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French Pages 233 [234] Year 1984
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Christian Topalov
LE PROFIT, LA RENTE ET LAVILLE Eléments de théorie Ouvrage publié avec le concours du CNRS
ECONOMICA 49, rue Héricart, 75015 Paris
1984
.
44'49
le
Parmi tous les aspects de la question urbaine, l’un de ceux qui ont été plus couramment mis en avant au cours des années 1970, c’est Ta hausse |
specced
pix fons qu’ont connu les villes du monde capitaliste
éveloppé. De toutes parts redouble la dénonciation de ce qui serait l’origine de tous les maux de la ville modeme : la spéculation fonciére. Stérilisation de capitaux, renchérissement du prix des logements, ponction croissante sur les dépenses publiques d’équipement, ségrégation spatiale des groupes sociaux, irrationalités et gaspillages : la liste est longue des effets pervers de l’enrichissement sans cause, des plus-values illégitimes, que tirent de la croissance urbaine ceux qui n’y contribuent ni par le travail, ni par le « risque », les propriétaires fonciers. Et comme les biens immobiliers sont de ceux dont la propriété est la plus diffuse dans les sociétés capitalistes modernes, la dénonciation englobe des millions de gens : le paysan péri-urbain, le petit rentier de centre ville, l’ouvrier pavillonnaire des banlieues, tous spéculateurs. Le concert qui s’entend alors est composé de multiples voix. Les planificateurs, d’abord, technocrates rationalisateurs des administrations centrales comme gestionnaires des collectivités locales, mais aussi bien le secteur le plus concentré de l’industrie du batiment et de la promotion immobiliére. Et pour faire bonne mesure, des forces sociales réformatrices, principalement dans le courant socialiste ou social-démocrate — dont les programmes traditionnels de municipalisation des sols sont remis a l’ordre du jour — mais aussi dans les courants éclairés des milieux politiques de la bourgeoisie, comme dans le courant communiste du mouvement ouvrier. Dans cette conjonction de forces, il y a certes plus que des nuances d’analyse, et en outre les politiques effectives ne suivent pas toujours les discours. Mais il n’en demeure pas moins qu’ensemble elles définissent et délimitent un objet social, un champ de conflits et
d’action étatique : le probléme foncier. —
6
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
C’est de cet objet préconstitué dans l’ordre de la pratique que va s’emparer__
la théorie : comment expliquer la formation des prix fonciers et, éventuellement, quels remédes envisager a leur aKa excessive ? Dans le courant des années 1900, RE nis , économie a construit ee théorie modélisan te ‘ai rete rbaine1€ qui contient, comm un de ses éléments, une ae onS rorhalledBk marché foncier. Proton. geant la tradition ancienne de la théorie des localisations, une série de modéles micro-économiques sont élaborés. Tant6t centrés exclusivement sur le consommateur final du sol urbain, tant6t intégrant la médiation de la firme transformatrice de l’usage du sol, tous s’efforcent de représenter l’établissement de Péquilibre sur le marché des sols a partir d’une formalisation du comporte-
ment rationnel des agents individuels. Cette théorie de Péquili
ois
prolongée «en dynamique » avec les.mo ydéles d’u .e. Le débouché empirique de-cette démarche est un effort codteux esurer dans des villes particuliéres les paramétres construits dans les modéles. Ce qui est souvent considéré comme 1’« irréalisme » de ces constructions conduit cependant 4 é la recherche, sans présupposés,.des « f . A Paide de méthodes plus ou moins sophistiquées analyse de la causalité a variables multiples, on énumére et quantifie tout ce qui peut expliquer le prix des parcelles. Cet empirisme de la mesure, qui prolonge dans le champ académique la démarche de l’expertise immobiliére, donne lieu d’importants travaux quantitatifs. C’est dans ce contexte qu’au début des années 1970 se produit une tentative concurrente de théorisation. Prolongeant dans le domaine désigné par la société comme le « probléme urbain» le renouveau que connait alors le isme, un ensemble important de travaux se développent a l’échelle internationale. Analysant la ville comme un lieu ov se lisent et s’articulent de fagon spécifique les processus globaux des formations sociales capitalistes, ce courant théorique entend rompre avec les objets préconstitués par les théories dominantes et le découpage académique entre disciplines — la culture pour la sociologie, les prix pour l’économie. D’od un déplacement de problématique dans le domaine des phénoménes
fonciers urbains Re
Le sol est un bien sans des ray iaux
ee
a
ean
merepcia iarcrn preter nemeerd
rerceet
Uipeciciel — en méme temps que les plus
valeur, mais il a un prix : l’essentiel est de rendre compte qui fondent ce paradoxe, et non de mesurer ou formaliser
complexes —, ceux du marché. De nouveaux objets de recherche sont donc construits : les formes de mise en Valeur du capital dans la production du cadre bati urbain (et donc de la production des rentes), les rapports de propriété qui
se nouent et se transforf@Remt BONG le urbanisation (et donc les change-
ments de la distribution et des Se eeerare Be les relations entre le secteur immobilier, les propriétés fonciéres et la lynamique globale de Paccumulation (et donc les Tapports macro-économiques de Ja rente et du capital). Au point de départ de ces recherches, la lecture de Marx : que peut-on faire pour l’analyse de l’urbanisation du XXe siécle d’une théorie de I’agri-
INTRODUCTION
a.
culture anglaise du XIXe siécle ? Un débat s’engage dans nombre de pays sur les concepts eux-mémes. Comme il est d’usage en pareil cas, le byzantisme n’en est pas absent. Mais dans l’ensemble, il ne s’agit pas principalement d’un effort scolastique pour « sauver » Marx en le « transposant » & tout prix, mais de la recherche d’instruments d’analyse. Il faut d’ailleurs constater que sur certains points essentiels — c’est-a-dire constitués comme tel par le cadre théorique lui-méme — le consensus fait toujours défaut, on le verra dans la suite. Parallélement, le débat analytique ayant ou non un effet de stimulation, se construit l’autre base du progrés théorique : des recherches empiriques sur la production de la ville, le logement, les politiqu HRA Te eee ce la propriété, accumulent ce qui pourrait peut-étre permettre une analyse réellement efficace de la place des contradictions fonciéres dans l’urbanisation capitaliste. Le texte que l’on va lire n’a pas cette ambition, car une formulation théorique d’ensemble sur les rentes fonciéres urbaines ne me semble aujourd’hui pas possible. La clarification conceptuelle engagée depuis plusieurs années a produit des résultats convergents sur certains points, encore trés controversés sur d’autres. Un essai de synthése des premiers, et des propositions de solution des seconds constituent la matiére principale du présent travail. arche analytique Mais surtout, un des principaux résultats de cette me semble étre d’établir on étude renvoie nécessairement & des domaines d’investigation beaucoup plus larges que l’ainsi-nommé « probléme foncier ». Ainsi, la question de la formation du surplus distribuable sous la forme de rente renvoie notamment a l’étude des taux de profit sectoriels et localisés des différentes activités économiques, mais aussi a celle des pratique . de l’espace et des structures de consommation des diverses catégories sociales. De méme, la question de l’appropriation des rentes et de leur rapport a Yaccumulation renvoie a l’étude concréte des formes de la propriété urbaine et de leur articulation aux classes sociales. Sur ces points essentiels, l’état des connaissances empiriques est encore trop lacunaire pour que l’analyse des catégories abstraites se développe en théorie compléte, c’est-a-dire explicative du réel. Cette appréciation explique la forme du présent travail. Il s*ouvre par une étude de ce qui constitue 4 mes yeux les acquis actuels d’une théorie générale de la rente fonciére qui prenne pour point de départ celui qu’indiquait Marx :
la production et le capital (chapitre I). J’y introduis les trois types de rentes
classiquement distinguées dans cette tradition théorique : la rente absolue, la rente différentielle, la rente de monopole. Les chapitres qui suivent reviennent sur chacune d’entre elles, avec une intention différente selon le cas. Sur la rente absolue, concept le plus controversé pour lequel je propose une généralisation, je développe seulement une lecture attentive de Marx. Elle permet, me semble-t-il, d’identifier avec plus de précision les rapports sociaux qui fondent
cette catégorie théorique dans sa formulation originelle (chapitre II). Sur la rente
différentielle, la tache théorique
me
paraissant plus
simple, c’est un
8
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
développement opératoire dans le contexte urbain qui est présenté (chapitre Ii). A propos de la rente de monopole, autre pomme de discorde, j’aborde analyse de la division sociale de l’espace a la fois par un examen critique des
théories dominantes et par un effort de reformulation 4 partir de résultats
empiriques récents (chapitre IV). Il est alors possible de renouer avec l’exposé systématique d’une théorie des rentes urbaines entrepris au premier chapitre, et de l’articuler 4 une analyse de la dynamique de la formation des prix sur le marché foncier (chapitre V).
Les références bibliographiques nom
de
l’auteur,
la date de premiére
données
dans
publication
les notes (en langue
comportent originale)
seulement
le
de l’ouvrage
et
éventuellement la pagination du passage évoqué (dans l’édition effectivement utilisée). Une exception concerne les ouvrages de Marx : nombre des textes cités ayant fait objet dune édition posthume, la date utilisée comme référence du texte est celle non de sa
publication mais de sa rédaction.
Les références complétes
des ouvrages mentionnés
sont
données en fin de volume. Par contre, sont données intégralement dans les notes les réfé-
rences ques).
des
documents
ayant
exclusivement
le caractére
de sources
(notamment
statisti-
Chapitre I
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
1 — PAR OU COMMENCER ? PLACE D’UNE THEORIE DES RENTES FONCIERES DANS L’ANALYSE DE L’URBANISATION CAPITALISTE Bien des éléments concourent A traiter de la rente fonciére urbaine comme @une chose — le prix du sol — et non comme d’un rapport social. Les représentations spontanées des agents, d’abord : il y a un marché foncier of tout se passe comme si les terrains avaient un prix, déterminé par leurs caractéristiques intrinséques et de situation. Cette évidence pratique des agents du marché se redouble de celle qui nait dans action de VEtat sur le marché : il y a un probléme foncier que des éléments spécialisés de Vappareil d’Etat rencontrent et sont censés traiter. Les représentations savantes du marché foncier confirment :le prix du sol s’analyse comme l’équilibre entre une offre et une demande sur un marché de concurrence fort imparfaite et, finalement comme la valeur du service — prix de Putilité — fourni par un facteur de production particulier. Le fétichisme du prix du sol est donc bien enraciné dans la réalité sociale. Ii faudra en démontrer les paradoxes et les impasses (§ 1) avant de proposer une définition de 1a rente fonciére qui pose sa relation intime avec le mode de production dans son ensemble (§ 2). Ce n’est qu’aprés avoir souligné la subordination de étude de la rente a celle de la production qu'il sera possible de poser convenablement les problémes issus de son autonomie (§ 3). Ces remarques préliminaires auront donc pour objet de mieux cerner
la place d'une théorie de Ja rente fonciére dans !’analyse de Purbanisation capitaliste.
10
LE PROFIT, LA RENTE
ET LA VILLE
1. La tautologie de la « loi de Voffre et de la demande » Il y a aujourd’hui, du c6té des agents publics et privés demandeurs de sol urbain, une représentation spontanée du marché foncier qui a la force de
Pévidence. Un bref examen de celle-ci conduit 4 douter de son efficacité expli-
cative car il nous place devant le paradoxe essentiel du prix du sol, prix d’un bien sans valeur (1). Le paradigme est le suivant (2). La hausse des prix du sol en termes réels, qui est & l’origine des grands problémes économiques et sociaux de l’urbanisa-
tion, résulte du jeu de la loi de Poffre et de la demande sur un marché qui
présente des caractéristiques de nature & la fausser. En effet, la demande de sol urbain connait un accroissement naturel permanent : la croissance urbaine concentre dans les villes population et activités, et induit en outre une consommation de sol per capita en augmentation. En revanche, offre de sol présente des rigidités structurelles : rareté physique du sol desservi par les équipements publics, rareté liée a la réglementation limitant le droit de construire, rareté artificiellement produite par la rétention spéculative des propriétaires. A ce déséquilibre permanent de Poffre
et de la demande s’ajoutent des facteurs aggravants lids au caractére impar-
faitement concurrentiel du marché : d’abord et surtout, le fait que les biens soient infongibles et non substituables — un terrain, en un lieu donné, est a la limite un bien unique —~ limite la concurrence des offreurs ; ensuite, la faible transparence des transactions renforce effet précédent. L’évidence apparente de ce schéma explicatif se heurte pourtant a des constatations empiriques répétées. J’en rappellerai quelques unes des plus
connues.
L’accroissement de Voffre ne fait pas nécessairement baisser les prix. Toute extension de la zone urbanisable, soit par le développement des réseaux de transport et de viabilisation, soit par ’élargissement des périmétres administrativement considérés comme constructibles, produit généralement l’effet inverse de celui qui devrait résulter d’un accroissement de l’offre (3). Non seulement les prix des terrains nouvellement urbanisables s’élévent au niveau
(1) {2)
les années
Le concept de valeur utilisé tout au long de ce texte est celui de la valeur-travail. Je reprends ici le discours dominant dans la technocratie d’Etat en France dans
1960,
& l’époque ow le « probléme foncier » est considéré comme
Pun des
principaux obstacles 4 une planification urbaine rationnelle. Ce discours trouve une expression particuliérement éalborée dans les rapports préparatoires aux [Ve et Ve Plans francais (Ve Plan : Rapport de la commission de l'habitation. Paris, Editions du Moniteur, 1961, pp. 71-72; Ve Plan: Sur UVorientation et le financement de la politique fonciére. Paris, Editions du Moniteur, 1961, pp. 71-72 ; Vile Plan : Sur Vorientation et le finance-
ment de la politique fonciére. Paris, Documentation Frangaise, 1966, pp. 27-30).
(3) Il est vrai qu’un terrain devenu constructible n’est pas pour autant mis nécessairement sur le marché -- et ceci parce que le sol n’est pas naturellement une marchandise. La probabilité que les mises en vente s’accroissent lorsque les périmétres constructi-
bles augmentent est néanmoins assez forte.
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
11
de ceux qui l’étaient déja auparavant, mais le prix moyen du terrain périphérique ne diminue nullement. Constatation générale, que l’on a pu faire dans les villes allemandes de la fin du XIXe siécle (1), comme dans les villes italiennes contemporaines (2) ou dans les villes frangaises lorsque furent supprimés les
périmétres d’urbanisation qui limitaient les droits de construire dans les périphéries éloignées (3). En outre l’abaissement des prix d’une partie des transactions fonciéres en-dessous des prix de marché par des mo} a ens adminis-
rix,
nis
ane!
‘
apus "observer en région parisienne 4 deux reprises. Dans lentre-deux guerres,
alors que la construction capitaliste connait un profond déclin, un boom consi-
dérable de la construction sans promoteur survient au cours des années 1920, et cependant les prix fonciers connaissent une baisse importante en valeur
réelle (5). Dans la période
(1)
Dans
son
manuel
1965-1975, marquée notamment par une phase
classique
d’urbanisme,
R.
Eberstadt
conclut
d’un
examen
du marché foncier dans les villes allemandes de la seconde moitié du XIXe siécle : « ...Lors d'une extension urbaine ou d’une annexion de communes, il s’est presque toujours produit qu’un accroissement considérable du terrain constructible a entrainé une augmentation
générale — et pas seulement partielle — des prix des terrains (...). L’augmentation de offre — plus exactement de l’approvisionnement — de terrain a provoqué générale du prix des terrains » (Eberstadt, 1909, p. 413).
une
augmentation
(2) « Du reste, l’expérience démontre clairement comment le marché foncier urbain n’a jamais été substantiellement influencé par les élargissements périodiques, naturels ou réglementaires, qu’il subit. En fait, lorsqu’on introduit sur le marché de nouvelles zones constructibles en grandes quantités, les prix moyens subissent seulement un fléchissement momentané et, tout de suite aprés, tout le marché se rééquilibre au niveau moyen antérieur ou carrément 4 un niveau supérieur. L’adoption de plans régulateurs qui autorisent les constructions sur des superficies trés supérieures aux besoins pour une longue période,
et qui constituent donc de trés vastes marchés potentiels, n’a jamais tempéré le prix des terrains » (Campos Venuti, 1967, pp. 37-38).
(3) Contrairement 4 la doctrine du promoteur de cette réforme, Albin Chalandon, ministre de ’Equipement de 1969 4 1973 : « Le périmétre d’agglomération, cette notion de base de notre urbanisme, est un instrument de hausse continue du prix des terrains et toute la politique que l’on a menée jusqu’ici, consistant a déclarer l’espace frangais inconstructible sauf dérogation, est une formidable machine pour faire monter les prix des terrains parce qu’elle a engendré partout la rareté ». Et de prédire imprudemment : « c’est & une baisse du prix des terrains que I’on va assister » (Conférence 4 la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, 7 mai 1969). (4) C’est le cas aussi bien dans les villes de Grande-Bretagne ou, de 1947 (Town and Country Planning Act) 4 1959, les expropriations sont faites au prix de la valeur d’usage
existante, que dans les villes frangaises ol, & partir de 1963 sont créés des périmétres (zones d’aménagement différé — ZAD) od le droit de préemption public peut étre mis
en cuvre au prix de la valeur d’usage avant la création de la zone.
(5)
Statistique générale. Documents sur le probléme du logement 4 Paris (Etudes
Fconomiques,
n° 1). Paris, Imprimerie Nationale, 1946, p. 118.
————r———r 12
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
d’expansion trés soutenue de la construction immobiliére (1968-1973), on observe une stabilité de la part du prix du sol dans le coat total des logements réalisés par la promotion privée (1). Un accroissement important de la demande de sol ne conduit 4 une hausse des prix fonciers réels qu’a certaines conditions. A inverse une diminution de la demande, qui accompagne une phase de régression de l’activité immobiliére, n’entraine pas nécessairement la baisse des prix fonciers (2). Ainsi, la flambée des prix des terrains 4 Paris 4 partir de 1887 et jusqu’en 1911, est contemporaine d’une longue période de fléchissement des
quantités de logement construites (de 1882 4 1910) (3).
Ces phénoménes sont trop massifs et éventuellement récurrents pour étre interprétés comme des aberrations : les explications en termes d’offre et de demande ne sont évidentes qu’en apparence. Il suffit pour s’en convaincre d’analyser de plus prés comment pourraient bien s’établir, sur le marché des sols, la loi d’offre et la loi de demande. Quant il s’agit de marchandises ordinaires, produites par le capital pour la vente et le profit, la loi de l’offre et de la demande est déja largement une tautologie (4). Elle nous apprend que des écarts sont possibles autour du point d’équilibre de marché d’un bien donné, mais ne nous dit rien sur le niveau de cet équilibre, c’est-a-dire sur le rapport d’échange stable de la marchandise considérée avec toutes les autres. C’est ailleurs que sur le marché qu’il faut
chercher la détermination du prix régulateur autour duquel fluctuent les prix
instantanés : dans les conditions de production. Celles-ci déterminent une loi doffre, un prix régulateur moyen qui fixe a son tour le niveau de la demande solvable a ce prix. Le prix d’offre régule le prix de marché. Quand il s’agit d’un terrain, il en va nécessairement autrement, car il n’y a pas de prix d’offre objectivement fondé, pas de loi d’offre autonome de la
demande. Et ceci pour une raison simple
:
Qu’il faille beaucou 5 accumulé a travers l’histoire, pour faire d’une parcelle de terre un sol urbain, qu’il faille éventuellement que le propriétaire investisse du capi sa parcelle constructible ne change rien au fait que
(1) Cf. les travaux de J.J. Granelle (notamment Granelle, 1976) et les enquétes périodiques sur le cofit de la construction neuve (synthétisées et analysées in : Ansidei,
Carassus, Strobel, 1978). (2) (3) (4)
Cet « effet de cliquet » est mis en lumiére par P. Lancereau (Lancereau, 1971). Cf. C. Topalov, travaux en cours. «Le rapport de Voffre et de la demande explique donc : d’une part, les seuls
écarts des prix de marché par rapport aux valeurs de marché ; d’autre part, la tendance a réduire ces écarts, c’est-A-dire 4 annuler l’action du rapport entre l’offre et la demande » (Marx, 1864-65, t. 6, p. 205). « Qu’il y ait une correspondance, une relation suivie entre les prix et le rapport de Voffre a la demande, cela est nature], puisque ce sont 1a deux
expressions d’un méme phénoméne ou d’un méme ensemble de phénoménes : mais qu’estce que cela nous apprend sur les causes réelles de ce phénoméne et de ses variations ? » (Halbwachs, 1909, pp. 301-302).
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
13
produit net pas en uiméme une marchande Contrairement aux produits du
capital, qui sortent de la production en tant que capital marchandise en quéte de réalisation, le bien foncier ne comporte aucune nécessité sociale 4 étre vendu. Donc, sur ce « marché » bien particulier, pas de marchandise produite, pas de prix régulateur, pas de loi d’ offre | autonome.
mémes déterminées ? N’est-on pas tou ay renvoyé aux préférences des ménages, utilisateurs finals du sol, disposés 4 payer plus ou moins selon les
localisations ? Considérer les choses ainsi serait oublier un poe
entre l’achat di
essenticl
ie
panelsle constructeur cisptelegpet |
=
a
i ne ———
ntre — le marché
2.
ita
foncier —
Qu’est-ce que la rente fonciére ? Subordination de la
rente au capital
De fagon générale, dans l’agriculture comme en ville, que l’on produise du blé, du pétrole ou des logements, que l’on fasse commerce de marchandises, de services ou d’argent, qui, dans le mode de production capitaliste, naissent éventuellement de ces activités, ont un fondement identi-
gue. les sont une fixation et une transformation des suprofits localisés
engendrés par lamise.en valeur d’un capital dans une activité et un point de lespace donnés, transformation qui se produit :
ee (1)
En outte, il y a des usages proprement capitalistes des immeubles par des entre-
prises (bureaux, commerces, entrep6ts, etc.). (2) Comme en témoigne la pratique du « calcul a rebours » par les promoteurs im-
mobiliers (cf. Topalov, 1974, pp. 202-209).
14
—
—
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
lorsque certaines conditions de cette mise en valeur sont extérieures au capital, c’est-a-dire inégalement pré-constituées selon les localisations ou non reproductibles par ce capital pris individuellement ; et que l’accés a ces conditions implique généralement de lever l’obstacle dune propriété fonciére autonome du capital, qui lui oppose une résistance effective.
Dés lors, ces.BONER su otsde le Ee stimuler.
penequsade A
eR aI Rese
St
En méme temps, ils se transforment,
de fagon diverse selon les rapports sociaux qui vont déterminer leur distribution entre les agents. Ils prennent la forme de prix ou de loyer du sol s’ils vont au propriétaire foncier qui céde le terrain, de loyer de l’immeuble s’ils vont a un rentier immobilier, de surprofit de promotion s’ils sont appropriés par un promoteur — voire d’intérét si sa banque est en mesure d’en prélever une part, etc. On voit que, sous ces diverses formes, les rentes fonciéres peuvent étre distribuées de fagon trés variable dans la société. Ce que ces formes particuliéres, directement observables, de la rente ont en commun c’est d’étre constituées d’un surprofit localisé, fixé 14 od il se forme au lieu d’entrer dans le mouvement de péréquation des profits. _ De cette définition générale de la rente fonciére capitaliste, et avant méme
See en développer Vanalyse, tirons deux conséquences de méthode
capital qui ‘rencontre une u partie des conditions de sa mise “gi ea
un sous la
forme dune propriété fonciére autonome. Elle ne peut donc étre réduite a telle ou telle forme dans laquelle elle peut étre |distribuée :qu’elle apparaisse comme un paiement récurrent (une « rente », ou un loyer) ou un paiement d’un seul coup (un prix) ne modifie nullement son contenu (1) ; qu’elle soit appropriée par un petit ou un grand propriétaire foncier distinct du capitaliste qui met le sol en valeur, ou conservée par celui-ci sous sa forme immédiate de surprofit ne change rien non plus a son origine. Par conséquent, la rente fonciére capita-
(1) Ce point a longtemps fait probléme, en France, aux chercheurs qui ont entrepris @utiliser les concepts de Marx dans l’analyse des rentes urbaines. Marx, en effet, étudie une forme de rente qui est d’abord un revenu sécurrent, et seulement un prix par capitali-
sation de celui-ci, tandis qt caamasnatliistenattt snes se présentent principalement sous 5 ae Faute d’avoir clairement percu la totale indifférence du contenu de ses formes, cela a conduit a tantét baptiser étrangement le prix
du terrain comme «
pp.
82-87 ; Lojkine,
concept
de rente
rente capitalisée » — la capitalisation de quoi?
— (cf. Alquier, 1971,
1971, pp. 89-92 ; Perceval, 1972, p. 111) ; tantdt a rebaptiser le
lui-méme
en «
tribut foncier » pour
« éviter ’ambiguité » du terme de
rente — mais en introduisant du méme coup une connotation discutable sur laquelle je reviendrai (cf. Lipietz, 1974, p. 105). On notera que la plus grande familiarité des auteurs marxistes anglo-saxons avec le vocabulaire économique néo-classique (ot le terme de rente fonciére ne préjuge nullement de la forme de celle-ci) leur a évité de poser ce faux probléme.
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
15
liste ne peut pas étre congue commeJe revenu spécifique d’une classe particuliére, ni méme d’une fraction distincte de la bourgeoisie (1). Sil en était ainsi
dans l’agriculture anglaise « classique » analysée par Marx (2), cela n’est pas le
cas général et sGrement pas celui des rentes urbaines dans les sociétés capitalistes développées aujourd’hui. Seconde conséquence : si la rente fonciére moderne est une forme trans-
formée d’un surprofit, le point de départ de son étude est donc l’analyse des
conditions de mise en valeur du capital. Ce qui revient a dire tout simplement que pour analyser le marché foncier, il faut commencer par examiner ce que arché, 14 encore, il y a |. Yon fait sur les terrains, et comment.
aux rentes . Contrairement a rente capitaliste n’est pas la
forme dominante et immédiate du surproduit social, mais une forme transformée de la plus-value produite dans 1’exploitation capitaliste. La rente féodale, en travail, en nature ou en argent, c’était le surtravail paysan. La rente capitaliste, c’est une partie du profit de l’entreprise, que celle-ci doit générale-
ment céder a un tiers, propriétaire foncier ou promoteur (4). La rente ne
détermine donc pas le profit, forme immédiate et dominante de la plus-value, mais est déterminée par lui : si le prélévement foncier sur le profit capitaliste mettait en cause le profit moyen lui-méme, il n’y aurait plus d’investissement et donc plus de rente fonciére. C’est l’effet de la structure méme des rapports de production : le capital est le maitre effectif du processus de production, et tend a éliminer la propriété fonciére autonome de toute fonction d’organisation de celui-ci. Pour ce faire, d’ailleurs, il devra s’emparer sous une forme ou sous une autre, et au moins au moment o0 il produit, de l’attribut essentiel de la propriété fonciére : le droit de disposer du sol (5).
aia-ssniquie.foncid capita. modéle.Ja ville, se, Par conséquent, gamoumsp capital l’image de son propre mouvement de mise en
liste : elle renvoie
au
(1) Cette proposition, sur laquelle il faudra revenir plus longuement, a été parfaitement établie théoriquement, et empiriquement sur le cas britannique par D. Massey et A. Catalano (Massey, Catalano,
1978, pp. 29-40).
(2) «Les salariés, les capitalistes et les propriétaires fonciers constituent les trois grandes classes de la société moderne fondée sur le mode de production capitaliste » (Marx, 1864-65, t. 8, p. 259). (3) Voila sans doute le point & partir duquel les travaux de problématique marxiste ont pu apporter un éclairage vraiment nouveau dans le domaine des études fonciéres ; et parmi eux, ceux d’A. Lipietz, le premier & avoir tenté une systématisation théorique a partir de la régle : « partir de la production » (Lipietz, 1974). (4) Bien entendu, pour chaque capitaliste pris individuellement, les choses se présentent @ l’envers : le terrain a un cofit, qu’il doit payer au préalable et vient amputer son
profit de la méme fagon que les autres éléments du prix de revient. « Voila quelle erreur on commet A considérer les choses du point de vue de la concurrence : toutes les notions se présentent la téte en bas et les pieds en l’air » (Marx, 1864-65, t. 8, p. 79). (5) Pour obtenir ce « pouvoir de propriété », au sens ot le définit C. Bettelheim
(Bettelheim, 1970, p. 72) le capitaliste devra acheter soit le terrain luiméme, soit un drojt dusage de celui-ci pour une période donnée (bail emphytéotique,\ building lease, etc.).
16
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
valeur et de son développement inégal, en imposant 4 chaque capital particulier
les lois du capital dans son ensemble. En méme temps, c’est sous la forme du marché foncier et immobilier que vont apparaitre aux usagers et aux collec-
tivités publiques les « lois d’airain » de la concurrence des capitaux pour l’accés au sol urbain. D’ot la tradition, qui remonte aux courants réformateur et socialiste de la fin du XIXe siécle, du discours dénonciateur du parasitisme de la « spéculation fonciére », position qui ignore totalement le rapport essentiel du capital et de la rente (1). C’est un point en débat, sur lequel il faudra revenir : 1a rente fonciére estelle, commis jele auppes ici,ee au capitalisme ? Mais, méme s’il en est
foncier ».
3. Autonomie de la rente. Le « probléme foncier » La subordination de la rente au profit ne signifie pas l’absence de contradiction entre ces deux rapports sociaux et les agents qui en sont les supports. Elle indique simplement que la mise en valeur de la propriété fonciére par la
rente PIpsuepOg fa. nse. Fae ur du capital par l’exploitation de la force de travail : la rente fonciére est un rapport de istribution de la plus-value sociale entre agents globalement placés du c6té du capital sous ce rapport (2).
Mais l’autonomie de la propriété fonciére et de la rente par rapport au capital et au profit induit une série d’effets qui peuvent fonder de réelles contradictions sociales. On distinguera : la contradiction immédiate, locale, entre profit et rente qui apparait entre les acheteurs et vendeurs de sol en lutte
pour la distribution du surprofit localisé ; la contradiction globale entre profit
et rente qui provient de ce que la rente modifie les rapports d’échange entre marchandises et implique des transferts de valeur étrangers au mouvement général de la péréquation ; et enfin la contradiction spécifique a certaines formes de propriété fonciére non capitalistes qui résistent 4 la logique de la maximisation du surprofit localisé et donc a la rentabilisation maximale du sol. La contradiction la plus immédiate, la plus visible oppose le vendeur de terrain au promoteur immobilier, et se dénoue dans le processus d’ajustement
(1) Une anthologie de ce discours montrerait son étonnante continuité de Henry George (Progress and Poverty parait en 1879 A San Francisco) aux technocrates éclairés de
la France
gaulienne
(notamment
lors
de
V’élaboration
du
Ve
Plan
1965-1966),
en
passant par Maurice Halbwachs et le socialisme municipal d’avant 1914. Cf. le travail de M. Edel sur la rente fonciére et les économistes « radicaux » (Edel, 1974). (2) Et seulement sous ce rapport si le propriétaire immobilier est par ailleurs un travailleur salarié. Il faut noter qu’a ce niveau d’abstraction, tout titulaire d’un compte
d’épargne qui recoit un taux d’intérét réel positif est aussi placé « du cdté du capital ». C’est dire les limites de l’analyse abstraite.
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES
DANS LE CAPITALISME
17
du prix réel du sol au surprofit localisé, processus qui constitue précisément le marché foncier. Tandis qué le vendeur s’efforcera d’obtenir le prix maximum — celui qui réduira le profit de promotion au profit moyen —, l’acheteur cherchera a conserver la plus grande part possible des surprofits fonciers. De ce que Vajustement n’est que rarement établi instantanément résulte un rapport contradictioire entre agents, ainsi que la dynamique spatiale des changements @usage du sol et le mouvement des prix fonciers. Les propriétaires de terrains, lorsqu’ils décident de vendre, auront pour logique d’ajuster leurs prix d’offre au niveau du surprofit localisé maximum susceptible d’étre obtenu dans la zone, voire au-dessus de ce niveau, anticipant sur une transformation 4 venir de Lutilisation du sol: c’est la « spéculation fonciére ». Les constructeurs capitalistes auront une loi de comportement qui constitue une riposte : acheter et batir 14 ot sera maximale la différence entre le surprofit localisé réalisable et le prix effectif du sol : c’est la « spéculation immobiliére ». Il y a donc conflit entre agents du marché, qui se dénoue et se reproduit dans la dynamique méme de la formation des prix, mais qui peut parfois prendre un tour aigu au niveau social. En particulier, lorsque la tension conjoncturelle est forte sur les marchés immobiliers, la logique spéculative sur les marchés fonciers peut constituer une menace pour le profit moyen des constructeurs et donc les prix fonciers
devenir globalement un facteur de hausse des prix, voire de crise du profit et
de récession. Dans ces périodes, les capitalistes de ’immobilier eux-mémes, et parfois aussi l’Etat, parleront de « probléme foncier ». La rente n’est donc pas un processus neutre d’allocation des sites 4 leurs usages optimaux : elle est un rapport soci ictoi t ceci non seulement dans la dynamiqu nt et des tensions qui l’accompagnent, mais plus fondamentalement dans le mode de régulation qu’elle constitue. Car des contradictions sociales globales naissent du fait que la rente modifie les rapports d’échange, la distribution de la plus-value sociale, et donc les rapports entre classes comme la dynamique méme de l’accumulation. La rente fonciére, en effet — ou du moins certaines de ses composantes —
og
ag des biens immobiliers : tantét de fagon directe, en s‘ajoutant
prix de production social des batiments (1), tant6t de fagon indirecte en ralentissant l’accumulation dans le secteur de la construction et donc les changements dans la division du travail et la productivité. De ces deux fagons, la rente fonciére vient grever les prix des logements nécessaires a |’entretien de la main d’ceuvre, mais aussi des baétiments d’exploitation des entreprises industrielles et commerciales. Il y a par conséquent transfert de plus-value sociale de secteurs productifs (de profit) vers la propriété fonciére. D’od il résulte en toute hypothése un ralentissement de l’accumulation dans les secteurs concernés et, selon l’usage ‘ait de ce flux de valeur, éventuellement un freinage global de l’accumulation. A la contradiction qui nait dans le processus d’ajustement des prix fonciers
(1)
Ils’agit ici de ce qui sera analysé plus loin comme la rente absolue.
18
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
aux surprofits localisés, la plus visible, est donc sous-jacente une autre, qui existe aussi bien lorsque l’ajustement est supposé réalisé. Mais le contenu social de ces contradictions entre catégories définies jusqu’ici abstraitement — le capital et la propriété fonciére — dépendra de la position des agents concernés dans la structure des classes et variera donc considérablement selon les situations historiques. Je voudrais 4 ce point simplement évoquer deux figures essentielles du « probléme foncier» urbain contemporain, du moins en France : la rétention des sols, la stérilisation des capitaux. Deux notions qui désignent, du point de vue du grand capital, des rapports sociaux bien réels : dune part, la résistance des petits propriétaires non capitalistes 4 la dépossession, d’autre part la ponction qu’effectuent par la rente sur la plus-value sociale lensemble des propriétaires non monopolistes. Les premiers sont « irrationnels » : voulant rester paysans, artisans, commergants plut6t que devenir salariés, voulant rester en centre-ville plutét que vivre dans la périphérie, ils bloquent la rentabilisation maximale de l’usage du sol. Les seconds nuisent au développement économique : la ponction qu’ils opérent au détriment de la promotion immobiliére liée au capital financier est détournée de l’accumulation monopoliste et va irriguer le commerce, la petite industrie, — voire va financer la « retraite » de catégories sociales en déclin. Ainsi le « probléme foncier » sera d’autant plus vivement ressenti et dénoncé qu’il ralentira les transformations capitalistes de l’usage du sol ou
qu’il induira un transfert de valeur 4 l’opposé du courant principal de l’accumu-
lation. Ces éventualités sont rendues possibles par l’autonomie du rapport social qu’est la rente par rapport a la mise en valeur du capital dont cependant elle dépend.
II SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
Pour
La rente fonciére n’est donc qu’une catégorie particuliére de surprofit. analyser sa spécificité, c’est-a-dire les rapports sociaux qui en fondent
Vexistence, il n’est pas inutile de rappeler briévement la fonction des surprofits en général dans le mode de production capitaliste (§ 1). Il sera possible ensuite de définir quel types particuliers de surprofit sont générateurs de rentes fonciéres (§ 2) et comment I’existence de la propriété fonciére rend nécessaire leur fixation (§ 3). Ce développement introduira ainsi la typologie des rentes fonciéres urbaines exposée dans la section suivante.
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
19
1. Formation, disparition, fixation des surprofits, moteur de l’accumulation (1) « Accumulez, accumulez, c’est la loi et les prophétes ! » (2). Si, a P’échelle
sociale, le capital pris dans son ensemble nourrit son accumulation de la plusvalue, dont la masse rapportée au capital en fonction détermine un taux dé profit moyen, chaque péle capitaliste pris individuellement n’a qu’un.objectif : maximiser sa propre. rentabilité’en ‘s’appropriant plus que le profit moyen, c’est-a-dire une « plus-value extra », un surprofit. Sans cesse, donc, se forment des surprofits. Mais, le mouvement méme de la concurrence et de laccumulation les fait disparaitre. Et renaitre a
nouveau. Ainsi seront bouleversés, de période en période, les conditions de
production — d’exploitation — et les rapports d’échange entre marchandises, seront modifiés tendantiellement le niveau méme du taux de profit général et
le taux global d’accumulation.
Cette dynamique, au stade classique du capitalisme, est bien connue. Dans ses tendances fondamentales, elle continue A réguler le mode de production a son stade monopoliste. Dans le capitalisme, la répartition du travail social entre les différentes
branches de la production est régie par la loi de Ja valeur, par le temps de
travail socialement nécessaire pour produire [és Valeurs d’usage que requiert | la reproduction de la société. L’échange des marchandises est réglé par leurs valeurs d’échange respectives, transformées par la péréquation des profits en prix de production. Les rapports d’échange sont donc soumis A une_ double détermination : par la valeur de chaque marchandise, et par le taux de profit général qui s’impose comme taux de profit moyen par la concurrence des
capitaux.
.
Cette régulation des rapports d’échange par la loi de.la valeur n’est que tendantielle. L’établissement du prix de marché au niveau du prix de production social est un processus qui implique la formation et la disparition incessantes dun décalage entre ’un et l'autre, source de surprofits et de sous-profits. Ce décalage peut survenir de plusieurs fagons : la divergence, dans une branche, du prix régulateur et du prix de production social ; la divergence, pour une entreprise particuliére, de son prix de production individuel et du prix de production social ; enfin la divergence, pour une marchandise donnée, du prix de marché et du prix régulateur (3).
(1) Le lecteur familiarisé avec la théorie marxiste du profit trouva quelque longueur 4 ce paragraphe qui constitue largement un rappel. L’exposé est néanmoins organisé
de fagon a introduire 4 la typologie des rentes fonciéres. (2) Marx, 1865-67, t. 3, p. 35. (3)
On appelle prix régulateur la grandeur
~ établie par les conditions de production
~ autour de laquelle oscillent les prix instantanés de marché. Dans une structure concurtentielle, c'est le prix de production
social (moyen)
de ta branche, soit ie capital consom-
mé plus le profit moyen sur le capital engagé, par unité de produit. Ce prix de production
20
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
1. Les surprofits de branche Les
entreprises
appartenant
aux
diverses
branches
de
la production
mabordent pas la concurrence dans les mémes conditions : les caractéristiques mémes du procés de travail et la structure en valeur du capital different d’une
branche 4 l’autre. Pour une quantité identique de capital engagé, Ja masse de plus-value produite différe, donc le taux de_profit.inteme.de branche est
inégal (1). Ceci peut résulter de deux ordres de facteurs. Le plus important
tient & ce que la composition organique du capital est plus ou moins élevée
selon les branches (2), plus est importante la part du capital dépensé en salaires
par rapport a celle du capital dépensé en biens d’équipement et consommations intermédiaires, plus le capital total sera productif de plus-value. Autre facteur : le taux de. profit interne sera d’autant plus élevé que la vitesse de rotation du capital sera forte, c’est-a-dire que la part du capital circulant sera importante par rapport & celle du capital fixe (3) dans l'ensemble du capital engagé. Sur ces deux critérés; que l’on pense aux différences énormes qui opposent la sidérurgie, la chimie, généralement l’industrie lourde, grevées de gigantesques immobilisations de capital constant, a des industries de main-d’ceuvre utilissant peu de machines comme le textile, I’électronique ou le batiment. Si les rapports d’échange s’établissaient a 1a valeur, les premiéres auraient un taux de profit beaucoup plus faible, les secondes beaucoup plus élevé que le taux de profit moyen. La concurrence des capitaux entre les branches conduira 4 la régulation des rapports d’échange non plus par les valeurs, mais par les prix de production. Dans les branches 4 forte. composition organique et longue période de rotation du capital on observe trés 16 une forte concentration du capital; la éonstitution dentreprises géantes et d’ententes entre celles-ci qui permettent d’élever les rentabilités au-dessus des taux de profit
social est la résultante de la concurrence
entre marchandises produites dans chaque entre-
prise particuliére a des prix de production individuels différents.
(1) On appelle taux de profit interne de branche la masse de la plus-value produite dans la branche par unité de temps rapportée au capital engagé dans la branche. Il peut 6tre différent du taux de profit général (ou moyen), qui s’établit aw niveau de |’économie
toute entiére.
(2) On appelle composition organique du capital le rapport en valeur du capital constant (employé a acheter les moyens et objets de travail, « capital mort » non productif de valeur) au capital variable (employé 4 acheter la force de travail, « capital vivant » productif de valeur et de plus-value). La composition organique exprime en valeur la composition technique du capital : travailleurs, machines, matiéres premiéres ou semi-finies,
énergie, etc.
(3) On appelle capital circulant la fraction du capital total qui retrouve la forme argent au terme de chaque période de production : il comprend le capital variable et une partie du capital constant (les consommations intermédiaires). Le capital fixe (constitué d’une autre partie du capital constant, les biens d’équipement) ne retrouve la forme argent qu’au terme d’un nombre variable de périodes de production. La vitesse de rotation du capital (inverse de la période de rotation) est la combinaison linéaire des vitesses de rota-
tion de chacun des éléments (circulants et fixes) du capital rapporté a Punité de temps.
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SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
FF ere 21
internes et méme — les conditions permettant l’un permettant aussi l’autre — au-dessus du taux de profit moyen. C’est la constitution de la base industrielle du capital monopoliste (1). Par contre, dans les branches a fort taux de profit interne, l’afflux des capitaux aboutit aun double résultat : l’accroissement de la production et de l’offre produit d’abord une situation de marché qui fai le prix régulateur de la valeur au prix de production ; mais en méme temps les nouveaux investissements sont réalisés dans des technologies plus productives qui impliquent une augmentation de la composition organique moyenne du capital de la branche et donc une diminution a terme du taux de profit interne lui-méme. Un premier type de surprofit est done le surprofit de branche. Ila pour ‘iene de ‘rotation dans la bran branche. et Jes. conditions moyennes, entre le ‘taux de profit interne et le taux de profit général, entre la valeur des produits et leur prix de production. Le mouvement de ces surprofits régle la concurrence des
capitaux et les flux d’investissements entre branches.
Mais pour que, tendantiellement, les surprofits de branche s’annulent, il y a une condition : la libre entrée des capitaux dans la branche qui en bénéficie. Des obstacles structurels peuvent s’y opposer. La constitution d’entreprises industrielles géantes est le plus caractéristique de ces obstacles dans le capitalisme de monopoles. La nécessité d’un volume initial de capital important, d’une maitrise technologique complexe, d’une prise en charge par le financement public des phases non rentables du cycle de production, bien d’autres éléments encore, peuvent fermer certaines branches 4 tout autre capital que celui des groupes monopolistes (2). Ainsi se fixent, voire se forment, des surprofits de branche. Mais obstacle 4 l’investissement d’une toute autre nature peut aussi intervenir : la propriété privée d’v ion non reproductible de la production — la terre agricole, le gisement, le sol ssupport de l’activité dans les localisations obligées de celles-ci. Ainsi les surprofits de branche peuvent aussi étre fixées, sous forme de rente fonciére. C’est ce que Marx, analysant l’agriculture, appellera la rente absolue.
oe~.....
2. Les surprofits de productivité différentielle A Vintérieur d’une_méme branche de production, toutes les entreprises n’abordent pas la concurrence dans les mémes conditions : les technologies employées différent et produisent la méme marchandise a un codt différent. Pour une quantité identique de capital engagé et consommé, la quantité de
(1) L’autre base de sa constitution étant la centralisation bancaire de l’argent et du capital, et la fusion du capital bancaire et du grand capital industriel. Sur lorigine de ces processus, les analyses d’Hilferding restent trés éclairantes (Hilferding, 1910).
(2)
Ces phénoménes sont remarquablement analysés par J.P. Delilez (Delilez, 1970).
:
Rei
22
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
marchandise produite est inégale, et par conséquent la valeur individuelle et le prix de production individuel du produit. Il y a, dans toute les branches concurrentielles, des « entreprises marginales » et des « entreprises de pointe »,
dont la production s’écoule cependant sur le méme marché.
C’est dans leur concurrence sur le marché que se formera un prix régulateur unique de ces marchandises produites dans des conditions différentes : leur
prix de production (social). Se vérifie alors aprés coup dans quelle mesure le
travail concret effectué dans chaque unité de production privée a une valeur d’échange sociale. De fagon générale, le prix régulateur sera déterminé par les conditions moyennes de production, par la productivité moyenne du capital engagé dans la branche. Dés lors les entreprises sous-productives verront leur taux de profit individuel s’établir en-dessous du taux moyen, ét les plus productives bénéficieront de surprofits. Bien entendu, les capitaux nouvellement investis tendront 4 le faire dans les conditions de productivité qui leur procureront ce surprofit, tandis que les entreprises marginales — ou du moins les
technologies obsolescentes — pourront éventuellement étre éliminées. Dans ce
processus changeront donc les conditions moyennes de productivité et le prix de production régulateur tendra a baisser. Ainsi la course au surprofit produitelle les « révolutions de la valeur » .Mais, 1a aussi, pour que les surprofits de productivité différentielle tendent a s’annuler, la conditon est claire : il faut que les nouveaux capitaux engagés puissent bénéficier des conditions les plus favorables de productivité. Ce n’est pas toujours le cas. Lorsqu’au sein d’une branche coexistent de grandes entreprises susceptibles de maintenir en permanence leur avance technologique, et des entreprises retardataires, le prix régulateur pourra rester stable et donc se fixer les surprofits des premiéres. La encore, cette circonstance sera fréquentée dans le capitalisme de monopoles. L’inégalité des productivités individuelles ne provient pas toujours cependant des caractéristiques internes des entreprises en concurrence, mais de la différenciation des conditions externes de leur activité : inégale fertilité de la terre, inégales conditions d’extraction, cotits inégaux de production, dexploitation, de transport selon des localisations. u’une barriére été fo: méne que Marx étudie dans l’agriculture ou l'industrie extractive et nomme, aprés Ricardo, la rente différentielle. ee
3. Les surprofits de monopole Sur le marché
d’un produit
donné, le prix régulateur ne s’impose que
tendantiellement : le_prix_de marché
qui résulte
de l’équilibre instantané
de Voffre et de la demande peut sans cesse diverger du prix production de social. S'illui est ssupérieur, les entreprises bénéficieront d'un surprofit conjoncturel qui les incitera 4 augmenter les quantités offertes. Si le décalage se produit dans l’autre sens, le taux de profit diminuera conjoncturellement et la
23
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
production tendra 4 diminuer. C’est ainsi que la nés de marché oscille autourdu prixrrégulateur, profits et surprofits.. La encore, pour _que sele pave de production obstacle_ne régulateur, il faut_qu’a
suite des équilibres instantapoint auquel s’annulentsoussoci 2 3
?impose comme
prix
n’est plus déterminé par les condiarx appelle un prix de monopole, qui q par celles de leur circulation, mais neor de ps un tions de la rele durablement un surprofit de fixe se lors, Dés fie. demande ee € es ae considérée. marchandise la de offreurs s dont bén monopole Il peut provenir résultat. tel un produire peuvent Bien des circonstances la totalité concentrent d’entreprises nombre petit qu’un ou du fait qu’une seule Sifient iS eee les que » entente, une forment de V’offre, que les offreurs en sont elles ov sous-marchés des ainsi créant la qualité de la marchandise,
AOE
donnie. - Tous ces processus, abondamment
économistes oe
analysés par les
eae au niveau des structures de marché @), ont ‘généra-
lu capital Celle-ci permet, dans le degré et | s formes de ‘la concentrati qui limitent la production d’entreprise politiques des certaines conditions, . reproductible elle-méme par d’une marchandise Mais il existe aussi des marchandises qui ne sont pas reproductibles, pour des raisons qui tiennent aux conditions mémes de leur production, quels que soient les efforts que puisse faire le capital pour supprimer ces limites. Il peut s’agir de biens qui ne sont plus produits, et dont le stock est devenu fixe (les antiquités de toutes sortes), ou de biens produits dans des formes non capitalistes, en quantité limitée ou - qualité unique (les ceuvres d’art, certains produits de l’artisanat). Mais il peut s’agir aussi de marchandises produites par le capital, lorsque les conditions méme de leur production en limitent la reproductibilité : le terroir des grands vins, les localisations rares et prestigieuses des immeubles. Dans ce cas, les quantités produites sont fimitées parce que les ‘conditions de la production ne sont pas reproductibles par le capital. Les prix de monopole qui en résultent entrainent la fixation de surprofits de monopole. Et si ces conditions non reproductibles de la production sont objet de propriété privée,
(1) « Quand nous parlons de prix de monopole, nous entendons par 1a un prix uniquement déterminé par le désir et le pouvoir d’achat des clients, indépendamment du prix déterminé par le prix général de production et la valeur des produits » (Marx, 186465, t. 8, p. 158).
(2) Cf. les théories du monopole, du duopole, de Poligopole, de la concurrence marché de monopoliste — autant de modéles qui se définissent par leur écart & celui du » chez monopole de prix « terme du l’acception que noter faut Il parfaite. concurrence les Marx, reprise ici, est trés générale : elle englobe toutes les situations que distinguent
analyses néo-classiques et ne se réduit donc pas au cas particulier de |’ offreur unique.
24
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
ces surprofits-devront étre fixés-sous forme de rentes fonciéres. C’est la rente
de monopole, que Marx évoque 4 propos des terrains a batir et dont il discute la possibilité dans l’agriculture.
2. Quels surprofits sont-ils transformables en rentes fonciéres ? L’existence de surprofits est donc un phénoméne trés général dans le capitalisme : surprofits au niveau de la branche, de l’unité de production, de la
position de marché. Stimulant et orientant accumulation dans une structure
ment. Dans le capitalismede monopoles, se produit une fixation de surprofits au_bénéfice des pdles industriels les plus puissants. Les rapports d’échange en sont modifiés et l’accumulation inégale devient structurelle au systéme. Jusque la, rien de plus « normal ».
Mais il existe aussi un processus de fixation des surprofits d’une autre
nature, résultant de rapports sociaux d’un autre ordre : ceux qui donnent naissance aux rentes fonciéres. Comme les surprofits monopolistes, et bien avant que ceux-ci n’apparaissent, ils perturbent la dynamique concurrentielle de l’accumulation. Mais contrairement 4 eux, ils ne procédent pas de la concentration du capital et donc ne vont pas nécessairement entrer dans la dynamique monopoliste de l’accumulation inégale. Quels types de particuliersde surprofits seront-ils transformables en rentes fonciéres ? La réponse générale a été donnée avec la définition de la rente : ceux qui sont engendrés dans un procés de mise en valeur du capital qui comporte des conditions externes et non reproductibles par celui-ci, conditions auxquelles le capital n’a pas librement accés car elles sont objet d’appropriation privée. Voyons plus précisément sur quels rapports sociaux se fonde cette prea non reproductibilité de certaines con
SS
an
1. La nature comme produit, la ville comme nature L’accumulation privée est un des traits constitutifs du capitalisme. Nous allons voir que c’est aussi l’un des fondements de la rente fonciére dans ce mode de production. C’est bien d’un rapport social qu’il s’agit, ancré dans la structure spécifique des rapports de production. Chaque capital particulier constitue l’unité autonome d’un procés de travail concret et d’un procés de production de valeur et de plus-value. Chacun de ces processus est privé, en ce sens que chaque capital est a la fois un pdle autonome d’« appropriation réelle de la
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
25
nature », et un péle autonome d’accumulation (1). Aussi socialisés que puissent étre le processus de production et méme les rapports juridiques de propriété, les rapports de production restent privés sous ce double aspect dans le capitalisme. Chaque capital privé, pour se mettre en valeur, doit contréler un ensemble complexe de valeurs d’usage : force de travail, objets de travai, moyens de travail (2). La plupart des objets ou moyens matériels de la production sont d’emblée
des marchandises (3). Ce sont des biens eux-mémes produits par une entreprise
en vue de la vente. Ils résultent d’un procés de travail concret maitrisé par un pole privé d’appropriation de la nature, plus généralement par une chaine de tels pdles, articulés par le marché. Et chacun de ces pdles produit pour le profit, produit donc des marchandises, indissolublement valeurs d’usage et valeurs d’échange. Par conséquent, la marchandise — bien d’équipement, matiére premiére, produit semi-fini, énergie, etc. — est susceptible d’étre indéfiniment reproduite. Sa production et sa circulation sont donc régies par la loi de la valeur, et sa consommation productive en transmet la valeur a celle du
produit final.
Mais la mise en valeur du capital implique aussi que celui-ci contréle_des valeurs d’usage qui ne sont pas des marchandises, Tantét elles paraissent exister « naturellement », indépendamment du travail humain, comme « propriétés »
Wobjets qui étaient « déja 1a » . Tantot elles sont évidemment le résultat social, non maitrisé, de multiples travaux privés, passés et présents. Toutes ces valeurs d’usage ont un trait commun : leur existence ne résulte pas d’un procés de travail particulier dominé par un pdle particulier d’accumulation, elles n’ont donc pas de valeur d’échange — méme si elles peuvent avoir un prix — et par
conséquent ne transmettent pas de valeur au produit — méme si elles peuvent
procurer
du profit au producteur. Ce sont des conditions de
_la_production,
Une premiére catégorie de ces valeurs d’usage apparait comme « propriété du capital ». Leur formation s’opére au moment méme de leur appro) ion ‘océs de production et semble donc résulter du capital, c’est-a-dire de la combinaison dé forces productives que celui-ci contréle. Ainsi, la coopération d’un grand nombre de travailleurs placés sous la domination d’un méme capital augmente la force productive sociale du travail. Il s’agit 1a d’une valeur
d’usage dont la formation a pour condition la concentration des moyens de
production entre les mains des capitalistes privés. ils se l’approprient_ donc gratuitement, comme ils disposent gratuitement des propriétés physiques ou (1)
Le terme capital privé ne renvoie donc pas ici 4 une forme juridique de propriété
déterminée, mais au caractére autonome de chaque capital (cf. Bettelheim, 1970).
(2) Sur ces concepts généraux de l’analyse du procés de travail concret, cf. Marx, 1865-67, t. 1, pp. 180-187. (3) Je laisserai de cété ici cette marchandise bien particuliére qu’est la force de travail.
26
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
chimiques des éléments matériels de la production (1). Ces effets utiles sont indéfiniment reproductibles par tout capital privé, sous réserves de seules conditions internes au capital — niveau d’accumulation, maitrise technologique, etc. C’est pourquoi ils apparaissent comme une propriété du capital luiméme (2). Les effets de ces « propriétés du capital » manifestent clairement leur nature de valeurs d’usage sans valeur d’échange : elles accroissent la productivité, diminuent la valeur des produits. Et si les surprofits qu’elles procurent éventuellement peuvent étre fixés — notamment au stade monopoliste du mode de production — le bénéficiaire en est toujours le péle privé d’accumulation qui en maitrise la formation. Il en va autrement d’une seconde catégorie de valeurs d’usage nécessaires 4 la production, qui apparaissent au contraire iété: Leur spécificité réside dans le fait que leur formation ne peut résulter de Vinitiative d’aucun capital particulier. Aucun agent privé n’étant en mesure de maitriser leur production, ces valeurs d’usage apparaissent comme des conditions de la mise en valeur extérieures au capital, non reproductibles par celui-ci, ou du moins inégalement pré-constituées et disponibles. Les « ressources naturelles » relevent typiquement de cette catégorie. C’est a leur propos qu’a d’abord été développée la théorie de la rente fonciére, chez
les classiques et chez Marx (3).
—
:
~ Contrairement a ce que l’on pourrait croire, ces ressources de la « nature » ne se distinguent pas des autres valeurs d’usage nécessaires 4 la production par le fait qu’elles existeraient indépendamment du travail humain : toutes, d’une
certaine fagon, en sont le produit. Ainsi, la terre agricole. La quantité globale
de terre disponible est virtuellement illimitée : ce qui détermine quelles portions du globe vont avoir ou non le caractére de ressource pour l’agriculture ce sont bien les défrichements, l’épuisement des sols, l’inclusion dans le commerce mondial de nouvelles zones géographiques. La fertilité méme des sols ne dépend pas de fagon directe de ses caractéristiques physiques, chimiques, structurelles ou des conditions climatiques : ces facteurs « naturels » n’interviennent que lorsque la technique de culture, elle-méme liée aux rapports de production,
les prend en compte (4). On peut ainsi observer que chaque changement
(1) « Ona wu que les forces productives résultant de la coopération et de la division du travail ne cofitent rien au capital. Ce sont les forces naturelles du travail social. Les forces physiques appropriées 4 la production telles que l’eau, la vapeur, etc., ne coitent rien non plus » (Marx, 1865-67, t. 2, p. 71). Cf. aussi Marx, 1865-67, t. 2, pp. 22-23. (2) « Parce que la force sociale du travail ne cofite rien au capital, et.que, d’un autre
cété, le salarié ne la développe que lorsque son travail appartient au capital, elle semble
étre une force dont le capital est doué par nature, une force productive qui lui est imma-
nente » (Marx, 1865-67, t. 2, p. 26). (3)
Smith,
1776,
pp.
223-386 ; Ricardo,
« Pour
la fertilité économique,
Marx, 1864-65, t. 8, pp. 7-192. (4)
faculté
pour
Vagriculture
de
rendre
1817,
le niveau
la fertilité
pp. 4562
; Von
de la productivité
naturelle
du
Thiinen,
1826 ;
travail
(ici, la
immédiatement
exploitable,
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
27
du mode de production dans l’agriculture a pour effet un reclassement des terres du point de wue de leur fertilité relative (1). Plus encore : les caractéris-
tiques physico-chimiques du sol ou I: systémes de cultre
eresse elle-méme sont le résultat des
ibang)
Les mémes remar-
ques pourraient étre faites 4 propos des gisements de charbon, de pétrole ou de minerai, des ressources d’énergie hydraulique ou géothermique, etc. Pourquoi ces valeurs d’usage prennent-elles cependant l’apparence de cadeaux | de Ja _« nature». ? PC est preckentent parce qui n’est de fagon générale
tiére ‘pour faire de cette nature une valeur d’usage. Pour le capital privé, elle est déja 1a, extérieure, non reproductible. La disposition de ces ressources est généralement une condition sans laquelle il ne peut y avoir de production. En outre, la diversification de leurs qualités donne au travail qui leur est appliqué une plus ou moins grande productivité matérielle. C’est pourquoi, chaque fois qu’ils sont l’objet d’une appropriation privée, ces dons de la nature ont un prix. Ce n’est pas encore le cas de la mer — gisem . Ce n’était pas le cas des terres des frontiéres agricoles dans les « nouveaux mondes » successifs de l’expansion planétaire du capitalisme — la violence physique transformant sans frais les territoires des indigénes en biens libres. C’est le cas, par contre, du sol partout ov régne la propriété privée. Non reproductibilité, appropriation privée : ces deux traits caractérisent aussi bien les valeurs a ‘usage fournies s par la ville aux capitaux particuliers qui
possibilité qui varie aux
divers
stades
de développement)
est un facteur aussi important
que la fertilité dite naturelle du sol, que sa composition chimique et autres qualités natutelles » (Marx, 1864-65, t. 8, p. 42). (1) Cf. par exemple, Marx: « Le développement des sciences naturelles et de Pagronomie entraine |’amélioration de la fertilité du sol (...). C’est ainsi que récemment, en
France, et dans les comtés de l’est de l’Angleterre, des terres légéres, considérées jusque 14 comme mauvaises, sont passées au premier rang ». (Marx, 1864-65, t. 8, pp. 152-153.) De méme, au cours du XVIIle siécle frangais, la lutte des seigneurs et de la bourgeoisie fonciére pour détruire les droits collectifs des communautés rurales sur le sol (communaux, vaine pature), conduit a la fois 4 de nouveaux rapports de production (agriculture capita-
liste ou paysanne parcellaire) et 4 une révolution technologique qui entraine un reclassement des sols par rapport 4 I’échelle précédente des fertilités (Bloch, 1931, t. 1, pp. 201237). (2) Comme le démontre remarquablement C. Reboul par une analyse des conditions sociales de formation de humus : « Objet de l’activité humaine, le sol en est en méme temps le produit » (Reboul, 1977, p. 85). (3) Je ne fais ici que développer une indication théorique d’A. Cottereau : « A un niveau trés formel, la « nature » peut se définir, pour tout mode de production, comme un moyen de (re)production non complétement reproduit par le travail. Dans la mesure ot seul un moyen de (re)production reproduit par le travail est complétement maitrisé (c’est-
a-dire que le travail en retire exactement les résultats recherchés), la « nature » ainsi définie consiste p. 2).
en moyens
de
(re)production
non totalement maitrisés
» (Cottereau,
1971,
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
28
s’y mettent en valeur. Des effets utiles dagglomération sont repérables aussi bien au niveau des unités urbaines au sens étroit, qu’a celui des systémes de villes ou des grandes régions économiques s’organisant autour des infrastruc-
tures lourdes. Par ce terme, on entendra toute valeur d’usage résultant de la conjonction d’un procés particulier de mise en valeur d’un capital, d’une part, et d’autre part d’une configuration spatiale déterminée d’objets immobiliers et de flux de forces de travail et de marchandises, flux articulés 4 ces objets,
et qui existent indépendamment de chaque capital particulier (1).
Toutes les activités capitalistes « urbaines » se développement sur la base d’objets immobiliers, de batiments, produits du travail passé attachés 4 une localisation déterminée. Chaque localisation donne accés, d’une fagon qui lui est spécifique, 4 un ensemble de valeurs d’usage complexes nées de la ville. Une partie des immeubles qui la constituent sont, considérés individuellement, des marchandises, produites et circulant comme telles. Une autre partie, les équipements publics d’infrastructure et de consommation sont aussi des produits du
travail, mais fournis plus Ou moins gratuitement comme capital dévalorisé. Si chacun de ces objets a fait l’objet d’un procés de travail spécifique et maitrisé, ce n’est pas le cas de leur configuration spatiale, encore moins des processus sociaux qui s’y articulent : production et circulation de marchandises, repro-
duction de forces de travail (2). Chacun des objets immobiliers est produit et circule séparément, chacun des procés de mise en valeur qui s’y appuient est contrélé par un pdle d’accumulation indépendant (3). Les valeurs d’usage
résultant virtuellement de leur configurati on spatiale he-sont pas des marchan-
effectivement, c’est-A-dire complétement, la formation de ces valeurs d’usage impliquerait la disparition de l’autonomie des pdles d’accumulation inhérente au capitalisme. Que l’on observe, dans ce mode de production, une socialisation partielle de la formation de certaines valeurs d’usage complexes ne change rien au fait : la limite de leur non-reproductibilité se déplace historiquement, mais pourtant elle demeure.
(1)
LA aussi, cf. la distinction introduite par A. Cottereau entre « objet » et « objet-
media ». Le premier est le « support matériel d’une valeur d’usage, formant une unité non divisible en d’autres supports de valeur d’usage » ; le second est une « valeur d’usage dont Punité est formée par l’articulation de supports matériels d’autres valeurs d’usage » (Cottereau, 1970, p. 382). On notera que les « effets utiles » définis de cette fagon trés générale peuvent étre aussi — pour certains types de procés de miseen valeur — des effets négatifs. (2) C’est pourquoi, méme si cette formule exprime une saine indignation devant la
ville capitaliste, il me parait tout a fait inexact d’affirmer que « la ville est une marchandise » (cf. par exemple
: Folin,
1972, pp. 71 sq).
(3) E. Préteceille a mis en duction des « grands ensembles » nisation périphérique ot pourtant partielle de la formation des effets
lumiére ce fait et ses conséquences en analysant la prodes années 1960 en région parisienne, opérations d’urbal’Etat remplit effectivement un réle de maitrise sociale d’agglomération (Préteceille, 1973).
29
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
De ce point de vue, l’impuissance du capital_privé est plus marquée encore
4 Ja ville que dans l’agriculture: il est plus 4 la portée d’un exploitant capitaliste de fabriquer de la terre cultivable, qu’a celle d’un constructeur de jogements de rendre une zone urbanisable.C’est que, pour le second plus encore
que pour le premier, les_caractéristiques de localisation sont-décisives pour rendre possible la production et éventuellement le surprofit. Si l’agriculteur
peut bonifier le sol, il ne peut faire naitre les conditions d’écoulement du pro-
duit sur le marché. Si le constructeur peut fabriquer les voies et réseaux internes a l’opération immobiliére, ne dépend pas de lui l’existence de la route ou de la gare qui la desservent, encore moins de la ville ot elles ménent. Cette analyse des conditions non reproductibles de la mise en valeur
permet de préciser Je statut du sol dans la formation de la rente. Quelle que soit la sae dont celui-ci entre dans le procés de¢ travail (1), ili lui est toujours
sociaux €
sige
ine chose: le sol et sa Taree C’est ce qu’ignore, par construc-|
fonciére néo-classique. Mais c’est aussi ce dont ne tirent pas
toutes les conséquences les analyses qui veulent établir l’extériorité radicale
au capitalisme de la propriété fonciére privée. A V’appui de cette thése on
trouve souvent le retour silencieux 4 une conception « fétichisée » du sol, c’est-a-dire la méconnaissance des propriétés concrétes par lesquelles il entre Le Ficuvement
méme
(1) Marx avance la Pagriculture), condition de condition sine qua non de d'usage (gisement pour les
du capitalisme
exclut qu'il y ait rareté absolue,
distinction entre élément de la production (la terre pour la production — soit force productive (la chute d’eau), soit la production (le terrain 4 batir) —, et réservoir de valeurs mines) (Marx, 1861-63, t. 2, p. 283). Cette classification me
semble avoir plus d’intérét par la généralisation 4 laquelle elle invite 4 partir des exemples
cités qu’en ce qu’elle les distingue. (2) Ainsi, A. Cottereau montre bien que « l’accumulation inhérente au mode de production capitaliste tend 4 transformer la ’nature’ en objets et moyens de travail constamment reproduits, c’est-a-dire en capital, de sorte que le développement des forces productives implique tendantiellement dans ce cas, une abolition de la ‘nature’ telle
qu’on I’a définie ». Mais il n’établit pas en quoi il ne s’agit précisément que d’une tendance, jamais d’un résultat réalisé. Il doit donc faire disparaitre les propriétés concrétes du sol (« la nature passe du statut d’objet ou d’instrument de travail a celui de sol support, de simple condition générale de Vactivité de production », souligné par auteur) pour en
conclure
capitaliste
que
«la
propriété
pur’ » (Cottereau,
lano développent le méme rapport
fonciére 1971,
privée
pp.
5-9).
n’appartient D’une
autre
pas au mode
de production
facon, D. Massey
et A. Cata-
raisonnement. Elles affirment clairement que la rente est un
social : « ce n’est pas
la terre qui
commande
une
rente,
c’est la propriété
fon-
ciére » ; cependant, l’externalité de la propriété fonciére au capitalisme n’est pas seulement fondée sur les rapports de production spécifiques de celui-ci, mais aussi sur un autre pré-
supposé : « on a montré que le caractére non reproductible du sol le rend externe au mode de production capitaliste » (souligné par moi, C.T.)_(Massey, Catalano, 1978, pp. 33 et
49). lly a la un glissement théorique qui me semble lourd de conséquences.
On
PO
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
30
physique, aussi bien de terre cultivable que de ressources minérales ou de sol urbanisable: ce mode de production ne peut se développer sur une ile, Paccumulation du capital est en méme temps une expansion spatiale indéfinie. La formation @’une rente fonciére n’implique nullement que la condition de la production qui l’engendre soit rare, indisponible physiquement. Il suffit que, @ un moment donné, le capital ne puisse pas de luiméme ni la repreduire, ni y avoir librement accés car une propriété fonciére autonome s’y oppose effectivement. 2. La tendance du capitalisme 4 élargir la reproductibilité des conditions spatiales de la mise en valeur, et ses limites structurelles
ily a donc, 4 un moment donné, une nette coupure entre les conditions de la mise en valeur formées dans un processus social non maitrisé, conditions qui sont done non reproductibles, et celles qui sont produites sous le contrdle effectif de péles privés d’accumulation. Cette frontiére, toujours existante, est cependant toujours déplacée. Qu’est-ce qui détermine ce processus, et quelles
en sont les formes ?
Pour éclairer cette double question, revenons sur le mode de formation des effets utiles d’agglomération, avant d’examiner leur place dans la dynamique de accumulation.
Ces valeurs d’usages complexes sont la résultante de Particulation spatiale de valeurs d’usage élémentaires, produites et circulant de fagon autonome. Les
supports matériels de ces derniéres sont des objets immobiliers, des produits du travail attachés au sol, et donc a une localisation donnée : des batiments industriels et commerciaux, des logements, des routes, des voies ferrées, des réseaux d’approvisionnement en énergie, en eau, etc. Les uns sont produits et circulent comme marchandises, parfois comme capital ; les autres comme équipements publics. Pour ces deux raisons, la valeur d’usage complexe qui en résulte n’est pas reproductible : un capital particulier a besoin de Vaction de l’Etat, aussi bien que celle des autres capitaux privés, et il ne maitrise ni Pune nil’autre ; et PEtat fournit des valeurs d’usage & une multitude de capitaux privés, qu’il ne
maitrise pas non plus. Certains des biens immobiliers ont pour caractéristique d’entrer nécessairement comme moyens de production dans l’ensemble des procés de mise en valeur des capitaux particuliers : tantét directement, tant6t par la médiation des biens ou services qu’ils permettent de produire. Ce sont les équipements dinfrastructure. Toutefois, ce n’est pas cette caractéristique technique qui les distingue radicalement des autres objets immobiliers, c’est le role que VEtat va jouer dans leur production et leur circulation. Et ceci pour des raisons qui tiennent aux conditions mémes de leur production (1) : la dépense publique
(1) Comme (Folin, 1978).
le montre
M.
Folin
en élaborant
Je concept
de « capital fixe social »
ee SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
31
assure la dévalorisation d’un capital fixe massif qui ne peut étre normalement ryentabilisé, et donc une circulation non marchande — ou 4 un prix inférieur au
prix de production — des infrastructures ou des biens et services produits dans
Yexploitation de celles-ci. Cette dévalorisation est totale, et Pinfrastructure entre dans les processus productifs qui l’utilisent comme simple valeur d’usage,
lorsque l’Etat est maitre d’ouvrage et finance intégralement et définitivement
|
la production ; c’est le cas, par exemple, de l’essentiel du réseau routier. Elle n’est que partielle si infrastructure est exploitée commercialement, par un service public ou une entreprise privée : ainsi la fourniture d’eau, de gaz, d’électricité, les chemins de fer, les autoroutes a péage. Mais méme dans ce cas la dévalorisation est nécessaire, qu’elle prenne la forme de la centralisation du petit capital (1), du financement des investissements sur fonds publics, de la subvention d’exploitation, de la nationalisation, etc. Méme lorsque la production et l’exploitation de ’équipement relévent de l’entreprise privée, le financement public partiel, Putilisation du droit d’expropriation pour lever Lobstacle foncier, la garantie par PEtat du monopole, sont autant d’éléments
qui permetient & VEtat d’assurer un minimum
de maitrise sociale dans la
définition méme de la valeur d’usage — généralement sous Je régime juridique de la concession. Mais une maitrise étatique, au moins partielle, de la production des infrastructures ne signifie pas pour autant maitrise sociale de la formation des effets utiles d’agglomération. En témoignent les zones d’aménagement foncier — terrains industriels ou opérations d’habitation — qu’équipent les collectivités publiques et qui restent vides, les réseaux de chemin de fer ou d’autoroutes destinés a irtiguer des régions déprimées et qui n’induisent aucune activité privée, la brusque sous-utilisation des équipements dans les régions industrielles traditionnelles frappées par la délocalisation des entreprises. De tels phénoménes accompagnent réguliérement les interventions étatiques dans le domaine de ’aménagement. En période de croissance économique, lorsque les avantages
localisés fournis au capital par les infrastructures publiques sont insuffisants ou
lorsque les choix publics ne correspondent pas aux impératifs de rentabilité des entreprises, le capital va ailleurs. En période de crise, les politiques privées de désinvestissement viennent bouleverser toutes les projections des planificateurs. Il y a donc, contradictoirement, un mouvement qui tend a ce que se mette en place une plus grande maitrise sociale de la formation des effets utiles d’agglomération, et des limites sans cesse renouvelées 4 ce mouvement. Maitriser mieux articulation spatiale des infrastructures publiques et des entreprises : cette nécessité ne tombe pas du ciel — ou dune « volonté
(1) Ce sont précisément jes compagnies ferroviaires et un peu plus tard les grandes compagnies de services urbains, qui, dans la seconde moitié du XIXe siécle émettent les premiéres, sur une vaste échelle, des obligations, Celles-ci, caractérisées par la stabilité de
leur rémunération et leur faible montant unitaire sont une forme privilégiée de centralisation du
petit capital,
tandis qu’alors
les actions
Paccés aux bénéfices de la spéculation boursiére.
sont
fortement
concentrées
et ouvrent
32
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
t la recherche planificatrice » imputable @ |’Etat. Elle a pour moteur immédia s du surlocalisée ns conditio des @une plus grande sécurité dans la formation extra par ue plus-val la a course la profit privé. Mais, de la méme fagon que
plus-value chaque capitaliste induit un mouvement derisemblé d’élévation dela surprofits des e recherch la relative-et de la composition Ofganiqué du ‘capital,
de localisation parla coordifiation “ponctuelle “de [Etat et du_ secteur privé
et diminution produit aussi des effets globaux : raccourcissement des durées spatiale division la de pement des cotits de transport, ce qui permet le dévelop nt ctiveme improdu engagé du travail, et diminue a l’échelle sociale le capital en prise une par d’euvre main dans la circulation ; formation’ dés bassins de dévalo; travail de force la de ien charge sociale d’une partie des cotits d’entret nécessaires & la tisation par la dépense publique d’une partie des capitaux
production. Quel effet va-t’il prévaloir ? Effet de constitution de surprofits de localisafonciers tion au bénéfice de capitaux particuliers et/ou des propriétaires lation, Paccumu de s générale ns conditio concernés — ou bien effets sur les ce point, transmis & ensemble des capitaux par des baisses de prix? Sur s de la concréte formes des a dépendr Cela . Yanalyse formelle ne peut répondre localisé. t surprofi de spatiales ns conditio des on maitrise sociale de la formati le niveau Interviendra l’ampleur de la socialisation : faible si n’est planifié que tation (implan ou bureaux, de ou s, logement de de Vopération simple — nouvilles « les — entiére ville une créer de s’agit sil industrielle ; plus vaste t, transpor de axe nouvel d’un long le — villes de systéme un yelles » (1) —, voire ou plus ou privé moins ou plus e caractér le aussi ndra intervie par exemple. Mais définiront moins public de la maitrise du processus ; tantét les agents publics r un programme et mettront en cuvre des investissements destinés 4 intéresse
es des agents privés ; tantot, a Vinverse, des agents privés monteront eux-mém
s. La une opération pour laquelle ils bénéficieront dinfrastructures publique claire. toujours pas n’est ce dominan de types deux ces ligne de partage entre capitaation planific la de ves alternati voies ces de autour es Les luttes politiqu ne sont pas liste sont suffisamment intenses pour que l’on puisse penser qu’elles . formelie t puremen ce séparées par une differen des Quoi quil en soit, Pextériorité de V’Etat et du capital, l’autonomie nt traverse qui ctions contradi les autres, aux rapport par capitaux privés les uns
socialiles appareils @’Etat eux-mémes limitent étroitement Vextension d’une
Peut-tre sation capitaliste de la formation des effets utiles d’agglomération. nature » « de méme statut le que e paradox de trop pourrait-on dire alors sans te. capitalis ion product de mode du te résultan une que prennent ceux-ci est
Si toutefois il s’agit d’une création urbaine véritablement (1) rural et non la simple extension d’une aggiomération préexistante.
autonome
en site
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
33
3. L’obstacie de la propriété fonciére et la transformation des surprofits localisés en rentes Il ne suffit pas que certaines conditions de la mise en valeur ne soient pas
reproductibles et engendrent des surprofits localisés pour qu’apparaissent des
‘yentes fonciéres. Il faut aussi qu’un
éapital, qu’une propriétéfo
|
|
obstacle
en interdise. le libre accés au
autonome de celui-ci lui oppose une résis-
-tanee effective. Le présupposé de la transformation des surprofits localisés en rentes fonciéres est donc double : d’une part des rapports de production dans la branche concernée tels que l’autonomie du capital et de la propriété fonciére soit dominante et reproduite en au moins un point du cycle de mise en valeur ; @autre part, une résistance effective de la propriété fonciére au capital, ce qui suppose un contenu socio-économique du rapport de propriété tel qu’iis constitue un obstacle réel. Avant de reprendre ces deux points, il est cependant nécessaire didentifier avec plus de précision les rapports sociaux complexes que désigne le terme de « propriété fonciére ».
1. La propriété fonciére, une pluralité de rapports sociaux La propriété, c’est tout simple : c’est «le droit de jouir et disposer des choses de la maniére la plus absolue, pourvu qu "on H’én fasse pas un usage probibé par la loi et les Tégleiiierits ¥(1). Méme si la pratique judiciaire réelle montre bien le caractére éminemment historique du contenu de ce droit de propriété, l’idéologie continue de le poser sur le mode unitaire, normatif, transhistorique. Et pourtant, le vocable de « propriété fonciére » désigne dans le langage du droit ce qui est de toute évidence une pluralité de rapports sociaux. Distinguons ces divers rapports de propriété, dont les lignes d’évolution sont largement autonomes.
Rapport idéologique, rapports juridico-politiques, rapports économiques Le droit de propriété, qui pose, hors du temps et de Vespace, le droit inaliénable des individus 4 posséder les choses, est un rapport idéologique. C’est ce rapport, énoncé par le Code civil, qu’évoquaient les esclavagistes de la guerre civile américaine comme aujourd’hui les industriels lorsque leurs usines sont occupées par des grévistes. Mais c’est aussi dans ce méme rapport que le pavillonnaire pense son logement et quiconque son vétement. Un rapport idéologique constant, quel que soit son objet réel et les pratiques en incessante
(1)
Code civil, article $44.
34
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
transformation, qui en définissent le contenu. En son nom est légitimé par la classe dominante le fondement méme du mode de production capitaliste, c’esta-dire la séparation des travailleurs et des moyens de production. Et toute action de Etat, y compris Pex propriatio devra” toujours Sire exprimée dans Yes termes du respect de ce droit de propriété. Les droits dé la propriété, contrairement aux principes éternels, sont ce que Vappareil juridique de l’Etat codifie avec précision et son appareil répressif protége effectivement. La propriété fonciére, 4 ce niveau, devient un ensemble de rapports judirico-politiques. Ceux-ci expriment dans la langue du droit, c’est-A-dire avec les contraintes internes du systéme des représentations juridiques, l’état historique des divers rapports réels de propriété que définissent le mouvement de la base économique et les luttes sociales. Ces rapports juridicopolitiques, extrémement diversifiés, s’observent, plus que dans le texte du droit & un moment donné, dans les pratiques effectives des appareils d’Etat qui enregistrent les droits et garantissent les contrats, réglementent les loyers ou les fermages, réalisent des expropriations et opérent des prélévements fiscaux. C’est qu’en effet, Papparente unité de la notion de propriété éclate lorsqu’on Vanalyse comme un ensemble de rapports économiques : de production, de distribution, de consommation.
La propriété fonciére comme rapport de production La propriété fonciére comme rapport de production est le pouvoir effectif de disposer div sof comme élément ou support d’un procés de production, c’esta-dire aujourd’hui généralement d’un processus de mise en valeur d’un capital. On peut désigner ce concept par le terme de pouvoir de propriété (1).
Ce pouvoir
de propriété
fonciére
peut donc étre défini positivement
comme le pouvoir d’affecter le sol 4 un usage productif déterminé, et négativement comme le pouvoir d’opposer une barriére & 1a mise en valeur du capital. Cette formulation décrit le caractére spécifique de la propriété fonciére dans le mode de production capitaliste. Le capital, en effet détient a la fois la capacité
de mettre en ceuvre les moyens de production et le pouvoir de les affecter &
une utilisation donnée, et donc de disposer des produits : il en est 4 la fois possesseur et propriétaire (2). La propriété fonciére, dans cette structure, est
(1)
Selon la terminologie élaborée par C. Bettelheim : « La propriété privée, au sens
d'un rapport de production (ou rapport économique) correspond au pouvoir dune catégotie @agents d’affecter certains moyens de production 4 une utilisation donnée et de disposer des produits obtenus grice a cette utilisation » (Bettelheim, 1970, p. 62. Souligné
par auteur). {2}
Sur les concepts généraux
type
de
d’analyse des modes de production, voir l’élaboration
classique dE. Balibar (Balibar, 1966, pp. 204-211), développée par C. Bettelheim : « Chaque
rapport
de production
se définit
par
des rapports possession-propriété,
le
contenu précis de ces termes se modifiant selon la combinaison dans laquelle chacun entre avec autre. D'une facon générale la possession est constituée par la capacité de mettre en
Breer
Be
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
35
a une place toute différente. En tant que simple monopole sur un des moyens
i
:
de production non reproductible, elie est séparée des auties moyens de production, ce qui implique une dowbleé limitation : incapacité d’organiser un procés de travail utilisant le sol, incapacité d’affecter ce sol A un usage productif, Par contre, puisque précisément elle sépare le capital @une de ses conditions de reproduction, elle peut s’opposer a cette reproduction. ao Cetie capacité conférée’aui seul capital d’affecter les sols 4 leurs différents usages et cette réduction de la propriété fonciére a n’étre qu’une barriére a Vinvestissement’ sont le #ésultat historique du développement du capitalisme (1). La théorie “dela rente™forciére est précisément construite sur Phypothése que cette place 1a, et pas une autre, est assignée a la propriété fonciére par le mode de production capitaliste (2}, et c’est pourquoi Marx prend Ricardo pour base et pour cible : l’Angleterre est alors le seul pays ov la propriété fonciére, modifiée par l’agriculture capitaliste, soit devenue adéquate & celle-ci (3). Depuis le XVe siécle en effet,les conditions traditionnelles de la production agricole y ont été progressivement détruites, notamment par la violence : c’est le « clearing of estates », le grand nettoyage. En ce sens, indique Marx en forme de paradoxe, il n’y a donc pas de propriété fonciére : «le capital, c’est-A-dire le fermier, agit a sa guise n’ayant en vue que le revenu » (4). L’adéquation de la propriété fonciére au mode de productin capitaliste peut done étre définie comme la soumission-compléte de la propriété fonciére a la régulation de la rente, c’est-a-dire 4 la loi du surprofit du capital. La logique de reproduction du capital s’identifie alors 4 la logique de la propriété fonciére : le capital détient en permanence le pouvoir de propriété et régit les transformations de Pusage du. sol ; la propriété fonciére est transformée en simple rapport de. distribution. @uvre les moyens de production. Selon la structure du procés de travail, cette capacité peut étre individuelle ou collective et la possession peut se dédoubler ou non en une
détention partielle. Quant a la propriété (en tant que rapport économique), elle est constituée par le pouvoir d’affecter les objets sur lesquels elle porte, et tout particuliérement les moyens de production, a des utilisations données et de disposer des produits obtenus A aide de ces moyens de production » (Bettelheim, 1970, p. 72, souligné par Pauteur). (1) « Le fait que 1) la rente est limitée 4 P’excédent sur Je profit moyen et que 2) le propristaire foncier se trouve déchu de son réle d’organisateur et de maitre du procés de production et de tout le procés de la vie sociale pour n’étre plus qu’un bailleur de terres, un usurier agraire et un simple percepteur de rente, est un résultat historique spécifique du mode capitaliste de production » (Marx, 1864-65, t. 8, p. 257).
(2) Marx précise : « La forme de la propriété fonciére qui nous intéresse est une forme historique spécifique de celle-ci: c’est elle qui a été transformée par l’action du capital et du mode capitaliste de production » (Marx, 1864-65, t. 8, p. 7). (3) Marx, 1861-63, t. 2, p. 274. (4) Marx, 1861-63, t. 2, p. 275 (j'ai repris ici la traduction Costes, Ed. Molitor, t. 4,
p. 59). La trés remarquable étude de G. tre comment, dés le début du XVille lutte de classe qui aboutit 4 une quasi-« concerne : renouvellement automatique
Postel-Vinay sur agriculture du Soissonnais monsiécle, les grands fermiers ménent une vigoureuse abolition » de la propriété fonciére pour ce qui les des baux et transmission aux héritiers, effacement
total du parcellaire lié 4 la propriété et méme remodelage de celle-ci, baisse A long terme
du montant de la rente qui pése sur les grands exploitants (Postel-Vinay, 1974).
| | |
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
36
Cette analyse permet donc de distinguer deux ordres de contradiction entre le capital et la propriété fonciére que nous retrouverons dans Pétude des
rentes urbaines : une contradiction externe au mode de production capitaliste
la entre un pouvoir de propriété fonciére inadéquat et le capital.en lutte pour de mode au maitrisé “dw procésde production ; une contradiction interne
production: capitaliste’éiitre d’une part, la propriété fonciére dépouillée de tout
pouvoir réel d’affectation du sol, mais teridant 4 s’approprier intégralement le .plus surprofit. localisé, et d’autre part, le capital luttant pour en retenir.la
grande part possible.
;
a
os
;
La propriété fonciére comme rapport de distribution
Ainsi, la logique de développement du capitalisme a pour effet de réduire la propriété fonciére 4 n’étre qu’un rapport de distribution, un simple droit de prélévement sur la plus-value sociale. e Dés lors, la propriété fonciére ne constituant plus une place spécifiqu partisociale classe dune dans les rapports de production, n’est plus la base une culiére. Une classe de propriétaires fonciers n’existe en effet que si
catégorie d’agenits, parce qu’elle détient le monopole de l'utilisation du sol, surremplit ‘une fonction d’organisation de la production et de prélévement du
travail des producteurs dirécts, sous la forme
“Capitaliste.
oe
de Ta « rente fonciére ) pré-
Lorsque ces seigneurs fonciers sont transformés en simples rentiers, leur ~ existence comme classe n’est plus que la survivance de rapports de production antérieurs. Une «rente» s’achéte et quiconque dispose d’un « capital» a placer est en mesure de considérer la rente du sol ou la participation & des bénéfices industriels comme des utilisations substituables de son argent. Les études empiriques de la struciure des patrimoines depuis le XIXe siécle font clairement apparaitre que le placement immobilier est répandu dans les couches de la bourgeoisie francaise et que les individus vivant exclusitoutes
du sol (les « propriétaires ») sont fréquemment des indusvement de la rente triels ou négociants en retraite (1). Le placement foncier n’a d’autre spécificité
que les lois qui déterminent le montant de la rente, hétérogénes a celles qui réglent le taux de profit. Mais, pour l’épargnant, rien ne distingue les placements que leur rentabilité, leur sécurité, leur liquidité : Jes lois de la distribution de Ja plus-value lui masquent enti¢rement la loi de sa formation, ét Ie loyer
du sol deviendéa Piniérétdu capital foncier » comme le loyer de Vargent est le fruit-du capital « qui travaille pour vous ¥-
mise Cette dissolution de l’ancietine ¢lasse des landlords sous l’effet de la n’est on producti dé mode nouveau au en adéquation de la propriété fonciére
(1)
Cf. les travaux
siécle, et notamment ceux Topalov, 1973, pp. 19-88.
menés
d’A.
sur tes patrimoines Daumard.
dans jes villes francaises du XIXe
Bibliographie
et
synthése
des
résultats
in:
SURPROFITS
ET RENTES
FONCIERES
DANS
LE CAPITALISME
37
gs achevée dans Ja situation anglaise « classique » & l’époque de la lutte de la bourgeoisie industrielle et ricardienne pour l’aboliton des « Corn Laws». Le rapport de distribution propriété fonciére se trouve alors coincider avec les
yestes d'un
rapport
de
production
révolu
(1): les propriétaires
fonciers
apparaissent comme une classe fondée sur une forme de revenu, accident de *histoire vite balayé par Pabsorption de cette couche sociale — Vancienne gtoeratie fonciére — dans la classe capitaliste. a rente fonciére comme rapport de distribution va alors pouvoir accompagner toutes les formes de propriété : que le sol soit utilisé productivement dans. des rapports non capitalistes — la petite production marchande — ov capitalistes, ou qu’il soit support d’un procés de consommation, il sera effectiveent ou virtuellement « productif» de rente fonciére. La rente cesse de Sidentifier & sa forme classique, le loyer du sol, et pourra apparaitre sous les multiples formes du prix du sol, du droit au bail, du loyer de Vimmeuble. Ea inéme temps, les percepteurs de rente cessent d’étre socialement définis comme
tels et. pourront évenituellement se rencontrer dans toutes les classes sociales.
Selon les cas, la rente apparaitra comme un revenu individuel consommable ou comme un profit revenant directement 4 une entreprise, voire comme une ressource de |’Etat. Il apparait donc que dans certaines conditions la rente peut:étre convertie en capital et réinsérée dans Paccumulation, alors que les propriétaires fonciers classiques sont critiqués par les uns — Ricardo ou Marx —
loués par les autres — Malthus — pour étre fondamentalement des consommas improductifs.
La propriété fonciére comme rapport de consommation Le contenu économique de la propriété fonciére peut aussi étre un simple rapport de consommation, lorsque le sol n’est pas le support-d’un processus de production de profit mais est seulement utilisé comme valeur d’usage. Il s’agit
18 principalement de la propriété doccupation du logement, voire aussi de
droits d’usage des locataires lorsqu’ils sont suffisamment protégés par la législation pour constituer un véritable’démembrément de la propriété immobiliére. Il peut s’agir aussi de la propriété fonciére des collectivités publiques dans la mesure ot le sol est le support d’équipements qui ne circulent pas comme marchandises. Dans tous ces cas, il n’y a pas formationde profit et donc pas de_
tente appropriable. C’est seulement av moment oi le bien éiitre dans la circula-
“tion qué 86H prX se formera sur le méme marché que celui des immeubles issus
(1) C’est ce qu’exprime P.P. Rey lorsqu’il montre que, dans Pagriculture anglaise analysée par Marx: «La rente fonciére *capitaliste’ est un rapport de distribution du mode de production capitaliste, et ce rapport de distribution est l’effet d’un rapport de Production d’un autre mode de production auquel le mode de production capitaliste se trouve articulé » — A savoir le mode de production féodal (Rey, 1973, p. 60. Souligné par Pauteur).
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
38
de la production, ou que celui des terrains a batir. La propriété fonciére d’un bien d’usage se convertit alors en rapport de distribution.
2. Autonomie de la propriété fonciére et fixation des rentes
dominent
que cane
des rapports
de production « lé
: ceux
od la
propriété fonciére a cessé d’étre a l’initiative de la construction qu’elle organi-
sait et financait, pour devenir un obstacle externe au libre investissement du capital des constructeurs. Dans ces rapports de production, qui ne deviennent dominants dans les grandes villes d'Europe qu’a la fin du XIXe siécle, la production immobiliére est désormais réglée par le mouvement du capital. Les rentes fonciéres deviennent alors capitalistes, déterminées par les surprofits localisés. Ces rapports de production n’impliquent nullement que se rencontrent sur le «marché» des sols urbains deux « classes » : les capitalistes et les propriétaires fonciers. Plus nettement encore que dans J’agriculture, cette circonstance ne peut se présenter qu’a l’aube du nouveau mode de production, et de fagon exceptionnelle. Tout d’abord parce que la ville moderne se développe généralement sur la base de modes de production pré-capitalistes et de stades divers de la division capitaliste du travail, éventuellement intégrés dans et reproduits par les formes les plus développées du mode de production : les constructeurs capitalistes_rencontreront donc en face d’eux la propriété fonciére du paysan, de I’artisan, du boutiquier, du petit industriel de la manufacture. De plus, les transformations internes des formes de la production immobiliére capitaliste créeront au XXe siécle un nouveau type de propriété fonciére en multipliant les propriétaires occupants de leur logement dans toutes les classes et couches sociales. Enfin, comme 4 la campagne, la transformation des sols et des batiments en « capital » — c’est-A-dire en propriété d’un droit de prélévement par la rente sur le produit social— fait de la propriété fonciére un
placement substituable 4 toute autre forme de capital ffictif. C’est pourquoi ailleurs
les pdles @accumulation
capitalistes eux -mémes, et notamment le
capital financier, peuvent éventuellement devenir propriétaires fonciers aux
points décisifs du cycle de mise en valeur. L’autonomie de la propriété fonciére et du capital signifie donc seulement que dans les procés de mise en valeur concernés, l’agent-support du capital rencontre, en un point déterminé du cycle de reproduction et de fagon récurrente, le monopole d’un autre agent sur le sol, c’est-a-dire un obstacle au libre accés aux conditions non reproductibles de la mise en valeur. Ainsi l’entreprise de batiment ou le promoteur immobilier doivent lever l’obstacle foncier avant chaque procés de production. Il suffit que cette autonomie constitue la forme dominante des rapports de production pour qu’apparaissent les rentes fonciéres
capitalistes.
Dés lors,la propriété fonciére tendra a s’approprier l'ensemble
des sur-
profits localisés créés dans les divers procés de mise en valeur du capital, et le
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
39
capital engagera la lutte pour limiter ce transfert. Quel vont étre les effets de ce processus sur les rapports d’échange des marchandises et la dynamique de Paccumulation ? Ils seront différents selon qu’il s’agira de rentes différentielles, de rentes de monopole ou de rentes absolues.
Il
peut étre aisément admis que la propriété fonciére n’intervient générale-
ment pas dans la formation de prix de monopole : elle rendra seulement nécessaire la transformation en rente des surprofits de monopole. Ceux-ci ont pour origine des phénoménes de non-reproductibilité de produits, de non-substituabilité de localisations qui ne résultent nullement de l’appropriation privée du sol. Quel qu’en soit le bénéficiaire, les prix de monopole qui en découleront constituent un prélévement sur la plus-value sociale qui durera tant qu’existeront les conditions de production et de marché qui les ont fait naitre.
Propriété fonciére et fixation des rentes absolues Au
contraire, c’est uniquement
surprofits de branche
du
se fixent sous la
fai
la propriété
le
rentrer dans le processus général de péréquation. Il en sera ainsi lorsque les
conditions Sine qua non de la mise en valeur du capital font l’objet d’une
appropriation privée, et que cette propriété fonciére autonome résiste effectivement a la libération du sol par le capital. Sans cet obstacle foncier les surprofits de branche nés de l’arriération des forces productives entreraient normalement dans la péréquation des profits : la rente absolue, dans l’agriculture et dans le batiment, éléve le prix régulateur du produit au-dessus du prix de production, absorbe au moins une partie du surprofit interne moteur de accumulation et entretient ainsi les conditions
de sa propre perpétuation (1). De méme, sans l’obstacle foncier, les surprofits
monopolistes qui apparaissent comme surprofits de branche des activités financiéres ne devraient pas étre partiellement transformés en rentes fonciéres et resteraient dans la sphére monopoliste de péréquation du profit. Dans ce cas, cependant, la rente absolue ne contribue 4 former les prix que dans la mesure ot des entreprises 4 taux de profit normal doivent se localiser dans les zones ot
la demande de sol du capital financier a déja créé la rente.
De fagon générale, les rentes absolues ont donc pour effet d’élever les prix,
de déprimer le taux de profit de branche effectif, de limiter l’accumulation. Elles ont néanmoins pour limite supérieure le surprofit de branche lui-méme :
(1)
Au
stade du capitalisme de monopoles, la rente absolue n’est pas la seule ponc-
tion de plus-value — et sans doute n’est pas la plus importante — sur les branches « archaiques » de la production : les prix monopolistes des biens de production dans l’agriculture et le batiment, les prélévements du capital financier par le crédit sont devenus une carac-
téristique structurelle de l’insertion de ces branches dans I’économie nationale. Les consé-
quences inflationnistes sont au moins aussi importantes que celles de la rente absolue, que
certains auteurs considérent (Lafond, Leborgne, 1977).
comme
la Véritable
« trappe
4 monnaie»
du
batiment
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
40
la propriété fonciére n’est pas en mesure de faire obstacle a 1a régulation de la production par le capital, et donc de créer la rareté de l’offre nécessaire a la formation d’un prix de monopole. Par contre, elle peut faire obstacle 4 la régulation des prix par le prix de production : en ce sens elle « crée » la rente absolue, car sa résistance effective détermine la limite inférieure de celle-ci.
Propriété fonciére et fixation des rentes différentielles
localisés. sal un usage ab
es ne modifient pas le prix
Ss
du produit mais au contraire en résultent () et existent donc indépendam-
‘ment du régime de propriété du sol (2). Ces propositions ont été trés opportu-
nément mises en discussion par D. Massey et M. Ball : leurs théses permettent d’établir que les rentes différentielles ne sont pas sans effet sur accumulation. La rente différentielle, en effet, ne peut étre considérée comme un effet du prix que de fagon statique. Dés lors qu’elle impose le prélévement du surprofit par la propriété fonciére, elle brise le moteur méme de l’accumulation et bloque donc la possibilité d’un abaissement dé la valeur du produit. En outre, la fixation des surprofits en rentes perpétue l’inégalité des productivités individuelles et donc perturbe le mouvement dé leur annulation. Ainsi c’est la rente qui fait que le prix est réglé non par les conditions moyennes | de production, mais par les conditions marginales. La rente différentielle, comme la rente absolue, a donc un effet sur le prix et l’accumulation, ce qui montrerait que la propriété privée du sol n’est pas nécessaire au mode de production capitaliste (3).
(1)
«Ce
qui
fait
donc
hausser
la valeur
comparative
des produits naturels
c’est
Vexcédent de travail consacré aux dérniéres cultures, et non la rente qu’on paie au prose régle d’aprés la quantité de travail employée 4 le produire sur priétaire. La valeur du blé les derniéres qualités de terrains ou d’aprés cette portion de capital qui ne paie pas de rente. Le blé ne renchérit pas parce qu’on paie une rente ; mais c’est au contraire parce que le blé est cher que l’on paie une rente ; et l'on a remarqué, avec raison, que le blé ne baisserait pas, lors méme que les propriétaires feraient abandon de leurs rentes » (Ricardo,
1817, p. 51). « La rente différentielle n’entre pas de fagon déterminante dans le prix géné-
ral de production
de la marchandise,
mais le présuppose » (Marx, 1864-65, t. 8, p. 37).
(2) «La rente différentielle se forme inéluctablement en régime d’agriculture capitaliste, méme si la propriété privée du sol est totalement abolie. Avec l’existence de la
propriété fonciére, c’est le possesseur de la terre qui recevra cette rente puisque la concurrence des capitaux obligera le fermier (le tenancier) 4 se contenter du profit moyen du
capital. Si la propriété privée du sol se trouve abolie, c’est Etat qui recevra cette rente. II est impossible de supprimer cette rente, tant qu’existe le mode de production capitaliste » (Lénine, 1908, p. 313). (3) Je résume ici ce qui me semble l’essentiel des arguments développés indépendamment par les auteurs concernés (Ball, 1977 ; Massey, Catalano, 1978, pp. 41-53).
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
41
L’argument me parait solide sur un point important : si la propriété fon-
ciére est en mesure de s’approprier toute la rente différentielle qui lui revient «de droit », il est vrai qu’elle limite l’investissement et, en toute hypothése, elle « détourne » une part de la plus-value sociale de l’accumulation. Mais deux autres propositions restent en discussion.
Tout d’abord, |’évolution historique montre que, dans l’agriculture capitaliste « classique » elle-méme, la propriété fonciére n’est pas restée longtemps en mesure de s’approprier la totalité des surprofits différentiels, en d’autres termes
Wagir comme une barriére effective 4 l’investissement. D’abord l’allongement des baux tout au long du XIXe siécle, voire leur reconduction automatique, a
rendu aux fermiers capitalistes tout le bénéfice de leurs mises additionnelles de capital, comme en témoigne le mouvement divergent des rentes et des “profits (1). Ensuite, la fixation des prix par le terrain marginal n’est effective que si les « mauvais terrains » représentent une part importante de la production. C’est seulement le cas lorsque domine encorelagriculture paysanne et/ou que le capitalisme agraire n’a pas réalisé son expansion mondiale. Mais, comme le note a ce propos Engels, « tout a une fin » (2), et lorsque le blé polonais et américain envahit le marché anglais, c’est désormais les conditions les plus favorables de productivité qui réglent le prix. L’observation historiqué a ici une signification théorique précise : la propriété fonciére, parce qu’elle a perdu tout pouvoir d’organiser la production, ne peut durablement faire obstacle au mouvement de l’accumulation et 4 la révolution des valeurs.
Reste
qu’a
tout moment
existe
une
différenciation
des productivités
o-
localisées du capital. Faut-il en attribuer l’origine au rapport de rente, a la propriété fonciére elle-méme (3) ? J’ai essayé de montrer plus haut, 4 propos des rentes urbaines, que ce qui fonde l’existence des surprofits de localisation c’est précisément la non reproductibilité par chaque capital pris isolément de ses conditions de reproduction. Et ceci ne résulte ni des propriétés naturelles — de Ia « terre », ni-de-son appropriation privée : c’est l’effet de la propriété privée des moyens de production eux-mémes, de V’incapacité structurelle du capitalisme 4 maitriser socialement la production de ensemble des ‘conditions |
(1) Marx note a propos de la rente différentielle produite par des investissements additionnels (« rente différentielle II ») : « La seconde méthode présente des difficultés quant 4 la conversion du surprofit en rente » (Marx, 1864-65, t. 8, p. 64). Quant a l’allongement des baux, il s’observe tout au long de l’histoire de ce type d’agriculture : ainsi dans le Soissonnais, le bail de 9 ans est de régle au XVIIIe siécle, le bail de 18 ans fréquent vers
1850-1860 (Postel-Vinay, 1974, pp. 139-143). Il en résulte P’incapacité de la rente a suivre
le mouvement
des profits des grands fermiers. D’ou l’inconsistance historique de ’hypo-
thése analytique qui fonde le raisonnement de M. Ball (la rente peut étre ajustée a tout
moment au niveau des profits. Ball, 1977, p. 381). (2) Engels, complétant les notes de Marx sur la rente différentielle, in : Marx, 1864-
65,t. 8, p. 113.
(3) «(Le rapport de rente) empéche l’égalisation des prix individuels de production dans Vagriculture. Le rapport de rente crée les conditions mémes qui permettent Pappropriation de la rente : les surprofits sur les terrains non marginaux » (Ball, 1977, p. 392).
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LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
de la reproduction. S’il en est bien ainsi, c’est l’existence méme de pdles privés d’accumulation qui interdit la formation d’une valeur sociale moyenne du _
produit — la socialisation des surprofits différentiels —, aussi bien que la maitrise de la formation de cette valeur — la réduction des surprofits différentiels.
3. La résistance effective des propriétés fonciéres
lors, comment rn propriété fonciére qui n’a pas de content écon iq le si ce n’est la rente peut-elle déterminer la rente ? Pourquoi la fraction des surprofits de branche fixés sous la forme de rente absolues n’est-elle pas tendantiellement nulle (1) ?
La propriété fonciére autonome offre une résistance effective, au capital
parce que le rapport juridique qui la définit formellement recouvre des rapports sociaux et économiques concrets qui constituent le contenu réel de la propriété fonciére. A ce point, il faut donc cesser de parler de « la » propriété fonciére, mais identifier ses divers contenus, variables historiquement (2). La connaissance empirique des propriétés fonciéres urbaines est aujourd hui trop lacunaire pour aller jusqu’au bout de l’élaboration théorique. On peut néanmoins avancer des hypothéses sur une typologie des obstacles fonciers, c’est-a-dire des
facteurs de rente absolue.
La concurrence des usages capitalistes du sol et la résistance de la propriété fonciére capitaliste La propriété fonciére est capitaliste lorsque le sol est le support d’un procés de mise en valeur dans des rapports de production capitalistes, que le propriétaire foncier soit ou non un agent distinct de l’exploitant. Le contenu économique de la propriété fonciére est alors le niveau effectif de la rente totale compte tenu du type d’usage capitaliste du sol : agriculture, industrie, commerce, activités financiéres, location de logements, etc. Dés lors, le niveau actuel de la rente va constituer le seul obstacle au changement d’usage du sol: la limite inférieure de la rente pour un nouvel usage capitaliste est constituée de la rente totale pour l’usage capitaliste actuel. Il en résulte une hiérarchisation des usages du sol _en fonction du niveau du surprofit de branche qu’ils comportent, et par conséquent de la rente absolue
(1)
C’est la question fondamentale posée 4 la théorie de la rente absolue chez Marx,
(2)
Démarche
en particulier par A. Emmanuel pp. 37-68).
(Emmanuel,
1969, pp. 233-240)
et P.P. Rey (Rey, 1973,
entreprise en particulier par M. Edel dans une des recherches 4 mes
yeux les plus rigoureuses sur le concept de rente absolue (Edel, 1976, pp. 16-17).
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
43
qu’ils peuvent supporter : d’ot le processus de ségrégation spatiale des usages du sol par élimination des usages « inférieurs » “par les usages « supérieurs »Pour chacun de ces usages capitalistes, la propriété fonciére-«crée-» la rente absolue en lui imposant l’obstacle du niveau de rente totale de l’usage effectif
du sol dans la zone ot il prétend s’implanter (1).
surprofits de branche respectifs et leur dépendance par
ns non reproductibles demise la
en valeur — qui donne
sistance de la propriété fonciérecapitaliste. Ce fait mani-
feste Vintéri lorité de cette propriété fonciére au mode de production capitaliste
luiméme. =
=
La propriété fonciére capitaliste produit néanmoins un effet autonome
par le mécanisme de la « spéculation ». Sa résistance au changement d’usage a_pour base le niveau actuel de Ia rente_déterminée par lusage capitaliste
effectif du sol, mais peut aller au-dela, en anticipant sur l’usage futur du sol dans la zone. Elle peut par conséquent imposer une limite inférieure a la rente absolue sur le nouvel usage, plus proche du surprofit de branche de celui-ci que de la rente totale sur l’usage actuel. A ce niveau d’analyse interviennent
les rapports quantitatifs entre l’offre et la demande effectives de sol. L’obstacle des propriétés fonciéres non capitalistes
La propriété fonciére possédée et exploitée sur le mode capitaliste est par nature propriété d’une marchandise : le sol sera vendu en fonction du changement du niveau de surprofit localisé, et le marché foncier reflétera — avec des décalages liées 4 son autonomie relative — le mouvement méme de la concurrence des capitaux. Mais le capital rencontre aussi en ville des propriétés fonciéres inadéquates, qui lui opposeront une résistance de nature antiérement différente. Pour les propriétés fonciéres non capitalistes, en effet, le sol n’est pas d’emblée une marchandise et 1’« offre » répondra mal, ou ne répondra pas, aux changements du niveau des surprofits localisés potentiels. Ces formes de propriété, dont la logique de gestion est encore peu étudiée, sont trés diverses : différentes selon les pays, elles évoluent au cours du processus d’urbanisation. Le grand domaine agricole péri-urbain, exploité dans des rapports de production féodaux ou latifundiaires a pu constituer dans certains cas un
obstacle majeur a l’expansion urbaine. Les propriétaires féodaux résistent a la transformation
capitaliste
de
l’usage
du
sol —
qu'il s’agisse
du passage
a
Vagriculture capitaliste ou a l’urbanisation — parce que la propriété fonciére est pour eux le fondement de leur situation de classe. En outre, le domaine
seigneurial fournit un niveau de rente (féodale) élevé, qui pourra d’ailleurs étre
(1)
Cf. Broadbent, 1975.
44
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
la base de fixation du montant de la rente absolue capitaliste lorsque la dominance du nouveau mode de production se sera imposée. Les voies de cette mutation sont multiples. L’une d’entre elles est le démémbrement pur et simple de la propriété seigneuriale : avec notamment l’abolition de la mainmorte et la vente des biens fonciers ecclésiastiques, réalisées tout au long du XIXe siécle & des dates variables selon les pays, un obstacle majeur 4 |’urbanisation est levé. D’autres voies associent au contraire le propriétaire foncier, converti en simple rentier du sol désormais urbanisable, aux bénéfices du changement d’usage : c’est la construction des grands domaines aristocratiques de Londres jusque vers 1890 (1), comme les grandes opérations concertées de la périphérie de Madrid des années 1970 (2). De fagon comparable, la grande propriété de la périphérie de Rome, depuis 1950, cesse de faire exploiter ses terres agricoles dans l’attente purement spéculative de l’urbanisation (3). Une variante de cette grande propriété pré-capitaliste est constituée des
domaines
fonciers
des compagnie’
marchandes
: ainsi dans les villes de la
Nouvelle Angleterre du XVIIle siécle (4), les grandes compagnies de commerce international regoivent de l’Etat, en méme temps que leur monopole, d’importantes quantités de terres en concession. Ce contrdle sur la terre urbanisable permettra au capital marchand de résister puissamment 4 l’expansion urbaine
du capital industriel, et sera dans ce cas une base 4 la fixation de la rente absolue urbaine (5). Un phénoméne semblable s’est produit dans les villes suédoises du XIXe siécle jusqu’aux années 1930: les terrains communaux,
gérés par des municipalités contrélées par la bourgeoisie marchande et artisanale, sont maintenus dans leur usage agricole bloquant ainsi le développement de Vvhabitat des d salariés que requiert la bourgeoisie industrielle (6).
(1)
On trouvera l’analyse de telles opérations, par exemple, dans la seconde moitié
du XVIle siécle in : Summerson, 1945, pp. 38-51 ; au XIXe siécle in : Dyos, 1961, 113:
pp. 85-
(2) Cf. Leira, Gago, Solana, 1976 ; Lopez de Lucio, 1976. Voir aussi : « Los poderosos se reparten Madrid ». Dobion, n° 91, 10-16 juillet 1976, pp. 16-27.
(3)
Au point que, plus l’on s’approche de la périphérie urbaine, plus la porportion
de terrains inexploités augmente et plus diminuent les prix agricoles des sols (cf. Sermonti,
1968).
(4) (5)
Fait relevé par M. Edel (Edel, 1976, p. 16). Il faut noter que de tels monopoles fonciers peuvent aussi se constituer au béné-
fice des groupes capitalistes les plus puissants, qui seront alors en mesure de profiter a grande
échelle
des
gains
régions
entiéres au marché
spéculatifs
importants
: la propriété
capitaliste
elle-méme
crée
alors la rente. C’est notamment le cas lorsque les compagnies de chemin de fer ouvrent des national et mondial, créent les possibilités d’une urbanisation
en contrélant la propriété du sol autour des gares. Lénine observait ce phénoméne en Allemagne au début du siécle (« Le monopole des banques fusionne ici avec celui de la rente fonciére et celui des voies de communication... », Lénine, 1917, p. 255) ; peu de temps auparavant, le méme processus avait « fermé la frontiére » aux Etats-Unis.
(6)
Phénoméne
(Université de Lund).
relevé, par exemple 4 Malm6, par les travaux de Ulf Erlandsson
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
45
d’une plus grande importance aujourd’hui (1), du moins dans les pays o¥ ces couches sociales ont encore de Pimportance. Pour le paysan, l’artisan, le petit commergant, le bien foncier est yn moyen de travail posséder ‘la terre, Patelier
ou la boutique peut étre la condition de sa reproduction sociale en tant que
travailleur indépendant, le support matériel nécessaire 4 la résistance & sa transformation én salarié. Bien souvent |’Pexploitation ne peut étre maintenue - la
force-de_trayail, _entretenue et les moyens de travail reconstitués -.. qué “parce
que Pusage du sol et des batinnsiits est gratuit’ En outre, Jes avantages de localigation dont ils disposent éventuellement peuvent étre une condition de leur activité : la proximité du marché pour l’agriculture de banlieue, l’aceés & une clientéle connue pour Vartisan, le boutiquier. Vendre et se transplanter, c’est 4 la fois devoir payer désormais comme marchandise ce dont on disposait gratuitement — Pusage du sol -- et renoncer & une localisation qui permettait de travailler avec un investissement monétaire minimum (2). Ces formes de propriété fonciére urbaine ou péri-urbaine ne sont pas capitalistes parce que, préciséitient, les moyens de travail de ces producteurs marchands ne sont pas du ¢apital: Or, la conquéte de l’espace par les usages
capitalistes du sol, et les révolutions du niveau de la rente fonciére qui en
résultent, ont pour effet de séparer ces couches sociales des conditions de leur reproduction, Leur résistance devra fréquemment étre brisée par la contrainte étatique, notamment par l’expropriation. En outre, les conditions économiques générales produisant le déclin de nombreuses de ces catégories, la vente de
leur fonds au plus haut prix ne sera que rarement suivie d’une réinstallation mais plutét de abandon de l’exploitation (3).
(1)
Notamment
parce
que,
dans
nombre
de pays industriels, la voie la plus répan-
due de insertion de fagriculture dans le capitalisme n’a pas été — comme le prévoyaient
les classiques du marxisme -- la concentration agraire et la grande exploitation capitaliste, mais le développement de la paysannerie (cf. par exemple : Coulomb, 1973).
(@)
Par
contre
la généralisation
des rapports
capitalistes dans
Vagriculture péri-
urbaine (cultures spéciales ou grandes cultures) rend plus facile abandon du pouvoir de propriété au capital immobilier ow industriel: Vagriculteur capitaliste fera payer cher Pabandon d'une localisation lai procurant un taux de profit déterminé, mais utilisera le produit de la vente ou Pindemnité d’éviction pour investir ailleurs. L’observation de la
séquence dans laquelle les terrains de la périphérie parisienne ont été mis en lotissement &
partir de la fin du XEXe
siécle et dans Pentre-deux-guerres montre assez bien que le degré
de résistance de la propriété fonciére dépend de la nature sociale de la propriété : d’abord les parcs et les bois de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, puis les terrains de grande culture et enfin seulement les terrains des maraichers (Bastié, 1964, pp. 202-212 et 241-246). (3) Une enquéte menée par B. Lamy auprés de vendeurs de terrains dans ta périphérie de Rouen établit, A propos des exploitants agricoles en faire-valoir direct, des résultats trés significatifs a cet égard : « (La vente) était plus fréquente 14 of i s’agissait d*une branche d’activité en régression relative, et, 4 Pintérieur du secteur agricole, plus fréquente la ou on avait affaire 4 des exploitations possédées de faibles dimensions. Les effets de cette insertion dans des structures périmées de la production sont spécialement marqués au moment ot le cycle de vie est proche de se clore... » (Lamy, 1974, p. 130). Le produit de la vente est parfois réemployé dans des achats de terre permettant de restructurer l’exploi-
46
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
Les propriétaires-occupants de leur logement constituent un autre type de
propriété fonciére non capitaliste. Contrairement aux types précédents, le développement du capitalisme développe celui-ci au lieu de le réduire. Avec la crise du capital immobilier rentier et l’expansion du crédit immobilier, la
propriété d’occupation est en croissance constante depuis les années 1920 dans
les pays industriels. Cette propriété fonciére, bien que créée par le capitalisme, lui_est_inadéquate lorsqu’il s’agit de changer l’usage du sol : la vente du loge-
ment se situe dans ce cas dans un cycle de la valeur d’usage (marchandise-
argent-marchandise) et non de la valeur d’échange et du profit. Elle n’inter-
viendra donc spontanément que lorsque la reconstitution de la valeur d’usage, notamment en termes d’avantages de localisation, sera assurée, ce qui n’est
manifestement pas toujours le cas.
Ce type d’obstacle foncier apparait, comme celui des producteurs directs, sous la forme de la fragmentation de la propriété fonciére. Ce n’est toutefois pas le morcellement en tant que tel qui fait probléme pour la libération du sol, c’est la logique non capitaliste de gestion de la propriété. Cette rationalité de la valeur d’usage et de la reproduction sociale est une énigme pour les promoteurs immobiliers, les technocrates et bien des économistes (1). Comment se fait-il que ces individus ne se décident pas a vendre, alors que leur est offert un prix supérieur au revenu capitalisé imputable 4 leur bien? On parlera donc abondamment de 1’« irrationalité des propriétaires », en attribuant a des « facteurs psychologiques » ou « affectifs » cet attachement déraisonnable aux
biens fonciers (2). Cet ethnocentrisme de classe développement urbain capitaliste rencontre - d’une propriété fonciére inadéquate fonctionne uniquement comme
pE ei ohhiction pré-capitalistes ou de Lrurbanisation capitaliste considérée aussi bien
tation,
ou
dans
fréquemment
l’amortissement
de dettes ou
dans
exprime néanmoins un fait JE dans certaines circonstances aau mode de Production domicondi tion de Tepro luction de rapports de consommation. du point de vue du capital
le capital d’exploitation.
Mais
il est
affecté a la consommation, en particulier par les agriculteurs 4gés (Lamy,
1974, pp. 97-110). (1)
Le comportement du propriétaire foncier est |’intrusion du « non économique »
dans le modéle : il ne peut étre pris en compte que comme phénoméne sans loi. Par exem-
ple : « De nombreux essais d’explication des prix fonciers ont été réalisés. Ils montrent effectivement que, lorsqu’une parcelle se vend, son prix est déterminé par la confrontation
des préférences de l’acheteur et du vendeur (...). Par contre, le fait qu’une parcelle se vende au cours d’une période donnée parait hautement aléatoire et, en tout cas, peu influencé par les phénoménes de marché. Cela est peut-étre plus vrai en France que dans les «pays
neufs», car les rigidités introduites par la signification sociale de la propriété y sont nombreuses »
(Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Aménagement
Urbain (CERAU). Rap-
port méthodologique sur I’élaboration d’un modéle de localisation des logements neufs dans une agglomération. Paris, CERAU, t. 1, novembre
1967, p. 6).
(2) Les psycho-sociologues ont, bien entendu, mesuré le phénoméne. Cf. l'étude de référence : Société d’Animation, Etude et Recherche Sociologique (SARES). Les motivations et attitudes des propriétaires de terrains situés dans une agglomération urbaine. Paris, SARES, octobre 1969, 2 vol., 112 et 26 p. Multig.
|
SURPROFITS ET RENTES FONCIERES DANS LE CAPITALISME
47
industriel que des constructeurs impliquera donc une lutte sociale opinidtre pour réaliser l’adéquation de la propriété urbaine au mode de production dominant au fur et a mesure que de nouvelles zones apparaissent génératrices de surprofit. Ce processus conduira dans certaines conditions du rapport des forces 4 une intervention de l’appareil d’Etat en vue de la libération des sols
des rapports de propriété fonciére précapitalistes (1).
Il faut enfin mentionner le fait que, dans certains cas, la propriété fonciére publique peut constituer un obstacle foncier spécifique au libre mouvement du capital. Qu’il s’agisse de I’héritage de formes féodales de propriété (biens de la ~ Couronne, des ordres religieux et des hospices, terrains communaux, etc.), des zones d’emprise de grands équipements publics obsolescents (fortifications, docks, voies ferrées abandonnées, etc.) ou de réserves fonciéres constituées plus récemment, la propriété fonciére publique constitue souvent une part importante des terrains urbains vacants, effectivement ou potentiellement. Il n’est nullement assuré que ce patrimoine sera géré dans tous les cas en fonction du mouvement des surprofits localisés, c’est-A-dire de fagon 4 produire la rente fonciére maximale. En outre, la question de la répartition des surprofits potentiels est aussi un enjeu ouvert. Affectation des sols et prix d’une cession éventtuelle au privé déprendront de rapports de force politiques et des rapports de dominance de classe qui les déterminent. La_ propriété fonciére publique peut étre tout simplement gérée en vue
dune aide directe a laccumulation du capital immobilier. Dans ce cas les
terrains publics sont vendus au « prix de revient » — voire en-dessous — a des constructeurs privés qui y réalisent le surprofit localisé maximum et conservent done la plus grande part de celui-ci. Tradition bien francaise, maintes fois observable dans les périodes de restructuration du centre de Paris : depuis les expropriations d’Haussmann au bénéfice des grandes sociétés immobiliéres concessionnaires jusqu’aux opérations mixtes de la rénovation massive des années 1960 et 1970, les grandes périodes d’expansion immobiliére et de pénétration du capital financier dans le secteur ont été accompagnées de ce
type de gestion de la propriété publique (2). (1)
tions de
Ne peut-on pas faire l’hypothése que
1852-1867
Halbwachs,
montre
que
c’est grace a l’immense vague d’expropria-
nait 4 Paris un marché
comment
l’intervention
foncier jusque
d’expropriations
14 inexistant ? Ainsi,
déclanche
un
processus
de
démolitions privées — et de ventes « spontanées » de parcelles. Processus qui s’étend dans
Vespace
aux
zones
avoisinantes,
et se poursuit dans le temps, aprés la fin des expropria-
tions (Halbwachs, 1909, pp. 190-196). L’expropriation qui « pendant toute une période, a été la forme presque exclusive (du marché) » (ibid. p. 371) fait alors place au marché. (2) Paris n’a évidemment pas le monopole de ce type d’opérations caractéristique: aussi bien de la grande urbanisation 4 Milan dans les années 1860-1890 (Pizzetti, 1980, pp. 5-8), comme
diale
de la rénovation du centre de Stockholm
aprés la Seconde Guerre mon-
(le systéme du bail emphytéotique utilisé dans ce dernier cas n’empéchant nulie-
ment les entreprises du centre affaires
H6rtoget
de bénéficier intégralement des surpr
48
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
Ce n’est cependant pas la seule possible. Une gestion « sociale » du patrimoine public peut prévaloir, au moins partiellement, lorsque les rapports de
force entre les classes conduisent les collectivités locales a distraire des terrains
dun usage privé plus rentable pour les affecter 4 des opérations publiques de logements populaires ou 4 des équipements sociaux. llya alors stérilisation de
terrains du point de vue de
on de surprofit, méme si les opérations
publiques « valorisent » les terrains privés avoisinants, et quels que soient plus généralement les effets bénéfiques de cette politique sur la reproduction de l'investissement. ordre social. La propriété publique est alors un obstacle Un dernier type de gestion-petit aussi étre observé, bien qu’il constitue un paradoxe: c’est la «spéculation publique ». Contrairement au modéle « social » de gestion des sols, les-terrains sont cédés au privé pour une rentabi-
lisation maximum : l’Etat se soumet a la loidé la rente. Mais contrairement au
modéle d’aide& accumulation, cette cession se fait au prix fort : "Etat profite
de la rente au lieu d’en permettre l’appropriation privée. Cette politique est courante lorsque~les~appareils d’Etat fonctionnent~de~fagon massive a la corruption, et que le réle répressif de Etat prévaut sur son role directement économique : ainsi 4 Lisbonne ou 4 Madrid a l’époque des dictatures. La tendance a la gestion spéculative du patrimoine foncier public peut aussi se développer d’une toute autre fagon comme réponse a une crise financiére des collectivités locales (1).
Ainsi, la résistance qu’oppose la propriété fonciére a la libre disposition du sol par le capital varie historiquement quant a sa nature sociale, sa logique @action, son intensité. La théorie de la rente fonciére s’articule ici 4 l’étude de la structure de classe des sociétés urbaines et de leur environnement rural. Elle passe aussi par celle des actions étatiques qui modifient les termes de la contradiction fonciére. Une analyse abstraite de la rente s’arréte donc ot doit commencer I’exploration historique. Elle peut éventuellement la stimuler par les questions qu’elle pose.
(1) W. Firey, dans son étude classique sur Boston, observe dans la premiére moitié du XIXe siécle une telle politique communale de vente des terrains publics au prix fort pour réduire la dette municipale : ainsi, de 1823 4 1850 environ, sera urbanisé le South
End, sur le domaine public (Firey, 1947, pp. 60-64).
Chapitre If SUR LA THEORIE DE LA RENTE ABSOLUE CHEZ MARX
Ricardo fait la théorie du phénoméne de la rente différentielle, mais il ne « voit » pas le fait polémique majeur : le terrain marginal aussi est assujetti a_une rente. Marx part de 1a pour construire le concept de rente absolue et, ‘du méme coup, met en question la théorie ricardienne des prix, produisant ainsi le concept de prix de production et de taux de profit moyen. Voila, réduite 4 Pessentiel, histoire d'une « découverte » qui me semble centrale dans lélaboration du Capital. Le concept de rente absolue est le cceur de la théorie de la rente agricole chez Marx, un point de rupture fondamental avec Péconomie politique « pré-critique », un élément essentiel de Ia constitution de la théorie marxienne : je vais m’efforcer de le montrer plus loin. Et cependant il est peu d’aspects de la pensée de Marx qui ait fait l’objet d'un débat plus vif et plus confus parmi ceuxla méme qui travaillent 4 Paide des concepts et de la méthode marxistes. Cela tient-il & la faiblesse du concept de rente absolue, abandonné par Marx lui-méme dans des brouillons malheureux publiés aprés sa mort, ou bien a une lecture de cette théorie dans le seul espace quantitatif des valeurs, oublieuse de l’essentiel c’est-a-dire des rapports sociaux qui fondent les catégories économiques ? La réponse & cette question n’est pas évidente : si elle l’était, le débat aurait tranché en établissant un minimum de consensus. Cependant, la discussion gagnerait en clarté si, parallélement aux travaux empiriques indispensables sur la formation des prix d’offre des sols dans différentes structures observables de la propriété fonciére, on regardait avec plus d’attention ce que Marx a dit de la question et surtout avec quels principes de méthode il a commencé a élaborer une théorie effectivement inachevée.
Une fois de plus, la répétition dogmatique de Marx ne fait que rendre
impuissante la théorie : ce phénoméne général est bien illustré par les mésaventures de la rente absolue. Ainsi, bien des chercheurs se sont efforcés de
50
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
« transposer » analyse marxienne de la rente agricole au contexte urbain, od
ils rencontrent des phénoménes
de monopole. Une
analyse insuffisante du
de loffre
du comportement
concept de rente absolue, doublée éventuellement du souci de utiliser a tout prix, aboutit a un glissement implicite : la rente absolue n’a plus de condition nécessaire du cété du taux de profit de branche, c’est une rente de monopole (1). Dés lors apparait la question : pourquoi la rente « absolue » serait-elle limitée & Pexcédent de la valeur sur le prix de production et n’éléverait-elle pas le prix au-dessus de la valeur ? Pourquoi n’apparaitrait-elle que dans les branches & taux de profit interne supérieur a la moyenne et n’existerait-elle pas dans toutes les branches ? Pour nombre d’auteurs, la réponse ne fait pas de doute : s’il existe une rente « absolue », ce n’est pas au sens ob Marx la définit. C’est une rente déterminée par une inadéquation structurelle entre l’offre et la demande de sol, et par conséquent en dernier ressort par le prix de demande. Pourquoi ce déséquilibre de marché, générateur de rente ? Deux types @’explications peuvent étre distingués.
Pour
certains, Vinsuffisance
provient
de
rétention des sols par tes propriétaires. fonciers, dont l’efficacité provient d’une structiration dé Voffre qui ne correspond pas aux conditions de la concurrence parfaite. Non atomicité de l’offre, non transparence du marché, non substituabilité des biens offerts : la rente fonciére « sur le plus mauvais terrain » est une
rente monopolistique (2).
Pour d’autres, V'insuffisance de Voffre provient de la rareté physique du sol. Elle provient de facteurs naturels, ainsi la quantité disponible dé sols cultivables, de facteurs économiques, comme la quantité de sols dotés @’infrastructures urbaines, ou de facteurs réglementaires, les droits de construire. Peu
(1) C’est notamment le cas chez F. Alquier : « La rente fonciére absolue que le propriétaire contraint l’exploitation capitaliste 4 lui verser, dans le secteur agricole, ne disparait pas dans le secteu urbain : elle représente le tribut payé par le locataire pour fe droit au logement » (Alquier, 1971, p. 85).
(2) C’est Pargument d'A. Emmanuel qui réhabilite la notion de rente absotue A condition d’en changer le contenu : elle n’est Pobjet d’aucune détermination par la valeur et ne résulte que des imperfections du marché, notamment d’exigences des propriétaires
« qui Wont rien 4 voir avec les lois économiques objectives », mais dépendent d’« estimations subjectives », de leur « obstination » et de leur « amour propre ». Aprés tout, le propriétaire « est un homme, ce n’est pas la machine électronique infaillible que les marginalistes ont mis @ ta place de chaque agent économique » (Emmanuel, 1969, pp. 238-
239). D’autres
auteurs
attribuent
la « rente absolue » A Pexistence d’un oligopole des
propriétaires fonciers. Ainsi, G. Campos-Venuti diagnostique « ..la création d’un front unitaire de toute la propriété fonciére urbaine, qui, bien qu’il n’y ait pas d’accord de
cartel, détermine une augmentation des prix, méme irréguliére, et une offre limitée sur le
marché » (Campos-Venuti, 1967, p. 37). Dans une direction sembiable, D. Harvey a soutenu la thése d'une « rente de monopole de classe », reposant sur le « pouvoir de classe » de différentes catégories de propriétaires urbains susceptibles d’imposer des prix arbitraires (Harvey, 1974, pp. 241-242 ; cf. aussi Harvey 1973, pp. 179-183).
SUR LA THEORIE DE LA RENTE ABSOLUE CHEZ MARX
51
importe, dans tous ces cas, la rente fonciére est une rente de rareté (1). li agit 14 de deux variantes descriptives du concept de rente de monopole. Sur la base de la rente de monopole sur le terrain marginal se construit la hiérarchie des sols: a partir de leur plus ou moins grande fertilité et distance aux marchés pour les sols agricoles, de leur plus ou moins grande « désirabilité » pour les sols urbains. Dans ce dernier cas, on note que les auteurs qui ont réduit la rente absolue 4 une renie de monopole ne s’arrétent
pas en chemin: la rente différentielle se dissout
4 son tour en « rente de
situation », c’est-a-dire aussi en rente de monopole. Ainsi l’analyse de la rente urbaine se raméne de part en part 4 une détermination par la demande. Il faut donc examiner de prés si, oui ou non, le concept de rente absolue désigne autre chose que la rareté ot la rétention des sols et doric répondre A la question de la nature des rapports sociaux qui fondent ce type de rente. Pexaminerai ces problémes de la rente absolue (section Il) aprés avoir auparavant rappelé Vénoncé classique de la théorie et situé sa place dans
Pélaboration de la pensée de Marx (section I).
I LA THEORIE DE LA RENTE ABSOLUE AGRICOLE CHEZ MARX 1.
La thése de la rente absolue
Le fermier.capitaliste paie une rente au propriétaire foncier sur le terrain le moins fertile et le plus mal situé. Cette rente s’ajoute.au-cotit de prodtiction
et ai profit pour déterminer un prix d’offre du blé produit sur le terrain mar-
ginal. Celui-ci va, dans certaines conditions, régler le prix général de marché. Dés lors, il y a une rente qui, contrairement aux rentes différentielles sur les terrains plus favorisés, n’est pas déterminée par le prix du blé, mais au contraize le détermine. Voila le fait polémique qui questionne la conception ricardienne de la tente, et dont Marx va s’attacher & rendre compte théoriquement avec le concept de rente absolue. Cette rente absolue est constituée de !’excédent de la valeur de la marchandise sur son prix de production, lorsque l’existence d’un monopole sur une des conditions générales de production dans la branche fait obstacle au processus
(1) Ainsi, K. Vergopoulos fonde sur la catégorie de rareté non seulement ia rente, mais ’« élément de perversion » que la terre introduit dans le capitalisme : « La seule
condition
de existence
dun
surprofit,
convertible
en rente,
n’est pas la propriété fon-
ciére, mais la rareté relative de produits agricoles fondée sur la rareté relative du facteur terre » (Vergopoulos, 1974, p. 97, souligné par l’auteur).
52
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
général par lequei le prix régulateur est ramené de la valeur au prix de production. Il y a donc deux conditions 4 lexistence d’une rente absolue, précise
Marx :
~—e
;
« ..production capitaliste développée d’une part, et, de l’autre, propriété fonciére existant non seulement légalement, mais offrant en fait une
résistance, défendant son champ d’action contre le capital et ne lui cédant le terrain qu’’ certaines conditions » Cd).
1. Premiére condition de la rente absolue : la dominance du mode de production capitaliste et son développement inégal
La rente fonciére est biens sans valeur : les ressources naturelles, qui rie’sont pas le Pp . Comment cela est-il possible alors qué le capitalisme, forme développée de la société marchande, impose & toute la production la régulation par la loi de Ja valeur ? Marx précise ainsi le probléme : «Il reste alors une question 4 résoudre : comment des choses qui n’ont pas de valeur ont-elles un prix ? Comment cela est-il conciliable avec la théorie générale des valeurs ? La question de savoir pourquoi homme paie un dédommagement pour le droit d’enlever du bois brut du sol sur lequel il se trouve n’a rien & voir avec la question qui se pose réellement. Cette
question est : sur quel fonds paie-t-il ? » (2).
Et Marx répond : sur le prix de la marchandise qui est dans ce cas réglé par la valeur de celle-ci et non par son prix de production. En d’autres termes, le prix du produit n’est pas un prix de monopole, indépendant du temps de travail socialement nécessaire 4 la prodiiction. Mais il
“pest pas, S6ifiie 1és prix de la plupart “des marchandises capitalistés, réglé par
le profit moyen sur le capital engagé et les cotits de production, mais par la valeur. La théorie de la rente absolue présuppose donc 4 la fois une régulation générale des prix sur la base d’un taux de.profit moyen et d’autre part un éxcédent” dela valeur siir le prix de production des produits agricoles. Ce qui
implique ladominance du miodé dé prodiiction capitaliste sur l’ensemble de la
formation sociale Vindustrie. (1)
et son
développement
inégal
dans
l’agriculture
et dans
Marx, 1861-63,t. 2, p. 348.
(2) Marx, 1861-63, t. 2, p. 286 (souligné par auteur). J'ai repris sur un point la traduction Molitor (Histoire des doctrines économiques, éd. Costes, t. 4, p. 74) qui me parait plus claire : « La question de savoir pourquoi... » ; alors que la traduction Badia donne :
« La question de savoir dans quel but... »
—
zz
5 53
SUR LA THEORIE DE LA RENTE ABSOLUE CHEZ MARX
La dominance du capitalisme_est_nécessaire pour que les mouvements relatifs-de T’accumulation et de la production dans les différentes branches soient réglés par le taux de profit interne de chacune d’elle, et donc pour que
la mobilité du capital de branche a branche conduisea la formation d’un taux
de profit moyen et a la transformation des valeurs en prix de production. Dans ce contexte, le moindre développement du capitalisme dans agriculture relativementA l’industrie signifie 4 la fois que la productivité du travail y est
plus faible, ainsi que la composition organique du ene,
t do
Celui-ci peut,étre soustra ou d’un trans fo rente la de s’agisse qu’il processus, par divers en aval de la et amont en constituent se qui industriels fert aux monopoles 4 ce que le obstacle font production de rapports tels De agricole. production valeurs soient réduites aux prix de production, mais en méme temps il s’opposent 4 ce que le surprofit originel de branche y remplisse les méme: fonctions que dans l'industrie.
C’est dans ee "dernier cas qu’apparait lazente absolue. 2. Deuxiéme condition de la rente absolue : la résistance de la propriété fonciére au capital
lors
Le
surprofit
originel
de branche
se fixe sous forme de rente lu capital ou rep:
absolue
libres — biens lui-ci, comme le sont tous les autres éléments de la p s valeur ou marchandises produites par le travail humain. C’est le cas
lorsque la propriété fonciére privée préexiste a l’apparition du mode de produc-
tion capitaliste.
«Si la terre existe a l’état élémentaire face au capital, celui-ci se comporte en agriculture de Ja méme fagon que dan toute autre branche d’activité industrielle. Il n’existe pas alors de propriété fonciére, pas de rente.
(...) Si en revanche le sol est 1) limité et si 2) on se lest approprié, le
capital se trouve en présence de la propriété fonciére comme présupposé (..., alors le sol n’est pas a priori un champ d’action élémentaire pour le capital » (1). L’appropriation privée de la terre n’est possible que parce que cet élément de la production est physiquement limité, contrairement 4 d’autres éléments
(1)
Marx, 1861-63, t. 2, pp. 357-358 (souligné par l’auteur). J’ai repris sur un point
la traduction
Molitor
(loc.
cit., p. 145) qui donne
traduction Badia donne : « a l’état brut ».
: « 4 l’état élémentaire », alors que la
54
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
non reproductibles mais disponibles en quantités illimitées — comme L’air ou Peau (1). Toutefois cette rareté physique, absolue pourrait-on dire, n’est pas directement cause de la rente : celle-ci est un rapport social, non un rapport naturel. Elle est seulement une condition nécessaire de l’appropriation privée du sol. Nullement une condition suffisante : bien des modes de production précapitalistes ne comportent pas la propriété fonciére privée, y compris dans des formations sociales concrétes od le sol est en quantité physiquement limitée. Par contre, c’est la propriété fonciére elle-méme qui produit la seule rareté pertinente au point de vue économique : la rareté de la terre par rapport au capital. Rareté sociale, par conséquent, qui peut apparaitre y compris lorsque tous les sols physiquement disponibles ne sont pas exploités (2). Cette propriété fonciére qui résiste effectivement au libre mouvement du capital est un présupposé du mode de production capitaliste. Présupposé histotique, qui est la condition de l’apparition de ce mode de production ; présupposé structurel, qui est la condition de sa reproduction et de son développement. Voyons comment Marx démontre cette thése, en quelque sorte a contratio, c’est-a-dire en examinant les cas «ricardiens» ov il n’existe pas de propriété fonciére. Dans les colonies de peuplement (3), la masse des agriculteurs sont des producteurs directs possesseurs du sol, qui existe en quantité illimitée — a la condition toutefois que les rapports militaires avec les populations préexistantes permettent de repousser sans cesse la « frontiére ». La production des colons n’est pas capitaliste, ni méme 4 dominante marchande : n’est mis sur le marché que ce qui excéde la consommation des producteurs, et a n’importe
quel prix. Les prix s’établiront donc constamment en-dessous de la valeur parce
que la production n’est pas réglée par le marché ; ils peuvent méme ne pas rapporter le profit moyen a ces colons non capitalistes. Ceci n’est possible que parce que la propriété fonciére n’existe pas réellement — méme si elle existe formellement — comme obstacle a la libre application du travail a la terre. L’existence de la frontiére bloquera donc le développement du capitalisme agricole. Dans les colonies de plantation (4), la production est formellement capitaliste, tournée vers le marché et réglée par le profit. Les rapports de production toutefois ne reposent pas sur l’exploitation du titre libre, mais sur Vesclavage : une des raisons en est notamment l’existence de la frontiére qui fait de la
(1)
(2) de Marx
Du moins, peut-étre, a l’époque ot Marx écrit.
Cette analyse de la rareté me semble sous-tendre par exemple le passage suivant : « Si la terre était — non seulement relativement au capital et a la population
mais en fait un élément illimité (illimité comme lair et l’eau), et si elle existait ’en quantité
illimitée’, son appropriation par les uns ne pourrait pas exclure effectivement son appropriation par les autres, II ne pourrait exister de propriété privée du sol (ni méme de pro-
priété *publique’ ou d’Etat) » (Marx, 1861-63, t. 2, pp. 356-357. Souligné par l’auteur). (3) Cf. Marx, 1861-63, t. 2, pp. 356-357 ; Marx, 1864-65, t. 8, pp. 140-141. (4) Cf. Marx, 1861-63, t. 2, p. 348.
SUR LA THEORIE DE LA RENTE ABSOLUE CHEZ MARX
55
violence directe — juridique et physique — la condition du maintien de l’exploitation des travailleurs. Dans la plantation, le capitaliste est propriétaire foncier et rien ne s’oppose a la vente du produit au prix de production. Dans la « vieille Europe », plus précisément dans les pays agraires périphé-
riques de l'Europe en voie de développement
capitaliste, cette identité du
propriétaire foncier et du capitaliste est fréquente (1). Il en résulte la possibilité de vendre le blé 4 son prix de production. C’est d’ailleurs le blé américain et prussien, ce blé sans propriété fonciére ni rente absolue, qui va inonder le marché anglais et briser la base économique de la classe des landlords. Mais l’absence de la propriété fonciére ou sa fusion avec le capital empéchent l’une et l’autre le développement capitaliste. L’appropriation privée de la terre est une condition fondamentale des rapports de production capitalistes : si la terre est un bien libre, la séparation des producteurs et des moyens de production n’est pas possible et par consé-
quent ni le salariat, ni le capital lui-méme (2). C’est bien « l’expropriation de
la population campagnarde » par les landlords anglais qui constitue « le secret de l’accumulation primitive » dans le pays classique du capitalisme (3). Et 1a ou l’obstacle foncier fait défaut, dans les colonies, il faut lui trouver des substituts pour enchainer les immigrants au capital, leur interdire — au moins provisoirement — |’établissement sur la frontiére (4). Mais aussi, la séparation du capital et de la propriété fonciére est un présupposé du développement capitaliste de Pagriculture. La conversion du propriétaire féodal en exploi apitaliste se heurte a perma-
de vue de la production de
Marx,
(1)
C’est
le « hobereau
plus-value et de profit.
allemand
», dont
Rodbertus
théorise
le point
de vue
(cf.
1861-63, t. 2, pp. 53-99). C’est aussi le junker prussien analysé par Max Weber
(cf. Weber, 1906). (2) « Du reste, ’hypothése (de la non existence de la rente absolue dans l’agriculture capitaliste, C.T.) est contradictoire ; d’une part : production capitaliste développée (...), @autre part : non-existence de la propriété fonciére. D’od peuvent dans ce cas provenir les ouvriers salariés ? » (Marx, 1861-63, t. 2, p. 346).
(3) (4)
Cf. Marx, 1865-67, t. 3, pp. 157-174. Cf. Marx, 1865-67, t. 3, pp. 206-215.
(5) « Un propriétaire foncier ni Ricardo, ni aucun auteur anglais capital. L’Anglais se plaint bien du manque de capital par rapport a Pauteur).
de Poméranie trouvera, par exemple, déconcértant que n’envisage jamais que l’agriculture puisse manquer de manque de terre par rapport au capital, mais jamais du la terre » (Marx, 1861-63, t. 2, p. 277. Souligné par
56
LE PROFIT,
LA RENTE
ET LA VILLE
L’agriculture capitaliste suppose donc l’existence autonome de la propriété fonciére et son corrélat, la rente absolue. Mais pas n’importe quelle propriété fonciére, une propriété transformée par le nouveau mode de production, une propriété fonciére capitaliste. La rente absolue, rapport social, c’est la propriété fonciére modifiée par le mode de production capitaliste : « L’existence de la
propriété fonciére etl
ié
one
e présuppose pas seulement la
pros
c’est-a-dire la
propriété fonciére conditionnée et modifiée par l’action de la production capitaliste » (1).
En qui consiste le changement ? En quoi la rente capitaliste est-elle qualitativement différente des rentes fonciéres des modes de production antérieurs ? Non pas dans la forme de celui-ci : la rente féodale peut, comme la rente cap liste, 6tre une rente en argent. C ‘est le mode de détermination de la rente, sa nature, qui a changé. «De forme normale de la plus-value et du surtravail qu’elle était, elle devient l’excédent de ce surtravail sur la partie qu italiste exploi-
eur
s’approprie sous la forme de profit
eesti,
«
(2).
Dans les formes antérieures de propriété, tout le surtravail du producteur direct est transformé en rente, sauf conditions particuliéres : le profit éventuel
est limité par la rente. travail est transformé en est transférée au propriétaire. Cette partie aurait mettre en cause durable: profit n ste iJarente ostalili par le profit. es rapports de distribution nouveaux résultent des changements dans les rapports de production eux-mémes. En substance, il s’agit d’une double dépos-
promittazes facia? spasnaedoiebaasonetinde de travail: -
i
=
ate Te
épossédés de la maitrise du procés de travail
immédiat qui désormais est dirigé par le fermier capitaliste. Expropriés de
leur propriété des moyens de travail et de leurs droits d’usage sur le sol — qui impliquent parfois réciproquement leur « appartenance 4 la glébe » — les paysans deviennent des « travailleurs libres », des salariés. Dépossédés de leur place d’organisateurs du procés de travail concret, soumis 4 la
dictature du capital, ils deviennent des prolétaires ; (1)
Marx,
1861-63, t. 2, p. 346. Cf. aussi : « Tant par sa nature que par Vhistoire,
le capital crée la propriété et la rente fonciére modernes : son action dissout donc parallélement les anciennes formes de la propriété fonciére » (Marx, 1857-58, t. 1, p. 224.
Souligné par l’auteur). (2) Marx, 1864-65, t. 8,
p.179.
.
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EPSP
EOE
SUR LA THEORIE DE LA RENTE ABSOLUE CHEZ MARX
—
aT
les propriétaires fonciers, les landlords, sont eux aussi exclus de leur rdle
ur : dépo sees de leur maitrise sur les moyens dans la production antérie
de production périphériques de la production agricole primaire (le moulin, les ateliers, le transport), dépossédés du pouvoir dont ils disposaient sur une partie du procés de travail immédiat lui-méme (travail des paysans sur la « réserve » seigneuriale, régles imposées a la production sur les tenures elles-mémes). La maitrise du procés de production étant passée au fermier deviennent simples percepteurs capitaliste, les propriétaires fonciers Oey
_onciers;
de rente.
Cette double dépossession, qui confére au capital tout le pouvoir réel de diriger la_production, crée la propriété fonciére nouvelle, capitaliste. Si elle est réalisée jusqu’au bout, et « dans cette mesure, il n’existe donc pas de propriété fonciére » (1).
3. La rente absolue et ses paradoxes : un brouillon malheureux ?
Alors que la rente différentielle présuppose le prix du produit, la rente absolue modifie le prix. Avec la premiére la propriété fonciére.entraine la transformation du surprofit en rente ; avec la seconde, indique Marx, « c’est la
propriété fonciére elle-méme qui a produit de la rente » (2).
Mais cette modification du prix ne s’opére que dans les limites de la valeur : la propriété fonciére e empéche que le prix régulateur ne baisse au niveau
du prixde production, mais elle n’est pas en mesure d’imposer qu’il s’éléve
au-dessus de la valeur du produit. La rente absolue est et n’est pas une rente de monopole. Dans la mesure od Vexistence de la propriété contrecarre la détermination du prix régulateur par le prix de production, c’est-A-dire la formation normale du prix dans le mode de production capitaliste, la rente, « pure et simple émanation de la propriété » est un prix de monopole. Mais dans la mesure ot ce prix est réglé
dans la production et par la loi de la valeur (3) il n’est pas un prix de mono-
(1)
Marx, 1861-63, t. 2, p. 275. Souligné par l’auteur.
(2)
Commentant
considérée
comme
une proposition de Smith qui affirme que « la rente de la terre,
le prix payé pour l’usage de la terre, est donc naturellement un prix de monopole » (Smith, 1776, p. 225), Marx indique : « En tant que pure et simple émanation de la propriété, la rente est prix de monopole, ce qui est parfaitement juste, étant donné que ce n’est que par l’intervention.de la propriété que le produit paie plus que le cofit- de production se vend a la valeur » (Marx, 1861-63, t. 2, p. 402>Souligné par l’auteur. L’expression « cofit de production » dans ce texte signifie « prix de production »). (3) «Ce sur quoi Buchanan fonde son argumentation n’est pas que tout blé rapporte une rente, mais que tout blé qui rapporte une rente est vendu 4 un prix de monopole, et qu’un prix de monopole dans le sens expliqué par A. Smith et également entendu
par Ricardo, est “le prix le plus élevé auquel les consommateurs sont préts & acheter la marchandise’. C’est justement ce qui est faux. Du vie qui rapporte une rente (indépen-
damment de
la rente différentielle) n’est pas vendu
a un prix de monopole, dans le sens
SSSSSS
58
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
pole, réglé dans la circulation par «la demande et le pouvoir d’achat des clients », indépendamment de la valeur (1). La résident toutes les diffictiltés du concept de rente absolue, car il souléve
deux questions épineuses (2) : —
—
Puisque la propriété fonciére n’a pas de contenu économique en dehors de la rente, comment peut-elle constituer une barriére ati capital susceptible de faire monter les prix? En d’autres termes, pourquoi la rente absolve ne tend-elle pas vers zéro ? Puisque la propriété fonciére a le pouvoir d’élever le prix au-dessus du prix de production, pourquoi n’a-t-elle pas aussi le pouvoir de [’élever au-dessus de la valeur ? En d’autres termes, pourquoi la rente absolue n’est-elle pas une rente de monopole au sens propre ? -
Ces questions sont difficiles : nombre d’auteurs, y compris se réclamant du marxisme, en concluent qu'il faut rejeter le concept de rente absolue, du moins dans la définition qu’en donne Marx (3). Aprés tout, les manuscrits qui constitueront les Théories de la plus-value et le livre TIE du Capital ne sont que des brouillons, édités aprés la mort de Marx... Avant d’examiner le fond des problémes posés, une étude de la place de cette théorie dans l’économie politique de Marx s’impose donc.
2. Place de la théorie de la rente absolue dans économie politique de Marx La théorie de la rente absolue constitue, aux yeux de Marx, la principale rupture avec toutes les théories antérieures de la rente, et notamment avec celle de Ricardo. Elle remet en cause a la fois ’élaboration de 1’économie
classique, construite dans le cadre de la théorie de la valeur travail, et celle de
de Buchanan.
Il n’est vendu
4 un prix de monopole
que dans ia mesure od i] est vendu
4 sa valeur au-dessus de son cotit de production » (Marx, 1861-63, t. 2, pp. 460-461. Souligné par auteur. Méme remarque que dans la note précédente sur l’expression « cofit de production »). Cf. aussi : Marx, 1864-65, t. 8, pp. 142-143. (1) Définition du prix de monopole au sens propre
Capital (Marx, 1864-65, t. 8, p. 148). (2)
Que
Marx
pose
lui-méme
dans les Théories sur la plus-value
donné
par
exemple
dans
te
mais résoud, hélas, un peu rapidement, par exemple
(Marx, 1861-63, t. 2, pp. 386-387).
(3) Je ne citerai que deux auteurs parmi les plus importants sur ce sujet dans la derniére décennie. « On connait les failles de ’argument de Ja rente absolue (...) c’est peutétre le chapitre le plus faible de la théorie marxienne » ; « il faudrait par ailleurs faire
remarquer que Marx lui-méme n’a pas présenté cette ’rente absolue’ comme une théorie
finie mais comme
une
simple hypothése de travail
» (Emmanuel,
1969, p. 234
et p. 234,
note 9). « Quoi qu'il en soit, nous pouvons voir immédiatement que le fondement de fa catégorie de rente absolue est au mieux extrémement branlant et peut-étre entiérement erroné » (Harvey, 1976).
SUR LA THEORIE DE LA RENTE ABSOLUE CHEZ MARX
59
Péconomie « vulgaire » anti-ricardienne, fondée sur la notion de facteur de production. Le concept de rente absolue est bien le cceur, le lieu de la spécificité de la théorie de la rente fonciére chez Marx. C’est pourquoi il reste aujour-
@hui ’élément théorique non intégrable a Ia construction néo-classique.
Sil en est ainsi, c’est peut Formation du prix régulateur dy logement normal
prix végulateur
dunormalTogenent
rente absolue
Surprofit de branche (par logement) Fixe en rente
rente differentielle
Prix de production du terrain constructible (par
Tagenent) au point & Prix de production ay logenent
Zone urbantsable
o
Zone non urbanissble
Localisations classées par ordre de cout croissant © Production du terrain constructible
b- Formation des prix de marché des Togenents normaux Seg ante “de monopole Prix de marché du eee
Coit ¢'usage dy Yogenent Prix réguiateur
da Togenent Tone
urbanisable
Tone
non urbanisable
Local ications classées par ordre du colt croissant d'usage8 du Togenent 3
oD
o
WK
point 0°
RENTES FONCIERES ET DYNAMIQUE DES PRIX DU SOL
195
1. Des catégories de rentes a la rente totale : Pexempie de la construction de logements Pour chaque mode de mise en valeur du capital, l’espace urbain se présente comme un ensemble d’effets utiles d’agglomération non reproductibles ou inégalement préconstitués susceptibles de procurer un niveau donné de taux de
profit potentiel en chaque point de la ville. L’élément déterminant dans les
processus de localisation va étre le montant total du surprofit localisé, qui articule les différents types de surprofits particuliers que l’on a jusqu’ici analysés séparément. Jillustrerai cet énoncé général par l’exemple des rentes engendrées par la construction de logements, que !’on supposera mise en ceuvre de fagon dominante par des constructeurs capitalistes produisant pour le marché en vue du profit. Pour ces agents, l’espace d’une agglomération se différencie selon une double partition définissant trois zones: la zone non urbanisable, et & Vintérieur de celle od l’on peut construire, une zone du logement banal ot les prix de vente varient faiblement selon les localisations et une zone du logement privilégié of les prix de vente s’élévent fortement. Peu importe pour une analyse abstraite que ces zones soient continues ou fractionnées, ordonnées selon la distance au centre ou non. Dans la zone non urbanisable, construire est impossible. Les infrastructures minimales font défaut, la distance aux zones d’emploi est excessive
compte tenu des offres alternatives de logements, et éventuellement, des réglements d’urbanisme effectivement appliqués interdisent la construction.
Pour qu'une parcelle dans cette zone devienne constructible ces conditions devront étre modifiées. Cela dépendra de la création de grandes infrastructures de transport, de la réalisation d’opérations complexes @’urbanisation coordonnant la construction de logements et d’équipements, voire l’installation d’entreprises créatrices d’emplois. En dehors de cette éventualité, les constructeurs capitalistes ne seront pas demandeurs du sol dans cette zone od la rente sera déterminée par les usages non urbain du sol, principalement agricoles. A la frontiére de la zone urbanisable, un phénoméne trés spécifique apparait : un brusque saut du niveau de la rente. Il résulte de la résistance de la
propriété fonciére péri-urbaine au changement d’usage du sol, qui a pour effet
la fixation, sous forme de rente absolue, de tout ou partie du surprofit de branche du bitiment. Point n’est besoin pour qu’apparaisse cette rente de
constructibilité qu’il y ait rareté de sol urbanisable. Elle s’observe méme si des
terrains sont encore vacants — ou économiquement disponibles a l’intérieur de la zone constructible. Elle existe a ’état le plus pur sur les terrains urbanisables oi le cotit privé d’aménagement foncier est le plus élevé. La construction y est possible, mais au prix de la réalisation d’importants réseaux intérieurs Popération raccordés aux réseaux préexistants, de la réalisation d’une voirie, de terrassements, etc. Son niveau dépend de celui qu’impose le type de propriété fonciére péri-urbaine la plus résistante, si toutefois elle représente une quantité significative de sol. Ainsi le parc d’une propriété de plaisance sera
vendu au prix requis par les exploitants capitalistes des terres de grande culture,
ERS
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
196
Figure 8 (suite) — Formation des rentes fonciéres dans la construction capitaliste de logements Formation des prix de marché des Jogements privitegiés
Prix de marché du logement privilegié au point 0”
rente de monopole de ségrégation
Prix de marché du logement normal au point C
on
Zone
urbanisable privilégiée
Zone urbanisable banale
c
Zone non urbanisable
Localisations classées par ordre de non substituadi}ité décroissante
d- Systémes des rentes fonciéres liées 2 la construction de logements
Rente additionnelle sur Tes Jogenents privitégies
rente de monopole rente de Ponopaye rente différentielte reente absolue 1
Rente maxtaum sur le logement normal
G
Zone urbanisable privilégiée
c
tone urbanisabie banale
Rente minimum sur ; Te ifogement normal Localisations supposées classées sur un axe A Tone non unique 8 urbanisable
197
RENTES FONCIERES ET DYNAMIQUE DES PRIX DU SOL
ou celles-ci au prix exigé par les paysans du maraichage de banlieue. Le saut du niveau de rente ne sera d’ailleurs pas toujours observable comme tel, les prix des te##és adjacentes & la zone constructible pouvant s’élever progressivement vers lé ifivéau dé Ja renite de constructibilité dans l’attente de l’extension de la zone urbaine. Cette’ rente absolue va s'imposer comme un cout déterminant le prix des logements dans l’ensemble de la zone urbanisable (1). A Vintérieur de celle-ci, toutefois, varieront et les cofits de production et les prix des logements. Dans Ia zone banale de l’agglomération, ot les localisations sont substituables et od la masse de la population salariée porte sa demande solvable, se forme un prix régulateur du logement, base des prix de marché (figure 8a). Ce prix est déterminé dans les localisations de cette zone banale od le cot privé d’aménagement foncier est le plus élevé — 4 condition toutefois qu’une part significative de 1a construction y soit réalisée. Il existe a l’état pur 14 ot le coat usage localisé du logement est le plus élevé pour l’occupant — notamment le
cofit de transport. Dans ces localisations doublement
défavoristes, le prix
régulateur s’éablit comme la somme du prix de production du logement, y compris l’'aménagement foncier, et de la rente absolue. Ce prix régulateur va déterminer une rente différentielle dans toutes les
localisations of les coats privés d’aménagement foncier seront moins élevés.
Sur le marché du logement normal, dans les localisations banales, il va étre la base de la formation des prix de marché localisés, qui seront modulés par les variations spatiales du coat d’usage localisé du logement. Cette différenciation spatiale du prix du logement normal détermine un type particulier de rente de monopole, propre 4 ce marché, 1a of les cotts de consommation finale du
logement sont plus faibles (figure 8b).
Dans la zone dé résidence privilégiée, aux localisations faiblement ou non substituables et ob d’adresse la demande des couches supérieures, les prix des logements s’autonomisent enti¢rement du prix régulateur, aussi bien que du niveau localisé des cotits d’usage du logement. Apparait une rente de monopole de ségrégation, diversifiée dans l’espace. Elle vient s’ajouter au montant de la rente sur les logements normaux au point ot commence la zone privilégiée (figure 8c). Elle peut éventuellement, a Vintérieur de celle-ci, étre amputée de cofits localisés de mise en constructibilité trés élevés, le prix de monopole financant généralement aisément le surcoit — mais la rente totale diminuant dautant. On observera d’ailleurs, lorsque la zone privilégiée coincide partielle-
G) Ce phénoméne a été repéré depuis longtemps. Ainsi par ce classique de Purbanisme moderne qu’est Eberstadt : « Dés que la construction urbaine se déplace sur ou en direction @un terrain agricole périphérique, il nait un nouveau type de rente fonciére que l'on appelie ‘rente de terrain constructible’ (...). Dans la valeur d’un terrain constructible nous devons donc distinguer deux facteurs, soit ia valeur diie @ la construction en soi et la valeur
de
la situation
en
ville
» (Eberstadt,
1909,
pp.
398-399).
Plus récemment,
des
auteurs sinspirant de la tradition néoclassique de modélisation du marché foncier introduisent le phénoméne sous le terme « rente de rareté » aux limites de Lagglomézation (Mayer, 1965 ; Scott, 1976).
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
198
ment avec le centre de la ville, un codt d’aménagement foncier élevé lié aux frais d’éviction et de démolition des bitiments existants, éventuellement d’un montant comparable aux frais d’aménagement des terrains les plus périphériques. Si Pon suppose, par commodité, que toutes les localisations s’ordonnent de facon identique sur les trois critéres de différenciation évoqués, on observe que la mise en concurrence des logements privilégiés avec les logements normaux produit deux types d’effets (figure 8d) : ’élimination des logements normaux de la zone des logements privilégiés, et la fixation d’un minimum de
la rente sur le logement privilégié & la frontiére des deux zones (1).
2. Du taux de rente a la rente par unité de surface. La densité en capital Pour une activité donnée de mise en valeur du capital, chaque localisation
urbaine détermine.donc un niveau donné du taux de profit. Si ce taux de profit
localisé est inférieur au taux de, profit. moyen.— ou du moins normal pour le type de capital concerné —-, Pinvestissement.n’aura pas lieu en ce point. Si par contre, il y a surprofit et dans la mesure ot celui-ci dépend des conditions spatiales, il pourra y avoir fixation de rente. Le montant du surprofit localisé rapport au capital engagé, ou taux de rente, mesurera la rentabilité interne de Popération du point de vue du capital. Mais puisque c’est la résistance.de. la propriété fonciére qui impose la
transformation du surprofit en rente, l’obstacle foncier prendra la forme d’une
rente exigée par unité de surface. Or la masse de surprofit disponible pour la payer dépend non seulement du taux de rente, mais aussi de la quantité de capital engagée par unité de surface, ou densité en capital.
Le logique du capital en l’absence d’obstacle foncier est celle de la maximisation du taux de (sut)profit. La logique de la propriété fonciére est différente : il s’agit pour elle d’obtenir une miasse de rente maximum par unité de surface. Elle n’est pas maitre, du processus de mise en valeur et ne pourra donc pas imposer entiérement sa rationalité au capital. Néanmoins, elle va modifier la logique de ce dernier : il sera contraint de, maximiser.le taux de surprofit compte tenu d’une rente minimum par unité de surface. Cette contrainte prend
la forme du prix d’offre du sol, qui renvoie 4 chaque capital particulier l’effet de action de l’ensemble des capitaux en Concurrence pour l’accés au sol.
C’est pourquoi les capitalistes devront détetminer Ia quantité de capital
investi par unité de.surface compte tenu d’une double contrainte. La densité
(1)
Dans
la figure
8d, le segment
CA
(= CB)
est plus
court
que le segment
OA
(= OB) car au lieu d’étre translaté au-dela de C il est amputé du segment OC. Au point actuel du raisonnement, on examine le systéme des rentes potentielles dans la zone urbani-
sable of Yon suppose qu’il y a des terrains disponibles en quantité toujours suffisante pour les besoins de la construction.
RENTES FONCIERES ET DYNAMIQUE DES PRIX DU SOL
199
de capital minimum est fixées par le niveau de la rente exigée — le prix d’achat du terrain. A cette densité, le surprofit est absorbé par la rente et la vente du produit au prix de marché procure au capital investi le profit moyen. Si cette rentabilité minimum ne pouvait étre atteinte par aucun capital, il faudrait Walleurs que la propriété fonciére réduise son prix d’offre. Au-dela de cette densité minimum, tout surprofit procuré par engagement de capital additionnel est approprié par le seul capitaliste. Dans le cas de la construction de
logements, la densification physique rapporte en effet une rente absolue et, le
cas échéant, une rente de monopole qui s’accroissent proportionnellement aux surfaces construites, ainsi qu’une rente différentielle additionnelle. Cette demiére, toutefois, ne croit pas de fagon linéaire avec la quantité de capital engagé. Selon une loi qui change selon les procédés de construction utilisés et les contraintes réglementaires sur le produit, le prix de production unitaire du logement — coft d’aménagement foncier inclus — varie avec la densité physique de Popération — et donc avec la densité en capital qui accompagne celle-ci. D’ot une limite maximum, proprement économique, a 1a densité en capital, lorsqu’on observe des tendements décroissants (1). Le constructeur capitaliste ne densifiera pas au-dela du point ot le taux de surprofit non transféré sera maximum, c’est-A-dire o Je cofit moyen par logement — prix du terrain compris — sera minimum. Si ce type d’opération se généralise,la dynamique du
« marché foncier » conduira d’ailleurs la rente a s’ajuster au niveau de surprofit
par unité de surface correspondant a cette densité en capital, qui simposera dés lors aux constructeurs comme une contrainte. Il est donc bien clair que, jusqu’a un certain point, la densification des
constructions procure des surprofits croissants par unité de surface et conduit
donc & la hausse des prix fonciers. Ce mouvement dépendra essentiellement du comportement des constructeurs et des rentabilités relatives qu’ils obtiendront dans les opérations de maisons unifamiliales et d’immeubles collectifs de plus ou moins grande hauteur. Hs peuvent d’ailleurs se heurter, dans la mise en cuvre de leur logique d’action, 4 la contrainte du réglement d’urbanisme : celui-ci impose parfois des densités inférieures 4 l’optimum capitaliste dans une localisation donnée. Tout se passe d’ailleurs comme si, avec le réglement d’urbanisme, la puissance publique créait les « plus-values fonciéres », car les prix du sol varient avec les densités autorisées. De 14 & poser que la rente fonciére nait de l"Etat, il n’y a qu’un pas que nombre d’acteurs et d’auteurs franchissent aisément. Il est pourtant clair que c’est la construction qui va permettre la réalisation
effective des rentes potentiellement inscrites au plan d’urbanisme. La « spé(1) moyen
Ainsi une étude britannique de la fin des années 1950 établit qu’alors le coit par
logement
décroit
fortement,
bien
que
de
moins
en moins
vite, lorsque
la
hauteur des immeubles passe de 2 4 6 étages il se stabilise ensuite jusqu’A une hauteur de 12 étages. Parallélement la densité de logements par unité de surface croit d’abord rapidement en fonction de la hauteur (de 20 logements/acre pour 2 étages & 38 pour 6 étages) puis extrémement lentement (44 logements/acre pour Stone publiée en 1959, citée in : Merrett, 1979, p. 75.
12 étages).
Cf.
’enquéte
de P.A.
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
200
culation fonciére » anticipe sans doute, mais elle ne peut éternellement se nouitit d’elleméme. Les bénéfices fonciers que permet la réglementation sont donc des gains différentiels : ils ne sont effectifs qu’avec la construction, et s'ils le sont ici, ils ne le seront pas ailleurs. Avec le niveau global d’investissement dans la construction, la masse de rente est en quelque sorte fixée. Elle se déplace dans l’espace, mais ne varie pas (1). Le plan ne crée donc nullement la rente. Il autorise certains propriétaires a se Papproprier, tandis qu’il V’interdit 4 d’auttes, voila tout. Dans Pensemble, cette distribution des gains ne peut toutefois étre totalement arbitraire. Il y a un rapport entre les densités autorisées et le niveau quantitatif et qualitatif des équipements urbains existants. Ponctuellement, ii est toujours possible d’augmenter a la marge les densités de population : d’ou Varbitraire du plan, et un espace pour les volontarismes rationalisateurs ou bien le clientélisme et la corruption, c’est selon. Mais, globalement et 4 terme, le déséquilibre comporte des sanctions sociales : accroissement des cotits de la gestion urbaine, dégradation des conditions de vie, comportements de résisdes détermitance des populations, luttes sociales et politiques. C’est donc nations structurelles que répondent les densités urbaines, non au bon vouloir du prince. Et parmi elles, la pression du capital dans la lutte pour retenir la
rente.
3. La compétition spatiale des usages du sol et la dynamique du marché foncier Considérons comme fixés, 4 un instant t, d’une part les conditions internes de la mise en valeur des capitaux dans les diverses activités urbaines, autre part le systéme des effets utiles d’agglomération. Il résulte de cette double série de déterminations que pour chaque usage du sol, il y a en chaque point de Yespace un niveau potentiel donné de la masse de profit localisé. Pour autant qu’aucun obstacle ne s’oppose au libre mouvement des capitaux dans l’espace — sous la seule réserve du paiement de la rente —,P’emportera dans la compétition pour l'utilisation d’une pareille donnée, le capital dont la mise en valeur rapportera le plus de profit ‘par'tnité de surface au sol et qui sera donc en mesure, de payer. le-prix le-plus-élevé-au m?.de-terrain. Ce
pouvoir
(montant
d’achat
dépend
évidemment
a Ja fois du taux de profit localisé
du profit par unité de capital engagé) et de la densité, de. capital
investi (montant de capital engagé par unité de surface). La dynamique du mar-
ché foncier résulte de cette. concurrence. des capitalistes entre eux pour accéder aux localisations favorables, et face aux propriétaires fonciers pour conserver la plus grande part possible du bénéfice.
(1) 1972).
On retrouve ici la notion de « floating value » avancée par M. Gaffney (Gaffney.
RENTES FONCIERES ET DYNAMIQUE DES PRIX DU SOL
201
1. La concurrence des capitaux Soit deux usages du sol en compétition, I et Il. A un moment donné, chacun peut étre caractérisé par le niveau des surprofits potentiels qu’il est susceptible de procurer en chaque point de l’espace, compte tenu du systéme
concret @effets utiles d’agglomération pertinents pour lui et de la densité de
capital ordinairement pratiquée dans les diverses localisations possibles (figure 9a). Le surprofit de branche transformable en rente absolue est inégal par hypothése (AA’ > BB’) : il y a donc, dans la concurrence entre agents capitalistes, une hiérarchie de ces deux usages du sol. En outre, la zone urbaine « utile » pour usage I, la seule od il soit possible de le mettre en ceuvre, est limitée a OA, tandis que la zone « utile » pour V’usage II s’étend jusqu’au point B. On supposera pour l’instant que la rente absolue sur cet usage inférieur doit étre intégralement réalisée au point B, mais que la rente absolue sur usage supérieur reste potentielle. Elle va précisément étre fixée dans la concurrence entre ces deux usages. En outre, & partir du niveau de profit atteignable aux points limites des zones utiles pour chaque usage, s’établissent des surprofits de localisation. Ils incluent rentes différentielles et rentes de monopole selon une loi variable selon Pusage du sol considéré (soit A’A” et B’B”). La concurrence entre les deux usages du sol va fixer le niveau de la rente en chaque point et l’affectation des terrains 4 un ou l’autre usage. En méme temps, elle induira les ripostes des agents capitalistes dont le profit normal est menacé. En examinant le processus de cette compétition, nous constaterons que les phénoménes de fixation des rentes et de hausse des prix fonciers peuvent
se
iransmettre
tant6t
des
zones
favorisées
aux
zones
défavorisées,
tant6t 4 Vinverse — ou, pour faire image, tant6t du centre vers la périphérie, tant6t de la périphérie vers le centre. C’est, bien entendu, le niveau du surprofit susceptible @’étre produit par unité de surface au sol qui va étre Popérateur de la compétition. Dans la configuration représentée, le surprofit potentiel dans l’usage I est supérieur & celui de Vusage II dans toute la zone OA ot la concurrence intervient. Celle-ci aura des effets différents selon la nature des rentes dans l’usage II et la réaction des agents capitalistes concernés. Dans un premier cas, usage II est éliminé de la zone OA (figure 9b). Cela suppose que les agents ne sont pas en mesure ni d’élever les prix finaux, ni @augmenter la densité de leurs opérations. Ils ne peuvent donc augmenter le surprofit par unité de surface dans l’usage HI et doivent se replier dans la zone ot la concurrence ne s’exerce plus (soit AB). La demande de sol y sera plus forte, mais le systéme des surprofits n’y étant pas modifié, les prix de demande resteront identiques. Sauf tension conjoncturelle, le prix des sols ne variera
pas (1). Au point A, les agents réalisateurs de Pusage I devront consentir le {1)
On suppose
toujours une disponibilité de sols dans la zone urbaine OB. C’est
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
202
Figure 9 — Formation des rentes fonciéres dans la concurrence de deux usages capitalistes du sol
a- Surprofits potentiels par unité de surface au sot dans Tes usages
Tet Hl
An
8
a
Bt
o
II b- Effets de ta concurrence entre I et T'usage 11; {pas de surprofits de monopole dans pas d'élévation de la densité de capital)
8
A
co Effets de 1a concurrence entre I et IIHI et {surprofits de monopole dans usage Blaévation de Ja densité de capital)
ra
B
.
RENTES FONCIERES ET DYNAMIQUE DES PRIX DU SOL
203
paiement d’une rente fixée par le niveau de la rente sur Pusage I au méme
point (soit AC). C’est la rente totale sur Pusage II au point de compétition
qui déterminera la part de surprofit de branche (AA’) qui devra étre fixée comme rente absolue. Si ce niveau de rente était supérieur au surprofit de branche par unité de surface (soit AC > AA’), il faudrait alors soit qu’intervienne une densification de capital dans usage I, soit qu’il se replie dans la zone ov le prix foncier ne menace plus le profit moyen, c’est-a-dire n’excéde pas le surprofit de branche. Ainsi, la rente sur la construction de logements constitue fréquemment le contenu économique de l’obstacle foncier 4 la construction de bureaux, fixe une limite inférieure aux prix des locaux commerciaux et ala densité des opérations. Toutefois, un second cas est plus fréquent. Dans cette hypothése, les agents réalisateurs de lusage II s’efforcent de le maintenir au moins dans une partie de la zone OA (figure 9c). Ils le peuvent si ’'une au moins de deux conditions sont remplies. Ou bien, le prix final dans l’usage Hi comprend, dans les localisations les plus favorables, une composante de monopole. Dans ce cas, bien quil faille abandonner une partie de la zone OA, il pourra étre possible de pratiquer, dans le reste de cette zone (soit HA) et méme dans une partie de la zone ot ne s’exerce pas la concurrence de usage II (soit AJ), des prix comparables 4 ceux qui étient auparavant pratiqués dans la zone OA. Dans ce cas de figure, il apparait que non seulement l’usage 1 peut se maintenir dans une partie de la zone de concurrence, mais que la rente sur II va élever alors le plancher de la rente sur l’usage I dans la zone oft HI se maintient (soit le niveau de rente FG > CG). En outre, le déplacement de la zone de prix de monopole au-dela de A va induire l’élévation de la rente dans la zone concemée (soit le niveau de rente EF > EC). Les mémes effets peuvent se produire si une autre condition est remplie : la possibilité dans usage I d’augmenter les densités de capital et donc le montant du surprofit par unité de surface. On voit donc comment la concurrence d’un usage supérieur peut avoir pour effet l’augmentation du niveau de la rente produit par l’usage inférieur dans certaines locali-
sations. Ainsi se produit
une hausse des prix fonciers 4 partir de usage
supérieur et des zones privilégiées vers usage inférieur, zones ou la concurrence ne s’exerce plus. Les prix fonciers sont donc a la fois poussés vers inférieur dans la zone de compétition (soit le point A de la AH de la figure 9c) et tirés vers le haut par la concurrence
y compris dans les le haut par l’usage figure 9b et la zone de l’usage supérieur
bien au-dela de ia zone de compétition (soit la zone AJ de la figure 9c). Les
prix du sol urbain peuvent donc augmenter soit 4 partir du centre, soit A partir de la périphérie.
Cette derniére hypothése peut étre illustrée par l’examen du cas ot la rente
absolue sur l’usage II dans sa localisation marginale augmente : soit par densification de capital, soit par renforcement de la résistance des propriétaizes
pourquoi |’élimination de Vusage B de la zone OA ne conduit pas a une extension de la zone OB qui modifierait le systéme des surprofits de Pusage B.
eee LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
204
fonciéres dans la concurrence Figure 9 (suite) — Formation des rentes de deux usages capitalistes du sol
Effets
d-
(pas
hausse
la
de
de surprofit
de
la
rente
de monopole
sur
absolue
dans
1'usage
II
l'usage
II)
AY N
hy
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At
c K
B
Effets
e-
de
(surprofits
A"
B"
B
A
0
la
hausse
de
de monopole
la
rente
dans
absolue
1'usage
Il)
sur
1'usage
II
206
LE PROFIT, LA RENTE ET LA VILLE
résultat de leur systéme. Elle tend, dans un espace urbain profondément hétérogéné du point de vue des conditions de la mise en valeur, 4 homogénéiser les taux de profit effectifs, aprés fixation des surprofits sous forme de rente. Cette homogéndisation de l’espace pour le capital par la différenciation des prix du sol est Veffet non d’un mécanisme, comme la présentation cidessus risque de le faire croire, mais d’un processus incessant de lutte du capital pour produire et conserver le surprofit, et de la propriété fonciére pour fixer celui-ci sous forme de rente et donc se l’approprier.
2. La huitte du capital et de la propriété fonciére Décrivons ce processus tel qu’on peut l’observer dans les phases ascendantes de la conjoncture immobiliére (1). Soit par exemple, un boom sur la construction d’immeubles de bureaux, qui tend & se développer dans les zones jusque 1a résidentielles adjacentes au centre Waffaires. Dés que ces opérations nouvelles cessent d’étre exceptionnelles, les prix d’offre des propriétaires de terrain — ou d’immeubles a démolir — vont augmenter, s’approchent du niveau des surprofits des promoteurs de bureaux. Dés lors, cette hausse des prix fonciers va mettre en cause la rentabilité des opérations de construction de logements. Si toutefois ils ne peuvent se mettre tout simplement 4 construire des bureaux, deux types de réponses sont possibles de la part des promoteurs de logements : densifier leurs opérations et en augmenter le prix, ou quitter la zone. En d’autres termes, tenter @ajuster leur profit interne d’opération au niveau requis par la concurrence des constructeurs de bureaux, ou prendre acte de l’impossibilité de le faire. L'élévation localisée des prix de vente n’est possible que si le promoteur s’'adresse au sous-marché supérieur, condition de l’existence de prix de monopole de ségrégation. Le marché sanctionnera les limites de la hausse possible lorsqu’apparaitra un net ralentissement de Ja vitesse de vente et un fléchissement du taux de profit témoignant d’une crise de surproduction locale. Une autre voie est celle de la densification des opérations. Rendue possible par le fait qu’elle s’impose simultanément a tous les constructeurs, elle peut néanmoins rencontrer des limites liées 4 la hausse des cotits unitaires, 4 la réglementation, ou au mode d’usage du logement des catégories sociales constituant la clientéle. La tendance dominante sera donc généralement d’aller contruire ailleurs. Il ne s’agira plus alors d’ajusger le surprofit 4 des prix fonciers en hausse, mais de créer du surprofit 14 ov ils sont encore faibles. Les premiers promoteurs qui adopteront un tel comportement courent le risque de l’échec, mais en cas de succés, bénéficieront de l'innovation.
(1)
Pour un examen
empirique
sur le cas de l’agglomération parisienne pendant les
années 1960, cf. Topalov, 1974, pp. 212-218 et 234-257.
RENTES FONCIERES ET DYNAMIQUE DES PRIX DU SOL
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S'il s’agit de construire des logements privilégiés dans des zones ov 1’on n’en réalisait pas habituellement, il faudra que celles-ci puissent étre incluses dans Vespace résidentiel des couches supérieures. Cela implique soit une extension & la marge des zones traditionnelles, soit une véritable conquéte de quartiers populaires centraux ou de zones périphériques nouvelles. Dans ces deux derniers cas, il faudra un changement radical des conditions urbaines pour que les opérations particuliéres soient possibles : la rénovation massive ou la grande opération complexe péri-urbaine peuvent modifier suffisamment Vespace pour rendre réalisable l'innovation. Cela dépendra généralement de la connexion des pouvoirs publics et de l’opérateur privé. Si Popération est massive, le promoteur pourra acheter les sols au prix courant et créer ensuite la possibilité de surprofits localisés qui lui reviendront intégralement. Si les réalisations sont plus diffuses et se multiplient progressivement, la hausse des prix fonciers viendra peu a peu absorber & nouveau la totalité des surprofits. Les chances de créer des surprofits par Pinnovation commerciale sont plus étroites pour les opérations de logement banales contraintes de changer de zone. Il ne sera pas possible, dans ce cas, de pratiquer des prix de vente supétieurs A ceux que Pon observe dans la zone de nouvelle implantation, i faudra s’adapter a ceux-ci. Les moyens d’établir un surprofit localisé supérieur aux prix fonciers courants seront donc d’une autre nature. Il s’agira de construire 1a ob jusqu’a présent, les promoteurs étaient absents et 1a, de densifier. Tantét il s’agira d’opérations diffuses en tissu urbain lache, plus denses que la construction jusqu’alors dominante a Vinitiative des ménages eux-mémes, et & une échelle suffisamment limitée pour minimiser les dépenses d’infrastructures : d@ot rente différentielle et augmentation de la masse de rente par unité de surface. Mais l’inévitable hausse des prix fonciers s’ensuivra, annulant l’avantage pour les promoteurs suivants. Tantét il s’agira d’opérations d’urbanisation périphérique qui impliqueront des dépenses d’aménagement élevées et devront étre réalisées & une échelle suffisante et avec le concours des collectivités publiques qui réaliseront une partie des équipements et créeront le droit de construire. De nouvelles zones seront ouvertes 4 la rente absolue et, si les dépenses privées d’aménagement foncier s’élévent de fagon significative, le prix régulateur du logement banal augmentera dans l'ensemble de l’agglomération et, avec lui, les rentes différentielles. Si toutefois le promoteur a pu acheter les terrains a un prix proche de la rente agricole, il conservera un surprofit. Ti apparait donc que le simple jeu du marché foncier conduit dans tous les cas & une rapide annulation des avantages que retirent les. promoteurs d’une
innovation en matiére dé localisation. Conserver le surprofit oréé iniplique une intervention publiqué soit pour réunir les conditions de celui-ci au bénéfice
direct du promotétif; soit pour contenir la hausse des, prix fonciers que déclanche son intervention. La théorie de 1a rente n’est donc pas seulement un instrument d’analyse du marché des terrains, mais aussi des politiques fonciéres
de "Etat.
ANNEXES STATISTIQUES
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