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French Pages 240 Year 2004
Ouvrage collectif realise sous la direction de J.-E. Arlot Institut de mecanique celeste • Observatoire de Paris
SCIENCES 17, avenue du Hoggar Pare d'activites de Courtabceuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
Cet ouvrage a été réalisé sous la direction de Jean-Eudes Arlot, directeur recherche du CNRS a 1'Institut de mecanique celeste et de calcul des ephemerides. L'Institut de mecanique celeste et de calcul des ephemerides est un institut de 1'Observatoire de Paris dependant du ministere de la Jeunesse, de 1'Education et de la Recherche, associe au CNRS. Les auteurs des chapitres sont les suivants : P. Rocher et J.-E. Arlot (IMCCE - Observatoire de Paris-CNRS) pour le chapitre I, P. Rocher pour les chapitres 2, 5, 6 et 7 et 1'annexe 3, Th. Widemann et C. de Bergh (LESIA - Observatoire de Paris-CNRS) pour le chapitre 3, J. Laskar (IMCCE - Observatoire de Paris-CNRS) pour le chapitre 4, J.-M. Malherbe et D. Crussaire (LESIA - Observatoire de Paris-CNRS) pour le chapitre 8 et 1'annexe 2, J.-E. Arlot pour le chapitre 9 et 1'annexe 1, J. Schneider (LUTH - Observatoire de Paris-CNRS) pour le chapitre 10, J.-E. Arlot et G. Theureau pour le chapitre 11, D. Mousset pour 1'annexe 4 et M. Toulemonde et E. Bonche pour 1'annexe 5. Nos remerciements vont a J.-L. Simon et W. Thuillot pour leur aide et leurs conseils. Cet ouvrage a beneficie de 1'aide de la Commission europeenne a travers le projet VT-2004. Chez le meme editeur : Le CD Rom « Les rendez-vous de Venus » contenant les fac-simile des recits des expeditions realisees depuis 1639 pour 1'observation des passages de Venus. On trouvera plus de 10 000 pages de texte, des images, cartes, dessins d'epoque ainsi qu'un texte commentaire qui vous guidera vers les documents les plus interessants.
Conception de la couverture : Sophie Hosotte - Illustration de 1'ESO. ISBN: 2-86883-731-X Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous precedes, reserves pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alineas 2 et 3 de 1'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement reservees a 1'usage prive du copiste et non destinees a une utilisation collective », et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute representation integrate, ou partielle, faite sans le consentement de 1'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite» (alinea ler de 1'article 40). Cette representation ou reproduction, par quelque precede que ce soit, constituerait done une contrefagon sanctionnee par les articles 425 et suivants du code penal. © EDP Sciences 2004
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Preface
Dans toute 1'histoire de 1'astronomie, il n'y a guere de quete plus profonde que celle qui consiste a mesurer la taille de notre univers. La circonference du globe terrestre, la distance de la Terre a la Lune, au Soleil et aux etoiles, 1'eloignement des galaxies, les plus grands astronomes de 1'Histoire passee et presente se sont essayes a leur mesure. Dans cette quete, une etape historique capitale a ete la determination de la distance entre la Terre et le Soleil. En 1715, Edmund Halley emit 1'idee que la distance du Soleil pouvait etre calculee lors d'evenements astronomiques rares mais previsibles: le passage des planetes inferieures Mercure et Venus devant le disque du Soleil. Sa methode consiste a pointer simultanement la planete en transit depuis differentes stations de la Terre, avec 1'avantage que ce pointage se fait par rapport au disque du Soleil, sur lequel la planete se detache comme un point noir. La duree du passage varie avec le lieu d'observation depuis la Terre, selon la longueur de la corde que la direction de la planete trace sur le disque. En chronometrant scrupuleusement les instants d'entree et de sortie de la passante, en des lieux d'observations eloignes le plus possible les uns des autres, la distance du Soleil peut en principe etre determinee et, par la-meme, les dimensions du systeme solaire. Un demi-siecle s'ecoula entre les predictions de Halley et leur premier accomplissement. L'observation des passages de Venus sur le Soleil en 1761 et 1769 fut une veritable epopee. II fallut appeler a la mobilisation de tous les astronomes du monde. Partout, meme parmi les nations ennemies, les astronomes repondirent presents. Academiciens franc,ais dissemines aux quatre coins de la planete, erudits portugais en Afrique, Jesuites de Chine, officiers de marine
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anglais dans une bale d'Hudson qu'ils venaient de prendre a la France, geometres suedois, mathematiciens prussiens, astronomes autrichiens, tons furent prets a braquer leurs lunettes dans le ciel, malgre les canons qui couvraient les neiges de sang et les oceans de noyes. Imaginez la scene, peu avant 1'aube precedant un passage de Venus. Tout, la-haut, est calme et pur. La voute, d'un noir profond, s'inonde d'un deversement infini qui ne scintille pas. Parfois, une etoile filante y trace une cicatrice ephemere. Devant ce spectacle, les angoisses s'apaisent, 1'astronome le plus meticuleux cede la place au poete contemplatif. Mais voici que soudain le soleil se leve sur un horizon net. Les conditions sont parfaites : pas le moindre brouillard. Le telescope tant dorlote projette 1'image du Soleil a 1'arriere de 1'oculaire, sur une feuille de papier graduee soigneusement preparee, de telle fac.on que 1'image du soleil emplisse un grand cercle. Le diametre horizontal du cercle est divise en parties egales, et c'est en suivant ce quadrillage que 1'astronome peut enregistrer ses donnees avec la plus grande precision. Le point-cle de 1'observation est le chronometrage des instants de contacts : le moment ou Venus mord pour la premiere fois le disque du Soleil, puis, cinq ou six heures plus tard, celui ou elle le quitte. Soudain, la tache de Venus parait. L'observateur voit distinctement comme une ombre obscure autour du corps de la planete, qui perturbe 1'appreciation exacte du premier contact. A cet instant precis, la tache noire de la planete semble rester connectee comme une gouttelette a la frontiere du limbe solaire, jusqu'a ce que soudain la connexion soit cassee et que la planete soit vue bien apres la bordure. L'astronome est ensuite etonne de voir combien la tache nette de Venus est petite : un minuscule cercle noir macule la face radieuse du Soleil et le traverse majestueusement, sans se presser. La caresse dure pres de six heures. Le dernier contact de Venus avec le bord du Soleil est aussi difficile a mesurer que le premier. Plus de dix secondes avant, la tache est redevenue gouttelette, irresistiblement allongee en direction du bord solaire. Plus elle disparait brusquement. Ces emotions, des milliers d'observateurs, le plus souvent amateurs, pourront les ressentir lors du prochain passage de Venus a 1'aube du 8 juin 2004. L'ouvrage collectif que vous tenez en main, realise par des astronomes de 1'Observatoire de Paris-Meudon et son Institut de mecanique celeste, est un parfait manuel pour que le curieux, 1'honnete Homme d'aujourd'hui, accomplisse les prouesses des grands professionnels d'antan. II rappelle aussi fort a propos qu'au cours des precedents - et fort rares - passages de Venus, en 1761, 1769, 1874 et 1882, 1'Observatoire de Paris, avec ses Delisle, Lalande, Pingre, Chappe, Janssen, Mouchez et bien d'autres, a joue un role international moteur.
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Preface
Pour s'occuper aujourd'hui des affaires de Venus, il n'y a plus besoin de ces grands decouvreurs aux intuitions fulgurantes, les Kepler, les Newton, les Clairaut et autres d'Alembert. Nul besoin non plus de ces Hercules de la science, heros, aventuriers ou martyrs, tels Delisle, Pingre, Le Gentil ou Chappe, prets a tout abandonner des agrements d'une vie sedentaire pour partir au bout du monde y cueillir un astre. En ce passage de 2004, le role des astronomes n'en est pas moins noble et d'importance : collecter le savoir, le diffuser, 1'enseigner, le repandre dans les populations. Ce n'est pas la plus obscure des t^ches. Certes, nous avons trouve des moyens plus ingenieux pour mesurer 1'Univers avec la plus parfaite precision. Mais les froids analystes du progres des sciences ne peuvent oublier qu'au-dela meme du calcul de la parallaxe du Soleil et des planetes, les passages de Venus ont ete des sommets dans 1'histoire de 1'astronomie. Et une lee. on politique. En 1761, pour la premiere fois depuis les debuts de Thumanite, au meme instant, dissemines partout dans le monde, des savants de toutes nations ont observe de concert le meme phenomene celeste et se sont communiques les resultats de leur travail. Quelle le^on de paix et de Concorde donnee aux puissants de la Terre ! Le genie, par ses bienfaits, est cosmopolite. Ses decouvertes sont I'heritage du genre humain, et les travaux des Hommes occupes a defricher les routes de la science preparent en silence le destin des nations. II est bon que cela soit repete, reecrit, martele. Dans cette Europe du XXIe siecle toujours pas unifiee, ou la plupart des Etats decident des reductions budgetaires au detriment des sciences, des lettres et des arts, le grand peril est 1'ignorance, plus encore que la misere. L'ignorance nous deborde, nous assiege, nous investit de toutes parts, et c'est a la faveur de 1'ignorance que certaines doctrines fatales passent de 1'esprit de certains politiciens obnubiles par les « lois du marche » dans le cerveau des peuples. Notre societe, ou regne un desir de luxe et de richesse, ne comprend pas la valeur de la science. Elle ne realise pas que celle-ci fait partie de son patrimoine moral le plus precieux, elle ne se rend pas suffisamment compte que la science, aux cotes de 1'art, est a la base de tous les progres qui allegent la vie humaine et en diminuent la peine. Puisse le prochain passage de Venus devant le Soleil, suivi par des milliers de jeunes guides par les educateurs, rappeler cette evidence. La seule « Star Academy » propre a eclairer nos vies se joue la-haut, majestueusement, et non pas derriere 1'etroite et abetissante lucarne de television. Jean-Pierre Luminet Astrophysiden a I'Observatoire de Paris-Meudon, Directeur de recherches au CNRS Auteur de « Le Rendez-vous de Venus », Livre de Poche, 2001.
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Avant-propos La venue d'un phenomene astronomique rare observable par le plus grand nombre est toujours un evenement social et mediatique : c'est 1'occasion de parler de tous les aspects scientifiques relies a ce phenomene et de se rememorer les phenomenes precedents. L'eclipse totale de Soleil de 1999 a marque cette annee la et est restee dans toutes les memoires. Le passage de Venus fera de meme pour 1'annee 2004 d'autant plus que le dernier a eu lieu en 1882. La premiere observation du passage de Venus eut lieu en 1639 et tous les passages suivants furent observes dans le but majeur de mesurer 1'Univers en determinant la distance fondamentale separant la Terre du Soleil, appelee aussi « unite astronomique ». Aujourd'hui, 1'observation du passage de Venus n'a plus de but scientifique : les observations radar ont fourni une valeur de cette unite astronomique avec une precision inaccessible par 1'observation d'un passage. Venus va done etre cette fois-ci un vecteur de 1'information scientifique : qu'est done la planete Venus ? Qu'est-ce que ce passage, comment se produit-il et pourquoi ne revient-il qu'apres 122 ans ? Y at-il d'autres phenomenes de passage a voir dans le systeme solaire ? Comment determine-t-on les distances dans I'Univers depuis les planetes jusqu'aux galaxies les plus lointaines ? Enfin, comment reussit-on a observer le passage de planetes extrasolaires devant leur etoile, pourtant si lointaine, a 1'instar de Venus ? ... C'est a toutes ces questions que ce livre tente de repondre en nous faisant egalement revivre les observations passees et 1'extraordinaire effort des astronomes des siecles precedents pour reussir, malgre de multiples embuches, a observer ce phenomene depuis les lieux les plus difficiles d'acces. Bien evidemment, chacun souhaitera apercevoir Venus devant le Soleil, d'autant que son disque peut etre vu sans instrument grossissant, a 1'ceil nu. II nous faut ici attirer 1'attention du lecteur sur les dangers de 1'observation du Soleil. II est indispensable de proteger
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sa vue a 1'aide des filtres et des instruments bien choisis que nous decrivons dans le chapitre 8 et en annexe. Suite a ces recommandations, nous pourrons alors profiter pleinement de ce spectacle rare que nous verrons depuis toute 1'Europe pendant plus de 6 heures ce 8 juin 2004. J.-E. Arlot Directeur de recherche du CNRS Coordinateur VT-2004
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Avant-propos
Sommaire 1 - Introduction
1
1. Un phenomena rare et attendu 2. Les representations mythologiques de Venus
1 3
2 - Histoire des observations des passages
9
1. Les premieres predictions
9
2. La determination de la parallaxe solaire
10
3. Les passages de Mercure et de Venus
11
3 - La planete Venus : son atmosphere et sa surface
27
1. L'atmosphere de Venus
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2. La surface de Venus
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4 - La rotation retrograde de Venus
45
1. La periode de rotation de Venus
45
2. Les effets de marees 3. Les quatre etats finals de Venus 4. L'obliquite chaotique de Venus
47 48 50
5 - La prediction des passages et les orbites de Mercure et de Venus
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1. L'aspect geometrique
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2. Criteres pour qu'un passage soit observable 3. Le calcul des passages 4. La construction des canons des passages de Mercure et de Venus devant le Soleil
57 60 64
5. Periodes de recurrence dans les series de passages : « saros »
66
6. Le passage de Mercure du 7 mai 2003
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6 - Le passage de Venus du 8 juin 2004 et celui de juin 2012 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
Introduction Les circonstances generates Phases generates Circonstances geocentriques Les circonstances locales Les cartes de visibilite Le passage de Venus devant le Soleil des 5 et 6 juin 2012
7 - I/utilisation du passage du 8 juin pour calculer 1'unite astronomique 1. Introduction 2. Hypotheses 3. Le calcul du rapport des distances au Soleil a 1'aide des lois de Kepler 4. Calcul de la parallaxe moyenne du Soleil 5. Application numerique 6. Calcul de la parallaxe a partir des instants des contacts ou de la duree du passage 7. Exemples numeriques
8 - I/observation du passage de Venus devant le Soleil 1. Observation a 1'oeil nu en lumiere filtree et attenuee 2. Observation avec un instrument
9 - Les autres passages dans le systeme solaire 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Definitions Les phenomenes des satellites de Jupiter Les phenomenes pour les autres satellites des planetes Les occultations d'etoiles par la Lune Les occultations d'etoiles par les asteroi'des Une occultation a surprise : 1'occultation par un corps pourvu d'une atmosphere 7. Une occultation revele les anneaux d'Uranus, puis ceux de Neptune 8. Et les passages vus des autres planetes ? 9. Conclusion
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83 83 84 85 86 87 92 97
101 101 102 105 106 110 113 114
117 117 120
131 132 132 135 136 137 139 140 142 142
Sommaire
10 - Les passages en dehors du systeme solaire et la detection des exoplanetes 1. 2. 3. 4. 5.
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Des passages ou transits en toute generalite Les exoplanetes Les methodes de detection d'exoplanetes Premiers resultats des transits Conclusion
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11 - La determination des distances dans le systeme solaire et dans 1'Univers
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1. 2. 3. 4. 5. 6.
Introduction La triangulation La parallaxe en astronomie Parallaxe diurne, parallaxe horizontale Parallaxe et distance Terre-Soleil Les distances dans le systeme solaire et la troisieme loi de Kepler 7. La determination des distances dans le systeme solaire aujourd'hui 8. Les indicateurs de distances au-dela du systeme solaire 9. Les proprietes statistiques des etoiles 10. Les etoiles variables 11. Les proprietes globales des galaxies 12. La mesure du decalage vers le rouge et la loi de Hubble 13. Conclusion
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Annexes 1 - La definition de 1'unite astronomique 2 - Quelques echantillons de lunettes speciales et de filtres de protection oculaire dont 1'usage est recommande pour 1'observation des passages de Venus devant le Soleil Photographie du Soleil: choix de 1'exposition 3 - Canon des passages de Venus et de Mercure devant le Soleil 4 - Tableau recapitulatif des expeditions menees pour 1'observation du passage de Venus devant le Soleil du XVIIe au XIXe siecle 5 - La methode de Halley
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1 Introduction
Que se passera-t-il le 8 juin 2004 pour susciter un tel interet? Qu'est-ce done que ce passage de la planete Venus devant le Soleil ? Cela est-il si spectaculaire, si marquant ? N'avons-nous pas deja vu des phenomenes celestes aussi interessants ? Est-ce comme une eclipse de Soleil ? Est-ce si rare ? Pourquoi cela interesse-t-il et a-t-il interesse tant de monde ?
Le passage de Venus nous amene a nous poser des questions. Questions d'autant plus justifiees que personne ne peut nous parler vraiment de ce phenomene : en effet, personne vivant aujourd'hui n'a jamais vu un tel phenomene puisque le dernier a eu lieu en 1882. Le XXe siecle a ete un siecle sans passage de Venus devant le Soleil mais il faut admettre qu'en 122 ans la science et 1'astronomie ont progresse d'une maniere spectaculaire. L'observation du passage de Venus en 2004 ne repond pas aux memes buts qu'au XIXe siecle, ni meme qu'au XVIII6. En effet, chaque epoque a ses centres d'interet qui ne sont justifies que par 1'interet que leur porte la societe.
1. Un phenomene rare et attendu Qu'est-ce done que ce passage ? Tout simplement, c'est un phenomene celeste provoque par 1'alignement de deux astres et d'un observateur terrestre : le Soleil et la planete Venus. On le verra, ce type de phenomene est courant dans le systeme solaire: les eclipses de Lune et de Soleil, les phenomenes des satellites de Jupiter et bien
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1
d'autres occultations s'offrent a nous regulierement avec un interet tres specifique pour chacun de ces phenomenes. Dans le cas d'un passage de Venus, nous voyons le disque sombre de la planete passer devant le disque brillant du Soleil. C'est une minieclipse de Soleil que Ton ne peut voir qu'en prenant des precautions, comme lors d'une eclipse partielle du Soleil. A la difference des eclipses partielles de Soleil qui sont quasiment observables tous les ans, les passages de Venus sont tres rares parce que 1'alignement Soleil-VenusTerre est rare. Curieusement, ces passages se produisent a un intervalle de 121 ans et demi puis de 8 ans puis de 105 ans et demi, puis de 8 ans et ainsi de suite, si bien que depuis le XVII6 siecle on a deux passages par siecle, sauf pour le XXe siecle qui sera « saute » par les passages de Venus. Venons-en a 1'interet suscite par les passages de Venus. C'est au XVII6 siecle, en 1639, qu'un passage de Venus sera observe pour la premiere fois. A cette epoque, on commence a avoir une idee correcte des mouvements des planetes. Galilee a observe les satellites de Jupiter en 1610, qui lui sont apparus comme un systeme solaire en miniature fournissant un element de preuve a la theorie heliocentrique de Copernic. C'est a la meme epoque que Kepler va enoncer ses « lois ». Tout est en place pour que 1'on puisse prevoir que la planete Venus doive passer devant le Soleil. Les calculs de predictions sont encore imprecis et 1'observation d'un tel passage est un enjeu important. Des deux passages du XVII6 siecle, seul celui de 1639 sera observe par un pasteur anglais. Celui de 1631 ne sera pas observe du fait de 1'imprecision de la prediction. Lorsque surviennent les passages du XVIII6 siecle, les choses ont change. Les ephemerides sont bien meilleures et les predictions beaucoup plus sures. L'interet pour 1'observation est alors maximal. Si on connait bien les mouvements des astres dans le ciel, on a qu'une notion tres imparfaite des distances auxquelles se trouvent les planetes. On a une tres bonne connaissance des rapports des distances entre les planetes grace aux lois de Kepler mais la mesure de la distance TerreSoleil est toujours un enjeu fondamental de la science de 1'epoque. L'observation d'un passage de Venus depuis plusieurs lieux eloignes a la surface de la Terre est une occasion de faire cette mesure en utilisant le phenomene de la parallaxe, c'est-a-dire 1'observation simultanee d'un astre depuis deux lieux eloignes. Cela va necessiter des expeditions au bout du monde a une epoque ou les voyages vers les terres lointaines etaient une aventure perilleuse. Toute la societe occidentale va se passionner pour cette aventure. Les Academies des sciences vont dormer des fonds pour ces expeditions. Les resultats ne seront peut-etre pas a la hauteur des investissements
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Introduction
efJectues mais qu'importe : on aura mesure 1'Univers ! Meme si d'autres methodes peuvent aider a la mesure de la distance Terre-Soleil, 1'observation d'un passage de Venus reste mythique. On aura concentre sur un phenomene celeste furtif des moyens considerables. C'est un peu comme la conquete de la Lune par l'homme au XXe siecle : cela reste dans 1'imaginaire populaire comme 1'essentiel de la conquete spatiale alors que bien des sondes automatiques nous ont rapporte beaucoup plus d'informations sur notre environnement planetaire que 1'excursion courte et limitee de 1'homme dans le cosmos. La mesure de 1'Univers au XVIII6 siecle restera liee aux passages de Venus. Le XIXe siecle, plus avance techniquement, ne fera que parfaire cette mesure. II est vrai que la mesure de 1'Univers a toujours ete quelque chose d'essentiel pour notre comprehension du monde. A quelle distance est le Soleil ? Quelle est la taille de la Terre ? A quelle distance se trouve la Lune ? les planetes ? les etoiles ? Et aujourd'hui, les galaxies ? les quasars ? II reste que pour ces mesures, la distance Soleil-Terre ou unite astronomique, reste fondamentale. Les instruments de mesure perfectionnes mis en orbite autour de la Terre pour mesurer la distance des etoiles (le satellite Hipparcos il y a quelques annees et le satellite Gaia a venir) ont toujours besoin de tres bien connaitre cette unite astronomique pour fournir des resultats precis. Cette mesure reste done d'actualite meme si ce n'est plus le passage de Venus qui pourra lui etre utile. Le concept de passage d'une planete devant le Soleil est, lui aussi, toujours d'actualite pour les astronomes. Outre les passages de planetes ou d'asteroides du systeme solaire devant les etoiles, passages dormant lieu a des observations riches en enseignement et necessitant, comme au XVIII6 siecle des expeditions lointaines, comme on le verra dans le chapitre 9, ce sont les passages des planetes des systemes extra-solaires, autour des etoiles lointaines, qui retiennent notre attention. C'est la, en effet, un des moyens de detecter des planetes autour des etoiles grace a leur passage devant le disque de leur etoile, passage observable depuis la Terre avec des instruments de mesure photometrique de haute precision, comme le satellite Corot qui va etre bientot lance. Ainsi, apres nous avoir appris la taille de notre univers, le concept de « passage » va nous permettre de savoir si des planetes de la taille de la Terre sont nombreuses dans notre galaxie.
2. Les representations mythologiques de Venus Avant d'etudier en detail toutes ces notions liees aux passages de Venus devant le Soleil, arretons-nous un instant devant les representations
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mythologiques de Venus et notons aussi que les nombreuses repesentations artistiques de ce phenomena montrent combien celui-ci a marque les esprits durant des siecles. Plafond de la salle du conseil de 1'Observatoire de Paris. Passage de Venus devant le Soleil peint par Dupain en 1878 a la demande d'Ernest Mouchez (© Observatoire de Paris).
La planete Venus est 1'astre le plus brillant du ciel, elle est visible le soir a 1'ouest apres le coucher du Soleil ou le matin a Test avant le lever du Soleil. Tres tot, les observateurs de ces deux « etoiles » du matin et du soir etabliront qu'il s'agit d'un astre unique se deplacant par rapport aux autres etoiles, done un astre errant: une planete. Des le quatrieme siecle avant J.-C., Heraclide (387-312 av. J.-C.) fera 1'hypothese que Venus tourne (comme Mercure) autour du Soleil.
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Introduction
2.1. En Mesopotamia Venus est la plus celebre des deesses de Mesopotamia, elle porte le nom d'Istar en akkadien et de INANNA en sumerien. Elle est identified avec la planete Dilbat. A Sumer, INANNA est representee par une hampe de roseaux terminee par une boucle : elle symbolise les aspects feminins et amoureux, par centre a Akkad elle est representee sous 1'aspect plus guerrier d'une femme en arme chevauchant un lion. Dans le pantheon mesopotamien, elle est la fille du dieu Lune (Sin en akkadien, NANNA en sumerien) et de son epouse Nikkal. Elle a pour frere le dieu Soleil (Samas en akkadien, UTU en sumerien) et pour sceur Ereskigal la deesse du monde des morts, le KUR. Elle est 1'epouse du berger Dumuzi identifie a la constellation d'Orion. On trouve dans les tablettes en caracteres cuneiformes de la periode Seleucide des tables des positions de la planete Venus. Les positions de la planete etaient deduites des observations des premieres visibilites (positions B et A' de la figure 1.1) et des dernieres visibilites (positions A et B' de la figure 1.1) de la planete au voisinage de ses conjonctions inferieures et superieures. Ces tables des positions de Venus etaient donnees dans un calendrier lunaire et utilisaient pour echelle de temps le jour lunaire moyen egal au trentieme de la duree de la lunaison moyenne. Les premiers textes relatant 1'observation de la planete Venus datent du regne d'Ammisaduqa (vers 1650 av. J.-C). Figure 1.1: Visibilite de la planete Venus.
2.2. En Grece Aphrodite est la deesse de 1'amour, de la beaute et de la fertilite. Selon Hesiode, elle jaillit de 1'ecume de la mer (aphros en grecque) fecondee
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par le sang d'Ouranos : « De I'ecume unefille se forma, qui toucha d'abord a Cythere la divine, d'ou ellefut ensuite a Chypre qu'entourent les flats; c'est la que prit terre la belle et veneree deesse quifaisait autour d'elle, sous ses pieds legers, croitre le gazon et que les dieux aussi bien que les hommes appellent Aphrodite pour s'etre formee d'une ecume ou encore Cytheree pour avoir aborde a Cythere. Amour et le beau Desir, sans tarder, luifirent cortege des qu'elle fut nee et sefut mise en route vers les dieux. » (Hesiope, Theogonie vers 192-202). Selon Homere dans le cinquieme chant de 1'Iliade, elle est la fille de Zeus et de Dione. Homere la nornrne egalement la Cyprienne confirmant la legende selon laquelle elle debarqua soit a Paphos (a Chypre) soit a Cythere d'ou son autre nom Cytheree. Elle est 1'epouse d'Hephaistos (celui qui brille pendant le jour) le forgeron des dieux, le fils difforme et boiteux d'Hera. Peu fidele, on lui connait de nombreux amants qui lui donneront des enfants : Ares le pere d'Eros (Homere, Odyssee], Hermes le pere d'Hermaphrodite et le troyen Anchise, le pere d'Enee (Homere, Hymne a Aphrodite}. L'etoile du soir se nomme Hesperos et celle du matin se nomme Phosporos ou Eosphoros (celle qui amene 1'aube).
2.3. A Rome Venus, a 1'origine deesse des jardins et des champs, est assimilee a la deesse grecque Aphrodite suite au culte qui lui etait consacre a Eryx en Sicile, culte fonde par Enee apres la mort de son pere Anchise. Venus fut celebree sous de multiples formes dans la Rome imperiale. Son culte commenga a Arden et a Lavinium dans le Latium. Son plus vieux temple fut bati le 18 aout 293 av. J.-C. Le 18 aout fut alors le jour de festivites appelees Vinalia Rustica. Le ler avril, les Veneralia etaient celebrees en 1'honneur de Venus Verticordia, protectrice de la chastete feminine. Le 23 avril 215 av. J.-C., un temple fut construit sur le Capitole et dedie a Venus Erycine (Venus Erycina] pour commemorer la defaite romaine du lac Trasum. En 46 av. J.-C., apres la victoire de Pharsale, Jules Cesar introduisit la Venus Genitrice (Venus Genitrix) comme deesse de la maternite et du foyer, en tant que mere d'Enee (dont il affirmait descendre). L'etoile du matin porte le nom de Lucifer (le porteur de lumiere): « Lucifer, fils de Jupiter et de I'Aurore, est le chefou le conducteur de tous les astres. C'est lui qui prend soin des coursiers et du char du Soleil, lui qui les attele et les detele avec les Heures. On le reconnait a ses chevaux blancs dans la voute azuree, lorsqu'il annonce aux mortels I'arrivee de I'Aurore, sa mere. » (P. Commelin, Mythologie grecque et romaine) et celle du soir porte le nom
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Introduction
de Vesper : « Vesper ou Hesperos brille le soir a I'occident avec tout I'eclat dont resplendit Lucifer aux premieres lueurs du jour. Frere de Japet et frere d'Atlas, Vesper habitait avec son frere une contree situee a I'ouest du monde et nommee Hesperitis. En Grece, le mont (Eta lui etait consacre. » (P. Commelin, Mythologie grecque et romaine).
2.4. Chez les Mayas Chez les Mayas, on distingue egalement une etoile du matin, Noh Ek (la grande etoile) et une etoile du soir Xuc Ek (1'etoile guepe). Les Mayas attribuaient des pouvoirs nefastes a Venus dans la periode suivant son lever heliaque apres sa conjonction inferieure. Venus est souvent associee a la guerre, dont le glyphe correspond a celui de Venus associe a d'autres elements tels que 1'embleme des villes a conquerir. Les Mayas connaissaient la periode de revolution synodique de 584 jours qui correspond a 1'annee apparente de Venus. Cette annee etait divisee en quatre periodes : •une de 236 jours apres la conjonction inferieure (etoile du matin); •une de 90 jours ou Venus est invisible, conjonction superieure ; •une de 250 jours environ apres la conjonction superieure (etoile du soir); •une de 8 jours ou Venus est invisible, conjonction inferieure. On remarque que 65 cycles de 584 jours (37 960 jours) correspondent a 104 cycles d'annees civiles (le haab) et a 146 cycles du calendrier religieux de 260 jours (le Tzolkin). Par la suite, les Mayas s'apergurent que le cycle de 584 jours etait un peu trop long (593,92 jours), car 1'ecart constate apres cette periode de 37 960 jours est de 1'ordre de 5 jours. Us ne firent pas une correction directe de cette periode, mais utiliserent une correction plus complexe portant sur une periode de 240 cycles venusiens de 584 jours dont ils vont ramener la duree de 140 160 jours a une duree de 140 140 jours en supprimant 20 jours. Pour cela ils supprimaient 8 jours a la fin du 57e cycle, puis 4 jours a la fin des 118e, 179e et 240e cycles. Cette correction a ete decouverte par J.E. Teeple (1931) dans le Codex de Dresde. J.E.S. Thompson va plus loin et montre que 1'usage d'un cycle supplementaire de 61 annees venusiennes a la suite duquel on supprime de nouveau 4 jours, soit une correction de 24 jours sur une periode de 301 cycles venusiens, etait masque par une erreur de copie dans le Codex de Dresde.
Le passage de Venus
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Dans la tradition Tolteque et azteque, le dieu Quetzalcoatl (le serpent a plume), le Kukulkan des Mayas , apres avoir ete chasse de la Terre, « monta au ciel en flammes et devint Etoile du matin ». Des rituels lies a ce dieu etaient celebres lorsque Venus etait alignee avec les Pleiades. La Grande etoile du matin porte aussi le nom d'Icoquih qui signifie litteralement « Celle qui porte le Soleil sur son dos ». La planete Venus a rythme la vie de la plupart des civilisations. Sa nature d'etoile la plus brillante apparaissant au coucher ou au lever du Soleil, periodes d'activite humaine intense, la designait tout naturellement pour ce role. Son eclat 1'a aussi tout naturellement identifiee a une deesse. Aujourd'hui, elle reste la planete sceur de la Terre qui embellit nos crepuscules.
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Introduction
2 Histoire des observations des passages
1. Les premieres predictions La prevision des passages de Mercure et de Venus devant le Soleil necessite une bonne connaissance des mouvements orbitaux des planetes interieures. Elle fut possible a partir du debut du XVII6 siecle grace aux travaux de Johannes Kepler (1571-1630) et a la publication en 1627 des Tables Rudolphines nominees ainsi par Kepler en hommage a son ancien protecteur, 1'empereur d'Allemagne Rodolphe II de Habsbourg (1552-1612). Kepler predit le passage de Mercure du 7 novembre 1631 et le passage de Venus du 7 decembre 1631 qu'il ne put observer. II trouva egalement une periode approximative de recurrence de 120 ans pour 1'observation des passages de Venus. Le passage de Mercure du 7 novembre 1631 fut observe a Paris par 1'astronome Pierre Gassendi (1592-1655): « Le ruse Mercure voulait passer sans etre apergu, il etait entre plus tot qu'on ne s'y attendait, mais il n'a pu s'echapper sans etre decouvert, je I'ai trouve et je Vai vu ; ce qui n'etait arrive a personne avant moi, le 7 novembre 1631, le matin. ». Ce passage fut egalement observe par trois autres personnes : Remus Quietanus a
Le passage de Venus
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Rouffach (Haut-Rhin), le pere Cysatus a Innsbruck (Tyrol) et un jesuite anonyme a Ingolstadt (Baviere). Le passage de Venus ne fut pas observe car suite aux imprecisions des tables Rudolphines, le passage devait se produire en Europe dans la nuit du 6 au 7 decembre 1631, en realite seule la fin du passage fut visible depuis 1'Europe centrale. Le pasteur anglais Jeremiah Horrocks (1619-1641) predit le passage suivant de Venus pour le dimanche 4 decembre 1639 a 3 h de 1'apres-midi (24 novembre 1639 du calendrier julien), prediction en contradiction avec la periode de 120 ans trouvee par Kepler. II observa ce passage depuis son village de Hoole (pres de Preston) en projetant 1'image du Soleil sur un papier gradue, et realisa ainsi la premiere mesure d'un passage de Venus devant le Soleil. En realite, il ne put observer le debut du phenomene, ayant interrompu son observation pour vaquer a ses obligations religieuses. A 1'aide de cette observation, Horrocks calcula la position du nceud de 1'orbite de Venus, il estima que le diametre apparent de Venus ne devait pas etre superieur a la minute d'arc et que la valeur de la parallaxe solaire ne devait pas exceder 14", ce qui correspond a une distance Soleil-Terre d'environ 14 700 rayons terrestres (soit 140 millions de km alors que 1'unite astronomique est d'environ 150 millions de km). Son Venus in sole visa dans lequel il decrit son observation, sera public par J. Hevelius en 1662. D'autres parties de son travail sur Venus seront editees par John Wallis en 1672. Eyre Crowe, Le fondateur de 1'astronomie anglaise, vers 1891. Huile sur toile, Walkers Art Gallery, Liverpool, Meyerside, GrandeBretagne. Cette peinture representerait Horrocks observant le passage de Venus le 4 decembre 1639 (© Bridgeman/ Giraudon).
2. La determination de la parallaxe solaire La derniere loi de Kepler permet de connaitre la taille du systeme solaire a un facteur d'echelle pres. La connaissance d'une seule distance
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Histoire des observations des passages
entre planetes ou entre une planete et le Soleil suffit pour calculer toutes les autres. La parallaxe solaire est Tangle sous lequel on voit le rayon de la Terre depuis le Soleil, la connaissance de la parallaxe est done equivalente a la connaissance de la distance Terre-Soleil. Les mesures et calculs effectues depuis 1'Antiquite sous-estirnaient grandement la valeur reelle de cette distance. Le tableau 2.1 donne les differentes valeurs connues. Auteur
Valeur de la distance Terre-Soleil
Valeur de la parallaxe
Anaximandre
-54 rayons terrestres
-1,06°
9 fois la distance Terre-Lune
-
Aristarque de Samos
18 a 20 fois la distance Terre-Lune, soit environ 360 rayons terrestres
-9,6'
Hipparque
2490 rayons terrestres
-1,4'
Posidonius
13 090 rayons terrestres
-15,8"
Ptolemee
1210 rayons terrestres
-2,8'
Copernic
Eudoxe
1500 rayons terrestres
-2,3'
Kepler
-
inferieure a 1'
Cassini
-
9,5"
Flamsteed
-
10"
Picard
-
20"
Les trois dernieres valeurs ont ete calculees a Taide des mesures de la parallaxe de Mars lors de son opposition de septembre 1672.
3. Les passages de Mercure et de Venus En 1677, sur 1'ile de Sainte-Helene, Edmond Halley (1656-1742) observa le passage de Mercure qui eut lieu le 7 novembre. II imagine alors une methode (cf. annexe 5) pour determiner la parallaxe solaire, done la distance Soleil-Terre. II exclut les passages de Mercure, car la parallaxe de Mercure est plus faible et ses passages sont plus difficiles a observer. Sa methode est basee sur la comparaison des temps de passages de Venus mesures depuis plusieurs lieux situes a des latitudes differentes. La difference des temps de passages observes donne acces a la parallaxe de Venus, puis a la parallaxe du Soleil. Les passages suivants de Venus devant se produire en 1761 et 1769, Halley laissa a ses successeurs le soin de realiser les observations et d'appliquer sa methode. Ses predictions et recommandations furent publiees dans les Philosophical Transactions of the Royal Society of London en 1691,1694 et 1716.
Le passage de Venus
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Tableau 2.1.
La methode de Halley consistait a mesurer le temps ecoule entre le premier et le dernier contact interieur de 1'astre avec le disque solaire en au moins deux lieux ayant le plus grand ecart possible en latitude. Pour cela, on devait se rendre sur des lieux d'observation souvent tres eloignes et Ton devait effectuer en ces lieux des observations preliminaires de maniere a determiner avec precision leurs coordonnees geographiques, la latitude pour en deduire la parallaxe de la planete et la longitude de maniere a synchroniser les observations. Par cette methode, Halley esperait determiner la parallaxe solaire a 1/500 pres si 1'observation des contacts etait faite a deux secondes de temps pres. L'astronome frangais Joseph-Nicolas Delisle (1688-1768) proposa, des 1722, une autre methode portant sur 1'observation d'une phase unique du passage (premier ou dernier contact interieur), cette methode permettait d'augmenter la liste des lieux d'observation possibles en y ajoutant tous les lieux ou une seule phase est visible. Mais elle demandait une tres bonne connaissance des longitudes des lieux d'observation, chose difficile a obtenir en ce milieu du XVIII6 siecle.
3.1. Les passages de Mercure L'idee de Halley d'exclure les passages de Mercure pour determiner la parallaxe solaire ne fit pas 1'unanimite parmi les astronomes de 1'epoque. Ainsi William Whiston edita la liste de tous les passages de Mercure et de Venus sur une periode de deux siecles et estima que Ton avait de meilleures chances d'obtenir la parallaxe solaire a 1'aide des passages de Mercure qu'a 1'aide des passages de Venus, chose qu'il justifia en faisant remarquer que 1'on connaissait mieux 1'orbite de Mercure et que le passage de Mercure en 1753 serait plus central que le passage de Venus en 1761. Le tableau 2.II nous donne la liste et les caracteristiques des passages de Mercure ayant eu lieu entre 1720 et 1761. Tableau 2.II.
Date
Instant
Distance
(UT)
au centre du Soleil
Duree
S46 n° SI 71 n° S217 n°
09/11/1723 16 h 58 min 35 s NC 05' 46,46" 05 h 08 min 15 s 45 13 55*
8
24* 22
11/11/1736 10 h 29 min 44 s NC 13' 58,91" 02 h 47 min 40 s 43 18 64*
2
25* 22 26* 22
02/05/1740 23 h 01 min 57 s NC 14' 41,82" 03 h 04 min 57 s 50
1
54
9
05/11/1743 10 h 29 min 46 s NC
08' 58,26" 04 h 36 min 24 s 49
5
40
18 27* 22
06/05/1753 06 h 12 m 50 s NC
02' 11,49"
07 h 56 m 24 s
48
6
61
4
07/11/1756 04 h 10 m 32 s NC 00' 38,45"
05 h 30 m 42 s
47 10 48* 12 29* 22
28* 22
Notes : NC = non central; les 4 dernieres colonnes sont expliquees dans le chapitre 4.
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Histoire des observations des passages
Delisle observa le passage de 1723, mais ne put en deduire une valeur de la parallaxe solaire. En 1724, il se rendit a Londres ou il rencontra Halley, et revint en France avec les tables astronomiques des mouvements du Soleil, de la Lune et des planetes. Ces tables, construites par Halley, ne seront publiees, apres correction, qu'en 1749 (sept ans apres la mort de Halley). En 1725, Delisle partit en Russie pour une periode de quatre ans, il y resta en realite vingt-deux ans et ne rentra en France qu'en 1747. Le passage de Mercure de 1743 fut egalement observe mais ne donna pas de resultats satisfaisants. Ainsi, comme le signale Nicolas Louis de La Caille peu de temps avant de partir pour 1'Afrique du Sud : « Or en 1743, le del etantfort serein, [...] des astronomes des plus habiles qui observerent avec d'excellents Telescopes le contact interieur de Mercure et du Soleil, different beaucoup entre eux; et la difference alia a plus de 40 secondes de temps. ». On est bien loin des deux secondes de precision escomptees par Halley. Le passage de Mercure de 1753, pour lequel Mercure passa a deux minutes du centre du Soleil, fut une repetition grandeur nature du futur passage de Venus. Ce passage relativement long, presque huit heures, devait permettre une mesure plus precise. A I'automne 1752, Delisle envisagea des observations depuis le Quebec, 1'ile de Saint-Domingue et Cayenne a 1'ouest, et a Test, aux Indes orientales (Pondichery), Chandernagor, Macao et Pekin. Les predictions et la « mappemonde » representant la projection geographique du passage furent largement diffusees aupres des astronomes de tous les pays. Malgre 1'observation du passage par des observateurs confirmes, les resultats furent de nouveau decevants et Le Gentil conclut, fin 1753, qu'en raison de la vitesse de la planete, il etait impossible de mesurer 1'instant des contacts avec une precision meilleure que deux secondes de temps. Neanmoins, 1'observation du passage permit de confirmer les ecarts importants qui existaient entre les meilleures tables planetaires de 1'epoque. Ainsi, le calcul du passage avec les tables de la Hire donnait un dernier contact 8 heures plus tot que le calcul fait avec les tables de Halley ! Le calcul fait avec les tables de Delisle donnait ce meme contact dix-sept minutes plus tard. Ces ecarts inciterent Le Gentil a ameliorer les tables de Venus avant le passage de 1761. Le dessin de la figure 2.1, public par Delisle, donne les differents trajets possibles de Mercure en fonction des theories utilisees. Nous avons ajoute, en vert, le trace du passage de Mercure calcule a Taide des theories actuelles.
Le passage de Venus
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Figure 2.1.
3.2. Les passages de Venus Le passage de Venus de 1761 Ce passage mobilisa 1'ensemble de la communaute astronomique. Aux difficultes liees aux voyages vint s'ajouter la guerre de Sept Ans, conflit quasi-mondial qui embrasa non seulement 1'Europe mais aussi les mers et les colonies. Delisle (Paris 16881768) (© Observatoire de Paris).
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Histoire des observations des passages
La mobilisation des astronomes pour 1'observation de ce passage fut faite par Delisle qui envoya a plus d'une centaine de correspondants de par le monde sa « mappemonde » du passage de 1761 (Fig. 2.2). Figure 2.2 : Mappemonde pour le passage de Venus de 1761: en realite, ce n'est pas une mappemonde, les deux hemispheres n'etant pas represented (© Observatoire de Paris).
L'Academie royale des sciences organisa a cette occasion trois campagnes d'observation. Deux de ces campagnes eurent lieu dans des pays allies de la France. Cesar-Francois Cassini de Thury (1714-1784) se rendit a Vienne et observa le passage en compagnie de 1'archiduc Joseph; Fabbe Jean Chappe d'Auteroche (1728-1769) fut invite a Tobolsk en Siberie par rimperatrice Elisabeth. La troisieme campagne fut celle d'Alexandre Guy Pingre (17111796) qui se rendit dans 1'ile Rodrigues (au nord de Madagascar), desservie par la compagnie des Indes. Un quatrieme astronome, Guillaume Joseph Hyacinthe JeanBaptiste Le Gentil de La Galaisiere (1725-1792), prit la mer dans le but d'observer le passage de Venus aux Indes, a Pondichery; malheureusement son voyage fut interrompu, la ville de Pondichery etant tombee aux mains des Anglais. Son navire fit demi-tour et rallia l'ile de France (ile Maurice) ou Le Gentil decida de rester en attendant le passage suivant. Enfin 1'astronome Joseph-Jerome Lefrangois de Lalande (1732-1807) observa le passage depuis le Palais du Luxembourg.
Le passage de Venus
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Les astronomes anglais organiserent deux campagnes lointaines pour 1'observation du phenomena. Nevil Maskelyne (1732-1811) se rendit a Sainte-Helene ou il ne put observer le passage a cause du mauvais temps. Un second groupe, forme de Charles Mason (17281786), de James Bradley (1693-1762) et de Jeremiah Dixon (1733-1779), devait observer le passage depuis Bencoolen (Sumatra). En realite, ils observerent le passage de Venus pres du Cap, ayant eux aussi fait demitour, Bencoolen etant tombe aux mains des Francois ! John Winthrop, professeur a Harvard, se rendit a Saint-John (Terre-Neuve) ou « entoure de milliards d'insectes decides a saboter sa besogne » il reussit a observer le dernier contact du passage. D'autres pays participerent a cette campagne. L'Allemand Maximilien Hell 1'observa depuis Vienne, le Suedois Petr Wargentin a Stockholm, le Danois Christian Horrebow a Copenhague, 1'Italien Eustacio Zanotti a Bologne, le Portugais De Almeida a Porto, les Hollandais Johan Lulofs a Leiden, Jan de Munck a Middelburg, Dirk Klinkenberg a la Hague et enfin Johan Maurits Mohr a Batavia (Jakarta). Le nombre total d'observateurs professionnels du passage fut de 120, repartis sur 62 sites (S. Newcomb, 1890). II convient de remarquer qu'une partie des lieux d'observation (Bencoolen, Pondichery, Batavia) avait deja ete selectionnee par Halley des 1716. Passage de Venus du 6 juin 1761. Projection de Hammer (© 2002 IMCCE - Observatoire de Paris - P. Rocher).
Les resultats furent assez decevants, les valeurs trouvees pour la parallaxe solaire varierent de 8,5 a 10,5" en fonction des auteurs qui firent les reductions des observations. Cette grande marge d'erreur est due a deux causes principales : une mauvaise connaissance des longitudes des lieux d'observation et le phenomene dit de la goutte noire
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Histoire des observations des passages
qui faussa la determination des instants du premier et du dernier contact interieur.
Deux phenomenes lies a la diffraction : le volcan de Mercure et la goutte noire Durant les premieres observations des passages de Mercure devant le Soleil, on vit un point brillant au centre du disque noir de la planete. Ce point brillant fut interprete par certains comme un volcan en eruption et comme une illusion d'optique par d'autres. II s'agit en realite d'une figure de diffraction dont la theorie peut etre completement effectuee et le phenomene reproduit en laboratoire. Ce phenomene apparaissait lorsque Ton reduisait 1'ouverture des instruments avec un diaphragme et le phenomene disparaissait lorsqu'on observait a pleine ouverture. Le phenomene dit de la goutte noire, qui perturba les observations des contacts interieurs des passages de Venus est egalement observable dans le cas des passages de Mercure. Ce phenomene est egalement du a la diffraction et peut etre reproduit et photographie en laboratoire : « Lorsque la planete entre sur le (Usque du soleil, la diffraction arrondit les deux pointes brillantes qui se referment derriere lui, et qui sont en realite bien effilees. Lorsqu'elles sont sur le point de se rejoindre, Mercure semble attache au bord solaire par une sorte de pedoncule, comme une goutte qui va se detacher d'un orifice etroit. [ . . . ] Pour bien I 'observer, il est necessaire d'employer un grossissement nettement superieur au grossissement resolvant, calcule pour 1'ouverture libre de la lunette. Si cette ouverture est de 10 centimetres, par exemple, un grossissement d'au mains 150fois est necessaire. Comme le pretendu volcan de Mercure, la goutte noire peut etre aisement reproduce au laboratoire et photographiee. » (A. Couderc et A. Danjon, 1979). Le phenomene de la goutte noire.
Un phenomene lie a la refraction dans Tatmosphere de Venus L'observation du passage de 1761 permit de suspecter 1'existence d'une atmosphere autour de la planete Venus. Cela se traduisit par
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Cestlepodttet astrowaate russe Mikhail ^assifievith Dpiftotiossov (1711~17£S) 1%) '- -i.,'-
CO2 N2
96,5 %
N2
78,9 % C02 95,3 %
3,5 %
02
20,9 % N2
2,7 %
Ar
1,6 %
H2O