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French Pages 120 [124] Year 2015
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LA BAIE, LE VILLAGE ET L'ABBAYE
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LE MONT·SAINT·MICHEL
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• Histoire du Mont - La baie du Mont-Salnt-Mlcllel, de Granville à cancale La vllle du Mont-Salnt-Mlchel - L'abbaye du Mont-Salnt-Mlchel Le Mont-Saint-Michel vient, au terme de longues années de travaux, de retrouver son insularité. C'est l'occasion rêvée pour se lancer à nouveau à la découverte de la Merveille de l'Occident et de son écrin de sable. Ce livre très complet et abondamment illustré devrait être le compagnon idéal de votre visite du village et de l'abbaye présentée salle par salle. Un grand chapitre est consacré à la baie de Cancale à Granville pour en goûter les richesses naturelles et historiques. Belles promenades !
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1carte et 4 plans détaillés 175 photos couleur Prix TTC : 14,90€ TVA INC LUSE
Editions O UEST-F RANCE
TEX1I et PHOTOGRAPHES Passionné par l'architecture médiévale et par la mer, Olivier Mignon a consacré son mémoire de maîtrise au Mont-Saint-Michel où les deux se rencontrent. Guide-conférencier à l'abbaye du Mont depuis 1992, il a ensuite suivi les cours de l'École du Louvre avant d'accompagner des voyages culturels en France et à l'étranger. Olivier Mignon est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages parmi lesquels le Guide secret du Mont-Saint-Michel, le Guide secret de Versailles, Architecture des châteaux de la Renaissance et Architecture des cathédrales gothiques aux Éditions Ouest-France.
ITINÉRAIRES DE DÉCOUVERTES
LE MONT·SAINT·MICHEL LA BAIE, LE VILLAGE ET L'ABBAYE TEXTE ET PHOTOGRAPHIES
OLIVIER MIGNON
Editions OUEST-FRANCE
Sommaire Introduction - 5 Le Mont comme vous ne l'avez jamais vu! - 5
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale - 29 Granville - 30
Histoire du Mont - 7 Les origines du rocher - 8 Saint Aubert et le culte de saint Michel -10 La création de l'abbaye bénédictine - 12 Le XII' siècle et l'apogée du monastère -14 Genèse d'une merveille - 16 Une période héroïque - 17 L'abbaye dans la tourmente - 18 La réforme des frères mauristes - 20 L'abbaye transformée en prison - 22 La restauration du culte ... - 23 ... et des bâtiments - 24 L'avènement du tourisme - 25 Le mill énaire de l'abbaye et le retour des moines - 26 La renaissance de l'île - 27 Visible devant la porte du réfectoire des moines, cette belle scène de vendange a été en grande partie remaniée lors de la restauration du cloître par Édouard Corroyer.
Les îles Chausey - 32 Les falaises de Champeaux et Saint-Jean-le-Thomas - 34 Genêts et le bec d'Andaine - 36 Saint-Léonard et la pointe du Grouin du Sud- 38 Avranches - 40 Pontaubault, La Roche-Torin et Huisnes-sur-Mer-42 Huisnes, Ardevon, Beauvoir et le moulin de Moidrey- 44 Tombelaine - 46 Pontorson et les polders - 48 Dol-de-Bretagne et le mont Dol - 50 Cherrueix et Le Vivier-sur-Mer - 52 Cancale et la pointe du Grouin - 54 La Caserne et le nouveau barrage du Couesnon - 56 La jetée et le terre-plein - 58
La ville du Mont-Saint-Michel - 61 La cour de !'Avancée - 62 La cour du Boulevard, la Mère Foulard et la porte du Roi - 63 L'Arcade, la Sirène et !'Artichaut - 66 La grande rue - 68 L'église paroissiale - 69 Le Vieux Logis et le logis Tiphaine - 70
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Sommaire
Le logis abbatial vu de l'escalier des Monteux qui, de la tour du Roi, permet de rejoindre directement les jardins en terrasse aménagés au-dessus du village.
L'esplanade de Jérusalem, le chemin des Loges et l'ancienne école communale · 72
Le cimetière, la roue et la chapelle Saint-Étienne - 104
Les remparts · 74
Galerie nord sud et logis de Robert de Torigni -106
Les Fanils · 78
Logis du portier, cachots et aquilon· 107 Notre-Dame-sous-Terre -109
L'abbaye du Mont-Saint-Michel - 81 Lechâtelet, la porterie et l'aumônerie · 82
Le promenoir des moines - 110 Notre-Dame-des-Trente-Cierges · 112
Le grand degré et le logis abbatial· 84
Le« scriptorium » -113
Le Saut Gauthier et la terrasse de l'Ouest - 86
Le cellier et les jardins du Nord· 116
L'église abbatiale - 90 Le dortoir des moines et le cloître - 96
Plans-118
Le réfectoire - 99 La salle des Hôtes - 100 Les cryptes et la salle de Belle-Chaise -102
Bibliographie - 120 Remerciements - 120
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lntrodudion LE MONT COMME VOUS NE L'AVEZ JAMAIS VU! Les travaux de rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-
moments privilégiés pour découvrir le village pas à pas avant que la foule ne l'envahisse ou en soirée quand la
Page de gauche Le garde-corps du nouveau « barrage » aux armes de Normandie.
plupart des visiteurs ont regagné le continent. L'abbaye elle-même n'est
Michel menés de 2006 à 2015 ont donné vie au rêve de tous ceux qui,
jamais plus belle que dans le silence et
depuis Victor Hugo, se sont battus
la lumière du matin ou en fin d'après-
pour que le rocher, menacé par les
midi quand le mascaret approche et
prés-salés, redevienne une île. Lors des
que le soleil déclinant embrase les
plus grandes marées, le flot entoure à
sables de la baie. Ici, la nature et l'ar-
nouveau totalement les remparts qui
chitecture se conjuguent pour nous
protègent le bourg comme il le faisait avant la construction de la digue-route
offrir un spectacle unique au monde.
en 1878. Il faut savoir profiter de ces
découverte !
Nous vous souhaitons une magnifique
La baie du Mont-Saint-Michel vue de la terrasse de l'Ouest à marée haute.
Histoire du Mont
onnu à l'aube du Moyen Âge sous Je nom de « mont Tombe », Je Mont-Saint-Michel entre dans !'Histoire avec l'introduction du culte de l'archange au début du vm• siècle. Le sanctuaire fut, après la fondation de
abbaye pourvue d'un nouveau chœur flamboyant. Entré en décadence durant la Renaissance, le monastère accueillit au XVI I' siècle une nouvelle communauté de frères mauristes qui se maintint jusqu'à la Révolution.
la Normandie, confié à des moines bénédictins. En 1023, le chantier de l'abbaye romane est lancé suivi, au xm• siècle, par celui de la Merveille. Passée l'épreuve de la guerre de Cent Ans qui entraîne la fortification du bourg né au pied du monastère, les pèlerinages reprennent dans une
Plusieurs centaines de détenus furent alors incarcérés au Mont transformé en prison. Après sa fermeture en 1863, les travaux de restauration du monastère débutèrent, prélude au retour des religieux. Aujourd'hui, au terme d'un long chantier, le rocher a enfin
C
Page de gauche Àl'arrière-plan, la construction du sanctuaire débute après l'apparition de l'archange à l'évêque Aubert. Guillaume Crétin, Chroniques françaises, M' siècle. Paris, BnF. ms. fr. 2819, folio Ill verso.
retrouvé son insularité.
La face orientale du rocher dépouillé de Tombelaine évoque la silhouette du Mont avant qu'il ne soit coiffé par le sanctuaire de l'archange.
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Le Mont-Sa i nt-Michel
la baie, le village et l'abbaye
LES ORIGINES DU ROCHER Le Mont-Saint-Michel se dresse au fond de la plus importante baie de France. Délimitée par les falaises de Champeaux du côté normand et par la pointe du Grouin du côté breton, la baie du Mont s'étend en effet sur 500 kilomètres carrés. Elle est constituée d'un socle rocheux composé de schistes vieux de 600 millions d'années. Ce substrat est dominé par trois cônes formés d'une roche intrusive connue sous le nom de « leucogranite », caractérisée par la prése nce de micas blancs : le mont Dol, l'îlot de Tombelaine et le MontSaint-Michel, le plus élevé des trois L'un des plus importants gisements paléolithiques français a été découvert dans la carrière établie au sud-est du mont Dol.
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avec 80 mètres d'altitude. Si la présence de l'homme est bien établie au pied du mont Dol où un important gisement paléolithique
a été découvert en 1867, on ignore à quand remonte la première occupation du Mont.Au néolithique, des établissements permanents prennent forme dans la région comme sur la butte de Lillemer découverte en 1995. Des monuments mégalithiques sont ensuite érigés autour de la baie. Le texte de la Revelatio ecc/esiae sancti Michaelis, rédigé par un clerc au 1x• siècle, première source de l'histoire mon toise, mention ne deux roches qui au sommet du Mont auraient pu appartenir à un tel édifice. Durant l'âge du fer, les Celtes qui s'établissent dans l'Hexagone s'installent le long du littoral. La baie fait partie de la zone d'influence des peuples abrincates à l'est, des Redones au sud et des Coriosolites établis à l'ouest. Le mont Dol aurait alors
Histoire du Mont
été consacré au grand dieu Taranis, maître du ciel et de l'orage. Après la conquête de la Gaule achevée en 51 avant J.-C., les colons romains occupent les oppidums aménagés par les Celtes. Ils donnent ainsi naissance à la cité de Legedia, future Avranches, et s'installent à Alet à l'origine de Saint-Servan. À cette époque, le Mont aurait reçu, d'après le moine Anastase de Venise, l'étrange nom de port d'Hercule tandis que le mont Dol était co nsacré à Jupite r. Ce dernier culte fut ensuite remplacé par cel ui du dieu perse Mithra. Deux tables d'a utel qui permettaient de lui offrir des sacrifices étaient encore visib les à la fin du XVIII' siècle. Au début du Moyen Âge, le MontSaint-Michel était connu sous le nom de mans tumba (tombe), terme qui pourrait provenir de la forme de tombeau du rocher ou de l'indo-européen tum désignant une éminence. L'évangélisation du Cotentin, entreprise au V' siècle, est poursuivie
au siècle suivant par Pair et Scubilion, deux moines à l'origine de quelquesuns des premiers monastères de la région. Les plus anciens oratoires chrétiens connus au Mont ont vraisemblablement été érigés pour servir de retraite aux membres de l'un de ces établissements. L'auteur de la
Revelatio rappelle qu'autrefois« des moines habitaient ce lieu où existent maintenant encore deux églises bâties par la main des anciens ». Le roman du Mont-Saint-Michel, rédigé au XII' siècle par le moine Guillaume de Saint-Pair, précise même que la première, située vers le haut du Mont, était dédiée à saint Étienne et que la seconde, située en bas, était consacrée à saint Symphorien. Les moines, qui vivaient dans un grand isolement, étaient ravitaillés par un prêtre d'Astériac, aujourd'hui Beauvoir, qui, averti par des signaux de fumée, envoyait vers eux un âne chargé de nourriture mené par « un guide invisible ».
De gauche à droite À proximité de Dol-de-Bretagne, le menhir de Champ-Dolent, haut de 9,30 m, est l'un des plus grands menhirs de France. Haut de 61 m, le tertre granitique du mont Dol a accueilli un certain nombre de cultes pré-chrétiens avant d'être consacré à l'ar~hange.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, l e village et l'abbaye
SAINT AUBERT ET LE CULTE DE SAINT MICHEL
Saint Michel ordonne à l'évêque Aubert de construire une chapelle en son honneur sur le mont Tombe. Avranches. Scriptorial, Cartufa,re du Mont-Saint-M,chef. "' siècle. ms. 210, fol. 4 verso.
Le récit si précieux de la Revelatio relate la fondation du culte de saint Michel sur le mont Tombe survenue en 708 sous le règne du roi mérovingien Childebert III. D'après son auteur, l'archange Michel serait apparu à trois reprises en songe à l'évêque d'Avranches Aubert pour lui
ordonner de construire une église au sommet du mont: « Dans un temps, comme le prélat de la susdite ville d'Avranches s'était livré au sommeil, il fut averti par une révélation angélique de construire au sommet du lieu précité un édifice en l'honneur de l'archange, afin que celui dont la vénérable commémoration était célébrée au mont Gargan fût célébré avec non moins de ferveur au milieu de la mer. » Après avoir différé deux fois les travaux,Aubert finit par rejoindre le rocher avec une foule de paysans pour préparer le terrain désigné par saint Michel. Un an plus tard, une petite église se dressait à quelques mètres à l'ouest du sommet. Arrondie en forme de crypte, cette chapelle capable d'accueillir une centaine de fidèles devait être la reproduction de l'oratoire italien du mont Gargan, premier grand sanctuaire michaélien d'Occident. C'est d'ailleurs là-bas, dans les Pouilles, que l'évêque fondateur envoya deux clercs pour aller chercher des gages de l'archange. Les émissaires revinrent au Mont le jour de la fête de la dédicace de l'église, le 16 octobre 709. Ce petit bâtiment allait progressivement faire du rocher l'un des plus importants sanctuaires dédiés à l'archange Michel de toute la chrétienté.
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Histoire du Mont
Saint Michel Les anges, du grec ange/os, messager, sont chargés de transmettre aux hommes les messages délivrés par Dieu. Un auteur néoplatonicien, le Pseudo-Denys l'Aréopagite, distingue une hiérarchie de neuf chœurs d'anges répartis en trois ordres. Michel appartient, comme Raphaël et Gabriel, au groupe des archanges. Saint Michel (de Mi Ka El en hébreu : « qui est comme Dieu 7 ») est le prince de l'armée des anges qui lutte contre les forces des ténèbres. Au chapitre XII de !'Apocalypse, il mène un combat céleste contre le dragon et les anges rebelles, finalement précipités dans l'abîme. La tradition médiévale fit également de l'archange un justicier. Au jour du jugement dernier, saint Michel, dans la lignée des divinités psychostases de !'Antiquité, doit assurer la pesée des âmes avant de mener celles des bienheureux vers le paradis Le culte de saint Michel commence véritablement à s'étendre au début du 1v' siècle à Byzance. Des rives du Bosphore, il gagne le mont Gargan à la fin du v• siècle. Développé par les Lombards, le « monte Sant'Angelo » devint le premier grand sanctuaire de saint Michel en Occident. Au v1' siècle, l'archange, après s'être manifesté au sommet du mausolée de l'empereur Hadrien, rebaptisé depuis château Saint-Ange, est honoré à Rome d'une église consacrée le 29 septembre. En France, la première église Saint-Michel est vraisemblablement élevée à Lyon au v1' siècle. À la fin du siècle suivant, l'évêque Ansoald de Poitiers fonde le monastère Saint-Michel-enl'Herm sur une île du golfe de Poitou. L'établissement préfigure l'oratoire normand fondé par l'évêque Aubert, désireux de créer un sanctuaire comparable à celui du mont Gargan. Les sanctuaires dédiés à l'archange Michel sont naturellement créés sur des éminences. Saint-Michel-d'Aiguilhe au Puy-en-Velay, la Sacra di San Michele dans le Piémont ou encore le Mont-Saint-Michel de Cornouailles sont les plus impressionnants. Quand cela s'avère impossible, c'est une chapelle haute qui est consacrée à l'archange comme à Tournus, Paray-le-Monial ou Vézelay.
Saint Michel terrassant le dragon et pesant les âmes. Statue en bois polychrome (xv' siècle) présentée à la croisée du transept de l'abbatiale du Mont.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
LA CRÉATION DE L'ABBAYE BÉNÉDICTINE Suite à la construction de la première église dédiée à l'archange sur le Mont, Aubert installa sur le rocher une petite communauté de douze clercs, sans doute des chanoines, pour desservir le sanctuaire et recevoir les pèlerins.
La fontaine Saint-Aubert et la chapelle Saint-Aubert construite au xv' siècle à l'ouest du rocher.
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Il leur offrit les terres de Genêts et de Huisnes pour subvenir à leurs besoins alimentaires, la source découverte par l'évêque au pied du rocher sur les indications de l'archange devant régler le problème de l'eau. En 867, Charles le Chauve, roi de Francie occidentale, cède le Cotentin et !'Avranchin à Salomon de Bretagne - à charge pour lui de protéger la
région contre les raids vikings. C'est le début de la courte période bretonne de l'histoire montoise. C'est aussi le moment où le premier pèlerin connu, un moine prénommé Bernard, gagne le sanctuaire de « saint Michel aux deux tombes » après être allé se recueillir à Rome, au montGarganetàJérusalem. En 911, à Saint-Clair-sur-Epte, le roi de France Charles le Simple cède au Norvégien Rollon les diocèses de Rouen et d'Évreux, donnant ainsi naissance au pays des hommes du Nord, la Normandie. Le début du x• siècle est également marqué par la destruction de l'église de l'évêque Aubert. Celle-ci est remplacée par la chapelle otre-Dame-sous-Terre dominée
Histoire du Mont
par un autre oratoire établi au som-
ancienne cellule, que la construction
met du rocher. En 933, Guillaume
d'une nouvelle église est lancée en
Longue Épée étend sa domination
1023 au sommet du rocher. Les tra-
sur le Cotentin et !'Avranchin, rat-
vaux devaient en outre permettre
tachant le Mont-Saint-Michel à la
d'accueillir le nombre grandissant
Normandie. Progressivement, les
des pèlerins à l'origine des chemins
abbayes normandes, éprouvées par
montais qui font alors leur appari-
le passage des Vikings, se redressent.
tion. Parallèlement à l'édification de
C'est dans le cadre de ce mouvement de restauration que le successeur de
l'abbatiale, les bâtiments du monas-
Guillaume Longue Épée, Richard l" , décide d'écarter les derniers cha-
tère roman voient progressivement le jour contre les flancs nord et ouest du sommet.
La plus ancienne image du Mont se trouve dans la broderie de Bayeux sans doute achevée en 1077. Elle présente l'abbatiale romane établie sur une plate-forme au sommet du rocher. © Ville de Bayeux.
Notre-Dame-sous-Terre, établie à l'emplacement de l'oratoire de l'évêque Aubert, est le seul vestige préroman du sanctuaire.
noines et de confier le sanctuaire aux moines bénédictins de Fontenelle, aujourd' hui Saint-Wandrille. En 965, l'abbé Maynard s'installe sur le rocher avec une nouvelle communauté de douze frères, fondation approuvée par le roi Lothaire en 966. Après l'an mil, l'abbaye compte une cinquantaine de membres. C'est pour les besoins de cette importante communauté mais aussi, sans doute, pour offrir un écrin prestigieux aux reliques de l'évêque Aubert, miraculeusement découvertes dans les combles d'une
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Le Mont-Saint-Michel
la baie. le village et l ' abbaye
LE XIIE SIÈCLE ET L'APOGÉE DU MONASTÈRE
Poitou. Ils possédaient également des domaines dans la région parisienne ainsi qu'en Angleterre et en Italie.
À l'époque romane, l'abbaye pros-
Mais, la médaille a un revers : tout au long du x1• siècle, les bénédictins montais sont confrontés à la mainmise du pouvoir temporel. Les ducs de Normandie désireux de contrôler le sanctuaire nomment eux-mêmes les abbés. Entre 1009 et 1085, seul Ranulphe de Bayeux semble avoir été
père grâce aux libéralités des ducs
Vision idéalisée de la fondation de l'abbaye bénédictine du Mont en présence du pape Jean XIII, du roi Lothaire et du duc Richard I". Avranches. Scriptorial. Cartulaire du Mont-Saint-M,che/, xir siècle. ms. 210. fol. 19.
de Normandie et des seigneurs du voisinage. Les donations accomplies par les nobles de passage finissent par constituer un patrimoine qui s'étend bien au-delà des limites du duché. Les moines reçurent ainsi des terres en Bretagne, en Anjou, dans le Maine, en Touraine et dans le
librement choisi par la communauté. Le chantier de l'abbaye romane et les crises parfois générées par la nomination des abbés n'empêchèrent pas les frères de se livrer à leurs activités spirituelles et intellectuelles. Les années qui vont de 1050 à 1080, correspondant à l'époque prospère du règne de Guillaume le Conquérant, sont même les plus productives de l'atelier de copie montais. Les livres réalisés par la suite atteindront rarement la qualité des manuscrits écrits et enluminés au XI' siècle. Au XII ' siècle, en dépit de la réforme grégorienne qui vise à rendre l'Église indépendante, les ducs-rois continuent de mettre en place leurs propres hommes pour diriger le monastère. Certains d'entre eux comme Roger II, ancien prieur de Jumièges, ou encore Bernard, arrivé du Bec-Hellouin, deviennent d'ailleurs de remarquables abbés.
À la mort de ce dernier, la communauté choisit l'un des siens. Furieux, Henri II Plantagenêt fait saisir les biens de l'abbaye et lui impose une forte amende. Après la disparition
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Histoire du Mont
Le bâtiment de l'hôtellerie érigé au x11• siècle et composé d'un cellier, d'un appartement pour les invités de marque et d'une infirmerie, s'est écroulé en 1818. Détail de la copie du plan-relief du MontSaint-Michel autrefois présentée dans l'abbaye.
de l'abbé Geoffroy, les moines tentent à nouveau d'élire leur supérieur. En
représailles, le duc fit expulser le nouvel abbé avant de créer une commission pour surveiller de près le turbulent monastère. La situation revient à la normale après la nomination de Robert de
qu'une façade à deux tours se dresse devant le portail de l'église. Auteur d'une célèbre chronique, Robert de Torigni aurait enfin enrichi la collection des manuscrits du Mont de 140 volumes. Le monastère, habité par 60 moines, reçut dès lors le beau nom de Cité des livres.
Découvertes en 1875, les sépultures de Robert de Torigni et de Martin de Furmendi ont été matérialisées en 1963 par deux pierres tombales sur la terrasse de l'Ouest.
Torigni, considéré comme le plus grand abbé du Mont, en 1154. Il emploie son abbatiat à récupérer les terres et les revenus de l'abbaye spoliés durant les décennies précédentes. Dans ce but, il commande un cartulaire réunissant les actes de donations fa ites au monastère qui reste l'une des sources les plus précieuses de l'histoire de l'abbaye. De nouveaux grands travaux sont entrepris : on construit l'hôtellerie et le logis abbatial au sud-ouest des premiers bâtiments romans t andis
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Le Mont- Sai nt -Mich e l
Élévation du mur nord de la Merveille (1212-1228) avant les travaux de restauration de l'édifice. Gravure tirée des Voyages pittoresques et romantiques de !'Ancienne France: anoenne Normandie, 1878. Collection Henry Decaëns
l a bai e. le vil l age et l ' abb aye
GENÈSE D'UNE MERVEILLE En 1204, Philippe Auguste entreprend d'annexer la Normandie, propriété du roi d'Angleterre. Une petite armée bretonne composée de 400 lances menée par Guy de Thouars lui vient en aide et tente en avril de s'emparer du Mont. N'y parvenant pas, les soldats incendient le bourg. Poussé par le vent, le feu dévaste l'un des bâtiments de l'abbaye érigé au nord du rocher au début du xu• siècle. Devenu maître du duché, le roi de France offre 20 000 livres tournois à la communauté pour qu'elle puisse remettre en état l'édifice endommagé. Par sa munificence, Philippe Auguste donne naissance à l'un des chefs -d'œuvre de l'art gothique
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frança is. Majestueusement dressé au nord du rocher, l'ouvrage, baptisé « Merveille » à la fin de l'Ancien Régime, a été réalisé rapidement prenant appui sur le rez-de-chaussée du bâtiment précédent. La construction des salles gothiques au deuxième et au troisième niveau a été menée entre 1212 et 1228 sous l'abbatiat de Raoul des Isles. Le troisième corps de bâtiment projeté plus à l'ouest ne vit malheureusement jamais le jour. Le cloître terminé, le chantier s'interrompt. L'abbé Richard Turstin entreprend ensuite un nouvel ensemble sur la seule pente du rocher restée disponible: la porterie surmontée, conformément à la tradition bénédictine, par le tribunal de l'abbaye connu sous le nom de « salle de Belle-Chaise ».
Histoire du Mont
UNE PÉRIODE HÉROÏQUE La guerre de Cent Ans débute en octobre 1337. En 1356, les Angla is sont à Tombelaine. Le dauphin Charles, alors duc de Normandie, confie la défense du Mont à l'abbé Nicolas Le Vitrier, épaulé par Bertrand Du Guesclin, capitaine du Mont-Saint-Michel etde Pontorson. La résistance s'organise. En 1360, avec le traité de Brétigny, la menace s'éloigne. Les abbés profitent de la trêve pour fortifier l'abbaye. Geoffroy de Servon entreprend la construction de l'impressionnant logis abbatial goth iqu e dans la continuité des
bâtiments de Richard Turstin au sud du rocher. Pierre le Roy, l'une des plus grandes figures du Mont, fait ériger la tour Claudine, la barbacane et le châtelet devant la porterie, ellemême aménagée pour accueillir des gardes logés dans la tour Perrine, adossée à la salle de Belle-Chaise. En 1415, la guerre reprend. Deux ans après Azincourt où la chevalerie française est décimée, la ormandie est occupée. Au Mont-Saint-Michel, unique place forte de la région restée fidèle au roi de France, on s'apprête à souten ir un siège. Des citernes sont aménagées pour remplacer les points d'eau vulnérables au pied du rocher.
La formidable silhouette du logis abbatial, construit au x,v' siècle pour les besoins des supérieurs du Mont, domine le flanc sud du rocher et les maisons du village.
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Le Mont-Saint-Michel
À droite Armoiries de l'abbé Robert Jolivet, responsable de l'édification des remparts poursuivis par Louis d'Estouteville, nommé , capitaine du Mont en 1425.
la baie. le village et l ' abbaye
Des remparts flanqués de nouvelles tours se dressent au-devant du village et de ses fragiles maisons à colombages. On peut toujours y voir les armoiries de l'abbé Robert Jolivet qui, jugeant la cause française perdue, choisit en 1420 de passer aux Anglais. Un an plus tard, le 20 septembre 1421, le chœur roman de l'abbatiale s'écroule. Mais le Mont tient bon et devient, à l'image de la pucelle
réédification de l'église. Le l" août
d'Orléans, un symbole de résistance.
1469, Louis XI, inspiré par l'ordre
L'une après l'autre, les tentatives
bourguignon de la Toison d'or, fonde
anglaises sont déjouées par une poi-
1434, menés par le capitaine Louis
à Amboise l'ordre de Saint-Michel réunissant autour de lui 36 chevaliers qui lui devaient une fidélité absolue. Venu à trois reprises en pèlerinage au
d'Estouteville, héros de l' histoire
Mont, il est également à l'origine des
gnée de chevaliers dont les noms sont restés gravés dans l'abbatiale. En
mon toise, ils s'illustrent en rejetant
premiers emprisonnements dans les
à la mer l'armée de sir Thomas Scales
logis abbatiaux romans.
pourtant dix fois plus nombreuse. La victoire de Formigny met, en 1450, un terme à la guerre dans la région trois ans avant la bataille finale de Castillon. Le Mont invaincu sort des
religieuse de François l" entraîne la
combats auréolé de gloire.
décadence des abbayes françaises. En
Nommé à la tête de l'abbaye en
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L'ABBAYE DANS LA TOURMENTE Au début du xv1• siècle, la politique
1516, le roi obtient du pape Léon X de
1445, le cardinal Guillaume d' Es -
pouvoir nommer lui-même les abbés.
touteville, archevêque de Rouen et
Religieux mais aussi parfois laïcs, choi-
frère du capitaine du Mont, décide de
sis parmi les grands du royaume, ces
reconstruire l'abbatiale. Finalement,
abbés« commendataires» perçoivent
seul le chœur fut édifié pour rempla-
les revenus de la maison qui leur a
cer l'ancien sanctuaire roman. De
été confiée. Le Mont-Saint-Michel
part et d'autre du chevet, les arcs-
n'échappe pas à la règle. Les abbés
boutants inachevés témoignent
n'y résident plus guère. Livrés à eux-
encore de l'arrêt de ce grand chantier.
mêmes, les frères se relâchent et
Les pèlerins reviennent, encouragés
adoptent un mode de vie très éloigné
par les indulgences accordées par le
des préceptes de saint Benoît. Une
Saint-Siège à ceux qui prennent le
ordonnance promulguée en 1575 pour
chemin du Mont et contribuent à la
rétablir la discipline rappelle que les
Histoire du Mont
chiens sont proscrits dans le monas-
tourmente des guerres de Religion, le
tère, qu'il est interdit de porter de la
rocher est alors aux mains des ligueurs.
dentelle au col et aux poignets, d'avoir
Les huguenots, maitres de Pontorson,
la barbe et les cheveux longs, et qu'il
essaient en vain de s'en emparer. En
est strictement défendu de s'injurier
1591, une petite troupe pénètre pour-
et de jurer le nom de Dieu ! En 1588,
tant dans l'abbaye. Trahis au dernier
sous l'abbatiat malheureux du cardi-
moment, les assaillants furent passés
nal de Joyeuse, la commun auté est
par le fil de l'épée alors qu'ils arrivaient
réduite à 13 moines. Plongé dans la
dans le cellier de la Merveille.
Cette miniature des Très Riches Heures du duc de Berry est l'une des très rares images à montrer l'ensemble de l'abbatiale romane et le village avant l'édification des remparts ceinturant les maisons construites à la base du rocher. Chantilly, musée Condé, ms. 65, fol.195.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie. le village et l'abbaye
devient la salle à manger communautaire reliée au niveau supérieur par un nouvel escalier. En 1776, un incendie éclate dans l'église abbatiale. Après le sinistre, les moines abattent près de la moitié de la nef et les deux tiers du dortoir voisin fragilisés par les flammes, donnant
Rebaptisé petit et grand exil, l'ancien logis abbatial transformé pour accueillir des détenus à la fin de l'ancien régime devint sous Louis-Philippe le quartier des prisonniers politiques.
Page de droite Façade de l'abbatiale réalisée après l'incendie de 1776.
LA RÉFORME DES FRÈRES MAURISTES En 1615, à la mort de François de Joyeuse, le monastère revint à Henri de Lorraine, futur duc de Guise, alors âgé de 16 mois. L'abbaye est confiée à Pierre de Bérulle, supérieur général de la société de l'Oratoire, qui désire en faire une résidence de l'ordre. En définitive, c'est la congrégation bénédictine de Saint-Maur fondée en 1621 et dirigée par l'abbaye de SaintGermain-des-Prés qui fut chargée de réformer la vie conventuelle. Douze frères mauristes s'installent au Mont le 27 octobre 1622. Placés sous la direction d'un prieur élu pour trois ans, ils entreprennent de réaménager les salles médiévales à leur convenance. Le beau réfectoire de la Merveille est divisé en trois par deux planchers permettant la création de deux niveaux de cellules individuelles. Le dortoir est transformé en salle d'études. La salle des Hôtes
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naissance à l'ac tuelle terrasse de l'ouest. Orientée vers la prière et les travaux de l'esprit, la communauté est notamment à l'origine des premières monographies historiques consacrées au Mont. Ces documents sont d'autant plus précieux que les archives utilisées par les moines ont disparu dans le bombardement de Saint-Lô en juin 1944. Les frères étaient également chargés des détenus enfermés à l'abbaye devenue sous le règne de Louis XIV une annexe de la Bastille. De 1666 à 1789, la « Bastille des mers» accueillit 153 détenus emprisonn és sur lettre de cachet. Leur traitement, à en croire le témoignage laissé en 1786 par le commissaire chargé de les visiter, était plutôt agréable. Certaines cellules sont pourvues de cheminées et de couchettes assez confortables. Les repas arrosés de vin de Bordeaux sont copieux, comprenant régulièrement rôti ou volaille. Enfin, certains prisonniers sont libres d'aller dans le village, à condition, bien sûr, de remonter le soir dans leur geôle.
Le Mon t-S a i n t-Michel
De gauche à droite Porte des cachots romans (xn• siècle) connus sous le nom de Jumeaux, numérotés 3 et 4 au xrx• siècle. Aménagé sous Charles X, comme le rappelle l'obélisque visible sur la droite, le chemin de ronde des Fanils servait d'accès la maison de force et de correction du Mont.
la bai e. le vill a ge e t l' ab b ay e
L'ABBAYE
TRANSFORMÉE EN PRISON Lorsque la Révolution française éclate, l'abbaye ne compte plus que douze frères. L'abolition des vœux monastiques et la suppression des ordres religieux entraînent le départ de certains moines en Angleterre. D'autres préfèrent prêter serment à la constitution civile du clergé élaborée au cours de l'été 1790. Trois ans plus tard, durant la Terreur, l'abbaye privée de ses occupants et de ses biens est transformée en prison pour les prêtres réfractaires des départements voisins. En 1794, ils sont près de 600 à y être enfermés. Libérés après la chute de Robespierre, les religieux furent remplacés par des Chouans et des détenus de droit commun. En 1811, un décret impérial fait de l'abbaye une maison centrale pour les détenus du département de la
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Manche condamnés à des peines de longue durée, transformée, en 1817, en « maison de force et de correction pour les prisonniers des deux sexes » . Cinq cents à six cents prisonniers y furent enfermés. Certains lieux durent être remaniés pour les accueillir. Le quartier des femmes fut aménagé dans l'ancienne hôtellerie. Pour gagner de la place, la nef de l'abbatiale désaffectée est divisée en deux par un plancher. Le rez-de-chaussée servait de réfectoire pour les détenus qui concevaient des chapeaux de paille à l'étage supérieur. Les chapelles rayonnantes du chœur furent transformées en ateliers de cordonnerie tandis que la salle des Hôtes et le scriptorium de la Merveille étaient consacrés à la filature et à la confection. Enfin, pour treuiller plus facilement la paille, le cuir, le coton, le lin mais aussi les victuailles destinées aux prisonniers, l'administration pénitentiaire installa la cage
Histoire du Mont
LA RESTAURATION DU CULTE ... Des personnalités soucieuses du sort de la commune suggèrent alors d'installer dans le monastère « soit une colonie pénitentiaire de jeunes détenus ou bien une colonie agricole de condamnés cho isis parmi les hommes de la campagne ». Ces hommes auraient ainsi pu participer aux travaux de poldérisation de la baie récemment entrepris. Le conseil général de la Manche pro-
À gauche La statue de l'archange réalisée par le sculpteur Alexandre Chertier pour l'abbatiale (aujourd'hui dans l'église paroissiale) rappelle la reprise des pèlerinages après la fermeture de la prison.
pose d'ouvrir dans l'abbaye un musée du Moyen-Âge. L'écrivain Édouard Le Héricher envisage la créatio n d'une « maison de refuge pour les vieux prêtres de la Bretagne et de la Normandie, l' hôtel des Invalides à écureuil, toujours visible dans le vieux cimetière des moines. Sous le règne de Louis-Philippe, les anciens logis abbatiaux abritent un quartier réservé aux prisonniers politiques condamnés à la nouvelle
du clergé ... ». Monseigneur Bravard, évêque de Coutances et d'Avranches, persuadé que le Mont ne pouvait « servir qu'à la destination pour
laquelle il avait été choisi », obtint finalement de louer une partie de l'abbaye le 31 mars 1865. Encore fallait-il trouver des candidats pour l'oc-
peine de détention en forteresse. De 1832 à 1836, 77 détenus républicains et légitimistes y sont enfermés. Mais c'est après l'insurrection parisienne du 12 mai 1839 que le Mont accueille ses plus illustres prisonniers : Armand Barbès, condamné à la prison à vie et aux travaux forcés, et
cuper! Les bénédictins de Solesmes puis les trappistes refusèrent de s'y installer, invoquant respectivement l'insalubrité des bâtiments et le manque de terres cultivables. Au bout du compte, le monastère échut
Louis-Auguste Blanqui, condam né à
en 1867 à 8 membres de la congré-
la déportation, y sont retenus jusqu'à leur transfert en 1844.
gati on de Saint Edme de Pontigny (Yonne) qui relancèrent les pèlerinages. L'ancienne abbaye bénédic-
En octobre 1863, Napoléon III décide de fermer la prison du Mont au grand dam des villageois qui subsistaient en partie grâce à elle.
tine accueillit égale ment une école des arts et métiers, puis une école apostolique chargée de former de
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
faciliter les restaurations et de développer l'ouverture au public assurée dès 1883. Néanmoins, l' impulsion était donnée qui allait conduire au rétablissement définitif du culte dans l'abbatiale en 1922 .
... ET DES BÂTIMENTS Au x1x• siècle, l'abbaye était dans un état préoccupant. Son affectation pénitentiaire l'avait, certes, sauvée d'une destruction survenue dans d'autres monastères après la Révolution. Mais ses bâtiments, notamment l'abbatiale frappée par un ultime incendie en 1834, nécessitaient un e intervention urgente. L'architecte des monuments historiques Édouard Corroyer, élève de Viollet-le-Duc, fut dépêché sur place en 1872 pour faire un état des lieux qui aboutit au classement de l'abbaye en avril 1874. L'année suivante, l'architecte proposait un projet aussi ambitieux que fantaisiste
L'aiguille de bois
et de cuivre de l'architecte Victor Petitgrand, achevée en 1897, a donné au Mont sa silhouette définitive.
jeunes clercs aspirant au sacerdoce. Monseigneur Brava rd autorisa enfin l'installation d'un orphelin at dans le bâtiment des Fanils où logeaient auparavant les gardiens de la prison. Ce renouveau fut de courte durée. En 1886, les pères de Saint-Edme, dont le bail n'avait pas été renouvelé, durent s'installer dans le village. Le ministère de !'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes reprit possession de l'abbaye afin de
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comprenant la remise en état des remparts et la reconstruction de l'ensemble des bâtiments disparus dans l'abbaye. Corroyer eut le temps de réaliser les créneaux qui surmontent la Merveille, d'assurer l'étanchéité de la terrasse de l'ouest, de reconstruire le cloître et d'entreprendre le rétablissement du réfectoire avant d'être relevé de ses fo nctions en raison de ses mauvaises relations avec les Montois. Victor Petitgrand, qui lui succède en 1888, achève les travaux du réfectoire. Mais il est surtout connu pour avoir donné au Mont sa
Histoire du Mont
silhouette définitive en entreprenant
dans le tourisme naissant, ouvrant
la construction du clocher néo-roman
un magasin de souvenirs, un restau-
de l'abbatiale surmonté d'une flèche
rant ou une auberge. De véritables
néo-gothique dominée par l'archange
dynasties apparurent succédant aux
d'Emmanuel Frémiet. Paul Gout,
marchands d'images et aux taver-
actif de 1898 à 1923, se distingue de
niers du Moyen Âge: Ride!, Piquerel,
ses prédécesseurs par l'étendue et
Pitois, Le Cardonnel, Duval et, bien
Je caractère plus scientifique de ses
sûr, Poulard. La Belle Époque est
travaux. Nous lui devons notamment
également marquée par l'arrivée du chemin de fer au pied du Mont. La
la restauration de l'abbatiale ains i que de nombreux travaux dans Je
ligne venant de Pontorson est inau-
village où bombardes, remparts et
gurée en 1901. Elle permet bientôt à
église paroissiale sont tour à tour
100 000 curieux de visiter ce que l'on
classés. Parmi les six architectes qui
appelle maintenant la « Merveille de
lui ont succédé, il faut mentionner le travail remarquable d'Yves-Marie
l'Occident ». La voie ferrée reste en
Froidevaux, actif entre 1957 et 1983.
usage jusqu'à l'Occupation qui vit une petite garnison allemande s'installer
Affiche des chemins de fer de l'État par Léon Constant Duval vers 1930. ©DR.
Il accomplit en particulier Je dégagement spectaculaire de l'église NotreDame-sous-Terre, la restauration du cloître et nombre d'aménagements réalisés pour r endre possible Je retour d'une communauté. François Janneau a récemment entrepris de consolider les remparts du village en vue du rétablissement du caractère maritime du Mont.
L'AvÈNEMENT DU TOURISME Dans Je bourg, la période critique qui suivit la fermeture de la prison n e dura pas lon gt emps. Avec la construction de la digue-route insubmersible réalisée par les Ponts-etChaussées en 1878-1879, les villageois obtenaient un accès sûr et permanent que pèlerins et visiteurs n'allaient pas tarder à empru nter. Dès lors, les familles mon toises se reconvertirent
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
l Depuis juin 2001, les fraternités monastiques de Jérusalem, relayant la communauté précédente, assurent une présence spirituelle à l'abbaye.
sur le Mont. Le rocher fut libéré à l'issue de la percée d'Avranches, prise le 30 juillet 1944. Une fois la guerre terminée, le tourisme reprend
Bruno de Senneville, venu du BecHellouin, obtint en 1969 de pouvoir y résider afin d'y assurer une présence religieuse permanente. Il fut bientôt
progressivement. Dans les années 1960, 600 000 visiteurs découvrent le site, cette fois-ci en voiture ou en
rejoint par des frères puis par des sœurs. La communauté, qui compte
car. Le préfet de la Manche autorise alors l'aménagement d'un parking au pied des remparts pour que les participants aux fêtes du millénaire de l'abbaye puissent venir au plus près du village.
LE MILLÉNAIRE DE L'ABBAYE ET LE RETOUR DES MOINES Durant ces festivités orchestrées par le père Riquet, une communauté de moines de plusieurs nationalités fit revivre l'abbaye. L'un d'eux, le père
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8 membres dans les années 1980, réside dans le logis abbatial pourvu de quelques cellules destinées aux laïcs désireux d'y faire retraite. En 2001, les trois derniers religieux quittent l'abbaye au terme du bail passé entre l'État, propriétaire des murs, et le diocèse de Coutances. Une nouvelle convention ayant finalement été arrêtée, monseigneur Fihey propose aux fraternités monastiques de Jérusalem de venir à leur tour s'établir au Mont-Saint-Michel. Aujourd'hui, 4 frères et 7 sœ urs prient et accueillent les fidèles dans l'abbaye.
LA RENAISSANCE DE L'ÎLE
murailles ... Le 14janvierl884, Victor Hugo écrivait : « Le Mont-Saint-
La digue-route menant au Mont devait également empêcher le Couesnon de divaguer et faciliter la création des polders à proximité du rocher. Débutant au lieu-dit La
Michel est pour la France ce que la Grande Pyramide est pour l'Égypte. Il faut le préserver de toute mutilation. Il faut que le Mont-Saint-Michel reste
Caserne, cette digue de pierre et de tangue décrivait une large boucle avant de rejoindre 2 kilomètres plus loin les remparts du Mo nt, contre lesque ls elle fut malencontreusement arrimée.
siècle, les travaux lancés en avril 1995 se sont achevés en mai 2015. Après la création d'un nouveau « barrage » à l'extrémité du Couesnon, le parking situé au pied du Mont et l'ancienne digue-route ont été remplacés par
Dès sa conception, cet ouvrage fut vivement critiqué. On lui reprocha de mettre un terme à l'insularité du rocher, d'aggraver le problème de l'ensablement en empêchant la circulation des eaux, de constituer un risque pour la conservation des
une nouvelle aire de stationnement et par un pont permettant à la mer de contourner totalement l'îlot. En partie débarrassé des ouvrages qui le défiguraient, le Mont retrouve enfin, à l'occasion des grandes marées, son
La digue-route construite en 1878-1879, visible à droite, a laissé place à une passerelle permettant à la marée de contourner totalement le monument quand la hauteur d'eau atteint 13 mètres (coefficients 110 à 120).
une île ... » Réclamés depuis plus d'un
caractère insulaire.
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La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale 'où que l'on vienne, le Mont-
archipel sauvage, petits villages
Saint-Michel, principal point
perdus dans le bocage, longue grève
de mire de la région, attire irrésis-
déserte, hautes falaises de granit,
tiblement le regard. Mais une fois parvenu sur la terrasse de l'Ouest,
rochers déchiquetés battus par les vents, vieilles salines abandonnées,
devant l'abbatiale, c'est le paysage
po lders, prés-salés, bouchots ou
D
exceptionnel de la baie qui s'impose
parcs à huîtres, telle est la baie du
à son tour. Grands ports de pêche
Mont-Saint-Michel immense, riche
ou repaires de corsaires intrépides,
et souvent surprenante.
iles Chausey
Pointe du Roc
BAIE DU MONT-SA/NT-MICHEL
Page de gauche Au départ du bec d'Andaine, il faut une heure trente pour parcourir tranquillement les 6 km qui mènent jusqu'au Mont.
La baie du Mont-Saint-Michel.
Le Mont-Saint-Michel
Adroite Construit en granit de Chausey sur des plans d'Augustin Fresnel, le phare du cap Lihou, mis en service en 1828, porte à 43 km.
la baie. le village et l'abbaye
GRANVILLE Aux portes de la baie, Granville est véritablement née durant la guerre de Cent Ans. En 1439, Thomas Scales crée une citadelle sur le rocher de Lihou pour conquérir le Mont-SaintMichel. Mais ses défenseurs, menés par Louis d'Estouteville, parviennent à s'en emparer en 1442. Charles VII poursuit les travaux de fortificatio n de la place et accorde des exemp-
Le bassin à flot du port de Granville et, à l'arrière plan, le roc dominé par l'église Notre-Dame.
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tions fiscales à ceux qui voudraient s'y établir. Granville devient après la découverte de Terre-Neuve l'un des plus grands ports morutiers français. Mais les marins de Granville participent aussi volontiers à la guerre de course contre les navires britanniques. Georges -René Fléville Le Pelley, honoré d'une statue dans la
haute ville, fut l'un des plus fa meux corsaires normands. Au x1x• siècle, la ville devient une station balnéaire en vogue, reliée à Paris par le train en
La baie du Mont-Saint-Michel. de Granville à Cancale
1870. La villa des Rhumbs, maison d'enfance de Christian Dior, transformée depuis en musée consacré au
;
couturier, ou le bâtiment du Casino sur la plage du Plat Gousset ourlée de cabines de bain en témoignent encore. Premier port coquiller de France, Granville possède aussi un important port de plaisance. La rue Saint-Jean et la rue NotreDame, principales artè res de la vi lle haute, sont bordées de belles demeures, propriétés des seigneurs et des armateurs granvillais. Le musée du Vieux Granville et l'église Notre-Dame du Cap-Lih ou, érigée pour l'essentiel entre le XV" et le xvn e, méritent également une visite. Au-delà, le quartier occupé par quatre anciennes casernes mène vers le phare de la pointe du Roc entouré de nombreux bunkers. Par beau temps, la vue porte ici jusqu'au cap Fréhel et Jersey.
Le dernier terre-neuvier Marité est le dernier témoin français de la flotte des goélettes en bois utilisées pour pêcher la morue à Terre-Neuve. Lancée le 24 juin
entame une vie de bateau de plai-
1923 à Fécamp, elle accomplit six
sance sous pavillon suédois. Rachetée
campagnes sur le grand banc avant
en 2004, Mari té rejoint Rouen avant de faire le tour de France pour le
d'être cédée à un armateur danois qui l'envoie pêcher entre l'Islande et le
magazine Thalassa. Après de lourds
Groenland. Reconvertie en caboteur
travaux de restauration, elle rejoint
après la Seconde Guerre mondiale, Marité finit abandonnée dans un fjord des Féroé où des passionnés la repèrent. Totalement restaurée, ell e
Depuis 2011, Granville est le port d'attache du Marité. Ce trois-mâts goélette est le dernier des terre-neuviers en bois français.
Granville en mai 2011. Il est possible de visiter le navire à quai. Mais l'idéal est d'embarquer pour une journée à la voile au large des îles Chausey.
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Mis en service en 1847, le phare de Chausey domine les quelques résidences établies sur la pointe sud-est de l'île à l'entrée du chenal du Sound.
LES ÎLES CHAUSEY Une bonne demi-heure de traversée depuis Granville et vous voilà dans le chenal du Sound au milieu d'un archipel de 52 îles parmi les plus sauvages d'Europe. En 1022, le duc Richard II les offrit aux moines du Mont qui en firent leur carrière de pierre. Chausey, qui constitue aujourd'hui un quartier maritime de Granville, est composé d'une île principale longue de 1,5 kilomètre où se trouvent la majorité des habitations. Autour, une multitude d'îlots et d'écueils granitiques se dévoilent ou disparaissent au rythme des marées qui sont ici particulièrement impressionnantes. Le marnage est de 14 mètres ! À Chausey, oncirculeexclusivementàpied. Une fois à terre, la route monte à l'hôtel
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pyramidale servaient à partager équitablement la baie entre les pêcheurs d'huîtres cancalais et granvillais. Sur la droite, la forteresse, construite sous Napoléon III, servit de prison durant la Première Guerre. Quelques familles y résident près du phare, qui abrite le groupe électrogène produisant l'électricité de l'île. L'eau potable, quant à elle, arrive par bateau. Sur la gauche, un petit chemin s'échappe entre les jolies maisons blanches, vertes et grises qui dominent le Sound avant de rejoindre au sud la plage de Port Marie. De retour sur le chemin principal, en passant devant l'ancienne école, on entre dans la partie privée de l'île. La pro-
du Fort et des Îles avec son beau jardin en pente douce sur la mer.
menade est autorisée à condition de respecter la plus grande discrétion. À ce prix, il est possible de voir la belle maison du peintre Marin-Marie, la petite chapelle de l'île et le
Derrière, deux structures conique et
village de poupées des Blainvillais
La baie du Mont-Saint-Michel. de Granville à Cancale
La « maison Marin » était la propriété de Marin Marie, peintre officiel de la marine. Amoureux de l'archipel, il y possédait un atelier donnant sur le Sound.
jadis habité par des pêcheurs de Varech. Passé l'ancienne ferme puis le château où Louis Renault venait se ressourcer, la grande île se fait pl us sauvage. Les plages de port
Homard et de la Grande Grève hérissée d'étonnantes format ions rocheuses so nt dominées par la colline du sémaphore, point culminant de l'archipel.
Plage de Port-Marie au sud de la Grande Île.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbay e
les fa laises de Champeaux surplombent la baie du Mont-SaintMichel de près de 80 mètres. Elles offrent un spectacle exceptionnel, notamment en fin d'après-midi à marée montante quand les grèves disparaissent, progressivement avalées par le flot, et que la silhouette des rochers du Mont et de Tombelaine se profile en contrejour. Les falaises, parcourues par la
Le chemin de grande randonnée n' 223 et la cabane Vauban de Carolles.
LES FALAISES DE CHAMPEAUX ET SAINTJEAN-LE-THOMAS
Plage Saint-Michel à Saint-Jean-le-Thomas.
Au sud des jolies stations balnéaires de Saint-Pair, Jullouville et Carolles,
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départementale 911, qui permet de profiter de ce qu'Édouard Herriot appelait le « plus beau kilomètre de France », le sont aussi par le GR 223 qui fait le tour du Cote ntin. Ce sentier de toute beauté mène notamment aux « cabanes Vauban » de Carolles ou de Champeaux.
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
Ces maisons, commandées par le commissaire général des fortifications de Louis XIV, servirent de postes aux gardes-côtes choisis parmi les villageois des bourgs voisins pour assurer le « guet de mer ». Désaffectées en 1815, elles furent alors utilisées par les douaniers, qui pouvaient s'y abriter. Blottie au sud des falaises, la station balnéaire de Saint-Jean-le-Thomas reçut pour la douceur de son climat le surnom de « Petite Nice ». La cité offerte au x• siècle par Gui llaume Longue-Épée aux moines du Mont
L'église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-le Thomas.
se nommait autrefois Saint-Jean-duBout-de-la-Mer avant de prendre au xn• siècle le nom de Thomas, se igneur de Saint-Jean. Son château a aujourd'hui disparu. En revanche, l'ancienne église paroissiale dont le chœur est préroman a subsisté. On peut y découvrir des fragments de peintures murales du xr• siècle. Du 19 août au 29 septembre 1944, Dwight D. Eisenhower, commandant suprême
des forces alliées, établit son quartier général dans la villa Montgomery située à flanc de coteau. À marée basse, nombreux sont les pêcheurs qui viennent à Saint-Jean pousser leur dranet en quête de crevettes grises. Ils sont les lointains successeurs des hommes qui, dès l'âge du bronze, ont établi des pêcheries fixes composées de pieux et de clayonnages devant les plages de Pignochet et de SaintMichel. Découvertes en 1972, ces
Formation et ensablement de la baie La baie du Mont-Saint-Michel est composée d'un socle de schiste couvert d'une épaisse couche de sédiment gris clair, la tangue, particulièrement riche en calcaire. Sa formation a débuté à l'issue de la dernière période glaciaire. La fonte des glaces consécutive au réchauffement de l'atmosphère donne alors naissance à la Manche, qui progressivement pénètre entre la pointe du Grouin à l'ouest et les falaises de Champeaux à l'est Suite à des transgressions marines successives, la mer finit par isoler les rochers de Tombelaine, du Mont-Saint-Michel et du mont Dol Jusqu'à baigner les massifs granitiques situés tout autour de la baie, qui connut alors sa plus grande extension. Mais depuis sa formation, la baie se comble peu à peu Deux fois par jour, à marée montante, le flot apporte des sédiments supplémentaires qui au moment de l'étale se déposent sur le fond. À marée descendante, le jusant, moins puissant que le flot, n'en remporte qu'une portion vers le large. Une partie du sable reste donc sur place, progressivement fixée par des plantes pionnières Chaque année, 700 000 mètres cubes de sédiments s'accumulent ainsi dans la baie.
installations ont depuis été datées des environs de 2000 avant J. -C.
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Le Mont-Saint-Michel
Ci-dessus Le Mont-Saint-Michel en partie caché derrière les belles dunes de Dragey. Àdroite. de haut en bas Notre-Dame de Genêts. Chœur de Notre-Dame de Genêts.
la b aie, le villag e e t l'abbaye
GENÊTS ET LE BEC D'ANDAINE Passé les belles dunes de Dragey, où l'on entraîne de nombreux chevaux de course, on arrive au bourg de Genêts. Au Moyen Âge, le village était le port du Mont: des caboteurs venaient y décharger les vivres et les matériaux qui lui étaient destinés. Genêts était également l'un des domaines les plus prospères du monastère qui exploitait des vignobles sur les terres voisines de Dragey et de Brion. Cadre d'une importante foire, c'est également à Genêts que les miquelots se regroupaient avant de s'élancer dans les grèves. Aujourd'hui encore, des
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guides passionnés perpétuent cette
des plus belles de la région. Les abbés
tradition en proposant aux amateurs
du Mont créèrent à proximité un
de traverser la baie au départ du bec
prieuré qui devint progressivement
d'Andaine.
leur « résidence d'été»: le manoir de
L'abbaye du Mont possédait à
Brion. La majeure partie de l'édifice
Genêts un prieuré établi au XI' siècle.
actuel remonte à l'abbatial de Jean de
Au xn• siècle, un Hôtel-Dieu y fut
Lamps (1513-1523). Ce petit château
construit pour l'accueil des pèlerins.
où François l " fit la connaissance
Robert de Torigni y fit également bâtir
de Jacques Cartier propose quatre
l'église Notre-Dame, qui reste l'une
chambres durant la belle saison.
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
Les chemins du paradis Peu après la création de la première chapelle dédiée à l'archange sur le Mont, des pèlerins vinrent prier au sommet du rocher et confier le salut de leur âme à celui qui, au moment du jugement dernier, se chargerait de les mener vers Dieu. Surnommés « miquelots », ils vont progressivement donner naissance à des itinéraires convergeant vers le sanctuaire comme les rainures des coques ramassées dans la baie et devenues leur symbole Au début de l'époque romane, les chemins montais, également appelés« chemins du paradis », sont définitivement fixés. Chaque route est jalonnée de structures d'accueil disposées à un jour de marche de l'étape suivante. Les itinéraires du nord et de l'est se rejoignaient à Genêts. Là, les miquelots attendaient que la mer s'efface et laisse le passage libre comme elle le fit en Égypte pour Moise. Le pèlerinage du Mont et la traversée des grèves possédaient une dimension profondément symbolique •ils préfiguraient sur la terre le parcours semé d'embûches suivi par les âmes pieuses en route vers la Jérusalem céleste. Depuis 1998. l'association« Les Chemins du Mont-Saint-Michel» s'emploie à rétablir les anciens chemins montais.
La traversée de la baie à pied est la plus belle façon d'approcher le Mont.
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Le Mont-Saint - Michel
la baie, le village et l'abbaye
SAINT-LÉONARD ETLAPOINTE DU GROUIN DU SUD Situé sur une colline descendant en pente douce vers les grèves, le bourg de Saint-Léonard est l'un des plus pittoresques de la baie. Les maisons du village sont groupées autour d'un prieuré fondé en 1087 par Guillaume le Conquérant et dépen· dant de l'abbaye Saint-Étienne de Le prieuré de Saint-Léonard. L'église est une propriété privée mais le chœur est parfois ouvert à la visite.
Caen. En contrebas, près du lieu-dit Le Grand Port, la maison de la Baie, installée dans une longère, présente de manière pédagogique la faune, la flore, la pêche à pied et l'activité des anciens sauniers de la baie qui ont définitivement cessé leur activité en 1865. De Saint-Léonard, on peut facilement gagner le Grouin du Sud où la vue sur le Mont-Saint-Michel est admirable. Petit éperon rocheux de quelques mètres de haut entouré
Le bel écomusée de la baie du Mont-Saint-Michel à Vains-Saint-Léonard est notamment consacré à la pêche à pied et à l'exploitation des salines.
par des champs et des pâturages, le Grouin domine le cours de la Sée et de la Sélune qui confluent à ses pieds. Lors de la marée montante, c'est le lieu idéal pour observer l'approche du mascaret qui remonte le courant des fleuves côtiers. Durant les grandes marées, quand le vent souffle, il constitue un véritable petit mur d'eau d'une cinquantaine de centimètres de hauteur balayant tout sur son passage.
La pointe du Grouin du Sud.
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Marées et dangers de la baie La baie du Mont-Saint-Michel est le théâtre des plus fortes marées d'Europe. Provoquée par l'attraction de la Lune et du Soleil sur la masse liquide qui entoure la planète. la marée connaît ici une amplitude exceptionnelle de l'ordre de 14 mètres. Au mois de mars et de septembre. lors des marées d'équinoxe. qui sont les plus impressionnantes. la mer disparaît à l'horizon, découvrant un estran de près de 250 kilomètres carrés. À marée montante. le flot qui parcourt la baie. à la vitesse moyenne de 3,5 kilomètres à l'heure, finit par couvrir intégralement les grèves et les prés-salés encerclant le Mont. La baie du Mont-Saint-Michel est certes très belle. Mais elle est aussi dangereuse À marée basse, les lises. poches d'eau recouvertes de sable. sont autant de pièges pour les randonneurs imprudents. Le brouillard qui se lève rapidement dans la baie a entraîné la disparition de plus d'un pêcheur à pied. À marée montante. le flot fait également courir de graves dangers aux personnes restées dans la baie. Le flux est si puissant qu'il est pratiquement impossible de nager. La rencontre de courants contraires crée des tourbillons tels que la navigation elle-même est périlleuse. Les amateurs de marche se rapprocheront donc de l'association des « Chemins de la Baie » qui organise en toute sécurité de magnifiques traversées.
Le Mont-Saint-Michel vu de la pointe du Grouin du Sud au nord-ouest d'Avranches.
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La baie du Mont-Saint-Michel et les méandres de la Sée vus du jardin des plantes d'Avranches.
AVRANCHES
romaine reliant Rennes à Cherbourg.
haut de son promontoire, doit son
Aux temps mérovingiens, Avranches est le siège d'un évêché participant
nom aux Celtes abrincates qui avaient
Le crâne présumé de l'évêque Aubert découvert au début du xr' siècle au Mont est conservé dans le trésor de l'église Saint-Gervais d'Avranches.
40
et une place marchande sur la voie
Avranches, qui domine la baie du
créé ici un premier établissement. À l'époque gallo-romaine, la cité, rebap-
activement à l'évangélisatio n des
tisée « Legedia
par les no uveaux
Aubert est à l'origine du sanctuaire
venus devint une étape importante
du Mont-Saint-Michel. Au XI' siècle,
»
terres ale n tour. En 708, l'évêque
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
la construction de la cathédrale SaintAndré est entreprise sous l'épiscopat de Maugis. Avranches devint à cette époque l'un des grands foyers intellectuels européens animés par des théologiens comme Lanfranc de Pavie. Malheureusement, il ne reste rien de la « Belle Andrine » démolie après son effondrement partiel en 1796. On peut voir à son emplacement une dalle commémorant le jour où Henri II Plantagenêt vint expier le meurtre de Thomas Becket survenu dans la cathédrale de Canterbury.
Le scriptorial d'Avranches consacré aux manuscrits du Mont-Saint-Michel.
Occupée par les Anglais pendant la guerre de Cent Ans, prise par les
Les manuscrits du Mont-Saint-Michel
huguenots durant les guerres de Religion, Avranches fut secouée au XVII '
siècle par la Révolte des va-nu-
pieds, sauniers qui s'opposaient à la gabelle. La ville fut en grande partie détruite durant la Seconde Guerre mondiale. La percée d'Avranches accomplie par le général Patton permit de libérer la Bretagne mais aussi de prendre la Wehrmacht à revers et d'amorcer la reconquête du pays. Avranches abrite un véritable trésor: les manuscrits du Mont-Saint-Michel présentés au scriptorial ouvert en 2006 pour les accueillir à l'abri derrière les anciens remparts de la cité. Le musée d'Art et d'Histoire niché dans les anciens bâtiments de l'évêché et le beau Jardin des plantes méritent également une visite. Enfin, on ne peut quitter la ville sans avoir visité l'église Saint-Gervais où le crâne présumé de l'évêque Aubert est pré-
En 1791, les manuscrits saisis à l'abbaye du Mont ont été déposés à Avranches. Les moines avaient en premier lieu besoin de la Bible. Ils possédaient également des ouvrages liturgiques nécessaires au bon déroulement des offices et de la messe : évangéliaires. psautiers, graduels (chants). ordinaires (prières traditionnelles). cérémonials précisant le déroulement des fêtes. homiliaires pour les homélies. bénédictionnaires pour les bénédictions accordées par l'abbé... L'abbaye abritait également un grand nombre d'ouvrages patristiques dominés par saint Augustin. saint Grégoire le Grand, saint Jérôme. saint Ambroise et Origène. Écrits théologiques et hagiographiques étaient utiles à l'étude et à l'édification des membres de la communauté. On trouve également de nombreux livres profanes : écrits de Platon et surtout d'Aristote représenté à l'abbaye par trente et un de ses traités. Ceux de Virgile et de Cicéron permettaient l'apprentissage d'un latin pur et de la rhétorique inclus dans le cursus universitaire médiéval. Le Sic et Non de Pierre Abélard autorisait. entre autres textes. l'étude de la dialectique. Livres d'histoire antique, de géographie, traités d'astronomie et de musique, livres de droit, ouvrages médicaux côtoyaient enfin les oeuvres des moines du monastère: la fameuse Revelatio, le Commentaire du Cantique des Cantiques de Robert de Tombelaine, le Roman du Mont-Saint-Michel, la Chronique de Robert de Torigni et, enfin, le Cartulaire du Mont-Saint-Michel.
cieusement conservé.
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Le Mont-S aint-Michel
Le pont franchissant la Sélune à Pontaubault a joué un rôle stratégique de premier plan durant la Libération.
la baie, le village et l'abbaye
PONTAUBAULT, LA ROCHE-TORIN ET HUISNES-SUR-MER
à l'évolution du mascaret dans le cours
Le bourg de Pontaubault était un pas-
au pied d'Avranches. Roche-Tarin est
sage très fréquenté par les pèlerins
aussi un endroit idéal pour scruter les
bon point d'observation pour assister de la Sée et de la Sélune qui ondulent
arrivant du sud-est. Un beau pont
nombreux échassiers qui, en hiver,
du XV" siècle formé d'arches en plein
vienne nt à marée basse arpenter
cintre y enjambe encore la Sélune. Ce
le sable des grèves. Autrefois, une
pont est devenu célèbre au cours de
digue s'élançait de Roche-Tarin vers
la Seconde Guerre mondiale. Il fut
le Mont. Cet ouvrage qui avait ten-
laissé intact par l'armée allemande;
dance à aggraver le phénomène de
les soldats américains du général
l'ensablement au sud-est du rocher
Patton purent donc le franchir à
a été détruit en 1984.
l' issue de la percée d'Avranches. En 72 heures, plus de huit divisions l'empruntèrent, entreprenant notamment de libérer la Bretagne.
42
Les prés-salés Dans la baie, les dépôts séd imentaires laissés par la mer sont
Située à mi-chemin entre le Mont
progressivement colonisés par des
et la ville d'Avranches, la pointe de
plantes pionnières comm e la sali-
Roche-Tarin, dont le nom rappelle le
corne et la spartine de Townsend. Ces
socle de schiste, regarde vers le nord et
plantes halophiles (capables de résis-
la pointe du Grouin. Elle constitue un
ter à l'eau salée qui les submerge)
fixen t le sable avec leurs racines et donnent ainsi naissance aux herbus ou schorres. Pâturés, ces herbus deviennent des prés-salés. Comme leur nom l'indique, ces prairies naturelles situées entre les polders et la grève sont recouvertes lors des grandes marées. Les herbus pâturés sont riches en puccinellie maritime, un gazon très apprécié des moutons de prés-salés. L'élevage ovin dans les prés-salés de la baie est attesté depuis le XI' siècle. Les moines avaient le droit de brebiage, en vertu duquel ils pouvaient
identifiables à leur tête et à leurs chaussettes noires. Pour bénéficier de l'appellation d'origine protégée, les agneaux, nés durant l'hiver, doivent pâturer au moins soixante-dix jours dans la baie. Leur chair savoureuse est la principale spécialité gastronomique de la région.
Dans les prés-salés visibles autour du Mont les espèces les plus fréquentes sont la Spartine de Townsend, l'Obione pédonculée, la Salicorne, la Soude ou encore, comme ici, la Puccinellie maritime.
chaque a nnée prélever une brebis par troupeau. Les moutons de préssalés appartiennent à sept races différentes, notamment suffolk et roussin Après avoir pâturé seuls sur les prés-salés, les moutons rentrent en fin d'après-midi à la bergerie attirés par des granulés.
43
Le Mo nt - Saint-Michel
la baie. le village et l'abbaye
émouvant, les corps de nombreux soldats tombés dans l'ouest de la France ont été réunis. La terre d'Ardevon fut donnée aux religieux au début du xe siècle. Les moines y créèrent un important prieuré chargé de l'exploitation des
L'ossuaire allemand de Huisnes-sur-Mer.
HUISNES, ARDEVON, BEAUVOIR ET LE MOULIN DE MOIDREY En arrivant de Courtils, Huisnessur-Mer se présente à gauche sur une colline. On y trouve l'un des 22 cimetières all emands de la Seconde Guerre mondiale visibles dans l'Hexagone. Dans cet ossuaire
La grange dîmière du prieuré d'Ardevon. Sur les 22 prieurés crées par l'abbaye du Mont pour gérer ses terres, la moitié se trouvait autour de la baie et à Chausey, Jersey et Guernesey.
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domaines côtiers établis au sud du monastère. On peut encore y voir une magnifique grange dîmière du XIII' siècle et un manoir récemment restaurés. Ardevon se trouvait autrefois aux abords directs de la baie. En raison de l'ensablement, le village se situe aujourd'hui à quelques kilomètres de la côte. Au lieu-dit La Rive, il ne faut pas manquer l'atelier de Jean Laurette, un artisan bijoutier qui façonne des plombs de pèlerinage en tout point semblables à ceux que
les Montois vendaient au Moyen Âge.
Le village de Beauvoir, qui por-
Pontorson et du village de Moidrey
tait à l'origine le nom d'Astériac, est
était également établie sur la crête.
probablement d'origine monastique.
On l'appelle aujourd'hui la « route des Moulins»: l'un d'eux a été restauré,
Les premiers moines établis au Mont devaient appartenir à un monastère établi là au
VI'
siècle. Astériac, qui
fonctio nn e et est ouvert au pub li c durant la belle saison.
La route des moulins réserve de beaux points de vue sur la baie.
Le moulin de Moidrey est ouvert au public.
fut très tôt la propriété de l'abbaye du Mont, changea de nom au XV"
XI V"-
siècle en mémoire d'un prodige
survenu à ses abords. En approchant du Mont, une femme aveugle aurait miraculeusement retrouvé la vue au passage des reliques rapportées du mont Gargan. Dans sa joie, elle se serait exclamée:« Qu'il fait beau voir ! » L'ancien village se trouvait légèrement en hauteur sur la colline hors d'atteinte des grandes marées. La route des pèlerins venant de
45
Situé à trois kilomètres au nord du Mont, le rocher de Tombelaine était dominé à l'époque romane par une chapelle dédiée à la Vierge. Une tour en ruine, visible ici contre le flanc sud de l'îlot, rappelle la présence anglaise durant la guerre de Cent Ans.
TOMBELAINE Haut de 40 mètres, le rocher de Tombelaine situé plus près du large retrouve presque à chaque marée son caractère insulaire. Au XI ' siècle, il servit pour quelque temps de retraite aux frères Anastase de Venise et Robert de Tombelaine en rupture avec leur supérieur. En 1137, l'abbé Bernard du Bec y établit un prieuré desservi par trois moines et centré autour de l'église Notre -Dame de Tombelaine qui devint une étape fréquentée par les miquelots en marche vers le Mont. Durant la guerre de Cent Ans, les Anglais s'emparèrent à deux reprises du rocher. Ils y construisirent au XV' siècle une redoute qui servit pendant plusieurs
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années de point de départ à leurs assauts. Au XVII ' siècle, l'îlot devint la propriété de Nicolas Fouquet, qui fit restaurer la citadelle anglaise. Celle-ci fut finalement démantelée sur ordre de Louis XIV après l'emprisonnement du surintendant. Il ne reste sur place que quelques vestiges laissés par l'entrepreneur chargé de récupérer les pierres : la base d'une tour, une arche et des fondations enfouies sous les ronces. Le rocher de Tombelaine, qui faillit accuei llir un hôtel doublé d'un casino dans les années 1930 a été affecté au conservatoire du littoral. Pour respecter la quiétude des oiseaux qui y nichent, son ascension est déconseillée entre le 15 mars et le 3ljuillet.
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
Goélands, aigrettes garzettes, hérons gardes-bœufs, huîtriers-pie, tadornes de Belon, canards colverts nichent à Tombelaine en compagnie de nombreux passereaux. En bas En août 2013, 77 phoques veaux-marins, mais aussi 13 phoques gris ont été observés dans la baie.
La faune de la baie La baie du Mont est un site ornithologique majeur. En plus des effectifs permanents, des milliers d'oiseaux migrateurs font étape ou nichent dans les grèves en attendant le retour du printemps. La famille la mieux représentée est celle des limicoles. c'est-à-dire des échassiers pourvus d'un long bec qui parcourent la vase à la recherche de vers, de coquillages ou de crustacés. Courlis cendré, bécasseau variable, bécasseau maubèche, huîtrier pie, barge à queue rousse ou noire. pluvier argenté sont familiers des grèves comme la belle aigrette garzette. Le second groupe en importance est celui des anatidés, oiseaux de la famille des canards qui, à marée basse, pâturent dans les herbus. Les espèces les plus intéressantes sont les bernaches cravants venues de Sibérie, les tadornes de Belon et les macreuses noires. Mais la baie accueille aussi des canards siffleurs. des colverts et des sarcelles. Enfin. on trouve auprès du Mont plusieurs espèces d'oiseaux marins telles que les mouettes rieuses. les goélands argentés. bruns et marins et les cormorans. Parallèlement à son importante avifaune, la baie abrite une population de phoques veaux-marins et de grands dauphins. On peut observer ces derniers grâce aux sorties en mer organisées par l'association« Al Lark ».
47
Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
PONTORSON ET LES POLDERS Au Moyen Âge, Pontorson était une ville frontière. En 1031, Robert le Diable, duc de Normandie, demanda à l'un de ses capitaines, Orsan, de fonder un pont pour franchir le Couesnon. Ce pont défendu par des tours devint par la suite Je centre d'une petite ville fortifiée qui, tout naturellement, prit le nom de son fondateur. Guillaume Je Conquérant offrit l'église paroissiale en action de grâce après une périlleuse traversée du Couesnon représentée dans la broderie de Bayeux (cfp.13) . Le roi Henri II en fit présent aux religieux du Mont. Consacré à la Vierge, ce monument édifié au XII' et au XIII ' siècle est, avec son beau clocher en bâti ère et surtout son portail dominé par un grand arc flanqué de deux tours, l'un des plus originaux de la région. Pontorson peut s'enorgueillir d'avoir
Chevet de l'église Notre-Dame de Pontorson.
accueilli de célèbres personnages : Bertrand Du Guesclin fut capitaine de la ville, et le comte de Montgomery, seigneur de Ducey, converti à la Réforme après avoir blessé mortellement Je roi Henri II, y établit une base pour lancer ses raids dans la région. On peut d'ailleurs encore voir non loin de l'église Notre-Dame un ancien prêche protestant. Pontorson perdit ses remparts démolis sur ordre de Louis XIII à partir de 1623. Installé dans une ancienne grange, le prêche de Pontorson est le seul édifice protestant de la Manche antérieur à la révocation de l'édit de Nantes à avoir été conservé.
48
Les polders L'idée de transformer les prés-salés en terres cultivables remonte à l'époque romane. La digue de la duchesse Anne, sans doute entreprise au x1• siècle sous le duc Alain IV pour assécher les marais au nord du mont Dol, en témoigne. Au xv111• siècle, un programme de poldérisation plus ample est lancé sous la direction de Qui nette de La Hogue. Mais les digues ne résistent pas à l'assaut des marées ni au travail de sape des cours d'eau. Il faut attendre le x1x• siècle pour que la poldérisation systématique soit entreprise par la compagnie des Polders de l'Ouest. Après la canalisation du Couesnon indispensable aux travaux, les premières parcelles furent créées dans l'anse de Moidrey. La poldérisation se poursuivit ensuite vers le nord, donnant naissance à l'ouest du Couesnon à un paysage en damier, cloisonné par des levées de terre successives souvent fixées par des rangées de peupliers coupe-vent Les derniers polders ont été réalisés dans l'entre-deux-guerres. On y cultive aujourd'hui des céréales et de nombreuses plantes maraîchères qui profitent de la richesse de la tangue en oligo-éléments. Une visite à la maison des Polders ouverte en 2010 aux Quatre-Salines s'impose.
Le Mont vu depuis les polders de Saincey.
La maison des Polders aux Quatre Salines.
49
Le Mont-Saint-Michel
À droite
Nef de la cathédrale Saint-Samson de Dol-de-Bretagne.
la baie, le village et l'abbaye
DOL-DE-BRETAGNE ET LE MONT DOL Au v1• siècle, un moine gallois nommé Samson établit un monastère au sud du mont Dol. Après sa mort, ce lieu devint l'un des principaux foyers religieux de la péninsule armoricaine. Au Moyen Âge, les Dolais vivaient du passage des fidèles et du commerce. Notables et négociants possédaient de belles demeures sur la grande-rue des Stuarts, épine dorsale de la cité. Ces logis médiévaux, qui subsistent en grande partie, confèrent au centre de Dol beaucoup de charme et d'intérêt. La maison des Petits Palets, bâtie au XII' siècle, est l'une des rares maisons romanes
La maison romane des Petits Palets à Dol-de-Bretagne remonte au xu• siècle.
conservées en France. La maison de !'Enfer, qui servait d'hébergement pour les pèlerins, possède aussi de beaux vestiges romans. La grande rue et les rues adjacentes donnent à découvrir bien d'autres demeures gothiques ou Renaissance. Mais le plus célèbre monument de Dol est sa
cathédrale. Bâtie entre le xm• siècle et le xvn• siècle, cette austère église de granit largement influencée par le gothique normand renferme une belle verrière et d'intéressantes sculptures (vierge et stalles du XIV' siècle, tombeau Renaissance). En face de l'édifice, Médiévalys abrite une passionnante exposition consacrée à l'art des bâtisseurs de cathédrales.
Lemont Dol L'occupation humaine du mont Dol est très ancien ne. Durant la préhistoire, des hommes chassaient au pied du rocher en attirant leurs proies dans les marais pour les abattre. En
50
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
1867, des carriers qui exploitaient le
de !'Espérance, aurait été aménagée
granit du Mont trouvèrent des ossements qu'ils prirent pour des restes
à la base de cet ouvrage désaffecté
de cétacés. Les fou illes entreprises
Dame qui l'accompagne, consacrée
par Simon Sirodot en 1872 permirent
le 13 octobre 1857, est dominée par
dans les années 1850. La tour Notre-
d'exhumer des os d'an imaux sau-
une statue de la Vierge appuyée sur
vages (mammouths, aurochs, ours, loups, lions et autres rhinocéros) qui
u ne ancre de marine. Deux moul ins du XIX' siècle se dressent toujours sur
vivaient il ya plus de 100 000 ans dans
le tertre planté de châtaigniers tricen-
un paysage alors composé de steppes.
tenaires. Le beau moulin Benoist, bâti
Durant l'âge du fer, le rocher devint
en 1843 et ouvert à la visite, est connu
un lieu de culte gaulois dédié au dieu
pour avoir conservé son mécanisme
Taranis. Les légionnaires romains y
d'origine.
établirent le culte oriental de Mithra,
Au Moyen Âge, un petit village s'est
remplacé dès le VI ' siècle par celui de
développé au pied du mont Dol. On
saint Michel. Conçue à l'emplacement de l'ancien mithraeum, la chapelle
peut encore y découvrir une belle église sans doute édifiée dans la
dédiée à l'archange fut détruite après
seconde moitié du
la Révolution, ses matériaux servant
renferme d'intéressantes peintures
XII'
siècle. Elle
à l'édification d'une tour pour le télé-
murales datées du XV' siècle repré-
graphe optique de Chappe. La cha-
sentant des scènes de la Passion et
pelle actuelle, dédiée à Notre-Dame
de la Résurrection du Christ.
De gauche à droite Église Saint-Pierre de Mont-Dol. Sur le mont Dol, la tour qui jouxte la chapelle Notre-Dame-de-l'Espérance visible ici offre un panorama exceptionnel sur la partie bretonne de la baie.
51
La chapelle Sainte-Anne reconstruite en 1684 sur la digue de la duchesse Anne.
Véhicules mytilicoles amphibies au port du Vivier-sur-Mer.
CHERRUEIX ET LE VIVIER-SUR-MER Au fond de la baie, derrière une digue opposant un dernier rempart aux plus fortes marées, se dresse une poignée de bourgs qui s'étirent le long de la route côtière. Cherrueix avec ses anciens moulins tournés
vers le large et quelques maisons traditionnelles encore couvertes de chaume est l'une de ses agglomérations. La petite ville est connue des sportifs comme l'une des capitales du char à voile. Cherrueix est aussi l'un des points de départ des randonnées parcourant la digue de la duchesse Anne. Le sentier (GR 34) qui longe la digue mène à la chapelle SainteAnne construite au XVII' siècle. Cette chapelle récemment restaurée fait toujours l'objet d'une procession organisée à la fin du mois de juillet. Avec une récolte de 10 000 à 12 000 tonnes de moules par an, soit un cinquième de la production nationale, le port du Vivier-sur-Mer est le premier port mytilicole de
52
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
France. Les jeunes moul es, appe-
d'étranges embarcations, mi-barges,
lées « naissains », sont tout d'abord
mi -tracteurs, connues sous le nom de « sha- mu a ». Les moules de la
captées sur des cordages le long du littoral atlantique. En mai-j uin, elles
baie bénéfi cient d'une appellatio n
sont placées dans des fil ets, enrou-
d'origine co ntrôlée. La maison de
lés autour de pieux : les bouchots.
la Baie du Vivier- sur-Mer offre aux
On en co mpte près de 200 000 au large du Vivier, al ignés sur 271 kilo-
a mate urs des infor mati o ns su r la mytilicul tu re et l'occasion de fa ire
mètres, solidement fic hés dan s la
une sortie en baie à la découverte des
vase de la baie. Arrivées à maturité, les mo ules so nt prélevées à l'aid e
la basse mer.
parcs à moules établis à la limite de
Trois ans pour faire une huître ! Les bancs d'huîtres sauvages étaient à l'origine dragués au fond de la baie. Cette opération était traditionnellement menée au mois d'avril par d'impressionnantes caravanes de bisquines réunissant jusqu'à 200 unités. Aujourd'hui, les jeunes huîtres creuses, issues d'une espèce japonaise, sont captées en Charente-Maritime. Elles sont ensuite élevées durant trois à quatre ans dans des poches sur des tables ostréicoles dressées dans la baie. Quatre mille tonnes de creuses sont ainsi produites chaque année. Certains ostréiculteurs, comme Céline Maisons à Saint-Méloir-des-Ondes, organisent sur demande des découvertes de leur exploitation suivie d'une délicieuse dégustation. Bassins ostréicoles à Saint-Méloir-des-Ondes.
53
Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
Au
XIX'
siècle, le port de la Houle
situé au pied de la falaise abrite un important chantier naval et sert de port d'échouage aux trois-mâts goélettes qui, de mars à septembre, vont pêcher sur les bancs de Terre-Neuve. L'agglomération cancalaise apparaît alors divisée en deux: le bourg sur la colline, résidence privilégiée des commerçants et des armateurs, et le port de la Houle, en contrebas, où vivent
La grève du port de la Houle à Cancale.
CANCALE ET LA POINTE DU GROUIN
terre-neuvas et écailleurs d'huîtres. La pêche sur le grand banc a cessé depuis bien longtemps. Mais l'ostréiculture, en dépit de l'épidémie qui
Située à l'extrémité occidentale de la baie, Cancale aurait été fondée au VI' siècle par un moine gallois
frappa les huîtres plates et les huîtres creuses portugaises dans les années 1970, reste avec le tourisme l'une des
nommé saint Méen. En 996, le duc de Bretagne Geoffroy l" offre Cancavena et ses terres aux religieux du Mont. Le bourg obtient le titre de ville sous
principales ressources de la ville. Le musée des Arts et Traditions populaires, ouvert de juin à septembre dans l'ancienne église Saint-Méen, revient notamment sur l'histoire des pêches pratiquées par les Cancalais.
le règne de François l", qui appréciait particulièrement ses huîtres.
Les parcs à huîtres de Cancale à marée basse.
54
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
Le sentier qui serpente sous les pins de Cancale à la pointe du Grouin en passant par les mouillages de PortBriac, Port-Pican et Port-Mer est l'une des plus belles promenades à pied de la région. Du haut de l'éperon rocheux de la pointe du Grouin, dominant les flots de 40 mètres, le panorama exceptionnel s'étend du cap Fréhel, à l'ouest, jusqu'à Granville, à l'est, en passant par les îles Chausey. De l'autre côté d'un petit bras de mer, la réserve ornithologique de l'île des Landes abrite notam-
Le chemin des douaniers à Port-Pican.
ment des cormorans, des goélands et des tadornes de Belon. Au-delà, le phare du Herpin haut de 24,50 mètres et mis en service en 1882 est le seul phare construit en mer dans la baie. Comme sept autres phares français bâtis au large, sa forme évasée s'inspire du phare mythique d'Eddystone en Angleterre.
La Cancalaise, bisquine lancée en 1987, devant la plage de Port-Marie à Chausey.
L'île des Landes et le phare du Herpin vus de la pointe du Grouin.
Les bisquines Pour draguer les huîtres sauvages de la baie, on employait au x1x' siècle des bateaux extrêmement puissants, les bisquines. Leur gréement composé de trois mâts et de trois étages de voiles faisait d'elles les voiliers de travail les plus toilés des côtes de France. Quand ils n'étaient pas en pêche, Cancalais et Granvillais se livraient à de mémorables régates Depuis la disparition des dernières unités dans les années 1940, deux répliques ont été construites. La Canca/aise, lancée en 1987, et La Granvillaise. mise à l'eau en 1990, proposent des sorties vraiment inoubliables.
55
Le Mont-Sain t -Michel
la baie, le village et l'abbaye
LA CASERNE ET LE NOUVEAU BARRAGE DU COUESNON En 1969, un premier barrage fut inauguré à l'embouchure du Couesnon. Cet ouvrage était muni de portes à flot qui se fermaient poussées par le mascaret. Il empêchait donc la marée de remonter Je fleuve et de menacer les habitations et les terres agricoles situées en amont. Le «barrage» actuel, conçu par l'archi-
Le nouveau « barrage » du Couesnon en phase de remplissage à marée haute.
56
tecte Luc Weizmann et mis en service en 2009, permet au contraire à la mer d'entrer dans Je lit de la rivière pour ensuite accroître le pouvoir de chasse du Couesnon. Lorsque la marée monte et que le mascaret atteint les portes du barrage, cellesci sont maintenues fermées pour
laisser les sédiments se déposer. Une fois cette phase de décantation terminée, les vannes sont ouvertes pour que l'eau puisse entrer dans le lit du Couesnon qui sert de bassin de stockage. À marée basse, l'eau retenue est enfin libérée pour repousser vers Je large une partie des sédiments déposés par la marée. Ce bel ouvrage a également été conçu comme un pont-promenade sur le Couesnon. Des gradins ont été installés pour profiter de la vue sur le Mont tout en guettant le mascaret. Le garde-corps en bronze incrusté de coques et de blasons normands et bretons montre également les quatre alphabets hébraïque, grec, latin et arabe en référence au scriptorium du monastère.
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville
Le Couesnon dans safolie...
fo nction des marées. Il lui arriva ainsi
Petit fleuve long de 97 kilomètres,
de longer le massif de Saint-Broladre,
le Couesnon prend sa source en
comme en témoigne le bourg de Roz-
Mayenne. Au Moyen Âge, il constitua
sur-Couesnon. Avant 1735, le fleuve
après la Sélune une frontière natu-
passa même à l'est du Mont avant de
relle entre les duchés de Normandie
revenir baigner l'ouest du rocher. Au
et de Bretagne. Lors de l'établisse-
moment où la poldérisation de la baie
ment des départements limitrophes
fut entreprise, il fall ut en priorité
en 1790, le Couesnon trop instable
canaliser le fleuve sur 5 600 mètres
perdit son rôle de frontiè re au profit
pour que ses divagations cessent de
d'une limite fixe. Jusqu'au xrx' siècle,
menacer les terres agricoles gagnées
son cours évo lu a sans cesse en
sur la mer.
Cancale
Sur le nouveau « barrage » du Couesnon, une plate-forme d'observation accessible au public permet d'observer l'arrivée du mascaret.
57
Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
LA JETÉE ET LE TERRE-PLEIN Modifier le barrage sur le Couesnon fut la première étape du rétablissement du caractère maritime du Mont. Mais pour laisser la mer circuler librement autour du rocher, il fallait surtout détruire l'ancien parking aménagé devant les remparts et supprimer la partie terminale de
Les travaux de la passerelle et du terre-plein en voie d'achèvement au pied du Mont.
58
la digue-route. Un nouvel espace de stationnement et d'accueil a donc été créé en 2012 dans les polders de La Caserne. C'est aujourd'hui le point de départ des navettes qui mènent au Mont. Le chantier suivant fut celui
de la jetée prévue pour remplacer l'ancienne digue. Cet ouvrage long de 800 mètres a été réalisé par l'architecte autrichien Dietmar Feichtinger, à l'origine de la passerelle Simonede-Beauvoir à Paris. Des travaux de forage ont permis d'ancrer les piles de la jetée sur le socle rocheux de la baie parfois couvert de 24 mètres de tangue. Composés d'acier enrobé de béton anticorrosion, ces 138 piliers portent la nouvelle voie d'accès vers le Mont inaugurée en juillet 2014. Des épis ont été réalisés de part et d'autre de l'ouvrage pour que les lâchers d'eau balaient les deux côtés du rocher.
La baie du Mont-Saint-Michel, de Granville à Cancale
L'ancienne digue-route insubmersible entreprise en 1878 et remplacée par la passerelle inaugurée en juillet 2014.
Les travaux se sont terminés par
Moidrey pour augmenter la capacité
l'aménagement du terre-plein devant
du Couesnon et par la démolition de l'ancienne digue-route.
le Mont, de bassins dans l'anse de
Ci-dessous Suspendu sur 138 piliers métalliques, le nouvel ouvrage permet à la marée de contourner le rocher comme elle le faisait avant 1878. Des navettes partant du nouveau parking déposent désormais les visiteurs à l'extrémité de la passerelle à 400 m du Mont.
59
La ville du Mont-Saint-Michel omme de nombreux lieux de
de fortification. Au début du XV" siècle,
pèlerinage, le sanctuaire du
une seconde muraille vint entourer
C
Mont-Saint-Michel a donné nais-
la base de l'îlot pour défendre le fau-
sance à une petite bourgade baptisée
bourg qui s'y était développé. Placée
Saint-Pierre-du-Mont d'après le nom
sous la dépendance du monastère, la
de son église paroissiale. Au Moyen
ville du Mont devint une commune
Âge, plus de 250 personnes, hôte-
après la Révolution. Aujourd'hui, il
liers, marchands, artisans et pêcheurs,
ne subsiste plus qu'une bonne tren-
vivaient ici du passage des fidèles.
taine de Montois. Religieux, employés,
Leurs maisons se trouvaient à l'origine
restaurateurs ou commerçants, ils
établies à mi-chemin entre les grèves
résident dans un cadre enchanteur
et le sommet. Elles furent ceinturées
à découvrir de préférence ... quand la
au xrV" siècle par une première ligne
foule s'en est allée.
Page de gauche L'abbaye et le Vieux logis vus du chemin de ronde de la tour Boucle.
L'enseigne de la maison du Chapeau Blanc. Quelques hôtels permettent de passer la nuit au Mont et de goûter au calme du village quand la foule est partie.
61
Le Mont-Sa i nt-Michel
l a baie. le village et l ' abbaye
volet de bois basculant bardé de lames métalliques. Elle mène dans une cour fortifiée connue sous le nom de cour de !'Avancée. Aménagée en 1525 par le lieutenant Gabriel du Puy de Murinais, cette cour, de forme triangulaire, était défendue par la muraille crénelée visible du côté du rocher et par la tour en demilune qui jouxte la porte suivante. La cour abrite un petit corps de garde
Le corps de garde des Bourgeois, office du tourisme du Mont et la porte de l'Avancée, principale entrée du village.
LA COUR DE L'AVANCÉE L'entrée principale du Mont est la porte de !'Avancée, première des trois portes qui défendaient l'accès du village. Comme les portes suivantes, elle était composée d'une porte piétonne et d'une porte charretière prévue pour les attelages. En cas de siège, cette dernière était fermée par un
La cour de !'Avancée. Les jours de grandes marées, la porte de !'Avancée est condamnée par le flot. Il faut alors emprunter le passage dans les rochers derrière l'office du tourisme.
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autrefois destiné aux villageois responsables de la sûreté de la place. C'est aujourd'hui l'office de tourisme du Mont-Saint-Michel.
Les michelettes Les bombardes surnommées « michelettes », présentées dans la
cour de !'Avancée, ont été prises aux Anglais au cours du fameux siège de 1434. Ces canons primitifs construits en fer étaient disposés sur un affût
La ville du Mont-Saint-Michel
de bois. Charges et boulets de pierre étaient introduits par la bouche. On déclenchait le tir en glissant un bâton enflammé nommé « boutefeu » dans un orifice, la lumière, percé dans la culasse. Très lourde, cette arme avait une portée d'une centaine de mètres et une cadence de quelques tirs à l'heure.
LACOUR DU BOULEVARD, LA MÈRE POULARD ET LA PORTE DU ROI La seconde cour du village, nommée « cour du boulevard », a été aménagée dans les années 1440 par Louis d'Estouteville. Le terme « boulevard » désigne à l'o rigine un terre-plein dressé devant une place pour la défendre. La cour délimitée au sud par une courtine percée de bouches à feu était à l'origine libre de toute construction. Elle se trouvait alors sous le contrôle des terrasses supérieures et de l'enceinte du village et ne laissait aux assaillants aucune zone pour se dissimuler. Elle est aujourd'hui occupée par l'hôtel de la Mère Poulard fondé en 1888 qui, du haut de ses quatre étages sous combles, fait de l'ombre à la belle porte du Roi visible au fond de la cour. De haut en bas Une michelette présentée dans la cour de l'Avancée. La cour dite du Boulevard et l'hôtel de la Mère Poulard.
63
Le Mon t- Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
La porte et la tour du Roi.
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La porte du Roi est la plus puissante porte du village et l'un des plus beaux morceaux d'architecture
du Roi ». Elle est percée vers l'exté-
militaire du Mont. Elle a été bâtie sous le commandement de Louis d'Estouteville vers 1435. Précédée d'un fossé alimenté par la marée et access ible par un pont-levis, la porte est composée d'un corps de bâtiment rectangulaire flanqué sur sa droite d'une tour ronde baptisée « tour
L'ouverture principale était, de plus, défendue par une herse. Ces entrées sont surmontées par un chemi n de ronde couvert muni de meurtrières et de mâchicoulis conçus pour assommer les assaillants. Du côté du village, on ne trouve plus qu'une seule
rieur de deux ouvertures fermées par des vantaux de chêne cuirassés.
ouverture, dite« porte de la Vierge ».
La ville du Mont-Saint-Michel
Elle possédait elle aussi des vantaux qui, en temps de siège, condamnaient totalement le rez-de-chaussée du bâtiment. Le représentant du pouvoir royal résidait au-dessus, dans un logement de deux étages devenu depuis la mairie du Mont.
Points de vue, images du Mont!
clientèle de goûter la spécialité de la
De gauche à droite
Annette Boutiaut (1851-1931), plus connue sous le nom de Mère Foulard, est le personnage le plus célèbre du Mont-Saint-Michel. Femme de chambre venue au Mont pour accompagner l'architecte Corroyer
région: le gigot d'agneau de pré-salé. La chaleur de leur accueil et la qualité de leur cuisine ont fait la réputation de leur maison. Mais l'établissement est surtout entré dans !'Histoire grâce à l'omelette cuite au feu de bois par la
Placée dans une niche percée dans le bâtiment qui enjambe le passage, la Vierge à l'Enfant veille sur la porte homonyme.
et son épouse, elle fit la connais-
maîtresse de céans. En 1935, le bureau de poste du Mont dessiné par Pierre Chirol a été élevé à l'empl acement de leur premier hôtel. Cependant, la cheminée dans laquelle la Mère Foulard faisait la cuisine a été reli-
sance de Victor Foulard, le fils du boulanger. Ils se marièrent en 1873, puis ouvrirent un restaurant installé dans l'hôtellerie de la Tête d'or ou de Saint-Michel située à l'entrée du village. Les époux proposaient à leur
Le bâtiment de la Poste vu de l'escalier menant vers le chemin de ronde. Ce petit degré, situé à droite juste après la porte de la Vierge, permet d'échapper à la foule et de rejoindre l'abbaye plus tranquillement.
gieusement conservée.
65
Le Mont - Sa in t-M i chel
La tour et la maison de !'Arcade, flanquée par la tourelle du guet, vus du beau chemin de ronde qui parcourt les remparts du village.
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la b ai e. l e vill ag e et l 'ab bay e
L'ARCADE, LA SIRÈNE ET L'ARTICHAUT
Guet». La maison de !'Arcade possède
Compte tenu de sa superficie, le Mont
de torchis enduit à la chaux. Elle est
offrait relativement peu de place au
couverte d'essentes de châtaignier.
une structure à pans de bois remplie
village. La maison de !'Arcade est une
La maison de !'Artichaut est l'une
illustration des solutions trouvées
des curiosités du village. Elle est éta-
par les Montois pour résoudre le
blie à cheval au-dessus de la grande
problème : elle a été disposée au-
rue à quelques mètres du bureau de
dessus de l'escalier menant au che-
poste du Mont. Supportée par trois
min de ronde des remparts qui, en
gros madriers de bois - l'un d'eux
été, permet d'éviter la foule dans la
porte la date de 1616 - disposés entre
grand-rue. Construite au XV" siècle, la
la maison voisine et les remparts, la
maison fait corps avec la tour homo-
maison, haute de deux étages, doit son
nyme. Dotée de quatre niveaux, elle
nom aux fleurons en plomb en forme
était desservie par l'escalier à vis
d'artichaut qui couronnent les épis de
visible sur sa gauche qui était installé
faîtage de ses lucarnes. À l'instar de la
dans une fine tour appelée« tour du
maison de !'Arcade, la construction est
La ville du Mont-Saint - Michel
couverte d'écailles de bois. L'Artichaut était autrefois une dépendance de l'hôtellerie de la Licorne contre laquelle elle prend appui. Bâtie au XV" siècle, la Licorne était avec l'hôtellerie de la Tête d'or l'une des meilleures adresses du Mont. L'hôtellerie de la Sirène est l'une des maisons les plus intéressantes du village. Probablement édifiée au xV" siècle, elle est composée, en façade, d'une structure à pans de bois formée de beaux madriers moulurés. Dans les maisons à colombages, cette ossature sert de cadre à un mélange de terre et de paille hachée, le torchis, traditionnellement enduit à la chaux et offrant une bonne isolation intérieure. Facile à mettre en œuvre, le pan de bois était aussi plus économique que la maçonnerie. Les trois niveaux de la maison de la Sirène sont en encorbellement : disposés sur quatre pièces de bois nommées« corbeaux», ils débordent légèrement les uns sur les autres. Ainsi, les pièces d'habitation établies aux étages avaient une superficie plus importante que celle du rez-de-chaussée. Cette solution permettait de gagner de la place dans des agglomérations souvent très denses. De haut en bas Enjambant la rue principale, la maison de l'Artichaut était une annexe de l'hôtellerie de la Licorne. Si les maisons du village sont dans l'ensemble construites en granit et couvertes d'ardoises ou de schiste, certaines d'entre elles sont bardées d'essentes de châtaigniers.
67
Le Mont-Saint-Michel
De gauche à droite La belle maison à pans de bois en encorbellement de la Sirène (xv' siècle) se tient à gauche à l'endroit où la grande rue se resserre et monte à l'assaut du rocher. Après la poste, une rue s'échappe sur la gauche qui permet de rejoindre de petits jardins en terrasse et de jouir de magnifiques points de vue sur les toits du village et sur les grèves.
la baie, le vi l lage et l'abbaye
LA GRANDE RUE
la maison de !'Éperon (XIV"), iden-
La grande rue, principale artère du
tifiable à son bel étal en pierre, se sont naturellement développées le long de cet axe pour les accueillir. Comme on peut le voir aujourd'hui, la rue a conservé le caractère commercial qui caractérisait déjà les lieux au Moyen Âge. Certaines maisons portent d'ailleurs toujours leur ancien nom lisible sur de belles enseignes: La Sirène, La Licorne, La
village, décrit une longue courbe autour du rocher menant de l'entrée du bourg, au sud, jusqu'à la porte de l'abbaye, à l'est. Enserrée entre deux rangées de maisons bourgeoises, elle permettait à la fois aux pèlerins de se rendre vers le sanctuaire et de se loger. Les hôtelleries et les échoppes du village comme
Croix blanche, La Coquille, Le Pot de cuivre, Le Dauphin ... Des venelles desservent les maisons et les jardins surplomba nt le chœur du village. Elles réservent de très belles vues sur le bourg, l'abbaye et les grèves.
68
La ville du Mont - Saint - Miche l
L'ÉGLISE PAROISSIALE L'église paroissiale du Mont est de fondation très ancienne. Dédiée à l'apôtre Pierre, patron des pêcheurs, sa présence est établie dès l'époque romane dont il subsiste quelques vestiges (base de la tour du clocher, piliers des grandes arcades). Sa création pourrait être l'œuvre des moines bénédictins arrivés au Mont à la fin du x • siècle. Une tradition attribue même la fondation de l'édifice à l'évêque Aubert qui y aurait été enterré. L'église, appliquée contre le rocher, est composée d'une nef principale et d'un bas-côté respectivement coiffés d'un plafond et d'une voûte en bois. Seule la petite chapelle aménagée sur le flanc méridional de l'édifice à la base du clocher bénéficie d'une voûte sur croisée d'ogives. Le chœur et ses chapelles remontent à la fin du Moyen Âge (xV"-xv1• siècle), date à laquelle l'église fit l'objet d'une réfection. L'actuel clocher en bâtière (couvert d'une toiture à deux pentes) remplaça alors le clocher mur visible sur la miniature des Très Riches Heures du duc de Berry (cf p. 19). Le transfert du culte de l'abbaye vers l'église paroissiale en 1886 fit de ce
la statue de saint Michel (1873), placée dans la chapelle ouverte sur le bas-côté ou, plus simplement, échapper aux bruits du village. Le petit cimetière marin du bourg,
De haut en bas Le clocher en bâtière de l'église paroissiale veille sur le cimetière du village où sont, entre autres, inhumés Victor et Annette Poulard.
modeste édifice un important oratoire. Aujourd'hui, ce lieu de culte, toujours très actif, est animé par le père André Fournier, recteur du sanctuaire. Les fidèles viennent y admirer
ouvert sur les grèves par-delà le toit des maisons, se trouve au sud de l'église Saint-Pierre. Victor et Annette Poulard y reposent parmi de nombreux Montois.
L'église Saint-Pierre, paroisse du village, est formée d'un vaisseau principal et d'un collatéral pourvu d'une chapelle dédiée à l'archange.
69
Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
LE VIEUX LOGIS ET LE LOGIS TIPHAINE Le Vieux logis ou logis de la Teste
La maison du Vieux logis dont le mur pignon surplombe les remparts remonte au x,v" siècle. La maison qui la jouxte sur la gauche a été construite au x,x• siècle.
Noire, situé en haut à droite de la grande rue, est une des plus anciennes maisons du MontSaint-Michel : il remonte à la fin du XIV' siècle. C'est ce que l'on appelle une« maison à pignon sur rue ». Le petit mur triangulaire chargé de supporter les deux pans de la toiture, le
pignon, se trouve en effet du côté de la voie. Les longs murs gouttereaux qui encadrent la façade sont au contraire perpendiculaires à l'axe de la rue. La majorité des maisons médiévales du Mon tétaient disposées ainsi, comme l'atteste la miniature des Très Riches Heures du duc de Berry. Le logis Tiphaine évoque le souvenir d'un célèbre homme de guerre et de son épouse. Selon la tradition, c'est dans cette maison forte que Bertrand Du Guesclin, capitaine de Pontorson, du Mont-Saint-Michel et futur connétable de France, aurait logé son épouse Tiphaine Raguenel. Mais la maison pourrait ne remonter qu'au xv• siècle. Elle présente un parti assez original. À une époque où les demeures étaient pour la plupart en pans de bois, le logis Tipha ine, qui évoque plus la forme d'une tour que d'un e simple demeure, est au contraire presque entièrement construit en pierres. Laissé dans un état assez pitoyable, le logis Tiphaine subit une restauration radicale à la fin du XIX' siècle. Il abrite aujourd'hui un musée présentant une petite collection de meubles et d'objets. Le dernier groupe de maisons (logis Saint-Symphorien, SaintAubert, du Pigeon blanc et des Trois Étoiles) situé en haut à droite de la rue principale, à proximité de la tour du Nord, abrite notamment le presbytère et la maison du Pèlerin, centre d'accueil diocésain tenu par
70
quelques permanents menés par le
de l'abbatiale, hôtellerie de Robert
père Fournier. Ils sont chargés de
de Torigni, maisons et tours du vil-
l'église paroissiale et des fidè les qui
lage en ruines ... Certains bâtiments
font une brève étape au Mont. La
(Auberge Saint-Pierre, Mouton
maison du Pèlerin accueille égale-
blanc ... ) ont été reconstruits à la fin
ment une librairie riche en ouvrages
du siècle dernier à partir de cette
spécialisés.
maquette.
Le musée aménagé dans le logis Tiphaine permet d'entrer dans l'une des plus anciennes maisons du village. La grande rue, l'église paroissiale et le logis Tiphaine. Détail du plan-relief du Mont-Saint-Michel.
Le plan-reliefde l'hôtel des Invalides Le musée des Plans-Reliefs abri te u ne maquette exceptionnell e du Mont exécutée par les moines de l'abbaye en 1701. Réalisée en bois, papier et métal, elle fournit un document très fidè le sur l'état du Mon t-Sa intMichel sous le règne de Louis XIV. On y découvre de nomb reux bâtiments aujourd'hui disparus : nef et façade
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Le Mont - Sain t -Michel
'
Page de droite. de haut en bas Le pignon oriental de la Merveille flanqué sur sa gauche par la tourelle des Corbins domine le grand degré extérieur, le chemin des loges et l'esplanade de Jérusalem. La maison de la Truie qui File, établie dans le chemin des loges où des plombs de pèlerinage étaient vendus aux miquelots, a été construite au xv' siècle.
Le haut du bourg, l'esplanade de Jérusalem, l'ancienne école communale et sa cour de récréation vus du châtelet de l'abbaye.
72
la baie , le village et l'abbaye
L'ESPLANADE DE JÉRUSALEM, LE CHEMIN DES LOGES ET L'ANCIENNE ÉCOLE COMMUNALE En 1886, après la désaffection de l'abbatiale, le culte fut transféré vers
Le chem in des Loges monte derrière l'esplanade. Son nom rappelle les loges de marchands d'images où l'on proposait des enseignes ou plombs de pèlerinage aux miquelots. Ces petites échoppes en bois
l'église paroissiale. Trop petite pour
étaient installées au pied du monastère. Chaque emplacement était loué
accueillir les fidèles lors des grandes
aux moines éga lement propriétaires
so lennités, elle fu t complétée par
des moules utilisés par les artisans.
un espace en plein ai r. On choisit
À en croire le témoignage du car-
un terrain pris entre le haut de la
dinal Louis d'Aragon en 1517, cette
grande rue et le chemin des Loges,
activité était fort prospère : « Le
autrefois occupé par l'hôtellerie
travail des hommes et des femmes
médiévale des Quatre Fils Aymon.
qui habitent le Mont consiste à
L'esplanade, reco nnaissable à son
colorier des coquilles marines qu'ils
calvaire, fut baptisée« esplanade de
cousent sur des bandes de to iles,[...]
Jérusalem». Processions, rassemble-
De même, ils fabriquent des sainct
ments et messes en plein air y étaient
Michel en argent et en é tain de
organisés avant le rétablissement du
différents modèles. Ils font encore
cu lte dans l'abbatiale.
une infinité de cornes en cuivre, en
La ville du Mont-Saint-M i chel
terre cuite, en verre, [...] Et de telles choses, il s'en vend un grand nombre, car il n'y a pas de pèlerin qui n'en achète pour aller orné de coquilles et de sainct Michel et sonnant de la corne par toute sa route jusqu'à sa patrie. » En 2004-2005, les vestiges du premier atelier de production d'enseignes de pèlerinage découvert en France ont été exhumés derrière l'esplanade de Jérusalem. Deux cent soixante fragments de moules en schiste et des objets réalisés dans un alliage de plomb et d'étain au XIV" et XV" siècles ont ainsi été retrouvés dans une fosse. Trois maisons sont alignées dans le chemin des Loges. La maison de la Truie qui file, établie au centre et reconnaissable à ces arches en plein cintre, remonte au XV" siècle. Cette demeure était sans doute à l'origine une boutique de tissus et d'étoffes. Elle fut par la suite transformée en tripot avant d'être rachetée par la commune en 1908. La maison de gauche fut bâtie pour des religieuses à la fin du xrx• siècle. Les enfants du Mont y allaient à l'école. L'établissement dut fermer ses portes en 1973 faute d'élèves. Depuis cette date, les petits Montois sont scolarisés sur le continent. La maison située sur la droite a été construite en 1886 par les pères de Saint-Edmede-Pontigny. C'est aujourd'hui un musée de cire consacré à l'histoire du Mont.
73
Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
LES REMPARTS Escarpé, isolé deux fois par jour par la mer, protégé à marée basse par des sables mouvants, l'îlot constituait au Moyen Âge un refuge idéal. Au cours de la guerre de Cent Ans, les abbés du Mont, gouverneurs de la place, complétèrent ces défenses naturelles en édifiant une enceinte à la base du rocher. Le village est ainsi protégé par trois portes successives et par des murailles flanquées de Construite au xv' siècle comme la tour du Roi visible sur sa gauche, la tour de l'Arcade est la seule à avoir conservé son ancien comble.
74
tours régulièrement espacées afin de commander les abords sans laisser d'angle mort. Ce très bel ensemble datant pour l'essentiel du xV" siècle
résume à merveille l'évolution de la fortification au temps où apparaissait le canon. La tour du Roi, accolée à la porte du même nom, et la tour de !'Arcade située plus à l'est, reconnaissable à sa toiture, ont été construites sous l'abbatiat de Robert Jolivet après 1417 pour flanquer une ancienne porte du village. Ces deux tours possèdent un plan circulaire. La destruction de la digue autrefois établie contre elles leur a rendu leur superbe. À partir de la tour de !'Arcade, on jouit d'une belle perspective sur le chemin de ronde établi sur la partie haute des
La ville du Mont-Saint-Michel
Entreprise au x111• siècle avec la tour du Nord visible à droite, la fortification du village s'achève au xv1• siècle avec les cours de l'Avancée et des Fanils et la tour Gabriel qui défend l'ouest du rocher. Ci-dessous Les fondations de l'ancienne tour Denis redécouverte à l'occasion des sondages faits à la base de remparts en 1997 ont été mises en évidence.
remparts. C'est grâce à ce chemin, protégé par un parapet en porte-àfaux au-dessus des courtines, que la garnison chargée de la défense du rocher pouvait se rendre rapidement d'un point à un autre et riposter. En contrebas, la base de l'ancienne tour Denis redécouverte en 1997 a été mise en évidence. La tour suivante, connue sous le nom de « tour Beatrix » ou« tour de la Liberté», a été réalisée entre 1479 et 1482. Son plan plus moderne que celui des tours précédentes est en forme de fer à cheval. Ceci permettait à ses défenseurs de mieux contrôler les alentours et de tirer sur les assaillants arrivés au pied des remparts. Ses murs sont également plus puissants, de manière à résister aux canons devenus plus performants.
75
Le Mont-S aint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
de deux murs parallèles et d'un éperon triangulaire évoquant la forme d'une proue. Ce monument représente l'un des premiers exemples de fortification bastionnée français.
À l'est de la tour Boucle, les remparts, jusqu'alors étab li s au pied du village, parfois à même la tangue, grimpent à l'assaut du rocher pour rejoindre la plus ancienne tour du Mont. La tour du Nord a vraisemblablement été édifiée par l'abbé Richard Turstin grâce aux libéralités de Saint La tour Boucle réalisée en 1481 est l'une des plus anciennes tours bastionnées de France. Page de droite La tour du Nord érigée au xm• siècle au pied de la Merveille est un belvédère exceptionnel pour qui désire observer la baie et la progression du mascaret.
De la tour Boucle, la dégringolade de l'escalier montant à la tour du Nord apparaît.
76
Une fois passé la tour basse
Louis, venu au Mont en 1256. Elle
construite dans les années 1730 à
illustre l'art de la fortification avant
l'emplacement d'un bastion ruiné par
l'apparition du canon. De plan cir-
le Couesnon, on arrive à la tour Cholet
culaire, son principal atout était sa
conçue en demi-lune pour condamner
hauteur: son parapet se dresse à près
une ancienne porte du village puis au
de 35 mètres au-dessus des grèves !
puissant bastion de la tour Boucle,
De par cette situation dominante, ses
reconnaissable à sa haute toiture de
défenseurs pouvaient commander
schiste reconstituée en 1995. Construit
les environs tout en se tenant hors
en 1480-1481, ce bastion est composé
de portée.
Lors des plus fortes marées, la porte menant vers la caserne des Fanils, visible à l'arrière-plan, est condamnée par le flot.
LESFANILS La caserne des Fanils a été élevée sous Charles X, en 1828, à l'emplacemen t des greniers à foin de l'abbaye. Ces édifices étaient défendus par la tour des Pêcheurs, dont subsiste la base, et par une co ur fortifiée élevée au XVI' siècle par le lieutenant Gabriel du Puy. L'actuelle caserne des Fanils est un bâtiment composé d'un corps de logis pri ncipal établi au-dess us d'un porche et d'une aile plus basse en retour d'équerre. C'est
Page de droite. de haut en bas Au Mont, la rampe de la tour Gabriel est le meilleur endroit pour voir défiler la marée à ses pieds au moment où le flot atteint le rocher.
dans ce bâtiment que résidaient les geôliers chargés des prisonniers détenus dans l'abbaye. Après la fermeture de la prison, des religieuses transformèrent l'édifice en orpheli-
La chapelle Saint-Aubert construite au xv' siècle à l'ouest du rocher est dédiée au fondateur du culte de saint Michel sur le mont Tombe.
nat. Pendant quelques années, une bonne vingtaine de pensionnaires vinrent y vivre et s'y instruire. Après
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la fermet ure de l' institution, les
Fanils furent affectés à différentes admin istrations: école et logemen t de l'institutrice au rez-de-chaussée, mairie au premier étage et gendarmerie au second. Auj ourd'hui encore, durant la période estivale, gendarmes et pompiers viennent y loger.
La tour Gabriel L'e n semble des Fanils éta it défendu, à l'ouest, par une puissante tour ronde connue sous le nom de « tour Gabriel ». Construite en 1525 par le li eutenant Gabrie l du Puy, dont elle porte le nom, cette tour contrôlait également les escarpements occide ntaux du rocher. Très massive, elle est composée de trois niveaux voû tés coiffés d'une terrasse ceinturée par un parapet en encorbe ll e ment. Chaque niveau était conçu pour accueillir des
La ville du Mont-Sain t -Michel
pièces d'artillerie légères engagées dans les canonnières percées dans la muraille. L'évacuation de la fumée produite par les tirs était assurée par un puits d'aération légèrement décentré pour faciliter les mouvements des artilleurs. Au XVII° siècle, les moines du Mont établirent un moulin à vent sur la terrasse de la tour. Il a été restauré en 1880 par l'architecte Édouard Corroyer, qui fit également construire une tourelle placée en encorbellement sur le parapet. Dès lors, cette échauguette devint le phare du Mont-SaintMichel permettant aux bateaux de s'engager dans le lit du Couesnon. La rampe visible à proximité de la tour est un endroit idéal pour voir le Mascaret. À marée basse, elle rejoint la chapelle Saint-Aubert, élevée au xv< siècle à l'ouest du Rocher. C'est par le chemin de ronde des Fan ils que les prisonniers montaient autrefois vers la maison de force du Mont. Les tombereaux destinés à la prison l'empruntaient également pour parvenir au pied de la rampe du Poulain. Par ce grand pan incliné, les marchandises étaient hissées directement dans les salles basses de l'abbaye solidement arrimées sur un chariot tracté au bout d'une corde.
À proximité de cet ancien montecharge, la benne suspendue à un câble métallique sert à monter les matériaux nécessaires à la restauration du monument. En été, le chemin des Fanils est le moyen le plus tranquille pour rejoindre l'abbaye.
79
L'abbaye du Mont-Saint-Michel site. Alors que la plupart des abbayes
' abbaye du Mont-Saint-Michel est le fruit de la juxtaposition
s'organ isent depu is l'époque carolin-
d'un grand nombre de constructions de périodes et de styles différents.
cloître, le monastère du Mont est
Plu s de huit siècles se sont écoulés entre l'édification de la première cha-
édifié à la verticale autour du sommet et sur trois niveaux. Les salles basses,
pelle dédiée à saint Michel et celle du
appuyées sur le rocher, ont une archi-
L
gienne à l'horizontale autour d'un
chœur de l'abbatiale. Si quelques-
tecture puissante capable de suppor-
uns de ces bâtiments ne sont plus
ter la charge des salles supérieures.
présents aujourd' hu i qu'à l'é tat
Les salles hautes de plain-pied avec
fragmentaire, la majorité des édi-
l'église sont plus discrètes afin de
fices a subsisté. Certains d'entre eux comptent parmi les chefs-d'œuvre de
véritab le dédale de salles et d'esca-
l'architecture méd iévale.
Page de gauche Havre de paix, les jardins du Nord, uniquement accessibles par l'abbaye, réservent de beaux points de vue sur l'église abbatiale.
ne pas les écraser. Il e n résulte un liers qui rendent cette abbaye plus
L'ensemble présente un plan très
complexe, plus mystérieuse aussi que
particulier dû à la configuration du
ses consœurs strictement planifiées.
L'agneau mystique sculpté dans la pierre de Caen à l'angle nord-ouest du cloître.
81
Le Mont-Saint-Michel
la baie. le v i llage et l'abbaye
LE CHÂTELET, LA PORTERIE ET L'AUMÔNERIE On entre dans l'abbaye par le châtelet
À droite
dressé devant l'ancienne porterie en 1393. Flanqué de deux tours crénelées réalisées en encorbell ement, le châtelet enjambe le « gouffre », escalier qui pouvait être fermé par
Lechâtelet visible à l'arrièreplan est la pièce maîtresse des bâtiments édifiés au x,v' siècle pour fortifier le monastère.
une herse métallique et bombardé grâce à l'assommoir établi à l'aplomb de l'entrée du monastère. L'édifice
Niveau inférieur
Construit au devant de l'abbaye durant la guerre de Cent Ans, le châtelet commandait la cour de la barbacane, la tour Claudine et le grand degré extérieur.
82
commandait égalemen t la cour fort ifi ée de la barbacane et la tour Claud ine située dans l'angle formé par la muraille du village et cell e de l'abbaye pour protéger les abords de la Merveille.
L'abbaye du Mont- Sain t -Michel
Composée de deux nefs coiffées de belles voûtes d'arêtes, l'ancienne aumônerie sert aujourd'hui de billetterie.
Au sommet du gouffre, le grand portail du monastère ouvre sur la porterie de l'abbaye. Cet espace a
centre, les voûtes reposent sur des chapiteaux très dépouillés établis sur des colonnes composées de tambours
été conçu en 1257 pour desservir la Merveille établie sur la droite et pour mener les pèlerins vers l'abba-
de pierre. Sur les côtés, la retombée des voûtes s'effectue sur des
tiale accessible sur la gauche. La sal le formée de trois paliers successifs est coiffée de voûtes sur croisées d'ogives qui s'élèvent elles-mêmes progressivement pour se conformer à la nature du terrain. Durant la guerre de Cent Ans, la porterie, généra lement confiée à un frère expérimenté, fut aménagée pour les gardes affectés à la défense du monastère. Une cheminée y fut alors établie pour permettre aux soldats de se réconforter avant d'assurer leur tour de ronde.
L'aumônerie L'aumônerie remonte pour l'essentiel au xu• siècle. Sobre et lumineuse, cette salle est formée de deux nefs couvertes de voûtes d'arêtes blanchies à la chaux. Au
L'aumônerie se trouve au rez-de-chaussée de la Merveille à proximité de la porterie pour mieux recevoir les pèlerins.
consoles engagées dans les murs. Les moines bénédictins avaient le devoir d'accueillir leurs hôtes « comme le Christ». Une attention particulière était portée aux pauvres et aux pèlerins. L'aumônerie était prévue pour les miquelots à pied accueillis par le frère aumônier qui leur proposait là le gîte et le couvert. La salle était donc équipée d'un certain nombre de lits garnis et de plusieurs tables. La pitance offerte aux pèlerins et les restes du repas communautaire étaient descendus de la cui sine des moines par un monte-charge. L'aumônier organisait régulièrement dans cette salle des distributions de vivres et de vêtements, les aumônes, pour venir en aide aux nécessiteux. C'est aujourd'hui la billetterie de l'abbaye.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
LE GRAND DEGRÉ ET LE LOGIS ABBATIAL La porterie de l'abbaye est reliée à l'ab-
Niveau inférieur
De gauche à droite Réalisé au x111• siècle, le grand degré intérieur, enjambé par deux ponts et bordé sur sa gauche par le logis abbatial, mène vers la terrasse du Saut-Gauthier. Entreprise au x,v' siècle, la tour de l'Abbé qui fait saillie sur l'ensemble des logis abbatiaux abritait ses appartements privés.
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batiale par un escalier monumental entrepris au XIII' siècle et connu sous le nom de « grand degré ». Les premières volées de marche reposent sur la roche tandis que les dernières sont établies sur des arches de pierre dominant l'ancien cimetière du monastère. Enjambé par un pont de granit du XV" siècle puis par une passerelle en bois édifiée au XVI' siècle, le grand degré est flanqué sur sa droite par les impressionnants soubassements de l'église abbatiale qui abritent une citerne et sur sa gauche par les hautes parois du logis abbatial gothique.
Commencé au xm• siècle et définitivement terminé au XVI' siècle, le logis abbatial est composé de quatre édifices successifs. Le premier, la bailliverie, était le centre administratif de l'abbaye. Le deuxième bâtiment, élevé dans la seconde moitié du XIV' siècle, est la tour de !'Abbé où résidèrent les pères chargés du monastère. Viennent ensuite les cui sines de l'abbé et la tour Sainte-Catherine, portant le nom de la chapelle privée qu'elle abritait. Les bâtiments, aujourd'hui occupés par les fraternités monastiques de Jérusalem et par l'administration du monument, ne se visitent pas.
L'abbaye, seigneurie féodale Indépendamment de ses responsabilités religieuses, le père abbé, en principe élu par les moines, était à la tête d'une importante seigneurie féodale. Le siège de cette seigneurie était établi dans le logis abbatial abrita nt, d'une part, les appartements privés de l'abbé, d'autre part, les services nécessaires à l'ad ministration du monastère et de ses domaines. Dans ce grand bâtiment, un personnel spécialisé s'employait à la gestion des 22 prieu-
comptes du monastère, faire rentrer les redevances des villageois et la dîme due par les paysans, les pêcheurs ou les éleveurs. L'abbé devait enfi n se charger d'assurer la justice entre ses administrés et ve iller, en tant que capitaine du Mont, à la défense de la place au nom du roi.
La tour Perrine visible à droite de la bailliverie a été érigée par Pierre le Roy pour abriter la garnison protégeant le monastère.
rés créés par l'abbaye pour valoriser ses propres terres. Il fallait également veiller à l'approvisionne ment et aux Les gargouilles qui dominent l'abbatiale permettaient de recueillir les eaux pluviales dans des citernes établies sur le pourtour de l'église.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
Le clocher et la flèche de l'abbatiale réalisée par Victor Petitgrand. L'archange a été mis en place le 6 août 1897 et restauré en 1987.
LE SAUT GAUTHIER ET LA TERRASSE DE L'OUEST Le grand degré mène à un petit parvis aménagé au-dessus du cimetière Niveau de l'église
du monastère et devant la nouvelle porte percée au XIII' siècle au sud de l'abbatiale. Tournée vers Je sud, la terrasse du Saut Gauthier, offre
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un beau panorama sur Je Couesnon et sur la nouvelle jetée d'accès. On peut aussi profiter d'une intéressa n te pe rspective sur Je clocher de l'abbatiale. Le bâtiment visible légèrement en contrebas est l'un des quatre réservoirs aménagés dans l'abbaye pour co mpléter les deux sources présentes au pied du rocher.
L'abbaye du Mont - Saint-Michel
Alimentée par la pluie, la cite rne dite de ]'Au mônerie fournissait le logis abbatial. Après avoir franchi la salle d'accueil dotée de maquettes présentant l'évolution architecturale du Mont, on parvient à la terrasse de l'Ouest, point de départ des visites guidées. Dirigée vers la Bretagne, la terrasse fut le premier parvis de l'abbatiale. Elle était à l'origine limitée à la partie visible au pied des trois marches rappelant la position du portail roman de l'église. La terrasse doit sa taille actuelle à la démolition de l'extré-
La citerne dite de !'Aumônerie alimentait le logis abbatial.
mité occidentale de l'égli se et du dortoir des moines accomplie après
Le mascaret, le rocher de Tombelaine et les falaises de Champeaux vus de la terrasse de l'Ouest. Le chartrier, visible au premier plan à droite, abritait les archives de l'abbaye.
Ci-dessous
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Le Mont-Saint-Michel
l a baie, le village et l'abbaye
Sur la terrasse de l'Ouest, la façade classique érigée par les Mauristes est en retrait par rapport à l'ancien portail roman. Les souches des deux tours qui l'encadraient et les trois marches visibles au premier plan indiquent sa position.
l' ince ndi e de 1776. La faça de classique de l'abbat iale établie en retrait par rapport à la façade primi tive a été érigée en 1780. Composée de de ux ordres superposés dominés par un fronton triangul aire, so n style, lointain écho de la Renaissance italienne, complète Je panorama architectural offert par le monastère. Deux ca mpagnes de t ravaux ont été effectu ées pour assurer l'étanchéité de la terrasse. La première
Les dalles de granit de la terrasse de l'Ouest avec leurs marques de tâcherons.
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L'abbaye du Mont-Saint-Michel
Le portail de l'abbatiale est tourné vers le couchant. Par beau temps, le Mont Dol apparaît au-delà des polders.
en 1875 a entraîné la découverte des
Mais le principal attrait de la ter-
tombes des abbés Robert de Torigni
rasse est la vue exceptionnelle qu'elle
et Martin de Furmendi. La seconde
offre sur l'e nse mble de la baie du
en 1963 a permis de mieux connaître
Mont-Saint-Michel jusqu'aux îles
les parties manquantes de l'église
Chausey. Il n'y a pas de meilleur
abbatiale : la base des murs et des
observatoire pour apprécier le pay-
tours dressées au XII' siècle contre la façade romane fut alors matéria-
sage des polders, des prés-salés et
lisée au sol.
de l'estran ou pour admirer le flot qui déferle.
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Le Mont-Sain t -Michel
la baie, le village et l'abbaye
L'ÉGLISE ABBATIALE D'après les Annales du Mont-Saint-
Niveau de l'église
Michel, le chantier de l'abbatiale a débuté en 1023 sous la prélature de Hildebert Il. Les travaux du transept, entrepris en 1048, ont été suivis par ceux de la nef achevée en 1085 sous l'abbatiat de Ranulphe de Bayeux. La construction de l'église qui fut, avec Bernay et Jumièges, l'une des premières grandes abbatiales romanes de Normandie, représente un véritable
tour de force. Les maîtres d'œuvre, restés anonymes, ont en effet amé nagé une plateforme artificielle en haut de la colline pour la soutenir. Seuls le clocher et les trois premières arcades de la nef bénéficient de fondations naturelles. Le chœur, les bras du transept et l'extrémité occidentale du vaisseau ont été établis sur des cryptes érigées autour du sommet, trop modeste pour accueillir la totalité de l'église. En forme de croix latine, l'abbatiale est orientée. Son chœur est pointé vers l'orient de sorte que la lumière matinale, perçue au Moyen Âge comme un symbole de résurrection, puisse inonder le sanctuaire ; elle est pourvue de bas-côtés et d'un déambulatoire pour la circulation des fidèles. Son plan est celui des grandes églises de pèlerinage. Faute de pouvoir observer le chœur roman disparu, c'est dans le transept sud, la plus ancienne partie de l'église, qu'il faut se rendre pour apprécier l'architecture audacieuse de l'abbatiale. Cet espace, construit sur la crypte saint Martin, est coiffé par une voûte en berceau qui compte parmi les premières grandes voûtes en pierre de Normandie. Le demi-cylindre de la voûte repose sur de grands arcs en plein cintre qui concentrent son poids sur des l'élévation du côté sud de la nef, avec ses arcs de décharge visibles au-dessus des fenêtres hautes et ses demi-colonnes appliquées contre des dosserets, est d'origine tandis que le côté nord a été reconstruit après son effondrement survenu en 1103.
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L'abbaye du Mont-Saint-Michel
colonnes. Les murs encore visib les entre ces supports sont donc en partie déchargés. On peut, par conséquent, les fai re plus minces et y établir de belles fenêtres sans nuire à la stabilité de l'ensemble. Cette formule ingénieuse préfigure les expériences menées un siècle plus tard dans les premiers chantiers gothiques. Pour les pèlerins, le bras sud du transept où se trouvaient les coffres aux reliques était un lieu particulièrement vénérable. Le bras nord possédait à l'origine les mêmes caractéristiques architecturales que le bras sud. Au xm• siècle, la réalisation du cloître entraîna la reprise du mur nord. Percé d'une immense verrière, il montre clairement que, depuis les premières expériences romanes, le rapport entre le plein et le vide s'est inversé au profit de la lumière. La nef de l'abbatiale était autrefois formée de sept travées délimitées par des colonnes engagées montant sans interruption du sol jusqu'à la voûte. Après l'incendie de 1776, seules quatre travées ont subsisté. Chacune d'elles est constituée d'une grande arcade en plein cintre, de deux baies géminées et d'une fenêtre haute. Si les bas-côtés sont coiffés de voûtes d'arêtes en maçonnerie, De haut en bas Dans le bas-côté sud de la nef, les arcs en plein-cintre fourrés relativement fragiles se sont déformés sous le poids des voûtes d'arêtes. La vierge de Balan, visible dans le croisillon Nord du transept, est l'une des rares sculptures visibles dans l'abbatiale.
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Le Mont-Sa i nt-Michel
la baie, le village et l'abbaye
sud d'origine et le mur nord reconstruit après l'écroulement. Au sud, les colonnes rythmant la nef sont engagées dans un pilier en léger relief nommé« dosseret » et supportent de grands arcs de décharge visibles audessus des fenêtres. Au sud toujours, les arcs en plein cintre sont composés d'une couche de mortier prise entre deux arcs de pierre tandis que, du côté nord, les arcs, entièrement en pierre de taille, sont brisés. Au Moyen Âge, la nef de l'abbatiale alors vide de siège était pourvue d'un autel prévu pour les laïcs qui, conformément aux usages de l'époque, n'avaient pas accès au chœur de l'église. Le jeudi saint, c'est devant cet autel surmonté par un crucifix que la communauté procédait au lavement des pieds des pèlerins. Un jubé, aujourd'hui disparu, établissait une séparation entre le chœur liturgique réservé aux clercs et la nef.
Le chœur gothique
Le chœur flamboyant de l'abbatiale a été érigé pour remplacer l'ancien sanctuaire roman effondré durant la guerre de Cent Ans, et visible sur la miniature des Très Riches Heures du duc de Berry.
les bâtisseurs se sont montrés plus prudents dans le vaisseau princi-
Lesolduchœurroman,connugrâce à la miniature des Très Riches Heures du duc de Berry et aux fouilles archéologiques, était surélevé de 3 mètres par rapport à celui du transept. Ce sanc-
pal coiffé d'une charpente en bois. Malgré ces précautions, le côté nord
1421. L'édifice actuel a été entrepris
de la nef s'est effondré en avril 1103 sur le dortoir des moines qui priaient dans le chœur. La poussée exercée par la charpente qui a nettement déformé les piliers du côté sud pourrait en être la cause. On peut relever quelques différences entre le mur
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tuaire s'est effondré le 20 septembre en 1446 et achevé en 1521 après une longue interruption causée par des problèmes financiers. Si les motifs décoratifs du chœur appartiennent bien à l'esthétique flamboyante, sa structure renvoie plutôt aux exemples rayonnants de Notre-Dan1e d'Évreux
L'abbaye du Mont-Saint-Michel
ou de Saint-Ouen de Rouen. La partie
Les voûtes portées à 25 mètres de hau-
centrale de l'édifice est ceinturée par
teur reposent sur des piliers losanges
un déambulatoire desservant deux
flanqués de nombreuses colonnettes
chapelles droites et cinq chapelles
correspondant aux retombées des
rayonnantes. Son élévation est com-
ogives. L'ensemble des lignes du chœur
posée de grandes arcades brisées, d'un
confère à l'édifice un très bel élan
triforium ajouré et de fenêtres hautes.
vertical.
Adam et Ève chassés du Paradis. Détail de l'un des éléments sculptés de la clôture du chœur flamboyant réalisée en 1546.
Les quatre Évangélistes. Comme l'œuvre précédente, ces bas-reliefs étaient autrefois scellés entre les piliers du chœur pour le réserver à la communauté monastique.
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Sur le toit du Mont Les pinacles surmontant les arcs-boutants du chœur de l'abbatiale fusent au-dessus de la salle de Belle-Chaise et du Châtelet. A droite Les arcs-boutants à double volée du chœur de l'abbatiale sont reliés à des culées surmontées de pinacles et décorées de claires-voies.
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Le chœur est entouré par une puissante batterie de dix arcs-boutants prévus pour lutter contre la poussée exercée par les voûtes. Ils sont composés de deux arcs superposés et de culées de pierre surmontées par des pinacles qui, en exerçant sur ces dernières une pression verticale. leur confèrent une meilleure résistance. L'une des culées abrite une vis menant vers l'escalier de dentelle qui dessert la toiture du chœur. Accessible pour les groupes de moins de 18 personnes ayant réservé une visite-conférence. la terrasse ceinturant la toiture offre une vue absolument unique sur l'abbaye et sur la baie.
Depuis la construction de l'abbatiale. six clochers se sont succédé au gré des incendies. des modes ou des besoins. La tour actuelle est l'œuvre de Victor Petitgrand. L'architecte devait. à l'origine. restaurer l'ouvrage précédent qui comprenait encore des parties romanes du x1• et du x11• siècle (piliers et premier niveau de la tour). Finalement le clocher fut entièrement rebâti. Les travaux réalisés en granit de Saint-James (Normandie). de Mellé et de La Fontenelle (Bretagne) ont été achevés en mai 1896. À la fin du x1v• siècle. les Très Riches Heures du duc de Berry montrent l'église dominée par une flèche flanquée de petits clochetons et coiffée d'une croix. En 1509. une nouvelle flèche est édifiée à la croisée du transept. Cette aiguille. incendiée en 1594. était couronnée, d'après l'historien Auguste de Thou. d'une« statue de saint Michel dorée éclatante au soleil». La flèche actuelle. œuvre de Victor Petitgrand. est composée d'une belle charpente en chêne de plus de 160 tonnes. élevée en à peine six semaines. Sa couverture est constituée d'ardoises et de plaques de cuivre repoussé. La statue de l'archange réalisée en cuivre doré par les ateliers Monduit d'après un modèle d'Emmanuel Frémiet a été mise en place au sommet de la flèche le 6 août 1897. Paratonnerre principal de l'abbaye à près de 160 mètres au-dessus du niveau de la mer. elle a été restaurée en 1987 après sa dépose en hélicoptère.
Les pinacles du chœur donnent à la construction un bel élan vertical tout en faisant pression sur les culées chargées d'épauler les voOtes du sanctuaire.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
Le dortoir n'étant pas chauffé, les moines y dormaient tout habillés. Ils étaient ainsi rapidement sur pied pour les matines ! L'abbé Pierre Le Roy rendit le dortoir plus confortable. De la Toussaintjusqu'à Pâques,
LE DORTOIR DES MOINES ET LE CLOÎTRE Longue salle couverte d'une charNiveau de l'église Ci-dessus Comme dans les autres monastères, le bâtiment du dortoir des moines, détruit aux deux-tiers au xvm• siècle, se trouvait contre l'abbatiale pour faciliter les déplacements nocturnes de la communauté.
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pente lambrissée, le dortoir a été construit à la fin du XI ' siècle contre l'abbatiale pour faciliter le déplacement nocturne des moines vers l'église. Au début du XII' siècle, il fut écrasé par la chute du côté nord de la nef et remis en état sous l'abbé
il ordonna d'y faire du feu pour « soustraire les moines aux maladies auxquelles les exposait l'hiver». Il fit décorer les murs de peintures comparables à celles de son propre logis. Enfin, peu de temps avant sa mort et avec l'accord du pape, l'abbé fit diviser le dortoir commun en ce llules « afin que les moines fussent en plus grande liberté ». Au fond du dortoir, une petite porte réserve une belle surprise: elle
Les deux tiers du bâtiment furent alors détruits. Le tiers restant sert aujourd 'hui de comptoir de vente.
mène dans le cloître qui couronne le côté ouest de la Merveille. Édifié entre 1225 et 1228, il occupe une position unique en son genre : les bâtisseurs l'ont établi sur les voûtes du scriptorium. Ceci explique sa petite taille. Il fallait auss i construire léger. Dans ce but, le maître d'œuvre employa de fines colonnes, tournées
Saint Benoît recommandait aux moines de dormir dans un même
en Angleterre dans du marbre de Purbeck (remplacées au XIX' siècle
local. Chacun d'entre eux possédait son propre lit, les plus jeunes étant placés sous la surveillance des anciens. Le couchage était en principe composé d'une natte, d'un drap, d'une couvertu re et d'un oreiller.
par des fûts de poudingue pourpré). Ces 137 colon nes furent disposées de manière à former des trépieds susceptibles d'asseoir la charge de manière homogène sur les voûtes de la salle inférieure. Les écoinçons
Roger II. Transformé par les mauristes en salle d'études, le dortoir fut ravagé par l'incendie de 1776.
L'abbaye du Mont-Saint-Michel
(parties pleines entre chaque arcade),
techniques et esthétiques confèrent
sculptés avec beaucoup de délicatesse da ns la tendre pierre de Caen, éta ient autrefois peints. Des traces bleues et rouges subsistent dans la galerie méridionale. Le cloître es t coiffé d'un be rceau brisé en bo is reposan t, à la périphérie, sur des arcs de granit app li qués contre la
à ce joyau, suspendu entre Je ciel
et la mer, une grâce incomparable. La toiture - réalisée en schiste du Cotentin conformément aux écrits du xvll' siècle, à la maquette de 1701 e t aux restes découvert s in situ et le jardin - dessiné par le père de Se nneville - remonte nt respective-
paroi externe. Toutes ces solutions
ment à 1962 et 1965.
De gauche à droite Au moment de la restauration du cloître par Édouard Corroyer, les colonnes d'origine ont presque toutes été remplacées par des futs de poudingue pourpré. L'admirable cloître du MontSaint-Michel est dominé par le pignon du réfectoire des moines flanqué par les hottes des cheminées de la salle des Hôtes établie au-dessous.
Méditer au paradis Fermé sur le monde et ouvert sur le ciel, le cloître est un parfait symbole de la vie monastique. Ses fonctions sont multiples. Situé en principe au centre du monastère, il dessert les salles de la clôture établies autour de lui. Les galeries paisibles du cloître servent tout d'abord à la méditation et à la lecture silencieuse de la parole divine (lectio divina). Le cloître est également un lieu d'échanges Après Prime, durant la locutio, les religieux ont le droit de converser à voix basse. Les novices choisissent certes le chapitre pour apprendre le chant, mais préfèrent le cloître pour réciter leurs leçons. La cour est le cadre de nombreuses fêtes et processions. Le jeudi saint, abbé et prieur se livrent dans la galerie méridionale au cérémonial du mandatum, c'est-à-dire au lavement des pieds devant les deux bancs de pierre prévus à cet effet. Enfin, on y procède durant les fêtes de Pâques à la bénédiction du feu nouveau.
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La structure de la Merveille La partie orientale de la Merveille aurait été bâtie entre 1212 et 1217. Elle renferme l'aumônerie au rez-dechaussée, la salle des Hôtes au premier étage et le réfectoire des moines au second, à proximité de l'église abbatiale. Chacune de ces salles correspond à l'un des trois ordres de la société féodale. Adalbéron, évêque de Laon au x1• siècle, distinguait ainsi trois groupes à la fois différents et complémentaires : ceux qui travaillent (les paysans) ; ceux qui combattent (les nobles) et enfin ceux qui prient (les clercs). De ce fait, la partie orientale de la Merveille témoigne de la composition de la société médiévale et de sa hiérarchie dominée par l'Église. La partie occidentale de la Merveille aurait été réalisée après l'achèvement de la partie orientale, entre 1217 et 1228. Elle est composée du cellier au rez-de-chaussée, du scriptorium au premier et du cloître qui réside au second, accolé au dortoir des moines. Ces salles correspondant aux nourritures du corps, de l'esprit et de l'âme évoquent la hiérarchie des mondes matériel, intellectuel et spirituel. En haut Accessible à marée basse en prenant garde aux marées et aux lâchers d'eau, le côté nord du Mont est dominé par la Merveille composée de deux corps de bâtiment de trois niveaux.
Le cloître du Mont est établi à la manière d'un jardin suspendu sur le « scriptorium » lui-même conçu sur le cellier. Ceci explique la délicatesse de sa structure.
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L' abbaye du Mont-Saint-Michel
LE RÉFECTOIRE Il règne dans le réfectoire une atmosphère d'une grande sérénité. Nous devons cette impression aux formes rondes et douces de la salle ainsi qu'à la belle lumière qui l'éclaire. Les solutions architecturales développées ici sont particulièrement intéressantes. Le réfectoire est coiffé d'un berceau en chêne reposant sur une corniche de pierre elle-même établie sur un jeu de petits arcs brisés. Ces arcs reportent la charge de la voûte de part et d'autres des fenêtres sur des colonnes épaulées par des contreforts intérieurs de section triangulaire. Entre chaque support, une fine ouverture contribue à l'illumination harmonieuse du réfectoire. Grâce à ce dispositif, la salle est à la fois légère et claire. En hiver, les moines ne mangeaient qu'une fois dans la journée, généralement après none. C'est le repas
principal nommé « prandium ». De Pâques à la mi-septembre, ils partageaient un repas supplémentaire, la cena, organisé après les vêpres. Conformément à la règle, le repas était silencieux et accompagné d'une lecture assurée à tour de rôle par chaque membre de la communauté. Choisi le dimanche, le lecteur, nommé « semainier », devait assurer son office jusqu'au dimanche suivant. Du haut de la chaire, aménagée dans l'épaisseur
Niveau de l'église
de la paroi, il déclamait sur un ton monocorde un ouvrage religieux avant d'aller manger à son tour. Pour ne pas enfreindre la règle et interrompre le lecteur, les moines, lorsqu'ils désiraient quelque chose, devaient le demander par un signe manuel : un cercle pour le pain, le pouce vers la bouche pour la boisson, une ondulation de la main pour le poisson, un geste de mixage pour la sauce...
Sur le seuil du réfectoire des moines, les ouvertures latérales de la salle restent invisibles.
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Le Mont-Saint - Michel
la baie. le village et l'abbaye
LA SALLE DES HÔTES Cette salle d'une grande élégance est divisée en deux nefs par une file de six colonnes. Ces supports particulièrement élancés sont composés de deux ou trois tambours de pierre coiffés de chapiteaux ronds sculptés de motifs végétaux. Les ogives chargées de porter les voûtes reposent latéralement sur des faisceaux de trois colonnettes appliquées contre les contreforts qui
Logées au fond de fines embrasures, les nombreuses fenêtres du réfectoire ne se révèlent que lorsque l'on pénètre dans la salle.
Au menu aujourd'hui Suivant la règle bénédictine, les moines devaient faire la cuisine et le service de table à tour de rôle. Les cuisiniers de semaine, qui prenaient leur poste chaque samedi, étaient tenus de respecter certaines consignes alimentaires. Le menu quotidien était composé de deux plats cuits par jour et par personne, d'une livre de pain et d'une demi-bouteille de vin de Brion, d'Anjou, de Touraine ou de Gascogne. Soupes et plats étaient généralement préparés à partir de pois, de haricots ou de lentilles. Choux, poireaux, oignons et navets venaient parfois, en saison, agrémenter l'ordinaire. Les religieux consommaient beaucoup d'œufs savamment accommodés. Mais, au Mont, c'est le poisson qui était à l'honneur. On trouvait à la table des moines mulet, sole. plie, anguille, saumon, brochet, truite et autre lamproie ... La viande était interdite. Seuls les frères malades et affaiblis pouvaient en consommer. Pommes, poires ou noix formaient le dessert. À Pâques et à !'Ascension, les religieux bénéficiaient de gâteaux et de flans.
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pénètrent ici à l'intérieur même de la salle. Chacune des travées délimitées par ces contreforts est percée d'une haute fenêtre divisée en deux par un meneau qui souligne la noblesse de la pièce et contribue à l'élan de son architecture. La salle des Hôtes était la salle d'apparat de l'abbaye. Située en dehors de la clôture monastique, elle était prévue pour la réception des grands personnages venus au Mont en pèlerinage. Durant trois siècles, du règne de Saint Louis à celui de Charles IX, les rois de France y furent accueillis. La salle, autrefois dotée d'un carrelage composé de carreaux de terre cuite vernissés aux armes de France et de Castille, était divisée en deux parties. La cuisine masquée par une pièce d'étoffe se trouvait du côté des deux grandes cheminées visibles à l'ouest. Rôts et autres mets de choix y étaient préparés sous le contrôle du frère hôtelier. La salle à manger occupait tout le reste de la salle. C'est là que la table composée de tréteaux et de planches était montée pour les repas. L'abbé délaissait alors la
communauté pour déjeuner avec
chauffage établie au centre de la pièce
son hôte. Ce dernier ne se restaurait
permettait aux convives de se récon-
qu'après avoir fait ses dévotions dans
forter. Quant aux portes visibles au
la petite chapelle Sainte-Madeleine
nord, elles mènent vers des latrines
jouxtant la salle. Une cheminée de
dissimulées dans l'épaisseur du mur. Niveau intermédiaire En haut La salle des Hôtes, espace le plus élégant du monastère, servait d'hôtellerie pour recevoir les grands personnages de passage au Mont.
Masquées derrière une tenture, les cheminées de la salle des Hôtes permettaient de préparer le repas servis ici aux invités de marque.
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Le Mo n t-Saint-Michel
la baie, le vill a ge et l' a bbaye
LES CRYPTES ET LASALLE DE BELLE-CHAISE
Niveau intermédiaire
En haut. de gauhe à droite Après la salle des Hôtes, la crypte des Gros Piliers érigée pour porter le chœur de l'abbatiale est la première étape de la découverte des espaces situés sous le niveau de l'église. Fruit du rhabillage de la crypte portant l'ancien chœur roman, la crypte des Gros Piliers a été dotée de chapelles rayonnantes et de voûtes sur croisée d'ogives en pénétration.
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La crypte des Gros Piliers édifiée entre 1446 et 1451 soutient le chœur gothique de l'abbatiale. Les lourdes colonnes, auxquelles la salle doit son nom, forment la base des piliers du chœur. Des sondages, accomplis
La salle de Belle-Chaise, située en dehors du circuit des visites, a été achevée en 1257 pour servir de tribunal. Le nom actuel de la salle remonte au règne de Pierre Le Roy qui y fit placer un trône aujourd'hui
construites autour des colonnes de l'ancienne crypte romane. Au-delà du déambulatoire, les bâtisseurs ajoutèrent des chapelles rayonnantes prévues pour soutenir celles du sanc-
disparu pour rendre ses jugements. La salle de Belle-Chaise possède un plan rectangulaire. Percée de hautes et fines fenêtres, elle est couverte depuis 1994 d'un berceau lambrissé réalisé dans du chêne de marine centenaire, provenant de Brest. Ce berceau a été orné de fleurs de lys légèrement estompées. La salle renferme deux toiles réalisées au XVII' siècle par le
tuaire. L'une d'elles fut aménagée en 1873 en oratoire dédié à Notre-Dame de Tombelaine par les pères de SaintEdme. Les belles voûtes sur croisée
frère Loiseau: la première représente sainte Hélène tenant la croix qu'elle découvrit, selon la tradition rapportée par saint Ambroise, lors de son
d'ogives en pénétration qui couvrent la crypte illustrent la virtuosité à laquelle étaient parvenus les tailleurs de pierre à l'époque du gothique flamboyant.
pèlerinage en Terre sainte; la seconde montre Saint Louis en costume de sacre moderne tenant la couronne d'épines et les clous de la Passion.
dans les années 1964-1965, ont révélé que ces énormes piles avaient été
L'abbaye du Mont-Saint-Michel
La chapelle Saint-Martin, dédiée à saint Martin de Tours, a probable-
ment été construite sous la prélature de l'abbé Suppo (1033-1048). Prenant appui contre le flanc sud du sommet, elle a été réalisée pour soutenir le bras sud du transept de l'abbatiale, ce qui explique la puissance de son architecture. La chapelle est composée d'une nef de forme carrée ouverte à l'est sur une abside en cul-de-four. L'espace principal est couvert d'un grand berceau de 9 mètres de portée étayé en son centre par un arc-doubleau. Avec un peu d'attention, on remarque les traces laissées par les coffrages en bois employés pour couler cette belle voûte. Les murs prévus pour résister à une forte charge sont également très impressionnants. Ouverte sur le grand degré, la chapelle était accessible aux personnes venues de l'extérieur. Une ancienne tradition en faisait une chapell e funéraire avant sa transformation en moulin à cheval à la fin de l'Ancien Régime, mais aucune tombe n'y a été retrouvée.
De haut en bas La chapelle Saint-Martin, érigée avant 1048, sert depuis de fondation au croisillon sud du transept de l'abbatiale. Sur la voûte en berceau de la chapelle, les marques de coffrages laissés par les cintres employés par les bâtisseurs sont toujours visibles.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le vi llage et l'abbaye
LE CIMETIÈRE, LA ROUE ET LA CHAPELLE SAINT-ÉTIENNE Le cimetière des moines, aujourd'hui
Niveau intermédiaire
méconnaissable, occupait un espace couvert situé sous le grand degré et la terrasse du Saut Gauthier. Lors d'un enterrement, les religieux portaient ici en procession leur frère défunt. Ce dernier était inhumé dans son propre vêtement traditionnellement cousu autour de lui par un moine de même rang, la tête tournée vers le couchant. Une fois la cérémonie achevée, la
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communauté entreprenait un cycle de messes spéciales qui prenait fin trente jours après l'inhumation. Tous les moines ne reposaient pas dans le cimetière. Les abbés étaient souvent inhumés dans le chœur de l'abbatiale. Tous les ossements découverts dans l'abbaye ont été déposés en 1961 dans une fosse visible dans l'église Notre-Dame-sous-Terre. Installée dans l'ancien cimetière, la grande roue du poulain a été mise en place par l'administration pénitentiaire pour compenser la perte
L'abbaye du Mon t- Saint-Mich e l
du monte-charge de l'hôtellerie voi-
toilette. Les deux cuvettes visibles au
sine détruite en 1818. Ce treuil était
sud servaient à déposer les récipients
employé pour alimenter la prison et
nécessaires. Une fo is cette opération
les ateliers où travaillaient les déte-
terminée, le défunt était revêtu de
nus. La roue en bois mue par des
son habit et présenté sur un lit. Les
hommes marchant à l'intérieur per-
moines de la communauté pouvaient
mettait de tracter un chariot guidé
alors se relayer pour veiller auprès de
par la glissière de pierre visible en
lui. Selon la coutume, l'enterrement
contrebas.
avait lieu le lendemain après la messe.
La chapelle Saint-Étienne est le
La restauration de la chapelle
(mur
a été accomplie par Yves-Marie
siècle (mur sud et
voûtes). Établi e dans le prolonge-
Froidevaux auquel nous devons la mise en place du pavage, de l'aute l
ment de l'infirmerie du monastère,
et de la pietà (xv') visible dans la
fruit de travaux menés au n ord) et au
XIII'
XII'
où les mourants recevaient les der-
niche. Plus récemment, le vestige
niers sacrements, elle servait de
d'une fresque (XIII') racontant le
chapelle funéraire. Après leur décès,
Dit des trois morts et des trois vifs, découverte dans le bâtiment voisin de l'infirmerie, y a été accroché.
les défunts étaient portés dans l'oratoire où l'infirmier procédait à leur
De gauche à droite Pietà de la chapelle Saint-Étienne (calcaire) exécutée en Bourgogne dans la seconde moitié du xv' siècle. La chapelle Saint-Étienne établie contre l'ancien escalier de Ranulphe (x1' siècle) servait de chapelle funéraire.
Page de gauche. de gauche à droite Mise en place au x1x' siècle par l'administration pénitentiaire dans l'ancien cimetière du monastère, la cage à écureuil alimentait la prison du Mont. Mue par des prisonniers qui marchaient à l'intérieur, la roue permettait de tracter un chariot mis en place sur un rail de granit appelé poulain.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
GALERIE NORD-SUD ET LOGIS DE ROBERT DE TORIGNI Cons trui te à la fin du Niveau intermédiaire
La Galerie Nord-Sud servait probablement d'accès principal à la terrasse de l'Ouest avant l'établissement, au x111• siècle, du Grand Degré et de la nouvelle porte visible au sud de l'abbatiale sur le Saut Gauthier.
XI'
siècle, la
galerie nord-sud, coiffée d'un long berceau en maçonnerie, était alors l'un des principaux organes de circulation de l'abbaye. Ce degré était emprunté par les pèlerins pour rejoindre l'abbatiale par l'intermédiaire d'un escalier aujourd'hui disparu. Au XII' siècle, la galerie fut coupée en deux par un plancher
Peintures murales du x111' siècle dans la salle dite des Fleurs de Lys dégagée en 1984.
reliant l'appartement de l'abbé à l'infirmerie dont on peut voir la porte donnant dans le vide suite à son effondrement en 1818. Accessible par la porte percée à mi-hauteur à l'ouest de la galerie nord-sud, le logis abbatial roman a été aménagé pour Robert de Torigni. Cet appartement, situé sur le logis du portier et sous l'extrémité de la terrasse de l'Ouest, comprend quatre salles remontant au XI' siècle et au
xn' siècle. La première salle pourvue d'une petite cheminée est tristement célèbre: la cage de fer installée sous le règne de Louis XI y était suspendue. Ce terrible instrument fut détruit en 1777 sur ordre du comte d'Artois, futur Charles X. Le logis abbatial a fait l'objet d'une campagne de restauration en 1960-1961. Mais c'est en 1984 que l'on a retrouvé, en dégageant la salle située au sud-est, les restes d'un décor peint composé de fleur de lys et d'arcades brisées. Cette pièce baptisée depu is « salle des Fleurs de lys » est l'un des rares lieux à avoir conservé une partie de son ornementation.
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L'abbaye du Mont-Saint-Michel
LOGIS DU PORTIER, CACHOTS ET AQUILON Conformément à la règle bénédictine, la loge du frère portier était proche de l'entrée romane de l'abbaye. Ce logement, situé sous le logis abbatial roman, remonte au XII' siècle. Il est composé d'une pièce unique pourvue d'une cheminée et d'une fenêtre. Au fond du logis, deux trappes permettaient de descendre les prisonniers dans les cell ul es situées au-dessous puis de les surveiller et de les nourrir. L'ancienne porte du logis, déposée sur le côté de la salle, est couverte de graffitis émouvants laissés par des prisonniers enfermés là au XIX' siècle.
En descendant quelques marches, on peut vo ir deux cachots remontant au XII' siècle. Ces cellules romanes, également co nnu es sous le nom de « jumeaux » ou « In pace » (en paix !), étaient accessib les par une trappe percée dans leurs voûtes. Au XIX' siècle, des portes ont été réalisées pour établir une communication plus aisée. Ces deux cachots numérotés 3 et4 se présentaient sous la forme d'une petite pièce équipée de latrines et éclairée par un puits de lumi ère. Pour les besoins de la prison du Mont, d'autres espaces ont été transformés en cellules au XIX' siècle. C'est le cas du logis du portier et d'un petit espace situé en
Niveau inférieur
De gauche à droite Porte de l'ancien logis du Portier transformé en cellule au xix• siècle et couverte de graffitis laissés par les prisonniers. Porte du cachot dit de Barbès aménagé pour les besoins de la prison au x1x• siècle.
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Le Mont-Saint-Michel
La salle de l'Aquilon, première aumônerie de l'abbaye, était en communication avec la porterie romane tournée vers la baie.
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l a baie, le village et l'abbaye
face des jumeaux, muré et capitonné
deux nefs par une file de monolithes
de bois connu sous le nom de « cachot
coiffés de chapiteaux à décor végétal.
de Barbès ».
L'ensemble est couvert de lourdes
Jouxtant l'ancienne porterie romane, la salle de !'Aquilon tour-
voûtes d'arêtes reposant sur des arcs-doubleaux brisés. L'empreinte
née vers le septentrion porte le nom d'un vent du nord. Construite à la fin
des coffrages utilisés pour les réaliser est encore parfaitement visible.
du x1• siècle, cette salle est le rez-de-
L'escalier montant vers la salle du
chaussée du monastère roman. Elle
promenoir date du xvn• siècle. La
a été remaniée au xu • siècle après
salle de ['Aquilon servait d'aumône-
l'effondreme nt du côté nord de la
rie. Une ouverture visible dans l'angle
nef de l'abbatiale. La salle de !'Aqui-
nord-ouest de la salle permettait de
lon se présente aujourd'hui comme
surveiller les personnes qui y étaient
une pièce rectangulaire divisée en
reçues.
L'abbaye du Mont-Saint-Michel
NOTRE-DAMESOUS-TERRE Ce petit édifice n'est accessible qu'en visite-conférence. Vraisemblablement érigé dans les années 920, il s'agit du seul vestige du monastère préroman qui compre nait une seconde église, plus importante, au sommet du Mont. Les fondations de cette dernière, retrouvées en 1907, ont depuis été matérialisées en rouge sur le sol de l'abbatiale. Àl'origine, Notre-Dame-sous-Terre était composée d'un volume unique éclairé par quatre baies toujour~ visibles. Elle est aujourd'hui divisée en deux nefs séparées par deux arches établies sur un pilier rectangulaire,
autour du sommet pour supporter la nouvelle abbatiale. Dès lors, la chapelle, allongée et renforcée, fut à la fois entourée et recouverte par des édifices romans plus récents. NotreDame-sous-Terre a été dégagée et res-
Niveau intermédiaire
taurée en 1960-1961 par Yves-Marie Froidevaux. On a alors découvert derrière le chœur sud une maçonnerie composée d'énormes blocs de pierre. Un temps présenté comme un vestige de la chapelle de l'évêque Aubert, cet étrange mur cyclopéen est aujourd'hui considéré comme un simple remplissage.
Autel sud de Notre-Damesous-Terre consacré en 1961 après la restauration de la chapelle et dédié à la Sainte Trinité.
fruit d'un remaniement ultérieur. Chaque vaisseau ouvre sur un chœur à fond plat respectivement consacré à la Vierge au nord et à la Trinité au sud. Deux tribunes les surmontent. Celle du sud servait à présenter le crâne de l'évêque Aubert à la vénération des fidèles. Conformément aux usages carolingiens, les bâtisseurs se sont inspirés de l'architecture romaine : maçonnerie de petites pierres irrégulières noyées dans un bain de mortier; arcs en plein cintre ; emploi de la brique seule ou en alternance avec de la pierre dans les baies. Les murs portaient des fresques auj ourd'hui disparues. À l'origine, la chapelle était couverte d'une charpente incendiée en 992 et remplacée par les voûtes en berceau actuell es. Au début du XI ' siècle, Notre-Dame-sous-Terre a été associée aux cryptes construites
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LE PROMENOIR DES MOINES
Niveau intermédiaire En haut Construite au x,• siècle et voûtée au siècle suivant, la salle du Promenoir des Moines repose sur la salle de l'Aquilon et supporte le dortoir des moines.
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Le promenoir des moines est l'une des pièces romanes les plus intéressantes de l'abbaye. Partiellement établie sur la salle de !'Aquilon, elle supporte le dortoir accolé à l'église abbatiale. La salle est formée de deux nefs séparées l'une de l'autre par des colonnes monolithes coiffées de chapiteaux de granit. Dans la nef méridionale, on peut observer la base des contreforts qui étayaient autrefois la partie occidentale de l'abbatiale
mise en œuvre, ces ogives précoces constituent un intéressant témoignage de l'évolution de l'architecture normande laquelle eut une grande influence sur le jeune art gothique. Selon le texte du cérémonial, qui décrit le déroulement de la journée, les repas ordinaires étaient pris dans la salle du grand chapitre. Le promenoir des moines, dont la fonction exacte est inconnue, en faisait peut-être office. Située près d'une cuisine, la salle est en effet assez spacieuse pour accueillir une
aujourd'hui détruite. Les voûtes sur croisée d'ogives qui coiffent la salle résultent peut-être de la restauration effectuée sous l'abbatiat de Roger II après l'effondrement du côté nord
toire. Dans une abbaye, la salle du chapitre est un organe essentiel. La communauté s'y réunit chaque matin afin de résoudre les problèmes de la
de la nef. Maladroites dans leur
vie courante ou pour y prendre les
grande assemblée et servir de réfec-
L'abbaye du Mont-Saint-Michel
La règle de saint Benoît Composée de 73 chapitres différents, la règle bénédictine a été rédigée vers 540 par saint Benoît de Nursie. La devise des bénédictins,« Ora et labora » (prie et travaille). rappelle leurs deux activités principales. Les frères se consacrent avant tout à la prière. La liturgie des heures est composée de deux offices nocturnes (vigiles également appelées « matines » vers 2 heures et laudes avant l'aurore) et de six offices diurnes (prime, tierce. sexte. none. vêpres et complies, après le crépuscule) qui rythment la journée en plus des messes ordinaires et des grandes célébrations. Le reste du temps, les moines se livrent à la lecture de la parole divine ou au travail manuel. L'abbé (de abbas: «père» en araméen) était assisté par un certain nombre d'officiers qui veillaient au bon fonctionnement du monastère. Les plus importants étaient le prieur chargé d'épauler l'abbé, le cellérier responsable du ravitaillement. le chambrier qui veillait sur les finances de l'abbaye, le portier, l'aumônier et l'hôtelier chargés de l'accueil, l'infirmier ou encore le chantre, qui tenait le rôle de maître de chœur. À gauche Colonne et chapiteau du « cachot du diable ». Cette petite salle du xm• siècle servait au x,x• siècle à isoler les prisonniers récalcitrants. © Archives départementales de la Manche.
décisions importantes. La réunion débutait par la lecture du calendrier pour célébrer le saint du jour et par celle du nécrologe pour honorer la mémoire des frères défunts. Venait enfin celle du chapitre de la règle de saint Benoît lu et commenté par Je père abbé, lequel a donné son nom à ce type de salle. La réunion se poursuivait par une confession publique, la coulpe, au cours de laquell e les moines défaillants avouaient leurs fautes. Le 18 juin, jour de la SaintAubert, avait lieu le chapitre général regroupant les moines responsables des prieurés de l'abbaye.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
NOTRE-DAMEDES-TRENTE-CIERGES
Niveau intermédiaire En haut La chapelle Notre-Damedes-Trente-Cierges employée en hiver par la communauté est le pendant de la chapelle Saint-Martin au nord du rocher.
Notre-Dame-des-Tren te-Cierges, uniquement visible en visite-conférence, est le pendant de la chapelle Saint-Martin au nord du sommet. Cette crypte romane du XI' siècle a en effet été construite contre le flanc septentrional du rocher pour supporter le bras nord du transept de l'abbatiale. L'oratoire est formé d'une nef quadrangulaire et d'une abside en cul-de-four. Moins large que la chapelle Saint-Martin, il ne possède pas non plus le même voûtement : on trouve ici deux voûtes d'arêtes confortées par un arc-doubleau décoré de faux joints et de
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rinceaux de feu illage. La crypte fut, après l'église abbatiale, le lieu de culte le plus important du monastère. Une statue de la Vierge à !'Enfant réputée miraculeuse et des reliques des vêtements de la Vierge y étaient vénérées. Chaque jour après prime, une messe y était célébrée. Les religieux allumaient alors trente cierges pour honorer la Reine des Cieux à l'origine du nom de la chapelle. Cette dernière était également le but de processions accomplies le dimanche et lors de certaines fêtes, en particulier lors des festivités mariales. Désaffectée au XVII' siècle, Notre-Dame-desTrente-Cierges a aujourd' hui retrouvé sa vocation cultuelle.
L'abbaye du Mont-Saint-Michel
LE « SCRIPTORIUM »
montois est abond ante à l'époque
Pour éviter l'oisiveté, ennemie de
romane, la production de manus-
l'âme, les moines bénédictins avaient
crits cesse peu à peu au
le devoir de travailler. Les plus grands
en raison de la concurrence d'ateliers
XIII'
siècle
monastères possédaient des scrip-
laïcs principalement parisiens. Le
toria, c'est-à-dire des ateliers consa-
scriptorium a donc sans doute été
crés à la réalisation des manuscrits
affecté à l' « école claustrale», centre
nécessaires à l'étude et à la liturgie.
d'études du monastère, qui d'après les
L'espace, la luminosité ainsi que la présence de deux cheminées ont
historiens mauristes était au contraire toujours active au XIV" et au xV" siècle.
conduit certains auteurs à vo ir dans cette salle autrefois nommée« salle
également d'abriter la précieuse col-
La taille de la salle lui permettait
des Chevaliers » le scriptorium de
lection des manuscrits placés sous
l'abbaye. Or, si l'activité des copistes
la responsabilité de l'armarius, le
Niveau intermédiaire
Autrefois appelée salle des Chevaliers en référence à l'ordre des chevaliers de saint Michel fondé par Louis XI, la grande salle gothique sise sous le cloître était sans doute prévue pour servir de scriptorium.
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Le Mont-Sain t - Michel
la baie , le village et l'abbaye
bibliothécaire de l'abbaye. Enfin, le scriptorium, seul lieu régulier pourvu de cheminées, servait vraisemblablement de chauffoir offrant aux frères un peu de réconfort. La salle est la plus grande du monastère. Ell e est composée de quatre nefs de tailles différentes séparées par des files de colonnes. Ces quinze supports appareillés en tambours sont surmontés de magnifiques chapiteaux de granit. La parure végétale qui les décore illustre la virtuosité des sculpteurs normands capables de maîtriser une pierre particulièrement dure. Les voûtes portées par de puissantes ogives servent de fon dation au jardin du cloître. Au nord, les deux portes visibl es entre les cheminées mènent vers des latrines. L'éclairage est assuré par une série d'ouvertures circulaires complétées, à l'ouest, par une grande baie brisée - laquelle devait mener dans Je troisième corps de bâtiment de la Merveille resté à l'état de projet.
De haut en bas Les arcs aigus bandés sous les voûtes du scriptorium reposent sur de beaux chapiteaux coiffés de tailloirs profondément refouillés caractéristiques du gothique normand. Pourvue de deux grandes cheminées et de latrines, la salle est éclairée par de grandes ouvertures rondes aménagées dans son mur Nord.
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L'abbaye du Mont-Saint-Michel
Parchemin, encres et couleurs Inventée dans l'antique cité de Pergame. la membrana pergamena, mieux connue sous le nom de « parchemin »est réalisée à partir de peaux animales. Les pages de parchemin assemblées sous forme de feuillets cousus et reliés ont entraîné au 1v' siècle une véritable révolution dans le monde du savoir ; elles ont en effet permis l'élaboration du codex, notre livre. qui a. pour ses facilités d'utilisation. rapidement pris la place du volumen, le rouleau de papyrus Le parchemin présentait l'avantage d'être moins coûteux et mieux adapté au passage de la plume. Plus résistant Un moine copiste travaillant sous la dictée de Sigebert de Gembloux. que le papyrus, il pouvait aUSSi être Avranches, Scnptorial, ms. lS9, fol. 70. gratté, afin de corriger les fautes ou de réutiliser les pages Au Mont, on utilisait principalement des peaux de mouton. Certains manuscrits plus luxueux ont été fabriqués avec du vélin, c'est-à-dire du veau mort-né. Un mois était nécessaire pour convertir une peau en pages. Elle devait en effet être dépoilée, dégraissée dans des bains de chaux, poncée, tendue sur des châssis, avant d'être blanchie à la craie et coupée en feuilles. Une peau de mouton donnait en moyenne deux feuilles. soit quatre pages. Contenue dans une corne de bœuf disposée sur l'écritoire du copiste, l'encre était généralement fabriquée par les moines suivant des recettes propres à chaque scriptorium. Les moines du Mont pouvaient employer de l'encre de seiche, sepia en latin, mais aussi du noir de fumée, ou utiliser le tanin de la noix de galle du chêne. Ces colorants bruns ou noirs étaient mêlés à un liant (colle de peau de lapin ou de tête de poisson, gomme arabique, blanc d'œuf..) Les couleurs étaient fabriquées à l'aide de pigments minéraux, végétaux ou animaux. Les religieux du Mont utilisaient notamment du vert-de-gris (oxyde de cuivre) pour fabriquer de la couleur verte; du cinabre (sulfure de mercure), du minium (oxyde de plomb) à l'origine du mot« miniature» ou des cochenilles pour créer différents rouges; ou encore du trisulfure d'arsenic pour obtenir le beau jaune d'orpiment. Enfin, pour écrire ou réaliser leurs enluminures, les copistes employaient des roseaux taillés en biseau (calames). des plumes d'oie ou de bécasse et un couteau, grâce auquel il pouvait notamment gratter leurs fautes et tailler leur plume.
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Le Mont-Saint-Michel
la baie, le village et l'abbaye
voûteme nt est co mposé de belles voûtes d'arêtes blanchies à la chaux. La paroi septentrionale de la salle est constituée par la base des contrefo rts qui étaye nt l'ense mble du bâtiment et pénètrent largement dans la pièce. Placé sous la responsabilité du frère cellérier, chargé du ravitaillement, le cellier était le garde-manger de l'abbaye. Les victuailles achetées
LE CELLIER ET LES JARDINS DU NORD
Niveau inférieur
En haut Dépôt du musée des Beaux-Arts de Dijon, le plâtre d'Emmanuel Frémiet, maintenant présenté dans !'Aumônerie voisine, a permis aux ateliers Monduit de réaliser la statue en cuivre repoussé dominant la flèche de l'abbatiale. Ci-contre Le cellier avant sa transformation en comptoir de vente. Cette grande salle fraîche servait tout à la fois de fondation à la partie occidentale de la Merveille et de garde-manger.
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par les religieux ou provenant de la dîme versée par les paysans y étaient entreposées. On y trouvait du poisson conservé dans une préparation salée et placé dans des fûts. On y stockait aussi les tonneaux de vin destin és à la table des moines ou des hôtes.
Cette grande salle, sombre et fraîche, est plus dépouillée encore qu e l'aumônerie voisine. De plan rectangulaire, le cellier est divisé en trois nefs de tailles inégales par deux rangées de piliers carrés coiffés de tablettes
Ces différents aliments étaient hissés dans la salle à l'aide d'une cage à écureuil étab li e au nord-ouest de la pièce. Ils pouvaient ensuite être
de pierre appelées « tailloirs
tre uill és a ux niveaux supé rie urs
».
Le
L'abbaye du Mont-Saint-Michel
par la trappe située dans le sol du scriptorium ou par le monte-charge de l'aumônerie voisine qui approvisionnait la cuisine des moines. C'est
Àgauche C'est au pied du mur Nord de la Merveille qu'on réalise le mieux la puissance du monument.
aujourd'hui un comptoir de vente. Les jardins en terrasses et le bois du Nord forment, en quelque sorte, la face cachée du Mont-Saint-Michel. Le point de vue sur l'élévation vertigineuse des puissantes murailles de la Merveille bardées de contreforts d'une part et sur l'immensité des grèves de l'autre constitue la conclusion idéale d'une découverte de l'abbaye. Des bancs tournés vers le large permettent d'observer la baie jusqu'à la carriè re des îles Chausey où l' histoire de l'abbaye a débuté ...
Les jardins du Nord en balcon sur la baie offrent un moment de repos bienvenu après le riche parcours accompli dans l'abbaye.
Plans
Tour Claud ine
Entrée de l'abbaye
N
Tour Boucle
+
/
DemiLune
Légende
D D D D D
Accès dans la ville et dans l'abbaye
Espace non construit Roche r
\ Tour
Accès aux remparts
Basse
Murs
D
Végétation, jardins
D
Constructions Abbaye
,,,
Escaliers
Corps de garde des Bourgeois (Office de tounsme) Porte de
Porte du Roi
Tour du Roi
!'Avancée
Niveau de l'église
C hapelle Notre-Dame
118
Pla s
Niveau intermédiaire Chapelle Sainte-Madeleine
Appartements de Robert de Tori gni
Citerne
Salle dite des Fleurs de lys Notre- Dame-
sous-Terre
et roue
Crypte Saint-Martin
Grand Degré Intéri eur
Sortie vers le village
Niveau inférieur
Barbaca ne Châtelet Cachots
Chapelle Sainte-Catherinedes-Degrés
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Bibliographie Bazin (Germain), Le Mont-Saint-Michel, histoire et archéologie de l'origine à nos jours, Paris, Picard, 1933. Collectif, Le Mont-Saint-Michel. Histoire et imaginaire, Anthèse - Éditions du Patrimoine, 1998. Decaëns (Henry), Le Mont-Saint-Michel, xm• siècle d'histoire, Éditions Ouest-France, 2008. Decaëns (Henry), Le Mont-Saint-Michel à la Belle Époque, Éditions Ouest-France, 1985. Gout (Paul), Le Mont-Saint-Michel: histoire de l'abbaye et de la ville. Étude archéologique et
architecturale des monuments, 2 tomes, Paris, Armand Colin, 1910. Lefeuvre (Jean-Claude), Découvrir la baie du Mont-Saint-Michel, Éditions Ouest-France, 2012. Le loup (Daniel), Le Village du Mont-Saint-Michel, Éditions du Chasse-Marée, 2004. Leservoisier (Jean-Luc), Les Manuscrits du Mont-Saint-Michel, Éditions Ouest-France, 1996.
Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel, 5 vol., Lethielleux, 1966-1993. Minion (Olivier), Guide secret du Mont-Saint-Michel, Éditions Ouest-France, 2013. Mouton (Jean-Pierre), Histoire religieuse du Mont-Saint-Michel, Éditions Ouest-France, 2006.
Remerciements Je tiens à adresser mes remerciements les plus chaleureux à Michelle, Catherine, Anne, Karen, Thérèse, Jacques, Henry, Alain et Vincent M. sans oublier Anne et Solenne pour l'aide si précieuse qu' ils m'ont apportée dans la réalisation de ce guide.
Editions OUEST-FRANCE Lille - Rennes Éditeurs Anne Cauquetoux et Bertrand Dalin Coordination éditoriale 5olenne Lambert Collaboration éditoriale Lucie Wimetz Conception Studio des Éditions Ouest-France Cartographie Patrick Mérienne Mise en page Brigitte Racine Photogravure Graph&ti, Cesson-Sévigné (35) Impression SEPEC, Péronnas (01) - 08315171101 © 2015, Éditions Ouest-France, Édilarge SA, Rennes
ISBN 978-2-7373-6448-8 • N° d'éditeur 7552.02.0,6.11.17 Dépôt légal : avril 2015 Imprimé en France www.editionsouestfrance.fr
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10-31 -1 470 1 Certifié PEFC I Ce produit est issu de forêts gérées durablement et de sources contrôlées ./ pefc.france.org
Aux Mitions ouest-France
En première de couverture : En haut: Autrefois, les miquelots rejoignaient le sanctuaire en partant du bec d'Andaine à marée basse. Aujourd'hui encore, à condition d'être accompagné d'un guide, il n'y a pas de plus belle manière d'aborder le Mont. En bas: Lors des plus fortes marées, le terre-plein de béton reliant la jetée à l'entrée du village disparaît sous les eaux. Quelques jours dans l'année, le Mont retrouve donc désormais son insularité. (Photo Vincent M.)
En quatrième de couverture : Les beaux écoinçons sculptés du cloître montés sur de fines colonnes pourraient être l'œuvre de Maître Jean et de Maître Roger dont on a retrouvé la signature dans la galerie méridionale du jardin.