Le laser 9782759819843

Plus de cinquante ans après leur invention, les lasers continuent à nous étonner. Leurs performances sont toujours plus

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French Pages 190 [189] Year 2021

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Le laser
 9782759819843

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Collection « Une Introduction à » dirigée par Michèle Leduc et Michel Le Bellac

LE LASER : 50 ans de découvertes 2e édition Ouvrage coordonné par

Nicolas TREPS et Fabien BRETENAKER Préface de Charles H. Townes

17, avenue du Hoggar Parc d’activités de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Dans la même collection Le monde quantique Michel Le Bellac, préface d’A. Aspect Naissance, évolution et mort des étoiles James Lequeux La fusion thermonucléaire contrôlée Jean-Louis Bobin Le nucléaire expliqué par des physiciens Bernard Bonin, préface d’É. Klein Mathématiques des marchés financiers Mathieu Le Bellac et Arnaud Viricel, préface de J.-Ph. Bouchaud Physique et biologie Jean-François Allemand et Pierre Desbiolles La cryptologie Philippe Guillot L’aventure du grand collisionneur LHC Daniel Denegri, Claude Guyot, Andreas Hoecker et Lydia Roos, préface de C. Rubbia Le climat : la Terre et les hommes Jean Poitou, Pascale Braconnot et Valérie Masson-Delmotte, préface de J. Jouzel Aux origines de la masse : particules élémentaires et symétrie fondamentales Jean Iliopoulos, préface de F. Englert Les relativités : espace, temps, gravitation Michel Le Bellac Retrouvez tous nos ouvrages et nos collections sur http://laboutique.edpsciences.fr

Imprimé en France.

© 2015, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf, 91944 Les Ulis Cedex A Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35. ISBN 978-2-7598-1913-3

Avant-propos

L’année 2015 a été déclarée Année internationale de la lumière par l’UNESCO, pour célébrer toutes les révolutions qu’elle a introduites dans les domaines de l’énergie, des communications, de l’électronique, de l’espace et de la santé. La découverte du laser – cette forme exceptionnellement maîtrisée de la lumière – a bouleversé le quotidien de chacun et a apporté un outil aujourd’hui irremplaçable à toute la recherche scientifique. À cette occasion les auteurs de Le Laser publié en 2010 chez EDP Sciences proposent une nouvelle édition de ce livre. Plusieurs chapitres ont été réécrits ou complétés pour tenir compte de l’évolution rapide de la recherche dans certains domaines, comme celui de l’optique quantique et des atomes froids, ou encore celui sur les sources de lumières ultra-brèves. En effet, plus de cinquante ans après leur invention, les lasers continuent de nous étonner. Leurs performances sont toujours plus extraordinaires et le champ de leurs applications ne cesse de s’étendre. Chacun finit par oublier qu’ils sont là, présents dans notre vie quotidienne, tant ils sont devenus des objets familiers. Pourtant il a fallu des années d’efforts aux physiciens atomistes pour trouver le principe du laser et obtenir un premier faisceau de lumière laser à partir d’un cristal de rubis. Depuis, des lasers de toutes les sortes et de toutes les tailles ont été mis au point. Sans avoir l’ambition de couvrir toutes leurs applications qui sont devenues aujourd’hui innombrables, dans les laboratoires comme dans l’industrie, ce livre à plusieurs voix donne un aperçu des divers aspects de l’activité qu’a engendrée le laser. La préface a été écrite par Charles Townes, l’un des inventeurs du laser, prix Nobel de physique en 1964. Elle retrace d’une façon très vivante les étapes souvent mal connues et parfois cocasses de l’histoire de cette découverte qui continue de bouleverser le panorama de la science et de l’industrie depuis un demi-siècle. Rappelons que les succès des inventeurs américains du laser ont été préparés par les chercheurs français travaillant à l’École normale supérieure autour d’Alfred Kastler, qui avait établi les bases de physique atomique nécessaires à la compréhension de la théorie du laser.

Après l’exposé indispensable du principe de fonctionnement du laser, chacun des chapitres détaille différents types d’instruments, des plus grands aux plus petits, ainsi que leurs applications. Longtemps considérés comme une solution à la recherche d’un problème, les lasers ont progressivement pris une place prépondérante dans la recherche et l’industrie. Une leçon à méditer. . . Les lasers sont d’abord devenus des instruments irremplaçables à toute métrologie, que ce soit la télémétrie, la vibrométrie et la gyrométrie pour le guidage des avions ; aujourd’hui d’ailleurs, ce sont les lidars qui sécurisent notre vie quotidienne, du transport aérien à la détection de la pollution. Ils sont également devenus très vite indispensables à la médecine, à la chimie, à la mécanique et à de très nombreux domaines. L’industrie de la machine-outil a été révolutionnée depuis le développement des lasers de puissance pour la soudure, la découpe, la brasure, le marquage. Au niveau du grand public, l’irruption des lasers dans la vie pratique s’est affirmée avec l’apparition des lasers à semi-conducteur, de la taille d’une tête d’épingle. Les lecteurs de disques compacts permettent des stockages d’information impensables il y a une trentaine d’années. Et surtout le réseau Internet utilise leur très grande rapidité pour véhiculer les térabits qui font notre nouvel univers quotidien. Les lasers ont également permis des avancées spectaculaires de la recherche fondamentale : optique quantique, détection des ondes de gravitation, tests de la relativité générale et des théories cosmologiques. Les recherches sur les atomes froids, qui ont valu le prix Nobel à Claude Cohen-Tannoudji en 1997, vont déboucher sur des applications spectaculaires en préparation pour la navigation avec les nouveaux lasers à atomes qui en découlent. On est bien loin d’avoir épuisé les recherches sur la technologie des lasers et les possibilités qu’elles vont offrir. Les lasers ultraviolets et dans le domaine X en sont à leur début. À l’autre bout du spectre des fréquences, les lasers térahertz continuent à se développer et devraient trouver de nombreuses applications en chimie et dans le domaine de la sécurité. Les sources d’énergie du futur utilisant la fusion thermonucléaire nécessiteront de nouvelles générations de lasers très puissants, impliquant de nouveaux matériaux et de nouveaux concepts d’architecture optique. Et demain, de nouvelles maladies vont pouvoir être traitées par laser, comme la DMLA, dégénérescence maculaire de l’œil qui affecte des dizaines de millions de personnes âgées. Bref, le laser a encore un brillant avenir devant lui. Cet ouvrage a été écrit par des chercheurs français, tous fortement impliqués dans des travaux qui perfectionnent ou utilisent des lasers. La liste des auteurs est indiquée au début de chaque chapitre, ainsi que le laboratoire où ils exercent. L’ensemble de cet ouvrage a été coordonné par Fabien Bretenaker et Nicolas Treps. Fabien Bretenaker est directeur de recherche CNRS au laboratoire Aimé Cotton, professeur chargé de cours à l’École polytechnique ; ses recherches concernent la physique des lasers, l’interaction matière-rayonnement, l’optique non linéaire et le traitement optique des signaux radar. Nicolas Treps est professeur à l’université

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Avant-propos

Pierre et Marie Curie à Paris, chercheur au laboratoire Kastler Brossel et membre de l’institut universitaire de France ; ses travaux portent sur les mesures de grande sensibilité, l’optique non linéaire, les propriétés quantiques de la lumière et l’information quantique. Ce livre est destiné à tout public curieux de science et de technologie. Il s’adresse en particulier aux élèves des classes terminales et préparatoires des lycées, à leurs professeurs et aux étudiants scientifiques de tous niveaux. Il comporte une grande diversité de thèmes, tous traités d’une façon aussi simple et pédagogique que possible, avec de nombreuses figures et des schémas clairs mais très peu d’équations. Rédigé à l’occasion de l’anniversaire des cinquante ans du laser et mis à jour pour l’Année internationale de la lumière en 2015, cet ouvrage a pour objectif de faire partager à un large public la passion de ses auteurs, tous chercheurs, pour l’aventure où les a entraînés la lumière de leur laser. Michèle Leduc, Fabien Bretenaker et Nicolas Treps

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Les coordinateurs, les contributeurs et les remerciements Cet ouvrage collectif a été écrit par une quinzaine de personnes dont les noms figurent en tête des chapitres et ci-dessous. La coordination a été assurée par Fabien Bretenaker et Nicolas Treps, avec la complicité de Michèle Leduc et de Michel Le Bellac.

Fabien Bretenaker

Nicolas Treps

Fabien Bretenaker est directeur de recherche au CNRS. Ancien élève de l’École Polytechnique, il a obtenu en 1992 le grade de docteur de l’université de Rennes I pour des travaux sur les lasers en anneau avec applications à la gyrométrie. Il a travaillé plusieurs années pour la société Sagem, notamment sur les gyromètres optiques, avant de rejoindre le CNRS en 1994, au sein du laboratoire de Physique des Atomes, Lasers, Molécules et Surfaces de Rennes. Depuis 2003, il travaille au laboratoire Aimé-Cotton à Orsay. Il est également professeur chargé de cours à l’École

Polytechnique. Son activité de recherche couvre les domaines de la physique des lasers, de l’optique non linéaire, de l’interaction cohérente matière-rayonnement, de l’optique quantique, avec des applications allant du domaine de l’information quantique à l’utilisation de l’optique dans les radars. Nicolas Treps est professeur à l’université Pierre et Marie Curie et membre de l’institut universitaire de France. Ancien élève de l’École Polytechnique, il a effectué sa thèse au laboratoire Kastler Brossel sur les propriétés quantiques des images optiques, thèse soutenue en 2001. Il a ensuite effectué un séjour post-doctoral à l’université nationale d’Australie à Canberra pendant lequel il a travaillé sur les protocoles d’information quantique. Depuis 2002, il travaille au laboratoire Kastler Brossel et ses activités de recherche sont centrées sur les propriétés quantiques de la lumière, les mesures de grande sensibilité, l’optique non linéaire et l’information quantique.

Les contributeurs Les personnes suivantes ont contribué à la rédaction de cet ouvrage : Mehdi Alouini, Hans Bachor, Philippe Balcou, Claude Boccara, Christian Chardonnet, Pierre-François Cohadon, Olivier Dulieu, Nicolas Forget, Sébastien Forget, Saïda Guelatti-Khélifa, Manuel Joffre, Lucile Julien, Bruno Laburthe-Tolra, Michèle Leduc, Serge Mordon, Franck Pereira dos Santos, Isabelle Robert-Philip, Thierry Ruchon et Catherine Schwob. Nous les remercions chaleureusement pour leur travail et leur bonne humeur face à notre impatience.

Remerciements Nous remercions tout particulièrement Michèle Leduc pour nous avoir fait confiance pour la coordination de cet ouvrage, pour son enthousiasme et son aide constante. Nous remercions chaleureusement Charles Townes pour nous avoir livré ses souvenirs dans la préface de cet ouvrage. Nous remercions également Michel Le Bellac pour ses conseils, sa relecture et son irremplaçable expérience en matière de rédaction de livres. Les auteurs de cet ouvrage ont bénéficié de l’aide de nombreuses personnes et nous remercions en particulier Diane Morel pour la traduction de la préface. Nous remercions pour leurs conseils, explications et figures notamment Sébastien Bize, Christian Bordé, Benoit Appert-Collin, Alexios Beveratos, Jean-Pierre Cariou, Anthony Carré, Jean-Pierre Chièze, France Citrini, Jean Fontanieu, Guillaume Gorju, Sinan Haliyo, Antoine Heidmann, Vincent Josse, Pierre Lemonde, John Lopez, Philippe Nicolaï, Daniel Rugar, Laurent Sauvage, Guy Schurtz, Sylvain Schwartz et Pierre Verlot.

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Les coordinateurs, les contributeurs et les remerciements

Table des matières

Avant-propos

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Les coordinateurs, les contributeurs et les remerciements

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Préface

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1 Qu’est-ce qu’un laser ? 1.1 Un dispositif qui délivre un faisceau bien particulier . . . . . 1.2 L’amplification stimulée de rayonnement . . . . . . . . . . . . 1.3 La cavité laser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4 Le laser : un principe unique, mais des réalisations variées .

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2 Des lasers de toutes les tailles 2.1 Introduction . . . . . . . . . . . 2.2 Le laser dans tous ses états . . 2.3 Des lasers pour tous les goûts . 2.4 Des lasers à tout faire . . . . . . 2.5 Conclusion . . . . . . . . . . . .

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4 Des sources de lumière ultra-brèves 4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 Temps et fréquences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3 Dispersion d’une impulsion femtoseconde . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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3 L’information et la communication par laser 3.1 Application du laser aux télécommunications optiques 3.2 Application du laser au stockage optique . . . . . . . . . 3.3 Le gyrolaser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4 Le LIDAR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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4.4 4.5 4.6 4.7 4.8

Schéma de principe d’un laser femtoseconde . . Optique non linéaire et effet Kerr optique . . . . Verrouillage en phase des modes longitudinaux Amplification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Production d’impulsions attosecondes . . . . . .

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5 Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision 5.1 Une source de lumière ultra-stable . . . . . . . . . . . . . . . 5.2 La spectroscopie laser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.3 Les progrès récents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.4 La physique fondamentale testée par la spectroscopie laser 5.5 Les mesures de distance et de déplacement . . . . . . . . . .

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6 Le laser ondulatoire et corpusculaire 129 6.1 Le laser, de la lumière bien rangée ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 6.2 Les photons, et vos secrets seront bien gardés . . . . . . . . . . . . . . . . 136 7 Le laser pour refroidir atomes et molécules 7.1 Les lasers freinent et refroidissent les atomes . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 Les lasers piègent les atomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3 Avec des atomes refroidis par laser : des instruments d’une précision incroyable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.4 Des lasers à atomes analogues des lasers optiques . . . . . . . . . . . . 7.5 Le laser ordonne la matière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.6 Le laser contrôle la chimie des molécules froides . . . . . . . . . . . . . 7.7 Les atomes refroidis par laser : un domaine en pleine expansion . . .

139 . 141 . 144 . . . . .

146 150 153 156 158

8 Applications médicales 161 8.1 Laser et thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 8.2 Laser et imagerie médicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 9 Tout ce dont ce livre ne parle pas

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Bibliographie

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Index

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Table des matières

Préface Charles H. Townes Professeur à l’université de Californie, Berkeley Les principes physiques qui régissent le fonctionnement des lasers étaient connus dès le début du 20e siècle. En 1924, Richard Tolman écrivait déjà « Les molécules dans un état quantique excité sont susceptibles de retourner à leur état fondamental et renforcent ainsi le faisceau principal par absorption négative – on notera que la quantité d’absorption négative peut être négligée pour les expériences d’absorption faites dans les conditions standard » 1 . Mais la vraie reconnaissance de l’utilité de l’amplification par absorption négative n’est intervenue que 30 ans plus tard. Par ailleurs, les lasers et différents masers existent autour de certaines étoiles depuis des milliards d’années. Si nous avions pris soin par le passé d’observer systématiquement le rayonnement micro-onde, nous aurions découvert l’émission intense des masers autour des étoiles. Nous aurions probablement compris le mécanisme de ces radiations et aurions entrepris l’étude des lasers et masers bien plus tôt. Dans les années 50, ma recherche portait sur la spectroscopie micro-onde des molécules à l’aide d’oscillateurs électroniques. Ces outils, de résolution spectrale remarquable, ne pouvaient délivrer des longueurs d’onde plus courtes que quelques millimètres. Pourtant c’était ce régime que je souhaitais atteindre pour étudier les nombreux spectres présents dans l’infrarouge. Après plusieurs tentatives infructueuses dans cette direction, j’ai été choisi pour présider un comité national qui explorerait cette voie. Nous nous sommes rendus dans de nombreux laboratoires et 1

Richard Tolman, Phys. Rev. 24, 297 (1924).

nous avons discuté avec les chercheurs, mais sans trouver de solution. Juste avant la dernière réunion du comité, je me suis réveillé très inquiet de notre manque de succès. C’était une matinée ensoleillée et je suis allé m’asseoir sur un banc public. Je songeais que, bien entendu, molécules et atomes peuvent produire de courtes longueurs d’onde, mais j’avais préalablement écarté cette possibilité : la thermodynamique limite l’intensité des radiations émises à un niveau déterminé par leur température. Mais l’évidence me sauta aux yeux : les molécules et les atomes ne sont pas tenus d’obéir à la thermodynamique. Il est en effet possible d’en avoir plus dans l’état excité que dans l’état fondamental. Je me trouvais alors à l’université de Columbia. Dans ce laboratoire, on cherchait à séparer différents états de faisceaux d’atomes et de molécules et j’ai pensé à utiliser cette technique. Sortant un papier et un crayon de ma poche, je notais quelques nombres et équations appropriés. Ça avait l’air de marcher ! De retour à Columbia, j’ai convaincu un de mes étudiants, Jim Gordon, d’essayer de construire ce type de système amplificateur. Je disposais de tout l’équipement micro-onde et connaissais parfaitement les spectres micro-onde des molécules. J’ai donc décidé de faire l’expérience avec des faisceaux de molécules d’ammoniac, pour amplifier et produire un oscillateur à une longueur d’onde voisine d’1 cm. Avec l’aide de Herb Zeiger, un post-doctorant, Jim Gordon travaillait depuis deux ans à la construction de ce système quand le Professeur Kusch, directeur du département de physique, et le Professeur Rabi, son prédécesseur, vinrent me trouver dans mon laboratoire : « Charlie ça ne va pas marcher, et tu le sais. Tu gaspilles l’argent du département, il faut arrêter ». Je n’étais pas d’accord et ils repartirent, très contrariés. Environ deux mois plus tard, en avril 1954, Jim Gordon débarqua dans l’amphi où je faisais cours et lança : « Ça marche ! ». Nous nous sommes tous précipités au labo pour voir ce nouvel oscillateur. Kusch et Rabi étaient tous deux spécialistes des faisceaux moléculaires et lauréats du prix Nobel. Cela montre que les avancées dans la recherche ne sont pas un pur produit de l’intelligence. Il faut savoir quitter les chemins balisés et prendre des risques. Il apparut plus tard que Basov et Prokhorov, en Union soviétique, travaillaient sur une idée assez similaire. Mais nous ne nous sommes rencontrés qu’après la mise au point de notre système (le leur ne fonctionnait pas encore). De nombreux Américains et quelques Européens avaient visité mon labo et vu l’expérience en cours, mais ils s’étaient montrés sceptiques et peu intéressés. Et je ne connaissais personne qui ait été assez intéressé ou optimiste pour tenter de rivaliser. Un jour au déjeuner, mes étudiants et moi avons choisi le terme maser pour désigner ce nouveau système, acronyme de microwave amplification by stimulated emission of radiation 2 . Il faut dire que l’intérêt pour ce nouvel amplificateur crût 2

Amplification micro-onde par émission stimulée de radiation.

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Préface

significativement après l’annonce de sa mise en œuvre. Ce domaine de recherche devint stratégique et hautement compétitif. Tout en continuant à travailler sur les masers, je passais une année sabbatique à l’École normale supérieure, à Paris. Là, j’ai travaillé dans le laboratoire d’Alfred Kastler, où Claude Cohen-Tannoudji, alors étudiant, Jean Cambrisson et Arnold Honig, un de mes anciens étudiants, étaient plongés dans leurs recherches. Ces deux derniers étudiaient la résonance de spin électronique dans un semi-conducteur et venaient de découvrir la relaxation très lente du spin de l’électron. Incroyable ! Cela signifiait que le spin de l’électron pouvait être excité pendant un temps long et que des masers accordables pouvaient être réalisés. Nous publiâmes ces résultats. Ceci montre combien les interactions entre des scientifiques de domaines différents peuvent susciter de nouvelles idées. En Europe je rencontrai Niels Bohr et, au cours d’une promenade, il me demanda sur quoi je travaillais. Je lui parlai du maser à ammoniac et de la fréquence d’oscillation très pure ainsi produite. « Non, cela ne peut être vrai », dit-il. « Vous devez vous méprendre ». Je lui expliquai que oui, nous avions fait des mesures et que c’était vrai. Mais quand nous nous quittâmes il ne me croyait toujours pas. Il devait avoir en tête le principe d’incertitude et ne pas considérer la moyenne sur un grand nombre de molécules. C’est étonnant de voir que même les plus grands ont parfois des idées arrêtées qui nuisent à l’émergence des nouvelles. Le maser était devenu un domaine de recherche très actif. Mais je continuais, bien entendu, à m’intéresser aux longueurs d’onde plus courtes. Presque tout le monde pensait qu’il n’y avait aucune chance de produire de telles ondes, mais après quelques années sur le maser, je décidai de m’y atteler. Je pris le temps d’y réfléchir. Ce qui m’amena à comprendre et à montrer numériquement qu’on pouvait faire des masers opérant jusque dans les longueurs d’onde optiques. Comme je n’en avais pas encore fait le tour, je décidai de garder cette idée pour moi. Le domaine était en effet devenu à la mode et je savais que quelqu’un essayerait de publier en premier sitôt cette hypothèse dévoilée. J’étais consultant aux Bell Labs, où travaillait Art Schawlow, mon ancien post-doc, qui est d’ailleurs devenu mon beau-frère en épousant ma petite sœur. Je lui parlai de mon idée et de la possibilité de descendre vers les longueurs d’onde optiques. Il s’exclama : « Ah, j’y pensais justement, peut-on y travailler ensemble ? » J’acceptai évidemment. Sa contribution fut de taille : utiliser deux plans parallèles comme résonateur. Cette idée lui vint probablement grâce au Fabry-Perot dont il se servait pour la spectroscopie. Au départ, moi, je ne pensais me servir que d’une cavité fermée, comme cela se faisait en micro-onde. Nous avons décidé de publier un papier théorique avant de faire l’expérience, car le risque était grand que quelqu’un ne publie avant nous, sitôt cette possibilité connue. Et c’est ce que nous fîmes.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Avant la publication, il nous sembla judicieux de donner le brevet sur les masers optiques à Bell Labs, qui le confièrent à leur cabinet spécialisé. Quelques jours plus tard je reçus un coup de téléphone : pour le cabinet, la lumière ne pouvait pas servir aux communications. Cela ne présentait pas d’intérêt pour eux et nous pouvions déposer ce brevet nous-mêmes si nous le souhaitions. Nous savions qu’ils avaient tort, nouvel exemple du rejet des idées nouvelles par des spécialistes. Je proposai à Art Schawlow d’y retourner pour les convaincre. Ils finirent par accepter de déposer un brevet, nommé Optical Masers and Communication. Schawlow et moi avons publié l’article Masers Optiques pour poser les bases du domaine avant d’essayer de construire un prototype. Un nom évident s’est imposé un peu plus tard, Laser acronyme de Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation 3 . Suite à cette publication, nombreux furent ceux qui tentèrent de construire un laser, y compris mes propres étudiants. Malheureusement, à cette époque on m’a proposé un poste important à Washington en tant que conseiller du gouvernement. Poste que j’ai accepté, bien sûr, mais qui me laissa peu de temps pour aider mes étudiants. Ils ne parvinrent pas à construire le prototype. Ted Maiman fabriqua le premier laser en mai 1960, à l’aide d’un cristal de rubis et d’une lampe flash intense. Quelle idée remarquable, ce flash, pour produire au moins une excitation temporaire. Et moi qui n’y avais pas pensé ! Avec son expérience, Maiman fit crépiter les flashes – de lumière rouge, mais aussi de la presse ! Ce fut le premier laser opérationnel, d’autres suivirent. Ainsi, celui de Mirek Stevenson et Peter Sorokin à General Electric, puis le laser hélium-néon d’Ali Javan (un de mes anciens étudiants), Bill Bennett et Don Herriott aux Bell Labs. Tous ces inventeurs des premiers lasers étaient de jeunes diplômés d’universités menant des recherches en spectroscopie. Et toutes ces inventions étaient le fait de laboratoires industriels. Une fois son intérêt suscité, l’industrie travaille vite et avec succès ! Tant de personnes, ingénieurs et scientifiques, ont contribué à la croissance rapide et aux très nombreuses applications des lasers ! Le laser a modifié en profondeur l’optique. Il s’est imposé dans de nombreux domaines, ce que personne n’envisageait lors de sa mise au point. Par exemple, je ne prévoyais aucun usage médical, alors qu’aujourd’hui c’est une de ses applications majeures. Quant à l’optique non-linéaire, c’est une des nombreuses nouvelles créations qui en découlent. Et des lasers de longueurs d’ondes encore plus courtes qui n’avaient pas été initialement envisagés – rayons X ou rayons gamma – sont passés au premier plan. Pas de nouvel acronyme, tel que xasers pour les rayons X. Ce sont tous des lasers sauf pour les micro-ondes. Ces derniers sont toujours des masers même s’il n’y a pas de différence entre les lasers et les masers, sauf que le nom maser est utilisé pour des longueurs d’onde supérieures au millimètre. 3

Amplification de lumière par émission stimulée de radiation.

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Préface

Au départ j’étais plus spécifiquement intéressé par les utilisations scientifiques de ce nouvel objet et je suis ravi de voir toute cette nouvelle science. J’utilise maintenant des lasers pour mesurer la taille et la forme des étoiles. Plus d’une douzaine de prix Nobel ont récompensé des scientifiques ayant utilisés des masers ou des lasers comme instrument clé dans leur travail. Penzias et Wilson ont utilisé un amplificateur maser pour découvrir le big bang à l’origine de l’univers. Les applications techniques des lasers ont, bien entendu, eu un impact encore plus important sur notre société et notre économie que les applications purement scientifiques. L’industrie du laser brasse maintenant des milliards et des milliards de dollars chaque année et on peut s’attendre à ce qu’elle continue à croître rapidement. L’histoire du laser est l’exemple parfait de l’impact de la recherche fondamentale non seulement sur la science, mais aussi sur l’économie – impact ô combien spectaculaire et souvent complètement inattendu. La science fondamentale est à la fois fascinante et susceptible de contribuer considérablement au bien-être humain. Les intéressants chapitres de ce livre en donneront bien des exemples. . .

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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1 Qu’est-ce qu’un laser ? Lucile JULIEN, Professeure émérite à l’université Pierre et Marie Curie, Laboratoire Kastler Brossel, Paris. Catherine SCHWOB, Professeure à l’université Pierre et Marie Curie, Institut des NanoSciences de Paris, Paris. Cela fait maintenant plus de cinquante ans, en mai 1960, qu’a fonctionné le premier laser, un laser à rubis fonctionnant en impulsions. Celui-ci n’était alors qu’une curiosité de laboratoire et l’on ne soupçonnait pas à quoi un tel dispositif pourrait bien servir. D’autres modèles ont rapidement suivi, et la variété et le nombre des lasers dans le monde ont eu une croissance extrêmement rapide. Actuellement le marché mondial des lasers commercialisés est d’environ 6 milliards de dollars par an. Grâce aux propriétés remarquables de la lumière qu’ils émettent, les applications des lasers n’ont cessé de s’étendre, dans l’industrie, le bâtiment, la médecine, les télécommunications, etc. S’ils sont nombreux dans les laboratoires de recherche, les lasers interviennent de plus en plus dans notre vie quotidienne et rares sont maintenant les personnes qui n’ont jamais vu un faisceau laser. Le but du premier chapitre de ce livre est d’expliquer simplement ce qu’est un laser, quels sont ses éléments constitutifs et quel est son principe de fonctionnement, et pour commencer en quoi les propriétés de la lumière qu’il émet sont remarquables. 1 1.1

Un dispositif qui délivre un faisceau bien particulier Le faisceau laser

Un faisceau laser se reconnaît au premier coup d’œil car il est différent de la lumière ordinaire. Selon les physiciens, c’est un faisceau de lumière cohérente.

Nous allons voir comment ses propriétés le distinguent de celles de la lumière émise par les lampes classiques. Ces lampes ordinaires sont de différents types : lampes à incandescence, lampes à décharge (tubes fluorescents), LEDs (diodes électroluminescentes). Mais toutes émettent leur lumière dans des directions multiples, ce qui est bien adapté pour éclairer une pièce ou une région de l’espace, comme cela est représenté sur la figure 1.1. Au contraire, le faisceau émis par un laser est un fin pinceau se manifestant, lorsqu’il est arrêté par un obstacle tel qu’un mur, par une tache brillante et presque ponctuelle.

Figure 1.1. La lumière émise par une lampe classique (a) éclaire dans toutes les directions ; le laser (b) émet un faisceau fin et directif.

Lorsqu’il se propage, même sur de grandes distances, le faisceau laser reste bien parallèle et localisé. Cette propriété de la lumière laser s’appelle la cohérence spatiale. Une autre caractéristique du faisceau laser, qui apparaît dans le domaine visible, est sa couleur : une couleur souvent pure, c’est-à-dire non superposée à d’autres couleurs, et qui fait dire qu’elle est monochromatique. Il s’agit ici d’une deuxième propriété, appelée la cohérence temporelle. Nous avons donc un début de réponse à la question « qu’est-ce qu’un laser ? » : un laser est un dispositif qui produit de la lumière cohérente (à la fois spatialement et temporellement). Nous allons voir dans la suite comment cette lumière est produite et pour commencer rappeler ce qu’est la lumière. 1.2

Qu’est-ce que la lumière ?

La lumière est une onde électromagnétique, c’est-à-dire un champ électrique et un champ magnétique couplés entre eux et qui se propagent ensemble : on parle de champ électromagnétique. Depuis le XIXe siècle, on sait qu’un champ électrique qui varie produit un champ magnétique et que, de même, un champ magnétique

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

qui varie produit un champ électrique. Les couplages entre ces deux champs, ainsi qu’avec les charges et les courants électriques qui en sont les sources, sont donnés par les équations de Maxwell (1831-1879) qui décrivent le comportement du champ électromagnétique et sa propagation. Dans une onde électromagnétique, les deux champs oscillent à la même fréquence, qui est leur nombre d’oscillations par seconde, et l’ensemble se propage dans le vide à la vitesse c, appelée vitesse de la lumière. La vitesse c est une constante universelle. La théorie de la relativité, développée par Einstein en 1905, nous a appris que cette vitesse est la même pour tout observateur placé dans un référentiel galiléen. Depuis 1983, elle a pris dans le système d’unités internationales une valeur fixée à 299 972 458 m/s, soit environ 300 000 km/s, à l’occasion de la redéfinition du mètre. Si la lumière est une onde électromagnétique, le domaine des ondes électromagnétiques est bien plus large que celui de la lumière visible. Il couvre un vaste domaine de fréquences, représenté sur la figure 1.2, depuis les ondes radios du côté des basses fréquences, jusqu’aux rayons gamma vers les très hautes fréquences. Le domaine optique est au milieu de ce spectre : il s’agit du visible, encadré par l’infrarouge d’un côté et l’ultraviolet de l’autre.

Longueur d’onde : λ (m) 103

1

10-3

10-6

km

m

mm

μm Visible

Micro-ondes Ondes radio

Infrarouge

106

109

1012

MHz

GHz

THz

10-9

10-12

nm

pm

Rayons X

UV 1015

Rayons gamma

1018

Fréquence : v (Hz)

Figure 1.2. Les domaines couverts par les ondes électromagnétiques.

À chaque fréquence est associée une longueur d’onde, donnée par la relation : λ = νc . Les grandes longueurs d’onde correspondent donc aux faibles fréquences et les petites longueurs d’onde aux hautes fréquences. La longueur d’onde dans le visible va de 400 à 800 nm (1 nm = 10−9 m soit 1 milliardième de mètre). Dans ce domaine, notre vision associe à chaque longueur d’onde une couleur : violet, bleu, vert, jaune, orange, rouge, en suivant l’ordre des longueurs d’onde croissantes. Ce sont les couleurs de l’arc-en-ciel, que l’on obtient en décomposant de la lumière blanche à travers un prisme ou une goutte d’eau.

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Au centre du spectre visible, la longueur d’onde est de 600 nm et la fréquence de 500 THz, soit 500 mille de milliards d’oscillations par seconde (1 THz = 1012 Hz). La fréquence est l’inverse d’un temps (1 Hz = 1 s−1 ) ; c’est pourquoi la monochromaticité dont on a parlé plus haut est une propriété dite temporelle de la lumière.

1.3

Des photons pas comme les autres

Au XXe siècle, la mécanique quantique est venue bouleverser notre façon de décrire le monde physique, en remettant en cause nombre de notions héritées de la physique dite classique. Elle nous a appris par exemple que toute particule peut se comporter comme une onde. L’onde associée à un atome a en général une longueur d’onde trop courte pour qu’on puisse la mettre en évidence. Cependant, lorsqu’on refroidit des atomes à très basse température, comme leur longueur d’onde est d’autant plus grande que leur vitesse est faible, leur comportement ondulatoire commence à se manifester : les méthodes de refroidissement des atomes, qui mettent en jeu des lasers, ainsi que les propriétés quantiques des atomes froids, sont détaillées dans le chapitre 7 de ce livre. L’onde électromagnétique elle aussi ne peut être totalement appréhendée sans la mécanique quantique. Certaines de ses propriétés ne sont comprises qu’en la décrivant comme un flux de particules ; c’est le domaine de l’optique quantique (voir le chapitre 6). Les particules de lumière sont appelées des photons. Elle n’ont pas de masse, contrairement aux atomes, et se déplacent dans le vide à la vitesse c. Comment fait-on le lien entre les photons et le champ électromagnétique ? Le champ est caractérisé par sa fréquence, sa direction de propagation et sa polarisation (reliée à la direction du champ électrique). Lorsqu’on traite quantiquement le champ électromagnétique, ces caractéristiques définissent ce qu’on appelle un mode du champ. Ainsi, les photons d’un faisceau laser sont dans un seul mode du champ, ou dans un nombre restreint de modes, ce qui explique leurs propriétés de cohérence spatiale et temporelle. On peut se faire une idée imagée de ces photons, par analogie avec des piétons (voir la figure 1.3) : dans la lumière émise par une lampe classique, les photons sont comme une foule désordonnée où chacun marche à son pas dans sa propre direction ; au contraire, dans un faisceau laser, ils sont comme un bataillon de soldats qui tous marchent au même pas. Ces photons laser pas comme les autres sont donc plutôt des photons tous les uns comme les autres !

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

Figure 1.3. Les photons émis par une lampe classique (a) ont des directions de propagation et des longueurs d’onde variées ; les photons émis par un laser (b) sont au contraire tous identiques entre eux. Sur cette figure, on représente les oscillations du champ électrique de l’onde, dont la période spatiale est la longueur d’onde.

2

2.1

L’amplification stimulée de rayonnement Masers et lasers

Le mot laser, s’il est devenu un terme commun, est à l’origine un acronyme pour light amplification by stimulated emission of radiation c’est-à-dire amplification de lumière par émission stimulée de rayonnement. Et le laser, né en 1960, a un cousin nommé maser (pour microwave amplification by stimulated emission of radiation), né quelques années avant lui, en 1954. Tous deux fonctionnent selon le même principe, mais le maser émet une onde électromagnétique dans le domaine des micro-ondes où les longueurs d’onde sont centimétriques ou millimétriques (les masers, en particulier le maser à hydrogène, sont largement utilisés comme références de fréquences). Dans les premiers temps, les lasers ont d’abord été appelés masers optiques. Comme il apparaît dans leurs dénominations, l’émission stimulée – appelée également émission induite – joue un rôle clé dans le fonctionnement des masers et des lasers.

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2.2

Matière, atomes et niveaux d’énergie

L’émission stimulée est un processus d’interaction entre lumière et matière qui conduit dans certaines conditions à l’amplification de la lumière. La matière à température ordinaire est constituée d’atomes, parfois regroupés en molécules. Sous forme condensée, solide ou liquide, les atomes interagissent fortement entre eux. Pour décrire l’interaction de ces atomes avec la lumière, nous prendrons dans la suite l’exemple d’un milieu dilué, plus précisément d’un gaz. Dans ce cas, les processus d’interaction sont individuels : ils concernent un atome et s’accompagnent de l’apparition ou de la disparition d’un photon (plusieurs photons dans le cadre de l’optique non linéaire que nous n’aborderons pas ici). Rappelons que chaque atome est constitué d’un noyau de charge électrique positive et d’un ou plusieurs électrons de charge négative. Depuis plus d’un siècle, on sait que l’énergie de liaison d’un électron à l’atome, due à l’interaction entre ces différentes charges, ne peut pas prendre n’importe quelle valeur : on dit que l’énergie de l’atome est quantifiée. En 1913, Bohr a décrit l’interaction entre un atome et le rayonnement de la façon suivante : l’atome peut absorber ou émettre de la lumière lorsqu’il effectue un saut quantique entre deux de ses états d’énergie. Si E1 et E2 sont les énergies de ces deux états, choisies telles que E2 > E1 , on a la relation E2 − E1 = hν, où h est la constante de Planck, introduite par celui-ci en 1900 dans son étude du rayonnement du corps noir, et ν la fréquence du rayonnement. La constante h vaut 6,6 × 10−34 J.s, valeur très petite dans notre système d’unités international. Le produit hν donne l’énergie du photon absorbé ou émis, de sorte que cette relation reflète la conservation de l’énergie dans le processus d’interaction : l’énergie perdue par le rayonnement est fournie à l’atome dans le cas de l’absorption ou réciproquement dans le cas de l’émission. On comprend alors pourquoi les spectres des atomes sont formés de raies, comme on peut le voir dans le cas de l’atome de néon sur la figure 1.4. L’énergie de l’atome ne pouvant prendre que des valeurs discrètes, il en est de même de la fréquence – et donc de la longueur d’onde – de la lumière qu’ils émettent ou absorbent.

Figure 1.4. Spectre du néon, émis par une lampe à décharge.

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

2.3

Les processus d’interaction atome-rayonnement

Nous nous placerons par la suite dans le cas d’un rayonnement accordé sur une transition atomique, c’est-à-dire dont la fréquence vérifie une relation de la forme E2 − E1 = hν : on parle alors de résonance optique et l’on peut ne considérer que les deux niveaux d’énergie concernés par cette transition. En pratique, on n’a pas un seul atome en présence du rayonnement, mais un grand nombre d’atomes, qu’on prendra tous identiques. Parmi eux, certains sont dans l’état d’énergie E1 , appelé état fondamental et noté 1, et d’autres dans l’état d’énergie E2 , appelé état excité et noté 2. On a l’habitude d’appeler populations les nombres respectifs d’atomes par unité de volume se trouvant dans chacun des deux états, et de noter ces populations n1 et n2 . Dans les processus d’interaction résonants entre les atomes et le rayonnement, les populations changent alors que de l’énergie est transférée des atomes au rayonnement ou du rayonnement aux atomes. À l’époque de Bohr, on ne connaissait que deux processus d’interaction, l’absorption et l’émission spontanée. Lors de l’absorption, l’atome passe de son état fondamental à son état excité en absorbant un photon (figure 1.5) ; un photon a disparu de l’onde et celle-ci se trouve atténuée. Lors de l’émission spontanée, l’atome initialement dans son état excité redescend dans son état fondamental en émettant un photon (figure 1.6). Ce photon est émis aléatoirement dans une direction quelconque et au bout d’un temps passé dans l’état excité qui est lui aussi aléatoire et dont la valeur moyenne est appelée durée de vie de l’état excité. L’émission spontanée, comme son nom l’indique, n’a pas besoin de rayonnement incident pour se manifester.

Figure 1.5. Le processus d’absorption fait disparaître un photon ; l’absorption atténue l’onde incidente. Les barres noires horizontales représentent les niveaux d’énergie de l’atome. Dans cet exemple, le niveau 2 a une énergie supérieure à celle du niveau 1.

Dans un article publié en 1917, Einstein a introduit un troisième processus, l’émission stimulée. Il s’agit du processus inverse de l’absorption, se produisant, comme elle, en présence de rayonnement incident résonant avec la fréquence de transition. Sous l’effet de celui-ci, l’atome passe de son état excité à son état fondamental en émettant un photon (figure 1.7). Ce processus est cohérent : si les photons

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Figure 1.6. Le processus d’émission spontanée fait apparaître un photon ; la lumière est émise dans une direction aléatoire.

incidents sont dans un mode donné du rayonnement, alors le photon émis l’est dans ce même mode. L’onde se trouve donc amplifiée.

Figure 1.7. Le processus d’émission stimulée fait apparaître un photon dans le même mode de champ que l’onde incidente ; l’onde est amplifiée.

2.4

Amplifier la lumière

Nous avons vu que si l’on éclaire des atomes avec de la lumière résonante, l’émission stimulée a pour effet d’amplifier cette lumière. Mais elle n’intervient pas seule et, pendant le même temps, l’absorption a pour effet de l’atténuer. Les deux processus ont lieu simultanément, ainsi que l’émission spontanée. Peut-on rendre l’émission stimulée prépondérante ? Einstein a montré qu’absorption et émission stimulée se produisent avec des probabilités qui sont données par la même expression, la seule différence étant que la première est proportionnelle à la population n1 du niveau fondamental tandis que la seconde l’est à la population n2 du niveau excité. Pour que l’émission stimulée l’emporte sur l’absorption, il faut donc que l’on ait n2 > n1 ; c’est ce qu’on appelle réaliser une inversion de population. Cette condition n’est pas facile à obtenir car, laissé à lui-même, un atome se trouve naturellement dans son niveau de plus basse

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

énergie, son état fondamental, dans lequel l’émission spontanée le ramène toujours. C’est son état d’équilibre. Pour imposer à l’atome d’être dans un état hors équilibre, il faut lui fournir de l’énergie qui le portera dans son état excité. C’est ce qu’on appelle pomper l’atome. Si le pompage réalise l’inversion de population, alors les atomes pourront amplifier la lumière. 2.5

Le pompage

Le pompage consiste à peupler le niveau 2 tout en dépeuplant le niveau 1, de façon à réaliser la condition n2 > n1 , soit de façon transitoire, soit de façon permanente. Pour cela, il faut fournir de l’énergie aux atomes, dont une partie sera ensuite restituée par les atomes lors de l’amplification du rayonnement à la fréquence ν. Différentes méthodes de pompage sont possibles, électrique, chimique, optique, dans lesquelles l’énergie provient de sources diverses. Considérons plus particulièrement la méthode optique. Elle peut utiliser une source quelconque, telle qu’une source classique non sélective en fréquence, ou bien un laser. Mais l’utilisation d’un faisceau à la fréquence ν, résonante avec la transition entre nos deux niveaux 1 et 2, ne peut convenir. En effet, même s’il est intense, le maximum qu’il permettra d’obtenir sera l’égalité des populations n1 = n2 , en provoquant autant de transitions par émission stimulée que par absorption. Il n’est donc pas possible de réaliser une inversion de population avec un pompage optique à deux niveaux ; pour cela, il faut faire intervenir au moins trois niveaux atomiques différents. Dans le pompage à trois niveaux (figure 1.8(a)), par absorption à partir du niveau du bas vers un niveau supérieur, suivie d’émission spontanée, on peuple le niveau d’énergie E2 et l’on dépeuple, partiellement seulement, le niveau d’énergie E1 . C’est ce type de pompage qui a été utilisé en 1960 par Theodore Maiman pour faire fonctionner le premier laser dans lequel le milieu amplificateur était constitué d’ions de chrome au sein d’un barreau de rubis (pour plus de détails, voir le chapitre 2 et notamment la figure 2.6). Dans le pompage à quatre niveaux (figure 1.8(b)), le niveau d’énergie E1 n’est plus le niveau fondamental de l’atome : on peut donc à la fois peupler le niveau du haut de la transition qui nous intéresse, tout en ayant le niveau du bas peu peuplé puisqu’il se désexcite spontanément vers le niveau fondamental. Ce pompage est plus efficace pour réaliser l’inversion de population ; il est ainsi mieux adapté pour faire fonctionner un laser en continu. C’est ce type de pompage qui est utilisé dans les lasers hélium-néon : l’inversion de population est réalisée entre deux niveaux excités de l’atome de néon, le niveau supérieur étant peuplé par collision avec des atomes d’hélium excités dans une décharge gazeuse. Le premier laser de ce type, construit

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3 désexcitation rapide

2 (a)

pompage

émission laser

1 3 désexcitation rapide

2 pompage (b)

émission laser

1 désexcitation rapide

0 Figure 1.8. (a) Pompage à 3 niveaux : le pompage vide le niveau 1 et le niveau 2 est peuplé par la désexcitation rapide d’un troisième niveau. (b) Pompage à 4 niveaux : le niveau 1 n’est plus le niveau fondamental de l’atome et peut être beaucoup moins peuplé que celui-ci.

par Ali Javan, a fonctionné en 1961 (voir aussi le chapitre 2, et plus particulièrement la figure 2.1).

3 3.1

La cavité laser Transformer un amplificateur en oscillateur

On a vu dans le paragraphe précédent comment on pouvait amplifier une onde lumineuse avec des atomes. Ceci est possible dans un milieu atomique ou moléculaire, qu’il soit gazeux, solide ou liquide, à condition d’avoir réalisé l’inversion de population entre les niveaux d’énergie associés à une transition résonante avec l’onde. L’étape suivante pour aboutir à l’effet laser consiste à transformer l’amplificateur de lumière en oscillateur. Une telle transformation est obtenue couramment dans le domaine de l’électronique : en reliant la sortie d’un amplificateur à l’une de ses entrées, c’est-à-dire en réalisant une boucle de réaction, le système se met à osciller.

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

Dans l’effet Larsen, si pénible aux oreilles, il s’agit encore d’un amplificateur qui se transforme en oscillateur, mais on est ici dans le domaine électro-acoustique, avec un micro, un amplificateur et un haut-parleur. Si le haut-parleur est dirigé vers le micro, le signal est ré-amplifié plusieurs fois par l’amplificateur en circulant du micro vers le haut-parleur. Celui-ci émet alors un son strident dont la fréquence dépend des caractéristiques de l’amplificateur et de la distance séparant le micro du hautparleur. Il n’est pas nécessaire de parler dans le micro pour obtenir l’effet Larsen. L’oscillation démarre en effet sur le bruit, c’est-à-dire sur les fluctuations sonores de l’environnement. Le laser fonctionne de façon tout à fait analogue : l’oscillation de la lumière, c’est-à-dire du champ électromagnétique, se met en place dans ce cas à partir de l’émission spontanée qui joue le rôle de bruit. Pour réaliser la boucle de réaction optique dans un laser, il faut renvoyer la lumière dans le milieu amplificateur grâce à un jeu de miroirs. Pour que la lumière injectée vienne, à chaque passage dans l’amplificateur, renforcer l’onde lumineuse qui circule dans le laser, il faut que ces ondes soient en phase. En pratique, cela veut dire que l’on doit former avec les miroirs une cavité optique résonante, dont la longueur est un nombre entier de fois la longueur d’onde de la lumière (voir paragraphe suivant). La figure 1.9 donne l’exemple d’une cavité formée avec quatre miroirs, ou cavité en anneau rectangulaire, dans laquelle la lumière tourne en rond. L’un des miroirs, appelé miroir de sortie, n’est pas totalement réfléchissant : c’est à travers lui que le faisceau laser est émis.

Figure 1.9. Transformation d’un amplificateur optique en oscillateur (laser) : un jeu de miroirs renvoie à l’entrée de l’amplificateur la lumière qu’il a émise.

Pour résumer, nous définirons donc un laser comme une source de lumière cohérente constituée d’un amplificateur optique, pompé par une source d’énergie, et placé dans une cavité résonante formée de plusieurs miroirs.

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3.2

La cavité Fabry-Perot

La cavité laser la plus simple est constituée de deux miroirs se faisant face. On parle de cavité Fabry-Perot. Il s’agit de la géométrie dite linéaire (par opposition à la géométrie en anneau pour laquelle au moins trois miroirs sont nécessaires) bien connue en interférométrie. Dans une telle cavité, l’un des miroirs réfléchit totalement la lumière à la longueur d’onde considérée. L’autre, le miroir de sortie, transmet une petite fraction de la puissance lumineuse présente dans la cavité ; l’onde transmise constitue le faisceau laser. La lumière, réfléchie successivement par les deux miroirs, fait des allers-retours dans la cavité. Le chemin optique dans la cavité, correspondant à un aller-retour, doit être égal à un nombre entier de fois la longueur d’onde. Cette condition permet à la lumière de revenir à son point de départ avec la même phase après avoir fait un aller-retour dans la cavité. C’est la condition de résonance : 2L = pλ soit L = p

λ 2

(1.1)

où L est la distance séparant les deux miroirs, λ la longueur d’onde de la lumière et p un nombre entier. Cette condition est nécessaire pour que les ondes présentes soient en phase et donc interfèrent constructivement quel que soit le nombre d’allerretours qu’elles font dans la cavité. En conséquence, pour une longueur de cavité L fixée, seules les longueurs d’onde vérifiant la relation (1.1) pourront être présentes dans le faisceau laser. 3.3

Les modes de la cavité laser

Une telle condition de résonance se retrouve dans d’autres domaines de la physique, en acoustique par exemple. Ainsi une corde pincée, de longueur L et fixée à ses deux extrémités, possède des modes de vibration résonants ayant un nombre entier de ventres de vibration répartis sur la longueur L ; pour ces modes, L est égale à un nombre entier de demi-longueurs d’onde (voir la figure 1.10(a)). La longueur d’onde acoustique, de l’ordre d’une fraction de mètre, est telle qu’ici l’entier p est petit (il vaut soit 1, soit 2, sur la figure). Au contraire, la valeur de la longueur d’onde optique, de l’ordre du micromètre, est telle que p est très grand pour une cavité optique. Par exemple, pour L = 1 m et λ = 500 nm, on a p = 4 000 000. Les modes associés aux différentes valeurs de p vérifiant la condition (1.1) sont appelés modes longitudinaux de la cavité (figure 1.10(b)). Ils sont nombreux et très proches en fréquence dans une c . cavité optique. L’écart en fréquence entre deux modes voisins est donné par Δν = 2L 8 Comme c vaut environ 3 × 10 m/s, il est de 150 MHz dans l’exemple donné cidessus. Bien sûr, comme on le verra plus loin (paragraphe 3.5), ne peuvent osciller

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

Figure 1.10. (a) Mode fondamental et premier harmonique des modes résonants d’une corde vibrante. (b) Mode résonant d’une cavité Fabry-Perot.

dans la cavité que les modes qui sont amplifiés par le milieu amplificateur qu’elle contient. 3.4

La géométrie du faisceau

L’onde lumineuse qui se propage dans la cavité laser n’est pas une onde plane, c’està-dire une onde qui aurait une extension latérale infinie. L’un au moins des miroirs de la cavité doit être concave afin de concentrer la lumière latéralement pour qu’elle soit recueillie entièrement par les miroirs et limiter ainsi les pertes par diffraction. Le profil d’intensité le plus simple que l’on obtient est gaussien : la répartition d’intensité dans un plan transverse (perpendiculaire à la direction de propagation) est donnée par une courbe en cloche de largeur caractéristique 2w. La quantité w est appelée rayon du faisceau (voir la figure 1.11(b)). La répartition d’intensité dans le plan transverse obéit à l’équation suivante : I(r, z) = I0 (z)e



2r 2 w 2 (z)

(1.2)

où z est la direction de propagation, r la coordonnée transverse et I0 (z) le maximum en intensité de la gaussienne. Par définition, 2w(z) correspond à la largeur de cette courbe pour une intensité égale à I0 (z)/e2 , c’est-à-dire à environ 0,13I0 (z). Avec une telle géométrie, le rayon du faisceau n’est pas constant au cours de la propagation de l’onde dans la cavité (figure 1.11(a)). Sa valeur minimale est appelée col du faisceau (waist en anglais) et usuellement notée w0 . C’est autour de la position de ce col que la densité d’énergie lumineuse est la plus importante.

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Figure 1.11. (a) Géométrie du faisceau dans la cavité laser : la dimension transverse du faisceau n’est pas constante. (b) Coupe transverse et profil d’intensité d’un faisceau gaussien.

La valeur de w0 dépend du rayon de courbure des miroirs de la cavité. Autour de la position correspondant à w0 , l’onde lumineuse est peu divergente. On définit la longueur de Rayleigh comme la distance entre la position du col et celle pour laquelle le rayon du faisceau est égal à 2w0 . Lors de sa propagation, à partir de la position du col, sur une distance égale à la longueur de Rayleigh, la taille transverse du faisceau ne varie quasiment pas. À l’opposé, loin du col, l’onde lumineuse peut être assimilée à une onde sphérique : le faisceau est divergent. La valeur de la longueur de Rayleigh, notée zR , dépend de w0 et de la longueur d’onde : zR =

πw02 λ

·

(1.3)

Cette relation est valable quel que soit le type de laser utilisé. Par exemple, dans le cas d’un laser hélium-néon (λ = 633 nm), un col de 600 μm correspond à une longueur de Rayleigh d’environ 2 m. Ceci signifie que, sur une distance de propagation de l’ordre de 2 m, le rayon du faisceau reste quasiment constant. Cette propriété du faisceau laser de se propager sur de grandes distances sans diverger est à la base de nombreuses applications.

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

Toutefois, la relation (1.3) montre que l’on ne peut pas obtenir simultanément un faisceau très directif et de très petit rayon. En effet, plus on focalise (en utilisant des miroirs concaves de faible rayon de courbure), plus w0 est petit, mais plus le faisceau diverge ensuite (zR est également petite). En pratique, le diamètre minimum de la tache lumineuse obtenue en focalisant un faisceau laser est de l’ordre de sa longueur d’onde. C’est pourquoi, pour stocker et lire sur une surface le maximum de données, on utilise une longueur d’onde la plus courte possible : 780 nm pour un CD, 650 nm pour un DVD et 405 nm pour un Blue Ray Disk (voir aussi le chapitre 3).

3.5

Conditions d’oscillation laser

Nous avons décrit les éléments constitutifs d’un laser mais il nous faut voir maintenant les conditions nécessaires pour que l’oscillation laser démarre. Pour cela, nous devons introduire le gain de l’amplification, qui est proportionnel à la différence des populations n2 − n1 : il est positif en présence d’inversion de population. Nous avons dit que l’effet laser démarre sur l’émission spontanée : de même que dans l’effet Larsen, il n’est pas besoin d’onde incidente pour initier l’effet. La lumière émise par émission spontanée par le milieu amplificateur est amplifiée par le milieu et recyclée dans la cavité optique, ceci préférentiellement pour certaines longueurs d’onde. Pour que l’oscillation laser ait lieu, il faut que pour chaque passage dans la cavité le gain de l’amplification soit supérieur aux pertes. Le seuil de fonctionnement correspond à la situation où les deux grandeurs, gain et pertes, sont égales. En dessous du seuil, l’intensité de l’onde dans la cavité est négligeable. Au-dessus du seuil, un faisceau laser est émis. La principale cause de pertes est due aux miroirs. Ceux-ci ne sont pas totalement réfléchissants. C’est forcément le cas pour le miroir de sortie qui doit laisser passer le faisceau émis par le laser. D’autres pertes peuvent également exister dans la cavité, soit au niveau des miroirs (absorption ou diffusion), soit au niveau des autres éléments optiques placés dans celle-ci, y compris le milieu amplificateur (réflexion aux interfaces ou diffraction) : on cherche en général à les rendre les plus petites possible. Dans le cas d’un milieu amplificateur de faible gain, il faut que les pertes de la cavité soient faibles pour que la condition gain supérieur aux pertes soit satisfaite. C’est le cas pour la plupart des lasers à gaz (le gain d’un laser hélium-néon est de l’ordre de 2 %) ; les miroirs de la cavité doivent donc être très réfléchissants pour obtenir l’effet laser (typiquement de l’ordre de 99 % pour le miroir de sortie). En revanche, les diodes laser, qui utilisent des matériaux semi-conducteurs, présentent un gain très important ; les miroirs de la cavité sont obtenus en clivant les faces du matériau et leur coefficient de réflexion, dû à la différence d’indice optique entre

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celui-ci et l’air, est de l’ordre de 30 %. Cette faible valeur est néanmoins suffisante pour obtenir l’effet laser. La condition d’oscillation ci-dessus dépend de la longueur d’onde. C’est vrai en effet pour le gain du milieu amplificateur : c’est une courbe de gain qui donne la réponse du milieu en fonction de la longueur d’onde, comme on le voit sur la figure 1.12. C’est vrai également pour les coefficients de réflexion des miroirs. Nous avons vu en outre au paragraphe 3.2 que la cavité n’est résonante que pour certaines longueurs d’onde bien particulières, associées aux modes longitudinaux de la cavité. On va donc éventuellement avoir plusieurs modes vérifiant la condition gain supérieur aux pertes, chacun pour sa longueur d’onde. On dit dans ce cas que le laser fonctionne en multimode : il émet plusieurs fréquences voisines, séparées de c/2L. Si au contraire un seul mode vérifie la condition, le laser fonctionne en monomode et n’émet qu’une seule fréquence. Ces deux fonctionnements sont illustrés sur la figure 1.12.

Figure 1.12. Gain du milieu amplificateur en fonction de la fréquence (courbe bleue) et modes de la cavité (traits verts), les pertes du système (en rouge) étant supposées constantes. (a) Si la condition gain supérieur aux pertes est vérifiée pour plusieurs modes de la cavité, le laser fonctionne en multimode. (b) Si cette condition n’est vérifiée que pour un seul mode, le laser fonctionne en monomode.

Pour certaines applications, il est nécessaire de disposer d’un laser monomode. Pour passer de la configuration multimode à la configuration monomode, on peut par exemple réduire la longueur de la cavité optique pour augmenter l’intervalle

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

entre les modes successifs ou augmenter le niveau de pertes. La meilleure solution consiste à sélectionner un mode en insérant à l’intérieur de la cavité laser un élément optique sélectif en fréquence, par exemple une sous-cavité plus courte de type FabryPerot (une simple lame de verre peut jouer ce rôle), ce qui revient à imposer une nouvelle condition de résonance qui n’est satisfaite que par un seul mode. Ce point sera également discuté au chapitre 5. Avant de terminer ce paragraphe, il nous faut faire une dernière remarque. Nous avons dit que pour qu’un mode oscille dans la cavité du laser, le gain pour ce mode devait être supérieur aux pertes. Cela veut-il dire que l’intensité lumineuse dans la cavité – et donc l’intensité émise par le laser à travers son miroir de sortie – va croître indéfiniment ? Ce n’est pas le cas et en pratique cette intensité se stabilise à une certaine valeur. La raison en est que, quand l’intensité augmente, des effets de saturation interviennent qui font diminuer le gain. Ceci est illustré sur la figure 1.13. Pour que l’oscillation laser démarre, le gain doit être supérieur aux pertes mais, en régime stationnaire, le point de fonctionnement du laser est atteint pour une intensité lumineuse dans la cavité telle que le gain est égal aux pertes.

Figure 1.13. Gain du milieu amplificateur pour un mode donné en fonction de l’intensité lumineuse dans la cavité laser (courbe bleue), les pertes du système (en rouge) étant supposées constantes. Le point de fonctionnement, donné par l’intersection des deux courbes, correspond à l’intensité I0 : si l’intensité est plus petite, le gain est supérieur aux pertes et elle augmente ; si l’intensité est plus grande, le gain est inférieur aux pertes et elle diminue.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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4 4.1

Le laser : un principe unique, mais des réalisations variées Le principe de fonctionnement du laser

Récapitulons une dernière fois les éléments constitutifs d’un laser : – un milieu amplificateur, pompé dans un état où il peut émettre de la lumière par émission stimulée, et ceci dans une gamme de fréquences caractéristique du milieu ; – une cavité optique qui permet le bouclage du dispositif : elle renvoie l’onde lumineuse dans le milieu amplificateur, et lui impose des propriétés spatiales et temporelles (fréquence). Une partie de l’énergie lumineuse présente dans la cavité s’en échappe : c’est l’émission du faisceau laser. 4.2

Un convertisseur d’énergie

Le laser réalise donc la conversion de l’énergie fournie par le pompage sous forme électrique, chimique ou lumineuse, en une énergie lumineuse cohérente concentrée dans un ou plusieurs modes donnés du rayonnement résonant avec la cavité optique. Le rapport entre la puissance lumineuse émise par le laser et la puissance consommée par le pompage définit le rendement du laser. Il peut varier de 1 pour mille à 50 % selon le type de laser (ce dernier rendement est obtenu avec les lasers à semiconducteurs). Comme les lasers, les lampes classiques ont des rendement variés : ce rendement n’est que d’environ 5 % pour les lampes à incandescence (le reste de l’énergie est converti en chaleur) mais est meilleur pour les tubes fluorescents. La différence principale entre lampes et lasers est le fait que l’énergie lumineuse d’un laser étant émise dans une direction donnée, on peut la concentrer sur une petite surface et obtenir ainsi localement un éclairement très important. À un mètre de distance, une lampe à incandescence de 100 W (soit 5 W lumineux) fournit un éclairement de 0,04 mW/cm2 , alors qu’un laser de 5 W focalisé sur 1 mm2 fournit un éclairement local supérieur à 500 W/cm2 , plus de 10 millions de fois plus intense. C’est pour cette raison que les faisceaux laser présentent un danger pour l’œil car le seuil de dommage de celui-ci est, autour de 600 nm, d’environ 2 mW/mm2 , soit 0,2 W/cm2 . 4.3

Une grande variété de réalisations

Depuis la mise au point du premier laser en 1960, des dispositifs laser de toutes sortes ont été réalisés. Ils utilisent des milieux amplificateurs qui peuvent être gazeux, liquides ou solides (cristaux, verres ou semi-conducteurs) et des méthodes de pompage variées : pompage optique (par laser ou par lampe à flash), électrique, par

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Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un laser ?

collisions ou réaction chimique. . . On trouve en outre de multiples variantes dans la géométrie des cavités et le nombre de miroirs : cavités linéaires et en anneaux de toutes sortes à trois, quatre, six miroirs (cavité en huit). . . Enfin, leur fonctionnement peut être continu ou en impulsions (relaxé, déclenché ou à modes bloqués) et l’on sait maintenant produire des impulsions femtosecondes (1 fs = 10−15 s), de durée comparable à la période de l’oscillation de l’onde (voir chapitre 4). 4.4

Après 50 ans, des lasers partout

Les propriétés remarquables des faisceaux laser font qu’ils sont utilisés dans de nombreuses applications. Des codes-barres aux imprimantes laser, du stockage à la lecture et au transport d’information (voir le chapitre 3), les lasers ont transformé notre vie quotidienne. Dans le bâtiment et l’industrie, ils sont des outils universels pour aligner, percer, découper et souder. Ils permettent de mesurer les traces de polluants (voir chapitre 3), les distances et les vitesses. En médecine, ils sont des instruments thérapeutiques sélectifs et précis (voir chapitre 8). Les lasers sont déjà à la base de nombreuses avancées de la recherche fondamentale (voir chapitres 6 et 7) et ils seront encore bien présents à l’avenir pour sonder la matière, contrôler la fusion nucléaire, détecter les ondes gravitationnelles (voir chapitre 5), et certainement bien d’autres applications que nous ne soupçonnons pas encore. . .

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2 Des lasers de toutes les tailles Philippe BALCOU, Directeur de Recherche au CNRS, Centre Lasers Intenses et Applications, université de Bordeaux. Sébastien FORGET, Maître de Conférences à l’université Paris 13, Laboratoire de Physique des Lasers, CNRS-Université Paris 13, Villetaneuse. Isabelle ROBERT-PHILIP, Directrice de Recherche au CNRS, Laboratoire de Photonique et de Nanostructures, Marcoussis.

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Introduction

Les lasers produisent une lumière maîtrisée, pure et concentrée, qui se distingue de la lumière rayonnée par des sources plus classiques (le Soleil, les ampoules à incandescence ou encore les tubes fluorescents que nous utilisons tous les jours pour nous éclairer). Ce concentré de lumière offert par les lasers leur confère un intérêt pour un grand nombre d’applications : les lasers coupent, soudent ou permettent de mesurer l’altitude d’un relief survolé depuis un satellite. La lumière qu’ils produisent soigne localement des zones malades du corps (voir le chapitre 8), transporte les messages que l’on échange sur internet (voir le chapitre 3), etc. Pour chacune de ces applications, on utilise un type de laser spécifique : car si tous fonctionnent suivant le même principe (en couplant l’émission stimulée à une cavité optique, comme expliqué au chapitre 1), il existe des lasers très différents les uns des autres. Ces lasers, de toutes tailles et de toutes puissances, utilisent des matériaux de toutes sortes (liquides, solides ou gazeux) et peuvent émettre de la lumière de toutes les couleurs (des rayons X à l’infrarouge lointain, en passant bien sûr par le visible). Ils peuvent rayonner de la lumière en continu ou bien sous forme

de flashs de plus en plus courts et de plus en plus puissants. C’est à un petit voyage parmi tous les types de lasers que vous convie ce chapitre : bonne route ! 2

Le laser dans tous ses états

Commençons par un petit rappel des principes exposés au chapitre 1 : pour fabriquer la lumière laser, on place un milieu qui émet et amplifie la lumière au sein d’une cavité, sorte de cage emprisonnant la lumière. C’est ce milieu amplificateur qui constitue le cœur du dispositif. Il est d’usage de classer les lasers en fonction de la nature de leur milieu amplificateur : gaz, liquide ou bien solide. Dans ce paragraphe, nous allons passer en revue tous ces types de lasers. 2.1

Lasers à gaz

Comme son nom l’indique, le milieu amplificateur dans un laser à gaz est constitué d’un gaz ou d’un mélange de gaz, en général contenu dans un tube en verre ou en quartz. Ce gaz émet de la lumière lorsqu’on lui envoie une décharge électrique. C’est le principe même des tubes fluorescents qui produisent de la lumière blanche pour l’éclairage ou colorée pour la fabrication d’enseignes. Pour former un laser, le tube enfermant le mélange gazeux est placé dans une cavité optique formée usuellement par deux miroirs se faisant face. Cette cavité permet de piéger la lumière, de sélectionner la couleur émise et de concentrer le faisceau de lumière produit dans une direction particulière. Parmi les différents gaz employés, les plus utilisés sont l’argon, les mélanges d’hélium et de néon, le gaz carbonique mélangé à de l’azote et de l’hélium ou bien les excimères formés d’un mélange de gaz rare et d’halogène (comme le xénon et le chlore ou bien le krypton et le fluor). Bien sûr, le gaz ne peut pas créer de la lumière à partir de rien. Pour qu’il puisse émettre et amplifier la lumière, il faut lui apporter de l’énergie : on parle d’excitation (ou pompage). Dans les lasers à gaz, cette énergie est habituellement apportée par une source électrique : c’est très pratique puisqu’il suffit de brancher le laser sur la prise murale pour que cela fonctionne ! Tout commence par la collision des électrons (provenant de la décharge ou du courant électrique) avec des atomes ou molécules du gaz. Ces atomes ou molécules peuvent alors être ionisés (ils gagnent ou perdent un électron), puis excités (ils passent dans un niveau d’énergie supérieur), pour ensuite émettre et amplifier la lumière. C’est le principe de fonctionnement des lasers à atomes d’argon ou de krypton. Parfois, le processus est un peu plus compliqué et on a besoin d’un gaz intermédiaire pour transmettre l’énergie : par exemple dans le laser hélium-néon dont le principe est présenté sur la figure 2.1, l’hélium ne sert pas à émettre de la lumière. Il est excité par le courant électrique, puis transmet simplement l’énergie ainsi gagnée aux atomes de néon suite à des collisions entre

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Coupleur de sortie (R=99.7%)

Tube contenant un mélange He (15%)-Ne (85%)

Alimentation électrique (haute tension)

Miroir parfaitement réfléchissant (R=100%) à la longueur d’onde du laser

Fenêtre orientées à l’angle de Brewster pour polariser l’émission laser

Collisions entre He et Ne Emission Laser 632.8 nm

Niveaux excités 1.15 μm Excitation électrique

Transitions nonradiative

Niveau fondamental

Hélium

Néon

Figure 2.1. Principe du laser hélium-néon. Sur le schéma en haut à gauche, on reconnaît le tube qui enferme le mélange gazeux. Ce tube est inséré dans une cavité qui piège la lumière et qui ne la laisse s’échapper que partiellement par un des côtés (ici à gauche). La source d’énergie permettant au mélange gazeux d’émettre et d’amplifier la lumière est l’électricité. Elle va céder son énergie aux atomes d’hélium, qui, en rentrant en collision avec les atomes de néon, vont leur transférer cette énergie. Les atomes de néon ainsi excités émettront de la lumière rouge. Deux clichés de lasers hélium-néon montrent le faisceau rouge rectiligne émis par ce laser. On aperçoit aussi, isolé dans une boîte transparente, le tube qui contient le mélange gazeux rayonnant. La longueur de la cavité est usuellement de quelques dizaines de centimètres.

les deux types d’atomes. Ce sont ces derniers qui vont ensuite se désexciter en produisant les photons rouges caractéristiques du néon. Un autre exemple est le laser à gaz carbonique (aussi appelé laser CO2 ) : les molécules de dioxyde de carbone, qui fournissent le rayonnement lumineux, sont excitées par collision avec les molécules d’azote elles-mêmes excitées par la décharge électrique. Enfin, pour les lasers excimères, les espèces qui produisent le rayonnement lumineux sont obtenues par réaction chimique entre l’halogène (fluor par exemple) et les molécules de gaz rare (argon, krypton, xénon, etc.) excitées par le courant électrique. Les atomes qui produisent la lumière présentent des niveaux d’énergie bien distincts pour les électrons. En effet, un atome est constitué d’un noyau concentrant la quasi-totalité de sa masse ; les électrons de l’atome se distribuent autour du noyau pour former un nuage très étendu. La distribution des électrons n’est cependant pas uniforme dans l’espace. Il existe des régions où la chance de les trouver est plus grande. On dénomme ces régions par le terme d’orbitales. Chaque orbitale ne peut être habitée que par deux électrons, et se caractérise par une énergie extrêmement

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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bien définie. La couleur de la lumière produite par le laser dépend uniquement des niveaux d’énergie des atomes constituant le milieu amplificateur : on a donc une couleur, ou un ensemble de couleurs, pour chaque gaz utilisé. On peut en retenir quelques-unes : les lasers à argon émettent dans le violet et le bleu-vert (surtout 488 et 514 nm), les lasers hélium-néon sont principalement rouges (633 nm), et les lasers à excimères émettent dans l’ultraviolet (par exemple 193 nm pour le mélange argon/fluor). Les lasers à gaz carbonique, quant à eux, émettent dans l’infrarouge moyen, autour de 10 μm : aucune chance de voir leur faisceau à l’œil nu ! Le faisceau de lumière produit par les lasers à gaz est d’une qualité exceptionnelle. Il est très concentré dans l’espace (on dit qu’il est très directionnel), et sa couleur, très pure, est fortement concentrée autour d’une seule longueur d’onde (on dit que ces lasers émettent des raies de lumière très étroites spectralement). Enfin, la puissance lumineuse rayonnée par ces lasers s’étend de quelques milliwatts (pour les lasers hélium-néon) à quelques dizaines de watts (pour les lasers à argon), pour atteindre près de 100 kW avec les lasers à gaz carbonique. Pourtant, les lasers à gaz sont très peu efficaces : il faut envoyer un grand nombre d’électrons pour récupérer un seul photon en sortie. Lorsque la puissance est importante (à partir de quelques watts), une grande partie de l’énergie apportée par l’électricité est perdue sous forme de chaleur lors du processus d’excitation. Il faut donc refroidir le laser en faisant circuler de l’eau autour du tube. De fait, les lasers à gaz sont souvent des lasers encombrants. Les cavités de ces lasers s’étendent sur quelques dizaines de centimètres (pour les lasers hélium-néon par exemple) à quelques mètres (pour les lasers à argon de grande puissance). 2.2

Lasers à colorants

Dans les lasers à colorants, le milieu amplificateur est liquide. Il est composé d’une solution que l’on enferme dans une cuve de verre et qui contient des molécules organiques de colorants. Pour réaliser une telle solution, on part de colorants qui sont en quelque sorte des teintures sous forme de poudres. Ces teintures sont ensuite dissoutes dans des solvants en général alcooliques. Un exemple est la rhodamine 6G, qui forme une poudre de couleur bronze-rouge : cette molécule, dissoute dans de l’alcool, émet une lumière dans les tons de jaune-rouge lorsque la solution est éclairée par une lumière verte. Comment est construit un laser à colorant tel que celui de la figure 2.2 ? Il suffit de placer la cuve de verre dans une cavité optique formée de deux miroirs. Pour l’excitation, c’est une autre affaire : les molécules de colorant diluées dans l’alcool sont bien incapables de conduire correctement le courant électrique, et on ne peut donc pas utiliser l’électricité pour exciter les molécules, à la différence des lasers à gaz. L’énergie nécessaire pour exciter le milieu amplificateur doit donc être apportée

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Figure 2.2. Cliché d’un laser à colorant liquide excité par un laser à argon. Le faisceau bleu vert est le faisceau du laser à gaz, qui délivre la lumière d’excitation. On voit, partant du haut de l’image, le tuyau permettant de faire circuler la solution de colorants rouges depuis un réservoir. Ces colorants, excités par le laser à argon, émettent le faisceau dans les tons jaunes orangés qu’on peut voir sur le cliché (© CNRS Photothèque/Serge Equilbey, Laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’Optique).

par de la lumière. Cette lumière peut être émise par un autre laser (tel qu’un laser à gaz ou un laser solide) ou bien par une lampe à arc qui délivre des flashs de lumière très intenses. Les lasers à colorants émettent principalement dans le visible. On peut donc voir le faisceau laser à l’œil nu (voir la figure 2.2). Le principal avantage de ce type de lasers, qui a fait leur succès pendant des années, est le fait qu’on peut changer la couleur du faisceau laser émis très facilement. Tout d’abord, il existe une quantité énorme de molécules de colorants émettant chacune dans une plage de couleurs donnée : il suffit de choisir la bonne molécule pour avoir la couleur souhaitée. Mais le plus intéressant n’est pas là : chaque molécule a en effet le pouvoir d’émettre plusieurs longueurs d’onde : cela vient du fait que, contrairement aux atomes vus dans les lasers à gaz, qui ont des niveaux d’énergie peu nombreux et bien définis, les molécules complexes de colorant dans un liquide possèdent de très nombreux niveaux d’énergie, très proches les uns des autres : l’effet laser peut avoir lieu entre n’importe lesquels de ces niveaux, ce qui fait que différentes couleurs sont susceptibles d’être émises. On dit que ces lasers sont accordables. Comment

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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choisit-on alors la couleur du faisceau laser ? On utilise pour cela ou bien des filtres très étroits de couleur que l’on insère dans la cavité (voir le chapitre 5), ou bien des miroirs particuliers (on les appelle réseaux de diffraction) pour fermer la cavité : la couleur de la lumière réfléchie par ces miroirs est légèrement modifiée en tournant faiblement le miroir autour de son axe. Ainsi, les lasers à rhodamine 6G peuvent rayonner de la lumière laser depuis le jaune (à une longueur d’onde 570 nm) jusque dans le rouge (à une longueur d’onde de 640 nm) ; la couleur des lasers à stilbène peut s’étendre du violet (à une longueur d’onde de 390 nm) jusque dans le bleu (à une longueur d’onde de 430 nm). Pouvoir changer la couleur du rayonnement laser à la demande est un avantage considérable. De plus, on verra par la suite que disposer d’un spectre large (plusieurs couleurs possibles) est une condition sine qua non pour produire des flashs de lumière ultra-brefs : c’est grâce à des lasers à colorant que sont nés les premiers éclairs de lumière laser très courts, d’une durée de l’ordre de la centaine de femtosecondes, soit plusieurs milliers de milliards de fois plus court qu’une seconde ! Pourtant, les lasers à colorants sont de moins en moins utilisés. Pourquoi ? Et bien tout simplement parce que leur mise en œuvre est très pénible. La solution de colorant se dégrade avec le temps et doit être régulièrement changée. Elle est de plus constituée de solvants souvent mauvais pour la santé (méthanol, etc.). Tout aussi embêtant : les molécules sont détruites par la lumière d’excitation. Pour que le laser puisse marcher en permanence, on fait circuler en continu la solution de colorant dans la fiole de verre reliée par des tuyaux à un réservoir. Cela demande des pompes hydrauliques et rend le système encombrant. Enfin, les colorants doivent être excités, le plus souvent, par d’autres lasers eux-mêmes très massifs. 2.3

Lasers solides

Le milieu amplificateur peut aussi être un solide. Ce solide peut être un morceau de cristal ou de verre, une fibre optique ou bien un matériau très spécifique dit semiconducteur. Insérés dans une cavité optique, ces solides permettent de réaliser des lasers qu’on nomme respectivement lasers à solides, lasers à fibres et diodes lasers. Dans les lasers à solides, on utilise en général des cristaux comme milieu amplificateur. Ces cristaux ne sont autres que des pierres semi-précieuses affectionnées en joaillerie : du rubis, du saphir, du grenat, etc. Les cristaux dans les lasers prennent en général la forme d’une tige ou d’un parallélépipède de dimensions millimétriques. Dans ce cas, la cavité optique est formée autour du cristal, soit en recouvrant deux faces opposées du cristal par un matériau réfléchissant, soit en plaçant le cristal entre deux miroirs. Cependant, ce n’est pas le verre ou le cristal qui rayonne. Ce sont des ions métalliques que l’on inclut dans la matrice cristalline ou vitreuse.

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Les ions métalliques utilisés sont issus soit des métaux dits de transition (chrome ou titane par exemple), soit des terres rares (comme le néodyme ou l’ytterbium), qui contrairement à ce que semble indiquer leur nom, ne sont pas si rares. C’est au moyen de ce type de milieu amplificateur que l’effet laser a pu être obtenu pour la première fois en 1960. Le cristal était alors du rubis, cristal d’alumine contenant des ions de chrome qui lui confèrent sa couleur rouge. Depuis, d’autres cristaux et verres ainsi que d’autres ions ont été utilisés. Parmi les plus employés en ce jour, citons le grenat d’aluminium et d’yttrium (ou YAG) renfermant des ions qui émettent dans l’infra-rouge (le néodyme, à une longueur d’onde de 1064 nm, ou l’ytterbium autour de 1030 nm). La couleur du faisceau rayonné par le laser change non seulement suivant l’ion utilisé, mais est aussi légèrement modifiée suivant le cristal qui le contient. Ainsi, si on remplace le grenat d’aluminium et d’yttrium par du verre, la couleur rayonnée par l’ion néodyme se rapproche légèrement du spectre visible sans pour autant l’atteindre : sa longueur d’onde d’émission descend de 1064 à 1053 nm. Un cas particulier mérite une place à part : en insérant des ions de titane dans une matrice de saphir, on obtient un laser capable de rayonner depuis le rouge (vers une longueur d’onde de 700 nm) jusque dans l’infrarouge (à une longueur d’onde de 1000 nm), au choix, exactement comme pour les lasers à colorant mais sur une gamme de couleurs encore plus vaste. Ce sont ces lasers saphir-titane (voir la figure 2.3) qui sont aujourd’hui utilisés pour créer des flashs de lumière ultra-brefs et ultra-intenses : nous y reviendrons par la suite. Lorsque l’on utilise du verre, on peut l’utiliser sous forme de parallélépipède ou de tige de dimensions millimétriques, mais il peut aussi être étiré pour former une fibre plus fine qu’un cheveu : ce sont les fameuses fibres optiques largement utilisées pour transporter nos communications téléphoniques et les informations échangées sur internet (voir le chapitre 3). En insérant des ions – usuellement des terres rares (ytterbium, erbium ou bien thulium) – dans la fibre, et en plaçant des miroirs aux deux extrémités, on obtient un laser à fibre : ce type de laser (voir la figure 2.4) permet de dissiper efficacement la chaleur produite sur toute la longueur de la fibre, donc de bien l’évacuer : on peut ainsi générer des faisceaux extrêmement puissants. Les fibres optiques sont également utilisées non pas en tant que milieu laser, mais couplées à des lasers : pour les télécommunications par exemple (voir le chapitre 3) ou pour générer des longueurs d’ondes différentes du laser de départ (ce sont les effets non-linéaires illustrés sur la figure 2.4). Les lasers à solides sont très populaires : ils sont stables, compacts, et fournissent un faisceau de très bonne qualité avec des puissances importantes. Ils sont capables de produire de la lumière en continu mais aussi des flashs de lumière ultra-brefs. Pour permettre aux ions d’émettre dans les lasers à solides ou à fibre, l’énergie d’excitation est toujours apportée par de la lumière délivrée soit par un autre laser

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Figure 2.3. Schéma (en haut) et image (au centre) d’une cavité d’un laser utilisant comme milieu amplificateur une matrice de saphir contenant des ions titane. Un faisceau vert, provenant d’un laser à argon ou bien d’un laser néodyme doublé, fournit l’énergie optique nécessaire pour exciter les ions titane. Le point très lumineux à gauche apparaît à l’emplacement du cristal de saphir. Les ions titane rayonnent alors un faisceau de lumière rouge. La photographie en bas est une vue grossie du cristal qui rayonne de la lumière rouge.

soit par une lampe produisant des flashs intenses de lumière. Là encore, on ne peut pas exciter directement les ions par du courant électrique. On utilise souvent des lasers à semi-conducteurs (ou diodes laser) pour exciter les ions, car ces derniers, eux, peuvent utiliser une excitation électrique. Mais qu’est-ce qu’une diode laser ? C’est un laser qui utilise comme milieu amplificateur un autre solide obtenu à partir de matériaux appelés semi-conducteurs, matériaux qui n’existent pas à l’état naturel. Qu’est-ce qu’un semi-conducteur ? C’est un cristal aux propriétés particulières : il transporte moins bien le courant électrique que les métaux (tels que les fils de cuivre qui apportent l’électricité dans nos maisons) mais mieux que les isolants (tels que l’air, le verre ou bien le PVC). Pour bien

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Figure 2.4. Principe de construction d’un laser à fibre. La silice dopée aux ions terres rares est étirée pour former une fibre mince de quelques mètres voire quelques dizaines de mètres de long. Aux deux extrémités de la fibre sont déposés des miroirs. Les ions de terres rares sont excités par une autre source laser (ici indiquée en vert). Le laser ainsi formé produit un faisceau de lumière dans l’infrarouge. En bas à gauche : image d’un laser à fibre (QUANTEL). En bas à droite : effets non-linéaires (ici effet Raman) dans une fibre : un laser vert est envoyé dans une fibre optique (à l’arrière plan) et de nouvelles longueurs d’onde sont générées (rendues visibles ici par réflexion sur un réseau de diffraction).

comprendre comment un tel matériau peut émettre de la lumière, considérons au préalable un atome isolé. L’atome présente des niveaux d’énergie bien distincts pour les électrons. Pour former un cristal, on rapproche un grand nombre d’atomes les uns des autres dans un arrangement géométrique régulier. Dès lors, la répartition des électrons se modifie : les énergies des électrons ne sont plus aussi bien définies comme dans les atomes isolés mais se répartissent dans des intervalles appelés bandes d’énergie. Lorsque la température est proche de la plus basse qui puisse exister dans l’univers (soit −273,15 ◦ C ou 0 K), les électrons se concentrent dans les bandes de plus faible énergie. Ce qui distinguera alors un semi-conducteur des autres cristaux est la faible différence d’énergie entre la bande la plus haute complètement remplie d’électrons et la bande d’énergie supérieure quasiment vide d’électrons. Comment produire de la lumière à partir d’un semi-conducteur ? Si l’énergie lumineuse rayonnée par un atome provient de l’énergie libérée par un électron lorsqu’il descend dans l’échelle des orbitales atomiques, l’énergie lumineuse rayonnée par un semi-conducteur est fournie en revanche lorsqu’un électron transite d’une

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Figure 2.5. En haut à gauche, schéma simplifié d’un laser à semi-conducteur de type ruban. Au centre en rouge, on remarque le matériau qui émet la lumière. Les couches métalliques en haut et en bas permettent d’apporter le courant nécessaire à l’excitation. Enfin, la cavité laser est obtenue en utilisant simplement comme miroirs les faces opposées du semi-conducteur. Une image prise au microscope électronique montre en haut à droite une de ces deux faces (© CNRS Photothèque/Pierre Grech, Didier Cot, Yves Rouillard, Aurore Vicet ; Institut d’Électronique du Sud (IES), Montpellier). En jaune, on voit le contact électrique métallique et en rouge la zone qui produit de la lumière infrarouge. En bas, on présente une autre architecture de laser semi-conducteur, rayonnant la lumière laser non pas par le côté mais à la verticale. Le milieu amplificateur, en rouge, est ceint par deux miroirs semi-conducteurs formés d’un empilement laminaire de différents matériaux semi-conducteurs. Les couches métalliques en jaune permettent d’apporter le courant nécessaire pour exciter le milieu amplificateur. Une image prise au microscope électronique montre en bas à droite une coupe d’un tel laser (© CNRS-Laboratoire de Photonique et de Nanostructures, Marcoussis).

bande permise à une autre de plus basse énergie. Cependant, tous les matériaux semi-conducteurs ne peuvent produire un rayonnement lumineux. Certains d’entre eux, comme le silicium ou le germanium, pourtant largement employés en microélectronique, ne sont d’aucune utilité. On leur préfère par exemple l’arséniure de gallium ou bien le phosphure d’indium, qui présentent l’avantage d’être luminescents. La lumière émise est principalement dans le rouge et s’étend jusque dans l’infrarouge, suivant le matériau choisi. Pour apporter l’énergie nécessaire afin de promouvoir les électrons vers des bandes d’énergie plus haute, on utilise en général une source de courant électrique. C’est le principe des diodes électroluminescentes ou LEDs, que l’on retrouve sur les tableaux de bord des voitures, sur les calculatrices, dans les feux arrières des bicyclettes, sur les télécommandes, etc. Pour réaliser un laser, souvent, il n’est pas utile de rajouter des miroirs pour réaliser la cavité : on utilise simplement les faces opposées du cristal semi-conducteur, à l’interface entre le cristal et l’air (voir le haut de la figure 2.5). On peut aussi préférer apposer des miroirs intégrés à

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

proximité du milieu amplificateur. C’est le cas des lasers dits à cavité verticale dont une image est présentée en bas de la figure 2.5. Les diodes lasers permettent d’obtenir pour un coût réduit des lasers très efficaces : ces lasers à semi-conducteurs ont aujourd’hui pris une très grande importance et représentent une grande partie du marché total des lasers. On les utilise pour transporter l’information échangée par téléphone ou internet (paragraphe 3.1), ils lisent les DVD (paragraphe 3.2) ou les codes-barres dans les supermarchés, etc. C’est aussi grâce aux diodes lasers que chacun peut avoir un laser sur lui : elles servent à réaliser les petits pointeurs lasers rouges vendus à peine quelques euros dans le commerce. Pourquoi ces lasers ont-ils pris tant d’importance ? Une des raisons est leur faible coût de fabrication, grâce à la possibilité d’en fabriquer des milliers en même temps. À cela s’ajoutent leur excellent rendement et leur compacité (voir la figure 2.5 et la figure 3.2) : ils s’étendent sur quelques dixièmes de millimètres et leur épaisseur est de l’ordre du micron, soit environ vingt fois moins que l’épaisseur d’une feuille d’aluminium. En revanche, la lumière laser qu’ils produisent est en général moins directionnelle et de couleur moins pure que celle d’autres lasers (notamment les lasers à gaz). Une des raisons est que la taille de la cavité est toute petite : la lumière est de fait moins directionnelle. 3 3.1

Des lasers pour tous les goûts Des lasers de tous âges

Le phénomène d’émission stimulée, fondement de l’effet laser, est un phénomène naturel. Cependant, il n’a lieu dans la nature que dans des conditions extrêmes que l’on ne trouve pas sur Terre. De précises observations astronomiques ont montré dans les années 1970 qu’il existe des amplificateurs lasers (sans les miroirs bien sûr) dans de nombreuses régions de l’espace, au sein de nuages interstellaires suffisamment denses et excités par la lumière des étoiles. Avant de pouvoir domestiquer l’émission stimulée et créer des lasers sur terre, il a d’abord fallu découvrir sur le papier cet effet physique : ce fut l’œuvre d’Albert Einstein en 1917. La réalisation du premier laser n’a pu être possible que bien plus tard, en 1960, grâce aux travaux théoriques et pionniers de Charles Townes et Arthur Schawlow, puis, immédiatement dans la foulée, avec la mise en œuvre pratique de Theodore Maiman et son laser à rubis (voir la figure 2.6 ainsi que la préface de Charles Townes). Dans cette expérience, ce physicien américain avait constaté que les ions de chrome présents dans le rubis émettent de la lumière rouge lorsqu’ils sont éclairés par des éclairs très intenses de lumière, issus d’un flash de type appareil photo. Pour produire de la lumière laser, il manquait une cavité laser, qu’il construisit en déposant simplement des couches d’aluminium réfléchissantes à

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Lampe flash (Quartz)

Miroir partiellement réfléchissant

Câble électrique Miroir totalement réfléchissant Interrupteur

Source électrique

Cristal de rubis

Cylindre en aluminium

Figure 2.6. Représentation schématique du laser de Theodore Maiman. Il est construit autour d’un barreau cylindrique de rubis rouge. Les ions de chrome du rubis sont excités par une lampe qui délivre des éclairs très intenses de lumière. Cette lampe est formée d’un tube contenant du xénon sous haute pression et qui est enroulé autour du barreau de rubis. Elle est alimentée par une source de courant. La cavité laser est obtenue en déposant des couches métalliques réfléchissantes à chaque extrémité du barreau de rubis.

chaque extrémité d’un cylindre de rubis. Ainsi fut observé le premier faisceau laser, concentré de lumière cohérente, directive et monochromatique. Ce premier laser est un enfant de la recherche fondamentale : les travaux d’Albert Einstein en 1917, l’amplification de micro-ondes par émission stimulée par Charles Townes en 1953, les travaux sur l’excitation par la lumière menés dans le même temps par Alfred Kastler à l’École normale supérieure à Paris. Personne n’avait prévu les multiples applications du laser avant son invention : tout juste imaginait-on qu’il permettrait d’intéressants progrès dans le domaine très pointu de la spectroscopie moléculaire. Pourtant, les lasers sont sortis des laboratoires à la vitesse de la lumière (ou presque) pour très tôt trouver des débouchés. Ils commencent par percer dès 1965, découper dès 1967, lisent les codes barres dès 1974. En ophtalmologie, ils soignent même – avec succès – dès le début des années 1960 des patients n’ayant à l’époque pas froid aux yeux, la technique étant encore balbutiante. Si la lumière laser intervient de nos jours dans de nombreuses applications, les lasers en tant qu’objet d’étude n’ont toutefois pas quitté les laboratoires et de nombreuses recherches continuent toujours. Elles visent à les rendre de plus en plus petits ou de plus en plus puissants, de plus en plus brefs ou de moins en moins chers. Elles cherchent également de nouvelles solutions pour produire de la lumière laser dans des plages de couleurs encore difficilement accessibles telles que l’infrarouge lointain ou les rayons X.

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

3.2

Des lasers de toutes tailles

Les physiciens cherchent toujours à pousser leurs idées et la connaissance aux limites. Le laser n’échappe pas à cette règle, et aujourd’hui les lasers commencent par exemple à entrer dans le nanomonde. Un des plus petits lasers à ce jour est 5000 fois plus fin que le trait d’un stylo à bille (voir la figure 2.7). C’est une tige très fine de semi-conducteur qui comprend le milieu amplificateur et la cavité laser est construite en entourant cette tige de métal. À ce degré de miniaturisation, on ne peut plus comprendre le fonctionnement des lasers avec les modèles classiques et il faut faire appel à de nouveaux outils issus de la physique quantique : c’est le prix à payer pour maîtriser la lumière à ces échelles.

Figure 2.7. Toujours de plus en plus petits, les lasers aujourd’hui peuvent être aussi minuscules qu’un brin d’ADN, 100 fois plus gros qu’une molécule et 1000 fois plus petits qu’un cheveu. Un exemple est donné en bas à gauche (Crédit Prof. Xiang Zhang, UC Berkeley ; © 2009, Nature Publishing Group). Il s’agit d’un des plus petits lasers du monde. C’est un cylindre de semi-conducteur qui agit comme milieu amplificateur ; la cavité est réalisée en entourant le cylindre de métal. Autre stratégie présentée à droite : la cavité laser est construite en suspendant une lamelle de semi-conducteur 100 fois plus mince qu’une feuille d’aluminium, que l’on perce judicieusement de petits trous pour réaliser un miroir (© CNRS-Laboratoire de Photonique et de Nanostructures, Marcoussis). À nouveau le milieu amplificateur est en semi-conducteur. Le laser ainsi construit est à peine plus gros qu’un globule rouge et plus fin qu’un cheveu.

À l’autre bout du chemin, certains lasers peuvent dépasser la centaine de mètres. Ainsi, le Laser Mégajoule (figure 2.8), près de Bordeaux, doit rassembler 176 faisceaux laser dans un bâtiment de 40 000 m2 et 300 mètres de longueur, capable de

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Figure 2.8. À gauche, voici le bâtiment abritant le Laser MégaJoule (LMJ), le deuxième plus grand laser du monde, près de Bordeaux. Ce laser joue un rôle majeur pour l’étude de la matière en conditions extrêmes, avec des applications à la production d’énergie par fusion inertielle, ainsi qu’à des études d’astrophysique de laboratoire (© Didier Fosse/G2I Vertigo). À droite, on montre un schéma de la chambre d’interaction du LMJ, large de dix mètres, dans laquelle 160 faisceaux laser de compression et 16 faisceaux laser de diagnostics sont concentrés sur une micro-bille de moins d’un millimètre, remplie de deutérium et de tritium refroidis. Plusieurs configurations sont étudiées : focalisation directe des faisceaux laser sur la bille, focalisation dans un cylindre auxiliaire, envoi ou non d’un laser pétawatt pour déclencher l’allumage des réactions de fusion (© CEA).

contenir le porte-avions Charles-de-Gaulle ! Avec ses 9000 m2 de surfaces optiques, ce laser d’exception permet depuis 2014 de porter la matière dans des conditions n’existant qu’au cœur des étoiles. 3.3

Des lasers de toutes les couleurs

À la différence des autres sources de lumière ordinaire (le Soleil, les ampoules à incandescence, etc.), les lasers offrent un concentré de lumière, spatial (le fameux faisceau laser, directif) mais aussi spectral. Ainsi, la lumière rayonnée par le Soleil et perçue sur Terre est composée de toutes les couleurs visibles à l’œil nu et s’étend même au-delà, notamment dans l’infrarouge. À l’inverse, la lumière laser est en général concentrée autour d’une seule couleur : elle est dite monochromatique. Comme cela est expliqué au chapitre 1, c’est le choix du milieu amplificateur qui conditionne notamment la couleur de la lumière émise. Suivant le mélange gazeux, le solide ou le colorant retenu, la lumière laser sera bleue, rouge ou bien invisible à l’œil nu, dans l’infrarouge ou l’ultraviolet (voir la figure 2.9). Pour produire de la lumière laser dans l’ultraviolet, on pourra recourir à des lasers à argon ou à excimères. Dans le bleu et le vert, ce sera l’argon. Les lasers à gaz (hélium-néon ou krypton), à solides (semi-conducteur ou rubis) produisent une lumière rouge. Pour atteindre le proche infrarouge, on retiendra les semi-conducteurs ou le grenat

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

La lumière du soleil au niveau de la mer contient toutes ces couleurs

1 nm

10 nm

100 nm

Ultraviolet -

1 μm

10 μm

Visible

100 μm Infrarouge

Argon

Dioxyde de carbone (10,3 (10 3 μm)

Lasers à gaz Hélium-néon (632,8 nm)

Semi-conducteur Lasers solides Titane- saphir p

Figure 2.9. La couleur de la lumière laser dépendra du matériau formant le milieu amplificateur. Une grande partie du spectre peut être couverte, depuis l’ultraviolet jusque dans l’infrarouge.

d’yttrium-aluminium dopé au néodyme. On retrouve encore les semi-conducteurs dans le moyen infrarouge, avec des lasers atypiques appelés lasers à cascade quantique, mais aussi les lasers à dioxyde de carbone. La plupart des lasers ne peuvent produire de la lumière que d’une seule couleur. Cependant, il est possible pour certains d’entre eux d’émettre sur une certaine plage de longueur d’onde. Il en est ainsi pour le laser titane-saphir dont la couleur du faisceau peut être variée depuis le rouge jusque dans le proche infrarouge. C’est aussi le cas des lasers à colorants et certains lasers semi-conducteurs. Le choix de la couleur s’effectue en utilisant des filtres qui ne peuvent être traversés que par une seule couleur ou bien en recourant à des réseaux de diffraction, miroirs qui réfléchissent différemment chaque couleur suivant leur orientation. C’est donc par des réglages optiques très précis que l’on peut sélectionner la couleur désirée.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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3.4

Des lasers de plus en plus courts

Outre un concentré de couleur, les lasers peuvent offrir un concentré de lumière dans le temps. Ils peuvent en effet émettre de la lumière en continu mais aussi sous forme d’éclairs très brefs : on parle alors d’impulsions lasers. Avec les progrès technologiques et scientifiques, ces impulsions deviennent toujours plus courtes, pour ne durer aujourd’hui que quelques femtosecondes, soit un million de milliards de fois plus courts qu’une seconde : pour fixer les idées, on peut dire qu’une femtoseconde est à la seconde ce qu’est l’épaisseur d’un cheveu est à la distance Terre- Soleil. Comment produit-on des flashs de lumière aussi brefs ? On dispose essentiellement de deux moyens : l’un est appelé verrouillage de modes, pour l’autre on parle de régime déclenché.

Figure 2.10. Principe du verrouillage des modes. En haut : lorsque les modes ou couleurs ne sont pas synchronisés, ils sont bloqués par l’absorbant saturable. Par contre, lorsqu’ils sont émis en même temps et donc synchronisés, l’intensité de la lumière devient très intense et suffisante pour traverser l’absorbant saturable : une impulsion laser ultra-courte est alors transmise.

Commençons par la méthode de verrouillage de modes, dont un des modes d’obtention est schématisé sur la figure 2.10 (d’autres techniques de verrouillage de modes seront décrites dans le chapitre 4). Pour cela, remontons en 1927, année au cours de laquelle Werner Heisenberg énonce ce que l’on appelle le principe d’incertitude. Ce principe établit de façon plutôt contre-intuitive que certaines grandeurs ne peuvent être simultanément connues de façon très précise. Ainsi en est-il de la

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

position et de la vitesse d’une particule dans le monde quantique : si on connaît avec exactitude la position de cette particule, alors on ne pourra connaître sa vitesse que de façon très imprécise, et vice versa. Appliqué à la lumière laser, ce principe établit une relation entre la couleur et la durée de l’impulsion laser. Si la couleur de la lumière laser est très peu étalée sur le spectre des couleurs et est donc connue avec grande précision, l’instant auquel cette lumière est émise ne pourra être connu que de façon très imprécise : cet instant sera alors très étalé dans le temps. Quel enseignement peut-on en tirer ? Et bien tout simplement qu’on ne peut pas produire suivant ce principe des flashs très brefs de lumière si la lumière laser est concentrée autour d’une unique couleur. Or, jusqu’à présent, nous avons qualifié la lumière laser de concentré de lumière, notamment en longueur d’onde. Comment faire alors pour émettre des éclairs très courts de lumière laser suivant cette approche ? On voit qu’il est nécessaire de produire une lumière laser non pas concentrée autour d’une seule couleur, mais étalée sur une large plage de longueurs d’onde. Une impulsion de 10 femtosecondes, par exemple, s’étend sur une plage de couleurs très grande, d’environ 100 nanomètres dans le spectre : dans le spectre visible, cette plage correspondrait à près d’un tiers du spectre de couleurs perçues par notre œil, et pourrait s’étendre du vert au rouge en passant par le jaune et l’orange. Ceci pose une première contrainte : il faudra utiliser des milieux amplificateurs qui peuvent émettre à plusieurs couleurs, tels que les colorants ou le saphir contenant des ions de titane. Mais ceci reste insuffisant. Il faut de plus que ces différentes couleurs se combinent en phase de façon à produire des impulsions courtes, comme nous le verrons au chapitre 4 (voir notamment la figure 4.1). Pour effectuer cette synchronisation de toutes les couleurs, on peut par exemple ajouter un élément supplémentaire dans la cavité laser, appelé absorbant saturable. Un tel absorbant saturable est un matériau spécial, dont le principe de fonctionnement est schématisé dans la figure 2.10, qui reste opaque lorsque la puissance de la lumière est faible mais devient transparent pour de la lumière très intense. Avec cet élément, on favorise la production d’impulsions de lumière très brèves (et donc très intenses) dans la cavité : ce sont les seules à pouvoir osciller dans le laser. Avec cette méthode, la durée des impulsions produites est inversement proportionnelle à la largeur de la bande spectrale d’émission du laser : pour un laser composé d’un cristal de saphir dopé au titane, on peut ainsi obtenir des impulsions de quelques femtosecondes seulement. Décrivons maintenant l’autre approche, le régime déclenché (figure 2.11). Pour bien comprendre ce régime, revenons en quelques phrases sur le mécanisme, déjà présenté au chapitre 1, à l’origine de l’émission de lumière laser. On utilise un milieu amplificateur qui contient des atomes, molécules, ions, etc., que l’on vient exciter par apport d’énergie sous forme d’un courant électrique ou de lumière. Lorsqu’une onde de lumière adéquate éclaire le milieu, les atomes, molécules ou ions vont relâcher une partie de l’énergie acquise sous forme de lumière et la transférer à l’onde

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Figure 2.11. Principe de production de flashs de lumière laser en régime déclenché. Dans un premier temps, l’obturateur placé dans la cavité est opaque, empêchant l’onde lumineuse de traverser à plusieurs reprises le milieu amplificateur et donc de gagner en intensité. Il n’y aura pas de lumière laser. Mais on excite sans discontinuer le milieu amplificateur et de plus en plus d’atomes, ions ou molécules sont excités : le gain augmente. Soudainement, on décide d’ouvrir l’obturateur (basculement des pertes). L’onde lumineuse peut dès lors traverser plusieurs fois le milieu amplificateur et gagner en intensité. Le milieu amplificateur libère alors brutalement l’énergie stockée sous forme d’une impulsion de lumière laser.

lumineuse. Il y a alors amplification par émission stimulée. Comme nous l’avons vu au chapitre 1, cela ne suffit pas à provoquer un effet laser : il faut rajouter des miroirs autour du milieu amplificateur pour former une cavité optique. Dans cette cavité, l’onde de lumière rebondit à plusieurs reprises sur les miroirs et traverse à chaque rebond le milieu amplificateur. À chaque traversée, la lumière gagne en intensité, pour donner naissance à une émission laser. Que se passe-t-il maintenant si, en mettant un obturateur dans la cavité, on empêche la lumière de rebondir sur les miroirs ? L’onde ne pourra plus traverser plusieurs fois le milieu amplificateur et ne sera plus amplifiée : il n’y aura plus d’émission laser. Imaginons que l’on puisse contrôler de l’extérieur l’obturateur, pour le rendre passant (et donc autorisant les rebonds de la lumière dans la cavité) ou pour le rendre opaque (empêchant la lumière de faire des allers-retours dans la cavité). Commençons par supposer l’obturateur opaque. Par apport externe d’énergie, on excite sans discontinuer le milieu amplificateur. Il n’y a pas d’émission laser puisque l’obturateur est opaque mais peu à peu, au fil du temps, de plus en plus d’atomes, ions ou molécules sont excités : on dit que le gain du laser augmente. Imaginons alors que, soudainement, on ouvre l’obturateur. L’onde lumineuse peut dès lors faire des allers-retours dans la cavité, alors qu’un nombre important d’atomes, ions ou molécules ont été excités. Le laser démarre donc brutalement et libère toute l’énergie stockée en une impulsion brève et intense. Dans la pratique, l’obturateur est rarement mécanique comme ceux des appareils photo. On utilise soit des composants actifs, que l’on commande électroniquement (on les appelle des obturateurs électro-optiques ou acousto-optiques), soit, comme pour le

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

verrouillage de modes, des absorbants saturables : le déclenchement se fait alors automatiquement, lorsque l’intensité lumineuse est suffisante pour rendre l’absorbant saturable transparent. Il faut noter qu’avec la technique du laser déclenché, il est beaucoup plus facile (et moins cher) de produire des impulsions qu’avec celle du verrouillage de modes : cependant, elle ne permet pas d’atteindre des impulsions ultracourtes (femtosecondes), mais plutôt typiquement de l’ordre de la nanoseconde (soit un million de femtosecondes, ou un milliardième de seconde). Aujourd’hui, on sait donc produire des flashs de lumière de plus en plus courts, d’une durée de l’ordre de la femtoseconde. Identifier la première lettre de cette phrase vous a pris mille milliards de fois plus de temps ! Et pourtant, la course continue pour franchir la barrière de la femtoseconde. Les physiciens font appel pour cela à des techniques ultra-sophistiquées : ils utilisent un gaz d’atomes éclairés par un laser très intense : le laser arrache des électrons des atomes, puis les accélère, et finalement les renvoie brutalement en arrière vers le noyau de l’atome, avec une telle force qu’ils rentrent en collision violente avec le noyau. Lors de cette collision, les électrons émettent un éclair de lumière ultraviolette ultra-bref, environ cinq fois plus court qu’une femtoseconde. On entre ici dans le monde des attosecondes, un milliard de milliards de fois plus courtes que la seconde, et qui sont décrites dans le chapitre 4. 3.5

Des lasers de plus en plus puissants

Concentré de couleur, concentré dans le temps, le laser offre aussi un concentré étonnant de puissance. Les lasers qui produisent en continu de la lumière délivrent des puissances allant de quelques milliwatts à quelques dizaines de kilowatts. Une diode laser délivre quelques milliwatts pour lire un compact-disc et une centaine de milliwatts pour le graver. Les lasers à argon ou à krypton d’une puissance de l’ordre du watt nous émerveillent lors de spectacles son et lumière. À l’autre bout de l’échelle, les lasers à dioxyde de carbone d’une puissance de quelques dizaines de kilowatts sont capables de souder les métaux sur de fortes épaisseurs. De leur côté, les lasers qui produisent des impulsions de lumière peuvent délivrer des puissances s’étendant de quelques milliwatts jusqu’à l’échelle du pétawatt, un million de milliards de watts. Commençons par les faibles puissances : les petites diodes laser envoient des impulsions de quelques milliwatts pour transmettre l’information que nous échangeons par téléphone ou sur internet ; les lasers à grenat d’yttrium-aluminium dopé au néodyme produisent des impulsions de lumière de quelques millions de watts, pour décaper et nettoyer les murs des monuments historiques. À l’autre bout de l’échelle, des impulsions d’environ cent mille térawatts

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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seront délivrées par l’Infrastructure Laser Extrême, nouveau système laser européen poussant aux limites toutes les technologies optiques les plus avancées. À titre de comparaison, un térawatt c’est cinquante fois la puissance électrique générée par le barrage des Trois Gorges en Chine, c’est la puissance de sortie d’environ 700 centrales nucléaires modernes ! Cependant, la centrale nucléaire fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an, alors que le laser délivre toute cette puissance uniquement de temps à autre sur des durées très courtes, simplement pendant la durée des impulsions. Ainsi, un laser délivrant une puissance en continu de 10 watts fournit une énergie ridicule de seulement 10 joules en une seconde : de quoi chauffer de 2 degrés à peine un gramme d’eau. Mais s’il concentre cette énergie de 10 joules en une décharge lumineuse d’un centième de seconde, la puissance atteinte lors de l’impulsion (appelée puissance crête) va être multipliée par cent et sera d’un kilowatt, correspondant à la chaleur délivrée en continu par une bouilloire électrique domestique. Avec les mêmes 10 joules d’énergie, mais concentrés dans un temps extraordinairement bref de dix millionièmes de milliardièmes de seconde, près de la limite de ce que la physique autorise avec seulement quatre oscillations du champ électrique de la lumière, alors on peut obtenir une puissance crête inimaginable d’un million de milliards de watts, dix mille fois supérieure à toute la puissance électrique consommée en France au cœur de l’hiver. Pour créer en permanence une telle puissance, il faudrait disposer d’un million de tranches de centrales nucléaires. Comment produire des puissances aussi colossales, même sur des temps très courts ? Le principe en est schématisé sur la figure 2.12. On ne peut le faire en une seule étape. On doit donc d’abord produire des impulsions brèves. Ensuite, on les amplifie. Cependant, les flashs ultra-courts de lumière laser transportent déjà une telle puissance qu’ils endommageraient l’amplificateur si on le faisait directement sans précaution. Pour éviter de détériorer le milieu amplificateur, on utilise une technique particulière, appelée amplification à dérive de fréquence. Dans cette technique, avant d’amplifier l’impulsion, on étire celle-ci dans le temps, de façon réversible. Pour l’allonger, on sépare les différentes couleurs de l’impulsion avec des miroirs particuliers (appelées réseaux de diffraction), on leur fait parcourir des chemins différents pour retarder les couleurs les unes par rapport aux autres (la couleur bleue parcourt un chemin plus long que la couleur rouge). On obtient alors une impulsion plus longue et donc de puissance crête plus faible. Cette impulsion, allongée jusqu’à 10 000 fois, peut traverser les amplificateurs sans les endommager. L’impulsion est donc amplifiée et, en fin d’amplification, on raccourcit l’impulsion. Pour comprimer l’impulsion dans le temps, on utilise la même technique que pour l’étaler, mais de façon inverse. En sortie, on retrouve donc l’impulsion brève, mais l’énergie qu’elle a reçue pendant l’amplification, associée à sa courte durée retrouvée, lui confère une puissance très élevée.

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Impulsion ultra-courte

Étireur

Amplificateur Impulsion étalée dans le temps et amplifiée

Compresseur

Impulsion étalée dans le temps

Impulsion ultracourte amplifiée

Figure 2.12. Méthode d’amplification des impulsions de lumière laser pour leur conférer des puissances extrêmes. On produit tout d’abord une impulsion laser que l’on amplifie ensuite. Cependant sa puissance crête est si grande qu’elle pourrait endommager le milieu amplificateur. On l’étale donc dans le temps pour diminuer cette puissance, ensuite on amplifie l’impulsion étendue puis on re-concentre l’impulsion amplifiée dans le temps.

Mais la puissance n’est pas tout. Nous avons vu au chapitre 1 (paragraphe 1.4.2), qu’une diode laser délivrant un milliwatt de lumière peut être dangereuse pour l’œil, alors que sa puissance est beaucoup plus faible que celle de la lampe à incandescence de 100 W d’un plafonnier. En effet, la lumière du laser peut être concentrée dans l’espace, permettant d’atteindre un éclairement, ou densité de puissance (nombre de watts par centimètre carré) beaucoup plus importante qu’une source classique. Voici un exemple : un laser hélium-néon de 1 mW, concentré par le cristallin sur notre rétine, produit un éclairement de 100 W/cm2 , mille fois plus que l’éclairement produit par le Soleil. Les physiciens s’amusent alors à concentrer cette extraordinaire puissance lumineuse sur une surface minuscule, d’environ un micromètre carré. Ce faisant, les impulsions laser ultra-brèves les plus intenses décrites précédemment peuvent produire un éclairement de mille milliards de milliards de watts par cm2 . À des niveaux pareils, la matière a cessé depuis longtemps d’être dans l’état solide, ou liquide, ou gazeux que nous connaissons dans la vie de tous les jours, pour se transformer en plasma. Dans l’état plasma, les électrons sont arrachés des atomes, se déplacent à grande vitesse, soit de manière anarchique, soit au contraire de manière très ordonnée. On peut imaginer le plasma comme une sorte de mer d’ions et d’électrons,

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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qui peuvent créer des vagues, des remous, des tourbillons, etc. Comme au bord d’un océan, les vagues d’électrons peuvent déferler ; une impulsion laser traversant le plasma peut aussi se comporter comme un hors-bord, créant un sillage derrière elle, dans lequel certains électrons chanceux vont exactement imiter les surfeurs les plus fous, se laissant emporter par la vague de sillage, et ainsi être accélérés jusqu’à atteindre des vitesses extrêmement proches de celle de la lumière. Ce mécanisme d’accélération est jusqu’à dix mille fois plus efficace que dans les accélérateurs traditionnels les plus performants, basés sur des cavités accélératrices, ce qui ouvre peut-être la voie aux accélérateurs de particules du futur. 4

Des lasers à tout faire

Concentré de puissance, concentré dans le temps, concentré de couleur, concentré dans l’espace. Et multitude d’applications ! Dès sa découverte, le laser a fait naître les rêves les plus fous. Le laser pouvait-il être la solution pour faire fondre de dangereux icebergs ou pourrait-il transporter les hautes tensions ? De façon moins fantaisiste et bien plus réaliste, les lasers sont sortis très rapidement des laboratoires pour souder et découper avec précision, ou bien comme bistouri de lumière pour soigner. Et pourtant, le laser ne fut pas inventé en réponse à un besoin exprimé par l’industrie ou le grand public. En effet, contrairement à la plupart des inventions majeures du siècle dernier, comme les ordinateurs qui furent inventés pour réaliser des calculs de plus en plus complexes, le laser ne répondait lors de sa création a aucun besoin majeur de la société. Mais si personne n’avait alors besoin d’un laser, la suite de l’histoire a prouvé qu’il a en fait résolu un grand nombre de problèmes de science mais aussi de la vie courante. Faisons un rapide tour d’horizon de quelques-unes de ces applications, faisant chacune appel à un des types de laser que nous avons passés en revue dans ce chapitre. 4.1

Pour découper, pour souder, pour nettoyer

Souder, percer, découper, décaper, etc. Et ce sur des surfaces très petites avec une finesse record et sur des matériaux aussi durs que le diamant. Comme le montre la figure 2.13, la lumière laser s’utilise aujourd’hui quotidiennement pour sculpter la matière, et ce dans presque n’importe quelle gamme de dimensions. Sur les chantiers navals par exemple, des tôles de plus de 25 mètres de long sont soudées au laser. Dans l’industrie automobile, les lasers effectuent jusqu’à 100 soudures par minute. Le laser permet également de sculpter la matière à de toutes petites échelles : de nos jours, tels le pinceau délicat et précis d’un miniaturiste de génie, les faisceaux lasers dessinent des motifs sur la matière, avec une précision d’environ 100 nm. Si le trait de l’artiste peintre était si fin, son tableau tiendrait sur un cheveu !

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Mais comment fait-on pour polir, creuser, sculpter la matière avec un simple faisceau laser ? On utilise ici le concentré de puissance qu’offrent les lasers sur de toutes petites surfaces. Grâce à l’énergie exceptionnelle très localisée délivrée par le laser, on peut chauffer la matière sur une zone très réduite et la vaporiser. En vaporisant la matière, on peut ainsi couper ou percer. Pour souder, on vient chauffer localement le joint de soudure : se forme alors, le long du joint à former, un petit tube (ou capillaire) rempli de vapeur de métal, tapissé par du métal liquide. Lorsque le faisceau est déplacé du point à souder, le métal liquide se refroidit et redevient solide : le joint est formé. On peut aussi déposer grâce au laser de fines couches de matière. On parle alors d’ablation laser. Pour réaliser ce dépôt, le laser éclaire le matériau à déposer, qui est placé dans une enceinte sous vide. Le laser vaporise le matériau, qui se dépose ensuite en couches minces sur un support placé dans la même enceinte.

Figure 2.13. Dans l’industrie, les lasers sont utilisés pour de multiples procédés : perçage (gauche), marquage ou creusement (centre), usinage de précision comme pour ce micro-engrenage (droite), mais aussi décapage et nettoyage, soudure, durcissement, assemblage, micro-lithographie, etc. (© Photothèque ALPhANOV).

Déposer, graver la matière. . . Tout cela est rendu possible avec les lasers. Mais pour cela, il faut beaucoup de puissance, typiquement plus de quelques centaines de watts par cm2 . Il faut donc utiliser des lasers très puissants, puis ensuite concentrer la lumière laser sur une zone réduite à l’aide d’éléments optiques. Actuellement, les lasers les plus largement utilisés restent les lasers à gaz carbonique, et parfois certains lasers à solides. Les puissances utilisées varient de quelques watts (pour découper des plaques fines de plexiglas) à plusieurs milliers de watts (pour la découpe de tôle épaisse de 2 centimètres ou de plaques en inox d’environ 1 centimètre d’épaisseur). Une machine de découpe laser comprend la source laser, une table de découpe et tout un système robotisé permettant de déterminer avec une grande exactitude le point d’impact du laser sur l’objet à découper. On peut alors découper ou graver suivants de motifs de toute forme (voir la figure 2.13), des petits trous, des lignes, etc.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Figure 2.14. On voit à gauche l’image d’un trou percé dans du molybdène en régime thermique (le laser produit un échauffement) avec un laser à 248 nm et délivrant des impulsions nanosecondes. À droite, un trou a été percé au laser dans du tungstène en régime athermique (on ne chauffe pas avec le laser), avec un laser à 1030 nm délivrant des impulsions de 500 femtosecondes. (© Photothèque ALPhANOV.)

Les lasers qui produisent de la lumière en continu produisent un échauffement très fort en permanence. Lorsque l’on veut ciseler la matière à de toutes petites échelles de l’ordre du micromètre (environ dix fois moins que l’épaisseur d’un cheveu), l’échauffement induit par l’éclairement va engendrer des défauts. En particulier, la chaleur fait fondre les contours du trait de coupe et on voit apparaître sur les bords une sorte de bourrelet ou collerette dus à la fusion du matériau, comme on peut le remarquer sur l’image de gauche de la figure 2.14. Comment apporter de la puissance sans trop chauffer ? On a une solution : utiliser les fameux lasers qui produisent des impulsions ultra-brèves et ultra-intenses de lumière dont nous avons parlé plus haut. L’énergie que ces lasers délivrent n’est déposée que pendant un temps court ; il n’y a donc pas d’échauffement. Mais au cours de l’impulsion, la puissance crête est très élevée ; on peut donc découper non pas en chauffant mais en vaporisant littéralement le matériau : la figure 2.14 montre à quel point on obtient ainsi des bords de découpe lisses et nets et des trous plus profonds. 4.2

Pour communiquer

Internet, téléphonie mobile, ordinateur. . . Nous voilà entrés dans une société d’information et de communication. Tous ces progrès ont profité de la réalisation de circuits microélectroniques toujours plus performants et toujours plus petits. Nos ordinateurs, nos téléphones et plus largement tous les appareils électroniques rassemblent un nombre impressionnant de micropuces. Pour réaliser des circuits toujours plus petits, par exemple dans la fabrication du processeur Pentium IV, on utilise un faisceau laser pour dessiner chaque composant. Le laser est un laser excimère émettant vers 193 nm de longueur d’onde, dans l’ultraviolet.

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Si l’on peut traiter les informations grâce à la microélectronique, il faut aussi pourvoir les stocker et les lire. La lumière laser rend possibles ces fonctions. Les diodes lasers lisent les codes-barres. Ce sont elles encore que l’on trouve dans les imprimantes laser. Les lasers ont aussi révolutionné le domaine du stockage d’information à travers les CD et DVD, qui permettent d’enregistrer un grand nombre de données sur une petite surface. Nous en reparlerons plus en détail au chapitre 3. Enfin, il faut pouvoir échanger les informations. Là encore, la lumière laser joue un grand rôle. L’essor des télécommunications, puisque c’est de cela qu’il s’agit, a changé en profondeur et durablement notre façon de vivre. En quelques mots, on code l’information, en faisant varier l’intensité du signal laser pour former des 1 (forte intensité) et des 0 (faible intensité). Cette information est alors propagée par la lumière qui circule dans les fibres optiques aujourd’hui reliées à nos foyers. Le chapitre suivant est consacré à l’importance du laser dans ce domaine.

4.3

Pour soigner

Soigner vos dents, enlever votre tatouage, retoucher votre cornée, épiler définitivement vos jambes, effacer une ride, prévenir le décollement de la rétine, cautériser des vaisseaux sanguins, vaporiser une lésion : voilà le laser devenu bistouri ! Grâce au concentré de lumière sur de toutes petites surfaces, les faisceaux laser peuvent aujourd’hui couper et cautériser les tissus organiques, sans endommager les tissus sains environnants. Le chirurgien ophtalmologiste utilise en général des lasers excimères pour traiter votre myopie, le dermatologue recourt à un laser à rubis pour effacer votre tatouage, le dentiste préfère un laser à grenat d’yttrium et d’aluminium dopé au néodyme pour traiter votre gencive, tandis que le même cristal dopé à l’holmium pourra fractionner vos calculs rénaux. La première utilisation du laser en médecine date de 1961 : cette technique a été utilisée pour opérer une tumeur de la rétine. Aujourd’hui, soigner avec un laser est devenu un acte courant pour les médecins et une solution quasi miraculeuse pour les patients. L’exemple le plus connu est la chirurgie de la cornée, qui permet d’effacer définitivement votre myopie en retouchant la forme de votre œil. Souvent moins invasive que la chirurgie classique, la chirurgie au laser a pour avantages de diminuer le risque d’infection et de favoriser la cicatrisation. Le chapitre 8 de ce livre décrit plus particulièrement les applications des lasers dans ce domaine.

4.4

Pour mesurer

Mesurer des distances, des phénomènes ultra-brefs, mesurer le taux de pollution : le laser permet encore tout cela.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

61

Pour mesurer des distances, on tire profit de la propagation rectiligne du faisceau de lumière laser. À la différence de celle d’une lampe de poche, toute la lumière véhiculée dans un faisceau laser parcourt l’espace dans la même direction et diverge très peu lorsqu’elle se propage. C’est pourquoi on l’utilise pour l’alignement des tracés de routes et de tunnels. Ainsi, un laser a été utilisé lors de la construction de la tour Montparnasse, comme un fil à plomb optique. On l’utilise aussi dans la télémétrie, pour mesurer des distances. La lumière laser atteint une cible qui la réfléchit et la renvoie en sens inverse. Comme on connaît la vitesse à laquelle se propage la lumière, on peut donc déduire la distance séparant le laser et la cible, à partir du temps nécessaire pour que la lumière fasse un aller-retour. On peut ainsi mesurer des distances très grandes. On peut envoyer de la lumière sur la Lune et collecter en retour quelques photons qui se sont réfléchis sur des réflecteurs posés à la surface lunaire lors des missions Apollo. On mesure ainsi la distance séparant la Terre de la Lune. De telles mesures ont mis en évidence la lente dérive de la Lune qui s’écarte de notre planète au rythme de quelques centimètres par an (voir le chapitre 5 pour plus de détails à ce sujet). Pour photographier des phénomènes ultra-brefs, on a recours à des lasers délivrant des impulsions ultra-courtes. La durée des impulsions correspond alors à l’échelle de temps de certains processus mis en jeu par exemple dans des réactions chimiques. Ces temps sont si courts qu’on ne peut les observer avec une simple caméra. Pour reconstituer le film de la réaction chimique, qui ne dure que quelques picosecondes (le millionième de millionième de seconde), on utilise des lasers mille fois plus courts (les fameuses impulsions femtosecondes). On partage alors l’impulsion en deux. La première impulsion va déclencher la réaction chimique (on parle d’impulsion pompe) et la seconde impulsion, retardée par rapport à la première, vient prendre une image de la réaction en cours, tel un appareil photo de très court temps de pause (on parle d’impulsion sonde). En faisant varier le retard entre les deux impulsions consécutives, on reconstitue alors le film de la réaction. Enfin, pour mesurer des taux de pollution, la composition de l’atmosphère ou bien la vitesse des vents, on exploite la large plage de couleur des impulsions femtosecondes lorsqu’elles parcourent l’atmosphère. On caractérise alors un polluant de l’air atmosphérique en regardant les couleurs qu’il absorbe. Lorsque le polluant est présent, il absorbe une partie de la lumière laser à certaines longueurs d’onde bien précises. Ceci se traduira par une baisse de l’intensité dans la lumière laser rétrodiffusée à ces couleurs particulières et singulières du polluant. Idéalement, on peut même voir différents polluants si la plage de couleur de la lumière laser est très grande. On sait déjà que les lasers impulsionnels s’étendent sur une large plage de couleur. Mais on peut tirer aussi profit de leur forte puissance. Comme les impulsions transportent des puissances gigantesques, elles vont modifier le milieu dans lequel elles se propagent sur leur passage et, en retour, le milieu modifiera la vitesse de propagation

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

de la lumière à certaines couleurs. Ceci se traduira par un étalement du spectre : la lumière devient blanche comme celle d’une lampe à incandescence mais reste très directionnelle comme la lumière laser qui l’a générée. 4.5

Pour produire de l’énergie ?

Le laser NIF (National Ignition Facility) en Californie et le Laser Mégajoule (LMJ, voir la figure 2.8), près de Bordeaux, cherchent à reproduire en laboratoire des mécanismes de fusion similaires à ceux qui permettent au Soleil de briller. Au cœur de ces deux installations laser les plus énergétiques du monde, des micro-billes remplies d’un mélange extrêmement froid de deutérium et de tritium (noyaux d’hydrogène avec un ou deux neutrons) sont comprimées sous l’effet combiné de multiples faisceaux laser convergents, jusqu’à atteindre près de mille fois la densité du solide ; un point chaud central doit alors atteindre une température de près de cent millions de degrés, afin de provoquer l’allumage de la réaction de fusion, dans laquelle les noyaux d’hydrogène s’unissent pour former des noyaux d’hélium, tout en produisant environ 100 mégajoules d’énergie, 80 fois plus que l’énergie des faisceaux laser. À la différence de la fission utilisée dans les centrales nucléaires actuelles, ce mécanisme de fusion ne produit que très peu de déchets radioactifs, l’hélium étant un gaz neutre parfaitement inoffensif. Par ailleurs, l’eau des océans contient naturellement des quantités gigantesques de deutérium, et le tritium peut s’obtenir simplement à partir du lithium dans l’installation même de fusion. Le NIF et le LMJ sont des prototypes de laboratoire, avec un nombre de tirs par jour réduit ; cependant un grand projet européen, HiPER, cherche à diminuer fortement l’énergie laser nécessaire pour atteindre ce résultat, et à augmenter la cadence du laser, ouvrant par là même la possibilité d’une future centrale électrique à énergie de fusion. Fascinant défi scientifique, ce laser sera-t-il la source d’énergie propre et quasi-inépuisable du futur de l’humanité ? 4.6

Pour s’émerveiller

Ballet de pinceaux lumineux, mise en lumière de façades transcendées par la magie des couleurs : le laser est entré dans le monde du spectacle et des arts scéniques (voir la figure 2.15). Éclairage de monuments et concerts, spectacles son et lumière, fontaines lumineuses, le laser nous émerveille. Toutes les couleurs de la palette, offertes par les lasers à argon ou solides, se mêlent pour former arabesques et tableaux de lumière. Il devient même instrument de musique avec la harpe laser, constituée d’un peigne de faisceaux laser. Il ne s’agit plus de pincer une corde tendue pour produire un son, mais d’interrompre avec ses mains le passage d’un faisceau laser. L’interruption du passage est alors transmise à un synthétiseur qui produit le son.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Figure 2.15. À gauche : image d’un spectacle laser. À droite : tir laser entre l’observatoire de Paris et Montmartre visant à créer une version moderne de l’expérience de Fizeau de mesure de la vitesse de la lumière (photo Treps).

4.7

Pour comprendre

Si le laser est devenu un outil de la vie courante, il est aussi un formidable outil de recherche. Les lasers n’ont pas quitté les laboratoires, non seulement en tant qu’objets de recherche mais aussi en tant qu’instruments. Ils servent à mesurer la lumière émise ou absorbée par des objets tels que des molécules, à déplacer des atomes, à observer des processus ultra-courts comme les réactions chimiques. La liste est trop longue pour être énumérée ici. Un seul exemple : le laser pourra-t-il nous aider à expliquer comment fonctionnent les étoiles ? Ce sera l’un des autres défis du laser Mégajoule. Les conditions extrêmes de température et de pression qui règnent au cœur des étoiles ne peuvent en effet être reproduites sur Terre qu’avec des lasers de très grande énergie. Le LMJ permettra de simuler ces conditions, créant ainsi un nouveau domaine scientifique : l’astrophysique de laboratoire. Comme l’illustre la figure 2.16, les jets de plasmas stellaires peuvent d’ores et déjà être reproduits et étudiés, sur des installations plus modestes. La manière dont la lumière voyage au cœur d’une étoile, ou bien le comportement du fer dans le noyau d’une planète, autant d’autres questions auxquelles l’astrophysique de laboratoire laser permettra de répondre.

5

Conclusion

Nous arrivons à la fin de notre voyage dans le vaste monde des lasers. De toutes tailles, de toutes les couleurs, de plus en plus courts et de plus en plus puissants, les lasers sont des plus variés. À la diversité des lasers correspond une diversité encore plus grande d’applications : découpe de tissus, communications par fibre optique,

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Chapitre 2. Des lasers de toutes les tailles

Figure 2.16. Comparaison entre un jet de plasma astrophysique en haut (objet Herbig-Haro 47, photothèque NASA – Hubble Space Telescope), et un jet de plasma laser, en bas, obtenu sur le laser haute énergie PALS, en Tchéquie. Les équations décrivant ces jets sont très similaires, avec des lois d’échelle permettant de comparer des phénomènes avec des ordres de grandeur en distance et en temps très différents. Les lasers permettent ainsi d’étudier la dynamique des jets.

traitements ophtalmologiques, etc. Les lasers sont également des instruments dont les chercheurs peuvent difficilement se passer, pour analyser le déroulement d’une réaction chimique, sonder l’état de molécules. À la naissance du laser, Pierre Aigrain disait : « Nous avons l’habitude d’avoir un problème et de chercher une solution. Dans le cas du laser, nous avons déjà la solution et nous cherchons le problème ». Si le laser est né de la recherche fondamentale, sans répondre à aucun besoin, il n’est pas moins devenu de nos jours la solution à un nombre impressionnant de problèmes. Aujourd’hui, chacun a un laser chez soi. Et pourtant, le laser reste toujours un objet d’étude. En 1966, François de Closets résumait l’état d’esprit de l’époque en disant : « Après avoir étonné le monde, le laser est encore à inventer ». Sa conclusion, près de cinquante ans après, est toujours d’actualité.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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3 L’information et la communication par laser Mehdi ALOUINI, Professeur à l’université de Rennes I, Institut de Physique de Rennes, Rennes. Fabien BRETENAKER, Directeur de Recherche au CNRS, Professeur chargé de cours à l’École Polytechnique, Laboratoire Aimé Cotton, CNRS – Université Paris Sud – ENS Cachan. Les applications industrielles du laser sont innombrables. Il est bien sûr hors de question d’essayer ici d’en donner un tour d’horizon. Plutôt que de tenter et d’échouer à cet exercice, nous avons choisi d’illustrer les propriétés uniques du laser par quatre types d’applications. Les deux premières applications décrites dans ce chapitre, les télécommunications optiques (paragraphe 3.1) et le stockage optique de l’information (paragraphe 3.2), illustrent l’apport de la cohérence spatiale du laser. La troisième, le gyrolaser (paragraphe 3.3), illustre l’incroyable pureté spectrale que peut avoir la lumière laser. Enfin la quatrième, le LIDAR (paragraphe 3.4), illustre, selon les architectures utilisées, l’apport de la cohérence spatiale, de la cohérence temporelle, ou la possibilité d’émettre des impulsions courtes puissantes.

1

Application du laser aux télécommunications optiques

On a oublié aujourd’hui l’époque, pourtant si proche, où nous communiquions par télégraphe. La révolution des télécommunications optiques n’a pris que quelques années. Elle est intervenue à un moment où tous les ingrédients technologiques propices à son essor étaient là. Outre le développement des fibres optiques à faible perte et des amplificateurs optiques, le laser à semi-conducteurs est sans nul doute un

élément clef dans cette révolution. Pour mieux comprendre, il faut revenir en 1840. Cette année-là, Samuel Finley Morse invente le télégraphe qui imposera, pendant longtemps, les liaisons électriques comme le vecteur de l’information sur de longues distances. Elles le resteront avec l’invention du téléphone en 1876 par Alexander Graham Bell jusqu’aux premiers réseaux internet en 1974 dont le concurrent direct était le minitel français. Les débits étaient limités à 56 ko/s, c’est-à-dire 448 milliers de bits par seconde (1 octet = 8 bits). Ce débit peut paraître, à première vue, élevé. Cependant, il est sans commune mesure avec les débits pratiqués aujourd’hui en télécommunications optiques, débits qui atteignent le Tbit/s, c’est-à-dire mille milliards de bits par seconde ! Qu’est ce qu’un bit ? Plutôt que de transporter un signal tel quel, qu’il soit audio, vidéo ou autre, on commence par le numériser sous forme binaire. Autrement dit, on le code en une succession de 1 et de 0. Le bit est donc la plus petite unité d’information prenant la valeur 1 ou 0. À titre d’exemple, l’expression binaire du mot « laser » dans le codage ASCII est : 01001100 01000001 01010011 01000101 01010010. Dans ce codage on utilise 8 bits par lettre, donc 1 octet par lettre. C’est cette succession de bits qu’on cherche à transmettre. Plus le nombre de bits transmis par seconde est élevé et plus le volume de données transmises par unité de temps est important. Le débit d’une liaison s’exprime en bit/s : 1 kbit/s = 1000 bit/s, 1 Mbit/s = 1000 kbit/s, 1 Gbit/s = 1000 Mbit/s et 1 Tbit/s = 1000 Gbit/s. Pour illustrer ces ordres de grandeur, un débit de 1 Tbit/s revient à transmettre, en une seconde, 10 encyclopédies de 30 000 pages ou encore le contenu de 180 CD-Rom, ou aussi deux millions de conversations téléphoniques en parallèle. À ce stade, voyons en quoi l’optique, et plus particulièrement les propriétés de la lumière issue du laser, rendent les communications optiques à haut débit possibles. Sous sa forme la plus simple, une liaison optique est constituée d’un laser, d’une fibre optique et d’un détecteur. La présence ou l’absence de lumière au niveau du détecteur correspond à un bit dans l’état 1 ou 0 respectivement. C’est donc en modulant la lumière issue du laser que l’information est véhiculée dans la fibre (voir la figure 3.1). La modulation se fait aujourd’hui à des fréquences allant de 2,5 Gb/s à 40 Gb/s. Cette information se propage dans la fibre à la vitesse de la lumière 1 pour atteindre le détecteur à l’autre bout de la liaison. Les fibres optiques les plus performantes sont constituées d’un cœur de 8 μm de diamètre entouré d’une gaine de diamètre 125 μm (voir la figure 3.1). C’est dans le cœur que la lumière se propage. Notons que les travaux sur les fibres optiques ont valu le prix Nobel 2009 de physique à Charles K. Kao. La propagation ne se fait pas sans pertes. Les fibres actuelles présentent une atténuation de l’ordre de 0,2 dB/km. Pour une distance parcourue de 15 km, cela 1

Dans une fibre de verre, la lumière se propage au 2/3 de sa vitesse dans le vide.

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

Figure 3.1. Liaison optique constituée, de gauche à droite, d’un laser à semi-conducteur, d’une fibre optique et d’un récepteur. L’information est codée par une séquence d’impulsions représentant l’état de bit 1. L’état de bit 0 correspond à l’absence de lumière. Dans cet exemple, la série d’impulsions forme le mot « laser » dans le format binaire ASCII en codant chaque lettre sur 8 bits. En bas à gauche : coupe transverse d’une fibre monomode. La lumière et l’information qu’elle véhicule sont guidées dans le cœur de la fibre.

correspond à une chute de luminosité d’un facteur 2. Cette très faible valeur d’atténuation, qui est proche de la limite théorique, est atteinte lorsque la longueur d’onde se situe aux alentours de 1, 5 μm. C’est la raison pour laquelle les lasers télécoms fonctionnent dans le proche infrarouge. À titre de comparaison, à débit équivalent, le signal serait complètement atténué dans un câble électrique au bout de quelques centaines de mètres. Par ailleurs, on doit conférer à la fibre des dimensions transverses suffisamment petites pour que celle-ci ne permette la propagation que d’un seul mode. On montre alors que dans ces conditions on minimise l’étalement dans le temps du signal lumineux au cours de la propagation. Cela est d’autant plus important que le débit est élevé, c’est-à-dire que les impulsions lumineuses sont courtes et rapprochées. C’est la raison pour laquelle on a recours aux fibres dites monomodes dont le diamètre du cœur n’excède pas 8 μm. Cela impose, bien sûr, de pouvoir y injecter suffisamment de puissance optique. Cette tâche serait quasi-impossible sans les sources laser dont la brillance du faisceau est sans commune mesure avec les autres types de sources lumineuses. Bien que l’atténuation des fibres soit ridiculement petite, il n’en reste pas moins qu’au bout de 150 km, seul un millième de la lumière atteint le détecteur. Ainsi, lorsque la longueur de la liaison excède 150 km, on a recours à l’amplification optique. Un amplificateur optique fonctionne sur le même principe qu’un laser auquel on aurait retiré les miroirs. On y génère, grâce à l’émission stimulée, des photons identiques aux photons incidents. Les amplificateurs optiques des télécoms sont capables de produire de mille à dix mille photons à partir d’un seul photon incident.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Dans les liaisons sous-marines, ces amplificateurs sont disposés au fond des mers et des océans tous les 150 à 200 km. Nous venons de voir qu’un laser télécom devait fonctionner à 1, 5 μm et qu’il devait de plus être brillant. Mais ce n’est pas tout ! Il doit aussi être de petite dimension. C’est surtout à ce niveau que les lasers à semi-conducteurs ont révolutionné les télécommunications optiques. On doit leur existence à l’invention des hétérojonctions notamment par Jaurès Ivanovitch Alferov qui s’est vu décerner en 2000 le prix Nobel de physique. Pour se donner un ordre de grandeur, un laser semiconducteur télécom présente une longueur de l’ordre de 500 μm pour une section de quelques μm (voir la figure 3.2). Ces lasers sont constitués intégralement d’un milieu actif semi-conducteur dont les faces jouent le rôle de miroirs. Ces lasers sont pompés électriquement de sorte qu’on peut les allumer et les éteindre en modifiant leur courant d’alimentation. C’est ainsi qu’on convertit très simplement une succession de bits électriques en bits optiques. Cependant cette conversion doit se faire à des fréquences élevées. C’est là que les dimensions du laser interviennent. En effet, plus la cavité optique est courte et plus il est facile de la vider de ses photons ou de la remplir rapidement. De tels lasers sont capables de produire des débits de 10 Gbit/s, c’est-à-dire s’allumer et s’éteindre 10 milliards de fois par seconde ! Lorsqu’on a besoin de débits plus importants, on utilise un modulateur d’intensité externe que l’on place derrière un laser continu.

Figure 3.2. À gauche : section d’un laser semi-conducteur à émission par la tranche. À droite : intégration de la puce laser dans un boîtier télécom. Ce dernier contient, en plus de la puce laser, une optique d’injection dans la fibre, les accès électriques et une photo-diode de contrôle de la puissance laser. L’ensemble est posé sur un module à effet Peltier qui régule la température du laser.

Les lasers télécoms oscillent naturellement à plusieurs longueurs d’onde. Dans ce cas, on dit qu’ils sont multimodes. Les différentes longueurs d’onde ne se propageant pas à la même vitesse dans la fibre, on observe un étalement des impulsions lumineuses qui finissent par s’entremêler, ce qui induit une dégradation de l’information

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

transmise. Cet étalement est d’autant plus gênant que les impulsions sont courtes et rapprochées et qu’elles ont eu à parcourir une grande distance. C’est pourquoi les lasers multimodes ne sont utilisés que lorsque les débits recherchés sont faibles ou lorsque la liaison optique est courte. À l’inverse, lorsque la liaison est longue et les débits recherchés élevés, il est indispensable d’utiliser un laser oscillant à une seule longueur d’onde. On dit qu’il est monomode, comme nous l’avons déjà vu au chapitre 1. Ce régime de fonctionnement monomode est obtenu en gravant sur le milieu actif, le long de l’axe de propagation, un réseau optique qui favorise l’oscillation d’une seule longueur d’onde au détriment des autres. Les lasers sont montés dans un réceptacle de quelques cm3 contenant les optiques d’injection dans la fibre, les accès électriques, des éléments de régulation de température et de puissance optique du laser (voir la figure 3.2). L’augmentation incessante des débits a fait apparaître une autre contrainte sur les lasers. Ceux-ci devaient être de plus en plus puissants. Revenons pour cela à notre train d’impulsions lumineuses et intéressons-nous à leur détection en bout de ligne. Le dispositif de détection doit être capable de distinguer un bit 1 d’un bit 0. Pour distinguer le bit 1, l’impulsion lumineuse doit contenir un nombre de photons supérieur à un certain seuil de détection. Or, augmenter le débit revient à raccourcir les impulsions et à les rapprocher les unes des autres. Le nombre de photons par impulsion devant rester supérieur au seuil de détection, d’une part, et le nombre d’impulsions par unité de temps ayant augmenté, d’autre part, le nombre de photons par unité de temps doit aussi augmenter. C’est ainsi qu’on est passé graduellement de lasers produisant quelques centaines de microwatts dans la fibre à des lasers de 20 à 50 milliwatts aujourd’hui. À ce stade, on peut se demander comment exploiter la rapidité d’un laser télécom alors qu’une conversation téléphonique, par exemple, ne requiert qu’un débit de 56 ko/s. En réalité, il est fait appel à la technique de multiplexage temporel. Prenons par exemple trois conversations téléphoniques. Supposons que chacune d’elles requiert 100 000 impulsions par seconde. Il est possible de comprimer ces impulsions et de les entrelacer temporellement de sorte que le train d’impulsion final comprenne 300 000 impulsions par secondes (voir la figure 3.3). On peut répéter cette opération autant de fois que nécessaire jusqu’à atteindre le débit autorisé par un laser télécom à savoir 10 milliards d’impulsions par seconde. L’opération inverse qui consiste à désentrelacer les différentes conversations téléphoniques en bout de ligne s’appelle le démultiplexage temporel. Bien que la cadence des impulsions lumineuses issues d’un laser soit de l’ordre de la dizaine de Gbit/s, on peut aller encore beaucoup plus loin pour atteindre des débits de l’ordre du Tbit/s, c’est-à-dire cent fois plus élevées. Pour cela, on met en œuvre une deuxième technique dite multiplexage en longueur d’onde. Elle fait appel aux propriétés de décomposition de la lumière. Nous savons tous depuis Newton

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Figure 3.3. Principe des multiplexages temporel et en longueur d’onde. Le multiplexage temporel consiste à entrelacer les trains d’impulsions issues de chaque voie. À l’inverse, pour le multiplexage en longueur d’onde, les trains d’impulsions relatifs à chaque voie peuvent se chevaucher dans le temps et l’espace à condition que chaque voie possède sa propre longueur d’onde. Dans ce cas, ce sont les spectres optiques qui ne doivent pas se chevaucher.

qu’une lumière blanche se décompose en différentes couleurs de l’arc-en-ciel. Ces couleurs peuvent être recombinées de nouveau pour former une lumière blanche. Ainsi, supposons que nous ayons à transmettre 3 signaux de 10 Gbit/s. Plutôt que de les transmettre l’un après l’autre ce qui prendrait trois fois plus de temps, ces signaux sont envoyés en parallèle sur trois lasers dont les longueurs d’onde sont légèrement décalées les unes des autres (voir la figure 3.3). On combine ensuite ces différentes longueurs d’onde dans la fibre. On obtient alors trois trains d’impulsions à 10 Gbit/s superposés dans le cœur de la fibre. Cependant chaque train d’impulsions, et par conséquent chaque signal, possède sa propre longueur d’onde. Après propagation dans la fibre, on sépare les trois longueurs d’onde avant de détecter indépendamment le signal associé à chacune d’entre elles. Cette dernière opération s’appelle le démultiplexage en longueur d’onde. La technique du multiplexage en longueur d’onde exploite une propriété fondamentale de la lumière qui autorise, dans une certaine mesure, à superposer dans l’espace et dans le temps autant de photons, sans que ceux-ci ne se voient ou ne se gênent. C’est la même technique qui permet aux ondes radio de véhiculer simultanément de nombreuses stations différentes accordées chacune sur une fréquence bien précise. Dans notre exemple, le multiplexage en longueur d’onde nous a permis d’avoir un débit de 30 Gbit/s à partir de trois lasers produisant chacun un débit de 10 Gbit/s. En pratique, on peut multiplexer une centaine

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

de longueurs d’onde. L’ensemble des longueurs d’onde forme un peigne couvrant le domaine spectral 1530 nm à 1570 nm et dont les dents sont espacées de 0,4 nm. Le multiplexage en longueur d’onde impose donc que les lasers soient monomodes et que leurs longueurs d’onde ne dérivent pas de plus de 0,01 nm, pour éviter que les différents canaux de communication ne se mélangent. Cette contrainte supplémentaire trouve, là encore, une réponse dans la propriété de cohérence du rayonnement laser. Où en est-on aujourd’hui ? Le réseau mondial des liaisons à fibre ne cesse d’augmenter, il se compte en millions de kilomètres de câbles en ne considérant que les liaisons transcontinentales sous-marines et terrestres. Ce sont de véritables autoroutes de l’information par lesquelles voyage la majorité de l’information mondiale allant d’une conversation téléphonique à Internet. Rien ne semble freiner la folle course de l’information puisque des records de débit sont annoncés presque tous les mois. On parle aujourd’hui de dizaines de Tbits/s dans une seule fibre. Les fournisseurs d’accès commencent, par ailleurs, à proposer des accès Internet fibrés jusqu’à l’abonné. Nous arrivons donc dans l’ère où la lumière, vecteur de l’information, pénètre nos foyers après avoir conquis les continents. Bien sûr, les liaisons optiques entre un central et l’abonné sont beaucoup moins performantes que celles que nous venons de décrire pour les longues distances. Avec leur débit de 100 Mbits/s, elles restent néanmoins largement supérieures aux liaisons électriques. Parallèlement à cette course effrénée au débit, on voit apparaître entre bâtiments des liaisons optiques en espace libre. Dans ce cas, la propagation de la lumière et de l’information qu’elle transporte ne se fait plus au travers d’une fibre mais directement dans l’air. C’est la directivité du faisceau laser qui est mise à profit. Ainsi, ces lasers qui continuent de nous émerveiller ont encore de beaux jours devant eux.

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Application du laser au stockage optique

Les besoins en terme de stockage de l’information ne se sont jamais autant fait ressentir que ces dernières années. Alors que le support papier est resté incontournable pendant des siècles, on assiste depuis quelques dizaines d’années à la révolution du tout numérique. Textes, peintures, photos, vidéos, musique sont stockés sous forme numérique, et cela sur des supports de moins en moins volumineux mais dont les capacités de stockage ne cessent d’augmenter. Parmi les procédés de stockage qui ont révolutionné notre quotidien, au point de changer notre mode de vie, les plus notables sont le stockage magnétique, le stockage optique et beaucoup plus récemment le stockage dans les mémoires Flash. Nous allons nous limiter ici à décrire les principes du stockage optique en mettant l’accent sur son élément clef : le laser.

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Avant d’entrer dans le vif du sujet, revenons quelques instants sur la façon dont on code l’information. Il n’y a pas si longtemps, on se contentait d’enregistrer sur un support une réplique exacte du signal. Pour enregistrer une musique par exemple, on gravait des sillons plus ou moins profonds sur un disque vinyle. Pour immortaliser une scène, on réalisait une succession de clichés photos sur un film argentique qu’on faisait défiler par la suite pour restituer l’action. Cette approche ne garantissait pas une bonne fidélité de restitution. De plus, le type de support utilisé dépendait du type de données qu’on voulait enregistrer. Aujourd’hui, une donnée, qu’elle soit vidéo, audio ou autre, est systématiquement numérisée sous forme binaire. Elle correspond donc à une succession de bits prenant les valeurs 1 ou 0. C’est cette succession de bits qui est stockée sur un media numérique. La capacité du média est exprimée en octets : 1 ko = 1000 octets, 1 Mo = 1000 ko, 1 Go = 1000 Mo et 1 To = 1000 Go. Le premier support de stockage optique à avoir inondé le marché est le CD audio (Compact Disc) lancé par Sony et Philips en 1982. C’est une galette en matière plastique sur laquelle sont inscrites les données au moyen d’une suite de cuvettes et de plateaux (voir la figure 3.4). Ces derniers jalonnent une piste en spirale allant du centre vers l’extérieur. Le disque est entièrement recouvert d’une fine couche métallique réfléchissante. Pour lire les données, on focalise un faisceau laser sur la piste pendant que celle-ci défile. La lumière est plus au moins intensément réfléchie vers un détecteur dont le rôle est de convertir le signal lumineux en signal électrique (voir la figure 3.4). Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les cuvettes ne correspondent pas à un état de bit 1 ou 0. C’est, en réalité, la transition d’un plateau vers la cuvette ou d’une cuvette vers le plateau qui correspond au bit 1. Entre deux transitions, que ce soit sur un plateau ou dans une cuvette, le bit vaut 0. Pour en comprendre la raison, il faut faire appel à la notion d’interférences entre deux ondes lumineuses monochromatiques. Lors de la transition du plateau vers la cuvette, une partie du faisceau optique se trouve dans la cuvette alors que l’autre est encore sur le plateau. La profondeur de la cuvette est calculée de sorte que la somme des deux contributions lumineuses s’annule par interférence destructive. Le détecteur reçoit alors peu de lumière et on obtient ainsi un bit 1 (voir la figure 3.4). À l’inverse, sur un plateau ou dans une cuvette, toute la lumière est réfléchie sans qu’il n’y ait d’interférence destructive. On obtient alors un bit 0 sur le détecteur. Ce principe ne fonctionne correctement que si l’onde lumineuse est monochromatique, ce qui justifie d’utiliser un laser. Le choix de la source laser est aussi dicté par le besoin d’augmenter la capacité de stockage. En effet, plus la dimension latérale des cuvettes est petite et plus il est possible de rapprocher les pistes et ainsi d’augmenter le volume de données enregistrées. Or, le faisceau laser, une fois focalisé, doit donner un spot lumineux qui n’excède pas la taille latérale d’une cuvette. Ce sont les qualités spatiales du faisceau laser qui sont ici mises à profit pour obtenir un spot lumineux de diamètre

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

laser Bit 0 polymère transparent

détecteur

couche métallique polymère

signal

temps

Bit 1

sens de défilement

Figure 3.4. Principe de fonctionnement d’un lecteur CD. Lors de la rotation du disque, le faisceau laser voit défiler la piste de lecture qui est jalonnée de cuvettes et de plateaux. La transition d’une cuvette vers un plateau, ou d’un plateau vers une cuvette, produit une interférence destructive qui annule le faisceau réfléchi. Le détecteur interprète cette diminution de puissance comme un bit dans l’état 1. Lorsque le faisceau est parfaitement réfléchi, le détecteur affecte au bit la valeur 0.

micrométrique. Ainsi, les cuvettes d’un CD-Rom ne font que 0, 6 μm. Cela permet d’inscrire une piste de données longue de 5 km et enroulée sur plus de 22 000 tours. De manière générale, c’est la taille du spot laser qui va limiter la capacité de stockage du média. Or, il existe en optique un principe fondamental qui interdit de focaliser une onde lumineuse sur un diamètre inférieur à sa longueur d’onde. C’est la raison pour laquelle on a recours à des lasers dont les longueurs d’onde sont de plus en plus courtes. Dans le cas d’un CD-Rom, le laser de lecture fonctionne à 780 nm, c’està-dire dans le très proche infrarouge. Cela offre une capacité de stockage de l’ordre de 700 Mo. Dans le cas d’un DVD (Digital Video Disc), le laser de lecture possède une longueur d’onde de 635 nm, c’est-à-dire dans le rouge. La capacité de stockage passe alors à 4,7 Go pour une surface de disque équivalente à celle d’un CD-Rom. Ce n’est qu’en 1996 que Shuji Nakamura réussit l’exploit, tant attendu, de mettre au point un laser semi-conducteur dans le bleu. Ces travaux lui vaudront le prix Nobel de physique en 2014. Ce laser, qui oscille à 405 nm, va conduire, quelques années plus tard, au développement du standard Blu-Ray. Ce standard, qui est maintenant entré dans nos foyers, offre une capacité de stockage de 27 Go, soit 5 fois supérieure à celle d’un DVD (voir la figure 3.5). Le laser est aussi utilisé pour enregistrer les données sur les disques réinscriptibles. Sur ces supports particuliers, les données ne sont plus codées sous forme d’une succession de cuvettes et de plateaux, mais dans une couche photosensible dont la transmission varie avec la puissance lumineuse qui lui est appliquée. La couche métallique qui réfléchit la lumière est, cette fois-ci, placée sous la couche photosensible.

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λ = 780 nm

λ = 635 nm

λ = 405 nm

Figure 3.5. Vues de la surface embossée d’un CD, d’un DVD et d’un disque Blu-ray. Plus la longueur d’onde est courte et plus le spot laser focalisé est petit. Cela permet d’augmenter la densité d’éléments codants (cuvettes et plateaux) par unité de surface et, par conséquent, la capacité de stockage du support. Bien sûr, ceci n’est possible qu’au prix d’une augmentation de l’ouverture des optiques utilisées.

Le bit 1 correspond alors à une zone absorbante alors que le bit 0 correspond à une zone transparente. Pour rendre le matériau photosensible absorbant, il est nécessaire de le porter brièvement à une température supérieure à 500 ◦ C. Le laser doit alors fournir une puissance de l’ordre de 15 mW sur une surface de l’ordre du dixième de μm2 . Sur un disque réinscriptible, ce changement d’état est réversible. En effet, la couche photosensible revient dans son état de transparence initial en la portant brièvement à 200 ◦ C. La puissance optique requise n’est alors que de 5 mW. Outre la capacité de stockage, les vitesses d’enregistrement et d’accès aux données sont des paramètres importants. Pour ce qui est de l’enregistrement, sa rapidité est assurée par les petites dimensions du laser semi-conducteur. En effet, comme nous l’avons évoqué dans la partie ayant trait aux télécommunications optiques, la dimension réduite de la cavité laser associée au pompage électrique permet de moduler la puissance lumineuse à des cadences très élevées. À titre d’exemple, la vitesse de gravure d’un DVD réinscriptible atteint aujourd’hui 10 Mo/s, ce qui correspond à un taux de transfert de données de 80 Mbit/s. Cependant, cela a un prix. Plus on cherche à augmenter la vitesse d’enregistrement et plus le laser doit être puissant car il dispose de moins de temps pour échauffer la piste au niveau de chaque bit. Ainsi, les lasers de gravure actuels produisent des impulsions de l’ordre de 250 mW. Parmi les techniques de stockage optique, il en est une moins présente dans les applications pour le grand public à cause de son prix plus élevé. C’est le stockage magnéto-optique (voir la figure 3.6). Cette technique a vu le jour dans les années 1980. En alliant les points forts des technologies optique et magnétique, elle offre des capacités de stockage supérieures aux techniques purement optiques. Le disque est couvert d’un alliage magnétique sensible à la lumière. Les bits 1 et 0 sont codés sur le support par deux orientations magnétiques différentes. Comme pour la technologie purement optique, la lecture est réalisée grâce à un laser. Lors du défilement de

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

Disque Blu-ray

Disque holographique (HVD)

Disque magnéto-optique

faisceau de référence

faisceau modulé spatialement

Figure 3.6. À droite : le disque holographique. Contrairement aux autres types de support comme les deux exemples à gauche de la figure, les données sont inscrites dans les trois dimensions de la couche photosensible. La capacité d’un disque holographique et de l’ordre du To, soit l’équivalent de 40 disques Blu-ray.

la piste, le rayon réfléchi voit son état de polarisation 2 changer en fonction de l’orientation magnétique de chaque bit. C’est donc ce changement de polarisation qui est détecté et retranscrit en signal électrique. L’écriture des données, quant à elle, s’effectue avec une tête magnétique. Elle est assistée par le laser dont le rôle est de chauffer localement la couche magnétique pour lui permettre ou pas de changer d’état. Le disque magnéto-optique présente l’avantage de ne pas être sensible, à température ambiante, aux perturbations magnétiques qui peuvent, dans le cas d’un disque purement magnétique, endommager voire détruire l’information. Finalement, il est important de citer le stockage holographique (voir la figure 3.6). Celui-ci a vu le jour il y a quelques années avec le HVD (Holographic Versatile Disc). Il fait appel aux propriétés de cohérence du rayonnement laser. Le principe consiste à enregistrer l’information dans un polymère sensible à la lumière en utilisant, cette fois-ci, deux faisceaux lasers qui se croisent. Sans entrer dans les détails, cette technique permet de coder des bits en surface mais aussi dans le volume du support. Autrement dit, on crée des points sombres et clairs dans les trois dimensions de la couche photosensible. Ces points sont obtenus par un jeu d’interférences entre les deux faisceaux laser. La capacité de stockage s’en retrouve ainsi notablement augmentée. Les premiers HVD apparus sur le marché ont une capacité de 300 Go, et on parle déjà du To, c’est-à-dire 1000 Go. Parallèlement, la recherche s’oriente vers le stockage optique dans les matériaux moléculaires. C’est encore un rayonnement laser qui permet, dans ce cas, de faire passer les molécules d’un état à l’autre, chaque état correspondant à une valeur du bit. 2

La polarisation de la lumière est la direction de l’espace selon laquelle vibre le champ électrique de l’onde.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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3

Le gyrolaser

Le laser a, dès les années 1960, trouvé des applications dans le domaine de la navigation inertielle. Afin de rejoindre sa destination, un véhicule tel qu’un avion a besoin à tout instant de connaître sa position et son orientation dans l’espace (cap, attitude. . . ). Dans ce but, on peut montrer qu’il suffit pour intégrer les équations de la cinématique du véhicule de connaître les coordonnées de départ de l’appareil (conditions initiales) et de mesurer à tout instant les accélérations et les vitesses de rotation selon trois axes cartésiens. C’est pourquoi une centrale inertielle comprend en général trois accéléromètres (qui mesurent les trois accélérations selon trois axes) et trois gyromètres (qui mesurent les vitesses angulaires autour de ces trois axes). Pour atteindre des précisions sur la navigation de l’ordre d’un mille nautique à l’heure (ce qui entraîne par exemple une erreur de quelques kilomètres pour un trajet Paris-New York), on peut calculer que les gyromètres ne doivent pas dériver de plus que 0,01 ◦ /h (degré par heure), soit un millième de la vitesse de rotation de la Terre ! Différents effets peuvent être utilisés pour mesurer la rotation d’un véhicule. Par exemple, les gyroscopes mécaniques sont des capteurs bien connus. La lumière fournit également un moyen de mesurer une telle quantité. L’effet sur lequel se fondent les gyromètres optiques est l’effet Sagnac, du nom du physicien français qui en a donné une démonstration expérimentale en 1913. Le principe de cet effet peut être compris simplement à partir de la figure 3.7. On considère en effet un chemin fermé, que nous prendrons circulaire pour simplifier, dans lequel on envoie de la lumière dans les deux sens à partir par exemple d’une lame séparatrice située au point O à l’instant t = 0 (voir la figure 3.7a). Si le système est au repos, le temps mis par la lumière pour faire un tour et revenir au niveau de la séparatrice est T = L/c = 2πR/c où L est le périmètre du chemin circulaire de rayon R et c la vitesse de la lumière. En revanche, si le système tourne à une vitesse angulaire Ω autour d’un axe perpendiculaire au plan de l’interféromètre, alors la figure 3.7b montre que la lumière ne va pas parcourir la même distance pour rejoindre la séparatrice liée à l’interféromètre dans les deux sens de propagation. En effet, pendant le temps T , celle-ci se retrouve au point O qui a tourné d’un angle ΩT (voir la figure 3.7b). Les longueurs L+ et L− du parcours de la lumière dans les deux sens sont alors séparées par la quantité : L+ − L−  2RΩT = 4πR2 Ω/c,

(3.1)

ce qui crée entre elles un déphasage égal à Δφ = 2π(L+ − L− )/λ où λ est la longueur d’onde de la lumière utilisée. Ainsi, pour détecter des rotations de 0,01 ◦ /h avec un interféromètre de rayon R = 0, 1 m à des longueurs d’onde visibles, il faut être

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

Onde +

Onde −

Onde −

O

Onde +

O’

Ω (a)

Ω (b)

t=0

t

T

Figure 3.7. Principe de l’effet Sagnac. (a) À partir d’une séparatrice située initialement en O, on injecte de la lumière dans les deux sens d’un chemin circulaire en rotation à la vitesse angulaire Ω. (b) À cause de la rotation, la longueur d’un tour n’est pas la même pour les deux sens de parcours.

capable de mesurer des déphasages inférieurs au nanoradian, soit égaux à 10−16 fois la phase accumulée par une onde pendant un tour dans l’interféromètre. Une façon de mesurer de tels déphasages consiste à utiliser non pas un interféromètre de Sagnac mais un laser comme celui de la figure 3.8a. L’interféromètre de Sagnac est cette fois-ci remplacé par un laser dit à cavité en anneau, dans lequel la lumière peut se propager dans les deux sens. Sous l’action d’une rotation du plan de la cavité à la vitesse angulaire Ω, les longueurs effectives de la cavité dans les deux sens sont différentes, avec une différence donnée par l’équation (3.1). Comme nous l’avons vu au chapitre 1, la longueur d’onde de la lumière doit être résonante pour la cavité dans laquelle elle oscille, c’est-à-dire que la longueur d’onde du laser doit être égale à la longueur optique de la cavité divisée par un nombre entier. Comme L+ = L− , les fréquences propres de la cavité (c’est-à-dire les fréquences des modes longitudinaux successifs) sont différentes pour les deux sens de propagation, comme le montre la figure 3.8b. La différence de fréquence induite par la rotation en vertu de l’effet Sagnac est donnée par : Δν =

4A λL

Ω,

(3.2)

où A est l’aire de la cavité, L son périmètre et λ la longueur d’onde de la lumière. Pour mesurer une rotation, il suffit par conséquent en principe de recombiner les deux faisceaux de sortie du laser et de mesurer la fréquence Δν de leur battement. 4A s’appelle le facteur d’échelle du gyrolaser. Par exemple, pour La quantité K = λL une cavité en anneau de 30 cm de périmètre et λ = 633 nm, on trouve K  0, 5 Hz/(◦ /h). Ainsi, pour mesurer les 0,01 ◦ /h nécessaires à la navigation inertielle,

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Modes +

(b)

(a) Onde + Modes

Milieu actif

c/L

Onde

Figure 3.8. Principe du gyrolaser. (a) On construit un laser en anneau, par exemple ici en utilisant une cavité triangulaire à trois miroirs, dans laquelle la lumière circule dans les deux sens, créant ainsi un mode “+” et un mode “−”. (b) À cause de la rotation du laser à la vitesse angulaire Ω, l’effet Sagnac sépare les fréquences propres de fonctionnement du laser dans les deux sens de la quantité Δν . C’est cet écart en fréquence qu’on mesure en faisant battre les deux ondes contre-propageantes à la sortie du laser.

il faut être capable de mesurer des variations des deux fréquences optiques de l’ordre de quelques millihertz, soit des variations relatives de l’ordre de 10−17 ! De nombreux problèmes technologiques se posent avant d’arriver à un tel résultat. Le plus difficile est celui de la zone aveugle. La figure 3.9 représente en trait rouge la caractéristique idéale du gyrolaser, donnée par l’équation (3.2) : la différence de fréquence entre les deux ondes est proportionnelle à la vitesse angulaire. Cependant, pour les faibles vitesses angulaires, on observe expérimentalement que les deux fréquences s’accrochent. La caractéristique de sortie du capteur est alors donnée par la courbe bleue : le système est aveugle aux faibles rotations ! Ce phénomène d’accrochage est dû aux couplages entre les deux ondes. De même que Christian Huygens a observé au XVIIe siècle que deux horloges qui s’échangent de l’énergie peuvent se synchroniser, les deux ondes contre-propageantes dans le gyrolaser peuvent se synchroniser sous l’effet des défauts des miroirs qui rétrodiffusent les deux ondes l’une dans l’autre. Cet effet a entraîné des développements technologiques considérables pour améliorer la qualité des miroirs, dont de nombreuses autres applications comme par exemple les interféromètres visant à mesurer les ondes gravitationnelles (voir le chapitre 5) ont bénéficié. Cependant, même avec des miroirs à la pointe de la technologie, la zone aveugle reste de l’ordre de plusieurs dizaines ou centaines de ◦ /h, soit au moins 1000 fois trop grande. Pour contourner ce problème, on applique au système une rotation sinusoïdale de moyenne nulle qui le maintient la plupart du temps hors de la zone aveugle. Les gyrolasers commerciaux sont des lasers hélium-néon (voir le chapitre 2). Ils sont basés sur des blocs de vitrocéramique à très bas coefficient de dilatation pour leur assurer une stabilité thermique et aux vibrations suffisante pour fonctionner dans les environnements hostiles que constituent par exemple les avions de chasse

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

Δν

Ω Zone aveugle

Figure 3.9. Évolution de la fréquence de battement Δν du gyrolaser en fonction de la vitesse angulaire à mesurer Ω. La courbe en rouge est la caractéristique idéale donnée par l’équation (3.2). La courbe en bleu présente une zone aveugle pour les vitesses angulaires faibles dans laquelle les deux fréquences restent accrochées.

ou les missiles à longue portée. La figure 3.10 représente deux exemples de blocs de gyrolaser : un gyrolaser à cavité triangulaire à gauche et un gyrolaser trois axes constitué en fait de trois gyrolasers dont les cavités sont perpendiculaires aux trois directions de l’espace permettant de mesurer les trois vitesses de rotation avec un seul capteur.

Figure 3.10. À gauche : cavité triangulaire de gyrolaser hélium-néon. À droite : gyrolaser trois axes PiXYZ 22 (© Thales/photos Étienne Bonnaudet et Patrick Darphin).

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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On trouve maintenant des gyrolasers dans de nombreux systèmes civils et militaires : avions de combat et de transport, hélicoptères, missiles, bateaux, véhicules terrestres, lanceurs de type Ariane, etc., tout cela grâce aux extraordinaires propriétés de cohérence du laser !

4

Le LIDAR

Le LIDAR est l’équivalent du RADAR dans le domaine optique. De même que RADAR est l’acronyme de RAdio Detection And Ranging (détection et télémétrie radio), LIDAR signifie LIght Detection And Ranging (détection et télémétrie par la lumière). Le pricipe de base du LIDAR est le même que celui du RADAR : on envoie un signal lumineux qui est rétrodiffusé de manière élastique ou inélastique sur une cible (nuage, aérosols, atmosphère, cible solide. . . ) et on analyse les propriétés du rayonnement détecté au retour (intensité, délai, polarisation, fréquence. . . ) pour obtenir des informations à distance (forme d’une cible, vitesse, distance, concentration d’espèces chimiques ou biologiques, température, pression, etc.). Les applications, civiles et militaires, du LIDAR sont par conséquent innombrables. Nous avons choisi ici d’en sélectionner deux qui se situent dans le domaine de l’environnement : le LIDAR atmosphérique basé sur la détection des aérosols et le LIDAR vent. 4.1

Le LIDAR à aérosols

La figure 3.11 présente le principe de ce type de LIDAR. Un laser impulsionnel émet de la lumière sous la forme d’impulsions de quelques nanosecondes (voir le chapitre 2 pour le principe de fonctionnement de tels lasers). Une partie de cette lumière est diffusée 3 par les petites particules atmosphériques comme les aérosols, les gouttes et cristaux d’eau présents dans les nuages, les particules de fumées, etc. La partie de cette lumière diffusée qui repart vers l’arrière est appellée lumière rétrodiffusée. Comme cette diffusion est d’autant plus efficace que la longueur d’onde du laser est courte, on utilise des lasers émettant dans l’ultraviolet (laser Nd : YAG émettant à 1064 nm triplé en fréquence pour obtenir la longueur d’onde de 355 nm). La bonne directivité spatiale du laser permet, en utilisant un télescope pour collimater le faisceau de sortie, de parfaitement contrôler le cône du ciel qui est éclairé à un instant donné. Une partie de la lumière rétrodiffusée par l’atmosphère est collectée par un télescope, filtrée et détectée. On obtient alors en fonction du temps un signal tel que celui du bas de la figure 3.12. Ce signal est représenté en fonction du temps multiplié 3

Dire que la lumière est diffusée par des particules signifie qu’elle est envoyée dans toutes les directions, comme on peut le voir par exemple par temps de brouillard ou lorsqu’on éclaire un verre de lait.

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

Nuages, aérosols, fumées…

Rétrodiffusion Photomultiplicateur Récepteur

Emission, Diffusion, Absorption

Principe du LIDAR Ordinateur

Laser impulsionnel Filtres optiques Carte d’acquisition

Conversion analogique/numérique

Traitement de données

Figure 3.11. À gauche : principe de fonctionnement du LIDAR. À droite : exemple de LIDAR à aérosols installé en Namibie (© Leosphere).

Figure 3.12. Le signal du bas représente, en fonction du retard après l’émission de l’impulsion multiplié par la moitié de la vitesse de la lumière, c’est-à-dire en fonction de la distance à la zone étudiée, l’intensité détectée multipliée par le carré de la distance. L’image du haut représente une coupe du ciel en fonction du temps. On voit clairement la couche limite atmosphérique (jusque vers 1000 à 2000 mètres) et l’apparition de nuages d’altitude vers 10 000 à 12 000 mètres (© Leosphere).

par la moitié de la vitesse de la lumière, c’est-à-dire en fonction de la distance de la source de rétrodiffusion. De plus, le signal lui-même a été multiplié par le carré de la distance pour tenir compte de l’étalement naturel de la lumière rétrodiffusée au fur et à mesure de la propagation. Un tel signal fournit donc directement une

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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cartographie de la diffusion en fonction de l’altitude le long de la ligne de visée du LIDAR. On voit par exemple clairement une marche d’escalier sur ce signal pour une altitude de l’ordre de 2200 mètres, correspondant à la fin de la couche limite atmosphérique qui contient la majeure partie des aérosols. La diffusion résiduelle au-delà de cette altitude provient principalement des molécules (N2 , O2 ) de l’atmosphère. Le signal vers 11 000 mètres correspond à un nuage d’altitude (cirrus). L’évolution de ce signal en fonction du temps est représentée en fausses couleurs en haut de la figure 3.12 sur une durée de presque 5 heures et demi. L’excellente directivité du laser permet de voir passer les nuages d’altitude en un point donné, de mesurer l’évolution de la couche limite en fonction du temps, toutes données utiles à la compréhension du climat et de la météorologie. La figure 3.13 illustre d’autres applications du même système. La figure de gauche montre sur quelques heures le passage à haute altitude d’un nuage de poussières venant du Sahara au-dessus d’Orsay. Celle de droite a été réalisée à Lyon en effectuant un balayage horizontal du LIDAR qui pointe horizontalement. On peut suivre de manière précise les polluants émis par les véhicules aux différents endroits de la route et la façon dont ils se dispersent.

Poussières venant du Sahara

Poussières et aérosols locaux

Figure 3.13. La figure de gauche montre le passage au-dessus d’Orsay d’un nuage de particules provenant du Sahara (3 à 4 km d’altitude) en plus des aérosols usuels qui se situent en-dessous de 2 km. La figure de droite a été obtenue au niveau du sol en effectuant un balayage horizontal du LIDAR. On voit parfaitement la répartition de la pollution automobile au voisinage du tunnel sous Fourvière à Lyon (© P. Chazette, LSCE/CEA et Leosphere).

4.2

Le LIDAR Doppler

Une autre application du LIDAR est basée sur l’effet Doppler. Cet effet, rappelons-le, décale la fréquence d’une onde réfléchie par un objet en mouvement. C’est à cause de cet effet que le son qui nous vient d’une ambulance en mouvement change de tonalité suivant que l’ambulance s’approche ou s’éloigne de l’observateur. Il en est de même pour la lumière : suivant que l’objet qui a réfléchi la lumière s’approche

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

Figure 3.14. (a) Principe du LIDAR Doppler. Le signal rétrodiffusé par les aérosols en mouvement est décalé en fréquence d’une quantité f d par effet Doppler. (b) Principe de mesure le long de quatre directions pour reconstruire le vecteur vitesse (© Leosphere).

ou s’éloigne de l’observateur, la fréquence de la lumière réfléchie est augmentée ou diminuée. Le principe du LIDAR utilisant l’effet Doppler est schématisé sur la figure 3.14a. Cette fois-ci, on utilise un laser à la longueur d’onde de 1,5 μm dont la durée d’impulsion est de l’ordre de 200 ns pour avoir une résolution spectrale suffisante pour la mesure précise de la vitesse du vent. En effet, la durée d’impulsion doit être suffisamment longue pour contenir un nombre de périodes lumineuses permettant une détermination précise de la fréquence. La lumière rétrodiffusée par les aérosols en mouvement est décalée en fréquence d’une quantité proportionnelle à la projection du vecteur vitesse le long du faisceau laser. Pour reconstruire le vecteur vitesse des aérosols, on balaye la direction du LIDAR comme schématisé sur la figure 3.14b. En utilisant un balayage de l’ordre de 30◦ pour des impulsions de l’ordre de 200 ns à la cadence de 20 kHz, on parvient à mesurer le vecteur vitessse correspondant à une couche de 20 m d’épaisseur avec une portée en altitude de l’ordre de 200 m. Une application très importante de ce LIDAR Doppler est la cartographie des champs de vent pour l’implantation des éoliennes. En effet, pour implanter une éolienne de façon optimale, il convient d’accéder à distance à de multiples points de mesures du vent : profil vertical, cartographie de la vitesse et de la direction du vent, appréhension des variations (cisaillement de vent et turbulences) à n’importe quelle hauteur jusqu’à 200 m. Le LIDAR Doppler est une solution adaptée à ce problème (voir les figures 3.15 et 3.16). 5

Conclusion

Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction de ce chapitre, les applications du laser mettent en œuvre des caractéristiques différentes de cette source de lumière.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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Vitesse horizontale du vent

Vitesse verticale du vent

Direction du vent

Rapport porteuse sur bruit

Figure 3.15. Mesure de plusieurs caractéristiques du vent pendant plusieurs heures sur une altitude de plusieurs centaines de mètres. Sur chaque figure, l’axe horizontal représente le temps et l’axe vertical l’altitude. Les deux figures du haut correspondent aux deux composantes horizontale et verticale de la vitesse du vent, dont les amplitudes sont codées en fausses couleurs. La figure en bas à gauche reproduit en fausses couleurs l’orientation de la composante horizontale du vent. Ceci illustre le fait qu’on a accès, à chaque instant et pour chaque altitude, au module et à la direction du vecteur vitesse du vent le long de la direction de visée du LIDAR (© Leosphere).

Figure 3.16. Vue d’un LIDAR vent dans un champ d’éoliennes (© Leosphere).

Par exemple, la pureté spectrale du laser est utilisée dans le gyrolaser et dans le LIDAR Doppler. La possibilité de concentrer beaucoup de lumière sur une durée courte est utilisée en télécommunications et dans les différentes sortes de LIDAR. Enfin, la possibilité de concentrer toute la lumière émise sur quelques microns carrés (on dit que le faisceau est limité par la diffraction) a prouvé son utilité dans le stockage de

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Chapitre 3. L’information et la communication par laser

l’information et dans le LIDAR (directivité spatiale). Toutes ces possibilités viennent du fait qu’un laser est une source de lumière capable de mettre un grand nombre de photons (typiquement 1012 ) dans le même mode du rayonnement, contrairement aux sources classiques qui, aussi puissantes soient-elles, ne parviennent jamais à mettre plus qu’une fraction de photon dans un mode du champ. Les applications du laser discutées dans les autres chapitres de ce livre (voir les chapitres 4, 5, 6 et 8) doivent aussi leur succès à cette caractéristique unique du rayonnement laser.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

4 Des sources de lumière ultra-brèves Nicolas FORGET, Chercheur, Fastlite, Valbonne. Manuel JOFFRE, Directeur de Recherche au CNRS, Professeur associé à l’École Polytechnique, Laboratoire d’Optique et Biosciences, CNRS-INSERMÉcole Polytechnique, Palaiseau. Thierry RUCHON, Physicien au CEA, IRAMIS/LIDyL, Saclay. 1

Introduction

Une des propriétés les plus remarquables des lasers est leur capacité à fonctionner en mode impulsionnel, c’est-à-dire à n’émettre de la lumière que pendant des durées courtes. Certains lasers émettent des impulsions optiques si courtes qu’elles sont qualifiées d’ultra-brèves et que la sous-unité de mesure qui leur est appropriée est la femtoseconde (10−15 s), soit un millionième de milliardième de seconde. À l’heure de la publication de cet ouvrage, les impulsions les plus courtes jamais produites ont même une durée de l’ordre de la centaine d’attosecondes, soit 10−16 s (une attoseconde, notée as, correspond à 10−18 s). Loin d’être purement spéculative, cette course aux impulsions les plus brèves est motivée par de nombreuses applications concrètes, tant scientifiques qu’industrielles. Un premier domaine d’application est naturellement l’observation de phénomènes ultra-rapides. À la manière du flash d’un appareil photographique qui est capable de figer un mouvement très rapide, les impulsions ultra-brèves permettent d’observer des phénomènes transitoires dont les constantes de temps sont de l’ordre de 10−10 à 10−15 s, une gamme de durées typique des mouvements atomiques dans les solides, ainsi que des réactions chimiques ou biochimiques. Un second domaine d’application s’appuie sur l’intensité du champ électrique qu’il est possible d’atteindre avec des impulsions ultra-brèves. En optique comme en

électricité, la puissance est définie comme la quantité d’énergie délivrée par unité de temps. À quantité d’énergie constante, une impulsion optique est donc d’autant plus puissante qu’elle est courte, ce qui correspond à des champs électriques ultraintenses. Une impulsion ultra-brève est donc, le plus souvent, ultra-intense. Pour fixer un ordre de grandeur, remarquons qu’une impulsion optique dont l’énergie est de 100 μJ et dont la durée est de 20 fs correspond à une puissance crête de 5 GW, soit la puissance électrique cumulée de quelques réacteurs nucléaires. Lorsqu’un tel faisceau laser est focalisé, le champ électrique de l’impulsion est si intense qu’il suffit à vaincre la force électrostatique qui retient les électrons aux atomes et provoque une ionisation. Il est bien sûr possible d’arriver au même résultat avec des impulsions laser plus longues mais avec des énergies bien plus élevées. D’autre part, les impulsions ultra-brèves permettent d’ioniser avant même que l’énergie lumineuse ne puisse se dissiper sous forme de chaleur dans les solides. Une application industrielle particulièrement importante des sources ultra-brèves est ainsi l’ablation athermique, qui permet de découper ou de percer des matériaux sans les chauffer ni les brûler – et le tout sans contact matériel (voir le chapitre 2, et tout particulièrement la figure 2.14). Ces propriétés sont précieuses, par exemple pour la découpe de matériaux inflammables ou, dans un tout autre registre, en médecine et tout particulièrement en chirurgie ophtalmique (voir le chapitre 8). Même avec des énergies beaucoup plus faibles, les impulsions courtes permettent d’induire, grâce à leur champ électrique intense, des effets spectaculaires dans les matériaux. Ces effets, dits non linéaires, trouvent de très nombreuses applications. Pour ne mentionner qu’un exemple, citons la microscopie non linéaire, une technique d’imagerie permettant de révéler in vivo ou dans des tissus biologiques intacts des structures extracellulaires et intracellulaires en trois dimensions. L’optique non linéaire permet également d’étendre la plage de fonctionnement des sources laser primaires, dont la gamme d’émission est principalement cantonnée au proche infrarouge et au visible. Une des illustrations de ce phénomène est la génération d’harmoniques (c’est-à-dire de la lumière dont la fréquence est un multiple de la fréquence de départ), qui permet par exemple d’engendrer des rayonnements X-UV à partir d’un laser infrarouge et qui sera abordée en détail à la fin de ce chapitre. Enfin, les lasers femtosecondes constituent des sources de grande largeur spectrale, c’est-à-dire résultant de la superposition de très nombreuses fréquences optiques. Cette propriété est intéressante par exemple pour la tomographie cohérente optique, une autre méthode d’imagerie biomédicale développée ces vingt dernières années et décrite dans le chapitre 8. De plus, ces fréquences s’organisent spontanément selon un peigne parfaitement régulier, propriété des lasers femtosecondes qui a profondément révolutionné la métrologie des temps et des fréquences, comme nous le verrons au chapitre 5.

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Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

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Temps et fréquences

Un laser femtoseconde est avant tout un laser, comme ceux décrits dans le reste de cet ouvrage, et est donc constitué d’une cavité au sein de laquelle se trouve un milieu amplificateur destiné à compenser les pertes. Appelons L la longueur de cette cavité et T le temps mis par la lumière pour en faire l’aller-retour. Si l’on suppose dans un premier temps que la cavité est vide, on a simplement la relation T = 2L/c, où c est la vitesse de la lumière dans le vide. Comme nous l’avons vu au chapitre 1, il doit exister une relation de bouclage sur le champ électrique se propageant dans la cavité, ce qui impose que le champ électrique effectue un nombre entier d’oscillations pendant le temps T . Comme le nombre d’oscillations effectuées par un champ oscillant à la fréquence ν pendant le temps T est par définition égal au produit ν T , on en déduit la relation ν T = n, où n est un nombre entier qui caractérise le mode longitudinal considéré. Les modes longitudinaux, c’est-à-dire les fréquences possibles de fonctionnement, ont alors pour valeur νn = n/T et sont donc équidistants. Dans un laser monofréquence, précieux pour sa pureté spectrale, l’émission sera exclusivement concentrée sur un seul de ces modes longitudinaux. Dans le cas d’un laser femtoseconde, nous allons montrer que l’objectif recherché est exactement inverse : il sera au contraire souhaitable d’assurer le fonctionnement simultané et concerté d’un grand nombre de modes longitudinaux. Considérons dans un premier temps ce qui se produit lorsque l’on ajoute deux modes longitudinaux consécutifs d’un laser, νn et νn+1 , comme cela est représenté sur la figure 4.1a. En raison de la différence de fréquence entre ces deux modes, ceux-ci sont parfois en phase (ligne verticale en trait pointillé), ce qui produit un maximum d’intensité, et parfois en opposition de phase (ligne verticale grisée), ce qui a pour effet d’annuler l’intensité totale. On obtient ainsi ce que l’on appelle un battement, c’est-à-dire une modulation périodique de l’intensité lumineuse. Ce phénomène très général se produit par exemple lorsque deux instruments de musique, légèrement désaccordés l’un par rapport à l’autre, engendrent un battement sonore désagréable. Dans le cas du laser, la période du battement est égale au temps T que met la lumière à parcourir la cavité, puisque νn+1 T − νn T = 1. Ce battement temporel constitue déjà un embryon de fonctionnement impulsionnel, même si la durée de l’impulsion reste encore très longue. Pour obtenir une impulsion plus brève, il faut augmenter le nombre de modes impliqués. Comme représenté sur les figures 4.1(b) et 4.1(c), plus ce nombre est grand, plus la plage temporelle sur laquelle les modes interfèrent constructivement diminue. On constate que, sur les flancs de l’impulsion produite (limite de la zone grisée), il existe un décalage d’une demi-période d’oscillation du champ entre les modes périphériques et le mode central. À quelle plage de fréquence correspond ce déphasage maximal ? À nouveau, le nombre d’oscillations effectuées par un mode de fréquence νn au bout d’un temps t

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T (a)

(b)

(c)

t Figure 4.1. Représentation en fonction du temps de la somme de deux (a), cinq (b) et onze (c) modes longitudinaux consécutifs. Les couleurs sont utilisées pour illustrer la fréquence d’oscillation de ces modes, allant des basses fréquences (en rouge) aux hautes fréquences (en bleu).

est égal au produit νn t. On en déduit que deux modes, dont l’écart en fréquence est δν, se décalent d’une demi-période au bout d’un temps δt vérifiant la relation δνδt = 1/2. Cette relation confirme le phénomène illustré par la figure 4.1 : pour obtenir une impulsion brève, il est nécessaire de disposer d’une grande largeur spectrale, de l’ordre de l’inverse de la durée souhaitée. Est-ce suffisant ? La réponse est clairement non, comme on pourra s’en convaincre en considérant la lumière émise par le Soleil, qui n’est pas associée à une émission ultra-brève (le Soleil émet en continu) malgré un spectre plus large que le domaine visible du spectre électromagnétique. En fait, pour que l’addition entre les modes longitudinaux représentés en figure 4.1 donne lieu à une impulsion brève, il est nécessaire que ces modes soient parfaitement synchronisés. De façon générale, on peut démontrer une inégalité traduisant la nature nécessaire mais non suffisante de la condition évoquée plus haut. Cette relation s’écrit 1 ΔνΔt ≥ 4π où Δν et Δt sont les largeurs spectrale et temporelle de l’impulsion, définies au sens de l’écart quadratique moyen. Cette relation, qui est l’analogue spectro-temporel de la relation d’incertitude de Heisenberg en mécanique quantique, est extrêmement générale et s’applique également au traitement du signal et à l’acoustique. Par exemple, la hauteur sonore d’un instrument à percussion comme le wood-block est moins bien définie que celle du son d’un violon, en raison de la brièveté du son dans le premier cas qui implique une distribution de fréquences plus large.

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Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

En conclusion de cette partie, on voit que la superposition d’un grand nombre de modes longitudinaux d’un laser crée un train périodique d’impulsions ultra-courtes, à condition que ces modes soient correctement synchronisés. Rappelons toutefois que nous avons supposé pour simplifier que la cavité était vide, et il importe maintenant de voir comment le milieu amplificateur risque de déformer l’impulsion voyageant au sein de la cavité laser.

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Dispersion d’une impulsion femtoseconde

En raison de l’interaction entre le rayonnement électromagnétique et la matière, la lumière se propage moins vite dans un milieu matériel que dans le vide. Le rapport entre la vitesse dans le vide et la vitesse dans le milieu est par définition l’indice de réfraction du milieu considéré. Comme l’interaction matière-rayonnement dépend intimement de la fréquence d’oscillation du champ électrique, il en ira de même pour l’indice de réfraction. Ce phénomène, appelé dispersion de l’indice de réfraction, est par exemple à l’origine des arcs-en-ciel, qui résultent de la variation de l’angle de réfraction dans les gouttes d’eau selon la couleur considérée. En raison de la dispersion de l’indice de réfraction, et donc de la vitesse de propagation, les différentes composantes spectrales constituant une impulsion courte ne vont pas se propager à la même vitesse dans un milieu matériel. En pratique, on observe que – pour de la lumière visible – les petites fréquences se propagent plus vite que les grandes : le rouge va donc plus vite que le bleu. Considérons ainsi une impulsion ultra-brève traversant un milieu matériel, par exemple un bloc de verre ou un cristal transparent, comme représenté sur la figure 4.2. Les différentes composantes spectrales constituant cette impulsion sont représentées ici schématiquement avec les couleurs de l’arc-en-ciel. Lorsque l’impulsion est la plus courte possible, à l’entrée du matériau, toutes les composantes spectrales sont simultanées, ce qui est schématisé ici en empilant les unes sur les autres les différentes couleurs constituant l’impulsion. Au fur et à mesure de la propagation, le rouge – plus rapide – prend de l’avance sur le bleu, et l’impulsion transmise par le matériau prend donc l’allure représentée sur la figure : le rouge se retrouve maintenant sur le front avant de l’impulsion tandis que le bleu est sur le front arrière. On dit d’une telle impulsion qu’elle présente une dérive de fréquence, puisque sa fréquence varie au cours du temps. Les anglophones disent qu’elle présente un chirp, ce qui signifie gazouillis, autre façon d’exprimer que la fréquence varie avec le temps. La conséquence principale de cette dérive de fréquence est naturellement que l’impulsion transmise est plus longue que l’impulsion incidente. À titre d’exemple, on peut calculer qu’une impulsion dont la durée initiale serait de 10 fs verrait sa durée presque doubler après propagation dans seulement 1 mm de saphir. Sachant que l’épaisseur typique du cristal amplificateur

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Figure 4.2. Étalement d’une impulsion courte suite à sa propagation dans un milieu matériel. L’indice variant avec la fréquence, la partie rouge du spectre se propage plus vite que la partie bleue, produisant une impulsion à dérive de fréquence en sortie du milieu.

dans un laser femtoseconde est de l’ordre de quelques millimètres, on en conclut qu’il est essentiel de compenser ce phénomène, faute de quoi l’impulsion – en supposant qu’elle ait pu se former – s’étalerait et disparaîtrait en seulement quelques passages dans le cristal, soit en quelques dizaines de nanosecondes. Les opticiens ont développé de nombreuses méthodes pour compenser la dispersion d’une impulsion brève. Ces méthodes sont utilisées soit à l’intérieur du laser, pour permettre son bon fonctionnement, soit à l’extérieur de la cavité, pour contrôler la forme temporelle de l’impulsion produite par le laser. Il existe ainsi des dispositifs appelés façonneurs d’impulsions qui permettent de programmer à façon la forme temporelle de l’impulsion, à l’instar d’un générateur de fonctions en électronique. Toutefois, à l’intérieur du laser, on devra se restreindre à des dispositifs certes plus rudimentaires mais présentant de très faibles pertes, compatibles avec leur insertion au sein d’une cavité. Avant de nous concentrer sur la méthode dite des miroirs dispersifs, rappelons tout d’abord ce qu’est un miroir diélectrique. Il s’agit d’un composant constitué d’un empilement périodique de couches de deux matériaux transparents d’indices de réfraction différents. La fraction du rayonnement incident réfléchi par chaque interface entre les deux matériaux en raison de cette différence d’indice est certes infime, mais si la différence de chemin optique entre deux réflexions successives est un multiple de la longueur d’onde, il se produira un phénomène d’interférence constructive qui pourra finalement donner lieu à un coefficient de réflexion très proche de l’unité. De tels miroirs sont très utilisés car ils permettent de réfléchir des faisceaux intenses avec de très faibles pertes. Un miroir dispersif, comme représenté en figure 4.3, repose sur le même principe mais la période spatiale de l’empilement varie ici avec la profondeur. La condition d’interférence constructive se produira ainsi à des profondeurs différentes selon la longueur d’onde considérée. Comme le montre la figure, on s’arrange pour que la partie bleue du spectre soit réfléchie par la partie du miroir la plus proche de la surface, tandis que la partie rouge sera réfléchie plus en profondeur. Le bleu parcourt

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Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

Figure 4.3. Dans un miroir dispersif, la période des couches de deux matériaux d’indices différents varie avec la profondeur, ainsi les grandes (respectivement petites) longueurs d’onde sont réfléchies par la partie du traitement où la période est la plus grande (respectivement petite).

ainsi une distance plus courte que le rouge, ce qui permet de compenser la dérive de fréquence de l’impulsion incidente. En pratique, la dispersion (dite négative) d’un tel miroir reste limitée mais on pourra parvenir à compenser la dispersion souhaitée en multipliant le nombre de réflexions. 4

Schéma de principe d’un laser femtoseconde

En associant les briques élémentaires introduites plus haut, nous pouvons maintenant nous faire une première idée du principe de fonctionnement d’un laser femtoseconde. Nous avons vu que, pour obtenir une durée Δt brève, il était nécessaire de disposer d’une largeur spectrale Δν importante, ce qui impose d’utiliser un milieu laser capable d’amplifier une grande largeur spectrale. L’un des meilleurs matériaux de ce type est le saphir dopé au titane, ou Titane:Saphir (voir la figure 2.3), qui est capable d’amplifier la lumière par émission stimulée sur une bande spectrale comprise entre 650 et 1 100 nm. Afin d’assurer l’inversion de population, on pompera le cristal avec un laser continu, typiquement un laser solide pompé par diode laser et doublé en fréquence afin d’émettre dans le vert. Par ailleurs, afin d’éviter l’allongement de l’impulsion lors de sa propagation dans la cavité, il sera nécessaire de compenser la dispersion positive du cristal par la dispersion négative résultant de réflexions sur des miroirs dispersifs. On obtient ainsi le schéma représenté sur la figure 4.4. Considérons une impulsion courte (a) entrant dans le Titane:Saphir. Cette impulsion sera légèrement amplifiée grâce à l’émission stimulée dans le cristal, mais elle va également acquérir une dérive de fréquence positive en raison de la dispersion positive du cristal : le rouge précède alors le bleu (b). Cette dérive de fréquence positive sera compensée grâce à la dispersion négative des miroirs dispersifs MD1 et MD2 pour produire une impulsion courte (c). L’impulsion réfléchie par le miroir M1 (d) subit à nouveau des réflexions sur les miroirs dispersifs et acquiert donc une dérive de fréquence négative : le bleu précède maintenant le rouge (e). Cette précompensation de la dispersion du cristal permet de produire après amplification une

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(f)

(g)

(e)

(d)

MD1

Titane:Saphir MD2 M1

M2

(b)

(a)

(c)

Figure 4.4. Propagation d’une impulsion femtoseconde dans la cavité, constituée d’un cristal de Titane:Saphir, d’un miroir totalement réfléchissant (M1), d’un miroir de sortie laissant sortir de la cavité une faible fraction de l’énergie (M2) et de deux miroirs dispersifs (MD1 et MD2). Le laser de pompe n’est pas représenté.

impulsion courte (f), dont une faible fraction est transmise par le miroir de sortie M2 pour produire le faisceau de sortie du laser (g). Un laser femtoseconde permet ainsi de concentrer la quantité d’énergie disponible dans la cavité dans un intervalle de temps extrêmement bref. Par rapport à un laser continu de même puissance moyenne, la puissance crête, au sommet de l’impulsion, sera multipliée par un facteur considérable qui est de l’ordre du nombre de modes longitudinaux impliqués dans l’émission laser. On pourra ainsi avoir une puissance instantanée un million de fois supérieure à ce dont on dispose avec un laser continu. À ce niveau de puissance, les effets d’optique non linéaire évoqués dans l’introduction entrent en jeu, ce qui fait l’objet de la partie suivante de ce chapitre.

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Optique non linéaire et effet Kerr optique

Pour comprendre l’origine de ces effets non linéaires, il est utile de revenir brièvement sur l’origine physique de l’indice optique. On peut, en première approximation, assimiler un système atomique ou moléculaire à un dipôle constitué d’un noyau chargé positivement et d’un nuage électronique chargé négativement. En présence d’une onde lumineuse, ce nuage électronique est soumis à deux forces : la force électrostatique exercée par le noyau et la force de Lorentz induite par l’onde électromagnétique. À l’échelle atomique, on peut décrire le champ électrique de l’onde comme un champ uniforme oscillant à très haute fréquence. Le mouvement du nuage électronique se réduit alors à celui d’un oscillateur harmonique forcé

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Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

d’amplitude proportionnelle à l’amplitude de l’onde incidente. Ce dipôle oscillant émet un champ électromagnétique qui interfère avec le champ excitateur. Ceci se traduit par un ralentissement de la vitesse de propagation de la lumière dans le milieu considéré : c’est l’origine physique de l’indice de réfraction, qui dans le cadre de ce premier modèle ne dépend pas de l’intensité lumineuse. Cependant, lorsque la matière est soumise à un éclairement intense, la force d’attraction entre le noyau et le nuage électronique n’est plus proportionnelle au déplacement du nuage électronique et l’atome ne se comporte plus comme un oscillateur harmonique. Lorsque ce type d’oscillateur anharmonique est soumis à une excitation périodique, la réponse de l’oscillateur dépend de l’intensité lumineuse et peut faire apparaître de nouvelles fréquences, en particulier les harmoniques de la fréquence fondamentale : fréquence double, triple, etc. Parmi les nombreux effets d’optique non linéaire, l’effet Kerr optique est défini comme la variation de l’indice de réfraction du milieu en fonction de l’éclairement I (qui s’exprime en W/m2 ) auquel ce milieu est soumis. En première approximation, on pourra écrire que l’indice de réfraction suit une loi affine : n(I) = n0 + n2 I où n0 est l’indice linéaire du milieu tandis que n2 est par définition l’indice non linéaire, qui est presque toujours positif. Cet effet aura deux manifestations, l’une dans le domaine spatial et l’autre dans le domaine temporel, qui sont toutes deux essentielles pour comprendre le fonctionnement d’un laser femtoseconde. La manifestation spatiale de l’effet Kerr optique est illustrée par la figure 4.5. Comme le montre la figure, l’augmentation de l’indice de réfraction – et donc du chemin optique – au centre du faisceau résulte en une lentille effective, appelée lentille de Kerr, induite dans le matériau. Sous l’action de cette lentille, le faisceau transmis par le milieu non linéaire devient convergent. Ce phénomène est appelé auto-focalisation, puisque c’est le faisceau lui-même, ou plutôt son interaction avec le milieu non linéaire, qui est responsable de la lentille de Kerr. La manifestation temporelle de l’effet Kerr est plus difficile à saisir, même si l’on peut montrer qu’il existe une analogie mathématique profonde entre les deux effets. Considérons une impulsion courte se propageant dans un milieu non linéaire supposé non dispersif, comme représenté sur la figure 4.6. Sous l’effet conjugué de l’effet Kerr optique et de la variation de l’éclairement pendant l’impulsion, l’indice de réfraction varie au cours du temps. Il augmente pendant le front montant de l’impulsion, tandis qu’il diminue pendant le front descendant. Considérons dans un premier temps ce qui se passe pendant le front montant. La lumière se propage alors dans un milieu dont l’épaisseur optique – produit de l’épaisseur du milieu par l’indice de réfraction – croît au cours du temps. Cette situation est parfaitement équivalente au cas où la source de rayonnement s’éloignerait de l’observateur. En raison de l’effet

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I (r )

r

n( I ) = n0 + n2 I

(a) I (r )

n( I ) = n0

r

(b) Figure 4.5. (a) Propagation d’un faisceau laser intense de profil transverse gaussien dans un milieu non linéaire. L’éclairement étant plus élevé au centre du faisceau, l’indice de réfraction sera également plus élevé en raison de l’effet Kerr optique. Le chemin optique étant plus important au centre, on se retrouve dans une situation équivalente à celle représentée en (b), correspondant à un matériau linéaire mais dont la face de sortie est bombée, ce qui n’est rien d’autre qu’une lentille plan-convexe.

Front descendant

Front montant

n( I ) = n0 + n2 I

Figure 4.6. Génération de nouvelles fréquences par effet Kerr optique.

Doppler, on sait qu’il y aura alors un décalage vers le bas de la fréquence de la source, comme lorsqu’une voiture rapide et bruyante (moteur ou sirène) vient de passer à votre hauteur, donnant lieu à une diminution de la fréquence sonore perçue. À l’inverse, pendant le front descendant, l’indice de réfraction décroît au cours du temps, ce qui signifie que le chemin optique à parcourir diminue au cours du temps. La source se rapproche maintenant de l’observateur et on aura alors un décalage vers les hautes fréquences, toujours en vertu de l’effet Doppler. On en conclut que l’effet Kerr optique produit une impulsion présentant de nouvelles fréquences par rapport à celles constituant l’impulsion incidente. Comme dans le cas de la dispersion dans un milieu linéaire, l’impulsion produite présente une dérive de fréquence positive, puisque le front avant est décalé vers le rouge, tandis que le front arrière est décalé vers le bleu. Cependant, il importe de bien noter la différence entre ces deux phénomènes : dans le cas de la dispersion, des composantes spectrales déjà présentes dans l’impulsion incidente se décalent, donnant lieu à un allongement de l’impulsion. À l’inverse, dans le cas de l’effet Kerr optique, la durée de l’impulsion ne change pas et de nouvelles fréquences sont créées, qui n’étaient pas nécessairement présentes dans l’impulsion initiale.

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Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

L’effet Kerr optique, associé à d’autres effets non linéaires qui sortent du cadre de cet ouvrage, donne ainsi lieu à un phénomène spectaculaire que l’on peut facilement observer avec un laser femtoseconde : la génération de continuum spectral. En effet, la production de nouvelles fréquences peut être si marquée qu’un véritable faisceau de lumière blanche est engendré, comme illustré par la figure 4.7.

© Ecole Polytechnique (Ph. Lavialle, G. Labroille, M. Joffre)

Figure 4.7. Le faisceau produit par un laser femtoseconde (Femtosource scientific XL 500, Femtolasers, Autriche) est focalisé (à droite de l’image) dans un matériau transparent. Compte tenu de l’énergie contenue dans les impulsions (500 nJ pour une durée de 50 fs), l’interaction non linéaire dans le matériau produit un spectre beaucoup plus large. On obtient ainsi un laser blanc, dont les composantes spectrales sont ici décomposées à l’aide d’un prisme.

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Verrouillage en phase des modes longitudinaux

Après ce bref détour par l’optique non linéaire, il devient maintenant possible de mieux comprendre la véritable physique impliquée dans le fonctionnement d’un laser femtoseconde. Remarquons tout d’abord que, jusqu’ici, nous avons passé sous silence deux points cruciaux. D’une part, rien n’oblige a priori le laser représenté en figure 4.4 à fonctionner en régime impulsionnel et il nous manque donc un ingrédient permettant de favoriser ce régime. D’autre part, il est important de noter que la condition de bouclage, propre à tout système laser, est plus difficile à réaliser que pour un laser monofréquence car il faut ici que l’impulsion dans son ensemble soit reproduite parfaitement identique à elle-même après un aller-retour dans la cavité. La prise en compte de ces deux points est ce que l’on appelle le verrouillage des modes en phase, qui permet la bonne synchronisation temporelle des modes longitudinaux. Dans la plupart des lasers femtosecondes utilisant un cristal de Titane:Saphir, le verrouillage des modes est assuré grâce à l’effet Kerr optique dans le cristal. Notons qu’il existe d’autres moyens d’obtenir le verrouillage des modes, comme l’utilisation

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d’un absorbant saturable décrite dans la figure 2.10. L’effet Kerr optique décrit dans le présent chapitre, totalement négligeable en régime continu (à faible puissance), va au contraire modifier le profil spatial du faisceau en régime impulsionnel (à haute puissance) par le processus d’autofocalisation illustré par la figure 4.5. Les oscillateurs femtosecondes sont ainsi sciemment dimensionnés pour que les pertes en régime continu soient plus élevées qu’en régime impulsionnel. Une technique brevetée consiste par exemple à disposer une fente à un endroit judicieusement choisi de la cavité. Comme tout bon laser, notre oscillateur cherchera à optimiser son régime de fonctionnement pour minimiser les pertes, ce qui privilégiera le régime impulsionnel, pour lequel le faisceau parvient à mieux se faufiler dans la cavité. La seconde difficulté soulignée plus haut, liée à la condition de bouclage, revient à annuler parfaitement la dispersion de la cavité pour que la forme temporelle de l’impulsion soit reproduite parfaitement à l’identique après un aller-retour. Il est tout simplement impossible d’y parvenir uniquement à l’aide de miroirs dispersifs car la compensation ne saurait être parfaitement exacte sur l’ensemble du spectre. Une déformation résiduelle, même infime, s’accumulerait après un certain nombre d’allersretours dans la cavité pour finalement détruire l’impulsion, à supposer qu’elle ait jamais pu se former. En fait, au lieu de chercher à compenser exactement la dispersion à l’aide des miroirs dispersifs, on peut délibérément surcompenser la dispersion globale de la cavité. Il suffira pour cela d’utiliser des miroirs plus dispersifs, ou d’augmenter le nombre de réflexions, de sorte que la dispersion négative apportée par les miroirs dispersifs soit, en valeur absolue, plus importante que la dispersion positive résultant de la propagation linéaire dans le cristal. Ainsi la dispersion nette de la cavité sera négative. Considérons à nouveau la figure 4.4, et plus particulièrement l’impulsion en (e), qui présente une dérive de fréquence négative. Nous savons maintenant que cette dérive de fréquence est trop importante. L’impulsion transmise par le cristal en (f) aurait donc une dérive de fréquence négative résiduelle s’il n’y avait l’effet Kerr optique. Ce dernier, en raison du processus illustré par la figure 4.6, va produire un décalage vers le rouge du front avant de l’impulsion et un décalage vers le bleu du front arrière, qui aura pour effet d’annuler la dérive de fréquence résiduelle pour produire l’impulsion la plus courte possible à la sortie du cristal, et donc du laser. Comme l’effet Kerr optique dépend de la forme exacte de l’impulsion, nous tenons là le paramètre ajustable qui nous manquait pour assurer une compensation parfaite de la dispersion de la cavité. En régime stationnaire, dans sa lutte perpétuelle pour assurer son émission, le laser va en permanence ajuster la forme exacte de l’impulsion pour que la condition de bouclage reste parfaitement vérifiée. Le verrouillage des modes a aussi une conséquence essentielle sur la position des modes longitudinaux. Dans la partie 4.2, nous avions vu que les modes étaient équidistants et espacés de 1/T , mais il ne s’agissait alors que d’une idéalisation théorique. En pratique, la période T de la cavité dépend de la fréquence ν du

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Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

mode considéré en raison de la dispersion résiduelle de la cavité. Dans le cas d’une dispersion résiduelle négative, la période T diminue avec la fréquence puisque le bleu va plus vite que le rouge. L’espacement entre les modes longitudinaux devrait donc augmenter avec la fréquence. Ce n’est que grâce à l’équilibre entre l’effet Kerr optique et la dispersion négative de la cavité, pour une forme bien précise de l’impulsion produite, que toutes les composantes spectrales mettent exactement le même temps pour parcourir la cavité. Cela produit un espacement entre les modes parfaitement uniforme, comme le montre la figure 4.8. En asservissant la période T de la cavité à l’aide d’une horloge atomique, des physiciens ont pu montrer que la précision relative du peigne de fréquences était de 10−17 . Une telle précision a révolutionné la métrologie des fréquences, comme cela sera discuté au chapitre suivant. 1/T

ν Figure 4.8. Peigne de fréquences produit par un laser femtoseconde. Un spectre réel peut comporter jusqu’à plusieurs millions de modes longitudinaux parfaitement équidistants.

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Amplification

En pratique, les puissances crêtes typiques produites par un oscillateur femtoseconde sont déjà suffisantes pour induire des effets non linéaires significatifs. L’effet Kerr optique, induit à l’intérieur même de la cavité, en est le meilleur exemple. Néanmoins, il faut souvent des impulsions plus énergétiques pour tirer efficacement parti de ces effets non linéaires. En sortie d’oscillateur femtoseconde, les impulsions ont une énergie typique variant d’une fraction de nanojoule (1 nJ = 10−9 J) à quelques centaines de nanojoules. Pour élever cette énergie au-delà, il suffit de propager le faisceau d’un oscillateur à travers une série d’amplificateurs laser. Il n’est cependant pas si évident d’appliquer ces techniques aux impulsions ultra-brèves. En effet, même avec des faisceaux larges, l’éclairement laser atteint rapidement le seuil de dommage du milieu amplificateur. Pour élever l’énergie des impulsions au niveau du millijoule, du joule, voire du kilojoule, une technique très utilisée est l’amplification à dérive de fréquence. Cette technique, inspirée par des travaux sur les radars, consiste à diminuer la puissance crête pendant la phase d’amplification en augmentant délibérément la durée des impulsions. L’amplification est ainsi obtenue en trois temps : les impulsions sont étirées temporellement, amplifiées puis recomprimées (voir la figure 2.12). L’amplification

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elle-même repose sur l’émission stimulée dans un milieu laser où l’on a réalisé une inversion de population, comme expliqué au chapitre 1. Néanmoins, comme le gain laser varie avec la longueur d’onde, certaines fréquences sont plus amplifiées que d’autres, ce qui tend à privilégier une bande spectrale réduite. Dans un oscillateur femtoseconde, cet effet de rétrécissement spectral par le gain est exactement compensé par l’élargissement spectral lié à l’effet Kerr optique, mais, dans un amplificateur, il conduit au dilemme suivant : plus l’énergie augmente, plus le spectre amplifié est étroit et plus les impulsions recomprimées sont longues. Il est ainsi difficile d’obtenir des impulsions de moins de 20 fs à des niveaux d’énergie supérieurs au millijoule. Néanmoins, il est possible d’atteindre des énergies de plusieurs centaines de joules et des puissances optiques gigantesques qui se mesurent aujourd’hui en pétawatts (1015 W). Les champs électriques de ces lasers géants permettront, dans un futur proche, d’accélérer des particules chargées à des vitesses relativistes comparables à celles des plus grands accélérateurs de particules.

8

Production d’impulsions attosecondes

Le modèle atomique élémentaire rappelé au paragraphe 4.5 indique que les nuages électroniques sont capables de suivre en phase l’oscillation d’un champ laser intense alors qu’à l’inverse, les noyaux atomiques, environ mille fois plus massifs, sont bien moins mobiles et peuvent être considérés fixes à l’échelle de la femtoseconde. Ainsi, alors que l’échelle typique de vibration d’une molécule est la centaine de femtosecondes, voire la picoseconde, un électron met dans le modèle de Bohr environ mille fois moins de temps à parcourir son orbite, soit 0,15 fs = 150 as. Le suivi de régimes transitoires utilisant les impulsions ultra-courtes précédemment décrites est donc cantonné au cas des mouvements des noyaux. Cependant, ce sont les dynamiques électroniques qui sont à la source des réarrangements moléculaires lors de réactions chimiques : les déplacements de charge associés entraînent les noyaux. L’intérêt de voir plus bref, dans la gamme attoseconde, pour sonder les étapes initiales d’un processus moléculaire est donc important. Le record de durée des impulsions lumineuses a longtemps été limité à une barrière de quelques femtosecondes, liée à la période d’oscillation du champ électrique dans le domaine visible et à la largeur du spectre disponible dans cette gamme : une onde lumineuse de longueur d’onde 400 nm correspond à un champ oscillant de période 1,3 fs et l’ensemble des fréquences présentes dans le spectre visible, si elles étaient parfaitement synchronisées (voir figure 4.1), donneraient une impulsion d’une durée de l’ordre de 1,5 fs. Pour obtenir des impulsions plus brèves que la femtoseconde, le spectre d’un laser femtoseconde doit donc être élargi et transféré dans un domaine spectral où la période d’oscillation est plus brève, c’est-à-dire l’XUV.

102

Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

Dans ce domaine spectral, défini par des longueurs d’ondes comprises entre quelques nanomètres et 120 nm, les périodes d’oscillation du champ électrique s’étalent entre 4 et 400 as, fournissant le support adapté à des impulsions sub-femtosecondes. Pour réaliser cette opération d’élargissement et de transfert d’un spectre visible vers l’XUV, à l’instar du domaine visible (§ 4.5), un effet non linéaire peut être utilisé. Cependant, les approches habituelles, reposant par exemple sur la propagation dans un milieu solide, sont inappropriées. En effet, les photons de cette gamme spectrale sont non seulement rapidement absorbés par la matière, mais en plus ils la détruisent, en ionisant relativement efficacement n’importe quelle espèce. Il faut donc renoncer aux milieux condensés en transmission pour réaliser cette opération. Deux approches sont actuellement en pointe pour contourner cette difficulté : ou bien l’utilisation d’effets non linéaires à la surface de miroirs, ou bien l’utilisation de cibles gazeuses relativement fines, diluées à quelques millièmes de la pression atmosphérique. Dans les deux cas, il s’agit d’induire des effets extrêmement non linéaires, et donc d’utiliser des champs présentant des éclairements extrêmement intenses. La première approche, que nous détaillerons moins car moins largement répandue, se trouve encore au stade des expériences de démonstrations. Elle utilise des éclairements au-delà de 1016 W/cm2 , requérant des lasers très spécifiques. Dans son régime dit « Doppler », elle repose sur l’ionisation complète d’une couche superficielle du miroir, créant un plasma oscillant sous la force du champ laser. Ce plasma, oscillant à grande vitesse, se comporte à son tour comme un miroir pour le rayonnement incident. Comme dans l’effet Doppler (§ 4.5), le rayonnement réfléchi comporte des fréquences supplémentaires, d’autant plus nombreuses que la vitesse du miroir plasma est élevée. Il faut noter que le processus est quasi périodique en raison de l’oscillation du miroir durant le champ laser de quelques femtosecondes. Ce spectre se présente donc comme une série d’harmoniques du fondamental, s’étendant typiquement sur quelques dizaines d’eV (λ  25 nm). Si la théorie prédit que des impulsions attosecondes sont bien formées par ce mécanisme, il faut noter qu’elles n’ont pour l’instant jamais été mesurées directement. L’autre approche, plus mature, utilise comme milieu non linéaire un gaz dilué. Elle fournit actuellement des sources attosecondes dans une trentaine de laboratoires dans le monde, conduisant le développement de techniques pompe sonde spécifiques. Le phénomène physique mis en jeu, appelé génération d’harmoniques d’ordre élevé, a été découvert à la fin des années 1980, simultanément au CEA à Saclay et à Chicago. S’il peut être vu comme un phénomène non linéaire habituel, sa description dans le domaine temporel par un modèle en trois étapes se révèle extrêmement éclairante. Ici encore, le champ laser utilisé présente un éclairement important, dans la gamme des 1013 à 1014 W/cm2 . Les lasers amplifiés actuels basés sur un milieu amplificateur en Titane:Saphir offrent une technologie fiable pour atteindre ces éclairements et sont relativement répandus. Par exemple, une impulsion

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laser gaussienne de 10 mm de diamètre, d’une durée de 30 fs, portant une énergie d’un millijoule et focalisée par une lentille de 50 cm permet d’atteindre l’éclairement requis au voisinage du foyer. Cet éclairement correspond à un champ électrique crête de l’onde lumineuse dans la gamme des 108 V/cm. C’est précisément l’ordre de grandeur du champ atomique maintenant l’électron au voisinage de son noyau. Ce champ va donc perturber significativement les atomes de la cible gazeuse, et s’il était un peu trop intense, arracherait immédiatement les électrons externes de l’atome. Pour observer la génération d’harmoniques d’ordre élevé, il faut se placer dans un régime légèrement en dessous de cette limite d’ionisation. À chaque maximum du champ électrique de l’onde laser, les électrons ont alors une probabilité faible mais non nulle d’être arrachés de leur cœur ionique par un effet purement quantique, l’effet tunnel. En effet, à ce niveau de description, l’électron doit aussi être considéré comme une onde dont le comportement s’écarte de celui d’une particule classique. Dans une perspective quantique, une partie de l’onde électronique se trouve libérée du cœur, alors qu’une autre reste liée. Le point clé est que la quantité d’onde qui se trouve libérée varie très rapidement avec le champ électrique associé au laser. En pratique, l’électron ne peut s’échapper que lorsque le champ électrique lumineux est maximum. Cette fenêtre temporelle est évidemment extrêmement étroite, même par rapport à la période du laser. Ensuite, le temps passe et le champ du laser suit son évolution quasi périodique : le champ laser s’annule progressivement, puis devient négatif. L’électron qui a quitté le cœur ionique accélère puis décélère en conséquence jusqu’à faire demi-tour, puis il accélère à nouveau dans l’autre sens gagnant beaucoup d’énergie, et, sous certaines conditions, il repasse au voisinage de son noyau parent environ 2/3 de période laser plus tard (figure 4.9). Il interagit avec lui et un des résultats possibles de cette interaction est l’émission, sous forme de rayonnement électromagnétique, de l’énergie qu’il a gagnée lors de son excursion. En réalité, plus le champ est intense, plus l’électron gagne de l’énergie. Des photons ayant jusqu’à 1 000 fois l’énergie du photon incident ont déjà été observés. La fréquence du photon étant proportionnelle à son énergie, l’émission est nécessairement dans le domaine XUV. Le processus est contrôlé par le laser de pompe : un électron qui sort un peu plus tôt qu’un autre du champ ionique est entraîné par un champ électrique différent, acquérant une énergie différente et ayant un temps de retour différent. Ainsi tous les photons émis n’ont ni la même énergie, ni le même temps d’émission. On obtient donc un spectre très large dans l’XUV mais imparfaitement synchronisé. Il est possible de compenser cette dérive de fréquence à l’aide de matériaux dispersifs appropriés pour finalement former une impulsion attoseconde. Plus précisément, si le champ incident ne présente qu’un maximum permettant l’ionisation tunnel, une seule impulsion attoseconde est formée, alors que si plusieurs maxima sont suffisants, l’on obtient un train d’impulsions attosecondes (figure 4.10).

104

Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

In te n si té

T Atomes

Tem p s

100 10-3 10-6 10-9 10

30

50

É n e r g i e (e V )

0

te m p s

2 T/ 3 XUV

Figure 4.9. Principe de la génération d’harmoniques d’ordre élevé. Un laser amplifié est focalisé dans un gaz dilué dans lequel un processus à trois étapes a lieu : un électron est partiellement arraché d’un atome, gagne de l’énergie pendant une demi-période du champ laser en étant accéléré par ce champ, puis vient recollisionner, émettant son excès d’énergie sous la forme de rayonnement XUV. Un spectre expérimental typique est constitué d’harmoniques impaires du fondamental, d’intensités comparables (en haut à droite).

Impulsion de génération 1.0 0.8 0.6

Champ XUV

0.4 0.2 0.0

-30

-20

-10

0

10

20

30

Temps (fs) Figure 4.10. Allures temporelles d’impulsions attosecondes mesurées, dans le cas (gauche) d’une impulsion de pompe courte (impulsion attoseconde unique), et (droite) d’une impulsion de pompe longue (train d’impulsions attosecondes). (D’après E. Goulielmakis et al., Science 320, 1614 (2008) et V. Tosa et al., Phys. Rev. A 79, 043828 (2009). Copyright (2008) American Association for the Advancement of Science et (2009) American Physical Society.)

Il est presque certain que des impulsions attosecondes étaient engendrées de cette façon dans les années 1990. Cependant, les instruments de mesure adaptés à de si courtes durées n’avaient pas encore été inventés et la preuve de la structure attoseconde ne fut finalement fournie qu’en 2001. L’obtention de telles impulsions et

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surtout leur caractérisation restent délicates : environ une trentaine de laboratoires dans le monde en disposent aujourd’hui. Mais des applications voient déjà le jour, notamment centrées sur la photoionisation. Par exemple, des temps d’éjection de photoélectrons de l’ordre de 20 as ont pu être mesurés lors de la photoionization d’atomes d’argon. L’utilisation d’impulsions toujours plus courtes ouvre donc de nouveaux domaines de recherche. Depuis les années 1990, les sources femtosecondes jettent une nouvelle lumière sur les dynamiques atomiques, les sources attosecondes commencent seulement aujourd’hui à sonder des dynamiques électroniques. L’étape suivante fait déjà l’objet de propositions : des protocoles pour accéder au domaine zeptoseconde (10−21 s) ont été proposés.

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Chapitre 4. Des sources de lumière ultra-brèves

5 Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision Christian CHARDONNET, Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire de Physique des Lasers, CNRS-Université Paris 13, Villetaneuse. Pierre-François COHADON, Maître de Conférences à l’École Normale Supérieure, Laboratoire Kastler Brossel, Paris. Saïda GUELLATI-KHÉLIFA, Professeure au Conservatoire National des Arts et Métiers, Laboratoire Kastler Brossel, Paris.

Le laser a rapidement essaimé à partir des laboratoires de recherche pour donner naissance en quelques années à un nombre important d’applications dans la vie courante, mais il n’en reste pas moins un outil inégalable pour la physique fondamentale. Ce chapitre présente les qualités du laser que l’on met à profit dans les mesures de grande précision, et quelques exemples de telles mesures. Un faisceau laser est caractérisé par plusieurs grandeurs : sa longueur d’onde (ou sa fréquence), son amplitude (ou son intensité), mais également sa phase, sa position (dans le plan d’un détecteur, par exemple), sa direction de propagation et même son état de polarisation. Toutes ces grandeurs peuvent être mesurées même si, en pratique, le montage expérimental doit toujours convertir la grandeur à mesurer en une intensité lumineuse, seule grandeur directement mesurable par un photodétecteur. La figure 5.1 présente des exemples de tels montages. Une expérience de spectroscopie consiste à déterminer les fréquences lumineuses absorbées ou émises par un milieu, soit pour le caractériser (si on connaît la composition du milieu, idéalement

Figure 5.1. Illustration des principales grandeurs que l’on peut mesurer sur un faisceau laser, et des informations que l’on peut en tirer. (a) La longueur d’onde de la lumière absorbée renseigne sur l’espèce atomique ou moléculaire. (b) La différence de phase entre deux chemins permet de mesurer la différence de longueur entre ces deux trajets. (c) La position ou la direction d’un faisceau permet de mesurer la rotation d’un miroir sur lequel il s’est réfléchi. (d) La rotation de la direction de polarisation d’un faisceau renseigne sur le milieu traversé.

une seule espèce atomique ou moléculaire), soit pour l’identifier (en utilisant un atlas spectroscopique, qui consiste en une longue liste des fréquences caractéristiques d’une ou plusieurs espèces). Une expérience d’interférométrie convertit le déphasage entre deux chemins différents suivis par la lumière en une intensité ; on verra qu’une telle expérience permet notamment de mesurer de très petits déplacements. La rotation d’un miroir peut également être mesurée en utilisant un faisceau laser qui se réfléchit dessus et en mesurant sa position sur un détecteur sensible à la position, tel qu’une photodiode à plusieurs quadrants. Enfin, on peut également caractériser un milieu (cristallin, biologique,...) en caractérisant la façon dont la polarisation du faisceau est transformée à la traversée de ce milieu. Par la suite, on va s’intéresser essentiellement à la mesure de fréquences et de déphasages.

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Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

1

Une source de lumière ultra-stable

L’instrument de base pour ces mesures est un laser, et bien souvent un laser monomode, caractérisé par une seule longueur d’onde d’émission. En effet, dans de nombreuses expériences, la présence simultanée de plusieurs longueurs d’onde compliquerait le signal expérimental et est donc à éviter. On a vu au chapitre 1 comment les longueurs d’onde d’émission possibles d’un laser dépendent de la longueur de la cavité. On a également vu que, bien souvent, la courbe de gain du milieu amplificateur est suffisamment large pour entretenir plusieurs fréquences d’émission. 1.1

Comment rendre un laser monomode ?

La figure 5.2 explique la technique utilisée pour rendre un laser monomode : inclure dans la cavité laser un filtre optique, par exemple une cavité intermédiaire. Cette cavité étant nettement plus courte que la cavité principale du laser, l’intervalle c/2L entre deux résonances est donc plus important et peut être comparable à la largeur de la courbe de gain. La combinaison des deux filtrages – en mettant les deux cavités à résonance pour une fréquence précise – permet alors de privilégier un seul mode longitudinal du laser : l’émission se fait alors à une longueur d’onde et une seule. gain de la cavité laser

courbe de gain du milieu amplificateur

Longueur de la cavité

pertes

Faisceau de sortie Milieu amplificateur

Filtre optique

intervalle du filtre intervalle de la cavité

fréquence

Figure 5.2. Réalisation d’un laser monomode. Le fonctionnement du laser est restreint au seul pic très fin dont le gain est supérieur aux pertes, au milieu de sa courbe de gain en combinant l’effet de filtrage de la cavité (très violent, mais avec des pics peu espacés) et celui d’un filtre optique placé à l’intérieur (filtrage moins violent, mais avec des résonances beaucoup plus espacées).

1.2

Comment réduire la largeur spectrale d’un laser ?

Mais obtenir l’émission du laser sur une seule longueur d’onde (ou une seule fréquence) ne suffit pas toujours : cette fréquence peut encore fluctuer ou dériver au

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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cours du temps, au gré des variations de la longueur de la cavité, ce qui est préjudiciable pour certaines expériences. Par exemple, on a déjà vu que le rendement énergétique des lasers peut être très mauvais : la majorité de l’énergie utilisée pour pomper le milieu actif est alors perdue sous forme de chaleur. On utilise souvent un système de circulation d’eau (qui arrive froide et se réchauffe au contact du milieu actif) pour éviter que le matériau (un cristal par exemple) ne chauffe trop et ne se détériore. Un tel système présente alors l’inconvénient d’engendrer des vibrations qui modifient la longueur de la cavité. Moyenné sur une fraction de seconde, l’ensemble des fréquences instantanées d’émission du laser peut alors être considéré comme l’émission d’une fréquence centrale entachée d’une incertitude, la largeur spectrale du laser. Sous l’effet du même chauffage de la cavité, celle-ci va également se dilater, ce qui provoquera inévitablement une dérive de la fréquence d’émission laser. La figure 5.3 présente le principe d’un asservissement de la fréquence du laser. Un tel asservissement consiste à prélever une partie du faisceau sortant de la cavité et à le comparer à une référence de fréquence. Selon l’expérience envisagée, cette référence peut être absolue, en utilisant une résonance atomique ou moléculaire, dont la fréquence est déterminée et connue précisément dans des conditions expérimentales données, ou relative, par exemple une cavité isolée des perturbations extérieures, dont les fréquences de résonance sont extrêmement stables, même si on ne connaît pas a priori leur valeur absolue. On utilise alors ce signal pour effectuer une rétro-action sur la longueur de la cavité. La correction à appliquer est en général une fraction de la longueur d’onde, ce qui permet par exemple d’utiliser une cale piézo-électrique pour déplacer un des miroirs de la cavité et ajuster la longueur de celle-ci. Si, à un instant donné, une vibration allonge légèrement la cavité, le système de mesure de fréquence détecte une diminution de la fréquence d’émission et agit pour la compenser. Au fur et à mesure que la fréquence se rapproche de la valeur désirée, le signal de rétro-action diminue pour s’annuler complètement quand on l’a atteinte. Et inversement quand la cavité se raccourcit. Un des problèmes qui se posent à l’expérimentateur est de réaliser une chaîne d’asservissement suffisamment rapide pour contrer efficacement les perturbations extérieures. On s’est intéressé ici à la stabilisation de la fréquence d’émission d’un laser monomode, mais des techniques similaires peuvent également être utilisées pour réduire les fluctuations des autres grandeurs caractéristiques du faisceau laser : intensité, forme du faisceau, pointé... On peut ainsi obtenir un faisceau laser qui se rapproche le plus possible d’un faisceau laser idéal.

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Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

variation de longueur de la cavité laser

déplacement contrôlé cale piézoélectrique

faisceau laser

signal (électrique) de rétro-action

mesure de fréquence

Figure 5.3. Illustration du lien entre les fluctuations de longueur de la cavité laser et celles de sa longueur d’onde d’émission, et principe d’un asservissement pour les corriger.

2

La spectroscopie laser

La spectroscopie d’absorption consiste à faire varier continûment la longueur d’onde d’émission d’une source lumineuse qui interagit avec un milieu matériel et à détecter l’intensité transmise. Le signal ainsi obtenu s’appelle un spectre. À certaines longueurs d’onde bien précises, la lumière entre en résonance avec le milieu car celui-ci possède une fréquence propre égale à la fréquence excitatrice de la lumière. Cette lumière sera alors absorbée partiellement ou complètement. En détectant l’intensité lumineuse transmise par le milieu qui module l’absorption, on connaîtra les fréquences caractéristiques du milieu. 2.1

Le laser : une source idéale pour la spectroscopie

Tout l’art de la spectroscopie depuis l’origine a été de développer des méthodes qui permettent de réduire le plus possible la largeur des résonances individuelles. L’intérêt est double : la largeur de ces résonances caractérise la résolution de la méthode spectroscopique, et fixe ainsi l’écart minimal entre deux fréquences propres du milieu qui pourront être distinguées. La grande avancée du laser a été de fournir une source lumineuse dont le spectre est tellement étroit (voir la figure 5.4) que, dans la plupart des cas, il n’élargit pas la résonance que l’on détecte : c’est le milieu lui-même qui est à l’origine de la largeur des résonances. La figure 5.5 illustre ainsi les progrès de cette résolution sur une bande de vibration de la molécule SF6 . Avant le laser, le spectromètre à réseau ne permettait de voir que l’enveloppe de la bande. Les premiers spectres par diode laser ont une résolution limitée par l’effet Doppler : la vitesse des molécules déplace la résonance d’une quantité k · v où k est le vecteur d’onde du laser et v la vitesse de la molécule, la largeur de la résonance est alors

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(b)

1,1 kHz Fréquence

Puissance

Puissance

(a)

12 Hz

Fréquence

Figure 5.4. Spectre d’un laser à CO2 . Fréquence du laser : 30 THz. Le champ électrique émis par le laser ne varie pas de façon parfaitement sinusoïdale dans le temps à cause des sources de bruit. Son énergie est légèrement distribuée autour de sa fréquence centrale. (a) Largeur spectrale du laser libre : 1,1 kHz. (b) Après asservissement, la largeur est divisée par 100.

ku où u est la vitesse quadratique moyenne du gaz liée à sa température. La largeur de raie est de l’ordre de quelques dizaines de MHz ou du GHz suivant la longueur d’onde du laser. Pour franchir cette limite, des méthodes de spectroscopie sub-Doppler ont été développées, notamment l’absorption saturée : partant de deux ondes progressives formant une onde stationnaire, il existe une condition de résonance avec ces deux ondes qui s’écrit simplement ω − k · v = ω0 et ω + k · v = ω0 , où ω est la pulsation laser et ω0 la pulsation propre de la molécule. Cette condition n’est réalisée que pour les seules molécules telles que v et k sont perpendiculaires. Cela crée un signal qui présente une largeur dite homogène, due à ces seules molécules, beaucoup plus faible que la largeur Doppler. La figure 5.5c est obtenue avec un laser libre, les figures 5.5d avec un laser asservi en fréquence : on atteint ici une largeur de raie de 1 kHz, 30 000 fois plus faible que la largeur Doppler. On observe que la structure hyperfine (due aux dipôles magnétiques des noyaux des atomes) est parfaitement bien interprétée théoriquement. Les méthodes spectroscopiques sont les méthodes les plus fines que l’on puisse imaginer pour analyser la matière. Elles sont ainsi utilisées en physique de l’atmosphère, pour la détection de traces ou de polluants. 2.2

Le problème de la calibration

L’exploitation de la spectroscopie nécessite la calibration des spectres en fréquences. Si nous reprenons la figure 5.5, la figure 5.5b révèle la structure de vibration-rotation de la molécule SF6 . Pour analyser cette structure, il faut mesurer l’écart entre résonances, mais aussi connaître la fréquence dite absolue de chaque résonance. Se pose alors la question très complexe de la mesure de la fréquence d’un laser : n’oublions pas que la référence primaire de fréquence est donnée par une transition hyperfine précise du césium à 9,2 GHz environ, alors que les fréquences laser sont de 1000 à 100 000 fois plus élevées entre l’infrarouge lointain et l’ultraviolet. Pour cela,

112

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

(a)

Zooms successifs 100

(b)

25

(c)

80

(d)

Figure 5.5. Les progrès de la spectroscopie laser : le cas d’une bande de vibration de la molécule SF6 (d’après C. J. Bordé, Revue du Cethedec, Ondes et Signal NS83-1, p. 1 (1983)). (a) 1970 : avant le laser, spectre obtenu avec un spectromètre à réseau ; (b) 1973 : spectroscopie d’absorption par diode laser ; (c) 1977 : spectroscopie d’absorption saturée avec un laser à CO2 libre de fluctuer en fréquence ; (d) 1983 : identique à (c), avec un laser asservi en fréquence.

encore récemment, partant d’une horloge à césium, il fallait réaliser des chaînes de multiplication de fréquences d’une incroyable complexité, requérant des lasers intermédiaires exotiques pour mesurer, au final, seulement une ou quelques fréquences atomiques ou moléculaires dans des régions spectrales spécifiques. Ces fréquences si difficilement mesurées peuvent alors à leur tour servir de références dites secondaires de fréquence pour calibrer des spectres dans leur environnement. Dès lors, la façon la plus précise pour calibrer un spectre consiste à asservir la fréquence d’un laser au centre d’une résonance atomique ou moléculaire de fréquence connue. On comprend aisément que plus la résonance est étroite plus grande sera la précision sur la position du sommet de la résonance. On atteint couramment une exactitude équivalente au 1/1000 de la largeur de raie, voire mieux. C’est ainsi que les

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méthodes de spectroscopie à très haute résolution sont elles-mêmes utilisées pour contrôler la fréquence d’un laser. On peut ensuite faire un battement entre ce laser asservi et un laser de fréquence voisine : ce battement peut être détecté par un photodétecteur rapide si la différence de fréquences est dans le domaine radiofréquence. En agissant sur la fréquence du second laser, on peut asservir la fréquence de battement sur une radiofréquence très stable. En faisant varier continûment cette radiofréquence, on réalisera ainsi un laser de fréquence variable mais parfaitement contrôlée et connue pour réaliser la spectroscopie à très haute résolution donnant ainsi un spectre très bien calibré. C’est ainsi que les spectres des figures 5.5d ont été enregistrés. 3 3.1

Les progrès récents La révolution des peignes de fréquences

La métrologie du temps-fréquence a connu une véritable révolution à la fin des années 1990 grâce à l’utilisation des lasers femtosecondes pour connecter des fréquences dans des domaines spectraux très différents. Quelle est l’idée ? Au chapitre 4, nous avons vu qu’un laser femtoseconde est un laser dit à verrouillage en phase des modes qui émet un train d’impulsions. Le temps T entre deux impulsions est celui que met la lumière pour faire un aller-retour dans la cavité. L’inverse de T , que l’on note fr´ep , est la fréquence qui sépare deux modes successifs. La figure 5.6 montre que le spectre du laser (en rouge) est formé d’un peigne de fréquences équidistantes. On a montré que l’équidistance des modes est meilleure que 10−18 de la fréquence laser moyenne. fr´ep dépend de la longueur de la cavité et est généralement comprise entre 100 MHz et 1 GHz, c’est-à-dire dans le domaine radiofréquence. Elle est directement détectable par un photodétecteur rapide sur lequel est dirigé le faisceau laser. Pour un laser femtoseconde typique, comme le laser Titane:Saphir délivrant des impulsions de 25 fs, la largeur totale du spectre est de 40 THz dans le proche infrarouge (longueur d’onde au voisinage de 850 nm). Le nombre de modes contenus dans ce spectre est donc compris entre 40 000 et 400 000, tous très régulièrement espacés. On dispose ainsi d’un peigne de fréquences aux très nombreuses dents qu’on peut utiliser comme une règle pour mesurer très précisément la fréquence inconnue d’un autre laser. L’idée est de faire battre le laser à mesurer avec le laser femtoseconde et de mesurer la fréquence de battement entre la fréquence inconnue à mesurer et la fréquence du ne mode de la cavité femtoseconde. Notons que pour connaître n il faut avoir déjà une idée approximative de la fréquence inconnue. Cette fréquence de battement est inférieure à fr´ep et tombe aussi dans le domaine radiofréquence. Ici cependant apparaît une difficulté : les fréquences du peigne ne sont pas juste égales à

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Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

frép.

f0

I(f)

f

0 fn = n frép. + f 0

2fn= 2n f rép. + 2 f0 f2n = 2n frép. + f0

Figure 5.6. Peigne de fréquences d’un laser femtoseconde utilisé en métrologie. Le spectre du laser est représenté en rouge. Les modes f n du laser sont séparés par un écartement régulier f r´ep . Le peigne des modes du même laser doublé est représenté en bleu. La comparaison des deux peignes permet la mesure du décalage (offset ) f 0 , c’est la méthode d’auto-calibration (self-referencing ). Le peigne de fréquences rouge ainsi calibré peut alors servir à la mesure de toute fréquence inconnue d’un laser quelconque avec lequel on le fait battre.

n fr´ep mais à n fr´ep + f0 . f0 est un décalage de fréquence (offset) qui varie notamment avec l’intensité du laser femtoseconde d’une façon que nous n’expliquerons pas ici. Indiquons cependant comment on parvient à la connaissance de f0 , indispensable à la mesure, par une méthode dite de self-referencing ou auto-calibration, illustrée sur la figure 5.6. Ceci se fait en deux étapes : la première consiste à élargir considérablement le peigne de fréquences, typiquement de 40 jusqu’à 300 THz. Dans ce cas, le peigne couvre plus d’une octave avec des fréquences extrêmes de 200 et 500 THz, les fréquences de ce peigne étant toujours de la forme n fr´ep + f0 . Un tel étirement du spectre peut être réalisé en envoyant le faisceau laser dans une fibre optique à cristal photonique de quelques centimètres de long. Ces nouvelles fibres aux propriétés extraordinaires ont été mises au point à la fin des années 1990 et ont révolutionné l’optique non-linéaire. La deuxième étape consiste alors à prélever une partie de ce peigne élargi et à l’envoyer dans un cristal doubleur de fréquences qui génère un second peigne de fréquences de la forme 2(n fr´ep + f0 ). Il suffit enfin de mesurer le battement entre le mode n du peigne doublé et le mode 2n du peigne initial élargi qui vaut précisément f0 . On sait donc mesurer la fréquence optique d’une dent du peigne en mesurant fr´ep et f0 par rapport à l’étalon primaire donné par une horloge à césium à 9,2 GHz. Précisons que les horloges primaires les plus performantes sont des fontaines à césium qui exploitent les méthodes de refroidissement par laser et dont le principe sera exposé dans le chapitre suivant. On est ainsi en mesure de comparer la fréquence d’un laser monomode imparfaitement connue à celle d’une des dents du peigne du laser femtoseconde, elle très bien connue. La précision sur la mesure de la fréquence inconnue n’est pas limitée par le peigne de fréquences mais dépend plutôt de la qualité même de la source laser à mesurer. Prochainement,

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lorsque les horloges dans le domaine optique auront surpassé en précision les fontaines à césium dans le domaine des radiofréquences, on pourra, en mesurant la fréquence des dents du peigne, générer des radiofréquences ayant l’exactitude des fréquences optiques. L’utilisation des peignes de fréquences pour la métrologie résulte d’une succession de travaux qui se sont déroulés à Münich et au JILA (Boulder, Colorado). Ils ont valu le prix Nobel à Ted Hänsch et à John Hall en 2005. Des dispositifs pour la métrologie sont maintenant en vente. La méthode s’applique très bien au domaine optique et radiofréquence. Les développements des sources femtosecondes permettront d’utiliser prochainement le même principe pour atteindre le domaine des rayons X. Les peignes de fréquences ont donc bien révolutionné la métrologie et l’utilisation des horloges. Leurs applications aujourd’hui se multiplient et enrichissent également la chimie, avec la détection ultra-sensible de substances polluantes ou pathogènes ou même le tout nouveau contrôle de réactions chimiques. Leur utilisation n’en est qu’à son début. 3.2

Horloges optiques : vers une nouvelle définition de la seconde

Depuis l’Antiquité, la méthode utilisée pour mesurer le temps consiste à compter le nombre d’oscillations d’un phénomène périodique : rotation de la terre, pendule mécanique ou vibration d’un cristal, comme l’oscillateur à quartz. L’horloge atomique repose sur le même principe, il s’agit de compter les périodes d’une onde électromagnétique émise ou absorbée lors d’une transition atomique. En 1967, à l’issue de la 13e Conférence Générale des Poids et Mesures, l’unité de temps a été définie par : « La seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 ». Cette définition signifie que dans une horloge atomique de césium, la fréquence de l’oscillateur est maintenue égale à une fréquence de référence atomique, en l’occurrence celle qui correspond à l’écart d’énergie entre l’état fondamental et le premier état excité de l’atome de césium. Pour un atome au repos et isolé de toute perturbation externe, cette fréquence de référence a été fixée à 9 192 631 770 Hz. Les horloges atomiques de césium ont atteint des performances spectaculaires grâce aux techniques de manipulation d’atomes neutres par lasers (cf. chapitre 7). Dans les horloges à fontaine atomique, le mouvement des atomes est contrôlé à l’aide d’un laser, ce qui permet de comparer et de stabiliser la fréquence d’un oscillateur à quartz sur la transition atomique avec une très grande précision. Aujourd’hui, ces horloges ne dérivent que d’une seconde en 300 millions d’années. Mais si le laser joue un rôle crucial pour réaliser des horloges à césium avec une telle stabilité, la fréquence de ces horloges n’est pas générée par un laser mais par un oscillateur micro-onde.

116

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

Essen & Parry

10

10

“Exactitude” relative

Horloges optiques

-10

H

-11

10-12

Ca H

Redéfinition de la seconde

10-13 10-14 10

Peignes de fréquences optiques

H H

Horloges à Cs

Hg+, Yb+, Ca+ +

Sr

10-16

Hg+ + Al

10-17 10

+

Sr , Yb Sr + + Hg , Yb

Fontaines atomiques

-15

Sr

-18

1950

1960

1970

1980 1990 Année

2000

2010

2020

Figure 5.7. Évolution de l’exactitude relative (ou incertitude sur la mesure de fréquence) des horloges atomiques depuis 60 ans. Les carrés noirs représentent les horloges atomiques de césium, les cercles rouges les mesures de fréquences utilisant une transition dans le domaine optique, pour différentes espèces d’atomes et d’ions. Le point de départ Essen & Parry représente la première horloge atomique à jet de césium, réalisée en 1955.

On comprend que la précision de la mesure d’une durée donnée est d’autant plus grande que la graduation temporelle de l’oscillateur est fine, c’est-à-dire que le nombre de périodes comptées est grand, ou encore que la fréquence d’oscillation est importante. Or les sources lasers émettent un signal lumineux oscillant à plusieurs centaines de terahertz (1 THz = 1 million de millions de battements par seconde), soit des fréquences d’oscillation de 104 à 105 fois plus grandes que celles des sources micro-ondes. Pour améliorer la précision sur la mesure du temps, il faudrait redéfinir la seconde en utilisant une transition atomique dans le domaine optique. Pour que cette redéfinition soit envisageable, il a fallu plusieurs décennies de recherches intenses. D’une part pour comprendre et maîtriser les mécanismes de l’interaction de la lumière avec la matière, et d’autre part pour développer des méthodes fiables permettant de contrôler finement la fréquence des sources lasers. Comme pour l’horloge à césium, le principe d’une horloge atomique « optique » consiste à asservir la fréquence émise par une source laser sur une transition atomique. L’horloge optique la plus précise au monde utilise des atomes de strontium. La transition de référence du niveau 1 S0 vers le niveau 3 P1 est accessible avec une source laser émettant autour de 698 nm. Le fonctionnement d’une telle horloge est

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

117

illustré sur la figure 5.9 : un nuage d’atomes piégés dans un réseau optique est éclairé par une source laser dont la fréquence est balayée autour de la fréquence de la transition atomique. On mesure alors le nombre d’atomes dans le niveau excité pour déterminer le signal d’absorption. Par la suite, on maintient la fréquence du laser au maximum du signal d’absorption. De cette façon, la fréquence du laser est exactement égale à la fréquence de référence de la transition atomique. Le choix du strontium n’est pas un hasard : cet atome possède toutes les vertus requises. Le niveau excité 3 P1 possède une largeur naturelle de 1 mHz. Cela signifie que la largeur de la raie d’absorption peut être très étroite, si l’on est capable d’interroger avec le laser les mêmes atomes suffisamment longtemps. Quand on sait que les atomes dans un gaz à température ambiante sont animés d’une vitesse moyenne d’environ 500 m/s, on comprend la nécessité de les immobiliser. Cependant, le piégeage des atomes nécessite un puits de potentiel qui fatalement affecterait les niveaux d’énergie des atomes et par conséquent la fréquence de la transition atomique de référence. Pour pallier à cette difficulté, le physicien japonais H. Katori a proposé une solution très séduisante. Il a montré qu’en utilisant un potentiel lumineux – créé par une onde laser stationnaire pour piéger les atomes – il existe pour certaines espèces atomiques telles que le strontium une longueur d’onde magique qui permet d’annuler le déplacement de la transition d’horloge dû au potentiel lumineux (voir la partie droite de figure 5.8) : la fréquence de la transition de référence des atomes piégés est égale à celle observée sur des atomes qui seraient immobiles en l’absence du piège lumineux. 3

S1

1

P1

3

P0

Laser de piégeage 1

S0

Déplacement lumineux (kHz)

0 Laser de piégeage 800 nm mag

-80 1

-160 -240

3

P0

Longueur d’onde magique mag

-320 -400

Transition d’horloge nm largeur de 1 mHz

S0

800 850 750 Longueur d’onde (nm)

Figure 5.8. À gauche : niveaux d’énergie de l’isotope 87 de l’atome de strontium, utilisé pour réaliser une horloge optique en réseau. Deux lasers sont utilisés : un laser piégeur vers 800 nm et un pour la transition d’horloge vers 698 nm. À droite : Variation des déplacements lumineux des niveaux d’énergie 1 S0 et 3 P0 en fonction de la longueur d’onde du laser piégeur. Lorsque les deux courbes se croisent, le déplacement lumieux affectant la fréquence d’horloge l’annule exactement.

118

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

Aujourd’hui, les horloges optiques atteignent des précisions de 18 chiffres après la virgule, ce qui correspond à une erreur d’environ une seconde sur une durée équivalente à l’âge de l’Univers. Ces performances ne laissent aucun doute sur la nécessité de redéfinir la seconde, d’autant plus que grâce à la découverte des peignes de fréquences à la fin des années 1990, la comparaison des radiofréquences et des fréquences optiques est devenue (presque) un jeu d’enfant. L’utilisation de ces peignes permet ainsi de transférer la précision des horloges optiques vers les domaines de plus basse fréquence, en l’occurrence vers les radiofréquences (figure 5.9). Atomes piégés dans un réseau optique

Détecteur Signal

Laser Correction

Signal d’erreur

Electronique de contrôle

Fréquence

Fréquence

Peigne de fréquences Signal radiofréquence

Figure 5.9. Principe d’une horloge atomique utilisant des atomes piégés dans un réseau optique.

Le défi de la métrologie à l’aube du 21e siècle est de proposer un nouveau système international d’unités qui profite des avancées spectaculaires de la physique moderne et des technologies qu’elles ont engendrées. Les unités seront mises en pratique à l’aide de références universelles conçues à partir de références atomiques ou de phénomènes quantiques (C. Bordé, « La réforme du système d’unités ». La Lettre de l’Académie des Sciences, n◦ 20, p. 21 (2007)). Les technologies lasers et leurs applications – les atomes froids, l’interférométrie atomique, les peignes de fréquences – sont au centre de cette aventure. 3.3

La dissémination du temps par fibre optique

On vient de présenter les progrès impressionnants réalisés et encore en cours dans la mesure du temps-fréquence grâce au laser : horloges à atomes refroidis par laser du domaine microonde au domaine optique, comparaison des fréquences du domaine radiofréquence jusqu’à l’ultraviolet grâce aux peignes de fréquences des lasers femtosecondes. On atteint des niveaux d’exactitude des fréquences atomiques ou ioniques

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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mesurées de l’ordre de 10−16 . On peut espérer gagner un à deux ordres de grandeur dans les dix ans à venir. Mais si plusieurs laboratoires développent leur propre système de référence, souvent intransportable, se pose la question centrale en métrologie de la fiabilité de ces systèmes et donc du moyen de comparer ces différentes horloges. Il est possible d’utiliser le système GPS qui repose sur un jeu d’horloges à césium conventionnelles pour comparer des horloges terrestres. Ceci a déjà été fait mais la comparaison est alors limitée par le GPS lui-même. En moyennant les mesures, il faut quelques jours pour atteindre une qualité du transfert de fréquence de l’ordre de 10−15 , et on ne s’attend pas à des résultats bien meilleurs avec le futur système européen GALILEO. Une solution alternative a été étudiée depuis quelques années en France : une fibre optique de 43 km connecte le SYRTE (Systèmes de Référence Temps-Espace, Observatoire de Paris) et le LPL (Laboratoire de Physique des Lasers, Université Paris 13-Villetaneuse) et une référence de fréquence est transportée dans cette fibre optique. La fibre optique traverse un environnement bruyant qui perturbe cette fréquence. Il est donc nécessaire de corriger ces perturbations par un asservissement. Un signal de radiofréquence à 0,1–10 GHz qui module une porteuse laser à 1,55 μm ou le laser à 1,55 μm lui-même fournit la fréquence de référence. Si ce système donne toute satisfaction, il utilise une fibre dédiée, dont on ne peut pas disposer entre tous les laboratoires. C’est pourquoi, très récemment, un tronçon du réseau internet universitaire a été utilisé, la fréquence ultra-stable étant transmise en même temps que le trafic internet. Pour une distance de transmission de plus de 100 km, la précision de la recopie de la fréquence ultra-stable à l’autre bout de la fibre est de 10−15 après une seconde et de 8 × 10−20 après 3 heures. Ceci correspond à une fidélité dans la recopie de l’ordre d’une demi-seconde sur la durée de l’âge de l’Univers, environ 15 milliards d’années ! C’est quatre ordres de grandeur de mieux que le GPS et deux de mieux que nécessaire pour comparer les meilleures horloges distantes attendues dans les années à venir. À partir de là, il est possible d’imaginer un maillage des laboratoires européens ainsi connectés par fibre optique. Ce projet est déjà en cours de développement : premier objectif, la liaison Paris-Villetaneuse-Hanovre-Braunschweig-Münich. Affaire à suivre...

4

La physique fondamentale testée par la spectroscopie

laser Les progrès des horloges atomiques et moléculaires, la capacité à comparer aisément des fréquences très différentes et la possibilité de transporter des fréquences laser ultra-stables par fibre optique permettent de faire des expériences inconcevables il y a peu. Cette partie en présente quelques exemples.

120

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

4.1

Test de la stabilité des constantes fondamentales

Une constante fondamentale par définition devrait être constante : par exemple la constante de structure fine, le rapport masse du proton sur masse de l’électron m p /me , etc. Ceci est vrai dans le cadre du modèle standard de la physique. Or nous savons que ce cadre est imparfait, notamment avec l’incompatibilité entre relativité générale et physique quantique. De nombreuses théories ont été développées pour dépasser ces difficultés : théorie des cordes, supersymétrie, etc. La plupart d’entre elles permettent aux constantes de varier dans l’espace et dans le temps. Or les fréquences atomiques ou moléculaires mettent en jeu différentes constantes fondamentales. Si leur valeur dérive au cours du temps, les fréquences des lasers stabilisés doivent aussi dériver. Pour l’observer, il faut comparer à différents moments (séparés de quelques années) deux horloges de type différent, qui ne font pas intervenir les mêmes constantes. C’est ce qui a notamment été fait entre la fontaine atomique du SYRTE et une horloge moléculaire du LPL qui met en jeu une vibration de SF6 , comparées grâce à un peigne de fréquences et à la liaison par fibre optique entre le SYRTE et le LPL. Aucune variation du rapport m p /me n’a été démontrée, mais la précision de l’expérience permet d’affirmer qu’une telle variation relative est nécessairement inférieure à 5, 6 × 10−14 /an. L’accroissement de la précision des horloges pourrait prochainement changer la donne.

4.2

Test de l’isotropie de la vitesse de la lumière

L’isotropie de la vitesse de la lumière – le fait que cette vitesse ne dépende pas de la direction de propagation – est une conséquence d’un des postulats de la relativité restreinte. C’est donc là encore une hypothèse que l’on peut envisager de tester, à condition de se placer dans le cadre d’une théorie plus générale où elle n’est pas nécessairement vérifiée. Supposons par exemple qu’il existe dans un plan donné – le plan horizontal de la salle d’expériences dans la suite – deux directions privilégiées pour lesquelles la vitesse de la lumière prend non pas la valeur c usuelle, mais deux valeurs c1 et c2 . Mettre en évidence une violation de l’isotropie de la vitesse de la lumière, c’est alors assigner à la différence c1 − c2 une valeur non nulle, c’est-à-dire en pratique une valeur non nulle supérieure (en valeur absolue) à l’incertitude de l’expérience, afin d’être convaincant. De nombreuses expériences, dont une comparant les temps de propagation des signaux GPS dans différentes directions, ont déjà été réalisées, mais aucune n’a démontré de violation. Les physiciens ont donc dû se contenter d’assigner une borne supérieure à cette violation, qui correspond au plus petit effet qu’ils auraient pu mesurer : si la violation existe, ils ont alors au moins prouvé qu’elle est inférieure à cette valeur.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

121

Les lasers ultra-stables permettent de tester cette isotropie de façon très simple, au moins conceptuellement, en comparant les fréquences de résonance de deux cavités alignées selon ces deux directions privilégiées. Si on suppose pour simplifier que les deux cavités ont exactement la même longueur L, l’une aura un écart de fréquence entre deux résonances successives égal à c1 /2L, et l’autre à c2 /2L. Mesurer ces deux écarts permettrait donc de mesurer la différence c1 − c2 . Expérimentalement, cela se complique nettement. Le premier problème vient de ce qu’on ne connaît pas a priori les directions privilégiées – à supposer qu’elles existent. L’astuce consiste à placer les deux cavités sur un dispositif tournant : en présence d’une anisotropie, la différence de fréquences doit alors s’inverser avec une fréquence double de celle du mouvement de rotation. Mais l’effet est si faible qu’il faut effectuer un très grand nombre de rotations pour espérer moyenner à zéro un certain nombre d’effets parasites. Encore faut-il s’assurer que les longueurs L1 et L2 des cavités restent suffisamment stables sur une longue durée, puisqu’on mesure bien c1 /2L1 et c2 /2L2 , et non directement c1 et c2 ! La figure 5.10 présente le schéma de principe d’une expérience de ce type récemment réalisée. Un laser stabilisé est séparé en deux faisceaux qui sont envoyés dans deux cavités perpendiculaires, taillées dans le même bloc d’un verre spécial, l’ULE (pour Ultra Low Expansion). Les deux cavités sont alors sensibles de la même façon aux effets de dilatation thermique, qui sont de plus minimisés par une stabilisation active de la température du bloc et par son très faible coefficient de dilatation thermique (d’où son nom), réduisant ainsi énormément les fluctuations thermiques des fréquences de résonance des cavités. Ces fréquences étant a priori différentes, on ne peut pas utiliser l’accordabilité du laser pour le mettre à résonance simultanément avec les deux. On utilise en fait des modulateurs acousto-optiques (MAO) qui permettent de décaler la fréquence d’un faisceau laser de façon contrôlée : à chaque faisceau son MAO. La recherche du signal de violation de l’isotropie se fait alors sur les signaux qui commandent les MAO. Dans cette expérience, la période de rotation est de 90 s. C’est un compromis entre la nécessité d’effectuer le plus de rotations possible dans un temps donné, et le fait que pour des rotations plus rapides, il est délicat de stabiliser le plateau horizontalement. Après un an de prise de données (et 135 000 rotations de l’ensemble du montage expérimental), les physiciens de l’université de Düsseldorf n’ont pas mis en évidence de violation de l’isotropie de c, mais ils ont obtenu la meilleure borne supérieure à ce jour : (c1 − c2 )/2c ≤ 10−17 . 4.3

Test de violation de parité dans le spectre de molécules chirales

Une molécule chirale est une molécule qui ne se superpose pas à son image dans un miroir, qui est donc une autre molécule. Une des molécules chirales les plus simples est la molécule CHFClBr, un dérivé du méthane. Ces molécules images sont

122

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

Figure 5.10. Schéma de principe d’un test de l’isotropie de la vitesse de la lumière. Un faisceau laser est séparé en deux faisceaux envoyés dans deux cavités perpendiculaires. Grâce à la rotation de l’ensemble du dispositif, une éventuelle anisotropie de c se répercuterait sur les fréquences de résonance des deux cavités.

des énantiomères dits gauche et droit, suivant une nomenclature bien précise. C’est le cas de la plupart des molécules biologiques comme les acides aminés, les sucres, etc... Or, on ne rencontre de façon naturelle, à de très rares exceptions près, que des acides aminés gauches et que des sucres droits. Pourquoi et comment la nature a-t-elle fait un tel choix ? Il s’agit là d’une des grandes questions scientifiques sans réponse recensées en 2006, dans un numéro spécial de la revue Science à l’occasion de son 125e anniversaire. D’un point de vue énergétique, les molécules images sont a priori absolument semblables : leurs spectres sont identiques. Cela vient du fait que l’interaction électromagnétique, responsable de l’essentiel des propriétés des atomes et des molécules, respecte la symétrie gauche-droite. Des quatre interactions fondamentales, seule l’interaction faible ne respecte pas la symétrie gauche-droite, mais son rayon d’action n’excède pas la taille des noyaux, 100 000 fois plus petits que les atomes eux-mêmes. Son influence sur les spectres moléculaires sera extraordinairement faible. Pourtant, s’il existe une explication de nature déterministe et non pas liée au hasard à l’origine de cette biochiralité, il n’y a à ce jour pas d’autre piste que la différence d’énergie entre molécules gauches et droites. À cause de la petitesse de l’effet, très peu d’expériences ont été tentées. L’une d’entre elles repose sur une méthode de spectroscopie de très haute résolution : l’idée

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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CHFClBr (molécules droites)

CHFClBr (molécules gauches)

Laser à CO2 balayable en fréquence

Figure 5.11. Principe de la recherche spectroscopique d’une violation de la parité. On enregistre simultanément les spectres de deux molécules chirales. Une différence dans les spectres observés serait la signature de la violation recherchée. D’après C. Daussy et al., Physical Review Letters 83, 1554 (1999).

est d’enregistrer simultanément et de comparer les spectres des molécules CHFClBr gauche et droite (voir figure 5.11). À la différence de la spectroscopie traditionnelle, la résolution de l’expérience n’est pas déterminée par la largeur des raies (quelques kHz) mais par la précision sur le centre de raie puisque les spectres sont enregistrés indépendamment. Une résolution de l’ordre de 10 Hz (3×10−13 ) a ainsi été obtenue, mais l’effet estimé sur cette molécule est de l’ordre de 10−16 ! Il existe un nouveau projet qui vise une résolution de l’ordre de 10−15 , avec des molécules pour lesquelles l’effet de violation de la parité pourrait être de quelques 10−14 . La spectroscopie laser est poussée dans ses ultimes retranchements !

5 5.1

Les mesures de distance et de déplacement Les mesures de distance par télémétrie

Les automobilistes en mal de points le savent bien, un laser est aussi un outil très performant pour mesurer des distances. Les jumelles à visée laser, qui équipent les forces de l’ordre pour traquer les automobilistes en infraction, utilisent en effet un laser impulsionnel et une mesure du temps d’aller-retour de l’impulsion pour mesurer la distance d’une voiture et sa vitesse en effectuant plusieurs mesures rapprochées. Ces jumelles exploitent essentiellement la très faible divergence du faisceau (de l’ordre de 10−3 rad pour un waist w0 d’un mm), afin de viser une voiture à plusieurs dizaines voire centaines de mètres. Mais si de telles jumelles sont des instruments plutôt rudimentaires, savez-vous que l’on utilise le même principe pour mesurer régulièrement la distance Terre-Lune ? Encore faut-il adapter le laser. La Lune se trouvant à près de 400 000 km, il faut réduire encore la divergence du faisceau pour avoir une tâche de taille raisonnable sur la Lune. En utilisant le miroir d’un télescope, on obtient un waist de 15 cm.

124

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

Après 400 000 km de parcours, le faisceau fait alors une tache d’environ 1 km de diamètre (et même plusieurs kilomètres, à cause des turbulences dans l’atmosphère qu’il traverse en chemin). Il se réfléchit alors sur des panneaux de rétro-réflecteurs que les astronautes des missions Apollo et les sondes soviétiques ont laissés à la surface de la Lune (voir la figure 5.12) et reprend le chemin de la Terre. Ce trajet aller-retour est une véritable catastrophe sur le plan énergétique. Songez que sur une tache de plusieurs kilomètres carrés, seule la fraction correspondant au panneau (de quelques dizaines de centimètres de côté) est réfléchie ! Et de même au retour : seuls les photons incidents sur le miroir du télescope ne sont pas perdus pour la science. Au final, sur les 1019 photons que contient en moyenne une impulsion laser, on n’en détecte que 0,1 en moyenne au retour ! Un photon détecté tous les dix coups ! Mais ce photon est précieux, puisqu’il permet de mesurer la distance Terre-Lune avec une précision de l’ordre de quelques millimètres. Les astronomes du site de Calern (voir la figure 5.12) peuvent donc suivre les variations de la distance Terre-Lune, qu’elles soient périodiques (à cause de l’ellipticité de son orbite) ou qu’elles témoignent d’une dérive (augmentation de l’ordre de 3 cm par an, due à l’effet des marées).

Figure 5.12. Vue de la station Laser-Lune sur le plateau de Calern (© Christian Voulgaropoulos). Détail d’un des panneaux de rétro-réflecteurs déposés sur la Lune à l’occasion de la mission Apollo 15.

5.2

Les mesures interférométriques de déplacement

Mais cette technique trouve vite ses limites : une résolution de l’ordre du millimètre exige en effet une résolution temporelle du détecteur de l’ordre de quelques picosecondes (1 ps = 10−12 s). Une autre technique utilise la phase du faisceau. La figure 5.13 présente le principe d’une telle expérience : un faisceau laser est séparé en deux par une lame semi-réfléchissante. Les deux faisceaux suivent alors deux chemins orthogonaux avant d’être recombinés sur la lame. L’intensité qui en résulte sur le détecteur dépend alors de leur différence de phase : le signal est maximal

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

125

Ondes en phase

miroir

(a)

chemin 2 chemin 1

miroir

+

=

lame séparatrice

Amplitude maximale

Intensité détectée

(b) Ondes en opposition de phase

+

=

+

=

0

Différence de longueur entre les 2 chemins

Amplitude minimale

Figure 5.13. Figure d’interférence d’un interféromètre de Michelson. (a) Schéma de principe de l’interféromètre. (b) Intensité détectée à la sortie de l’interféromètre en fonction de la différence de longueur entre les deux chemins, et application à la mesure d’un petit déplacement. Les encarts illustrent les deux situations extrêmes.

quand les deux faisceaux sont en phase, minimal quand ils sont en opposition de phase, l’échelle typique de variation étant la longueur d’onde λ du laser utilisé. Si la longueur du bras 1 est maintenue constante et qu’on se situe au voisinage d’un point où la pente du signal est forte, on pourra ainsi mesurer les variations de longueur du bras 2 avec une précision bien inférieure à λ. Notons toutefois que la phase du faisceau se comportant comme la trotteuse d’une montre qui n’aurait pas d’autre aiguille, cette méthode est bien adaptée à la mesure des variations de longueur (inférieures à λ) au cours du temps, mais certainement pas à celle des longueurs absolues, au contraire de la méthode précédente.

5.3

Mesurer un angström

Cette technique est tellement puissante qu’elle permet de mesurer des déplacements inférieurs à l’angström (1 Å = 10−10 m) avec un montage optique relativement simple. La figure 5.14 en présente une application : la mesure de la force exercée sur un échantillon magnétique placé au bout d’un micro-levier extrêmement flexible (afin de maximiser le déplacement sous l’effet d’une force donnée). Réalisée à une température de 1,6 K, cette expérience a permis d’atteindre une sensibilité sur la force détectée meilleure qu’un attonewton (1 aN = 10−18 N) et de détecter ainsi la résonance magnétique d’un électron unique. Des progrès supplémentaires per-

126

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

micro-levier fibre optique

bobine radio-fréquence

spin électronique

Figure 5.14. Montage de microscope à force atomique pour détecter mécaniquement la résonance magnétique d’un électron unique, réalisé au laboratoire IBM de San Jose, dans l’équipe de Daniel Rugar. La résonance magnétique – effective au niveau de la zone grisée – est créée grâce à la bobine qui crée un champ magnétique variable. Le mouvement du micro-levier est lu grâce à l’interférence entre le faisceau qui se réfléchit dessus et celui qui se réfléchit à l’extrémité de la fibre.

mettent d’envisager de détecter la résonance d’un proton unique (dont le moment magnétique est de 3 ordres de grandeur inférieur à celui d’un électron), et ainsi de visualiser directement la structure spatiale de molécules d’intérêt biologique. 5.4

Mesurer un attomètre : la détection des ondes gravitationnelles

Si un montage optique relativement simple permet de mesurer des déplacements de l’ordre d’un angström, on peut se demander s’il existe des expériences plus exigeantes en termes de sensibilité et donc de complexité du montage expérimental. La réponse est oui : la détection des ondes gravitationnelles. Ces ondes sont des perturbations de l’espace-temps, prédites par Einstein dès 1916, créées par des masses en mouvement et qui se traduisent par des variations apparentes de longueur. Ces perturbations sont néanmoins excessivement faibles : pour un dispositif de taille L, on n’attend sur Terre que des variations relatives ΔL/L  10−23 , même pour des événements astrophysiques aussi violents que la fusion de deux trous noirs. Les projets qui cherchent actuellement à détecter de tels événements, près de Pise pour la coopération franco-italienne Virgo ou aux États-Unis pour LIGO, frappent par leur gigantisme : l’interféromètre de Michelson (voir figure 5.15) a des bras de plusieurs kilomètres de long, avec des cavités optiques dans lesquelles la lumière

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

127

Système binaire

onde gravitationnelle

Bras (3 km)

Détection Laser Miroir de recyclage

Lame séparatrice

Figure 5.15. Schéma de principe de l’interféromètre Virgo. L’onde gravitationnelle crée une variation de la différence de longueur optique entre les deux bras d’un interféromètre de Michelson de taille kilométrique. La sensibilité du dispositif est augmentée en remplaçant les miroirs des bras par des cavités Fabry-Perot. Un miroir de recyclage renvoie la lumière réfléchie dans l’interféromètre et permet ainsi d’augmenter la puissance disponible.

fait plusieurs allers-retours pour augmenter la longueur effective. Pour minimiser les variations de longueur parasites, les miroirs sont suspendus dans le vide à un dispositif complexe d’isolation. La source laser ultra-stable permet alors de détecter des variations de longueur ΔL de l’ordre de 10−20 m, à la limite du seuil où des événements sont probables. Après plusieurs périodes d’observation en coïncidence entre 2007 et 2011, Virgo et LIGO sont entrés dans une période d’amélioration importante des interféromètres (optiques encore améliorées, lasers de plusieurs centaines de W de puissance...), qui doit s’achever d’ici fin 2016 avec leur remise en service avec une sensibilité améliorée par un facteur 3, et à terme par un facteur 10. Cela laisse augurer une détection prochaine des ondes gravitationnelles, et jusqu’à quelques dizaines d’événements détectés par an.

128

Chapitre 5. Les lasers ultra-stables et les mesures de grande précision

6 Le laser ondulatoire et corpusculaire

Nicolas TREPS, Professeur à l’université Pierre et Marie Curie, Laboratoire Kastler Brossel, Paris. Hans BACHOR, Professeur, Department of Quantum Science, Australian National University, Canberra, Australia. Le premier chapitre de ce livre a montré que la lumière laser était de la lumière cohérente concentrée dans un mode donné du rayonnement résonant avec la cavité optique. Cette propriété fait de la lumière laser la lumière la plus propre que l’on sache produire, et c’est donc tout naturellement que cet objet, fruit de la recherche fondamentale aux multiples applications pratiques, est revenu dans les laboratoires comme sujet de recherche. Nous n’allons pas ici reprendre toutes les avancées de physique fondamentale que l’étude de cette lumière a induites (le lecteur pourra se reporter au livre de Michel Le Bellac dans cette même collection sur la physique quantique), mais nous souhaitons expliquer sur quelques exemples la richesse de la dualité entre les approches ondulatoire et corpusculaire. Cette dualité influe tout d’abord sur les propriétés intrinsèques de la lumière, telles qu’elles peuvent être mesurées dans les laboratoires, mais également dans les applications où la lumière est un outil de mesure. La lumière laser est composée de photons, dont la répartition spatiale et temporelle induit des fluctuations inévitables d’intensité et de direction. Ce sont ces propriétés que nous allons étudier, tout en montrant comment il est possible de tirer parti de ce caractère corpusculaire pour améliorer les mesures de grande sensibilité.

1 1.1

Le laser, de la lumière bien rangée ? Laser et photons

Reprenons ces deux aspects de la lumière. Tout d’abord la lumière est une onde, ce qui permet de comprendre les résonances de la cavité optique et la sélection du mode de fonctionnement. D’un autre côté, la lumière est composée de particules, ce qui permet d’expliquer l’amplification cohérente de cette lumière par les atomes. Seul ce dernier point semble être une description ad hoc de l’interaction entre la lumière et la matière : le photon a-t-il une existence intrinsèque ? Une première réponse est déjà apportée dans ce livre, illustrée en figure 5.12, c’est la mesure de la distance Terre-Lune. Il y est expliqué que l’énergie de l’impulsion lumineuse qui revient de la Lune et incidente sur le détecteur est inférieure au dixième de l’énergie d’un photon. Or il n’est pas possible de découper un photon. Que détecte-t-on alors ? Le détecteur enregistre un photon en moyenne une fois tous les 10 tirs, ce qui est compatible à la fois avec la puissance moyenne prédite théoriquement et avec le caractère insécable du photon : la physique quantique est une théorie probabiliste, on remplace la puissance moyenne par une probabilité de mesurer un photon. C’est ce que l’on voit expérimentalement ! Le concept de photon ne date pas d’hier, son existence théorique a été introduite par Einstein en 1905, c’est hω où ħ h = h/2π ≈ 10−34 J.s et un quantum d’énergie insécable qui vaut Eγ = hν = ħ ω = 2πν est la pulsation de la lumière. Des expériences très célèbres ont permis de mettre directement en évidence à la fois la dualité onde-corpuscule et le caractère probabiliste de la théorie quantique. On renvoie le lecteur aux ouvrages spécialisés pour en savoir plus sur le sujet. Le laser a permis de réaliser directement un certain nombre de ces expériences. Citons ici la génération de photons uniques. En effet, il est possible d’obtenir un et un seul photon grâce aux propriétés remarquables de l’interaction entre un laser et un milieu non linéaire. Les effets non linéaires ont déjà été abordés au chapitre 4 et au chapitre 5, et il a notamment été montré qu’ils conduisent à un mélange de différentes fréquences pour, par exemple, en créer de nouvelles. En fait, les effets non linéaires induisent des interactions entre plusieurs ondes de fréquences différentes telles que, pour que l’énergie soit conservée, la somme des fréquences des faisceaux sources est égale à la somme des fréquences des faisceaux générés, le nombre de faisceaux en jeu dépendant du type de non linéarité. Prenons ici la non linéarité d’ordre 2 où, dans un cristal, un faisceau dit pompe génère deux faisceaux signal et complémentaire tels que ω p = ωs +ωc , avec ωs la pulsation du faisceau signal et ωc celle du faisceau complémentaire. De plus, pour que les phases des différents faisceaux restent cohérentes le long de la propagation dans nω u est le vecle cristal, on a une relation dite d’accord de phase k p = ks +kc , où k = c 130

Chapitre 6. Le laser ondulatoire et corpusculaire

teur d’onde de la lumière, qui pointe dans la direction de propagation (orientée selon le vecteur unitaire u) et dont l’amplitude dépend de la pulsation ω et de l’indice n du milieu. L’ensemble de ces contraintes fait que, pour un faisceau pompe donné, de nombreux couples de fréquence signal et complémentaire peuvent être émis, mais les couleurs effectivement émises dépendent de la direction de propagation et forment ainsi des cônes comme on peut le voir sur la figure 6.1.

ωp kp

= =

ωs + ωc ks + kc

Figure 6.1. Génération de photons uniques annoncés : en haut à gauche, un laser en impulsion est incident sur un cristal non linéaire et génère de très nombreux couples signal et complémentaire (© Serge Equilbey Institut d’Optique) suivant les relations données en dessous. Les couleurs émises dépendent de la direction de propagation et on observe des cônes de lumière. À droite, l’impulsion venant du laser de pompe est de faible puissance de telle sorte qu’elle n’émet qu’une seule paire de photons. La détection d’un photon sur la voie signal permet alors de s’assurer de la présence d’un et un seul photon sur la voie complémentaire.

Revenons à nos photons. Il est tout à fait remarquable que la relation entre les fréquences se traduise en une relation entre les énergies des photons puisqu’elle est hωs + ħ hωc . Elle indique donc qu’un photon pompe se scinde équivalente à ħ hω p = ħ pour donner naissance à un photon signal et un photon complémentaire, comme illustré sur la figure 6.1. Dans ce cadre, la mesure du photon signal permet de s’assurer de la présence d’un photon complémentaire, et c’est cette configuration qui a permis la mise en œuvre de nombreuses expériences à base de photons uniques, et notamment les interférences à un ou deux photons. Elle est également à l’origine d’un nouveau champ de recherche : l’information quantique (en particulier ces sources ont permis les premières démonstrations de crytpographie quantique, comme expliqué dans la deuxième partie de ce chapitre). 1.2

Le bruit de la lumière

Le laser est à la base de nombreuses avancées en physique, notamment en métrologie comme expliqué au chapitre 5. Les précisions atteintes sont remarquables, mais jusqu’où peut-on aller ? La précision ultime des mesures effectuées avec un laser

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

131

est imposée par la nature quantique de la lumière, comme dans le cas de la mesure de la distance Terre-Lune. Analysons par exemple une simple mesure de l’intensité d’un laser avec une photodiode. Si le laser est parfaitement asservi, l’intensité fournie doit être constante. Or, une mesure faite avec une photodiode très précise montre des fluctuations de cette intensité : ce sont les instants aléatoires d’arrivée des photons qui engendrent ces minuscules fluctuations, comme on peut le voir sur la figure 6.2 (en haut). I LASER Détecteur

Temps I

Diode laser à courant régulier Détecteur

Temps

Figure 6.2. Répartition des photons dans un faisceau lumineux. En haut, pour un laser standard, les photons sont répartis aléatoirement et induisent des fluctuations lors de la mesure de l’intensité de la lumière. En bas, les moments d’émission des photons par une diode laser suivent la statistique des électrons du courant d’alimentation, et les fluctuations lors de la mesure diminuent.

Comment ces fluctuations influent-elles sur la précision des mesures optiques ? En pratique, avec un laser parfaitement stabilisé, les photons sont répartis parfaitement aléatoirement : ils suivent une loi statistique appelée loi de Poisson. Cette loi spécifie que, lors d’une mesure du nombre de photons, si l’on sait que le nombre  moyende photons est N , le résultat d’une mesure sera compris entre N − 2 N et N + 2 N dans 95 % des cas. Ainsi, plus le nombre moyen de photons est grand, plus les fluctuations relatives sont petites, et donc moins les fluctuations d’origine quantique influent sur la qualité de la mesure. Cela est illustré sur la figure 6.3. On peut donner quelques ordres de grandeur. Considérons un pointeur laser dont la puissance est de l’ordre du milliwatt. Si ce pointeur émet de la lumière verte à 532 nm, alors ω = 2πc/λ ≈ 3,5 × 1015 rad/s. L’énergie du photon correspondant est Eγ = ħ hω ≈ 3,5 × 10−19 J. Comme 1 mW = 10−3 J/s, un laser de 1 mW correspond à un flux d’environ 3 × 1015 photons par seconde. Si l’on mesure ce faisceau pendant une seconde, les fluctuations relatives sont de l’ordre de 10−8 et semblent tout à fait négligeables, sauf pour les expériences de très grande sensibilité présentées au chapitre 5. De plus, on voit bien sur la figure 6.3 que, dès que le nombre de

132

Chapitre 6. Le laser ondulatoire et corpusculaire

Figure 6.3. Mesure de différentes images en faisant varier le nombre total de photons utilisé dans l’expérience. On voit que plus le nombre de photons est faible, plus le bruit relatif est important et moins la définition de l’image est bonne. (D’après Morris dans Optical Processing and Computing, édité par H. H. Arsenault, T. Szoplik et B. Macukow, Academic, New York, p. 343.)

photons est de l’ordre de quelques milliers, les fluctuations relatives sont supérieures au pourcent et perturbent notablement la sensibilité des mesures. Ce bruit de photon est-il incontournable ? Le bruit poissonien dans les lasers standards provient des temps d’émission aléatoires des photons dans le milieu amplificateur. S’il était possible de contrôler ces temps d’émission, on pourrait réduire ce bruit. Or, dans le cas des diodes laser décrites au paragraphe 2.2.3, il est expliqué que le courant électrique fourni au milieu semi-conducteur entraîne l’émission de photons. Certains milieux ont une efficacité telle qu’en pratique chaque électron de courant donnera lieu à l’émission d’un photon. Il est possible de contrôler la statis-

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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tique des électrons dans le courant (en pratique, il suffit de refroidir l’alimentation électrique, les fluctuations étant essentiellement d’origine thermique), et ainsi de contrôler directement la statistique des photons émis. C’est ce qu’on appelle le principe de la pompe régulière, qui permet avec une diode laser d’émettre de la lumière sous-poissonienne et ainsi d’améliorer le rapport signal-sur-bruit des mesures comme illustré sur la figure 6.2 (en bas). Il existe de nombreuses techniques permettant de contrôler la statistique des fluctuations d’origine quantique de la lumière émise par un laser, et ceci fait l’objet de nombreuses recherches. Le principe de la pompe régulière n’est pas le processus le plus efficace et les chercheurs utilisent préférentiellement les effets non linéaires (comme celui illustré en figure 6.1) pour manipuler la statistique des photons, comme illustré en figure 6.4. Il a été possible récemment d’obtenir des faisceaux dont les fluctuations quantiques sont 10 fois plus faibles que celles d’un laser standard, et ce type de faisceau commence à être utilisé dans les détecteurs à ondes gravitationnelles (voir paragraphe 5.5.4) pour en améliorer encore la sensibilité.

Figure 6.4. Photographie d’une cavité optique permettant de modifier les fluctuations quantiques de la lumière. La cavité est formée de quatre miroirs et le cristal se trouve dans le four en cuivre pour contrôler sa température (Australian Centre for Quantum-Atom Optics).

1.3

La lumière en ligne droite ?

Une autre propriété fondamentale de la lumière peut être considérée sous l’angle de sa nature corpusculaire : sa direction de propagation. En effet, en physique classique, la lumière se propage en ligne droite. En relativité, la théorie d’Einstein définit la ligne droite par le trajet d’un rayon lumineux et lorsque le trajet de la lumière est dévié, par exemple par la présence d’un champ gravitationnel très intense, on dit que c’est l’espace-temps qui est courbe.

134

Chapitre 6. Le laser ondulatoire et corpusculaire

Peut-on mesurer précisément la direction de propagation de la lumière, ce qu’on appelle parfois le pointé d’un faisceau ? C’est ce qui est proposé dans la figure 6.5, en utilisant une technique très simple exploitée par de nombreux appareils de mesure. Si le faisceau laser est incident sur un détecteur à quadrants, la comparaison des puissances incidentes sur les différents quadrants permet de connaître très précisément la position du faisceau par rapport au détecteur. Signal

Ix σI

Détecteur à quadrants

0

a dSQL x

0

b

c d

y Faisceau laser

x Figure 6.5. Mesure de grande précision de la position d’un faisceau laser en comparant les puissances incidentes sur les différents détecteurs. Encart : en faisant (a + b) − (c + d), on obtient un signal proportionnel à la position horizontale, mais le plus petit déplacement mesurable dSQ L est limité par les fluctuations d’origine quantique.

Par exemple, si l’on souhaite connaître la position horizontale du faisceau, on fera la différence entre la puissance incidente sur la partie gauche du détecteur (a + b) et celle incidente sur la partie droite du faisceau (c + d). Cette différence est nulle si le faisceau est parfaitement centré. Sinon elle est proportionnelle à son déplacement horizontal. Or, le faisceau laser est composé de photons, distribués aléatoirement non seulement dans le temps mais également dans l’espace (comme sur la figure 6.2). De ce fait, même si le faisceau est parfaitement centré, il n’y a pas exactement le même nombre de photons sur les deux moitiés du détecteur et, là encore, la valeur de la différence fluctue. Comme on le voit sur l’encart de la figure 6.5, le signal de différence n’est plus une belle ligne droite mais il est entaché d’un bruit qui limite la précision de la mesure et qu’on appelle bruit quantique standard, proportionnel à la racine carrée du nombre de photons. Du fait de la physique quantique, le pointé de la lumière fluctue ! Par exemple, pour un faisceau laser de quelques milliwatts et de diamètre quelques centaines de micromètres, le pointé fluctue de quelques angströms en une microseconde.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

135

En utilisant les techniques expérimentales illustrées par la figure 6.4, il est en fait possible d’ordonner les photons dans le temps et dans l’espace et, en principe, d’améliorer le bruit de pointé d’un faisceau laser. Pour le moment, ces avancées restent essentiellement confinées aux laboratoires de recherche du fait de la complexité des techniques expérimentales et de la fragilité de la lumière ainsi créée. Cependant, pour certaines applications spécialisées où le rapport signal à bruit est particulièrement crucial, ces technologies sont effectivement utilisées. Nous avons parlé en début de chapitre de l’amélioration des détecteurs d’ondes gravitationnelles, qui tire parti de l’ordre temporel des photons, l’amélioration du pointé d’un faisceau laser a été utilisée pour suivre des petits objets à l’intérieur de cellules biologiques avec une précision jamais atteinte jusqu’alors, avec des applications très prometteuses. Ainsi, malgré les difficultés pour contrôler les photons, les possibles applications en métrologie et en physique fondamentale font de l’optique quantique un domaine de recherche très actif. 2

Les photons, et vos secrets seront bien gardés

La première application à grande échelle de la statistique quantique se fera probablement dans le domaine des communications optiques. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, l’utilisation de lasers a révolutionné les transmissions d’information, permettant en particulier de bénéficier de tout le spectre lumineux pour multiplexer l’information. Les technologies ont atteint une maturité telle que les pertes à l’intérieur des fibres optiques sont réduites à l’extrême minimum, permettant de faire de ce réseau le cœur de toute communication, par téléphone ou Internet. Dans ces systèmes, l’information est portée par des nombres de photons macroscopiques, de façon justement à ne pas être sensible au bruit de photon. Cependant, les chercheurs se sont demandé ce qu’il arriverait si l’information n’était encodée que sur quelques photons, voire un seul. C’est l’objet de l’information quantique, qui est en train de révolutionner notre façon d’aborder et de traiter l’information en général. 2.1

Peut-on couper un photon ?

Pour se rendre compte des différences conceptuelles avec l’information classique, considérons l’effet a priori très simple d’une lame séparatrice utilisée pour séparer un faisceau en deux, une partie transmise et l’autre réfléchie, avec par souci de simplicité des puissances de sortie identiques (voir figure 6.6). Si la lumière laser incidente est suffisamment intense, de telle sorte que le nombre de photons N mesuré est assez grand pour pouvoir négliger ses fluctuations, les deux puissances de sortie sont parfaitement équivalentes. Par contre, si en moyenne un seul photon est incident sur la lame, les effets quantiques vont devenir prédominants. Comme le

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Chapitre 6. Le laser ondulatoire et corpusculaire

L

I0

(a)

I0/2

D1

I0/2 D2

D1

L

(b)

D2

Figure 6.6. Lame séparatrice utilisée pour séparer un faisceau en deux. Lorsque la lumière incidente est très atténuée, les photons se répartissent aléatoirement entre les deux voies de sortie.

photon est insécable, seulement un des deux détecteurs à la sortie de la lame pourra le détecter, et cela de manière complètement aléatoire. Cet effet est équivalent à la mesure de la distance Terre-Lune abordée en début de chapitre. La mécanique quantique prédit que les résultats de mesure sont aléatoires, avec des probabilités qui permettent de retrouver les résultats classiques dans la limites des grands nombres. Dans ce cas précis, cela signifie que la séquence d’évènements, caractérisés par un photon transmis ou un photon réfléchi, est parfaitement aléatoire. Ce phénomène est en pratique utilisé pour générer les meilleures sources de nombres aléatoires existantes, très importantes pour des calculs numériques ou de façon plus terre à terre les jeux de hasard : des dispositifs commerciaux sont maintenant disponibles ! 2.2

Les communications quantiques

Mais en quoi cela est-il lié aux communications ? Au jour d’aujourd’hui, la sécurité de nos communications repose sur le cryptage mathématiques des données. Ces procédés permettent facilement le codage mais sont très difficiles à inverser. L’exemple le plus connu est la multiplication de nombres premiers, très facile à réaliser, alors que l’inverse, la factorisation, peut être arbitrairement difficile pour des nombres suffisamment grands. La physique quantique permet d’envisager une nouvelle approche, où la sécurité repose sur les lois de la physique, et en particulier sur les propriétés quantiques des photons. Imaginons par exemple que l’on souhaite espionner un message envoyé via un canal optique. Il est nécessaire de prélever des photons pour extraire l’information et d’en envoyer de nouveaux pour masquer le fait que la ligne a été espionnée. C’est une généralisation du principe de la lame séparatrice que nous venons d’évoquer, et la nature intrinsèquement aléatoire de la mécanique quantique impose l’augmentation des fluctuations, et donc des erreurs, dans un tel processus. La personne recevant le message peut mesurer la qualité du signal reçu et savoir si oui ou non il a été intercepté. La trace de l’espion ne peut être évitée, car elle est liée aux propriétés fondamentales de la lumière. Les physiciens ont développé des protocoles de

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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communications quantiques permettant non seulement de détecter la présence d’un espion mais également d’extraire de tout message transmis une partie dont on est sûr qu’elle n’a pas été espionnée. Ainsi, la meilleure utilisation de tels protocoles parfaitement sûrs de cryptographie consiste non pas à envoyer à proprement parler un message, qui risque d’être amputé par la présence d’un espion, mais une clé comme celle utilisée pour la cryptographie traditionnelle. Cette clé devant être parfaitement aléatoire, le fait d’en perdre une partie ne pose pas de problème particulier. De tels systèmes de distribution quantique de clés de cryptographie ont déjà été testés grandeur nature, se comportent comme attendu, et sont disponibles maintenant sur le marché. Mais l’aventure ne s’arrête pas là. Les particules quantiques, et en particulier les photons, ont un comportement très différent des particules classiques. Si elles permettent de transmettre de façon sécurisée de l’information, elles permettent également de traiter cette information en suivant des lois physiques très différentes de celles des particules classiques. Tout un nouveau domaine de recherche est apparu, cherchant à utiliser ces nouvelles lois physiques pour réaliser des opérations impossibles à réaliser avec un ordinateur classique, qu’on appelle de manière générale l’information quantique. Là encore, les photons et les lasers sont au cœur des avancées les plus prometteuses, qui, sait-on jamais, permettront un jour de fabriquer des ordinateurs dont les performances ne sont mêmes pas imaginables aujourd’hui.

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Chapitre 6. Le laser ondulatoire et corpusculaire

7 Le laser pour refroidir atomes et molécules Olivier DULIEU, Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire Aimé Cotton, Orsay. Bruno LABURTHE TOLRA, Chargé de recherche au CNRS, laboratoire de Physique des Lasers, Villetaneuse. Michèle LEDUC, Directrice de Recherche émérite au CNRS, laboratoire Kastler Brossel, Paris. Franck PEREIRA DOS SANTOS, Chargé de recherche au CNRS, laboratoire SYRTE, Observatoire de Paris. Refroidir des atomes avec un laser ? Cela semble bien paradoxal. Et pourtant, l’invention du laser puis le développement des lasers continus accordables ont bien conduit au refroidissement d’atomes et à une véritable révolution dans leur manipulation. L’intuition que la matière est constituée de particules presque ponctuelles, les atomes, a été formulée il y a plus de deux millénaires. Ce n’est pourtant que depuis environ cent ans, avec en particulier les travaux de Jean Perrin, que l’on a la preuve de l’existence réelle des atomes, formés d’un cœur de charge positive, le noyau, entouré d’un nuage diffus d’électrons. Depuis trente ans environ, grâce à l’invention des lasers, grâce aussi à l’audace et à la créativité d’une génération de chercheurs pionniers, on a réussi à immobiliser puis à piéger ces atomes en phase gazeuse, loin de toute paroi. Un nouveau domaine d’exploration scientifique est né, celui des « atomes froids ». Les atomes sont extrêmement légers et, pour cette raison, extrêmement volatils. La moindre force mécanique est suffisante pour les propulser à grande vitesse, loin de tout observateur. En outre, ils sont électriquement neutres, car la

charge positive du noyau est compensée exactement par la charge négative du nuage électronique qui l’entoure. Par conséquent, ils sont très peu sensibles aux champs magnétiques et électriques. Même en utilisant des champs magnétiques produits par de très forts aimants supraconducteurs, on ne peut attraper des atomes neutres que si leur agitation thermique est très faible. Il faut pour cela atteindre des températures inférieures à 1 degré au-dessus du zéro absolu, −273 ◦ C, cette température où plus rien ne bouge. Presque cent ans se sont écoulés entre la « découverte » des atomes et le moment où l’on a réussi à les isoler, à les attraper, à les piéger en phase gazeuse. Pour les ions, ces atomes dont on a arraché un ou plusieurs électrons et qui ont donc une charge électrique positive, la tâche a été plus aisée ; dès les années 1950, on arrivait à les piéger en utilisant des champs électriques ou magnétiques. Après avoir piégé des ions, les chercheurs se sont donnés l’objectif de les refroidir, ce que l’existence des lasers a rendu possible. La pureté spectrale des lasers est telle que, grâce à l’effet Doppler, on peut faire en sorte que les ions n’absorbent de la lumière que lorsqu’ils se dirigent dans la direction opposée à celle du faisceau lumineux. L’effet de recul induit par l’absorption de la lumière, répété de très nombreuses fois, engendre une pression de radiation qui a permis le refroidissement d’ions dès 1978. Au début des années 1980, des chercheurs ont souhaité étendre aux atomes les techniques démontrées pour le refroidissement des ions. L’objectif était audacieux, car on ne pouvait pas piéger les atomes d’abord pour les refroidir ensuite. Dès le milieu des années 1980, une combinaison astucieuse de méthodes permit cependant d’atteindre des températures très proches du zéro absolu, suffisamment basses pour parvenir à piéger ces atomes dits « froids ». Grâce au refroidissement laser d’atomes, une toute première génération de chercheurs put étudier des atomes piégés, les regarder, les sonder, les manipuler, avec toujours plus de précision. Ils réalisaient ainsi un rêve millénaire. Leurs recherches se sont avérées plus fructueuses que quiconque aurait pu l’espérer. Elles ont ouvert la voie à la possibilité incroyable de piéger et d’observer des atomes individuels. Elles ont aussi permis une détermination toujours plus précise du Temps, ainsi que la conception d’accéléromètres ou de gravimètres. En outre, à très basse température, les comportements des gaz atomiques ont donné lieu à des découvertes très spectaculaires, qui découlent des lois de la physique quantique. Un exemple emblématique est la condensation de Bose-Einstein, une transition de phase qui conduit les atomes à tous occuper le même état et à se comporter collectivement comme s’ils étaient un seul. Ce phénomène, prédit au début du XXe siècle, a été observé en 1995 pour la première fois. Fortement motivés par tous ces succès, certains chercheurs essaient aujourd’hui de refroidir par laser des systèmes encore plus complexes que les atomes, comme des molécules, voire même des solides. Ces techniques pourraient conduire elles aussi à des révolutions scientifiques dignes de celles dont nous avons eu la chance d’être les témoins depuis une trentaine d’années.

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Chapitre 7. Le laser pour refroidir atomes et molécules

1

Les lasers freinent et refroidissent les atomes

Dans un nuage gazeux, les atomes se déplacent dans des directions aléatoires et à des vitesses différentes. La température du nuage caractérise la dispersion des vitesses des particules. Le refroidissement lumineux consiste à réduire la dispersion en vitesse d’un nuage d’atomes en utilisant des lasers. Un agencement astucieux de faisceaux laser assure que chaque atome ressent une pression de radiation opposée à la direction de sa vitesse, ce qui assure le refroidissement du gaz. Parmi les premiers à avoir compris ce phénomène, on doit citer les physiciens russes V. I. Balykin et V. S. Lethokov dès les années 1970. Explicitons ces processus à partir de nos connaissances en physique atomique. Nous avons vu au chapitre 1 que les atomes comportent des niveaux d’énergie discrets et qu’ils sont susceptibles d’absorber des photons véhiculés par un faisceau lumineux. La condition pour que l’absorption ait lieu est que ces photons transportent une énergie hν égale à celle qui correspond à l’écart entre deux niveaux d’énergie de l’atome E1 et E2 (hν = E2 − E1 ). Le laser constitue pour cela un outil de choix : c’est une source lumineuse quasi monochromatique, dont la fréquence hν peut être précisément ajustée à la fréquence de résonance de l’atome. On peut utiliser des lasers à résonance sur la transition atomique pour préparer des petits nuages de gaz à très basse température. En effet, les photons transportent non seulement de l’énergie mais aussi une impulsion p = hν/c = ħ hk, où k est le module du vecteur d’onde k de la lumière. Le flux de photons que représente un faisceau lumineux est donc capable de transférer cette impulsion à la matière. Rapporté à l’unité de temps, ce transfert d’impulsion donne lieu à une force. Et celle-ci, rapportée à l’unité de surface, représente une pression, que l’on appelle pression de radiation. Supposé initialement immobile, l’atome absorbe un photon comme indiqué sur la figure 7.1(a). R = ħ hk/m, où m est la Il acquiert une impulsion ħ hk qui correspond à une vitesse V masse de l’atome. Cette vitesse, indiquée sur la figure 7.1(b), est dans la direction du faisceau et s’appelle vitesse de recul, de l’ordre de quelques cm/s. On peut s’en faire une idée en pensant au recul du gardien de but qui reçoit l’impulsion communiquée par le ballon quand il le bloque. L’effet de recul lors de l’absorption de la lumière par l’atome révèle le caractère corpusculaire de la lumière. Nous avons également vu au chapitre 1 que l’atome, une fois porté dans l’état excité E2 , retombe rapidement dans son état fondamental par émission spontanée d’un nouveau photon au bout d’un temps très court, par exemple 0,3 milliardième de seconde pour l’atome de sodium. Lors de l’émission spontanée de ce photon, l’atome subit aussi un effet de recul, dans la direction opposée à celle du photon émis. (Qui a déjà tiré au fusil ou au pistolet se souvient bien d’un effet de recul analogue.) Alors que les photons absorbés transportent toujours une impulsion dont la direction est fixée par celle du laser incident, les photons de l’émission spontanée sont émis dans une direction aléatoire, comme l’indique la figure 7.1(c). Considérons un

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

141

Figure 7.1. Cycle d’absorption/émission d’un photon par un atome. En (a), l’atome est au repos dans l’état fondamental d’énergie E1 , il reçoit un photon dans une direction fixée. En (b), il passe dans l’état excité E2 R dans la direction du faisceau incident. En (c), il retombe dans l’état fondamental E1 en avec une vitesse V émettant un photon dans une direction aléatoire.

jet d’atomes se propageant dans une direction et un laser contre-propageant qui vient à sa rencontre dans le sens opposé. Les atomes subissent des cycles absorption/émission qui se reproduisent un très grand nombre de fois par seconde, si bien que l’impulsion totale emportée par les photons réémis s’annule : il demeure que l’atome encaisse une impulsion toujours dans le même sens du fait de l’absorption des photons du faisceau laser, qui finit par le freiner considérablement. Pour que la pression de radiation soit suffisante, quelques milliwatts de lumière sont suffisants, à condition que la fréquence soit bien ajustée à la résonance de l’atome. En pratique, seule une source laser convient pour cela. Ainsi, pour l’atome de sodium, le freinage correspondant est cent mille fois plus efficace que l’accélération de la pesanteur. Ce freinage extrêmement puissant permet d’arrêter un faisceau d’atomes sur une courte distance, en général inférieure au mètre. Il faut ajouter une précision à ce qui précède : en ralentissant, les atomes voient leur fréquence d’absorption du laser varier à cause de l’effet Doppler, qui introduit un décalage de fréquence proportionnel à leur vitesse. Pour que les atomes restent en résonance avec le laser dont la fréquence est fixe, la méthode la plus courante, inventée par William D. Phillips, est le ralentisseur Zeeman où l’on compense l’effet Doppler par l’effet Zeeman avec un champ magnétique variable dans l’espace. Nous avons donc montré comment on peut quasiment arrêter un jet d’atomes avec un faisceau lumineux contre-propageant. Il reste à expliquer comment on peut également diminuer sa température. Rappelons que la notion de température est liée à la dispersion des vitesses des particules. Le principe du refroidissement est fondé sur l’effet Doppler. Prenons de nouveau un atome dont la fréquence de résonance est ν, avec hν = E2 − E1 . Supposons que les atomes sont placés entre deux faisceaux laser dirigés en sens opposé, selon le principe illustré sur la figure 7.2. On choisit la fréquence des lasers légèrement en dessous de la fréquence ν de la résonance atomique. Les atomes en mouvement allant vers la droite se rapprochent, à cause de l’effet Doppler, de la situation de résonance avec l’onde laser venant de la droite. Par contre ils s’éloignent encore plus de la résonance avec l’onde venant de la gauche. Ils absorbent ainsi préférentiellement des photons venant

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Chapitre 7. Le laser pour refroidir atomes et molécules

Figure 7.2. Principe du refroidissement laser d’un gaz par effet Doppler en une dimension. Les atomes sont placés entre deux faisceaux laser décalés en fréquence par rapport à la résonance. À cause de l’effet Doppler, si un atome se déplace vers la droite, il absorbe préférentiellement les photons du faisceau qui vient de droite et pas ceux du faisceau qui vient de gauche. De même, s’il se déplace vers la gauche, il absorbe les photons du faisceau qui vient de gauche. Il en résulte une force de friction qui freine les atomes et les confine au centre de la figure.

de droite plutôt que de gauche, donc ils sont ralentis. De même, si les atomes vont vers la gauche, les rôles des deux faisceaux sont échangés et les atomes sont également freinés. Ils subissent une force proportionnelle à leur vitesse, analogue à une force de friction. En disposant une paire de faisceaux laser dans chacune des trois directions de l’espace, on diminue ainsi l’agitation thermique et l’on peut de cette manière atteindre des températures de l’ordre de 1 à 100 μK. Dans cette configuration, les atomes se retrouvent comme englués dans les faisceaux lumineux comme dans un pot de miel : on parle de mélasse optique. Les premières mélasses optiques ont été réalisées par Steven Chu dès la fin des années 1980. Trois physiciens, Claude CohenTannoudji, William D. Phillips et Steven Chu, ont ensuite été récompensés par le prix Nobel pour le refroidissement et le piégeage des atomes par laser. Ils apparaissent sur la figure 7.3.

Claude Cohen-Tannoudji

Steven Chu

William D. Phillips

Figure 7.3. Les trois lauréats du prix Nobel de physique 1997 pour la découverte des méthodes de ralentissement et de piégeage des atomes par laser : Claude Cohen-Tannoudji à l’École normale supérieure à Paris, Steven Chu à Stanford et William Phillips au NIST aux États-Unis.

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Les lasers piègent les atomes

La lumière laser permet, on l’a vu, de ralentir et de refroidir des atomes. En fait, il faut aussi réussir à garder le nuage froid suffisamment longtemps au même endroit de l’espace pour pouvoir l’étudier. On peut d’abord penser à utiliser la force de friction exercée par les faisceaux laser sur les atomes que nous avons précédemment décrite. Les mélasses optiques permettent en effet de maintenir un nuage d’atomes froids en lévitation dans le vide sans qu’il ne touche les parois de l’enceinte de l’expérience. Pourtant le piégeage dans les mélasses optiques ne suffit pas pour les expériences. En effet, la force de friction subie par un atome dans une mélasse optique diminue la vitesse des atomes, mais ne les ramène pas vers un point fixe de l’espace. En pratique, les atomes s’échappent des faisceaux lasers qui produisent l’effet de mélasse en quelques secondes au plus. Pour allonger le temps de confinement des atomes, il a donc fallu inventer d’autres méthodes de piégeage faisant appel à une force de rappel. Différents types de pièges ont été mis au point. Le plus ancien et le plus largement utilisé est le piège magnéto-optique, dont le principe a été formulé par Jean Dalibard dès 1988 en faisant appel aux méthodes du pompage optique développées depuis plusieurs dizaines d’années dans le laboratoire fondé par Alfred Kastler et Jean Brossel. La méthode consiste à ajouter à la mélasse optique un champ magnétique inhomogène et à utiliser des faisceaux de lumière polarisée. Avec de tels pièges magnéto-optiques, on arrive à confiner des milliards d’atomes pendant plusieurs minutes. La figure 7.4 montre l’image de fluorescence d’un gaz d’atomes froids de strontium maintenu dans un piège magnéto-optique, au centre d’une enceinte à vide pourvue de fenêtres dans laquelle est maintenu un vide très poussé. Les dimensions du nuage sont de l’ordre du millimètre. Le piège magnéto-optique est devenu un outil de base répandu dans tous les laboratoires de physique atomique. Sa robustesse et sa simplicité sont telles qu’il est aujourd’hui possible d’acheter des pièges magnétooptiques pour seulement quelques milliers d’euros. Ces pièges font même l’objet de cours de travaux pratiques dans de nombreuses universités et sont exposés dans des foires scientifiques à travers le monde. Une autre méthode de piégeage, celle-ci tout optique, consiste à utiliser des faisceaux lumineux convergents et focalisés dont la fréquence n’est pas exactement en résonance avec celle des atomes. Le processus repose sur la polarisation des atomes par la lumière : le champ électrique de la lumière polarise l’atome en attirant ses électrons. Les atomes polarisés interagissent avec la lumière comme de petits dipôles, ce qui modifie leur énergie. Ils vont vouloir aller là où leur énergie est la plus faible, c’est-à-dire là où l’intensité laser est maximum. Si l’on utilise un faisceau laser focalisé sur le nuage d’atomes froids, on crée un puits de potentiel et les atomes viennent s’accumuler au voisinage du point de focalisation. Ces pièges

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Figure 7.4. Un piège magnéto-optique qui confine des atomes froids de strontium au centre d’une enceinte à vide (partie d’une expérience réalisant une horloge à atomes froids optique). Le nuage d’atomes apparaît par fluorescence (photo Pierre Lemonde, laboratoire SYRTE, Observatoire de Paris).

purement optiques, encore appelés pièges dipolaires, sont de plus en plus utilisés en physique des atomes froids. Ils offrent l’avantage sur les pièges magnéto-optiques de ne pas requérir de champ magnétique et aussi d’utiliser des lasers courants dans le commerce dont la longueur d’onde peut être très décalée par rapport à la résonance atomique. Ces sortes de « pinces optiques » sont par ailleurs employées dans d’autres types de dispositifs, par exemple pour manipuler des nanoparticules ; ces objets sont bien plus lourds que des atomes, et paradoxalement plus faciles à piéger car leur masse les rend moins mobiles. Les pièges optiques dipolaires pour les atomes froids fonctionnent souvent avec plusieurs faisceaux laser croisés et focalisés, par exemple deux faisceaux perpendiculaires, de façon à confiner les atomes dans plusieurs directions. Ils peuvent aussi être utilisés comme des pinces optiques pour immobiliser des atomes uniques, à condition de faire appel à des systèmes de lentilles très perfectionnés pour focaliser très fortement le faisceau laser piégeant sur une surface de quelques microns de côté. La figure 7.5 montre l’image d’un ensemble de quatre atomes de rubidium préalablement refroidis dans un piège magnéto-optique et ensuite isolés et piégés optiquement avec plusieurs faisceaux laser très focalisés. Ces atomes ainsi immobilisés permettent des expériences fondamentales illustrant les principes de base de la

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Figure 7.5. Des atomes froids de rubidium sont piégés individuellement par des lasers intenses et très focalisés. (a) Dispositif expérimental permettant de produire des matrices de pièges optiques. Un modulateur de phase spatiale (SLM) imprime une phase ϕ(x, y) sur le faisceau laser(λ = 850 nm) servant au piégeage. Celui ci est focalisé par une lentille très ouverte. À son foyer on obtient la figure de diffraction de la phase. En ajustant cette phase on produit des matrices de pièges de taille micrométrique avec différentes géométries. Chaque piège contient un seul atome dont on détecte la présence par la lumière de fluorescence induite par un laser résonant avec une transition atomique (ici λ = 780 nm). (b) Exemples d’image de fluorescence pour des matrices de pièges contenant chacun un seul atome avec une probabilité ½. Chacune des images est la somme de nombreuses réalisations de la même configuration de piégeage. (Crédit : Antoine Browaeys, Laboratoire Charles Fabry, Institut d’Optique).

physique quantique. Ils sont des outils de choix pour des expériences débouchant sur l’information quantique.

Avec des atomes refroidis par laser : des instruments d’une précision incroyable 3

On pourrait penser que de tels gaz à des températures aussi basses sont destinés à rester des objets de curiosité dans les laboratoires. Il est vrai qu’ils ont conduit à des progrès spectaculaires dans certains domaines de la physique fondamentale ; par exemple, ils ont renouvelé la spectroscopie atomique en permettant un contrôle extrêmement fin des vitesses des atomes et donc une bien meilleure connaissance de la position de leurs niveaux d’énergie, à comparer aux prévisions des théories physiques les plus élaborées (voir le chapitre 5). Mais là ne se limite pas leur intérêt. En effet, ils ont déjà trouvé des applications pratiques qui commencent à être exploitées dans l’industrie. L’application la plus importante concerne les horloges atomiques, dont nous avons vu le principe au paragraphe 5.3.2. Aujourd’hui, nous savons que la méthode la plus précise pour mesurer le temps est d’utiliser la fréquence d’une transition

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entre deux niveaux d’énergie d’un atome et de la comparer à la fréquence d’un oscillateur à quartz. La définition de la seconde comme unité de temps est fondée depuis quelques décennies sur une transition de l’atome de césium dans le domaine micro-ondes. Or la précision d’une telle mesure dépend de sa durée. Dans une horloge atomique ordinaire à température ambiante, où les atomes se déplacent à une vitesse de plusieurs centaines de mètres par seconde entre les zones d’observation, la durée de la mesure est limitée à quelques millisecondes en raison de la taille forcément finie du dispositif. Par contre, si l’on passe à des atomes refroidis voyageant au mètre par seconde, par exemple extraits d’un piège magnéto-optique, la durée de la mesure peut s’allonger considérablement. On peut ainsi gagner sur la finesse des raies observées, c’est-à-dire sur la précision du pointé du centre de la raie. La stabilité et l’exactitude de l’horloge deviennent ainsi beaucoup plus grandes. La figure 7.6 à gauche montre le principe d’une horloge à fontaine d’atomes froids. Un nuage d’atomes de césium est maintenu en lévitation dans le vide au centre d’un piège magnéto-optique dont les six faisceaux laser sont représentés. Les atomes sont propulsés vers le haut par une impulsion laser et retombent ensuite sous l’effet de l’accélération de la pesanteur. La détection optique s’effectue sur l’absorption d’un faisceau qui sonde les atomes après leur retombée. Dans ce dispositif, le jet d’atomes effectue une trajectoire comme le jet d’eau dans une fontaine. Il traverse

Figure 7.6. L’horloge à fontaine d’atomes froids. À gauche, le principe : les atomes maintenus au centre du piège magnéto-optique sont envoyés vers le haut par une impulsion laser ; ils retombent ensuite sous l’effet de la gravité et traversent deux fois la zone de mesure (cavité radiofréquence représentée par l’anneau) ; la détection est optique par l’intermédiaire de la fluorescence émise dans le faisceau rouge situé au-dessous (schéma de Christophe Salomon). À droite, l’horloge à fontaine de césium de l’Observatoire de Paris (photo André Clairon).

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ainsi deux fois, une fois en montant, une fois en descendant, la zone d’interrogation micro-onde schématisée par un anneau sur la figure 7.6. Le temps de la mesure est celui qui sépare la montée et la descente, typiquement de l’ordre de 1 seconde avec des atomes à 1 μK dans le piège. Le gain de précision par rapport aux horloges à température ordinaire est de l’ordre de 100. On atteint ainsi une stabilité de l’ordre de 10−14 sur une seconde (stabilité qui peut être encore améliorée en moyennant la prise de données sur des durées plus longues). L’exactitude relative des horloges à fontaine est aujourd’hui de quelques 10−16 , ce qui correspond environ à 1 seconde sur 100 millions d’années. La figure 7.6 à droite montre la photo de l’horloge à fontaine du laboratoire SYRTE à l’Observatoire de Paris. Elle fait plusieurs mètres de hauteur et a pendant des années été l’horloge la plus précise du monde. Aujourd’hui une trentaine d’horloges de ce type sont réalisées ou en construction dans de nombreux pays. Elles servent de référence de temps dans leur zone géographique et sont comparées entre elles en permanence. Et les progrès continuent : de nouvelles horloges sont en développement à base de nouveaux atomes froids comme le strontium, le mercure ou l’ytterbium, qui ont des transitions laser dans le domaine optique et non plus microonde (voir le chapitre 5, paragraphe 5.3.2). L’exactitude de ces horloges de nouvelle génération est aujourd’hui meilleure que celle des fontaines atomiques, de l’ordre de 10−18 . La définition de la seconde pourrait donc bien changer prochainement en passant du césium à un autre atome. Atteignons-nous bientôt la limite des possibilités technologiques pour la mesure du temps ? Pas encore. Il reste une autre idée à exploiter : envoyer l’horloge dans l’espace. En transposant les concepts de la fontaine en apesanteur, il est possible de concevoir une horloge où la durée de la mesure sera encore accrue. Cela fait l’objet du programme PHARAO du CNES, illustré sur la figure 7.7. Le modèle de vol de cet instrument est actuellement en cours d’évaluation. L’horloge PHARAO devrait être envoyée dans l’espace et arrimée sur la plateforme de la station spatiale internationale en 2017, comme l’indique la vue du haut de la figure 7.7. Elle y sera comparée à d’autres types d’horloges telles qu’un maser à hydrogène, également très stable. Elle aura comme fonction de donner la référence du temps à toutes les horloges de la Terre. D’autres mesures de physique très fondamentale sont également prévues avec cette horloge embarquée, telles que des tests de la relativité générale d’Einstein. Les atomes froids ont-ils d’autres applications potentielles plus proches de notre quotidien ? De nombreuses équipes y travaillent. Une des voies explorées est de « compacter » les dispositifs, voire de les miniaturiser en les faisant par exemple tenir sur des puces électroniques (les puces à atomes) de dimensions centimétriques, où des fils parcourus par des courants électriques produisent les gradients de champ magnétique nécessaires au piégeage des atomes froids. Des horloges sur puce se préparent, intégrant pièges à atomes et lasers sur la même puce. Des horloges com-

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PHARAO

H-MASER

Figure 7.7. Le programme PHARAO d’horloge à atomes froids dans l’espace. En haut, l’emplacement prévu pour l’horloge sur la plateforme spatiale internationale. En bas, le schéma du tube à vide de l’horloge PHARAO : les atomes sont confinés dans un piège magnéto-optique à gauche ; ils se déplacent en ligne droite ; ils sont interrogés dans deux zones successives au centre et détectés optiquement à droite. En rouge, le signal d’interférence attendu.

pactes, basées sur des atomes en chute libre, ou bien sur des atomes piégés sur puce, pourront équiper les satellites et leur donneront des références de temps toujours plus précises, ce qui devrait à terme accroître la précision des systèmes de positionnement GPS ou GALILEO. D’autres instruments à atomes froids sont aussi à l’étude, parmi lesquels des capteurs inertiels atomiques, mais aussi des magnétomètres de très haute sensibilité. De façon remarquable, les lasers sont utilisés dans ces instruments non seulement pour « fabriquer » des atomes froids, mais aussi pour les « interroger » et permettre de réaliser ainsi des mesures de haute précision. On trouve parmi ces capteurs inertiels des gravimètres, qui réalisent des mesures précises de l’accélération de la pesanteur avec des niveaux de sensibilité meilleurs qu’avec les instruments ordinairement utilisés. Ces instruments sont surtout utilisés en géosciences pour l’étude du soussol et la prospection des ressources naturelles (eau, pétrole, gaz, . . . ), parce qu’ils permettent de révéler des modifications temporelles ou spatiales des distributions de masses dans le sol. Ces gravimètres atomiques ont aujourd’hui quitté le monde du laboratoire : ils font désormais l’objet d’un développement industriel. On trouve

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aussi des gyromètres atomiques, qui réalisent des mesures ultrasensibles de vitesses de rotation. Nous avons vu au chapitre 3 le principe et les performances des gyrolasers, qui servent au positionnement des avions et des navires. Lorsque des ondes de matière remplaceront les ondes lumineuses dans de tels dispositifs, on s’attend à un gain spectaculaire en précision. Les défis de la technologie sont grands et la recherche s’intensifie dans ce domaine.

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Des lasers à atomes analogues des lasers optiques

Les progrès spectaculaires des méthodes de refroidissement des atomes par laser ont entraîné rapidement d’autres découvertes encore plus étonnantes, tout particulièrement le très curieux phénomène portant le nom de condensation de Bose-Einstein. Ce phénomène a été prédit vers 1925 par Albert Einstein, en approfondissant une idée du physicien indien Satyendranath Bose. Dans un gaz d’atomes identiques et sans interactions mutuelles, des effets nouveaux devraient se produire à basse température si la densité était suffisamment grande : tous les atomes situés dans une enceinte devraient se comporter collectivement comme s’ils étaient un seul atome. Il ne s’agit pas ici d’une transition de phase gaz-liquide – en effet les atomes demeurent sous la forme d’un gaz dilué – mais plutôt d’un phénomène résultant de l’accumulation des atomes dans l’état d’énergie le plus bas au fond du piège dans lequel ils sont confinés. La condensation de Bose-Einstein provient fondamentalement de la nature ondulatoire des atomes, qui est une des curiosités les plus surprenantes de la physique quantique. Toute particule de matière peut se comporter, soit comme un petit grain, soit comme une onde. Cette propriété paradoxale provient du principe énoncé par W. Heisenberg il y a bientôt cent ans : on ne peut pas connaître parfaitement à la fois la position d’une particule et sa vitesse. C’est logique : si l’on veut mesurer la position d’un atome, il faut le toucher, et alors il bouge ! L’incertitude sur sa position est inversement proportionnelle à sa vitesse. À toute particule on peut ainsi associer une onde dont l’extension dans l’espace traduit l’incertitude en position. Celle-ci est caractérisée par une longueur d’onde λd B , dite longueur d’onde de de Broglie, du nom du physicien français Louis de Broglie qui a fait cette prédiction quantique fondamentale. Cette longueur d’onde λd B est extrêmement petite à la température ordinaire (les atomes se comportent comme des points de matière), mais elle devient d’autant plus grande que le gaz est plus froid, car elle est inversement proportionnelle à la vitesse donc à la racine carrée de la température : les atomes se comportent alors comme des ondes. Si la température baisse suffisamment, il arrive un moment où les ondes de de Broglie associées aux particules se recouvrent. C’est le recouvrement des ondes décri-

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vant chaque atome qui conduit au phénomène de condensation de Bose-Einstein : les ondes « fusionnent » alors, un peu comme si des gouttes d’eau se mélangeaient pour former une flaque. En définitive, à une certaine température critique TC qui dépend de la densité du gaz, il apparaît qu’une fraction des atomes se retrouve décrite collectivement par une onde unique et s’accumule (« condense ») dans l’état fondamental de l’enceinte, c’est-à-dire dans le même état quantique d’énergie minimale. On parle de condensation pour ce phénomène, bien que le système reste un gaz très dilué. Plus la température descend au-dessous de TC , plus la fraction condensée augmente. Au voisinage du zéro absolu, l’ensemble des atomes est condensé et représenté par une onde unique. Cette transition de phase est un phénomène d’origine purement quantique car elle provient de l’interférence des ondes de matières associées aux atomes. L’idée de la condensation de Bose-Einstein dans les gaz resta longtemps dans les tiroirs, car son apparition nécessite des températures extrêmement faibles : par exemple dans une cellule contenant un gaz de rubidium de quelques millibars, le phénomène ne se produit qu’à un millionième de degré au-dessus du zéro absolu. La première équipe qui soit parvenue à mettre en évidence la condensation de BoseEinstein en 1995 est celle d’Eric Cornell et Carl Wieman à Boulder au Colorado avec des atomes de rubidium. Ils furent rapidement suivis par Wolfgang Ketterle au MIT dans le Massachusetts avec des atomes de sodium. Cette découverte a valu à ces trois chercheurs le prix Nobel en 2002. Pour y parvenir, il leur a fallu mettre en œuvre une méthode de refroidissement, déjà inventée pour refroidir du gaz d’hydrogène atomique : le refroidissement évaporatif, ce qui leur a permis de descendre encore beaucoup plus bas en température que dans les pièges magnéto-optiques décrits plus haut. On peut ainsi produire des condensats gazeux de quelques millions d’atomes. La figure 7.8 montre l’image d’un condensat de sodium obtenue au MIT. On sait aujourd’hui produire des condensats de Bose-Einstein avec des atomes très divers (une quinzaine d’éléments, principalement ceux dont la structure électronique se prête bien au refroidissement laser). Dans un condensat de Bose-Einstein, tous les atomes sont décrits par la même onde. Chaque atome se propage à peu près à la même vitesse et dans la même direction que tous ses voisins. La situation des atomes dans un condensat de Bose-Einstein est ainsi analogue à celle des photons dans un laser qui vont tous dans la même direction et ont tous la même fréquence. C’est ce que l’on peut observer en produisant une fuite dans le piège contenant le condensat. On crée un faisceau d’atomes qui tombent du piège sous l’effet de la pesanteur, tout en conservant sur une certaine distance toutes les propriétés qu’ils avaient dans le condensat. Ils se déplacent tous dans la même direction, avec la même énergie et la même vitesse. Ce faisceau d’atomes peut être décrit comme un paquet cohérent d’ondes de matière qui se propage dans l’espace. Il présente beaucoup d’analogies avec les lasers optiques qui font l’objet du

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Figure 7.8. Condensation de Bose-Einstein du sodium. L’image est une reconstitution de la distribution des vitesses des atomes quand la température s’abaisse. À gauche, la température est supérieure à la température de condensation. La distribution des vitesses à l’équilibre thermique est identique à celle d’un gaz normal. Au milieu, on est juste en dessous de la température critique de condensation. À droite, pratiquement tout le gaz a subi la condensation de Bose-Einstein (photo Wolfgang Ketterle, MIT).

présent ouvrage. C’est pourquoi on l’appelle laser à atomes. Un des avantages des lasers à atomes provient du fait qu’on peut contrôler leur longueur d’onde simplement en jouant sur la vitesse des atomes, et entrer dans des régimes difficilement accessibles aux lasers à photons. Un autre avantage découle des interactions entre atomes, qui introduisent une non-linéarité qui n’existe en optique qu’en présence de matériaux (dits non linéaires). La figure 7.9 montre une telle source, ici canalisée par un guidage optique de façon à lui imposer une trajectoire horizontale. On sait utiliser les lasers à atomes comme les lasers usuels : réflexion sur une surface, déflexion, séparation en deux, interférences, toutes ces propriétés optiques sont réalisables avec des faisceaux d’ondes de matière. On n’a pas encore fini d’imaginer les applications des lasers à atomes. On cherche à les produire en continu, c’est-à-dire sans devoir recréer un nouveau condensat une fois qu’on a vidé le premier. On étudie leurs propriétés de cohérence et leur possibilité de re-focalisation. Si l’on en juge par le délai écoulé entre l’invention du premier laser à photons et le développement de ses applications, on peut sans trop de risque prévoir un bel avenir au laser à atomes.

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Figure 7.9. Un laser à atomes. Il est extrait d’un condensat de Bose-Einstein maintenu dans un piège magnétique dans lequel une fuite est pratiquée. Un guide optique l’empêche de tomber sous l’effet de la gravitation terrestre. L’application d’un champ radio-fréquence (RF) sert à découpler certains atomes du piège (photo Vincent Josse, Institut d’Optique Graduate School).

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Le laser ordonne la matière

Comme nous l’avons vu ci-dessus, les techniques de refroidissement laser permettent aujourd’hui de créer des gaz atomiques à une température presque nulle. L’énergie cinétique des atomes est alors si faible qu’ils ont tendance à s’accumuler dans les régions de l’espace où l’énergie potentielle est la plus faible, comme des billes au fond d’un bol. En soumettant les atomes froids à des configurations de potentiels optiques sculptés d’une façon originale, on peut ainsi explorer des situations exotiques et étudier le transport d’ondes de matière dans des géométries variées. Ainsi, une approche très répandue est de faire interférer entre eux deux faisceaux lasers, ce qui crée une onde stationnaire périodique (voir figures 7.10(a) et (b)). Il est alors possible de piéger des atomes dans ce paysage lumineux. Les atomes froids sont régulièrement rangés dans l’espace, séparés les uns des autres par quelques centaines de nanomètres. En utilisant trois paires de faisceaux laser contre-propageants, on crée ainsi une sorte de boîte à œufs de maille nanométrique. Ce cristal atomique artificiel créé par l’interférence d’ondes lumineuses ressemble au paysage dans lequel se propagent les électrons dans la maille cristalline d’un solide. De ce fait, la façon dont les atomes se propagent dans des réseaux optiques est analogue au transport du courant électrique dans des solides. En faisant varier le nombre de lasers et leurs directions de propagation, on peut explorer des géométries de piégeage très variées. On produit ainsi des gaz qui n’explorent qu’une ou deux dimensions de l’espace. Autre exemple : des chercheurs ont

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Figure 7.10. Piégeage d’atomes froids dans des réseaux optiques. Des paires de faisceaux laser contre-propageant créent par ondes stationnaires des potentiels périodiques dans lesquels les atomes viennent se piéger. En (a) et en (b) : réseau à deux et trois dimensions (vues d’artistes dues à Immanuel Bloch, MPQ-Munich). En (c) : un système optique sert de microscope de très haute résolution pour faire l’image des atomes froids à la surface d’un réseau optique dans lequel ils sont piégés. On mesure ainsi la position de chacun des atomes, formant un état désordonné ou ordonné en fonction de la profondeur du réseau optique (J. F. Sherson et al., Nature 467, 68 (2010)).

récemment démontré qu’ils pouvaient réaliser des systèmes de piégeage périodiques dont la topologie est équivalente à celle qui piège les électrons dans le graphène, ou bien des géométries triangulaires. Plus généralement, en faisant interférer un nombre arbitraire de faisceaux lasers, on peut créer des potentiels arbitraires, à l’image de ce qui se fait aussi en nano-lithographie. Les lasers, dont on utilise ici tout particulièrement les propriétés de cohérence, jouent donc un rôle très important pour ordonner la matière. Le vif intérêt des chercheurs pour l’étude des atomes froids dans des réseaux optiques provient de l’analogie de ce type de système avec les électrons dans les solides. Cette analogie a déjà été soulignée ci-dessus et provient en premier lieu de la similarité de la forme des potentiels ressentis par les atomes et par les électrons. L’analogie est en réalité bien plus profonde, car dans les deux cas les systèmes sont très fortement influencés par les lois de la physique quantique et par les interactions entre particules. L’étude des atomes froids rencontre alors un champ d’application assez inattendu. Il s’agit d’explorer des systèmes quantiques de taille macroscopique, qui donnent lieu à des phénomènes collectifs surprenants et parfois encore inexpliqués. Les expériences d’atomes froids ont un énorme avantage pour cette étude, car les atomes sont piégés dans des potentiels que l’on peut réaliser sans défaut et contrôler arbitrairement avec une grande flexibilité.

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Récemment, plusieurs groupes de recherche ont combiné le chargement d’atomes froids dans des réseaux optiques et l’utilisation d’un microscope optique de très grande résolution, afin de voir les atomes individuellement dans chaque site du réseau (voir figure 7.10(c)). La résolution s’approche ainsi de celle des méthodes utilisées en nanotechnologie. Ceci permet d’effectuer des mesures atome par atome dans des systèmes où les corrélations dans la position et dans l’état magnétique des atomes sont très fortes. Les outils de la physique atomique permettent ainsi d’observer ces systèmes fortement corrélés avec une précision inégalée. Une des ambitions des chercheurs est de piéger des atomes dans des réseaux optiques pour simuler des situations où pourraient surgir des phénomènes équivalents à la supraconductivité à haute température, qui permet au courant électrique de circuler sans perte. Cet effet est observé dans des matériaux tels que des cuprates mais il reste pour l’instant mal expliqué. Il est en effet très difficile de comprendre un tel phénomène, qui met en jeu un système d’électrons fortement corrélés. Du fait de ces corrélations, des modèles théoriques, d’apparence formelle simple, ne peuvent pas être testés pleinement, car toute simulation numérique se heurte à l’immense nombre des configurations à prendre en compte. Nul ne pense que l’on pourra un jour reproduire exactement dans une expérience d’atomes froids les conditions qui règnent, par exemple, dans un supraconducteur de type cuprate. Par contre, les chercheurs savent construire des systèmes quantiques très purs, qui réalisent en pratique certains des modèles théoriques minimalistes essayant de rendre compte de la supraconductivité à haute température. L’intérêt de cette approche est que l’on peut contrôler très précisément tous les paramètres gouvernant à la fois la forme des pièges utilisés et les interactions entre atomes froids. On se débarrasse aussi de tout effet indésirable tel que le désordre, omniprésent dans la physique de la matière solide. À l’inverse, on peut rajouter de façon bien contrôlée du désordre aux potentiels ressentis par les atomes pour étudier son effet sur leurs propriétés de transport. Une expérience d’atomes froids peut ainsi devenir un véritable simulateur quantique de problèmes à N-corps : les atomes réalisent presque exactement un modèle théorique que l’on ne peut pas tester dans un ordinateur, du fait de la trop grande complexité du calcul. En faisant des mesures avec des atomes froids, on pourrait alors observer des phénomènes associés à un Hamiltonien donné bien précis, dans un régime où un ordinateur « classique » est incapable de fournir des prédictions basées sur des simulations numériques fiables. La supraconductivité à haute température n’est qu’un exemple, particulièrement important du fait des enjeux à la fois conceptuels et applicatifs : certains ont l’espoir que l’on pourrait ainsi apprendre comment construire un supraconducteur à température ambiante. De nombreuses autres questions passionnent aujourd’hui les chercheurs, qui concernent par exemple les propriétés magnétiques des matériaux ; nombre de ces questions restent pour l’instant sans réponse du fait de la complexité

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intrinsèque de ces systèmes. Le champ de recherche des atomes froids dépasse ce cadre de la matière condensée, puisqu’il touche même à certaines questions portant par exemple sur la physique des étoiles à neutrons, ou même la cosmologie ! Pour toutes ces raisons, l’approche de la simulation quantique avec des atomes froids porte aujourd’hui de grands espoirs. Elle renvoie au caractère universaliste propre à la physique : un même modèle théorique peut décrire des systèmes physiques très différents. Il ne s’agit pas seulement d’analogies, mais bien de l’expression d’un ordre fixé par les lois fondamentales de la nature.

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Le laser contrôle la chimie des molécules froides

Après les succès associés au refroidissement laser d’atomes, il est naturel d’envisager de l’étendre à des objets plus complexes. En plus du défi purement technique, toujours source de motivation, l’espoir est de découvrir de nouveaux phénomènes et d’aboutir à de nouvelles applications ; à cet égard, l’espoir de contrôler et de refroidir des molécules est tout particulièrement excitant. On sait en effet que les molécules absorbent et réémettent de la lumière : molécules phosphorescentes ou colorants, molécules en jeu dans la photosynthèse nécessaire à la vie sur Terre comme à la chimie dans le milieu interstellaire. Peut-on envisager de manipuler des molécules par laser pour les refroidir, comme on sait le faire pour des atomes ? Peut-on tirer profit de la pureté spectrale des lasers pour contrôler leur mouvement, voire même des réactions chimiques ? Le but ultime serait de contrôler tous les degrés de liberté d’une molécule, ainsi que ses canaux de réactions. Toutefois l’extension des méthodes de refroidissement laser d’une vapeur atomique à une vapeur moléculaire pose beaucoup de problèmes. Pour fixer les idées, considérons le cas le plus simple possible, celui d’une molécule diatomique : elle est caractérisée par son axe interatomique le long duquel les atomes vibrent et tournent l’un par rapport à l’autre. Ces deux mouvements de vibration et de rotation donnent au système une structure de niveaux d’énergie bien plus complexe que celle des atomes. Il apparaît alors extrêmement difficile d’isoler un couple de niveaux d’énergie conduisant à un cycle d’absorption/émission de freinage. En effet, après la première absorption, la molécule se désexcite spontanément vers les nombreux niveaux d’énergie accessibles, de sorte que récupérer cette population pour l’absorption suivante nécessiterait de nombreux lasers de longueurs d’onde différentes, c’est-à-dire un vrai cauchemar expérimental ! Il existe un petit nombre d’espèces moléculaires (SrF, YO) dont la structure des niveaux d’énergie s’approche de celle d’un atome et pour lesquelles des résultats préliminaires encourageants ont été obtenus récemment. Il est cependant probable qu’un nombre très restreint d’espèces moléculaires pourront être refroidies par laser.

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Chapitre 7. Le laser pour refroidir atomes et molécules

Une idée plus simple s’est très vite imposée : si l’on arrive à associer une paire d’atomes ultra-froids sans perturber le mouvement de son centre de masse – luimême quasiment immobile –, on obtient alors une molécule diatomique ultra-froide. La finesse spectrale du laser permet une telle association – désignée par le terme photo-association – qui repose sur un événement d’absorption/émission décrit sur la figure 7.11. La photo-association par laser a ainsi permis la première observation de molécules ultra-froides. Ici, deux atomes libres entrant en collision absorbent ensemble un photon du laser et forment une molécule dans un état excité : c’est ainsi qu’ils s’attachent. Il s’agit en quelque sorte d’un tout premier exemple de réaction chimique contrôlée par laser.

Collision froide

Dissociation Photon 2

Photon 1

Photo-association Froide et stable Figure 7.11. Principe de la photoassociation d’atomes ultra-froids par laser. Un photon est absorbé par une paire d’atomes relativement proches pour former une molécule excitée dans un niveau d’énergie bien déterminé. Cette molécule se désexcite très vite (en quelques dizaines de nanosecondes) et, si la structure de niveaux d’énergie le permet, une molécule stable est créée dans l’un des niveaux d’énergie de son état fondamental.

Si, comme nous l’avons évoqué, le but ultime de la manipulation des molécules par laser est le contrôle de tous leurs degrés de liberté, internes ou externes, la photo-association présente une limitation majeure : l’étape d’émission spontanée n’est pas sélective et conduit en général à la formation de molécules dans un grand nombre de niveaux quantiques internes, c’est-à-dire dans des états de vibration et de rotation mal contrôlés. Il existe une méthode alternative très originale pour associer les atomes qui ne présente pas les mêmes limitations : c’est la magnétoassociation, proposée dès 1993, qui consiste à remplacer le champ laser par un champ magnétique externe (phénomène dit de résonance de Feshbach). Cependant de telles molécules sont très fragiles en cas de collision et il apparaît nécessaire de les créer dans leur niveau d’énergie le plus bas pour espérer leur conférer une grande stabilité. Les développements les plus récents des lasers (finesse spectrale, stabilité) ont permis d’accomplir cette étape, au travers d’une technique laser connue depuis les années 1980 : le transfert adiabatique rapide stimulé ou

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

157

STIRAP. Dans ce processus, le mouvement de vibration des molécules est amené au repos à l’aide d’impulsions laser successives absorbées puis réémises. La démonstration spectaculaire de ce processus avec des molécules ultra-froides de KRb a été apportée en 2008 par le groupe de Deborah Jin et Jun Ye au JILA à Boulder (ÉtatsUnis). À la suite de cette avancée, a été observée pour la première fois une réaction chimique ultra-froide contrôlée entre deux molécules de KRb ainsi préparées dans un état quantique unique : KRb+KRb → K2 +Rb2 . Cette réaction a même pu être facilitée, ou empêchée, au moyen de champs électriques externes. Ce premier exemple donne une idée des nouvelles possibilités de contrôle de cette chimie ultra-froide. Ces résultats récents utilisant le laser sont spectaculaires. En parallèle, d’autres méthodes sans laser ont été imaginées pour ralentir les molécules. Le caractère non sphérique d’une molécule lui confère souvent, contrairement à un atome, le comportement d’un dipôle électrique, sensible à un champ électrique externe. On a ainsi mis au point un « ralentisseur Stark », dispositif très élaboré reposant sur une variation spatiale et temporelle d’un champ électrique qui induit une force de guidage et de ralentissement sur des molécules dont les niveaux d’énergie sont affectés par l’effet Stark. Le « ralentisseur Zeeman » fonctionne sur un principe analogue avec des champs magnétiques. Une méthode encore différente repose sur le refroidissement de molécules par collision avec les atomes d’un gaz tampon cryogénique. Cependant aucune de ces approches n’a encore permis de descendre en dessous du millikelvin pour des molécules. On est encore loin du domaine du nanokelvin obtenu pour des atomes. Le domaine de recherche sur les molécules froides est aujourd’hui très actif. Dans le domaine de la spectroscopie, le refroidissement des molécules offre des possibilités très attrayantes en permettant une résolution sans précédent. Cela est en cours d’exploitation pour des mesures de très grande précision, dont certaines ont des buts très fondamentaux. Ainsi des recherches actuelles tentent de mesurer un moment dipolaire extrêmement petit pour l’électron. Dans le même ordre d’idées, des molécules froides sont utilisées pour la détermination de plus en plus précise des rapports des masses de particules élémentaires comme le proton et l’électron. Enfin la possibilité de réaliser des réactions chimiques avec des particules individuelles, et non plus des vapeurs contenant des milliards de molécules, ouvre des perspectives uniques, encore largement inexploitées, à la chimie froide de demain !

Les atomes refroidis par laser : un domaine en pleine expansion 7

La production des gaz ultra-froids, des condensats de Bose-Einstein et des molécules froides a mis la physique atomique et moléculaire sens dessus dessous ! L’évocation

158

Chapitre 7. Le laser pour refroidir atomes et molécules

de quelques ordres de grandeur permet de réaliser la révolution qui s’est opérée. On peut évaluer que dans tous les secteurs on a obtenu un gain en précision fantastique : l’exactitude des horloges atomiques est passée de une seconde par an à une seconde sur la durée de vie de l’Univers ; les mesures spectroscopiques s’effectuent sur des atomes ou molécules uniques et non plus sur des cellules contenant 10 milliards d’atomes ; les températures sont descendues à 100 pK (10−10 K) et les vitesses des atomes à 1 mm/s ; la résolution temporelle de la métrologie est passée de la microseconde (10−6 s) à l’attoseconde (10−15 s) ; etc. Aujourd’hui on assiste au passage du macroscopique au microscopique : on visualise et on manipule les particules individuelles. On peut dire que l’invisible simple de Jean Perrin est devenu visible et que les intuitions géniales de ce savant ont été plus que confirmées par la brillante postérité qui a suivi l’introduction du laser. Au-delà de ces progrès, l’étude expérimentale des systèmes d’atomes à très basse température rejoint bien d’autres domaines de la physique, car ils peuvent constituer des outils très versatiles et très propres pour la simulation quantique. Ceux-ci révèlent un grand nombre de comportements inattendus qui poussent dans leur retranchement les théories les plus raffinées. En retour, les théoriciens entretiennent une source d’inspiration continue pour les expériences d’atomes froids : on imagine que certains de ces systèmes froids pourraient être utiles pour l’information et des communications quantiques, voire un jour pour le calcul quantique. Une communauté de théoriciens et d’expérimentateurs agit de concert et cet effort collectif devrait conduire à des progrès considérables dans la compréhension de systèmes extraordinairement compliqués. On découvre un monde macroscopique dont les lois sont dominées par les aspects les plus contre-intuitifs de la mécanique quantique ! Et c’est bien l’avènement du laser qui a rendu possible toute cette recherche en pleine expansion en permettant le refroidissement et la manipulation des particules.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

159

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

8 Applications médicales A. Claude BOCCARA, Professeur à l’ESPCI-ParisTech, Institut Langevin, Laboratoire d’Optique, Paris. Serge MORDON, Directeur de Recherche à l’INSERM, INSERM U1189 ONCO-THAI : Thérapies interventionnelles assistées par l’image et la simulation, Lille. En ré-écoutant les conférences de Charles Townes peu après l’invention du laser (par exemple au musée des sciences à Boston), on peut déjà avoir une réelle vision du potentiel de ce nouvel outil dans le domaine de la thérapie médicale : l’utilisation du laser en ophtalmologie pour le décollement de la rétine dans les années 1960 en fait foi. Depuis les applications se sont multipliées, aussi nous proposons-nous d’illustrer quelques-uns des champs d’application des lasers médicaux. L’utilisation des lasers en imagerie médicale est par contre, à une exception près en ophtalmologie, encore au stade démonstratif. Deviendra-t-il un outil de diagnostic de plus en plus répandu, en complément des installations très performantes mais aussi souvent coûteuses (scanner X, Imagerie de Résonance Magnétique ou IRM, imagerie nucléaire, etc.) ? Il est en effet difficile d’imager avec la lumière l’intérieur du corps humain de la même façon qu’un anatomopathologiste voit des pièces opératoires et cela à cause de la très forte diffusion de la lumière par les tissus.

Laser et thérapie

1 1.1

Introduction

Historique

L’histoire du laser médical est l’histoire du laser en tant que telle. Lorsque Maiman a fait fonctionner le premier laser en 1960, il a éprouvé quelques difficultés à faire publier ses résultats dans une revue renommée parce que personne ne semblait prendre conscience de son importance. Compte tenu des particularités physiques de l’effet laser, il n’a pas fallu cependant très longtemps pour que la médecine trouve des applications à ce nouvel instrument. Le laser à rubis a été utilisé dès 1961 par Campbell en ophtalmologie et par Goldman en dermatologie en 1963. Puis, le laser à argon ionisé (488–514 nm) est rapidement devenu le laser de choix pour le traitement du décollement de la rétine. Le laser à dioxyde de carbone (CO2 ), introduit par Polanyi et Kaplan en 1965 et 1967, fut tout d’abord proposé aux chirurgiens avec le concept d’un bistouri optique. Il a depuis été proposé pour de très nombreuses applications en dermatologie tout particulièrement. Le recours aux fibres optiques dans le courant des années 1970 a ouvert le champ des applications lasers à l’endocavitaire grâce à la possibilité d’introduire la fibre dans le canal opérateur d’un endoscope. Là encore, le laser à argon (Dwyer en 1975), mais surtout le laser YAG néodyme (Kiefhaber en 1975), ont été utilisés en gastroentérologie, en pneumologie, etc. En 1976, Hofstetter a utilisé le laser pour la première fois en urologie. Grâce au laser à colorant, la fin des années 1970 a vu le renouveau de la thérapie photodynamique (Dougherty, 1976). Depuis le début des années 1980, les applications du laser se sont particulièrement développées. En 2010, l’ASLMS (American Society for Laser in Medicine and Surgery) et la SFLM (Société Francophone des Lasers Médicaux) fêteront leurs 30 ans d’existence. Principe

Il est possible de proposer une classification de l’interaction laser-tissu biologique selon quatre types d’effet. Cette distinction dépend du temps d’exposition et par conséquent de l’irradiance appliquée (figure 8.1). On distingue ainsi : 1. l’effet électromécanique (action disruptive) qui est obtenu avec des impulsions de 10 ps à 10 ns et des irradiances de l’ordre de 107 à 1012 W/cm2 ; 2. l’effet photoablatif qui est obtenu avec des impulsions de 10 ns à 100 ns. Dans ce cas, plus que l’irradiance, c’est le domaine spectral qui est important pour cet effet qui nécessite des photons énergétiques ;

162

Chapitre 8. Applications médicales

Durée d d’émission émission (s) 10-12

10-9

10-6

10-3

1

Effets photomécaniques

103

106 18 10 1015 1012

Effet photothermique

109 106

Effet photoablatif

103 1 Effet p photochimique q

10-3

Irradian nce (W/cm m2)

10-15

10-66

Figure 8.1. Les différents effets obtenus avec les lasers en fonction de la durée d’émission du laser (S. Mordon).

3. l’effet thermique qui est obtenu avec des impulsions de 1 ms à quelques secondes et des irradiances de l’ordre 101 à 106 W/cm2 ; 4. l’effet photochimique est obtenu uniquement en combinaison avec un photosensibilisant, avec des durées d’illumination s’étendant de la dizaine de secondes à la dizaine de minutes avec des irradiances généralement très faibles. 1.2

Effet électromécanique

Lorsqu’une impulsion laser très courte (ns et en dessous) est focalisée sur une cible tissulaire, créant ainsi des irradiances élevées (de l’ordre de 1010 à 1012 W/cm2 ), il est possible d’obtenir localement des champs électriques élevés (106 à 107 V/m) comparables aux champs atomiques ou intramoléculaires. De tels champs induisent un claquage électrique du matériau de la cible ayant pour résultat la formation d’un plasma. L’onde de choc associée à l’expansion plasma engendre des ondes de pression extrêmement importantes et par conséquent une rupture mécanique de la structure tissulaire. Cet effet électromécanique est généralement obtenu avec des laser Nd:YAG fonctionnant en mode déclenché (ns) ou en mode verrouillé (ps). En médecine, cet effet est utilisé en ophtalmologie pour détruire des membranules de l’œil. En dermatologie, on a recours à des lasers fonctionnant en mode déclenché (rubis, alexandrite, Nd:YAG) pour le traitement de lésions pigmentées ou le détatouage (figure 8.2). 1.3

Effet photoablatif

L’effet photoablatif, appelé aussi photodécomposition ablative, est basé sur l’utilisation de photons présentant une énergie supérieure à l’énergie de liaison des

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

163

Figure 8.2. Avant et après détatouage réalisé par un laser Nd:YAG déclenché.

molécules biologiques. Le processus photoablatif consiste ainsi en une dissociation ou une rupture de la matière et de l’expulsion des fragments à une vitesse supersonique. Des photons ayant une énergie de l’ordre de 3 à 5 eV sont susceptibles de dissocier des liaisons peptidiques ou des liaisons carbone-carbone des chaînes polypeptidiques. C’est ainsi que des lasers émettant dans l’U.V. tels que les lasers à excimères (ArF : 193 nm-6,4 eV ou XeCL : 308 nm-4 eV) ou bien un laser Nd:YAG quadruplé en fréquence (266 nm-4,7 eV) sont bien adaptés à la photoablation. Cet effet est particulièrement utilisé en ophtalmologie pour la chirurgie réfractive de la cornée où il est possible de corriger des myopies, des astigmatismes légers à modérés, ainsi que des petites hypermétropies. La technique LASIK (Laser Assisted In-Situ Keratomileusis, figure 8.3) a progressivement remplacé la kératectomie photoréfractive au laser (PKR), proposée initialement. Cette technique consiste à utiliser un microkératome pour couper une fine lamelle de cornée soulevée temporairement, le temps de procéder au traitement dans le stroma de la cornée. La membrane est ensuite repositionnée au dessus de la zone traitée et prend la nouvelle courbure de la cornée. La fin des années 2000 a vu l’apparition de l’Intralasik où un laser femtoseconde (voir chapitre 4) remplace maintenant le microkératome. 1.4

Effet thermique

L’action thermique des lasers constitue aujourd’hui le mécanisme prédominant des applications thérapeutiques des lasers. L’effet thermique regroupe un large groupe de types d’interactions caractérisées par un changement de température significatif au sein du tissu illuminé par le laser. L’effet thermique peut aussi bien être obtenu avec un laser présentant une émission continue qu’avec des lasers impulsionnels. L’effet

164

Chapitre 8. Applications médicales

Figure 8.3. Principe de fonctionnement de la technique LASIK.

thermique des lasers est un processus complexe comprenant trois phénomènes : une conversion de la lumière laser en chaleur, un transfert de chaleur dans le tissu et une réaction tissulaire dépendante de la température. En fonction de la durée du chauffage réalisé, ainsi qu’en fonction de l’élévation de la température du tissu, on peut obtenir soit une hyperthermie, soit une coagulation, soit une volatilisation d’un volume tissulaire donné (table 8.1). Température

Modifications

45 ◦ C

Vasodilatation, dommage endothélial

50 ◦ C

Disparition de l’activité enzymatique

60 ◦ C

Désorganisation des membranes cellulaires

70 ◦ C 80 ◦ C

100 ◦ C > 100 ◦ C

Dénaturation des protéines Dénaturation du collagène Perméabilisation des membranes Contraction des fibres de collagènes Nécrose de coagulation Vaporisation de l’eau Déshydratation totale Volatilisation des constituants organiques

Tab. 8.1. Effet de la température sur les constituants tissulaires.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

165

Il existe de très nombreuses applications cliniques et ce chapitre ne permet pas de les détailler. L’ophtalmologie et la dermatologie constituent les deux applications principales. En ophtalmologie, le traitement du décollement de la rétine est une des applications les plus pratiquées dans le monde (voir la figure 8.4).

Figure 8.4. Principe de traitement de la rétine périphérique lors d’un décollement.

En dermatologie, les applications sont nombreuses et en 30 ans les indications se sont affinées et précisées. D’abord purement médicales : exérèse de tumeurs cutanées au laser CO2 et traitement des angiomes plans au laser à argon (voir la figure 8.5) ; les lasers concernant maintenant le domaine de l’esthétique : traitement du vieillissement cutané avec le laser CO2 grâce à une abrasion superficielle, traitement de la couperose au laser à colorant pulsé (585 nm) ou par laser Nd:YAG doublé (532 nm), de l’acné au laser infrarouge moyen, etc.

Figure 8.5. Traitement d’un angiome plan par laser à colorant pulsé.

Depuis 2000, on utilise également les diodes laser (810 ou 980 nm) en phlébologie, pour le traitement des varices. Le Laser EndoVeineux (LEV, figure 8.6) est alors une alternative à la chirurgie habituelle qui consiste à enlever la veine saphène. Dans ce cas, la fibre laser est insérée jusqu’à la crosse via une petite incision à l’intérieur de la veine à traiter. Le praticien retire progressivement la fibre tout en tirant au laser

166

Chapitre 8. Applications médicales

Figure 8.6. Principe du LEV (laser endoveineux). Résultat avant-après.

afin de détruire la paroi de la veine. Cette intervention dure quelques minutes et le patient peut ensuite repartir en marchant une heure après. La thermothérapie interstitielle laser est proposée depuis quelques années pour traiter différentes lésions cancéreuses (figure 8.7). La combinaison des techniques d’imagerie moderne, IRM en particulier (figure 8.8), permet un repérage précis de la tumeur mais aussi de déterminer la voie d’abord et de calculer la position exacte de la ou des fibres laser (1 mm de diamètre) à insérer. La thermothérapie interstitielle laser stéréotaxique est aujourd’hui proposée comme une nouvelle alternative dans la prise en charge thérapeutique de certaines tumeurs cérébrales. Grâce au guidage IRM, il est possible de traiter des métastases du foie. Enfin, depuis peu, le cancer de la prostate peut aussi être traité de cette façon. Enfin, une application très récente concerne la cicatrisation cutanée où des données récentes ont pu montrer qu’au moyen de lasers thermiques, il devenait possible de modifier le processus de cicatrisation pour obtenir un quasi-processus de régénération de la plaie. Dans ce cas, on a recours soit à un laser à colorant pulsé, soit à une diode laser à 800 nm (figure 8.9) qui présente l’avantage d’être portable (600 g) et donc plus pratique d’emploi dans le bloc chirurgical. 1.5

Effet photochimique

L’effet photochimique, plus souvent nommé photothérapie dynamique (Photodynamic Therapy : PDT), consiste à sensibiliser sélectivement une lésion par l’administration d’un photosensibilisant puis à la détruire par une activation lumineuse spécifique du photosensibilisant. C’est une démarche en deux temps : d’abord i) l’application ou l’administration d’un photosensibilisant qui s’accumule de manière

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

167

Figure 8.7. Traitement par thermothérapie laser interstielle sous contrôle IRM calorimétrique en temps réel. On voit ici l’implantation intracérébrale de trois fibres optiques réalisée sous anesthésie locale (Carpentier et al., Neurosurgery 2008 ; 63).

Figure 8.8. À gauche : IRM de la prostate (contour bleu) avant traitement. Cette image permet de définir le positionnement optimal des fibres de traitement (croix vertes). À droite : nécrose (flèche rouge) obtenue 7 jours après le traitement.

variable, dans un délai de quelques heures à trois jours, dans la lésion à traiter, puis ii) l’éclairage de la lésion par une lumière de faible intensité, sans effet thermique, dont la longueur d’onde est préférentiellement absorbée par le photosensibilisant. L’excitation du photosensibilisant initie alors par transfert d’énergie une cascade de réactions finalement cytotoxiques. La présence d’un photosensibilisant est requise pour l’obtention d’un effet photochimique. Un photosensibilisant est une molécule non toxique pour l’organisme

168

Chapitre 8. Applications médicales

Figure 8.9. Traitement par laser diode à 810 nm (technique LASH). Sein – cicatrice verticale chez une femme de 35 ans) : (a) sein droit non traité, (b) sein gauche traité par laser (résultats à 12 mois). Les parties traitée (T) et contrôle (C) sont indiquées. Le laser a été appliqué le long de l’incision immédiatement après suture (T) avec une fluence de 110 J/cm2 .

et dénuée d’activité thérapeutique propre. Il est idéalement caractérisé par : i) une fixation ou une rétention sélective par les cellules cancéreuses, ii) un (ou parfois plusieurs) pic d’absorption lumineuse. Plusieurs photosensibilisants sont actuellement disponibles sur le marché en fonction des indications et des disciplines médicales. Tous sont excités dans le rouge ou l’infrarouge car dans ce domaine de longueurs d’onde, on obtient une bonne pénétration de la lumière (voir la table 8.2). Nom

Longueur d’onde

Molécule

Fabricant commercial

Hématoporphyrine

Photofrin® Photobarr

Meta-tetra

Foscan

Application d’excitation (nm)

Axcan Pharma

630

®

®

Pneumologie Biolitec

652

Hydroxyphenyl chlorin Benzoporphyrine Bactériophéophorbides

Gastroentérologie

Gastroentérologie Pneumologie

®

Visudyne Tookad

®

Novartis

690

Ophtalmologie

Steba-Biotech

753

Urologie

Tab. 8.2. Principaux photosensibilisants utilisés.

Aujourd’hui de très nombreuses disciplines médicales ont recours à cette technique : la dermatologie bien sûr, mais les panneaux de LEDs ont remplacé les lasers car, comme cela est indiqué précédemment, les irradiances requises sont relativement faibles, de l’ordre de 100 mW/cm2 . La PDT est utilisée en ophtalmologie pour le traitement de la DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge) ; dans ce cas un laser à 690 nm est couplé à une lampe à fente. Les fibres laser insérées par voie endoscopique permettent des applications

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

169

en gastroentérologie (cancers de l’œsophage et cholagicarcinome) et en pneumologie (tumeurs bronchiques).

1.6

Conclusion

Ce bref exposé est loin d’être exhaustif et la littérature médicale fournit de nombreux autres exemples d’applications. De plus, l’apparition de nouvelles longueurs d’onde, la miniaturisation des sources laser, la conception de nouvelles interfaces associant diagnostic et thérapeutique conduisent au développement de nouvelles applications médicales des lasers.

2 2.1

Laser et imagerie médicale Introduction

La première question qu’il est légitime de se poser est : pourquoi utiliser l’optique ? L’imagerie médicale offre, en effet, une large panoplie de méthodes (Scanner X, Imagerie de Résonance Magnétique, Échographie Ultrasonore, PET, Imagerie Nucléaire) aujourd’hui bien implantées dans les hôpitaux des pays technologiquement développés. L’optique cependant apporte clairement un contraste qui lui est propre : la couleur (le spectre), la texture (la morphologie des tissus) telles qu’elles apparaissent à l’œil du chirurgien ou de l’anatomopathologiste ont une réelle valeur diagnostique ; pourquoi donc s’en priver, d’autant que les montages optiques sont souvent peu coûteux par rapport aux méthodes que nous avons évoquées (sauf peutêtre l’échographie) et performants car il est possible de focaliser des faisceaux laser à l’échelle du micromètre et de détecter des intensités très faibles. La difficulté de l’imagerie optique des tissus et des organes (nous exclurons ici l’imagerie cellulaire plus proche de la biologie que de la médecine) vient de la très forte diffusion de la lumière par les tissus du corps humain. Les trajectoires complexes des rayons lumineux rendent difficile l’accès aux structures en profondeur. Par contre, l’absorption (disparition des photons) reste faible dans une zone de longueurs d’onde située entre 0,6 et 1,3 μm. Les deux images de la figure 8.10 illustrent bien ces deux effets : la lumière rouge traverse les tissus car elle n’est pas absorbée par le sang (HbO2 : hémoglobine) comme le vert ou le bleu, mais cette lumière ne porte aucune information sur les structures traversées. La diffusion diminue quand on utilise l’infrarouge mais, comme on le voit sur la droite de la figure 8.10, dans cette zone spectrale c’est l’absorption de la lumière par l’eau contenue dans les tissus qui limite la pénétration de la lumière.

170

Chapitre 8. Applications médicales

Coefficient d’extinction (cm -1) 105 104

H 2O

103

H2 O

HbO2

102 10 1 10-1 10-2 0.1

MELANINE 0.2

0.4

0.6 0.81

2

4

6 8 10 λ (μm)

Figure 8.10. Diffusion et absorption de la lumière par les tissus. À gauche, à cause de la diffusion, aucune structure de l’intérieur des doigts n’apparaît. À droite, dans la zone grisée du rouge et du proche infrarouge, l’absorption reste faible et la lumière traverse les tissus.

Les lasers aujourd’hui, grâce à leur grande cohérence spatiale ou temporelle, aux impulsions ultracourtes qu’il est possible de créer et aux puissances élevées disponibles, permettent de revisiter l’imagerie optique médicale. 2.2

Quels photons sélectionner pour former une image ?

Avant de répondre à cette question donnons-nous au préalable quelques ordres de grandeur : le libre parcours moyen des photons (distance entre deux collisions avec les diffuseurs : cellules, noyaux ou structures de plus petite taille) dans un tissu est de l’ordre de 50 à 100 micromètres. C’est ce chiffre qui, avec l’absorption, définit l’amortissement des photons balistiques qui n’ont pas subi de collisions : on voit qu’au bout de quelques millimètres de profondeur (soit une dizaine de libres parcours moyens), ces photons balistiques ont totalement disparu ; néanmoins dans une zone de l’ordre du millimètre de profondeur, sélectionner les photons balistiques permet de former des images comme celles que l’on crée en espace libre. Une autre caractéristique de la diffusion par les tissus est le coefficient d’anisotropie de la collision entre un photon et la structure diffusante. Ce coefficient est égal à la valeur moyenne du cosinus de l’angle de diffusion. Ce coefficient est souvent important dans le cas des tissus (0,8 à 0,95), ce qui signifie que la diffusion se fait préférentiellement vers l’avant. Il faut donc typiquement une dizaine de collisions, soit à peu près un millimètre (ce qui est peu par rapport à la taille d’un organe comme le sein par exemple) pour entrer dans le régime dit de diffusion pour lequel les lois sont les mêmes que pour la chaleur ou la dynamique des porteurs de charges dans un semi-conducteur. Aux profondeurs plus importantes (> 1 mm), l’absence de photons balistiques impose de travailler avec les photons multiplement diffusés : si on dispose d’une porte temporelle suffisamment étroite, on sélectionne les photons serpentiles qui ne

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

171

se sont pas trop écartés de la trajectoire balistique malgré de multiples collisions (vers l’avant) ou encore, si cette sélection s’avère difficile, on travaille avec l’ensemble des photons diffusés (voir la figure 8.11).

Figure 8.11. Représentation schématique des différentes classes de photons que l’on peut utiliser pour l’imagerie médicale. À gauche, une source S émet une impulsion ultra-brève, les photons balistiques atteignent les premiers le détecteur D sans être déviés de leur trajectoire, puis les photons serpentiles et enfin l’ensemble des photons multi-diffusés. Le carré représente l’objet à mettre en évidence (par exemple une tumeur) par imagerie. À droite, on a représenté le signal reçu par le détecteur au cours du temps t .

2.3

La sélection des photons balistiques et la tomographie de cohérence (OCT)

Cette méthode d’imagerie est largement implantée aujourd’hui à l’hôpital en ophtalmologie. Elle utilise un interféromètre de Michelson éclairé par une source à spectre large (s’il s’agit d’un laser ce sera un laser femtoseconde, comme nous l’avons vu au chapitre 4). Les interférences (franges) entre les rayons lumineux qui atteignent le miroir de référence et ceux qui proviennent de l’échantillon seront localisées au voisinage de la différence de marche nulle (figure 8.12). On a donc un signal qui provient d’une profondeur donnée de l’échantillon, qu’on peut faire varier en balayant la position du miroir de référence. Ce principe permet de réaliser de véritables coupes optiques de l’échantillon. Les images les plus révélatrices et les mieux résolues ont été obtenues avec des lasers de quelques femtosecondes, mais ces lasers sont encore onéreux et les montages commerciaux utilisent des diodes superradiantes (superluminescent en anglais) : ces émetteurs combinent la puissance et la cohérence spatiale des diodes laser et le large spectre des LED (diodes électro-luminescentes), qui est de quelques dizaines de nanomètres. La figure 8.13 illustre une des applications les plus routinières de l’OCT : l’examen de la rétine. On distingue à gauche une image traditionnelle de fond d’œil, avec une flèche qui indique la section optique qui va être faite par le balayage OCT que l’on peut voir sur la partie droite de la figure. Cet examen de la rétine par l’OCT

172

Chapitre 8. Applications médicales

Figure 8.12. Une source monochromatique, comme un laser mono fréquence, donnera des franges quelque soit la différence de marche entre le chemin du miroir de référence et du miroir mobile. Avec une source à spectre large (laser ultra-bref, diode super luminescente, lumière blanche), les franges seront localisées autour de la différence de marche nulle : c’est le principe qu’utilise l’OCT. En pratique, l’objet qui rétrodiffuse la lumière, comme l’œil par exemple, remplace le miroir fixe.

Figure 8.13. Examen de la rétine par OCT. À gauche : image du fond de l’œil avec son réseau de vaisseaux sanguins. À droite, la coupe en profondeur prise par OCT le long de la flèche verte révèle les différentes couches de la rétine sur une épaisseur d’environ un demi-millimètre (image Pr. Michel Pâques, Hôpital des XV-XX).

s’applique à de multiples pathologies : diabète (contrôle de l’épaisseur, risques de décollements), dégénérescence maculaire, glaucome, etc. Dans sa version initiale, l’OCT utilise le déplacement du miroir de l’interféromètre de Michelson pour effectuer le balayage en profondeur et un miroir galvanométrique pour le balayage latéral. L’œil, avec la rétine et la cornée est, nous l’avons dit, le domaine privilégié de l’OCT. En fait les tissus de l’œil ne sont pas fortement diffusants mais faiblement

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

173

rétrodiffusants et l’OCT est ici utilisée pour réaliser des sections virtuelles à différentes profondeurs. Les deux autres domaines pour lesquels l’OCT semble devoir jouer un rôle sont l’anatomopathologie, avec en particulier la possibilité de faire un diagnostic rapide pendant une opération, et la dermatologie. Les tissus excisés sont très diffusants et l’aide aux chirurgiens (marges des tumeurs, état des ganglions sentinelles, etc.) nécessite d’opérer avec à la fois des grands champs (de l’ordre du cm2 ) et une résolution voisine de celle du microscope qui est l’outil de travail des anatomopathologistes (de l’ordre du μm2 ). À ce jour seule l’OCT dite plein champ permet d’atteindre cette résolution dans les trois dimensions de l’espace : elle fait appel à l’interférométrie microscopique en lumière large spectralement, comme on l’a expliqué plus haut. La figure 8.14 représente des coupes OCT (en bleu) de tissus sains et cancéreux du colon obtenues en quelques minutes, sans préparation, ainsi que la comparaison avec les coupes histopathologiques (en rouge) qui nécessitent une longue préparation pouvant prendre quelques jours. On peut facilement voir la déstructuration des tissus cancéreux et le bon rendu des structures que donne l’OCT à l’échelle de la figure, ou lors d’un zoom sur une zone particulière.

Figure 8.14. Images OCT (en bleu) des tissus du colon et comparaison avec l’histologie (images colorées en rouge) en haut à gauche pour un tissu sain et à droite pour un tissu cancéreux. En bas : zoom sur une région d’intérêt de l’image OCT (images en noir et blanc avec agrandissement sur le coin supérieur gauche de l’image). (Images LLtech (http ://www.lltech.fr/, avec permission)).

174

Chapitre 8. Applications médicales

En conclusion, nous disposons avec l’OCT d’une méthode rapide et peu coûteuse qui possède une résolution au moins dix fois meilleure que l’échographie ultrasonore à haute fréquence qui est utilisée pour l’œil et la peau. En une dizaine d’années, cette méthode a trouvé sa place à l’hôpital et son champ d’application s’élargit rapidement. 2.4

La tomographie diffuse

Lorsque l’utilisation des photons balistiques n’est plus possible, à des profondeurs excédant quelques dizaines de libres parcours moyens, nous entrons dans le régime diffusif. On peut se représenter les difficultés d’une telle approche en regardant la figure 8.15 qui représente la densité de photons par unité de volume entre une source et un détecteur de petites tailles dans une géométrie particulièrement simple. Ces pseudo-trajectoires en régime de diffusion sont bien sûr beaucoup plus difficiles à utiliser pour l’imagerie que les trajectoires balistiques qui sont, par exemple, celles des rayons X dans un scanner. Comme en tomographie X où l’on recueille une série de signaux avec différentes positions de la source et du détecteur, les bananes sont habituellement combinées entre un ensemble de sources couplées à un ensemble de détecteurs pour révéler la distribution spatiale des propriétés optiques. Pour identifier la présence d’une tumeur il faut, à partir de l’ensemble de ces résultats, résoudre un problème mathématique dit problème inverse. SOURCE

DÉTECTEUR Figure 8.15. Bananes en régime de diffusion représentant, en fausses couleurs, la densité volumique de photons entre une source de lumière et un détecteur. On représente en fausses couleurs la densité de photons associée à toutes les trajectoires possibles menant de la source au détecteur. On voit bien que la majeure partie des photons ne va pas du tout en ligne droite mais suit plutôt un comportement de diffusion comme dans la propagation de la chaleur.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

175

Les deux domaines pour lesquels la tomographie diffuse est le plus employée sont le cancer du sein et l’activation cérébrale. La figure 8.16 représente l’image de deux seins dont l’un est atteint d’une tumeur et l’autre est sain. Le contraste est ici associé à la variation de l’absorption locale liée à l’angiogénèse. Si la localisation de la tumeur est bonne, il n’est, à ce jour, pas possible d’étudier des tumeurs dont la taille est nettement inférieure au cm3 . La raison en est qu’il est ici difficile de résoudre le problème inverse car le volume exploré est non seulement fortement diffusant mais très hétérogène (graisse, tissus de soutien, canaux galactophores. . . ).

Figure 8.16. Tomographie optique des seins d’une patiente : sur le sein gauche on voit clairement la grosse tumeur enfouie révélée par le niveau d’absorption. Le sein droit ne révèle pas de tumeur. L’échelle représente le coefficient d’absorption lié à la vascularisation (Optical tomography of the breast using a multi-channel time-resolved imager, Tara Yates, Jeremy C. Hebden, Adam Gibson, Nick Everdell, Simon R. Arridge et Michael Douek, Phys. Med. Biol. 50, 2503–2517 (2005), avec permission).

L’étude de l’activation cérébrale est aujourd’hui largement répandue en neurosciences : les images spectaculaires d’IRM (sans doute la méthode la plus utilisée), d’électro-encéphalographie ou de magnétoencéphalographie en font foi. L’activation se manifeste par un afflux important de sang dans la zone activée, elle-même fonction de la tâche à accomplir : tâche motrice complexe, lecture, jeux, défilement d’images, etc. Cet afflux de sang entraîne une variation corrélée de l’absorption locale. Le suivi par tomographie optique est ainsi révélateur de la présence de sang, mais aussi du niveau d’oxygénation car les spectres de l’hémoglobine oxydée et réduite sont différents dans la zone du proche infrarouge. L’intérêt de l’optique est ici d’éviter d’utiliser un matériel lourd, coûteux et contraignant (comme une IRM bruyante et au volume limité ou des détecteurs supraconducteurs dans une chambre blindée magnétiquement). Ces montages optiques légers sont aujourd’hui utilisés par de nombreux laboratoires et font l’objet de projets comme interfaces homme-machine (figure 8.17). L’idée est ici que de la localisation de l’activation ou son intensité, qui sont associées à une prise de décision, remplaceront la commande manuelle.

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Chapitre 8. Applications médicales

Figure 8.17. Hitachi, spécialiste de l’imagerie médicale et pionnier en tomographie diffuse du cerveau, envisage d’utiliser le suivi optique de l’activité cérébrale comme interface homme-machine. Les fibres optiques que l’on peut voir sur la figure sont autant de sources ou de détecteurs permettant de réaliser la tomographie de l’activation cérébrale. À partir de tels signaux, on peut communiquer avec des malades paralysés, commander son ordinateur ou ses jeux vidéo (Hitachi, communiqué de presse, 2007).

2.5

Le couplage de l’optique et de l’acoustique

Quels que soient les progrès des montages ou de la résolution du problème inverse, il est difficile d’avoir par tomographie optique en régime de diffusion une résolution meilleure que la moitié de la profondeur. Pour le sein, cela conduit à pouvoir observer des tumeurs de l’ordre du centimètre, ce qui est beaucoup trop pour apporter un diagnostic nouveau. En couplant l’optique à l’acoustique, on cherche à révéler des contrastes optiques avec la résolution de l’acoustique (moins de 1 mm). C’est l’enjeu de méthodes nouvelles dont le développement rapide devrait conduire à la réalisation d’outils performants pour les médecins radiologues. L’imagerie acousto-optique consiste à marquer certaines zones de l’échantillon avec des ultrasons. Le schéma de principe de cette méthode est représenté sur la figure 8.18 : l’échantillon est éclairé par un laser de grande longueur de cohérence. Les ondelettes émergentes qui ont suivi des chemins tortueux dans le milieu diffusant engendrent un speckle (distribution aléatoire d’amplitude et de phase). L’onde ultrasonore module la phase des ondes lumineuses passant à cet endroit. En effet, elle comprime et dilate périodiquement le milieu qu’elle traverse, c’est-à-dire que les microstructures du tissu vibrent au passage de l’onde ultrasonore, à la même fréquence que celle-ci. Comme ces structures diffusent les ondes lumineuses, les chemins optiques de celles-ci sont modulés périodiquement. Le speckle est lui aussi modulé à la fréquence des ultrasons et cette modulation est spécifiquement associée au passage

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Illumination

Milieu Diffusant

Ultrasons Speckle 106 pixels

Laser mono fréquence

Déplacement périodique des diffuseurs Modulation du Speckle Modulation de l’indice de réfraction

Figure 8.18. L’effet acousto-optique en milieu diffusant modifie le chemin optique de deux façons différentes : le déplacement des diffuseurs et la compression-dilatation au passage de l’onde acoustique qui modifient l’indice. À cause de la forte diffusion, la lumière remplit le volume de l’échantillon mais seuls les photons qui seront passés par la zone insonifiée seront marqués par les ultrasons. On dispose ainsi d’une source virtuelle de lumière modulée à la fréquence des ultrasons que l’on peut balayer pour former une image 3-D des propriétés optiques du milieu sondé.

de certains photons dans la zone insonifiée. Par balayage de cette zone, on peut révéler des propriétés optiques locales du milieu sondé et réaliser des images qui reflètent par exemple un contraste d’absorption (voir la figure 8.19). L’image acousto-optique révèle ici, avec une bonne résolution, les deux petites sphères absorbantes de trois millimètres de diamètre et séparées de 3 mm (que l’on peut voir sur la coupe de l’échantillon). Cette image, qui est obtenue par balayage de la zone irradiée par l’impulsion ultrasonore, montre l’amplitude du signal dans un plan contenant les deux sphères. Une approche différente de l’imagerie acousto-optique est basée sur l’effet photoacoustique (quelques fois appelé opto- ou thermo-acoustique). Dans ce mode opératoire, on irradie l’échantillon avec des impulsions lumineuses issues de lasers impulsionnels de quelques nanosecondes, qui diffusent dans la profondeur du tissu sondé. La lumière absorbée par les tissus produit un échauffement local (absorption liée à la vascularisation autour d’une tumeur ou à un produit de contraste qui a été injecté). La dilatation rapide qui suit cet échauffement engendre une onde de pression dont les caractéristiques spatio-temporelles sont liées à la distribution des zones absorbantes. Cette onde se propage dans toutes les directions à la vitesse du son dans le milieu (environ 1500 mètres par seconde), elle est détectée, par exemple par un réseau de transducteurs ultrasonores comme une barrette d’échographie. Le problème de localisation des zones absorbantes est alors simplifié puisque les ultrasons se propagent de façon balistique.

178

Chapitre 8. Applications médicales

Echantillon de gel sectionné Sphères : 3mm diametre

Figure 8.19. Détection par effet acousto-optique d’inclusions absorbantes dans les milieux diffusants. À droite, un gel qui a été sectionné pour faire apparaître les zones absorbantes : lorsque l’impulsion Ultrasonore atteint cette zone, il y a moins de photons marqués qui sont créés aussi le signal acousto-optique diminue-t-il. On distingue ainsi des creux dans la surface de gauche qui est une représentation de l’amplitude du signal sur le plan de section.

Des images du cerveau de rat ou de souris en activité ont ainsi été réalisées par Lihong Wang et ses collègues, à Saint-Louis (USA). Bien que de nombreuses tentatives aient été faites sur l’imagerie du sein, l’imagerie photo-acoustique semble prometteuse, surtout pour l’imagerie de petits animaux (figure 8.20), ou pour l’analyse de signaux superficiels comme la vascularisation de la peau, situations où l’épaisseur des organes est peu importante. a

80%

b

max

60%

1cm 40% 20% 20%

min

Figure 8.20. Imagerie photo-acoustique fonctionnelle et moléculaire. Le signal photo-acoustique (image de gauche, obtenue in vivo ) révèle le niveau d’absorption différent entre l’hémoglobine oxydée et l’hémoglobine réduite (hypoxie) dans la zone tumorale. Ce résultat est confirmé par l’histopathologie (image de droite, obtenue ex vivo ) (labs.seas.wustl.edu/bme/Wang/image_gallery.html, avec permission de L. Wang).

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

179

2.6

Des images morphologiques et fonctionnelles

Mis à part le suivi de l’activité cérébrale, les exemples que nous avons donnés visaient à rendre compte d’un contraste optique (diffusion, absorption) révélateur d’une morphologie à différentes échelles, de la cellule à l’organe. Il est possible d’utiliser la lumière pour ajouter d’autres sources d’information aux aspects morphologiques : par exemple le décalage en fréquence induit par l’effet Doppler associé à la circulation sanguine est une donnée importante portée par la lumière. L’effet Doppler peut être détecté dans les deux régimes que nous avons décrits plus haut : Le signal d’OCT est décalé en fréquence par effet Doppler, cependant pour atteindre la vitesse d’écoulement sanguin il faut utiliser l’information morphologique qui donnera l’angle entre la direction du faisceau sonde et le vaisseau sanguin (figure 8.21).

Figure 8.21. Le signal d’OCT, lumière subissant une simple rétrodiffusion, est ici décalé en fréquence par effet Doppler sur les globules rouges mis en mouvement dans la circulation sanguine. Les fausses couleurs sont liées au signe du décalage Doppler (sens contraire dans les veines et les artères) et la saturation de la couleur à la vitesse de l’écoulement sanguin. (Resonant Doppler flow imaging and optical vivisection of retinal blood vessels, A. H. Bachmann, M. L. Villiger, C. Blatter, T. Lasser et R. A. Leitgeb, Optics Express, 15, 408–422 (2007), avec permission.)

En régime de diffusion multiple, l’effet Doppler ne se manifeste pas par un simple décalage de la fréquence de la lumière sonde, mais par un élargissement du spectre rétrodiffusé. Cet effet est mis à profit pour analyser, in vivo, les écoulements sanguins dans le cerveau d’un rat, comme on le voit sur la figure 8.22. 2.7

Conclusion

Nous avons tenté d’illustrer à travers ces quelques exemples les percées de l’imagerie optique appliquée au diagnostic médical. Il s’agit d’un champ d’étude encore ouvert, fortement pluridisciplinaire, pour lequel la barre est, dès le départ, placée bien haut : il faut faire mieux, c’est-à-dire par exemple plus vite, moins cher, avec un

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Chapitre 8. Applications médicales

Figure 8.22. Observation de l’effet Doppler in vivo en régime de diffusion multiple. Ici les photons qui interagissent avec les globules rouges en mouvement ont des directions aléatoires, l’effet Doppler se manifeste alors par un élargissement qui dépend de la vitesse d’écoulement sanguin. Les signaux, associés à différents canaux vasculaires de vitesse d’écoulement sanguin différents, sont sélectionnés par analyse en fréquence. À haute fréquence, environ 2000 Hz, le signal associé à la circulation sanguine se distingue clairement du fond du cerveau (Cortical blood flow assessment with frequency-domain laser Doppler microscopy, Michael Atlan, Benoît C. Forget, Albert C. Boccara, Tania Vitalis, Armelle Rancillac, Andrew K. Dunn et Michel Gross, Journal of Biomedical Optics 12, 024019 (2007), avec permission).

contraste nouveau, et convaincre le monde médical du bien fondé d’une technique différente. Le laser est encore une fois au centre d’approches nouvelles toujours plus performantes, moins onéreuses, plus compactes ; associé aux progrès de l’optoélectronique pour ce qui concerne la détection, nous pouvons nous montrer optimistes pour l’avenir de ce sujet.

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

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9 Tout ce dont ce livre ne parle pas Le laser a beaucoup plus d’applications, dans l’industrie comme dans le monde de la recherche, que les quelques deux cents pages de ce livre ne pouvaient en contenir. Des choix ont donc été faits, et beaucoup de sujets restent non abordés, alors qu’ils auraient eu leur place ici. Tout d’abord, le domaine de l’optique non-linéaire n’a été que survolé, alors qu’il a pris naissance grâce au laser qui permet d’obtenir les intensités crêtes suffisantes. Ces effets permettent en premier lieu de générer de nouvelles fréquences, non atteignables directement par les lasers, et le simple pointeur laser vert repose sur ce principe. Ensuite, de très nombreuses applications directes telles que l’alignement des bâtiments, les imprimantes laser, la découpe par laser, le traitement de surfaces, l’usinage et le marquage, ou encore le nettoyage d’objets d’arts, n’ont été qu’évoquées. De même pour des applications comme la mesure de traces de gaz dans l’atmosphère ou de manière plus générale l’analyse, physique ou chimique, de la composition d’un milieu. Le laser est aussi à l’origine de très nombreux développements en biologie, comme l’imagerie optique non-linéaire, ou en chimie avec la femtochimie. Le laser a aussi motivé le développement de nombreuses technologies telles que le dépôt de couches minces sur les optiques pour en modifier les propriétés, les technologies des semi-conducteurs que ce soit pour l’émission ou la détection de la lumière, la science des matériaux et en particulier le développement de nouveaux cristaux et verres, linéaires et non-linéaires. Bien entendu, il existe également de nombreuses applications militaires, de guidage, de télémétrie, de désignation, de contre-mesures, dont nous n’avons que très peu parlé.

Enfin, le laser continue à faire progresser la recherche. Pour ne parler que de la physique, il est à l’origine de tous les développements de l’information quantique par exemple, ou encore des techniques dites de contrôle cohérent des processus physiques, etc. Mais les applications les plus belles sont celles que nous n’imaginons pas encore. Alors, lecteur, à toi de jouer !

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Chapitre 9. Tout ce dont ce livre ne parle pas

Bibliographie Il existe de nombreux livres traitant des lasers. En voila une sélection, qui contient des livres en français et en anglais. F. Hartmann, Les Lasers, Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1974. M. Sargent III, M. O. Scully et W. E. Lamb, Jr., Laser Physics, Addison-Wesley, 1974. A. E. Siegman, Lasers, University Science Books, 1986. A. Yariv, Quantum Electronics, 3e édition, Wiley, 1989. K. Petermann, Laser Diode Modulation and Noise, Kluwer, 1991. J. Hecht, The Laser Guidebook, 2nde édition, McGraw-Hill, 1992. G. P. Agrawal et N. K. Dutta, Semiconductor Lasers, 2nde édition, Van Nostrand, 1993. J. T. Verdeyen, Laser Electronics, 3e édition, Prentice-Hall, 1995. L. A. Coldren et S. W. Corzine, Diode Lasers and Photonic Integrated Circuits, Wiley, 1995. L. Mandel et E. Wolf, Optical Coherence and Quantum Optics, Cambridge, 1995. C. Fabre et J.-P. Pocholle, Les Lasers et leurs Applications Scientifiques et Médicales, Éditions de Physique, 1996. G. Grynberg, A. Aspect et C. Fabre, Introduction aux Lasers et à l’Optique Quantique, Ellipses, 1997. M. O. Scully et M. S. Zubairy, Quantum Optics, Cambridge, 1997. R. Farcy, Applications des Lasers : Principes Optiques avec Problèmes Commentés, Dunod, 1997. L. Dettwiller, Les lasers et leurs applications, Ellipses, 1998. E. Rosencher et B. Vinter, Optoélectronique, Masson, 1998. O. Svelto et D. C. Hanna, Principles of Lasers, 4e édition, Plenum, 1998.

B. Cagnac et J.-P. Faroux, Lasers. Interaction Lumière-Atomes, EDP Sciences, Collection Savoirs Actuels, 2002. W. T. Silvfast, Laser Fundamentals, Cambridge, 2004 D. Dangoisse, D. Hennequin and V. Zehnlé, Les Lasers, 2nde édition, Dunod, 2004. W. Koechner, Solid-State Laser Engineering, Springer, 2006. F. Träger, editeur, Handbook of Lasers and Optics, Springer, 2007. C. Delsart, Lasers et Optique Non-linéaire, Ellipses, 2008. G. Grynberg, A. Aspect et C. Fabre, An Introduction to Quantum Optics: From the Semi-classical Approach to Quantized Light, Cambridge University Press, 2010.

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Bibliographie

Index A Absorption 23, 111, 170 Accélération 58, 78 Acoustique 177 Amplificateur, Gain 24, 56 Asservissement 110 Atomes froids 139, 144–149, 153–156, 159 Attoseconde 102 B Bit, bit/s 68, 76 Bruit 27, 131 C

Déphasage 78, 108 Dérive de fréquence 93, 101 Dermatologie 162 Diffraction 29, 45 Diffusion 82, 170 Diode laser 44, 55 Dispersion 93, 98 E Effet Doppler 84, 111, 142, 143 Effet Kerr 96 Effet Zeeman 142 Einstein 19, 23, 47, 130 Emission spontanée 23, 31, 141 Emission stimulée 21, 24, 47 Excimère 38, 164

Cavité optique 26, 79 CD, DVD, Blu-ray, disque magneto-optique 75, 76, 77 Chirurgie 61, 162, 170 Chu 143 Cohen-Tannoudji 4, 13, 143 Cohérence 18, 67, 172 Colorant 40, 166 Condensat de Bose-Einstein 150, 151, 152 Cristal photonique 115

F

D

G

De Broglie 150 Débit 68 Découpe 58, 90

Gravure 76 Gyrolaser 78 Gyroscope, gyromètre 78

Fabry-Perot 13, 28 Femtoseconde 52, 89, 172 Fibre optique 45, 69, 119 Filtrage 109 Fluctuations, bruit 27, 111, 132 Fluorescent 38 Fontaine atomique 147, 148 Fusion 50, 63

H

O

Harmonique 29, 97, 103 Holographie 77 Horloge 117, 147

Octet, octet/s 68, 74 Ondes gravitationnelles 127, 134 Ophtalmologie 48, 161 Orbitales 39

I P Imagerie 170 Impulsion 52, 89 Inégalités de Heisenberg 92 Infrarouge 19 Interférence 28, 74 Interféromètre 126 K Kastler 3, 13, 48 L Laser à atomes 152 Laser à gaz 38 Laser à semiconducteur 46, 67 Laser à solide 42 Lidar 82 Lune 62, 130, 124

Peigne de fréquences 101, 114, 121 Perçage 59 Pertes 31, 109 Phase 28, 79, 99, 125 Phillips 143 Photon 20, 130 Photon balistique 171 Photon serpentile 172 Photothérapie 167 Piégeage, piège 118, 143 Plasma 57, 65, 163 Pointé 135 Pointeur laser 47, 132 Polarisation 20, 77, 108 Pompe, pompage 25, 38 Pression de radiation 141 Principe d’incertitude 92 R

M Maiman 14, 25, 47 Marquage 59 Maser 21, 11, 148, 149 Mélasse 143, 144 Métrologie 114, 131 Michelson 126, 172 Modes 28, 91, 99 Modulateur acousto-optique 122 Monomode 32, 71, 109 Multimode 32, 70 Multiplexage 72 N Non-linéaire 90, 96, 131

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Relativité 19, 121, 134, 148 Rendement 34, 110 Réseau optique 71, 119 Résonance 23, 28, 111, 142, 143 Rétrodiffusion 82, 173 S Sagnac 79 Saturation 33 Schawlow 13, 47 Seuil 31 Soleil 51, 63, 92 Soudure, soudage 59 Spectre 22, 53, 92, 111, 122, 172 Spectroscopie 111, 120 Spin électronique 13, 127

Index

Stabilisation 110 Stockage 61, 73 Synchronisation 53, 99

Transition de phase 151

T

Ultraviolet 19, 50, 82

Télécommunications 67 Terahertz, THz 19, 114 Tomographie de cohérence optique (OCT) 172 Townes 11, 47

V

LE LASER : 50 ANS DE DÉCOUVERTES

U

Verrouillage de modes 52, 9 Visible 19 Vitesse de recul 141

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