénéficee de l’opération reste, d ’ailleurs, au capital privé. B. — Au cours de la guerre, a été fondée, avec l’appui de la participation de l’Etat, la « Kontinental Oel A. G. » société d’inté­ rêts communs de l’industrie pétrolifère allemande, au capital de 50 millions. Le conseil d’administration de cette société était com­ posé, en outre de représentants de l’Etat, de représentants de la fabrication de carburants synthétiques, de la houille, de la lignite et des banques. Les principales firmes représentées au conseil d’administration étaient : la Deutsche Erdöl (pétrole allemand), 17. G. Farbenindustrie, Braunkohlenbenzin Gelsenkirchen, Deuts­ che Bank, Dresdner Bank Berliner Handels-Gesellschaft, etc... La société avait essentiellement pour but l’acquisition de participa­ tions aux sociétés pétrolières étrangères, elle était essentiellement un instrument mis au service de l’expansion du capital allemand. (1) U y a eu deux émissions en Bourse, une en Février 1937. pour 45 millions à 5 %, Pautre en Août 1940. pour 60 millions à 4^ %.

ANNEXE III Les grandes banques. A. — La C o m m e a z b a n k . En ce qui concerne l’activité bancaire, les chiffres dont on dispose — et ce sont les principales données utilisables — per­ mettent seulement de donner une idée de la puissance d’action des différentes banques, ils ne permettent pas de préciser dans quelles branches d’industrie chacune d’elles déploie son activité ; seules des indications partielles permettent de le savoir. C’est ainsi que l’on sait que la Commerzbank est intéressée aux industries extractives et chimiques, notamment à l’industrie de la potasse. Au cours .de la crise, la Commerzbank avait été durement touchée, l’Etat avait dû intervenir pour la soutenir ; à ce titre il avait acquis une participation au capital de cet établissement. En 1937, le gouvernement national-socialiste a restitué au capital privé cette part du capital bancaire qui avait été « nationalisée i. A la veille de la guerre, le capital-action de la Commerzbank était de 80 millions RM. En Mars 1941, il a été porté à 100 millions RM. Comme on sait, ta puissance d’action d’une banque ne se mesure pas tant au montant de son capital qu’au montant de ses comptes créditeurs, car c’est avec l’argent de ses déposants qu’elle travaille. De 1932 à 1943, les comptes créditeurs de la Commerzbank ont évolué comme suit :

1932 992

Comptes créditeurs de la Commerzbank (en millions RM.) 1937 1938 1934 1935 1936 1933 926

971

*996

1059

1940

1941

1942

1943

1764

2284

2581

3164

962

1112

1939 1266

Ainsi, de 1933 à 1943, les somme déposées auprès de la Com­ merzbank (sans tenir compte ni des dépôts d’épargne ni des dépôts à vue) se sont accrues de 242 %. On notera qu’au cours des six années 1933-1939, l’augmentation des comptes-créditeurs a été de 37 %, alors qu’elle a été de près de 150 % au cours des années de guerre 1939-1943. Ceci montre l’accroissement de puissance résul­ tant pour les banques de l’inflation de crédit. De plus en plus, la structure du bilan de la Commerzbank,

ANNEXES

293

comme de toutes les banques, s’est trouvée profondément modifiée, ce qui traduit les modifications qui, sous l’effet de la guerre, se sont produites dans l’économie. Ainsi, le portefeuille « effets » (1) de la Commerzbank passe de 225 millions en 1933 à 400 millions en 1939 et à 454 millions en 1943. La progression à partir de 1939 est lente, par rapport à la progression des disponibilités de la banque ; aussi bien, ce portefeuille qui, en 1933, équivalait à 24 % du montant des comptes-créditeurs et, en 1939, à près de 30 % de ce montant, n’en représente plus que 14 % en 1939. Par contre, le montant des Bons du Trésor détenu par la Commerz­ bank passe de 105 millions en 1933 à 370 millions en 1939 et à 2.298 millions en 1943, soit, successivement à 11 %, 29 % et 72 % du montant des comptes créditeurs. Par conséquent, tandis que les créances détenues par la banque sur l’industrie et le com­ merce (2 ) progressaient, mais lentement, les créances détenues sur l’Etat (3) augmentaient à un rythme de plus en plus accéléré. Ce qui traduit, en définitive, la dépendance croissante de l’Etat nazi à l’égard du système bancaire. Ce phénomène d’une extrême importance est corrélatif à l’enrichissement de l’industrie privée et à l’endettement de l’Etat. B. — L a D resdner B ank.

La Dresdner Bank, plus importante que la Commerzbank, s’est également trouvée en difficulté au cours de la crise ; elle a été renflouée par l’Etat dans les mêmes conditions que la précé­ dente et, fin 1937, aussi, elle a bénéficié des mesures de « repriva­ tisation » décidées par le gouvernement national-socialiste. La Dresdner Bank a une position particulièrement forte dans l’indus­ trie des cuirs et peaux et dans l’industrie du bois. Il s’agit, com­ me pour la Commerzbank, d’une banque à succursales multiples. La Dresdner Bank, société plus importante que la Commerz­ bank participe aussi plus qu’elle aux exportations de capitaux. Parmi les principales filiales ou participations étrangères qui ap­ partenaient à la Dredner à la veille de la guerre ou acquises (1) Ce portefeuille comprend des effets de commerce et un certain nom­ bre d’effets publics à court terme, la proportion des uns et des autres n'étant pas précisée · (2) En réalité, nous l’avons dit dans la note précédente, le portefeuille « effets > est loin d'être constitué uniquement par des créances sur le com­ merce et l'industrie ; par contre, des créances de cette sorte sont représen­ tées par les comptes débiteurs et les avances sur stocks. Pour ces créances on constate une évolution analogue à celle du portefeuille effets ; les < débi­ teurs s régressent même en valeur absolue de 1933 à 1939, où ils tombent de 706 à 652 m illions RM, ils progressent par contre de 1940 à 1943, puisqu’ils assent (avances sur stocks comprises) de 522 & 932 m illions (30 % et 29 % es créditeurs). (3) Une partie de ces créances est également inscrite au portefeuille « titres » ; nous n’analyserons pas tous ces chiffres.

§

2*4

L’ÉCMOlflS AII taMIME SOUS LB IUCSI1S

par elle au cours de la guerre il faut citer : en Autriche, la Laenderbank (qui contrôlait de très nombreuses affaires bancaires et industrielles dans toute l'Europe Centrale et qui est le résultat de la fusion de deux grandes banques viennoises, la Zentraleuropaeische Bank et la Mercur Bank) ; en Tchécoslovaquie,. la Boehmische Eskompt Bank, au capital de 100 millions de cou­ ronnes, dont 6 6 % sont à la Dresdner ; en Roumanie, la Rumaenische Bankanstalt ; en Slovaquie, la Deutsche Handels und Kredit Bank, qui, en Décembre 1940, a porté son capital de 3,75 à 30 millions de couronnes, et qui s’est incorporée la Zipser Bank et la Gerehater Bank ; au Luxembourg, la Banque Internationale du Luxembourg ; en Alsace, la Banque Centrale d’Alsace (Strasbourg, Metz, Saarbourg, etc..,) ; en Belgique, la Continentale Banck S. A. ; en Hollande, la Haendelstrust West N. V. ; en Amérique du Sud, la Deutsche Sud·Amerikanische Bank ; en Egypte, deux filiales, etc. A la suite de la conquête de la Pologne, la Dresdner y avait ouvert des succursales à Katowitz, Teschen, Lodz, etc... (1) En Avril 1941, le conseil d’administration de la Dresdner Bank a été autorisé à porter le capital-actions de 150 à 200 mil­ lions RM., mais ici, comme dans le cas de la Commerzbank, c’est évidemment l’évolution des créditeurs qui doit nous retenir. Ceuxci ont évolué comme suit : Comptes-créditeurs de la Dresdner Bank (en millions RM.) 1932

1933

1934

1935

1936

1937

2.505 1938

2.175 1939

2.038 1940

1.782 1941

L8Ö5 1942

£860 1943

£035

2.389

3.156

£ÜÖ

4.121

£eöe

On est en présence d’une évolution du même ordre que celle constatée pour la Commerzbank, avec toutefois cette différence que le montant des comptes-créditeurs a diminué plus longtemps et a mis plus de temps à rejoindre le niveau de 1932. Cette différence est sans doute liée à la différence des champs d’activité des deux instituts de crédit.

(1) On peut encore citer comme filiales : la Südbank (Belgrade), la Böhmische Escomptebank, lOstbank (Posen), la Kommeraialbank (Cracovie), la Deutsche-Handelsund Kredibank (Presbourg), la Kroatische Landesbank (Agram), la Griechisch-Deutsche Bank, la Finanzierangsgesellschaft, la Unga­ rische Allgemeine Creditbank.



AVNEXSS

C. — L a B e r l i n e r H a n d e l s g e s e l l s c h a f t . La Berliner Handelsgesellschaft, société en commandite au capital de 28 millions RM. est beaucoup moins importante que les banques précédentes. Toutefois, on a l'habitude de la compter parmi les grandes banques. Ses comptes-créditeurs ont évolué comme suit : Comptes-créditeurs de la Berliner Handelsgesellschaft (en millions RM.) 1937 1938 1936 1939 1933 1934 1935 1932 253

204

199

198

207

~2Ü

1940

1941

1942

1943

239

”268

428 469 482 338 On notera que pour cette banque, aussi, le recul des < crédi­ teurs > s'est poursuivi en 1934 et 1935, mais que, dès 1936, le niveau de 1933 était dépassé.

Λ Au total, le montant des compte-créditeurs gérés par les grandes banques privées est passé de 5.915 millions en 1933 à 7.160 millions en 1939 et à 14.835 millions en 1943.

ANNEXE IV Les banques de garantie.

Une des premières banques de garantie, disparue en 1934, est la Garantie und Akzeptbank, fondée en Juillet 1931 (devenue en 1933 ΓAkzeptbank au capital de 200 millions R.M., dont 80 souscrits par le Reich, 12 par l’Etat prussien, le reste par des grandes banques privées et publiques). Pratiquement, l’Etat déte­ nait la majorité dans cette banque qui donnait sa garantie aux billets de mobilisation des crédits gelés des grandes banques, per­ mettant de cette façon à celles-ci d’escompter ces billets à la Reichsbank. C’est également dans le but de faire supporter par l’Etat une partie des créances gelées des banques privées qu’a été fondée une banque comme le Deutsche Finanzierung Institut — (Definag) — au capital de 30 millions souscrits par 1’Akzeptbank, la Goldiskontobank et YOeffa. (dont nous parlerons dans un instant) ; il en est de même, encore, de la Tilgungkasse (Tilka) ou caisse d'amortissement pour les crédits à l’industrie (caisse qui n’a d’ail­ leurs même pas la forme juridique d’une banque). La Definag et la Tilka ont à leur tête un des directeurs de la Reichsbank. Tandis que les instituts publics que nous venons d’examiner ont pour rôle de garantir d"anciennes créances bancaires, même les plus douteuses, les instituts dont nous allons parler mainte­ nant ont pour rôle de fournir aux banques privées une garantie à l’occasion de crédits qu"elles vont accorder. Elles ont joué un rôle essentiel dans le mécanisme de Yinflation de crédit, qualifié de préfinancement (Vorfinanzierung). Parmi les banques chargées de cette tâche, certaines sont anté­ rieures au régime nazi, telle la Oeffa (Bank für Öffentliche Arbei­ ten) ; banque de travaux publics, dont le capital était au moment de la guerre de 150 millions RM. et qui a été créée par le gouver­ nement von Schleicher. D’autres, sont postérieures au nazisme, telle la Bank der Deutschen Arbeit, qui, à l’origine a travaillé sur­ tout comme banque de garantie. Au total, il existait une douzaine de banques de ce genre : Deutsche Bau und Bodenbank (banque foncière e t immobilière), Deutsche Verkehrskreditbank (banque de crédits aux transports), Bank für Deutsche Industrie-Obligationen (banque pour les obli­ gations industrielles), etc. ; un rôle particulièrement important a été joué par les trois organismes d"acceptation chargés de l'ap­ provisionnement des chemins de fer, de la poste et du service des autos trades.

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B a lla n d e . —

298

L’iC O N O W E ALLEMANDS SOUS LB NAZISMS

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(1) Cf., notamment, le Sonderheft 29 pour révolution des salaires el de la productivité du travail jusqu'à la crise et le Sonderheft 31 pour les principaux aspects de l’histoire économique de l’Allemagne de 1880 à 1932· (2) Cf. notamment, les livraisons ae 1939 à 1941 pour les questions d’autarcie et de « suffisance alimentaire ».

TABLES DES MATIERES Pages

Préface ........................................................................................... In

t r o d u c t io n

........................................................................................................................................ P

Ch

r e m iè r e

P

a r t ie

:

LA DYNAMIQUE ECONOMIQUE. — La dynamique de Véconomie allemande de I860 à Î988 et la montée au pouvoir du national-socialisme .............................. Section I. — De 1860 à 1913................................................ Section II. — De 1913 à 1933 ............................................ 1) Agriculture................................................................. 2) Industrie .................................................................... 3) Relations économiques avecl’étranger ...................... 4) Situation financière................................................... 5) L’étranglement du marché intérieurallemand........... Vue d’ensemble.......................................................... Section III. — Montée au pouvoir du national-socialisme ..

a p it r e

u n iq u e

.

D

e u x iè m e

P

a r t ie

h a p it r e

p r e m ie r

1

1 6 6

7 11 13 17 20 23

:

STRUCTURE DE L’ECONOMIE ALLEMANDE. . — Vue d'ensemble sur la structure écono­ mique et sociale ..... ....................... Section I. — Les villes et les campagnes............................... Section II. ·— Importance relative des différentes classes sociales........................................................ Section III. — Répartition de la propriété........................... C h a p i t r e I I . — Propriété privée et propriété capitaliste Section I. — La propriété privée.......................... 1) A la campagne............................................ 2) A la v ille .................................................... Section II. — La propriété capitaliste.................................. 1) La nature de la propriété capitaliste .................... 2) Les droits de l’entrepreneur à l’intérieur de l’entre­ prise ......................................................................... 3) Les droits de l’entrepreneur dans les rapports de l’entreprise avec l’extérieur..................................... C h a p i t r e III. — La concentration économique : les cartels et les tru sts.......................................; ......................... Section I. — Tableau d’ensemble de la concentration......... 1 ) Les sociétés par actions ......................................... 2) Les sociétés à responsabilité lim itée....................... Section II. — La concentration des trusts et des cartels---1 ) Historique ...............................................................

C

I XI

29 30 32 34 35 35 35 37 42 44 47 49 61 61 62 63 65 66

300

L’éCONOMIB ALLEMANDE SOUS LE NAZISME

Pages

2) Les Konzern depuis la prise du pouvoir par le na­ tional-socialisme .............................................................. 3) Les cartels depuis 1933 ............................................... Section III. — Liaisons avec le capital é tr a n g e r .................. 1) Les investissements é tra n g e rs......................................... 2) Les cartels in ternationaux..............................................

IV. — Les grandes banques et les compagnies d’assu­ rances ................................................................ Section I. — Les grandes banques......................................... Section IL — Les compagnies d’assurances ........................ Section III. — La puissance effective du capital financier .. 1) Capital financier et capital industriel..................... 2) L’Etat et le capital financier .................................. C h a p i t r e V. — Mesures de concentration et d’organisation écono­ mique ................................................................... Section I. — Mesures ayant contribué à la concentration économique .................................................... 1) Les reprivatisations .................................................. 2) L’ « aryanisation » de l’économie........................... 3) La spécialisation des Konzern .................................. 4) L’expulsion des petits entrepreneurs........................ Section II. — Les groupes économiques............................... 1) Organisation .............................................................. 2) Fonctions................... ................................................ 3) La participation des différents patrons à la marche des groupes .............................................................. Section III. — L’organisation de l’agriculture'.................... 1) La structure des Reichsnährstand ........................... 2) Les fonctions................................................ ..............

68 72 78 78 79

C h a p it r e

T

r o is iè m e

P

a r t ie

83 85 88

92 92 97 111 111 112 112

113 113 115 116 116 120

122 123 123

:

ETAT ET ECONOMIE.

— L’intervention de l’Etat dans la vie écono­ mique allemande...................................... Section I. — Les entreprises publiques dans la production . . 1 ) Les entreprises publiques ......................................... 2) Les principaux Konzern publics............................... Section II. — L’activité bancaire de l’E ta t........................... 1) La Reichsbank........................................................... 2 ) Les établissements publics de dépôts de crédits et d’acceptation.............................................................. Section III. — La réglementation des prix et des salaires... 1 ) Les prix ..................................................................... 2 ) Les salaires................................................................ Section IV. — Les organes du plan de quatre ans et l’éco­ nomie de guerre............................................. C h a p i t r e II. — L’Etat et les relations de l’Allemagne avec le mar­ ché mondial ........................................................ Section I. — Le contrôle des changes................................... Section II. — Les offices d’importations............................... C h a p it r e

p r e m ie r

.

131 134 135 137 141 141 145 151 151 156 158 163 167 170

TABLE DES MATIÈRES

Section III. — Les accords de paiement .................................. Section IV. — Intervention de l’Etat en faveur des expor­ tateurs ................................................................ 1) Les « succédanés > de la dévaluation.......................... 2) L’utilisation des accords de clearing ........................

C

301

Pages 172 174 174 177

Section V. — Mesures en faveur des exportations de ca­ pitaux ................................................................... h a p i t r e III. — Vue d'ensemble sur le rôle de l'E tat .................. ♦1) Production et tra n s p o rts ...............................................

183 189 189

2) Le crédit .................................................................... 3) Les prix et les salaires ................................................. 4) Le profit.....................................................................

192

5) Les relations économiques internationales.......... .......

196

Q

u a t r iè m e

P

a r t ie

191 193

:

L’EVOLUTION DE L’ECONOMIE ALLEMANDE SOUS LE NAZISME. C h a p itre

p re m ie r.

— La politique économique du nationalsocialisme et l'évolution de la situation de l'industrie ............................................. 199

Section I. — L'ouverture par l’Etat, de nouveaux débouchés intérieurs ...................................................... 1) Les travaux p u b lic s .............................................. .......... 2) Les commandes d’arm e m e n t......................................... 3) La politique d’autarcie ................................................. Section II. — Evolution de la production in d u strie lle .......... 1) Evolution de l’indice général ..................................... 2) Production des biens de production ......................... 3) Production des biens de consommation ................... • 4) Structure industrielle ................................ 5) L'industrie allemande dans l’industrie mondiale . . . Section III. — Salaires, prix et p ro fits ...................................... 1) Chôm age...................................................................... . · 2) Taux des s a la ire s ............................................................. 3) P r i x ................................................................................... 4) P ro fits ................................................................................

199 260 201 203 206 206 207 207 208 208 209 209 209 210 211

II. — Evolution de la situation de l'agriculture ..........

215

Section I. — La production agricole ...................................... Section IL — Prix agricoles ................................................... Section III. — Revenus agricoles ..............................................

215 219 220

III. — Les débouchés intérieurs réels ........................

221

Section I. — Salaires et revenus ............................................. Section II. — Les investissements privés .............................. Section III. — Causes de la stagnation des débouchés . . . . 1) L’étroitesse du marché des c a p ita u x ..........................

222 225 230 231

C h a p itre

C h a p itre

302

l ’é c o n o m ie a l l e m a n d e s o u s l e n a z is m e

Pages 2) L’importance des émissions publiques et la situation internationale............................................................. 231 3) La stagnation des débouchés finaux ...................... 233 C h a p i t r e IV. — L9 Allemagne et le marché mondial.................... 237 Section I. — Valeur des importations et des exportations . 238 Section IL — Volume des importations et des exportations. 240 Section III. — Principales catégories d’importations et ori­ gine de ces importations............................... 242 Section IV. — Principales catégories d’exportations et desti­ nation de ces exportations ......................... 244 C h a p i t r e V. — Financement de la politique économique......... 247 Section I. — Le recours au marché monétaire et la colla­ boration de l’Etat et des banques.................... 249 1) Les traites spéciales .................................................. 249 2) Les Bons du Trésor à court term e........................... 254 3) La situation financière des banques........................... 250 Section IL — L’im pôt........................................................... 257 1) Le financement des commandes publiques par l’impôt 257 2) La tension financière croissante............................... 258 3) La politique fiscale.................................................... 259 Section III. — Le recours au marché financier et la collabo­ ration de l’Etat et du capital industriel . . . . ^61 1) Le recours de l'Etat au marché financier................. 261 2) Les mesures de réglementation ............................... 263 Section IV. — Les expédients en matière de crédit et de fis­ calité ............................................................. 265 1> Les bons d’impôts ............. 265 2) Les fonds d’immobilisation des entreprises............. 266 Section V. — Circulation fiduciaire et inflation................. 269 C o n c l u s i o n .................................................................................... 273 Annexe /. — Les principaux Konzern........................................ 283 Annexe IL — La Brabag et la Kontinental Oel A. G .................. 290 Annexe ///. — Les grandesBanques........................................... 292 Annexe IV. — Les Banquesdegarantie....................................... 296 B i b l i o g r a p h i e ............................................................ 297

31.6841 — Donllens, Impr. Ch. Dessaint — 7.466 — 4-46 — Dépôt légal (2*-46) N· d’imprimeur : 268 — N· d’éditeur : 4.