Le Transfert littéraire: Médiation éditoriale du roman contemporain allemand et français en Italie (2005–2015) 3515132023, 9783515132022

En étudiant la littérature traduite, deux questions s'imposent d'emblée : pourquoi certains livres n'ont

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Table of contents :
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
Problématique
Théorie et méthode
Sources
Précisions
PREMIÈRE PARTIE: Le champ éditorial italien.
Constantes, tensions et dynamiques
1. LE CHAMP ITALIEN : UN MARCHÉ DU LIVRE MONOPOLISÉ ET EN TRANSFORMATION
1.1 INTRODUCTION. DÉLIMITER UN CHAMP : INTÉRÊTS ET LIMITES
1.2 COMBIEN D’ÉDITEURS ?
1.3 LES GROUPES : CONCENTRATION, DIVERSIFICATION, INTERNATIONALISATION
1.4 LA FRANGE : NOUVEAUX ENTRANTS, SPÉCIALISATION ET « COURAGE »
1.5 LES PLATEFORMES DU DÉBAT : DÉMOCRATISATION ET ANTAGONISMES
2. TRADUIRE LE ROMAN CONTEMPORAIN : QUELS INTÉRÊTS ?
2.1 INTRODUCTION. UN ÉTAT DE CRISE PERMANENTE
2.2 COMBIEN TRADUIRE
2.3 LA CONCURRENCE : CAPITAL ÉCONOMIQUE ET CAPITAL CULTUREL
2.4 LES PARIS PRUDENTS DES GRANDES MAISONS
2.5 FINANCES ET FINANCEMENTS
2.6 PROJETS ET STRUCTURES
DEUXIÈME PARTIE: Les traductions de l’allemand et la médiation éditoriale d’Uwe Timm
3. LE ROMAN ALLEMAND EN ITALIE : UNE LITTÉRATURE INVISIBLE
3.1 INTRODUCTION. LA LITTÉRATURE ALLEMANDE S’ARRÊTE-T-ELLE AU XXÈME SIÈCLE ?
3.2 LES CHIFFRES – PUBLIER SANS VENDRE
3.3 LES PASSEURS – DES MODALITÉS DIVERSES
3.4 LES AUTEURS : UNE AUTRE PERSPECTIVE
4. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’UWE TIMM EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE
4.1 INTRODUCTION
4.2 DE FOURREUR À ROMANCIER
4.3 UWE TIMM EN ALLEMAGNE : DE L’OPPOSITION À LA CONSÉCRATION
4.4 UWE TIMM EN ITALIE, RECONNU ET MÉCONNU
4.5 CONCLUSION : DEUX ASCENSIONS POSSIBLES
TROISIÈME PARTIE: Les traductions du français et la médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère
5. LE ROMAN FRANÇAIS EN ITALIE : UNE PRÉSENCE DISPERSÉE
5.1 LE LIVRE FRANÇAIS À L’ÉTRANGER : MISSION POLITIQUE, OBJET D’ÉTUDE, PROJET CULTUREL
5.2 LES CHIFFRES. LA FIN DE LA « PRIMAUTÉ » ?
5.3 LA POLITIQUE CULTURELLE : DIFFUSER LA LANGUE ET LA CULTURE FRANÇAISES
5.4 LES SPÉCIALISTES : RECHERCHE, UNIVERSITÉ ET PRESSE SPÉCIALISÉE
5.5 LES ÉDITEURS. ENTRE SPÉCIALISATION ET GÉNÉRALISME
5.6 LES AUTEURS
6. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’EMMANUEL CARRÈRE EN FRANCE ET EN ITALIE
6.1 NAISSANCE D’UN BEST-SELLER (1983–1995)
6.2 TROUVER SA VOIX : LA NON-FICTION ET L’EMPLOI DU ‘JE’ (2000–2009)
6.3 DU PHÉNOMÈNE LITTÉRAIRE À LA CONSÉCRATION : LIMONOV ET LE ROYAUME
6.4 EMMANUEL CARRÈRE EN ITALIE : UNE MONTÉE DE MAISON EN MAISON
6.5 CONCLUSION : ALLIANCES ET MÉDIATIONS
CONCLUSION
ANNEXE 1
ANNEXE 2
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ
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Le Transfert littéraire: Médiation éditoriale du roman contemporain allemand et français en Italie (2005–2015)
 3515132023, 9783515132022

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Barbara J. Bellini

Le Transfert littéraire Médiation éditoriale du roman contemporain allemand et français en Italie (2005–2015)

Franz Steiner Verlag

Studien zur Übersetzungsgeschichte

3

Studien zur Übersetzungsgeschichte Herausgegeben von Andreas Gipper, Lavinia Heller und Robert Lukenda Wissenschaftlicher Beirat: Lieven D’Hulst, Michael Schreiber, Michele Sisto Band 3

Le Transfert littéraire Médiation éditoriale du roman contemporain allemand et français en Italie (2005–2015) Barbara J. Bellini

Franz Steiner Verlag

Umschlagabbildung: Claudius Ptolemaeus: Cosmographia. Lateinische Übersetzung von Jacobus Angeli. Herausgegeben von Nicolaus Germanus. Ulm: Lienhart Holl, 16.VII.1482. Staatsbibliothek zu Berlin – Preußischer Kulturbesitz, 2° Inc 2640 Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek: Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über abrufbar. Dieses Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist unzulässig und strafbar. © Franz Steiner Verlag, Stuttgart 2022 Druck: Beltz Grafische Betriebe GmbH, Bad Langensalza Gedruckt auf säurefreiem, alterungsbeständigem Papier. Printed in Germany. ISBN 978-3-515-13202-2 (Print) ISBN 978-3-515-13205-3 (E-Book)

SOMMAIRE Remerciements .................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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INTRODUCTION ............................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Problématique ............................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Théorie et méthode ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sources ....................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Précisions .................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

13 17 21 27

PREMIÈRE PARTIE Le champ éditorial italien. Constantes, tensions et dynamiques 1. LE CHAMP ITALIEN : UN MARCHÉ DU LIVRE MONOPOLISÉ ET EN TRANSFORMATION ................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5

Introduction. Délimiter un champ : intérêts et limites . . . . . . . . . . . . . . . . Combien d’éditeurs ? ................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les groupes : concentration, diversification, internationalisation . . . La frange : nouveaux entrants, spécialisation et « courage » . . . . . . . . . . Les plateformes du débat : démocratisation et antagonismes . . . . . . . .

35 36 41 55 67

2. TRADUIRE LE ROMAN CONTEMPORAIN : QUELS INTÉRÊTS ? . . 79 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 2.6

Introduction. Un état de crise permanente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Combien traduire .................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 La concurrence : capital économique et capital culturel . . . . . . . . . . . . . . 86 Les paris prudents des grandes maisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Finances et financements ............ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Projets et structures .................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

6

Sommaire

DEUXIÈME PARTIE Les traductions de l’allemand et la médiation éditoriale d’Uwe Timm 3. LE ROMAN ALLEMAND EN ITALIE : UNE LITTÉRATURE INVISIBLE ................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 3.1 Introduction. La littérature allemande s’arrête-t-elle au XXème siècle ? .................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 3.2 Les chiffres – Publier sans vendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 3.3 Les passeurs – Des modalités diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 3.4 Les auteurs : une autre perspective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 4. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’UWE TIMM EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE ............................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 4.1 4.2 4.3 4.4 4.5

Introduction ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 De fourreur à romancier .......... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 Uwe Timm en Allemagne : de l’opposition à la consécration . . . . . . . . 186 Uwe Timm en Italie, reconnu et méconnu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 Conclusion : deux ascensions possibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232

TROISIÈME PARTIE Les traductions du français et la médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère 5. LE ROMAN FRANÇAIS EN ITALIE : UNE PRÉSENCE DISPERSÉE . . 241 5.1 Le livre français à l’étranger : mission politique, objet d’étude, projet culturel ....................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 5.2 Les chiffres. La fin de la « primauté » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 5.3 La politique culturelle : diffuser la langue et la culture françaises . . . 248 5.4 Les spécialistes : recherche, université et presse spécialisée . . . . . . . . . . 253 5.5 Les éditeurs. Entre spécialisation et généralisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 5.6 Les auteurs ........................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307

Sommaire

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6. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’EMMANUEL CARRÈRE EN FRANCE ET EN ITALIE .................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 6.1 Naissance d’un best-seller (1983–1995) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 6.2 Trouver sa voix : la non-fiction et l’emploi du ‘je’ (2000–2009) . . . . . . 324 6.3 Du phénomène littéraire à la consécration : Limonov et Le Royaume ............................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331 6.4 Emmanuel Carrère en Italie : une montée de maison en maison . . . . 342 6.5 Conclusion : alliances et médiations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363

CONCLUSION ................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367 Annexe 1 ..... ..................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 Annexe 2 ..... ..................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379 Bibliographie ..................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 409 Table des matières ............................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437 Résumé ...... ..................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 443

REMERCIEMENTS La préparation du présent travail n’aurait pas été possible sans le soutien de plusieurs personnes et institutions qui ont démontré leur intérêt et leur confiance en ce projet. Pour la création des conditions matérielles nécessaires à la réalisation des recherches je remercie l’équipe du programme Inspire, qui a mis en place le cofinancement de la Commission européenne et l’USPC à la base du contrat doctoral dont j’ai profité au cours de ces trois années. Pour m’avoir accueillie quand je faisais mes premiers pas dans le milieu académique français, je remercie les membres de l’école doctorale 625, en particulier ses directrices Aliyah Morgenstern et Florence Baillet, qui m’ont encouragée dès le début du doctorat et jusqu’à sa fin. Je remercie l’équipe CEREG, qui m’a donné la possibilité de travailler en son sein, ainsi que Svetla Moussakova, qui m’a introduite à la Sorbonne Nouvelle. J’adresse un remerciement plein d’admiration à mes directeurs Jürgen Ritte et Michele Sisto, qui ont accepté de guider mon travail, d’écouter mes doutes, de partager avec moi leur expertise et leur savoir. Je remercie les membres de mon comité de suivi, Bruno Blanckeman et Ada Tosatti, pour s’être intéressés à ma recherche en cours de préparation et pour l’avoir enrichie de leurs observations très pertinentes et instructives lors de notre échange de mi-parcours. Je tiens à remercier vivement aussi tous les membres du jury, qui ont pris le temps de lire mes pages et ont accepté de partager leurs considérations lors de la soutenance de thèse. Un grand merci à la traductrice Aloïse Denis, qui a relu l’intégralité de mon texte – y compris ces lignes ! – et m’a aidé à en améliorer l’expression en français. Pour m’avoir accordé les moyens d’avancer dans mon travail et de réaliser des séjours de recherche à l’étranger, je remercie l’École française de Rome, le CIERA, l’AGES, l’Italien-Zentrum de la Technische Universität Dresden, l’archive littéraire de Marbach et le personnel de la maison d’édition P. O. L., qui m’a donné accès à ses archives. Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui se sont rendues disponibles, dans le cadre des entretiens réalisés pour cette recherche, pour partager avec moi leur expérience dans le milieu éditorial : Matteo Galli, Giuliano Geri, Barbara Griffini, Francesco Guglieri, Marco Federici Solari, Lorenzo Flabbi, Margherita Carbonaro, Daniela Di Sora, Paola del Zoppo, Helena Janeczek, Fabio Gambaro, Enrico Ganni, Giancarlo Maggiulli, Roberta Gado et Nicoletta Pescarolo. Grâce à eux, ce travail est devenu au fil des années de plus en plus complexe, nuancé, vivant. Je remercie tous ceux qui ont voulu partager avec moi les années mémorables du doctorat et qui m’ont guidée, soutenue, lue et relue, conseillée, écoutée, encouragée : Matthias, Luca, Cecilia, Anna, et bien sûr mes parents, qui ont tout rendu possible. Je dédie ce travail à la mémoire de Valeria.

En dehors du monde littéraire […], il n’existe pas une seule personne qui connaisse l’horrible odyssée par laquelle on arrive à ce qu’il faut nommer, selon les talents, la vogue, la mode, la réputation, la renommée, la célébrité, la faveur publique, ces différents échelons qui mènent à la gloire, et qui ne la remplacent jamais. Ce phénomène moral, si brillant, se compose de mille accidents qui varient avec tant de rapidité, qu’il n’y a pas d’exemple de deux hommes parvenus par une même voie. Balzac, Illusions perdues

Jede Anlage ist wichtig, und sie muß entwickelt werden. Wenn einer nur das Schöne, der andere nur das Nützliche befördert, so machen beide zusammen erst einen Menschen aus. Das Nützliche befördert sich selbst, denn die Menge bringt es hervor, und alle können’s nicht entbehren ; das Schöne muß befördert werden, denn wenige stellen’s dar, und viele bedürfen’s. Goethe, Wilhelm Meisters Lehrjahre

INTRODUCTION Problématique Un parcours J’ai participé, en novembre 2019, à une rencontre du Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne, plus connu sous le nom de CIERA. Le but était d’exposer, dans un cadre bienveillant et pour un public de jeunes chercheurs, le présent projet de thèse, ses enjeux ainsi que les problèmes qu’il soulève. À cette occasion et comme j’en avais désormais l’habitude, j’ai expliqué que mon objectif était de comprendre les mécanismes derrière les traductions littéraires et que, pour ce faire, je travaillais sur les éditeurs italiens les plus engagés dans la traduction de romans contemporains français et allemands entre 2005 et 2015. Un membre du public a donc levé la main : une fois que vous aurez compris les raisons qui amènent à traduire et publier des romans étrangers, voulait-il savoir, que ferez-vous de cette information ? Il posait, en somme, une question fondamentale, simple et en même temps très complexe : pourquoi cette recherche, au fond ? Cette question a été suivie d’un débat enrichissant, qui m’a obligée à formuler une motivation forte et précise. La raison ultime de cette recherche m’était claire dès le début, certes, mais, dupe de son apparente évidence, je ne l’avais pas encore explicitée. Au cours de cinq années d’études littéraires – une licence à l’Université de Trento, puis un double master entre l’Italie et l’Allemagne –, je n’avais jamais mis en cause la légitimité des livres intégrés à mes programmes d’études. Leur existence était pour moi, en quelque sorte, donnée et acceptée a priori : trouver sans difficulté des éditions italiennes du Faust et de La Princesse de Clèves, du Zauberberg et du Voyage au bout de la nuit, me paraissait une conséquence de l’importance absolue de ces ouvrages et non pas le résultat d’une série de choix de lecteurs, d’éditeurs et de traducteurs qui avaient sélectionné, au fil des années, ces livres parmi beaucoup d’autres. Autrement dit, il me semblait que les textes traduits méritaient nécessairement de l’être, alors que les autres n’existaient simplement pas, selon des lois naturelles, mécaniques, internes à la sphère littéraire et qui m’étaient inconnues. Ce n’est qu’avec mon mémoire de fin d’études que j’ai commencé à entrevoir une autre manière d’envisager l’histoire littéraire : une histoire qui, au lieu de considérer exclusivement les livres une fois achevés, publiés, traduits et consacrés, se concentrerait plutôt sur les hésitations et les luttes de ceux qui « faisaient » ces livres – bien avant leur publication ou, dans la plupart de cas, avant leur oubli. J’ai rédigé une première version du présent projet de thèse en écrivant mon mémoire de master, et l’on y retrouve en effet les mêmes problématiques. Qui décide des livres que nous lirons et étudierons dans le futur ? Qui construit notre goût

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Introduction

et notre répertoire littéraire commun ? Il s’agissait, enfin, de percer l’idéal d’un canon incontestable, existant par lui-même, et de déceler les enjeux cachés derrière sa construction graduelle, qui n’est spontanée qu’en apparence. Cependant, ces questions générales demeuraient en quelque sorte occultées par les interrogations plus concrètes et circonstanciées du projet – des interrogations qui seront exposées dans les pages à suivre. Ce n’est donc qu’en répondant à mon collègue lors du colloque du CIERA que j’ai pu énoncer la question de recherche plus vaste que régissait mon travail : d’où viennent les livres ? À partir de là, je pouvais articuler toutes les autres questions de mon projet – le qui, le comment, le pourquoi – et les décliner selon mes domaines de compétence spécifiques, à savoir les littératures française et allemande, l’édition italienne, les traductions. Questions de recherche L’objectif de ce projet est d’identifier les éditeurs engagés dans la traduction et la publication de romans contemporains des langues française et allemande en Italie entre 2005 et 2015. En outre, le présent travail vise à reconstruire les stratégies dont ces éditeurs se servent pour construire leur identité publique et pour obtenir, grâce à leur activité de médiation, de la reconnaissance au sein du champ littéraire. Enfin, il se propose de dégager les divers usages et les valeurs attribués à la littérature traduite dans le contexte spécifique de l’édition italienne de l’extrême contemporain. Ces questions obligent celui qui s’y intéresse à se pencher sur des objets d’étude très variés. Au cours de ces années nous avons, tout d’abord, étudié la composition du marché éditorial italien et son très grand nombre d’acteurs internes et externes aux maisons : éditeurs, traducteurs, lecteurs, agents, journalistes, puis nous avons également appréhendé les pratiques et les logiques internes au travail éditorial, comme la rédaction des contrats, la répartition des fonctions et les contraintes économiques qui pèsent sur chaque maison. Parallèlement, nous avons exploré le vaste réseau des passeurs qui, en guise de complément à l’activité éditoriale, contribuent aux échanges culturels entre l’Italie, la France et l’Allemagne : les professeurs des universités, les écrivains, les responsables des centres culturels, les organisateurs de manifestations littéraires, entre autres. Ensuite, et tout au long de nos recherches, nous avons découvert la production romanesque de l’extrême contemporain en français et en allemand à travers la lecture des ouvrages les plus débattus par la critique, mais aussi par l’étude de la littérature secondaire à ce sujet, afin d’identifier les thématiques, les styles, les enjeux, en somme l’espace des possibles de cette partie de la production littéraire qui avait été presque entièrement exclue de nos programmes universitaires. Enfin, nous avons aussi observé les diverses plateformes d’expression culturelle en Italie – journaux, blogs, remises de prix – qui, tout en n’étant pas nécessairement spécifiques à la littérature traduite, sont

Introduction

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des lieux idéaux pour repérer les personnes, les discours et les ouvrages présents dans le débat intellectuel et pour les positionner les uns par rapport aux autres. Aborder une matière si vaste et si variée requiert une organisation de travail stricte et, surtout, un regard très ciblé, qui ne perde jamais de vue les interrogations initiales. Nous avons donc trouvé utile de formuler d’emblée quelques questions précises auxquelles revenir dès que le flux de la recherche risquait de nous emporter trop loin du projet d’origine. Puisque le retour à ces questions ressort, il nous semble, tout au long des analyses qui suivent, nous choisissons de les formuler brièvement au début de cette thèse : c’est une façon de guider le lecteur à travers notre parcours et nos découvertes, dans l’espoir qu’il soit aussi intrigué que nous par l’objet de cette étude, qui n’a jamais cessé de se développer et d’évoluer, afin que la démonstration en résulte aussi claire que possible. La première question sert à délimiter la matière : qui sont les protagonistes de la littérature traduite ? Il s’agit, très concrètement, d’établir une liste des éditeurs les plus actifs dans la traduction et la publication de romans contemporains français et allemands en Italie pendant la période prise en considération. Ce travail est nécessaire pour identifier ensuite, dans cette liste, les collections et leurs responsables qui, d’un roman à l’autre, construisent le répertoire actuel de la littérature issue des domaines francophone et germanophone1 en Italie. Grâce à une lecture critique des documents fournis par l’Association italienne des éditeurs, nous avons pu non seulement discerner les occurrences pertinentes parmi les très nombreuses maisons d’édition actives en Italie, mais aussi entamer une classification qui met en lumière leurs rapports réciproques, par exemple de dépendance (dans le cas des groupes éditoriaux) ou de supériorité économique (en considérant, entre autres, le chiffre d’affaires annuel de chaque maison). Les deuxième, troisième et quatrième questions s’attardent plutôt sur les modalités du travail éditorial à travers une analyse de ses structures, des critères d’évaluation des romans au sein de chaque maison d’édition et, enfin, des stratégies que chaque éditeur déploie pour atteindre son public. Ainsi, nous reconstruisons tout d’abord la chaîne des personnes et des institutions concernées par la médiation des romans à traduire : quels sont les canaux d’accès de ces livres au marché italien ? Bien avant qu’un roman ne paraisse, il traverse en effet une série variable de filtres et de lectures : des agents, des lecteurs externes, des éditeurs. Reconstituer ce parcours permet de mieux saisir le processus de sélection derrière chaque publication. Suivant la même logique, ensuite, nous interrogeons les critères que les éditeurs appliquent, de manière plus ou moins consciente, lors d’une telle sélection : quel est le poids, par exemple, des prix obtenus à l’étranger ou du nombre d’exemplaires vendus en langue originale lors de l’acquisition des droits de tra1

Nous considérons de manière systématique toutes les traductions en italien depuis la langue française et la langue allemande, quels que soient le pays de provenance des auteurs et le lieu des éditions originales. Dans ce sens, nous nous intéressons à la littérature francophone et germanophone, et non pas à la littérature « française » et « allemande ».

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Introduction

duction d’un roman ? S’il est vrai que tout éditeur cherche à atteindre un public aussi vaste que possible, il est aussi certain que chaque maison exerce son activité à sa façon, selon les goûts et les dispositions de ses responsables, certes, mais aussi selon ses possibilités économiques. Quelles catégories entrent donc en jeu ? Ce qui nous introduit à la quatrième question, qui concerne la communication entre l’éditeur et son public : une fois les livres sélectionnés, comment les faire parvenir à la communauté de lecteurs à laquelle ils sont adressés ? Selon les publics visés, les éditeurs disposent de divers moyens pour diffuser et valoriser leurs catalogues : nous présentons donc ces moyens – qui embrassent entre autres les collections, les services de presse, la publicité – pour mettre en évidence leur importance dans la construction d’un catalogue durable. Il ne suffit pas, en effet, de publier un livre pour qu’il soit connu et débattu ; au contraire, toutes les opérations de marquage éditorial et de diffusion auprès de groupes choisis de lecteurs sont essentielles pour qu’une publication puisse espérer atteindre une certaine légitimité. Deux cas d’étude nous permettront d’élucider cette question : nous observerons notamment les moyens déployés par les éditeurs d’Emmanuel Carrère et d’Uwe Timm en Italie pour tenter d’assurer leur succès auprès du public et de la critique. Enfin, la cinquième question, étroitement liée à ces problématiques, examine les intérêts plus ou moins cachés derrière chaque projet éditorial et la notion d’identité appliquée aux maisons d’édition. Nous vérifions la réalité de la crainte diffuse et souvent réitérée dans le milieu intellectuel italien : la crainte de certains que l’emprise de la logique commerciale n’efface la variété des identités éditoriales qui enrichissait autrefois le panorama culturel. Peut-on constater, à travers les traductions des romans contemporains, la survie de ce que l’on appelle la « bibliodiversité »2 ? Pour répondre à cette question, nous observons la composition et la structure des catalogues éditoriaux et cherchons en leur sein des éléments – stylistiques, thématiques, idéologiques ou autres – qui nient ou affirment l’existence d’un principe de distinction entre les maisons. L’enjeu est – il sera désormais manifeste – la possibilité même d’une logique spécifique à l’activité éditoriale au-delà des intérêts commerciaux à l’aube du nouveau millénaire.

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Le terme « bibliodiversité » indique « la diversité culturelle appliquée au monde du livre » selon divers critères, parmi lesquels on compte notamment le nombre de titres, le genre et l’origine linguistique de la production éditoriale (Denieuil, Julien : Concentration éditoriale et bibliodiversité. Quels enjeux pour le livre ?, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 125ss. ; Denieuil reprend l’étude de Benhamou, Françoise/Peltier, Stéphanie : « Une méthode multicritères d’évaluation de la diversité culturelle : application à l’édition de livres en France », dans : Greffe, Xavier (dir.) : Création et diversité au miroir des industries culturelles, Paris, La Documentation française, 2006, pp. 313– 344 ; pour une critique du statut italien de la bibliodiversité, v. Di Vita, Federico : Pazzi scatenati. Usi e abusi dell’editoria italiana, Orbetello, effequ, 2011).

Introduction

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Théorie et méthode La littérature traduite comme système L’objet principal de cette étude est donc la littérature traduite ou, mieux, les littératures traduites, et ceux qui participent à sa production. Mobiliser la notion de littérature traduite signifie s’inscrire dans le sillage des travaux d’Itamar Even-Zohar, qui a élaboré ce concept en premier dans les années soixante-dix. Il proposait de considérer les ouvrages traduits non pas comme des produits isolés les uns des autres et étrangers au corpus de la littérature en langue originale, mais plutôt comme un système, plus ou moins unitaire, à l’intérieur du polysystème littéraire de la langue cible3. L’avantage de cette approche, dans le cadre du présent travail, est double. D’une part, en isolant le corpus spécifique des livres traduits, elle permet de dépasser l’opposition nette entre littérature nationale et littérature étrangère. En effet, ces catégories d’analyse sont aussi répandues qu’équivoques : de nombreuses recherches dans le domaine des transferts culturels ont démontré le pouvoir de construction identitaire des littératures nationales au moment de leur développement au XIXe siècle, et il en va de même pour les littératures étrangères, étudiées notamment par opposition à la production locale4. Considérer les littératures nationale et étrangère de cette façon, comme des corpus distincts dont on pourrait extraire des éléments et en importer d’autres sans en modifier aucunement la valeur, signifie ignorer qu’une traduction littéraire n’est jamais un simple passage entre deux langues et que le choix des titres à traduire n’a rien de mécanique. Au 3

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« My argument is that translated works do correlate in at least two ways : (a) in the way their source texts are selected by the target literature, the principles of selection never being uncorrelatable with the home co-systems of the target literature (to put it in the most cautious way) ; and (b) in the way they adopt specific norms, behaviors, and policies – in short, in their use of the literary repertoire – which results from their relations with the other home co-systems. These are not confined to the linguistic level only, but are manifest on any selection level as well. Thus, translated literature may possess a repertoire of its own, which to a certain extent could even be exclusive to it. » Even-Zohar, Itamar : « The Position of Translated Literature within the Literary Polysystem », Polysystem Studies. Poetics Today, XI, 1 (1990), pp. 45–51, ici p. 46 [première publication dans : Holmes, James/Lambert, José et al. (dir.) : Literature and Translation : New Perspectives in Lierary Studies, Leuven, Acco, 1978, pp. 117–127]. Cette filière de recherches a été très fructueuse dès les années quatre-vingt-dix ; à titre d’exemple, quelques ouvrages majeurs dans ce domaine sont : Espagne, Michel/Werner, Michael (dir.) : Philologiques III. Qu’est-ce qu’une littérature nationale ? Approches pour une théorie interculturelle du champ littéraire, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994 ; Serry, Hervé : « La littérature pour faire et défaire les groupes », Introduction au dossier « Littérature et identités », Sociétés contemporaines, 44 (2001), pp. 5–14 ; Jurt, Joseph : Sprache, Literatur und nationale Identität. Die Debatten über das Universelle und das Partikuläre in Frankreich und Deutschland, Berlin, De Gruyter, 2014 ; sur la notion de littérature étrangère et sa valeur identitaire, v. Espagne, Michel : Le Paradigme de l’étranger. Les chaires de littérature étrangère au XIXe siècle, Paris, Cerf, 1993 ; Utz, Peter : Anders gesagt – autrement dit – in other words. Übersetzt gelesen : Hoffmann, Fontane, Kafka, Musil, Munich, Hanser, 2007.

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contraire, la notion de littérature traduite rend compte de la particularité des textes qui, une fois traduits et isolés de leur contexte de départ, sont à tous points de vue autres par rapport à ce qu’ils étaient dans leur langue et leur contexte originaux. En même temps, elle met l’accent sur l’opération de sélection à la base de toute traduction et, dès lors, sur la spécificité de chaque polysystème : par exemple, le corpus des ouvrages traduits du français en italien ne correspond pas à celui des ouvrages traduits du français en allemand, en anglais ou en chinois ; la littérature traduite, du français en l’occurrence, s’avère ainsi un ensemble variable en fonction de son espace de départ aussi bien que de ses espaces de réception. D’autre part, l’approche préconisée par Even-Zohar invite à retracer les fonctions que la littérature traduite peut assumer dans son polysystème d’accueil, ainsi que les divergences qui caractérisent son usage et sa valeur dans les divers espaces de réception. On peut traduire pour proposer un modèle de langue littéraire, pour introduire des idées ou des styles nouveaux, ou encore pour renforcer une poétique d’avant-garde en la légitimant à l’aide d’exemples étrangers. Or la littérature traduite n’est pas faite exclusivement par et pour des spécialistes de l’espace de départ, mais, au contraire, ses créateurs et lecteurs sont souvent les mêmes qui s’intéressent aussi à la production locale. Pour cette raison, il est utile de retracer ces diverses fonctions, afin de mieux comprendre les enjeux spécifiques au polysystème d’accueil. Ainsi, la littérature traduite devient un instrument d’analyse de l’état d’une littérature nationale par l’étude des rapports de celle-ci avec les autres espaces littéraires, conjuguant un regard comparatiste à l’attention vouée à une aire linguistique spécifique. Le champ et la lutte Nous avons employé, jusqu’ici, les termes « espace », compris dans son acception plus générique, et « polysystème », issu de la théorie d’Even-Zohar, pour désigner les différentes productions littéraires, distinctes selon le pays ou la langue originale. Nous avons également évoqué la notion de « littérature nationale », qui est problématique à cause du lien très variable existant entre la production littéraire et la nation5. En outre, parler d’une « littérature en langue X » – comme on le fait parfois avec les concepts de « francophonie » et de « littérature germanophone » – peut aussi entraîner des difficultés, par exemple dans la délimitation des frontières et des rapports internes à chaque aire linguistique6. Dans les pages qui suivent, 5 6

Joseph Jurt développe le caractère problématique de cette notion dans son article « Le champ littéraire entre le national et le transnational », dans : Sapiro, Gisèle (dir.) : L’Espace intellectuel en Europe, Paris, La Découverte, 2009, pp. 201–232. Pour les deux cas cités, v. par exemple : Saint-Jacques, Denis : « Vers une unification du champ littéraire de la francophonie », Revue de l’Institut de sociologie, 85 (1990–91), pp. 19–25 ; Beniamino, Michel : La Francophonie littéraire. Essai pour une théorie, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Hinck, Walter : « Haben wir heute vier deutsche Literaturen oder eine ? Plädoyer in einer Streit-

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nous aurons parfois recours aux locutions « littérature nationale » et « littérature (en langue) italienne », tout en sachant qu’elles présentent quelques limites, pour indiquer la production littéraire des éditeurs travaillant en Italie et publiant des livres en langue italienne ; le plus souvent, toutefois, nous emploierons une expression issue de la sociologie de la littérature, à savoir le « champ littéraire », en raison de sa pertinence concernant notre approche et de la valeur heuristique qu’elle a pour notre analyse. En effet, la théorie des champs, développée par Pierre Bourdieu à partir des années soixante-dix, intègre de manière très efficace le modèle des polysystèmes d’Even-Zohar. Dans le cadre de ce travail, elle permet de focaliser notre attention moins sur les « lois » qui régissent les systèmes littéraires7 que sur les « agents » qui, en leur sein, sont responsables des divers usages de la littérature, qu’elle soit traduite ou non. Un champ désigne précisément « un réseau de relations objectives (de domination ou de subordination, de complémentarité ou d’antagonisme, etc.) entre des positions »8 ; autrement dit, il se présente comme un lieu de tensions, d’alliances et de luttes, dans lequel chaque agent – qui peut être, dans notre cas, un auteur ou un éditeur, mais aussi un groupe de personnes autour d’une revue ou d’une maison d’édition, par exemple – cherche à maintenir ou à modifier sa position par rapport aux autres. Schématiquement, le champ présente deux principaux types d’opposition : d’une part, un axe relie les pôles de l’« autonomie » et de l’« hétéronomie » ; d’autre part, un continuum distingue les divers degrés de « domination » des agents. Afin d’éviter toute ambiguïté dans le vocabulaire employé tout au long de ce texte, nous consacrons ici quelques lignes à l’éclaircissement de ces termes de base. L’« autonomie relative » du champ désigne à la fois son inscription dans un champ beaucoup plus vaste, avec lequel il interagit – le champ social – et l’existence de règles spécifiques valables seulement en son sein. Lorsque le choix de publication d’un éditeur relève de critères d’évaluation externes à la logique strictement littéraire –

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frage », dans  Hinck, Walter  : Germanistik als Literaturkritik. Zur Gegenwartsliteratur, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1983, pp. 291–315 ; Charbon, Rémy : « Zwei deutsche Literaturen. Überlegungen zu einer Kontroverse », dans : Schöne, Albrecht (dir.) : Kontroversen, alte und neue. Akten des VII. Internationalen Germanisten-Kongresses Göttingen 1985, Tubingue, Niemeyer, 1985, pp. 84–88. Even-Zohar, Itamar : « Laws of Literary Interference », Polysystem Studies. Poetics Today, XI, 1 (1990), pp. 53–72. Bourdieu, Pierre : « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, 89 (1991), pp. 3–46, ici pp. 18–19. À côté de cet article qui se focalise sur la notion de champ littéraire, v. l’ouvrage majeur : Bourdieu, Pierre : Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992 ; v. aussi les articles consacrés aux notions de croyance et d’illusio, à l’activité éditoriale en France et aux échanges littéraires : Bourdieu, Pierre : « La production de la croyance. Contribution à une économie des biens symboliques », Actes de la recherche en sciences sociales, 13 (1977), pp. 3–43 ; Bourdieu, Pierre : « Une révolution conservatrice dans l’édition », Actes de la recherche en sciences sociales, 126–12 (1999), pp. 3–28 ; Bourdieu, Pierre : « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, 145 (2002), pp. 3–8.

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par exemple parce qu’il vise à défendre par là une idéologie politique, ou bien dans un but éminemment lucratif –, alors nous situerons son activité près du pôle plus hétéronome du champ ; au contraire, lorsque ses choix se basent principalement sur un jugement d’ordre littéraire – parce qu’il adhère par exemple à un courant stylistique ou qu’il défend une certaine vision de la littérature –, alors nous le situerons près du pôle autonome du champ. Il va de soi que cette différenciation doit être nuancée et toujours relative : aucune maison n’affirme être intéressée exclusivement par le profit et, inversement, aucune maison n’échappe complètement à la nécessité de gagner de l’argent avec les livres qu’elle produit. Mais il s’avère qu’une distinction de ce type (autonomie versus hétéronomie) rend compte d’une tension bien réelle dans le monde éditorial, qui se manifeste dans les discours des agents aussi bien que dans les modalités du travail culturel. Cette distinction est souvent représentée graphiquement comme un axe horizontal qui traverse le champ de gauche à droite, tandis que l’axe vertical indique, dans la représentation habituelle du champ, le degré de « domination » de ses agents. Que ce soit au pôle plus ou moins autonome, chaque éditeur – et chaque auteur, chaque critique, chaque revue, etc. – peut occuper une position en haut, c’est-à-dire une position dominante, ou en bas, c’est-à-dire une position dominée. Au pôle autonome, la domination appartient à ceux qui incarnent les valeurs établies par la logique littéraire dans un certain lieu et à un certain moment : ce sont les écrivains reconnus pour la « signification » de leur œuvre, les maisons appréciées pour la « qualité » de leur travail, les critiques renommés pour leur compétence spécifique, et ainsi de suite. Ils possèdent donc du « capital symbolique », qui est spécifique pour le champ littéraire. Au pôle hétéronome, les agents dominants sont ceux qui profitent d’une grande visibilité ou même d’un grand succès critique, mais dont la valeur se fonde sur des critères d’appréciation externes à la logique du champ : dans le cas que nous étudions, leur activité est soumise le plus souvent aux lois de la rentabilité, c’est-à-dire à la logique économique, mais ils peuvent parfois, selon les conditions particulières de chaque époque et de chaque espace, respecter la logique politique ou même religieuse. Dans un pôle comme dans l’autre, les dominés peuvent chercher à occuper des positions plus hautes, par exemple en se liant à des personnalités dominantes qui légitiment leurs efforts et donc facilitent leur ascension, ou en créant des groupes militants avec d’autres dominés pour subvertir l’ordre établi, la « doxa ». Encore une fois, ces positions ne représentent pas des conditions absolues ni définitives ; il s’agit donc d’une distinction schématique, mais très utile pour comprendre les rapports de force qui existent à l’intérieur du milieu littéraire. Ce modèle d’interprétation de l’espace social invite à considérer les relations entre les agents concernés9. Par ce biais, il permet d’expliquer leurs choix 9

Ces relations ne se limitent pas aux interactions réelles entre les personnes : contrairement à la notion de réseau, qui observe plutôt les manifestations concrètes des rapports de force, le champ permet de prendre en compte aussi les dispositions intériorisées par les agents, qui ne s’expli-

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et leurs prises de position selon une logique liée à la structure même du champ : de nombreuses recherches ont démontré, par exemple, que l’apport novateur des avant-gardes littéraires est corrélé à leur position de dominés et à leur volonté de se substituer aux agents plus légitimes suivant un principe de distinction10 ; une dynamique que nous retrouverons, d’ailleurs, dans les choix de plusieurs maisons indépendantes et de dimensions réduites. Loin de vouloir prouver la validité de ce modèle à travers notre analyse, nous nous en servons, au contraire, comme d’un outil théorique : les notions de champ, de lutte et de capital symbolique, notamment, nous aident à comprendre les « raisons d’agir »11 des éditeurs que nous observons, c’est-à-dire les intérêts qu’ils ont à défendre certains ouvrages et à en négliger d’autres. En outre, puisqu’il n’y a rien d’automatique dans la production et la réception des biens culturels, toute velléité de réduire l’activité éditoriale à un système figé ne peut aboutir qu’à un échec – ce qui nous est clair dès le début de notre travail.

Sources Recherches sur le champ littéraire Le choix de cette approche pluridisciplinaire, qui lie les études littéraires à la sociologie des œuvres, repose sur un grand nombre de recherches de plus en plus répandues depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Si nous devons indubitablement à Bourdieu la complexité de la théorie des champs et sa première application à l’analyse de la production littéraire12, nous ne pouvons ignorer ni le long parcours de la sociologie des arts et de la culture précédant ses travaux, ni les développements de ses intuitions par d’autres sociologues aussi bien que par des littéraires, dès le début du nouveau millénaire et jusqu’à nos jours. Reconstruire une bibliographie des travaux en sociologie de la littérature serait disproportionné dans ce contexte, c’est pourquoi nous renvoyons aux nombreuses

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citent pas toujours sous forme d’interaction. Pour une étude sur la possibilité de conjuguer la théorie des champs avec la méthode d’analyse des réseaux sociaux, v. Aron, Paul/Denis, Benoît (dir.) : Les Réseaux littéraires, Bruxelles, Le Cri, 2006. V. par exemple l’étude extensive d’Anna Boschetti sur les avant-gardes littéraires du XXe siècle dans : Boschetti, Anna : Ismes : du réalisme au postmodernisme, Paris, CNRS, 2014. Cette expression renvoie aux éditions parisiennes Raisons d’Agir, fondées en 1996 par un collectif de chercheurs en sciences sociales, parmi lesquels Pierre Bourdieu, qui y publie plusieurs ouvrages. Sur le lien entre le sociologue et la maison au programme ouvertement militant, v. Schultheis, Franz : Unternehmen Bourdieu. Ein Erfahrungsbericht, Bielefeld, transcript, 2019, et en particulier le chapitre « Raisons d’agir. Bourdieu als Leitfigur der ‘Gauche de la Gauche’ », pp. 75–88. Dans le prologue aux Règles de l’art, l’auteur propose une analyse de L’Éducation sentimentale de Flaubert, avant de passer à l’étude globale du champ littéraire français.

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anthologies déjà en circulation, dont certaines sont aussi très récentes, et qui rapportent en détail l’histoire de cette discipline13. Il est bien plus pertinent, ici, de s’attarder sur les travaux qui ont succédé aux essais de Bourdieu, et en particulier sur ceux spécialement consacrés à l’étude de la littérature traduite. De nombreuses recherches ont pour but de reconstruire divers champs nationaux à différentes époques historiques : pour ne mentionner que les aires qui nous concernent de plus près, nous pouvons citer les travaux de Michael Einfalt, Joseph Jurt, Fabrice Thumerel et (moins récemment) Alain Viala sur le champ littéraire français14, de Christine Magerski et Heribert Tommek sur le champ littéraire allemand15 et enfin – mais il s’agit d’un domaine qui demeure moins étudié – de Luca Pareschi et Gianluigi Simonetti sur le champ littéraire italien16. En outre, la théorie des champs appliquée à la littérature a souvent mené à des analyses qui, au lieu de retracer la structure générale d’un espace national, ont mis l’accent sur un type spécifique d’agent ou d’ouvrage : dans l’aire linguistique 13

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Mentionner l’essai fondateur d’Escarpit est de rigueur : Escarpit, Robert : Sociologie de la littérature, Paris, Presses universitaires de France, 1958. Parmi les ouvrages plus récents, contemplant donc aussi les derniers développements dans la discipline, citons : Sapiro, Gisèle : La Sociologie de la littérature, Paris, La Découverte, 2014 ; Sayre, Robert : La Sociologie de la littérature : histoire, problématique, synthèse critique, Paris, L’Harmattan, 2011 ; Aron, Paul/Viala, Alain : Sociologie de la littérature, Paris, Presses universitaires de France, 2006. Une bibliographie riche et complète sur les travaux scientifiques abordant, plus en général, le lien entre littérature et société a été rédigée par Glinoer, Anthony : Le Littéraire et le social : bibliographie générale 1904–2014, Paris, L’Harmattan, 2016. Bien que nous nous concentrons ici sur la sociologie de la littérature telle qu’elle s’est développée en France, il est important de souligner que des réflexions analogues se manifestent aussi à l’international, et dialoguent souvent avec la pensée française : dans les années soixante, en Allemagne, Alphons Silbermann et Hans Norbert Fügen se faisaient les porte-paroles d’une Literatursoziologie qui était fortement influencée par les observations d’Escarpit, comme dans Fügen, Hans Norbert : Wege der Literatursoziologie, Neuwied/Berlin, Luchterhand, 1968. Einfalt, Michael/Jurt, Joseph (dir.) : Le Texte et le contexte. Analyses du champ littéraire français XIXe et XXe siècle, Berlin, Maison des sciences de l’homme, Spitz, 2002 ; Thumerel, Fabrice : Le Champ littéraire français au 20e siècle. Éléments pour une sociologie de la littérature, Paris, Armand Colin, 2002 ; Viala, Alain : Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Minuit, 1992. Magerski, Christine : Die Konstituierung des literarischen Feldes in Deutschland nach 1871. Berliner Moderne, Literaturkritik und die Anfänge der Literatursoziologie, Tubingue, Niemeyer, 2004 ; Tommek, Heribert : Der lange Weg in die Gegenwartsliteratur. Studien zur Geschichte des literarischen Feldes in Deutschland von 1960 bis 2000, Berlin, De Gruyter, 2015. Le recueil Text und Feld. Bourdieu in der literaturwissenschaftlichen Praxis (dir. Joch, Markus/Wolf Norbert Christian, Berlin, De Gruyter, 2005) rassemble des contributions et sur le champ littéraire français et sur l’allemand. Pareschi, Luca : « Misure di carta. Il campo letterario italiano in cifre », dans : Santoro, Marco (dir.) : La cultura che conta. Misurare oggetti e pratiche culturali, Bologne, Il Mulino, 2014 ; Simonetti, Gianluigi : La letteratura circostante : narrativa e poesia nell’Italia contemporanea, Bologne, Il Mulino, 2018. Par ailleurs, l’ouvrage de Simonetti n’a recours à la théorie bourdieusienne que de manière marginale et privilégie une approche « formaliste et non pas sociologique » à l’étude de l’extrême contemporain italien. Pellini, Pierluigi : « Mutazione coatta ? Storicizzare la letteratura contemporanea », Allegoria, 79 (2019), pp. 100–110, ici p. 101.

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italienne, par exemple, Daniela Sideri étudie le phénomène de la socialisation littéraire à travers les livres pour la jeunesse, Luca Pareschi s’intéresse aux canaux et aux stratégies d’accès au champ éditorial pour les auteurs débutants, tandis qu’Anna Ferrando examine la figure de l’agent littéraire sous le fascisme17. Une autre filière des recherches en sociologie de la littérature privilégie à son tour une approche comparatiste, comme c’est le cas dans l’ouvrage de Rotraud von Kulessa sur les écrivaines en France et en Italie au tournant du XXe siècle, ainsi que dans la thèse de Delia Guijarro Arribas sur l’édition jeunesse en Espagne et en France18. Tous ces ouvrages constituent de précieuses sources d’informations sur des époques et des lieux plus ou moins proches des nôtres. Mais à part ces travaux, d’autres ouvrent deux voies particulièrement pertinentes pour nos réflexions. D’une part, plusieurs chercheurs ont appliqué la notion de champ littéraire à l’échelle globale, c’est-à-dire aussi à la catégorie de la Weltliteratur. Parmi ceux-ci, les ouvrages de Pascale Casanova et d’Anna Boschetti ont joué un rôle primordial dans la maturation de nos idées sur les échanges littéraires à l’international : c’est grâce à ces lectures, en effet, que nous avons commencé à comprendre le pouvoir des traductions en tant qu’instruments de reconnaissance littéraire19. D’autre part, un très grand nombre de recherches a été consacré à la sociologie des traductions et s’est penché sur des transferts spécifiques au prisme de la théorie des champs. En ce qui concerne les traductions du et vers le français, l’ouvrage dirigé par Gisèle Sapiro, Translatio, a été de première importance dans le cadre de nos recherches, tandis que pour les traductions de l’allemand vers l’italien, les résultats du groupe de recherche FIRB sur la littérature allemande en Italie au XXe siècle, dirigé par Michele Sisto, ont constitué un exemple essentiel sur lequel se base le présent projet20. Ces publications  – de véritables modèles pour notre thèse  – s’ajoutent à d’autres qui, sans suivre nécessairement une approche sociologique, s’intéressent aussi aux transferts (littéraires, mais pas seulement) germano- et franco-italiens 17

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Sideri, Daniela : La socializzazione letteraria. Il libro come agente inclusivo e il mercato editoriale 0–14, Canterano, Aracne, 2017 ; Pareschi, Luca : Controcampo letterario. Strategie di intermediazione e accesso all’industria editoriale, Naples, Editoriale Scientifica, 2016 ; Ferrando, Anna : Cacciatori di libri. Gli agenti letterari durante il fascismo, Milan, Franco Angeli, 2019. Von Kulessa, Rotraud : Entre la reconnaissance et l’exclusion. La position de l’autrice dans le champ littéraire en France et en Italie à l’époque 1900, Paris, Honoré Champion, 2011 ; Guijarro Arribas, Delia : Catégories et systèmes de classification : Un enjeu de pouvoir au cœur des pratiques éditoriales dans les maisons d’édition jeunesse espagnoles et françaises (1975–2015), thèse dirigée par Gisèle Sapiro, EHESS, soutenue le 8 novembre 2019. Casanova, Pascale : La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil, 1999 ; Boschetti, Anna : L’Espace culturel transnational, Paris, Nouveau Monde, 2010 ; v. aussi Sapiro, Gisèle (dir.) : Les Contradictions de la globalisation éditoriale, Paris, Nouveau Monde, 2009. Sapiro, Gisèle (dir.) : Translatio. Le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation, Paris, CNRS, 2008 ; v. aussi Sapiro (dir.), L’espace intellectuel en Europe ; Assouline, Pierre : La Condition du traducteur, Paris, CNL, 2011 ; Baldini, Anna/Biagi, Daria et al., La letteratura tedesca in Italia. Un’introduzione 1900–1920, Macerata, Quodlibet, 2018 ; Sisto, Michele, Traiettorie. Studi sulla letteratura tradotta in Italia, Macerata, Quodlibet, 2019.

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et nous fournissent des informations très utiles pour notre recherche. De tels travaux se penchent très souvent sur des époques précédant la nôtre, s’arrêtant dans la plupart des cas vers la moitié du XXe siècle, et privilégient plutôt un regard historiciste qui donne moins de poids aux rapports de force entre les agents mais favorise des reconstructions linéaires des évènements, publications et échanges21. Étant donné la richesse et la variété de notre bibliographie secondaire, nous nous limitons ici à mentionner ces quelques ouvrages pour introduire le lecteur aux divers types de publications qui nous ont servi d’appui lors de nos recherches. Tout en insérant cette thèse dans le sillage de la sociologie des traductions et en nous servant de modèles cohérents avec notre ligne théorique, nous revenons tou21

Les ouvrages de l’historien Gian Enrico Rusconi, quoique centrés sur les rapports politiques plus que culturels entre l’Allemagne et l’Italie, nous fournissent un cadre historique dans lequel situer nos observations sur les échanges littéraires : v. entre autres Rusconi, Gian Enrico : Deutschland-Italien, Italien-Deutschland. Geschichte einer schwierigen Beziehung von Bismarck bis zu Berlusconi, trad. Antje Peter, Paderborn, Schoningh, 2006 ; Rusconi, Gian Enrico/Schlemmer, Thomas et al. (dir.) : Estraniazione strisciante tra Italia e Germania ?, Bologne, Il Mulino, 2008 ; Rusconi, Gian Enrico : Berlino. La reinvenzione della Germania, Rome/Bari, Laterza, 2009. Plus pertinents pour les études littéraires sont les ouvrages de Rubino, Mario : I mille demoni della modernità, Palerme, Flaccovio, 2002 ; Natascia Barrale et Arnaldo Di Benedetto, respectivement sur les traductions sous le fascisme et sur les relations culturelles germano-italiennes entre le XVIIIe et le XXe siècle : Barrale, Natascia : Le traduzioni di narrativa tedesca durante il fascismo, Rome, Carocci, 2012 ; Di Benedetto, Arnaldo : Fra Germania e Italia. Studi e flashes letterari, Florence, Olschki, 2008. Paola Checcoli a consacré sa thèse aux échanges réciproques entre la France et l’Italie à l’époque contemporaine, concentrant son attention sur les auteurs plus que sur leurs médiateurs : Checcoli, Paola : Échanges culturels entre France et Italie : questions de traduction et réception littéraires et de politique éditoriale au début du XXIe siècle, thèse en cotutelle dirigée par Silvia Contarini et Donata Meneghelli, Université Paris Nanterre et Université Alma Mater de Bologne, soutenue le 19 décembre 2013. Très récemment, Stefania Caristia a soutenu une thèse consacrée au transfert littéraire franco-italien dans l’après-guerre, se focalisant notamment sur l’activité des revues : La réception de la littérature française dans les revues littéraires italiennes de la deuxième moitié du XXème siècle (1944–1970), thèse de doctorat sous la direction de Jean-Yves Masson et Anne-Rachel Hermetet, Sorbonne Université, 2019. Analogue aux travaux de Rusconi, l’ouvrage de Gilles Bertrand, Jean-Yves Frétigné et Alessandro Giacone fournit un panorama historique des relations entre France et Italie : Bertrand, Gilles/Frétigné, Jean-Yves et al. : La France et l’Italie. Histoire de deux nations sœurs, de 1660 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2016. Une analyse plus strictement littéraire a été proposée par Raphaël Müller, qui se concentre sur le début du XXe siècle : Müller, Raphaël : Le Livre français et ses lecteurs italiens. De l’achèvement de l’unité à la montée du fascisme, Paris, Armand Colin, 2013. Francesca Piselli et Fausto Proietti proposent un ouvrage collectif sur les traductions entre France et Italie et leur valeur politique : Piselli, Francesca/Proietti, Fausto (dir.) : Les traductions comme textes politiques. Un voyage entre France et Italie (XVIe–XXe siècle), Paris, Garnier, 2017. Peu nombreuses sont les analyses qui prennent en considération les relations culturelles entre la France, l’Allemagne et l’Italie : v. Decleva, Enrico : « Présence germanique et influences françaises dans l’édition italienne aux XIXe et XXe siècles », dans : Michon, Jacques/Mollier, Jean-Yves (dir.) : Les Mutations du livre et de l’édition dans le monde du XVIIIe siècle à l’an 2000, Paris, L’Harmattan, 2001 ; Cantarutti, Giulia/Ferrari, Stefano (dir.) : Traduzione e transfert nel XVIII secolo. Tra Francia, Italia e Germania, Milan, Franco Angeli, 2013 ; Pederzoli, Roberta : La traduzione della letteratura per l’infanzia in Italia, Francia e Germania : problemi e strategie, thèse dirigée par Chiara Elefante et Marcello Soffritti, Université Alma Mater de Bologne, soutenue le 12 juin 2006.

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jours aux études plus strictement littéraires ainsi qu’aux analyses historiques afin d’enrichir nos réflexions des apports de toutes les disciplines concernées. Le lecteur retrouvera par la suite, dans chacune des parties de cette thèse, les références bibliographiques spécifiques à chaque domaine abordé. Le plan et les sources Cette thèse est structurée en trois parties, dont chacune est divisée à son tour en deux sous-sections. Dans la première partie, nous exposons tout d’abord les composantes et les caractéristiques saillantes du champ éditorial italien entre 2005 et 2015 afin d’en éclairer la structure. Ici, nous précisons quelles maisons d’édition sont pertinentes pour notre analyse, quelles catégories sont utiles pour les classifier et quelles relations elles entretiennent les unes avec les autres. Il est donc question, premièrement, d’identifier de la manière la plus précise possible l’objet de notre analyse et de restituer les rapports de force à l’intérieur du champ éditorial. Dans un second temps, nous nous engageons dans la reconstruction des pratiques courantes du champ. Il s’agit donc de reconnaître les tendances des éditeurs produisant de la littérature traduite : les usages, par exemple, dans la stipulation des contrats, dans la rédaction des paratextes ou dans la création de nouvelles collections. Nous présentons ainsi un panorama, aussi exhaustif que possible, des façons dont la littérature traduite naît et devient potentiellement une partie intégrante du répertoire littéraire en langue italienne. Les deuxième et troisième parties sont dédiées à la littérature traduite, respectivement de l’allemand et du français. Chacune de ces deux parties contient une première sous-section consacrée à une vue d’ensemble des agents responsables du transfert, de leurs rapports réciproques et des spécificités relatives aux échanges franco-italiens d’un côté et germano-italiens de l’autre : nous examinons, par exemple, le recours à des agences littéraires, l’existence de dispositifs étatiques d’aide à la traduction, la présence d’une critique académique spécialisée active, les chiffres moyens des tirages et des ventes. La seconde sous-section de chaque partie contient, enfin, l’étude de cas respective des deux aires linguistiques : ces études servent non seulement à illustrer de manière très concrète les phénomènes élucidés dans les pages précédentes, mais aussi à enrichir ce qui peut paraître un simple modèle – qui demeure schématique, pour complexe qu’il soit – grâce aux exceptions et aux détails inattendus des cas particuliers. En d’autres termes, chacune de ces parties vise à identifier les traits systémiques du champ éditorial et, simultanément, à en souligner le caractère parfois imprévisible qui garantit son pouvoir d’échapper à toute théorisation rigide. Le recueillement des données précédant la rédaction de ces pages a nécessité l’exploitation de plusieurs types de sources. Outre la bibliographie secondaire que nous avons déjà évoquée partiellement, et qui est dûment référencée au fur et à mesure du texte, nous avons eu recours à trois autres sources fondamentales qu’il

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convient d’annoncer d’emblée : les catalogues, les archives et les entretiens. Les premiers peuvent être classifiés en deux groupes, à savoir les catalogues éditoriaux – parfois imprimés, parfois disponibles en ligne – et les catalogues bibliothécaires, parmi lesquels le catalogue du système bibliothécaire national italien (OPAC SBN) a été particulièrement utile. Ces documents, essentiels pour reconstruire le véritable corpus de la littérature traduite du français et de l’allemand, nous ont permis de compiler une base de données des romans traduits entre 2005 et 2015. Cette base de données intègre notre thèse sous forme d’annexe et présente une structuration par maison d’édition et par collection éditoriale. Les archives, en particulier l’archive littéraire allemande de Marbach et l’archive de la maison d’édition parisienne P. O. L., nous ont donné accès aux dossiers de presse relatifs aux publications en langue originale (et, partiellement, en traduction) des auteurs de notre corpus restreint : Uwe Timm et Emmanuel Carrère. En revanche, elles n’ont pas pu fournir d’informations sur les relations entre les éditeurs, les auteurs, les traducteurs et autres agents du transfert. Un inconvénient du travail sur l’extrême contemporain, en effet, réside dans l’indisponibilité de sources qui, pour des raisons de confidentialité (les personnes concernées sont vivantes) ou de support matériel (les échanges par courriel sont souvent éphémères), n’existent pas ou ne peuvent pas être consultées. Cet inconvénient présente toutefois un revers positif : si les personnes concernées sont vivantes, nous pouvons essayer d’entrer directement en contact avec elles. C’est pourquoi le troisième type de source évoqué sont les entretiens : une très grande partie des renseignements sur les pratiques éditoriales, sur les usages moins formalisés, sur la composition des réseaux de passeurs nous a été donnée par les protagonistes du champ culturel italien eux-mêmes. Nous avons contacté des éditeurs, des traducteurs, des agents, des journalistes, des professeurs, issus délibérément de milieux et de maisons d’édition divers, afin de repérer les informations autrement passées sous silence et introuvables. Prenant garde du biais dans le récit sur soi-même et de la subjectivité dans la représentation des faits par chacun de nos interlocuteurs, nous avons accédé, par l’intersection de leurs discours, à une image mobile et nuancée du monde éditorial, que nous essayons d’exposer sans l’aplatir ni la simplifier dans les pages suivantes. Ne réalisant pas une enquête sociologique, et ayant conduit une partie des entretiens dans des conditions de confidentialité ou d’informalité telles qu’un enregistrement aurait été impossible, nous avons choisi de ne pas inclure le contenu intégral des interviews dans une annexe à part et de ne rapporter, le cas échéant, que des extraits en liaison étroite avec le fil de notre réflexion. Bien d’autres ouvrages, d’ailleurs, ont déjà publié des entretiens avec les personnalités du monde éditorial italien, dont nous nous servons également comme d’une source supplémentaire pour notre analyse22. 22

Entre autres : Gambaro, Fabio : Dalla parte degli editori. Interviste sul lavoro editoriale, Milan, Unicopli, 2001 ; Cocchetti, Maria Grazia : L’autore in cerca di editore. Guida pratica per pubbli-

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Précisions Des choix Les catalogues éditoriaux nous apprennent notamment une chose : choisir signifie exclure. En construisant ce projet de thèse, et en le modifiant peu à peu au fil des années, nous avons dû opérer des choix qui délimitent notre objet, qui en précisent les contours. Cela a nécessairement impliqué des découpages plus ou moins arbitraires de la matière. Certains d’eux nous étaient évidents dès le début des travaux – par exemple les trois aires linguistiques à aborder, qui ont caractérisé notre parcours universitaire et qui, comme la bibliographie le montre, peuvent encore bénéficier d’une étude plus approfondie en ce qui concerne les échanges littéraires en leur sein à l’époque contemporaine. D’autres, en revanche, se sont imposés au fur et à mesure de l’avancement de notre recherche. Nous illustrerons ici les critères de tels découpages, notamment de ceux qui ont signifié de véritables prises de position de notre part, à savoir le focus sur les éditeurs, les dates de début et de fin de notre créneau temporel, ainsi que les auteurs sélectionnés pour les deux études de cas. Une analyse des échanges littéraires peut être conduite sous plusieurs angles. En rédigeant la première version de ce projet, notre ambition était de reconstruire dans ses lignes générales toute la chaîne du livre traduit – depuis le pitch du bureau pour la cession des droits jusqu’au compte-rendu suivant sa publication italienne. Cela aurait été possible en ne considérant que les relations les plus évidentes au long de cette chaîne : chaque titre passe de son premier éditeur (ou de son agent) à son éditeur étranger, éventuellement par le biais d’un co-agent ou d’un scout ; des lecteurs, internes ou externes à la maison, donnent leur avis et, si celui-ci est globalement positif, le texte est confié à un traducteur ; suite à la préparation d’une maquette, les services de fabrication s’occupent de la production de l’objet-livre et les services de presse de la communication, envoyant le texte traduit, parfois avant même sa publication, aux journaux, revues et blogs qui pourraient aider à le diffuser ; une première réception, si elle a lieu, se manifeste dans les journaux généralistes, alors qu’une deuxième, plus lente, peut lui succéder dans les pages des revues spécialisées et puis de la critique académique. Or cette chaîne, ici extrêmement simplifiée, ne correspond pas tout à fait à la réalité : le monde de l’édition varie drastiquement d’une maison à l’autre ; le degré de contractualisation tend à être réduit, de sorte que les rapports entre les collaborateurs sont parfois informels et difficiles à retracer ; et le parcours de chaque titre est souvent unique – surtout lorsqu’il ne s’agit pas de best-sellers fabriqués exclusivement à but lucratif. Par conséquent, un regard plus ciblé et attentif s’est avéré nécessaire pour assurer la rigueur de notre analyse. care un libro, con oltre 40 interviste a editori e agenti letterari, Milan, Editrice Bibliografica, 2006 ; Polese, Ranieri : Fare libri. Come cambia il mestiere dell’editore, Parme, Guanda, 2012.

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Ayant choisi d’observer de près le travail des agents du monde éditorial, plusieurs options étaient possibles : les figures de l’agent littéraire, du scout, du lecteur, du traducteur représentent autant de voies d’accès différentes pour observer un même phénomène. Mettre l’accent sur le travail des éditeurs – c’est-à-dire de ceux qui, à l’intérieur d’une maison, élaborent un projet éditorial et ont le dernier mot sur les titres à publier ou à rejeter – nous a permis de centrer notre projet autour des deux notions de base de l’intérêt et de la sélection ; autrement dit, c’est en observant la construction de chaque catalogue par ses éditeurs que nous pouvons constater les intérêts et les engagements derrière la publication de chaque livre. Étendre l’analyse à l’activité des agents littéraires et des scouts – souvent les premiers filtres des titres étrangers franchissant la frontière italienne – ou des traducteurs – qui ont le pouvoir de marquer la littérature traduite dans son corps même, le texte – enrichirait remarquablement la matière de cette thèse. Le choix du créneau temporel a également évolué avec l’avancement de nos recherches. Si au départ notre projet prévoyait d’observer les changements du champ éditorial italien au tournant du millénaire, contemplant donc aussi les années quatre-vingt-dix, nous avons vite compris que les modalités du travail culturel avaient subi des transformations trop profondes pour pouvoir être abordées de façon rigoureuse dans le cadre d’un doctorat. Depuis les canaux pour la prise de contact avec les éditeurs étrangers jusqu’aux plateformes de la réception critique des ouvrages publiés, de la composition des grands groupes éditoriaux jusqu’au personnel des maisons historiques – tout a changé entre 1990 et 2015. Deux phénomènes se sont révélés plus significatifs que les autres pour déterminer ces transformations : d’un côté l’avènement d’Internet, qui a drastiquement modifié la façon de communiquer, de publier et de vendre depuis le début des années 2000 ; de l’autre, la concentration de plus en plus marquée des conglomérats éditoriaux qui, comme nous le verrons, constituent la majorité du chiffre d’affaires de l’édition nationale. Nous avons donc choisi des dates qui, symboliquement, représentent des moments décisifs dans ce processus évolutif. En 2005, la naissance de GeMS et du Holding Effe confirme la tendance du marché à se concentrer entre les mains de quelques groupes de très grande taille ; GeMS, le groupe éditorial de Stefano Mauri et Luigi Spagnol, n’aura besoin que de dix ans pour occuper la deuxième place après Mondadori dans la liste des groupes les plus puissants sur le marché italien. En même temps, plusieurs blogs littéraires italiens, nés à partir de 2002, commencent à acquérir une certaine visibilité et reconnaissance, signe du basculement graduel de la critique autonome vers de nouveaux médias et des formes d’expression inédites : en 2005, le blog Nazione Indiana constitue le siège d’un débat qui scinde une partie de l’intelligentzia italienne notamment au sujet de la production éditoriale et qui mène à la fondation d’une nouvelle page culturelle, Il primo amore, en janvier 2006. À l’autre extrême, en 2015, la concentration du marché atteint son sommet lorsque Mondadori, le plus grand conglomérat éditorial en Italie, acquiert le groupe RCS, deuxième géant de l’édition. Ce rachat, suscitant

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la désapprobation des maisons plus petites, mais aussi de quelques éditeurs historiques qui prennent leurs distances avec le nouvel empire, va de pair avec une série d’initiatives vouées à sensibiliser le public à une production éditoriale artisanale. Prenant position contre le modèle d’édition géante, impersonnelle et industrielle incarné par Mondadori, de nombreuses maisons se mobilisent et soulignent le caractère indépendant de leur activité : dans ce contexte naît par exemple Book Pride, le salon littéraire de l’édition indépendante ; et dans le même contexte naît aussi une maison comme La Nave di Teseo, issue d’un groupe d’auteurs de la maison historique Bompiani (alors appartenant à RCS), qui refusent ouvertement de passer à Mondadori. Voulant illustrer comment les romans contemporains sont introduits dans le champ italien, la délimitation de ce créneau nous invite à prendre en considération principalement les ouvrages traduits dont la première édition originale est aussi parue entre 2005 et 2015. Nous avons respecté dans la mesure du possible cette contrainte ; néanmoins, puisqu’il n’existe pas de césures nettes entre les diverses étapes de l’histoire de l’édition, nous avons décidé de maintenir une certaine souplesse dans l’application de ces dates limites. Ainsi, nous n’avons pas entièrement éliminé de notre discours les titres des romans qui, tout en ayant été publiés avant 2005 en langue originale ou même parfois en Italie, étaient régulièrement présents et influents dans le débat littéraire sur la production contemporaine – comme par exemple l’œuvre de W. G. Sebald, décédé en 2001, ou d’Annie Ernaux, dont plusieurs ouvrages des années quatre-vingt font l’objet d’une opération éditoriale majeure à partir de 2014. Enfin, la sélection des deux auteurs composant le corpus a respecté la même double logique de pertinence avec nos questions de départ d’un côté, et d’ouverture aux résultats que la recherche nous dévoilait de l’autre. Les contraintes du contrat doctoral nous obligeant à opérer une sélection, nous avons opté pour deux auteurs, un par aire linguistique, qui servent d’exemple significatif pour le reste de la littérature traduite du français et de l’allemand23. Puisque notre but ultime est de mettre en lumière les opérations éditoriales derrière leurs traductions, nous avons choisi deux auteurs dont la trajectoire complexe nous permet de présenter un éventail aussi vaste que possible de moyens, de stratégies, de dynamiques plus ou moins typiques du champ. Nos études de cas offrent un aperçu des diverses politiques en vigueur dans des maisons aussi différentes que Le Lettere, Mondadori, Theoria, Marcos y Marcos, Einaudi, Adelphi ; elles incluent des phénomènes spécifiques à l’univers de la littérature traduite, comme la retraduction et l’obtention de prix littéraires pour les auteurs étrangers ; elles introduisent à l’observation de tout type de plateformes du débat culturel, des journaux nationaux aux blogs pour 23

Il serait tout à fait envisageable d’enrichir ce corpus, lors de recherches postérieures à la thèse, d’au moins deux auteurs par aire linguistique, afin de confronter les stratégies adoptées pour des écrivains aux styles, aux thématiques ou aux postures différentes : comparer, par exemple, les éditions italiennes de Juli Zeh et Christoph Ransmayr, ou d’Éric Chevillard et Dany Laferrière.

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germanistes, des salons du livre aux émissions de radio ; elles présentent, enfin, un trait stylistique commun : le recours plus ou moins systématique à la non-fiction, qui est symptomatique de l’espace des possibles du champ littéraire contemporain. Emmanuel Carrère et Uwe Timm, malgré leurs nombreuses différences – ils n’appartiennent pas à la même génération, ils n’atteignent pas le même degré de reconnaissance en Italie ni dans leurs pays d’origine, leur œuvre n’aborde qu’occasionnellement les mêmes thématiques –, ont en commun une histoire éditoriale variée et riche et s’avèrent ainsi des cas d’étude très fructueux dans le cadre de cette recherche. Dernières précisions terminologiques Sans vouloir nous engager dans des subtilités terminologiques, il nous semble nécessaire de préciser quelques expressions auxquelles nous recourons régulièrement et qui impliquent des prises de position à expliciter d’emblée. Ces expressions relèvent de deux catégories que nous avons déjà, en partie, problématisées : d’une part, la catégorie de littérature nationale, que nous avons déjà évoquée lorsque nous parlons de « littérature française » ou « littérature allemande » ; d’autre part, la catégorie des biens culturels lorsque nous parlons de livres comme de « produits » et de l’édition comme d’un « marché ». En ce qui concerne le premier point, nous avons opté pour un usage indifférencié – sauf indication contraire – des locutions « littérature française », « littérature en langue française », « littérature francophone » et de leurs analogues pour la littérature « allemande », « en langue allemande » ou « germanophone ». En effet, la perspective depuis un champ externe, notamment l’italien, atténue dans la plupart des cas l’écart entre ces découpages ; leur validité est plus stricte dans l’espace d’origine (la distance entre un écrivain belge et un écrivain français, par exemple, est perçue plus intensément dans l’aire linguistique francophone qu’en Italie) ainsi que, à l’étranger, dans les milieux plus familiarisés avec le contexte de départ, comme la critique académique (les germanistes italiens font la distinction plus attentivement qu’un lecteur non spécialiste entre un auteur autrichien et un auteur allemand, par exemple). En ce qui concerne le deuxième point, plus complexe, il est opportun de revenir brièvement à l’arrière-plan théorique de notre recherche. Un constat de base est formulé et réitéré à maintes reprises par Pierre Bourdieu : […] du fait que le livre, objet à double face, économique et symbolique, est à la fois marchandise et signification, l’éditeur est aussi un personnage double, qui doit savoir concilier l’art et l’argent, l’amour de la littérature et la recherche du profit, dans des stratégies qui se situent quelque part entre les deux extrêmes, la soumission réaliste ou cynique aux considérations commerciales et l’indifférence héroïque ou insensée aux nécessités de l’économie. La compétence de l’éditeur – et de tous ceux qui ont affaire au livre, dans quelque fonction que ce soit – est faite de deux parts antagonistes et de l’aptitude à les associer harmonieusement, les aptitudes proprement littéraires

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de celui qui sait « lire » et les aptitudes technico-commerciales de celui qui sait « compter ». L’éditeur dans sa définition idéale devrait être à la fois un spéculateur inspiré, prêt aux paris les plus risqués, et un comptable rigoureux, voire un peu parcimonieux.24

Ce passage éclaire une qualité essentielle des livres. Plus encore qu’un « objet à double face », le livre peut être envisagé de manières multiples : comme un produit littéraire, comme un objet à vendre plus ou moins rentable, comme le support d’un message éthique, moral ou religieux, comme un instrument de propagande qui véhicule une opinion politique. Selon la manière dont on le considère, les critères de jugement varient : on peut évaluer par exemple la conformité de son contenu à la bienséance ou à la ligne d’un parti, la qualité de son style par rapport à la production contemporaine, ou encore ses probabilités de succès auprès d’une tranche plus ou moins ample du public. De tels critères ne sont pas exclusifs, au contraire : chaque éditeur, au moment d’opérer la sélection nécessaire à la construction de son catalogue, doit tenir compte des uns et des autres. N’opter que pour la rentabilité immédiate, outre que cela représente un privilège des maisons dotées d’un capital économique très élevé, peut s’avérer dangereux sur le long terme, empêchant la création d’une image publique reconnaissable ; en revanche, n’opter que pour la « qualité littéraire » (définie, au cas par cas, selon le goût et les prises de position des éditeurs), n’assure pas la possibilité de maintenir l’entreprise à flot, puisque chaque maison d’édition est, à tous les égards, une entreprise, avec ses revenus et ses dépenses, ses investissements et ses risques. C’est pour cette raison qu’étudier la composition des catalogues littéraires nous oblige à toujours garder à l’esprit cet ensemble d’exigences, qui sont quelquefois en opposition les unes avec les autres et obligent chaque éditeur à se frayer un chemin parmi les options à sa portée, à se différencier, souvent à se spécialiser. En évoquant à plusieurs reprises le « marché » éditorial et en appelant les romans des « produits », donc, nous ne voulons rien ôter à la valeur littéraire du travail éditorial ni des ouvrages que nous considérons ; bien au contraire, nous souhaitons illustrer comment cette valeur se construit et se perpétue à l’intérieur d’un système complexe et hétérogène, où les catégories du jugement littéraire s’entremêlent à d’autres contraintes qu’il convient de ne pas négliger. Ainsi, l’analyse des intérêts multiples et concomitants derrière chaque livre publié représente un instrument privilégié pour étudier la production de la littérature traduite : le répertoire, en effet, naît de ces tensions.

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Bourdieu, « Une révolution conservatrice dans l’édition », p. 16. V. aussi Bourdieu, Les Règles de l’art, pp. 239 et 301.

PREMIÈRE PARTIE Le champ éditorial italien. Constantes, tensions et dynamiques

1. LE CHAMP ITALIEN : UN MARCHÉ DU LIVRE MONOPOLISÉ ET EN TRANSFORMATION 1.1 INTRODUCTION. DÉLIMITER UN CHAMP : INTÉRÊTS ET LIMITES La visée de cette première partie de notre analyse est double. D’une part, nous fournissons un inventaire, aussi complet que possible, des principaux éditeurs de littérature traduite contemporaine actifs en Italie entre 2005 et 2015. D’autre part, puisqu’une simple liste ne suffit pas à rendre compte de la diversité du panorama éditorial de cette époque, nous mettons en évidence les relations et les divergences parmi les maisons dont l’activité nous intéresse de plus près. Pour ce faire, nous nous servons d’abord de données quantitatives, comme le chiffre d’affaires de chaque maison et le nombre de nouveautés publiées par an : ces informations nous permettent d’estimer le poids économique de ces diverses entreprises. Ensuite, nous avons également recours à des données qualitatives, comme le discours que chaque éditeur construit autour de son activité : ces données nous renseignent, pour leur part, sur la posture de chaque éditeur, c’est-à-dire sur la manière dont chacun d’eux occupe sa position et entre en relation avec les autres. Une telle démarche comporte nécessairement quelques limites. Les informations relatives aux ventes, aux tirages, aux revenus de chaque maison d’édition, par exemple, ne sont recueillies par aucune structure centralisée, ce qui rend peu fiable toute analyse exacte des bribes d’informations rassemblées auprès de différentes sources. Leur valeur est donc purement indicative, ce qui est toutefois largement suffisant pour les objectifs du présent travail. En effet, ce type de données nous sert principalement à montrer les rapports de domination économique existant parmi les éditeurs, et non pas à illustrer dans le détail le statut financier de chaque entreprise. En outre, l’ambition d’illustrer définitivement la posture d’une maison d’édition ou d’en décrire une fois pour toutes les traits identitaires se heurte à la nature très dynamique de ces réalités, qui s’insèrent dans un processus en continuelle évolution. C’est pourquoi la volonté de schématiser, c’est-à-dire de figer dans un modèle statique, les relations qui structurent le champ éditorial doit être comprise comme un effort destiné à rendre visibles des tensions tout à fait réelles, mais qui sont sans cesse en cours de développement. Si nous choisissons de proposer de tels schémas malgré leurs limites, c’est parce que nous croyons que les avantages dépassent les inconvénients. Certes, nous nous exposons, en attribuant par exemple plus de prestige à une maison plutôt qu’à une autre, à des critiques sur le manque d’objectivité qui aurait pu guider

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Première partie

notre jugement, le prestige étant parfois considéré comme une propriété difficilement ou aucunement mesurable. Mais nous accueillons volontiers ces critiques : nous croyons qu’il y a bien des signes de consécration et des marques du pouvoir que nous pouvons observer et analyser – qu’il s’agisse de prix littéraires ou de traduction, de financements étatiques, de présence médiatique, etc. –, et si nos lecteurs trouvent dans ce travail un encouragement à approfondir et à développer l’étude de tels signes et de telles marques, cela signifie que notre recherche contribue au développement d’une critique « matérialiste » de la production culturelle d’aujourd’hui. Par critique matérialiste, nous entendons ici une analyse des biens culturels, en l’occurrence des romans contemporains, qui prenne en considération non seulement le bien en soi – c’est-à-dire, dans notre cas, le texte –, mais aussi les éléments matériels, objectifs, qui lui sont externes, et qui pourtant participent à son existence publique. En d’autres termes, nous proposons d’accompagner l’analyse strictement littéraire des livres par une étude des circonstances dans lesquelles ces mêmes livres ont pu paraître, puisque nous sommes persuadés que la valeur de chaque ouvrage ne réside pas uniquement dans sa qualité intrinsèque, mais qu’elle est, en réalité, le produit d’une construction collective. À cette construction contribue non seulement l’auteur, mais aussi son éditeur, ses critiques, éventuellement son agent et/ou son traducteur. C’est pour cette raison qu’ayant choisi de focaliser notre recherche sur le travail des éditeurs, nous montrerons dans les chapitres suivants la différence que représente, pour un auteur, la publication chez un groupe comme Mondadori, chez un éditeur indépendant comme Voland ou encore chez une maison très jeune et spécialisée comme Clichy.

1.2 COMBIEN D’ÉDITEURS ? Déterminer avec exactitude le nombre d’éditeurs italiens est une tâche ingrate. Bien que l’Association italienne des éditeurs (Associazione Italiana Editori, ou AIE) fournisse chaque année des données mises à jour sur l’état du marché italien, le dynamisme constant de ce secteur de production, la pléthore d’entreprises qui naissent chaque année et le grand nombre de celles qui ferment leurs portes à un rythme rapide empêchent de s’arrêter avec certitude sur des chiffres précis1. En outre, parmi les milliers de maisons recensées chaque année, plusieurs sont considérées comme « inactives », c’est-à-dire qu’elles n’ont publié aucun livre au cours de l’année précédant le recensement. Ainsi, sur les 4226 maisons recensées en Italie en 2002, seulement 2097 (moins de la moitié !) sont actives ; parmi celles-ci, 1418 1

Peresson fournit un aperçu du rapport entre les nouvelles maisons d’édition et les maisons qui arrêtent leur activité dans un tableau relatif au créneau 1990–2007 dans : Peresson, Giovanni (dir.) : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2009, Milan, AIE/Ediser, 2009, p. 26, tab. 22.

Le champ italien : un marché du livre monopolisé et en transformation

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ne publient des livres que de manière occasionnelle, c’est-à-dire moins d’un titre par mois ; de plus, seules 679 des maisons actives qui publient plus d’un titre par mois sont dotées une structure interne complexe et disposent d’un réseau de distribution et de promotion efficace2. Quoi qu’il en soit, il est certain que le nombre de maisons d’édition actives dépasse les quelques centaines et qu’il est nécessaire, afin d’y trouver un peu d’ordre, de choisir des critères pour les trier et les classer en plusieurs catégories. Aux fins de cette analyse, il n’y a pas de véritable intérêt à considérer sans distinction toutes les maisons actives. Puisque de nombreux éditeurs se consacrent à des genres spécifiques qui ne concernent pas la production littéraire, comme les textes scolaires, l’édition religieuse ou les livres d’artistes, il est beaucoup plus pertinent de délimiter, parmi la grande quantité de maisons existantes, celles dont au moins une partie significative du catalogue se spécialise dans la production littéraire. Dans le catalogue publié en 2005, une catégorisation des éditeurs selon leur spécialisation permet d’isoler ces maisons : il existe notamment deux catégories relevant d’une production littéraire, à savoir « Letteratura in generale » (littérature générale) et « Narrativa » (fiction)3. Les deux listes se chevauchent à maintes reprises, c’est-à-dire que les mêmes éditeurs paraissent souvent dans les deux ; la première comprend un ensemble de 548 maisons, la seconde 634. Parmi ces maisons, nous considérerons celles qui publient un nombre significatif d’ouvrages de littérature contemporaine en grand format, excluant donc les éditeurs qui proposent majoritairement des essais, des classiques et/ou des rééditions en format poche de romans déjà parus ailleurs – comme dans le cas de Tascabili degli Editori Associati (ou TEA), comparable à une maison française telle que Le Livre de poche ou J’ai lu. Ensuite, nous identifierons, au sein de ce groupe déjà beaucoup plus circonscrit, les maisons qui traduisent régulièrement des romans contemporains étrangers, plus particulièrement du français et de l’allemand. Cette suite d’opérations restreint considérablement le champ des éditeurs qui jouent un rôle déterminant pour notre étude : il s’avère qu’environ une cinquantaine de maisons publie la majorité de la littérature contemporaine, et que celles qui traduisent de façon systématique des romans contemporains étrangers sont encore moins nombreuses, dans l’ordre de la vingtaine. 2 3

Padellaro, Angela (dir.) : L’editoria libraria in Italia, Rome, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato, 2002, pp. 93–95. Catalogo degli editori italiani 2005, Milan, Associazione Italiana Editori/Editrice Bibliografica, 2005. La difficulté d’indiquer une seule spécialisation pour chaque maison est énoncée dès l’introduction du catalogue : « La specializzazione editoriale delle singole case editrici è stata indicata sulla base de uno schema fisso di classificazione elaborato con scopi prevalentemente pratici […]. Questo schema, naturalmente, non può rispecchiare né tutti i settori di produzione coperti da un determinato editore (si sono attribuiti fino a un massimo di 5 specializzazioni) né può adattarsi ai particolarissimi ambiti di produzione di numerosi editori. Non trovando una specifica collocazione, si deve pertanto fare riferimento a una voce più generale che la congloba o che concettualmente le si avvicina di più. »

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Or, au sein de cette sélection, il est possible de mieux discerner les relations qui lient les éditeurs les uns aux autres. Comme déjà évoqué, un premier classement permet de mesurer le pouvoir économique de chaque maison sur la base de données concernant sa structure juridique, son chiffre d’affaires, le nombre de salariés, l’ampleur du catalogue, le nombre de nouveautés publiées annuellement, le tirage moyen, le système de distribution de la production ainsi que l’organisation des tâches au sein de la maison4. Sur la base de ces informations, nous distinguons au moins quatre catégories : les grands groupes éditoriaux, les grandes maisons indépendantes, les éditeurs indépendants de taille moyenne et ceux de petite taille. Il va de soi que ces regroupements ont une fonction purement représentative : les chiffres nous montrent qu’il existe plutôt un continuum, sur lequel les maisons peuvent se déplacer à tout moment au cours de leur trajectoire. Les tableaux récapitulatifs suivants ont été compilés en tenant compte du chiffre d’affaires, du nombre de nouveaux titres par an et du nombre de titres de fonds dans le catalogue de quelques groupes et maisons pertinents pour notre analyse en 2005 et en 2015 : Grands groupes DeAgostini GeMS Giunti Holding Effe (e. a. Feltrinelli, Donzelli) Mondadori (e. a. Einaudi, Sperling & Kupfer, Frassinelli, Piemme) RCS (e. a. Bompiani, Marsilio, Sonzogno, Adelphi)

Grande taille Fazi Le Lettere Mimesis Neri Pozza Quodlibet Sellerio SugarCo

Taille moyenne

Petite taille

e/o Gremese Marcos y Marcos minimum fax Voland

Alet Keller Nottetempo Nutrimenti Transeuropa

Fig. 1 : Maisons d’édition classées selon leurs dimensions (2005 – sélection d’éditeurs)

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Ces critères sont évoqués par Angela Padellaro, L’editoria libraria in Italia, pp. 93–105. Il s’agit, en général, de critères discutables, auxquels peuvent s’ajouter et/ou se substituer d’autres ; toutefois, puisque nous nous appuyons sur des données d’ordre commercial, il nous semble opportun de les considérer comme des faits objectifs qui fournissent des indications assez fiables sur le poids économique des maisons prises en compte.

Le champ italien : un marché du livre monopolisé et en transformation

Grands groupes DeAgostini Mondadori (e. a. Einaudi, Rizzoli, Sperling & Kupfer, Frassinelli, Piemme) GeMS (e. a. Bollati Boringhieri, Guanda, Longanesi, Salani) Giunti Holding Effe (e. a. Feltrinelli, Donzelli)

Grande taille e/o Fazi Le Lettere Marcos y Marcos Mimesis Neri Pozza minimum fax Quodlibet Sellerio SugarCo

Taille moyenne 66th&2nd Clichy Del Vecchio Gremese Keller Nottetempo Nutrimenti Transeuropa Voland

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Petite taille Alet La nave di Teseo L’Orma Zandonai

Fig. 2 : Maisons d’édition classées selon leurs dimensions (2015 – sélection d’éditeurs) Dans la catégorie des groupes, nous avons rassemblé les conglomérats éditoriaux qui comprennent en leur sein plusieurs marques éditoriales, qui publient plus de cent nouveautés par an et qui possèdent des catalogues de l’ordre de milliers de titres ; les nouvelles parutions des grandes maisons oscillent entre cinquante et cent titres par an (avec des catalogues d’ampleur variable, par exemple de 1641 titres pour Sellerio en 2005 à 414 pour Fazi en 2011), pour les éditeurs de taille moyenne, les nouveautés annuelles oscillent entre vingt et cinquante (avec des catalogues comprenant de cent cinquante à quatre cents titres), et enfin elles s’élèvent à environ une dizaine de titres pour les maisons de petites dimensions. Il est nécessaire de préciser, en outre, que plusieurs maisons de grande taille, comme Quodlibet, Mimesis et SugarCo, tout en éditant régulièrement des ouvrages de fiction, se spécialisent plutôt dans la publication d’essais, ce qui explique le décalage entre leurs dimensions considérables et leur prestige limité dans le champ littéraire. Cette première classification met en lumière quelques dynamiques significatives. Les groupes qui contrôlent la majorité du marché libraire sont passés de six en 2005 à cinq en 2015, à cause du rachat de RCS par Mondadori, dont nous aborderons les implications par la suite ; cela se traduit, nous le verrons, par une accentuation de la structure monopolistique du marché éditorial. Les maisons indépendantes, actives et pertinentes pour notre étude sont devenues un peu plus nombreuses ; en outre, la tendance montre une croissance du pouvoir économique des maisons qui, encore de taille moyenne en 2005, passent à la catégorie supérieure en 2015. En général, deux observations de principe sont à retenir : d’un côté, les éditeurs indépendants de moyenne à grande taille deviennent de plus en plus nombreux et puissants ; de l’autre, de nouveaux entrants ne cessent d’ébranler le

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champ éditorial, même dans une période considérée comme critique pour la production de biens culturels5. Ce schéma ne rend pas compte, néanmoins, de quelques cas particuliers dont les dates de début ou de fin des activités ne rentrent pas dans notre créneau temporel. La maison Barbès, par exemple, qui ouvre ses portes en 2007 et les ferme en 2012, n’est pas visible dans le tableau ; on ne peut pas observer non plus la faillite de Zandonai, maison née en 2007 et close en 2015 après quelques dernières publications ; la présence d’Adelphi comme maison indépendante reste également en dehors du schéma, puisque son rachat par le groupe Mondadori n’a lieu qu’en 2016 ; et le passage de Bompiani au groupe Giunti, qui a lieu la même année, n’est pas visible non plus, tout comme la signification de ce passage pour la jeune maison La Nave di Teseo, qui accueille au sein de son catalogue et de sa rédaction plusieurs auteurs et collaborateurs de Bompiani. Ce genre de classement, cependant, s’avère utile dans la mesure où la distribution des maisons qu’il révèle correspond aux différentes manières dont elles abordent le travail éditorial. En effet, il est possible de reconnaître des tendances qui rapprochent entre eux tous les grands groupes, et d’autres tendances qui, au contraire, réunissent les éditeurs indépendants de taille petite à moyenne. Tandis que les premiers tendent à privilégier une politique du titre ou d’auteur, les autres optent pour une politique de collection ; tandis que les premiers proposent toujours des catalogues généralistes, qui visent à combler autant que possible la demande du public, les autres préfèrent se spécialiser dans des secteurs de niche, souvent avec l’ambition de créer, au moins en partie, leur propre public ; enfin, alors que les premiers s’éloignent de plus en plus de leur core business littéraire pour s’ouvrir à d’autres domaines plus rentables (surtout les médias audiovisuels), les seconds misent sur la qualité du travail rédactionnel du texte, ainsi que sur la préparation graphique et matérielle de l’objet-livre. Nous avons donc structuré l’analyse suivante en deux parties, l’une consacrée aux groupes éditoriaux et l’autre aux maisons indépendantes. Nous rappelons tout de même au lecteur qu’aucun automatisme n’existe dans la production des biens symboliques, que l’indépendance n’est aucunement synonyme de qualité (ni la dépendance n’est synonyme de démérite) et que, comme nous le ferons par la suite, chaque cas mérite d’être considéré et étudié individuellement.

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Significatif, à ce propos, est le discours de la presse autour de la fondation de plusieurs maisons indépendantes nées autour de la crise des années 2010 : nous verrons ci-dessous le cas des éditions L’Orma, dont la création a été interprétée par certains comme un signe du « courage » de ses directeurs (v. infra).

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1.3 LES GROUPES : CONCENTRATION, DIVERSIFICATION, INTERNATIONALISATION Le panorama éditorial italien subit, entre 2005 et 2015, d’intenses transformations. En réalité, ces transformations ne sont qu’une continuation de quelques tendances initiées entre les années 1980 et 19906, lesquelles se prolongent et s’intensifient au cours de la décennie qui nous intéresse. Au moins trois phénomènes majeurs sont clairement discernables : tout d’abord, la concentration et l’internationalisation des grands groupes éditoriaux ; ensuite, l’instabilité de la « frange »7, constituée d’éditeurs indépendants de taille petite à moyenne et dont la composition se renouvelle de façon aussi constante que rapide ; enfin, et surtout dans la seconde moitié de la décennie étudiée, la revalorisation de plus en plus institutionnalisée d’une édition indépendante et artisanale, à travers la création de nouvelles instances de consécration, tels des prix et des salons littéraires exclusivement conçus pour ce segment de la production qui se présente comme haut de gamme.

1.3.1 Concentration L’inégalité qui caractérise la distribution du pouvoir économique dans le champ éditorial italien s’accroît constamment entre 2005 et 2015. Bien qu’elle ne constitue pas un phénomène nouveau, elle atteint pendant cette période une ampleur de plus en plus extrême. En effet, la structure de l’« oligopole à frange » est aisément reconnaissable dès 2003 : cinq géants – Mondadori, RCS, DeAgostini, Giunti et Messaggerie Libri – contrôlent la majorité du marché en termes de chiffre d’affaires ; à leurs côtés, une cinquantaine de groupes mineurs et de maisons indépendantes renommées sont également visibles dans les canaux de distribution ; en outre, entre cent cinquante et deux cents maisons de taille petite à moyenne comptent sur un certain prestige culturel qui compense significativement leur sujétion économique8. Des centaines d’autres éditeurs mineurs constituent, enfin, la frange qui cherche à survivre dans ce marché : leur nombre est plus ou moins élevé 6

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Que ces phénomènes commencent à se vérifier à cette époque est confirmé par la littérature critique : v. par exemple Padellaro, L’editoria libraria in Italia ; Vigini, Giuliano : Rapporto sull’editoria italiana : struttura, produzione, mercato, Milan, Editrice Bibliografica, 1999. Les processus de concentration, en particulier, ont vécu un véritable pic à la fin des années 1990 : v. Cardone, Raffaele : Mergermania : avanti tutta, Milan, Ediser, 1999. L’image de l’« oligopole à frange » appliquée à la structure du marché éditorial, que nous reprenons par la suite, est employée par Bénédicte Reynaud pour décrire l’état de l’édition française du début des années 1980 : Reynaud, Bénedicte : L’Evolution de la structure de la branche d’édition de livres en France, thèse de doctorat sous la direction de J. Parent, Paris, Université Paris 1, 1982 et Reynaud, Bénedicte : « L’Emprise des groupes sur l’édition française au début des années 1980 », Actes de la recherche en sciences sociales, 130 (1999), pp. 3–10. Cf. Vigini, Giuliano : L’editoria in tasca, Milan, Editrice Bibliografica, 2004.

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selon le choix d’y inclure ou non ceux qui ne correspondent pas aux critères pour être considérés comme « actifs ». Ces conditions s’exacerbent au cours des années suivantes. En 2005 naît GeMS, le groupe qui, dix ans plus tard, occupera la deuxième place après Mondadori en termes de domination économique. Toujours en 2005 naît le Holding Effe, qui réunit les éditions et les librairies de la marque Feltrinelli ; ce groupe se trouvera aussi, en 2015, parmi les cinq groupes dominants de l’édition littéraire. Les protagonistes de l’oligopole éditorial italien ne changent donc pas pendant notre créneau temporel ; ce qui varie, en revanche, est leur structure interne et, dès lors, leurs dimensions et leurs rapports réciproques de pouvoir économique. Cela se doit aux opérations de fusion, de vente et de rachat qui modifient sans cesse la structure de ces énormes entreprises : chaque année, elles s’agrandissent et se renouvellent, respectant le « dynamisme naturel »9 qui caractérise les grandes structures commerciales. Pourtant, ces changements structurels ne modifient rien à la répartition inégale des forces sur le marché, où un petit nombre d’entreprises très puissantes se partage la majorité du chiffre d’affaires national10. En effet, en 2007, le groupe Mondadori détient 28,8 % du marché, suivi par RCS avec 12,8 %, GeMS avec 8,9 %, Giunti avec 5,5 % et enfin Feltrinelli avec 3,9 %11. Quelques années plus tard, en 2011, les mêmes cinq groupes contrôlent plus de la moitié du marché, à savoir 63,1 % du chiffre d’affaires : en tête se trouve encore Mondadori, détenteur de 27,4 % du chiffre d’affaires de l’édition nationale ; il est suivi par RCS, GeMS, Giunti et Feltrinelli, qui contrôlent respectivement 11,9 %, 10,6 %, 7,7 % et 5,5 % du marché12. En 2015, enfin, suite au rachat du groupe RCS, la part du marché occupée par Mondadori augmente jusqu’à dépasser les 35 %13. Ce contrôle du marché de la part d’un nombre très réduit d’entreprises est d’autant plus subtil que ces groupes possèdent, au moins en partie, plusieurs marques, dont l’appartenance au groupe n’est pas toujours évidente aux yeux du public. L’il9 10

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Ibid., p. 60. L’inégalité de la répartition correspond approximativement au modèle proposé par Pareto pour décrire la courbe de la répartition des richesses : Pareto, Vilfredo : Écrits sur la courbe de la répartition de la richesse, Genève, Droz, 1965. Ce modèle prévoit une distribution asymétrique dans laquelle un petit nombre, autour du 20 %, contrôle la plupart des ressources, autour du 80 %, et vice-versa. Pour une analyse des spécificités françaises du même phénomène de concentration éditoriale et de ses conséquences sur la production littéraire, v. Denieuil, Concentration éditoriale et bibliodiversité. Peresson (dir.), Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2009, p. 65, tab. 55. Dans le même rapport, des données sur la répartition du marché sont indiquées selon les dimensions des maisons d’édition : en 2009, 19,7 % de la production nationale serait faite par les grands groupes éditoriaux, 54,1 % par les éditeurs de taille moyenne et grande, 18,8 % par des maisons moyennes, et enfin 7,4 % par les éditeurs de taille petite : ibid., p. 22, tab. 14. Ces données statistiques sont fournies par l’AIE et élaborées par le BIEF dans une étude sur l’état du marché éditorial italien en 2011 : Cardone, Raffaele : L’Edition en Italie, Paris, Département d’études du BIEF, 2012. Conti, Paolo : « Ernesto Mauri : ‘Non chiamateci Mondazzoli : crescere fa bene ai libri’ », Corriere della Sera, 3 décembre 2015.

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lusion de diversité qui en découle ne correspond donc pas à la réalité : ainsi, Einaudi, Frassinelli et Sperling&Kupfer appartiennent par exemple à Mondadori, Adelphi, Marsilio et Sonzogno à RCS, Guanda, Bollati Boringhieri et Ponte alle Grazie à GeMS, et ainsi de suite. Cela ne signifie pas nécessairement que les maisons appartenant à un groupe perdent leur identité et s’alignent sur une production commune ; au contraire, il est tout à fait dans l’intérêt des groupes de fournir une offre aussi diversifiée que possible afin d’atteindre tous les publics, puisque l’objectif de ces entreprises de très grandes dimensions est de saturer la demande14. Mais un tel intérêt demeure d’ordre strictement commercial : l’intégration dans un groupe implique nécessairement de respecter des contraintes économiques – comme la réalisation d’un objectif budgétaire annuel – qui ne sont pas toujours conciliables avec une pratique éditoriale libre et capable d’assumer des risques économiques au profit de valeurs littéraires autonomes15. Pendant la période 2005–2015, la croissance des groupes via l’acquisition de maisons de dimensions plus réduites continue : en 2000, RCS englobe Marsilio ; en 2003, Utet est rachetée par DeAgostini et Piemme par Mondadori ; GeMS achète Ponte alle Grazie en 2006 et Bollati Boringhieri en 2009 ; toujours en 2006, le groupe Federico Motta – Sole 24 Ore achète Libri Scheiwiller. La concentration du marché atteint son sommet en 2015, lorsque Mondadori, qui était depuis une décennie le plus grand groupe éditorial italien, acquiert RCS, le deuxième géant de l’édition. À partir de ce moment, la structure du marché italien ressemble de moins en moins au modèle oligopolistique tel qu’il l’était à la fin du vingtième siècle, et prend un tournant monopolistique : comme dans le cas français, où Lagardère domine largement sur les autres groupes éditoriaux, en Italie le groupe Monda14

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V. par exemple les déclarations d’Ernesto Mauri, administrateur délégué de Mondadori, à propos de l’identité d’Einaudi depuis le rachat : « Se un marchio perde specificità, quindi libertà, perde anche valore. Abbiamo tutto l’interesse a tutelare l’identità dei brand. Nel 1994 abbiamo acquisito Einaudi in una situazione economicamente disastrosa. Oggi è il fiore all’occhiello del gruppo : è rimasta se stessa e produce utili. E così Piemme e Sperling & Kupfer. Lo stesso criterio adotteremo, adesso, per i marchi di Rcs Libri » (dans : Conti, « Ernesto Mauri : ‘Non chiamateci Mondazzoli’ »). Dans son essai très débattu sur la pensée intellectuelle contemporaine, Raffaele Alberto Ventura développe ultérieurement cette idée et observe la façon dont les plus grandes maisons d’édition (mais aussi les grandes marques de l’industrie cinématographique et musicale) se sont appropriées de la production soi-disant indépendante : « Uno dei termini che ha subito la più evidente perdita di significato è appunto il concetto di ‘indipendente’, o, gergalmente, ‘indie’: la sua trasformazione vale come esempio (ormai paradigmatico e financo banale) di questo processo di assorbimento della controcultura nel linguaggio del marketing culturale. In origine, il termine definisce le aziende culturali medie o piccole e i loro prodotti, in opposizione ai prodotti mainstream delle grandi major ; oggi è semplicemente un claim promozionale. Nell’idea d’indipendenza tiene il rifiuto dell’Industria Culturale come descritta da Adorno e Horkheimer ; nella pratica, il prodotto ‘indipendente’ è oggi semplicemente uno dei tanti prodotti industriali disponibili » (Ventura, Raffaele Alberto : Teoria della classe disagiata, Rome, minimumfax, 2017, p. 138). Ci-dessous, nous verrons à ce propos plus en détail le cas de la maison turinoise Einaudi, propriété du groupe Mondadori.

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dori s’élargit progressivement. À cette domination s’ajoute la consolidation des groupes de très grandes dimensions qui étaient en train de se former depuis le début des années 2000 : ils sont, pour l’édition littéraire, le groupe GeMS, le Holding Effe, DeAgostini et Giunti. À leurs côtés se trouvent d’autres regroupements mineurs, comme le groupe Mimesis et la société Athesis, et enfin, comme dans les années 1980–1990, la frange des éditeurs indépendants.

1.3.2 Diversification et internationalisation Au-delà de ces opérations de cession et de rachat, le processus de concentration se manifeste aussi au travers d’une série, non moins significative, de joint-ventures et d’alliances stratégiques entre les entreprises, vouées à faciliter les opérations commerciales tout au long de la filière du livre. C’est le cas, par exemple, de la création en 2010 d’Editoria Digitale Italiana, ou Edigita, qui se consacre à la distribution des e-books et qui est mise en place conjointement par Messaggerie, RCS et Feltrinelli. En effet, le processus d’expansion des grands groupes va de pair avec la concentration croissante des systèmes de distribution, en aval de la filière du livre. Les grands groupes éditoriaux peuvent compter, parmi les sociétés qui les composent, sur des structures de distribution qui leur appartiennent et qui garantissent la disponibilité de leur production en librairie, ainsi que la visibilité de leurs dernières parutions. Ainsi, le groupe Mondadori s’appuie sur sa propre société de distribution Press-Di, GeMS diffuse sa production depuis 2008 à travers Emmelibri, propriété du groupe et Effe a également recours à sa propre entreprise de distribution, PDE. Ensuite, de 2010 à 2015, l’oligopole de la distribution se rapproche d’un monopole, lorsque le groupe GeMS entame des joint-ventures avec Giunti et Effe pour créer des distributeurs communs, respectivement Giunti & Messaggerie et EmmeEffe Libri. Dans ce contexte, la survie des éditeurs indépendants devient plus ardue, puisqu’ils doivent s’appuyer sur des distributeurs externes, souvent les mêmes qui appartiennent aux grands groupes ; ceux-ci trouvent quant à eux un intérêt à contrôler la distribution en librairie qui, nous le verrons, représente un échelon fondamental de la filière du livre et ainsi, partant, un instrument de contrôle de la visibilité et de l’accessibilité au public des divers produits éditoriaux. Le Holding Effe est typique des tendances de l’édition contemporaine, non seulement à cause de son élargissement constant, mais aussi du fait de son ouverture progressive à d’autres secteurs d’activité. Après avoir garanti à sa production une couverture sur toute la filière en prenant en charge la production, la promotion et la distribution de ses livres, il s’étend jusqu’aux domaines de l’audiovisuel, en créant « Effe TV » en 2012, et de l’alimentaire, en proposant la chaîne RED, « Read Eat Dream », au cours de la même année. Ce même mouvement de diversification de l’offre – qui réduit la priorité de la production littéraire, et plus gé-

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néralement éditoriale, au profit d’autres activités plus rentables –, permet d’interpréter le choix du groupe RCS de modifier sa raison sociale de « RCS Editori » en « RCS MediaGroup » en 200316. En outre, le Holding Effe est représentatif d’une tendance supplémentaire de cette période, à savoir l’internationalisation des entreprises17. Si, avant le nouveau millénaire, les éditeurs italiens n’avaient pas encore manifesté beaucoup d’intérêt à l’extension de leur activité au-delà des frontières nationales18, les grands groupes adoptent une nouvelle approche dès les années 2000. À partir de 2010, le groupe Effe achète des actions chez des entreprises espagnoles, à savoir les éditions Anagrama, puis les librairies La Central – un choix qui s’explique par la haute rentabilité du marché hispanophone, beaucoup plus étendu que l’italien. La même volonté de s’élargir au-delà des frontières du pays est discernable chez d’autres groupes : DeAgostini en est un exemple. Ce groupe détient depuis 2003 une part d’Antena 319 et réunit depuis 2008, au sein de la société Zodiak Entertainement, les entreprises Magnolia, Marathon Groupe et Zodiak Television, consacrées à la production de contenus médiatiques respectivement en Italie, en France et en Suède.

1.3.3 Dépendance et autonomie Il est important de s’interroger sur les possibilités que ces énormes conglomérats laissent à une production littéraire qui ne se veuille pas exclusivement commerciale. Il est courant, en effet, de considérer les grands groupes comme les ennemis jurés de toute littérature autonome, au sens où elle serait indépendante des lois du marché. Ce discours, par ailleurs, est conforté par plusieurs recherches et témoignages qui démontrent l’implantation de plus en plus établie d’une logique économique au sein de la production culturelle20. Néanmoins, les grands groupes éditoriaux italiens sont en même temps ceux qui ont accumulé, grâce à leur an16

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Cette nouvelle dénomination permet au groupe de mieux s’insérer « nei comparti dei new media, della tv digitale e della radiofonia, nell’organizzazione di eventi sportivi, nella raccolta pubblicitaria e nella distribuzione » (selon le site officiel de RCS, consulté le 20 mai 2018, www.rcs mediagroup.it/pagine/il-gruppo/storia). Mollier, Jean-Yves : Où va le livre ?, Paris, La Dispute, 2007.  Seuls quelques groupes majeurs, parmi lesquels RCS et Mondadori, s’étaient ouverts à l’étranger : le premier avait racheté Flammarion en 2000 (pour le céder à Gallimard en 2012), le second avait collaboré avec Bertelsmann pour lancer BOL Italie. Ce sont plutôt les éditeurs étrangers, effectivement, qui manifestent de l’intérêt à s’élargir vers l’Italie : v. Padellaro, L’editoria libraria in Italia, pp. 101–103. Cf. Vigini, Rapporto sull’editoria italiana, p. 53. Il s’agit d’une chaîne espagnole de radio et télévision qui fusionne à son tour, en 2012, avec La Sexta ; en 2013, elle a changé son nom en Atresmedia. Le témoignage d’André Schiffrin, en particulier, est celui qui a suscité le plus grand éclat à l’échelle internationale : Schiffrin, André : L’Edition sans éditeurs, trad. Michel Luxembourg, Paris, La Fabrique, 1999 ; puis Schiffrin, André : Le Contrôle de la parole. L’édition sans éditeurs, suite, trad. Eric Hazan, Paris, La Fabrique, 2005.

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cienneté et à leurs catalogues, le plus grand capital symbolique au sein du champ littéraire21. Des maisons comme Bompiani, Einaudi ou Feltrinelli continuent à publier des auteurs de renom au pôle de production restreinte : les prix Nobel Modiano et Grass, par exemple, sont des auteurs einaudiens, et Feltrinelli peut afficher parmi ses parutions plusieurs titres de Marguerite Duras et de Herta Müller. Ainsi, ne serait-ce qu’en raison de l’intérêt des directeurs des groupes à garder intacte la diversité de leur offre, la question se pose de bien définir le degré d’autonomie des maisons d’édition absorbées par des entreprises plus grandes. Les témoignages des protagonistes de l’édition nous aident à mieux comprendre la relation que les maisons dépendantes entretiennent avec leur chef de groupe. Un des editors22 responsables de la littérature étrangère chez Einaudi, Francesco Guglieri, explique par exemple qu’il n’y a « aucun rapport » réel entre la maison turinoise et Mondadori, et que leur liberté intellectuelle est totale dans leurs choix éditoriaux23. En effet, aucune intervention du chef de groupe n’est nécessaire pour valider la décision de publier ou bien de rejeter un manuscrit. Cependant, il existe bien une liaison entre le groupe et les maisons qui le composent, une liaison de nature économique : chaque maison membre du groupe doit atteindre des objectifs budgétaires, ce qui représente une contrainte non négligeable au moment d’assumer des choix artistiques moins rentables. Cela signifie que, si l’identité et l’autonomie des maisons absorbées ne sont pas attaquées directement par leur chef de groupe, l’atteinte a lieu tout de même, de façon médiée, à travers le bureau commercial, puisque les contraintes économiques inhibent la création d’un catalogue dont le rendement ne serait pas immédiat, c’est-à-dire à rotation lente. Nous observerons, dans la suite de notre analyse, que cette opposition entre des rythmes de production lents ou rapides constitue pour les maisons d’édition 21

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Bourdieu énumère, parmi les critères qui permettent de mesurer le capital symbolique d’un éditeur, « l’ancienneté (qui, dans tous les univers sociaux, est associée à la noblesse), l’importance et la qualité du fonds éditorial, mesuré au nombre d’écrivains consacrés et classiques, et en particulier au nombre de lauréats de prix Nobel » (Bourdieu, « Une révolution conservatrice dans l’édition », p. 4, note en bas de page 3). Ces critères sont uniquement indicatifs, car ils peuvent parfois entrer en conflit les uns avec les autres : ainsi, par exemple, les maisons les plus anciennes sont souvent devenues des groupes qui privilégient, dans leur politique éditoriale, des logiques économiques de rentabilité à court terme, ce qui engendre une baisse de leur prestige aux yeux du public des spécialistes. Tout au long de ce travail, nous distinguons les termes « éditeur » et « editor » selon leur utilisation courante dans ce milieu professionnel, bien que la différenciation entre ces deux figures ne soit pas officielle : l’éditeur indique, habituellement, celui qui s’occupe de la macro-gestion du catalogue dans ses diverses collections, alors que l’editor, en revanche, prend en charge la micro-gestion des publications prises individuellement et/ou d’une section de la production par exemple d’un auteur ou d’une aire linguistique). Nous aborderons plus en détail par la suite les diverses figures professionnelles au sein d’une équipe éditoriale. Entretien avec Francesco Guglieri (la liste détaillée des entretiens réalisés dans le cadre de cette recherche, avec l’indication des dates et des lieux, se trouve en annexe). Ces déclarations sont valables au moins pour la période pendant laquelle Guglieri a collaboré avec Mondadori en tant qu’editor, dans l’équipe de la littérature étrangère, c’est-à-dire depuis 2011.

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italiennes un critère de distinction essentiel, encore plus pertinent que les dimensions ou l’ancienneté. Dans un tel contexte, une manière d’obéir aussi, du moins en partie, à la logique autonome du champ littéraire consisterait, selon certains, à appliquer la stratégie de la péréquation24 : suivant ce système, un éditeur pourrait se permettre de publier des textes plus ou moins hasardeux d’un point de vue commercial grâce à quelques parutions très rentables qui contiendraient les « pertes ». Il s’agit effectivement d’une pratique courante, surtout dans le cas des maisons de plus petites dimensions, comme nous le verrons. Mais les grands groupes sont plus réticents à mettre en pratique cette stratégie : d’une part, parce qu’ils renoncent de plus en plus à découvrir de nouveaux écrivains et choisissent de consolider leur capital symbolique à travers l’acquisition ou le maintien d’auteurs déjà établis ; d’autre part, parce que leur structure interne ne permet pas toujours de distribuer les rendements d’un secteur à l’autre. En ce qui concerne le premier point, nous observerons l’exemple représentatif que constituent les choix d’Adelphi en littérature contemporaine allemande, qui se réduisent à une réappropriation de l’œuvre de W. G. Sebald après une première phase de cet auteur chez Bompiani. En ce qui concerne le deuxième point, c’est encore une fois l’exemple d’Einaudi qui nous permet de mieux saisir les dynamiques internes à une grande maison. La structure de l’entreprise prévoit une division en plusieurs « aires » : les Classiques, les Livres de Poche, la Littérature italienne, et ainsi de suite. Alors que l’aire consacrée à la littérature étrangère, qui se charge des collections Supercoralli, Coralli, Frontiere et L’Arcipelago, s’adresse à un public relativement restreint25, celle consacrée à Stile Libero, où sont publiés des romans policiers et de genre se tourne plutôt vers le grand public. Or le bilan économique de chaque aire est indépendant des autres, c’est-à-dire que les publications de Stile Libero, bien que très rentables, n’autorisent pas pour autant des choix plus risqués au sein de Supercoralli. C’est pourquoi le système de la péréquation ne serait applicable qu’à l’intérieur de chaque aire, ce qui pourrait réduire de fait le pouvoir de consécration de ses collections. En outre, il est pertinent de se demander si l’assimilation de cette pratique serait réellement souhaitable pour la production littéraire. Elle rappelle, en effet, la stratégie dite du « tentpole », une méthode controversée et typique de la produc-

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V. Sapiro, Gisèle : « Introduction. Les obstacles économiques et culturels à la traduction », dans : Sapiro, Gisèle (dir.) : Rapports de force et échelles de grandeur sur le marché de la traduction. Les obstacles à la circulation des œuvres de littérature et de sciences humaines à l’ère de la mondialisation, Paris, Centre européen de sociologie et de science politique, 2011, pp. 15–41, ici p. 24 ; Collard, Fabienne/Goethals, Christophe et al. : « Le livre », Dossiers du Centre de recherche et d’information socio-politiques, 84 (2015), pp. 9–147, ici pp. 41–42. Il subsiste, à l’intérieur de cette aire que nous observerons par la suite dans le détail, une hiérarchie interne : dans le domaine de la littérature étrangère, Supercoralli demeure la collection la plus prestigieuse d’Einaudi, et l’une des plus prestigieuses à l’échelle nationale.

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tion cinématographique hollywoodienne26. L’inconvénient principal de ce système, qui consiste à tirer un maximum de profits grâce à une seule production très largement promue, est le manque de visibilité auquel sont réduits les produits restants : s’il est vrai qu’un film très rentable permet de financer des projets plus autonomes, destinés à circuler sur une longue durée, il est aussi vrai que ces derniers risquent de demeurer invisibles, cachés dans l’ombre d’un produit de masse qui occupe tous les canaux de promotion et distribution. Transposée au domaine littéraire, cette pratique risquerait, en somme, d’aggraver une situation dans laquelle une vaste majorité de la production peine déjà à arriver aux yeux du public. Il y aurait, encore une fois, une échappatoire possible : si la promotion et la distribution sont saturées par la présence des produits de masse, il serait possible de promouvoir les produits plus spécifiquement littéraires à travers d’autres canaux, eux aussi plus spécifiques. En d’autres termes, au lieu de diffuser des titres choisis du catalogue, c’est-à-dire ceux voués à un cycle à rotation lente, exclusivement par les mêmes médias employés pour les best-sellers (journaux nationaux, radio, librairie), les éditeurs et les autres agents du champ culturel pourraient s’approprier des canaux indépendants, consacrés à la production du pôle autonome. Il s’agirait de la création, ou de la revitalisation d’un espace intellectuel actif dans les universités, les bibliothèques, les centres sociaux et culturels, où les éditeurs pourraient proposer les nouveautés qu’ils estiment prometteuses et créer une communauté de discussion dont l’impact dépasserait le nombre d’exemplaires vendus. Nous verrons, par la suite, que le manque ou l’isolement d’un tel espace nuit souvent à la permanence des auteurs et à l’incidence de leurs ouvrages dans le débat culturel du champ d’accueil.

1.3.4 Concurrence et coopération Nous avons observé que les groupes éditoriaux ont tendance, pendant la période considérée, à se concentrer de plus en plus dans de grands conglomérats, à diversifier leur production en s’éloignant de leur core business littéraire, et à s’ouvrir autant que possible au marché international. Nous verrons par la suite de quelle manière ils sélectionnent leurs auteurs de langue française et allemande, et comment ils gèrent cette littérature traduite. Mais comment interagissent-ils, tout d’abord, avec les autres éditeurs italiens, notamment ceux qui demeurent indépendants et qui pourraient donc constituer leur concurrence ? La confrontation, il faut le souligner, n’est pas à armes égales : d’un point de vue économique, en effet, il n’y a pas de véritable lutte, étant donné que les groupes 26

V.  Augros, Joël  : « Un dépendant, des dépendants  : l’imbrication des secteurs indépendants et commerciaux à Hollywood aujourd’hui », Revue française d’études américaines, 136 (2013), pp. 67–79, ici p. 74 et note 9 à la page 79.

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produisent une part extrêmement significative du chiffre d’affaires national. Concrètement, cela signifie qu’un grand groupe a beaucoup plus de chances de s’assurer les droits d’un manuscrit prisé qui promet d’assurer beaucoup de ventes ou bien lors d’une vente aux enchères, ce qui arrive souvent avec les auteurs encore inédits, lorsqu’un agent propose un titre à plusieurs maisons en même temps, et que plus d’une d’entre elles se dit intéressée. La concurrence, donc, si elle existe (v. § 2.3), se joue surtout sur le plan symbolique : bien qu’ils puissent souvent compter sur un fonds littéraire riche et sur une longue histoire, les groupes courent le risque de se transformer soit en producteurs sériels de best-sellers, dont ils peuvent assumer les dépenses pour en recueillir les bénéfices élevés, soit en musées de la littérature passée, incapables de – ou non intéressés par – reconnaître les nouveaux noms du canon futur. Cela vaut à moins qu’il s’agisse d’auteurs rentables à la fois sur le plan symbolique aussi bien qu’économique : les grands groupes, dont les dépenses fixes peuvent être très onéreuses, ont intérêt à repérer de nouveaux auteurs pourvu qu’ils permettent de pronostiquer des ventes au-delà d’un nombre d’exemplaires pour atteindre un seuil de rentabilité. Forts de leur pouvoir financier, les groupes peuvent tenter de s’approprier le travail culturel des maisons indépendantes. C’est possible notamment par deux voies principales : l’une consiste à acquérir, dans les cas où ce serait possible, les auteurs « découverts » plus tôt par d’autres éditeurs. Cette démarche a marqué, par exemple, la transition d’Uwe Timm de Le Lettere à Mondadori (v. § 4.4.7), mais aussi celle de Laurent Mauvignier, dont les premiers romans paraissent chez la petite maison de province Zandonai, et les suivants chez Feltrinelli. Cette dynamique peut parfois nuire à la trajectoire de l’auteur traduit, qui ne reçoit pas de traitement cohérent dans son nouveau champ d’accueil – l’œuvre d’Uwe Timm, par exemple, n’est pas mise en relief chez Mondadori, qui laissera l’auteur de côté seulement quelques années après avoir acquis ses premiers titres. Dans d’autres cas, pourtant, elle peut aussi représenter un avantage pour le petit éditeur qui, gardant les droits sur les premières publications, obtient plus de visibilité grâce à d’éventuelles mentions dans les parutions suivantes du même auteur auprès d’une maison plus en vue. Une deuxième possibilité pour les grands groupes est la coopération avec les maisons indépendantes. C’est le cas, notamment, du projet Indies, créé en 2013 et conclu en 2015 : il s’agit d’une collection de littérature moderne et contemporaine lancée par Feltrinelli en collaboration avec six éditeurs indépendants, à savoir Voland, Nottetempo, Nutrimenti, 66thand2nd, Transeuropa et Zandonai – ensuite s’y ajouteront aussi Fratelli Frilli et Il Maestrale. Bien que cette initiative représente un cas marginal et de courte durée, il vaut la peine de l’observer d’un peu plus près, puisqu’elle révèle très clairement les positionnements des parties qui s’y engagent. Le nom de la collection fait référence à l’appellation informelle en vogue pour toute production artistique indépendante, qui se veut alternative par rapport au mainstream des grands producteurs, qu’il s’agisse des labels pour la production musicale ou des maisons d’édition dans le cas de la littérature. Censée être « un la-

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boratoire permanent de recherche littéraire »27, Indies se propose de réunir dans un seul produit la qualité artisanale garantie par les petits éditeurs avec la force promotionnelle que seul un grand groupe est en mesure de fournir. Dans le cadre de ce projet, les éditeurs indépendants proposent à Feltrinelli un choix d’ouvrages, parmi lesquels celui-ci opère une sélection. Les premiers se chargent donc intégralement de la production du livre – la sélection, l’editing, le cas échéant aussi la traduction –, tandis que le second s’occupe de sa commercialisation, lui garantissant une grande visibilité et une durée de vie relativement longue en librairie. Le texte ainsi conçu exhibe la présentation graphique et l’ISBN de Feltrinelli, mais il contient, en son intérieur, une mention de la maison qui en a soigné l’édition. Il est inhabituel qu’un travail rédactionnel soigné et la commercialisation efficace d’un texte soient considérées, de fait, comme inconciliables au sein d’une même entreprise : ici, de façon innovante, la démarche autrefois assumée dans son intégralité par un seul éditeur est déconstruite, et ses activités constitutives, au lieu d’être réparties entre les différents départements d’une seule maison (editor, responsable commercial, etc.), sont attribuées à des maisons distinctes, l’une se chargeant du livre en tant que bien culturel, et l’autre en tant que produit marchand. Dans le cadre du projet Indies, les positions des deux parties concernées divergent beaucoup. Les petits éditeurs y trouvent une solution possible, acceptée de gré ou de force, à leur présence presque invisible sur un marché monopolisé du point de vue de la distribution et de la promotion. Ginevra Bompiani, directrice de la maison Nottetempo, ne cache pas ses réticences initiales et affirme avoir accepté la proposition à cause de l’écart croissant entre la petite et la grande édition28 ; dans des termes semblables, Giulio Milani, directeur de Transeuropa, souligne que le choix de participer à l’initiative est « un choix lié à la crise, mais la crise est aussi une opportunité, et nous espérons que ce sera le bon choix. »29 Il en ressort qu’il s’agit, pour les petits éditeurs, d’une ressource d’émergence, dans laquelle puiser pour éviter que les auteurs dans lesquels ils investissent ne finissent dans les catalogues des grands groupes : « Vu que cela arrive normalement, faisons en sorte que [l’auteur] y finisse tout de suite, avec notre accord », explique Milani30. La perspective de Feltrinelli est complètement différente : la collection représente, pour l’éditeur milanais, un moyen d’accumulation de capital symbolique, c’est-à-dire un remède contre la perte de crédibilité que son statut de colosse commercial peut engendrer à l’intérieur du pôle de production restreinte. Le directeur éditorial Gianluca Foglia insiste donc sur l’intérêt, qu’il partagerait avec les petits éditeurs, de sauvegarder la « littérature de qualité, celle qui naît non pas pour des 27 28 29 30

Tel est le descriptif de la collection paru sur la page News du site Feltrinelli, www.feltrinelliedi tore.it/news/2013/05/16/feltrinelli-indies-99105 (20 mars 2019). Taglietti, Cristina : « Editori, l’unione fa la forza », Corriere della Sera, 16 mai 2013. Bedini, Francesca : « Feltrinelli Indies, la collana che vuole mantenere vivo l’humus letterario di buona qualità », Libreriamo, 19 novembre 2013, www.libreriamo.it/investiamo/feltrinelli-indiesla-collana-che-vuole-mantenere-vivo-lhumus-letterario-di-buona-qualita (26 mars 2022). Taglietti, « Editori, l’unione fa la forza ».

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raisons de marketing, mais d’exigences plus profondes d’expression et de contenu. »31 Par cette prise de position, il cherche à concilier l’image du généreux mécénat de la « littérature de qualité » avec son statut de dominant économique, ce qui l’opposerait, par définition, à la petite édition indépendante ; en outre, il vise à prévenir la perte de capital symbolique que son pouvoir commercial croissant pourrait entraîner, étant donné que Feltrinelli reste, des groupes dominants, le plus dominé (cf. § 3.3.4.5). Ce faisant, pourtant, il concède implicitement que les grandes entreprises, parmi lesquelles sa propre maison, ne peuvent ni ne veulent plus garantir d’une véritable production littérairement haut de gamme. Ainsi, à travers la mise en place de cette collection partagée, Feltrinelli cherche à se créer une nouvelle position de domination à la fois économique et symbolique ; de surcroît, il cherche à l’occuper avec la complaisance de celui qui, au lieu de concourir sur un marché qu’il contrôle de toute manière, consent à une coopération avec les petits éditeurs, dont il a tout à gagner.

1.3.5 Garder le prestige : la « question Mondadori » Feltrinelli est donc encore capable de sauvegarder, du moins dans une certaine mesure, son prestige. Il le fait non seulement grâce à cette initiative (qui ne dure que deux ans), mais aussi et surtout grâce à quelques choix éditoriaux qui maintiennent la maison au centre de l’attention des lecteurs : pour la littérature allemande, par exemple, elle est parmi les rares maisons de très grande taille à contempler l’œuvre entière de quelques auteurs des nouvelles générations, notamment de Daniel Kehlmann, Ingo Schulze et Christoph Ransmayr32. Pour sa part, Bompiani, qui appartient à RCS, garantit sa position dans le pôle autonome du champ grâce à plusieurs cas éditoriaux très discutés par la critique, parmi lesquels l’œuvre complète de Michel Houellebecq constitue certainement l’une des opérations les plus en vue. Le prestige de Bompiani subit un dur affront, en revanche, lors du rachat par Mondadori en 2015 : à cette occasion, Elisabetta Sgarbi abandonne de manière ostentatoire la direction de la maison et emmène avec elle plusieurs de ses auteurs de premier plan, parmi lesquels Umberto Eco et Tahar Ben Jelloun, dans sa nouvelle entreprise, La Nave di Teseo33. La situation est plus épineuse pour Mondadori, avec Einaudi parmi ses filiales. La position de Mondadori au sommet de l’échelle commerciale s’ajoute, en effet, à 31 32 33

Mazzocchi, Silvana : « Indies, il laboratorio di ricerca letteraria », laRepubblica.it, 25 juillet 2013, www.repubblica.it/rubriche/passaparola/2013/07/25/news/indies_il_laboratorio_di_ricerca_ letteraria-63686902 (26 mars 2022). Nous verrons ces cas plus en détail dans § 3.3, où nous étudions les traductions de l’allemand en Italie. V. Merlo, Francesco : « Umberto Eco & C. : ‘Siamo pazzi, diciamo addio a Mondazzoli’ », La Repubblica, 24 novembre 2015.

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la forte connotation politique due à la direction de Marina Berlusconi. L’image de la maison est compromise aux yeux des défenseurs d’une édition indépendante qui se veut libre des contraintes économiques du marché et de celles politiques d’une droite dominante. En effet, on ne saurait reconnaître de logique spécifiquement littéraire dans les choix éditoriaux de Mondadori, qui tend à refuser toute politique d’auteur et à consacrer la vaste majorité de son catalogue à une production destinée au grand public. Malgré les déclarations des collaborateurs du groupe, qui insistent sur la séparation entre travail éditorial d’un côté et empire commercial de l’autre, le public parvient difficilement à distinguer la maison d’édition Mondadori du holding Fininvest qui la contrôle – d’autant plus que Fininvest, intimement lié à la famille Berlusconi, domine également d’autres secteurs de la communication et de la culture à travers le groupe Mediaset, ainsi que de la finance, à travers le groupe bancaire Mediolanum. Un exemple significatif de la perte de crédibilité de Mondadori auprès d’une partie de l’intelligentsia italienne, et de la fracture que ce géant provoque à l’intérieur du champ éditorial, est le débat qui a éclaté en 2010 à propos de la collaboration entre le groupe milanais et les intellectuels de l’opposition politique. En réalité, une première version de la querelle se manifeste déjà entre 2002 et 2004 : ses protagonistes choisissent comme lieu d’expression les pages culturelles des journaux et les nouveaux sites littéraires en ligne, c’est-à-dire les espaces les plus propices, à cette époque, à une discussion plénière sur la condition intellectuelle contemporaine (v. infra). Le débat démarre suite aux propos de quelques journalistes34 contre le collectif littéraire Wu Ming et le romancier Valerio Evangelisti : la critique, en particulier, se focalise sur leur choix de publier leurs romans chez Einaudi et Mondadori. D’après eux, des auteurs qui se veulent cohérents avec une position d’opposition, de gauche, devraient refuser toute collaboration avec le groupe appartenant à la famille Berlusconi ; le choix de Wu Ming et d’Evangelisti serait lié à une dépendance économique et politique qui anéantirait toute forme de résistance ; les écrivains, enfin, se seraient engagés auprès d’un dominant qu’ils auraient dû, au contraire, boycotter. Wu Ming, à cette occasion, défend sa position en insistant sur l’autonomie artistique qui leur est garantie chez Einaudi – Berlusconi n’exerçant aucun contrôle sur la production littéraire de la maison –, et sur les avantages que leur visibilité, obtenue en publiant chez le grand éditeur, apporte aussi à l’édition indépendante35. 34

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En particulier Massimo Del Papa, Max Stefani et certains collaborateurs d’Indymedia Italia (plateforme médiatique alternative fondée en 1999) : cf. pour Max Stefani et Indymedia : www. wumingfoundation.com/italiano/Giap/giap2iii.html#stefani et www.wumingfoundation.com/ italiano/Giap/giap2bis_iii.html ; sur Massimo del Papa www.wumingfoundation.com/italiano/ outtakes/mondadori.html et www.wumingfoundation.com/italiano/outtakes/mondadori2.html (30 décembre 2020). À travers une référence dans la quatrième de couverture de l’édition Einaudi du roman Q, Wu Ming aurait mis en valeur le travail de leur premier éditeur, DeriveApprodi, une maison romaine indépendante de petites dimensions.

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En 2004, une sélection d’interventions de Wu Ming paraît sur le blog littéraire Carmilla et clôture une première phase du débat : c’est une prise de position du collectif (ainsi que du site qui accueille ses propos) pour une opposition qui travaille « de l’intérieur » du système, puisqu’il n’y aurait pas d’espace réellement extérieur à celui-ci. Les intellectuels de gauche qui publient chez Einaudi et/ou Mondadori proclament, par cette publication, leur rôle de « cheval de Troie » dans le camp ennemi et défendent leur droit à lutter pour une opposition active « du dedans » plutôt qu’un refus de toute coopération qui aurait comme seul résultat de « se contenter d’être des bêtes de somme. »36 Lorsqu’entre 2009 et 2010 le débat se rallume, Wu Ming réitère cette prise de position, dans laquelle il est soutenu par d’autres intellectuels d’Einaudi et de Mondadori. Il y a d’abord deux déclencheurs : d’une part, l’écrivain Paolo Nori, d’orientation politique de gauche, publie des comptes-rendus dans le journal d’extrême-droite Libero, ce qui suscite des critiques de la part des intellectuels autrement proches de l’auteur37 ; d’autre part, le journal La Repubblica publie un échange de lettres ouvertes entre Roberto Saviano, auteur d’opposition publié chez Mondadori, et la famille Berlusconi, un échange qui est repris par Wu Ming, puis par Helena Janeczek, collaboratrice mondadorienne et rédactrice du blog Nazione Indiana, pour défendre encore une fois les écrivains publiés chez le géant de l’édition38. Le très grand nombre de réponses à chaque intervention démontre le vif intérêt que cette question éveille parmi les intellectuels italiens. Les camps, par ailleurs, semblent rester les mêmes que cinq ans plus tôt : certains, comme Wu Ming et Janeczek, choisissent d’exploiter la coopération avec les grands groupes et la liberté intellectuelle qui y est encore possible pour défendre la responsabilité personnelle de chaque auteur, pour promouvoir une vision engagée du travail littéraire et, dans une certaine mesure, l’idéal d’une communauté d’intellectuels d’opposition non officielle ; d’autres, qui pourtant ne semblent pas se retrouver autour d’un groupe défini, critiquent l’hypocrisie qui se cacherait derrière la col-

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Wu Ming 1 : « L’annosa questione Mondadori : appunti 2004 », Carmilla, 3 septembre 2014, www. carmillaonline.com/2004/09/03/lannosa-questione-mondadori-appunti-2004 (26 mars 2022). La discussion autour de l’activité « restaurative » des éditeurs italiens continue et s’élargit autour de 2005, suite à la publication de l’article polémique de l’écrivain Antonio Moresco : « La restaurazione », Nazione Indiana, 9 avril 2005, www.nazioneindiana.com/2005/04/09/la-restau razione (26 mars 2022) ; ce débat conduira à la scission des collaborateurs du site et à la création, en 2005, du blog littéraire Il primo amore. Pour une reconstruction de cette histoire, v. Lombardi, Andrea : « L’esperienza di Nazione Indiana nella storia del web letterario italiano », Ulisse, 19 (2016), pp. 47–66. Par exemple la critique d’Andrea Cortellessa, cf. Nori, Paolo : « Su Libero », 16 novembre 2009, www.paolonori.it/su-libero (26 mars 2022). V. Janeczek, Helena : « Pubblicare per Berlusconi ? », Nazione Indiana, 20 janvier 2010, www. nazioneindiana.com/2010/01/20/pubblicare-per-berlusconi et Wu Ming : « Saviano libero. Appunti sulla contraddizione-Mondadori », Giap, 18 avril 2010, www.wumingfoundation.com/ giap/2010/04/saviano-libero-appunti-sulla-contraddizione-mondadori (26 mars 2022).

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laboration avec le magnat de l’édition, niant la possibilité d’une réelle autonomie au sein de son entreprise39. Le débat atteint une dimension nouvelle lorsque, toujours en 2010, la maison milanaise fait l’objet d’un scandale politique : un article de La Repubblica40 dévoile une série de manœuvres législatives, voulues par le Premier ministre Silvio Berlusconi, qui auraient eu pour but de délivrer l’éditeur Mondadori d’une dette onéreuse envers le fisc. Le théologien de renom Vito Mancuso, dans un article pour le même journal deux jours plus tard, exprime le dilemme moral qui l’accable en tant que collaborateur de la maison : si un argument récurrent dans la « question Mondadori » avait été, jusqu’alors, la séparation nette entre l’appartenance politique du propriétaire et l’activité culturelle des éditeurs, cette séparation semble désormais moins claire. « Maintenant l’éditeur est concerné, il l’est bel et bien »41, écrit Mancuso, et par ces mots, il invite les auteurs de Mondadori à prendre position : un écrivain peut-il coopérer avec un éditeur qui profite des faveurs politiques ad personam manigancées par son propriétaire, leader politique de l’État42 ? L’article de Mancuso suscite l’intérêt de la presse spécialisée et généraliste : il a été republié sur Nazione Indiana, où il a déclenché des polémiques parmi les nombreuses réponses43, il a obtenu des réactions dans plusieurs journaux nationaux44, et il continue encore à susciter des discussions au salon littéraire de Mantoue en 201045. Ce retentissement médiatique témoigne de la composante politique forte 39

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La position de Nori se trouve en dehors de ces pôles : lorsque les défenseurs de la collaboration s’appuient sur la tradition prestigieuse des maisons Einaudi et Mondadori et sur la liberté éditoriale qui est laissée aux éditeurs, et que leurs rivaux refusent toute relation avec un établissement considéré comme compromis, Nori se prononce pour un détachement absolu de l’écrivain par rapport au lieu de sa publication, c’est-à-dire pour une autonomie totale qui renie tout regroupement intellectuel ; cette prise de position n’est pas partagée par Wu Ming, qui souligne « noi giudichiamo sbagliata la scelta di Nori. Non solo : troviamo banalissima e trita la ‘giustificazione’ che Nori ha dato […] » (Wu Ming, « Saviano libero »). Giannini, Massimo : « Mondadori salvata dal Fisco scandalo ‘ad aziendam’ per il Cavaliere », La Repubblica, 19 août 2010, www.repubblica.it/politica/2010/08/19/news/mondadori_salvata_dal_ fisco_scandalo_ad_aziendam_nell_interesse_del_cavaliere-6365174 (26 mars 2022). « Ora l’editrice c’entra, eccome se c’entra. » Mancuso, Vito : « Io, autore Mondadori e lo scandalo ‘ad aziendam’ », La Repubblica, 21 août 2010, www.repubblica.it/politica/2010/08/21/news/io_ autore_mondadori_e_lo_scandalo_ad_aziendam-6407472/?ref=HREC1-5 (26 mars 2022). La réponse de la droite est positive : la responsabilité de l’écrivain serait bornée à son œuvre, et les trames politiques de l’entreprise ne regarderaient aucunement son activité intellectuelle : v. Veneziani, Marcello : « La nuova campagna contro Mondadori ? Ipocrisia », Il Giornale, 23 août 2010, www.ilgiornale.it/news/nuova-campagna-contro-mondadori-ipocrisia.html (26 mars 2022). La rédaction du blog repropose le texte intégral le 22  août 2010  : www.nazioneindiana. com/2010/08/22/io-autore-mondadori-e-lo-scandalo-ad-aziendam. Au-delà de l’article déjà cité sur Il Giornale, v. aussi dalla Chiesa, Nando : « Mancuso non mi convince », Il Fatto Quotidiano, 23 août 2010, www.ilfattoquotidiano.it/2010/08/23/mancusonon-mi-convince/52346 (26 mars 2022) ; Iacoboni, Jacopo : « Il caso Mondadori e Segrate sotto assedio », La Stampa, 23 août 2010, www.lastampa.it/2010/08/30/blogs/arcitaliana/il-caso-mon dadori-e-segrate-sotto-assedio-xv9kqqpk6fxgNHQL1TPqCJ/pagina.html (26 mars 2022). S. Sa, « Festivaletteratura 2010 ; Mantova docet : sì, il dibattito sì », Il Sole 24 Ore, 12 septembre 2010.

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dans le débat intellectuel italien du nouveau millénaire, mais aussi de l’image problématique, vivement discutée, que le groupe Mondadori a dans le champ culturel. Le catalogue de la maison, nous l’avons vu, a pour but de couvrir autant que possible toutes les demandes du marché, sans a priori idéologiques ni contraintes politiques. Ses collaborateurs doivent respecter les exigences de rentabilité d’une grande entreprise, mais ils ne renoncent pas pour autant à leur liberté intellectuelle ; en même temps, ils se dispensent de toute publication ouvertement politique, quoiqu’aucune censure ne soit imposée par la tête du groupe46. L’hétéronomie qu’une section du public italien critique âprement chez Mondadori se reconnaît donc moins dans la forme ou le contenu des romans publiés, qui varie considérablement selon les cas, que dans les modalités du travail éditorial, qui relèveraient d’une logique strictement économique, complètement externe aux valeurs littéraires.

1.4 LA FRANGE : NOUVEAUX ENTRANTS, SPÉCIALISATION ET « COURAGE » On appelle « frange concurrentielle » le large ensemble de maisons d’édition indépendantes, de taille petite à moyenne, qui détiennent le pourcentage minoritaire du marché laissé libre par les groupes de l’oligopole47. Nous y incluons également les maisons indépendantes de grandes dimensions, tout en sachant que leur structure diffère considérablement des entités plus petites, afin de souligner l’opposition croissante entre l’édition indépendante d’un côté, et celle conçue à l’intérieur des conglomérats commerciaux de l’autre. Nous croyons, en effet, que cette polarisation s’est renforcée durant la période considérée, atténuant ainsi les divergences, pourtant considérables, parmi les maisons indépendantes de différentes tailles.

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Il convient de signaler cependant quelques choix de l’éditeur qui ont suscité le scandale de l’intelligentsia italienne en 2009, lorsque des ouvrages qui critiquaient ouvertement Berlusconi ont été refusés malgré l’« appartenance » de leurs auteurs à la maison turinoise : il s’agit notamment du prix Nobel portugais José Saramago, dont Einaudi refuse de publier Il quaderno, et du critique italien Marco Belpoliti, dont Einaudi rejette l’essai Il corpo del capo. V. Portanova, Mario : « Al rogo Saramago », L’Espresso, 28 mai 2009 ; Messina, Dino : « Accuse al Cavaliere nel libro. Einaudi rifiuta Saramago », Corriere della Sera, 29 mai 2009 ; Mauri, Paolo : « Il diario di Saramago è il mio addio all’Einaudi », La Repubblica, 4 mars 2010. Pour une comparaison avec la même structure dans le marché éditorial en France, outre les textes déjà cités de Bénédicte Reynaud : Abensour, Corinne/Legendre, Bertrand : Regards sur l’édition. Les nouveaux éditeurs (1988–2005), Paris, La Documentation française, 2007 et Mollier, Jean-Yves : Une autre histoire de l’édition française, Paris, La Fabrique, 2015.

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1.4.1 Le legs des éditeurs historiques Parallèlement aux processus de concentration et de diversification des groupes éditoriaux, la frange se caractérise par une tendance inverse et complémentaire : elle semble récupérer, en quelque sorte, l’héritage des grands éditeurs de la deuxième moitié du XXe siècle. Premièrement, de nombreux éditeurs indépendants adoptent une politique de collection, c’est-à-dire qu’ils donnent la priorité à la construction d’une image propre à travers plusieurs regroupements d’auteurs et d’ouvrages conçus comme une unité cohérente de la littérature. C’est ce qu’Einaudi, Mondadori, Feltrinelli ont fait pendant quelques décennies avant un abandon progressif. En revanche, si l’on observe les publications d’une maison de grande taille, comme Sellerio, nous pouvons constater l’effort, de la part de l’éditeur, de distinguer des regroupements d’ouvrages avec l’intention de créer des mondes littéraires distincts au sein d’un même catalogue : en 2003, à contre-courant de ce que l’on observe chez Feltrinelli et Bompiani – qui insèrent presque tous leurs auteurs étrangers dans une même collection –, Sellerio crée Il contesto, série parallèle à la collection historique La memoria et destinée à marquer une distinction de niveau, puisqu’elle accueille des textes plus « denses et amples » et plus ouverts aux expérimentions formelles48. La baisse d’importance des collections chez les groupes transparaît aussi dans le peu de poids accordé à ces structures dans les descriptifs, notamment sur les sites Internet des éditeurs, qui présentent au public l’offre de chaque maison : dans la plupart des cas, les groupes ne donnent pas d’indications sur la nature de leurs collections, ou bien le font de manière très réductrice, tandis que les éditeurs indépendants énoncent très souvent d’emblée les différentes ramifications qui structurent leur production et le projet qui en explique les origines49. Deuxièmement, les maisons indépendantes ne s’éloignent pas de leur vocation littéraire, comme le font les groupes qui préfèrent très souvent l’audiovisuel à celle-ci. Bien au contraire, leur façon de diversifier leur production consiste souvent à explorer de nouveaux territoires à l’intérieur de la production littéraire. De 48

Le descriptif que l’éditeur fournit sur son site indique : « Ispirandosi ai contenuti dei preziosi ‘tascabili’, Il contesto ne circoscrive e concentra le tendenze letterarie, dando maggior spazio alle narrazioni dense e ampie che non potrebbero aver posto ne La memoria. La collana […] è ideata per dar voce alla letteratura contemporanea internazionale, dedicandosi in modo esclusivo a testi originali che esplorano nuove strade e a narrazioni che in qualche modo sono sguardi dalla ‘periferia’, dai ‘contorni’, dalle ‘circostanze esterne’. Vi saranno così presenti scrittori d’oggi e non solo e necessariamente giovani, spesso di letterature europee e nordamericane senza voluti esotismi, varietà di generi ma sfuggendo a restrizioni di genere, prove narrative che esplorano nuove strade ma senza sperimentazioni di maniera » (www.sellerio.it/it/catalogo/Contesto/14, visité le 25 mars 2019). 49 La comparaison est frappante entre les sites de Mondadori, de Giunti et de Feltrinelli d’un côté, et, de l’autre, les sites de Voland, de 66thand2nd et de Clichy : tandis que, dans ces trois derniers cas, l’intégralité du site Internet est divisée par collections, les trois premiers ne proposent qu’une distinction par parcours thématiques ou par genres.

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la sorte, la trajectoire typique de ces entreprises peut être décrite schématiquement comme suit : elles entrent dans le champ en remplissant ce qu’elles interprètent comme un espace encore vide dans le marché ; si elles réussissent à se faire un nom grâce à cette activité, elles commencent à consacrer un espace minoritaire de leur production à d’autres domaines qui se trouvent en dehors de leur spécialisation ; si cette tentative est fructueuse, alors elles restructurent leur catalogue de manière à ce que leur intérêt initial et les nouveaux soient répartis au sein de différentes collections. Un tel parcours est reconnaissable, par exemple, chez Voland, qui commence son activité dans les années quatre-vingt-dix comme éditeur de littérature slave, s’ouvre ensuite aux autres littératures étrangères – obtenant un grand succès auprès du public grâce à l’acquisition de l’œuvre d’Amélie Nothomb –, et enfin à la production italienne également ; ou, encore, chez minimum fax, qui débute comme éditeur d’ouvrages états-uniens avant d’étendre sa production, grâce à la coopération de Nicola Lagioia depuis les années 2000, au domaine italien aussi. Troisièmement, les maisons indépendantes sont plus engagées dans la recherche de nouveaux écrivains à consacrer que les groupes éditoriaux, du moins en ce qui concerne les littératures étrangères. Nous verrons par la suite que les catalogues d’Einaudi, de Guanda et d’Adelphi pullulent d’écrivains de la génération née autour de 1950, alors que les éditeurs indépendants proposent souvent des auteurs plus jeunes et encore inédits. Certes, ce choix s’explique, au moins en partie, par des raisons économiques : acquérir les droits de traduction d’un débutant est souvent plus accessible que publier un auteur déjà « initié » et reconnu à l’international50. Mais il est aussi vrai que le pouvoir d’achat des grands conglomérats ne suffit pas à justifier leur désintérêt presque absolu à l’égard des nouvelles générations : encore une fois, le travail éditorial relève à la fois de contraintes économiques et de choix de positionnement symbolique qui ne sont pas entièrement assujettis à la loi du marché.

1.4.2 Une suite de générations Or si les maisons indépendantes partagent ces tendances, il ne faut pas croire qu’elles constituent un univers homogène. Au contraire, la frange est composée d’une myriade de maisons extrêmement diversifiées par leur taille, leurs spécialisations, leurs politiques éditoriales, et se caractérise par son instabilité constante, 50

Jonathan Littell incarne un cas exceptionnel et significatif pour notre travail : il est l’un des quelques débutants publiés chez Einaudi et il a eu le rare privilège de paraître d’emblée dans Supercoralli, grâce à la médiation combattive de son agent, Andrew Nurnberg, qui a traité le prix de son à-valoir (ne vendant à Gallimard que les droits français sur le titre) et contribué à faire de son client un cas littéraire. Cf. Aïssaoui, Mohammed/Montéty, Étienne de : « Andrew Nurnberg, l’homme qui inventa Jonathan Littell », Le Figaro, 9 novembre 2006.

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puisque de nouveaux entrants brisent continuellement toute stabilité en changeant les règles de l’art. De ce fait, une première distinction possible relève des différentes générations éditoriales. En effet, plusieurs vagues de nouvelles maisons se sont établies au fur et à mesure et ont réussi à garder leur indépendance. Leur ancienneté constitue, aujourd’hui, un atout ; dès lors, elles partagent souvent avec leurs congénères un même niveau de crédibilité aux yeux du public. En 2005, ces maisons n’ont pas encore cinquante ans d’activité derrière elles : les plus anciennes, SugarCo et Sellerio, sont fondées respectivement en 1957 et en 196951. Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, naissent Le Lettere (1976), Gremese (1977), e/o (1979) et Marcos y Marcos (1981), puis entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, Mimesis (1987) et Quodlibet (1993), d’abord consacrées principalement aux essais, mais plus tard ouvertes aussi aux ouvrages de fiction, commencent leur activité, parallèlement à minimum fax, Fazi et Voland (toutes trois en 1994). Ces maisons peuvent donc compter sur une histoire relativement longue, et s’appuient sur un catalogue déjà assez riche pendant la décennie qui nous concerne. Beaucoup plus jeunes, donc avec une image publique encore en phase de construction, sont les maisons nées au début des années 2000 : Nutrimenti (2001), nottetempo (2002), Alet (2003), Transeuropa (2003) et Keller (2004) ; enfin, plusieurs maisons naissent à partir de 2007, lorsque sont fondées les maisons Del Vecchio, Zandonai, Barbès (les trois en 2007), 66thand2nd (2009), puis L’Orma et Clichy (toutes deux en 2012). Avant 1970 (Baldini & Castoldi) (Neri Pozza) SugarCo Sellerio

1975–1985 Le Lettere Gremese e/o Marcos y Marcos

1985–1995 Mimesis Quodlibet minimum fax Fazi Voland

1995–2005

2005–2015

Nutrimenti nottetempo Alet Transeuropa Keller

Del Vecchio Zandonai Barbès 66thand2nd L’Orma Clichy

Fig. 3 : Générations des nouveaux entrants indépendants, sélection d’éditeurs Cette distinction par générations rend compte de quatre caractéristiques du champ éditorial italien. Tout d’abord, sa régénération constante : chaque décennie, de nouveaux agents entrent dans le jeu pour en modifier les règles : dans les années quatre-vingt, e/o introduit en Italie la littérature de la RDA, publiant les ouvrages 51

Neri Pozza, fondée en 1938, n’est pas comprise dans cette liste uniquement parce qu’elle appartient au groupe Athesis. Un autre cas particulier est celui de Baldini & Castoldi, ancienne maison fondée en 1879 : elle est achetée par Alessandro Dalai en 1991, mais reste indépendante des grands groupes jusqu’en 2016, lorsqu’elle est achetée par la jeune La Nave di Teseo ; suite à ce passage, Dalai s’éloigne de la maison.

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de Christa Wolf et de Christoph Hein ; dans les années quatre-vingt-dix, minimum fax importe les nouvelles de Raymond Carver, qui influencent considérablement l’écriture italienne de l’époque52, et ainsi de suite. Certains réussissent à s’y établir, tandis que d’autres ferment leurs portes après seulement quelques années d’activité : quelques exemples représentatifs sont Theoria, une maison active entre 1982 et 2000 et qui introduit pour la première fois Emmanuel Carrère en Italie, ainsi que : duepunti, fondée en 2004 par trois éditeurs de Palerme et fermée en 2014.53 En ce qui concerne les entités les plus jeunes d’aujourd’hui, notamment celles créées après 2000, il est encore trop tôt pour estimer leur destin, mais comme nous avons pu l’observer dans les pages précédentes, certaines ont déjà réussi à augmenter au moins leur capital économique, et elles se trouvent sur une trajectoire qui paraît ascendante : c’est le cas de Keller, par exemple, qui a surtout bâti son prestige autour de l’œuvre de Herta Müller, dont il publie Il paese delle prugne verdi (Herztier, Rowohlt, 1994) un an avant l’attribution du prix Nobel à l’auteure en 2009. En second lieu, nous constatons que les générations des diverses maisons correspondent souvent aux générations de leurs collaborateurs. En d’autres termes, les nouvelles entreprises sont souvent animées par des éditeurs (et des traducteurs, des lecteurs, etc.) plus jeunes et plus ouverts aux nouveautés des écrivains du même âge ; inversement, les positions de pouvoir dans les maisons plus anciennes sont occupées dans la plupart des cas par des professionnels plus âgés, qui ont tendance à privilégier les tendances plus établies de la production littéraire54. On peut comparer, à titre d’exemple, le personnel de L’Orma et de e/o, deux maisons romaines appartenant à des générations assez lointaines : alors que L’Orma est dirigée par Lorenzo Flabbi et Marco Federici Solari, deux éditeurs nés en 1974 et en 1977, les directeurs de e/o, Sandro Ferri et Sandra Ozzola – qui fondent leur maison en 1979, soit peu après la naissance de leurs futurs collègues –, appartiennent à la génération des intellectuels nés dans les années cinquante. Nous observons, troisièmement, le pouvoir consacrant tout à fait réel de l’ancienneté : alors que nottetempo, Keller et 66thand2nd doivent s’appuyer sur leurs auteurs, leurs collaborateurs et leurs déclarations publiques pour se construire une image et une légitimité, des maisons comme e/o et Marcos y Marcos, qui ont déjà dépassé cette première étape de leur trajectoire, peuvent miser sur un fonds déjà assez solide. Ceci est valable, bien sûr, avec certaines limites : ne s’appuyer que sur 52 53

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Sur la médiation de Carver en Italie, v. l’entretien de Giulia Romanin Jacur : « Raymond Carver in Italia. Una conversazione con Riccardo Duranti », Le parole e le cose, 6 novembre 2012, www. leparoleelecose.it/?p=7303 (26 mars 2022). :duepunti avait par ailleurs réacquis les droits de Le procès-verbal de Jean-Marie Gustave Le Clézio, roman publié chez Einaudi en 1965, mais auquel l’éditeur avait renoncé, trois ans avant que l’auteur n’obtienne le prix Nobel. Cependant, l’éditeur sicilien décide de « s’adonner au silence » en 2014, face aux difficultés financières de sa maison ; v. Toscano, Salvo : « Scoprire un Nobel non basta. Duepunti non farà più libri », LiveSicilia, 9 décembre 2014, www.livesicilia.it/2014/12/09/ scoprire-un-nobel-non-basta-duepunti-non-fara-piu-libri_574996 (19 mars 2019). Un mécanisme que Bourdieu résume dans la formule « Ce sont les nouveaux entrants qui créent le mouvement » (Bourdieu, « Une révolution conservatrice dans l’édition », p. 19).

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une backlist prestigieuse, sans jamais remettre en jeu son identité, est un piège dans lequel les maisons plus anciennes risquent de tomber. Enfin, cette répartition nous permet de reconnaître, encore une fois, des correspondances entre la génération d’appartenance et les modalités du travail éditorial : les maisons indépendantes les plus anciennes, et de plus grandes dimensions, partagent des tendances qui diffèrent de celles des éditeurs plus jeunes. Ainsi, les générations nées avant la moitié des années 1990 se caractérisent, d’habitude, par une ouverture thématique et formelle plus ample que les maisons jeunes et très spécialisées : SugarCo, Le Lettere, Mimesis, Quodlibet, Gremese, Neri Pozza, par exemple, produisent aussi bien de la fiction que de la non-fiction en grand nombre ; alors que, malgré quelques ouvertures, la spécialisation parisienne de Clichy, ou la double spécialisation francophone et germanophone de L’Orma, restent encore intactes. En outre, puisque les dimensions des maisons plus anciennes sont d’habitude majeures, l’organisation du travail se développe et s’étend, le nombre des employés augmente et la distribution des tâches permet de publier plus de titres, sans pour autant nuire nécessairement au soin dans la production de chaque ouvrage.

1.4.3 Sélection, rythme et promotion Or ce soin n’est certainement pas une prérogative de l’édition indépendante. Contrairement à nos attentes, plusieurs collaborateurs de certains grands groupes éditoriaux ont insisté, à l’occasion de nos entretiens, sur la minutie de leur suivi rédactionnel. Plusieurs agents ayant travaillé chez Mondadori et/ou chez Einaudi en tant que traducteurs ont notamment certifié que l’attention au détail dans la révision des textes est constante pour chaque livre que ces maisons publient. Le véritable écart entre les éditeurs indépendants et les groupes se trouve ailleurs ; nous distinguons notamment trois éléments de distinction principaux : la sélection des titres, le rythme des parutions et les canaux de promotion. En ce qui concerne la sélection, nous avons déjà évoqué plusieurs différences. Les éditeurs indépendants, surtout ceux de dimensions réduites, sont souvent « condamnés à la vertu littéraire »55, au sens où, n’ayant pas les moyens d’acquérir et de promouvoir des best-sellers, ils misent sur une autre forme de capital : le symbolique. Les groupes, en revanche, préfèrent souvent des écrivains plus établis, sans pour autant en faire des auteurs « maison », c’est-à-dire sans en publier intégralement l’œuvre ni les assimiler à une vision de la littérature par l’insertion dans une collection cohérente selon le style, les thématiques ou les idées. Un exemple de cette pratique est le catalogue de Feltrinelli, qui subit une transformation importante au milieu de notre créneau. En effet, pendant une vingtaine d’années, la production contemporaine était distribuée entre deux collections, qui se dis55

Ibid., p. 14.

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tinguaient l’une de l’autre par un critère de prestige : d’un côté, Canguri englobait, depuis 1990, tous les romans de genre et destinés au grand public ; de l’autre, dans la collection Narratori confluaient tous les romans qui, depuis les débuts de la maison, avaient aidé à construire son identité. Ainsi, si la première contient, par exemple, les histoires d’amours adolescentes de Federico Moccia, les polars de Manuel Vázquez Montalbán et le best-seller de Frédéric Beigbeder Lire 26.900 (99 francs, Grasset, 2000), la deuxième collection, en revanche, accueille depuis la fin des années cinquante Il dottor Zivago de Boris Pasternak, Homo Faber de Max Frisch et Il tamburo di latta de Günter Grass. Mais, dès 2010, Canguri cesse d’exister, et aucune nouvelle collection n’est créée pour la supplanter : par conséquent, si l’éditeur y avait canalisé, pendant deux décennies, tous les livres à caractère plutôt commercial, il est à partir de cette date contraint à assouplir les critères qui permettent l’accès à la collection historique Narratori. Ce phénomène est observable aussi à travers les chiffres. Les titres publiés chaque année dans Narratori augmentent légèrement, passant d’une moyenne d’environ quarante livres par an à une moyenne d’environ cinquante titres – un écart qui correspond, d’ailleurs, au nombre moyen de titres publiés annuellement dans Canguri, qui s’élève à une dizaine. Cette tendance reste valable à petite échelle aussi, c’est-à-dire en ne considérant que les deux langues de départ qui nous concernent : ainsi, entre 1990 et 2010, le nombre d’auteurs francophones et germanophones publiés dans Narratori dépasse rarement les deux ou trois par an, tandis qu’en 2011, par exemple, sont traduits et publiés dans cette collection quatre romans de langue allemande, en 2012 trois romans de langue française et deux de langue allemande, en 2014 trois de langue française et trois de langue allemande, en 2015 deux de langue française et quatre de langue allemande. Par ailleurs, le changement ne se manifeste pas exclusivement au niveau quantitatif : la qualité des romans publiés varie également. De ce fait, si jusqu’en 2010 Narratori accueillait de préférence des auteurs appartenant plutôt au pôle de production restreinte, tels Marguerite Duras et Christoph Ransmayr, après cette date la collection permet aussi l’accès aux écrivains qui, autrement, auraient pu appartenir à Canguri, tels Caroline Vermalle et Nicolas Barreau. Il est donc difficile d’attribuer à la collection historique de Feltrinelli un véritable pouvoir de consécration. Quoique la longue histoire de l’éditeur et la richesse de son catalogue lui permettent de garder son prestige, on ne saurait reconnaître aucun effort pour garantir aux lecteurs d’aujourd’hui la qualité strictement littéraire de son offre de production contemporaine. Cela nous conduit au deuxième point, à savoir le rythme des publications. Tout se tient : les groupes sont plus grands, car leur chiffre d’affaires est plus élevé, car leur marge de gain est d’autant plus large qu’ils publient un très grand nombre de titres par an. Cependant, cette rapidité ne se limite pas à la production, et elle se répercute au contraire tout au long de la vie du livre : par exemple, si Einaudi pu-

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blie 370 titres en 201056, il va de soi que seul un petit pourcentage parmi eux réussira à laisser une trace, demeurant visible pendant plus de quelques semaines en librairie, et ayant ainsi le temps d’entrer dans le débat intellectuel. Les autres, qui sont la majorité, disparaîtront dans le fonds, sans avoir eu la possibilité d’exister réellement dans le champ culturel. Souvent, les éditeurs indépendants, bien qu’à des degrés différents, permettent à leurs publications de vivre plus longtemps : publier par exemple un seul titre par mois (comme le fait Keller la même année, en 2010) est une manière de concentrer l’attention des libraires, des critiques et des lecteurs sur un nombre très réduit d’auteurs, ce qui favorise le développement d’une pensée critique et d’une discussion intellectuelle approfondie. Certes, les grands groupes aussi bien que les petits éditeurs proposent des highlights issus de leur production : comme le font les éditeurs français avec les quelques titres qu’ils sélectionnent pour la rentrée littéraire, les éditeurs italiens insistent aussi sur une parution en particulier parmi les autres. Ainsi, Einaudi a par exemple beaucoup mis en valeur le premier roman de Jonathan Littell, Le Benevole (Les Bienveillantes, Gallimard, 2006), qui était le seul titre français dans Supercoralli en 2007, et L’Orma a misé principalement sur Annie Ernaux, dont le roman Gli anni (Les Années, Gallimard, 2008) a aussi été lancé, de manière exceptionnelle, par transmission radio, sur la chaîne culturelle Radio3 (cf. § 5.5.5.3). Mais la quantité circonscrite de nouveautés chez les indépendants permet de réduire considérablement les « dégâts » et d’assurer une chance de survie aux biens culturels à rotation lente qui caractérisent le pôle de production restreinte57. Enfin, les dispositions financières très différentes entre les groupes et les éditeurs indépendants (toujours avec des différences significatives selon leurs dimensions) expliquent en partie que la promotion se fasse sous des formes distinctes. Les indépendants ont tendance à coopérer, d’une part, avec les bibliothèques et les librairies indépendantes pour diffuser leurs titres lors de lectures et débats thématiques ; d’autre part, nous le verrons, ils s’appuient sur des institutions culturelles locales ou binationales : parmi celles-ci figurent non seulement les Instituts français et les Goethe Institute, mais aussi le Bureau international de l’édition française, ou BIEF, qui fournit des aides à la promotion des livres français, la fondation Pro Helvetia, qui encourage aussi bien la traduction que la promotion des produits culturels suisses, et les centres culturels des autres pays francophones ou germanophones, tel l’Österreichisches Kulturforum et le Centre Culturel Suisse. Les groupes, en revanche, se limitent plus souvent aux canaux qui atteignent immédiatement un public beaucoup plus vaste : journaux nationaux, revues généralistes, télévision, panneaux publicitaires – et, bien sûr, les librairies de leur propriété, comme les chaînes laFeltrinelli, Giunti al Punto et Mondadori Store. 56 57

Catalogo degli editori italiani, Milan, Editrice Bibliografica, 2011. Tout en sachant que ces nouveautés ne relèvent pas exclusivement du littéraire, leur nombre élevé est indicatif pour saisir les dimensions de la production annuelle chez Einaudi en moyenne. V. Bourdieu, « La production de la croyance », ici p. 23.

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1.4.4 La lutte des indépendants : une posture combattive Un tel écart dans les modalités de travail explique, au moins en partie, la volonté des éditeurs indépendants de marquer une distinction nette entre leur activité et celle des membres de l’oligopole. En effet, il s’agit pour eux de se détacher de l’image, connotée négativement, d’une production livresque faite au gré des fluctuations du marché, soumise à une logique exclusivement économique et conçue de manière impersonnelle, industrielle et en série. Malgré leurs nombreuses différences, les maisons indépendantes prennent position collectivement pour un retour à l’artisanal : elles préconisent une offre plus diversifiée, un rapport plus personnel entre l’éditeur et ses auteurs, un soin majeur dans la préparation de l’objet-livre58. Cette volonté de démarcation s’exprime par le rapprochement des maisons entre elles, qui a lieu sous plusieurs formes : elles participent aux mêmes luttes pour exiger des conditions de production plus équitables ; elles organisent des salons littéraires voués exclusivement à la promotion de l’édition indépendante ; elles défendent de nouvelles instances de consécration qui légitiment et récompensent leur activité. Il s’agit pour elles, en somme, de revendiquer une position protestataire au pôle autonome du champ, une position que chacun occupe pourtant à sa manière, puisque les intérêts de chaque maison varient selon les cas. Cette prise de position se reflète ensuite dans le discours dont les éditeurs eux-mêmes (et souvent la presse) se servent pour décrire leur activité. Marco Federici Solari, qui fonde avec Lorenzo Flabbi la maison L’Orma pendant la crise économique en 201159, recourt au terme de « pari » : leur projet est présenté comme un investissement dans l’avenir, basé sur la croyance en leurs auteurs et en la qualité de leur œuvre ; les journalistes, pour leur part, décrivent le projet éditorial de L’Orma plutôt comme « courageux »60. Ce même attribut est employé par Franziska Peltenburg Brechneff, responsable de la rédaction des éditions Clichy, une maison spécialisée dans la littérature française et fondée en 2012 autour de la rédaction des anciennes éditions Barbès (cf. § 5.5.5.2) : Peltenburg Brechneff explique que 58

Nous pensons, par exemple, à la collection I Pacchetti de L’Orma : tout en s’adressant au grand public, elle se caractérise par un format singulier de la couverture qui permet d’envelopper les ouvrages pour les envoyer comme des cadeaux par la poste ; un autre exemple est celui des éditions Nonostante, nées en 2013 et spécialisées dans le nouveau roman, qui déclarent sur leur site : « L’attenzione nella scelta dei testi si accompagna a una cura altrettanto scrupolosa nei confronti della veste grafica e dei materiali utilizzati per confezionare il prodotto finale : in un libro, infatti, per usare le parole di Karl Kraus, contenuto e contenitore dovrebbero stare assieme ‘come anima e corpo’ e non ‘come corpo e vestito’ » (www.nonostantedizioni.it/chi-siamo, dernière visite le 15 mars 2019). 59 Le rapport annuel de l’AIE parle de « crise profonde » pour décrire l’alignement du marché éditorial aux tendances négatives du marché en général. Avant cette crise, l’édition avait toujours manifesté une tendance opposée, c’est-à-dire qu’elle « andava meglio nei momenti peggiori del quadro economico e sociale, e viceversa » (Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2012. La sintesi, AIE, 2012 ; disponible en ligne à la page www.bpa.pd.it/doc/2013/EdiVen2013_AIE_ Sintesi_2012.pdf, dernière visite le 13 avril 2019). 60 Nicotra, Alfredo : « Voglia di ‘ben fatto’ », L’indice dei libri del mese, juillet–août 2013.

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resurgir dans une époque de crise constitue précisément un « signe de courage »61. Selon la même logique, les éditions Del Vecchio présentent leur projet dans les termes du « challenge », exprimant ainsi une attitude ostentatoire d’irrévérence par rapport aux lois du marché62. Les luttes communes des éditeurs indépendants relèvent notamment de l’ordre légal et commercial. Pour y participer, ils ont tendance à se coaliser soit au sein de véritables associations – comme la Federazione Italiana degli Editori Indipendenti (FIDARE) fondée en 2001, ou l’Osservatorio degli Editori Indipendenti (ODEI) né en décembre 2012 –, soit dans des rassemblements provisoires aux buts spécifiques. L’exemple le plus significatif pendant notre créneau temporel est l’initiative des « Mulini a vento », un groupe de sept éditeurs qui s’allient en 2009 avec pour objectif d’établir le prix unique du livre63. En effet, alors qu’en France la loi Lang a imposé dès 1981 l’interdiction à tous les détaillants de proposer des rabais au-delà de 5 % sur le prix de couverture, en Italie le débat sur ce même sujet demeure, autour de 2010, encore ouvert. La demande des éditeurs participants à l’initiative est d’ajuster la normative italienne à celle qui est la plus diffuse en Europe, et de limiter le rabais autorisé à 5 %, sauf pendant les deux périodes promotionnelles prévues chaque année, où la limite s’élèverait à 15 %. Ce débat aboutit à la mise en place de la loi Levi en 2011, qui consent à des rabais atteignant 5 % du prix de couverture, mais qui hausse le plafond jusqu’à 20 % dans des occasions exceptionnelles de promotion. La lutte pour le prix unique du livre est liée à la production éditoriale car elle vise à rendre plus équitable la marge bénéficiaire des éditeurs et des libraires indépendants ; mais elle vise aussi et surtout à garantir la possibilité d’une production relativement autonome par rapport à la loi du marché, partant du constat que le livre « ne se limite donc pas au statut d’une marchandise comme les autres. »64 Ensuite, pour faire connaître leurs livres, les éditeurs indépendants se servent en partie des mêmes canaux de communication que les grands groupes : les librairies, les services de presse et les festivals littéraires. Cependant, comme nous l’avons évoqué, la domination des groupes s’exerce aussi au niveau de la distribution et de la promotion, ce qui justifie l’intérêt des éditeurs de la frange à créer des 61 62

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Paloscia, Fulvio : « I cervelli di Barbès emigrano a Clichy », La Repubblica, 29 novembre 2012. Le descriptif en anglais sur le site de l’éditeur énonce : « […] paying particular attention the aesthetic value of a work in itself can significantly contribute to consider all literature having the same dignity, exalting its eversive and estrangement potential, given sometimes only by the distance from the mainstream, sometimes by the non-reassuring way of telling a story or a style which can be very different from the habits of Italian readers. We are aware that this represents a challenge to the market » (www.delvecchioeditore.com/site/page/view/casa_editrice, dernière visite le 13.4.2019). Les maisons qui proposent cette initiative sont seulement sept (Donzelli, instar libri, Iperborea, La Nuova Frontiera, minimum fax, nottetempo et Voland), mais de très nombreux éditeurs souscrivent par la suite à leur appel : v. le site web dédié à cette lutte, www.leggesulprezzodellibro. wordpress.com/gli-editori (24 mars 2019). Tilliet, Hubert : « Le prix unique du livre », LEGICOM, 24, 1 (2001), pp. 75–84.

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espaces destinés à mettre en valeur plus ou moins exclusivement leur production. Ce sont les salons du livre de l’édition indépendante, chargés d’une valeur symbolique forte : en effet, bien que leur objectif soit, partiellement du moins, d’ordre publicitaire, ils se présentent comme des lieux de résistance contre l’emprise du commercial. Dès lors, la foire Parole nel tempo, conçue pour promouvoir l’édition de petite à moyenne taille, est réalisée entre 1990 et 2010 ; le salon Più libri Più Liberi est inauguré en 2002 par l’AIE, lui aussi dans le but de soutenir les maisons de taille réduite ; le Book Pride, qui emprunte par son nom la charge identitaire et révolutionnaire du Gay Pride, est organisé par l’ODEI depuis 2015. Ces évènements s’ajoutent aux nombreux rendez-vous déjà prévus par le calendrier culturel italien, comme le Salon du Livre de Turin, qui existe depuis 1988, et le Festivaletteratura de Mantoue, inauguré en 1997. Non seulement ils s’y ajoutent, mais ils sont aussi parfois en concurrence avec eux65 : la coexistence des foires historiques et de celles consacrées à l’édition indépendante est un signe très visible de la tension entre les dominants d’un côté et les dominés – et/ou ceux qui revendiquent une position dominée – de l’autre. En outre, puisque la promotion d’un texte ne suffit pas à le consacrer, une initiative supplémentaire commune des éditeurs indépendants consiste à instaurer ou bien à s’approprier des instances spécifiques de légitimation pour leur production. En effet, le prix littéraire italien le plus ancien et renommé, le Prix Strega, subit parfois, tels certains prix français comme le Goncourt et le Renaudot, une dévaluation due à son caractère établi et, dans une certaine mesure, à son rôle de représentant du mainstream culturel : en effet, aucun roman lauréat du Strega entre 2005 et 2015 n’a été publié chez un éditeur indépendant66. Ainsi, le prix Sinbad naît en 2015 à l’initiative d’un groupe d’éditeurs indépendants et décerne deux récompenses distinctes, l’une pour la littérature italienne et l’autre pour la littérature étrangère – mais il n’aura pas de seconde édition, puisque la difficulté principale dans l’établissement d’un nouveau prix est de lui accorder un véritable pouvoir de légitimation. Simultanément, d’autres prix déjà existants, parmi lesquels se dis65

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V. par exemple la controverse autour des deux foires organisées en concomitance en 2017, Book Pride et Tempo di Libri (organisée par La Fabbrica del Libro, une joint-venture entre l’AIE et la Foire de Milan) : Rastelli, Alessia : « Book Pride respinge Tempo di Libri », Corriere della Sera, 20 juin 2017. Les maisons concernées pendant cette décennie sont : Mondadori (quatre lauréats), Einaudi (trois lauréats), Bompiani (deux lauréats), Feltrinelli et Rizzoli (un lauréat chacune). Parmi les nombreux articles de presse qui déplorent cette situation, un texte de 2015 basé sur les déclarations des éditeurs est particulièrement pertinent pour notre recherche, puisqu’il rattache la source de l’uniformité éditoriale des lauréats à deux raisons principales : d’une part, la difficulté matérielle, pour les maisons de taille réduite, à proposer l’un de ses auteurs (puisqu’elles doivent fournir au jury un grand nombre d’exemplaires gratuits, ce qui entame leurs finances) ; d’autre part, l’existence d’un réseau de connaissances qui accorderait plus de chances aux auteurs des éditeurs dominants qu’à ceux issus de maisons plus périphériques (Lonigro, Ilaria : « Premio Strega, nuove regole : almeno un libro di medi e piccoli editori in finale. Ma le copie gratis richieste sono 500 », Il Fatto Quotidiano, 14 mars 2015, dernière visite le 26 mars 2022).

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tingue le prix Stephen Dedalus, se proposent de fournir un choix alternatif, plus autonome, à celui du jury du Strega. Le prix Dedalus entame ainsi une coopération avec le salon du livre pordenonelegge, et propose des classements qui tiennent aussi compte des ouvrages publiés par les éditeurs indépendants ; ces classements sont par ailleurs diffusés non seulement dans le cadre du salon, mais aussi par les réseaux les plus nouveaux et autonomes du débat littéraire, à savoir des blogs culturels en ligne comme Nazione Indiana et Le parole e le cose. Encore une fois, il est important de souligner qu’au sein de cette frange qui se présente comme unie et contestataire, les positions peuvent considérablement varier. Alors que Voland, par exemple, est en mesure de cumuler le capital économique garanti par la célébrité d’Amélie Nothomb au capital littéraire acquis grâce à la médiation d’écrivains méconnus des Balkans, la petite maison Zandonai, qui s’intéresse également à la même aire culturelle, ne peut compter sur aucun auteur phare de la même envergure et comble ce manque par un ancrage plus fort à sa région d’appartenance67 ; ou encore, tandis que La nave di Teseo s’appuie dès ses débuts sur le soutien financier et symbolique d’Umberto Eco, une autre maison comme Alet, qui commence son activité une décennie plus tôt, a besoin de plus de temps et d’une autre forme de projet culturel pour atteindre la même visibilité, et arrête enfin son activité en 2012. La vraie liaison, donc, parmi ces réalités si différentes, est avant tout le discours dont ils se font les porte-paroles : à savoir le discours, qui n’est pas nouveau, du petit contre le grand, de l’artisanal contre l’industriel. La question qui reste ouverte est : à quel point ce discours a-t-il des fins exclusivement commerciales ? Contribue-t-il réellement au développement d’une production relativement autonome, ou bien se limite-t-il à une stratégie de vente supplémentaire ? Il est nécessaire, en effet, de reconnaître et de déconstruire une équivalence sous-entendue dans la présentation que l’édition indépendante semble parfois offrir d’elle-même, et qui établit une relation directe entre l’autonomie d’une part (par rapport aux grands groupes, mais aussi au sens bourdieusien d’une autonomie symbolique) et, d’autre part, la diversité, voire la qualité de l’offre. Une telle équivalence est trompeuse : rien, ni la structure juridique de la maison qui publie un ouvrage, ni sa velléité strictement littéraire, n’assure la qualité d’un livre. Le manifeste de l’ODEI a beau reconnaître cela, il insiste néanmoins sur la diversité que la production des éditeurs indépendants serait capable de garantir : Vrai : petit ne veut pas nécessairement dire bon. Il serait faux d’établir une équivalence entre la qualité de la proposition éditoriale et les dimensions de l’éditeur. […] Cependant, chacun d’entre nous a connu des auteurs débutants, des innovations éditoriales qui, après avoir « osé » dans la petite édition avec un canon différent, se sont imposés dans la grande édition avec le sceau de la 67

L’éditeur de Rovereto (une ville périphérique dans le nord de l’Italie – et dans le champ culturel italien) s’appuyait effectivement sur une autre marque de sa propriété, Egon, une maison « béquille » conçue pour produire des textes financés par des institutions locales, dont les revenus soutenaient la production plus « globale » de Zandonai (entretien avec Giuliano Geri). Sur la notion de « glocalisation », v. infra.

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« qualité ». Chacun a connu des auteurs dont le relief dans les classements a été étroitement lié aux dimensions de celui qui imposait sa marque sur la couverture. Chacun d’entre nous sait, et nous ne sommes pas les seuls, que le goût du consommateur ne décide pas de tout. Et chacun sait que sur ce goût, devenu désormais l’échelle de mesure indiscutable, ceux qui font et ceux qui vendent les livres peuvent avoir une influence.68

C’est ici le pouvoir de consécration que les maisons signataires du manifeste s’attribuent à elles-mêmes qui est en jeu, c’est-à-dire leur autolégitimation publique. Ce discours substitue l’équivalence autonomie = qualité par une autre, analogue, qui met sur le même plan l’autonomie de la maison et l’autonomie de ses choix éditoriaux, puis celle-ci avec la diversité des ouvrages proposés, impliquant par là même une équivalence supplémentaire entre diversité et qualité. C’est, encore une fois, un raisonnement quelque peu hâtif : l’histoire de l’édition italienne, qui n’a pas encore connu une structure du marché semblable à celle d’aujourd’hui, ne témoigne pas de telles correspondances ; l’introduction de nouvelles formes littéraires, en effet, a été plus liée à l’avènement de réalités nouvelles qu’aux dimensions de celles-ci ; de plus, au changement apporté par les nouveaux entrants a souvent fait suite le réajustement des maisons plus anciennes, elles aussi se démontrant donc capables de contribuer au renouvellement des paradigmes69. Néanmoins, le manifeste de l’ODEI soulève un questionnement important, que nous avons aussi déjà formulé, et qui nous occupera pendant toute notre analyse : à savoir s’il est encore possible, au sein d’un grand groupe, de publier des livres suivant une logique spécifiquement littéraire, ou bien si le futur de la production autonome se trouve exclusivement entre les mains des éditeurs indépendants.

1.5 LES PLATEFORMES DU DÉBAT : DÉMOCRATISATION ET ANTAGONISMES Or l’insertion d’un ouvrage dans un catalogue n’est qu’un premier pas vers son existence dans le champ littéraire. Il ne suffit pas, en effet, qu’un livre soit imprimé pour qu’il soit présent : pour ce faire, il faut aussi qu’il devienne visible, c’est-à-dire accessible aux lecteurs, et qu’il devienne l’objet d’un discours critique, c’est-à-dire ODEI, Manifesto, s. e., 5 décembre 2012, pp. 19–20. Voici la version originale du texte : « Vero : piccolo non vuol dire necessariamente buono. Sarebbe sbagliato applicare un’equivalenza tra qualità della proposta editoriale e dimensione dell’editore. […] Eppure ciascuno di noi ha fatto esperienza di autori esordienti, di innovazioni editoriali, di sperimentazioni che, dopo aver ‘osato’ nella piccola editoria con un canone diverso, si sono imposti nella grande col sigillo della ‘qualità’. Ciascuno ha l’esperienza di autori il cui rilievo in classifica è stato strettamente attinente alla taglia di chi metteva il marchio in copertina. Ciascuno di noi sa, e non siamo i soli, che non tutto è dettato dal gusto del consumatore. E sa anche che su questo gusto, ormai assurto a indiscutibile metro di paragone, chi i libri li fa e chi i libri li vende può avere un influsso. » 69 Cf. Sisto, Michele : « Gli editori e il rinnovamento del repertorio », dans : Baldini/Biagi, et al., La letteratura tedesca in Italia, pp. 59–89.

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que l’on en parle – et nous verrons que cet « on » peut signifier des groupes très divers selon les cas. Malgré leurs nombreuses différences structurelles, les maisons d’édition partagent, en partie du moins, les mêmes canaux pour garantir à leur production ce genre d’existence : les points de vente (librairies, grandes surfaces, sites Internet), les publications culturelles (suppléments des journaux, revues littéraires, blogs de culture), les évènements publics (salons du livre, tournées promotionnelles, attributions de prix). Certes, nous l’avons vu, l’édition indépendante se crée de plus en plus d’espaces consacrés exclusivement à elle-même ; cependant, pour ne pas s’auto-exclure dans un coin minoritaire du marché, elle doit aussi se confronter à la présence imposante des groupes dans leurs propres librairies, dans les journaux généralistes, dans les salons littéraires nationaux. Il sera donc question, ici, d’identifier les relations entre les éditeurs et ces espaces de promotion et de discussion, afin de mieux comprendre les conséquences, pour un auteur, à être publié dans une maison ou l’autre. Nous identifions, durant la décennie 2005–2015, trois tendances générales qui perpétuent et accentuent encore une fois des processus déjà en cours : l’accélération du cycle de vie du livre, aussi bien dans les points de vente que dans les lieux du débat, ce qui entrave la construction d’un canon contemporain ; l’atomisation des lieux de débat et la formation d’une subculture « indépendante », souvent spécialisée dans certains secteurs de production ; le développement d’un espace parallèle de vente ainsi que de discussion, sur le web, et l’ouverture du débat à un public plus ample, ce qui favorise la croissance d’une culture « moyenne »70.

1.5.1 Être visibles : la librairie La librairie demeure, pendant toute la période considérée, le lieu privilégié de l’achat des livres71. Cette donnée rend compte d’une contrainte fondamentale : si un ouvrage n’est pas visible en librairie, il passera très probablement inaperçu aux yeux du public. Cette contrainte d’ordre commercial n’empêche pas qu’un éditeur transmette directement certains livres à des lecteurs choisis ad hoc, tels des critiques qui peuvent faire fonction de « multiplicateurs » et mettre en circulation des textes et des idées dans des milieux spécialisés : il s’agit, dans ce cas, d’une visibilité ciblée et soumise à une logique autonome. L’éditeur Del Vecchio, qui traduit de 70

Nous employons ici le terme au sens proposé par Heribert Tommek : « Une littérature moyenne. La littérature allemande contemporaine entre production restreinte et grande production », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 206–207 (2015), pp. 100–107. 71 En 2006 et en 2012, la plupart (respectivement 40 % et 42 %) des achats sont faits en librairie : Peresson, Giovanni (dir.) : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2006, Milan, AIE/Ediser, 2006, p. 72 ; Peresson, Giovanni : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2012, Milan, AIE/Ediser, 2012, p. 83.

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nombreux titres du français et de l’allemand, se distingue par le recours systématique à cette démarche : un cas représentatif est celui de Blumenberg (Blumenberg, Suhrkamp, 2012), roman de Sibylle Lewitscharoff construit autour de la figure du philosophe Hans Blumenberg et dont le succès symbolique se doit à la diffusion, organisée par les services de presse de l’éditeur, dans les cercles intellectuels concernés, et notamment philosophiques72. En revanche, la visibilité auprès du grand public dépend de plusieurs facteurs externes à l’éditeur : si la librairie est la propriété d’un groupe, celui-ci aura intérêt à mettre au premier plan sa propre production ; si, en revanche, le libraire est indépendant, le distributeur (qui appartient pourtant souvent à un groupe) aura la possibilité de le persuader de mettre aussi en avant des titres d’autres maisons ; le libraire indépendant, pour sa part, aura la liberté de choisir combien d’exemplaires réserver de chaque titre, ce qui influencera à son tour le tirage fait par l’éditeur. Il s’agit, en somme, d’une série de conditionnements réciproques entre l’éditeur, le distributeur, le libraire et le public ; le risque pour la production autonome commence là où le goût du public détermine entièrement la production de l’éditeur et/ ou les choix du libraire. Un cas pertinent pour illustrer cette forme de conditionnement concerne le tirage moyen des romans traduits du français et de l’allemand. Nous verrons par la suite plus en détail que les statistiques nationales italiennes constatent un tirage plus élevé, en moyenne, pour la littérature issue de l’aire anglophone (d’où proviennent la plupart des best-sellers), suivie par la littérature italienne, puis par la littérature traduite du français et ensuite de l’allemand73. À la question de savoir si cette répartition se reproduit à plus petite échelle dans son catalogue, Marco Federici Solari, éditeur de L’Orma74, confirme que le tirage moyen de leurs romans traduits du français dépasse celui des titres traduits de l’allemand : puisque le tirage est déterminé par le nombre d’exemplaires réservés en librairie, le choix des libraires engendre une forme de conservatisme dans la présence des différentes langues d’origine75. La question qui s’impose est : pourquoi ? Une enquête qui se focalise sur les libraires plutôt que sur les éditeurs pourrait contribuer à éclaircir ce phénomène. Provisoirement, nous proposons une explication qui comporte deux éléments : d’une part, la perception d’un voisinage culturel plus étroit entre la France et l’Italie qu’entre l’Allemagne et l’Italie est très enracinée auprès du grand public ; d’autre part, l’idée que le goût du public doit déterminer l’offre du marché s’impose de plus en plus aussi au sein de l’industrie culturelle, dont les libraires 72 73 74 75

Un autre élément ayant contribué au succès de cette traduction fut la présence de l’auteure en Italie au moment de la parution, puisqu’elle était boursière dans la Villa Massimo à Rome, ce qui a facilité l’organisation d’évènements promotionnels. Peresson, Giovanni (dir.) : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2008, Milan, Associazione Italiana Editori/Ediser, 2008, pp. 21–2. L’Orma est une maison romaine spécialisée dans la littérature française et allemande. Par la suite, nous analyserons son catalogue et ses prises de position (§ 3.3.6.3 et § 5.5.5.3). Entretien avec Marco Federici Solari.

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font également partie. C’est notamment contre cette idée, à notre avis, que les défenseurs d’une production autonome sont censés lutter. Le choix du distributeur est donc crucial pour déterminer la visibilité des livres. C’est pour cette raison que plusieurs éditeurs indépendants investissent dès le début dans la coopération avec un grand distributeur : Voland, Del Vecchio, 66thand2nd, L’Orma, entre autres, s’en remettent à Messaggerie Libri ; e/o, Fazi, La nave di Teseo à PDE ; Clichy, Ancora, Archinto à Mondadori Libri. Des entités plus petites, ou qui s’adressent plus exclusivement à un public de niche, passent parfois outre cette contrainte ; mais il s’agit de cas exceptionnels, dont l’impact reste réduit même au sein de la communauté intellectuelle : un exemple en est la série Murene, née à partir du blog littéraire Nazione Indiana. Cet exemple est significatif car la présentation proposée sur le blog reprend explicitement les notions énoncées ci-dessus : « L’idée de fond de Murene est de sauter tous les passages intermédiaires entre l’auteur et le lecteur », explique la rédaction, dont la visée serait de « soutenir activement la diffusion militante des textes qu’aujourd’hui, en Italie, il serait difficile de lire ailleurs. »76 Le projet s’avère un échec : après les trois publications prévues pour la première année, il devient manifeste aux rédacteurs que le nombre de lecteurs abonnés au projet ne suffit pas à couvrir les frais de production. On pourrait croire que l’avènement des ventes en ligne réduirait la dépendance des petits éditeurs face aux grands distributeurs et aux libraires. Cette intuition est trompeuse : tout d’abord, bien que les ventes en ligne aient augmenté à grande vitesse pendant les deux dernières décennies, elles restent, en 2015, toujours minoritaires par rapport aux ventes en librairie77 ; deuxièmement, les portails sur Internet ne mettent pas la production de tous les éditeurs sur un pied d’égalité, puisqu’ils ne la proposent pas aux usagers de manière indistincte. Bien au contraire, les ventes en ligne sont, elles aussi, monopolisées par quelques sites : en 2011, les principales librairies online en Italie sont ibs, bol (puis mondadoristore), Amazon (qui ouvre en novembre 2010) et laFeltrinelli78. Lors des entretiens, de nombreux éditeurs déplorent les conditions imposées par Amazon, qui réduit leur marge bénéficiaire par rapport aux librairies traditionnelles : ce magnat des ventes en ligne obligeraient les éditeurs à accepter des remises très importantes, sous peine de disparaître de la plateforme online79. En somme, bien que les librairies sur Internet fournissent un accès supplémentaire au public et qu’elles modifient progressivement le panorama

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www.nazioneindiana.com/2010/05/27/murene-la-collana (dernière visite le 10 avril 2019). Plus de la moitié des ventes de livres nouveaux a lieu en librairie en 2015 : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2016. La sintesi, Ufficio studi AIE, www.aie.it/Portals/_default/Skede/ Allegati/Skeda105-3802–2016.10.19/Rapporto%202016_La%20Sintesi.pdf?IDUNI=fjcmpmk prs0s5zhtu3zwxk1w34 (17 avril 2019). 78 Peresson, Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2012, pp. 79–87. 79 Amazon serait pour certains « le véritable ennemi juré » des éditeurs indépendants (entretien avec Lorenzo Flabbi), et coopérer avec ce géant des ventes serait pour eux « destructif » (entretien avec Daniela Di Sora).

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de l’achat des livres, elles ne représentent pas une issue au monopole commercial qui caractérise la vente traditionnelle. Mais la librairie ne se limite pas toujours à un simple point de vente : c’est pourquoi la relation des libraires avec les éditeurs, indépendants ou pas, joue un rôle important en ce qui concerne la discussion autour des livres. Tout d’abord, une analogie structurelle lie les petits éditeurs aux libraires indépendants, qui assument leur rôle de médiateurs entre producteurs et public en choisissant les ouvrages à réserver pour leur propre boutique et les titres à conseiller à chaque lecteur. Ensuite, c’est aussi dans les librairies, comme dans les bibliothèques et les centres culturels, que des rencontres avec les auteurs peuvent être organisées lors de tournées promotionnelles, de lectures publiques et de débats afin de créer et/ou de consolider des communautés de lecteurs. Cependant, alors que les débats et lectures relèvent de la disponibilité des éditeurs et des libraires, qui doivent prendre l’initiative de les organiser et d’y participer, les tournées promotionnelles présentent des contraintes particulières pour la littérature traduite : inviter des auteurs étrangers, en effet, pose non seulement des difficultés linguistiques qui exigent la présence (et les honoraires) d’un traducteur, mais implique aussi des dépenses considérables, notamment pour les frais de déplacement et de séjour des invités. En conséquence, les écrivains étrangers ne paraissent souvent devant le public italien que lors d’occasions institutionnelles, crées ou financées par des instances de la politique culturelle étrangère, comme le Festival de la fiction française (v. § 5.3) ou les rencontres des Goethe Institute – ce qui rend ces initiatives et financements étatiques autant plus essentiels pour la diffusion des littératures traduites.

1.5.2 Les foires du livre et les nouveaux prix littéraires Pour les éditeurs, certains salons littéraires sont des rendez-vous incontournables : rappelons, à titre d’exemple, les foires de Francfort en automne et de Leipzig au printemps ; en Italie, le salon de Turin en mai et le festival de Mantoue en septembre ; pour l’édition indépendante, depuis 2002, Più libri Più Liberi à Rome en décembre. Sans compter d’autres évènements annuels de grande importance, comme le Salon du livre de Paris (appelé Livre Paris depuis 2016) et la London Book Fair, ainsi que d’autres rencontres plus spécialisées, comme le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême et la Bologna Children’s Book Fair. Chaque salon a ses publics et ses objectifs : le rendez-vous à Francfort, par exemple, qui est un évènement capital de chaque année littéraire à l’international, se consacre notoirement aux affaires en premier lieu, ou du moins à la création d’un réseau professionnel, alors que celui qui a lieu à Leipzig, ouvert aussi aux non-spécialistes, affiche davantage une visée promotionnelle. Ces rendez-vous se multiplient au fil des années et la participation des éditeurs est souvent une obligation tacite. Celle-ci relève de trois raisons : première-

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ment, une maison d’édition doit toujours garantir sa visibilité, aussi bien auprès du public qu’auprès des collègues des métiers du livre aux échelles nationale et internationale ; deuxièmement, la consolidation d’un réseau de connaissances et de collaborateurs est fondamentale pour la réussite d’une entreprise éditoriale ; troisièmement, les foires constituent une occasion précieuse de promotion auprès du grand public. Toutes ces raisons reviennent à une même idée de base : l’édition requiert une présence publique constante. Dans le cadre de notre analyse, ce sont surtout le deuxième et le troisième aspect qui nous concernent de près : en effet, de nos entretiens avec les agents du champ éditorial ressort clairement que les relations à l’intérieur de cet espace sont de nature très personnelle et que les premiers pas vers l’existence d’une traduction se font souvent sous forme de commentaires ou de conseils informels, qui échappent aux canaux de communication officiels. « Tout naît des rapports personnels », explique Giuliano Geri, éditeur de Zandonai80 : Laurent Mauvignier par exemple, aujourd’hui publié systématiquement chez Feltrinelli, arrive en Italie pour la première fois à travers un conseil d’Alberto Bramati, professeur de littérature française qui devient ensuite son traducteur ; Uwe Timm, nous le verrons, sera suggéré à son traducteur Matteo Galli par un autre écrivain allemand, Jens Sparschuh. Ce ne sont pas des cas exceptionnels, et ils expliquent l’importance de reconstruire les réseaux des médiateurs afin de saisir leur haut degré d’implication personnelle dans l’introduction de la littérature étrangère. Ensuite, l’efficacité promotionnelle des foires littéraires s’explique par la possibilité, qui serait autrement rare pour les éditeurs, d’atteindre directement le public et, éventuellement, de lui présenter des auteurs en chair et os pour qu’ils créent un rapport plus proche avec les lecteurs. En effet, plusieurs écrivains, dont de nombreux étrangers, participent à ces rencontres pour présenter leurs dernières parutions. Pourtant, le public des plus grands salons, comme celui de Turin, est peu ciblé : le succès qu’un éditeur peut en attendre est donc d’ordre plus commercial que spécifique. C’est dans ce contexte que s’explique l’intérêt de créer de nouvelles occasions, plus spécialisées, de rencontre avec le public : les foires de l’édition indépendante et celles consacrées à la littérature traduite peuvent effectivement acquérir une valeur considérable dans la création d’une subculture et dans le développement d’un discours critique. Une analyse sociologique du public qui participe au salon Book Pride, par exemple, pourrait mettre en relief d’éventuelles analogies entre le positionnement des groupes qui le composent et celui des maisons qui y sont représentées81, afin de montrer si ces manifestations ont réellement un potentiel subversif par rapport au mainstream littéraire représenté par le Salon du livre de Turin. 80 Entretien avec Giuliano Geri. 81 L’enquête menée auprès des festivaliers des Correspondances de Manosque constitue un modèle pour une telle analyse : Sapiro, Gisèle et al. : « L’amour de la littérature : le festival, nouvelle instance de production de la croyance. Le cas des Correspondances de Manosque », Actes de la recherche en sciences sociales, n. 206–207 (2015), pp. 108–137.

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Nous rapprochant de notre sujet d’analyse, nous observons que c’est la littérature traduite du français qui l’emporte lors des évènements spécialisés, plus que celle traduite de l’allemand, notamment grâce à l’activité intense de l’Institut français dans la diffusion de la production francophone (v. § 5.3). D’un côté, en effet, l’Institut collabore régulièrement avec plusieurs manifestations italiennes, comme Più Libri Più Liberi, au sein desquelles il contribue à l’organisation de rencontres avec les auteurs ; de l’autre, entre 2010 et 2015, il participe à la création du Festival de la fiction française, que le Service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France a conçu spécifiquement pour promouvoir la littérature traduite du français en Italie. Rien de semblable, en revanche, n’existe pour les traductions de l’allemand, diffusées de manière moins systématique dans les salons traditionnels (l’Allemagne a été, cependant, l’invitée d’honneur au Salon du livre de Turin en 2015) et lors d’évènements plus ponctuels au programme d’autres foires italiennes, surtout grâce à la médiation des Goethe Institute. Enfin, ces évènements s’accompagnent de divers prix littéraires qui peuvent être, eux aussi, plus ou moins spécialisés. Nous avons déjà évoqué la collaboration entre le salon pordenonelegge et le Prix Dedalus ; il convient de rappeler également la coopération entre le Salon de Turin et le prix Mondello (attribué à Uwe Timm en 2006), et surtout les deux prix destinés aux traductions littéraires de l’allemand et du français, notamment le Deutsch-Italienischer Übersetzerpreis, attribué par le Goethe Institut depuis 2008, et le Prix Stendhal pour les traductions du français vers l’italien, instauré par l’Institut français et l’Ambassade de France en 2016. Ces nouvelles instances de légitimation, que nous étudierons de plus près par la suite, témoignent de la volonté ferme des politiques culturelles de mettre en valeur la littérature traduite en Italie, mais aussi de l’intérêt des éditeurs, surtout des plus jeunes et de dimensions réduites, d’investir dans ce domaine qui reste, dans une certaine mesure, minoritaire.

1.5.3 De la revue au blog Nous pouvons considérer les salons littéraires comme des lieux de passage et d’échange, où l’on a l’occasion de découvrir de nouveaux auteurs et de les entendre de vive voix. Pareillement, nous pouvons interpréter l’attribution des prix comme des mesures visant à diriger l’attention du public sur certaines personnalités, que ce soit des écrivains ou des traducteurs, parmi la multitude d’agents, de publications et de maisons d’édition qui constituent le champ littéraire. Mais les salons et les prix ne sont pas encore des lieux où un véritable discours critique sur les textes se déploie : tout au plus, ils l’induisent et l’orientent, parce que la critique a besoin de temps pour mûrir et se développer, successivement, sur d’autres supports plus aptes, comme les articles universitaires et les revues littéraires. Or ces revues et ces articles sont très souvent rédigés par les mêmes agents qui produisent

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les livres et organisent les rencontres : éditeurs, traducteurs, écrivains font en effet partie d’un même champ d’activité, au sein duquel le réseau des relations personnelles est aussi étroit que complexe. Il est donc légitime de se demander s’il existe des liens entre les maisons d’édition et les titres de presse : si c’est le cas, nous pourrons distinguer d’éventuels alignements entre les choix éditoriaux d’un côté, et les prises de position des critiques de l’autre. Tout d’abord, selon la rapidité et la fugacité de la réception critique, nous pouvons adopter dans ses lignes générales la distinction proposée par Matteo Majorano, directeur du Groupe de recherches sur l’extrême contemporain de littérature française en Italie : d’après lui, il y aurait, d’une part, une première critique « immédiate », divulguée par les journaux et conditionnée en partie par les exigences de vente des dernières parutions et, d’autre part, une critique « différenciée », plus lente et plus autonome.82 Effectivement, si les publications journalières ou hebdomadaires respectent souvent le rythme rapide de la production hétéronome et proposent des critiques qui frôlent parfois la publicité, des publications moins fréquentes et plus spécialisées doivent sélectionner un nombre plus réduit de titres à critiquer, auxquels elles peuvent consacrer plus d’attention. Il est donc plus pertinent de nous attarder davantage sur la critique « différenciée », tout en gardant à l’esprit que la critique journalistique (dans laquelle nous insérons, par exemple, les pages culturelles des titres de presse nationaux comme La Repubblica, La Stampa et Corriere della Sera) ne se limite pas nécessairement à produire des textes promotionnels. Mais, hormis ces journaux et hebdomadaires, quels espaces reste-t-il à la critique littéraire ? Tout au long du XXe siècle, la revue a été le lieu par excellence du discours critique83 ; et, même pendant notre créneau temporel, plusieurs revues existent encore ou sont fondées pour perpétuer cette tradition : L’Indice dei Libri del Mese (mensuel), Il Caffè illustrato (bimensuel), Nuova Prosa (semestriel) paraissent régulièrement et commentent en premier lieu la production littéraire contemporaine en Italie ; outre ces revues très spécialisées, d’autres insèrent la critique littéraire dans leur programme plus ouvertement culturel, comme c’est le cas pour Lo Straniero (mensuel), ou pour certains suppléments particulièrement réputés, comme l’édition du dimanche d’Il Sole 24 Ore. Néanmoins, l’avènement de la critique en ligne au début des années 2000 modifie drastiquement la manière de participer au débat intellectuel : depuis le début du nouveau millénaire, le nombre de sites culturels se multiplie, plusieurs revues se convertissent au format numérique et/ou entrent progressivement en dialogue avec les espaces de discus82 Majorano, Matteo : « Présentation. Pour une bibliographie du présent », dans : Majorano, Matteo (dir.) : Bibliographie. Études sur la prose française de l’extrême contemporain en Italie et en France (1984–2006), Bari, B. A. Graphis, 2007, pp. 12–18. 83 Pour une histoire de la revue littéraire au XXème siècle, v. par exemple Curatolo, Bruno/Poirier, Jacques (dir.) : Les Revues littéraires au XXe siècle, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2002 ; Vigorelli, Giancarlo : « Le riviste letterarie europee nell’attuale situazione culturale ed editoriale », L’Europa Letteraria, 35 (1965), pp. 184–210. 

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sion online. Ainsi, les blogs littéraires gagnent de plus en plus de crédibilité au sein de la communauté intellectuelle, qui était d’abord méfiante envers la critique sur Internet : entre 2005 et 2015, il devient progressivement presque impératif, pour ceux qui prennent part au débat littéraire, de connaître certains sites de référence, comme Nazione Indiana, Le parole e le cose, Doppiozero, et bien d’autres. Le présent travail n’est pas le lieu approprié pour approfondir ni les différences entre les nombreuses revues existantes, ni le statut actuel de la presse littéraire en ligne84. Ce qu’il est important de souligner, ici, c’est que le passage sur le web, que nous avons déjà observé dans le domaine des ventes, est plus significatif en aval de la chaîne du livre, lors du développement d’un discours critique autour des textes. En outre, la même analogie structurelle qui lie les libraires indépendants aux petits éditeurs peut être retrouvée entre ces mêmes éditeurs et les sites littéraires, étant donné que tous deux occupent une position dominée dans le champ culturel du début des années 2000. Un cas exemplaire en est minimum fax, maison d’édition étroitement liée au blog minima&moralia depuis sa création en 2009 et jusqu’en 2014 : les écrivains et directeurs de collection Nicola Lagioia et Christian Raimo sont deux des rédacteurs les plus actifs de ce site « d’approfondissement culturel », qui échappe aux frontières de la seule critique littéraire pour ouvrir la réflexion des intellectuels à toute la sphère sociale, et qui attribue ainsi à l’activité de la maison une signification plus vaste85. Dans d’autres cas, la relation entre maison et blog n’est pas si explicite et se manifeste moins sous la forme d’une coopération que d’une interférence. Elle se réalise alors à travers l’activité plurielle de certains acteurs qui, d’une part, contribuent à la production éditoriale en tant que responsables de collection, editors, lecteurs, etc., et, d’autre part, échangent au sujet de cette même production ou, en général, des conditions du champ culturel italien sur des sites de critique : ainsi, Helena Janeczek par exemple, collaboratrice de Mondadori pour la littérature germanophone, est une rédactrice régulière de Nazione Indiana, et c’est justement sur les pages de ce blog qu’elle découvre l’écri84 Cet objet d’étude très intéressant a été étudié dans plusieurs publications, autant en ce qui concerne le champ italien que le français : à titre d’exemple, nous citons le volume de Iannuzzi, Giulia : L’informazione letteraria nel web. Tra critica, dibattito, impegno e autori emergenti, Milan, Biblion, 2009 ainsi que Guglieri, Francesco/Sisto, Michele : « Verifica dei poteri 2.0. Critica e militanza letteraria in Internet (1999–2009) », Allegoria, 61 (janvier/juin 2010), pp. 153–174 (pour l’Italie) et Bois, Géraldine/Vanhée, Olivier et al. : « L’investissement des blogueurs littéraires dans la prescription et la reconnaissance : compétences et ambitions », COnTEXTES, 17 (2016), www. journals.openedition.org/contextes/6196 (21 février 2018). 85 « Un blog di approfondimento culturale » est le sous-titre de minima&moralia, dont le nom et les premières interventions rendent déjà très claire la posture engagée  : le nom est en effet une allusion aux Minima moralia du philosophe de proue de la théorie critique, Theodor W. Adorno. Parmi les premiers billets publiés, nous citons pour leur valeur exemplaire ceux d’Alessandro Leogrande : « Ma può rinascere la sinistra ? » (18 juin 2009 www.minimaetmora lia.it/wp/politica/ma-puo-rinascere-la-sinistra, dernière visite le 26 mars 2022) et de Christian Raimo : « L’Italia è un paese senza futuro » (13 juin 2010, www.minimaetmoralia.it/wp/societa/ litalia-e-un-paese-senza-futuro, dernière visite le 26 mars 2022).

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ture de Roberto Saviano, un auteur encore inconnu en 2004 lorsqu’elle le propose à Mondadori pour la publication de son premier roman86. Une autre action des revues culturelles en ligne sur la production éditoriale consiste en la création de collections indépendantes : nous avons déjà évoqué Murene, projet échoué de Nazione Indiana ; mais nous pouvons citer également, entre autres, les livres de Doppiozero (qui existent exclusivement en format numérique) ainsi que la série vibrisselibri, issue du travail du « Bulletin de lectures et d’écritures » du critique littéraire Giulio Mozzi, vibrisse87. Ces publications sont parfois gratuites – toujours dans le cas de vibrisse, occasionnellement dans le cas de Doppiozero, jamais dans le cas de Nazione Indiana –, ce qui nous permet d’énoncer une observation fondamentale sur l’activité des blogs et des revues en ligne : étant donné que leur survie est toujours garantie par la gratuité du travail des rédacteurs et collaborateurs, les pages culturelles en ligne constituent le pilier de la critique autonome de toute contrainte économique. Cela est valable aussi pour nombre de revues spécialisées publiées au format papier et dont les auteurs ne sont pas toujours rémunérés pour leurs articles, traductions et critiques ; mais c’est précisément dans le cas des blogs, dont l’accès est toujours libre et qui, renonçant aussi à la publicité, ne peuvent compter sur aucun revenu, que la gratuité devient un élément constituant, signe de l’intérêt purement spécifique des contributeurs. Il va de soi que cette autonomie demeure toujours relative : non seulement car certains blogs manifestent explicitement leur appartenance politique, mais aussi parce que la plupart d’entre eux s’expriment en termes de « responsabilité » des intellectuels vis-à-vis de la société, faisant ainsi appel à l’idée d’un mandat social de l’intelligentsia qui paraissait dépassé depuis le post-modernisme et qui est graduellement rétabli depuis le début du millénaire88. Nous rapprochant de notre sujet, nous pouvons observer au moins deux phénomènes fréquents. L’un est une confirmation des interférences entre éditeurs et critiques, un phénomène qui s’applique aussi à la littérature italienne : Andrea Inglese, critique et écrivain italien résidant à Paris, écrit régulièrement sur alfabeta2 et Nazione Indiana ses commentaires sur des textes et thèmes d’actualité issus de l’aire francophone ; Stefano Zangrando, collaborateur et traducteur d’Ingo Schulze chez Feltrinelli, publie plusieurs articles sur Nazione Indiana, non seule86 L’histoire est reconstruite dans Brugnatelli, Edoardo : « Gomorra prima di Gomorra », Medium Italia, 18 juin 2016, www.medium.com/italia/roberto-saviano-gomorra-lettere-inedite-7412f0f 87464 (26 mars 2022). 87 Ce projet dure deux ans, de 2006 à 2008 : www.vibrisselibri.wordpress.com. 88 V. par exemple www.lavoroculturale.org/progetto (« Si tratta dunque di aprire uno spazio di riflessione sulle responsabilità del sapere umanistico e sulla possibilità di declinarne l’efficacia in senso critico, nella convinzione che la variabilità dei punti di vista contribuisca attivamente alla messa in forma negoziata della realtà sociale, culturale, politica nella quale viviamo ») et le volume qui a inauguré Nazione Indiana  : www.nazioneindiana.com/2003/03/01/ scrivere-sul-fronte-occidentale ; pour un aperçu des positionnements politiques des sites culturels, v. Mattioli, Valerio/Ventura, Raffaele Alberto : « Un casino immenso », Linus, 8, août 2015, p. 48.

Le champ italien : un marché du livre monopolisé et en transformation

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ment concernant les romans de Schulze, mais aussi, par exemple, les nouvelles de Lutz Seiler traduites chez Del Vecchio ; et ainsi de suite. L’autre phénomène, plus spécifique, concerne les espaces consacrés plus ou moins exclusivement aux littératures « étrangères » : ces espaces peuvent exister soit à l’intérieur de sites plus généralistes, comme la rubrique « Letto in un’altra lingua » (« Lu dans une autre langue ») de Doppiozero, soit en tant que sites indépendants, souvent liés très étroitement au milieu universitaire : c’est le cas, par exemple, du riche site entretenu par le Groupe de recherche sur l’extrême contemporain (GREC) de l’Université de Bari89, ou du site www.germanistica.net, qui fait suite à celui commencé par Anna Chiarloni, professeure d’études germaniques à l’Université de Turin, www.germanistica.it. Ces pages recueillent beaucoup de matériaux critiques sur la production traduite aussi bien que sur la littérature qui n’a pas encore franchi les frontières italiennes ; mais elles présentent souvent la limite, due à leur caractère très spécifique, de n’atteindre que le public des spécialistes. Encore une fois, il faudra donc évaluer cas par cas l’influence de la réception critique que chaque roman publié engendre dans ces lieux : car le succès d’un livre dans ces espaces plus autonomes, même au sens symbolique, ne suffit guère à en déduire automatiquement la consécration, c’est-à-dire l’obtention d’une valeur durable et capable de sortir du milieu circonscrit des experts de l’aire linguistique d’origine. En l’occurrence, nous nous demanderons par la suite si l’accueil très favorable d’Uwe Timm auprès des germanistes italiens a réellement permis à l’auteur de s’installer durablement dans ce nouveau champ de réception et d’interférer90 avec la production locale.

89 www.grec.uniba.it (8 avril 2019). 90 Nous reprenons la notion d’« interférence » de la théorie des poly-systèmes, déjà évoquée dans l’introduction à ce travail (Even-Zohar, « Laws of Literary Interference », cit.).

2. TRADUIRE LE ROMAN CONTEMPORAIN : QUELS INTÉRÊTS ? 2.1 INTRODUCTION. UN ÉTAT DE CRISE PERMANENTE Les observations que nous avons faites jusqu’ici concernent l’édition littéraire en général. Leur but est de renseigner le lecteur, avant de pénétrer dans le détail de notre objet d’étude, sur les dynamiques et les transformations qui traversent et qui modifient le champ éditorial italien pendant la décennie que nous étudions. Dans les pages suivantes, nous focaliserons notre attention sur l’activité de traduction auprès des maisons d’édition et sur les relations qui les lient, les opposent et les confrontent les unes aux autres ; nous considérerons, encore une fois, aussi bien l’élément quantitatif  – les pourcentages des traductions, la répartition des langues de départ – que l’élément qualitatif – à savoir la façon dont les traductions sont envisagées et insérées dans les catalogues des éditeurs. Avant d’en venir au traitement des cas spécifiques des littératures traduites de l’allemand et du français, examinons donc la signification de l’activité traductive en Italie, quelle que soit la langue de départ. Bien que la richesse des études en traductologie et la possibilité de plus en plus fréquente de trouver en librairie des ouvrages importés de tous les coins du monde nous aient habitués à tenir la pratique traductive pour acquise, les coulisses de l’édition révèlent une réalité très différente. Traduire n’est pas évident ni nécessaire. Au contraire, plus on considère les difficultés liées à cette pratique, plus sa fréquence élevée peut paraître étonnante1. Tout d’abord, parce qu’elle est couteuse : nous l’avons déjà évoqué en observant les dépenses liées à la promotion des livres, mais la simple publication d’un titre traduit implique aussi les frais additionnels d’un traducteur, ainsi que, souvent, les frais de l’agent qui prend en charge la cession des droits d’une maison à l’autre, et d’autres médiateurs comme les scouts littéraires, dont nous éluciderons par la suite le rôle. Ensuite, un autre élément qui pourrait dissuader un éditeur de s’adonner aux traductions est leur nature par définition « problématique »2 : elles requièrent du temps, et une coopération efficace 1 2

C’est la même observation qui donne l’élan à l’étude dirigée par Sapiro, Rapports de force et échelles de grandeur sur le marché de la traduction, op. cit. Que la traduction soit perçue, malgré son intérêt, comme un « problème », est confirmé par les réflexions des nombreux professionnels et chercheurs qui, s’étant confrontés à la pratique et à l’étude de cette activité, proposent des solutions pour résoudre ses diverses difficultés : Störig, Hans Joachim (dir.)  : Das Problem des Übersetzens, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1963 (qui contient l’essai de Nietzsche, Friedrich : « Zum Problem des Übersetzens »,

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entre le traducteur – souvent externe à la maison d’édition, et idéalement un expert de la culture de départ – et le relecteur interne à la maison (mais parfois aussi externe), qui se charge de la correction des épreuves. Si cette coopération n’est pas efficace, voire si elle n’a pas du tout lieu et que la traduction est publiée sans relecture – ce qui n’est pas rare, comme nous le verrons –, alors le résultat risque de porter les traces de cette insouciance rédactionnelle. Enfin, parallèlement aux difficultés linguistiques qui peuvent rendre une traduction plus ou moins ardue, des différences dans les traditions littéraires et dans le « goût » au sein des divers champs culturels nationaux peuvent être à l’origine de décalages concernant le succès d’une publication dans un pays et dans l’autre, ou même de son exclusion a priori : l’agente littéraire Barbara Griffini, par exemple, nous explique qu’environ 20 % des publications qu’elle reçoit n’est susceptible d’intéresser aucun éditeur italien, puisqu’elles n’auraient pas de « marché » en Italie, et qu’elle ne propose donc pas ces ouvrages aux maisons italiennes qui acquièrent habituellement des droits secondaires3. Or, le fait que les traductions continuent d’être publiées malgré ces difficultés, et à un rythme qui est, en Italie, particulièrement soutenu par rapport à d’autres pays européens, démontre l’intérêt qu’elles suscitent chez toutes les parties concernées : les auteurs, bien sûr, dont le nom se répand ainsi au-delà des frontières de leur pays, mais aussi les éditeurs, qui peuvent, par ces publications, mieux définir leur identité et aussi légitimer, par le biais d’un modèle étranger, une vision de la littérature qu’ils préconisent également pour le champ italien. En outre, le grand nombre de financements et de programmes de soutien aux transferts littéraires met en lumière la volonté de divers établissements – des maisons d’édition, certes, mais aussi de nombre d’institutions étatiques, comme les ambassades, les centres de culture, les universités – de promouvoir et de valoriser une pratique dans une certaine mesure minoritaire, qui risquerait autrement de succomber à l’emprise de la loi du marché. En effet, si le champ d’accueil peut tirer profit de l’importation de biens culturels, le champ d’origine aussi peut bénéficier du rayonnement de sa production à l’étranger, un rayonnement qui lui permet d’assurer et de consolider sa présence, et, le cas échéant, son prestige à l’international4.

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pp. 136–138) ; v. aussi le recueil dirigé par Abel, Günter : Das Problem der Übersetzung. Le problème de la traduction, Berlin, Arno Spitz, 1999. Entretien avec Barbara Griffini. Cette idée, que nous étudierons plus de près par la suite, n’est pas nouvelle : dans son bref mais fascinant ouvrage sur l’édition française au tournant du XXe siècle, l’éditeur Henri Baillière observe que, « le livre fini, l’éditeur devient commerçant ; il faut qu’il lance la publication et qu’il soigne sa mise en vente ; je recommande surtout de favoriser l’exportation du livre français, car si toute marchandise qui passe la frontière emporte avec elle une idée, combien le fait est plus vrai pour le livre, qui va porter au loin nos arts, notre industrie, notre civilisation, et qui va faire aimer la France » (Baillière, Henri : La Crise du livre, Paris, Jean-Baptiste Marie Baillière et Fils, 1904, p. 88). En général, l’analyse de Baillière, qui doit à son auteur, un spécialiste du métier, son caractère très pratique et circonstancié, met en lumière plusieurs éléments constants du travail éditorial, et surtout ses difficultés intrinsèques, au fil des décennies.

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Mais pourquoi parlons-nous de « marginalité » à propos des traductions ? Pourquoi devraient-elles courir le risque de « succomber à l’emprise de la loi du marché » ? Ces anticipations nous plongent dans un discours courant au sein du milieu éditorial, et fondamental pour en saisir l’un des enjeux principaux, un enjeu d’autant plus visible lorsqu’il est question de traductions : la thématique de la crise ou, comme nous proposons de l’appeler, de la « crise permanente ». Nous avons déjà évoqué, dans l’introduction à ce travail, le caractère double de toute entreprise éditoriale : commerçant et agent culturel à la fois, l’éditeur doit être en mesure de concilier l’intérêt économique d’un côté avec la qualité littéraire de l’autre. Sans être nécessairement en contradiction, ces deux visées, l’une économique et l’autre symbolique, engendrent une tension interne qui oblige chaque entreprise à opérer des choix de principe : quel capital initial est nécessaire pour soutenir une maison avant que son catalogue ne lui assure des entrées régulières ? Comment doser les « concessions » au goût du public et les propositions littéraires plus hasardeuses ? Sur quel type de profit miser : à long ou à court terme, et dans quelles proportions ? Car une chose est certaine : la recherche, les tentatives, l’expérimentation créent difficilement des revenus élevés et surtout immédiats, et même l’éditeur présentant les velléités artistiques les plus pures, et avec le plus haut capital de départ, doit être en mesure de subvenir aux besoins de son entreprise. Pour que l’offre des maisons d’édition ne reflète pas uniquement le goût du public, mais qu’elle contribue aussi à le forger, il est donc nécessaire de soutenir et de raviver cette création plus autonome qui a besoin du marché pour voir le jour et, à la fois, risque d’être écrasée par lui en ne répondant pas à ses exigences de profit rapide. La crise, nous le voyons, est implicite dès le début dans le projet d’une maison d’édition. Elle est liée de façon inextricable au travail culturel et lui sert de moteur : sans conflit, il n’y a pas d’avancement5. Cela ne veut pas dire que les préoccupations des intellectuels sur la possibilité d’une littérature autonome dans un marché de plus en plus soumis à d’énormes chiffres d’affaires soient injustifiées, au contraire ; mais ces préoccupations ne peuvent ni ne doivent jamais cesser, car elles expriment la tension de base qui régit le champ littéraire. « La ‘crise’ de la littérature n’est-elle pas un topos récurrent ? » –, écrit Dominique Viart à propos de la production française, – « Le roman est toujours en crise, la littérature aussi et peut-être est-ce même là leur nature profonde, le lieu même de leur inventivité »6. Notre recherche confirme tout à fait les propos de Viart, si ce n’est que la crise, il 5

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Encore une fois, Baillière confirme cette constante avec une métaphore prégnante : « La crise, par définition, semblerait devoir être une maladie aiguë ; elle est, au contraire, pour le livre une maladie chronique, qui tient à sa nature même ; il en souffre depuis sa naissance, il en vit, et il en vivra, il n’en guérira pas, et il n’en mourra pas : il est immortel » (ibid., p. 8). Viart, Dominique : « Introduction. La littérature française dans le monde », dans Viart, Dominique (dir.) : La Littérature française du 20e siècle lue de l’étranger, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011, pp. 17–30. Le roman aussi souffrirait de l’« affection chronique » de la crise, d’après l’analyse de Raimond, Michel : La Crise du roman. Des lendemains du Naturalisme aux années vingt, Paris, Corti, 1966, p. 9.

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nous semble, ne représente pas seulement un topos, au sens où elle ne se limite pas à être seulement une entité discursive7, mais qu’elle constitue aussi une réalité très concrète, vécue par tous les éditeurs qui, à intervalles réguliers, doivent faire face à des difficultés financières, opérer des choix commerciaux et formuler des stratégies de vente pour donner le jour à des ouvrages qui, tout en répondant aussi à des besoins externes au marché, doivent néanmoins y survivre. Or le caractère discursif de la crise se manifeste aussi par son contraire : la thématique de la résistance. Nous avons déjà évoqué l’étiquette du « courage » attribuée aux jeunes maisons indépendantes dominées, au niveau économique, par les géants de l’édition. C’est parce que l’ensemble des initiatives vouées à soutenir la production littéraire plus autonome (face à la loi du profit) – donc les éditeurs indépendants, mais aussi les salons du livre et les prix conçus exclusivement pour eux, les librairies indépendantes, les centres culturels, les programmes étatiques d’aide à la publication, à la traduction et à la promotion – est représenté et se représente souvent lui-même comme le rempart de la culture libre, défenseur sans intérêt d’une littérature en péril. Encore une fois, il s’agit d’une présence discursive autant que réelle : toutes ces instances sont effectivement nécessaires à la survie d’un produit spécifique – les biens symboliques, en l’occurrence le roman traduit –, mais elles profitent aussi de cette (auto-)mise en scène qui exploite la connotation positive du résistant8 face à un ennemi surdimensionné. L’analyse des traductions est un outil idéal pour observer ces dynamiques. Non seulement parce que les traductions, comme nous l’avons observé, impliquent des dépenses additionnelles par rapport à la publication d’un auteur en langue originale9, accentuant ainsi la composante économique du travail culturel, mais aussi parce que la possibilité d’une comparaison avec le champ littéraire de départ attise 7

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Le même caractère double, discursif et objectif à la fois, de la crise, est mis en lumière par Raimond lorsqu’il observe, en introduisant son étude : « La crise du roman, certes, c’était d’abord cette effervescence de débats et de polémiques ; mais c’était aussi le trouble profond dont tous ces propos n’étaient que les remous de surface. Telle était l’ambiguïté de cette crise : paroles en l’air et métamorphoses en profondeur. […] C’est à partir de certaines œuvres qu’on a parlé de crise du roman, mais c’est aussi en fonction de ce qu’on a dit de la crise du roman qu’on a écrit certains romans » (Raimond, La Crise du roman, pp. 13–22). De façon analogue, les problématiques objectives du milieu éditorial expliquent les discours autour de sa crise, et ces discours influencent, à leur tour, la manière dont on fait et on pense l’édition. Un exemple très explicite de cette (auto-)représentation sont les éditions Neo, qui s’approprient l’histoire de leur emplacement géographique au milieu des Apennins, « lieu de la résistance », pour caractériser leur programme culturel : « Un luogo di resistenza (primi e ultimi : Sanniti e Brigata Majella – non a caso un giornalista ci ha definiti ‘i partigiani della cultura’) per dimostrare che anche da un piccolo ed isolato centro, è possibile fare e diffondere cultura in tutta Italia e Europa » (www.neoedizioni.it/neo/chi-siamo/#, dernière visite le 12 novembre 2020). Ce décalage est d’autant plus évident lorsqu’il s’agit d’un auteur contemporain (dont les droits sont encore en vigueur), et surtout d’un débutant : une analyse intéressante des mécanismes de sélection et de publication des auteurs italiens débutants est conduite par Luca Pareschi dans sa thèse de doctorat, dont les résultats sont résumés dans : Pareschi, Luca : « La selezione degli inediti di narrativa nel campo editoriale contemporaneo », Allegoria, 65–66 (2012), pp. 214–253.

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le discours critique sur la production locale. Les agents du champ, en effet, – éditeurs, professeurs, critiques, lecteurs – peuvent s’interroger sur la validité des choix dans la sélection et dans l’appréciation des ouvrages traduits en les confrontant, de manière plus ou moins informée, aux publications originales et à leur réception. De cette sorte, ils construisent, aussi à travers ce rapprochement, l’identité même du champ, ils identifient ses faiblesses et en définissent les enjeux10. C’est pour cette raison que nous étudierons d’abord quelques données qui concernent exclusivement l’activité traductive des maisons d’édition pour mieux en comprendre, ensuite, les relations de « concurrence » qui les lient les unes aux autres, ainsi que les stratégies de production.

2.2 COMBIEN TRADUIRE Nous appelons « intraduction » le flux de traductions vers une langue et « extraduction » le flux de traductions depuis une langue. L’analyse de ces flux et de leur rapport est régulièrement prise en charge par les associations nationales des éditeurs (comme l’AIE en Italie, le Börsenverein des Deutschen Buchhandels en Allemagne, le SNE et le BIEF en France) ainsi que par des institutions supranationales, comme l’Index Translationum de l’UNESCO11 ; mais de nombreux chercheurs s’attellent également de plus en plus souvent à la reconstruire, à travers ces données et avec un intérêt particulièrement vif depuis les années quatre-vingt-dix, les formes de « domination culturelle » qui se manifestent dans les échanges littéraires à l’international12. 10

Blaise Wilfert-Portal observe, dans ses analyses sur les transferts culturels en France et sur le rôle des traductions dans la construction d’une « littérature mondiale », que l’activité traductive ne relève pas principalement d’un processus de cosmopolitisation culturelle qui entraînerait la disparition des particularités locales, mais au contraire d’une dynamique de « glocalisation » qui renforce, par le brassage culturel à l’échelle « globale », les identités « locales », nationales : Wilfert-Portal, Blaise : « Une nouvelle géopolitique intellectuelle. Entre nationalisme et cosmopolitisme », dans : Charle, Christophe/Jeanpierre, Laurent (dir.) : La Vie intellectuelle en France. Vol. 1 : Des lendemains de la Révolution à 1914, Paris, Seuil, 2016, pp. 559–591. Sur la question de la « littérature mondiale » étudiée sous cet angle, v. Al-Matary, Sarah/Wilfert-Portal, Blaise : « Comment écrire une histoire mondiale de la littérature ? », Lectures, 2013, www.journals-open edition-org.ezproxy.univ-paris3.fr/lectures/12316 (14 octobre 2019). Sur la notion de « glocalisation », v. Robertson, Roland : Globalization. Social theory and global culture, London, Sage, 1992 et Robertson, Roland : « Globalisation or glocalisation ? », Journal of International Communication, 18, 2 (août 2012), pp. 191–208. 11 Cette énorme base de données, qui recueille des informations sur les traductions publiées dans tous les pays membres de l’UNESCO, est accessible en ligne à la page www.unesco.org/xtrans. 12 Les études sur les flux de traductions entre deux ou plusieurs aires linguistiques sont très nombreuses ; nous citons, pour donner une idée de la richesse de ce domaine de recherche, quelques repères bibliographiques sur les rapports réciproques entre les trois langues qui nous concernent de près à partir de l’exploit de ce genre de travaux à la fin du XXe siècle : König, Bernhard : « Ita-

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Or le marché éditorial italien de la fin du XXe siècle se caractérise par un taux d’intraduction plus élevé que celui de ses voisins européens : si, depuis les années quatre-vingt, le nombre de titres traduits se stabilise entre 21 % et 23 % de toutes les publications annuelles en Italie13, il atteint un pic en 2001, lorsque les traductions constituent presque un quart de la production totale14. Proche d’un autre cas similaire en Europe occidentale, à savoir le marché du livre espagnol15, le caractère exceptionnel de ces chiffres devient encore plus remarquable lorsque l’on compare le cas italien à la situation en France – où, dans les années quatre-vingt, on atteint un minimum de 5 % de titres traduits sur le total des publications, et où le pourcentage des traductions ne dépasse jamais 14 % avant le millénaire16 – ou en Allemagne – où le taux d’intraduction s’élève, entre les années quatre-vingt et

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lienische Literatur deutsch. Vorbemerkungen zur Verlagsproduktion der letzten Jahre », dans : Klesczewski, Reinhard/König, Bernhard (dir.) : Italienische Literatur in deutscher Sprache. Bilanz und Perspektiven, Tubingue, Gunter Narr, 1990, pp. XIII–XV ; Wacks, Britta : Les maisons d’édition allemandes et le marché français du livre, Paris, Cirac, 1991 ; Jurt, Joseph : « L’‘intraduction’ de la littérature française en Allemagne », Actes de la recherche en sciences sociales, 130 (1999), pp. 86–89 ; Bokobza, Anaïs : « La vogue de la littérature italienne », dans : Sapiro (dir.), Translatio, pp. 211–230 ; et encore, sur les flux de traductions dans le marché di livre mondialisé : Venuti, Lawrence : « Translation as a social practice : or, the violence of translation », dans : Gaddis Rose, Marilyn (dir.) : Translation Horizons. Beyond the boundaries of translation spectrum, New York, Center for Research in Translation, 1996, pp. 196–213 ; Heilbron, Johann : « Towards a Sociology of Translation : Book Translations as a Cultural World-System », European Journal of Social Theory, vol. 2, 4 (1999), pp. 429–444 ; Fukari, Alexandra/Wolf, Michaela (dir.) : Constructing a Sociology of Translation, Amsterdam/Philadelphia, Benjamins, 2007. Comme nous l’avons vu pour les maisons d’édition, il est difficile, dans ce cas aussi, d’estimer le nombre exact des traductions – qui ne correspond pas nécessairement au nombre des cessions de droits –, surtout si l’on souhaite distinguer les titres traduits selon leur appartenance à un genre spécifique, ou encore distinguer les nouvelles traductions de simples réimpressions. Malgré ces limites, nous nous appuyons ici, comme avant, sur la source la plus régulière et la plus fiable pour ce genre de données, à savoir les rapports annuels de l’AIE, et complétons ces informations, le cas échéant, avec les données qui nous sont fournies par les associations analogues en France et en Allemagne. Dans ses tableaux sur le pourcentage des traductions sur le total des publications annuelles, l’Association italienne des éditeurs inclut notamment la catégorie très vaste « Varia adulti », qui comprend toute publication sauf la littérature pour l’enfance et la jeunesse ; nous ne pouvons donc pas proposer une analyse spécifique qui prenne en considération exclusivement le nombre de romans traduits, et encore moins de romans traduits pour la première fois. Cependant, nous estimons que ces chiffres, bien que génériques, sont utiles pour donner au lecteur une première idée de la présence étrangère dans le marché du livre italien ; dans les chapitres suivants, nous aurons l’occasion de préciser davantage cette idée en observant de près la présence allemande et française. Le pourcentage des titres traduits en 2011 s’élève à 24,4 % du total, selon Peresson, Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2006, p. 46). Les traductions constituent environ 20–22 % des publications annuelles en Espagne : La Traducción editorial en España, Servicio de Estudios y Documentación, Ministerio de Cultura, novembre 2010. Sapiro, Gisèle : « Situation du français sur le marché mondial de la traduction », dans : Sapiro (dir.), Translatio, p. 77 (données issues de l’Index Translationum).

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quatre-vingt-dix, à 13 % en moyenne17. Encore plus extrême s’avère le contraste avec l’espace anglophone, où un pourcentage minimal de traductions vers l’anglais autour de 3 % de la production totale confirme la position hyper-centrale de cette langue sur le marché global du livre18. Cependant, au tournant du millénaire, le taux d’intraduction en Italie commence à baisser. Contrairement à ce qui advient en Europe depuis quelques décennies, où la globalisation entraîne une augmentation générale des traductions, le pourcentage des traductions vers l’italien diminue de presque dix points au début des années 2000. Cette baisse ne se doit pas à une véritable diminution des titres traduits, mais plutôt à une augmentation de la production en langue italienne, qui s’accompagne d’une hausse des cessions de droits aux éditeurs étrangers, c’est-à-dire du taux d’extraduction. Il s’agit d’une nouvelle stratégie dans la politique culturelle pour encourager la production locale et sa diffusion internationale : en effet, l’Italie avait longtemps peiné à exporter ses auteurs à l’étranger et avait investi moins que d’autres pays – notamment la France et l’Allemagne – dans le rayonnement de sa production littéraire19. Ce phénomène reflète l’une des conséquences de la globalisation du marché littéraire, à savoir l’élargissement de l’éventail des langues de départ pour les traductions littéraires, qui n’exclut pas, toutefois, le consolidement de la domination de l’anglais20. Dans ce sens, la baisse du taux d’intraduction ne doit surtout pas être interprété comme une perte d’intérêt envers la production étrangère, mais comme une tentative de soutien et de promotion de la littérature italienne, longtemps marginalisée dans son propre champ d’origine21. Ainsi, en 2005 le pourcentage des traductions vers l’italien s’élève à 21,7 % du total, en 2010 il descend à 19,7 %, et en 2015 il constitue 17,6 % de toutes les publications. Or ce changement dans les chiffres généraux ne comporte pas de modification substantielle dans la répartition des langues de départ. Celle-ci s’avère très inégale pendant toute la décennie 2005–2015, mais aussi lors des années pré17 18

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Le minimum de 10 % date de 1980 et le maximum, de 15,5 %, de 1992 (données fournies par le Börsenverein des Deutschen Buchhandels). Casanova, La République mondiale des lettres, pp. 230–231. Heilbron et Sapiro distinguent, à l’échelle mondiale, des langues hyper-centrales (l’anglais), centrales (français et allemand), semi-périphériques (parmi lesquelles l’italien et l’espagnol) et périphériques, selon leurs taux d’extraduction : les flux de traduction, en effet, ont tendance à aller du centre vers la périphérie, et les langues centrales à servir de pont entre les langues plus périphériques : Heilbron, Johan/Sapiro, Gisèle : « La traduction comme vecteur des échanges culturels internationaux », dans : Sapiro (dir.), Translatio, pp. 25–44. Peresson, Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2006, pp. 46–54. Cf. Vigini, L’editoria in tasca, p. 21, et Pareschi, « La selezione degli inediti di narrativa nel campo editoriale contemporaneo », pp. 235 et 242. Pour mieux saisir les enjeux de ce tournant vers l’extraduction, nous renvoyons au rapport circonstancié de Giovanni Peresson (dir.) : Vendere è meglio di comprare : editori ed export di diritti, Milan, AIE, 2004. Sapiro, « Situation du français sur le marché mondial de la traduction ». Nous verrons, dans § 5.3, que la politique culturelle française agit dans le même sens pour contenir la « menace de marginalisation » face à la domination de la langue anglaise : ibid., p. 74.

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cédentes : avec bien plus de la moitié des traductions – autour de 60 % –, l’anglais est la langue la plus représentée sur le marché italien ; elle est suivie de loin par le français, puis par l’allemand et l’espagnol ; les autres aires linguistiques plus périphériques sont présentes seulement de façon marginale et se partagent, toutes langues confondues, environ 10 % de l’ensemble des traductions. Nous verrons plus en détail, dans la deuxième et la troisième partie de ce travail, comment et combien les langues allemande et française sont traduites en italien ; pour le moment, il nous suffit d’observer que leur placement en troisième et en deuxième position reste stable pendant toute la période qui nous concerne, qu’il est inchangé, en vérité, depuis plusieurs décennies, et que le seul élément qui se modifie au fil de ces années est la distance qui les éloigne de plus en plus de l’anglais en première position. Le décalage croissant dans le nombre des traductions va de pair avec un écart significatif dans les tirages moyens. Les ouvrages traduits de l’anglais sont publiés, en moyenne, dans un nombre d’exemplaires qui dépasse non seulement le tirage moyen des traductions du français et de l’allemand, mais aussi des titres écrits originairement en italien. En effet, le tirage moyen des traductions de l’anglais s’élève autour de 4400 exemplaires, alors que pour les titres italiens le chiffre diminue à 3900 exemplaires en moyenne, pour les titres traduits du français à 3160 et de l’allemand à 290022. Cette donnée, sans exclure bien sûr des exceptions, met en lumière la diffusion disproportionnée en Italie des traductions de l’anglais par rapport aux autres langues de départ, donc aussi leur propension à s’adresser de préférence à un public relativement ample et, par contraste, la tendance des autres à circuler dans des cercles plus restreints. Les analyses que nous conduisons dans les parties suivantes de ce travail rendent compte aussi bien de ces tendances que de leurs limites.

2.3 LA CONCURRENCE : CAPITAL ÉCONOMIQUE ET CAPITAL CULTUREL Les éditeurs sont-ils en concurrence entre eux ? Oui et non : on ne peut répondre autrement. Car leur appartenance double au marché, soumis à la loi du profit ainsi qu’au champ littéraire, qui impose ses règles spécifiques, rend cette question complexe : d’une part, chacun cherche à obtenir une position favorable, c’est-à-dire dominante, que ce soit au pôle plus autonome ou moins autonome du champ, ce qui implique un certain degré de compétitivité avec les autres maisons ; d’autre part, lorsque l’enjeu va au-delà de la sphère économique, cette compétitivité ne prend

22

Peresson, Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2003, 2008 et 2012, Milan, AIE (les données indiquées dans le texte font référence à l’année 2007 et sont issues du rapport publié en 2008, p. 22).

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pas nécessairement la forme concurrentielle que l’on reconnaît aux commerçants de biens de simple consommation. La question, certes épineuse, de la « concurrence » éditoriale est de grand intérêt pour notre analyse, dans la mesure où elle jette une lumière décisive sur le type de rapport que les maisons entretiennent les unes avec les autres. Quoiqu’il soit tentant, en effet, de considérer chaque éditeur isolément – et ce travail de « fichage » des maisons est si nécessaire que nous-mêmes proposerons, par la suite, des mises au point sur plusieurs éditeurs pris individuellement –, il faut toujours garder à l’esprit que le champ éditorial est une réalité dynamique et relationnelle, où chaque maison se positionne par rapport aux autres. Pour mieux comprendre ces relations, les propos des professionnels de l’édition lors de nos entretiens s’avèrent précieux : leurs regards partiels sur leur propre activité, et donc les commentaires sur cette thématique qui paraissent, à première vue, complètement inconciliables les uns avec les autres, nous ont permis d’identifier, au fil de nos trois années de recherche, les orientations majeures de l’édition italienne contemporaine. Observons donc la façon particulière dont la « concurrence » se manifeste dans ce domaine à la lisière entre des logiques différentes.

2.3.1 Enchères Chaque maison dispose de deux formes de capital : le capital économique et le capital culturel. Le premier, nous l’avons vu, est plus facile à quantifier, mais il n’est pas nécessairement plus important. Or la concurrence, si elle a lieu, tend à se manifester sur le plan purement économique : c’est le cas des enchères. Un livre étranger peut être vendu aux enchères si sa maison d’édition, ou le subagent qui la représente23, le propose à plusieurs éditeurs italiens à la fois. Il s’agit le plus souvent de nouveautés, tandis que pour acquérir un livre de fonds, il suffit habituellement de passer un accord avec l’éditeur étranger, sans avoir à rivaliser avec d’autres maisons. Le procédé des enchères est simple : un éditeur fait une offre ; le chargé de la cession des droits – qu’il s’agisse d’une maison d’édition ou d’une agence – propose à d’autres éditeurs de la relever avant un certain délai ; enfin, les droits sont cédés au plus offrant24. C’est le scénario le plus flagrant d’une lutte à armes inégales entre grands et petits, puisque le pouvoir d’achat d’un groupe est bien supérieur à celui d’un petit éditeur et que, si le premier est prêt à investir beaucoup dans son à-valoir, le second a peu de chances de gagner l’enchère. Il peut donc s’avérer peu judicieux, pour une maison de petite taille, de s’engager 23 24

Alors qu’un agent représente un auteur, un subagent représente une maison d’édition et prend en charge la gestion des cessions des droits. Le rôle des subagents est particulièrement important dans le cas de l’intraduction de la littérature allemande : v. § 3.3.3. Plus de détails sur le fonctionnement des enchères auprès de l’agence littéraire la plus pertinente pour notre analyse, à savoir l’agence de Barbara Griffini et Erica Berla, sont fournis dans § 3.3.3.

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dans ce type de compétition : elle risque de dépenser un montant trop élevé pour son budget et, si elle entre en concurrence avec d’autres maisons de taille similaire, d’augmenter en vain ses dépenses25. Cependant, ce procédé étant relativement fréquent, surtout pour des langues assez répandues comme le sont le français et l’allemand en Italie, il n’est pas toujours possible de s’y soustraire. Il est opportun de remarquer que, même dans ce contexte de négociation strictement commerciale, un éditeur peut aussi mettre en valeur son capital culturel. L’offre d’acquisition des droits peut également contenir, outre le prix d’achat, des conditions concernant la publication, comme un tirage minimum, ainsi que des mesures promotionnelles prévues pour le lancement. Un éditeur peut aussi choisir de mettre dans la balance, de façon plus ou moins explicite, son statut symbolique : en garantissant l’insertion du livre dans une certaine collection, par exemple, ou encore la direction du travail de rédaction par une personnalité de renom, il peut essayer de convaincre la maison étrangère et/ou l’agent en charge de lui céder les droits, même pour un à-valoir relativement faible. C’est l’exemple que nous rapporte Roberta Gado, traductrice de l’allemand et médiatrice principale de Wolfgang Hilbig : pour s’assurer les droits des ouvrages de cet auteur méconnu en Italie, elle a allégué dans son offre qu’elle prendrait en charge sa traduction, qui posait de grandes difficultés stylistiques, et que l’éditeur, Keller, l’insérerait dans Vie, la collection prestigieuse où sont publiés, entre autres, plusieurs titres de l’auteure lauréate du prix Nobel Herta Müller (cf. § 3.3.6.2)26. Mais pour que le capital symbolique puisse, comme dans ce cas, l’emporter sur l’économique, deux conditions doivent être satisfaites : l’une regarde le travail culturel des éditeurs italiens, qui doivent être en mesure de garantir un certain standard de qualité quant à la traduction, la révision et la promotion du livre ; l’autre concerne l’intérêt des éditeurs étrangers et des agents littéraires, qui doivent être réceptifs aussi à ce type d’offre ne relevant pas, ou pas seulement, du gain économique à court terme. Dans le cas de Hilbig, cette deuxième condition est remplie par le fait que la gestion des droits de l’auteur est entre les mains de la S. Fischer-Stiftung, une association culturelle encline par principe à considérer comme prioritaire le critère de la qualité littéraire. Quant à l’agente Barbara Griffini, elle assure aussi qu’au sein de son agence, le système du « plus offrant » ne peut s’appliquer aux textes littéraires, étant donné que « l’éditeur le plus approprié pourrait ne pas être en mesure » de faire la meilleure offre27 (cf. § 3.3.3). La première 25

26 27

Paola Del Zoppo, directrice de la petite maison d’édition romaine Del Vecchio, explique qu’il arrive rarement qu’elle s’engage dans des enchères : « piuttosto che spendere tanti soldi per un determinato autore, ha più senso investirli e per fare ricerche e cercare ciò che ancora non c’è » (entretien avec Paola Del Zoppo) ; Lorenzo Flabbi, fondateur avec Marco Federici Solari de L’Orma, ajoute que les participants restent inconnus jusqu’à la fin de l’enchère, et qu’il est donc tout à fait possible de découvrir, une fois les droits vendus au meilleur offrant, d’avoir rivalisé aussi bien avec des groupes qu’avec d’autres petits éditeurs (entretien avec Lorenzo Flabbi). Entretien avec Roberta Gado. Entretien avec Barbara Griffini.

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condition, en revanche, concerne l’expertise des éditeurs et leur volonté de réaliser, à travers leurs publications, un travail culturel d’envergure : que peuvent-ils offrir aux auteurs qu’ils traduisent ? Comment peuvent-ils se détacher et faire valoir leur capital culturel ? C’est ici que le terme de « concurrence » devient captieux. Parce que la réponse aux questions précédentes, en vérité, est simple : le travail culturel des éditeurs consiste à maintenir une ligne cohérente, à assurer la qualité rédactionnelle des textes, à promouvoir la production des auteurs en mettant en lumière leur qualité littéraire et leur signification pour le lecteur italien : en somme, à offrir au public non seulement des livres, mais aussi, à travers les livres, une idée globale de la littérature. Ce type d’activité est a priori étranger à la concurrence, telle qu’on l’aperçoit sur le marché pur et simple, puisque les produits dont il est question – des textes littéraires, en l’occurrence des romans – ne sont pas uniformisés. Si chaque maison construit pour elle-même une identité unique et qu’elle prend soin de réaliser un projet distinctif, les cas de convoitise autour d’un même ouvrage devraient être très rares28 ; autrement dit, la « bibliodiversité » pourrait garantir que les énormes différences de capital économique existantes entre les maisons n’entraînent pas de véritable concurrence déloyale dans la production culturelle. Il en est réellement ainsi en partie : nous verrons par la suite que les jeunes maisons indépendantes identifient des segments du marché, des « lacunes » dans l’offre, pour s’y spécialiser sans devoir entrer en compétition avec les entreprises plus établies. Mais les similarités entre les projets, pour spécifiques qu’ils soient, et surtout les difficultés des éditeurs à mettre en valeur leurs auteurs après les avoir publiés par des opérations de promotion durables et réfléchies, font souvent passer la composante strictement culturelle de leur travail au second plan.

2.3.2 Le « gentlemen’s agreement » Le paysage éditorial est moins défini par des rapports de concurrence que par des relations à la fois de coopération et d’opposition entre les maisons. Ce type de relation ambivalente est mis en lumière de façon exemplaire par la pratique du soi-disant « gentlemen’s agreement ». Les contrats de cession de droits pour un ouvrage ne comprennent pas de clauses sur les publications successives du même auteur, c’est-à-dire que rien n’oblige un éditeur étranger à céder les droits pour toute l’œuvre d’un auteur à la même maison italienne, comme rien n’oblige une maison italienne à traduire 28

Paola Del Zoppo estime à ce sujet : « La questione della concorrenza è un falso problema, nel senso che il mercato editoriale è molto vario e per molto tempo in Italia non si è giocato sulla varietà. E questo è un grandissimo problema. […] Secondo me questa cosa della concorrenza è un po’ uno specchietto per le allodole, nel senso … il punto sta nel fare un buon progetto e portarlo avanti » (entretien avec Paola Del Zoppo).

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l’œuvre complète d’un auteur dont elle a déjà publié un ouvrage. Néanmoins, la coutume veut que l’éditeur qui a traduit le dernier ouvrage d’un écrivain ait droit à une option sur son ouvrage suivant ; ce n’est que si l’éditeur refuse cette option que les autres maisons peuvent formuler leur offre pour essayer de s’en approprier. Cet usage fait partie de l’éthique professionnelle du secteur, mais il n’est pas inscrit dans aucune règle officielle, c’est pourquoi il est considéré comme un accord tacite, à l’amiable, auquel il convient de ne pas contrevenir pour préserver les relations interpersonnelles si vitales, comme nous l’avons vu, dans ce domaine d’activité. Presque tous les professionnels nous ayant partagé leur expérience dans l’édition italienne insistent sur l’importance de cet usage : c’est, en effet, l’un des cas très rares d’entente générale sur les « règles du jeu » en vigueur. On pourrait être surpris, donc, par la fréquence très élevée avec laquelle les auteurs traduits changent d’éditeur, et surtout la trajectoire usuelle des jeunes écrivains qui, découverts par de petites maisons indépendantes, passent à des grands groupes une fois qu’ils ont obtenu une certaine visibilité. Pour expliquer ces phénomènes, il faut mettre en évidence quelques pratiques, tout aussi courantes, qui s’écartent du gentlemen’s agreement ou qui en définissent les limites. Tout d’abord, les auteurs changent souvent d’éditeur car il est peu habituel qu’une maison décide de pratiquer une politique d’auteur à cent pour cent. Dans les rares cas où cela arrive, cette intention est si profondément inscrite dans le projet des publications que l’éditeur prend parfois soin d’acquérir d’emblée les droits de plusieurs ouvrages, même s’il n’envisage pas de les publier tout de suite, voire de les publier tout court : c’est ce qui survient avec l’œuvre d’Annie Ernaux, revalorisée par L’Orma dans les années 2010, et avec la plupart des auteurs d’Adelphi, maison par excellence de la politique d’auteur (cf. § 5.5.3.3). Lorsque l’œuvre d’un écrivain est à ce point une partie intégrante de l’identité de la maison, le gentlemen’s agreement n’a presque plus de lieu d’être appliqué, puisque l’« appartenance » de l’écrivain à son éditeur devient un fait établi. Dans certains cas, pourtant, il peut arriver que ce lien étroit soit ébranlé par l’intervention d’un tiers qui cherche à s’accaparer de l’auteur : la directrice des éditions Voland Daniela Di Sora, par exemple, réitère volontiers sa reconnaissance pour la « fidélité » d’Amélie Nothomb, figure de proue de la maison et auteure à grand succès convoitée à maintes reprises par d’autres éditeurs de bien plus grandes dimensions29. L’accord tacite entre les éditeurs a donc valeur de ligne de comportement générale qui n’exclut pas des exceptions. En effet, pour qu’un auteur permette la publication de toute ou de la majorité de son œuvre par le même éditeur, le droit à une option d’achat n’est pas suffisant : il est également nécessaire, d’une part, que l’éditeur démontre sa volonté de s’engager à long terme avec l’auteur et, d’autre part, que l’auteur, ou plutôt son représentant (agent ou maison étrangère), considère comme une valeur ajoutée son appartenance au catalogue en question. 29

Entretien avec Daniela Di Sora.

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« Il n’est pas habituel » – observe Di Sora – « qu’un auteur qui a du succès reste chez le petit éditeur »30. C’est effectivement une trajectoire très peu courante : nous le verrons dans le détail et pour Uwe Timm (qui passe de Le Lettere à Mondadori), et pour Emmanuel Carrère (qui passe de Theoria à Einaudi, puis à Adelphi), mais cela arrive aussi à beaucoup d’autres, comme Laurent Mauvignier (de Zandonai à Feltrinelli), Christoph Ransmayr (de Leonardo et Il Mandarino à Feltrinelli), László Krasznahorkai (de Zandonai à Bompiani), etc. Cela peut avoir lieu pour plusieurs raisons : parfois, le premier éditeur italien ne montre pas d’intérêt à l’acquisition d’un certain ouvrage, ce qui ouvre une possibilité aux autres maisons d’interférer dans la médiation ; parfois, l’éditeur étranger estime qu’un changement d’éditeur (donc de traitement des ouvrages, de visibilité, de promotion) pourrait améliorer les chances du succès de son auteur à l’étranger ; d’autres fois, la maison italienne n’est plus en condition – par exemple en raison de difficultés financières – de garder ses auteurs et doit elle-même céder les droits sur ses auteurs à d’autres maisons. Vu la variété des scénarios possibles pour expliquer cette dynamique, il faut éviter le poncif qui la dépeint comme un simple « vol » des grands au détriment des petits ; en revanche, il est utile de considérer la façon dont le passage a lieu, pour évaluer si la médiation se déroule sous le signe d’une coopération ou d’une opposition entre les maisons concernées. Ce n’est ni un phénomène nouveau ni nécessairement un inconvénient que plusieurs éditeurs se « partagent » l’œuvre d’un écrivain. Au contraire, et à l’opposé de nos attentes, plusieurs collaborateurs de petites maisons indépendantes ont exprimé leur enthousiasme vis-à-vis de ce type de partage : la reprise d’un auteur par une grande maison pourrait en effet octroyer à l’éditeur qui l’a introduit pour la première fois une nouvelle visibilité auprès des lecteurs31. Cependant, cette fonction de « remorque » ne peut se produire que sous deux conditions : premièrement, l’éditeur plus petit doit être encore actif et garder les droits sur les premières publications de l’auteur en question ; deuxièmement, le nouvel éditeur doit mentionner, dans son paratexte (les rabats ou la quatrième de couverture, le cas échéant la préface ou l’introduction), les parutions précédentes du même auteur, afin de créditer le premier éditeur de son activité. Très souvent, toutefois, ces conditions ne sont pas remplies : d’abord, car les jeunes éditeurs indépendants, qui sont souvent les responsables de l’introduction de noms nouveaux (v. infra), ont une espérance de vie très réduite32 ; ensuite parce que plusieurs grandes maisons omettent Ibid. Giuliano Geri, directeur des collections de fiction du petit éditeur régional Zandonai, observe : « L’autore che viene pubblicato da un grande editore, eh beh … fa da traino ai tuoi, per cui spesso è nell’interesse di un piccolo editore vedere pubblicato un suo autore presso un grande marchio » (entretien avec Giuliano Geri). 32 Le rythme rapide de régénération de la « frange » des petits éditeurs est un signe évident de leurs difficultés à survivre dans le marché ; le rapport sur l’édition publié en 2008 illustre bien ce phénomène dans un schéma sur la natalité et la mortalité des maisons italiennes : Peresson (dir.), Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2008, p. 23. 30 31

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toute mention à des traductions antérieures, voire elles se présentent délibérément (nous le verrons notamment pour le Carrère adelphien) comme les seules représentantes de leur auteur. Nous remarquons donc, dans l’application du gentlemen’s agreement et dans les cas où plusieurs maisons s’intéressent aux mêmes écrivains, une ambivalence similaire à celle qui a caractérisé la collection Indies : là aussi, la relation entre les maisons concernées peut prendre la forme d’une coopération, au sens où plusieurs agents construisent ensemble, chacun à sa façon, l’image de l’auteur qu’ils traduisent ; mais, puisque l’intérêt partagé pour le même écrivain constitue une forme de concurrence, elle peut également révéler la volonté de chaque maison d’atteindre (ou de maintenir) une position dominante par rapport aux autres.

2.3.3 Géographie de l’édition Ce n’est pas toujours les « grands » contre les « petits » ou les « groupes » contre les « indépendants ». Certains disent que le conflit, s’il y en a un, est entre grands et petits ; d’autres estiment que la lutte, au contraire, se jouerait entre ceux qui appartiennent à la même ligue, c’est-à-dire les grands contre les grands d’un côté et les petits contre les petits de l’autre. En fait, il n’y a pas toujours forcément des rapports d’antagonisme, mais plutôt, nous avons essayé de le montrer et nous insisterons encore dessus par la suite, des oppositions fondées sur des projets éditoriaux distincts. Ces oppositions sont renforcées par des éléments externes au projet de chaque maison, comme son pouvoir d’achat, son réseau de distribution et, nous le verrons dans les paragraphes suivants, son siège principal. Alors que la majorité de l’édition littéraire française est concentrée à Paris33, la géographie de l’édition italienne s’avère, à l’époque que nous étudions, plus complexe. L’opposition classique entre centre et périphérie, ou mieux entre une ville centrale et d’autres localités en « province », subsiste, dans une certaine mesure, aussi en Italie ; mais elle présente des nuances qui attribuent à certaines régions une valeur spécifique. Dès lors, la situation géographique d’une maison peut faire partie de ses traits identitaires et contribue à définir son image. Centré autrefois à Florence, puis à Milan34, le paysage de l’édition italienne entre 2005 et 2015 est en cours de transformation. Elle présente deux centres, Mi33

34

Sur le « parisianisme » de l’édition française v. Celestin, Monique : « Les disparités spatiales de la production et de la distribution du livre en France », NETCOM. Networks and communication studies, 1–3 (1987), pp. 436–482 et, plus récemment, Legendre/Abensour, Regards sur l’édition. Une étude intéressante sur l’édition française minoritaire en dehors de Paris est proposée par Dominique Cartellier : « Perspectives pour l’édition en région. Le cas de Rhône-Alpes », Les Enjeux de l’information et de la communication, 1 (2003), pp. 1–9. Ferretti, Gian Carlo : Storia dell’editoria letteraria in Italia. 1945–2003, Turin, Einaudi, 2004, pp. 45–51.

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lan et Rome, connotés de façon contrastée : Milan, ville commerciale du nord très industrialisé du pays, accueille en son sein les chefs de plusieurs groupes, et beaucoup des maisons qui y appartiennent, comme Bompiani, Mondadori (à Segrate), Rizzoli et Feltrinelli ; Rome, lieu symbolique par excellence de la culture italienne, est la ville d’élection de nombreuses maisons indépendantes appartenant à diverses générations, parmi lesquelles L’Orma, Voland, minimum fax et e/o. Malgré les nombreuses exceptions à cette répartition de principe, beaucoup de maisons s’en servent pour renforcer un côté de leur identité. Ainsi, Isabella Ferretti et Tomaso Cenci, fondateurs de la maison romaine 66thand2nd, observent lors d’un entretien en 2009 : L’édition milanaise a donné une empreinte reconnaissable à l’édition italienne ainsi que des aspirations qui transcendent les frontières du pays. En revanche, au cours des dernières années, le ferment créatif de l’édition romaine a animé le marché éditorial et par son caractère « artisanal », privilégié par beaucoup de ses représentants, et par l’inventivité dans la communication.35

Cette opposition – qui associe en règle général Milan aux groupes et Rome aux éditeurs indépendants – est confortée non seulement par la connotation symbolique des deux villes, l’une industrielle, l’autre culturelle, mais aussi par les manifestations organisées autour de la production éditoriale, qui se déplacent de plus en plus vers la capitale, comme les salons littéraires Letterature (depuis 2002), Più Libri Più Liberi (aussi depuis 2002) et Libri Come (depuis 2010), tous trois prévus chaque année à Rome. Les chiffres confirment, par ailleurs, que la production romaine est en forte augmentation au cours de la décennie que nous observons : le pourcentage de la production éditoriale de la région du Latium, concentrée en son chef-lieu, s’est accrue chaque année jusqu’à atteindre 18,5 % de la production nationale en 201536. À la dichotomie entre Milan et Rome s’ajoute une autre distinction ; elle est analysée dans toutes les études sur le marché du livre en Italie, mais s’avère plus pertinente dans la description des réseaux de librairies et de bibliothèques, des pratiques d’achat de livres et des habitudes de lecture, que de la production en amont de la chaîne du livre : c’est l’opposition entre le nord et le sud du pays. Il a été observé, en effet, que le nombre de grands lecteurs est significativement moindre dans les régions du sud et dans les îles, où par ailleurs l’accès aux livres n’est pas toujours aisé en dehors des centres urbains37.

35 36 37

Agrosì, Dori : « Intervista a Isabella Ferretti e Tomaso Cenci, 66thand2nd », La Nota del Traduttore, 29 décembre 2009, www.66thand2nd.com/public/pdf_rass_stampa/66th_intervistaeditori_ notatraduttore_29dic09.pdf (26 mars 2022). Peresson, Giovanni (dir.) : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2017, Milan, AIE, 2017, pp. 40–41. Dans la même année, la région de Milan est responsable de 31,3 % de la production nationale et s’avère par là le premier pôle de production du pays. Au-delà des rapports sur l’édition de l’AIE, qui confirment année après année cette inégalité à l’intérieur du pays, des renseignements précis sur les pratiques de lecture en Italie sont présentés dans l’étude de Giovanni Solimine : L’Italia che legge, Rome/Bari, Laterza, 2010.

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Dès lors, bien que la majorité des maisons se trouve dans les deux noyaux de Rome et de Milan, on ne peut considérer comme une périphérie indistincte toute la production qui naît en dehors d’eux. Au contraire : en plus de l’opposition nord/ sud, il faut considérer également que dans quelques villes majeures sont situées des maisons d’édition tout aussi prestigieuses et riches d’histoire, indépendantes et non, comme Einaudi à Turin, Sellerio à Palerme, Salani à Florence, Laterza à Bari. Mais, dans la plupart des cas, se trouver en dehors des centres implique soit une position également marginale dans le champ littéraire, soit un ancrage particulièrement fort au territoire. Un tel ancrage se manifeste d’habitude de deux manières différentes : premièrement, les maisons de « province » peuvent chercher à devenir des lieux culturels de référence de leur ville, par exemple en s’appuyant sur une librairie locale, voire en en fondant une nouvelle, et en organisant des manifestations culturelles qui attirent le public local et encouragent la formation d’une communauté de lecteurs. C’est ce que font, entre autres, Sellerio à Palerme, Dante & Descartes à Naples, Erasmo Libri à Livourne, Clichy à Florence. Deuxièmement, les éditeurs peuvent construire leur catalogue, en partie ou intégralement, autour de leur appartenance régionale, par exemple en publiant des ouvrages sur l’histoire et la culture de leur ville et/ou des auteurs locaux, ou encore en traitant des thématiques spécifiques à leur région : c’est ce que font Zandonai et Keller, deux éditeurs qui travaillent à l’extrémité nord de l’Italie, en choisissant de se concentrer sur la thématique de la frontière et de publier un grand nombre de traductions issues de la Mitteleuropa ; c’est aussi le cas d’une maison plus ancienne comme Sellerio, qui s’adonne d’emblée à des publications sur la Sicile écrites par des auteurs locaux comme Leonardo Sciascia, Francesco Lanza et Nino Saverese38. Ces tendances sont pertinentes pour notre analyse dans la mesure où elles témoignent de la complexité du paysage éditorial. Ainsi, par exemple, pour com38

Dans la brève histoire de la maison proposée sur le site officiel de Sellerio, l’accent est mis de façon explicite sur sa nature régionale et fièrement périphérique : « La casa editrice Sellerio nasce nel 1969, con un piccolo investimento da parte di Elvira ed Enzo Sellerio, celebre fotografo, sulla base di una idea nata parlando assieme a Leonardo Sciascia e Antonino Buttitta, l’antropologo. I quattro sono amici e sono protagonisti della vita culturale palermitana. Palermo negli anni Sessanta è una strana città. Da mille anni una delle capitali dell’Occidente, da mille anni alla periferia dell’Occidente. Crocevia e crogiuolo di tutti gli elementi fondamentali assorbiti dalla cultura occidentale. Ne è legata e distaccata insieme. In ogni sua stagione di fervore culturale (e gli anni Sessanta sono anni di fervore) produce un tipo di intellettuale, egocentrico e presuntuoso quando è un piccolo intellettuale ; originale e creativo quando è un grande intellettuale. È un intellettuale segnato da un particolare movimento dialettico : dal suo cantuccio guarda il centro del mondo. Osserva quanto fragili e piene di eccezioni sono sempre diventate in Sicilia le mode e le verità altrove proclamate di volta in volta infallibili e assolute. Considera tutto questo dapprima con risentimento per esserne escluso, con sufficienza, con desiderio ; poi scopre che il suo cantuccio è il mondo. Così, fin dall’inizio Sellerio è una casa editrice periferica e interessata alle periferie. Ma è questo essere una specie di provincia dell’anima che le consente di esprimere una generalità. Di non essere una nicchia, ma un soggetto. Perché il soggetto è inevitabilmente un punto di vista, cioè una provincia che si fa centro » (www.sellerio.it/it/casa-editrice, dernière visite le 27 octobre 2020).

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prendre le choix de l’éditeur Roberto Keller de traduire un grand nombre d’auteurs allemands, et par là l’alliance qui le liera plus tard à la traductrice et médiatrice Roberta Gado, qui à son tour sera la responsable de l’introduction réussie de l’œuvre de Clemens Meyer en Italie39, il est nécessaire de prendre en compte non seulement les dimensions de la maison ou son nombre de publications par an, mais aussi les implications de son implantation dans une région spécifique de l’Italie40. Nous prendrons soin d’envisager tous ces éléments dans l’analyse de plusieurs maisons dans les parties suivantes de ce travail.

2.4 LES PARIS PRUDENTS DES GRANDES MAISONS L’exemple de Clemens Meyer nous est utile pour mettre en lumière un phénomène transversal à toute la production de littérature traduite : les auteurs plus jeunes sont traduits, en règle générale, par les éditeurs de taille petite à moyenne, alors que les grandes maisons préfèrent publier des écrivains appartenant à des générations plus anciennes, souvent précédant 1960. Ce phénomène se manifeste aussi bien pour les traductions du français que de l’allemand, alors qu’il est moins visible pour les traductions de l’anglais, à cause du très grand nombre d’auteurs anglophones traduits chaque année. En observant les écrivains francophones et germanophones représentés par Mondadori, Einaudi, Feltrinelli, Bompiani et Adelphi, on remarque que le nombre de débutants est minimal, et que la majorité a commencé à publier au plus tard dans les années 1980. Bien sûr, quelques exceptions sautent aux yeux : nous remarquons en particulier les débutants Jonathan Littell chez Einaudi, Eugen Ruge chez Mondadori, Joël Dicker chez Bompiani ; les jeunes Katja Petrowskaja chez Adelphi (née en 1970), Daniel Kehlmann chez Feltrinelli (né en 1975), Édouard Louis chez Bompiani (né en 1992). Mais il est certain que les plus grandes maisons italiennes, les plus visibles et avec le plus grand pouvoir de prescription, hésitent plus que les autres à introduire de nouvelles voix depuis l’étranger : les chiffres le montrent et les éditeurs des maisons de toutes tailles le confirment. Pour expliquer ce comportement, il faut invoquer au moins deux arguments. Le premier concerne l’élargissement du bassin des langues de départ : dans le nouveau millénaire, nous l’avons vu, il est plus fréquent que par le passé de trouver en 39 40

Gado traduit, avec Riccardo Cravero, Als wir träumten [Francfort-sur-le-Main, Fischer, 2006] : Eravamo dei grandissimi, Rovereto, Keller, 2016. Cela est valable aussi pour les autres champs littéraires : dans son étude sur l’édition indépendante en France, Sophie Noël observe qu’il existe une véritable « géographie parisienne spécifique », où la localisation des éditeurs à l’intérieur de la ville peut être « un bon indicateur de leur position sociale, mais également de leur degré de politisation » (Noël, Sophie : L’Edition indépendante critique. Engagements politiques et intellectuels, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2012, pp. 158–182).

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librairie des écrivains du monde entier, de l’Extrême-Orient aux pays d’Afrique, de l’Amérique latine aux Balkans. Or si l’on met en relation ce mouvement d’ouverture globale – qui représente aussi une extrême fragmentation de l’offre de littérature traduite – avec la velléité généraliste des groupes éditoriaux, il en résulte que la marge qui était consacrée plus tôt à cinq ou six langues principales doit maintenant être partagée entre un nombre beaucoup plus élevé d’aires linguistiques. Bien que la production annuelle des groupes soit très riche, l’espace qui reste libre pour de nouvelles découvertes issues de la France ou de l’Allemagne se restreint donc de plus en plus. Considérons un exemple pratique : l’aire consacrée à la littérature étrangère chez Einaudi publie environ quarante livres par an (un nombre déjà si élevé qu’il présente un certain risque de dispersement pour chaque titre pris individuellement) ; si l’on en exclut la majorité, réservée aux auteurs anglophones, puis une marge pour les nouvelles parutions des auteurs fixes de la maison, puis encore plusieurs ouvrages pour les langues plus périphériques, il reste très peu de chances pour un premier roman en langue française ou allemande de franchir le seuil du catalogue de la maison. À cela s’ajoute le second argument, qui concerne, lui, le « risque » représenté par la plupart des auteurs débutants, d’autant plus lorsqu’ils ne s’adressent pas d’emblée à un public de masse. Chaque publication, et encore plus chaque traduction, nous l’avons vu, comporte des coûts ; la rentabilité de chaque ouvrage dépend, d’un côté, de tels coûts de fabrication – donc aussi de la longueur du texte, de son degré de complexité pour la traduction, de la nécessité, le cas échéant, d’une introduction ou d’une postface, etc. – et, de l’autre, du public qu’il atteint sur la base du tirage choisi. Si un auteur est débutant, et qu’aucune stratégie de lancement n’est conçue spécialement pour l’occasion, il est difficile pour l’éditeur de garantir l’atteinte du seuil de rentabilité, puisque tout dépend de l’attention que la critique et le public accorderont à l’ouvrage ; afin d’orienter cette attention vers le texte choisi, l’éditeur doit entreprendre un travail de mise en réseau et de promotion qui exige du temps et de l’organisation, et qui n’a rien de la mécanicité d’une publicité simple à but lucratif41. Au contraire, quoique l’acquisition des droits puisse être

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Il est rarement question de « publicité » au sens strict pour les ouvrages littéraires ; les études sur l’édition et les éditeurs eux-mêmes préfèrent souvent l’emploi du terme « promotion » pour désigner l’ensemble des activités prévues pour le lancement d’une nouvelle publication. La raison de cette préférence réside, encore une fois, dans l’ambiguïté du livre à mi-chemin entre bien symbolique et produit de consommation : le recours à la publicité, tout comme l’insertion de la production éditoriale dans un marché soumis au libre-échange, pourrait mettre en péril la production littéraire plus autonome. C’est pour cette raison que l’article 8 du décret 92-280 du 27 mars 1992 interdisait, en France, la publicité télévisée aux éditeurs littéraires : il s’agit d’une mesure vouée à préserver la « diversité culturelle » (selon les propos du Conseil supérieur de l’audiovisuel recueillis par le Syndicat national de l’édition, www.sne.fr/promotion-de-la-lecture/le-livre-dansles-medias (18 novembre 2020). Pour une histoire des développements dans les pratiques de promotion et dans les relations entre littérature et publicité, v. Guellec, Laurence/Hache-Bissette, Françoise (dir.) : Littérature et Publicité. De Balzac à Beigbeder, Marseille, Gaussen, 2012.

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plus onéreuse, la publication d’un auteur déjà établi promet au moins d’atteindre sa base de lecteurs fidèles – elle est, autrement dit, une valeur plus ou moins sûre. Dans ce sens, les maisons de taille petite à moyenne, et surtout les plus jeunes qui n’ont pas encore un catalogue duquel tirer des entrées régulières, se lancent plus souvent dans les « paris » moins prudents. C’est justement ainsi que la traductrice Roberta Gado rend compte de la publication de Clemens Meyer chez Keller : son roman de début, Als wir träumten, présentait notamment le « gros problème » de sa longueur – environ 500 pages –, qui confrontait l’éditeur au dilemme des « frais de production très élevés face à un point d’interrogation ». Mais, incité par l’encouragement de la traductrice à laquelle il est liée par un rapport de confiance, et convaincu par la représentation du film tiré du roman à la Berlinale en 2015, Keller accepte de publier le livre et entame, avec la coopération de Gado et soutenu par le financement du Goethe Institut, une opération de promotion auprès des germanistes italiens et du public des grands lecteurs qui procure à l’ouvrage un succès immédiat et durable42. Que cette pratique soit une prérogative de plus en plus exclusive des maisons indépendantes de petite et moyenne taille présente, évidemment, des conséquences. Elle met en évidence l’abandon graduel, par les plus grandes maisons, d’une velléité de découverte et de construction de la littérature haut de gamme écrite par les jeunes générations. Écrasées par le rythme hâtif des publications annuelles, par la volonté de toucher tous les publics, et par leurs propres dimensions qui exigent des tirages et des revenus très élevés, ces maisons se permettent très rarement de donner la priorité au discours culturel sur le discours commercial. Elles deviennent ainsi, souvent, les représentantes d’une grande littérature, certes, mais d’une littérature plus « âgée », et elles ont des difficultés objectives à renouveler leur répertoire. En revanche, les maisons de petite et moyenne taille ont tendance à s’allier à des écrivains jeunes et/ou débutants, et à tirer profit de leurs dispositions analogues pour se positionner dans le champ : alors que la richesse des groupes réside principalement dans leur catalogue historique, la richesse de ces maisons dépend de l’efficacité de leur réseau et de la qualité de leur travail culturel. Cela explique que nous repérions dans leurs catalogues l’offre la plus innovante et la plus autonome de la littérature traduite contemporaine.

2.5 FINANCES ET FINANCEMENTS Le travail culturel des éditeurs a son prix : il n’assure ni des revenus immédiats ni une marge bénéficiaire élevée. Mais il n’est pas pour autant un lieu du pur désinté-

42

Entretien avec Roberta Gado.

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ressement43, et il requiert des investissements économiques qui dépassent, souvent, les possibilités réelles des maisons d’édition. La coexistence, dans un seul et même marché, de réalités extrêmement différentes, aux chiffres d’affaires incommensurables, risquerait d’effacer la possibilité même d’une activité si peu rentable, si ce n’était pour l’intervention de forces externes à la logique économique qui soutiennent les initiatives culturelles. Dans les lignes suivantes, nous considérerons les contraintes économiques auxquelles chaque éditeur est soumis et les aides financières qu’ils peuvent invoquer pour soutenir leur activité.

2.5.1 Le prix du livre Dans un pays comme l’Italie, où la pratique de la lecture est peu uniforme et, en général, peu répandue (par rapport aux voisins européens), l’initiative de promotion la plus immédiate pour favoriser l’achat de livres est la baisse des prix de couverture44. En effet, au cours des années 2010, les éditeurs ont montré une tendance commune à proposer des prix de plus en plus bas, arrivant à vendre en 2015/2016 plus de la moitié de la production totale à moins de 15 € par ouvrage, sans tenir compte, le cas échéant, des remises ni des soldes45. Cette information s’avère utile afin d’estimer la marge bénéficiaire des éditeurs pour chaque roman vendu, sachant qu’elle est calculée autour de 40 % du prix de couverture : effectivement, une moitié environ est réservée aux responsables de la distribution, de la promotion et de la vente, alors que l’autre moitié, qui revient à l’éditeur, comprend aussi les droits d’auteur, qui s’élèvent à 10 % du prix de couverture46. Le gain réel dans ce pourcentage est ce qui reste après avoir déduit les coûts de fabrication, par exemple l’impression, dont les frais dépendent de la longueur de l’ouvrage et du tirage choisi, ainsi que les dépenses fixes de la maison, qui concernent par exemple le personnel et les locaux. À cela s’ajoute le recours fréquent, de la part des libraires, aux remises, 43

Les leçons de Gisèle Sapiro pendant le séminaire « Sociologie du désintéressement » qu’elle dirige à l’EHESS nous ont été précieuses pour mieux saisir le rapport entre les « engagements » et les « désengagements » des intellectuels dans le champ littéraire ; un point de repère fondamental a été sa monographie : Sapiro, Gisèle : La Responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (XIXe–XXIe siècle), Paris, Seuil, 2011. 44 Peresson (dir.), Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2017, pp. 45–46. 45 Ibid. Les données concernant les prix des livres ne présentent malheureusement pas de distinction selon le genre des ouvrages, ce qui efface les écarts considérables existant entre les textes scientifiques et la littérature, par exemple, ou entre les classiques et les contemporains. En revanche, elles illustrent le décalage substantiel entre les livres papier et les e-books, dont plus de la moitié des ouvrages est vendue en moyenne à 5 € ou moins. 46 Des repères utiles pour comprendre les stratégies courantes dans l’établissement des prix des livres se trouvent dans  : Breyer-Mayländer, Thomas/Schönstedt, Eduard  : Der Buchverlag. Geschichte, Aufbau, Wirtschaftsprinzipien, Kalkulation und Marketing, Stuttgart, Metzler, 2010, pp. 275–279 et Robin, Cristian : « Les composantes du prix du livre », dans Legendre, Bertrand (dir.) : Les Métiers de l’édition, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2012, pp. 321–328.

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qui se font souvent au détriment du pourcentage de l’éditeur. Lorsque les dépenses sont compensées par les entrées, les éditeurs parlent de « break-even », c’est-à-dire de l’atteinte du seuil de rentabilité ; à partir de ce seuil, il est possible d’observer un véritable gain. Nous observons, en somme, que le grand nombre d’agents pour chaque maillon de la chaîne du livre réduit la marge de gain pour chacun d’eux, et que les plus défavorisés dans l’affaire, du point de vue économique, semblent être les auteurs et les éditeurs. Non seulement la marge de contribution par copie, c’est-à-dire le revenu qu’obtient l’éditeur sur le prix du livre, est de première importance dans ce calcul, mais aussi le tirage moyen de chaque maison. Si le véritable gain de l’éditeur pour un livre de 10 € est d’environ 2 €, combien de livres doit-il vendre pour atteindre le break-even ? Cela dépend, entre autres, des à-valoir qu’il paie à ses auteurs et des dimensions de son entreprise qui, avec plus ou moins d’employés, peut présenter des coûts réguliers plus ou moins élevés. Il va de soi que les dépenses fixes d’une maison comme Rizzoli dépassent très largement celles d’un petit indépendant avec moins de dix employés à charge comme Voland. C’est pour cela que les très grandes maisons publient rarement des romans avec des tirages inférieurs à 3000 exemplaires : malgré les différences substantielles selon la langue de départ et l’auteur, et aussi selon les exigences particulières de chaque livre, il est « difficilement soutenable »47 d’aller au-dessous de ce seuil minimal. Cette contrainte inhibe d’emblée, chez les grandes maisons, les publications visant un public plus restreint, à moins qu’elles ne décident d’insister « à perte » sur un auteur, quelle que soit son succès auprès du grand public. Les catalogues démontrent néanmoins que ce type d’opérations tend à durer peu, au moins pour les auteurs qui sont traduits du français et de l’allemand. Au contraire, le tirage moyen chez les maisons de petite et moyenne taille est souvent plus bas que le seuil minimal des collègues de plus grande taille : il s’élève généralement à 1500, voire 1000 exemplaires48. Comme tous les éditeurs pendant la période que nous considérons, ils suivent la tendance à la baisse en ce qui concerne les impressions : les techniques raffinées de monitorage des ventes et de réimpression rapide permettent aux maisons d’éviter le retour en stock des inven47

48

C’est ce que nous rapporte un editor pour la littérature étrangère chez Einaudi, Francesco Guglieri, lors d’un entretien à Turin le 7 mars 2019. Cette donnée nous est confirmée par son collègue Enrico Ganni, responsable de la littérature allemande auprès de la même maison ; Ganni observe qu’il n’existe pas de normes strictes pour décider le tirage de chaque livre, mais que la stratégie de la maison est souvent de choisir des auteurs à suivre ou à « pousser », quel que soit le nombre des ventes : en règle générale, dit-il, « un libro ci guadagna, due vanno in pari, uno ci rimette ». Une expérience similaire nous est rapportée par Helena Janeczek, consultante pour la littérature allemande chez Mondadori, où le tirage des romans traduits de l’allemand descend rarement au-dessous des 4000 exemplaires – bien que la majorité ne vende qu’environ 30 % du tirage (entretien avec Helena Janeczek). Ces chiffres nous ont été confirmés pour les maisons Zandonai, Del Vecchio, Voland, L’Orma, et pour les textes littéraires chez Le Lettere (dans la collection Pan Narrativa), lors des entretiens avec Giuliano Geri, Paola Del Zoppo, Marco Federici Solari et Matteo Galli.

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dus, qui représente non seulement un souci logistique, mais aussi une valeur qui se traduit en impôts à payer. En outre, inversement aux maisons plus grandes, celles de taille petite à moyenne ne peuvent pas soutenir les coûts d’un tirage aussi élevé – les libraires, d’ailleurs, ne demanderaient pas autant de copies pour leurs magasins –, à moins qu’elles ne misent sur les auteurs phare de leur catalogue : les derniers ouvrages d’Annie Ernaux chez L’Orma, par exemple, ou d’Amélie Nothomb chez Voland sont tirés à un nombre bien supérieur d’exemplaires – dépassant les 10 000 copies – par rapport à la moyenne de leurs maisons. Le risque de publier des romans plus exigeants, qui ne se vendent pas en grand nombre, est donc moindre pour ces maisons que pour les entreprises de très grandes dimensions. Une contre-épreuve de ce phénomène est représentée par le traitement spécial, au sein de certaines grandes maisons, des publications qui, à la différence du roman, s’adressent a priori à un public de niche. Le traducteur et editor Enrico Ganni explique ainsi que, chez Einaudi, « dans la poésie, il est plus facile de faire passer certains auteurs, parce que l’on ne s’attend pas à de grands tirages »49. Autrement dit, les grands nombres d’un côté et la recherche littéraire de l’autre s’avèrent, dans la pratique, peu compatibles.

2.5.2 Promouvoir, communiquer, vendre Est-il donc impossible de gagner de l’argent en publiant de bons livres ? Si c’était vrai, alors nous assisterions soit à l’emprise du mécénat, soit à la fin de la littérature au sens strict, c’est-à-dire celle qui échappe à la pure et simple logique du marché. Mais ce n’est pas là notre thèse : nous croyons que tous les éditeurs disposent a priori du potentiel pour réaliser un travail culturel de qualité, et que certains, quelle que soit leur taille, exploitent ce potentiel, sans que cela représente un risque pour la survie de leur maison. Pour ce faire, ils ont recours à des outils de divers ordres ; deux catégories d’activité, en particulier, se révèlent souvent essentielles pour la réussite : d’une part, les financements étatiques qui soutiennent la production littéraire afin d’amplifier le rayonnement culturel à l’étranger et, d’autre part, l’engagement personnel d’un agent – ou, dans le meilleur des cas, d’un groupe d’agents – qui prend en charge la promotion du livre d’abord auprès des libraires, puis auprès de la critique. Commençons par ce dernier. Il peut paraître étonnant que, pour la réussite d’un livre50, il soit nécessaire qu’un individu, qu’il s’agisse d’un éditeur, d’un traducteur ou d’un consultant, 49 50

Entretien avec Enrico Ganni, responsable de la littérature allemande chez Einaudi jusqu’en 2020. Nous entendons par « réussite » une réception critique positive au pôle autonome du champ, une longue durée de vie en librairie et, le cas échéant, une médiation durable, qui continue pour les publications suivantes de l’auteur ; en d’autres termes, nous ne faisons pas référence au seul succès commercial. Tandis que ce dernier se laisse parfois créer par des agencements internationaux qui « lancent » des titres isolés susceptibles d’intéresser le public de masse, et se termine bientôt

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le prenne à cœur. Pourtant, pour qu’un titre en particulier tranche sur la pléthore de nouvelles publications annuelles, il lui faut bien une poussée de l’extérieur, quelqu’un qui le montre du doigt et insiste sur sa valeur. En effet, même le lecteur le plus assidu ne pourrait lire toutes les traductions publiées par tous les éditeurs ; il est donc nécessaire qu’une personne dotée d’un certain pouvoir de prescription – l’éditeur même, ou l’un de ses collaborateurs – se porte caution pour des ouvrages choisis. Autrement dit : il ne suffit pas de publier un livre, il faut aussi le communiquer. « Communiquer » un ouvrage, c’est l’adresser à son public en insistant sur les éléments qui en font, selon l’éditeur, un texte remarquable. Ce travail, pour être efficace, exige l’investissement personnel de quelqu’un qui, ayant lu et sélectionné le texte, sache en détacher les qualités qui justifieraient sa mise en valeur par rapport aux autres : d’abord auprès des libraires, puis de la critique – ou mieux, d’une fraction de la critique –, l’éditeur ou son collaborateur doit souligner un enjeu thématique ou un trait de style qui fassent ressortir l’ouvrage. Outre l’activation du réseau de connaissances de chaque maison pour vendre et promouvoir de nouvelles parutions, ce travail engage aussi la crédibilité, construite dans le temps, de celui qui conseille ces parutions dans son entourage. Pour le dire avec un exemple : les germanistes de rang qui exercent une activité de critique littéraire ne sont, en Italie, qu’une poignée, et ils reçoivent de plusieurs côtés divers conseils de lecture ; or ils accorderont certainement une attention et une confiance particulières aux propositions des éditeurs, traducteurs et collègues pour qui ils ont de l’estime et qui sont en mesure de justifier leurs avis par des argumentations d’ordre strictement littéraire, et non pas en soulignant avant tout le potentiel de vente d’un livre. Ce que nous tenons à souligner, c’est que le travail de promotion d’un roman n’est pas une prérogative des éditeurs indépendants, mais que la dynamique dans laquelle ce travail se déroule change beaucoup selon les dimensions de chaque maison et selon ses velléités plus ou moins littéraires. Helena Janeczek, consultante pour la littérature allemande chez Mondadori, observe à ce propos que les grandes maisons généralistes éprouvent, lorsqu’elles veulent promouvoir des ouvrages littéraires, et notamment des traductions depuis d’autres langues que l’anglais, de sérieuses « difficultés structurelles » dues à la division du travail en leur sein et au grand nombre de titres qu’elles publient chaque année : Maintenant je ne sais plus exactement combien de personnes travaillent dans le bureau de presse, mais elles ne sont pas beaucoup et […] elles ont beaucoup de livres à promouvoir, et leurs chefs leur disent : tu dois miser sur celui-là. Et du coup elles prennent le téléphone et disent : nous avons ça et puis ça. Si tu travailles de cette manière, le livre qui, à moi et à toi, nous paraît splendide et magnifique, il n’arrive nulle part, si ce n’est par un coup de bol … Et ce qui est encore pire, c’est le problème de ceux ont affaire aux librairies, les représentants qui vont d’une librairie à l’autre […]. Ils [les éditeurs] font des présentations aux représentants, ils invitent ces représentants aux présentations des nouvelles parutions, qui évidemment commencent avec, j’en sais rien, sans laisser de traces, l’autre requiert un travail plus profond, conçu ad hoc pour introduire cet ouvrage de cet auteur en particulier, et l’adresser à l’attention de l’intelligentsia.

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par exemple, le nouveau livre de Patricia Cornwell vient de sortir, alors tu commences par Patricia Cornwell, puis … le nouveau livre de Susan Collins vient de sortir, alors : Susan Collins … Du coup toi, ton titre, d’un auteur inconnu, il arrive quand ceux-là, qui ne sont pas de fins lettrés, ils sont là-dedans depuis plusieurs heures, donc ils s’en fichent, non ? […] Il faudrait que tu déclenches un mécanisme de lancement, de soutien, pour qu’ils changent d’avis. Tandis que, si tu es dans une maison petite ou moyenne, les attachés de presse sont des personnes vraiment choisies, avec un profil individuel, elles sont moins remplaçables, elles ont, prises individuellement, plus d’autorité ; et d’habitude il y a l’éditeur ou l’éditrice, le responsable éditorial ou de la collection qui vont eux-mêmes faire le tour et raconter, qui se rapportent aux journalistes …51

Un exemple aux antipodes, qui met en lumière un tel « mécanisme de lancement, de soutien » au sein d’une maison de taille petite à moyenne, est celui de Del Vecchio, où le nombre de parutions annuelles reste toujours au-dessous d’un seuil assez bas pour assurer un suivi personnel à chaque ouvrage de la part des éditeurs. Paola del Zoppo, responsable éditoriale de cette maison, remarque que la stratégie de promotion de chaque livre « est toujours concertée avec le bureau de presse » ; que, lorsqu’ils décident de mettre l’accent sur une publication en particulier, ils développent sa promotion sur plusieurs niveaux, à savoir depuis une perspective régionale (selon la langue de départ) et de manière transversale (selon ses spécificités thématiques et les enjeux critiques que le texte soulève) ; que, bien qu’ils s’appuient parfois sur la presse traditionnelle, ils ont tendance à « travaill[er] beaucoup sur la critique littéraire […] en ligne, parce qu’en fait ça circule davantage » ; et qu’ils s’appuient aussi souvent sur un blog parallèle à la maison d’édition, Senzazucchero, où ils se proposent d’« impliquer une série d’agents du milieu critique-littéraire et les interviewer sur les livres, poser des questions sur des livres », ils se proposent « donc de se charger directement de la partie de la presse. »52 Nous remarquons, en somme, que si le travail de promotion est toujours réalisé au sein de chaque maison, quelles que soient ses dimensions, le degré d’implication des éditeurs en son for et la composante strictement littéraire dans sa pratique sont très variables, conditionnant ainsi considérablement le succès des titres qui s’adressent principalement à un public restreint.

2.5.3 Dispositifs de soutien Ces pratiques différencient donc l’activité des maisons de taille petite à moyenne de celle des plus grandes entreprises, et définissent en partie leur position dans le champ sur l’axe de l’autonomie littéraire. Parallèlement, le recours plus ou moins fréquent aux initiatives étatiques de soutien aux traductions représente un autre phénomène de différenciation sur ce continuum.

51 52

Entretien avec Helena Janeczek. Entretien avec Paola del Zoppo. Le blog Senzazucchero n’est plus accessible en ligne.

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La volonté déclarée de la politique culturelle est de soutenir la production artistique locale ainsi que son rayonnement à l’international, avec l’intention de « renforce[r] la construction des structures de la société civile »53 : sa mission se veut donc autonome des contraintes économiques et, en même temps, libre de toute connotation ouvertement politique. Cependant, toute influence de l’État sur la production des biens symboliques relève aussi dans une certaine mesure de la logique politique. Celle-ci, en effet, risque d’imposer ses enjeux à la production littéraire si elle ne se contente pas de la financer, mais cherche aussi à la façonner, par exemple en imposant des critères d’ordre idéologique pour le choix des maisons, des auteurs et/ou des titres à soutenir. Est-il possible de contrebalancer l’hétéronomie économique par une autre forme d’hétéronomie, la politique, sans réduire par là encore plus l’autonomie, certes toujours relative, du champ littéraire ? Ce sont les modalités précises de chaque initiative qui permettent de déterminer son degré d’autonomie et, en dernière instance, sa véritable visée. Nous verrons par la suite qu’il est effectivement possible, en accordant le pouvoir décisionnel à des agents internes au champ culturel, de sauvegarder l’autonomie de chaque opération54 : le Centre national du livre en France, le Goethe-Institut en Allemagne, la fondation Pro Helvetia en Suisse, la section artistique et culturelle du Bundesministerium en Autriche, entre autres, délèguent ainsi à des jurys d’experts – critiques, professeurs universitaires, écrivains – la sélection des éditeurs à soutenir à travers leurs programmes d’aide à la traduction. Il va de soi, cependant, que l’institution même d’un jury comporte un choix qui demeure dans une certaine mesure politique, et qui confirme cette pratique comme une forme plus ou moins souple d’hétéronomie. Dans les parties suivantes de ce travail, nous verrons en détail quelles structures proposent des aides à la traduction et à la promotion des livres en langue française et allemande, et quels ouvrages profitent de cette forme d’intervention publique. Pour l’instant, retenons ceci : l’intervention des instances gouvernementales, tels les ministères de la Culture et des Affaires étrangères, avec leurs divers opérateurs, reste l’un des moyens les plus efficaces pour défendre l’« exception culturelle », c’est-à-dire le traitement des biens culturels comme des produits différents de toute autre marchandise soumise au libre-échange55. En effet, les interventions étatiques de soutien à la publication et à la promotion de textes traduits sont le plus souvent sollicitées par les éditeurs indépendants et de taille réduite. Cela s’explique certainement en partie par l’intérêt de tels fi53 54 55

Onglet « Missions et objectifs » du Goethe Institut de Paris, www.goethe.de/ins/fr/fr/ueb/auf. html (25 juin 2019). Sur la politique culturelle en tant qu’instrument « d’intervention publique », v. Dubois, Vincent : La Politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999. Sur cette notion, née au cours des années quatre-vingt-dix, et sur son évolution dans la notion plus ample de « diversité culturelle », v. Gournay, Bernard : Exception culturelle et mondialisation, Paris, Presses de Sciences Po, Paris, 2002 ; Regourd, Serge : L’Exception culturelle, Paris, PUF, 2002 ; Regourd, Serge (dir.) : De l’exception à la diversité culturelle, Paris, La Documentation française, 2004.

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nancement, qui est de fournir une assistance aux entreprises n’ayant autrement pas les moyens de financer certaines publications. Mais c’est aussi parce que, nous le verrons, soumettre une demande de financement signifie souvent avoir affaire à des documents en langue étrangère qu’il faut déchiffrer et remplir, et à de longues procédures à suivre et planifier promptement – un travail qui, encore une fois, témoigne d’une implication et d’un engagement résolus envers un certain auteur et son ouvrage. Par ailleurs, étant donné que les traductions depuis des langues (semi-)périphériques engendrent systématiquement moins de revenus que les traductions de l’anglais, et que ces traductions émanent le plus souvent d’éditeurs de taille petite à moyenne, il est doublement nécessaire qu’un financement externe aide à combler l’écart économique qui suffirait sinon à effacer du marché toute publication aussi peu rentable. L’exemple d’une langue de traduction extrêmement marginale comme le letton est significatif à cet égard : « aucun éditeur ne ferait un livre letton s’il n’était sûr d’avoir au moins un financement partiel », observe la traductrice Margherita Carbonaro56. Cela s’explique par la difficulté de communiquer au public l’ouvrage d’un auteur inconnu, qui s’ajoute à la maigre marge bénéficiaire des romans traduits depuis les langues périphériques. Les mesures incitatives des politiques culturelles compensent en partie ce risque économique et encouragent simultanément la recherche de voix nouvelles.

2.6 PROJETS ET STRUCTURES Qu’ils optent pour des voix nouvelles ou plutôt pour des classiques contemporains, qu’ils impriment 1000 ou 5000 copies de leurs publications, les éditeurs doivent créer, tout d’abord, un projet. Un projet éditorial implique deux choix de principe : que publier, et comment le publier. Le premier choix concerne, certes, les auteurs et les titres sélectionnés, mais aussi et surtout la ligne qui régira tout le catalogue de la maison : l’éditeur doit en fait décider du genre, du style, de la thématique, de l’aire linguistique qui guideront ses choix futurs et qui garantiront la cohérence interne de l’offre. Nous verrons que cette première décision constitue le fondement de toute identité éditoriale et définit en même temps le public visé par chaque maison ; nous remarquerons également le décrochage graduel, de la part des maisons italiennes, des identités « idéologiques », au profit d’une édition de plus en plus centrée sur des regroupements thématiques et/ou régionaux. 56

Entretien avec Margherita Carbonaro. Carbonaro est traductrice de l’allemand pour plusieurs grandes maisons d’édition italiennes, parmi lesquelles Adelphi, Mondadori et Feltrinelli ; depuis 2017, elle s’engage aussi dans la médiation et la traduction de la littérature lettone, d’abord chez Voland, pour qui elle traduit un roman de Nora Ikstena, puis chez Iperborea, où elle traduit deux ouvrages de Zigmunds Skujiņš et Regīna Ezera, et chez Sinnos, pour qui elle traduit un livre pour enfants de Juris Zvirgzdiņš.

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Le deuxième choix concerne, en revanche, la structure interne de chaque catalogue. Même les plus petites maisons organisent leur contenu en plusieurs collections ou séries57 qui tiennent lieu de piliers à l’architecture de l’édition. Les collections, en effet, sont l’instrument principal dont disposent les éditeurs pour donner un sens à leurs publications : par l’insertion d’un livre dans une série cohérente, ils peuvent en souligner un aspect particulier ou leur conférer plus ou moins de relief dans l’univers littéraire qu’ils construisent au fur et à mesure. Dans ce sens, les collections constituent des unités de signification autonomes et fondamentales. Certains éditeurs, nous le verrons, s’en servent pour marquer des distinctions de prestige, tandis que d’autres préfèrent les utiliser pour séparer des secteurs thématiques divers ; certains, enfin, proposent des solutions hybrides et créent des collections qui répondent tantôt à des critères de distinction selon le contenu ou la forme, tantôt à une hiérarchisation selon un jugement de valeur esthétique. Quoi qu’il en soit, l’analyse de la structure d’un catalogue nous aide à mettre en lumière non seulement les traits identitaires de chaque maison, mais aussi la division du travail qui s’y opère : nous observerons en particulier la tendance à la verticalisation au sein des entreprises de plus grandes dimensions et, inversement, le caractère organique des catalogues de taille plus réduite.

2.6.1 Qui sommes-nous ? L’onglet qui pose cette question se trouve sur le site Internet de presque chaque marque, quel que soit le produit qu’elle représente. À la page correspondante, l’usager trouve l’exposition d’une identité qui se veut, immanquablement, forte, unique et nécessaire. Par ce biais, le producteur de n’importe quel bien cherche à justifier son existence et à étaler, devant ses clients potentiels, les qualités qui assurent que son offre est la meilleure sur le marché ou qu’elle est, du moins, unique en son genre. Ce mécanisme d’autopromotion n’est pas moins valable dans le milieu éditorial. Chaque maison offre ainsi au public sa « carte de visite », qui ne se limite 57

Dans les paragraphes suivants, nous observerons les tendances dans les structures éditoriales entre 2005 et 2015. Un catalogue historique non exhaustif, mais très riche d’informations sur plusieurs collections italiennes est proposé par Ferretti, Gian Carlo/Iannuzzi, Giulia : Storie di uomini e libri : L’editoria letteraria italiana attraverso le sue collane, Rome, minimum fax, 2014. D’autres ouvrages ont été consacrés à l’analyse de collections prises individuellement, comme Nichel de minimum fax (Cirillo, Andrea : Nichel : La letteratura italiana contemporanea secondo Minimum fax, Milan, Unicopli, 2015) et Brigatti, Virna/Cadioli, Alberto et al. : Storia degli Oscar Mondadori : Una collana-biblioteca, sous la direction d’Alberto Cadioli, Milan, Unicopli, 2015. Enfin, une approche historique sur le rôle des collections littéraires, notamment des romans, dans l’édition italienne est proposée par Novelli, Mauro Giacomo : « Il consumo dei romanzi : le collane », dans : Alfano, Giancarlo/de Cristofaro, Francesco (dir.) : Il romanzo in Italia. I. Forme, poetiche, questioni, Rome, Carocci, 2018, pp. 281–302.

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évidemment pas à la représentation de soi accessible sur sa page en ligne, mais se manifeste aussi dans toutes ses apparitions publiques, dans sa présence sur les réseaux sociaux et, dernier point, mais non des moindres, dans chacune de ses publications. Nous avons vu que, pour ne pas entrer en concurrence avec les autres éditeurs, chacun a intérêt à concevoir un projet original. Pour illustrer comment cela peut fonctionner dans la pratique, prenons l’exemple de deux maisons spécialisées dans la traduction d’ouvrages de fiction : gran vía et Black Coffee. En 2006 naît gran vía à l’initiative du traducteur Fabio Cremonesi. La maison se spécialise dans la littérature espagnole et latino-américaine, et s’ouvre aussi d’emblée aux productions plus marginales en basque, en catalan et en galicien. Sur son site Internet, elle s’adresse ouvertement « à un lecteur intéressé par le monde qui l’entoure et attentif à une fiction de divertissement haut de gamme et élégante. »58 En 2011, un changement dans la direction de la maison entraîne plusieurs transformations dans son projet qui, tout en gardant le focus sur la littérature en langue espagnole, s’étend de plus en plus à d’autres aires géographiques, à la non fiction et aux formes brèves. Sa « concurrente » la plus évidente est bientôt Sur, une nouvelle maison indépendante fondée à Rome en 2011 (donc lors de la restructuration de gran vía) ; mais une autre était déjà La nuova frontiera, encore une maison romaine, née en 2002 et vouée, elle aussi, aux traductions depuis l’espagnol, le portugais et le catalan. Ainsi, gran vía a tout intérêt à insister sur certains traits de son identité, voire à l’affiner ou même la reformuler périodiquement, afin d’assurer son unicité. Allant dans ce sens, elle fonde non seulement altrevie, où elle s’ouvre à d’autres littératures étrangères – elle y traduit même quelques ouvrages de l’allemand59 –, mais aussi dédalos, où elle s’adonne à la tradition latino-américaine du cuento, c’est-à-dire du conte ou du récit. En 2008, La nuova frontiera commence, après s’être lancée dans la découverte de l’Afrique lusophone, à explorer les classiques contemporains de l’aire latino-américaine dans sa nouvelle collection Basilisco ; en 2014, Sur fonde à son tour la collection LittleSur, consacrée aux formes brèves, ainsi que BigSur en 2015, ouverte à la production anglo-américaine. Encore une fois, gran vía doit donc son offre pour marquer la spécificité de son projet par rapport à ceux qui l’entourent. Nous remarquons, en somme, que les choix des éditeurs sont souvent aussi des réactions, dictées par plusieurs facteurs concomitants, parmi lesquels l’offre des autres maisons est fondamentale.

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www.gran-via.it/gran-via (11 novembre 2020). V. aussi l’entretien de Noemi Milano avec la directrice éditoriale de gran vía, Annalisa Proietti : « Gran vìa : i progetti della casa editrice dedicata alla letteratura spagnola e latinoamericana », il Libraio, 30 août 2018, www.illibraio.it/news/ editoria/editore-gran-via-870427 (26 mars 2022). Bongartz, Barbara : Il morto di Passy, trad. Claudia Crivellaro, Milan, gran vía, Altrevie, 2011 [Der Tote von Passy, Berlin, Dittrich,2007,] ; Janesch, Sabrina : Le montagne del gatto, trad. Marialuisa Brambilla/Giovanni Giri, Narni, gran vía, Altrevie, 2012 [Katzenberge, Berlin, Aufbau, 2010] ; Setz, Clemens J. : Figli e pianeti, trad. Simone Buttazzi, Narni, gran vía, Altrevie, 2012 [Söhne und Planeten, St. Pölten, Residenz, 2007].

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L’exemple de Black Coffee, une maison encore plus jeune, nous emmène dans la sphère anglophone : née en 2017, Black Coffee se consacre à la littérature nord-américaine, et notamment aux « ouvrages inédits ou injustement oubliés, avec une attention particulière pour les réalités indépendantes les plus courageuses, les voix féminines et la forme du récit. »60 À part le recours aux thématiques transversales que nous avons déjà abordées (le courage, l’indépendance), l’auto-présentation de cette maison illustre de façon exemplaire la nécessité de bien cerner le projet, surtout lorsque l’on débute une nouvelle entreprise : puisque les traductions de l’anglais, et en particulier des Etats-Unis, sont déjà amplement représentées sur le marché du livre, cette jeune maison florentine se fraie une place en sélectionnant des formes et des enjeux dans lesquels se spécialiser (en l’occurrence : le récit, l’écriture des femmes, la production indépendante). Mais cette déclaration d’intentions ne suffit pas à construire l’identité de la maison : Black Coffee développe ultérieurement son image publique en publiant une revue littéraire, Freeman’s (du nom de son directeur, John Freeman), et en lançant un podcast mensuel de récits et de fragments de romans, à télécharger et à écouter. Ces propositions caractérisent la maison et en font un point de repère fiable non pas pour le client occasionnel, mais pour le grand lecteur qui s’en remet à l’éditeur pour trouver un certain type d’ouvrages et qui peut donc être fidélisé. À cela s’ajoutent d’autres éléments externes : l’apparence graphique plus ou moins iconique, la présence ou non d’une revue et/ou d’un blog liés à la rédaction de la maison, la construction d’une communauté de lecteurs à travers diverses plateformes en ligne comme Facebook, Instagram et Twitter. Il n’y a, à cet égard, pas de différences notables entre « grands » et « petits » : de 2009 à 2014, la maison indépendante minimum fax étend son activité au blog culturel minima&moralia ; de façon similaire, en 2016, Einaudi crée un blog consacré à sa production de littérature étrangère, Biancamano 2. De façon similaire, presque toutes les maisons, quels que soient leur degré d’autonomie et leurs dimensions, prennent soin d’actualiser régulièrement leur compte sur plusieurs réseaux sociaux, conscients de leur fonction de « vitrine » vis-à-vis du public. Jusqu’ici, nous avons principalement évoqué des projets centrés autour d’une aire linguistique et/ou géographique : minimum fax et Black Coffee pour la littérature nord-américaine, Barbès et Clichy pour la littérature en français, Zandonai et Keller pour la littérature en allemand, Sur et gran vía pour la littérature en espagnol, Voland pour les littératures slaves, Iperborea pour l’Europe du Nord, e/o pour l’Europe de l’Est, Anfora pour l’Europe centrale et en particulier la Hongrie … parmi beaucoup d’autres. Certes, cela est dû à notre parti pris, qui nous mène à observer surtout les traductions du roman contemporain, mais pas seulement. En effet, depuis les années quatre-vingt, beaucoup de jeunes éditeurs ont commencé à prendre comme point de départ pour leur activité une région ou une langue, qu’ils étendent ensuite graduellement à d’autres domaines, ou bien qu’ils 60

www.edizioniblackcoffee.it/about (12 novembre 2020).

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déclinent d’une façon particulière (par exemple le conte latino-américain, l’écriture féminine nord-américaine, etc.). Cette tendance incarne un virage important par rapport à l’édition italienne des années précédentes, si bien que les maisons historiques fondées avant cette période ne présentent pas de traces d’un tel regard « local » sur la littérature. On pourrait être tenté, au premier abord, de réduire cette distinction à l’opposition entre généralistes et spécialisés ; mais un regard plus attentif sur la production éditoriale du XXe siècle met en lumière que, par le passé, même les maisons qui se spécialisaient à leurs débuts dans des secteurs de niche, voire qui traduisaient principalement depuis une certaine langue, ne comptaient pas pour autant l’élément régional parmi leurs traits identitaires. Ni Einaudi, ni Feltrinelli, ni Adelphi, tout en proposant au public italien des années cinquante et soixante un grand nombre de traductions de l’allemand, ne se sont jamais présentés comme le lieu du rayonnement de la culture allemande (ni autrichienne, dans le cas d’Adelphi), et encore aujourd’hui elles n’expriment aucun intérêt à fournir une image d’ensemble de la production littéraire d’un certain coin du monde61. En revanche, à la base de leurs identités se trouve une prise de position idéologique, politique et/ou esthétique, qui attire le lecteur non pas selon son intérêt pour une thématique ou une région, mais selon sa conviction ou son appartenance à un parti ou groupe social – qu’il s’agisse de l’antifascisme einaudien, du gauchisme feltrinellien ou, à l’inverse, de l’anti-idéologisme programmatique adelphien62. La question se pose 61

Francesco Guglieri, editor chez Einaudi, confirme que les « lignes de recherche » du projet einaudien font complètement abstraction de la langue de départ ; au contraire, elles concernent plutôt les formes de l’écriture, comme la littérature « hybride […] entre roman et non-fiction » (entretien avec Franceso Guglieri). 62 Sur les traductions au sein d’Einaudi et Feltrinelli, deux maisons qui « travaillent toutes les deux à l’intérieur d’un horizon culturel marxiste », v. Sisto, Michele : « Mutamenti nel campo letterario italiano 1956–1968 : Feltrinelli, Einaudi e la letteratura tedesca contemporanea », Allegoria, 55 (2007), pp. 86–109. Sur l’activité d’Adelphi commencée, selon les propos de son fondateur Luciano Foà, « pour rompre avec la monotonie de l’idéologisme éditorial de gauche », v. Siciliano, Enzo : « Gli editori leggono Adelphi », La Stampa, 20 décembre 1972, repris par Ranieri Polese dans son article appelé significativement « Addio a Luciano Foà, l’editore nemico delle ideologie », Corriere della Sera, 26 janvier 2005. La prise de distance d’Adelphi par rapport à « l’idéologisme de gauche », et sa conséquente ouverture de principe aux positions de droite, a été à son tour interprétée comme une « directive culturelle, idéologique », quoique « non strictement politique », par un collaborateur einaudien de poids qu’est le germaniste Cesare Cases, qui observe que Calasso, le directeur d’Adelphi, « n’a rien à voir, personnellement, avec la droite, mais qu’il estime que dans la pensée de droite n’est pas entièrement à rejeter », et que, pour cette raison, il a publié « des auteurs qui ont été après utilisés ou acclamés par la droite, voire qui étaient des penseurs fascistes à part entière, comme Carl Schmitt » (dans Erbani, Francesco : « Sulle macerie della sinistra », La Repubblica, 2 août 1994). Une telle ouverture à droite a été reprochée plusieurs fois à l’éditeur milanais, en particulier à l’occasion de quelques publications provocatrices comme, en 1994, la traduction du texte de Léon Bloy, Le Salut par les Juifs (Dagli Ebrei la salvezza, trad. Ottavio Fatica et Eva Czerkl, Milan, Adelphi, Piccola Biblioteca Adelphi, 1994) : v. outre l’article déjà cité, Neirotti, Marco : « Adelphi, fratelli di destra ? », La Stampa, 31 juillet 1994 et M. B., « Adelphi, agenti del diavolo ? », La Stampa, 4 décembre 1994.

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donc de savoir si, à l’époque contemporaine où le militantisme des intellectuels se joue moins ouvertement sur le plan politique, ce type de prise de position est complètement effacé de la construction identitaire des maisons d’édition. De notre analyse, il ressort qu’il n’est pas effacé, mais qu’il est si limité à des cas marginaux qu’il devient de moins en moins productif. Il existe, certes, des publications qui se veulent « de gauche » ou « de droite » ou encore « d’opposition » – citons par exemple la Fondation pour la critique sociale, qui édite la collection La critica sociale présidée par le philosophe Rino Genovese et liée à la revue Il Ponte, ou encore le journal communiste Il manifesto, qui publie chaque dimanche le supplément culturel Alias –, mais ces catégories strictement politiques ne semblent plus être en mesure de rassembler autour d’une maison d’édition une communauté de lecteurs unis par des convictions communes sur la fonction sociale des intellectuels. Mais la nouvelle forme d’engagement proposée par les éditeurs semble faire abstraction de tout positionnement politique au profit d’une « résistance » sans parti, qui lutte soit contre la culture mainstream des grandes maisons – en sont représentatives les « petites éditions courageuses et d’esprit clandestin » de la collection Tamizdat, au sein de la maison indépendante Miraggi63 – soit, en général, contre la logique du marché dans la production littéraire, donc dans une optique social-libérale. Nous avons vu que cette forme de « résistance » ne relève pas d’une appartenance politique définie, mais d’une opposition générique des indépendants face aux grands conglomérats éditoriaux. Toutefois, le choix ne se limite pas aux catégories du politique d’un côté et du linguistique/géographique de l’autre. D’autres possibilités concernent le genre littéraire – par exemple la maison romaine Racconti s’adonne exclusivement à l’écriture brève –, ou bien la thématique – la jeune maison Alter Ego explore la thématique du « double », alors que la moins jeune Exòrma opte en revanche pour le mot-clé du « voyage » –, ou encore l’époque historique – la maison Hacca publie, dans deux collections séparées, des auteurs de fiction contemporaine et des repêchages du XXe siècle – ou, enfin, l’histoire éditoriale des textes – comme la jeune maison Cliquot, qui décide de vouer son attention à des « classiques ratés, de beaux ouvrages oubliés. »64 Il faut pourtant remarquer que plusieurs de ces maisons ont été fondées soit à la fin de la décennie que nous observons, soit immédiatement après, et que dans la période 2005–2015 le critère linguistique/géographique est, à côté du thématique, l’un des plus en vogue.

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www.miraggiedizioni.it/collana/tamizdat (12 novembre 2020). Miraggi est une maison turinoise fondée en 2010 et la collection Tamizdat est dirigée par les autoproclamés « agitateurs culturels » Francesco Forlani et Francesco Ruggiero ; la maison accueille les traductions du français de trois ouvrages de Douna Loup et Gabriel Nganga Nseka, de Philippe Muray et Pierre-Joseph Proudhon. « Manoscritti ritrovati in umide cantine, storie ripescate in polverose riviste, opere mai tradotte riportate alla luce. Cliquot è la casa editrice del recupero dei classici mancati, delle belle opere dimenticate. » www.cliquot.it/cliquot-chi-siamo (12 novembre 2020).

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2.6.2 Des unités de sens L’identité d’une maison, tout comme l’identité d’une personne, n’est pas monolithique. Au contraire, chaque éditeur développe, dans un effort constant de distinction, tantôt un aspect, tantôt un autre de sa « personnalité », et tourne son regard vers des objets toujours divers. Pour laisser cette complexité s’exprimer sans qu’elle nuise, ce faisant, à la cohérence globale du catalogue, il est utile à l’éditeur de créer des regroupements internes, des sous-catégories qui réunissent des textes autour d’une idée commune. Un catalogue, nous dit Giuliano Geri, est comme « un salon, où les auteurs et les titres peuvent causer les uns avec les autres. Mais il faut qu’ils sachent causer. »65 Geri, directeur de deux collections littéraires chez Zandonai, fait référence à la nécessité profonde, dans la construction d’un catalogue, de tisser des liens entre les ouvrages, dont l’appartenance à un seul et même répertoire doit faire sens : c’est précisément là le véritable travail de l’éditeur. Observons donc, parmi les collections littéraires qui accueillent des romans et, au moins en partie, des romans contemporains traduits, les catégories mobilisées par les éditeurs pour structurer leur catalogue. Comme nous l’avons expliqué auparavant, les critères de distinction peuvent considérablement différer. Une première distinction de base consiste à hiérarchiser l’offre : par ce biais, un éditeur peut afficher d’emblée son intention de consacrer un texte, en l’intégrant à l’« élite » où se rassemblent toutes ses publications de premier plan. Généralement, le haut niveau d’une collection est alors aussi mis en évidence par la création d’un objet-livre plus couteux, par exemple avec une couverture rigide, une mise en page spécifique, et des graphismes très reconnaissables. Ce procédé est visible dans les collections historiques Coralli et Supercoralli chez Einaudi ainsi que dans les plus récentes Kreuzville et Kreuzville Aleph chez L’Orma, qui portent, inscrit dans leur nom, le signe clair d’un classement de valeur. Inversement, plusieurs éditeurs proposent des collections systématiquement destinées au grand public, afin de ne pas compromettre la crédibilité d’autres séries plus prestigieuses ; cet usage se manifeste souvent au sein des grandes maisons qui publient à la fois des auteurs canonisés et des instant books, comme Mondadori et Feltrinelli qui relèguent ces derniers aux collections Omnibus et Canguri. Parallèlement, la plupart des maisons proposent également au moins une collection de poche, où rééditer les ouvrages ayant obtenu, dans leur version en grand format, un certain succès commercial. Un deuxième type de distinction très productif, surtout dans le cas des maisons les plus jeunes, concerne les genres littéraires. Au cours de la période concernée, nous observons en particulier un intérêt de plus en plus répandu pour le polar, le thriller et le noir, qui trouve son expression dans plusieurs collections créées exclusivement pour ces catégories : Noir Mediterraneo chez e/o naît en 2001, la série Noir à l’intérieur de Stile Libero, chez Einaudi, en 2005, Ombre chez 65

Entretien avec Giuliano Geri.

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Iperborea en 2009, B-Polar chez 66and2nd en 2012, Quai des Orfèvres chez Clichy et Darkside chez Fazi en 2016. Un coup d’œil aux titres publiés dans ces collections met en lumière une corrélation récurrente entre la langue de traduction et le genre littéraire : les éditeurs, en effet, confortent l’attente du public d’une littérature de suspense qui provient soit de la sphère anglophone, soit des pays du Nord. Cependant, la redécouverte du polar et du noir français, accompagnée par l’immense travail de réédition de l’œuvre complète de Georges Simenon chez Adelphi, a aussi entraîné une recherche nouvelle en direction des littératures d’Afrique et leurs expérimentations dans ces genres (v. § 5.5.3.3). Un troisième type de distinction concerne les thématiques abordées – qui sont évoquées, dans les programmes des collections, de la façon la plus large possible. Les éditeurs qui s’adonnent volontiers aux traductions choisissent souvent les thèmes de la « frontière », du « passage » ou du « voyage », comme Voland dans Confini, Keller dans Vie e Passi, Zandonai dans Fuochi – mais il ne manque pas de propositions plus insolites, comme le sujet du sport dans Attese chez 66thand2nd et de la maladie mentale dans 180 chez Alphabeta. À mi-chemin entre la catégorie du genre et du sujet, plusieurs collections sont consacrées à la biographie et aux mémoires, comme Vite inattese chez 66thand2nd, Sorbonne chez Clichy et La vite chez Fazi. Au-delà des trois catégories énoncées ci-dessus – le prestige, le genre, les thématiques –, nous repérons encore deux types de collections qui, déclinés dans de multiples variations, se retrouvent dans la majorité des catalogues que nous avons analysés. Premièrement, de nombreux éditeurs créent des séries consacrées aux écritures hybrides entre la fiction et la non fiction : nous le voyons dans AsSaggi (Bompiani), Strade blu (Mondadori), Bloom (Neri Pozza), Frontiere (Einaudi), Razione K (Keller), Diagonal (gran vía), entre autres. Certes, chaque maison mesure différemment la dose d’« hybridité » dans sa collection : certains tendent à l’autofiction, d’autres publient plutôt des reportages, alors que quelques éditeurs littéraires ouvrent des collections entièrement dédiées au reportage et à l’essai. Mais, malgré ces différences de degré, une ouverture générale des catalogues vis-à-vis de la production littéraire à la lisière de la fiction, jusqu’à la non-fiction tout court – sans pour autant coïncider avec les collections d’essais, qui restent toujours séparées de l’aire littéraire – est sans doute un trait caractéristique de l’édition des années 2000. Deuxièmement, beaucoup de nouvelles collections sont consacrées aux textes brefs. Récits, témoignages, nouvelles, romans courts : quel que soit le genre, le critère de distinction concerne ici la concision. L’Arcipelago chez Einaudi, Mini chez minimum fax, Biblioteca Minima chez Adelphi, miniMarcos chez marcos y marcos, I  Pacchetti chez L’Orma, formebrevi chez Del Vecchio, littleSur chez Sur, sont quelques exemples de cette nouvelle tendance qui représente à la fois une concession à l’égard du grand public et une tentative, pour chaque maison, d’affiner sa production. En effet, ces livres courts, de dimensions réduites, peuvent être vendus à petit prix et proposés aux lecteurs occasionnels

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pour qu’ils découvrent un auteur sans devoir s’engager dans des lectures plus longues, ou bien ils peuvent même être achetés en guise d’idée-cadeau. La collection des Pacchetti (litt. « colis »), qui réunit des brefs épistolaires conçus sous forme de carte postale, est née précisément dans le but de concurrencer les « gadgets de librairie » grâce à son « agilité » et à son prix réduit66. En même temps, ces collections varient beaucoup d’une maison à l’autre, puisqu’elles assument selon les cas des formes différentes, adaptées au catalogue dans lequel ils s’insèrent : L’Arcipelago, par exemple, accueille surtout des « petits bijoux »67 en traduction, alors que L’Orma se consacre ici à des textes italiens, ou traduits de l’anglais, de l’espagnol, du portugais, qui ne rentreraient pas dans ses collections principales, et la Biblioteca Minima chez Adelphi recueille des textes de fiction et de non fiction des auteurs « maison », qui peuvent ainsi faire paraître leurs ouvrages mineurs ou plus brefs chez l’éditeur qui les représente de manière exclusive. Le recours à l’écriture brève sert en somme aux maisons à relâcher l’étreinte de la cohérence interne et à proposer des ouvrages courts et simples au public qu’ils n’ont pas encore fidélisé. Enfin, malgré la tendance diffuse aux identités régionales, très peu de collections s’appuient sur des catégories d’ordre linguistique ou géographique. À part quelques exceptions  – comme Narratori francesi contemporanei chez Gremese, Sirin chez Voland et Dal mondo chez e/o –, même les éditeurs qui se consacrent principalement aux traductions décident d’employer d’autres critères pour leurs collections. Cela permet non seulement de mettre en relief d’autres éléments des textes en question, comme leur appartenance à un genre ou leur enjeu thématique, mais aussi, et surtout, de favoriser des interférences entre les littératures traduites et la littérature locale. Au lieu de communiquer les auteurs de langue allemande ou française en tant que tels et d’insister sur les imaginaires qui entourent leurs pays et cultures de provenance68, les éditeurs ont ainsi le pouvoir de créer des dialogues entre les textes sans tenir compte de leur origine, en les assimilant à part entière à la production en langue italienne.

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Nicotra, « Voglia di ‘ben fatto’ ». Entretien avec Francesco Guglieri. Plusieurs éditeurs nous ont confirmé que, pour communiquer un ouvrage traduit de l’allemand ou du français, il est nécessaire de puiser dans ces imaginaires. De cette manière, par exemple, la présentation éditoriale peut insister sur l’appartenance de l’auteur à une génération ou à un courant (le Groupe 47, le Nouveau Roman, etc.), ou bien sur un sujet lié à la tradition nationale (le nazisme, la chute du mur, l’Occupation, etc.). Le défi – que certains relèvent, comme nous le verrons dans le cas de la médiation d’Uwe Timm par le germaniste Matteo Galli – est d’innover et, sans nécessairement refuser les « étiquettes » à disposition, en proposer de nouvelles pour enrichir le paysage littéraire sans perpétuer des lieux communs. Ceux-ci ne constituent pas, évidemment, une spécificité de l’édition italienne : Marcella Frisani observe par exemple la perception de la « frenchness » sur le marché britannique des traductions littéraires. V. Frisani, Marcella : « L’invisibilité de la contemporary fiction de langue française dans le marché britannique de la traduction », dans Sapiro, Gisèle (dir.) : Traduire la littérature et les sciences humaines. Conditions et obstacles, Paris, Ministère de la Culture – DEPS, 2012, pp. 109–136.

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2.6.3 Verticalisation et grands nombres Les figures professionnelles à l’intérieur d’une maison d’édition sont nombreuses et extrêmement diversifiées69, mais l’architecture globale du catalogue et le caractère de chacune de ses collections revient, au fond, à deux figures principales : le directeur éditorial et le directeur de collection. Le premier gère la macrostructure, il « finalise le budget de son secteur d’activité, en suit la réalisation et assume la responsabilité de ses résultats »70 ; le second, en revanche, prend en charge la construction, livre après livre, de la série dont il est responsable. Puisqu’il est question de division du travail et de communication au sein d’une équipe, la gestion de ces activités change beaucoup selon les dimensions de chaque maison et sa structure interne. Les entreprises de grande taille et avec un grand nombre d’employés présentent en effet une tendance à la verticalisation qui contraste avec l’organicité du travail au sein d’une petite équipe de collaborateurs. Ces différences se reflètent, de manière indirecte, dans la production finale de chaque éditeur. Considérons, à titre d’exemple, deux maisons dont nous avons déjà évoqué les modalités de travail à plusieurs reprises : Einaudi et Del Vecchio. Ces deux maisons diffèrent beaucoup par leur histoire, leurs dimensions, leur vocation : l’une a été fondée il y a presque un siècle, l’autre n’a pas encore vingt ans ; l’une appartient au plus grand groupe éditorial du pays, alors que l’autre compte moins de dix membres dans son personnel ; l’une présente une offre généraliste qui s’étend sur plusieurs aires de production, ainsi que plusieurs milliers de titres dans son catalogue, tandis que l’autre ne se voue qu’à la littérature et ne publie pas plus de quinze titres par an. En même temps, l’intérêt que les deux maisons démontrent vis-à-vis de la production littéraire étrangère, l’engagement dont elles font preuve, pendant la période considérée, pour introduire et consacrer en Italie plusieurs romanciers de langue française et allemande, et le renom dont elles jouissent auprès des grands lecteurs nous permettent de comparer, en tenant compte de leurs divergences, la façon dont elles travaillent et les diverses contraintes structurelles auxquelles elles sont soumises. L’inscription de plus en plus marquée d’Einaudi au sein du groupe Mondadori se manifeste, entre autres, par la restructuration interne de son personnel. La célèbre tradition hebdomadaire du mercredi, où le comité éditorial einaudien se réunissait afin de discuter des lectures faites et des publications à prévoir71, est, 69

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Un portrait exhaustif des divers professionnels de l’édition dans tous les domaines de cette activité, du littéraire au commercial, de l’artistique au technique, est fourni par Legendre (dir.), Les Métiers de l’Édition, et, moins récemment, par Philippe Schuwer : Traité pratique d’édition, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2002 (en particulier le cinquième chapitre : « Les personnages clefs de l’édition », pp. 217–285). Convention collective de l’édition citée par Schuwer, ibid., p. 232. Les « mercredis » d’Einaudi ont acquis à ce jour une valeur symbolique de ce que la maison turinoise a représenté pour la culture italienne pendant la seconde moitié du XXe siècle. Chaque histoire d’Einaudi en fait mention, chaque collaborateur évoque dans les interviews des anecdotes

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dans les années 2000, lointaine. Mais il restait encore, depuis la fin du siècle dernier, une trace de cette transversalité inhérente au travail éditorial dans les figures des spécialistes : ainsi, le responsable de la littérature allemande pouvait suggérer et discuter des ouvrages de tout genre – des essais, des recueils des poésies, des romans – issus de son domaine d’expertise. Or la subdivision en plusieurs « aires » d’activité indépendantes les unes des autres a entraîné un bouleversement dans ce sens : le personnel qui travaille dans l’aire de la littérature étrangère n’interagit pas, par exemple, avec l’aire de la poésie, puisque son salaire est prélevé sur un autre budget, et que chaque budget est autonome par rapport aux autres. Le responsable de la littérature allemande retrouve ainsi sa sphère d’influence limitée à quelques collections, dirigées par le responsable de l’aire en question, qui a le dernier mot sur chaque publication. Mais le nombre réduit de traductions de l’allemand dans cette aire ne suffit pas à justifier la présence d’un responsable qui ne se dédie qu’à cette langue de départ ; c’est pour cette raison que l’on confie également à l’expert du domaine allemand le suivi d’ouvrages issus d’autres traditions culturelles périphériques que l’éditeur traduit de plus en plus, mais pour lesquelles il n’a pas intérêt à embaucher un consultant spécialisé, comme le chinois et le japonais. Ce développement, qui du point de vue de la structure entrepreneuriale s’avère parfaitement justifié, implique des conséquences néfastes pour le travail culturel. Bien qu’il soit logique qu’une structure de très grande taille s’organise autour de plusieurs secteurs de production diversifiés, l’application d’un tel système rend dans ce cas évident qu’une organisation verticale et compartimentée ne se prête pas à l’activité éditoriale haut de gamme. Non parce que toute maison d’édition devrait respecter un régime d’assemblée dans son processus décisionnel72, mais parce que l’expertise des employés finit, dans un système structuré par le haut et de façon rigide, par se perdre au profit de l’efficacité et du rendement élevé. Le cas d’Enrico Ganni chez Einaudi – un traducteur expert de la langue et de la culture allemandes qui, ayant dû renoncer à introduire et à traduire des essais depuis l’allemand73, avait pour tâche de réviser plusieurs traductions du chinois, une langue qui lui était inconnue – est sans doute des plus extrêmes ; mais il est symptomatique, il nous semble, de la difficulté intrinsèque à conjuguer les rouages d’une issues de ces rencontres, et plusieurs ouvrages recueillent les rapports rédigés à leur suite : Einaudi, Giulio : Tutti i nostri mercoledì, entretiens avec Paolo Di Stefano, Bellinzona, Casagrande, 2001 ; Munari, Tommaso (dir.) : I verbali del mercoledì : riunioni editoriali Einaudi 1943–1952, préface de Luisa Mangoni, Turin, Einaudi, 2011 ; Munari, Tommaso (dir.) : I verbali del mercoledí : riunioni editoriali Einaudi 1953–1963, Turin, Einaudi, 2013. 72 Adelphi est l’exemple le plus flagrant d’une maison où les prises de décision sont entre les mains d’une seule personne, à savoir son directeur éditorial Roberto Calasso, qui assume individuellement chaque choix. Ce fait nous a été confirmé par un collaborateur de la maison, le consultant pour la production germanophone Giancarlo Maggiulli, lors d’un bref entretien téléphonique le 10 juillet 2020. 73 Dans un souci d’exhaustivité, nous soulignons qu’il n’y a, par ailleurs, pas d’expert de l’allemand dans l’aire consacrée aux essais.

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grande machine de production avec le détail et la subtilité d’une médiation culturelle opérée par des experts74. Une maison de très petite taille comme Del Vecchio nous permet d’explorer la dynamique opposée. Le dernier mot sur la publication des textes à traduire revient, comme chez Einaudi, à la directrice, Paola del Zoppo. Mais il n’y a pas ici de séparations étanches à l’intérieur de la structure ; il n’y a pas d’objectifs budgétaires en augmentation chaque année, ni d’ambitions de ventes si élevées qu’elles requerraient de détourner des experts d’une aire linguistique vers d’autres domaines plus en vogue. Au contraire, des rencontres hebdomadaires du personnel interne – environ cinq personnes – sont prévues pour échanger des idées sur les prochaines parutions ; la stratégie de promotion est toujours décidée, nous l’avons vu, en accord avec le service de presse ; la directrice révise la plupart des traductions et participe souvent, en alternance avec le fondateur Pietro Del Vecchio, aux tournées promotionnelles avec les auteurs, si on en prévoit ; aux traducteurs est confiée une place de premier rang dans le produit final, grâce à l’usage autrement très rare, et à ce jour caractéristique de Del Vecchio, d’afficher leur nom sur la couverture à côté du nom de l’auteur ; à cela s’ajoute, dans l’intérieur du livre, la mention tout aussi peu commune de tous les collaborateurs ayant participé à l’ouvrage en question, y compris les consultants, les réviseurs, les rédacteurs ; depuis 2013, la création d’un nouveau projet graphique a pour but de rendre encore plus étroit et plus visible le rapport entre le texte et l’objet-livre qui l’accueille75. Tous ces éléments sont les 74

Les observations d’Helena Janeczek concernant son travail chez Mondadori nous confirment que « les difficultés structurelles » que nous repérons chez Einaudi se manifestent en général dans les entreprises de très grande taille : « Tu presenti una selezione, appunto una collana, in cui metti dentro i titoli di autori sufficientemente affermati, però piano piano metti in mezzo dei mattoncini meno scontati sperando che il lettore capisca che tu stai costruendo un’ideale biblioteca e che quindi possa essere fidelizzato anche ai titoli di autore che non conosce ancora, sia italiani che stranieri. Il fatto è che nelle case editrici generaliste, come Mondadori, ma come anche come Rizzoli, vieppiù anche Einaudi, questa cosa ha cominciato a funzionare sempre meno, per leggi interne all’editoria, al fatto che comunque le risorse di promozione, non solo proprio marketing bieco, perché il marketing bieco sui titoli letterari non interviene praticamente mai […], il titolo letterario italiano o straniero ha bisogno di un lavoro di comunicazione interna […], cosa che in una casa editrice così grande, così generalista … […]. Sul processo di tutto ciò che arriva nel momento in cui tu, consulente ed editor, hai fatto il tuo lavoro, per portarlo poi verso il pubblico non hai più nessuna influenza. […] È la ragione per cui su queste cose, oggi, soprattutto sugli autori nuovi o comunque sugli autori di un certo livello letterario, lavorano meglio le case editrici medio-piccole … Che hanno poi l’handicap della distribuzione, però una volta che rompono il muro del silenzio della distribuzione possono arrivare al loro pubblico. […] Le case editrici cosiddette generaliste, di cui Mondadori è l’esempio sommo, patiscono il fatto che … devono per forza stare in piedi con la legge dei grandi numeri e non sono attrezzate a fare un lavoro diversificato, per cui … sono grandi macchine » (entretien avec Helena Janeczek). 75 « Dal maggio del 2013 abbiamo rinnovato interamente la nostra grafica affidandoci a Maurizio Ceccato/ifix. Siamo riusciti – ovviamente a nostro parere – a realizzare un oggetto valido anche dal punto di vista estetico, pensato per un consumo e un piacere che non siano affrettati e distratti : i libri hanno bisogno di tempo, cure e attenzione. Diamo infatti il giusto valore alla bellezza e alla utilità delle informazioni e per questo motivo nei nostri volumi ci si può fare un’idea del

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Première partie

signes d’une volonté ostensible de dialogue interne et d’implication personnelle de l’équipe éditoriale dans son travail ; ils visent à mettre en lumière le travail collectif et l’expertise qui sont nécessaires à la conception d’un ouvrage littéraire. En résulte un travail globalement plus cohérent, qui ne serait pas possible en coupant la communication entre les diverses collections de la maison, ni en agrandissant hors proportion ses dimensions, et donc son nombre de publications annuelles ainsi que son seuil de rentabilité. Il nous semble donc important, avant de passer à l’analyse de la littérature traduite du français et de l’allemand, de retenir ceci : il n’existe pas d’oppositions mécaniques dans le champ éditorial, mais il y a bien des contrastes qui recouvrent plusieurs niveaux. Les façons de sélectionner les ouvrages à traduire et les langues depuis lesquelles traduire, de financer ces traductions et de les promouvoir, de les organiser à l’intérieur d’un catalogue et de suivre le travail de rédaction jusqu’à la parution du livre : tous ces aspects changent d’une maison à l’autre et conditionnent de manière non négligeable la réception de chaque ouvrage publié. En particulier, les différences substantielles dans le rythme de production et l’engagement personnel des agents impliqués dans la médiation sont, il nous semble, deux des discriminants les plus significatifs pour estimer la validité d’un projet éditorial haut de gamme. Dans les pages suivantes, nous observerons ces éléments à l’œuvre à travers l’étude de plusieurs catalogues et de plusieurs ouvrages traduits de l’allemand et du français.

testo attraverso i tag in quarta di copertina che raccontano il libro per parole chiave oppure si può scoprire la lettura della redazione attraverso le ironiche ‘istruzioni per l’uso’ in fondo al testo, oppure trovare in cover il nome del traduttore accanto a quello dell’autore e grazie alla sua ‘scatola nera’ seguirne le scelte che lo hanno guidato nella sua operazione di resa in italiano. » Pietro Del Vecchio interviewé par Gianluigi Bodi : « Intervista a Pietro Del Vecchio – Del Vecchio Editore », senzaudio, 25 mai 2015, www.senzaudio.it/intervista-a-pietro-del-vecchio-del-vecchio-editore (26 mars 2022).

DEUXIÈME PARTIE Les traductions de l’allemand et la médiation éditoriale d’Uwe Timm

3. LE ROMAN ALLEMAND EN ITALIE : UNE LITTÉRATURE INVISIBLE 3.1 INTRODUCTION. LA LITTÉRATURE ALLEMANDE S’ARRÊTE-T-ELLE AU XXÈME SIÈCLE ? Il serait intéressant de conduire une enquête et de demander aux clients d’une grande librairie italienne, par échantillonnage, de nommer cinq auteurs contemporains issus du domaine germanophone. Notre hypothèse est que seule une minorité serait en mesure d’accomplir cette tâche, et que la même question, posée à propos d’auteurs francophones, obtiendrait des réponses plus complètes. C’est que, il nous semble, la traduction littéraire de l’allemand a beau être prolifique et de grande qualité : elle ne se répand pas et demeure au contraire l’apanage d’un public restreint de spécialistes. Nous illustrerons dans ce chapitre les raisons qui nous mènent à cette hypothèse. Elles concernent plusieurs facteurs : le nombre d’exemplaires publiés et vendus, l’histoire des relations culturelles entre l’Allemagne et l’Italie, les programmes des maisons d’édition qui s’intéressent de façon particulière à cette aire linguistique, les choix des éditeurs et de la presse de se focaliser sur un nombre restreint d’auteurs et sur des formes spécifiques du roman germanophone, etc. Dans cette introduction, il nous semble pertinent de mettre en relief trois éléments que nous éluciderons de manière transversale par la suite. Tout d’abord, nous observons la prédominance, dans les catalogues des éditeurs – mais aussi dans les pages de la critique littéraire –, de générations d’auteurs germanophones moins jeunes que ceux du répertoire d’écrivains francophones. Günter Grass (né en 1927), Christa Wolf (née en 1929), Uwe Timm (né en 1940), W. G. Sebald (né en 1944), qui sont les auteurs phare d’Einaudi, e/o, Mondadori et Adelphi, exemplifient la présence imposante des auteurs nés dans la première moitié du XXe siècle. L’intérêt pour les écrivains émergents, en revanche, semble très réduit : le dernier cas d’une véritable action de découverte de « jeunes talents » date de 2004, lorsque Mondadori publie l’anthologie Berlin Babylon1, aujourd’hui hors commerce. 1

Scuriatti, Laura (dir.) : Berlin Babylon. Antologia di giovani scrittori tedeschi, Milan, Mondadori, coll. Piccola Biblioteca Oscar Mondadori, 2004. Ce phénomène est d’autant plus intéressant que récemment, en 2018, le marché éditorial allemand a manifesté son intérêt pour la jeune production italienne : la maison d’édition nonsolo, fondée par Alessandra Ballesi-Hansen, se consacre à l’introduction d’auteurs italiens « pas encore traduits en Allemagne » pour « combler un vide injustifié » (www.nonsoloverlag.de, dernière visite le 6 juin 2019).

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Deuxième partie

Cependant, une différence significative distingue l’activité des groupes éditoriaux et des éditeurs indépendants. Alors que Mondadori, Einaudi, Rizzoli et Adelphi se concentrent sur la traduction de ces auteurs plus âgés, souvent déjà reconnus à l’international, d’autres éditeurs comme Keller, Zandonai et Del Vecchio cherchent à innover en introduisant, dans leurs catalogues, des noms encore inconnus : c’est ainsi que des auteurs comme Sudabeh Mohafez, Anna Kim et Felicitas Hoppe, par exemple, ont leurs premières traductions en italien. Mais ce n’est pas la seule différence : les plus jeunes maisons ont aussi tendance à miser davantage sur les traductions issues du domaine germanophone, autrement peu exploité par les grandes maisons – probablement à cause des ventes limitées qui n’engendrent pas de revenus assez significatifs pour une entreprise de très grande taille. Nous verrons par la suite que le seul groupe à incarner une exception à cette tendance est Feltrinelli, qui publie régulièrement les ouvrages du jeune écrivain Daniel Kehlmann, né en 1975, et d’Ingo Schulze, né en 1962. Enfin, comme nous l’annoncions dès le début de cette introduction, le succès de la littérature contemporaine traduite de l’allemand diffère considérablement de celui réservé à quelques auteurs francophones. De telles différences se manifestent sous plusieurs formes : en amont de la chaîne du livre, l’introduction des romans allemands passe, dans sa vaste majorité, par une agence littéraire – ce qui n’est pas le cas pour la littérature traduite du français ; en aval, nous ne retrouvons pas, pendant notre créneau temporel, de festivals littéraires consacrés exclusivement à la production germanophone, alors que le Festival de la fiction française encourage la promotion des romans francophones ; en ce qui concerne le public touché, il est certain qu’aucun titre traduit de l’allemand, indépendamment de son succès en langue originale, n’atteint en Italie le succès commercial d’un véritable best-seller, et qu’aucun « cas littéraire » n’est importé en Italie avec le retentissement médiatique de son champ d’origine, tandis que plusieurs traductions du français obtiennent des places de premier rang parmi les livres les plus vendus en Italie. L’exemple de L’eleganza del riccio [L’Elégance du hérisson, 2006] de Muriel Barbery, qui reste dans la liste des titres les plus vendus pendant plusieurs années depuis sa publication en 2007, est des plus frappants pour le côté français ; un contre-exemple pour le côté allemand est La misura del mondo [Die Vermessung der Welt, 2005] de Daniel Kehlmann, véritable « Megaseller »2 dans son contexte d’origine, alors qu’il n’obtient qu’un succès modeste en Italie.

2

Tommek, Der lange Weg in die Gegenwartsliteratur, p. 398. Le livre est classé parmi les plus vendus en Allemagne : cf. Lovenberg, Felicitas von : « Vermessung eines Erfolgs », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 26 janvier 2006.

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Le roman allemand en Italie : une littérature invisible

3.2 LES CHIFFRES – PUBLIER SANS VENDRE L’allemand est la troisième langue la plus traduite sur le marché du livre italien, après l’anglais et le français. Cette donnée, qui reste inchangée au moins depuis les années 19303, n’acquiert de signification que si l’on observe la distance qui sépare les diverses langues traduites : en effet, seul cet exercice permet de mettre en lumière l’intérêt décroissant des éditeurs italiens pour la production germanophone au profit des littératures en langue anglaise et, dans une bien moindre mesure, française. Le diagramme suivant indique le nombre de titres traduits de l’anglais, du français et de l’allemand de 1980 à 20014 :

10000 8000 6000 4000 2000 0

1980 Traduc�ons de l'anglais

1990

1995

Traduc�ons du français

2001 Traduc�ons de l'allemand

Fig. 4 : Traductions en italien de l’anglais, du français et de l’allemand (1980–2001)

3

4

Cf. Rundle, Christopher : Il vizio dell’esterofilia. Editoria e traduzioni nell’Italia fascista, Rome, Carocci, 2019, pp. 57–62 et les tableaux à pp. 179–193. Le germaniste Ervino Pocar fournit aussi quelques repères sur les traductions de l’allemand en italien depuis le XVIIIe siècle dans son article « Vom Übersetzen. Deutsche Autoren in Italien », Tradurre. pratiche teorie strumenti, 4 (2013), www.rivistatradurre.it/vom-ubersetzen-deutsche-autoren-in-italien (26 mars 2022) : selon ses recherches, « im Jahre 1951 wurden z. B. 108 Werke aus dem Deutschen ins Italienische übertragen, d. h. 11,7 % der gesamten Übersetzungsproduktion. Damit stand Deutschland an dritter Stelle ; denn die Übertragungen aus dem Englischen betrugen 39 %, die aus dem Französischen 27 % […] ». Ces données sont issues de : Peresson (dir.), Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2003, p. 89. Elles font référence à tous les ouvrages de « varia adulti » (qui comprend aussi bien la littérature que les essais), les livres pour la jeunesse et les livres pour l’école. Une comparaison avec les informations plus détaillées contenues dans les rapports des années 1990 confirme que les proportions restent fondamentalement inchangées même lorsque l’on ne considère que les publications de « varia adulti » : v. par exemple Nanni, Mario (dir.) : La produzione libraria nel 1995, Rome, Istituto Nazionale di Statistica, 1996 (et les publications analogues respectives de 1996 et 1998).

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Deuxième partie

Bien que l’ordre des langues les plus traduites reste toujours le même, les proportions changent radicalement. En 1980, les titres traduits de l’anglais n’atteignent que la moitié de ceux traduits en 1990, et le chiffre double encore une fois dix ans plus tard : on passe donc de 2027 titres en 1980 à 4673 titres en 1990 et à 8603 titres en 2001. Les ouvrages issus du domaine francophone augmentent aussi, mais dans une proportion considérablement plus réduite : de 1080 titres en 1980, on passe à 1503 titres en 1990 et à 1969 en 2001. Ce cas de figure se présente aussi pour les langues plus périphériques, comme l’espagnol et les langues slaves qui, tout en restant à la quatrième et cinquième place des langues les plus traduites, voient une légère augmentation des titres importés. Le cas allemand, donc, constitue une exception quelque peu subtile. En effet, les ouvrages traduits de l’allemand en italien doublent entre 1980 et 1990 (de 614 à 1183 titres), mais à partir de cette date, les données statistiques illustrent une fluctuation constante qui, avec de légères variations, demeure autour des 1200 titres par an5. Nous ne pouvons donc pas parler d’une véritable baisse du nombre de traductions de l’allemand, mais ce qui est certain, c’est que le flux de ces traductions n’a pas suivi la tendance croissante commune aux autres langues, du moins jusqu’au début des années 2000. À partir de là, en revanche, le nombre de traductions commence à diminuer en général pour toutes les langues, ce qui implique une stabilisation, voire une baisse du pourcentage des traductions, y compris de l’anglais et du français, sur la totalité des publications en Italie. Le Bureau international de l’édition française rapporte ainsi quelques données sur l’édition italienne à partir des années 2000 : si en 2005 le pourcentage des traductions depuis l’anglais s’élevait à 61,8 % du total, en 2015 il baisse à 56,5 % ; le cas du français est similaire, avec une diminution de 15,3 % (en 2005) à 14,2 % (en 2015), et de même pour les traductions de l’allemand, qui passent de 10,1 % en 2005 à 8,8 % en 20156. Puisque ce phénomène concerne dans la même mesure les principales langues traduites, il ne doit pas être interprété comme le signe d’un désintérêt croissant pour l’une ou l’autre aire linguistique, mais plutôt comme un symptôme de l’élargissement du bassin des langues de départ, ou du moins d’une redistribution du nombre des titres traduits aussi depuis les langues plus périphériques7. 5

6

7

De 1995 à 1999, le nombre de titres traduits de l’allemand est, dans l’ordre chronologique : 1295, 1313, 1193, 1066, 1328 (données issues de : Peresson (dir.), Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2003 et Peresson, Giovanni : La produzione libraria nel 1998, Rome, Istituto Nazionale di Statistica, 2000). Rodriguez, Nicolas : Fiche pays : Italie. Janvier 2017, Paris, Bureau international de l’édition française, 2017. Nous avons recours à cette source secondaire à cause de l’inaccessibilité du document principal dont sont issues les chiffres : Peresson (dir.) : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2016, Milan, AIE, 2016. Ce phénomène est reconnu par les analystes du marché éditorial dès la première décennie des années 2000 : v. Peresson, Giovanni (dir.) : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2010, Milan, AIE, 2010, p. 62.

Le roman allemand en Italie : une littérature invisible

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En outre, en observant les tirages des ouvrages traduits, nous remarquons que le cas allemand se caractérise dès le début des années 1990 par une diminution graduelle significative (de 5700 exemplaires publiés en 1990 à 3700 en 2001), alors que le tirage des titres traduits de l’anglais augmente considérablement (de 35 100 copies en 1990 à 63 700 en 2001) et que ce nombre reste assez stable, avec une légère augmentation, pour les ouvrages traduits du français (de 7000 exemplaires en 1990 à 8900 en 2001)8. C’est là un indice du public tendanciellement circonscrit qu’atteignent les ouvrages issus du domaine germanophone, destinés d’emblée à une circulation réduite. En Italie, en effet, contrairement au système éditorial allemand9, les maisons d’édition estiment souvent l’ampleur du premier tirage de chaque livre sur la base de la demande des libraires (ainsi que selon les espoirs qu’eux-mêmes nourrissent pour leurs auteurs) ; or, selon les déclarations des éditeurs que nous avons pu interviewer, il semble que les libraires soient les premiers à demander moins d’exemplaires des livres traduits de l’allemand. Mais pourquoi le grand public aurait-il tendance à ignorer en grande mesure ces traductions ? La question, qui pourrait bénéficier d’une enquête sociologique auprès du lectorat italien, ouvre le champ à plusieurs hypothèses que cette recherche ne saurait démontrer. Nous préférons, dans un souci de concision et pertinence, nous limiter à deux observations qui, à notre avis, expliquent et spécifient au moins en partie cet écart préalable séparant le public italien de la production littéraire germanophone10. Notre première remarque est d’ordre structurel. Malgré le voisinage géographique, la culture des pays germanophones est peu intégrée au panorama italien, 8

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Données issues de : Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia, 2003. Dans ce volume, le nombre d’exemplaires est indiqué selon toute probabilité en milliers (par exemple « 7,0 » pour « 7000 »), mais aucune indication plus précise n’est fournie par le rédacteur. Cette lecture, cependant, nous semble la plus logique pour interpréter les chiffres du rapport. C’est la différence entre les systèmes dits « sell-in » et « sell-out » : le premier, typique en Italie, se base (pour estimer l’entité du tirage) sur les ventes de l’éditeur au libraire, tandis que le second, pratiqué en Allemagne, prend comme mesure plutôt les ventes du libraire au public. V. Tatò, Franco : A scopo di lucro. Conversazione con Giancarlo Bosetti sull’industria editoriale, Rome, Donzelli, 1995, pp. 33–34. Une prémisse terminologique s’impose : en abordant la question du « public », nous ne voulons aucunement supposer l’existence, dans le champ culturel italien, d’un lecteur qui soit typique ou représentatif de toute la population. Wolfgang Iser théorise la notion de « lecteur implicite » dans une tentative d’expliquer, par un modèle théorique, la liaison étroite entre « la structure du texte et la structure de l’acte de lecture » (Iser, Wolfgang : L’acte de lecture, Bruxelles, Mardaga, 1985, pp. 60–76, ici p. 72). Au lieu de nous attarder sur le « lecteur implicite » qui est inscrit dans les textes traduits, nous visons plutôt à considérer la variété des grilles de lecture possibles dans un champ aussi diversifié (en raison de la provenance, de l’éducation, de la culture littéraire, etc. des lecteurs réels) que l’Italie des années 2000. Nous employons donc les termes « grand public » et « lectorat » avec l’intention d’isoler les groupes de lecteurs spécialisés (germanistes, critiques littéraires) et de lecteurs bilingues, plus proches de la culture germanophone (notamment dans les régions frontalières du nord de l’Italie, comme le Trentino-Alto Adige) du reste de la population qui est susceptible de consommer la production livresque italienne, sans aucun motif particulier pour se rapprocher des traductions de l’allemand plutôt que d’autres langues.

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Deuxième partie

ce qui est particulièrement visible dans la faible diffusion de l’enseignement de la langue allemande dans les instituts secondaires et les universités11. En effet, la connaissance de l’allemand, qui n’arrive qu’à la quatrième place des langues étrangères les plus parlées en Italie, demeure « résiduelle » et limitée à environ 6 % de la population12. De plus, la présence très limitée de l’allemand au sein de la plupart des canaux de communication des produits culturels (le cinéma, la télévision, la musique, la publicité, etc., surtout en comparaison avec la présence dominante de l’anglais)13, explique, au moins en partie, la difficulté que rencontrent ceux qui étudient cette langue pour la mettre en pratique, ne serait-ce que de manière passive. Dès lors, la plupart des étudiants d’allemand déclarent avoir des compétences très faibles dans leur langue étudiée, tandis que les étudiants d’anglais, de français et d’espagnol estiment connaître « assez bien » leurs langues d’études respectives14. Or s’il est vrai que la connaissance des langues étrangères n’est guère requise pour accéder aux textes traduits, il est néanmoins certain que l’apprentissage de ces langues – toujours accompagné, dans le système scolaire italien, de l’étude des cultures et littératures des pays où elles sont pratiquées – exerce une fonction importante de rapprochement et familiarisation. De ce fait, la population italienne, déjà moins encline à la lecture que les populations française et allemande15, est d’autant moins incline à s’aventurer dans la lecture d’ouvrages issus d’une aire linguistique et culturelle qui lui est presque complètement inconnue. Cela nous mène à une deuxième remarque, d’ordre socioculturel, qui mobilise la représentation des cultures étrangères dans plusieurs secteurs de la production 11

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Nous insistons encore une fois sur l’exception que représente la région autonome du TrentinoAlto Adige, et notamment en son sein la province de Bolzano, où l’italien et l’allemand coexistent dans un rapport toujours en évolution. Cf. Cavagnoli, Stefania/Passarella, Mirca : « Plurilinguismo scolastico in Alto Adige », Rassegna, 40 (2009). L’uso della lingua italiana, dei dialetti e delle altre lingue in Italia, Rome, ISTAT, 2017, www.istat. it/it/files//2017/12/Report_Uso-italiano_dialetti_altrelingue_2015.pdf (26 mars 2022). V. par exemple les efforts de la politique culturelle allemande, depuis la fin des années 1990, pour la diffusion à l’étranger du film allemand (Mosig, Tobias : Goethe-Institut e. V. : Weltvertrieb für deutsche Filme ? Das Goethe Institut als kultureller Botschafter des deutschen Films im Ausland und dessen aktuelle Zusammenarbeit mit German Films und den deutschen Weltvertrieben, Potsdam, Erich Pommer Institut, 2008, pp. 89–95). Dans son compte-rendu sur les tendances de la germanistique française, Patrick Farges remarque qu’en France, contrairement à l’Italie, plusieurs produits culturels allemands et franco-allemands se répandent de plus en plus dans les sphères du cinéma, de la télévision et de la musique, bien que cette diffusion ne vaille pas pour la production littéraire : Farges, Patrick : « Germanistik in Frankreich zwischen Tradition und neuen Herausforderungen », Studi germanici, 5 (2014), pp. 331–340. Siebetcheu, Raymond : « La scuola del nuovo millennio : tra italiano, dialetti e altre lingue », dans : Ballarin, Elena/Bier, Ada et al. : La didattica delle lingue nel nuovo millennio. Le sfide dell’internazionalizzazione, Studi e Ricerche 13, Venise, Edizioni Ca’ Foscari, 2018, pp. 117–134, ici p. 126. Que les Italiens lisent moins que les Français et les Allemands est un lieu commun – et un fait démontré à maintes reprises par des données statistiques – dans tous les rapports de l’AIE et la bibliographie consacrée à la pratique de la lecture en Italie. V. par exemple Solimine, L’Italia che legge, pp. 59–62.

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italienne16. La culture germanophone, et plus spécifiquement allemande, n’est pas inconnue en Italie, mais à travers le filtre de la représentation souvent fournie au public, elle demeure plutôt méconnue ou associée à des idées reçues qui la présentent comme distante et peu accessible. Des études dans ce secteur ont élucidé le rôle de la presse et des textes scolaires (notamment d’histoire et de géographie) dans la construction d’un imaginaire de l’Allemagne lié surtout au militarisme et à la puissance industrielle, présentant les seuls avantages de l’efficacité et de la productivité. Ces études soulignent aussi la prégnance de la littérature et du cinéma néoréalistes d’après-guerre dans la diffusion d’une image négative de « l’Allemand », en opposition avec le mythe positif du « résistant » italien17. Enfin, lors des entretiens qui nous ont été accordés, la plupart des responsables des traductions de l’allemand confirment qu’il existe des images figées de la culture allemande, transmises également par la littérature du pôle de production de masse, et associées notamment à l’Holocauste et la Vergangenheitsbewältigung18, mais aussi à d’autres « lieux communs » comme le mythe de Berlin (dont l’anthologie Berlin Babylon représente un exemple), de Vienne fin de siècle, de la tradition philosophique liée à certains noms emblématiques (Nietzsche, Heidegger, Benjamin, entre autres) ainsi que de la musique classique (Mozart, Beethoven, Wagner). La question se pose donc, dans le choix des titres à traduire, de conforter cette idée reçue – en optant par exemple pour des romans qui abordent de préférence l’histoire allemande, la guerre, le nazisme – ou bien de la contraster à travers des publications qui ne correspondent pas aux attentes du public. Nous verrons par la suite que les premières traductions d’Uwe Timm en italien ont pour but de concilier ces deux 16

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Une branche de la littérature comparée, l’imagologie, étudie en particulier ces représentations de l’étranger dans la littérature : pour une définition des objets et des méthodes de cette discipline, v. Voltrová, Michaela : Terminologie, Methodologie und Perspektiven der komparatistischen Imagologie, Berlin, Frank & Timme, 2015. Roeck, Bernd/Hanke, Stephanie et al. : Deutsche Kulturpolitik in Italien, Berlin, De Gruyter, 2011. V. aussi Griesheimer, Anna : Deutschland in der italienischen Literatur seit dem Ende des zweiten Weltkriegs/La Germania nella letteratura italiana dopo la seconda guerra mondiale, Munich, Meidenbauer, 2009 et Arns, Alfons Maria : « Das Trauma des ‘Nazismo’. Roberto Rossellini und Deutschland », dans : Bono, Francesco/Roschlau, Johannes (dir.) : Tenöre, Touristen, Gastarbeiter. Deutsch-italienische Filmbeziehungen, Munich, text+kritik, 2011, pp. 93–106. Une bibliographie des études sur la représentation de l’Allemagne dans les littératures des autres pays est disponible dans l’ouvrage collectif de Beller, Manfred/Leerssen, Joel (dir.) : Imagology. The cultural construction and literary representation of national characters. À critical survey, Amsterdam/New York, Rodopi B. V., 2007, pp. 159–166. Une confirmation supplémentaire de ce cliché est fournie par Giorgio Mascitelli, qui écrit dans le compte-rendu d’une traduction de Walter Kempowski : « Alcuni anni or sono quando mi capitò casualmente di suggerire a una persona addentro ai misteri dell’editoria grande il testo di uno scrittore tedesco contemporaneo, mi fu risposto che autori nuovi dalla Germania venivano presi in considerazione solo se trattavano della seconda guerra mondiale o della shoah » (Mascitelli, Giorgio : « Memoria e linguaggio in Tadellöser & Wolff. Un romanzo borghese, di Walter Kempowski (Lavieri 2007) », puntocritico2, 25 août 2011, www.puntocritico2.wordpress. com/2011/08/25/memoria-e-linguaggio-in-tadelloser-wolff-un-romanzo-borghese-di-walterkempowski-lavieri-2007 (26 mars 2022).

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Deuxième partie

visées, puisqu’elles « rentrent dans le cliché de la littérature de la mémoire » tout en restant des textes « lisibles, très agréables »19. Les opinions sur les perspectives actuelles du rapport politico-culturel entre l’Allemagne et l’Italie sont partagées. Si certains craignent l’avènement d’une « aliénation latente » entre les deux pays, d’autres félicitent avec enthousiasme les nombreuses initiatives des politiques culturelles qui garantissent des échanges réguliers, dans l’espace littéraire aussi bien qu’académique20. En effet, nous le verrons ci-dessous, un riche réseau d’institutions soutient l’introduction, en Italie, de produits culturels issus du domaine germanophone : le DAAD et Villa Vigoni pour le milieu universitaire, les Goethe Institute, et aussi bien d’autres établissements assument souvent la responsabilité du lien entre les deux aires linguistiques. Toutefois, la question reste ouverte de savoir si ces produits, une fois le transfert réalisé, atteignent un public qui dépasse le cercle des grands lecteurs et des experts21. Un indice suggèrant une ouverture graduelle de la production germanophone au grand public est la traduction, de plus en plus fréquente, d’ouvrages appartenant à des genres littéraires communément destinés à un grand nombre de lecteurs. Barbara Griffini, l’agente littéraire qui se charge de la médiation d’une vaste majorité de la production germanophone en Italie, soutient que plusieurs maisons d’édition s’intéressent de plus en plus à une littérature germanophone plutôt « commerciale »22 : Longanesi, Tea, Newton Compton traduisent ainsi les romans historiques de Torben Guldberg, les sagas fantasy de Markus Heitz, les thrillers de Heike Koschyk ; et la maison romaine emons  :, spécialisée en livres audio, fonde en 2015 la collection Gialli tedeschi, consacrée aux polars allemands. Mais qu’en est-il de la littérature dite « blanche » ? Nous verrons dans le troisième sous-chapitre de cette partie que, souvent, les livres issus de l’aire germanophone ont des difficultés non seulement à devenir de véritables best-sellers en Italie, mais aussi à s’insérer à long terme dans le discours culturel italien.

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Entretien avec Matteo Galli, traducteur d’Uwe Timm. Un débat autour de cette interrogation – y a-t-il un écart croissant entre l’Allemagne et l’Italie ? – a eu lieu à Trento le 11–12 mai 2007 et a été publié dans le recueil : Rusconi/Schlemmer et al. (dir.), Estraniazione strisciante tra Italia e Germania ? La revue Studi germanici a publié une bibliographie des ouvrages concernant les relations politiques et culturelles entre l’Allemagne et l’Italie et, dans le même numéro, un article sur la représentation des deux pays et de leurs relations réciproques dans la presse italienne : Lozzi, Giuliano : « Italia e Germania nella stampa italiana », Studi germanici, 2 (2013), pp. 45–120 et Farina, Mario : « Italia e Germania, una bibliografia », ibid., pp. 121–144. L’article le plus enthousiaste dans le recueil de Rusconi, rédigé par Elena Agazzi, concerne notamment la germanistique italienne, qui est effectivement florissante (Agazzi, Elena : « La germanistica in Italia dopo il 1989 », ibid., pp. 85–98). Entretien avec Barbara Griffini. Nous présenterons la figure de Griffini plus en détail dans le sous-chapitre suivant.

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3.3 LES PASSEURS – DES MODALITÉS DIVERSES 3.3.1 La politique culturelle : soutenir une littérature qui n’est pas rentable L’activité des institutions culturelles qui financent les traductions de l’allemand ou qui favorisent la promotion de la culture germanophone en Italie révèle l’intérêt sociopolitique des échanges littéraires. En effet, loin de limiter leurs financements à la publication et à la diffusion des ouvrages les plus rentables économiquement, ces institutions collaborent le plus souvent avec des maisons d’édition indépendantes, de petite ou moyenne taille, dont les profits sont a priori limités par rapport aux grands conglomérats éditoriaux. Dans les paragraphes suivants, nous observons donc la façon dont l’État (principalement l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche ici) contribue à restaurer l’équilibre que renverse l’hétéronomie économique en marginalisant (entre autres) la littérature traduite de l’allemand – tout en présentant par là le risque d’une autre forme d’hétéronomie : la politique. En l’occurrence, il est nécessaire de distinguer, d’une part, les organismes qui financent, dans leur totalité ou en partie, la traduction de livres de l’allemand et la promotion des textes traduits en Italie et, d’autre part, les établissements qui contribuent par leur agenda culturel à diffuser et à consacrer la production étrangère dans le champ italien. Nous incluons donc, dans le premier groupe, le programme de soutien aux traductions du Goethe Institut pour l’Allemagne, le service pour la Littérature et l’édition de la Chancellerie d’Autriche et les riches financements de la fondation Pro Helvetia pour la Suisse (englobant la production dans les quatre langues officielles du pays). À ces institutions nationales s’ajoute le programme Culture lancé par l’Union européenne en 2007, avec pour but de « consolider un espace culturel européen, fondé sur un patrimoine culturel commun »23. Ensuite, dans le second groupe, de très nombreuses institutions sont présentes sur le territoire italien, surtout à Rome, Milan et dans la région du Trentino-Alto Adige. Plusieurs relèvent du domaine académique, comme l’Istituto Italiano di Studi Germanici de Rome, qui est le siège de l’Italienischer Germanistenverband, ainsi que l’Istituto Storico Italo-Germanico de Trento, intégré ensuite au pôle SHS de la Fondazione Bruno Kessler, ou encore l’Accademia Tedesca di Roma, financé par le gouvernement allemand et dont les deux sièges de Villa Massimo et Casa Baldi accueillent chaque année neuf artistes et écrivains « de grand talent » pour leur offrir la « possibilité d’évoluer au niveau artistique »24. D’autres relient les activités de recherche à des évènements plus ouverts de vulgarisation et débat, comme l’Institut suisse de Rome ainsi que la Villa Vigoni et son Centro Italo-Tedesco per 23 24

Barbisan, Ilaria/Novati, Laura : Giornale della Libreria. Premi e incentivi alle traduzioni. Aggiornamento 2009, Milan, AIE, 2009, p. 67. Ce programme, cependant, est une seconde édition du programme homonyme créé en 2000. Charte de l’Accademia Tedesca di Roma, 31 janvier 2016, accessible depuis la page web officielle de l’académie : www.villamassimo.de

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l’Eccellenza Europea. Enfin, divers établissements s’engagent dans l’organisation d’évènements et de rencontres visant à rapprocher le public italien de la culture germanophone, comme les sept Goethe Institute répartis entre Milan et Palerme, l’Österreichisches Kulturforum de Milan et de Rome, ainsi que la Casa di Goethe, qui représente le siège romain de la Gesellschaft für deutsche Sprache. Dans un souci de concision, nous n’aborderons pas les programmes proposés par ces institutions – qui embrassent souvent non seulement la production littéraire, mais aussi le cinéma, la musique, l’actualité et bien d’autres domaines des sphères culturelle, économique et politique de l’espace germanophone. Nous nous limitons, en revanche, à considérer l’activité de celles qui alimentent les flux de traductions de la manière la plus immédiate, c’est-à-dire en soutenant économiquement cette activité éditoriale qui peut s’avérer très peu rentable. Il est important de souligner, en effet, que traduire des auteurs contemporains est l’une des activités les plus couteuses pour un éditeur : aux frais qui accompagnent toute publication, il est nécessaire d’ajouter l’acquisition des droits25 à l’éditeur étranger ou à un agent littéraire, ainsi que les frais de traduction. En outre, si l’éditeur envisage une tournée promotionnelle du livre dans les librairies et centres culturels, des coûts supplémentaires liés aux déplacements de l’auteur et à l’éventuelle traduction simultanée de ses interventions alourdissent les dépenses de la maison. C’est pour cette raison que les financements de la politique culturelle constituent parfois une condition sine qua non pour l’introduction et la diffusion de la littérature étrangère en Italie. Le rôle primordial de ces institutions pour la subsistance des traductions est accentué par le fait que les maisons qui y recourent sont, dans la plupart des cas, indépendantes et de taille réduite – les mêmes maisons, donc, qui font souvent de la littérature traduite leur cheval de bataille. Les entretiens que nous avons conduits dans le cadre de cette recherche nous confirment que les géants de l’édition ne s’intéressent que très rarement aux appels des divers établissements invitant à solliciter des financements ; lorsque cela se vérifie, c’est parfois à la demande des traducteurs, qui doivent cependant se charger personnellement d’envoyer une demande à l’institut correspondant26. Le désintérêt relatif des grosses maisons pour 25

Conformément à la réglementation en vigueur, le droit à l’utilisation d’un ouvrage à but lucratif s’applique jusqu’à la soixante-dixième année après la mort de l’auteur (loi 22, avril 1941, n. 633, « Protezione del diritto d’autore e di altri diritti connessi al suo esercizio », publiée dans Gazzetta Ufficiale, 16 juillet 1941). 26 Un cas exemplaire nous est rapporté par Margherita Carbonaro, traductrice de renom qui est liée, entre autres, au nom de Herta Müller, dont elle traduit tous les titres publiés chez Feltrinelli. « Parte del mio lavoro sta diventando convincere gli editori a chiedere i finanziamenti », raconte-t-elle : en effet, les politiques culturelles permettent souvent d’augmenter les revenus des traducteurs, ce qui explique leur intérêt à chercher des financements pour leurs travaux (entretien avec Margherita Carbonaro). Helena Janeczek, consultante externe pour la littérature allemande chez Mondadori jusqu’en 2015, observe aussi que le recours à des financements pour les traductions représente une spécificité des maisons de dimensions petites à moyennes, étant donné que dans les grands groupes il n’y a « pas de structures, de personnes qui s’en occupent »

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les appels à financements serait accru, en outre, par un problème d’ordre pratique : les demandes doivent généralement être rédigées dans une langue étrangère, en l’occurrence l’allemand ; or, comme nous le verrons plus en détail ci-dessous, de moins en moins d’éditeurs connaissent suffisamment cette langue au sein des maisons de dimensions plus imposantes. Enfin, pour une très grande entreprise, dont l’énorme chiffre d’affaires ne ressent pas l’influence d’une publication individuelle, les dépenses liées à la traduction d’un nombre réduit d’ouvrages semblent être, d’une certaine façon, négligeables ; en revanche, plusieurs éditeurs indépendants ont systématiquement recours aux sources de la politique culturelle et s’en servent comme d’un instrument fondamental pour l’exercice de leur activité. La relation régulière, structurelle, qui s’établit dès lors entre ces sources et les petits ou moyens éditeurs devient un élément clé du transfert littéraire, qui assume ainsi d’emblée une connotation spécifiquement culturelle, autonome, haut de gamme. Si les subventions des politiques culturelles concrétisent une aide matérielle, strictement économique, à la traduction auprès des éditeurs indépendants, d’autres initiatives ont pour but de créer les conditions du succès symbolique des livres traduits. L’agenda des instituts de culture en est un exemple : il prévoit souvent des rencontres entre le public et les auteurs et/ou leurs traducteurs ; un autre exemple serait le Goethe Institut qui, procédant de la même intention, instaure en 2008 le prix italo-allemand pour la traduction littéraire, qui récompense chaque année, alternativement, un traducteur de l’allemand vers l’italien et vice-versa, afin de souligner la « continuité de l’échange intellectuel et culturel entre l’Allemagne et l’Italie. »27 Ce prix, décerné par un jury indépendant d’intellectuels (professeurs, traducteurs, écrivains), constitue une nouvelle instance de consécration spécifique qui veut signaler la qualité stylistique des textes choisis. Le lien presque exclusif entre l’édition indépendante, les institutions culturelles et le capital symbolique qui découle de cette relation est évident dans le choix des ouvrages lauréats, ou mieux, des éditeurs qui les ont publiés : depuis la création du prix jusqu’en 2018, un seul groupe éditorial est concerné, à savoir Feltrinelli, dont la traduction du roman Adam und Evelyn (2008) par Stefano Zangrando obtient le prix pour les traducteurs émergents en 2010 ; toutes les autres maisons concernées, en revanche, sont externes aux grands conglomérats.

(entretien avec Helena Janeczek). Pour un approfondissement sur le statut des traducteurs en tant que catégorie professionnelle, v. le récent recueil : Laurenti, Francesco/Proietti, Paolo (dir.) : Le professioni del traduttore. Tendenze attuali e prospettive future di una professione, Canterano, Aracne, 2017. 27 La citation est issue de la présentation du prix sur le site internet du Goethe Institut, www.goethe. de/ins/it/it/kul/sup/uep.html (26 juin 2019).

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Meilleure traduction (de l’allemand vers l’italien)

Meilleur traducteur émergent (de l’allemand vers l’italien)

2008

Arno Schmidt, Dalla vita di un fauno Trad. Domenico Pinto, éd. Lavieri

Christa Wolf, Con uno sguardo diverso Trad. Monica Pesetti, éd. e/o

2010

Markus Werner, Zündel se ne va Trad. Bice Rinaldi, éd. Neri Pozza

Ingo Schulze, Adam e Evelyn Trad. Stefano Zangrando, éd. Feltrinelli

2012

H. G. Adler, Un viaggio Trad. Marina Pugliano et Julia Rader, éd. Fazi

Marica Bodrožić, È morto Tito Trad. Giusi Drago, éd. Zandonai

2014

Ulrich Becher, Caccia alla marmotta Trad. Roberta Gado, éd. Baldini & Castoldi

Wladimir Kaminer, Non sono un berlinese. Una guida per turisti pigri Trad. Antonella Salzano, éd. Mimesis

2016

Katja Petrowskaja, Forse Esther Trad. Ada Vigliani, éd. Adelphi

Peter Handke, Ancora tempesta Trad. Ylenia Carola et Angela Scròfina, éd. Quodlibet

2018

Friedrich Dürrenmatt, La guerra invernale in Tibet Trad. Donata Berra, éd. Adelphi

Jörg Fauser, Materia prima Trad. Daria Biagi, éd. L’Orma

Fig. 5 : Prix italo-allemand pour les traductions littéraires (2008–2018) Nous observons, par conséquent, que l’activité des politiques culturelles des pays germanophones constitue un élément essentiel dans le processus du transfert littéraire, aussi bien d’un point de vue économique que symbolique ; nous remarquons aussi que cette activité est surtout liée à la production des entités éditoriales indépendantes, souvent de petites ou moyennes dimensions. Le rapport étroit entre ces maisons d’édition et les institutions de la politique culturelle est dû, d’une part, aux contraintes économiques des éditeurs qui ont des difficultés à assumer les frais de traduction et de promotion des livres étrangers ; d’autre part, il est aussi lié aux compétences spécifiques des collaborateurs de ces mêmes éditeurs, dont l’investissement dans le domaine des traductions se manifeste souvent par la présence, au sein de leur équipe, d’au moins une personne en mesure de communiquer en allemand.

3.3.2 L’intérêt des spécialistes : université et revues Dans le milieu académique, l’intérêt pour les échanges avec l’aire germanophone est vif28. L’Italienischer Germanistenverband, déjà cité et né au sein de l’Universi28

Pour une reconstruction historique de l’histoire des études germaniques en Italie, v. Bontempelli, Pier Carlo : Storia della germanistica, Rome, Artemide, 2000 et Bontempelli, Pier Carlo : « La

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té de Pise, rassemble depuis 1998 les spécialistes des études germaniques en Italie pour créer un réseau d’échange scientifique et « promouvoir la recherche scientifique d’un intérêt social particulier dans le domaine des études universitaires en langue et littérature allemande. »29 De plus, depuis 2002, le DAAD décerne chaque année le prix Ladislao Mittner à des chercheurs et professeurs de diverses disciplines, en particulier à ceux qui s’engagent dans la promotion du dialogue entre l’Allemagne et l’Italie. Dans les régions frontalières, l’attention vouée au dialogue avec l’espace germanophone est encore plus grande, comme le démontrent la Fondazione Bruno Kessler, déjà mentionnée, mais aussi l’Accademia di studi italo-tedeschi qui a son siège, depuis 1959, dans la ville de Mérano. Les germanistes italiens manifestent une ferme volonté de diffuser leurs travaux à travers plusieurs plateformes hautement spécialisées. Les revues dédiées exclusivement à ce domaine de recherche sont nombreuses : à la publication historique Studi germanici, existant depuis 1935, s’ajoutent, dès la fin du vingtième siècle, d’autres revues souvent liées à des établissements universitaires. En 1994 naissent ainsi Cultura Tedesca, liée à l’Université Roma Tre, et Studia theodisca, liée à l’Université de Milan ; le fondateur de cette dernière, Fausto Cercignani, avait aussi fondé en 1992 Studia austriaca, consacrée en particulier à la culture autrichienne ; en 1998 l’Université de Trento publie, sous la direction de Fabrizio Cambi, le premier numéro de la revue Osservatorio Critico della germanistica, qui paraît à partir de 2013 au sein de l’Istituto Italiano di Studi Germanici ; en 2000 naît la revue bilingue links, qui paraît une fois l’an et réunit des germanistes italiens aussi bien qu’allemands. Plusieurs revues savantes accueillent des contributions dans le domaine des études germaniques tout en étant ouvertes à plusieurs aires linguistiques : c’est le cas de AION, par exemple, c’est-à-dire les Annales de l’Université de Naples L’Orientale, dont une section est entièrement consacrée à la germanistique, et de la revue de littérature comparée Prospero, liée à l’Université de Trieste30. Ensuite, graduellement, le débat se déplace en partie sur le web, soit à travers la dématérialisation des revues (depuis 2011, les deux publications de l’Université

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cultura tedesca dopo il 1945 : quale bene simbolico ? Per una storia della germanistica italiana », dans : Fantappiè, Irene/Sisto, Michele (dir.) : Letteratura italiana e tedesca 1945–1970 : Campi, polisistemi, transfer/Deutsche und italienische Literatur 1945–1970 : Felder, Polysysteme, Transfer, Rome, Istituto Italiano di Studi Germanici, 2013. La citation est issue de la charte de l’Association italienne des études germaniques, www.asso ciazioneitalianagermanistica.it/associazione/statuto (27 juin 2019). Dans sa bibliographie sur les études germaniques en Italie, Mario Farina observe que la plupart des travaux sur les relations culturelles entre l’Allemagne et l’Italie, quoique très variés, manifestent une tendance commune à aborder principalement « le problème de la résistance aux stéréotypes culturels et la réélaboration de la mémoire historique » (Farina, « Italia e Germania, una bibliografia », ici p. 124). Cette remarque met en lumière une continuité entre, d’un côté, le regard des spécialistes sur le rapport de l’Italie avec l’espace germanophone et, de l’autre, l’image de l’Allemagne que le grand public cultive. Fondée en 1994 avec le sous-titre Rivista di letterature e civiltà anglo-germaniche, elle change son nom entre 2005 et 2011 pour Prospero. Rivista di Letterature straniere, Comparatistica e Studi culturali, moins spécifique.

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de Milan sont disponibles en ligne), soit en exploitant le format du blog ou du site culturel, comme dans le cas de www.germanistica.net, accessible depuis 2011 et né du site homonyme, www.germanistica.it, que la germaniste Anna Chiarloni de l’Université de Turin avait fondé dans les années 1990. Or quel impact ont ces publications sur l’activité éditoriale du transfert littéraire ? Pour répondre à cette question, il convient de faire appel à la notion d’« appartenance multiple », développée par Bernard Lahire pour décrire la position des acteurs à la croisée de plusieurs domaines d’activité31. En effet, Lahire explicite le fait que chaque acteur ne limite pas son influence à un seul secteur – l’écrivain au littéraire, l’enseignant au scolaire, etc. –, mais qu’il est, au contraire, une réalité plus multiforme, relevant de divers domaines à la fois. Cette catégorie s’avère productive au moment de reconstruire le milieu éditorial italien, car les rôles en son sein sont souvent fluides : des professeurs travaillent à mi-temps en tant que directeurs de collection ; des chercheurs arrondissent leurs fins de mois en traduisant de manière plus ou moins occasionnelle ; des consultants éditoriaux publient des comptes-rendus dans des revues littéraires ; etc. Autrement dit, la germanistique italienne est un réseau plutôt restreint de relations polyvalentes, où chacun étend son activité au-delà de son domaine de compétence spécifique. Puisqu’il en est ainsi, l’idée même d’un « impact » des publications académiques sur l’activité éditoriale est en quelque sorte trompeuse. En réalité, les deux sont le résultat manifeste des intérêts des mêmes groupes de personnes qui, tout en ne constituant pas un tout indistinct, maintiennent des rapports réels et participent à un dialogue constant. La contrepartie d’une telle structure est son caractère tendanciellement clos. Solide grâce aux liens qui en régissent le fonctionnement de l’intérieur, le milieu de la germanistique italienne s’avère relativement fermé et statique : ceux qui choisissent, traduisent, lisent et commentent les livres, sont en fin de compte les mêmes personnes, quelques dizaines au maximum. Cela explique, dans une certaine mesure, la difficulté qu’ont les produits issus de ce milieu – à savoir, les livres traduits de l’allemand – à sortir du cercle des experts. Observons, pour mieux rendre compte de cette situation, quelques responsables des enseignements, des traductions et des comptes-rendus de littérature allemande entre 2005 et 2015 :

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Lahire, Bernard : L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998. Lahire approfondit sa critique de la notion bourdieusienne de « champ » dans Lahire, Bernard : « Champ, hors-champ, contrechamp », dans : Lahire, Bernard (dir.) : Le Travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques, Paris, La Découverte, 1999. Meizoz observe que la réflexion de Lahire constitue un développement fructueux de la théorie des champs de Bourdieu dans son recueil La Fabrique des singularités. Postures littéraires II, Genève, Slatkine, 2011, en particulier dans le chapitre sur la condition professionnelle des écrivains, qui paraît aussi sous forme d’un article : Meizoz, Jérôme : « Entre ‘jeu’ et ‘métier’ : la condition des écrivains aujourd’hui », COnTEXTES (13 octobre 2006), www.journals.openedition.org.ezproxy.univ-paris3.fr/contextes/142 (30 décembre 2020).

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les professeurs listés dans la carte de la germanistique italienne32 font toujours office de médiateurs dans les domaines éditorial et/ou journalistique aussi, en tant que rédacteurs, lecteurs, critiques ou traducteurs, et ils sont souvent actifs également dans les institutions décernant des financements ou des prix qui permettent ou récompensent les échanges littéraires. Le directeur de l’Institut italien d’études germaniques depuis 2011 par exemple, Fabrizio Cambi, a été professeur à l’Université de Trento, ainsi que doyen de la faculté de Lettres et Philosophie entre 2002 et 2007 ; il a traduit des ouvrages pour Keller, Feltrinelli, e/o, Giunti, et en a édités d’autres pour Mondadori et pour Marsilio ; ses comptes-rendus sont parus le plus souvent dans l’Osservatorio Critico della Germanistica (une revue scientifique de premier plan qui fusionne en 2012 avec Studi Germanici) et dans L’Indice dei Libri del Mese. Dans cette même revue mensuelle sont aussi publiés, entre autres, les articles d’Andrea Casalegno, ancien collaborateur d’Einaudi, auteur lui-même pour la maison d’édition Chiarelettere et correspondant pour la littérature allemande auprès du journal national Il Sole 24 Ore. Un autre germaniste qui écrit souvent des critiques pour ce journal est le professeur Luigi Reitani, directeur depuis 2015 de l’Istituto Italiano di Cultura de Berlin et déjà traducteur de l’allemand ainsi que collaborateur de plusieurs éditeurs italiens, comme Adelphi, SE et Marcos y Marcos ; il rédige également des critiques pour Il Corriere della Sera, La Repubblica et pour le canal radiophonique culturel Radio3. Il en va de même pour la grande majorité des experts : Anna Chiarloni à l’Université de Turin, Marino Freschi à Rome, Stefano Zangrando à Trento, Matteo Galli à Ferrara, Maurizio Pirro à Bari, Valentina Di Rosa à Naples, Paola Quadrelli dans l’école secondaire à Milan, ne sont que quelques noms de professeurs et chercheurs travaillant simultanément en tant qu’auteur, traducteur, directeur de collection, etc. La fluidité des figures professionnelles dans ce milieu ne veut aucunement dire que celui-ci est homogène ; au contraire, chaque groupe de recherche, chaque revue et chaque maison d’édition défend des intérêts divers. Une telle variété garantit la richesse des échanges internes au milieu de la germanistique : animés par des préférences littéraires ou des écoles de pensée divergentes, les experts participent activement à un dialogue qui se manifeste par les colloques universitaires, les publications savantes et les plus récents blogs littéraires, mais aussi dans la composition des catalogues éditoriaux.

3.3.3 Le premier filtre : l’agent littéraire Dans les paragraphes précédents, nous avons centré notre attention sur le milieu académique et avons remarqué que ses agents s’engagent souvent, avec di32

Cette carte est développée par l’Association Italienne des Études germaniques et accessible sur la page www.associazioneitalianagermanistica.it/risorse/mappa-germanistica (22 janvier 2020).

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verses fonctions, dans la production éditoriale, à laquelle ils apportent leur maîtrise spécifiquement littéraire. Cependant, nous l’avons vu, les métiers de l’édition requièrent aussi bien des connaissances littéraires que des compétences d’autres ordres, comme le commercial, le graphique, le rédactionnel. Dans chaque équipe éditoriale, pour petite qu’elle soit, il est donc possible de trouver au moins un attaché de presse, un service administratif et financier, un responsable des cessions de droits ; idéalement, les personnes exerçant ces fonctions ne sont pas complètement étrangères aux intérêts littéraires de la maison, de sorte que les deux « âmes » de l’entreprise éditoriale – l’économique et l’anti-économique, pour le dire avec Bourdieu33 – n’entrent pas en collision mais, au contraire, s’entraident. Une figure professionnelle qui illustre de façon emblématique la fusion de ces deux sphères de compétences, et qui joue un rôle de premier plan dans les échanges germano-italiens, est l’agent littéraire. Un agent littéraire est un intermédiaire entre les auteurs et les éditeurs : il se charge de trouver une maison pour les livres de ses clients et négocie les termes de leurs contrats. Les co-agents – plus intéressants pour notre étude – constituent une sous-catégorie des agents littéraires : ils représentent des éditeurs étrangers et s’occupent de vendre aux maisons d’édition de leur pays les droits de traduction (ainsi que d’autres sub-cessions : adaptations, livres audio, etc.) des ouvrages proposés par leurs clients34. Le recours aux agents peut être plus ou moins fréquent selon les aires linguistiques concernées ; dans le cas du transfert de la littérature allemande en Italie, il a été fortement encouragé par l’action d’Augusto Foà, de son fils Luciano et de leur successeur Erich Linder, c’est-à-dire les trois directeurs de l’Agenzia Letteraria Internazionale (ALI)35. La médiation des agents littéraires ne se résume pas à l’activité de la seule ALI, bien au contraire. En 2007, deux de ses collaboratrices, Barbara Griffini et Erica Berla, fondent la Berla & Griffini Agency : les deux entrepreneuses ont un parcours universitaire en lettres, suivi de plusieurs expériences professionnelles dans le monde de l’édition, et se spécialisent respectivement dans les domaines germanophone et anglophone, à savoir les deux aires linguistiques concernées par leur agence. Après avoir été traductrice de l’allemand, puis agente littéraire, Barbara Griffini hérite la majorité des clients de l’agence de Linder. Le lien qui l’unit à ses clients, en effet, est étroit et personnel : les responsables des cessions des droits de chaque maison d’édition reconnaissent dans sa personne une interlocutrice de ré33 34

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Bourdieu, Les Règles de l’art, pp. 234–288. Pour un aperçu de l’histoire des agents littéraires dans l’espace germanophone, v. Hillebrand, Jutta : Literarische Agenturen im deutschsprachigen Raum, Wiesbaden, Harrassowitz, 1993 et le recueil, plus récent, sous la direction d’Ernst Fischer : Literarische Agenturen : die heimlichen Herrscher im Literaturbetrieb ?, Wiesbaden, Harrassowitz, 2001. Pour une histoire de l’activité d’Augusto e Luciano Foà dans l’Agenzia Letteraria Internazionale, v. Ferrando, Cacciatori di libri. En ce qui concerne l’activité d’Erich Linder, v. Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori : L’agente letterario da Erich Linder a oggi, Milan, Sylvestre Bonnard, 2004 ; Biagi, Dario : Il dio di carta : vita di Erich Linder, Rome, Avagliano, 2007.

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férence fiable, ce qui explique leur volonté de continuer leur rapport professionnel même après son passage à une nouvelle agence36. Au cours des dernières années, le nombre des clients de Griffini est devenu de plus en plus important, au point que la majorité des nouveautés publiées par les plus grandes maisons allemandes passe nécessairement par la Berla & Griffini Agency. À ses débuts, celle-ci représente déjà des éditeurs de renom comme Matthes & Seitz, Rowohlt, Kiepenheuer & Witsch, Diogenes, Fischer, Aufbau. À partir de septembre 2012, Suhrkamp, qui jusqu’alors ne se servait pas d’agents, s’ajoute à la liste de ses clients ; en 2017 s’y ajoute également Hanser, qui était auparavant client d’un autre agent, Marco Vigevani & Associati ; en 2018, Berla & Griffini commence à représenter également dtv ainsi que Hoffman und Campe – représentée jusqu’alors par l’agente Daniela Micura. Les grands « absents » de cette liste demeurent Lübbe, dont Griffini représente tout de même l’imprint37 Eichborn, ainsi que Beck, une maison qui, cependant, publie surtout des essais. En dehors de la liste des clients de l’agente, plusieurs petits éditeurs indépendants et quelques maisons sont encore représentées par d’autres agences : parmi celles-ci, mentionnons Daniela Micura, déjà citée, la Literarische Agentur Michael Gaeb, ainsi que The Italian Literary Agency (TILA) ; en 2015, plusieurs agences fusionnent avec TILA : Marco Vigevani, la Luigi Bernabò & Associates ainsi que l’ALI, qui était passée en 2008 sous la direction de Chiara Boroli, présidente de la nouvelle entreprise. Les modalités du contact entre les éditeurs allemands d’un côté et italiens de l’autre peuvent varier selon les cas. Normalement, les clients de l’agence communiquent à leur agent les titres en vente ; l’agent, donc, se charge de sélectionner pour chaque titre un ou plusieurs éditeurs potentiels en Italie, qui se trouvent donc possiblement en concurrence pour l’achat. Lorsqu’un éditeur est intéressé, il peut faire ce que l’on appelle une preempt offer, c’est-à-dire une « offre préventive » pour l’achat des droits de traduction : dans ce cas, la négociation exclut d’emblée les concurrents potentiels et se conclut de manière assez rapide. Si, en revanche, plusieurs éditeurs sont intéressés par le titre en question, on procède à une vente aux enchères, à la fin de laquelle le titre est acheté par le plus offrant et dernier 36

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Cela explique également la tendance des agences littéraires à monopoliser le marché : puisque la continuité du rapport est nécessaire pour consolider la clientèle, les nouveaux entrants dans ce secteur de la production éditoriale peuvent éprouver des difficultés à trouver et garder des clients ; comme l’explique la directrice des éditions Del Vecchio, Paola Del Zoppo : « Questo per esempio è un problema del mondo degli agenti, cioè gli agenti editoriali cambiano, mentre invece la casa editrice rimane. […] A volte ci sono degli agenti editoriali che cambiano proprio, cioè che non ci sono più, all’improvviso, anche da un mese all’altro. Questo può creare veramente dei problemi e conviene quindi in quel caso non avere a che fare con agenti letterari. Non sarà il caso di Barbara Griffini, che ha un’agenzia molto avviata, però magari all’agente più piccolo invece capita » (entretien avec Paola del Zoppo). Un imprint est une marque éditoriale à l’intérieur d’une maison qui en contient plusieurs : Lübbe, par exemple, publie ses livres sous les marques Bastei Lübbe, Baumhaus, Boje, Eichborn, Quadriga, et autres ; un cas italien est représenté par Frassinelli, qui est, depuis les années quatre-vingt, un imprint de Sperling & Kupfer.

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enchérisseur : ce mécanisme s’avère souvent moins adapté pour les ouvrages plus « littéraires », étant donné que « l’éditeur le plus approprié » pourrait ne pas être en mesure de concurrencer les entreprises au pouvoir d’achat beaucoup plus important que le leur38. Dans les deux cas, l’agent s’occupe de rédiger le contrat et reçoit un pourcentage pour chaque vente effectuée. Dans d’autres cas, le premier contact n’a pas lieu directement à travers l’agence, même si les éditeurs en question sont ses clients. Il arrive, en effet, que les éditeurs italiens connaissent par d’autres voies les nouveautés disponibles sur le marché étranger, ou bien qu’ils s’intéressent à des ouvrages plus anciens que l’éditeur original ne propose pas à présent à son agent. Dans ces cas, la relation entre les éditeurs peut être directe, mais le contrat final est tout de même réalisé par l’agence, qui reçoit également le quota qui lui est dû. Les éditeurs ont par ailleurs intérêt à sonder aussi par eux-mêmes le marché éditorial étranger, car l’agence n’est pas tenue de communiquer à tous les éditeurs italiens toutes les nouveautés qui lui sont proposées au fur et à mesure ; bien au contraire, elle tient lieu de filtre entre les uns et les autres et crée des binômes, des « mariages » entre chaque livre et son potentiel éditeur – excluant, de ce fait, la possibilité même de certains « couples ». Ce triage est possible grâce aux connaissances, de la part de l’agent, des diverses identités dans le marché italien, dont il doit connaître les catalogues, les intérêts, les publics visés : loin de se limiter à conclure des contrats, il effectue aussi le travail de repérage et d’assortiment typique du scout – une figure professionnelle plus répandue dans l’aire anglo-américaine que dans la germanophone, dont la mission est d’informer les éditeurs des livres à paraître bien avant leur publication et des débats culturels en cours dans l’aire linguistique de départ. C’est pour cette raison qu’un éditeur qui ne veut pas dépendre entièrement des propositions des agents cherchera à diversifier ses sources d’information, par exemple en entrant directement en contact avec les maisons étrangères, en participant aux évènements internationaux majeurs comme la Foire du livre de Francfort, en visitant régulièrement les librairies à l’étranger, en entretenant un réseau de connaissances qui le tiennent au courant des parutions intéressantes, etc. En général, la médiation de l’agent littéraire est perçue de manière ambivalente par les éditeurs italiens. D’une part, elle simplifie considérablement le travail de repérage des œuvres et du contact avec les maisons étrangères : l’agent constitue un canal privilégié pour accéder aux informations pour lesquelles il faudrait, autrement, contacter directement chaque maison étrangère ou bien s’en remettre à des scouts ; en outre, il épargne aux éditeurs l’obligation de communiquer, éventuellement en allemand (alors que le personnel compétent en allemand fait souvent défaut dans les maisons d’édition italiennes), avec les partenaires étrangers, par exemple pour fixer les détails des contrats d’acquisition des droits39. D’autre 38 39

Entretien avec Barbara Griffini. Lorenzo Flabbi ironise sur les avantages de la médiation des agents, en comparant sa position de spécialiste de littérature française avec celle du collègue Marco Federici Solari, spécialiste en

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part, le criblage que l’agent effectue peut aussi être interprété comme un obstacle par les éditeurs italiens, risquant d’empêcher l’acquisition de certains titres intéressants pour la maison : dans ces cas, le fort pouvoir sélectif de l’agence littéraire est manifeste dans la constitution même des catalogues, visiblement affectés par les appariements conçus par l’agent. Le travail d’assortiment effectué par l’agent littéraire témoigne de l’existence, à ses yeux en tout cas, d’identités éditoriales différentes. Cette activité présuppose, en effet, que chaque livre n’est pas adapté à chaque catalogue, puisque les thématiques, les genres, les styles, ainsi que les gammes de prix varient d’une maison à l’autre. C’est à cause de cette diversité que l’agent sélectionne, parmi les nombreuses options sur le marché, deux, cinq, dix éditeurs, selon les cas, qui lui semblent particulièrement compatibles avec chaque titre en question : « Je cherche une maison pour mes auteurs », dit Barbara Griffini40, et elle implique par là qu’il existe des affinités électives entre chaque livre et les éditeurs sur le marché. S’il n’y avait, en revanche, aucune différence qualitative parmi les catalogues, alors la seule démarche logique pour l’agent littéraire serait de vendre chaque titre au plus offrant, adoptant comme seul et unique critère la rentabilité économique à court terme.

3.3.4 Les éditeurs généralistes : un désintérêt diffus au sein des groupes Ces distinctions identitaires ne sont pas à comprendre de façon stricte : autrement dit, un « livre Einaudi », par exemple, n’a pas toujours les mêmes qualités, puisque les identités éditoriales sont toujours en cours de redéfinition. En outre, un même livre peut appartenir à des catalogues différents, et c’est à l’éditeur d’y apposer sa « marque » pour l’adapter à son projet. Mais quels sont les traits qui distinguent, pendant la décennie 2005–2015, les choix des éditeurs italiens concernant la littérature germanophone ? Observons les catalogues au cas par cas. Pour ce faire, nous nous concentrerons sur les éditeurs qui s’intéressent de façon régulière aux romans contemporains en allemand et nous les classifierons tout d’abord en deux groupes, à savoir les maisons généralistes d’un côté, et les maisons spécialisées de l’autre. Du côté des généralistes, nous pouvons établir la classification selon le critère de la domination économique : dans un continuum opposant de très grandes en-

40

littérature allemande : « Se potessi scegliere un mestiere nella mia vita, quello che faccio io è il secondo ; il primo è quello che fa Marco. Cioè vorrei essere Marco Federici Solari, che lui scrive in italiano a Barbara, si mettono d’accordo, fa tutto lei ed è bella finita. Io tutte le volte devo mettermi lì e installare un nuovo rapporto […]. Certo che sarebbe più comodo per certi versi. Per altri … così è molto bello, cioè effettivamente io il rapporto con tutti questi editori qui ce l’ho direttamente » (entretien avec Lorenzo Flabbi). Entretien avec Barbara Griffini.

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treprises – qui ne consacrent qu’un petit espace de leurs catalogues à la littérature traduite de l’allemand – à des maisons beaucoup plus petites – et montrant davantage d’intérêt à sonder le marché germanophone peu exploité –, on retrouve aussi des situations moyennes, comme c’est le cas, nous le verrons ci-dessous, des éditions Sellerio. À l’extrémité du continuum, un désintérêt général envers la production contemporaine en allemand est reconnaissable de façon univoque : le nombre des traductions de l’allemand y est extrêmement réduit par rapport au nombre total des publications. En prenant l’exemple de Bompiani, dont le catalogue historique énumère les parutions jusqu’en 200841, nous observons que le pourcentage des traductions de l’allemand ne dépasse jamais un seuil très bas, voire diminue au fil des années : sur les vingt-cinq parutions en 2005 dans la collection Letteraria/ Narratori stranieri, seul un titre est traduit de l’allemand ; en 2006, le rapport est d’un titre sur vingt-quatre, en 2007, il est de deux titres sur trente-neuf et en 2008 d’un titre sur quarante-quatre. Comme nous l’avons expliqué, ce peu de traductions est par ailleurs souvent réservé à des auteurs appartenant à la génération pré-1950. Bompiani, nous le verrons par la suite, constitue une anomalie par rapport à cette tendance, mais les cas d’Einaudi et d’Adelphi – deux maisons qui avaient été les protagonistes des échanges littéraires germano-italiens dans la seconde moitié du XXe siècle – illustrent bien, eux, le manque de volonté de découvrir les jeunes talents de la production allemande : entre 2005 et 2015, seuls une auteure publiée par Adelphi et quatre auteurs publiés par Einaudi sont nés après 195042. L’insistance de ces maisons sur leurs classiques du XXe siècle – comme Günter Grass et Hans Magnus Enzensberger pour Einaudi, Joseph Roth et Robert Walser pour Adelphi – témoigne d’un regard tourné plutôt vers le passé et d’une confiance limitée dans le potentiel des nouvelles générations. Ce n’est pas, en outre, qu’une question de chiffres : les modalités de l’introduction des auteurs allemands en Italie trahissent aussi une certaine insouciance des éditeurs à l’égard de leur inscription à long terme dans le panorama littéraire. Ce n’est que dans de très rares cas que les maisons insistent sur un auteur allemand comme nom phare de leur catalogue : il s’agit, parfois, de phénomènes médiatiques 41 42

Catalogo generale Bompiani. 1929–2009, Milan, Bompiani, 2009. Les auteurs publiés par Einaudi entre 2005 et 2015 (Supercoralli, Coralli et L’Arcipelago) sont : Hans-Georg Behr, Günter Grass, Hans Magnus Enzensberger, Jan Costin Wagner, Marcel Beyer, Marie Simon, Hans-Ulrich Treichel, Elfriede Jelinek, Michael Krüger, Friedrich Dürrenmatt, Fred Wander, Lukas Bärfuss, Charles Lewinsky ; seuls Jan Costin Wagner (né en 1972), Marcel Beyer (né en 1965), Hans-Ulrich Treichel (né en 1952) et Lukas Bärfuss (né en 1971) appartiennent aux générations nées dans la seconde moitié du XXe siècle. Dans le catalogue d’Adelphi, les auteurs germanophones publiés entre 2005 et 2015 (coll. Biblioteca Adelphi et Fabula) sont : Stefan Zweig, Joseph Roth, Gottfried Benn, Alexander Lernet-Holenia, Robert Walser, W. G. Sebald, Hermann Hesse, Leo Perutz, Hugo Ball, Ingeborg Bachmann, Friedrich Dürrenmatt et Katja Petrowskaja ; seule cette dernière, née en 1970, appartient aux nouvelles générations d’écrivains en langue allemande.

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très ponctuels – comme la publication du roman satirique Lui è tornato [Er ist wieder da, 2012] de Timur Vermes chez Bompiani en 2013 – ou, au contraire, d’opérations éditoriales ciblées et à long terme – comme la publication graduelle des œuvres complètes de W. G. Sebald chez Adelphi. À la fin de cette partie de la thèse, nous verrons comment la stratégie éditoriale que Mondadori adopte pour les ouvrages d’Uwe Timm – négligeant les parutions chez un autre éditeur et l’abandonnant au bout de quatre titres reçus sans enthousiasme par le public – contribue à occulter le nom de l’auteur parmi la multitude de romans publiés annuellement. La faible attention vouée à la production germanophone se manifeste aussi par l’absence fréquente, au sein des rédactions des grandes maisons, de personnel compétent en allemand. En effet, les directeurs des collections de littérature étrangère connaissent généralement bien l’anglais, parfois le français et rarement l’allemand, mais peu de maisons emploient un attaché spécifique, interne à leur équipe, qui puisse se consacrer à cette aire linguistique et participer à la construction d’un projet éditorial. Souvent confiés à des lecteurs externes, les ouvrages issus de l’aire germanophone disposent pour cette raison d’un nombre mineur de voies d’accès par rapport aux livres en anglais ou en français et d’une implication plus faible dans les programmes des publications. Chez Mondadori, le responsable de la littérature étrangère, Luigi Sponzilli, ne connaît pas l’allemand, c’est pourquoi il confie, jusqu’en 2015, ses recherches à une conseillère externe, l’écrivaine Helena Janeczek ; de même pour Andrea Canobbio, responsable de la littérature étrangère chez Einaudi, maison qui garde cependant le germaniste Enrico Ganni dans son équipe d’éditeurs ; Fabio Muzi Falconi, chez Feltrinelli, connaît comme Canobbio la langue française, mais doit également s’en remettre à des lecteurs externes pour les ouvrages en allemand ; chez Bompiani, Elisabetta Sgarbi, qui, en 2003, délaisse le rôle d’editor de littérature italienne et étrangère pour devenir directrice éditoriale, laisse la responsabilité de la production de fiction à Eugenio Lio43. Une exception à cette tendance générale est constituée par les éditions Adelphi : en 1995, Renata Colorni laisse la place de responsable de la littérature allemande à l’auteur et traducteur Roberto Cazzola, qui travaillait jusqu’alors chez Einaudi et reste chez Adelphi jusqu’en 2018. Ce problème se reflète aussi dans le suivi rédactionnel des ouvrages sélectionnés. Comme le témoigne la traductrice Margherita Carbonaro, par exemple, l’absence d’experts de la langue allemande au sein de l’équipe de Feltrinelli l’empêche 43

En 2016, Lio suit Elisabetta Sgarbi dans la nouvelle maison La Nave di Teseo. Sgarbi souligne le rôle important de Lio dans l’introduction de la littérature allemande d’abord chez Bompiani, puis chez La Nave di Teseo : « Bei Bompiani haben wir sehr auf die Belletristik in Deutschland geachtet. Schriftsteller wie Uwe Tellkamp, Arno Geiger, Katharina Hacker, Timur Vermes, um nur einige zu nennen, waren bei Bompiani auch dank der Achtsamkeit unseres Lektors Eugenio Lio, der jetzt Mitbegründer bei La Nave di Teseo ist. Unsere Zusammenarbeit mit Kennern der deutschen Verlagslandschaft wie den Agenten Barbara Griffini oder Marco Vigevani wird auch künftig sehr eng sein. » Bardola, Nicola : « Wir achten sehr auf die Belletristik in Deutschland », Börsenblatt, 22 janvier 2016, www.boersenblatt.net/archiv/1087488.html (26 mars 2022).

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de profiter d’une révision pour ses travaux. À sa demande de soumettre à un réviseur sa traduction d’un recueil d’essais particulièrement ardus de Herta Müller, l’éditeur n’a consenti qu’à faire contrôler deux essais au choix parmi tous ceux contenus dans le volume. Le reste du recueil est donc paru sans révision, l’entière responsabilité du texte reposant sur la seule traductrice44. Il s’agit, par ailleurs, d’une condition typique des langues plus périphériques, maîtrisées uniquement par un petit nombre de spécialistes : leur traduction dépend de l’intérêt personnel de ceux qui s’en occupent directement – lecteurs et traducteurs – et qui occupent souvent des positions marginales dans les maisons d’édition non spécialisées. Bien que les caractéristiques énoncées ci-dessus s’appliquent à plusieurs groupes éditoriaux et maisons généralistes de grandes dimensions, cela n’empêche que chaque catalogue présente des spécificités qui le rendent unique. Que ce soit par la manière dont les ouvrages sont traités ou par les critères adoptés lors de la sélection des titres, on reconnaît tout à fait des tendances particulières à chaque marque éditoriale. Dans les paragraphes qui suivent, nous examinerons quelques cas significatifs ; étant donné que les propriétés de chaque maison se manifestent sous forme différente au cas par cas – tantôt dans le choix des auteurs, tantôt dans la structuration du catalogue, etc. –, ces analyses ne sont pas schématiques, mais présentent au contraire une structure toujours variable, qui rend compte de l’unicité de chaque éditeur.

3.3.4.1 Regards sur les catalogues : « Et ce seraient qui, ces Buddenbrook ? » (Mondadori) À partir de 1999, Mondadori manifeste une volonté de renouvellement du catalogue à travers deux initiatives liées à sa production de prose littéraire : d’un côté, la création de Strade blu, une collection hybride qui mélange des ouvrages de fiction et de non-fiction, et de l’autre, la reprise de la collection phare Scrittori italiani e stranieri (SIS), fondée à la fin des années 1960, mais qui, entre 1986 et 1999, accueille exclusivement des auteurs italiens.45 Ces deux évènements 44

45

Avec ses mots : « Desidererei avere un sostegno maggiore sicuramente sulle mie traduzioni di Herta Müller, questo in ogni caso. Perché comunque sono testi complessi […], avere il conforto di una persona con cui anche parlare in maniera competente di certe scelte che puoi fare o non puoi fare mi manca. Mi costa anche molta più fatica, perché devo controllare quattro volte di più il testo originale. » Cette démarche correspond, d’après Carbonaro, à un changement général des modalités du travail rédactionnel au cours des années 2000 : lorsqu’elle commence sa carrière dans les maisons d’édition italiennes au début des années quatre-vingt-dix, d’abord chez Adelphi, puis chez Mondadori, le soin apporté à chaque traduction aurait été beaucoup plus grand qu’aujourd’hui, où un tel effort serait « totalement inconcevable » (entretien avec Margherita Carbonaro). Entre 1990 et 1999, la collection change son nom et devient Scrittori italiani ; elle redevient Scrittori italiani e stranieri en 1999, lorsqu’elle recommence son activité d’introduction d’auteurs étrangers contemporains.

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marquent l’intention de Mondadori de raviver l’intérêt pour la production littéraire et, en même temps, de revenir à une politique de collection, graduellement abandonnée depuis quelques décennies. En effet, autour des années quatre-vingt, Mondadori avait commencé à promouvoir ses livres et ses auteurs pris individuellement, c’est-à-dire en respectant plutôt une « politique du titre »46 ; en revanche, en ayant recours aux collections, l’éditeur propose des bibliothèques idéales, qui respectent des contraintes différentes selon les cas : l’ouverture au grand public dans Omnibus, le croisement entre la non-fiction et l’écriture littéraire dans Strade blu47, la haute littérature contemporaine dans Scrittori italiani e stranieri. Cependant, ce projet se manifeste de manière très faible si l’on n’observe que l’introduction d’ouvrages allemands : entre 2005 et 2015, seule une traduction de l’allemand paraît dans Omnibus, une autre dans Strade blu48 et seuls huit auteurs germanophones franchissent le seuil de la collection SIS – dont Uwe Timm, avec ses quatre titres publiés, reste l’auteur le plus régulièrement représenté49. Parmi ceux-ci, très peu ont un retentissement important auprès du lectorat : la traduction de Halbschatten (2008), par exemple, qui est la troisième traduction de Timm pour SIS, est tirée à 4000 exemplaires, dont l’éditeur ne vend qu’entre 500 et 700 pendant la première année ; par ailleurs, seuls deux livres traduits de l’allemand sont promus à la collection de poche Oscar Contemporanea pendant la période considérée, à savoir Come mio fratello d’Uwe Timm (2011, pr. éd. 2007 ; Am Beispiel meines Bruders, 2003) et In tempi di luce declinante. Romanzo di una famiglia d’Eugen Ruge (2015, pr. éd. 2013 ; In Zeiten des abnehmenden Lichts. Roman einer Familie, 2011)50. Il semble donc que les traductions de l’allemand, qu’il s’agisse de romans de genre ou de littérature blanche, ne constituent pas un intérêt majeur pour Mondadori. Cette observation, que nous faisons à partir de la liste des publications, est aussi corroborée par les déclarations des collaborateurs, qui se prononcent publiquement à de nombreuses occasions lorsque le colosse éditorial subit une perte 46 47 48 49

50

Gian Carlo Ferretti expose les modalités de cette tendance dans la production mondadorienne entre les années 1980 et le début des années 2000 dans : Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, pp. 336–342. C’est dans cette collection que paraît, en 2006, le best-seller de Roberto Saviano : Gomorra. Viaggio nell’ impero economico e nel sogno di dominio della camorra. En 1999 et en 2001, Strade blu avait déjà accueilli en outre deux traductions de Thomas Brussig, à savoir Eroi come noi et In fondo al viale del sole. Entre 1999 et 2004, Scrittori italiani e stranieri accueille aussit deux romans d’Ingo Schulze (Semplici storie et 33 attimi di felicità : dagli avventurosi appunti di un tedesco a Pietroburgo), et trois titres de John Von Düffel (Noi torniamo sempre all’acqua), Georg Oswald (Quel che conta) et Heinrich Böll (Croce senza amore). Helena Janeczek nous informe que l’ouvrage de Pascal Mercier Treno di notte per Lisbona aurait aussi été l’un des quelques titres allemands ayant connu un vague succès auprès du public ; pour le reste, elle exprime son mécontentement lié aux nombreux titres passés sous silence par les lecteurs : « Gli altri … Schulze : toppato completamente ; Brussig : non pervenuto ; Terézia Mora : catastrofe … » (entretien avec Helena Janeczek).

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de crédibilité. Un cas significatif pour notre étude se vérifie au milieu de la décennie que nous étudions : le changement de direction de Mondadori, passée de Gian Arturo Ferrari à Riccardo Cavallero en 2009, comporte aussi un renouvellement de l’équipe des editors à partir de 2011 qui alimente un débat dans les journaux : suite au licenciement du directeur de Strade blu, Andrea Cane, plusieurs collaborateurs et auteurs de la maison déplorent les conditions du travail culturel au sein de l’entreprise milanaise. À cette occasion, lors d’une interview pour La Repubblica, Cane exprime son regret à l’égard de la baisse de niveau que pourraient entraîner les nouveaux responsables : « Je vous raconte un épisode qui n’est pas que du commérage. Chaque mois on fait dans la maison d’édition des réunions dans lesquelles le groupe opérationnel raconte ce qu’il a vu et fait. Dans l’une des dernières, une consultante éditoriale pour la littérature allemande parle d’un roman et, à un moment donné, elle dit qu’il lui rappelle les Buddenbrook. À ce point, Laura Donnini, avec l’air de quelqu’un qui ne se laisse pas impressionner, exclame : et ce seraient qui, ces Buddenbrook ? Je ne les connais pas. Elle a dit cela devant trente personnes, parmi lesquelles Renata Colorni, qui a récemment traduit le Zauberberg de Thomas Mann. » Cela paraît impossible. C’était peut-être une boutade, Laura Donnini a une grande expérience dans l’édition. « Peut-être. Je ne suis pas scandalisé qu’elle ait pris le poste de Turchetta. Cela fait partie des changements normaux. Je me demande, cependant, le genre de leadership que cette personne, remplissant le rôle de directeur général, peut exercer sur la maison d’édition. »51

Comme le précise le même Cane dans sa déclaration, un tel épisode ne suffit aucunement pour dénoncer tout court la qualité du travail dans Mondadori : il aurait pu s’agir d’une boutade, ou bien d’un moment de distraction, d’une exception rare ; et même s’il était vrai que la directrice générale ne connaissait pas l’ouvrage classique de Thomas Mann, il est aussi vrai qu’un nombre d’experts assistant à la même réunion étaient en mesure de corriger et de compenser cette erreur. Cependant, s’agissant d’un témoignage, le propos de Cane lance un avertissement sur les transformations en cours dans la profession des éditeurs, notamment sur les conditions d’accès au champ, voire aux positions les plus puissantes en son sein : si la connaissance de l’histoire littéraire canonique n’est pas un prérequis fondamental pour diriger la plus grande maison d’édition du pays, cela peut signifier que la production de cette maison répond de plus en plus à des critères extralittéraires – c’est-à-dire hétéronomes – et, dès lors, que les conditions de production de la littérature autonome doivent être recréées ailleurs.

51

Entretien d’Antonio Gnoli avec Andrea Cane : « I segreti di Segrate », La Repubblica, 15 octobre 2011. Pour la querelle autour du licenciement d’Andrea Cane, v. Mastrantonio, Luca : « Raccolta di firme contro Segrate », Corriere della Sera, 8 septembre 2011.

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3.3.4.2 Regards sur les catalogues : la culture italienne frissonne (Einaudi) Au sein du groupe Mondadori, Einaudi fait preuve d’une identité autonome. L’équipe éditoriale est indépendante : à l’époque qui nous intéresse, Andrea Canobbio, responsable de la littérature étrangère, travaille avec Francesco Guglieri, Grazia Giua, Enrico Ganni et Alexia Caizzi pour les collections Supercoralli, Coralli, Frontiere et L’Arcipelago. Les membres de cette équipe sont editors, écrivains, traducteurs de l’anglais et du français, et s’en remettent, pour les ouvrages en langue allemande, à l’expertise de Ganni exclusivement. Einaudi illustre de manière exemplaire les transformations du champ éditorial au cours des dernières décennies. Son positionnement change dès le début des années quatre-vingt-dix, lorsque des difficultés financières l’obligent à inégrer complètement le groupe Mondadori. Née en 1933 autour de Giulio Einaudi, cette maison s’est immédiatement caractérisée par son empreinte fortement politique. Positionnée à gauche, elle devient au fil des années le symbole de l’alignement entre opposition politique et prestige culturel qui a marqué la production intellectuelle en Italie jusqu’à la fin des années quatre-vingt52. Son catalogue inclut aussi bien des essais, accordant une place significative à la réflexion philosophique engagée (Adorno, Benjamin, Sartre, Beauvoir), que des textes littéraires : entre 1946 et 1948 paraissent, entre autres, le premier volume de la Ricerca de Marcel Proust, La Nausea de Jean-Paul Sartre et Le lotte di classe in Francia de Karl Marx53. En ce qui concerne la littérature traduite de l’allemand et du français, Einaudi a su en faire, au milieu du XXe siècle, deux piliers de sa production : depuis les années cinquante et soixante, la maison a été le porte-parole italien de Thomas Mann, Bertolt Brecht, Peter Weiss, Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Raymond Queneau54. À l’époque qui nous intéresse, son catalogue peut donc tabler sur plusieurs auteurs canonisés qui lui garantissent un capital symbolique important. Ce capital est ébranlé par l’intégration d’Einaudi au groupe de Mondadori. Commencée en 1989 avec la création d’Elemond Editori Associati, groupe auquel Einaudi appartient, l’absorption de l’éditeur turinois se conclut en 1994, lorsque Mondadori, qui possède à peu près la moitié du groupe, en rachète la seconde moi52 53 54

V. Sisto, Michele : « Un cambio di paradigma. L’importazione di letteratura tedesca in Italia dopo il 1989 », Annali dell’Istituto storico italo-germanico in Trento, 24 (2008), pp. 481–500, ici p. 485. Pour une histoire détaillée du long parcours de la maison de Giulio Einaudi, v. Mangoni, Luisa : Pensare i libri : la casa editrice Einaudi dagli anni Trenta agli anni Sessanta, Turin, Bollati Boringhieri, 1999. Une analyse comparée du transfert de la littérature allemande chez Einaudi et Feltrinelli se trouve dans : Sisto, « Mutamenti nel campo letterario italiano 1956–1968 ». Au sein de l’équipe d’Einaudi, une figure phare dans la médiation de la littérature française et hispano-américaine fut notoirement Italo Calvino : v. Carini, Sara : « Le ‘cose ispanoamericane’. Italo Calvino lettore editoriale degli scrittori latinoamericani », Rassegna iberistica, 42, 111 (juin 2019), pp. 87–100, où l’auteure souligne par ailleurs le rôle prescriptif de la production littéraire française dans les prises de décision des éditeurs italiens (p. 97).

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tié à son associé, Electa. Les intellectuels italiens redoutent ce passage de propriété : entre les mains d’un groupe qui appartient, en fin de compte, à Silvio Berlusconi, la possibilité d’une solution de continuité pour un éditeur d’opposition et haut de gamme semble très faible. Déjà avant la conclusion de l’affaire, la presse annonçait perplexe que « l’idée que le drapeau du ‘Biscione’ puisse se hisser sur l’Einaudi fait frissonner la moitié de la culture italienne »55 ; puis, une fois l’achat irrévocable, elle exprime son inquiétude concernant les changements que les nouveaux propriétaires pourraient imprimer à la direction éditoriale56. Le directeur Giulio Einaudi se prononce, avant même que le passage à Mondadori ne soit achevé, pour garantir l’intégrité de son éthique éditoriale : « Si [Einaudi] devient entièrement la propriété de Mondadori, j’espère qu’ils ne nous casseront pas trop les pieds en intervenant dans les structures de la maison d’édition. Ce dont je suis certain, c’est que la ligne éditoriale ne changera pas, au moins tant que je serai vivant. »57 La polémique ne s’épuise pas avec l’achèvement du rachat ; bien au contraire, elle évolue dans la « question Mondadori », que nous avons déjà évoquée. Il est indéniable, effectivement, que plusieurs éléments de discontinuité par rapport à l’activité précédente commencent à se manifester, chez Einaudi, au cours des années quatre-vingt-dix. Le catalogue subit une restructuration significative : la collection Struzzi, qui depuis 1970 accueillait des « livres essentiels »58 comme L’uomo senza qualità de Robert Musil et les textes théâtraux de Boris Vian, glisse dans les années 1990 vers le genre des mémoires, si bien que les seuls textes de fiction publiés ici entre 2005 et 2015 sont des rééditions ; les nouveautés, en revanche, sont insérées dans la nouvelle série Coralli, inaugurée en 1993 par son responsable Ernesto Franco, après une interruption de la collection historique qui du55 56

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58

Lonardi, Giorgio  : « L’amico dello Struzzo », La Repubblica, 31  janvier 1992. Le « Biscione », c’est-à-dire le grand serpent, est le symbole du groupe Fininvest, employé dans les médias pour indiquer les propriétés de Berlusconi. V. par exemple : Calabrò, Antonio : « Timori per Einaudi targata Mondadori », La Repubblica, 6 novembre 1994. Les craintes des intellectuels relient l’absorption d’Einaudi à l’emprise de la logique commerciale sur la production littéraire ; puisque ce glissement de la production culturelle vers une logique purement commerciale est un phénomène d’envergure internationale, on comprend le retentissement de la polémique aussi au-delà des frontières italiennes : v. par exemple : Egurbide, Peru : « Polémica en Italia por el paso de la editorial Einaudi al grupo de Berlusconi », El País, 12 novembre 1994. Pasti, Daniela : « Il Companero Giulio », La Repubblica, 25 octobre 1994. Dans la même lignée, les nouveaux propriétaires insistent sur le pluralisme qui caractériserait la politique éditoriale de Mondadori, dont le catalogue contiendrait des auteurs « plus radicaux que chez Einaudi » (Calabrò, « Timori per Einaudi targata Mondadori »). Cette défense, pourtant, ne tient pas compte de la manière dont les auteurs, aussi radicaux qu’ils soient, sont traités, voire peuvent être traités au sein d’une entreprise fondée sur la maximisation des profits : la marge laissée aux produits dont le retour économique est limité – par exemple la poésie ou, dans le cas de la prose, les textes particulièrement ardus ou expérimentaux – ne peut qu’être très réduite ; et la présence de tels produits ne suffit pas à garantir l’application d’une logique spécifique aux biens culturels, mais témoigne d’une attention qui pourrait être occasionnelle, ou d’une simple concession à un espace de la production de plus en plus cerné. Le edizioni Einaudi negli anni 1933–2003, Turin, Einaudi, p. 1058.

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rait depuis 1976 ; le même Franco institue, en 1991, la nouvelle collection Einaudi Contemporanea, qui recueille des essais d’actualité, mais n’est active que jusqu’en 2000 ; en 1992, la maison propose une nouvelle instance de canonisation grâce à une collaboration avec Gallimard, à qui Einaudi emprunte le format (et le nom) de la Bibliothèque de la Pléiade, mais la productivité de cette collection s’arrête aussi rapidement, en 2008, sans entrer en concurrence avec l’autre grande collection de classiques du même groupe, les Meridiani de Mondadori ; en 2002, enfin, l’éditeur inaugure L’Arcipelago, une série qui propose des textes littéraires contemporains de haute qualité et de petit format, toujours au-dessous des deux cents pages. On observe, en général, une inclination vers une production à consommation rapide, notamment dans le choix de textes très courts ou étroitement liés à l’actualité ; au niveau de la production romanesque, la continuité n’est assurée que par Supercoralli, collection active depuis 1948 et véritable indicateur du prestige littéraire chez Einaudi. Mais ce n’est pas seulement la structure du catalogue qui subit des modifications. La proportion des langues traduites varie aussi : tout en s’écartant de la tendance générale du marché (puisque l’anglais ne prédomine pas ostensiblement sur les autres langues traduites), Supercoralli accueille de moins en moins d’auteurs germanophones ; cette présence réduite est d’autant plus frappante que très peu de traductions de l’allemand paraissent aussi dans les autres collections consacrées à la prose contemporaine, si bien que, par exemple, aucun roman issu du domaine germanophone n’est publié dans l’aire consacrée à la littérature étrangère d’Einaudi ni en 2013 ni en 201459. Sans arrêter de publier les titres de ses classiques contemporains, tels Enzensberger et Grass, la maison ne démontre aucune volonté de s’engager dans la construction d’une nouvelle figure emblématique qui puisse incarner son identité : les auteurs traduits, peu nombreux, font l’objet d’un travail très ponctuel, qui souvent cesse après une ou deux publications. C’est le cas, par exemple, de Marcel Beyer, lauréat du prix Georg-Büchner en 2016, dont deux romans seulement ont une traduction italienne : Pipistrelli, publié chez Einaudi en 1997 (aujourd’hui hors catalogue ; Flughunde, 1995), et Forme originarie della paura, paru en 2011 [Kaltenburg, 2008]. Cette stratégie du ballon d’essai nuit à la crédibilité de l’éditeur, parce qu’elle peut être interprétée comme un signe de son manque de confiance dans la valeur à long terme des auteurs qu’il publie et écarte peu après.

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À deux exceptions près : en 2014, Frontiere accueille Il progetto Kraus : saggi, dont l’intérêt consiste, pourtant, majoritairement dans les annotations de Jonathan Franzen, auteur Einaudi depuis les années quatre-vingt-dix ; toujours en 2014 paraît, dans Supercoralli, Un regalo del Führer de Charles Lewinsky, auteur dont un autre roman, La fortuna dei Meijer, était déjà paru en 2008 dans Coralli. Malgré la diminution du nombre d’auteurs allemands publiés chez Einaudi, l’attention vouée à la production germanophone est plus grande que chez Mondadori : entre 2005 et 2015, Supercoralli accueille dix traductions de l’allemand, Coralli trois et L’Arcipelago huit.

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3.3.4.3 Regards sur les catalogues : la production germanophone de Fabula (Adelphi) Pendant qu’Einaudi perd graduellement sa crédibilité, Adelphi, pour sa part, profite d’une aura tout à fait exceptionnelle. Sa collection de littérature contemporaine Fabula, fondée en 1985, constitue une instance de consécration majeure : y accéder signifie acquérir instantanément de la visibilité auprès du public, et du crédit auprès de la critique littéraire. Depuis 1999, sous la direction de Roberto Calasso, écrivain et traducteur de l’allemand, Adelphi a toujours voué une grande attention à la littérature étrangère, et germanophone en particulier, le plus souvent avec un regard tourné vers l’Autriche – publiant entre autres l’œuvre de Thomas Bernhard, de Leo Perutz, de Joseph Roth ou de Stefan Zweig. Calasso s’entoure d’autres experts de la littérature allemande, parmi lesquels Renata Colorni, déjà citée, ainsi que, au début des années quatre-vingt-dix, Helena Janeczek, aujourd’hui écrivaine de renom lauréate du prix Strega. Plus tard, au début du nouveau millénaire, c’est le germaniste Roberto Cazzola qui le côtoie dans ses lectures de littérature allemande. Néanmoins, Calasso maintient un pouvoir décisionnel fort au sein de la maison : c’est à cause de son choix de publier le pamphlet antisémite de Léon Bloy Dagli Ebrei la salvezza [Le salut par les juifs, 1892], en 1994, que les deux consultantes décident de quitter la maison, dont elles ne partagent pas les critères de sélection des textes60. Malgré ce vif intérêt pour la production germanophone, le catalogue adelphien ne laisse pas beaucoup de place aux jeunes auteurs allemands. Exception faite de Petrowskaja, l’écrivain d’expression allemande le plus contemporain61 est Winfried Georg Sebald (1944–2001), dont le parcours éditorial en Italie illustre les procédés typiques de la prestigieuse maison milanaise. Dans la Biblioteca Adelphi, les romans de Sebald côtoient, entre autres, ceux d’Ernst Jünger (1895– 1998), d’Elias Canetti (1905–1994), d’Ingeborg Bachmann (1926–1973) et de Thomas Bernhard (1931–1989), c’est-à-dire d’auteurs dont la carrière littéraire est désormais longue et consacrée. 60

Que l’éloignement de Janeczek de la maison de Calasso soit dû à cette publication nous est confirmé par elle-même lors de notre entretien (Paris, 15 juin 2019) ; Ferrari impute à cette même décision aussi le départ de Renata Colorni (Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, p. 369). La critique italienne a reçu cette publication avec écœurement : v. Segre, Cesare : « Hitler dall’inferno ringrazia », Corriere della Sera, 29 juillet 1994 ; Mengaldo, Pier Vincenzo : « Contro Bloy (e Céline) », Belfagor, L (31 janvier 1995), pp. 99–102. Calasso, quant à lui, défend sa position en présentant son catalogue comme une « œuvre polyphonique, où chaque livre a la fonction d’une voix » : la voix de Bloy, partant, « une voix pénétrante, qui peut blesser », entrerait ainsi en dialogue avec d’autres qui, chez Adelphi, sont « liées en quelque sorte avec l’hébraïsme » (Calasso, Roberto : « Una ferita che dà la conoscenza », Corriere della Sera, 29 juillet 1994) ; le lecteur devrait donc surmonter les « barrières bitumineuses des premiers chapitres du livre » pour « s’empresser » à lire les derniers, où le meilleur Bloy condamnerait l’antisémitisme (Calasso, Roberto : « Bloy, uno scandalo al sole », La Repubblica, 2 août 1994). 61 Selon la date de publication en langue originale de son dernier ouvrage.

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Le premier livre de Sebald dans le catalogue Adelphi est son tout dernier roman, Austerlitz, publié en Allemagne en 2001 et en Italie en 2002 ; Austerlitz est inséré dans Fabula62 et il est suivi en 2003, dans la même collection, par Vertigini [Schwindel. Gefühle, 1990]. Avant cette date, seuls deux titres de Sebald étaient disponibles en italien : Gli anelli di Saturno : un pellegrinaggio in Inghilterra et Gli emigrati [Die Ringe des Saturn. Eine englische Wallfahrt, 1995 ; Die Ausgewanderten, 1992]. Ces deux ouvrages étaient sortis chez Bompiani, dans la série Narratori stranieri, respectivement en 1998 et en 200063. À cette époque, Sebald est déjà consacré à l’international : ayant reçu, entre autres, le Heinrich-Böll-Preis en 1997, il est apprécié en Allemagne grâce à ses essais et chroniques plus qu’à ses romans64 ; en tant que romancier, il est estimé notamment dans l’espace anglophone, peut-être aussi à cause de sa résidence stable en Grande-Bretagne depuis 196665 ; après sa mort soudaine en 2001, la rumeur de sa présence dans la sélection pour le prix Nobel se répand rapidement et contribue à consolider sa réputation de grand intellectuel contemporain ainsi que la croyance dans la valeur du roman qui aurait justifié cette candidature, à savoir Austerlitz66. Pour quelle raison Adelphi acquiert-elle les droits de traduction d’Austerlitz, s’imposant ainsi face à Bompiani ? La mort de Sebald ne joue aucun rôle dans cette décision : comme mentionné, la traduction du roman était déjà en cours avant l’accident mortel de l’auteur. Au moins deux éléments peuvent avoir contribué à ce choix : d’une part, la critique spécialisée italienne avait déjà reçu très positivement les romans précédents67 et, surtout, Austerlitz se révèle un grand succès à l’étranger, notamment dans l’aire anglophone, ce qui est mis en relief sur les rabats de l’édition adelphienne68 ; d’autre part, la poétique de Sebald s’assortit bien 62 63 64

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En 2006, il paraît aussi en édition de poche dans la collection Gli Adelphi. Gli anelli di Saturno avait également été republié en édition de poche en 2001. Ce sont surtout ses thèses sur la guerre aérienne, publiées dans Luftkrieg und Literatur (Hanser, 1999) qui déclenchent un vif débat. Cf. Hage, Volker : « Feuer vom Himmel », Der Spiegel, 12 janvier 1998. V. aussi Hage, Volker : Zeugen der Zerstörung : die Literaten und der Luftkrieg, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 2003. L’appréciation de l’œuvre de Sebald en Allemagne est tardive et commence suite au succès de l’auteur à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, en Angleterre et en France. V. Ritte, Jürgen : Endspiele : Geschichte und Erinnerung bei Walter Kempowski, Dieter Forte und W. G. Sebald, Berlin, Matthes & Seitz, 2009, pp. 140–175. The Observer, par exemple, le mentionne en tant que « one of the most original writers at work in England today » (McCrum, Robert : « The Observer’s books of 1998 », The Observer, 6 décembre 1998) ; le New York Times le considère « perhaps the greatest living novelist » (White, Edmund : « In defense of Sontag », The New York Times, 25 novembre 2001) Cf. Medicus, Thomas : « Leichtfüßiger Schwerarbeiter der Erinnerung », Frankfurter Rundschau, 17 décembre 2001. V. à titre d’exemple Bonifazio, Massimo : « W. G. Sebald o il reticolo ipnotico del romanzo », Alias, 27 octobre 2001. L’auteur y est présenté comme « l’unica apparizione di grande rilievo nella letteratura di lingua tedesca dopo Thomas Bernhard » et Austerlitz comme « il suo unico romanzo in senso classico, subito accolto, dalla Germania agli Stati Uniti all’Inghilterra, come un memorabile evento. » Helena Janeczek explique qu’elle avait signalé Sebald à Calasso après avoir lu avec enthousiasme Die Ausgewanderten ; cependant, l’intérêt de Calasso pour Sebald s’éveillerait seulement lorsque

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à celle qui, bien qu’implicitement, domine dans le catalogue de la maison, à savoir une poétique de la recherche individuelle d’un sens de l’histoire qui passe à travers l’enquête des « vies obscures »69. Le choix de racheter l’œuvre de Sebald à Bompiani représente à la fois un investissement et un pari pour l’éditeur : Adelphi s’engage dans la publication des œuvres complètes de l’auteur allemand, y compris les romans déjà parus chez Bompiani, qui sont réédités sous une couverture Adelphi en 2007 (Gli emigrati) et en 2010 (Gli anelli di Saturno) ; la traduction est toujours confiée à la même germaniste, Ada Vigliani, ce qui renforce la cohérence interne du projet autour de l’écrivain ; les ouvrages sont répartis, selon leur forme, entre les collections Biblioteca Adelphi (Storia naturale della distruzione, Secondo natura, Soggiorno in una casa di campagna), Fabula (Austerlitz, Vertigini, Gli emigrati, Gli anelli di Saturno) et Biblioteca minima (Il passeggiatore solitario, Le Alpi nel mare, Moments musicaux). Les péritextes adelphiens présentent Sebald comme un écrivain du voyage solitaire et de la quête angoissante de soi. Dès la présentation d’Austerlitz, l’éditeur choisit d’accentuer la récurrence de ce leitmotiv (la recherche personnelle, le pèlerinage) au lieu d’interpréter la signification des expédients formels caractérisant l’écriture de l’auteur, qui sont seulement évoqués, tels l’insertion d’images et de photographies dans le corps du roman ou bien la prose musicale et tenaillante, dépourvue de retours à la ligne et de toute structuration en chapitres ou paragraphes. Les publications suivantes confirment cette tendance : dans Vertigini « le thème du voyage domine » et l’écriture aurait pour but de redonner vie à un passé cherché au bout de « parcours intérieurs, aux racines de la mélancolie et du souvenir » ; dans Gli emigrati, Sebald poursuivrait sa recherche « d’amis et de témoins, de journaux intimes, de documents, de coupures de journaux, de photographies, de cartes postales […] nouant comme toujours la parole et l’image photographique dans une investigation qui est aussi une enquête sur son propre déracinement. »70 Le texte des rabats de Gli anelli di Saturno, publié chez Adelphi après sa première parution chez Bompiani, est particulièrement significatif dans ce sens : l’éditeur y souligne qu’il s’agit d’un « voyage solitaire », insérant ainsi ce volume dans le même courant que les autres publications de Sebald ; mais, surtout, il le situe dans le sillage de « la meilleure tradition sebaldienne » et évoque, pour ce faire, les précédents textes de l’auteur (Storia naturale della distruzione, Gli emigrati, Austerliz)71,

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l’éditeur états-unien Jonathan Galassi se consacre à l’auteur allemand (entretien avec Helena Janeczek) – ce qui confirme la centralité croissante des Etats-Unis dans la République mondiale des Lettres. Sontag, Susan : Austerlitz, di W. G. Sebald. Dans : AA. VV., Adelphiana 1963–2013, Milan, Adelphi, 2013, p. 597. Rabats de W. G. Sebald, Gli emigrati, trad. Ada Vigliani, Milan, Adelphi, 2007. Ce qui, par ailleurs, avait déjà été fait, quoiqu’un peu moins explicitement, sur les rabats de Secondo natura, où la cohésion de l’œuvre entière de Sebald est évoquée, puisque « i passeggiatori e gli emigrati dei romanzi e dei racconti sono già tutti qui prefigurati […] ».

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instituant et confirmant à la fois son statut de nouveau classique72. Nous voyons, à travers ce cas exemplaire, que la maison milanaise exerce un pouvoir de consécration important non seulement grâce à la richesse de son catalogue, mais aussi à une politique d’auteur qui prévoit un programme de (re)publications régulières et cohérentes, confiées à des spécialistes et présentées, à travers les péritextes, de sorte à fournir une image claire et univoque de l’écrivain et de son œuvre.

3.3.4.4 Regards sur les catalogues : des cas éditoriaux (Bompiani) « Intelligente, cultivée, moderne et cosmopolite » : c’est ainsi que l’expert en histoire de l’édition italienne Gian Carlo Ferretti décrit la production littéraire de Bompiani, dont la collection phare est sans doute Letteraria, fondée aux débuts de la maison dans les années 193073. Le catalogue de cet éditeur historique contient en effet un grand nombre d’auteurs canoniques, que ce soient des écrivains italiens ou étrangers ; et certainement plusieurs auteurs de renom international ont été lancés chez Bompiani au cours des dernières décennies aussi, comme le Brésilien Paulo Coelho et l’Anglais Hanif Kureishi. C’est parce que, à ses débuts, Bompiani avait été l’un des protagonistes du « boom des traductions » en italien, qui a favorisé l’introduction d’un grand nombre d’écrivains étrangers, y compris beaucoup d’Allemands74. Cependant, en regardant de près les traductions de l’allemand à partir de 2005, on observe une rupture avec cette tradition de recourir aux traductions pour accumuler du capital spécifique75. Au contraire, le catalogue démontre une tendance claire et univoque de la part de l’éditeur à publier des ouvrages isolés, de potentiels best-sellers d’auteurs contemporains à leurs débuts, souvent lauréats du prix littéraire le plus médiatisé en Allemagne, le Deutscher Buchpreis76. Ferretti lui-même reconnaît également cette évolution dans la stratégie de Bompiani et la décrit 72

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L’adoption d’une photographie personnelle de Sebald pour la couverture du livre, qui montre l’auteur en route, sac au dos, et qui élève son image au rang d’icône, peut corroborer cette hypothèse. Cependant, puisque la même image est aussi employée par l’éditeur Eichborn, il est possible que le choix soit dû à un accord d’Adelphi avec la maison allemande. Ferretti/Iannuzzi, Storie di uomini e libri, p. 49. À partir de 1999, le catalogue OPAC ne présente plus la collection Letteraria, mais attribue les nouveautés littéraires de Bompiani à deux collections distinctes, Narratori italiani et Narratori stranieri. V. les contributions d’Anna Baldini, Irene Piazzoni et Michele Sisto dans le recueil d’Anna Ferrando (dir.) : Stranieri all’ombra del duce. Le traduzioni durante il fascismo, Milan, Franco Angeli, 2019. Pour la notion du « boom des traductions » en Italie dans les années trente, v. Rundle, Christopher : Publishing Translations in Fascist Italy, Oxford, Peter Lang, 2010. Sisto, Michele : « I ‘tedeschi’ di Bompiani. Sul posizionamento delle collane di narrativa straniera nel campo editoriale intorno al 1930 », dans Ferrando (dir.), Stranieri all’ombra del duce. Nous avons déjà vu que Heribert Tommek considère cette nouvelle instance de légitimation, née en 2005 et cofinancée par des partenaires issus des milieux du journalisme et de l’économie, comme vouée à identifier les romans « à succès » (« Erfolgsbücher ») sur un marché littéraire « der

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comme une « politique du débutant […] dans la logique d’une interchangeabilité et d’un nomadisme de plus en plus vastes et constants, d’une absence complète du discours de collection et de tendance […] »77. Or si cette politique est latente dans l’activité générale de la maison, elle est tout à fait flagrante dans son usage de la littérature en langue allemande. Nous avons expliqué que la publication d’auteurs germanophones des générations plus jeunes constitue une spécificité de Bompiani, surtout si l’on compare son catalogue aux autres maisons appartenant à de grands groupes comme Einaudi, Mondadori, Adelphi. En effet, sur les neuf auteurs publiés pendant la décennie 2005–2015, seul Joseph Zoderer est né dans la première moitié du XXe siècle, les autres étant nés entre 1958 et 197878. L’attention accordée à la production la plus récente semble cependant être moins liée à une recherche de tendances littéraires novatrices qu’à l’empressement d’exploiter aussi en Italie le succès des dernières parutions à l’étranger. Il saute aux yeux, en effet, que les éditeurs de Bompiani sélectionnent les ouvrages de Geiger, Hacker et Tellkamp lauréats du Deutscher Buchpreis79, ainsi que des best-sellers comme April in Paris de Michael Wallner (2006), Lui è tornato de Timur Vermes et Latte di tigre de Stefanie de Velasco (Tigermilch, 2013) – les deux derniers suivis, par ailleurs, d’adaptations cinématographiques respectivement en 2015 et 2017.

3.3.4.5 Regards sur les catalogues : un « dominé parmi les dominants » (Feltrinelli) Énonçant ses propriétés, Bourdieu décrit le champ intellectuel comme un lieu des « dominés parmi les dominants », relativement assujetti au champ du pouvoir et, en même temps, réglé par des normes spécifiques qui établissent une hiérarchie interne et autonome par « des signes de reconnaissance et des gratifications souvent insaisissables pour qui n’est pas membre de l’univers mais pour lesquelles on donne prise à toutes sortes de contraintes et de censures subtiles. »80 Il s’agit, selon le sociologue, d’un espace aux frontières perméables et peu codifiées, capable d’offrir à ceux qui y entrent le rôle « d’intermédiaire[s] entre le monde de l’art et

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für die Aufhebung der Unterscheidung zwischen E- und U-Kultur eintritt » (Tommek, Der lange Weg in die Gegenwartsliteratur, pp. 296–298). Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, p. 351. Les auteurs germanophones publiés chez Bompiani entre 2005 et 2015 sont : Joseph Zoderer (1935), Michael Wallner (1958), Katharina Hacker (1967), Timur Vermes (1967), Arno Geiger (1968), Uwe Tellkamp (1968), Robert Löhr (1973), Leonie Swann (1975) et Stefanie de Velasco (1978). Hacker, Katharina : Gli spiantati, trad. Francesca Gabelli, 2007 ; Geiger, Arno : Va tutto bene, trad. Giovanna Agabio, 2008 ; Tellkamp, Uwe : La torre, trad. Francesca Gabelli, 2010. Bourdieu, Pierre : Questions de sociologie, Paris, Minuit, 2002 [1980], p. 70. Pour ce qui concerne spécifiquement le champ littéraire, v. Bourdieu, « Le Champ littéraire ».

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le monde de l’argent. »81 Ce « double statut » présente l’avantage de l’ambiguïté : « tous ceux qui possèdent toutes les propriétés des dominants moins une »82 sont, en quelque sorte, moins contraints que les dominants tout court, ils jouissent donc d’une plus grande liberté et sont simultanément plus puissants que les véritables dominés. Feltrinelli, nous l’avons vu, se crée une position de ce genre dans le champ éditorial italien : depuis 2005, le groupe Effe constitue une grande entreprise commerciale, qui étend graduellement son activité aux librairies et à la restauration ; en même temps, Feltrinelli demeure, parmi les grands généralistes, une des maisons les plus jeunes et les plus engagées dans la production de littérature haut de gamme. Au sein du champ italien, donc, les éditions Feltrinelli sont un exemple de » dominé parmi les dominants », dans la mesure où elles jouissent de tous les avantages des grands groupes – contrôle de la chaîne de production et distribution, capital économique imposant, visibilité assurée en librairie – et qu’elles cultivent soigneusement une image d’éditeur de culture. Nous avons déjà illustré, à ce propos, comment le projet de la collection Indies visait à associer le nom de Feltrinelli à la production littéraire indépendante, tout en soulignant sa prédominance sur le marché par rapport aux petits éditeurs avec lesquels il coopère. Mais ce n’est pas l’unique initiative utilisée par la maison milanaise pour manifester son désir de maintenir une position ambiguë au sein du champ éditorial. La stratégie qu’elle adopte dans la sélection des titres destinés à sa collection littéraire phare, I Narratori, se distingue aussi bien des cycles de production rapide de Mondadori que de la politique d’auteur adelphienne. I Narratori est la seule collection, parmi les catalogues des grands groupes éditoriaux, où le nombre d’ouvrages contemporains traduits de l’allemand dépasse le nombre des traductions du français83 ; elle est aussi la seule où l’on reconnaît un travail de suivi de plusieurs écrivains jeunes, appartenant aux générations post-1950 ; enfin, elle renonce souvent à représenter ses auteurs de façon exclusive et opte plutôt pour une sélection de leurs ouvrages, se répartissant ainsi leurs œuvres avec d’autres maisons, souvent de dimensions plus réduites. En ce qui concerne la littérature allemande, Feltrinelli suit plusieurs pistes à la fois, qui incarnent une solution de continuité et peuvent être ramenées à trois catégories distinctes. Tout d’abord, avec les ouvrages de Daniel Kehlmann, Ingo Schulze et Christoph Ransmayr, il propose trois auteurs contemporains, différents les uns des autres et pourtant proches dans leur réécriture de l’histoire et leur goût pour la forme narrative brève insérée dans une structure romanesque ; ensuite, il mise sur une auteure de renom international, Herta Müller, à partir de son ob81 Bourdieu, « Le Champ littéraire ». 82 Ibid. 83 Pendant la période considérée : entre 2005 et 2015, seize titres sont traduits du français (pour un total de dix auteurs), alors que vingt-trois sont traduits de l’allemand (pour un total de sept auteurs).

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tention du prix Nobel en 200984 ; enfin, il cultive une filière grand public avec les ouvrages sentimentaux de Daniel Glattauer et de Nicolas Barreau, dont huit titres paraissent dans la seule décennie qui nous intéresse. Ces trois « âmes » de la production germanophone chez Feltrinelli montrent bien l’ouverture du catalogue, qui s’adresse aussi bien aux lecteurs de romans commerciaux qu’aux connaisseurs de l’histoire allemande plus récente ; en outre, les parcours de certains de ses auteurs, comme Kehlmann, Schulze et Müller, mettent en lumière la tendance de l’éditeur à jouer sur plusieurs fronts à la fois et à participer à la construction d’une image d’auteur avec d’autres maisons85. Prenons l’exemple emblématique d’Ingo Schulze, un auteur qui a surtout été soutenu, au sein de la maison milanaise, par la présidente Inge Feltrinelli86. Schulze débarque en Italie à la fin des années quatre-vingt-dix, dans Scrittori italiani e stranieri de Mondadori, avec Semplici storie (1999) [Simple Storys. Ein Roman aus der ostdeutschen Provinz, 1998] et 33 attimi di felicità : dagli avventurosi appunti di un tedesco a Pietroburgo (2001) [33 Augenblicke des Glücks : Aus den abenteuerlichen Aufzeichnungen der Deutschen in Piter, 1995]. D’emblée, la critique académique et militante87 s’intéresse à lui : il est interviewé par Anna Chiarloni pour L’Indice dei libri del mese en octobre 199988 ; il est invité à la première édition du 84 Un an après l’attribution du prix, en 2010, trois traductions de Herta Müller sortent pour la collection Narratori de Feltrinelli : L’altalena del respiro, Oggi avrei preferito non incontrarmi (tous deux dans la traduction de Margherita Carbonaro) et Bassure (traduit par Fabrizio Rondolino et revu par Margherita Carbonaro, pr. éd. Editori Riuniti, coll. I David, 1987). 85 L’œuvre de Kehlmann, par exemple, est publiée alternativement chez Feltrinelli et Voland entre 2005 et 2015 : le premier publie La misura del mondo (2006), È tutta una finzione (2007), Fama : romanzo in nove storie (2010) et I fratelli Friedland (2015) ; le second publie Io e Kaminski (2006), Sotto il sole (2008) et Il tempo di Mahler (2012). Il ne s’agit pas d’un cas isolé : l’œuvre de l’auteur espagnol Enrique Vila-Matas connaît une répartition semblable entre les catalogues de Feltrinelli et Voland. L’œuvre de Herta Müller, en revanche, est partagée entre plusieurs maisons – comme c’est par ailleurs souvent le cas pour les écrivains ayant obtenu la reconnaissance majeure du Nobel : elle paraît, entre autres, chez Marsilio, Keller, Sellerio, Feltrinelli et Transeuropa. 86 Cette information nous a été fournie par Barbara Griffini. 87 Tout au long de ce travail, nous faisons référence à différentes catégories de lecteurs : le « grand public », la « critique académique », la « critique militante », et ainsi de suite. En réalité, de telles catégories englobent des groupes hétérogènes, mais que nous pouvons situer schématiquement dans des sections spécifiques du champ littéraire. Ainsi, nous plaçons la critique « académique » et la critique « militante » au pôle autonome du champ, mais l’une se caractérise par son appartenance au milieu universitaire et, dès lors, par son intérêt principalement scientifique, alors que l’autre se distingue par sa volonté, souvent explicite, de faire prévaloir une certaine vision de la littérature et du travail culturel ; inversement, nous plaçons la critique « généraliste » des journaux nationaux au pôle de production de masse, et la différencions de la critique journalistique « régionale » par sa sphère d’influence bien moindre. La valeur heuristique de cette différenciation se manifeste, nous le verrons dans nos études de cas, lors de l’analyse de la réception critique des ouvrages : la mise en valeur d’un auteur auprès d’un certain regroupement de la critique correspond à une accumulation du capital qui est valable dans sa section spécifique du champ. 88 Chiarloni, Anna : « Io quella notte ero andato a dormire », L’Indice dei libri del mese, octobre 1999, 10, p. 6 

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Séminaire International du Roman de l’Université de Trento en 2006/200789 ; il est cité parmi les auteurs consacrées de la littérature internationale des années 1990 par Raffaele Donnarumma dans un article pour Allegoria de 200890. C’est pour cette raison qu’au moment où Feltrinelli acquiert les droits de traduction de son roman Vite nuove91 [Neue Leben. Die Jugend Enrico Türmers in Briefen und Prosa, 2005], il n’a pas besoin de construire de zéro l’image de l’auteur : il lui suffit, effectivement, de la consolider. Il s’y attelle en confiant la traduction à une personnalité reconnue dans le monde universitaire, le germaniste Fabrizio Cambi, et en insérant le texte dans sa collection phare. À partir de l’année suivante, il commence à republier les textes parus chez Mondadori : Semplici storie sort en édition de poche en 200892 et 33 attimi di felicità en 2011 ; ce geste, qui révèle l’engagement envers l’œuvre de l’auteur, ne s’accompagne pas pour autant d’une nouvelle traduction. Dans Narratori paraissent ensuite, à un rythme presque annuel, les titres successifs de Schulze : Bolero berlinese [Handy. Dreizehn Geschichten in alter Manier, 200]) en 2008, Adam e Evelyn en 2009, Arance e angeli : bozzetti italiani [Orangen und Engel. Italienische Skizzen, 2010] en 201193. Ceux-ci sont traduits par un autre universitaire, Stefano Zangrando, qui se charge de présenter l’auteur au public italien : sans se limiter à la traduction de ses romans, il l’interviewe et publie aussi ses interventions sur les pages culturelles en ligne doppiozero et Nazione Indiana94. C’est notamment avec Nazione Indiana que Feltrinelli partage la publication du livre paru en 2011. Le parcours éditorial d’Arance e angeli se divise en effet en trois étapes : le livre est publié une première fois en 2009, avec le texte original en regard, sous le titre Orangen und Engel/Angeli e arance, en collaboration avec Vil-

89 V. les programmes annuels du séminaire à la page : r.unitn.it/it/lett/sir (dernière visite le 19 octobre 2019). 90 Donnarumma, Raffaele : « Nuovi realismi e persistenze postmoderne : narratori italiani di oggi », Allegoria, 57 (2008), pp. 26–54. 91 Le titre complet du livre, publié en 2007, est Vite nuove : la giovinezza di Enrico Türmer in lettere e in prosa, curate, commentate e corredate da una prefazione di Ingo Schulze (pr. éd. Neue Leben. Roman. Die Jugend Enrico Türmers in Briefen und Prosa. Herausgegeben und mit einem Vorwort versehen von Ingo Schulze, Berlin, Berlin Verlag, 2005). 92 Une sélection est publiée pour la vente liée au journal La Domenica del Sole 24 Ore : sous le titre Zeus e altre semplici storie, les nouvelles sont insérées dans la série Racconti d’autore en 2011. 93 Pr. éd. Handy : dreizehn Geschichten in alter Manier, Berlin, Berlin Verlag, 2007 ; Adam und Evelyn, Berlin, Berlin Verlag, 2008 ; Orangen und Engel : italienische Skizzen, Berlin, Berlin Verlag, 2010. En 2013, Feltrinelli publie aussi, exclusivement en version numérique, le texte court I  nostri bei vestiti nuovi, trad. Stefano Zangrando (pr. éd. Unsere schönen neuen Kleider. Gegen eine marktkonforme Demokratie – für demokratiekonforme Märkte, Berlin, Hanser, 2012). 94 Cf. Zangrando, Stefano : « Intervista a Ingo Schulze », Doppiozero, 24 mai 2011, www.doppiozero.com/dossier/disunita-italiana/intervista-ingo-schulze ; Schulze, Ingo : « Viviamo di rimozione », Nazione Indiana, 11 novembre 2015, www.nazioneindiana.com/2015/11/11/anteprimasud-anni-ottanta (26 mars 2022).

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la Massimo95 ; puis, en 2010, un extrait du recueil est publié dans Murene, la collection expérimentale du blog Nazione Indiana, traduit par Valentina Di Rosa et Stefano Zangrando, sous le titre L’angelo, le arance e il polipo96 ; enfin, en 2011, le livre est publié, dans sa version intégrale, dans Narratori. Alors que la première publication s’adresse exclusivement à un public académique, et que la deuxième tient lieu de teaser pour les lecteurs de la critique spécialisée et militante, l’édition de Feltrinelli se propose de présenter Schulze au grand public. Il s’agit donc, encore une fois, d’une stratégie semblable à celle qui avait été adoptée avec Indies : l’éditeur opère sur deux fronts et confère à ses auteurs une grande visibilité, grâce à sa présence imposante sur le marché, ainsi qu’une légitimation spécifique, grâce à la collaboration de protagonistes « désintéressés » du pôle autonome.

3.3.5 Les éditeurs généralistes : maisons indépendantes Le cas de figure des maisons indépendantes est encore différent. Ici, les incursions dans la littérature germanophone tendent à être épisodiques, mais choisies ad hoc : des éditeurs qui piochent habituellement dans la production italienne ou anglophone ne renoncent pas à traduire des auteurs allemands s’ils s’intègrent dans leur projet éditorial. Ainsi, par exemple, Marcos y Marcos publie avec constance les romans pulp de Jakob Arjouni ; Fanucci traduit plusieurs ouvrages de science-fiction d’Andreas Eschbach ; et ainsi de suite. Au début des années vingt, Hugo von Hofmannsthal écrivait : « les éditeurs de belles lettres qui ont une physionomie et qui jouent un rôle dans la vie spirituelle de la nation […] sont aussi différents entre eux que le sont, probablement, les visages des individus qui se trouvent derrière. »97 Avec ces mots, il louait les 95

Il s’agit d’une publication qui fait suite au séjour de l’auteur à la Villa Massimo en 2007 ; le volume fait partie de la collection Neapolitanische Lesungen et paraît dans les éditions de la librairie napolitaine Dante & Descartes ; il est traduit par Monica Lumachi et Camilla Miglio et il est accompagné par la poésie heilige aus heslach/Santi da Heslach de Ulf Stolterfoht, qui a également séjourné à la Villa en 2007. 96 Cf. Zangrando, Stefano : « Murene, il secondo volume : Ingo Schulze, ‘L’angelo, le arance e il polipo’ », Nazione Indiana, 29 novembre 2010, www.nazioneindiana.com/2010/11/29/mureneil-secondo-volume-ingo-schulze-langelo-le-arance-e-il-polipo (26 mars 2022). 97 Voici l’extrait en langue originale : « Ich rede dabei von der sogenannten schönen Literatur, nicht eigentlich von der gelehrten, obwohl diese beiden ja ineinander überfließen, und ich rede von den sechs oder zehn schöngeistigen Verlägen [sic], die eine Physiognomie haben und im geistigen Leben der Nation eine Rolle spielen. Diese sind freilich unter sich so verschieden, wie vermutlich die Gesichter der Individuen, die hinter ihnen stehen » (Hofmannsthal, Hugo von : « Bibliotheca Mundi », Neue Freie Presse, Wien, 15 février 1921). Dans la suite de l’article, Hofmannsthal dénonce les éditeurs qui, au lieu de poursuivre un idéal par leur activité, ne font que suivre les modes dans un intérêt purement commercial : « Einzelne von den Verlägen [sic], die immerhin mitzählen oder lange mitzählen schienen, haben, als der Wind der geistigen Moden von Halbjahr zu Halbjahr umschlug, jeden Wind in ihre Segel haben wollen ; sie haben zu viel

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vertus des éditeurs qui, au lieu de se plier aux modes sans contrainte, se proposaient de poursuivre un idéal sous forme d’un projet culturel/spirituel (« geistig »). De la même manière, pendant la période que nous considérons, les personnalités des éditeurs des maisons culturelles de dimensions plus réduites se reconnaissent plus aisément derrière leurs catalogues que les responsables des grands groupes : c’est qu’ils peuvent, voire doivent opérer des choix moins « commerciaux », d’un côté parce que, souvent, ils ne peuvent pas entrer en concurrence avec les grands groupes lors des ventes aux enchères des droits pour les best-sellers internationaux, de l’autre parce que leurs structures moins articulées exigent aussi des revenus moins élevés. En outre, les maisons indépendantes de taille plus réduite sont gérées par des équipes qui comptent rarement plus d’une dizaine de personnes : dans ce type d’entreprise, contrairement aux structures dotées d’un très grand nombre d’employés, les rôles des salariés s’avèrent plus fluides et la communication plus aisée, ce qui permet d’imprimer un caractère fort aux produits et favorise un suivi plus attentionné pour chaque livre, de sa sélection jusqu’à sa présentation aux distributeurs, en passant par les services de rédaction et de presse. Enfin, ce soin est aussi facilité par le nombre réduit de publications annuelles : ainsi, les dernières parutions risquent moins de « se perdre » parmi des centaines de nouveautés et le choix des titres phare de chaque saison nuit moins à la visibilité des autres livres édités. Ces arguments n’impliquent aucunement que les maisons indépendantes ne chercheraient pas à atteindre un public vaste et à vendre autant d’exemplaires que possible. Au contraire, elles ont, comme toute entreprise, un intérêt commercial, qu’elles défendent avec les instruments à leur disposition ; et il est clair à tout éditeur, pour grand ou petit qu’il soit, qu’un livre publié qui n’atteind pas ses lecteurs représente un échec pour son auteur comme pour la maison qui l’a produit. Néanmoins, ce qui semble changer par rapport aux groupes est la proportion de cet intérêt commercial par rapport à l’intérêt strictement culturel et littéraire – nous revenons donc aux deux « âmes » de l’activité éditoriale –, puisque la répartition entre les deux est ici beaucoup plus équilibrée. Les choix des éditeurs indépendants ressemblent moins à des « ballons d’essai », dont le seuil de rentabilité98 doit être atteint aussitôt que possible, qu’à des pierres dans la construction d’un grand ensemble, cohérente et reconnaissable. « Le véritable break-even se fait année après année », nous explique Daniela di Sora, directrice des éditions Voland : mis à part

und zu vielerlei herausgebracht und dadurch ganz fühlbar ihren Kredit beim Publikum verspielt. Denn das Publikum unterscheidet ; in seinen breiten ordentlichen Schichten hat es einen unbeirrbaren Hang nach dem Soliden ; es will geführt werden, und fühlt gut heraus, wo ein ernstes, unaffektiertes Gehaben dahinter ist und wo eine geistige Tuerei oder wo das Kaufmännische, im neueren häßlichen Sinn, das Marktschreierische und das Aufpeitschen der Mode den Ausschlag gibt. » 98 On appelle break-even, ou seuil de rentabilité, le moment où les revenus couvrent les dépenses.

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le cas des best-sellers, c’est le catalogue entier, et non pas les livres pris individuellement, qui remboursent les dépenses de la maison et assurent son existence99. Or la littérature allemande, nous l’avons déjà remarqué, est moins présente que la littérature française dans les catalogues généralistes ; cela vaut pour les groupes comme pour les maisons indépendantes. Nous observerons donc dans les paragraphes suivants la production de trois maisons qui, tout en proposant parfois un nombre réduit de traductions de l’allemand, se distinguent par la régularité et la cohérence de ces publications à l’intérieur de leurs catalogues : il s’agit notamment, par ordre de taille décroissant, de Sellerio, Neri Pozza et Del Vecchio.

3.3.5.1 Regards sur les catalogues : polar, roman historique et recherche (Sellerio, Neri Pozza, Del Vecchio) Sellerio est née en 1969 à Palerme autour d’Enzo et d’Elvira Sellerio ainsi que de l’écrivain Leonardo Sciascia ; à ses débuts, la maison se consacre en grande partie à la production romanesque et aux problématiques régionales siciliennes. Au fil des années, elle obtient de plus en plus de visibilité et élargit le champ de ses intérêts : elle publie son premier best-seller en 1978 (L’affaire Moro de Sciascia), signe à partir de ce moment un contrat avec la grande distribution nationale (Messaggerie), se lie ensuite avec l’auteur Andrea Camilleri, qui devient dans les années quatre-vingt-dix un véritable phénomène éditorial, et s’ouvre de plus en plus à la littérature internationale, tout en respectant toujours une politique de collection. La série phare de la maison est La memoria, née en 1979 et destinée aussi bien aux « repêchages » de classiques oubliés qu’à des auteurs contemporains italiens et étrangers100 ; à celle-ci s’ajoute, en 2003, la collection mineure Il contesto, qui accueille également des romans internationaux en édition de poche. Entre 2005 et 2015, Sellerio publie treize traductions de l’allemand dans ces deux collections. Dans plusieurs cas, il s’agit de « repêchages » : les traductions choisies de Hans Fallada, Vicki Baum et Franz Zeise étaient déjà parus chez d’autres éditeurs dans les années trente et quarante, et la maison sicilienne se contente de les reproposer et de les revaloriser par l’insertion dans La memoria ainsi que, dans certains cas, par l’édition savante du germaniste Mario Rubino. À côté de ces volumes, Sellerio publie également, à partir de 2009, trois ouvrages de Herta Müller, faisant donc écho à sa consécration par le prix Nobel ; à partir de 2010, il commence en outre à publier l’œuvre de l’auteur suisse Martin Suter, déjà parue en partie chez Feltrinelli et dont les ambiances s’adaptent idéalement à la tradition du polar au héros charismatique chez l’éditeur de Palerme. Sellerio récupère notamment le roman Com’è piccolo il mondo ! [Small World, 1997], traduit pour la première fois en 1999, et s’engage ensuite dans la publication de la trilogie de Suter au99 Entretien avec Daniela di Sora. 100 Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, pp. 396–399.

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tour du personnage de Johann Friedrich von Allmen. La même tradition policière est perpétuée dans les choix de l’éditeur pour Il contesto, qui accueille encore un roman de Suter et un thriller de l’écrivain Alain Claude Sulzer, lui aussi suisse. Neri Pozza, fondée en 1945, naît aussi, comme Sellerio, avec un fort ancrage régional, dans ce cas au nord de l’Italie, dans la ville de Vicence ; par la suite, elle évolue graduellement en élargissant ses intérêts jusqu’à offrir aujourd’hui un catalogue qui contient littérature et non-fiction, auteurs italiens et étrangers, classiques et contemporains. Nous l’incluons parmi les maisons indépendantes bien qu’elle fasse partie, depuis les années quatre-vingt, du groupe Athesis ; c’est parce que cette appartenance n’empêche pas que les conditions de production se distinguent de celles communes aux grands groupes : la maison ne contrôle ni la promotion ni la distribution de ses produits, elle ne côtoie aucun autre éditeur dans le même groupe – qui possède une série de revues et journaux souvent régionaux –, et sa production annuelle, quoique riche, ne dépasse normalement pas la centaine de nouveautés. Dans les années 2000, la production littéraire de Neri Pozza se concentre dans les collections Biblioteca Neri Pozza, consacrée principalement aux classiques en édition de poche, I narratori delle tavole, collection phare pour la production contemporaine italienne et étrangère, et Neri Pozza Bloom, qui s’ouvre aussi à la non-fiction. À part le repêchage d’une traduction de Siegfried Lenz, Lezioni di tedesco, déjà parue chez Mondadori en 1973, I narratori delle tavole contient pour la plupart des romans historiques contemporains, avec lesquels les sept traductions de l’allemand entre 2005 et 2015 sont en parfaite harmonie. Une attention particulière, parmi ceux-ci, est vouée à la série La figlia del boia [Die Henkerstochter, 2008] d’Oliver Pötzsch. De son côté, la collection Bloom inclut, dans une vaste majorité de traductions de l’anglais, deux ouvrages de l’auteure allemande Karen Duve : Taxi (2010) et Il giorno in cui decisi di diventare una persona migliore. Un esperimento su se stessi (2012) [Taxi, 2008 ; Anständig essen : Ein Selbstversuch, 2010]. Le premier est un roman, le second un essai, et, puisque tous les deux sont basés sur l’expérience de l’auteure, ils intègrent le projet hybride de la collection, qui relie l’expression littéraire à la velléité biographique-documentaire. Del Vecchio est une maison fondée en 2007 par Pietro Del Vecchio et consacrée principalement à la littérature moderne et contemporaine, italienne ainsi qu’étrangère. L’équipe de Del Vecchio n’atteint pas la dizaine de personnes et la production ne dépasse jamais les quinze titres par an, ce qui permet aux responsables de la maison de suivre personnellement le parcours de chaque ouvrage publié, de la révision du texte aux éventuels tournées promotionnelles des auteurs. C’est la chercheuse et enseignante de littérature allemande Paola del Zoppo qui est chargée de la littérature étrangère, après avoir entamé son activité au sein de la maison en effectuant la révision des traductions de l’anglais. Au fil des années, elle assume une responsabilité de plus en plus importante jusqu’à diriger d’abord la collection de poésie, puis la littérature étrangère. Depuis 2012, Del Zoppo dirige la maison d’édition et s’occupe de sélectionner les titres à traduire, en se ba-

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sant sur ses recherches personnelles ainsi que sur les conseils des traducteurs qui collaborent avec la maison. Le catalogue voit sa structure se modifier considérablement à partir du changement de direction. Avant 2012, des domaines étaient consacrés au roman noir, à la poésie et aux productions littéraires française et allemande. À partir de 2012, ces catégories sont abandonnées et le catalogue se structure en trois collections distinguées seulement selon la forme des ouvrages : les romans sont regroupés dans formelunghe, la prose brève dans tous ses états dans formebrevi (nouvelle, micro-récit, non-fiction, formes fragmentaires, entre autres) et les textes en vers dans poesia. L’attention dédiée à la production en français et en allemand, notamment grâce à la formation de Del Zoppo en littérature comparée, en traduction et à ses compétences linguistiques, demeure beaucoup plus vive qu’ailleurs : entre 2007 et 2015, la maison publie quinze romans traduits de l’allemand (pour un total de huit auteurs) et quatorze du français (pour un total de dix auteurs). L’objectif déclaré d’une telle structuration est de renoncer à toute considération de genre, thématique et provenance géographique au profit d’une ouverture qui soit toujours dépaysante pour le public : les choix de Del Vecchio reflètent ainsi la volonté de chercher tout ce qui n’est pas encore disponible sur le marché et de toujours bousculer les attentes des lecteurs. « Si la littérature allemande est considérée comme lourde, alors nous choisissons quelque chose de léger » : pour rompre avec les idées reçues sur une production germanophone prétendument difficile et inaccessible, par exemple, l’éditeur propose deux romans de Tilman Rammstedt ainsi qu’une trilogie policière de l’inspecteur Kajetan par Robert Hültner101. En même temps, sans vouloir « réduire » la littérature allemande à une production d’évasion, Del Vecchio publie aussi les ouvrages plus exigeants de Sibylle Lewitscharoff, récupère le premier ouvrage de Max Frisch qui n’avait pas encore de traduction italienne, se consacre à la publication intégrale des poésies de Hilde Domin, et obtient, grâce aux publications passées des récits et poésies de Lutz Seiler, les droits de traduction du vainqueur du Deutscher Buchpreis en 2014, Kruso.102 Ainsi, au lieu de fournir une image univoque de la production allemande (ou française, ou autres), l’éditeur envisage de « propos[er] aux lecteurs des livres qui les défient, qui ne les rassurent pas. »103

101 Entretien avec Paola Del Zoppo. 102 V. à ce propos les déclarations de Del Vecchio dans un entretien pour le blog culturel senzaudio, avec lequel l’éditeur collabore fréquemment. À cette occasion, Del Vecchio explique : « La casa editrice tedesca di Seiler, Suhrkamp, con cui abbiamo lavorato per i titoli precedenti dell’autore, e i suoi agenti italiani, Berla&Griffini, hanno cercato di privilegiare i nostri punti di forza, anche a discapito di offerte economiche ben più consistenti : la cura dell’edizione, della traduzione, dell’oggetto-libro, il rapporto con l’autore. Abbiamo dato maggiori garanzie di qualità in tal senso » (Bodi, « Intervista a Pietro Del Vecchio »). 103 Issu du descriptif de la maison d’édition sur son site web officiel, www.delvecchioeditore.com/ site/page/view/casa_editrice (20 juillet 2019).

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Le projet de Del Vecchio consiste donc à renoncer d’emblée à la concurrence et à la croissance commerciale : au lieu de concourir pour les livres intéressant les autres maisons, Del Vecchio cherche à dénicher ceux qu’aucun éditeur ne semble vouloir publier, afin d’insister sur la différence, sur l’inédit – c’est pourquoi il participe rarement aux ventes aux enchères. Assumant pleinement son identité de maison indépendante et de petites dimensions, en somme sa « vocation minoritaire »104, l’éditeur insiste donc sur le côté « recherche » de son activité, non seulement par ses publications, mais aussi par son recours fréquent à la presse culturelle en ligne qui, comme nous l’avons vu, représente l’espace le plus indépendant de la critique littéraire contemporaine.

3.3.6 Les éditeurs spécialisés : une question d’intérêts Nous avons classifié les éditeurs généralistes selon des critères quantitatifs, à savoir les dimensions de chaque maison et son indépendance ou bien son appartenance à des grands conglomérats. Ce type de classification, toutefois, s’avère moins productif quand nous observons les éditeurs spécialisés, étant donné qu’ils travaillent dans la plupart des cas au sein d’entreprises petites et autonomes, qui sont donc très comparables les unes aux autres du point de vue de leur structure interne et de leur puissance commerciale. Il est donc beaucoup plus pertinent d’employer ici un critère d’ordre qualitatif, relevant de l’intérêt principal de chaque maison. Or comme nous l’avons annoncé dès le début de ce travail, ion se fourvoie toujours lorsqu’on réduit une maison d’édition à un seul secteur d’activité, puisqu’il est très rare qu’un éditeur ne publie qu’un seul type d’ouvrages, quelle que soit sa spécialisation ; le plus souvent, il choisit un centre d’intérêt, sans pour autant renoncer à l’élargir au fur et à mesure, et à l’enrichir avec des excursions plus ou moins occasionnelles vers d’autres domaines, aussi éloignés qu’ils soient du domaine principal. C’est ainsi que nous identifions, parmi les maisons qui consacrent spécifiquement une partie de leur production aux traductions de l’allemand, trois « centres d’intérêts » possibles, trois catégories générales qui comportent des différences significatives dans les modalités d’introduction des ouvrages : il s’agit de l’intérêt pédagogique, de l’intérêt régional et de l’intérêt universel. Par « intérêt pédagogique », nous entendons la volonté d’intégrer les traductions de romans allemands à l’intérieur de catalogues comprenant majoritairement des publications scientifiques ou destinées à un public étudiant. Dans ces cas, les maisons en question sont de dimensions moyennes ou grandes et actives depuis plusieurs décennies ; néanmoins, leur activité strictement littéraire est ré104 Entretien avec Paola Del Zoppo. Elle ajoute que la restructuration du catalogue sous sa direction a obéi au projet de « lavorare sulla nicchia apposta, per avere la possibilità di proporre qualcosa che gli altri non propongono ».

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duite et, dès lors, leur position au sein du champ littéraire tendanciellement dominée. Mimesis est un exemple de cette catégorie : née en 1987 en tant qu’association culturelle, la maison fonde en 2007 la collection Il quadrifoglio tedesco, où paraissent des romans, essais, témoignages sous la direction de plusieurs acteurs de la germanistique italienne. Un autre exemple est l’éditeur de culture Le Lettere, créé en 1976, qui inaugure la collection littéraire Pan narrativa et en confie la direction, entre autres, au germaniste Matteo Galli – responsable, comme nous le verrons, de la première introduction d’Uwe Timm en Italie. Dans la deuxième catégorie se trouvent les éditeurs qui, en raison de leur situation frontalière ou de leur emplacement dans la région (en partie bilingue italien/ allemand) du Trentino-Alto Adige, choisissent d’explorer par leur catalogue la notion même des frontières et la production des minorités linguistiques au nord de l’Italie et des pays limitrophes. C’est le cas de Keller, de Zandonai et d’Alphabeta, par exemple : trois éditeurs de petites dimensions dont l’identité s’ancre profondément dans leur espace régional et entre deux cultures. Enfin, nous appelons « intérêt universel » l’enjeu des éditeurs qui voient dans la production littéraire germanophone non pas une spécificité régionale ou nationale à dépeindre, ni une culture étrangère à exposer, mais, bien au contraire, la manifestation d’idées et de valeurs absolues, supranationales et, en ce sens communautaire, universelles. Nous identifions un tel projet dans l’activité d’un éditeur jeune comme L’Orma, au programme ouvertement européiste, et dans une autre maison aussi jeune, Lavieri, qui confie sa collection très spécialisée Arno au germaniste Domenico Pinto. Les différences parmi ces divers enjeux expliquent non seulement les choix des ouvrages à traduire dans un catalogue plutôt qu’un autre, mais aussi les différentes façons dont ces publications sont faites. Ci-dessous, nous observerons plus en détail les trois « centres d’intérêt » à l’aide des publications des maisons concernées.

3.3.6.1 Regards sur les catalogues : enseigner la culture allemande L’édition savante – qu’il s’agisse d’éditeurs scolaires ou universitaires, de recherche et/ou de vulgarisation – opère selon des modalités différentes par rapport aux maisons littéraires. Le nombre de publications par an, les tirages et les critères de sélection des ouvrages obéissent à des règles spécifiques, qui ne correspondent pas à celles que nous avons vues pour la production littéraire105. Cela dit, certains aspects 105 Pour un aperçu des conditions spécifiques de la production éditoriale scolaire et universitaire, v. Conti, Mara : Il libro scolastico in Italia. Dalla ricostruzione all’era digitale, Milan, Editrice Bibliografica, 2019 ; Capriati, Davide : L’editoria universitaria. Un saggio introduttivo, Rome, Il seme bianco, 2018 ; v. aussi la thèse de doctorat d’Amalia Maria Amendola, Materiali per una storia dell’editoria scolastica in Italia (1970–2012), sous la direction de Carmela Lombardi, Université de Sienne, 2013/2014.

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sont communs aux deux catégories : les éditeurs de textes scientifiques, comme ceux de littérature, ont intérêt à bien définir leur identité pour se différencier de la concurrence et ont aussi tendance à élargir leurs domaines d’activité au fur et à mesure que leur catalogue s’enrichit. Loescher, Hoepli, Il Saggiatore, Bollati Boringhieri, Il Mulino, Le Monnier, Mursia, Quodlibet, parmi beaucoup d’autres, sont des maisons d’édition historiques qui s’adressent aux lycéens, aux étudiants, au grand public et aux chercheurs avec des préférences thématiques et/ou des prises de position idéologiques différentes et, souvent, avec des graphismes fort reconnaissables en librairie. Certaines de ces maisons s’ouvrent graduellement à la production littéraire – en est un bon exemple Bollati Boringhieri qui, après trente ans de publications savantes, fonde la collection de fiction Varianti, ou encore Il Saggiatore, qui depuis 2015 s’intéresse entre autres à la production de Botho Strauß et en publie, jusqu’en 2020, trois ouvrages. Cependant, cette ouverture reste le plus souvent une activité secondaire, qui ne contribue pas de manière essentielle à la construction de l’image publique de la maison. En outre, il arrive parfois que la visée éducative à l’origine du projet éditorial demeure aussi présente dans les publications littéraires, comme c’est le cas des romans publiés chez Garzanti Scuola, toujours accompagnés d’un support pédagogique destiné aux élèves. Ces deux différences fondamentales dans la publication d’ouvrages de fiction par rapport à l’édition littéraire – la présentation pédagogique des textes de fiction et leur marginalité par rapport à la production de non-fiction – sont clairement visibles dans les deux cas qui nous concernent de près. Mimesis, fondée en 1987, fait aujourd’hui partie d’un groupe international qui réunit aussi un volet français (Éditions Mimésis, nées en 1999) et, très récemment, un volet allemand également (Mimesis Verlag, fondée en 2017). La proximité entre le groupe éditorial et le milieu académique italien et étranger favorise des coopérations avec plusieurs groupes de chercheurs, qui animent les nombreuses revues et collections sur les thèmes les plus divers. Il quadrifoglio tedesco est une collection née en son sein en 2007 sous la direction de Karin Birge Gilardoni-Büch et Marco Castellari ; sa mission déclarée est de « fournir au public de lecteurs, d’étudiants et de savants des instruments utiles pour se repérer dans la complexité des cultures germanophones du monde contemporain. »106 Elle est la première, et donc aussi la plus nourrie, des trois séries destinées à la culture allemande chez le même éditeur, avec Alemanna, fondée en 2016, et Wunderkammer, en 2018 ; en outre, la collection générale Letteratura, créée en 2009, présente trois titres

106 Tiré du descriptif de la collection sur le site web officiel de l’éditeur : mimesisedizioni.it/libri/ narrativa-linguistica-studi-letterari/il-quadrifoglio-tedesco.html (15 février 2020). V. aussi le site officiel de la collection, liée à l’Université de Milan où enseignent ses deux responsables : users. unimi.it/dililefi/quadrifogliotedesco.htm.

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traduits de l’allemand sur dix publications au total107. Cependant, Il quadrifoglio tedesco est la seule série qui se propose d’accompagner systématiquement les essais sur la langue et sur les cultures allemandes de traductions d’ouvrages littéraires très récents, notamment de la fin du XXe siècle et du nouveau millénaire. Cependant, les romans représentent toujours une minorité par rapport à l’ensemble de la collection, qui se caractérise par la variété formelle et contient donc des pièces de théâtre, des essais, des poésies, des proses brèves, des témoignages. Ces derniers, grâce à leur nature hybride entre texte littéraire et récit autobiographique, s’avèrent particulièrement utiles pour que le programme raconte la culture allemande, autrement lointaine et méconnue du public italien : Zonenkinder. I figli della Germania scomparsa de Jana Hensel [Zonenkinder, 2002], Non sono un berlinese. Una guida per turisti pigri de Wladimir Kaminer [Ich bin kein Berliner. Ein Reiseführer für faule Touristen, 2007], Come in sogno. Passeggiate berlinesi de Christine Wolter [Traum Berlin Ost. Alte und neue Bekannte Orte Wege, 2009] et Cercasi Hans in salsa piccante. Una vita in due mondi de Hatice Aykün [Einmal Hans mit scharfer Soße. Leben in zwei Welten, 2005] servent par exemple de fenêtres sur l’histoire allemande et la vie en ex-RDA108, à Berlin ou bien sur l’expérience des immigrés turcs dans l’Allemagne d’aujourd’hui109. À côté de cette visée de diffusion culturelle, une autre se profile, plus strictement littéraire : plusieurs auteurs publiés dans Il quadrifoglio tedesco sont en effet des figures renommées du panorama littéraire allemand de la seconde moitié du XXe siècle, et pourtant encore ignorées du public italien. C’est cette méconnaissance que l’éditeur présente souvent comme injustifiée, et donc comme la motivation derrière les traductions. Ainsi, le drame Inferno, de Peter Weiss, est accompagné d’une notice biographique où l’on déplore que Die Ästhetik des Widerstands, « fresque grandiose et testament spirituel [ne soit] pas encore traduit en italien, ce qui n’est pas croyable »110, tandis que la présentation de Lei lo sapeva ? I tedeschi rispondono, qui fait partie de la Deutsche Chronik de Walter Kempowski, indique que seul un titre de l’imposante œuvre de cet auteur est paru en italien111. 107 Il s’agit de I sonnambuli de Hermann Broch (2010), L’inizio perduto. Riflessioni sulla macchia e la linea de Botho Strauß (2013) et Il castello de Franz Kafka (2014). 108 Dont la directrice de la collection, Karin Birge est, par ailleurs, originaire. 109 Ces ouvrages s’accompagnent souvent, par ailleurs, de publications savantes qui les insèrent dans une histoire littéraire : ainsi par exemple, en 2009, Tiziana Gislimberti publie, chez Mimesis et dans la même collection, Mappe della memoria. L’ultima generazione tedesco-orientale si racconta. 110 Extrait de la biographie de l’auteur dans Weiss, Peter : Inferno, sous la direction de Marco Castellari, Milan, Mimesis, 2008 ; disponible aussi dans la présentation du livre en ligne, www.mime sisedizioni.it/inferno.html (15 février 2020). 111 Il s’agit, par ailleurs, d’une publication de Lavieri : Kempowski, Walter : Tadellöser & Wolff. Un romanzo borghese, postface de Raul Calzoni, Capua, Lavieri, 2007. Des publications ultérieures de l’œuvre de Kempowski seront prises en charge par Sellerio à partir de 2015 : Kempowski, Walter : Lei ha mai visto Hitler ?, sous la direction de Raul Calzoni, Palerme, Sellerio, La nuova diagonale, 2015 et Kempowski, Walter : Tutto per nulla, sous la direction de Mario Rubino, Palerme, Sellerio, La memoria, 2018. La collection La nuova diagonale rassemble principalement des mémoires, des biographies et des témoignages ; elle contient, entre autres, l’ouvrage

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Avec deux publications, dont l’une en deux volumes, la collection se charge aussi de publier les derniers ouvrages de Volker Braun, « l’un des principaux écrivains contemporains de langue allemande »112. Il s’agit, en somme, de proposer au public italien les auteurs les plus appréciés par la critique germanophone et cependant restés à l’écart des catalogues des maisons littéraires. Enfin, d’autres publications sont des reprises de publications antérieures : dans Il quadrifoglio tedesco paraissent de nouvelles traductions de Mia sorella Antigone de Grete Weil (déjà paru chez Mondadori dans les années quatre-vingt) et du Leviatano d’Arno Schmidt (déjà publié chez Linea d’ombra en 1991, et auparavant dans la revue Il Menabò en 1966), ainsi qu’une première traduction des poésies de Selma Eisinger-Meerbaum et de l’Antigone de Walter Hasenclever. Ces ouvrages, comme les autres présents dans la même collection, sont soumis à un suivi rédactionnel réalisé par des germanistes et sont souvent accompagnés d’un commentaire qui en éclaire le contenu et la valeur littéraire. Un travail aussi détaillé et savant est habituellement rare concernant la publication de textes littéraires récents, et il constitue donc une spécificité de cette sorte d’édition. Ce type de soin est certes dû au public visé par la collection, qui se compose principalement d’étudiants universitaires, mais il manifeste une volonté de vulgarisation qui, vu la position dominée des éditeurs savants sur le marché littéraire, risque de passer inaperçue du grand public. Un effort analogue peut être identifié dans la collection Pan narrativa chez Le Lettere. Cette maison, qui naît à Florence en 1976, se consacre principalement à la philosophie, à l’histoire et aux publications savantes, avec également plusieurs périodiques académiques. Ouverte aussi aux belles-lettres, elle s’intéresse d’abord à la poésie et au théâtre, puis à la prose littéraire : la collection Pan narrativa, fondée en 1999, est spécialement conçue pour accueillir les textes de prose littéraire. La directrice de Le Lettere, Nicoletta Pescarolo, en confie entièrement la gestion à des experts des diverses aires linguistiques concernées, sans leur imposer de ligne éditoriale. Nous verrons par la suite, en analysant l’introduction d’Uwe Timm dans ce contexte, comment le responsable de la littérature allemande, Matteo Galli, a géré la médiation de son œuvre ; à ses côtés, des collègues chargés des littératures anglophone et francophone administrent aussi de manière assez indépendante leur partie de la production. Au fur et à mesure, les traductions de l’allemand et de l’anglais s’avèrent les plus fréquentes dans la collection, alors que les traductions de l’espagnol sont transférées à une série spécifique, Latinoamericana, créée en de l’éditeur allemand Klaus Wagenbach : La libertà dell’editore. Memorie, discorsi, stoccate, trad. Natascia Barrale, publié en 2013. 112 Issu de la notice biographique dans : Braun, Volker : Racconti in due volumi, sous la direction de Karin Birge Gilardoni-Büch, trad. Francesco Aversa et Matteo Galli, Milan, Mimesis, 2011, aussi disponible dans la présentation du livre en ligne, www.mimesisedizioni.it/libri/narrativa-linguis tica-studi-letterari/il-quadrifoglio-tedesco/racconti-brevi.html#yt_tab_products1 (15  février 2020).

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2005 et dirigée par la responsable de la littérature hispanophone de Pan narrativa : l’écrivaine, traductrice et professeure Martha Canfield. Pan narrativa se présente comme une collection ouverte, intégralement construite selon les intérêts des experts qui la dirigent. Ce type de gestion très personnelle, nous l’avons vu, est typique des entreprises de petites dimensions, et encore plus du monde universitaire : l’objectif premier des éditeurs culturels (par opposition aux éditeurs commerciaux) n’étant pas d’attirer le grand public ni d’entrer en concurrence avec les grands groupes pour des titres convoités, ils sont moins sensibles aux enjeux commerciaux de l’édition littéraire, s’en remettent moins aux scouts ou aux agents et beaucoup plus, au contraire, aux propositions d’un consultant fiable (riche en capital spécifique : un professeur, un chercheur, un traducteur), dont l’identité marque ainsi profondément la production. Le projet se caractérise donc par une liberté relative : elle est totale du point de vue des contenus, mais limitée du point de vue de l’investissement commercial. En effet, refusant toute concurrence avec les éditeurs littéraires, l’opération de Pan narrativa devait être menée en économisant autant que possible toutes les ressources : le professeur Matteo Galli avait, en tant que seul responsable de la production germanophone, « main libre » de la part de Pescarolo dans la gestion du travail, et se chargeait de chaque étape de la production, depuis la sélection des titres jusqu’à la révision des traductions, en passant par la recherche de financements et la relation avec les auteurs113. Or une telle liberté peut être une arme à double tranchant. D’une part, elle permet certes de publier des ouvrages qui, pour une raison ou une autre – que ce soit un faible taux de rentabilité, des difficultés dans la traduction, etc. –, resteraient autrement ignorés par les maisons littéraires ; en outre, grâce à la gestion intégralement confiée à des experts, ces ouvrages peuvent alors être accompagnés d’un appareil critique, d’une préface ou d’une postface qui aident à combler la distance entre l’édition originale et la traduction, qui introduisent la figure de l’auteur et son œuvre, alors que, comme nous l’avons vu, les maisons littéraires renoncent souvent aux collaborations de ceux qui pourraient effectuer ce travail de médiation. Mais d’autre part, cette liberté cache un certain désintérêt de l’éditeur quant à la production de fiction : ne s’agissant pas de l’axe principal du catalogue, la collection Pan narrativa ne fait pas l’objet d’une action plus large, de la part de Pescarolo, pour sa distribution et sa promotion, de sorte que ses parutions doivent faire face à un problème de visibilité important. « On avait la sensation qu’il n’y avait pas de véritable risque commercial », raconte Galli114 : sans donner une image forte et distinctive à la collection et sans la soutenir auprès des libraires, les ouvrages publiés, si haut de gamme qu’ils soient, sont voués à disparaître sans atteindre leur public. C’est par ailleurs à cause d’un désaccord concernant justement cette négligence dans la promotion des titres que Galli met un terme à sa coopération avec 113 Entretien avec Matteo Galli. 114 Entretien avec Matteo Galli.

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Le Lettere en 2008 : la publication de La strega di mezzogiorno de Julia Franck [Die Mittagsfrau, 2007] s’avère un échec auprès du public italien, alors que l’original avait obtenu le Deutscher Buchpreis l’année précédente et qu’il s’était vendu à un demi-million d’exemplaires en Allemagne. Selon le traducteur, l’éditeur n’aurait pas été en mesure de traiter l’ouvrage de Franck avec l’attention méritée, de sorte que sa réception s’est limitée – comme ce fut le cas pour Timm, nous le verrons par la suite – à la critique académique115.

3.3.6.2 Regards sur les catalogues : ouvrir les frontières La région du Trentino-Alto Adige représente un cas exceptionnel dans le panorama des échanges germano-italiens. Alors que, nous l’avons vu, l’enseignement de la langue allemande est faible en Italie et que les grands éditeurs manquent souvent de personnel en mesure de comprendre l’allemand, la zone frontalière au nord de l’Italie se caractérise par une présence élevée de locuteurs germanophones, que ce soit en tant que langue native, langue seconde ou langue étrangère apprise à l’école ou à l’université. En outre, la proximité avec l’aire germanophone se manifeste non seulement à travers la diffusion de la langue, mais aussi de la culture du Tyrol du Sud, de l’Autriche, de la Suisse : en tant que région frontalière, passée au cours de l’histoire d’une nation à l’autre et accueillant des minorités linguistiques qui revendiquent leur identité culturelle116, le Trentino-Alto Adige est un lieu de contact continuel et propice aux interférences. À partir des années 2000, plusieurs éditeurs décident de miser sur ce contexte multiculturel pour concevoir de nouveaux projets : en 2002, dans la province de l’Alto Adige, l’alphabeta Verlag, qui éditait jusqu’alors du matériel didactique pour l’enseignement des langues, commence à publier des ouvrages de fiction en italien et en allemand ; en 2005, Roberto Keller fonde son activité à Rovereto, petite ville de la province du Trentino ; en 2007, dans la même localité, la maison Zandonai ouvre ses portes pour un parcours éditorial qui durera sept ans. Toutes ces entreprises se caractérisent par leur volonté explicite d’approfondir la notion de fron115 Entretien avec Matteo Galli. 116 V. Gualtieri, Paola/Viola, Marco : Tutela e promozione delle minoranze linguistiche in Trentino, Province autonome de Trento, 2008 ; Peterlini, Oskar : Autonomia e tutela delle minoranze nel Trentino-Alto Adige. Cenni di storia e cultura, diritto e politica, Trento, Présidence du Conseil régional du Trentino-Alto Adige en coopération avec la Junte régionale, 2000 ; Magris, Claudio/ Zoderer, Joseph : Identità e multiculturalità. Dialogo sui valori e sulle frontiere, sous la direction de Carlo Bertorelle, Azzano San Paolo, Junior, 2003. Un autre symbole du voisinage culturel entre la région du Trentino-Alto Adige et l’Autriche est la présence, dans la ville de Trento, de l’importante bibliothèque autrichienne, fondée en 1995 et spécialisée dans la production littéraire depuis 1997, année de la création du centre de documentation sur la Littérature autrichienne en Italie (LAI) : ici sont conservés plus de 8000 ouvrages, y compris toutes les traductions en italien d’ouvrages sur la littérature autrichienne, ainsi que des travaux de chercheurs italiens sur le même sujet.

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tière à travers la littérature et d’accorder une attention particulière à la production régionale ainsi qu’à celle de l’Europe centrale. Elles ont souvent en commun des collaborateurs, des traducteurs, et même des auteurs dont elles se répartissent les ouvrages. Malgré leurs projets de départ similaires, elles se distinguent les unes des autres par les titres qu’elles choisissent et, au bout de quelques années, par leurs trajectoires, qui les amènent à occuper différentes positions dans le champ éditorial : Keller atteint une visibilité importante à l’échelle nationale, Zandonai ferme ses portes en 2014 après sept ans d’activité, et alphabeta obtient de plus en plus de reconnaissance notamment au niveau régional. La maison alphabeta fait partie d’une société coopérative, Alpha & Beta, qui conjugue l’activité éditoriale à la gestion de deux écoles de langues appliquées. Située à Mérano, dans la province autonome de Bolzano, elle est loin des centres italiens de l’édition – Milan et Rome – mais assume pleinement son identité régionale et marginale. Selon le schéma que nous avons observé à maintes reprises, la maison inaugure son catalogue par un secteur fort spécialisé – l’enseignement des langues et de la linguistique – pour s’étendre de plus en plus à d’autres domaines, tout en restant une entreprise de très petite taille. Ainsi, au début des années 2000 naît la collection TravenBooks, qui rassemble des ouvrages de fiction, en prose et en vers, et raconte, « sous les formes les plus diverses, des expériences de la frontière »117 ; puis, en 2011, elle explore une thématique peu exploitée, à savoir la maladie mentale et son traitement, dans la collection spécialisée 180. La première publication dans TravenBooks date de 2002 ;  puis d’autres suivent, et commencent à se succéder à cadence régulière à partir de 2005. Le premier titre paru est Sillabario, un recueil en vers et en prose de Reinhard Christanell, écrivain de langue maternelle allemande qui écrit ses textes en italien, en première instance pour un journal local de Bolzano118. Cet ouvrage incarne bien l’esprit de la collection : la notion de « frontière » y est abordée en premier lieu au sens linguistique, mais elle s’applique aussi au genre, toujours dépassé, de l’écriture, qui n’est jamais retenue dans des limites formelles étanches. La collection ouvre la limite entre prose et poésie, comme la limite entre langue italienne et allemande, pour donner lieu au mélange et à l’expérimentation. Enfin, beaucoup d’espace est laissé aux recueils, d’un seul ou, plus souvent, de plusieurs auteurs. D’autres ouvrages de Christanell sont publiés ensuite dans la même collection, dont deux sont justement des recueils, sous sa direction, de récits mélangés d’autres écrivains autour du thème du voyage – une déclination du thème de base119. La présence simultanée, dans ces recueils, d’auteurs italophones et germanophones, reflète la constitution mixte du catalogue en général, qui contient des textes en langue italienne, d’autres 117 Extrait de la présentation du site officiel de l’éditeur, www.edizionialphabeta.it/it/edizioni-alpha beta (27 février 2020). 118 Christanell, Reinhard : Sillabario. Poesie e prose : testi in libertá, Mérano, alphabeta, 2002. 119 Christanell, Reinhard (dir.) : Lentamente muore chi non viaggia, Mérano, alphabeta, 2005 et Christanell, Reinhard (dir.) : Autobahn, Mérano, alphabeta, 2005.

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en langue allemande et certains en traduction avec le texte original en regard ; dans quelques cas, le même ouvrage est publié deux fois, une en allemand et une en italien120 ; dans un cas tout à fait emblématique, cinq auteurs germanophones et cinq italophones produisent un recueil qui est publié, enfin, dans les deux langues, pour raconter la multiculturalité de cette zone périphérique121. Les traductions de l’allemand deviennent de plus en plus fréquentes à partir de 2015 ; avant cette date, la majorité des textes publiés sont des ouvrages d’écrivains régionaux et des traductions de l’italien vers l’allemand. Avec la parution d’Il delta de Kurt Lanthaler [Das Delta, 2007]122, l’éditeur inaugure en revanche une série de traductions en italien d’auteurs locaux, parfois avec la coopération de personnalités qui dépassent la sphère régionale : c’est le cas, par exemple, de la postface écrite par Helena Janeczek à la traduction d’un recueil posthume d’Anita Pichler, écrivaine de l’Alto Adige123. Fière de sa vocation frontalière, enfin, la maison gagne en visibilité grâce à ses collaborations avec les organismes publics de sa province : en effet, elle profite non seulement des financements de la Province autonome de Bolzano-Alto Adige destinés au soutien de la production culturelle, mais publie aussi les manuscrits lauréats du prix littéraire international Mérano Europa, décerné tous les deux ans depuis 1994 par l’association culturelle Passirio Club à des textes inédits ainsi qu’à des traductions littéraires en italien et en allemand, mettant encore une fois l’accent sur la ville de Mérano en tant que « point idéal de rencontre entre les […] cultures »124. L’un des collaborateurs d’alphabeta, Giuliano Geri, travaillait auparavant comme consultant chez Zandonai. Cette maison de Rovereto, de dimensions à peine plus grandes que l’entreprise de Mérano, s’était fixé en 2007 un projet similaire : travailler sur la notion de la frontière et de son dépassement, aussi bien au sens linguistique que concernant les genres littéraires. Cependant, dans la maison d’Emanuela Zandonai, les aires linguistiques ne se limitent pas à l’allemand et à l’italien, mais explorent aussi la littérature des pays des Balkans et, moins souvent, la production française ; l’idée, en effet, est d’ouvrir les frontières vers l’Europe centrale ainsi que vers l’Europe de l’est à la recherche d’auteurs inédits (ou presque) en Italie. Ce programme prend forme au sein de deux collections, I fuochi et I piccoli fuochi, dont l’une accueille des classiques, notamment des littératures (post-)yougoslave, 120 Par exemple le recueil de récits : Lekovich, Kenka : Se improvvisamente il treno si fermasse a Maglern. 12 racconti di confine più uno, Mérano, alphabeta, 2010 et Lekovich, Kenka : Der Zug hält nicht in Ugovizza. 12 Grenzgeschichten und eine, trad. Sepp Mall, Mérano, alphabeta, 2010. 121 Mazza, Aldo/Gunsch, Reinhard (dir.) : Ad alta voce. Storie di quotidianità sociale, Mérano, alphabeta, 2011 et Mazza, Aldo/Gunsch, Reinhard (dir.) : Stille Post. Erzählungen aus Südtirol, Mérano, alphabeta, 2011. 122 Lanthaler, Kurt : Il delta, trad. Stefano Zangrando, Mérano, alphabeta, 2015. 123 Pichler, Anita : Di entrambi gli occhi lo sguardo. Nove variazioni sul vedere, trad. Donatella Trevisan, Mérano, alphabeta, 2018. 124 Les informations sur les diverses éditions du prix sont disponibles sur la page officielle du club Passirio, www.passirio.it/premio-letterario-Mérano-europa (27 février 2020).

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allemande et autrichienne, tandis que l’autre rassemble des ouvrages contemporains. Une troisième collection moins productive, Ombre, s’éloigne de la prose littéraire pour se consacrer aux thèmes de l’architecture et de l’analyse du paysage. Nous pouvons donc identifier une structure similaire à celle que nous avons vue chez alphabeta, où une série littéraire plutôt ouverte en côtoie une autre hyperspécialisée, donnant ainsi un cachet encore plus particulier au catalogue. I Fuochi est indubitablement la collection la plus prestigieuse de la maison, et les ouvrages y sont souvent accompagnés d’introductions ou de postfaces explicatives : en 2008 paraît La morte a Roma de Wolfgang Koeppen, qui n’avait plus été publié depuis sa première traduction pour Einaudi en 1959, avec un essai de Hans-Ulrich Treichel et une postface de Michele Sisto ; en 2010 s’y ajoute, entre autres, l’autobiographie de Heiner Müller Guerra senza battaglia. Una vita sotto due dittature, avec une postface de Durs Grünbein ; en 2010 et en 2013 sont publiés deux ouvrages de Friedrich Torberg, l’un d’eux avec un essai de Haim Baharier, plus de cinquante ans après la première et unique traduction du même auteur chez Einaudi en 1950125. Le traitement des ouvrages est différent dans la collection mineure I piccoli fuochi. Ici, le nombre de parutions annuelles est plus élevé, aussi parce que ces ouvrages incluent plus rarement des paratextes. En outre, cette collection est moins hybride que son pendant majeur en ce qui concerne le mélange des genres : en effet, alors que I fuochi mêle les romans aux essais, I piccoli fuochi ne contient que des romans ou des récits126. Enfin, la présence d’auteurs des Balkans est prépondérante : étant donné que cette aire linguistique et culturelle est encore moins présente que l’allemande dans l’édition italienne – elle n’est traitée systématiquement que par un autre éditeur, Voland –, elle assure au catalogue une visibilité supérieure et une spécificité plus marquée. Cette particularité de Zandonai, où l’allemand n’est pas, contrairement à d’autres maisons d’édition, la langue traduite la plus périphérique, se reflète aussi dans le repositionnement de cette langue dans la hiérarchie générale : tandis que l’anglais est normalement la langue qui sert de pont pour lire les textes des aires moins centrales, il arrive parfois que la littérature hongroise et serbo-croate soit lue tout d’abord dans sa traduction allemande par les consultants de Zandonai127. Dans I piccoli fuochi, tous les auteurs germanophones, hormis Jenny Erpenbeck, sont autrichiens, ce qui reflète la volonté de l’éditeur d’aller chercher ses écrivains directement de l’autre côté de la frontière septentrionale de l’Italie. A part cela, et contrairement aux éditions alphabeta, Zandonai ne cherche pas à entamer une réflexion sur la frontière par les thématiques des ouvrages qu’il publie. À l’exception du reportage de Susanne Scholl sur la vie et la culture soviétiques, qui dé125 Il s’agit de Torberg, Friedrich : Eccomi, padre mio, trad. Angela Zucconi, Turin, Einaudi, Coralli, 1950. 126 Une exception, en ce qui concerne la production germanophone, est le reportage de Susanne Scholl, Russia senz’anima ?, publié en 2011. 127 Entretien avec Giuliano Geri.

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cline ce thème en explorant les contradictions internes à la Russie, l’éditeur propose plutôt des romans noirs, des histoires d’amour et de mort. Ainsi, le projet de départ qui était si semblable au programme d’alphabeta trouve ici une réalisation complètement distincte : pas d’auteurs locaux, pas de publications bilingues, mais plutôt la construction d’un catalogue ouvert à des voix et des régions littéraires peu connues, le plus souvent en traduction depuis des langues périphériques128. La fermeture de la maison en 2014 est due à des difficultés financières qui duraient depuis quelques années. Ce n’est pas ici l’endroit pour enquêter sur les raisons profondes de cette faillite ni pour rapporter les prises de position personnelles des parties concernées ; cependant, il nous semble important d’en faire mention, parce que ce type de parcours est relativement fréquent sur le marché éditorial de l’époque que nous étudions, et que l’accumulation graduelle de prestige littéraire ainsi que la construction d’une identité unique et reconnaissable doivent aller de pair avec la capacité des directeurs à gérer les ressources à leur disposition. La presse locale attribue la responsabilité de la fermeture de Zandonai à la crise économique qui fait des « victimes » parmi les petites entreprises129 ; toutefois, il est aussi plausible que ces difficultés aient été au moins aggravés par des problèmes de gestion. Comme plusieurs collaborateurs des maisons d’édition nous en témoignent, un manque de communication entre le côté créatif et le côté administratif peut expliquer, en partie du moins, les difficultés à maintenir l’entreprise à flot : si ceux qui sélectionnent les titres à traduire ne sont pas au courant du nombre d’exemplaires vendus, par exemple, le développement d’un programme de publications permettant d’atteindre le break-even annuel se complique. Les difficultés de communication internes à l’équipe ne représentent pas une prérogative des grands groupes, au contraire elles peuvent aussi entraver le travail des entités plus petites et rendent manifeste l’équilibre toujours précaire entre la velléité culturelle de l’activité éditoriale d’un côté, et sa nature éminemment commerciale de l’autre. L’éditeur régional ayant obtenu le plus de visibilité même au-delà de sa province est sans doute Keller. Comme alphabeta et Zandonai, cette maison présente un programme centré autour de la notion de frontière, avec l’intention de découvrir des auteurs inédits de l’Europe centrale aussi bien que locaux. Fondée en 2005, elle commence son activité lentement, avec moins de dix, souvent moins de cinq parutions par an – un chiffre qui augmente graduellement à partir de 2010, mais qui reste limité au sein d’une maison toujours très petite. Le catalogue de Keller se structure autour de deux collections : Vie, qui inaugure les publications de la maison, et Passi, née en 2007. À celles-ci s’ajoutent Razione K en 2014 – une 128 Geri, qui gère la collection avec Giusy Drago, décrit la constitution du catalogue comme un lieu de dialogue entre des auteurs lointains : un bon catalogue doit être comme « un salotto in cui gli autori e i titoli conversano, ma devono saper conversare ». Ainsi, par exemple, les « récits monologuants » de Laurent Mauvignier « dialoguent » très bien avec les ouvrages de David Albahari, auteur serbe du catalogue Zandonai (entretien avec Giuliano Geri). 129 Lott, Giuliano : « Zandonai Editore, fine dell’avventura », Trentino, 25 janvier 2015.

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collection qui, selon la tendance commune que nous avons déjà vue dans plusieurs maisons, mélange la non-fiction (surtout le reportage) à l’écriture littéraire – et K Essay en 2017, consacrée évidemment aux essais. Le tournant dans la trajectoire de Keller se produit entre 2008 et 2009. Après plus d’une décennie sans aucune publication italienne130, l’auteure roumaine de langue allemande Herta Müller paraît dans le catalogue de la petite maison située à Rovereto avec Il paese delle prugne verdi [Herztier, 1994]. Le pari sur cette auteure encore méconnue récompense l’éditeur au bout d’un an, lorsque Müller obtient le prix Nobel : non seulement les ventes augmentent considérablement, mais surtout la presse reconnaît à l’éditeur le mérite, voire le « courage » d’avoir découvert l’auteure avant ses collègues plus grands et plus anciens131. Dès lors, la petite entreprise régionale intensifie son activité et sa présence sur la scène nationale, et commence à accumuler des signes de reconnaissance à l’égard de son activité de médiation en Italie ainsi qu’à l’étranger : à partir de 2008, Keller commence à participer régulièrement au salon du livre pour la petite et moyenne édition, Più libri più liberi ; le roman lauréat du Deutscher Buchpreis en 2009, Du stirbst nicht de Kathrin Schmidt, est publié dans Passi en 2012 ; en 2013, Maurizia Balmelli obtient le prix Terra Nova de la Fondation Schiller suisse pour sa traduction chez Keller du roman de Noëlle Revaz, Cuore di bestia ; la même année, Arno Camenisch gagne la première édition du Prix Salerno Libro d’Europa avec son roman Dietro la stazione [Hinter dem Bahnhof, 2010], que Roberta Gado traduit pour Keller ; en 2015, Roberto Keller lui-même figure parmi les lauréats du prix de la revue Lo Straniero, attribué depuis 1992 aux personnes et aux institutions pour la qualité de leur activité culturelle ; en 2016, la revue L’Indice dei libri del mese propose à des éditeurs « qui se sont imposés sur le marché avec une ligne reconnaissable et de haute qualité » de présenter leur projet aux lecteurs, et Keller fait partie des tout premiers à participer à l’initiative132. Ces quelques exemples illustrent la visibilité de l’éditeur même au-delà de sa région d’appartenance ; il se distingue par là d’alphabeta, qui reste une entité très locale, et de Zandonai, dont la faillite dissipe le capital symbolique accumulé. Hormis cela, Keller se différencie des autres éditeurs de sa région par la structure de son catalogue et ses choix littéraires. La répartition des titres entre Vie et Passi ne 130 Avant 2008, les seules traductions en italien de l’auteure sont : Müller, Herta : Bassure, trad. Fabrizio Rondolino, Rome, Editori riuniti, 1987 et Müller, Herta : In viaggio su una gamba sola, trad. Lidia Castellani, Venise, Marsilio, 1992. En outre, un récit de Müller (« Una mosca attraversa un bosco dimezzato ») paraît dans l’anthologie d’auteures allemandes et autrichiennes Fuoricampo. Racconti di scrittrici austriache e tedesche, trad. Ernestina Pellegrini, Cava de’ Tirreni, Avagliano, Lo stellato, 2000. 131 V. Erbani, Francesco : « Il successo di Keller piccolo editore da Nobel », La Repubblica, 31 octobre 2009 ; Pinto, Domenico : « Herta Müller », Nazione Indiana, 13 octobre 2009, www.nazioneindia na.com/2009/10/13/herta-muller (26 mars 2022). 132 Keller, Roberto : « Keller editore, dal punto di vista dei confini », L’Indice dei libri del mese, 15 décembre 2016, www.lindiceonline.com/incontri/i-mestieri-del-libro/keller-editore-dal-puntovista-dei-confini (26 mars 2022).

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semble pas correspondre à une hiérarchisation des ouvrages ni à une division par époques historiques ou par thématiques. Les deux séries affichent plutôt une distinction de format et de graphismes : Vie, avec ses couvertures monochromes réduites à l’essentiel, se présente comme la collection la plus sobre et reconnaissable, alors que Passi, avec des couvertures occupées entièrement par des images, est moins iconique et ressemble plutôt à une collection de poche (bien que toutes deux contiennent des livres de petit format). Ni Vie ni Passi n’imposent de contraintes génériques rigides, de sorte qu’elles publient, parmi leurs premières traductions de l’allemand, des reportages et des textes autobiographiques comme l’ouvrage, déjà cité, de Müller, comme Ore zero de Wolfgang Büscher [Drei Stunden Null. Deutsche Abenteuer, 1998] et La stasi dietro il lavello de Claudia Rusch [Meine freie deutsche Jugend, 2003] ; cependant, la majorité des textes publiés ici sont des romans qui traitent de la notion de frontière au sens le plus large : des histoires de gens en marge, d’immigrants et de minorités, de voyages et de fuites. Les intrigues sont souvent situées dans des contextes historiques précis, selon une volonté de réflexion sur le passé qui se manifeste de façon emblématique à travers le projet Confini – une série de publications entre 2014 et 2018, réparties dans toutes les collections, qui abordent les faits et les conséquences de la Première Guerre mondiale à l’occasion de son centenaire. Parmi les traductions de l’allemand des ouvrages qui conjuguent au mieux la curiosité historique de la maison à son intérêt pour les figures marginales et/ou en mouvement entre les frontières, rappelons à titre d’exemple La maturità del 1953 d’Uwe Johnson, traduit par Fabrizio Cambi en 2015133, ainsi que le reportage Viaggiare controvento134, publié en 2017 [Unerkannt durch Freundesland. Illegale Reisen durch das Sowjetreich, 2011].

3.3.6.3 Regards sur les catalogues : traduire la littérature « du monde entier » Malgré la reconnaissance qu’il obtient bien au-delà des limites de sa région, Keller ne renonce pas à son programme de faire connaître, par les livres qu’il publie, l’histoire et la culture de l’Europe centrale et de l’Est. Ce n’est pas une volonté pédagogique au sens strict, car il n’entoure que très rarement ses ouvrages de paratextes accompagnant le lecteur dans ses découvertes ni ne publie, à côté des romans et reportages, d’essais d’histoire littéraire situant les auteurs dans leur contexte. Mais c’est sans doute une volonté de représentation de l’autre par le biais de la fiction

133 Mais dont l’édition originale ne constitue pas à proprement parler un roman contemporain, au sens où nous employons le terme dans le présent travail : Ingrid Babendererde. Reifeprüfung 1953 paraît pour la première fois, posthume, en 1985 chez Suhrkamp. 134 Cornelia Klauss/Frank Boettcher (dir.), Viaggiare controvento. Viaggiatori illegali nell’URSS, trad. Giulia Bettiga/Giada D’Elia et al., Rovereto, Keller, Razione K, 2017.

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qui pourrait donner une autre définition, ou une définition plus détaillée des caractéristiques de pays comme l’Allemagne, la Russie ou la RDA135. Ce projet diffère dans une certaine mesure des intentions d’autres éditeurs qui, tout en traduisant eux aussi principalement de l’allemand, ne voient pas d’intérêt à proposer une image des pays germanophones ou de leur littérature. Ces éditeurs cherchent plutôt à assimiler les traductions de l’allemand dans le panorama italien, presque sans tenir compte de leur langue originale, afin de plutôt mettre en évidence le caractère universel de leur contenu. C’est une distinction souple, d’autant plus qu’une telle intention est plus ou moins latente dans tous les catalogues que nous observons ; mais elle nous permet d’expliquer surtout les postures très différentes des éditeurs, c’est-à-dire leurs diverses façons de présenter au public les bibliothèques qu’ils conçoivent. Un regard attentif aux traductions des éditions Lavieri et aux propos des fondateurs de L’Orma nous confirme, en effet, que ces maisons ne veulent pas faire de la diffusion de la culture germanophone un but en soi ; au contraire, elles s’en servent comme d’un outil pour esquisser une idée de la littérature mondiale. L’Orma est une maison jeune et encore petite, mais extrêmement pertinente pour notre travail. Fondée en 2012, elle conjugue l’intérêt pour la production francophone et germanophone contemporaine à une image publique construite avec soin, notamment auprès du milieu intellectuel. Les fondateurs, deux docteurs en littérature comparée disposant d’expériences d’enseignement et de traduction en France, en Allemagne et en Italie, exploitent leur réseau de connaissances à l’université et dans le monde de l’édition pour démarrer un projet éditorial affichant un haut degré de spécialisation. Dès leurs premières publications en octobre 2012, le nom de la jeune entreprise circule déjà dans la presse italienne. Lorenzo Flabbi et Marco Federici Solari, les deux fondateurs, se saisissent de l’occasion pour commencer à esquisser leur identité publique : ils se présentent comme des universitaires, experts respectivement des littératures française et allemande, qui, comme beaucoup d’intellectuels italiens, ont cherché à faire fortune à Paris et à Berlin ; après leurs expériences à l’étranger, ils rentrent en Italie poussés par la volonté de « miser sur le futur » malgré la crise économique136. Flabbi et Federici Solari justifient leur projet par le désir de sortir du milieu clos de la production érudite et des salles universitaires, où 135 Des projets de ce genre ont été proposés, au cours des années, pour plusieurs aires linguistiques et culturelles. Parmi eux, aux moins deux se distinguent par la position dominante qu’ils ont acquise et, dès lors, par la place qu’ils ont accordée aux littératures qu’elles traduisent. L’un est réalisé par Iperborea : fondée en 1987, cette maison publie des ouvrages des pays scandinaves et baltiques ainsi que des traductions du néerlandais et de l’islandais. L’autre, plus récent, mais aussi influent, est le projet de Sur : il s’agit d’une maison née en 2011 pour introduire systématiquement en Italie la littérature latinoaméricaine, avant de s’ouvrir aussi à la sphère anglophone en 2015. 136 Frediani, Francesca : « Casa dolce casa », Max, 1er juin 2013 ; Appiotti, Mirella : « L’Orma della nuova Europa », La Stampa, 30 septembre 2012 ; Ricciardi, Giovanni : « Arriva L’Orma, la casa editrice che si fa strada per posta », Il Venerdì di Repubblica, 19 octobre 2012.

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les idées circulent avec difficulté137 ; leur public visé, en revanche, serait l’ensemble des grands lecteurs intéressés par la découverte des voix contemporaines de la littérature européenne138. Leur double objectif de fonder une maison d’édition haut de gamme et, en même temps, d’atteindre le grand public se reflète dans le catalogue, qui est structuré en deux collections : d’un côté Kreuzville, la série « ambitieuse » qui regroupe les ouvrages français et allemands des dernières années, et de l’autre I Pacchetti, à petits prix et dont le format original et accrocheur en fait une alternative littéraire aux « gadgets de librairie » comme idée cadeau139. À côté de Kreuzville, enfin, une collection jumelle et plus prestigieuse, Kreuzville Aleph, accueille les ouvrages phare de la maison, destinés à constituer le fonds du catalogue. Le programme déclaré de L’Orma est d’occuper, avec une production éditoriale de qualité, la place laissée vacante par « vingt ans de désertification culturelle » sur le marché du livre italien140. Cette qualité se manifesterait dans le choix d’opérer à long terme, en proposant des textes soignés par des collaborateurs experts, souvent germanistes, dans l’espoir d’en faire des long-sellers – citons comme exemples la publication des œuvres complètes de E. T. A. Hoffmann et la traduction intégrale des Jahrestage d’Uwe Johnson. Tout en renvoyant à des modèles italiens, comme Quodlibet, minimum fax et Adelphi141, les éditeurs de L’Orma se proposent d’explorer et d’encourager, par leurs publications, la construction d’une culture européenne et l’intégration des diverses littératures nationales dans un ensemble communautaire. En effet, bien que leur projet s’articule autour des littératures française et allemande, ils refusent toute idéalisation de ces aires culturelles ; les livres accueillis par Kreuzville et Kreuzville Aleph veulent atteindre un degré de représentativité qui dépasse les frontières nationales, de sorte que, par exemple, le rabat d’Il posto d’Annie Ernaux – premier volume de Kreuzville Aleph et de l’auteure phare de la maison – fait éloge de l’intention du roman « qui est la plus ambitieuse et la plus noble de la littérature : élever l’expérience individuelle à une dimension universelle, qui parle de nous tous. »142 Le choix de se concentrer sur les productions en français et en allemand, « sous-représentées » malgré leur richesse, serait dû au fait que la France et l’Allemagne sont des « pays centraux à 137 Federici Solari nous raconte, lors de notre entretien, que l’impulsion à sortir du milieu académique pour fonder une maison d’édition a été donnée notamment par l’isolement qui avait caractérisé son expérience à l’université  : « Un secolo prima avremmo fondato una rivista », dit-il, alors que dans les années 2000 « lo strumento per mettere in piedi quel tipo di comunità culturale era una casa editrice ». 138 Filoni, Marco : « Volumi-cartolina e grandi tedeschi per lasciare un’Orma », La Repubblica, 2 septembre 2012 ; Sebastiani, Luca : « Ecco l’Orma di nuovi editori », l’Unità, 3 octobre 2012. 139 Lombardo, Silvia : « Piccoli editori crescono », Millionaire, décembre 2013 ; Nicotra, « Voglia di ‘ben fatto’ ». 140 Frediani, « Casa dolce casa ». 141 Ibid. 142 Rabat de couverture de : Ernaux, Annie : Il posto, trad. Lorenzo Flabbi, Rome, L’Orma, 2014.

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tous points de vue, géographique et culturel »143 ; ils sont symboliquement représentés par Paris et Berlin (d’où le nom Kreuzville, qui fusionne les quartiers de Kreuzberg et Belleville), dans un champ littéraire que les éditeurs conçoivent comme européen144. Outre les traductions plus ambitieuses – les titres déjà mentionnés d’Hoffmann et de Johnson –, L’Orma publie deux ouvrages de Günter Wallraff (auteur de la toute première publication de la maison, l’enquête Notizie dal migliore dei mondi) et quelques titres isolés (de Peter Schneider, Angelika Klüssendorf, Maxim Biller, entre autres), sans trouver de pendant allemand au cas littéraire représenté par Annie Ernaux du côté de la production française. Les éditeurs constatent, en effet, qu’il est plus aisé d’attirer l’attention du public avec des écrivains (et surtout des écrivaines) français(es) qu’avec les allemands, indépendamment du type d’ouvrage : il y aurait, à leurs avis, une sorte d’« impératif géographique » liant l’Italie à la culture française d’une manière plus étroite qu’à la culture allemande145. Ce n’est qu’à partir de 2016 qu’ils trouvent une auteure germanophone à succès dans Irmgard Keun, auteure des années 1930 redécouverte en Allemagne dans les années 1970/1980 : L’Orma publie un roman de Keun par an, et elle s’avère bientôt l’écrivaine allemande la plus appréciée de leur catalogue, lue avant tout comme une voix emblématique de l’émancipation féminine. Lavieri constitue un cas tout à fait différent. Fondée en 2004 par Marcello Buonomo et Rosa Lavieri, cette maison ne se consacre que partiellement à la littérature, ses centres d’intérêt étant plutôt la littérature jeunesse et le livre illustré (sous forme de bande dessinée, de roman graphique et autres). Cependant, deux collec143 Entretien avec Marco Federici Solari. En exposant la vocation européiste de Kreuzville, Federici Solari renvoie au modèle einaudien de l’après-guerre : « Non solo non c’è uno specifico, quindi non stiamo cercando di dare un’idea della letteratura tedesca o della letteratura francese, ma anzi stiamo cercando là fuori degli elementi per la letteratura, la vita italiana, europea. C’è un passaggio che io, quando l’avevo letto, mi ci ero molto identificato […]: all’indomani della fine del fascismo, Pavese scrive una bella lettera […] e dice appunto, ‘trovammo i nostri uomini e la soluzione ai nostri problemi nelle storie degli americani, degli spagnoli, dei russi e dei francesi.’ […] E questo genere di sguardo fuori che ti permette di guardare per davvero dentro mi sembra ancora molto molto fertile. » 144 Sur le site officiel de l’éditeur, la collection Kreuzville est présentée de la manière suivante : « Quando esprime se stesso, uno scrittore esprime sempre il proprio tempo. Kreuzberg a Berlino, Belleville a Parigi, due quartieri simbolo della stratificazione umana e del fermento culturale della nostra epoca, fusi in un unico nome per libri che danno voce all’immaginario della nuova Europa. Kreuzville, testi a picco sul reale che attingono alle enormi fucine di Francia e Germania : romanzi che incalzano il mondo con le armi dello stile e della lingua, saggi urgenti, di forte impatto, che illuminano e rivelano le tendenze e le derive della società che siamo e viviamo. La letteratura contemporanea ha un compito antico : mostrarci quello che abbiamo sotto gli occhi. » 145 « L’autore tedesco pensoso e sconosciuto è molto difficile da far passare ; l’autore tedesco sconosciuto contemporaneo è molto difficile da lavorare ; l’autrice francese contemporanea è più facile ; l’autore francese pensoso non contemporaneo, comunque più del tedesco … » (entretien avec Lorenzo Flabbi).

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tions en son sein sont vouées spécifiquement au roman traditionnel, et très souvent à des romans traduits : l’une, inaugurée en 2006, est Arno, et tient son nom de l’auteur allemand Arno Schmidt, dont l’éditeur publie trois ouvrages ; l’autre, appelée Autrement, est fondée en 2011 et n’inclut aucune traduction de l’allemand146. Arno est dirigée par le traducteur Domenico Pinto, qui fait de cette collection un lieu de reprise de grands auteurs allemands du XXe siècle jusqu’alors négligés par l’édition italienne, peut-être à cause de la réputation d’intraduisibilité qui entoure souvent leurs ouvrages. De l’auteur qui donne le nom à la série, il publie la trilogie Nobodaddy’s Kinder147, et grâce à sa toute première traduction, Dalla vita di un fauno [Aus dem Leben eines Fauns, 1953], il obtient la reconnaissance du Goethe Institut avec le Deutsch-Italienischer Übersetzerpreis de 2008 (première édition du prix). À côté d’Arno Schmidt, Pinto insère dans sa collection le roman Tadellöser & Wolff (1971) de Walter Kempowski, des récits de Hans Henny Jahnn et des poésies d’Ulrike Draesner, tous dotés d’un suivi rédactionnel assuré par des germanistes comme Camilla Miglio et Raul Calzoni. La sélection et la qualité de ces traductions assurent l’appréciation de la collection par les experts, ce que démontrent leurs critiques très positives ainsi que l’attribution réitérée du prix Stephen Dedalus-Pordenonelegge à ces publications148. Cependant, bien que la direction de la collection ait été confiée à un germaniste, que des ouvrages aussi nombreux soient traduits de l’allemand, et que le nom même de la collection soit un hommage à Schmidt, la vocation d’Arno n’est pas strictement liée à l’histoire et à la culture allemandes. En 2012, Pinto dirige la publication de Le georgiche de Claude Simon, traduite par Emilia Surmonte ; et tout au long de cette collection, qui s’achève en 2012, des auteurs italiens contemporains y publient leurs ouvrages – et reçoivent, eux aussi, un accueil chaleureux de la critique. C’est que l’objectif de l’éditeur n’est pas de proposer une nouvelle histoire de la littérature allemande, mais d’identifier les noms de la littérature européenne restés, pour une raison ou pour une autre, à l’écart du marché éditorial italien ; la prédominance des auteurs allemands s’explique alors par la formation du directeur 146 En revanche, elle contient deux traductions d’Emmanuel Bove : La coalizione. Seguito da Un Raskolnikov (trad. Gianfranco Brevetto et Gianfranco Pecchinenda) en 2011 et Il presentimento (trad. Gianfranco Brevetto et Gianfranco Pecchinenda) en 2012. 147 Cette trilogie est composée des romans Dalla vita di un fauno (2006), Brand’s Haide (2007) et Specchi neri (2009). La même entreprise qui contrôle Lavieri, Ipermedium Comunicazione e Servizi, gère aussi les éditions Ipermedium, pour lesquelles Domenico Pinto traduit, avec Dario Borso, le pamphlet d’Arno Schmidt sur le catholicisme, Ateo ? Altrochè !, en 2007. 148 Notamment à Specchi neri d’Arno Schmidt en 2009, ainsi qu’à Viaggio obliquo d’Ulrike Draesner et 13 storie inospitali de Hans Henny Jahnn en 2010. Parmi les très nombreux comptes-rendus élogieux du travail de Pinto, quelques exemples sont : Krauspenhaar, Franz : « Arno Schmidt : il potere della letteratura contro la retorica verbale », Nazione Indiana, 24 mai 2006, www.nazio neindiana.com/2006/05/24/arno-schmidt-il-potere-della-letteratura-contro-la-retorica-verbale (26 mars 2022) ; Mascitelli, Giorgio : « Memoria e linguaggio in Tadellöser & Wolff » ; Emanuele, Marco : « Il corpo del lattaio », L’Indice dei libri del mese, 4, avril 2011, p. 18 ; Fambrini, Alessandro : « Arno Schmidt, Specchi neri », Anarres, 1, printemps 2012.

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de la collection, mais elle n’empêche que le lauréat français du prix Nobel et plusieurs écrivains italiens trouvent leur place dans cette bibliothèque. Les paratextes, qui insistent notamment sur les qualités littéraires des ouvrages et sur leurs éléments novateurs plutôt que sur leur pouvoir de représentation d’une époque et d’un pays, confirment cette hypothèse : ainsi, par exemple, Pinto présente Hans Henny Jahnn comme « l’un des fondateurs de l’epos moderne » et Goffredo Fofi rapproche Arno Schmidt de classiques italiens du XXe siècle : Carlo Dossi, Carlo Emilio Gadda, Giorgio Manganelli et Tommaso Landolfi.

3.4 LES AUTEURS : UNE AUTRE PERSPECTIVE Nous avons choisi, comme procédé guidant notre analyse, de partir des catalogues pour arriver aux auteurs. Le but des pages précédentes était d’illustrer que le travail de l’éditeur peut changer beaucoup d’une maison à l’autre, selon les dimensions, le statut, la structure, le personnel, le public visé de chaque entreprise ; en outre, nous avons voulu souligner que ces variations ne correspondent pas nécessairement à des différences qualitatives, mais le plus souvent à des projets différents, qui exigent aussi des modalités de travail distinctes selon les cas. Ayant clarifié cela, nous pouvons passer à une étude de cas qui, se resserrant sur une trajectoire particulière, nous permet de montrer ces modalités mises en pratique : les traductions d’Uwe Timm chez Le Lettere, puis chez Mondadori et enfin chez Sellerio reçoivent à chaque fois un traitement nouveau, puisqu’elles sont utilisées à l’intérieur de projets toujours changeants. Avant d’entamer notre étude de cas, nous voudrions introduire en quelques lignes ce changement de perspective, qui déplacera le regard du lecteur hors des maisons d’édition et vers les librairies, les revues et les cérémonies des prix littéraires. Après avoir mis en évidence les critères de sélection des livres à traduire, nous pouvons maintenant nous demander : qu’en est-il de ceux sélectionnés et traduits une fois qu’ils arrivent sur les étagères des libraires ? Revenant au début de ce chapitre, force est de constater que le livre allemand ne remporte pas de grand succès auprès du grand public ; mais même dans les sphères les plus spécialisées, le roman contemporain traduit rencontre des difficultés à s’insérer dans un discours durable. Il n’y a pas de best-sellers traduits de l’allemand entre 2005 et 2015, au moins en ce qui concerne la production romanesque. Ce constat peut paraître d’emblée peu surprenant, puisque les best-sellers sont beaucoup plus rares que les livres qui passent inaperçus ou dont il se vend un nombre d’exemplaires tout juste suffisant pour atteindre le seuil de rentabilité. Néanmoins, cette remarque devient plus significative lorsque l’on compare le succès de certains ouvrages dans leur édition originale et dans l’édition traduite. Des cas extrêmes comme Die Vermessung der

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Welt, déjà cité et dont la traduction italienne ne vend qu’à un pourcentage minime d’exemplaires en comparaison avec les ventes en Allemagne, se répètent pour tous les livres acclamés par le public allemand. Il suffit de regarder les ouvrages récompensés avec le Deutscher Buchpreis, dont la force médiatique favorise systématiquement le succès auprès du grand public. Deutscher Buchpreis (Ouvrages lauréats)

Traduction italienne (Le cas échéant)

2005

Arno Geiger, Es geht uns gut, Hanser

Va tutto bene, trad. Giovanna Agabio, Bompiani, Narratori stranieri, 2008

2006

Katharina Hacker, Die Habenichtse, Suhrkamp

Gli spiantati, trad. Francesca Gabelli, Bompiani, Narratori stranieri, 2007

2007

Julia Franck, Die Mittagsfrau, Fischer

La strega di mezzogiorno, trad. Matteo Galli, Le Lettere, Pan Narrativa, 2008

2008

Uwe Tellkamp, Der Turm, Suhrkamp

La torre, trad. Francesca Gabelli, Bompiani, Narratori stranieri, 2010

2009

Kathrin Schmidt, Du stirbst nicht, Kiepenheuer & Witsch

Tu non morirai, trad. Franco Filice, Keller, Passi, 2012

2010

Melinda Nadj Abonji, Tauben fliegen auf, Jung und Jung

Come l’aria, trad. Roberta Gado, Voland, Amazzoni, 2012

2011

Eugen Ruge, In Zeiten des abnehmenden Lichts, Rowohlt

In tempi di luce declinante, trad. Claudio Groff, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2013

2012

Ursula Krechel, Landgericht, Jung und Jung



2013

Terézia Mora, Das Ungeheuer, Luchterhand



2014

Lutz Seiler, Kruso, Suhrkamp

Kruso, trad. Paola Del Zoppo, Del Vecchio, formelunghe, 2015

2015

Frank Witzel, Die Erfindung der Roten Armee Fraktion durch einen manischdepressiven Teenager im Sommer, Matthes und Seitz



Fig. 6 : Lauréats du Deutscher Buchpreis (2005–2015) La tentation, pour les éditeurs étrangers, de traduire ces ouvrages lauréats et très appréciés des lecteurs est grande, si bien que se serait développé un « réflexe » d’acquisition de leurs droits de traduction, ne serait-ce que parce que ces signes de reconnaissance montreraient qu’un « premier filtrage » a déjà été effectué par la cri-

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tique étrangère149. Cependant, comme l’observe Griffini, « un prix aide à vendre les droits, non pas à vendre le livre »150 : la résonance médiatique de l’attribution des prix littéraires ne dépasse souvent pas les frontières nationales et, même si c’était le cas, les délais de publication des traductions ne permettraient pas d’en profiter à des fins publicitaires. En effet, les contrats de cession des droits précisent généralement que la traduction doit être publiée dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la signature, ce qui est reflété par les années de publication indiquées dans les tableaux ci-dessus, toujours postérieures d’un an à trois ans par rapport aux éditions originales. La parution au sein d’un grand groupe (souvent Bompiani qui, comme nous l’avons vu, est l’un des rares éditeurs de ces dimensions à s’intéresser à la production contemporaine) n’entraîne pas nécessairement un nombre de ventes comparable au succès des mêmes livres en Allemagne ; quant aux maisons indépendantes, elles manquent souvent d’une visibilité suffisante pour reproduire les phénomènes publicitaires des éditions originales, toujours produites par de très grandes maisons. Tout comme les participants de notre enquête imaginaire ne sauraient nommer aisément cinq auteurs germanophones contemporains, les germanistes hésitent lorsqu’ils doivent citer les écrivains les plus significatifs des années 2000. À défaut d’une bibliographie actualisée sur les recherches récentes en études germaniques, nous ne pouvons fournir une liste documentée sur les auteurs les plus traités151 ; cependant, en croisant le regard des dernières histoires littéraires incluant la littérature contemporaine152 avec nos observations sur les auteurs publiés en Italie depuis 2005, nous remarquons que les noms récurrents sont peu nombreux, et ne dépassent pas la quinzaine. Cela peut être dû à plusieurs causes, nous en aperce149 « Quello che immagino che sia il riflesso incondizionato degli editori, è che spesso … Se ha vinto un premio, lo fai. Perché ? Perché già sai che c’è stata tutta una giuria che ha stabilito che il libro era buono. […] Il Goncourt … quando un libro vince un Goncourt, è ovvio che c’è un grosso gruppo che lo prende, e infatti quello lo fa Mondadori, oppure lo fa Garzanti, oppure … perché ha vinto il Goncourt e quindi tac. […] Ovviamente quando puoi fare la spesa facendo duecento libri l’anno, seicento, millecinque, a seconda dei gruppi, perché devi andare a far la fatica di andare a scovare un autore eccetera … quello lì ha vinto, prendi e lo fai, vai sul sicuro, perché no ? Mi sembra anche comprensibile … » (entretien avec Lorenzo Fabbi). 150 Entretien avec Barbara Griffini. 151 Fabrizio Cambi aussi prend acte de ce manque et procède, de manière nécessairement peu systématique, mais lucide, à une analyse des tendances reconnaissables dans la germanistique italienne des années 2000 : Cambi, Fabrizio : « La germanistica italiana oggi », Studi germanici, 7 (2014), pp. 17–48. 152 Fiorentino, Francesco/Sampaolo, Giovanni (dir.) : Atlante della letteratura tedesca, Macerata, Quodlibet, 2009 ; Sisto, Michele (dir.) : L’invenzione del futuro. Breve storia letteraria della DDR dal dopoguerra a oggi, Milan, Scheiwiller, 2009 ; Costagli, Simone/Fambrini, Alessandro et al. (dir.) : Guida alla letteratura tedesca. Percorsi e protagonisti 1945–2017, Bologne, Odoya, 2018 ; Buglioni, Chiara/Castellari, Marco et al. : Letteratura tedesca. Epoche, generi, intersezioni, Florence, Le Monnier, 2019 (en particulier le second volume, Dal primo dopoguerra al nuovo millennio).

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vons au moins deux : l’une est liée aux qualités mêmes du transfert littéraire, l’autre au fonctionnement actuel du champ intellectuel. D’une part, la maxime que Bourdieu emprunte à Marx demeure vraie : « Les textes circulent sans leur contexte ».153 Il en est ainsi pour les auteurs de best-sellers, mais cela ne s’applique pas moins aux auteurs dominants du pôle autonome du champ, qui suscitent parfois bien moins de réactions à l’étranger que dans leur patrie. Marcel Beyer en est un exemple frappant : malgré ses nombreuses publications et les multiples prix qui lui ont été décernés en Allemagne – parmi lesquels le prix Georg-Büchner en 2016 –, seuls deux de ses ouvrages ont été traduits en italien154 et il reste relativement absent des publications savantes155. L’attention qui lui est accordée par les germanistes italiens est surtout due au fait que ceux-ci sont au courant de son influence en Allemagne, donc de son contexte de départ, si bien qu’ils commentent parfois des ouvrages sans traduction italienne (notamment Spione, publié en 2000) et qu’ils déplorent le peu d’intérêt que l’auteur éveille en Italie. Mais la construction produite tout autour de son œuvre par les agents du champ allemand – une construction faite de critiques, de prix littéraires et d’articles de revues156 – n’arrive pas en Italie ni n’est reproduite par les agents du champ italien. En d’autres termes, les éditeurs et les germanistes italiens n’ont pas (encore) vu dans l’œuvre de Beyer un outil intéressant pour leurs luttes spécifiques. D’autre part, comme nous l’avons déjà dit dans la première partie de cette thèse, l’espace ouvert à la discussion à long terme de la production littéraire se fait de plus en plus étroit. Les comptes-rendus qui suivent immédiatement la publication d’un roman ne constituent pas de base à une discussion solide, et on manque d’évènements plus ou moins ouverts au public pour débattre des traductions de 153 Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », p. 4. 154 Il s’agit de Pipistrelli (trad. Giuseppina Oneto), Turin, Einaudi, Coralli, 1997 et Forme originarie della paura (trad. Silvia Bortoli), Turin, Einaudi, Supercoralli, 2011 (dont l’original, Kaltenburg, avait été nominé pour le Deutscher Buchpreis en 2008). 155 À son sujet, nous ne trouvons que quelques contributions brèves et isolées : deux de la même auteure, Lumachi, Monica : « Uwe Johnson maestro del mio presente : intervista a Marcel Beyer », Alias, 16 novembre 2002 et « Marcel Beyer. ‘Storia è in tutto ciò che vedo’ », dans : Costa, Marcella/Sbarra, Stefania et al. (dir.) : Le storie sono finite e io sono libero. Sviluppi recenti nella poesia di lingua tedesca, Naples, Liguori, 2003 ; quelques comptes-rendus après la traduction de 2011, comme Bello Minciacchi, Cecilia : « Una zoologia della Germania », Alias, 25 juin 2011 et Grazioli, Luigi : « Marcel Beyer. Forme originarie della paura », Doppiozero, 4 octobre 2011 (www.doppiozero.com/materiali/oltreconfine/marcel-beyer-forme-originarie-della-paura (26 mars 2022) ; deux articles de Ribatti, Nicola : « La parola e la traccia : modi del romance e del novel in Spione di Marcel Beyer », Contemporanea. Rivista di studi sulla letteratura e sulla comunicazione, 11 (2013), pp. 97–106 et Bosco, Lorella : « Ricomporre la storia ricordando le storie : fantasmi della memoria e segreti di famiglia in Spione (Spie) di Marcel Beyer », dans : Guida, Patrizia/Scianatico, Giovanna (dir.) : Il segreto nella letteratura moderna, Lecce, Pensa, 2010, pp. 119–152 ; et enfin une notice de Matteo Galli sur l’auteur dans Costagli/Fambrini et al. (dir.), Guida alla letteratura tedesca. 156 Un signe de la légitimité de Marcel Beyer dans le champ littéraire germanophone est la parution d’un cahier qui lui est entièrement dédié dans text+kritik : Arnold, Hannah/Martus, Steffen et al. (dir.) : Marcel Beyer, 218/219, Munich, text+kritik, 2018.

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l’allemand : il n’existe pas de festival de la fiction allemande et, nous l’avons vu, les lectures publiques en compagnie des auteurs représentent un coût supplémentaire qui s’ajoute aux frais de traduction et de publication que plusieurs éditeurs ne peuvent pas assumer. Ni de la part des éditeurs, ni de la part des critiques, on ne remarque d’action collective pour construire la légitimité d’un auteur ou d’un groupe d’auteurs allemands autour d’une thématique ou d’un style ; au contraire, les publications et les éloges de la critique s’avèrent souvent des évènements ponctuels, qui ne conduisent encore à aucune proposition de canon contemporain identifiable. La question reste ouverte de savoir si l’organisation d’initiatives régulières, destinées à promouvoir la littérature allemande dans des lieux de culture – des écoles, des bibliothèques, des librairies –, pourrait aider à consolider la présence de cette production en Italie. Avant de passer à l’étude de cas, il nous paraît donc important de retenir au moins une observation en guise de conclusion provisoire. C’est notamment que les traductions de l’allemand, tout en représentant une minorité à l’intérieur des traductions en italien, et plus encore parmi l’ensemble des romans publiés, sont soumises à des traitements très variables selon les maisons d’édition. Ces maisons, en effet, peuvent tirer profit – un profit symbolique aussi bien qu’économique – de la création de sous-champs qui leur permettent d’occuper des positions dominantes. Cela explique le choix des petits éditeurs de s’adresser à des publics très spécifiques, non seulement pour se soustraire à l’emprise des grands généralistes, mais aussi pour se protéger de la concurrence des collègues de mêmes dimensions ; cela explique également les choix des maisons indépendantes de taille moyenne et grande, lorsqu’ils prennent leurs distances avec les groupes éditoriaux et insistent sur un élément identitaire qui fasse de leur brand le point de référence pour un certain groupe de lecteurs ; cela explique, enfin, les stratégies des groupes visant à satisfaire et à combler la demande du public au lieu d’en créer une inédite, puisque leur énorme pouvoir d’achat et le nombre très élevé de publications annuelles est le principal atout qui les différencie des concurrents. Cette structure du champ littéraire conduit au glissement progressif des éditeurs historiques vers le pôle de production de masse, alors que les maisons indépendantes grandes et moyennes s’acheminent vers les positions dominantes du pôle autonome ; les maisons plus petites, en revanche, occupent soit des sous-champs spécifiques (le milieu académique, la culture régionale) soit des positions d’avant-garde plus strictement littéraire.

4. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’UWE TIMM EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE 4.1 INTRODUCTION L’intérêt d’analyser le transfert de l’œuvre d’Uwe Timm dans le champ littéraire italien réside dans au moins deux éléments. Le premier a affaire au décalage temporel considérable qui caractérise ce transfert : alors que l’édition originale de Heißer Sommer remonte à 1974, la première publication de Timm en Italie paraît en 20031. En outre, face aux plus de quinze livres de fiction entre romans, nouvelles et recueils de récits publiés en Allemagne avant 2015, les traductions de Timm en italien se limitent aujourd’hui à sept romans seulement2. Plusieurs questions s’imposent alors : pourquoi plus d’un éditeur en Italie choisit de publier cette sélection d’ouvrages, et pourquoi précisément à ce moment3 ? Quelles différences découlent, dans l’image de l’auteur en Allemagne et en Italie, de l’écart entre le contexte de ses premières publications dans les années 1980 et celui de ses traductions dans les années 2000 ? Quels intérêts spécifiques ont guidé le choix des éditeurs qui ont sélectionné les titres à traduire et quels aspects des ouvrages traduits ont été retenus dans leur présentation éditoriale ainsi que dans leur réception critique ? Le deuxième élément qui explique l’intérêt de notre analyse concerne la spécificité relative de l’œuvre de Timm par rapport à l’univers culturel allemand. Souvent situés dans des contextes socio-historiques et géographiques très précis4, ses 1 2

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Exception faite de son livre pour enfants Rennschwein Rudi Rüssel [1990], traduit par l’éditeur modénais Franco Panini Ragazzi en 1997. Postérieurement à notre créneau temporel, la maison palermitaine Sellerio inaugure une nouvelle phase dans la médiation de l’œuvre de Timm en Italie et accroît le nombre de ses traductions : en 2019, cet éditeur publie Un mondo migliore [Ikarien, 2017] et en 2020 il propose une réédition de La scoperta della currywurst [Die Entdeckung der Currywurst, 1993] ; en outre, toujours en 2020, Feltrinelli publie encore un de ses livres pour enfants, Un topino a Parigi, publié en allemand presque trente ans plus tôt [Die Zugmaus, 1981]. Au moment où les éditeurs italiens commencent à s’intéresser à l’œuvre de Timm, plusieurs de ses livres avaient déjà été traduits en d’autres langues : Der Mann auf dem Hochrad, par exemple, est publié en français en 1986 (L’Homme au vélocipède, Paris, Balland) ; Kopfjäger est traduit en anglais en 1994 (Headhunter, New York, New Directions) ; Die Entdeckung der Currywurst est traduit en anglais en 1995 (The Invention of Curried Sausage, New York, New Directions) et en français en 1996 (La Découverte de la saucisse au curry, Paris, Seuil) ; Johannisnacht est traduit en anglais en 1998 (Midsummer Night, New York, New Directions). Il suffit de penser, par exemple, à la « trilogie berlinoise » composée par Johannisnacht, Rot et Halbschatten, où la ville de Berlin ne sert pas seulement d’arrière-plan à l’histoire, mais contribue aussi à la construction narrative grâce à la valeur historique et symbolique des lieux cités au fur et à mesure.

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romans sont imprégnés de références significatives aux lieux, à l’histoire et à la culture populaire allemande, et ils mettent au cœur du récit des moments plus ou moins récents de son passé : les manifestations de 1967 et la mort de l’étudiant Benno Ohnesorg (Heißer Sommer, Der Freund und der Fremde), les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale avant la capitulation et l’immédiat après-guerre (Die Entdeckung der Currywurst, Ikarien), la réunification (Johannisnacht), les trois décennies de la fin du XXe siècle (Rot), le régime nazi (Halbschatten), le passé colonial dans l’Afrique allemande du Sud-Ouest (Morenga). En outre, Timm a tendance à recréer, à travers la langue de ses personnages, une parole orale, souvent teinte d’une couleur locale et qui dénote fortement une réalité spécifiquement allemande, dont elle reprend les usages, les traditions, les objets : cela fait de la traduction de ses textes un exercice de restitution très complexe, uniquement accessible à des experts non seulement de la langue, mais aussi de l’histoire et de la culture allemande du XXe siècle. Il est donc utile de retracer les différents moments et les modalités de cette restitution, puisqu’elle comporte un travail parfois invasif de médiation – qui se manifeste dans l’emploi d’un appareil de notes de bas de page, d’articles de présentation de l’auteur et, dans le cas de sa première publication en italien, d’une postface explicative du traducteur – et qu’elle signifie l’introduction non seulement d’ouvrages, mais aussi d’un univers de signification étrangers. L’analyse est conduite en deux temps. Tout d’abord nous esquissons la trajectoire d’Uwe Timm en Allemagne : cette première partie a pour fonction de mettre par la suite plus clairement en évidence l’écart entre les positionnements de l’auteur dans son espace de départ et dans l’espace italien. Ensuite, nous reconstruisons la trajectoire d’Uwe Timm en Italie, nous considérons en détail l’histoire de ses publications et analysons la présentation éditoriale qui en est proposée au fur et à mesure. En outre, nous observons la réception critique de ses ouvrages auprès de plusieurs revues italiennes issues de divers secteurs du champ, afin de mettre en relief les effets du travail des éditeurs et des traducteurs sur la réception de l’œuvre de Timm, et de comparer cette réception à celle dans l’espace germanophone. Avant d’en venir aux deux parcours de l’auteur en Allemagne et en Italie, nous exposons brièvement ci-dessous les étapes fondamentales de sa biographie et son œuvre. Une dernière remarque d’ordre méthodologique s’impose à ce stade. Les sources nécessaires à la rédaction de ce chapitre, ainsi que du chapitre § 6, relatif à la trajectoire d’Emmanuel Carrère en France et en Italie, sont principalement de deux types : nous avons réalisé des entretiens avec leurs médiateurs dans le champ italien, et nous avons consulté les comptes-rendus, les articles de presse et les publications savantes qui témoignent de la réception critique de leurs publications. Au cours de nos travaux, deux difficultés ont entravé notre accès à ces sources : d’une part, les séjours de recherche prévus en Italie pour la troisième année de thèse ont dû être annulés à cause de la crise sanitaire de 2020–2021 ; d’autre part – et cette complication nous semble beaucoup plus intéressante à approfondir dans le cadre de ce travail –, les maisons d’édition italiennes que nous avons contactées afin de demander l’accès à leurs archives ont soit manqué de nous répondre, soit

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nous ont affirmé ne pas garder d’archives de leur activité récente. Pas de correspondances avec les auteurs et les agences, pas de fiches de lecture, pas de dossiers de presse : aucune archive systématique ne recueille les documents concernant les publications de l’époque contemporaine. Cette découverte a eu au moins trois conséquences importantes pour notre réflexion. D’abord, nous remarquons, non sans un certain désarroi, que le futur des recherches sur le travail éditorial et, de manière plus générale, sur tout ce qui requiert la sauvegarde archivistique de documents existant de plus en plus souvent uniquement sous forme dématérialisée est en danger, et exige la mise au point d’une méthode pour éviter la dispersion, voire la dissolution des sources5. Ensuite, nous avons dû compenser ces manques en récupérant ailleurs les documents nécessaires. Grâce à la disponibilité de la maison d’édition P. O. L. et de l’archive littéraire allemande de Marbach, nous avons pu accéder aux dossiers de presse d’Emmanuel Carrère et d’Uwe Timm, ainsi qu’aux premières éditions de leurs ouvrages en langue originale et à quelques extraits de correspondance. Ces dossiers contiennent la plupart des documents relatifs à la réception critique des deux auteurs dans leurs champs d’origine respectifs, contre seulement une partie des documents publiés dans le champ italien. D’autres recherches en ligne (notamment sur la base de données de presse internationale Factiva) et des bibliographies académiques sur les publications savantes les plus récentes (comme les Annales de la germanistique italienne publiées par l’IISG) nous ont permis de compléter ces dossiers. Nous sommes néanmoins d’avis que nos sources demeurent, dans une certaine mesure, incomplètes, et qu’une recherche sur le champ, en plus étroite coopération avec les agents des maisons d’édition concernées, pourrait nous aider à les enrichir davantage. Ce qui nous mène au troisième et dernier point de cette brève introduction. La résistance que nous avons rencontrée à maintes reprises pour accéder à des informations internes au travail des éditeurs, voire pour donner lieu à un simple échange avec les professionnels de quelques maisons, met en lumière la fermeture relative de ce milieu. Certes, la présence d’un observateur externe qui enquête sur les modalités du travail représente dans tout contexte une forme d’intrusion qui peut être indésirable ; mais nous avons pu observer, au cours de ces années, que le développement d’une relation personnelle ou même la médiation d’un tiers « fiable » lors de l’organisation des entretiens facilite en grande mesure l’échange et donc, en dernière instance, l’accès au savoir. Autrement dit : ce n’est pas la lé5

De nombreux chercheurs observent cette même problématique dans différents domaines disciplinaires : nous avons pu confronter notre expérience, lors de divers colloques auxquels nous avons participé, avec celle d’autres doctorants et enseignants-chercheurs qui déplorent l’insouciance à l’égard de ce manque de systématicité dans la conservation des sources, par exemple en ce qui concerne les échanges qui ont lieu, à ce jour, presque exclusivement par courrier électronique. Des évènements comme le congrès prévu au printemps 2021 à l’Université de l’Alberta, « De l’édition imprimée à la numérisation. Enjeux patrimoniaux et perspectives archivistiques dans le champ éditorial », démontrent l’intérêt actuel pour ce sujet.

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gitimation académique (dans ce cas : la recherche doctorale au sein d’une grande université parisienne) qui convainc les professionnels de l’édition de nous renseigner sur les coulisses de leur travail, mais plutôt le rapport plus ou moins étroit avec d’autres agents internes au champ. Cela témoigne, nous semble-t-il – mais il serait envisageable de mener une analyse sociologique des relations dans cet environnement professionnel pour tirer des conclusions circonstanciées –, du caractère strictement personnel des rapports dans ce domaine et, surtout, de l’importance fondamentale de la structure du champ, qui laisse entrer les uns et exclut les autres, dans la construction des réseaux.

4.2 DE FOURREUR À ROMANCIER Uwe Timm naît à Hambourg, en Allemagne, en 1940. Il apprend la profession de fourreur, pratiquée par son père, puis poursuit des études en germanistique et en philosophie entre Munich et Paris, où il est témoin des manifestations étudiantes de la fin des années soixante. Ses origines modestes et sa participation aux mouvements de révolte pendant ses études jouent un rôle primordial dans le développement de ses prises de position politiques à gauche, ainsi que sur sa production littéraire, qui se caractérise, surtout à ses débuts, par un engagement politique marqué ; dans tous ses écrits, l’auteur reviendra sans cesse, de façon plus ou moins directe, à l’expérience de l’activisme étudiant, à ses limites et à la nécessité d’une intelligentsia politisée. En 1971, Timm obtient le titre de docteur avec une thèse sur le « problème de l’absurde » dans l’œuvre d’Albert Camus6, un modèle d’écrivain et de penseur dont il ne s’éloignera pas au fil des années : au contraire, Camus, ses personnages et sa pensée figureront tout au long de la réflexion et la production littéraire de Timm – probablement de manière plus explicite dans Der Freund und der Fremde [2005], qui renvoie directement et dès son titre à L’Étranger7. À partir du début des années soixante-dix, Timm s’engage dans le collectif Wortgruppe München, qui rassemble de jeunes auteurs allemands de gauche autour de la revue Literarische Hefte, et où Timm trouvera ses premiers interlocuteurs à qui il exposera ses tentatives d’écriture8. À la même période, il participe également à l’entreprise éditoriale 6 7 8

Timm, Uwe : Das Problem der Absurdität bei Albert Camus, Hambourg, Lüdke, 1971. Il est possible d’entrevoir, dans le titre de ce témoignage, aussi un renvoi au roman Der fremde Freund de Christoph Hein, publié en RDA en 1982, dont le personnage principal est incapable de s’engager et de tisser des liens avec la société qui l’entoure. À propos de l’expérience avec ce groupe, qu’il appelle « München linksliterarisch », Timm raconte : « Da waren vier Autoren und eine Autorin versammelt, und wir haben gemeinsam gelesen, diskutiert und auch eine kleine Zeitschrift herausgegeben. Das war für mich eine wichtige Zeit, weil ich eine solidarische Kritik bekam » (entretien avec Monika von Aufschneiter : « Schreiben fürs Leben », Süddeutsche Zeitung, 19 janvier 2002, p. 54). 

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AutorenEdition, du groupe Bertelsmann : située à Munich, AutorenEdition se présente entre 1973 et 1978 comme un modèle éditorial alternatif où la littérature du « nouveau réalisme » s’adresserait au grand public pour aborder les problématiques sociales d’actualité de façon « lucide et plaisante »9. Nous verrons par la suite comment le travail au sein de cette petite équipe d’écrivains a constitué une étape fondamentale dans le positionnement de Timm, dans la mesure où il se plaçait, par ce biais, contre une certaine idée élitiste de la littérature et de la vie intellectuelle et donc aussi, assez directement, contre certains de ses représentants. En 1974, chez AutorenEdition, Timm publie son premier roman, Heißer Sommer, qui se présente comme une reconstruction littéraire de l’expérience universitaire à la fin des années 1960. Pourtant, ce roman n’est pas sa première tentative littéraire : déjà en 1971, Timm publie chez Hamburg Neue Presse un recueil de vingt-trois poésies sous le titre de Widersprüche (« Contradictions »). Ses deux romans suivants, Morenga [1978] et Kerbels Flucht [1980], paraissent à nouveau chez AutorenEdition, mais ils sont bientôt repris au sein du catalogue de Kiepenheuer & Witsch (ou KiWi), lequel devient, à partir des années 1980, l’éditeur officiel et presque exclusif de Timm. C’est chez cette maison de Cologne que l’auteur publie ses ouvrages ultérieurs, parmi lesquels la « légende » Der Mann auf dem Hochrad [1984]10, les romans Der Schlangenbaum [1986] et Kopfjäger [1991], ainsi que le recueil de récits issus du séjour de l’auteur en Italie, Vogel, friss die Feige nicht [1989]. Le passage à KiWi n’est pas sans conséquence : il signifie le changement de statut de l’auteur, reconnu pour la première fois en tant que romancier par une maison d’édition qui, après une trentaine d’années d’activité, profite déjà d’une bonne visibilité et d’un certain renom. Le véritable succès auprès du public et de la critique est atteint en 1993 par le roman Die Entdeckung der Currywurst, où l’auteur met en pratique son projet d’une « esthétique du quotidien », annoncé dans son recueil d’essais paru la même année, Erzählen und kein Ende11. Ce recueil contient, en fait, les cinq leçons de poétique tenues par l’auteur à l’université de Paderborn au cours de l’année précédente : l’invitation à tenir des Poetikvorlesungen à l’université représente, nous le verrons, un signe de reconnaissance de la part d’au moins une partie de la critique académique, qui admet ainsi l’auteur dans le répertoire des auteurs contemporains à prendre en compte. À partir de ce moment, Uwe Timm peut 9

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Le colophon des premiers livres parus chez AutorenEdition apporte quelques informations d’ordre général sur la ligne éditoriale du projet. Les expressions citées dans le corps du texte sont issues du passage suivant dans le colophon : « Die AutorenEdition wendet sich an einen großen Leserkreis. Veröffentlicht werden ausschließlich Romane, Erzählungen und Kurzgeschichten deutschsprachiger Autoren. Die gesellschaftlichen Probleme sollen anschaulich und unterhaltsam dargestellt werden. » Le sous-titre « Legende » précise le genre du livre sur la couverture de sa première édition allemande. « Versuche zu einer Ästhetik des Alltags » est le sous-titre du volume Erzählen und kein Ende [1993].

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être considéré comme un auteur relativement établi en Allemagne. Ce succès est par ailleurs confirmé lors de la parution de ses romans suivants, qui sont reçus avec enthousiasme par les lecteurs des deux pôles du champ littéraire : Johannisnacht [1996], Rot [2001], Am Beispiel meines Bruders [2003] et Der Freund und der Fremde éveillent l’intérêt du grand public et sont applaudis par la critique. Au plus tard à partir de la publication de Der Freund und der Fremde, en 2005, Uwe Timm commence à faire partie des noms les plus significatifs de la littérature allemande contemporaine, telle qu’elle est perçue dans le champ allemand lui-même : l’écho du roman sur Ohnesorg dans la presse germanophone n’a pas de précédents dans la production de l’auteur ; à l’occasion de son 65e anniversaire, KiWi publie le recueil Der schöne Überfluss, rassemblant des textes d’auteurs de renom comme F. C. Delius, Peter Härtling et Martin Walser qui saluent l’écrivain de Hambourg. Dès lors, les signes de consécration de la part des pairs commencent à s’amonceler : Timm reçoit en 2009 le prix littéraire Heinrich-Böll, en 2012 le médaille Carl-Zuckmayer, en 2018 le Schillerpreis de la ville de Mannheim. Pendant ce temps, l’auteur ne cesse d’enrichir sa production littéraire, et publie encore les romans Halbschatten [2007], Vogelweide [2013] et Ikarien [2017], à côté d’autres textes de non-fiction, comme les essais Den Zauberberg neu lesen [2012] et Montaignes Turm [2015], par lesquels il renouvelle son intention militante de rapprocher la réflexion littéraire du grand public qu’il avait revendiquée dans ses premiers textes.

4.3 UWE TIMM EN ALLEMAGNE : DE L’OPPOSITION À LA CONSÉCRATION La carrière d’Uwe Timm en Allemagne peut être divisée, schématiquement, en cinq grandes sections : une première phase d’engagement politique direct et de publications « en marge » du champ littéraire ; une deuxième de visibilité en hausse auprès de la presse culturelle, accompagnée par le passage à la maison d’édition Kiepenheuer & Witsch ; une troisième phase où l’auteur obtient pour la première fois, grâce à trois romans reçus avec grand enthousiasme, un succès commercial sans précédent en même temps que les éloges de la critique littéraire plus spécialisée ; puis, une quatrième phase de consécration symbolique qui se reflète dans les signes de reconnaissance classiques du pôle de production restreinte – les Poetikvorlesungen, les prix, les ouvrages académiques publiés en son honneur ; et, enfin, une dernière étape d’autoréflexion de l’écrivain sur son œuvre et d’élargissement de son répertoire thématique, ce qui engendre des avis partagés auprès de son lectorat. Tout au long de ce parcours complexe, un élément constant assure une continuité relative à toute la production de l’auteur : il s’agit de son ouverture à plusieurs genres, qu’il pratique et développe depuis le recueil poétique de 1971 jusqu’aux essais littéraires dans Montaignes Turm en 2015, en passant par des livres

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pour la jeunesse – dont certains sont désormais célèbres, comme Rennschwein Rudi Rüssel – et plusieurs scénarios pour longs-métrages. Dans le cadre de notre analyse, nous nous concentrons sur ses romans, dont les dates de parution déterminent les années de début et de fin de chaque période – tout en soulignant, bien sûr, que la trajectoire de l’auteur ne présente pas de ruptures brusques, mais au contraire qu’elle se déroule au long d’un continuum toujours en transformation, dont les dates limites que nous proposons ont une valeur purement indicative. En outre, bien que notre regard soit principalement tourné vers les romans de Timm, nous nous appuyons aussi occasionnellement sur le reste de sa production, là où elle nous permet d’encadrer au mieux le positionnement de l’écrivain dans l’espace littéraire.

4.3.1 L’engagement politique et le débat autour du nouveau réalisme (1974–1980) La première phase de la production d’Uwe Timm se caractérise par sa nature éminemment politique et par la prise de position explicite de l’auteur en faveur d’une écriture réaliste et engagée. Dès ses années universitaires, le jeune Timm se rapproche de l’extrême gauche : sa politisation se concrétise surtout par le biais de son adhésion à l’Union des étudiants socialistes allemands (Sozialistischer Deutscher Studentenbund ou SDS)12 et se consolide après ses études, à partir de 1973 et jusqu’à 1981, par l’inscription au parti communiste allemand (Deutsche Kommunistische Partei ou DKP)13. Au cours de ces années, Timm écrit des articles pour le journal officiel du parti communiste, Unsere Zeit, ainsi que pour d’autres journaux de gauche tels Rote Blätter14, Die Tat et Deutsche Volkszeitung (DVZ). Quoique ses articles concernent surtout des thématiques littéraires, l’auteur a toujours recours, dans l’interprétation et la critique des textes qu’il aborde, à une lecture ouvertement politique. L’appartenance de Timm à la gauche ne se manifeste pas seulement par son activité de critique journalistique, mais aussi par sa participation à de nombreuses initiatives d’opposition contre une partie de la doxa culturelle, représentée par les auteurs de la nouvelle subjectivité15 qui, elle, se veut au contraire « dépoliti12 13 14 15

Timm, Uwe : Über den Dogmatismus in der Literatur, p. 24. Dans : Fuchs, Gerd/Timm, Uwe (dir.) : Kontext 1, Munich, AutorenEdition, 1976, pp. 22–31. Le parti communiste allemand (DKP) est, à cette époque, encore très jeune : il est fondé en RFA seulement quelques années plus tôt, en 1968, après la levée de l’interdiction du Kommunistische Partei Deutschlands (KPD) par le gouvernement ouest-allemand. Rote Blätter est une revue étudiante promue par l’union des étudiants marxistes, le Marxistischer Studentenbund Spartakus. La catégorie critique de « Neue Subjektivität », ou nouvelle subjectivité, renvoie aux auteurs de la RFA qui, dans les années 1960 et 1970, s’adonnent à une écriture qui place au centre le « je » et

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sée »16. Il est possible, en effet, de constater une analogie structurelle entre le positionnement politique de l’auteur d’un côté et son activité culturelle de l’autre, tous deux également contestataires et socialement engagés. Nous l’avons mentionné : Uwe Timm prend part à plusieurs projets littéraires et éditoriaux qui ont pour objectif une prise de distance ostentatoire face à la norme instituée. Le représentant par excellence de celle-ci serait, d’après les propos de Timm, Peter Handke : son écriture expérimentale et sa posture délibérément élitiste sont critiquées à maintes reprises par Timm, qui exploite ces occasions de confrontation pour créer et légitimer, par contraste, sa propre place dans le champ littéraire17. Ce que Timm déplore chez Handke – deux années plus jeune, mais déjà très débattu sur la scène littéraire germanophone –, est sa complète assimilation de la valeur capitaliste de la productivité. C’est à cause de cette intériorisation du capitalisme et de son application à la pratique littéraire, selon Timm, que certains auteurs se vanteraient de proposer au public des produits toujours nouveaux, dont la substance demeurerait, cependant, insignifiante. En ce sens, l’expérimentalisme de Handke et de ses admirateurs ne serait que le résultat de la recherche de solutions formelles toujours revisitées et surprenantes pour des textes dont le contenu serait négligeable. Cela s’oppose diamétralement à la volonté déclarée par Timm de se servir de la littérature avant tout pour montrer la réalité telle qu’elle est, et d’inviter par là ses lecteurs à agir afin de la modifier. Autrement dit, Timm se place, à travers son opposition à l’autonomie prônée par Handke, près du pôle hétéronome du champ, qui est régi par des contraintes d’ordre extra-littéraire, dans ce cas politique. Cependant, revendiquer la dignité spécifique de la littérature engagée tout en défendant l’intérêt de la recherche formelle pourvu qu’elle ait une visée à la fois esthétique et politique lui permet de gagner une position qui est, certes, hétérodoxe, mais pas entièrement hétéronome18. Pour légitimer ce choix, il se réclame du modèle du Groupe 61 son expérience quotidienne du monde, c’est-à-dire l’« empirisch-disparates Ich und das alltäglich empirisch Erfahrbare in seiner ganzen Fülle » (Kammermeier, Medard : Die Lyrik der neuen Subjektivität, Francfort-sur-le-Main, Lang, 1986, p. 132). Le courant de la Neue Subjektivität ne se borne pas à la production littéraire, mais se manifeste aussi à travers la réflexion philosophique : v. Ebeling, Hans : Neue Subjektivität. Die Selbstbehauptung der Vernunft, Würzburg, Königshausen & Neumann, 1990. 16 V. par exemple l’opposition entre Heißer Sommer d’Uwe Timm et Lenz de Peter Schneider esquissée par Matthias Lorenz : « Literatur und Betrieb nach dem ‘Tod der Literatur’. Fiktionales Schreiben in der Bundesrepublik der siebziger Jahre », dans : Faulstich, Werner (dir.) : Die Kultur der 70er Jahre, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 2004, ici pp. 159–162. 17 Ceci est évident dans l’article déjà cité, Über den Dogmatismus in der Literatur, où Handke est opposé à des auteurs « politiques » comme Martin Walser, Christian Geissler, Alfred Andersch, Franz Xaver Kroetz, Heinar Kipphardt et Günter Herburger (p. 23), et surtout dans Timm, Uwe : « Peter Handke oder sicher in die 70er Jahre » (dans kürbiskern, 4 (1970), pp. 611–621), où il critique le fait que Handke, en recherchant sans cesse la nouveauté formelle sans se soucier du contenu, appliquerait à la littérature « die Normen der kapitalistischen Produktionsweise » (p. 612). 18 Nous faisons ici référence au schéma proposé par Sapiro dans : Sapiro, Gisèle : « Das französische literarische Feld : Struktur, Dynamik und Formen der Politisierung », Berliner Journal für Soziologie, 2 (2004), pp. 157–171.

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ainsi que des auteurs réalistes ressortissants de la RDA, tels Volker Braun, Anna Seghers, Christa Wolf et Heiner Müller19 : ces cas, précédents ou contemporains, lui confèrent, en somme, le crédit symbolique dont il a besoin pour défendre son propre programme littéraire. L’activité de Timm auprès des collectifs Wortgruppe München et AutorenEdition témoigne donc de sa position dominée. En outre, elle témoigne aussi de son positionnement dans un rôle manifestement contestataire, d’opposition, et en même temps de sa velléité de légitimation spécifique. Les collaborateurs du projet AutorenEdition s’opposent, à l’instar de Timm, à toute littérature qui se veut autonome, et ils défendent de façon systématique une esthétique réaliste qui ait comme objet principal la représentation des « problèmes sociaux » et de « la réalité même »20. Comme dans ses articles journalistiques, Timm se prononce aussi dans ce cadre en faveur d’une littérature dont le but soit avant tout politique : l’introduction du premier volume de la collection Kontext chez AutorenEdition, par exemple, indique que la grande interrogation du nouveau réalisme concerne « comment les processus sociaux et politiques se transmettent à l’individu », et il souligne que cette question est « la question la plus politique dans l’absolu ; mais c’est aussi la question qui rend clair ce en quoi la littérature se distingue de la science, et quelle est sa fonction sociale »21. La poétique prônée par Timm prend forme par recoupement avec les autres formes d’écriture réaliste en vogue dans l’Allemagne des années 1970, c’est-à-dire en relation avec « l’espace des possibles »22 dans le champ à cette époque. Le recueil Realismus – welcher ?23, qui explore les possibilités et les horizons d’une représentation fidèle du monde dont disposent les écrivains allemands de ces années, témoigne de la vive confrontation entre ces diverses interprétations de ce que c’est que le réalisme. Ce volume reproduit, entre autres, le débat véhément entre Uwe Timm et le critique littéraire Jörg Drews au sujet du nouveau réalisme : dans ce contexte, Timm préconise le » réalisme politique », c’est-à-dire ce qu’il appelle « une méthode permettant de saisir et de comprendre la réalité à travers la représentation » et qui permet de montrer « que la réalité peut être modifiée consciemment. »24 Drews, d’après qui l’invective de Timm ne servirait qu’à cacher une vo19 20 21 22 23 24

V. l’introduction des éditeurs dans : Fuchs/Timm, Kontext 1. « Angestrebt wird eine realistische Schreibweise. Nicht die Schreibschwierigkeit des Autors angesichts einer widersprüchlichen Realität, sondern die Realität selber ist das Thema der AutorenEdition » (dans le colophon des premiers livres parus chez AutorenEdition). « Wie sich gesellschaftliche und politische Prozesse ins Individuum vermitteln » et « die politischste Frage überhaupt ; sie ist aber auch die Frage, an der sich klären läßt, was Literatur von Wissenschaft unterscheidet, was ihre gesellschaftliche Rolle ausmacht » (ibid.). Bourdieu, « Le champ littéraire », p. 36. Laemmle, Peter (dir.) : Realismus – welcher ? Sechzehn Autoren auf der Suche nach einem literarischen Begriff, Munich, text+kritik, 1976. « Eine Methode, Realität darstellerisch zu erfassen und zu verstehen » et « daß Wirklichkeit sich bewußt verändern läßt. » Timm, Uwe : Realismus und Utopie, dans Realismus – welcher ?, pp. 139–150 (première publication dans kürbiskern, n. 1, 1975, pp. 91–101).

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lonté de banalisation de la production littéraire, reproche à son adversaire d’écrire dans un style démodé et dépassé, ayant pour seul but la vulgarisation de la littérature pour des masses qui, néanmoins, ne seraient aucunement intéressées par la littérature. À ces accusations, Timm réplique que son intention vise entièrement à élargir le public des textes littéraires à travers une écriture capable d’atteindre l’homme, tout homme, en le représentant et en le mettant au centre de l’histoire dans laquelle il est appelé à intervenir. La leçon sartrienne est évidente dans les propos de Timm, qui cherche à défendre sa position dans le champ allemand, en assumant la posture de l’intellectuel engagé telle qu’elle est préconisée par le maître de l’existentialisme français et qui est graduellement délégitimée, en Allemagne, au pôle de production restreinte. Cette influence, loin d’être dissimulée derrière une prétendue originalité, est et reste toujours le drapeau de l’auteur, qui étudie les textes de Sartre pendant ses études en philosophie, vit à Paris lorsqu’il écrit sa thèse sur Camus et évoque, bien des années plus tard, l’énorme poids de la lecture des philosophes français sur sa pensée et sur sa production dès le début de sa carrière. Si cette posture coûte à Timm quelques reproches, comme lors de son échange avec Jörg Drews, elle lui vaudra l’appréciation de toute une partie du public ainsi que du segment de la critique qui est convaincu, comme lui, de la nécessité de recourir à la littérature pour mettre en scène le réel. Les premiers textes littéraires de Timm s’insèrent idéalement dans ce programme de renouveau du réalisme. En 1969 il contribue au recueil des écrivains de gauche de Hambourg Maiengrün und Maienrot : Frühlingslieder von Hamburg linksliterarisch ; ensuite, en 1971, au cours de l’année où il soutient sa thèse25, il publie son premier recueil poétique Widersprüche, illustré par Carlo Schellemann, dont un extrait sort également dans la Frankfurter Rundschau. Ce livre est accompagné d’une postface, rédigée par Timm, dont le titre manifeste le fort caractère politique : « L’utilisation prédominante de la langue est l’utilisation de la langue par les dominants. »26 C’est donc sur ces prémisses que paraît le premier roman d’Uwe Timm. Il s’appelle Heißer Sommer, sort en 1974 et s’intéresse au mouvement étudiant de 1967. Le sujet choisi s’insère dans le sillage thématique ouvert l’année précédente par Peter Schneider avec Lenz, mais il est décliné, ici, selon les intérêts spécifiques du milieu de Timm – à savoir les cercles intellectuels de gauche influencés par la philosophie existentialiste et par son modèle esthétique de l’écriture engagée. C’est justement dans DVZ que Timm publie un long extrait du roman avant sa sortie27, et dans Rote Blätter que paraît sa première critique, écrite entièrement sur la base 25

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Il est pertinent de remarquer que, déjà dans la prémisse de sa thèse, Timm indique que « die Intention des Autors [Timm] nicht auf reine Theorie, sondern auf Praxis ausgerichtet ist » (Timm, Das Problem der Absurdität bei Albert Camus) ; la disposition de l’auteur que nous avons esquissée jusqu’ici se trouve donc déjà en acte dans sa production académique. « Der vorherrschende Sprachgebrauch ist der Gebrauch der Sprache durch die Herrschenden. » Deutsche Volkszeitung, 22 août 1974, p. 13.

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des catégories préconisées par Timm : le réalisme, l’action sociale, le débat politique, le renouveau de la société28. Dans les pages de ces journaux, Timm atteint le public qu’il cible ; celui-ci reste cependant restreint, borné à l’environnement universitaire et à l’espace dominé des auteurs débutants, réalistes et de gauche29. En effet, des journaux majeurs, comme Frankfurter Allegemeine Zeitung (FAZ) et Die Zeit, tout en parlant eux aussi du livre, en proposent une réception plus mitigée : Ulrich Greiner, par exemple, félicite l’« atmosphère » recréée par Timm dans son récit, mais en critique la tendance à l’anecdote30 (un reproche, par ailleurs, qui continuera à caractériser la réception de son œuvre au fil des années), tandis que Christian Schultz-Gerstein critique sévèrement le roman et accuse son auteur d’être, à l’égal de son protagoniste, « déguisé selon la mode du temps jusqu’à dans sa vie intérieure. »31 La même division caractérise la réception du roman suivant de Timm. Après avoir publié un récit, Massa, dans le volume collectif Warum wird so einer Kommunist [1976], ainsi qu’une nouvelle sélection de poésies pour l’éditeur Damnitz [Zeit-Gedichte, 1977], Timm confie encore à AutorenEdition ses trois textes suivants : il s’agit des deux romans Morenga [1978] et Kerbels Flucht [1980] ainsi que l’album photographique Deutsche Kolonien [1981], qui tient lieu de pendant documentaire au roman de 1978. Dans ces travaux, Timm commence à élargir son horizon thématique et aborde les enjeux historiques de l’Allemagne d’après-guerre qui avaient fait l’objet de débats de la révolte étudiante : dans Morenga et Deutsche Kolonien, il s’intéresse à la problématique de la présence allemande en Afrique, un sujet encore peu abordé en littérature et présenté comme « un chapitre refoulé de l’histoire allemande »32, alors que, dans Kerbels Flucht, il revient au thème de l’en28

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Maise, Kirti Michael : « Gespräch mit dem Münchner Schriftsteller Uwe Timm », Rote Blätter, n. 20, octobre 1974, pp. 62–63. Le compte-rendu se conclut par ces mots « Auf jeden Fall gibt uns Timms Buch ein realistisches Bild des Aufbruchs der Intellektuellen in der BRD. Es kann uns in unserem heutigen Kampf durch Wissen um die Vergangenheit helfen. Wir sollten es lesen, untereinander diskutieren, damit im Verband einen Beitrag zur Verbindung von Literatur und Politik leisten, die ein Teil des Aufbruchs ist. » Un témoignage des limites de ce public est l’article « Lernprozesse » (P. N., Badische Zeitung, 3 décembre 1974, p. 16), qui rapporte que les auditeurs présents lors d’une lecture des deux romans de Timm et de Gerd Fuchs ne dépassent pas la douzaine : « Es war schon traurig : Nur zwölf Zuhörer waren in der Alten Universität erschienen, um Gerd Fuchs und Uwe Timm von der AutorenEdition aus ihren neuen Romanen lesen zu hören. […] » Greiner, Ulrich : « Allem Anfang wohnt ein Zauber inne », FAZ, 8 octobre 1974, p. 1L. « Bis in sein Innenleben zeittypisch kostümiert. » Schultz-Gerstein, Christian : « Wetterberichte von der Apo-Front », Die Zeit, 1er novembre 1974, p. 26. « Ein verdrängtes Kapitel der deutschen Geschichte », sur la quatrième de couverture de la première édition du livre. Les comptes-rendus de l’époque mettent en relation ce roman, par contraste, avec les textes de Gustav Frenssen et Hans Grimm. Uwe Timm n’abandonne pas, au fil des années, son intérêt pour la thématique du passé colonial allemand ni sa volonté de sensibiliser le public à ce sujet : outre ses ouvrages explicitement consacrés aux colonies, il participe à des textes collectifs (v. infra) et écrit la préface au recueil d’études dirigé par Gudrun Honke : Als die Weissen kamen. Ruanda und die Deutschen 1885–1919, Wuppertal, Hammer, 1990.

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gagement étudiant – mais il évoque là aussi, à travers un personnage secondaire, la question du passé colonial allemand. Comme dans le cas de Heißer Sommer, un extrait de Morenga paraît dans DVZ avant la publication du roman. Le premier compte-rendu, dans les pages du même journal, fait l’éloge du réalisme et de l’engagement politique du livre, encore une fois dans le même esprit idéologique que celui de l’auteur33. De même, le roman est reçu très positivement par les journaux de gauche Unsere Zeit et Vorwärts, qui partagent, outre la position politique de Timm, sa conception de la littérature34. Or cet enthousiasme n’est pas partagé partout, et surtout pas par la presse plus conservatrice. FAZ, par exemple, accuse Timm (et avec lui son entourage marxiste) de simplifier et de mésinterpréter l’histoire35, alors que le journal évangélique Deutsche Zeitung/Christ und Welt classe le roman comme « un produit typique de la nouvelle fiction éducative : avec la bonne conscience, on peut se permettre toute erreur »36. Nous remarquons, en somme, que pendant cette première phase de sa production, Uwe Timm est reçu de manière très positive par les organes de presse avec lesquels il travaille habituellement, c’est-à-dire les militants qui s’expriment par des manifestes et à travers les voix des étudiants, jeunes intellectuels et membres du parti ; en revanche, les revues officielles et nationales, plus circonspectes envers les positions de gauche, se limitent à apprécier en marge les qualités narratives de l’auteur, et affirment leurs réserves en ce qui concerne l’esthétique et l’utilité sociale de son œuvre. Cependant, quelques voix plus fortes commencent à s’élever en sa faveur. La lente ascension de l’écrivain auprès des lecteurs a priori alignés sur son positionnement politique et esthétique s’observe aussi dans l’intérêt qu’il éveille bientôt au-delà du Mur : Heißer Sommer et Morenga sont aussi publiés en RDA chez Aufbau [respectivement en 1975 et 1979], et avec ses romans suivants, Timm pénètre dans le groupe restreint d’auteurs de l’Ouest qui franchissent le seuil entre les deux Allemagne37. L’édition est-allemande de Morenga est accompagnée des 33

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Chotjewitz, Peter : « Das liest sich alles, als wäre es so gewesen », Deutsche Volkszeitung, 6 avril 1978, p. 15 : « Das ist große realistische Literatur », « […] ein entschieden politisches Buch. Gekonnt arbeitet Timm die sozialen Konturen und Fronten heraus […] Die literarischen Mittel sind mit großem Geschick dem Zweck der Erzählung untergeordnet : Dem Verständnis und der Vermittlung der Fakten. » Dede, H. E. : « ‘Bis das Land den Menschen gehört‘ », Unsere Zeit, 15 juillet 1978, p. 11 ; Sperr, Monika : « Deutsche Glorie auch zu den Hereros », Vorwärts, 19 octobre 1978, p. 28. Busche, Jürgen : « Das ist große realistische Literatur », FAZ, 18 avril 1978, p. L3 : « Für Marxisten ist alle viel einfacher. Da feststeht, wie Geschichte läuft, und wer Sieger sein wird, kann man schlankweg urteilen. Wer für Kolonien ist, ist schlecht, wer für den Befreiungskampf der unterdrückten Völker ist, ist gut. » « … ein[-] typische[s] Produkt der Neo-Aufklärungs-Belletristik : Mit dem richtigen Bewußtsein darf man sich alles Falsche erlauben. » Herrmann, Ludolf : « Phantasien über Namibia », Deutsche Zeitung/Christ und Welt, 20 octobre 1978, p. 35. Un témoignage significatif à cet égard est fourni en marge par l’écrivain Matthias Frings dans son roman sur l’expérience littéraire de Ronald Schernikau, auteur de l’Ouest qui souhaitait être apprécié par le public de l’Est : « Dass der junge Mann [Schernikau] aus dem Westen kommt,

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avis de Martin Walser et d’Alfred Andersch, qui présentent l’ouvrage comme une contribution fondamentale à la réflexion sur l’histoire coloniale allemande et louent en particulier, anticipant par là les développements futurs de l’écriture de Timm, le rapport productif qu’il instaure entre document et fiction38 ; Andersch partagera aussi, des années plus tard, son enthousiasme dans le paratexte de Heißer Sommer pour Aufbau, où il présente le roman comme « l’un des livres les plus importants » pour lui en tant que témoin du mouvement étudiant39. Ces opérations de marquage – marquage et non seulement réception, étant donné que ces éloges sont inclus dans la présentation éditoriale des livres – sont de première importance, puisqu’elles représentent une tentative de légitimation par le haut : ce n’est plus seulement le petit cercle étudiant qui loue l’un de ses membres, mais au contraire des écrivains déjà reconnus qui transfèrent, par leur avis très positif, du capital symbolique au nouvel entrant. En outre, d’autres signes de reconnaissance commencent aussi à lui parvenir du milieu institutionnel : Timm reçoit, en 1979, son premier prix littéraire, à savoir le Förderpreis de la ville de Brême en soutien aux auteurs débutants, qui avait été institué deux ans plus tôt pour faire pendant au prix de la même ville attribuée annuellement depuis 1953 à des auteurs plus établis. Et bientôt, à partir de la fin des années quatre-vingt, la critique académique tournera son regard vers les ouvrages de la décennie précédente ; mais cela accompagnera l’aventure de Timm avec son nouvel éditeur. Pendant ce temps, en 1980, le roman Kerbels Flucht est publié. Sa réception est analogue à celle des romans précédents, mais cette fois plusieurs journaux majeurs s’expriment de façon bien plus bienveillante que par le passé. C’est encore une fois DVZ qui le commente en premier, comparant Timm à d’autres auteurs en devenir de la scène allemande, tels Gerhard Roth et Botho Strauß, en raison de leur projet commun de formuler « un bilan littéraire, philosophique ou politique de nos temps immobiles. »40 Alors que le compte-rendu paru dans FAZ accuse l’au-

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wirft weitere Probleme auf : Man müsste ihn in Devisen bezahlen, und die sind knapp. Außerdem stellt sich die Frage, ob man bei den begrenzten Lizenzen für Westautoren nicht literarisch hochrangigere Schriftsteller vorzieht. Würde man für ihn auf einen Delius, einen Timm, einen Walser verzichten ? Auch hier spielen Druckkapazitäten und Papiervergabe eine große Rolle. […] » (Frings, Matthias : Der letzte Kommunist. Das traumhafte Leben des Ronald M. Schernikau, Berlin, Aufbau, 2009, pp. 216). Alfred Andersch écrit : « Ohne Uwe Timms Morenga zu kennen, wird man in Zukunft über die deutsche Kolonialgeschichte nicht mehr nachdenken können. Ganz außerordentlich, wie in diesem Buch die Fiktion aus den Fakten hervorgeht. Ich bewundere die Genauigkeit von Timms Recherche und die Meisterschaft seines sachlichen, stillen und von Spannung erfüllten Erzählens. » Martin Walser ajoute : « Uwe Timm erzählt, wie das Deutsche Reich am Anfang des Jahrhunderts die Hottentotten erledigte. Ich habe das Buch mit zunehmender Begeisterung gelesen. Daß man sich so viel Stoff aneignen und dann so produktiv damit umgehen kann, hatte ich nicht für möglich gehalten. » « Für mich, der ich >damals< draußen stand, ist Heißer Sommer eines der wichtigsten Bücher » (Alfred Andersch). « … eine literarische, philosophische oder politische Bilanz unserer stehenbleibenden Zeit. » Schütze, Peter : « Unlust als Todesursache », Deutsche Volkszeitung, 17 avril 1980, p. 11. Les tra-

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teur de laisser trop de place à un narrateur avec lequel il aurait plutôt fallu prendre ses distances41, le critique (et futur écrivain de Suhrkamp) Rainhald Goetz affirme, dans les pages de Süddeutsche Zeitung (SZ), précisément le contraire de cela et souligne en revanche l’importance politique d’un livre qui attaque « l’apathie larmoyante d’un égocentrique. »42 À quelques mois de distance, la revue conservatrice Neue Zürcher Zeitung (NZZ) reçoit aussi le roman positivement, et décrit sa prose comme « autonome, précise, d’aujourd’hui. »43 C’est le début d’une phase nouvelle pour l’écrivain Uwe Timm : après le rejet des premières années, traversées exclusivement avec le soutien de la critique militante et très politisée dont il partageait la position dominée, Timm commence à obtenir la faveur d’autres écrivains en mesure de lui accorder du capital symbolique et se fait petit à petit un nom même dans des journaux qui ne correspondent pas a priori à sa pensée. Cela lui permet d’étendre peu à peu son public et d’atteindre une popularité qui le pousse à développer son style et à varier son univers thématique.

4.3.2 Visibilité (1984–1991) : « Autant de papier pour si peu de livre ! »44 Dès le début des années 1980, la poétique d’Uwe Timm commence à se développer dans une nouvelle direction. L’auteur s’éloigne de son pays, où la réception de ses ouvrages reste souvent partagée, pour vivre à Rome pendant deux ans ; à son retour, il change d’éditeur, puisqu’il commence à publier ses romans chez Kiepenheuer & Witsch, qui le représente encore à ce jour ; il expérimente avec de nouveaux genres, comme le récit et le roman pour la jeunesse ; il s’essaie à diverses thématiques, quoique toujours d’ordre historique, et se rapproche de plus en plus de l’idéal de l’esthétique du quotidien qu’il développera, quelques années plus tard, dans Erzählen und kein Ende. Pourtant, la presse allemande n’apprécie pas d’emblée ces tentatives : les années quatre-vingt représentent sans doute les plus incertaines dans la trajectoire de l’auteur, qui voit ses romans durement critiqués sur plusieurs fronts.

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jectoires de Strauß et Timm divergeront considérablement par la suite, si bien qu’ils seront explicitement opposés l’un à l’autre par la critique italienne (v. infra). Zeller, Michel : « Nicht einmal eine Bombe wert », FAZ, 18 avril 1980, p. 26 ; la même critique est avancée par Hanjo Kesting : « Die alten Leiden des neuen Werther », Frankfurter Rundschau, 9 septembre 1980. « Die lustlose Larmoyanz des Selbstdarstellers ». Goetz, Rainhald : « Keine Lust auf nichts », Süddeutsche Zeitung, 23/24 août 1980, p. 100. « Eigenständig, treffsicher, von heute ». M. Tr., « Kerbels Flucht », NZZ, 15 novembre 1980, p. 45. « Soviel Papier für so wenig Buch  ! » Extrait du compte rendu, très négatif, du roman Der Schlangenbaum [1986], dans Bärenbold, Kuno : « Uwe Timm erzählt », Die Tageszeitung, 5 décembre 1986, p. 14.

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Les difficultés commencent avec la faillite de la maison qui l’avait accompagné jusqu’alors, AutorenEdition. Timm doit donc trouver une autre plateforme pour publier ses ouvrages et, comme cela arrive très souvent dans le milieu éditorial, c’est le réseau informel de connaissances personnelles, qui se forme et se transforme selon les dispositions, les intérêts, en somme selon l’habitus des agents, qui guide ses choix. La traductrice Karin Graf, qui à cette époque préparait pour KiWi l’édition allemande d’un ouvrage de Naipaul sous la supervision de la germaniste Renate Matthaei, était liée à Timm d’une relation d’amitié ; Matthaei, qui était à son tour lectrice pour la littérature allemande chez KiWi depuis 1960, apprend par le biais de sa collègue que Timm cherche un nouvel éditeur et saisit cette « occasion avantageuse » pour « gagner » pour sa maison « l’auteur de Morenga, un livre qui [l]’avait beaucoup impressionnée. »45 La recherche de Timm, la médiation de Graf et l’enthousiasme de Matthaei convergent favorablement : « l’acquisition – dit la lectrice – réussit. »46 KiWi est, à ce stade, une maison en forte ascension dans le champ allemand : née après la guerre, en 1948, elle s’intéresse d’abord à la littérature allemande contemporaine et s’ouvre graduellement aux traductions ; au début des années 1980, elle compte parmi ses auteurs cinq lauréats du prix Nobel (Heinrich Böll, Patrick White, Saul Bellow, Czeslaw Milosz et Gabriel García Marquez – qui sera traduit plus tard, soit dit en passant, par la conjointe de Timm, Dagmar Ploetz), publie plusieurs ouvrages de critique sociale (ici paraissent, depuis 1972 les reportages cinglants de Günter Wallraff) et représente le tremplin idéal pour la carrière d’un jeune auteur qui s’adonne à la représentation de la société allemande et de ses problématiques plus ou moins refoulées47. Certes, la nouvelle visibilité dont profitent les livres de Timm grâce à ce changement de direction dans son parcours n’entraîne pas toujours une réception positive, nous le verrons ; mais elle est la condition sine qua non pour l’exploit futur de l’auteur, qui commence, au bout d’une décennie et âgé d’environ cinquante ans, à émerger dans le panorama littéraire de son pays. Der Mann auf dem Hochrad [1984] est la première publication de Timm après son séjour en Italie et la deuxième chez son nouvel éditeur KiWi, après la réédition de Morenga par cette maison en 1983. Der Mann auf dem Hochrad illustre 45

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Cet épisode est raconté par Renate Matthaei dans sa contribution « ‘Verrückte Zeiten’. Gedanken beim Lesen und Wiederlesen von Uwe Timms Büchern » pour l’ouvrage collectif en l’honneur d’Uwe Timm : Malchow, Helge (dir.) : Der schöne Überfluß. Texte zum Leben und Werk von Uwe Timm, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 2005, pp. 106–118 ; l’éditrice Kerstin Gleba le reprend dans son texte « Von Möpsen und Menschen. Wenn Kunst und Tiere sich küssen » dans le recueil : Gleba, Kerstin/Malchow, Helge (dir.) : Am Beispiel eines Autors. Texte zu Uwe Timm, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 2020, pp. 184–197. Matthaei, Renate : « ‘Verrückte Zeiten’ », p. 106. Pour une histoire de la maison d’édition : Kiepenheuer & Witsch 1949–1974. Beiträge zu einer Geschichte des Verlages, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1974 et Boge, Birgit : Die Anfänge von Kiepenheuer & Witsch. Joseph Caspar Witsch und die Etablierung des Verlags (1948–1959), Wiesbaden, Harrassowitz, 2009.

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bien la tentative de Timm de varier son répertoire thématique : loin de tous les poncifs chers à la génération étudiante de 1968, cet ouvrage raconte l’histoire de l’invention du vélocipède dans la ville de Cobourg au XIXe siècle. La valeur allégorique de cette histoire, qui traite en fait de la question du progrès dans une société bourgeoise, est mise en relief par le sous-titre qu’apporte l’éditeur et que la définit comme une « légende ». Les réactions de la presse sont peu nombreuses et plutôt mitigées : outre les paroles élogieuses dans DVZ, où le sens politique du récit est souligné et développé ultérieurement48, et un compte-rendu positif dans SZ49, d’autres critiquent l’esprit didactique du texte et, comme dans le cas de Heißer Sommer, le goût trop prononcé de l’auteur pour l’anecdote50. À l’égal que ses textes précédents, le seul aspect sur lequel tous les lecteurs concordent est la qualité de la prose de Timm, considérée sans exception comme captivante et riche d’humour. La narration fluide et passionnante, cependant, est le seul mérite que la plupart des lecteurs attribuent au roman suivant de Timm, Der Schlangenbaum, publié en 1986. Der Schlangenbaum, écrit après plusieurs voyages de l’auteur en Amérique du Sud51, raconte le choc culturel d’un ingénieur allemand dans la forêt tropicale, où il est censé construire une papeterie pour son entreprise. À l’exception du soutien indéfectible de DVZ52, ce roman fait face à un véritable échec critique. Il est perçu, en effet, comme un produit de pur divertissement qui chercherait à se faire passer pour de la « vraie » littérature : la presse accuse Timm d’essayer un mélange malheureux entre roman d’aventure et roman de formation53, de n’avoir écrit qu’un « roman de consommation »54 et d’avoir proposé au public « un produit typiquement midcult »55, dont la tension narrative et l’actualité en feraient « un carton de la production en série. »56 Seul NZZ, parmi les principaux journaux qui en parlent, constitue une exception à la réception désolante de cet ouvrage et fait l’éloge de 48 49 50 51

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Springer, Michael : « Stabil nur durch Bewegung », Deutsche Volkszeitung, 5 octobre 1984, p. I. Vormweg, Henrich : « Aus dem frühen Alltag des Fortschritts », Süddeutsche Zeitung, 7 novembre 1984, p. 46. Bielefeld, Claus-Ulrich : « Die Legendäre Sinnschärfmaschine », FAZ, 28 août 1984, p. 24 ; Reinhard, Stephan : « Vom Farbenriechen », Frankfurter Rundschau, 3 octobre 1984, p. 11. La relation entre Uwe Timm et sa femme Dagmar Ploetz, traductrice de l’espagnol d’origine argentine, lie l’auteur à l’Amérique du Sud, ce qui se reflète dans le choix thématique de cet ouvrage et d’autres publications futures, comme Ikarien [2017] et des essais dans le recueil très récent Der Verrückte in den Dünen. Über Utopie und Literatur [2020]. Wick, Ingeborg : « Südamerikanische Odyssee », Deutsche Volkszeitung/die tat, 3 octobre 1986, p. 16. Encore une fois, le compte-rendu sur ce journal insiste sur le caractère politique du texte, qui est considéré comme « ein Plädoyer für ein Entwicklungskonzept, das sich an den Bedürfnissen des Volkes orientiert. » Fuld, Werner : « Die Sandbank im Regenwald », FAZ, 19 septembre 1986, p. 26. « Gebrauchsroman ». Vormweg, Heinrich : « Auf Wasser gebaut », Süddeutsche Zeitung, 1er octobre 1986, p. IV. « … ein typisches Produkt der ‘Midcult’ ». Ebel, Martin : « Homo Faber und der Urwald », Badische Zeitung, 18–19 octobre 1986, p. 4. « … ein Reißer aus der Serienproduktion ». Busch, Frank : « Hoch- und Tiefbau », Die Zeit, 7 novembre 1986, p. 8.

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l’auteur57. Or malgré ces nombreuses attaques contre Der Schlangenbaum, les réactions très animées de la presse représentent un signe clair de la visibilité croissante d’Uwe Timm, ne serait-ce qu’au pôle de production de masse : à ce stade, il est à un tournant de sa carrière où son œuvre se trouve sous le feu des projecteurs et existe donc à part entière dans le champ littéraire de son époque. C’est aussi à cette époque que la posture de l’auteur commence à évoluer : il s’éloigne de plus en plus, par les sujets qu’il aborde tout comme par son image publique58, de sa propre mise en scène en tant que jeune étudiant militant pour se rapprocher toujours davantage de l’image de l’intellectuel posé et politiquement indépendant. Sa publication suivante confirme cette tendance. Vogel, friss die Feige nicht, publié en 1989, est le recueil issu de son séjour à Rome entre 1981 et 1983. Ce livre, s’insérant dans la longue tradition allemande du voyage de l’écrivain en Italie, suscite l’intérêt des lecteurs, qui sont invités à établir un parallèle entre Timm et les grands auteurs de la littérature allemande. Comme par le passé, les avis de la critique sont partagés : cette fois, NZZ prend ses distances et déplore la baisse de qualité par rapport aux publications précédentes de Timm, où l’analyse politique n’était pas masquée par la vie privée de l’auteur59, tandis que la représentation réaliste et attentive au détail de l’expérience individuelle est considérée ailleurs comme le mérite principal du recueil60. La structure du texte, divisé en courts chapitres indépendants et très hétérogènes, permet aux lecteurs de mieux cibler et de nuancer leurs observations : ainsi, plusieurs louent par exemple les essais qui clôturent l’ouvrage, en particulier le Versuch über Kipphardt, tout en rejetant en bloc d’autres sections du volume. L’année suivante, Timm jouit d’une grande notoriété grâce à son livre pour enfants Rennschwein Rudi Rüssel61, dont le succès est grand et immédiat. Mais ce changement de genre ne représente pour le moment qu’une parenthèse, puisque son roman suivant, Kopfjäger, sort dès 1991. Avec ce livre, qui raconte l’ascension économique d’un cadre allemand au milieu des années quatre-vingt, la presse tombe finalement d’accord sur l’appréciation générale de l’auteur : on y trouve Bauer, Michael : « Flucht, Macht, Magie », NZZ, 15 novembre 1986, p. 45. Cela s’observe aussi, par ailleurs, dans les photos de l’auteur qui accompagnent les diverses éditions des romans, ainsi que le débat autour d’eux dans les journaux, où la véritable pose de Timm en tant que personnage publique change visiblement. Sur l’usage, dans les paratextes, des photographies des auteurs pour construire leur « mise en scène » (Inszenierung), v. Jürgensen, Christoph/Kaiser, Gerhard (dir.), Schriftstellerische Inszenierungspraktiken – Typologie und Geschichte, Winter, Heidelberg, 2011, en particulier l’introduction des directeurs du volume aux pages 9–30. 59 Bauer, Michael : « Privates, allzu Privates », NZZ, 9 août 1989, p. 30. 60 Grumbach, Detlef : « Alltag einer fremden Stadt », Deutsches Allgemeines Sonntagsblatt, 2 juin 1989, p. 20. Une autre lecture, tout aussi positive, mais ouvertement plus politique, est proposée par Manfred Grieger : « Fremdheitssuche im fernen Rom », Unsere Zeit, 23 juin 1989, p. 12. 61 Ce livre, publié en 1990 chez Nagel & Kimche, est traduit en 19 langues (et c’est, nous le verrons, sa première traduction en italien) et vaut à l’auteur le prix allemand pour la littérature jeunesse, ou Deutschen Jugendliteraturpreis. Ce n’est ni la première ni la dernière expérience de Timm dans le domaine de la littérature pour enfants : en 1981, il publie Die Zugmaus chez Diogenes et en 2003 Der Schatz auf Pagensand chez dtv. 57 58

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du réalisme, de l’actualité, une prose envoûtante et en même temps de la critique sociale en harmonie avec la production actuelle de sa maison d’édition. La réception est excellente et la critique félicite surtout l’auteur pour la tension narrative captivante de son écriture62, qui n’occulte pas pour autant la lucidité de son analyse de la société allemande de la fin des années 198063. En raison de son retentissement et de son succès, ce roman peut être considéré comme le dernier produit de la deuxième phase dans la trajectoire allemande d’Uwe Timm, avant que l’auteur n’atteigne le renom aussi dans le secteur plus autonome du champ dans les années 1990. En effet, ce n’est qu’avec son roman Die Entdeckung der Currywurst, publié en 1993, que Timm réussit à toucher à la fois le grand public et la critique littéraire, en Allemagne aussi bien qu’à l’étranger.

4.3.3 L’exploit (1993–2001) Pendant l’hiver 1991/1992, Timm est chargé de tenir les Poetikvorlesungen à l’Université de Paderborn : c’est le premier signe clair de reconnaissance publique que l’auteur obtient du pôle autonome du champ, et spécifiquement du milieu académique. De ces leçons, il tire un recueil d’essais, Erzählen und kein Ende, qui tient lieu de programme poétique à toute sa production ultérieure. Il y développe son « Ästhetik des Alltags », l’esthétique du quotidien, sous l’égide de laquelle ses ouvrages suivants seront lus et interprétés – et, nous le verrons, c’est le contenu de ce recueil que le traducteur italien de Timm, Matteo Galli, s’efforcera de transmettre au public dans sa postface à la première traduction de l’auteur pour en guider la lecture. À partir de ces années, des articles et des études savantes de plus vaste envergure commencent à être consacrés à « l’œuvre » de Timm, qui est considérée pour la première fois comme un ensemble cohérent64 et qui est mise en relation avec les travaux d’autres écrivains contemporains65 ; des publications mineures – articles et contributions en volume – sont consacrées dès la fin des années 1980 aux ouvrages précédents de l’auteur66, et ils accordent par ce biais une légitimation 62 63 64

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Vormweg, Heinrich : « Ein Broker macht Geschichten », Süddeutsche Zeitung, 5 octobre 1991, p. 156 ; Boedecker, Sven : « Mit Geschichten Geschäfte machen », Der Tagesspiegel, 13 octobre 1991, p. XI. Piwitt, Hermann Peter : « Zur Seele vom Geschäft », Frankfurter Rundschau, 5 octobre 1991, p. ZB4 ; Kiesel, Helmuth : « Warentermin », FAZ, 8 octobre 1991, p. L7. Durzak, Manfred/Steinecke, Hartmut (dir.) : Die Archäologie der Wünsche. Studien zum Werk von Uwe Timm, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1995 ; déjà au cours de la décennie précédente, une monographie dans la série de critique littéraire Werkhefte Literatur avait été publiée par Irmgard Ackermann et Mechthild Borries (dir.) : Uwe Timm, Munich, Iudicium, 1988. Kämper-van den Boogaart, Michael : Ästhetik des Scheiterns. Studien zu Erzähltexten von Botho Strauss, Jürgen Theobaldy, Uwe Timm u. a., Stuttgart, Metzler, 1992. Quelques exemples en sont les publications suivantes : Bullivant, Keith : « Möglichkeiten eines subjektiven Realismus. Zur Realismusdiskussion der 70er Jahre, zu Peter Handkes Die Stunde

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nouvelle, académique cette fois, à ce qui jusqu’alors n’avait été reçu que par la critique militante de gauche et/ou par la presse grand public. L’impact des leçons à Paderborn sur la réception des ouvrages suivants de Timm est manifeste dès la sortie de la nouvelle Die Entdeckung der Currywurst et du roman Johannisnacht, non seulement dans le monde universitaire, mais aussi auprès de la presse généraliste. La nouvelle de 1993 est débattue dans tous les journaux et appréciée surtout en vertu de son réalisme historiquement précis et de son attention aux détails du quotidien de l’après-guerre allemand67 : à travers le récit, toujours repoussé, de l’anecdote qui explique le titre – « La découverte de la saucisse au curry » –, ce livre raconte les conditions de vie dans la ville de Hambourg sous Hitler et juste après sa capitulation. La délicatesse de l’auteur dans le traitement de la tragédie que vivent ses protagonistes, louée par tous les critiques, lui vaut pour la première fois l’inscription dans le sillage de la Nachkriegsliteratur, la littérature d’après-guerre désormais amplement légitimée68. Que l’œuvre précédente de Timm et son essai d’esthétique de 1993 jouent un rôle important dans la lecture de ce roman, est mis en lumière par une comparaison systématique entre sa réception dans l’espace germanophone et hors de celui-ci, où l’activité antérieure et parfois programmatique de l’auteur n’est pas connue : en effet, à un peu plus d’un an d’écart, New York Times Book Review publie un compte-rendu de la traduction anglaise du livre, où le roman de Timm, rapproché de Como agua para chocolate de Laura Esquivel [1989], est considéré surtout en fonction de l’usage symbolique de la nourriture à l’intérieur d’un cadre narratif historique69 ; dans le cas de la réception italienne, le choix de compenser le manque d’une traduction du recueil Erzählen und kein Ende par une postface qui en résume le contenu souligne le lien étroit entre programme théorique d’un côté et application littéraire pratique de l’autre. der wahren Empfindung und Uwe Timms Kerbels Flucht », dans : Althof, Hans-Joachim/Bullivant, Keith (dir.) : Subjektivität – Innerlichkeit – Abkehr vom Politischen ? Tendenzen der deutschsprachigen Literatur der 70er Jahre, Bonn, DAAD, 1986, pp. 19–34 ; Horn, Peter : « Fremdsprache und Fremderlebnis. Dr. Johannis Gottschalks Lernprozeß in Uwe Timms Morenga », dans : Wierlacher, Alois (dir.) : Jahrbuch Deutsch als Fremdsprache. Intercultural German Studies, Munich, Iudicium, 1988, pp. 75–91 ; Pakendorf, Gunther : « Morenga oder Geschichte als Fiktion », dans : Köppe, Walter (dir.) : Acta Germanica. German Studies in Africa, 19, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1989, pp. 144–158 ; Prinz, Alois : « Uwe Timm. Heißer Sommer », dans : Der poetische Mensch im Schatten der Utopie. Zur politisch-weltanschaulichen Idee der ’68er Studentenbewegung und deren Auswirkung auf die Literatur, Würzburg, Königshausen & Neumann, 1990, pp.  150–211  ; Streese, Konstanze  : « Uwe Timm  : Morenga. Kolonialismus in Afrika », dans Streese, Konstanze : ‚Cric ?‘ – ‚Crac !‘ Vier literarische Versuche, mit dem Kolonialismus umzugehen, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1991, pp. 65–100. 67 Campe, Joachim : « Kopfjäger Erinnerung », Frankfurter Rundschau, 23 novembre 1993, p. 5 ; Kraft, Thomas : « Wer erzählt, der überlebt », Rheinischer Merkur, 17 septembre 1993, p. 23. 68 Steinert, Hajo  : « Falscher Hase », Die Zeit, 12  novembre 1993, p.  5 ; Wurzenberger, Gerda  : « Wurstnovelle », NZZ, 29 octobre 1993, p. 31, et Mohr, Peter : « Die Soße der frühen Jahre », Deutsches Allgemeines Sonntagsblatt, 8 octobre 1993. 69 Prose, Francine : « Spicy Business », The New York Times Book Review, 11 juin 1995, p. 31.

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L’enthousiasme du public se répète lors de la sortie de Johannisnacht en 1996, mais cette fois les catégories d’interprétation changent. Johannisnacht raconte l’histoire d’un écrivain qui, devant rédiger un article sur l’histoire des pommes de terre, traverse Berlin en long et en large à la recherche d’un document précieux sur les différents types de patates ; ce faisant, il découvre les multiples visages de la ville à l’aube de la réunification et sa complexe stratification sociale. À cause du sujet choisi, de nombreux critiques rapprochent Timm de Günter Grass et d’Uwe Johnson, établissant une comparaison qui légitime l’auteur et le place sur la voie de la consécration proche des écrivains reconnus du Groupe 4770. Mais au lieu d’insister sur l’exactitude historique et sur le regard du narrateur tourné vers les détails du quotidien, comme dans le cas de la Currywurst, plusieurs lecteurs se focalisent cette fois sur l’équilibre entre ironie et réalisme qu’après des années de tentatives, Timm aurait finalement réussi à maîtriser71. Dans ce roman, l’auteur aurait donc surmonté l’épreuve à laquelle il se soumettait depuis les débuts de sa production, à savoir de mettre en récit l’histoire sociale et politique de son pays à l’aide d’une écriture qui captive le lecteur et qui expérimente, en même temps, avec les moyens stylistiques à disposition. Que les outils préférés de Timm pour atteindre ces objectifs soient l’humour et la « sensualité » (Sinnlichkeit) est signalé dans la plupart des comptes-rendus de ce roman72, où l’auteur est élevé, en vertu de ces qualités, au-dessus des « littérateurs allemands » accusés d’être souvent dépourvus « d’humour et de mordant érotique. »73 Au cours des années suivantes, Timm se consacre à des projets très variés : il participe à un ouvrage collectif sur le post-colonialisme74 ; il écrit deux scénarios cinématographiques75 ; il publie le récit Meerjungfrau chez Berliner Handpresse76 ainsi qu’un recueil de nouvelles77 et encore un livre pour enfants, 70 71 72 73 74 75

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Ceci n’est pas exclusif de la réception allemande : v. Dreymüller, Cecilia : « El ‘thriller’ de la patata », El País, 4 août 2001, p. 8. V. Hinck, Walter : « Schwer geackert », FAZ, 17 août 1996 ; Ammann, Ludwig : « Im Zeichen der Kartoffel », Badische Zeitung, 3 septembre 1996, p. 15. V. par exemple Grumbach, Detlef : « Roter Baum und Fürstenkrone », Die Zeit, 4 octobre 1996, p. 22. « Deutschen Literaten » et « Witz und erotischen Biß ». Linden, Thomas : « Was die Pasta für die Italiener … », Berliner Zeitung, 24–25 août 1996, p. 50. Lützeler, Paul Michael (dir.) : Der postkoloniale Blick. Deutsche Schriftsteller berichten aus der Dritten Welt, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1997. Günter Grass, Peter Schneider et Martin Walser, parmi d’autres, participent également à la rédaction de ce volume. En 1998 Die Bubi Scholz Story (pour Aufbau-Verlag) et en 2001 Eine Hand voll Gras (pour Kiepenheuer & Witsch). Voici encore une caractéristique, à côté du développement graduel vers l’écriture autofictionnelle, qui lie l’auteur allemand et l’auteur français de notre corpus : la richesse de leur production, que nous avons évoquée plus tôt dans ce travail, se reflète aussi dans cet intérêt périodique pour le cinéma ; cette composante s’avère cependant beaucoup plus enracinée et intense dans le cas de Carrère, alors qu’elle occupe une place marginale dans le travail de Timm. Timm, Uwe : Meerjungfrau, Berlin, Berliner Handpresse, 1999. Ce récit (qui d’ailleurs n’est pas inclus dans la bibliographie primaire du numéro de Text+Kritik consacré à Uwe Timm en 2012) est repris ensuite dans l’anthologie dirigée par Hielscher, Martin : Uwe Timm Lesebuch. Die Stimme beim Schreiben, Cologne, dtv, 2005, pp. 372–384. Timm, Uwe : Nicht morgen, nicht gestern : Erzählungen, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1999.

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Der Schatz auf Pagensand78. Mais c’est indubitablement avec son nouveau roman, Rot, que Timm obtient l’attention du public et qu’il occupe pour la première fois des pages entières dans la presse nationale, qu’il marque une étape supplémentaire dans sa lente ascension vers le pôle autonome du champ et qu’il s’affirme comme l’une des voix littéraires les plus représentatives du mouvement étudiant allemand. Ce roman, publié en 2001, constitue le deuxième volume de la trilogie berlinoise après Johannisnacht. Néanmoins, Rot ne tisse pas des liens qu’avec le premier roman de cette trilogie : au contraire, Timm, qui joue à plusieurs reprises avec l’intertextualité, reprend le sujet de son tout premier roman, Heißer Sommer, et réélabore les idées de sa première phase d’activité. Cette liaison thématique entre les deux ouvrages est par ailleurs bien plus souvent évoquée dans les critiques que le rapport direct entre Rot et Johannisnacht, dont est pourtant issue la figure même du protagoniste79. Les avis sont partagés sur ce retour de l’auteur, plus que sexagénaire, au thème de 1968 : alors que certains critiquent la nostalgie implicite dans la longue litanie du narrateur80, d’autres lisent avec enthousiasme la révision des positions assumées par l’auteur dans le passé81. Grâce à son retentissement, Rot est l’occasion de revaloriser les précédents textes de Timm. Mais la germanistique allemande continue à vouer une attention seulement occasionnelle à ses publications – quelques articles sont publiés82 et surtout Morenga fait l’objet d’une redécouverte dans plusieurs études principalement consacrée au post-colonialisme, à la transculturalité et à l’interculturalité83, mais les mo78 79

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Timm, Uwe : Der Schatz auf Pagensand, Munich, dtv, 200. Un orateur funèbre apparaît effectivement, en tant que personnage secondaire, dans le roman de 1996 (chapitre 18, « Der Beerdigungsredner »). L’intertextualité est un aspect caractéristique de l’œuvre de Timm : par exemple, Rot est repris à son tour dans Vogelweide, et l’expression virgilienne « Dinge haben Tränen », récurrente dans Johannisnacht, est attribuée à Benno Ohnesorg, des années plus tard, dans Der Freund und der Fremde. Par exemple Franzen, Günter : « Linke im Sinkflug », Badische Zeitung, 15 septembre 2001, p. IV ; Rathgeb, Eberhard : « Die Gans in der Revolte », FAZ, 9 octobre 2001, p. L23 ; Steinert, Hajo : « Ach, Iris, ich weiß zu viel », Die Welt, 20 octobre 2001, p. 4. Klute, Hilmar : « Gravuren im Walfischzahn », Süddeutsche Zeitung, 4 septembre 2001, p. 16. Nous distinguons, parmi les publications les plus significatives dans cette phase, las actes d’un colloque sur l’œuvre d’Uwe Timm qui a eu lieu du 1er au 3 septembre à l’Université de Leeds : Finlay, Frank (dir.) : ‘(Un-)erfüllte Wirklichkeit’. Neue Studien zu Uwe Timms Werk, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2006 ; ce volume contient, par ailleurs, un texte du traducteur italien de Timm, Matteo Galli, qui est très engagé dans la construction de la valeur littéraire de l’auteur. Dans la première décennie des années 2000, plus de vingt articles sont consacrés au moins en partie au roman de 1978 : pour la germanistique allemande, ceci est illustré par les travaux de Horn, Peter : « Haschisch und Klicks. Afrika als utopischer Ort der 68er Generation und Uwe Timms Roman Morenga », dans Kreutzer, Leo/Simo, David (dir.) : Weltengarten. Deutsch-afrikanisches Jahrbuch für interkulturelles Denken, Hannover, Revonnah, 2004, pp. 65–83 ; Hofmann, Michael : « Afrika aus deutscher postkolonialer Perspektive. Uwe Timms Morenga », dans Hofmann, Michael : Interkulturelle Literaturwissenschaft. Eine Einführung, Munich, Fink, 2006, pp. 170–177 ; Baumbach, Kora : « Supplementäre Anerkennung. Zu Uwe Timms Roman Morenga », dans : Barbeito, José Manuel/Feijóo, Jaime et al. (dir.) : National Identities and European Literatures/Nationale Identitäten und Europäische Literaturen, Francfort-sur-le-Main, Lang, 2008, pp. 61–74.

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nographies sont rares, exception faite des parutions en l’honneur de Timm éditées chez KiWi. Bien qu’il soit considéré comme l’une des figures phare de la scène littéraire contemporaine, et malgré ses très nombreuses publications et les signes de reconnaissance ponctuels qui lui sont attribués, Timm ne reçoit aucun des prix les plus prestigieux du champ allemand, comme le Georg-Büchner-Preis ou le Friedenspreis des Deutschen Buchhandels. Globalement, pendant cette troisième phase de sa carrière, Timm atteint le statut d’auteur reconnu au pôle de production restreinte et renommé au pôle de production de masse : sa valeur ne réside plus seulement dans son « actualité » ni dans le sens strictement politique mis en évidence par la presse communiste et les cercles étudiants militants ; désormais, chaque nouvel ouvrage est commenté sans faute par tous les journaux et fait l’objet de plusieurs recherches. Mais, bien que certains le considèrent comme un auteur digne du Büchner-Preis et s’étonnent qu’il ne lui ait pas encore été conféré84, Timm n’occupe pas, à ce stade, une position dominante aux yeux de la critique plus autonome, ni institutionnelle (par les prix), ni académique (par les études qui lui sont consacrées).

4.3.4 Un auteur de la « littérature moyenne » (2003–2008) À cette étape de sa carrière, Uwe Timm occupe une position aisée : reconnu par ses pairs et apprécié du grand public grâce à l’accessibilité voulue et à la variété dans le genre et la thématique de ses ouvrages, il peut définir assez librement son projet suivant. Il opte pour une solution encore inédite dans sa bibliographie et se lance dans l’écriture d’un texte autofictionnel85, s’intégrant dans le courant de la « littérature de la mémoire. »86 Ce choix s’avère un coup gagnant : Am Beispiel meines Bruders, qui relate l’histoire du frère de l’auteur/narrateur et son engagement volontaire dans les SS, a un retentissement sans précédent dans l’histoire des publications de Timm et l’insère dans le sillage de la littérature d’après-guerre. Avec ce livre, paru en 2003, l’auteur parie sur une tradition littéraire de première importance dans le champ allemand depuis l’émergence de la Trümmerliteratur, qui travaille sur la mémoire du nazisme et sur la responsabilité personnelle du peuple allemand, et le combine avec l’autofiction. Le produit de cette union 84 « Was den Büchnerpreis betrifft : Unter denen, die ihn gekriegt haben, sind nicht wenige, die UT und seinem Werk nicht das Wasser reichen können » (Greiner, Ulrich : « Der Wiedergänger », Die Zeit, 4 octobre 2001) ; cf. Kraft, Thomas : « Rot und Schwarz », Rheinischer Merkur, 19 octobre 2001, p. 23. 85 Müller, Inez : « Ich, ein anderer : Autofiktion und autobiographisches Schreiben in Am Beispiel meines Bruders », literatur für leser, 1 (2006), pp. 43–58 et Ferro Milone, Giulia : « Wechselspiel von Fiktionalität und Faktualität in Uwe Timms Am Beispiel Meines Bruders », Anuari de Filologia. Literatures Contemporànies, 2 (2012), pp. 69–86. 86 « Literarische Erinnerungskultur. » Braun, Michael : « Wem gehört die Geschichte ? », Das Parlament, 4 décembre 2006, p. 18 ; März, Ursula : « Gespenstervertreibung », Die Zeit, 18 septembre 2003, p. 49.

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secoue la critique, plutôt habituée depuis les années 1990 aux tendances du « réalisme dispersé » et de la production populaire de la Popliteratur87. En effet, le texte de Timm, tout en explorant une forme nouvelle de représentation du passé allemand – puisqu’il combine divers types de sources citées explicitement à une réflexion historiographique et autobiographique –, touche un public très vaste, de sorte qu’il est aussi reçu, au-delà des organes de presse habituels, par des revues non spécialisées qui ne s’étaient jamais intéressées à la production de l’auteur, ainsi que par plusieurs journaux régionaux. Les avis négatifs sur ce livre sont très limités et passent presque inaperçus derrière les nombreux éloges : tandis que quelques publications mineures l’estiment « peu spectaculaire »88 ou même « trop superficiel, trop naïf » envers les prises de position des générations précédentes89, la plupart des critiques et des journaux majeurs louent le courage90 et la précision de l’auteur dans son effort de restituer le témoignage de sa génération. L’ouverture de Timm à un vaste public et son rejet de toute autonomie littéraire – au sens de « l’art pour l’art », c’est-à-dire d’une recherche formelle pour elle-même – dans le traitement d’une matière aussi délicate que la responsabilité des aïeux sous le régime nazi, lui valent les éloges des magazines people91 et les appréciations en tant que représentant de la « littérature moyenne »92 : Der Tagesspiegel, par exemple, le félicite en soulignant sa capacité rare à produire « du bon divertissement haut de gamme. »93 En même temps, les journaux ayant jusqu’alors commenté chaque parution de Timm lui accordent encore plus de visibilité et contribuent à la construction de son personnage public grâce à de longs dossiers, des photos et des interviews94. À quelques années d’intervalle, le livre est reçu positivement à l’étranger aussi, comme le démontrent les articles à son sujet dans les pages littéraires du Times, d’El País et, nous le verrons ci-dessous, de L’Indice dei libri del mese.95 87 Tommek, Der lange Weg in die Gegenwartsliteratur, pp. 256–293. 88 « Unspektakulär ». Zeillinger, Gerhard : « Der dunkle Schatten des Bruders », Die Presse, 3 juillet 2004, p. VI. 89 « Zu vordergründig, zu einäugig ». Ekkehart, Rudolph : « Familienbild mit Unschärfen », Stuttgarter Zeitung, 7 octobre 2003, p. IX. 90 Il est question du « courage » de l’auteur dans plusieurs comptes-rendus : Böttiger, Helmut : « Die braven deutschen Mörder », Literaturen, septembre 2003 ; Schmitz, Michaela : « Wer warst du, Kain ? », Rheinischer Merkur, 25 septembre 2003, p. 23. 91 Son nom paraît dans les numéros de septembre 2003 de Rolling Stone et de Focus (« Hat mein Bruder getötet ? »). 92 Tommek, « Une littérature moyenne ». 93 « Uwe Timm gehört zu jenen Autoren, von denen behauptet wird, es gäbe sie gar nicht in der deutschsprachigen Gegenwartsliteratur : die Produzenten guter Unterhaltung auf hohem Niveau » (Richter, Steffen : « Bruderschatten », Der Tagesspiegel, 14 décembre 2003, p. 32). 94 V. Lebert, Stephan : « Im Keller der Familie », Der Tagesspiegel, 3 septembre 2003, p. 3 ; Bartels, Gerrit : « Ich wollte das in aller Härte », Die Tageszeitung, 13 septembre 2003, pp. 17–18 ; Hörisch, Jochen : « Abwesend und doch anwesend », NZZ, 9 novembre 2003, p. 37 ; Siblewski, Klaus : « Die Schwierigste aller Fragen », Frankfurter Rundschau, 17 septembre 2003, p. 10. 95 Brunskill, Ian : « From the ruins », The Times Literary Supplement, 19–26 août 2005, p. 28 ; Dreymüller, Cecilia : « La culpa de los padres », El País, 14 juillet 2007, p. 7 ; Friedrich, Gerhard : « Parziale fallimento », L’Indice dei libri del mese, novembre 2005, p. 22.

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Am Beispiel meines Bruders pose aux lecteurs le problème du genre : le caractère autobiographique et l’emploi de divers documents cités à plusieurs reprises (le journal du frère de Timm, des lettres, des ouvrages d’histoire) ne permettent pas de le considérer à proprement parler comme un roman ou un ouvrage de pure fiction. Néanmoins, le titre et le style du texte relèvent d’un travail d’ordre éminemment littéraire sur la forme et invitent le public à lire l’histoire racontée par Timm comme un « exemple » plutôt que comme le récit d’une affaire privée96. L’éditeur, pour sa part, n’apporte pas l’habituelle indication sur la couverture, qui définit l’appartenance générique au « roman », au « récit », à la « nouvelle », etc. C’est justement cette ambiguïté du texte, oscillant entre le personnel et l’universel, qui fait son succès auprès du public allemand : avec ce livre, Timm trouve une formule efficace pour mettre en récit à la fois un drame individuel et la problématique, bien connue des lecteurs allemands, de la culpabilité collective. Dans la foulée de ce succès paraît, deux ans plus tard, un autre « récit » – une Erzählung, selon l’indication que l’éditeur décide cette fois d’ajouter – du même genre hybride : il s’agit de Der Freund und der Fremde, courte histoire de l’amitié entre Uwe Timm et Benno Ohnesorg97. Rapproché du texte précédent dans presque tous les comptes-rendus, ce livre partage avec Am Beispiel meines Bruders la volonté de l’auteur d’explorer et de se raconter soi-même à travers la représentation de l’« autre », qu’il s’agisse du frère dans un cas, ou bien de l’ami des années universitaires dans l’autre. Le projet de Timm est reçu ici aussi avec enthousiasme par la critique, qui insiste notamment sur le caractère documentaire du livre en accompagnant les comptes-rendus de photos historiques de la mort d’Ohnesorg, et sur le pouvoir de représentation de la forme du récit, dépassant l’anecdote personnelle pour offrir à la fois « un portrait double et un portrait de l’époque. »98 2005 : Timm fête son 65e anniversaire, et sa consécration dans l’espace moyen du champ s’achève. Alors qu’en Italie sont publiées les premières réactions à la récente traduction de Die Entdeckung der Currywurst99, FAZ lui consacre un article Spiegel, Hubert : « Der Nachkömmling », FAZ, 13 septembre 2003, p. 44, et Schaefer, Thomas : « Kein Traum, kein Wunsch, kein Geheimnis », Badische Zeitung, 14 octobre 2003, p. 27. 97 Le genre « Erzählung » est indiqué sous le titre de la première édition du texte : Timm, Uwe : Der Freund und der Fremde, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 2005. Sur le problème du genre de ce livre et son lien étroit avec Am Beispiel meines Bruders, v. la thèse de Marijke Aspeslagh sous la direction de Mme. Elke Gilson, « Kein Anfang ohne Gedächtnis. Kein Gedächtnis ohne Erzählen. » Eine Untersuchung des Problems der zuverlässigen Erinnerung in Timms Erinnerungsbüchern Am Beispiel meines Bruders und Der Freund und der Fremde, Université de Gand, 2009/2010 (en particulier pp. 9–16). 98 « Ein Doppel- und ein Zeitporträt. » Speicher, Stephan : « Die gläserne Stimmung der Zeit », Berliner Zeitung, 30 novembre 2005, p. 8 ; Thadden, Elisabeth von : « Das Glück des anderen », Die Zeit, 15 septembre 2005, p. 57 ; Bielefeld, Claus-Ulrich : « Ein deutscher Jüngling », Die Welt, 24 septembre 2005, p. 3 ; Spiegel, Hubert : « Geschichte einer Ikone. Am Beispiel Benno Ohnesorgs : Uwe Timms neue Erzählung », FAZ, 24 septembre 2005, p. 48 ; Schreiber, Mathias : « Das gelenkte Lachen », Der Spiegel, 17 octobre 2005, p. 176. 99 Eva Banchelli écrit une critique de La scoperta della currywurst sur L’Indice dei libri del mese, mars 2005, p. 38. 96

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élogieux100 où sont évoqués les deux volumes publiés chez dtv et KiWi pour célébrer l’anniversaire de l’auteur : l’anthologie Uwe Timm Lesebuch. Die Stimme beim Schreiben (dtv) et le recueil collectif Der schöne Überfluss (KiWi). Timm obtient, en 2006, le Jakob-Wassermann-Literaturpreis, récompensant « ses œuvres complètes […], qui reflètent de façon exemplaire les développements historiques et sociaux dans l’Allemagne d’après-guerre »101 ; l’attribution et la justification de ce prix témoigne, encore une fois, de l’insertion de Timm dans le sillage de la Nachkriegsliteratur engagée, commencée à la fin des années quatre-vingt-dix par les lectures qui le rapprochent du Groupe 47. En 2008, Timm poursuit sa réécriture littéraire du passé allemand avec le roman Halbschatten, où il explore de nouvelles solutions formelles, tout en persévérant dans son projet de concilier le récit de destins individuels avec celui de l’Histoire de son pays et de l’Europe. La comparaison avec Grass s’impose encore102, mais cette fois c’est surtout le travail stylistique et la complexité structurelle du roman qui sont mis en évidence par les critiques. En effet, bien que l’auteur choisisse de centrer son roman autour de personnalités réelles (en particulier de l’aviatrice Marga von Etzdorf), il opte pour une écriture polyphonique et assez erratique, qui s’éloigne de la tendance documentaire et autofictionnelle expérimentée dans ses dernières publications. Ce choix est réprouvé par quelques lecteurs, qui reprochent à Timm d’avoir écrit un livre trop hardi et, par conséquent, peu cohésif103. Mais il lui permet d’assumer à nouveau le rôle d’auteur de fiction, qu’il avait relégué au second plan dans ses textes précédents : c’est pour cette raison que la plupart des comptes-rendus considèrent Halbschatten comme » une brillante mise en scène littéraire »104 et son auteur comme « un compositeur » en mesure d’unir les différentes voix présentes dans le roman « dans un chœur grandiose ».105 Ce livre, qui conclut la trilogie berlinoise, se trouve parmi les titres sélectionnés pour la longlist du Deutscher Buchpreis 2008, le prix qui récompense, selon l’analyse de Heribert Tommek, l’espace « moyen » du champ littéraire allemand contemporain : institué en 2005 et accordé par un jury de représentants du monde 100 Kerschbaumer, Sandra : « Seine Alphabetisierung », FAZ, 23 mai 2005, p. 42. FAZ n’est pas le seul journal à dédier un article à Timm pour son anniversaire : v. aussi Kraft, Thomas : « Die Entdeckung des Alltags », Freitag, 25 mars 2005, p. 12 ; Haase, Horst : « Erzählen und kein Ende », Neues Deutschland, 30 mars 2005, p. 9. 101 « Sein literarisches Gesamtwerk […], das beispielhaft geschichtliche und gesellschaftliche Entwicklungen im Deutschland der Nachkriegszeit reflektiere. » Anon. : « Nachkriegsliterarisch », FAZ, 20 décembre 2005, p. 35. 102 V. Löbbert, Raoul : « Jenseits des Hades », Rheinischer Merkur, 16 octobre 2008, p. 20, et Halter, Martin : « Der Flug ist das Leben wert », Berliner Zeitung, 17 octobre 2008, p. 30. 103 V. par exemple Meiborg, Mounia : « Licht und Zwielicht », Berliner Zeitung, 4 septembre 2008, p. 8, et Jandl, Paul : « Zwischen Himmel und Hölle », NZZ, 17 septembre 2008, p. 27. 104 « … eine brillante literarische Inszenierung ». Räkel, Hans-Herbert : « Könnte es so gewesen sein ? », Süddeutsche Zeitung, 30–31 août 2008, p. 17. 105 « Ein Komponist » et « zu einem grandiosen Choral ». Greiner, Ulrich : « Deutsches Requiem », Zeit Literatur, 9 octobre 2008, p. 54.

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du livre et des médias, ce prix se propose de « supprimer la différenciation entre haute culture et culture de divertissement » et de devenir ainsi « l’instance de consécration principale de l’espace moyen médiatisé et économisé. »106 Plus tard, en 2009, la ville de Cologne confère à Timm le Heinrich-Böll-Preis pour l’intégralité de son œuvre. Or le fait que l’auteur soit nominé pour ces deux prix, représentatifs de deux secteurs distincts du champ107, nous permet de le situer dans une position en voie de consécration aussi bien au pôle autonome du champ qu’auprès des institutions de la littérature dite « moyenne ». Son engagement politique, qui passe de plus en plus par le développement d’une voix et d’une relation auteur-narrateur personnelle108, lui vaut donc désormais la reconnaissance de la critique grand public, qui lit dans son œuvre l’expression des pensées et inquiétudes de toute une génération ; ses stratégies narratives et ses choix thématiques lui valent l’intérêt graduel, mais de plus en plus soutenu de la germanistique. En effet, pendant le semestre d’été 2009, Timm est invité à tenir le cours de poétique à l’université de Francfort, qui sera bientôt édité par KiWi ; après l’anthologie qu’il a dirigée en 2005, le critique littéraire Martin Hielscher publie la première monographie sur l’auteur en 2007109, tandis que la germaniste Sabine Weisz propose à son tour un ouvrage sur la représentation des révoltes de 1968 dans l’œuvre de Timm110. À partir de 2010, ces publications commencent à se multiplier : en 2011, un numéro intégral de la revue literatur für leser s’intéresse aux « constantes dans l’œuvre en prose » de Timm111 ; les éditions text+kritik font paraître un volume consacré à Timm en 2012112 et, la même année, les annales de germanistique dirigées par Paul Michael Lützeler mettent l’auteur au centre de leurs analyses113. Entrons donc dans le détail 106 Tommek, Der lange Weg in die Gegenwartsliteratur, pp. 296–298 et Tommek, « Une littérature moyenne ». 107 Tandis que le Deutscher Buchpreis récompense les auteurs du « Mittelbereich », le Heinrich-BöllPreis est une institution du pôle autonome du champ : il rend hommage à l’œuvre complète d’un auteur, et non pas à un ouvrage pris isolément, et il est attribué par un jury composé de membres des institutions locales de la ville de Cologne (y compris le maire, le directeur de la bibliothèque municipale, des représentants de son université) ainsi que d’une sélection d’auteurs et critiques littéraires. 108 Cela ne l’empêche pas d’être actif sur le front politique, comme le démontrent plusieurs articles à caractère plus ou moins culturel où il se prononce en tant qu’« intellectuel » : v. par exemple anon., « Gefährliche Willkür. Kritik deutscher Intellektueller am ‘gerechten’ Krieg der USA », Süddeutsche Zeitung, 25 septembre 2002, p. 15 ; ou bien son article « Eine Reise in das Innere Afrikas. Ahmadou Kouroumas Roman Die Nächte des großen Jägers », Die Zeit, 15 juin 2000, p. 62, où il accuse les inégalités du champ littéraire (« Woran liegt es, dass ein Roman derart unbeachtet bleibt ? Die Antwort ist einfach : Der Autor ist Afrikaner. »). 109 Hielscher, Martin : Uwe Timm, Munich, dtv, 2007. 110 Weisz, Sabine : Die ’68er-Revolte im Werk von Uwe Timm, Marbourg, Tectum, 2009. 111 Bullivant, Keith/Cornils, Ingo et al. (dir.) : Literatur für Leser. Uwe Timm. Konstanten im epischen Werk, 11, 3, Francfort-sur-le-Main, Lang, 2011. 112 Hamann, Christof (dir.) : Uwe Timm, 195, Munich, text+kritik, 2012. 113 Lützeler, Paul Michael (dir.) : Gegenwartsliteratur. Ein germanistisches Jahrbuch. Schwerpunkt : Uwe Timm, Tubingue, Stauffenburg, 2012.

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de cette nouvelle décennie, où Timm continue d’enrichir sa production et modifie encore sa position dans le champ.

4.3.5 Se réinventer : « La déception quant à son nouveau livre est grande »114 (2010–2013) Après la parution de Halbschatten en 2008, une pause de plusieurs années interrompt la longue série de romans d’Uwe Timm. Effectivement, quoiqu’il publie annuellement de nouveaux volumes, il faut attendre 2013 pour que Vogelweide paraisse dans les librairies allemandes. Pendant ce temps, KiWi édite les Poetikvorlesungen qu’il tient à la Goethe-Universität115, ainsi qu’un recueil de ses écrits autobiographiques116 et la nouvelle Freitisch117, tandis que l’éditeur Bittner publie son essai sur Thomas Mann, Den Zauberberg neu lesen118. En même temps, Timm continue d’écrire des articles de littérature et d’actualité dans plusieurs revues, comme il n’a jamais cessé de le faire pendant toute sa carrière119. En 2010, à l’occasion de son 70e anniversaire, plusieurs journalistes écrivent des articles en son honneur120. En 2012, Timm obtient la Carl-Zuckmayer-Medaille, attribuée par le Land de Rhénanie-Palatinat pour l’intégralité de son œuvre ; et, après la publication de son roman, il revient à l’essai avec le recueil Montaignes Turm en 2015121, puis de nouveau à la fiction avec Ikarien en 2017122. Il s’agit, en somme, d’une phase de stabilité générale qui fait suite à l’ascension de l’auteur après sa trilogie berlinoise et son travail sur l’autofiction. Avec Vogelweide, Timm essaye néanmois de changer encore une fois de registre, et abandonne la thématique historique, véritable fil rouge de sa production jusqu’alors, pour se consacrer à un roman à caractère sentimental, qui se veut une relecture 114 « Die Enttäuschung über sein neues Buch ist groß. » Cette citation est issue de la critique très négative du roman Vogelweide par Aufenanger, Jörg : « Flüchtige Heimsuchungen », Berliner Zeitung, 14 septembre 2013, p. 10. 115 Timm, Uwe : Von Anfang und Ende : Über die Lesbarkeit der Welt, Cologne, Kiepenheuer und Witsch, 2009. 116 Timm, Uwe : Am Beispiel eines Lebens : Autobiographische Schriften, Cologne, Kiepenheuer und Witsch, 2010. 117 Timm, Uwe : Freitisch, Cologne, Kiepenheuer und Witsch, 2011. 118 Timm, Uwe : Den Zauberberg neu lesen, Cologne, Bittner, 2012. 119 V. par exemple Timm, Uwe : « Gerd Fuchs, der Mann aus Hermeskeil », FAZ, 14 septembre 2012 ; p. 32 ; Timm, Uwe : « Strammgestanden für den freien Markt », Der Tagesspiegel, 28 janvier 2012, p. 25. 120 V. par exemple Bartmann, Christoph  : « Nach dem heißen Sommer », Süddeutsche Zeitung, 30 mars 2010, p. 16 ; Krause, Tilman : « Er ist ein Großer, aber noch lange kein Alter », Die Welt, 30 mars 2010, p. 23 ; Jung, Werner : « Erzählbarkeit, Erzählbarkeit », Neues Deutschland, 30 mars 2010, p. 15. 121 Timm, Uwe : Montaignes Turm. Essays, Cologne, Kiepenheuer und Witsch, 2015. 122 Timm, Uwe : Ikarien, Cologne, Kiepenheuer und Witsch, 2019.

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moderne des Affinités électives. Tout en réitérant l’intertextualité qui relie toute sa bibliographie123, l’auteur s’efforce ainsi de diversifier l’éventail des possibilités dans ses livres et d’éviter, ce faisant, la catégorisation définitive comme écrivain de la Nachkriegsliteratur ou de la révolte de 1968. Sa tentative suscite des réactions variées, mais très souvent négatives, bien plus que par le passé : son public habituel estime que Timm, s’éloignant d’un genre où il excelle – la reconstruction du passé, là où les destins individuels s’entrelacent avec les grands évènements de l’Histoire –, ne réussit à proposer que de la littérature inefficace et triviale124. Ceci est évident non seulement dans les nombreux comptes-rendus qui critiquent durement le roman et accusent son auteur de vouloir relancer une « littérature de célibataire » qui serait à ce jour démodée125, mais aussi à cause des listes des best-sellers qui rapprochent Vogelweide des livres de Timus Vermes, John Grisham et Dan Brown, destinés au grand public126. Comme Der Freund und der Fremde, ce roman obtient une place dans la longlist du Deutscher Buchpreis, mais n’arrive pas plus loin dans la course au prix. Et malgré sa réception négative auprès de la presse, le statut d’auteur consacré atteint par Timm grâce à ses ouvrages précédents n’est pas affecté durablement : la présence de l’auteur dans les pages de journaux politiquement alignés à gauche démontre qu’il est encore considéré comme une référence par les défenseurs de l’écriture engagée127 ; les publications scientifiques qui continuent de s’ajouter au corpus d’analyses universitaires sur l’œuvre de Timm confirment sa présence établie dans le panorama de la littérature contemporaine haut de gamme128 ; l’attribu123 En particulier il y a dans ce livre plusieurs clins d’œil à Rot, ce que ne remarque pourtant que la critique italienne, notamment dans le texte de Gerhard Friedrich, v. infra. 124 « Der Schriftsteller, der es in seinem Œuvre meisterlich versteht, politische, historische und private Wirklichkeit ineinanderfließen zu lassen, richtet nunmehr den Blick auf Herzen in Aufruhr. Das geht nicht gut. Weil die Konstruktion der Geschichte dem Autor im Weg steht. Weil er es nicht schafft, seine Idee von Liebe, Macht und Begehren mit Leben zu füllen » (Kegel, Sandra : « Was kostet ein Kilo Begehren ? », FAZ, 17 août 2013, p. 33). Cf. Hage, Volker : « Sex im Konjunktiv », Der Spiegel, 12 août 2013 et Maidt-Zinke, Kristina : « Strähnen, die sich seitlich lösen », Süddeutsche Zeitung, 3 septembre 2013, p. 14. 125 « Junggesellenliteratur » : ainsi est qualifiée la littérature sentimentale et mélancolique « des enttäuschten und vereinsamten weißen alten Mannes », représentée en même temps par les ouvrages d’Eugen Ruge et Botho Strauß (Radisch, Iris : « Die Flucht aus der Zeit. Autoren der Generation 60 plus gehen in die innere Emigration », Die Zeit, 29 août 2013, p. 45). 126 Scheck, Denis : « Ziegenhüten am Potsdamer Platz », Der Tagesspiegel, 1er septembre 2013, p. 26 ; v. aussi Wittstock, Uwe : « Die Liebe zu Vögeln », Focus, 9 septembre 2013, p. 143, où le roman est présenté en tant que « Ehe-Roman », roman matrimonial. 127 V. par exemple l’interview d’Ute Evers : « Geschichte, die immer noch brennt », Neues Deutschland, 15 mai 2014, p. 17. 128 Simone Christina Nicklas rédige une thèse de doctorat, sous la direction de Stefan Neuhaus, consacrée intégralement à Uwe Timm : ‘Erinnern führt ins Innere’. Erinnerung und Identität bei Uwe Timm, Université d’Innsbruck, juillet 2014 ; la thèse est publiée avec le même titre à Marburg, chez l’éditeur Tectum en 2015. Une autre thèse de doctorat monographique sur l’œuvre d’Uwe Timm est préparée en 2019 à l’Université de Siegen par Nantana Anuntkosol, sous la direction de Berbeli Wanning : Die Inszenierung von Autorschaft bei Uwe Timm, publiée à Sie-

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tion du Schillerpreis en 2018 consolide enfin son renom, qui reste surtout lié à la réélaboration littéraire de l’histoire allemande et de sa propre biographie129. Cette thématique fait son retour dans la production de Timm après la « déviation » de Vogelweide. En 2017, l’auteur publie un long roman historique, Ikarien, où il revient sur la même période historique que celle de Entdeckung – la fin de guerre et l’immédiat après-guerre –, mais il le fait cette fois par le biais du regard d’un soldat à peine arrivé des Etats-Unis : son voyage erratique à travers l’Allemagne devient l’occasion d’aborder les questions de l’eugénisme pratiqué sous le régime national-socialiste et de la « rééducation » du peuple allemand. L’une des figures principales du roman est Alfred Ploetz, c’est-à-dire le grand-père de Dagmar Ploetz, la conjointe de Timm, et le texte, présenté par l’éditeur comme un roman, propose néanmoins une bibliographie en annexe qui témoigne du recours réitéré de l’auteur à une écriture à la lisière entre la fiction et la recherche. Ce roman, qui obtient assez rapidement l’attention de la germanistique et marque un point d’arrivée dans la réception allemande de Timm130, sera le début, en Italie, d’une toute nouvelle phase dans la médiation éditoriale de l’auteur.

4.4 UWE TIMM EN ITALIE, RECONNU ET MÉCONNU « Le destin de Timm est de stationner dans un cône d’ombre. Il est un grand auteur et, certes, il a été traduit et bien publié, il est le lauréat de deux prix de qualité chez nous, le Mondello et le Napoli, mais – pour le public italien – il est un peu à l’écart. »131 C’est dans ces termes que le journal italien l’Unità décrit, avec beaucoup de justesse, le statut d’Uwe Timm en Italie en 2013. En effet, parallèlement à son parcours en Allemagne, une trajectoire très différente se déploie pour lui en Italie. Nous distinguons schématiquement, après la traduction de son livre pour enfants en 1997132 et jusqu’à la fin de notre créneau temporel, trois phases de réception : une première phase a lieu auprès de la mai-

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gen, universi, 2020. La publication réitérée d’éditions scolaires du roman Die Entdeckung der Currywurst représente un autre signe de l’assimilation de l’auteur dans le répertoire des classiques allemands contemporains. Just, Melanie : « Schillerpreis 2018 wird an Schriftsteller Uwe Timm verliehen », 22 novembre 2017, www.mannheim.de/de/presse/schillerpreis-2018-wird-an-schriftsteller-uwe-timm-verlie hen (26 mars 2022). Neuhaus, Stefan : « Politisches Schreiben und Handeln in Uwe Timms Roman Ikarien (2017). Mit einigen allgemeinen Überlegungen zum Verhältnis von Literatur und Politik », dans : Neuhaus, Stefan/Nover, Immanuel (dir.) : Das Politische in der Literatur der Gegenwart, Berlin/Boston, De Gruyter, 2019, pp. 515–538. Palieri, Maria Serena : « Le mie ribellioni », l’Unità, 19 mars 2013. Timm, Uwe : Un maialino per amico, trad. Chiara Belliti, Modena, Franco Panini Ragazzi, 1997 ; retraduit et republié chez Einaudi Ragazzi, sous le titre Mimmo Codino maialino corridore (trad. Floriana Pagano), en 2003.

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son d’édition florentine Le Lettere, sous la responsabilité du traducteur, professeur universitaire et germaniste Matteo Galli, qui est le premier responsable, nous le verrons, de ce transfert ; ensuite, une deuxième phase consiste dans le passage graduel de l’auteur à Mondadori, au cours duquel quatre traductions paraissent alternativement chez l’un et l’autre éditeur ; enfin, une troisième phase conclut le passage de Timm à Mondadori, qui publie ses deux derniers romans jusqu’en 2015. Une nouvelle phase, nous l’avons déjà évoqué, commence à la fin de la période que nous examinons dans ce travail : à partir de 2019, après l’abandon de l’œuvre d’Uwe Timm par Mondadori, l’auteur passe à la maison palermitaine Sellerio, qui a publié à ce jour un roman, une nouvelle et un récit qui était, à l’époque de sa parution en Italie, encore inédit en Allemagne133, et se propose de devenir « l’éditeur italien définitif d’Uwe Timm. »134 La dispersion des titres dans plusieurs catalogues, qui s’ajoute à la sélection opérée dans la bibliographie originale de l’auteur et aux différences substantielles des conditions de réception entre l’Allemagne des années 1970 et l’Italie des années 2000, explique pourquoi le public italien ne peut pas avoir conscience des diverses facettes de l’image que Timm se construit graduellement dans son champ d’origine. En revanche, les deux maisons de Florence et de Milan essaient d’éluder les multiples difficultés qui ont marqué le début de Timm en Allemagne, et présentent d’emblée l’auteur comme une personnalité littéraire affirmée à l’international. Cela lui permet d’obtenir assez rapidement, auprès de la germanistique italienne, un succès qui égale, voire dépasse celui qu’il a remporté bien plus lentement auprès des spécialistes de son champ de départ. En outre, quoique l’engagement politique du premier Timm se perde au cours du transfert – notamment par l’exclusion de ses premiers livres (qui étaient les plus explicitement politiques) de la sélection traduite135, ainsi que par la distance (temporelle et culturelle) entre les deux contextes de réception –, ce même engagement est « traduit » lui aussi par le travail de médiation d’un groupe restreint de germanistes et de journalistes qui s’engagent dans la communication non seulement des textes, mais aussi de la posture que Timm assume vis-à-vis de la culture et de l’histoire allemandes.

133 Il s’agit de La notte di Lisbona (Die Lissabonner Nacht) publié dans le recueil à l’occasion du 50e anniversaire de Sellerio : Alajmo, Roberto/Attanasio, Maria et al. : Cinquanta in blu. Storie, Palerme, Sellerio, La memoria, 2019, et seulement un an plus tard dans le volume collectif pour le 80e anniversaire de l’auteur : Hielscher, Martin/Marx, Friedhelm (dir.) : Wunschort und Widerstand. Zum Werk Uwe Timms, Göttingen, Wallstein, 2020. 134 Sellerio, Antonio : « Grüße aus italien », dans : Gleba/Malchow, Am Beispiel eines Autors, pp. 174– 178, ici p. 178. 135 Il est intéressant de remarquer que cette exclusion ne suffit pas toujours à bloquer entièrement la « réception » des idées de l’auteur, grâce à la médiation d’autres figures du champ culturel, comme les journalistes : en 2017, un article-interview avec Timm à propos de son roman Morenga est publié sur Repubblica, bien que cet ouvrage n’ait pas de traduction italienne. V. Mastrobuoni, Tonia : « Uwe Timm : ‘Perché sterminammo Herero e Nama’ », La Repubblica, 30 mai 2017.

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4.4.1 Une nouvelle collection de fiction : Pan narrativa L’écart temporel entre les premières publications de Timm en Allemagne et la première traduction italienne de sa nouvelle Die Entdeckung der Currywurst est remarquable : La scoperta della currywurst paraît en 2003, presque trente ans après la publication de Heißer Sommer chez AutorenEdition. Pourtant, le silence sur l’auteur en Italie pendant ce temps n’est pas absolu : comme d’habitude, le milieu académique s’avère plus réceptif que tout autre envers la littérature étrangère sans traduction. Plusieurs germanistes, ayant accès aux textes originaux, les mentionnent parfois au passage, à l’intérieur de discours de plus vaste envergure sur la littérature allemande contemporaine136, ou lui vouent, plus rarement, l’espace plus ample d’une analyse littéraire spécifique137. Leur intérêt pour l’auteur, pourtant, ne suffit pas à retenir l’attention des éditeurs, qui restent indifférents aux romans de Timm pendant plusieurs décennies138. Le déclencheur qui change la donne est la conjoncture entre une maison d’édition un peu à l’écart sur la scène littéraire, Le Lettere, et un germaniste qui y est appelé à gérer les traductions de l’allemand pour une nouvelle collection de fiction en son sein, Matteo Galli. Le Lettere est une maison prestigieuse, née en 1976 à Florence et dotée d’un catalogue très riche. Cependant, elle est spécialisée dans les publications scientifiques, et décide de ne s’adonner à la fiction que de façon marginale, ce qui explique son capital symbolique limité dans le champ strictement littéraire, ainsi que son investissement économique restreint dans la publication et la promotion de textes de fiction. Matteo Galli, quant à lui, est un professeur universitaire de littérature allemande et collaborateur de Le Lettere depuis le début 136 Cesare Cases l’évoque dans une interview avec Goffredo Fofi : « Una conversazione con Cesare Cases sull’attuale situazione della cultura tedesca », Scena, 3–4 (1981), pp. 57–59 (l’entretien est republié en octobre 2013 dans la revue Lo Straniero) ; Anna Chiarloni mentionne Johannisnacht dans son étude sur la littérature allemande de la réunification : Germania ‘89. Cronache letterarie della riunificazione tedesca (Milan, FrancoAngeli, 1998, p. 75). 137 Antonio Pasinato écrit en 1984 un essai sur Heißer Sommer (Pasinato, Antonio : « Contestazione e tradizione nel ’68 : Heisser Sommer di Uwe Timm », Annali della Facoltà di lingue e letterature straniere di Ca’ Foscari, 23, 2 (1984), pp. 195–211) ; la professeure Simonetta Sanna écrit un article sur le Römische Aufzeichnungen : « ‘Eigenes e Fremdes. Lust e List’. Uwe Timms römische Aufzeichnungen », dans : Durzak/Steinecke (dir.), Die Archäologie der Wünsche, pp. 171–188 ; Gerhard Friedrich (qui sera, grâce à ses critiques, l’un des agents protagonistes de la médiation de Timm en Italie) publie un essai sur le roman Rot dans un recueil sur le roman allemand de la réunification : « Rot wie tot. Zur Symbolik im Roman Rot von Uwe Timm », dans Chiarloni, Anna (dir.) : La prosa della riunificazione. Il romanzo in lingua tedesca dopo il 1989, Turin, Edizioni dell’Orso, 2002, pp. 163–180. 138 L’impossibilité d’accéder aux archives éditoriales des plus grandes maisons italiennes relatives aux années 1970–2000 ne nous permet pas, pour l’instant, d’assurer qu’aucune fiche de lecture n’ait été rédigée en faveur ou contre une publication des textes de Timm avant le début des années 2000. Cependant, lors de nos entretiens au cours de la préparation du présent travail, nous avons pu constater qu’aucun des médiateurs engagés dans la traduction et publication des textes de Timm n’a connaissance d’avis précédents sur l’œuvre de l’auteur, qu’ils soient positifs ou négatifs.

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des années 1990. Il traduit pour cette maison – comme la plupart des agents dans le champ culturel, nous l’avons vu, il exerce aussi plusieurs types d’activité – des classiques de la littérature allemande et se lie d’un rapport de confiance à la directrice de la maison, Nicoletta Pescarolo. Lorsque, quelques années plus tard, Pescarolo décide de fonder la collection littéraire Pan narrativa, c’est à Galli qu’elle confie la recherche et le suivi des romans à traduire de l’allemand. Pan narrativa naît en 1999 comme pendant contemporain en prose à la collection Pan, dans laquelle, depuis la fin des années quatre-vingt, étaient publiés des classiques du théâtre et de la poésie. C’est le « réseau de ventes » de Le Lettere, donc de la promotion et de la distribution, qui insiste auprès de Pescarolo pour « élargir le domaine des publications à la fiction » afin d’augmenter les revenus, au début des années 1990. L’éditrice se lance alors dans cette initiative avec un programme très ouvert, construit en coopération avec des « consultants […] jeunes, très compétents, actifs dans le milieu universitaire » auxquels elle demande de « mettre au premier plan la qualité de leurs propositions, un soin particulier des traductions, souvent des postfaces exhaustives. »139 Le projet de Pan narrativa accueille, en effet, des traductions de plusieurs langues, confiées à des consultants issus du domaine académique : l’hispaniste Martha Canfield pour la littérature de langue espagnole, la professeure spécialisée dans la littérature afro-américaine Maria Giulia Fabi pour l’aire anglo-américaine, Fiorenzo Fantaccini de l’Université de Florence pour la littérature irlandaise et Matteo Galli de l’Université de Palerme, puis de Ferrare, pour la langue allemande. La limite de ce projet – qui aura aussi des conséquences sur la réception de l’œuvre de Timm, notamment dans son retentissement réduit auprès du public de masse – réside dans un problème inhérent : ni Pescarolo ni ses collaborateurs n’ont de véritable expérience dans l’édition de fiction contemporaine. Partant, ils abordent souvent les textes comme s’il s’agissait de classiques, alors qu’ils exigeraient un traitement différent pour atteindre leur public. C’est pour cette raison que le contenu de Pan narrativa se caractérise par des ouvrages qui ne réussissent pas, malgré leur qualité, à être communiqués et donc à devenir véritablement rentables – ce qui était l’objectif premier de cet élargissement du domaine de production de la maison. Pescarolo souligne rétrospectivement ce problème de départ : « J’ai tansposé au champ de la fiction », dit-elle, « mon expérience dans le champ de la non-fiction, sans tenir suffisamment compte de l’élément commercial, qui avait pourtant été le coup de pouce initial de la collection. »140 La directrice de la maison ne fournit aux responsables de sa nouvelle collection aucune ligne précise à suivre : son intention est de tenter une ouverture du catalogue vers la littérature contemporaine, tout en sachant ne pas pouvoir entrer en concurrence avec d’autres maisons plus établies dans ce domaine ; elle laisse donc une grande liberté de choix à ses collaborateurs, pourvu qu’ils conduisent l’opéra139 Correspondance avec Nicoletta Pescarolo, courriel du 22 décembre 2020. 140 Ibid.

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tion « avec la plus grande économie de moyens possible. »141 Ainsi, ce sont les spécialistes de chaque langue qui décident des titres à traduire, des traducteurs à engager et des financements à demander, ce sont eux qui gardent contact avec leurs auteurs et qui prennent en charge la révision et l’organisation d’évènements promotionnels : les conditions existent au préalable, donc, pour que les publications dans Pan narrativa reflètent au maximum les intérêts spécifiques de ses créateurs, c’est-à-dire pour que chaque parution soit une prise de position personnelle de son médiateur. Les toutes premières publications de cette série sont Sabbie mobili de l’auteure étatsunienne Nella Larsen [Quicksand, 1928], La madre assente de l’écrivain français Michel del Castillo [Rue des Archives, 1994] et le recueil de récits Tutto in ordine de l’auteure islandaise Svava Jakobsdóttir [Tólf konur, 1965]. Il s’agit de trois textes assez courts (entre 140 et 230 pages), accessibles au grand public, mais qui ne relèvent pas d’une littérature de pur divertissement et présentent aux lecteurs italiens l’œuvre d’auteurs autrement peu traduits et peu connus142. Nous reconnaissons le même cas de figure pour Uwe Timm, que Galli va chercher précisément dans l’« espace moyen » du champ allemand contemporain.

4.4.2 Avant les traductions : présence latente et sélection Chaque consultant de Le Lettere a donc la liberté de sélectionner ses ouvrages de façon assez indépendante et peut construire sa « partie » de la collection selon son projet personnel. Matteo Galli, pour sa part, propose des ouvrages qu’il considère comme accessibles au grand public, dans la mesure où ils sont « agréables, lisibles », et qui correspondent à une image de la littérature allemande répandue auprès du public italien, à savoir des textes « qui rentrent dans le cliché de la littérature de la mémoire. »143 Autrement dit, pour reprendre la terminologie employée dans ce travail, il lui est nécessaire de trouver des textes qui soient communicables. Dans ce sens, Galli prévoit des publications qui reflètent les tendances de la production allemande postérieure à la chute du Mur, une production qui se voudrait de moins en moins cérébrale par rapport au passé, sans pour autant renoncer à une volonté de réflexion historique. Le ton qu’il cherche est léger, ironique, compréhensible même par ceux qui ne sont pas experts de la culture allemande – en est un exemple Il venditore di fontane de Jens Sparschuh, un auteur socialisé en RDA qui élabore dans ce roman les répercussions de la réunification, traduit chez Le 141 Les citations, ainsi que les informations sur les modalités de travail chez Le Lettere, sont issues d’un entretien avec Matteo Galli. 142 Le cas de Michel del Castillo en est un bon exemple : seul son premier roman Tanguy disposait d’une traduction en italien (publiée chez Mondadori en 1958, l’année suivant la première édition originale) ; le roman La madre assente [Rue des Archives, Paris, Gallimard, 1994], publié en 1999, est la deuxième et dernière traduction de l’auteur en italien. 143 Matteo Galli, Ferrara, 19 décembre 2018.

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Lettere en 2000. Bien qu’il n’ait pas introduit en Italie les figures de proue du courant de la Popliteratur (ce qu’il regrette144), Galli se propose de faire place aux auteurs de la « nouvelle littérature allemande » d’après la réunification, et choisit de mettre l’accent sur les thématiques historiques, qui intéressent davantage le public italien lorsqu’il s’agit de littérature allemande. La première traduction de l’allemand dans Pan narrativa, qui précède de quelques mois le roman de Sparschuh, est Chiudi gli occhi de l’écrivaine suisse Ruth Schweikert [Augen zu, Zurich, Ammann, 1998], une autre auteure complètement absente de la scène italienne jusqu’alors. Ensuite paraîtront aussi des livres de Julia Franck, de F. C. Delius, de Karl-Heinz Ott, de Dagmar Leupold. Mais c’est Sparschuh, en fait, qui suggère à Galli d’introduire Uwe Timm dans la série. Dans un article publié des années plus tard, Galli raconte qu’il était à la recherche, en 2002, de nouveaux auteurs à publier dans la collection, lorsque Sparschuh lui conseille de lire un texte d’Uwe Timm145 : le fait qu’un germaniste actif dans les milieux universitaire et éditorial, informé de la production contemporaine en langue allemande, ne connaisse aucunement, à ce stade, l’œuvre de Timm, démontre les difficultés de l’auteur à s’établir, comme nous l’avons vu, même après une carrière littéraire longue et productive, et malgré quelques grands succès auprès du public146. Enthousiaste du conseil de son auteur, Galli explique a posteriori la méconnaissance de cet auteur en Italie par son appartenance à une génération, qu’il appelle le « groupe 67 »,147 coincée entre deux regroupements beaucoup plus renommés et débattus : d’un côté le Groupe 47, de l’autre les auteurs de la réunification qui ont débuté dans les années 1990. Étouffés par cette « double accolade ‘mortelle’ »148, les écrivains du Groupe 67, et Uwe Timm plus que tout autre, seraient selon Galli restés à l’écart, à tort, de la critique allemande ainsi qu’étrangère, et donc aussi complètement ignorés par les lecteurs italiens. C’est pourquoi Galli s’engage dans la traduction et dans l’introduction de ses ouvrages, ce qui le mène à se lier de plus en plus personnellement à l’auteur de Hambourg par une relation 144 Pendant notre entretien, Galli exprime surtout son regret de ne pas avoir inséré dans le catalogue de Le Lettere le roman Faserland de Christian Kracht [Cologne, Kiepenheuer und Witsch, 1995], aujourd’hui encore sans traduction italienne, qu’il considère comme « un romanzo notevolissimo. » 145 Cet article est une courte introduction au discours de Timm lors de la consigne de la Zuckmayer-Medaille, traduit avec le titre « Ricchezza e povertà » pour Lo Straniero, 142, avril 2012, pp. 94–102. 146 Galli se pose cette question dans son article : « Ci si potrebbe domandare come può accadere che un germanista italiano che poteva e può vantare competenze superiori alla media nel campo della letteratura tedesca contemporanea non avesse letto niente di Uwe Timm fino a quel momento» (ibid.). Il explique ce fait par l’appartenance de Timm à une génération dont seul son adversaire symbolique, Peter Handke, serait parvenu à se distinguer à long terme : « A parte forse Peter Handke nessun autore tedesco nato negli Quaranta e che abbia esordito intorno al 1968 è riuscito, all’estero (e in Italia) a giungere davvero al centro dell’attenzione pubblica. » 147 Galli, Matteo : « La madeleine amburghese », postface à Uwe Timm, La scoperta della currywurst, Florence, Le Lettere, Pan Narrativa, 2003, pp. 185–200, ici p. 185. 148 Introduction à « Ricchezza e povertà ».

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d’amitié « très proche, très privée, très affectueuse »149 et à le suivre, jusqu’à nos jours, tout au long de sa trajectoire italienne. Avant de passer véritablement au début de ce long parcours, remarquons que la reconstruction proposée par Galli se caractérise par un recours clair aux catégories de l’histoire littéraire allemande (le Groupe 47, la littérature de la réunification), et mobilise moins, en revanche, des catégories d’analyse plus transversales, comme le « réalisme politique » ou le « réalisme du quotidien », l’autofiction, le travail sur les documents historiques et sur la mémoire. Or ce fait peut expliquer, au moins en partie, pourquoi toute la médiation de Timm en Italie se déroule presque exclusivement dans le milieu très circonscrit de la germanistique officielle : parce que les agents du champ qui ne s’intéressent pas d’emblée à l’histoire de la littérature allemande ne sont pas engagés, et manquent de points d’appui pour s’approprier Timm et en faire une référence spécifique pour la réflexion littéraire italienne. Nous verrons par la suite que cette présence exclusive au sein de la germanistique caractérise en grande partie l’introduction de Timm en Italie (la catégorie du « Groupe 67 » revient dans la postface de la première traduction de Galli) et la distingue considérablement de l’introduction de Carrère, dont le caractère « universel » est mis en relief avec bien plus de force, surtout dans la dernière phase de sa médiation (v. § 6.4.2 et § 6.4.3).

4.4.3 Quand traduire, c’est expliquer : La scoperta della currywurst Le projet de Galli est visiblement et avant tout le travail d’un professeur de littérature. Cela se manifeste par la façon dont il choisit de présenter sa traduction du roman de Timm, La scoperta della currywurst, en 2003. En effet, il est très rare que pour la première publication d’un romancier contemporain encore inconnu, qui s’adresse en principe au grand public, le traducteur décide de pourvoir son texte de nombreuses notes en bas de page ainsi que d’une postface de quinze pages. La raison d’un traitement si inusité pour des ouvrages contemporains est double : d’une part, l’expérience de Galli comme traducteur s’est limitée jusqu’alors, exception faite du roman de Sparschuh, à des ouvrages classiques150, où le recours aux annotations est, au contraire, admis et parfois même encouragé. Faute d’une révision experte de la part de l’éditrice, puisque Pescarolo est aussi peu habituée aux publications de littérature contemporaine que son traducteur et qu’elle lui laisse une liberté totale dans l’exercice de son activité, le livre paraît finalement sous cette forme assez insolite. D’autre part, l’intention de Galli est d’ordre pédagogique : Die 149 Entretien avec Matteo Galli. 150 A partir des années quatre-vingt, Galli traduit, entre autres, des ouvrages d’Adalbert Stifter et d’E. T. A. Hoffman, souvent accompagnés de paratextes et d’un appareil de notes de bas de page.

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Entdeckung der Currywurst contient de nombreuses références culturelles, difficilement compréhensibles pour un public peu expert en histoire allemande151 et que Galli s’efforce de lui rendre claires. Il explique donc, dans les notes en bas de page ainsi que dans la postface, plusieurs détails de la culture allemande, il situe le texte de Timm dans son contexte de départ et s’efforce, en dernière instance, de convaincre le public de la valeur littéraire du livre et de son auteur. Le roman est publié avec le soutien du Goethe Institut, qui finance aussi bien la traduction que les dépenses nécessaires à la promotion après sa parution. Le choix de Galli pour la traduction du titre, qui ne change pas le mot « Currywurst », bien que ce terme ne soit pas courant en italien152, ainsi que la photographie de l’auteur sur le rabat de la couverture, qui le met en scène de profil sous les traits traditionnels de l’intellectuel, bien loin des images du jeune Timm militant en blouson de cuir que connurent ses premiers lecteurs dans les années 1970, révèlent un écart significatif par rapport à l’édition originale. En effet, ces deux éléments témoignent d’une ambition plus élevée que la version allemande, où le titre évoque une réalité accessible, voire grossière et comique, tandis que le portrait de l’auteur le montre de face, souriant et affable. Cette dimension n’est certes pas entièrement perdue : Galli explique dûment, dans sa glose en annexe, la connotation du mot allemand « Currywurst » et le parcours de Timm dans son champ de départ. Mais l’immédiateté de l’objet-livre dans sa version originale est sacrifiée, ici, en faveur d’une opération évidente de revalorisation. Puisque cette première traduction doit permettre aux lecteurs italiens de « rattraper » la longue carrière que l’auteur a déjà derrière lui, le traducteur en profite, nous le voyons, pour le placer dès le début en haut de la hiérarchie du champ. Si l’opération de Galli répond à une volonté de revalorisation de l’œuvre de Timm, elle contribue aussi à redéfinir les coordonnées de son champ de départ, bien plus qu’à modifier celles du champ d’arrivée. En effet, en présentant Timm au public italien, le germaniste le situe à proximité de certains auteurs et en opposition avec d’autres, et ce faisant propose un arrêt sur image de la production littéraire en langue allemande. D’après cette image, Uwe Timm, F. C. Delius et Peter Schneider feraient partie, en raison de leur appartenance à la même génération, du Groupe 67, que nous avons déjà mentionné. Cette catégorisation de Galli explique la publication dans Pan narrativa, en 2006, d’un ouvrage de F. C. Delius datant de plus d’une décennie, La domenica che vinsi i mondiali153 [Der Sonntag, an dem 151 La traduction française du livre contient, elle aussi, quelques notes de bas de page. Il s’agit cependant de six notes seulement, toujours très courtes et consacrées à éclairer le sens de termes isolés inconnus du public français, comme par exemple le mot « pharisien » pour « café arrosé d’eau-de-vie ». 152 Ce choix contraste avec les traductions du même titre dans d’autres langues, parmi lesquelles l’anglais (The Invention of Curried Sausage), le français (La découverte de la saucisse au curry) et l’espagnol (La invención de la salchicha al curry). 153 Delius, Friedrich Christian : La domenica che vinsi i mondiali, trad. Monica Lumachi, Florence, Le Lettere, Pan Narrativa, 2006. Avant cette date, seulement deux traductions de Delius

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ich Weltmeister wurde, 1994] : avec cette traduction, Le Lettere insiste sur la cohérence interne de sa collection, qui a pour but de (re)découvrir des écrivains plus ou moins inconnus en Italie et relevant d’un univers idéologique et/ou stylistique proche. En outre, Galli précise que « deux grands individualistes » resteraient exclus du Groupe 67154 : Peter Handke et Botho Strauß. Cette précision lui permet d’esquisser l’opposition, datant des années 1970, entre Handke et Timm, pour ainsi mieux dégager le profil de l’écrivain qu’il choisit de mettre en valeur. Sachant pertinemment qu’en Italie la littérature allemande intéresse « surtout là où elle était/est en mesure de négocier avec le passé, et le passé, ça signifie surtout le national-socialisme et l’Holocauste »155, Galli cherche à attirer le public par la promesse que le roman de Timm reconstruit « la vie quotidienne de l’Allemagne au sortir de la catastrophe hitlérienne et de la guerre. »156 Mais il ne banalise pas pour autant la portée du texte : au contraire, il se sert des paratextes pour élucider, à travers le roman, la réalité de l’Allemagne d’après-guerre. De cette manière, par exemple, le lecteur découvre que Goebbels commissionne, en 1943, la réalisation d’un film appelé Kolberg, et que les Préludes de Liszt ont été choisies pour annoncer aux allemands par radio le commencement de l’opération Barbarossa. Ainsi, ce livre est employé par son traducteur presque en tant qu’introduction littéraire à l’histoire allemande. Mais, comme l’explique Galli, l’histoire racontée par Timm relève du quotidien, du minuscule, et ne se perd pas dans des réflexions abstraites et génériques à l’exemple de tant d’ouvrages de la littérature allemande, qui serait à son avis « si encline à l’abstraction, si conceptuelle, souvent si peu concrète. »157 En revanche, Timm est capable de conjuguer le document – c’est-à-dire l’ancrage dans la réalité, dans le détail tangible – avec la forme – c’est-à-dire le travail sur le style, la mise en récit –, et réussit de cette manière à montrer avec précision un lieu et un moment historiques, dans ce cas la ville de Hambourg pendant l’après-guerre. À eux seuls, ces deux éléments permettent à certains représentants de la critique militante, et non spécialisée dans la littérature allemande, d’adhérer en quelque mesure à la médiation italienne de Timm. L’insistance sur l’appartenance de Timm à la génération des auteurs nés à la fin de la Seconde Guerre mondiale et sur son programme esthétique s’avère en effet efficace, car la critique fait de ces deux éléments les catégories fondamentales pour lire et interpréter le roman. La presse italienne intègre Timm à la génération des

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étaient disponibles en italien : Mogadiscio : cronaca di un dirottamento (trad. Adriano Caiani/ Stefano Viviani, Milan, SugarCo, 1990 ; Mogadischu Fensterplatz, 1987) et La passeggiata da Rostock a Siracusa (trad. Dina Trapassi, Palerme, Sellerio, 1998 ; Der Spaziergang von Rostock nach Syrakus, 1995). Galli, « La madeleine amburghese », p. 186. Introduction à « Ricchezza e povertà ». Rabat de couverture de La scoperta de la currywurst, trad. Matteo Galli, Florence, Le Lettere, Pan Narrativa, 2003. Galli, Matteo : « La madeleine amburghese », p. 193.

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« enfants des décombres »158 et souligne, avec Galli, l’héritage du Groupe 47 dans la volonté de l’auteur de rendre compte du passé allemand, bien qu’il n’atteigne pas « le souffle épique-grotesque » d’un Günter Grass159. L’attention que Timm porte à la dimension quotidienne et concrète de l’histoire est au centre de chaque critique, si bien que « la restitution de la spontanéité de l’oral et de l’action »160 devient la qualité primaire du roman. Enfin, l’influence de la lecture de Galli est telle qu’il reçoit, avec l’auteur, des éloges dans tous les comptes-rendus pour sa traduction. Les observations qu’il avance dans sa postface y sont reprises parfois textuellement : cela démontre que l’opération de double légitimation – de soi et de son auteur – qu’il a entreprise obtient un certain succès auprès de la germanistique (Eva Banchelli, Luigi Forte) et d’une partie de la critique littéraire militante (Eraldo Affinati). Ce public, d’ailleurs, reste encore assez restreint : seules L’Indice dei libri del mese et TuttoLibri, des revues spécifiquement littéraires, consacrent à Timm l’espace d’une critique. Cependant, la réception positive convainc Le Lettere de se lancer dans une nouvelle traduction et éveille bientôt l’attention d’une autre maison d’édition : en 2005, chez Le Lettere et Mondadori, paraissent Come mio fratello et Rosso.

4.4.4 Editer pour consacrer : Come mio fratello, « la force d’un classique »161 Le destin italien de Timm prend une nouvelle direction entre 2005 et 2007. En l’espace de deux ans, quatre de ses livres sont publiés : Rosso [2005] et La notte di San Giovanni [2007] chez Le Lettere, Come mio fratello [2005] et L’amico e lo 158 Affinati, Eraldo : « Uwe Timm, una storia dal sapore speziato », Il Giornale, 19 février 2004. Eraldo Affinati est un représentant de la critique militante et écrivain italien plus jeune que Timm (il est né en 1956), mais il partage dans une certaine mesure sa poétique et son engagement social : « La letteratura che si alimenta soltanto su sé stessa è come una pianta senza acqua, destinata ad atrofizzarsi », dit-il lors d’un entretien à l’occasion de la sélection d’un de ses romans pour le prix littéraire Strega, une phrase qui, il nous semble, rappelle de près dans sa volonté d’ouverture de la littérature à la réalité les propos du premier Timm (premiostrega.it/PS/eraldo-affinati-4, dernière visite le 6 décembre 2020). Affinati accompagne l’auteur et le traducteur lors de la présentation du roman à Florence, dans la librairie Feltrinelli International, en 2004. Un court entretien avec l’auteur à cette occasion, où l’identité générationnelle de Timm est reprise encore une fois, se trouve dans l’article de Beatrice Manetti : « Come rubare la felicità mentre finisce il mondo », La Repubblica, 23 mars 2004. 159 Forte, Luigi : « Timm, nostalgia di un salsicciotto », TuttoLibri, 29 mai 2004 ; Banchelli, « La scoperta della currywurst ». Quoiqu’il n’emploie pas la dénomination « Groupe 67 », Forte fait référence aux mêmes auteurs mentionnés par Galli (en l’occurrence Delius et Schneider), ce qui témoigne de l’efficacité de la postface pour la réception critique de la nouvelle. 160 Banchelli, Eva : « La scoperta della currywurst ». 161 Du rabat de couverture de : Timm, Uwe : Come mio fratello, trad. Margherita Carbonaro, Milan, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2005.

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straniero [2007] chez Mondadori. Une telle densité de publications est rare pour les traductions de littérature contemporaine : un éditeur dépasse difficilement un titre annuel par auteur. Dans ce cas, l’exception s’explique par la répartition des textes entre deux maisons différentes, qui travaillent dans une sorte de concurrence. Alors que Galli se consacre à la traduction de Rot, il renonce aux droits de Am Beispiel meines Bruders : à l’époque où le livre lui est proposé, il le considère comme une sorte de « déjà-vu » par rapport à Die Entdeckung der Currywurst162. Cette brèche dans la cession des droits des textes successifs de Timm donne la possibilité à d’autres éditeurs d’interférer dans la médiation : le succès allemand de Am Beispiel meines Bruders explique sans doute l’intérêt d’une entreprise de grande taille comme Mondadori qui, par le biais de sa lectrice externe pour la littérature allemande, Helena Janeczek163, saisit l’occasion et acquiert le volume de Timm. Mondadori devient ainsi, dans un premier temps, l’éditeur de ses textes de non-fiction. L’éditeur allemand, pour sa part, a aussi intérêt à céder les droits de ce titre, ayant atteint un chiffre de ventes très élevé en Allemagne, à une maison capable d’assurer une plus grande visibilité que Le Lettere : malgré la relation proche entre Galli et Timm, et le suivi minutieux de sa médiation – du choix des textes à l’organisation des tournées promotionnelles – qui en découle, Mondadori est en mesure d’offrir à l’auteur une plateforme bien plus étendue que l’éditeur savant de Florence. C’est pour cette raison que, pendant deux ans, l’œuvre de Timm est partagée entre deux éditeurs qui travaillent de façon éminemment différente. D’une part, Le Lettere profite encore du soutien financier du Goethe Institut pour les traductions des textes de Timm et s’assure les deux premiers romans de la trilogie berlinoise, Johannisnacht et Rot. Galli les traduit et en soigne la promotion auprès des cercles culturels pour que l’auteur obtienne les prix littéraires Mondello et Napoli, qui lui sont effectivement tous deux attribués en 2006. D’autre part, Mondadori publie, dans la prestigieuse collection Scrittori italiani e stranieri, deux ouvrages de Timm à caractère autofictionnel. Il présente l’auteur sans détours comme l’une des figures les plus remarquables de la scène littéraire allemande contemporaine et lui garantit une grande visibilité auprès du grand public. En même temps, donc, Timm reçoit un traitement de faveur aussi bien au pôle autonome du champ qu’en termes de ventes, de sorte que Come mio fratello est republié, dans la collection Oscar Mondadori, en format poche en 2007, puis de nouveau en 2011. Le retentissement de ce petit volume, le premier des quatre publiés pendant cette courte période, est très positif et dépasse de loin le petit succès du roman de 2003. L’insertion dans Scrittori italiani e stranieri témoigne de la volonté de l’éditeur de donner du relief à cette publication : il paraît aux côtés d’auteurs 162 Entretien avec Matteo Galli. Pendant notre entretien Galli nous dit regretter ce choix, qui a rendu possible le passage graduel de Timm à Mondadori. 163 Que Janeczek ait été la responsable de la médiation de Timm chez Mondadori nous est confirmé par elle-même lors d’un entretien réalisé à Paris, le 15 juin 2019.

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acclamés par la critique, voire déjà canonisés, comme Ingo Schulze et Heinrich Böll ; le livre présente la couverture sobre, rigide et blanche que le public italien connaît à cette collection ; la quatrième est laissée vierge, à l’exception d’une brève citation extraite du volume ; les rabats décrivent Timm comme « l’un des plus grands écrivains européens contemporains » qui se trouve « en pleine maturité » et qui a déjà « la force d’un classique. »164 Tous ces éléments connotent le livre en tant qu’objet culturel, destiné à faire partie de la grande littérature, et non pas comme un produit de pure consommation. Mais, contrairement au roman traduit en 2003, aucune postface n’accompagne le texte, et la traductrice Margherita Carbonaro recourt seulement trois fois aux notes de bas de page pour éclaircir des références culturelles : la visée, nous le voyons, n’est pas pédagogique, et tous les lecteurs, même les lecteurs occasionnels, sont interpellés par cette publication, et non pas seulement le public intéressé par la découverte ou l’approfondissement de sa connaissance de la culture allemande. Néanmoins, les rabats de couverture suffisent à influencer la réception du livre, au moins dans l’espace moyen du champ. Des reprises textuelles dans les comptes-rendus publiés à la sortie de Come mio fratello démontrent, en effet, le conditionnement que la présentation éditoriale exerce sur les lecteurs : alors qu’une concordance générale des avis sur le livre peut être due à ses qualités intrinsèques, l’identité des formules employées par l’éditeur et par les critiques prouve l’influence de l’un sur les autres. Ainsi, par exemple, Come mio fratello serait « essentiel et plein comme un classique »165 et son auteur « l’un des principaux écrivains allemands contemporains »166, ce qui rappelle de près la « sublime essentialité » qui octroie « la force d’un classique » au texte de « l’un des majeurs écrivains allemands de sa génération. »167 Les réactions au livre de Timm sont très positives et démontrent la puissance de la grande maison milanaise auprès de la presse : plusieurs journaux nationaux publient une critique du livre, confiée parfois à des journalistes qui, sans connaître le champ de départ et la bibliographie de l’auteur, s’en remettent, nous l’avons vu, au paratexte éditorial. Ceux qui connaissent mieux le parcours de Timm en Allemagne regrettent qu’il ait été « pendant des années […] injustement négligé » par les éditeurs italiens, et s’appuient sur son succès à l’étranger pour légitimer son 164 165 166 167

Du rabat de couverture de Timm, Come mio fratello. Lepre, Aurelio : « ‘Mio fratello nelle SS’, lo spettro di Timm », Corriere della Sera, 4 août 2005. Affinati, Eraldo : « In memoria del fratello ritrovato », Il Giornale, 8 juillet 2005. Les deux citations sont extraites des rabats de couverture de l’édition Mondadori. Un autre exemple de reprise textuelle de la présentation éditoriale se trouve dans l’article de Franco Marcoaldi « Il fratello ritrovato » (La Repubblica, 16 juillet 2005), qui commence ainsi : « A volte gli scrittori, i veri scrittori, aspettano decenni prima di trasferire sulla pagina scritta una vicenda personale particolarmente dolorosa e significativa » (le rabat de couverture du livre rapporte notamment : « Il ‘libro di una vita’, si potrebbe dire, quel genere di libro che i grandi scrittori si portano dentro per tutta la vita e che solo nel pieno della maturità riescono a mettere sulla pagina […] »).

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œuvre168 : c’est ce que fait Luigi Forte, l’un des germanistes qui soutient Timm tout au long de sa carrière italienne. Un autre soutien indéfectible de l’écrivain en Italie est le professeur de littérature allemande Gerhard Friedrich, qui attribue l’échec partiel de l’opération de mémoire conduite par Timm dans Come mio fratello à sa « rigoureuse honnêteté intellectuelle »169. Commun à plusieurs comptes-rendus de cet ouvrage, enfin, on retrouve son encadrement dans un courant littéraire « qui cherche à explorer le rapport difficile entre désarroi personnel et responsabilité historique chez les Allemands d’aujourd’hui »170, un courant dont Böll, Grass et Sebald seraient les précurseurs renommés et même, d’après certains, dépassés par Timm171. La thématique, l’intention et la présentation éditoriale de Come mio fratello permettent au public italien de lire Timm comme un auteur engagé et à la hauteur des grands noms de la Nachkriegsliteratur. C’est, par rapport au roman de 2003, un petit progrès sur deux fronts : au pôle autonome, un groupe restreint de spécialistes de la littérature allemande commence un travail de mise en valeur de l’œuvre de l’auteur qui dure jusqu’à nos jours ; ce travail obtient bientôt des résultats tangibles par la remise des prix Napoli et Mondello après la publication de Rosso. En même temps, la présence de Timm est perçue pour la première fois aussi au pôle de production de masse, ce qui se manifeste clairement par sa réception critique auprès des organes de presse nationaux et tout public (bien que cette réception reste encore limitée et augmente au fil des années suivantes) et par la hausse des ventes qui entraîne la réédition rapide en format de poche et la continuation de ses publications chez Mondadori. Dans le secteur militant du pôle autonome, cependant, la critique ne se prononce pas sur ses premières publications, à part l’exception remarquable d’Affinati : c’est sur ce front, nous le verrons, que la médiation italienne de Timm rencontre les plus grandes difficultés.

168 Forte, Luigi : « Con il fratello SS sul fronte del male », TuttoLibri, 1er août 2005 ; Affinati, « In memoria del fratello ritrovato ». Uwe Timm lui-même se dit satisfait de la grande qualité de ses traductions en italien lors d’un entretien avec Roberto Giardina : « Cercando i miei fratelli crudeli », QN Quotidiano Nazionale, 1er novembre 2005, p. 29. 169 Friedrich, « Parziale fallimento ». L’échec consisterait dans l’impossibilité, pour l’auteur, de récupérer réellement la mémoire de son frère décédé. Luigi Forte s’exprime plutôt dans les termes de « libro coraggioso » et « rigore morale » (« Con il fratello SS sul fronte del male »). Il s’agit dans ces cas, encore une fois, d’une reprise de l’« onestà intellettuale » louée dans la présentation éditoriale du texte. 170 Friedrich, « Parziale fallimento ». Cf. Vannuccini, Vanna : « In Germania, sessant’anni dopo, il passato non è più tabù », La Repubblica, 18 janvier 2005. 171 Lepre évoque Sebald, Böll et Nossack, et estime que Timm est en mesure d’éviter « il pericolo che il ricordo prevalga sulla riflessione e la loro rievocazione riceva un’impronta più sentimentale che scientifica » (Lepre, « ‘Mio fratello nelle SS’, lo spettro di Timm »)

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4.4.5 Prix Napoli, Prix Mondello : la reconnaissance pour Rosso (2005–2006) Avec Rosso, Le Lettere poursuit la construction de la série de fiction Pan narrativa. Ce roman, plus volumineux et plus ambitieux que La scoperta della currywurst, n’est accompagné d’aucune postface ni d’aucun paratexte de mise en relief. Seules quelques notes de bas de page remédient aux difficultés de traduction et, sur les rabats de couverture, un résumé remarque en termes génériques la « richesse extraordinaire et la profondeur » d’un livre « sur la vie et la mort, sur l’amour et l’amitié, sur des rêves et des espoirs, des échecs et des utopies. »172 Le marquage du traducteur est donc, au moins en ce qui concerne la présentation éditoriale du volume, plus souple que pour les publications précédentes. La critique récupère les catégories qu’elle avait employées à l’occasion de la sortie du livre de Mondadori : l’auteur reviendrait avec ce livre « aux thématiques de toujours » – notons qu’à ce stade, l’auteur n’a publié que deux ouvrages en Italie, donc la référence est nécessairement, pour le germaniste Luigi Forte qui écrit ce compte-rendu, la bibliographie de l’auteur en langue originale –, il écrirait « un roman de la mémoire personnelle et collective »173 et fournirait « un miroir de l’histoire allemande. »174 Toutefois, Rosso marque, selon la critique italienne, un bond supplémentaire de qualité, c’est-à-dire qu’il est considéré comme un roman « qui d’un coup place le nom d’Uwe Timm au sommet de la prose allemande contemporaine. »175 Effectivement, la grande envergure de cet ouvrage, sa structure vertigineuse et son ambition de mettre en récit une longue période du passé allemand valent à l’auteur l’approbation générale de la critique. N’ayant pas accès à une traduction italienne de Heißer Sommer176, les lecteurs ne font pas de comparaison avec le premier Timm – une comparaison qui avait caractérisé, en revanche, la réception du roman dans l’espace germanophone –, et désignent sans hésitation Rosso comme « le roman des années 1968 »177. Cette étiquette n’a rien de contraignant : dans le champ italien des années 2000, ce n’est plus le jeune écrivain débutant, témoin du mouvement étudiant, qui est pris en considération, mais plutôt l’auteur affirmé, qui retrace les dernières décennies « au-delà de la politique et de l’histoire […]

172 Citation extraite des rabats de couverture de : Timm, Uwe : Rosso, trad. Matteo Galli, Florence, Le Lettere, Pan Narrativa, 2005. 173 Forte, Luigi : « Se la Germania è un’orazione funebre », TuttoLibri, 26 janvier 2006. 174 Cordelli, Franco : « Uwe Timm, foto di gruppo con anarchico », Corriere della Sera, 3 avril 2006. 175 Ibid. 176 Galli soutient n’avoir jamais pris sérieusement en considération l’idée d’une traduction italienne de Heißer Sommer, étant donné qu’il s’agirait d’un « instant book », dont l’intérêt resterait donc limité au contexte de sa première publication (entretien avec Matteo Galli). 177 Ibid. Seul Gerhard Friedrich tient à préciser que « Timm si è affermato in Germania come il romanziere del movimento studentesco del Sessantotto » (Friedrich, Gerhard : « La caduta dell’angelo », L’Indice dei libri del mese, mars 2006, p. 19).

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dans le Berlin ‘post-moderne’ des années quatre-vingt-dix. »178 C’est pour cette raison que la réception de Rosso n’entre pas en conflit avec l’assimilation de Timm au groupe des auteurs de la Nachkriegsliteratur après la publication de Come mio fratello : le parallèle avec Böll, au contraire, est repris encore une fois dans ce contexte, et Rosso est lu comme « un historique de l’après-guerre. »179 Malgré sa réception positive, la victoire du prix Napoli180 pour Rosso surprend même son traducteur et son éditrice, qui parle à ce propos d’une « surprise formidable. »181 Cette surprise n’est pas due à la victoire de Timm en soi, mais plutôt à la défaite de l’un de ses finalistes rivaux182, « la star Orhan Pamuk », écrivain bien plus connu en Italie et dont l’ouvrage en course, Istanbul, serait plus proche de l’univers napolitain que le roman de Timm183. Galli et Pescarolo ne sont pas les seuls à exprimer leur étonnement : le choc de Pamuk lui-même n’échappe pas non plus à la presse, qui raconte la déception de l’auteur turc lors de la remise du prix184. Sa réaction est compréhensible : le prix Napoli est attribué à l’un des trois ouvrages finalistes, proposés en première instance par un jury technique185 à un deuxième jury, beaucoup plus large, de lecteurs non spécialisés. Cela signifie que, une fois établi un certain degré de légitimité spécifique par la première sélection du jury technique, l’enjeu du choix final concerne moins la valeur spécifiquement littéraire de ces ouvrages que leur popularité auprès d’un public étendu. « Si un prix de la critique existait, il serait pour le roman Rosso d’Uwe Timm », lit-on dans un article de La Repubblica le jour du verdict186 : en effet, nous avons déjà vu que la réception critique des premières traductions était, quoique restreinte, très positive, et cet accueil favorable se répète à cette occasion187. Mais dans le cadre de la deuxième sélection, le choix des 323 lecteurs portant sur ce roman annonce aus178 Ibid. C’est presque dans les même termes que s’exprime Forte, qui écrit : « La sua tendenza alla riflessione storica e politica, che talvolta isteriliva la narrazione, qui si traduce in sentimento epico, in fantasmagoria […] » (Forte, « Se la Germania è un’orazione funebre »). 179 Forte, « Se la Germania è un’orazione funebre ». 180 Ce prix, existant depuis 1954, avait introduit une section pour la littérature étrangère seulement trois ans plus tôt. 181 Correspondance avec Nicoletta Pescarolo, courriel du 22 décembre 2020. 182 Les finalistes pour la littérature étrangère dans cette édition du prix sont trois : Peter Esterhàzy (avec L’edizione corretta di Harmonia caelestis, Feltrinelli), Orhan Pamuk (avec Istanbul, Einaudi) et Uwe Timm (avec Rosso, Le Lettere). 183 Galli, « Ricchezza e povertà ». 184 Esposito, Pasquale : « Premio Napoli, vince Arpaia », Il mattino, 18 septembre 2006, p. 13 ; Carnero, Roberto : « Ad Arpaia, Timm, Pagliarani, Gribaudi il ‘Napoli’ 2006 », l’Unità, 18 septembre 2006, p. 23. 185 Le jury technique de cette édition du prix est constitué par des critiques, des journalistes et des écrivains de renom national : Enzo Golino, Nello Ajello, Bernardo Valli, Domenico Scarpa, Matteo Palumbo, Manuela Dviri, Maria Pace Ottieri, Roberto Esposito, Titti Marrone, Franco Cassano, Marino Niola, Gabriele Pedullà et Mariano Bàino. 186 Anon. : « Premio Napoli, finale in piazza Dante », La Repubblica, 17 septembre 2016, p. 26. 187 Le premier compte-rendu, par ailleurs très élogieux, consacré à Timm dans Nazione Indiana concerne Rosso : Accorroni, Linnio : « Rosso, di Uwe Timm », Nazione Indiana, 28 juillet 2007, www.nazioneindiana.com/2007/07/28/rosso-di-uwe-timm (26 mars 2022).

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si une extension inattendue de son public et fait franchir à l’auteur une nouvelle étape de sa réception. L’attribution du prix Mondello, deux mois plus tard, consolide cette reconnaissance188. La présence dans le jury du germaniste Luigi Forte, qui appuie dès le début l’opération de médiation de son collègue Galli, ainsi que de l’écrivain de renom Franco Cordelli, « sponsor numéro un » de Timm en Italie189 et figure de proue dans le cercle de la critique militante190, a certainement contribué dans une mesure non négligeable à cette victoire, puisqu’il s’agit de deux connaisseurs qui estiment l’œuvre de l’auteur, l’ont suivi dès ses premières traductions en italien et qui peuvent lui accorder, par leur soutien, un capital valable au pôle autonome du champ. Existant depuis 1975 et octroyé à un auteur étranger pour la première fois en 1977 (à Günter Grass), le prix Mondello a une tradition bien plus longue que le prix Napoli dans la consécration de la littérature étrangère, et conjugue une forte composante locale (le prix est lié à la ville de Palermo, où il fait l’objet d’une importante cérémonie annuelle) avec l’ambition d’atteindre la reconnaissance internationale191. Le retentissement à l’étranger de ces victoires italiennes confirme la réussite de ce processus de légitimation, bien plus rapide et plus efficace ici que dans le champ germanophone : ainsi, aussi bien le prix Napoli que le prix Mondello sont évoqués dans la présentation éditoriale allemande de Vogelweide en 2013. Cependant, cette accumulation rapide et consistante de capital symbolique pour Uwe Timm n’entraîne pas d’augmentation significative des ventes. Ou, plus précisément : le succès commercial de Rosso chez Le Lettere reste toujours un succès limité, au sens où il est supérieur à la moyenne de la maison, mais bien inférieur à la moyenne des éditeurs qui s’occupent principalement de littérature. Ainsi, le tirage initial du roman est d’environ 2500/3000 exemplaires, et une nouvelle impression produit 1000 copies supplémentaires : il s’agit de chiffres extraordinaires pour 188 La victoire de deux prix de si grande portée pour un seul ouvrage d’un auteur encore relativement inconnu est un évènement rare ou, comme le dit avec enthousiasme Pescarolo, « quello che vorrei chiamare quasi un miracolo » (courriel du 22 décembre 2020). 189 Entretien avec Matteo Galli. Nicoletta Pescarolo souligne également il « fortissimo sostegno di Franco Cordelli » pour l’attribution à Timm du prix Mondello (entretien avec Nicoletta Pescarolo). 190 Franco Cordelli, né en 1943, est un écrivain et critique littéraire, expert et théoricien du roman, intellectuel de premier plan dont les articles ont été souvent rassemblés en volume. « Se per caso qualcuno volesse farsi un’idea precisa della figura del critico militante, e della sua presenza oggi, potrebbe comodamente darsi alla lettura dei due volumi editi da Theoria e firmati da Franco Cordelli » : cette présentation, choisie à titre d’exemple parmi de très nombreuses démonstrations d’admiration pour le travail culturel de ce critique, rend claire le rôle fondamental que l’appui de Cordelli peut avoir dans la construction de l’image publique de Timm en Italie (Manganelli, Massimiliano : « Cordelli critico », Doppiozero, 6 mai 2020, www.doppiozero.com/materiali/cor delli-critico (26 mars 2022). 191 Le site web du Prix Mondello indique précisément : « Lo scopo dei suoi ideatori era quello di dar vita, per la prima volta in Italia, a un concorso letterario che fosse tenuto a battesimo a Palermo e avesse, al contempo, una valenza internazionale » (www.premiomondello.it/it/storia-premio/ dal-1975-113, dernière visite le 5 décembre 2018).

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la petite maison savante de Florence, certes, mais ils témoignent du retentissement très réduit de l’auteur auprès du grand public, même avec son livre le plus primé.

4.4.6 Entre réalité et fiction : L’amico e lo straniero et La notte di San Giovanni Il est frappant de voir à quel point le travail sur les textes de Timm chez Mondadori avance de façon parallèle, sans contact avec la présentation du même auteur chez Le Lettere. Dans la courte note biographique qui accompagne L’amico e lo straniero, la seule publication mentionnée est aussi la seule parue chez la maison milanaise, c’est-à-dire Come mio fratello. Par ailleurs, ce livre représente pour l’éditeur le seul point de repère dans la bibliographie de Timm pour comprendre et encadrer toute sa poétique. Bien que le lien entre ces deux ouvrages soit effectivement très étroit, la critique tient parfois à compenser le silence de l’éditeur à propos des autres publications de Timm et souligne la cohérence de ses œuvres complètes, qui peuvent être considérées comme « une espèce de biographie de l’Allemagne à la première personne. »192 Encore une fois, le texte de Timm paraît dans Scrittori italiani e stranieri. Toutefois, contrairement à son ouvrage de 2006, le sous-titre précise qu’il s’agit ici d’un roman : une précision qui peut étonner, étant donné que, sur les rabats de couverture, la matière autobiographique est autant mise en relief qu’elle l’était dans le cas de Come mio fratello. En outre, la classification de ce livre dans le genre romanesque affaiblit l’argument, proposé par Galli, qui justifie la division de l’œuvre de Timm entre deux éditeurs, l’un se chargeant des textes de fiction et l’autre des mémoires. La catégorie de « roman » est reprise entre guillemets par les critiques du livre, qui insistent à juste titre sur l’amitié réelle de l’auteur avec Benno Ohnesorg et sur son effort de restituer, à l’aide de ses souvenirs, un portrait de la personne cachée derrière le symbole qu’Ohnesorg est devenu193. Toutefois, l’appartenance partielle du livre à la sphère de la fiction ne signifie pas que les lecteurs ignorent sa valeur spécifiquement littéraire ; au contraire, tout en reconnaissant sa composante autobiographique, plusieurs critiques félicitent le style et le développement d’une langue appropriée au projet de l’auteur, qui ne serait « pas dépourvu de pathos, mais immune de tout auto-apitoiement. »194 L’attention portée à ce livre est plus limitée que dans les cas précédents : aucune édition de poche ne fait suite à cette première publication – probablement à cause du nombre de ventes plus faible. La même année, Le Lettere publie aussi son 192 Forte, Luigi : « Arriva lo scià a Berlino, muore un innocente », TuttoLibri, 22 septembre 2007. 193 Casalegno, Andrea : « Uwe Timm. In ricordo di Benno », Il Sole 24 Ore, 29 juillet 2007. La photographie choisie pour la couverture Mondadori contribue d’ailleurs à la dépersonnalisation d’Ohnesorg, en raison de sa forte charge symbolique. 194 Friedrich, Gerhard : « L’amico e lo straniero », L’Indice dei libri del mese, février 2008, p. 38.

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dernier roman de Timm, La notte di San Giovanni. Tout en récupérant un texte plus daté, cette traduction éveille au moins dans la même mesure que L’amico e lo straniero l’intérêt des critiques. Mais il s’agit, comme chez Mondadori, d’un succès mineur par rapport à la dernière publication du même auteur, à savoir Rosso. Présenté comme la première partie d’une trilogie, dont Rosso était le deuxième volume, ce roman est d’emblée mis en relation avec le vainqueur des prix Napoli et Mondello ; l’éditeur en propose une traduction fluide, cette fois sans notes de bas de page, et le décrit comme « un roman au rythme vertigineux, par moments hilarant »195, sans s’attarder sur le style ni sur l’intrigue. En d’autres termes, cette édition du volume mise sur un public large et relance Timm, après les publications à caractère autobiographique chez Mondadori, en tant qu’auteur de fiction196. Malgré une certaine déception de l’éditeur, qui aurait souhaité pour La notte di San Giovanni un destin semblable à celui du précédent roman197, l’initiative de Le Lettere s’avère un succès : dans leurs articles, les critiques ne manquent de mentionner la réussite littéraire de Rosso et louent l’humour comme la légèreté du style de Timm, qui se présente de nouveau au public italien avec « encore une autre histoire séduisante. »198 Les rapprochements avec Grass et Johnson, qui avaient caractérisé la réception allemande, ne se renouvellent pas dans ce contexte nouveau ; toutefois, chaque critique reconnaît que le véritable objet de cette histoire rocambolesque est la représentation du Berlin d’après la Wende et de ses contradictions. Quoique La notte di San Giovanni ne soit aucunement perçu comme un roman engagé, il paraît clair que le but de l’auteur est d’illustrer les difficultés de la réunification allemande, et que la forme du roman à épisodes relève de la volonté de « saisir le côté comique et grotesque de la réalité quotidienne »199. Son attention à la vie quotidienne et à la « Sinnlichkeit »200, déjà mise en évidence par la critique allemande, est aussi soulignée dans les réactions à cette traduction italienne, qui citent explicitement Erzählen und kein Ende, bien que cet essai ne soit pas encore traduit en italien. Cela montre que l’esthétique du quotidien, illustrée par Galli dans 195 Des rabats de couverture de la première édition : Timm, Uwe : La notte di San Giovanni, trad. Matteo Galli, Florence, Le Lettere, Pan Narrativa, 2007. 196 L’opposition entre le Timm auteur de « storie vere » et le Timm romancier est reprise par le germaniste, écrivain et traducteur Stefano Zangrando : « Uwe Timm, La notte di San Giovanni », Alias, 16 février 2008 ; sa lecture positive du roman est encore un exemple de la réception de Timm située surtout au pôle autonome du champ, à mi-chemin entre le cercle académique et le militant. 197 Galli raconte que, au moment de faire une offre pour l’acquisition des droits de Halbschatten, l’éditeur éprouvait une « caduta di motivazione dopo che Johannisnacht non era andato così bene » (entretien avec Matteo Galli). 198 Anon., « Una ‘ricetta’ per l’anarchia del 2000 », Il Gazzettino, 26 septembre 2008, p. 21. 199 Forte, Luigi : « La patata, kermesse senza fine », TuttoLibri, 16 février 2008. V. aussi anon., « La notte di San Giovanni », Il Foglio, 23 avril 2008, p. 3. 200 Falconi, Francesca : « La notte di San Giovanni », L’Indice dei libri del mese, juin 2008, p. 33 ; Zangrando, « Uwe Timm, La notte di San Giovanni » (Zangrando cite explicitement le recueil de 1993, quoiqu’il n’ait pas encore de traduction italienne, et notamment une phrase de l’essai Der wunderbare Konjunktiv, mis en avant dans la postface de Galli).

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sa postface de 2003, est reprise encore une fois comme catégorie interprétative privilégiée de l’œuvre de Timm : jusqu’ici, donc, le médiateur a réussi à imposer l’auteur et sa poétique auprès d’un segment très circonscrit du champ, et à inclure dans son opération de transfert assez de personnalités du milieu littéraire pour que Timm existe aussi en dehors du discours savant lié à la germanistique. Mais le nombre de ventes n’augmente pas, et Le Lettere n’est plus en mesure de soutenir la « concurrence » avec Mondadori : sans que Timm quitte son médiateur principal, la maison abandonne bientôt l’auteur, qui reste entre les mains du géant milanais.

4.4.7 Timm, un auteur Mondadori (2011–2015) Plusieurs années s’écoulent avant la traduction suivante, Penombra, qui paraît chez Mondadori en 2011. Lors d’une vente aux enchères des droits, la puissance économique de Mondadori l’emporte sans difficultés sur Le Lettere, qui renonce ainsi définitivement à son auteur quelques années avant la fin de la collection Pan Narrativa, en 2014. Les conditions de travail sur l’auteur dans cette maison diffèrent complètement de celles chez Mondadori. Le Lettere est un éditeur marginal : il l’est au sens géographique et au sens symbolique, puisque la production littéraire, nous l’avons vu, n’est pas au centre de son activité. Cette marginalité se reflète dans les modalités de cette production : une seule personne, en l’occurrence Matteo Galli, prend en charge tous les aspects, de la sélection à la promotion des textes, ce qui comporte des avantages comme des inconvénients. D’une part, le travail culturel (cf. § 2.5) sur l’auteur est minutieux, son traducteur s’engage personnellement dans sa mise en réseau et lui ouvre ainsi les portes de la reconnaissance spécifique. D’autre part, la structure nécessaire pour lancer un écrivain auprès du public – par la création des couvertures, des espaces en librairie achetés ad hoc, mais aussi par la simple révision des textes traduits – va bien au-delà de ce qui est possible pour une seule personne : il est nécessaire qu’une équipe éditoriale travaille pour que l’objet-livre arrive aux yeux du lecteur et reste assez longtemps en librairie. Or Mondadori, depuis sa position absolument centrale, possède cette structure et, grâce à la volonté d’Uwe Timm et de Matteo Galli de poursuivre leur coopération aussi au sein de la maison milanaise, profite aussi des avantages de cette relation étroite entre auteur, traducteur et critique. Galli, quant à lui, souligne la révision rigoureuse opérée par Gloria Cecchini, qui prend soin de « normaliser » le texte traduit afin de le rendre accessible à tout public201. Mais la structure, ici, est si imposante qu’elle risque d’étouffer la production : la consultante pour la littérature allemande chez Mondadori, Helena Janeczek, confirme les difficultés à « défendre » l’auteur – qui, étant traduit de l’allemand, reste relativement marginal dans le marché italien – au sein d’une maison qui exige des chiffres de vente ex201 Entretien avec Matteo Galli.

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trêmement élevés, mais sans adapter les lancements aux différents publics visés202. Observons donc l’effet de cette nouvelle conjoncture éditoriale sur la trajectoire italienne de Timm dans les années 2010. C’est le commencement d’une nouvelle phase de sa réception. Malgré la sélection très restreinte d’ouvrages opérée par Mondadori, et grâce au travail de communication de Galli auprès de ses cercles203, la critique italienne continue de s’intéresser à l’auteur de Hambourg, soit en retraitant et revalorisant les publications précédentes, soit en comblant l’absence de traductions à l’aide d’articles et interviews. En 2008, l’éditeur Black Velvet publie en italien l’adaptation graphique de Die Entdeckung der Currywurst par Isabel Kreitz, déjà parue en Allemagne en 1996204 ; la même année, la chercheuse Maria Caterina Poznanski publie un article sur les Römische Aufzeichnungen, alors qu’elles n’ont pas de traduction italienne205 ; en 2009, les germanistes Gerhard Friedrich et Italo Battafarano écrivent des essais qui concernent directement Uwe Timm, dont l’un sur le roman Halbschatten, qui n’a pas non plus de traduction en italien206 ; en 2011, Galli évoque l’auteur à maintes reprises dans le journal de son séjour à Berlin, qu’il publie en ligne sous le titre Diario berlinese207. Quand, en 2011, Penombra sort enfin dans les librairies italiennes, l’horizon d’attente du public n’est plus le même que huit ans auparavant, lors de la publication de La scoperta della currywurst : Mondadori s’adresse, avec ce roman, à des lecteurs qui connaissent déjà une partie de l’œuvre de Timm et l’associent à la réélaboration de sa mémoire personnelle et de l’histoire allemande. À la demande de l’auteur, l’éditeur confie la traduction à Matteo Galli et conclut le résumé du roman en observant que l’auteur « revient au récit magistral du passé de l’Allemagne, travaillant sur un terrain où la violence de l’histoire s’entrelace avec le destin individuel » et confirme son statut comme « l’un des plus grands re-

202 Entretien avec Helena Janeczek. 203 Helena Janeczek souligne aussi le rôle joué par Galli dans le succès critique de Timm pendant sa période mondadorienne. 204 Kreitz, Isabel (d’après un roman d’Uwe Timm) : Die Entdeckung der Currywurst, Hambourg, Carlsen, 1996 ; pour la version italienne : La scoperta della currywurst, Bologne, Black Velvet, 2008. 205 Poznanski, Maria Caterina : « Selbstbekenntnis in der Fremde. Uwe Timms ‘Römische Aufzeichnungen’ », dans : Czapla, Ralf Georg/Fattori, Anna (dir.) : Die verewigte Stadt. Rom in der deutschsprachigen Literatur nach 1945, Bern, Lang, 2008, 279–293. Le Römische Aufzeichnungen n’ont pas encore, à ce jour, de traduction italienne. 206 Friedrich, Gerhard : « Penombra. Il romanzo Halbschatten di Uwe Timm », dans : Chiarloni, Anna (dir.) : Oltre il muro. Berlino e i linguaggi della riunificazione, Turin, Istituto di studi storici Gaetano Salvemini di Torino, 2009 ; Battafarano, Italo Michele : Von Andreas Gryphius zu Uwe Timm : deutsche Parallelwege in der Aufnahme von Italiens Kunst, Poesie und Politik, Trento, Université de Trento, 2009. 207 Les 26 épisodes du journal sont accessibles sur le blog d’études germaniques www.germanistica. net. Timm est mentionné notamment dans les épisodes 3, 5, 23 et 24. Sur le même site, en 2012, Claudio Musso partage l’incipit de Come mio fratello : www.germanistica.net/2012/01/20/inci pit-come-mio-fratello (6 décembre 2018).

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présentants de la littérature européenne contemporaine. »208 Aucune référence aux ouvrages parus chez Le Lettere n’est faite dans l’édition Mondadori, même pas à Rosso ni à Johannisnacht, qui font pourtant partie de la trilogie terminée par ce nouveau roman et ont été acclamés par la critique. En général, l’existence même de la trilogie berlinoise n’est mentionnée à aucun moment dans la présentation éditoriale, ce qui confirme une tendance déjà affichée lors des publications précédentes dans Scrittori italiani e stranieri : l’éditeur ne fait preuve d’aucun intérêt à diffuser l’œuvre de Timm dans son intégralité ni à en dégager la cohérence et l’évolution. Il n’essaie pas non plus de récupérer les publications passées pour en proposer de nouvelles éditions. En revanche, il énonce son jugement de valeur sur la base de ses propres publications et se sert de son prestige et de sa grande visibilité pour promouvoir chaque nouvelle parution prise individuellement, sans concevoir de projet à long terme pour l’auteur. La mise en valeur du parcours de Timm – c’est-à-dire de l’œuvre et non pas de chaque ouvrage isolé – passe donc exclusivement par la critique. Elle s’en charge en reconnaissant le mérite de Galli, considéré comme capable de restituer une langue complexe et variée, et en rappelant les ouvrages précédents de Timm qui ont construit son renom en Italie209. Rapproché en deux occasions de Spoon river210, Penombra est aussi un texte polyphonique, où la parole est accordée au fur et à mesure aux différents personnages, tous décédés, qui apparaissent comme des fantômes dans le Cimetière des Invalides à Berlin. C’est cette double particularité d’une langue toujours changeante et d’un lieu très chargé symboliquement qui se trouve au centre de l’intérêt des lecteurs. Comme dans le cas de Johannisnacht, la presse ne s’exprime à aucun moment en termes d’engagement littéraire ou social lorsqu’elle illustre les qualités du roman. Si engagement il y a chez Timm, il passe toujours par « une enquête sur le passé »211 et surtout par l’enchevêtrement des destins individuels avec l’Histoire. L’atout du roman réside, selon la critique, dans son ouverture interprétative, c’est-à-dire dans le refus de l’auteur de répondre catégoriquement aux interrogations qu’il suggère : si, comme le dit la présentation éditoriale, Timm raconte avec un ton magistral l’histoire de l’Allemagne, il ne se permet pas pour autant de condamner une action ni une génération. Au contraire, il écrit justement pour « explorer les nuances, les ambivalences, les tonalités de gris 208 Des rabats de couverture de la première édition : Timm, Uwe : Penombra, trad. Matteo Galli, Milan, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2011. 209 Reitani, Luigi : « Spoon River alla tedesca », Il Sole 24 Ore, 6 novembre 2011 ; Forte, Luigi : « Timm cerca la pilota che volò oltre Hitler », TuttoLibri, 15 octobre 2011. L’article de Reitani, germaniste collègue de Galli, est repris dans le recueil qui retrace une histoire de la production littéraire de l’Allemagne d’après la Wende à travers sa réception italienne : Il racconto della Germania. Cronache di letteratura tedesca contemporanea, Udine, Forum 2015, pp. 149–150. 210 Ibid. : il s’agit des mêmes comptes-rendus de Luigi Reitani et Luigi Forte. 211 Vannuccini, Vanna : « Uwe Timm », La Repubblica, 25 settembre 2011. Cette interview de Vannuccini avec Timm est la seule occasion où la relation entre littérature et critique sociale est débattue explicitement.

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dans l’histoire allemande. »212 L’accueil critique est, encore une fois, très positif, et arrive parfois à insérer ce roman « parmi les meilleures de l’auteur et de la fiction allemande récente »213 ; mais il se limite encore – il suffit de voir les signatures des divers articles – au cercle des experts qui soutiennent Timm depuis ses débuts. Les essais, les textes autobiographiques et le roman que Timm publie en Allemagne entre 2009 et 2012 sont entièrement négligés par Mondadori, qui confie à Galli la traduction du dernier roman de l’auteur214. La volatilità dell’amore sort en 2015 et constitue, à ce jour, le dernier ouvrage de Timm dans Scrittori italiani e stranieri. Comme nous l’avons évoqué, ce roman à la thématique éminemment personnelle représente une rupture par rapport à la littérature de la mémoire historique produite auparavant par Timm. Mais, contrairement à la réception allemande, cette rupture est bien reçue par les habitués de Timm en Italie. L’ingénieux titre conçu par Galli215, la couverture et ses rabats s’adaptent bien au tournant sentimental que Vogelweide imprime à la bibliographie de l’auteur. Le mot « amore » se détachant sur le fond d’une photo romantique en noir et blanc, le descriptif qui évoque « les raisons du cœur que la raison ne connaît pas »216 : chaque élément de sa présentation éditoriale adresse ce livre au public de masse qui cherche une histoire d’amour, et aucune tentative n’est menée pour rapprocher le roman des précédentes publications de Timm. Comme dans le cas de Penombra, c’est encore une fois la critique qui s’occupe de souligner la cohésion entre ce roman et les autres traductions de l’auteur : effectivement, pendant cette étape de sa réception, les lecteurs perpétuent l’interprétation de l’œuvre de Timm qui avait été proposée avec ses toutes premières publications, en dépit du traitement normalisant qu’il reçoit chez Mondadori. Ainsi, tout en reprenant sans exception le voisinage avec les Wahlverwandtschaften goethiennes, souligné sur le rabat de couverture, les critiques du roman n’hésitent pas à élargir l’éventail des influences et des analogies à d’autres ouvrages : Cordelli interprète même le livre de Timm comme « une généalogie du roman allemand »217, et met ainsi en valeur le représentant de cette littérature si peu ap-

212 Friedrich, Gerhard : « Angelo chiassoso », L’Indice dei libri del mese, avril 2012, p. 30. 213 Reitani, « Spoon River alla tedesca ». 214 Avant la sortie de La volatilità dell’amore, Matteo Galli n’a de cesse de promouvoir Uwe Timm en Italie : il l’invite par exemple à participer, avec Angelika Klüssendorf, à une lecture à Rome, pour l’évènement « Europa. Come la Germania », le 15 mars 2013 (dans l’Auditorium Parco della Musica). 215 Vogelweide est un jeu de mots qui relie le nom d’un poète allemand médiéval, Walther von der Vogelweide, auteur de nombreuses chansons d’amour courtois, à un néologisme composé des mots Vogel (oiseau) et Weide (pâturage). Le titre italien est critiqué par le traducteur même, qui le considère, avec la couverture « un po’ alla Doisneau », comme un stratagème de l’éditeur qui cherche à atteindre un public de masse, de lecteurs de feuilletons romantiques. 216 Des rabats de couverture de la première édition : Timm, Uwe : La volatilità dell’amore, trad. Matteo Galli, Milan, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2015. 217 Cordelli, Franco : « Sull’isola dove l’amore rompe il Graal », Corriere della Sera, 24 mai 2015, p. 13.

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préciée du public italien. En deux occasions218, La volatilità dell’amore est rapproché d’une autre publication Mondadori, La coscienza di Andrew de l’écrivain étatsunien Edgar Doctorow, qui paraît aussi en 2015 dans Scrittori italiani e stranieri. En outre, chaque critique revient sur les autres traductions de Timm, qui ne sont aucunement lues en opposition avec cette nouvelle parution : bien au contraire, celle-ci confirme « la compacité d’un développement créatif qui puise aussi sa force dans les constantes qui le traversent »219, et contient des références aux romans qui l’ont précédée220. Il s’agit, en somme, d’une réception qui n’est pas seulement positive, mais qui actualise toute l’œuvre de Timm, puisque son roman est perçu comme l’aboutissement, réussi et cohérent, de ses travaux précédents221. L’écart considérable avec la réception allemande du même roman ne doit pas surprendre : tandis que, dans son champ de départ, la renommée de Timm fait suite à une phase délibérément politique, en Italie son écriture est décrite d’emblée en termes de « projet culturel », un projet qui aurait pour but de « perpétuer la mémoire d’une communication principalement orale » et de transformer « le document quotidien impur, sale et bâclé […] en un monument. »222 Ce n’est donc pas seulement l’absence de traductions des premiers ouvrages de Timm qui assouplit, en Italie, la rupture représentée par Vogelweide, mais aussi le décalage temporel, qui a permis à Galli d’appliquer, à l’ensemble de l’œuvre, le filtre d’une lecture esthétisante. Cependant, la tentative de Mondadori de faire de Timm un auteur tout public échoue. Le nombre de ventes reste réduit, de même que sa valeur à long terme en tant que titre de fonds est négligeable : en 2015, Am Beispiel meines Bruders n’arrive même pas à vendre cent exemplaires. Il est difficile, et il serait sans doute erroné, d’attribuer cet échec dans le pôle de production de masse à un seul facteur. Mais son lancement indifférencié au milieu de dizaines d’autres parutions est certainement un élément qui contribue à la difficulté d’imposer un auteur comme Timm sur le marché – un auteur a priori difficile à communiquer au grand public du fait de sa « marginalité » linguistique. On ne constate aucun effort de l’éditeur pour valoriser ces livres, les distinguer en tant qu’exemplaires d’une œuvre longue et durable. Si bien que, après quatre publications peu rentables, Uwe Timm est abandonné par Mondadori. En 2019, Sellerio publie Un mondo migliore, dans la traduction de Matteo Galli. Avec ce roman, une phase nouvelle dans la médiation de l’auteur commence. Elle présente, il nous semble, toutes les conditions nécessaires pour lui assurer une visibilité comparable à celle qu’il a dans son champ d’origine. En l’espace d’un an 218 Ibid. et Di Mauro, Enzo : « Le affinità elettive di Uwe Timm », Alias, 18 avril 2015. 219 Di Mauro, « Le affinità elettive di Uwe Timm ». 220 Friedrich, Gerhard : « Difesa dell’estro amoroso », L’Indice dei libri del mese, juillet/août 2015, p. 29. 221 V. aussi l’interview avec l’auteur de Tonia Mastrobuoni : « Timm : ‘L’amore ? È un veleno dolcemente volatile’ », TuttoLibri, 13 avril 2015. 222 Galli, « La madeleine amburghese », p. 188.

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seulement, l’éditeur de Palermo a déjà démontré un engagement envers son auteur qui dépasse de loin le travail effectué chez Mondadori : il l’invite à écrire un récit inédit pour le recueil publié à l’occasion du 50e anniversaire de la maison – l’insérant ainsi dans le répertoire des auteurs de Sellerio – ; il réédite en 2020 La scoperta della currywurst, qui était désormais hors catalogue dans son édition de Le Lettere ; Antonio Sellerio intervient même avec une brève contribution dans le volume que KiWi publie, en 2020 aussi, pour le 80e anniversaire de l’auteur. Ici, il exprime très clairement ses intentions à l’égard de l’œuvre de Timm : Ses romans représentent l’aboutissement naturel de notre chemin. […] L’œuvre de Timm vise, au-delà de sa valeur littéraire, à un engagement politique qui correspond à l’engagement de notre maison. […] C’est notre plus grand souhait de devenir l’éditeur italien définitif d’Uwe Timm. Nous allons bientôt publier quelques-uns de ses livres les plus importants. Nous allons faire de notre mieux pour qu’il se sente littéralement chez lui lorsqu’il parle de la maison d’édition Sellerio. Nous espérons pouvoir éditer ses travaux futurs et nous espérons qu’ils seront nombreux.223

La reprise de la catégorie de l’engagement politique, qui avait caractérisé la réception de Timm en Allemagne et qui est restée jusqu’ici pratiquement absente de la critique italienne, ainsi que l’annonce d’un programme de publications à long terme démontre l’existence d’un tournant majeur dans la médiation éditoriale de l’auteur. Sellerio pourrait – mais c’est à des travaux futurs de confirmer ou non ce pronostique – aider Timm à sortir du seul cercle des spécialistes et diffuser son nom auprès d’un lectorat plus vaste. L’étendue de la réception critique du roman Un mondo migliore conforte cette hypothèse.

4.5 CONCLUSION : DEUX ASCENSIONS POSSIBLES Il ressort de cette analyse que la trajectoire de Timm, dans ses lignes générales, est ascendante aussi bien dans l’espace germanophone que dans l’espace italien, mais aussi que cette ascension diffère considérablement d’un champ à l’autre dans ses modalités précises. Dans le champ allemand, le parcours de Timm commence dans un secteur très dominé du champ : il est complètement inconnu sur la scène littéraire, s’insère graduellement dans le monde intellectuel après une formation professionnelle qui le plaçait d’emblée hors de celle-ci, et publie ses premiers ouvrages dans une petite maison d’édition autogérée par les auteurs mêmes. Comme c’est souvent le cas avec les groupes « d’avant-garde », qui contestent la norme établie et en proposent une nouvelle pour se frayer un chemin vers des positions dominantes224, 223 Sellerio, « Grüße aus Italien ». 224 Pour éviter tout malentendu, rappelons encore une fois que le terme « avant-garde » est employé dans ce texte au sens qui lui est donné par Pierre Bourdieu dans sa théorie sociale des champs : il indique donc non pas les courants artistiques qui ont marqué la culture du début du XXe siècle, mais plutôt tous les regroupements d’agents – ici : écrivains, éditeurs, critiques – qui, se trouvant

La médiation éditoriale d’Uwe Timm en Allemagne et en Italie

233

Timm se lie à son entourage étudiant et politique pour proposer un modèle littéraire – le réalisme engagé – qu’il présente comme opposé à une esthétique dominante, une doxa, que lui-même considère comme capitaliste et sans intérêt. Cette stratégie lui ouvre une première voie d’accès au champ et l’établit comme l’une des figures phare dans son cercle militant, mais elle ne suffit pas à le sortir de son espace dominé. Le travail accompli dans cette phase, surtout avec Heißer Sommer et Morenga, les deux romans grâce auxquels le nom de Timm s’est répandu en Allemagne, ainsi que son insertion dans un réseau de connaissances internes au milieu littéraire sont les prémisses nécessaires au premier grand tournant de sa carrière, c’est-à-dire au passage vers une maison d’édition en mesure de lui garantir de la visibilité. L’arrivée à Kiepenheuer & Witsch dans les années 1980 permet à Timm de gagner une place non pas au sommet du pôle de production restreinte, ce à quoi il avait peut-être aspiré, mais à ce que l’on peut appeler l’« espace moyen » du champ. Ici, Timm obtient l’attention systématique de la presse nationale et les premiers signes timides d’un intérêt de la part des germanistes ; mais c’est surtout l’éditeur même qui, par des rééditions et des recueils en l’honneur de son auteur, manifeste une ferme intention de l’établir en tant qu’écrivain de premier ordre. Les premiers grands succès des années 1990, et surtout la parution du roman Die Entdeckung der Currywurst, qui devient bientôt une lecture scolaire pour les jeunes Allemands, contribuent à canaliser l’attention du public vers Uwe Timm, nouveau producteur de best-sellers haut de gamme. Mais, comme nous le verrons aussi pour Carrère, c’est la conjoncture entre des thématiques « communicables » – Timm est notamment associé à la fois au colonialisme et à la génération de 1968 – et une recherche formelle qui, dans le cas des deux auteurs de notre corpus, revient à une possibilité de l’autofiction et/ou de la fusion entre fiction et non-fiction (le document chez Timm, l’enquête chez Carrère), qui attire aussi bien le grand public que la critique plus spécialisée. C’est donc dans les années 2000 et surtout 2010, après quarante ans d’activité, que Timm commence à gagner du capital symbolique et à s’approcher d’une position privilégiée au pôle le plus autonome du champ aussi : de même que les chiffres de vente très élevés témoignent du succès de l’auteur dans l’espace moyen du champ, les prix, les Poetikvorlesungen, les monographies qui s’amoncèlent sont les attributs qui témoignent de cette ascension lente et graduelle auprès des pairs. L’engagement de la maison d’édition à maintenir une politique d’auteur et à célébrer systématiquement Timm, tous les cinq ans, à l’occasion de son anniversaire, rend claire sa volonté de mettre en relief la production de cet auteur au milieu du vaste catalogue éditorial. Cependant, aucun des signes majeurs d’une consécration externe à la maison – comme le Büchnerpreis ou l’inclusion de principe de ses ouvrages dans les programmes universitaires de littérature contemporaine – ne contribue à consolider la position de l’auteur à une place védans une position dominée au pôle autonome du champ, s’efforcent par un renversement des « règles de l’art » de s’instituer comme les représentants de la « vraie » culture – ici, de la vraie littérature –, et donc d’atteindre une position de domination.

234

Deuxième partie

ritablement dominante. Schématiquement, donc, nous pourrions tracer son parcours comme une ligne ascendante, certes, mais situerions son point d’arrivée à mi-chemin entre l’espace moyen du champ et les positions les plus hautes du pôle de production restreinte. Si la trajectoire italienne n’est pas réellement aux antipodes de l’allemande, elle s’en distingue du moins très clairement. En effet, tandis qu’en Allemagne Timm peut toujours compter, depuis les années 1980, sur un certain succès auprès du public, mais seulement de manière occasionnelle sur l’intérêt des spécialistes, en Italie le cas de figure est bien différent : un groupe restreint, mais fidèle de germanistes de haut niveau s’engage à long terme pour traduire, publier et promouvoir plusieurs textes de Timm, mais ces textes peinent à atteindre le public, et leur circulation se borne, dans la plupart des cas, au cercle étroit des experts de littérature allemande et à quelques noms isolés de la critique militante. Cela est dû, au moins en partie, à un parcours éditorial qui relègue pour diverses raisons l’auteur à une position marginale : au début, sa production est occultée dans le catalogue d’une maison où la fiction n’est pas priorisée et où la littérature contemporaine est abordée selon des modalités peu adaptées pour atteindre le grand public ; ensuite, ses romans disparaissent presque dans la pléthore de publications de Mondadori, qui abandonne l’auteur au bout de quelques années et ne lui démontre pas le même dévouement qu’il reçoit de la part de sa maison allemande ; enfin, le choix très sélectif de ses ouvrages et les publications parues de façon peu organique au fil des années, sans un programme clair qui rende possible une fidélisation des lecteurs vis-à-vis de l’auteur, entravent la « communication » du Timm-personnage public et de ses travaux. L’auteur de 1968 et du colonialisme devient ainsi une simple figure anonyme, avec de grandes difficultés à accrocher un public qui lui est entièrement étranger. L’attribution de plusieurs prix littéraires de haut niveau confirme le positionnement de Timm par ses médiateurs en haut du pôle de production restreinte, mais ils n’aident que dans une mesure réduite au retentissement de ses ouvrages au-delà du milieu des spécialistes. La nouvelle phase de médiation qui s’ouvre en 2019 avec Sellerio pourrait, en combinant l’engagement du traducteur qui confirme sa fidélité à l’auteur avec la mise en place d’un programme de publications et de promotion de longue haleine, indiquer une transformation dans le parcours italien de l’auteur. La comparaison de ces trajectoires rend évidente l’importance de la médiation éditoriale dans la réception d’une œuvre littéraire. Puisque la forte politisation du premier Timm reste exclue du processus de transfert, les lecteurs italiens ne peuvent pas intégrer l’auteur à un courant d’avant-garde ou à un mouvement politique ; le choix de ne pas publier ses premiers ouvrages, les plus ouvertement politiques, s’ajoute à cette différence substantielle qui empêche le public italien de considérer Timm comme un auteur militant, de gauche, représentant des mouvements de 1968. Tandis que l’appartenance à plusieurs regroupements politiques a marqué la première réception de Timm dans l’espace germanophone, le renvoi de Galli à un essai de poétique de l’auteur pour éclairer sa première traduction

La médiation éditoriale d’Uwe Timm en Allemagne et en Italie

235

place d’emblée son œuvre dans un secteur plus autonome du champ, et ce positionnement caractérise aussi la suite de sa présence italienne. Même chez Mondadori, une maison qui s’adresse en priorité au grand public, l’auteur est relégué à une position marginale qui l’empêche de se constituer une identité publique comparable à celle dont il jouit dans l’Allemagne des années 1970. Le travail de Galli et d’un groupe de ses collègues de germanistique italienne, allié à d’autres agents intellectuels, fait en sorte que cette marginalité ne coûte pas à l’auteur son capital symbolique aussi, et lui garantit l’accumulation d’un capital symbolique obtenu en Allemagne dans des délais bien plus longs. Ces éléments placent le début de la trajectoire de l’auteur à des hauteurs différentes du champ littéraire, et ils expliquent l’écart dans la vitesse et la direction de leur ascension. Ils démontrent, donc, qu’une même œuvre peut faire l’objet de regards différents et gagner plus ou moins de prestige selon les intérêts spécifiques de ceux qui la façonnent, la lisent et la critiquent. Allemagne/Suisse

Italie

Widersprüche, Neue Presse

1971





1972





1973



Heißer Sommer, Autoren Edition

1974



Heißer Sommer, Aufbau

1975





1976



Zeit-Gedichte, Damnitz

1977



Morenga, Autoren Edition

1978



Morenga, Aufbau

1979



Kerbels Flucht, Autoren Edition

1980



Die Zugmaus, Diogenes Deutsche Kolonien, Autoren Edition

1981





1982



Die Piratenamsel, Benzinger

1983



Der Mann auf dem Hochrad, KiWi Morenga, KiWi

1984



Heißer Sommer, KiWi Der Mann auf dem Hochrad, Aufbau

1985



Der Schlangenbaum, KiWi

1986



Der Schlangenbaum, Aufbau

1987





1988



Vogel, friss die Feige nicht, KiWi

1989



236

Deuxième partie

Allemagne/Suisse

Italie

Rennschwein Rudi Rüssel, Nagel & Kimche

1990



Kopfjäger, KiWi Kerbels Flucht, KiWi

1991



1992



Erzählen und kein Ende, KiWi

1993



Die Entdeckung der Currywurst, KiWi

1994



Der Schatz auf den Pagensand, Nagel & Kimche

1995



Johannisnacht, KiWi

1996



1997

Un maialino per amico, F. Panini Ragazzi

Die Bubi Scholz Story, Aufbau

1998



Nicht morgen, nicht gestern, KiWi Meerjungfrau, Berliner Handpresse

1999



Eine Hand voll Gras, KiWi

2000



Rot, KiWi

2001









2002



Am Beispiel meines Bruders, KiWi

2003

La scoperta della currywurst, Le Lettere Mimmo Codino maialino corridore, Einaudi



2004



2005

Rosso, Le Lettere Come mio fratello, Mondadori



2006





2007

La notte di San Giovanni, Le Lettere L’amico e lo straniero, Mondadori Come mio fratello, Mondadori

2008





2009





2010



2011

Penombra, Mondadori Come mio fratello, Mondadori



2012



Vogelweide, KiWi

2013





2014





2015

La volatilità dell’amore, Mondadori

Der Freund und der Fremde, KiWi

Halbschatten, KiWi Der Abstecher, Berliner Handpresse

Freitisch, KiWi

La médiation éditoriale d’Uwe Timm en Allemagne et en Italie

Allemagne/Suisse – Ikarien, KiWi –

237

Italie 2016



2017



2018





2019

Un mondo migliore, Sellerio



2020

La scoperta della currywurst, Sellerio Un topino a Parigi, Feltrinelli

Fig. 7 : Publications d’Uwe Timm dans l’espace germanophone et en Italie

TROISIÈME PARTIE Les traductions du français et la médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère

5. LE ROMAN FRANÇAIS EN ITALIE : UNE PRÉSENCE DISPERSÉE1 5.1 LE LIVRE FRANÇAIS À L’ÉTRANGER : MISSION POLITIQUE, OBJET D’ÉTUDE, PROJET CULTUREL Le président de l’Institut français, Xavier Darcos, l’affirme clairement : « À l’étranger, il n’y a pas de crise de la littérature française »2. Il tire sa conviction des multiples efforts de la diplomatie culturelle française pour promouvoir à l’international la culture de l’Hexagone – et de plus en plus la culture en langue française tout court –, ainsi que de ses résultats manifestes, à savoir le grand retentissement de la production littéraire française au-delà des frontières nationales et le vif intérêt que les « études françaises » – qui se penchent sur la littérature, mais aussi sur la langue, l’histoire, la culture francophone au sens large – éveillent partout dans le monde. Or si la conviction de Darcos est certainement liée à sa position de premier rang au sein du principal opérateur du rayonnement culturel de la France, elle n’est pas

1

2

Ce chapitre reprend en grande partie les considérations que nous avons présentées dans deux articles : l’un est tiré d’une intervention au colloque Translation and Lyrical Tradition between Italy and France (19th-21st Century) à l’Université de Padoue, paru avec le titre « Il romanzo francese contemporaneo tradotto in Italia : casi di ricezione editoriale negli anni Duemila », dans : Galavotti, Jacopo/Giovine, Sara/Morbiato, Giacomo (dir.) : I gesti del mestiere. Traduzione e autotraduzione tra Italia e Francia dal XIX al XXI secolo, Padoue, Padova University Press, 2021, pp. 155–173 ; l’autre a été publié sous le titre « Tradurre l’extrême contemporain : il romanzo francese in italia (2005–2015) », Allegoria, 81 (juin 2020), pp. 200–222. Nous avons traduit de l’italien, retravaillé et complété ces textes pour construire cette partie de notre argumentation. Enfin, l’étude de cas qui conclut cette partie de la thèse reprend le contenu de notre intervention « Créer les conditions d’un succès : la réception éditoriale d’Emmanuel Carrère en France et en Italie », présentée dans le cadre de la journée d’études « Pour une critique matérialiste des œuvres littéraires : quoi ? comment ? pourquoi ? » organisée par les doctorants de l’Université d’Orléans le 29 mai 2019, dont une partie a été publiée récemment : « Les conditions du succès. La médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère en France », RELIEF – Revue Électronique de Littérature Française, 14, 2 (décembre 2020), pp. 41–59. Darcos, Xavier : « Préface. Au service du livre et de l’écrit. Nouvelles missions de l’Institut français », dans Viart (dir.), La Littérature française du 20e siècle lue de l’étranger, pp. 11–16, ici p. 16. La crainte d’une partie des intellectuels français que la culture française ne risque de perdre son prestige et sa force à l’échelle internationale est exprimée de façon emblématique, au début de la décennie qui nous concerne, dans les pamphlets célèbres de Tzvetan Todorov : La Littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007, et de Donald Morrison : Que reste-t-il de la culture française ? (issu de l’article « The Death of French Culture », qui a fait la une de l’hebdomadaire étasunien Time le 3 décembre 2007), suivi d’une réflexion d’Antoine Compagnon : Le souci de la grandeur, Paris, Denoël, 2008.

242

Troisième partie

incongrue. Au contraire, le prestige international du patrimoine culturel français, et en particulier du patrimoine littéraire, reste indemne et indéniable. De nombreuses études, en effet, éclairent la position centrale occupée par la France, et surtout par Paris, dans ce que l’on appelle la « République mondiale des Lettres »3. Lieu de consécration et de propagation de la production littéraire haut de gamme, Paris a longtemps été une référence pour les écrivains et artistes à l’étranger, qui recevaient dans leurs pays, avec plus ou moins de « retard », les nouvelles arrivant du « centre »4. La langue française était la langue de la culture, connue bien au-delà des frontières nationales par tous ceux qui aspiraient à occuper une place dans le champ intellectuel, de sorte que de nombreux ouvrages pouvaient se propager hors de France sans besoin d’être traduits : ils étaient compréhensibles aux « initiés » dans leur version originale. Selon le même principe, le français servait aussi souvent de langue-pont entre les langues périphériques : des livres allemands, russes, anglais se sont ainsi répandus dans le monde par le biais d’une première traduction française. Néanmoins, la recherche a aussi mis en lumière comment, à partir des années soixante et soixante-dix, la centralité de la France a graduellement cédé sa place au premier plan à la culture anglophone, et tout particulièrement à la culture états-unienne5. Cela s’observe, entre autres, au pourcentage majoritaire des traductions de l’anglais vers les autres langues et, inversement, au taux d’intraduction minime de l’aire anglophone. Dans le cas qui nous concerne, cela se reflète notamment dans l’élargissement de l’écart qui sépare l’anglais, première langue la plus traduite en italien, du français, qui occupe la deuxième place, avant l’allemand. Il n’est pas surprenant, donc, que la diffusion de la pensée et des lettres françaises en Italie ait été, au début du XXe siècle, plus intense qu’aujourd’hui. Or si les nombres confirment, comme nous le verrons, cette « dégradation » relative du français parmi les langues littéraires les plus traduites en italien, la question se pose de savoir si le prestige et l’influence de sa culture ont également subi une baisse significative. Notre hypothèse nie cette idée : par une analyse de la présence et du traitement des traductions du français dans les catalogues éditoriaux, nous montrerons que la production française est si présente, si variée et si appréciée dans plusieurs secteurs du champ littéraire italien à l’époque contemporaine que sa « primauté » symbolique ne semble pas avoir été affectée. Au contraire, les titres français ne cessent d’intéresser ni les revues spécialisées ni la presse généraliste ; parmi ces titres, on compte des best-sellers ainsi que des ouvrages qui dominent le discours au pôle autonome du champ. En outre, les catégories de lecture proposées par les 3 4

5

Casanova, La République mondiale des Lettres. Pour expliquer la temporalité des échanges et des évolutions au sein du champ littéraire mondial, Casanova développe la notion d’un « méridien de Greenwich » littéraire : Casanova, Pascale : « Paris, méridien de Greenwich de la littérature », dans : Charle, Christophe/Roche, Daniel (dir.) : Capitales culturelles, capitales symboliques : Paris et les expériences européennes (XVIIIe–XXe siècles), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2002, pp. 289–296. Boschetti, Ismes. Du réalisme au postmodernisme.

Le roman français en Italie : une présence dispersée

243

auteurs et la critique français sont souvent reprises par les lecteurs italiens, tandis que les thématiques et les styles importés du champ français font preuve d’une influence significative sur la production locale et sa réception6. Tout en reconnaissant le risque que la baisse des traductions du français représente pour la diffusion du patrimoine littéraire en langue française, nous défendrons donc l’hypothèse d’une « littérature française en Italie » qui est (encore) riche et diversifiée et qui jouit d’un intérêt constant de la part des éditeurs. Pour rendre la lecture de ce travail aussi aisée que possible, nous avons respecté dans ce chapitre la même structure que celui sur le roman allemand en Italie. Nous observerons donc tout d’abord les « chiffres » de la traduction du roman français, puis les dispositifs étatiques d’aide aux publications et aux traductions, nous étudierons ensuite l’activité des passeurs au sens large du terme, y compris des chercheurs, des agents littéraires, des scouts, et enfin nous nous concentrerons plus longuement sur le travail des éditeurs avant d’écrire quelques mots sur les auteurs les plus lus par les diverses catégories du public italien. Néanmoins, l’intérêt du présent travail ne réside pas uniquement dans les parallèles que nous avons pu établir entre les deux langues de départ, mais aussi dans les nombreuses spécificités qui rendent ces deux aires si différentes, et qui, par là, remettent en question la crainte d’une globalisation culturelle qui serait coupable d’homogénéiser les pratiques et les produits au sein du monde littéraire. Nous avons donc choisi de maintenir une certaine souplesse dans la structure du contenu tout au long des pages qui suivent et de renoncer à toute symétrie forcée dans l’exposé : ainsi, nous l’espérons, les particularités des traductions du français en Italie seront énoncées aussi clairement que l’ont été, dans le chapitre précédent, les particularités des traductions du roman allemand.

5.2 LES CHIFFRES. LA FIN DE LA « PRIMAUTÉ » ? Le français, nous l’avons dit, est la deuxième langue la plus traduite sur le marché du livre italien ; l’Italie, par ailleurs, fait partie des principaux importateurs d’ouvrages français dans le monde, entre la Chine et l’Espagne. Comme dans le cas de l’allemand, ce qui varie pendant la période 2005–2015 est la distance qui le sépare de la première place, distance qui augmente graduellement et de façon constante depuis les dernières décennies du XXe siècle. Cette évolution est très clairement 6

Nous rappelons à titre d’exemple les nombreuses lectures comparées d’auteurs de langue française et italienne ou bien les études qui analysent l’influence de la production française sur l’écriture italienne, comme Marchese, Lorenzo : « Il romanzo come fine. Per una lettura comparata delle opere di Walter Siti e Michel Houellebecq », Contemporanea, 16 (2019), pp. 43–60 ; Mongelli, Marco : « Le biofictions di Davide Orecchio tra Danilo Kiš e Pierre Michon », nuova corrente, 162 (2018), pp. 87–102 ; Castellana, Riccardo : « Chi ha paura di René Girard ? Appunti sulla ricezione della teoria mimetica in Italia », Intersezioni, 31 (2011), pp. 447–457.

244

Troisième partie

visible dans la figure no 4 : malgré une légère croissance du nombre des traductions depuis le français, l’écart avec l’anglais se creuse d’année en année. Pendant la période que nous étudions, le pourcentage des titres traduits du français sur le total des traductions reste assez stable, de 12 % à 15 %. Ce chiffre doit être mis en relation avec la majorité de livres importés du marché anglophone – environ 60 % du total –, avec les 8 % de traductions de l’allemand et les 3 % de traductions de l’espagnol7. On constate un écart similaire, comme dans le cas de l’allemand, entre les tirages des livres traduits des diverses langues de départ : en moyenne, les titres traduits de l’anglais sont imprimés dans un plus grand nombre d’exemplaires que ceux traduits du français, de l’allemand, de l’espagnol, et même des livres écrits à l’origine en italien8. Ce fait, qui ne rend pas compte des cas exceptionnels ni des déviations de la moyenne, nous permet de placer la littérature traduite du français dans un espace à mi-chemin, c’est-à-dire ni parmi les producteurs sériels de best-sellers ni parmi les livres qui, étant traduits de langues très périphériques, sont souvent destinés d’emblée à un public de niche9. Or ce déclin relatif des traductions du français reflète sans doute le glissement général, actif depuis les années soixante-dix, du centre de la République des Lettres de la France vers les États-Unis10. Mais comment cette « destitution » de la culture française se manifeste-elle dans le champ littéraire, si ce n’est-ce par l’écart croissant entre le nombre de traductions de l’anglais et du français ? L’intérêt des acteurs du champ italien à l’égard des auteurs francophones ne montre aucun amoindrissement, puisque ces derniers sont abondamment traduits et qu’ils 7

8

9

10

Les données sur le nombre exact de titres acquis, traduits et effectivement publiés chaque année, des retraductions et des rééditions de vieilles traductions sont souvent peu précis, c’est pourquoi il est impossible de fournir des chiffres exacts sur ces phénomènes. Cependant, les informations recueillies par l’AIE, quoique approximatives, sont suffisantes pour éclairer les tendances générales de l’intraduction en langue italienne. La moyenne des titres traduits de l’anglais s’élève autour de 4400 exemplaires au premier tirage ; du français et de l’allemand, autour de 2900 et 3160 exemplaires ; de l’italien, autour de 3900 exemplaires. Peresson, Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2003, 2008 et 2012 (ces données correspondent à l’année 2007 et sont indiquées dans Peresson, Rapporto sullo stato dell’editoria in Italia 2008, p. 22). En outre, la différence entre les tirages moyens doit être mise en relation avec l’homologie structurelle qui lie, d’une part, les traductions de l’anglais – langue majoritaire – avec les plus grandes maisons d’édition et, d’autre part, les traductions des langues plus périphériques avec les maisons de dimensions plus réduites : les tirages au-dessous des quelques milliers, en effet, ne sont souvent pas rentables pour des entreprises de très grandes dimensions ; inversement, des tirages trop élevés peuvent représenter un danger pour de petites maisons, qui risquent de ne pas épuiser leur stock et de travailler à perte, tout en occupant indéfiniment leurs entrepôts avec des exemplaires invendus. Cf. Casanova, La République mondiale des Lettres ; Boschetti, Ismes. Du réalisme au postmodernisme, pp. 277–333), approfondit l’analyse de ce déplacement de l’hégémonie culturelle internationale et montre l’impact global de l’usage militant de la « French Theory » à partir des campus universitaires aux États-Unis (sur la base des observations de Cusset, François : French Theory. Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États Unis, Paris, La Découverte, 2003).

Le roman français en Italie : une présence dispersée

245

représentent, comme nous le verrons, un éventail vaste et diversifié de la production en français. En revanche, nous remarquons une croissance du pouvoir de prescription et de consécration des pays anglophones et de leurs centres, Londres et New York, au détriment de Paris et de ses institutions. En effet, la production littéraire en langue française, et en particulier le roman contemporain, n’a cessé d’éveiller l’intérêt des éditeurs et des lecteurs dans tous les segments du marché italien, du pôle de production restreinte au pôle de production de masse ; mais la manière dont ces romans sont introduits a traversé, et traverse à ce jour, une phase de transformation intense. Nos entretiens avec des éditeurs et consultants de maisons d’édition italiennes confirment à maintes reprises le poids toujours croissant que la consécration des États-Unis a acquis, au cours des dernières décennies, dans le choix des livres à traduire – un rôle qui appartenait par le passé au champ culturel français11. Ce pouvoir de prescription s’observe dans les nouvelles modalités du travail éditorial, importées graduellement des États-Unis vers l’Italie : l’achat sur proposition, par exemple, prévoit l’acquisition des droits de traduction d’un ouvrage sur la base d’une lecture partielle du texte, au lieu du texte dans son intégralité12. Un autre exemple, que nous étudierons plus en profondeur par la suite, concerne le recours aux agents littéraires : présents depuis plus d’un siècle en Italie, où leurs services sont de plus en plus requis, les agents littéraires constituent une catégorie professionnelle encore controversée en France, notamment à cause de la connotation négative que leur métier a eue (et a, parfois, encore aujourd’hui) aux yeux des éditeurs français13. Or la médiation de plus en plus fréquente de ces figures profes11

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Dans des travaux précédents, nous avons pu observer, par exemple, que le succès parisien de la traduction française de Stiller, roman de l’auteur suisse germanophone Max Frisch, a joué un rôle déterminant dans les choix éditoriaux de Mondadori, qui avait jusqu’alors hésité à publier ce roman (Bellini, Barbara Julieta : « La ricezione editoriale di Max Frisch in Italia (1959–1973). Ascesa di uno svizzero engagé », Ticontre. Teoria Testo Traduzione, xi (juin 2019), pp. 299–326). De façon similaire, les éditions Adelphi ont décidé d’acquérir l’œuvre de W. G. Sebald seulement lors de son lancement par l’éditeur états-unien Jonathan Galassi (cette information nous a été fournie par l’ex-consultante pour la littérature allemande chez Adelphi et Mondadori, Helena Janeczek, lors de notre entretien). Concernant le pouvoir de consécration de Paris à l’échelle mondiale, v. Casanova, La République mondiale des Lettres. Cette information nous est fournie par l’agent littéraire Barbara Griffini lors de notre entretien. Paolo Zanotti, en considérant le succès international Jonathan Littell dans son intéressant ouvrage sur le roman français contemporain, reconnaît que, au moins en partie, « l’impressione è che l’editoria francese sia stata scavalcata da logiche americane » : plus qu’à la publication auprès des prestigieuses éditions Gallimard, le succès de l’auteur en France serait dû en premier lieu à la médiation d’un « bellicoso agente letterario inglese », capable d’imposer à l’éditeur des conditions exceptionnelles pour l’achat des droits et de créer autour de l’écrivain, alors débutant, « un’aura di mistero » (Zanotti, Paolo : Dopo il primato. La letteratura francese dal 1968 a oggi, Rome/Bari, Laterza, 2011, p. 4). « Car les agents ne s’intéressent par définition qu’aux vedettes que se disputent les plus en vue des éditeurs parisiens ; de facto, ils appauvrissent ni plus ni moins l’édition en poussant les responsables éditoriaux à toujours enchérir pour espérer publier un auteur de renom. Ce principe des enchères permanentes comme mode de fonctionnement éditorial aboutit à la situation

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sionnelles met en lumière la montée de l’édition d’après le modèle anglophone, où la figure même de l’agent est née, et donc aussi, inversement, la perte progressive de prestige du modèle parisien. Un autre élément qui manifeste la prédominance grandissante de l’édition états-unienne à l’échelle globale, et donc aussi en Italie, est le recours à l’anglais, désormais établi comme langue-pont dans les échanges des professionnels à l’international, par exemple dans les synopsis des textes étrangers envoyés aux éditeurs et aux agents avec les propositions de vente. Le voisinage linguistique entre l’italien et le français permet néanmoins d’atténuer ce facteur : alors qu’il n’y a, dans les rédactions des grandes maisons, que très peu de collaborateurs capables de communiquer en allemand, il est rare qu’aucun membre d’une maison d’édition ne sache au moins lire le français. De ce fait, il est possible par exemple que dans le cas des ouvrages allemands qu’ils choisissent ou rejettent, aucun employé interne chez Mondadori ou Einaudi ne soit en mesure de lire le texte original ni le dossier de presse, si ce n’est dans une traduction anglaise ; au contraire, il est plausible que tout titre traduit du français ait surmonté des filtres internes à une maison non spécialisée dans cette aire linguistique. Des éditrices comme Daniela di Sora et Paola del Zoppo, par exemple, – qui ont respectivement une formation en slavistique et en littérature comparée – ont un accès direct aux textes en français qu’elles publient. Mais même dans des maisons de plus grande taille, voire dans les grands groupes, il est courant que les collaborateurs soient au minimum en mesure de comprendre correctement le français écrit : Luigi Sponzilli chez Mondadori, Fabio Muzi Falconi chez Feltrinelli, Andrea Canobbio chez Einaudi garantissent au moins la possibilité d’une lecture en langue originale interne à la maison. C’est certainement dû au prestige historique du français, langue de culture en Italie pendant toute la première moitié du XXe siècle. La centralité du français dans le milieu intellectuel italien au début du siècle dernier était telle, en effet, que les ouvrages de la haute littérature pouvaient être négligés par les traducteurs italiens : le public concerné était en mesure de lire ces livres directement en langue originale ou, comme le disait l’écrivain Ferdinando Martini dans les années trente, « les lecteurs à qui peut plaire une traduction qui ne soit pas absolument indigne de l’original lisent Madame Bovary en français »14. En revanche, puisque c’était le grand public extérieur aux cercles intellectuels qui ignorait le français, plusieurs américaine bien connue grâce aux livres d’André Schiffrin » (Bessard-Banquy, Olivier : L’Édition littéraire aujourd’hui, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2006, p. 19). Cf. Cottenet, Cécile : Literary Agents in the Transatlantic Book Trade. American Fiction, French Rights, and the Hoffman Agency, New York, Routledge, 2017, p. 11. Pour un aperçu de l’activité des agents littéraires en Italie, v. Ferrando, Cacciatori di libri ; L’agente letterario da Erich Linder a oggi, 2004. 14 Martini, Fernando : Lettere (1860–1928), Milan, Mondadori, 1934, p. 585, cité par Vitiello, Pippo : « Il libro francese a Firenze e in Italia fra otto e novecento », Paragone Letteratura, 476 (1989), p. 67. Raphaël Müller développe ce faux paradoxe dans le cinquième chapitre de son ouvrage, « La traduction du livre français en Italie : retour sur un phénomène culturel oublié », Le Livre français et ses lecteurs italiens, pp. 209–244.

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éditeurs optaient plutôt pour traduire des ouvrages visant surtout cette catégorie, comme des feuilletons qui autrement seraient restés, dans leur langue originale, inaccessibles aux lecteurs des classes populaires. Ainsi, les romans de Jules Verne, d’Alexandre Dumas et de Xavier de Montépin, parmi d’autres, étaient les plus traduits à la charnière du XIXe et du XXe siècles15. La fonction du français comme langue de culture s’est aussi manifestée par son enseignement comme langue étrangère standard dans les écoles italiennes jusqu’aux dernières décennies du siècle passé. Le basculement du français vers l’anglais comme première langue étrangère a graduellement engendré un écart générationnel  : étant donné que le système scolaire italien ne prévoit plus, depuis la fin du XXe siècle, l’enseignement systématique du français, il devient de moins en moins probable que les plus jeunes professionnels du monde de l’édition connaissent cette langue si ce n’est pas leur domaine de spécialisation16. Le français, de ce fait, est progressivement « dégrad[é] au rang de ‘langue secondaire’ » à partir des années quatre-vingt-dix17, ce qui montre encore une fois le glissement de l’anglais, aujourd’hui lingua franca des échanges internationaux, vers une position de plus en plus centrale. S’il est vrai, donc, qu’à l’échelle mondiale le français et l’allemand peuvent être considérés de façon plus ou moins paritaire comme des langues « centrales », secondaires uniquement par rapport à l’anglais qui se trouve en position « hypercentrale »18, la hiérarchie linguistique du champ intellectuel italien présente, elle, une gradation plus nuancée entre l’anglais en première position, le français en deuxième et l’allemand en troisième position.

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Müller, Le Livre français et ses lecteurs italiens. Vibeke Madsen, responsable des cessions chez P. O. L. depuis 2003, constate dans un entretien avec le Syndicat national de l’édition (SNE) que « de moins en moins d’éditeurs à l’étranger sont capables de lire le français, d’échanger en français lors des rendez-vous … Nous devons, par exemple avec la nouvelle génération d’éditeurs espagnols et italiens, plus fréquemment échanger en anglais et les manuscrits sont ensuite soumis à des lecteurs francophones » (25 juin 2007, www.sne.fr/metiers-et-formations/responsable-de-la-vente-de-droits, dernière visite le 15 septembre 2019). Caon, Fabio : Aimes-tu le français ? Percezione dello studio obbligatorio del francese nella scuola media, Venise, Edizioni Ca’ Foscari, 2012, p. 22. Un jeune editor de Mondadori comme Marta Treves (née en 1976), par exemple, qui a été directrice des collections Scrittori italiani e stranieri et Omnibus, n’est pas en mesure de lire en langue originale les titres traduits du francais dans les séries qu’elle-même dirige. La division entre langues hypercentrales, centrales, sémipériphériques et périphériques se trouve dans Sapiro (dir.), Translatio (en particulier dans les chapitres de Sapiro, « Situation du français sur le marché mondial de la traduction », et de Heilbron/Sapiro, « La traduction comme vecteur des échanges culturels internationaux »).

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5.3 LA POLITIQUE CULTURELLE : DIFFUSER LA LANGUE ET LA CULTURE FRANÇAISES Alors que la centralisation et l’accélération des cycles de vie des ouvrages littéraires signalent l’emprise de plus en plus forte d’une logique marchande sur la production éditoriale, la diplomatie culturelle peut aider à contrebalancer l’hétéronomie du champ19. En France, plusieurs initiatives ont été lancées ou renouvelées, au début du millénaire, pour garantir la « diversité culturelle »20 et protéger la production comme la diffusion des biens symboliques. Le risque, toujours présent, d’une forme différente d’hétéronomie que cette intervention de l’État pourrait entraîner, à savoir une hétéronomie politique, est amoindri par la coopération des agents du champ, appelés à se charger des décisions d’ordre qualitatif : nous verrons ci-dessous, par exemple, que les membres du jury des prix financés par l’État sont souvent des professeurs, des académiciens, des écrivains, c’est-à-dire des personnalités qui occupent des positions dominantes dans le champ littéraire et qui peuvent donc appliquer en toute autonomie les « règles » de celui-ci tout en profitant des financements gouvernementaux. Les dispositifs mis en place par l’État pour encourager le rayonnement de la langue, de la culture et de la littérature françaises à l’étranger servent non seulement à contrebalancer le poids de la logique de marché, mais aussi à réduire le risque de marginalisation du français face à la domination du monde anglophone21. Dans cette optique, l’Alliance française et l’Institut français, avec entre autres le soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), renforcent leur programme pour accomplir leur mission de « mieux faire connaître les cultures françaises et francophones »22. Cependant, il ne faut pas croire que ces efforts représentent une spécificité de la fin du XXe siècle et des années de la globalisation : au contraire, dès la fin du XIXe siècle, et surtout au début du XXe, plusieurs initiatives ont été créées pour favoriser l’apprentissage du français à l’étranger et la propagation des produits culturels provenant de France23. La fondation du premier Institut français au monde a lieu en Italie : en 1907, le professeur d’italien Julien Luchaire fonde, « dans la capitale intellectuelle et cultu19 20 21 22

V. § 2.5.3. Regourd (dir.), De l’exception à la diversité culturelle. V. § 5.1. La page Internet du gouvernement français énumère notamment les « trois missions essentielles » de l’Alliance française : « proposer des cours de français, en France et dans le monde, à tous les publics ; mieux faire connaître les cultures françaises et francophones ; favoriser la diversité culturelle » (www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-culturelle/ le-reseau-culturel-francais-a-l-etranger, dernière visite le 1er mai 2020). 23 À ses débuts, l’Alliance française, fondée en 1883 a pour objectif notamment la diffusion de la langue française dans les colonies : Barko, Ivan : « L’Alliance française : les années Foncin (1883– 1914). Contexte, naissance, mutations », dans : Vigner, Gérard (dir.) : L’Enseignement et la diffusion du français dans l’empire colonial français. 1815–1962, Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 25, 2000, pp. 90–115.

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relle du Royaume d’Italie »24 et avec le soutien de l’Université de Grenoble25 à laquelle il est rattaché, l’Institut français de Florence (IFF). À ses débuts, l’objectif principal de ce nouvel établissement était de renforcer l’enseignement des langues, et notamment de l’italien, pour les étudiants universitaires. Cependant, au fil des années se développent de plus en plus les activités relatives à une autre section, vouée à l’enseignement et à la diffusion de la langue et de la culture françaises : s’éloignant de sa mission originale d’« études scientifiques, désintéressées »26, l’IFF devient graduellement l’un des premiers établissements de politique culturelle dans son acception actuelle. Cette évolution s’explique par la tension croissante qui oppose, dans la ville de Florence et dans l’Italie d’avant-guerre, plusieurs modèles culturels étrangers : l’IFF s’avère ainsi « un instrument tout à fait précieux pour soutenir la langue et la culture française à l’étranger au moment justement où les concurrences anglaise et allemande se font de plus en plus perceptibles »27. Sans entrer dans le détail des relations politico-culturelles entre la France et l’Italie tout au long du XXe siècle28, nous tenons néanmoins à préciser par ces quelques remarques que ni la corrélation entre les intérêts pédagogiques, culturels et politiques qui se manifestent dans les missions des instituts culturels, ni la volonté de propagation d’une culture par opposition à d’autres modèles étrangers concurrents29, ne constituent des phénomènes nouveaux. Au contraire, ces tendances 24 25

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Renard, Isabelle : « A l’origine des instituts culturels français à l’étranger. L’Institut français de Florence au début du XXe siècle », Mélanges de l’École française de Rome, 114–1 (2002), pp. 89– 101, ici p. 90. Cette université reste encore aujourd’hui un lieu significatif pour les échanges culturels entre la France et l’Italie : elle représente le siège du secrétariat français de l’Université Franco-Italienne, créée en 1998 et vouée à la coopération scientifique entre les deux pays. Le siège du secrétariat italien se trouve à l’Université de Turin. A. I. F. F. (Archives de l’Institut français de Florence), 111/9, Minute de rapport à la commission sénatoriale, s. d. (1909 ?), cité par Renard, « A l’origine des instituts culturels français à l’étranger », p. 92, note 8. Renard, « À l’origine des instituts culturels français à l’étranger », p. 92, puis p. 94. Une date symbolique dans le développement de cette relation est indubitablement le 4 novembre 1949, à laquelle les gouvernements italien et français signent un accord culturel bilatéral dans un esprit d’ouverture et d’échange réciproques. Pour une reconstruction historique des relations franco-italiennes (culturelles, mais pas seulement), v. Garelli, François : Histoire des relations franco-italiennes, Paris, Rive Droite, 1999 et, plus récemment, Bertrand, Gilles/Frétigné, Jean-Yves et al. : La France et l’Italie. Histoire de deux nations sœurs, de 1660 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2016. Un regard plus ciblé sur l’usage politique des traductions du français à l’italien (et vice-versa), pendant une période précédant la nôtre, est proposé par Piselli/Proietti, Les Traductions comme textes politiques. Un voyage entre France et Italie (XVIe–XXe siècle). « Ainsi, la création de l’Institut français de Florence apparaît-elle comme un coup non prémédité mais admirablement joué dans une partie internationale serrée, au moment où les rivalités d’influence entre les trois grandes puissances européennes que sont l’Allemagne, l’Angleterre et la France s’orientent de plus en plus vers les terrains culturels. La France trouve dans l’Institut un moyen idéal pour développer son influence dans une ville, où, jusqu’en 1907, seule l’Allemagne était représentée de façon institutionnelle. L’Institut pourra désormais occuper le terrain – florentin – afin d’éviter la prépondérance d’autres influences culturelles. L’effort patriotique en matière pédagogique, scientifique, culturelle est donc tendu vers une politique précise : renforcer la

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s’insèrent dans la longue histoire des pratiques de la politique culturelle qui, depuis l’intervention directe de l’État dans les affaires culturelles souvent sous forme de propagande30, parviennent aujourd’hui à des stratégies plus complexes visant à conserver et à défendre un certain degré d’autonomie du travail culturel. L’Italie compte plus de trente Alliances françaises et quatre Instituts français (à Florence, Milan, Naples et Palerme)31. À ceux-ci s’ajoutent le Bureau de coopération linguistique et artistique (BCLA) et le Service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France en Italie (SCAC), dont le siège est au Palais Farnèse, à Rome. Le BCLA, le SCAC et les quatre Instituts sont regroupés, depuis 2012, sous la direction du nouvel Institut français Italia, qui coordonne les activités du réseau de ces établissements et de leurs partenaires « pour réussir sa mission, celle de continuer à diffuser et promouvoir la culture française en Italie, au service de l’amitié franco-italienne »32. Outre ces centres, qui relèvent au moins partiellement du MEAE, d’autres hauts lieux de la culture française en Italie sont l’École française de Rome (EFR) et l’Académie de France à Rome, connue aussi sous le nom de Villa Médicis, le palais où elle accueille ses boursiers et ses visiteurs. L’EFR, qui fait partie d’un réseau de cinq Écoles françaises à l’étranger, est vouée avant tout au soutien des recherches en archéologie, en histoire et en sciences humaines et sociales ; elle partage avec l’Ambassade de France le Palais Farnèse dans le centre de Rome et y héberge la plus grande bibliothèque de recherche française à l’étranger. La Villa Médicis, quant à elle, héberge et soutient des artistes et des chercheurs dans les domaines de l’histoire et de la théorie des arts qui souhaitent y séjourner pour achever des projets spécifiques ; en outre, tout comme l’EFR, la Villa Médicis propose un agenda culturel riche en expositions, évènements culturels et conférences, et prévoit également des publications liées à ses activités. Si l’Alliance française représente un point de repère fondamental pour l’enseignement de la langue et le rayonnement de la culture française à l’étranger, les Instituts français ajoutent à leur programme d’activités un appel d’aide aux pu-

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position du modèle culturel français face à la fascination grandissante qu’exerce la culture allemande sur les élites italiennes » (Renard, « À l’origine des instituts culturels français à l’étranger », p. 94). Ibid., pp. 96sq. Nous ajoutons aussi, dans un souci d’exhaustivité, le Centre Saint Louis de l’Institut français, situé à Rome et rattaché à l’Ambassade de France près le Saint-Siège. « La création d’une nouvelle institution culturelle, qui unifie l’action de l’ambassade en tenant compte des initiatives culturelles locales et du lien avec le territoire, permet une meilleure visibilité et aide à identifier les actions entreprises sous le patronage de l’Institut français » (dans la page officielle de l’Institut français, www.institutfrancais.it/fr/italia/linstitut-francais-italia, dernière visite le 2 mai 2020). Cette exigence de centralisation n’est pas exclusive au domaine français : Barbara Griffini rappelle les difficultés que le manque de communication entre les Goethe Institute en Italie peut entraîner lors de la promotion d’un livre, et félicite les initiatives de l’institut central de Munich, à la fin des années 2010, pour mieux coordonner la promotion des auteurs germanophones en Italie, notamment par l’établissement du prix de traduction, par la formation de médiateurs culturels (« Multiplikatoren ») et par l’organisation de cycles de présentations littéraires au Goethe Institut de Rome (entretien avec Barbara Griffini).

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blications. En entrant dans le détail des initiatives qui concernent de plus près notre analyse, nous en distinguons au moins trois qui, au sein de l’Institut français Italia, visent à favoriser la traduction littéraire et sa promotion sur le marché du livre. En premier lieu, l’Institut français publie annuellement, depuis les années quatre-vingt-dix, un Plan d’aide à la publication (PAP) qui prend en charge les frais d’achat des droits des ouvrages à traduire, en versant le montant directement aux éditeurs français concernés. Dans l’appel du PAP, l’Institut français souligne qu’il n’aide pas, sauf dans des cas exceptionnels, « les traductions de la part d’éditeurs bénéficiant déjà du soutien financier d’un grand groupe éditorial »33 : ceci confirme encore une fois la coopération étroite et presque exclusive entre les établissements de la politique culturelle et l’édition indépendante. Le nombre de titres financés par ces moyens oscille autour d’une dizaine par an (en 2014 ils sont neuf, en 2015 douze34) ; ils sont publiés par des maisons indépendantes, généralement de petite taille, parmi lesquelles reviennent plusieurs fois les noms de Del Vecchio, 66thand2nd, DeriveApprodi, Nottetempo, parmi d’autres. L’Italie, suivie de près par l’Espagne, est le pays qui profite le plus de cette source de financement pour les publications. En deuxième lieu, l’Institut français propose des activités pour promouvoir les traductions auprès du public. Une initiative majeure concernant le roman contemporain est le Festival de la fiction française (FFF), organisé chaque année de 2010 à 2015 par l’Institut français et l’Ambassade de France. Engendrant un retentissement considérable dans la presse italienne à chaque édition35, le FFF a invité de nombreux auteurs francophones en Italie, a organisé des rencontres dans plusieurs villes et a permis aux éditeurs impliqués de promouvoir leur catalogue à l’échelle nationale. Puisqu’il ne suffit pas d’être publié pour être lu, ce grand festival cède la place aux auteurs qui ont déjà franchi le seuil du champ éditorial, mais qui ont encore besoin de visibilité publique pour atteindre leurs lecteurs : son objectif, donc, n’est pas de guider ni de financer les choix des maisons d’édition, mais de soutenir leurs publications à l’aide d’un dispositif de vaste envergure qui les mette en lumière. En troisième lieu, l’Institut français et le SCAC créent aussi, en 2016, le prix Stendhal pour la traduction littéraire du français vers l’italien, « avec la finalité de promouvoir et valoriser le rôle fondamental de la traduction littéraire dans l’échange socioculturel entre la France et l’Italie et la consolidation d’une identité européenne commune »36. Décerné par l’Ambassade de France, ce prix est à tous 33

V. l’appel à candidatures publié sur le site officiel de l’Institut français : if-it2.s3.eu-central-1.ama zonaws.com/files/pap_informazioni_e_bando_2020.pdf (dernière visite le 2 mai 2020). 34 Les données officielles de l’Institut français ne sont recueillies et accessibles que pour ces deux années, à la page iflivre.institutfrancais.com/fr/donnees (dernière visite le 2 mai 2020). 35 Gioacchino De Chirico commente la promotion des auteurs à travers le Festival dans son article « Presentato il Festival. Letteratura (e stile) francese », Corriere della Sera, 18 février 2012. 36 Sur le site officiel de l’Insitut Français, www.institutfrancais.it/italia/report-cerimonia-conse gna-premio-stendhal-2018 (10 septembre 2018).

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égards une initiative publique de l’État français. Néanmoins, comme nous l’avons évoqué ci-dessus, son prestige se fonde sur l’autonomie des membres du jury. Celui-ci, en effet, est composé de savants et de critiques renommés dans le champ littéraire italien, qui sont en mesure de mener « une étude comparée [des traductions] à partir du texte original » et d’estimer « la difficulté du travail de traduction et la qualité littéraire du texte d’arrivée »37. La liberté intellectuelle des membres du jury est fondamentale dans la mesure où elle garantit que le prix ne dégénère pas dans l’hétéronomie politique et qu’il maintienne donc sa valeur spécifiquement littéraire38. Tout comme le Festival, ce prix exerce une fonction double : d’une part, il poursuit le but de promouvoir publiquement la littérature contemporaine française ainsi que l’activité de médiation qui détermine son existence en Italie ; d’autre part, la participation au Festival, comme la victoire du prix Stendhal, constituent de nouveaux signes de reconnaissance spécifique, c’est-à-dire qu’elles deviennent de nouvelles instances de consécration qui légitiment la littérature française dans son intégralité à travers des romans, des auteurs et des traducteurs pris individuellement. D’autres initiatives peuvent viser directement les traducteurs, comme l’aide à la traduction du Centre national du livre (CNL), qui finance des séjours en France à des traducteurs professionnels ; ou bien elles peuvent concerner plutôt les éditeurs français, dont la présence lors de salons littéraires, où ils peuvent exposer leurs catalogues et promouvoir les échanges, est assurée par le Bureau international de l’édition française (BIEF). Enfin, à cette liste d’interventions étatiques françaises dans la production culturelle s’ajoutent les aides européennes, non bilatérales, regroupées dans le programme « Europe créative » ; les aides occasionnelles d’associations indépendantes, comme l’Association pour la promotion de la traduction littéraire (ATLAS)39, dont le programme de tutorat professionnalisant « La Fabrique des traducteurs » s’est concentré deux fois, en 2011 et en 2014, sur la traduction entre le français et l’italien ; ainsi que les financements d’autres pays francophones40, comme les subsides à la traduction de la Fédération Wal37

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V. le règlement du prix lors de l’édition 2017–2018, www.institutfrancais.it/italia/premiostendhal-2018-seconda-edizione (10 septembre 2018). Du jury pour la première édition du prix font partie : Valerio Magrelli, Barbara Meazzi, Emanuele Trevi, Stefano Montefiori et Rossana Rummo ; à sa deuxième édition, participent au jury : Valerio Magrelli, Michele De Mieri, Rossana Rummo, Camilla Diez et Stefano Montefiori. Dans ce sens, l’engagement politico-culturel de l’État français doit être considéré, comme le suggère Sapiro, comme un « garan[t] de l’autonomie relative des champs de production culturelle face aux critères marchands » (Sapiro, Gisèle : « Le champ est-il national ? La théorie de la différenciation sociale au prisme de l’histoire globale », Actes de la recherche en sciences sociales, 200 (mai 2013), pp. 70–85, ici p. 82). L’ATLAS compte par ailleurs, parmi ses nombreux partenaires, le CNL, l’Union européenne, le ministère de la Culture et l’Institut français. Soulignons que les financements du CNL ne sont pas destinés exclusivement aux écrivains français, mais – selon la nouvelle formulation de ses missions en 1993 – « aux écrivains de langue française » (Sapiro, « Le champ est-il national ? », p. 80).

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lonie-Bruxelles, les subventions pour les traductions fournies par le Conseil des Arts du Canada ainsi que le Programme d’aide à la commercialisation des droits à l’étranger organisé par l’association Livres Canada Books, et, de nouveau, les aides substantielles de Pro Helvetia pour la production littéraire suisse.

5.4 LES SPÉCIALISTES : RECHERCHE, UNIVERSITÉ ET PRESSE SPÉCIALISÉE Nous le répétons encore une fois : ce que nous appelons le « champ éditorial » est un espace hétérogène et fluide, en contact étroit avec d’autres milieux comme – nous venons de le voir – la sphère politique, ou encore comme le monde académique. En effet, les agents du champ éditorial ne se limitent habituellement pas à leur activité d’éditeurs (ou de lecteurs, de traducteurs, de rédacteurs, etc.) au sein de leur entreprise ; au contraire, ils sont souvent actifs dans d’autres domaines aussi, fréquemment dans les écoles et les universités, ou maintiennent au moins des relations fortes en leur sein. Regardons donc de plus près le rôle joué, dans l’introduction du roman français contemporain en Italie, par les chercheurs, les enseignants et les professeurs qui s’intéressent spécifiquement à ce segment de la production littéraire. Les grands lecteurs, dans les universités, ont accès aux textes en langue originale41. Ce fait est important non seulement pour comprendre leur regard critique sur les choix des éditeurs italiens en matière de traductions – puisqu’ils peuvent constater si la sélection opérée par les éditeurs leur semble congrue ou pas –, mais aussi parce que, souvent, ces lecteurs ne se limitent pas à recevoir passivement les publications des maisons d’édition. Au contraire, ils peuvent aussi participer, dans les coulisses, au processus de création de la littérature traduite, que ce soit en tant que traducteurs, auteurs de préfaces ou postfaces, directeurs d’ouvrage ou de collection, consultants plus ou moins officiels qui suggèrent aux éditeurs des titres et des auteurs à importer en Italie. L’intérêt spécifique pour le roman de l’extrême contemporain dans le domaine académique se retrouve dans le travail de professeurs et de groupes de recherche qui contribuent de manière active au débat autour des dernières publications des romanciers de langue française. En 2007, Matteo Majorano produit une bibliogra41

C’est pour cette raison que l’université est un milieu qui peut donner lieu à de nombreuses méprises dans l’étude de la réception de la littérature traduite. Dans les travaux des spécialistes, on trouve souvent des renvois à des ouvrages et à des auteurs qui n’ont pas encore franchi l’entrée du champ éditorial italien : ainsi, par exemple, sur les soixante-trois romans publiés entre 2000 et 2010 qui sont inclus dans le tableau chronologique proposé par Rubino (dans Il romanzo francese contemporaneo, v. infra), dont la parution est donc considérée comme un évènement significatif pour la production littéraire en français, vingt-deux ouvrages n’ont pas de traduction italienne au moment de la publication du volume.

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phie des recherches les plus récentes conduites en France et en Italie sur l’extrême contemporain42 ; en 2011, Gabriella Bosco rassemble ses critiques de romans français traduits et publiés en Italie dans les années 2000 pour la revue TuttoLibri43 ; toujours en 2011, Paolo Zanotti publie une histoire de la littérature française des années soixante jusqu’à nos jours44 ; en 2012, Gianfranco Rubino dirige un recueil sur le roman français contemporain45. Cette liste, qui ne prend en considération que les volumes consacrés exclusivement à ce sujet précis, et qui laisse donc de côté les très nombreux articles et essais sur la même thématique dans des publications plus variées46, prouve que les dernières tendances de la fiction française sont considérées, au pôle autonome du champ culturel et notamment dans le domaine académique, comme un objet d’étude légitime à part entière et digne d’intérêt. Outre ces volumes, les collections Ultracontemporanea et Tradurre, dirigées par Marie Thérèse Jacquet pour les maisons Quodlibet Studio et B. A. Graphis, dont l’activité concerne principalement des publications savantes, démontrent l’attention des spécialistes italiens envers la production contemporaine en français. Comme l’a observé Gianfranco Rubino, « la nouvelle vie du roman à partir des années 1980 » a été étudiée avec une attention toute particulière par quelques groupes de recherche au sein de certaines universités italiennes  – Bari, Rome, Gênes, Cassino – plus que dans d’autres, et cela reste vrai pour le roman du nouveau millénaire47. En particulier, le Groupe de recherche sur l’extrême contemporain (GREC), rattaché à l’Université de Bari et sous la direction de Matteo Majorano, étudie la production francophone contemporaine et organise des colloques et d’autres manifestations – telle la cérémonie d’attribution du prix Murat pour des romans qui n’ont pas encore été traduits en italien (mais qui, d’après le jury du prix, le mériteraient) – destinés à promouvoir la production en langue française auprès des étudiants48.

Majorano, Bibliographie. Bosco, Gabriella : Il romanzo francese contemporaneo, Turin, Trauben, 2011. Zanotti, Paolo : Dopo il primato. Rubino, Gianfranco (dir.) : Il romanzo francese contemporaneo, Rome/Bari, Laterza, 2012. Vu la proximité directe avec le sujet de ce travail, nous rappelons au moins la thèse de doctorat de Paola Checcoli, déjà citée, Échanges culturels entre France et Italie. 47 Toute la première section du numéro 59 des Cahiers de l’association internationale des études françaises est consacrée à l’étude de la littérature et la langue française dans l’université italienne : « Les études françaises en Italie », Cahiers de l’association internationale des études françaises, 59 (2007), pp. 11–86. Dans le corps du texte, nous citons la contribution de Rubino, Gianfranco : « Du moderne au postmoderne. 1850–2000 », pp. 45–52, ici p. 51. V. aussi Rubino, Gianfranco : « La littérature française du 20e siècle en Italie », dans Viart (dir.), La Littérature française du 20e siècle lue de l’étranger, pp. 195–211. 48 Le site Internet du groupe de recherche se trouve sur la page www.grecart.it. Le GREC coopère avec l’Atelier de recherches génois sur l’écriture contemporaine, lié à l’Université de Gênes (dont le site web est à la page www.argec.it). L’Université de Rome La Sapienza a aussi un Laboratoire de recherches sur le contemporain qui diffuse des informations sur les actualités culturelles franco-italiennes (à la page www.larc.hypotheses.org). 42 43 44 45 46

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Ces monographies, ces recueils, ces collections s’ajoutent aux nombreuses revues littéraires qui, liées parfois directement aux universités, se consacrent à la littérature française en général, avec des incursions occasionnelles dans la production contemporaine49. L’Université de Bologne publie la revue semestrielle  Francofonia ; les Universités de Bari et Milan publient la revue annuelle Studi di letteratura francese ; trois fois l’an paraît Studi francesi, fondée en 1957 par Franco Simone et qui reste aujourd’hui encore une référence pour les études italiennes en littérature française ; chaque année est publiée la plus récente Revue italienne d’Études françaises, fondée en 2011 par Francesco Fiorentino, et deux fois par an paraît aussi Skené. Rivista di letteratura francese e italiana contemporanee, fondée en 2014 par Giovanni Dotoli et Mario Selvaggio. Ces professeurs, critiques et chercheurs font partie du réseau des passeurs, c’est-à-dire des figures de médiation entre deux champs culturels perméables, mais distincts. Il s’agit d’un réseau social vaste et complexe, souvent difficile à reconstruire parce que les liens en son for peuvent être informels, sans pour autant être moins réels ni lourds de conséquences. Or nous verrons par la suite que le recours aux agents littéraires, dans le transfert de littérature française, a lieu le plus souvent auprès des maisons de grande taille, qui disposent du capital pour acquérir les droits de traduction des ouvrages d’écrivains représentés par un tiers. Au sein d’entités éditoriales plus petites, en revanche, le rapport entre les maisons d’édition françaises et italiennes tend à être direct et les collaborations fréquentes avec des agents du champ académique sont souvent plus personnelles. Dans certains cas, les éditeurs eux-mêmes ont derrière eux un parcours dans la recherche, ou travaillent de façon parallèle dans l’édition et dans l’université : ce faisant, ils fusionnent en une seule figure l’habitus de l’éditeur et du chercheur. C’est le cas, par exemple, de Paola del Zoppo, directrice éditoriale de Del Vecchio en même temps que chercheuse et enseignante de littérature allemande à l’université après avoir soutenu une thèse en littérature comparée. Pour la sélection des titres à traduire du français, Del Zoppo ne s’adresse que rarement à des co-agents, et préfère au contraire l’échange direct avec les maisons étrangères, les suggestions de ses traducteurs et les résultats de ses recherches personnelles – liées notamment aux études littéraires postcoloniales et transculturelles50. Le cas d’une petite mai49

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La réception académique du roman français contemporain présente un décalage par rapport à la critique journalistique, que ce soit dans la presse généraliste (Corriere della Sera, La Repubblica, Il Sole 24 Ore, etc.) ou dans les revues culturelles et littéraires plus diffuses (L’Indice dei libri del mese, Alias, alphabeta, etc.). Comme l’observe Majorano, tandis que la presse a pour tâche de commenter, voire de promouvoir les publications les plus récentes, la « critique différenciée » des universitaires se propose de fournir une analyse plus profonde des œuvres et des auteurs (Majorano, Bibliographie, pp. 12–18). C’est pour cette raison, comme l’observe Bosco, que les générations moins jeunes (parmi lesquelles se trouvent Echenoz, Carrère, Quignard, Michon, Toussaint) ont tendance à obtenir plus de place dans les écrits académiques que les auteurs débutants et très jeunes, dont les critiques se trouvent presque exclusivement dans les journaux destinés au grand public (Bosco, Il romanzo francese contemporaneo, pp. 7–22). Entretien avec Paola del Zoppo.

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son comme L’Orma est similaire : elle ne délègue presque jamais à des agences ou des scouts la « découverte » de ses auteurs francophones51, mais a recours, dans la vaste majorité des cas, au contact direct avec les éditeurs étrangers. Cette pratique peut rendre les échanges moins rapides, certes, mais aussi « plus personnels, moins aseptisés »52, ce qui renvoie à une dimension artisanale du travail éditorial53. Dans d’autres cas, les directeurs éditoriaux eux-mêmes ne sont plus actifs dans le milieu universitaire, mais collaborent avec les professionnels en son sein et privilégient donc les rapports personnels. L’introduction de Laurent Mauvignier en Italie est un exemple représentatif à cet égard. Auteur aujourd’hui consacré par Feltrinelli, Mauvignier est traduit pour la première fois en 2008 chez la petite maison indépendante Zandonai : le professeur de littérature française Alberto Bramati, associé à l’Université de Milan, en suggère l’achat à Giuliano Geri, qui était alors un des responsables, avec Giusi Drago, des collections de fiction I Fuochi e I piccoli fuochi dans cette maison d’édition54. C’est à Bramati, par la suite, qu’est confiée la traduction des deux romans de Mauvignier publiés ici, La camera bianca et Lontano da loro, avant que l’auteur ne passe à Feltrinelli en 2010. Il représente ainsi un cas exemplaire d’agent à « appartenance multiple »55, dont la fonction de passeur se manifeste sous plusieurs formes à divers degrés d’institutionnalisation – professeur, consultant, traducteur : en somme, médiateur à part entière.

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Le cas de figure est différent, nous l’avons vu, pour les traductions de l’allemand chez L’Orma, qui passent souvent par l’agence littéraire de Barbara Griffini. Entretien avec Lorenzo Flabbi. Rappelons, par souci d’exhaustivité, que les deux fondateurs de L’Orma, Lorenzo Flabbi et Marco Federici Solari, ont aussi achevé un parcours universitaire, ayant soutenu des thèses en littérature comparée et ayant accumulé des expériences de recherche et d’enseignement à l’étranger. Cette dimension non-industrielle caractérise une partie de l’édition italienne du début du XXe siècle, dont la figure de l’« éditeur protagoniste » est emblématique (Bompiani, Valentino : Il mestiere dell’editore, Milan, Longanesi, 1988, pp. 102–104), et est liée à son tour à la figure de l’« éditeur lettré » (Cadioli, Alberto : Letterati editori. Attività editoriale e modelli letterari nel Novecento, Milan, il Saggiatore, 1995). Le fait que les maisons de plus grandes dimensions aient perdu une telle composante artisanale, personnelle, dans la gestion de leur activité, est désormais une opinion partagée par plusieurs : v. par exemple le témoignage de l’ex-directeur éditorial d’Einaudi, Ernesto Ferrero : Cosa resta del mestiere di editore nell’epoca dei mega-libri e del disordine della rete ?, dans Polese (dir.), Fare libri, pp. 63–66. Dans un souci d’exhaustivité, précisons que Geri a aussi une formation universitaire, notamment en philosophie. V. § 3.3.2.

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5.5 LES ÉDITEURS. ENTRE SPÉCIALISATION ET GÉNÉRALISME 5.5.1 Méfiance des agents « Tout naît des rapports personnels », explique Geri au sujet des techniques déployées pour trouver ses auteurs. Il s’agit, pour la petite maison où il travaille entre 2006 et 2012, d’une mission confiée aux directeurs de collection ou, dans quelques cas, à des consultants externes, souvent non encadrés, pourvu qu’ils aient « une sensibilité pour les livres »56. Or cette dimension humaine, qui repose sur des relations directes entre lecteurs, éditeurs et écrivains, n’est pas toujours possible : selon le degré de consécration des auteurs, selon les dimensions des maisons d’édition et selon les aires linguistiques concernées, les démarches peuvent considérablement varier. Nous avons vu que, dans le cas de la littérature traduite de l’allemand, la plupart des romans passent par une agence qui stipule les modalités concrètes de chaque cession de droits. En revanche, pour la littérature française, le cas de figure présente quelques spécificités qu’il convient de souligner avant de procéder à l’analyse des catalogues éditoriaux. Le recours à des médiateurs professionnalisés comme les agents et les co-agents littéraires demeure une pratique minoritaire dans le transfert franco-italien, quoiqu’elle devienne de plus en plus fréquente57. Ce type de démarche, très répandu sur d’autres marchés, notamment l’anglo-saxon, se développe plus tardivement en France et grandit progressivement dès la fin du XXe siècle jusqu’à nos jours. Il est nécessaire de distinguer à nouveau les deux figures, très différentes tant dans leur fonction comme dans leur diffusion, de l’agent primaire et du co-agent : tandis que le premier représente directement un auteur et accompagne celui-ci dans la recherche d’un éditeur, le second représente une maison d’édition ou même un agent primaire et se charge spécifiquement de la cession des droits secondaires, y compris des droits pour la traduction. Or les agents primaires, bien qu’ils existent aussi en France, demeurent relativement peu nombreux et peu demandés, surtout si l’on compare les pratiques courantes des écrivains débutants en France et dans les pays anglo-saxons. Auprès des auteurs plus renommés, en revanche, ces agents ont de plus en plus de succès58. 56 57 58

« Quando fai questo mestiere, chiunque abbia una sensibilità per i libri, è un tuo consulente » (entretien avec Giuliano Geri). Pour une analyse sur la situation des agents littéraires en France dans les années 2000, l’enquête de l’éditrice Juliette Joste est très informative : Joste, Juliette : L’Agent littéraire en France. Réalités et perspectives, réalisée pour MOtif, l’Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France, 2010. Cette distinction entre les « grands » écrivains d’un côté et les auteurs « di fascia intermedia o bassa » de l’autre, les premiers ayant souvent un représentant en dehors de leur maison d’édition et les autres en revanche se représentant eux-mêmes, nous est confirmée par Fabio Gambaro, ex-scout de littérature française pour Feltrinelli et Mondadori et aujourd’hui directeur de l’Istituto Italiano di Cultura à Paris : « Tutti i grandi autori francesi sono tutti … ormai hanno tutti un agente » (entretien avec Fabio Gambaro).

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Certains d’entre eux ont réussi à obtenir beaucoup de visibilité, à se bâtir des listes de clients à grand succès et, donc, à « se faire un nom » dans le milieu littéraire : citons François Samuelson, qui fonde son agence en 1988 et représente, entre autres, Michel Houellebecq et Emmanuel Carrère ; Susanna Léa, qui fonde son agence en 2000 et représente Marc Levy ; ou encore Pierre Astier et Laure Pécher, qui fondent leur agence en 2006 et représentent, entre autres, Jérôme Ferrari, Sylvain Tesson, Jean-Christophe Rufin. Lorsqu’un écrivain choisit de se faire représenter par un agent, les pratiques concernant les droits de traduction peuvent être variées : certains cèdent à la maison d’édition qui achète les droits de publication ainsi que les droits secondaires, alors que d’autres préfèrent gérer eux-mêmes la cession des droits de traduction. Cette deuxième option est moins classique sur un marché comme le français, peu habitué à la médiation des agents : un cas ayant suscité des turbulences médiatiques à cet égard s’est vérifié lorsque l’agent Andrew Nurnberg a vendu à Gallimard les droits de publication des Bienveillantes de son client Jonathan Littell, tout en conservant les droits secondaires du roman59. Les co-agents, quant à eux, ont moins de difficultés à s’établir sur le marché français60. Ils s’occupent dans la plupart des cas des cessions de droits de livres issus du marché anglophone pour des traductions vers le français61. Dans quelques cas, les co-agents français se chargent de la cession des droits secondaires soit directement à des maisons d’édition étrangères, soit à des co-agents qui vendent, à leur tour, les droits à un éditeur : c’est ce que fait par exemple l’agence Books And More, qui cède les droits de traduction de ses auteurs à des agences italiennes comme AC², Nabu, Meucci, mais aussi directement à des maisons d’édition, comme La Nave di Teseo. Le plus souvent, ce sont les agences à l’étranger qui contactent les services de ventes des droits des maisons d’édition pour traduire du français vers l’italien62. 59 60 61

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Lizé, Wenceslas/Naudier, Delphine et al. : « Une plaque sensible : les agents littéraires sous le feu des polémiques », dans Intermédiaires du travail artistique. À la frontière de l’art et du commerce, Paris, ministère de la Culture – DEPS, 2011, pp. 45–65. Botrel, Charlotte : Internationaliser sa production. Cessions de droits & coéditions, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2017, pp. 27–32. Dans son analyse, Joste évoque sept principaux co-agents en France  : La Nouvelle Agence, l’agence Michelle Lapautre, l’agence Lora, Fountain & Associates, l’agence Eliane Benisti, l’agence Hoffmann, l’agence Anna Jarota et L’Autre agence. Malgré quelques interactions avec le marché italien (La Nouvelle Agence, par exemple, compte The Italian Literary Agency parmi ses clients), ces entreprises se consacrent presque exclusivement à l’intraduction de l’anglais en français et à quelques incursions sur le marché allemand (en particulier dans le cas de l’agence Eliane Benisti). Pour le cas qui nous concerne de près dans le second chapitre de cette partie, nous remarquons que P. O. L., la maison française qui publie l’œuvre d’Emmanuel Carrère, a recours aux sub-agents seulement pour quelques aires linguistiques, dont l’Italie ne fait pas partie : « C’est un système bien adapté aux caractéristiques de notre maison [le système des sub-agents], mais pas sur tous les territoires ! Nous travaillons avec six d’entre eux : pour les pays scandinaves augmentés des Pays-Bas, pour la Grèce, pour la Russie, pour les anciens pays du bloc de l’Est, pour l’ensemble ibérique et latino-américain, enfin pour le Japon. Occasionnellement, nous avons également recours à des agents en Corée et en Chine » (entretien de Vibeke Madsen avec le SNE). En re-

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Or il n’existe pas en Italie d’agence pour les traductions du français dotée d’une influence comparable à celle de Barbara Griffini pour les traductions de l’allemand. Cependant, suivant la tendance lente et graduelle du marché global à se rapprocher de cette forme de médiation63, certaines entreprises commencent à surgir dans les années 2000. L’agence d’Anna Spadolini représente le cas le plus important : fondée en 2012, cette agence a introduit en Italie des auteurs comme Hubert Haddad et Cécile Coulon64. À cette agence s’en ajoutent d’autres qui participent de façon plus occasionnelle à l’introduction d’auteurs francophones, comme la Nabu International Literary and Film Agency, déjà citée, l’agence de Susanna Zevi ou encore The Italian Literary Agency. Plus fréquent que le recours aux agents est le recours aux scouts. Cette figure, sans s’occuper comme les agents de la rédaction des contrats, se charge de rechercher des auteurs et des titres qui pourraient intéresser une maison étrangère pour en faire des traductions. Il est donc un conseiller, choisi en fonction de sa connaissance du marché étranger qu’il explore pour le compte de l’éditeur. Le scout est un collaborateur externe à la maison d’édition, non seulement par son encadrement, mais « aussi physiquement »65 : son travail est de communiquer à l’éditeur un flux d’informations régulier sur les nouveautés littéraires de la scène internationale, sur ce dont on parle et ce qui paraîtra bientôt. Le scout se trouve donc souvent « sur place », il parle avec les éditeurs étrangers et se renseigne auprès d’eux sur leur production. Son rôle a considérablement évolué au cours des dernières décennies : en effet, entre les années 1990 et 2000, avant l’avènement d’Internet, la communication exigeait des délais plus longs. Il suffit de penser que les services de ventes des éditeurs ne pouvaient pas envoyer de résumés au format PDF pour chaque publication prévue : la présence d’un correspondant à l’étranger était donc d’autant plus essentielle afin de se tenir au courant des actualités littéraires au-delà des frontières. Au fil des années, les scouts n’ont pas perdu leur fonction, mais se sont adaptés à l’accélération des rythmes de production66 et à la globalisation du

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vanche, Madsen observe que la figure du responsable des cessions est, au tournant du XXe siècle, en cours de développement : « Je ne suis pas là depuis très longtemps pour en témoigner, mais d’après ce que j’ai cru comprendre il est devenu, depuis dix ou vingt ans, un métier à part entière dans la chaîne du livre. Ce ne sont plus les éditeurs ou leurs assistantes qui vendent les droits ; dans pratiquement toutes les maisons se sont créés des services spécifiques » (ibid.). Un signe très récent de la légitimation des agents littéraires en Italie est la naissance, en 2020, de l’Associazione degli Agenti Letterari Italiani (ADALI), qui réunit les professionnels de la médiation littéraire afin de « promuovere e tutelare la dignità della professione di agente letterario, di costituire un organismo indipendente di rappresentanza e autogoverno, nonché di agire come portavoce dei professionisti italiani presso le istituzioni e gli organismi pubblici e privati competenti, italiani e stranieri » (www.adali.org, dernière visite le 19 mai 2020). Ponte alle Grazie publie Il pittore di ventagli de Haddad en 2013 [Le Peintre d’éventail, Paris, Zulma, 2013] ; Keller publie La casa delle parole de Coulon en 2015 [Le Rire du grand blessé, Viviane Hamy, 2013]. Entretien avec Fabio Gambaro. « Sempre di più anche il mercato è diventato rapido, quindi sempre di più c’è stata un po’ quest’ansia da parte di tutti gli scout di dire, non devo farmi scappare nulla, quindi devo comunque es-

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marché : ils s’occupent notamment de repérer les informations internes aux maisons étrangères aussi vite que possible, afin d’anticiper les parutions et les tendances à l’échelle mondiale67. Comme pour les agents, le recours aux scouts semble être privilégié par les maisons de grande taille et appartenant à des groupes : elles s’adressent à des professionnels du secteur comme la scout Tina Hegeman, la journaliste culturelle Cristina De Stefano, ou encore comme Hella Faust, directrice de l’agence parisienne Hella Faust Literary Scouting. C’est Faust, par exemple, qui suggère à Einaudi le premier roman de Romain Puértolas, L’incredibile viaggio del fachiro che restò chiuso in un armadio Ikea [L’Extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, Paris, Le Dilettante, 2013], publié dans Supercoralli en 2014. La différence des pratiques lors du repérage des auteurs distingue donc souvent les indépendants de taille petite à moyenne d’une part, et les maisons de très grandes dimensions de l’autre. Cette distinction suggère une tendance générale : les maisons qui ont recours aux médiateurs externes pourraient subir une influence plus directe des cotations sur le marché anglo-américain, puisque celui-ci conserve, nous l’avons vu, une position hégémonique dans la république des Lettres et qu’il exerce donc une influence sur la production internationale. Les catalogues des maisons plus petites, au contraire, étant donné qu’elles s’en remettent à des relations plus personnelles, manifesteraient de manière plus évidente les milieux dans lesquels leurs collaborateurs circulent et, en conséquence, s’adresseraient à un public plus restreint. Certes, cet effet peut être atténué par l’habileté des scouts et des agents lorsqu’ils proposent à leurs clients des titres en harmonie avec leur catalogue. Cependant, la présence d’un médiateur supplémentaire dans la chaîne internationale du livre, qui augmente le nombre de « filtres » entre la production en langue originale et sa version traduite et qui en quelque sorte dépersonnalise, par ce biais, les relations internes, éloigne le travail éditorial de sa dimension artisanale et en accentue, à l’inverse, le côté plus industriel et globalisé.

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sere rapido. Quindi … se io in genere, non so, all’inizio dicevo, boh, segnalo cinque cose perché mi sembrano le cinque cose più importanti, e poi magari tra un mese o tra quindici giorni ne segnalo delle altre, in realtà c’è stato un meccanismo per cui, il mercato diventava sempre più rapido, per cui dici, no, dieci le segnalo tutte subito, perché magari tra quindici giorni c’è anche qualcun altro che le ha prese » (entretien avec Fabio Gambaro). « Loro hanno degli scout americani, che gli insegnavano anche un po’ del resto del mondo », raconte Helena Janeczek à propos de Mondadori dans notre entretien. Le recours aux scouts, et éventuellement le contact direct avec les éditeurs étrangers, est préférable au bouche-à-oreille entre amis et connaissances informelles aussi chez Einaudi : l’objectif, en effet, serait d’avoir des canaux pour intercepter les livres avant qu’ils ne soient publiés en langue originale.

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5.5.2 Maisons d’édition Qu’ils aient recours à des agents, à des scouts, à un réseau de connaissances personnelles ou à un mélange des trois, les éditeurs demeurent les principaux gate-keepers permettant l’accès des auteurs étrangers à leur champ littéraire national. Les modalités du repérage des auteurs ont beau changer au fil des décennies : ce sont toujours eux, les éditeurs, qui ont le dernier mot sur le caractère qu’ils décident de donner à leur catalogue. La question qui se pose encore une fois est donc : quel paysage dessinent les maisons d’édition italiennes entre 2005 et 2015 ? Si l’on observe en particulier leurs traductions du français, est-il possible de reconnaître diverses identités, des projets distincts, ou bien leurs programmes s’avèrent-ils plutôt homogènes ? En réalité, les transformations en cours dans les coulisses de l’édition sont relativement peu visibles sur les étagères des librairies, où les romans français sont nombreux et variés. Toutes les grandes maisons d’édition italiennes accueillent des auteurs francophones dans leurs catalogues, et la plupart des éditeurs littéraires de taille petite à moyenne s’intéressent régulièrement aux nouveautés venues de France, parfois même alors qu’ils se consacrent principalement à d’autres aires linguistiques. Pour mieux nous orienter parmi le grand nombre de traductions parues dans la décennie qui nous concerne, nous pouvons identifier trois grandes catégories d’éditeurs selon la présence plus ou moins imposante, dans leur catalogue, du roman français contemporain. Ainsi nous distinguons, premièrement, les maisons de grande taille et les groupes, qui incluent des romans français dans leurs catalogues déjà très diversifiés ; deuxièmement, les maisons de taille petite ou moyenne qui, sans se spécialiser dans la littérature française, proposent tout de même une offre riche en traductions du français et ne reflètent donc pas, dans leur catalogue, les mêmes proportions que le pourcentage national concernant les traductions de l’anglais et du français ; troisièmement, les maisons de taille petite ou moyenne qui consacrent au moins une partie de leur production à la production en langue française spécifiquement. Nous proposons cette tripartition après avoir remarqué, en étudiant les catalogues éditoriaux, qu’il est très rare, pour un éditeur littéraire disposant d’une certaine visibilité, de ne s’intéresser aucunement au roman français. Puisqu’il en est ainsi, le véritable critère de distinction ne peut pas être le fait de traduire ou de ne pas traduire depuis cette langue, mais plus précisément : combien traduire, que traduire et, surtout, dans quel contexte insérer les traductions. Nous parlons dès lors d’une présence « dispersée » du roman français en Italie afin de rendre compte, avant tout, de sa transversalité sur le marché du livre. Contrairement au cas du roman contemporain allemand – souvent l’apanage de petites maisons spécialisées et plutôt négligé par les grands généralistes –, le roman français constitue une présence presque incontournable dans chaque catalogue. Le mécontentement relatif à la présence limitée du roman français en Italie de la

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part de quelques spécialistes68 est donc moins dû à un réel désintérêt des éditeurs pour ce type de produit qu’à une prise de position des spécialistes eux-mêmes dans leur champ culturel. En d’autres termes : ceux qui déplorent l’absence d’un certain roman ou d’un certain auteur en Italie, et en présupposent et défendent par là les mérites, font cela pour se positionner en faveur d’un type donné de littérature, et non pas pour illustrer les résultats d’une analyse objective des données sur la production éditoriale dans son ensemble. Le roman français n’est pas seulement « dispersé » dans la plupart des catalogues éditoriaux italiens : le répertoire des romans traduits du français est aussi extrêmement diversifié. En étudiant les auteurs et les titres proposés par chaque maison, nous observons que le roman français ne peut être ramené à aucune catégorie générique ou, mieux, qu’il existe de nombreuses catégories différentes selon les choix des éditeurs. Ainsi, par exemple, le polar trouve son expression dans la collection B-Polar de 66thand2nd et le roman noir dans Quai des Orfèvres de Clichy ; les thriller de Jean-Christophe Grangé sont publiés dans Narratori moderni de Garzanti, alors que les romans sentimentaux de Marc Levy et de Guillaume Musso le sont chez TEA, Corbaccio, Sonzogno et Rizzoli ; les romans historiques de Christian Jacq paraissent chez Piemme et tre60, qui appartiennent au groupe GeMS ; les « romans ludiques »69 d’Echenoz, Toussaint et Chevillard sont partagés entre plusieurs maisons, comme Einaudi, Adelphi, Nottetempo, Portaparole, Del Vecchio, alors que les romans jeunesse de Pennac sont publiés par Salani dans la collection Gli istrici, et que le reste de sa production paraît dans Narratori de Feltrinelli ; et ainsi de suite. 68

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Souvent, des publications académiques se dégage un ton de mécontentement général sur le statut de la littérature traduite du français en Italie, où la prose « fleurissante » de l’Hexagone demeurerait « peu connue » (Rubino (dir.), Il romanzo francese contemporaneo, quatrième de couverture) et serait assujettie à l’attitude « conservative et prudente du point de vue des chiffres » des maisons d’édition, dont le « critère principal déterminant » serait de « répondre – au-delà du magma phénoménologique – à certaines exigences commerciales » (Bosco, Il romanzo francese contemporaneo, p. 19). Or d’un côté, un tel mécontentement ne rend pas toujours justice à beaucoup d’initiatives des éditeurs culturels, et de l’autre, il correspond à l’habitus naturel et paradoxal du pôle autonome, dans lequel un état d’alarme perpétuel est en vigueur. En son sein coexistent, en effet, la défense d’un processus de sélection (donc, aussi, de rejet) d’une grande partie de la production culturelle, et en même temps la volonté d’étendre la production jusqu’à recouvrir ce que chacun estime, au cas par cas, digne d’attention. Négligeant de gré ou de force (puisqu’il s’agit d’objectiver ses propres prises de position dans le champ) que la valeur primordiale de l’espace le plus autonome du champ culturel réside justement dans son étroitesse, c’est-à-dire dans l’existence d’un filtre qui empêche l’accès au plus grand nombre, l’invitation à reproduire en Italie toute la « bonne » littérature française est une aporie, et en même temps une caractéristique constante qui sert d’encouragement au transfert culturel. Nous proposons de considérer ce phénomène distinctif comme une « crise permanente » de la littérature au pôle autonome du champ, nécessaire à son renouvellement toujours en cours. Nous faisons référence à la catégorie proposée par Bessard-Banquy pour décrire les romans publiés et consacrés au sein des Éditions de Minuit dans les années 1980 : Bessard-Banquy, Olivier : Le Roman ludique, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2003.

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Ce qui paraît évident en comparant la répartition des traductions selon les diverses « formes » du roman, ce n’est pas l’absence d’une catégorie donnée, mais plutôt l’écart entre les traductions du français et de l’anglais selon ces formes. Tandis que la prose française « blanche » est amplement représentée dans la plupart des catalogues éditoriaux, la production de genre – à l’exception du noir et du polar70 – subit plus gravement la domination de la production anglophone. Il suffit d’observer, à titre d’exemple, l’offre des Romanzi Sonzogno, une maison qui se positionne explicitement dans le secteur le plus commercial du marché du livre71 : entre 2005 et 2012, cette collection accueille presque soixante-dix auteurs anglophones, alors que les nouveautés traduites du français ne proviennent que de neuf auteurs72. La présence minimale, dans cette même série, d’auteurs traduits d’autres langues et même d’écrivains de langue italienne73 met en lumière que la prédominance des traductions de l’anglais a un poids particulièrement significatif dans ce segment de la production livresque. À l’inverse, en étudiant le catalogue d’une maison qui se positionne au pôle le plus autonome du champ, c’est-à-dire qui se présente à son public comme représentante de la « haute » littérature, on observe que le déséquilibre entre les langues de départ se réduit. L’un des écrivains majeurs de la littérature noire en français, Georges Simenon, domine la collection historique Biblioteca Adelphi, alors que Fabula, qui accueille aussi des auteurs contemporains, propose également, à Pour un approfondissement sur la différenciation entre littérature blanche et roman noir dans le champ littéraire français, v. Lits, Marc : « De la ‘Noire’ à la ‘Blanche’ : la position mouvante du roman policier au sein de l’institution littéraire », dans Itinéraires, 2014–3, 2015, 25 septembre 2015, www.journals.openedition.org/itineraires/2589 (30  juillet 2019). L’opposition entre ce sous-ensemble de la littérature de genre et la littérature blanche, néanmoins, semble devenir de moins en moins nette : v. Fondanèche, Daniel : Paralittératures, Paris, Vuibert, 2005, pp. 27–63. 71 La présentation publiée sur le site de la maison est la suivante : « Sonzogno è una delle più antiche case editrici italiane. Ha un’anima popolare, di qualità, rivolta prevalentemente a un pubblico femminile. […] Fondata nel 1861, Sonzogno fin da subito si è distinta per una produzione di narrativa e saggistica di largo consumo, sensibile alle tendenze e ai gusti prevalenti nella società ma anche attenta alla qualità. […] Sonzogno oggi è una casa editrice che segue con la massima attenzione i gusti dei lettori, i trend, le mode e pubblica libri attuali dal linguaggio curato e accessibile, ma con quel tocco di classe che li rende chic, dalla manualistica alla narrativa italiana e straniera. Si rivolge a un pubblico prettamente femminile, seguendone e interpretandone gusti e interessi » (www.sonzognoeditori.it/index.php/chi-siamo, dernière visite le 26 juillet 2019). 72 Ces chiffres sont issus de notre analyse du catalogue de Sonzogno à partir des données fournies par le catalogue du service bibliothécaire national OPAC. Nous n’avons pas pris en considération, lors de cette analyse, les (nombreuses) rééditions, mais seulement les premières éditions des nouveautés en traduction. Les auteurs francophones présents dans Romanzi chez Sonzogno pendant la période 2005–2012 sont : Maxime Chattam (quatre titres), Guillaume Musso (trois titres), Leïla Haddad, Jean-Michel Riou, Jean Michel Thibaux, Jerome Delafosse, Anny Duperey, Thérésa Révay, Cyril Massarotto. 73 Quatre auteurs sont traduits de l’espagnol (pour un total de sept titres), un seul auteur est traduit de l’allemand (avec deux titres), dix auteurs écrivent en italien (pour un total de onze titres, plus un recueil dirigé par Gian Franco Orsi), et trois auteurs sont traduits d’autres langues (à savoir trois titres traduits du russe, du catalan et du grec).

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côté d’une majorité d’auteurs anglophones, un nombre consistant d’écrivains de langue italienne, française, allemande et espagnole74. Quoique l’anglais maintienne sa position en première place, la proportion d’auteurs anglophones diminue ici en faveur d’autres langues de départ, ce qui confirme l’hypothèse selon laquelle, au pôle de production restreinte, l’effet uniformisant de la globalisation culturelle est plus faible qu’au pôle de production de masse75. Parallèlement à la variété des formes se développe aussi un large éventail de publics visés, c’est-à-dire de catégories de lecteurs auxquelles s’adressent les romans traduits du français. S’il est vrai, en effet, que le champ littéraire comprend aussi les lecteurs, et les place dans un continuum qui s’étend du public de masse, usager de produits de pur divertissement, aux grands lecteurs, capables d’apprécier la « qualité littéraire » des textes, alors il est dans l’intérêt des éditeurs de proposer une offre qui puisse satisfaire les exigences différentes selon chacun de ces récepteurs potentiels. Néanmoins, toutes les maisons d’édition ne ciblent pas chaque type de lecteur. Au contraire, seuls les grands groupes peuvent en faire autant : c’est possible grâce à la distribution de leur production entre plusieurs marques diversifiées et en s’adressant au cas par cas à un secteur plus ou moins spécifique du marché. Les maisons indépendantes, en revanche, doivent souvent déterminer un public plus circonscrit, constitué de lecteurs assidus76 qu’ils puissent fidéliser par une offre spécialisée et susceptible de s’étendre au fur et à mesure que le catalogue mûrit et se développe. Cela dit, s’il est vrai que toutes les maisons et, en leur sein, toutes les collections s’adressent à un ou à plusieurs groupes de lecteurs, le contraire est aussi vrai : les lecteurs ne perçoivent pas la production de toutes les collections et de toutes les maisons de façon indifférenciée. Autrement dit, le choix de l’insertion éditoriale a une valeur aux yeux du public et cette valeur, qui est liée spécifiquement à l’édi74

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Pour comparer avec les données relatives au catalogue de Sonzogno, considérons aussi dans ce cas les années 2005–2012 : sans compter les rééditions, les traductions de l’anglais sont au nombre de quarante-huit (de vingt-neuf auteurs), sept du francais (de cinq auteurs), cinq de l’allemand (de trois auteurs), sept de l’espagnol (de deux auteurs) et deux d’autres langues (du serbe et du hongrois) ; les titres écrits originairement en italien sont au nombre de vingt (de huit auteurs). Dans ce cas aussi, les données sont le résultat d’une analyse conduite à partir des informations contenues dans le catalogue OPAC. Cf. Sapiro, Gisèle : « Mondialisation et diversité culturelle : les enjeux de la circulation transnationale des livres », dans : Sapiro (dir.), Les Contradictions de la globalisation éditoriale, pp. 275–301. En Italie, toute personne qui lit au moins un livre par mois, à savoir environ 15 % de la population, est considérée comme un « grand lecteur » : « A leggere oltre 12 libri all’anno sono meno di 4 milioni di persone, che praticamente da sole assorbono metà delle vendite e garantiscono la continuità – e, possiamo dire, forse perfino la sopravvivenza – a un settore industriale che fattura circa 3 miliardi e mezzo di euro, sforna circa 60.000 titoli all’anno e occupa quasi 40.000 persone » (Solimine, L’Italia che legge, p. 11). Pour les maisons d’édition indépendantes, attirer l’attention de cette minorité de lecteurs assidus est de première importance. C’est pour cette raison que la spécialisation dans des secteurs de niche dans le but de « se créer son propre public » représente la stratégie la plus fréquente pour consolider sa position en tant que nouvel entrant sur le marché du livre.

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teur, précède les livres et les auteurs. Par « valeur » nous entendons ici le crédit symbolique que chaque éditeur est en mesure (ou pas) d’attribuer à ses publications : comme un garant, l’éditeur assume devant son public la responsabilité des livres qu’il produit et en assure la qualité77. Des maisons historiques comme Einaudi et Adelphi peuvent convoquer comme témoins certains auteurs qui, publiés parfois à leurs débuts, ont obtenu renommée et reconnaissance à long terme ; le crédit ainsi accumulé au fil des ans leur permet d’en transférer une partie aux nouveaux noms qui entrent dans leur catalogue, en d’autres termes de « se porter garants » pour eux. En revanche, des éditeurs jeunes et encore inconnus comme Portaparole en 2004 et L’Orma en 2012, n’ayant pas accumulé assez de crédit, doivent s’appuyer sur d’autres outils – un capital économique important, un réseau de connaissances dans un milieu donné, un projet éditorial fort et bien structuré, une image publique claire et distinguable, etc. – pour obtenir d’abord pour eux-mêmes le capital qu’ils pourront transférer, dans un second temps, à leurs auteurs. Selon la tripartition que nous avons proposée, observons maintenant de plus près quelques maisons d’édition qui proposent un nombre significatif de romans traduits du français dans leurs catalogues ; nous examinerons, après quelques remarques communes à chaque catégorie, des exemples représentatifs pour chacune d’entre elles afin de nuancer autant que possible nos analyses.

5.5.3 Les groupes et les grandes maisons : une présence inclusive La répartition des langues de départ dans les pourcentages nationaux trouve son reflet le plus exact dans les choix des éditeurs de très grandes dimensions. Puisqu’ils visent à satisfaire la demande du public, ils tendent à suivre l’évolution du marché plutôt qu’à l’anticiper ou à la détourner par des publications hors norme. Pour le dire avec un exemple : il serait invraisemblable qu’un géant comme Rizzoli décide de consacrer la moitié de son catalogue à la littérature espagnole ou russe, alors que moins de 5 % des traductions en italien sont effectuées depuis ces langues ; il est beaucoup plus plausible que ce type de renversement des tendances générales du marché soit pris en charge par des maisons plus petites et que les très grandes entreprises, en revanche, réservent aux langues périphériques une place tout aussi marginale. Cela vaut pour l’anglais, qui est toujours la langue de départ majoritaire dans les catalogues des grands groupes, mais aussi pour le français, l’allemand et les 77

Une qualité qui, comme nous l’avons vu, peut être de diverses natures et dont la définition est toujours remise en jeu. Bourdieu illustre cette logique d’accumulation de capital symbolique, et la définit comme une « économie ‘anti-économique’ », lorsqu’il explique les mécanismes en cours sur le « marché des biens symboliques » : Bourdieu, Les Règles de l’art, pp. 234–288.

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autres langues moins centrales, qui s’y trouvent représentées proportionnellement aux pourcentages totaux à l’échelle nationale. Cependant, si l’on observe quels livres et quels auteurs sont choisis par ces grands éditeurs pour la publication, on remarquera une spécificité qui distingue l’introduction du roman français de celle du roman allemand. Nous avons vu, dans les chapitres précédents, que Mondadori, Rizzoli, Einaudi, Bompiani, Feltrinelli – en somme, tous les « grands » de l’édition italienne – proposent quelques traductions de l’allemand pendant la décennie 2005–2015 ; toutefois, ces traductions s’avèrent souvent des parutions occasionnelles. L’œuvre des auteurs n’est pas contemplée comme un ensemble, mais des titres individuels sont sélectionnés et publiés isolément, et le personnel des maisons n’a parfois pas de compétences suffisantes pour lire et communiquer en allemand, ce qui peut se refléter dans la qualité du suivi rédactionnel des traductions. Autrement dit, la présence de la littérature allemande est relativement constante, certes, mais son caractère minoritaire se manifeste aussi par un certain désintérêt dans son traitement de la part des éditeurs. En revanche, ces mêmes éditeurs font preuve d’un intérêt beaucoup plus vif et d’un engagement plus durable lorsqu’ils insèrent des romans français dans leurs catalogues : très souvent, les auteurs publient régulièrement leurs ouvrages chez une même maison pendant plusieurs années, voire sont toujours traduits par le même traducteur, et – nous l’avons déjà évoqué – il est plus probable que le personnel interne à une grande maison comprenne le français plutôt que l’allemand. Comme toujours dans le milieu culturel, rien n’est mécanique et les exceptions sont nombreuses. Certaines maisons manifestent un intérêt constant pour un auteur, alors qu’elles en négligent d’autres après une seule publication : c’est le cas de l’auteur québécois Gil Courtemanche, par exemple, dont seul le premier roman paraît chez Feltrinelli en 2005, sans suite78, alors que cette maison tend à suivre ses autres auteurs publiés dans Narratori. Certaines collections, comme Scrit tori italiani e stranieri chez Mondadori, accueillent plus de romans allemands que français au cours de la décennie qui nous intéresse. Mais une vue d’ensemble sur la production des groupes à cette même période témoigne de l’intérêt régulier des plus gros éditeurs pour la production française : dans Strade blu, chez Mondadori, paraissent entre autres plusieurs titres de Yasmina Khadra ; dans Supercoralli, chez Einaudi, sont publiés plusieurs ouvrages de Jonathan Littell aux côtés de Patrick Modiano et Tahar Ben Jelloun ; dans Narratori, chez Feltrinelli, se distinguent les publications systématiques de Daniel Pennac, Laurent Mauvignier et Maylis de Kerangal ; dans La Scala, chez Rizzoli, ainsi que dans la BUR sont publiés de nombreux titres de Jean-Marie Gustave Le Clézio ; dans Narratori Stranieri, chez Bompiani, paraissent entre autres des ouvrages de Yasmina Reza, Maxence Fermine ainsi que l’œuvre complète de Michel Houelle78

Il s’agit de Una domenica in piscina a Kigali, traduit par Annamaria Ferrero [Un dimanche à la piscine à Kigali, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2000] ; les romans suivants du même auteur n’ont, à ce jour, pas de traduction italienne.

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becq ; dans Narratori della Fenice, chez Guanda, paraissent plusieurs titres de Philippe Besson, Marie Darrieussecq et Christine Angot. Cette vue d’ensemble nous confirme aussi, encore une fois, la tendance des groupes à vouloir atteindre plusieurs catégories de lecteurs. Considérons l’exemple du plus grand groupe éditorial italien, Mondadori. Il contrôle, entre 2005 et 2015, les marques Piemme, Einaudi, Electa, Frassinelli, Mondadori, Mondadori Education, Oscar Mondadori et Sperling & Kupfer79. Chacune des maisons appartenant au groupe répartit sa production entre plusieurs collections, qui peuvent respecter des distinctions de genre (essais, poésie, prose, formes brèves, etc.) ou qui indiquent le degré d’« ambition littéraire » des livres qui y sont insérés et donc aussi, de façon indirecte, le public visé par l’éditeur. Par ce biais, à un premier niveau de diversification, le groupe Mondadori peut s’adresser à des enfants et des jeunes lecteurs (à travers le catalogue de Piemme, par exemple), à des étudiants (par Mondadori Éducation), ainsi qu’à des lecteurs adultes d’essais, de poésie et de prose, d’Italiens et d’étrangers, de classiques et de contemporains. Une première distinction de prestige, en outre, se dégage de la comparaison entre les diverses marques qui, tout en travaillant au sein du même groupe, n’ont pas la même « aura » auprès du public, selon leur histoire, leur catalogue et leur activité en cours. C’est le cas, par exemple, d’Einaudi aux côtés de Sperling & Kupfer : les deux éditeurs publient des romans contemporains (entre autres) pour le groupe Mondadori, mais le premier se place, du moins en partie, dans le pôle de production restreinte, alors que l’autre s’adresse ouvertement au public de masse, avec des traductions régulières des best-sellers de Danielle Steel, Guillaume Musso et Nicholas Sparks. Ensuite, au second niveau de diversification, chaque maison du groupe Mondadori peut différencier sa production par ses collections et ses imprint. En prenant encore une fois l’exemple d’Einaudi, nous observons que son catalogue est assez vaste pour atteindre un public d’enfants et de jeunes lecteurs (à travers Edizioni EL et Einaudi Ragazzi), des lecteurs de romans de genre (notamment avec Stile Libero où paraissent, entre autres, les romans de Fred Vargas et de Jean-Patrick Manchette), de poésie (avec Collezione di poesia, qui contient les vers choisis pour le recueil Il tempo dell’istante de Jacqueline Risset), d’essais (ainsi que leur pendant littéraire avec Frontiere, où paraissent trois titres de Jonathan Littell) et de littérature blanche, répartie à son tour entre des collections plus ou moins prestigieuses : Supercoralli et Coralli accueillent, entre autres, les romans d’Emmanuel Carrère traduits entre 1996 et 201180. 79

Nous ne considérons pas les entreprises qui ne produisent pas de livres (mais qui produisent, en revanche, des revues, des émissions radiophoniques, de la publicité) ni les maisons qui appartiennent au groupe RCS, lequel intègre le colosse de Mondadori à la fin de l’année 2015. 80 Que les collections reprennent graduellement leur fonction de structure portante de l’édition littéraire italienne est illustré par le catalogue de Mondadori : après avoir tenté pendant plusieurs décennies une politique du titre, en promouvant des livres et des auteurs pris individuellement (Ferretti/Iannuzzi, Storie di uomini e libri, pp. 231–237 ; Novelli, « Il consumo dei romanzi », en particulier pp. 299–302), la maison milanaise recommence, à partir de 1999, à se servir des col-

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Il est donc fallacieux de vouloir déduire, à partir des dimensions ou du statut légal d’une maison d’édition, quelque information que ce soit sur la qualité de tous les livres qu’elle publie. La production de ces grandes entreprises est si vaste et variée, même en ce qui concerne exclusivement les traductions du français, qu’il est nécessaire d’évaluer au cas par cas les choix des éditeurs. Regardons donc dans le détail les parutions de quelques maisons81 parmi les plus grandes et les plus visibles en Italie.

5.5.3.1 De nombreux titres épars : Mondadori La collection phare de Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, est l’un des très rares cas où les traductions de l’allemand sont plus nombreuses que celles du français. Seuls neuf romans ont été traduits du français pendant la décennie 2005– 2015, contre douze traductions de l’allemand pendant la même période. Cette répartition, qui semble exceptionnelle, ne reflète pas pour autant une véritable tendance à contre-courant de la maison milanaise : dans ses autres collections littéraires, en effet, Mondadori publie une large majorité de romans français pour seulement deux traductions de l’allemand. Ainsi, la collection grand public Omnibus présente un choix de douze romans traduits du français en dix ans, et la nouvelle série hybride Strade blu en présente dix-huit, avec un rythme assez régulier de deux parutions par an jusqu’en 2011, puis avec une série rapide de publications en 2015 pour la sortie du coffret d’une tétralogie de Pierre Lemaitre. En considérant les romans sélectionnés pour la traduction, et leur répartition parmi les trois collections citées, il s’avère difficile d’identifier une stratégie cohérente de la part de l’éditeur. Certains auteurs sont inclus dans plusieurs collections, dans un cas avec le même ouvrage : le roman noir de Pierre Lemaitre, Alex [Alex, Paris, Albin Michel, 2011], est publié en 2011 dans Omnibus, puis en 2015 dans Strade blu ; de façon similaire, Il confidente d’Hélène Grémillon paraît en 2012 dans Scrittori italiani e stranieri, alors que La garçonnière, roman de la même auteure et du même genre (roman d’enquête et récit historique à la fois), paraît dans Omnibus trois ans plus tard [Le Confident, Paris, Plon, 2010 ; La Garlections. Elle rouvre donc Scrittori italiani e stranieri et fonde Strade blu (une collection à l’esprit plus expérimental, ouverte à des écritures de non-fiction littéraire et où paraissent, entre autres, plusieurs titres de Yasmina Khadra et de Pierre Lemaitre), toutes deux encore actives aujourd’hui. Il s’agit, peut-être, d’une solution pour contrebalancer la perte de crédibilité liée au statut de colosse commercial du groupe. Gambaro, scout pour la littérature française chez Mondadori entre 2007 et 2013, confirme que cette division permet de réserver un espace exclusif aux titres plus ambitieux : ainsi, les romans noirs de Pierre Lemaitre sont insérés dans Strade blu et Omnibus, cette dernière vouée à la production grand public et dirigée par Joy Terekiev, puisqu’ils seraient « trop populaires » pour la série plus prestigieuse Scrittori italiani e stranieri sous la direction de Luigi Sponzilli (entretien avec Fabio Gambaro). 81 Pour limiter les répétitions dans le texte et faciliter la lecture, nous renvoyons aux chapitres précédents pour repérer les renseignements généraux sur les maisons d’édition déjà abordées.

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çonnière, Paris, Flammarion, 2013]. L’œuvre d’autres auteurs n’est suivie que brièvement par l’éditeur avant d’être abandonnée et, dans quelques cas, cédée à d’autres maisons : c’est ce qui arrive à Dominique Sylvain, auteure de trois romans policiers publiés dans Omnibus entre 2008 et 2012, puis négligée pendant cinq ans avant que la petite maison indépendante 66thand2nd ne publie une traduction italienne d’un de ses romans en 2017 ; c’est aussi le cas de Delphine de Vigan, suivie par Mondadori dès 2008 et jusqu’en 2016, puis passée à Einaudi en 2018 pour la publication de ses romans plus récents. Nous retrouvons donc, pour les traductions du français, la même technique du « ballon d’essai » que nous avons déjà remarquée chez certains éditeurs généralistes à propos des traductions de l’allemand : le catalogue Mondadori ne montre pas de structure claire ni de conviction ferme au sujet d’aucun auteur qui pourrait se distinguer des nombreux autres de la maison. En revanche, on observe des passages plus ou moins brefs d’écrivains qui restent chez Mondadori pour quelques années avant de disparaître du catalogue ou encore de passer à d’autres maisons. Un exemple représentatif de ce type fréquent de parcours est celui de Yasmina Khadra : il est « découvert » par les éditions e/o à la fin des années 1990, puis passe à Mondadori en 2003 – et obtient un très grand succès avec le roman L’attentatrice en 2006 [L’Attentat, Paris, Julliard, 2005], enfin, après quelques publications ponctuelles chez d’autres maisons, il est publié à partir de 2014 par Sellerio, qui « redécouvre » son roman le plus connu en 2016 avec le nouveau titre, plus fidèle à l’original, L’attentato. La similitude de ce parcours avec celui d’Uwe Timm, que nous avons analysé, est frappante et témoigne d’une trajectoire récurrente dans le champ éditorial italien à cette période. L’identité même des collections que Mondadori reprend en main autour des années 2000 semble être aussi peu définie. Si Sellerio – pour rester dans l’exemple de Khadra – valorise le roman de l’auteur par son insertion dans la série phare La memoria, Mondadori n’en fait pas autant et relègue son œuvre à la collection très hétérogène Strade blu82. Celle-ci a certes une vocation expérimentale qui se manifeste dans son ouverture à plusieurs genres ; en outre, on y reconnaît une tendance à accueillir des romans d’enquête et des thrillers dont l’action se déroule en Afrique francophone ou a trait à ses problématiques et surtout son imaginaire83. Néanmoins, la juxtaposition de ces ouvrages aux essais philosophiques et historiques de Frédéric Lenoir, aux thrillers de Lemaitre et, rapprochement encore 82 À l’exception de son tout premier roman chez Mondadori, Le rondini di Kabul, traduit par Marco Bellini en 2003 [Les Hirondelles de Kaboul, Paris, Julliard, 2002]. 83 A part les ouvrages de Khadra, mentionnons la publication du roman d’Olivier Pauvert Nero [Noir, Paris, Denoël, 2005], qui traite de la question du racisme en France ; le roman d’enquête de Caryl Férey Zulu [Zulu, Paris, Gallimard, 2008], qui aborde les vestiges de l’apartheid en Afrique du Sud ; Il testamento siriaco, de Barouk Salamé [Le Testament syriaque, Paris, Payot & Rivages, 2009], lu par la presse italienne comme « la réponse musulmane au Da Vinci Code » (Soria, Piero : « E’ siriaco l’anti Codice », La Stampa, 1er octobre 2010) ; I fantasmi del delta d’Aurélien Molas [Les Fantômes du delta, Paris, Albin Michel, 2012], dont l’action se déroule au Nigérie.

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plus excentrique, à l’ouvrage d’aide à la parentalité de Stéphane Clerget et Danièle Laufer met en question la cohésion interne de toute la collection. Un ouvrage en particulier, publié dans la décennie qui nous intéresse, démontre l’isolement relatif de chaque publication au sein de Strade blu : il s’agit de La linea blu, de Daniel de Roulet [La Ligne bleue, Paris, Seuil, 1995]. C’est Fabio Gambaro qui conseille ce roman et qui le traduit (ce qu’il ne fait autrement jamais pour les livres qu’il suggère en tant que scout) pour Mondadori – l’éditeur qui accepte de le publier malgré la dédicace de l’auteur à Giangiacomo Feltrinelli. Ni un policier, ni un essai, sans aucun lien avec l’Afrique, ce roman ne présente pas de caractéristiques qui le rendraient apte à entrer dans Strade blu : s’il entre dans la série, c’est donc principalement en raison de la conviction du consultant externe qui le recommande et puis le traduit, et non grâce à une logique interne qui régisse le catalogue a priori. Les autres collections, moins expérimentales, sont aussi moins hétérogènes, mais elles se caractérisent tout autant par une certaine ouverture. Omnibus contient aussi bien des thrillers que des romans sentimentaux, ce qui s’explique par la vocation « grand public » de la collection. Scrittori italiani e stranieri, en revanche, trahit un possible critère de sélection fondé sur l’obtention de prix littéraires dans le champ d’origine, ou au moins la candidature à de tels prix : Jour de souffrance de Catherine Millet [Paris, Flammarion, 2008] ainsi que Les Heures souterraines de Delphine de Vigan [Paris, J.-C. Lattès, 2009] font partie de la première sélection du Goncourt84, alors que L’Art français de la guerre d’Alexis Jenni [Paris, Gallimard, 2011] est lauréat du même prix en 2011. Mais la qualité la plus singulière de cette série, qui demeure la plus prestigieuse de la maison, est l’inconstance qu’elle réserve à ses auteurs. La prédominance de traductions du français dans les collections moins ambitieuses laisse supposer que Mondadori s’adresse, avec ce type de romans, au public de masse plus qu’aux grands lecteurs. Or le manque de toute assiduité même à l’égard des traductions les plus ambitieuses démontre une baisse de l’intérêt de l’éditeur à fidéliser le public le plus exigeant et sa préférence marquée pour la production française « grand public » ainsi qu’une littérature rentable à court terme. Cette stratégie, qui s’aligne sur les choix de la maison concernant les traductions de l’allemand, ne constitue pas un cas isolé : nous verrons par la suite qu’une autre maison, Gremese, à partir de prémisses très différentes, cherchera aussi à se construire un catalogue de best-sellers « à la française ».

84 Il faut préciser cependant que les deux auteures ont déjà, avant leurs candidatures, publié chacune un roman chez Mondadori. Le premier roman de Delphine de Vigan traduit chez l’éditeur milanais, Gli effetti secondari dei sogni [No et moi, Paris, Lattès, 2008], avait obtenu le prix des Libraires en 2008.

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5.5.3.2 Un catalogue haut de gamme : Einaudi Einaudi traduit des romans français non seulement à un rythme plus régulier que son chef de groupe Mondadori, mais aussi avec plus de continuité à l’égard de ses écrivains. Le responsable de la littérature étrangère chez Einaudi est l’écrivain Andrea Canobbio, qui, occasionnellement, est aussi traducteur du français vers l’italien85. Cela ne signifie pas nécessairement que la maison de Turin manifeste un intérêt spécifique pour la littérature française ni qu’elle respecte une stricte politique d’auteur : au contraire, la plupart des noms du catalogue d’Einaudi paraissent aussi, et souvent de façon parallèle, dans d’autres maisons italiennes, et il arrive fréquemment que l’éditeur « abandonne » ses auteurs après quelques publications éparses. Mais on reconnaît aisément, en parcourant la liste de ses traductions, la volonté de créer une bibliothèque de grands auteurs de la modernité et de l’époque contemporaine – qu’il s’agisse d’écrivains déjà acclamés par la critique internationale ou de « découvertes » lancées par la maison. Considérons par exemple sa collection littéraire phare, Supercoralli. Au lieu de la réserver aux contemporains, l’éditeur préfère y juxtaposer des classiques comme Stendhal et Dumas  – qu’il propose au public dans des traductions inédites – à des contemporains renommés comme Patrick Modiano et Tahar Ben Jelloun, dont il partage l’œuvre avec d’autres maisons86. Entre ces deux catégories d’auteurs, il insère encore de nouvelles « trouvailles » qu’il vise, par le biais de ce rapprochement, à mettre en valeur, comme les titres d’Atiq Rahimi, de Jonathan Littell, de Romain Puértolas, d’Antoine Laurain, qui étaient, auparavant, des noms inconnus ou presque en Italie. Ce mélange de nouveautés, de classiques contemporains et de repêchages a également lieu dans d’autres collections einaudiennes : dans L’Arcipelago, par exemple, qui se caractérise par le petit format de ses livres, l’éditeur place des redécouvertes du XXe siècle87 à côté de titres contemporains de Makine, d’Echenoz88 et de Modiano ainsi que d’écrivains débutants sur le marché italien comme Véronique Olmi et Jean Mattern. 85 Canobbio traduit pour Einaudi Le fantasticherie del passeggiatore solitario de Jean-Jacques Rousseau en 1993 et Un anno de Jean Echenoz en 1998 ; il rédige aussi les préfaces aux nouvelles éditions de Le cose ainsi que W, o Il ricordo d’infanzia de Georges Perec en 2011 et 2018. 86 L’œuvre de Tahar Ben Jelloun est répartie principalement entre les catalogues d’Einaudi et de Bompiani ; l’œuvre de Patrick Modiano paraît surtout chez Einaudi, mais quelques romans célèbres sont publiés ailleurs, comme Dora Bruder chez Guanda et Via delle Botteghe Oscure d’abord chez Rusconi, puis, à partir de 2014, chez Bompiani. 87 Il s’agit parfois de titres oubliés depuis longtemps par l’édition italienne – comme W o il ricordo d’infanzia de Perec, dont la dernière publication datait de 1991 –, ou encore d’un ouvrage déniché presque un siècle après son écriture, comme Hazard e Fissile de Raymond Queneau. 88 Le parcours de Jean Echenoz représente l’un des cas d’étude intéressants pour notre analyse, où le destin de l’auteur varie considérablement entre la France et l’Italie. Echenoz débute en Italie à la fin des années 1980 chez Mondadori, qui le traduit quelques années après sa première édition française (il publie aux Éditions de Minuit Le meridien de Greenwich et Cherokee en 1979 et 1983 ; en Italie, Cherokee sort en 1988). Puis, à la fin des années 1990, il passe chez Einaudi, où ses romans Un anno, Me ne vado et Al pianoforte sont publiés en 1998, 2000 et 2008. Enfin, il

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Ce groupe assez hétérogène d’auteurs – par leur appartenance à diverses générations, à plusieurs courants littéraires, ou encore par leur degré variable de consécration – présente quelques traits communs. Tout d’abord, il n’y a pas, dans les principales collections littéraires d’Einaudi (Supercoralli, Coralli et, plus récemment, L’Arcipelago), de romans que l’on pourrait définir strictement « de genre » : le haut profil de ces collections exclut toute publication qui s’adresse d’emblée à un public de masse. Les polars, les thrillers et les romans sentimentaux sont réservés à d’autres lieux, à savoir les diverses séries à l’intérieur de Stile Libero, sous la direction de Paolo Repetti et de Severino Cesari89, où les nouveautés de Fred Vargas et Jean-Patrick Manchette, parmi de nombreux autres auteurs, paraissent au moins une fois par an. Une nouvelle collection est fondée, en 2009, pour accueillir les ouvrages qui, tout en n’étant pas des romans de genre, ne peuvent pas non plus être considérés comme des textes de littérature blanche : il s’agit de la collection Frontiere. Irene Babboni, l’ancienne responsable de la collection d’essais (Saggi), conçoit ce projet avec la coopération de Canobbio. Avec cette nouvelle collection hybride, Babboni envisage, en effet, une fusion entre leurs deux aires de production : la fiction et la non-fiction. Frontiere se propose de rassembler des ouvrages juste à la « frontière » entre plusieurs genres, tout en restant au même niveau haut de gamme que les collections Coralli, Supercoralli et L’Arcipelago. À côté des essais de Littell, dont la publication peut être interprétée comme un signe du pari de l’éditeur sur son nouvel auteur contemporain, Einaudi publie aussi un ouarrive chez Adelphi en 2007, avec le premier roman de la trilogie constituée par Ravel, Correre et Lampi. L’engagement d’Adelphi dans la publication des livres d’Echenoz ressemble à celui que l’éditeur montre pour l’allemand Sebald : entre 2007 et 2014, cinq romans sont publiés (Ravel, Il mio editore, Correre, Lampi et ‘14) ; tous sont confiés au même traducteur, Giorgio Pinotti ; tous sont insérés dans Fabula, à l’exception du court texte Il mio editore, qui conforte la vision adelphienne du métier de l’éditeur, dans la Biblioteca minima ; Ravel et Correre sont aussi réimprimés en édition de poche, dans Gli Adelphi, respectivement en 2012 et 2014. Toutefois, aucun des romans parus chez Mondadori et Einaudi n’est republié chez Adelphi ; de plus, les trois textes Ravel, Correre et Lampi ne sont pas présentés, malgré leur proximité, comme faisant partie d’un seul cycle de production, mais comme trois romans indépendants. En outre, tout au long de son parcours italien, des textes mineurs d’Echenoz sont publiés par d’autres maisons plus petites : Noi tre, traduit par Laura Guarino, paraît chez Anabasi en 1994, Le biondone, traduit par Simona Mambrini, chez Libreria dell’Orso en 2004, et L’occupazione del suolo, traduit par Francesca Ilardi, chez Galaad en 2017. Pour une analyse des diverses traductions d’Echenoz en Italie et une comparaison avec son succès français, v. Bricco, Elisa : « Jean Echenoz en Italie : un problème de réception ? », dans Jérusalem, Christine/Vray, Jean-Bernard (dir.) : Jean Echenoz : « une tentative modeste de description du monde », Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006, pp. 37–50. 89 Nous verrons par la suite, dans le chapitre sur la réception italienne d’Emmanuel Carrère, que Stile libero prend son élan de l’expérience de Repetti et Cesari dans la maison d’édition Theoria. Cette collection einaudienne, qui naît « nel segno di compresenze, contaminazioni, ibridazioni e assemblaggi tra linguaggi diversissimi », se développe et s’étend jusqu’à inclure, depuis 2005, plusieurs sous-collections, qui sont souvent liées à des genres spécifiques : Big, Extra, Noir, Video et Inside (Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, pp. 360–363).

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vrage de Tahar Ben Jelloun et HHhH, le livre de Laurent Binet lauréat du prix Goncourt du premier roman en 2010. L’obtention de ce prix peut étonner, vu l’appartenance ambiguë de cet ouvrage au genre romanesque90, mais son éditeur français Grasset l’insère dans sa collection de littérature française et indique « roman » en sous-titre91. La comparaison avec le marquage einaudien souligne l’intention différente de l’éditeur italien, qui veut mettre en lumière le caractère ambigu de la narration de Binet : il insère cet ouvrage dans Frontiere, ajoute sur la couverture le sous-titre « L’histoire vraie des hommes qui tuèrent la bête blonde » et précise, en quatrième de couverture, que l’auteur « ne s’éloigne jamais de la vérité historique et de la mémoire »92. Cependant, contrairement à Littell, Binet ne réussira pas à consolider sa position dans le catalogue d’Einaudi : la traduction de La Septième fonction du langage [Paris, Grasset, 2015] sera prise en charge en 2018 par la maison milanaise La nave di Teseo93. Nous observons donc que les publications chez Einaudi s’efforcent d’expérimenter avec les tendances littéraires actuelles (notamment le développement des zones grises entre fiction et non fiction) et, surtout, de concilier le haut profil de leur catalogue avec les pressions contraignantes du marché94. Cela se manifeste par une politique de collection forte, qui tranche de manière nette entre la littérature blanche et la littérature de genre (dans Stile Libero) et qui crée des espaces pour des produits spécifiques (la forme brève et le genre hybride dans L’arcipe90

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V. les contributions sur cet ouvrage par Kelly, Van : « La rhétorique d’HHhH. Entrer dans le virage avec Binet, Heydrich, Gabčík et Kubiš », pp. 137–144 et Tame, Peter : « ‘Ceci n’est pas un roman’ HHhH de Laurent Binet, en deçà ou au delà de la fiction ? », pp. 129–136, toutes deux dans Dambre, Marc (dir.) : Memoires occupées. Fictions françaises et Seconde Guerre mondiale, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2013. Kelly le définit comme un « roman paradoxal » ; Tame, quant à lui, observe : « Plus que Les Bienveillantes, HHhH pourrait être considéré comme une vaste supercherie littéraire. Binet reste constamment ambigu dans ses propos sur le genre de son ouvrage. S’il fallait absolument qualifier HHhH de roman, on pourrait dire qu’il s’agit d’un nouveau ‘nouveau roman’ au service de l’Histoire. Tout aussi bien qu’un acronyme, le titre HHhH pourrait bien signifier ‘histoire’ à la puissance quatre, comme pour une formule mathématique […] : il n’est pas allé suffisamment loin sur le terrain du roman, restant en-deçà de la fiction, c’est-à-dire du côté de l’Histoire, et faisant un ‘infra roman’, selon son propre terme. » L’éditeur précise, dans la quatrième de couverture : « Tous les personnages de ce livre ont réellement existé ou existent encore. L’auteur a rapporté les faits le plus fidèlement possible mais a dû résister à la tentation de romancer. Comment raconter l’Histoire ? Cette question conduit parfois l’auteur à se mettre en scène pour rendre compte de ses conditions d’écriture, de ses recherches, de ses hésitations. La vérité historique se révèle à la fois une obsession névrotique et une quête sans fin. » « HHhH riesce nella magica alchimia di mescolare, con sicurezza e coraggio, la suspense e il tormento della scrittura senza mai allontanarsi dalla verità storica e dalla memoria » (quatrième de couverture de l’édition italienne : HHhH, trad. Margherita Botto, Turin, Einaudi, Frontiere, 2011). Binet, Laurent : La settima funzione del linguaggio, trad. Anna Maria Lorusso, Milan, La nave di Teseo, Oceani, 2018. Chez une maison de si grandes dimensions, nous l’avons vu, une publication dont le tirage ne dépasse pas les 3000/4000 exemplaires est difficilement soutenable. Cf. § 2.5.1.

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lago et Frontiere) ainsi que pour une distinction fondamentale de prestige (Coralli et Supercoralli). Mais la tension interne à la maison se manifeste aussi dans sa tendance au désistement, lorsque certains auteurs sont abandonnés suite à quelques publications peu rentables comme dans le cas, que nous verrons par la suite dans le détail, d’Emmanuel Carrère.

5.5.3.3 Une politique d’auteur : Adelphi Le nombre d’auteurs francophones chez la maison milanaise Adelphi est moins élevé que l’on ne pourrait le croire en jetant un regard à la liste des traductions du français. C’est parce que, d’un côté, leur production est souvent très copieuse et que, de l’autre, ils sont suivis avec une extrême fidélité par leur éditeur. Dans la Biblioteca Adelphi, ce sont surtout deux noms qui reviennent sans cesse : Irène Némirovsky et Georges Simenon enrichissent le catalogue adelphien de leurs parutions régulières qui souvent dépassent le seuil habituel d’un titre par an. Or cette collection, qui accueille notamment des auteurs du XIXe et du XXe siècle, ne nous intéresse dans cette analyse que relativement ; elle maintient son aura de prestige auprès du public grâce à son exclusivité, puisque l’accès n’est permis qu’à quelques écrivains du siècle dernier qu’Adelphi se propose d’introduire dans le canon littéraire. Le seul auteur qui écrit en français pendant la décennie 2005–2015 et qui obtient le privilège d’y accéder est Milan Kundera, l’une des figures de proue du catalogue de la maison. Le pouvoir de consécration de la Biblioteca Adelphi – y être, c’est déjà devenir un « classique » – s’applique donc aussi à l’auteur d’origine tchèque qui entretient un rapport très étroit et de longue date avec sa maison italienne. C’est justement avec la traduction du roman devenu culte de Kundera, à l’époque où l’auteur écrivait encore en tchèque, que la maison inaugure sa collection de littérature contemporaine, Fabula : L’insostenibile leggerezza dell’essere95 ouvre en 1985 une longue série qui, encore à ce jour, introduit en Italie plusieurs écrivains internationaux. À partir de cette date, Adelphi publie systématiquement chaque nouvelle parution de Kundera et continue à le suivre lorsque, en 1995, la responsable de la littérature française et italienne Ena Marchi96 traduit le premier roman que l’auteur 95

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Kundera, Milan : Nesnesitelná lehkost bytí, pr. éd. L’Insoutenable Légèreté de l’être, trad. François Kérel, Paris, Gallimard, 1984 ; prémière édition italienne L’insostenibile leggerezza dell’essere, trad. Giuseppe Dierna (sous le pseudonyme d’Antonio Barbato), Milan, Adelphi, Fabula, 1985. Dans un souci d’exhaustivité, remarquons que des ouvrages de Milan Kundera étaient déjà parus en Italie à partir de 1969, notamment chez Mondadori, Bompiani et Sonzogno ; ce n’est donc qu’à partir de 1985 qu’Adelphi devient son seul éditeur en Italie. Ena Marchi est traductrice, directrice avec Giorgio Pinotti de la collection consacrée à Simenon Le Inchieste di Maigret, et, depuis 1990, editor pour la littérature française et allemande chez Adelphi. C’est elle qui, à l’intérieur de la maison de Calasso, entretient un rapport régulier avec l’auteur qui nous intéressera de plus près par la suite, Emmanuel Carrère : v. à cet égard l’interview avec Riccardo De Palo (« Ena Marchi, lady Adelphi : ‘Da Maigret a Kundera, una vita

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écrit directement en français, La Lenteur [Paris, Gallimard, 1994]97. À partir de 2005, la traduction de ses ouvrages est prise en charge par l’écrivain et professeur Massimo Rizzante, qui promeut son œuvre en Italie98 et traduit aussi son tout dernier roman, La festa dell’insignificanza [La Fête de l’insignifiance, Paris, Gallimard, 2014], publié par Adelphi en 2013 en avant-première mondiale, c’est-à-dire encore avant sa parution en langue originale. Ce fait, extrêmement rare, est expliqué en partie par le traducteur comme « un hommage [de l’auteur] à une maison d’édition qui l’a toujours beaucoup apprécié, et en particulier à son président, Calasso »99. La répartition des ouvrages de Kundera dans le catalogue de la maison respecte une distinction selon leur genre : tandis que Fabula accueille ses livres de fiction, Biblioteca Adelphi et Piccola Biblioteca Adelphi rassemblent ses essais et ses réflexions, souvent sur l’écriture romanesque, ainsi que son unique texte théâtral100. C’est donc dans Fabula, la collection de fiction contemporaine, que nous pouvons chercher les autres écrivains contemporains sélectionnés par l’éditeur. À l’exception de quelques reprises de l’entre-deux-guerres101 et de quelques romans policiers de Boileau-Narcejac datant des années 1950, Fabula accueille encore les titres de Sijie Dai, Jean Echenoz, Emmanuel Carrère, Yasmina Reza et Julia Deck. Or ce qui frappe dans tous ces cas, c’est la persistance de l’éditeur dans sa volonté de rester l’unique représentant de ses auteurs en Italie : le choix très reda romanzo’ », Il Messaggero, 23 juin 2019), où Marchi exprime sa fierté d’avoir édité l’œuvre de l’écrivain français, avec lequel elle aurait noué « une belle amitié ». 97 Kundera, Milan : La lentezza, trad. Ena Marchi, Milan, Adelphi, Fabula, 1995. 98 Professeur de littérature comparée, écrivain, traducteur, rédacteur de la revue L’Atelier du roman, Massimo Rizzante entre en contact avec Milan Kundera quand il participe à son séminaire sur le roman européen à l’École de Hautes Etudes à Paris dans les années 1990. Outre la traduction de ses romans à partir d’Il sipario, en 2005 [Le Rideau, Paris, Gallimard, 2005], Rizzante s’engage activement dans la diffusion de l’œuvre et de la pensée de Kundera dans le champ italien à travers ses publications et ses recherches. V. à titre d’exemple le dialogue avec l’auteur « Sulla poesia » publié sur le site officiel du traducteur (www.massimorizzante.com/album/milan-kundera.html, dernière visite le 20 mai 2020) ; le volume Milan Kundera sous la direction de Massimo Rizzante publié par Marcos y Marcos en 2002 ; la présentation qu’il fait du volume La festa dell’insignificanza pour Rai Cultura en 2015 ; les nombreuses interventions au sujet de l’auteur dans ses livres et sur les sites de critique littéraire militante, comme le billet « Su Milan Kundera », Nazione Indiana, 21 février 2012, www.nazioneindiana.com/2012/02/21/su-milan-kundera (26 mars 2022). 99 Dans la présentation pour Rai Cultura évoquée dans la note précédente ; la brève intervention de Rizzante, sous le titre « La festa dell’insignificanza di Milan Kundera. Massimo Rizzante su questo romanzo molto kunderiano », est disponible en ligne à la page : www.raicultura.it/filo sofia/articoli/2019/01/Milan-Kundera-il-romanzo-come-gioco-fe23418f-03b0-44a3-a1a9-7936 238a0534.html (20 mai 2020). 100 Kundera, Milan : Jacques e il suo padrone. Omaggio a Denis Diderot in tre atti, trad. Alessandra Mura, Milan, Adelphi, Piccola Biblioteca Adelphi, 1993 [Jacques et son maître. Hommage à Denis Diderot en trois actes, Paris, Gallimard, 1981]. 101 La via dei re d’André Malraux est publié en 1992 [La Voie royale, Paris, Grasset, 1930] ; Il porto delle nebbie de Pierre Mac Orlan en 2012 [Le Quai des brumes, Paris, Gallimard, 1927] ; La donna di Gilles de Madeleine Bourdouxhe en 2005 [La femme de Gilles, Paris, Gallimard 1937]. La traduction de Bourdouxhe pourrait être liée stratégiquement à la sortie, en 2004, du film de Frédéric Fonteyne basé sur le roman.

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streint des noms de son catalogue lui permet de s’y consacrer entièrement pour fondre leur image avec celle de la maison. Souvent repris après des errances plus ou moins longues auprès d’autres maisons – comme dans les cas d’Echenoz, de Reza et de Carrère –, les auteurs adelphiens sont adoptés afin d’être réassimilés une nouvelle fois, de zéro : nous verrons, par exemple, comment les premières parutions de Carrère dans Fabula seront accompagnées des paratextes de l’éditeur qui en soulignent la nouveauté, comme s’il s’agissait des toutes premières traductions de l’auteur, malgré sa présence en Italie depuis déjà quelques décennies. L’éditeur crée ainsi, par ses publications, un univers clos, de difficile accès et donc d’autant plus remarquable, et ne souhaite ni établir un dialogue avec les autres maisons italiennes (par exemple en partageant avec d’autres l’œuvre d’un auteur), ni proposer une collection adressée au grand public, qui pourrait abaisser la gamme générale de sa production. Si, pour héberger les romans de genre, Mondadori dispose d’Omnibus et Einaudi de Stile Libero, Adelphi ne crée aucune série « de masse ». Sa très riche production de romans policiers, enrichie notamment par l’œuvre titanesque de Simenon102, est assimilée à la littérature blanche et, par ce biais, légitimée au même niveau. Le parallèle pouvant être établi, en revanche, avec la structure d’autres catalogues italiens de la même période est la création, en 2006, d’une collection ad hoc pour les textes brefs : la Biblioteca Minima. Tout comme L’Arcipelago chez Einaudi103, la Biblioteca Minima contient des livres très courts, toujours en dessous des cent pages ; l’éditeur les propose au public à des prix très bas, toujours au-dessous des dix euros. À la brièveté des textes inclus dans cette collection s’ajoute aussi la concision des paratextes, souvent réduits à quelques lignes ou même quelques mots de description du contenu. Des ouvrages mineurs d’Echenoz

102 Mondadori publiait tous les ouvrages de Simenon autour de la figure du commissaire Jules Maigret avant qu’Adelphi ne réussisse, dans les années 1980, à accaparer d’abord quelques titres de l’auteur, à savoir ses « romans durs ». L’arrivée de Simenon dans la maison de Calasso est racontée par l’éditeur lui-même dans l’article d’Attilio Giordano : « Roberto Calasso svela come conquistò Georges Simenon », Repubblica, 8 janvier 2016. Un numéro intégral de la revue savante Francofonia est consacré au rapport de Simenon avec l’Italie : Demoulin, Laurent/Sheeren, Hugues (dir.) : Francofonia. Simenon et l’Italie, 75, automne 2018. 103 Mais aussi comme les collections I Pacchetti chez L’Orma, miniMARCOS chez Marcos y Marcos, I Sassi chez nottetempo : ces projets, similaires entre eux, rendent manifeste une stratégie courante pendant notre créneau temporel, qui consiste à produire des livres de petites dimensions à prix réduit pour attirer le grand public, tout en lui proposant des textes soignés comme s’il s’agissait d’ouvrages majeurs, en grand format. Il s’agit d’un pendant rentable aux collections majeures : à côté des livres de poche traditionnels, ces livres peuvent être présentés comme des idées-cadeaux ou comme une nouvelle voie d’accès pour découvrir des textes mineurs d’auteurs de renom. Matteo Codignola, editor d’Adelphi, estime néanmoins que Biblioteca Minima n’a pas de pair dans l’édition italienne au moment de sa sortie, et insiste par là sur la prétendue unicité de la maison de Calasso dans le paysage éditorial italien : De Majo, Cristiano : « E Adelphi inventò il longform », Rivista Studio, 9 juin 2016, www.rivistastudio.com/intervista-codignolaadelphi (26 mars 2022).

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aussi bien que de Carrère104 sont inclus dans cette collection et complètent le répertoire que l’éditeur crée, à un rythme régulier, sans empressement, de ses auteurs. Le court texte d’Echenoz publié dans cette collection pose la question d’une analogie possible entre la maison d’édition de l’auteur en France et en Italie. Le livre en question s’appelle Jérôme Lindon et rend hommage au directeur des Éditions de Minuit immédiatement après sa mort, survenue en avril 2001. Echenoz, dont toute l’œuvre paraît en France chez cette maison, retrace les étapes de sa relation avec un éditeur qui non seulement a représenté son canal d’accès et sa source de légitimation dans le champ littéraire, mais qui a aussi marqué le panorama culturel français de la seconde moitié du XXe siècle. Or cet ouvrage est traduit par Adelphi quelques années plus tard, sous le titre Il mio editore : dans la quatrième de couverture, Lindon est introduit comme un « éditeur vrai », figure « légendaire » de la culture française, et le texte d’Echenoz est présenté comme le récit de la « mystérieuse réaction chimique entre un écrivain et son éditeur »105. Cette nécessité de nouer une relation personnelle et étroite entre un éditeur et un auteur – surtout sans la médiation d’un tiers – rappelle effectivement de près l’idée de Calasso sur l’« affinité » qui doit lier l’éditeur à ses écrivains106, ainsi que les écrivains d’un catalogue entre eux dans l’esquisse d’un « même paysage mental »107. Il n’est donc pas étonnant que l’éditeur italien inclue dans sa bibliothèque un hommage à un collègue dont il partage l’éthique du travail. Néanmoins, l’analogie entre les deux maisons ne va pas au-delà de cette vision partagée de l’activité éditoriale : celle-ci n’implique aucunement une correspondance entre leurs identités et leurs publications. Seuls deux auteurs français contemporains sont publiés, entre 2005 et 2015, aussi bien chez Les Éditions de Minuit en France que chez Adelphi en Italie, à savoir Jean Echenoz et Julia Deck ; le passage des auteurs d’une maison à l’autre n’est donc pas systématique. En général, notre recherche a montré que, malgré la richesse des échanges franco-italiens, il n’existe pas de maisons d’édition « sœurs » dans les deux pays : parfois les relations sont plus fortes entre certains éditeurs qu’entre autres, certes, mais chaque entreprise, même les plus grandes, s’avère unique sur son territoire national. Ce fait met en lumière l’importance de l’histoire et du parcours que chaque maison se construit publication après publication, de la liste des auteurs sélectionnés et rejetés au fur et à mesure et de l’évolution de ses rapports avec les concurrents – en somme, de sa trajectoire dans le champ littéraire – pour le développement d’une identité spécifique qui n’est pas simplement reproductible ailleurs.

104 Echenoz, Jean : Il mio editore, trad. Giorgio Pinotti, Milan, Adelphi, Biblioteca Minima, 2008 [Jérôme Lindon, Paris, Minuit, 2001] ; Carrère, Emmanuel : À Calais, trad. Lorenza Di Lella/Maria Laura Vanorio, Milan, Adelphi, Biblioteca Minima, 2016. 105 Quatrième de couverture d’Echenoz, Il mio editore. 106 Calasso, Roberto : L’impronta dell’editore, Milan, Adelphi, 2013. 107 Calasso, Roberto : Pubblicazione permanente e sporadicamente visibile, dans Adelphiana, pp. 22– 25, ici p. 22.

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5.5.3.4 Entre fonds de catalogue et best-sellers : Bompiani Alors que la présence germanophone chez Bompiani est, nous l’avons vu, plutôt faible, la liste des auteurs français traduits est longue et illustre certains intérêts spécifiques de l’éditeur. Sous la direction éditoriale d’Elisabetta Sgarbi et la direction littéraire de Mario Andreose de 2003 à 2015108, la maison milanaise manifeste, en ce qui concerne les nouvelles traductions depuis le français, une double tendance : d’une part, elle consolide la présence en Italie de quelques écrivains « de fonds » ; d’autre part, elle reprend, plus ou moins partiellement, des auteurs et des ouvrages déjà introduits par d’autres éditeurs italiens. Le cas le plus frappant du premier groupe est sans doute celui de Michel Houellebecq. Arrivé pour la première fois en Italie en 1999 avec Le particelle elementari [Les Particules élémentaires, Paris, Flammarion, 1998], l’auteur devient, au fil des années, l’une des figures de proue du catalogue Bompiani. Son œuvre est publiée sans exception : ses romans paraissent systématiquement dans la collection Narratori Stranieri, ses essais dans la collection de non-fiction PasSaggi, ses recueils poétiques, avec le texte original en regard, dans Poesia. La plupart des romans obtiennent un si grand succès auprès du public qu’ils sont également publiés en format poche et réédités sous cette forme à maintes reprises : Piattaforma, Estensione del dominio della lotta, Le particelle elementari, La possibilità di un’isola, La carta e il territorio font tous partie de la collection Tascabili. En outre, en 2015, Le particelle elementari intègre la nouvelle série de poche Classici contemporanei et, en 2018, Sottomissione [Soumission, Paris, Flammarion, 2015] paraît dans la nouvelle collection Bompiani Oro, réservée aux auteurs phare de la maison. Afin de renforcer ce traitement de l’œuvre de l’auteur comme une unité cohérente, et pour consacrer Houellebecq en Italie en tant que véritable classique contemporain, Bompiani réédite ses œuvres complètes en deux volumes dans la collection Classici, aux côtés d’auteurs comme Marguerite Yourcenar et Antoine de Saint-Exupéry. Mais Houellebecq n’est pas le seul auteur de fonds de la maison. L’œuvre de Maxence Fermine est aussi entièrement édité dans le catalogue Bompiani et traverse ses collections – Narratori stranieri, AsSaggi, Tascabili ; une trilogie de textes courts de l’auteur paraît aussi bien en trois volumes distincts qu’en un recueil de poche sous le titre La trilogia dei colori en 2016 (Neve, Il violino nero et L’apicoltore ; Neige, Le Violon noir, Paris, Arléa, 1999 ; L’Apiculteur, Paris, Albin Michel, 2000). En outre, d’autres écrivains plus jeunes représentent des « découvertes » encore plus récentes de la maison : c’est Bompiani, par exemple, qui introduit en Italie Joël Dicker, dont La verità sul caso Harry Quebert devient un best-seller dès sa sortie en librairie [La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, Paris/ 108 Rappelons que le cœur de la direction de Bompiani, ainsi que de nombreux auteurs de la maison, abandonnent le groupe suite au rachat de RCS par Mondadori et fondent, entre 2015 et 2016, la nouvelle maison d’édition La nave di Teseo.

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Lausanne, Fallois/L’Âge d’homme, 2012] ; ou encore Édouard Louis, dont il publie promptement Il caso Eddy Bellegueule après une surenchère sur l’offre de L’Orma pour ce roman qui aurait pu entrer en résonance avec l’œuvre d’Annie Ernaux, romancière de premier plan de la maison romaine109 [En finir avec Eddy Bellegueule, Paris, Seuil, 2014]. Le second groupe, celui des écrivains provenant d’autres maisons, ou dont l’œuvre est répartie entre plusieurs catalogues, est encore plus nourri. Il s’agit souvent d’auteurs déjà établis à l’international, et dont Bompiani accapare quelques titres choisis. Ainsi, en 2000, Bompiani récupère le catalogue de la maison d’édition Rusconi, suite au rachat de celle-ci par Hachette110 ; quelques années plus tard, à l’occasion de la victoire du prix Nobel, des rééditions de plusieurs titres de Modiano parus chez Rusconi dans les années 1970 entrent dans la collection littéraire phare de Bompiani. De même, Katherine Pancol, traduite pendant plusieurs années par Baldini Castoldi e Dalai (BCD), intègre la maison de Sgarbi avec sa trilogie Muchachas [Paris, Albin Michel, 2014], qui paraît fin 2014 au rythme d’un volume par mois ; ses romans déjà parus chez BCD sont aussi réédités, et deviennent des best-sellers, dans Romanzo Bompiani 111. Deux auteurs francophones, Tahar Ben Jelloun et Amin Maalouf, deviennent eux aussi des présences régulières, mais pas exclusives, du catalogue Bompiani ; les deux y entrent en 1994 et y restent jusqu’à la scission de 2015 : Tahar Ben Jelloun intègre Bompiani après de nombreuses traductions einaudiennes et d’autres publications ponctuelles ailleurs, alors que quelques ouvrages d’Amin Maalouf avaient été publiés chez Longanesi, Società Editrice Internazionale et Corbaccio avant de passer à la maison de Sgarbi puis de continuer, ensuite, chez La nave di Teseo. Il arrive aussi fréquemment que d’autres auteurs, souvent mineurs, publient des ouvrages isolés chez Bompiani, tout en étant aussi représentés, parfois majoritairement, par d’autres éditeurs. Un roman d’Olivier Adam paraît dans Narratori Stranieri après d’autres parutions chez minimum fax, et avant la publication d’un autre ouvrage du même auteur chez Barbès ; un seul roman de Dominique Mainard est publié chez Bompiani avant que l’auteure ne passe à la petite maison Saecula un an plus tard ; Jean-Marc Parisis est traduit pour la première fois chez Bompiani, mais son deuxième roman paraît chez Barbès. Dans d’autres cas, qui se vérifient aussi fréquemment, la traduction d’un auteur pour Bompiani peut devenir un unicum qui reste sans suite : Matthieu Jung, Claudie Gallay, Philippe Grimbert, Marie Vieux-Chauvet sont quelques-uns des écrivains qui, bien qu’ils aient

109 Entretien avec Lorenzo Flabbi. 110 Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, pp. 350–351. 111 Il s’agit de Gli occhi gialli dei coccodrilli, Il valzer lento delle tartarughe et Gli scoiattoli di Central Park sono tristi il lunedì, déjà parus chez BCD en 2009, 2010 et 2011, republiés chez Bompiani dans les mêmes traductions de Roberta Corradin et Raffaella Patriarca en 2014 (le premier volume) et 2015 [Les Yeux jaunes des crocodiles, La Valse lente des tortues, Les Ecureuils de Central Park sont tristes le lundi, Paris, Albin Michel, 2006, 2008 et 2010].

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publié plusieurs romans en français, n’ont été traduits qu’une seule fois en italien, en l’occurence dans Narratori Stranieri. Nous observons, en somme, une stratégie mixte qui se distingue à la fois de la politique d’auteur d’Adelphi et de la politique de collection d’Einaudi. En effet, le traitement « d’auteur » est réservé, comme nous l’avons vu, à quelques noms isolés et très en vue, tandis que la plupart du temps les titres sont publiés de façon individuelle. En même temps, malgré l’existence de collections qui se veulent exclusives (comme Classici contemporanei), l’éditeur ne distingue pas systématiquement le placement de ses nouveautés selon les divers publics visés, et juxtapose ainsi, dans une même collection, les best-sellers immédiats comme le premier roman de Dicker et les reprises d’auteurs plus renommés comme Modiano, Reza et Rufin. Il en découle que le pouvoir de légitimation des collections porteuses de la maison est limité ; en revanche, grâce à la présence d’un catalogue riche, l’éditeur peut miser sur une littérature haut de gamme et rentable à la fois. Comme chez Mondadori, cette recherche d’un équilibre entre autonomie et hétéronomie se fait souvent au détriment des projets de plus longue haleine ; mais la présence constante de quelques auteurs, surtout de ceux arrivés dans la maison au cours des années 1990, témoigne d’une assiduité plus forte que dans la grande maison de Segrate. La perte d’un grand nombre de ces auteurs avec le départ d’Elisabetta Sgarbi en 2015 a certainement entraîné un réaménagement essentiel du catalogue et, inversement, le transfert d’un fort capital symbolique à La nave di Teseo dès son début.

5.5.3.5 Jouer sur les deux tableaux : Feltrinelli Nous l’avons vu pour le roman allemand : Narratori, la collection littéraire phare chez Feltrinelli, comprend aussi bien les livres sentimentaux de Nicolas Barreau que les traductions de l’auteure lauréate du prix Nobel Herta Müller. Dans le cas de la littérature germanophone, Feltrinelli choisit un groupe très hétérogène d’auteurs, souvent issus des plus jeunes générations (en comparaison avec les écrivains des autres grands groupes), et suit ces auteurs avec une certaine fidélité. La stratégie de l’éditeur ne change pas pour les traductions du roman français, bien que leur présence soit plus limitée : l’offre est tout aussi variée, et certains noms, y compris d’écrivains débutants sur le marché italien, sont étroitement liés à la marque de la maison. Entre 2005 et 2015, aucun roman n’est traduit du français pour la collection grand public Canguri. Y figurent seulement quelques titres qui avaient été introduits dans les années précédentes, entre 1990 et le début des années 2000, comme le best-seller de Frédéric Beigbeder Lire 26.900112 [99 francs, Paris, Grasset, 2000] 112 Beigbeder, Frédéric : Lire 26.900, trad. Annamaria Ferrero, Milan, Feltrinelli, Canguri, 2001. Ensuite, grâce à son grand succès de ventes, Lire 26 900 est réédité à plusieurs reprises en format de poche dans la collection Universale Economica.

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ainsi que des romans isolés de Daniel Picouly, Nina Bouraoui ou encore AnneSophie Brasme. En revanche, les auteurs de Narratori sont plus nombreux et, surtout, ils entrent dans le catalogue de la maison pour y rester, souvent, à long terme. Cependant, la diversité très marquée de leurs registres ainsi que des publics qu’ils visent rend difficile toute considération générale sur la valeur de cette collection dans l’ensemble de la production de l’éditeur. Aux côtés de l’une des écrivaines françaises les plus renommées du catalogue feltrinellien, Marguerite Duras113, l’éditeur introduit les résultats plutôt disparates de sa recherche de nouvelles voix à introduire en Italie. Les noms qui reviennent de façon régulière dans la décennie qui nous concerne, et au-delà, sont ceux de Daniel Pennac, Laurent Mauvignier, Mathias Malzieu, Maylis de Kerangal et Caroline Vermalle ; d’autres auteurs, en revanche, sont inclus dans cette liste una tantum et passent rapidement à d’autres maisons (Yasmine Ghata chez Del Vecchio, Jean-Luc Seigle chez e/o) ou bien restent sans publications ultérieures en Italie (Gil Courtemanche, Rithy Panh). On y trouve un témoignage écrit à quatre mains par Panh et Christophe Bataille sur le génocide sous le régime de Pol Pot au Cambodge, les cahiers de la guerre de Duras, une série d’histoires sentimentales grand public de Vermalle, un roman expérimental de Mauvignier, rédigé en une seule phrase de la première à la dernière page : aucune cohérence ne semble relier ces ouvrages, si ce n’est pour leur appartenance à la production de l’extrême contemporain114. L’identité de l’éditeur doit être cherchée, donc, non tant dans le public auquel il s’adresse – comme tous les grands groupes, Feltrinelli ne se crée pas une niche de grands lecteurs, et cherche davantage à consolider sa présence sur tous les segments du marché –, mais plutôt dans la manière dont il aborde ces ouvrages si divers entre eux et dans des voisinages, s’il y en a, entre les auteurs à l’intérieur de son catalogue. Concernant ce dernier point, il est possible d’identifier au moins deux regroupements selon l’enjeu et le style des romans publiés. D’une part, une veine comique, voire grotesque, traverse le catalogue Feltrinelli et se manifeste par la présence régulière des ouvrages de Daniel Pennac et, plus récemment, de Mathias Malzieu dans Narratori. Au décor très souvent parisien de leurs ouvrages – qui charme le lecteur italien avec des poncifs sur le caractère multiethnique, romantique, chaotique de la ville – font écho les romans sentimentaux de Vermalle, qui confortent eux aussi à maintes reprises les imaginaires populaires de Paris et de la France. D’autre part, dans un registre tout à fait différent, plusieurs romans té113 Après avoir débuté chez Einaudi en 1951, et avoir aussi publié quelques ouvrages chez Mondadori, Marguerite Duras passe à Feltrinelli en 1984 avec L’amante (trad. Leonella Prato Caruso, Narratori ; L’Amant, Paris, Minuit, 1984). 114 La seule exception à cet élément commun est constituée par le recueil de textes de Marguerite Duras : Quaderni della guerra e altri testi, trad. Laura Frausin Guarino, Milan, Feltrinelli, Narratori, 2008 [Cahiers de la guerre et autres textes, Paris, P. O. L., 2006] ; elle s’explique par le caractère inédit de l’ouvrage, de parution récente aussi dans sa version originale, et par sa cohérence avec le reste de la production de Duras, qui est publié dans la même collection.

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moignent d’une veine engagée du catalogue de l’éditeur : le regard est alors tourné vers les minorités, les existences marginales, les plus démunis et l’injustice sociale. La guerre d’Algérie vue à travers les yeux d’un ouvrier qui y envoye son fils dans Invecchiando gli uomini piangono [En vieillissant les hommes pleurent, Paris, Flammarion, 2012] ; la maladie et la perte dans Riparare i viventi [Réparer les vivants, Paris, Gallimard, 2014] ; la déportation et la torture dans L’eliminazione [L’Élimination, Paris, Grasset, 2012] ; la misère et la violence dans Storia di un oblio [Ce que j’appelle oubli, Paris, Minuit, 2011] : loin de toute forme d’humour, ces thématiques rapprochent l’éditeur de sa production plus politisée de ses débuts, dans les années 1970, sans renoncer pour autant à l’exploration de nouvelles formes littéraires. Ces deux « âmes » de la collection Narratori, et en général de la production de Feltrinelli, reflètent bien sa position ambiguë, à mi-chemin entre le grand groupe éditorial d’un côté et la prestigieuse maison culturelle de l’autre. Or la façon dont l’éditeur traite ses ouvrages prouve encore une fois cette ambivalence : en effet, comme les maisons indépendantes plus petites, il opte parfois pour une politique d’auteur, « cultivant » ainsi certains écrivains qui peuvent intégrer le fonds du catalogue, mais il renonce en même temps à toute structure interne qui permette d’établir une hiérarchie entre les ouvrages, ou au moins une différenciation des publics visés, notamment depuis la fermeture de la collection Canguri115. Le cas de Pennac, qui arrive en Italie bien avant le début de notre créneau temporel, illustre l’utilité que cette structure hiérarchique pouvait avoir dans l’introduction des auteurs. Avec leurs couvertures caricaturales, leurs intrigues rocambolesques et leurs personnages loufoques, les romans de Pennac – notamment ceux qui constituent la saga de Malaussène – recréent un milieu névrosé et drôle qui rappelle les textes comiques d’un autre auteur de la maison, l’italien Stefano Benni. C’est justement par le biais de Benni que Pennac, l’un des écrivains français contemporains les plus aimés du public italien, arrive en Italie en 1990, avec La prosivendola116. Ce roman entre tout d’abord dans Canguri, à côté des romans noirs de Raymond Chandler et de James Hadley Chase, et il est suivi rapidement pars d’autres volumes de la saga Malaussène qui deviennent d’emblée des « cas littéraires » : ils sont réimprimés périodiquement en format de poche et se transforment, jusqu’à nos jours, en long-sellers. Avant que cette collection grand public ne soit supprimée, certains titres de Pennac décrochent déjà la collection Narra115 V. § 1.4.3. 116 Pennac, Daniel : La prosivendola, trad. Yasmina Melaouah, Milan, Feltrinelli, Canguri, 1990 [La Petite marchande de prose, Paris, Gallimard, 1990]. En ce qui concerne le rôle de Benni dans l’introduction de Pennac en Italie, v. Verlardi, Andrea : « Lo scrittore Stefano Benni ricorda Inge Feltrinelli, regina dell’editoria », Il Messaggero, 20 septembre 2018. La relation étroite entre les deux écrivains est un fait connu : par ailleurs, c’est pour rendre hommage à cette amitié que Pennac dédie à Benni son court texte Merci [Paris, Gallimard, 2004]. L’univers narratif de l’écrivain français se caractérise, outre son caractère comique et souvent absurde, par ses situations très urbaines, souvent parisiennes et plus spécifiquement des quartiers multiethniques de Belleville et de Ménilmontant qui font désormais partie d’un imaginaire de Paris pour les lecteurs italiens de Pennac.

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tori : Ecco la storia et Diario di scuola117, isolés du cycle romanesque précédent, y entrent en 2003 et en 2008, réhaussant ainsi le statut de l’auteur au sein de Feltrinelli. Il s’agit d’une distinction faite par l’éditeur pour marquer la fin d’un cycle et consacrer un nom devenu, au fil des années, de plus en plus représentatif de son catalogue. Une possibilité pareille n’a pas été donnée aux auteurs ayant débuté après 2010, de sorte que toutes les nouvelles parutions chez Feltrinelli arrivent au public avec le même « marquage », du moins en ce qui concerne le recours aux collections. Par ailleurs, d’autres instruments, comme des préfaces ou des traductions d’auteur, sont rares ; rappelons également l’initiative Indies118, par laquelle l’éditeur se propose de conjuguer la qualité rédactionnelle des maisons de petites dimensions avec la visibilité apportée par son propre réseau de distribution et vente.

5.5.4 Les maisons indépendantes : une présence intense Attardons-nous maintenant sur les maisons indépendantes qui, quelles que soient leurs dimensions, s’intéressent de façon plus ou moins régulière au roman français, et observons quels moyens elles déploient pour lui attribuer de la valeur. Nous nous concentrerons tout d’abord sur les éditeurs qui incluent des traductions du français dans des collections tout en ne se spécialisant pas dans cette aire linguistique ; puis nous étudierons les maisons qui, au contraire, font du roman français un enjeu spécifique de leur production. Nous introduisons, pour expliquer l’activité du premier groupe concernant les traductions du français, la définition de présence « intense » : il s’avère, en effet, que le roman français est non seulement présent dans tous les catalogues éditoriaux les plus en vue d’Italie, mais qu’il y est aussi souvent représenté dans de grandes proportions et avec régularité. Alors que le roman allemand était, lui aussi, souvent traduit par les grands éditeurs généralistes, mais avec un nombre réduit d’auteurs, de genres et de thématiques et un retentissement restreint, le roman français se présente dans tous ses états, et obtient souvent un très grand succès auprès du public et de la critique. Cette « intensité » est transversale au champ éditorial et n’est pas corrélée aux différences de taille entre les entreprises. De grandes maisons comme Fazi et Guanda proposent plusieurs titres de Stéphane Audeguy, Jacques Chessex, Marie Darrieussecq, Philippe Besson ; une maison de dimensions moyennes comme e/o publie régulièrement Éric-Emmanuel Schmitt, David Foenkinos et Jérôme Ferrari ; une petite maison comme Voland, connue notamment comme la mai117 Pennac, Daniel : Ecco la storia, trad. Yasmina Melaouah, Milan, Feltrinelli, Narratori, 2003 [Le Dictateur et le hamac, Paris, Gallimard, 2003] ; Pennac, Daniel : Diario di scuola, trad. Yasmina Melaouah, Milan, Feltrinelli, Narratori, 2008 [Chagrin d’école, Paris, Gallimard, 2007]. 118 V. § 1.3.4.

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son d’Amélie Nothomb en Italie119, accueille également les livres de Jean-Philippe Blondel et Philippe Djian dans Intrecci ; ou encore la petite maison Del Vecchio édite, dans formelunghe, de nombreux titres de Moussa Konaté, Yasmine Ghata, Fouad Laroui et Eric Chevillard. Certes, quelques maisons font preuve d’un intérêt plus vif que d’autres – par exemple Neri Pozza, Marcos y Marcos, minimum fax ne consacrent pas beaucoup d’espace aux auteurs francophones –, mais toutes reflètent, avec un caractère plus ou moins systématique, la réceptivité générale du marché italien envers la production contemporaine en langue française. Comme nous l’avons fait pour le roman allemand, nous étudierons ci-dessous trois entreprises de différentes dimensions qui se distinguent par la constance avec laquelle elles traitent leurs traductions de romans contemporains en français : Fazi, e/o et 66thand2nd.

5.5.4.1 Le roman « obscur » : Fazi Fazi est une jeune maison, fondée à Rome en 1995 par l’économiste Elido Fazi120. À ses débuts, la maison se consacre exclusivement aux classiques, réunis dans la collection Le porte : John Keats y paraît aux côtés de Georges Rodenbach, Marcel Schwob et Stéphane Mallarmé, tous introduits par une rédaction de consultants qui sont aussi écrivains, traducteurs et critiques, comme Emanuele Trevi, Arnaldo Colasanti et Marco Lodoli. Cette équipe de spécialistes de la littérature vient compléter les compétences en économie du fondateur de la maison, dont l’expérience s’étend également au domaine du marketing. Bientôt la maison commence à s’ouvrir à la production contemporaine avec Le strade, une collection qui, depuis 119 La plupart des ouvrages d’Amélie Nothomb paraîssent dans la collection exclusivement féminine de Voland, Amazzoni, depuis 1997. L’énorme succès de l’auteure en Italie a représenté un tournant dans la trajectoire ascendante de la petite maison romaine ; néanmoins, comme il arrive souvent dans ces cas, la production très riche de Nothomb risque d’occulter le reste du catalogue de Voland. Alors que le tirage moyen de la maison est d’environ 1000 exemplaires, le tirage d’un livre de Nothomb dépasse souvent les 10 000 copies : il est clair qu’il existe un décalage significatif entre la visibilité de l’écrivaine phare de la maison et les autres (les informations sur les tirages moyens nous ont été fournies lors d’un entretien avec la directrice de la maison, Daniela di Sora). Daniela di Sora a insisté à plusieurs reprises sur la chance d’avoir trouvé une auteure à la fois si appréciée du public et si fidèle à la maison qui l’a introduite en Italie, ainsi que sur le danger que cela implique pour ses autres auteurs : « Certo, per una casa editrice delle dimensioni della Voland, in questa promettente situazione esiste un rischio. Ed è quello di venire fagocitati dalla nostra autrice e di diventare esclusivamente ‘quelli che pubblicano la Nothomb’ » (Di Sora, Daniela : Avventure di un’autrice francofona in Italia : il caso Amélie Nothomb, dans Majorano, Matteo (dir.) : Le Goût du roman. La prose française : lire le présent, Bari, B. A. Graphis, 2002, pp. 277–280, ici p. 280). 120 Le parcours d’Elido Fazi est reconstruit, sous forme romancée, dans Publisher (Rome, Fazi, Le strade, 2013), l’ouvrage d’Alice Di Stefano publié en 2013 suite à la sortie de la maison d’édition du groupe Mauri Spagnol (v. infra). Alice Di Stefano est editor chez Fazi depuis 2008 pour la fiction italienne, directrice éditoriale depuis 2019, et conjointe d’Elido Fazi.

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1997, accueille les nouveautés de la fiction italienne et internationale ; deux ans plus tard, en 1999, la production italienne est redirigée vers une nouvelle collection créée ad hoc, Le vele, ouverte surtout aux débutants (parmi lesquels se distinguent, aujourd’hui, Carmine Abate et Filippo Tuena), de sorte que Le strade devient le lieu par excellence des nouveautés étrangères de la maison. Fazi grandit rapidement depuis son lancement et au début des années 2000 : au capital initial de l’éditeur s’ajoutent quelques « instant book[s] » de grand succès sur des thèmes d’actualité qui augmentent durablement la visibilité de la maison121. En général, sa production se caractérise par une recherche qui prend deux directions. D’un côté, elle publie des œuvres littéraires à rotation plus ou moins rapide, comme le best-seller érotique de Melissa P., Cento colpi di spazzola prima di andare a dormire, publié en 2003, ou encore Twilight, la saga à l’énorme succès de Stephenie Meyer, qui paraît entre 2006 et 2008 – et dont le premier volume se trouve dans la liste des vingt livres les plus vendus en Italie jusqu’en 2009. De l’autre, elle propose des premiers romans ou bien des ouvrages d’auteurs encore inconnus en Italie, comme Yann Queffélec, dont elle traduit Les Noces barbares quatorze ans après l’obtention du prix Goncourt, ou Isabelle Jarry, dont un seul roman, L’arcangelo perduto, paraît en Italie en 1999, ou encore Zoë Jenny, écrivaine suisse germanophone dont trois romans paraissent entre 2001 et 2003122. Elle reprend également des ouvrages hors catalogue parus ailleurs, parfois revalorisés par des préfaces ou des introductions inédites, comme La commedia di Charleroi de Pierre Drieu La Rochelle, précédée d’une introduction d’Arnaldo Colasanti en 2014123. Ces deux tendances se complètent et font du catalogue Fazi à la fois une présence toujours visible dans les librairies et un lieu de (re)découverte d’auteurs internationaux haut de gamme. L’image de Fazi évolue tout au long de la décennie 2005–2010, car à l’intérieur de la maison, des changements de structure se succèdent assez rapidement : après plus d’une décennie d’indépendance et au pic de son succès commercial grâce aux 121 Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, p. 426. Ferretti fait référence notamment au pamphlet publié à peine deux semaines après l’attentat du 11 septembre 2001, qui devient rapidement un best-seller : Fabrizio Falconi, Antonello Sette, Osama Bin Laden. Il terrore dell’Occidente, Rome, Fazi, hors collection, 2001 ; ainsi qu’à l’ouvrage de Gore Vidal, auteur phare de la maison, publié en avant-première mondiale (c’est-à-dire avant sa publication en langue originale) : Vidal, Gore : La fine della libertà. Verso un nuovo totalitarismo ?, trad. Laura Pugno, Rome, Fazi, Le terre, 2001 [Perpetual War for Perpetual Peace. How We Got to Be So Hated, New York, PublicAffairs, 2002]. 122 Queffélec, Yann : Le nozze barbare, Catherine Mc Gilvray, Rome, Fazi, Le strade, 1998 [Les Noces barbares, Paris, Gallimard, 1985] ; Jarry, Isabelle : L’arcangelo perduto, trad. Laura Senserini, Rome, Fazi, Le strade, 1999 [L’Archange perdu, Paris, Gallimard, 1994] ; Jenny, Zoë : La stanza del polline, Il richiamo della conchiglia, Una vita veloce, trad. Bice Rinaldi, Rome, Fazi, Le strade, 2001, 2002 et 2003 [Das Blütenstaubzimmer, Der Ruf des Muschelhorns, Francfort-surle-Main, FVA, 1997, 2000 et Ein schnelles Leben, Berlin, Aufbau, 2002]. 123 Drieu La Rochelle, Pierre : La commedia di Charleroi, introduction d’Arnaldo Colasanti, trad. Attilio Scarpellini, 2014, pr. éd. italienne chez Edizioni dell’Albero, Narrativa, trad. Alfredo Cattabiani, 1963 [La Comédie de Charleroi, Paris, NRF, 1934].

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nombreux titres dans les listes des livres les plus vendus, en 2009, la maison passe au groupe éditorial de Stefano Mauri et Luigi Spagnol, GeMS, qui acquiert 35 % de la propriété et consolide ainsi sa position de premier plan avec plus de 10 % du chiffre d’affaires national sous son contrôle124. Mais le rapport de dépendance de Fazi prend fin au bout de quatre ans, en 2013, lorsque le fondateur rachète sa propriété à cause de divergences avec le groupe sur leurs « perspectives pour le futur » et leurs « méthodes » de travail125. Comme il arrivera avec La Nave di Teseo lorsque Sgarbi se détache de Bompiani, et avec Adelphi lorsqu’il sort du groupe RCS, cette indépendance renouvelée permet à l’éditeur d’insister sur les valeurs partagées avec le pôle autonome du champ – c’est-à-dire la production artisanale, la composante personnelle, le « courage » des choix –, puisque, comme le déclare dans un entretien l’editor Alice Di Stefano, « l’indépendance est une valeur »126. Ces changements structurels se reflètent de manière directe et inattendue dans les traductions du français, qui s’accentuent visiblement pendant la période 2009– 2012. Loin de renoncer, sous le contrôle de GeMS, à la production « périphérique » en français (en comparaison avec les best-sellers de l’aire anglophone), Le strade accueille plusieurs auteurs francophones au cours de ces années. Parmi eux se distingue notamment l’écrivain vaudois Jacques Chessex, redécouvert après avoir été traduit une première fois dans les années 1970127, puis presque complètement oublié en Italie. Mis en valeur par des préfaces qui introduisent l’auteur et son œuvre méconnue128, Chessex représente bien le ton général de cette collection d’ouvrages souvent obscurs et dramatiques : le récit amer de L’orco trouve un écho dans les romans noirs de Serge Joncour et Pierre Lemaitre ainsi que dans les romans de Victor Serge sur le régime stalinien, de Therry Hesse sur la Russie de Staline à Poutine, et de Jérôme Ferrari sur la guerre d’Algérie – mais aussi, pour jeter un regard sur les traductions de l’allemand, dans le roman morbide de Thor 124 Bianchi, Paolo : « Mauri Spagnol prende Fazi e sfida la Rizzoli », il Giornale, 14 octobre 2009. 125 « Fazi lascia il gruppo GeMS e torna editore indipendente » (anon.), la Repubblica, 15 mai 2013. L’éditeur partage la nouvelle de son indépendance réacquise sur son blog Le Meraviglie (qui est aussi le nom d’une collection consacrée à la fiction humoristique), avec le ton ironique habituel de ses billets, sous le titre « La Fazi editore è tornata indipendente », lemeraviglie.net/2013/05/ la-fazi-editore-e-tornata-indipendente (1er juin 2020). 126 Prudenzano, Antonio : « Fazi si separa da GeMS e torna indipendente », Affariitaliani.it, 14 mai 2013, www.affaritaliani.it/culturaspettacoli/fazi-torna-indipendente-e-si-separa-da-gems.html (26 mars 2022). Alice Di Stefano, nous l’avons évoqué, reprend dans son roman Publisher le parcours de l’éditeur derrière la maison et souligne ainsi le côté personnel, donc unique, de son entreprise. 127 Chessex, Jacques : L’orco, trad. Anna Rosso, Milan, Rusconi, Biblioteca Rusconi, 1974 [L’Ogre, Paris, Grasset, 1973] ; Fazi le repropose dans la nouvelle traduction de Maurizio Ferrara et avec une préface de Tommaso Pincio en 2010. La seule exception au désintérêt des éditeurs italiens pour l’œuvre de Chessex est la parution d’Il primo odore, traduit par Francesca Celli, Rome, Gaffi, Godot, 2006 [L’Éternel sentit une odeur agréable, Paris, Grasset, 2004]. 128 La toute première traduction de Chessex chez Fazi, Il vampiro di Ropraz, est aussi précédée d’une préface de l’écrivaine, professeure et traductrice Daria Galateria [Le Vampire de Ropraz, Paris, Grasset, 2007].

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Kunkel et dans la tragédie imaginée par Juli Zeh pour son roman de début, Aquile e Angeli [Adler und Engel, Francfort-sur-le-Main, Schöffling & Co, 2001]. L’intérêt pour ce genre de production se développe aussi plus tard, à partir de 2016, dans Darkside, une collection consacrée exclusivement « à toutes les nuances du ‘giallo’ de qualité : du noir au thriller, du crime à la mistery fiction »129, et où paraissent de nombreuses traductions du français, comme les ouvrages de Pierre Lemaitre, Léo Malet et Jérôme Leroy. L’intérêt de l’éditeur pour la production en français, pendant et après son appartenance à GeMS, est donc vif, mais ciblé sur des atmosphères et des styles plutôt circonscrits. Fazi ne pratique pas de politique d’auteur, dans le sens où il ne publie pas nécessairement toute l’œuvre de ses écrivains, y compris de ceux qu’il suit de plus près, et il partage parfois ses auteurs avec d’autres maisons italiennes ; au contraire, il sélectionne des ouvrages susceptibles d’intéresser une large partie du public tout en gardant une identité précise et en juxtaposant des romans de genre à des propositions de littérature blanche, présentées avec des paratextes qui en expliquent la portée. Ainsi, Fazi se distingue de la production des grands groupes et reste, en même temps, un éditeur très visible, toujours en équilibre entre rentabilité et recherche.

5.5.4.2 La littérature « du monde entier » : e/o La tournure prise par le catalogue des éditions e/o à partir de la fin des années 1990 est un excellent exemple de la façon dont une maison d’édition peut renouveler son offre, donc aussi son identité, pour s’adapter aux transformations du champ culturel. Née à Rome en 1979 à l’initiative de Sandro Ferri et Sandra Ozzola, e/o s’intéresse tout d’abord à la production littéraire de l’Europe de l’Est : de nombreux écrivains russes, polonais, hongrois, tchèques, est-allemands font leur première entrée en Italie grâce aux traductions de cette maison, dont la toute première publication est l’essai de la soviétologue française, et mère d’Emmanuel Carrère, Hélène Carrère d’Encausse : Esplosione di un impero ?130 Pendant leurs quinze premières années d’activité, le couple d’éditeurs n’affiche presque aucun intérêt pour la littérature française, à moins que celle-ci ne soit directement liée au domaine de spécialité de la maison : hormis les essais de Carrère d’Encausse, ils ne traduisent donc qu’un ouvrage de Věra Linhartovà, écrivaine tchèque exilée en France, et un 129 www.fazieditore.it/collana/darkside (1er juin 2020). 130 Hélène Carrère d’Encausse, Esplosione di un impero ? La rivolta delle nazionalità in U. R. S. S., trad. Anna Ghini/Nennella Buonaiuto, Rome, e/o, 1979 [L’Empire éclaté. La Révolte des nations en U. R. S. S., Paris, Flammarion, 1978]. Deux ans plus tard, e/o publie encore un livre de la même auteure : Il potere in U. R. S. S., trad. Stefania Incagnoli, Rome, e/o, 1981 [Le Pouvoir confisqué, Paris, Flammarion, 1980].

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autre de Jan Potocki, écrivain polonais qui a vécu en Suisse et en France131. Mais, à partir des années 1990, lorsque les auteurs de l’Est ne constituent plus une nouveauté absolue en Italie et que d’autres éditeurs commencent à s’y intéresser132, la maison décide d’élargir son activité, en quantité comme en qualité : non seulement le nombre de parutions augmente au rythme considérable d’une trentaine de titres par an (alors que, entre 1979 et 1989, elles se limitaient à dix titres par an en moyenne), mais l’éventail des auteurs et des langues de départ s’étend aussi à de nouveaux domaines. Ainsi, l’éditeur lance, en 1992, une collection de littérature italienne, Azzurri133, et il commence également à publier des auteurs états-uniens dans sa nouvelle collection Ovest, fondée en 1988. En outre, à partir de 1990, il fait paraître en format poche, dans les nouveaux Tascabili, des classiques des pays de l’Est ainsi que des États-Unis (comme Mark Twain), de France (comme Colette) et d’Italie (comme Emilio Salgari). Mais ce sont là des tentatives timides, qui ne laissent pas présager la place considérable que les écrivains français prendront dans le catalogue au tournant du millénaire. Un signe clair de la volonté d’ouverture de l’éditeur à d’autres aires linguistiques pendant cette période est la création, en 1994, d’une collection ouverte aux littératures du monde entier : Dal mondo. Le modèle, importé de la France, renvoie à la célèbre collection Du monde entier chez Gallimard, et consiste à réunir toute la littérature, italienne comme traduite, dans une série qui peut, dans un second temps, être regroupée selon l’aire géographique de provenance des textes134 : nous aurons donc Dal mondo. Francia, Dal mondo. Germania, et ainsi de suite. C’est ici que fait son entrée le premier écrivain français contemporain suivi fidèlement par l’éditeur jusqu’à nos jours : Jean-Claude Izzo. Avec son roman noir, Casino totale [Total Kheops, Paris, Gallimard, 1995], traduit en 1998 et réédité l’année suivante en format poche, l’auteur inaugure une suite de publications à succès, qui s’avère la première d’une série de traductions fructueuses pour l’éditeur de Rome. En effet, e/o commence à traduire occasionnellement des ouvrages d’auteurs francophones comme Yasmina Khadra et Ahmadou Kourouma, mais aussi de l’espagnol, du grec, de l’hébreu, et de plus en plus de l’anglais. Mais l’éditeur ne se limite pas à étendre le bassin linguistique depuis lequel il traduit ; en créant de 131 Věra Linhartovà, Ritratti carnivori, trad. Linda Ferri, Rome, e/o, Collana praghese, 1987 [Portraits carnivores, Paris, le Nyctalope, 1982] ; Jan Potocki, Viaggio in Turchia, in Egitto e in Marocco, trad. Barbara Ferri et Pietro Veronese, Rome, e/o, Tascabili, 1990 [Voyages, Paris, Fayard, 1980]. 132 Voland, par exemple, qui se consacre à ses débuts exclusivement aux littératures slaves, publie ses premiers ouvrages en 1995. 133 Ici, en 1992, paraît le premier roman signé par Elena Ferrante, aujourd’hui figure phare de la maison grâce à son cycle de romans ayant reçu un énorme succès international, L’amica geniale : L’amore molesto, Rome, e/o, Azzurri, 1992. 134 L’image que la maison propose de soi-même sur son site Internet insiste sur la présence d’auteurs du monde entier dans le catalogue : « Con i nostri libri abbiamo attraversato più di 50 paesi nel mondo perché crediamo nelle storie, nei colori e nell’incontro fra le culture. Abbiamo deciso di fare libri per raccontarlo » (www.edizionieo.it/catalogue, dernière visite le 16 septembre 2020).

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nouvelles collections, il élargit et réorganise aussi ses divers secteurs d’activité : il explore la littérature jeunesse avec Il baleno, fondée en 1997 ; le genre noir, dans le sillage de la première publication d’Izzo, avec Noir Mediterraneo, fondée en 2001 ; la production francophone et anglophone d’Afrique135 avec I leoni, fondée en 2004. L’élargissement général de l’activité de Sandro Ferri et Sandra Ozzola ne se borne pas à leur maison romaine. Suivant le courant d’internationalisation qui traverse tout le marché éditorial au début des années 2000136, les deux fondateurs créent Europa Editions, une entreprise sœur d’e/o, mais dont les sièges sont à Londres et à New York – avec pour but, donc, de débarquer sur le marché anglophone et de se rapprocher, par là, du centre de la République mondiale des Lettres, où ils peuvent importer une grande partie de leur catalogue italien137. Dès lors, la maison de Rome ressemble très peu à ce qu’elle avait été vingt ans plus tôt : la production annuelle dépasse la cinquantaine de titres publiés, dont un nombre extrêmement faible provient d’Europe de l’Est ; en revanche, beaucoup de traductions de l’anglais, du français et de l’espagnol se répartissent entre plusieurs collections, Dal mondo demeurant la plus productive de toutes. Quelques auteurs restent fidèles à la maison depuis ses premières décennies et constituent son fonds de catalogue – Christoph Hein, Elena Ferrante, Pedro Juan Gutiérrez –, alors que dans les années 2000 d’autres s’ajoutent à cette liste avec des publications très fréquentes. Pour les traductions du français, le cas le plus frappant est sans doute celui d’Éric-Emmanuel Schmitt, dont chaque année, depuis 2003, paraît un nouvel ouvrage ; d’autres auteurs de langue française suivis régulièrement par l’éditeur sont Jérôme Ferrari, passé à e/o après une première publication chez Fazi en 2012138, Jean-Christophe Rufin, qui est représenté exclusivement par e/o depuis 2013139, ou encore Laurence Cossé, appartenant au catalogue d’e/o depuis 2010140 ; 135 À côté des ouvrages, traduits de l’anglais ou du français, de Chinua Achebe, Zakes Mda, Abasse Ndione, Maryse Condé, Moussa Konaté, seul un ouvrage est traduit du portugais : Jaime Bunda. Agente segreto, de l’écrivain angolais Pepetela (trad. Daniele Petruccioli, 2006). 136 Cf. § 1.3.2. 137 Europa Editions publie presque tous les auteurs majeurs non anglophones du catalogue e/o : Kazimierz Brandys, Christa Wolf, Massimo Carlotto, Jean-Claude Izzo, Eric-Emmanuel Schmitt, Muriel Barbery, Elena Ferrante, entre beaucoup d’autres. 138 Ferrari, Jérôme : Dove ho lasciato l’anima, trad. Maurizio Ferrara, postface d’Amara Lakhous, Rome, Fazi, Le strade, 2012 [Où j’ai laissé mon âme, Arles, Actes Sud, 2010]. 139 Jean-Christophe Rufin arrive en Italie pour la première fois dans les années 1990 et passe par plusieurs éditeurs (Il Fenicottero, Baldini & Castoldi, Robin, Bompiani) avant d’arriver à e/o en 2012 ; en 2013, un ouvrage est publié encore chez Ponte alle Grazie (Il cammino immortale. Compostela mio malgrado, trad. Francesco Bruno ; Immortelle Randonnée. Compostelle malgré moi, Chamonix, Guérin, 2013), mais toutes les publications ultérieures à cette date appartiennent au catalogue e/o. 140 La première traduction italienne de Laurence Cossé, La sesta prova [Le coin du voile, Paris, Gallimard, 1996], paraît aux éditions Garzanzi en 1997 (trad. Cosimo Ortesta, Narratori moderni) ; une nouvelle traduction du même roman paraît aux éditions e/o en 2014 : La prova nascosta, trad. Alberto Bracci Testasecca, Rome, e/o, Dal mondo, 2014.

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en outre, e/o connaît un véritable pic des ventes en 2007 avec la française Muriel Barbery, dont L’eleganza del riccio devient rapidement un best-seller [L’Elégance du hérisson, Paris, Gallimard, 2006]. Certes, l’éditeur ne suit pas tous ses auteurs avec la même constance. David Foenkinos, qui intègre le catalogue en 2010, publie ses derniers romans chez Mondadori, en passant par deux traductions chez Gremese et Rizzoli ; la première traduction italienne d’Alice Zeniter paraît chez e/o, mais la suivante paraît sept ans plus tard chez Einaudi141 ; plusieurs auteurs, comme Daniel Arsand, Xavier-Marie Bonnot et Fariba Hachtroudi, ne font qu’une apparition avant d’être abandonnés. Cependant, e/o fait preuve d’un intérêt systématique envers la production contemporaine en français et, au-delà de ses auteurs « de fonds » et primés qu’il suit fidèlement, l’éditeur porte une attention particulière au roman noir ainsi qu’aux littératures en langue française du monde entier. Nous observons, en conclusion, que la longue liste de traductions du français dans le catalogue d’e/o entre 2005 et 2015 reflète un changement de direction drastique par rapport aux intentions initiales de la maison. Loin de se proposer d’emblée comme un lieu de découverte et de promotion de la production francophone, e/o commence par accorder toute son attention à l’Europe de l’Est ; ce n’est que dans un second temps que la maison commence à expérimenter avec d’autres aires géographiques et linguistiques : les littératures d’Afrique, la production en espagnol, souvent d’Amérique latine, puis, entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000, la littérature française également, avec d’autres langues plus périphériques traduites de manière occasionnelle. En même temps, e/o s’intéresse de plus en plus à la production (et au marché) anglophone et, refusant de se définir uniquement par une région linguistique de préférence ou par un genre littéraire spécifique, la maison fait de l’ouverture au « monde entier » sa marque distinctive. Cela n’a été possible qu’après plusieurs décennies d’activité, pendant lesquelles l’éditeur a pu se construire un fonds ainsi qu’une image publique liée d’abord aux cultures marginales et méconnues ; le choix d’intégrer graduellement à son répertoire des auteurs anglophones et des genres plus rentables, comme les romans pour la jeunesse et le noir, lui a permis de grandir et de se développer dans cette direction nouvelle. La naissance en 2005 d’Europa Editions accompagne cette évolution et confirme la tendance générale de l’édition à s’étendre au-delà des frontières nationales.

141 Zeniter, Alice : Indovina con chi mi sposo, trad. Silvia Manfredo, introduction d’Amara Lakhous, Rome, e/o, Dal mondo, 2011 [Jusque dans nos bras, Paris, Albin Michel, 2010] ; Zeniter, Alice : L’arte di perdere, trad. Margherita Botto, Turin, Einaudi, Supercoralli, 2018 [L’Art de perdre, Paris, Flammarion, 2017].

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5.5.4.3 La francophonie : 66thand2nd Une autre maison romaine, beaucoup plus jeune, emprunte un chemin similaire à celui d’e/o, mais à une échelle qui reste, à ce jour, bien moindre : il s’agit de 66thand2nd, fondée en 2008. Cette entreprise prend aussi son élan à partir d’un couple, Isabella Ferretti et Tomaso Cenci, deux juristes de formation. Rentrés en Italie après des séjours au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ils optent également pour l’exploration, dans leur petite activité naissante, d’un terrain littéraire aussi inconnu du public italien des années 2000 que l’était, à la fin des années 1970, la production des pays de l’Est. En revanche, cette fois, au lieu de cerner un territoire géopolitique peu abordé et à découvrir, les deux nouveaux éditeurs choisissent de se consacrer à deux aires thématiques qu’ils estiment inédites : le sport et l’altérité. Convaincus qu’une jeune maison d’édition de taille réduite ne peut survivre qu’en s’adressant à et en fidélisant un public de grands lecteurs142, Ferretti et Cenci construisent leur catalogue sur la base de ces deux centres thématiques, qu’ils développent dans les deux collections principales de la maison : Attese et Bazar. Comme leurs collègues d’e/o quelques années plus tôt, ils élargiront aussi, peu à peu, leur domaine d’activité, jusqu’à y inclure de façon systématique plusieurs auteurs de langue française. Attese, d’une part, se propose de faire découvrir la littérature sportive : il ne s’agit pas, pour l’éditeur, d’y publier des ouvrages techniques sur des pratiques sportives, mais d’approfondir, à travers la littérature, les diverses significations du sport comme lieu de rencontre, comme expérience partagée, comme « métaphore de la vie »143. Bazar est également conçu comme un lieu de découverte de la diversité culturelle, regroupant des auteurs des « périphéries » du monde qui traitent des questions d’intégration et d’identité nationale et culturelle. Or, au-delà de la cohérence thématique qui régit ces collections, une nette prépondérance d’auteurs anglophones caractérise la production de 66thand2nd pendant ses toutes premières années : à part les ouvrages de l’Allemand Thomas Brussig144, qui inaugurent la 142 Les éditeurs explicitent leur point de vue lors de plusieurs interviews : « Crediamo che un piccolo editore non possa permettersi di non avere una strategia diversa da quella dei grandi editori ; anzi, ogni piccolo editore deve puntare ad avere una propria strategia unica, perché è proprio grazie alla unicità della strategia che si viene conosciuti e apprezzati. […] Il lettore ‘naturale’ di un piccolo editore è il lettore per così dire ‘rabdomante’, ossia che ricerca e sceglie cosa leggere con i propri strumenti, senza accettare acriticamente cosa viene suggerito dal mercato. » Agrosì, « Intervista a Isabella Ferretti e Tomaso Cenci ». 143 Fratantonio, Chiara : « 66thand2nd : a tu per tu con Isabella Ferretti », flanerí, 24 octobre 2012, www.flaneri.com/2012/10/24/66thand2nd_a_tu_per_tu_con_isabella_ferretti (22  septembre 2020). V. aussi Casanova, Anna : « La nuova letteratura nelle mani di un arbitro », Affaritaliani.it, 27 décembre 2009, www.66thand2nd.com/public/pdf_rass_stampa/66th_intervistaeditori_affa riitaliani_27dic09.pdf (26 mars 2022). 144 Brussig, Thomas : Litania di un arbitro, trad. Elvira Grassi et Nikola Harsch, Rome, 66thand2nd, Attese, 2009, Brussig, Thomas : Fino a diventare uomini, trad. Elvira Grassi et Kathrin Thienel, Rome, 66thand2nd, Attese, 2010 [Schiedsrichter Fertig. Eine Litanei, St. Pölten/Salzburg, Residenz, 2007 ; Leben bis Männer, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 2001].

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collection, Attese regroupe une majorité d’auteurs de langue anglaise ; le premier titre traduit du français arrive seulement en 2013, avec le roman biographique sur Cassius Clay Il ring invisibile, d’Alban Lefranc145. Bazar, pour sa part, accueille dès 2010 les traductions de l’écrivains congolais Alain Mabanckou, qui devient l’un des auteurs phare du catalogue ; mais Mabanckou demeure pendant quelques années le seul nom francophone de la collection, avant que l’éditeur ne publie sa première traduction de l’écrivain français Denis Lachaud en 2013. Au fur et à mesure que le catalogue s’enrichit et que de nouvelles collections sont fondées, la présence d’auteurs de langue française devient de plus en plus régulière. Dans Bazar sont publiés, aux côtés de Mabanckou et de Lachaud, les ouvrages de Scholastique Mukasonga et d’In Koli Jean Bofane, jusqu’alors inconnus en Italie, ainsi que de Dany Laferrière, qui passe à 66thand2nd en 2015, après dix ans de publications éparses dans plusieurs maisons italiennes146. En outre, entre 2012 et 2013, la maison inaugure trois collections, avec lesquelles elle développe de nouvelles facettes de son identité. En 2012, elle crée Bookclub, une collection expérimentale qui vise à élargir les domaines abordés jusqu’à présent : cette série élude toute restriction thématique et générique, en proposant ouvertement une politique du titre – qui se reflète dans le choix de créer un projet graphique ad hoc pour chaque publication – et en présentant chaque ouvrage littéraire comme un « instrument de socialisation »147, sur le modèle des cercles de lecture fréquen-

145 Lefranc, Alban : Il ring invisibile, trad. Daniele Petruccioli, Rome, 66thand2nd, Attese, 2013 [Le Ring invisible, Paris, Verticales, 2013]. La seule traduction du français publiée dans Attese après cette date est l’anthologie, dirigée par Alain Mabanckou : La felicità degli uomini semplici, trad. Michele Martino/Cinzia Poli et al., 2016 ; elle contient quinze récits d’auteurs africains autour d’une thématique commune, le football, à l’occasion du championnat d’Europe qui a lieu la même année. 146 L’histoire de la réception italienne de Dany Laferrière se caractérise par des changements continuels dans la représentation de l’auteur, liés souvent à des vicissitudes de maisons qui sont fermées, vendues, restructurées. Sa première traduction, Come fare l’amore con un negro senza stancarsi, paraît en 1996 chez Liber Internazionale (trad. Federica Cane, Pavia, Labirinti), un an avant que cette maison ne soit vendue au groupe Pisapia [Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, Montréal, VLB, 1985] ; le même ouvrage sera publié par la suite chez La tartaruga (Come far l’amore con un negro senza far fatica, trad. Federica Cane, Milan, Narrativa, 2003), qui appartient à Baldini & Castoldi et en devient, dans les années 2000, une collection ; c’est pourquoi la réédition en format poche, publiée en 2004, paraît directement chez Baldini & Castoldi, dans I nani. Cependant, au tournant des années 2010, l’auteur ne semble plus susciter l’intérêt de la maison milanaise, et ses ouvrages suivants sont publiés ailleurs isolément : L’enigma del ritorno, trad. Giulia Castorani, Rome, Gremese, Narratori francesi contemporanei, 2014 [L’énigme du retour, Montréal/Paris, Boréal/Grasset, 2009] et Paese senza cappello, trad. Cinzia Poli, Rome, nottetempo, Narrativa, 2015 [Pays sans chapeau, Outremont, Lanctôt, 1996]. À partir de sa première publication dans Bazar, en 2015, chaque nouvelle traduction en italien de Dany Laferrière paraît chez 66thand2nd, à un rythme d’environ un titre par an. 147 www.66thand2nd.com/collane.asp (25 juillet 2019). Dans la même page, concernant les projets graphiques : « per ogni testo, considerato come un unicum, sarà creato un progetto grafico ad hoc ».

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tés par Isabella Ferretti à New York148. Malgré le modèle états-unien, la collection ne se limite pas exclusivement à la production anglophone ; au contraire, elle accueille aussi dès le début des auteurs de langue italienne et française, parmi lesquels Caroline Lunoir, Céline Minard, Miguel Bonnefoy et, à partir de 2016, Antoine Volodine. En 2013, la maison s’ouvre à la non-fiction par la création de Vite inattese, une nouvelle collection liée à Attese et consacrée aux biographies de personnalités sportives149. Enfin, entre 2012 et 2013, la maison inaugure B-Polar, une série dérivée de Bazar (dont proviennent Alain Mabanckou et In Koli Jean Bofane) et vouée exclusivement au genre du polar, notamment dans sa déclinaison francophone d’Afrique150 : en effet, presque tous les auteurs publiés depuis la création de cette collection – au rythme de deux parutions par an en moyenne – sont traduits du français. La revendication d’une dignité littéraire pour les auteurs africains, anglophones ainsi que francophones, atteint donc souvent l’Italie par le biais de ces éditeurs culturels et indépendants, à la recherche de zones inexplorées du marché151 : Bazar et B-Polar en sont de bons exemples, mais aussi le catalogue de Del Vecchio, qui introduit en Italie pour la première fois Moussa Konaté en 2010 et Fouad Laroui en 2013, ou encore la collection I leoni d’e/o, que nous avons déjà évoquée. Cependant, la médiation de l’Hexagone s’avère encore nécessaire pour que les auteurs francophones d’Afrique arrivent en Italie : tous les ouvrages que 148 Appiotti, Mirella : « 66thand2nd stile Manhattan », TuttoLibri, 19 novembre 2011. 149 Une seule traduction du français est présente dans cette collection : il s’agit de l’ouvrage du journaliste de L’Équipe Jean-Philippe Leclaire : Le roi. Gloria e onta di Michel Platini, trad. Lorenzo Vetta, Rome, 66thand2nd, Vite inattese, 2017 [Platoche. Gloire et déboires d’un héros français, Paris, Flammarion, 2016]. 150 « Gli autori africani da noi prediletti sono maestri del genere polar – l’incrocio tra poliziesco e noir – ma largamente sottovalutati rispetto ai giallisti scandinavi. Si tratta, naturalmente, di una sottovalutazione che trascende il genere e colpisce tutti gli intellettuali africani. Quanti in Italia hanno letto, ad esempio, un premio Nobel come Wole Soyinka ? Eppure tutti conoscono Herta Müller (o forse anche questa è un’illusione). In una fase storica come la nostra è davvero un controsenso continuare ancora a parlare di letteratura africana, trattandola implicitamente come una letteratura di rango inferiore. Penso ad alcuni dei nostri autori, per esempio Alain Mabanckou, scrittore congolese, trapiantato in Francia all’età di ventidue anni, che da un decennio insegna letteratura francofona alla UCLA. Mabanckou ha vinto tutti i premi più prestigiosi del mondo letterario di lingua francese, ma in Italia non riesce a ottenere il risalto che merita. » D’Alessio, Emanuela/Terziani, Sabina : « Intervista a Isabella Ferretti – 66thand2nd », Via dei Serpenti, 23 juillet 2013, www.66thand2nd.com/public/pdf_rass_stampa/66th_intervistaedi tore_viadeiserpenti_23lug13.pdf (26 mars 2022). 151 Un numéro de Francofonia est intégralement consacré à la réception italienne de la littérature francophone au tournant du millénaire ; signalons en particulier la contribution d’Anusca Ferrari : « Le letterature magrebine nelle scelte dell’editoria italiana. Traduzioni e edizioni originali », Francofonia. Le letterature francofone in Italia, 46 (2004), pp. 89–112. Ferrari observe : « Piccole e grandi case editrici orientano le proprie scelte secondo strategie distinte. La bibliografia mostra che sono case editrici come l’Harmattan Italia, Ibis, Zanzibar, Edizioni Lavoro a promuovere un discorso editoriale inconsueto e originale. Grandi case editrici, con possibilità di ampie tirature, si limitano ad autori dall’indubbio successo – Ben Jelloun – o a titoli e argomenti che rimandano ad un’immagine cristallizzata del Maghreb » (ibid., p. 99).

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nous avons cités, en effet, ont d’abord eu une édition française, presque exclusivement parisienne, avant d’être traduits en italien. Bien qu’une partie considérable des auteurs de 66thand2nd soient traduits de l’anglais, et que le nom même de la maison rende évidente la forte influence de la culture états-unienne dans le projet éditorial dès ses débuts, la littérature en langue française devient bientôt l’un des centres d’intérêt du catalogue. Les éditeurs proposent notamment deux déclinaisons de cette littérature – d’un côté la francophonie d’Afrique, de l’autre le polar, lui aussi dans sa version africaine –, pour se distinguer parmi la pléthore de traductions du français et, en même temps, pour fournir au public une image cohérente à laquelle se rattacher. En effet, quoique nombre d’auteurs africains soient publiés sur le marché du livre italien, la possibilité de les retrouver régulièrement dans une collection reconnaissable permet de fidéliser les lecteurs intéressés par la découverte de nouvelles voix.

5.5.5 Les maisons de taille moyenne et petite : une présence spécifique Alors que certains éditeurs ne tournent leur regard vers la France que dans un second temps, après s’être adonnés à d’autres aires linguistiques, et bien qu’ils le fassent de façon intense, certes, mais non exclusive, quelques maisons se lient d’emblée et très intimement à la littérature en langue française. Nous l’avons annoncé : il s’agit souvent d’entreprises de dimensions réduites, qui doivent bien cerner leur domaine d’activité et le « marquer » de façon univoque afin de rendre claire et reconnaissable leur image publique. Or le français ne constitue pas un cas exceptionnel en ce sens. Au contraire, de petites maisons indépendantes ont été fondées pour plusieurs aires linguistiques, y compris pour la littérature anglophone omniprésente : Keller et Zandonai explorent les littératures en allemand, Iperborea celles du Nord de l’Europe, Sur s’intéresse à l’aire latino-américaine, minimum fax aux États-Unis, Orientalia publie des ouvrages du Moyen-Orient, d’Extrême-Orient et surtout de Chine, Tuga des textes liés à la culture lusophone, et ainsi de suite. La particularité du cas français réside ailleurs : tout d’abord, plusieurs de ces petites maisons hyperspécialisées font des incursions occasionnelles aussi dans la littérature française152, conformément à la présence « dispersée » de cette production en Italie, qui ne laisse indifférente presque aucune maison d’édition. Mais aussi, et surtout, un pic d’intérêt pour 152 Entre 2005 et 2015, les collections Vie et Passi chez Keller accueillent onze traductions du français ; pendant la même période, Zandonai introduit pour la première fois Laurent Mauvignier en Italie et publie, dans la collection Piccoli fuochi, le roman oulipien d’Anne Garréta Sfinge [Sphinx, Paris, Grasset, 1986]. De même, minimumfax s’éloigne parfois de son intérêt original pour des traductions du français : huit ouvrages sont publiés dans Sotterranei, la collection principale, pendant la décennie qui nous concerne.

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la production française au sein des maisons indépendantes se manifeste au tournant des années 2010, alors que la centralité du monde anglophone ne semble laisser aucune place aux langues plus périphériques. En effet, au cours d’une même année, en 2012, trois maisons d’édition proposent aux lecteurs italiens une sélection de fiction française contemporaine : elles s’appellent Gremese, Clichy et L’Orma. L’analyse de leur offre très variée permet de mettre en lumière ceci : même le focus exclusif sur une même aire linguistique peut donner lieu à des résultats divergents selon le projet à l’origine de chaque catalogue. En effet, si le choix de se spécialiser toutes trois simultanément dans le même secteur peut surprendre, les diverses modalités de cette médiation dans chacun des cas rendent compte de la grande distance qui sépare leurs prises de position dans le champ éditorial. Gremese, dans une tentative de diversifier sa production et, par là, d’étendre son public, crée Narratori francesi contemporanei, une collection isolée à l’intérieur d’un catalogue qui est, du reste, très peu littéraire. Tommaso Gurrieri, directeur de la maison florentine Clichy, se spécialise dans la fiction ainsi que dans les essais français, participe à la construction d’un imaginaire de la vie et de la culture parisiennes, et charme le public italien aussi bien par ses publications que par l’image de sa maison. Lorenzo Flabbi et Marco Federici Solari, fondateurs de L’Orma, tournent leur regard dans deux directions, vers les littératures française et allemande, pour (re)proposer en Italie des ouvrages qu’ils considèrent comme représentatifs de la production européenne moderne et contemporaine. Ainsi, nous remarquons que l’objet choisi par un éditeur – dans ce cas, la littérature française, mais il pourrait s’agir d’une autre linguistique, d’un genre littéraire, d’un groupe défini d’auteurs – ne suffit pas à définir l’identité de cet éditeur. En revanche, l’objet contribue à forger cette identité avec d’autres facteurs concomitants, comme la position que la maison occupe dans le champ littéraire, reconnaissable entre autres au reste du catalogue et au discours public de et sur l’éditeur (sur le site web de la maison, dans les journaux, dans les revues), mais aussi dans les paratextes et les couvertures qui présentent chaque livre au public et en soulignent une caractéristique plutôt qu’une autre. Autrement dit : l’éditeur fait siens les livres et les livres contribuent à définir son catalogue.

5.5.5.1 Une collection isolée : Gremese Le cas de Gremese se distingue des deux autres par un aspect précis : tandis que Clichy et L’Orma naissent en 2012, la maison du libraire Gianni Gremese a déjà, à cette époque, une histoire de plusieurs décennies. Elle commence son activité à Rome en 1977 et se spécialise d’emblée dans les arts du spectacle, accordant une attention particulière au cinéma. Les monographies dans les collections Stelle Filanti et Effetto Cinema, qui se concentrent sur des auteurs et des réalisateurs de renom, ainsi que les livres illustrés dans Biblioteca delle Arti, consacrée à la danse et au théâtre, servent à construire l’identité de la maison dans sa première

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décennie d’activité. « Au cours de ces années » raconte l’éditeur lors d’une interview en 2000, « nous avons identifié un marché de niche. Et nous avons un public élitaire qui nous permet de survivre. »153 Après s’être affirmé dans le secteur de son choix, Gremese ouvre peu à peu son catalogue à d’autres domaines. Son ambition n’est pas de devenir un éditeur littéraire ni de révolutionner son identité ; il s’agit plutôt d’élargir l’offre pour ne pas suffoquer sous une spécialisation trop rigide. Pour ce faire, la maison s’adonne d’abord aux genres plus rentables : les livres de cuisine, les guides de voyage (avec Biblioteca Gastronomica et Easy Travel), puis les essais de vulgarisation (avec Astronomia & Dintorni et Saggi illustrati). En outre, au fil des années, l’éditeur crée deux collections de littérature : d’abord Spilli, née dès la fin des années 1980, qui n’obtient pas le succès escompté154 ; puis, dans une seconde tentative d’aborder l’édition d’ouvrages de fiction, Grandi Romanzi, inaugurée en 2007. C’est dans ce projet d’élargissement du public que s’insère, en mars 2012, le lancement de Narratori francesi contemporanei (NFC), une collection dirigée par le critique littéraire Arnaldo Colasanti et décrite sur la page web de l’éditeur, de manière très générale, comme une « nouvelle collection dédiée aux meilleurs talents de la littérature d’au-delà des Alpes »155. Avec une moyenne de cinq publications par an, NFC accueille à ce jour plus d’une vingtaine d’écrivains contemporains. Or Gremese ne montre pas d’intérêt à focaliser son attention sur la production d’un auteur en particulier ; au contraire, il choisit d’explorer différentes voies « à la recherche de nouveaux talents et de nouvelles tendances littéraires »156. En d’autres termes, l’objectif de la collection est d’explorer un segment du marché qu’il estime prolifique, sans volonté de fournir une image de la littérature française construite à dessein. Mais alors pourquoi se consacrer au roman français et non pas à la littérature étrangère tout court, ou bien à la production des États-Unis, source par excellence de best-sellers ? Tout d’abord, parce qu’un lien unit l’éditeur à la France bien avant le lancement de cette collection. En effet, bien que Gremese n’ait pas de succursale en dehors de l’Italie, ses essais sur le cinéma, la danse et le spectacle sont souvent publiés aussi en traduction française sous la même marque. En effet, dans le courant d’internationalisation général du champ éditorial, Gremese a, depuis 1992, 153 Entretien de Gianni Gremese avec Chiara Lico : « Come esportare i nostri autori all’estero », Caffè Europa, 22 juillet 2000, www.caffeeuropa.it/libri/93libri-gremese.html (26 mars 2022). 154 « Purtroppo abbiamo dovuto rinunciarvi [alla narrativa], almeno per il momento. In questo settore ci vogliono mezzi molto potenti e noi non abbiamo mai avuto un ritorno economico soddisfacente. Il nostro scopo, però, è quello di tornare a editare narrativa. Magari anche esordienti » (ibid.). 155 www.libreriagremese.it/default/gremese-editore/narratori-francesi-contemporanei.html (15 septembre 2018). 156 Taglietti, Cristina : « Collane, concorsi, scouting : tutti a caccia di romanzi », Corriere della Sera, 29 janvier 2012.

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étendu son activité à d’autres pays – la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Québec –, et construit ainsi un groupe homonyme qui dépasse les frontières de l’Italie. Ainsi, le groupe Gremese inclut, entre autres, les éditions de Grenelle en France, qui importent des auteurs italiens et qui gèrent aussi les traductions françaises de la marque Gremese. La sélection de ses titres, par ailleurs, est bien ancrée dans le système éditorial français, puisqu’elle est diffusée par Geodiff (du groupe Eyrolles) et distribuée par Sodis, une entreprise du groupe Gallimard. L’inscription de la maison dans un réseau international, et son lien étroit avec de grandes entreprises de l’édition française, peuvent expliquer au moins en partie le choix de sonder ce territoire à la recherche de nouvelles publications. Mais c’est aussi le choix des titres et la présentation graphique des volumes qui permettent de déduire une volonté de combler un vide perçu par l’éditeur sur le marché du livre. Lors d’une interview pour l’inauguration de sa collection NFC, Gremese déclare : « Dans les moments de crise il faut oser davantage, aussi parce que certains espaces sont laissés libres »157. Or cet espace ne peut certainement pas être la littérature en général, qui est amplement représentée par des centaines de maisons en Italie, ni la littérature française, qui se trouve au centre d’au moins deux autres projets contemporains à NFC et, de manière plus dispersée, dans tous les catalogues des plus grands éditeurs littéraires italiens. Le vide que Gremese vise à remplir avec sa nouvelle collection ne peut concerner qu’une fraction spécifique de la prose française contemporaine, et nous estimons qu’il s’agit ici du roman à succès sentimental ou érotique158 dans sa déclination française. En même temps, la collection n’étant pas définie a priori dans les limites de ce genre, elle accueille aussi d’autres ouvrages, souvent même des ouvrages primés et appréciés par la critique française, susceptibles d’atteindre le grand public et de « réhausser » le niveau de la sélection. Effectivement, la plupart des romans traduits du français qui deviennent des best-sellers en Italie sont entourés, dans leur présentation éditoriale, d’une esthétique particulière, toute « française », qui va de l’aura de mystère de Tempi glaciali de Vargas à l’onirisme de L’eleganza del riccio de Barbery, ou de l’exotisme ludique d’Il Paradiso degli orchi de Pennac au cynisme philosophisant de Sottomissione de Houellebecq. Au contraire, près de la moitié des parutions dans NFC affiche une stratégie différente : ces livres se caractérisent par des couvertures tape-à-l’œil, aux couleurs brillantes, avec des images floues, des paysages suggestifs et des corps nus qui rappellent de près les best-sellers du monde anglophone à caractère romantique ou érotique, dans le genre des livres à succès de Nicholas Sparks et d’E. L. James. 157 Ibid. 158 Gramese aborde à maintes reprises et dans tous ses états la thématique amoureuse et érotique : les collections Amore nella storia et Eros e …, fondées en 2012 et en 2016, en sont l’exemple le plus évident ; mais aussi plusieurs publications ponctuelles comme Sesso e scrittura (Carlo Chinaglia, Rome, Gremese, Le calie, 1997) et Supermarket Porno (Sabrina Paravicini, Rome, Gremese, Le girandole, 2014) démontrent l’intérêt de l’éditeur pour ce secteur de production très rentable.

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La sélection des titres confirme cette hypothèse. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’histoires personnelles, de préférence romantiques et qui prennent souvent la forme de biographies romancées de personnalités réelles : en sont de bons exemples les romans de Philippe Vilain, dont Gremese publie à ce jour six ouvrages, ainsi que les traductions de Laurent Seksik, de Natalie David-Weill, de Jacqueline Raoul-Duval, d’Irène Frain159. Dans quelques cas, les publications sont ouvertement érotiques et les graphismes insistent sur cette qualité : les couvertures de Puttana de Nelly Arcan et d’Io sono un uomo de Marie Nimier [Putain, Paris, Seuil, 2011 ; Je suis un homme, Paris, Gallimard, 2013] représentent des détails photographiques du corps dénudé d’une femme dans un cas, d’un homme dans l’autre, les deux dans des scénarios sexuels. Aux côtés de ces ouvrages, toutefois, se trouvent aussi des auteurs primés, renommés à l’international et souvent représentés en même temps par d’autres maisons : parmi eux, rappelons Le Clézio, Laferrière, Emmanuelle Pireyre, Yanick Lahens. Les graphismes de leurs ouvrages, contrairement aux autres, sont sobres et reconnaissables grâce aux couvertures monochromes et aux bandeaux souvent illustrés d’un portrait de l’auteur. Mais ces présences, qui veulent conférer du prestige à la collection, ne suffisent pas à compenser le manque d’un projet véritablement cohérent. Le choix de publier leurs romans dans ce contexte, en effet, semble moins répondre à des velléités symboliques – se présenter comme une maison littéraire et haut de gamme – qu’à une logique marchande : l’attribution de prix littéraires et la renommée de ces auteurs, qui sont toujours mises en relief dans les bandeaux, peuvent aussi poursuivre l’objectif à court terme de favoriser le succès auprès du public. Le choix de Gremese illustre donc une possibilité du roman français en Italie : même lorsqu’il est traité de manière exclusive, il peut être envisagé comme un produit rentable, susceptible d’intéresser les lecteurs occasionnels et, en somme, comparable aux best-sellers issus de la sphère anglophone.

5.5.5.2 Le charme de Paris : Clichy Clichy naît à Florence en 2012 autour de la rédaction d’une autre maison d’édition florentine, Barbès, avec laquelle elle partage le projet dans ses lignes générales ainsi que les membres du personnel. Barbès, fondée en 2008 par Tommaso Gurrieri, appartenait au groupe Edison, un groupe d’éditeurs et de librairies, et se consacrait principalement à la littérature française. Suite à des soucis financiers 159 Seksik, Laurent : Gli ultimi giorni di Stefan Zweig (trad. Micol Bertolazzi, Rome, Gremese, NFC, 2012 ; Les Derniers Jours de Stefan Zweig, Paris, Flammarion, 2010), David-Weill, Natalie : Le madri ebree non muoiono mai (trad. Rosalita Leghissa, Rome, Gremese, NFC, 2012 ; Les mères juives ne meurent jamais, Paris, Laffont, 2011), Raoul-Duval, Jacqueline : Kafka in love (trad. Giulia Castorani, Rome, Gremese, NFC, 2013 ; Kafka, l’éternel fiancé, Paris, Flammario, 2011), Frain, Irène : L’amante segreto di Madame Curie (trad. Carlos Floris, Rome, Gremese, NFC, 2017 ; Marie Curie prend un amant, Paris, Seuil, 2015).

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au sein du groupe, la maison se voit obligée de fermer ses portes en 2012 ; cependant le directeur, soutenu par son équipe, décide de fonder une nouvelle entreprise : Clichy. Le nom de cette maison souligne non seulement la centralité de la culture française dans le projet éditorial, mais aussi la continuité par rapport à l’expérience précédente – Barbès et Clichy étant deux stations contiguës de la ligne 2 du métro parisien. La nouvelle entreprise, tout en conservant sans modifications la francophilie de sa prédécesseure, s’en distingue par un aspect qu’elle présente comme essentiel : elle est entièrement autonome vis-à-vis de tout groupe éditorial. Cette déclaration d’indépendance absolue est soulignée à maintes reprises par Gurrieri et sa rédaction, de sorte qu’elle constitue une véritable prise de position dans la construction de l’identité de Clichy : l’autonomie de cette nouvelle maison serait, cette fois, tout à fait réelle, « et non seulement en théorie, comme c’était au contraire le cas pour Barbès, où les décisions de Bellentani [le titulaire du groupe Edison] avaient un poids considérable »160. Par là, l’éditeur prend ses distances avec les complications économiques qui avaient entraîné la fermeture de sa maison et se prononce pour une activité plus avisée, où le but lucratif ne l’emporterait pas sur la valeur spécifiquement culturelle. Tout en s’adressant à un public aussi vaste et varié que possible, Clichy se présente d’emblée comme une maison éditant des livres de haute qualité, aussi bien dans leur contenu que dans le travail éditorial : elle se propose de réduire le nombre de parutions annuelles de cent à soixante161 et de produire des livres « immédiatement reconnaissables matériellement aussi »162, grâce au développement d’une image de marque spécifique163. En effet, les couvertures colorées et distinctives permettent de différencier clairement les diverses collections et de marquer très visiblement les livres de « l’empreinte de l’éditeur »164 : les romans de la collection qui nous concerne de plus près, Gare du Nord, se caractérisent par leur fond blanc, qui fait ressortir le nom de l’auteur en lettres noires et le titre en 160 Tommaso Gurriero cité par Paloscia, « I cervelli di Barbès emigrano a Clichy » ; v. aussi « Da ceneri Barbes Editore nascono Edizioni Clichy », ANSA – Entertainment News Service, 30 novembre 2012, ainsi que l’onglet « Chi siamo » dans le site web de l’éditeur (www.edizioniclichy. it/chi-siamo, dernière visite le 25 septembre 2020) et l’interview avec Tommaso Gurrieri pour la revue en ligne Il passaparola dei libri, republiée sur le dite de l’éditeur, www.edizioniclichy. it/2019_02_05_intervista-a-tommaso-gurrieri.html (25 septembre 2020). 161 Paloscia, « I cervelli di Barbès emigrano a Clichy ». V. aussi la présentation faite par Loredana Lipperini dans « Perdere pezzi, parole, editori », dans son blog culturel Lipperatura, 27 novembre 2012, loredanalipperini.blog.kataweb.it/lipperatura/2012/11/27/perdere-pezzi-parole-editori (14 août 2018). 162 Dans la présentation sur le site web de l’éditeur, www.edizioniclichy.it/chi-siamo (25 septembre 2020). 163 Gurrieri dans son entretien avec Valentina Necini : « #INDIaloghi. Intervista a Tommaso Gurrieri », Scene contemporanee, 4 juillet 2014, www.scenecontemporanee.it/indialoghi-intervistaa-tommaso-gurrieri (26 mars 2022). 164 Nous empruntons cette expression de l’ouvrage du directeur d’Adelphi Roberto Calasso, L’impronta dell’editore.

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italiques rouges, au-dessus d’illustrations photographiques ou bien de dessins au style naïf. Comme toute petite maison indépendante, Clichy a intérêt à choisir un secteur de production dans lequel se spécialiser. Le focus sur la littérature française ne représente pas seulement un critère de sélection pour les titres du catalogue, mais aussi et surtout un trait identitaire de la maison, sa véritable raison d’être. Tout d’abord son nom, nous l’avons évoqué, renvoie à une station du métro parisien, et les noms des collections sont issus de lieux emblématiques de la capitale française : Gare du Nord, Sorbonne, Père Lachaise, Beaubourg, et ainsi de suite. En outre, évidemment, la vaste majorité des auteurs publiés sont traduits du français, à l’exception des essais de la collection Bastille et des volumes dans Rive Gauche, qui sont d’écrivains italiens et états-uniens. Enfin, l’intérêt pour la production en français ne s’explique pas, comme nous le verrons dans le cas de L’Orma, par la volonté de construire une identité communautaire et européenne, ou par la centralité de la France dans la production culturelle contemporaine ; il est justifié de manière plus générale par le charme incontesté que Paris exercerait sur les lecteurs italiens165. Autrement dit, au lieu d’insister sur l’universalité des écrivains de langue française, les éditeurs de Clichy mettent l’accent, dans le sillage de l’expérience de Barbès, sur la spécificité de la littérature française, et se proposent donc de « ‘croiser des cultures différentes’ et de faire connaître ‘des idées, des destins, des passages qui révèlent d’autres perspectives’ »166. Ce type de regard, qui développe et renforce les imaginaires existants sur Paris, la France et sa culture, constitue sans doute le trait principal distinguant l’offre de Clichy des autres projets aussi consacrés aux traductions du français à la même période. Comme L’Orma, Clichy peut compter sur l’appui d’un grand distributeur, à savoir RCS d’abord, puis Mondadori Libri, ce qui lui assure une certaine visibilité en librairie. En outre, à partir de 2015, la maison s’appuie aussi sur une librairie homonyme, fondée à Florence et conçue comme un lieu de rencontres culturelles qui permet à l’éditeur de mieux s’ancrer sur son territoire, la ville de Florence, relative165 La page web de Clichy explique, par exemple, que les références des collections à des lieux parisiens sont dues au fait que Paris est « una delle città più amate al mondo » (www.edizioniclichy.it/ chi-siamo, dernière visite le 25 septembre 2020). L’engouement des Italiens pour Paris n’est pas nouveau : dans son analyse de la réception du roman français en Italie au tournant du XXe siècle, Raphael Müller observe que « de 1886 à 1913, le roman-feuilleton français, ou plutôt parisien, était donc au cœur du processus de traduction du français vers l’italien […] En effet, bien plus que le choix des auteurs ou la date de première publication, ce qui paraît avoir retenu l’intérêt des éditeurs italiens, c’est l’évocation de la capitale parisienne, dans tout ce qu’elle avait de plus scintillant et de plus noir. […] Ville lumière, ville du luxe, ville du plaisir mais aussi ville du vice et ville du crime, Paris exerçait en effet un véritable pouvoir de fascination sur les éditeurs et les lecteurs italiens de la fin du XIXe siècle » (Müller, Le Livre français et ses lecteurs italiens, pp. 209– 244) ; des observations analogues avaient déjà été faites par Pippo Vitiello, qui rappelle « il mito della Parigi tentacolare, ricca, trionfante, ma anche lussuriosa e decadente » (Vitiello, « Il libro francese a Firenze e in Italia fra otto e novecento », p. 69). 166 Cinelli, Laura : « Fine di un amore. In un interno buio e rancido, fra le coperte … », Il Resto del Carlino, 20 avril 2008.

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ment marginale dans le champ éditorial du pays. La présence florentine constitue, effectivement, un élément supplémentaire de démarquation dans la construction de l’identité de la maison : alors que Milan et Rome sont aujourd’hui les centres de la production livresque en Italie, Florence se trouve en périphérie ; pour éviter de disparaître dans une provincialité indistincte, Clichy fait de son siège en Toscane l’un de ses points de force et se lie intimement aux réalités locales pour en devenir un point de repère culturel167. Ce n’est pas un hasard, par ailleurs, si l’éditeur insiste sur cet aspect en fondant, parallèlement à Barbès, une seconde marque : les éditions Firenze Leonardo, consacrées exclusivement à Florence et à la Toscane168 (cf. § 2.3.3). De même que la librairie Clichy est une librairie généraliste, ouverte aux grands lecteurs comme aux clients occasionnels, aux adultes comme aux enfants, les éditions Clichy cherchent à couvrir un vaste segment de la production : tout en restant fidèles à leur ligne francophile, elles publient des romans et des essais, des contemporains et des classiques, de la littérature blanche et de genre, des volumes illustrés pour la jeunesse ainsi que d’insolites biographies composées de citations et de photographies des protagonistes. L’offre se présente donc comme variée et expérimentale ; le soin éditorial se reconnaît moins au caractère unique du catalogue qu’au travail artisanal de préparation de chaque livre. Le meilleur exemple de ce type de travail est celui des biographies dans la collection Sorbonne, dirigée par Giovanna Ceccattelli, qui sont toujours introduites par une préface de celui qui, ayant dirigé l’ouvrage, en propose un « encadrement ‘sentimental’ »169. La collection Gare du Nord, consacrée au roman français contemporain, accueille en moyenne une dizaine de nouveautés par an. Elle se présente comme la continuation de la collection Intersections chez Barbès : les titres de Françoise Sagan, d’Eric Faye et d’Olivier Rolin démontrent cette continuité avec la collection précédente, ainsi que son aspiration à obtenir de la légitimité pour ses « découvertes » grâce au crédit de certains auteurs qu’elle accueille170. En effet, aux côtés de certaines personnalités de renom en France, parmi lesquelles citons Antoine 167 Ficicchia, Loredana : « Rive gauche : una libreria parigina », Corriere fiorentino, 4 septembre 2015. 168 « Firenze Leonardo Edizioni è un marchio a tutti gli effetti che in pochi mesi ha raccolto i più importanti autori fiorentini e toscani, sia giornalisti sia scrittori, e propone, attraverso una distribuzione locale, testi e saggi sul territorio e di riflessione sulla cultura, l’arte, l’architettura e le tradizioni toscane. È un lavoro che ci permette di essere presenti nella nostra città, di aprirsi e di rimanere in contatto con il mondo appena fuori dalla redazione. » Gurrieri interviewé par Alessandra Stoppini : « Edizioni Clichy. Intervista a Tommaso Gurrieri », Studio Garamond, 10 juillet 2014, www.studiogaramond.com/edizioni-clichy-intervista-a-tommaso-gurrieri (26 mars 2022). 169 « Una prefazione che fa da inquadramento ‘sentimentale’, nel quale il curatore racconta il mondo del protagonista e in che modo il suo pensiero lo ha toccato e coinvolto, dopo aver cambiato la cultura, la società, la storia » : extrait de la description de la collection sur la page Internet de l’éditeur, edizioniclichy.it/collana/sorbonne-biografie (1er mars 2021). 170 À part le renom établi de Sagan, Faye reçoit en 2010 le Grand prix du roman de l’Académie française et Olivier Rolin obtient une publication de ses œuvres complètes en deux volumes chez Le Seuil entre 2011 et 2012.

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Volodine, Jean d’Ormesson, Mathieu Lindon ou encore Olivier Rolin, la plupart des auteurs publiés dans Gare du Nord sont des écrivains mineurs et souvent inconnus en Italie : c’est le cas, par exemple, de Pierric Bailly et Alice Roland, deux romanciers publiés en France par P. O. L. qui n’avaient avant pas de traductions en italien, ou encore de Linda Lê et Michel Layaz, dont le début chez Barbès est suivi de diverses publications au sein de Clichy. Enfin, Clichy ne respecte pas de politique d’auteur ; en revanche, la maison a tendance à traduire un ou deux titres pour chaque écrivain – à quelques exceptions près : quatre romans de Jean d’Ormesson sont publiés en trois ans171, et deux romans d’Antoine Volodine paraissent en 2013, suivis d’un troisième en 2017172. Dès lors, le nom de la maison ne se lie à aucun auteur en particulier ; au contraire, Clichy tient lieu en général d’observatoire de la production littéraire française, surtout lorsqu’elle raconte l’histoire et les endroits de la France, comme les mouvements de 1968 dans Tigre di carta de Rolin [Tigre en papier, Paris, Seuil, 2002] et la métropole parisienne dans Le volpi pallide de Yannick Haenel [Les Renards pâles, Paris, Gallimard, 2013]. Comme e/o et 66thand2nd, Clichy identifie aussi un filon à exploiter dans le noir français et crée une collection ad hoc pour ses traductions de genre : à côté de Gare du Nord, d’autres titres de fiction française (mais pas seulement) sont accueillis dans Quai des Orfèvres. Depuis 2016, cette collection se consacre au roman policier et noir : ici paraissent, traduits du français, des romans de Norman Ginzberg, Christian Oster, Christophe Lambert, Émilie de Turckheim et de l’écrivain suisse Nicolas Couchepin. Si B-Polar offrait un choix de romans policiers d’ambiance africaine, que e/o s’adonnait de préférence au « noir méditerranéen », et qu’Adelphi se limitait, dans le respect de sa stricte politique d’auteur, à présenter l’œuvre complète de Simenon, Clichy envisage, avec Quai des Orfèvres, « une exploration dans le monde du noir et du giallo classique proposés dans une perspective différente, possiblement inattendue, de toute façon toujours attentive, à la manière de Simenon, aux aspects humains et psychologiques plus qu’aux aspects policiers »173. Ainsi, nous remarquons que se répète, dans le genre circonscrit du roman noir, le même mécanisme récurrent généralement appliqué au traitement du roman français tout court, c’est-à-dire : chaque éditeur cherche à en proposer une sélection faite sous un angle plus ou moins particulier. 171 Parmi ceux-ci, Che cosa strana è il mondo [C’est une chose étrange à la fin que le monde, Paris, Laffont, 2010] était déjà paru chez Barbès en 2010 et il est réédité en 2015 « suite aux demandes continues des lecteurs affectionnés », issu de la présentation du livre en ligne, www.edizioniclichy. it/index.php?file=scheda_libro&id_pubblicazione=142 (13 août 2018). 172 Draeger, Manuela (pseudonime d’Antoine Volodine) : Undici sogni neri, trad. Federica Di Lella, Florence, Clichy, Gare du Nord, 2013 [Onze rêves de suie, Paris, Editions de L’Olivier, 2010] ; Volodine, Antoine : Scrittori, trad. Didier Contadini et Federica Di Lella, Florence, Clichy, Gare du Nord, 2013 [Ecrivains, Paris, Seuil, 2010] ; Volodine, Antoine : Lisbona ultima frontiera, Federica Di Lella, Florence, Clichy, Gare du Nord, 2017 [Lisbonne dernière marge, Paris, Minuit, 1990]. 173 Dans la description de la collection sur le site de l’éditeur  : www.edizioniclichy.it/collana/ quai-des-orfevres-noir (28 septembre 2020).

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L’éditeur florentin se positionne, par ses vélléités d’autonomie ainsi que la structure de son travail, au pôle de production restreinte. Néanmoins, sa visée n’est pas, comme dans le cas d’Adelphi ou, nous le verrons ci-dessous, de L’Orma, de réunir autour de lui un cercle d’initiés à la « grande littérature » ; au contraire, bien ancrée dans sa dimension locale, Clichy s’adresse à toutes les catégories de lecteurs et reconnaît moins sa valeur dans l’exemplarité et le caractère unique de son offre que dans la variété et la richesse artisanale du catalogue.

5.5.5.3 Littérature européenne : L’Orma Nous avons retracé, au § 3.3.6.3, le parcours la maison d’édition romaine L’Orma. Cette maison, qui s’intéresse surtout à la littérature française et allemande moderne et contemporaine, délivre ses premières publications en octobre 2012 : ce sont deux ouvrages, l’un traduit de l’allemand – une enquête de Günter Wallraff, Notizie dal migliore dei mondi, qui démystifie la richesse et le bien-être attribués dans l’opinion commune à l’Allemagne d’aujourd’hui [Aus der schönen neuen Welt, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 2009] –, l’autre traduit du français – un roman noir de Xabi Molia, Prima di scomparire, le premier de l’écrivain et réalisateur basque francophone en Italie [Avant de disparaître, Paris, Seuil, 2011]. Comme nous l’avons déjà observé, les fondateurs de la maison, Lorenzo Flabbi et Marco Federici Solari, spéculent sur leurs liens avec le monde académique, au sein duquel ils maintiennent un réseau étroit de connaissances et trouvent des collaborateurs pour leurs collections plus ambitieuses : ils confient, par exemple, la direction de fuoriformato174 au critique, auteur et professeur Andrea Cortellessa, et le premier volume de l’œuvre complète de Hoffmann dans Hoffmanniana, Gli elisir del diavolo, au germaniste Luca Crescenzi. Cependant, loin de vouloir s’adresser exclusivement à un public savant, les éditeurs ont entre autres pour objectif de favoriser des échanges dans et hors de l’académie, et de créer un dialogue qui, tout en profitant de la légitimation des experts, sorte des universités175. Cette posture d’ouverture au grand public s’allie à leur positionnement systématique « à gauche »176, qui se manifeste surtout par leur participation à plusieurs 174 Secondaire par rapport aux premières collections de la maison, et éminemment expérimentale, fuoriformato est consacrée à la littérature italienne dans tous ses états et s’adresse à un public de niche : « testi italiani irriducibili a convenzioni di genere, impaginazione, stile » (description issue du site web de l’éditeur, www.lormaeditore.it). 175 Lors de nos entretiens, les éditeurs insistent notamment sur leur vocation « intellectuelle », dépassant leur activité académique, au sens où le travail à l’université ne leur permettait souvent pas l’échange et la réflexion qu’ils souhaitaient et qui étaient possibles en dehors des salles universitaires : « Era un po’ paradossale che facendo … insegnando letteratura comparata all’università, i momenti davvero più fervidi fossero quelli che avevo nell’amicizia personale con alcune persone » (Lorenzo Flabbi, Rome, 21 mars 2019). 176 Lors d’un entretien à l’occasion du lancement des premières publications, les éditeurs disent à propos de leurs modèles : « Qualche modello ? ‘Vorremo avere un po’ di Quodlibet e un po’ di

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initiatives encourageant l’élaboration autonome des biens culturels177 ainsi que par la présentation qu’ils font de leurs auteurs – à la fois comme représentants de la meilleure littérature contemporaine et comme porte-paroles de l’expérience humaine de chaque lecteur. Cette prise de position est parfaitement illustrée par l’opération littéraire à ce jour la plus efficace de la maison, et peut-être de toutes les nouvelles traductions du français dans les années 2000 en Italie : la réintroduction et la consécration d’Annie Ernaux. Il s’agit, en effet, de l’auteure de langue française ayant marqué plus que tout autre l’identité de L’Orma : considérée par Flabbi et Federici Solari à maintes reprises comme une raison suffisante pour fonder leur maison178, Ernaux a été « snobée pendant trente ans » par les éditeurs italiens malgré son succès en France179. La publication d’Il posto, suivie de Gli anni, L’altra figlia, Memoria di ragazza et Una donna, a non seulement lancé le succès italien de l’écrivaine, mais a aussi consolidé son renom en France, lui valant l’attribution du prix Strega Européen et réactualisant à l’international ses ouvrages datant des années 1980180. En effet, la remise du Strega à Annie Ernaux en 2016 confirme son succès auprès de la critique italienne, tandis que les institutions de la politique culturelle française et européenne contribuent à cette ascension en finançant la traduction de Gli anni par le biais de la Commission Européenne en 2015 et en attribuant le prix Stendhal à Lorenzo Flabbi en 2018 pour sa traduction de Mémoire de fille [Paris, Gallimard, 2016], Memoria di ragazza. La place de premier rang occupée par Ernaux en Italie pendant la période qui nous concerne, ainsi que la stratégie déployée par L’Orma pour favoriser son succès justifient une brève analyse de ce transfert commencé, en réalité, bien avant, en 1988. En effet, quelques ouvrages de l’auteure avaient déjà été traduits chez Guanda, puis chez Rizzoli dans les années 1980 et 1990181, mais ils avaient suscité très peu d’attention auprès de la critique littéraire italienne, si bien qu’aucun nouvel ouvrage ne paraît pendant les années 2000, même lorsque le public français reçoit

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minimum fax, almeno come possibili sguardi sul mondo.’ Una specie di Adelphi ? ‘Più di sinistra, magari’ » (Filoni, « Volumi-cartolina e grandi tedeschi per lasciare un’Orma »). L’Orma soutient par exemple l’initiative littéraire « Atlante digitale del Novecento letterario » pour l’école (Taglietti, Cristina : « Ernaux, Baricco & C. Le recensioni in rete degli studenti », La Lettura, 18 septembre 2016) et participe aux salons du livre pour l’édition de petites dimensions, comme « Più Libri Più Liberi », ainsi que pour l’édition indépendante, comme « Bookpride ». Turi, Giovanni : « Intervista a Lorenzo Flabbi su Annie Ernaux e L’orma editore », Vita da Editor, 6  octobre 2015, www.giovannituri.wordpress.com/2015/10/06/intervista-a-lorenzo-flabbisu-annie-ernaux-e-lorma-editore (26 mars 2022). De Santis, Raffaella : « Seguire L’Orma da Hoffmann a Annie Ernaux », La Repubblica, 30 mars 2014. Les premières éditions de La Place et de Une Femme, toutes deux publiées chez Gallimard, datent respectivement de 1983 et 1988. Leonella Prato Caruso traduit Una vita di donna pour Guanda en 1988 ; ensuite, chez Rizzoli sont publiés Passione semplice (trad. Idolina Landolfi, 1992), Diario dalla periferia (trad. Romana Petri, 1994), Gli armadi vuoti (trad. Romana Petri, 1996), Non sono più uscita dalla mia notte (trad. Orietta Orel, 1998) et L’onta (trad. Orietta Orel, 1999).

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très positivement Les Années, publié chez Gallimard 2008. Interprétant cet abandon comme une occasion à saisir, Federici Solari et Flabbi décident de faire d’Annie Ernaux l’une des figures de proue de leur catalogue encore en construction. Ils mènent une opération, projetée à long terme, qui s’avère gagnante : ils traduisent et font redécouvrir l’œuvre de l’auteure à partir du binôme de son premier grand succès, La Place, et de son plus récent opus magnum : Les Années. Publiés à un an d’écart l’un de l’autre, tous deux dans une traduction de Flabbi, et insérés dans la collection majeure de la maison, Kreuzville Aleph, Il posto (2014) e Gli anni (2015) obtiennent un succès considérable auprès de la critique. Des retraductions et des rééditions des ouvrages de l’auteure font suite à ces premières parutions : L’altra figlia (2016), Memoria di ragazza (2017), Una donna (2018), La vergogna (2018) et L’evento (2019). Les éditeurs envisagent ce nouveau début d’Ernaux vis-à-vis du public italien comme un investissement de longue durée, ce que la promotion de chacun de ses livres manifeste clairement. La première édition d’Il posto est vendue au prix promotionnel de 10 €, afin de rendre le volume accessible à tous les lecteurs et de diffuser tout d’abord le nom de l’écrivaine à vaste échelle ; quelques années plus tard, le coût de son quatrième livre, Memoria di ragazza, a presque doublé (son prix de couverture est de 18 €), mais il ne semble pas trop élevé aux lecteurs désormais attachés à une auteure reconnue. La promotion des livres, par ailleurs, ne se limite pas aux canaux habituels mobilisés pour les autres titres de la maison – réseaux sociaux, presse, revues littéraires –, mais utilise aussi les fréquences de Radio3, un canal culturel de premier plan et très suivi dans la radio italienne182. En outre, les éditeurs de L’Orma s’assurent, à travers des acquisitions anticipées des droits qui « congèlent » temporairement certains titres de l’auteure, d’en rester les représentants exclusifs en Italie : de cette façon, L’Orma garantit son monopole sur l’œuvre de l’auteure, laquelle peut compter, pour sa part, sur une certaine continuité dans son image et ses traductions. Le succès d’Ernaux se manifeste aussi bien à travers les instances de légitimation spécifiques du monde littéraire – le prix Strega Européen en 2016 et le prix Stendhal à Flabbi en 2018, déjà mentionnés, mais aussi le prix de La Lettura-Corriere della Sera pour la meilleure traduction (toujours de Flabbi) décerné au roman Una donna en 2018 [Une femme, Paris, Gallimard, 1988] – qu’à travers le nombre des ventes, qui dépasse de loin le standard de production de L’Orma : alors que le tirage moyen de la maison s’élève autour de 3000 exemplaires, le premier tirage des derniers titres d’Ernaux atteint 15 000 à 20 000 exemplaires. Dans ce cas aussi, comme toujours lorsqu’un écrivain d’une maison de petite taille parvient à une certaine célébrité183, la présence dans le catalogue d’une personnalité de si 182 Le troisième canal radiophonique de la Rai se spécialise dans les transmissions culturelles, avec des programmes consacrés à la littérature, au cinéma, à la musique classique, à l’histoire, etc. Ses contenus sont suivis par un public très vaste et ses propositions littéraires, en particulier, ont une influence non négligeable sur les choix des « grands lecteurs ». 183 V. supra les remarques sur la présence d’Amélie Nothomb dans le catalogue de Voland.

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grand renom peut s’avérer une arme à double tranchant : grâce à cette auteure, les éditeurs jouissent d’une visibilité, d’une stabilité économique et d’une légitimité importantes ; mais en même temps, ils doivent construire le reste du catalogue de sorte à « ne pas être seulement la maison d’édition d’Ernaux » et à ne pas courir le risque que leur auteure principale n’occulte leurs autres publications184. Or les livres d’Annie Ernaux ne sont pas proposés au public comme un exemple représentatif de la prose et de la culture française. Au contraire, c’est leur valeur universelle, capable de dépasser les frontières nationales, qui est mise en évidence dans la présentation des éditeurs. Gli anni, tout en étant truffé de références spécifiques à la culture française de la seconde moitié du XXe siècle, est présenté comme une « chronique collective » qui réussit « la fusion magistrale de la voix individuelle avec le chœur de l’Histoire »185 ; de façon similaire, le portrait de la mère de l’auteure dans Una donna est décrit comme le « portrait exemplaire d’une femme du XXe siècle », en mesure de « restituer de manière universelle la réalité unique d’un parcours de vie »186. Nous observons donc que le projet de L’Orma se distingue du projet de Clichy en ceci : les deux maisons sont jeunes, de petites dimensions et se consacrent à la production en langue française, mais alors que l’une choisit d’en mettre en lumière le caractère transnational, l’autre s’intéresse au caractère local ; alors que l’une s’en sert pour créer un modèle de littérature mondiale, ou au moins de littérature européenne, l’autre en profite pour esquisser un portrait de la culture et de la vie françaises. Un autre auteur francophone qui accompagne dès le début la maison romaine, et qui confirme cette velléité « universaliste » de la maison, est Bernard Quiriny. Sans obtenir l’énorme succès d’Ernaux, l’écrivain belge fait quand même l’objet de quatre publications entre 2013 et 2019, dont les dernières ont lieu la même année qu’en langue originale187. Parmi ces traductions, La biblioteca di Gould est l’un des premiers titres parus dans Kreuzville, et il est réédité en 2018. Dans la présentation éditoriale, l’absurde et le fantastique sont élevés au rang de valeurs absolues non seulement de cet ouvrage, « enthousiasmant pour tous ceux qui ont à cœur 184 Entretien avec Marco Federici Solari. Nous remercions Federici Solari aussi pour toutes ses informations relatives aux tirages, aux coûts de production et de vente et aux instruments de promotion des publications de L’Orma. 185 Du synopsis dans l’édition de L’Orma (2015). 186 Du synopsis dans l’édition de L’Orma (2018). 187 Deux traductions de Bernard Quiriny étaient parues avant les publications de L’Orma : Racconti carnivori, trad. Enrico Valenzi, préface de Paolo Restuccia/Enrico Valenzi, postface d’Enrique Vila-Matas, Rome, Omero, Fantareale, 2009 [Contes carnivores, Paris, Seuil, 2008] et Le assetate, trad. Stefania Ricciardi, préface de Lidia Ravera, Massa, Transeuropa, Narratori delle riserve, 2012 [Les Assoiffées, Paris, Seuil, 2010]. Ensuite, L’Orma publie dans Kreuzville La biblioteca di Gould. Una collezione molto particolare, trad. Lorenza Di Lella et Giuseppe Girimonti Greco [Une collection très particulière, Paris, Seuil, 2012], Storie assassine, trad. Marco Lapenna, 2015 [Histoires assassines, Paris, Payot et Rivages, 2015], L’affare Mayerling. Romanzo condominiale, trad. Nicolò Petruzzella, 2018 [L’affaire Mayerling, Paris, Payot et Rivages, 2018] et Vite coniugali, trad. Nicolò Petruzzella, 2019 [Vies conjugales, Paris, Payot et Rivages, 2019].

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la littérature »188, mais aussi du recueil suivant, Storie assassine, « un délice raffiné pour ceux qui, dans la littérature, aiment la légèreté et la capacité de donner libre voie à la fantaisie »189. Mais le goût du rocambolesque dans les récits de Quiriny n’est pas présenté, comme c’est le cas par exemple pour Pennac chez Feltrinelli, comme le reflet d’un certain mode de vie français, d’un imaginaire spécifiquement parisien, exotique et idéalisé de manière pittoresque (il suffit de penser à la représentation du quartier multiculturel de Belleville dans le cycle de Malaussène) ; aucune référence, à part les modèles littéraires de l’auteur (parmi lesquels on trouve cependant aussi un anglais, P. G. Wodehose)190, ne contribue à faire de Quiriny un porte-parole de la langue française ou de sa littérature. En revanche, il représente, aux côtés d’Ernaux, le pendant léger et ludique de la prose traduite du français, sans partager avec l’auteure autre chose que le talent d’écrire « avec style et élégance »191. Bien plus que sur sa provenance et sur la spécificité locale de ses textes, donc, les éditeurs insistent sur la qualité de sa prose et confirment ainsi leur intention de proposer une littérature contemporaine qui, tout en étant traduite du français et de l’allemand, concerne et représente aussi le lecteur italien.

5.6 LES AUTEURS Pourtant, le « lecteur italien » n’existe pas, tout comme il n’y pas d’« auteur français » tout court. Nous avons voulu mettre en lumière, dans les pages précédentes, que la variété du champ éditorial vise à maintenir et parfois à enrichir la multiplicité des publics et des écritures possibles ; que si les éditeurs se limitent parfois à satisfaire les attentes du grand public, ils essaient aussi ailleurs de modifier ces attentes et d’en créer de nouvelles au sein du groupe restreint des grands lecteurs ; que chaque maison choisit un genre, une aire géographique, un style, une thématique qu’elle peut approfondir et décliner à sa guise. Cette diversité, qui est bien plus conséquente pour les traductions du français que de l’allemand, tout en présentant également quelques constantes (nous avons remarqué l’intérêt croissant pour le polar, le noir, les littératures d’Afrique), nous permet de distinguer, certes de manière schématique, quelques catégories d’auteurs dont le transfert en Italie a rencontré, d’une manière ou d’une autre, un certain succès. Avant d’en venir à notre cas d’étude, attardons-nous donc encore brièvement sur les noms de la littérature traduite du français qui, pendant la période qui nous concerne, se sont propagés en Italie plus intensément que d’autres.

188 189 190 191

Du synopsis dans l’édition de L’Orma (2013). Du synopsis dans l’édition de L’Orma (2015). V. le synopsis dans l’édition de L’affare Mayerling, L’Orma, 2018. Du synopsis dans l’édition de Storie assassine.

308

Troisième partie

Comme toujours, la schématisation simplifie les nuances de la réalité, mais, si l’on prend soin de noter au fur et à mesure les détails qui rendent chaque cas unique, elle peut faciliter une démonstration autrement bâclée. C’est pour cette raison que nous proposons de classer les auteurs contemporains les plus débattus en trois groupes de principe : tout d’abord, les auteurs moins jeunes et plus établis, reconnus à l’international depuis plusieurs décennies, affirmés aussi bien au pôle de production restreinte qu’au sein des cercles plus larges ; ensuite, les auteurs débattus de manière plus ou moins exclusive au pôle autonome du champ, c’est-à-dire dans les revues littéraires spécialisées et dans le milieu académique, qui peuvent appartenir à des générations très différentes et d’où proviennent habituellement les nouveautés formelles et thématiques réabsorbées et réélaborées par les agents du champ d’accueil, y compris les écrivains qui les évoquent, les citent, les prennent pour modèle ; enfin, les auteurs de best-sellers plus ou moins instantanés, qui peuvent aussi éveiller l’intérêt des spécialistes, mais pas nécessairement, et qui sont dans la plupart des cas représentés par de grandes maisons et des groupes éditoriaux. Ces catégories sont aussi générales que perméables. Aucun auteur n’est définitivement sacré champion des ventes, et toute publication peut faire l’objet à la fois d’une recherche académique et d’un article dans un magazine grand public. Cependant, elles nous aident à concevoir, d’abord, les grands écarts qui séparent par exemple Patrick Modiano de Fred Vargas, Eric Chevillard de Jean-Marie Gustave Le Clézio ; en outre, puisqu’elles ne s’appliquent pas de la même façon aux mêmes auteurs dans les différents pays, elles mettent en évidence le décalage entre le champ littéraire d’origine et le champ d’accueil – comme lorsque des auteurs très débattus dans leur pays sont presque absents de toute réflexion critique et des catalogues éditoriaux à l’étranger. Le cas de François Bon, par exemple, est l’un des plus frappants pour illustrer le destin différent qu’un auteur peut avoir dans son contexte d’origine et hors de ses frontières : malgré les très nombreux ouvrages publiés chez de grandes maisons parisiennes comme Minuit, Albin Michel et Fayard, seule une traduction de Bon a été publiée en Italie, en 2000, aux éditions EL192 ; de même, l’exemple de Pierre Michon montre comment un auteur de premier plan dans un pays peut être presque inconnu du public étranger : cet auteur, en effet, est exclu de l’édition italienne jusqu’en 2016, à l’exception de deux publications isolées chez deux maisons différentes à quinze ans d’écart193 ; puis, en 2016, Adelphi décide de l’intégrer à son catalogue avec Vite minuscole, ouvrage traduit alors

192 François Bon, Via della Posta, 30, trad. Maria Vidale, S. Dorligo della Valle, EL, Frontiere [30, rue de la Poste, Paris, Seuil, 1996]. 193 Padroni e servitori, trad. Roberto Carifi, Parma, Guanda, Narratori della Fenice, 1990 [Vie de Joseph Roulin et Maîtres et serviteurs, Lagrasse, Verdier, 1988 et 1990] et Rimbaud il figlio, trad. Maurizio Ferrara, Reggio Emilia, Mavida, Le storie, 2005 [Rimbaud le fils, Paris, Gallimard, 1991].

Le roman français en Italie : une présence dispersée

309

pour la première fois en italien194, et commence à pratiquer avec lui la politique d’auteur que nous avons déjà décrite. Ces divergences présentent l’indubitable intérêt de rendre manifeste la non-correspondance des champs littéraires. Cependant, vu le grand nombre de traductions existantes et leur remarquable variété, nous ne nous attarderons pas sur la question, aussi immédiate que paradoxale, qui cherche les raisons de ne pas traduire un ouvrage et continuons, de façon cohérente avec le reste de notre analyse, à poser la question inverse, que nous avons formulée dès les premières pages de ce travail : pourquoi traduire ? Cette interrogation présente, d’une part, l’avantage heuristique des diverses sources à disposition pour bâtir une argumentation, alors qu’il est impossible de démontrer, sur la base de faits, les raisons d’un évènement (ici : d’une traduction) qui n’a pas eu lieu. D’autre part, elle rend compte d’un fait statistique que l’on a tendance à perdre de vue, à savoir que les traductions constituent l’exception, et non pas la règle : seul un pourcentage minimal de toutes les publications en français est traduit en italien, c’est pourquoi il est plus sensé de questionner le choix de traduire, plus couteux et risqué, que le choix, bien plus fréquent, de ne pas traduire. Pour en revenir aux auteurs qui sont traduits et amplement débattus, nous insérons dans la première catégorie tous les auteurs plus âgés et de grand renom international, comme Marguerite Duras, Milan Kundera, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Patrick Modiano. Nés dans la première moitié du XXe siècle, ces auteurs ont été consacrés par des instances de très haut niveau dont la renommée franchit les frontières nationales – le prix Nobel en est le meilleur exemple. Ils continuent à produire de nouveaux ouvrages au moins jusqu’aux années 1990 (Duras meurt en 1996), mais la position dominante qu’ils occupent à ce stade dans le champ littéraire leur assure une visibilité immédiate. L’œuvre de ces auteurs, souvent foisonnante, tend à être répartie entre plusieurs catalogues, qu’ils contribuent à légitimer par leur prestige. Traités par la critique comme des classiques contemporains, ils peuvent être connus aussi du grand public, qui n’a pas besoin d’être informé des mérites des textes pour subir l’engouement des « grands noms » de la littérature mondiale : l’inverse, en somme, de ce que nous observons pour les auteurs de livres à succès. Ceux-ci écrivent souvent des livres de genre – noir, polar, roman rose – et sont publiés chez les maisons de plus grandes dimensions : citons, entre autres, Fred Vargas, Pierre Lemaitre, Guillaume Musso, Marc Levy. En revanche, lorsqu’ils écrivent de la littérature blanche, il s’agit d’habitude de cas internationaux construits ad hoc, comme lors des lancements de Muriel Barbery et de Joël Dicker ; quelquefois, enfin, ils attirent l’attention aussi bien du grand public que de 194 Vite minuscole, trad. Leopoldo Carra, Milan, Adelphi, Fabula, 2016 [Vies minuscules, Paris, Gallimard, 1984]. Ces écrivains, d’ailleurs, ne sont pas les seuls « grands absents » du débat italien : un autre exemple est celui d’Hélène Cixous, dont très peu d’ouvrages ont été traduits malgré les récompenses réitérées obtenues par l’auteure en France au cours des années 2010.

310

Troisième partie

la critique littéraire plus spécialisée, comme dans les cas de Jonathan Littell et de Michel Houellebecq. Mais, comme nous le verrons dans le détail en comparant la réception d’Emmanuel Carrère en France et en Italie, le retentissement médiatique et le succès commercial d’un ouvrage se reproduisent très rarement à l’étranger tel qu’ils se manifestent dans le champ d’origine. L’exemple le plus évident de ce décalage est représenté par les lauréats des prix de la rentrée littéraire de septembre : en France, le discours de la presse autour des titres sélectionnés pour les plus grands prix littéraires (le Goncourt, le Renaudot, le Médicis, le Femina), puis l’attribution de ces mêmes prix en novembre, engendre un immense mécanisme publicitaire qui se traduit presque toujours par des chiffres de ventes très élevés pour les ouvrages choisis. Or, bien que ces ouvrages soient pour la plupart achetés et publiés promptement par les maisons d’édition italiennes, ils n’éveillent pas pour autant un intérêt comparable auprès du public étranger195, moins sensible à la valeur symbolique des prix français et qui ne subit pas l’effet des médias mobilisés. La presse italienne, en effet, ne rapporte pas la « course aux prix » telle qu’elle est suivie par les pages culturelles des journaux français. Pour mieux illustrer le caractère systématique de l’intérêt que démontrent tout de même les éditeurs italiens à l’égard des romans lauréats, nous proposons ci-dessous un tableau schématique qui rapporte un historique de leurs éditions originales et, le cas échéant, de leurs traductions. Prix Goncourt

Trad. italienne

Prix Médicis

Trad. italienne

2005

François Weyergans, Trois jours chez ma mère, Grasset

Tre giorni da mia madre, trad. Gian Luca Spadoni, Gaffi, Godot, 2007

Jean-Philippe Toussaint, Fuir, Minuit

Fuggire, trad. Roberto Ferrucci, Fandango, Mine vaganti, 2007

2006

Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard

Le Benevole, trad. Margherita Botto, Einaudi, Supercoralli, 2007

Sorj Chalandon, Une Promesse, Grasset



2007

Gilles Leroy, Alabama Song, Mercure de France

Alabama Song, trad. Margherita Botto, Baldini Castoldi Dalai, Romanzi e racconti, 2008

Jean Hatzfeld, La Stratégie des antilopes, Seuil

La strategia delle antilopi, trad. Anna d’Elia, Bompiani, Overlook, 2011

195 Cf. § 3.4.

311

Le roman français en Italie : une présence dispersée

Prix Goncourt

Trad. italienne

Prix Médicis

Trad. italienne

2008

Atiq Rahimi, Syngué sabour : Pierre de patience, P. O. L.

Pietra di pazienza, trad. Yasmina Melaouah, Einaudi, Supercoralli, 2009

Jean-Marie Blas de Roblès, Là où les tigres sont chez eux, Gallimard

Alcântara, trad. Marcella Maffi, Frassinelli, Narrativa, 2009

2009

Marie NDiaye, Trois femmes puissantes, Gallimard

Tre donne forti, trad. Antonella Conti, Giunti, Narrativa, 2010

Dany Laferrière, L’Énigme du retour, Grasset

L’enigma del ritorno, trad. Giulia Castorani, Gremese, Narratori francesi contemporanei, 2014

2010

Michel Houellebecq, La Carte et le territoire, Flammarion

La carta e il territorio, trad. Fabrizio Ascari, Bompiani, Narratori stranieri, 2010

Maylis de Kerangal, Nascita di un ponte, Naissance d’un pont, trad. Maria Verticales Baiocchi et Alessia Piovanello, Feltrinelli, Narratori, 2013

2011

Alexis Jenni, L’Art français de la guerre, Gallimard

L’arte francese della guerra, trad. Leopoldo Carra, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2014

Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire, P. O. L.

Cosa vuol dire amare, trad. Isabella Mattassi, Barbès, Intersections, 2012

2012

Jérôme Ferrari, Le Sermon sur la chute de Rome, Actes Sud

Il sermone sulla caduta di Roma, trad. Alberto Bracci Testasecca, e/o, Dal mondo, 2013

Emmanuelle Pireyre, Féerie générale, L’Olivier

Incantesimo generale, trad. Francesca Bonomi, Gremese, Narratori francesi contemporanei, 2013

2013

Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, Albin Michel

Ci rivediamo lassù, trad. Stefania Ricciardi, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2014

Marie Darrieussecq, Il faut beaucoup aimer les hommes, P. O. L.



312

Troisième partie

Prix Goncourt

Trad. italienne

Prix Médicis

Trad. italienne

2014

Lydie Salvayre, Pas pleurer, Seuil

Non piangere, trad. Lorenza Di Lella et Francesca Scala, L’asino d’oro, Omero, 2016

Antoine Volodine, Terminus radieux, Seuil

Terminus radioso, trad. Anna D’Elia, 66thand2nd, Bookclub, 2016

2015

Mathias Énard, Boussole, Actes Sud

Bussola, trad. Yasmina Melaouah, e/o, Dal mondo, 2016

Nathalie Azoulai, Titus n’aimait pas Bérénice, P. O. L.



Fig. 8 : Lauréats du prix Goncourt et du prix Médicis (2005–2015)

Prix Renaudot

Trad. italienne

Prix Femina

Trad. italienne

2005

Nina Bouraoui, Mes mauvaises pensées, Stock



Régis Jauffret, Asile de fous, Gallimard



2006

Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic, Seuil

Memorie di un porcospino, trad. Claudia Ortenzi et Michele Simeoni Morellini, Griot, 2009 ; Memorie di un porcospino, trad. Daniele Petruccioli, 66thand2nd, Bazar, 2017

Nancy Huston, Lignes de faille, Actes Sud

Un difetto impercettibile, trad. Federica Aceto, Rizzoli, La scala, 2007

2007

Daniel Pennac, Chagrin d’école, Gallimard

Diario di scuola, trad. Yasmina Melaouah, Feltrinelli, Narratori, 2008

Eric Fottorino, Baisers de cinéma, Gallimard

Baci da cinema, trad. Michela Paolini e Elena Sacchini, Nutrimenti, Gog, 2010

2008

Tierno Monénembo, Le Roi de Kahel, Seuil

Il re di Kahel, trad. Gabriele Fredianelli, Barbès, Intersections, 2009

Jean-Louis Fournier, Où on va, papa ?, Stock

Dove andiamo, papà ?, trad. Elena Sacchini, Rizzoli, Rizzoli best, 2009

313

Le roman français en Italie : une présence dispersée

Prix Renaudot

Trad. italienne

Prix Femina

Trad. italienne

Gwenaëlle Aubry, Personne, Mercure de France

Nessuno, trad. Tommaso Gurrieri, postface de Fabio Scotto, Barbès, Intersections, 2010

Patrick Lapeyre, La Vie est brève et le désir sans fin, P. O. L.

La vita è breve e il desiderio infinito, trad. Marcella Uberti-Bona, Guanda, Narratori della Fenice, 2011

Limonov, trad. Francesco Bergamasco, Adelphi, Fabula, 2012

Simon Liberati, Jayne Mansfield 1967, Grasset

Jayne Mansfield 1967, trad. Maurizio Ferrara, Fandango, 2012

Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil, Gallimard

Nostra Signora del Nilo, trad. Stefania Ricciardi, 66thand2nd, Bazar, 2014

Patrick Deville, Peste et Choléra, Seuil

Peste & colera, trad. Roberto Ferrucci, e/o, Dal mondo, 2013

2013

Yann Moix, Naissance, Grasset



Léonora Miano, La Saison de l’ombre, Grasset

La stagione dell’ombra, trad. Elena Cappellini, Feltrinelli, Narratori, 2019

2014

David Foenkinos, Charlotte, Gallimard

Charlotte, trad. Elena Cappellini, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2015

Yanick Lahens, Bain de lune, Sabine Wespeiser

Bagno di luna, trad. Martina Bucci, Gremese, Narratori francesi contemporanei, 2015

2015

Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie, Lattès

Da una storia vera, trad. Elena Cappellini, Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 2016

Christophe Boltanski, La Cache, Stock

Il nascondiglio, trad. Marina Di Leo, Sellerio, Il contesto, 2017

2009

Frédéric Beigbeder, Un roman français, Grasset

2010

Virginie Despentes, Apocalypse baby, Apocalypse bébé, trad. Silvia Grasset Marzocchi, Einaudi, Stile Libero, 2012

2011

Emmanuel Carrère, Limonov, P. O. L.

2012



Fig. 9 : Lauréats du prix Renaudot et du prix Femina (2005–2015)

314

Troisième partie

Nous observons qu’il existe très peu d’exceptions à la traduction rapide, au bout de deux ans en moyenne, des ouvrages lauréats. En outre, et cela confirme le caractère systématique de ces traductions, nous remarquons que l’acquisition d’un roman lauréat ne correspond pas nécessairement à un intérêt général de l’éditeur pour cet auteur, dont le reste de l’œuvre demeure souvent inconnu. Au contraire, dans beaucoup de cas la publication s’avère une initiative isolée, sans suite pour la trajectoire de l’auteur en Italie : c’est le cas de François Weyergans (redécouvert plus tard, à partir de 2015, par L’Orma), de Gilles Leroy (dont il n’existe que trois traductions en italien), d’Alexis Jenni (dont les trois romans ultérieurs au Goncourt, parus chez Gallimard en France, n’ont été acquis par aucun éditeur italien), de Christophe Boltanski (dont le roman suivant, publié chez Stock, n’a pas de traduction italienne), de Jean-Marie Blas de Roblès, Simon Liberati et Yanick Lahens (seuls deux ouvrages de chacun ont été traduits, en comptant leurs romans lauréats du Médicis et du Femina), d’Emmanuelle Pireyre et Gwenaëlle Aubry (pour lesquelles Incantesimo generale et Nessuno restent les seules traductions italiennes), d’Eric Fottorino, Patrick Deville et Léonora Miano (Baci da cinema, Peste & colera et La stagione dell’ombra sont les dernières traductions publiées en Italie pour chacun d’eux), de Patrick Lapeyre (aussi traduit uniquement à l’occasion de son prix). Tous ces auteurs ont publié plusieurs livres – des romans, des essais, des nouvelles – avant et après leur victoire d’un prix français ; cependant, l’acquisition des droits de traduction des titres lauréats n’entraîne jamais une véritable opération de reprise ni d’assimilation de l’œuvre antérieure ou ultérieure au prix. Ce type d’automatisme dans les traductions rend évident le pouvoir des formes de légitimation étrangères dans le processus de sélection des éditeurs et, en même temps, le déséquilibre entre les critères qui guident ces choix et les modalités de promotion auprès du public italien. Qui plus est, cette pratique met aussi en évidence le caractère exceptionnel des opérations à long terme autour de l’œuvre d’un auteur pris individuellement, opérations souvent indépendantes de l’engouement provisoire de la presse et du grand public. Ce sont justement ces auteurs qui entrent dans la catégorie moyenne, à savoir l’espace du champ littéraire qui tient lieu de laboratoire, où la consécration symbolique n’est pas encore achevée et le succès commercial est limité, mais où les spécialistes de la littérature se battent pour ou contre les voix proposées par les éditeurs et créent, lentement, un répertoire de la littérature traduite haut de gamme. Nous y insérons tous les noms qui paraissent le plus fréquemment dans les revues spécialisées et dans les travaux académiques : ce sont des auteurs nés à partir des années 1960 et ayant débuté dans les trois dernières décennies du XXe siècle ; ils ont donc déjà franchi la première étape de la critique « immédiate » dans les pages des journaux généralistes et accèdent maintenant à la critique « différée » des connaisseurs, moins susceptibles de subir passivement les contraintes du marché196. Dans son 196 Matteo Majorano propose cette distinction utile entre la « critique immédiate » des grands journaux et celle « différée » des spécialistes pour rendre compte des rythmes et des critères d’évalua-

Le roman français en Italie : une présence dispersée

315

rapport sur la littérature française du XXe siècle étudiée en Italie, Rubino cite les « monographies parues entre 1998 et 2006 » sur Pascal Quignard, Christian Gailly, Pierre Bergounioux, Alain Nadaud, Marie Ndiaye, Sylvie Germain, Michel Chaillou, Emmanuel Carrère et Didier Daeninckx ; ces auteurs formeraient ainsi « une sorte de canon empirique » de la plus jeune génération de romanciers de langue française étudiés en Italie197. Cet effort remarquable du chercheur, nécessaire à une première esquisse du répertoire contemporain, nous permet de commencer une liste des noms les plus débattus au sein des universités ; cependant, nous avons déjà observé que le milieu académique est fortement assujetti à l’« osmose »198 culturelle entre la France et l’Italie et que, dès lors, il n’est pas toujours représentatif de l’effet que l’activité des éditeurs italiens peut exercer sur le lectorat. Observons donc, pour intégrer les observations de Rubino, un lieu plus enclin à recevoir l’offre des traductions du français publiées en italien : la revue littéraire militante Allegoria, par exemple, tout en n’étant pas imperméable aux parutions en langue française, voue une attention considérable à la production éditoriale italienne et, en même temps, donne voix à des spécialistes199. Dans ses numéros 49–72, parus entre 2005 et 2015, Allegoria comprend des comptes-rendus et des dossiers sur les ouvrages de Milan Kundera, Jonathan Littell, Michel Houellebecq, Emmanuel Carrère, Édouard Glissant, Annie Ernaux, ainsi que sur les réflexions de Jacques Bouveresse, Pierre Bourdieu, Jacques Rancière, Guy Debord, Philippe Daros ; elle consacre aussi des pages aux reprises d’auteurs non contemporains par des éditeurs italiens, comme Jan Potocki, Irène Némirovsky, Georges Perec, André Schwarz-Bart, ainsi qu’à des régisseurs français comme Céline Sciamma ou Luc et Jean-Pierre Dardenne et, occasionnellement, à des essais français sans traduction italienne. Nous remarquons que le nombre d’auteurs est très limité, ce qui est encore plus surprenant si l’on considère que, parfois, les mêmes noms reviennent à maintes reprises : les comptes-rendus tion différents appliqués dans les divers espaces, plus ou moins autonomes, du champ littéraire : Majorano, Matteo : « Présentation. Pour une bibliographie du présent », dans Majorano, Bibliographie, pp. 12–18. 197 Rubino, « La littérature française du 20e siècle en Italie ». 198 Ibid. 199 Une des difficultés majeures que nous avons rencontrée dans nos recherches consiste à retrouver les traces de la littérature traduite dans la réflexion sur la production locale – ce qui serait le véritable signe d’une assimilation réussie. Autrement dit : il est relativement aisé de dresser une liste des monographies sur les auteurs traduits ; il est moins facile de trouver toutes les contributions sur ces mêmes auteurs à l’intérieur de volumes collectifs sur des sujets plus variés ; il est, enfin, presque impossible d’identifier toutes les citations, les mentions et les influences plus ou moins explicites des auteurs traduits dans des travaux sur d’autres écrivains, ou même dans les ouvrages des écrivains italiens. Nous avons repéré, au fil des ans, quelques pistes qui témoignent de cette forme extrêmement intéressante de brassage – par exemple l’influence d’Annie Ernaux sur les derniers ouvrages d’Emanuele Trevi et d’Alberto Rollo –, mais nous préconisons, pour pouvoir tirer des conclusions scientifiquement valables, un travail de recherche en contact étroit avec des italianistes : en effet, une collaboration pluridisciplinaire serait le moyen idéal pour découvrir les effets d’interférence que le présent travail commence seulement à mettre en lumière.

316

Troisième partie

de Carrère sont au nombre de trois (seulement dans la décennie 2005–2015), et le dossier sur Littell contient les contributions de six auteurs différents, toutes au sujet des Bienveillantes. En outre, nous remarquons que l’intérêt le plus vif concerne les écrivains traités de façon systématique par leurs éditeurs, c’est-à-dire ceux dont la présence n’est pas due à un intérêt ponctuel et isolé, mais à une opération éditoriale de plus vaste envergure. Le cas d’Allegoria est exemplaire : en observant les articles d’une autre revue littéraire à la même époque, L’Indice dei libri del mese, nous remarquons également une sélection reserrée d’auteurs abordés – parmi lesquels encore Carrère, Ernaux et Houellebecq, mais aussi Modiano, Laferrière, Pennac et d’autres – ainsi qu’une appréciation, parfois aussi explicite, du travail culturel au sein des maisons d’édition culturelles200. Dès lors, nous pouvons confirmer que c’est l’activité des éditeurs les moins soumis aux contraintes de la grande production – notamment son rythme rapide et sa course au best-seller –, donc des éditeurs de taille petite à moyenne indépendants des grands groupes, qui engendre, pendant la décennie que nous observons, les acquisitions les plus durables pour la réflexion littéraire au sein du champ italien. Emmanuel Carrère est l’un des auteurs les plus débattus dans ces espaces du débat culturel. Bien qu’il soit représenté à ce jour par une grande maison historique – Adelphi – et qu’il soit passé par le groupe Mondadori à travers les éditeurs d’Einaudi, il est effectivement arrivé en Italie par une toute petite maison indépendante de Rome, Theoria, qui venait de commencer son activité. Dans le chapitre qui suit, nous étudierons donc dans le détail cette trajectoire et la comparerons, pour mieux en saisir la spécificité, avec le parcours parallèle de l’écrivain en France.

200 Citons à titre d’exemple l’observation de la rédactrice Camilla Valletti sur le « meritorio lavoro di scouting sui migliori scrittori internazionali » opéré par 66thand2nd (« Schede », L’Indice dei libri del mese, mai 2013), mais aussi, plus généralement, la série de contributions mensuelles sur le monde de l’édition, « Osservatorio sull’editoria », initiée la même année, en 2013.

6. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’EMMANUEL CARRÈRE EN FRANCE ET EN ITALIE La trajectoire d’Emmanuel Carrère illustre, en France comme en Italie, l’histoire d’une ascension graduelle. Publié pour la première fois dans les années 1980, Carrère a traversé plusieurs phases de production et de réception avant d’atteindre sa renommée actuelle : dans les pages suivantes, nous reconstruirons les particularités de chacune de ces phases et mettrons en relief les différences de leur évolution dans le champ français et le champ italien. L’objectif de cette analyse est d’illustrer le rôle joué par les déterminants extratextuels dans la lecture et l’appréciation de l’œuvre de Carrère en France et en Italie ; parallèlement, nous identifierons les divers usages que les éditeurs et les critiques ont fait de cette œuvre, en lui attribuant une valeur spécifique variable. Alors qu’en France la majorité de l’œuvre de Carrère est l’apanage d’une seule maison d’édition, P. O. L., les étapes de sa publication italienne se distinguent par de nombreux passages d’un éditeur à l’autre. Ainsi, nous observerons que la progression de la trajectoire de l’auteur est marquée, dans son champ d’origine, par des tournants liés tantôt au style (le passage de la fiction à la non-fiction) tantôt à la figure de l’auteur (l’évolution de phénomène littéraire à écrivain consacré dans un secteur spécifique du champ) ; en Italie, en revanche, de tels virages sont moins perçus par la critique, qui choisit de se focaliser plutôt sur l’originalité des solutions formelles que l’œuvre de Carrère apporte ou mieux renforce dans le champ italien.

6.1 NAISSANCE D’UN BEST-SELLER (1983–1995) Bien qu’aujourd’hui Carrère représente l’une des figures de proue du catalogue de P. O. L., son tout premier roman, L’Amie du jaguar, paraît chez Flammarion. C’est en 1983 : Carrère a 26 ans, il est diplômé de Sciences politiques après des études classiques, membre du comité de rédaction de Positif, un mensuel consacré au cinéma, et travaille comme journaliste chez Télérama. Très jeune, il est inconnu dans le milieu littéraire stricto sensu, mais, à travers son activité professionnelle, il commence à se faire un nom dans le milieu de la critique cinématographique, notamment grâce à un essai sur le réalisateur Werner Herzog, paru en 1982 dans la collection Cinégraphiques, dirigée par François Chevassu1. La même année, il achève d’écrire son premier roman, Piétons fréquents, et l’envoie exclusivement, dans un premier temps, à Paul Otchakovsky-Laurens – que Carrère connaît 1

Carrère, Emmanuel : Werner Herzog, Paris, Edilig, 1982.

318

Troisième partie

comme « l’éditeur de Perec, […] l’écrivain qu’[il] admirai[t] le plus »2. Cependant, sans réponse, il tente aussi sa chance auprès d’autres grandes maisons parisiennes. C’est Flammarion, enfin, qui accepte de publier son livre, à condition d’y apporter quelques modifications suggérées par Thérèse de Saint-Phalle, collaboratrice de la maison3. Après quelques mois de remaniement, le roman est enfin publié sous un nouveau titre : L’Amie du jaguar. S’agissant d’un premier roman, l’éditeur fournit très peu d’indications sur l’auteur : la date et le lieu de sa naissance, son métier (journaliste) et une mention de sa publication sur Herzog. La quatrième de couverture relate brièvement la trame du livre, qui est décrite comme suspendue entre une histoire d’amour et le goût du récit et de l’improbable4.

6.1.1 Le choix de l’éditeur : P. O. L. Pendant ce temps, Otchakovsky-Laurens entre en contact avec Carrère et exprime son intérêt à éditer ses romans suivants. Après avoir travaillé pendant plus d’une décennie chez Flammarion, puis chez Hachette, Otchakovsky-Laurens transforme en maison indépendante la collection dont il était responsable et qui portait pour nom son monogramme : P. O. L. Cette nouvelle maison d’édition représente une sorte de « filiale »5 d’Hachette et jouit d’un capital économique considérable : le même Flammarion possède, au début des années 1980, la majorité des actions de P. O. L. C’est donc entièrement dans les intérêts de son propre capital que Charles-Henri Flammarion accorde les prochains titres de Carrère au nouveau-né d’Otchakovsky-Laurens. Le catalogue P. O. L. commence à se construire sans empressement, puis le rythme des parutions s’accélère au fil des années. Les publications, en effet, ne dépassent pas les onze titres durant la première année d’activité, puis les dix-huit titres en 1984 et les douze titres en 1985 ; mais, à partir de 1991, elles s’établissent autour de quarante titres par an6, ce qui constitue une accélération considérable du rythme de production. Le catalogue, qui privilégie la littérature en langue française 2 3

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Devarrieux, Claire : « Carrère à ciel ouvert », Libération, 1er mars 2007. Chez le même éditeur sont aussi publiés depuis 1978 quelques ouvrages de la mère de Carrère, l’historienne Hélène Carrère d’Encausse, aujourd’hui membre et secrétaire de l’Académie française. Il est donc possible que le manuscrit de l’auteur débutant ait suscité, grâce à cette relation préexistante, une attention particulière auprès des collaborateurs de Flammarion. « Ainsi est-il question, dans ce roman, […] d’amour surtout et de fabulations » (quatrième de couverture de L’Amie du jaguar, Paris, Flammarion, 1983). Bourdieu choisit ce terme pour décrire les entreprises qui, nées au sein de grands groupes éditoriaux, ont « une structure de capital dissymétrique », étant donné qu’elles possèdent un capital financier élevé, mais manquent de légitimité symbolique : Bourdieu, « Une révolution conservatrice dans l’édition », p. 15. Pour la décennie 1990–2000, les titres publiés par an sont au nombre de 19 (1990), 34 (1991), 33 (1992), 30 (1993), 35 (1994), 35 (1995), 35 (1996), 43 (1997), 50 (1998), 48 (1999), 46 (2000).

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et ne traduit qu’exceptionnellement des ouvrages étrangers, se construit autour de peu d’auteurs déjà lancés ailleurs – chez Flammarion pour Carrère, mais aussi dans la collection P. O. L. chez Hachette, par exemple dans les cas de Georges Perec, de Renaud Camus et de Leslie Kaplan. Puisque la maison a tendance à respecter une politique d’auteur, les livres ultérieurs de ces écrivains paraissent presque exclusivement chez P. O. L. qui, souvent, repropose aussi leurs ouvrages antérieurs au changement d’éditeur : ainsi L’Excès-l’usine de Kaplan, déjà paru chez Hachette en 1982, est réédité en 1987, et L’Amie du jaguar est également republié chez P. O. L. en 20077. À partir de 1984 jusqu’à aujourd’hui, la majorité des livres de Carrère est publiée dans la maison d’Otchakovsky-Laurens. Seuls deux volumes font exception : la biographie de Philip Kindred Dick, Je suis vivant et vous êtes morts, qui paraît aux Éditions du Seuil en 19938, et le récit La pièce fermée, qui accompagne le volume d’Ed Alcock, Hobbledehoy, paru aux éditions Terre Bleue en 20139. Ces dérogations au rapport exclusif de l’écrivain avec P. O. L. ne doivent pas surprendre : la première relève moins de l’activité littéraire de l’auteur que de son expérience de journaliste et de biographe ; en outre, il s’agit d’un travail de commande, rédigé sur les conseils de l’agent de l’auteur, François Samuelson10. La seconde exception, quant à elle, constitue un apport à un volume composé majoritairement de photographies, elle relève donc d’un domaine extérieur à celui du catalogue de P. O. L. Bravoure, le deuxième roman de Carrère, paraît en 1984. Il n’a pas encore la couverture blanche, côtelée à rainures, qui sera conçue par Maurice Coriat quelques années plus tard et qui caractérise, encore aujourd’hui, les livres grand format chez P. O. L.11 En revanche, il est accompagné d’un tableau de Jean-Philippe Domecq à l’allure surréaliste et d’un court synopsis en quatrième de couverture. Bravoure constitue le premier succès de Carrère, notamment grâce à l’obtention

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Le texte de la quatrième de couverture, en revanche, ne subit aucune modification, malgré la distance temporelle qui aurait justifié un décalage dans la présentation de l’auteur et de son roman de début. Carrère, Emmanuel : Je suis vivant et vous êtes morts : Philip K. Dick, 1928–1982, Paris, Seuil, 1993. Alcock, Ed/Carrère, Emmanuel : Hobbledehoy, Paris, Terre Bleue, 2013. Emmanuel Carrère reprend le parcours qui l’a amené à écrire sa biographie de Philip K. Dick dans Le Royaume (P. O. L., Paris, 2014, pp. 133–136) : « François Samuelson, mon agent, me dit un jour : ‘Tu n’écris plus depuis trois ans, tu as l’air malheureux comme les pierres, il faut faire quelque chose. Pourquoi pas une biographie ? C’est ce que font tous les écrivains en panne. Il y en a que ça débloque, et bien sûr ça dépend du sujet mais je peux certainement t’obtenir un bon contrat.’ Pourquoi pas ? Une biographie, c’est un projet plus humble que le grand roman dont je ne parviens pas à faire le deuil, plus exaltant que des scénarios de télé à la chaîne. […] je charge François de trouver un éditeur intéressé par une vie de Philip K. Dick. J’écris une note d’intention, qui se termine ainsi : ‘Il est tentant de considérer Philip K. Dick comme un exemple de mystique fourvoyé. […]’ ». Zammit, Camille : L’Apparence du livre : l’art de l’identité visuelle dans l’édition littéraire française, Mémoire de Master 2 « Édition imprimée et électronique », sous la direction de Jérôme Dupeyrat, Université de Toulouse II – Jean Jaurès, 2013–2014, p. 22.

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du prix Passion ainsi que du Prix littéraire de la Vocation, qui récompense les auteurs prometteurs âgés de moins de trente ans.

6.1.2 Devenir visible : La Moustache Mais le véritable exploit de l’écrivain auprès du grand public n’a lieu que deux ans plus tard, en 1986, lorsqu’il publie, l’un après l’autre, La Moustache et Le Détroit de Behring. C’est une combinaison originale : le premier livre reprend le ton obscur et angoissant des romans précédents12 et suscite un grand intérêt médiatique, tandis que le deuxième est conçu comme un essai, et son retentissement, assez modéré, se limite au milieu des lecteurs de science-fiction13. L’éditeur ne présente pas La Moustache comme un chef d’œuvre littéraire ; au contraire, la couverture sanglante suggère qu’il pourrait s’agir d’un simple thriller. Le texte se répand rapidement et obtient un succès unanime auprès du grand public. Cela s’explique, du moins en partie, par la participation de l’auteur à Apostrophes, l’émission culturelle télévisée, très populaire, du critique Bernard Pivot, où il est introduit comme « l’un des plus sûrs jeunes espoirs de la littérature française »14. Cette invitation contribue dans une mesure non négligeable à la visibilité publique d’Emmanuel Carrère, si bien qu’elle est explicitement citée dans plusieurs comptes-rendus du roman dans la presse15. En outre, l’écrivain est accompagné à cette occasion par sa mère, la soviétologue Hélène Carrère d’Encausse, dont la renommée contribue, elle aussi, à légitimer le nouvel entrant. Dans les grands journaux français, on observe d’un côté des comptes-rendus plutôt attentifs aux éléments formels du texte et, de l’autre, une lecture plus axée sur la représentation de la société contemporaine délivrée par le roman. Ainsi, Le Monde insère Carrère dans la « tradition du mensonge » à laquelle appartiendraient aussi Aragon, Nabokov et Cocteau, et lui attribue un style caractérisé par

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Cette aura accompagnera Carrère pour longtemps : avant la sortie d’Un roman russe, par exemple, il est présenté comme un « écrivain de l’angoisse » (Amette, Jacques-Pierre : « Emmanuel Carrère, Narcisse sans pitié », Le Point, 1er mars 2007) V. par exemple Lambron, Marc : « Les masques du temps », Le Point, 10 novembre 1986. Il s’agit de l’épisode appelé « Un stylo dans le patrimoine génétique », émis le 18  avril 1986. Puisque cet épisode est consacré aux couples parents-enfants, où les représentants des deux générations écrivent ou bien exercent une activité intellectuelle, Emmanuel Carrère est invité à participer avec sa mère, Hélène Carrère d’Encausse. La citation est issue de la brève présentation de l’auteur faite par Pivot au début de la transmission. Dans un article publié peu après la participation de Carrère à l’émission de Pivot, la question se pose : « Qu’est-ce donc cet étrange roman dont tout le monde parle depuis que l’auteur est passé à ‘Apostrophes’ ? » (Anon. : « Un prince du mentir vrai », La Tribune médicale, 10 mai 1986) ; v. aussi Coppermann, Annie : « La Moustache », Les Echos, 6 mai 1986, et P. R., « Emmanuel Carrère. Avec ou sans ? », Elle, 22 avril 1986.

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la « nudité de l’écriture » qui accompagnerait la « nudité du récit »16. En revanche, un journal plus politisé comme L’Humanité évoque le « glissement progressif du quotidien dans le cauchemar climatisé » qui engendrerait « l’insolite » chez Carrère, et prévient ses lecteurs : « Notre monde, c’est donc ça […] ? Hommes, veillez ! »17. En général, ce qui enthousiasme tous les lecteurs est la combinaison inédite d’une intrigue cauchemardesque avec une prose blanche, sans ornements : cela explique les rapprochements proposés entre Carrère et d’autres écrivains comme le Kafka inquiétant de La Métamorphose18 et le contemporain Jean-Philippe Toussaint, avec qui Carrère partagerait la « nonchalance » du style19. À ce stade, la réception de Carrère est dans une phase ouverte et se limite à la presse généraliste ; plusieurs lectures de son ouvrage sont proposées et l’auteur peut encore être assimilé à des courants différents. Deux « possibles » s’offrent à lui : soit l’adhésion à une écriture de l’inquiétude et de la peur, souvent proche de la science-fiction, soit l’assimilation au minimalisme de la dernière génération d’auteurs des Éditions de Minuit, comme Jean Echenoz et Toussaint. L’écrivain a intérêt à se distinguer et des uns et des autres, tout en exploitant ces rapprochements pour prendre position dans le champ littéraire. Grâce à la visibilité atteinte avec La Moustache, Carrère peut donc compter sur l’attention de la presse lorsqu’il commence, avec ses publications suivantes, à se frayer un chemin entre ces regroupements. On peut effectivement observer, à partir de ce moment et jusqu’à la fin des années 1990, une fluctuation continuelle entre plusieurs tendances. Les publications deviennent de plus en plus fréquentes et variées, et la présence de Carrère dans plusieurs médias de plus en plus imposante. En 1988, P. O. L. publie le roman Hors d’atteinte ?, relatant l’expérience d’une jeune femme qui confie toutes ses décisions au hasard d’une roulette ; la même année, le 3 juin, Carrère participe de nouveau à l’émission Apostrophes, où il présente son dernier livre entouré, cette fois, de plusieurs auteurs internationaux, parmi lesquels l’italien Antonio Tabucchi ; en 1993, les éditions du Seuil publient la biographie de l’auteur de science-fiction Philip K. Dick, Je suis vivant et vous êtes morts ; en 1995, l’auteur écrit l’histoire angoissante du petit Nicolas dans le roman La Classe de neige – dont Claude Miller tire un film homonyme en 1998 –, mais aussi la moins connue Vie abrégée d’Alan Turing pour la revue de littérature générale de P. O. L.20 La biographie de Dick et les romans de 1988 et 1995 obtiennent un grand succès auprès du public, ce qui

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Lepape, Pierre : « Emmanuel Carrère le menteur magnifique », Le Monde, 18 avril 1986. Prévost, Claude : « Le cauchemar climatisé », L’Humanité, 16 juillet 1986. Garcin, Jérôme : « Emmanuel Carrère à rebrousse-poil », L’Évènement du Jeudi, 13 mars 1986. Manière, Philippe : « À un poil près », Le Quotidien, 24 juin 1986. Alferi, Pierre/Cadiot, Olivier (dir.) : Revue de littérature générale, Paris, P. O. L., 1995. La contribution de Carrère se trouve aux pages 301–314 ; elle reprise en 2016 dans le recueil Il est avantageux d’avoir où aller, Paris, P. O. L., 2016 (pp. 77–100).

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est confirmé par leur prompte réédition en format de poche21 ; en particulier, La Classe de neige devient rapidement un best-seller, dont les exemplaires vendus se multiplient à la rentrée, lorsqu’il obtient le prix Femina22.

6.1.3 Obtenir l’attention de la presse : La Classe de neige Avec La Classe de neige, on observe pour la première fois une augmentation significative du nombre d’articles de journaux et de revues consacrés au roman. Le dossier de presse devient visiblement plus volumineux et les reprises des ventes qui font suite d’abord à l’attribution du Femina, puis au film de Miller, augmentent et prolongent le retentissement du livre. Comme dans le cas de La Moustache, ce roman balance aussi entre deux publics. Il est apprécié aussi bien du grand public que de la critique plus spécialisée – bien qu’il ne s’agisse pas encore de la critique militante ni académique, qui commencent à s’intéresser à l’auteur au plus tôt dans les années 2000. Cela s’observe, en guise d’exemple, dans deux publications très différentes l’une de l’autre : d’une part, les lectrices du magazine Elle lui attribuent la deuxième place pour leur prix littéraire annuel ; d’autre part, le critique Pierre Lepape consacre à La Classe de neige un compte-rendu globalement positif dans son « Feuilleton » pour Le Monde des Livres23. En outre, le style du roman oscille entre plusieurs tonalités : les lecteurs ne savent pas choisir, lorsqu’ils résument le contenu du livre, « entre le fantastique et le fait divers »24, entre le « joli roman psychologique » et la « lente descente aux enfers »25 ; et c’est dans ce mélange inédit, qui surgit d’une écriture pourtant sobre et dépourvue d’émotion26, qu’ils identifient la qualité principale du style de l’auteur. L’appréciation presque unanime27 du roman s’accompagne de nombreux rappro21 22 23 24 25 26

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Hors d’atteinte ? et La classe de neige paraissent dans la collection de poche Folio chez Gallimard un an après leur première édition (donc 1989 pour le premier roman et 1996 pour le second). Je suis vivant et vous êtes morts est réédité aux Éditions du Seuil, dans la collection Points, en 1996. Entre novembre et décembre 1995, La Classe de neige reste plusieurs semaines au palmarès des livres les plus vendus en France : dans le palmarès de L’Express du 21 décembre 1995, il est indiqué que le roman figure depuis six semaines dans la liste des livres les plus vendus. Lepape, Pierre : « Les enfants de la nuit », Le Monde, 5 mai 1995. Landel, Vincent : « Descente en piqué », Le Magazine Littéraire, Juin 1995. Garcin, Jérôme : « Carrère noir », L’Express, 11 mai 1995. Pour décrire le style de Carrère, les critiques parlent d’une « économie de moyens qui confine à l’austérité » (Bona, Dominique : « Voyage dans l’imaginaire enfantin », Le Figaro, 25 mai 1995), de « limpidité de l’écriture » (Lebrun, Jean-Claude : « Le petit garçon qui ne voulait plus voir le jour », L’Humanité, 16 juin 1995) ou encore d’une écriture « nette et ferme » (Montrémy, Jean-Maurice de : « Sueur froide », La Croix, 21 mai 1995). Seul un article exprime des réticences sur la qualité du texte : selon Bruno Gendre, en effet, l’auteur n’aurait pas été en mesure de trouver une fin adaptée à son roman : Gendre, Bruno : « Piste de signes », Les Inrockuptibles, 24 mai 1995.

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chements qui veulent élever Carrère au rang d’auteur ‘littéraire’ : en présentant La Classe de neige comme « un chef d’œuvre », Jean-François Josselin compare Carrère à Henry James, avec lequel il partagerait « ce don de nous décrire, de nous redéfinir notre existence, si quotidienne, comme un cauchemar »28 ; dans d’autres articles, des parallèles sont établis avec Patrick Modiano et avec le Goethe du Faust29. Un seul critique regrette que la froideur du style empêche l’écrivain d’être vraiment présent dans son texte. Lepape écrit : « Il ne manque qu’une chose pour que la réussite soit complète : la présence de l’auteur. Il nous demande d’être dans un livre où lui-même ne semble avoir mis que son cerveau et son métier »30. Cette critique est significative parce qu’elle anticipe, en quelque sorte, le développement des publications suivantes de Carrère, à partir de L’Adversaire, et qu’elle se trouve à l’opposé des critiques de « narcissisme » qui seront formulées, nous le verrons, vis-à-vis des publications plus tardives, notamment d’Un roman russe et Le Royaume. En effet, l’emploi du ‘je’, qui caractérise la production de l’auteur à partir des années 2000, répond à cette exigence d’inclusion de l’écrivain dans son texte pour le distinguer définitivement du pur minimalisme. Comme nous le verrons ci-dessous, c’est la concordance de cette nouveauté formelle avec le choix d’un sujet engendrant l’engouement du public français – l’affaire très médiatisée de Jean-Claude Romand – qui permettra à Carrère de bâtir son premier cas littéraire. Quoique la publication de L’Adversaire représente un virage important dans la production de l’auteur, son changement de style n’est pas soudain. Nous avons vu que les lecteurs des romans précédents soulignent déjà l’importance du fait divers dans le processus créatif de l’auteur, et que l’atmosphère inquiétante qui se dégage du quotidien a été, dès le début, l’un de ses intérêts principaux. En outre, le récit paru dans la Revue de littérature générale de P. O. L. en 1995 peut être considéré comme le précurseur de L’Adversaire : dans sa Vie abrégée d’Alan Turing, Carrère fournit un exemple de sa fascination pour les vies réelles et les drames qui s’y cachent, et exploite ainsi la vogue de la biofiction31 sans renoncer à son intérêt pour l’analyse de la souffrance et des inquiétudes des hommes. Comme nous l’avons annoncé, ce récit n’atteint pas encore la maturité du style que l’on identifie dans le roman suivant : l’écrivain y est encore loin du texte, il reste détaché, et il Josselin, Jean-François : « Maudit à jamais », Le Nouvel Observateur, 27 juillet 1995. Devarrieux, Claire : « Classe tous risques », Libération, 4 mai 1995 et Lebrun, « Le petit garçon qui ne voulait plus voir le jour ». 30 Lepape, « Les enfants de la nuit ». 31 Sous le terme « biofiction » on comprend toutes les « fictions littéraires de forme biographique (vie d’un personnage imaginaire ou vie imaginaire d’un personnage réel) » ; pour un panorama de l’écriture biofictionnelle dans la production française contemporaine, v. Gefen, Alexandre : « Le Genre des noms : la biofiction dans la littérature française contemporaine », dans Blanckeman, Bruno/Dambre, Marc et al. (dir.) : Le Roman français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, pp. 305–319. Gefen cite à son tour, comme source originelle du terme « biofiction », l’article d’Alain Buisine : « Biofictions », Revue des Sciences Humaines, 224 (1991), pp. 7–13.

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faut attendre L’Adversaire pour qu’il trouve la voix particulière que la critique, aujourd’hui, lui reconnaît comme « sa marque même »32.

6.2 TROUVER SA VOIX : LA NON-FICTION ET L’EMPLOI DU ‘JE’ (2000–2009) Dès lors, en France, chaque publication d’Emmanuel Carrère est un best-seller. Certes, le retentissement varie légèrement d’un livre à l’autre, mais les prix reçus systématiquement, les apparitions publiques de l’auteur et ses choix stylistiques ont atteint leur objectif : la production de Carrère ne passe plus jamais inaperçue. Le public touché diverge aussi selon les textes : si plusieurs journaux et revues majeurs (Le Nouvel Observateur, Le Monde des Livres, Le Figaro Littéraire, Télérama, Le Magazine Littéraire, etc.) n’ignorent désormais aucune nouvelle publication, d’autres se sentent plus concernés par certains titres en particulier. Ainsi, L’Adversaire est commenté, entre autres, dans des magazines plus intéressés par le cas psychologique du protagoniste Jean-Claude Romand que le produit littéraire en tant que tel – comme Impact Médecin, Psychiatrie française et le Journal du médecin –, tandis que Le Royaume reçoit une attention particulière de la part de nombreux journaux religieux, comme Témoignage chrétien, La Croix, Pèlerin, L’Homme Nouveau et Famille chrétienne. Nous insistons sur la presse car elle joue un rôle primordial en assurant la visibilité de Carrère auprès du public. Il devient de plus en plus habituel, en effet, qu’un grand nombre d’articles soit consacré à chacun de ses livres avant même la parution – créant une attente auprès des lecteurs qui se reflète, ensuite, dans la quantité d’exemplaires vendus dès la sortie. Ce mécanisme s’établit avec le roman publié en 2000, mais s’intensifie graduellement jusqu’à prendre des dimensions exorbitantes, nous le verrons, avec Limonov et Le Royaume. Ce type de phénomène peut être ramené à ce que le sociologue Robert K. Merton définit l’« effet Mathieu » : les agents sociaux qui ont déjà obtenu de la reconnaissance ont plus de chances d’en obtenir encore, alors que ceux qui n’ont pas encore été consacrés sont moins susceptibles de l’être à l’avenir33. En d’autres termes, la consécration tend à s’accumuler, car le capital obtenu par un écrivain dans le passé lui sert souvent de crédit symbolique pour ses publications futures.

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Leyris, Raphaëlle : « Un écrivain des ‘choses de l’âme’ », Le Monde, 28 août 2014. Merton, Robert King : The Sociology of Science. Theoretical and Empirical Investigations, Chicago, University of Chicago Press, 1973, pp. 439–459. Merton analyse, en particulier, les modalités de l’effet Mathieu dans le milieu des sciences dures ; Gisèle Sapiro applique ce phénomène à l’analyse des flux de traduction : Sapiro, Gisèle : Sciences humaines en traduction : les livres français aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Argentine. Rapport de recherche, Paris, Centre européen de sociologie et de science politique, 2014.

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6.2.1 Du fait divers au cas littéraire : L’Adversaire Nous pouvons relier le succès grand et immédiat de L’Adversaire à la convergence de plusieurs facteurs : la trajectoire de l’auteur, guidée par la promotion de l’éditeur sur plusieurs médias, l’a placé sous le feu des projecteurs ; la maison elle-même a aussi grandi avec ses auteurs et a atteint une visibilité considérable dans les librairies ; pour la première fois, le volume présente une quatrième de l’auteur où il utilise le ‘je’ caractéristique de l’ouvrage. En outre, malgré la parution prévue pour le 4 janvier 2000, de nombreuses critiques publiées avant ou à proximité de cette date34 contribuent à lancer le titre et à éveiller la curiosité des lecteurs ; le sujet, par ailleurs, suscite un grand intérêt auprès du public, sensible à l’affaire Romand qui avait été intensément médiatisée en France ; enfin, les choix formels de l’auteur sont accueillis avec enthousiasme par la critique spécialisée, qui entame, à partir de cette publication, un débat sur l’hybridation du genre romanesque qui accompagnera toute l’œuvre de Carrère. Si tous ces éléments ne justifient pas, a priori, la réception positive du roman – il est impossible de prévoir avec certitude le succès d’un ouvrage littéraire –, ils permettent néanmoins d’en mieux comprendre la portée et les modalités. Ainsi, la présence considérable, dans les journaux, de photos documentaires issues du procès de Jean-Claude Romand relève de l’intérêt du public pour le fait divers ; le nombre des ventes très élevé dès la sortie du livre35 s’explique par l’effort publicitaire des services de presse de l’éditeur et par son excellent système de distribution ; l’efficacité du lancement est assurée par plusieurs couvertures de magazines et de longs dossiers sur l’ouvrage36 ; et ainsi de suite. En outre, comme dans le cas de La Classe de neige, le retentissement du livre s’étire dans le temps grâce aux diverses adaptations qui en sont réalisées : d’abord une mise en scène pour le théâtre par Sylvain Maurice, puis une autre par Frédéric Cherboeuf ; en 2001 un film dirigé par Laurent Cantet, L’Emploi du temps (issu du fait divers) et un autre film en 2002 sous la direction de Nicole Garcia, L’Adversaire (issu du livre)37. Le nombre croissant d’interviews avec l’auteur38, enfin, est un indice de la construction graduelle 34

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Par exemple : Kervéan, Jean-François : « Moi, Emmanuel Carrère, écrivain, assassin », L’Évènement du jeudi, 2 décembre 1999 (comprenant un extrait inédit du roman) ; Ferrand, Christine : « L’en-quête », Livres Hebdo, 10 décembre 1999 ; Gaignault, Fabrice : « Romand noir », Elle, 3 janvier 2000 ; Jourdaa, Frédérique : « Le premier grand livre de l’année », Le Parisien, 4 janvier 2000. « … le livre a été tiré à 40 000 exemplaires dès sa sortie en librairie, et est déjà retiré à 50 000 exemplaire » (dans : R. S., « Jean-Claude Romand : ‘Le roman d’un menteur’ », Le Progrès, 16 janvier 2000). Par exemple la couverture de la section « Livres » de Libération, parue le 6 janvier 2000, et les longs dossiers de Béatrice Schaad (« Peut-on comprendre un monstre ? », L’Hebdo, 1–6 janvier 2000) et d’Agnès Bozon-Verduraz (« Quand le fait divers inspire la fiction », Télérama, 19 janvier 2000). Gilles Cayatte avait déjà réalisé un documentaire sur l’affaire : Le Roman d’un menteur (1999). Par exemple Tison, Jean-Pierre : « Emmanuel Carrère », Lire, Février 2000 ; Gandillot, Thierry : « ‘Pourquoi j’ai écrit sur Romand’ », L’Express, 25 février 2000 ; Rüf, Isabelle : « Emmanuel Carrère », Le Temps, 8 janvier 2000.

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de son personnage public, une construction encouragée par son emploi du ‘je’ qui éveille la curiosité des lecteurs envers ses prises de position. La réception, qui à ce stade se limite à la presse grand public, n’est pas encore en mesure de dégager les qualités de chaque roman ; au contraire, elle se répète plutôt d’une revue à l’autre, sans présenter de divergences significatives. Ainsi, tous les lecteurs partagent les mêmes observations : le modèle incontesté pour le procédé stylistique est le Truman Capote de De sang-froid39 ; le genre franchit les frontières du roman et aborde les domaines de la non-fiction et de l’enquête40 ; l’intérêt principal du texte résiderait dans l’habileté de l’auteur à aborder une problématique sociale et morale – les questions de l’identité et du mensonge – à l’aide d’un usage contemporain et intelligent de l’instance narrative41. Si à une seule occasion le basculement entre plusieurs genres est reproché à l’auteur42, en général l’enthousiasme pour les solutions formelles qu’il propose est partagé. L’exemple de Lepape, encore une fois, illustre l’élévation qualitative de l’auteur aux yeux des lecteurs les plus exigeants dans cet espace de la réception : d’après lui, si dans le passé « Carrère se tenait prudemment à l’écart de la machine infernale qu’il avait concoctée », avec L’Adversaire « il n’est plus le spectateur de ses phrases et ses récits »43. Mais le passage à la non-fiction et l’emploi du ‘je’ ouvrent à l’écrivain les portes de la reconnaissance spécifique, où l’analyse de ses romans s’avère plus profonde et variée. Cela se remarque, d’une part, aux travaux universitaires qui commencent à être consacrés à son ouvrage et, ainsi, à le légitimer dans le milieu académique, et d’autre part aux articles que la critique militante commence à rédiger à son sujet, orientant ainsi la trajectoire de l’auteur vers le pôle le plus autonome du champ. Les uns et les autres commencent donc à s’intéresser à Carrère en tant qu’auteur représentatif de l’extrême contemporain, notamment en ce qui concerne son usage de la perspective narrative et le rapport, dans ses textes, entre réel et fiction. Des moments significatifs de cette évolution ont lieu lorsque deux revues phares de la critique militante française, Esprit et L’Atelier du roman, accueillent les contri-

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Par exemple Samoyault, Tiphaine : « L’affaire du roman », Les Inrockuptibles, 18 janvier 2000 ; Kervéan, « Moi, Emmanuel Carrère, écrivain, assassin » ; Crom, Nathalie : « Carrère, du fond de l’abîme », La Croix, 6 janvier 2000. Par exemple Lepape, Pierre : « Hors d’atteinte ? », Le Monde, 7 janvier 2000 ; Coppermann, Annie : « Le roman vrai d’une vie de mensonges », Les Echos, 4 janvier 2000 ; de Decker, Jacques : « Le Mal par ses racines », Le Soir, 5 janvier 2000. Delorme, Marie-Laure : « L’affaire Romand », Magazine Littéraire, janvier 2000 ; Crépu, Michel : « Un diable terriblement français », Revue des Deux Mondes, Février 2000 ; Samoyault, « L’affaire du roman ». Un article de Michèle Levaux paru sur La Revue Générale (« L’adversaire », août/ septembre 2000) reprend en grande partie la contribution de Marie-Laure Delorme ; le rapport entre les deux critiques, qui se correspondent presque mot par mot, est peu clair. Bertrand Durovray regrette que « ni enquête, ni roman, le livre boitille », dans : « La vie comme un roman », Le Progrès, 10 janvier 2000. Lepape, « Hors d’atteinte ? ».

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butions de Lakis Proguidis Paul Garapon sur Carrère44, ainsi qu’avec les premiers articles savants sur l’analyse de ses textes45. En outre, le succès remporté par L’Adversaire invite les lecteurs à revaloriser la production passée de l’auteur, ce qui se reflète par plusieurs publications au sujet de ses romans précédents46. Au vu de ces articles, écrits pour et par un lectorat de plus en plus spécialisé, et de l’écho dans la presse généraliste, L’Adversaire peut donc être considéré comme le livre qui pousse Carrère vers le haut, d’un côté comme de l’autre du champ.

6.2.2 Best-seller entre voyeurisme et narcissisme : Un roman russe Le livre suivant d’Emmanuel Carrère, Un roman russe, ne sort qu’en 2007. Mais cela ne correspond pas à sept années de silence : en 2005, l’auteur réalise l’adaptation cinématographique de son roman La Moustache, qui fait renaître l’intérêt pour ce livre datant des années 1980. Les éditions P. O. L. le rééditent à cette occasion, et sont récompensées par cette stratégie commerciale en voyant le titre grimper les classements des meilleures ventes de l’été 2005. La réception du film, par ailleurs, ne se limite pas au milieu cinématographique, mais réveille aussi l’intérêt de quelques journalistes littéraires qui le commentent pour la presse47. Lorsqu’Un roman russe est publié, le 1er mars 2007, les conditions de réception du livre ont changé : une attente a été créée, cette fois aussi dans les cercles plus restreints de l’intelligentsia française. D’un côté, cette attente découle de la consécration des textes précédents : puisque la production de Carrère a été, jusqu’alors, digne de débat, il est plausible, aux yeux des lecteurs, que son nouveau roman soit tout aussi remarquable, donc qu’il mérite leur attention48. De l’autre, l’attente est 44 45

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Proguidis, Lakis : « Là où s’arrête la réalité virtuelle. Carrère, ‘L’Adversaire’ », L’Atelier du roman, 23 (septembre 2000) ; Garapon, Paul : « Décentrer le regard. Le travail du roman. Carrère et Jean Rolin », Esprit, 295 (2003), pp. 25–36. Rabaté, Étienne : « Lecture de ‘L’Adversaire’ de Carrère. Le réel en mal de fiction », dans : Majorano (dir.), Le Goût du roman ; et aussi une mention de l’auteur dans l’article de Viart, Dominique : « Fictions en procès » (dans Blanckeman/Dambre et al., Le Roman français au tournant du XXIe siècle) Par exemple Rico, Josette : « ‘Hors d’atteinte ?’ de Carrère. Le jeu comme obscur de la jouissance féminine », dans : Francalanza, Éric (dir.) : La Littérature et le jeu du XVIIe siècle à nos jours, Bordeaux, Presses universitaires, 2004 et Huglo, Marie-Pascale : « Voyage au pays de la peur. Rumeur et récit dans ‘La Classe de neige’ de Carrère », dans : Protée, 32 (2004/2005), pp. 101–112. Kaplan, Nelly : « A repousse-poil », Magazine littéraire, juillet/août 2005 et Trémois, Claude-Marie : « ‘La Moustache’ de Carrère », Esprit, 316 (juillet 2005), pp. 243–247. Pour la presse cinématographique : Longatte, Arnaud : « Emmanuel Carrère : ‘N’avoir pas d’autres armes que ce que disent les personnages’ », La Gazette des Scénaristes, 1er mai 2005 et Renard, Paul : « L’horreur et le mal », Positif, avril 2012. Il s’agit d’une « prophétie qui s’auto-réalise », pour le dire encore avec Merton, qui explique les fondements socio-psychologiques de l’effet Mathieu de la façon suivante : « This principle repre-

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renforcée par l’intérêt des journaux envers Carrère en tant que « personne »49, ce qui s’explique par le fait qu’Un roman russe traite en profondeur de la relation de l’auteur avec sa mère, qui est aussi une personnalité reconnue dans le milieu intellectuel parisien50. Dans ce roman, une collision a lieu entre la personne sociale et l’image de l’auteur. En effet, le genre autofictionnel, dans lequel s’insère au moins en partie Un roman russe51, brouille les cartes, confondant les voix de l’auteur, du narrateur et du protagoniste52. C’est pour cette raison que certains reprochent à Carrère sa présence trop imposante dans l’histoire : « Si l’auteur se peint avec tant de minutie et de cajolerie, juger le livre, c’est attaquer l’homme », écrit par exemple l’écrivain et critique Jacques-Pierre Amette53. De même, quelques lecteurs estiment que les trois histoires principales qui composent le roman – la folie, le secret, la langue – ne se tiennent pas, et que l’unité du livre est entravée par la volonté de l’auteur de tout montrer, faisant du lecteur un voyeur de ses expériences et de ses fantasmes – un autre volet, donc, du narcissisme54. Dans des publications plus spécialisées, néanmoins, ce même « narcissisme » est interprété comme un signe positif du « pacte autobiographique incisif et exigeant »55 que l’auteur proposerait à

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sents a special application of the self-fulfilling prophecy, somewhat as follows : Fermi or Pauling or G. N. Lewis or Weisskopf sees fit to report this in print and so it is apt to be important (since, with some consistency, he has made important contributions in the past) ; since it is probably important, it should be read with special care ; and the more attention one gives it, the more one is apt to get out of it » (Merton, The Sociology of Science, p. 456). Nous employons ici le terme « personne » au sens de Dominique Maingueneau, tel qu’il le définit dans Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004, pp. 107– 108 : ici, la « personne » est considérée comme « l’individu doté d’un état civil, d’une vie privée » ; elle constitue l’identité du « créateur » avec deux instances supplémentaires, à savoir l’« écrivain » (« l’acteur qui définit une trajectoire dans l’institution littéraire ») et l’« inscripteur » (qui « subsume à la fois les formes de subjectivité énonciative de la scène de parole impliquée par le texte […] et la scène qu’impose le genre de discours »). V. par exemple Garcin, Jérôme : « Le secret de ma mère », Le Nouvel Observateur, 22 février 2007 (avec des extraits inédits du roman) ; Audrerie, Sabine : « Le livre de ma mère », La Croix, 1er mars 2007 ; de Lamberterie, Olivia : « ‘J’ai dévoilé ce secret pour moi et pour ma mère’ », Elle, 5 mars 2007. Cette catégorisation est parfois partielle, car le roman en question réunit plusieurs noyaux narratifs distincts, dont le caractère autofictionnel est plus ou moins accentué selon les cas. V. par exemple Buisson, Jean-Christophe : « La résolution russe », Le Figaro Magazine, 3 mars 2007 et Martin, Isabelle : « Le grand-père fantôme », Le Temps, 3 mars 2007. Cf. Grell, Isabelle : L’Autofiction, Paris, Armand Colin, 2014, p. 10. Amette, « Emmanuel Carrère, Narcisse sans pitié ». Marc Cassivi, dans son article pour La Presse, écrit que « le récit, hachuré, souffre sans doute de sa multiplicité » (« Souvenir d’été », 14 août 2007) ; Jean-Maurice de Montrémy, pour Livres Hebdo, se demande : « est-il indispensable que l’affaire nous soit révélée dans tous ses détails ? » (« Ceux qui l’aiment prendront le train », 1er mars 2007) ; Amette, déjà cité, présente l’écriture de Carrère dans ce roman comme « une façon de transformer le lecteur en voyeur, puis en galérien du ‘moi je’ » (Amette, « Emmanuel Carrère, Narcisse sans pitié »). La citation est issue de la présentation qui précède l’entretien entre Emmanuel Favre et Emmanuel Carrère : « Généalogie d’une délivrance », Le Matricule des Anges, avril 2007.

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ses lecteurs, et les critiques soulignent, au contraire, que « les trois [thématiques] sont intimement liées »56 et que le « dévoilement de l’intimité familiale ne transforme pas le lecteur en ‘voyeur’ »57. Carrère s’insérerait donc, pour certains, dans le genre autofictionnel de manière complexe et actualisante. Malgré ces quelques divergences, la vaste majorité des comptes-rendus est très positive, avec une première acclamation comme « chef d’œuvre »58. Le nombre de ventes ne faiblit pas : bien que le retentissement dans la presse soit moins éblouissant que dans le cas de L’Adversaire, le tirage initial d’Un roman russe atteint les cent mille copies59 et, à la fin 2007, il s’avère l’un des dix textes littéraires les plus vendus en France60. Dans le milieu académique aussi, Carrère continue à susciter l’intérêt des chercheurs, qui ne cessent depuis la parution de L’Adversaire de s’intéresser au « romanesque » dans son œuvre61, une question qui s’impose encore plus fermement à la sortie du roman suivant, deux ans plus tard.

6.2.3 La conversion de l’auteur : D’autres vies que la mienne En 2009, P. O. L. publie D’autres vies que la mienne, qui obtient d’emblée un énorme succès de ventes62. L’enthousiasme de la presse est unanime, et nous y distinguons au moins trois courants de réception : l’un, qui est fréquent dans les revues de littérature comme la Revue des deux mondes et le Magazine Littéraire, met l’accent sur des questions d’ordre formel et stylistique ; l’autre, présent surtout dans des publications généralistes comme L’Humanité et Le Nouvel Observateur, insiste sur la thématique et la signification morale du livre ; le troisième, qui se manifeste dans des magazines grand public comme Elle et Marie Claire, souligne le caractère sentimental, émouvant du roman. Cette variété interprétative manifeste le succès de la stratégie éditoriale, qui vise à atteindre plusieurs catégories de lecteurs et à sa56 57 58 59 60 61

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Delorme, Marie-Laure : « Emmanuel Carrère, le livre pour ma mère », Le Magazine littéraire, mars 2007. Noiville, Florence : « J’avais l’impression d’être enfermé », Le Monde des Livres, 2 mars 2007. Larminat, Astrid de : « Cette fois, l’Adversaire, c’est lui », Le Figaro Littéraire, 1er février 2007. Cette donnée est fournie dans Favre, Emmanuel : « Le temps retrouvé », Le Matricule des Anges, avril 2007. En neuvième position, entre Philippe Claudel (Le Rapport de Brodeck, huitième position) et Patrick Modiano (Dans le café de la jeunesse perdue, dixième position) selon le classement des meilleures ventes de L’Express-RTL, 28 février 2008. Citons, entre autres, le recueil Chercher la limite. Écritures en tension (sous la direction de Matteo Majorano, Bari, B. A. Graphis, 2008) qui contient deux contributions notamment sur cet aspect de l’œuvre de Carrère, à savoir un article de Dominique Rabaté (intitulé « Passages à la limite. Roman et romanesque chez Emmanuel Carrère ») et un autre d’Annie Olivier (avec le titre « Quand le réel fait trembler la fiction. Carrère, Pachet, Desbordes, Modiano »). Après Marie NDiaye et Anna Gavalda, l’auteur serait le troisième auteur francophone le plus lu en 2010, selon le palmarès annuel publié par L’Express-RTL du 16 mars 2010.

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tisfaire des exigences différentes sans que le succès commercial de l’auteur (ni de sa maison) n’affecte sa légitimité littéraire. Dans ces trois courants, nous repérons quelques considérations transversales qui accompagnent la réception française de Carrère. Tout d’abord, la difficulté de classer l’œuvre de Carrère dans un genre univoque : elle est attisée par la quatrième de couverture, « Tout y est vrai », écrite par l’auteur et citée dans plusieurs critiques63. Quoique l’auteur insiste sur l’absence absolue de fiction dans ses ouvrages64, leur parution à l’intérieur d’une collection littéraire explique que les lecteurs les insèrent encore et encore dans les catégories de l’autofiction et du « roman vérité », et débattent régulièrement du statut de Carrère en tant que romancier65. Or, si la discussion autour du genre commence à se développer, nous l’avons vu, avec la publication de L’Adversaire, cela n’empêche que les critiques reconnaissent une évolution dans la production de l’auteur : plusieurs comptes-rendus soulignent l’écart qui séparerait D’autres vies que la mienne de ses publications précédentes, et l’un d’eux le considère même comme « certainement son plus beau » livre66. Cette « beauté » est toujours rattachée à trois éléments principaux. La voie d’accès la plus immédiate au livre semble être le sentiment : Carrère aurait écrit, selon certains, « une ode inattendue à l’amour conjugal et à la transmission »67, et il obtient, entre autres, le Grand prix Marie Claire du roman d’émotion68. D’autres estiment que sa qualité fondamentale est sa capacité à renouveler l’écriture autofictionnelle : Carrère serait en mesure de « sort[ir] le roman français des limites et

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La citation est issue de la quatrième de couverture de l’édition originale : Carrère, Emmanuel : D’autres vies que la mienne, Paris, P. O. L., 2009. Une piste de recherche intéressante consisterait à analyser la réception de cet ouvrage dans le champ littéraire germanophone, où cette citation est devenue le titre du roman : Carrère, Emmanuel : Alles ist wahr, trad. Claudia Hamm, Berlin, Matthes & Seitz, 2014. Lors d’un entretien avec Nathalie Crom, Carrère raconte : « Je suis frappé par le fait que, depuis dix ans, on ne cesse de m’interroger sur la part de fiction qui entre dans mes livres. Or cette part de fiction, elle est nulle, tout simplement » (Crom, Nathalie : « Sans fiction, pas d’écrivain ? », Télérama, 20 mai 2009). Pinte, Jean-Louis  : « Vieillirons-nous ensemble ? », La Tribune, 26  mars 2009, mais aussi Kaprièlian, Nelly : « Les survivants », Les Inrockuptibles, 10 mars 2009 et Denis, Stéphane : « Carrère en exploration », Le Figaro, 7 mars 2009. Fillon, Alexandre : « Et la vague les emporta », Livres Hebdo, 6 mars 2009 ; v. aussi Tran Huy, Minh : « Carrère, tout autre », Magazine Littéraire, mars 2009 et, pour la presse non littéraire, Sallès, Christine : « Emmanuel Carrère va beaucoup mieux », Psychologies Magazine, mai 2009. Gautret, Diane : « La vie des autres », Famille Chrétienne, 16 mai 2009 ; La Croix s’exprime dans les mêmes termes, en définissant le livre comme « une réflexion sur l’amour conjugal, la transmission, la justice et la confrontation avec la mort » (Audrerie, Sabine : « Emmanuel Carrère après la vague », La Croix, 12 mars 2009). En dehors de la presse catholique, le critique Baptiste Liger reprend cette lecture lorsqu’il décrit le livre comme « un très bon roman d’amour, au sens chrétien du terme » (Liger, Baptiste : « La vie et rien d’autre », Lire, mars 2009). D’autres vies que la mienne obtient aussi le titre de « meilleur roman de l’année » par le jury du Globe de Cristal 2010, il reçoit le Prix des Lecteurs de L’Express et le Prix Crésus.

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de l’ornière de l’autofiction »69 et de relier « l’intime et le social »70 dans une combinaison inédite. Certains, enfin, prennent leurs distances du « tombereau d’éloges bien-pensants », et louent plutôt l’originalité du « dispositif narratif »71 ou bien du « regard »72 de l’écrivain, qui serait capable de maintenir une distance idéale entre sa personne, son narrateur et son récit. Nous observons que l’attention de la critique se rapproche du texte au fur et à mesure de son degré de spécialisation, alors que les publications plus généralistes se concentrent plutôt sur l’intrigue et, comme dans le cas de L’Adversaire, sur les personnes réelles évoquées dans le livre – dans ce cas, le juge Étienne Rigal, dont les photos recouvrent les pages des journaux73. Nous verrons par la suite que, lors du transfert au champ italien, la lecture spécifique l’emporte considérablement sur l’autre : puisque le transfert d’un pays à l’autre n’a pas pour objet l’apparat médiatique, mais uniquement le texte du livre, il est plus rare que l’engouement de la presse pour une personnalité française se reproduise à l’international. D’autres vies que la mienne est repris en 2011 dans une adaptation cinématographique de Philippe Lioret, avec le titre Toutes nos envies. Mais, au cours de la même année, Carrère connaît un succès beaucoup plus grand, sans égal dans sa production précédente : en 2011 il publie Limonov, le roman avec lequel il devient un phénomène littéraire et médiatique.

6.3 DU PHÉNOMÈNE LITTÉRAIRE À LA CONSÉCRATION : LIMONOV ET LE ROYAUME Les éditeurs français planifient leurs parutions annuelles selon un calendrier qui prévoit deux moments saillants : la rentrée de printemps et la rentrée d’automne. Vu le rôle fondamental de ces rentrées dans l’attribution des grands prix littéraires (et surtout le Goncourt, le Renaudot, le Femina et le Médicis, tous quatre décernés au début du mois de novembre), chaque maison choisit ses titres les plus prometteurs – ceux qu’elle veut mettre en relief dans sa production de l’année – de sorte qu’ils paraissent dans les librairies au moment où les listes des romans candidats aux prix sont rendues publiques. C’est un choix stratégique : non seulement parce que l’obtention d’un prix prestigieux fait décoller le nombre d’exemplaires vendus, mais aussi parce que le seul discours médiatique autour des candidats, qui commence bien avant l’attribution des prix et parfois même avant la parution des livres, 69 70 71 72 73

Amette, Jacques-Pierre : « La nuit des autres », Le Point, 12 mars 2009. Lebrun, Jean-Claude : « La place des autres », L’Humanité, 9 avril 2009. Joste, Juliette : « De la littérature et des bons sentiments », Revue des deux mondes, mars 2010. Tran Huy, « Carrère, tout autre ». Legros, Martin : « Le contrat social d’Etienne Rigal », Philosophie Magazine, mars 2013 ; Salles, Alain : « Juge en équilibre », Le Monde, 23 juin 2009 ; Diatkine, Anne : « D’autres vies que la sienne », Elle, 30 mai 2009.

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accroît considérablement leur visibilité. C’est précisément ce qui arrive à Emmanuel Carrère en 2011.

6.3.1 Faire d’un écrivain un cas médiatique : Limonov P. O. L. choisit la rentrée d’automne pour la sortie de Limonov, qui paraît le 8 septembre 2011, après deux mois de publication d’extraits inédits et de comptes-rendus. Comme il arrive souvent avec les romans de la rentrée de septembre, le service de presse de l’éditeur s’assure de créer, grâce à une opération massive de lancement, une attente auprès des lecteurs : Télérama et Le Monde des Livres consacrent au roman de Carrère leurs couvertures ainsi que de longs dossiers, tandis que de très nombreux articles annoncent des détails de la vie du protagoniste, dont les photographies remplissent les pages des suppléments de la rentrée74. Même la critique signée par l’académicien Bernard Pivot néglige le texte du roman pour se concentrer exclusivement sur la biographie, certes rocambolesque, d’Édouard Limonov75. La maison d’édition Albin Michel, pour sa part, saisit l’occasion pour rééditer le Journal d’un raté du même Limonov, paru pour la première fois en 1982 et distribué dans les librairies dès le 1er septembre 2011 ; Le Dilettante republie également un recueil déjà paru en 1991, Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo. En somme, l’engouement pour la figure du protagoniste est si grand et si délibérément encouragé par les stratégies commerciales des éditeurs que le public, au moment de la sortie du livre, ne peut ignorer ni son nom ni celui de Carrère : ils sont tout simplement partout. L’« évènement » répond à des exigences externes au champ littéraire, au sens où le discours autour de Limonov, à ce stade, prend très peu en considération le véritable texte76, et même l’attribution des prix, le discours et les ventes sont très influencés par les listes des favoris. En septembre, certains évoquent la possibilité que Carrère obtienne le Goncourt77 ; ensuite, les ventes augmentent en octobre, Crom, Nathalie : « L’évènement, Limonov », Télérama, 31 août 2011 ; Reza, Yasmina : « Carrère et son ‘bad guy’ », Le Monde des Livres, 2 septembre 2011 ; quant aux articles consacrés à la figure de Limonov avant la sortie du roman, v. par exemple le long entretien avec Nelly Kaprièlian : « ‘Limonov un loser magnifique’ », Les Inrockuptibles, 31 août 2011 ; Buisson, Jean-Christophe : « Édouard le Terrible », Le Figaro Magazine, 27 août 2011 ; Devarrieux, Claire : « Les contradictions d’un salaud en forme de héros », Libération, 27 août 2011. 75 Pivot, Bernard : « Limonov, notre invraisemblable contemporain », Journal Du Dimanche, 28 août 2011. 76 Pour une comparaison avec un autre « évènement littéraire » aux éditions P. O. L., v. l’analyse, aussi fondée sur la réception dans la presse, d’Anneliese Depoux : « La fabrique de l’évènement littéraire : le cas de Truismes », Communication et langages, 142 (2004), pp. 71–83. 77 Papillaud, Karine : « ‘Limonov’, roman très goncourable », 20 minutes, 15 septembre 2011 ; Besson, Patrick : « Le retournement », Le Point, septembre 2011 (Besson observe aussi que Limonov détourne toute l’attention de la presse loin de l’auteur, vers son personnage : « On en oublierait 74

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quand la deuxième sélection du Renaudot est publiée, puis en novembre et décembre, après l’attribution à Limonov du Renaudot, du prix de la Langue française et du Prix des prix78. L’hybridité du genre, à mi-chemin entre biographie et roman, et l’inclusion de l’auteur dans son récit par l’emploi du ‘je’, demeurent les traits saillants mis en relief par la critique. Elle se laisse induire par la quatrième, qui met sur le même plan la « vie dangereuse, ambiguë » du protagoniste et « un vrai roman d’aventures »79. Ainsi, Jérôme Garcin se sert de l’« enquête biographique » de Carrère (et des dernières parutions de Delphine de Vigan, Simon Liberati et Mathieu Lindon, eux aussi lauréats de la rentrée) pour démontrer que le genre romanesque glisserait graduellement vers la non-fiction80. Nelly Kaprièlian en fait de même dans son compte-rendu des livres couronnés, où elle observe comment, chez Carrère, « le réel devient plus que jamais moteur d’une littérature qui se joue encore davantage hors genres »81 ; Dominique Guiou aussi qui, tout en concédant à Limonov l’appellation de « roman », souligne qu’il s’agit d’un texte « hors norme » et d’un « ouvrage inclassable, qui mélange habilement les genres de l’enquête, de la biographie, de la fiction et du journal intime »82. Il y a peu d’exceptions à l’appréciation partagée de la distance que l’auteur établit, par son instance narrative, entre lui-même et son sujet : convaincus par la déclaration de l’auteur-narrateur de vouloir suspendre tout jugement sur son protagoniste83, les lecteurs présentent ce positionnement « ambivalent » vis-à-vis de Limonov comme un signe de la qualité littéraire du roman84, qui ne se limite donc pas à une simple biographie, mais fournit également une image de Carrère, « bien qu’il n’apparaisse qu’en négatif »85. Un compte-rendu évoque le risque de ce positionnement ambigu  : l’historienne Galia Ackerman, dans un article pour Esprit, critique les « licences trop poétiques » de Carrère sur un sujet délicat, loin d’être abordable à l’abri de tout jugement, qui « est à prendre au sérieux »86. La critique académique, en effet, s’avère

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presque Emmanuel Carrère, qui a dîné avec ce diable de Limonov avec un stylo pas assez long : du coup, il est devenu l’objet de son sujet. »). Selon les palmarès de L’Express-RTL, Limonov est le livre le plus vendu en France à la mi-décembre. Quatrième de couverture de la première édition : Carrère, Emmanuel : Limonov, Paris, P. O. L., 2011. Garcin, Jérôme : « La fin du roman ? », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 2011. La même idée est reprise, à la rentrée suivante, par Raphaëlle Leyris : « Contraction du domaine de la fiction », Le Monde des Livres, 17 août 2012. Kaprièlian, Nelly : « sunlights forever », Les Inrockuptibles, 21 février 2012. Guiou, Dominique : « Les livres qui ont fait l’année », Le Figaro Littéraire, 21 juin 2012. Encore une fois, cette remarque est soulignée en quatrième de couverture : « Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement. » « Dans cette zone périlleuse où il se tient, Carrère l’enfonce ou le sauve [le = Limonov], au gré des humeurs de sa propre ambivalence » (Reza, « Carrère et son ‘bad guy’ ») ; v. aussi Stélandre, Thomas : « Cocktail Limonov », Le Magazine Littéraire, septembre 2011. Nigdélian-Fabre, Valérie : « Une vie d’homme », Le Matricule des Anges, septembre 2011. Ackerman, Galia : « Le Limonov d’Emmanuel Carrère », Esprit, 382 (février 2012), pp. 150–154.

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à nouveau plus réceptive. En 2012, Alexandre Gefen met en relief la liaison entre la structure narrative de Limonov et sa double valeur de « récit de l’ambivalence morale de l’Occident et […] de la quête d’identité87 » de l’auteur ; en 2014, Laurent Demanze dirige un numéro de la revue Roman 20–50 entièrement consacré aux dernières parutions de Carrère, où Dominique Rabaté s’interroge, au prisme d’une lecture de Limonov, sur « les pouvoirs de la littérature » comme « instrument de mesure et d’optique pour appréhender un monde, dont la complexité vertigineuse est la loi »88, tandis qu’Annie Oliver observe la manière dont l’auteur se sert du réel pour « qu’il vienne donner un ‘supplément’ de romanesque à son récit »89. Ces publications illustrent, encore une fois, la légitimité acquise peu à peu par l’auteur au pôle autonome du champ ainsi que dans sa fraction académique. Nous observons que le succès de l’auteur s’étend à plusieurs secteurs du milieu culturel, mais qu’il se manifeste sous différentes formes selon le degré de spécialisation de chaque secteur : d’une part, la reconnaissance unanime auprès du grand public et dans l’espace moyen du champ littéraire s’exprime peu après la sortie du livre et ne fait état d’aucune modification significative de la perception par rapport aux derniers ouvrages de l’auteur ; d’autre part, les acteurs du pôle de production restreinte exigent plus de temps pour lui confirmer sa légitimité et exprimer leur avis, et manifestent, dans leurs contributions, une évolution visible, d’un livre à l’autre, de leur réflexion sur l’auteur, sa pensée et son écriture. Le choix de consacrer un numéro intégral de Roman 20–50 à Emmanuel Carrère est un premier signe du passage graduel, dans le processus de légitimation de son œuvre, de la consécration à la canonisation90. En effet, l’attention que les contributeurs de cette revue portent à Carrère peut être interprétée comme une preuve de leur conviction de la valeur de son œuvre, qu’ils considèrent comme représentative de son époque et donc comme faisant partie d’un répertoire possible de l’extrême contemporain. À partir de L’Adversaire, Carrère a été rapproché à plusieurs reprises d’un autre écrivain de ce répertoire et appartenant à la même génération de romanciers nés à la fin des années 1950 : Michel Houellebecq. Les 87 Gefen, Alexandre : « Au pluriel du singulier : la fiction biographique », Critique, 781–2 (2012), pp. 565–575. 88 Rabaté, Dominique : « Un héros de notre temps ? Limonov et les pouvoirs de la littérature », dans : Demanze, Laurent (dir.) : Roman 20–50. Emmanuel Carrère : Un roman russe, D’autres vies que la mienne et Limonov, 57 (juin 2014), pp. 93–101. 89 Oliver, Annie : « Kotelnitch, allers et retours », dans : Ibid., pp. 23–34. 90 Nous faisons référence au modèle proposé par Jacques Dubois afin de résumer les phases du processus de légitimation : ce modèle, certes réductif, mais utile dans la représentation schématique des trajectoires des agents culturels, prévoit quatre étapes, à savoir l’émergence, la reconnaissance, la consécration et la canonisation. Selon Dubois, tandis que la consécration serait prise en charge par la critique et les académies qui, à travers des comptes-rendus et des prix, distinguent la « bonne » littérature du reste de la production, la canonisation s’achèverait notamment dans les écoles et les universités, par l’insertion des auteurs et leurs textes dans les anthologies, les programmes, les encyclopédies, etc. (Dubois, Jacques : L’Institution de la littérature, Bruxelles/ Paris, Labor/Nathan, 1978).

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deux partageraient, selon certains, la même capacité d’identifier et de décrire, « par le détour de la fiction », les « changements des mœurs » de la société contemporaine qui échappent aux autres médias91. Par le biais de ces interprétations, Carrère devient l’un des porte-parole du Zeitgeist et des inquiétudes de l’époque contemporaine, ce qui justifierait la volonté d’étudier ses ouvrages de façon approfondie et dans leur totalité. C’est dans ce sens qu’il faudra interpréter aussi, quelques années plus tard, le choix de P. O. L. d’éditer un vaste volume collectif autour de l’œuvre de Carrère, Faire effraction dans le réel,92 auquel participent l’auteur même avec d’autres écrivains (y compris Houellebecq), des journalistes (comme François Angelier et Patrick de Saint-Exupéry) et de nombreuses personnalités issues de l’université (parmi lesquelles Laurent Demanze et Dominique Rabaté, qui dirigent le volume).

6.3.2 La conclusion d’un cycle en toute grandeur : Le Royaume Mais avant d’en arriver, en 2018, à la parution de ce volume, un nouveau roman de Carrère enthousiasme la presse au point de devenir le plus grand phénomène médiatique de la rentrée 2014. Il s’agit du volumineux ouvrage Le Royaume, qui retrace l’histoire du christianisme à partir des vies de l’apôtre Paul et de Luc l’évangéliste93 et que l’éditeur présente comme « un livre […] total »94. Avec Le Royaume, la course aux prix de la rentrée recommence : la sortie est prévue pour le 11 septembre, et comme pour Limonov, toutes les pages culturelles commentent le livre et son auteur bien avant cette date. Pourtant, contrairement au livre précédent, la « pression des libraires »95 augmenterait cette fois tellement que l’éditeur décide enfin d’anticiper la date de parution de quinze jours, de sorte que le livre

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Avec l’ascension des trajectoires des deux auteurs, leur juxtaposition devient de plus en plus fréquente, comme dans le cas des articles : Darrigrand, Mariette : « Le Royaume de Carrère, les raisons d’un succès », Études. Revue de culture contemporaine (février 2015), pp. 43–53, et Pieiller, Évelyne : « Les Lumières selon Michel Houellebecq », Le Monde diplomatique, avril 2015. V. aussi Braunstein, Jacques : « La vie est un roman », Technikart, février 2000. Demanze, Laurent/Rabaté, Dominique (dir.) : Faire effraction dans le réel, Paris, P. O. L., 2018. Un autre titre prévu pour cet ouvrage était L’Enquête de Luc. Carrère raconte l’histoire du titre dans Le Royaume, pp. 408–409. L’anecdote est reprise, ensuite, par Nathalie Sarthou-Lajus : « Une rentrée catholique ? », Etudes. Revue de culture contemporaine (octobre 2014), pp. 115–116. www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-2118-7 (13 mai 2019). Aïssaoui, Mohammed : « Edition : chacun cherche son best-seller », Le Figaro, 3 septembre 2014. D’après les propos de Jean-Paul Hirsch (le directeur commercial de P. O. L.) recueillis dans cet article, l’éditeur avait choisi de publier le livre en septembre pour assurer la visibilité de ses autres parutions ; cependant, l’attention portée par la presse à l’ouvrage de Carrère depuis la mi-août l’aurait « obligé » à diffuser le texte déjà deux semaines plus tôt.

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est déjà disponible en librairie le 28 août 2014. En moins d’un mois, un tirage de 200 000 exemplaires est épuisé96. Faute d’un protagoniste dont raconter la biographie en attendant la sortie du livre, les journaux s’attachent cette fois à l’auteur. Là où, trois ans plus tôt, des photographies d’Édouard Limonov occupaient des pages entières, c’est ici Emmanuel Carrère qui fait la une : la première page du magazine Elle annonce l’arrivée d’une « carrèremania », et le nom de l’écrivain paraît aussi sur les couvertures de Télérama, du Monde des Livres, du Nouvel Observateur, de Lire, de Livres Hebdo et du Magazine littéraire97. Afin d’éveiller la curiosité des lecteurs, ces publications contiennent souvent des interviews avec l’auteur, invité à raconter la genèse de son livre et à approfondir son rapport personnel avec le sujet qu’il aborde ; en outre, elles profitent de cet opus magnum pour reparcourir sa bibliographie et y identifier des éléments de continuité. Le Royaume, en somme, est présenté comme l’aboutissement de toute la production de l’auteur, l’ouvrage conclusif d’un cycle commencé au plus tard avec L’Adversaire98. L’énorme retentissement du livre avant et après sa parution illustre bien la tendance de cette forme d’engouement à s’autoalimenter. Entre juin et juillet, quelques publications commencent déjà à diffuser les titres attendus pour la rentrée littéraire et annoncent leurs favoris pour les prix les plus convoités. Ainsi, plusieurs mois avant la parution du roman, Carrère est proposé à plusieurs reprises comme le lauréat le plus probable du prochain Goncourt99. Cependant, la liste des quinze romans candidats à l’attribution du prix, rendue publique le 4 septembre, confirme l’avis négatif déjà exprimé par Bernard Pivot, nouveau président de l’Académie Goncourt100 : Le Royaume ne serait pas le meilleur livre de Carrère et il ne fera Laurent, Annabelle : « Carrère règne sur les ventes », 20 minutes, 25 septembre 2014. Supplément « Livres » de Elle, 29 août 2014 ; numéro spécial « Rentrée littéraire » de Télérama, 23 août 2014 ; Le Monde des Livres, 29 août 2014 ; Le Nouvel Observateur, 21 août 2014 ; Lire, septembre 2014 ; Livres Hebdo, 22 août 2014 ; Magazine littéraire, août/septembre 2014. 98 Carrère distingue, dans son interview pour Télérama, deux « blocs » dans sa production, l’un précédant 2000 et caractérisé par le recours à la fiction, l’autre achevé avec Le Royaume et marqué par le recours à la non-fiction (entretien avec Nathalie Crom : « Emmanuel Carrère », Télérama, 23 août 2014). Dans Le Monde des Livres du 29 août, Raphaëlle Leyris observe que L’Adversaire « inaugur[e] une forme de récit qui allait devenir [l]a marque même » de l’auteur, et Jean Birnbaum soutient qu’ici, « pour la première fois, […] l’écriture devient vraiment vocation spirituelle » ; aussi Émilie Brière, dans le Magazine Littéraire, affirme que Le Royaume se présente comme « la synthèse de tous ses récits précédents qui tous pourraient désormais être lus comme des études de cas préliminaires à cette vaste exploration » (Brière, Émilie : « Un chemin de croix », Magazine littéraire, août/septembre 2014). 99 Laurent, Annabelle : « Qui lira-t-on à la rentrée ? », 20 minutes, 3 juillet 2014 et (anon.) : « Les poids lourds de la rentrée », Livres Hebdo, 27 juin 2014. Jérôme Garcin trouve « difficile d’imaginer que l’Académie Goncourt [n’inscrive pas] à son palmarès l’un des meilleurs écrivains de sa génération » (Garcin, Jérôme : « Quelques conseils pour la rentrée littéraire », La Provence, 31 août 2014). 100 Pivot, Bernard : « Le western évangélique d’Emmanuel Carrère », Journal du Dimanche, 31 août 2014. Dans cet article, Pivot critique notamment que le livre « soit entaché d’une faute et d’un péché » : d’un côté, il regrette la présence de « cinq ou six pages dont la justification est nulle » ; 96 97

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donc pas partie de la sélection. La surprise est telle que la presse choisit d’en parler même in absentia : l’article du Nouvel Observateur qui rapporte les auteurs insérés dans la liste du Goncourt commence par nommer le grand absent, « Emmanuel Carrère se passera de prix Goncourt cette année »101 ; Le Monde consacre un article à « Emmanuel Carrère toujours pas dans le saint des saints »102 ; La Vie pose ostensiblement la question : « Mais quelle mouche a donc piqué les membres du jury Goncourt pour qu’ils évincent de leur première sélection le Royaume d’Emmanuel Carrère ? »103. Toutefois, la décision de l’Académie n’empêche ni les journalistes de continuer à présenter Le Royaume comme « le livre phare de la rentrée »104 et de lui attribuer leurs prix littéraires à eux105, ni les lecteurs de subir l’influence de l’omniprésence médiatique de l’auteur, dont le livre reste parmi les plus vendus jusqu’au début de l’année 2015. Nous constatons donc que ce n’est pas nécessairement l’obtention du prix qui procure de la visibilité, mais plutôt l’apparat médiatique autour de son attribution qui crée un effet publicitaire. Le terme d’« omniprésence » n’est qu’à peine exagéré. Il rend une idée de la réception tout à fait transversale de cet ouvrage, commenté aussi bien dans les journaux qu’à la radio, dans les revues spécialisées et les magazines people. La saturation est telle que, bientôt, les journalistes ironisent lorsqu’ils choisissent d’écrire encore un nouvel article sur Le Royaume : « Désolé d’avoir parlé de ce livre dont tout le monde parle, mais c’est passionnant », se justifie par exemple Bernard Maris dans les pages de Charlie Hebdo106. C’est donc assez rapidement, au bout de quelques mois, que l’« emballement » de la presse pour cet ouvrage devient l’objet d’un métadiscours des critiques sur leur propre production107. Vu le thème abordé, il n’est pas surprenant que Le Royaume trouve un écho important dans la presse chrétienne, où les avis sont plus partagés qu’ailleurs. D’une part, quelques critiques des revues religieuses concèdent à Carrère « certaines li-

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de l’autre, il considère « navrante » la « satisfaction [de Carrère] d’être ce qu’il est et d’écrire ce qu’il écrit. » Pivot devient président de l’Académie Goncourt le 7 septembre 2014. Leménager, Grégoire : « Prix Goncourt 2014 : les 15 romans sélectionnés », Le Nouvel Observateur, 4 septembre 2014. Beuve-Méry, Alain : « Emmanuel Carrère toujours pas dans le saint des saints », Le Monde, 6 septembre 2014. Chaudey, Marie : « Emmanuel Carrère évincé du Goncourt, une farce des jurés ? », La Vie, 10 septembre 2014. La critique de Pierre Assouline, membre de l’Académie Goncourt, cité dans cet article, se trouve dans : Assouline, Pierre : « L’ego-péplum d’Emmanuel Carrère », La République des livres, 23 août 2014, larepubliquedeslivres.com/lego-peplum-demmanuel-carrere (26 mars 2022). Sulser, Eléonore : « Emmanuel Carrère fait le tour de son ‘Royaume’ », Le Temps, 6 septembre 2014 ; v. aussi Sprenger, Anne-Sylvie : « Carrère, pourquoi il domine la rentrée littéraire », Le Matin, 21 septembre 2014. Le Royaume est lauréat du palmarès 2014 de L’Express ; il obtient aussi le prix Le Monde et le prix pour le Meilleur livre de l’année selon la revue Lire. Maris, Bernard : « Trois romans et un oreiller », Charlie Hebdo, 1er octobre 2014. V. aussi Ono-ditBiot, Christophe : « Carrère au Royaume de la démesure », Le Point, 28 août 2014. Brocas, Alexis : « Carrère, les raisons d’une canonisation », Magazine Littéraire, décembre 2014.

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mites »108 dans l’exégèse des textes bibliques et apprécient son travail « érudit, fluide et accessible »109 ainsi que son « grand respect à l’égard de l’apport majeur du christianisme et une forme d’admiration pour la majorité des croyants »110 ; d’autre part, certains rejettent entièrement son ouvrage, qu’ils considèrent comme « un fatras, avec un peu de bon et beaucoup de n’importe quoi »111. La critique la plus âpre paraît dans L’Homme Nouveau, où l’historien Yves Chiron accuse Carrère d’avoir recours à de nombreuses « hypothèses infondées et […] affirmations aventureuses », qui rendraient son « gros livre […] ambitieux, décevant et scandaleux »112. Or cette remarque, qui met l’accent sur les inexactitudes historiques et exégétiques dans l’ouvrage, repose sur sa plurivalence en matière de genre. « Ni roman, ni étude historique », comme le décrit Chiron113, Le Royaume met en difficulté ses lecteurs, qui ne sauraient l’aborder comme un texte littéraire tout court et se servent plutôt, pour le définir, des termes « enquête » ou « fresque »114. L’hésitation à classer le livre dans l’une ou l’autre catégorie justifie, dans une certaine mesure, les réticences de quelques lecteurs vis-à-vis d’un ouvrage qui se veut pédagogique, mais qui ne respecte pas les contraintes d’objectivité d’une analyse éminemment

108 V. Vt. « Le Royaume, selon moi », bonne nouvelle, novembre 2014. C’est la théologienne Claire Clivaz, citée dans cet article, qui regrette « l’absence presque complète de la dimension sociale du christianisme ». 109 Chaudey, « Emmanuel Carrère évincé du Goncourt, une farce des jurés ? ». 110 Bouvet, Bruno : « Il était une fois Emmanuel Carrère », la Croix, 28 août 2014. Bouvet déclare ouvertement son enthousiasme pour le « chef d’œuvre » de Carrère et son choix de détourner le regard du fait que « tout n’est pas exact dans Le Royaume » ; il appuie sa critique sur le commentaire du bibliste Pierre Debergé, qui tient à préciser que, malgré la « bonne compréhension du Royaume annoncé par Jésus », dans le livre « il est difficile de faire la part entre ce qui relève des faits et ce qui ressort de l’invention d’Emmanuel Carrère, voire de ce qu’il aimerait croire … ». 111 C.-H. A., « Saint Luc et Saint Paul revus et corrigés », Famille chrétienne, 6 septembre 2014. 112 Chiron, Yves : « Un Royaume inventé et déformé », L’Homme Nouveau, 27 septembre 2014. 113 Ibid. 114 À la une de Lire, par exemple, Guy Duplat parle d’« enquête romancée » (Duplat, Guy : « Carrère et le fou de Dieu », Lire, 1er septembre 2014) ; Eve Charrin, dans la Quinzaine Littéraire, définit le livre une « vaste enquête », bien qu’elle spécifie dans son article qu’il s’agit notamment d’un « produit hybride d’études très sérieuses et d’une subjectivité assumée » (Charrin, Ève : « Codicille au Nouveau Testament », La Quinzaine littéraire, 1er septembre 2014) ; Véronique Rossignol le présente comme « une ample fresque mêlant récit […], méditation sur les Écritures et autobiographie en fidèle infidèle » (Rossignol, Véronique : « Emmanuel Carrère », Livres de France, septembre 2014) ; Christian Makarian, pour L’Express, le situe « entre fresque historique et réflexion théologique » (Makarian, Christian : « Luc, Paul et Emmanuel », L’Express, 27 août 2014). Les deux termes, d’ailleurs, sont avancés dans la présentation éditoriale du livre, qui ne contient pas le mot « roman » et fait plutôt allusion à l’activité de l’auteur « d’enquêter sur ce qu’il fut » pour écrire enfin « une fresque où se recrée le monde méditerranéen d’alors » (www.pol-editeur. com/index.php?spec=livre&ISBN=978–2-8180-2118-7, dernière visite le 16 mai 2019). Sur la quatrième de couverture, l’auteur opte aussi pour le terme « enquête » : « Ces chemins du Nouveau Testament […], je les parcours aujourd’hui – en romancier ? en historien ? Disons en enquêteur » (Quatrième de couverture de la première édition : Carrère, Emmanuel : Le Royaume, Paris, P. O. L., 2014).

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historique. La volonté d’éclairer le public est déclarée par l’auteur à l’occasion de plusieurs entretiens : En écrivant Limonov […] je me suis rendu compte que j’aimais beaucoup faire de la pédagogie. J’ai conscience que cela passe généralement pour une vertu littéraire très subalterne, mais ce n’est pas mon opinion. J’aime faire cela et je suis plutôt bon à cet exercice qui consiste à « avaler » le maximum de données et d’informations, et à les régurgiter à l’intention du lecteur qui n’y connaît rigoureusement rien ou pas grand-chose. Il y a un vrai plaisir, un sentiment d’utilité, à s’immerger dans un sujet, à malaxer, donner forme et transmettre de façon loyale et fluide cette somme de connaissances. […] J’ai le sentiment que le lecteur qui lira Le Royaume en sortira en sachant assez bien ce qu’on connaît aujourd’hui de cette cinquantaine d’années au cours de laquelle se sont écrits les Évangiles.115

Comment lire donc Le Royaume ? Et quel degré de fiabilité devrait-on exiger d’un ouvrage littéraire ? Les multiples réponses à ces questions, laissées délibérément ouvertes par l’auteur comme par son éditeur, expliquent la réception variée dans les mois qui suivent l’exploit de septembre. Comme par le passé, la plupart des comptes-rendus sont positifs et félicitent l’imposant travail de recherche derrière le texte ; ils applaudissent également l’habileté de l’auteur à renouveler continuellement sa production, tout en restant fidèle au style que le public lui connaît bien116. Loin du milieu chrétien, où les lecteurs sont plus sensibles à l’usage plus ou moins impropre des textes religieux, la critique la plus fréquente concerne plutôt le style « un poil trop didactique »117 de Carrère, qui assumerait parfois le ton du « conteur pédago »118 et se servirait, pour expliquer ses idées, de « comparaisons […] un peu lourdes »119. Le Royaume, en effet, recourt souvent à des parallélismes entre les vicissitudes des apôtres et l’histoire moderne et contemporaine ; cela se doit à la volonté de l’auteur d’« accompagner » son lecteur, d’« être un peu gentil avec lui » en actualisant un récit qui est autrement « assez exigeant »120. Une telle volonté d’actualisation, qui se manifeste aussi dans le mélange fréquent des registres linguistiques, frappe la majorité des lecteurs, qui y voient « un souci obsessionnel d’agréer » de la part de l’auteur121. Mais surtout, dans les critiques les plus sévères, elle est interprétée comme une banalisation indue de la matière biblique au profit d’un récit (trop) autobiographique, un « symptôme du moi-jisme comme procédé de composition littéraire »122. Comme Pivot et Assou115 Emmanuel Carrère dans son entretien avec Crom, « Emmanuel Carrère ». 116 Devarrieux, Claire : « Emmanuel Carrère, comme un roi mage en Galilée », Libération, 28 août 2014 ; Philippe, Elisabeth  : « en toute bonne foi », Les Inrockuptibles, 10  août 2014 ; Lebrun, Jean-Claude : « Emmanuel Carrère. Le doute fertile », L’Humanité, 9 octobre 2014. 117 Ono-dit-Biot, « Carrère au Royaume de la démesure ». 118 Bégaudeau, François : « Carrère désarmant », Transfuge, décembre 2014. 119 Sarthou-Lajus, « Une rentrée catholique ? ». 120 Emmanuel Carrère dans son entretien avec Grégoire Leménager : « ‘Je me passe très bien de Dieu’ », Le Nouvel Observateur, 21 août 2014. 121 Bégaudeau, « Carrère désarmant ». 122 Silly, Renaud : « Un athlète de l’exégèse », Commentaire, printemps 2015. V. aussi Bastié, Eugénie : « Le christianisme pour les nuls ? », Causeur, 4 octobre 2014, www.causeur.fr/le-christianismepour-les-nuls-29581 (26 mars 2022).

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line, déjà cités, le dominicain Renaud Silly reproche lui aussi à Carrère, dans un article pour la revue conservative Commentaire, sa présence trop imposante dans l’ouvrage, que l’on lirait « dans une sorte de voyeurisme dont on sort dégoûté et sali »123. Néanmoins, si quelqu’un voit dans cette forme d’écriture la manifestation du « souci qu’a l’individu contemporain de se créer chaque jour »124, Carrère se figure son emploi du ‘je’ comme « une forme d’humilité qui consiste à dire : ce n’est que moi qui dis ça, ça ne prétend pas dire la vérité […] »125. Nous observons donc deux factions qui s’opposent : d’une part, l’auteur et une partie de la presse se prononcent pour une approche subjective de la matière littéraire ; d’autre part, un segment de la critique, surtout celui plus conservateur, préconise le respect des « exigences minimales de l’objectivité »126. À nouveau, une telle variété dans la réception reflète non seulement l’ouverture du texte à plusieurs interprétations, mais aussi l’efficacité de la distribution et de la promotion diversifiée de l’ouvrage de la part de son médiateur.

6.3.3 Résumé : un bref aperçu de la trajectoire française Si la publication de L’Adversaire, en 2000, constitue un tournant indéniable dans la production d’Emmanuel Carrère, il est aussi certain que la trajectoire de l’auteur est bien plus complexe qu’une simple juxtaposition de deux périodes, l’une consacrée à la fiction et l’autre à la non-fiction. Reconnu d’emblée dans le milieu intellectuel parisien dont il est issu, Carrère expérimente, avec ses publications des années 1980, avec plusieurs genres et subcultures : passionné de cinéma, journaliste chez Télérama, biographe d’une icône de la science-fiction, auteur de romans et d’essais, ses premiers livres prennent beaucoup de directions différentes. La collaboration avec la maison P. O. L. le soutient dans son ascension, et vice-versa : les deux sont jeunes, s’adressent au grand public avec une pointe d’intellectualisme et deviennent, au fur et à mesure, de plus en plus connus. Les deux premiers romans de Carrère reçoivent des critiques positives et des prix mineurs, mais c’est avec La Moustache, en 1986, et le passage de l’auteur à Apostrophes, qu’il devient pour la première fois visible des masses. Commençant à se faire une réputation de romancier dark, à l’écriture limpide et psychologisante, il est lauréat du prix Femina en 1995 avec La Classe de neige, qui l’impose aussi bien aux yeux du public – notamment grâce au film qui en est tiré et à l’édition de poche qui sort rapidement – que de la critique littéraire. 123 Silly, « Un athlète de l’exégèse ». 124 Darrigrand, « Le Royaume de Carrère, les raisons d’un succès ». 125 Emmanuel Carrère dans son entretien avec Jean Birnbaum et Raphaëlle Leyris : « Emmanuel Carrère : Le ‘je’ exprime une forme d’humilité », Le Monde, 12 septembre 2014. 126 Silly, « Un athlète de l’exégèse ».

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Nous avons vu qu’un ensemble de facteurs explique comment la parution de L’Adversaire a transformé Carrère du simple écrivain apprécié à un véritable cas littéraire. Les lecteurs du pôle autonome du champ, y compris la critique universitaire, commencent à accorder leur attention à cet auteur qui a trouvé sa voix dans le recours à la non-fiction et l’inclusion du ‘je’, sans renoncer au ton « obscur » qui le caractérisait au cours des décennies précédentes. Quoiqu’il ne publie pas d’autres romans pendant plusieurs années, Carrère reste présent sur la scène culturelle avec la sortie du film La Moustache en 2005, et cultive ainsi son intérêt pour le cinéma, qu’il n’abandonne jamais. Lorsqu’en 2007 et en 2009 paraissent ses deux romans suivants, il s’avère un producteur infaillible de best-sellers, critiqué parfois pour son narcissisme latent, mais apprécié surtout pour les nouveaux possibles que son « roman vérité » apporte à l’écriture littéraire contemporaine. Juré au Festival de Cannes en 2010, Carrère atteint un nouveau sommet de popularité avec Limonov, que son éditeur publie pour la première fois à la rentrée de septembre 2011, l’insérant ainsi pour la première fois dans la course aux grands prix littéraires. Cet ouvrage obtient en effet le prix Renaudot et ravive l’engouement de la presse, qui en fait un cas médiatique avant même sa sortie en librairie. Limonov, comme L’Adversaire, touche diverses catégories de public, et fournit à la critique littéraire l’occasion d’aborder, pour la première fois, l’œuvre de Carrère en tant qu’unité, et non plus comme une suite de phénomènes isolés. Ce qui est vrai pour Limonov l’est d’autant plus pour Le Royaume, qui paraît en 2015, à la rentrée d’automne également. Cet ouvrage, considéré par certains comme le chef-d’œuvre de son auteur, conforte les impressions suscitées par toutes les parutions précédentes : l’un critique le narcissisme d’un écrivain qui se sert de tout sujet pour n’aborder d’autre objet que lui-même, alors que la vaste majorité de la critique félicite l’érudition de l’enquête, la versatilité de l’auteur et la richesse de sa réflexion. Souvent interprété, sur la base des déclarations de l’auteur, comme l’aboutissement d’un parcours débuté en 2000, Le Royaume est le dernier ouvrage de Carrère publié pendant le créneau que nous analysons. Il est avantageux d’avoir où aller, paru en 2016, rassemble des textes rédigés pendant toute la carrière de l’auteur, surtout de nature journalistique, et étend encore une fois l’espace des possibles en ouvrant le domaine d’activité de l’auteur : si la critique hésite à en parler comme d’un ‘simple’ romancier, l’éditeur propose par ce biais un nouveau développement pour faire de Carrère non seulement un écrivain, mais un intellectuel tout court. Le volume Emmanuel Carrère, faire effraction dans le réel, publié en 2018, constitue non seulement une analyse transversale de sa production, mais aussi un hommage à l’écrivain, consacré par ses pairs. Le dernier roman d’Emmanuel Carrère, à la date où nous rédigeons l’ultime version de ce chapitre, est Yoga : il est paru en septembre 2020 et lui aussi, disent les journaux et les revues, pourraient concourir pour les prix de la rentrée.

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6.4 EMMANUEL CARRÈRE EN ITALIE : UNE MONTÉE DE MAISON EN MAISON Le transfert littéraire dans un champ étranger comporte souvent, pour les titres traduits, un double décalage. Le premier est d’ordre temporel : dans la plupart des cas, la traduction succède la publication en langue originale127. Dans le cas de l’importation de l’œuvre de Carrère en Italie, cet écart est assez réduit, étant donné que la première traduction d’un de ses livres, à savoir La Moustache, est publiée un an seulement après la parution du texte français128 et que, depuis, le rythme de ses nouvelles publications se stabilise. L’autre décalage tient au retentissement médiatique. Hormis quelques cas internationaux exceptionnels, construits plus ou moins ad hoc par la coopération d’agents littéraires, d’éditeurs et de critiques – comme lors de la parution des Bienveillantes de Jonathan Littell129 –, il s’avère souvent très difficile d’importer également, avec un ouvrage, son impact sur la presse et/ou sur l’intelligentsia de son champ d’origine. Ainsi, si le succès auprès du public et l’obtention de prix littéraires nationaux peuvent exercer une influence sur le choix d’un éditeur d’acquérir les droits d’un ouvrage, cette influence ne s’étend pas nécessairement à la réception du livre une fois qu’il a été traduit et publié : pour le dire encore une fois avec les mots de l’agente littéraire Barbara Griffini, « un prix aide à vendre les droits, non pas à vendre le livre »130. En observant la réception de l’œuvre de Carrère traduite en italien, nous remarquons que l’ampleur de cet écart varie selon ses diverses phases de médiation éditoriale : l’énorme retentissement de L’Adversaire en France ne connaît pas de véritable équivalent en Italie ; en revanche, c’est avec le passage de l’auteur à Adelphi, c’est-à-dire à partir de la traduction de Limonov en 2012, que 127 Il existe deux alternatives : soit l’original et sa traduction paraissent en même temps, soit la traduction succède à la parution en langue originale. Ces deux cas se vérifient normalement suite à des accords stratégiques entre les éditeurs des pays concernés ainsi que, le cas échéant, entre les agents qui représentent leurs maisons et/ou leurs auteurs. Une publication concomitante, ou presque, peut avoir une visée publicitaire – les presses de plusieurs pays en parleraient en même temps, en créant l’effet d’un débat d’autant plus riche sur l’ouvrage et sa signification. En revanche, lorsqu’une « première édition mondiale » est une traduction, les raisons peuvent être diverses : l’exemple de Milan Kundera est très instructif en ce sens, puisque les motifs qui l’ont poussé à faire publier d’abord ses traductions ont changé avec le temps. En effet, les ouvrages qu’il a écrits en tchèque dans les années 1970 ont été d’abord publiés en traduction française à cause de son rapport conflictuel avec la Tchécoslovaquie, qu’il venait de quitter, alors que son tout dernier roman, qu’il a écrit en français, a été publié tout d’abord en italien, cette fois probablement en guise d’hommage à son éditeur de Milan, Adelphi (v. § 5.5.3.3). 128 Carrère, Emmanuel : Baffi, trad. Graziella Civiletti, Rome-Naples, Theoria, Letterature, 1987. 129 V.  Murat, Michel  : « Faut-il brûler Les Bienveillantes ? », Revue critique de fixxion française contemporaine (2012) critical-review-of-contemporary-french-fixxion.org/rcffc/article/view/ fx09.13/904 (26 mars 2022), et Kippur, Sara : « A German Nazi’s French Recollections, as Imagined by an American  : Jonathan Littell’s Les Bienveillantes », L’Esprit Créateur (hiver  2010), pp. 34–46. 130 Entretien avec Barbara Griffini.

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Carrère obtient, au-delà des Alpes, la légitimité qu’il avait déjà gagnée en France depuis plusieurs années.

6.4.1 Trois éditeurs pour un auteur : Theoria, Bompiani, Marcos y Marcos (1987–1995) La première traduction en italien d’Emmanuel Carrère est donc celle de La Moustache, qui paraît, sous le titre Baffi, aux éditions Theoria en 1987. Les deux romans précédents de l’auteur, L’Amie du jaguar et Bravoure, n’éveillent pas l’intérêt des éditeurs, qui découvrent Carrère seulement grâce à la visibilité obtenue en France à partir de 1986. Après cette traduction, le désintérêt pour L’Amie du jaguar persiste – aujourd’hui ce premier roman n’est toujours pas traduit –, mais Bravoure, quant à lui, est bientôt acquis par une autre jeune maison italienne, Marcos y Marcos, qui le publie en 1991. Nous observons que, tout comme en France, le lancement italien de Carrère se doit à une alliance entre l’auteur encore jeune et inconnu (en Italie) et des éditeurs à leurs débuts ; cependant, nous le verrons ci-dessous, les maisons italiennes se distinguent de P. O. L. par leur capital financier bien plus réduit ainsi que par l’identité qu’ils forgent au fur et à mesure avec leurs catalogues en voie de construction, ce qui explique les développements divergents que la trajectoire de Carrère prend dans un champ et dans l’autre. Baffi est un petit succès pour la petite maison romaine Theoria, qui en fait l’une de ses toutes premières traductions en littérature contemporaine. Theoria est née seulement quelques années plus tôt, en 1982, à l’initiative de Beniamino Vignola et sous la direction éditoriale de Paolo Repetti. Leur ambitieux projet prévoit des éditions très soignées autour de deux noyaux thématiques : d’une part, des reprises d’essais scientifiques historiques, comme le Compendio di storia dell’astronomia de Pierre Simon de Laplace, publié en 1982 dans une traduction inédite ; d’autre part, des romans gothiques et fantastiques repérés par Malcolm Skey, un collaborateur interne de la maison et un expert du genre, qui publie entre autres une réédition d’Il castello di Otranto d’Horace Walpole en 1983. À partir de 1984, Theoria s’adonne de plus en plus à la fiction, tout d’abord avec les livres brefs de Riflessi, où paraît par exemple Il giovane incantatore de Baudelaire, puis avec Letterature, fondée en 1986 sous la direction de Repetti et dont Baffi constitue le cinquième volume. Letterature réunit au fil des années de nombreux auteurs débutants, italiens comme étrangers, et propose un modèle de littérature contemporaine qui se veut fraîche et novatrice : ce n’est pas un hasard si la quatrième de couverture de Baffi précise, avant toute autre chose, qu’il s’agirait du « roman le plus aimé des jeunes générations françaises de 1986 »131. 131 Quatrième de couverture de la première édition de Carrère, Baffi. Pour un bref profil du projet aux éditions Theoria, cf. Ferretti, Gian Carlo : Storia dell’editoria letteraria in Italia. 1945–2003,

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Pendant une dizaine d’années, Theoria représente, dans le champ éditorial italien, le cas exemplaire d’une maison de petite taille et en même temps haut de gamme, rassemblant en son sein des auteurs et des collaborateurs jeunes et engagés dans la production d’un catalogue original132. Fuori tiro, la traduction du roman Hors d’atteinte ?, paraît aussi dans Letterature en 1989 ; des éditions de poche de Baffi et de la biographie de Dick paraissent bientôt dans Ritmi, la collection hybride dirigée par Severino Cesari et vouée à la culture adolescente et l’underground133. Ritmi, où les derniers livres de Carrère confiés à Theoria seront publiés, représente le précurseur méconnu d’une autre collection italienne qui, elle, jouira d’un énorme succès dans les années 1990 et 2000 : Stile libero, chez Einaudi. L’encadrement des premiers ouvrages de Carrère entre Letterature et Ritmi, en effet, permet de mieux contextualiser le passage de l’auteur à d’autres maisons dans les années qui suivent. À la fin des années 1980, des difficultés financières amènent les éditeurs de Theoria à céder, pour une durée de cinq ans, les droits de certains titres à Bompiani, qui publie donc, en 1990, une première édition de poche de Baffi. Ensuite, à la fin des années 1990, lorsque la crise s’aggrave et que Theoria est obligée de cesser son activité, le directeur de Letterature Paolo Repetti passe à Einaudi. Dans la grande maison de Turin, avec Severino Cesari (rappelons-le : l’ancien responsable de Ritmi), il fonde et dirige Stile Libero, la Turin, Einaudi, 2004, pp. 407–408 ; au sujet de la collection Letterature, nous renvoyons à la fiche qui en est proposée par Giulia Iannuzzi dans : Ferretti/Iannuzzi, Storie di uomini e libri, pp. 282–287. 132 Plusieurs jeunes intellectuels ayant poursuivi leur carrière dans d’autres maisons d’édition ont commencé leur parcours dans le cercle de Theoria. Un exemple est Claudio Ceciarelli, aujourd’hui editor de littérature italienne chez e/o, qui a commencé son activité chez Theoria en « donnant un coup de main » dans la rédaction ; après la fermeture de la maison, il a travaillé dans Stile Libero, la collection einaudienne fondée par Repetti (v. infra) et, après une expérience de directeur éditorial chez Adnkronos Libri, il est arrivé aux éditions e/o (entretien avec Giovanni Turi publié sur le site de l’éditeur, www.edizionieo.it/news/595/intervista-a-claudio-cecia relli-editor-edizioni-e-o, dernière visite le 26 mars 2022). Un article de La Repubblica, publié lorsque, en 1995, Theoria doit fermer ses portes, regrette la perte d’un lieu culturel autour duquel se retrouvait la jeune génération intellectuelle italienne : « ‘Si è incrinata l’ armonia che ha retto in questi anni’, spiega Repetti, ‘durante i quali si è fatta ricerca, si è costruito un gruppo di persone molto affiatate’. Intorno a Theoria hanno ruotato, con i loro romanzi e racconti, ma anche contribuendo alle scelte, Fulvio Abbate, Severino Cesari, Giampiero Comolli, Mario Fortunato, Sandro Onofri, Sandra Petrignani, Sandro Veronesi ed altri ancora » (Anon., « Piccoli editori in mezzo ai guai », La Repubblica, 14 septembre 1995). 133 Une sélection des premières parutions dans cette collection au début des années 1990 peut illustrer le caractère anticonformiste et éminemment ‘jeune’ que l’éditeur a voulu conférer à cette section de son catalogue, influençant considérablement la production de sa collection ‘fille’, Stile libero, dans les années suivantes : Brolli, Daniele (dir.) : Cavalieri elettrici. La prima antologia post-cyberpunk !, Rome, Theoria, Ritmi, 1994 ; Fadda, Giuseppe : Happy gays. Una storia in 100 vignette, Rome, Theoria, Ritmi, 1994 ; Schopenhauer, Arthur : Come pensare da sé. Antologia essenziale per chi vuole usare la propria testa, trad. Helena Frommel, Rome, Theoria, Ritmi, 1995 ; Collettivo per una sessualità positiva : Basta dire sì. Quel che importa è come fai quello che fai, Rome, Theoria, Ritmi, 1996.

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nouvelle collection expérimentale des jeunes générations d’écrivains, et y importe plusieurs auteurs qui avaient débuté dans sa vieille maison romaine134. Il n’est donc pas surprenant que la dernière publication de Carrère chez Theoria, Io sono vivo e voi siete morti, parue en 1995, précède d’un an seulement sa première parution chez Einaudi, La settimana bianca, qui est publiée dans Coralli en 1996135. Einaudi reste l’éditeur de Carrère, nous le verrons, pendant les quinze années suivantes. Les soucis financiers de Theoria ne doivent pas laisser croire que les publications de la maison aient subi un traitement défavorable. Bien au contraire, la production de Theoria augmente d’une année à l’autre et elle est reçue positivement par les lecteurs, à cette période où la petite édition italienne est florissante et se caractérise souvent par sa forte volonté de recherche136. Les romans de Carrère, quant à eux, ne font pas exception à cette règle. Dans le sillage de la présentation éditoriale, qui introduit Carrère comme une promesse littéraire, « auteur phare de la jeune fiction française »137, la presse italienne rappelle dans chaque compte-rendu le jeune âge de l’écrivain et le succès qu’il a rencontré auprès du public français ; à cause de l’intérêt qu’il démontre pour la folie et la névrose de l’individu bourgeois, il est considéré comme représentatif de sa génération et comme le porte-parole de ses préoccupations138 ; son style « d’avant-garde », sobre et soutenu, démontrerait aussi bien son indiscutable « talent » d’écrivain139 que son appartenance à un nouveau groupe d’auteurs français intéressés par le travail sur la forme et, en même

134 Severino Cesari et Paolo Repetti racontent leur expérience dans un entretien avec Paolo di Stefano : Potresti anche dirmi grazie. Gli scrittori raccontati dagli editori, Milan, Rizzoli, 2010, pp. 101– 114. Nous rappelons aussi l’exemple de Claudio Ceciarelli (v. supra), qui de Theoria passe à Stile libero : voici encore un professionnel de l’édition qui suit le même parcours d’une maison à l’autre. 135 Le parcours éditorial de Carrère entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990 ressemble de près à celui d’un autre écrivain « découvert » par Theoria, Marco Lodoli : auteur du premier roman publié dans Letterature (Diario di un millennio che fugge, 1986), il passe ensuite à Bompiani et, à partir de 1990 (avec I fannulloni) aux Coralli einaudiens. 136 C’est ce que Ferretti appelle « la linea Sellerio » qui, à partir de 1978, inaugure « un fortunato filone di piccole case editrici letterarie, tra le quali e/o, Transeuropa, Theoria, che muovono i primi passi tra gli anni settanta e ottanta, e che daranno un forte impulso alla ricerca » (Ferretti, Storia dell’editoria letteraria in Italia, p. 299). 137 « Autore di punta della giovane narrativa francese […] » est la première phrase des rabats de couverture de Fuori tiro, première édition : Carrère, Emmanuel : Fuori tiro, trad. Antonella Viola, Rome-Naples, Theoria, Letterature, 1989. 138 Le critique Nicola Fano écrit, à propos de Baffi : « Siamo nel mondo della follia semplice semplice : la colonna vertebrale di gran parte della generazione dei trentenni » (Fano, Nicola : « La carica dei francesi », L’Unità, 25 mars 1988). 139 « Ma talento Carrère ne ha : su questo, almeno, non c’ è dubbio » (Mauri, Paolo : « I baffi negati », La Repubblica, 2 février 1988) ; « Emmanuel Carrère, romanziere poco più che trentenne […] ha del mestiere da rivendere » (Le Cannu, Marc : « Tagliare è un po’ perdersi », L’Unità, 1er décembre 1987).

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temps, mus par le besoin de prendre leurs distances vis-à-vis de l’école, perçue désormais comme dépassée, du nouveau roman140. Cependant, contrairement à la critique française, les lecteurs italiens reprochent à l’auteur l’absence de tout engagement dans son texte. Si Claude Prévost écrivait dans L’Humanité que Carrère fournissait, avec La Moustache, le portrait d’une société de plus en plus aliénée, le critique du journal de gauche Avanti !, Carlo Scaringi, se limite à évoquer Baffi dans sa liste des « livres intelligents » à retenir parmi les nombreuses publications prévues pour Noël141, et Paolo Mauri, dans La Repubblica, regrette que l’habileté narrative de Carrère se résume à un simple « jeu », sans prétention « d’en tirer aucune leçon particulière »142. La même critique est adressée à Carrère par le lecteur de TuttoLibri, Giovanni Bogliolo, qui observe que l’auteur « semble viser plus à arracher les applaudissements du public qu’à en susciter la réflexion » et qu’il n’aurait « ni de leçons à imposer ni de thérapies à offrir »143. Avec Fuori tiro, dixième titre de la série Letterature, l’éditeur italien cherche peut-être, par son paratexte, à compenser le manque d’un engagement social chez Carrère. En effet, si la quatrième de couverture se limite à résumer la trame du livre en une phrase accrocheuse, le rabat vise à relier la « fugue » de la protagoniste avec une « mauvaise foi » d’ascendance sartrienne144. Une telle proposition de lecture est accueillie seulement par quelques critiques du roman, qui reconnaissent dans Fuori tiro surtout l’expression d’une problématique générationnelle racontée de façon réaliste, flaubertienne. D’après les comptes-rendus qui suivent la publication du roman, Carrère serait encore une fois un parfait représentant de son époque, aussi bien par la thématique qu’il choisit – la « crise […] de la conscience 140 Fano insère Carrère, avec Toussaint, Echenoz et Ben Jelloun, dans la liste des jeunes écrivains français qui commencent à susciter l’intérêt de l’édition italienne dans les années 1980 ; ils auraient en commun le goût pour l’analyse des névroses et pour « l’expérimentation pure de la communication, […] le plaisir de l’avant-garde » (Fano, « La carica dei francesi »). Toujours dans L’Unità, Giorgio Fabre publie un court entretien avec Carrère, dans lequel celui-ci explicite sa prise de distance par rapport aux nouveaux romanciers aussi bien qu’à ses contemporains : Fabre, Giorgio : « ‘No, non siamo un movimento’ », L’Unità, 25 mars 1988. 141 La liste est d’ailleurs consacrée dans sa majorité à des bandes dessinées : Scaringi, Carlo : « È il fumetto la favola del Duemila », Avanti !, 9 janvier 1988. 142 « Nel caso dei baffi tagliati è invece evidente che l’autore gioca sull’improbabile e si diverte a dar corpo all’ improbabilità senza pretendere di cavarne fuori nessuna particolare lezione. Mentre Hawthorne ci ammonisce circa la stranezza terrifica dei comportamenti umani, Carrère ci dimostra fino a che punto si possa spingere il gioco specie in letteratura non appena se ne siano accettate le premesse, per folli che siano » (Mauri, « I baffi negati »). 143 Bogliolo, Giovanni : « La tragedia dì tagliarsi i baffi », TuttoLibri, 9 janvier 1988. 144 La quatrième indique simplement : « Una donna in fuga : da se stessa, dalla casa, dagli amici, in cerca di un luogo dove mettersi ‘fuori tiro’. » Le rabat de couverture finit avec les propos suivants : « Un critico francese ha scritto che Carrère ha lo stile del ‘grande clinico’ per questa sua capacità, un po’ sadica e flaubertiana, di osservare al microscopio il decorso della patologia dei suoi personaggi. Ma il titolo del libro ci porta tra le pagine di Jean-Paul Sartre che così scrive a proposito della falsa coscienza, la ‘malattia’ di Frédérique : ‘La falsa coscienza ha come scopo di mettersi fuori tiro’ » (Carrère, Fuori tiro).

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d’une bourgeoisie aisée et progressiste qui ne trouve pas de débouchées idéalistes dans la pacification sociale grimpante de la France de 1986 »145  – que par son style, « parfaitement conforme à la nouvelle littérature de ces années » qui, incapable de fournir de « grands portraits », se limiterait à manifester le « broyage des consciences »146. Tout en félicitant « l’écriture habile »147 de Carrère, ses lecteurs italiens semblent être plus sensibles que les Français à son côté bourgeois, intellectuel et « assez typiquement parisien »148 : alors que la névrose extrême racontée dans Baffi avait induit un critique à parler de Carrère comme d’un « écrivain européen »149 (une étiquette qui lui sera apposée de nouveau lors des publications des années 2000150), Fuori tiro, avec sa protagoniste aisée et insatisfaite, rapproche l’auteur d’un imaginaire de l’intelligentsia française vaine et frivole – ce qui est conforté par le « goût pour l’écriture raffinée que [Carrère] professe sans arrêt »151 et par les déclarations mêmes de l’auteur dans une interview à TuttoLibri à propos de son entourage intellectuel à Paris152. À ses débuts en Italie, Carrère est souvent associé à la littérature de genre, notamment au roman noir et à la science-fiction. Cette réputation est d’abord corroborée par les rééditions de poche de Baffi : Bompiani, qui le publie en 1990, ajoute sur la couverture un sous-titre éloquent qui l’oriente vers une classification dans les livres de genre (« Un cauchemar vertigineux à la Hitchcock ») ; Theoria, lorsqu’il réédite l’ouvrage pour Ritmi en 1997, l’insère dans la sous-catégorie « Noir » de sa 145 146 147 148

149 150 151 152

Ciriachi, Fabio : « Mi gioco il destino alla roulette », La Repubblica, 27 mai 1989. Fano, Nicola : « Piccole follie chiuse in un romanzo », L’Unità, 18 mars 1989. Ciriachi, « Mi gioco il destino alla roulette ». Fano, « Piccole follie chiuse in un romanzo « ; v. aussi anon. : « L’impossibilità di essere normali », La Repubblica, 18 mars 1989. L’article de La Repubblica contient, d’ailleurs, une information fausse sur le roman précédent, Baffi, puisqu’il dit qu’il aurait été « finalista al Goncourt », alors que la dernière sélection en 1986 contenait les titres suivants : Valet de nuit de Michel Host (qui obtient enfin le prix, chez Grasset), Les Frères Moraves de Henri Coulonges (chez Stock), La Bataille de Wagram de Gilles Lapouge (chez Flammarion), Le Salon de Wurtenberg de Pascal Guignard (chez Gallimard) et La Vie ripolin de Jean Vautrin (chez Mazarine). Fabre, « ‘No, non siamo un movimento’ ». Andrea Bajani écrit que l’auteur de Limonov serait « uno degli scrittori europei più interessanti oggi in Europa » : Bajani, Andrea : « A piedi nudi sui vetri della realtà », L’Indice dei libri del mese, février 2013. Fano, « Piccole follie chiuse in un romanzo ». « L’ambiente da lui scelto come polemico bersaglio, spiega l’autore, è quello che frequenta di più. Carrère fa lo sceneggiatore, abita nell’elegante quartiere del Marais, dove c’è molta borghesia intellettuale composta di giornalisti, personaggi del cinema, dello spettacolo, professionisti affermati. ‘Ho pensato – aggiunge – a molti dei miei amici e conoscenti scrivendo questa storia’ » (Serri, Mirella : « Carrère : dopo i baffi cerco nevrosi nella borghesia », TuttoLibri, 25 mars 1989). Cette image de Carrère « bourgeois » reste valable aussi dans les années 2000 : par exemple dans un compte-rendu du reportage A Calais, « La letteratura di Carrère, lo sa bene chi ha familiarità con i suoi romanzi, si fonda tra le altre cose sull’estrema lucidità dell’autore rispetto ai suoi limiti e al suo essere borghese. » Fontanone, Matteo : « Nella Giungla non valgono le mezze misure », 8 juin 2016, www.lindiceonline.com/geografie/villaggio-globale/emmanuel-carrere-calais (26 mars 2022).

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collection. Puis les nouvelles traductions Bravura et Io sono vivo e voi siete morti confirment encore cette classification de genre, respectivement en 1991 et en 1995. Bravura est une publication de Marcos y Marcos, une autre jeune maison née au début des années 1980 à l’initiative de Marco Franza et Marco Zapparoli (nés en 1959, c’est-à-dire ayant à l’époque vingt-et-un ans), et qui ne commence à s’intéresser aux contemporains de manière systématique qu’à partir de 1989. Seule une auteure française, Marguerite Duras, figurait déjà au catalogue de Marcos y Marcos, dans la collection de poésie et de prose brève Le foglie ; mais Emmanuel Carrère est le premier à intégrer la nouvelle série de littérature contemporaine Gli alianti, qui demeure, encore aujourd’hui, la principale collection de la maison. La publication de Bravura, qui inaugure Gli alianti, doit être interprétée comme l’annonce d’un programme, fondé sur un choix de textes à l’atmosphère surréaliste (comme les ouvrages de Boris Vian, auteur phare de la maison) et obscure (comme les romans noirs de Chester Himes). Sur la quatrième de couverture, l’éditeur décrit Bravoure comme un « mélange captivant d’histoire et de fantaisie », où l’auteur, « avec la génialité d’un démiurge », obligerait le lecteur à se perdre parmi « les cauchemars et les sentiments de ses personnages »153. La présentation éditoriale insiste, nous le voyons, sur l’élément fantastique dans l’écriture de Carrère ainsi que sur son côté inquiétant, cauchemardesque et absurde. De façon similaire, l’édition italienne de la biographie de Philip K. Dick paraphrase, sur les rabats de couverture, la quatrième de l’original français, où il est aussi question de « cauchemar » et de la « psychose paranoïaque » de l’« un des écrivains essentiels de ce siècle »154. Au portrait de l’auteur choisi par les éditions du Seuil, Theoria préfère une image de couverture évoquant un décor classique de science-fiction (le dessin d’un vaisseau spatial poussé vers le haut par des flammes) – ce qui, nous le verrons, contraste avec le choix d’Adelphi lors de la réédition du livre en 2016. Enfin, par l’insertion de cette « biographie fascinante et compacte comme un roman »155 dans la série Confini, qui recueille notamment des textes de non-fiction (mémoires, correspondances, essais, etc.), et par la quatrième qui annonce « l’histoire vraie de l’homme qui a inventé le prochain millénaire »156, l’éditeur italien insiste, comme l’éditeur français, sur la qualité de « romancier-enquêteur »157 de Carrère, qui combine ici, pour la première fois, le romanesque avec le biographique – transformant ainsi un travail de commande 153 Quatrième de couverture de la première édition : Carrère, Emmanuel : Bravura, trad. Ada Ceruti, Milan, Marcos y Marcos, Gli Alianti, 1991. 154 Quatrième de couverture de l’édition originale : Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts. 155 Rabat de couverture de la première édition italienne : Carrère, Emmanuel : Io sono vivo e voi siete morti. Philip Dick, 1928–1982. Una biografia, trad. Stefania Papetti, Rome-Naples, Theoria, Confini, 1995. Le rapprochement entre les genres de la biographie et du roman est repris par la critique : Gatto, Gabriella : « Il cacciatore del futuro », TuttoLibri, 12 août 1995. 156 Quatrième de couverture de la première édition italienne, ibid. 157 Quatrième de couverture de l’édition de poche française : Carrère, Emmanuel : Je suis vivant et vous êtes morts. Philip Dick, 1928–1982, Paris, Seuil, Points, 1996.

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en un projet littéraire novateur, qui l’emmènerait vers la pratique de la non-fiction mise au point dans L’Adversaire. Le livre de Carrère contribue au renouveau de l’intérêt des éditeurs italiens pour l’œuvre de Dick et engendre un mécanisme de rappels réciproques entre les deux auteurs : les critiques parlent de l’un en citant l’autre, de sorte que le retentissement croissant de Dick se répercute sur Carrère et vice-versa158.

6.4.2 Carrère pour tous : les quatre romans einaudiens (1996–2011) Mais c’est avec son roman suivant, La settimana bianca, que Carrère atteint le grand public. La traduction est publiée chez Einaudi en 1996159 et son retentissement est bien supérieur à celui des ouvrages précédents. Avec La settimana bianca, une nouvelle phase de la médiation de Carrère en Italie s’amorce : si Theoria avait voulu en faire le porte-drapeau d’une écriture jeune et d’avant-garde, l’éditeur de Turin vise, au contraire, à légitimer l’auteur ‘du haut’, à travers la reconnaissance d’auteurs et de critiques de renom. Ainsi, la première édition de ce roman présente, sur la quatrième de couverture, un extrait de la critique élogieuse de l’auteur états-unien John Updike, et sur les rabats de couverture, une présentation rédigée par l’écrivaine italienne Rosetta Loy, qui souligne « l’écriture […] simple, resserrée, nette et claire » de Carrère160. La conviction de l’éditeur à l’égard de son nouvel auteur est cependant limitée. Bien que, dans les années 1990, Einaudi soit encore l’une des maisons littéraires les plus prestigieuses d’Italie et qu’elle dispose de divers moyens pour exercer son pouvoir de consécration, la maison ne les déploie pas pour mettre en lumière les textes de Carrère. Au lieu d’insérer d’emblée ses romans dans la collection majeure Supercoralli, qui accueille pourtant des auteurs contemporains de poids, comme Patrick Modiano et Tahar Ben Jelloun, l’éditeur opte plutôt pour la nouvelle série Coralli161, c’est-à-dire sa collection ‘mineure’. Dirigée à ses débuts, depuis 1993, par l’écrivain et traducteur Ernesto Franco, la nouvelle série Coralli reprend la collection historique qui portait le même nom et qui avait été fondée 158 Bianco, Luca : « Una vita di fantascienza », L’Indice dei libri del mese, février 1996 ; lors de la réédition chez Adelphi vent ans plus tard (Carrère, Emmanuel : Io sono vivo, voi siete morti, trad. Federica et Lorenza di Lella, Milan, Adelphi, Fabula, 2016) le même Luca Bianco reprend le même sujet dans : « Le travi sotto il pavimento dell’universo », L’Indice dei libri del mese, septembre 2016. 159 Carrère, Emmanuel : La settimana bianca, trad. Paola Gallo, Turin, Einaudi, Coralli, 1996. 160 Rabat de couverture de la première édition italienne, ibid. 161 Ce choix, d’ailleurs, peut s’expliquer aussi par les petites dimensions du livre, inférieur à cent cinquante pages dans l’édition italienne, qui s’adapte mal au grand format (et donc, aussi, au prix plus élevé) des Supercoralli.

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en 1947 ; mais l’engagement qui avait caractérisé les premières années de Coralli n’est plus présent dans la nouvelle série, qui inclut de manière indistincte les bandes dessinées de Hugo Pratt, les textes humoristiques de Gene Gnocchi et quelques rééditions des classiques einaudiens comme La luna e i falò de Cesare Pavese. De ce fait, la parution de La settimana bianca dans ce mélange hétérogène ne peut pas constituer une promesse de qualité littéraire aux yeux du public des spécialistes, qui n’y identifient aucune continuité. En outre, plusieurs imprécisions dans la note biographique de l’auteur (sa date de naissance et l’année de publication de Baffi sont erronées, ainsi que l’indication selon laquelle La Classe de neige aurait obtenu le prix Médicis) peuvent être considérées comme un signe du peu de soin apporté à la révision de cette traduction. Malgré ces quelques réserves démontrées par l’éditeur, La settimana bianca s’avère un succès auprès du public. Dans la lettre que le responsable de la littérature étrangère chez Einaudi, Andrea Canobbio, envoie à Carrère avec une sélection du dossier de presse relatif à son roman, il interprète les nombreux comptes-rendus parus aussi bien dans la presse nationale que dans les journaux régionaux comme un indice qui « signifie que c’est un livre dont on a beaucoup parlé », et il invite l’auteur à lui faire « lire bientôt [s]on nouveau roman »162. Mais à quoi doit-on le retentissement de cet ouvrage ? Nous trouvons une explication, encore une fois, dans la concomitance de plusieurs facteurs. Le passage de l’auteur à Einaudi, maison historique et renommée, lui assure une visibilité dans les librairies et la presse, visibilité hors de portée des petites maisons qui l’avaient accueilli dans les années précédentes ; des rumeurs sur le projet de Claude Miller de tirer bientôt un film du récit de Carrère se répandent aussi en Italie et, tout comme en France, l’attention pour le livre se renouvelle lors de la sortie du film, en 1998163 ; la parution avant l’été, combinée aux nombreuses critiques décrivant le livre comme un « thriller »164, attire aussi le public à la recherche de lectures pour les vacances ; plusieurs revues publient, à l’occasion de la sortie du livre, des entretiens avec l’auteur, qui se rapproche ainsi de son lectorat italien en tant que personnalité publique ; enfin, le succès à l’international de La Classe de neige et l’obtention du prix Femina (ou, pour ceux qui ne mettent pas en question le paratexte einaudien, du Médicis !165) rassurent le public sur la qualité du texte. Que tous ces éléments contribuent au succès du roman est 162 Lettre d’Andrea Canobbio à Emmanuel Carrère, Turin, 30 octobre 1966, classée dans l’archive relative à La Classe de neige des éditions P. O. L. 163 Bignardi, Irene : « Il viaggio con papà è un incubo terribile », La Repubblica, 17 mai 1998. 164 « Si legge d’un fiato questo romanzo giallo », écrit Luisa Cusina : « Settimana nera », Messaggero veneto, 3 août 1996 ; v. aussi Debordy, Guido : « Ragazzi misteriosi », Alto Adige, 29 juillet 1996, où Debordy se sert du roman de Carrère (ainsi que de Giochi da ragazzi de William Trevor) pour réhabiliter le roman noir (« i gialli »). 165 Quelques critiques reproduisent, dans leurs comptes-rendus, les diverses erreurs de l’édition Einaudi : Piemontese, Felice : « Sulla neve con Carrère », Il Mattino, 26 juin 1996 ; Fovanna, Enrico : « Un incubo infantile tra la neve », Il Giorno, 26 mai 1996.

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confirmé dans l’interview de Gabriella Gatto avec Carrère, publiée sur TuttoLibri, qui commence ainsi : En France on en a déjà vendu 120 000 exemplaires. La critique transalpine l’a considéré comme un chef-d’œuvre. Il a gagné un prix, le Fémina [sic]. Douze pays ont acquis les droits pour la traduction. On est en train d’en préparer l’adaptation cinématographique. C’est avec ce curriculum que La settimana bianca d’Emmanuel Carrère déboule dans les librairies italiennes.166

Si les lecteurs du roman se multiplient par rapport aux précédents ouvrages de Carrère, le contenu des critiques ne varie pas des publications précédentes : tout comme en France, ce n’est jamais la presse, généraliste ou non, qui propose une lecture approfondie et détaillée des textes, mais plutôt la critique du pôle autonome – savante ou militante –, qui ne s’intéresse que plus tard à l’auteur. Comme avant, donc, l’accent est mis presque sans exception sur « l’écriture froide, distancée, presque clinique »167 de Carrère, qui le mettrait à l’abri de tout « sensationnalisme » et constituerait sa « bravoure extraordinaire » d’écrivain émergent168. Dans quelques cas épars, deux observations annoncent la réception à venir et le succès futur de Carrère : d’abord, certains évoquent la volonté déclarée de l’auteur de brouiller les genres, notamment le roman et le reportage169 ; ensuite, quelques critiques se prononcent sur la position de premier plan que l’auteur commence à occuper sur la scène littéraire170. Mais il ne s’agit que d’épisodes isolés : les intellectuels italiens sont encore loin d’accorder à Carrère l’intérêt qu’il connaîtra dans les années 2010. Cela commence à changer à partir de la publication de L’Adversaire, bien que le retentissement de ce livre en Italie n’atteigne pas les dimensions extrêmes du phénomène français. La publication est immédiate : la traduction einaudienne, en effet, paraît en 2000, tout comme le texte original – nous observons que le décalage temporel dont il était question ci-dessus se réduit avec les premiers succès. Mais, à l’exception de cette publication très rapide, les conditions d’édition restent relativement inchangées même pour les ouvrages suivants de Carrère chez Einaudi. Ces conditions concernent, tout d’abord, le choix de la collection : l’engouement Gatto, Gabriella : « Carrère : l’incubo di una settimana », TuttoLibri, 30 mai 1996. Placereani, Giorgio : « Tra le paure di Nicolas », Il Piccolo di Trieste, 17 juillet 1996. Oppici, Lisa : « Bianca neve, uomo nero », Gazzetta di Parma, 25 juillet 1996. Dans un entretien pour L’Unità, Carrère affirme : « Volevo lavorare ai margini di questi generi, anche perché ai margini, dove la letteratura di genere si sovrappone alla letteratura più ufficiale, nascono le esperienze più stimolanti e interessanti » (Gambaro, Fabio : « La settimana dei fantasmi », L’Unità, 6 juin 1996 ; le sous-titre de cet article, d’ailleurs, parle notamment de « lo scrittore che vuole tornare al reportage »). Felice Piemontese observe aussi que la production de Carrère se trouve « in una zona di confine » (Piemontese, « Sulla neve con Carrère »). 170 Un critique le rapproche timidement de Dürrenmatt : « … viene in mente il Dürrenmatt delle cose migliori […]. Mi spingerei addirittura a dire (ma sento già i proiettili fischiare alle orecchie) che in certe pagine […] siamo addirittura oltre il maestro svizzero. » (Fovanna, « Un incubo infantile tra la neve ») ; un autre présente Carrère comme « uno degli autori più originali della sua generazione » (Gambaro, « La settimana dei fantasmi »).

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de la presse internationale pour L’Adversaire171 ne convainc pas l’éditeur italien d’élever la traduction de ce livre au rang de la série Supercoralli172, de sorte que L’avversario rejoint le roman de 1996 dans Coralli. C’est aussi ici que paraît, en 2009, La vita come un romanzo russo. Seul le dernier livre einaudien de Carrère, Vite che non sono la mia, paraît en 2011 dans Supercoralli173. Ensuite, une autre condition concerne les paratextes : Einaudi a tendance à conserver, sur ses rabats de couverture et sans aucune modification, le texte de la quatrième de l’édition originale, signée par l’auteur – ce qui contraste, nous le verrons, avec la tendance ‘normalisante’ des éditions Adelphi. Enfin, chaque livre de Carrère qui paraît chez Einaudi démontre, soit par sa couverture soit par sa quatrième, une ferme volonté de l’éditeur d’attirer l’attention du grand public et de faire ainsi des livres de Carrère des best-sellers immédiats : L’avversario, à l’opposé de la sobre édition blanche de P. O. L., affiche en couverture la photographie impactante d’une chambre en feu ; et le paratexte de La vita come un romanzo russo, dont le titre subit déjà une importante modification que la réédition ultérieure d’Adelphi supprimera, insiste presque exclusivement sur le rapport du livre avec la nouvelle érotique que Carrère avait publiée dans Le Monde en 2002. Il convient, pour mieux illustrer la stratégie d’Einaudi avec l’œuvre de Carrère, de s’attarder brièvement sur cette nouvelle. Elle est au centre, en effet, d’un autre choix de l’éditeur qui confirme son désir d’adresser l’œuvre de Carrère à un lectorat aussi ample que possible (mais pas nécessairement fait de grands lecteurs) et de recréer, par des moyens alternatifs, le phénomène médiatique que l’auteur était en train de générer en France. Dans Un roman russe, Carrère raconte l’anecdote derrière la publication, en 2002, de L’Usage du Monde : un « jeu » qui devait divertir et choquer les milliers de lecteurs habituels du journal français Le Monde, tout en s’adressant personnellement à la compagne de l’auteur, transformée par lui en sujet et en objet, simultanément, d’une fantaisie collective. Étant donné que le scandale autour de la parution de L’Usage du Monde ne pouvait pas intéresser le public italien, plus ou moins indifférent au statut symbolique du journal qui l’avait publiée, Einaudi choisit d’en faire un livre à part. Ainsi, en 2004, la jeune collection de prose brève L’Arcipelago accueille Facciamo un gioco, « un récit érotique », 171 La presse francophone n’est pas la seule à s’intéresser au livre de Carrère : déjà en 2000, de nombreux articles sont publiés à l’international. Pour les espaces anglophone, hispanophone et germanophone, par exemple, v. un extrait inédit de la traduction en anglais, « Deadly Fantasist », The Guardian Weekend, 13 janvier 2001 ; un long compte-rendu d’Octavi Martí : « El asesino virtuoso », El País Semanal, 11 septembre 2000 ; un article d’Urs Jenny : « ‘Ich bin lebendig, und ihr seid tot’ », Der Spiegel, novembre 2000. 172 L’observation précédente sur la longueur de La settimana bianca, qui pourrait influencer le choix de sa collection éditoriale, reste valable aussi pour cet ouvrage, qui dépasse à peine les cent soixante pages dans son édition italienne. 173 Carrère, Emmanuel : La vita come un romanzo russo, trad. Margherita Botto, Turin, Einaudi, Coralli, 2009 ; Carrère, Emmanuel : Vite che non sono la mia, trad. Maurizia Balmelli, Turin, Einaudi, Supercoralli, 2011.

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mais aussi « une tentative irrésistible de séduction à travers l’écriture »174. Et, lors de la traduction d’Un roman russe, l’éditeur rappelle aux lecteurs ce « jeu érotique » en leur promettant de dévoiler « ce qui s’est vraiment passé après la publication de Facciamo un gioco » et « si Sophie – la femme aimée par le protagoniste et l’objet de son désir – suivit, ou pas, les instructions du jeu interdit »175. La stratégie d’Einaudi fonctionne : toutes les publications de Carrère ont du succès, de sorte qu’à partir de 2002, chaque parution de Carrère chez Einaudi est suivie par une prompte réédition en format poche176. En outre, l’auteur s’associe à un magazine féminin italien, Flair, pour y publier des contributions régulières177, et les journalistes se chargent de raconter aux lecteurs italiens les détails de sa vie à Paris178. Cependant, le grand public n’est pas le seul à s’intéresser à son œuvre : ses livres obtiennent de plus en plus de reconnaissance de la critique spécialisée, militante aussi bien qu’académique, qui cherche autant à définir son style qu’à y retrouver une forme inédite d’engagement par l’écriture. C’est notamment ce dernier élément qui marque une différence nette avec la réception française : théorisant moins les implications narratives de l’emploi du ‘je’ chez Carrère, les lecteurs italiens semblent plus intéressés par retrouver, dans ses choix stylistiques et thématiques, une volonté critique ou édifiante, et se servent de ses livres afin de proposer « un excellent exemple à ceux qui, de plus en plus souvent, même en Italie, choisissent d’entreprendre le chemin d’une prose de témoignage, documentaire, au ras de la terre »179. Ainsi, dans l’interview que Fabio Gambaro, critique littéraire et passeur de premier plan de la culture française en Italie, publie dans La Repubblica à l’occasion de la sortie de L’avversario, il est surtout question du rapport que Carrère établit entre son « roman-enquête » et le fait divers dont il tire sa matière, ainsi que de sa visée critique de « montrer de près quelque chose que, d’habitude, on n’a pas envie de voir »180. De façon similaire, la professeure et chercheuse Francesca Lorandini, dans son compte-rendu de Vite che non sono la mia, félicite « l’usage inattendu du fait divers » qui permet ici à l’auteur, encore plus que dans L’Adversaire, « d’écrire 174 Sur la quatrième de couverture de la première édition italienne : Carrère, Emmanuel : Facciamo un gioco, trad. Paola Gallo, Turin, Einaudi, L’Arcipelago, 2004. 175 Sur la quatrième de couverture de Carrère, La vita come un romanzo russo. 176 À l’exception du récit Facciamo un gioco, qui, faisant partie de la collection de prose brève L’Arcipelago, n’est pas publié en grand format (v. infra). 177 Aujourd’hui, ces contributions sont rassemblées dans Il est avantageux d’avoir où aller, paru en Italie chez Adelphi : Carrère, Emmanuel : Propizio è avere ove recarsi, trad. Francesco Bergamasco, Milan, Adelphi, La collana dei casi, 2017. 178 Appiatti, Mirella : « Per le donne in treno Carrère inventa un amore ‘interattivo’ », TuttoLibri, 17 janvier 2004 ; Ginori, Anaïs : « Emmanuel Carrère », La Repubblica, 15 août 2010 ; Solari, Ilaria : « Meglio le vite che non sono la mia », Gioia, 14 mai 2011. 179 « […] un esempio altissimo per tutti coloro che anche in Italia, sempre più spesso, scelgono di seguire la strada di una narrativa testimoniale, documentaria, rasoterra » (Mazza Galanti, Carlo : « Carrère via dall’egotismo », Alias, 30 avril 2011). 180 Entretien d’Emmanuel Carrère avec Fabio Gambaro : « Una storia vera piena di bugie e di delitti », La Repubblica, 17 novembre 2000.

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pour ‘se rendre utile’ » à travers son écriture et de s’avérer « l’une des voix les plus intéressantes de la fiction française contemporaine »181. L’écrivain Paolo Nori, qui propose dans son blog un commentaire de l’édition italienne d’Un roman russe, semble partager l’opinion de Lorandini lorsqu’il compare l’ouvrage de Carrère à Guerre et Paix de Lev Tolstoï et observe que les deux livres posent « la question de savoir ce qu’est un roman aujourd’hui ». Nori observe notamment : Alors je me suis dit que peut-être, voire probablement, les romans d’aujourd’hui, les vrais romans contemporains, eux aussi, comme Guerre et Paix à son époque, ne ressemblent aujourd’hui pas à des romans, ils semblent plutôt être des non-romans, et le roman de Carrère semble tellement être un non-roman que je suis presque sûr qu’il est un vrai roman.182

Autrement dit, la « vraie » littérature serait celle qui, de façon avant-gardiste, enfreint les normes établies de l’écriture pour en proposer de nouvelles. Carrère serait ainsi en mesure, grâce à son recours à la non-fiction et à la réflexion qu’il engendre sur la catégorie même de « roman », de renouveler le nomos du champ littéraire contemporain. Nous voyons qu’au tournant de la décennie, Carrère a atteint un certain degré de consécration au pôle autonome du champ, où il est considéré par certains comme un écrivain novateur et capable de concilier la recherche d’un style personnel à la poursuite d’une efficacité qui dépasse le texte pour atteindre l’universel. Cela explique l’accueil favorable qu’il reçoit auprès de la critique plus strictement littéraire, ici représentée par l’exemple de Nori, aussi bien qu’auprès de ceux qui, tout en appliquant des critères d’évaluation spécifiques, reconnaissent dans son écriture un instrument de critique sociale, comme les lecteurs des revues plus engagées Allegoria et Alias. Bien que cette appréciation représente déjà un écart considérable par rapport aux critiques de Fuori tiro, la trajectoire italienne de Carrère n’est pas encore à son apogée : avant la sortie de son dernier livre, Einaudi n’en fait pas un auteur phare de son catalogue, et plusieurs revues et sites culturels ne mentionnent pas encore ses publications. Cette situation change drastiquement à partir de 2012, lorsqu’un nouveau changement éditorial infléchit son parcours : à partir de la traduction de Limonov, la maison milanaise Adelphi devient la seule représentante de l’auteur en Italie.

181 Lorandini, Francesca : « Emmanuel Carrère, ‘Vite che non sono la mia’ », Allegoria, 63, janvier/ juin 2011. Cf. Bajani, Andrea : « Scrittore, restituiscici il dolore nostro », Il Sole 24 Ore, 10 avril 2011. 182 Nori, Paolo : « Quella vera », 22 mai 2019, www.paolonori.it/quella-vera/#more-4957 (26 mars 2022), publié déjà dans Libero le 2 janvier 2010). Cf. Bogliolo, Giovanni : « Quando il male è uno tsunami », TuttoLibri, 16 avril 2011.

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6.4.3 Une œuvre nécessaire : l’Emmanuel Carrère d’Adelphi Pour comprendre la valeur de ce changement d’éditeur, il est nécessaire de faire un pas en arrière et d’observer de plus de près l’image de la maison Adelphi aux yeux du public italien dans les années 2000. Adelphi est une institution de premier plan pour la production littéraire autonome en Italie et constitue, à cause de ses origines et de son identité très prononcée, une sorte de rival historique d’Einaudi183. Pratiquant une politique d’auteur très stricte, elle ne propose presque jamais d’ouvrages pris individuellement, mais plutôt des œuvres entières, dont la répartition se structure autour de collections distinctes par époque, genre et prestige. La production littéraire se trouve principalement dans deux séries historiques : soit dans les Classiques, où sont réunis des ouvrages écrits jusqu’au XIXe siècle, soit dans la Biblioteca Adelphi, qui rassemble les œuvres de la modernité considérées comme incontournables (et dont un pendant mineur, la Piccola Biblioteca Adelphi, est fondé en 1973). Ici les publications, régulières et à une cadence d’environ quinze titres par an et par collection, révèlent l’existence d’un projet éditorial de longue haleine construit autour de quelques écrivains centraux, tels Paul Valéry, Georges Simenon et Irène Némirovsky pour la littérature francophone, et Elias Canetti, Robert Walser et W. G. Sebald pour la littérature germanophone. Les cas exemplaires de Simenon et Némirovsky, dont les publications sont extrêmement nombreuses et fréquentes, démontrent l’engagement de l’éditeur à représenter l’opera omnia des écrivains qu’il choisit184.

183 Adelphi naît en 1962 de l’éloignement de deux collaborateurs de la maison d’édition Einaudi : Roberto Calasso et Bobi Bazlen. Le déclencheur désormais célèbre de cette séparation était le désaccord, entre Einaudi d’un côté et Calasso et Bazlen de l’autre, à propos de l’acquisition de l’œuvre de Friedrich Nietzsche : tandis que le premier ne se disait pas intéressé par leur publication, les autres estimaient qu’une édition italienne de ces ouvrages représentait une « évidence » et qu’elle justifierait en elle-même la fondation d’une nouvelle maison (Calasso, L’impronta dell’editore, pp. 13ss). En réalité, l’entreprise de Calasso constitue un véritable affront au modèle de l’éditeur turinois : elle s’y oppose non seulement dans le choix des auteurs à traduire, mais aussi dans le travail de conception des textes et jusqu’à leur présentation graphique. Adelphi propose une alternative en fort contraste avec le type intellectuel – de gauche et engagé – représenté par Einaudi. Le catalogue d’Adelphi se veut donc libre de toute revendication politique explicite et propose des livres dépourvus de préfaces, d’introductions et de notes explicatives, des couvertures pastel qui sautent aux yeux à côté des austères Supercoralli blancs ; en même temps, il sélectionne un répertoire d’écrivains reconnus avec une velléité intellectuelle, voire élitiste, évidente dans la recherche de classiques étrangers à consacrer aux yeux des grands lecteurs italien : à côté de Nietzsche, Adelphi publie, entre autres, les nouvelles de Gottfried Keller, les pièces de Georg Büchner, toute l’œuvre d’Alfred Jarry. 184 Depuis les années 1980 dans le cas de Simenon, et depuis 2005 dans le cas de Némirovsky, Adelphi publie presque chaque année un nouveau titre de chacun des deux auteurs dans sa Biblioteca Adelphi, si bien que les noms de ces écrivains et de leur éditeur sont, en Italie, désormais indissociables.

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La plupart de la production contemporaine conflue dans une autre collection, Fabula, ouverte en 1985 par le roman de Milan Kundera devenu culte, L’insostenibile leggerezza dell’essere. Cette collection est alimentée d’une dizaine de titres par an. Il s’agit pour la plupart de romans étrangers, dont beaucoup sont issus du domaine anglophone, mais plusieurs ouvrages sont aussi traduits du français185. Dans Fabula convergent aussi bien des livres de l’extrême contemporain que des romans du XXe siècle186 et, dans ce cas aussi, on peut reconnaître une véritable volonté dans la constance des publications de certains auteurs : parmi les écrivains français, l’œuvre de Carrère et de Jean Echenoz est presque intégralement publiée chez Adelphi ; de même pour les auteurs allemands Thomas Bernhard et W. G. Sebald. Leur œuvre est souvent l’apanage d’une seule collection : hormis quelques cas particuliers (quelques ouvrages de Sebald, par exemple, paraissent dans la Biblioteca Adelphi), la majorité de leurs ouvrages est publiée d’abord dans Fabula, puis, en édition de poche, dans Gli Adelphi, où se retrouvent tous les succès de la maison. C’est ce qui arrive avec la plupart des livres de Carrère qui paraissent ici, à l’exception de Propizio à avere dove recarsi (inséré dans la collection de non-fiction et de textes hybrides La collana dei casi) et À Calais (inséré dans la collection de brefs textes en prose Biblioteca minima)187. De plus, lorsque l’éditeur choisit d’accueillir dans son répertoire un écrivain qui a déjà débuté dans une autre maison, il pourvoit souvent à ce que les publications précédentes soient rééditées sous une couverture Adelphi et, le cas échéant, qu’elles soient aussi de nouveau traduites. Ainsi, après avoir publié Limonov en 2012, la maison milanaise veille aussi aux rééditions de L’Adversaire (le seul livre à ne pas avoir été retraduit), La Classe de neige, Je suis vivant et vous êtes morts et Un roman russe188. 185 En général, depuis les années 2000, le nombre de titres français dans « Fabula » dépasse légèrement celui des titres allemands, ce qui signifie une inversion de la tendance par rapport aux débuts de la maison. Mais la véritable différence qui ressort d’une comparaison entre les deux langues de départ est plutôt d’ordre temporel : alors le seul livre en allemand réellement contemporain est Forse Esther, de Katja Petrowskaja, publié en 2014, les auteurs de langue française publiés chez Adelphi de leur vivant sont plus nombreux – depuis 2005, en effet, cinq écrivains d’expression française ont eu des nouvelles publications dans « Fabula » depuis 2005 : Jean Echenoz, Emmanuel Carrère, Yasmina Reza, Milan Kundera et Julia Deck. 186 C’est le cas, par exemple, pour trois auteurs francophones de l’entre-deux-guerres, Pierre Mac Orlan, André Malraux et Madeleine Bourdouxhe (Il porto delle nebbie de Mac Orlan est publié en 2012, La Voie royale de Malraux en 1992, La donna di Gilles, de Bourdouxhe en 2005), et aussi pour l’Autrichienne Ingeborg Bachmann et le Suisse Friedrich Dürrenmatt (Il libro Franza de Bachmann sort en 2009, Giustizia et L’incarico, de Dürrenmatt, sont publiés respectivement en 2011 et 2012). 187 Carrère, Propizio è avere ove recarsi, et Carrère, Emmanuel : À Calais, trad. Lorenza di Lella/Maria Laura Vanorio, Milan, Adelphi, Biblioteca minima, 2016. 188 Carrère, Emmanuel : L’avversario, trad. Eliana Vicari Fabris, Milan, Adelphi, Fabula, 2013 ; Carrère, Emmanuel : La settimana bianca, trad. Maurizia Balmelli, Milan, Adelphi, Fabula, 2014 ; Carrère, Emmanuel : Io sono vivo, voi siete morti, trad. Federica et Lorenza di Lella, Milan, Adelphi, Fabula, 2016 ; Carrère, Emmanuel : Un romanzo russo, trad. Lorenza di Lella/Maria Laura Vanorio, Milan, Adelphi, Fabula, 2018.

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Il est notoire qu’Adelphi refuse toute influence politique ouverte dans le choix des titres publiés, en faveur d’une liberté éditoriale fondée sur les affinités qui lient l’éditeur à ses auteurs. Aucune cohérence, que ce soit formelle, thématique ou idéologique, n’est donc revendiquée pour expliquer la constitution du catalogue. À ce titre, l’éditeur préfère renoncer aux paratextes qui ont pour objectif d’expliquer ou d’orienter, quelle qu’en soit la direction, le contenu de ses livres : s’opposant explicitement à Einaudi, dont les préfaces militantes des années 1950 se trouvaient, lors de la création d’Adelphi en 1962, au sommet du pôle autonome contre lequel les nouveaux entrants devaient lutter, la maison de Roberto Calasso propose depuis ses débuts des romans qui seraient libres de toute utilisation idéologique189. Or Einaudi n’écrit plus, dans les années 2000, de quatrièmes à portée idéologique ; au contraire, nous avons vu comment il s’en sert, dans les cas de Facciamo un gioco et La vita come un romanzo russo, pour attirer plutôt le grand public en soulignant les côtés les plus piquants de ces ouvrages. Mais Adelphi, pour sa part, continue à proposer des paratextes qui normalisent les ouvrages dans son catalogue pour tous les ‘niveler’ à un certain format caractéristique de la maison190 : ces textes se limitent à résumer l’intrigue de chaque livre (en paraphrasant les quatrièmes de l’auteur prévues pour l’édition française), ils soulignent la teneur de l’écriture (dans Propizio è avere ove recarsi, Carrère est « considéré l’un des écrivains les plus importants de sa génération »191) et, surtout, ils mettent en relief l’appartenance définitive de l’auteur à la maison d’édition. Ainsi, avec la première publication en 2012, Limonov, l’éditeur déclare catégoriquement que « Adelphi inaugure la publication des romans d’Emmanuel Carrère »192, et souligne, lors de la parution suivante (une réédition de L’Adversaire), que « d’autres de ses ouvrages sont au programme »193. La seule unité ciblée dans le catalogue Adelphi, en somme, serait l’esquisse d’un « même paysage mental », dans lequel les ouvrages publiés, malgré leur diversité, se rappelleraient les uns les autres, créant l’impression d’une cohésion idéale194. 189 Une autre différence qui marque la rivalité entre l’édition selon Einaudi d’un côté et selon Adelphi de l’autre concerne les modalités de sélection des auteurs à publier : l’histoire des éditions Einaudi est ponctuée par les célèbres « mercredis » de la rédaction, où un comité collectif discutait des livres à publier (où à rejeter), alors que le dernier mot sur les publications adelphiennes appartient notoirement à Calasso, directeur de la maison. 190 L’écrivain et professionnel de l’édition Daniele Brolli, qui travaille entre autres chez Einaudi, Bompiani et Hobby&Work, critique ouvertement cette tendance adelphienne, qu’il reconnaît aussi bien dans les paratextes que dans le style même des traductions de la maison : v. sa rubrique « I ritratti dell’editoria italiana » sur la revue Pulp Libri, en particulier l’article repris dans Lipperatura.it avec le titre « Brolli e la traduzione suprema », 11 septembre 2007, loredanalipperini.blog. kataweb.it/lipperatura/2007/09/11/brolli-e-la-traduzione-suprema (26 février 2021). 191 Rabat de couverture de Carrère, Propizio è avere ove recarsi. 192 Rabat de couverture de : Carrère, Emmanuel : Limonov, trad. Francesco Bergamasco (avec la contribution d’Alessia Ballinari, Valeria Perrucci et Valentina Parisi), Milan, Adelphi, Fabula, 2012. 193 Rabat de couverture de l’édition Adelphi de 2013 : Carrère, L’avversario. 194 Calasso, Pubblicazione permanente e sporadicamente visibile, pp. 22–23.

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Pourtant, cette vague harmonie entre les auteurs correspond en réalité à un voisinage étroit sur le plan du contenu, et le choix des auteurs contemporains traduits met en évidence cette relation. En effet, une prédilection se manifeste de manière récurrente pour les romans centrés sur des personnes réelles dont l’existence, souvent obscure ou troublée, est explorée à travers le filtre l’expérience littéraire. Bien que la diversité formelle qui sépare les auteurs d’Adelphi crée l’illusion d’un éclectisme total, on peut identifier, dans le catalogue de la maison, une intention commune d’enquête poétique sur la psyché humaine à travers des personnages non-fictionnels dont la biographie est extrême, exceptionnelle, ou du moins représentée comme peu commune et étrange ; or une telle enquête peut trouver, à son aboutissement, des formes d’expression très différentes. Sur la base de la réception de Carrère telle que nous l’avons observée jusqu’alors, il n’est donc pas étonnant que la maison – surtout dans la personne d’Ena Marchi, qui se charge du suivi de l’auteur – se soit intéressée à sa production et qu’elle ait essayé de s’en approprier pour l’intégrer à son « paysage » littéraire. Les titres de Fabula permettent d’illustrer cette forme de cohésion. La trilogie d’Echenoz composée de Ravel, Correre et Lampi195 présente systématiquement des personnages réels dans le rôle des protagonistes – respectivement Maurice Ravel, Emil Zátopek et Nikola Tesla –, et l’auteur lui-même déclare sa volonté de réaliser des « exercices de fiction narrative » autour de leurs biographies, sans pour autant renoncer à « l’espace de liberté qui est propre au romancier »196. Limonov et L’avversario, les toutes premières publications de Carrère chez Adelphi, abordent les vies d’Édouard Limonov et de Jean-Claude Romand, personnes réelles dont le vécu sert de matière première à l’exercice littéraire de l’auteur. W. G. Sebald et Katja Petrowskaja197, quant à eux, choisissent des personnages entièrement fictionnels, mais les intègrent à l’Histoire aussi bien à travers la représentation précise de leur condition socio-historique (dans le respect du volet anti-idéologique du catalogue adelphien) qu’à travers l’enquête personnelle et surtout obsédante qu’ils les laissent conduire à la recherche de la mémoire du passé198. En ce qui concerne les graphismes de la maison, nous observons un net écart par rapport aux éditions Theoria et Einaudi. Un tel écart est dû, encore une fois, à la tendance d’Adelphi à vouloir aligner sa production afin de la rendre reconnaissable et relativement uniforme. Chaque nouvelle parution dans Fabula, en effet, 195 Ravel est publié chez Adelphi en 2007 (pr. éd. Minuit, 2006), Correre en 2009 (pr. éd. Minuit, 2008), Lampi en 2012 (pr. éd. Minuit, 2010). 196 Echenoz, Jean : Ravel. Dans : Adelphiana 1963–2013, p. 657. 197 De W. G. Sebald, entre 2005 et 2015, Adelphi publie Gli emigrati en 2007 et Gli anelli di Saturno en 2010 (pr. éd. Eichborn, 1992 et 1995) ; de Katja Petrowskaja, il traduit en 2014 le déjà cité Vielleicht Esther (pr. éd. Suhrkamp, 2014). 198 Cf. Affinati, Eraldo : « Winfried Georg Sebald : Je suis le colonel Chabert ! », dans : Compagni segreti. Storie di viaggi, bombe e scrittori, Rome, Fandango Libri, 2006 ; Ascarelli, Roberta/Chiarloni, Anna : « Libro del mese : Forse Esther, Katja Petrowskaja », L’Indice dei libri del mese, octobre 2014.

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présente une couverture monochrome, avec une image, souvent une photographie ou la reproduction d’une œuvre d’art, cadrée entre le nom de l’auteur en haut et le titre de l’ouvrage en bas. La distance avec les publications précédentes est d’autant plus remarquable, naturellement, lors des rééditions d’ouvrages déjà parus ailleurs : ainsi, par exemple, à la violence évoquée par la couverture einaudienne de L’avversario, Adelphi préfère la photographie en noir et blanc d’une silhouette sur le fond blanc du mur d’une maison ; le dessin aux allures de science-fiction dans la première traduction de Je suis vivant et vous êtes morts est remplacé, dans l’édition Adelphi, par un portrait psychédélique de Philip K. Dick (qui rappelle plutôt la couverture choisie par les éditions du Seuil) ; l’image d’une silhouette d’homme dans la neige, sur laquelle s’affiche une citation issue d’Un roman russe dans l’édition d’Einaudi, devient chez Adelphi la photographie d’une figure humaine minuscule et solitaire en Sibérie, en forte résonance avec le contenu du livre. Il convient enfin de remarquer aussi, dans les deux derniers cas cités, les changements dans la traduction des titres : les deux sont raccourcis, simplifiés, rendus plus accrocheurs ; mais, tandis que le premier laisse tomber le sous-titre prévu par l’édition française, le deuxième représente plutôt un retour à l’original, qui avait été modifié dans la traduction d’Einaudi199. Les services de presse d’Adelphi, enfin, déploient toutes leurs ressources pour faire de Carrère une figure incontournable de la scène littéraire italienne. Comme en France, le lancement de Limonov est favorisé par un grand nombre d’articles qui précèdent la date de parution, le 3 octobre 2012 : plusieurs comptes-rendus et interviews de l’auteur annoncent les contenus du livre peu avant sa sortie en librairie200 ; à cela s’ajoute l’attribution du prix Malaparte, décerné à Carrère le 30 septembre 2012, qui donne lieu à des articles élogieux décrivant l’auteur comme « le meilleur écrivain français de sa génération, voire le meilleur dans l’absolu »201. Presque à l’unanimité, la critique italienne félicite sans réserve l’auteur et son ouvrage, à la fois pour le « talent pur »202 qui serait reconnaissable dans son écriture 199 Dans son article déjà cité, Paolo Nori exprime sa perplexité et propose une explication possible pour le changement d’Un roman russe en La vita come un romanzo russo : « Mi immagino che il titolo del libro di Emmanuel Carrère La vita come un romanzo russo […], sia un titolo redazionale, dovuto al fatto che il titolo originale (Un roman russe) tradotto alla lettera sarebbe stato quasi identico al titolo di un libro relativamente recente di Alessandro Barbero, Romanzo russo, uscito per Mondadori nel 1998. Bellissimo titolo, La vita come un romanzo russo, anche se in contraddizione con quanto scrive Carrère a pagina 269 : ‘Se scrivessi un romanzo, avrei fatto in modo di chiudere il cerchio […] ma non scrivo un romanzo’ » (Nori, « Quella vera »). 200 Missiroli, Marco : « Carrère : i demoni nella Russia di Putin », Corriere della Sera, 22 septembre 2012 ; Valli, Bernardo : « Benvenuti nel vero romanzo », La Repubblica, 27 septembre 2012 ; Marietti, Benedetta : « Una vita che parla di Russia », D/La Repubblica, 29 septembre 2012. 201 Di Forti, Massimo : « Torna il Malaparte, vittoria a Carrère », Il Messaggero, 30 septembre 2012. V. aussi Coscia, Fabrizio : « ‘Il mio eroe negativo nel caos morale’ », Il mattino, 26 septembre 2012 ; Valensise, Martina : « Il teppista cocco di mamma », Il Foglio, 3 novembre 2012. 202 Di Salvo, Santa : « Carrère e Limonov, un talento di narratore per l’antieroe », Il mattino, 1er octobre 2012. Dans son article pour Il Fatto Quotidiano, Antonio Armano souligne le changement remarquable dans la réception italienne de Carrère depuis son passage à Adelphi ainsi que la

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Troisième partie

et pour la qualité documentaire de la « fresque historique » que le roman serait capable de fournir203. Après avoir participé au festival des Écrivains de Florence en juin et avoir obtenu le prix Malaparte en septembre, Carrère continue à prendre part à d’autres évènements culturels dans plusieurs villes italiennes et reçoit le prix du jury de La Lettura, qui est le supplément culturel du Corriere della Sera204. Il occupe aussi de plus en plus d’espace dans la zone la plus autonome du débat intellectuel, à savoir les blogs et les sites culturels : suite à la sortie de Limonov, des commentaires sont publiés sur Le parole e le cose, minima&moralia, Doppiozero205. D’autres journaux, en revanche, proposent des comptes-rendus issus directement de la presse parisienne, comme dans le cas de l’article de Yasmina Reza traduit et publié dans Internazionale206. Si nulle part le talent narratif de l’auteur n’est remis en question par ses lecteurs, quelques remarques isolées abordent la portée idéologique d’un roman qui se veut, dans une certaine mesure, aussi un « reportage »207. En effet, tandis que certains apprécient la représentation de « la réalité russe et la culture de ce pays pendant les quarante dernières années »208, ainsi que la volonté de l’auteur de » seulement rendre compte »209 de son personnage et de l’Histoire sans prendre position, d’autres sont perplexes sur la « sympathie parfois excessive »210 de l’écrivain pour son personnage aux idées fascistes. Ce qui saute aux yeux, à ce propos, est l’accueil positif de cette « sympathie » auprès des journaux d’orientation de droite : Il

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qualité de son écriture : « È stato con Limonov, edito da Adelphi, che Carrère ha fatto il botto anche qui. Einaudi si è lasciata scappare l’autore dopo avere creduto in lui a lungo pubblicando cinque titoli a partire dal 1996. Come mollare il marito prima che vinca al Superenalotto. […] Ci si potrebbe vedere una beffa : costruendo una meravigliosa struttura narrativa a partire dai romanzi autobiografici di Limonov, Carrère ha raccontato Limonov meglio di lui quanto abbia fatto lui stesso. Di sicuro con più successo » (Armano, Antonio : « Emmanuel Carrère : lotte di carta », Il Fatto Quotidiano, 8 juin 2013). Marietti, « Una vita che parla di Russia ». Colombo, Severino : « Limonov vince (senza partita). Poi tre italiani in sei punti », Corriere della Sera, 31 décembre 2012. L’auteur participe au festival des Écrivains pour parler du roman D’Autres vies que la mienne le 13 et 14 juin 2012 ; il est invité à la Casa delle Letterature à Rome le 1er octobre 2012. V. Lenzini, Luca : « Un solo dubbio su Emmanuel Carrère », Le parole e le cose, 7 mai 2013, www. leparoleelecose.it/?p=10154 (26 mars 2022) ; Conca, Liborio : « Intervista a Emmanuel Carrère », minima&moralia, www.minimaetmoralia.it/wp/intervista-a-emmanuel-carrere (26 mars 2022) ; v. aussi le volume de Luigi Grazioli, Emmanuel Carrère, paru aux éditions en ligne de Doppiozero en 2013. Reza, Yasmina : « Un meta-eroe russo », Internazionale, 18 octobre 2012. C’est sur le brassage des genres chez Carrère que s’exprime la plupart des lecteurs ; il est question soit de « reportage » et « new journalism » soit de « roman-vérité » ou « biographie ». V. par exemple Borrelli, Francesca : « Militante sul fronte del male », Alias, 7 octobre 2012 ; Valli, « Benvenuti nel vero romanzo » ; Missiroli, « Carrère : i demoni nella Russia di Putin » ; De Majo, Cristiano : « Dopo Agassi, Limonov », Studio, 16 octobre 2012 ; Brogi, Daniela : « Emmanuel Carrère – ‘Limonov’ », Allegoria, 67, janvier/juin 2013. Goldkorn, Wlodek : « Vita da romanzo russo », L’Espresso, 18 octobre 2012. Romagnoli, Gabriele : « Biografia canaglia », La Repubblica, 29 décembre 2012. Manferlotti, Stefano : « Limonov, poeta (e altro) in tuta mimetica », La Repubblica, 5 octobre 2010.

La médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère en France et en Italie

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Giornale, par exemple, décrit la « biographie » de Limonov comme « une interrogation sur la fonction et le rôle des intellectuels en Occident, toujours prêts à applaudir la diversité, l’excès, l’anticonformisme, pourvu qu’ils soient politiquement corrects »211 ; et Libero, deux jours après la parution du roman de Carrère, publie dans ses pages un article écrit par Limonov même212, issu du journal L’Idiot international213. Nous voyons par là même que l’ouverture de la présentation éditoriale chez Adelphi laisse place à des lectures différentes, qui soulignent tantôt la qualité stylistique du texte tantôt la valeur plus ou moins positive de sa portée idéologique ; mais surtout, avec cette publication, Carrère obtient, « enfin, la reconnaissance qu’il méritait depuis longtemps en Italie aussi, de la critique et du public »214. Une déclaration d’autant plus significative qu’elle est publiée par l’écrivain de renom Andrea Bajani dans l’une des revues littéraires les plus lues et diffusées en Italie, L’Indice dei libri del mese. Le roman suivant, Il Regno, présente une réception très semblable à celle de Limonov. Dans ce cas aussi, la parution, prévue pour le 26 février 2015, est concertée de sorte que le retentissement soit aussi grand que possible. Le livre est présenté par Carrère avec l’écrivain italien Nicola Lagioia lors du festival Libri Come à Rome, puis à Milan avec Marco Missiroli et ensuite, avec Alessandro Baricco, dans l’une des écoles d’écriture italiennes les plus renommées, l’école Holden215 ; de nombreux comptes-rendus et entretiens paraissent dans la presse soit avant soit immédiatement après la sortie du livre en librairie216 ; deux articles de présentation du roman sont publiés même pendant l’année qui précède la publication, à l’occasion de sa sortie en France, dans un cas avec la traduction d’un entretien de Carrère issu du Nouvel Observateur217. Mais, alors que la presse évoque Limonov

211 Coscia, « ‘Il mio eroe negativo nel caos morale’ ». 212 Paliaga, Simone : « Senza conflitti siamo già morti e sepolti », Libero, 5 octobre 2012. 213 L’Idiot international, fondé en 1969 par Jean-Edern Hallier et Bernard Thomas, a été un journal indépendant et polémique avant d’arrêter ses publications en 1994 à cause de difficultés financières. 214 Bajani, « A piedi nudi sui vetri della realtà ». 215 Le 14 mars 2015, Emmanuel Carrère présente son roman à Rome ; le 16 mars, avec Marco Missiroli, au Teatro Filodrammatici de Milan ; le 18 mars, avec Alessandro Baricco, à l’école Holden de Turin. 216 V. par exemple : Battista, Pierluigi : « Carrère conquistato da Gesù. Spenta la fede, resta la passione », Corriere della Sera, 24 février 2015 ; Ginori, Anaïs : « ‘Trasformo il Vangelo in un thriller dello spirito’ », La Repubblica, 24 février 2015 ; Missiroli, Marco : « ‘Sono vivo grazie ai commenti che ho scritto sul Vangelo’ », Corriere della Sera, 27 février 2015. 217 Leménager, Grégoire : « Emmanuel Carrère : ‘Racconto i vangeli ma nella mia vita non c’è posto per Dio », trad. Fabio Galimberti, La Repubblica, 2 septembre 2014. À la fin de l’entretien, Anaïs Ginori ajoute un paragraphe, avec pour titre « Così l’autore mai premiato ora aspira al Goncourt », qui résume la réception critique du roman en France et introduit en Italie le « cas » médiatique que Carrère représente dans son champ d’origine. La même chose se reproduit, plus tard, dans le journal catholique Avvenire : Zappalà, Daniele : « Elogio in chiaroscuro per l’ultimo Carrère », Avvenire, 26 février 2015.

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Troisième partie

comme le « texte de majeur succès » de l’auteur218, la critique spécialisée considère souvent Il Regno comme le summum de son parcours artistique, « la glose monumentale, fatigante et somptueuse à la fois, parmi tout ce qu’Emmanuel Carrère a écrit jusqu’ici »219. Les traits saillants de l’écriture de Carrère – l’hybridation des genres, le recours à la non-fiction – semblent atteindre ici, d’après l’opinion de la vaste majorité des lecteurs, leur plus haute expression, grâce à la capacité de l’auteur à éveiller, par ses moyens stylistiques, une réflexion d’ordre moral220. Dans la critique italienne, cette réflexion l’emporte souvent sur celle de nature formelle autour du genre de l’ouvrage, à mi-chemin entre le roman, l’autobiographie et l’enquête : « Peut-être le lecteur, fasciné par l’avancement de la narration, a-t-il arrêté de se demander à quel genre littéraire appartenait le livre qu’il tenait entre ses mains […]. Peu importe »221. La différence avec la réception française, dans ce cas, est frappante : en France, le « narcissisme » de Carrère et l’imprécision dans l’exégèse, nous l’avons vu, étaient les deux limites principales de son ouvrage, tandis que le discours autour de l’analyse formelle de ses ouvrages restait toujours central ; en Italie, ces deux éléments semblent constituer une partie intégrante du « génie » de l’auteur222 et son ouvrage est classé, assez simplement, comme « une forme de roman hybride »223. Nous observons, en général, que la réception critique d’Il Regno démontre l’assimilation de l’œuvre de Carrère au canon italien de la littérature française contemporaine. On le rapproche ici, par similitude ou par divergence, d’Annie Ernaux (notamment à cause de son recours à la non-fiction)224 et de Michel Houellebecq (évoqué, dans un compte-rendu, par son choix de traiter un sujet religieux, lui aussi en 2015, dans Sottomissione)225. L’objectif d’Adelphi est atteint : chaque ouvrage de Carrère, en Italie, est considéré comme partie intégrante d’une œuvre littéraire cohérente, complexe, et digne de l’attention de la critique la plus exigeante. Lorsque Yoga paraît en France, et les librairies italiennes attendent déjà 218 Montefiori, Stefano : « Carrère racconta l’alba del cristianesimo », Corriere della Sera, 28 août 2014. 219 Bajani, Andrea : « Il ritrattista di Gesù, mediatore dell’Io », Alias, 1er mars 2015. Cf. Mongelli, Marco : « Emmanuel Carrère, Il Regno », Allegoria, 71–72 (janvier/décembre 2015), pp. 310–318. 220 V. l’entretien de Carrère avec Vincenzo Latronico : « Emmanuel Carrère e la frontiera porosa tra invenzione e realtà », L’indice dei libri del mese, avril 2015 ; Massarenti, Armando : « Il Vangelo dei perplessi », Il Sole 24 Ore, 1er mars 2015. 221 Bianchi, Enzo : « Carrère : lavando i piedi si conquista il Regno », TuttoLibri, 28 février 2015. 222 Battista, « Carrère conquistato da Gesù ». V. aussi Pierantozzi, Francesca : « Il regno di Carrère, una conversione blasfema e difficile », Il Messaggero, 28 février 2015 ; Bonvicini, Caterina : « Il Vangelo secondo Emmanuel Carrère », Il Fatto Quotidiano, 28 février 2015 ; Massarenti, « Il Vangelo dei perplessi ». 223 Gambaro, Fabio : « In libreria la rivoluzione è di nuovo francese », La Repubblica, 2 mars 2015. Dans un cas seulement, le narcissisme de Carrère fait l’objet d’une critique importante : Nori, Paolo : « Vincere sempre », Libero, 11 mars 2015. 224 Latronico, « Emmanuel Carrère e la frontiera porosa tra invenzione e realtà ». 225 Ginori, « ‘Trasformo il Vangelo in un thriller dello spirito’ ». Soumission paraît aussi, en Italie, en 2015 : Houellebecq, Michel : Sottomissione, trad. Vincenzo Vega, Milan, Bompiani, 2015.

La médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère en France et en Italie

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cette nouvelle traduction, prévue pour mai 2021, Adelphi poursuit, imperturbable, son programme de publication de l’opera omnia de Carrère avec une nouvelle édition de La Moustache226, et La Repubblica publie déjà une première interview de l’auteur227 : l’attente est créée.

6.5 CONCLUSION : ALLIANCES ET MÉDIATIONS En France comme en Italie, les premiers ouvrages d’Emmanuel Carrère éveillent l’intérêt de maisons d’édition qui commencent leur activité et misent sur la création d’un canon contemporain d’écrivains jeunes et encore inconnus : il s’agit de P. O. L. à Paris et de Theoria à Rome. L’alliance entre un auteur et une maison d’édition à leurs débuts, en effet, est l’une des stratégies possibles pour que tous deux puissent, en se mettant réciproquement en lumière, « se faire un nom » dans le champ littéraire. Dans un cas comme dans l’autre, Carrère est reçu d’emblée comme une promesse littéraire, son talent d’écrivain serait indéniable et son style se rapprocherait soit des expérimentations minimalistes des auteurs de Minuit, soit des récits cauchemardesques de la tradition kafkaïenne. Les conditions de publication de ses premiers romans en France et en Italie divergent notamment en ce qui concerne le pouvoir économique des maisons concernées : P. O. L., en tant que filiale de Flammarion, est en mesure d’investir dans des auteurs qu’elle publie de façon exclusive, et peut donc leur garantir une représentation constante et uniforme, tandis que Theoria, confrontée à des difficultés financières, se voit obligée à céder les droits de certains ouvrages à d’autres éditeurs, éparpillant ainsi l’œuvre de l’auteur entre plusieurs catalogues. Alors l’édition complète des textes de Carrère chez P. O. L. conduit à une ascension graduelle de l’auteur et de sa maison au pôle autonome du champ littéraire français, l’éditeur italien de l’auteur change au milieu des années 1990, imprimant un nouvel élan à sa trajectoire en Italie. Si Theoria avait eu le mérite de faire connaître l’auteur dans le milieu culturel et parmi les lecteurs de la littérature de genre, Einaudi est en mesure de diffuser son œuvre auprès d’un lectorat beaucoup plus vaste. Un peu comme l’émission de Bernard Pivot avait contribué à la célébrité de Carrère en France, le rapprochant d’autres auteurs plus renommés que lui à l’époque, l’éditeur de Turin admet aussi l’auteur parisien dans son catalogue riche et prestigieux, quoiqu’il ne lui accorde pas de place dans sa collection la plus illustre. Theoria avait choisi Carrère, le seul romancier français de son catalogue, pour consolider, à l’aide d’un exemple étranger, son projet d’une nouvelle école littéraire italienne d’auteurs jeunes et d’avant-garde ; Einaudi, en revanche, s’en sert 226 Carrère, Emmanuel : I baffi, trad. Maurizia Balmelli, Milan, Adelphi, Fabula, 2020. 227 Ginori, Anaïs : « Carrère, stavolta la vita è la sua », La Repubblica, 25 août 2020.

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Troisième partie

pour proposer un modèle qu’il présente comme déjà établi, grâce aux instances de consécration étrangères, notamment de France et des États-Unis, tels les prix reçus, les ventes élevées et les critiques très positives. En outre, Einaudi insiste, à travers ses couvertures et ses paratextes, sur l’intérêt que les livres de Carrère peuvent avoir pour le grand public et essaie par là d’introduire en Italie le débat médiatique qui s’était créé autour de sa production en France. Lors du passage à Adelphi en 2012, un changement radical a lieu. À travers plusieurs opérations de marquage – l’insertion dans une collection spécifique, l’application d’une politique d’auteur rigide, l’approche du texte et sa présentation graphique –, l’éditeur de Milan fait de Carrère un auteur de son panthéon d’écrivains contemporains, et le consacre aux yeux des intellectuels italiens. La critique réagit de manière presque immédiate : à partir de 2012, la présence de l’auteur en Italie devient visiblement plus imposante, non seulement grâce aux publications fréquentes, mais aussi aux nombreux comptes-rendus, aux participations de Carrère à plusieurs évènements culturels, aux divers prix qui lui sont attribués. Depuis la publication de Limonov, l’auteur parisien est devenu à tous égards une partie intégrante du canon contemporain et son écriture, à mi-chemin entre le roman et reportage, une marque de style à prendre comme exemple – à suivre ou à dépasser – pour les écrivains italiens. France

Italie 1982



L’Amie du jaguar, Flammarion

1983



Bravoure, P. O. L.

1984



Werner Herzog, Edilig

– La Moustache, P. O. L. Le Détroit de Behring, P. O.L

1985



1986



1987

Baffi, Theoria

1988





1989

Fuori tiro, Theoria



1990

Baffi, Bompiani



1991

Bravura, Marcos y Marcos



1992



1993



– Hors d’atteinte, P. O.L

Je suis vivant et vous êtes morts : Philip K. Dick, 1928–1982, Seuil – La Classe de neige, P. O. L. –

1994



1995

Io sono vivo e voi siete morti : Philip Dick, 1928–1982 : una biografia, Theoria

1996

Philip Dick, 1928–1982 : una biografia, Theoria La settimana bianca, Einaudi

La médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère en France et en Italie

France

Italie 1997

Baffi, Theoria



1998





1999





2000

L’avversario, Einaudi



2001





2002

L’avversario, Einaudi

L’Adversaire, P. O. L.

365



2003





2004

La settimana bianca, Einaudi Facciamo un gioco, Einaudi



2005



2006

Io sono vivo e voi siete morti : Philip Dick, 1928–1982 : una biografia, Hobby & Work L’avversario, La Stampa

2007



2008



2009

La vita come un romanzo russo, Einaudi

2010



Un roman russe, P. O. L. L’Amie du jaguar, P. O. L. – D’Autres vies que la mienne, P. O. L. –

2011

Vite che non sono la mia, Einaudi



2012

Limonov, Adelphi



2013

Vite che non sono la mia, Einaudi L’avversario, Adelphi

2014

La vita come un romanzo russo, Einaudi La settimana bianca, Adelphi Limonov, Adelphi

Limonov, P. O. L.

Le Royaume, P. O. L.

2015

Il regno, Adelphi

2016

Io sono vivo, voi siete morti, Adelphi Il regno, Adelphi A Calais, Adelphi



2017

Propizio è avere ove recarsi, Adelphi L’avversario, La Repubblica



2018

Un romanzo russo, Adelphi



2019



2020

I baffi, Adelphi

– Il est avantageux d’avoir où aller, P. O. L.

Yoga, P. O. L.

Fig. 10 : Publications d’Emmanuel Carrère en France et en Italie

CONCLUSION Nous l’avons répété à maintes reprises : il n’existe pas d’automatismes dans la production littéraire. Pas de recette pour assurer le succès d’un ouvrage ni de stratégie toujours gagnante pour lancer un auteur, une collection ou une nouvelle maison d’édition. Et nous nous permettons d’ajouter, à ce stade de notre réflexion : heureusement. Car l’évolution des écritures littéraires et des paradigmes de leur réception dépend de ce point d’interrogation qui accompagne toute publication : ce livre pourrait-il marcher ? Cela ne signifie pas que le travail éditorial soit un jeu de hasard. Au contraire, nous avons vu que les éditeurs élaborent des méthodes toujours variées pour lancer leur produit : il s’agit parfois de créer des collections ciblées, parfois d’établir des alliances stratégiques avec des représentants de la critique littéraire, d’autres fois ils s’assurent de maintenir une présence médiatique constante. Ces stratégies et bien d’autres peuvent s’avérer plus ou moins efficaces selon les cas et démontrent que, loin de s’en remettre à la chance, les agents du champ éditorial exercent un métier où beaucoup de mesures peuvent être prises et perfectionnées pour favoriser un ouvrage, un auteur en particulier, souvent au détriment d’autres. Mais – et c’est ici que se manifeste l’autonomie relative du champ – toutes ces mesures et stratégies doivent rester assez souples pour s’adapter aux transformations permanentes du monde littéraire. Aucune maison étudiée au cours de notre analyse – et, nous avançons sans crainte cette hypothèse : aucune maison d’édition tout court – ne travaille ni ne pourrait travailler pendant plusieurs décennies toujours de la même façon. Les éditeurs modifient et/ou élargissent leur domaine de spécialisation, ferment et fondent des collections, augmentent ou réduisent le nombre de leurs traductions, cèdent des auteurs, changent de direction, en somme ils se trouvent dans un état d’évolution constante. Il en est ainsi parce qu’il y a toujours de nouveaux entrants qui changent les règles du jeu, et qu’un catalogue, pour riche et prestigieux qu’il soit, risque de vieillir et de perdre de sa valeur si sa maison n’est pas en mesure de garder le rythme. Cette transformation permanente  – ou « crise permanente », comme nous l’avons appelée au cours de notre travail – entrave et aiguise simultanément le regard. Elle l’entrave, d’une part, car toute action – une traduction, une fusion, une fermeture – doit être considérée avant tout comme une réaction à l’environnement global dans lequel elle a lieu, ce qui exige une connaissance détaillée et, en même temps, une vision d’ensemble du champ éditorial. D’autre part, elle l’aiguise car le travail qui en résulte cesse d’être une simple description de faits plus ou moins arbitraires, indépendants les uns des autres, pour devenir, au contraire, le portrait dynamique d’une époque, avec ses enjeux, ses tensions et ses luttes.

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Conclusion

Nous avons essayé, à l’aide d’un éventail aussi vaste et varié que possible de maisons d’édition, de collections et d’ouvrages examinés, de proposer un tel portrait du travail éditorial italien entre 2005 et 2015. Ce portrait pourrait certainement être (et il le sera sans doute un jour) encore plus complet, encore plus complexe. Notre parti pris de ne considérer que les traductions de romans contemporains du français et de l’allemand – et non d’autres langues ni d’autres types d’ouvrages – était nécessaire pour cerner notre objet d’étude et l’adapter à une recherche doctorale ; mais de nouvelles perspectives et des angles différents sous lesquels observer le même objet pourront un jour, nous l’espérons, profiter de cette contribution. Un regard plus ciblé sur le travail des traducteurs ou des agents littéraires au lieu des éditeurs, ou encore une sélection différente de collections à examiner, d’autres langues de départ à prendre en considération, ainsi qu’une étude diachronique de la trajectoire d’une maison en particulier : voilà quelques-unes des possibilités envisageables pour étendre et compléter davantage cette recherche. Le travail conjoint de chercheurs spécialisés dans des aires linguistiques différentes, en outre, pourrait concourir de façon décisive au développement d’un panorama global du travail éditorial à travers l’histoire. Enfin, l’augmentation constante de la distance critique, que nous avons toujours cherché à maintenir malgré le créneau temporel très récent choisi pour cette étude, jettera peut-être sur les remarques contenues dans ces pages une lumière nouvelle. En ce sens, le présent travail – c’est le cas de toute recherche, en réalité, mais il est important d’en prendre conscience chaque fois – constitue une sorte d’enregistrement, historiquement situé, de ce qui était possible de faire, pour un éditeur littéraire italien, au tournant des années 2010. Le lecteur aura remarqué aussi notre choix de considérer tous les romans traduits, sans distinction de « qualité ». Il aurait été contreproductif d’imposer d’emblée une qualification – à laquelle nous sommes habitués au moins depuis le début de nos études littéraires –, alors que nous voulons observer justement la manière dont les éditeurs contribuent à l’élaboration de ce même jugement de valeur. C’est pour cette raison que nous avons évoqué les traductions de W. G. Sebald aux côtés de celles de Timur Vermes – deux auteurs qui sont d’ailleurs passés par la même maison d’édition, voire par la même collection –, les romans de Milan Kundera aux côtés de ceux de Marc Levy, et ainsi de suite. Cette décision nous a permis de démontrer non seulement que le travail éditorial participe dans une mesure non négligeable à la légitimation des biens littéraires, mais aussi que, comme l’observe Dominique Viart, « les critères de constitution des corpus ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre »1. De tels critères ou, plus spécifiquement, les catégories d’analyse mobilisées par la critique littéraire sont donc spécifiques au champ et variables dans le temps. En 1

« Si bien – remarque-t-il – que l’on voit parfois des phénomènes éditoriaux purement commerciaux et sans grande ‘valeur littéraire’ aux yeux des universitaires français devenir ailleurs des objets de recherche plus légitimes. » Viart, La Littérature française du 20e siècle lue de l’étranger, pp. 17–30.

Conclusion

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est un bon exemple le cas d’Uwe Timm, dont la portée politique des premiers romans est presque complètement passée sous silence en Italie, alors qu’elle constitue le trait saillant de sa posture en Allemagne. Nous pouvons le remarquer également dans l’absence, chez la critique italienne, d’un discours cohérent sur la Migrantenliteratur – une catégorie spécifique au champ allemand pour désigner la littérature écrite par des auteurs étrangers, ou fils d’étrangers, dont certains ont été néanmoins traduits en italien2 – ou encore sur la « littérature-monde en français » – sur laquelle nombre d’auteurs et intellectuels de langue française s’expriment au début de notre créneau temporel3. En même temps, notre travail montre aussi que les champs ne sont pas étanches. Grâce aux traductions, et à ceux qui les rendent possibles, des ouvrages et des catégories utiles à leur interprétation franchissent les frontières et s’intègrent au nouvel espace de réception. L’exemple de Carrère, dont le dernier éditeur en Italie emprunte même les paratextes de l’auteur utilisés chez P. O. L. et sur lequel des articles de journaux français sont traduits mot à mot pour la presse nationale italienne, montre la possibilité d’un échange où les critiques du champ d’origine et du champ d’arrivée dialoguent entre elles et ont recours au même langage. Cela se manifeste aussi – et la constitution de notre corpus le met en évidence, par le fait que Timm et Carrère pratiquent tous deux cette forme d’écriture – dans la vogue de l’autofiction, qui représente un phénomène littéraire transnational vivement débattu à la fois en France, en Allemagne et en Italie auprès de la critique militante comme dans le milieu académique. Or les moyens à disposition des éditeurs pour mobiliser de telles catégories et, ce faisant, pour légitimer leur production, sont divers. Le premier et le principal, bien sûr, est la sélection des titres à publier. Nous avons vu que des contraintes économiques ainsi que symboliques guident ce choix primordial. L’analyse des traductions, en particulier, met en lumière l’ouverture graduelle du marché éditorial à la production littéraire du monde entier, y compris d’aires linguistiques qui étaient autrefois absentes, ou presque absentes, d’un discours intellectuel moins atomisé qu’aujourd’hui. Cela explique en partie la dilution des traductions depuis des langues qui, tout au long du XXe siècle, étaient plus centrales, comme l’allemand, parmi un plus grand nombre de publications issues de zones géographiques considérées auparavant comme périphériques, telle l’Afrique francophone. Cette tendance répond au mouvement général d’ouverture de la culture européenne aux littératures du monde entier à la suite des réflexions, en vogue au plus tard depuis les années 1990, sur la world literature et sur la manière de l’envisager dans un contexte globalisé4. Mais elle souligne également des dynamiques internes 2 3 4

Arnold, Heinz Ludwig (dir.) : Literatur und Migration, Munich, Text + Kritik, 2006. Lebris, Michel/Rouaud, Jean (dir.) : Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard, 2007. Dans le contexte italien, une figure incontournable pour cette réflexion est Franco Moretti, dont l’essai La letteratura vista da lontano (Turin, Einaudi, 2005) a connu un succès international. Mais le débat est bien présent partout en Europe comme aux États-Unis : à côté des contributions fondamentales de Casanova, que nous avons citées à maintes reprises, rappelons aussi le

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au champ italien : d’une part, la prolifération de maisons d’édition de taille petite à moyenne consacrées aux traductions littéraires d’une langue ou d’une aire géographique choisie ; d’autre part, l’échange faible entre les discours interne et externe au milieu universitaire – la germanistique, en particulier, fait preuve de grandes difficultés à sortir des cercles académiques. Malgré la coopération, que nous avons mise en évidence à plusieurs reprises, entre les agents des milieux universitaire et éditorial (voire leur activité dans les deux milieux à la fois), nous remarquons effectivement une véritable impasse au niveau de la communication au public des ouvrages traduits. Cette observation – qui est plus évidente pour les traductions de l’allemand, mais reste valable pour les traductions d’autres langues – concerne surtout la durée de vie des titres dans le débat culturel. De tous les auteurs et de tous les ouvrages examinés au cours de notre analyse, peu conservent à long terme (relativement long terme : une dizaine d’années) une position de relief au pôle autonome du champ ; les études des prochaines années seront en mesure de prouver si des auteurs comme Annie Ernaux, Emmanuel Carrère, Jonathan Littell, Ingo Schulze, Wolfgang Hilbig, Uwe Johnson, entre autres, seront encore évoqués dans le discours de la critique spécialisée des années 2020 et 2030. Les éditeurs ne se sont pas limités à sélectionner ces auteurs : ils ont engagé des personnalités douées d’un certain capital symbolique pour les traduire et les préfacer, ils ont inséré leurs ouvrages dans des collections entourées de prestige et d’histoire et les ont envoyés à des critiques choisis ad hoc pour les partager dans des revues de culture, ils les ont présentés au public avec des titres, des couvertures, des quatrièmes qui définissent les traits saillants de leur œuvre – en somme, ils les ont marqués à l’aide de tous les instruments à leur disposition. Mais la difficulté persiste sur la longue durée : car le défi majeur de l’éditeur, une fois qu’il a réussi à mettre en circulation un roman, est de le maintenir en circulation et, par-là, de préserver aussi sa propre existence, sa propre aura. La réussite de ce défi s’avère d’autant plus incertaine dans une période de verticalisation, d’accélération et de désidéologisation des pratiques éditoriales que nous avons décrite dans la première partie de ce travail. Les conditions du travail culturel, nous l’avons vu, subissent les conséquences de la marchandisation croissante du livre ; c’est avant tout l’engagement des personnes qui croient en la valeur de ce travail qui assure sa survie et son développement malgré l’hétéronomie partielle du champ. C’est pour cette raison que, dans la production de livres, l’autonomie s’exprime principalement dans la persistance d’une composante strictement individuelle, humaine, qui s’oppose à la loi des grands nombres et à tout traitement systématique et machinal des biens littéraires. Une telle approche, que nous pouvons définir simplement comme « personnelle » – au sens où elle se base sur l’apport d’une personne réelle, avec ses goûts, théoricien de la littérature mondiale David Damrosch : What Is World Literature ?, Princeton, Princeton University Press, 2003.

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ses préférences et ses idiosyncrasies, au choix et à la médiation de chaque ouvrage – est possible a priori dans des entreprises de toutes dimensions. Même les plus grands conglomérats éditoriaux conservent en leur sein tout au moins des cellules – un imprint, une collection ou un ensemble de collections –, où le personnel, souvent doté d’une formation littéraire, possède les instruments nécessaires à l’évaluation des ouvrages, pas seulement en termes de rentabilité immédiate, et peut donc produire aussi des livres haut de gamme. La combinaison de ces compétences avec la visibilité et le renom des grandes maisons – qui sont aussi, nous l’avons vu, les plus anciennes – permet à cette production d’entrer rapidement dans le débat culturel, et parfois même de le dominer. Mais deux contraintes pèsent plus que toute autre sur le travail autonome au sein des plus grandes entreprises : leur structure interne complexe et le rythme soutenu de leurs parutions. S’il est vrai, en effet, que la qualité du travail culturel réside dans le détail, dans l’affinité intime d’un éditeur avec son auteur, d’un traducteur avec son texte, dans la mise en réseau d’un titre auprès des cercles de la critique ayant intérêt à le faire rayonner, alors il est nécessaire que le suivi de chaque ouvrage soit individualisé et à long terme. Individualisé, pour que chaque titre soit communiqué de manière efficace, au bon moment et par une personnalité légitime (c’est-à-dire digne de confiance grâce au capital spécifique accumulé à long terme) aux lecteurs susceptibles de l’assimiler à leur répertoire. À long terme, pour que le travail de l’éditeur ne s’achève pas avec la publication, après laquelle la plupart des livres tombent dans l’oubli et finissent bientôt « hors catalogue », mais qu’il continue son effort de diffusion et de valorisation de chaque ouvrage publié. Dans son roman Johann Holtrop. Abriss der Gesellschaft, Rainald Goetz s’étend sur le destin des cadres d’une grande entreprise allemande, l’immense groupe commercial Assperg Medien AG. De façon concise, il révèle la visée de chacun des personnages, qui « joue[nt] le jeu de l’entrepreneur : acheter et revendre, grandir avec du profit. »5 Nous reprenons ici cette formule, efficace dans sa sécheresse, car elle décrit bien les modalités du travail dans toute grande entreprise au tournant du millénaire – l’époque étudiée dans le roman comme dans notre travail. Mais ces modalités, notamment la recherche du profit dans un effort d’expansion continuelle, se concilient mal avec la production de biens culturels, qui exigent au contraire des temps longs et rapportent, au moins dans l’immédiat, une marge de gain économique très limitée. C’est que les « mobiles » pour faire des livres, nous l’avons vu, sont divers. Tout éditeur publie pour vendre, c’est-à-dire pour le profit, certes ; mais il nous semble que les titres ayant le plus de chances de longévité sont ceux derrière lesquels quelqu’un s’engage personnellement, parce qu’il s’y sent lié et qu’il ne veut pas faire des livres en général, mais ce livre (ou cet auteur, cette idée, etc.) en particulier. Si Uwe Timm continue d’être traduit en italien et qu’il a reçu plusieurs prix littéraires 5

« Sein Spiel war das des Unternehmers : kaufe und verkaufe, wachse mit Gewinn. » Goetz, Rainald : Johann Holtrop. Abriss der Gesellschaft, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2012, p. 157.

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malgré la dissolution de la première collection qui l’a accueilli et malgré son abandon par Mondadori, c’est parce que son traducteur l’a « poussé » auprès de la critique et d’autres maisons d’édition ; si Emmanuel Carrère a franchi une nouvelle étape de sa réception après le passage à Adelphi, c’est parce qu’Ena Marchi en a fait d’emblée une étoile de son catalogue, figure de proue qu’il n’était pas avant. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour expliquer ni pour garantir le succès (symbolique) d’aucun auteur ; mais elles sont, nous le croyons au bout de cette recherche, des raisons nécessaires. Sans cet engagement personnel, sans la conviction tenace d’un agent qui se trouve dans une position stratégique pour lancer l’ouvrage qu’il a choisi, un succès durable au fil des années serait presque un miracle. Il va de soi que cette opération de lancement peut avoir lieu bien des années après la première publication. Des titres parus et longtemps oubliés peuvent être redécouverts et légitimés sous les mêmes conditions, à savoir qu’une personne y trouve de la valeur et réalise un travail d’envergure pour convaincre son entourage de cette valeur. Nous avons vu, au cours de ce travail, de nombreuses reprises de ce type, avec des résultats divers : la collection Arno n’aurait pas été possible sans l’intérêt de Domenico Pinto, tout comme la redécouverte d’Annie Ernaux est surtout due au travail minutieux de traduction, d’édition et de diffusion de Lorenzo Flabbi. Que leurs efforts soient récompensés ou non dépend de plusieurs facteurs, parmi lesquels la position qu’ils occupent dans le champ (Ont-ils assez de pouvoir pour légitimer leurs auteurs ?) et leur implication dans les réseaux sociaux qu’ils souhaitent atteindre (Peuvent-ils mobiliser les agents susceptibles de s’intéresser à cet ouvrage ?). Il ne suffit donc pas qu’une affinité, qu’elle soit intime ou structurelle, lie le texte à son éditeur (ou à son agent, son traducteur, son critique, etc.). Il ne suffit pas non plus que l’éditeur déploie tous les outils à sa disposition pour le légitimer : qu’il l’insère dans une collection prestigieuse, lui ajoute une postface savante, le fasse parvenir avec des recommandations aux voix critiques les plus en vue. Car – c’est le refrain de cette thèse – chaque choix individuel doit être compris à l’intérieur d’un système d’autres choix faits par d’autres agents, de conditions et de contraintes qui circonscrivent les possibilités de chacun. C’est pour cette raison qu’il est important de garantir, au moins dans une section du champ, la possibilité d’une production littéraire autonome. Si ce n’est pas possible, alors aucun engagement ni aucune alliance stratégique d’agents ne suffiront pour faire exister des livres qui ne soient pas exclusivement des biens marchands. La fonction d’une thèse n’est pas de prescrire une voie à suivre, mais de reconstruire et d’interpréter l’état des choses. Néanmoins, puisque l’autonomie du champ littéraire, pour partielle qu’elle soit, représente à notre avis un intérêt commun à tous les lecteurs du présent travail, nous estimons adéquat de proposer, en guise de conclusion, quelques pistes de réflexion sur les conditions nécessaires à sa sauvegarde à l’époque contemporaine. Il ne s’agit aucunement d’invectiver contre l’intérêt commercial inhérent à tout travail éditorial, mais d’identifier quelques éléments qui, au moins à l’époque que nous avons étudiée, favorisent

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373

l’essor d’une production littéraire haut de gamme malgré la puissance de la logique économique. D’abord, une condition essentielle nous semble être le maintien d’une approche « exceptionnelle » à l’égard du livre par rapport aux autres produits proposés à la vente. Autrement dit, il est nécessaire que le livre continue d’être considéré en tant que produit, certes, commercial, mais d’une nature particulière par rapport aux biens de simple consommation. Cette manière d’aborder le produit-livre, conquise peu à peu et assez récemment par les professionnels du secteur, est menacée par les remises prévues plusieurs fois par an pendant les soldes, ainsi que par les ventes en ligne à prix extrêmement compétitifs, qui coûtent cher aux libraires et aux éditeurs indépendants de taille petite à moyenne. Des mesures tutélaires comme la loi Levi limitent les dommages de cette concurrence et s’avèrent essentielles pour garantir une chance de survie dans le marché aux représentants de la « frange » que nous avons identifiée comme détentrice d’un pouvoir potentiel d’innovation dans le champ. Ensuite, une autre condition de la production autonome est le ralentissement des cycles de production. Si l’espérance de vie des livres – d’abord en librairie, puis dans les catalogues mêmes des éditeurs – a tendance à diminuer de plus en plus, alors la difficulté de mettre en circulation des ouvrages qui exigent des temps plus lents et plus longs augmente par conséquent. Cela se manifeste aussi bien avant qu’après la publication des textes. D’une part, en effet, le travail nécessaire à la préparation des ouvrages se comprime, ce qui peut se traduire par des résultats bâclés (nous avons vu les erreurs dans la présentation biographique de Carrère chez Einaudi, mais il peut s’agir aussi de traductions sans révision, de textes rédigés de façon sommaire avec des fautes de frappe ou de langue, etc.) ou dans le renoncement d’emblée à des ouvrages qui nécessiteraient plus d’attention avant d’arriver en librairie. En est un bon exemple l’épisode, qui nous a été raconté par le consultant éditorial d’une maison appartenant à un grand groupe, d’une biographie de Theodor W. Adorno : l’éditeur a demandé à son collaborateur d’exprimer un jugement pour ou contre l’achat de l’ouvrage sur la base du projet, c’est-à-dire suivant le système, que nous avons eu l’occasion de décrire, de la preempt offer. « Mais laisse-moi-la lire ! – s’indigne-t-il – C’est quand même un livre de philosophie … Il te semble possible que je l’achète à l’aveugle ? Et puis je ne comprends pas tout cet empressement, je ne crois pas qu’il y ait une course à la biographie d’Adorno … » Si les dynamiques d’achat de ce type l’emportent sur toute la production, des textes plus exigeants du point de vue du travail éditorial et culturel risquent d’être exclus des programmes de publication ou, s’ils parviennent à être publiés, de subir les conséquences d’un traitement hâtif. D’autre part, lorsque pour une raison ou pour une autre, malgré les difficultés, ces ouvrages arrivent en librairie, leurs chances de rester en circulation à long terme sont limitées par la rotation de plus en plus rapide des livres sur les étagères et par la présence encombrante d’une sélection réduite d’ouvrages destinés à devenir des instant-sellers et des best-sellers. Certes, leur public est souvent très ciblé et

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Conclusion

donc, si la maison d’édition fait bon usage du service de presse, il est possible qu’ils atteignent leur segment du lectorat ; mais la difficulté de base liée aux cycles de production reste valable : il s’agit toujours de toucher le public aussi rapidement que possible, avant que les rayons des librairies ne se remplissent de nouveaux titres et que, pour leur faire de la place, les vendeurs n’écartent les vieux livres d’abord dans un coin du magasin et, ensuite, de retour dans les entrepôts des éditeurs. Pour faire face à cette difficulté, des initiatives peuvent être lancées par les éditeurs eux-mêmes et par les instances étatiques pour défendre la bibliodiversité. Un exemple récent est la naissance et le développement de la plateforme de distribution en ligne Slow Books (dans le sillage du projet analogue dans le domaine alimentaire : Slow Food), qui rassemble un groupe d’éditeurs de taille petite et moyenne et de libraires indépendants pour distribuer tous les livres en catalogue des adhérents, y compris ceux qui ne sont plus disponibles dans les plus grandes surfaces de vente. « Nous ne vous demandons pas de vous empresser, mais de bien pondérer votre achat. Un livre peut changer la vie, mais elle (la vie) peut tranquillement attendre un ou deux jours »6 : c’est ainsi que Stefania Chierchia et Gaetano Garzillo, les fondateurs, envisagent le projet, après avoir créé dans les années 1980 un réseau qui s’étend encore aujourd’hui, surtout dans les régions méridionales de l’Italie. Cette expérience met en évidence la nécessité, perçue par les professionnels de l’édition indépendante, d’une plateforme qui rende justice à une production littéraire requérant des rythmes de lecture plus lents que les rythmes du marché. Des initiatives similaires, mais plus vastes et lancées par les instances gouvernementales liées à la vie culturelle du pays, pourraient contribuer encore davantage à freiner l’accélération des pratiques éditoriales. Enfin, et dans le même sens, la défense et la mise en valeur de la production indépendante par la création d’instances de promotion et de légitimation représentent une condition supplémentaire pour sauvegarder l’autonomie du champ vis-à-vis de la logique économique. Les salons du livre, les festivals et les prix littéraires qui mettent l’accent sur tous les ouvrages souvent relégués à l’arrière-plan dans les grandes chaînes de librairies s’avèrent des instruments utiles pour favoriser le rayonnement et la valorisation d’une littérature autrement invisible, ou du moins peu centrale. L’essor et le succès d’un grand nombre de tels évènements pendant la période observée soulignent l’importance croissante de cette forme de superstructure éditoriale, notamment auprès des maisons indépendantes. Ces trois conditions – l’exception culturelle, la décélération des rythmes de production et de vente, ainsi que les plateformes de promotion et de légitimation – sont à notre avis fondamentales pour assurer la possibilité d’une production culturelle qui soit, au moins en partie, libre des contraintes du marché. Mais un élément tout aussi fondamental reste encore en dehors de notre réflexion : l’insertion de cette production dans le débat culturel. Dans ces paragraphes nous avons considéré, en effet, ce qui est nécessaire pour que les maisons d’édition qui produisent des 6

Dans l’onglet « Philosophie » du site officiel de projet, www.slowbooks.it/filosofia (7 janvier 2020).

Conclusion

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livres « exigeants » (nous entendons par là des livres qui ne sont pas conçus seulement comme des biens de consommation immédiate et éphémère) parviennent aussi à les vendre et les valoriser. Or les plateformes de e-commerce, les salons du livre, les lois sur l’application limitée de rabais concourent à la réalisation de cet objectif général, mais ils ont peu de pouvoir en ce qui concerne le défi majeur de chaque éditeur : que les livres qu’ils publient deviennent nécessaires à la réflexion intellectuelle, qu’ils soient connus, lus et débattus plus que sont simplement vendus. Aucune publicité, au sens strict du terme, ne permet de réaliser cette ambition, parce que la difficulté à surmonter réside, à notre avis, à une échelle supérieure, et consiste à réintégrer la production littéraire au cœur de la vie sociale. Effectivement, les analyses que nous avons réalisées dans le cadre de ce travail mettent en lumière un risque auquel tout produit culturel est exposé : le rétrécissement des horizons des médiateurs et, partant, du discours dont ils se font les porteurs. Nous avons vu que l’opposition entre l’offre généraliste d’un côté et la production de niche de l’autre est utile dans la conception de projets éditoriaux plus ou moins originaux ; mais il est tout aussi important, pour enrichir le débat intellectuel, de ne pas borner la production littéraire aux seules niches qui s’intéressent a priori à une certaine thématique, à une aire linguistique, à un auteur. En ce sens, le cas des traductions nous sert de test révélateur : une fois surmontées les difficultés préalables à la publication, les écrivains traduits de l’allemand et du français doivent réussir à sortir des cercles circonscrits de la germanistique et de la romanistique pour être assimilés à la réflexion de plus vaste envergure sur la littérature, s’il y en a une, voire sur la production culturelle tout court et sur sa signification globale. Il s’agit, en somme, de faire entrer à part entière les textes dans le discours de tous les grands lecteurs, qu’ils soient spécialistes du domaine (dans ce cas, la langue de départ) ou non. Il existe des initiatives qui poursuivent cette voie et que nous avons évoquées tout au long de notre travail. Le prix Murat, et en général le travail du professeur Matteo Majorano pour faire connaître le roman français auprès des lycéens italiens, tout comme le projet national « Atlante digitale del Novecento letterario », en partenariat avec plusieurs maisons d’édition de tailles variées, sont des exemples de la coopération occasionnelle entre éditeurs, professeurs et lycées pour sensibiliser les lecteurs dès leur plus jeune âge à la découverte de l’offre littéraire à leur disposition ; les programmes des centres culturels et des bibliothèques présentent également des occasions de rencontre libres, ou presque, de toute intention de vente ; les représentants de la critique littéraire, et notamment des revues et blogs en ligne accessibles à tous les intéressés, travaillent au tissage de liens entre l’actualité, le discours savant et le travail des éditeurs. Or tous ces efforts peuvent, à notre avis, s’associer encore davantage pour que le champ littéraire ne se limite pas à contraster l’emprise des logiques externes, mais qu’il parvienne aussi à faire entendre sa voix au-delà de ses limites. En d’autres termes, la revitalisation de la littérature dans la société – donc du champ littéraire à l’intérieur du champ social – peut passer par le travail conjoint des éditeurs, critiques, professeurs, et de tous ceux qui croient

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que la littérature peut offrir une clé d’interprétation ou au moins un moyen de compréhension du monde. L’objectif de cette alliance ne serait pas de dissoudre la section autonome du champ – qui est, par définition, fermée et circonscrite –, mais au contraire de légitimer son pouvoir en renforçant les liens en son sein pour établir, enfin, un dialogue fructueux avec l’extérieur. Ce travail, nous l’avons dit, demande à être enrichi par d’autres. Une bonne manière d’évaluer si l’œuvre d’un auteur a réussi à sortir du cercle restreint de son public visé serait de retrouver toutes les citations, mentions, allusions faites à son égard dans les textes qui ne les abordent pas directement : il est significatif, par exemple, que des recueils de littérature française contiennent des articles sur le dernier roman de Carrère, mais il l’est encore plus qu’un auteur italien l’évoque au passage dans un texte sur un autre sujet, et qu’il tienne pour acquis que toute personne renseignée le connaisse. Dans ce sens, l’apport des chercheurs d’autres disciplines serait avantageux pour compléter le paysage que nous avons, dans ces pages, commencé à esquisser. Dans l’introduction à ce travail, nous avons posé des questions auxquelles nous avons donné ici, dans la mesure du possible, nos réponses ; mais pendant nos recherches, de nouvelles questions ont surgi : quelles transformations le développement des pages culturelles en ligne implique-t-il dans la pratique de la critique littéraire et quel rôle joue-t-il dans la soi-disant « crise de la critique »7 ? Quelles dynamiques dans l’exercice du travail éditorial au cours des années 1970–1990 ont constitué les préambules des transformations étudiées dans ce travail ? Ou encore, en observant de plus près les ouvrages qui ont été traduits et réédités par plusieurs maisons, quelles différences peut-on observer dans le passage du même texte d’un éditeur à l’autre, et plus précisément d’un traducteur à l’autre ? Est-il possible de reconnaître des tendances transversales aux traductions d’une même maison, une « marque » éditoriale inscrite au plus profond du texte ? C’est pour cette raison, et dans l’espoir de donner une réponse à ces questions et à celles qui arriveront sans doute avec chaque nouveau fragment de réponse, que nous aspirons à trouver, dans la communauté scientifique, un groupe de recherche qui souhaite mieux comprendre, comme nous et avec nous, les façons dont la littérature naît, se renouvelle et existe dans notre société, malgré tous les obstacles.

7

Sur la « crise », la « mort » ou le « déclin » de la critique littéraire, c’est-à-dire sur sa marginalisation au sein du débat public, plusieurs ouvrages et articles ont été publiés en Italie des années 1990 à nos jours : v. Segre, Cesare : Notizie dalla crisi. Dove va la critica letteraria ?, Turin, Einaudi, 1993 ; Lavagetto, Mario : Eutanasia della critica, Turin, Einaudi, 2005 ; Luperini, Romano : Tramonto e resistenza della critica, Macerata, Quodlibet, 2013.

ANNEXE 1 Liste des entretiens Nous tenons à remercier encore une fois tous ceux qui ont accepté de partager avec nous leurs expériences, leurs connaissances, leurs impressions sur le travail culturel en Italie à l’époque contemporaine, et qui nous ont permis de jeter un regard dans les coulisses de l’édition. Nous dressons ci-dessous une liste des personnes interviewées, avec une indication de leur activité principale et, le cas échéant, de leur rattachement à une maison d’édition ou une agence, du lieu et de la date de l’entretien. Nom et prénom

Fonction principale

Rattachement principal

Lieu de l’entretien

Date de l’entretien

Matteo Galli

Traducteur

_

Ferrara

19 décembre 2018

Giuliano Geri

Directeur de collection

Zandonai

Trento

21 décembre 2018

Barbara Griffini

Agente littéraire

Berla & Griffini Rights Agency

Milan

7 mars 2019

Francesco Guglieri

Editor

Einaudi

Turin

7 mars 2019

Marco Federici Solari

Editeur, traducteur

L’Orma

Rome

21 mars 2019

Lorenzo Flabbi

Editeur, traducteur

L’Orma

Rome

21 mars 2019

Margherita Carbonaro

Traductrice

_

Appel vidéo

27 mars 2019

Daniela Di Sora

Editrice

Voland

Rome

28 mars 2019

Paola del Zoppo

Directrice éditoriale, traductrice

Del Vecchio

Rome

29 mars 2019

Helena Janeczek

Consultante

Mondadori

Paris

15 juin 2019

Fabio Gambaro

Scout

_

Paris

22 août 2019

Enrico Ganni

Traducteur

Einaudi

Appel vidéo

2 juillet 2020

Appel téléphonique

10 juillet 2020

Leipzig

20 octobre 2020

Giancarlo Maggiulli

Consultant

Adelphi

Roberta Gado

Traductrice

Keller

Nicoletta Pescarolo

Editrice

Le Lettere

Correspondance 15 octobre – écrite 22 décembre 2020

ANNEXE 2 Romans en langue française et allemande traduits en italien Sélection d’éditeurs et collections (2005–2015) Il n’existe aucune base de données systématique sur les traductions du français et de l’allemand en Italie à l’époque contemporaine. Pour réaliser notre recherche, nous avons créé au fil des années une base de données personnelle qui est, certes, sélective et donc partielle, mais qui représente un point de départ utile pour un futur fichage de l’activité de traduction à l’époque contemporaine. Nous la reproduisons ci-dessous pour que le lecteur ait accès à toutes les informations recueillies sur chaque traduction : elle indique la langue de départ (français à gauche, allemand à droite), la maison d’édition, la collection, l’auteur, le titre traduit, le nom du traducteur et la date de parution. Les listes suivantes ont été dressées à partir de deux sources principales : le catalogue du système bibliothécaire national italien OPAC et les catalogues éditoriaux des diverses maisons concernées. Parfois, les données de ces deux types de documents sont incomplètes ou incohérentes – par exemple les noms des traducteurs ou les collections d’appartenance ne coïncident pas – et exigent alors une recherche sur le terrain, c’est-à-dire la consultation manuelle des livres en question ; là où cela n’a pas été encore possible, nous l’avons dûment signalé. La sélection des collections a été effectuée en deux étapes. D’abord, nous avons choisi de réaliser une base de données des traductions au sein de cinq maisons d’édition majeures pour la production de littérature en Italie : Mondadori, Bompiani, Einaudi, Feltrinelli et Adelphi. À partir de ce groupe restreint – dont la composition est certes arbitraire, mais s’appuie sur les nombreuses recherches qui placent ces éditeurs au sommet du champ littéraire italien, ainsi que sur la connaissance empirique de leur indiscutable centralité dans le discours intellectuel autour des années 2000 –, nous avons dans un deuxième temps choisi d’ajouter, au fur et à mesure que nos recherches avançaient, les collections qui, plus ou moins à notre surprise, se sont avérées riches en traductions soit du français soit de l’allemand, ou, plus rarement, des deux langues. Ainsi, nous avons examiné quarante-deux collections, issues de vingt-sept maisons d’édition différentes. La liste des maisons et des collections observées, dans l’ordre, est la suivante : 1. 2. 3. 4. 5.

Adelphi, Biblioteca Adelphi Adelphi, Fabula Baldini Castoldi & Dalai, Romanzi e racconti Barbès, Intersections Bompiani, AsSaggi

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Annexe 2

6. Bompiani, Narratori stranieri 7. Clichy, Gare du Nord 8. Del Vecchio, formelunghe 9. Einaudi, Coralli 10. Einaudi, Frontiere 11. Einaudi, L’arcipelago 12. Einaudi, Stile libero 13. Einaudi, Supercoralli 14. e/o, Dal mondo 15. Fazi, Le strade 16. Feltrinelli, Canguri 17. Feltrinelli, I Narratori 18. Gremese, Narratori francesi contemporanei 19. Guanda, Narratori della Fenice 20. Guanda, Prosa contemporanea 21. Keller, Passi 22. Keller, Vie 23. Le Lettere, Pan Narrativa 24. L’Orma, Kreuzville 25. L’Orma, Kreuzville Aleph 26. Marcos y Marcos, Gli Alianti 27. Mimesis, Il quadrifoglio tedesco 28. Minimumfax, Sotterranei 29. Mondadori, Scrittori italiani e stranieri 30. Mondadori, Strade blu 31. Mondadori, Omnibus 32. Neri Pozza, Narratori delle tavole 33. Nonostante, Scrittura bianca 34. Nottetempo, Narrativa 35. Portaparole, I Venticinque 36. Sellerio, Il contesto 37. Sellerio, La memoria 38. Voland, Intrecci 39. Zandonai, I piccoli fuochi 40. 66thand2nd, Bazar 41. 66thand2nd, Bookclub 42. 66thand2nd, B-Polar

Annexe 2

381

Adelphi, Biblioteca Adelphi Romans traduits du français 1. Irène Némirovsky, Suite francese, dir. Denise Epstein et Olivier Rubinstein, postface de Myriam Anissimov, trad. Laura Frausin Guarino, 2005 2. Robert De Boron, Il Libro del Graal : Giuseppe di Arimatea, Merlino, Perceval, dir. Francesco Zambon, 2005 3. Georges Simenon, L’orologiaio di Everton, trad. Laura Frausin Guarino, 2005 4. Milan Kundera, Il sipario, trad. Massimo Rizzante, 2005 5. Georges Simenon, Luci nella notte, trad. Marco Bevilacqua, 2005 6. René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, Le Grand Jeu, images de Joseph Sima, dir. et trad. Claudio Rugafiori, 2005 [pr. éd. 1967] 7. Georges Simenon, Il clan dei Mahé, trad. Laura Frausin Guarino, 2006 8. Irène Némirovsky, David Golder, trad. Margherita Belardetti, 2006 [pr. éd. Feltrinelli, Narratori, 1992] 9. Georges Simenon, Cargo, trad. Marco Bevilacqua, 2006 [pr. éd. Il cargo, Mondadori, Medusa, trad. Giorgi Monicelli, 1952] 10. Irène Némirovsky, Jezabel, trad. Laura Frausin Guarino, 2007 11. Georges Simenon, Il presidente, trad.  Laura Cisbani, 2007 [pr. éd. Mondadori, Il girasole, trad. Roberto Cantini, 1960] 12. Emil Cioran, Confessioni e anatemi, trad. Mario Bortolotto, 2007 13. Georges Simenon, Il piccolo libraio di Archangelsk, trad. Massimo Romano, 2007 14. Simone Weil, Attesa di Dio, avec un essai de Giancarlo Gaeta, dir. Maria Concetta Sala, 2008 [pr. éd. Casini, Quaderni Grigi, introduction de Joseph-Marie Perrin, trad. Nicoletta d’Avanzo Puoti, 1954] 15. Irène Némirovsky, I cani e i lupi, trad. Maria Di Leo, 2008 16. Oscar Vladislav de Lubicz Milosz, Sinfonia di Novembre e altre poesie, préface de Milan Kundera, dir. et trad. Massimo Rizzante, 2008 17. Georges Simenon, Senza via di scampo, trad. Eliana Vicari Fabris, 2008 18. Georges Simenon, Il treno, trad. Massimo Romano, 2008 19. Irène Némirovsky, I doni della vita, trad. Laura Frausin Guarino, 2009 20. Georges Simenon, La finestra dei Rouet, trad. Federica Di Lella et Maria Laura Vanorio, 2009 [pr. éd. Mondadori, L’altro Simenon, trad. Elena Cantini, 1962] 21. François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, trad. Laura Frausin Guarino, 2009 [pr. éd. I due romanzi di Teresa Desqueyroux, Mondadori, Medusa, trad. Enrico Piceni, 1935] 22. Milan Kundera, Un incontro, trad. Massimo Rizzante, 2009 23. Georges Simenon, Le campane di Bicêtre, trad. Laura Frausin Guarino, 2009 24. Georges Simenon, Corte d’Assise, trad. Massimo Romano et Alberto Mittone, 2010 25. Irène Némirovsky, Due, trad. Laura Frausin Guarino, 2010 26. Georges Simenon, Il ranch della giumenta perduta, trad. Alessandra Berello, 2010 27. Maurice Sachs, Il Sabba, avec une annotation d’Ena Marchi, trad. Tea Turolla et Leopoldo Carra, 2011 [pr. éd. Sugar, I giorni, trad. Marco Amante, 1972] 28. Georges Simenon, L’assassino, trad. Raffaella Fontana, 2011 29. Gabriel Chevallier, La paura, trad. Leopoldo Carra, 2011 30. Irène Némirovsky, Il vino della solitudine, trad.  Laura Frausin Guarino, 2011 [pr. éd. Elios, Le streghe, trad. Fernanda Guzzoni, 1947] 31. Irène Némirovsky, Il signore delle anime, avec un essai d’Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt, trad. Marina Di Leo, 2011 32. Georges Simenon, La fuga del signor Monde, trad. Federica Di Lella et Maria Laura Vanorio, 2011 [pr. éd. Mondadori, Il girasole, trad. Franco Cannarozzo, 1959] 33. Irène Némirovsky, La preda, trad. Laura Frausin Guarino, 2012

382

Annexe 2

34. Georges Simenon, I complici, trad. Laura Frausin Guarino, 2012 35. Irène Némirovsky, I falò dell’autunno, avec une annotation d’Olivier Philipponnat, trad. Laura Frausin Guarino, 2012 36. Georges Simenon, Il destino dei Malou, trad. Federica Di Lella et Maria Laura Vanorio, 2012 [pr. éd. Mondadori, I romanzi della palma, trad. Torquato Padovani, 1952] 37. Irène Némirovsky, Film parlato e altri racconti, avec une annotation d’Olivier Philipponnat, dir. Olivier Philipponnat, trad. Maria di Leo, 2013 38. Georges Simenon, Faubourg, trad.  Massimo Romano, 2013 [pr. éd. Periferia, Mondadori, I romanzi di Simenon, trad. Sergio Morando, 1961] 39. Irène Némirovsky, Una pedina sulla scacchiera, trad. Marina Di Leo, 2013 40. Georges Simenon, Le signorine di Concarneau, trad. Laura Frausin Guarino, 2013 [pr. éd. Mondadori, Opere di Georges Simenon, trad. Alfredo Segre, 1938] 41. Irène Némirovsky, L’orchessa e altri racconti, trad. Simona Mambrini, 2014 42. Georges Simenon, I clienti di Avrenos, trad. Federica Di Lella et Maria Laura Vanorio, 2014 [pr. éd. Mondadori, I romanzi di Simenon, trad. Bruno Just Lazzari, 1938] 43. Georges Simenon, I fratelli Rico, trad. Marina Di Leo, 2014 [pr. éd. Mondadori, Il girasole, trad. Bruno Just Lazzari, 1958] 44. Simone Weil, La rivelazione greca, dir. Maria Concetta Sala et Giancarlo Gaeta, 2014 45. Jean Renoir, Renoir, mio padre, trad.  Roberto Ortolani, 2015 [pr. éd. Garzanti, Le mosche bianche, 1963] 46. Georges Simenon, Il grande male, trad. Barbara Bertoni, 2015 47. Astolphe De Custine, Lettere dalla Russia, dir. Pierre Nora, trad. Paola Messori, 2015 [pr. éd. Silva, introduction et trad. Renato Arienta, coll. inconnue, 1961] 48. Georges Simenon, Il pensionante, trad. Laura Frausin Guarino, 2015 Romans traduits de l’allemand 1. Stefan Zweig, Momenti fatali, trad. Donata Berra, 2005 2. Joseph Roth, Il Caffè dell’undicesima musa, dir. Helmut Peschina, trad. Rosella Carpinella Guarneri et Roberto Cazzola, 2005 3. Gottfried Benn, Lettere a Oelze 1932–1945, dir. Harald Steinhagen, Jürgen Schröder et Amelia Valtolina, trad. Giancarlo Russo et Amelia Valtolina, 2006 4. Alexander Lernet-Holenia, Un sogno in rosso, trad. Elisabetta Dell’Anna Ciancia, 2006 5. Robert Walser, Il Brigante, trad. Margherita Belardetti, 2008 6. Joseph Roth, Al bistrot dopo mezzanotte, dir. Katharina Ochse, trad. Gabriella de’ Grandi, Fabrizio Rondolino, Flaminia Bussotti et Linda Russino, 2009 7. W. G. Sebald, Secondo natura, trad. Ada Vigliani, 2009 8. Alexander Lernet-Holenia, Ero Jack Mortimer, trad. Margherita Belardetti, 2010 9. W. G. Sebald, Soggiorno in una casa di campagna, trad. Ada Vigliani, 2012 10. Hermann Hesse, Siddhartha, trad. Massimo Mila, 2012 [pr. éd. Siddharta : poema indiano, Frassinelli, Collana di opere brevi, 1966] 11. Leo Perutz, Il Maestro del Giudizio universale, trad. Margherita Belardetti, 2012 [pr. éd. Mondadori, I libri gialli, trad. Roberto Soldati, 1931] 12. Hugo Ball, Cristianesimo bizantino, avec un texte de Hermann Hesse, trad. Piergiulio Taino, 2015

Adelphi, Fabula Romans traduits du français 1. Madeleine Bourdouxhe, La donna di Gilles, trad. Graziella Cillario, 2005 2. Jean Echenoz, Ravel. Un romanzo, trad. Giorgio Pinotti, 2007 3. Sijie Dai, Una notte in cui la luna non è sorta, trad. Martina Mazzacurati, 2008

Annexe 2

4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16.

383

Jean Echenoz, Correre, trad. Giorgio Pinotti, 2009 Jean Echenoz, Lampi, trad. Giorgio Pinotti, 2012 Emmanuel Carrère, Limonov, trad. Francesco Bergamasco, 2012 Pierre Mac Orlan, Il porto delle nebbie, postface de Francis Lacassin, avec un essai de Guido Ceronetti, trad. Cristina Földes, 2012 [pr. éd. Jandi Sapi, Le najadi, trad. Liliana Scalero, 1944] Emmanuel Carrère, L’avversario, trad. Eliana Vicari Fabris, 2013 [pr. éd. Einaudi, I  coralli, 2000] Yasmina Reza, Felici i felici, trad. Maurizia Balmelli, 2013 Milan Kundera, La festa dell’insignificanza, trad. Massimo Rizzante, 2013 Jean Echenoz, ’14, trad. Giorgio Pinotti, 2014 Pierre Boileau et Thomas Narcejac, I diabolici, trad. Federica Di Lella et Giuseppe Girimonti Greco, 2014 [pr. éd. Mondadori, I classici del giallo, trad. Sarah Cantoni, 1981] Emmanuel Carrère, La settimana bianca, trad.  Maurizia Balmelli, 2014 [pr. éd. Einaudi, I coralli, trad. Paola Gallo, 1996] Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville, trad. Lorenza Di Lella et Giuseppe Girimonti Greco, 2014 Pierre Boileau et Thomas Narcejac, Le incantatrici, trad. Federica e Lorenza Di Lella, 2015 Emmanuel Carrère, Il regno, trad. Francesco Bergamasco, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. W. G. Sebald, Gli emigrati, trad. Ada Vigliani, 2007 [pr. éd. Bompiani, Narratori stranieri, trad. Gabriella Rovagnati, 2000] 2. Ingeborg Bachmann, Dirk Göttsche, Robert Pichl et Luigi Reitani, Il libro Franza, dir. Monika Albrecht, trad. Magda Olivetti et Luigi Reitani, 2009 3. W. G. Sebald, Gli anelli di Saturno, trad. Ada Vigliani, 2010 [pr. éd. Bompiani, Narratori stranieri, trad. Gabriella Rovagnati, 1998] 4. Friedrich Dürrenmatt, Giustizia, trad. Giovanna Agabio, 2011 [pr. éd. Garzanti, Elefanti, 1986] 5. Friedrich Dürrenmatt, L’incarico, trad. Giovanna Agabio et Roberto Cazzola, 2012 [pr. éd. Garzanti, Narratori moderni, trad. Giovanna Agabio, 1987] 6. Katja Petrowskaja, Forse Esther, trad. Ada Vigliani, 2014

Baldini Castoldi & Dalai, Romanzi e racconti Romans traduits du français 1. Jeann Hersch, Primo amore. Esercizio di composizione, préface de Roberta De Monticelli, trad. Roberta Guccinelli, 2005 2. Marie NDiaye, Tutti i miei amici, trad. Ombretta Marchetti, 2005 3. Philip Le Roy, L’ultimo testamento, trad. Christian Pastore, 2005 4. Ghita El Khayat, Il legame, trad. , 2007 5. Laurent Sagalovitsch, Lontano da cosa ?, trad. Vanessa Kamkhagi, 2007 6. Gilles Leroy, Alabama Song, trad. Margherita Botto, 2008 7. Katherine Pancol, Gli occhi gialli dei coccodrilli, trad. Laura Cristina, 2009 8. Gilles Leroy, Sole nero, trad. Roberta Corradin, 2009 9. Katherine Pancol, Il valzer lento delle tartarughe, trad. Roberta Corradin, 2010 10. Katherine Pancol, Gli scoiattoli di Central Park sono tristi il lunedì, trad. Raffaella Patriarca, 2011 11. Didier van Cauwelaert, Unknown : senza identità, trad. Paolo Nannini, 2011 12. Katherine Pancol, Un ballo ancora, trad. Emanuelle Caillat et Isabella Ruggi, 2012 [pr. éd. Rizzoli, La Scala, 1999] 13. Katherine Pancol, Lentamente fra le tue braccia, trad. Raffaella Patriarca, 2012 14. Emma Becker, Monsieur, trad. Raffaella Patriarca, 2012

384

Annexe 2

15. Colette, La donna celata, trad. Raffaella Patriarca, 2015 [pr. éd. Le francesi e l’amore, Zibetti, Biblioteca Universale Zibetti, trad. Luigi Galeazzo Tenconi, 1967] 16. Mazarine Pingeot, Le invasioni quotidiane, trad. Raffaella Patriarca, 2015 Romans traduits de l’allemand Mirjam Pressler, Il veleno delle rose, trad. Alessandra Costa, 2006 Juli Zeh, Un semplice caso crudele, trad. Roberta Gado, 2009 Edgar Hilsenrath, Bronsky ricorda, trad. Roberta Gado, 2010 Sabine Thiesler, La carezza dell’uomo nero, trad. Helga Rainer, 2010 Edgar Hilsenrath, Jossel Wassermann torna a casa, trad. Lorenza Cancian, 2011 [pr. éd. Marsilio, Romanzi e racconti, 1995] 6. Ulrich Becher, Caccia alla marmotta, trad. Roberta Gado, 2012 1. 2. 3. 4. 5.

Barbès, Intersections Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33.

Christiane Rochefort, I bambini del secolo, trad. Vittoria Biagini, 2008 René-Victor Pilhes, La belva, trad. Vittoria Biagini, 2008 Houria Boussejra, Donne incompiute, trad. Véronique Seguin, 2008 Hélène Bessette, Lili, illustrations de R. Mastrai, trad. Tommaso Gurrieri, 2008 Jean Rolin, Il recinto, trad. Tommaso Gurrieri, 2008 Philippe Pollet-Villard, L’uomo che camminava con una pallottola in testa, trad. Gabriele Ametrano, 2008 Albert Cossery, La violenza e il riso, trad. Véronique Seguin, 2009 Olivier Rolin, Un cacciatore di leoni, trad. Tommaso Gurrieri, 2009 Amale Samie, Cedri e balene dell’Atlante, trad. Paola Checcoli, 2009 Henri Pierre Roché, Don Juan, trad. Tommaso Gurrieri, 2009 Tierno Monénembo, Il re di Kahel, trad. Gabriele Fredianelli, 2009 Frédéric Dard, Georges e la donna misteriosa, trad. Vittoria Biagini, 2009 François Barcelo, Il mistero dell’ombrello assassino, trad. Anna Graiff, 2009 Françoise Sagan, Il tubino nero, trad. Laura Mammarella, 2009 Daniel Rocher, Il viaggio del signor Raminet, trad. Tommaso Gurrieri, 2009 Françoise Sagan, Al cinema, trad. Laura Mammarella, 2010 Jean-Marc Parisis, Gli amanti, trad. Tommaso Gurrieri, 2010 Yanick Lahens, Il colore dell’alba, trad. Laura Mammarella, 2010 Christian Oster, Il mio grande appartamento, trad. Alessandra Arico, 2010 Gwenaëlle Aubry, Nessuno, postface de Fabio Scotto, trad. Tommaso Gurrieri, 2010 Jean-Bernard Pouy, Il treno perduto, trad. Marie-Hélène Dion, 2010 Jean d’Ormesson, Che cosa strana è il mondo, trad. Tommaso Gurrieri, 2011 Serge Raffy, Chi sei, Lila ?, trad. Tommaso Gurrieri, 2011 Olivier Adam, Il cuore regolare, trad. Carlo Mazza Galanti, 2011 Isabelle Garna, Deriva, trad. Marie-Emeline Vanel, 2011 Michel Layaz, La dimora, trad. Tommaso Gurrieri, 2011 Christian Gailly, Lily e Braine, trad. Carlo Mazza Galanti, 2011 Eric Faye, Nagasaki, trad. Tommaso Gurrieri, 2011 Jean-Philippe Toussaint, La verità su Marie, trad. Federica et Lorenza Di Lella, 2011 Mathieu Lindon, Cosa vuol dire amare, trad. Isabella Mattassi, 2012 Vanessa Schneider, 17 ragazze, trad. Tania Spagnoli, 2012 Shumona Sinha, A morte i poveri !, trad. Tommaso Gurrieri, 2012 Marcus Malte, Il corpo di Vera Nad, trad. Paola Checcoli, 2012

Annexe 2

34. 35. 36. 37. 38. 39.

385

Bruno Smolarz, Hokusai, dita d’inchiostro, trad. Maurizio Ferrara, 2012 Christian Oster, Nella cattedrale, trad. Alessandra Aricò, 2012 Alexandre Bergamini, Sangue dannato, trad. Sylvia Zanotto, 2012 Françoise Sagan, Un temporale immobile, trad. Laura Mammarella, 2012 Jean Paulhan, Tre storie, trad. Francesca Martino, 2012 Douna Loup, Il varco, trad. Alexandre Calvanese, 2012

Romans traduits de l’allemand 1. Antje Rávic Strubel, Sotto la neve, trad. Elisabetta Terigi et Franziska Peltenburg-Brechneff, 2009 2. Stefan Zweig, Estasi di libertà, trad. Luciana Rotter, 2011

Bompiani, AsSaggi Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

Gilles Gay, Quello che credevo quando ero piccolo, trad. Vincenzo Latronico, 2006 Maxence Fermine, Il labirinto del tempo, trad. Vincenzo Latronico, 2008 Michel Houellebecq, La ricerca della felicità, trad. Fabrizio Ascari, 2008 Olivier Clerc, La rana che finì cotta senza accorgersene e altre lezioni di vita, trad.  Monica Macchioni, 2010 Tahar Ben Jelloun, Fuoco. Una storia vera, trad. Anna Maria Lorusso, 2012 Maxence Fermine, La piccola mercante di sogni, trad. Sergio Arecco, 2013 Maxence Fermine, La bambola di porcellana, illustrations de Lionel Richerand, trad.  Sergio Arecco, 2014 Maxence Fermine, La fata dei ghiacci, illustrations de Louise Robinson, trad. Sergio Arecco, 2015 Tahar Ben Jelloun, Racconti coranici, trad. Anna Maria Lorusso, 2015

Bompiani, Narratori Stranieri Romans traduits du français Maxence Fermine, Amazone e la leggenda del pianoforte bianco, trad. Vincenzo Latronico, 2005 Alice Ferney, In guerra, trad. Marina Rotondo, 2005 Philippe Grimbert, Un segreto, trad. Fabrizio Ascari, 2005 Michel Houellebecq, La possibilità di un’isola, trad. Fabrizio Ascari, 2005 Maxence Fermine, Tango Masai, l’ultimo sultano, trad. Vincenzo Latronico, 2006 Alexandre Jardin, Una famiglia particolare, trad. Fabrizio Ascari, 2006 Yasmina Reza, Uomini incapaci di farsi amare, trad. Fabrizio Ascari, 2006 Tahar Ben Jelloun, Partire, trad. Anna Maria Lorusso, 2007 Claire Castillon, Veleno, trad. Fabrizio Ascari, 2007 Yasmina Reza, L’alba, la sera o la notte, trad. Sergio Claudio Perroni, 2007 Marie Vieux-Chauvet, Amore rabbia follia, trad. Marina Rotondo, 2007 Marc Dugain, Un’esecuzione ordinaria, trad. Fabrizio Ascari, 2008 Alexandre Jardin, Tutte le donne di mio padre, trad. Fabrizio Ascari, 2008 Édouard Levé, Suicidio, trad. Sergio Claudio Perroni, 2008 Jean-Marc Parisis, Prima, durante, dopo, trad. Sergio Claudio Perroni, 2008 Jean-Christophe Rufin, Il profumo di Adamo, trad. Fabrizio Ascari, 2008 Antoine de Saint-Exupéry, Manon ballerina, dir. Alban Cerisier et Delphine Lacroix, trad. Anna d’Elia, 2008 18. Olivier Adam, Al riparo di nulla, trad. Maurizia Balmelli, 2009 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17.

386 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41.

Annexe 2

Michel Houellebecq, La carta e il territorio, trad. Fabrizio Ascari, 2010 Tahar Ben Jelloun, L’uomo che amava troppo le donne, trad. Anna Maria Lorusso, 2010 Dominique Mainard, L’agenzia dei desideri, trad. Vincenzo Vega, 2010 Matthieu Jung, Principio di precauzione, trad. Sergio Arecco, 2012 Amin Maalouf, I disorientati, trad. Fabrizio Ascari, 2013 Claudie Gallay, Dove si infrangono le onde, trad. Anna Maria Lorusso, 2013 Alexandre Jardin, Persone perbene, trad. Fabrizio Ascari, 2013 Joël Dicker, La verità sul caso Harry Quebert, trad. Vincenzo Vega, 2013 Édouard Louis, Il caso Eddy Bellegueule, trad. Alberto Cristofori, 2014 Patrick Modiano, Via delle Botteghe Oscure, trad. Giancarlo Buzzi, 2014 [pr. éd. Rusconi, Narrativa, 1979] Patrick Modiano, I viali di circonvallazione, trad. Annamarcella Falco Tedeschi, 2014 [pr. éd. Rusconi, Narrativa, 1973] Patrick Modiano, Villa Triste, trad. Anna e Alfredo Cattabiani, 2014 [pr. éd. Rusconi, Narrativa, 1976] Ingrid Astier, Omicidi sulla Senna, trad. Sergio Arecco, 2014 Katherine Pancol, Muchachas. Vol. 1, trad. Fabrizio Ascari, 2014 Katherine Pancol, Muchachas. Vol. 2, trad. Fabrizio Ascari, 2014 Katherine Pancol, Muchachas. Vol. 3, trad. Fabrizio Ascari, 2014 Tahar Ben Jelloun, L’ablazione, trad. Anna Maria Lorusso, 2014 Alice Ferney, Paradiso coniugale, trad. Maristella Bonomo, 2014 Joël Dicker, Gli ultimi giorni dei nostri padri, trad. Vincenzo Vega, 2015 Tahar Ben Jelloun, Racconti coranici, trad. Anna Maria Lorusso, 2015 Léon Werth, 33 giorni, préface d’Antoine de Saint-Exupéry, trad. Alberto Pezzotta, 2015 Kamel Daoud, Il caso Meursault, trad. Yasmina Melaouah, 2015 Michel Houellebecq, Sottomissione, trad. Vincenzo Vega, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11.

Joseph Zoderer, Il dolore di cambiare pelle, trad. Giovanna Agabio, 2005 Michael Wallner, April in Paris, trad. Giovanna Agabio, 2006 Katharina Hacker, Gli spiantati, trad. Francesca Gabelli, 2007 Robert Löhr, Scacco alla regina, trad. Taddeo Roccasalda, 2007 Arno Geiger, Va tutto bene, trad. Giovanna Agabio, 2008 Uwe Tellkamp, La torre, trad. Francesca Gabelli, 2010 Leonie Swann, Il lupo Garou, trad. Giovanna Agabio, 2011 Arno Geiger, Il vecchio re nel suo esilio, trad. Giovanna Agabio, 2012 Timur Vermes, Lui è tornato, trad. Francesca Gabelli, 2013 Joseph Zoderer, I colori della crudeltà, trad. Giovanna Agabio, 2015 Stefanie De Velasco, Latte di tigre, trad. Francesca Gabelli, 2015

Clichy, Gare du Nord Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Céclie Huguenin, Alzheimer mon amour, trad. Michele Peretti, 2013 Françoise Hardy, L’amore folle, trad. Antonella Conti, 2013 Perric Bailly, L’amore ha tre dimensioni, trad. Donatella Rizzati, 2013 Martin Page, L’apicoltura secondo Samuel Beckett, trad. Tania Spagnoli, 2013 Philippe Besson, Una buona ragione per uccidersi, trad. Barbara Puggelli, 2013 Jean d’Ormesson, La conversazione, trad. Tommaso Gurrieri, 2013 Claro, CosmoZ, trad. Antonella Conti, 2013

Annexe 2

8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33.

Michel Layaz, Due sorelle, trad. Tommaso Gurrieri, 2013 Stéphane Michaka, Forbici, trad. Maurizio Ferrara, 2013 Cyrille Martinez, Giovani, artisti e disoccupati, trad. Francesca Martino, 2013 Didier Decoin, Un’inglese in bicicletta, trad. Angelo Molica Franco, 2013 Marguerite Duras, I miei luoghi : conversazioni con Michelle Porte, trad. Tommaso Gurrieri, 2013 Françoise Sagan, Musiche di scena, trad. Laura Mammarella, 2013 Antoine Volodine, Scrittori, trad. Didier Contadini et Federica Di Lella, 2013 Manuela Draeger (Antoine Volodine), Undici sogni neri, trad. Federica Di Lella, 2013 Dominique Sigaud, Il caso Franz Stangl, trad. Francesca Novajra, 2014 Stéphanie Polack, Come un fratello, trad. Marina Karam, 2014 Linda Lê, Come un’onda improvvisa, trad. Federica Di Lella, Lorenza Di Lella et Francesca Scala, 2014 Eric Faye, Il Generale Solitudine, trad. Tania Spagnoli, 2014 Jean d’Ormesson, Un giorno me ne andrò senza aver detto tutto, trad. Tommaso Gurrieri, 2014 Héléna Marienské, Libere, trad. Tommaso Gurrieri, 2014 Isabelle Coudrier, Mille anni di giovinezza, trad. Maurizio Ferrara, 2014 Jean-Louis Fournier, Poeta e contadino, trad. Sylvia Zanotto, 2014 Alain Guiraudie, Qui comincia la notte, trad. Tania Spagnoli, 2014 Olivier Rolin, Tigre di carta, trad. Tommaso Gurrieri, 2014 Mathieu Lindon, Una vita pornografica, trad. Francesca Martino, 2014 Alice Roland, A occhio nudo, trad. Tania Spagnoli, 2015 Françoise Sagan, Can che dorme, trad. Tania Spagnoli, 2015 [pr. éd. Il can che dorme, Mondadori, Omnibus, trad. Laura Guarino, 1981] Jennie Dorny, Cupido ha perso la testa, trad. Federico Zaniboni, 2015 Michel Layaz, La dimora, trad. Tommaso Gurrieri, 2015 Jean d’Ormesson, Il mio canto di speranza, trad. Tommaso Gurrieri, 2015 Lydia Flem, Panico, trad. Federico Zaniboni, 2015 [pr. éd. Archinto, Le mongolfiere, trad. Edda Melon, 2006] Yannick Haenel, Le volpi pallide, trad. Barbara Puggelli, 2015

Del Vecchio, formelunghe Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.

387

Aude Walker, Saloon, trad. Tatiana Moroni, 2009 Moussa Konaté, L’assassino di Banconi, trad. Ondina Granato, 2010 Yasmine Ghata, La bambina che imparò a non parlare, trad. Angelo Molica Franco, 2010 Nathalie Kuperman, Colazione con Mick Jagger, trad. Ondina Granato, 2010 Moussa Konaté, L’onore dei keita, trad. Ondina Granato, 2011 Félix de Belloy, Il sole è una donna, trad. Cristina Vezzaro, 2011 Moussa Konaté, L’impronta della volpe, trad. Ondina Granato, 2012 François Vallejo, Le sorelle Brelan, trad. Cristina Vezzaro, 2012 Yasmine Ghata, Concerto per mio padre, trad. Angelo Molica Franco, 2013 Fouad Laroui, L’esteta radicale, trad. Cristina Vezzaro, 2013 Philippe Forest, Il gatto di Schrödinger, trad. Gabriella Bosco, 2014 Laurent Mauvignier, I passanti, trad. Angelo Molica Franco, 2014 Fouad Laroui, Un anno con i francesi, trad. Cristina Vezzaro, 2015 Eric Chevillard, Sul soffitto, trad. Gianmaria Finardi, 2015

388

Annexe 2

Romans traduits de l’allemand 1. Robert Hültner, Un’indagine senza importanza. L’ispettore Kajetan a Walchin, trad. Paola Del Zoppo, 2008 2. Birgit Vanderbeke, Sweet Sixteen, trad. Paola Del Zoppo, 2008 3. Birgit Vanderbeke, Alle spalle, trad. Paola Del Zoppo, 2010 4. Robert Hültner, La dea madrina. Un’indagine personale di Kajetan, trad. Paola Del Zoppo, 2010 5. Astrid Paprotta, Il trucco della morte, trad. Filippo Nasuti, 2010 6. Tilman Rammstedt, L’imperatore della Cina, trad. Carolina D’Alessandro, 2011 7. Birgit Vanderbeke, La straordinaria carriera della signora Choi, trad. Paola Del Zoppo, 2011 8. Tilman Rammstedt, A portata di mano, trad. Carolina D’Alessandro, 2012 9. Sibylle Lewitscharoff, Apostoloff, trad. Paola Del Zoppo, 2012 10. Sibylle Lewitscharoff, Blumenberg, trad. Paola Del Zoppo, 2013 11. Birgit Vanderbeke, Si può fare, postface de Maria Vittoria Vittori, trad. Paola Del Zoppo, 2013 12. Max Frisch, Il silenzio, postface de Peter von Matt, trad. Paola Del Zoppo, 2013 13. Robert Hültner, La tempesta di neve. Il ritorno dell’ispettore Kajetan, trad. Flavia Pantanella et Chiara Caradonna, 2013 14. Felicitas Hoppe, Johanna, trad. Anna Maria Curci, 2014 15. Lutz Seiler, Kruso, trad. Paola Del Zoppo, 2015

Einaudi, Coralli Romans traduits du français 1. 2. 3. 4.

Bertina Henrichs, La giocatrice di scacchi, trad. Maurizia Balmelli, 2006 Emmanuel Carrère, La vita come un romanzo russo, trad. Margherita Botto, 2009 Catherine Cusset, Ai miei non piaci molto, lo sai, trad. Monica Capuani, 2009 Chochana Boukhobza, Il terzo giorno, trad. Emmanuelle Caillat, 2012

Romans traduits de l’allemand 1. Hans-Ulrich Treichel, La torre del maestro, trad. Silvia Bortoli, 2005 2. Linda Quilt, Storie raccapriccianti di bambini prodigio. Sette casi che possono servire da monito agli ignari genitori, dir. Hans Magnus Enzensberger, illustrations de Michael Sowa, trad. Alessandra Montrucchio, 2007 3. Charles Lewinsky, La fortuna dei Meijer, trad. Valentina Tortelli, 2008 4. Hans Magnus Enzensberger, Bibs, trad. Enrico Ganni, 2011

Einaudi, Frontiere Romans traduits du français 1. Jonathan Littell, Il secco e l’umido : una breve incursione in territorio fascista, postface de Klaus Theweleit, trad. Margherita Botto, 2009 2. Jonathan Littell, Cecenia, anno 3., trad. Margherita Botto, 2010 3. Tahar Ben Jelloun, Marocco, romanzo, trad. Cinzia Poli, 2010 4. Laurent Binet, HHhH : il cervello di Himmler si chiama Heydrich, trad. Margherita Botto, 2011 5. Jonathan Littell, Trittico : tre studi da Francis Bacon, trad. Luca Bianco, 2014

Annexe 2

389

Romans traduits de l’allemand 1. Jonathan Franzen et Karl Kraus, Il progetto Kraus  : saggi, avec des annotations de Jonathan Franzen et des contributions de Paul Reitter et Daniel Kehlmann, trad. Claudio Groff et Silvia Pareschi, 2014

Einaudi, L’arcipelago Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.

Gilles Rozier, Un amore senza resistenza, trad. Maurizia Balmelli, 2005 Patrick Modiano, Bijou, trad. Irene Babboni, 2005 Georges Perec, W o il ricordo d’infanzia, trad. Henri Cinoc (pseudonyme), 2005 Jean-Pierre Vernant, C’era una volta Ulisse e anche Perseo, Polifemo, Circe e Medusa, trad. Irene Babboni, 2006 Véronique Olmi, La pioggia non spegne il desiderio, trad. Elisa Artuffo et Sara Merlino, 2007 Amélie Nothomb, Splendente come una padella, illustrations de Kikie Crevecœur, trad. Irene Babboni, 2007 Jean Echenoz, Al pianoforte, trad. Maurizia Balmelli, 2008 Jean-Pierre Vernant, Pandora, la prima donna, illustrations de Valente Taddei, trad. Irene Babboni, 2008 Georges Perec, L’arte e la maniera di affrontare il proprio capo per chiedergli un aumento, trad. Emmanuelle Caillat, 2010 Patrick Modiano, Nel caffè della gioventù perduta, trad. Irene Babboni, 2010 Raymond Queneau, Hazard e Fissile, trad. Luca Bianco, 2011 Jean Mattern, Di latte e miele, trad. Margherita Botto, 2012 Andreï Makine, Il libro dei brevi amori eterni, trad. Camilla Testi, 2012 Patrick Modiano, L’orizzonte, trad. Emmanuelle Caillat, 2012

Romans traduits de l’allemand 1. Elfriede Jelinek, Bambiland, trad. Claudio Groff, 2005 2. Michael Krüger, La commedia torinese. Vicende di un’eredità letteraria, trad. Palma Severi, 2007 3. Friedrich Dürrenmatt, La panne. Una storia ancora possibile, trad. Eugenio Bernardi, 2007 [pr. éd. dans Giuochi patibolari. Tutti i romanzi, Feltrinelli, Narratori, trad. Eugenio Bernardi, 1963] 4. Fred Wander, Il settimo pozzo, trad. Ada Vigliani, 2007 5. Hans Magnus Enzensberger, Josefine e io, trad. Valentina Tortelli, 2010 6. Lukas Bärfuss, Cento giorni, trad. Daniela Idra, 2011 7. Fred Wander, Hotel Baalbek, trad. Ada Vigliani, 2011 8. Hans Magnus Enzensberger, Considerazioni del signor Zeta ovvero Briciole da lui lasciate cadere, e raccolte da chi lo stava ad ascoltare, trad. Daniela Idra, 2015

Einaudi, Stile libero Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Jean-Patrick Manchette, Pazza da uccidere, trad. Luigi Bernardi, 2005 Fred Vargas, Sotto i venti di Nettuno, trad. Yasmina Melaouah, 2005 Jean-Patrick Manchette, Il caso N’Gustro, trad. Luigi Bernardi, 2006 Nizar Sassi, Prigioniero 325, campo Delta, trad. Giusi Barbiani, 2006 Fred Vargas, L’uomo a rovescio, trad. Yasmina Mélaouah, 2006 Virginie Despentes, King Kong girl, trad. Camilla Testi, 2007

390 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33.

Annexe 2

Fred Vargas, Nei boschi eterni, trad. Margherita Botto, 2007 Xavier-Marie Bonnot, La prima impronta, trad. Sonia Gentili, 2007 Jean-Patrick Manchette, Principessa di sangue, trad. Camilla Testi, 2007 Fred Vargas, L’uomo dei cerchi azzurri, trad. Yasmina Melaouah, 2007 François Bégaudeau, La classe, trad. Tiziana Lo Porto et Lorenza Pieri, 2008 Delacorta, Nanà, trad. Sarah Cantoni, 2008 Fred Vargas, Un po’ più in là sulla destra, trad. Margherita Botto, 2008 Thierry Jonquet, Tarantola, trad. Giovanna De Angelis, 2008 Fred Vargas, Un luogo incerto, trad. Margherita Botto, 2009 Fred Vargas, Scorre la Senna, trad. Margherita Botto, 2009 Sophie Bassignac, Gli acquari luminosi, trad. Tiziana Lo Porto, 2010 Fred Vargas, Prima di morire addio, trad. Margherita Botto, 2010 Fred Vargas et Baudoin, I quattro fiumi, trad. Margherita Botto, 2010 François Bégaudeau, Verso la dolcezza, trad. Tiziana Lo Porto e Lorenza Pieri, 2010 Jonathan Nossiter, Le vie del vino. Il gusto e la ricerca del piacere, trad. Fabio Montrasi, 2010 Fred Vargas, La cavalcata dei morti, trad. Margherita Botto, 2011 Fred Vargas, Critica dell’ansia pura, trad. Margherita Botto, 2011 Antonin Varenne, Sezione suicidi, trad. Fabio Montrasi, 2011 Virginie Despentes, Apocalypse baby, trad. Silvia Marzocchi, 2012 Antonin Varenne, L’arena dei perdenti, trad. Fabio Montrasi, 2013 Pascal Morin, Istruzioni per cinquantenni in cerca d’amore e altre questioni fondamentali, trad. Margherita Botto, 2013 Louis Wolfson, Mia madre, musicista, è morta di malattia maligna a mezzanotte, tra martedí e mercoledí, nella metà di maggio mille977, nel mortifero Memorial di Manhattan, trad. Fabio Montrasi, 2013 Fred Vargas, Piccolo trattato sulle verità dell’esistenza, trad. Margherita Botto, 2013 Serge Quadruppani, Saturno, trad. Maruzza Loria, 2013 Jean-Philippe Blondel, 6.41, trad. Fabio Montrasi, 2014 Sacha Sperling, Le mie illusioni danno sul cortile, trad. Monica Capuani, 2014 Fred Vargas, Tempi glaciali, trad. Margherita Botto, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4.

Helene Hegemann, Roadkill, trad. Isabella Amico Di Meane, 2010 Sebastian Fitzek, Il cacciatore di occhi, trad. Enrico Ganni, 2012 Sebastian Fitzek, Il sonnambulo, trad. Enrico Ganni, 2013 Sebastian Fitzek, Noah, trad. Enrico Ganni, 2014

Einaudi, Supercoralli Romans traduits du français Patrick Modiano, Un pedigree, trad. Irene Babboni, 2006 Tahar Ben Jelloun, Mia madre, la mia bambina, trad. Margherita Botto, 2006 Jonathan Littell, Le Benevole, trad. Margherita Botto, 2007 Andreï Makine, L’amore umano, trad. Yasmina Melaouah, 2008 Tahar Ben Jelloun, L’ha ucciso lei, trad. Maurizia Balmelli, 2008 Atiq Rahimi, Pietra di pazienza, trad. Yasmina Melaouah, 2009 Roland Barthes, Dove lei non è : diario di lutto : 26 ottobre 1977 – 15 settembre 1979, dir. Nathalie Léger, trad. Valerio Magrelli, 2010 8. Emmanuel Carrère, Vite che non sono la mia, trad. Maurizia Balmelli, 2011 9. Atiq Rahimi, Maledetto Dostoevskij, trad. Yasmina Melaouah, 2012

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Annexe 2

391

10. Stendhal, Il rosso e il nero. Cronaca del 19. secolo, introduction de Emilio Faccioli, trad. Margherita Botto, 2013 11. Colombe Schneck, Le madri salvate, trad. Margherita Botto, 2013 12. Patrick Modiano, L’erba delle notti, trad. Emmanuelle Caillat, 2014 13. Pierre Chazal, Sei grande, Marcus, trad. Yasmina Melaouah, 2014 14. Alexandre Dumas, Il conte di Montecristo, prefazione di Michele Mari, trad. Margherita Botto, 2014 15. Romain Puértolas, L’incredibile viaggio del fachiro che restò chiuso in un armadio Ikea, trad. Margherita Botto, 2014 16. Romain Puértolas, La bambina che aveva mangiato una nuvola grande come la Tour Eiffel, trad. Margherita Botto, 2015 17. Patrick Modiano, Perché tu non ti perda nel quartiere, trad. Irene Babboni, 2015 18. Emmanuèle Bernheim, È andato tutto bene, trad. Margherita Botto, 2015 19. Antoine Laurain, La donna dal taccuino rosso, trad. Margherita Botto, 2015 Romans traduits de l’allemand Hans-Georg Behr, Quasi un’infanzia, trad. Silvia Bortoli, 2006 Günter Grass, Sbucciando la cipolla, trad. Claudio Groff, 2007 Hans Magnus Enzensberger, Hammerstein o dell’ostinazione, trad. Valentina Tortelli, 2008 Günter Grass, Camera oscura, trad. Claudio Groff, 2009 Jan Costin Wagner, Il terzo leone arriva d’inverno, trad. Palma Severi, 2010 Marcel Beyer, Forme originarie della paura, trad. Silvia Bortoli, 2011 Hans Magnus Enzensberger, I miei flop preferiti e altre idee a disposizione delle generazioni future, trad. Claudio Groff et Daniela Idra, 2012 8. Günter Grass, Da una Germania all’altra. Diario 1990, trad. Claudio Groff, 2012 9. Charles Lewinsky, Un regalo del Führer, trad. Valentina Tortelli, 2014 10. Marie Simon, a cura di Irene Stratenwerth et Hermann Simon, Clandestina. Una giovane donna sopravvissuta a Berlino 1940–1945, trad. Isabella Amico Di Meane, 2015 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

e/o, Dal mondo Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17.

Éric-Emmanuel Schmitt, La mia storia con Mozart, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2005 Éric-Emmanuel Schmitt, Quando ero un’opera d’arte, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2006 Nan Aurousseau, Blues di banlieue, trad. Yasmina Melaouah, 2007 Muriel Barbery, L’eleganza del riccio, trad. Emanuelle Caillat et Cinzia Poli, 2007 Muriel Barbery, Estasi culinarie, trad. Emanuelle Caillat et Cinzia Poli, 2008 Éric-Emmanuel Schmitt, La sognatrice di Ostenda, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2008 Éric-Emmanuel Schmitt, Il visitatore, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2008 Bernard Giraudeau, Caro mondo …, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2009 Éric-Emmanuel Schmitt, Il lottatore di sumo che non diventava grosso, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2009 Leïla Marouane, Vita sessuale di un fervente musulmano a Parigi, trad. Gaia Panfili, 2009 Daniel Arsand, Amanti, trad. Tiziana Goruppi, 2010 Éric-Emmanuel Schmitt, Concerto in memoria di un angelo, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2010 David Foenkinos, La delicatezza, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2010 Tito Topin, Fotofinish, trad. Maruzza Loria, 2010 Laurence Cossé, La libreria del buon romanzo, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2010 Anne Wiazemsky, La ragazza di Berlino, trad. Cinzia Poli, 2010 Éric-Emmanuel Schmitt, Ulisse da Baghdad, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2010

392 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58.

Annexe 2

Jean-Luc Payen, L’amaca rossa, trad. Gaia Panfili, 2011 Caryl Férey, La gamba sinistra di Joe Strummer, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2011 Laurence Cossé, L’incidente, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2011 Alice Zeniter, Indovina con chi mi sposo, introduction d’Amara Lakhous, trad. Silvia Manfredo, 2011 Éric-Emmanuel Schmitt, Quando penso che Beethoven è morto mentre tanti cretini ancora vivono …, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2011 Éric-Emmanuel Schmitt, La scuola degli egoisti, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2011 Archange Morelli, Teatro d’ombre, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2011 Éric-Emmanuel Schmitt, I dieci figli che la signora Ming non ha mai avuto, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2012 Éric-Emmanuel Schmitt, La donna allo specchio, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2012 Laurence Cossé, Mandorle amare, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2012 David Foenkinos, Le nostre separazioni, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2012 Morgan Sportes, Tutto e subito, trad. Federica Alba, 2012 Jean-Christophe Rufin, L’uomo dei sogni, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2012 Éric-Emmanuel Schmitt, L’amore invisibile, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2013 Anne Wiazemsky, Un anno cruciale, trad. Silvia Manfredo, 2013 Nahal Tajadod, L’attrice di Teheran, trad. Federica Alba, 2013 Jérôme Ferrari, Balco Atlantico, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2013 Hamid Grine, Camus nel narghilè, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2013 David Foenkinos, L’eroe quotidiano, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2013 Éric-Emmanuel Schmitt, La giostra del piacere, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2013 Gaetaño Bolán, La macelleria degli amanti, trad. Sylvie Huet, 2013 Caryl Férey, Mapuche, trad. Teresa Albanese, 2013 Xavier-Marie Bonnot, Il paese dimenticato dal tempo, trad. Emanuelle Caillat, 2013 Patrick Deville, Peste & colera, trad. Roberto Ferrucci, 2013 Raphaël Jerusalmy, Salvare Mozart, trad. Gaia Panfili, 2013 Jérôme Ferrari, Il sermone sulla caduta di Roma, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2013 Corinne Atlas, Le sorelle Ribelli, trad. Federica Alba, 2013 Joanna Gruda, Il bambino che parlava la lingua dei cani, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2014 Raphaël Jerusalmy, I cacciatori di libri, trad. Federica Alba, 2014 Jean-Christophe Rufin, Il collare rosso, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2014 Jérôme Ferrari, Un dio un animale, trad. Alberto Bracci Testasecca , 2014 Éric-Emmanuel Schmitt, Elisir d’amore, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2014 David Foenkinos, Mi è passato il mal di schiena, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2014 Laurence Cossé, La prova nascosta, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2014 Jean-Louis Fournier, La serva del Signore, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2014 Fariba Hachtroudi, L’uomo che schioccava le dita, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2014 Jean-Christophe Rufin, Check-point, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2015 Hervé Le Corre, Dopo la guerra, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2015 Jérôme Ferrari, Il principio, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2015 Corinne Devillaire, Scompigli in famiglia, trad. Silvia Manfredo, 2015 Marie-Laure de Cazotte, Un tempo smarrito, trad. Alberto Bracci Testasecca, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4. 5.

Christoph Hein, Nella sua infanzia, un giardino, trad. Maria Anna Massimello, 2007 Christa Wolf, Con uno sguardo diverso, trad. Monica Pesetti, Anita Raja et Paola Sorge, 2008 Christoph Hein, Una donna senza sogni, trad. Monica Pesetti, 2009 Helmut Krausser, Eros, trad. Monica Pesetti, 2009 Alina Bronsky, I piatti più piccanti della cucina tatara, trad. Monica Pesetti, 2011

Annexe 2

6. 7. 8. 9.

393

Angelika Schrobsdorff, Tu non sei come le altre madri, trad. Monica Pesetti, 2011 Rita Falk, Quando tornerai, trad. Monica Pesetti, 2012 Christa Wolf, Parla, così ti vediamo. Saggi, discorsi, interviste, trad. Anita Raja, 2015 Ulrike Edschmid, La scomparsa di Philip S., trad. Monica Pesetti, 2015

Fazi, Le strade Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16.

Serge Joncour, Il gioco di Boris, trad. Luigi Bernardi, 2006 Gilbert Gatore, Il passato davanti a sé, préface d’Erri De Luca, trad. Sonia Gentili, 2009 Stéphane Audeguy, La teoria delle nuvole, trad. Maurizio Ferrara, 2009 Jacques Chessex, Il vampiro di Ropraz, préface de Daria Galateria, trad. Maurizio Ferrara, 2009 Michel Le Bris, La bellezza del mondo, trad. Maurizio Ferrara, 2010 Stéphane Audeguy, Mio fratello Rousseau, préface de Daria Galateria, trad. Maurizio Ferrara, 2010 Jacques Chessex, L’orco, préface de Tommaso Pincio, trad. Maurizio Ferrara, 2010 [pr. éd. Rusconi, Biblioteca Rusconi, trad. Anna Rosso, 1974] Thierry Hesse, Demone, trad. Maurizio Ferrara, 2011 Jacques Chessex, Un ebreo come esempio, trad. Maurizio Ferrara, 2011 Jean Mistler, Le memorie del cavaliere di Villevert, dir. Giuseppe Scaraffia, trad. Vittoria Ronchey, 2011 Elisabeth Gille, Mirador. Irène Némirovsky, mia madre, préface et interview de René de Ceccatty, dir. Cinzia Bigliosi, trad. Maurizio Ferrara et Gennaro Lauro, 2011 Jerôme Ferrari, Dove ho lasciato l’anima, postface d’Amara Lakhous, trad. Maurizio Ferrara, 2012 Victor Serge, Se è mezzanotte nel secolo, introduction de Goffredo Fofi, trad. Maurizio Ferrara, 2012 Pierre Lemaitre, L’abito da sposo, trad. Giacomo Cuva, 2012 Jacques Chessex, L’ultimo cranio del marchese di Sade, trad. Maurizio Ferrara, 2012 Pierre Drieu La Rochelle, La commedia di Charleroi, introduction d’Arnaldo Colasanti, trad. Attilio Scarpellini, 2014 [pr. éd. Edizioni dell’Albero, Narrativa, trad. Alfredo Cattabiani, 1963]

Romans traduits de l’allemand 1. Juli Zeh, Aquile e angeli, trad. Robin Benatti, 2005 2. Thor Kunkel, Pornonazi, trad. Madeira Giacci, 2006 3. Juli Zeh, Gioco da ragazzi, trad. Madeira Giacci, 2007

Feltrinelli, Canguri Romans traduits de l’allemand 1. Martin Suter, Lila Lila, trad. Margherita Belardetti, 2005 2. Daniel Glattauer, Le ho mai raccontato del vento del Nord, trad. Leonella Basiglini, 2010 3. Daniel Glattauer, La settima onda, trad. Leonella Basiglini, 2010

Feltrinelli, I Narratori Romans traduits du français 1. Gil Courtemanche, Una domenica in piscina a Kigali, trad. Annamaria Ferrero, 2005 2. Yasmine Ghata, La notte dei calligrafi, trad. Yasmina Melaouah, 2005

394 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16.

Annexe 2

Marguerite Duras, Quaderni della guerra e altri testi, trad. Laura Frausin Guarino, 2008 Daniel Pennac, Diario di scuola, trad. Yasmina Melaouah, 2008 Laurent Mauvignier, Degli uomini, trad. Yasmina Melaouah, 2010 Daniel Pennac, Storia di un corpo, trad. Yasmina Melaouah, 2012 Laurent Mauvignier, Storia di un oblio, trad. Yasmina Melaouah, 2012 Mathias Malzieu, La meccanica del cuore, trad. Cinzia Poli, 2012 Maylis de Kerangal, Nascita di un ponte, trad. Maria Baiocchi et Alessia Piovanello, 2013 Mathias Malzieu, L’uomo delle nuvole, trad. Cinzia Poli, 2013 Jean-Luc Seigle, Invecchiando gli uomini piangono, trad. Stefano Valenti, 2013 Rithy Panh (avec Christophe Bataille), L’eliminazione, trad. Silvia Ballestra, 2014 Maylis de Kerangal, Riparare i viventi, trad. Alessia Piovanello, 2014 Caroline Vermalle, La felicità delle piccole cose, trad. Monica Pesetti, 2014 Mathias Malzieu, Il bacio più breve della storia, trad. Cinzia Poli, 2015 Caroline Vermalle, Due biglietti per la felicità, trad. Monica Pesetti, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. Daniel Kehlmann, La misura del mondo, trad. Paola Olivieri, 2006 2. Ingo Schulze, Vite nuove : la giovinezza di Enrico Türmer in lettere e in prosa, curate, commentate e corredate da una prefazione di Ingo Schulze, trad. Fabrizio Cambi, 2007 3. Christoph Ransmayr, La montagna volante, trad. Claudio Groff, 2008 4. Ingo Schulze, Bolero berlinese, trad. Stefano Zangrando, 2008 5. Ingo Schulze, Adam e Evelyn, trad. Stefano Zangrando, 2009 6. Daniel Kehlmann, Fama. Romanzo in nove storie, trad. Paola Olivieri, 2010 7. Herta Müller, L’altalena del respiro, trad. Margherita Carbonaro, 2010 8. Herta Müller, Bassure, trad. Fabrizio Rondolino et Margherita Carbonaro, 2010 [pr. éd. Editori Riuniti, I David, trad. Fabrizio Rondolino, 1987] 9. Herta Müller, Oggi avrei preferito non incontrarmi, trad. Margherita Carbonaro, 2010 10. Ingo Schulze, Arance e angeli, trad. Stefano Zangrando, 2011 [pr. éd. Angeli e arance, Dante & Descartes, Neapolitanische Lesungen, trad. Monica Lumachi, 2009] 11. Rolf Bauerdick, Come la Madonna arrivò sulla luna, trad. Aglae Pizzone, 2011 12. Daniel Glattauer, In città zero gradi, trad. Leonella Basiglini, 2011 13. Nicolas Barreau, Gli ingredienti segreti dell’amore, trad. Monica Pesetti, 2011 14. Nicolas Barreau, Con te fino alla fine del mondo, trad. Monica Pesetti, 2012 15. Daniel Glattauer, Per sempre tuo, trad. Leonella Basiglini, 2012 16. Nicolas Barreau, Una sera a Parigi, trad. Monica Pesetti, 2013 17. Herta Müller, L’uomo è un grande fagiano nel mondo, trad. Margherita Carbonaro, 2014 18. Nicolas Barreau, La ricetta del vero amore, trad. Monica Pesetti, 2014 19. Daniel Glattauer, Un regalo che non ti aspetti, trad. Leonella Basiglini, 2014 20. Christoph Ransmayr, Atlante di un uomo irrequieto, trad. Claudio Groff, 2015 21. Daniel Kehlmann, I fratelli Friedland, trad. Claudio Groff, 2015 22. Herta Müller, La mia patria era un seme di mela, trad. Margherita Carbonaro, 2015 23. Nicolas Barreau, Parigi è sempre una buona idea, trad. Monica Pesetti, 2015

Gremese, Narratori francesi contemporanei Romans traduits du français 1. 2. 3. 4.

Antoine Choplin, L’airone di Guernica, trad. Silvia Manzio, 2012 Natalie David Weill, Le madri ebree non muoiono mai, trad. Rosalita Leghissa, 2012 Philippe Vilain, Non il suo tipo, trad. Giulia Castorani, 2012 Laurent Seksik, Gli ultimi giorni di Stefan Zweig, trad. Micol Bertolazzi, 2012

Annexe 2

5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22.

395

Hélène Lenoir, Corpo estraneo, trad. Giulia Castorani, 2013 Nelly Arcan, Folle, trad. Micol Bertolazzi, 2013 David Foenkinos, Imagine. Io, John Lennon, trad. Stefano Andrea Cresti, 2013 Emmanuelle Pireyre, Incantesimo generale, trad. Francesca Bonomi, 2013 Jacqueline Raoul-Duval, Kafka in love, trad. Giulia Castorani, 2013 Philippe Vilain, La moglie infedele, trad. Carlo Floris, 2013 Jocelyne Saucier, Piovevano uccelli, trad. Carlo Floris, 2013 Vassilis Alexakis, Il ragazzo greco, trad. Stefano Andrea Cresti, 2013 Jean-Marie Gustave Le Clézio, Storia del piede e altre fantasie, trad. Mariella Fenoglio et Carlo Floris, 2013 Gisèle Pineau, Cento e più vite, trad. Micol Bertolazzi, 2014 Dany Laferrière, L’enigma del ritorno, trad. Giulia Castorani, 2014 Marie Nimier, Io sono un uomo, trad. Stefano Andrea Cresti, 2014 Nelly Alard, Momento di una coppia, trad. Carlo Floris, 2014 Nelly Arcan, Puttana, trad. Carlo Floris, 2014 Hélène Lenoir, Il suo nome da ragazza, trad. Francesca Bononi, 2014 Yanick Lahens, Bagno di luna, trad. Martina Bucci, 2015 Diane Mazloum, Beirut, la notte, trad. Carlo Floris, 2015 Gaëlle Josse, L’ultimo guardiano di Ellis Island, trad. Annarita Stocchi, 2015

Guanda, Narratori della Fenice Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17.

Philippe Besson, Un amico di Marcel Proust, trad. Francesco Bruno, 2005 Philippe Besson, I giorni fragili di Arthur Rimbaud, trad. Francesco Bruno, 2006 Philippe Besson, Un ragazzo italiano, trad. Francesco Bruno, 2007 Christine Angot, Rendez-vous, trad. Francesco Bruno, 2008 Marie Darrieussecq, Tom è morto, trad. Marcella Uberti-Bona, 2008 Philippe Besson, Come finisce un amore, trad. Francesco Bruno, 2009 Brigitte Giraud, Un anno molto particolare, trad. Marcella Uberti-Bona, 2010 Christine Angot, Il mercato degli amanti, trad. Francesco Bruno, 2010 Jacqueline Mesnil-Amar, Quelli che non dormivano. Diario 1944–1946, préface de Pierre Assouline, Claudia Marinelli, 2010 Yannick Haenel, Il testimone inascoltato, trad. Francesco Bruno, 2010 André Schwarz-Bart, La stella del mattino, trad. Silvia Sichel, 2011 Patrick Lapeyre, La vita è breve e il desiderio infinito, trad. Marcella Uberti-Bona, 2011 Christine Angot, Una settimana di vacanza, trad. Francesco Bruno, 2013 Daniel Anselme, La licenza, trad. Francesco Bruno, 2014 [pr. éd. Feltrinelli, Licenza a Parfigi, trad. Ornella Vasio Volta, coll. inconnue,1959] Valentine Goby, Una luce quando è ancora notte, trad. Laura Bosio, 2014 Alexis Ragougneau, Morte a Notre-Dame, trad. Simona Lari, 2015 Adrien Bosc, Prendere il volo, trad. Laura Bosio, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. Franz Werfel, Anniversario dell’esame di maturità, trad. Cristina Baseggio, 2005 [pr. éd. Anniversario, Corbaccio, I Corvi, trad. Cristina Baseggio, 1934] 2. Wladimir Kaminer, Berliner Express, trad. Riccardo Cravero, 2005 3. Gregor von Rezzori, Un ermellino a Cernopol, introduction de Claudio Magris, trad. Gilberto Forti, 2006 [pr. éd. Mondadori, Medusa, 1962]

396

Annexe 2

4. Ernst Jünger, Heliopolis, dir. Quirino Principe, trad. Marola Guarducci, 2006 [pr. éd. Rusconi, Narrativa, 1972] 5. Wilhelm Genazino, La stupidità dell’amore, trad. Riccardo Cravero, 2006 6. Wladimir Kaminer, La cucina totalitaria, trad. Riccardo Cravero, 2008 7. Reiner Maria Rilke, Serpenti d’argento. Racconti giovanili, dir. August Stahl, postface et trad. Nicoletta Dacrema, 2008 8. Martin Buber, Gog e Magog, trad. Silvia Heimpel-Colorni, 2010 [pr. éd. Bompiani, Letteraria, 1964] 9. Gregor von Rezzori, Edipo a Stalingrado, avec un texte de George Grosz, trad. Lia Secci, 2011 [pr. éd. Edipo vince a Stalingrado, Mondadori, Medusa, 1964] 10. Arthur Schnitzler, Fama tardiva, dir. Wilhelm Hemecker et David Österle, trad. Alessandra Iadicicco, 2015 11. Peter Handke, Saggio sul cercatore di funghi, trad. Alessandra Iadicicco, 2015

Guanda, Prosa contemporanea Romans traduits du français 1. 2. 3. 4.

Annie François, Il mondo in fumo, trad. Leila Brioschi, 2005 Marie Darrieussecq, Il mal di mare, trad. Marcella Uberti-Bona, 2007 Brigitte Giraud, L’amore è sopravvalutato, trad. Marcella Uberti-Bona, 2008 Brigitte Giraud, E adesso ?, trad. Marcella Uberti-Bona, 2009

Romans traduits de l’allemand 1. Ernst Jünger, Tre strade per la scuola : vendetta tardiva, trad. Alessandra Iadicicco, 2007 2. Gregor von Rezzori, Uno straniero nella terra di Lolita, introduction de Zadie Smith, trad. Silvia Albesano, 2009 3. Thomas Bernhard, Al limite boschivo, trad. Enza Gini, 2012 4. Thomas Bernhard, Sì, trad. Claudio Groff, 2012 5. Peter Handke, Saggio sul luogo tranquillo, trad. Alessandra Iadicicco, 2014 6. Ernst Jünger, Il tenente Sturm, trad.  Alessandra Iadicicco, 2015 [pr. éd. Guanda, Quaderni della Fenice, 2000]

Keller, Passi Romans traduits du français 1. 2. 3. 4.

David Fauquemberg, Mal tiempo, trad. Tatiana Moroni, 2012 Noëlle Revaz, Cuore di bestia, trad. Maurizia Balmelli, 2013 Sorj Chalandon, Chiederò perdono ai sogni, trad. Silvia Turato, 2014 Noëlle Revaz, Tanti cari saluti, trad. Maurizia Balmelli, 2014

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Wolfgang Büscher, Ore zero, trad. Irene Erminia Russo, 2007 Claudia Rusch, La stasi dietro il lavello, dir. Franco Filice, postface et trad. Franco Filice, 2009 Kathrin Schmidt, Tu non morirai, trad. Franco Filice, 2012 Jo Lendle, La cosmonauta, trad. Franco Filice, 2013 Andy Holzer, Gioco d’equilibrio. Cieco sulla cima del mondo, trad. Fabio Cremonesi, 2013 Nicol Ljubic, Mare calmo, trad. Franco Filice, 2013 Benjamin Stein, La tela, trad. Elisa Leonzio, 2013

Annexe 2

8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.

397

György Dalos, Il declino dell’economista, trad. Franco Filice, 2014 María Cecilia Barbetta, Sartoria los milagros, trad. Fabio Cremonesi, 2014 Jo Lendle, Una terra senza fine, trad. Franco Filice, 2014 Lisa-Maria Seydlitz, Figlie dell’estate, trad. Franco Filice, 2015 Monika Zeiner, L’ordine delle stelle, trad. Roberta Gado, 2015 Klaus Modick, Sunset, trad. Enrico Paventi, 2015 Olga Grjasnowa, Tutti i russi amano le betulle, trad. Fabio Cremonesi, 2015

Keller, Vie Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Albert Lirtzmann, Bogopol, trad. Tatiana Moroni, 2006 Jordi Bonells, La seconda scomparsa di Majorana, trad. Angela Lorenzini, 2009 Paul Nothomb, Il silenzio dell’aviatore, trad. Tatiana Moroni, 2010 Jordi Bonells, Dio non appare in foto, trad. Silvia Turato, 2011 Cécile Coulon, Il re non ha sonno, trad. Tatiana Moroni, 2013 Ingrid Thobois, Serve una casa per amare la pioggia, trad. Silvia Turato, 2013 Cécile Coulon, La casa delle parole, trad. Tatiana Moroni, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22.

Herta Müller, Il paese delle prugne verdi, trad. Alessandra Henke, 2008 Claudia Schreiber, La felicità di Emma, trad. Angela Lorenzini, 2010 Herta Müller, Il re s’inchina e uccide, trad. Fabrizio Cambi, 2011 Aglaja Veteranyi, Lo scaffale degli ultimi respiri, trad. Angela Lorenzini, 2011 Sudabeh Mohafez, Cielo di sabbia, trad. Anna Ruchat, 2012 Herta Müller, Il fiore rosso e il bastone, trad. Fabrizio Cambi, 2012 Angelika Overath, Giorni vicini, trad. Laura Bortot, 2012 Gabriele Kögl, Anima di madre, trad. Laura Bortot, 2013 Arno Camenisch, Dietro la stazione, trad. Roberta Gado, 2013 Angelika Overath, Pesci d’aeroporto, trad. Laura Bortot, 2013 Arno Camenisch, Ultima sera, trad. Roberta Gado, 2013 Maja Haderlap, L’angelo dell’oblio, trad. Franco Filice, 2014 Sepp Mall, Ai margini della ferita, trad. Sonia Sulzer, 2014 Rayk Wieland, Che ne dici di baciarci ?, postface et trad. Franco Filice, 2014 Claudia Schreiber, Dolce come le amarene, trad. Angela Lorenzini, 2014 Susann Pásztor, Un favoloso bugiardo, trad. Fabio Cremonesi, 2014 Andreas Latzko, Uomini in guerra, trad. Melissa Maggioni, 2014 [pr. éd. Avanti !, trad. Amalia Sacerdote, 1921] Uwe Johnson, La maturità del 1953, trad. Fabrizio Cambi, 2015 Thomas Meyer, Non tutte le sciagure vengono dal cielo, trad. Franco Filice, 2015 Jonas Lüscher, La primavera dei barbari, trad. Roberta Gado, 2015 Irena Brezna, Straniera ingrata, trad. Scilla Forti, 2015 Urs Widmer, Il sifone blu, trad. Roberta Gado, 2015

Le Lettere, Pan Narrativa Romans traduits du français 1. Françoise Chandernagor, La stanza, trad. Tiziana Gambardella, 2005 2. Catherine Cusset, Il problema con Jane, trad. Domitilla Marchi, 2006

398

Annexe 2

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

Uwe Timm, Rosso, trad. Matteo Galli, 2005 Julia Franck, Il muro intorno, trad. Roberta Bergamaschi, 2006 Friedrich Christian Delius, La domenica che vinsi i mondiali, trad. Monica Lumachi, 2006 Uwe Timm, La notte di San Giovanni, trad. Matteo Galli, 2007 Karl Heinz Ott, Finalmente silenzio, trad. Paolo Scotini, 2007 Julia Franck, La strega di mezzogiorno, trad. Matteo Galli, 2008 Dagmar Leupold, Dopo le guerre, trad. Paolo Scotini, 2011 Julia Schoch, Con la velocità dell’estate, trad. Silvia Juliani, 2012

L’Orma, Kreuzville Romans traduits du français 1. Xabi Molia, Prima di scomparire, trad. Stefano Lazzarin, 2012 2. Bernard Quiriny, La biblioteca di Gould. Una collezione molto particolare, trad. Lorenza Di Lella et Giuseppe Girimonti Greco, 2013 3. Michèle Halberstadt, La petite, trad. Elena Cappellini, 2013 4. Bernard Quiriny, Storie assassine, trad. Marco Lapenna, 2015 5. Yves Pagès, Ricordarmi di, trad. Massimiliano Manganelli et Eusebio Trabucchi, 2015 Romans traduits de l’allemand 1. Günter Wallraff, Notizie dal migliore dei mondi, trad. Sara Mamprin, 2012 2. Friedrich Kittler, Preparare la venuta degli dei. Wagner e i media senza dimenticare i Pink Floyd, trad. Elisabetta Mengaldo, 2013 3. Günter Wallraff, Germania anni Dieci. Faccia a faccia con il mondo del lavoro, trad. Sara Mamprin, 2013 4. Angelika Klüssendorf, La ragazza, trad. Matteo Galli, 2013 5. Jan Peter Bremer, L’investitore americano, trad. Marco Federici Solari, 2013 6. Maxim Biller, Taci, memoria, trad. Marco Federici Solari, 2015 7. Peter Schneider, Gli amori di mia madre, trad. Paolo Scotini, 2015

L’Orma, Kreuzville Aleph Romans traduits du français 1. Annie Ernaux, Il posto, trad. Lorenzo Flabbi, 2014 2. Donatien Alphonse François De Sade, I crimini dell’amore, dir. et trad. Filippo D’Angelo, 2014 [pr. éd. I crimini dell’amore : preceduto da considerazioni sul romanzo, Sugar, Olimpo nero, trad. Aurelio Valesi, 1967] 3. Annie Ernaux, Gli anni, trad. Lorenzo Flabbi, 2015 4. François Weyergans, Franz e François, trad. Stefania Ricciardi, 2015 Romans traduits de l’allemand 1. Uwe Johnson, I giorni e gli anni (vol. I, II, III), trad. Nicola Pasqualetti et Delia Angiolini, 2014 [pr. éd. du premier volume : Feltrinelli, Le comete, introduction de Michele Ranchetti, 2002] 2. Annemarie Schwarzenbach, Gli amici di Bernhard, trad. Vittoria Schweizer, 2014

Annexe 2

399

Marcos y Marcos, Gli Alianti Romans traduits du français 1. Gaétan Soucy, L’assoluzione, trad. Francesco Bruno, 2006 2. André Chamson, Il delitto dei giusti, trad. Francesco Bruno, 2008 [pr. éd. Mondadori, Medusa, trad. Egidio Bianchetti, 1947] 3. David Thomas, La pazienza dei bufali sotto la pioggia, trad. Maurizia Balmelli, 2013 Romans traduits de l’allemand 1. Friedrich Dürrenmatt, Giustizia, trad. Giovanna Agabio, 2005 [pr. éd. Garzanti, Gli  elefanti, 1986] 2. Jörg Fauser, L’uomo della neve, trad. Daniela Idra, 2005 3. Edgar Hilsenrath, La fiaba dell’ultimo pensiero, trad. Claudio Groff, 2006 [pr. éd. Rizzoli, La scala, 1991] 4. Heinrich Böll, Termine di un viaggio di servizio, trad. Marianello Marianelli et Marlis Ingenmey, 2007 [pr. éd. Bompiani, Letteraria, 1972] 5. Jakob Arjouni, Kismet, trad. Lisa Scarpa, 2009 6. Friedrich Dürrenmatt, Franco Quinto, trad. Aloisio Rendi, 2012 [pr. éd. dans Teatro, Einaudi, Supercoralli, 1975] 7. Jakob Arjouni, Eddy il santo, trad. Gina Maneri, 2012 8. Jakob Arjouni, Fratello Kemal, trad. Gina Maneri, 2014 9. Friedrich Dürrenmatt, Un angelo a Babilonia, trad.  Aloisio Rendi, 2014 [pr. éd. dans Teatro, Einaudi, Supercoralli, 1975]

Mimesis, Il quadrifoglio tedesco Romans traduits de l’allemand 1. Grete Weil, Mia sorella Antigone, dir. Karin Birge Büch, Marco Castellari et Andrea Gilardoni, trad. Marco Castellari, 2007 [pr. éd. Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, trad. Amina Pandolfi, 1981] 2. Marita Kaiser, Text-produktion. Lehr-, Übungs- und Handbuch zur Fertigkeit Schreiben A2-C2, 2007 3. Bettina Klein, 10 ricette per un tedesco al dente, 2008 4. Peter Weiss, Inferno, dir. et trad. Marco Castellari, 2008 5. Ulrich Mahlert, La DDR. Una storia breve. 1949–1989, dir. Andrea Gilardoni et Karin Birge Gilardoni-Büch, trad. Andrea Gilardoni, 2009 6. Marita Kaiser (dir.), Generation Handy, 2009 7. Daniela Nelva, Identità e memoria : lo spazio autobiografico nel periodo della riunificazione tedesca, thèse de doctorat, dir. Luigi Forte, 2009 8. Walter Kempowski, Lei lo sapeva ? I tedeschi rispondono, dir. Marco Castellari, Andrea Gilardoni et Karin Birge Gilardoni-Büch, postface d’Eugen Kogon, avec un essai de Raul Calzoni, trad. Anna Ruchat, 2009 9. Tiziana Gislimberti, Mappe della memoria, préface d’Enrico De Angelis , 2009 10. Selma Eisinger-Meerbaum, Non ho avuto il tempo di finire : poesie sopravvissute alla Shoah, dir. et trad. Adelmina Albini et Stefanie Golisch, 2009 11. Paola Lehmann, Schritt für Schritt in die deutsche Sprache, 2009 12. Jana Hensel, Zonenkinder : i figli della Germania scomparsa, dir. Karin Birge Gilardoni-Büch, trad. Maria Giovanna Zini, 2009 13. Hatice Aykün, Cercasi Hans in salsa piccante. Una vita in due mondi, trad. Adriano Murelli, 2010

400

Annexe 2

14. Micaela Latini, La pagina bianca : Thomas Bernahrd et il paradosso della scrittura, 2010 15. Maurizio Pirro et Luca Zenobi (dir.), Jugend : rappresentazioni della giovinezza nella letteratura tedesca, 2011 16. Volker Braun, Racconti in due volumi, dir. Karin Birge Gilardoni-Büch, trad. Francesco V. Aversa et Matteo Galli, 2011 17. Friedrich Christian Delius, La ballata di Ribbeck, dir. Karin Birge Gilardoni-Büch, trad. Elena Bonetto, 2012 18. Liza Candidi Tommasi Crudeli, Spazi di memoria nella Berlino post-socialista, thèse de doctorat dir. Gian Paolo Gri et Wolfgang Kaschuba, 2012 19. Urs Widmer, Top dogs : manager alla deriva, dir. Daniele Vecchiato, projet de Sabina Tutone, trad. Stefania Fusaroli et Daniele Vecchiato, 2012 20. Walter Hasenclever, Antigone, dir. et trad. Sotera Fornaro, 2013 21. Arno Schmidt, Leviatano, o Il migliore dei mondi, dir. et trad. Dario Borso, 2013 [pr. éd. Il Leviatano, o Il migliore dei mondi, dir. Maria Teresa Mandalari, Linea d’ombra, Aperture, trad. Rosanna Berardi Paumgartner, Emilio Picco et Maria Teresa Mandalari, 1991] 22. Wladimir Kaminer, Non sono un berlinese : una guida per turisti pigri, dir. et trad. Antonella Salzano, 2013 23. Harry Kessler, Viaggi in Italia. Appunti dai diari, dir. et trad. Luca Renzi et Gabriella Rovagnati, 2013 24. Maurizio Pirro et Luca Zenobi (dir.), Costruzione di un concetto. Paradigmi della totalità nella cultura tedesca, 2014 25. Elettra de Salvo, Laura Priori et Gherardo Ugolini (dir.), Italo-Berliner : gli italiani che cambiano la capitale tedesca, 2014 26. Igor Fiatti, La Mitteleuropa nella letteratura contemporanea, préface de Claudio Magris, 2014 27. Wladimir Kaminer, Niente sesso : eravamo socialisti. Miti e leggende del secolo scorso, dir. Antonella Salzano, trad. Antonella Salzano, 2014 28. Ivica Kolečáni Lenčová et Regine Nadler, 39 Tests zum Leseverstehen, 2015 29. Christine Wolter, Come in sogno. Passeggiate berlinesi, trad. Lidia Anzivino et Christine Wolter, 2015 30. Roberta Malagoli et Stefania Sbarra (dir.), Conversione dello sguardo e modalità della visione in Heinrich von Kleist, introduction de Roberta Malagoli et Stefania Sbarra, 2015 31. Pasquale Gallo, Maurizio Pirro et Ulrike  Reeg (dir.), Requiescere noctem. Forme  e linguaggi dell’ospitalità, 2015 32. Francesco Aversa, La torre, l’Atlantide e l’inferno : miti e motivi nella recente letteratura tedescoorientale, 2015

Minimumfax, Sotterranei Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

Véronique Ovaldé, Gli uomini in generale mi piacciono molto, trad. Lorenza Pieri, 2005 Philippe Vasset, Il generatore di storie, trad. Lorenza Pieri, 2006 Olivier Adam, Passare l’inverno, trad. inconnu, 2006 Olivier Adam, Stai tranquilla, io sto bene, trad. Maurizia Balmelli, 2007 Véronique Ovaldé, Stanare l’animale, trad. Lorenza Pieri, 2007 Adam Olivier, Peso leggero, trad. Maurizia Balmelli, 2008 Véronique Ovaldé, E il mio cuore trasparente, trad. Lorenza Pieri, 2010 Véronique Ovaldé, La sorella cattiva, trad. Lorenza Pieri, 2015

Annexe 2

401

Mondadori, Scrittori italiani e stranieri Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

Delphine de Vigan, Gli effetti secondari dei sogni, trad. Marco Bellini, 2008 Catherine Millet, Gelosia, trad. Marianna Basile, 2009 Hervé Le Tellier, Adesso basta parlare d’amore, trad. Giovanni Bogliolo, 2011 Delphine de Vigan, Le ore sotterranee, trad. Marco Bellini, 2010 Hélène Grémillon, Il confidente, trad. Marco Bellini, 2012 Delphine de Vigan, Niente si oppone alla notte, trad. Marco Bellini, 2012 Irène Frain, Beauvoir in love, trad. Elena Cappellini, 2014 Alexis Jenni, L’arte francese della guerra, trad. Leopoldo Carra, 2014 Pierre Lemaitre, Ci rivediamo lassù, trad. Stefania Ricciardi, 2014 David Foenkinos, Charlotte, trad. Elena Cappellini,2015

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12.

Viola Roggenkamp, Vita di famiglia, trad. Silvia Orsi, 2005 Uwe Timm, Come mio fratello, trad. Margherita Carbonaro, 2005 Pascal Mercier (Peter Bieri), Treno di notte per Lisbona, trad. Elena Broseghini, 2006 Uwe Timm, Come mio fratello, trad. Margherita Carbonaro, 2007 Uwe Timm, L’amico e lo straniero, trad. Margherita Carbonaro, 2007 Pascal Mercier (Peter Bieri), Partitura d’addio, trad. Elena Broseghini, 2009 Uwe Timm, Penombra, trad. Matteo Galli, 2011 Hans Keilson, La morte dell’avversario, trad. Margherita Carbonaro, 2011 Eugen Ruge, In tempi di luce declinante. Romanzo di una famiglia, trad. Claudio Groff, 2013 Nino Haratischwili, Il mio dolce gemello, trad. Matteo Galli, 2013 Astrid Rosenfeld, Per coraggio, per paura, per amore, trad. Elena Broseghini, 2013 Uwe Timm, La volatilità dell’amore, trad. Matteo Galli, 2015

Mondadori, Strade blu Romans traduits du français 1. Marie France Etchegoin, Frédéric Lenoir, Inchiesta sul codice Da Vinci, trad. Elena Riva et Cristina Cavalli, 2005 2. Yasmina Khadra, La parte del morto, trad. Roberto Alajmo et Annick Le Jan, 2005 3. Olivier Pauvert, Nero, trad. Jacopo de Michelis, 2006 4. Yasmina Khadra, L’attentatrice, trad. Marco Bellini, 2006 5. Yasmina Khadra, Le sirene di Baghdad, trad. Marco Bellini, 2007 6. Stéphane Clerget et Danièle Laufer, La madre perfetta sei tu. Perché non è giusto sentirsi in colpa nei confronti dei propri figli, trad. Gabriella Mezzanotte, 2009 7. Yasmina Khadra, Quel che il giorno deve alla notte, trad. Marco Bellini, 2009 8. Caryl Férey, Zulu, trad. Teresa Albanese, 2009 9. Frédéric Lenoir, Socrate, Gesù, Buddha : tre vite parallele, tre maestri di vita, trad. Teresa Albanese, 2010 10. Barouk Salamé, Il testamento siriaco, trad. Laura Cantù, 2010 11. Daniel De Roulet, La linea blu, trad. Fabio Gambaro, 2011 12. Frédéric Lenoir, Vivere è un’arte : piccolo trattato di vita interiore, trad. Teresa Albanese, 2011 13. Pierre Lemaitre, Alex, trad. Stefano Viviani, 2015 14. Pierre Lemaitre, Camille, trad. Stefano Viviani, 2015 15. Pierre Lemaitre, Irène, trad. Stefania Ricciardi, 2015

402

Annexe 2

16. Pierre Lemaitre, Rosy & John, trad. Stefania Ricciardi, 2015 17. Pierre Lemaitre, Quattro indagini per il commissario Verhoeven, trad. Stefano Viviani et Stefania Ricciardi, 2015 18. Aurélien Molas, I fantasmi del delta, trad. Maurizio Ferrara, 2015 Romans traduits de l’allemand 1. Volker Kutscher, Il pesce bagnato, trad. Palma Severi et Rosanna Vitale, 2010

Mondadori, Omnibus Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12.

Faïza Guène, Kif kif domani, trad. Luigi Maria Sponzilli, 2005 Bernard Werber, Omicidio in paradiso, trad. Giuseppe Gallo, 2005 Faïza Guène, Ahlème, quasi francese, trad. Luigi Maria Sponzilli, 2008 Dominique Sylvain, I giardini dell’orco, trad. Giuseppe Gallo, 2008 Dominique Sylvain, Delitto nel vicolo dei desideri, trad. Giuseppe Gallo, 2009 Pierre Lemaitre, Alex, trad. Stefano Viviani, 2011 Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Il visone bianco, trad. Nathalie Priore, 2011 Dominique Sylvain, La guerra sporca, trad. Giorgio Musso, 2012 Gilles Legardinier, L’amore è un patatrac !, trad. Alessandra Giordani, 2013 Michel Bussi, Un aereo senza di lei, trad. Vittoria Vassallo, 2014 Hélène Grémillon, La garçonnière, trad. Francesca Mazzurana, 2015 Clélie Avit, So che sei qui, trad. Francesca Mazzurana, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. Andreas Winkelmann, Istinto cieco, trad. Giuseppe Cospito, 2012

Neri Pozza, Narratori delle Tavole Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Gilbert Sinoué, La regina crocifissa, trad. Giuliano Corà, 2006 Laurent Gaudé, Eldorado, trad. Riccardo Fedriga, 2007 Anne Godard, Inconsolabile, trad. Riccardo Fedriga, 2007 Gilbert Sinoué, Io, Gesù, trad. Giuliano Corà, 2008 Gilbert Sinoué, Armenia, postface d’Antonia Arslan, trad. Giuliano Corà, 2011 Philippe Hayat, Momo a Les Halles, trad. Roberto Boi, 2014

Romans traduits de l’allemand 1. Siegfried Lenz, Lezioni di tedesco, trad. Luisa Coeta, 2006 [pr. éd. Mondadori, Scrittori italiani e stranieri, 1973] 2. Irene Dische, La nonna vuota il sacco, trad. Riccardo Cravero, 2006 3. Markus Werner, Zündel se ne va, trad. Bice Rinaldi, 2008 4. Robert Schneider, L’apocalisse, trad. Francesco Porzio, 2009 5. Oliver Pötzsch, La figlia del boia, trad. Alessandra Petrelli, 2012 6. Oliver Pötzsch, La figlia del boia e il monaco nero, trad. Alessandra Petrelli, 2013 7. Hans Herbert Grimm, Il soldato Schlump, trad. Alessandra Petrelli, 2014 8. Klaus Modick, Concerto di una sera d’estate senza poeta, trad. Riccardo Cravero, 2015

Annexe 2

403

Nonostante, Scrittura bianca Romans traduits du français 1. Marguerite Duras, Moderato cantabile, trad. et postface de Rosella Postorino, 2013 2. Alain Robbe-Grillet, Il voyeur, avec un essai de Roland Barthes, trad. Stefania Ricciardi, préface de Donata Meneghelli, 2013 3. Claude Simon, L’erba, trad. Bruno Fonzi, postface de Alastair B. Duncan, 2014 4. Marguerite Duras, Testi segreti, trad. et postface de Rosella Postorino, 2015 5. Claude Simon, Il tram, trad. Stefania Ricciardi, postface de Patrick Longuet, 2015 6. Jean Cayrol, Vivrò l’amore degli altri, 2 vol., trad. et postface de Valeria Pompejano, 2015

Nottetempo, Narrativa Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11.

Hubert Mingarelli, Un inverno nella foresta, trad. Maria Pace Ottieri, 2005 Christian Oster, Lontano da Odile, trad. Leonella Prato Caruso, 2005 Jean François Robin, Johann Sebastian Bach in disgrazia, trad. Laura Barile, 2007 Céline Curiol, Ultima chiamata, trad. Laura Barile, 2008 Nicolas Fargues, Ero dietro di te, trad. Marianna Basile et Benedetta Torrani, 2008 Nimrod, Le gambe di Alice, trad. Cinzia Poli, 2010 Olivia Rosenthal, Che fanno le renne dopo Natale ?, trad. Cinzia Poli, 2012 Nicolas Fargues, Vedrai, trad. Benedetta Torrani, 2012 Joy Sorman, Come una bestia, trad. Cinzia Poli, 2014 Dany Laferrière, Paese senza cappello, trad. Cinzia Poli, 2015 Fiston Mwanza Mujila, Tram 83, trad. Camilla Diez, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. Einzlkind, Harold, trad. Franco Filice, 2012 2. Lion Feuchtwanger, Odisseo e i maiali, avec un texte de Claudio Magris, trad. Enrico Paventi, 2012 3. Judith Schalansky, Lo splendore casuale delle meduse, trad. Flavia Pantanella, 2013

Portaparole, I Venticinque Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12.

Max Aplboim, Un jambon-beurre pour le rabbin, 2006 André Auzias, Parlez-moi d’amours, 2008 Vercors, Il comandante del Prometeo, trad. et dir. de Flavia Conti, 2009 Vercors, Le Commandant du Prométhée, dir. Flavia Conti, 2009 Pierre Assouline et Jean-Pierre Bertin-Maghit, Fantasmi, trad. Giuseppe Girimonti Greco, préface de Jean-Noel Jeanneney, postface d’Oliviero Diliberto, 2009 Pierre Assouline et Jean-Pierre Bertin-Maghit, Fantômes, préface de Jean-Noel Jeanneney, postface d’Oliviero Diliberto, 2009 Denis Costa, Peter Mayr strasse, 2009 Jean-Noël Jeanneney, L’Un de nous deux : dialogue en trois actes, 2009 Vercors, 21 recettes pratiques de mort violente, dir. Flavia Conti, 2010 Pierre Assouline, Monsieur Dassault, 2010 Sylviane Scovino, 14 juillet, 2011 Vercors, 21 ricette pratiche di morte violenta, trad. Flavia Conti, 2011

404

Annexe 2

13. Roger Aïm, Un jour entre les autres, 2011 14. Marc Lefrançois, Marcel Proust roi du Kung-Fu, 2011 15. Vercors, Les Propos de Sam Howard, recueillis par Joë Mab, dir. Alain Riffaud avec la partecipation de Guang Chen, 2011 16. Jean-Noël Jeanneney, Uno di noi due. Dialogo in tre atti, trad. Angelo Pavia, 2012 17. André Auzias, Soit fête ma volonté, dir. Monique Auzias Liberman et Viviane Auzias, 2013 18. Jean-Philippe Toussaint, Monsieur, trad. Stefano Lodirio, 2014

Sellerio, Il contesto Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

François Vallejo, Madame Angeloso, trad. Maria Nicola, 2005 François Vallejo, Il barone e il guardacaccia, trad. Maria Nicola, 2008 Sylvain Tesson, Nelle foreste siberiane, trad. Roberta Ferrara, 2012 Yasmina Khadra, Gli angeli muoiono delle nostre ferite, trad. Marina Di Leo, 2014 Sylvain Tesson, Abbandonarsi a vivere, trad. Roberta Ferrara, 2015 Yasmina Khadra, Cosa aspettano le scimmie a diventare uomini, trad. Marina Di Leo, 2015 Yasmina Khadra, L’ultima notte del Rais, trad. Marina Di Leo, 2015

Romans traduits de l’allemand 1. Martin Suter, Il talento del cuoco, trad. Emanuela Cervini, 2012 2. Alain Claude Sulzer, Il concerto, trad. Emanuela Cervini, 2013

Sellerio, La memoria Romans traduits du français 1. Louis Alexandre Andrault de Langéron, La battaglia di Austerlitz, avec une annotation de Sergio Valzania, trad. Vittorio Frizzi, 2005 2. Guillaume Prévost, Jules Verne e il mistero della camera oscura, trad. Sabrina Leo et Elisa Musso, 2005 3. Isabelle Charrière, Lettere da Losanna e altri romanzi epistolari, introduction de Daria Galateria, Daniela De Agostini et Mariagrazia Paturzo, trad. Luisa Obinu, Roberta Magi, Mariagrazia Paturzo, 2005 4. Alexandre Dumas, La marchesa di Ganges, dir. et trad. Giovanna Arese, 2005 [pr. éd. dans Delitti celebri, Fratelli Ferrario, trad. Oreste Ferrario, 1877] 5. Alexandre Dumas, Murat, dir. et trad. Giovanna Arese, 2005 [pr. éd. Fratelli Ferrario, Ultimi momenti di Gioacchino Murat re di Napoli, trad. Oreste Ferrario, Milan, 1850 (date incertaine)] 6. Jules Michelet et Atenaide Mialaret, Lettere d’amore, dir. Lionello Sozzi, trad. Mercede Mundula et Lionello Sozzi, 2006 7. Honoré de Balzac, Massime e pensieri di Napoleone, dir. et trad.  Carlo Carlino, 2006 [pr. éd. Lumachi, trad. Ubaldo Scotti, 1909] 8. Honoré de Balzac, Il parroco di Tours, dir. Pierluigi Pellini, trad. Clio Cicogni et Alessandra Cioncolini, 2006 9. Pierre Boileau et Thomas Narcejac, I vedovi, trad. Igor Longo, 2006 [pr. éd. Mondadori, Il giallo Mondadori, trad. Igor Longo, 1998] 10. Alexandre Dumas, Il cavaliere di Sainte-Hermine, dir. Claude Schopp, trad. Roberta Ferrara, 2007 11. Louise Lévêque de Vilmorin, Coco Chanel, dir. Patrick Mauriès et Martina Cardelli, trad. Maria Delogu, 2007

Annexe 2

405

12. Jacques Boulenger, Il romanzo di Merlino, avec une annotation de Joseph Bédier, trad. Paola Fornasari, 2007 13. Jacques Boulenger, Lancillotto del Lago, trad. Paola Fornasari, 2008 [pr. éd. dans I romanzi della Tavola rotonda, Mondadori, Oscar, dir. et trad. Gabriella Agrati et Maria Letizia Magini, 1981] 14. André Gorz, Lettera a D.  Storia di un amore, avec une annotation de nota d’Adriano Sofri, trad. Maruzza Loria, 2008 15. Alexandre Dumas, Il tulipano nero, trad. Raffaele Borrelli, 2008 [pr. éd. Vinenzo Batelli, trad. Giovanni Chiarini, 1851] 16. Michèle Lesbre, Il canapé rosso, trad. Roberta Ferrara, 2009 17. Jacques Bonnet, I fantasmi delle biblioteche, trad. Roberta Ferrara, 2009 18. Michèle Lesbre, Nina per caso, trad. Roberta Ferrara, 2010 19. Paul Léautaud, Amori, avec une annotation de Giuseppe Scaraffia, trad. Alessandro Torrigiani, 2011 [pr. éd. Einaudi, Supercoralli, 1976] 20. Dominique Manotti, Oro nero, trad. Francesco Bruno, 2015 21. Antoine de Saint-Exupéry, Il piccolo principe, illustrations de l’auteur, avec une annotation de Daria Galateria, trad. Marina di Leo, 2015 [pr. éd. Bompiani, trad. Nini Bompiani Bregoli, Strenne per i giovani, 1949] Romans traduits de l’allemand 1. Hans Fallada, E adesso, pover’uomo ?, avec des textes de Ralf Dahrendorf et Beniamino Placido, dir. et trad. Mario Rubino, 2008 [pr. éd. Mondadori, Medusa, trad. Bruno Revel, 1933] 2. Vicki Baum, Grand Hotel, dir. et trad. Mario Rubino, 2009 [pr. éd. Bemporad, I romanzi della vita moderna, trad. Dora Dolci Rotondi, 1932] 3. Herta Müller, Lo sguardo estraneo, ovvero La vita è una scorreggia in un lampione, avec une annotation d’Adriano Sofri, trad. Mario Rubino, 2009 4. Herta Müller, In trappola, dir. Federica Venier, trad. Federica Venier, 2010 5. Herta Müller, Cristina e il suo doppio, trad. Mario Rubino, 2010 6. Hans Fallada, Ognuno muore solo, postface de Geoff Wilkes, trad. Clara Coïsson, 2010 [pr. éd. Einaudi, Supercoralli, 1950] 7. Martin Suter, L’ultimo dei Weynfeldt, trad. Cesare De Marchi, 2010 8. Martin Suter, Allmen e le libellule, trad. Emanuela Cervini, 2011 9. Martin Suter, Com’è piccolo il mondo !, trad. Cesare De Marchi, 2011 [pr. éd. Feltrinelli, I canguri, 1999] 10. Martin Suter, Allmen e il diamante rosa, trad. Emanuela Cervini, 2012 11. Franz Zeise, L’Armada, introduction de Leonardo Sciascia, trad. Anita Rho, 2012 [pr. éd. De Silva, Biblioteca europea, 1947] 12. Hans Fallada, Nel mio paese straniero, dir. Jenny Williams et Sabine Lange, annotations et trad. Mario Rubino, 2012 13. Martin Suter, Allmen e le dalie, trad. Emanuela Cervini, 2015

Voland, Intrecci Romans traduits du français Brigitte Aubert, La morte taglia e cuce, trad. Guia Boni, 2005 Claude Bleton, I negri del traduttore, trad. Paola Carbonara, 2005 Xavier Orville, Ascesa e caduta di un dittatore antillano, trad. Vilma Porro, 2006 Philippe Djian, Imperdonabili, trad. Daniele Petruccioli, 2009 André Schiffrin, Libri in fuga. Un itinerario politico fra Parigi e New York, dir. et trad. Valentina Parlato, 2009 6. Nicolas Dickner, Nikolski, trad. Francesco Gazzè, 2009

1. 2. 3. 4. 5.

406 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19.

Annexe 2

Jean-Philippe Blondel, Vista mare, trad. Daniele Petruccioli, 2009 Jean-Philippe Blondel, 1979, trad. Daniele Petruccioli, 2010 Philippe Djian, 37°2 al mattino, trad. Daniele Petruccioli, 2010 André Schiffrin, Il denaro e le parole, dir. et trad. Valentina Parlato, postface de Guido Rossi, 2010 Laurent Martin, Rive lontane, trad. Sabrina Manca, 2010 Philippe Djian, Incidenze, trad. Daniele Petruccioli, 2010 Philippe Djian, Vendette, trad. Daniele Petruccioli, 2011 Philippe Djian, Assassini, trad. Daniele Petruccioli, 2012 Georges Perec, Il Condottiero, trad. Ernesto Ferrero, 2012 Roland Topor, Memorie di un vecchio cialtrone, dir. et trad. Carlo Mazza Galanti, 2013 Philippe Djian, Oh …, trad. Daniele Petruccioli, 2013 Philippe Djian, Criminali, trad. Daniele Petruccioli, 2014 Michaël Uras, Io e Proust, dir. Giuseppe Girimonti Greco, trad. Giacomo Melloni, 2014

Romans traduits de l’allemand 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Günter Ohnemus, La cliente russa, trad. Monica Pesetti, 2005 Daniel Kehlmann, Io e Kaminski, trad. Monica Pesetti, 2006 Markus Orths, Sala professori, trad. Roberta Gado, 2008 Markus Orths, La cameriera, trad. Roberta Gado, 2010 Daniel Kehlmann, Il tempo di Mahler, trad. Elisabetta Dal Bello, 2012 Matthias Frings, L’ultimo comunista, trad. Chiara Marmugi, 2012

Zandonai, I piccoli fuochi Romans traduits du français 1. Laurent Mauvignier, La camera bianca, postface de Michel Bertrand, trad. Alberto Bramati, 2008 2. Laurent Mauvignier, Lontano da loro, trad. Alberto Bramati, 2008 3. Anne Garréta, Sfinge, trad. Alberto Bramati, 2010 Romans traduits de l’allemand 1. Joseph Zoderer, L’altra collina, trad. Giovanna Agabio, 2007 2. Marianne Gruber, La casa perduta, postface d’Elisabetta Dell’Anna Ciancia, trad. Cesare De Marchi, 2010 3. Thomas Glavinic, L’assassino con la videocamera, trad. Fabio Cremonesi, 2011 4. Jenny Erpenbeck, Di passaggio, trad. Ada Vigliani, 2011 5. Susanne Scholl, Russia senz’anima ?, trad. Chiara Marmugi, 2011 6. Jenny Erpenbeck, Storia della bambina che volle fermare il tempo, trad. Ada Vigliani, 2013 7. Anna Kim, Gli anni di ghiaccio, trad. Anna Allenbach, 2014

66thand2nd, Bazar Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5.

Alain Mabanckou, Black Bazar, trad. Alice Volpi, 2010 Alain Mabanckou, Domani avrò vent’anni, trad. Alice Volpi, 2011 Denis Lachaud, Imparo il tedesco, trad. Sergio Claudio Perroni, 2013 Denis Lachaud, Frédéric smarrito tra i suoni, trad. Sergio Claudio Perroni, 2014 Alain Mabanckou, Le luci di Pointe-Noire, trad. Federica Di Lella et Giuseppe Girimonti Greco, 2014

Annexe 2

6. 7. 8. 9.

407

Scholastique Mukasonga, Nostra Signora del Nilo, trad. Stefania Ricciardi, 2014 In Koli Jean Bofane, Congo inc. Il testamento di Bismarck, trad. Carlo Mazza Galanti, 2015 Alain Mabanckou, Pezzi di vetro, trad. Daniele Petruccioli, 2015 Dany Laferrière, Tutto si muove intorno a me, trad.  Giuseppe Girimonti Greco et Francesca Scala, 2015

66thand2nd, Bookclub Romans traduits du français 1. Caroline Lunoir, La mancanza di gusto, trad. Maurizia Balmelli et Elena Malanga, 2012 2. Céline Minard, Per poco non ci lascio le penne, trad. Elena Sacchini, 2014 3. Miguel Bonnefoy, Il meraviglioso viaggio di Octavio, trad. Francesca Bononi, 2015

66thand2nd, B-Polar Romans traduits du français 1. 2. 3. 4. 5.

Florent Couao-Zotti, Non sta al porco dire che l’ovile è sporco, trad. Claudia Ortenzi, 2012 Jakuta Alikavazovic, La bionda e il bunker, trad. Elena Sacchini, 2013 Alain Mabanckou, Zitto e muori, trad. Federica Di Lella et Giuseppe Girimonti Greco, 2013 In Koli Jean Bofane, Matematica congolese, trad. Stefania Ricciardi, 2014 Alain Mabanckou, African psycho, trad. Daniele Petruccioli, 2015

BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE PRIMAIRE Emmanuel Carrère Editions françaises (grand format) Werner Herzog, Paris, Edilig, 1982 L’Amie du jaguar, Paris, Flammarion, 1983 — L’Amie du jaguar, Paris, P. O. L., 2007 Bravoure, Paris, P. O. L., 1984 La Moustache, Paris, P. O. L., 1986 Le Détroit de Behring. Introduction à l’uchronie, Paris, P. O. L., 1986 Hors d’atteinte, Paris, P. O. L., 1988 Je suis vivant et vous êtes morts : Philip K. Dick, 1928–1982, Paris, Seuil, 1993 La Classe de neige, Paris, P. O. L., 1995 L’Adversaire, Paris, P. O. L., 2000 Un roman russe, Paris, P. O. L., 2007 D’autres vies que la mienne, Paris, P. O. L., 2009 Limonov, Paris, P. O. L., 2011 Le Royaume, Paris, P. O. L., 2014 Il est avantageux d’avoir où aller, Paris, P. O. L., 2016 Yoga, Paris, P. O. L., 2020

Editions italiennes Baffi, trad. Graziella Civiletti, Rome/Naples, Theoria, Letterature,1987 — Baffi, Milan, Bompiani, Tascabili, 1990 — Baffi, Rome/Naples, Theoria, Ritmi, 1997 — Baffi, Milan, Bompiani, Tascabili, 2000 — I baffi, trad. Maurizia Balmelli, Milan, Adelphi, Fabula, 2020 Fuori tiro, trad. Antonella Viola, Rome/Naples, Theoria, Letterature, 1989 Bravura, trad. Ada Ceruti, Milan, Marcos y Marcos, Gli alianti, 1991 Io sono vivo e voi siete morti : Philip Dick, 1928–1982 : una biografia, trad. Stefania Papetti, Rome/ Naples, Theoria, Confini, 1995 — Philip Dick, 1928–1982 : una biografia, Rome/Naples, Theoria, Ritmi, 1996 — Io sono vivo e voi siete morti : Philip Dick, 1928–1982 : una biografia, trad. Simone Bedetti, Milan, Hobby & Work, Valis, 2006 — Io sono vivo, voi siete morti, trad. di Federica e Lorenza di Lella, Milan, Adelphi, Fabula, 2016 La settimana bianca, trad. Paola Gallo, Turin, Einaudi, Coralli, 1996 — La settimana bianca, Turin, Einaudi, Tascabili, 2004 — La settimana bianca, trad. di Maurizia Balmelli, Milan, Adelphi, Fabula, 2014

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Bibliographie

L’avversario, trad. Eliana Vicari Fabris, Turin, Einaudi, Coralli, 2000 — L’avversario, Turin, Einaudi, Tascabili, 2002 — L’avversario, La Stampa, Collezione d’autore, 2006 — L’avversario, Milan, Adelphi, Fabula, 2013 — L’avversario, La biblioteca di Repubblica – L’Espresso, Duemila, 2017 Facciamo un gioco, trad. Paola Gallo, Turin, Einaudi, L’Arcipelago, 2004 La vita come un romanzo russo, trad. Margherita Botto, Turin, Einaudi, Coralli, 2009 — La vita come un romanzo russo, Turin, Einaudi, Super ET, 2014 — Un romanzo russo, trad. Lorenza di Lella e Maria Laura Vanorio, Milan, Adelphi, Fabula, 2018 Vite che non sono la mia, trad. Maurizia Balmelli, Turin, Einaudi, Supercoralli, 2011 — Vite che non sono la mia, Turin, Einaudi, Super ET, 2013 Limonov, trad. Francesco Bergamasco, Milan, Adelphi, Fabula, 2012 — Limonov, Milan, Adelphi, Gli Adelphi, 2014 Il regno, trad. Francesco Bergamasco, Milan, Adelphi, Fabula, 2015 — Il regno, Adelphi, Gli Adelphi, 2016 A Calais, trad. Lorenza di Lella et Maria Laura Vanorio, Milan, Adelphi, Biblioteca Minima, 2016 Propizio è avere ove recarsi, trad. Francesco Bergamasco, Milan, Adelphi, La collana dei casi, 2017

Uwe Timm Editions allemandes (grand format) Das Problem der Absurdität bei Albert Camus, Hambourg, Lüdke, 1971 Widersprüche, Hambourg, Neue Presse, 1971 Heißer Sommer, Munich, Autoren Edition, 1974 — Heißer Sommer, Berlin, Aufbau, 1975 — Heißer Sommer, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1985 Zeit-Gedichte, Munich, Damnitz, 1977 Morenga, Munich, Autoren Edition, 1978 — Morenga, Berlin, Aufbau, 1979 — Morenga, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1984 Kerbels Flucht, Munich, Autoren Edition, 1980 — Kerbels Flucht, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1991 Die Zugmaus, Zurich, Diogenes, 1981 Deutsche Kolonien, Munich, Autoren Edition, 1981 Die Piratenamsel, Zurich/Cologne, Benziger, 1983 Der Mann auf dem Hochrad, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1984 — Der Mann auf dem Hochrad, Berlin, Aufbau 1985 Der Schlangenbaum, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1986 — Der Schlangenbaum, Berlin, Aufbau, 1987 Vogel, friss die Feige nicht. Römische Aufzeichnungen, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1989 Rennschwein Rudi Rüssel, Zurich-Frauenfeld, Nagel & Kimche, 1990 Kopfjäger, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1991 Erzählen und kein Ende. Versuche zu einer Ästhetik des Alltags, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1993 Die Entdeckung der Currywurst, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1994 Der Schatz auf Pagensand, Zurich-Frauenfeld, Nagel & Kimche, 1995 Johannisnacht, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1996 Die Bubi Scholz Story, Berlin, Aufbau, 1998

Bibliographie primaire

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Articles de journal et de revue

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Articles de journal et de revue

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TABLE DES MATIÈRES Remerciements .................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

9

INTRODUCTION ............................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Problématique ............................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un parcours .............................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Questions de recherche ................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Théorie et méthode ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La littérature traduite comme système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le champ et la lutte ..................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sources ....................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recherches sur le champ littéraire .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le plan et les sources ................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Précisions .................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des choix ................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dernières précisions terminologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

13 13 14 17 17 18 21 21 25 27 27 30

PREMIÈRE PARTIE Le champ éditorial italien. Constantes, tensions et dynamiques 1. LE CHAMP ITALIEN : UN MARCHÉ DU LIVRE MONOPOLISÉ ET EN TRANSFORMATION ................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 1.1 1.2 1.3 1.3.1 1.3.2 1.3.3 1.3.4 1.3.5 1.4 1.4.1

Introduction. Délimiter un champ : intérêts et limites . . . . . . . . . . Combien d’éditeurs ? ............ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les groupes : concentration, diversification, internationalisation ............. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Concentration ................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Diversification et internationalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dépendance et autonomie ..... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Concurrence et coopération ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Garder le prestige : la « question Mondadori » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La frange : nouveaux entrants, spécialisation et « courage » . . . . . Le legs des éditeurs historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

35 36 41 41 44 45 48 51 55 56

438

Table des matières

1.4.2 1.4.3 1.4.4 1.5 1.5.1 1.5.2 1.5.3

Une suite de générations ..... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sélection, rythme et promotion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La lutte des indépendants : une posture combattive . . . . . . . . . . . . . Les plateformes du débat : démocratisation et antagonismes . . . Être visibles : la librairie ...... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les foires du livre et les nouveaux prix littéraires . . . . . . . . . . . . . . . . . De la revue au blog ............ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

57 60 63 67 68 71 73

2. TRADUIRE LE ROMAN CONTEMPORAIN : QUELS INTÉRÊTS ? . . 79 2.1 2.2 2.3 2.3.1 2.3.2 2.3.3 2.4 2.5 2.5.1 2.5.2 2.5.3 2.6 2.6.1 2.6.2 2.6.3

Introduction. Un état de crise permanente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Combien traduire ............. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 La concurrence : capital économique et capital culturel . . . . . . . . . 86 Enchères ........................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Le « gentlemen’s agreement » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Géographie de l’édition ....... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Les paris prudents des grandes maisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Finances et financements .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Le prix du livre ................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Promouvoir, communiquer, vendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Dispositifs de soutien ......... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 Projets et structures ........... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 Qui sommes-nous ? ........... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Des unités de sens ............. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Verticalisation et grands nombres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

DEUXIÈME PARTIE Les traductions de l’allemand et la médiation éditoriale d’Uwe Timm 3. LE ROMAN ALLEMAND EN ITALIE : UNE LITTÉRATURE INVISIBLE ................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 3.1 3.2 3.3 3.3.1 3.3.2 3.3.3

Introduction. La littérature allemande s’arrête-t-elle au XXème siècle ? ............. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Les chiffres – Publier sans vendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Les passeurs – Des modalités diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 La politique culturelle : soutenir une littérature qui n’est pas rentable ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 L’intérêt des spécialistes : université et revues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Le premier filtre : l’agent littéraire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133

Table des matières

3.3.4 3.3.4.1 3.3.4.2 3.3.4.3 3.3.4.4 3.3.4.5 3.3.5 3.3.5.1 3.3.6 3.3.6.1 3.3.6.2 3.3.6.3 3.4

439

Les éditeurs généralistes : un désintérêt diffus au sein des groupes ........................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Regards sur les catalogues : « Et ce seraient qui, ces Buddenbrook ? » (Mondadori) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140 Regards sur les catalogues : la culture italienne frissonne (Einaudi) ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Regards sur les catalogues : la production germanophone de Fabula (Adelphi) ............... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 Regards sur les catalogues : des cas éditoriaux (Bompiani) . . . . . 149 Regards sur les catalogues : un « dominé parmi les dominants » (Feltrinelli) ....................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 Les éditeurs généralistes : maisons indépendantes . . . . . . . . . . . . . . . 154 Regards sur les catalogues : polar, roman historique et recherche (Sellerio, Neri Pozza, Del Vecchio) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 Les éditeurs spécialisés : une question d’intérêts . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Regards sur les catalogues : enseigner la culture allemande . . . . 160 Regards sur les catalogues : ouvrir les frontières . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 Regards sur les catalogues : traduire la littérature « du monde entier » ............................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 Les auteurs : une autre perspective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

4. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’UWE TIMM EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE .............................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 4.1 4.2 4.3 4.3.1 4.3.2 4.3.3 4.3.4 4.3.5 4.4 4.4.1 4.4.2 4.4.3 4.4.4 4.4.5

Introduction ..................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 De fourreur à romancier ....... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184 Uwe Timm en Allemagne : de l’opposition à la consécration . . . 186 L’engagement politique et le débat autour du nouveau réalisme (1974–1980) ...................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187 Visibilité (1984–1991) : « Autant de papier pour si peu de livre ! » ............................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194 L’exploit (1993–2001) ........... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198 Un auteur de la « littérature moyenne » (2003–2008) . . . . . . . . . . . . 202 Se réinventer : « La déception quant à son nouveau livre est grande » (2010–2013) ........... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 Uwe Timm en Italie, reconnu et méconnu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 Une nouvelle collection de fiction : Pan narrativa . . . . . . . . . . . . 211 Avant les traductions : présence latente et sélection . . . . . . . . . . . . . 213 Quand traduire, c’est expliquer : La scoperta della currywurst 215 Editer pour consacrer : Come mio fratello, « la force d’un classique » ........................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218 Prix Napoli, Prix Mondello : la reconnaissance pour Rosso (2005–2006) ...................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222

440

Table des matières

4.4.6 4.4.7 4.5

Entre réalité et fiction : L’amico e lo straniero et La notte di San Giovanni ................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 Timm, un auteur Mondadori (2011–2015) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227 Conclusion : deux ascensions possibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232

TROISIÈME PARTIE Les traductions du français et la médiation éditoriale d’Emmanuel Carrère 5. LE ROMAN FRANÇAIS EN ITALIE : UNE PRÉSENCE DISPERSÉE . . 241 5.1 5.2 5.3 5.4 5.5 5.5.1 5.5.2 5.5.3 5.5.3.1 5.5.3.2 5.5.3.3 5.5.3.4 5.5.3.5 5.5.4 5.5.4.1 5.5.4.2 5.5.4.3 5.5.5 5.5.5.1 5.5.5.2 5.5.5.3 5.6

Le livre français à l’étranger : mission politique, objet d’étude, projet culturel .................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 Les chiffres. La fin de la « primauté » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 La politique culturelle : diffuser la langue et la culture françaises ....................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 Les spécialistes : recherche, université et presse spécialisée . . . . . 253 Les éditeurs. Entre spécialisation et généralisme . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 Méfiance des agents ........... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 Maisons d’édition ............. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 Les groupes et les grandes maisons : une présence inclusive . . . 265 De nombreux titres épars : Mondadori . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268 Un catalogue haut de gamme : Einaudi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271 Une politique d’auteur : Adelphi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 Entre fonds de catalogue et best-sellers : Bompiani . . . . . . . . . . . . . . . 278 Jouer sur les deux tableaux : Feltrinelli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280 Les maisons indépendantes : une présence intense . . . . . . . . . . . . . . 283 Le roman « obscur » : Fazi .... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284 La littérature « du monde entier » : e/o . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287 La francophonie : 66thand2nd . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 Les maisons de taille moyenne et petite : une présence spécifique ...... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294 Une collection isolée : Gremese . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295 Le charme de Paris : Clichy .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298 Littérature européenne : L’Orma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303 Les auteurs ..................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307

Table des matières

441

6. LA MÉDIATION ÉDITORIALE D’EMMANUEL CARRÈRE EN FRANCE ET EN ITALIE .................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 6.1 6.1.1 6.1.2 6.1.3 6.2 6.2.1 6.2.2 6.2.3 6.3 6.3.1 6.3.2 6.3.3 6.4 6.4.1 6.4.2 6.4.3 6.5

Naissance d’un best-seller (1983–1995) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 Le choix de l’éditeur : P. O. L. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318 Devenir visible : La Moustache . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320 Obtenir l’attention de la presse : La Classe de neige . . . . . . . . . . . . . . 322 Trouver sa voix : la non-fiction et l’emploi du ‘je’ (2000–2009) 324 Du fait divers au cas littéraire : L’Adversaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325 Best-seller entre voyeurisme et narcissisme : Un roman russe . . 327 La conversion de l’auteur : D’autres vies que la mienne . . . . . . . . . . 329 Du phénomène littéraire à la consécration : Limonov et Le Royaume ...................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331 Faire d’un écrivain un cas médiatique : Limonov . . . . . . . . . . . . . . . . . 332 La conclusion d’un cycle en toute grandeur : Le Royaume . . . . . . 335 Résumé : un bref aperçu de la trajectoire française . . . . . . . . . . . . . . 340 Emmanuel Carrère en Italie : une montée de maison en maison ............................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342 Trois éditeurs pour un auteur : Theoria, Bompiani, Marcos y Marcos (1987–1995) ............ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343 Carrère pour tous : les quatre romans einaudiens (1996–2011) 349 Une œuvre nécessaire : l’Emmanuel Carrère d’Adelphi . . . . . . . . . 355 Conclusion : alliances et médiations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363

CONCLUSION ................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367 Annexe 1 .......................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377 Annexe 2 .......................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379 Bibliographie ..................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 409 Table des matières ............................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 437 Résumé ...... ..................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 443

RÉSUMÉ Literarischer Transfer: Verlegerische Vermittlung des deutschen und französischen Gegenwartsromans in Italien (2005–2015) Die vorliegende Dissertation betrachtet die Verbreitung fremdsprachiger Gegenwartsliteratur in Italien anhand deutscher und französischer Romane, die zwischen 2005 und 2015 veröffentlicht wurden. Französisch und Deutsch sind nach dem Englischen die zweit- bzw. drittwichtigsten Ausgangssprachen für übersetzte Literatur in Italien. Da allerdings nur ein sehr kleiner Teil der umfangreichen Originalproduktion übersetzt wird, stellt sich die Frage nach den Kriterien und den Verantwortlichen für diese Auswahl. Diese Verantwortlichen sind u. a. die Verleger, Übersetzer und Kritiker, die ein Interesse daran haben, ein Buch auf den Markt zu bringen und ihm einen spezifischen Wert zuzuordnen. Dabei handeln nicht alle nach den gleichen Kriterien, denn Verlage und Zeitschriften besetzen jeweils besondere Positionen im kulturellen Feld und verfolgen dementsprechend verschiedene Ziele. Anliegen dieser Arbeit ist es, diese Positionen zu ergründen und nach den Konsekrationsinstanzen zu suchen, die mit ihren Veröffentlichungen, Ablehnungen, Lob und Kritik zur Stabilisierung eines gegenwärtigen Kanons beitragen. Zu diesem Zweck wird eine Kartierung der Akteure – Individuen sowie Institutionen – unternommen, die die deutsche und französische Literatur in Italien einführen; um diesen Überblick zu vervollständigen, wird darüber hinaus die Lancierung von zwei Autoren (Uwe Timm und Emmanuel Carrère) in Italien rekonstruiert. Ziel dabei ist, zu verstehen, welche Strategien die Vermittler anwenden, um zu ihrer Anerkennung zu führen. Dieses Projekt leistet einen Beitrag zur Forschung über die kulturellen Beziehungen im globalisierten Raum. Sein Interesse liegt darin begründet, die Mechanismen der literarischen Kreation und Legitimierung offenzulegen, und es strebt danach, mit dem Instrumentarium der Literatursoziologie zu einem besseren Verständnis der objektiven Bedingungen der heutigen Produktion und ihrer kritischen Rezeption beizutragen. Schlüsselwörter: Emmanuel Carrère, Uwe Timm, Vermittlung, Übersetzung, Verlagswesen, Rezeption, transnationales Literaturfeld

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Résumé

Le transfert littéraire : médiation éditoriale du roman contemporain allemand et français en Italie (2005–2015) En étudiant la littérature traduite, deux questions s’imposent d’emblée  : pourquoi certains livres n’ont jamais été traduits et pourquoi d’autres, au contraire, l’ont été. Le présent travail se concentre sur la seconde interrogation et démontre que, loin de l’idée selon laquelle la « bonne littérature » se propage spontanément, chaque ouvrage traduit manifeste la volonté d’au moins un agent (un traducteur, un éditeur, un écrivain ou autres) qui est intéressé à importer des idées, des formes, des postures dans un nouvel espace de réception. Ce travail observe les éditeurs qui traduisent et publient, entre 2005 et 2015, des romans contemporains français et allemands en Italie. Il reconstruit les stratégies dont ces éditeurs se servent pour bâtir leur identité publique et pour obtenir de la reconnaissance au sein du champ littéraire. Enfin, il dégage les usages et les valeurs attribuées à la littérature traduite dans le contexte de l’édition contemporaine. En choisissant les romans à traduire, les éditeurs proposent un répertoire d’ouvrages qu’ils estiment dignes d’être publiés. Ce faisant, ils suggèrent une vision du fait littéraire, de ses formes et ses fonctions. Dès lors, ce travail pose la question des modalités du transfert : qui sélectionne la littérature étrangère et quels critères sont employés en opérant cette sélection ? Une cartographie du champ éditorial italien met en lumière les agents impliqués dans la médiation ainsi que les rapports de force entre les maisons d’édition. En parcourant dans toutes ses étapes l’activité des agents et des institutions responsables de la médiation, l’analyse souligne les analogies et les divergences dans les relations culturelles entre l’Italie et les deux aires linguistiques considérées. Enfin, deux études de cas, consacrées à la réception d’Emmanuel Carrère et d’Uwe Timm, étalent en détail les mécanismes de la médiation de ces auteurs au sein de plusieurs maisons d’édition aux parcours et aux identités divergentes. Mots-clés : Emmanuel Carrère, Uwe Timm, médiation, traduction, édition, réception, champ littéraire transnational

Résumé

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Literary transfer: editorial mediation of German and French contemporary novels in Italy (2005–2015) When studying translated literature, two questions usually arise: why some books have never been translated and why others have instead. This analysis considers the second question: far from the popular misconception that “good literature” spreads spontaneously, this work demonstrates that each translated book is the result of the intent of at least one agent (a translator, a publisher, an author or other) who has an interest in importing an idea, a style, a posture into a new reception field. This analysis focuses on translated literature in Italy between 2005 and 2015. By observing the Italian editorial market, it identifies the agents engaged in the transfer of contemporary novels from French and German (respectively the second and third most translated languages into Italian), as well as the strategies that they deploy to gain symbolic capital throughout their mediation activity. By choosing which novels to translate or to discard, publishers suggest a very selective repertoire of works that they deem worthy of reading. By doing so, they promote a certain vision of literature and of its forms and functions. For this reason, the present work raises the question of how the transfer happens: who are the gate-keepers who select foreign literature and which criteria do they apply in doing so? Which different editorial identities is it possible to discern? A global mapping of the Italian editorial field serves the twofold purpose of pointing out the agents involved in the mediation process and of indicating the power relations among different publishing houses. A focused observation of the activity of agents and institutions involved in the mediation helps us distinguish the specificities as well as the similarities between Italy’s relationship to both linguistic areas. Two case studies, based on Emmanuel Carrère’s and Uwe Timm’s mediation into the Italian book market, offer a detailed record of the specific policies within publishing houses with different goals and values. Keywords: Emmanuel Carrère, Uwe Timm, mediation, translation, publishing, reception, transnational literary field

Andreas Gipper / Lavinia Heller / Robert Lukenda (Hg.)

Politiken der Translation in Italien Wegmarken einer deutsch-italienischen Übersetzungsgeschichte vom Risorgimento bis zum Faschismus stuDien zur ÜbersetzungsgescHicHte – banD 2 2021. 320 Seiten mit 1 Farb- und 1 s/w-Abbildung € 60,– 978-3-515-13093-6 kartoniert 978-3-515-13096-7 e-book

Die Translationswissenschaft hat in den letzten Jahren ein zunehmendes Bewusstsein dafür entwickelt, dass Nationenbildungsprozesse immer auch als Prozesse der sprachlichen und literarischen Kohärenzbildung zu betrachten sind, die sich stets in engster Auseinandersetzung mit konkurrierenden Sprachen und Kulturen und mithin maßgeblich auch via Übersetzung vollziehen. Über den ‚Umweg‘ der deutsch-italienischen (Übersetzungs-)Geschichte bieten die Autorinnen und Autoren dieses Bandes einen frischen Blick auf die Kulturgeschichte des Risorgimento und der folgenden Jahrzehnte. Durch die Verknüpfung unterschiedlicher Ebenen der historischen Translationsforschung, die von der interkulturellen, politischen und diskursiven Makroebene bis hin zur Mikroebene konkreter Übersetzungsentscheidungen reichen, wird ein facettenreiches Bild von ca. eineinhalb Jahrhunderten deutsch-italienischer Übersetzungsgeschichte gezeichnet. Der translatologische Fokus auf

den Akteuren, Praktiken, Institutionen und Politiken der Übersetzung erlaubt es dabei, eine bis dato wenig beleuchtete Kontinuität der kulturellen Beziehungen zwischen Italien und den deutschsprachigen Ländern nachzuzeichnen, die bis in die Ära des Faschismus reicht. Die Herausgeber Andreas Gipper ist Professor für französische und italienische Kulturwissenschaft an der Johannes Gutenberg-Universität Mainz. Lavinia Heller ist Professorin für allgemeine Translationswissenschaft an der Johannes Gutenberg-Universität Mainz. Robert Lukenda ist Postdoc am Institut für Translationswissenschaft der Universität Innsbruck.

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Kathrin Engelskircher

Nationsbildung als Übersetzungsprojekt Giuseppe Mazzinis italienische Translationspolitik stuDien zur Übersetzungsgeschichte – bAnD 1 2020. 274 Seiten € 55,– 978-3-515-12678-6 kArtoniert 978-3-515-12683-0 e-book

Der translatorische Aspekt bei Giuseppe Mazzini stellt eine bislang nur wenig beachtete Facette in der Forschung zu einem der Gründungsväter des italienischen Nationalstaats dar. Dabei prägen Idee, Konzept und Umsetzung einer Erneuerung Italiens qua Übersetzung das Denken und Handeln Mazzinis viele Jahre lang. Die Verbindung von Literaturübersetzung und Literaturkritik, Politik sowie gesellschaftlichen und religiösen Fragen manifestiert sich in Mazzinis breit konzipierter „Biblioteca Drammatica“ und macht das „nation building“ Italiens zu einem einzigartigen, per se europäischen Projekt. Kathrin Engelskircher untersucht mit interdisziplinärem Anspruch und breit aufgestellter Theorieanbindung – unter Einbeziehung der Ansätze Antoine Bermans, Naoki Sakais, André Lefeveres und Michael Cronins – Mazzinis Übersetzungsprojekt einerseits in seiner Entstehungs- sowie Verwirklichungshistorie und unterzieht andererseits die konkreten Texte der Dramenreihe einer profunden

Analyse. Engelskircher diskutiert Mazzinis translatorisches Handeln in seiner komplexen Bandbreite und belegt damit die Fruchtbarkeit eines performativen Translationsbegriffs. Die Autorin Kathrin Engelskircher arbeitet als wissenschaftliche Mitarbeiterin in der Abteilung für Französische und Italienische Sprache und Kultur am Fachbereich für Translations-, Sprach- und Kulturwissenschaft der Johannes Gutenberg-Universität Mainz. In ihrem Habilitationsprojekt untersucht sie das Erbe der Beatles als kulturelle Übersetzung. Darüber hinaus beschäftigt sie sich mit Angewandter Gedächtnis- und Erinnerungstheorie, Popliteratur sowie psychoanalytischer Literaturinterpretation. Aus Dem inhAlt Einleitung | Historisch-Kultureller Hintergrund | Mazzinis Übersetzungsprojekt | Fazit und Ausblick | Literaturverzeichnis

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En étudiant la littérature traduite, deux questions s’imposent d’emblée : pourquoi certains livres n’ont jamais été traduits et pourquoi d’autres, au contraire, l’ont été. Le présent travail se concentre sur la seconde interrogation et démontre que, loin de l’idée selon laquelle la « bonne littérature » se propage spontanément, chaque ouvrage traduit manifeste la volonté d’au moins un agent (un traducteur, un éditeur, un écrivain ou autres) qui est intéressé à importer des idées, des formes, des postures dans un nouvel espace de réception. Ce travail observe les éditeurs qui traduisent et publient, entre 2005 et

2015, des romans contemporains français et allemands en Italie. Il reconstruit les stratégies dont ces éditeurs se servent pour bâtir leur identité publique et pour obtenir de la reconnaissance au sein du champ littéraire. Enfin, il dégage les usages et les valeurs attribuées à la littérature traduite dans le contexte de l’édition contemporaine. Deux études de cas, consacrées à Emmanuel Carrère et Uwe Timm, complètent l’analyse et étalent en détail les mécanismes de la médiation de ces auteurs au sein de plusieurs maisons d’édition aux parcours et aux identités divergentes.

www.steiner-verlag.de Franz Steiner Verlag

ISBN 978-3-515-13202-2

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7835 1 5 1 32022