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French Pages 404 [426] Year 1976
Le paysan limbu: sa maison et ses champs
ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES
LE MONDE D'OUTRE-MER PASSÉ ET PRÉSENT PREMIÈRE
SÉRIE
ETUDES XLI
MOUTON . PARIS . LA HAYE
PHILIPPE SAGANT
LE PAYSAN LIMBU SA MAISON ET SES
MOUTON . PARIS . LA HAYE
CHAMPS
Ouvrage publié avec le concours du Centre national de la Recherche scientifique
© 1976 Mouton & Co and École des Hautes Études en Sciences Sociales ISBN: 2-7193-0915-X and 2-7132-0067-9 Printed in the Netherlands
INTRODUCTION CHAPITRE I. LES LIMBU ET LEUR INTEGRATION A LA NATION NEPALAISE I. LES LIMBU ET LES POPULATIONS DU NEPAL Onze millions de personnes, approximativement (1), vivent au Népal. Pour l'essentiel, on peut regrouper ces populations en trois catégor i e s (2). Les Indo-Népalais, originaires du Nord de l'Inde, et que parfois on appelle Khas. Snellgrove les définit comme "de souche mixte himalayo-indienne". Ils parlent une langue d'origine indienne, le khaskurâ ou nepàli, devenue langue nationale pour l'ensemble du pays. Ce sont des "intrus", montés de l'Inde au moment de la conquête musulmane, du moins en partie. Ils ont accédé au Népal par l'ouest, et de proche en proche, ils ont gagné l'extrême-est du pays. Ils demeurent des paysans non urbanisés, au genre de vie simple, marqué par l'hindouisme et le système des castes. Ce sont les Bahun (Brahmanes), les Chetri, les Samnyasi, les Kami, les Damai, les Sarki, etc. A la fin du 18e et au début du 19e siècle, avec la "conquête gurkha", ils ont contribué à l'unification du pays, à la formation de la nation népalais e . Ils dominent actuellement le pays sur le plan politique. Les Tibétains. D'autres groupes sont venus, dans un passé r é cent, du Tibet. Pour la plupart, ils habitent la frange Nord du pays, proche du grand massif de l'Himalaya. Ils ont conservé l'usage des dialectes tibétains. Ils sont fortement intégrés au bouddhisme. Ce sont les Bhotiya, les Sherpa, etc. Les "Tibéto-Birmans". Sous ce vocable, que Snellgrove définit comme beaucoup trop vague, on trouve un ensemble de populations qu'on appelle parfois "ethnies" ou "tribus" par opposition aux "cast e s " indo-népalaises. Pour la plupart, elles sont également d'origine tibétaine. Mais leur installation au Népal s ' e s t faite il y a t r è s longtemps, "bien avant que le bouddhisme ne soit parvenu au Tibet". "Ces peuples des régions intermédiaires ont gardé leurs cultures p r o p r e s " . P a r m i eux, les Newar, "ces vrais Népalais", habitent principalement la vallée de Kathmandu. Leur histoire remonte au 5e, et même au 4e siècle de notre è r e . Ils ont développé une "haute civilisation c r é a t r i ce". P a r m i eux, aussi, les Gurung, les Magar, les Sunuwar, les Râi, l e s Limbu, etc. Pour ces deux derniers, bien des t r a i t s qui les concernent sont proches des populations de l'Asie du Sud-Est. Peutêtre sont-ils venus de l'est, des confins tibéto-assamais, selon un cheminement difficile à déterminer (3). Ce tableau trop rapide est loin d'être exhaustif. Et dans le détail, les faits ne sont pas toujours aussi clairs, ni les limites aussi faciles à t r a c e r . Quoi qu'il en soit, dans les "collines népalaises", on a conservé l'habitude de distinguer, d'ouest en est, successivement, l e s "pays" magar, gurung, newar, tamang, sunuwar, râi et limbu. Il n'en est pas moins vrai que la société, aujourd'hui, est multi-ethnique, articulée selon l'ancien système des c a s t e s .
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II. LE PAYS LIMBU Les Limbu, qui font l'objet de notre étude, sont donc implantés dans l'extrême est népalais. De langue tibéto-birmane (4), et de traits mongoloi'des, ils habitent les vallées de la Tamur et de s e s affluents : la Kabeli, la Phak, la Mewa, la Maewa, etc. On a dit que les "frontières" de leur "pays" étaient, à l'ouest la vallée de l'Arun; à l'est, la frontière du Sikkim; au nord, le massif himalayen; au sud, la plaine indo-gangétique. Ces données, vraies dans l'ensemble, seraient à reprendre dans le détail. Toni Hagen l'a fait, en partie, dans sa carte ethnique dont nous reproduisons la partie orientale (5). A ce jour, c'est elle, semble-t-il, qui cerne le mieux la réalité. Le pays limbu appartient donc à ce qu'on a coutume d'appeler le domaine des "collines", le "bas-pays montagnard". Pour situer ce domaine, rappelons, en simplifiant encore beaucoup, que le Népal présente l'aspect d'un long rectangle, composé de trois marches, de trois bandes longitudinales accolées : au sud, la plaine; au centre, les collines; au nord, le grand massif de l'Himalaya. Au Népal oriental, remontant du Sud vers le Nord, on trouve donc, d'abord, la plaine indo-gangétique, le Terai tropical. Les altitudes sont basses : 75 mètres à Biratnagar, 300 mètres à Dharan(6). La densité de l'habitat est très forte. Les villes, bien développées, ont le même caractère que celles de l'Inde du Nord. Biratnagar compte plus de 100 000 habitants. Son industrialisation est en cours. Dharan, au pied des premières collines, possède aujourd'hui une population de 20 000 personnes. C'est un grand bazar, point de rencontre des habitants du bas-pays montagnard avec ceux de la plaine. Le long d'une rue, des maisons de marchands, dont tous les rez-de-chaussée sont des entrepôts. C'est l'avant-poste du commerce indien, qui peu à peu étend ses tentacules sur les montagnards. Dharan, aujourd'hui, approvisionne en produits importés la plus grande partie des collines du Népal oriental. Cette plaine, de caractère indien, très habitée, très chaude, avec son commerce, ses banques, s e s industries, ses routes carrossables, ses administrations, exerce une grande influence, à la fois politique et économique, sur les montagnards . Juste après Dharan, dernière ville de la plaine, commence le règne des collines. A vol d'oiseau, du Sud au Nord, elles s'étendent de 80 à 100 kilomètres, jusqu'à la grande chaîne de l'Himalaya. Là, plus de routes carrossables. On marche à pied, le long de sentiers de montagnes, l'été, sur les crêtes, l'hiver, dans les fonds de vallée. Les rivières sont traversées par des ponts suspendus, souvent en bambou. Les transports se font à dos d'hommes. Il faut compter une huitaine de jours, selon la charge et la saison, pour rallier Dharan aux derniers villages du Nord, les plus proches de la grande chafhe himalayenne. Le milieu humain est très différent de celui des plaines. C'est l'habitat traditionnel des Limbu, mais aussi de certains groupes Râi, et, aujourd'hui, de nombreux immigrés de castes indo-népalaises (7). Ils habitent des villages accrochés sur les pentes des vallées sub-tropicales. Ils vivent principalement de l'agriculture. La densité démographique est encore très forte. Les "villes", 2
elles existent, n'ont pas du tout le même caractère que celles de la plaine du Ter ai. Ce sont des petits bourgs de 2 000 à 4 000 personnes, nés de la jonction de l'administration centrale, de l'armée, du commerce. Elles ont, pour la plupart, un caractère récent. Elles aussi sont perchées sur les pentes. Dhankuta, la plus importante, est située à 1 100 mètres d'altitude (8); Chainpur, vers 1 300; Taplejung, vers 1 700; etc. Le bas-pays montagnard, les collines, culminent par des pâtures ou des forêts subtropicales à des altitudes voisines de 3 000 mètres. Enfin, toujours remontant vers le nord, après les collines, le grand massif de l'Himalaya. Dans l'Est du Népal, il assure la frontière avec le Tibet. Les sommets de l'Everest, à l'Ouest, en pays rai, au-delà de l'Arun, et du Kanchenjunga, à l'Est, culminent à plus de 8 000 mètres. Entre les deux massifs, les altitudes s'abaissent un peu. Quelques vallées, celle de l'Arun, par exemple, ou de la Tamur, permettent le passage vers le plateau tibétain. On marche également à pied, mais les transports se font, entre autres, à dos de yak, ou plus exactement de dzo (9). D'où des ponts, des passages, des étapes, en pleine forêt, d'un caractère différent de ceux des collines. Entre 2 500 et 3 500 mètres, parfois, dans l'Est du Népal, une forêt inhabitée, un vide démographique (10). Vers 4 000 mètres, quelques "oasis humains" qui se répartissent sur la frange nord du pays. Ils sont habités par des populations de dialectes tibétains : Yangma, Gunsa, Walungchung, Thudam, Tokpe Gola, les villages de la haute Arun, sont parmi les plus importants. Ils commandent les passes de haute altitude par lesquelles se faisait, dans cette partie du Népal, le grand commerce entre l'Inde et le Tibet : passe de Kangla (5 500 m); de Tiptala (5 000 m); d'Umbak (5 200 m); de Rakha (4 300 m); de Kimathanka, de Potti La (4 200 m) (11). C'est le pays des Bhotiya, à la fois marchands et éleveurs; agriculteurs aussi, mais d'une façon différente de celle des habitants des collines. El. LES LIMBU
ET LA CONQUETE GURKHA
Au Népal, il y aurait approximativement 140 000 Limbu (12). Ils représentent, selon les recensements officiels, de 1, 5 à 1,8% de la population totale. D'autres, on ne connaît pas exactement leur nombre, sont installés au Sikkim, en Assam, au Bouthan (13). Ce sont d'abord des agriculteurs, cultivant le riz, le maïs, l'éleusine, etc. A titre secondaire ils élèvent des bovins, des porcs, des moutons et des chèvres. Ancienne population "tribale", les Limbu sont aujourd'hui citoyens népalais. Leur intégration au royaume s'est effectuée à la suite de la conquête gurkha, celle qui permit à Prithvi Narayan, et à ses successeurs, d'unifier la nation (14). Cette guerre de conquête, au Népal oriental, paraît avoir été d'une violence inoui'e. Les rares témoignages qui demeurent sont atroces. Les Limbu furent vaincus. Il semble toutefois qu'au terme de cette guerre, les rapports de force soient demeurés incertains. Toujours est-il que les Limbu, mieux peut-être que les populations voisines, soumises avant eux, préservaient, semble-t-il, à l'issue des traités de paix, l'essentiel de leurs libertés. Sous réserve de percevoir l'impôt, le roi du Népal accor3
dait à leurs chefs, les subba (15), délégation de ses pouvoirs. A ce titre, les subba demeuraient les seuls dirigeants politiques du pays. Cette délégation de pouvoir sanctionnait leur autorité traditionnelle sur des groupes sociaux, que nous appellerons "segments de clan" et dont, selon la coutume, ils étaient les chefs. Comme par le passé, ils demeuraient donc responsables de la gestion des territoires des segments de clan, selon les règles d'un système foncier appelé kipat (16).Ils répondaient de la bonne marche d'un système de parenté qui empiétait largement sur le politique. Ils tenaient, toujours dans le cadre des segments de clan, une cour de justice appelée âmàl (N). Quand un conflit surgissait entre deux segments différents, les subba avaient rôle d'arbitres. Si l'arbitrage échouait, de vieilles institutions permettaient de trouver une solution. Elles reposaient sur le principe de la vendetta, des combats alignés et cérémoniels. En d'autres termes, à l'issue de la conquête, les Limbu, vaincus selon les traités, conservaient l'essentiel de leur autonomie. Ni leur culture, ni la religion qui leur était propre, ni leur organisation sociale ne semblaient menacées (17). Ces faits sont datés. Ils remontent aux dernières décades du 18e siècle. Dans ces formes, et malgré de nombreuses limitations successives, le pouvoir des subba demeurera inchangé jusqu'aux années 1960 (18). Deux cents ans, depuis, se sont écoulés. Ce que l'autorité centrale n'avait pu obtenir par les armes, elle l ' a acquis, peu à peu, tout au long de cette période de paix. Les Limbu, aujourd'hui, sont profondément entrés dans le processus de "népalisation" qu'avaient connu, avant eux, les autres populations "tibéto-birmanes". Ils sont dorénavant soumis aux lois de Kathmandu. Leur lente intégration à la nation népalaise s'est effectuée par un cheminement particulier, jalonnée de changements profonds qui ont bouleversé tous les aspects de la vie traditionnelle. Peut-être y ont-ils gagné sur le plan matériel ? Ailleurs, économiquement, politiquement, ils ont perdu l'essentiel de leurs prérogatives. Dans la nation, ils sont devenus une minorité ethnique. Lorsque l'on tente de retrouver les lignes de force de cette évolution, on voit bien que certaines des séquelles de la conquête gur kha ont eu une influence déterminante. Parmi celles-ci, d'abord l'afflux massif d'immigrants de castes indo-népalaises venus s'installer en pays limbu. Ensuite l'implantation de plus en plus solide de l'administration centrale dans les collines du Népal oriental. Enfin, sans doute, une rapide croissance démographique, dont on ne peut mesur e r l'importance que de façon indirecte et approchée, et qui semble s ' ê t r e amplifiée au début du 20e siècle. On saisit bien également, certains des mécanismes sociaux propres à la népalisation. Une lutte pour la t e r r e sans merci a opposé les Limbu aux immigrants de caste. Ces derniers étaient d'abord subordonnés aux subba dans le cadre des segments de clans limbu, régis par le système foncier kipat. Peu à peu, toutefois, leur influence a gagné. Le système foncier traditionnel s'est trouvé complètement oblitéré par une forme d'usure particulière, combinant le prêt monétaire, l'hypothèque et le métayage (19). Il en a r é sulté une implantation originale des populations que l'on trouve aujourd'hui : castes indo-népalaises dans les fonds de vallée; Limbu, à mi-pente; immigrés de dialectes tibétains, sur les crêtes. Avec 4
cette lutte pour la terre s'accélérait le processus de la transformation profonde du paysage agricole et, d'une façon générale, de tout le milieu technique. L'administration centrale, de tout son poids, a soutenu la lutte des immigrés de castes. Par l'application de lois nouvelles, promulguées par le gouvernement de Kathmandu, elle contribuait à un démantèlement sensible de certaines institutions coutumières des Limbu (système de parenté, solidarité familiale et clanique, organisation sociale), qui assuraient jusque-là une forte cohésion sociale. Et pourtant, juste après la conquête, au début du 19e siècle, l'administration centrale n'était pas bien forte dans le pays limbu. Bien plus, les subba, qui venaient de céder aux armes, résistaient, pied à pied et sourdement, à ses lents empiétements. Vaille que vaille, ils développaient un réseau hiérarchisé du pouvoir régional qui aurait pu mener à la constitution d'une société de "type féodal". Mais ils furent pris de vitesse. L'administration, s'implantant lentement au plus profond des collines, parvint à les contrôler. Et pour conserver leurs prérogatives, les subba en vinrent à se retourner contre les intérêts de leurs propres frères de clan. Ils faussèrent à leur profit le sens des institutions coutumières, comme celle de la justice par exemple, ou certaines des lois du système foncier kipat. L'utilisation croissante de la monnaie contribuait aussi, pour sa part, aux bouleversements sociaux. Des échanges d'un type nouveau apparaissaient. Régionaux, d'abord, dus en partie aux variations du nouveau calendrier agricole. D'une plus vaste ampleur, ensuite, puisque les collines du Népal oriental devenaient, par le canal de la ville de Dharan, un débouché pour le commerce indien. Immigrés Newar et Bhotiya, commerçant chacun à leurs façons, étaient les principaux agents de l'extension du phénomène. La monnaie, de plus en plus, devint l'étalon des échanges, même si ceux-ci, dans les villages, continuèrent longtemps à se faire en nature (20). Les effets conjugués de la lutte pour la terre, des abus des subba, des nouvelles formes d'échanges se combinaient, entre autres, à ceux d'une rapide croissance démographique pour porter des coups très durç à l'économie traditionnelle. Le produit de ses champs ne suffisait plus à nourrir le paysan : il devait aller chercher ailleurs une monnaie de plus en plus nécessaire à sa survie. Il s'engageait dans l'armée indienne ou anglaise. Chaque année, il migrait en Assam, ou au Sikkim, de plus en plus massivement, pendant l'hiver. Le calendrier des activités traditionnelles était déséquilibré. Peu à peu, un flot d'émigration ininterrompue s'écoulait vers la plaine assamaise, plaie béante qui sapait les forces sociales. Deux cents ans après la conquête, la société traditionnelle se retrouvait affaiblie. La résistance politique des subba était contrôlée. Dans les années 1960, l'administration pouvait instaurer un nouveau système politique, celui que connaît tout le Népal aujourd'hui, et que l'on appelle système paficàyat. Il parachevait le lent processus de centralisation qui soumettait définitivement l'ancienne population tribale à l'autorité de l'État. Avec lui s'affirmait de plus en plus nettement la mainmise des petites villes sur les campagnes. Les effets culturels de la népalisation, jusque-là, avaient été profonds, mais lents. Ils connaissaient alors une brusque accélération. L'installation d'écoles nouvelles, la primauté de la langue ne5
pâli, des développements techniques favorables aux notables, contribuaient à la diffusion de plus en plus forte d'une idéologie dominante, celle des Indo-Népalais, fondée sur l'hindouisme, l'ancienne hiérarchie des castes, le système politique paficâyat. Le Limbu était pris entre le désir de promotion sociale que lui offrait, en apparence, la népalisation; et le refus de tout compromis, qui le poussait à se réfugier dans ses propres valeurs. Il était devenu un "métis culturel" avec toutes les difficultés que suppose une telle situation. Ainsi, deux cents ans avaient suffi pour que, d'une société traditionnelle et homogène, on soit passé à une société multi-ethnique, dominée par l'idéologie indo-népalaise, et à l'apparition de deux classes économiques, articulées sur l'ancienne hiérarchie des castes. IV. QUESTIONS La première impression que l'on a, c'est que l'intégration des Limbu à la nation népalaise a résulté de l'interaction réciproque de multiples phénomènes. Dans cet écheveau, tout se tient. L'arrivée des immigrants de caste, et la croissance démographique; la résistance des subba et la lutte pour la t e r r e ; la transformation du paysage agricole et l'implantation de l'administration centrale; l'importance accrue de la monnaie et la népalisation culturelle; la mainmise de la ville sur la campagne et les changements techniques; les lois nouvelles promulguées par le gouvernement de Kathmandu et la puissance de cohésion de l'organisation sociale traditionnelle; l'apparition de besoins nouveaux, et l'émigration en Assam. La première question, et la plus importante, que nous posons dans ce travail, est celle-ci : au cours de cette évolution, y a-t-il eu des facteurs plus déterminants que d'autres; et, si c'est le cas, quels sont-ils ? Ceux qui relèvent du technique, ou ceux qui sont liés au social ? Le politique ou l'économique ? Et la part du religieux ? du culturel ? Nous voilà déjà au coeur d'une vieille querelle d'école que Charles Parain, dans un récent article sur l'évolution de l'habitation rurale, a de nouveau ravivée (21). Analysant un livre de Rapoport sur l'habitation, il note : "Pas à pas, /l'auteur/ critique les explications unilatérales /de l'évolution/, à partir du climat, des matériaux, de la technique, du site, de l'économie et de la religion, qu'il juge impuissantes à expliquer les différentes formes que peut prendre la maison dans l'architecture populaire : c'est que cette forme est, aff i r m e - t - i l , avant tout culturelle, c'est-à-dire complexe. Ses répondants s o n t . . . Redfield, pour qui l'ordre moral est plus puissant que l'ordre t e c h n i q u e . . . " . Et Parain ajoute : "point n'est besoin de r e prendre longuement la critique de positions aussi radicalement idéalistes. On se trouve en présence, avec une variante de formulation, de la thèse fondamentale des structuralistes, à savoir que les sociétés primitives sont régies par des structures de parenté, et non par des rapports productifs... Il faut, sans se lasser, rappeler l'analyse d'Engels dans la préface à la première édition de l'Origine de la famille. . . 'Moins le travail est développé, moins grande est la masse de ses p r o d u i t s . . . Plus aussi, l'influence prédominante des liens du 6
sang semble dominer l'ordre social. Mais, dans le cadre de cette structure sociale, basée sur les liens du sang, la productivité du travail se développe de plus en plus. La vieille s o c i é t é . . . éclate par suite de la collision des classes sociales nouvellement développées'". Cette citation d'Engels, mentionnée par Charles Parain, il nous semble pouvoir la reprendre à notre compte. A notre idée, elle s'ajusterait précisément à l'évolution historique récente du Népal oriental. Elle permet la compréhension d'une situation compliquée dans ses formes, mais simple dans son principe. Précisons de la façon la plus claire possible notre façon d'aborder le problème. Initialement, au moment de la conquête gurkha, deux populations, deux sociétés s'affrontent. Chacune possède une culture qui lui est propre, sa religion, son organisation sociale. Pour l'une comme pour l'autre, cette organisation repose sur des institutions qui exaltent l'influence prédominante des "liens du sang" : famille, gotrâ, clan, lignée, segment de clan, caste, ethnie. A l'issue d'une empoignade de deux siècles, une nouvelle société apparaît, unique. Sans qu'il y ait eu métissage, les deux populations se sont toutefois mêlées dans les mêmes vallées, les mêmes villages, les mêmes hameaux. Elles cohabitent sur un même territoire, selon une organisation nouvelle. Deux classes économiques sont apparues : dans l'une comme dans l'autre on y trouve, en proportion variable, des représentants de chacune des populations initiales. Les cadres ethniques, ou de caste, ont donc, d'une façon ou d'une autre, éclaté. Et pourtant, il nous faudra en tenir compte, les vieilles institutions socio-culturelles, les "liens du sang", en quelque sorte, demeurent, en apparence, inchangés. Ce bouleversement social s'explique, selon nous - et c'est la thèse, pas t r è s nouvelle, que nous chercherons à défendre - par la transformation profonde du milieu technique; en particulier, de ce qui a trait au paysage agricole et aux méthodes de l'agriculture. De "l'écobuage" traditionnel, on est passé à un type d'agriculture en terr a s s e partiellement irrigué. En dernier recours c'est la raison profonde de l'intégration des Limbu à la nation népalaise. Et si nous ne nions pas l'importance des faits socio-culturels dans le façonnage de la nouvelle société, nous nous refusons à y voir un facteur déterminant. Notre propos ne sera donc pas, ici, de décrire la résistance des subba et leur échec; les formes qu'ont pu prendre la lutte pour la t e r r e ; la désorganisation progressive de la société limbu traditionnelle. Ni d'exposer, pas à pas, la lente victoire de l'administration centrale qui, de 1774, année du décret royal de Prithi Narayan accordant "l'autonomie" aux Limbu, jusqu'en 1967, date de l'implantation des "paflcâyat de village" au Népal oriental, a duré près de deux cents ans. Mais cette étude socio-historique de l'intégration des Limbu à la jeune nation népalaise, plus tard, nous espérons la mener à bien. Et nous cherchons, ici, à en déterminer les fondements. Surtout, à définir l'enjeu des affrontements qui servit de toile de fond à la formation de la nouvelle société. Nous ne tenterons pas non plus de suivre les cheminements historiques du passage de l'écobuage à l'agriculture en t e r r a s s e . Bien des éléments, d'ailleurs, font défaut pour entreprendre une telle enquête d'histoire des techniques qui s'avère plus compliquée qu'il n'y paraît. 7
Notre propos, dans ce travail, c'est, sur un terrain privilégié, de tenter, le plus concrètement possible, de répondre à deux questions, d'aborder deux démonstrations. - La première consiste à mettre en lumière le lien direct entre l'irruption du changement technique et la transformation qui s'ensuit de la société. - La seconde, de montrer que dans une société bouleversée, les institutions traditionnelles, celles qui appartiennent à l'âge des anciennes techniques, demeurent parfois, en apparence, inchangées. Mais qu'il ne faut pas trop s'y fier si l'on veut accéder à la compréhension de la réalité sociale nouvelle. Pour essayer de parvenir à ce double objectif, nous avons eu r e cours à deux domaines simples de la vie technique. L'agriculture, d'une part; et la maison, de l'autre. Nous nous sommes efforcé de décrire ces deux ensembles de techniques à deux moments différents de l'histoire limbu : avant la conquête d'abord, disons dans les années 1770. Et deux cents ans plus tard, dans les années 1970, ensuite. Bien sûr, pour décrire l'ancien genre de vie, nous nous sommes heurté à l'absence de documents détaillés. Aussi notre tableau de la vie agricole et de la maison limbu, il y a deux siècles, est des plus réduits. Les témoignages historiques dont nous disposons permettent de constater que les Limbu, avant la conquête, étaient pour l ' e s sentiel, des essartants, habitant des maisons sur pilotis. Ils ne nous autorisent pas d'aller plus loin que cette constatation, effectuée, d'ailleurs avec des réserves d'ordre chronologique. Rien, par exemple, sur l'organisation sociale propre à l'ancien genre de vie. Certes, pour suppléer à ce manque d'informations, il eut été possible de r e courir aux données disponibles sur d'autres essartants proches des Limbu, leurs voisins Lepcha par exemple. Nous avons répugné à un tel procédé. Il nous a semblé que, pour parvenir à nos fins, une autre voie était ouverte. Celle qui consistait, au détriment d'ailleurs de l'équilibre de l'ensemble de l'étude, à détailler le plus possible les techniques d'aujourd'hui. Ce faisant, il était facile, alors, de mettre en lumière les implications socio-économiques qui leur sont liées. Mieux seraient exposées les techniques nouvelles, plus le lien avec l'économie qui leur est propre, apparaîtrait clairement; et plus ce lien paraîtrait évident, obligatoire, et sans aucune possibilité de rapport avec l'ordre technique qui existait autrefois. Nous avons cru qu'en développant ainsi, largement, le tableau du genre de vie actuel, nous parviendrions à surmonter les problèmes qui s'élevaient à l'évocation du genre de vie ancien. V. PLAN DE L'ETUDE D'où le plan de notre étude : Dans ce premier chapitre nous venons de poser les questions qui nous intéressent. Cette partie introductive comporte deux autres volets. L'un relatif à la vie quotidienne dans une vallée du Népal oriental. Il n'a pour autre objet que d'humaniser une enquête par ailleurs assez sèche; de replacer dans un contexte vivant des descriptions morcelées. L'autre fera état du genre de vie d'autrefois, avec 8
les limites que l'on vient d'évoquer. Après les données introductives, la première partie de l'étude est consacrée à la description des techniques agricoles telles qu'on peut les observer aujourd'hui dans les collines du pays limbu. Elle nous permettra, d'une part, de préciser l'ampleur de la transformation survenue depuis la conquête gurkha- De l'autre, d'apporter les éléments nécessaires à la compréhension ultérieure des données économiques qui leur sont directement liées. Nous présentons d'abord la typologie des t e r r e s cultivées; l'outillage; les méthodes de fumure. Puis la description des techniques de riziculture irriguée; enfin celles des cultures sèches : maïs, éleusine, blé, orge, pommes de t e r r e , etc. La seconde partie de l'enquête s'efforce, par la simple description, d'accéder à un nouveau constat : dans un monde aux techniques nouvelles, les institutions socio-culturelles traditionnelles paraissent intactes. Pour ce faire nous aurons recours à l'étude de l'habitation. Nous nous attacherons, d'abord, à sa description; puis à sa construction, selon des procédés nouveaux et empruntés. En étudiant enfin l'organisation de l'espace domestique, nous pourrons mettre en évidence, alors, dans cette maison d'une conception récente, la survivance du genre de vie traditionnelle. Notre troisième partie nous ramènera au nouveau mode de production agricole dans ses aspects socio-économiques. Trois thèmes seront abordés. Celui de l'organisation du terroir, selon un système de rotation des cultures très élaboré, mais qui implique une diminution de la productivité au fur et à mesure que l'on s'élève des t e r r e s basses aux t e r r e s hautes. Il permet de comprendre l'enjeu de la compétition foncière, apparue en même temps que la mise en valeur des t e r r e s . Cette "lutte pour la t e r r e " nous pourrons alors la constater dans la description à la fois quantitative et qualitative des divers types d'exploitations. Enfin nous en verrons les effets sociaux dans l'étude des formes de la main-d'oeuvre. Nous nous trouverons donc pour conclure, en possession de deux descriptions, sans lien entre elles, du genre de vie limbu à deux siècles d'intervalle. Le premier, t r è s limité, relatif aux décennies qui ont précédé la conquête gurkha; le second plus détaillé, actuel. C'est alors qu'il nous faudra tenter de répondre aux questions posées. NOTES 1. Selon les recensements officiels, on comptait 10 millions de Limbu en 1964. 2. Snellgrove (1966), partant de la classification que les Newar font euxmêmes, distingue principalement deux types de population : les Khem ou Khas, originaires de l'Inde, et les Sem, venus du Tibet. Pour ces derniers nous avons distingué deux groupes, les "Tibétains" d'implantation récente, et les "Tibéto-Birmans", installés depuis longtemps. 'Cette distinction, arbitraire et commode, est souvent utilisée. A ce sujet et pour une analyse plus proche de la réalité, cf. les études classiques de Lévi (1905), Hamilton (1819), Kirkpatrick (1811), Snellgrove (1966), D.B. Bista(1967). Dans cette étude, les noms des "populations"_(jât) ont été francisés, de même qu'un certain nombre de mots limbu ou nepâli d'un emploi fréquent. Les mots nepâli seront suivis du sigle N. Les mots limbu du sigle L. Les premiers seront orthographiés selon la méthode de translittération du Turner (1931), auquel nous renvoyons par la lettre T. Les seconds selon l'orthographe 9
que l'on trouve dans Chemjong (1961), tout en connaissant les dangers de la "sankritisation" qu'a souligné Macdonald (1966 a, p. 45). Nous ferons r é f é rence au dictionnaire de Chemjong par les lettres CJ. 3. Sur la relation entre Râi et Limbu avec les populations de l'Asie du Sud-Est, c f . , par exemple, Rose (1966), p. 10, 14; Berreman (1963), p. 289304. 4. "First classified as Tibeto-Burman by E . L . B r a n d e t h . . . the Kiranti languages were reclassified by Przyluski as Munda... In the 1952 edition of Langues du monde, Maspero returned to the earlier classification which also has the support of Konow and Wolfenden, and of Shafer, who assigns Limbu to the East Himalayish Section of the Bodic D i v i s i o n . . . " (cf. Sprigg, 1966, p. 451, note 2). 5. Cf. Hagen (1961), p. 62. Pour les noms de lieux, on a conservé l'orthographe la plus courante que l'on trouve sur les cartes. 6. Sur Dharan et Biratnagar, cf. Okada (1970), p. 23; Caplan (1970), p. 26 et 115. 7. La description la plus fouillée des collines de l'extrême est népalais se trouve dans Hooker (1854), botaniste qui a parcouru le pays en 1848. 8. Sur Dhankuta, cf. Hodgson (1857), p. 118; Okada (1970); Shrestha (1968), p. 151; Für er-Haimendorf (I960), p. 13. 9. Les dzo sont des animaux croisés de yak et de vache. 10. Ce vide démographique existerait sur une partie de l'Himalaya; cf. Dupuis (1972), p. 69. 11. Sur les passes de haute altitude dans l'est du Népal, cf. Thapa (1969), p. 9. Pour leur description, cf., entre autres, Hooker (1854), p. 156 s q . ; Das (1902), passim; Morris (1923); Bista (1967), p. 145. 12. Selon les recensements officiels de 1952-1954, il y avait 145 983 Limbu. Ce chiffre passe en 1961 à 138 705. 13. Sur les Limbu installés au Sikkim, en Assam, au Bhoutan, cf. Baines (1912), p. 37; Hamilton (1819), p. 118; Nebesky (1956), p. 126 et 138; O'Maley (1907), p. 43; Caplan (1970), p. 6; Rose (1963), p. 117; Nakane (1966), p. 260; Donalson (1900), p. 208; Paterson (1962), p. 193; Davis (1961); ainsi que le Census of India (1941). 14. Sur les aspects historiques concernant la conquête gurkha et l'implantation de l'autorité centrale en pays limbu, cf. principalement Regmi (1965), III; Kipat; Regmi (1971), p. 50-52; 143-146; Hamilton (1819), p. 128 s q . , Hodgson (1857 d);Mac Dougall (1965), p. 6 sq. 15. Sur les subba et leurs fonctions, cf. Regmi (1965), HI, p. 81 s q . ; Caplan (1970), p. 96 sq. 16. Sur le système kipat, cf. Regmi, op.cit.; et Caplan (1970), p. 96 sq. 17. Sur les aspects traditionnels de la vie limbu, cf. Risley (1892), a r t . "Limbu"; Vansittart (1894), p. 96 sq.; Hodgson (1858 a); Campbell (1840 b), (1842), (1855); Barnouw (1955); Chemjong (1966); Caplan (1970). A propos de l'implantation en altitude des diverses populations, cf. Campbell (1840), p. 604; Karan (1960), carte 12; Hägen (1961), p. 71; Für er-Haimendorf (1954). 18. Les règles définissant l'autorité des subba, synchrétisme des lois coutumières et des décisions administratives, sont restées, pour l'essentiel, les mêmes, de 1820 à 1967 : cf. Regmi (1965). 19. Sur ce phénomène, cf. Caplan (1970), pour la région d'Ilam. 20. Sur le commerce avec la plaine indienne, cf. Sagant (1968). 21. Parain (1973), p. 143.
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CHAPITRE IL LES TRAVAUX ET LES JOURS DANS UN VILLAGE
Les Limbu ont leurs idées sur les saisons. Ces idées sont liées à l'aspect du pays qu'ils habitent, fait de vallées étroites qui mènent de la plaine indienne, étouffante, vers les neiges éternelles du haut plateau tibétain. Pris entre la montagne et la plaine, les Limbu distinguent deux saisons. La saison "montante" d'abord, de février à août. Et la saison "descendante", d'août à février (1). Chaque année le phedangma, prêtre limbu, officie deux fois dans chaque maison. La première, au début de la saison montante, et la seconde, au début de la saison descendante. Au-delà de cette claire manifestation, les deux saisons ordonnent la vie des gens de façon très profonde, inconsciente, même. Par exemple, dans les champs, pendant toute la durée de la saison montante, sur les terrasses, on commence le travail en aval, pour remonter vers l'amont; ou du bas, près de la rivière, pour aller vers le haut, vers la crête. Et l'inverse pour la saison descendante. Souvent les paysans ne savent pas pourquoi ils agissent ainsi. Ou bien, il leur faut réfléchir pour trouver la raison. Mais ce n'est pas tout. Nous avons tenté de décrire, dans ce chapitre, les activités importantes, caractéristiques, qui marquent chacun des mois de l'année dans un village limbu d'altitude moyenne (1 000-1 700 m). Chaque mois a sa couleur propre, irremplaçable, une physionomie qui lui est particulière. Et lorsqu'on tente de cerner au plus concret ce qui fait les travaux et les jours, on s'aperçoit que c'est vrai : de la plaine à la montagne, tout monte avec la saison montante. Et tout redescend avec la saison descendante. Voici donc mois par mois, la vie quotidienne dans un village limbu. 1. MOIS DE "PHÂGUN" (15 FEVRIER - 15 MARS) (2) C'est l'époque, dans la vallée, où l'on dit que les vents "se mélangent", où les saisons basculent. Le vent d'hiver, qui descendait des neiges du Nord, lutte avec celui qui vient des plaines du Sud. Le vent d'été prend le dessus. On "remonte" vers la mousson, qui sera là dans quelques mois. C'est le début de l'année. Les hirondelles arrivent. Elles s'établissent dans les maisons, sous le plafond des vérandas. On empêche les enfants de les effrayer. Au village, la vie, aussi, bascule. L'époque des loisirs culmine avec quelques mariages préparés de longue date. En même temps, les labours et les semailles de mal's, commencés le mois précédent, continuent. Ce sont les premiers gros travaux depuis la moisson du riz, trois mois auparavant. "Il faut se remettre pour de bon au travail; les plaisirs, c'est terminé." C'est ce que tout le monde dit. 11
Les bêtes sont encore partout dans le village. Elles menacent continuellement les champs, pourtant enclos, de pommes de terre, vert sombre, et ceux, plus clairs, du blé qui lève. Mais ce n'est plus pour longtemps. Elles aussi commencent à remonter. Un peu partout sur les terrasses, les attelages de labour les repoussent. On entend les hommes qui guident les bêtes de la voix et de l'aiguillon, à longueur de journée. Ils tournent, comme ils peuvent, l'araire, aux extrémités des champs trop exigus. Lorsque le premier labour est terminé, femmes et enfants, à la queue-leu-leu, viennent déverser leurs lourds paniers de fumier. Alors commencent les seconds labours. Cette fois, derrière l'araire, un enfant suit, égrenant le mai's dans les raies. Dans le même champ, trois ou quatre femmes, les premières journalières de la saison, brisent les mottes à la houe. C'est la première fois de l'année où l'homme entr'ouvre la terre. Dans les hameaux, subba et phedangma (3) se sont consultés. Chaque famille apporte un poulet, une pièce de monnaie, quelques semences. Un matin, tout ce monde est présent dans un champ en terrasse. On invoque les maîtres de la jungle. On demande de bonnes récoltes, que ni le "tigre" ni les ours ne viennent dévaster le grain; que la grêle et le vent d'orage soient cléments. On divinise sur l'aspect des semences. A la fin, les poulets sont égorgés : on offre leur sang aux esprits. Puis, ensemble, a s s i s à même le champ, avant de déjeuner, avec un peu d'alcool, on mange leurs abats, rôtis. On ne travaille pas qu'aux semailles de mai's. Dans les cours des maisons, on finit de fabriquer les araires, à côté de la femme qui tisse. Au potager, on plante les légumes. On refait les toits de chaume. Les maisons en construction sont sur le point d'être terminées. La jungle résonne de coups de hache : partout on prépare la réserve de bois de chauffage. Par paniers entiers, il se déverse dans les cours des maisons, où on le laisse sécher. Lorsqu'il fait trop sec, il faudra irriguer, un jour ou l'autre, les champs de blé. Le village, presque déserté pendant l'hiver, commence à se repeupler. Les femmes rentrent au domicile conjugal. Elles étaient, depuis plusieurs semaines, dans les villages de leur père, de leurs frères. Les hommes qui étaient au Sikkim, pour porter des mandarines, viennent de rentrer. Ils ont rapporté de beaux vêtements, un peu d'argent. Mais on attend toujours les scieurs de long, partis en Assam. Est-il malade ? Reviendra-t-il cette année ? En attendant, on emprunte, pour acheter du grain, qui commence à manquer. Les Sherpa sont partout dans le village, plaçant leur mai's. Les cours des céréales augmentent. C'est ce qu'attendaient les gros propriétaires, pour commencer à écouler leurs stocks de riz aux commerçants bhotiya qui continuent de sillonner les chemins. Ces transactions-là, les grosses, se font la nuit, à l'insu de tout le monde. Au petit matin, de longues files de dzo (4), aux pompons rouges, mêlés de cloches, lourdement chargés, traversent le village, et remontent vers le nord. Des Limbu continuent de descendre sur Dharan (5), vers 12
les plaines. Mais les commerçants Newar trouvent moins facilement des porteurs. Eux aussi sont forcés d'allonger petitement leurs prix. Après les semailles de mai's, si l'on descend, c'est pour aller chercher le sel ou le pétrole dont on aura besoin pendant les pluies de la mousson, quand les chemins seront coupés. Les derniers mariages réunissent encore une fois, pour deux ou trois jours, tout le village. On s'amuse, on boit, on se gave de viande, on danse toute la nuit. Il faut en profiter. A plusieurs signes, c'est la fin de l'opulence. Dans les maisons, en s'excusant, on vous sert les premières bières de mai's, qui remplacent celles d'éleusine. Au repas, le riz est mélangé à de l'orge. Le soir, dans les hameaux, les danses se font plus rares. 2. MOIS DE "CAIT" (15 MARS - 15 AVRIL) Depuis la fin du mois précédent, on va à la pêche. C'est maintenant, et pour deux mois, la pleine saison. Le poisson remonte les rivières. Dans les maisons pauvres, au petit matin, on voit descendre les hommes vers la rivière, avec leurs gaules et leurs lignes. Le poisson est échangé contre du riz. Avec des fougères cueillies dans la jungle, quelques pommes de t e r r e achetées aux Bhotiya, c'est l'essentiel des aliments d'appoint du mois. On continue d' économiser le riz, mélangé, maintenant, à de l'orge et du blé, achetés aux Sherpa. A Libang, on finit les semailles de mai's dans les champs des crêtes, près du hameau Sherpa. Dans les premiers jours du mois, on met à feu les champs essartés, puis on effectue les deux labours et les semailles. S'il n'a toujours pas plu, pour la deuxième fois, on irrigue une journée les champs de blé. Le gros travail du mois c'est le débitage des réserves de bois de chauffage, pour la mousson. Les derniers voyages sur Dharan s'accomplissent. Presque tout le monde est revenu, maintenant, au village. Les scieurs de long, partis depuis quatre mois et plus, en Assam, commencent à rentrer. Ils sont épuisés. Ils restent des journées entières, assis sur la véranda, les yeux dans le vague, sans pouvoir récupérer. La plupart sont atteints de malaria. Ils ont tant de fièvre qu'on les croit en transes. Le phedangma, toutefois, ne s'y trompe pas. Certains ne sont pas là. Leur histoire, lentement, se répand dans le village : volés, arrêtés par la police indienne, malades, ils resteront dans les plaines jusqu'à ce qu'ils en aient terminé de souffrir ou de payer. Le phedangma est très occupé. Chaque nuit, il officie dans une maison différente. Il y fait Nâhànmâ, Mànennâ, Lumâeppâ, Tonsin, Gràhà (6) de la "saison montante" . Il se plaint du manque de sommeil. Il boit comme un trou. Il n'a même plus envie de viande, et 13
l'abandonne aux enfants. Il répète à tout venant que les médecins sont bien heureux, avec la prescription d'un médicament, de s'en tirer en cinq minutes. Les subba font appel à un lama tibétain pour qu'il vienne chasser la grêle. Vers la fin du mois, les Bhotiya commencent à quitter définitivement les basses vallées, achetant du grain partout où ils en trouvent encore. Puis ils remontent chez eux, pour récolter leur orge, pour planter eux aussi leur mal's, pour préparer les expéditions commerciales d'été, vers le Tibet; on ne les reverra plus avant décembre prochain. 3. MOIS DE "BAISÂKH" (15 AVRIL - 15 MAI) De la mi-avril à la mi-mai, le plus important des travaux, c'est le premier sarclage du mal's, celui qui a été semé en phâgun Par groupe de cinq à dix, les femmes sont courbées sur les terrasses. Les propriétaires surveillent, a s s i s un peu plus haut. Ils offrent du tabac, lancent une grosse plaisanterie, recommencent à offrir du tabac. En fait, ils ont l'oeil. On dit du riz "premier labour mal fait, riz mauvais". Pour le mal's, c'est le premier sarclage qui compte, chacun le sait. Les travaux commencent à se précipiter. Il faut être partout à la fois, le blé est mûr, l'orge est mûre, les pommes de terre attendent d'être récoltées. On coupe les premiers, on bine les secondes. La coupe du bois continue. Dans les champs du bas, il faut déjà faire les deuxièmes sarclages du mai's précoce. Dans les champs du haut, ceux où l'on vient de récolter l'orge, près des maisons Sherpa, on plante le mai's tardif. Vers la fin du mois il faut s'attaquer aux pépinières de "millet" et de riz précoce. Blé et orge donnent un répit au manque de grain. Les maisons riches les mélangent au riz qu'on économise. Les pauvres s'entendent avec les Sherpa, gros producteurs : qu'ils prêtent de l'orge, on leur rendra du riz en décembre. Chez les uns comme chez les autres, lorsque les travaux des champs ne peuvent attendre, c'est une bouillie claire de farine d'orge que l'on avale rapidement. Pour l'appoint, il continue d'y avoir un peu de poisson; mais ce sont surtout les pommes de terre : pendant un mois et demi à deux mois, on en mange matin et soir. Vers la fin du mois, il y a un moment d'affolement. Chez les pauvres, ceux qui ont mangé les semences de l'année précédente s e précipitent chez les Chetri, les seuls à pouvoir vendre encore du riz. Les riches Limbu, eux, qui n'aiment pas la bière d'orge, y achètent de l'éleusine. Tous demandent du mai's pour pallier au manque de riz. C'est l'époque du deuxième départ des grands troupeaux vers les hautes pâtures (7). Avant qu'ils ne partent, on tond les moutons. 14
Au matin, les bovins, venus des villages chetri de la basse vallée, traversent à nouveau les hameaux limbu, avec leurs chiens, et leurs bouviers aux lourds paniers. On n'a pas le temps de les regarder passer. On sait seulement que le ghiu (beurre cuit), va manquer dans les maisons. Les petits troupeaux, qui fument les champs sur les pentes, ne peuvent produire assez pour tout le monde. Les maisons riches, les prévoyantes, ont fait leurs réserves : elles doivent durer jusqu'à la fin de la mousson. Les derniers porteurs sont rentrés de Dharan. Ils ont rapporté les dernières charges de sel et de pétrole que l'on trouve à acheter. On se les arrache, en prévision de la saison des pluies. Celui qui n'aura pas de pétrole aura du mal à allumer son feu. Dans 15 jours, les chemins seront impraticables, les eaux grosses, les ponts dangereux. Déjà les orages se font de plus en plus fréquents. 4.
MOIS DE
"JETH" (15 MAI - 15 JUIN)
A partir de la mi-mai, on entre en plein dans la saison des gros travaux. Jeth et asâr, le mois suivant, sont considérés comme les mois les plus pénibles; encore plus pénibles que ceux qui suivent, de sâun et bhadau. Les orages se font de plus en plus fréquents, de plus en plus violents. Vers le 1er juin, la mousson finit par éclater. Dans la plupart des maisons, il n'y a plus de grain. Tout le monde s'endette pour survivre. Les journaliers ne veulent plus d'argent. Ils veulent manger, seulement manger. On vit dans une sorte d'obsession alimentaire. On sort les dernières provisions de légumes, stockées depuis l'hiver : gundruk, mâs, masyâm (8). Elles ne suffisent pas. On envoie les enfants cueillir des plantes dans la forêt, dont les qualités alimentaires sont connues. Il y a beau temps qu'on ne trouve plus de poisson, que les réserves de pommes de terre sont épuisées. Les familles riches elles-mêmes ont peur de craquer, à cause des gros travaux. Avec les fonds de réserve, elles préparent des repas de mai's mélangé à du riz qui rendent "fort". Partout il faut tenir. Ce n'est que dans un mois qu'on récoltera le premier mai's frais. Le mai's atteint maintenant à hauteur d'épaule. Dans tout le village, il cerne les maisons, ne laisse plus passer le moindre filet de vent. On ne voit plus que les toits de chaume. Pour la deuxième fois, on sarcle. Mais on fait vite, avec moins de gens, moins de soin, moins de temps que la première fois. Il y a d'autres choses à faire. Après le deuxième sarclage du mai's, dans les maisons, le soir, maris et femmes se concertent. Les enfants écoutent. Que commencer en premier ? Les pépinières de riz tardif, ou celle d'éleusine ? L'homme opte pour les premières, les femmes pour les secondes. 15
On discute. Ceux, nombreux, qui ont fini par manger leurs semences, courent les maisons riches à la recherche du riz à semer dans les champs. Ils le trouveront chez les Chetri. Mais au taux d'échange le plus haut que le village ait connu jusqu'à présent. Finalement, on attaque les pépinières de riz. Le premier jour, on laboure à sec. Le propriétaire est là. Il retire les pierres dans les champs voisins. Il surveille aussi. Un autre jour, un peu plus tard, en famille, on vient abattre les diguettes de l'année précédente. Le lendemain, on restaure les canaux d'irrigation. Enfin, on fait le deuxième labour, inondé, et ce jour-là, les semailles. On passe trois fois l'araire, de la boue jusqu'à mi-jambe. Femmes et enfants reconstruisent les diguettes, brisent les mottes dans les t e r r a s s e s . Le mari nivelle. Tout le monde est maculé. La t e r r e à la fin, doit avoir la consistance du "lait caillé". Le soir, alors que tout le monde est rentré, que l'eau redevient claire dans les pépinières, le patron, du bord du champ, son panier avec lui, sème à la volée. Les cinq jours suivants, il faut continuer d'inonder la pépinière. A l'aube, le propriétaire dévale les pentes. Il ouvre l'arrivée d'eau, attend le soir pour refermer. Le premier jour, il surveille les deux journaliers qu'il a engagés pour restaurer les murettes des champs où le riz s e r a transplanté. Le lendemain, il est seul. Mais il faut demeurer là, pour être sûr qu'un autre patron ne détournera pas l'eau pour sa propre pépinière. Ce sont les premiers conflits autour de l'eau. Ils dureront deux mois. Au bout de quatre, cinq, six jours, l'eau est définitivement fermée dans les pépinières. Le riz, tout blanc, émerge de l'eau brune. Un enfant, en faction, est laissé près des pousses nouvelles, pour chasser les oiseaux et les bêtes. Pendant ce temps, la femme s'attaque aux pépinières d'éleusine, les grandes, les tardives. Elle s'est assurée les services d'une amie expérimentée. Au matin, elle retourne le champ, à la houe. Son amie, accroupie à côté d'elle, égrène chaque motte à la main. On apporte le fumier par paniers, aidé par les enfants. On le déverse, à la main, sur toute l'étendue du champ, bien régulièrement. Puis, avec encore plus de soin, on jette à la volée les semences; s'il pleut, tout sera à recommencer. Une fois les semences abandonnées, un enfant reste jusqu'à la première pluie, à chasser les oiseaux. 5. MOIS D' "ASÀR" ET DE "SÂUN" (15 JUIN - 15 AOUT) La mousson déferle. Même dans les maisons, plus rien n'est sec. Ceux qui n'ont pu réparer leurs toits subissent, avec stoi'cisme, les gouttières. Des plaques noires d'humidité s'installent, partout, sur les sols de t e r r e battue. Au retour des champs, pour faire prendre le feu, il faut a r r o s e r le bois de pétrole. On est couvert de boue. La nuit, on dort dans des vêtements mouillés. On a le ventre creux. 16
Il fait t r è s chaud. Avec les deux mois d'asâr et de sâun, vient l'époque où l'on ne peut plus travailler en famille, avec l'aide épisodique de quelques journaliers. C'est la période des très grandes journées agricoles, celles qui réunissent de trente à quarante personnes, pour le travail d'une même maisonnée, dans les mêmes champs, la même boue, et pourtant la même bonne humeur. Les chemins sont difficilement praticables. Les rivières grossissent. Les ponts provisoires sont emportés. Le village vit replié sur lui-même, dans une sorte d'exaltation que procurent la pluie, la chaleur, les gros travaux et la faim. La transplantation du riz commence par un premier labour, à sec, sur l'ensemble des t e r r a s s e s qui entourent les pépinières. Deux ou trois attelages sont nécessaires, pendant deux jours. Le propriétaire est là. Il surveille avec attention. Les jours suivants, c'est le branle-bas dans sa maison. Le patron descend chez les journaliers, dès l'aube, pour les surprendre avant qu'ils ne quittent leurs maisons. Il s'installe, plaisante, argumente. Il sait qu'au même moment, dans la maison voisine, un autre patron fait la même chose, lui enlevant les bras dont, comme lui, il a besoin. Pendant ce temps, chez lui, la femme et les enfants décortiquent le grain, distillent le rakái (9), ouvrent les réserves de bière, descendent celles de tabac, empruntent des plats et des tongba chez les voisins, préparent tout ce qui va servir à nourrir les appétits colossaux d'une trentaine de journaliers. Après le premier labour, la grande équipe des ouvriers salariés vient travailler une première fois dans les champs où le riz va être transplanté. A la houe, les hommes abattent les diguettes de l'année précédente, qui ont été endommagées par les bêtes, venues fumer les champs, ou par les premiers labours. Les femmes nettoient, désherbent, régularisent les murettes. On fait table rase. La veille du grand jour, le propriétaire s'assure de l'arrivée d'eau. Il prévient les voisins. Avec deux journaliers, il restaure les canaux d'irrigation, amène l'eau au-dessus des t e r r a s s e s à t r a n s planter. Dès le petit matin du jour de la transplantation, tout le monde, dans la maison, est sur pied. Des voisines sont venues prêter mainforte. Elles ne seront pas de trop, avec la femme du propriétaire et ses enfants, pour s'occuper des repas des journaliers. Un p r e mier service est organisé pour ceux qui doivent être plus vite aux champs; puis un second. Parfois même un troisième. Sur les t e r r a s s e s , vers neuf heures, tout le monde est au travail. Les attelages de labour ont fini les champs les plus bas. Ils se trouvent déjà à mi-pente, poussant leurs attelages dans la boue. Lorsqu'ils ont fini une t e r r a s s e , ils montent à la t e r r a s s e supérieure. Alors on ferme l'eau. Une équipe de cinq ou six hommes prend place pour reconstruire les diguettes. On rouvre l'eau dès qu'ils ont terminé et sont passés dans le champ au-dessus qui vient d'être labouré. 17
S'installent alors, l'attelage de la herse, les jeunes gens qui égrennent les mottes, les vieux niveleurs. Ceux-là travaillent dans l'eau. Au-dessous, prêt à leur succéder, le groupe des femmes, une quinzaine, qui transplantent. Un adolescent fait la navette entre elles et les pépinières pour apporter les plants. Dans les pépinières, deux vieilles n'arrêtent pas d'arracher les pousses et de les lier en botte. Un adolescent établi à côté d'elles, charge les plants à transplanter dans des paniers qui seront portés vers les champs. Le propriétaire est partout. Il s'occupe de l'eau; il surveille chacun des travaux. Il pleut à verse. Tout le monde donne de la voix. Il y en a qui chantent. Il y en a qui rient. D'autres se disputent : souvent ce sont les adolescents à la houe, qui veulent plus d'eau, et le niveleur, qui en a trop. Le patron vient arbitrer, mais avec diplomatie : s'il vexe l'un de ses ouvriers, tout le monde lui opposera l'inertie pour le reste de la journée. Les Damai arrivent, avec leurs instruments. Plantés là, sous la pluie, au bord d'une terrasse, ils commencent à sonner longuement. Si le propriétaire est un subba, il n'y coupe pas : vers la mijournée, lorsque les femmes de la maisonnée arrivent avec leurs lourds paniers contenant tongba et casse-croute, le plus vieux des Damai s'approche du patron. Il lui ceint la tête d'un turban blanc. Alors, avant qu'il ne se sauve, tout le monde l'attrape, et le renverse dans la boue. Au milieu des rires, chacun lâche son travail et vient éclabousser. Le vieux Damai, prudent, cherche à limiter les dégâts. Les femmes, dans les pépinières, se lèvent. Roulant leur première cigarette de la journée, elles observent un moment d'un oeil amusé, puis commencent à crier des obscénités. Le soir, c'est la fête. On tue le cochon. On boit. On danse. On rit. On s'amuse. On se gorge de viande. Ce soir-là, même les filles n'ont plus de honte. Elles osent danser sous les yeux de leurs pères. Dans les coins, sous la pluie, des gens ivres sont en train de ronfler. Partout, on chahute. Les Damai, qui ont joué toute la journée, n'arrêtent pas de demander à boire. Le lendemain, au petit matin, le patron est au champ. Il rouvre l'eau qu'on a fermée la veille. Pendant que quelques ouvriers plantent le bhatmâs (10) sur les diguettes, il surveille les canaux. Le soir, il fermera. Et cela, tous les jours, pendant quinze jours. Après cela, on n'aura plus à ouvrir l'eau que tous les deux jours. Parfois, d'autres propriétaires ont transplanté en même temps. On ne peut avoir l'eau que la nuit. Le patron reste sur place, avec sept ou huit hommes de main, armés de bâtons et de khukuri (11). Il y a des nuits où l'on se bat, sous la pluie, qui tombe à verse, pour le contrôle des canaux d'irrigation. Chaque année, au village, il y a comme cela six ou sept bagarres. Cela dure presque deux mois. A la fin, tout le monde tombe de sommeil. A force de s'être égosillé, on n'a plus de voix. Et l'on a toujours faim. Heureusement le maife précoce, tant attendu, est mûr. Femmes 18
et enfants commencent la récolte. Dans la journée, à deux ou trois, ils passent dans les hautes tiges, une hotte dans le dos, cassent les épis, les jettent dans leurs paniers. Chaque jour, on rapporte trois ou quatre charges. Cela dure quatre à cinq jours. A la fin, le patron revient du hameau sherpa, avec trois ou quatre hommes. Ils abattent à la houe les tiges de maife et les sortent des champs : de nouveau, dans quelques jours, on recommencera à transplanter le riz ou l'éleusine. Les Limbu suffisent à peine pour transplanter le riz. C'est donc aux Sherpa que l'on demande de venir transplanter l'éleusine; soit dans les champs qui viennent d'être récoltés, soit dans ceux qui viennent d'être buttés pour la seconde fois, entre les plants de mai's tardif qui ne sont pas encore mûrs. Descendus de leurs villages, vingt-cinq à trente Sherpa effectuent pour chaque champ le travail en un ou deux jours. Les opérations sont bien plus simples que pour le riz. On travaille à sec. Cinq ou six hommes passent d'abord pour retourner la terre à la houe. Une vingtaine de femmes, accroupies, transplantent à la main. Deux adolescents font la navette entre les champs et les pépinières où deux vieilles femmes arrachent les semences. Le propriétaire est partout. Il se plaint, pas trop fort, qu'on abfme son mai's. Il n'arrête pas de dire des grossièretés pour faire rire tout le monde. Les Sherpa, descendus des crêtes, supportent mal la chaleur. Certains somnolent sur place. Il faut les faire rire pour les réveiller. Le mai's frais, on est bien content de l'avoir, mais ce n'est pas fameux. Sous cette pluie, pas possible de le faire sécher. On le place au-dessus du feu. On le moud tel quel. Ce n'est même pas de la farine qui sort, mais quelque chose qui a la consistance du lait caillé, et que l'on fait bouillir par petits paquets enfermés dans une feuille. Les enfants aiment cela parce que c'est sucré. Les adultes trouvent que ce n'est pas nourrissant. Et puis, on ne peut en manger beaucoup, parce que c'est indigeste. On manque de tout. Les petits troupeaux sont au plus haut des crêtes. Il n'y a plus de ghiu (12). On court à la recherche du saindoux; du pétrole, pour allumer le feu; du sel qui commence à manquer chez les pauvres; même, parfois les vieux manquent de bois. Il y en a qui en profitent. Les riches abattent des cochons. Les pauvres engagent leur prochaine moisson de riz, à des taux exorbitants, pour avoir une livre de viande. On demande des pommes de terre aux Sherpa, leur promettant de leur rendre du riz en décembre. 6.
MOIS DE
"BHADAU" (15 AOUT - 15 SEPTEMBRE)
A partir de la mi-août, un mieux se fait sentir. Il pleut un peu moins. On arrive à faire sécher le mails. Partout, sous les vérandas, les 19
gens sont en train de décortiquer les épis. Repas de mai's, bière de mai's, khâjâ (13) de mal's : pas d'autres céréales à cette époque. On va moins souvent chercher des "légumes" dans la jungle. Tomates et pïràlo (14) commencent à mûrir dans les potagers. Le tourneur de bois, venu de son village, près de la rivière, s'est installé sur la crête, près du hameau sherpa. On vient lui commander barattes et bidons de lait, bols et tongba. Il faut apporter son bois. Autour, les maisons sont désertes : les Sherpa sont montés dans la forêt pour cueillir le ciraito (15), qui sera vendu à Dharan, pendant l'hiver. Seules, une ou deux maisons, celles qui n'ont pas envoyé leurs quelques moutons aux pâturages, effectuent la tonte de leurs bêtes. Il arrive que quelques Bhotiya fassent une rapide apparition. Entre deux expéditions commerciales au Tibet, ils viennent charger, sur leurs yaks, une cargaison de fruits. On spécule toujours sur les bufflonnes. On cherche toujours, quitte à s'endetter, de la viande de cochon. Les hirondelles quittent les maisons. A partir de nâg pancami (16) elles redescendent vers les plaines. C'est la fin de la saison "montante". On "redescend" vers l'hiver. On continue toujours de récolter le mal's, dans des champs de plus en plus élevés en altitude. Le mois est dominé par les deux derniers des gros travaux : le sarclage de l'éleusine et celui du riz. Le sarclage de l'éleusine est un travail de femmes. Il faudrait, dans un champ, pour en finir en une journée, de vingt à vingt-cinq personnes. Il est toujours aussi difficile, à cette époque, de trouver des journaliers. Ce sont donc des petits groupes de quatre ou cinq que l'on voit, plusieurs jours durant, désherber à la main. Dans les champs de riz, juste avant le sarclage, il faut rouvrir l'eau. On désherbe avec de l'eau jusqu'au mollet. C'est toujours une source de dispute entre le propriétaire et les journaliers : les ouvriers trouvent qu'il y a trop d'eau; le patron, pas assez. Peut-être n'est-ce, au fond, qu'une plaisanterie traditionnelle. Pour un champ, selon les dimensions, il faut de quinze à quarante personnes. On avance en ligne. Les hommes sont aux extrémités sur les bords des terrasses et contre les murettes. Les femmes sont au milieu, elles sarclent à la main. On ne peut employer d'enfants : il y a une mauvaise herbe qui ressemble au riz à s'y méprendre, et qu'il faut arracher. Cela dure deux ou trois jours. Puis on passe à un autre champ. Lorsque la femme du patron apporte la khâjâ, souvent il pleut. Il y en a qui mangent dans l'eau, sous la pluie battante, à l'abri de leur ghum (N) (17). D'autres se mettent à l'abri sous les arbres. Le jour où la dernière terrasse du dernier champ est finie, c'est un cri de joie : les gros travaux sont terminés. Dans le courant du mois, à des endroits bien précis, on voit des gens fabriquer des barrages dans la rivière. Ils posent ensuite des nasses. En une ou deux journées, ils ramassent jusqu'à dix ou quinze pâthi (18) de petits poissons appelés tite mâcha (N). Le produit de cette pêche revient aux subba : c'est l'un de leurs plus anciens privilèges. 20
7. MOIS D' "ASOJ"
(15 SEPTEMBRE - 15 OCTOBRE)
La chaleur diminue. Les pluies se font éparses. Il y a même des moments où le soleil brille. Il n'y a plus de presse. Les gros travaux sont finis. Plus de querelles autour des canaux d'irrigation qui sont fermés, tour à tour, au début du mois. On ne rouvre l'eau qu'une journée, à sept jours d'intervalle, pendant trois semaines. Sur les crêtes, dans les champs où l'on vient de finir la récolte du mal's, les pauvres effectuent les semailles de l'orge et du blé. On est allé demander des semences aux Sherpa. Les bêtes sont toujours au pâturage. Si la pluie se prolonge, on s'inquiète; le riz est en train de germer : il pourrirait sur pied. Entre les pluies d'asoj (15 septembre-15 octobre), et les neiges de mâgsir (15 novembre-15 décembre), le délai est court pour que le riz mûrisse. Tout le calendrier, pour l'ensemble des céréales, s'organise en fonction de ces dates. S'il fait beau, quelques femmes, pour la première fois, sortent leur métier à tisser. Les charpentiers-maçons (karmi) commencent à restaurer les maisons qui ont souffert des pluies. On retrouve un peu de poisson, pris à la nasse dans les barrages. Signe que l'hiver approche, un homme, mandaté par les entreprises d'Assam, arrive dans le village pour passer des contrats avec les scieurs de long. Les marchés, petitement, réapparaissent. Des grands troupeaux, on y envoie le beurre produit aux pâturages. De plus en plus nombreux, fruits et légumes mûrissent. Partout, les enfants croquent des goyaves, à peine jaunes. Les commerçants Newar cherchent des porteurs, pour renouer avec la plaine indienne, pour renouveler leurs stocks. Les plus pauvres dans les villages, ceux qui feront jusqu'à dix portages sur Dharan pendant l'hiver, se laissent tenter; ou bien, d'eux-mêmes, ils descendent des mandarines, des sortes de poires (naspàti), des pommes de terre. En une quinzaine, ils seront de retour pour les fêtes. Ils rapporteront le premier sel, de l'argent pour s'acheter de la viande et de l'alcool. Car Dasaï (19), la grande fête, approche. Partout on le prépare. Pour avoir de l'alcool, femmes et enfants récoltent l'éleusine précoce. La plupart des maisons ont prévu également un petit peu de riz précoce. Un jeudi matin, on coupe la première gerbe, qui restera suspendue dans la maison, jusqu'à ce que le phedangma ait offert les prémices à Yumâ (20). Une semaine avant les fêtes, on moissonne; si le soleil boude, on fera sécher le grain près du feu. On envoie les adolescents vers la rivière chercher de la terre pour recrépir les maisons. Les Chetri des villages voisins viennent acheter des chèvres dans les maisons limbu. Elles seront abattues pour les fêtes. A mille signes, le village sort de son isolement, renoue avec l'opulence, veut oublier les moments pénibles où, le ventre creux, on trimait sous la pluie battante. Dasa"ï en est le prétexte. Un matin, il éclate au son des trompes 21
des Damai. Alors, on n'en finit pas d'abattre chèvres et poulets, buffles et cochons; de se faire payer à boire, de maison en maison. La viande, sous chaque plafond, pend partout au-dessus des foyers, lanières en guirlandes, enfilées sur des tiges de bambou. On distille à tour de bras. Saindoux et beurre grésillent sur les feux de bois, embaument les maisons. Des dizaines de groupes sillonnent le village en chantant, s'arrêtant devant chaque maison. Aux enfants, on donne des sous; aux vieux, l'alcool encore tiède. En une journée le phedangma boit vingt-sept tongba avant de s'endormir sur place. Dasaî, ce n'est pas la fête du grain. Dasai, c'est fa fête de la viande et de l'alcool. On se gave, on se gorge, on s'empiffre, les doigts gras à longueur de journée. Le jour du mär khänu (N) (21), les frères de clan se retrouvent chez leur subba. Chacun a apporté une bouteille de rakéi, un petit panier de semences qu'il dépose devant l'autel. Après line danse guerrière, on abat un bouc, on reçoit la tikâ du subba, et les ripailles commencent. Le lendemain, c'est le tour des raiti venus, eux aussi, se soumettre aux subba. Les Chetri, en s'inclinant, déposent des bananes, des petits pains, un morceau de carcasse de chèvre ou de mouton; les Sherpa, de l'alcool et du beurre; les Bhotiya, descendus précipitamment des crêtes, un faisan vivant, des paniers entiers de gros navets rouges et de pommes de terre, un morceau de carcasse de mouton tibétain. Et la fête continue. Le village finit par éclater. Il va porter la fête chez les voisins, qui viennent en faire autant. Chargées d'alcool et de viande, les femmes retournent dans leurs familles; les gendres vont se soumettre à leurs beaux-pères; les alliés se rendent visite. Sur les chemins, partout les mêmes petits groupes : les porteurs sont en tête, puis deux ou trois hommes bien habillés; quelques femmes, tous leurs ors sortis, ferment la marche. Des paniers dépassent des pattes de cochons, des goulots de bouteilles. En quinze jours, on en finit avec les prestations que l'on devait depuis un an : cärakäläm, tikä wämä, phäk ok, khoh phâ, toklâ, melunphumâ (22). 8.
MOIS DE
"KARTIK" (15 OCTOBRE - 15 NOVEMBRE)
En kàrtik, le beau temps s'installe définitivement sur les collines. Le ciel est très clair. Les hautes montagnes, avec leurs pics couverts de neige, se détachent nettement. Il fait doux. Kàrtik et mâgsir, le mois qui suit, sont les plus beaux mois de l'année. Après, viendront les froids clairs. L'opulence est partout. Les potagers regorgent de légumes. La saison des fruits se poursuit. Les premières mandarines apparaissent. Femmes et enfants, faucille à la main, panier dans le dos, continuent de récolter l'éleusine précoce dans le haut du village. La 22
grande moisson du riz tardif est proche. Les grains "sont sortis". On a rouvert les canaux, pour la dernière irrigation, celle qui précède la récolte. Sur les terrasses les plus hautes, on commence la moisson, vers la fin du mois. Une fois ces quelques travaux terminés, on a du temps de libre. Il suffit d'aller chercher l'eau, le fourrage pour les chèvres, une charge de bois pour la journée. Alors on peut s'installer pour travailler près de la maison. Les bambous, qui viennent d'être coupés, jonchent les cours. Les hommes font des vanneries, ou bien ils plantent le tabac dans les potagers. Quelquesuns commencent à planter les pommes de terre. Le grain sèche partout, brun et or, sur des nattes, sous le soleil, dans les cours des maisons. Les femmes tissent ou filent le coton. D'autres, installées sous les vérandas, battent l'éleusine au bâton. Les bêtes redescendent lentement vers les villages. Elles prennent possession des champs d'éleusine et de riz qui viennent d'être moissonnés. On retrouve les grands-pères et leurs petits-fils qui, pendant toute la mousson, avaient disparu sur les crêtes, avec les bêtes. Ils construisent la goth (23) dans un champ, et viennent discuter avec leurs parents retrouvés, avec les invités du village, assis sous la véranda, derrière une tongba. Vers la fin du mois, les grands troupeaux, ceux qui s'étaient enfoncés dans les hauts pâturages du Nord, sont annoncés. On retrouve du ghiu à acheter dans le village. Le cours des bufflonnes tombe au plus bas. Il y a même un peu de lait. Les marchés ont repris. L'affluence y est maintenant énorme. On y trouve tout, y compris sel et coton, qui arrivent en charges de plus en plus nombreuses, depuis Dharan. La saison des grandes fêtes religieuses, proprement limbu, commence. Elle se poursuivra pendant plusieurs mois, de maison en maison. Le phedangma est sollicité de partout. Après l'offrande des prémices, c'est le sacrifice du cochon à Yumâ ou aux déités liées aux femmes (24). Puis, commencent les grands rituels domestiques qui associent dans un même culte nâhânmà, mànennà, lumâeppâ, tonéin, et les planètes. Les enfants disparaissent des nuits entières pour assister au mundhum (25), s'amuser, voir abattre les bêtes, continuer à se gaver de viande qu'on leur offre gentiment. Sous la lune claire, les voix des adolescents, qui ont recommencé à danser, se mêlent au chant monotone du prêtre, officiant dans une maison voisine. Au petit matin, les jeunes ont disparu. Reste le phedangma, enturbanné, qui, dans la grisaille de l'aube, mène une danse guerrière, l'épée haute, et des poches sous les yeux. 9.
MOIS DE
"MAGSIR" (15 NOVEMBRE - 15 DECEMBRE)
Les activités du mois de mâgsir sont dominées par la grande moisson du riz tardif, la récolte la plus importante, celle de tous les champs 23
irrigués qui se trouvent dans le bas du village. Les préparatifs s'en échelonnent de façon intermittente, en famille, au début du mois. Puis surviennent les quelques jours de gros travaux de la moisson proprement dite où, de nouveau, chaque maison a recours à l'entraide des villageois. Au tout début du mois, les femmes sont envoyées dans les champs de riz pour recueillir les semences de l'année suivante. A la faucille, elles coupent les plus beaux épis du milieu des t e r r a s s e s , en laissant toute la longueur des chaumes. Quatre ou cinq jours durant, ce grain sèche au soleil dans les cours des maisons. Puis, il est versé dans de grands paniers cylindriques que les hommes viennent de t e r m i ner et que les femmes ont enduits de boue. Une fois le couvercle fixé, ces greniers sont montés à l'étage près des réserves. Quelques jours plus tard on aménage l'aire à battre, soit dans les champs, soit dans les cours des maisons. La mère désherbe, le père nivelle à la houe, les enfants retirent les pierres et balayent. De la t e r r e rouge, la veille, a été rapportée des crêtes. Elle est mélangée à de la bouse de vache. Les filles apportent de l'eau. On mélange le tout. La mère, accroupie, passe cet enduit sur l'ensemble de l'aire convenablement nettoyée. Il faut que l'opération se f a s se au soleil. Cet enduit sera passé trois fois, à quelques jours d'intervalle, le temps que, chaque fois, il sèche complètement. Vient le jour de la moisson, qui réunit cette fois une vingtaine de personnes. Elle dure un jour ou deux, selon l'étendue des champs. Etablis de t e r r a s s e en terrasse, on avance en ligne, coupant les chaumes presque au r a s du sol, à la faucille, déposant les javelles derrière soi, bien alignées, à même le sol du champ. Les javelles sèchent dans les champs, pendant trois ou quatre jours. Alors, en une seule journée, on construit le gerbier sur l'aire à battre. Un premier groupe d'ouvriers ramassent, à brassées, les javelles étalées dans les champs et viennent les déposer sur des nattes. Là, les entassant, se couchant dessus pour les p r e s s e r , un homme les lie en bottes avec des liens de bambou. Une longue file d'adolescents, descendus à travers les t e r r a s s e s , chargent les bottes dans leurs paniers, et les remontent jusqu'à l'aire. Ils les déversent sur le gerbier qu'un homme est en train d'édifier. Le gerbier demeur e r a sur l'aire une quinzaine de jours, jusqu'au moment du dépiquage, qui prend place le plus souvent au mois suivant. Les bêtes, maintenant, sont dans les champs les plus bas du village. Au début du mois, les grands troupeaux, les plus importants, sont arrivés après cinq jours de trajet, des hautes pâtures du Nord. On construit aussitôt des clôtures de bambou, pour p r o téger les champs de pommes de t e r r e . A côté du gros travail que représente les quelques jours de moisson, on continue de planter l'orge et le blé, céréales sans noblesse; de récolter l'éleusine t a r dive, et, sur les diguettes, au bord des t e r r a s s e s , les diverses sortes de lentilles. Les femmes, à coups de bâton, les écossent sur 24
les vérandas des maisons; on continue de dépiquer l'éleusine de la même façon. Le grain sèche partout dans les cours. P r è s des m é tiers à t i s s e r , abandonnés le temps de la moisson, on voit apparaître les premiers métiers à t r e s s e r les nattes de paille de riz. On entreprend les travaux préparatoires à la construction de quelques maisons, abattant les arbres, les débitant, coupant les chaumes que l'on met à sécher sur les toits. Les femmes, par petits groupes, montent dans la forêt chercher les plantes nécessaires à la fabrication des galettes de levure. On continue de distiller. Les femmes vendent l'alcool dans le village et au marché. C'est l'époque des grands contacts, des départs, des arrivées. Les Bhotiya descendent de leurs villages. Par groupe de trois ou quatre, parfois plus, ils sillonnent les villages, des sacs d'on ne sait quelle marchandise sur le dos. Ils échangent des pommes de t e r r e contre du riz, vendent un poulet, achètent un cochon. Certains feront la navette tout l'hiver, entre les crêtes et les fonds de vallée. D'autres, souvent des femmes, s'installent dans les cours des maisons limbu. Elles resteront trois mois, revendant le grain qu'elles décortiquent à longueur de journée, tissant des couvertures, achetant, échangeant, vendant et revendant. Leurs maris, dans les villages du haut de la vallée, pendant ce temps, préparent les grandes expéditions commerciales d'hiver, vers la plaine indienne. Ils apparaissent un jour, sifflant, et filant la laine en marchant, à la tête de trente ou quarante dzo. Ils s'établissent pour une nuit dans les champs fraîchement moissonnés. Ils déchargent les énormes sacs du dos de leurs bêtes, les alignent proprement, s'installent autour du feu, en plein champ, pour passer la nuit. Le lendemain matin, ils seront repartis. On ne les reverra qu'un mois plus tard. Certains, avec leurs chapeaux à larges bords, leur natte qui pend dans le dos, leurs bottes de feutre vert et rouge, leurs habits de laine sombre, commencent à prospecter les maisons riches, où ils savent qu'il y a des surplus de grain, surtout les maisons chetri. Une nuit, on sera réveillé par un bruit lugubre qui s'approche. Chacun, dans les maisons, se retourne sur sa couche. Les yogi traversent le village et sonnent de la conque. Ils chantent une sinistre litanie. Au petit matin, ils empochent un peu de grain dans chaque maison, dorment au soleil sur une véranda et repartent le soir vers un autre village. Aux colporteurs newar, venus de Bhojpur, on échange contre des neufs les ustensiles de cuivre fêlés. Un Limbu passe de maison en maison pour acheter les soies de porc que l'on a conservées. Il retournera à Darjeeling, d'où il vient, pour les vendre. Le village, à l'appel du voyage se dépeuple. On va sur l'autre versant de la vallée, acheter les semences de blé. A cinq ou six, on organise des petites expéditions pour chercher des semences de pommes de t e r r e . Le ciraito, recueilli par les Sherpa trois mois auparavant, est sec. De nombreux porteurs sont nécessaires pour 25
le descendre dans les plaines. On s'engage. C'est l'époque également où trois ou quatre adolescents, ayant préparé leur coup de longue date, s'enfuient pour l'Assam, pour le Sikkim, pour l'armée. Pendant un ou deux jours, c'est l'émoi. On envoie des messagers sur leurs traces pour les implorer de revenir. On sacrifie à leur intention à tous les esprits de la création. Cela ne les fait pas revenir. En même temps, ceux qui vont partir en Assam, comme scieurs de long, se préparent. Ils sacrifient pour leur santé. Ils se concertent. Le dernier soir, réunis avec leur famille sous une véranda, ils racontent leurs souvenirs de migrations précédentes : les ours et les éléphants, les voleurs et la contrebande, l'opium et la police. Ils partent le lendemain, sans un sou en poche. Ils ont rendez-vous dans un village près de la frontière. On les prendra en charge pour les mener dans la jungle assamaise. Ils reviendront quatre mois plus tard, malades, épuisés, amaigris, avec peu d'argent, exploités et amers, jurant qu'on ne les prendra plus. Un peu plus tard, ceux qui migrent vers le Sikkim, pour porter des mandarines, ou travailler dans les champs de cardamome, auront un départ moins bruyant : leur voyage a moins de prestige. Magsir, surtout, est le mois où l'on règle ses comptes. Forgerons (Kami), et tailleurs (Damai), se font payer en grain leurs services d'une année. Les Sherpa viennent se faire rembourser en riz leurs prêts de pommes de terre, d'orge et de mai's. Les Bhotiya achètent tous les surplus de céréales qu'ils peuvent débusquer. Les usuriers chetri viennent percevoir leurs intérêts. Les Limbu qui doivent marier un fils ou terminer les cérémonies funéraires d'une mère, s'endettent. C'est l'époque, également, des interminables transactions foncières, de la reconduction des contrats de métayage. Partout on circule. Limbu, Bhotiya, Newar, Chetri, Sherpa, chacun va à ses affaires. Le village grouille d'étrangers, d'invités, de gens qui voyagent et passent une nuit. Les maisons, sur les terrasses, dominent des espaces considérables. On voit de loin ceux qui arrivent. Lorsqu'ils passent sous les maisons, on les interpelle. Où vas-tu ? Qui es-tu ? Toutes les affaires de la vallée commencent à se savoir. Seuls les Bhotiya regardant droit devant eux, répondent invariablement qu'ils descendent à Dharan, même s'ils ont affaire dans la maison voisine. Pour le phedangma, la prospérité continue. Il passe de maison en maison. Il boit sa tongba, et empoche son grain après une nuit de rituel. 10.
MOIS DE
"PUS" (15 DECEMBRE - 15 JANVIER)
Le mois de pus est marqué par le dépiquage du riz, comme celui de magsir l'avait été par la moisson. 26
Sur l'aire à battre, un mât a été dressé. Trois boeufs tournent autour, poussés par l'aiguillon que tient un petit enfant. A côté d'eux, le gerbier est éventré. Des hommes, tour à tour, en retirent une gerbe, l'élèvent des deux mains, très haut, au-dessus de leur tête, l'abattent brutalement sur le sol. Le grain gicle partout. Les chaumes sont lancés sous les sabots des bêtes qui en extraient les derniers grains. Le soir, on écarte la paille, on la lie en énormes ballots, on la hisse sur la plate-forme. On rassemble le grain, on balaye, on travaille la nuit. Au matin, le tas de riz est là, au milieu de l'aire à battre. Il faut le nettoyer. Avec un van, un vieillard puise dans le tas. Il recule, se retourne, lance haut le grain dans l'air qui emporte les impuretés. Autour du grain répandu, quatre hommes tournent. Dans un même mouvement, ils élèvent leur van au-dessus de la tête; ensemble, brutalement, ils l'abaissent; ils font un pas de côté; ils recommencent dans une ronde sans fin. Ils travaillent dans un nuage de poussière. Les gorges sont sèches, les voix rauques. Le soir, le tas de riz est propre. On offre de l'encens, on compte les mesures, on en donne deux, rituellement aux filles et aux soeurs de la maison. On rentre le grain au grenier. Toute la nuit, on danse et on boit. A côté, les petits enfants se roulent dans la paille en criant. Les troupeaux de moutons ont succédé aux bovins pour fumer les champs où l'on commence les tout premiers labours du mai's. On plante les pommes de terre; on termine les semailles du blé; on dresse des clôtures; on coupe du bois; on restaure les murettes des champs. On se promène. On tire des oiseaux à l'arc à balle. On pêche dans les barrages en eau basse. On travaille dans les cours des maisons. Les hommes fabriquent des araires, des mortiers, des meules. Les femmes tissent, filent, tressent des nattes de toutes sortes. Elles distillent le rakéi qu'elles vont vendre au marché. C'est presque chaque nuit, maintenant, que dansent les adolescents. On refait les toitures. On prépare des réserves de "légumes" pour la mousson prochaine. Chaque maison, tour à tour, continue d'effectuer les rituels domestiques. C'est l'époque des grandes cérémonies commémoratives de deuil, des premiers mariages. Jamais les échanges n'ont atteint un tel volume. Vannerie sherpa contre riz limbu; argent bhotiya contre riz chetri; lentilles limbu contre haricots chetri; etc. Les Bhotiya continuent de sillonner les villages. Les Kumale (26) descendus de Taplejung, tournent des pots de glaise près de la rivière, à Khokling. Par petits groupes de quatre ou cinq, les Limbuni vont leur acheter les récipients nécessaires à la maison. Il n'y a presque plus personne au village. Sur le chemin des plaines, au contraire, c'est une file ininterrompue de porteurs, le long des méandres de la rivière. A la descente, chargés de ciraito, de jatamâsi, de kutki (27), produits de la jungle, mandarines, beurre, produits des champs, ou de l'artisanat domestique. A la montée, sel, 27
coton, pétrole; fer et tissus; charges monstrueuses des commerçants newar des collines où cigarettes voisinent avec sucre et chaussures de tennis. Les porteurs, en longues files de dix ou trente, se croisent sur les grands sables blancs de la rivière, où l'on dort, on cuisine, on boit; où l'on porte, sans répit, du lever du jour au coucher du soleil. 11.
MOIS DE
"MAGH" (15 JANVIER - 15 FEVRIER)
Le premier jour du mois de mâgh commence par une grande foire. Au lever du jour, on se baigne en cachette : si elles vous voient, les filles vous passent aux orties. Un peu plus tard, dans la matinée, elles viennent vous tirer par la manche. Il faut les suivre en silence. Elles vous emmènent chez elles, elles vous offrent des ignames. Le soir, tout le monde va à la foire. On y reste deux nuits. On danse. Les travaux des champs sont presque au point mort. On fait seulement les tout premiers labours de mai's, là où les troupeaux de mouton viennent de fumer les champs. De temps en temps, sur une terrasse, une femme seule sarcle, dans un champ clos, les pommes de terre. Le village n'a jamais été aussi vide. Les hommes sont en Assam, au Sikkim, à Dharan. Les femmes, dans leurs familles. Ceux qui sont restés, travaillent au potager, filent, tressent, distillent dans le calme. Le fourrage commence à manquer pour les bêtes. Il fait sec. Pommes de terre et blé jaunissent sous le soleil. On se réjouit lorsqu'il tombe une averse. C'est bon pour les cultures en train et la fumure des champs de mai's. Les rituels domestiques tirent à leur fin. Seuls les grands mariages redonnent pour deux ou trois jours un peu de vie au village. De nouveau, le début de l'année approche... (28) Ainsi, les saisons limbu sont comme les marées. Pendant l'été et la mousson, le plus fort du flux de la saison montante, c'est la transplantation. A l'inverse, en hiver, le reflux est au plus bas lors de la moisson du riz. Pendant deux mois, alors, de décembre à février la saison descendante est étale. A leurs plus fortes amplitudes, les deux saisons s'opposent. Le travail et la pénurie, l'impur et le profane, l'isolement et le repli sur soi marquent la mousson. Avec la chaleur et la pluie, c'est comme si la vie des plaines avait submergé les collines. C'est le contraire pour l'hiver. La montagne impose alors s a loi, avec le froid et la sécheresse, l'allégresse que donne une vie de relations débordante, des loisirs, des fêtes, une grande activité religieuse, l'opulence. 28
Pour les Limbu, l'écoulement du temps se traduit en terme d'espace. Il bascule lentement, tour à tour, entre le haut et le bas, l'amont et l'aval, le Sud et le Nord, la crête et la rivière. Ces mêmes catégories, nous le verrons en étudiant l'espace domestique, ordonnent aussi la vie à l'intérieur de la maison. Les saisons, la vie domestique, la différence entre les prêtres phedangma et bijuwa, tout procède d'un même ensemble d'idées simples qui se combinent à l'infini, en se ramifiant. C'est la culture limbu. Nous devrions dire : "c'était". Car le fragile équilibre est sur le point de se rompre. Les Limbu, de plus en plus, tournent le dos à la montagne. Les belles maisons, les hautes castes, les riches t e r r e s à riz, le pouvoir, ont pris possession des fonds de vallées. Ce sont maintenant la plaine, les villes, l'Inde, tous les endroits où l'on peut trouver de l'argent qui attirent les regards. Montés avec l'influence de la plaine, la pénurie et le travail s'installent à demeure dans les collines. La montagne ne fait plus le poids pour rétablir l'équilibre avec ses loisirs, sa richesse, sa clarté allègre. Les changements économiques s u r venus depuis la conquête gurkha ont miné lentement, de l'intérieur, les vieilles idées. Quelque chose est grippé dans le système. Aujourd'hui, une population dominée lutte contre une idéologie dominante. Le Limbu est devenu un métis culturel. NOTES 1. Ce chapitre est uniquement descriptif. Il vise à replacer les faits agricoles dans leur contexte humain. Aucun point de détail ne sera approfondi. Certains seront repris et étudiés dans le cours de ce travail. D'autres, dans des études ultérieures. Quelques notes viendront préciser certaines données. Saison montante = hubhauli; saison descendante = hubhauli (N), cf. Bista (1967), p. 45. 2. Ce mois se dit sâphemâ en limbu (CJ, p. 187). Le 15 février est le début de l'année limbu, dont le calendrier Semble calqué sur un modèle tibétain. Dans la Mewa Khola, les Limbu, aujourd'hui, utilisent les noms de mois nepâli. 3. Sur le phedangma, prêtre limbu, cf. Sagant (1969), p. 121, note 22. Le rituel évoqué ici s'appelle yobâ tâmmâ (L) : "entrouvrir la t e r r e " . 4. Dzo : cf. chap. I, note 9. 5. Dharan. Sur les migrations saisonnières à Dharan, cf. Okada (1970), p. 22; Caplan (1970), p. 26 et 115. 6. Sur ces divers rituels, cf. Sagant (1969), p. 107. Sur la relation entre prêtres nepâli du type jhâkri et médecin, cf. Macdonald (1966 b), p. 284. 7. Les grands troupeaux estivent du sud de la vallée vers les hautes pâtures du Nord, situées près de Kiling, Canga, Shimbuk, Dalaincha, Syamba. Les plus importants, appartenant souvent à des Chetri ou des Bahun, habitant Khokling et Khamlung, quittent les basses terres vers le début du mois de cait (N). D'autres, comme ceux dont on parle ici, au mois de baisàkh (N). Les petits troupeaux se déplacent à longueur d'année, de jachère en jachère, entre la rivière et la crête. 8. Gundruk ou gunruk (N) : "Dried vegetables made from cabbage, radish or mustard. They curl up when dried" (T, p. 145); mâs (N) : lentilles de diver-
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ses sortes, cf. Bhatt (1970), p. 69; masyân (N) ou masyâm (T, p. 497) : sorte de lentilles. 9. Rakéi (N) : alcool de grain. Les Limbu préfèrent l'alcool d'éleusine; les Tamang, les Sherpa, l'alcool de mai's. L'orge, le blé, le riz et bien d'autres produits végétaux sont également utilisés pour la distillation. La tongba (L) est un pot en bois tourné, muni d'un couvercle et percé d'un trou, où passe un chalumeau. On y boit une bière tiède, issue de la fermentation d'un produit végétal. 10. Bhatmâs (N) : haricot soja. Glycine hispida (T, p. 466) ou Glycine max. L. (Bhatt, 1970, p. 125). 11. Khukuri (N) : sabre court, traditionnel, du Népal. 12. Ghiu (N). Sur la préparation du beurre cuit, cf. Pignède (1966), p. 91. 13. Khâjâ (N) : c'est une collation servie à la mi-journée, dans les champs, le plus souvent. 14. Pïrâlo (N) : sorte d'arum. Al^easia indicum (Bhatt, 1970, p. 152) ou Calladium arumaciae (T, p. 379). Planté en mars-avril, se dit yâkhe en limbu. 15. Ciraito (N) : "a particular kind of plant used as a drug for malaria", Swertia purpurascens (T, p. 177). Se dit sunkhinbâ en limbu (CJ, p. 303). A son sujet, cf. Hobson Jobson (chiretta); Bhatt (1970), p. 133; Medicinal plants of Nepal, p. 49; Hamilton (1819), p. 85; Jain (1968), p. 135, etc. 16. Nâg pancami (N) : "the fifth day of the lunar fortnight, on which pictures of snakes are posted on every door to guard against snake bite" (T, p. 338). 17. Ghum (N) : "a covering made of interlaced bamboo strips and leaves carried as a protection against rain and sun (T, p. 158). 18. Pâthi (N). Sur les mesures de volumes népalaises utilisées dans tout échange de grain, cf. Pignède (1966), p. 106-107. Le mânâ équivaut approximativement à 570 cm3; le pâthi représente huit mânâ; le mûri, vingt pâthi. Cf. également Kirkpatrick (1811), p. 95 sq. 19. Dasai (N) : "the festival held on the tenth day of the light fortnight of the month aévin, in honour of the goddess durga or debi. Arms and instruments are worshipped. The name dasat includes the previous three days. . . " (T, p. 306). 20. L'offrande des prémices à Yuma se dit thok sok, thi sok, en limbu; thok désigne le repas cuit, thi toute boisson fermentée ou distillée. 21. Mâr khânu (N) : au cours de cette cérémonie, les pouvoirs que les subba détenaient directement du roi du Népal, faisaient l'objet d'une reconnaissance rituelle, tant de la part des membres du segment de clan limbu, que de celle des raiti étrangers. A son sujet, cf. Caplan (1970), p. 133. Raiti (N) : "tenant, subject" (T, p. 542). Les immigrants de langue nepàli, ou de dialectes tibétains, obtenaient, dans le cadre du segment de clan limbu, une parcelle de t e r r e , en système foncier raikar. Ils devenaient alors raiti des subba limbu qui étaient à la tête des segments de clan. Ils dépendaient de leur cour de justice (âmâl). En cas de querelle avec des étrangers au segment de clan, ils avaient recours à la protection, et à l'arbitrage du subba. De ce fait, ils leur devaient un certain nombre de corvées et de prestations. Ces diverses coutumes n'ont pas encore disparu, il s'en faut de beaucoup, malgré l'instauration du système pancâyat. Tikâ (N) : "mark, spot; the sect mark placed on the forehead" (T, p. 243). Recevoir la tikâ de quelqu'un, implique une soumission. A ce sujet, cf. Caplan (1970), p. 126. 22. Ces diverses prestations limbu s'effectuent entre alliés dans les années qui suivent le mariage. A leur sujet, cf. Caplan (1970), p. 86; Chemjong (1961), p. 37; Sagant (1970), p. 97. 23. La goth (N), est une cabane ouverte sur trois côtés, faite de poteaux 30
de bois, et couverte de nattes de bambou. Les bergers, les bouviers, s ' y abritent lors de leurs déplacements avec leurs troupeaux. Elles se démontent et se transportent. 24. P a r m i ces déités liées aux femmes : kembâ; pâyunlun; kebo; miku, etc. 25. Sur le mundhum (L), cf. Chemjong (1966), part I, p. 21. 26. Quelques maisons de potiers kumale sont implantées dans un hameau au-dessous de Taplejung. Quelques Limbu de Thukima fabriquent également, dit-on, des petites poteries. 27. Jatamäsi (N) : Nardostachys jatamasi DC (Médicinal plants of Nepal, p. 55). A son sujet cf. également, Bhatt (1970), p. 132; Hooker (1854), p. 150, p. 406; Hamilton (1819), p. 97. Kutki (N) : Picrorhiza kurroa royle ex Bent. (Médicinal plants of Nepal, p. 31). 'Cf. également Jain (1968), p. 73, p. 107; Hamilton (1819), p. 100. 28. Pour une comparaison du calendrier limbu avec celui de populations voisines, cf. principalement : - pour les Gurung, Pignède (1966), p. 113 sq. ainsi que les figures 11 et 12; Macfarlane (1972), p. 306; - pour les Newar, Lobsiger (1953-1954), p. 49 sq. ; Nepali (1965), p. 40, 41, 45, 46; Bhatt (1970), p. 99; - pour les Bâi, MacDougall, p. 40 sq. , p. 55; - pour les Sherpa de Khumbu, Für er-Haimendorf (1964), p. 7; - pour les Bhotiya, au Kumaon, Pant (1935), p. 97. - pour les Bhotiya du Népal Central, Kawakita (19 57), p. 305 sq. ; - pour les Lepcha du Sikkim, proches voisins des Limbu, Gorer (1938), p. 94; - et à titre historique, pour la vallée de Kathmandu au début du 19e siècle, Hamilton (1819), p. 222 sq. ; - pour les Thakali, J e s t (1964), p. 29.
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CHAPITRE IH. LA TRANSFORMATION DU PAYSAGE AGRICOLE
I. LE PAYSAGE AGRICOLE AVANT LA CONQUETE GURKHA Aujourd'hui, le paysan limbu est donc sédentaire. Il habite une maison de pierres. Il cultive des champs en t e r r a s s e dont une partie est irriguée. La population est nombreuse. Les t e r r e s sont r a r e s . La plupart des exploitations sont déficitaires. Il n'y a plus d'espace à mettre en valeur. Mais qu'en était-il autrefois ? Remontons dans le temps à l'aide de quelques témoignages historiques. Aux alentours de 1900, Sarat Chandra Das fait route vers le Tibet. Il t r a v e r s e des villages limbu proches de la frontière du Sikkim. Il note, au passage, la présence de l'araire et de l'attelage (1). Le riz est transplanté dans des champs en t e r r a s s e . Les parcelles, au mois de novembre, sont entourées de clôtures pour les protéger du bétail. Description limitée mais sans surprise, analogue à celle que nous dressons aujourd'hui. Un seul point intéressant pour nous : sur un village de crêtes, des Limbu pratiquent l'essartage. Ils abandonnent les champs après trois ans de cultures. Grâce aux documents administratifs du début du siècle, nous savons que, déjà, à cette époque, la t e r r e est presque aussi r a r e qu'aujourd'hui. En 1913 les habitants d'Ilam se plaignent : "autrefois il y avait beaucoup de terres. Les Limbu n'étaient pas nombreux. Aujourd'hui, l'étendue des cultures est restée la même. Mais les Limbu se sont multipliés. Nous n'avons plus assez de t e r r e s " (2). Dans cette région, dès 1899, l'administration centrale s'inquiétait. Elle reconnaissait le manque de t e r r e s . Elle proposait aux paysans d'aller défricher les espaces vierges qui demeuraient dans le Terai. "Installez-vous dans les forêts de Morang... " (3). Cet état de fait concerne le sud du pays limbu. Un peu plus au nord, c'est en 1938 que l'autorité centrale est contrainte d'effectuer la même constatation (4). Ainsi, dès le tournant du siècle, non seulement les techniques nouvelles sont attestées aux confins du pays, mais la mise en valeur des t e r r e s vierges semble à peu près partout terminée, du moins dans les collines. Vers le milieu du 19e siècle, en 1848, le botaniste Hooker p a r court la vallée de la Tamur, montant lui aussi vers le Tibet. Déjà le pays est t r è s peuplé. Déjà l'implantation des diverses populations est celle que l'on trouve aujourd'hui. Les Bahun (Brahmanes) sont majoritaires à Ilam. Les "Hindous" habitent Dobhan. L'habitat limbu, dans la haute vallée de la Tamur, s ' a r r ê t e à Tapletok. Les Bhotiya sont installés à Lelep et à Lungthung (5). Souvent, ce qui frappe Hooker, c'est l'excellence des cultures. Elle est mentionnée à Dhankuta, à Chingtham, dans un village que nous pensons être Khokling (6). Du riz irrigué, il en note la présence sur les bords de la 32
Pemmi et de la Khawa au confluent de la Mewa et de la Tamur (7). A Dobhan (8) où se rencontrent la Maewa et la Tamur, il existe un marché du grain. Les Bhotiya, régulièrement, viennent y faire du troc. Les lieux sont décrits précisément et d'une façon très localisée. Cent vingt ans plus tard nous avons pu les observer en faisant le même chemin. Pour l'essentiel, il semblerait que le paysage agricole soit déjà le même que celui d'aujourd'hui. Toutefois, une remarque. La route empruntée par Hooker est celle d'hiver. Elle longe le cours des rivières. Toutes ces descriptions très localisées, mfime jusqu'à Lungthung, ne concernent que les fonds de vallées. Mais qu'en est-il plus haut sur les pentes ? Plusieurs indices nous poussent à croire que la transformation du paysage agricole n'y a pas atteint l'ampleur que nous avons pu constater cent vingt ans plus tard. A Khokling, par exemple, au confluent de la Mewa et de la Tamur : Hooker y note la présence du riz dans les champs qui dominent immédiatement la rivière (9). Mais il n'est irrigué qu'en partie. Dès que les pentes dépassent 15 %, dit-il, on trouve du riz sec. Voilà un élément de comparaison. En 1970, Khokling est l'un des greniers à riz de la Mewa. Les champs irrigués, en terrasse, montent très haut sur les pentes, sur trois niveaux d'assolements superposés. Le riz sec, depuis longtemps, a disparu. La même remarque est valable pour Tapletok (10). C'est seulement dans le lit de la rivière, large à cet endroit, que Hooker mentionne les champs irrigués de riz transplanté. Aujourd'hui, ils s'élèvent beaucoup plus haut sur les berges. La riziculture, lors du passage de Hooker n'a donc pas atteint encore, semble-t-il, l'importance que nous lui connaissons en 1970. Il en est de même pour l'étendue des cultures sèches : à cinq ou six miles de Dhule, sans doute vers Sawadin, au-dessus de 1 500 mètres, les pentes, mentionne Hooker, sont désolées et herbeuses. Aujourd' hui, à peu près partout, en cet endroit, elles sont terrassées et couvertes de cultures sèches, jusqu'à des altitudes voisines de 2 000 mètres (11). Autre détail, aussi, qui est significatif : pour gagner la route des fonds de vallées, Hooker a abordé les crêtes proches de la frontière du Sikkim. A Tonglo, sur trois cents mètres de dénivellation, il trouve des brûlis (12). A cette époque, au milieu du 19e siècle, des terres en friche, il en existe encore en pays limbu. Jusqu'en septembre 1868, les documents administratifs en attestent l'existence (13). Toutefois les années 1850 semblent marquer un tournant. La transformation du paysage agricole est sur le point d'être achevée. L'implantation historique des populations a pris dans ses grandes lignes le caractère que nous lui connaissons. L a plupart des espaces vierges, dorénavant, sont mis en valeur. Sur l'ensemble du Népal, Regmi note "une compétition accrue autour des terres cultivées, due à l'accrois33
sement progressif de la population" (14). La remarque s'applique aussi à l'extrême est limbu. Jusqu'alors, le gouvernement central a encouragé l'immigration dans cette région, pour la mise en valeur des terres. C'était une politique très profitable aux usuriers, aux chefs locaux, aux fonctionnaires régionaux. En 1858, vin dernier décret royal a relancé ce genre d'appel. Mais cette fois, il ne s'applique plus au pays limbu, sans doute en voie de saturation. Il concerne les régions plus lointaines, situées à l'est de la rivière Mechi, au-delà de la frontière actuelle du Sikkim (15). Dans la relation de Hooker on trouve aussi un autre point de différence, et de taille celui-là, concernant l'habitation, cette fois. Les Tamang, installés à l'ouest des Limbu, habitent des maisons de pierres, dit-il (16). Mais toutes les maisons limbu qu'il a l'occasion de décrire en remontant la vallée de la Tamur sont en bois ou en claies de bambous couvertes de torchis. Il en est ainsi par exemple à Chingtham et à Dobhan (17). Aujourd'hui ces deux villages sont prospères. A quelques exceptions près, toutes les maisons y sont de bonne pierre. La remarque est importante. Il est probable que l'habitation en pierres, dont les fondations doivent être jetées sur un sol plat, suit d'assez près les travaux de terrassement des champs. Sur un terrain en pente, seul l'habitat en bois, sur pilotis, est possible. Sans doute les maisons décrites par Hooker ne sontelles pas sur pilotis. Mais qu'elles demeurent en bois est peut-être le signe du caractère récent des travaux de terrassement des terres. Si les fonds de vallées népalais paraissent si bien cultivés à Hooker c'est qu'il arrive du Sikkim, où les Lepcha, eux, s'adonnent encore à l'essartage. L'importance des brûlis est longuement suggérée par la description des nuages de fumée qu'il aperçoit de loin (18). La technique est décrite : choix d'un site en forêt sur un terrain en pente. En avril-mai, mise à feu de la jungle. Semis effectués à l'aide du coupe-coupe. Récoltes de mai's, de millet, de riz sec dont les Lepcha connaissent une dizaine de variétés (19). Le riz irrigué, l'araire, sont mentionnés comme exceptionnels (20) dans quelques fonds de vallées. A la même époque, dans les années 1840-1860, Hodgson et Campbell publient eux aussi des descriptions du pays limbu. Mais ils ne procèdent pas, comme Hooker, par observation directe. Ils relatent les informations qu'ils peuvent obtenir, l'un à Kathmandu, l'autre à Darjeeling. Leurs indications, à plus d'un titre, paraissent contradictoires avec celle de Hooker. Campbell, il est vrai, mentionne, sans la localiser, une maison limbu en pierre, ce qui implique un terrain plat, une implantation sur un champ en terrasse (21). Hodgson, lui, décrit un genre de vie des Limbu semblable à celui des Lepcha (22). Pour la plupart, note-t-il, les Limbu ne sont pas "sédentaires". Ce sont des essartants. Une ou deux années de suite, ils cultivent le même champ à la houe. Puis ils vont ailleurs, 34
défricher un autre essart, sur des pentes non terrassées d'une forêt à laquelle ils mettent le feu. Ils récoltent du mal's, du riz sec, du sarrasin, du millet et du coton. Ils habitent des maisons sur pilotis, établies sur un terrain en pente. Elles sont construites en bambou. Leur couverture est en chaume. Toutefois, entre Hodgson et Hooker, au-delà de la contradiction, une convergence, celle d'un changement en cours, qui vient des fonds de vallées, pour monter vers les crêtes. Ainsi, Hodgson mentionne l'apparition de l'araire dont l'emprunt, dit-il, est récent et limité (23). Ailleurs, il signale, sur les bords de l'Arun, à basse altitude, un village où les immigrants népalais sont fortement implantés. On y trouve, dit-il, du riz irrigué transplanté dans des champs en t e r r a s s e (24). Le témoignage de Hodgson ne nous semble pas devoir être remis en cause par l'observation de Hooker. Il paraft seulement un peu anachronique. Il se réfère sans doute à un passé déjà en partie révolu. L'expansion du nouveau genre de vie, vers 1850, est déjà beaucoup plus avancé qu'on ne le pense dans les milieux officiels de la vallée de Kathmandu. Quoi qu'il en soit, les observations de Hodgson trouvent en partie leur authentification par des témoignages plus anciens, ceux que nous ont laissé Kirkpatrick et Hamilton d'une part, les décisions administratives de l'autre, pour la période à cheval entre la fin du 18e et le début du 19e siècle. Au début du 19e siècle donc, Hamilton et Kirkpatrick, pour leurs parts, relatent avec une grande précision ce qu'ils observent dans les régions qu'ils connaissent, à commencer par la vallée de Kathmandu. En même temps ils rapportent toutes les informations qu'ils peuvent glaner sur l'agriculture, ailleurs, au Népal, et par la même occasion, en pays limbu. Dans la vallée de Kathmandu, la culture du riz transplanté dans des champs en t e r r a s s e facilement irrigables est longuement commentée (25). Ils lui opposent les techniques de l'essartage qu'ils constatent sur les pentes les plus proches (26). Là, pas de t e r r a s ses. On met le feu à la forêt en avril-mai. On sème à la houe sur un terrain en pente. On récolte des cultures sèches. Tous les quatre ans, ces champs, qui s'appellent khoryâ (N) sont abandonnés. Cela pour l'observation directe. En ce qui concerne les Limbu et leur pays, leur connaissance se fait par oui-dire. Elle demeure imprécise. Toutefois, assurentils, ce sont des essartants. Ils cultivent, entre autres, une variété de riz sec appelée takmaru (27). Si l'on en croit la liste des exploitations de Chainpur vers le Tibet, les Limbu récoltent également du sarrasin, de l'orge, du millet et du blé (28). Il n'est pas fait mention de mai's (29). Ce sont aussi des éleveurs de moutons qui font t r a n s humer leurs bêtes sur de longues distances. Ils pratiquent la pêche et la cueillette (30). Dressant un tableau des informations qu'ils recueillent sur le 35
Népal oriental, ils notent toutefois que dans les fonds de vallées, à Mulghat sur la Tamur, à Dhankuta, à Jaresang, les cultures sont mieux menées qu'ailleurs. E s t - c e à dire qu'elles sont déjà t e r r a s sées, irriguées (31) ? Les témoignages de Kirkpatrick et de Hamilton sur l'état agricole du pays limbu au début du 19e siècle demeurent limités. Ils s'éclairent, toutefois et se confirment à la lumière de l'analyse des décrets administratifs propres à cette région pour la période considérée. A cet égard, vingt-cinq ans après la conquête gurkha, la politique de Kathmandu sur les pays soumis est claire. Il s'agit partout de défricher les espaces vierges; de mettre en valeur les t e r r e s ; de développer le peuplement; de fixer les paysans; de transformer les cultures et leurs méthodes; de forcer s'il le faut à étendre l'irrigation : "In case there are houses on lands which can be converted into fields, these shall be shifted elsewhere; irrigation channels shall be constructed and the field shall be cultivated" (32). Cette politique centrale a deux objectifs. L'un, général, qui concerne l'ensemble du nouvel empire : pour que l'Etat soit riche grâce à l'impôt, il faut que le pays lui-même devienne riche. L'autre est limité aux régions marginales et mal soumises, particulièrement au pays limbu. Il faut développer l'immigration. Elle permettra, comme ailleurs, par d'autres moyens, la mise en valeur de terres dans un pays peu peuplé. De plus, cet afflux massif de non-Limbu, dans une région turbulente et lointaine, aura, à long terme, d'autres fonctions : assurer la sécurité aux frontières, contrôler peu à peu les chefs locaux; restreindre l'étendue des territoires kipat appartenant à la communauté limbu par l'enregistrement de toutes les t e r r e s nouvellement défrichées en raikar ou autre, c'est-à-dire sous contrôle d'Etat. Ce sont les premières manifestations concrètes de ce que l'on appellera la "politique de conciliation" : tant que le rapport de force ne le permet pas, ne pas agir de front; au contraire, confirmer hautement, partout et toujours les droits à l'autonomie reconnus par Prithivi Narayan en 1774. Mais ruser, restreindre, empiéter sur cette autonomie par tous les moyens possibles. La détourner de son sens. C'est en m a r s - a v r i l 1797 qu'un premier train de mesures concrètes voient le jour en pays limbu : les Pallo Kirat Administrative Régulations (33). De l'Inde et du Tibet, on encourage les immigrants à venir s'installer sur les terres vierges du pays. Les champs défrichés par des non-Limbu, de kipat, seront transformés en raikar. Des subventions sont prévues pour la construction des canaux d ' i r r i gation. Les notables locaux, propriétaires fonciers ou fonctionnaires régionaux sont les organisateurs des changements à l'échelon local. Qu'ils fassent défricher les t e r r e s par le travail forcé (jhârâ) des populations : on leur reconnaîtra des droits sur les espaces mis en valeur. A partir de 1804, cette politique s'incurve. L'autorité centrale 36
s'aperçoit que le travail forcé sous la direction, et au profit, des notables ne donnent pas les meilleurs résultats. "Waste lands cannot be reclaimed through forced labor" (34). De plus en plus les t e r r e s sont accordées à des immigrés qui se chargent d'en effectuer p e r sonnellement la mise en valeur. On encourage leur installation en décidant qu'aucun prix de location ne sera demandé pendant une période de un à quatre ans qui suit le défrichement (octobre 1804) (35); que les t e r r e s mises en valeur seront libres de tout impôt (mai 1805) (36); que l'attribution des parcelles par les fonctionnaires locaux sera reconnue et garantie par des ordres royaux (juillet 1811) (37). En même temps qu'elle s'incurve, la politique de mise en valeur s'amplifie. Ce sont d'abord des ordres ponctuels, de plus en plus fréquents pour que les fonctionnaires en place organisent l'immigration sur une base annuelle : 1804, mai 1805 (38). Puis ces mesures sont généralisées à l'échelon des régions : à Morang, d'abord, en mai 1804 (39) pour l'ensemble du Terai oriental; sur les territoires situés à l'est de la Koshi, ensuite, en juillet 1811 (40). Des administrateurs centraux sont envoyés de temps à autre sur le terrain pour contrôler la mise en application des mesures prises(41). Ils organisent eux-mêmes l'implantation des canaux d'irrigation. Ils accordent des lots aux immigrés venus de l'Inde et dont les maisons sont construites depuis un an. En 1811, un haut fonctionnaire est nommé à Kathmandu pour coordonner les décisions à prendre sur l'ensemble du pays (42). Cette politique de défrichement, d'irrigation et de peuplement sera poursuivie intensivement jusqu'à la guerre contre les Britanniques (1814-1816) (43). En pays limbu, il n'est pas possible d'obtenir des précisions quantitatives sur l'étendue des espaces mis en valeur. Toutefois, la politique semble avoir réussi . Il suffit, pour s'en convaincre, de constater l'opposition des Limbu qui perdent çà et là le contrôle de t e r r e s kipat vierges une fois qu'elles sont défrichées. En avril 1804, par exemple, c'est une querelle entre un Brahmane et un Limbu dans la région de Chainpur (44). Au-delà du caractère limité du cas, l'administration, déjà dans les minutes du procès, adresse une mise en garde plus générale aux propriétaires kipat : "Limbus do not tolerate Brahmans. But they shall not be allowed to displace any Brahmans". L'année suivante, toujours dans la région de Chainpur, la menace se fait plus précise et ce n'est sans doute pas par hasard : "Cultivated areas and settlements on your kipat lands are your own, we have given authority to /our officials/ to promote settlements on waste and uncultivated lands there. In case you obstruct efforts to make our country populous, you shall be severely punished" (45). Enfin, en juillet 1811, l'autorité centrale se sent assez forte pour reconnaître ses empiétements sur les droits kipat et les assumer. C'est sans doute un gros encouragement aux immigrants en but à la colère limbu. Elle déclare à ces derniers : 37
"we have received reports that you refuse to let Khas, Magar, Brahman and other people from the hill region settle on your lands. We have sent them to reclaim lands which can be converted into paddy fields... In case /any kipat owners/ whose holding contain irrigable lands which can be reclaimed as paddy fields does not let hill people settle there on, he shall be awarded severe punishment" (46). Notons au passage que des gens venus de l'Inde, on en voit peu la trace : Khas, Magar, Brahmanes, "hill people", les immigrés sont surtout, semble-t-il, des Népalais, venus s'installer après la conquête gurkha, et fortement appuyés par l'administration. De ces divers témoignages qui concernent le début du 19e siècle, il ressort donc plusieurs constatations : le pays est peu peuplé. Les terres couvertes de forêts, qu'elles soient vierges ou servent de réserves à la rotation des brûlis, semblent importantes. L'irrigation est rare, et par voie de conséquence, le riz transplanté l'est aussi. L'essartage paraît prédominant. Ainsi en pays limbu, la première moitié du 19e siècle plus qu'ailleurs peut-être, au Népal, semble avoir été une période capitale et spectaculaire dans le bouleversement du paysage agricole. Cette transformation est liée à l'arrivée massive d'immigrants indonépalais. Ils s'implantent au plus profond des collines limbu, encouragés, appuyés, portés par toute la force autoritaire de l'administration centrale du nouvel empire. Ils défrichent. Ils irriguent. Ils apportent des plantes nouvelles comme la moutarde et peut-être le mai's. Ils propagent de nouvelles méthodes de cultures : labour à l'araire tiré par un attelage, transplantations du riz et de l'éleusine. Ils s'attachent à la mise en valeur de potagers et de vergers. Ils développent l'élevage des bovins, peut-être des chèvres. Ils introduisent des maisons de pierres, des techniques de construction inconnues. Les Limbu se mettent à leur école. Ils abandonnent leurs techniques traditionnelles pour emprunter, rivaliser d'émulation. C'est toute la vie technique qui est bouleversée. C'est tout le genre de vie qui se transforme. De proche en proche, les changements marqueront deux siècles, le 19e et le 20e. En 1970, tout ce qui se passe d'important dans les collines limbu a encore pour cause le bouleversement technique des premières décades du 19e siècle. Nous sommes persuadés de l'ampleur des changements qui ont suivi la conquête gurkha. Il n'en est pas moins vrai que tout n'est pas clair, et de loin, sur l'aspect du paysage agricole de l'extrême est népalais à cette époque. Des témoignages occidentaux qui mettent en avant l'importance de l'essartage, seuls ceux de Hooker et de Das, les plus récents, relèvent de l'observation directe. Peutêtre, comme le fut sans doute Hodgson à sa façon, Hamilton et Kirkpatrick, dans le rapport qu'ils font des bribes d'informations qui leur parviennent, ont-ils été abusés par des informateurs trop enclins à tenir pour barbare une population presque indépendante. Peut-être, si quelqu'un avait traversé le pays limbu avant la conquête, 38
disons en 1750, aurait-il pu constater que la transformation du milieu technique était déjà en cours. Un délai de deux siècles nous paraît en effet bien restreint pour rendre compte du formidable travail de terrassement des champs que l'on peut constater aujourd'hui dans les collines du Népal oriental. Et l'emprunt, si puissant, d'un genre de vie nouveau, au début du 19e siècle, ne peut pas ne pas avoir été longuement préparé et mûri. Aussi lorsque l'on s'interroge sur l'état agricole des collines limbu avant la conquête gurkha, nombreuses sont les questions qui demeurent sans réponses. Parmi celles-ci, l'une d'elles est importante : est-ce que les Limbu, e s s a r tants pour l'essentiel, ne connaissaient pas, même dans une faible mesure, la riziculture transplantée ? Partout au Népal, l'irrigation des terres à riz semble liée à l'installation de populations originaires de l'Inde. En pays limbu comme ailleurs, l'introduction de la riziculture irriguée est tributaire des perspectives historiques de peuplement. La question qui se pose est alors de savoir s'il existait des Indo-Népalais, chez les Limbu, avant la conquête. A cet égard divers témoignages concordent. Chemjong en atteste la présence (47). Des textes administratifs rappellent l'existence de terres raikar, et même jâgir et birtâ, attribuées à des non-Limbu, du temps des rois Sen (48). Pour Regmi, des Indo-Népalais vivaient au sein de la communauté limbu dès le 13e siècle (49). Ces données bibliographiques se vérifient sur le terrain. Dans la petite vallée de la Mewa Khola, où s'est déroulée l'essentiel de notre enquête, c'est une famille de Chetri Khandaka, installée près de la rivière qui a montré, pour la première fois, aux Limbu stupéfaits par les rendements, les méthodes de transplantation du riz : ils se seraient alors empressés d'imiter les nouveaux arrivants en irriguant quelques parcelles déjà terrassées. Et cela bien avant la conquête, comme l'atteste à la fois la tradition orale des deux populations, d'une part, et le recours aux méthodes généalogiques, de l'autre. Or la Mewa est l'une des vallées les plus septentrionales du pays limbu. Elle fut l'une des dernières touchées par les changements. Il nous faut donc admettre que longtemps avant la conquête, çà et là, des immigrants IndoNépalais étaient déjà installés dans les fonds de vallées du Népal oriental, d'abord. Qu'ensuite, ils cultivaient du riz transplanté. Qu'enfin les Limbu avaient entrepris de longue date, à basse altitude, le terrassement de leurs champs de cultures sèches. C'est finalement cette question du terrassement des champs qui pose le principal problème. Il provient, en partie, de l'ambiguïté du terme nepâli pâkho (50) qui désigne toute parcelle de culture sèche, à la fois en pente et essartée, d'une part, et en terrasse, de l'autre. Les documents administratifs nous ont renseigné sur deux aspects importants de l'oeuvre des immigrants, après la conquête : le défrichement des terres d'abord; l'irrigation, ensuite. Mais ces deux opérations sont-elles toujours directement liées ? Et pourquoi rien n'est dit sur les travaux de terrassement des champs ? Deux 39
hypothèses se présentent donc. Soit l'immigrant, quand il s'installe, pratique d'une traite l'ensemble des trois opérations de mise en valeur. Il défriche la forêt : s'il s'arrêtait là il obtiendrait un terrain en pente propre aux techniques des terres essartées. Il terrasse la clairière et pourrait alors se contenter de cultures sèches sans brûlis, avec des labours attelés. Il irrigue enfin les parcelles terrassées et peut alors, seulement, s'adonner à la transplantation du riz. Etait-ce toujours la façon traditionnelle, pour un Indo-Népalais, de s'installer sur une terre limbu ? On peut au moins envisager une autre hypothèse : le nouvel arrivant, quand il s'implante, achète des champs limbu déjà terrassés. Il se contente alors d'installer le système d'irrigation propre à la riziculture. Il semble bien, en fait, que les deux façons de faire, aient coexisté. La seconde, en tout cas, parait nettement attestée par certains documents (51). Nous voilà donc confrontés, d'une autre façon, aux problèmes de la transformation du paysage. Selon quels cheminements, en effet, les nouvelles techniques agricoles se sont frayées leur voie chez les Limbu ? Ne peut-on penser qu'ils aient d'abord emprunté le riz aux Indo-Népalais, pour en faire la culture sèche sur des brûlis ? Et faut-il admettre, comme le suggère Hamilton, un lien définitif et direct entre la terrasse et l'irrigation (52) ou bien ne peut-on croire, au contraire, que bien avant d'irriguer leurs champs, les Limbu n'aient commencé par les terrasses pour y récolter, longtemps encore, des cultures sèches ? Et cela bien avant la conquête, en même temps qu'ils pratiquaient l'écobuage ? Il faut bien l'admettre, la voie technique du passage de l'écobuage aux cultures irriguées e n t e r r a s ses nous échappe. Les premiers signes en remontent peut-être loin dans le temps. Que le riz d'une part, des champs en terrasse d'autre part, aient existé chez les Limbu dès le milieu du 18e siècle permettrait seulement de mieux comprendre ce changement si brutal, si rapide, qui s'est manifesté au début du 19e siècle. La conquête et l'afflux massif d'immigrants qui suivit n'aurait fait qu'accélérer prodigieusement deux types d'évolution coexistants, entamés depuis longtemps. La transformation des terres en pente en champs terrassés. Et celle des terrasses en parcelles irriguées. Quoi qu'il en soit, si de nombreuses questions restent sans réponses, elles ne remettent pas en cause le fond du problème. Les relations des Occidentaux, ambiguës pour les dates, demeurent claires quant aux faits. Elles sont vérifiées par d'autres indices. Les champs khoryâ, tels que Hamilton les a décrits et nommés, il en existe encore au Népal oriental. A titre de survivance, ils témoignent des anciennes techniques. Les Limbu le reconnaissent. Ils les montrent du doigt. C'est ainsi, disent-ils, que nos ancêtres cultivaient. Les légendes de clans, elles aussi, font référence à ces méthodes. Elles décrivent un chasseur qui s'installe pour la saison dans une clairière. Il essarte un coin de forêt. Sur un terrain en 40
pente il sème quelques graines entre des souches noircies. Le système foncier kipat, le vocabulaire agricole, conservent eux aussi les traces des anciennes techniques de culture. Ainsi, une certitude demeure. Autrefois, peut-être faut-il r e monter au-delà du milieu du 18e siècle, les Limbu étaient des essartants. Ils brûlaient un coin de forêt. Sur les pentes non t e r r a s sées, ils semaient, au coupe-coupe ou à la houe. Ils récoltaient des cultures sèches comme le riz, le sarrasin, l'éleusine. Après quelques années ils partaient entreprendre ailleurs leurs brûlis. Même si les territoires de clans étaient nettement circonscrits, peut-être les villages n'étaient-ils pas sédentaires. Les maisons étaient de bois ou de bambou, couvertes de chaume. Elles se dressaient sur pilotis, sur un sol en pente. Nous pouvons imaginer le paysage de ces temps révolus. Dans les fonds de vallées, vers la fin du 18e siècle, sans doute quelques t e r r a s s e s , peut-être un peu de riz i r r i gué. Mais pour l'essentiel, plus haut sur les pentes, la forêt devait couvrir la majeure partie des territoires claniques. Dans les clair i è r e s , des hameaux assez r a r e s , sans doute. Çà et là sur les pentes, des essarts parsemés de souches calcinées. A cette époque, le genre de vie au Népal oriental s'apparentait sans doute étroitement à celui des montagnards de l'Asie du Sud-Est. Il s'opposait à celui de la plaine indienne, sédentaire, très peuplée, méticuleusement cultivée. Il tranchait aussi avec celui qu'on trouvait ailleurs, plus à l'ouest au Népal où le champ t e r r a s s é envahissait déjà l ' e s pace cultivé. II. LE PAYSAGE AGRICOLE AUJOURD'HUI Comparé à cette image du passé, ce qui frappe aujourd'hui, sur l'ensemble du pays limbu, c'est donc d'abord la quasi-omniprésence du champ terrassé. Il est partout. Dans la vallée de la Mewa Khola, il s'élève jusqu'à des altitudes voisines de 2 600 mètres. Décrivant la région de Dobhan et de Sanghu, que Hooker avait visité avant eux, les botanistes Sheals et Inglis font en 1962 les remarques suivantes : "Every available piece of land is cultivated. The most obvious feature of the entire area was this extensive cultivation. Virtually, every scrap of land which could be used for crops was used with a great reduction, and, in some localities, elimination of any natural habitat" (53). Décrivant les pentes de Milke Bhanjyang, immédiatement au sud de Dobhan, ils notent : "The entire valley side is c a r ved into small paddy fields up about 7 500 ft and is very densely cultivated. . . Because of the intensity of the farming, the only uncultivated land below 7 500 ft tended to be in gullies and on very steep slopes, although the walls of the paddy fields afforded a minor habitat of some i n t e r e s t . . . ". 41
Face au champ terrassé, partout la forêt a reculé. On ne la retrouve que sur les crêtes vers 2 500 mètres, ou bien, çà et là, résistant sur des pentes trop fortes ou des t e r r a s s e s empierrées qui n'ont pas permis le défrichement. Elle s'est tellement dégradée que l'administration centrale, dès qu'elle le peut, en retire la gestion aux chefs limbu et formule des interdits multiples pour sa sauvegarde (54). Sheals et Inglis qui recherchent un milieu naturel f a vorable à leurs études, ne le trouvent qu'aux limites septentrionales du bas-pays montagnard, à Dongen, déjà habité par les Bhotiya : "In this remote and unspoiled area, the dense forest, prédominant ly oak, were extremely rich localities". Si la forêt a tant reculé, c'est que l'homme, lui aussi, est p a r tout. Ce qui frappe, en même temps que l'importance des cultures en t e r r a s s e , c'est la multitude des maisons. A tous les niveaux, elles accrochent l'oeil, dispersées çà et là sur les t e r r a s s e s , accrochées dans une suite ininterrompue sur des pentes t r è s raides. Ce sont, pour la plupart, des maisons en pierre. Terrassement des champs, recul et dégradation de la forêt, f o r te densité démographique (55). Voici les trois facteurs principaux de la transformation du paysage. Ils se combinent pour donner un aspect uniforme au domaine des collines orientales. L'ensemble du pays limbu, façonné pendant plusieurs siècles par les mêmes agents du changement, est devenu aujourd'hui identique à lui-même sur toute son étendue (56). Aussi, à quelques variantes près, décrire un seul village, c'est les décrire tous. Voici Libang, dans la moyenne vallée de la Mewa Khola (57). La rivière, en bas, coule à une altitude proche de 900 mètres. Les crêtes, au-dessus, culminent à 2 600 mètres. Le village, ses champs, les quelques espaces de forêts ou de prairies qui subsistent encore, s'accrochent entre ces deux altitudes sur des pentes t r è s fortes. Le village a au moins deux limites qui sont nettes. En bas la rivière, en haut, la crête. Pour le reste, sur ses flancs, les frontières sont fluctuantes. Cette notion de village est actuellement en devenir. Les limites en sont d'anciennes séparations de territoires claniques que l'administration, récemment, a repris à son compte : le détour d'une crête, qui s'abat plus brutalement que les autres vers la rivière; un torrent qui dévale la pente; un espace de forêt qui isole. Ce site est caractéristique de la plupart des villages limbu. Ce ne sont pas des "villages clairières" établis sur l'espace plat d'un fond de vallée. Ce ne sont pas non plus un ensemble d'habitations et de champs, installés sur le dos d'âne d'une crête. C'est une suite ininterrompue de maisons, le plus souvent dispersées, et de champs en t e r r a s s e qui s'étendent de façon continue à mi-hauteur sur les pentes, assez souvent entre deux ceintures boisées, l'une en bas, limitée sur les bords de la rivière. L'autre en haut, près des crêtes. 42
Cultures et maisons ne sont pas tournées vers la rivière : elle est trop souvent encaissée. Ses rives, dans la Mewa, sont encombrées d'énormes rochers. Sur de longues distances elle coule dans des gorges. Ses bords à pic, sont couverts d'une végétation qui, pour être dégradée, n'en est pas moins difficilement pénétrable. Il y règne encore la malaria. Pour des raisons religieuses, c'est un endroit sauvage et qui fait peur. Ce peut être une voie de pénétration. Mais ses rives demeurent le plus souvent inhabitées, du moins des Limbu. La crête présente des caractères comparables. Il y neige un peu l'hiver. Elle aussi demeure fréquemment inhabitée. La forêt n'y est pas encore complètement défrichée. C'est une réserve de chasse ou de cueillette que se partagent les segments de clan limbu. On y abat les arbres nécessaires à la construction des maisons. L'été, les troupeaux, repoussés de l'espace cultivé, s'y installent. Au long des sentiers, de place en place, quelques monuments bouddhistes : c'est que les subba limbu l'ont en partie abandonnée au défrichage des Sherpa. Ils y sont installés dans des hameaux épars. Les cultures s'étendent entre la forêt qui couvre la crête, et celle qui domine la rivière. Vu de l'autre versant de la vallée, c'est un déferlement de champs en escalier qui s'accrochent aux flancs très raides de la montagne et cherchent à envahir chaque pouce de terrain. Au long des plus fortes dénivellations, il glisse en un mince filet. Il s'amplifie dès que la pente se fait plus douce. Il butte contre des à-pics rocheux. Il est coupé par des torrents qui dévalent au plus court, par des glissements de terrain qui laissent de larges saignées grises. Il coule partout où il peut, en mille bras, abandonnant çà et là amas de pierrailles, flots de forêts, comme le ferait l'immense estuaire d'un fleuve qui s'épuise. Rares sont les endroits qui demeurent à défricher. L'espace cultivé est celui où l'on construit les maisons. Il coihcide avec l'espace habité. Toutefois les pentes sont si raides, les terrains plats si rares et limités que les maisons peuvent rarement se grouper. L'habitat est très dispersé, réparti, du fait de la forte démographie, sur l'ensemble de la surface cultivée. Vues de l'autre versant, les vagues de champs en terrasse apparaissent partout piquetées de bosquets de bambous; d'arbres esseulés et différents, domestiqués; de minuscules maisons blanches et ocres accrochées n'importe où sur les pentes au milieu d'une touffe sombre de verdure où domine la silhouette des bananiers. Bien des images qu'utilisait Gourou pour faire comprendre le paysage agricole de l'Extrême-Orient peuvent s'appliquer au Népal oriental. Tout d'abord "la surprise et la déception de l'Européen s'il veut retrouver les paysages ruraux de son enfance. Il ne peut vagabonder à travers champs". Ce sont souvent des rizières "où le promeneur s'enliserait jusqu'au genou". Peu de prairies, pas de futaies. Pas de chemins forestiers. "Les sentiers sont étroits et 43
inégaux, ils suivent les limites sinueuses des parcelles". Ils montent ou ils descendent. Le charme, ici aussi, est autre qu'en Europe. Au moment de la mousson, lors de la transplantation du riz, les basses t e r r e s sont des "miroirs d'eau" avec une extrême variété de nuances. Au paysage liquide évoqué par Gourou, il faut ajouter le vertige. Dans cet espace toujours en pente, toujours cultivé, peu d'endroits stables où s ' a r r ê t e r , si ce n'est la cour d'une maison (58). Tout autre, au nord, le paysage du haut-pays tibétain. On y aborde après une journée de traversée en forêt. Tokpe Gola, à la source de la Mewa, est coincée entre deux pics neigeux, installée sur le dos d'âne d'une prairie, à la lisière de la forêt. Les maisons, perdues dans ce paysage, sont presque groupées. Quelques champs pauvres, en damier, les entourent. Eux aussi, sont "en t e r r a s s e " . Mais ils sont bien différents des r i z i è r e s du bas-pays. Les parcelles en sont plus étendues. Elles glissent en pente douce. Elles sont entourées de pierres sèches. Elles sont insignifiantes au milieu de l'étendue des alpages, des pics rocheux, des glaciers et de la neige (59). ID. LA VALLEE DE LA MEWA KHOLA Pour décrire l'agriculture et l'habitation, nous avons choisi de t r a vailler au niveau d'une vallée. C'est que initialement, nous nous sommes heurté à un écueil. Si l'étude demeurait au niveau de la monographie de village, on pouvait rester précis, mais on manquait d'éléments comparatifs suffisants. Au contraire, en abordant la description de la maison et de l'agriculture pour l'ensemble du pays limbu, on n'en finissait pas de recenser les diversités régionales. La seule issue possible était donc, semble-t-il, d'enquêter sur une vallée, regroupant, à des altitudes différentes, un ensemble de castes et d'ethnies représentatives de l'aspect multi-ethnique de la société népalaise. C'est la vallée de la Mewa qui nous a servi de "laboratoire". Située dans l'extrême nord du pays limbu, la Mewa est un affluent de la Tamur. Elle est grossièrement orientée nord-sud; longue d'une trentaine de kilomètres. Près de Dobhan, au sud, à son confluent avec la Tamur, l'altitude de la rivière est approximativement de 800 mètres. Sur les pentes qui lui font face, au sud, la petite vallée de Taplejung, à 1 700 mètres. Au-dessus du confluent, les crêtes avoisinantes culminent vers 2 500 mètres. Au nord, la source de la Mewa se trouve près du hameau bhotiya de Tokpe Gola, vers 4 000 mètres d'altitude. A proximité de la source les montagnes appartiennent au grand massif de l'Himalaya et se dressent à des altitudes allant de 6 000 à plus de 7 000 mètres. 44
De 800 à 7 000 mètres on trouve donc, dans la Mewa, la plupart des types de végétation propres au Népal oriental. De même, un échantillon assez représentatif des trois groupes de population définis précédemment. D'autre part, du fait de sa position septentrionale, la Mewa fut l'une des dernières régions du pays limbu à être touchée par l'immigration. Des changements qui en résultèrent, on peut retrouver assez facilement les principaux caractères. Enfin, c'est une route commerciale, traditionnelle, quoique de faible importance, entre l'Inde et le Tibet. Au nord, un col, vers 5 200 m è tres relie Tokpe Gola aux passes qui partent de Thudam vers le Tibet. Au sud, Dobhan, au pied de Taplejung, est un carrefour t r a ditionnel et ancien de diverses routes, dont deux d'entre elles descendent vers la plaine indienne (vers Dharan et Darjeeling). Pour une part, au sud, de 800 à 2 500 mètres d'altitude, sur une quinzaine de kilomètres, la Mewa appartient donc au domaine des collines, au bas-pays montagnard. Plus profond vers le nord, entre 2 500 et 3 500, la forêt. Vers 4 000, le haut-pays et le hameau de Tokpe. La vallée compte à peu près 15 000 habitants dont la quasi-totalité habitent dans le bas-pays, sur les quinze kilomètres qui s'étendent de Dobhan à Dongen. 50% de la population est Limbu; un peu moins de 25% sont des immigrants de dialectes tibétains; un peu plus de 25% des descendants d'immigrants de castes indo-népalaises, avec une prédominance de Chetri et de Bahun. Les Limbu sont implantés à mi-pente, dans les villages de la moyenne vallée, de Thukima à Tankhu et de Dumja à Dalaincha. Dans ces villages, ils sont très largement majoritaires (de 60 à 95%). Les immigrants népalais se répartissent en plusieurs groupes, dont les implantations diffèrent. Quelques Newar sont installés dans des bazars, près de la rivière, au confluent avec la Tamur dans les hameaux de Dobhan, de Dhule et autrefois de Hangdrung. Les autres (Chetri, Samnyasi, Bahun, mais aussi Gurung, Magar et Tamang) occupent principalement les gros villages de composition hétérogène, à l'entrée de la vallée, sur les pentes, à Khokling, à Khamlung, où ils sont majoritaires. Parfois, ils demeurent de façon minoritaire sur les pentes basses, proches de la rivière, dans les villages limbu de la moyenne vallée (Libang, Thunglung, Lingtep, etc. ). Les castes d'artisans comme les forgerons Kami ou les tailleurs Damai ont une répartition plus homogène, par petits groupes de une à six maisons éparpillées dans tous les villages de moyenne et de basse altitude, qu'ils soient à majorité de Limbu ou d'immigrants népalais. Il y a plusieurs groupes d'immigrants de dialectes tibétains dont les origines diffèrent. On peut grossièrement les répartir en deux. Une frange d'habitat sherpa ceinture les crêtes au-dessus de tous les villages, de Khokling à Dalaincha, de Khamlung à Canga. Au-delà de Tankhu et de Dalaincha, on pénètre en pays bhotiya avec 45
les villages de Shimbuk, Dongen, Phabung, etc. Les Bhotiya y demeurent seuls quoi qu'ils aient dépendu, jusqu'à l'instauration du système pancàyat, des subba limbu. Au-delà de Shimbuk et de Dongen, c'est la fin des collines. De Dongen à Tokpe, la forêt, inhabitée, qui mène au haut.pays. Tokpe compte vingt-trois maisons qui ne sont plus habitées que l'été. Les Bhotiya, on le voit, habitent donc principalement les confins du bas -pays montagnard. Cette implantation des diverses populations est d'un caractère récent. Il y a 200 ans, dans la Mewa, seuls les Limbu étaient présents, à quatre exceptions près : quelques Chetri près de Khokling à Khola Khani. Quelques familles sherpa, à Canga; de Newar, sans doute à Dobhan, peut.être aussi des forgerons Kami. Le genre de vie de ces 15 000 personnes est principalement fondé sur l'agriculture, et à titre secondaire, sur l'élevage. Les Newar, cependant, ont des activités commerciales qui les placent un peu à part. Ils importent de Dharan des produits indiens pour les vendre dans les collines, sur les marchés, les foires, et dans les bazars (60). Les Bhotiya, pour une part, connaissent encore une économie fondée sur une triple vocation : le grand commerce entre l'Inde et le Tibet; l'agriculture et l'élevage (yaks, moutons, etc.). Enfin Kami et Damai tirent une partie de leurs revenus de leur artisanat : la forge pour les premiers, la machine à coudre pour les seconds. Toutefois toutes ces populations, d'une façon ou d'une autre, participent de l'agriculture. Pour l'ensemble de la vallée, l'étude est fondée sur des matériaux qui ont été recueillis à partir d'enquêtes systématiques dans divers villages et hameaux (61). Des sondages, d'ordre qualitatif, ont été réalisés dans la plupart des villages de la vallée, sauf à Warok et à Lingtep. Partant de ces diverses informations, recueillies à la fois chez les Limbu et chez les descendants d'immigrants, à la fois dans les fonds de vallées et sur les crêtes, effectuons maintenant, dans un premier temps, la description des nouvelles techniques agricoles. NOTES 1. Das (1904), p. 3, 4, 7, 11. 2. Texte cité par Regmi (1965), p. 131. 3. Order to the Limbus of Pallo Kirat, avril 1899, cité par Regmi (1965), p. 131. 4. Chhathum Survey Régulations, 1938, cité par Regmi (1965), p. 107. 5. Hooker (1854), p. 137, 143-144. 6. Ibid., p. 133, 137, 139. 7. Ibid., p. 135, 139. 8. Ibid., p. 138. 9. Ibid., p. 139. 10. Ibid., p. 140. 46
11. Ibid. 12. Ibid., p. 130. 13. Order Regarding non-registration of lands and homesteads in Pallo Kirat, 1868, cité par Regmi (1965), p. 124. 14. Regmi (1971), p. 190. 15. Order Regarding Resettlement in Areas East of the Mechi River, avril 1838, cité par Regmi (1971), p. 190. 16. Hooker (1854), p. 95. 17. Ibid., p. 137. 18. Ibid., p. 104. 19. Ibid., p. 88, 100, 107. 20. Ibid., p. 107. 21. Campbell (1840), p. 604. 22. Hodgson (1858 a), p. 450. 23. Hodgson (1857 b), p. 447. 24. Hodgson (18Ï7 d), p. 115. 25. Kirkpatrick (1811), p. 99 sq. ; Hamilton (1819), p. 73 sq. 26. Hamilton (1819), p. 230. 27. Kirkpatrick (1811), p. 280. 28. Hamilton (1819), p. 157. 29. Au Népal, le mate est apparu dans les collines au début du 18e siècle. Cf. Regmi (1971), p. 17-18. Il n'est pas prouvé que les Limbu l'aient connu avant la conquête gurkha. 30. Kirkpatrick (1811), p. 280; Hamilton (1819), p. 75. 31. Hamilton (1819), p. 158-159. 32. Cité par Regmi (1971), p. 143. Sur la politique de mise en valeur des terres, cf. Regmi (1971), p. 143-146. 33. Pallo Kirat Administrative Regulations, mars-avril 1797, cité par Regmi (1965), p. 85, Regmi (1971), p. 52. 34. Order regarding Land Reclamation in Mandanpur and other Areas, juillet 1805, cité par Regmi (1971), p. 144. 35. Adhiya Land Grant to Bishram Raut in Chainpur, octobre 1804, cité par Regmi (1965), p. 85, Regmi (1971), p. 144. 36. Order to Prajapati Padhya Regarding Land Reclamation in Arun Tista Region, mai 1805, cité par Regmi (1971), p. 144. 37. Arrangement for Reclamation of Waste Lands in Area East of the Koshi, juillet 1811, cité par Regmi (1971), p. 146. 38. Royal Order to Thuk Andak, 1804; Order to Champa Singh Gurung regarding Reclamation of Waste Lands in Chainpur, cités par Regmi (1965), p. 85, et Regmi (1971), p. 146. 39. Judicial Regulations for Morang District, mai 1804, cité par Regmi (1965), p. 85. 40. Arrangement for Reclamation of Waste Lands in Areas East of the Koshi, juillet 1811, cité par Regmi (1971), p. 146. 41. Regmi (1971), p. 143. 42. Ibid., p. 144. 43. Ibid., P. 190. 44. Settlement of Land Dispute in Pallo Kirat, avril 1804, cité par Regmi (1971), p. 52. 45. Royal Order to Kipat Owners of Chainpur, mai 1805, cité par Regmi (1971), p. 52. 46. Order regarding Jagir Assignment of newly reclaimed Lands in Chainpur, septembre 1811, cité par Regmi (1971), p. 52. 47
47. Chemjong (1961), p. VII. 48. Order Regarding the Restoration of Kipat Lands in Pallo Kirat, décembre 1888, cité par Regmi (1965), p. 85. Pallo Kirat Administration Regulations, mars-avril 1797, cité par Regmi (1965), p. 85. 49. Regmi (1965), p. 96. 50. Pâkho : "unirrigated land on which maize, millet and other dry crops can be grown" (Regmi, 1965, glossary); "unirrigated hillside or high lands" (Regmi, 1971, p. 228); "Side, hillside, slant, land, shore" (Turner, 1931, p. 373). 51. Cf. Regmi (1965), p. 98 et Regmi (1971), p. 52. 52. Hamilton (1819), p. 73 : "wherever the land can be levelled into t e r races, however narrow, it is exceedingly favourable for transplanted r i c e . . . ". 53. Sheals (1965), p. 104-105. 54. Cette réglementation sur les f o r ê t s , mal appliquée dans l'Est, date de 1957. 55. Selon les informations fournies par "Nepal in maps" (1966), les collines du Népal oriental connaîtraient une densité démographique comprise entre 100 et 200 habitants au mile c a r r é . Caplan (1970), p. 6, note que le district d'Ilam, au sud du pays, serait passé, pour cause d'immigration et de croissance démographique de 89 000 habitants en 1920, à 124 000 en 1961. 56. A titre de comparaison pour le pays Gurung, à l'ouest, cf. Pignède (1966), p. 112; Macfarlane (1972), p. 317 s q . , p. 399. 57. Cette description serait valable, entre autres, pour les villages de Nessum, dans la vallée de la Sabuwa; de Tembe, dans la Maewa; de Nundaki, entre Chainpur et Tembe; de Chingtham, déjà décrit par Hooker (1854), p. 137, etc. Il y a cependant quelques exceptions. Le village étudié par Caplan (1970) dans la région d'Ilam, se trouve en partie sur la crête. Tapletok, dans la haute Tamur est établi surtout sur les rives. A ce sujet, cf. Campbell (1840), p. 604; Caplan (1970), p. 20; Hooker (1854), p. 137. Parfois les ceintures boisées ont disparu dans certains villages. A ce sujet, cf. Macfarlane (1972), p. 15. Les informations qu'il donne pour le pays gurung sont également valables pour les Limbu. 58. Cf. Gourou (1940), p. 99. A titre de comparaison, pour d'autres r é gions népalaises, cf. Hamilton (1819), p. 222-223 (vallée de Kathmandu). Pignède (1966), p. 44; Macfarlane (1972), pour le pays Gurung; Mac Dougall (1965), p. 25-27 chez les Râi. Hitchcock (1966), chez les Magar; F u r e r - H a i mendorf (19 54), chez les Tamang. 59. Pour des descriptions plus précises du haut-pays tibétain au Népal oriental, cf. Morris (1923) (Haute-Arun); Fùrer-Haimendorf (1964), p. 2-7 (Solu et Khumbu); Hooker (1854), p. 145, 159, 166, 180 (Tamur, Yangma); D. B. Bista (1966) p. 149-150 (Tokpe, Thudam). 60. A ce sujet cf. Sagant (1968). 61. Des enquêtes systématiques ont été faites à la fois chez les Limbu et chez les descendants d'immigrants : 1) Chez les Limbu, dans les hameaux de Tumbangphe (Libang), Songbang (Libang), Taktem (Libang). Soit un total de 80 maisons. Des sondages importants ont été effectués à Saraza, Chinabung, Pukhandin, Siguenem, Yokma, Nalbu, etc. 2) Indo-Népalais et Newar, dans les hameaux de : Tobeiem (Libang), 22 maisons Samnyasi; Wassum, Siguenem (Libang), 15 maisons Chetri; divers (Libang), 2 maisons Damai, 2 maisons Kami; Khokling, 10 maisons Chetri; Dobhan, 18 maisons Newar. 3) Populations de dialectes tibétains : Shibuden, 43 maisons Sherpa; Tokpe Gola, 23 maisons Bhotiya; Dongen-Tartong, 23 maisons Bhotiya. 48
CHAPITRE IV. LES CHAMPS, LES OUTILS, LA FUMURE
Dans une vallée comme la Mewa Khola qui regroupe aujourd'hui tant de populations diverses, deux questions complémentaires se posent clairement dès que l'on aborde la description de la vie agricole actuelle. Dans quelle mesure, d'abord, trouve-t-on des survivances des anciennes techniques d'essartage ? Ensuite, sur l'ensemble de ce paysage en apparence unifié par la terrasse, les techniques agraires sont-elles homogènes ? Ainsi, que l'on soit Limbu ou Chetri, Brahmane ou Sherpa, Kami ou Bhotiya, travaille-t-on la terre aujourd'hui selon les mêmes méthodes ? ou bien, au contraire, chacune des populations conserve-t-elle des façons de faire qui lui sont propres, un particularisme ethnique qui se traduit dans le domaine de la technologie ? En présentant successivement les matériaux concernant la typologie des terres cultivées, celle des outils, les méthodes de fumure, nous allons obtenir un début de réponse. I. LES CHAMPS Nous ne reviendrons pas sur le caractère des champs du haut-pays tibétain qui, à Tokpe du moins, tendent à être abandonnés (1). Dans la vallée de la Mewa, en ce qui concerne l'ensemble du bas-pays montagnard, des "collines", une typologie des terres cultivées repose sur deux critères antagonistes et simples. Le champ peut être en pente ou en terrasse. Lorsqu'il est terrassé, il peut, ou non, être doté d'un système d'irrigation. On trouve donc trois types principaux de champs : - le champ terrassé qui possède un système d'irrigation. Il est appelé khet en nepâli; - le champ qui ne possède pas de système d'irrigation; où l'on récolte des cultures sèches. Il s'appelle bâri en nepâli; - le champ en pente, essarté ou non, et qui répond à des appellations diverses : khoryâ (N); bhasme (N); pâkhe khet (N); pâkhe bâri (N). A cette liste, ajoutons les potagers-vergers proches des maisons, en terrasses, et que l'on appelle bagaïcà en nepâli. 1. Champs irrigués en terrasse (khet) Le khet (2) est principalement utilisé pour la culture du riz irrigué. Les Limbu l'appellent parfois pyân. Le plus souvent, cependant, ils 51
utilisent le mot nepâli. Sous le nom de khet, on désigne un ensemble plus ou moins important de terrasses, disposées en escalier. Chaque terrasse est caractérisée par quatre éléments : la surface cultivable, plane; la diguette, pour retenir l'eau; la "murette", mur de soutènement, presque vertical; enfin une arrivée d'eau qui permet, à certaines époques de l'année, l'inondation par ruissellement. La surface cultivable d'une terrasse est également appelée khet. Ses dimensions varient et dépendent principalement de la pente du terrain. Rarement elle atteint une cinquantaine de mètres de largeur, pour quatre-vingts mètres de longueur, là où les pentes sont douces, dans le lit des rivières, par exemple. Le plus souvent, elle surprend par son étroitesse. En altitude, elle peut se limiter à deux ou trois mètres de largeur pour cinq ou six de longueur. Les formes en sont sinueuses, rarement coupées à angle droit, quoique partout elles tendent au rectangle. Au travail de l'araire, il est nécessaire de fournir un complément à la houe, dans les recoins. Un "champ" est donc composé d'un ensemble de un à vingt ou trente terrasses par exemple. Plus la pente est forte, plus les terrasses sont morcelées et minuscules. La diguette est appelée âli en nepâli. Le plus souvent, les Limbu utilisent le même mot, qu'ils prononcent âri. La diguette longe le bord extérieur du champ, qui surplombe la terrasse voisine, et s'appuie sur le mur de soutènement. C'est une levée de terre, construite à la houe, et pouvant atteindre une trentaine de centimètres de haut, pour vingt de large. Sa hauteur traditionnelle est déterminée par l'empan : de l'extrémité du petit doigt jusqu'à celle du pouce, quand la main est écartée. En principe un champ inondé doit l'6tre jusqu'à "hauteur de pouce". Chaque année les diguettes sont abattues et reconstruites. Ce travail considérable s'effectue en quelques jours, avant la transplantation du riz. Durant l'hiver, en effet leur dégradation est inévitable. Elles sont endommagées, une première fois, par les bêtes venues fumer les parcelles; une seconde, à l'occasion des labours de cultures sèches qui suivent la récolte de riz; Gourou a insisté sur l'importance que l'ensemble des diguettes prend sur le sol cultivable. Dans la Mewa, une partie d'entre elles sont cultivées. On y sème diverses sortes de lentilles, de haricots, etc. Les murettes, enfin, mur de soutènement des terrasses sont appelés bhito en nepâli, parfois kuek en limbu (le dos). Selon la pente, leur hauteur est comprise entre quelques dizaines de centimètres et parfois deux mètres. On les entretient chaque année. Le jour où les diguettes sont abattues, on les débarrasse de la végétation sauvage qui y a poussé. On en égalise les parements, à la houe. Le plus souvent les murettes sont de terre. Parfois elles sont constituées d'un mur de pierres sèches, appelé lun thak en limbu. Dans ce cas, les propriétaires, ou des artisans semi-professionnels 52
appelés karmi (N) (3) en assurent chaque année l'entretien, soit pendant l'hiver, soit au lendemain des semis en pépinières. En terme de kipat, la surface plane des terrasses, les diguettes, sont possessions individuelles. Les murettes, elles, et la végétation qui y pousse, demeurent la propriété commune des membres du segment de clan. Les subba peuvent en organiser l'exploitation comme pâture. Les khet sont irrigués. Pour l'essentiel, ce système d'irrigation est composé de minuscules canaux appelés kulo en nepàli et wàlâm en limbu. Les torrents qui dévalent les pentes à travers l'espace cultivé servent à l'approvisionnement en eau : elle est captée, en partie, au moyen de petits barrages très rudimentaires faits de quelques pierres colmatées par de la boue et des feuilles, souvent à la hauteur des fontaines (dhârâ) (N) du village. Elle est ensuite canalisée dans les kulo. Ces derniers sont creusés à même le sol, à la houe. Leur profondeur excède rarement une dizaine de centimètres. Leur itinéraire, souvent, emprunte sur quelque distance,. le "lit" que représente les sentiers du village, qui sont alors complètement inondés. Pendant l'hiver, les barrages sont abattus, les canaux abandonnés. On les restaure à la veille des semis en pépinières. Leur réseau se ramifie au fur et à mesure que l'on approche des champs. D'année en année, il demeure à peu près le même. Un même réseau permet l'irrigation de nombreuses terrasses appartenant à des propriétaires différents. L'entraide entre voisins permet, en principe, une répartition équitable. En fait, on l'a vu, les querelles sont nombreuses. Ce système d'irrigation est médiocre (4). L'irrigation d'un champ d'une vingtaine de terrasses est assurée par l'arrivée de quatre ou cinq canaux ramifiés à partir d'un canal principal. Ce dernier est contrôlé en plusieurs points, trois en général, échelonnés à diverses altitudes, au moyen de petits barrages. On peut "ouvrir" ou "fermer" l'eau, c'est-à-dire la diriger soit vers le champ à irriguer, soit la faire retourner vers le torrent d'où elle vient, mais plus bas, tirant toujours parti de la pente. Dans le champ, la dénivellation entre les terrasses assure l'irrigation par ruissellement. Une fois qu'une terrasse est inondée, une ou deux ruptures dans sa diguette assurent le ruissellement dans la terrasse qui lui est inférieure. Le drainage et l'assèchement s'opèrent de la même façon. Il n'y a pas, à notre connaissance, de champs "inondés" dans la vallée de la Mewa. Par contre, certaines parcelles, souvent proches de la rivière, sont marécageuses. On les appelle éiméar en nepâli (5). On y cultive une seule récolte de riz par an. On les abandonne pour le reste de l'année. Elles sont dotées également d'un système d'irrigation. Liée principalement à la culture du riz transplanté, l'irrigation, toutefois, est utilisée pour d'autres cultures. Pour le blé par 53
exemple, lorsqu'il est cultivé après le riz et qu'il n'a pas plu depuis longtemps. De même dans certains cas, pour humidifier la terre avant de préparer le sol des cultures de tabac, de pommes de terre, et des pépinières d'éleusine (6). 2. Champs de cultures sèches, enterrasses (bâri) Les bâri (N) (7) sont des champs terrassés qui ne possèdent pas de système d'irrigation. Disposés comme les khet, en escalier, ils se composent d'une surface plane, cultivable; et d'une murette. Ils ne possèdent pas de diguettes. Ils sont voués aux cultures sèches : mai's, orge, blé, sarrasin, éleusine, etc. Les Limbu les appellent ik ou iktâp. Les pentes sur lesquelles ils s'accrochent peuvent être beaucoup plus abruptes que celles où sont installés les champs irrigués. Selon certains auteurs elles peuvent atteindre 30 %. De ce fait, plus que le khet, le bâri est composé d'un grand nombre de terrasses. Les surfaces planes cultivables y sont très morcelées. Elles peuvent parfois être dérisoirement petites. Au pire, l'araire n'y pourra tracer qu'une ou deux raies, ce qui suppose parfois une largeur de l'ordre du mètre. Dans la préparation du sol, le travail à la houe, complémentaire du passage de l'araire est plus important que dans les champs irrigués. Les murettes sont également plus hautes, en moyenne, que dans le khet. Il est rare que les bâri reposent sur une murette de pierres sèches. Lors de la saison froide, leur terre devient une fine poussière qui coule le long des murettes quand passent les gens ou les bêtes. Aux premières pluies, il arrive qu'une boue noirâtre dévale les pentes. A certaines époques de l'année, sur de longues distances, elle donne sa teinte à la rivière. Dans la majorité des cas, les bâri sont cultivés chaque année. La plupart permettent deux récoltes par an. Quelques-uns, une faible minorité, les plus hauts en altitude, les plus loins des maisons, sont abandonnés pour des périodes allant de trois à dix ans. 3. Les champs en pente Les champs en pente, aujourd'hui, sont peu nombreux. A Libang, où l'espace cultivé est situé à des altitudes moyennes, sur 142 exploitations étudiées, on n'en trouve pas. Ils existent cependant dans les hameaux de Saraza et de Chinabung, assez rares. Us sont un peu plus fréquents dans d'autres villages de la Mewa : à Thunglung, dans la forêt, à mi-pente; à Okhrabu, à Nalbu, à Canga, sur les crêtes. Ailleurs en pays limbu nous en avons rencontré au-dessous de Dhankuta; près de Lungthung dans la vallée de la Tamur; en de nombreux endroits de la route des crêtes qui mène de la Mewa à Dharan; quoi qu'il en soit, ils demeurent rares. C'est à partir de 54
ces exemples limités que se fonde notre description. Leur terminologie n'est pas claire. Parfois on les englobe sous la désignation de bâri quoi qu'ils ne soient pas terrassés. Lorsqu'ils sont "écobués" on les appelle khoryâ (N) ou bhasme (N). Ailleurs on utilise les mots de pâkhe khet (N) ou de pâkhe bâri (N) selon que l'on y récolte du riz sec ou d'autres céréales. Les Limbu utilisent les mots de ithun ou de pun (8). Entre eux, il nous semble distinguer principalement deux types. Les premiers, quoique rares, peuvent apparaître à toutes les altitudes, aussi bien dans les fonds de vallées qu'à l'approche des crêtes. Ils semblent, du fait de leurs pentes très fortes, n'avoir pu être terrassés. Ce sont des essarts, pris sur la forêt, parsemés de souches noircies. L'araire n'y peut être utilisée. Toute la préparation du sol s'effectue à la houe. On y cultive des variétés particulières de riz sec (takmaru), une sorte d'éleusine appelée pârâmâ, parfois du mai's ou du sarrasin. Les systèmes d'assolements sont divers. Après une ou deux années de culture, une longue période d'abandon, de l'ordre de sept ou huit ans. Une jungle secondaire y repousse. On y met le feu en avril-mai avant de les cultiver à nouveau. Ils ne sont jamais clos. Ceux-là s'appellent khoryâ. Ils sont la survivance la moins dénaturée de l'ancien type de technique agricole par essartage. Les autres, eux, paraissent caractéristiques des crêtes. Ils déterminent localement une frange cultivée juste au-dessus des derniers champs terrassés de cultures sèches. Ils sont pris, le plus souvent, non sur la forêt, mais sur les pâtures. Leurs pentes sont douces. L'araire peut y passer. On y cultive surtout des pommes de terre et de l'orge; plus rarement du blé, du mal's, du sarrasin. Parfois ils sont enclos de murettes de pierres sèches pour les protéger du bétail. Ils présentent peu de différences, alors avec les parcelles proches des maisons que l'on trouve dans le haut-pays tibétain, à Tokpe par exemple. Toutefois, dans les collines, ils sont loin des maisons et de dimensions notablement plus importantes. Il semblerait qu'alors que le premier type de champ en pente (khoryâ) aille en se raréfiant, le second au contraire se développe, lié peut-être à la production croissante de pommes de terre. 4. Potagers et vergers Les potagers et vergers sont des parcelles en terrasses, proches des maisons. Ils sont clos le plus souvent par des palissades de bambou ou des murettes de pierres sèches. Ils sont, en général, séparés en deux ou trois soles, en fonction de leur ensoleillement différent, du fait de l'ombre que procure l'habitation. On les appelle bagaïcâ en nepâli, se ik ou nodi ik en limbu (9). Nous en reparlerons en étudiant l'habitation. 55
5. Répartition des divers types de champs En général, dans la vallée de la Mewa, à un endroit quelconque, si on part de la rivière pour monter vers la crête, on traverse d'abord une étendue de champs irrigués (khet), pour trouver à mi-pente les premiers champs de cultures sèches (bâri) qui s'étendent, eux, presque jusqu'à la crête. Ainsi, les champs irrigués (khet) sont installés sur les terres les plus basses. On les trouve d'abord dans les fonds de vallée, proches de la rivière. Ils déterminent une sorte de ceinture cultivée, à peu près continue sur toute la longueur de la moyenne vallée. Juste au-dessus, à peu près homogène, elle aussi, tout au long de la vallée, la ceinture des champs terrassés de cultures sèches (bâri). En d'autres termes, assez rares sont les cas où l'on trouve des parcelles irriguées au milieu d'un ensemble de terres sèches, et réciproquement. Ces deux types de champs, irrigués sur les basses terres, secs à mi-pente, représentent l'essentiel des terres cultivées. Les champs en pente du type khoryâ sont de plus en plus rares, marginaux, dispersés çà et là. Les autres champs en pente, ceux d'altitude, sont plus nombreux. Mais leur localisation est limitée à certains terrains où ils déterminent la transition entre champ terrassé et forêt ou pâture. En fait, ce champ terrassé on l'a vu, qu'il soit ou non irrigué, tend à envahir l'ensemble de l'espace cultivé. Cette règle générale, bien sûr, est sujette à de nombreuses variations. Selon les endroits, les champs irrigués d'une part, les bâri de l'autre, montent plus ou moins haut vers les crêtes. Prenons par exemple le terroir de Libang. A Kurungden, les khet disparaissent à 1 200 mètres. A Wassum, on en trouve encore vers 1 400 mètres. Ils retombent près de Lumba à l'altitude de 1 100 mètres. A Tukliden, sur une grande étendue ils sont présents à 1 500 mètres. Ils déterminent des flots isolés à Yokma (1 500-1 600 mètres), et à Shibuden (1 600-1 700 mètres). Ces variations tiennent aux conditions géographiques. Elles dépendent du versant, de l'ensoleillement : à Pandolung, exposé au nord, les khet s'élèvent beaucoup moins haut qu'à Canga ou à Kiling dont les terrasses sont exposées au sud. De même, localement, les possibilités d'irrigations sont déterminantes. A Omikok (Libang) et Khola Kani (Khokling) l'eau est rare. Les khet disparaissent dès 1 200 mètres. La qualité du sol joue aussi son rôle. Warok, par exemple, possède l'un des meilleurs terroirs de la vallée. Partout la terre y est noire (mâkkhâm) (L). C'est la plus fertile selon les Limbu. Sur une grande étendue les champs irrigués sont encore présents à 1 500 mètres. A la même altitude, à Shibuden, la terre est rouge (henkhâm) (L) : rien d'autre que de médiocres parcelles de cultures sèches. Même remarque pour Pukhandin où la terre blanche (pokhâm) (L), résulte d'anciens glissements de terrain. 56
Au-delà de ces variations t r è s localisées, il en existe une autre plus générale et toute aussi contraignante, celle qui tient aux variations de la température dues à l'altitude. Si la ceinture des champs irrigués (khet) existe bien sur toute la longueur de la moyenne vallée, elle s'amenuise au fur et à mesure que l'on s'enfonce vers le nord, que l'on remonte le cours de la rivière. Ainsi, à l'entrée sud de la vallée, le t e r r o i r de Khokling est pour moitié constitué par des champs irrigués. Ils assurent près des trois quarts de la production. Dès Libang, ces proportions diminuent. L'étendue irriguée tombe au tiers des surfaces et r e p r é sente la moitié de la production. Au nord, à Tankhu, à Dalaincha, on peut encore trouver des khet à des altitudes comprises entre 1 700 et 2 000 mètres. Mais ils n'assurent qu'une production insignifiante (10). Ils sont dispersés çà et là, perdus dans la masse impressionnante des cultures sèches. Ces derniers, de façon à peu près constante sur les deux rives de la vallée culminent à des altitudes comprises entre 2 200 et 2 600 mètres. Cela revient à dire que du sud au nord, la proportion comparée des t e r r e s irriguées par rapport aux champs secs aurait tendance à devenir inversement proportionnelle. Dans cet espace cultivé, où l'on trouve donc principalement cultures sèches ou irriguées, toutes t e r r a s s é e s , comment s'organisent les exploitations ? Prenons l'exemple de M., paysan aisé du village de Libang. Sa maison est située à mi-pente, au milieu des cultures sèches. Il exploite neuf parcelles différentes, situées à des altitudes variables, sans compter le potager, tout proche de l'habitation. Cinq d'entre elles sont irriguées, dispersées sur la ceinture des basses t e r r e s . L'une à 900 mètres, au lieu-dit Liphabung, tout proche de la rivière. Une autre à Omikhok (1 100 mètres); une autre à Hankewa (1 200 mètres). La plus haute des parcelles i r riguées se trouve à Kahiri, 1 600 mètres. Par ailleurs, M. fait valoir quatre champs de cultures sèches dont le plus bas est à 1 300 mètres et le plus élevé, celui de Takok, à 1 700-1 800 mètres. Ses t e r r e s sont dispersées entre la rivière et la crête. Elles voisinent avec d'autres t e r r e s limbu, mais aussi Chetri, Kami, Sherpa, Samnyasi dont les exploitations sont organisées de façon analogue. II. L'OUTILLAGE 1. Inventaire des outils agricoles Pauvre ou riche, et quelle que soit la population à laquelle on appartient, d'une maison à l'autre, on trouve aussi les mêmes outils agricoles (11) : le joug, le timon, deux types d'araires, une ou deux sortes de herses, le "niveleur", deux ou trois types de houes, une 57
sarclette, deux sortes de faucilles (12). L'ensemble de ces instruments a une fonction exclusivement agricole. Toutefois, à cette liste, il convient d'ajouter d'autres ustensiles, d'un emploi plus général, mais qui sont aussi utilisés pour les travaux des champs : les serpes ou "coupe-coupe", qu'ils soient du type khukuri (N), sabre népalais traditionnel, ou khurpâ (N), de forme moins originale; le bâton, à la fois pour battre certains grains et pour aiguillonner les bêtes; diverses sortes de paniers utilisés pour semer, porter le fumier, les récoltes, pour engranger, etc. ; le van, d'un emploi particulier lors des battages; le tamis, également utilisé après la moisson; divers types de nattes, etc. Timon et joug de garrot permettent à l'attelage de bovins de traîner indifféremment les deux types d'araires et les herses : les dimensions des gorges et des tenons d'assemblages sont les mêmes. Le joug s'appelle juwâ en nepâli. C'est le mot qu'utilise les Limbu de la Mewa, plutôt que celui de cikhep que l'on trouve dans le dictionnaire de Chemjong. Composé d'un bâti rectangulaire en bois, il est traversé par quatre montants verticaux. Sur la face supérieure du bâti, une encoche centrale permet de rattacher le timon au joug au moyen d'une lanière torsadée du cuir de bufflonne. Un lien de fibres végétales maintient les montants sur l'encolure des bêtes. Le timon est appelé haris (N). C'est une longue pièce de bois, d'un seul tenant, d'environ deux mètres cinquante. L'une des extrémités traverse le sep de l'araire de part en part et s'y verrouille par un coin en bois; l'autre est doté d'une cheville de bois fixe qui permet l'articulation au joug par la lanière de cuir. Tous les Limbu qui cultivent le riz irrigué connaissent deux sortes d'araire (13), de forme identique, mais de dimensions différentes. La plus longue est utilisée pour tout labour en terrain sec. Les Népalais l'appellent "araire de jachère" (bâjho halo); les Limbu "araire longue", kembâ kekcu ou kembâ halo. La seconde est employée dans les seuls terrains inondés, pour préparer les sols lors des semis en pépinières d'une part, à l'occasion de la transplantation, de l'autre. Les Ne'palais l'appellent hilo halo, hilo désignant la boue; les Limbu utilisent la même image (lekwâ kekcu), ou plus simplement ils lui donnent le nom "d'araire courte" (kedupâ kekcu). Ces deux araires sont du type manche-sep, sans étançon. La première est longue d'environ 85 cm; la seconde de 70 cm. Leur hauteur est identique (23 cm). Elles ont toutes deux des reilles de même longueur (34 cm), longue tige de fer de forme et de section rectangulaire, fixée au soc par deux clous de type "cavalier". La herse, appelée dâde en nepâli (14), se compose d'une forte barre de bois, légèrement courbe, de section carrée. Sous ce bâti horizontal, quatre ou parfois six dents de bois; au-dessus, deux manches en bois verticaux également. Une gorge de section rectangulaire traverse le bâti de la herse de part en part, en son centre, pour permettre le passage de l'extrémité du timon. L'emploi de la 58
herse, limité à la seule riziculture, varie avec l'altitude. Dans les champs irrigués des fonds de vallée (moins de 900 mètres), c'est la herse à six dents qu'on utilise. Entre 900 et 1 400 mètres d'altitude, celle à quatre dents. Plus haut, la herse n'est pas employée. Il est possible que ces usages soient liés aux dimensions des champs, de plus en plus réduits, semble-t-il, au fur et à mesure que l'on gagne en altitude. Le "niveleur", pyâuri en nepâli, pâtuâri en limbu, est un outil fait d'une lame de bois ayant la forme d'une demi-lune et d'un long manche (90 cm). Lui aussi n'est utilisé que pour la riziculture, une première fois le jour des semis en pépinières; et plus tard, lors de la transplantation dans le champ inondé. Dans la Mewa Khola, il existe trois types de houes. Toutes connaissent un emmanchage à collet. Deux d'entre elles sont à lame pleine; la troisième, plus rare, est une fourche à deux dents. Des deux types à lame pleine, la plus petite (appelée kodâlo, kute kodâlo ou câprâ en nepâli, sin kân en limbu) est d'un emploi très fréquent : retourner la terre, briser les mottes, curer les champs, restaurer les canaux d'irrigation, sarcler, butter, biner, déterrer, labourer, dans certains cas, les pépinières d'éleusine; elle est aussi utilisée dans bon nombre de travaux non agricoles. La seconde, un peu plus grande, est appelée kodâli en nepâli, kân en limbu. Son usage est surtout limité à deux types de travaux : retourner la terre lors des premiers labours, là où l'araire n'a pu passer; abattre les vieilles diguettes des champs de riz, juste avant leur reconstruction. Enfin, la houe à deux dents, katâ en nepâli, tin kân en limbu, n'est utilisée, lors des premiers labours, que si la terre est très sèche et très dure. Deux types de faucilles, appelées hasyâ (N) ou wâphe (L) sont d'un usage courant. La plus grande présente une lame munie de dents minuscules, obtenues à la lime. C'est elle qu'on emploie le plus souvent dans les champs, lors des moissons, etc. Elle a aussi d'autres usages, par exemple, on utilise sa pointe pour creuser des poquets dans les diguettes des champs de riz, pour semer des lentilles ou des haricots. Attachée à l'extrémité d'une perche, elle permet de couper des feuilles, de cueillir des fruits. L'autre faucille est plus petite. Sa lame est lisse. Son emploi est surtout domestique. A ces deux faucilles, il faut ajouter la serpe ou coupe-coupe, khurpâ (N); wâke ou khokpemâ (L), d'utilisations multiples. Ces trois instruments sont, en principe, attachés à la condition féminine, au même titre que la houe. La serpe est parfois considérée comme l'équivalent, pour la femme, du sabre courbe (khukuri) (N) que portent les hommes, à la fois outil de travail et arme de défense. Les hommes se servent de la faucille, courbés; les femmes, le plus souvent, accroupies. La sarclette, kobek (L) (?) est employée pour la culture du tabac. C'est sa seule utilisation. Sarcler le mal's se fait à la houe; 59
s a r c l e r l'éleusine, à la main. D'une maison à l'autre, c'est donc le même ensemble d'outils, à peu près, que l'on trouve. Toutefois la herse à six dents n'apparaît que chez les gros riziculteurs; la houe à deux dents est assez r a r e dans les maisons modestes. La plupart des outils, à l'occasion, peuvent se prêter, sauf les deux araires, le timon et le joug qui se louent, dorénavant, avec l'attelage. Selon l'aisance des paysans, les outils sont plus ou moins nombreux. Dans une maison riche (70 mûri de grain par an), l'inventaire était le suivant : deux a r a i r e s longues; deux araires courtes; une herse à quatre dents; un joug; deux lanières de joug; deux liens de joug; quatre petites houes à lame pleine; trois grandes; une houe à deux dents; cinq faucilles; un niveleur; trois khukuri; deux serpes; une sarclette. 2. Remarques sur la fabrication des outils Limbu ou Chetri, Bahun ou Damai, Sherpa ou Samnyasi, dans les champs, on se sert donc des mêmes outils. Ce sont aussi les mêmes méthodes qui prévalent à leur fabrication. Les parties en bois des outils sont fabriquées soit par chaque chef de famille, pour son compte, soit par les karmi (N), artisans semi-spécialisés qui se recrutent surtout parmi les Limbu, à r a i son de deux ou quatre par hameau d'une trentaine de maisons. Les uns comme les autres utilisent les mêmes outils de fabrication : la hache (bancaro) (N); tondi (L); l'herminette (basulo) (N, L); le ciseau à bois (râbo) (N, L), et le khukuri (N,L). Aujourd'hui les forgerons Kami des collines en assurent la fabrication. Aussi, nombreux sont les villageois qui fabriquent eux-mêmes leurs outils en bois. Ceux qui font appel au service des karmi sont, soit des paysans aisés, soit des gens trop pauvres pour posséder les quelques instruments nécessaires à la fabrication. Les bois utilisés proviennent des forêts appartenant aux segments de clan. Chaque membre du segment a accès à ce matériau, gratuitement, sous la responsabilité des subba (15). Les descendants des immigrés, intégrés aux segments de clan, ont le même droit, sous réserve de fournir une faible prestation au subba. Quelques arbres seulement sont réputés d'un emploi spécifique pour la fabrication des outils. Parmi eux, le chêne (yoibâ) (L); (bajrath, phalat) (N) est l'un des plus prisé. Toutefois il se fait r a re. On réserve son emploi à la seule fabrication des timons et accessoirement à celui des manches de houes et de faucilles. Ce sont donc d'autres bois qui servent à fabriquer les parties dures des outils (sep d'araire, bâti de herse, bâti de joug, lame de niveleur, etc. ). Parmi ceux-ci, les plus communément utilisés sont le koksin (L), une variété de michelia ou de magnolia appelé câp en nepâli; le yânsirî (L), cilâune (N), shima wallichii; enfin un arbre appelé câmbrok (N), comumâ (L) (?) non identifié. Au-delà de ces 60
règles théoriques, en fait, d'assez nombreuses espèces sont d'un emploi fréquent. Ces traditions d'utilisation des arbres ne sont pas propres aux seuls Limbu. Elles concernent l'ensemble des populations des collines (16). Pour un outil donné, les procédés de fabrication, eux aussi, sont identiques, quelle que soit l'origine ethnique du fabricant. Les dimensions requises sont constantes. Elles se réfèrent aux mesures népalaises issues du corps humain (17). Par exemple, c'est toujours de la même façon que dans un billot de dimensions données, on fabrique deux seps d'araire à la fois. Et la gorge où s'enfonce le timon dans le sep aura quatre doigts de large pour deux de haut. Les arbres sont débités à la hache; dégrossis à la hache et au khukuri; les billots sèchent quelque temps sous des pierres. Ils sont façonnés (18) à l'herminette. Les gorges sont creusées au ciseau à bois, la tête de l'herminette servant à marteler. Si vous demandez à un karmi de vous fabriquer une araire, un timon, un joug ou une herse, en général, vous apportez le bois dont il aura besoin. Et son travail, le plus souvent, vous lui payez en nature. Par exemple pour chacun des outils énumérés, il vous en coûte le même prix : huit mesures (mânâ) de riz non décortiqué; ou deux bières (tongba); ou deux mesures de grain décortiqué; ou deux mesures de sel; ou une mesure de beurre cuit. Toutes ces prestations, selon l'usage, ont même valeur. Elles correspondent au salaire d'une journée de travail masculin. Leur référence est la même pour tous, celle de l'économie monétaire (19). Le fer, lui, est uniquement travaillé par les forgerons de basses castes, les Kami (N). C'est à eux que l'on demande de fabriquer les reilles et leurs clous de fixation, les lames des houes, celles des faucilles et des serpes. Au total 60 à 70 maisons de forgerons existent dans la vallée (20). Ils répondent aux besoins des 15 000 personnes, toutes populations réunies, qui habitent la Mewa. Ils sont dispersés dans tous les villages où dominent Limbu et descendants d'immigrants népalais. Ils n'apparaissent pas au sein de l'habitat sherpa, quoique ces derniers aient recours à leurs services. On ne les voit pas non plus dans les villages bhotiya du bas-pays montagnard sauf dans le village mixte de Tankhu (21). Quelques-uns, comme à Libang, sont isolés. Le plus souvent, ils se regroupent en hameaux de deux à dix feux, un peu à l'écart des autres populations. Aujourd'hui encore, malgré l'abolition légale du système des castes, ils demeurent des intouchables. Ils sont intégrés aux segments de clan limbu, comme les autres immigrants (22). Au Kami, outre le travail du fer, on demande aussi d'autres services. A Libang, l'un d'eux bat le cuivre et tanne les peaux. C'est à lui qu'on commande les lanières de joug. Un autre est orfèvre. Ailleurs, certains d'entre eux sont spécialisés dans le bois tourné. (Cundârâ) ou les travaux de métaux précieux (Sunâr) (N). Le terme de Kami sert à désigner tous ces types d'artisans. Quand on veut 61
préciser, le forgeron est appelé "phalâme Kami", le "travailleur" du fer (23). Le fer provient de l'Inde, via Dharan (24). En principe, chaque paysan, qu'il soit Limbu, Sherpa ou Chetri, va chercher chaque année le métal dont il a besoin. Ces migrations s'effectuent l'hiver, surtout pendant la période qui s'étend du battage du riz aux premiers labours du maife (décembre-février). Leur durée, dans la Mewa, est de douze ou treize jours. On voyage en groupe de quatre à dix personnes, en moyenne, en passant par la route des fonds de vallées. Le portage s'effectue dans des hottes. Outre le fer, on rapporte également le sel et le pétrole dont on a besoin pour l'année. Le sel à Dharan peut être échangé contre du beurre cuit. Il n'en est pas de mfime du fer qui doit être payé en monnaie, népalaise ou indienne. Selon ses besoins, chaque famille, achète chaque année de un à trois dhârni de fer en moyenne, c'est-à-dire de 2, 5 à 7, 5 kilos. Un dhârni de fer, à Dharan, coûtait 6, 7 roupies en 1967; 8, 9 roupies en 1969; 13 ou 14 roupies en 1971 (25). Chaque maison, en principe, délègue un ou deux de s e s membres vers la plaine, homme ou femme, souvent des adolescents. En fait, si les pauvres, surtout parmi les Sherpa, effectuent plusieurs fois de suite le trajet dans la même année, les paysans aisés s'en abstiennent. Ils s e procurent leur fer au village. Deux possibilités à cet égard : on peut s'entendre avec un porteur, avant la migration; on lui paye à l'avance son portage (50 roupies); à sa charge de rapporter alors, le sel et le fer dont il a besoin, ainsi que celui de son créancier. Plus simplement, le fer peut aussi bien être acheté au retour des migrations. Il en coûte un peu moins du double du prix pratiqué à Dharan. L'un des Kami de Libang, chaque année, effectue trois voyages vers la plaine. Au total il rapporte quinze dhârni de fer. Il en revend la majeure partie. L'atelier du Kami est situé sous un auvent, dans la cour de sa maison. Selon la saison, son travail est plus ou moins pressant. S'il travaille chaque matin, de six à neuf, il peut, dans la journée, souvent, vaquer à ses occupations agricoles pour son compte ou en tant que journalier. C'est en hiver que la forge est le plus utilisée. Sa femme, ses enfants, sont ses apprentis, s e s compagnons. Ses outils venaient autrefois de Darjeeling, aujourd'hui de Dharan. Ils s e composent d'un jeu de marteaux, trois ou quatre, appelés hatauro en nepâli, kuthok en limbu; de pinces, sanâso (N), khebhipmâ (L); d'une ou deux enclumes, lihi (N), kuthep (L); d'une paire de cisailles, katàrna (N); de divers burins, chinu (N), kâlino (L); de limes servant aux affûtages, retâ (N) (26). Le foyer de la forge, comme le soufflet, est désigné sous le terme général de bhatti (N). Le Kami lui-même l'a fabriqué en bois (de la variété cap) et en peau de buffle. Le soufflet est actionné par un jeu de perches et de chaînes qui forment levier et s'articulent sur un "joug" (juwà). Outre ces divers outils, le Kami trempe son fer dans un tronc évidé appelé dhotro (27). Il 62
utilise parfois une perforeuse en bois à tête de métal, actionnée par un mouvement circulaire alternatif, appelé sàn (N). Il dispose aussi d'une "enclume mobile" appelée khariyo (N). Le Kami pour sa forge, utilise du charbon de bois, gol (N), disposé à côté de lui dans un panier. En général il fabrique ce charbon de bois deux fois par mois près de la rivière, aidé par sa femme. Comme tout raiti, il a accès aux arbres morts sur le territoire du segment de clan auquel il est intégré. S'il désire abattre un tronc, il doit en demander l'autorisation au subba. On la lui accorde contre une prestation, une petite faucille, en général (28). Les lames de houes et de faucilles, les reilles, sont martelées à chaud sur enclume et trempées. Les faucilles et les serpes comportent des soies qui permettent l'emmanchage. On consolide ce dernier par des viroles de fer soudées au cuivre. Les soies sont introduites à chaud dans les manches enduits d'une résine végétale appelée lâhâ (N), que fournissent les Bhotiya ou que les Limbu peuvent se procurer au marché ou à Dharan. Les relations économiques du forgeron avec ses clients sont de trois types. Avec les subba, ou les Limbu qui lui ont permis l'accès à la t e r r e (29), il se trouve dans une position particulière. Chaque année, outre les corvées habituelles, il doit leur fournir gracieusement les outils dont ils ont besoin. La plupart fournissent le fer. D'autres, les plus puissants, ne le font pas. Le nombre des outils donnés est également en relation avec l'importance politique. Dans la majorité des cas, le forgeron est lié à ses clients par des contrats. Les maisons abonnées s'appellent bâlï ghar (N). Elles fournissent le fer. Le Kami assure le travail de tous les outils nécessaires. La rétribution se fait en grain, une première fois au mois de bhadau (N) sous forme de mai's; une seconde en mâgsir (N) sous forme de riz. Le taux pratiqué est de deux pâthi de grain par adulte en mesure de travailler. D'une maison l'autre, à Libang, on paie chaque année de quatre à douze pâthi de grain. L'un des forgerons, avec 35 maisons clientes, obtenait, par an, treize mûri de grain; l'autre, avec 60 maisons, dix-huit mûri. Enfin, quelques maisons ne sont pas abonnées. Elles payent le prix de chaque outil au fur et à mesure qu'elles en demandent la fabrication (jelà) (N). Les tarifs diffèrent selon que le fer est ou non fourni par le client (30). Chaque année, l'un des forgerons de Libang recevait deux cents roupies, dit-on, grâce à ce système. Par an, M. , le propriétaire limbu de notre exploitation de référence, fait fabriquer une ou deux araires neuves; une reille; parfois un joug; une ou deux houes qui se perdent, s'usent ou se cassent; deux faucilles qui connaissent le même sort. A peu de chose près ces besoins sont aussi ceux de Naraman, riche propriétaire Chetri, installé près de la rivière. Par contre, les dépenses de P. S. , installé sur la crête, sont moindres. Elles sont comparables à celles de S. , le voisin de Motta, Limbu trop pauvre pour s'adonner à la riziculture. 63
m . LA FUMURE Dans les champs, l'apport d'engrais provient de deux sources. Animale, d'une part, végétale, de l'autre. On n'utilise pas, comme en Chine, l'engrais humain. A notre connaissance, les amendements demeurent méconnus. De même, on ne fume pas la plante en cours de croissance. La fumure animale est de loin la plus importante. Elle demeure toutefois nettement insuffisante et surtout très inégale dans sa répartition. Elle est étroitement liée aux diverses formes d'organisation des activités pastorales. Nous traiterons ailleurs de l'économie propre à chacune. Rappelons seulement ici que quatre sortes d'animaux domestiques fournissent de l'engrais : les bovins (vaches et buffles), les moutons, les chèvres, les cochons. Deux procédés principaux permettent l'apport de fumier. Ils dépendent directement des types d'élevage. Soit le troupeau passe dans les champs avant leur mise en culture. C'est-à-dire que l'épandage précède les premiers labours, ceux de défoncement (bâjho) (N); soit, d'une fumière proche de la maison, on transporte l'engrais à dos d'homme dans des paniers, vers les parcelles cultivées^ Dans ce cas, l'apport se fait après les labours de défoncement (bâjho); ils précèdent immédiatement les seconds labours (éiro), ceux qui s'accompagnent des semis. Ces deux procédés, par passage du troupeau, d'une part, et par transport à dos d'homme, de l'autre, peuvent se compléter l'un l'autre, dans une même parcelle. C'est le fumier de bovins qui est de loin le plus utilisé, en raison de l'importance du cheptel. C'est aussi, souvent, le plus apprécié. Toutefois, chaque type d'engrais est jugé posséder des mérites particuliers, selon les cultures. Pour les pépinières de riz, par exemple, on peut tout mettre, sauf du fumier de cochon. Par contre, dans un champ de pommes de terre, c'est ce dernier qui est, dit-on, le meilleur. La fumure végétale est considérée, par les populations ellesmêmes, comme médiocre. Elle consiste principalement à mettre à feu une végétation abattue et sèche, puis à épandre les cendres. Sous des formes diverses elle résulte sans doute de la survivance atténuée des anciennes techniques de culture par brûlis. 1. Fumure animale (31) a) Passage des troupeaux Ce sont surtout les bovins et les moutons qui passent dans les champs pour assurer la fumure. A titre moindre, et de façon inorganisée, les chèvres, à certaines époques de l'année, gardées par des petits enfants; jamais les cochons. Les déplacements des troupeaux ne sont pas organisés, comme chez les Bhotiya par exemple, à l'échelon du village. Chaque pro64
priétaire agit pour son compte. Au mieux, deux ou trois éleveurs peuvent s'entraider, une partie de l'année, et partager quelque temps les mêmes pâtures. Toutefois, pour tous, les calendriers sont les mêmes. Ils dépendent des cultures. Les troupeaux de bovins connaissent deux types de déplacements, selon qu'ils sont petits ou grands. Les petits troupeaux, ceux qui comptent une dizaine de bêtes, demeurent dans les limites du territoire villageois. Ils sont accompagnés, le plus souvent, par leurs propriétaires qui s'abritent dans une cabane démontable appelée goth (N). Ils passent de jachères en jachères à longueur d'année, montant et descendant entre la crête et la rivière. En quelque sorte, leurs déplacements sont "verticaux". Si tous les champs sont en culture, ils sont repoussés pour quelque temps en dehors de l'espace cultivé. Soit ils gagnent alors les maigres pâtures proches de la crête, soit ils reviennent s'installer dans la cour des maisons. Parfois on leur réserve une parcelle en t e r r a s se qu'on laisse en friche à certaines époques pour qu'ils y trouvent refuge. Nous avons étudié les déplacements d'un tel troupeau, à Libang, pour une période d'une année. Les propriétaires sont Limbu. Dans la famille, le père et les femmes assurent les travaux des champs. Grand-père et petit-fils, eux, accompagnent les bêtes à longueur d'année. Ils passent la nuit dans la goth quand le troupeau est loin de la maison. Ils reviennent, à tour de rôle, coucher chez eux, dans le cas contraire. Le troupeau compte sept bêtes. En un an, il a passé 273 jours à fumer les jachères, et 92 jours, par période de dix jours à un mois et demi, soit dans la cour de la maison, soit dans une parcelle réservée. Ses déplacements furent réguliers, montant de la rivière à la crête, de février à septembre; descendant, de septembre à février. Fin août, il atteint les t e r r a s s e s les plus élevées, celles où l'on cultive mai's et orge. Il commence à descendre alors dans les parcelles où l'on récolte l'éleusine, puis le riz précoce. Vers octobre-novembre, dans celles où éleusine et riz tardif viennent d'être moissonnés. Il demeure de novembre à février dans les champs irrigués, assurant la fumure des parcelles où l'on sème les cultures d'hiver puis le mal's. A partir de février, repoussé par les labours du mai's, il remonte progressivement vers les crêtes. De nouveau vers la mi-août, il se retrouve dans les t e r r a s s e s les plus élevées. Au total, outre les quatre parcelles du propriétaire, trentedeux champs ont été fumés, appartenant à des paysans différents, qui se sont entendus au préalable avec l'éleveur. Dans chaque parcelle, le troupeau restait pour des périodes de deux à dix-huit jours, le plus souvent de quatre à six jours. Si ces déplacements "verticaux" demeurent dans les limites du village, ils n'en donnent pas moins lieu à des relations inter-ethniques. Parmi les agriculteurs dont les t e r r e s furent fumées, figurent une majorité de Limbu. Il y a, toutefois, également quelques Chetri et un Sherpa. 65
Les grands troupeaux, eux, connaissent des déplacements "horizontaux", non plus au niveau du village, mais à celui de la vallée. Dans leur majorité, ils appartiennent en effet à des Bahun ou des Chetri habitant à l'entrée sud de la vallée. Ils demeurent pendant l'hiver sur les basses terres, fumant comme les petits troupeaux, les champs irrigués du village. Au début du printemps, ils montent en estive, dans des pâturages du nord de la vallée, appartenant au pays bhotiya. Ils redescendent vers novembre; dans les villages qu'ils traversent, ils assurent la fumure des jachères. A la montée, au printemps, ceux qui vont être emblavés de mai's. En hiver, lorsqu'ils descendent, ceux où riz et éleusine tardifs viennent d'être moissonnés. Toutefois, leurs déplacements sont assez rapides (de l'ordre de cinq jours). Ils ne demeurent pas plus d'une nuit dans une parcelle. Dans un village donné, ils fument un champ ou deux, ceux des notables qui, prévenus de leur arrivée, ont envoyé quelqu'un pour les attendre et les guider. Les grands troupeaux ovins, plus rares, connaissent le même type de déplacements "horizontaux". Cependant, ce n'est plus d'estive qu'il s'agit, mais de transhumance. C'est à longueur d'année qu'ils tournent sur les terres, du nord au sud, soit dans l'espace cultivé, soit dans les très hautes prairies. A Libang, lorsqu'ils descendent, vers le mois de décembre, on parvient à les retenir une quinzaine de jours, dans les champs où va être semé le blé. Ils demeurent trois jours dans un champ. Ils assurent la fumure de cinq champs, tous appartenant à des notables. Agriculteurs et éleveurs se connaissent de longue date, dans le cadre du village et même dans celui de la vallée; ils renouvellent à peu près chaque année de la même façon leurs contrats. Car c'est bien d'un contrat qu'il s'agit, encore que tacite. Les clauses liant le propriétaire des champs paraissent très dures. Il doit nourrir les gens qui accompagnent le troupeau. Il fournit un mânâde riz décortiqué par personne et par repas, ou l'équivalent en mai's frais pendant l'été. A ceux qui sont catalogués selon le système des castes "buveurs d'alcool" et même souvent aux autres, il assure bière et rakéi. Il prête sa vaisselle, procure du sel et des épices si les éleveurs en manquent. Il doit également nourrir les bêtes. A l'époque des moissons il leur abandonne les chaumes. Plus tard il donne de la paille. Souvent, il doit compléter par du fourrage frais, soit qu'il aille le couper lui-même dans les arbres du village, soit qu'il montre au bouvier ou au berger un espace de forêt appartenant au territoire clanique où ils pourront, avec l'accord du subba, aller faire paître les bêtes. Enfin, le propriétaire du champ est tenu de fournir les poteaux de la goth quand c'est nécessaire, les éleveurs n'apportant que les nattes de couverture. En échange, les bêtes fument le champ, passant de terrasse en terrasse. La journée, elles demeurent en liberté sous la surveillance des bouviers. La nuit, elles sont attachées au piquet. Chaque matin, le propriétaire 66
du champ vient faire sa tournée. Il étend les bouses fraîches, à la main. Il indique les endroits non fumés où, la nuit suivante, on fixera les piquets. Parfois, les éleveurs vendent de préférence au propriétaire du champ un peu de beurre ou de lait caillé. Ce type de fumure par passage du troupeau s'effectue toujours avant le premier labour (bâjho). Quoique le plus important de tous, il a des limites assez nettes. Il favorise certaines t e r r e s , celles des fonds de vallée; certaines parcelles, les moins morcelées; c e r taines cultures, le riz, le mal's et le blé des champs irrigués; certaines périodes, l'hiver; certaines gens, les moins pauvres. Il est loin de suffire à l'ensemble des besoins. b) Fumure portée Un second procédé d'utilisation de l'engrais animal consiste à le recueillir dans des fumières et à le transporter vers les champs. Ces fumières sont proches de la maison, dans des dépendances réparties autour de la cour intérieure de façon à peu près identique d'une habitation à l'autre. Les chèvres sont parquées pour la nuit dans des cabanes de claies de bambou, à cheval sur deux t e r r a s s e s et en partie sur pilots. Les planchers de ces abris sont à clairevoie. Le fumier s'amoncelle ainsi sur la t e r r a s s e inférieure. Cette fumière s'appelle ghuryân (N). Les cochons, eux, une partie de l'année et toujours pour la nuit, sont enfermés dans des enclos de pierres sèches. On y recueille leur engrais à la houe. Les bovins enfin, lorsqu'ils sont ramenés dans les cours des maisons, ou quand leur nombre est trop réduit pour faire l'objet de déplacements "verticaux", sont gardés au piquet, la nuit, près des maisons. Leur fumier, mélangé de paille des litières, est soigneusement conservé. Le transport vers les champs s'effectue à dos d'homme, dans des paniers du type doko (N) qu'on emplit à la houe. Selon l'éloignement des champs et leur importance, le portage peut faire l'objet d'une journée complète de travail pour trois personnes. On utilise parfois les services des journaliers. Le plus souvent, ce sont les femmes et les enfants de la maison qui assurent, matin et soir, pendant un ou deux jours, le transport. Les paniers sont déversés sur les t e r r a s s e s en tas appelés cuthyân en limbu, et thupro en nepâli. Ces tas sont répartis sur l'ensemble du champ. Dans un champ de pommes de t e r r e , pour dix pâthi de semences, il faut compter vingt-cinq à vingt-huit charges. Pour un champ de riz, en altitude, fournissant une récolte d'un mûri, on compte une dizaine de charges. Il n'y a pas alors d'autre apport d'engrais. Dans d'autres cas, là où la fumure s'est effectuée par passage du troupeau, on peut fournir un apport complémentaire de quatre ou cinq charges. Qu'il soit complémentaire ou non, cet apport de fumier se fait toujours après les labours de défoncement. Il précède immédiatement les seconds labours, ceux qui accompagnent les semis, soit la veille, soit le jour même, selon les cultures. En général, pour 67
le mai's par exemple, une pluie tiède est très appréciée pour que le fumier pénètre le sol, avant le labour. Les procédés d'épandage sont de trois types : Dans les champs de pommes de terre, le travail se fait comme suit : Une femme creuse un trou à la houe. Un enfant y déverse un peu de fumier; un autre, la semence de pommes de terre. Le trou est recouvert de terre. On passe au trou suivant. Dans les pépinières d'éleusine, sur une terre labourée à l'araire ou à la houe et pulvérisée à la main, l'épandage de l'engrais se fait à la main. D'un petit panier que l'on tient contre soi, on le jette en une nappe égale et continue. Les semences seront jetées à la volée sur ce lit. Dans les champs de culture sèche, même procédé que pour les pépinières d'éleusine, mais d'une façon dispersée. La fumure portée peut être un appoint à celle du passage du troupeau. C'est le cas pour certains champs des fonds de vallée où l'on cultive riz et mai's. Elle assure par ailleurs souvent la totalité de l'apport d'engrais pour les cultures de pomme de terre, les pépinières d'éleusine, les champs de riz d'altitude, le potager. Pour les champs les plus hauts, par contre, on fait une fréquente utilisation de la fumure végétale. 2. Fumure végétale Sur l'ensemble de la vallée, à certaines époques de l'année, particulièrement d'octobre à décembre, des fumées s'élèvent partout sur les crêtes : on brûle des végétaux pour engraisser les champs. Cette technique, on l'a vu, est systématiquement employée dans les champs en pente, pris sur la forêt. Elle est également d'une fréquente utilisation dans les champs de culture sèche d'altitude, terrassés, particulièrement dans ceux qui sont laissés plusieurs années de suite en jachère. La végétation mise à feu, selon les cas, est d'origine différente : - celle, sauvage, qui repousse sur l'ensemble d'un champ en pente ou en terrasse, après une période de jachère; - celle, sauvage, qui repousse sur les murettes pendant la mousson, dans un champ terrassé à rotation annuelle; - celle qui résulte des restes abandonnés d'une culture : tige de mai's dépouillée de ses épis; buissons de bhatmâs, dont les grains ont été récoltés, etc. D'un cas à l'autre, les techniques utilisées sont approximativement les mêmes : 1. On abat la végétation au khukuri (N), à la faucille, ou même à la houe; 2. Eparpillée sur l'étendue du champ, la végétation est abandonnée pour une période de l'ordre d'un mois. On la laisse sécher; 3. Une fois sèche, on y met le feu. Deux procédés sont possi68
bles. Soit par nappe, quand les végétaux abattus sont assez importants pour couvrir l'étendue du champ. Soit e n t a s , avec éparpillement ultérieur des cendres, dans le cas contraire. La mise à feu est favorisée par des allumes-feu, tiges de bambou refendues ou fagots de branches sèches; 4. Les cendres réparties sur l'ensemble d e s s e r r a s s e s , on p r o cède immédiatement au labour de défoncement (bâjho). Ce type de fumure est aujourd'hui considéré comme médiocre. Il ne peut s'effectuer que pendant la saison sèche. Il concerne s u r tout les cultures d'hiver. Il se fait surtout sur les crêtes. C'est un procédé de champ pauvre, de céréale pauvre, de paysan pauvre. Quelques remarques pour conclure : Les divers procédés de fumure peuvent être utilisés de façon complémentaire les uns aux autres. La fumure a parfois des influences sur les techniques de culture. Elle est liée également aux notions d'impureté hindouistes. Ainsi les immigrants nepâli de hautes castes répugnent souvent à cultiver des pommes de t e r r e car elles ne sont bien fumées, dit-on, que par l'engrais de cochon et qu'ils n'élèvent pas de cochon. De même c'est souvent en fonction de l'engrais disponible que l'on cultive telle variété plutôt que telle autre. Enfin, un champ non fumé peut ne connaître qu'un labour. Un champ fumé en connaît toujours deux. Un effort important, ces dernières années, semble avoir été fait par les paysans progressistes et aisés, les notables le plus souvent, pour améliorer la fumure de leurs champs, sous l'impulsion du gouvernement népalais. Les pauvres, eux, n'ont pas assez de bêtes, des champs trop lointains ou trop morcelés. La fumure y demeure insuffisante et médiocre. NOTES 1. Pendant longtemps, la vocation de Tokpe Gola semble avoir été, autrefois, principalement commerciale. L'agriculture y aurait joué un rôle d'appoint minime, à l'inverse de ce qui se passait à Walungchung. Autour des maisons, quelques champs en pente douce permettaient la culture de navets, de pommes de terre, etc., selon les techniques propres aux Bhotiya du hautpays. L'outillage étant fabriqué par des forgerons tibétains gârâ qui passaient la frontière à certaines époques de l'année. Toutefois, en s'établissant de plus en plus dans les derniers villages des collines, à Dongen, Phabung, Shimbuk, etc. , les Bhotiya, pour l'essentiel, ont adopté la plupart des méthodes de leurs voisins. Aujourd'hui Tokpe et ses champs sont en partie abandonnés. Nous reviendrons ailleurs sur l'histoire récente de ce hameau, très caractéristique. Pour des descriptions concernant le genre de vie des Bhotiya du hautpays au Népal oriental, cf. Hamilton (1819), p. 157 : il semble que son Pakang Gola corresponde à Tokpe Gola; Morris (1923), pour la haute vallée de l'Arun; Fiïrer-Haimendorf (1964), p. 2-7, pour les régions de Solu et de Khumbu; Hooker (1854), p. 145, 159, 166, 180, pour la haute Tamur et la Yangma, D. B. Bista (1966), p. 149-150, pour Tokpe et Thudam. A titre de comparai-
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son, au Kumaon, cf. Pant (1935), p. 41-42, et sur l'ensemble de l'Himalaya, Dupuis (1972), p. 111. 2. La définition du khet dans T, p. 126 est la suivante : "cultivated field, irrigated field; as opposed to bâri". Pour pyân (L), cf. CJ, p. 182, Haarh (1960), p. 17. Sur les champs irrigués, à titre de comparaison pour d'autres régions himalayennes, cf. Pant (1935), p. 103, pour le Kumaon; Hamilton (1819), p. 223, qui insiste sur s e s t r è s faibles dimensions; Nepali (1966), p. 38, chez les Newar; Caplan (1970), p. 11 chez les Limbu de la région d'Ilam; Pignède (1966), p. 111 et Macfarlane (1972), p. 266 chez les Gurung; Mac Dougall, p. 40, chez les Rai; Gorer (1938), p. 86-90 chez les Lepcha du Sikkim; Hitchcock (1966), p. 15, chez les Magar. Sur les causes historiques du morcellement, cf. Macfarlane (1972), p. 391 : ce sont les mêmes chez les Limbu. La pente du khet s'est faite de plus en plus forte au fur et à mesure que les t e r r e s devenaient r a r e s . Hooker (1854), note une pente de 15% en 1848; Amatya (1967a), p. 72, décrit des pentes actuelles de 30%. 3. Karmi : mot newar désignant des charpentiers-maçons, cf. Nepali (1966), p. 449 à Sikarmi. 4. Il n'existe pas, chez les Limbu, une autorité villageoise organisant l'irrigation des champs comme chez les Thakali par exemple (Jest, 1964, p. 29), ou chez les Bhotiya du Népal Central (Kawakita, 1957, p. 64). Les subba règlent les querelles une fois qu'elles sont survenues dans le cadre de "l'entraide" entre voisins. 5. Appelé wâjim par CJ, p. 271. Dans la Mewa le terme tuwârok était utilisé. 6. On retrouve les mêmes procédés au Kumaon, cf. Pant (1935), p. 45. 7. T, p. 435, pour bâri (N), donne la définition "garden, garden vegetables". Il semble que ce terme désigne toute parcelle de terrain où est effectuée une culture sèche. Il s'oppose aussi à khet (N). Sur le mot ik (L) utilisé par les Limbu, cf. CJ, p. 308, 163, 10. Sur les divers caractères du bâri dans l'Himalaya, cf. Pant (1935), p. 95; Pignède (1966), p. 109; Macfarlane (1972), p. 260 sq. ; Mac Dougall, p. 40; Bista (1966), p. 32; Caplan (1970), p. 13; Hitchcock (1966) p. 15; Gorer (1938), p. 86; Nepali (1966), p. 40. Pour le bâri, Amatya (1967a) estime leur altitude maximum, au Népal, aux alentours de 8 500 pieds. Les pentes des bâri sont plus fortes que celles des khet, cf. Amatya (1967), p. 72. Sur l'expansion des bâri toujours plus haut en altitude, cf. Macfarlane (1972), p. 317 sq. ; p. 399. Au sujet de la construction de nouvelles t e r r a s s e s que nous n'avons pas pu observer en pays limbu, cf. Pant (1935), p. 90 et Macfarlane (1972), p. 317. 8. Pour la définition de pakho, cf. chap. III, note 50. Le mot pâkhe implique à la fois la pente et l'absence d'irrigation. C'est ce que l'on trouve dans la définition que donne Turner p. 373 et celle de Sharma; certains auteurs insistent sur l'absence d'irrigation et ce type de champ s'oppose alors de façon globale au khet, incluant le bâri. D'autres, au contraire, insistent sur l'aspect non t e r r a s s é , en pente, et opposent ainsi pâkhe khet, ou pâkhe bâri, à la fois au khet et au bâri. Nous n'avons pu surmonter cette ambiguïté. A ce sujet, cf. Hamilton (1819), p. 73, 75; Kirkpatrick (1811), p. 94; Pignède (1966), p. 112; Mac Dougall, p. 40; Pant (1968), p. 8; Amatya (1967b), p. 63; Macfarlane (1972), p. 396 utilise le même terme pour désigner une pente non cultivée. 70
Pour ithun, cf. CJ, p. 16; pun, C J , p. 175. Pour khoriyâ, cf. la définition de Turner p. 130 : "Land on which the trees have been felled and burnt and crops sown, but which has not been ploughed". Sur cette notion, cf. Hamilton (1819), p. 73-7 5; Kirkpatrick (1811), p. 94; Pignède (1966), p. 113; Bhatt (1970), p. 123 : CJ, p. 17 5. Pour bhasme, cf. Bhatt (1970), p. 123. Ce que décrit Hooker (1854), p. 130 est vraisemblablement le procédé bhasme. Cf. aussi C J , p. 16. Ces deux termes sont utilisés par les Limbu de la Mewa. Au sujet de l'essartage, cf. principalement Pant (1935), p. 82-83; Hamilton (1819), p. 27-28, 274; Macfarlane (1972), p. 241 sq. ; Gorer (1938), p. 86 sq. ; Bista (1966), p. 32; Pignède (1966), p. 113; Hooker (1854), p. 70-88, 100, 104, 107, 130; Campbell (1840), p. 598; Hogdson (1858a), p. 450; Das (1904), p. 4; CJ, p. 104, 146, 185, 235; Siiger (1967), passim. 9. Le potager, bagaïcâ, en nepâli; les Limbu distinguent en principe, verger, se ik (CJ, p. 308), et potager, nodi ik (CJ, p. 163). 10. L'altitude maximum des champs irrigués, au Népal, a été estimée à 6 000-7 000 pieds (Amatya, 1968, p. 34; 1967a, p. 71). Marc Gaborieau, dans l'ouest du Népal a observé des champs irrigués à des altitudes voisines de 2 500 mètres. Macfarlane (1972), p. 257 - 260, note pour le village gurung de Thak une altitude limite de 5 500 pieds. Sur la proportion des champs irrigués par rapport à la totalité de parcelles dans un village donné, cf. Macfarlane (1972), p. 266; Pant (1968), p. 8 présente un tableau statistique général de la production des céréales pour l'ensemble des collines de l'est népalais. Il permet de se rendre compte de la proportion importante des champs irrigués. 11. La terminologie de l'outillage est empruntée à Brunhes-Delamare (1971) et Haudricourt (1955). Les divers objets décrits ici ont été rapportés au département d'Asie du Musée de l'Homme. Ils figurent sous le numéro d'enregistrement 68-35 (1 à 13). 12. La faucille existait chez les Limbu au moment de la conquête gurkha, alors que l'araire n'était pas encore connue. Deux d'entre elles, recueillies à cette époque, sont exposées au Musée de Kathmandu. Elles ont les mêmes formes que celles d'aujourd'hui. 13. L'araire paraît liée aux techniques d'irrigation. Ainsi, elle est encore peu utilisée chez les Râi de la Hongu Khola dont les champs sont surtout en pente et non irrigués. Cf. Mac Dougall, p. 40. 14. Se dit dâdiâ chez les Limbu de la Mewa; CJ, p. 340, lui donne le nom de hebâkek. 15. Du moins en était-il ainsi jusqu'à la réforme concernant l'administration des forêts en voie d'application. 16. Au sujet de l'outillage agricole d'autres populations himalayennes, à titre comparatif, cf. Kirkpatrick (1811), p. 100 sq. ; Hamilton (1819), p. 221; Pant (1935), p. 43; Pignède (1966), p. 118; Hitchcock (1966), p. 16; Macfarlane (1972), p. 274-275; Mac Dougall, p. 40; Lobsiger-Dellenbach, p. 45; Nepali (1965), p. 43; Pant (1968), p. 31; Shrestha (1967), p. 58; Gorer (1938), p. 91; Kawakita (1957), p. 307. 17. Parmi ces mesures, les plus fréquemment utilisées sont : la coudée : hât (N); l'empan : bitta (N); le pouce : aïci (N), du inch anglais. 18. Façonner à l'herminette se dit pepmâ en limbu, tàchnu en nepâli. Creuser les gorges au ciseau se dit khopnu en nepâli. 19. Au village, cette notion de la journée de travail comme unité de r é munération est entrée depuis longtemps dans les moeurs. Ses prolongements sont multiples. Initialement, il n'y avait que deux types de rémunération, 71
fonction de la division traditionnelle du travail selon les sexes : une journée d'homme était payée le double de celle d'une femme. Avec les différenciations multiples survenues dans les formes du travail et la hausse du coût de la vie, les rémunérations elles aussi se sont diversifiées. En apparence elles conservent leurs références au temps de travail, selon les sexes. En fait, ces références sont devenues fictives. Un artisan est mieux rémunéré qu'un ouvrier agricole. Par exemple un karmi touchera deux roupies pour la journée de travail assez courte qu'il devra fournir pour fabriquer un niveleur, débitage du bois compris. Un ouvrier agricole, pour tresser un lien de joug, sera payé le même prix. Mais son temps réel de travail est bien supérieur. Il faut récolter des tiges de yâkwâA (L) (le Sterculia villosa, odâl en nepâli), le faire bouillir; les battre; en extraire les fibres; les faire sécher; les tresser. Il devra oeuvrer plusieurs demi-journées d'affilée. Nous reviendrons ailleurs sur l'évolution des salaires. 20. L'implantation de ces diverses maisons de Kami, dans la Mewa Khola est la suivante : Khokling, 10 maisons (8 Sunâr, 2 Phalâme) Libang, 4 maisons (4 Phalâme) Thunglung, 6 maisons (5 Phalâme, 1 Cundârâ) Syamba, 6 maisons (6 Phalâme) Dalaincha, non Shimbuk, non Dongen, non Tankhu, 2 maisons (2 Phalâme) Nalbu, 13 maisons (12 Sunâr, 1 Phalâme) Warok, 2 maisons (1 Phalâme, 1 Sunâr) Lingtep, 4 maisons (3 Sunâr, 1 Phalâme) Khamlung, 4 maisons (4 Phalâme) Sumsolok, 4 maisons (2 Cundârâ, 2 Sunâr) Santakra, 8 maisons (8 Phalâme). 21. Il semble que depuis l'occupation chinoise au Tibet, les forgerons gârâ tibétains ne viennent plus au Népal. Les Bhotiya se sont tournés vers les Kami pour obtenir l'outillage dont ils ont besoin. 22. Parmi les Indo-Népalais, dans la Mewa, l'étude des généalogies tend à montrer que les Kami sont parmi les premiers immigrés à s'être installés auprès des Limbu. Us auraient été appelés par les subba, avant la conquête. 23. Sur les relations des forgerons avec les autres castes d'artisans cf. Macdonald (1970). 24. Pendant longtemps, le fer des collines est venu de Darjeeling. Initialement, il semble que des mines de fer étaient exploitées en pays limbu dans la région de Chainpur. 25. Cette dernière information, relative à 1971, n'a pu être vérifiée. 26. Une partie de l'outillage du forgeron et celui de l'orfèvre figurent au Musée de l'Homme sous le numéro d'enregistrement 68-35 (140 à 176). 27. Pour les Limbu, dont certains clans, dit-on, assuraient avant la conquête le travail du fer, c'est le trempage qui rend le Kami intouchable. 28. Sur la fabrication du charbon de bois par le Kami, cf. Hamilton (1819), p. 77 : "These / K a m i / procure charcoal, the raja furnishing tree". Parmi les arbres utilisés pour la confection du charbon de bois, les Kami de la Mewa disent qu'ils se servent de l'ageri (N), thobebun (L), de comumâ, des katuj, du bajrâth, etc. 29. Avant la réforme foncière, les forgerons ne possédaient souvent que des terres kipat hypothéquées (bandhaki). Le Limbu, propriétaire du champ, 72
s'appelait data mâtâ. Il recevait une partie des prestations accordées normalement au subba. Les corvées s'appelaient bheti. Cf. Regmi (1955), ni, p. 53. 30. Une sarclette : 0, 50 roupie (fer compris). Une faucille dentée : 2 roupies (fer compris). Une faucille non dentée : 1 roupie (fer compris). Une serpe : 5 roupies (fer compris). Une houe : de 5 à 10 roupies. Une reille : 2 roupies (fer non compris). Un ciseau à bois : 6 à 7 roupies (fer non compris). Une herminette : 8 à 9 roupies (fer non compris). 31. Les divers types d'élevage feront l'objet d'une étude ultérieure. Sur la fumure, à titre de comparaison, cf. Pant (1935), p. 128; Macfarlane (1972), p. 265, 275, 398; Mac Dougall, p. 45; Caplan (1970), p. 13, Nepali (1966), p. 41; etc.
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CHAPITRE V. LE RIZ IRRIGUE
Dans la haute vallée de la Tamur, on trouve encore quelques rares cultures de riz sec, telles que Hooker en 1848 avait pu en observer du côté de Khokling. En fait, à Khokling comme ailleurs en pays limbu, cette technique a pratiquement disparu. Pour notre part, nous ne l'avons pas rencontrée dans la vallée de la Mewa. La riziculture, aujourd'hui, implique des semis en pépinière puis un repiquage dans les terrasses inondées. Elle se pratique dans les seuls champs irrigués (khet). C'est ce procédé que nous décrivons en indiquant les quelques différences techniques qui apparaissent entre riz tardif et riz précoce (1). La description qui suit se fonde sur des observations multiples effectuées surtout chez des Chetri et des Limbu, chez quelques Sherpa, à Shibuden, au-dessus de Libang qui s'adonnent petitement au riz transplanté. Ils utilisent les mêmes méthodes que leurs voisins. Les faits décrits se placent toutefois dans le cadre d'une exploitation limbu dont nous avions déjà parlé. Ses quatre rizières nous servent de référence quand il s'agit d'indiquer des dates et de quantifier des besoins en main-d'oeuvre. Trois d'entre elles produisent du riz tardif et sont échelonnées entre 950 et 1 200 mètres d'altitude. La dernière, à 1 400 mètres, est consacrée au riz précoce. Au passage, nous évoquons les rituels liés au cycle de la riziculture. On pourra remarquer qu'une part d'entre eux relèvent de cultes propres aux Limbu; les autres sont empruntés aux descendants des immigrants népalais (2). Nous nous sommes attaché à décrire concrètement chacune des opérations : semis en pépinières, repiquage, sarclage, irrigation, moisson, battage. De même, pour chacune, nous notons précisément la main-d'oeuvre nécessaire. C'est qu'ultérieurement nous espérons pouvoir quantifier ces données. Dans la vallée de la Mewa, le riz tardif assure l'essentiel de la production. Les semis en pépinières ont lieu en mai, la moisson en novembre-décembre. La culture du riz est liée à la période de la mousson. I. LES SEMIS EN PEPINIERES Dans la moyenne vallée, on commence à ensemencer les pépinières les plus hautes, consacrées généralement au riz précoce, pour term i n e r par les plus basses, souvent les plus tardives. Ces travaux débutent vers le 1er mai avec le premier sarclage du mai's qui se 74
déroule à la même époque. Ils se poursuivent à peu près sans interruption, de parcelles en parcelles, jusqu'aux alentours du 5 juin. Alors, il est temps de passer au repiquage du riz précoce. Pour une parcelle donnée, les travaux se décomposent selon les opérations suivantes qui peuvent être effectuées à la file : 1er jour : labour à sec; 2e jour : curage des diguettes; remise en état des canaux d'irrigation; mise en eau des terrasses qui vont être ensemencées; éventuel apport de fumier; 3e jour : labour inondé et semis; 4e au 7e jour : irrigation; 8e et 9e jours : surveillance des plants qui viennent de germer contre les déprédations causées par les oiseaux. Au minimum les travaux durent donc neuf jours, lorsqu'ils se déroulent sans interruption. Parfois ils s'échelonnent sur une période de dix-sept à vingt jours. L'opération la plus importante, le labour inondé et les semis, nécessite la présence de quatre à six personnes. Le plus souvent, chaque famille, pour son propre compte, effectue ces travaux. Le recours aux ouvriers journaliers est rare. Lorsqu'il apparaît, il concerne principalement la conduite de l'araire pour les deux labours, sec et inondé. Dans certains cas, pour pallier au manque de bras, on utilise une technique de pré-germination des semences. Selon la rotation des cultures dans les champs irrigués, on ensemence dans des emplacements différents. Dans les champs d'altitude ou dans ceux qui demeurent inondés une partie de l'année, il n'y a pas de seconde récolte annuelle. Les pépinières sont choisies au milieu des terrasses qui demeurent en jachère jusqu'au repiquage. Il en est de même là où l'on vient de moissonner le blé. Dans les champs, les plus nombreux, où le mai's précède la récolte de riz, les pépinières sont installées dans quelques terrasses excentriques, à côté du mai's qui lève. Dans certains cas, à proximité d'un chemin, ou bien là où les bêtes fument les dernières jachères; les pépinières sont alors entourées de clôtures de bambou refendu; le plus souvent, ce n'est pas le cas. Certaines maisons font leurs semis dans des terrasses entourées par des murettes de pierres sèches. Selon les champs, les systèmes de fumure diffèrent. On peut avoir trois possibilités. - Dans les champs inondés une partie de l'année, pas de fumure. - Dans les champs où vient d'être moissonné le blé, un troupeau de bovins s'installe jusqu'au premier labour pendant deux ou trois jours. - Dans les champs où pousse le mai's ou dans ceux qui n'ont pu recevoir la fumure des bovins, les terrasses où vont être semés les plants de riz reçoivent du fumier que l'on apporte depuis la maison. On voit donc que le fumier est épandu avant et après le premier 75
labour. Le premier labour à sec s'effectue le matin de bonne heure, avant le repas. Un seul laboureur est nécessaire, de même qu'un seul attelage, emprunté souvent, à titre de revanche, dans une maison voisine. La technique des labours de jachère sera décrite ultérieurement, avec la culture du mal's. Ce travail dure peu de temps, d'une à deux heures. Le fils allié l'accomplit pour son père; le frère cadet, pour l'alhé; le journalier, pour son employeur habituel. Il n'y a pas de réelle rémunération. On offre une bière et un repas, en remerciement du service rendu. Dans les champs où les troupeaux ne sont pas passés avant, l'apport du fumier commence au lendemain du premier labour. L'engrais est tiré à la houe de la fumière proche de la maison. Dans les pépinières où, sur douze à quinze terrasses, vont être semés de deux à trois pàthi de grain, il faut compter huit à dix charges. Les femmes et les enfants effectuent le portage dans des paniers depuis la maison. On déverse les paniers, en ligne, dans les terrasses. L'épandage se fait à la main. Le travail dure une journée en principe. L'abattage des diguettes n'est nécessaire que dans les seuls champs des "crêtes". Il ne l'est pas dans les grands champs des fonds de vallée. Ce travail s'effectue, soit pendant une journée complète, soit deux jours de suite, le matin avant le repas. Trois à quatre personnes sont nécessaires. Ce sont souvent les femmes et les adolescents de la maisonnée. Ils abattent les diguettes à la houe, du type katâ ou kodâli. La terre en est ramenée sur les terrasses. En même temps ou le lendemain, selon les cas, le propriétaire et son fils alhé restaurent les canaux d'irrigation. Ils amènent l'eau au-dessus des terrasses. Ils travaillent à la houe, du type kodâli le plus souvent. L'opération dure une petite journée. Elle prend place la veille des semis. Le soir, les pépinières sont inondées. Elles le demeurent toute la nuit. Le lendemain, jour des semis, le propriétaire, très tôt le matin, ferme l'eau. Les terrasses sans être réellement inondées sont saturées d'eau. Alors dans la journée, successivement, prennent place cinq opérations : le labour en terrain "inondé"; le brisage des mottes et la reconstruction des diguettes; le nivelage des champs; les semis. Dès la mi-journée, les premières sont terminées; la dernière se fait en fin d'après-midi, lorsque l'eau est devenue claire. L'ensemble de ces travaux reproduit partiellement, et en petit, ceux qui auront lieu plus tard à l'occasion du repiquage. L'organisation est approximativement la même. Le labour se fait avec un seul attelage et une araire du type court. Trois fois de suite le laboureur repasse dans chaque terrasse, avant de monter dans la terrasse suivante. A l'issue du labour, un ou deux travailleurs, munis de houes du type kodâlo, prennent possession de la terrasse. Souvent ce sont la femme et le fils afhé du propriétaire ou bien son frère cadet. Ils 76
brisent les mottes de terre qui demeurent là où l'araire est passé. Ils reconstruisent les diguettes qui bordent les terrasses. Après leur passage, l'eau est ouverte à nouveau par le propriétaire. Les parcelles, pour la première fois, sont réellement inondées. Le propriétaire passe alors dans chaque champ avec le niveleur, (pyâuri). Tenant son instrument des deux mains, d'un mouvement répété d'avant en arrière, il nivelle l'étendue de chaque terrasse.' A l'issue de son travail, le champ n'est plus qu'une étendue de boue liquide. La herse n'est pas utilisée pour la préparation du sol dans les semis de pépinières. Ces divers travaux se terminent, selon le cas, entre 11 et 13 heures. Les ouvriers regagnent le village. Le propriétaire demeure seul jusqu'à la fin de l'après-midi. L'eau a été ouverte en grand, juste après le passage du niveleur. La boue peu à peu se dépose. L'eau devient claire vers 16 heures. Son niveau doit arriver à "hauteur de pouce", et y demeurer. C'est le moment des semis. Le propriétaire ferme l'arrivée d'eau. Le semoir, un panier du type dâlo à côté de lui, du bord de chaque terrasse, il jette les semences par poignées, à la volée. Le travail est minutieux. Seul un homme expérimenté peut l'accomplir. Les graines doivent se déposer en une nappe d'une dispersion égale et continue, sur la boue, sous l'eau. On craint une répartition trop compacte, plutôt que le contraire. Au lendemain, de grand matin, le propriétaire ou son fils aîné (quand il fait sec) vient rouvrir l'eau. Le soir, l'eau est fermée. On laisse couler un mince filet pendant la nuit. Le lendemain, la même opération recommence et cela pendant quatre à cinq jours. Tant que les pépinières demeurent inondées, la surveillance contre les oiseaux n'est pas nécessaire. En général, le propriétaire demeure pourtant près des champs, les deux premiers jours de l'irrigation. Il a en effet amené avec lui deux ouvriers semi-spécialisés, du type karmi, qui restaurent les murs des terrasses où le riz sera repiqué. Il surveille leur travail. Ces ouvriers qui n'opèrent que dans les grands champs du fond de la vallée, sont payés deux roupies par jour; on leur sert en sus le repas du matin et celui du soir. Le quatrième ou le cinquième jour après les semis, l'eau est définitivement fermée. A l'issue de cette période, le grain a germé, minuscules tiges blanches que l'on compare à des fils de coton. Dans les pépinières qui ne sont plus inondées, il faut exercer alors, tout au long de la journée, une continuelle surveillance. C'est un enfant qui reste près des champs, chassant les oiseaux de la voix ou à coup de pierres. Parfois, il s'abrite dans une cabane du même type que celle des éleveurs. Parfois, les adultes fabriquent des pièges qui ne semblent pas avoir une très grande efficacité. Les enfants de douze à quatorze ans, garçons comme filles, détestent ce travail. Ils s'ennuient, ils ont peur des serpents et des animaux venimeux. Ils ont peur de la rivière quand elle est proche, pour des raisons d'ordre religieux. 77
Parfois, un journalier venu clore les pépinières les plus proches des chemins leur tient compagnie. La surveillance cesse au bout de deux ou trois jours. Les pépinières ne sont pas sarclées. Il arrive que l'on utilise une technique de pré-germination (3) de semences. Au lendemain du premier labour, dans la cour de sa maison, le propriétaire rassemble de la bouse de vache : elle est humidifiée et pétrie. Les semences y sont incorporées. Le tout est de nouveau pétri, installé à l'abri du froid contre le mur de la cour intérieure, entouré d'une natte de bambou du type mandro (N). Pendant deux jours pleins, les semences sont ainsi abandonnées. Le troisième jour, elles commencent à germer. La masse du fumier est alors de nouveau pétrie. On replace à l'intérieur ce qui était à l'extérieur et réciproquement. Un moment, on fait sécher au vent, mais non au soleil. De nouveau, on couvre d'une natte. Le lendemain, le deuxième labour en terrain saturé d'eau se déroule normalement, accompagné de la réfection des diguettes et du nivelage. Le soir, l'eau est fermée. Les semences sont alors disposées dans les pépinières. Pour la nuit, on y laisse couler un mince filet d'eau. Le lendemain matin, l'eau est définitivement fermée. Les pépinières sont drainées. Un enfant commence à surveiller les plants. Sa surveillance dure normalement deux ou trois jours. Cette technique permet d'éviter quatre ou cinq jours d'irrigation quotidienne : c'est l'époque du premier sarclage du mai's. Il faut pallier au manque de bras. A l'occasion des labours qui précèdent les semis des plants de riz, les gros propriétaires font effectuer le rituel yobâ tâmmâ (L), dans leur plus grand champ. Ils requièrent les services du phedangma. Le rituel se fait à jeun, avant le repas du matin. Sur l'une des t e r r a s s e s du champ, on offre d'abord de l'encens aux nâga; puis sept poulets ou un poulet et six oeufs aux déités Tâmpunmâ, Toksonbâ, éengâ, Koccomâ, Marisa, Micek et Wârokmâ. On leur demande de ne pas se mettre en colère lorsque l'on entrouvre la terre lors du labour; qu'elles ne rendent malades ni le propriétaire, ni les t r a vailleurs; qu'elles accordent de bonnes récoltes; que la pluie tombe la nuit et non le jour. Deux ou trois vieillards du village sont présents. Ils aident le prêtre lors du déroulement du rituel. Ils reprennent en choeur les invocations. C'est le même rituel que l'on a accompli avant les labours du mai's. Toutefois ce n'est plus au nom du segment de clan qu'il se fait, mais en celui, particulier, de chaque propriétaire. H. LE REPIQUAGE Avec le repiquage des plants de riz, dans les champs qui entourent les pépinières, culmine la saison des gros travaux. Dans la moyenne vallée, le repiquage se poursuit de façon continue de champs en 78
champs, de propriétaire en propriétaire, depuis la première quinzaine de juin jusqu'à la deuxième quinzaine de juillet. Le tableau 4 présente les délais qui s'écoulent entre les semis des pépinières et le repiquage, pour quatre parcelles de caractères t r è s différents. Le plus court, 23 jours, concerne le riz précoce d'altitude (bhuidan), le plus long, 56 jours, celui, tardif, d'un champ de fond de vallée. A cette époque de l'année, la demande de main-d'oeuvre est très pressante. Certaines opérations réclament la présence de trente à quarante personnes, parfois plus. Les subba, d'autre part, effectuent leurs travaux en priorité, choisissant le moment optimum. Parmi leurs f r è r e s de clan, nombreux sont ceux qui doivent repousser la date des transplantations jusqu'au jour où ils pourront obtenir la main-d'oeuvre nécessaire. Dans certains cas, chez les pauvres, les dates des repiquages s'expliquent moins par des raisons techniques que d'autres, contingentes, relatives aux difficultés de trouver des bras à cette époque de l'année (4). L'entraide, salariée on non, si elle existe, n'en favorise pas moins les gros propriétaires. Pour une parcelle, les opérations du repiquage reproduisent de façon plus détaillée, et un peu différente, celles des semis en pépinières. Elles supposent le déroulement successif des travaux suivants : - Premiers labours à sec. - Curage des champs, abattage des diguettes. - Aménagement des canaux d'irrigation. Mise en eau des t e r r a s ses où seront repiqués les plants. - Deuxième labour en terrain saturé d'eau. Reconstruction des diguettes. - Nivelage divers des champs. Transplantation. - Irrigation des parcelles jusqu'au sarclage. Le tableau 4 présente le calendrier de ces divers travaux, pour les quatre parcelles témoins. Les opérations qui s'enchaînent les unes aux autres entre les premiers labours et la transplantation nécessitent 9 à 11 jours de labeur à peu près continu. A la suite de cela, il faut assurer l'irrigation des champs jusqu'au sarclage. Cette irrigation de même que sa surveillance doit être quotidienne les quinze premiers jours. Les premiers labours sont très soignés. Ils s'effectuent en t e r rain sec, dans les champs qui entourent les pépinières. Lorsque le champ est inondé une partie de l'année ou lorsque, situé en altitude, il ne connaît qu'une seule récolte de riz par an, les t e r r a s s e s étaient en jachère depuis la récolte de riz de l'année précédente. Dans d'aut r e s , pommes de t e r r e et blé ont été récoltés un mois, ou six s e maines, auparavant; elles ont été fumées par les cultivateurs de pommes de t e r r e , ou par le passage des grands troupeaux pendant deux ou trois jours. Dans ces derniers, les plus nombreux, une récolte de mai's a précédé celle du riz; ils viennent d'être débarrassés des tiges de maife la veille ou l'avant-veille des labours. 79
Ces premiers labours nécessitent un, deux ou trois attelages, selon l'étendue du champ, ceux-ci travaillant un, deux ou trois jours. L'araire n'est passée qu'une seule fois dans chaque champ. Les labour e u r s sont soit des journaliers salariés dans les grosses exploitations, soit les propriétaires eux-mêmes dans les petites. Le plus souvent, le propriétaire ne peut être présent, à cette époque de l'année, pour surveiller. Le curage des terrasses et l'abattage des diguettes commencent le lendemain ou le surlendemain des premiers labours. Selon l'étendue du champ, de quinze à quarante personnes sont nécessaires pour venir à bout de la tâche, dans la journée. Le plus souvent, on ne peut réunir un tel personnel. On étale donc le travail, par petits groupes opérant plusieurs jours durant, sur le même ensemble de parcelles. Parfois, l'opération dure plus d'une semaine. On fait appel également aux services des voisins, appartenant à d'autres populations : Chetri pauvres, Kami, Damai, Samnyasi. On se refuse toutefois à employer les Sherpa qui ne sont pas censés connaître ce travail. On emploie plus de femmes que d'hommes. Les gens de la maisonnée y participent. Quatre hommes, par exemple, passent d'abord avec des faucilles pour couper toute la végétation sauvage qui a envahi les murs des t e r r a s s e s . Une douzaine de femmes les suivent, munies de houe (kodâlo). A petits coups elles régularisent, nivellent, aménagent les surfaces qui viennent d'être désherbées. Pendant ce temps, une ou deux personnes abattent à coups de houe les diguettes de l'année précédente et en ramènent la t e r r e sur les t e r r a s s e s . Ce travail est d'autant plus difficile que sa date est tardive : avec la mousson, la végétation sauvage tend à envahir le moindre espace abandonné. Dans les champs où les murs sont t e r r a s s é s de pierres sèches, les femmes ont pour tâche de désherber ces murs pendant que les hommes, à la houe, abattent les diguettes. Les champs nettoyés, les diguettes abattues, pendant un ou deux jours, le propriétaire assisté de deux journaliers du type karmi, restaure les canaux d'irrigation, à la houe; non plus ceux qui mènent aux pépinières, mais ceux qui assurent l'arrivée d'eau et le drainage sur l'ensemble des terrasses où va s'effectuer la transplantation. En principe, ces travaux, avant le repiquage comme avant les semis, font l'objet d'entraide entre propriétaires voisins. C'est-àdire souvent d'une même lignée. Ils prennent place juste avant le jour de la transplantation. Au soir, les champs sont inondés. Il faut compter au moins trois arrivées d'eau pour chaque champ. Ce jour là, également, le propriétaire recrute les travailleurs du lendemain. On décrira la transplantation dans un champ d'une vingtaine de mûri. Outre trois attelages dont deux au moins sont loués (deux pour les labours, un pour la herse) le personnel requis est le suivant : labours : deux hommes, 80
reconstruction des diguettes : six hommes, herse : un homme, niveleur : deux "vieux" (hommes expérimentés), brisage des mottes : trois adolescents, transplantation : douze femmes, arrachage des plants : deux "vieilles", nettoyage des plants : un adolescent, portage des plants : un adolescent, surveillance de l'eau : le propriétaire qui surveille également l'ensemble des travaux. repas, etc. : la femme et la fille alhée du propriétaire assistées d'une voisine. A la maison du propriétaire, le repas du matin est servi t r è s tôt, en deux services. Le premier regroupe ceux qui doivent se trouver le plus vite dans les champs : laboureurs, propriétaire, femmes qui arrachent les plants, ainsi que les niveleurs placés haut dans la hiérarchie du travail. Le second service : ceux qui reconstruisent les diguettes, ceux qui brisent les mottes à la houe; le conducteur de la herse; les autres adolescents, les femmes qui transplantent. La maît r e s s e de maison, aidée de sa fille et d'une voisine vont être occupées toute la journée pour la préparation des repas et de la khâjâ (5) des ouvriers. Il a fallu décortiquer, la veille, du grain en grande quantité; ouvrir deux jarres de bière; confectionner des acâr de deux ou trois sortes; trouver du ghiu; s ' a s s u r e r les services du phedangma si l'on abat un cochon, etc. Dès le premier repas servi, les femmes entreprennent la préparation de la khâjâ, tant pour les boissons (bières de diverses sortes), que pour la nourriture solide (kinâmâ, pommes de t e r r e quand il y en a, gundruk, etc. ). Tout doit être minutieusement prévu, selon les goûts de chacun. Il y a des ouvriers qui préfèrent prendre leur repas chez eux et emportent le riz décortiqué qu'on leur aurait servi; d'autres qui mangent chez le propriétaire; d'autres qui emportent une partie du riz cuit et mangent le reste, etc. Il y en a qui préfèrent le thé à la bière, la canuwâ à la tongba, les kinâmâ aux gundruk... Il ne s'agit pas seulement de nourrir des ouvriers, il faut les recevoir selon les règles de l'hospitalité. Les laboureurs prennent possession des t e r r a s s e s les plus basses. Ils iront d'une terrasse à l'autre, en remontant. Avant qu'ils ne commencent leur travail, le patron a rouvert l'eau. Les labours se font avec l ' a r a i r e courte. Comme les diguettes ont été abattues dans les jours précédents, les t e r r a s s e s sont saturées d'eau plus qu'inondées. Lorsqu'une t e r r a s s e est labourée plus qu'à moitié, le patron ferme l'eau. Lorsque, pour une raison ou pour une autre le niveau de l'eau est trop élevé, ce sont les laboureurs eux-mêmes qui drainent le champ. On effectue deux labours successifs dans la même t e r r a s s e , alors que trois étaient nécessaires pour les pépinières. Le patron veille à ce que les raies soient rapprochées les
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unes des autres. Dès qu'une terrasse est labourée, l'attelage monte (6) dans la terrasse qui lui est immédiatement supérieure. Six personnes s'installent alors pour reconstruire les diguettes. Elles sont munies de houes du type kodâli ou katâ. Elles travaillent avec le moins d'eau possible. Le propriétaire, avant la fin du labour, a fermé les canaux. Les terrasses ont été drainées dès le passage de l'araire. Les six ouvriers travaillent ensemble, en équipe, indépendamment des autres. Avec leurs houes, ils prennent de la boue des champs et la portent sur le bord des terrasses. Les diguettes qu'ils reconstruisent doivent être un peu plus hautes qu'une "main", pour permettre l'inondation jusqu'à "hauteur de pouce". Une fois les diguettes reconstruites, le champ est occupé par une autre équipe qui réunit trois groupes d'ouvriers : - ceux qui brisent les mottes à la houe (trois adolescents), - celui qui passe la herse avec l'attelage, - les deux niveleurs. Le plus âgé des niveleurs dirige le travail. A l'arrivée des ouvriers dans une terrasse, l'eau est de nouveau ouverte. Il faut que le champ soit légèrement plus inondé qu'à l'occasion du labour (2 à 3 cm). C'est le travail de la herse qui détermine cette obligation. Assez souvent des querelles surviennent. Ceux qui brisent les mottes préfèrent travailler presqu'à sec. Ils s'arrangent pour drainer l'eau. Le niveleur dont le travail est facilité par une abondante irrigation, prend le parti du herseur. Les adolescents munis de houes, émiettent les mottes, nivellent murettes et diguettes, effectuent un premier et grossier nivelage du champ. Une fois leur travail terminé, ils appellent le herseur. La herse passe quatre ou cinq fois dans le même champ. L'homme le plus souvent debout en équilibre sur le bâti, dirige les bêtes de la voix et avec l'aiguillon. Après la herse, les niveleurs. Ils nivellent la terre d'un mouvement répété d'avant en arrière, de poussée et de traction. Leur geste évoque celui d'un r a teleur dans nos campagnes. Ils passent leur instrument dix à douze fois au même endroit, ils vont de l'extrémité d'un champ à l'autre. Ce sont des hommes assez âgés "expérimentés". Leur travail est de confiance. Lorsqu'ils quittent une terrasse, tout doit être prêt pour la transplantation. Le sol doit être plat. La boue, très liquide et sans mottes, doit avoir la consistance du "lait caillé". Après leur passage la terrasse est abandonnée aux transplanteuses. Remarquons que la herse à six dents est utilisée dans les grands champs du fond de la vallée. Celle à quatre dents, dans les terrasses de la moyenne vallée. On ne passe pas la herse sur les terrains irrigués les plus élevés. A l'autre bout de la chaîne, dans les pépinières, deux vieilles femmes déracinent les plants depuis le matin. Accroupies, ou assises sur une petite natte ronde, une gerbe de paille à cOté d'elles, elles accomplissent aussi un "travail de confiance". Elles fournis82
sent les plants que repiquent les transplanteuses dans les champs où la houe s'est déposée depuis le passage du niveleur. Le rythme du travail des transplanteuses dépend de celui des "arracheuses de plants" : elles ne perdent pas de temps. Des deux mains, elles arrachent une cinquantaine de plants à la fois. Au bout de huit à dix fois, elles lient les bottes ainsi obtenues avec une paille. Elles les déposent les unes à côté des autres, à côté d'elles à même le sol. Un adolescent vient les ramasser. Il les plonge dans l'eau d'un canal d'irrigation ou d'un champ inondé. Il les frappe légèrement contre une pierre pour faire tomber la terre qui adhère aux racines. Il place ensuite les bottes nettoyées dans un panier. Un autre adolescent fait la navette des pépinières aux champs de transplantation. Il vient chercher les paniers de bottes. A l'aide d'un bandeau frontal, il les transporte vers les champs prêts au repiquage. C'est le niveleur qui guide son travail : " J ' a i fini ici, il en faut là" - " L e niveleur est-il passé ? " - "Oui, vas-y, jette tes plants". L'adolescent abandonne quatre ou cinq bottes dans les petites terrasses, une dizaine dans les grandes. Lorsqu'il prend du retard, celui qui nettoie les plants près des pépinières vient à la rescousse. Les transplanteuses repiquent les plants dans les champs qui ont été nivelés. Elles sont une douzaine, vieilles et jeunes mêlées. Accroupies, elles avancent ensemble, en ligne, dans une terrasse. Elles ramassent une botte de plants abandonnés dans la boue. Elles retirent le lien de paille. A deux, elles se partagent les plants. Elles les tiennent ainsi de la main gauche. De la main droite, elles égalisent d'abord rapidement le niveau du sol. Elles sortent cinq plants de la botte. Elles repiquent les cinq plants ensemble au même endroit. Elles commencent à l'extrémité d'une terrasse et, à reculons, gagnent lentement l'autre extrémité. A trois ou quatre dans un champ, elles doivent rester à la même hauteur pour assurer l'alignement. C'est un travail minutieux qui nécessite une surveillance quasi permanente. Les plants doivent être continuellement alignés; chaque repiquage doit se faire par cinq plants à la fois (7); chaque groupe de cinq plants dans les fonds de vallée, doit être approximativement à une distance d'une coudée du groupe suivant (8). Il faut peu d'eau pour les femmes qui repiquent : un peu plus que pour le passage de la herse. Avant le repiquage, on a donc drainé l'eau en excès qui avait été nécessaire aux niveleurs. Le travail du patron, tout au long des deux journées que dure la transplantation, est triple. Il s'occupe avant tout des arrivées d'eau en fonction des travaux en cours. Il a également un rôle important de surveillance. Lors des labours, il veille au rapprochement des raies. A ceux qui édifient les diguettes, il recommande en passant : "Faites les hautes". A la herse, il rappelle que la terre doit être comme du "lait caillé". On lui répond : " J e fais de la farine". Ils tranchent les querelles de niveau d'eau qui surviennent entre briseurs de mottes et niveleurs. Ce sont les femmes qui 83
repiquent que le propriétaire surveille avec le plus de soin. Il jauge les alignements, le nombre des plants repiqués ensemble; le fait qu'ils doivent être repiqués bien droits, c'est-à-dire sur un sol convenablement nivelé. Egalement, il surveille les distances des plants entre eux. Il est là pour tout voir. Si l'une des repiqueuses est novice dans le métier, il la fait changer de place, la laisse encadrée par deux vieilles. Tout, en même temps, doit se passer dans la bonne humeur. Pour qu'avance le travail, on ne doit pas s ' a r r ê ter de rire. Le troisième rôle du propriétaire c'est donc, à longueur de journée, crûment et continûment, de débiter les plaisanteries les meilleures possibles (9). L'organisation du travail est très élaborée. Une hiérarchie assez souple lui est conjointe. Les hommes, à la fois par leurs responsabilités et leurs salaires, sont considérés supérieurs aux femmes; les femmes, aux adolescents. Dans chaque groupe sexuel, également, certaines fonctions sont valorisées. De ce fait la répartition des tâches tient compte des âges. Un adolescent ne peut manier le niveleur. Une jeune fille ne peut arracher les plants dans les pépinières. Ces fonctions valorisées, sont, en partie, source d'autorité. Les vieilles, dans les pépinières, veillent à la cadence du transport des plants. Les niveleurs aussi, à l'autre bout de la chaîhe. De même ils ont autorité sur la herse et les briseurs de mottes. Les laboureurs, ceux qui construisent les diguettes, les transplanteuses se soumettent aux décisions du plus âgé dans leur groupe et, en dernier recours, à celles du patron. Cette organisation du travail est la même chez les Chetri. Toutefois les relations d'autorité sont légèrement différentes. La hiérarchie est plus nette, la soumission plus directe. Le patron limbu, lui, ne peut dire nominalement à quelqu'un qu'il a mal fait. Il montre l'endroit où le travail a été négligé. On discute. Il explique patiemment la façon de procéder, même s'il sait que le défaut dans le travail est dû à la fatigue plus qu'au manque de qualification. S'il prend l'un des travailleurs à partie, c'est tout le groupe des ouvriers qui se soude contre lui. Pour le reste de la journée, on lui opposerait silence et inertie : ce n'est pas la même chose chez les Chetri. A la fin de cette journée, c'est le patron qui reste le plus longtemps aux champs. Il ferme les arrivées d'eau en trois endroits superposés. Les terrasses sont presque entièrement drainées pour la première nuit qui suit la transplantation. L'ordre des repas du soir fait apparaître certains aspects de la hiérarchie du travail. Il y a trois services. Dans le premier se retrouvent laboureurs, niveleurs, et les vieilles qui déracinaient les plants dans les pépinières. Le second groupe, les travailleurs à la houe de même que le conducteur de la herse. Enfin, dans le dernier, les transplanteuses et les deux adolescents qui assurent le transport des plants. Lorsque c'est un subba ou un thari (10) qui effectue la trans84
plantation du riz dans son plus grand champ, l'orchestre des Damai est associé à la journée de travail. A quatre ou cinq, parfois plus, ils étaient chez le patron dès le matin. On leur a servi le repas comme aux autres ouvriers, mais dehors, après tout le monde. En jouant de leurs instruments et en dansant, ils sont descendus dans les champs. Tout au long de la journée, ils jouent de la musique et ils dansent tantôt pour les laboureurs, tantôt pour les niveleurs... On a vu, en présentant "les travaux et les jours", comment le plus vieux des Damai ceint le front du subba d'un turban blanc; comment ce dernier est renversé dans la boue; comment tous les ouvriers participent à la plaisanterie. Les subba, ce jour-là, viennent aux champs sans chapeau, avec de vieux habits. En cette occasion extraordinaire, au milieu de l'été, les Damai peuvent toucher le subba. Il semble que pendant la saison des gros travaux il y ait ainsi de telles dérogations aux règles des castes qui ne pourraient être tolérées pendant la saison froide. On dit que si l'on fait le rite du turban, la récolte sera bonne. Les Limbu précisent que ce rite n'appartient pas à leurs traditions mais à celles des Damai et qu'ils s'y sont soumis. Si l'on fait le rite du turban, le subba ce jour-là, doit abattre une bête et régaler chacun de viande. On tue un cochon ou une chèvre. Le soir lors de la fête qui réunit tout le monde dans la maison du patron, une certaine licence, exceptionnelle, apparaît, qui n'existe en d'autres occasions que pour mariage et barakhi (11) (N). Le propriétaire ne peut se fâcher si des gens se battent sous son nez. Sa fille et sa femme peuvent se mêler discrètement aux danseurs. Si quelqu'un est légèrement ivre, il est de tradition de l'inviter à boire jusqu'à ce qu'il le soit tout à fait. Si les gens sont pris d'alcool, le propriétaire content, peut aller se coucher. Tout le monde doit avoir sa part de viande et de rakéi. C'est le rôle des filles de la maison de s'assurer que chacun, individuellement, est servi. L'oubli d'un seul est une grave impolitesse. C'est à ces détails que l'on juge une fille à marier. Pour leurs services de la journée, les Damai ne reçoivent aucun salaire. On leur donne les repas du matin et du soir, la khâjâ à midi, de l'alcool autant qu'ils en demandent. Tard dans la nuit, quand la fête se termine, le patron ou sa femme vient leur donner congé. Sur un van, on a apporté la queue, les oreilles et les yeux du cochon, pour eux; une part de viande de la valeur d'un atpâl (12) (N); une mesure de riz décortiqué; quatre mesures de riz non décortiqué; deux pièces de monnaie de cuivre. S'il manque quelque chose, les Damai réclament hautement. En remerciement, ils débitent une longue formule de bénédiction : "Que la récolte soit bonne, que le champ produise cent mûri de grain, que tu ne meurs jamais, que tu aies sept f i l s . . . . Puis ils sonnent une dernière fois de leurs instruments, et s'en vont (13). Actuellement, par raison d'économie et aussi parce que les castes, légalement, n'existent plus, certains subba refusent le rite du turban. Le phénomène est nouveau. Remarquons que, ni 85
le jour de la moisson ni le jour du battage, les Damai ne sont associés à la fête. Le lendemain de la transplantation qui dure un ou deux jours selon les cas, le patron et son fils, de bonne heure, se rendent aux champs. Ils sont accompagnés de nouveau de deux journaliers du type karmi. Les voisins ont été prévenus qu'on garderait l'eau pour la journée. L'eau est rouverte aux trois endroits où on l'avait fermée la veille. Le fils du patron reste au point le plus élevé, pour surveiller. Le propriétaire et ses deux ouvriers, à la houe, aménagent de nouveau les canaux d'irrigation de telle manière que chaque terrasse soit proprement inondée. Il faut multiplier les arrivées d'eau jusqu'au nombre de quatre ou cinq pour que l'opération puisse être réalisée. Cela se dit "ajuster, aménager le niveau". Dans chaque terrasse, l'eau doit arriver jusqu'à "hauteur de pouce". Le travail dure toute la journée. Le soir, les champs bien inondés, on arrête l'eau comme la veille. Chaque jour pendant quinze jours, le patron recommencera la même opération. Au bout de deux semaines les terrasses sont saturées. On n'irrigue plus, alors, selon le même procédé, que tous les deux jours, de nouveau pendant une période de quinze jours. Au bout d'un mois l'eau monte de plus en plus dans les champs, jusqu'au niveau des diguettes. Les mauvaises herbes meurent. Au bout d'un mois, l'irrigation ne se fait plus que tous les trois ou quatre jours, les champs demeurant inondés. Parfois les choses ne sont pas si simples. Des disputes surviennent entre patrons pour s'assurer la maîtrise des canaux d'irrigation, surtout lors des quinze premiers jours qui suivent la transplantation. Parfois on s'arrange pour partager : au premier, le jour, au second, la nuit. Les patrons veillent chaque nuit. Ils se font accompagner de quatre ou cinq hommes "à eux", armés de gourdins et de khukuri. Chaque année des querelles surviennent. Elles sont très difficiles à arbitrer car chacun est juge et partie. Deux jours après la transplantation, on plante les haricots-soja, et divers types de lentilles, sur les diguettes. Les six jours qui suivent, des enfants du patron surveillent les champs pour chasser les oiseaux. Leur père est là qui surveille, lui, l'irrigation. Jusqu'au moment du sarclage, les champs demeurent inondés. m. LE SARCLAGE Dans le calendrier agricole général, le sarclage du riz prend place entre la transplantation et le sarclage de l'éleusine. Dès la mi-août, on commence par les champs de riz précoce. Le gros du travail survient à partir du 1er septembre, dans les champs de riz tardif. Il se poursuit alors d'une seule traite pendant une quinzaine de jours, 86
jusqu'à la mi-septembre. Le délai qui sépare, pour le riz, la t r a n s plantation du sarclage est compris entre 55 et 70 jours environ. Pour un champ donné, le sarclage dure deux à trois jours. Il nécessite de trois à neuf personnes, hommes et femmes, tous Limbu en général. Le patron est présent. Il assure la surveillance. L'opération pour être pénible, n'en est pas moins simple. Le jour du sarclage, le champ est inondé. Les ouvriers travaillent dans l'eau. Ils avancent en ligne, t e r r a s s e après t e r r a s s e . Du côté des diguettes un homme désherbe, à la fois avec la faucille et la main; deux hommes effectuent le même travail du côté des murettes. Dans le champ, le désherbage s'effectue à la main, par deux femmes. Les mauvaises herbes sont jetées hors du champ. On trouve surtout une variété d'ortie, une herbe appelée "herbe noire" et celle qui ressemble au riz à s'y méprendre (14). A cause de cette dernière, les femmes employées doivent être expérimentées. Les mauvaises herbes sont liées en botte, les premières ensemble, la dernière à part. La fille du patron vient alors les chercher et les rapporte dans des paniers à la maison. Elles serviront de fourrage pour les bêtes. Le soir du sarclage, on ferme l'arrivée d'eau, on draine les champs. Sept jours plus tard les champs sont de nouveau inondés une journée entière et le soir, on ferme l'eau et on draine. On r e commence cette opération, de nouveau, sept jours plus tard. Alors l'irrigation est définitivement arrêtée. Elle ne reprendra qu'une quinzaine de jours avant la moisson. Le tableau 5 rassemble les données concernant l'irrigation des quatre parcelles témoins, pour l'ensemble du cycle agricole. Les travaux d'irrigation et de drainage sont effectués, en général, par le propriétaire et son fils. Si l'on n ' a r rêtait pas l'irrigation, on dirait que la moitié du grain pourrait être récoltée, l'autre moitié ne présenterait qu'une glume vide. IV. LA MOISSON On moissonne le riz précoce avant les fêtes de Dasaï, c'est-à-dire aux alentours du début octobre. La grande moisson du riz tardif, celle qui assure les r é s e r v e s de l'année, a lieu plus tard, de la fin novembre jusqu'à la mi-décembre. Le tableau 6 présente les dates réciproques des moissons pour les quatres parcelles témoin considérées. Autour de la moisson prennent place plusieurs opérations qui sont en relation avec elle. Les principales sont les suivantes : - dernière irrigation des champs, lorsque le grain est mûr, - protection des champs, - choix des semences pour l'année suivante, - rituel d'offrande des prémices à Yumà, - aménagement de l'aire à battre, 87
- moisson proprement dite, - construction du gerbier. Un mois avant la moisson, le propriétaire vient chaque jour faire le tour de ses champs. Le riz est presque mûr. Certains épis commencent à faire fléchir de leur poids le haut des chaumes. Le patron touche le grain du doigt. Ils sont "ronds". Alors pour une période de deux ou trois jours, variable selon les champs, on i r r i gue une dernière fois. Cette irrigation, permet dit-on, d'éviter la verse. Dans les champs de riz tardif, elle a lieu vingt à vingt-cinq jours avant la moisson. En même temps, à partir de cette date, c'est-à-dire lorsque le grain commence à mûrir, on assure comme on peut la protection des champs. Contre les animaux d'abord, particulièrement les rats et mulots, le porc-épic et les oiseaux (15). Comme à l'époque de la germination des plants, des enfants s'installent pour la journée dans les champs. Ils chassent les bêtes de la voix et en jettant des pierres. On confectionne également quelques pièges. Quoi qu'il en soit, les Limbu ne se font pas d'illusion sur l'efficacité d'une telle protection. On tente également de protéger le grain contre les éléments. S'il pleut ou s'il vente, si le grain d'un coup se trouve couché, on relève les gerbes et on les lie ensemble à même le champ pour les redresser. Le jeudi qui précède la moisson du riz précoce, avant Dasaï, la femme du patron va couper une gerbe dans le premier champ qui s e r a moissonné. Cette gerbe est placée à l'étage de la maison, sous le toit. Elle est offerte à Yumâ. Tant que le rituel d'offrande des prémices n'aura pas été fait, la gerbe ne peut être déplacée, le riz ne peut être consommé. Avant Dasâï on fera donc appel au prêtre phedangma. Il accomplira cette cérémonie dans la partie haute de la maison (tho) (L). Ce rituel s'appelle thok sok (L) : l'offrande des prémices (du grain que l'on consomme comme repas). Il est en général associé au thi sok (L), offrande des prémices d'éleusine avec laquelle on prépare la bière; et parfois au sa sok (L), celle de la viande, où l'on doit sacrifier un cochon nouveau-né de chaque portée. Ensemble riz, éleusine et viande sont dédiés à Yumâ et aux déités qui composent sa suite. Ce n'est qu'ensuite seulement que les hommes peuvent eux-mêmes consommer ces aliments. Dans les champs de riz précoce, le choix des semences d'une variété particulière se fait en général le jour même de la moisson, Dans ceux de riz tardif, il prend place une quinzaine de jours avant la moisson. Les variétés proches les unes des autres, comme atte et râmsâli à Libang, sont parfois mêlées. C'est dans un seul champ que l'on sélectionne les semences pour tous les autres. La femme du propriétaire se charge de ce travail avec l'aide de deux ou trois journalières limbu. Chacune est munie d'une faucille et d'un panier à bandeau frontal, d'armature s e r r é e , qu'elle porte dans le dos. Elles passent dans les terrasses en prenant grand soin de ne pas 88
abattre les chaumes. Chaque épi est choisi avec précaution. Il ne doit pas être "rouge" mais blanc. On ne le prend pas s'il lui manque quelques grains abattus par le vent ou picorés par les oiseaux. Chaque tige est coupée juste au-dessous de l'épi, à la faucille. A l'inverse de ce qui se passera lors des moissons, les chaumes sont abandonnés dans les champs. Le propriétaire veille, particulièrement dans les maisons aisées, à l'opération. Pour d'autres céréales, il n'hésite pas à acheter des semences. Il s'oppose à un tel procédé pour le riz : "les semences de riz que l'on trouve à acheter au village sont de mauvaise qualité". Les semences sont mises à sécher quatre ou cinq jours, sur des nattes, dans la cour intérieure de la maison. Pendant ce temps le propriétaire confectionne les paniers où elles seront conservées : cylindriques, en bambou refendu, d'armature s e r r é e , enduits de boue par les femmes, avec un couvercle. Séchées et dépiquées, enfermées dans ces paniers les semences sont montées à l'étage de la maison. Pour les conserver on utilise parfois, également, des j a r res de t e r r e cuite dont le bouchon est de paille et de feuilles d'épi de mai's, recouvert d'une couche de boue séchée. Parfois, aujourd'hui, on se sert des bidons de fer blanc rapportés des plaines et qui contenaient du pétrole. La confection de l'aire à battre se fait soit avant la moisson, soit entre la moisson et la rentrée du grain. L'aire sera utilisée pour construire le gerbier et plus tard pour le battage. Selon les propriétaires, le nombre de leurs champs, le régime économique sous lequel ils vivent en famille, chaque maisonnée a besoin, selon les cas, d'une ou deux aires. Elles peuvent être situées soit dans la cour intérieure de la maison, soit sur une t e r r a s s e déjà moissonnée. La confection s'échelonne sur plusieurs jours. Elle se fait en famille. La mère désherbe à la faucille; le père nivelle à la houe, égalise le sol, descelle les pierres qui font saillie. L'un des fils les emporte hors du champ et les dépose près des murettes. Une fille aide la mère et balaie. Elle assurera le portage de l'eau dans des gâgro (16). La veille, de la t e r r e rouge glaiseuse a été apportée par la mère et les filles : elles l'ont trouvée dans des champs sur la crête. On la mélange avec de la bouse de vache et de l'eau. La mère s'occupe du pétrissage et du passage de l'enduit, épais d'une dizaine de centimètres. L'enduit est passé en priorité là où brille le soleil. En une demi-journée ce travail est terminé. Le jour suivant, on laisse sécher. On passera ainsi trois couches d'enduit à deux jours d'intervalle, pendant cinq jours. Chacune doit être sèche pour recevoir la suivante. Selon l'étendue des champs, la moisson réclame un personnel de quatre à cinquante personnes; un seul ou plusieurs jours. On dit que c'est un travail de femmes, mais en fait, les hommes sont assez nombreux à y participer. Pour pallier au manque de bras on fait appel aux voisins de castes étrangères : Kami, Damai, Samnyasi, 89
Chetri pauvres. Comme pour le repiquage, les subba ont un droit de priorité. Dans un champ où la récolte s'élève à vingt mûri, vingt à vingtcinq ouvriers sont nécessaires. On va, en accord avec la saison qui "descend", des terres les plus hautes aux plus basses. Trois ou quatre terrasses sont moissonnées en même temps. Sur chaque terrasse, deux à six moissonneurs avancent ensemble, en ligne, d'une extrémité à l'autre du champ, dans le sens de la longueur. Un seul instrument est nécessaire : la faucille à dents. Chaque brassée d'épis est saisie de la main gauche, coupée de la main droite à une dizaine de centimètres du sol. On travaille courbé ou accroupi. Lorsque six ou sept brassées ont été ainsi coupées d'affilée, l'ouvrier se retourne et dépose la javelle derrière lui, alignée longitudinalement dans le champ, les épis vers l'aval. Dans les champs de riz tardif, il est fréquent qu'un grand rassemblement de journaliers viennent à bout de la moisson en une journée. Dans ceux de riz précoce, ce sont les membres de la famille, deux ou trois (la mère et la fille alhée, la mère et un fils) à la fois qui moissonnent chaque jour, pendant deux ou trois jours. Le riz tardif est abandonné trois ou quatre jours à même le champ pour sécher. Les javelles de riz précoce, liées en gerbes, sont transportées le jour même de la moisson dans des paniers, à la maison. Lorsqu'il fait beau, le grain est mis à sécher dans la cour intérieure de la maison; lorsqu'il pleut, près du feu. Le riz précoce ne nécessite pas la confection d'un gerbier. Son battage, on le verra, se fait selon un procédé particulier. Pour le riz tardif, la confection du gerbier dans un champ moissonné par vingt à vingt-cinq personnes, implique le travail d'une trentaine d'ouvriers. Il a lieu trois ou quatre jours après la moisson. L ' o r ganisation du travail est décrite à la figure 16. Les attributions des tâches se définissent comme suit : 1) ramasseurs de javelles : cinq personnes (hommes et femmes), 2) lieurs de gerbes : deux personnes (hommes), 3) porteurs de gerbes : vingt-deux personnes (hommes et femmes, adolescents), 4) gerbier : une personne (un homme). L'enchaînement des opérations est le suivant : 1) Cinq personnes, dans les champs moissonnés ramassent les javelles à brassée. Elles viennent les apporter sur une terrasse proche, aménagée comme aire de liage. Le ramassage des javelles se fait sans rythme particulier. Chacun agit comme il veut, indépendamment des autres. Les ouvriers en général ne sont pas limbu : Samnyasi, Kami, Damai, etc. 2) Deux hommes "expérimentés" sont installés dans une terrasse près des champs moissonnés où on leur apporte les javelles. Une natte (mandro) est étalée sur le sol. Les lieurs disposent de liens de bambou dont l'une des extrémités est munie d'un noeud. Ils étalent 90
l'un d'eux à plat sur la natte. Ils égalisent en les faisant tomber sur le sol les chaumes verticaux, les brassées de javelles qu'on leur apporte. Ils les déposent sur le lien; lorsque quatre ou cinq brassées sont ainsi réunies, le lieur, pour les presser, se couche dessus. Il torsade l'extrémité sans noeud du lien. Il lie la gerbe. Cette botte est alors transportée à l'autre extrémité de la natte dans l'alignement des précédentes, les épis sur la natte, les chaumes à l'extérieur. Ce travail est de responsabilité. Les lieurs de gerbes surveillent à la fois les ramasseurs de javelles et les porteurs de gerbes. 3) En trois ou quatre groupes de cinq à six personnes, femmes ensemble, hommes ensemble, adolescents des deux sexes mêlés, les "porteurs de gerbes" font la navette entre les champs moissonnés et l'aire à battre où l'on confectionne le gerbier. Le portage s'effectue au moyen d'un panier à armature serrée et d'un bandeau frontal. Lorsqu'ils arrivent en file indienne à l'endroit où on lie les bottes, les porteurs, à tour de rôle, sont aidés par les lieurs. On place la gerbe dans le panier, les épis dans le fond. On charge le panier. Lorsque l'ensemble de l'équipe des porteurs est ainsi chargée, elle repart en file indienne à travers les terrasses, vers l'aire à battre. 4) Arrivé sur l'aire à battre, chaque porteur déverse sa charge sur le gerbier en cours de confection. Un homme, debout sur le gerbier, le patron ou son frère cadet, aide au déchargement des paniers. Chaque gerbe est sortie, déliée. Les liens sont jetés de côté pour être redescendus vers les champs moissonnés. Sur l'aire à battre, à l'endroit où l'on va ériger le gerbier, le patron a déversé une couche de son, puis au-dessus, de la paille bien sèche. Pour construire le gerbier, une première gerbe est d'abord placée sur le sol, verticalement, les épis vers le haut. Cette gerbe s'appelle la "vieille" (kâpomâ) (L). Autour d'elle on dispose les gerbes suivantes, à même le sol en un cercle concentrique, les épis vers l'intérieur, les chaumes à l'extérieur. L'édification du gerbier se fait par dispositions successives des gerbes en spirale. De cercle concentrique en cercle concentrique le gerbier s'élargit progressivement jusqu'à un mètre cinquante du sol. Puis, il se rétrécit peu à peu comme un cône, pour être coiffé d'une dernière botte, le "vieux" (kâpobà) (L), clef de voûte encastrée verticalement, les épis vers le bas. L'homme qui confectionne le gerbier presse les bottes du pied, égalise la paroi en la frappant d'une planche. Le gerbier terminé est surmonté de quelques fleurs ou d'une branche d'arbre. Aucune récitation n'est prononcée à l'occasion de ce geste rituel. C'est celui qui confectionne qui place le bouquet. Le gerbier doit être assez solide pour résister à l'averse. Il est parfois couvert d'une natte (bhakhari) (N). Assez fréquemment un seul gerbier peut être fabriqué avec la récolte de plusieurs champs. Dès que la moisson est rentrée, le propriétaire du champ abandonne les jachères à la fumure des bêtes. Soit il s'entend avec les 91
propriétaires des petits troupeaux du village qui s'installent avec leur goth (N) pour plusieurs jours; soit avec ceux des grands troupeaux qui redescendent des hautes pâtures du nord et traversent le village : trente à quarante bêtes resteront ainsi une nuit dans son champ. V. BATTAGE Il n'y a pas à proprement parler battage du riz. Les Limbu, pour séparer le grain de son épi, font appel à deux techniques différentes complémentaires l'une de l'autre : le chaubage d'abord, qui consiste à battre la gerbe sur le sol; le foulage (17) ensuite, humain ou animal, sur l'aire à battre. L'une ou l'autre de ces techniques prédomine selon qu'on traite le riz précoce ou le riz tardif. On agit de la même façon dans les exploitations chetri et même newar de la Mewa Khola. Si les Limbu utilisent le bâton pour le battage de l'orge, du blé, de l'éleusine, ils ne connaissent pas le fléau, à l'inverse des Newar de la vallée de Kathmandou et des Bhotiya du haut-pays tibétain. Le riz précoce est battu dans les jours qui suivent immédiatement la moisson. C'est un travail qui se fait rapidement, sans cérémonies, sans nécessité d'un gros personnel. Il n'implique pas, on l'a vu, la confection d'un gerbier. Il n'en est pas de même du riz tardif. Il faut attendre d'avoir moissonné tous les champs, édifié chaque gerbier. Il faut, au préalable, construire une plate-forme pour la paille, une ou deux aires à battre, un mât pour le foulage. On a besoin de faire appel aux journaliers. En général le battage du riz tardif se fait une quinzaine de jours après la moisson. Cette dernière dominait les activités du mois de mâgsir (15 novembre-15 décembre); le battage du riz tardif est le grand travail du mois de pus (15 décembre-15 janvier). Le tableau 7 indique les divers délais qui séparent moisson et battage, pour riz précoce et riz tardif, dans les quatre parcelles témoins considérées. 1. Riz précoce Pour battre le riz précoce, on travaille soit sur une terrasse moissonnée, rapidement aménagée, soit dans la cour intérieure de la maison, sur des nattes de bambou (mandro) (N). A l'inverse du battage du riz tardif, on procède surtout par foulage humain et non animal et, complémentairement, par chaubage. Les procédés de nettoyage du grain sont également différents. Le travail se fait souvent en famille. Il nécessite peu de main-d'oeuvre, cinq ou six personnes au plus. Les attributions des tâches sont les suivantes : a) une femme (ou un homme) foule les gerbes au pied, sur une natte de bambou; 92
b) deux personnes, homme et femme, battent les gerbes (chaubage) déjà foulées contre le sol; c) deux femmes effectuent un premier nettoyage du grain à l'aide de van; d) une adolescente rentre le grain à la maison, met les gerbes de paille à sécher; e) le patron surveille et compte le grain. Le travail s'organise de la façon suivante : les gerbes de riz à battre sont soit disposées en javelles sur l'étendue des champs, soit sur une natte à sécher, dans la cour intérieure de la maison. L a femme qui foule aux pieds va les chercher au fur et à mesure des besoins. Elle les rapporte et les entasse à côté d'elle sur la natte où elle travaille. Elle en choisit une, la dispose devant elle. Pour fouler, on se tient debout sur la gerbe, conservant parfois son équilibre à l'aide d'un bâton. On travaille les pieds nus. On commence à la moitié de la gerbe pour remonter vers les épis. On prend appui alternativement sur un pied puis sur l'autre. Le mouvement est double : on remonte du milieu de la gerbe vers les épis; on imprime un léger mouvement de rotation des deux pieds pour faire tourner la gerbe sur elle-même. A la fin de l'opération, l'extrémité de la gerbe est rabattue et foulée pour être débarrassée de ses derniers grains. On procède par frottements successifs plutôt que par coups. C'est la pointe de la plante du pied qui travaille et non le talon. A la fin du foulage, la gerbe est presque complètement dépouillée des grains de riz qui se sont répandus sur la natte. Les gerbes foulées sont déposées par la même femme, les unes au-dessus des autres, en tas, à même le sol, sur la droite des deux personnes qui s'occupent du chaubage. Puis, de temps à autre, la femme qui foule "râtelle", avec un bâton, la paille résiduelle, qui demeure sur le grain. Elle en fait un bouchon et l'écarté. Elle rassemble le grain avec un petit balai. Elle soulève, d'un coup, la natte sur laquelle elle travaille, et fait tomber le grain sur le van des femmes qui sont installées à côté d'elle. La paille résiduelle elle-même est, de temps en temps, battue au bâton, pour en extraire les derniers grains. Deux personnes chaubent : un homme, a s s i s en tailleur, une femme, agenouillée; chacun à leur tour ils puisent des deux mains dans la réserve de gerbes foulées dont ils vont extraire les derniers grains. Ils élèvent des deux mains la gerbe au-dessus de leur tête. Ils l'abattent vigoureusement contre le sol. De quatre à six coups sont nécessaires pour terminer l'opération. A chaque mouvement d'élévation, entre leurs mains, ils font tourner un peu la gerbe sur elle-même. Lorsqu'elle est complètement égrenée, ils lui redonnent sa forme initiale en la frappant verticalement contre le sol, les chaumes en bas. Ils disposent les gerbes chaubées à côté d'eux, l'une après l'autre, en tas. Le grain et un peu de paille restent devant eux sur le sol nu. Au bout de quelque temps la paille est écartée en bouchon au moyen d'un bâton, le grain est rassemblé au balai. On le 93
porte aux femmes qui vannent dans un panier. Les femmes qui nettoient le grain sont assises ou accroupies. Elles tiennent leur van des deux mains, diamétralement opposées. Elles lui impriment d'abord un mouvement répété de droite à gauche, horizontalement. Le grain s'étale sur toute la surface. Les plus grosses impuretés sont enlevées du bout des doigts. Ensuite, d'un mouvement répété de haut en bas, d'une faible amplitude, elles font sauter le grain verticalement, le van étant tenu légèrement de biais et non plus horizontal. Par différence de pesanteur, les impuretés se retrouvent à la frange de la masse du grain épuré. D'un dernier geste, elles font sauter l'ensemble. Les impuretés, plus légères, sautent plus haut que le grain. D'un très rapide mouvement de la main droite elles sont attrapées au ras du bord et jetées. Le grain épuré est versé dans des paniers à armature serrée, du type tunée ou dàlo (N). Lorsque les paniers sont pleins, le maître de maison compte le grain avec une mesure de volume en cuivre ou en laiton (pâthi). Le grain compté, il est emporté par une adolescente qui le rentre dans la maison à l'étage. C'est la même ouvrière qui ramasse la paille issue du chaubage, pour aller la faire sécher, soit sur les diguettes des champs moissonnés, soit sur le toit de la maison. Cette paille servira à la confection des nattes gundri (N). Le battage du riz précoce, en général, dure moins d'une journée. 2. Riz tardif Le battage du riz tardif se fait de façon différente. Dans les derniers jours du mois de mâgsir (novembre-décembre), près du gerbier, le propriétaire et quelques membres de sa famille ont d'abord édifié une plate-forme qui servira à engranger la paille. Un matin, le patron est allé débiter à la hache, dans la forêt près du village, neuf troncs d'un arbre appelé khirlo (18) en nepàli, yengo en limbu. Après le déjeuner, les membres de la famille rapportent les troncs en trois voyages. On abat également quelques bambous (mal bas) (N), au khukuri, rapportés eux aussi dans la cour de la maison. Le fils aîné fabrique des liens de bambou. Le père, à l'aide d'une barre à mine empruntée, creuse le logement des neuf piliers dans le sol de la cour. Les pilliers sont érigés, alignés par trois, à égale distance les uns des autres, déterminant une aire rectangulaire. A leur sommet, on installe six bambous, trois dans un sens, trois dans un autre. Ils déterminent le support horizontal d'un plancher qui se compose de lattes de bambou refendues en quatre qu'on lie ultérieurement. Le travail se fait en famille. On le termine au matin du second jour. Quelques jours plus tard, vers neuf ou dix heures, après le r e pas, le battage commence. Une douzaine d'ouvriers, journaliers de toutes castes et membres de la famille mêlés, se réunissent lentement sur l'aire à battre, près du gerbier. En arrivant, chacun com94
mence par confectionner une t r e s s e de paille de riz dont il aura besoin pour le chaubage. Ces tresses peuvent mesurer de quatre à six mètres, elles sont très solides, de la grosseur d'un doigt. Elles se font selon une technique particulière consistant à ajouter chaume après chaume. Une tresse plus longue et plus solide que les autres, fabriquée par un "vieux", servira à attacher les bovins. Ces derniers, trois ou quatre selon les cas, boeufs et taureaux, ont été loués. Ils sont amenés sur l'aire par le fils du patron qui est allé les chercher. Le propriétaire, pendant ce temps est allé avec un journalier abattre un bambou près du torrent. Ils reviennent, le t r a î nant derrière eux jusqu'à l'aire. Avant d'ériger le bambou au centre de l'aire, il se passe un court rituel. Le plus ancien des ouvriers, celui qui, tacitement, mènera les travaux, fait quatre ou cinq fois de suite le tour du gerbier, offrant de l'encens et du ghiu. On demande à "l'âme du grain" de venir des plaines. On invoque les déités du sol, jhimi, bhûmî, nâg, nâgini : que le grain, après le battage, soit abondant. La gerbe qui couronne le gerbier, le "vieux", est arraché, au milieu des cris. Une t r e s s e que l'on fixe au sommet du mât de bambou en est détachée. Le reste de la gerbe est mis de côté. Le mât est érigé. A sa base on attache côte à côte les bovins qui vont fouler le grain. Ce rituel n'est pas proprement limbu. Chetri et Newar agissent de la même façon. Il s'ensuit une pose, au cours de laquelle le patron fait offrir une tongba à chacun des ouvriers. Alors, vers onze heures, le vrai travail commence pour de bon. Le patron, monté sur le gerbier, le démantèle peu à peu, fournissant les gerbes à chauber aux ouvriers installés autour de lui. Le chaubage se fait debout, sur le sol de l'aire à battre. Chaque gerbe fournie par le patron est séparée en trois ou quatre. De sa tresse, lui faisant faire un tour complet, le chaubeur en ceinture le milieu. Tenant des deux mains chaque extrémité de la tresse, il élève la gerbe au-dessus de sa tête et abat l'extrémité des épis contre le sol de l'aire. L'opération se fait plusieurs fois de suite, comme indiqué pour le riz précoce. A l'issue du chaubage la t r e s s e est détachée. Tenant les pailles des deux mains, le chaubeur s'approche de l'aire où tourne les bovins. Il éparpille les chaumes derrière eux pour qu'ils soient foulés et débarrassés de leurs derniers grains. Assez souvent le plus vieux des chaubeurs, après avoir jeté la paille, se p r é cipite sur les bêtes. Leur tordant la queue, il leur fait faire un tour complet autour du mât. En même temps il chante un couplet r e p r e nant les invocations du matin pour que le grain soit abondant. Parfois, au lieu d'éparpiller toute la paille derrière les bovins, on conserve les chaumes les plus beaux et les plus longs. Déposés à part, ils serviront à la confection des nattes. Au bout de quelque temps, tous les chaubeurs opérant en même temps, de la paille s'amalgame au-dessus de la couche de grain. L'un des chaubeurs la râtelle avec un bâton. Soit elle est foulée aux 95
pieds, soit on la transporte vers l'aire où tournent les bêtes, poussées par un petit garçon d'une dizaine d'années muni d'un aiguillon. Le chaubage, lorsque le gerbier n'est pas trop gros, dure au minimum jusqu'au soir. La mi-journée est ponctuée d'une pause où chaque ouvrier reçoit khâjâ et tongba. Au soir, lorsque la dernière gerbe, la "vieille", apparaît, tout le monde crie : "La vieille est sortie, où est le vieux ? qu'ils se rencontrent. " Les deux gerbes, la première et la dernière, sont mélangées. On leur fait toucher le mât de bambou. On les bat à part, avec un bâton. Ainsi, à l'inverse du riz précoce, le chaubage est la technique principale pour séparer le riz tardif de son épi. Le foulage par les boeufs n'est qu'une opération complémentaire. A titre infime, on voit également apparaître foulage humain et battage au bâton. Après cette journée consacrée à la séparation du grain et de la paille, il faut rassembler le premier d'un côté, la seconde d'un autre. Il faut également préparer le nettoyage du grain. Pour effectuer ces deux opérations, il arrive qu'on travaille une partie de la nuit, surtout si l'aire à battre est établie loin de la maison, au milieu des champs moissonnés. On allume un feu. Les ouvriers sont vêtus de manteaux de laine, achetés aux Sherpa ou aux Bhotiya. Ils sont entourés par les enfants du village qui se vautrent dans la paille en criant. La paille est amoncelée autour du mât où tournaient les bovins. Trois ou quatre personnes, avec des bâtons, la poussent à l'extrémité de l'aire à battre. De là, on la fait basculer sur la t e r r a s s e inférieure. Sur cette terrasse, située au-dessous de l'aire à battre, le patron et un journalier fabriquent rapidement des tresses grossières avec les chaumes. Chaque t r e s s e peut avoir trois mètres de long. On les étale par deux, croisées perpendiculairement en leur milieu, à même le sol. On y empile la paille. On la presse en se couchant dessus. On noue ces gros ballots au moyen des t r e s s e s . Chaque ballot de paille est poussé vers une troisième terrasse, toujours inférieure, où on la fait basculer. Une autre équipe d'ouvriers se charge alors de son transport vers la plate-forme où il est hissé et rangé. Lorsque l'aire de foulage est débarrassée de presque toute sa paille, les derniers chaumes sont roulés ensemble en bouchon par quatre ou cinq journaliers. Ils sont basculés dans la t e r r a s s e inférieure où ils seront noués en un dernier ballot. Restent alors sur l'aire à battre deux nappes de grain. La plus importante résulte du chaubage. L'autre, beaucoup moins épaisse, du foulage. A l'aide de petis balais, les journaliers rassemblent le grain. Ils en font deux tas séparés. Le premier, appelé câruwâ, a été chau'oé. Le second, mâruwâ, a été chaubé et foulé. Il comporte dit-on, beaucoup plus d'impuretés, particulièrement des graviers. Il peut être minuit. Le travail est interrompu. Les journaliers se dis96
persent. Le patron, avec son fils, dorment à la belle étoile, à côté de la récolte. Le travail reprend le lendemain matin de bonne heure. Huit ouvriers et le patron sont présents. Les journaliers se relaient entre eux. Tout au long de cette journée, il s'agit de nettoyer le grain; au soir, après un court rituel, on comptera la récolte et l'on engrangera à l'étage. Le tas issu du foulage et celui issu du chaubage seront nettoyés séparément. On utilise toutefois le même procédé pour les deux nettoyages. Le processus en est simple. Un ouvrier, puisant dans le tas à nettoyer, lance le grain en l'air. Quatre autres, tournant autour de la nappe de grain à battre, l'évente violemment. Dans le détail, la succession des opérations se fait comme suit : le premier ouvrier, avec un van qu'il tient des deux mains, puise dans le tas de riz à nettoyer. Le van plein, il recule, se retourne, avance de quelques pas, se baisse légèrement pour prendre de l'élan et, dans un geste violent, élève le nânlo en lui donnant un léger mouvement en spirale. Il lance le grain le plus haut possible. Le vent chasse ainsi une partie des impuretés. Le grain s'abat sur l'aire, déterminant une nappe de peu d'épaisseur (19). Autour du grain répandu quatre hommes tournent sans fin; l'éventant brutalement avec des vans au préalable mouillés. Chaque homme tient le van de la main droite; dans un premier temps la main droite élève entièrement le van au-dessus de l'épaule gauche. Dans un deuxième temps, le van est brutalement abaissé au-dessus du tas de grain à nettoyer, des deux mains. Entre chaque temps, on avance d'un pas. Les quatre ouvriers font chaque geste à l'unisson, on croirait un pas de danse. Le soir, les brins de paille, les impuretés volent partout dans un nuage de poussière et collent à la peau en sueur. Des voisins sont venus regarder. Les enfants sont partout. On travaille durement, dans une bonne humeur communicative. Chaque journalier, à tour de rôle, s'assied quelques minutes pour boire la tongba offerte par le patron. Le travail dure ainsi toute la journée, dans une atmosphère très particulière, où tout est brun et jaune. Quand les deux tas de riz sont sur le point d'être complètement nettoyés, les balayeurs s'entremêlent pour écarter les impuretés autour du riz propre. A l'issue du nettoyage du grain, prend place un court rituel (saha dâgeko (N) : "l'aide à obtenir"). Le plus vieux des ouvriers fait fumer un peu d'encens sur des braises disposées sur une pierre ou dans une coupelle fixée à un petit trident. Avec l'encens, il fait plusieurs fois le tour du tas de riz dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. A la fin, retirant son chapeau, il dépose l'encens au sommet du tas de riz. Pendant ce temps, d'autres ont noué un bouchon de paille sur la lame d'une faucille. On enfonce le manche de la faucille au sommet du tas de riz, à côté du trident ou de la pierre où fume l'encens. Deux paniers vides sont déposés sur le sol près du 97
tas de riz. Les filles de la maison, ou d'autres, du clan, s'approchent. Les paniers sont remplis de riz. Les filles les reçoivent "pour s'acheter des habits". Les Chetri appellent ces prestations les "bhume pàthi", les mesures de grain, destinées à la déité du sol. Les Limbu qui semblent avoir copié ce rituel sur les Chetri, ont une autre interprétation. Les deux paniers sont offerts réciproquement au nom de la lune et du soleil; le trident, où fume d'encens, représente une étoile. L'ensemble du rituel a pour but d'obtenir beaucoup de grain à l'avenir. A la fin de ce rite, le patron paie ses ouvriers. Alors commence le comptage du grain et son transport dans la maison. C'est le patron ou le plus ancien des ouvriers qui l'effectue. Il utilise une mesure de volume d'un pâthi (N), en vannerie. Au fur et à mesure du comptage, il répète sans cesse le chiffre atteint jusqu'au moment où la mesure est déversée dans un grand panier disposé à cOté de lui. Chaque fois que l'on atteint un mûri (vingt pâthi) une poignée de grain est jetée dans un van. Pendant ce temps, panier après panier, le riz est transporté à l'étage pour être déversé dans les vanneries servant de grenier. Le soir, les adolescents qui ont participé aux travaux envahissent avec leurs amis la cour intérieure de la maison où la récolte vient d'être terminée. Ils danseront toute la nuit. NOTES 1. Pour ne pas alourdir le texte de cette description, la terminologie népalaise et limbu a été reportée en appendice. 2. Sur la technique rizicole, à titre de comparaison, pour d'autres r é gions de l'Himalaya, cf. Kirkpatrick (1811), p. 99 sq. ; Hamilton (1819), p. 223; Lobsiger Dellenbach, p. 52; Pant (1935), p. 46; Pignède (1966), p. 118, 120-122; Macfarlane (1972), p. 306; Nepali (1965), p. 45. 3. Sur la pré-germination des semences, cf. Angladette (1948), p. 33. Les semis en pépinière ont été filmés à Libang. 4. "Le repiquage peut être retardé sans inconvénient" (Dumont, 1935, p. 101). Toutefois, il faut remarquer que lorsqu'il est trop tardif, la végétation tend à encombrer les murettes et nécessite un labeur plus important, lors du nettoyage des champs. 5. Khâjà : cf. chap. n, note 13; acâr : pickles, T, p. 7; ghiu :cf. chap. II, note 12; kinàmâ : préparation alimentaire à base de haricots-soja; gundruk : cf. chap. II, note 8; canuwâ : type de bière fermentée; tongba : cf. chap. II, note 9. 6. Cette montée de terrasse en terrasse à l'occasion des semis en pépinière, d'une part, et du repiquage de l'autre, est à associer à la notion de "saison montante" pendant laquelle s'effectuent ces travaux. Lors de la "saison descendante" on ira au contraire des terrasses supérieures vers les terrasses inférieures, de l'amont vers l'aval, de la crête vers la rivière. 7. "Après arrachage, les plants sont mis en bottes puis repiqués à raison de plusieurs au même point (2 à 10); le nombre de plants par touffe doit être d'autant plus élevé que le sol est plus pauvre et que la couche d'eau est plus épaisse" (Angladette, 1948, p. 34).
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8. "L'écartement au repiquage peut varier suivant la fertilité du terrain, les saisons de la culture, l'époque du repiquage, la variété, etc. : de 7 à 40 touffes au mètre c a r r é " (Angladette, 1948, p. 34). 9. Les porteurs, en hiver, lors de leurs marches harassantes entre les plaines et les collines, connaissent le même genre de distractions. Lorsqu'ils ont un dirigeant (sardâr), celui-ci, traditionnellement, raconte des histoires caractéristiques qui peuvent durer plusieurs heures. 10. Thari (N) : "Headman on raikar land" (Caplan, 1970, p. 126, 218). Au sujet de la pollution à cette époque de l'année, cf. Nepali (1965), p. 47 : "After the work of transplantation, the Newar peasants undergo the purificatory rite called 'sinja benke'. The belief involved in it is that during the t r a n s plantation period, a person's caste is polluted, as he has to eat his mid-day feast along with others, ignoring caste distinctions". 11. Barakhi (N) : cérémonie de fin de deuil. 12. Un dhârni (N) équivaut à deux bisauli ou à quatre atpâl. Le dhârni dans notre système de mesures représente environ deux kilos et demi. 13. Ces formules de bénédiction sont traditionnelles au Népal. Chez les Limbu, elles apparaissent souvent dans les diverses manifestations de la vie sociale; particulièrement dans les relations entre diverses sortes de parents. On les appelle acirbad. 14. Orties et kâlo jâr envahissent murettes et diguettes. La mauvaise herbe qui ressemble au riz et pousse dans les champs inondés s'appelle sâmâ en nepâli (T, p. 600), et malendo en limbu (CJ, p. 202). 15. Deux types d'oiseaux sont particulièrement redoutables : le pigeon dhukur (N) (T, p. 267), putukhe (L) (CJ, p. 176) et un autre, plus petit qui vole par bandes : kotero (N) (T, p. 106), phikwâ (L) (CJ, p. 186). 16. Gâgro (N) : "pots en cuivre ou en laiton. 17. Le foulage humain était vraisemblablement utilisé autrefois pour le riz sec. C'est lui, dit-on, qui serait à l'origine des "dhân nâc", danse des adolescents qui foulaient le grain en même temps qu'ils dansaient. Ce type de foulage aux pieds est à rapprocher des techniques utilisées pour feutrer les couvertures de laine. Le mouvement des pieds est le même. Le chaubage, lui, a peut-être été apporté par les immigrants nepâli. A ce sujet, cf. Chemjong (1966), p. 84. 18. Khirlo (N), yengo (L) : a r b r e non identifié. "Il en sort un lait blanchâtre quand on le coupe". Utilisé également dans le rituel. 19. Diverses prises de vues du dépiquage du riz tardif ont été réalisées à Libang.
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CHAPITRE VI. LES CULTURES SECHES
Parmi les cultures sèches, le mai's, sur le plan quantitatif, est de loin la plus importante. Vient ensuite l'éleusine. Puis, à titre moindre, des cultures d'hiver comme l'orge et le blé; le sarrasin apparaît encore ici et là : mais il semble qu'on le cultive de moins en moins. P a r contre, la pomme de t e r r e gagne des t e r r e s de plus en plus basses. Enfin, on trouve divers types de lentilles, de haricots, la moutarde, etc., sans compter les cultures potagères. Comme pour le riz irrigué, nous nous attacherons ici à décrire les techniques actuelles, propres à chacune de ces cultures. Les variantes dans les méthodes seront soulignées au passage : elles paraissent fonction de l'altitude plus que de l'appartenance ethnique des exploitants. Les sources de ces descriptions sont de même nature que celles qui concernaient le riz; c'est-à-dire pour une part multiples et partielles, recueillies selon les occasions dans divers villages et à diverses altitudes. Et pour une autre part, systématiques, dans le cadre de l'exploitation de référence. C'est cette dernière qui servira à guider notre présentation. I. LE MAÏS Le mai's est la céréale que l'on trouve à tous les niveaux de culture; à chacun d'entre eux, elle peut ou non, être en rotation avec une autre récolte, telle que le riz, l'éleusine, l'orge, le blé, le s a r r a sin, les pommes de t e r r e , la moutarde ou des plantes comme les haricots ou les lentilles. Toutefois, quelle que soit la variété des assolements, on se trouve en présence de trois types de culture seulement, impliquant de légères différences sur le plan technique : le mais essarté; le mai's mélangé avec l'éleusine précoce; le mai's seul ou en rotation avec une autre récolte. Nous tiendrons compte de cette distinction en présentant le détail des techniques. Notre description est basée sur l'étude de quatre parcelles témoins : l'une en champ irrigué de fond de vallée où le mai's précède une récolte de riz; deux autres, d'altitude moyenne, avec éleusine précoce d'une part et éleusine tardive de l'autre. Enfin un dernier champ où le mai's est essarté vers 1 700 mètres d'altitude (1). 1. La fumure Selon les variétés, on l'a vu, et la richesse des propriétaires, les champs de mai's sont bien ou mal fumés. Les trois procédés de fu100
mure indiqués précédemment coexistent pour la culture du mais, se complétant ou s'excluant les uns les autres. Avant le premier labour, on fait appel aux grands troupeaux qui redescendent d'estive. Trois cents moutons ou de trente à soixante bovins, selon les cas, peuvent demeurer de un à quatre jours sur une parcelle. Plus fréquente est la fumure qui résulte du passage des petits troupeaux, restant de quatre à douze jours dans un même champ. Dans certains cas, ces deux types de fumure se complètent : le propriétaire du champ, riche en général, fait appel aux petits troupeaux à l'issue du passage des grands. Il montre au bouvier les endroits qui ont été mal fumés. A l'issue du premier labour et dans les quelques jours qui précèdent les semailles, depuis la maison, il est fréquent que l'on apporte quelques charges de fumier de bovins mélangé à de la paille. Les femmes et les adolescents de la maisonnée se chargent de ce travail. Cet apport peut être complémentaire du passage des troupeaux. Dans certains cas, il demeure néanmoins le seul procédé utilisé. Enfin, excluant toute utilisation du fumier animal, le champ peut être essarté. Ce type de parcelle peut être terrassée ou non. Le plus souvent, elle n'est cultivée que tous les trois ou quatre ans, parfois tous les sept ans. En général il n'y a pas de seconde récolte annuelle. Les champs de ce type sont situés à des altitudes assez fortes au-delà de 1 700 mètres. Les patrons limbu font donc souvent appel aux journaliers Sherpa : à six ou sept pendant deux jours, ils se chargent d'abattre la végétation secondaire repoussée depuis la dernière culture. Le travail peut durer selon l'étendue des champs, de un à trois jours. Il a lieu dans la seconde quinzaine de février. Hommes et femmes travaillent ensemble. Les premiers sont munis de khukuri (N), les secondes de faucilles. La végétation abattue est composée en majeure partie des buissons de banmârâ (N) qui aurait envahi le pays limbu, venant du sud, depuis une dizaine d'années. Les broussailles sont abandonnées sur place pour une durée approximative d'un mois. Elles sèchent. Après la m i - m a r s , le patron et sa femme, sans l'aide de journaliers, viennent effectuer la mise à feu : elle nécessite en général une journée de travail. Les broussailles sèches sont étendues sur l'ensemble du champ en une couche continue, parfois en tas. On se sert de torches constituées chacune par une dizaine de tiges de bambou refendu le plus souvent de la variété ninâlo. La mise à feu précède immédiatement le premier labour à la houe ou à l ' a r a i r e qui se fait le lendemain ou le surlendemain. Les cendres sont éparpillées sur l'ensemble du champ. Ce mode d'engrais exclut en général l'apport de fumier animal. Il est toutefois considéré comme d'une pauvre rentabilité. Ces champs écobués, fréquemment, à l'inverse des autres, demeurent en propriété indivise (kâssuârâ) (L), entre plusieurs f r è r e s . Il est cultivé à tour de rôle par chaque propriétaire qui fournit les semences, paie les 101
journaliers et engrange la récolte. 2. Le premier labour Les premiers labours du mai's se poursuivent à Libang de la deuxième quinzaine de janvier à la mi-mars. Les premiers champs que l'on retourne sont ceux irrigués où le mais précède une culture de riz. Puis ceux où mai's et éleusine précoce sont plantés ensemble; puis ceux où la récolte de mai's sera suivie d'une seconde culture, d'hiver, ou d'éleusine tardive; enfin les champs essartés. Le tableau 9 présente les dates des premiers labours selon les caractères des quatre champs témoins. Les labours se font à l'araire dans la plupart des champs. Ils durent de un à trois jours selon l'étendue des parcelles. Un seul attelage, en général, suffit. Le laboureur est soit le patron ou son fils, soit un journalier limbu à des altitudes moyennes, sherpa sur les crêtes. Les bêtes de l'attelage, comme le matériel du labour (araire et joug), sont fournis par le propriétaire, soit qu'il les ait loués, soit qu'ils lui appartiennent. Le journalier prend ses deux repas, le matin et le soir, chez le propriétaire. Quelques champs écobués d'un accès difficile ou de pente trop raide, sont labourés à la houe par les femmes. En général, les terrasses sont étroites. Dans le milieu des champs, le travail est facile. Les boeufs avancent seuls. L'araire est bien à plat sur le sol. Elle déverse des deux côtés. Le laboureur tient le mancheron de la main gauche, l'aiguillon de la main droite. Il dirige l'attelage de la voix, à l'aiguillon, en piquant les bêtes à l'arrière-train, en leur touchant les flancs. Il marche du côté droit de l'araire. Lorsque la reille butte sur des pierres les bêtes s ' a r r ê tent d'elles-mêmes. A l'approche des diguettes, sur les bords des champs, ou lorsque la terre est trop sèche, le labour se fait plus difficile. On incline l'araire et elle joue alors le rôle d'une charrue déversant d'un seul côté. L'homme met un pied à la base du timon. Il appuie de tout son poids, en sautant à cloche pied, les jambes très écartées, au fur et à mesure qu'avance l'attelage. A ce moment-là, il dirige les bêtes en leur tordant la queue. A la fin d'une raie, les bêtes vont tourner dans la terrasse voisine. Les diguettes sont alors enfoncées dans les champs irrigués. Le laboureur, sans désatteler, porte l'araire pour la tourner. Lorsque le champ est étroit, tourner l'attelage est un travail difficile et dangereux. On craint que les bêtes ne tombent sur la terrasse du dessous.. Des recoins sont impossibles à atteindre. Ils seront ultérieurement retournés à la houe, par des femmes. On ne laboure qu'une fois, allant et venant d'une extrémité d'un champ à l'autre. On commence du côté des diguettes pour finir par la raie qui borde les murettes supérieures. Ce premier labour est considéré comme pénible. La terre est parfois très sèche. Il faut 102
relativement aller profond. S'il a fait appel à un journalier, le propriétaire est présent une bonne partie de la journée. Parfois il se contente de surveiller, assis sur une terrasse supérieure. Parfois, accompagnant l'attelage à la hauteur des bêtes, il veille à l'alignement des raies et à la profondeur du défoncement. Vers la mi-journée, l'une des filles de la maison vient apporter deux bières tongba et deux assiettes de haricots-soja grillés. Les deux hommes, le laboureur et le patron, assis côte à côte, boivent et mangent en plaisantant. Il arrive parfois que le journalier ait appris, autrefois, au patron, alors adolescent, à conduire l'araire. Les relations, comme toujours au Népal, dans les villages, sont gaies et familières. Le soir, le travail s'arrête comme de coutume dès que le soleil disparaît derrière la crête, vers seize heures. Il avait commencé le matin vers huit ou neuf heures. 3. Second labour et semailles Sur l'ensemble du village, si les premiers labours s'étendent sur une longue période de deux mois, les seconds labours, avec les semis qui les accompagnent, se terminent plus rapidement, en un mois et quelques jours. La raison de ce phénomène est simple. Les seconds labours sont plus faciles que les premiers. Là où l'on mettait deux jours la première fois, un seul jour suffit pour la seconde. Le travail va plus vite. De ce fait, si, dans les champs irrigués, on commence les seconds labours un mois après les premiers, au fur et à mesure que l'on monte en altitude, ce délai s'amenuise. Il est d'une quinzaine de jours dans les champs de culture sèche de moyenne altitude. Dans les champs écobués, le deuxième labour suit le premier à quelques jours d'intervalle. Le tableau 9 résume les données pour les quatre parcelles témoins. Le temps doit être propice. Une pluie chaude est appréciée. Elle permet au fumier de bien pénétrer la terre. Dans la mesure du possible, les seconds labours se font au lendemain d'une averse. On craint par contre les "pluies froides", celles qui s'accompagnent de chutes de neige sur les crêtes avoisinantes. La veille du second labour, on trie les semences. Nombreux sont les grains piqués par les vers, que l'on écarte, pour faire de la farine. Installées sous l'auvent de la maison, le mai's dans un van devant elles, ce sont les femmes de la maison qui accomplissent ce travail. Ce jour-là également, elles terminent, si nécessaire, le transport du fumier depuis la maison jusqu'aux champs. Second labour et semis sont d'une opération simple. Un seul attelage suffit. Le second labour est moins profond que le premier. Il se fait avec l'araire longue, selon le même procédé. Le semeur est le plus souvent un enfant de la maison, garçon ou fille, à partir de l'âge de douze ou treize ans. Il suit l'attelage, quelques mètres der103
rière lui. Dans le bras gauche il tient le semoir, un panier dâlo. Il égrène les semences de la main droite, les laissant tomber dans la raie, à raison d'une ou deux tous les vingt centimètres (2). Derrière l'attelage, ce jour-là ou le lendemain, un groupe de quatre à huit femmes, selon les dimensions du champ, passe en ligne dans chacune des t e r r a s s e s . Elles émiettent les mottes à la petite houe. Elles se servent moins du tranchant de leur outil que de l'anneau d'emmanchage qui sert de masse. Elles retournent le sol là où l'araire n'a pu passer. Cette opération est importante dans les champs irrigués où la terre reste dure. Elle est souvent inutile dans les champs de culture sèche où le sol, à cette époque de l'année, est poussière. Dans les champs écobués, le second labour, comme le premier, se fait à la houe, ou à l'araire, selon les cas. 4. Premier buttage et sarclage Le premier buttage, accompagné d'un sarclage, fait l'objet d'un t r è s grand soin. De lui, dit-on, dépend la qualité de la récolte. Aussi, préfère-t-on pour l'effectuer, faire appel aux femmes plutôt qu'aux hommes, et parmi celles-ci, aux vieilles plutôt qu'aux jeunes. Toutefois, à cette époque de l'année, la main-d'oeuvre commence à se trouver avec difficulté. Il faut être à la fois au riz et au mai's. Aussi accueille-t-on, pour le premier buttage, des femmes Kami, Damai, ou des femmes de Chetri pauvres. On évite cependant, vu l'importance de l'enjeu, de recruter des Sherpini et cela, même dans les champs essartés, qui, jusque-là, le plus souvent, avaient été abandonnés à leurs soins. Le propriétaire est toujours là. Il surveille avec une grande attention les travaux. Dans les villages de la moyenne vallée, le premier buttage prend place entre le 15 avril et le 1er juin. Il a lieu systématiquement de la môme façon dans tous les types de champs, quel que soit leur caractère : irrigués, secs ou écobués. D'un type de champ à l'autre, toutefois, les dates du premier buttage diffèrent fortement. Dans les champs de culture sèche, le premier buttage prend place, en général, de 40 à 50 jours après les semis; dans les champs écobués de 60 à 70 jours; dans les champs irrigués de 90 à 100 jours. A cela deux explications. D'une part le cycle de croissance de la plante est plus lent en altitude que dans les fonds de vallée : d'où la différence de délai entre champs de culture sèche et champs écobués. Quant aux champs irrigués, pourtant les plus bas, la date très tardive du buttage s'explique pour des raisons de main-d'oeuvre. Dans ces champs-là, le riz doit être semé dans les pépinières. On ne passe au buttage du mais qu'à l'issue de ce travail. Quel que soit le caractère du champ et les délais en cause, l'opération du buttage sarclage est partout la même. Le mal's atteint alors de 30 à 70 cm de haut. En ligne, les femmes avancent, cour104
bées, de t e r r a s s e en terrasse, la houe à la main. Dans un premier temps elles sarclent entre les plants, arrachant les mauvaises herbes du tranchant de la lame de leur outil. Dans un second mouvement, de buttage, elles ramènent un peu de terre en monticule, autour de chaque pied. Les travaux avancent lentement et sont considérés comme pénibles. On met de un à trois jours selon l'étendue du champ, par groupe de quatre à dix personnes. 5. Deuxième buttage et sarclage Le deuxième buttage et sarclage est beaucoup plus rapide. Il a lieu de la seconde quinzaine de mai au début juillet. A cette époque, tout presse. Les grands travaux du riz précoce culminent. Sur les c r ê tes, le premier buttage n'est pas encore fini. Mais on ne peut attendre. Dans certains champs de culture sèche, il faut butter le mai's au plus vite pour pouvoir transplanter l'éleusine précoce. C'est par eux qu'on commence. Les deux plantes cohabiteront sur les mêmes t e r r a s s e s jusqu'à la récolte. Puis on butte ceux qui recevront de l'éleusine tardive. Alors on passe, le plus rapidement possible, aux champs irrigués. Le premier buttage y avait été très tardif. Le s e cond y est précipité : il faut maintenant y récolter le mais le plus vite possible pour pouvoir y transplanter le riz. Les champs des crêtes, où le mais est cultivé en rotation avec une culture d'hiver, ou seul, comme dans les champs écobués, se font en dernier. Ainsi, par manque de temps, par manque de main-d'oeuvre, du fait aussi qu'il est moins important que le premier, les seconds buttages et sarclages sont peu soignés. On n'hésite pas, cette fois, à faire appel à des hommes autant qu'à des femmes, à des Sherpa autant qu'à des Limbu. On prend les ouvriers qu'on trouve. Les subba forcent la main de leurs raiti pour qu'ils viennent, en priorité, t r a vailler dans leurs champs. Là où le premier buttage nécessitait dix ouvriers pendant trois jours, on vient à bout du second en deux jours, avec sept ou huit personnes. Le travail, identique dans tous les types de champ, est analogue à celui du premier buttage. Le mai's arrive maintenant à hauteur d'épaule. Autour de chaque pied on confectionne, à la houe, des buttes d'une trentaine de centimètres de haut. On sarcle entre les plants si on a le temps, avec plus d'attention, dans les parcelles où sera transplantée l'éleusine précoce, que dans les autres (3). 6. La récolte Au village, la récolte du mai's s'échelonne sur trois mois. Dans les champs irrigués, vers le 1er juillet. Dans les champs secs de la moyenne vallée, un mois plus tard, vers le 1er août. Dans les champs d'altitude, écobués ou non, vers le 1er septembre. Presque partout, la technique est approximativement la même. 105
Elle se décompose en deux opérations, échelonnées dans le temps, à quelques jours d'intervalle. La première consiste à couper les épis mûrs et à les transporter jusqu'à la maison. Un panier à bandeau frontal dans le dos (doko) (N), on passe à travers les plants. Chaque tige est cassée à la main, juste au-dessous de l'épi qui est placé dans le panier. Quand la pluie rend ce travail difficile, il arrive qu'on se serve de la faucille. Les paniers pleins sont déposés au bord du champ. De là, on les transporte à la maison. Les tiges, débarrassées de leurs épis, sont abandonnées, intactes, dans les champs. Selon les cas, l'opération s'organise de façon légèrement différente. Soit deux ou trois membres de la famille du propriétaire, le matin et le soir, pendant quatre à cinq jours, coupent et transportent eux-mêmes de quatre à six charges par jour. Soit, lorsqu'on peut s'assurer les services de journaliers, on sépare les travaux de récolte et de transport. Dans ce cas, les membres de la famille, trois ou quatre, assurent la coupe des épis. Ils abandonnent les paniers pleins au bord du champ. Une équipe de journaliers, en nombre sensiblement égal, assure leur transport jusqu'à la maison. Ces derniers, à cette époque, sont souvent des Sherpa. Pour des périodes de quatre à dix jours, ils sont à demeure dans les maisons Limbu qui les emploient. Avec eux, la récolte se fait plus vite. En un jour ou deux elle est terminée. De toute façon, elle est beaucoup plus rapide sur les crêtes que dans les fonds de vallée. Dans les champs écobués, en une journée, avec trois personnes, on en vient à bout. Il faudrait dix ouvriers dans un champ de même étendue situé plus bas. Les rendements sont très différents. Quel que soit le type du champ, cette opération est identique partout. Une seule petite différence : là où mai's et éleusine précoce cohabitent, ceux qui coupent les épis prennent des précautions pour ne pas fouler l'éleusine. La deuxième opération de la récolte consiste à débarrasser les champs des tiges de mai's qui les encombrent. A cet égard, selon les types de culture on trouve deux possibilités. Dans les champs où la récolte de mai's est suivie d'une seconde culture, les tiges sont abattues. Dans les maisons aisées, pour ce travail, on fait appel aux Sherpa qui avaient assuré le transport de la récolte. A quatre ils prennent possession d'une terrasse. Trois d'entre eux, en ligne, abattent les tiges en les frappant au pied, à la houe, pour les déraciner. Un quatrième, si nécessaire, les rassemble. Dans certains cas on les rapporte jusqu'à la maison du patron, où elles serviront de fourrage; si le champ est fumé par le passage d'un petit troupeau, on les abandonne, également comme fourrage. Dans d'autres cas, on les laisse sécher quelque temps. Brûlées ultérieurement, elles serviront d'engrais pour une future récolte. Dans les champs où l'éleusine précoce cohabite avec le mai's, l'opération est différente. L'éleusine arrive alors à hauteur du ge106
nou. Chaque tige de mai's est coupée à hauteur de cuisse, à la faucille et non pas abattue. On les emporte dans des paniers jusqu'à la maison du propriétaire. Elles seront données en fourrage. Au lendemain de la récolte, dans la cour intérieure de la maison, on engrange. Le mai's récolté début juillet est débarrassé de ses feuilles et mis à sécher près du feu, à l'intérieur de la maison : il sera consommé frais. Pour celui que l'on récolte plus tard, l'opération est différente. Une personne trie les petits épis qu'elle sépare des grands. Une autre débarrasse les petits épis de leurs feuilles : ils seront consommés les premiers. Une dernière attache les grands épis par groupe de cinq ou six. Ils seront suspendus pour sécher soit à une plate-forme établie dans la cour intérieure, soit à des tiges de bambou refendu sous les toits de chaume des maisons. H. L'ELEUSINE Dans la grande majorité des cas, l'éleusine est transplantée à sec : c'est ce mode de culture que nous allons maintenant décrire (4). Deux procédés techniques coexistent selon que l'éleusine est précoce ou tardive; c'est-à-dire selon qu'elle est repiquée dans les champs de mais avant ou après la récolte de ce dernier. Dans les deux cas, moisson et battage sont identiques. Par contre, repiquage et sarclage sont réalisés différemment. En ce qui concerne les semis en pépinières, précoces ou tardifs, ils se font pour l'essentiel de la même façon. Toutefois, selon les possibilités de chaque maison, les emplacements de ces semis diffèrent. Dans le détail, cela suppose de nombreuses variations techniques qui relèvent de l'expédient. 1. Les pépinières Les pépinières du riz sont toujours semées dans les champs mêmes où plus tard aura lieu le repiquage des plants. C'est loin d'être toujours le cas pour les pépinières d'éleusine. Pour cette dernière on effectue le semis là où l'ordonnancement des champs risque le moins d'être perturbé. Parfois les pépinières d'éleusine se trouvent à assez forte distance des terrasses où les plants seront repiqués. Nous étudierons trois exemples différents qui nous ont paru significatifs. Ces travaux s'effectuent entre le 28 avril et le 15 juillet. Dans un premier cas, la pépinière se situe dans une partie du potager où vient de se faire une récolte de tabac, à côté de celles de légumes verts et d'oignons (pépinière I). Dans le deuxième, la pépinière est choisie dans une terrasse toute proche de la maison où est déjà planté du mai's (pépinière n). Dans le troisième, à l'issue d'une récolte de pommes de terre, dans un champ de riz : c'est-à-dire que sur la même parcelle trois 107
cultures alternent dans la même année : le riz précoce, les pommes de terre, les pépinières d'éleusine (pépinière III). Quels que soient les divers emplacements, les opérations suivantes doivent se succéder : première fumure éventuelle, premier labour, apport de fumure obligatoire, deuxième labour et semis, surveillance, sarclage, déracinage des plants qui précède le repiquage dans les champs. Une fumure éventuelle peut être effectuée avant le premier labour. C'est le cas par exemple pour la pépinière I : les derniers plants de tabac sont arrachés les 24-25 avril. Le 28, de la maison, quelques charges de fumier (bovins et chèvres mélangés) sont répandues dans le champ par les femmes. Par contre aucune fumure n'apparaît, ni dans les champs de mais où est passé le troupeau en février, avant les semis; ni dans celui de pommes de t e r r e qui ont été plantées avec du fumier de cochon, vers la fin décembre. C'est au premier labour que les différences techniques sont les plus fortes, inhérentes au choix des emplacements. Dans la pépinière I le processus est traditionnel : l ' a r a i r e est passée par trois fois le matin de bonne heure, le jour même où se fera le second labour et les semis. Ce travail a lieu le 2 mai, il se termine en moins d'une heure. P a r contre, dans la pépinière II, où le mai's est en pleine croissance, c'est le deuxième buttage-sarclage du mai's à la houe qui remplace le premier labour pour les pépinières d'éleusine, quatre ou cinq jours avant le deuxième labour et les semis. Le procédé est du même ordre dans la pépinière m : au moment de récolt e r les pommes de terre, on soigne particulièrement le retournement de la t e r r e à la houe. Non seulement il permet la récolte des dernières pommes de terre mais en même temps il fait office de premier labour des pépinières d'éleusine, deux jours avant les semis, le 5 mai. Les femmes qui opèrent, debout, donnent deux ou trois grands coups de houe pour retourner la t e r r e , puis un coup pour arracher les dernières pommes de terre qui sont placées dans un panier à côté d'elles. Alors elles aménagent le sol, égrenant les mottes et nivelant de la main. A l'issue de ce premier labour, qui, on le voit, se déroule très différemment selon les endroits où il a lieu, le second labour et les semis s'effectuent, eux, à peu près de façon identique quels que soient les cas. Successivement, le même jour, on retourne la t e r r e à la houe; on égrène les mottes et on nivelle; on épand le fumier; on effectue les semis. Le travail est accompli généralement par la femme du patron aidée d'une ou deux voisines. Les enfants participent au transport du fumier. Le détail des opérations est le suivant : 108
Une première femme qui travaille debout, à la houe, retourne la terre avec grand soin. Ce "deuxième labour" des pépinières s'effectue partout de la même façon, y compris dans les champs où croft le mai's, entre les tiges. Une seconde femme suit la première. Elle est accroupie. Elle égrène chaque motte de terre puis nivelle le sol. Ces deux opérations se font des deux mains. Labour et nivelage terminés, les femmes, avec l'aide des enfants, transportent quelques charges de fumier depuis la maison jusqu'aux pépinières. C'est le plus souvent du fumier de chèvre. Les paniers sont déversés à proximité des pépinières. Les femmes, un panier à la main, y puisent. Elles épandent le fumier sur l'ensemble de la parcelle, l'éparpillant à la main, de façon continue et régulière, avec un grand soin. Une fois fait l'épandage du fumier, on sème. Chaque femme tient le semoir (panier dâlo) dans le bras gauche. A reculons, elle parcourt lentement la pépinière. Elle sème à la volée sur le fumier épandu. Une poignée de semences est jetée en dix ou douze fois, une dizaine ou quinzaine de grains à chaque fois. Ce travail est considéré comme très délicat. Si les semences sont trop serrées, les pépinières dépériront. Dans les pépinières où pousse le mais, le geste de la semeuse est plus horizontal que vertical. Il ne faut pas que les graines d'éleusine, jetées à poignées, demeurent sur des feuilles de mai's. Partout l'opération se fait minutieusement. L'ensemble du deuxième labour et des semis s'accomplit en une journée. S'il pleut, il faut tout recommencer. Pendant trois jours pleins, un enfant surveille les pépinières pour chasser les oiseaux. Toutefois, dès la première averse, les semences s'enfoncent dans le fumier et la surveillance peut cesser. Le sarclage des pépinières prend place un peu plus d'un mois après les semis. Il dure de trois à dix jours. Il précède de quelques journées le repiquage. On utilise les services de quatre à six personnes, le plus souvent des femmes limbu; parfois, parce que la main-d'oeuvre, à cette époque de l'année, est particulièrement difficile à trouver, des Sherpini. Dans les pépinières précoces, le sarclage a lieu aux alentours du 10 juin; dans les tardives, vers le 10 juillet. Le travail est méticuleux. Les plants ont une vingtaine de centimètres de hauteur. Il faut déraciner les mauvaises herbes d'une part, et parfois, d'autre part éclaircir les plants d'éleusine qui sont trop serrés et dépérissent. Chaque femme est assise dans la pépinière sur une petite natte ronde. Le travail se fait à la main. On dit, en exagérant un peu, qu'en une journée, une femme ne peut sarcler plus que la "surface d'un van". Les mauvaises herbes, arrachées une à une à la main, sont placées dans des paniers que les sarcleuses ont disposés dans leur dos. Elles sont emportées par la fille du patron. Elles serviront à nourrir les cochons. On commence le travail après le repas du matin, vers neuf ou dix heures. Il se termine 109
dès que le soleil disparaît derrière les crêtes, vers seize heures. A la mi-journée, au cours d'une pause, la femme du propriétaire et sa fille servent la khâjâ (N). De même que les semis, le sarclage des pépinières est considéré comme très délicat. Seules les femmes "expérimentées" peuvent l'accomplir. 2. Repiquage Le repiquage est très différent selon qu'il concerne l'éleusine précoce ou tardive. L'éleusine précoce, en effet, est transplantée dans les champs où pousse le mai's (5). On n'y peut labourer à l'araire. Tout le travail doit se faire sans que les tiges de mai's qui atteignent à hauteur d'épaule, soient endommagées. Il n'y a donc pas à proprement parler un premier labour. C'est le deuxième sarclage-buttage du mais qui en tient lieu. Il prend place quelques jours avant le repiquage de l'éleusine qui se déroule lui, vers le 20 juin (cf. tableau 12). Pour le repiquage, un personnel important est requis : de vingt à trente personnes pendant deux jours. On fait appel, principalement, aux services des Sherpa. La répartition des tâches est la suivante : - arrachage des plants dans les pépinières : trois personnes (deux limbuni et une Sherpini), - transport des plants : deux adolescents sherpa, - labour à la houe : cinq hommes sherpa, - transplantation : de quinze à vingt personnes, hommes et femmes, tous Sherpa, - travaux annexes : deux personnes (la femme du patron et une voisine limbu), - le propriétaire est présent toute la journée. Il surveille avec grand soin. Le détail des travaux, qui s'enchalhent, est le suivant : les hommes passent les premiers, en ligne, entre les mai's. Ils retournent la terre à la houe. Les transplanteuses, auxquelles sont également mêlés quelques hommes, suivent derrière, accroupies, elles tiennent les semences de la main gauche. Si nécessaire, elles désherbent de la main droite. Elles nivellent rapidement le sol du plat de la main. Elles repiquent chaque plant séparément. Ce travail est long et méticuleux. Il s'effectue également en ligne. Dans les pépinières, souvent éloignées des terrasses de repiquage, pendant ce temps, trois vieilles femmes déracinent les plants, les lient en bottes, battent légèrement chaque botte pour faire tomber la terre qui adhère aux racines, les placent dans des paniers. Des pépinières jusqu'aux terrasses de repiquage les deux adolescents Sherpa transportent les paniers de plants à repiquer. 110
A la mi-journée les ouvriers font une pause lorsque la femme du patron et une voisine apportent la khâjâ (N). Pour le repiquage de l'éleusine tardive, le processus est différent. H s'effectue dans les champs où le mais vient d'être récolté, où les tiges ont été arrachées. On retrouve une succession plus normale des opérations : les bêtes s'installent dans les t e r r a s s e s , avec la goth (N) pour les fumer pendant les trois ou quatre jours qui séparent la récolte du mai's du premier labour qui précède le repiquage de l'éleusine. Ce premier labour, comme celui du mais, s'effectue avec l'araire longue, tirée par un attelage, en une ou deux journées. Il est suivi dans les trois ou quatre jours, d'un second labour et du repiquage. L'organisation du travail, alors, est à peu près la même que celle du repiquage de l'éleusine précoce, à deux différences près. Le second labour de l'éleusine tardive s'effectue à l ' a r a i r e longue et non pas à la houe. Les quatre ouvriers qui suivent l'araire n'ont plus pour mission de retourner la terre, mais celle de b r i s e r les mottes et de niveler le sol. Ils sont suivis comme dans le cas précédent, par dix à douze transplanteuses. Dans les pépinières, deux vieilles femmes déracinent les plants et préparent les bottes que transportent deux adolescents. Ce sont également des ouvriers sherpa, qui le plus souvent sont appelés à faire ces travaux pour le compte des propriétaires limbu. Le travail peut durer un à trois jours. Les labours à l ' a r a i r e sont toutefois terminés à l'issue de la première journée. Ce travail, on le voit, s'organise partiellement selon le modèle de la transplantation du riz. Le tableau 12 présente les dates des diverses opérations et les différences techniques apparaissant entre repiquage de l'éleusine précoce et tardive. 3. Sarclage On a vu qu'un premier sarclage, en pépinière, avait été fait avant le repiquage, tant pour l'éleusine précoce que tardive. Vers la fin août, un peu plus de deux mois après le repiquage, l'éleusine p r é coce est de nouveau sarclée, dans les champs cette fois. Cette opération n'apparaît pas pour l'éleusine tardive. Dans les champs d'éleusine précoce, le mai's est récolté vers la fin juillet, les tiges de mai's, on le sait, ont été coupées à une cinquantaine de centimètres du sol. Le second sarclage de l'éleusine précoce débarrasse les champs à la fois des mauvaises herbes et également des tiges de mais qui demeuraient. Le travail nécessite la présence de cinq à six personnes de trois à cinq jours d'affilée. Ce sont des femmes que l'on emploie. Elles avancent en ligne sur les t e r r a s s e s . Elles arrachent mauvaises herbes et tiges de mai's à la main.
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4.Récolte L'éleusine précoce est récoltée avant les fêtes de Dasaï, c'est-à-dire aux environs du 15 octobre. L'éleusine tardive, en novembre et début décembre. Ce sont les femmes de la maisonnée, aidées des adolescents qui effectuent la moisson. Celle-ci ne présente pas le caractère soigné de la moisson du riz. Les ouvriers, trois ou quatre pendant plusieurs jours, avancent en ligne dans chaque terrasse, de l'amont à l'aval, la faucille à la main. Les hommes travaillent courbés; les femmes, le plus souvent accroupies. La main gauche saisit les épis d'éleusine en les tirant vers le haut pour maintenir les tiges droites. La main droite, de l'extrémité distale de la faucille à dents, coupe la tige juste au-dessous de l'épi d'un petit mouvement sec, de biais, du haut vers le bas et de la droite vers la gauche. Lorsqu'une dizaine de tiges, ou une quinzaine, ont été ainsi coupées, le moissonneur jette les épis de la main gauche dans un panier posé à même le sol et que l'on déplace au fur et à mesure que l'on avance. De temps en temps un adolescent interrompt le travail pour couper à grandes brassées, très vite, une partie des chaumes. Il les rassemble, les noue en bottes au moyen de chaumes torsadés. Ces bottes seront rapportés à la maison et serviront de fourrage. Une bonne partie d'entre eux, qui n'ont pas été coupés, sont abandonnés ainsi dans le champ. Les bovins se sont déjà installés dans les terrasses pour les fumer. Us suivent les moissonneurs. Un petit garçon ou son grandpère surveille le troupeau qui mange les chaumes abandonnés dans le champ. Les paniers pleins sont transportés vers la maison par les moissonneurs eux-mêmes. 5. Battage Le battage de l'éleusine, comme sa moisson, ne présente pas les mêmes caractères de "grands travaux" qu'offre celui du riz par exemple. C'est en famille qu'on l'effectue, le plus souvent les femmes, soit seules soit en des groupes, pouvant compter jusqu'à six personnes. C'est un tel groupe que nous décrirons. Les opérations se déroulent en cinq temps : d'abord un battage au bâton, principal; puis un foulage, de caractère secondaire; un premier nettoyage du grain, rapide, au balai; un second, au tamis; un troisième, au van. Le travail se fait dans la cour intérieure de la maison, parfois même sous l'auvent; rarement sur une aire à battre. Les épis, depuis trois ou quatre jours, ont été mis à sécher : dans la cour intérieure, sur le sol nu ou sur une natte; parfois sur une terrasse qui domine la maison. Pendant ces trois ou quatre jours, le grain est souvent piétiné par les gens qui passent. Le jour du battage les opérations s'enchafhent de la façon suivante : les épis sont à sécher sur une natte. Le patron vient en cher112
cher un paquet à pleins bras qu'il dépose devant lui sur le sol de la cour intérieure. Avec l'une de ses filles, il bat le grain au bâton de la main droite et parfois de la main gauche. De temps en temps on retourne le tas d'épis en s'aidant de la main et de l'extrémité du bâton. A l'issue de ce long battage, le grain s'est répandu en nappe sur le sol, les pailles et le son en tas, demeurent au-dessus de lui. La fille, avec un petit balai, écarte son et paille. Elle rassemble le grain en tas et le verse dans un panier. Le père, pendant ce temps, foule au pied le tas de paille et de son pour en extraire les derniers grains. L'opération est recommencée avec un autre tas. Une voisine, installée à côté des deux batteurs, vient chercher le panier de grain. Elle va nettoyer ce dernier en le tamisant. Pour ce faire, une partie du grain est placé dans le tamis rectangulaire. On lui imprime un mouvement de droite à gauche, identique à celui du van. A l'issue de ce tamisage, le grain est débarrassé de la couche la plus grossière du son et des pailles. Il est versé dans un autre panier. Pour terminer le nettoyage, une autre femme, la mère, passe le grain tamisé au van, comme on l'a vu faire pour le battage du riz précoce. L'éleusine est engrangée à l'étage de la maison, à côté du riz, dans des paniers identiques. Le son, la paille et les brisures sont donnés aux cochons. m . AUTRES CULTURES SECHES Le riz, le mai's et l'éleusine sont les trois récoltes les plus importantes d'un village limbu d'altitude moyenne. Parmi les autres plantes cultivées dans les champs de la Mewa, citons la pomme de terre, les céréales d'hiver (blé et orge), le sarrasin, diverses sortes de lentilles et de haricots, la moutarde, etc. Nous présentons rapidement ici certains aspects techniques concernant trois d'entre elles : les pommes de terre, les céréales d'hiver, le haricot-soja. 1. La pomme de terre La description qui va suivre se fonde sur l'étude d'une seule parcelle témoin, dans un champ irrigué, après une culture de riz, à une altitude assez basse (1 400 m). Cette parcelle est la propriété d'un Limbu réputé pour la qualité de ses récoltes et l'attention qu'il porte aux travaux des champs. Un premier labour est effectué à l'araire longue, à sec, en une matinée, par un attelage le 12 décembre. Le lendemain et le surlendemain, les 13 et 14 décembre, pendant deux jours pleins, quatre journalières viennent effectuer un se113
cond labour, à la houe cette fois. Elles retournent la terre assez profondément. Elles brisent les mottes de façon que le sol soit bien meuble et aplani. Le 15 décembre, le propriétaire et sa femme viennent faire le même travail à titre de complément et de vérification. Le 16 décembre, deux journaliers clôturent la parcelle. Ils utilisent uniquement leur khukuri et comme matériau du bambou refendu qu'ils entrelacent pour former des sortes de claies. Cette clôture doit, en principe, protéger les pommes de terre du bétail qui se trouve alors dans les champs irrigués. Leur travail dure deux jours. Les 18 et 19 décembre sont consacrés au transport du fumier depuis la maison. Le portage s'effectue le matin et le soir. On compte vingt-cinq à vingt-huit charges pour dix pâthi de semences. Le fumier est déposé en tas répartis sur l'ensemble de la parcelle. Ce sont les femmes et les enfants de la maisonnée, cinq au total, qui assurent ce travail. Les semis s'effectuent en deux jours, les 20 et 21 décembre. Le matin avant le repas les semences de pommes de terre, achetées aux Sherpa, sont coupées en deux. La partie germée sera plantée, l'autre consommée comme légume. C'est un travail de femmes. Installées sur la véranda, elles utilisent la faucille lisse ou la serpe. Les paniers de semences sont emportés vers les champs dès la fin du déjeuner. Une femme et deux enfants assurent les semis. La femme à la houe creuse un trou dans le sol. Une fille de dix à douze ans y déverse un peu de fumier, un autre enfant plus jeune y jette une moitié germée de pomme de terre. Le trou est recouvert d'un coup de houe par la femme. On passe au trou suivant. On procède par lignes parallèles dans la largeur du champ. Un premier buttage a lieu aux alentours du 5-10 février. Les pommes de terre ont une vingtaine de centimètres de hauteur. Le travail se fait par une femme seule, l'épouse du propriétaire, à la houe, qui se tient d'une main. Elle en profite pour sarcler rapidement. Comme la saison est encore "descendante" la terre est déplacée dans le sens nord-sud, de l'amont vers l'aval. Le deuxième buttage prend place vers le 20 avril. Il se fait lentement par une seule femme pendant une dizaine de jours. La méthode est la même que pour le premier buttage. Mais la saison maintenant est "montante". On procède du sud au nord, de l'aval vers l'amont, de la rivière vers la crête. Chaque jour, quelques pommes de terre sont déterrées pour être consommées au repas. La récolte se fait vers le 5 mai. Pendant deux jours, deux journalières déterrent les pommes de terre à la houe. Tout le champ est retourné soigneusement. Ce travail sert également comme préparation du sol pour les semis des pépinières d'éleusine (tableau 13).
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2. Les cultures d'hiver (orge et blé) Orge et blé, selon que les champs sont ou non fumés, sont l'objet d'un ou de deux labours. Nous décrivons ici rapidement l'enchaînement des opérations pour une récolte de blé effectuée dans un champ irrigué limbu où vient d'être récolté du riz. Ce champ étant fumé, il est labouré deux fois. Le 9 décembre, des troupeaux de bovins chetri de la basse vallée passent une nuit dans les champs, à l'occasion de leur montée en estive. Le lendemain, 10 décembre, dès leur départ, un attelage effectue un premier labour à sec, à l'araire longue, en une journée. Le 16 décembre a lieu le second labour, selon la même méthode que le premier. Cinq ou six femmes brisent les mottes après le passage de l'araire et retournent la terre là où l'attelage n'a pu passer. Le propriétaire qui suit l'attelage effectue les semis. Le travail dure une journée. Aux alentours du 1er mars, le champ est irrigué une journée entière. L'opération est recommencée un mois plus tard, vers le 1er avril. Lorsqu'il a plu, cette irrigation n'est pas faite. Le champ n'est pas sarclé. Vers le 20 avril, le champ est moissonné par les membres de la maisonnée en une demi-journée, à la faucille à dents. Les chaumes sont abandonnés. On ne récolte que les épis. Le battage du blé se fait au bâton sur la terrasse de la maison. Les semences lorsqu'elles sont conservées, ne font pas l'objet d'une coupe précédant la récolte. Les données générales concernant les cultures d'hiver dans le cadre de la Mewa, seront exposées dans le chapitre sur les variétés. 3. Le haricot-soja La description de la culture du haricot-soja a été observée à Libang dans un champ marécageux (éiméar) qui donne une seule récolte de riz par an. Le haricot-soja est semé sur les diguettes du khet. L'opération a lieu deux jours après le repiquage des plants de riz après que les diguettes aient eu le temps de sécher. On se sert de la faucille comme plantoir. Tenue de la main gauche, on fait, de sa pointe, un poquet dans la diguette. De la main droite, on y glisse deux ou trois grains. De la main gauche, de nouveau, on passe par deux fois le plat de la lame pour refermer le poquet. Trois journaliers, des femmes travaillent ensemble sous la surveillance du propriétaire. "Ni une ni quatre, crie ce dernier, il ne faut que deux ou trois graines par trou". Le travail se finit en une journée. Les six jours qui suivent, le champ de riz, de même que les diguettes, sont surveillés. La récolte se fait quelques jours avant la moisson du riz, en novembre-décembre. Chaque plante est coupée à la faucille, rap115
portée à la maison dans des paniers, battue au bâton sur la terrasse de la maison par une femme. Les graines récupérées, les tiges sont utilisées comme fourrage pour les bestiaux (6).
NOTES 1. Sur les techniques de culture sèche dans d'autres régions de l'Himalaya, cf. Pignède (1966), p. 119; Macfarlane (1972), p. 305; Pant (1935), p. 95 sq. ; Mac Dougall, p. 41; Kawakita, p. 314 sq. ; Lobsiger Dellenbach, passim. Le p r e m i e r buttage sarclage du mais a été filmé à Libang. 2. Il existerait une autre méthode pour semer le mal's, peut-être au plantoir. Elle serait aujourd'hui en voie d'abandon. Le terme qui le définit en nepâli est ropnu (planter), le même que celui utilisé pour le repiquage du riz. La méthode décrite ici, au contraire, s'appelle charnu, s e m e r en éparpillant. 3. Le second buttage-sarclage du mais s e r t en môme temps à une p r e mière préparation du sol (bâjho) précédant le repiquage de l'éleusine, comme nous le verrons plus loin. 4. Les techniques de culture de l'éleusine transplantée sont rarement décrites dans la littérature, cf. toutefois Pant (1935), p. 96 sq. ; Pignède (1966), p. 119. 5. Ce procédé existe chez bien d'autres populations de l'Himalaya, cf. par exemple pour les Gurung, Pignède (1966), p. 119; pour les Râi, Mac Dougall, p. 41. 6. Les autres plantes cultivées (lentilles, etc.) ainsi que des plantes sauvages d'utilisation fréquente sont étudiées dans un article d'ethnobotanique actuellement en cours de publication. 116
CHAPITRE VII. DESCRIPTION DE LA MAISON NOUVELLE
La seconde partie de notre étude est consacrée à la maison limbu. L'un des traits les plus caractéristiques du paysage limbu, c'est l'isolement de la maison : installée sur un champ en terrasse, elle est entourée par d'autres champs. Pour atteindre la maison voisine, il faut toujours monter, ou descendre, de terrasse en terrasse, traverser des cultures. Des sentiers le permettent. Ils changent avec la saison et s'affermissent avec l'usage. On gravit une murette après l'autre. On longe, en équilibre, la diguette qui borde un champ, et en surplombe un autre. Sur trois pierres, on traverse un ruisseau d'irrigation. Un champ de pommes de terre est clos pour le protéger du bétail : on passe par dessus la clôture au moyen de deux bambous encoches, l'un pour monter, l'autre pour descendre. Enfin, à vingt mètres, à cinquante mètres, à trois cents mètres, on atteint la cour de la maison voisine. Dans cet espace toujours en pente, toujours en culture, les maisons et leurs cours donnent l'impression d'être les seuls endroits plats, stables, les seuls, presque, où l'on peut s'arrêter. Trois thèmes vont être abordés dans cette seconde partie. Tout d'abord, la description de la maison; puis, sa construction; enfin, la dernière étude concernera les fonctions de la maison limbu et la manière, s'il se peut, dont les Limbu eux-mêmes les conçoivent. C'està-dire qu'il nous faudra décrire l'organisation interne de la maison en termes de catégories socio-culturelles telles que le "haut" et le "bas", le "fond" et le "devant". Nous étudierons le mécanisme de ces catégories à l'occasion des diverses manifestations de la vie quotidienne et rituelle. Nous serons alors à même de constater que dans cette maison en pierre, assise sur une fondation horizontale dont la construction fait appel à des techniques nouvelles et empruntées, les idées qui fondent l'organisation de l'espace, elles, sont fort anciennes. Commençons donc, dans ce premier chapitre, par décrire la maison. Nous présenterons d'abord ses caractères généraux; puis les principaux types d'habitations limbu que l'on rencontre dans la Mewa Khola; ensuite, nous tenterons de montrer l'environnement de la maison : ses dépendances, sa cour, etc. ; enfin, pénétrant à l'intérieur, nous passerons à la description du mobilier le plus important et à sa disposition interne.
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I. CARACTERES GENERAUX EXTERIEURS DE LA MAISON LIMBU LES TYPES DE MAISON 1. Caractères généraux Il est difficile de parler de "la maison limbu". D'une part parce que son architecture est d'un emprunt récent. D'autre part, parce qu'il existe de nombreux types. On peut même dire qu'il n'y a pas deux maisons, dans le détail, qui soient semblables. La diversité est liée, parfois, à l'adaptation au terrain; elle a pour cause, également, la personnalité des artisans : toutes les maisons qu'ils ont construites dans le village ont un certain air de famille qui les distingue des autres : ce peut être un auvent rajouté; un balcon décoré d'un c e r tain style; la présence d'une fenêtre à un endroit peu habituel; un procédé particulier pour établir la poutre faftière. Il y a également des modes qui se succèdent. Le balcon, par exemple, dans l'extrême-est népalais, serait d'origine assez récente. Peut-être la proximité des chalets anglais de Darjeeling a-t-elle eu son influence ? Les conditions économiques jouent également leur rôle. A la fin de notre second séjour, nous avions acquis l'impression que l'on ne construisait plus de maison à étage, mais que l'on surélevait les maisons basses pour permettre à deux familles de résider, là où il n'y en avait qu'une. La diversité régionale entre également en ligne de compte. D'une vallée à l'autre, les matériaux, particulièrement la pierre, sont souvent différents : les murs du côté de Chainpur sont mieux construits, avec des pierres mieux ajustées que dans la Mewa Khola. L'utilisation du bois se modifie en fonction de l'altitude. Quelle que soit la multiplicité des types de détail, la maison limbu présente toutefois des caractères généraux identiques. C'est une construction en dur dont les matériaux sont la pierre, le bois, la terre, le bambou et le chaume. Elle est bâtie selon un plan r e c tangulaire. Elle repose sur une fondation de pierres qui émerge du sol et forme marche (1) autour du rez-de-chaussée : elle élève la maison par rapport à sa cour intérieure (2). La maison peut comporter un rez-de-chaussée et un grenier, ou bien un rez-de-chaussée, un étage et un grenier (3). Que l'étage soit présent ou non, le rez-de-chaussée est la pièce la plus importante : on y cuisine, on y prend ses repas, on y reçoit, on y travaille; souvent on y dort. Il y a en général deux portes. L'une, considérée comme principale (4), construite le plus souvent sur l'un des petits côtés de l'habitation; elle donne sur une véranda (5), elle-même ouverte sur la cour intérieure : elle détermine ainsi la façade principale. L'autre porte est secondaire. Elle est située sur l'une des grandes façades, celle qui domine la rivière. Au rez-de-chaussée, le nombre de fenêtres (6) n'est pas déterminant. Il semblerait 120
que, normalement, la maison soit aveugle. Lorsqu'il y a une fenêtre, elle se trouve sur la même façade que la porte secondaire, mais vers le fond de l'habitation. La véranda possède des caractères constants d'une maison à l'autre. Elle est abritée latéralement par les murs (7) des grandes façades, qui forment une avancée. Elle se trouve en retrait par rapport à l'étage ou au grenier. Elle comporte trois piliers de bois (8), souvent décorés, établis sur la l a r geur de la maison et qui supportent l'avancée du grenier ou de l ' é tage. La figure 19 qui présente les façades de quatre types de maison, permet de voir que le rez-de-chaussée et son auvent ont la même structure architecturale quelle que soit la variété des types. Toutes les maisons limbu ont un grenier. Il peut être bas et complètement mansardé; ou bien spacieux, mansardé seulement sur les grandes façades, à pignons maçonnés sur les petites. Le grenier possède une fonction traditionnelle de réserve et d'entrepôt. Le nombre des ouvertures et leur situation dépend des types d'habitation. Le sol est de terre battue, supporté par une charpente en bois, soutenue elle-même par trois piliers. La charpente du toit est en bois et en bambou. Elle repose à la fois sur des piliers, dont le nombre varie au grenier et sur les murs portants. Le toit (9) est à quatre pentes. Deux d'entre elles partent de la poutre faftière, établie longitudinalement. Les deux autres, qui abritent les petits côtés de la maison, sont rajoutées. La couverture est en bambou et en chaume épais. L ' a c c è s au grenier se fait de l'intérieur, par une poutre encochée (10), une échelle de bambou ou un escalier de bois sans rambarde. La situation de cet accès varie. Fréquemment, il se trouve du côté de la façade principale. L'étage, lorsqu'il existe, présente un nombre très variable d'ouvertures (de 1 à 6); son accès se fait soit par l'intérieur, soit par l'extérieur; il peut ou non avoir un balcon sur ses quatre faces, parfois très décoré. Les dimensions des maisons varient du simple au double, parfois plus. Une maison de taille moyenne mesure sept mètres de long (véranda comprise), un peu moins de quatre mètres de large. Elle peut être haute de quatre mètres cinquante. Certaines maisons spacieuses atteignent approximativement une longueur de quinze mètres pour une largeur de huit mètres (11). 2. Les types de maison Pour soixante maisons représentant un ensemble de trois hameaux, nous avons relevé les principales caractéristiques de chacune d'entre elles, à savoir : l'existence ou non d'un étage : le nombre de familles conjugales qui y demeurent; sur combien de faces la maison est bordée d'une marche; les matériaux de construction des murs; 121
l'existence éventuelle de pignons; le nombre d'ouvertures au rez-dechaussée; le nombre de piliers au rez-de-chaussée, à la fois sous l'auvent et à l'intérieur; le mode d'accès à l'étage, quand ce dernier existe; le nombre d'ouvertures à l'étage; la disposition du balcon; le mode d'accès au grenier; le type d'élévation des murs du grenier; le nombre d'ouvertures au grenier et leur type; le matériau de couverture. A ces habitations étudiées dans un village donné et qui constituent un échantillon statistique de la fréquence des types, s'ajoutent dix-sept exemples analysés au hasard des déplacements dans d'autres villages. Ils permettent de préciser que la différenciation des types est valable pour l'ensemble de la Mewa Khola. Ces données permettent un premier regroupement selon trois types principaux d'habitation la maison sans étage, c'est-à-dire celle qui comporte un rez-de-chaussée et un grenier; la maison à étage; la maison temporaire dont les murs ne sont pas maçonnés, ou ne le sont qu'en partie; enfin, quelques types de maisons "aberrantes". a) La maison sans étage La maison sans étage, sur le plan architectural, connaît trois soustypes, dont les caractères généraux sont constants et mènent à une nette différenciation. Ces sous-types peuvent se définir comme "bas", "normal", et "élevé". - Maison sans étage, basse. Comme l'ensemble des autres types, cette maison est établie sur une fondation de pierre. Toutefois, cette fondation ne détermine une marche, le plus souvent, que sur la façade principale. C'est le type de maison à présenter les plus faibles dimensions (exemple : longueur 5, 5 m, largeur 3 m). Parfois, la porte secondaire n'existe pas. Il n'y a jamais de fenêtre. La véranda, comme l'intérieur du rez-de-chaussée, comporte trois piliers. Les murs du grenier demeurent à peine ébauchés, uniformément sur les quatre faces : il n'y a pas de murs de pignons. Le grenier est donc mansardé et bas sur ses quatre faces. Il ne comporte pas d'ouvertures. Trois piliers supportent, au grenier, la panne faftière. - Maison sans étage, normale. La fondation détermine une marche sur les quatre faces. Cette maison comporte toujours une porte secondaire avec parfois une fenêtre sur la même façade que cette dernière. La charpente de l'étage repose sur trois piliers extérieurs (véranda) et trois piliers intérieurs. Les murs du grenier sont plus élevés sur les grandes façades que ceux de la maison précédente. Sur les petits côtés, ils forment deux pignons qui sont percés de deux fenêtres, l'une sur le pignon de la façade, l'autre sur le pignon du fond. Ces fenêtres se situent au-dessus du toit rajouté des petites façades qui demeure bas. Au grenier, mansardé sur deux faces, la poutre faftière repose à la fois sur un pilier central et sur les deux pignons. Il peut se faire que la véranda, déjà protégée par le toit de la façade, le soit également par une cloison horizontale de bambou 122
qui est une amorce de balcon et permet d'entreposer des légumes à l'abri de la pluie. - Maison sans étage, haute. Les caractères généraux de ce soustype sont les mêmes que ceux de la maison précédente. Ils diffèrent par les aspects suivants : les murs des grands côtés sont encore plus hauts que ceux du type précédent. C'est déjà l'amorce d'un étage L'un d'entre eux, celui qui domine la rivière, peut parfois être percé d'une fenêtre centrale. D'autre part, et c'est la distinction principale avec le type précédent, les fenêtres des pignons sont au-dessous des toits de pignon. b) La maison à étage Quel que soit l'agencement interne de la maison à étage et le nombre de familles qui l'habitent son aspect extérieur présente des caractéristiques assez peu différenciées. Le rez-de-chaussée, de même structure architecturale que celui de la maison sans étage, est plus vaste et légèrement plus élevé. La fondation détermine une marche sur les quatre faces. La porte secondaire se trouve, comme dans la maison sans étage, sur la longue façade qui domine la rivière. Le nombre des fenêtres, dans la pièce du bas, varie. Il y en a au moins une ou deux sur la longue façade côté crête. Toutefois, aucune sur les petites faces de l'habitation, ni au fond, ni devant. La porte principale, comme dans la maison sans étage, s'ouvre sur l'une des petites faces de l'habitation. Un toit peut être rajouté juste au-dessus de la véranda, indépendant du toit de pignon. Lorsque les dimensions de cette maison demeurent réduites, la charpente qui supporte l'étage est du même type que celle de la petite maison : supportée par trois piliers extérieurs et trois piliers intérieurs. Toutefois les solives se prolongent pour déterminer la charpente du balcon. L'accès à l'étage peut se faire de l'intérieur, par une poutre encochée, une échelle de bambou ou un escalier de planches sans rambarde. Cet accès se trouve généralement dans le devant de la maison, soit près de la porte principale, soit près de la porte secondaire. En général, l'accès par l'intérieur est réservé à la grande maison, qui n'abrite qu'une famille. Lorsque la grande maison est utilisée, ou a été utilisée par deux familles (12), l'accès à l'étage se fait par un escalier de pierre ou de bois situé sur l'une des longues façades, fréquemment du côté de la rivière, commençant au niveau de la façade principale. On emprunte alors le balcon qui mène à une porte située au centre de la façade de l'étage. L'accès ne se fait jamais par les petits côtés de la maison. A l'étage, le nombre d'ouvertures et leur type varie. Les maisons luxueuses possèdent trois portes, sur les deux façades longues et la façade principale, toutes centrales. Chacune d'entre elles est flanquée latéralement de deux fenêtres grillagées de bois. Dans ce cas, un balcon de bois, à la rambarde très ouvragée, permet la 123
communication sur les quatre faces. D'autres cas, à l'architecture moins élaborée, comptent moins d'ouvertures. Le balcon n'est plus en bois assemblé, mais en bambous liés. Il n'entoure la maison que partiellement : sur trois faces (à l'exclusion du fond); sur deux faces (à l'exclusion du fond et de la longue façade côté crête); sur une face (principale). Le nombre de piliers à l'étage est en général au nombre de trois ou quatre. Le grenier est du même type que celui de la maison sans étage, normale : mansardé sur les longues faces, à pignon sur les petites, avec deux fenêtres au-dessus du toit rajouté. Fréquemment, la charpente du toit de la maison à étage est plus compliquée que celle de la maison sans étage. Parfois, la grande maison possède des dimensions notablement plus importantes (15 m de long, 7 m de large). Une trop grande maison voit éclater sa structure interne qui se reforme d'une autre façon. La maison limbu possède donc un agencement qui est partiellement fonction de ses dimensions (13). c) L a maison temporaire Alors que la maison permanente s'appelle him (L), la maison temporaire est appelée yâksâ (L) (14). Elle présente principalement deux variantes. Le type le plus fréquent possède une charpente entièrement en bois ou en bambou. Les murs sont obtenus par remplissage : claies de bambou couvertes de crépi, planches verticales juxtaposées, etc. Parfois, l'un des murs est maçonné : c'est en général celui de la façade. La structure de cette maison tend à se ramener à celle de la maison sans étage, basse : une porte principale sur la petite façade, rarement une porte secondaire; il y a en général un grenier. Un autre type présente une structure différente. C'est une construction du type "maison à étage, basse ou normale", mais dont la grande façade, côté rivière, sert de façade principale, d'une part (c'est-à-dire comporte porte principale et véranda), et d'autre part est constituée par remplissage en matériaux légers : planches verticales juxtaposées ou claies de bambou enduites de crépi. En fait, ce type de maison temporaire est une dépendance (matáne) (N) (15) (cf. ci-dessous), aménagée pour l'habitation. d) Maisons de types "aberrants" L'ensemble des maisons de types aberrants se ramène principalement à deux possibilités. Souvent, c'est une construction avec ou sans étage dont les aménagements masquent les caractères traditionnels. Qu'ils aient été effectués en cours de construction ou ultérieurement. Les plus visibles de ces modifications affectent la véranda et les ouvertures : leur ensemble se trouve sur la longue façade du côté de la rivière, plus rarement de la crête. .Intérieurement, ce type de maison com124
porte deux foyers séparés par une cloison qui coupe la maison dans la largeur, à hauteur du pilier central. En fait, ce type de maison, comme la maison à étage, est aménagé pour permettre la cohabitation de deux familles. Mais au lieu d'habiter l'une au-dessus de l'autre, comme dans la maison à étage, elles résident l'une à côté de l'autre. La cloison se retrouve à l'étage, lorsque ce dernier existe. Enfin, beaucoup plus rare est la maison dont la base n'est plus rectangulaire, mais carrée. C'est le type d'habitation des Sâtihanmâ (L), les "ascètes" limbu (16). Le premier étage est réservé au culte. Dans l'ensemble des trois hameaux, la maison sans étage est la plus fréquente. Il y en a deux fois plus que des maisons à étage ; trois fois plus que des maisons temporaires. Le type le plus souvent rencontré de la maison sans étage est celui que nous avons défini comme "normal". Le point important de cette répartition statistique nous paraît être la multiplicité des types et des sous-types, d'une part, et le fait d'autre part, qu'aucun type particulier ne prédomine massivement. n . LES DEPENDANCES DE LA MAISON, SON ENVIRONNEMENT La fonction de la maison limbu est avant tout d'habitation. L'exploitation, c'est à l'extérieur de la maison qu'elle s'organise, dans des dépendances disséminées autour de la cour intérieure. Les animaux domestiques, exception faite de quelques cas particuliers, n'ont pas accès de façon permanente, à l'habitation. Quelques maisons riches possèdent une dépendance principale, appelée matâne (N), construite en dur, de façon élaborée. Dans les autres, qui sont la majorité, les dépendances sont des constructions précaires, "bricolées". Nous aborderons ici la maison en tant qu'exploitation agro-pastorale, dans sa totalité : après une rapide description des dépendances, nous dirons quelques mots de l'environnement général. La figure 22 présente un exemple de la situation des dépendances par rapport à l'habitation. Il est représentatif de la plupart des maisons étudiées. Seul aspect un peu exceptionnel : l'importance et le nombre des divers potagers. a) La cour intérieure Chaque maison, sans exception, est flanquée d'une cour intérieure, qui lui est adjacente, appelée âgan en nepâli, lokkhum en limbu (17). Les autres dépendances peuvent être disséminées dans les champs en terrasse, immédiatement supérieurs, ou inférieurs, à celui de la maison. Il n'en est pas de même pour la cour : elle est toujours au même niveau que l'habitation, légèrement plus basse seulement, du fait que la maison est surélevée par la fondation. Une ville, dans les 125
collines, est considérée comme belle lorsqu'elle est plate (18). Une maison, en partie, est riche quand sa cour est vaste : c'est, rappelons-le, l'un des seuls lieux de socialisation du village. Établie en général devant la porte principale et la véranda, elle prolonge la maison sur sa façade principale, c'est-à-dire le plus souvent, sur l'un de ses petits côtés. Plus rarement, elle peut entourer la maison sur deux faces. Son sol est de t e r r e battue. On l'entretient assez régulièrement, y passant un enduit où terre glaise, bouse de vache et eau sont mélangées (19). Son accès est interdit aux bovins, aux porcs, aux ovins quand ils existent. Elle est donc entourée, sur ses accès, par des murettes de pierres sèches, au pire, par des clôtures de bambou (20). Il faut escalader ces obstacles pour atteindre la maison. Seules les poules, les chèvres, au râtelier, les chiens et les chats peuvent y circuler. Elle fait partie, culturellement, de la maison. Au centre de la cour est planté un mât de bambou yâgesin (L), linga (N) (21), d'utilisation rituelle. On le renouvelle chaque année. On peut y disposer également une plate-forme utilisée comme grenier à mai's tângrà (N) ou, après la moisson, celle de la réserve de paille, mâc (N). Parfois, les poteaux permanents du métier à tisser; souvent, un portique simple de bambou pour étendre les habits. b) Le matâne (N), dépendance principale C'est autour de la cour que s'organisent les principales dépendances de la maison. La plus importante, qui n'existe à Libang que chez les riches, 11 maisons sur 58, s'appelle le matâne (N). C'est un bâtiment construit en dur, à peu près de la même façon que la maison sans étage, mais de dimensions plus réduites. Au rez de chaussée, il est complètement ouvert sur la longue façade qui domine la rivière. Il est situé en général de l'autre côté de la cour intérieure, par rapport à la maison. Il regroupe plusieurs fonctions. Ainsi, au rez de chaussée, il abrite l'appareil à décortiquer le grain (dhiki (N) ), la r é s e r ve de bois de chauffage, parfois une ou deux meules (jâto N) (22). Il sert d'entrepôt pour certains outils agricoles (araire, joug, etc.). Au grenier, on y stocke du grain. Il est surtout fréquenté par les femmes, à certaines heures de la journée, en général avant les r e pas. Lorsque la maisonnée grandit, qu'elle tend à se segmenter, le fils marié peut venir y habiter. Le matâne, aménagé, devient alors, comme on l'a vu plus haut, "maison temporaire". On y loge les invités. Le gendre, lorsqu'il rend visite à son beau père, s'y installe. Il peut être utilisé pour abriter les malades : on suppose que leur mal est lié au site de la maison. On les transporte donc dans le matâne. Fréquent chez les Chetri et les Bahun, le matâne demeure assez rare chez les Limbu. A Libang, lorsqu'il n'existe pas, les fonctions qu'il regroupe sont disséminées dans d'autres dépendances. c) L'appareil à décortiquer le grain, dhiki (N) Pour décortiquer le grain, les Limbu utilisent deux types d'outils : 126
soit le mortier traditionnel en bois, okhal (N), qui demeure sans a bri, dans la cour. Soit le dhiki, à levier, sans doute d'un emprunt récent qui n'existe que dans les maisons riches. Lorsque le matâne n'existe pas, il est établi sous un abri de structure légère, fait d'une charpente de quelques poteaux de bois ou de bambou recouverte par des nattes et situé à la place du matane. d) Le bûcher (23) Plusieurs mois avant la mousson, on débite à la hache le bois de chauffage qui sera utilisé tant que dureront les pluies. Mis à sécher quelque temps dans la cour, les bûches sont ensuite rangées sous un auvent qui les met à l'abri de l'averse : ce peut être une partie du balcon; ce peut être à côté du dhiki (N); parfois, c'est un appentis aménagé au-dessus de la porcherie. Parfois, c'est un abri indépendant situé près de la porte secondaire de l'habitation. e) Le poulailler (24) A cause des bêtes sauvages qui s'aventurent la nuit dans le village, on enferme chaque soir les poules. Le poulailler est souvent une cavité aménagée dans la marche qui entoure la maison ou le matâne. Il est fermé par deux planches coulissantes du type "à guillotine". P a r fois les poules sont simplement enfermées sous un panier renversé, que l'on rentre dans la maison. Dans la journée elles sont en liberté. f) La porcherie (25) La porcherie est un simple enclos de pierres sèches construit de la même façon que le mur qui cerne la cour et faisant parfois, d'une façon ou d'une autre, corps avec lui. Elle est fermée par deux ou trois bambous qui coulissent. Elle comporte une litière, parfois grossièrement couverte de planches, et une auge faite d'un tronc évidé. Elle est souvent située plus bas que la maison, dans le champ en t e r r a s s e qui lui est immédiatement inférieur, à proximité de la porte secondaire. Selon le type d'élevage, la porcherie peut comporter deux compartiments. g) L'abri des chèvres (26) D'un aspect tout différent de la porcherie, se trouve être l'abri des chèvres. C'est une cage de bambou tressé, couverte par une natte. Il se trouve à cheval sur deux t e r r a s s e s , donc en partie sur pilotis. La porte est constituée d'une claie de bambou, la partie de l'abri reposant sur pilotis est dotée d'un plancher tressé de façon très lâche, permettant le nettoyage. Le fumier est récolté sous ce plancher, sur la t e r r a s s e inférieure. Cet endroit s'appelle ghuryân (N). Un r â telier extérieur est planté dans le sol près de la porte. L'abri des chèvres est également situé, souvent, près de la porte secondaire de la maison. 127
h) L'abri des jeunes bovins (27) Les grands troupeaux estivent; les petits passent à longueur d'année de jachère en jachère entre la crête et la rivière. Les bêtes sont rarement à la maison. Toutefois, il est assez fréquent que l'on garde une vache laitière ou une bufflonne avec son veau ainsi qu'un mâle, pour les labours. De même, lorsque le cheptel est trop peu nombreux, on garde les bêtes à la maison. Elles sont au piquet, près d'un auvent traditionnel qui abrite les veaux, généralement de l'autre côté de la façade principale. i) Le rucher (28) Les ruches sont de deux types. Soit elles sont aménagées dans l'épaisseur du mur de la maison, avec deux parois de planches : l'une extérieure, fixe, et percée d'un trou; l'autre, amovible de l'intérieur, pour le nettoyage. Soit c'est un tronc d'arbre évidé et muni de cloisons à ses deux extrémités, qui prend place le plus souvent sur l'amorce de balcon de la façade principale. j) Les potagers (29) Chaque maison compte au moins deux potagers. L'un d'eux doit se situer dans un endroit frais et ombragé pour la culture des légumes verts. Pour des raisons d'exposition, il se trouve donc fréquemment à l'inverse de la façade principale. L'autre est situé généralement dans le champ en terrasse que domine la cour intérieure. Chaque potager est enclos par des bambous. k) Les arbres (30) Une partie des arbres utiles se trouvent dans le potager, mélangés aux plantes et aux arbustes. D'autres, tels que bananiers, citronniers, mandariniers bordent la cour intérieure sur l'une de ses faces, ou la prolonge. D'autres sont disséminés, très isolés, dans les champs en terrasse qui entourent la maison. Ils sont utilisés à des fins diverses : alimentaires, médicinales, autrefois teinture, etc. La plupart des feuillages servent de fourrage pour les chèvres et parfois les bovins. A la fin de la saison sèche, les troncs sont nus. Parmi les arbres qui demeurent dans l'espace cultivé, citons les gros bosquets de bambou, assez souvent près des ruisseaux; leur utilisation dans la vie quotidienne est évidemment d'une grande importance. Enfin il y a les arbres des forêts sur les crêtes près de la rivière, parfois à mi-pente. Ce sont eux qui fournissent l'essentiel du bois de chauffage et du bois de construction. 1) Les chemins (31) Il y a donc un chemin près de la crête, emprunté l'été; un chemin près de la rivière, emprunté l'hiver. Il y a également un chemin "plat" (terso (N) ) qui traverse le village, parallèlement aux deux premiers : ce sont les chemins de "l'administration", entretenus 128
chaque année par des corvées, sous la responsabilité des subba (N). En général les habitations ne sont pas organisées par rapport à ces types de chemin. Le village possède son propre réseau de sentiers qui recoupe "verticalement" les chemins précédents. m) La fontaine (32) Une fontaine est utilisée par un ensemble d'habitations situé à la même altitude. C'est-à-dire que sur un même torrent, les fontaines sont superposées les unes aux autres, à des altitudes différentes. Le torrent est barré en partie, ou en totalité, par ion mur de pierres sèches. L'eau est canalisée par une pierre plate, creusée de façon semi-cylindrique ou par une moitié de bambou. Elle tombe d'une hauteur de cinquante centimètres à un mètre cinquante. Les femmes y viennent puiser, s'y laver, y laver leurs vêtements, rincer le grain pour certaines préparations alimentaires. Les hommes y viennent aussi. Un roulement s'établit selon les heures. Au petit matin, c'est souvent le lieu où se prolongent les flirts d'adolescents qui ont passé leur nuit à danser. Il y a toute une "mythologie" autour des fontaines et des torrents. Non seulement religieuse, institutionnelle, mais aussi quotidienne, non cristallisée, intégrée à la vie du village. C'est là que se préparent les mariages "par enlèvement". C'est par le torrent qu'une jeune épouse, non consentante, cherche à fuir, en ayant fait semblant de venir puiser de l'eau. C'est une limite toute trouvée à la scission des territoires claniques qui suit l'inceste. La mère y mène souvent ses petits enfants. Nombreux sont les récits d'enfance qui prennent place près de la fontaine. Avec la maison et la cour intérieure, c'est un autre lieu de socialisation dans le village. Les fontaines sont différentes selon les castes. On distingue les fontaines selon leur pureté qui est souvent assimilée à leur fraîcheur. n) Les champs (33) Les champs sont disséminés, selon les ceintures d'assolement, à diverses altitudes. Les parcelles les plus lointaines sont parfois à une demi-heure de marche. III. L'INTERIEUR DE LA MAISON En nous reportant à la figure 23, pénétrons maintenant à l'intérieur de la maison. 1. Le rez-de-chaussée La véranda se dit sikuwâ en nepâli (34). Son sol est de terre battue, entretenu avec le même soin, et en même temps que celui de l'inté129
rieur du rez-de-chaussée. Trois piliers en général soutiennent le plafond. Dans le coin, près de la porte principale, une meule (jâto, N) est assez souvent installée. Parfois, un bambou horizontal suspendu au plafond à ses deux extrémités, contre le mur, permet de suspendre une couverture ou des habits. Au-dessus de la porte, souvent, le portrait du couple royal népalais; des photos des membres de la maisonnée : militaires de carrière en uniforme, jeunes femmes chargées de bijoux; propriétaire figé au garde-à-vous; enfin, des r e p r é sentations naiVes de ganeé, des nâgini, etc., rapportées des migrations assamaises; une minuscule cavité triangulaire dans la paroi du mur : elle sert d'étagère. Glissés dans les solives du plafond, canne, parapluie, chaussures, arc à balle, lien du joug,etc. En fait, la véranda est une aire à peu près nue. Elle ne comporte pas de mobilier. Elle peut être parfois décorée. On pénètre à l'intérieur du rez-de-chaussée (35) par une porte à double battant, s'ouvrant vers l'intérieur et qui peut se verrouiller à la fois de l'intérieur et de l'extérieur. Passée la porte, toute la pièce d'habitation s'étend devant soi. Toutefois, à mi-hauteur, juste devant, un petit mur maçonné détermine une sorte de chicane et s ' é tend jusqu'au centre de la pièce. Plusieur justifications sont données à sa présence : il coupe le vent; il dissimule les femmes en train de cuisiner aux regards des étrangers installés sur la véranda; il abrite les aliments du regard des sorciers, des jaloux. Cette murette sert fréquemment d'étagère. On y voit paniers, vans, couteau népalais (khukuri (N) ). C'est la place traditionnelle de la minuscule lampe de fer blanc à pétrole ou de la belle lampe de laiton achetée aux Newar. Assez souvent, c'est dans cette partie de l'habitation, entre la murette et la porte principale, que l'on a accès au grenier, ou à l'étage, par une grande ouverture rectangulaire dans le plafond et une poutre encochée posée presque verticalement contre la paroi. Lorsque la meule ne se trouve pas sur la véranda, elle est installée sous la poutre encochée. Dans certains cas, réserve d'eau et vaisselle y sont établis. C'est au-delà de la murette que se passe la vie de la famille. L'espace qu'elle détermine avec la porte d'entrée, possède une fonction assez mal définie de seuil. Indifféremment, c'est sur la véranda, ou en ce lieu qu'on laisse ses chaussures avant d'entrer; c'est là qu'on enferme les poulets pour la nuit quand il n'y a pas de poulailler; certaines castes inférieures aux Limbu s'y voient servir leur repas (Sherpa, Bhotiya, Tamang). Les membres de la maisonnée n'y demeurent pas. C'est un lieu de passage vers l'extérieur ou vers l'étage, emprunté surtout par les hommes. A gauche en entrant, contre le parement intérieur du mur de façade, entre le pilier latéral et le coin près duquel s'ouvre la porte secondaire, on trouve la réserve d'eau (36). C'est une succession d'étagères superposées. Au plus bas, à même le sol, entre deux socles maçonnés, une réserve de t e r r e glaise pour enduire le sol de la maison. Au-dessus, sur des planches, les récipients d'eau, deux, 130
trois ou quatre selon l'importance de la maisonnée. Le plus souvent ce sont des gâgri (N) de cuivre ou de laiton. Les femmes les emportent dans des paniers à bandeau frontal pour aller puiser de l'eau à la fontaine. Dans les maisons pauvres, ils sont remplacés par des tubes de bambou. Chez les riches, on trouve en outre des pots de t e r r e gâgro (N) de la même forme que ceux de laiton, utilisés pendant la mousson parce qu'ils conservent la frafcheur. A côté de ces réserves d'eau, sur la même étagère, les grands plats de cuivre destinés à la cuisson du riz, des légumes, de l'éleusine, pour faire la bière; parfois une théière en aluminium achetée dans les plaines. Audessus encore, sur une autre étagère, d'un côté, les beaux plats de cuivre dans lesquels on sert à chacun le riz du repas; de l'autre, des petits pots de laiton lohotâ (N), à usages multiples (boire l'eau, se rincer la bouche avant et après le repas, etc.). Enfin, sur la planche la plus élevée, d'un côté les tongba de bois tourné pour consommer la bière à l'aide d'un chalumeau; de l'autre les batuko (N) qui servent indifféremment comme bol pour les légumes ou comme verre pour l'alcool. On trouve également des bouteilles en bois pour l'alcool, des louches diverses, d'autres ustensiles encore, différents d'une maison à l'autre. Le pilier latéral qui soutient en partie la charpente de l'étage, est adossé à la cloison entre la porte principale et la réserve d'eau. On y suspend divers récipients, souvent les bidons de lait. A son pied, le petit balai, parfois une hache, un marteau, une masse, outils récemment acquis à grand-peine lors des migrations saisonnières vers les plaines. La porte secondaire est du même type que la porte principale. Elle s'ouvre sur la face longue de la maison, pas très loin de la r é serve d'eau. Verrouillée, elle ne peut s'ouvrir de l'extérieur. Cet espace limité par le pilier latéral, la porte secondaire et l'extrémité de la murette (fig. 23), est donc dominé par la présence de la réserve d'eau. Le sol en est généralement humide. On y entasse la vaisselle sale. Un trou creusé en terre, permet un écoulement t r è s partiel des eaux grasses : généralement, on les jette au.delà de la porte secondaire devant laquelle elles provoquent en permanence un cloaque. La présence épisodique des femmes y domine : avant les repas, pour puiser l'eau, après, pour la vaisselle. Elles ne s'y asseyent pas. Elles s'y tiennent accroupies. Les hommes ne s'y installent jamais. Pour des raisons de contacts socio-culturels, vraisemblablement, c'est un lieu également mal défini. Sa vocation est double. Loin de l'eau, il est aussi, dans sa partie sèche, en s ' e n fonçant vers le pilier central, vers l'intérieur de la pièce d'habitation, l'endroit où l'on reçoit les hautes castes qui entrent parfois à la maison pour discuter, prendre le thé : Bahun, Chetri, Newar. Sans doute, autrefois, n'en était-il pas exactement ainsi. Enfonçons-nous maintenant vers l'intérieur de la maison. Il est constitué de deux parties qui se font face, l'une basse, l'autre légè131
rement surélevée, où se trouve le foyer. La première est limitée par le mur où est percée la porte secondaire (37); la moitié du petit mur du fond; et les deux piliers, celui du fond et le pilier central (cf. fig. 23). Cet ensemble constitue un long rectangle. En principe il est dégagé, presque sans mobilier, si ce n'est vers le fond. On trouve seulement un bambou horizontal, suspendu à mi-hauteur par des liens accrochés au plafond, presque contre la cloison, juste a près la porte secondaire, du même type que celui de la véranda. Il permet d'y ranger le matériel de couchage. Au-dessous, sur le sol, une natte pour s'asseoir. Parfois des ustensiles qui sont en train de servir ou vont servir : panier plein de riz décortiqué, van rempli d'éleusine, bofte à beurre, etc. Par contre, au fond, l'entrepôt est permanent : assez souvent, un coffre de bois ouvragé qui ferme à clef, et contient une partie des réserves d'utilisation prochaine; des barattes, des récipients de bambou divers; un bidon de fer blanc, une louche à lait peuvent être rangés sur des étagères qui courent le long des murs ou sont suspendus soit au pilier latéral, soit à la cloison, par des pitons. Parfois, vers le fond, la petite fenêtre sert également d'étagère. Enfin fréquemment, des pots de terre sont disposés à même le sol, couverts des linges les plus chauds que possède la maisonnée et de paniers renversés : c'est le grain en train de fermenter. Ce coin du fond est en effet considéré comme le plus chaud de la maison. En général, les habitants ne s'y tiennent pas : ils sont tous réunis autour du foyer. Ce sont les visiteurs qui s'y installent. On précisera de quelle façon en abordant l'étude de la structure interne. Pour accéder au coin du foyer, il faut franchir une petite m a r che d'une dizaine de centimètres de hauteur. Cette marche (38), part en général du pilier du fond, passe près du pilier central et aboutit à l'extrémité de la murette. L'ensemble du coin foyer est donc légèrement surélevé et détermine une longue plate-forme rectangulaire, qui va de la murette au fond de la maison. Il est clos sur trois faces, limité sur sa face ouverte par les deux piliers. D'où que l'on vienne, pour y accéder, il est nécessaire de franchir la marche. Le foyer a la forme d'un cratère creusé dans le sol de la maison, s'élevant d'une dizaine de centimètres, en pente douce jusqu'à une cavité c i r culaire pleine de cendres et de braises : trois pierres s'y trouvent dressées, chacune d'une forme évoquant la pyramide tronquée. De plus en plus, ce foyer de pierre est remplacé par un foyer circulaire en fer, comportant trois, quatre et même six pieds, acheté à Dharan. A bonne hauteur, juste au-dessus du feu, un crochet de bois accroché par un lien aux solives. A côté de lui, un plateau rectangulaire de bambou tressé, suspendu aux quatre coins. Tous les deux sont utilisés pour le séchage des aliments : fumer le poisson, faire sécher le mai's frais pendant la mousson; entreposer les restes; a c crocher la viande lors des fêtes. Au-dessus encore, un dispositif de bambous fixés aux solives permet le séchage des bambous, des 132
bois à durcir. Il n'y a pas de cheminée. Au moment des repas, la maison est enfumée. Une mauvaise aération s'effectue par quelques trous percés dans la muraille et par les évidements entre les solives et les sablières, le long des murs. Ces diverses cavités servent également à de minuscules rangements. L'intérieur de la maison, crépi comme l'extérieur en deux couleurs, ocre en bas, blanc en haut, est noirci largement par la fumée, comme le sont totalement toutes les pièces apparentes de la charpente. Disséminées sur le sol, autour du foyer, des petites nattes rondes qui marquent la place des femmes; des ustensiles divers : chalumeau pour attiser le feu, mortier pour écraser le sel et les épices, bouteilles de contenances diverses; billot rectangulaire pour la viande; sabre népalais et coupe-coupe que l'on vient d'utiliser; récipients culinaires. Au mur du fond, dans des tubes de bambou suspendus, la réserve de sel, de piments, d'épices; un pot à beurre; les chalumeaux des tongba, utilisés par les membres de la maisonnée et leurs familiers; parfois une balance; des petits paniers tressés à trois éléments qui peuvent contenir des oeufs, quelques légumes, etc. Enfin contre le mur du fond, un coffre de bois qui contient principalement la réserve de beurre (quand il y en a), celle de pétrole et des provisions d'utilisation prochaine. Les rats, les souris sont fréquents dans les maisons. Toute la nourriture doit être enfermée ou suspendue. Du foyer à la murette, un espace dégagé : une natte de paille de riz y est souvent installée, à même le sol. Elle fait vis-à-vis à celle qui se trouve au-delà du pilier central, dans la partie "basse" de la maison. On aura à en reparler. 2. Le grenier (39) Le grenier est lieu de réserve et d'entrepôt. A titre secondaire, on peut y dormir : les parents conservent la jouissance du rez-de-chaussée; le fils qui vient de se marier s'installe au grenier, avec sa femme, pour la nuit. Ce que l'on trouve au grenier, ce sont d'abord les réserves alimentaires. Celles de grain sont enfermées dans des sacs de fibres végétales (riz), ou de hauts paniers cylindriques enduits de boue séchée (riz, orge, blé). L'éleusine non dépiquée peut être abandonnée dans un coin à même le sol. Les semences sont conservées dans des paniers couverts d'enduit mais plus petits et munis d'un couvercle; ou parfois chez les riches, dans des bidons de fer blanc qui ont servi autrefois à contenir du pétrole. Haricots, lentilles, etc., sont dans des paniers à armatures serrées; le sel, dans un sac suspendu, comme les pommes de terre, à moins qu'elles ne soient dans le coin opposé à l'éleusine et comme elle, à même le sol. Les riches ont également une petite réserve de thé, de piments, parfois même de 133
poivre en grains, d'épices achetées au marché. Le mai's, s'il n'est pas sur une plate-forme de la cour intérieure, est suspendu sous le toit, à l'extérieur, sur les quatre faces de la maison. Ces stocks, bien sûr, alternent selon les mois, en fonction du calendrier agricole. Ils culminent durant l'hiver. Dès le mois de mars, ceux de la plupart des maisons sont très réduits. On trouve également au grenier un ensemble d'instruments d'utilisation courante dans les techniques quotidiennes : métier à tisser que l'on suspend pendant la mousson; paniers et nattes de toutes formes et de toutes dimensions; outils agricoles tels, surtout, les houes, et les faucilles; poteries de l'alambic; bidons et barattes de l'élevage; vaisselle diverse, le plus souvent abandonnée, parce que fêlée ou cassée; vêtements usagés. L'ensemble de ces objets, outils et réserves alimentaires, ne semble pas avoir de place déterminée. On les trouve rangés en des endroits divers selon les maisons. Par contre, ce qui suit est toujours disposé de la même façon, d'un grenier à l'autre. C'est d'abord un autel à Yumâ (L); le seul autel permanent de la maison limbu. Constitué d'un pot de cuivre rempli de feuilles, entouré de lampes à beurre, d'une épée, d'un bouclier, d'un tambour quand la maison en possède un, cet autel se trouve toujours dans la partie du grenier qui domine le coin foyer, vers la façade principale, le plus souvent dans un coin, sur une étagère. Ce sont ensuite des coffres en bois, de dimensions et de nombre variables, du même type que ceux du rez-de-chaussée. Une maison riche, au total, peut en compter six ou sept. Une maison pauvre, un petit. Les uns sont utilisés par les hommes. Ils abritent papiers officiels, titres fonciers, reconnaissances de dettes, titres de prestations matrimoniales; reconnaissances d'hypothèques; de l'argent monnaie, et, quand il y en a dans la maison : des habits neufs. Ils sont toujours rangés le long des murs qui se trouvent audessus du foyer. Les autres sont la propriété des femmes. Elles y rangent papiers, vêtements, bijoux, horoscopes des enfants, amulettes diverses, etc. Ils sont installés en face des précédents, contre l'autre mur. 3. L'étage (40) L'étage, lorsqu'il existe, n'a pas réellement de fonction qui lui soit propre. Si la maison est habitée par deux familles, ou une grande famille en voie de segmentation, s a structure renouvelle le plus fidèlement possible celle du rez-de-chaussée avec foyer, réserve d'eau,etc. Seule la murette disparaît, puisque l'entrée se fait latéralement par une porte centrale. En quelque sorte la maison comporte alors deux rez-de-chaussée, l'un au-dessus de l'autre. La comparaison qui s'impose est celle d'un immeuble, avec appartements superposés. Si la maison, au contraire, n'est plus occupée 134
que par une seule famille, l'étage possède exactement la même fonction qu'un grenier. Enfin, dans certains cas, où la maison est très riche et très spacieuse, il y a dédoublement des fonctions traditionnelles de la pièce d'habitation, entre le rez-de-chaussée et l'étage. Il est assez fréquent, dans ce dernier cas, de voir apparaître des cloisons intérieures. NOTES 1. Cette marche, que détermine la fondation, est appelée kubun (L) (CJ, p. 45), phediennepâli (T, p. 410). La fondation elle-même est appelée himlân (L), j a r ( ? ) (T, p. 206), ennepâli. Sur la maison limbu contemporaine, cf. Caplan (1966), p. 34 sq. ; Caplan (1970), p. 20-21. BistaD. B. (1967), p. 41. En limbu la maison s e d i t h i m (CJ, p. 333)oukhim (CJ, p. 68, H, p. 5);ennepâli, ghar(T, p. 154); en tibétain, khyim (H, p. 5). Le maître de maison se dit himdâftbâ ou himdânmâ selon que c'est un homme ou une femme (CJ, p. 333). On trouve également pour "maison" dans le sens approximatif "d'établissement humain", le mot pan (CJ, p. 167), qui entre dans la composition de certains mots limbu tels que pânthok (CJ, p. 168), "le site de la maison" ou pânphe (CJ, p. 167), le "village". 2. La cour intérieure : lokkhum (L) (CJ, p. 266), âgan (N) (T, p. 31). On trouve également le mot de tâkten (CJ, p. 346) en limbu qui, dans la Mewa Khola apparaît dans les seuls noms propres de hameaux, par exemple. 3. Les étages. En limbu le rez-de-chaussée se dit muthâkpâ (CJ, p. 215), l'étage lumthâkpâ (CJ, p. 260), le grenier thânthâkpâ (CJ, p. 124). Thâk signifie la génération, le mur, l'étage (CJ, p. 123); thâkthâkmâ, tiss e r (CJ, p. 123); mu désigne le bas (exemple : mukonde, la lèvre inférieure (CJ, p. 214); lum, le milieu (CJ, p. 260); thân, le haut et, également, la réserve (CJ, p. 124). Quand la maison ne comporte pas d'étage, le grenier est désigné par le seul mot de thân. Le mot yoktubâ signifie également coin de réserve (CJ, p. 240). 4. La porte principale est appelée yombâ lâmthe; parfois hân lâmthe; la porte secondaire cukpâ lâmthe. Yombâ signifie grand (CJ, p. 243); cukpâ, petit (CJ, p. 89). Pour "porte", on trouve lâmtheppâ dans CJ, p. 252. 5. La véranda est appelée sikuwâ (T, p. 605) en nepâli, khâmdun, en limbu; le sol en t e r r e battu est appelé âmpho (CJ, p. 9) que l'on trouve dans le composé sin âmphe (CJ, p. 295) : plancher. 6. La fenêtre se dit jhyâl (T, p. 238) en nepâli, kuhon ou himhon, "le trou de la maison" (CJ, p. 334) en limbu. On trouve également dans CJ les mots hon khâribâ (CJ, p. 342) et hon pit (CJ, p. 342) (pit désignant la vache). Alors que les rituels sont t r è s fréquents autour des portes, tant à l'occasion des fêtes népalaises (dasaï, nâg pancami, etc.) que des offices limbu (naissance, mariage, mort, défense contre les esprits,etc. ), ils p a r a i s sent inexistants près des fenêtres. Les fenêtres sont basses : ce fait est à mettre en relation avec la station assise à l'intérieur de la maison. 7. Le mur se dit gâro en nepâli, lun thâk (CJ, p. 258) en limbu. 8. Le pilier se dit thâm en nepâli (T, p. 296) sit lân (CJ, p. 298, 348) en limbu. Un poteau se dit khambâ en nepâli, toklân en limbu (CJ, p. 118). 9. Le toit se dit chànà en nepâli (T, p. 194) khâmbu en limbu (CJ, p. 65). 10. La poutre encochée qui mène au grenier ou à l'étage se dit thobe (CJ, p. 139) dans la Mewa. On trouve également les mots de nân seppâ (CJ, p. 142), et sin thâre (échelle) (CJ, p. 296), dans CJ. 135
11. Une étude antérieure a été effectuée par Caplan sur l'habitation limbu dans la région d'Ilam. Cette étude fait corps avec la thèse dactylographiée (p. 34) que l'auteur a déposée à la School of Oriental and African Studies. Caplan distingue quatre types de maison : a) Le plus simple, le moins cher : un mur de pierre et de boue, trois m u r s de claies de bambou recouvertes de boue séchée, la pièce principale atteint 10 pieds sur 12, la couverture est de chaume. Cette maison c o r r e s pond à ce que nous appelons la "maison temporaire". b) Un peu plus grand que le précédent : quatre murs de pierre, fondation de pierre de trois pieds de profondeur, une seule pièce plus un grenier, la couverture est en chaume. Cette maison correspond à ce que nous appelons les trois types de "maison sans étage". c) Encore un peu plus grand (20 pieds sur 30) : deux étages avec grenier, cuisine normalement au rez-de-chaussée, les habitants dorment aux deux étages, il peut y avoir une séparation entre les groupes de dormeurs; étroit balcon éventuel à l'étage, couverture de chaume. d) Le plus grand (25 pieds sur 40) : deux étages avec grenier, cloisons de bois qui séparent les deux étages en plusieurs pièces, porche protégé par un auvent de bois, toit de tôle. Ces deux derniers types correspondent à ce que nous appelons la "maison à étage". 12. Les aspects sociologiques de la composition des maisonnées seront étudiés ultérieurement. 13. Les dimensions de la maison limbu sont liées à celles du corps humain. Pour calculer la hauteur du plafond, par exemple, on compte une taille d'homme plus une coudée. Il semble qu'empiriquement, il existe une distance entre le foyer et l'eau, diamétralement opposés dans la pièce d'habitation qui ne peut être dépassée; lorsqu'elle l'est, des cloisons apparaissent et l'organisation de la pièce d'habitation se reforme dans cet espace cloisonné. 14. On trouve le mot de jonhim pour la maison à étage (CJ, p. 95). Jon (CJ, p. 101), comme en tibétain, signifie le fort, le palais. La maison temporaire, elle, s'appelle yâksâ (CJ, p. 227). Au sujet de cette dernière, cf. Chemjong (1966) part I, p. 80. 15. Matane. T, p. 430, donne au matâne la définition suivante : "a two storeyed house, of which the upper storey is used for dwelling in or storing fodder, the lower for cattle". Cette définition est valable pour les constructions portant ce nom dans la Mewa. Seule la dernière proposition (abri du bétail) n'a pas cours. 16. Sâtihânmâ. On trouve le mot sàdhuwâ dans CJ, p. 285, copié sur le mot nepâli de sâdhu (T, p. 599). Il y avait au moins trois sâtihânmâ dans la Mewa en 1966-1967. Deux d'entre eux avaient longuement séjourné en Inde. 17. Lokkhum (CJ, p. 267); âgan (T, p. 31). Sur les dépendances de la maison limbu, cf. Hooker, op. c i t . , I, p. 157; Das (1904), p. 8. 18. Okhaldunga et Chainpur, partiellement en escalier, sont considér é e s comme laides. Bhojpur, pour la raison inverse, comme belle. A nos yeux, Chainpur, pour son environnement, ses constructions, sa disposition, serait la plus belle. On retrouve souvent la contradiction suivante : quoique la culture limbu valorise en général la crête, le nord et l'amont, dans la vie quotidienne, on est attiré par le sud, la plaine et l'aval. Il est vraisemblable que l'attirance de l'Inde joue pour beaucoup dans cette distinction. Peut-être les Limbu étaient-ils autrefois attirés par le Tibet ? 19. Caplan, op. c i t . , p. 21 : "The floors of the inner house and veran136
dah are covered with a mixture of red earth and cow dung and replastered at the beginning of each Nepalese month and on other spécial occasions". 20. Ces murs s'appellent luñ thâk, comme ceux de la maison. L o r s qu'on veut préciser on dit lokkhumle luh thâk, le mur de la cour. Les palissades qui apparaissent surtout pendant l'hiver, quand les bovins sont au village, s'appellent phañ (CJ, p. 184). Les murs sont escaladés par échaloir. Ils servent parfois de chemin dans les hameaux d'habitat groupé. Sur l'interdiction de la cour intérieure aux animaux, cf. Caplan, op. cit., p. 21. 21. Le plus souvent, le mai's est suspendu sous le toit de l'habitation. La plate-forme de la cour est appelée mâki thâii "la réserve de mai's" dans la Mewa. Le portique pour étendre les habits s'appelle tâni (T, p. 242) en nepâli, tephomâ en limbu. 22. Les Limbu de la Mewa utilisent le mot nepâli de dhiki (T, p. 266). On trouve pour cet instrument le mot singân, dans CJ, p. 285; le jâto (T, p. 213), par contre, est appelé luñsum (CJ, p. 259) par les Limbu; l'okhal (T, p. 61), mortier, est appelé sumdân par les Limbu (CJ, p. 306). 23. Le bois de chauffage, dàura (T, p. 308) en nepâli est appelé simplement sin par les Limbu. On trouve dans CJ, p. 328, le mot de hâmsifii. Le bûcher est appelé sin thâh, réserve de bois. 24. Le poulailler s'appelle kukhrako khor en nepâli (T, p. 130). Pour khor, CJ, p. 20, donne le mot de sâro. Dans la Mewa, les Limbu désignent le poulailler sous le nom de wâ him "la maison des poulets" ou wâ khor, mêlant les deux langues. 25. La porcherie est appelée sügur khor (T, p. 130) en nepâli, phâk him ou phâk khor par les Limbu. L'auge à cochon s'appelle phâk khoñ (CJ, p. 183). Alors que l'abri des chèvres et le poulailler sont construits par chaque maît r e de maison, il y a un spécialiste dans le village pour construire les porcheries. Il effectue également, en tant que journalier, des travaux agricoles spécialisés (labours, etc.). 26. L'abri des chèvres est appelé mendâk him ou mendâk khor. A Libang les Limbu utilisent le mot nepâli de ghuryân pour désigner la fumière. 27. L'abri des jeunes bovins s'appelle goth en nepâli (T, p. 148), mot souvent utilisé dans la Mewa par les Limbu, plutôt que celui de pit him, donné par CJ, p. 174. 28. La ruche se dit sokwâ hâp (CJ, p. 318) en limbu; le miel sokwâ (CJ, p. 318). 29. Pour la description des potagers près d'Ilam, cf. Caplan,op. cit. , p. 21. Le potager se dit ik en Limbu (CJ, p. 10). On distingue parfois potager, nodi ik (CJ, p. 163) et verger se ik (CJ, p. 308). Parfois on dit simplement lokkhum yà mu, "sous la cour". 30. Pour les a r b r e s , sin (L) qui entourent la maison, cf. fig. 22. 31. Le chemin se dit lâm (CJ, p. 252) en limbu. Les subba, avant l'instauration du système pancàyat, étaient responsables de l'entretien de certains chemins. Le chemin dallé s'appelle kuru lâm (CJ, p. 47). 32. Pour "fontaine", les Limbu de Libang utilisent le mot nepâli de dhârâ. 33. Pour les champs, leur disposition et leurs noms, cf. les chapitres précédents. 34. Dans les maisons riches, la véranda peut comporter des bancs de bois (patâhâ : T, p. 359), où les invités peuvent s ' a s s e o i r et dormir. P a r ailleurs, au sujet des photos de militaires, rappelons que les Limbu ont appartenu de longue date (avant 1887) aux régiments gurkhas recrutés par les anglais au Népal. A ce sujet cf. E. Vansittart, Gurkhas, Handbook for
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the Indian Army, Calcutta, 1915; Maj. Horik Gibbs, The Gurkha Soldier, Calcutta, Thaker Spink, 1947, p. 27-29; Ministry of Defence, Népal and the Gurkhas, Londres 1965, p. 98. L'étagère se dit kuribâ en limbu. En ce qui concerne les décorations de la véranda, cf. fig. 31. 35. Pour l'intérieur de la maison, les Limbu disent souvent him bhitri, mêlant limbu et nepâli. Le petit mur intérieur est désigné sous le nom de himsu. Les paniers : dâlo (T, p. 259) (N); pokwâ (CJ, p. 180) (L); tunêe (N); lumphu (CJ, p. 26*0) (L). Les lampes : kuppi ou bâti (T, p. 433). 36. L'ensemble de la réserve d'eau s'appelle cwâ yukna den; cwâ : eau (CJ, p. 98); yuknâ : demeurer (CJ, p. 234); den : place (CJ, p. 141). Souvent on dit également kun yuknâ den (CJ, p. 44)_kun étant apparemment une abréviation de kundâ (CJ, p. 64), dérivé du nepali kuro (T, p. 113) désignant les pots. La réserve de terre est appelée khâm pu yukna den. Les pots de terre, en nepâli gâgro (T, p. 139); en limbu, khâm kundâ (CJ, p. 64). Ils sont fabriqués par les Kumale, demeurant près de Taplejung. Les pots de métal (gagri T, p. 139) (N) sont de deux sortes. Les uns sont en cuivre (tâmâ en nepâli, T, p. 279, sân en limbu, CJ, p. 283); les autres en laiton (pital en nepâli, T, p. 380; pittoli en limbu, CJ, p. 173). L e s premiers, sân kundâ sont colportés par les Newar depuis Bhojpur et Chainpur; les seconds, pittoli kundâ, sont fabriqués par les Kami (forgerons) avec du laiton apporté des plaines. Les tubes de bambou utilisés comme récipients d'eau sont appelés phedok en limbu (CJ, p. 194) dhiri (T, p. 328) en nepâli. On trouve également aujourd'hui des récipients d'aluminium achetés au poids soit à Dharan, soit dans les marchés des collines. Le grand plat de la cuisson du riz : en limbu thok thokmâ khopiâ; thok : le repas, thokmâ : cuisiner^ (CJ, p. 137); khopiâ : pot à cuire (CJ, p. 77). En nepâli : bhat pakaune bhârâ (T, p. 472) : ce sont des pots en cuivre. Le plat de cuisson des légumes : en limbu, yumet thokmâ khopiâ; en nepâli tihun pakaune bhârâ (cuivre). Parfois ce plat n'est autre que le pujik (L) (CJ, p. 191), nâni (N), petit pot de terre qui sert à recueillir l'alcool dans l'alambic. La théière est appelée kitli, dérivé de l'anglais (en aluminium). Elle sert moins pour le thé que pour approvisionner les pots à bière en eau chaude. Les plats en cuivre pour manger le riz s'appellent cetthyâ en limbu (CJ, p. 93); thaï en nepâli (T, p. 296). Ils viennent soit d'Assam, on les appelle "manipure" (de la ville de Manipur), soit de Bhojpur. On les reconnaît à leurs dessins. Les petits pots à eau (en cuivre), appelés lohotâ en nepâli (T, p. 563) sont appelés phâgunâ en limbu (CJ, p. 184). Les mêmes pots munis d'un bec verseur (kâruwâ en nepâli) (T, p. 77), sont également appelés phâgunâ en limbu. Le plus souvent d'ailleurs on utilise en limbu, indifféremment, le mot de lohotâ. Les bols en cuivre : batuko en nepâli (T, p. 416), khoryâ en limbu (CJ, p. 242, 272). Les bols en bois, parfois cerclés de laiton ou d'aluminium, phuru en nepâli, sont appelés khurwâ en limbu (CJ, p. 71). 138
Les pots à bière sont appelés tonbâ (CJ, p. 119) (tongba). Dans les maisons riches, on trouve le cuthuwà (CJ, p. 91), appelé kopara en nepâli (T, p. 107), "a pan usually of b r a s s used either to hold water for washing hands feet and face or to defecate or urinate in". Les bouteilles en bois pour l'alcool s'appellent kâthuwâ en nepâli. Celles en v e r r e sont appelées du mot anglais de "bottle". Les bidons de lait, les récipients de bambou : kârighâ (L) (CJ, p. 36); dungro (N), kâphu (L); dudheri (N). La louche en bois : pâkwâ (L) (CJ, p. 166); dâru (N) (T, p. 258). La louche en métal : khorcu (L), dâbilo (N) (T| p. 309). (Dans CJ, p. 79 on trouve khollân.) On trouve, dans les maisons riches, des coupe légumes, le culesi népalais (T, p. 181). 37. Le pilier central s'appelle hân sitlàn (L); le pilier du devant, tagân sitlàn (L); le pilier du fond, egân sitlàn (L). Le matériel de couchage se compose normalement de trois éléments : 1) une natte de paille de riz (gundri en nepâli; lo ou yâlânlo en limbu, CJ, p. 234); 2) une couverture de laine appelée r â r i en nepâli (T, p. 534). Les Limbu de la Mewa utilisent le même mot. On trouve le mot semrilo "natte de laine" dans CJ, p. 279, pour désigner cette couverture; 3) enfin une couverture de coton appelée sirâk en nepâli (T, p. 608), et sillok en limbu (CJ, p. 300), ou kamte sirâk (CJ, p. 99), mot utilisé dans la Mewa. Les deux premières sont étendues sur le sol, phepmâ (L) (CJ, p. 195); ochyaune (N) (T, p. 61). Le dernier s e r t à se couvrir, khâpmS (L) (CJ, p. 64); ornu (N) (T, p. 61). Parfois la couverture du dessous est simplement appelée ochyaune, celle du dessus orne. On trouve d'autres objets servant au couchage, et remplaçant d'une façon ou d'une autre ceux qui viennent d'être énumérés ci-dessus : le mandro, natte de bambou (lomphi en limbu), à la place du gundri. Un tapis tibétain, pheden (L) (CJ, p. 194), gâlaïcâ (N). Une couverture de laine nâmbu (CJ, p. 147) (L) appelé pâkhi en nepâli (T, p. 372), tous les deux pouvant r e m placer la couverture r â r i . Parfois, dans les maisons pauvres, on dort directement sur la natte de paille de riz sans couverture r â r i . Parfois, dans les maisons riches, on dort sur des bancs de bois, du même type que ceux que l'on trouve sur les vérandas : tâlcâ (CJ, p. 103) (L). L'endroit où on dort s'appelle ipmâ den (CJ, p. 17). L'utilisation de l'oreiller, sirâni (T, p. 609) (N), tâkhon (CJ, p. 103) (L) est connu, de même que celle du coussin qu'on glisse sous les jambes (lân takhon). Nous n'avons pas vu d'appui tête en bois. Les enfants dorment nus. Ce n'est pas le cas pour les adultes. Celui qui voyage emporte son matériel de couchage avec lui : couverture (kamte sirâk) et parfois oreiller. Dans la maison où il demeurera, on lui fournira en principe la natte de paille de riz et la couverture à étendre (ochyaune). Les nattes de paille de riz (lo) ou de bambou (lomphi) sont de fabrication domestique. La couverture, r â r i , est de fabrication bhotiya, sherpa ou gurung : ces dernières sont t r è s appréciées. Les tapis gâlaïcâ viennent du Tibet; depuis quelques années, les Bhotiya de la Mewa assurent leur fabrication. Les couvertures, nâmbu, sont tissées principalement par les Sherpa. Les couvertures sirâk sont soit de fabrication domestique, soit achetées aux b a z a r s . Les oreillers sont de fabrication artisanale (Damai) ou domestique. Les autres objets que l'on trouve dans ce coin sont : les coffres en bois,
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bakas (T, p. 430) (N et L), fabriqués par les karmi, parfois t r è s décorés; les barattes theki (T, p. 253), baratons mâdhani (T, p. 491); les pots en t e r r e ghyampâ (T, p. 181) contenant la bière à fermenter. 38. La marche basse qui sépare la maison en deux est appelée siri (pour ce mot, T, p. 604; T, p. 606, donne une définition qui ne cadre pas avec les données fournies dans la Mewa Khola). Le foyer s'appelle mithâpu (L), culo (N) (T, p. 181) mi désigne le feu, thâpu les cendres (L). Les p i e r r e s du foyer hutlun; on trouve le mot hâllun dans CJ, p. 329, qui appelle hâllun den, l'endroit où sont les pierres du foyer. Aux foyers en fer, rapportés de Dharan et qui tendent à remplacer les foyers faits de trois p i e r r e s , les Limbu à Libang donnent le nom nepâli de odhân (T, p. 62); CJ, p. 95, celui de phenje hâllun den (mot à mot : f e r p i e r r e du foyer-place). La cendre se dit thâpu (L) (CJ, p. 126) ou khâpu (L) (CJ, p. 63) en limbu; kharani en nepâli (T, p. 115). La cendre est souvent utilisée dans le rituel, par exemple pour chasser les mauvais esprits près des portes, etc. Au-dessus du foyer, le crochet en bois s'appelle ankuse (T, p. 6) en nepâli; khenjuri en limbu (on trouve khekcuri dans CJ, p. 71 ainsi que phekcuri CJ, p. 193). Le plateau est appelé porowâ à Libang, CJ donne le mot de sin payet "le van de bois". Le chalumeau pour souffler le feu s'appelle mibhote (CJ, p. 212). Le mortier à épices : lunkhon (CJ, p. 257) en limbu; silauto (N) (T, p. 610). Le billot pour la viande : sâkoksin (L). Le sabre népalais : khukuri (T, p. 123) (N); phejâ (CJ, p. 192) (L). Les petites nattes pour s'asseoir : pirâ en nepâli (T, p. 382). Les chalumeaux des pots à bière : pipsin (L) à Libang, tomo dans CJ. Les étagères : sânthun (L). 39. Les sacs de fibre végétale : namjâ (N) (T, p. 340) en nepâli; ils sont fabriqués par les Sherpa et échangés à certaines époques de l'année contre du grain. La fibre utilisée pour leur confection se nomme bhânro (T, p. 474) (N). Les grands paniers cylindriques qui servent de grenier à riz : thongâ en limbu (CJ, p. 138); tokrâ en nepâli (N) (T, p. 247), etc. Les paniers à armatures s e r r é e s pour conserver haricots et lentilles : pokwâ (CJ, p. 180) en limbu, dâlo (T, p. 259) en nepâli; les plus grands : lumphu (CJ, p. 260) (L); tunée (T, p. 298) (N). Ils sont le plus souvent fabriqués par les Sherpa. La vaisselle cassée : teren khen (CJ, p. 116) en limbu; patru (?) (T, p. 362) (N). Pour teren, on trouve dans CJ, p. 116 : thulo bhârâ, "big pot". Cette vaisselle de métal cassé est conservée pour être échangée, pour la moitié de son poids, à des colporteurs venus de Bhojpur qui passent dans les villages limbu en hiver. L'épée : phe en limbu (CJ, p. 192); tarwar (T, p. 275) en nepâli. Elle est fabriquée sur le modèle de l'épée moghol que l'on trouve de l'Afghanistan à l'Assam; elle est également utilisée dans de nombreux rituels. Il y a plusieurs sortes de tambours en pays limbu, la plupart répondant aux modèles nepâli. Les deux plus fréquents sont : 1) Le kho (CJ, p. 75) appelé dhol en nepâli (T, p. 268). La photo d'un tel tambour, utilisé par exemple pour les mariages, se trouve dans Bista (1967), p. 40. Au sujet de ce tambour, cf. Helffer (1969), p. 53. 140
2) Le ke (CJ, p. 51) (L), traduit sous le nom nepâli de cyäbrän (T, p. 188), petites timbales. Il existe une curieuse référence à l'emploi du tambour par les Limbu dans Sarat Chandra Das (1904), p. 3 : "we talked of some of the Limbu customs, the most remarkable of which is that of beating drums on every t r i vial occasion. Every Limbu family, be it poor or rich, possesses, as a rule, three or four tambourine-shaped drums, which they beat on going out or returning to their villages. The wife or children beat them in honour of the husband when he goes out, and the latter when he leaves the house. " Cette coutume a disparu. Toutefois, ce que nous avons rencontré de plus proche dans la Mewa, c'est l'utilisation du tambour à l'occasion des manifestations de pouvoir des subba par exemple lors du m ä r katnu. Sur le tambour, cf. Chemjong (1966), p a r t i , p. 85. 40. Pour le dédoublement des fonctions traditionnelles aux divers niveaux des étages d'une maison de grande dimension, citons l'exemple d'une maison où nous avons été reçu dans le village de Syamba. Le rez-de-chaussée ne servait pas de pièce d'habitation pour les memb r e s de la maisonnée. Il était cloisonné en trois parties : l'une d'elles était un couloir où se tenait la cage de l'escalier; une autre, une pièce fermée où les invités pouvaient dormir et même cuisiner : l'équivalent amélioré de la véranda; la troisième, une remise; à l'étage, le cloisonnement ne s'élevait qu'à mi-hauteur, dans le sens de la largeur, séparant la pièce en deux, une grande partie vers le fond, uniquement utilisée par les membres de la famille ou du clan, et qui reproduisait fidèlement la structure d'une pièce d'habitation de rez-de-chaussée, avec diamétralement opposés, l'eau et le feu. Cette étendue correspondait, malgré la présence de l'eau, à ce que nous avons appelé dans la description, le coin foyer. L'autre, plus petite, se trouve vers le devant, au-delà de la réserve d'eau, là où débouchait l'escalier : les invités venaient y prendre leur repas, discuter et boire la bière. Entre ces deux étendues, la cloison à mi-hauteur, percée d'une large entrée, correspondait à la marche du foyer dans une habitation de type normal.
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CHAPITRE VIII. CONSTRUCTION DE LA MAISON NOUVELLE
Voyons maintenant comment les Limbu procèdent, construction de leur maison. Nous étudierons successivement les ouvriers du travail; les matériaux utilisés; le choix du site et enfin, les étapes de la construction : fondation, charpente et plancher, murs du grenier, combles
aujourd'hui, à la et l'organisation et de l'exposition; rez-de-chaussée, et couverture, etc
I. LES OUVRIERS ET L'ORGANISATION DU TRAVAIL Les ouvriers nécessaires à la construction d'une maison se répartissent en deux groupes. D'une part on fait appel à des artisans limbu appelés du mot nepâli de karmi (1) et qui habitent le village. D'autre part, ces artisans sont secondés par un ensemble d'ouvriers non spécialisés : la famille conjugale d'abord, pour qui l'on construit la maison : hommes, femmes et enfants : ils constituent une main-d'oeuvre permanente pour toute la durée de la construction; des voisins ensuite, selon les besoins, en fonction de la nature des travaux. Parfois, on utilise les services des groupes d'entraide adolescents, mais d'une façon ou d'une autre, à titre de réciprocité. L'aide du clan ou de la lignée n'apparaît pas. Si l'on a quelque chose à demander, argent, grain pour nourrir les ouvriers, main-d'oeuvre même, c'est au frère de la mère, ou à la belle-famille, que l'on ira le faire. L'organisation du travail se fait de la façon suivante : les karmi (N), grâce à leurs connaissances techniques, assurent la direction de la construction en même temps que les travaux les plus délicats : préparation des bois de charpente, construction des murs, mise en place et assemblage de la charpente, des ouvertures, des combles et de la volige. Les autres ouvriers secondent le karmi. Ils débitent la pierre, traînent le bois, effectuent les travaux d'excavation et, partiellement, de remblai, apportent les divers matériaux à pied d'oeuvre, s'occupent de tout ce qui concerne la terre (mortier, hourdage, crépi), participent à la fabrication de la volige et effectuent la couverture de chaume. Le maître de maison a un rôle particulier. Il assiste constamment les karmi et de ce fait, s'associe aux techniques spécialisées : taille des pierres, assemblage des bois; il répond de l'organisation : à lui d'avoir chaque jour les ouvriers nécessaires pour seconder les karmi; enfin, il est responsable de l'entretien de tous ceux qui participent à la construction (repas, alcool, bière, "casse-croûte"). Sa femme a un rôle plus effacé. Elle participe peu aux activités techniques. Elle demeure dans son rôle de 142
"ménagère" et s'assure que chacun ne manque de rien. Pour construire une maison de taille moyenne, il faut compter de un à deux mois; avec en sus, un minimum d'un mois nécessaire à la préparation des matériaux (surtout le bois). On construit pendant la saison froide, qui est également la saison sèche, entre la moisson du riz, (novembre-décembre), et les premiers labours, ceux de mais (février-mars). La famille conjugale habite alors, soit dans la maison mère, soit dans une maison temporaire. Les frais de construction sont aujourd'hui, considérables. Non seulement ils entraîhent des dépenses en nature (nourriture et boisson pour quatre à huit personnes en sus de la famille, pendant près de trois mois; matériaux de construction, particulièrement le bois, le bambou et le chaume; frais de rituel : prestations au phedangma (L) (2), animaux à sacrifier, chèvres, poulets, porc); mais également, c'est le point délicat, des dépenses en espèces. Les karmi sont rémunérés à la tâche, ou à la journée, avec ou sans r e pas. Il faut compter aujourd'hui trois roupies, plus les repas ou cinq roupies, tout compris. Les voisins sont payés comme des journaliers agricoles. Au total, sans compter les frais d'alimentation, mais compte tenu des matériaux, on estime comme suit les frais engagés : - petite maison sans étage : 800 à 1 000 roupies népalaises; - grande maison sans étage : 1 000 à 1 500 roupies népalaises; - maison à étage : 2 000 à 3 000 roupies népalaises. Ces débours, bien sûr, sont exceptionnels. Ils n'apparaissent qu'une fois dans la vie. On peut remarquer, en effet, que la maison limbu, construite en dur, possède une grande longévité, comparée à celle de l'Asie du sud-est, bâtie sur pilotis. Trois des plus vieilles maisons de Libang auraient, selon les estimations approchées des villageois, de 70 à 100 ans d'âge. L'entretien, couverture avant la mousson, crépissage chaque année à l'occasion de la fête de dasaï (N), s'effectuent souvent avec la main-d'oeuvre familiale et n'occasionne que peu de frais. Quoi qu'il en soit, l'importance des dépenses nécessaires à la construction est la cause, au moins pour une part, de deux sortes de phénomènes : c'est parfois par dizaines d'années que l'on compte la durée de résidence dans une maison "temporaire"; par ailleurs, on utilise toutes les ressources de la segmentation de l'espace dans les maisons déjà construites : d'où la multiplicité des types et des orientations rencontrés. II. LES MATERIAUX L a pierre, le bois, la terre, le bambou et le chaume sont les matériaux utilisés pour la construction de la maison limbu. 143
1. La pierre (3) La pierre est le matériau de base. Si les Limbu connaissent la brique, crue ou cuite, que fabriquent les Newar, ils ne l'utilisent pas. La pierri sert à combler la fondation et à édifier les murs. Quelques jours avant d'entreprendre la fouille, alors que les éléments de charpente sont déjà prêts, une équipe d'ouvriers non spécialisés commence à apporter les pierres. Il ne faut pas chercher bien loin. Près des champs, elles sont amoncelées par les agriculteurs au moment de la réfection des murettes et du travail des pépinières de riz. On peut les déterrer également dans les parcelles cultivées elles-mêmes où elles abondent. Parfois, on déga ge un rocher qui affleure pour le b r i s e r à la b a r r e à mine. Enfin, on peut réutiliser simplement les matériaux d'une maison abandonnée. L'o] ganisation du travail est simple. Deux ou trois hommes, munis de barre à mine et de houe, parcourent les champs voisins du site, déterrent et amoncellent. D'autres, en file indienne, femmes plutôt qu'hommes, ado lescents plutôt qu'adultes, les transportent dans des paniers à bandeau frontal. L'apport des pierres se fait au jour le jour, tant que dure la construction des fondations et des murs. Ce travail, selon les besoins, peut mobiliser jusqu'à huit ou dix personnes. A Libang la pierre est schisteuse, on la débite par plaque. Sa taille demeure rudimentaire, sans grande précision dans l'ajustement. Dans la Mewa Khola, il existe une grande différence entre le mur d'une maison limbu et celui d'une maison bhotiya. Le second l'emporte de beaucoup, pour ses qualités de taille et d'ajustement. Il ne fait pas appel au mortier. C'est un mur de "pierres sèches" très régulier. Il n'est jamais crépi. 2. Le bois (4) Aujourd'hui, une réglementation récente tend à restreindre les coupes d( bois à construire. Les forêts sont devenues propriété d'État ou des admi nistrations de village. Leur exploitation, en principe, est contrôlée par un fonctionnaire népalais établi dans un village du bas de la vallée. Il n'en était pas de même il y a quelques années. Chaque segment de clan possédait alors son propre territoire, propriété, en principe commune, de l'ensemble de ses membres. Chacun pouvait abattre des arbres. L'au torisation du seul subba était requise. On l'obtenait en échange d'une prestation en nature ou en espèce. Le bois, dans la maison limbu est utilisé pour la fabrication des piliers et des poutres, des cadres et des panneaux des ouvertures, des balcons; en gros, pour l'ensemble de la charpente qui supporte l'étage oi: le grenier. Par contre les combles et la volige, à l'exclusion des piliers et parfois de quelques chevrons, sont pour l'essentiel en bambou. Certaines espèces d'arbres sont considérées comme les seules à même d'entrer dans la composition de la charpente : elles ne pourrissent pas, sèchent sans éclater, "jouent" peu. On nous a mentionné les plus prisées, d'un emploi limité à Libang parce qu'elles sont r a r e s dans les 144
forêts les plus proches. Ce sont, par ordre de qualité : - sâkhuwâ (N), Shorea robusta. Résineux dont l'espèce est la plus appréciée. Utilisé surtout pour la fabrication des piliers et des panneaux de portes. Inexistante à Libang, cette espèce serait employée dans des villages d'altitude plus élevée (Dalaincha, Nalbu, Tankhu). - sahaj (N), Terminalia tormentosa, Roxb. Utilisé surtout pour les solives et les sablières. Son emploi a peu été relevé à Libang. - cap (N). Sous le nom de câp les Népalais désignent toutes sortes de michelia ou de magnolia. Il semble que ce soit surtout le michelia champaca auquel on a recours pour la construction de la maison. Peut servir, dit-on, à tous les usages : encadrements de fenêtres, panneaux de portes, poutres, solives, etc. En fait, à Libang, on le trouve surtout utilisé comme pilier, l'une des pièces qui nécessite les plus grandes qualités de la part du bois. - churi (N). D'utilisation générale quelles que soient les pièces. Faible emploi à Libang. De ces quatre premières espèces, c'est surtout le câp qui apparaît d'un emploi à peu près constant, toutefois limité à la fabrication des piliers. Par contre les espèces suivantes, moins appréciées, sont d'une utilisation courante : - cilâune (N). C'est la variété des basses vallées, le Shima wallichii qui entre dans la composition de la charpente. Pignède, pour les Gurung, relève son emploi. A Libang, il est surtout utilisé comme solive et pour fabriquer le lattis du plafond. - tuni (N), Cedrela toona. Employé à Libang comme poutre et solive, d'utilisation très fréquente. Hooker le mentionne comme bois de construction des pirogues monoxyles de la Tamur Khola. - uttis (N), Alnus nepalensis. Assez peu prisé dans une utilisation comme pilier, l'uttis sert pour les encadrements de portes et de fenêtres. Pignède le mentionne dans la maison gurung. - kaïjal (N), Bischofia javanica. Espèce qui apparaît surtout dans les fonds de vallée. Connu également pour ses qualités de teinture rouge. Employé à Khokling dans la fabrication des solives. - kâulo (N), variété de Machilus. On trouve cette espèce aux alentours du hameau sherpa de Shibuden. Utilisé à Libang pour fabriquer poutre d'étage, charpente de balcon, solive, console. - katuj; le dhalne katuj (castanopsis indica), est peu apprécié. Le musure katuj, que les Limbu appellent hesingbâ l'est un peu plus; d'une utilisation courante dans les encadrements de porte et parfois comme pilier. - siris (N). C'est la variété appelée par les Népalais seto siris (Albizzia odoratissima) que l'on utilise couramment. A titre secondaire, on a également relevé l'emploi de : - hâre uniu (N). (Arbre dont les feuilles ressemblent à des fougères. ) - khayar (N). Acacia Catechu Wild ( ? ). - saur (N). Betula Alnoides, Betula Cylindrostachys ( ? ). 145
- âp (N). Manguier, Mangifera Indica Linn. - jhâkri kath (N). Machilus odoratissima ( ? ). Les bois de construction semblent différents chez les Bhotiya qui utiliseraient beaucoup le gobre sallo, résineux. Par contre les espèces employées par les Limbu, de même que les qualités et les défauts qu'on leur reconnaît, semblent connus sur l'ensemble du Népal des collines, quelles que soient les ethnies. L'abattage du bois se fait avec des haches rapportées d'Assam, ou fabriquées par le forgeron du village. Le débitage, autrefois, se faisait à l'aide de coins que l'on enfonçait selon le fil du bois. Les planches et madriers étaient retaillés à l'herminette. C'est ainsi que procèdent encore les Bhotiya de la Mewa. Les Limbu, aujourd'hui, possèdent des scies de long, rapportées d'Assam, ainsi que le matériel nécessaire à leur entretien. Il en existe au moins une dans Libang. Le débitage des madriers se fait par deux karmi travaillant ensemble. On dresse un échafaudage à cheval sur deux champs en t e r r a s s e . Les troncs sont mis en place par traction et poussées successives. On utilise le principe du levier pour les mouvoir. Le chef d'équipe est debout sur le tronc à débiter, manoeuvrant la partie haute de la scie, au niveau de la t e r r a s s e du haut. Il dirige le travail, actionne les leviers, redresse les dents de scie en cours de travail, mesure les épaisseurs, indique les repaires (en pinçant et faisant claquer sur le bois un fil noirci par de l'eau et de la cendre mélangées) , amorce le débitage au khukuri, enfonce les coins de bois au fur et à mesure que le travail avance. Son second est installé sous l'échafaudage, actionnant la partie inférieure de la scie. Il aide au déplacement des troncs en actionnant les rondins utilisés. Les bois débités sont abandonnés sur place pour sécher. En principe, le séchage devrait durer plus d'un mois. En fait le bois est utilisé assez rapidement. Les karmi, une fois les madriers débités, fabriquent, assemblent et décorent les pièces de charpente à l'herminette et au ciseau. On ne l'a pas vu faire. Dans les deux cas de construction observés, on réutilisait piliers, poutre, corbeau, chambranle, panneaux d'une vieille maison. Pour une maison de dimension moyenne, voici les pièces de charpente les plus importantes : 7 à 9 piliers 2 m de long, équarris et décorés 10 à 12 solives 4 m de long, équarries 15 solives 2 m de long, équarries 1 poutre 6-8 m de long, équarries 4 sablières (grandes) 6-8 11 de long, équarries 4 sablières (petites) 4 m de long, équarries 6-10 chevrons 2-3 m de long, non équarris 14 à 16 consoles 2 m de long, équarries 3 à 6 corbeaux 1 m de long, équarris et décorés 146
Madriers et planches pour les deux portes principales et au minimum deux fenêtres. Bois du lattis (étage). Il semblerait qu'au minimum, il faille de 30 à 40 troncs d'espèces différentes. 3. L a terre (5) Les diverses utilisations de la t e r r e , dans la construction de la maison limbu, sont les suivantes : - Mortier pour les murs. - Sol battu pour niveler la fondation. - Sol battu à l'étage du grenier (hourdage). - Crépi d'apprêt sur les murs, à l'intérieur et à l'extérieur (pisé). - Enduit sur le sol battu au rez-de-chaussée et à l'étage. - Crépi ocre sur les murs, extérieur et intérieur, dans la partie basse de chaque étage. - Crépi blanc sur les murs, au rez-de-chaussée et à l'étage, dans leurs parties hautes. Trois sortes de terre sont utilisées. Pour les quatre premières rubriques, on emploie la terre du déblai de la fouille et de ce qui sera la cour intérieure de la maison, khâm (L). Pour le crépi ocre et l'enduit du sol battu, une terre glaise henkhâm (L) que l'on va chercher à Libang dans des champs du haut. Enfin la terre blanche phokhâm (L) se trouve près de la rivière. La terre est extraite avec des houes (kodâlo) (N), et son transport jusqu'à pied d'oeuvre se fait dans des paniers à bandeau frontal. 4. Le bambou (6) Lorsque le bois manque, que l'on construit une petite maison, que l'on est pauvre, certains bambous peuvent être utilisés comme piliers. Ce sont les variétés suivantes : - lok phâ (L), bhalu bâs (N). Coupé de trois à six ans. Utilisé frais. - tinnâm phâ (L), kath bas (N). Coupé de quatre à sept ans. Utilisé frais. - mânjâ phâ (L). Utilisé après séchage. - le mutlâmâ phâ (L), mal bâs (N), peut être utilisé pour r e m placer les poutres (coupé à un an). De même le bambou peut, en remplacement des chaumes, s e r vir à la couverture de la toiture, sous forme de nattes tressées et juxtaposées, cin (N); les maisons temporaires, les petites maisons pauvres, sont parfois ainsi couvertes chez les Limbu. De façon générale, c'est la toiture la plus employée dans les habitations sherpa de la Mewa. Ces nattes sont fabriquées principalement, soit avec du mutlâmâ phâ (L), mal bâs (N), coupé à quatre ou cinq ans, et que 147
l'on fait sécher de quinze à vingt jours, soit avec un bambou d'altitude appelé mik là (L) mâlingo (N). Quoi qu'il en soit, toute maison de type normal fait appel au bambou pour les combles et le volige. L a variété de loin la plus utilisée, refendue ou non, pour les chevrons, pannes, lattis de volige, est le mutlâmâ phâ (L) mal bâs (N), séché une vingtaine de jours et coupé à quatre ou cinq ans. Le mik la (L), mâlingo (N), peut être utilisé dans la volige. Le the phâ (L), coyâ bas (N), est un matériau de r e m placement. L'assemblage du comble et de la couverture se fait principalement par liens de bambou appelés lin toksâri (L). Les deux variétés utilisées pour fabriquer ces liens sont le the phâ (L), coya bis (N); le tingen phâ (L), niriâlo (N), de cinq à six mois. Le bambou est abattu et refendu au khukuri. Les joncs, ti (L), avec les variétés wàdi (L), mâdi (L), sidi (L), très employés en Assam et que les Limbu connaissent bien du fait des migrations, sont considérés comme supérieurs au bambou. Mais on ne les utilise pas car ils sont inexistants dans la Mewa. Une quarantaine de bambou, principalement de la variété mutlâmâ (L), que l'on trouve dans le village, d'une longueur de cinq à sept mètres chacun, sont nécessaires, au minimum, pour la confection du comble et de la volige. 5. Le chaume (7) Quelques très r a r e s maisons sont couvertes de tuiles fabriquées, jinati (N) par les Kumale établis dans un village sous Taplejung. Toutefois sous le régime politique des Rana, leur emploi en était interdit dans la maison limbu. Parfois, dans les maisons riches actuelles, il y en a une ou deux par village, on trouve un toit de tuiles r a jouté au-dessus de l'auvent. L a tôle ondulée a fait également son apparition dans la Mewa Khola, comme matériau de couverture, pour les maisons riches. On la transporte à dos d'homme depuis Dharan. C'est une mode qui vient des plaines. D'un emploi fréquent dans les villes du sud comme Dhankuta, elle demeure très r a r e dans la Mewa. L a quasi-totalité des maisons ont un toit de chaume, appelé lin en limbu, khar en nepâli. Les deux variétés les plus utilisées sont : a) kuhelâ lin (L) que l'on trouve à assez basse altitude dans la Mewa et qui est caractérisé par sa couleur rouge. b) kuphorâ lin (L) se trouve sur les pentes sableuses; moins prisé que le chaume rouge; caractérisé par sa couleur blanche. c) Une autre variété, de loin la plus appréciée, mais d'un emploi plus rare s'appelle nurinbâ lin en limbu. C'est l'Imperata arundinacia ( ? ). Elle serait également utilisée, dit-on, pour la fabrication du papier népalais. Quelques autres variétés sont connues, mais d'un emploi égale148
ment restreint. d) pâbio lin ou phâkpâ (L) fournit les chaumes les plus longs; peut être utilisé de nombreuses années au cours de la croissance. Il y en a peu à Libang. e) ho lin (L) : variété que l'on trouve dans le fond de vallée, à basse altitude. Il y en a quelques pieds à Libang. f) mâkhonàmbâ lin (L) : cette variété est appelée ainsi à cause de sa légère odeur d'ail. Elle est rouge. N'est plus utilisable après un an de croissance. Il y en a peu à Libang. Les chaumes sont coupés du mois d'asoj (N) (15 septembre-15 octobre), à pus (N) (15 décembre-15 janvier). Les meilleurs mois d'utilisation sont de la mi-octobre à la mi-décembre : en deux jours, le chaume est sec et peut être mis en place. Coupé plus tôt, il faut le faire sécher, au minimum, cinq ou six jours. Hommes comme femmes coupent le chaume dans des étendues qui ont échappé aux cultures et qui se trouvent en général sur des pentes très fortes, parmi des amas rocheux. Ils y poussent à l'état sauvage. Il est fréquent qu'à certaines époques de l'année on mette le feu à ces étendues pour s ' a s s u r e r qu'elles repoussent bien. Pour recueillir deux grosses bottes de chaume (un panier) il faut compter en moyenne une journée. Une botte est payée une roupie (en 1966). Il faut vingt-cinq paniers pour faire un toit de dimensions moyennes, c'est-à-dire cinquante roupies. Les chaumes de paille de riz seraient parfois utilisés, nous a t-on dit, par les pauvres. De même les couvertures en nattes de bambou (cin). C'est le débitage, le séchage et l'assemblage du bois qui nécessitent la plus longue préparation, avant d'entreprendre les opérations de construction proprement dites. Cette préparation dure au minimum un mois. Certains bambous sont également coupés avant la construction. Pour le reste, t e r r e , pierre et chaumes, sont réunis par des équipes non spécialisées, au fur et à mesure des diverses étapes de la construction que nous allons décrire maintenant. m . CHOIX DU SITE ET DE L'EXPOSITION 1. Facteurs pris en considération Un chasseur poursuit son gibier à travers la jungle. Epuisé, il s ' a r rête pour se désaltérer et se reposer. L'endroit lui plait. Il décide de s'y installer. Il défriche quelques arpents de t e r r e . Il construit sa maison dans l'espace défriché. C'est souvent ainsi, dans les légendes de clan, que l'on raconte l'origine d'un établissement humain. Aujourd'hui, lorsque l'on construit la maison, la jungle a déjà été défrichée, les champs t e r r a s s é s . On s'installe dans l'espace cultivé. 149
En d'autres termes, le choix du site et de l'exposition de l'habitation est déterminé par certains caractères d'adaptation du paysage agricole, d'une part; du système foncier, de l'autre. Enfin quelques croyances religieuses interviennent également. Des facteurs d'ordre écologique entrent en ligne de compte pour le choix de l'orientation et de l'exposition. Parmi les plus importants, celui de la pente du terrain. Une maison, sur sa longue façade, atteint de cinq à dix mètres; la cour intérieure qui la prolonge, de cinq à vingt mètres; au-delà, une ou deux dépendances, de cinq à huit mètres. Un espace de quinze à quarante mètres est donc nécessaire, d'un seul tenant, pour la construction d'une maison. Rares sont les champs en t e r r a s s e qui présentent, dans leur largeur, une telle dimension. On établit donc les maisons dans la longueur des champs en t e r r a s s e , parallèlement à la rivière. Cette donnée ne souffre pas d'exception. La véranda et la cour intérieure, on l'a vu, doivent jouir du maximum d'ensoleillement. La maison est installée parallèlement à la rivière; sa façade principale, le plus souvent est sur l'un des petits côtés; il y a donc deux possibilités : soit une ouverture au nord vers l'amont, soit au sud, vers l'aval. Dans le premier cas, l'ensoleillement est médiocre. Dans le second, il est maximum. Ces considérations se combinent avec celles qui sont relatives au vent et au régime des pluies (8). On distingue, comme pour les saisons, le vent "montant" de la saison chaude et le vent "descendant" de la saison froide. Toutefois, il existe ici un léger décalage entre les faits et les idées. Il mérite d'être noté, car il annonce une contradiction du même ordre, entre nature et culture, bien plus tranchée, relative à l'orientation. Ainsi, il est bien vrai qu'en février les vents se "mélangent", en même temps que les saisons "basculent". Celui qui vient du sud finit par supplanter le vent froid qui soufflait des montagnes. Il arrive d'abord par faibles rafales. Il atteint son maximum de force vers le mois d'avril, surtout le soir, avec une grande violence. Il se régularise avec les pluies qu'il apporte. A partir de la mi-septembre, il tourne. Toutefois, ce n'est pas du nord qu'il vient alors, mais de l'est. Ce n'est qu'à partir de novembre-décembre qu'il souffle réellement du nord apportant avec lui l'air glacé des crêtes. On recherche, pour la maison, l'exposition au vent qui rafraichit, celui de la saison montante. On s'abrite du vent mordant de la saison descendante. Une autre considération entre en ligne de compte pour le choix du site : il relève de ce que l'on peut appeler les "ceintures d'assolements" : les champs irrigués, ceux du bas, sont valorisés. La t e r re y est chère. D'autre part, on y craint la malaria des fonds de vallée; la chaleur accablante et humide de la mousson. On évite d'y implanter le site d'une maison. En haut, là où pousse l'orge, il fait froid l'hiver. Les Limbu n'utilisent pas les vêtements de laine, à l'inverse des Sherpa et des Bhotiya : ce seraient plutôt les pauvres 150
qui s'y installeraient. En fait, statistiquement, d'un village à l'autre, l'implantation de l'habitat limbu se fait surtout à mi-pente dans la ceinture d'assolement de l'éleusine et du mai's (9). Les champs en terrasse sont la propriété des familles. Pour un individu donné, le choix d'un site de maison est limité par la propriété foncière. Il est rare que l'on achète de la terre pour s'établir. On s'installe sur un champ qui fait partie de l'héritage. Dans la majorité des cas, le fils afhé, le frère cadet, choisissent une terrasse qui est proche de celle où est construite la maison mère. La composition des hameaux reflète ainsi certains aspects des structures de parenté. Assez souvent, on s'installe en face de la maison du père, sur la même terrasse, au.delà de la cour intérieure : les deux maisons se font face. Elles utilisent les mômes dépendances. Enfin, dans quelques cas, on cherche à s'éloigner le plus possible du voisinage de ses parents. Cette donnée s'inscrit rarement dans la configuration du village, car alors on émigré en Assam ou au Sikkim. La proximité d'un point d'eau entre assez peu en ligne de compte. Le problème a été résolu une fois pour toutes lors de la création du village. Certaines maisons, à Libang, se trouvent à vingt mètres de la fontaine; à Tumpangphe, hameau d'une trentaine de maisons, le ruisseau se trouve à plus de quatre cents mètres. Les chefs politiques, les commerçants cherchent la proximité des grands chemins. Les autres, dans le village, s'en soucient peu. Les caractères du sol, par contre, ont leur importance. Le site ne doit pas être humide. Pour en juger, on y verse de l'eau, le soir. Si une flaque persiste le lendemain matin, on abandonne l'idée de s'établir là. De même pour établir le potager, il est nécessaire que la terre soit fertile. D'autres considérations apparaissent. Elles sont d'ordre religieux. Pour l'ensemble des villageois, un certain nombre d'endroits sont considérés avec crainte (10) : le cimetière et ses environs; les tombes de malemort; les champs marqués de sorcellerie, etc. On les évite. Par ailleurs, il est des maisonnées qui dépérissent; les récoltes sont mauvaises; les enfants meurent en bas âge; l'inceste survient; les bêtes crèvent; les pots de cuivre remuent la nuit : tôt ou tard, on en vient à penser que le site de la maison y est pour quelque chose dans tous ces malheurs qui s'abattent sur la famille. On l'abandonne pour aller reconstruire ailleurs. Cela ne veut pas dire, toutefois, que le site est inauspicieux pour tous : il sera repris par d'autres. Au bout du compte, les faits qui concernent la pente du terrain d'une part, l'ensoleillement et le régime des vents de l'autre, paraissent les plus importants. Ils se combinent pour déterminer une orientation type, qui correspond aux meilleures conditions climatiques. C'est la suivante : la poutre faîtière de la maison est parallèle à la rivière. La façade principale est sur l'un des petits côtés de l'habitation, celui tourné vers l'aval et le sud. Est-ce ainsi que 151
les Limbu construisent leurs maisons ? Tiennent-ils compte des considérations d'adaptation au climat ? L'analyse des faits statistiques pour les soixante maisons de Libang et les dix-sept autres de la Mewa Khola va nous permettre d'y répondre. 2. Données statistiques sur l'exposition des maisons Les faits d'orientation, pour les soixante maisons étudiées, permet de distinguer quatre types d'exposition (11) qui sont décrits sur la figure 24 à savoir : - la maison ouverte vers l'aval, - la maison ouverte vers l'amont, - la maison ouverte vers la crête, - la maison ouverte vers la rivière. a) La maison ouverte vers l'aval Ce type d'habitation, comme tous les autres, est établi parallèlement aux lignes de pente. La grande porte s'ouvre sur le petit côté de l'habitation, déterminant ainsi la façade principale. Elle est exposée au sud, au sud-est, ou au sud-ouest. Véranda et cour intérieure sont disposées de façon homogène, dans le prolongement longitudinal de la maison. Elles jouissent du maximum d'ensoleillement, de huit heures du matin à quatre heures de l'après-midi. La véranda et une partie de la cour intérieure sont abritées des vents froids du nord par la masse de la maison; de ceux de l'est par la crête. Elle est ouverte, au contraire, aux vents de la saison chaude. Ce type d'habitation, lorsqu'il possède un étage, peut abriter deux familles, économiquement séparées; l'une au rez-de-chaussée, l'autre à l'étage. L'accès à l'étage, dans ce cas, se fait toujours à l'extérieur de la maison sur la longue façade, par le balcon. Il peut être orienté à l'est (sept cas) comme à l'ouest (un cas). C'est le genre de maison, dans la Mewa Khola, qui répond aux meilleures conditions climatiques, celui décrit comme un modèle. Il est statistiquement largement majoritaire. Sur les soixante maisons de Libang, quarantetrois sont ainsi exposées, soit 72%. b) La maison ouverte vers l'amont Comme le précédent, ce type d'habitation s'étend longitudinalement dans un champ en terrasse, avec une façade principale sur l'un des petits côtés, prolongée de façon homogène par véranda et cour intérieure. Toutefois, la porte principale s'ouvre à l'amont et non plus à l'aval, au nord et non au sud. L'ensoleillement est nul sur la véranda, mauvais et partiel sur la cour intérieure. Exposées aux vents froids, véranda et cour intérieure sont glaciales en hiver. Elles ne sont nullement aérées durant la mousson. C'est un type d'habitation relativement inconfortable, et les villageois le savent. Il concerne neuf des soixante maisons de Libang : soit 15% des cas. 152
A Libang, dans trois des cas, ces maisons sont habitées par des prêtres. L'orientation a été déterminée après divination. Les considérations religieuses l'ont emporté sur celles de l'adaptation du t e r rain. Dans cinq autres cas, cette maison fait face à une maison mère, établie de l'autre côté par rapport à la cour intérieure et utilisant en partie les mômes dépendances. Ce sont, cette fois, des raisons économiques qui ont entraîné le choix de l'orientation. Un dernier cas, celui d'une maison à étage, reste inexpliqué. c) La maison ouverte sur la rivière Comme les deux précédentes, la poutre faîtière de cette maison est parallèle à la rivière. Elle est également établie longitudinalement dans un champ en t e r r a s s e . Toutefois, l'ouverture se fait non plus sur le petit mais sur le grand côté, celui qui domine la rivière. La façade principale est donc exposée à l'ouest. La véranda s'étend sur toute la longueur de la façade principale. La cour intérieure peut être, soit sur la grande façade, homogène, soit re jetée sur le petit côté de la maison, par manque de place, et donc, selon notre nomenclature "hétérogène". L'ensoleillement sur la véranda est médiocre, approximativement de midi à seize heures; il est assez bon sur la cour intérieure, surtout si celle-ci prolonge le petit côté de la maison. Véranda et cour intérieure sont balayées par tous les vents, en hiver comme en été. Il y a six maisons de ce type à Libang, soit 10% des cas. Les raisons de cette exposition sont de trois sortes, toutes les trois relevant de l'économique : soit c'est un ancien matâne aménagé; soit c'est une très grande maison dont la structure a été modifiée à cause des dimensions; soit ce genre de demeure abrite deux familles côte à côte, à cloisonnement vertical. d) La maison ouverte vers la crête Elle ne représente que deux cas au total, à Libang. L'une, une maison qui a été construite contre le mur d'un champ; l'ouverture se fait à l'étage, sur la terrasse supérieure. L'autre relève de l'adaptation au terrain. Cette sorte d'orientation représentant 3% des orientations totales. Ainsi, 72% des habitations étudiées, tiennent compte des conditions optimum d'orientation. Les autres, d'exposition médiocre, r e lèvent d'un choix où considérations économiques et religieuses ont prévalu. On voit également que 87% des maisons ont leur façade principale située s u r l'un des petits côtés de l'habitation. 3. Rituel pour le choix du site et de l'exposition En fonction des critères écologiques, économiques ou religieux, un champ en t e r r a s s e est donc sélectionné pour construire la maison. Au préalable, le futur propriétaire va chercher quatre poignées de 153
t e r r e recueillies aux quatre coins et trois autres aux emplacements à venir des piliers intérieurs du rez-de-chaussée. Il les rapporte au phedangma, l'un des prêtres limbu. Ce dernier, dressant un précaire autel, avec un plat contenant du riz décortiqué, une pièce de monnaie de cuivre (lié au culte de Mahadev) et quelques tiges d'herbe dhubi examine chaque motte en fonction de sa future situation. Par la divination, il assure que le site ne sera pas inauspicieux. Le lendemain, tôt le matin, le futur propriétaire va se purifier à la rivière. Ce jour là, il mange peu. Il s'abstient de viande. Il ne boit pas d'alcool. Il ne parle à personne. Il doit se retrouver à la fin de la journée, dans un état de grande pureté. Le soir, il va s'installer sur le site, avec natte et couverture. Avant de s'endormir, il se concentre sur le rêve qu'il aura cette nuit-là. Il passe ainsi la nuit en plein air. Certains r ê v e s sont de bon augure, d'autresnon. C'est, engénéral, un détail, significatif sur le plan culturel, qui assure le caractère divinatoire. Monter vers les crêtes, être touché par les rayons du soleil, constituent les meilleurs des augures; aller vers les plaines, descendre dans les basses vallées, s'enfoncer dans la nuit, sont considérés comme le comble de l'inauspicieux. Approcher des étendues d'eau est signe de mort. Les grands lacs de la mythologie s'appellent éiwàrok (L), l'étang des morts, mikwâ wârok (12), l'étang des larmes; par contre, les sources paraissent valorisées. Le feu, lui aussi, connaît une double interprétation que l'on retrouve dans la mythologie. Il peut être de bon augure, c'est le feu domestique. Le feu sauvage au contraire, celui qui brûle les maisons, est signe de catastrophe. La préparation d'un repas avec de l'éleusine "impure" n'est pas d'un bon présage. C'est le contraire pour le riz. Voir une femme, cela suppose des interprétations diverses : une vieille qui évolue dans la maison, c'est Yumâ l'une des grandes divinités limbu. Si elle parle, c'est parfait. Si elle tourne le dos, si elle boude, il faut faire attention. Au contraire une vieille dans les champs, dans la forêt, c'est Tâmpunmà, maîtresse de la jungle : on s'abstiendra de bâtir. Une jeune, à la condition qu'elle soit vierge, auspicieux; une jeune, mariée, inauspicieux. Les apparitions d'homme relèvent des mêmes considérations. S'ils évoluent dans la maison, ce sont des déités domestiques qui manifestent leur contentement; dans la jungle, dans les champs, sur les chemins, des e s prits menaçants. Au matin, l'homme retourne chez le phedangma qui l'aide à interpréter ses visions de la nuit. Ensemble ils décident ou non, de la construction de la maison sur le site choisi. En fait, le rêve du futur propriétaire est bien plus déterminant que le rituel divinatoire du phedangma. L'une des histoires les plus caractéristiques que l'on nous ait racontée à ce sujet, est la suivante : un fils était né à Narapati Pangbohang, dont les descendants habitent aujourd'hui Libang. Peu de 154
temps après la naissance, l'homme vit son enfant en rêve jouer près d'une source du village. Il baignait dans la lumière du soleil. Il attrapait l'un des rayons et le mettait dans sa bouche. Une vieille femme arrivait et parlait au petit garçon. Au réveil, Narapati fit appel à une vieille Chetrini qui avait des dispositions de voyante (13). Il lui raconta son rêve. "Bâtis une nouvelle et grande maison près de la source où était ton enfant", lui dit-elle. C'est ce qu'il fit. Plus tard, le petit garçon, Dambar Doj, devenait l'un des plus grands subba du pays limbu. Ce sont ses petits-enfants qui racontent encore aujourd'hui cette histoire.
IV. LES ETAPES DE LA CONSTRUCTION 1. Les fondations Avant d'entamer les fondations, le phedangma assisté du maître de maison, fait une offrande au Nâga d'abord, puis aux divinités Tampungma, Toksonbâ, éengâ et Koccomâ. Ce rituel s'appelle yobâ tâmmâ (14). C'est le même que l'on effectue chaque année à la veille des premiers labours. D'un coup de houe, on creuse alors chaque coin de la fondation. A chacun d'entre eux, le phedangma s'arrête un instant pour offrir un peu d'encens et une pièce de monnaie en cuivre. On délimite l'aire des fondations au moyen de fils de coton tendus. Alors seulement, on commence l'excavation. Pour une maison moyenne, la fondation mesure approximativement sept mètres de long sur trois mètres quatre-vingt de large. Ce sont les ouvriers non spécialisés qui effectuent, à la houe, la fouille en déblai pendant que les karmi, ailleurs, finissent de fabriquer les pièces de charpente. L'ensemble de cette fosse, profonde d'environ un mètre, est ensuite remblayée par couches alternatives de pierres et de t e r r e . Au-dessus du sol, on continue le remblai jusqu'à une hauteur de trente à soixante-dix centimètres (15) qui servira de soubassement à l'ensemble de l'habitation. Les karmi en construisent le périmètre maçonné. La main-d'oeuvre procède au r e m plissage, avec pierres et mortier. Il faut compter une dizaine de jours pour finir fondation et soubassement. 2. Les murs du rez-de-chaussée En retrait par rapport au soubassement, de façon que ce dernier constitue une marche sur les quatre faces de la maison, les karmi commencent à construire les murs du rez-de-chaussée. Le mur de la façade principale, sur le petit côté est abordé en dernier. Trois 155
équipes travaillent ensemble (16). a) De trois à huit personnes (selon les deux cas observés) continuent d'apporter des pierres qu'elles abandonnent en un tas amoncelé près de la maison. b) Le maftre de maison fait la navette entre ce tas et l'endroit où les karmi travaillent pour apporter les pierres à pied d'oeuvre. Il peut participer à leur taille grossière. C'est également lui qui apporte la boue utilisée comme mortier. Au préalable, un petit aqueduc a été construit en bambou refendu. Il permet qu'un filet d'eau se déverse dans la cour intérieure, sur ce qui reste du déblai de la fouille. Pour ce transport, la terre humide est chargée à la houe dans un panier. c) Les deux karmi, eux, s'occupent exclusivement de la construction des murs. Ils procèdent grossièrement par assises horizontales, utilisant assez rarement le parpaing. Quelques pierres sont rapidement équarries au marteau avant d'être intégrées à la maçonnerie. On cale certaines d'entre elles avec des éclats. Tous les trente centimètres de hauteur, le maftre de maison vient déverser, sur le mur, la terre qui fait fonction de mortier. Elle pénètre grossièrement dans les anfractuosités; elle prépare le lit des moellons suivants. On l'étalé rapidement du plat de la main. Les parements sont égalisés de deux façons. D'une part, au marteau, par les karmi, qui font éclater les parties des moellons qui tendent à dépasser. D'autre part, par le maftre de maison qui jette latéralement, à pleines mains, de la terre dans les anfractuosités qui demeurent. On n'utilise pas de fil à plomb. Toutes les mesures sont prises avec une tige de bambou refendu. Lorsque les murs atteignent une hauteur approximative d'un mètre, on insère dans la maçonnerie, horizontalement, quelques bambous pleins. Leur section affleure au parement intérieur. Ils dépassent perpendiculairement du parement extérieur. Il peut y en avoir trois ou quatre sur une longue façade, deux sur une petite. Leur utilisation est double. D'une part, lors de la construction, en tant que consoles ou corbeaux provisoires, ils permettent l'élaboration de grossiers échafaudages. D'autre part, en fin de construction, l o r s qu'on les retire par traction, leurs emplacements déterminent des trous d'aération. Au fur et à mesure de la montée des murs, l'équipe qui apportait les pierres est appelée à effectuer le crépissage sur les deux parements, intérieurs et extérieurs. En général, c'est un travail de femmes. On jette un peu d'eau sur la paroi du mur à crépir puis de la boue à poignée. On égalise ensuite du plat de la main. C'est le plus âgé des karmi qui juge lorsque le transport des pierres doit être interrompu pour effectuer le crépissage. Les encadrements des portes et fenêtres ont été assemblés au sol, au préalable, par les karmi. Dès le début de la montée des murs, lorsque ceux-ci atteignent une vingtaine de centimètres d'élé156
vation, les portes sont mises en place. On maçonne de part et d'autre de l'encadrement. On procède ainsi, d'abord pour la porte secondaire, ultérieurement pour la porte principale. Lorsque les murs du rez-de-chaussée ont été complètement construits, que les encadrements des ouvertures sont complètement intégrés dans la maçonnerie, les karmi effectuent alors un rituel appelé dhokâ pujâ en nepâli et lâmthe mundhum (17) en limbu. On offre un bouc aux divinités précédemment citées (Tâmpunmâ, etc.) pour qu'elles abandonnent le périmètre du rez-de-chaussée et ne franchissent plus le seuil des portes. De l'acheta (grains de riz décortiqué), quelques brins d'herbe dhubo, un peu de bouse de vache, un petit morceau de la peau du bouc, sont apposés sur le chambranle de la porte principale. Cette offrande est l'occasion d'une petite fête à laquelle participent tous les travailleurs). Les karmi reçoivent une prestation de viande du bouc sacrifié. 3. Charpente et plancher On pose d'abord les piliers du rez-de-chaussée. Ils sont en général au nombre de trois. Le pilier se dit thâm en nepâli (18), sitlân en limbu. Selon les cas, ce peut être un tronc d'arbre non taillé qui présente une fourche à sa partie supérieure pour recevoir la poutre principale de la charpente de l'étage ou du grenier. Plus traditionnellement, on trouve des madriers de section carrée, décorés dans leur partie supérieure. Dans ce cas, entre eux et la poutre principale, prend place un chapeau de bois, également décoré. On l'appelle meth en nepâli et sâben en limbu (cf. fig. 20). La pose du pilier central fait l'objet d'un court rituel récité par le chef des karmi. La pierre de fondation, baithâk lun (L), sur laquelle reposera le pilier, est d'abord mise en place. Elle est légèrement concave sur sa face supérieure. Debout devant elle, le karmi invoque Okwânâmâ (L), l'une des principales divinités domestiques pour l'amener à résider dans le pilier central. On lui offre, disposé sur la pierre, quelques grains de riz décortiqué, un peu d'herbe dhubo (N) et titepâti (N), une pièce de monnaie en cuivre, un peu d'alcool rakéi (N). On installe alors le pilier central. Le rituel ne dure pas plus de quatre à cinq minutes (19). Les deux autres piliers sont ensuite adossés contre les murs des petites faces, reposant, eux aussi, sur une pierre de fondation. Leur installation ne nécessite pas de rituel. On dispose, alors, la poutre principale appelée nidâl en nepâli et pân sin en limbu. Elle prend appui sur les trois piliers, par l'entremise des chapeaux ainsi que sur les murs des petits côtés de la maison, où ses extrémités se trouvent encastrées : leurs sections affleurent aux parements extérieurs. On effectue de la même façon la pose des piliers et de la poutre de la véranda. Sur trois des murs, à l'exclusion de celui de la façade princi157
pale, on dispose des "sablières" inférieures, appelées cepâ en nepâli, comme en limbu et destinées à soutenir les solives. Aux coins, les assemblages se font selon le procédé appelé "paume carrée". Les solives sont mises en place. Elles s'appellent dalim en nepâli et yoronbâ en limbu. Dans une maison de dimension moyenne, il peut y en avoir une dizaine de longues, et trois ou quatre courtes. Les premières prennent appui en leurs extrémités sur les deux murs des longues façades, par l'entremise des sablières et en leur centre s u r la poutre. Il est ainsi ménagé un espace grossièrement carré dans le plafond qui servira d'accès au grenier. Perpendiculairement aux précédentes, on installe les solives de la véranda. Elles reposent, d'une part, sur le mur de la façade, d'autre part sur la poutre principale de la véranda. Il peut y en avoir huit ou dix en moyenne. Enfin, dernières pièces de la grosse charpente, on applique les quatre sablières supérieures (cepâ) sur chacun des trois murs, à l'exclusion du mur de façade où la dernière des sablières repose audessus de la poutre principale de la véranda. Elles pressent ainsi les extrémités de toutes les solives. Elles sont assemblées aux quatre coins, selon le procédé nommé plus haut. Entre les sablières, dans les cavités laissées par les solives, on dispose des coins de bois. Sur le mur du fond, où les sablières ne pressent aucune solive, l'écartement est maintenu uniquement au moyen de ces coins. Au-dessus des solives, perpendiculairement, on dispose un lattis compact de bûches débitées de la même façon que du bois de chauffage et que l'on appelle jhir bot (L). C'est ce lattis qui supporte l'hourdage du plancher du grenier. Lattis et hourdage atteignent une quarantaine de centimètres d'épaisseur. Pendant tout le temps que dure l'installation des grosses pièces de la charpente, toute la main-d'oeuvre seconde les karmi. A l'issue de ce travail apparaît une nouvelle organisation. Les karmi, à califourchon sur la charpente, poursuivent et finissent la mise en place des solives. Certaines d'entre elles ont été montées non taillées; ils en scient les extrémités. Deux hommes, dont parfois le maître de maison, assurent la mise en place du lattis du plancher. Les matériaux leur sont fournis par une chaîhe d'ouvriers qui vont les chercher là où deux aut r e s les débitent à la hache. Un adolescent étale l'hourdage à la boue. C'est une boue plus humide que le mortier des murs. Une chaîne fait la navette entre la charpente et l'endroit où la boue est chargée. 4. Les murs du grenier Alors môme que l'hourdage n'est pas terminé, on entame la construction des murs du grenier. Ils reposent sur les quatre sablières : c'est-à-dire que le mur de la façade principale, à l'étage, est mon158
té au-dessus des piliers de la véranda, déterminant une avancée par rapport au rez-de-chaussée. L'organisation du travail est la même que lors de la construction des murs du bas. Les ouvertures quel que soit leur nombre sont montées de la même façon. L'épaisseur des murs du grenier est sensiblement la même qu'au rez-de-chaussée : une quarantaine de centimètres. Les pignons des petites façades sont construits en dernier. Dans certains cas, lors de la construction d'une maison basse, les solives se prolongent au-delà des deux murs de longue façade, pour former consoles de soutien des chevrons. Il en est de même pour la construction d'une maison à étage. Dans le cas de la construction d'une maison sans étage, "normale" ou "haute", on insère des consoles horizontales, en bois, dans la maçonnerie, comme on l'avait vu faire au rez-de-chaussée pour l'élaboration des échafaudages. Mais cette fois, ces pièces feront partie de la charpente pour soutenir les chevrons. Toutes à la même hauteur, il y en a quatre sur les grandes façades, deux sur les petites façades; enfin, quatre de biais, aux angles. Ces consoles sont appelées batâsi en nepâli. Enfin, plus haut, deux autres rangées de trois consoles, en rondin cette fois, et dépassant d'une vingtaine de centimètres seulement des parements extérieurs, sont installées sur chaque pignon. 5. Le comble et la couverture (20) On entame alors la construction du comble. Le pilier central, kurum sitian (L), est mis en place. Il n'a qu'une fonction partielle de poinçon. Il est dressé sur un socle de pierre, approximativement au milieu du grenier. Le plus souvent, il n'est donc pas dans le prolongement du pilier central du rez-de-chaussée puisque le grenier est plus grand que la pièce du bas, et détermine une avancée audessus de la véranda. C'est un tronc non équarri qui présente une fourche à son extrémité supérieure. Dans les maisons qui possèdent deux pignons, un seul pilier suffit. Par contre, dans les maisons sans pignon et parfois dans les grandes maisons à étage, trois piliers sont nécessaires. Dans ce cas, les piliers latéraux ne sont jamais, comme au rez-de-chaussée, adossés aux murs, à cause des ouvertures. La poutre faftière est alors installée. Elle s'appelle dhuri en nepâli et mukum tâkmâ en limbu. Elle est toujours en bambou. Sa fonction admet deux possibilités. Soit elle supporte les "chevrons" et fait donc partie du comble. Soit elle n'a d'autre utilisation que de s'intégrer à la volige et ne fait partie que de la couverture. Dans les cas les plus fréquents, lorsqu'il existe des pignons, la poutre faftière prend appui en son milieu, sur le pilier central et à ses deux extrémités sur le haut des pignons, par l'entremise d'une pièce de bois de section trapézoi'dale appelé sirâni, l'oreiller en nepâli 159
et kuhokmâ en limbu. Vient ensuite ce qui est reconnu par chacun comme le plus délicat de la construction du comble : la pose de madriers dont la fonction, selon qu'ils prennent appui on non sur la poutre faîtière, r e l è ve de ce que nous appellerions tantôt chevrons, tantôt faux-arbalét r i e r s . Ils s'appellent byâléi en nepâli, mot qu'utilisent également les Limbu. Parfois ces derniers emploient également le terme de kâpo sàn sân qui s e r t également, dans leur langue, à désigner les pannes. Nous les appellerons chevrons pour faciliter la description. Dans sa partie inférieure, le chevron prend appui en deux points. D'abord de biais, dans sa portée, sur l'angle du mur. Ensuite à son extrémité, sur les consoles. Dans les constructions élaborées, le chevron vient se loger dans une encoche de la console : un coin de bois verrouille l'assemblage. Dans les constructions plus simples, les deux éléments sont liés par des tiges souples de bambou. Le troisième point d'appui du chevron se situe à son extrémité supérieure. Tantôt, opposées deux à deux, les extrémités sont liées sous la poutre faftière ainsi qu'à cette dernière. C'est le mode d'assemblage normal. Tantôt ils reposent sur la poutre faîtière. Dans ce cas, leurs extrémités, croisées et liées ensemble, dépassent légèrement pour f o r m e r une fourche qui supportera une autre panne faîtière ajoutée et s'intégrant à la volige. Ce n'est que lorsque les karmi sont peu sûrs de leur technique qu'on utilise cette façon de faire. Les chevrons sont généralement en bois. Leur nombre varie. Dans l'un des cas observés, il y en avait sept sur chaque grand pan de toit, quatorze au total, opposés deux à deux. Deux d'entre eux étaient liés, non seulement à la poutre faftière, mais également au pilier central. Les sept chevrons supportent trois pannes horizontales. Ces dernières s'appellent bakari en nepâli. Les Limbu utilisent soit le mot nepâli soit le terme kâpo sañ sáñ. La panne inférieure est un peu différente des deux autres. Elle est en bois. Elle est encastrée sur une encoche, taillée dans chacun des chevrons et liée à chaque intersection. E l l e est plus longue que les deux autres, se prolongeant jusqu'aux deux consoles d'angle. Quoiqu'elle entre dans le soutien de la volige, sa fonction est surtout de maintenir l'écartement des chevrons au plus près de leur appui, sur les consoles. Les pannes supérieures sont en bambou. E l l e s sont simplement liées à chacune de leur intersection, avec les chevrons par des liens de bambou. La panne médiane se situe approximativement au-dessus, au niveau du parement intérieur du mur d'étage. L a panne supérieure, à mi-chemin, entre le mur et la panne faîtière. Les deux pannes supérieures peuvent être fixées soit au-dessous des chevrons, soit audessus. Dans ce dernier cas, elles supportent directement la volige. Leurs extrémités prennent appui sur les pignons. Cet ensemble constitue la partie du comble destinée à supporter 160
la couverture des grands pans du toit. Une fois terminé, on construit la charpente des toits des petites façades. Deux cas sont à distinguer, selon qu'il existe ou non des pignons. Lorsqu'il n'y a pas de pignon, une panne est mise en place horizontalement; ses deux extrémités sont attachées aux chevrons; et son centre, au pilier latéral du grenier; une autre panne, plus basse, repose sur les consoles. Trois chevrons sont alors assemblés sur ces pannes. Lorsqu'il existe des pignons, on effectue d'abord la pose des quatre chevrons : deux "droits" et deux "obliques" qui reposent sur les deux rangées superposées de consoles. On fixe ensuite trois pannes. Ces ensembles supporteront la volige des toits de pignon. Sur les grands pans du toit, la volige (21) est constituée d'un lattis de bambou refendu. Les lattes verticales s'appellent en nepâli d i r a bâta. Ce sont des bambous refendus en quatre. Elles sont au nombre de vingt à vingt-cinq espacées entre elles tous les vingt centimètres approximativement. Ces lattes sont d'un seul tenant, d'un pan de toit à l'autre, brisées au niveau de la panne faftière. Selon les cas, leur mode de fixation diffère. Elles sont toujours fixées à la panne inférieure. Par contre, dans leur partie supérieure, elles sont liées soit à l'une des pannes supérieures soit à la panne faîtière. Une fois la pose des lattes verticales terminée, on aménage les coins inférieurs des toits pour que leur volige vienne se raccorder à celle des toits de pignon. Pour ce faire, quelques lattes obliques doublées, sont liées aux lattes verticales à chacune des intersections. C'est à l'issue du travail aux bords des toits que l'on dispose les lattes horizontales de la volige. Elles sont appelées terso bâta en nepâli, perembâ bâtâ en limbu. Elles sont également au nombre de vingt ou vingt-cinq. Toutefois, à l'encontre des lattes verticales, elles sont constituées de bambou refendu en huit, et espacées de dix en dix centimètres. On commence par disposer les lattes horizontales, du bas du toit, pour remonter vers la panne faftière. Une mise en place provisoire est assurée, en liant chacune de leurs extrémités aux deux lattes verticales des bords du toit. Leur écartement est ainsi maintenu tout au long de l'opération suivante : lier les lattes horizontales aux lattes verticales. Pour ce faire, partant de la poutre faftière, un très long lien de bambou descend en spirale le long de chaque latte verticale. Il lie à chaque intersection les lattes horizontales jusqu'à la dernière, celle qui repose au bord inférieur du toit. Une fois la volige des deux grands pans de la toiture effectuée, on passe à celle des toits de pignon. Elle est fabriquée selon la môme méthode. Dans l'un des cas observé il y avait quatorze lattes verticales. Durant la construction de la charpente et de la volige, trois hommes, en général, travaillent sur le toit : les deux karmi et le 161
maftre de maison. Un quatrième débite les bambous au fur et à mesure de leur utilisation. Au moment de lier la volige, des adolescents viennent participer au travail. Il ne semble pas que les femmes aident à la construction du comble et de la volige. Elles s'occupent alors de terminer le crépissage des murs. Puis elles aménagent le sol du grenier : les unes égalisent la t e r r e qui a séché à la houe; d'autres, avec un panier, vident la terre en excès par dessus les murs. Les chaumes sont ensuite mis en place, par bottes épaisses, juxtaposées et liées. 6. Second crépissage (22) A l'issue de la construction de la maison, s'effectue un second c r é pissage. La terre blanche, ramenée en motte, sèche depuis deux ou trois jours sur des nattes dans la cour intérieure. Des enfants la r é duisent en poudre à coups de bâton. L'une des filles de la maison la tamise. La poudre est mélangée à de l'eau dans la marmite de l'alambic. Les adolescents qui effectuaient le portage des pierres se mettent alors au crépissage. Chacun d'entre eux est doté d'un petit récipient contenant la peinture et d'un petit balai. On badigeonne à coups de balais. L'opération est terminée en une matinée. Le lendemain ou le surlendemain, les femmes de la maison peignent des dessins sur les murs de la façade principale; ces dessins diffèrent d'une maison à l'autre. Ce sont le plus souvent des motifs géométriques inscrits dans un cercle. Ils font appel en général à trois couleurs le rouge, le blanc et le noir. 7. Rituel de fin de construction (23) A l'issue de la construction prend place le grand rituel himge. L'eau et le feu ont été apportés par un adolescent, fille ou garçon, qui ne doit jamais avoir été marié. En cette occasion, on sacrifie un petit cochon à Okwânâmâ. On procède auparavant à l'évocation de Sâbâ sâm (l'esprit du singe) dans la cour intérieure; puis de Yumâ dans la pièce d'habitation. Enfin, on dresse l'autel d'Okwânâmâ devant le pilier central. Le phedangma officie. Il rappelle la création du monde et de l'homme, puis le mythe d'Okwânâmâ, lié à l'histoire du premier inceste. Le cochon vivant est amené dans la maison, traîné sur le sol de la cour. On le frappe une première fois contre le sol de la véranda; une seconde sur le seuil; une troisième contre le pilier. Il est alors sacrifié avec un pieu épointé. Découpé rituellement, on offre ensuite certaines de ses entrailles, ainsi que d'autres prestations, y compris du rakéi, au pilier central, au foyer, au seuil des deux portes, aux quatre coins de la maison. Le phedangma appelle Okwânâmâ qui peut siéger dans ces diverses parties de la maison pour l'inviter à gagner le pilier central. Il divinise en 162
fonction de l'endroit où elle se trouve avant de gagner le centre de la maison. Le rituel qui dure au minimum trois ou quatre heures, se termine par un repas offert par le maître de maison à tous les a s sistants et par des danses.
NOTES 1. Le mot de karmi dans la Mewa désigne à la fois les travailleurs du bois et de la pierre. CJ (p. 34, 295) fait la différence entre sin khokpâ, charpentier et karmi, maçon; T (p. 78), sous le mot karmi, désigne les charpentiers, appelés également mistri (T, p. 509); pour maçons, il donne le mot gâro karmi (T, p. 78). Il semble que le mot et la notion soient newar; on fait, en newar, la différence entre si karmi (charpentier) et loham karmi (maçons). A ce sujet, cf. Rosser (1966), p. 86; G. S. Nepali (1965), p. 49, 60-61; Bista (1967), p. 17. Les voisins, lorsqu'ils participent à la construction de la maison, sont rémunérés comme des journaliers agricoles. Les karmi travaillent par "paires". 2. Le phedangma est un prêtre limbu. Pour les noms des prêtres et, ultérieurement, d'esprits ou de dieux, cf. Sagant (1969), p. 121. 3. La pierre se dit lun en limbu (CJ, p. 256). La brique : sellek (L) (CJ, p. 314), ï t (N) (T, p. 40). Le mur de brique sellek thâk (L) (CJ, p. 95). A l'exception des hameaux newar de Hangdrung et Dobhan, nous ne nous rappelons pas avoir rencontré de bâtisses de briques dans la Mewa. La barre à mine est un outil provenant de Dharan et d'un emploi vraisemblablement récent. Il n'en existe que quelques-unes dans le village, principalement dans les maisons de karmi. Pour l'utiliser, on retrouve nombre de gestes traditionnels : celui qui consiste à enfoncer les pieux de la goth, le mât de bambou de la cour intérieure, etc. Les marteaux sont beaucoup plus fréquents et existent dans de nombreuses maisons. 4. Le bois se dit sin en limbu (CJ, p. 295). 5. La terre : khâm, en limbu (CJ, p. 64); mâto en nepâli (T, p. 501). Pour terre rouge, râto mâto en nepâli, les Limbu disent henkhâm (CJ, p. 340), pour terre blanche, kamero en nepâli (T, p. 76), les Limbu disent khâmpulâ (CJ, p. 65) ou phokhâm (CJ, p. 198). La terre, utilisée à l'état de boue liquide, se dit lekwâ (L) (CJ, p. 262). C'est le nom de la terre inondée dans les champs de riz. 6. L'étude de l'utilisation et l'identification des bambous et des espèces végétales sera effectuée ultérieurement. 7. Le chaume se dit lin (CJ, p. 255) ou nin en limbu (CJ, p. 150). 8. Les saisons. Ce qui est dit dans ce paragraphe est à rapprocher des informations recueillies, à ce sujet, dans l'étude sur "les travaux et les jours". La saison "montante" ou "chaude" : hânlâ sâmye (CJ, p. 290, 327) (L), hubhauli en nepâli (de hubho, T, p. 42). La saison "descendante" ou "froide" : cunlâ sâmye (L) (CJ, p. 90), hïïdhauli en nepâli (de hïïdho, T , p. 42). A ce sujet, cf. Bista (1967), p. 45. "The gods. . . are. . . worshipped.. . twice a year, in November and in March. . . These.. . ceremonies are called udhauliubhauli". Cf.également Chemjong (1966), II p. 24. Les Limbus effectuent également un découpage de l'année selon les quatre saisons que connaissent les populations des collines, comme les T a mang par exemple; cf. Macdonald (1966a), p. 38. 163
Au sujet de la m i - f é v r i e r comme début de l'année, cf. Chemjong (1966), I, p. 82. 9. Sur l'implantation des Limbu dans une ceinture d'assolement médiane, cf. Caplan (1970), p. 20: "the houses, usually, stand in the middle of dry cultivated fields". La malaria qui a été combattue avec succès à Dhoban, existe encore à Dhule et Hangdrung. 10. Le site se dit himthok (L), ghareri (N) (T, p. 153). On trouve dans CJ (p. 168, 393), les mots panthok et himpânyok. Pour Bhuler (1966), p. 157, trois facteurs jouent pour l'implantation : la mousson, l'exposition au soleil, l'altitude. On cherche à vendre à des étrangers les sites marqués par la sorcellerie : c'est ainsi qu'à Libang un champ irrigué fut vendu à des Bhotiya de Kiling qui l'utilisent lors des migrations d'hiver. On ne peut retourner la t e r r e des cimetières à la charrue pour la même raison qu'on ne peut y b â t i r un site de maison. D'autres sites, sans doute à cause de l'influence des planètes, ne sont inauspicieux qu'à une famille bien déterminée. 11. Toutes les maisons, sans exception, sont établies longitudinale ment par rapport à la rivière et aux lignes de pente. Toutefois, ce qui est pris en considération dans ce paragraphe, c'est l'exposition des façades où se trouve la porte principale. 12. sisi : mort (CJ, p. 302); mikwâ : larmes (CJ, p. 210); wârok : lac, m e r (CJ, p. 275). Ces mots apparaissent dans les rituels aux ancêtres (Lumâeppâ) et lors des funérailles (sâm sâmâ). Le feu inauspicieux, celui qui ravage les maisons, est combattu par le yâbâ, prêtre limbu, lors du rituel mi sâm sepma (tuer l'esprit du feu). 13. Le rêve est considéré comme la méthode divinatoire par excellence. Certains lui accordent encore plus de crédits qu'aux divinations des prêtres. Cette "voyante" était une boksi (T, p. 461) (N), "sorcière". Dans les relations entre ethnies, il arrive que l'on considère "l'autre" comme un s o r c i e r en puissance. Pour certains Limbu, la fête des femmes (tij), est la fête des s o r c i è r e s . Au sujet de tij, cf. Bista (1969). 14. yobâ : la t e r r e (L) (CJ, p. 242); tâmmâ (L) : creuser. C'est le même rituel qui, dans l'agriculture, précède les labours. 15. Cette hauteur du soubassement varie d'une maison à l'autre. Dans certains cas, assez r a r e s , il peut atteindre plus d'un mètre. 16. L'ordre de construction des murs est le suivant : - celui qui est du côté de la rivière. - celui qui est du côté de la crête, - celui qui est à l'opposé de la façade principale, - celui qui détermine la façade principale. Cet ordre de construction est considéré comme auspicieux. 17. lâmthe : "porte" (L) (CJ, p. 252); en nepâli : dhokâ (T, p. 268). mundhum : "rituel" (L) (CJ, p. 216); acheta (T, p. 8) : "rice offered in worship". Ce rituel n'est pas propre aux seules maisons limbu; cf. par exemple G.S. Nepali (1965), p. 60-62. 18. Pilier : thâm (N) (T, p. 296); sitlâri (L) (CJ, p. 298). Chapeau : meth (N) (CJ, p. 281); sâben (L) (CJ, p. 281). On trouve, également kuprembâ (L) (CJ, p. 44). 19. Rituel de la pose du pilier central. Ce rituel paraît ici avoir été considérablement raccourci. A ce sujet, cf. Chemjong (1966), I, p. 79. baithâk (N) de baithânu (N) (T, p. 459) : to sit ( ? ). Pour baithâk lun, entendu dans la Mewa Khola, on trouve dans CJ, p. 218, muroplun. raksi (N) (T, p. 525); thi (L) (CJ, p. 127) : alcool de grain, titepati (N) (T, p. 283); 164
nâmyobâ (L) (CJ, p. 147) : Artemisia vulgaris. Nomenclature des pièces de la charpente de l'étage : - Poutre principale; pânsin (L) (CJ, p. 178); nidâl (N) (T, p. 345). - Sablières : cepuwâ (N) (T, p. 182) ou cepâ. - Solives : yoronbâ (L); dalim (N) (T, p. 306). - Coins de bois : cepuwâ tâmmâ. - Lattis : jhir bot (N) (T, p. 461, 234) (L). - Hourdage : âmphe (L) (CJ, p. 295). 20. Nomenclature des combles et de la couverture : Console : batâsi (N) (T, p. 418); pakkâ batâsi "vraies consoles" (N) (T, p. 355); cure batâsi (N) (T, p. 181). Pilier de l'étage : kurum sitlân (L) (CJ, p. 49, 298), thâm (T, p. 296); poutre faîtière : mukum tâkmâ (L) dhuri (N) (T, p. 330); supports de la poutre aux pignons : kuhokmS (CJ, p. 51); "chevrons" : byâléi (T, p. 485) (N), kâppo sân sân (L) (CJ, p. 34); pannes : bakari (N), kâppo sari sân (L) (CJ, p. 34); "chevrons" des pignons; musi (N) (T, p. 515); kânphâ (L) (CJ, p. 36). Le toit se dit khâmbu (L) (CJ, p. 65); chânâ (N) (T, p. 194); le toit de chaume s e dit : nin ou lin khâmbu (L) (CJ, p. 151); kharko chânâ (N); le toit couvert de planches : sin khâmbu (L) (CJ, p. 295); faire le toit : khâmmâ (L) (CJ, p. 65); châpnu (N) (T, p. 195); le fait de la maison se dit him som (L) (CJ, p. 334); l'angle de fafiage est voisin de 90°. Pour toute la nomenclature des éléments du comble, les karmi limbu emploient des mots nepâli plutôt que limbu. 21. Nomenclature de la volige : lattes verticales : dârâ bâta (N) (T, p. 258); lattes horizontales : terso bâtâ (N) (T, p. 289, 258), parfois appelées p e r e m b â b â t â (L); liens de bambou pour la couverture : lin toksâri. 22. Crépissage. Pour " c r é p i r " les Limbu disent chepnu (T, p. 204) en nepâli. Le tamis : câlni de câlnu (N) (T, p. 173); battre avec le bâton : hipm5 (L) (CJ, p. 332); le balai : tâmjiri (L); kuco (N) (T, p. 95). 23. Sur le rituel de fin de construction, cf. Chemjong (1966), I, p. 80. A titre de comparaison, cf. Nepali (1965), p. 62.
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CHAPITRE IX. FONCTIONS DE LA MAISON : IDEES ANCIENNES
Abordons maintenant la maison dans ce qu'elle a de vivant : comment la famille y travaille, y dort, y mange, y reçoit, s'y déplace. Nous décrirons d'abord rapidement les fonctions de la cour intérieure et de la véranda. En ce qui concerne l'intérieur de la maison, la présentation devra se faire un peu différemment. L'utilisation de l ' e s pace y est régi par des règles élaborées. Ces règles guident le comportement dans la vie quotidienne comme dans la vie rituelle; elles supposent une organisation interne de l'habitation qui, d'une maison à l'autre, est semblable ou symétrique. Parfois l'adaptation au milieu fausse la symbolique, les faits contredisent les croyances. Par exemple nous avons vu que la plupart des maisons sont ouvertes au sud ou au nord. Les villageois assurent que les façades principales donnent à l'est. C'est la façon dont les Limbu perçoivent l'organisation interne de leur maison, en fonction des idées culturelles, que nous désirons évoquer ici; et comment cette organisation interne régit strictement la vie de tous les jours dans l'habitation. Nous présenterons d'abord les principes sur lesquels est fondée cette organisation; puis comment ils s'inscrivent dans l'espace habité pour y déterminer des "catégories"; enfin le mécanisme de leur dynamique en faisant appel à des observations tirées de la vie sociale et rituelle. I. LA COUR INTERIEURE Dans la vie quotidienne, la cour intérieure est d'une très grande importance. Elle est d'abord lieu de travail. Les femmes s'y installent pour filer, tisser, tresser des nattes; les hommes pour fabriquer araire, joug, vanneries, etc. Après les diverses moissons, elle peut être utilisée comme aire à battre, kh&lâ (N) (1). L'une de ses fonctions principales est d'être une aire de séchage. D'où l'importance du choix de son exposition que l'on a étudié avec les faits de construction. Durant la saison froide, presque chaque jour, on y fait sécher le grain sur des nattes; le bois de chauffage, débité en prévision de la mousson; le tabac qui vient d'être récolté, etc. La cour est également lieu de repos et de divertissement. Après le repas du matin, les hommes comme les femmes s'y installent sur une natte pour prendre le soleil et s'accorder un moment de répit. Tout le village a des droits tacites sur la cour, comme l'un des forums possibles. La nuit tombée, alors que la maison est endormie et les portes fermées, 166
les jeunes d'autres maisons viennent y danser. Les enfants en b a s âge y passent le plus clair de leur temps, sous la surveillance d'un petit f r è r e ou d'une petite soeur à peine plus âgés qu'eux. C'est une étape dans leur conquête de l'espace villageois; elle suit celle de la véranda; elle précède celle qui les mènera à s'aventurer dans les champs, vers les maisons voisines. Lors des grandes manifestations sociales, on l'a vu, elle est lieu de rassemblement. Enfin, elle est utilisée dans le rituel. Le yäbä (L) y invoque ses esprits maîtres en dansant autour du mât. Le phedangma (L) y accomplit le rituel de tonéin (L) et des planètes, graha (N). Lors du Dasai (N), c'est dans la cour des maisons des subba que s'effectue le mär katnu (N) qui rassemble chaque chef de famille du segment de clan. II. LA VERANDA Comme la cour intérieure, la véranda est un lieu de travail et de r e pos. Les femmes, tôt le matin, y meulent le grain : c'est le premier bruit de la journée au village. Elles y vannent; battent l'éleusine; décortiquent les haricots; coupent les légumes; écossent les épis de mais. Les hommes y tressent des liens, réparent les jougs. On s'y repose, accroupi ou assis en tailleur, après le déjeuner du matin. Au retour du travail des champs, le soir, les discussions s'y prolongent. L'homme malade s'y installe dans la journée. Les enfants en bas âge y jouent; les adolescents, les invités, y dorment. On y suspend dans la journée le berceau de l'enfant. C'est un lieu du rituel, de deux sortes de rituel : d'une part le pilier central de la véranda est la réplique du pilier central de la pièce d'habitation. Le phedangma y officie. Le yâbâ n'y a pas accès. D'autre part, c'est un seuil où les prêtres se tiennent pour établir le contact ou, au contraire, le supprimer, entre les humains de l'intérieur et les esprits qui rôdent à l'extérieur. La véranda présente donc des caractères comparables à ceux de la cour intérieure. L'un d'entre eux toutefois est nettement mieux marqué. C'est celui qui concerne l'hospitalité, la relation entre la maisonnée et les gens de l'extérieur, qu'ils soient du village ou étranger, Limbu ou d'autres ethnies. C'est le lieu de rencontre traditionnel des villageois et du propriétaire, à peine un peu moins neutre que la cour intérieure : le visiteur escalade le mur de la cour; il traverse cette dernière, monte sur la véranda, tousse ou signale sa présence d'une quelconque façon, attend debout. Aussitôt, de l'intérieur, une femme vient apporter une natte. L'homme s'y assied lentement, en tailleur, pendant qu'une fille vient donner un coup de balai. Le maître de maison apparaît à son tour. En s'installant lui aussi, il présente quelques phrases de bienvenue, en attendant que l ' é tranger énonce l'objet de sa visite. L'accueil à l'intérieur de la mai167
son, s'il a lieu, prendra place ultérieurement. C'est donc sur la véranda que se traitent la majeure partie des affaires du village. Les grands échanges des prestations matrimoniales ( carakslâm, phudon, meluriphumâ (L) y prennent place; les subba y rendent la justice, amal (N). Toutes les transactions foncières s'y déroulent. On y sert le rakéi, la bière (tongba), le thé. On y parle des heures, des journées. On s'y rassemble au retour du travail (2). III. L'INTERIEUR DE LA MAISON 1. Principes qui fondent l'organisation de l'espace Il semble que l'organisation interne de la maison repose, d'abord, sur un ensemble de quatre principes, dont on peut, ultérieurement, faire découler tous les autres. Ce sont : les points cardinaux, l ' a mont et l'aval, le haut et le bas, la gauche et la droite. Voyons quelles sont les valorisations attachées à ces ensembles. a. Les points cardinaux (3) L ' E s t , en nepâli purba, se dit nâmget en limbu. Ce mot désigne à la fois le soleil levant et l'endroit où le soleil se lève. L'Ouest, en nepâli paécim, se dit nâmthâ en limbu. Soleil couchant et ouest sont également désignés par le même mot. Ces deux points cardinaux connaissent une nette valorisation, l'un par rapport à l'autre. L ' E s t est considéré comme haut, l'Ouest comme bas. Le centre du monde, pour les Limbu, est le poktânlunmâ (L), montagne que nous désignons sous le nom de Jannu : il se situe à l'Est dans la mythologie. C'est l'un des points les plus élevés de la chaihe himalayenne dans le Népal de l'Est. Dans tous les mythes limbu, il y a toujours, à un moment ou à un autre, un va-et-vient entre les dieux et les hommes, la terre et le ciel. Monter vers les dieux, c'est s'enfoncer, à l'est, vers le centre du monde. Enfin, la nuit est basse par rapport au jour. L ' E s t est lié à la vie, l'Ouest à la mort. Les rituels de Nâhânmâ (L), celui de tonéin (L), consistent à redonner une nouvelle vigueur aux " â m e s " des vivants : on va vers l'Est. Au contraire khemâ bânphe (L), le village des morts, est à l'Ouest. Le rituel de tonéin (L) se fait au petit matin. Il est lié au soleil levant, au jour, à la vie. Celui de sâm sâmâ (L), qui consiste à accompagner l'âme du mort dans l'autre monde, se fait le soir, dès que le soleil a disparu derrière la crête, que l'ombre s'allonge sur le village, annonçant la nuit. Enfin l'Est est auspicieux, l'Ouest inauspicieux. Les Limbu saluent le soleil levant. Ils ne saluent pas le soleil couchant mais le 168
feu ou la lampe qu'ils viennent d'allumer. A l'Est est donc associé la lumière, le haut, la vie. A l'Ouest, c'est la nuit, la mort, le bas. Les deux autres points cardinaux, le Nord et le Sud ont des caractères en apparence moins tranchés. Le Sud se dit temen (L) le nord thârïget (L). Tous les deux, de prime abord, sont considérés comme plats, nâ (L). Toutefois, pour eux également, une valorisation apparaît. Le Nord est associé à l'Est par son caractère de bon augure; le Sud l'est à l'Ouest pour la raison inverse. On ne peut par exemple, dans une maison, coucher la tête au Nord : c'est regarder vers le Sud, direction qu'empruntent les morts pour se rendre dans l'autre monde. Dans tous les villages de la Mewa Khola (sauf un), les cimetières sont situés au sud des habitations. On a vu comment, dans l'orientation de la maison, les données culturelles l'emportent parfois sur celles de l'adaptation au terrain : l'exposition au Nord est parfois choisie après divination pour son caractère auspicieux. b. L'amont et l'aval (4) L'amont se dit wâbufi (L) qui désigne à la fois la source de la rivière et l'endroit d'où elle coule. L'aval se dit wâme (L), qui signifie l'embouchure, en même temps que la direction vers laquelle la rivière court. L'amont est nettement valorisé. La source, c'est la pureté. On a besoin d'eau de source ou d'eau de pluie dans certains rituels. Cette eau est alors appelée sijonwâ, l'eau pure. Au contraire, l'aval c'est le pollué. Pour boire dans la rivière, on tente toujours de monter plus haut. De même pour t i r e r l'eau. Ces notions sont fortement vécues. Elles se combinent avec celles qui relèvent des points cardinaux. Dans la Mewa, orientée nord-sud, on utilise peu les mots désignant les deux points cardinaux. Pour parler du nord on dit wâbun (L), l'amont; pour le sud, wâme (L), l'aval. Dans le langage courant, kerel (L), "il est monté" signifie "il est allé au nord ou à l'est". Au contraire, kuteï (L), "il est descendu" signifie "il est allé vers l'ouest ou le sud". L'amont présente les mêmes caractères auspicieux que le Nord; l'inverse pour le Sud et l'aval. c. Le haut et le bas (5) Sur un chemin plat (nâ), qui s'enfonce de l'aval vers l'amont, il y a toujours un côté crête et un côté rivière. Le premier est désigné comme "haut" (tho (L) ), le second comme "bas" (yo (L) ). Il y a une nette valorisation du haut par rapport au bas. Tout rêve de montée, on l ' a vu, est auspicieux; de descente, inauspicieux. Si l'on rêve de serpent, cela signifie une querelle. On s'enquiert alors immédiatement de la position du rêveur par rapport au serpent. Montait-il ? Le serpent descendait ? il gagnera 169
son procès, il battra son adversaire, d. L a gauche et la droite (6) L a gauche se dit phenwa (L), la droite cukwâ (L). La droite est nettement valorisée par rapport à la gauche. On mange de la main droite; on se nettoie de la main gauche. Voyons comment ces divers principes s'inscrivent dans l'organisation interne de la maison. 2. Organisation interne de la maison (7) L a maison est d'abord divisée en deux par un axe longitudinal qui est donc toujours parallèle à la rivière. Cet axe sépare la maison en deux parties, l'une du côté de la crête, est appelée haute (tho (L) ); l'autre, côté rivière, est basse (yo (L) ). Cette distinction est valable quelle que soit la rive, droite ou gauche, sur laquelle la maison est établie. Elle ne relève pas de l'orientation de la façade principale. En fonction des données statistiques on a donc quatre structures possibles, symétriques deux à deux (fig. 32). L a différenciation apparaît dans la terminologie. Les murs des deux petites façades sont considérés comme "plats", nâ (L). Ils sont appelés nâ lun thâk (L). Par contre, le mur côté crête est appelé "mur du haut" 'tho lun thâk ou tho hân lun thâk). Celui qui domine la rivière est appelé "mur du bas" (yo lun thâk ou yo hân lun thâk). Un second axe, perpendiculaire au premier, sépare également la maison dans le sens de la largeur. Cette fois, la dénomination ne se fait pas simplement par rapport à la crête et à la rivière; elle fait intervenir l'orientation de la façade principale : c'est par rapport à cette dernière que la maison est séparée en devant, tagâri (L) et derrière ou fond, egâri (L). Cette distinction apparaît également dans la nomenclature. On différencie les deux murs "plats" des petites façades en les appelant "mur du fond" (egân lun thâk) (L) et "mur du devant" (tagân lun thâk) (L). En fonction des diverses orientations, compte tenu de l'implantation sur une rive droite ou une rive gauche, on peut donc avoir quatre organisations possibles, uniformément symétriques les unes par rapport aux autres. C'est ici que l'on voit apparaître la contradiction entre faits naturels et faits culturels. Quelles que soient les orientations réelles des façades principales, les villageois s'entendent pour insister sur le fait que chaque maison est ouverte à l'est. Il faut tenir compte de cette idée symbolique : la séparation en "haut" et "bas" faisait intervenir les deux principes corollaires de crête/rivière et de amont/aval. Celle qui concerne le "devant" et le " d e r r i è r e " est liée à l'orientation par rapport aux points cardinaux, identique, abstraitement, d'une maison à l'autre. Des quatre principes de base énumérés plus haut, seuls ceux qui concernent la droi170
te et la gauche n'apparaissent pas encore : on les verra intervenir bientôt. Dans la maison, un certain nombre d'emplacements sont privilégiés. Leur importance relève avant tout du quotidien. Elle apparaît également cristallisée dans le rituel. On l'a vu, par exemple, pour les quatre coins et les trois piliers, lors du choix du site, lors du rituel de fin de construction. Il en est de même, à des titres divers, pour le foyer et l'eau, les deux portes, la panne faîtière; la projection du toit sur le sol, la marche qui sépare en deux le rez-dechaussée. Examinons successivement la situation de chacun de ces emplacements en fonction des diverses catégories de "haut" et "bas", de "devant-derrière". Les piliers intérieurs sont aux intersections des diverses catégories de l'organisation. Ce sont eux qui déterminent concrètement les structures internes. L'axe longitudinal qui sépare en "haut" et "bas" passe par les trois piliers. Celui qui divise la maison en devant et derrière, perpendiculaire au précédent, passe par le pilier central. Ce dernier se trouve donc à l'intersection des deux axes. Il est le centre de la maison. On ne peut le "battre". On ne peut y poser les pieds. C'est devant lui que s'effectuent nombre de cérémonies. On lui fait des offrandes. La marche interne qui surélève l'ensemble du coin foyer jusqu'à la murette, est donc la représentation matérielle (partielle) de la séparation entre "haut" et "bas" au rez-de-chaussée. La poutre faîtière, lors des offices religieux, est l'ultime étape dans la maison qu'atteignent les "âmes" avant de gagner l'autre monde. Elle possède donc une fonction de nette séparation entre l'espace socialisé et celui qui ne l'est pas. Elle est également à l'étage, ce qu'est l'axe des piliers au rez-de-chaussée. En d'autres termes, c'est l'ensemble de la maison qui est séparé en deux parties "haute" et "basse". Le foyer lui aussi, on l'a vu, apparaît dans le rituel. On ne peut en "battre" les pierres. On lui fait des offrandes. Quelle que soit la situation de la maison, le foyer se trouve toujours à la fois dans le fond (egârï) (L) et dans le haut (tho) (L). Les caractères de la réserve d'eau sont moins marqués. De même, sa position, qui peut varier (8). Toutefois, dans la majorité des cas, l'eau se trouve diamétralement opposée au foyer. C'est-àdire qu'elle se situe dans le devant (tagân) (L) et le bas (yo) (L). Quelle que soit également la vraie situation de la maison, les deux portes sont également, toujours, dans une position identique par rapport à la structure interne. Toutes les deux sont dans le devant (tagân) (L). La porte principale, toutefois, est toujours dans la partie haute (tho), la porte secondaire dans la partie basse (yo). Ces situations opposées ne souffrent pas d'exceptions. C'est en fonction des catégories internes de la maison que le phedangma, lors du choix du site, différenciait nettement chaque 171
coin de la maison. Il appelait les coins de la façon suivante : le coin du fond, côté bas : yo egân; le coin du devant, côté b a s : yo tagân; le coin du fond, côté haut : tho egân; le coin du devant, côté haut : tho tagân. L o r s du rituel qui précède l'excavation, l'énumération n ' e s t pas faite au hasard : elle est identique à celle que l'on vient d'employer. Elle est de bon augure. Dans d ' a u t r e s rituels, on agit de façon inv e r s e . Ces énumérations impliquent également des façons de se mouvoir. La p r e m i è r e , que l'on tourne dans le sens des aiguilles d'une montre lorsqu'on se trouve dans le "haut"; dans le sens inverse pour le "bas". Et la réciproque, si l'on emploie la seconde façon d'énumérer. Enfin, rappelons que toute la maison est "haute" dans son ensemble, par rapport à l'espace qui l'entoure et demeure "bas". Toutefois, ici, une précision s'impose : ce n'est pas le soubassement de p i e r r e qui fait de l'habitation un site naturellement élevé comme on pourrait le penser. Ce qui est appelé "haut", c ' e s t toute l ' a i r e de projection du toit qui déborde nettement au.delà de la marche courant s u r les quatre faces de la maison (9). Ainsi, quelle que soit la situation d'une habitation, sur une rive droite ou gauche, quelle que soit l'orientation de sa façade, à l ' a mont ou à l'aval, on trouve toujours les quatre possibilités d'organisation interne que montre la figure 32 et qui se ramènent à deux types symétriques d'un même modèle s t r u c t u r a l . 3. Dynamique du système Pour étudier le mécanisme du système, nous examinerons s u c c e s s i vement, en fonction de l'organisation interne de la maison : les a c tivités du couple conjugal, d'abord dans la vie quotidienne, puis à l'occasion de l'impureté rituelle; certains aspects de la vie sociale, en prenant deux exemples, l'hospitalité et la veillée funéraire; enfin quelques exemples liés à la vie religieuse. a. Le couple conjugal Dans quelle m e s u r e la symbolique de la maison joue son rôle dans la vie quotidienne ? Si mari et femme se trouvent ensemble dans la maison lorsque cette dernière s'occupe de la préparation du r e p a s , le couple, d'ordinaire, est installé p r è s du foyer, c ' e s t - à - d i r e dans la partie "haute". La mère, ses filles, ses b r u s , se trouvent v e r s le "fond"; les hommes, au contraire, v e r s le "devant", par rapport au foyer. D'une maison à l'autre, cette disposition est constante. Le repas (10) se prend le plus souvent dans la partie haute. La figure 33 présente les positions de six familles p r i s e s au hasard, soit au moment du déjeuner, soit au moment du diner. Les positions de chacun des m e m b r e s sont remarquablement homogènes. E l l e s sont s e n s i 172
blement les mêmes qu'à l'occasion de la préparation du repas. La mère et ses filles sont dans le fond (egân) (L) par rapport au foyer. Le père et ses fils adolescents, entre le pilier central et le foyer. Les enfants en bas âge semblent ne pas avoir de place attribuée. Dans certains cas, le père se trouve contre la murette, dans la partie du devant (tagân) (L); tout le reste de la famille se situe toujours dans le fond (egân) (L) par rapport au père. Père et mère se trouvent toujours dans des positions extrêmes. L'homme a tendance à utiliser la porte principale, la femme la porte secondaire. Les activités des femmes près de la réserve d'eau les amènent à franchir fréquemment le seuil de la petite porte pour faire la vaisselle, déverser les eaux usées, etc. C'est par la porte principale que père et fils adolescents passent en général pour se rincer la bouche, à l'issue du repas. Les femmes, au contraire, en cette occasion, utilisent l'ouverture qui domine la rivière. Cette tendance s'affermit lorsque des invités sont installés sous la véranda. Alors les femmes évitent d'emprunter la grande porte qui y mène. C'est donc, en termes de l'organisation interne, la relation haut/bas qui joue ici. Aux femmes la porte du "bas" (yo) (L), aux hommes la porte du "haut" (tho) (L). La figure 34 présente diverses positions relevées au hasard dans six habitations pour dormir. En fonction de ces exemples, ainsi que d'informations générales obtenues par ailleurs, on peut dire que les tendances sont les suivantes : on dort généralement dans la partie haute (tho) de la maison plutôt que dans la partie basse (yo); dans le fond (egân) plutôt que dans le devant (tagân). On recherche en général une disposition de la tête vers l'est. On évite l'ouest et, systématiquement, le nord (11). Parfois, en raison de l'orientation de la maison, ce n'est pas possible. Alors l'orientation réelle ne semble plus jouer : on s'installe la tête près du pilier central, les pieds vers le fond, ce qui semble ramener à une orientation symbolique vers l'est. Les enfants en bas âge dorment près de leurs parents, les filles du côté de la mère, les fils du côté du père. Plus grands, ils s'écartent du couple conjugal et s'installent dans la partie basse de la maison ou sous la véranda. Il en est de même, semble-t-il, pour les personnes âgées. Les fils mariés, s'ils habitent encore la maison, on l'a vu, dorment à l'étage. Un autre point, beaucoup plus systématique, apparaît partout : la femme dort toujours à gauche de son mari. Cette dernière distinction l'emporte systématiquement sur celle du haut et bas, de devant et de fond. Au rez-de-chaussée, il arrive fréquemment que biens de lafemme et biens du mari ne soient pas nettement différenciés et d'autre part n'aient pas de place attitrée. Il n'en est pas de même au grenier. Les coffres qui contiennent les richesses du mari se trouvent toujours dans la partie haute (tho) de la maison, parfois vers le devant (tagân). Ceux de la femme, sa dot, ses propriétés personnelles, ses 173
bijoux, ses vêtements, dans la partie basse (yo), toujours vers le fond (egârï). Dans le cas d'une famille où père et mère cohabitaient avec deux fils mariés, le coffre de la mère puis celui de l'épouse du fils afhé, enfin celui de la femme du cadet, se succédaient, dans le bas, à partir du fond. On nous a dit que les vêtements mis à sécher, soit dans la cour intérieure, soit dans la pièce d'habitation, respectaient la séparation entre hommes (dans le haut) et femmes (dans le bas). Nous n'avons pu vérifier. Par contre, dans le rituel, on évite nettement, dans la plupart des occasions, de mélanger les vêtements des hommes et ceux des femmes, des enfants et des parents : on craint l'inceste. La vie quotidienne ne nous permet donc de déterminer que des tendances. Il faut chercher ailleurs une cristallisation plus nette des faits. Voyons ce qui se passe lorsque labonne marche de la vie domestique se trouve perturbée par l'impureté. Lors des règles, la vie s ' a r rête. Rêver que l'on a des relations sexuelles avec une femme qui a ses règles, c'est signe de mort. L'homme est prévenu, car alors sa femme ne cuisine plus, ne va plus chercher de l'eau. Il continue de coucher dans le "haut" (tho); sa femme ne vient plus l'y rejoindre et. va s'installer dans la partie basse (yo). C'est là, également, qu'elle prend ses repas. Elle ne peut avoir accès ni au foyer (dans le haut) ni à l'eau (dans le devant). Pendant la grossesse, la femme continue de cuisiner et d'aller puiser l'eau. Toutefois, deux points paraissent importants : dès que son mari entre dans la maison, elle lui abandonne la partie haute pour s'installer dans le bas. Elle dort au même endroit que lors de ses règles. L'accouchement se fait à l'intérieur de la maison. Il ne peut prendre place ni dans le haut (tho) de la maison, ni dans le devant (tagâri) : la femme, là encore, est installée dans le fond (egân) en bas (yo) (fig. 3 5 a ) . A la suite de la naissance, il y a une période d'impureté qui dure trois ou quatre jours selon qu'est né une fille ou un garçon. C'est à ce moment-là que s'effectue la plus nette séparation des deux sexes. Un complet dédoublement apparaft (figure 35b). Le foyer en tho (L) est conservé par le mari pour cuisiner son propre repas. Un autre foyer est installé en yo (L) pour la mère, l'enfant et la sagefemme. La réserve d'eau est pareillement dédoublée. Celle du devant (tagân) reste à l'homme. Une réserve, établie en egSh (L), r e vient à la femme. L'utilisation des portes est systématiquement r é glementée. La femme ne peut sortir que par la porte du bas; l'homme, par celle du haut. Pendant ces trois ou quatre jours, mari et femme sont constamment séparés. L'homme se tient constamment dans le haut (tho); la femme, dans le bas (yo) sans qu'ils aient la possibilité d'empiéter sur leurs territoires réciproques (12). Enfin, à l'issue de cette période, se passe une petite fête, la 174
mise au berceau (yâiidân pokmâ). Lors de ce rituel, deux points nous intéressent. Tout d'abord le phedangma vient purifier la maison. Il procède comme indiqué sur la figure 35 c. Il entre dans la maison par la porte principale avec un récipient d'eau lustrale et un "goupillon" de feuilles. Restant dans la partie basse (yo), il se dirige vers le fond de la pièce. Il arrose le pilier central puis le foyer de la femme puis la mère elle-même. Alors, partant du pilier du fond de la maison (egân sitlâri), il remonte vers la porte secondaire en arrosant le mur. Il "chasse" l'impureté par cette porte. Il pénètre de nouveau dans l'habitation, va jusqu'au pilier de façade (tagân sitlan) et recommence la même opération, demeurant toujours dans la partie basse. Il recommence exactement les mêmes gestes pour l'homme, mais cette fois il demeure constamment dans la partie haute et "chasse" en deux fois les impuretés par la porte principale. Un peu plus tard, dans un but identique de purification, on passe un enduit d'eau, de terre rouge et de bouse de vache, sur le sol battu du rez-de-chaussée. Pour toute naissance, le mouvement est le même. On part de l'extérieur de la maison, de la véranda, pour aller vers l'intérieur, le fond de la maison, (fig. 35 d). C'est exactement l'inverse qui se passe à l'occasion des rituels funéraires. Ainsi la femme est associée, dans l'organisation interne de la maison, au fond (egân), au bas (yo) et, à titre secondaire, à la gauche et aux deux points cardinaux de l'ouest et du sud (13). L'homme au contraire, au devant (tagâri), au haut (tho), à la droite, à l'est et au nord. Tant qu'aucune impureté ne vient perturber la bonne marche de la vie quotidienne, les deux couples d'opposition haut/bas, devant/derrière assurent, par leur combinaison, une médiation et permettent à la femme d'avoir accès à tout moment à l'eau et au foyer. Toutefois, dès que des circonstances particulières apparaissent, dès que la vie s'arrête, les médiations ne peuvent plus jouer et chacun des deux sexes est renvoyé dos à dos, la femme en yo, l'homme en tho. b. La vie sociale Le mécanisme des catégories s'inscrit également dans le cours de la vie sociale. Nous allons le voir à partir de deux exemples : l'hospitalité d'une part; certains aspects des rituels funéraires de l'autre. 1°) L'hospitalité. En pays limbu, comme ailleurs au Népal, les règles de l'hospitalité sont très élaborées. Le formel de l'institution n'est cependant qu'une trame qui disparaît sous la générosité et la chaleur de l'accueil. Il s'agit, d'une part, de donner toute commodité à l'hôte qui s'arrête au moins une nuit, parfois deux ou trois jours. D'autre part, de préserver l'intimité de la famille qui reçoit. Enfin, si l'hospitalité est la même pour tous, l'étiquette veut que l'on distingue l'appartenance au groupe social, d'abord; ensuite, que toujours soit indiquée la hiérarchie de l'hôte, par rapport à son invité. 175
C'est le clan qui est déterminant dans la reconnaissance du groupe social. Dans le cadre de l'ethnie, deux inconnus s'abordent en s'appelant cousins (lunwâ) (L) (14). De clans différents, ils sont des alliés en puissance. L'inconnu, comme l'allié réel, ont donc môme statut. Reçus dans la maison, on les installe dans la partie basse (yo) de la pièce d'habitation. Ce sont des invités (tarebâ) (L). Au contraire, le membre d'un même clan s'assied près du foyer dans la partie haute (tho). Il ne jouit pas du statut d'invité. C'est un f r è r e . Seule exception à la règle, l'oncle maternel (kwâ), est chez lui dans la maison du fils de sa soeur. S'il est présent à l'occasion d'une fête, d'un rituel, d'une quelconque réception, il peut disposer des r é serves, donner des ordres. Lui non plus n'est pas un invité. Lui aussi a accès au foyer. Ainsi la distinction entre membre du clan et allié, entre "nous" et "les autres", se fait très concrètement, dans le cadre de la maison, en fonction des deux catégories du haut et du bas. La hiérarchie entre deux individus dépend de leur position réciproque dans le réseau de parenté (chaque relation est nettement hiérarchisée), de leur âge, et, moins facilement perceptible, de la puissance politique et économique de chacun. Dans le cadre de l'hospitalité, la hiérarchisation se fait par de multiples détails. Pour s'asseoir, par exemple, on peut avoir droit à une simple natte (gundri) (N); à une natte et une couverture (râri) (N); ou bien, à une natte, une couverture et un tapis tibétain (gâlâïcâ) (N). Les invités, en général, dorment sous la véranda. Lorsque la nuit tombe, le maître de maison s'assure en personne que chacun dispose d'un matériel de couchage (15) suffisant. S'il se trouve dans une position de supériorité hiérarchique, il demande directement ce qui manque; il distribue oreillers, nattes, couvertures; les invités s'installent eux-mêmes. Dans la situation inverse, c'est indirectement qu'il s'enquiert des besoins, le plus souvent en observant : il arrange lui-même l'endroit où chacun dort. Selon sa position, également, on parle le premier, on pose des questions, on aborde les sujets que l'on veut; ou bien, au contraire, on ne fait que répondre, souvent par monosyllabes; on attend qu'on vous parle. Les repas, les boissons offertes, tiennent compte, eux aussi, du même souci : la fréquence de l'alcool ou de la bière; la façon dont ils sont servis; le nombre d' "amuse-gueule" (acâr) (N) qui les accompagnent; la qualité du repas, avec ou sans riz, avec ou sans viande; la manière de présenter l'eau; le fait que l'on dine avec ou avant le maître de maison : tous ces détails sont nettement significatifs. C'est cependant par le biais du mécanisme des catégories internes de la maison que s'effectue l'essentiel de la hiérarchisation. En deux occasions, l'invité est amené à pénétrer dans la pièce d'habitation; souvent, pour discuter avec son hôte, devant une boisson qu'on lui offre; et toujours, pour prendre son repas. Prenons quelques exemples (cf. fig. 36). Un gendre reçoit son beau-père. D'abord se manifeste la distinction des clans : le gendre, 176
maître de maison, demeure dans le haut (tho), son beau-père dans le bas (yo). La relation de parenté est nettement hiérarchisée : le gendre, inférieur, s'installe dans le fond (egân), par rapport à son beau-père qui demeure dans le devant (tagân). Un f r è r e de mère (kwâ) (L), reçoit un fils de soeur (lâmsâ) (L). La figure 36 montre leurs positions réciproques : le neveu est dans le fond de la maison (egân); l'oncle, dans le devant (tagân) : cela, c'est pour la hiérarchie. Le neveu est dans la partie basse (yo); l'oncle, dans le haut (tho) : c'est la différentiation des groupes sociaux. Parfois les changements de statut ou bien le manque d'une nette hiérarchisation de certaines relations de parenté, amènent à l ' e m b a r r a s ou à la plaisanterie. Un homme reçoit sa soeur afhée, mariée dans un autre village : il tente de la faire asseoir dans le haut de la maison, vers le devant. C'est courtoisie : il reconnaît ainsi l'aîhesse et l'appartenance au même groupe. La soeur parfois, s'esquive. Mariée depuis longtemps, elle est censée ne plus appartenir au clan de son f r è r e , mais à celui de son mari. En même temps la position de ce dernier, "preneur" de femme et non "donneur", le met dans une position d'infériorité : sa femme va s'installer dans le bas (yo) vers le fond (egân). Deux cousins croisés (lunwâ) du même âge, sont dans une relation d'égalité, marquée par la plaisanterie. Souvent ils jouent à celui qui se retrouvera le plus loin vers le devant (tagân). Au bout du compte, ils se trouvent, riant, l'un en face de l'autre, de part et d'autre du pilier central. Dans la vie sociale, les catégories de haut et de bas marquent l'appartenance au clan, la distinction entre "l'os" et "la chair", les f r è r e s et les alliés, "nous" et "les autres". Au contraire, c'est en fonction du devant et du fond que s'effectue la hiérarchisation. Elle est également valable pour les gens d'un même clan : un père, vrai ou classificatoire, un f r è r e afné, se trouvent toujours dans le devant de la maison par rapport au fils, au f r è r e cadet : on l ' a vu, partiellement, à l'occasion du repas. 2°) Les rites funéraires. Lors des funérailles, toutes les catégories sociales sont réunies, toutes les croyances liées au destin de l'homme sont fortement ressenties. Les unes comme les autres apparaissent dans le rituel. La nuit qui précède l'enterrement, on veille à l'intérieur de la maison. C'est en fonction de l'organisation interne que chaque idée trouve son expression concrète. Le mort ne peut être placé dans le "haut" (tho) de l'habitation. Comme le nouveau-né, comme la femme, comme l'allié, il appartient au domaine du "bas" (yo). Toutefois, il conserve son caractère humain : on ferme les portes; poulets, chiens et chats, tout le monde animal qui pourrait, en temps ordinaire, être parfois toléré à l'intérieur, est tenu à l'écart : la maison devient "haute" dans son ensemble, par rapport au reste du monde et le mort en fait toujours 177
partie. L a tête du mort se trouve en général (16) vers le fond de l'habitation, les pieds dirigés vers le devant, où sont les portes. C'est ainsi qu'il franchira le seuil, qu'il s e r a porté vers le cimetière. Ce symbolisme du départ s'inscrit également dans le rituel de purification qui suit la levée du corps (sâm yunmâ) (L) : à l'inverse de ce qui se passe lors de la naissance, c'est de l'intérieur vers l'extérieur que l'on étale l'enduit, sur le sol du rez-de-chaussée. En même temps, le cadavre doit avoir la tête au nord, c ' e s t - à - d i r e regarder vers le sud, vers le cimetière, vers l'aval, vers le chemin qu'il va prendre pour gagner l'autre monde. Plusieurs principes semblent donc ici en cause, parfois en contradiction les uns avec les autres : on tente de concilier les vraies orientations avec les dispositions contingentes à la structure interne de la maison. L a symbolique des deux portes n'entre pas en ligne de compte : homme ou femme, mort naturelle ou malemort, c'est par la porte principale que l'on fait sortir le cadavre. Par contre la différentiation sexuelle s'exprime, comme à l'occasion de la naissance, par le symbolisme répété des chiffres trois et quatre. Dans le cas le plus fréquent d'une façade exposée vers l'aval, le corps se trouve donc étendu dans le bas (yo); allongé parallèlement à la poutre faîtière; la tête vers le fond et le nord; les pieds vers l'aval et le sud. Les assistants à la veillée funèbre s'installent autour de lui, comme s'il figurait un arbre généalogique. L a distinction des générations se fait en fonction des parties du corps : les grands parents sont repoussés au.delà de la tête; les parents s'installent à hauteur du visage; les frères et cousins, aux épaules; les enfants, aux jambes; les petits enfants, au-delà des pieds. Les vieux, comme le mort, ont donc le visage tourné vers le sud; les jeunes, comme le nouveau-né, vers le nord. Si l'on demande justification d'une telle disposition, le Limbu répond que tout est selon le "sens du respect" : "vous ne saluez (namaste) (N) ni le sud, ni votre propre petit fils". En fonction du corps également, la disposition des parentés de "l'os" et de la "chair". Si le mort était célibataire, son père et les siens s'installent à ce que l'on appelle son flanc droit; le frère de la mère et s a famille, sur son flanc gauche. Mais dans une maison ouverte vers l'aval, sur une rive gauche, ces positions sont en contradiction avec celle du haut, domaine du clan et du bas, celui des alliés. C'est finalement le second principe qui semble l'emporter. Mais la terminologie droite et gauche est conservée. Si le mort était marié, le père, l'oncle maternel se retrouvent ensemble sur la droite (ou le haut), opposé au beau-père qui se tient avec les siens sur la gauche (ou dans le bas). Enfin, quelle que soient les contingences des orientations, les femmes en général sont à gauche des hommes. Ainsi, lors de cette veillée funèbre, de multiples représentations s'enchevêtrent. On a l'impression que cette nuit là, il faut tout exprimer. Toutefois c'est dans le cadre, très simple, de l ' o r 178
ganisation interne de la maison que se traduit concrètement chaque symbole. c. Aspects du rituel Le mécanisme des catégories, par des détails infiniment répétés, se prolonge jusqu'au plus profond du domaine religieux. Chaque année, les rituels de Nâhânmà (L), Mânennâ (L) et Lumâeppâ (L) s'effectuent ensemble, avec ceux de tonéin et des planètes (graha) (N), à deux reprises, dans chaque maison. Une première fois en novembre-décembre, lors de la saison "descendante"; une seconde en mars-avril, au début de la saison "montante". Le premier, Nâhânmâ, se fait au nom du seul chef de famille : on fait une offrande à une divinité guerrière qui siège dans un pays mythique appelé co lun (L). En échange, le prêtre qui officie, restitue au maître de maison une "âme" (mukumâ sâm), restaurée de ses qualités guerrières. Le rituel de Mânennâ, lui, associe, sous la direction du père, toute la famille dans un même culte. On offre un poulet à la divinité du "groupe migratoire de clans" (17). Lumâeppâ enfin, concerne les ancêtres. Ces trois rituels sont liés à la filiation clanique. Ils se transmettent en ligne patrilinéaire. Lorsque les femmes y sont associées, c'est de façon marginale. Le mythe récité évoque les liens de descendance du maître de maison avec le héros fondateur du clan ou du groupe de clans. Le caractère de ces cérémonies, nettement marquées au sceau des hommes, trouve son expression dans les catégories de la maison : les trois autels sont toujours installés dans la partie "haute" (tho), l'un à côté de l'autre. Pendant toute la durée du Nâhânmâ, la femme ne peut avoir accès au foyer. Elle demeure dans le bas (yo) et le fond (egàn) de l'habitation. Lors du Mânennâ, le mari et son é pouse, une coupe d'eau dans chaque main, sont amenés à faire des offrandes au pilier central, au foyer, enfin au seuil des deux portes. Pour ces deux dernières, la succession des opérations fait apparaître une nette distinction entre l'homme et la femme. Cette dernière se présente d'abord au seuil de la petite porte, celui de la partie basse de la maison, pour finir par la porte du haut. C'est l'inverse pour l'homme. En plus de l'association des portes aux deux sexes, on r e trouve ici, une façon de se mouvoir, que l'on avait évoqué en décrivant les quatre coins de la maison. D'autres cultes concernent plus particulièrement les femmes. Ils se transmettent de mère en fille. C'est pourquoi, très fréquemment, les femmes enceintes cherchent à retourner dans leur village pour accoucher. Elles craignent que chez leur mari, les prêtres ne sachent pas propitier les esprits qu'elles ont reçu de leur mère. Ces derniers sont multiples (dundune, miku, kembâ, pàiunlun, kebo, etc.). Aucun de ces rituels ne peut se faire à l'intérieur de la maison. Tous s'effectuent dans la cour intérieure, dans le champ le plus proche, déterminé comme bas (yo) par rapport à la maison, haute (tho). 179
La même distinction apparaît entre rituels domestiques et ceux qui relèvent d'une offrande aux f o r c e s de la nature. P a r m i les p r e m i e r s , on peut compter Yumâ (L) g r a n d - m è r e , qui représente s u r t e r r e le dieu c r é a t e u r et pourrait p a s s e r pour héros civilisateur des Limbu; Okwànâmâ (L) également, qui siège dans le pilier central de la maison et supporte le poids du monde. Tous deux s'effectuent dans la maison "haute" (tho). Au contraire toutes les propitiations concernant Tàmpunmà (L) (maître de la forêt), Toksonbâ (L) (des crêtes), Sengâ (L) (des fonds de vallée), Wârokmâ (L) (des lacs), Koccomâ (L) (la chienne), etc. , se font hors de la maison, dans un champ en t e r r a s s e , "bas" (yo). Dans ces d i v e r s e s occasions, les distinctions haut et b a s ne sont pas les seules à intervenir. L e s autres catégories leur sont étroitement mêlées et d'un constant r e c o u r s . Arrêtons-nous un peu plus longuement pour examiner ce qui distingue les vivants et les m o r t s . A l ' i s s u e des funérailles, au cours d'une cérémonie appelée sâm s â m â (L) (18), le prêtre limbu accompagne l'âme du mort jusqu'à khemâ bânphe (L), le village des a n c ê t r e s . Après avoir fait appel à ses e s p r i t s m a f t r e s , c ' e s t depuis la maison qu'il entreprend son voyage dans "l'autre monde". Il t r a v e r s e telle rivière, longe tel chemin bordé de tel a r b r e , atteint telle montagne. Il finit par se trouver au " c a r r e f o u r des huit routes"(yet lâmdomâ). Alors il s'enfonce v e r s l'ouest jusqu'à un lac proche du village des morts où il donne congé à l'âme que sont venus attendre les ancêtres, s u r l ' a u t r e rive. Il regagne ensuite la maison p a r le même chemin. Le "voyage" que suppose le culte de Nâhânmâ ou de tonéin qui concerne, lui, les vivants, se déroule selon le même scénario. De la maison, le p r ê t r e gagne le " c a r r e f o u r des huit routes". Jusqu'à cette étape, le chemin est le m ê m e que pour accompagner l ' â m e du mort. Mais à p a r t i r des huit routes, c ' e s t v e r s l ' e s t que se dirige le p r ê t r e officiant pour les vivants. Ce qu'il y a de t r è s particulier, c ' e s t qu'à l ' i n t é r i e u r de la maison, les itinéraires empruntés au départ diffèrent selon qu'il s'agit des morts ou des vivants, comme ils diffèrent, dans l'autre monde, à p a r t i r du " c a r r e f o u r des huit routes". Dans tous les rituels qui concernent les morts (Lumâeppâ, sâm sâmâ) (L) les étapes intérieures sont successivement le foyer, la f l a m m e , la fumée, le crochet au d e s s u s du feu, l'étage : au contraire pour les vivants (Nâhânmâ, tonéin) (L) c ' e s t le pilier central et ses divers niveaux qui servent de point de départ. Les deux chemins, c e lui des m o r t s et celui des vivants,ne se rejoignent qu'à la poutre faîtière. On trouve ici la coiïicidence entre l e s s t r u c t u r e s de l ' e s p a c e habité, et celles de l ' a u t r e monde. Si l'on considère que yet lâmdomâ constitue une s o r t e de rose des vents, elle a sa correspondance dans l ' o r ganisation interne de la maison (figure 38). Si la façade principale est symboliquement ouverte à l ' e s t , alors le foyer, comme khemâ bânphe (L), se trouve à l'ouest par rapport au pilier central. Et l'on 180
obtient les associations suivantes : est - devant (tagàrï) ouest - fond (egân) nord - haut (tho) sud - bas (yo). Le pilier central étant alors considéré comme l'axe du monde dans le rituel de la même façon qu'il est l'axe central de la maison. Notons enfin que l'autel de Lumâeppâ (L) se trouve toujours vers le fond de la maison par rapport à celui de Nâhânmâ (L), dans le devant, quelles que soient les orientations vraies. Lumâeppâ se trouve donc à gauche et Nâhânmâ à droite. La succession de l'office se fait dans l'ordre Lumâeppâ, Mânennâ, Nâhânmâ, considéré comme auspicieux. On retrouve alors une façon de se mouvoir qui rappelle celle qui concernait les quatre coins de la maison dans le rituel à Okwânâmâ. Mais cette fois, ce ne sont plus hommes et femmes qui sont en cause mais vivants et morts. Bien d'autres caractères du rituel pourraient être interprétés ainsi, selon les termes des catégories de la maison. Nous n'insisterons que sur un dernier point, celui qui concerne les deux principales catégories de prêtre limbu, le phedangma et le yâbâ. Cette distinction ne concerne pas seulement les Limbu. Très nombreuses sont les populations tibéto-birmanes du Népal à connaître ces diverses sortes de prêtres : citons les Gurung (19), les Raî, les Sunuwar, les Lepcha, etc. Jusqu'à présent les recherches sont trop peu avancées pour qu'on ait pu nettement expliquer les différences. Ce que nous formulons ici n'est donc rien d'autre qu'une éventuelle direction que pourrait prendre l'enquête. De prime abord, il existe une nette distinction entre ces deux prêtres. Au yâbâ (L) (20), tout ce qui relève d'un ensemble maudit. Il "tue l'esprit du feu" (mi sâm sepmâ) (L) qui vient de dévaster une maison. Il "tue les esprits mauvais de la malemort" (sugut, soghâ sepmâ); il accomplit les cérémonies qui doivent être faites après l'inceste (lundhun kâi pokmâ). Ses esprits maîtres, la buse (muyâ) (L), le chat sauvage (miyon) (L), sont des "sorciers" des plus dangereux. Il leur b a r r e la route (lâm sâkmâ) (L) de la maison; l o r s qu'ils ont investi une demeure humaine, c'est lui qui est appelé pour les raccompagner dans "l'autre monde". Au phedangma (L) (21), au contraire, tout ce qui est du domaine de la normalité, tout ce qui a pour fonction d'assurer la bonne m a r che de la vie quotidienne : mariage, funérailles de mort naturelle (sâm sâmâ) (L), culte des ancêtres (Lumâeppâ) (L), rites à la naissance (sâm lâmâ, sâpok comen), purification le jour du yândân pokmâ (L), propitiation des forces extérieures (Tâmpunmâ, Toksonbâ, etc. ) (L), rites agraires (yobâ tâmmâ) (L), offrandes et relations avec les divinités domestiques (Yumâ, Okwânâmâ), etc. Cette distinction est banale. Elle apparaît pour un grand nombre de populations, non seulement dans les confins himalayens mais éga181
lement sur l'ensemble de l'Asie du sud-est. Toutefois, lorsque l'on entre dans les détails, on retrouve bon nombre d'oppositions qui nous sont familières. Très nettement, elles s'expriment selon les catégories de la maison. La figure 37 présente les emplacements des autels à l'occasion des différents rituels. A l'intérieur de la maison, seul le phedangma est habilité à officier dans le haut (tho) (Nâhânmâ, Mânennâ, Lumâeppâ, Yumâ) (L). Le yâbâ n'y a jamais accès. Lorsque c'est l'ensemble de la maison que l'on considère comme haut (tho) par rapport à l'espace qui l'entoure (yo) la distinction est encore plus nette. Le phedangma est associé au pilier central de l'intérieur et à celui de la véranda (lors du tonéin) (L); le mât de la cour intérieure, au contraire, est au nom du yâbâ (L) : il s'appelle yâgesin (L). C'est là qu'il accomplit ses danses lorsqu'il est possédé par ses esprits maîtres. Les trois piliers donnent tous accès à l'autre monde. Toutefois le phedangma (L) s'engage dans son voyage en traversant la maison. Le second ne le peut pas : il énumère les divers niveaux du mât yâgesin (L). Les deux chemins, identiques ensuite, ne se rejoignent qu'au bord du toit. En d'autres termes, vraisemblablement, le yâbâ (L) est lié à la catégorie yo (L); le phedangnaa (L) au tho (L). Prolongeant cette opposition, peut-être pouvons-nous évoquer une relation entre le phedangma et les hommes, le yâbâ et les femmes. La fonction du premier n'est jamais assurée par une femme; le rêve de relation sexuelle lui est défavorable; c'est l'inverse pour le yâbâ, dont les esprits maîtres sont féminins, qui porte une longue robe. A tort ou à raison, lorsqu'il danse autour du mât yâgesin (L), les villageois voient en lui une femme. Autre notion déjà rencontrée, celle de la droite et de la gauche. Lorsqu'une vocation religieuse se déclare au village, on s'interroge sur le destin du futur prêtre : s e r a - t - i l phedangma ? Sera-t-il yâbâ ? Si c'est un phedangma qui est appelé pour déterminer le caractère de la vocation, il accomplit une offrande à Nâhânmâ (L). Atteignant "le carrefour des huit routes", il gagne le "monde des vivants". Il s'installe pour diviniser en un point appelé sum lâmdomâ (22). Devant lui s'étend le co lun (L). Trois chemins bifurquent. Si l'offrande à Nâhânmâ est reçue par le chemin de droite l'homme sera phedangma; par la gauche, yâbâ; le centre appartient au "monde des lai'cs" tumiàhân. Et c'est bien par le chemin de gauche, exactement selon les mêmes étapes, que le yâba, ayant lui aussi gagné l'autre monde, en d'autres occasions, raccompagne ses esprits maîtres, la buse et le chat sauvage. Assez vraisemblablement les catégories s'enchevêtrent successivement deux à deux pour assurer, comme dans la relation homme/ femme, une série de médiations : elles permettraient peut-être d'expliquer ce qui nous paraît actuellement comme des contradictions (23). Quoiqu'il en soit, à l'issue de cet aperçu concernant les mécanismes des catégories à l'intérieur de la maison, nous pouvons en 182
résumer les aspects principaux dans les termes suivants : a) L'organisation interne de la maison, très simple, est intégrée profondément à un ensemble de croyances socio-religieuses qui est l'essence même de la culture limbu. b) Les catégories de la maison ont des fonctions nombreuses qui permettent d'assurer la bonne marche de la vie quotidienne et rituelle, sociale et religieuse. c) L'habitation semble conçue sur le même modèle que celui du corps humain, de l'espace habité, de l'autre monde. On se trouve en présence de l'idée bien connue de "mondes emboités" les uns dans les autres. Ainsi, à une époque marquée par l'acculturation, l'organisation interne des maisons habitées par les Limbu ne semble pas touchée par les contacts socio-économiques. Bien plus : abandonnant, après la conquête gurkha, leurs maisons sur pilotis, en bois, établies sur un sol en pente, les Limbu ont emprunté aux immigrants indo-népalais des techniques et des matériaux nouveaux pour construire leurs habitations. Dans cette maison très différente, il semble avoir plaqué, telles quelles, leurs vieilles idées sur l'organisation de l'espace. NOTES 1. La cour intérieure : sur son utilisation, cf. Caplan (1970), p. 20. La cour intérieure, sur le plan culturel, fait partie de la maison. Lors des rituels de "fermeture du chemin" (lâm sâkmâ), c'est au-delà de la cour intérieure que le yâbâ officie. 2. Au sujet des prestations matrimoniales qui prennent place sur la véranda, cf. Sagant (1970), p. 71-98. 3. Les points cardinaux : - Est : purba (N). On trouve trois mots dans CJ pour désigner l'Est : nâmget (CJ, p. 146), nâmpin (CJ, p. 146), sebun (CJ, p. 348). C'est nâmget que nous avons entendu dans la Mewa. - Ouest : nâmthe (L) (CJ, p. 146), paécim (N) (T, p. 370). - Sud : temen (L) (CJ, p. 115), dakéin (N). - Nord : thânget (L) (CJ, p. 124), utar (N). Les Limbu, comme les Népalais, privilégient l'Est qui est l'Orient v e r s lequel on regarde. De ce fait, le Sud est associé à la droite et le Nord à la gauche. Toutefois, nous ne savons pas si cette valeur est proprement limbu. L'association Est-Nord, Ouest-Sud s'oppose à celle qu'indique Pignède (1966), p. 293. A ce sujet, nous devons dire qu'ayant travaillé principalement dans une vallée orientée Nord-Sud et sur une rive gauche, il est possible que s'effectuent des associations contingëntes à des données géographiques p a r ticulières. Par exemple, au début de notre enquête, on nous a donné pour "Est" le mot "haut", pour "Ouest" le mot "bas", pour "Nord" le mot "amont", et pour "Sud" le mot "aval". De ce fait, lorsqu'une orientation symbolique apparaît dans le rituel ou dans la vie quotidienne, malgré les questions posées, il arrive qu'on ne parvienne pas à déterminer laquelle de ces catégories est déterminante. C'est pourquoi actuellement, il nous paraît vain de tenter une comparaison avec les données des autres populations des collines, d'une part et avec le Tibet d'autre part. Au sujet de l'importance des points cardinaux chez les autres nopulations des collines cf. Pignède (1966) p. 290, 293, 312, 365, 385; Allen (1972), p. 82, 83; Macdonald (1966 a), p. 34; Gorer (1938), p. 70, 73. Au sujet de l'association points cardinaux-élévation dans la culture tibétaine, cf. Stein (1962), p. 24.
4. Amont : wâbun (L) (CJ, p. 273). Aval : wâme (L) (CJ, p. 274). Sijonwâ (L) (CJ, p. 298) : l'eau "claire", l'eau pure; elle est associée au froid : cunnâwâ (CJ, p. 90), en mot à mot, "eau froide"; au sens figuré, "eau sainte". De môme, l'eau polluée est associée au chaud. C'est une notion t r è s courante, semble-t-il, dans le Népal des collines. 5. Le haut : tho (L) (CJ, p. 136); le bas : yo (L) (CJ, p. 240). Au sujet de cette notion dans la civilisation tibétaine, cf. Stein (1962), p. 23, 171 (mtho en tibétain). Chez les Rai, Allen (1972), p. 84; Mac Dougall, passim. 6. La gauche : phenwâ (L) (CJ, p. 193). La droite : cukwâ (L) (CJ, p. 89). On trouve également pour gauche : phencâii (L) (CJ, p. 194), pour droite : cupcân (L) (CJ, p. 91). 7. Cette organisation interne de la maison est valable pour 87% des maisons étudiées : toutes celles orientées vers le Nord ou le Sud. Devant : tagâri (L) (CJ, p. 101). Le fond : egân (L) (CJ, p. 101); ek signifie le dos (CJ, p. 24). Cette organisation interne de la maison est très proche de celle des Rai, étudiés par C. Mac Dougall dans la Hongu Khola. 8. Sur plus de quatre-vingt maisons de structure traditionnelle, une seule fois nous avons trouvé le foyer établi dans le "bas" de la maison. P a r contre, l'emplacement de l'eau varie plus fréquemment. Dans 60% des cas environ, il se trouve dans le "bas" et le "devant". 9. Cette notion de la "projection" du toit sur le sol, séparation entre le haut et le bas, semble partout identique dans le Népal des collines. Dans le rituel limbu consistant à tuer les esprits des femmes mortes en couches (sugut sepmà), on attire lesdits esprits sur le toit de la maison, puis par la vertu du verbe, on les amène à descendre le long d'un fil de coton qui pend du toit, au-dessus d'une fosse où est préparé un repas; alors, on les tue à coups de tisons. 10. L'endroit où l'on prend les repas s'appelle câmâ den (L) (CJ, p. 85). 11. Il semble que l'orientation à l'est, pour dormir, soit la plus f r é quente. 12. Sur l'impureté de la naissance, ce sont des règles traditionnelles qui sont exposées ici. Il arrive, actuellement, que, dans certains cas, on ne les suit plus. P a r exemple, nous avons vu, à l'occasion d'une naissance, un mari dormir sur la véranda et p r é p a r e r ses repas hors de la maison, dans une dépendance. 13. Remarquons qu'entre hommes et femmes, une autre distinction symbolique apparaît constamment : le chiffre quatre pour les hommes, le chiffre trois pour les femmes. 14. Cousin croisé : lunwâ, (L) (CJ, p. 257 donne lunâ). Invité : tarebâ (L) (CJ, p. 101). Oncle maternel : kw5 (L) (CJ, p. 55 dans le composé kwâjâni). La hiérarchisation des relations de parenté se fait de façons diverses. On voit jouer, entre autres, l'utilisation du chalumeau de la bière. Pour toutes ces données, cf. Mac Dougall, passim. 15. Il est t r è s r a r e que les invités puissent dormir à l'intérieur de la maison; acâr (N) (T, p. 7) : "pickles". 16. En ce qui concerne les dispositions lors des rituels funéraires, c e r tains points, dans certains cas, particulièrement ceux qui concernent la place des membres de la famille dans la maison, ne sont pas éclaircis. Nous aborderons la discussion ultérieurement. 17. Certains clans ont en commun un ancêtre, une légende de migration, un territoire d'origine, un "château de Mânennâ", qui sont identiques. Ce sont ces ensembles que nous appelons "groupes migratoires de clans". 18. Pour une rapide définition de ces diverses notions religieuses, cf. Sagant (1969). 184
19. A ce sujet cf. Pignède (1966), p. 293; Macdonald (1966 a), p. 47, note 35; Macdonald (1962); Macdonald (1966 b), p. 283-303; Gorer (1938), p. 215 sq. ; Nebesky Wojkowitz (1956), p. 136; Risley (1892), passim; Bell (1903), p. 39. 20. yâbâ (L) (CJ, p. 232) : "exorcist"; appelé bijuwa en nepâli; mi sâm sepma : tuer l'esprit du feu : mi : le feu (L) (CJ, p. 210); sâm : l'esprit (L) (CJ, p. 288); sepma : tuer (L) (CJ, p. 313). sugut (L) (CJ, p. 303) : "dead pregnant woman who turns into evil spirit"; soghâ (L) (CJ, p. 318) : "spirit of one who dies unnaturally", lundhun kâi (L) (CJ, p. 258, 34); lundhun : "stone for worship"; kâi : "incestuous connection"; muyâ (L) (CJ, p. 217) : "kite"; miyon (L) (CJ, p. 213) : kitten"; lâm sâkmâ (L) (CJ, p. 252, 282) : "fermer le chemin". 21. Au sujet des rituels qu'effectue le phedangma, cf. note 18. 22. sum lâmdomâ : carrefour des trois chemins (L) (CJ, p. 307, 252). co lun ou coït lun : "création" (L) (CJ, p. 351). 23. P a r m i ce qui nous paraît comme des contradictions, actuellement : le fait que le yâbâ, comme le phedangma, ait accès au monde de l'Est; que le phedangma officie en tho mais également en yo, etc.
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CHAPITRE X. TERRES HAUTES, TERRES BASSES
Dans le domaine de la vie des champs et dans celui de la maison, nous venons de décrire les principaux aspects des nouvelles techniques. Nous pouvons aborder maintenant l'étude des principaux changements économiques qui leur sont liés. Pour ce faire, c'est le tableau du système de rotations des cultures, en fonction de l'altitude, qui peut le mieux nous y amener. Il fait apparaître une nette distinction entre "terres hautes" et "terres basses", qui fonde, nous le verrons, la vie socio-économique. En décuplant les rendements, l'agriculture en terrasse a permis l'adaption des populations aux contraintes sociales : l'augmentation de la population, avant tout, qu'elle soit naturelle ou qu'elle résulte de l'afflux des immigrés. Mais les techniques nouvelles permettaient également l'adaptation aux contraintes géographiques : la pente, d'abord, partout présente; le froid, ensuite, qui augmente avec l'altitude; l'eau, enfin, en excès pendant quatre mois, en défaut le reste du temps. Chaque plante a trouvé les conditions les plus propices à sa culture. C'est ce que nous verrons d'abord, en évoquant, pour chacune, les faits de calendrier, d'altitude, de variétés et de rendements. Nous pourrons alors décrire, pour l'ensemble du paysage agricole, le système des rotations des cultures : il est d'une minutieuse élaboration. I. LE RIZ : CALENDRIER ET ALTITUDE, VARIETES ET RENDEMENTS Du fait des conditions géographiques, la Mewa Khola ne connaît qu'une seule récolte de riz par an (1). Au début de son cycle végétal, le riz, on le sait, a besoin de beaucoup d'eau et de beaucoup de chaleur. La mousson, qui déferle vers la mi-juin lui apporte ces deux éléments. Elle conditionne les dates de transplantation. En fin de croissance, par contre, il faut au riz, pour germer, une période de s é cheresse et de chaleur. Une mousson qui se prolonge, des froids trop précoces, sont fatals aux récoltes. Les dernières pluies, en général, s'abattent fin septembre, début octobre. Dans les fonds de vallées, vers 800-1 100 mètres, les p r e miers froids néfastes apparaissent dans la première quinzaine de décembre. Entre ces deux dates prend place une période de deux mois et demi, propre à la germination. Elle laisse une certaine latitude au paysan pour fixer son calendrier. Par contre, au fur et à mesure que l'on monte vers les crêtes, les froids sont plus vifs et 189
plus précoces. Vers 1 700 mètres, c'est dès la mi-octobre que les récoltes peuvent en subir les effets. La période favorable à la germination qui suit la mousson, se réduit donc d'autant et suppose un calendrier très étudié, une marge très restreinte. Plus on cultive des t e r r e s hautes, plus les semis doivent être précoces (2), la croissance rapide et le riz rustique. D'où l'importance dans le choix des variétés. Il existe de vingt à trente variétés de riz utilisées de façon courante dans la Mewa Khola (3). La plupart d'entre elles sont connues par l'ensemble de la population sous leur nom nepâli. Rarement ce nom présente un équivalent dans la langue limbu. Quand il existe, cet équivalent est très simple, traduction fidèle d'un nom de couleur. En nepâli, les noms désignant les variétés sont forgés à partir d'adjectifs désignant la for me du grain (dalle : rond; masino : menu; lâmo : long) et sa couleur; plus rarement, par l'un des caractères déterminants de sa culture (bhadayâ, récolté au mois de bhadau); par son origine géographique supposée (manipure : de la ville assamaise de Manipur); par l'endroit où il pousse (lek tauli : variété tauli poussant sur les crêtes; mâlineni : variété cultivée aux altitudes où l'on trouve le bambou, mâlino); par des caractères empruntés aux qualités alimentaires (bâsmati : de bâsan (?) qui dégage du parfum à la cuisson); parfois enfin, la forme et la couleur du grain sont comparées à d'autres espèces végétales (le grain du cumin, la couleur du piment). Fréquemment, l'appellation se fait par une double qualification (dalle masino : rond et petit). Dans quelques cas, une variété présente plusieurs sous-types (bhuidân, tauli, etc. ). Souvent les Limbu ne peuvent expliquer l'étymologie du mot nepâli (4). C'est le grain qui est le plus important dans la détermination d'une variété. Sur le chemin, on s ' a r r ê t e près du champ, on a r r a che un épi, on analyse le grain, on reconnaît la variété. Cette reconnaissance se fait à partir de deux critères : la forme, selon trois couples d'oppositions (plat ou rond, allongé ou court, petit ou gros) et la couleur (blanc, "rouge", "noir"). Dans quelques cas, la caractéristique générale de l'épi aide à la détermination (épi petit au grain serré); ou bien l'épaisseur de la glume, la couleur de la b a r be, le goût du grain, cru. A ce jeu, les Chetri sont plus forts que les Limbu; les Limbu plus habiles que les Sherpa. Les Bhotiya, tout commerçants qu'ils soient, se font gruger. Une fois qu'une variété est déterminée à partir, principalement, des caractères de grain, on peut immédiatement lui adjoindre un c e r tain nombre de caractères originaux : la limite optimum de sa culture en altitude; le rendement qu'il faut en attendre à ces diverses élévations; la durée approximative du cycle végétal en fonction de ces niveaux; le caractère précoce ou tardif de la transplantation. Il en est d'autres : la fragilité ou la rusticité, particulièrement en ce qui concerne la verse et la résistance aux températures basses; les 190
besoins d'eau et de soleil, souvent groupés ensemble; dans quelques cas, la qualité du sol ou celle du champ (inondé une partie de l'année) où l'on peut effectuer la culture. Les variétés de culture sèche, dans la Mewa Khola, sont le plus souvent mal connues. Outre ces divers c a r a c t è r e s , propres aux techniques agricoles, la connaissance d'une variété implique des points précis concernant les données alimentaires. P a r m i celles-ci, l'une des plus importantes est ce qu'on p o u r rait appeler le "rendement au décorticage". On distingue les v a r i é tés avantageuses de celles qui ne le sont pas. On compte en t e r m e s de volume. La limite de la qualité est atteinte lorsque son et b r i s u r e s demeurent en volume égal à celui du grain décortiqué (50%). P a r mi les meilleures variétés connues à cet égard, figurent bâsmati et dalle masino : un mûri de paddy procure treize pâthi de grain d é c o r tiqué (65%). Les plus b a s s e s sont de l ' o r d r e de 30 à 40%. Parfois ce c a r a c t è r e remet en cause celui du rendement agricole. Le cinetâpâ, riz d'altitude, par exemple, est considéré d'un rendement, dans les champs, supérieur à celui du bhuidân. Toutefois, sa glume est t r è s épaisse, ses qualités au décorticage (5) sont parmi les plus faibles connues. Au bout du compte, sa culture paraît moins avantageuse que celle du bhuidân. Partout, actuellement, il est abandonné au p r o fit de ce dernier. A cet égard, un problème particulier se pose, qui est celui des variétés au grain long. Certaines d'entre elles peuvent être d'un t r è s bon rendement (ânândi, etc.). Mais le grain se coupe en deux lorsqu'on le décortique, d'où une t r è s forte proportion de b r i s u r e s . De ce fait, on s'abstient souvent de la cultiver ou bien on la c o n s e r ve pour la vente. On sait distinguer également les variétés qui obtiennent leurs meilleures qualités alimentaires plusieurs mois a p r è s la récolte. On dit de ces riz qu'ils ne peuvent se consommer que vieux, pura.no (N), kâpobâ (L). Dans un pays où, pour la m a j o r i t é de la population, les stocks sont t r è s limités, ce c a r a c t è r e est p a r f o i s déterminant dans le choix des cultures. Deux ensembles de c r i t è r e s intéressent plus particulièrement la préparation alimentaire. Le p r e m i e r concerne la cuisson. On p r é f è r e et, de loin, les riz qui cuisent vite, avec t r è s peu d'eau (basmati, abre masino. . .) aux autres (tarmali, bhuidân, etc.). Le s e cond concerne les qualités à la consommation : le parfum, le goût, le fait qu'un riz soit bourratif ou non; la couleur également, etc. Certaines variétés, particulièrement celles qui poussent en altitude, sont franchement m é p r i s é e s . On les appelle riz de pauvres, r i z de Sherpa. Dans certains cas on leur p r é f è r e m ê m e le m a i s . Ces divers c r i t è r e s se groupent ensemble pour ê t r e jugés en t e r m e s évoquant le milieu socio-économique. Le riz au grain long, dans la m e s u r e , pour un même volume, présente un moindre poids qu'un riz au grain court; il est conservé pour la vente. Il en est de 191
même pour celui qui est d'un bon rendement dans les champs, m a i s de qualité médiocre au décorticage, ou à la consommation. On en a r r i v e ainsi à qualifier certaines variétés de "riz d ' u s u r i e r " , de "riz de m é t a y e r " , de "riz de Bhotiya" (que l'on vend aux Bhotiya); à distinguer entre "riz du pauvre" ou "riz du riche"; "riz de Chetri" ou "riz de Sherpa", etc. Nous allons le voir en faisant l'état des principales v a r i é t é s connues dans la Mewa Khola. Géographiquement, on distingue quatre ensembles de v a r i é t é s , nettement différenciés dans leur répartition. 1) Les riz d'altitude. Tarmali, cinetâpâ, bhuidân, takmaru. Ils sont attestés s u r les c r ê t e s qui dominent la rivière et s u r les pentes du nord, au fond de la vallée, chez les Limbu et les Sherpa. Ils sont en général d'un faible rendement agricole; leur qualité au décorticage est médiocre; d'un cycle végétal court, ils sont d'ensemencement précoce. L e u r s qualités alimentaires sont mauvaises. Leur production est, de loin, la moins importante, comparée à celle du riz pour l'ensemble de la vallée. Là où on les cultive, ils sont nettement dominés par la production du mais et des c é r é a l e s d'hiver (blé et orge). Ils apparaissent parfois dans les moyennes vallées pour avoir du grain à l'occasion des fêtes de Dasaî. 2) Les r i z de moyenne vallée. Atte et r â m s â l i . Ce sont par excellence les riz cultivés par les Limbu. Ils sont attestés dans tous les villages de la Mewa Khola, y compris ceux du sud. Seuls quelques villages au nord ne les connaissent pas. Avant tout considérés pour leur rusticité, l'ensemble de leurs autres caractéristiques sont m o yennes ou m é d i o c r e s (rendement, décorticage, alimentation). Ils sont d'un ensemencement plutôt précoce p a r rapport aux riz des fonds de vallée. Là où on les cultive, ils sont dominés p a r la p r o duction de mai's. 3) Les riz de fond de vallée. Ab r e masino, ânâ, ânândi, bâsmati, bhatârâi masino, cota kâti, dalle masino, dudhrâj, gore, j i r â s e r i , lâm masino, manipure, mansaro, s y â m j i r â , timure, jogi, kâlâbunge. Ce sont les riz des Chetri, des Bahun, des Newar de Dobhan. De cycle végétal long, leur calendrier est tardif, avec de bons r e n dements. L e u r s qualités alimentaires (décorticage, cuisson, goût) sont en général excellentes. Ce sont eux qui assurent le gros de la production dans la Mewa Khola, d'une répartition géographique a s sez r e s t r e i n t e . Là où on les cultive, leur production domine nettement celles des autres céréales, y compris le m a i s . 4) Dans un d e r n i e r ensemble on peut regrouper certains riz qui app a r a i s s e n t à des altitudes t r è s diverses; leur principal c a r a c t è r e est de r e m é d i e r à un défaut de culture, le plus souvent relatif à un mauvais ensoleillement, ou une mauvaise irrigation. Ce sont les va192
riétés bhadayâ, râto maharci, lek tauli, ces deux dernières étant plutôt cultivées à haute ou moyenne altitude. Ainsi, l'utilisation de variétés d'altitude, danslaMewaKhola, permettent la riziculture sur des t e r r a s s e s avoisinant 2 000 mètres. Par exemple, à Dalaincha, l'un des villages les plus septentrionaux de la vallée, on trouve quelques champs de riz. En fait, ce type de données ne peut être présenté que comme exceptionnel. A nous en rapporter au seul exemple de la Mewa Khola et aux quelques sondages effectués dans les vallées voisines de la haute Tamur, Kabeli, et Maewa, nous aurions en effet tendance à réduire la portée de ce que l'on trouve souvent écrit sur la limite en altitude de la culture du riz. On a dit que le riz irrigué, au Népal, atteint des altitudes de 7 000 et même 7 500 pieds (2 100 à 2 250 m). Nous ne remettons pas en cause ces données. Pour la Mewa, nous possédons en effet le précieux témoignage des botanistes anglais Sheals et Inglis qui évaluent la limite de la culture du riz irrigué à 7 500 pieds et même au-delà. Pour notre compte, nous n'avons pas trouvé de riz à Phabung (2 000 m), Dongen (2 000 m), Shimbuk, Kiling et Canga, villages habités exclusivement par les populations Bhotiya. Les plus hautes altitudes de champs de riz que nous ayons rencontrées se situent dans les derniers villages limbu, à la limite de l'habitat bhotiya et dans quelques villages sherpa, c'est-à-dire à Tankhu (1 740 m), Dalaincha (moins de 2 000 m) et Shibuden (1 700 à I 950 m). Il est vraisemblable que d'autres exemples plus significatifs nous aient échappé. Mais ces exemples sont des cas extrêmes. II faut considérer les faits de production. A Shibuden (1 700 à 1 950 m), village sherpa situé au dessus de Libang, deux maisons seulement sur quarante quatre s'adonnent petitement au riz irrigué. A Dalaincha, les quelques maisons limbu qui cultivent le riz, à la fois irrigué et sec, récoltent une moisson insignifiante, par rapport à la production de mai's, d'orge et de pommes de t e r r e . Il en est de même pour Tankhu. Ainsi, nous ne mettons pas en doute que le riz irrigué peut effectivement atteindre les altitudes extrêmes de 2 000 et 2 700 pieds. Mais ces faits sont exceptionnels, sans réelle signification lorsque l'on envisage les données relatives à la production. Il semble en effet que les populations de la Mewa envisagent aujourd'hui les possibilités de la culture du riz en altitude sous l'angle particulier du rendement (6). Ces rendements sont établis à p a r t i r de mesures de volume. Pour un ensemble de t e r r a s s e s , les Limbu, comme les autres populations des collines, ont en effet l'habitude de compter, lors des semis de pépinières, le volume des semences d'une part et le jour de la r é colte, celui de la quantité de grain produite. Les mesures sont t r a ditionnellement les mesures népalaises du mânâ, du pâthi (8 mânâ) et du mûri (20 pâthi ou 160 mânâ). Parfois on fait intervenir celle du ropâni qui, dans la Mewa Khola, représente la valeur de quatre 193
mânâ ou d'un demi pâthi. Le rapport volume récolté sur volume s e mé donne l'indication du rendement pour une parcelle. Les mesures sont en laiton, fabriquées par le Kami forgeron. A partir de ces données particulières à un champ, les villageois ont l'habitude de calculer le rendement approximatif de n'importe quelle parcelle en évaluant, pour une récolte d'un muri (160 mânâ), combien de mânâ de semences sont nécessaires. On parle ainsi de t e r r e s qui, pour un muri de récolte, nécessitent trois, ou quatre, ou cinq mânâ de semences. Les informations recueillies sont à peu près cohérentes. On obtient, pour Libang, un tableau des rendements du riz qui est le suivant : altitude Plus de 1 600 m de 1 400 à 1 600 m de 1 100 à 1 400 m de 950 à 1 100 m quelques champs inondés à 950 m
rendement (rapport volume récolte au volume semé) de 5 à 15 fois la semence de 15 à 20 fois la semence de 20 à 30 fois la semence de 30 à 40 fois la semence de 55 à 70 fois la semence
Ce tableau nous amène à formuler les quelques remarques qui concernent la répartition des terres selon les altitudes et selon les ethnies. 1) Tout d'abord les rendements de 55 à 70 fois la semence, à Libang, sont exceptionnels. Ils ne concernent que quelques champs établis près de la rivière, appelés tukwârok (L), áimáar (N), inondés une partie de l'année par le flux de la Mewa et qui ne peuvent fournir qu'une récolte par an. 2) Certains informateurs insistent fortement sur le fait qu'il apparaît un appauvrissement général du sol. Là où l'on récoltait autrefois 40 fois la semence, les rendements s'évaluent aujourd'hui entre 34 et 36. 3) Les champs dont le rendement est évalué à 35, 40 fois la s e mence appartiennent en général aux riches. C ' e s t - à - d i r e à une majorité de Chetri et à quelques chefs politiques limbu (subba) (N). Le gros de la population a depuis longtemps hypothéqué ces terres des fonds de vallée. Il se contente en général de rendements qui sont, pour les meilleurs, de l'ordre de 25 à 35, c ' e s t - à - d i r e faibles. 4) En altitude, pour les Limbu, à Libang, la limite de culture du riz irrigué s'établit entre 1 400 et 1 700 m, où les rendements sont de 15 à 20 fois la semence. Encore n'y fait-on que du riz précoce, peu productif. Ainsila masse des villageois limbu ont des champs dont les rendements se situent entre 15 et 35 fois la semence. En deçà d'un rendement de 15 il semble qu'ils n'envisagent plus la culture du riz 194
comme rentable. De ce fait à Libang, la limite supérieure des champs irrigués s'établit entre 1 400 et 1 600 m. Pour les Chetri, dans le même village, cette notion paraît différente. Ils cultivent rarement le riz pour un rendement inférieur à 30. Enfin les Sherpa sur quelques parcelles dont ils sont possesseurs aux alentours de 1 700 m, se contentent de rendements évalués entre 5 et 10 fois la semence. Les données recueillies à Libang présentent un échantillonnage assez large pour être approximativement significatif de l'ensemble de la vallée. D'autres informations, moins sûres et plus éparses, p e r mettent d'envisager une prudente extrapolation. Khokling avec quelques autres villages tels que Warok, Dingla, Khamlung, passe pour être le lieu où la production du riz est la plus élevée. Les rendements se situeraient entre 30 et 70 fois la semence. Au nord au contraire, à Dalaincha et Tankhu, là où la production est la plus faible, les chiffres obtenus sont de l'ordre de ceux qui furent recueillis à Shibuden (de 5 à 10, 15 fois). Ainsi peut-on conclure sur ces notions de rendement en disant que : 1) les champs de riz que l'on trouve aux altitudes voisines de 2 000 m présentent un caractère exceptionnel, sans grande signification sur le plan de la production. 2) L'altitude limite de la culture du riz irrigué semble fonction d'un rendement minimum, en deçà duquel la production n'est pas considérée comme rentable. 3) Cette notion de rendement minimum varie selon les altitudes. 4) Comme il existe une relation entre l'altitude et l'implantation des populations, cette notion de rendement minimum varie également selon les ethnies. Le tableau 16 rassemble les principales données d'ordre général comparant altitude, rendement minimum dans la Mewa Khola, selon les ethnies. Chetri et Newar, habitants des basses vallées, sont les plus gros producteurs. Les Limbu ne viennent que bien après eux. Sherpa et Bhotiya ont une production négligeable. Ainsi, si l'on veut tenir compte des cas assez particuliers où les champs de riz se situent à des altitudes supérieures à 1 600 mètres, l'étalement du calendrier, pour l'ensemble de la vallée, paraît important. A Dalaincha, les semis en pépinières ont lieu dès le début avril. Ce n'est que deux mois et demi plus tard, aux alentours du début juillet, que la même opération se déroule à Khokling (8501 100 m), sur les t e r r e s proches du bord de la rivière. Du fait des différences entre les cycles végétaux des variétés, cet écart est encore plus grand pour la moisson. De la mi-septembre à la mi-décembre, il s'écoule une période de trois mois entre les récoltes d'altitude et celles des fonds de vallée. En fait ces données ont un caractère exceptionnel. Et le gros de la production, dans la Mewa, se récolte entre la mi-octobre et la 195
mi-décembre. D'une façon générale, on a coutume de distinguer deux sortes de cultures, au calendrier nettement tranché : le riz précoce, dont la transplantation a lieu début juillet; et le riz tardif, repiqué début août. Ce sont ces deux types de récolte que nous r e tiendrons lorsque nous tenterons de décrire la rotation des cultures et les types d'assolement. II. LE MAIS Le riz est la céréale la plus prestigieuse, la plus appréciée. Il n'en est pas moins vrai que la production de mais, dans la Mewa, vient au premier rang, par la quantité. C'est d'abord le mai's qui fait vivre les habitants des collines. Le mais est la seule céréale à être utilisée dans toutes les catégories de t e r r e s . On le trouve aussi bien dans les champs irrigués que dans ceux de cultures sèches; dans les champs t e r r a s s é s , qu'accroché au flanc des montagnes, sur des terrains en pente. Dans la Mewa, et ailleurs, semble-t-il, en pays limbu, il demeure également l'une des seules céréales cultivées selon les vieilles méthodes de l'écobuage. Si la production de ce type est faible, pour ne pas dire insignifiante, elle n'en existe pas moins à Libang, à Thunglung, à Nalbu, à Dhankuta, etc. Elle prend place, soit dans les champs en t e r r a s s e , d'altitude le plus souvent et qui ne supportent de culture que tous les trois, quatre, cinq ou sept ans; soit sur les pentes trop raides, nonterrassées, où l'attelage de l'araire ne peut passer. De même le maïs apparaît à toutes les altitudes. On le trouve à Dumre, dans la basse Tamur (320 m) à Khokling et Dhoban, à l'entrée de la Mewa (800-900 m); mais aussi à Shimbuk, à Dongen, à Canga, à des altitudes voisines de 2 500 mètres. On dit que sa culture peut s'étager jusqu'à 12 000 pieds (7). Quel que soit le niveau où on le récolte, l'importance de sa production est constante, attestée aussi bien dans les villages des fonds de vallée (Khokling, Dhoban), aux altitudes moyennes (Libang, Lingtep), sur les crêtes de Shibuden, Phabung, Shimbuk et Dalaincha. Si l'on tient compte de l'altitude comme critère de différenciation, les variétés de mais utilisées dans la Mewa peuvent se regroupre grossièrement en trois ensembles (8). Le premier, appelé sathiyâ en nepàli, se distingue des autres par son cycle végétal court. Il est plutôt utilisé dans les fonds de vallée qu'en altitude; dans les champs irrigués plutôt que dans ceux de cultures sèches (cf. tableau 18); par les Chetri et les Limbu aisés, plutôt que par les autres. Il semble que le gouvernement népalais a joué un rôle important dans son introduction. Le second groupe se définit par l'aspect plat "cyapte" (N) du grain. C'est le mai's qu'on sème surtout sur les crêtes, dans les 196
seuls champs de culture sèche, principalement dans les villages bhotiya et sherpa. Son cycle végétal est long. Dans un dernier ensemble enfin, on peut rassembler empiriquement des variétés vraisemblablement plus anciennes, et d'utilisations diverses. Chaque groupe rassemble de trois à cinq variétés en moyenne. Les dénominations se font en nepâli, elles sont beaucoup plus compliquées que celles du riz. Il ne faut pas moins de trois qualificatifs à la suite, pour définir précisément une seule variété. Ces qualificatifs évoquent la forme du grain (plat ou rond, cyapte ou dallo (N) ), sa grosseur (gros ou petit, thulo ou sânu, matyârigri, masino (N), sa couleur (blanc, jaune, noir, "mélangé"). Dans un village donné, où seules trois ou quatre variétés sont d'un emploi courant, on abrège par l'emploi du qualificatif le plus marquant. Ainsi à Libang, on disait "plat" pour la variété au grain plat, gros et blanc; "jaune" pour la variété jaune et ronde; "mélangé" pour une variété dont le grain, en séchant, passe du blanc au jaune; "précoce" pour une variété au cycle court et de grain menu et blanc. Comme dans le village voisin, plus haut sur les crêtes, on emploie d'autres variétés, les abréviations peuvent différer, ce qui ne facilite pas le travail de terrain. Simple en apparence, le calendrier du mais paraît en fait très étudié, d'un caractère minutieux. Dans le détail, il est beaucoup plus complexe que celui du riz. Ce dernier, on l'a vu, se limite s u r tout à une distinction entre riz précoce et tardif impliquant le choix d'une variété en fonction d'une principale variable, celle de l'altitude. Pour le mais, au contraire, les variables sont multiples. Elles supposent une grande habileté dans le choix des variétés et les dates d'ensemencement. Certaines d'entre elles sont d'un caractère t r a ditionnel. On les retrouve dans l'emploi des autres céréales. Par exemple, la qualité du sol joue son rôle. Sur une t e r r e blanche (pahireni) (N), celle qui résulte d'un glissement de terrain (pahiro) (N), on utilisera telle variété, d'un emploi inutile s u r un sol "noir" ou "rouge". Il en va de même pour ce qui concerne le rendement, l'altitude, l'ensoleillement, l'humidité, la fumure disponible (9) surtout, qui joue un rôle important, fonction à la fois de la richesse du paysan et de l'éloignement du champ. Il en est d'autres, d'un caractère plus original, dont on tient compte : 1) La nature des parcelles. Le choix des variétés diffère selon qu'on ensemence un champ irrigué ou de culture sèche; un champ t e r r a s s é ou une t e r r e écobuée à flanc de montagne. 2) La différence marquée des cycles végétaux en fonction de l'altitude. D'une part, les cycles végétaux diffèrent selon les variétés. Mais, d'autre part, pour une variété de mai's donnée, la durée de croissance semble présenter une différence marquée selon qu'on la 197
cultive dans un fond de vallée ou à moyenne hauteur. Libang et Yokma par exemple, ne connaissent pas plus de 400 mètres de dénivellation. Plantée à la même date, une variété de mais donnée, sera récoltée une vingtaine de jours plus tôt à Libang qu'à Yokma. Il semblerait que ce genre de variations soit moins importantes pour le riz. Quoi qu'il en soit, elles font l'objet d'une nette évaluation dans la culture du mai's. 3) Le calendrier de l'élevage. Les petits troupeaux dans la Mewa Khola n'estivent pas sur les hautes pâtures du nord. La plupart passent de jachère en jachère, entre la crête et la rivière, dès qu' une moisson est terminée. A l'époque où croît le mais, toutes les t e r r e s sont en culture. Les bêtes sont repoussées hors du village, dans des coins dangereux, pleins d'amas rocheux ou ramenées à la maison. Il est fréquent qu'on sème une parcelle de mai's précoce pour fournir aux bovins un lieu de pâture. 4) Le choix de la seconde récolte. Sur une même parcelle, on cultive le plus souvent deux récoltes. Certaines d'entre elles présentent des caractères impératifs. Si l'on veut par exemple de la bière pour Dasaï, il faut récolter l'éleusine avant la mi-septembre : d'où des semailles précoces : elles déterminent du même coup les caractères de la culture de mais qui la précède. Fait-on du riz à 1 400 mètres ? Dès la fin du mois de juin les champs doivent être libres. Si l'on y avait planté du mai's ce ne pouvait être qu'une variété au cycle t r è s rapide, semée dès la mi-février. L'orge, en altitude, implique un choix opposé dans le type de culture du mai's qui l'accompagne. Partout où il apparaît, le mais se révèle être la céréale de l'emploi le plus souple. Il s'accommode souvent des caractères de la récolte qui l'accompagne. D'où la grande diversité de ses utilisations. 5) Considérations alimentaires. Dans les considérations qui impliquent le choix d'une variété, donc d'un type de culture, celles qui relèvent de l'alimentation ne sont pas les moins nombreuses. Elles sont beaucoup plus impératives que pour le riz, et cela pour trois raisons. - Le riz, chez les Limbu, se prépare à peu près toujours de la même façon. Les critères alimentaires ne s'appliquent donc qu'à une seule recette. Pour le mais au contraire, les modes d'accommodement sont multiples : pour le repas ou au contraire pour la bière ou l'alcool; consommé frais ou sec; grillé ou bouilli; en grain, en farine ou en "cSmal" (N) (10). Chacune de ces préparations suppose des qualités alimentaires différentes : légèrement sucré lorsqu'il est consommé frais; sans trop d'odeur et blanc pour le repas de câmal; le moins bourratif possible en bouillie; bien éclaté, grillé, etc. Ces critères, s'ils sont moins raffinés que ceux de la préparation du riz, sont bien plus nombreux. - De plus ils sont contraignants. Selon qu'on habite la crête ou la rive, on cultive le riz que l'on peut. Tant mieux s'il a du parfum. 198
Les critères alimentaires, au bout du compte, influent peu sur le choix des variétés cultivées. Pour le mai's, c'est différent. Les qualités s'excluent les unes les autres. Une seule variété, dit-on, supporte bien d'être grillée. Celles qui donnent, moulues, beaucoup de farine, donnent évidemment peu de câmal; et réciproquement; d'autres, bien déterminées, sont exclusivement propres à la fermentation. De ce fait on pourrait presque dire qu'on cultive une variété parce qu'on sait à quoi elle servira dans l'alimentation. C'est à la date des semailles, par le choix de la variété, qu'on commence à préparer ses repas. Seule la culture du sarrasin, on le verra, tient compte avec autant de force, des considérations alimentaires dans le choix des variétés. - Bien plus, ces choix relèvent du calendrier alimentaire. Ils sont tributaires des périodes prévues de pénurie ou d'opulence. En juillet, il y a pénurie. Pas question de laisser sécher le mai's. On le consomme frais. Les variétés sucrées ont donc tendance à être semées précocement. C'est le contraire pour le mai's qui donne peu de farine, succédané du riz, consommé sec, en câmal. Partout où il paraît, le mai's se révèle donc être la céréale dont la culture est la plus élaborée, au calendrier le plus précis et le plus diversifié, dans des limites relativement étroites et qui tiennent compte de facteurs très nombreux. Elle s'avère celle dont l'emploi est le plus souple. Ce calendrier (11), pourtant, en apparence, est simple. Le mai's se sème à la fin de l'hiver. Il croît durant le printemps. Il se récolte durant l'été. Plus on monte en altitude, plus les semailles sont t a r dives. Il en est de même de la récolte. Le tableau 19 montre l'étalement du calendrier. A Libang comme à Khokling, le premier mai's est ensemencé dans les champs irrigués les plus bas, après une moisson de riz, dans la deuxième quinzaine de février,pour être r é colté aux alentours du 1er juillet. Un peu plus haut sur les pentes, dans les champs de culture sèche où l'on plante alternativement mai's et éleusine (1 300 m est une altitude moyenne), les semailles ont lieu dans la première quinzaine de mars et la récolte vers le 1er août. Aux altitudes où apparaît l'orge, à Libang, on sème entre le 15 mars et le 15 mai pour récolter entre le 15 août et le 15 septembre. Enfin, sur les crêtes de Thunglung, comme aux altitudes les plus élevées de Shimbuk, Dalaincha, Dongen, les semailles se font dans la première quinzaine de mai et la récolte peut survenir aussi tardivement que fin octobre. Pour l'ensemble de la Mewa, les semailles s'étalent donc sur un peu plus de trois mois, entre la fin février et la mi-mai; les récoltes, entre le 1er juillet et le 1er novembre, sur quatre mois. Cette diversité du calendrier explique en partie l'importance des phénomènes régionaux d'échanges inter-ethniques. Elle se fonde également sur l'utilisation de variétés assez nombreuses aux caractères très différents.
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III. L'ELEUSINE L'éleusine s'appelle pena en limbu, kodo en nepâli. Dans la Mewa, deux méthodes sont utilisées pour sa culture. La plus employée, quasi générale aujourd'hui, consiste à pratiquer des semis en pépinières dans les champs de culture sèche que l'on transplantera à sec. La seconde est en voie de disparition. Elle subsiste actuellement dans quelques hautes terres, assurant une proportion infime de la production. Elle semble avoir été très pratiquée dans le passé. Elle allie les techniques de l'écobuage avec des semailles à la volée, sans transplantation. Dans ce cas, les labours se font soit à la houe soit à l'araire, selon le terrain. On ne cultive pas l'éleusine dans les champs irrigués. Quelques champs de fond de vallée, sans possibilité d'irrigation, connaissent sa culture. D'une façon générale, toutefois, l'éleusine n'apparaît qu'au-dessus des cultures de riz, principalement à partir d'altitudes de l'ordre de 1 200 ou 1 300 mètres dans la Mewa Khola. Sensible au froid, on ne la cultive pas dans les hautes t e r r e s . Entre 1 700 et 1 800 mètres, à Shibuden, elle est encore très communément récoltée dans les champs qui entourent les maisons. Plus haut, elle disparaît pour faire place à l'orge et au blé. Ainsi, en pays bhotiya, sa production est insignifiante à Tankhu, Phabung, Dalaincha, au.dessus de 1 700 mètres. Sa culture ne semble pas attestée à Dongen (2 200 m). Selon les ethnies, son utilisation diffère. Les Chetri la cultivent comme appoint à la nourriture solide. Toutefois dans les fonds de vallée riches en riz, ils en apprécient peu l'usage. Elle reste une nourriture de pauvres ou d'économes. Sur les crêtes, les Sherpa l'accomodent à la fois pour le repas et la fermentation. Comme les Tamang cependant, ils préfèrent la bière de mai's à celle d'éleusine. Ils valorisent plutôt ses qualités sous forme de farine, de pain. C'est l'inverse chez les Limbu. Le grand emploi de l'éleusine, chez eux, c'est la fermentation et la distillation. C'est avant tout dans ces buts qu'ils la cultivent. C'est à ce titre qu'elle leur est indispensable. Elle apparaît sous cette forme, dans toutes les prestations matrimoniales, dans toutes les festivités. Ils font la grimace devant une bière de mai's. Comme nourriture solide, elle demeure un appoint méprisé. On se cache pour la "manger". Seuls les pauvres et parfois les riches, aux périodes de pénurie, le consomment sous forme de bouillies, ou de galettes. Pour ces deux raisons, l'altitude, et une valorisation diversifiée, selon les ethnies, de sa préparation alimentaire, la production comparée de l'éleusine diffère fortement selon les populations. Elle est faible chez les riches Chetri des fonds de vallée; insignifiante chez les Bhotiya pour des raisons climatiques. Ce sont les Limbu, et, à titre moindre les Sherpa, qui assurent dans la vallée de la Me200
wa, le gros de la production. Le calendrier de l'éleusine, lui aussi, est tributaire de l ' a l titude. Dans les champs les plus hauts, on ensemence précocement, dans la première quinzaine de mai. La transplantation se fait un peu plus d'un mois plus tard, après le 15 juin. On récolte aux alentours du 15 septembre, avant les froids. A l'opposé, le calendrier le plus tardif apparaît dans les champs les plus bas (1 200 m). Les semis de pépinières prennent place avant le 15 juillet; la transplantation, avant le 1er septembre; la récolte dans la deuxième quinzaine de décembre. Le tableau 20 présente quelques-unes des données du calendrier en fonction de l'altitude. Dans la Mewa, entre les semailles les plus précoces et celles qui sont les plus tardives, il se passe deux mois, de la première quinzaine de mai à la première quinzaine de juillet. Pour les récoltes, l'étalement est plus important. Du 15 septembre au 15 décembre, ce sont trois mois qui s'écoulent entre la première et la dernière moisson. L'explication de ce fait relève des techniques de culture. Aux altitudes les plus élevées, en effet, le calendrier ne peut pas être diversifié. Cela pour deux raisons. A cause des rigueurs climatiques, la culture ne peut prendre place qu'entre deux dates limites, assez rapprochées l'une de l'autre. D'autre part, plus on monte en altitude, plus le cycle de croissance, pour une variété donnée, devient tardif. Ce fait contribue également à restreindre les combinaisons possibles du calendrier. A la limite, à partir d'une certaine altitude (1 700-1 800 m ?), il n'existe qu'une seule possibilité de culture, celle dont on a précisé les dates précédemment. C'est le contraire qui se passe dans les champs les plus bas. Les températures sont plus clémentes; le cycle végétal, pour une même variété, plus hâtif; l'étalement possible de la culture, plus important. Le calendrier se diversifie de plus en plus au fur et à mesure que l'on descend vers la rivière. Culture précoce et culture tardive s'y opposent de plus en plus nettement. On trouve donc dans la Mewa trois grands types de culture de l'éleusine, admettant, selon les niveaux, toutes les nuances possibles. 1) Une culture précoce d'altitude, au cycle de croissance assez lent. C'est celle qui existe chez les Sherpa. 2) Une culture précoce de moyenne vallée, au cycle rapide. Elle est fréquente chez les Limbu qui veulent avoir de la bière à Dasaï. 3) Une culture tardive, de moyenne et de basse vallée, au cycle rapide. Elle assure le plus gros de la production limbu, de même que celle des Chetri. Pour des raisons qui nous échappent (de rendement peut-être), l'éleusine précoce apparaft rarement aux niveaux les plus bas. Ces diverses considérations sur le calendrier expliquent, en partie, le choix des variétés. On sème en fonction des cycles végé201
taux, des rendements selon les niveaux, de la rusticité. Toutefois, comme pour le mai's, quoiqu'àun titre moindre, ce choix tient compte aussi des caractères de chaque variété, jugé cette fois selon des critères alimentaires. Les Chetri, les Sherpa, quelques Limbu pauvres recherchent, pour l'appoint à leur nourriture solide, des variétés procurant une farine très fine. La masse des Limbu au contraire, juge en fonction de la fermentation et de la distillation. Ce sont surtout les volumes qui sont en cause, le goût paraissant à peu près constant. Une variété dont le grain gonfle à la cuisson (dans la proportion de cinq à sept) est avantageuse pour la bière : avec une mesure et demi, on remplira une tongba. Il en faudrait deux avec une autre; de même, telle autre, qui permet avec deux pâthi de grain (16 mânâ), d'obtenir 10 mânâ de rakái distillé, est très appréciée. Il ne faut pas cependant pousser trop loin ces distinctions car il arrive parfois que dans un même champ deux variétés soient mélangées (12). On distingue deux ensembles de variétés (cf. tableau 21). Les premières répondent au nom de nânkatuâ et également à ceux de hâmáli (N), serena (L), ciyâknâ (L). Elles ont les épis ouverts, d r e s sés comme les doigts de la main écartée. L'autre ensemble, appelé murke par les Népalais, et kSkriknâ par les Limbu, ont un épi fermé comme le poing. Enfin une dernière variété appelée pârâmâ ou pañdure, d'une utilisation, semble-t-il, très ancienne, serait principalement cultivée, çà et là, selon les vieilles techniques de l'écobuage, avec labour à la houe, sans transplantation. Le tableau 21 résume les caractéristiques principales de chacune des variétés. IV. L'ORGE L'orge se dit jau en nepâli (T, p. 225). Les Limbu, le plus souvent, confondent l'orge avec le blé sous le nom de ái. Lorsqu'ils veulent faire la distinction entre ces deux céréales, ils disent hokái pour la première. L'orge est une culture d'hiver pour l'ensemble de la Mewa. On dit que le brouillard des crêtes (áit) lui convient. C'est au-delà de 1 700 mètres que se récolte le gros de la production. On la cultive dans des champs terrassés de culture sèche, parfois mélangée à la moutarde (tori) (N). Il semble que les Limbu aient de longue date fait l'emprunt de cette céréale aux populations tibétaines installées au Népal. Son nom apparaft dans les mythes. Ses prémices sont offertes à Yumâ. Pendant longtemps, sa culture, chez les Limbu, semble s ' ê t r e cantonnée dans le nord du pays, aux altitudes les plus élevées. Toutefois, depuis une centaine d'années, la distribution de l ' o r ge aurait gagné le sud du pays et les fonds de vallée, à des altitudes 202
moyennes. Ce mouvement serait à mettre en relation, avec celui, inverse, de la culture du riz irrigué vers les crêtes. Il participerait en partie, des mêmes raisons : la grande poussée démographique du début du siècle qui amena les populations à s'installer sur des t e r r e s de plus en plus élevées. Ainsi, à Libang, l'orge serait apparue il y a quatre-vingts ans, une vingtaine d'années avant le blé. Elle aurait d'abord été semée sur les crêtes à des altitudes de 1 800 à 2 000 mètres dans des champs de culture sèche. Aujourd'hui elle apparaît dans trois types de champs. Sur les crêtes, comme au début de son introduction, dont les champs assurent toujours le plus gros de sa production. Mais également sur d'autres champs de culture sèche, entre 1 500 et 1 700 mètres, dans un système de rotation légèrement différent; et enfin, t r è s petitement dans les champs irrigués entre 1 300 et 1 500 mètres, en rotation avec le riz précoce. De ce fait le calendrier de l'orge, sur l'ensemble de la vallée, connaît aujourd'hui une assez large amplitude. Les dates des récoltes conservent un étalement minime. A Tankhu (1 750 m) comme à Takok (Libang ; l 500 m) la moisson s'effectue aux alentours de la fin avril, début mai. Il n'en est pas de même pour les semis. Ils sont de plus en plus tardifs au fur et à mesure que baisse l'altitude. Effectués à la mi-septembre à 2 200 mètres (Dongen), c'est à la mioctobre qu'ils prennent place à Shibuden, Tankhu, Dalaincha, Phabung, entre 1 800 et 2 000 mètres, où le gros de la production est assuré; à la fin octobre à Okhabu et Takok (Libang) vers 1 600 mètres. Enfin, jusqu'à la mi-décembre aux altitudes les plus basses (Libang, Nalbu). Le tableau 22 résume ces données. On trouve, traduit en termes ethniques, ces phénomènes de culture liés à l'altitude. L'orge est une production indispensable aux Sherpa, habitants des crêtes. A Shibuden, sur quarante-quatre maisons étudiées, toutes s'adonnent à sa culture. P a r contre, les Chetri des fonds de vallée (Khokling) n'en cultivent pas. Parmi ces derniers, seuls ceux qui sont installés en groupes minoritaires, dans la moyenne vallée, en effectuent petitement la culture. A Libang, sur quinze maisons Chetri, quatre maisons, établies en altitude, récoltent au total une vingtaine de mûri. Les pauvres conservent leur moisson pour la consommation familiale. Les riches s'en servent comme monnaie d'échange pour obtenir du riz destiné à être revendu. Les Limbu sont dans une position intermédiaire. A Thunglung, la production, faible, est cependant quasi générale pour la majorité des maisons. A Libang, d'altitude moindre, vingt-et-une maisons seulement sur quatre-vingt-trois en font petitement la récolte pour une production annuelle de cinquante à cinquante-cinq mûri. Elles ont toutes des traits communs : ce sont des familles pauvres qui ont hypothéqué leurs basses t e r r e s . Elles ne rechignent pas à un travail d'hiver, traditionnelle saison des loisirs. L'orge sert d'ap203
point à la nourriture solide. La moisson prend place à une date p a r ticulièrement appréciée, début mai. A cette époque, la récolte du mai's, en août, est encore lointaine, celle du riz de décembre est é puisée. Toutes les semences sont obtenues auprès de quelques Sherpa, surproducteurs du hameau voisin de Shibuden. On paye soit en argent, soit en échange d'une valeur égale de riz qu'on rendra en décembre. T r o i s variétés d'orge semblent cultivées pour l'ensemble de la Mewa. - juñe jau (N) (T, p. 219) "l'orge moustachue" que les Limbu appellent m i r e m b â ái "orge avec une queue". - nañge jau (N) "l'orge nue", dénommée en limbu yàrâkenâ ái. - kâlo jau (N) l ' o r g e noire, appelée tom éi en limbu. Cette variété en nepâli, s'appelle également p i r e (piquante comme du piment) ou murke. Ces trois variétés connaissent une implantation différente, s e lon l'altitude. L'orge "moustachue" est cultivée aux plus hautes a l titudes. Elle est attestée à Dongen, Tankhu, Phabung, Dalaincha, Shibuden; l'orge "noire", aux altitudes médianes; l'orge "nue",dans les champs les plus b a s (Nalbu, Libang). Les faits de rendements sont difficiles à c e r n e r . Ils dépendent, s e m b l e - t - i l , principalement de la fumure. Selon qu'on peut obtenir ou non de l'engrais, on laboure une ou deux fois. Dans le p r e m i e r cas, où un seul labour suffit du fait de l'absence d'engrais, le r e n dement s e r a i t de l ' o r d r e de 5 fois la semence, ce qui semble f r é quent chez les Limbu. Dans le second cas, où l ' e n g r a i s est abondant, où l'on fait deux labours, le plus fréquent chez les Sherpa, les r e n dements s'élèveraient entre quinze et trente fois la semence. On dit également que la v a r i é t é "moustachue" produit plus s u r les c r ê t e s ; la variété "nue", dans les champs i r r i g u é s des moyennes vallées (13). Pour la consommation, les Limbu ne savent pas accommoder l'orge en fonction de s e s c a r a c t è r e s p r o p r e s , comme les Sherpa ou les Bhotiya, par exemple, qui l'utilisent avant tout sous la forme de farine. Elle demeure une céréale d'appoint, m é p r i s é e pour s e s qualités alimentaires. Comme nourriture solide, on l'utilise principalement mélangée au riz; à titre secondaire, sous forme de bouillie ou de pain. C'est une parente pauvre du riz. On trouve le même c a r a c t è r e lorsqu'on l'emploie pour la fermentation : elle devient parente pauvre de l'éleusine. Pour les Limbu, l'orge noire est surtout bonne à la fermentation (bière et rakái) alors que l'orge "moustachue" ou "nue" est bonne à la nourriture solide. Il semble que les Sherpa et les Bhotiya ont à l'égard de ces v a r i é t é s des c r i t è r e s différents. Il paraft vraisemblable de dire que tant que l'orge s e r a utilisée chez les Limbu par référence au riz ou à l'éleusine, elle d e m e u r e r a mal cultivée, d'une production sans grande rentabilité, cantonnée, dans sa production, aux villageois les plus pauvres et aux t e r r e s les moins soignées. 204
V. LE BLE Comme l'orge et les pommes de t e r r e , certaines variétés de blé, en pays limbu, semblent être venues du nord, des hautes vallées. Les Limbu l'auraient emprunté aux populations tibétaines. La répartition géographique de cette céréale, pour les mêmes raisons, s e m b l e t-il, que l'orge paraît s ' ê t r e lentement étendue depuis une centaine d'années, gagnant les b a s s e s t e r r e s . Sa culture cède le pas aujourd'hui devant l'extension rapide de la pomme de t e r r e , du moins dans les moyennes vallées. Le blé se dit éi ou mâéi en limbu, gahu en nepâli (14). Culture d'hiver, la production s ' a c c r o î t au f u r et à mesure que l'on monte en altitude. Le blé est négligé par les Chetri, les Bahun et les Newar établis dans les b a s s e s t e r r e s à l'entrée de la vallée. Les villages témoins de Dobhan et Khokling n'en font pas la culture. Les immigrants népalais de la moyenne vallée en assurent une faible production du même ordre et selon les m ê m e s techniques que les Limbu implantés aux mêmes altitudes. A Libang, sur quinze maisons Chetri, six font la culture du blé, totalisant une production globale de sept muri. Sur les quatre-vingt-trois maisons limbu étudiées, quatorze cultivent le blé, pour une production d'une douzaine de m u r i . Plus haut, à Thunglung, Syamba, Shibuden, la production, techniquement différente, concerne un plus grand nombre de maisons mais pour une production quantitativement du même o r d r e : à Shibuden, vingt maisons s u r quarante-trois obtiennent une production, bon an mal an, de vingt à vingt-cinq muri. Pour l'ensemble de ces populations, le blé est une culture d'appoint, d'une faible importance. Tout autre paraît la culture de cette céréale chez les Bhotiya et certains groupes Sherpa de la haute vallée, où le blé paraît une céréale de base, à peine inférieure à l'orge, le mai's, la pomme de t e r r e . A Dongen (quatorze maisons), à Tartong (vingt maisons), chaque Bhotiya cultive le blé dans des champs en t e r r a s s e . La production p a r maison est beaucoup plus importante, de l ' o r d r e de cinq à sept muri, parfois beaucoup plus. Deux variétés, principalement, sont connues dans la vallée de la Mewa. La p r e m i è r e est appelée pandure gahu en nepâli, panduremâ ou yàrâkenâ éi en limbu. Son grain est gros et rond. C'est une variété cultivée à des altitudes moyennes, celle que connaissent les Limbu. La seconde, suddho gahu (N) ou tensâbâ éi (L) est exploitée à haute altitude. C ' e s t le blé des Bhotiya. Les Sherpa connaissent et cultivent les deux, selon des assolements et des altitudes légèrement différentes. Le pandure est de cycle court, de l ' o r d r e de quatre mois et demi. Le suddho, de cycle long, approximativement huit ou neuf mois. Le calendrier diffère donc selon la variété. On distingue principalement t r o i s sortes de culture. La p r e m i è r e s'effectue dans les champs i r r i g u é s entre 1 200 et 205
1 400 m è t r e s . C'est celle que connaissent les Limbu et les Chetri. Elle est attestée à Libang, à Thukima, Lingtep, Nalbu, et, en p a r tie à Thunglung et Syamba. On sème aux alentours du 15 décembre pour r é c o l t e r dans la p r e m i è r e quinzaine de mai. Ce type de culture ne concerne que la variété pañdure. Elle ne peut se faire dans les champs de culture sèche où les épis sécheraient s u r pied. On profite des canaux des champs de r i z pour i r r i g u e r le blé deux jours pleins, à un mois d'intervalle, une p r e m i è r e fois aux alentours du 1er m a r s , une seconde fois, v e r s le 1er avril. Selon que l'on a pu disposer ou non de fumier animal, on fait un ou deux labours. Avec un seul labour, la production est faible, de l ' o r d r e de cinq à sept fois la semence. Avec deux labours et du fumier, la récolte rendrait de dix à seize fois la semence. Elle est un peu plus précoce que la précédente, d'une dizaine de jours. En fonction de l'altitude, les dates des semailles peuvent v a r i e r légèrement et se faire dans certains cas v e r s le 1er novembre. Ce p r e m i e r type de culture, dans l e s champs irrigués des moyennes vallées, est toujours lié à la culture du riz des variétés atte et r â m s â l i . La date de la moisson, v e r s le début mai, survient comme celle de l'orge, lorsque le riz dans les maisons commence à s'épuis e r , que le mais est loin d ' ê t r e mûr : le blé s e r t d'appoint dans la n o u r r i t u r e solide. Il est utilisé avant tout pour l'auto-consommation. D'une année à l'autre, on conserve les semences. Le plus souvent, toutefois, c'est à Thukima, Warok, Lingtep, sur la rive droite, qu' on va les chercher; c ' e s t une activité de femmes. Le blé est échangé, à volume égal, contre des lentilles (mas). Ces services s ' e f f e c tuent dans le cadre des relations d'alliance. A Libang, c ' e s t ce type de culture que pratiquent les quatorze maisons limbu et t r o i s des maisons chetri (1970). La plupart n'assurent qu'un seul labour. Il y a quatre ans, en 1966, la production de blé selon cette méthode, était beaucoup plus importante, du double environ. Elle a diminué pour deux raisons. D'une part elle a cédé le pas devant la culture des pommes de t e r r e ; d'autre part, les riches qui s'y adonnaient petitement autrefois, et pratiquaient deux labours tendent à l'abandonner. Il y a trop de difficultés : on sait mal conserver les s e m e n ces; en hiver, les bêtes redescendues dans le village, menacent les champs; il faut clôturer, être là constamment pour surveiller. Les querelles n'en finissent pas avec les p r o p r i é t a i r e s de bovins. Elles se règlent devant les subba dont l'arbitrage coûte plus cher que la perte du grain s u r pied. Il arrive donc, de plus en plus, que les gros p r o p r i é t a i r e s , a p r è s la récolte du riz, abandonnent, en échange d'une faible prestation ou même gratuitement, l e u r s champs i r r i gués pour que les pauvres y cultivent à leur compte du blé d'hiver. Un second type de culture du blé, de la même variété pandure, s'effectue à des altitudes de 1 600 à 1 800 m è t r e s , dans les champs de culture sèche (bâri), en rotation annuelle avec le mais et l'éleusine. C ' e s t selon cette méthode que les vingt maisons sherpa de 206
Shibuden et trois des maisons chetri du hameau de Saraza (Libang) assurent leur production. Elle est également attestée massivement chez les Limbu de Syamba, Thunglung, Nalbu, Tankhu, dans les villages situés plus haut dans la vallée que Libang et dans la plupart des hameaux sherpa. Les semailles se font aux alentours du 15 octobre. La moisson, comme dans la moyenne vallée, vers le 1er mai. Les champs sont labourés deux fois, avec apport de fumier. Les rendements seraient légèrement supérieurs à ceux que connaissent les champs irrigués à plus basse altitude. A Thunglung et Syamba une partie de la récolte est vendue aux Bhotiya. Enfin la variété tensaba est cultivée aux plus hautes altitudes, entre 1 800 et 2 500 mètres, principalement par les Bhotiya, à titre moindre par les Sherpa. Cette troisième méthode est attestée à Shimbuk, Dalaincha, Dongen, Phabung, e t c . , et également à Shibuden. Les semailles s'effectuent en septembre; les moissons en juin. Les rendements sont moindres que pour la méthode précédente. Mais la production de ce type est beaucoup plus développée. C'est à ce genre de culture que s'adonnent toutes les maisons étudiées de Dongen et de Tartong. Signalons que la rive droite de la Mewa Khola semble plus productrice de blé que la rive gauche. Sur cette rive, à Canga et Kiling, un groupe de Sherpa venu de la région de Khumbu, les premières populations de dialecte tibétain installées dans la vallée, issus des "miniâkpâ", assurent une production importante qui semble leur permettre un mode de vie économiquement différent de celui des Bhotiya descendus de Tokpe et établis maintenant dans les villages de Dongen, Phabung et, partiellement de Shimbuk. VI. LE SARRASIN L'orge et le blé, dans leur répartition géographique actuelle, semblent de culture "récente". Le sarrasin, au contraire, est dit l'une des plus anciennes céréales que les Limbu aient connu, au même titre qu'une variété d'éleusine appelée pârâmS ou pandure. Son utilisation est requise dans le rituel qui suit les morts violentes. Le sarrasin se dit phapar en nepSIi, kyâbo en limbu (15). Deux variétés sont connues. L'une "amère" est appelée tite phapar par les nepâli, cen kyâbo par les Limbu. L'autre "douce" est appelée mithe par les nepâli, khin par les Limbu. L a production de ces deux variétés, d'une masse à peu près é quivalente, est minime dans la Mewa Khola. Sur les deux cent quatre, vingt maisons que compte le pancâyat de Libang, trente-sept seulement s'adonnent à sa culture pour une récolte totale, infime, de vingtdeux à vingt-cinq muri. Toutefois, le sarrasin est attesté dans de nombreux villages de la vallée (Libang, Thukima, Nalbu, Canga, etc. 1 207
Les proportions cultivées semblent être du même ordre qu'à Libang. Elles concernent surtout les Limbu mais également les populations de dialecte tibétain (Sherpa, Bhotiya) et les immigrants nepâli (Chetri, Samnyasi). La variété amère est cultivée à des altitudes supérieures, à p a r t i r de 1 600 m è t r e s où sa production, dit-on, est meilleure que dans les basses t e r r e s . Elle est principalement utilisée dans la f e r mentation. De ce fait les riches en font parfois petitement la culture, de même que quelques Chetri qui revendent leur production aux Sherpa. C'est cette seule variété que semblent cultiver les Bhotiya de Kiling, Tartong, Mikladen. La variété douce est cultivée à de plus basses altitudes (1 2001 400 m à Libang). Elle est utilisée pour la préparation de galettes qui servent en appoint à la nourriture solide. Elle ne peut servir à la fermentation. De ce fait elle est conservée par les pauvres pour l'auto-consommation. Le calendrier de ces deux variétés est sujet à des variations importantes. Le plus souvent, toutefois, on sème dans la première quinzaine du mois d'août pour récolter après la mi-novembre. F r é quemment, on ne fait qu'un seul labour, sans apport d'engrais. Les deux variétés sont plantées dans les seuls champs de culture sèche, aux mêmes altitudes que l'éleusine. Ces deux cultures paraissent liées, en effet, aujourd'hui chez les Limbu : dans la plupart des cas, c'est lorsque les semences d'éleusine lui font défaut que le villageois pauvre ensemence une parcelle de sarrasin. Les semences se trouvent dans le village. Elles se prêtent. Leur emprunt se fait entre femmes. Méprisé pour ses qualités alimentaires, la production du s a r r a sin semble avoir connu un net recul dans les collines, devant l ' a c croissement de la production du blé, de l'orge et de la pomme de terre. VII. LA POMME DE TERRE Hamilton, en 1800-1810, mentionne la culture de la pomme de t e r r e à Kathmandu. Hooker en 1848 la trouve chez les Bhotiya de Yangma, au-dessus de Walungchung. Elle est, dit-on, d'introduction récente, vraisemblablement venue des potagers anglais de Darjeeling (16). Furer-Haimendorf, dans son ouvrage sur les Sherpa, reprend les données de Hooker et les complète. Sa culture, venue de l'est, aurait gagné le haut pays sherpa de la région de Khumbu, aux alentours de 1850. Elle aurait transformé, sur le plan économique et social, le genre de vie de ces populations, en leur procurant la s é curité. Pignède, de son côté, soutient la même thèse chez les Gurung 208
de l'Ouest népalais. Elle est d'introduction récente; elle fait prospér e r certains villages défavorisés du haut-pays gurung qui en a s s u rent la distribution vers les basses vallées méridionales. Qu'en est-il chez les Limbu, dont le pays s'étend au sud de Yangma, la localité mentionnée par Hooker et Fiirer-Haimendorf ? Dès l'abord, on relève un phénomène analogue à celui noté par Pignède chez les Gurung. Deux petites régions, au nord de la Mewa, se sont fait une spécialité de la culture de la pomme de t e r r e . A p a r tir de décembre, elles approvisionnent le bas-pays méridional. Ce sont d'abord les deux villages de Kiling et Canga, à là limite du pays bhotiya, sur la rive de la Mewa. Les habitants en sont des Sherpa, venus de la région de Junbesi, issus des Miniakpa. Ils ont été la première population de dialecte tibétain à s'installer dans la Mewa. Ils sont très proches des Bhotiya de Dongen, Phabung, Shimbuk, avec lesquels ils s'intermarient, dit-on. Toutefois ils ont complètement abandonné le genre de vie du haut-pays. Ils s ' a donnent uniquement à l'agriculture. Aux altitudes les plus élevées du bas-pays, ils sont parmi les seuls Sherpa de la vallée à connaître une économie prospère. Ce qui nous frappe dans leur aisance, c'est qu'elle s'accompagne d'une nette tendance à la népalisation. Une seconde enclave régionale regroupe les villages de Dalaincha, Syamba et Thunglung. Les Sherpa qui y demeurent appartiennent principalement au même groupe que ceux de Kiling et de Canga. Les Limbu, leurs voisins au village, beaucoup plus nombreux, assurent comme les Sherpa une forte production sur les crêtes. A p a r t i r de décembre, pour les uns comme pour les autres, leur marché outrepasse le cadre de la vallée. Ils vont vendre jusqu'aux villages de Hangpang et de Chentham, en Atharai. De leur côté, les Bhotiya descendus de Tokpe Gola, dans les villages de Dongen, Phabung, Tartong et Shimbuk, cultivent également la pomme de t e r r e . Toutefois jusqu'à ces dernières années, leur économie demeurait tripartite, basée sur l'agriculture, l ' é l e vage et surtout le commerce. Ils conservent un genre de vie d'habitants du haut-pays, en continuels déplacements du Tibet, à la plaine indienne. Ils ne sont pas "sédentarisés" comme les Sherpa de Kiling et de Canga. A part le village de Shimbuk dont le marché s ' é tend jusqu'à Khokling, la pomtne de t e r r e , chez eux, demeure destinée à l'auto-consommation. Ces t r o i s ensembles régionaux sont nettement les plus producteurs de la vallée. Dans la moyenne vallée, deux ensembles numériquement plus importants s'adonnent à sa culture, mais dans des proportions plus modestes. Les Sherpa établis sur les crêtes dominant les flancs de la rivière dans les villages de Shibuden, Simlè, Nalbu, etc. Les Limbu d'autre part, plus bas, sur les mêmes pentes. A Libang la pomme de t e r r e est d'une introduction récente. Elle a été empruntée aux habitants des crêtes. On en assure une production régulière de209
puis une vingtaine d'années. Elle semble actuellement se répandre très rapidement. Chez les Chetri de Khokling, à l'entrée de la vallée, ou chez les Newar de Dobhan, la pomme de terre n'apparaît pas. Pour les premiers, on nous en a donné une raison. Dans les fonds de vallée, la pomme de terre ne peut être d'un bon rendement qu'avec du fumier de cochon. Les Chetri, pour des raisons de caste, n'en font pas l'élevage. Ils ne la cultivent donc pas. Certains faits tendent à vérifier cette information. Des Chetri établis dans la moyenne vallée, aux altitudes où vivent Sherpa et Limbu, assurent une certaine production sur leurs terres. C'est toutefois à des journaliers limbu qu'ils font appel pour les travaux agricoles, de même que pour fournir l'engrais de cochon. Ils échangent ensuite leur récolte contre du riz. Ce riz est revendu aux Bhotiya. En d'autres termes quatre techniques sont actuellement utilisées pour la culture de la pomme de terre dans la vallée de la Mewa. 1) A Tokpe Gola (3 800 m), faiblement, en récolte d'été, dans des petits champs non terrassés proches des maisons et clos par des murs de pierres sèches; par les populations qui montent de Dongen et Shimbuk. 2) Dans les villages du nord de la vallée, à des altitudes comprises entre 1 800 et 2 300 mètres (Kiling, Canga, Dongen, Shimbuk, Tankhu, Dalaincha, Thunglung, Syamba); tant chez les Sherpa que les Bhotiya ou les Limbu. La culture se fait dans des champs en terrasse de culture sèche, sur de grandes étendues, sur les crêtes, assez loin des maisons, sans clôture. Les semis s'échelonnent selon les altitudes du 1er décembre au 1er février. La récolte, en juin-juillet, parfois jusqu'en août. La production pour chaque maison est importante, au minimum de cinq à six muri, parfois beaucoup plus. 3) Sur les crêtes de la moyenne vallée, chez les Sherpa, à des altitudes comprises à peu près entre 1 700 et 1 900 mètres, à Shibuden, Simle, etc. Cette culture présente les traits caractéristiques suivants : elle s'effectue près de la maison, flanquée d'un "grenier à pommes de terre"; dans une parcelle clôturée; au milieu d'un ensemble de champs où l'on récolte chaque année mais, éleusine précoce et orge; en général il n'y a pas de seconde récolte pour le reste de l'année; les bovins et l'abri de l'éleusine prennent possession du champ laissé en jachère jusqu'à l'année suivante. Les dates des semis sont les mêmes que dans les villages du nord. La production est toutefois plus faible. Chaque famille récolte un minimum de deux à quatre muri; mais les gros surproducteurs, à l'inverse des villages du nord, sont en nombre réduit. 4) Chez les Limbu des moyennes vallées, à des altitudes de 1 100 à 1 400 mètres. A l'inverse des trois cas précédents, la pomme de terre se cultive toujours dans un champ irrigué où l'on a moissonné riz précoce (bhuidân) ou riz un peu plus tardif (atte, râmsâli). 210
Autrefois il semble que la m a j o r i t é des villageois cultivaient leurs pommes de t e r r e dans les parcelles i r r i g u é e s les plus précoces, à des altitudes relativement élevées dès le mois d'octobre. Aujourd'hui la tendance est différente, on cultive plus bas, dans des champs de riz moins précoce, dans la seconde quinzaine de décembre. La récolte s'effectue à p a r t i r du 1er mai. Parfois dans certains champs, avant de transplanter le riz, on utilisera la t e r r e pour effectuer les s e m i s des pépinières d'éleusine. Ces cultures de pommes de t e r r e , dans des champs irrigués, sont toujours clôturées. Elles sont l'objet d'une entraide entre villageois, assez r a r e actuellement en pays limbu pour ê t r e notée. Avant la moisson, quelques Limbu pauvres se rendent chez les p r o p r i é t a i r e s des plus grands champs de riz. Ils déposent devant lui, en s'inclinant, une bouteille d'alcool et un poulet. Il lui demande le droit d'utiliser une parcelle de son champ, a p r è s la moisson du riz, pour cultiver les pommes de t e r r e . En général le p r o p r i é t a i r e accepte. Il sait que sa t e r r e s e r a ainsi fumée avec le meilleur des engrais, celui de cochon. On en a r r i v e ainsi au type d ' a r r a n g e m e n t suivant : un champ de riz qui fournit vingt-et-un mûri à la récolte est divisé en deux soles. Sur la p r e m i è r e , neuf villageois cultiveront, chacun pour son compte un mûri de pommes de t e r r e . Ils fourniront fumier et clôture. Sur la seconde, le p r o p r i é t a i r e , traditionnellement, f e r a une seconde récolte de six ou sept mûri de m a i s . Grâce à ce type d'entraide, chaque maison, à Libang, produit chaque année de un à t r o i s mûri de pommes de t e r r e , destinés principalement à l'auto-consommation. Dans certaines maisons on a relevé des productions exceptionnelles de neuf à dix m û r i . A Libang les rendements sont faibles. Ils dépendent principalement de la fumure et de la s é c h e r e s s e éventuelle. On dit qu'un champ fumé avec de l'engrais de cochon donne de huit à dix fois la s e m e n ce; avec une autre sorte d'engrais, six fois la semence; sans fumier ou lorsqu'il fait t r è s sec, t r o i s fois. Il semble que ce d e r n i e r type de rendement prédomine chez les Limbu. A Shibuden il semblerait que les rendements soient meilleurs de l ' o r d r e de quatre à huit fois. Ils seraient plus importants encore dans les villages du nord de la vallée sans qu'on ait pu exactement les d é t e r m i n e r . T r o i s variétés de pomme de t e r r e sont connues : 1) râto (N) ou kuheklâ (L), rouge. Elle est de loin considérée comme la meilleure. On l'appelle parfois s â r k â r i . Elle est comparée à la chair de la bonne viande. C'est celle que l'on peut c o n s e r ver le plus longtemps à des altitudes moyennes. Elle est principalement cultivée à Kiling, Canga et Shimbuk. 2) kâlo (N) ou kumaklâ (L), noire. C ' e s t la pomme de t e r r e cultivée à Yangma, au-dessus de Walungchung. Dans la Mewa, elle est attestée surtout chez les Sherpa de la rive gauche, dans la moyenne vallée. Elle est, dit-on, de qualité moyenne. 3) seto (N), ou kuphorâ (L), blanche. Cette variété est, dans les 211
b a s s e s vallées tout au moins, la moins appréciée. On ne peut la cons e r v e r longtemps. Elle est attestée à Thunglung et Syamba. D'une année l'autre, dans les moyennes vallées, on ne peut cons e r v e r ses semences à cause de la chaleur et de l'humidité. Sur quatre-vingt-trois maisons à Libang seul un villageois le fait. Les a u t r e s , pour obtenir leurs semences, s'entremettent avec les producteurs du nord, quelque temps avant les s e m i s . Pour cette raison c ' e s t au mois de décembre que les cours sont au plus haut. De la mi-novembre à la mi-décembre, l'obtention des semences donne lieu à toutes s o r t e s de contacts entre gens du nord et gens du sud. Soit ces d e r n i e r s se rendent dans le haut-pays; soit les producteurs des c r ê t e s descendent v e r s les fonds de vallée. Vin. AUTRES PLANTES CULTIVEES DANS LES CHAMPS P a r m i d'autres plantes cultivées dans les champs signalons la moutarde (tori) (N), les haricots_soja (soya-bean) appelés bhatmâs en nepâli, divers types de lentilles et de haricots, etc. 1. La moutarde tori (N); yenge (L) (17). On cultive la moutarde s e lon des techniques t r è s différentes. Chez les Sherpa, on la sème au milieu des champs d'orge ou de blé, précédée d'une récolte de mai's, mélangée ou non à de l'éleusine précoce (octobre-novembre/avril-mai). On la trouve, à titre moindre, alternant avec une récolte de pommes de t e r r e (févrierjuillet); enfin, en rotation, avec du mais (septembre-octobre/janvier). Ces t r o i s techniques se font uniquement dans les champs i r r i gués. La plupart des maisons sherpa s ' a s s u r e n t une production annuelle de deux pâthi à un mûri (exceptionnellement). La croissance de la moutarde en altitude est plus rapide d'une quinzaine de jours environ lorsqu'elle est semée dans les champs d'orge. Chez les Limbu, c'est surtout une plante de potager, semée a vec le mais, en f é v r i e r . Chez les Chetri, on la trouve, parfois, dans les champs i r r i gués, mélangée au blé, ou bien dans les champs de culture sèche, a p r è s une récolte de mais. On la plante également en potager. Les utilisations sont diverses. Certaines ethnies privilégient telle ou telle. Les Chetri, qu'on dit avoir introduit la moutarde dans le pays, en même temps que le riz irrigué, s ' i l s ne la cultivent pas toujours, s ' a s s u r e n t annuellement l'achat de trois à quatre pâthi, soit aux Sherpa, soit aux autres Chetri qui en font la culture. On échange un pâthi de moutarde contre deux pâthi de riz, au même taux que le sel pour en faire de l'huile. Les Sherpa en font également de l'huile qu'ils utilisent comme les Chetri, dans l'alimentation. 212
Les Limbu sont moins enclins à cette utilisation, qui pourtant semble se répandre de plus en plus, en l'absence de saindoux ou de b e u r r e cuit. Ils consomment la plante comme légume vert, bouillie. La moutarde est également utilisée pour le tannage des peaux de tambour et pour fixer les teintures de coton. Pour leur consommation personnelle, les Bhotiya du haut-pays achètent de l'huile de moutarde dans les b a s s e s vallées soit au m a r ché (elle est commercialisée) soit lors de leurs migrations s a i s o n n i è r e s . Des Sherpa en importent des plaines indiennes. 2. Philunge (hitânba en limbu), Guizotia abyssynica cass ( ? ) (18). Sa culture est attestée dans les seuls fonds de vallée; soit dans les champs i r r i g u é s fréquemment; soit dans les champs de culture s è che. Dans les p r e m i e r s , sa culture se fait soit en plein champ, soit s u r les diguettes entre juillet et décembre, à la même époque que la culture du riz. Dans les champs de culture sèche, elle est a t t e s tée à l'étage de l'éleusine, mélangée avec le masyâm (Libang). La plupart des maisons limbu de Libang s ' a s s u r e n t , chaque année, une récolte de un à cinq pâthi. La graine noire de la fleur jaune est utilisée principalement pour faire l'un des acâr ("amusegueule") les plus appréciés; à t i t r e moindre, dit-on, pour f a i r e de l'huile. Attestée à Duwa, Tembe, Libang, etc. 3. Haricot-soja, bhatmâs (N), cembi (L) (19). On désigne sous ce nom plusieurs variétés, toutes cultivées à Libang : "grande et rouge" en limbu, cembi yombâ; en nepâli, râto. Appelée également nepâli cembi; "noire et petite", kumâklâ ou cukpâ en limbu, sânu ou kâlo en nepâli; "blanche", phodânba (L), seto (N). Se plante à la f o i s dans les champs i r r i g u é s et dans ceux de culture sèche, à b a s s e et moyenne altitude. A Libang le bhatmâs est planté souvent dans les champs de riz qui restent inondés une p a r tie de l'année (tukwârok), p r è s de la rivière, alors que le m a s (lentille) est planté dans les champs i r r i g u é s suivis d'une culture sèche. Dans un grand champ de riz d'une production annuelle de vingt m û ri, la récolte de bhatmâs planté s u r les diguettes était de t r o i s m û ri, le rendement était de vingt-quatre fois la semence (deux pâthi, quatre mànâ de semences pour t r o i s mûri à la récolte). En altitude, dans les champs de culture sèche, le bhatmâs est parfois mélangé à l'éleusine (attesté à Thunglung), au mais (Syamba, Thunglung) et même au blé. La variété rouge est semée plus précocement que les autres (15 m a r s - 1 5 avril) pour être récoltée 15 septembre-15 octobre. Chetri, Limbu, principalement, cultivent le bhatmâs. Chaque maison en fait une récolte de dix pâthi à un mûri par an. Les récoltes les plus importantes sont de l ' o r d r e de trois à quatre mûri. Le 213
bhatmâs dont la limite supérieure de culture est plus élevée que celle du mâs, s'échange à volume égal avec ce dernier entre propriétaires des basses et des moyennes vallées. Dans l'alimentation limbu, le bhatmâs est accommodé de multiples façons, grillé, mélangé avec du mais; moulu, en acâr (N), a vec du piment et du sel, pour accompagner la bière; sous forme de kinâmâ comme légume au repas, etc. Sa culture est attestée en 1800 dans la vallée de Kathmandu par Hamilton. 4. Divers (20). Parmi les autres cultures des champs citons mâs (lentilles) et masyâm. La lentille se dit kârâï en limbu. C'est s u r tout la variété noire qui est la plus connue à Libang. Elle est attestée à Syamba, Thunglung, Khokling, e t c . , dans les champs irrigués, plantée comme le bhatmâs et approximativement aux mêmes dates. Dans les champs de culture sèche, elle alterne parfois avec le mai'S. Le masyâm, attesté à Tembe, Duwa, Libang, Khokling, etc. , peut être planté après une récolte de mai's (Libang). Sa récolte se fait également en décembre. Signalons enfin que le navet (mulâ) (N) est cultivé l'été dans les champs qui entourent les maisons de Tokpe Gola (3 900 m). EX. ROTATION DES CULTURES Maintenant que nous connaissons les calendriers des principales plantes cultivées, nous allons tenter de définir les systèmes d'assolement et de rotation des cultures. Lorsque, dans la Mewa, venant de la rivière, on traverse un village, au fur et à mesure que l'on monte vers la crête, les cultures se succèdent, les types d'assolement se modifient. Dans les basses t e r r e s , le riz domine. A mi-hauteur apparaît l'éleusine. On rencontre l'orge en s'approchant des crêtes. Cette succession des céréales apparaît identique dans le villa» ge voisin. L'ordre est à peu près immuable. A une coupe verticale de la rivière à la crête, dans un village, correspond une coupe horizontale, du sud au nord, sur l'ensemble de la vallée. Ainsi, à Libang, les champs établis juste au-dessus de la rivière reproduisent en petit ceux que l'on trouve en grand, à l'entrée de la vallée, sur les t e r r e s riches et basses de Khokling et de Dobhan. De même les cultures proches de la crête, à Libang, sont du même type que celles des derniers villages bhotiya de Dongen et de Phabung, à l'extrême nord. Dans ses grandes lignes, les cultures, de même que leur système de rotation, sont fonction de l'altitude. Nous allons tenter de reconstituer cet ordre de succession des cultures, dans le détail, en fonction de l'altitude. Pour cela, nous 214
effectuerons une coupe verticale des types d'assolement que l'on trouve à Libang de la rivière à la crête, entre 900 et 2 200 m è t r e s . Nous verrons en même temps l'importance de chacun, en présentant leur proportion comparée en t e r m e s de production. 1. "Ceintures de cultures" Dans ce but, nous avons fait un relevé systématique de tous les champs cultivés de cent quarante exploitations à Libang : vingt maisons d ' i m migrants nepâli, surtout Chetri; quatre-vingt maisons limbu; une quarantaine de maisons sherpa. Ces exploitations appartiennent aux hameaux de Liphabung, Siguenem, Taktem, Tumbangphe, Songbang, Popuma, Saraza, Shibuden. L e u r s champs s'étagent de 900 à 2 200 m è t r e s , à toutes les altitudes. Pour chaque maison, nous notions le nom de la parcelle, le type du champ; le c a r a c t è r e de l'assolement (le plus souvent annuel), la production approximative. U l t é r i e u r e ment grâce à leur nom, les champs étaient localisés et leur altitude approximativement définie (21). Des vérifications qualitatives ont été effectuées par ailleurs, dans d ' a u t r e s villages de la vallée. Particulièrement chez les Newar de Dobhan; chez les Chetri de Khokling; dans les villages limbu de Nalbu, Syamba, Thunglung; au nord, en pays bhotiya, à Tankhu et Phabung. C e r t e s , dans chaque village, dans chaque hameau, il existe des ensembles de champs, désignés p a r un nom de lieu-dit, dans l e s quels tous les paysans qui y possèdent des t e r r e s effectuent en m ê me temps les m ê m e s cultures selon les mêmes rotations d'une année l ' a u t r e . D'un lieu-dit à l ' a u t r e , les récoltes varient de même que les types d'assolement. Pignède a clairement noté ce phénomène en décrivant les ensembles de t e r r e s juxtaposées du village gurung qu'il a étudié (22). Ainsi, à une même altitude, nous savons bien que l'on peut trouver, proche l'un de l ' a u t r e , des systèmes de culture différents. A Libang par exemple les champs de Tukliden, v e r s 1 500 m è t r e s , appartiennent à une trentaine de p r o p r i é t a i r e s . Tous y cultivent une seule récolte annuelle de r i z d'altitude. Au cont r a i r e , à Takok, tout proche de Tukliden et situé à peine plus haut, on trouve déjà des assolements du type mai's-blé. Ces variations sont fonction de facteurs multiples tels que l'ensoleillement, les possibilités d'irrigation, la pente, la qualité du sol, etc. A l ' é c h e lon de la vallée, ces différences tendent à s ' a m p l i f i e r . A Khokling par exemple le riz comme seule culture annuelle, est cultivé à cause des difficultés d'irrigation, dans des proportions beaucoup plus importantes qu'à Libang. A Warok, il s'élève à une altitude supér i e u r e du fait de la qualité de la t e r r e . La pomme de t e r r e à Kiling est récoltée dans des champs en t e r r a s s e s u r de grandes étendues, pas t r è s loin de la crête plutôt que dans des parcelles clôturées p r o ches des habitations, comme on le trouve à Shibuden. 215
Ainsi entre lieux-dits, dans le cadre des hameaux, entre villages dans le cadre de la vallée, de nombreuses variations existent. Les cultures, les assolements ne sont pas toujours étroitement liés à l'altitude. Toutefois, s ' a r r ê t e r à ces différences fausserait le p r o blème. Au-delà de la multiplicité des faits, il se dégage un ordre de succession des récoltes qui est fonction de l'élévation des t e r r e s . Cet ordre, ou plutôt cette tendance, est valable pour l'ensemble de la vallée. C'est elle que nous cherchons à décrire ici. L'exemple de la coupe verticale réalisée à Libang entre 900 et 2 200 mètres nous paraît significative pour l'essentiel des faits concernant la totalité des t e r r e s cultivées de la Mewa Khola. Sur l'ensemble du bas-pays montagnard, on trouve ainsi trois "ceintures" de cultures superposées les unes aux autres, selon un ordre immuable. Dans chacune domine une céréale particulière. Au plus bas la "ceinture du riz". Au niveau moyen, "laceinture de l ' é leusine". Au plus haut la "ceinture de l'orge". La présence du mai's, on l ' a vu, n'est pas significative. Il se retrouve à chaque niveau. La ceinture la plus basse, celle du riz, est constituée de champs i r r i gués. Les deux autres de cultures sèches. C'est la ceinture la plus basse, celle du riz, qui assure et de loin, la part la plus importante de la production de céréales (48% de la production totale à Libang). Les deux autres ont une production inférieure, à peu près du même ordre : 24% pour la ceinture de l ' é leusine; 28% pour la ceinture de l'orge (23). Selon sa situation en altitude, les t e r r e s d'un village se situent principalement dans telle ou telle ceinture. A Khokling comme à Dobhan, par exemple, établis sur des t e r r e s basses à l'entrée de la vallée, c'est la ceinture du riz qui, de loin, prédomine. A Dongen, au contraire, comme à Kiling, Phabung, Shimbuk, Canga, ainsi que dans les autres villages du nord, celle de l'orge. Les villages de la moyenne vallée comme Libang, Thunglung, Syamba, Nalbu, Lingtep, Thukima ont des t e r res réparties sur les trois ceintures dans des proportions variables. Dans chacune de ces ceintures de culture, on trouve un petit nombre, toujours le même, de types d'assolement différents qui parfois, eux aussi, se trouvent superposés les uns aux autres dans un ordre approximativement identique quelque soit le village où l'on se trouve. Ainsi, dans la ceinture du riz il existe quatre types principaux de rotation annuelle de culture. Au plus bas, le riz tardif, cultivé seul, sans seconde récolte. A Libang ce type d'assolement assure 5% de la production totale des céréales. Au-dessus, la t r è s grosse masse des champs où l'on cultive chaque année riz et mai's ensemble (36% de la production totale). A des altitudes comparables, mais sur des ensembles de parcelles différentes et groupées, la rotation riz-blé (4%). Enfin, au plus haut de la ceinture du riz, le riz d'altitude, le plus souvent comme seule récolte annuelle (3%). Les pommes de t e r r e , cultivées dans les champs irrigués, le sont indiffé216
remment dans des t e r r a s s e s que l'on prend sur la seconde sole de mais ou de blé. Elles n'apparaissent ni dans les champs de riz les plus bas, ni dans ceux les plus hauts. Ces quatre types d'assolement annuel (riz tardif seul dans les basses t e r r e s ; riz-mai's et riz-blé à un niveau moyen; riz d'altitude seul, dans les champs les plus hauts), se retrouvent constamment dans tous les villages s'adonnant à la riziculture et approximativement, selon la même succession, fonction de l'altitude. Pour Libang, comme pour l'ensemble de la Mewa Khola, c'est la rotation riz-mais qui s'avère la plus importante. Dans de tels champs la production de mai's est en général la moitié de celle du riz. Dans ceux où alternent annuellement riz et blé, la production du blé est variable. Elle est rarement supérieure au cinquième de la production du riz. La seconde "ceinture" de culture, immédiatement supérieure à la précédente, est celle où domine l'éleusine. Pour l'ensemble, elle se compose à peu près uniquement de champs de culture sèche, où alternent annuellement mai's et éleusine. Cette dernière peut être tardive aux altitudes les plus faibles; précoce et plantée avec le mais, au moment du deuxième buttage-sarclage de ce dernier, à des altitudes plus fortes. L'ensemble de ce type d'assolement mai'séleusine représente 24% de la production totale des céréales à Libang. Dans de tels champs, la production d'éleusine est à peu près la moitié de celle du mai's. Lorsque les semences d'éleusine font défaut, pour compléter la sole, on plante du s a r r a s i n . La production de ce dernier type de rotation mai's-sarrasin est toutefois négligeable. Il n'y a pas d'autres céréales cultivées dans cette ceinture. Les pommes de t e r r e non plus n'y sont jamais plantées. Enfin, au-dessus de la ceinture de l'éleusine, celle de l'orge, également dans des champs de culture sèche. Les assolements y sont nettement plus diversifiés. Trois d'entre eux dominent l'ensemble. Sur les crêtes, d'abord, au plus haut, le mai's et le blé. La production comparée, à Libang en est peu importante (1%) elle le devient au fur et à mesure que l'on s'enfonce vers le nord de la vallée et que les crêtes gagnent en hauteur. Au-dessous, mai's et orge, cette dernière souvent mêlée de moutarde (3% de la production totale à Libang). Enfin, aux altitudes où sont implantées les habitations sherpa, c'est-à-dire, en général, au-dessous des deux-types précédents de culture, un type d'assolement très particulier, "composite", où se succèdent sur une même t e r r e , mais, éleusine précoce et cultures d'hiver (orge, blé, sarrasin, moutarde) tandis qu'une partie du champ clôturé est consacrée à une récolte de pommes de t e r r e . Cet assolement de type composite domine de loin à Libang par son importance, la ceinture de l'orge. Il représente 22% de la production totale de céréales. Nous aurons l'occasion d'y r e venir en étudiant l'exploitation sherpa. A côté de ces trois types d'assolement principaux, on en trouve d'autres, divers, mais dont l'importance sur le plan de la production est limité (2% pour l'en217
semble). Parmi ceux-ci, citons le mais écobué, cultivé tous les deux, trois, sept ans dans des bari (N), les pommes de t e r r e et le sarrasin comme seule culture annuelle et quelques parcelles où a près une première culture de mais on cultive sarrasin ou pommes de terre. 2. Production et types d'assolement Ces données nous permettent d'établir les productions comparées des principales récoltes en fonction des divers systèmes de rotation des cultures, pour Libang, village de la moyenne vallée. Le riz se place au second rang dans la production comparée des céréales, juste après le mai's. Pour 140 maisons à Libang, cette production est de l'ordre de 1 400 muri soit 70 tonnes (24). Tout le riz à Libang est cultivé dans la ceinture de culture la plus basse, celle des champs irrigués. Il n'y a pas de riz sec. Cette production est obtenue selon quatre types d'assolement, d'importance très inégale : seul dans les fonds de vallée; en rotation avec le mai's; en rotation avec le blé; seul, précoce, en altitude. La production de loin la plus forte est assurée dans des champs où, en seconde récolte annuelle, on cultive le mai's. Elle représente 69% de la production globale du riz soit 966 muri ou approximativement 48 tonnes. Vient ensuite le riz tardif des basses terres, 11 tonnes ou 224 muri, 16% de la totalité. En troisième lieu celle assurée en rotation avec le blé, 8% de l'ensemble, c'est-à-dire 112 muri, de l'ordre de six tonnes. Enfin le riz précoce d'altitude également cultivé seul qui représente, avec 98 muri, soit 5 tonnes, 7% de la production (tableau 28). C'est le mai's qui vient à la première place des céréales cultivées. Cette production, à Libang, pour 140 maisons, est de l'ordre de 1 612 muri, approximativement 101 tonnes. Le mai's apparaît dans les trois ceintures de culture selon des proportions presque équilibrées : 24% au niveau du riz; 39% au niveau de l'éleusine; 37% à celui de l'orge. Dans le détail, la répartition de sa production en fonction des assolements est la suivante : 1. En rotation annuelle avec le riz, dans les champs irrigués : 387 muri (24 tonnes), c'est-à-dire 24% de la production totale de mai's. 2. En rotation avec l'éleusine dans les champs de culture sèche du niveau intermédiaire : 612 muri (39 tonnes) soit 38% de la production. 3.. Avec le sarrasin dans le même type de champ que les précédents : 17 muri, de l'ordre d'une tonne, 1% de la production. 4. Dans les assolements "composites" de la ceinture de l'orge : 324 muri (20 tonnes), 20% de la production. 5. Avec l'orge (souvent mêlée de moutarde) : 162 muri (10 tonnes), 10% de la production. 6. Avec le blé, en général au plus haut sur les crêtes : 36 muri, à peu près deux tonnes, 2% de la production. Ailleurs, plus au nord et 218
plus haut sur les pentes, ce type d'assolement prend de l'importance dans les villages de Thunglung, Syamba, Kiling, Canga, etc. 7. "Écobué". Sur quelques champs en t e r r a s s e avec des jachères de 2, 3 ou 7 ans : 61 muri (4 tonnes), 4%. 8. Enfin, quelques types d'assolement divers sur les crêtes (mai's sarrasin; mai's-pommes de t e r r e , etc. ) 13 muri, de l'ordre d'une tonne, 1% de la production. Lemai's, onlevoit, est présent àtous les niveaux dans laplupart des systèmes de rotation des cultures. L'éleusine, avec 560 muri, soit 38 tonnes, arrive au troisième rang des céréales. Elle n'apparaft pas dans la ceinture du riz. On la cultive selon deux types de rotation, l'un plus proprement limbu, l'autre sherpa. Le premier, en rotation avec du mai's dans les bari de la ceinture intermédiaire assure une production annuelle voisine de 385 muri, soit 26 tonnes, c'est-à-dire 68% de la production totale de cette céréale à Libang. Le second est lié à la ceinture de l'orge, également en rotation avec le mai's mais également avec une culture d'hiver dans les assolements que nous avons définis comme "composites". La production en est de 175 muri, soit 12 tonnes, 32% de la production (tableau 30). L'orge, avec 221 muri de production annuelle est au cinquième rang. Elle est entièrement cultivée dans les champs t e r r a s s é s du niveau supérieur selon deux types d'assolement. Soit dans les parcelles "composites" proches des maisons, après une culture conjointe de mais et d'éleusine, pour une proportion de 59% c'est-à-dire de 129 muri. Soit avec du mai's seul (et souvent de la moutarde) : 92 muri, 41%. Ce dernier type de rotation prend de plus en plus d'importance au fur et à mesure que l'on monte vers le nord de la vallée (tableau 31). Le blé, à Libang, est d'une faible production qui le place au 6e rang des plantes cultivées dans les champs. Il est difficile de présenter un chiffre annuel précis. Bon nombre de maisons ne le cultivent pas. Celles qui le font ont une production annuelle inférieure souvent à un muri et difficilement quantifiable. Enfin d'une année à l'autre des différences sensibles tendent à paraître. Approximativement, nous estimons la production de l'hiver 1969-1970 aux alentours de 57 muri, soit près de quatre tonnes. Le blé connaît trois types d'assolement. Le premier dans la ceinture du riz; les deux autres dans celle de l'orge. Dans les champs irrigués, en rotation avec le riz, en 1969-1970, 19 muri s u r 57 ont été récoltés, soit 1 280 kilos, 33% de la production. Dans les champs t e r r a s s é s de culture sèche en rotation "composite", sur une partie des soles, 20 muri, 1 346 kilos, 35%. Enfin, sur les crêtes, avec du mai's seul, 18 muri, 1211 kg, 32% de la production. Ce dernier type de rotation prend une importance grandissante dans le nord de la vallée (tableau 32). Les pommes de terre sont cultivées dans des terres de plus en plus basses. A Libang, avec 321 muri, elles viennent maintenant au 219
quatrième rang des récoltes. Elles connaissent trois types d'assolement. Le premier dans les champs irrigués, principalement limbu, en rotation avec le riz, assure 40% de la production (128 muri). Le second, le plus important, est situé au niveau de l'orge dans quelques t e r r a s s e s clôturées, proches des maisons sherpa, au niveau des parcelles "composites". Il représente avec 186 muri, 58% de la production totale. Enfin un troisième type de rotation, soit avec du mais, soit seul, sur les crêtes, est très faible à Libang : 7 muri, 2%. Il est beaucoup mieux représenté dans le nord du pays, qu'il soit limbu (Thunglung, Syamba, Nalbu); sherpa (Kiling, Canga); ou bhotiya (Phabung, Shimbuk) (tableau 33). Le s a r r a s i n connaît une très faible production qui le place au dernier rang des principales cultures. Pour les mêmes raisons que le blé cette production est difficilement quantifiable. Il semble qu'en 1969-1970, elle ait tourné aux alentours de 20 à 30 muri. Quatre types d'assolement apparaissent. Au niveau de l'éleusine, d'abord, en rotation annuelle avec le maïs. Au niveau de l'orge ensuite, soit, pour une faible part des assolements de type "composite", soit avec du mais, soit seul. Mentionnons enfin moutarde, lentilles et philunge, présents çà et là dans les champs, mais dont les productions demeurent faibles. Au total, à Libang, pour 140 maisons, échelonnées de la rivière à la crête, la production annuelle des plantes cultivées dans les champs est de l'ordre de 4 200 muri. Si nous établissons les productions comparées à partir des mesures de volume, on voit que le riz assure 33% de la production globale; le mais, 38%; l'éleusine, 14%; l'orge, 5%; le blé, 1%; les pommes de t e r r e , 8%; le sarrasin, moins d'un pour cent; moutarde, lentilles, e t c . , 1% (25) (tableau 34). Apartir de ces données générales, nous serions tentés d'établir le modèle d'une ferme moyenne. Il serait statistiquement valable. Ce serait toutefois passer à côté de la réalité des faits. Pour décrire les types d'exploitations, il nous faut en effet faire intervenir, une fois de plus, le facteur de l'altitude et celui qui lui est étroitement lié, de l'appartenance ethnique des propriétaires. C'est ce que nous allons tenter dans le chapitre suivant. NOTES 1. Dans la basse vallée de la Tamur, près de la rivière (320 mètres d'altitude), au village de Dumre, par exemple, on trouve deux récoltes de riz i r rigué par an. L'une en novembre-décembre, l'autre en juin-juillet. On nous a signalé quelques champs dans la Mewa, à Khamlung, où se seraient effectuées deux récoltes dans la même année. Ce phénomène qui n'a pu être vérifié, demeurerait exceptionnel. A ce sujet, cf. Amatya, 1967b, p. 73. 2. Ce type de culture très précoce, amène à un repiquage qui a lieu avant la mousson. Le phénomène a été noté par Marc Gaborieau dans l'Ouest du Népal.
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3. Une quinzaine d'échantillons de variétés de riz ont été rapportés de mission. Ils sont déposés au Laboratoire d'Ethno-Botanique du Muséum National d'Histoire Naturelle. 4. Les orthographes des variétés laissent sans doute à désirer. Nous a vons surtout travaillé avec des informateurs limbu qui, le plus souvent, ne pouvaient nous donner les étymologies nepâli. En général, à Libang, chaque variété est semée séparément. Il arrive toutefois que dans certains champs, les semences soient à dessein mélangées. Le procédé est fréquent pour des variétés voisines comme atte et râmsâli. Il existe également, mais beaucoup plus rarement, pour une variété précoce et une variété tardive. On abime la récolte tardive, en moissonnant la récolte précoce. Ce procédé a été observé dans une exploitation à Libang. Au sujet des variétés et de leurs particularités, cf. Hamilton (1819), p. 223 (sur takmaru, etc.); Gorer (1938), p. 90 (sept variétés de riz sec, dont deux d'altitude); Nepali (1965), p. 47 (hàkuwâ et tauli); Pignède (1966), p. 128 (dix-sept variétés); Caplan (1970), p. 11 (donne le chiffre de onze variétés); Thapa (1969), p. 49. 5. Le même critère de "rendement au décorticage" avait été observé par Pignède (1966), p. 128. 6. Rendements du riz. Le mûri de riz non décortiqué qui nous sert ici comme unité de mesure, rappelons-le, pèse approximativement 50 kg. Nous n'avons pu calculer les rendements à l'hectare. A ce sujet, cf. Kumar (1969), p. 11 : pour l'année 1968-1969, il estime ce rendement de 2 038 kg dans la région de la Mechi et 3 304 kg dans la vallée de Kathmandu. A titre de comparaison, cf. Pant (1935), p. 46; Hamilton (1819), p. 225; Macfarlane (1972), p. 276. Ce dernier estime le rendement à 70 fois la semence (mesure de volume), ce qui correspond aux meilleurs champs de Libang. Au sujet des mesures de surface, cf. Caplan (1970), p. 205; Macfarlane (1972), p. 13. 7. L'altitude maximum de la culture du mai's est estimée par Amatya (1968), p. 34 à 8 500 pieds. 8. Les échantillons de mai's rapportés de la Mewa Khola ont été déposés au Laboratoire d'Ethnobotanique. Ils figurent sous les numéros 66 (12 à 18), 70 (8 à 11), et 71 (10) des séries rapportées. 9. Pour Macfarlane (1972), p. 276, le rendement moyen du mais serait de 40 fois la semence (mesure de volume). C'est également ce que l'on nous a indiqué à Libang pour les champs de culture sèche d'altitude moyenne (1 300 mètres). Toutefois il semble que les rendements soient sujets à de grandes variations. Nous avons obtenu des données approximatives à Libang pour 26 champs étagés à des altitudes très différentes de la crête à la rivière. Les estimations s'échelonnent de 16 fois la semence à 123 fois. Il ne nous a pas été possible de vérifier. 10. L'un des emplois les plus fréquents du mais dans les collines de l'Est est comme succédané du riz. Le maïs est passé à la meule (jâto). On recueille trois types de produits qui sont criblés au van : d'une part la farine, d'autre part de grosses brisures, enfin des petites brisures qui ont approximativement le calibre d'un grain de riz décortiqué. Ce sont ces petites brisures que l'on appelle makay ko câmal (N). Elles sont consommées bouillies, comme le riz, dont elles présentent alors un peu l'aspect. Cette préparation est parfois appelée makay ko bhât (N). 11. Le calendrier de la culture du maïs semble avoir une grande constance sur l'ensemble des collines népalaises. A ce sujet, cf. Bhatt (1970), p. 82. 12. Les échantillons d'éleusine figurent sous le numéro 66 (19 à 23) et 70 (12 à 15). Les rendements de l'éleusine comme ceux du maïs n'ont pu être vé221
rifiés. Nous avons recueilli des informations pour 23 champs. Les données s'échelonnent entre 30 fois et 95 fois la semence. La variété pàrâmâ serait la moins productrice (entre 12 et 20 fois). Macfarlane estime à 160 fois le rendement de l'éleusine (1972), p. 276. Il existe une céréale appelée junelo en nepâli et tumbri en limbu (Panicum crus galli ? : échantillon 66 (20) et 70 (82)) t r è s cultivée autrefois dans la Mewa et qui posséderait des qualités alimentaires proches de l'éleusine. On la mélangerait à l'éleusine pour en faire de la bière. On pourrait également l'accommoder comme le mais, grillée ou sous forme de bière. Elle serait semée aux alentours de mars, récoltée en décembre. On la récolterait parfois dans les champs de mais mélangée à ce dernier. Cette céréale connaîtrait plusieurs variétés. L'un des échantillons rapporté répond au nom de "grande sorte". 13. Ces faits de rendement n'ont pu être vérifiés. Les échantillons d ' o r ge et de blé figurent sous les numéros 66 (24 à 29); 70 (16 à 21), 70 (93). L'un d'eux répond au nom de iïwa (échantillon 70) (21). Il a été recueilli à une altitude de 2 400 mètres (approximativement) à Dongen, seul endroit où il serait cultivé dans la Mewa par les Bhotiya et en t r è s petite quantité. A son sujet, cf. Bhatt, 1970, p. 121 : "In the highlands it / " b a r l e y / , i s called uwa and with potatoes and radishes is the principal food crop of the région". Le même auteur estime que l'orge est cultivé au Népal à des altitudes comprises entre 6 000 et 12 000 pieds. Cette variété aurait-elle des rapports avec le uya de Hamilton (1819), p. 88, 274, 284, 315 ? Selon un informateur, cette variété serait semée en août-septembre et récoltée vers mai. Selon un autre, en janvier et récoltée en août. 14. Le blé. Sa culture atteindrait 10 000 pieds d'altitude (Amatya, 1968, p. 37). Il y aurait effectivement un accroissement actuel de sa production dans le Népal des collines (Amatya, 1968, p. 37). Sur le blé dans le haut.pays tibétain, autrefois, cf. Hooker (1854), passim; et aujourd'hui cf. Bhatt (1970), p. 123, 69, 81; Rajbhandary (1968), p. 29. 15. Les échantillons de sarrasin rapportés figurent sous les numéros 66 (30 et 31); 70 (22). Outre les deux variétés principales, il existerait une troisième variété, aujourd'hui sauvage. A ce sujet, cf. Bhatt (1968), p. 122 (Fagopyrum cymosum ?). La variété amère, d'après le même auteur, serait d'origine tibétaine. 16. Au sujet de la pomme de t e r r e , cf. Hamilton (1819), p. 229; Hooker (1854), p. 181, 167; Fiirer-Haimendorf (1964), p. 7-11; Pignède (1966), p. 130131, p. 142, 60, 115, 120. Mac Dougall, p. 39; Amatya (1968), p. 39; Rajbhandary (1968), p. 24, 29; Bhatt (1970), p. 152-154, p. 125; Dupuis (1972), p. 62. Les données s u r les rendements, quoiqu'elles se fondent s u r une vingtaine d'informations ne peuvent être assurées. 17. Sur la moutarde, cf. Bhatt (1970), p. 81, 126 (Brassica campestris), p. 152; Hamilton (1819), p. 74 (à titre historique). Échantillons n° 66 (67), 71 (55); tori ne doit pas être confondu avec r5yo (N) (Sinapis niger) (T, p. 530) cultivé dans les potagers. 18. philuhge (N) : Guizotia abyssynica ( ? ). Echantillon 66 (57), 70 (53). A son sujet, cf. Bhatt (1970), p. 126; Nepali (1970), p. 32-33. Correspondrait également aux noms de jhuse-til et kriénâ jirâc. 19. Haricot-soja, cf. Bhatt (1970), p. 69, 125-126; 151. Échantillons 66 (32-33), 66 (60-64), 70 (60-75). 20. Lentilles, navets, etc. Pour les lentilles, etc. , cf. Bhatt (1970), p. 69, 92, 98. Sur les variétés, cf. T, p. 506; à titre historique, Hamilton (1819), p. 227, 228. Échantillons masyâm : 66 (49-52); 70 (44-45); mas : 66 (48); 70 (32-33), etc. 222
21. Deux méthodes ont été utilisées de concert pour déterminer les altitudes qui restent approximatives : a) au moyen de courbes de niveau de la c a r te; b) en déterminant certains points repères à l'altimètre. C'est par comparaison à ces données, et en ayant recours aux courbes de niveau de la carte qu'ensuite nous avons estimé les altitudes approximatives des divers lieuxdits. 22. Cf. Pignède (1966), p. 113-117. 23. Ces proportions sont établies à partir des quantités fournies en mûri. Ce sont donc des proportions concernant les volumes et non les poids. 24. Rappelons les équivalences volume-poids : riz non décortiqué : 1 mûri (50 kg) (paddy) riz décortiqué : 1 mûri (68, 6 kg) blé : 1 mûri (67, 3 kg) mais : 1 mûri (62, 7 kg) éleusine : 1 mûri (67, 3 kg) L'orge a été évalué par référence au blé. La production de pommes de t e r r e n'a pu être estimée en poids. 25. Selon les auteurs, les données sur la typologie des assolements sont plus ou moins détaillées. Parmi les études les plus poussées, citons Pant (1935), p. 136; Mac Dougall, p. 41 et surtout Bhatt (1970), p. 81-82 qui pour les trois zones (plaines, collines, haut-pays) donne une série de vingt-et-un types d'assolement t r è s précis. A titre de comparaison, pour la production comparée des récoltes dans l'ensemble des collines du Népal Oriental, cf. Rajbhandary (1968), p. 29. Sur l'accroissement de certains types de production, ces dernières années, cf. Ramana (1968).
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CHAPITRE XI. L E S TYPES D'EXPLOITATION
Nous décrirons dans ce chapitre les divers types d'exploitation que l'on rencontre dans la vallée de la Mewa Khola. I. "CEINTURES DE CULTURES" E T IMPLANTATION DE L'HABITAT A peine fini de décrire l'étagement superposé des trois ceintures de cultures, nous ne pouvons que nous empresser de souligner son étroit rapport avec l'implantation de chaque population : les immigrants nepâli, Chetri et Bahun surtout, sont installés dans la ceinture du riz; les Limbu dans la ceinture de l'éleusine; les Sherpa apparaissent avec l'orge. Fréquemment, chaque hameau de chaque ethnie est nettement séparé. A Libang, Siguenem et Liphabung, près de la rivière, sont principalement Chetri. Il faut monter près d'une demi-heure pour trouver à mi-pente, le gros des maisons limbu. Le village sherpa, Shibuden, est lui-même nettement à l'écart, près de la crête. Même si de nombreuses exceptions de détail apparaissent, ce type d'installation, dans s e s grandes lignes, est valable pour l'ensemble de la Mewa Khola, et même pour ce que nous en connaissons, pour la majeure partie du pays limbu (1). Il existe une relation entre le riz et l'habitat Chetri ou Bahun; entre l'orge et les populations de dialectes tibétains; d'une façon générale entre altitude, type de population et céréale cultivée. Cette relation si nette entre un paysage agricole et une population, pousse inconsciemment l'observateur à une interprétation en termes de territoire; à établir des frontières géographiques, selon les altitudes, entre les diverses ethnies; à étudier le Népal par tranches horizontales. En d'autres termes, à isoler chaque population et à la comprendre comme un tout plutôt que dans s e s rapports avec les autres. Au reste ce genre de limites, l'ethnographe n'est que trop enclin à les souligner, du fait de s a formation, qui le pousse à étudier une population après l'autre. On insiste donc sur l'originalité culturelle, ce qui est normal, mais du même coup, poussé par les limites si nettement tranchées de l'implantation en altitude, on étudie la vie technique et l'économie dans le cadre de ces populations isolées comme des systèmes clos et juxtaposés. Une telle méthode fait qu'on p a s s e à côté de tout ce qui est survenu d'important, aux yeux des Népalais eux-mêmes, depuis la conquête gurkha, c'est-à-dire depuis bientôt deux cents ans (2). L'installation des immigrants nepâli en pays limbu, principal 224
facteur de changements, s'est en effet effectuée partout de la même façon, toujours répétée d'un village à l'autre, selon les mêmes conditions. Cette installation s'est faite par le biais de l'organisation des clans limbu, dans le cadre du territoire de chaque segment de clan. Or ces territoires sont partout délimités selon deux constantes. D'une part en bas, la rivière; d'autre part en haut, la crête. Ce sont donc des bandes de t e r r e "verticales" juxtaposées les unes aux autres. En d'autres termes, le point le plus clair de l'évolution historique, au Népal Oriental, ces deux cents dernières années, c'est d'être passé d'une stratigraphie sociale qui s'inscrivait géographiquement de façon verticale, à une autre, qui lui est fondamentalement opposée, horizontale. Cette transformation a un autre intérêt que celui de la simple curiosité. Si nous parvenons à l'expliquer, alors, nous verrons apparaître, drainé par l'explication, tout ce qui est l'important de la vie au village : la lutte des subba contre les riches chetri; l'usure, fondée sur l'hypothèque et le métayage; le rôle de l'argent, l'accroissement de l'autorité népalaise; tout ce qui permet de comprendre le grand phénomène de la formation d'une nation; de l'intégration d'une minorité "tribale" à une société dominante, à un Etat moderne. La description des types d'exploitations va nous permettre, peut-être, de poser le problème. II. "CEINTURES DE CULTURES" ET EXPLOITATION DES TERRES Nous ne devons pas, en effet, nous a r r ê t e r à la relation en apparence si nette qui existe entre ceinture de culture et implantation de l'habitat. Ce qu'il nous faut surtout connaître c'est l'appartenance ethnique des exploitants, dans chacune des ceintures. On aurait trop tendance à simplifier outre mesure les apparences; à penser que les Chetri cultivent les t e r r e s qu'ils habitent, c'est-à-dire le riz; les Limbu l'éleusine; los Sherpa l'orge. Dans le détail, les faits sont beaucoup plus nuancés. Pour l'ensemble des maisons étudiées à Libang, nous avons dénombré 172 parcelles appartenant à la ceinture de riz. Les Chetri en sont-ils les exploitants ? Il s'en faut de beaucoup : 70% de ces champs sont limbu, ce qui paraît normal vu leur importance numérique au village. Les Sherpa eux-mêmes y détiennent quelques t e r r e s (1%). Les Chetri ne sont partie prenante que pour 29% de l'ensemble (tableau 35). Ce même genre de phénomène apparaît également dans les deux autres ceintures. Les Limbu, malgré leur nombre, ne sont pas exploitants de la totalité des parcelles de l'éleusine : les Chetri en possèdent 11%, les Sherpa 9%. Enfin, dans la ceinture de l'orge, 32% des parcelles échappent aux Sherpa (28% aux Limbu, 4% aux Chetri). 225
En d'autres termes, chacune des populations exploite des champs dans chacune des ceintures. Que l'on soit Chetri, Limbu ou Sherpa l'exploitation que l'on possède est faite de t e r r e s appartenant aux trois niveaux agricoles. Sitôt ce fait observé, il faut nous empresser d'y ajouter son indispensable complément : peut-être chacune des populations cultive-t-elle des t e r r e s dans chacun des niveaux, mais c'est loin d'être dans les mêmes proportions. Si les Chetri, en apparence, détiennent une part assez mince de t e r r e s à riz, comparé à leur faiblesse numérique cette part semble bien exceptionnellement importante. En moyenne, un Limbu à Libang produit 10 mûri de riz par an (3). Un Chetri, 37 (4). Dans chacune de leurs exploitations les champs irrigués représentent l'essentiel des cultures (68%). Le même phénomène apparaît pour les deux autres populations et les deux autres niveaux de culture. P r è s de la moitié des champs limbu se trouvent dans la ceinture de l'éleusine; 80% des terres sherpa appartiennent au domaine de l'orge. Ainsi les champs les plus nombreux que l'on exploite, ceux qui assurent l'important de la production sont bien ceux du niveau où l'on demeure. Ceci est vrai pour chacune des populations. III. HYPOTHEQUE ET METAYAGE Comment a-t-il pu se faire que les Chetri aient accès aux meilleures t e r r e s limbu ? La terre détenue par les Limbu selon le système foncier kipat n'est pas monnayable (5); on ne peut la vendre; elle demeure attachée au nom des ancêtres. Elle reste la propriété inaliénable de leurs descendants. Si elle n'est plus exploitée, le clan la récupère sous la responsabilité des subba. Que ce système foncier soit si contraire aux principes de l'économie monétaire semblait garantir aux Limbu de rester souverains sur leur territoire devant le raz-de-marée des immigrants qui envahirent le pays après la conquête gurkha. C'était leur force devant les nouveaux arrivants. Du moins le croyaient-ils. Ce fut leur grande faiblesse. A la suite des bouleversements que connut la vie traditionnelle, des besoins nouveaux apparurent. Pour les satisfaire, il fallait que les Limbu s'intègrent peu à peu à une économie monétaire de plus en plus envahissante. La seule monnaie d'échange possible était la terre. Les immigrants en étaient avides. On inventa des subterfuges pour tourner l'institution du kipat. Qui parlait d'acheter ? L'hypothèque suffisait, combinée à la fois au prêt usuraire ainsi qu'au métayage. Les résultats s'avéraient même bien meilleurs et en termes de kipat, sur le papier, les Limbu demeuraient propriétaires. Quand la dette devenait trop lourde, on pouvait toujours changer de système foncier et passer ainsi du kipat au raikar que les immigrants amenaient avec eux. Les Limbu con226
servaient l'illusion que rien dans leurs institutions n'était changé. Le gouvernement népalais à Kathmandu avait eu du fil à retordre a vec les habitants de l'extrême-est. Ce qu'il n'avait pu faire par la guerre, il le réalisa dans la paix. Les Limbu ne furent plus les maîtres chez eux. Nous détaillerons ailleurs les aspects du kipat, les conditions qui permirent l'extension du phénomène de dépossession et l'ensemble des changements politiques, socio-économiques qui l'accompagnèrent. Il suffit ici de résumer le principe au moyen d'un exemple. A la suite d'un deuil, d'un mariage ou d'une querelle à régler avec un voisin, un Limbu a besoin d'une petite somme d'argent, disons cent roupies. Au village, l'argent est rare. On sait où il se trouve. Il est cher, plus cher qu'ailleurs. Pour obtenir cent roupies il faut laisser en gage une t e r r e qui, souvent, dûment vendue, en vaudrait cinq fois plus. Mais vendre, le Limbu ne veut pas. Cent roupies, ce n'est rien, tout au plus une migration en Assam pour l'année qui vient (6). Il pense, l'année suivante, pouvoir rembourser son prêt et récupérer la terre. Il sollicite donc un prêt qu'il garantit par l'hypothèque d'un champ. C'est le premier temps de la transaction. Alors survient le deuxième temps, le même jour le plus souvent. Pour vivre, le Limbu a besoin de son champ, du moins de la plus grande partie de son champ. Il supplie donc son créancier de lui donner en métayage cette t e r r e qu'il vient d'hypothéquer. Celui-ci la lui accorde de bonne grâce. Pour un prêt de cent roupies il s'assure ainsi chaque année une rente en nature, la moitié de la récolte, qui, en termes monétaires équivaut à vingt, cinquante, cent roupies. Survient alors, dans les mois qui viennent, le troisième temps de la transaction. Du jour au lendemain, le Limbu a du mal à réduire ses besoins alimentaires. Au lieu de verser la moitié de la récolte à son créancier, il la mange. Qu'importe dit ce dernier, considérons cela comme un nouveau prêt et faisons rouler les intérêts au taux normal. Au bout de cinq ou six ans ce ne sont plus cent roupies qui sont en cause, mais mille, deux mille, trois mille, sans que le créancier ait eu à dénouer les cordons de sa bourse. Ce n'est plus une parcelle, mais la totalité des terres qui sont sous hypothèque, pour garantir ces "nouveaux prêts". Quand la dette devient trop lourde, quand pour cent roupies effectivement reçues, on doit sur le papier deux ou trois mille roupies, alors pour vingt-cinq roupies de plus, mais celles-ci trébuchantes, on abandonne sa propriété et de kipat elle devient raikar (7). En attendant ce quatrième temps de la transaction, plus lent et moins fréquent, rien de changé en apparence : la t e r r e est toujours kipat, toujours limbu. Les mêmes gens travaillent les mêmes parcelles, léguées par les ancêtres, selon les plus stricts principes des vieilles, des "vraies" institutions limbu. Le grain lui-même, ceux qui l'on fait lever continuent de le consommer. Une seule petite modification, des petits groupes sont assemblés sur la véranda. 227
Ils brassent, mais sur le papier seulement, des milliers de roupies. Innoffensif se dit-on lorsqu'on sait qu'il faudrait courir vingt, trente maisons pour trouver un vrai billet usé de cinq roupies. Une seule chose toutefois étonne sur la véranda : le ton de la conversation, si soumis d'un côté, si tranchant de l'autre. Et c'est cela le vrai changement : le village n'est plus une assemblée d'hommes libres. D'un côté quelques maîtres d'une grande puissance, encore que souvent rustique et cachée. De l'autre, des sujets à la limite de l'extrême pauvreté. Qu'importe, la tradition est intacte. De temps en temps seulement, périodiquement, un peu d'émoi dans le village : la nuit précédente, abandonnant sa maison et ses t e r r e s , parfois sa famille, un homme s'est enfui. Pour l'Assam, pour le Sikkim, pour l'armée britannique. Parce qu'il ne supportait plus, pour cent roupies, d'être devenu esclave à vie. Quelques chiffres pour préciser le phénomène : sur 481 champs dénombrés à Libang pour 140 maisons, 111 sont hypothéqués, en métayage, à leurs anciens propriétaires. Encore faut-il bien voir que selon la nature des parcelles et leur altitude, les proportions varient. Dans la ceinture de l'orge elles sont insignifiantes (8). 3% seulement des terres sont touchées. Elles prennent de l'ampleur dans la ceinture de l'éleusine où elles atteignent 20%. Elles sont d'une importance considérable dans la ceinture du riz : sur 184 p a r celles, 78 d'entre elles sont sous hypothèque, en métayage. Les 140 maisons étudiées à Libang produisent en moyenne 1 400 mûri de riz : 45% de cette production provient de t e r r e s hypothéquées données en métayage à leurs anciens propriétaires (tableau 36). Ainsi, plus on monte vers les crêtes, plus le faire_valoir direct l'emporte sur le métayage. A Shibuden, le hameau sherpa, les exploitations à 97% sont en faire-valoir direct. Si l'on descend vers la rivière les proportions s'inversent. A Takten dont la plupart des champs sont irrigués, hypothèque et métayage combinés l'emportent à 85%. Toutes les maisons sont touchées. Ce qui intéresse les usuriers ce ne sont pas les cultures sèches, mais les terres irriguées. La lutte pour la t e r r e se déroule avant tout dans le champ clos des cultures de riz. Les Sherpa sur les c r ê tes y participent peu. Ce sont Limbu et immigrants népalais qui s ' a f frontent. En décrivant les types d'exploitations nous allons voir comment ces données s'inscrivent dans l'économie villageoise. IV. LA PETITE EXPLOITATION A Libang 162 exploitations produisent chacune entre 5 et 150 muri de grain. Toutefois, plus de 80% d'entre elles ont une production annuelle inférieure à 40 muri. Ce sont elles que nous définissons ici comme "petites exploitations". 228
De la petite exploitation limbu, telle qu'on la rencontre le plus souvent dans la Mewa Khola, on peut d r e s s e r la description suivante : elle connaît annuellement une production qui tourne aux alentours de 25 muri. Cette production se répartit comme suit : 8 muri de riz; 10 muri de mais; 4 muri d'éleusine; 2 muri de pommes de terre; un muri de céréales d'hiver (orge ou blé) ou de s a r r a s i n (9). Elle se compose de quatre parcelles. Deux d'entre elles sont situées à proximité de la maison, dans la ceinture de l'éleusine. Sur la première, la plus b a s s e , on cultive chaque année mai's et éleusine tardive. Sur l'autre, légèrement plus élevée, mais et éleusine précoce. L e s deux autres parcelles qui composent l'exploitation, dans les villages d'altitude moyenne, sont toutes les deux situées dans la ceinture du riz. Sur l'une, riz et mais; sur l'autre, riz et blé. Sur l'une ou l'autre, une part de la sole est réservée à la culture des pommes de terre. Dans les villages implantés un peu plus haut vers les crêtes, ce n'est plus deux parcelles irriguées que possède le petit exploitant limbu, mais une seule, consacrée chaque année à la même rotation riz-mais. La dernière parcelle appartient à la ceinture de l'orge. On y cultive mais et orge. De ces quatre parcelles qui composent en général la petite ferme limbu, trois d'entre elles sont exploitées en faire-valoir direct. L a dernière, un champ irrigué de la ceinture du riz, est hypothéquée à un subba limbu ou à un riche immigrant népalais. On en était autrefois propriétaire. Aujourd'hui on l'exploite en métayage. Bien sûr, dans le détail, d'une exploitation à l'autre, il apparaît des différences. Elles sont multiples et minimes. Elles dépendent principalement de l'échelonnement de la production. Pour les petites exploitations de Libang, cet échelonnement est le suivant : 15 maisons produisent moins de 10 muri par an 20 maisons produisent de 10 à 20 muri par an 23 maisons produisent de 20 à 30 muri par an 11 maisons produisent de 30 à 40 muri par an L e s 15 maisons qui produisent moins de 10 muri par an sont à la frange inférieure de notre exemple d'exploitation. L e s exploitants en sont des deshérités : vieux sans enfants, veuves, handicapés physiques; célibataires pauvres, bijilâ (10) dont les ancêtres avaient quitté le pays et étaient revenus habiter sur leurs terres après plus i e u r s générations. Malgré leur droit ils n'ont retrouvé qu'une partie de leurs t e r r e s . Pour ces 15 maisons, la propriété, le plus souvent, est limitée à une parcelle. C'est le champ voisin de la maison où l'on cultive mais et éleusine. L e s moins défavorisés exploitent une minuscule parcelle irriguée, généralement en métayage, après hypothèque où ils cultivent chaque année riz et mais. D'une façon ou d'une autre ces gens très pauvres doivent être aidés. C'est une catégorie marginale. A l'autre extrémité de l'échelle, une frange supérieure comprend 11 maisons dont la production est de 30 à 40 muri par an. Ces ex229
ploitations comptent de 5 à 6 parcelles dont 4 au moins en faire-valoir direct. Les champs irrigués l'emportent sur ceux de culture s è che. C'est le début de l'aisance. Pour l'ensemble des 43 maisons restantes dont la production annuelle est comprise entre 10 et 30 muri, notre modèle d'exploitation s'ajuste assez précisément, compte tenu des différences de production. Ces gens là, caractéristiques de la masse des paysans limbu, sont également des pauvres. A cette petite exploitation limbu correspond une petite exploitation sherpa dont la production annuelle est du même ordre : en moyenne de 25 muri par an. Toutefois, ici, le type en est très différent. Les t e r r e s sont situées en majeure partie à une altitude plus élevée, dans la ceinture de l'orge. Les parcelles sont moins nombreuses, plus étendues, moins morcelées que dans la petite propriété limbu. Dans la majorité des cas, chaque propriétaire en possède deux. L'une l'emporte de beaucoup sur l'autre pour l'importance de sa production. Elle est toujours composée des t e r r a s s e s qui entourent la maison. D'une année sur l'autre, le système de rotation des cultures est le même. Il est compliqué, "composite". On plante d'abord du mais. Puis dans le même champ, au moment du deuxième buttage-sarclage, on sème l'éleusine précoce, selon la technique que nous avons décrite précédemment. Une fois ces deux récoltes engrangées, toujours sur la même parcelle, suivent les cultures d'hiver : une partie de la sole, la plus grande, est consacrée à l'orge mêlée de moutarde; une autre au blé; une troisième, plus rarement, au sarrasin. Enfin, au milieu de ces champs proches de la maison, quelques t e r r a s s e s réservées, clôturées de bambou, où l'on cultive en général une seule récolte annuelle de pommes de t e r r e , avec grand soin. Dans cet espace clos, pas de seconde culture : on y installe les bêtes. Elles fumeront le sol. La seconde parcelle de l'exploitation sherpa est plus petite que la première. Souvent elle se situe dans la ceinture de l'éleusine. Parfois ce peut être un champ de la ceinture de l'orge qui connaît alors des assolements divers. Rarement les Sherpa cultivent du riz. Au total pour une petite exploitation sherpa caractéristique, dont la production annuelle tourne autour de 25 muri, la répartition des céréales est la suivante : onze muri de mais, cinq d'éleusine, quatre d'orge, quatre de pommes de terre, un muri de blé; quelques pàthi de sarrasin et de moutarde. Tout est exploité en faire-valoir direct (11). A Shibuden, 37 exploitations sherpa sur 43 produisent moins de 40 muri par an. Elles correspondent approximativement à l'exploitation-type que nous venons de décrire. L'échelonnement des productions est montré sur le tableau 34. Cinq maisons font moins de 10 muri par an. Cette catégorie correspond à celle que nous avons rencontrée chez les Limbu, les déshérités. Chaque maison de ce 230
type exploite une seule parcelle de type "composite". A l'opposé, six maisons récoltent de 30 à 40 muri par an. On y trouve alors trois parcelles par maison. On y voit apparaître les "assolements des crêtes", du type mais, orge et moutarde d'une part, et au plus haut, de l'autre, mais et blé; de même parfois, quelques champs de riz; de même enfin le métayage. Les maisons dont la production se répartit entre 10 et 30 muri correspondent au modèle d'exploitation que nous avons décrit. Les petites exploitations limbu d'une part et sherpa de l'autre paraissent typiques, nettement caractérisées, approximativement semblables les unes aux autres dans leur grande majorité. Il n'en est pas de même de celle des émigrants nepâli, où prédominent Chetri et Bahun. Certes nous savons que la majorité des immigrants nepâli elle aussi, est pauvre : 66% des exploitations produisent moins de quarante muri. Toutefois, deux remarques : la grande propriété chez les immigrants nepâli et particulièrement chez les Chetri, les Bahun et les Newar, est plus fréquente, plus consistante aussi que chez les Limbu ou Sherpa. D'autre part on ne peut caractériser la petite exploitation de l'immigrant nepâli par les faits de production : ils sont trop dissemblables d'une exploitation à l'autre. H n'existe pas comme chez les Limbu ou les Sherpa cette différence assez nette entre une majorité de petits exploitants et quelques gros propriétaires. De même pour le type d'exploitation : d'une ferme à l'autre le type des champs, le nombre des parcelles, les systèmes d'assolement diffèrent. Certaines sont en faire-valoir direct, d'autres en complet métayage. En fait ce n'est que lorsqu'elle devient grande propriété que l'exploitation de l'immigrant nepâli trouve son caractère. Un seul trait commun à l'ensemble des petits exploitants : la tendance à ce que les t e r r e s à riz l'emportent sur les autres. Dans la Mewa donc, les types d'exploitations tendent à se diversifier selon l'appartenance ethnique des propriétaires. Ces différences toutefois n'ont pas de caractère culturel marqué. Elles dépendent de l'étagement des populations selon l'altitude. Cet étage ment est un phénomène d'histoire récente qui se poursuit de nos jours. D'autre part la diversité des types d'exploitation selon l'altitude ne doit pas faire oublier l'unité des faits de production : 86% chez les Sherpa; 83% chez les Limbu; 66% chez les immigrants népalais produisent moins de 40 muri par an. A 80%, qu'ils soient Chetri ou de basse caste, Sherpa ou Limbu, le paysan de la Mewa est pauvre (12). V. LA GRANDE PROPRIETE Nous entendons par grande propriété celle dont la production annuelle dépasse 40 muri. C'est une façon commode d'opérer une distinc231
tion entre la masse des pauvres et quelques paysans aisés. Mais il ne faut pas mettre sous ce mot l'idée que s'en fait le paysan de France. On doit, au contraire, y appliquer les mêmes réserves qu'utilisait Gourou (13). Comme dans l'Extrême-Orient, la grande propriété du Népal de l'Est surprend par son étroitesse. Elle ne signifie pas grande exploitation. Quelle est la proportion des grands propriétaires sur-l'ensemble des exploitants ? Sur les 182 maisons étudiées, ont une production dépassant 40 muri : 11 maisons limbu sur 80; 10 maisons chetri sur 15; 6 maisons sherpa sur 43; 3 maisons samnyasi sur 23; et, à Dobhan, 7 maisons newar sur 21. Au total c'est 37 maisons sur 182, étudiées, qui tombent dans la catégorie des "grosses exploitations"; soit 20% de la population. La répartition des "gros" propriétaires, selon les ethnies, fait apparaître des différences sensibles. Ils sont moins nombreux chez les Sherpa (14%) que chez les Limbu (16%); et moins chez les Limbu que chez les immigrants nepâli (33%). Parmi ces derniers, ce sont principalement les Chetri, les Bahun, les Newar qui sont les plus fréquents. Non seulement les immigrants nepâli sont plus souvent de gros propriétaires que les autres, mais aussi leur propriété est-elle plus importante. Les plus riches Sherpa ne produisent pas plus de 90 muri par an. Les plus riches Limbu, 100 muri, du moins à Libang. P a r mi les Chetri au contraire, à Libang on atteint 150 muri. A Khokling, il n'est pas r a r e de rencontrer de grosses exploitations chetri ou bahun dépassant les 300 muri. Dans la Mewa, la grande propriété présente deux caractères qui suffisent à la définir. Elle est composée, d'une part, d'un noyau de t e r r e s cultivées en faire-valoir direct, d'autre part de champs très dispersés, achetés en hypothèque et redistribués en métayage à leurs anciens propriétaires. Le noyau exploité en faire-valoir direct par les gros propriétaires possède donc dans ses grandes lignes les mêmes caractères qu'une petite exploitation. On y trouve les mêmes techniques et les mêmes outils; le même calendrier et les mêmes variétés; les rotations annuelles de culture, la division du travail y est identique. Bien plus, selon les appartenances ethniques, on découvre les mêmes différences. Ainsi pour les grands propriétaires limbu, le noyau exploité en faire-valoir direct correspond en tout point à une petite exploitation limbu telle que nous l'avons décrite précédemment. Le nombre des parcelles est du même ordre et tourne autour de quatre. Leur disposition est analogue : il existe la même prédominance des terres situées dans la ceinture de l'éleusine (deux parcelles). Les deux autres champs appartiennent soit, tous deux à la ceinture du riz, soit, l'un au riz, l'autre à l'orge. La nature des assolements est en tout point identique. 232
Chez les Sherpa, pour l'essentiel, même remarque : prédominance des terres situées au niveau de l'orge; parmi celles-ci importance des champs "d'assolement composite ". Le nombre des parcelles est toutefois plus important : quatre parcelles au lieu de deux pour la petite exploitation. Outre deux parcelles d'assolement composite, proche de la maison, on trouve un champ, plus bas, dans la ceinture de l'éleusine ou, plus rarement, dans la ceinture du riz et un autre près des crêtes qui produit chaque année mai's et orge ou mais et blé (14). Pour les gros propriétaires Chetri enfin, le noyau exploité en faire-valoir direct se définit principalement par l'importance des champs de riz (deux ou trois parcelles). A titre secondaire, par l'existence complémentaire d'autres (un ou deux) champs, souvent au niveau de l'éleusine, plus souvent au niveau de l'orge. Dans ses grandes lignes le noyau exploité en faire-valoir direct par le gros propriétaire a le visage d'une petite ferme. Seuls les faits de production sont parfois différents. Ce phénomène est lié à deux facteurs. Il résulte d'abord de l'étendue des parcelles. Elles sont plus importantes que dans la petite exploitation, moins morcelées, particulièrement les champs de riz. Il n'est pas rare, par exemple, qu'un seul champ, dans une grosse exploitation, assure une production annuelle de 15 ou 20 muri de riz, presque l'équivalent, à lui seul, de la production totale d'une petite ferme, toutes céréales comprises. D'autre part, il dépend du caractère de la main-d'oeuvre. Le petit exploitant produit 20 ou 30 muri en ayant recours à l'entraide. Le gros propriétaire, lui, fait appel au système des journées salariées. Cela lui permet d'atteindre, par le faire-valoir direct, une production beaucoup plus importante. Dans certains cas, elle peut atteindre 150 muri. Nul doute, soit dit en passant, que le journaliat agricole ne soit lié à l'apparition de la grosse propriété. C'est donc le premier caractère de la grosse propriété : elle est d'abord composée d'un ensemble de champs exploités en fairevaloir direct. Ce noyau rappelle dans ses dispositions la petite exploitation. Toutefois, par l'étendue de ses parcelles et le recours à la main-d'oeuvre salariée, sa production est en général plus forte que celle d'une petite exploitation. Un second caractère, le plus souvent, définit le gros propriétaire. Il détient des terres qui lui ont été hypothéquées. Il les a redistribuées en métayage à leurs anciens propriétaires ou à d'autres, ses "clients". Chaque année elles assurent au gros paysan une rentrée en grain consistante, qui peut excéder parfois la production obtenue en faire-valoir direct. Dans certains cas c'est cette rente annuelle qui fait d'un petit exploitant un gros propriétaire. Sur les 200 parcelles possédées par les 27 gros propriétaires de Libang, 90 d'entre elles tombent dans cette classification. Rappelons ici que la majeure partie des terres soumises au régime combiné de l'hypothèque et du métayage sont des champs irri233
gués, souvent les plus beaux, ceux qui assurent le meilleur rendement et la plus forte production. Ce fait explique pourquoi, dans la grosse propriété, la part des Sherpa est faible. L a très grosse propriété, celle qui dépasse 100 muri ne peut être implantée que dans les t e r r e s à riz, dans les fonds de vallée. Certes tout ce monde, peu ou prou, est impliqué dans le jeu de l'usure, fondé sur l'hypothèque et le métayage. Les situations parfois, sont invraisemblablement compliquées. Les relations sont t e r riblement imbriquées les unes dans les autres, entre propriétaire et possesseur; créancier et débiteur; métayer et possédant, d'autant qu'elles ne concernent pas les exploitations dans leur totalité mais chaque parcelle séparément. E t cela même dans la petite exploitation. On trouve aussi des cas où un paysan exploite deux parcelles en faire-valoir direct, il perçoit le métayage d'une troisième, il est métayer d'une quatrième. Toutefois entre les gros propriétaires il faut faire une différence : il y a ceux où le faire-valoir direct l'emporte et de loin. C'est une petite propriété un peu mieux développée que les autres; la spéculation y apporte l'aisance, elle n'assure pas l'essentiel de la production. Parfois même, comme chez les Sherpa, elle est inexistante. De cette propriété on peut donner l'exemple suivant, caractéristique des Limbu : en faire-valoir direct : quatre parcelles : une dans la ceinture de l'orge; deux au niveau de l'éleusine; un champ irrigué. L'ensemble assure une quarantaine de muri annuels. En outre, deux parcelles données à des métayers, toutes les deux dans la ceinture du riz. Elles procurent un complément d'une quinzaine de muri. Au total, une production annuelle de 55 muri. Ce type de grosse exploitation est le plus fréquent. Sur les 27 grandes propriétés à Libang, 21 relèvent de ce modèle. L a production annuelle pour chacune s'échelonne entre 40 et 100 muri en général. E t puis il y a les autres, les très gros propriétaires, où la spéculation l'emporte, et de loin, sur l'exploitation en faire-valoir direct. L'essentiel de la production est fondé sur le système de l'usure. A Libang, six paysans, quatre Limbu et deux Chetri tombent dans cette catégorie. D'une telle propriété on peut donner l'exemple suivant : elle est composée d'un ensemble de douze parcelles. Deux sont exploitées en faire-valoir direct : un champ irrigué et un autre de culture sèche. Les dix autres parcelles sont données en métayage. Elles appartiennent dans la majorité des cas à la ceinture du riz. Ces très gros propriétaires, pour l'ensemble de la vallée, sont assez peu nombreux, ¿ s engrangent chaque année de 100 à 1 200 muri. Leurs terres ne tiennent plus dans les limites du village. E l les sont éparpillées sur toute la vallée. Avec eux, deux phénomènes de caractère récent apparaissent : le propriétaire absentéiste; la mainmise progressive de la ville sur la campagne. Nous aurons l'occasion d'en reparler. 234
NOTES 1. Dans d'autres régions, bien d'autres villages, après un rapide sondage, présentaient la même tendance. Citons entre autres Nundaki (district de Terhatum); Tembe (Mewa Khola) ; Chingtham (Atharai); Limkhim (Tamur). Bien sûr des exceptions existent également comme Hatikharka (Atharai). Ces phénomènes d'exception liés à l'histoire régionale seront abordés ultérieurement. 2. L. Caplan, pour l'Est du Népal, dans le Sud du pays limbu, a étudié la relation entre les populations sur des bases économiques. 3. Equivaut à 500 kg de grain non décortiqué. 4. Equivaut à 1 850 kg de grain non décortiqué. 5. A ce sujet, cf. Caplan (1970), passim. Tout ce qui a trait à l'ensemble des institutions, de même qu'aux changements fera l'objet d'une autre étude. Nous désirions ici mettre en avant le moyen institutionnel qui est la règle du jeu dans la lutte pour la terre. 6. Mac Dougall a noté le même phénomène chez les Raî (p. 39); cf. également Baines (1912). 7. Sur la dette au Népal, cf. Adam (1936), p. 545 sq. pour ses aspects institutionnels; pour des comparaisons régionales, cf. Bista (1967), p. 49 (chez les Tamang); Macfarlane (1972), p. 52 (chez les Gurung) et surtout Caplan (1970), p. 110-111, chez les Limbu du Sud. A cet égard, les faits népalais sont très proches de ceux que Dumont (1935), p. 48 a étudié pour l'ancien Tonkin, de même que Gourou (1940), p. 156 pour l'ensemble de l'Extrême-Orient. 8. Mac Dougall (p. 39) qui a travaillé chez des Raî établis à assez haute altitude, a insisté également sur l'importance du faire-valoir direct. 9. La petite exploitation limbu connaît donc une production approximative en kilos qui est la suivante : 8 muri de riz : 400 kg 10 muri de mais : 627 kg 4 muri d'éleusine : 270 kg 1 muri de céréales d'hiver : 67 kg. Au total 1 364 kg pour le grain. Nous ne connaissons pas l'équivalence poids-volume pour les pommes de t e r re. Toutefois, en supposant que deux muri de pommes de terre aient approximativement le même poids que deux muri de mal's, nous obtenons un total approximatif de 1 500 kg, production totale dans les champs de la petite exploitation limbu sans compter, bien sûr, le volume de grain que rapporte chaque année les journées salariées. Cette production de 1 500 kg est donc la r e s source principale d'une maisonnée. Ces résultats sont un peu au-dessous de ceux obtenus par Macfarlane, chez les Gurung qui évaluait à 500 kg par tête, et par an, les ressources en grain, Macfarlane (1972). 10. Kawakita (1957), p. 301 a constaté également chez les Bhotiya la tendance à la pauvreté chez les étrangers au village. 11. La petite exploitation sherpa connaît à peu près la même production en kilos que la petite exploitation limbu, à savoir : 11 muri de mai's : 689 kg 5 muri d'éleusine : 336 kg 4 muri d'orge : 269 kg 1 muri de blé : 67 kg Au total, 1 361 kg pour le grain sans compter 4 muri de pommes de terre qui amèneraient approximativement à 1 500 kg pour une maisonnée.
235
12. Nous n'avons pas cherché à établir les données relatives aux s u r f a ces exploitées. Avec nos moyens, sur le terrain, les résultats auraient été beaucoup trop approximatifs. Des informations générales à ce sujet peuvent être obtenues chez les auteurs népalais : Amatya (1967b); Shrestha (1967), p. 50; Pant (1968), p. 10, 39 dont les observations ont été précisées à la même source : la petitesse de l'exploitation népalaise est mise en lumière. Sa superficie moyenne serait de 0 , 5 acre. 13. Cf. Gourou (1940), p. 63. 14. Les plus "gros exploitants" sherpa dans la Mewa ont une production annuelle assez faible comparée à celle des autres "gros exploitants" appartenant aux autres populations. Leur type d'économie n'est pas du tout le même que celui des Sherpa de Solu ou de Khumbu. Même dans la "grande exploitation", le faire-valoir direct, chez eux, l'emporte largement.
236
1. Les crêtes du bas pays (au-dessus de Nundhaki).
2. Champs en t e r r a s s e s et village à mi-pente (vallée de la Mewa).
3. Fond de vallée (la Dudh Kosi à Dumre).
Dans un village du bas pays peuvent cohabiter Limbu (6), Sherpa (7) et Chetri (5). Le premier est autochtone; les autres sont des fils d'immigrants venus soit du Népal (la vallée de Kathmandu), soit du Tibet.
8. Une maison limbu.
11 Limbu
12
19 20 Parmi les hautes castes immigrées du Népal les Chetri (19, 20), les Bahun, les Samnyasi sont fréquents dans la vallée limbu.
21. Les Damai sont à la fois tailleurs et musiciens.
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22. D ' a u t r e s populations t i b é t o - b i r m a nes sont a r r i v é e s avec l e s Indo-Népalais, comme les Sunnwar.
1 ¡ Q S y li . r ^ M . i F -'"f fWm j f | .V 1 23. L e s c o m m e r ç a n t s newar sont i n s 'SsJP-èS 3 5 . fMi s J3k Ft  dit t a l l é s dans les petites villes (ici i £ l | P , :ÉF ; J H Chainpur) et les b a z a r s du bas pays montagnard.
26. Hameau bhotiya à Dongen.
28. Vers les pâturages à yak des Bhotiya de Topke.
29. Femmes sherpa au marché vendant de l'alcool.
Les trois types de maison limbu.
Construction de la maison. Débitage du bois.
Construction de la maison. Le rez-de-chaussée.
Construction de la maison. L'étage et les combles.
La maison est "haute" par rapport à la cour et aux champs qui l ' e n toure. 52. Tongsing dans la cour intérieure (bas).
53. Les e s p r i t s de la forêt, dans les champs (bas).
54. Avant Nahangma, dans la maison, haute.
56. Foyer chez un Bhotiya. 55. Le coin de l'eau.
57. Le coin de l'h à Libang c) Ne war à Dobhan
23
3
21
7 -
Total général 182
308
37
33 %
à à à à à à à
Tableau 41. Une grande exploitation : un exemple caractéristique 15 parcelles Assolements Ceinture orge éleusine 1. mai's - éleusine
Production
Faire valoir direct
3. riz - mai's 4. riz - (mai's)
mai's 10 éleusine 5 mai's 4 eleusine 2 riz 10 mai's 5 riz 20/2
5. riz - (mai's)
riz 8/2
6. riz - mai's
riz 16/2 mai's 8/2 riz 8/2 riz 4/2 riz 5/2 riz 6/2 riz 8/2 riz 12/2 riz 8/2 riz 6/2 pommes de terre 3 muri riz 20/2
2. mai's - éleusine riz
7. riz - (blé) 8. riz - (mai's) 9. riz - (mai's) 10. riz - (mai's) 11. riz - (mai's) 12. riz - (mai's) 13. riz seul 14. riz - (mai's) pommes de terre 15. riz - (mai's) Production annuelle 104 muri riz : 71 muri 3 mais : 23 muri 1 éleusine : 7 muri pommes de terre : 3 muri
direct direct acheté en hypothéqué donné en métayage id. id. 137 HT IcTT W. "M7 IcT7 id. id.
( / 5650 kilos) 550 kilos 442 kilos 471 kilos ? kilos
309
Tableau 42. Riz irrigué. Main-d'oeuvre et opérations techniques (pour 4 champs à Libang) Opérations 1) pépinières 1er labour aménagement du champ apport fumier 2e labour et semis 2) repiquage restauration murettes 1er labour à sec aménagement du champ 2e labour et semis 3) sarclage 4) moisson et battage aire à battre choix semence moisson confection du gerbier plate-forme paille battage du grain nettoyage du grain
Déts des heures de travail Liphabung Omikok Hankewa Kahiri
Tbtal
3 12 0 24
3 28 28 24
3 12 28 24
2 22 28 21
11 74 84 93
18 42 252 476 210
0 21 133 203 140
0 14 280 224 105
0 7 56 70 42
18 84 721 973 497
63 0 154 189 40 84 42
32 21 49 91 10 42 21
31 0 49 91 10 42 21
0 0 14 0 0 28
126 21 266 371 60 196 84
Total 1 609 5) surveillance de l'ir- 346 rigation
846 150
934 190
290 114
3 679 800
310
Tableau 43. Riz irrigué. Main-d'oeuvre et division du travail. Tableau récapitulatif pour quatre champs à Libang Champs et altitudes Liphabung Omikok Hankewa Kahiri 950 m 1 100 m 1 200 m 1 400 m Production en 20 9 8 2 muri Nombre 1 609 846 934 290 d'heures de travail 23-25 18-20 Nombre de 29 17 jours Détail des heures de travail a) Limbu - hommes 594 251 265 85 - femmes 695 351 339 122 - enfants 194 146 309 83 b) Sherpa 7 7 - hommes - femmes - enfants c) "immigrants nepâli" - hommes 77 91 21 - femmes - enfants 42
Total
Proportion
39 3 679
100
88
1 195 1 507 732
33 41 19
14
1
181
5
42
1
N.B. Compte non tenu de la surveillance de l'irrigation.
311
Tableau 44. Riz irrigué. Main-d'oeuvre et production. Tableau récapitulatif pour quatre champs à Libang Champs et altitudes Liphabung Omikok 950 m 1 100 m Production - mûri 20 - kilos 1 000 Main-d'oeuvre 1 609 (nombre d'heures) Surveillance 346 irrigation (nombre d'heures) Nombre d'heures de travail pour 1 mûri ou 50 kilos - compte non 80 tenu de l'irrigation - compte tenu 100 de l'irrigation
312
Hankewa 1 200 m
Kahiri 1 400 m
Total
9 450 846
8 400 934
2 100 290
39 1 950 3 679
150
190
114
800
94
117
145
94
111
141
202
115
Tableau 45. Mal's. Main-d'oeuvre et opérations techniques (pour quatre champs à Libang) Opérations Abattage de la végétation Mise à feu 1er labour
Détail des heures de travail Hankewa Tarbare Thebabung Takok bari bari bari khet 84 -
-
0
18
21
0
42
49
56
210
70 1er buttage sarclage 2e buttage sarcla- 35 ge Récolte 56 28 Arrachage des tiges 0 Engrangement
140
28
56
294
70
21
35
161
56
84
28
224
21
28
0
77
21
14
7
42
Total
382
259
294
1 208
273
14
14
63
2e labour et semis
14
14 14
84
63 39
Fumure portée
21
-
Total
313
Tableau 46. Mai's. Main-d'oeuvre et division du travail (pour quatre champs à Libangj Champs Hankewa Tarbare Theb,°bung Takok bari bari khet bari 6 8 5 1
Production en mûri Nombre d'heu- 273 res de travail Nombre de 12-13 jours Détail des heures de travail a) Limbu - hommes 42 - femmes 168 - enfants 35 b) Sherpa - hommes 28 _ - femmes - enfants c) "Immigrants nepâli" - hommes - femmes _ - enfants
382
259
294
Total
Propor tions
20 1 208
100
%
10
11-12
21 230 54
42 133 77
21 63 14
126 594 180
11 % 49 % 15 %
35 _
_
119 63
182 63
15 % 5%
11-12
-
-
_ 42 _
-
-
-
_ 7 —
-
-
_ 14 _
_ 63
-
5%
-
Tableau 47. Mai's. Main-d'oeuvre et production. Tableau récapitulatif pour quatre champs à Libâng Champ
Hankewa khet Tarbare bari Thebabung bari Takok bari
Production muri kilo 6 8 5
Main-d'oeuvre Nombre d'heures de nombre d'heures travail pour pour 100 kilos 1 muri 376 46 73 273 382 48 502 76 314 259 51 82
1
63
294
294
466
Pour les qua- 20 tre champs
1 255
1 208
60
96
314
Tableau 48. Eleusine. Main-d'oeuvre et opérations techniques (pour deux champs à Libang) Opération Pépinières 1er labour fumure portée 2e labour et semis sarclage
Nombre d'heures de travail tarbare thebabung éleusine précoce éleusine tardive
Total
2
2
21
7 21
7 42
189
245
434
7 0 238
7 0 658
(binage pommes de terre)
Repiquage 1er labour (buttage mais) 0 fumure portée 2e labour et trans-420 plantation Sarclage
168
0
168
Moisson
105
84
189
Battage
42
28
70
Total Production
945 5, 5 muri
632 3 muri
1 577 8,5
315
Tableau 49. Eleusine. Main-d'oeuvre et division du travail (pour deux champs à Libang) Champs Tarbare Eleusine bari précoce Produc5, 5 tion en muri Nombres 945 d'heures de travail 14 Nombre de jours Détail des heures de travail a) Limbu 7 - hommes 427 - femmes 123 - enfants b) Sherpa - hommes 168 182 - femmes 28 - enfants c) "Immigrants nepàli" - hommes - femmes - enfants -
316
Thebabung Eleusine Total bari tardive 8, 5 3
Proportions
632
1 577
16
30
23 273 91
30 700 224
2 44 14
56 189
224 371 28
14 24 2
_
-
100
_
Tableau 50. Eleusine. Main-d'oeuvre et production (pour deux champs a Libang) Champs
Production - muri - kilos Main-d'oeuvre (nombre d'heures) Nombre d'heures de travail - pour 1 mûri - pour 100 kilos
Tartare bari éleusine précoce
Thebabung bari Les deux champs éleusine tardive
5, 5 370 945
202
8, 5 572 1 577
3
632
185 276
211
172 255
313
Tableau 51. Blé. Main-d'oeuvre (pour une parcelle irriguée à Libang) Opération 1er labour Fumure portée 2e labour et semis Clôtures Irrigation Sarclage Moisson Battage Total Proportions
Détail des heures de travail (Limbu) enfants hommes femmes 0 0 7 0 0 0 0 42 14 7 12 0 0 0 40 39 %
0 0 0 3 7 52 50 %
0 0 0 11 0 11 11 %
Total 7 0 56 7 12 0 14 7 103 100 "3
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1-3 — i
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;
' b) c) purification et dédoublement C
L d) enduit D
C de l'extérieur n
vers l'intérieur
Figure 35. Maison et naissance
362
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Figure 36. Maison et hospitalité 363
> > ) / t r ) > ' / / / 7 r / / > / rj
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i , t / / / / > / S'i
terrasse du champ supérieur (bas = yo)
lUMÀEPPÀ (ancêtres) MANGENNA (clan) NAHANGMA (chef de maison) 4 YUMA (div. domestique) 5 OKWANAMA (div. dom.) 6 TONGSING (lignée) 7 SAM LAMA (femme en/ > > > > 1 / ' i i r />/ r i >> i >/1 r 11 i r /1 i r / i 11 ) 11 > > r 11 r> i >> 11 ' ceinte) 8 ® chemin d'accès ® SOGHA, SUGUT (mal oooooaooCoaapâOoeWooa mort) 9 MIYONG SERI, MUYA SERI (esprits maîtres du yaba) ' 10 NAHEN ("envie") MANGDE ("malédiction") haut = tho 1 1 GRAHA (planètes) • cour intérieure I 1 2 '£> o| I) (bas = yo) 0 KEMBA, MIKU, etc. (div. femmes) o| bas = yo O 13 LAM SAKMA (fermer le chemin) / a (Îï) (il) S 1 4 TAMPUNGMA, etc. Ly (maîtres de la nature) » n > > / > ) / > > r i ) r > t > t > > < r > / > > ii ' ' " ' ' ' ' ' ' > > ' ' > > ' " > ' 15 SABA SAM (le singe) 16 MICEK (l'étincelle) 17 WAROKMA (maîtres des eaux) 18 SAM LOKMA (maladie) terrasse du champ inférieur etc. (bas = yo)
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Figure 37. Rituels limbu en fonction des catégories du haut et du bas
364
YET LAMDOMA (les huit routes de l'autre monde)
Nord
maison Figure 38. La maison et "l'autre monde"
365
O) txo M 0) d tTS M O -C ••rH1TO o O J3 o •Q O o
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