Le Centrafrique: Entre mythe et réalité 273846498X, 9782738464989

Le Centrafrique, pays inconnu, pays méconnu, dont l'histoire remonte cependant très loin dans le passé; pays maltra

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French Pages 242 [234] Year 1998

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Le Centrafrique: Entre mythe et réalité
 273846498X, 9782738464989

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lE CENTRAFRIQUE ENTRE MYTHE

ET RÉALITÉ

Collection Études Africaines

Dernières parutions

Suzie GUTH, Lycéens d'Afrique. Colette DUBOIS, Djibouti 1888-1967, héritage ou frustration ? Françoise KAUDJHIS-OFFOUMOU, Procès de la délllocratie en Côte d'Ivoire. Noël DOSSOU- YOVO, Individu et société dans le roman negro-africain d'expression anglaise de 1939 à 1986 (3 volumes). W.H. Paul William AHUI, Eglise du Christ. Mission Barriste, éléments théologiques du Harrisme Paulinien. Anne LUXEREAU, Bernard ROUSSEL, Changements écologiques et sociaux au Niger. Grégoire NDAKI, Crises, mutations et conflits politiques au CongoBrazzaville. Fabienne GUIMONT, Les étudiants africains en France (1950-1965). Fidèle-Pierre NZE-NGUEMA, L'Etat au Gabon de 1929 à 1990. Roger SOME, Art africain et esthétique occidentale. Blaise BAYILI, Religion, droit et pouvoir au Burkina Faso. Derlemari NERBADOUM, Le labyrinthe de l'instabilité politique au Tchad. Rémi LEROUX, Le réveil de Djibouti 1968-1977. Marcel BOURDETTE DONON, Tchad 1998. Jean-Claude P. QUENUM, Interactions des systèmes éducatifs traditionnels et modernes. Annie CHÉNEAU-LOQUAY, Pierre MATARASSO, Approche du développement durable en milieu rural africain.

Pierre SAULNIER

LE CENTRAFRIQUE ENTRE

MYTHE

Éditions L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris

ET RÉALITÉ

L'Harmattan Inc. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) - CANADA H2Y IK9

Dans les citations nous avons gardé l'orthographe que chaque auteur a adoptée pour les noms d'ethnie et de personne. Par contre pour notre propre texte, nous avons adopté.. une seule orthographe: ainsi toujours

"manja",

alors que l'on trouve aussi "manza ",

"mandja"... Quand ces noms d'ethnie désignent des personnes, la première lettre est une majuscule, et nous ne mettons pas la marque française du pluriel (par ex. les Gbaya), sauf pour les noms connus comme les Pygmées, les Haoussas. Si le terme est employé comme adjectif, nous l'écrivons avec une minuscule.

@ L'Harmattan,

1997 ISBN : 2~7384-6498-X

Zo kûê zo : Tout hOl1une est un hOlnme. (proverbe attribué à Barthélénzy Boganda)

INTRODUCTION LECENTRAfRIQUE, C'EST OU ?

Faire situer le Centrafrique, et sa capitale Bangui, sur la planète Terre, et dans le continent africain, relève souvent de la gageure. Si votre interlocuteur insiste, l'évocation d'un personnage qui défraya la chronique de la politique africaine peu avant 1980, lui rappellera, peut-être, quelques souvenirs. Le Centrafrique était encore il y a tout juste un siècle un territoire inconnu, défini comme "terra incognita" sur les cartes, une tache blanche au centre de l'Afrique. En 1885, peu d'étrangers l'avaient touché, et les relations de voyage dans cette région restaient confidentielles. A défaut de connaissance, les esprits s'enflammaient et les imaginations fabulaient, au point d'inventer une humanité possédant un appendice caudal dont on réussit à produire croquis et photos! JeanDominique Pénel en rend compte dans sa thèse, Homo caudatus. Les hommes à queue d'Afrique Centrale, un avatar de l'imaginaire occidental, que Pierre Vidal présente comme un grand texte sur une incongruité idéologique exemplaire au 19ème siècle. Maintenant encore ce pays, son histoire, sa géographie, restent mal connus pour certains. Il y a peu d'années, à la sortie du parking de l'aéroport de Bangui-Mpoko, un immense panneau publicitaire invitait le voyageur à séjourner à l'hôtel X., "situé au bord de l'Oubangui-Chari". Le mot "Chari" avait été plus ou moins bien gratté par la suite, il n'empêche! Peutêtre gardait-on le souvenir nostalgique d'un temps où le pays s'appelait" Oubangui-Chari", avant de prendre le nom de République Centrafricaine. On a dit et écrit qu'il ne fut peuplé qu'au début du 19ème siècle. Les ouvrages récents n'apportent pas toujours les recti-

Introduction

fications nécessaires à la suite des dernières découvertes. Les cartes physiques mentionnent toujours un certain massif des Bongo au nord-est du pays à 150 kms au sud de Birao, massif dont la principale qualité est de ne pas exister! Qui donc l'a inventé ou créé de toutes pièces? Pourquoi et comment une telle erreur se perpétue-t-elle ? A défaut de bien connaître ces populations et leur langue, on n'a pas hésité à inventer des orthographes différentes suivant les écoles ou l'origine des découvreurs, pour transcrire noms de lieux, de fleuves, de personnes. Nous en donnons .

quelques exemples. Ainsi, le fleuve Oubangui, orthographe officielle actuelle, s' écrivit Oubanghi, ou Ubangi à la manière belge. Phonétiquement cette dernière est la meilleure, les autres fOllt sans doute plus riche! De même, au lieu de Sanga (rivière à l'ouest du territoire), on écrit encore Sangha. La ville d'Ippy, s'écrit avec deux p et un y, alors que l'on prononce ipi, et que le nom traditionnel est pipi ou ipi. Il fut d'usage aussi de mettre une apostrophe entre deux consonnes qui se suivent; ainsi entre le n et le d de N' dele (la ville), alors que non seulement cela ne se justifie aucunement car nd se prononce d'une seule émission de voix, mais trompe l'étranger qui prononcera successivement et distinctement un n et un d, en insistant d'ailleurs sur le n. Pays méconnu enfin. Certes, il souffre comme nous le verrons, de graves handicaps, géographique par son enclavement, humain par son sous-peuplement, pour ne citer que ces deux-là. Certes aussi, des responsables politiques n'ont sans doute pas fait tout leur possible pour lui donner un rayonnement positif. Mais au lieu de s'appesantir sur ces difficultés, ne pourrait-on essayer de se pencher d'abord sur ses multiples possibilités, les mettre en valeur pour le plus grand profit de sa population, et ne pas en faire un peuple condamné à une assistance à perpétuité? Notre but est de donner ici un aperçu sur ce pays, sympathique à sa manière, et le faire sortir de l'ombre. Nous ne prétendons pas en révolutionner la connaissance; ce que nous écrivons, nous l'avons puisé pour une bonne part dans les travaux déjà parus et dont la plupart, assez récents, sont facilement accessibles; nous les citerons soit dans notre texte, soit 10

In troduction

dans la bibliographie. Depuis une cinquantaine d'années surtout, les documents de qualité, mis à la disposition du grand public, se sont multipliés. Comme il n'était pas possible d'entrer dans les détails, nous avons insisté davantage sur les faits, les personnes, les événements, les situations qui nous ont paru les plus marquants. Nous espérons que ce tour d'horizon rendra service et plaira à ceux qui, centrafricains ou étrangers, s'intéressent à ce pays et veulent le mieux connaître.

Il

C1'/.,,',-nI'

CARTE D'IDENTITÉ

DU

CENTRAFRIQUE

Naissance le 1er Décembre 1958. indépendant le 13 Août 1960. Situation géographique situé entre le 2° et le 11° de latitude nord et le 14° et le 28° de longitude est. Superficie 622 436 km2. Population 3 000 000 d'habitants

(estimation). 5 h / km2.

Capitale Bangui - 600 000 habitants (estimation). Monnaie le franc ŒA.l F ŒA = 0, OIFF. -1 US $ = 530F. ŒA (1994). Produit National Brut I, 2 milliards de US $, soit 660 milliards de F CFA (1994). Revenu annuel par habitant 415 US $ = 220 000 F CFA = 2 200 F F (1994). Dette extérieure 900 millions de US $ (estimation

1991).

Langue-s officielles français, sango.

Langues maternelles (les plus importantes) banda, gbaya, sara, ngbaka...

Carte

d'identité

du Centreafrique

Chef de l'Etat Ange-Félix Patassé, né en 1937, élu en sept. 1993 pour 6 ans. Nature du régime présidentiel, avec un parlement de 85 députés, élus pour cinq ans. 34 de ces membres sont du MLPC (Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain). Les fêtes nationales sont celles de la proclamation de la République, le 1er décembre 1958 ; de l'anniversaire de la disparition du président Barthélémy Boganda, jour de deuil, le 29 mars 1959 ; de l'indépendance, le 13 août 1960. N.B. Ce travail ayant été commencé avant la dévaluation du franc CFA en janvier 1994, la correspondance entre la monnaie française et la monnaie CFA y est faite, sauf indication contraire, suivant l'ancien taux, soit 100 F CFA pour 2 FF.

LE DRAPEAU

Le drapeau a été présenté à l'assemblée législative le 1er décembre 1958 par le président Barthélémy Boganda. De haut en bas, il est formé de quatre bandes horizontales d'égale largeur : la première de couleur bleue symbolise la grandeur et la liberté; la seconde blanche, la pureté et la franchise; la troisième verte, l'espérance; la quatrième jaune, l'hospitalité. Une bande rouge perpendiculaire qui les coupe en leur milieu évoque le sang des héros et des martyrs. Il est frappé d'une étoile à cinq branches de couleur jaune dans l'angle supérieur gauche.

HYMNE NATIONAL (EXTRAITS)

o Centrafrique, ô berceau des Bantous Reprends ton droit au respect, à la vie; Longtemps soumis, longtemps brimé par tous; Mais de ce jour brisant la tyrannie, 14

Carte

dl iden ti té du Cen tre afrique

Dans le travail, l'ordre et la dignité, Tu reconquiers ton droit, ton unité... Et pour franchir cette étape nouvelle, De nos ancêtres la voix nous appelle...

REFRAIN Au travail dans l'ordre et la dignité, Dans le respect du droit, dans l'unité; Brisant la misère et la tyrannie, Brandissant l'étendard de la patrie...

15

Chapitre 1 LA GÉOGRAPHIE PHYSIQUE l'enclavement

au centre de l'Afrique

Le nom de Centrafrique donné à ce pays n'a certes rien de poétique, ni d'original, à l'inverse d'autres voisins, comme le Soudan, l'ex-Zaïre, ou le Tchad. Mais il reflète bien la réalité: ce pays est vraiment au centre, au cœur géographique de l'Afrique.

LOCALISATION

Bangui, la capitale, se trouve ainsi à vol d'oiseau, à 1 000 km de Douala au Cameroun sur le golfe de Guinée à l'ouest, à 1 500 km de Pointe-Noire au Congo au sud-ouest. Nous citons ces deux ports de l'Océan Atlantique parce que c'est par eux que transite une grande partie des marchandises pondéreuses. Vers l'est, Bangui est à 2 700 km de la Mer Rouge; vers le nord, à 2 700 km également de la Mer Méditerranée, tandis qu'il faut compter 4 700 km pour rejoindre la ville du Cap à l'extrémité méridionale du continent. Le Centrafrique est entouré par le Tchad au nord, le Cameroun à l'ouest, le Congo au sud-ouest, la République Démocratique du Congo au sud, le Soudan à l'est. N'ayant ainsi aucune façade maritime, pour accéder à la mer, il faut donc traverser d'autres pays, de quelque côté que l'on se tourne. A l'intérieur même du pays, certaines régions souffrent également d'enclavement, que l'on peut qualifier alors d'interne. Nous pensons à la région de Birao au nord-est, à la frontière du Tchad et du Soudan, inaccessible par la route

La géographie

physique

pendant la saison des pluies; et à la région de Zémio et Obo à l'est de Bangassou, où il faut compter les déplacements non en kilomètres, mais en heures ou journées de route: de Bangassou à Rafaï, soit 156 km, il faut ainsi 8 heures, de Bangassou à Zemio, 300 km, 2 jours, et jusqu'à Obo, 512 km, 3 jours. Nous pensons aussi à la liaison entre Bria et Birao où la vitesse moyenne d'un véhicule tous terrains doit être de 1520 km à l'heure... quand on peut passer. L'avion est alors souvent le moyen de liaison le plus économique et le plus sûr, même en saison sèche. Ces régions déjà peu peuplées, voient naturellement la densité de leur population baisser encore. La République Centrafricaine est comprise entre le 2ème et le 11èn1e degré de latitude nord, et entre le 14ème et le 28ème degré de longitude est. Elle a une superficie d' environ 623 000 km2. A titre de comparaison, la France est légèrement moins éte11due (avec 551 000 km2). Le pays se présente sous la forme d'un trapèze, qui à l'est se relève vers le nord, trapèze dont les dimensions moyennes sont de 600 km en largeur et de 1350 km en longueur. RELIEF Le relief se caractérise par ce qu'on appelle communément la Dorsale centrafricaine, avec un massif montagneux à chacune de ses extrémités, celui du Dar Challa ou Dar Fertit au nord-est au sud de Birao, celui du Yade ou du Bakore au nord de Bouar au nord-ouest; ces massifs dépassent les 1 000 m, dont le mont Ngaoui comme point culminant du pays à 1 410 m à l'ouest, à la frontière camerounaise. Entre les deux, cette dorsale centrafricaine, d'une hauteur de 6 à 700 m, se présente comme un vaste bombement formé de vallonnements, de collines parfois plus ou moins abruptes, localement appelés "kaga", d'escarpements rocheux. L'érosion, inégale selon les terrains, y a donné naissance à de nombreuses et spectaculaires chutes d'eau sur les rivières. Cette dorsale sépare les 2 bassins de l'Oubangui-Congo et de l'Aouk-ChariLogone, et leur sert de château d'eau : la ligne de partage des eaux entre ces deux bassins la traverse d'est en ouest. Puis le relief descend doucement vers l'Oubangui au sud, beaucoup 18

La géographie

physique

plus rapidement vers l'Aouk au nord, et les altitudes tombent aux environs de 400 m.

FItONTIERES Relief, rivières et frontières sont ici souvent associés. A l'est avec le Soudan, c'est la ligne de partage des eaux entre le bassin du Nil et celui du Congo - par ceux de l'Oubangui et du Mbomou - qui sert de frontière. Au Sud, le Mbomou et l'Oubangui séparent le Centrafrique de la République Démocratique du Congo. En allant vers l'ouest, le nord du bassin de la Lobaye, affluent de l'Oubangui, puis celui de la Sangha, font la frontière avec le Congo. A l'ouest, avec le Cameroun, nous retrouvons toujours le bassin de la Sangha. Avec le Tchad, la frontière suit le plus souvent le cours d'affluents du Chari, le Bahr Aouk, l'Aoukalé, le Bahr Nzili, lequel Chari va se jeter dans la mer intérieure qu'était le lac Tchad.

FLEUVESET RIvmRES Les deux réseaux hydrographiques principaux, sont donc ceux de l'Oubangui, affluent du Congo, et du Chari-Logone. Le premier est formé du Mbomou, et de l'Uélé (Ouéllé : orthographe française) qui vient de la République Démocratique du Congo. En allant d'est en ouest, les principaux affluents de l'Oubangui et du Mbomou sont la Ouara, le Chinko, la Kotto, la Ouaka, la Tomi, la Mpoko, la Lobaye, enfin la Sangha qui, elle, traverse le territoire du Congo avant de se jeter dans le fleuve du même nom aux environs de Ouesso. Le Mbomou et l'Oubangui se dirigent vers l'ouest; leurs affluents, eux, viennent du nord. Par contre, le réseau des affluents du Chari et du Logone se dirige vers le nord. A l'est, le Chari est formé du Bahr Aouk, de l'Akouale, du Bangoran, du Bamingui, du Gribingui, de l'Ouham, avec tous les nombreux affluents du Bahr Kameur : la Vakaga, la Ouandjia, la Gounda... A l'ouest, les deux Logone rejoignent le Chari sur le territoire du Tchad: le Logone oriental avec 19

La géographie physique

comme affluent principal, la Pende, et le Logone occidental, avec la Mbere dans les massifs du nord-ouest. Ces réseaux sont relativement serrés. Ils drainent des quantités d'eau importantes, variables suivant les saisons; le débit de l'Oubangui à Bangui passe de 1 000 m3 / seconde au début de la saison des pluies au mois d'avril à plus de 9 000 au mois d'octobre. Celui de la Kotto à Kembé varie de 200 m3 / seconde à 1 000 aux mêmes époques. Il en va de même pour la Sangha à Salo: de 500 m3 / seconde à 1 800. Au nord, l'Ouham à Bossangoa passe de 50 m3 / seconde en avril à 700 en septembre. Certaines de ces rivières ont la particularité de changer de nom. Alors qu'ordinairement on définit un fleuve par le cours le plus long de celui de ses affluents qui le composent, et ceci de sa source à son embouchure dans une mer ou un lac, ici des cours d'eau se voient attribuer plusieurs noms successifs. L'Oubangui, affluent du Congo, n'existe comme tel qu'à partir du confluent du Mbomou, de la Bili et de l'Uélé. Au nord, le fleuve Chari ne prend ce nom qu'à la frontière tchadienne au confluent de la Grande Sido-Bamingui et du Bangoran. Peu après ce confluent, le Chari reçoit comme affluent le Bahr Aouk, qui auparavant s'est appelé l'Akoualé et le Bahr Nzili !" La Sangha ne se nomme ainsi qu'à partir de Nola, au point de rencontre de la Kadéi et de la Mambéré. A proprement parler, l'Oubangui n'est pas un fleuve, mais une rivière (ou même un bout de rivière) en tant qu'affluent du Congo; mais quand en Centrafrique et surtout à Bangui les riverains parlent du Fleuve, il faut entendre l'Oubangui. Ces rivières, surtout celles du sud, doivent franchir des seuils rocheux qui donnent alors des rapides ou des chutes. Sur l'Oubangui, de l'aval vers l'amont, celui de Zinga a été éliminé pour faciliter la navigation, puis les Rapides de Bangui, ceux de l'Eléphant, les chutes de Gozobangui sur le Mbomou. Sur la Kotto, les chutes de Ngolo, puis celles de Kembe à la sortie de cette ville. Les plus spectaculaires sont celles de Boali sur la Mbali à une centaine de kilomètres de Bangui.

20

Carte Hydrographique 21

La géographie

physique

CLIMAT

Sur le territoire centrafricain, on distingue cinq zones climatiques. En premier lieu, au sud d'une ligne allant de Berbérati à l'ouest jusqu'à Dba à l'est en passant par Alindao, on trouve une zone guinéenne forestière où la hauteur des précipitations atteint et dépasse souvent 1 500 mm par an sur neuf mois de saison des pluies; c'est le domaine de la forêt dense. Puis en remontant vers le nord, une zone soudanooubanguienne entre Bouar et Berbérati, qui se resserre vers Bossembele, englobe Bambari, Bria et Yalinga; il Y pleut pendant sept mois de l'année, avec des précipitations comprises entre 1 400 et 1 500 mm. Les forêts y sont moins denses que dans la zone précédente. Plus au nord encore, une zone soudana-guinéenne, avec six mois de saison sèche et une nette diminution des précipitations. C'est la région de la savane dense. Dans la région qui touche la frontière nord, une zone soudano-sahélienne avec cinq mois seulement de saison de pluies et moins de 1 200 mm de précipitations. C'est la région de la savane arborée où l'on trouve les grands parcs nationaux. Enfin dans la région de Birao à l'extrême nord-est, une zone sahélienne avec quatre mois de saison des pluies et environ 700 mm d'eau; c'est une région de steppes, et parfois de savane claire.

PLlMoMÉTRIE Le climat du pays centrafricain dépend de deux anticyclones, celui de Lybie situé au nord-ouest de l'Afrique, et celui de Sainte-Hélène, situé dans l'Océan Atlantique au sudouest de l'Afrique. Pendant l'hiver boréal, les hautes pressions de l'anticyclone de Lybie dirigent des masses d'air sec vers le sud sur l'Afrique centrale, avec un vent frais du nordest, l'harmattan, tandis que les basses pressions descendent vers le sud; c'est alors l'époque de la saison sèche. Puis pendant l'hiver austral, le mouvement s'inverse: les hautes pressions de Sainte-Hélène remontent vers le nord poussant les basses pressions d'air humide; c'est la mousson ou saison des pluies sur l'Afrique centrale au nord de l'équateur. A cause 22

La géographie physique

du mouvement de rotation de la terre, les pluies ne viennent ordinairement pas de l'ouest, mais de l'est. Il s'agit le plus souvent de pluies orageuses accompagnées de vent. Le français parlé localement les appelle des tornades, bien que ces vents n'aient pas d'habitude la violence qui caractérise un vent tourbillonnant. Se situant entre l'Equateur et le tropique du Cancer, le climat du Centrafrique se caractérise par l'alternance dans un cycle annuel, de deux saisons, une saison sèche et une saison pluvieuse. La saison des pluies s'allonge au fur et à mesure que l'on approche de l'équateur: à Bangui elle dure de la fin du mois de mars au mois de novembre, soit huit mois; cette durée diminue quand on remonte vers le nord; il en va de même pour la hauteur des précipitations et du nombre des jours de pluie. Voici un tableau donnant quelques moyennes pour trois villes: Ville

latitude

Pré cipitations

Jours de pluie

hauteur en mm.

nombre

Période

40 nord 80 nord

1 500

130

mars à novembre

Ndele

1 200

100

avrilà octobre

Birao

100 nord

800

80

Bangui

mai à septembre

L'année n'est donc pas ponctuée par la succession de quatre saisons comme en Europe, mais par l'alternance de ces deux saisons, de longueur inégale suivant la latitude. Pour certaines régions, on parle parfois de quatre saisons, incluant une petite saison sèche en juillet-août, suivie d'une petite saison des pluies en septembre-octobre. La hauteur des précipitations, 1 500 mm à Bangui, soit le double de la Beauce en France, permet à la végétation de rester verte pendant toute la saison sèche et même au plus fort d'une sécheresse comme celle de 1983, qui, de Décembre 1982 à Février 1983, ne reçut que 8 mm d'eau alors que la moyenne est de 80 mm, avec une température largement supérieure à la normale. La saison sèche n'est pas cependant synonyme d'absence totale de pluies. Toujours à Bangui, les relevés de l'Orstom donnent 84 mm en janvier 1972, 68 mm en janvier 23

La géographie physique

1985, 82 mm en février 1980. De même, la moyenne des précipitations dépasse les 80 mm au cours des mois de novembre des années 1970 à 1990 ; en décembre 1972, il est tombé 126 mm d'eau, 81 mm l'année suivante et 73 mm en 1990. A l'inverse, la saison des pluies ne veut pas dire non plus qu'il pleuve tous les jours. Le tableau ci-dessus indique 130 jours de pluie pour Bangui en un an. Pour l'année 1988, qui fut une bonne année puisqu'il est tombé près de 1 700 mm d'eau, les mois les plus pluvieux furent octobre avec 21 jours de pluie, suivi de juillet et septembre avec 16 jours, puis mai et août avec 15, soit pour ces cinq mois, un jour sur deux. Les précipitations sont cependant souvent violentes, c'està-dire qu'il tombe alors une hauteur d'eau importante, plus ~e 50 mm en un temps réduit de deux à quatre heures. Ainsi cette même année 1988 compte cinq jours où les précipitations ont dépassé les 50 mm, précisément 67,5, 76,S, 53,3, 68,8, 63,6. Le 2 Juillet 1990, il est tombé 128, 6 mm ; le 26 août 1991, 106,3 mm, et quelques jours plus tard le 3 septembre, 113,6 mm. Tombant donc dans un temps relativement court, on comprend pourquoi les bas quartiers de la ville de Bangui où l'écoulement des eaux laisse à désirer sont facilement inondés. Ceci explique également l'érosion rapide des terrains dénudés, surtout quand la couche d'humus ou de bonne terre est mince, sur un terrain un tant soit peu en pente. Si l'on descend vers le sud-ouest en direction de Mbaïki, la hauteur des précipitations augmente, avec une moyenne annuelle de 1 760 mm à la station agronomique de Boukoko. La saison sèche de 2-3 mois a tendance à diminuer, tandis que la saison des pluies s'allonge pour culminer entre juillet et octobre et cesser brusquement en Novembre. Les Pygmées vivant en forêt, ne parlent eux, de saison des pluies que quand elles sont bien installées en Juin. La température moyenne est alors de 25°. Les diagrammes présentent d'ordinaire les hauteurs des précipitations mois par mois et montrent alors une évolution en dents de scie, d'ailleurs variable d'année en année. Par contre si ces diagrammes donnent les moyennes de deux mois en deux mois, les pointes sont gommées, et ils prennent alors l'aspect d'une courbe. Sur la période allant de 1971 à 1989, 24

La géographie

physique

cette courbe monte régulièrement à partir des mois de marsavril pour culminer en septembre-octobre, et retomber brusquement en novembre-décembre (Diagramme page suivante). Comme nous sommes près de l'équateur, la durée de l'éclairement solaire est de douze heures, durée qui varie peu suivant les époques de l'année; et dès que le soleil est couché, la nuit tombe très vite. On parle beaucoup de la désertification du Sahel, de l'avancée du désert vers le sud, de la diminution des pluies, auxquelles serait liée la déforestation. Le sud du pays est loin du Sahel, mais il est certain que la grande forêt qui recouvrait, il y a un siècle, les environs de Bangui a reculé sous la pression démographique, avec les besoins en terrains à bâtir, en terres nouvelles à cultiver et en bois pour la cuisine, sans politique organisée de reboisement. Nous ne sommes plus au temps où il fallait se prémunir à Bangui-même, contre de mauvaises rencontres de bêtes sauvages, qui trouvaient refuge dans la forêt proche. En ce qui concerne la pluviométrie, la station de l'Orstom à Bangui, qui recueille des données depuis 1931, note une baisse sensible et régulière des moyennes des hauteurs des précipitations de 10 en 10 ans. Si dans la décennie 1931-1940, la moyenne annuelle est de 1620 mm / an, elle est descendue graduellement à 1550 mm / an pour la décennie 1971-1980, et pour la suivante et dernière de 1981 à 1990, à 1467 mm / an, avec un maximum de 1848 mm en 1983 et un minimum de 1190 mm. en 1989. Nous ne pouvons épiloguer sur les liens entre précipitations et déforestation, nous constatons seulement ces faits. On peut cependant se poser le problème de l'avenir de certaines cultures comme celle du café, où il doit pleuvoir en janvier, en pleine saison sèche, pour permettre la floraison et la formation des grains; ceci ne se produisit pas en 1983 à cause de la sécheresse et la récolte 1983-1984 fut infime. TEMPÉRATURE

Les températures moyennes varient à Bangui entre un maximum de 32° et un minimum de 20°. En montant vers le nord, les écarts ont tendance à augmenter surtout en saison 25

La géographie

physique

PLUVIa-1ETRIE A BANGUI-OR5'JU.1 MOyennes b~estrielles de 1971 à 1989

= = =

Janv.-Févr. Mars.-Avril

Mai.- Juin

48,8mm 230,2mm 32S,Smm

Juil.-Août = Sept.Oct. = Nov.- Déc. =

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La géographie physique

sèche, avec des journées plus chaudes mais des nuits plus fraîches. A Birao, cela peut aller de 4° en janvier à 44 en mars. Le relief joue aussi sur la température: dans les massifs du nord~est, dans ceux de la région de Bouar au nord-ouest, les températures, surtout nocturnes, baissent. En pleine forêt dans la région de Mbaïki, la température moins élevée ajoutée à une plus importante humidité rend les nuits fraîches. L'approche de la saison des pluies et le début de cette saison à Bangui en mars et avril, sont marqués par une élévation à la fois de la température et de l'humidité de l'air ambiant, qui rendent les journées et aussi les nuits moins supportables. HYGROMÉTRIE Le taux d'hygrométrie, c'est-à-dire le taux d'humidité dans l'atmosphère, tend lui aussi à diminuer en allant du sud vers le nord; il varie entre 96 et 55 % à Bangui, le taux le plus important se situant bien évidemment en pleine saison des pluies; des vêtements ou objets en cuir alors moisissent rapidement; tandis qu'à Birao, les taux varient entre 80 et 33%. Dans la forêt, au sud de Bangui, c'est ce taux d'humidité élevée que l'on ressent le plus: dans la journée il varie de 90 % au lever du soleil à 70 % le midi sous l'influence du soleil. Ces taux restent sensiblement les mêmes tout au long de l'année, sauf au cœur de la saison des pluies où l'atmosphère est alors saturée.

STYLE D'HABITATION

Ordinairement, on tient compte du climat dans le style des constructions. En zone tropicale, les habitants construisaient soit en terre pour les murs avec un toit de paille, soit avec un avant-toit conique en paille qui descendait jusqu'à terre; ce dernier style a pratiquement disparu. L'avantage certain de l'un et de l'autre est la fraîcheur le jour, car ces matériaux n'emmagasinent pas la chaleur, et les petites ouvertures mettent à l'abri de la fraîcheur de la nuit. Les premiers Européens en Centrafrique n'ont pas gardé ce style; ils 27

La géographie

physique

ont voulu construire des habitations plus solides, pour lesquelles ils ont choisi la brique de terre cuite. La construction, haute de plafond était rectangulaire avec une véranda tout autour de la maison, ce qui a l'énorme avantage de protéger les pièces intérieures du soleil. Les maisons actuelles ne gardent souvent cette véranda que sur la façade principale. La mode est maintenant à la climatisation pour n'importe quel style d'habitation. Cependant un certain nombre de précautions peu onéreuses et fort simples peuvent rendre les constructions confortables, même si on n'adopte ni la véranda intégrale, ni la climatisation. Il convient d'abord d'orienter la construction dans l'axe est-ouest, sans ouverture sur le pignon est. Les tornades venant surtout de cette direction, cette orie11tation évite de prendre de plein fouet le vent et la pluie. De plus, en mettant les ouvertures au sud et au nord, elle fait profiter des vents dominants qui soufflent du sud ou du sud-est, à la condition que la base des fenêtres soit à 80 cm environ du sol, et que l'on prévoit une réelle ventilation par des ouvertures à la fois au nord et au sud. Un dernier conseil: pour protéger les pignons des ardeurs du soleil, on peut, ou doubler les murs ou planter un rideau d'arbres. PASSAGE

ET PEUPLEMENT

Le Centrafrique est certes un pays enclavé, ce qui ne va pas sans problèmes, mais aussi un pays où les conditions climatiques, en particulier la pluviométrie abondante sur une bonne partie du pays, et la température relativement douce, permettent la richesse de la flore et de la faune, lesquelles sont loin d'avoir été complètement inventoriées; l'homme peut donc par la chasse et la cueillette s'y procurer sa nourriture, éventuellement sans faire de provisions dans la grande forêt tropicale. Que ce soit en forêt ou en savane, les espèces animales sont variées: petits et grands mammifères, antilopes, singes, éléphants, cobs de Buffon..., de nombreuses espèces d'oiseaux comme le calao, le perroquet, la pintade..., des reptiles, des lions, des léopards... des poissons: silures, capitaines... dans les cours d'eau et les régions inondables du nord-est. Cette richesse a sans doute attiré le braconnage des 28

La géographie physique

rhinocéros et des éléphants en particulier, qui dans certaines réserves ont disparu. Ces conditions climatiques peuvent assurer à l'agriculture des rendements satisfaisants et une production, elle aussi variée. Certes, dans ces pays tropicaux, les écarts de pluviométrie peuvent être importants et il arrive fréquemment qu'il pleuve trop ou pas assez, provoquant la destruction de récoltes, et alors des ruptures de stock et la disette, mais non la famine comme dans d'autres pays. Le territoire centrafricain est enclavé, mais cela ne l'a pas empêché d'être une terre de peuplement fort ancien, dont nous reparlerons, et surtout une terre de passage. Le plateau central n'est pas suffisamment élevé pour constituer une barrière infranchissable. De plus, à défaut de piste dans une forêt ou une savane trop dense, les rivières font office de voies fort pratiques de communication et de pénétration. Ordinairement, les villages s'installent sur les deux rives d'une rivière, où ils peuvent disposer d'eau à volonté. Les migrations bantoues semblent bien avoir ainsi progressé le long du 4ème parallèle nord, en suivant les rivières. Bien avant l'arrivée des Européens, le commerce de la côte atlantique vers l'intérieur se faisait par pirogues sur le fleuve où certaines ethnies s'étaient attribué le monopole du trafic. Les expéditions belges et françaises à partir de l'Atlantique ont de même remonté le Congo puis l'Oubangui avant de rejoindre le Nil, ainsi la mission Marchand vers Fachoda. Les rapides de Bangui n'arrêtaient pas les piroguiers, habitués à les franchir. Et encore en cette fin du XXème siècle, ces voies d'eau ne connaissent pas les ennuis des routes de terre facilement impraticables.

29

Chapitre 2 LA GÉOGRAPHIE HUMAINE Un pays sous

peuplé

A l'arrivée des Européens à la fin du 19ème siècle, la population sur le territoire centrafricain ne dépasse sans doute pas le million d'habitants. En 1920, elle n'atteint pas 800 000 âmes et il faut attendre 1945 pour obtenir le million, 1965 un million et demi, et 1975 deux millions. Les estimations actuelles varient entre deux millions et demi et trois millions. Cette dernière estimation donne une densité moyenne d'à peine 5 hab / km2, pour une superficie de 623 000 km2. Cela est bien peu alors que dans d'autres pays au climat identique, la densité dépasse facilement la centaine. De plus cette population est très inégal~ment répartie: toute la partie orientale du pays, à l'est d'une ligne allant de Bangassou sur le Fleuve vers Sahr (au Tchad), a une faible densité moyenne de 2 hab / km2; alors qu'elle représente 53 % du territoire, elle n'accueille que 20 % de la population. Fertile, et sujette à des conditions climatiques identiques à celles du reste du pays, elle a été normalement peuplée jusqu'au 19ème siècle. Nous verrons par la suite les causes de son dépeuplement. Actuellement, cette faible densité de population, associée aux distances considérables entre les agglomérations et au manque d'entretien des pistes qui les relient, font que ces régions continuent à se vider du peu de population qui y reste, et en premier lieu de ses éléments les plus dynamiques. Les régions les plus peuplées sont celles de l'ouest, et les bords de l'Oubangui, de Bangui à Kouango et Bangassou. Cette densité est là aussi toute relative: en prenant la route de Bangui vers Sibut, vers Bossembele ou vers Mbaïki, ou encore dans la région de Bouar, on remarque vite que les villages que

La géographie

humaine

l'on traverse sont en fin de compte, peu nombreux, et qu'en dehors d'eux, c'est le plus souvent le désert humain.

DIVISIONS ADMINISTRATIVES

La République Centrafricaine comprend comme divisions administratives, la capitale, Bangui, et 16 préfectures regroupées en 7 régions. Ces 16 préfectures sont elles-mêmes subdivisées en 66 sous-préfectures. Tableau des divisions

administratives

Préfectures

Chefs-lieux

1. Ombella-Mpoko

Bimbo

Sous-préfectures Bimbo, Boali, Damara, Bossembele, Yaloké, Bogangolo

2.lobaye

Mba.'Ki

3. Mambere-Kadei

Berbérati

Mbaïki, Bodo, Mongoumba, Boganangone Berbérati, Gamboula, Carnot, Gazi, Amadagaza, Gosso-Nakombo

4. Sangha-Mbaere

Nola

Nola, Bambio, Bayanga

5. Nana-Nambere

Bouar

Bouar, Baboua, Baoro, Abba

.

Bozoum

Bozoum, Bocaranga, Paoua, Ngaoundaye,

7. Ouham

Bossangoo

Koui B055angoa, Morkounda, Bouca,

8. Kemo

Sibut

Sibut, Dekoa, Ndioukou,

9. Nana-Grebizi

Kaga Bondoro

Kaga Bandoro,

10. Bamingui-Bangoron

Ndele

Ndele, Bomingui

6. Ouham-Pende

Batangafo, Kobo Mala

Mbrè5

11. Ouaka

Bambari

Bambari,

12. Basse-Kotlo

Mobaye

Mobaye, Alindao, Kembe, Mingala,

13. Mbomou

Bangas50u

Satema,

Bakala, Grimari, Ippy, Kouango

Zangba

Bongassou,

Ouongo, Gombo, Rafai,

Bakouma 14. Haute-Kotlo

Brio

Brio, Ouadda, YaUnga

15. Hauf -Mbomou

Obo

Obo, Zemio, Diema, Bambouti

16. Vakaga

Birao

Birao, Ouadda-Dialle

A l'intérieur 32

de ces circonscriptions,

le territoire

com-

La géographie

humaine

prend 172 communes. Mais la population réside dans quelques 7 500 villages. Les communes de plus de 35 000 habitants, à savoir, Bimbo, Carnot, Bambari, Berbérati, Bouar, Mbaïki et Bangui, sont administrées par un maire nommé par décret et assisté d'un conseil municipal. Bangui jouit d'un statut particulier: son maire porte le titre de président de la Délégation spéciale de la ville. La population des autres communes élit un conseil municipal qui se choisit un maire. Tableau de la population Préfectures

par préfecture 1988

1993 (proiection)

Bangui

170.500 156.300 207.600 61.100 172.700 255.100 243.100 75.000 76.500 27.500 192.800 179.700 111.200 47.800 27.100 32.100 427.400

546.300

TOTAL

2.463.500

2.994.300

Ombella-Mpoko

lobaye Mambere-Kadei Sang ha-Mbaere Nana-Mambere Ouham-Pende

Ouham Kemo Nana-Grebizi Bamingui-Bangoran Ouaka Basse-Kotto Mbomou Haute-Kotto Haut-Mbomou Vakaga

228.500 184.000 245.900 76.500 201.500 317.400 282.700 89.400 103.000 29.700 220.900 208.400 129.000 64.200 27.600 40.300

((es chiffres ont été arrondis à la centaine).

33

La géographie

Tabkau

de la population

par

humaine

région

Région

Superficie

Population

Bangui (capitole)

1.720 km2

451.690

262

49.413 km2

350.411

7

76.215 km2

488.295

6,4

82.350

km2

550.603

6,7

95.400

km2

207.024

2,2

182.990

km2

299.288

1,6

Densité

Régionn° 1 : Ombella-Mpoko, Lobaye

Région n° 2 : Nana-Mambere,

Mombere-Kadei,

Songho-Mboere Région n° 3 : Ouham, Ouham-Pende Région n° 4 : Kemo, Nana-Grebizi, Bamingi-Bangoran Région n° 5 : Oua ka, Haute-Kotto, Vakaga

Région n° 6 : Basse-Kotto, Mbomou, Haut-Mbomou

134.284 km2

341.115

2,5

TOTAL

622.372 km2

2.683.426

4,3

La population est dans son ensemble fort jeune: les moins de 15 ans sont environ 43 %. La ratio des sexes est de 97 hommes pour 100 femmes; mais elle n'est pas homogène sur l'étendue du territoire: on compterait ainsi 110 hommes pour 100 femmes à Bangui, tandis qu'en milieu rural, certaines régions connaissent un déficit de femmes, et d'autres à l'inverse, un surplus. Si un pourcentage important de la population, au moins 40 %, réside en milieu urbain, dans des villes de plus de 5 000 habitants, en fait elle vit pour une bonne part du travail agricole sur des terrains situés à la périphérie de ces centres. Le choix d'un centre comme sous-préfecture ne dépend pas de l'importance de sa population; la localisation géographique tient une grande place surtout dans les régions orien34

La géographie

humaine

tales dépeuplées. Ainsi les sous-préfectures de Djema dans le Haut-Mbomou, et de Yalinga dans la Haute-Kotto, ont respectivement une centaine et une cinquantaine d'habitants. Les rivières ont donné la plupart du temps leur nom aux préfectures dont elles traversent le territoire, dont la Lobaye, la Kotto, le Mbomou, la Sangha... Les noms des villes et villages ont en principe une signification. Beaucoup prennent celui de leur chef. Il est encore fréquent de nommer une agglomération par le nom de son chef ou d'une personnalité qui y demeure ou y a demeuré. Celui de la ville Bangassou vient du sultan du même nom; ce nom

lui-même a un sens et signifierait

/I

caoutchouc abondant",

parce qu'au moment de sa naissance, la récolte de ce produit était abondante. Dans cette même région, les dénommés Zemio et Bambouti ont laissé leur 110m à ces agglomérations. Des villages comme Lito sur la route de Bangui à Damara, au PK 22, doit son nom au sel, tandis que Sakolongo sur la route

de Sekia à Batalimo signifie /I sous les rôniers" ; et il est vrai que les rôniers y abondent. Les missions d'exploration ont souvent baptisé les postes de ravitaillement qu'elles établissaient sur leur route, d'où naissait parfois une agglomération. Bangui (Mbangui), dont le /I nom signifierait soit /lIes rapides", soit l'arbre iroko", le fut par Musy. Ailleurs, on prit le nom d'un personnage que l'on voulait honorer: Bandoro (ou Kaga Bandoro), fut débaptisé et prit le nom de Fort-Crampel à la suite de la disparition de cet explorateur dans la région de Ndele ; cette ville a retrouvé son nom après l'indépendance. Krebedje est devenu Fort-Sibut, puis plus simplement Sibut en souvenir d'un médecin né à Thionville en 1865 et décédé en 1899 à Libreville, alors qu'il était en route pour une mission de recherche entre le Congo et le Tchad. En Mambere-Kadéi, Carnot fut ainsi nommé en souvenir du président français qui venait d'être assassiné en 1894. Ces deux villes ont gardé ces derniers noms. N'oublions pas enfin que les noms traditionnels des villes ont été souvent plus ou moins déformés par l'administration coloniale; Bossangoa devrait se prononcer Bozangoa, et Berberati, Gbargbaraté. 35

La géographie

LEs

lANGUES

humaine

CENTRAFRICAINES

Les langues d'Afrique sont classées en quatre grands groupes. Le Centrafrique se trouve à la jonction de deux de ces groupes, le Congo-Kordofan et le Nilo-Saharien. Le mieux représenté est le premier nommé, le CongoKordofan, et surtout le sous-groupe Niger-Congo, avec les familles Adamawa-Oubanguienne et Bénoué-Niger. Dans la famille Adamawa-Oubanguienne, la branche oubanguienne qui se subdivise en trois sous-branches - avec surtout les langues gbaya, banda, et gbanziri-sere -, l'emporte sur la branche Adamawa. Voici un schéma de classement de ces langues: Branche Adamawa sous-bronche

~~

ouest

mbum

~

gbaya

groupe langues

Oubanguienne

pana

l

.

ngbondI

centre

sud

..

, gbanzll-sere banda

gabaya

sango

ngbaka-mabo

linda

zande

manza

yakoma

monzombo

ndi

nzakaro

gbanzili-bolaka

togbo

sere...

yangere

bofi

long base

ali gbanu ngbaka-manza sumo.. .

La famille Bénoué-Congo comprend les langues bantoues : le mbimu ou mpiemon, le porno, le kaka, le ngando, le mbati ou isongo de Mbaïki, l'aka parlé par les Pygmées de la Lobaye et le benzele par ceux de la Sangha. Le second groupe, nilo-saharien, est représenté par la famille maba avec le runga ; et la famille Chari-Nil avec le sara (kaba), le luto, le yulu... parmi d'autres. Beaucoup de ces langues sont presque éteintes en Centrafrique, ou survivraient au Soudan. Les groupes importants sont les locuteurs des langues gbaya et banda qui occupent la plus grande partie du territoi36

La géographie

humaine

re, soit tout le centre du pays, d'est en ouest. C'est une région de savane arborée, où les habitants se livrent à la chasse et à l'agriculture. Les cases sont en terre, rondes ou rectangulaires, avec un toit en paille, plus rarement en tôles. Parfois, elles sont décorées de peintures aux motifs facilement réalistes, ou d'inscriptions. Habitations et cour ne sont pas toujours clôturées, mais l'ensemble est propre. En savane, le portage se fait sur la tête, tandis que les enfants sont attachés dans le dos de leur mère. Certains groupes banda refoulés, se retrouvent chez les Gbaya, et même jusqu'en République Démocratique du Congo. Le long du fleuve, d'est en ouest, habitent les Zan deNzakara, puis le groupe de langues ngbandi, enfin le groupe de langues de gbanzili-sere. Nous avons affaire ici aux gens du fleuve, piroguiers, à la fois transporteurs et commerçants, et aussi pêcheurs. Toujours au sud, dans la région forestière de la Lobaye et de la Sangha, résident les groupes de langue bantoue, dont les Pygmées. Certains groupes de langue bantoue devaient résider encore plus à l'est en pays nzakara où subsistent quelques groupes résiduels qui ont été submergés par des migrations. Les gens de la forêt, et d'abord les Pygmées vivent de chasse et de cueillette, et peu d'agriculture. L'habitat y paraît beaucoup plus précaire qu'en savane. Les murs sont construits en pisé, mais aussi en feuillage, en écorce ou en planches de bois, tandis que le toit est recouvert de chaume ou de feuilles. Le portage ne peut se faire sur la tête; les marchandises sont transportées dans des hottes qui reposent sur le dos, et sont retenues par une sangle qui s'appuie sur le front. Les enfants à cheval sur la hanche sont soutenus par deux bandes de tissu passant par l'épaule opposée de la mère. Sur la frontière nord en allant du Cameroun au Soudan, le long du Tchad, nous trouvons la langue pana du groupe mbum, les parlers sara de la famille Chari-Nil du groupe nilosaharien, dont le yulu, le kreish, le luto, et enfin le runga de la famille maba de ce même groupe. Il ne faut pas accorder une importance démesurée à l'énumération de ces derniers parlers, qui représentent peu de locuteurs. 90 % des centrafricains parlent en fait une des

37

La géographie

humaine

langues appartenant à la branche oubanguienne du groupe Congo-Kordofan, dont 900 000 un des parlers gbaya, 600 000 au moins un parler banda, sans compter les Ngbaka, les Yakoma, les Zande et les Nzakara. Nous traiterons plus loin du sanga, langue officielle à côté du français. Pour le moment, disons seulement que cette langue est née du ngbandi parlé dans la région de Mobaye, en s'enrichissant d'apports divers venant de langues centrafricaines, surtout le banda, mais aussi de langues congolaises, et depuis la colonisation, du français. Les groupes de langue bantoue, s'ils sont relativement nombreux, représentent également, un nombre restreint de locuteurs. On ne peut aucunement dire que le Centrafrique soit d'abord une région de locuteurs de langues bantoues. En Jait la limite méridionale de ces parlers correspond approximativement au 4ème parallèle nord, et donc à la frontière septentrionale du pays. Par ailleurs, le vocable "bantou" désigne un type de langue, et ne s'applique qu'abusivement à la philosophie, à la civilisation ou à la culture, encore moins à un type physique humain. Qu'est-ce donc qu'une langue bantoue? Pour qu'une langue soit de type bantou, elle doit posséder deux critères principaux. Le premier: les noms sont regroupés en classes, marquées chacune par un préfixe; ces classes sont ordinairement associées par paires, singulier-pluriel. Tout mot subordonné à un nom s'accorde avec lui par le moyen du préfixe de classe. Ainsi le terme. même de "bantu" signifie dans ces langues "les hommes" ; il se décompose en "ntu" '(personne humaine) et ba (préfixe pluriel de classe pour désigner les personnes) ; au singulier, on dira "muntu", soit "ntu" et "mu" (préfixe singulier de classe pour désigner les personnes). Le second: le vocabulaire de la langue doit comporter une certaine proportion de racines communes à ce type de langues.

38

La géographie

humaine

LEs PYGMÉES

En Centrafrique, deux populations sont culturellement à part; ce sont les Pygmées et les Peuls. Les Pygmées sont sans doute les plus anciens habitants de l'Afrique. Leur habitat normal est la grande forêt équatoriale: en Centrafrique des environs de Bangui au sud-ouest, vers la Lobaye, la rivière la Sangha, puis au-delà jusqu'au Cameroun, au Congo, au Gabon, en République Démocratique du Congo de part et d'autre de l'équateur. Dans cette région, les environs de Bangui sont le point oriental extrême de leur habitat actuel. On reconnaît physiquement un Pygmée à sa petite taille de moins de l, 50 m pour un adulte. Mais il ne ressemble nullement à un nain dont les membres inférieurs en particulier ne se seraient pas développés. Si les bras sont plus longs et les pieds plus courts, la tête, arrondie, paraît grosse par rapport au corps trapu. Par ailleurs, et en comparaison des autres noirs, le front est bombé, les lèvres sont moins épaisses et peu éversées, le menton est plus en retrait; le nez, très aplati, a la forme d'un triangle équilatéral; les yeux sont très ouverts. Leur teint est ordinairement plus clair, tirant sur le rouge. Enfin leur système pileux est plus développé. Ils ne pratiquent traditionnellement ni l'élevage ni l'agriculture, ne travaillent ni les métaux ni l'argile. Leur équipement matériel technique est des plus rudimentaires; et pour une bonne part, ils se le procurent auprès des grands noirs. Ils vivent dans la forêt, en symbiose avec elle, où ils trouvent l'essentiel de leur nourriture par la cueillette de plantes et la récolte de légumes alimentaires, par la chasse au petit et gros gibier, n'hésitant pas à s'attaquer éventuellement à l'éléphant de forêt, maintenant au fusil, mais auparavant à la sagaie: le vrai Pygmée est un chasseur. On les dit nomades; en fait ils se déplacent selon les besoins de leur approvisionnement dans une aire géographique bien déterminée. Leurs habitations, fragiles et rudimentaires, se limitent en une "hutte" hémisphérique, dont l'armature, composée d'un entrelac de branches flexibles, est recouverte de larges feuilles de 70 cm de long sur 50 cm de large, en guise de tuiles; bien fait, ce toit 39

La géographie

humaine

ne laisse pas passer l'eau de pluie. Ils vivent en groupements de quelques unités familiales, réunissant quelques dizaines de personnes au maximum. Les impératifs de la chasse au filet en forêt ne permettent ni des groupes trop importants, ni non plus trop réduits. Ils vivent en lien avec les grands noirs, dont souvent ils ont adopté la langue, ou dont les langues respectives sont de la même famille; il ne semble donc pas qu'il y ait de langue pygmée spécifique. Des noirs, les Pygmées reçoivent des lances, du manioc; en échange, ils leur cèdent de la viande de chasse, des produits de la forêt, leur force de travail pour nettoyer les terrains de culture. Vus comme les vassaux de "patrons" villageois, souvent ces échanges se font à leur détriment. Ils sont de même considérés comme des inférieurs: en langue sanga, le terme de bambinga qui les désigne prend le sens de "pauvre type", d' "incapable". En fait cette relation est ambiguë car connaissant la forêt et ses secrets, de même que les plantes et leur utilisation, c'est auprès d'eux que l'on va en chercher la connaissance; ils deviennent ainsi des initiateurs indispensables. Ces toutes dernières années, certains ont pu se faire embaucher par des sociétés forestières où ils étaient employés à la recherche des arbres à abattre. Ils tendent à se sédentariser, d'une part pour avoir accès aux services sanitaires et éducatifs... d'autre part pour se livrer à la culture de produits vivriers dont la production les libère de la tutelle des grands noirs. Mais un Pygmée sans sa forêt est-il encore un Pygmée? LEs PEULS Les Peuls se distinguent, eux aussi, de l'ensemble de la population, par des caractéristiques bien particulières. Alors que les autres groupes se procurent leur nourriture par la cueillette et l'agriculture, les Peuls se livrent à l'élevage des bovins. Les populations agricoles ne connaissent que l'élevage des volailles ou du petit bétail, le plus souvent livrés à euxmêmes, tandis que les Peuls veillent de près sur leurs troupeaux. Cet élevage est concentré dans le nord, et surtout le nord-ouest, la trypanosomiase au sud ne le permettant pas. 40

La géographie

humaine

Ils conduisent leurs bêtes vers le sud, surtout Bangui, où ils les vendent aux boucheries. Dans ces contrées du nord-ouest, les Peuls, de religion musulmane au milieu de populations animistes, représentent facilement la moitié de la population de certains villages importants, où ils se regroupent à part, dans des communes d'élevage. Contrairement aux autres, leurs habitations sur cour sont clôturées de toutes parts, ce qui leur permet une certaine intimité. L'habillement et les parures, surtout chez les femmes, et les jeunes adultes au moment de leur initiation, sont beaucoup plus riches et colorés.

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Chapitre 5 lA COLONISATION La création

de l'Oubangui-Chari

L'histoire de la colonisation du territoire centrafricain est à replacer dans celle de la région qui va du Congo actuel au Tchad au nord, mais également jusqu'au Nil à l'est. Dans les deux dernières décennies du 19ème siècle, la compétition dans ce secteur est vive entre la France, l'Angleterre, la Belgique, l'Allemagne et le Portugal, mais aussi à l'est avec les madhistes de Khartoum et les arabes de Zanzibar, chacun essayant de se tailler un empire à la mesure de ses ambitions et de ses moyens. En France, en réaction à la défaite de 1870 face à la Prusse, et à la chute de Napoléon III, beaucoup veulent que leur pays se taille un empire colonial, à la suite des explorateurs qui au cours de leurs expéditions signent des traités avec les chefs qu'ils rencontrent. Les raisons ne manquent pas: réhabiliter la France vaincue, lui offrir une mission civilisatrice et humanitaire, donner un nouvel essor au commerce de la métropole, refaire d'elle une grande puissance politique. Le ministre des colonies, Chautemps, déclare à la Chambre en 1895 : "Les colonies doivent profiter à la métropole... par l'accroissement de la puissance politique et économique du pays". Quant aux moyens pour y parvenir, si certains se veulent des hommes pacifiques, comme Savorgnan de Brazza, d'autres, au contraire, prônent la manière forte, si besoin est, tel Marchand dans son expédition vers le Nil. La conquête dans cette région du centre de l'Afrique ne fut pas toujours ni humanitaire, ni philanthropique, loin s'en faut. Alors que les premiers explorateurs trouvent un pays relativement prospè-

La colonisation

re et même des "sultanats", tel celui de Bangassou, qui compose pacifiquement avec l'Européen nouveau venu; alors que Savorgnan de Brazza qui va explorer la région de la Sangha entre 1892 et 1894, écrit à Fourneau: "N'oubliez pas que vous êtes l'intrus que l'on n'a pas appelé", voici un administrateur, Georges Bruel, qui écrira en 1930, au sujet des opérations de "pacification" menées en 1908 : "Il est impossible d'énumérer toutes ces opérations de détail, qui prouvèrent aux populations que nous étions les plus forts et que ce qu'ils avaient de mieux à faire était de se soumettre. Le noir, en effet, ne respecte que ceux qui sont à la fois forts et justes. Il était donc nécessaire de leur démontrer par des faits que notre puissance égalait notre justice et notre impartialité". Ce texte a au moins le mérite d'être clair: "nous étions les plus forts". LA CONQUETE Depuis plus de trois siècles, des Européens se sont installés en Afrique Equatoriale, tout au moins dans des ports qui permettent le commerce et les relations avec l'Amérique et l'Europe. L'occupation se limite le plus souvent à quelques enclaves, et ne touchent pas l'intérieur du pays, toujours inconnu ou mal connu. Dans cette région, les Anglais, déjà présents en Afrique de l'Ouest avec leurs colonies du Nigéria et de la Côte de l'Or (actuel Ghana), veulent établir une ligne continue de leurs possessions depuis l'Egypte jusqu'à l'Afrique du Sud: pour cela il leur faut s'implanter rapidement dans tout le bassin du Nil. La France, elle, qui se trouve en Afrique du Nord et de l'Ouest, serait bien désireuse d'une part d'unir ses possessions entre elles, en contrôlant le centre de l' Afrique, l'Oubangui et le lac Tchad, et d'autre part si possible, de relier l'Afrique de l'Ouest, le Congo plus précisément, à l'Ethiopie et à Djibouti, en passant par l'Oubangui et le Barh-el-Ghazal ; ou tout au moins aller jusqu'au Nil, comme gage contre l'Angleterre. Quant aux Belges, leur roi Léopold II est en train de se tailler un empire dans ce qui deviendra le Zaïre. En 1878, l'explorateur Stanley rentre en Europe après avoir traversé l'Afrique d'est en ouest, en partie en suivant le fleuve Congo. 72

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Le roi Léopold l'a chargé de traiter avec les chefs locaux, afin de créer un Etat, qu'il réussit à faire reconnaître comme Etat Indépendant du Congo (EIC) sous son autorité personnelle à la conférence de Berlin en 1885. Il sera cédé par la suite à la Belgique en 1908. Encore faut-il lui donner des frontières; c'est alors que le roi se heurte aux Français. Savorgnan de Brazza, Italien naturalisé français en 1874, a conclu un traité en Septembre 1880 avec Makoko, le chef supérieur des Batéké, au Congo. Ille fait ratifier en Novembre 1882 par la Chambre des députés français. La France obtient ainsi un point d'ancrage officiel sur l'Atlantique. Puis elle fait occuper en 1883 le port de Loango (près de Pointe-Noire au Congo-Brazzaville). En 1885, la Conférence de Berlin édicte que la présence sur la côte ne suffit pas pour revendiquer l'intérieur des terres; encore faut-il qu'elles soient effectivement occupées, et que cette occupation soit notifiée aux grandes puissances du moment. Si le roi Léopold II renonce alors facilement au territoire visé par le traité avec Makoko, il en est tout autrement avec la limite nord du sien, où se trouvent les Français. Mais en 1885, fort rares sont ceux qui connaissent (un peu) les bassins fluviaux de l'intérieur, et ceux qui en ont quelque idée sont à la solde de ce roi: il s'agit en particulier du pasteur baptiste anglais Grenfell, qui en 1884 a remonté l'Oubangui jusqu'à Bangui, et du capitaine belge Hanssens ; et l'un et l'autre gardent le secret sur leurs découvertes. Dès 1877, Stanley descendant le Congo avait signalé la présence de l'Oubangui comme affluent du Congo; il pensait de même que l'Ouéllé se jetait dans ce fleuve, ce qui était proche de la réalité. Au cours de la conférence de Berlin de 1885, la convention passée entre les Français et le roi Léopold parle d'une rivière, la Licona-Kundjia ; la frontière sera ainsi délimitée: "Le Congo jusqu'à un point à déterminer en amont de la rivière Licona-Kundjia. Une ligne à déterminer depuis ce point jusqu'au 17° degré de longitude est (note: ce 17° passe largement à l'ouest de Bangui), en suivant autant que possible la ligne de partage des eaux du bassin de la Licona-Kundjia qui fait partie des possessions françaises". Or cette rivière de la Licona-Kundjia n'existe pas. 73

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C'est le Belge Vangele qui dévoile la supercherie royale, devant les Français Chavannes et Dolisie. Ceux-ci découvrent alors le tracé de l'Oubangui qu'ils ne connaissaient pas. Dolisie quitte aussitôt Brazzaville, remonte la Sangha qu'il reconnaît comme un affluent du Congo, puis le 16 mai prend possession du confluent de l'Oubangui, construit un poste sur sa rive gauche, que de Brazza baptisera Nkoundjia. On comprend que le roi Léopold II tient à garder le secret sur ses connaissances pour contrôler le plus longtemps possible le trafic sur l'Oubangui. En effet le 26 janvier 1885, Khartoum au Soudan, défendue par l'Anglais Gordon, sous les ordres du khédive égyptien, lui-même soutenu par l'Angleterre, tombe sous les coups de l'insurrection islamique mahdiste. L'Egypte renonce alors à toute prétention sur cette région, qui n'a pas de propriétaire, mais dont le roi des Belges entend devenir l'empereur. Pendant ce temps, les experts français et léopoldiens délimitent la frontière sur l'Oubangui, d'abord à partir du poste de Nkoundjia, puis en remontant le fleuve sur plus de deux cents kilomètres sans rencontrer d'affluent important qui couperait le 17° degré de longitude est, et qui indiquerait un autre bassin fluvial. Aussi s'accordent-ils pour fixer le point de départ de la frontière nord un peu en amoI1t du confluent de l'Oubangui et du Congo. Tout le bassin septentrional de l'Oubangui revient donc à la France. Une nouvelle convention signée le 27 avril 1887 fixe la frontière à la vallée de l'Oubangui jusqu'au 4° parallèle nord, et définit les zones d'influence respective. L'affaire n'est cependant pas terminée. Les fleuves et le .pays ne sont pas reconnus, et personne n'en a pris officiellement possession. En octobre 1886, le Belge Vangele atteint Bangui, mais il doit faire demi-tour. En décembre 1887, il réussit à remonter jusqu'au pays yakoma, mais il doit encore rebrousser chemin. C'est en novembre 1887 seulement que le Français Albert Dolisie atteint les rapides de Bangui, où il repère un emplacement favorable pour établir un futur poste. Le 25 juin 1889, les Léopoldiens fondent le poste de Zanga sur la rive gauche de l'Oubangui, face aux rapides de Bangui, tandis que le lendemain les Français fondent celui de 74

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Bangui sur la rive droite. Michel Dolisie, frère d'Albert, se voit confier la garde de ce poste.avec une vingtaine de soldats africains. Vangele réussit enfin à remonter l'Oubangui, puis le Kouango et la Kotto, normalement hors de sa zone d'influence, fixée au 4° parallèle, fonde un poste au confluent de l'Ouéllé et du Mbomou, et signe même un traité de protectorat avec le roi Bangassou. A Bangui, Michel Dolisie, malade, a dû être rapatrié et remplacé par Maurice Musy. Le 2 Janvier 1890, ce dernier tombe dans une embuscade tendue par les habitants des environs, et est massacré avec quelques-uns de ses hommes. Or, dans le même temps, un ancien secrétaire de de Brazza, Paul Crampel en convalescence en France, conçoit le projet d'une expédition, qui de Bangui rejoindrait la Méditerranée et permettrait ainsi à la France de se créer un empire d'un seul tenant. A son départ de France, en Mars 1890, il apprend le désastre de Bangui, et de Brazza en fait alors son délégué dans l'Oubangui. Arrivé à Bangui en septembre, il rétablit la situation; il exige des Léopoldiens qu'ils laissent la liberté de navigation sur le fleuve, alors qu'ils bloquent les passes à Bangui, les persuade de renoncer à leurs établissements sur la rive droite de l'Oubangui entre Bangui et Kouango, et passe des traités avec les chefs africains en amont de Bangui. Il se fait aussi restituer le crâne de Musy et ses armes. Cette même année 1890, l'administrateur Cholet remonte la Sangha jusqu'à son confluent avec la N goko. Le 1er Janvier 1891, Paul Crampel quitte enfin Bangui vers le nord pour tenter de gagner le Chari et de là le Tchad. L'expédition se fait à pied, avec une centaine de porteurs pour quatre cents charges. En février, il arrive chez Senoussi à Châ, au Dar-EI-Kouti, comptant y trouver des animaux de bât pour le transport de son matériel; mais le pays a été, les années précédentes, ravagé par les troupes de Rabah. Il décide alors d'aller jusque chez Rabah lui-même, mais Senoussi le fait assassiner sur les bords de la rivière Diangara, le 8 Avril 1891. Le 25 Mai 1891, c'est le tour de Biscarrat, qui du village Mpoko sur le Koukourou, inquiet de la situation de son chef 75

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Crampe!; veut se porter à son secours. Albert Nebout, le dernier compagnon de Crampel, fait alors demi-tour sous la pression de ses hommes et rentre à Bangui. Dybowski qui apprend la nouvelle du drame à Brazzaville, part pour Mpoko où il venge Crampel, le 22 Novembre 1891, en exerçant des représailles sur des musulmans sur qui il recueille des objets ayant appartenu à la mission, mais sans être assuré de leur complicité dans le meurtre de Crampel, et sans se rendre lui-même chez Senoussi. Avant de quitter l'Oubangui, il installe un poste à Kénlo. De nombreuses expéditions vont alors se succéder par trois routes pour tenter de gagner le Tchad: en venant du Congo à partir de la Sangha et à partir de la Kémo, et par ailleurs à partir de l'Afrique Occidentale par le Niger et la Bénoué. Le 12 Mai 1891, alors qu'il remonte vers le Tchad, Fourneau tombe dans une embuscade tendue par les GbayaKara dans la Haute-Sangha. Blessé, il est obligé de battre en retraite sur Ouesso, après avoir perdu une vingtaine d'hommes. De Brazza va à sa rencontre, et début 1892, parvient à Bania, où il établit un poste, et jusqu'au pied de l'Adamawa. Pendant ce temps un autre explorateur, Mizon a pris le chemin de la Bénoué par le Nigéria et arrive à Yola ; il rencontre de Brazza le 7 Avril 1892 au confluent de la Kadéi et de la Sangha, et rentre en France par le Congo. Une première liaison est ainsi établie vers le centre de l'Afrique à partir de deux points différents de la côte. Mais les rencontres de Mizon avec les sultans de l'Adamawa ne sont pas du goût des Allemands installés au Cameroun et des Anglais au Nigéria, car s'ils n'ont pas encore reconnu cette région, ils l'ont déjà partagée entre eux. Quels sont alors les rapports entre les Français et les populations autochtones, c'est-à-dire les Gbaya animistes et les musulmans foulbé (peuls), haoussa, et bornouans ? Quel parti l'administration, et d'abord les responsables sur place, prend-elle? Quelle politique mène-t-elle ? Brazza ne cherche pas à s'imposer par la force. Mais un administrateur, Goujon, voit dans les Foulbé une autorité rivale, qu'il convient de mater. Il lève une armée parmi les tribus gbaya et yangere 76

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qu'il arme de fusils, et avec sa cinquantaine de miliciens sénégalais devient chef de guerre, et razzie les chefs gbaya qui avaient aidé les Foulbé. En mai 1895, il attaque et occupe le centre commercial de Kounde qui appartient au sultan de Ngaoundere, où résident des commerçants haoussa qu'il oblige à prendre le chemin de Carnot à deux cents kilomètres à l'est. Près de Tchakoui le 30 juin 1896, il défait l'armée foulbe de Ngaoundere. Certes, le commerce des esclaves est ruiné dans cette région, et les Gbaya, tout heureux, se sont vengés de plusieurs décennies de razzias; mais cela va contre la politique de de Brazza qui cherche à se concilier les chefs locaux plutôt qu'à les provoquer. En décembre 1891, une nouvelle mission se constitue autour de Casimir Maistre. Celui-ci quitte la France en Janvier 1892, arrive à Bangui et partant du poste de Kémo prend un chemin plus à l'ouest que celui de Crampel ; dans une région épargnée par les razzias, il peut se ravitailler plus aisément. Le 12 Juillet, il arrive en pays manja où, par crainte du retour de Senoussi, la population le reçoit fort mal. Maistre bifurque alors vers l'ouest et rejoint Yola sur la Bénoué. En 1893, un collaborateur de Maistre se voit confier de son côté la mission de pénétrer au Baguirmi à partir de la haute Sangha, où il fonde la ville de Carnot. Il monte une reconnaissance jusqu'à l'Ouham, en pensant que cette rivière va vers le Logone, interdit puisqu'en territoire anglais, alors qu'il est un affluent du Chari qui l'aurait mené au Baguirmi. En 1894, de Brazza continue de son côté et gagne Ngaoundere dans sa marche vers le Tchad; il coupe ainsi la route aux Allemands installés au Cameroun, et aux Anglais du Nigéria. En Février-Mars 1894, un accord est finalement conclu entre l'empereur d'Allemagne et la France pour fixer la frontière entre le Cameroun et les futurs territoires français de l'Oubangui et du Tchad, accord qui permet d'une part aux Français d'avancer vers le Tchad et le nord de l'Afrique, et qui d'autre part coupe la route du Nil aux Anglais. Après la mort de Crampel, que devient Senoussi? En Novembre 1894, le sultan du Wadaï, son suzerain, effectue une expédition punitive contre le Kouti et prend Châ ; Senoussi doit fuir, et est obligé de demander asile aux Banda, 77

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ses ennemis. Il a cependant encore assez de ressources pour se jeter sur le centre kreich de Mbelle, évacué par les Belges, où il fait de nombreux prisonniers. Le Wadaï, voyant sa route avec le Mbomou coupée, envoie une nouvelle expédition qui ne peut rétablir la situation. Senoussi est alors tranquille pour quelque temps de ce côté. En 1895, Gentil reprend le trajet de Maistre jusqu'au Gribingui. Il arrive avec un vapeur démontable, le Léon BIot, et deux chaloupes. Retardé, il rejoint seulement en avril 1896 Grebedje (Sibut) qu'il fonde. Senoussi apprend que Gentil, grâce à l'aide des Manja dans le démontage, le transport et le remontage du Léon BIot, est parvenu le 1er Juin 1897 sur les bords du Gribingui à Kaga-Bandoro. Les Manja espèrent que ces Français vont venger Crampet et dans le même temps, les débarrasser de Senoussi. Celui-ci envoie des cadeaux à Gentit qui répond en lui expédiant son adjoint Prins, tandis que luimême quitte Bandoro sur le Léon BIot. En route, il rencontre Gaourang, le sultan du Baguirmi, chassé par Rabah, qui demande l'aide française. C'est alors seulement que les Français se rendent compte de l'importance et du danger que représente Rabah. Toujours bien reçu par la population, Gentil arrive le 1er Novembre 1897 au Tchad. Mais il n'entre pas alors en contact avec Rabah, et craignant une attaque de Senoussi revient sur le Gribingui. En Juin 1898, il est de retour à Libreville où il s'embarque pour la France, dans l'intention d'y préparer une expédition contre Rabah. Mais en 1899, Paris, après la reculade de Fachoda, dont nous parlerons plus loin, exige une action d'éclat. Trois expéditions partent donc en direction du Tchad: la première, par le Sahara avec Foureau et Lamy, la seconde par le Niger avec les capitaines Voult et Chanoine, la troisième avec Gentil et Bretonnet par le sud. Celui-ci arrive au Gribingui fin mars 1899, livre des armes à Senoussi, espérant ainsi son aide contre Rabah, alors qu'il n'en sera rien, bien au contraire; il en livre aussi à Garouang. Gentil en arrivant au Gribingui en Juin 1899, se rend compte qu'on y redoute une attaque de Senoussi. Rabah qui a appris les livraisons d'armes à Senoussi et au Baguirmi, décide de passer à l'attaque; trahis par Senoussi qui a averti Rabah, Bretonnet et ses tirailleurs ne 78

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peuvent rien contre les 12 000 hommes et les 2 000 fusils de Rabah: c'est le désastre de Togbao le 17 Juillet 1899. Gentil en apprend la nouvelle à Sahr le 16 août; il attaque Rabah à Kouno, qui doit alors se retirer sur Dikoa. Le 21 Avril1900, les trois missions font enfin leur jonction à Kousseri au Tchad. Le rêve de Crampel devient réalité. Le lendemain, Rabah les attaque, mais il trouve la mort, ainsi que le commandant français Lamy. La France est alors bien implantée dans cette région. Quant à Senoussi, il est pris entre son suzerain, le sultan du Wadaï et les Français tout proches. Ceux-ci lui reprochent à la fois l'assassinat de Crampel et la trahison qui a mené au désastre de Togboa, en avertissant Rabah. Pendant une dizaine d'années, il va cependant continuer d'écumer les régions entre Bria et Birao. En 1901, il prend contact avec le successeur de Gentil, Destenave, qui est prêt à oublier les griefs des Français envers lui. Il se rend ainsi au poste de Fort Crampel, avec un important tribut de caoutchouc, de bœufs et de chevaux, de pointes d'ivoire. Destenave l'y reçoit, et réussit le tour de force de nourrir son armée, soit 1 500 rations par jour alors qu'il connaît les pires difficultés pour les requis du portage. Mais les Français occupés au Kanem et au Wadaï se soucient peu de Senoussi qui est libre pour mener sa chasse aux esclaves. Les Anglais qui craignent qu'il ne franchisse la ligne de partage des eaux avec le Soudan protestent. Les Français se décident enfin à agir, et le 8 Janvier 1911 Senoussi est tué. Ndele est occupé, puis en décembre 1912 Ouadda-Djale, autre place forte de Senoussi, ainsi que Yalinga, et Birao en 1919. Nous revenons maintenant dans la région de l'Oubangui. En 1892, Liotard est sur la Kotto, où il est rejoint par le duc d'Uzès, et fin décembre par les premiers éléments de la colonne Monteil. Le but de l'opération est clair: il faut contrôler le roi Bangassou, mais aussi refouler les Léopoldiens, et surtout, sur ordre personnel du président français Sadi Carnot s'ouvrir la route du Nil. Le président français veut étendre au maximum "l'empire congolais" c'est-à-dire pousser le plus loin possible au nord et à l'est vers le Nil, pour contrer à la fois les Belges et les Anglais. Les Léopoldiens veulent toujours remonter vers le Soudan. Un accord avec l'Angleterre 79

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leur a remis une bonne partie du Bahr-EI-Ghazal. La situation se tend donc et la France menace d'envoyer un corps expéditionnaire déjà prêt à partir avec le commandant Monteil. Le roi Léopold finit par s'incliner en août 1894. Cependant, la frontière, au lieu d'être fixée comme prévu au 4° parallèle nord, suivra le cours du Mbomou, qui avec l'Ouéllé donne l'Oubangui. Il en résulte que les Etats zandé de cette région, Bangassou, Rafai et Zémio, sont démembrés et répartis entre les Français et les Belges. Mais ceux-ci qui s'étaient avancés jusqu'à Mbellé au Dar-el-Kouti dans l'intention de nouer une alliance avec Rabah doivent faire marche arrière. A l'est, après cet arrangement' de 1894 avec les Léopoldiens, la France peut franchir la ligne de partage des eaux entre les bassins de l'Oubangui et du Nil. Liotard fait occuper les capitales des royaumes zande de Bangassou, Rafai et Zémio en 1895. En 1896 et 1897, les Français parviennent jusqu'à Tamboura, Djemah et Dem Ziber, au Soudan: la France s'implante donc dans cette région abandonnée par l'Egypte pour faire pièce à l'Angleterre et à la Belgique. Prévue depuis quelque temps et retardée, l'expédition Marchand, partie de Libreville, quitte Bangui en Mars-Avril 1897 et prend la direction du Nil. Elle arrive en Juillet 1898 à Fachoda, l'actuel Kodok. L'armée anglaise de Kitchener l'y rejoint deux mois plus tard. On se trouve tout près d'une guerre, et Marchand reçoit l'ordre de rentrer. Les Français évacuent tout le Bahr-el-Ghazal. La frontière orientale du Centrafrique est alors fixée le 21 Mars 1899 à la ligne de partage des eaux entre le bassin de l'Oubangui et du Nil, juqu'au 11ème parallèle, puis ensuite à la frontière qui sépare les Etats du Wadaï et du Darfour. Une nouvelle colonie est créée le 13 juillet 1894, sous le nom de Haut-Oubangui. Le chef-lieu en est fixé aux Abiras, poste fondé en 1891, aux environs de Ouango, puis à Ouango même. Cette colonie prend le nom d'Oubangui-Chari en 1903, avec comme capitale Fort-de-Possel en 1906 ; Bangui ne deviendra capitale que plus tard. A la suite de l'incident d'Agadir en 1911 avec l'Allemagne, la France est obligée de céder la partie ouest du territoire depuis la frontière avec le Tchad au nord de 80

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Bozoum jusqu'au sud entre Mbaïki et Bangui; elle récupérera ces régions au début de la guerre de 1914. La frontière avec le Tchad sera fixée entre 1935 et 1937. En 1934, l'Oubangui-Chari comprend encore le Logone avec Moundou et le Chari-Bangoran avec Sarh. A l'ouest, la partie méridionale de la Haute-Sangha avec Nola qui fait alors partie du Moyen-Congo, est rattachée à l'Oubangui-Chari en septembre 1939. La France aura réussi alors à se constituer un empire allant du nord de l'Afrique jusqu'au sud de l'équateur. Elle échouera dans sa volonté d'expansion vers l'est, mais elle aura su contenir la Belgique, l'Angleterre et l'Allemagne.

LA GUERREDE 1914-1918 Le temps de la guerre 1914-1918 fut en Centrafrique une époque troublée: la France voulut y lever un contingent de 3 000 soldats; en même temps l'administration voyait ses effectifs fondre du fait de la guerre et elle faisait appel à des "dons" pour l'effort de guerre; de leur côté, les agents des sociétés concessionnaires étaient peu surveillés. Plusieurs régions en profitèrent alors pour remuer: ainsi une partie du pays zandé, la Haute Kotto, les régions montagneuses du nord-ouest qui lui revenaient après le départ des Allemands, mais qui n'avaient pas été vraiment occupées.

LE SYSTEMECONCESSIONNAIRE (1899-1929) Dans l'impossibilité de disposer de fonds publics pour l'exploitation et le développement des territoires de l'Etat Indépendant du Congo, le roi Léopold avait fait appel à des concessionnaires. Dans une situation similaire, la France adopte le même système. Pour les établir, l'administration déclare "biens de l'Etat" les terres constatées soi-disant vacantes, même si en réalité elles sont la propriété collective du groupe ethnique qui y réside et les exploite à sa manière. Puis on les attribue à des sociétés ou compagnies à qui on accorde pour une durée 81

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d'une trentaine d'années "tout droit de jouissance et d'exploitation agricole, forestière et industrielle" ; seules, les éventuelles richesses minières se trouvent exclues de l'accord. Le concessionnaire est tenu de verser chaque année une redevance fixe, à partir de 50 000 F., suivant la superficie octroyée, et 15 % des bénéfices. Il doit également aider à l'établissement de postes de douane, de lignes télégraphiques qui traverseraient son territoire, entretenir une flotille de bâteaux à vapeur sur son réseau fluvial (n'oublions pas que dans ces régions les routes sont alors inexistantes, et que le trafic se fait en priorité par voie d'eau), assurer la plantation d'arbres à caoutchouc: à cette époque, on recherche surtout le caoutchouc... et l'ivoire. En 1899, la France adopte donc ce système pour les territoires actuels du Congo, du Gabo11, de l'Oubangui-Chari. Une quarantaine de sociétés ou compagnies se partagent 70 % de ces régions, dont 17 en Oubangui-Chari, qui y ont droit à 324 000 km2, soit un peu plus de la moitié de la superficie actuelle du pays. Parmi les plus importantes, la "Compagnie des sultanats du Haut-Oubangui" reçoit à elle seule 145 000 km2, soit le quart de la superficie de la France, depuis la Kotto à l'ouest, jusqu'à la frontière soudanaise. En voici quelques autres, nommées d'après les rivières qui les traversent: Concession de la Mpoko, Compagnie commerciale et coloniale de la Mambere-Sangha, Compagnie des produits de la Sangha, Compagnie du Kouango français, Compagnie française de l'Ouhamé et de la Nana, Compagnie de la Kotto, Compagnie des caoutchoucs et des produits de la Lobaye... Ces compagnies sont tenues de souscrire un capital pour mettre en valeur et exploiter les territoires concédés. Ces capitaux furent rarement souscrits en totalité: pour l'ensemble, on estime qu'en 1914, seuls 40 millions de francs l'étaient sur 56. De plus, ils étaient insuffisants pour une véritable mise en exploitation, une fois couverts les besoins propres de ces sociétés. Autrement dit, ces sociétés rechignent à investir, là où le gouvernement lui-même s'y refuse. Les habitants ne sont certes pas" concédés", mais pour obtenir les meilleurs bénéfices possibles, la contrainte permet d'obtenir une main-d' œuvre à bon marché. Les richesses agri82

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coles, surtout le caoutchouc naturel, appartiennent en totalité à ces sociétés, et les habitants ne gardent que quelques droits sur de théoriques réserves. Puisque les produits sont censés appartenir à la société, on ne paie que le travail de récolte. Aussi n'ont-ils guère de raison de se livrer de leur plein gré à un travail dont ils ne voient pas l'intérêt. Comme pour le portage, les agents de ces sociétés passent des contrats avec les chefs de village qui s'engagent à fournir des hommes valides et reçoivent le salaire dont ils ne reversent qu'une partie aux intéressés. Les agents, en cas d'abus, comptent sur l'absence, ou sur la complicité de certains fonctionnaires. Voici quelques faits qui furent connus du public européen. L'administrateur de Bangui, Marsault confie à un gérant, Culard, qui réside à Mongoumba, le soin de lever l'impôt de l'année 1904 dans la Lobaye. Quelques villages envoient des produits, mais beaucoup de gens pour y échapper franchissent le fleuve et passent chez les Belges. Culard cerne alors le village de Ngouakombo et y enlève une quarantaine de femmes, qui au bout de dix jours sont envoyées sur Bangui avec une vingtaine d'autres. Elles y sont emprisonnées en compagnie d'une dizaine d'enfants. Faute de nourriture et de soins, logeant dans un local exigu et mal aéré de 25 m2, au bout de cinq semaines 45 d'entre elles et 2 enfants sont décédés. L'affaire est révélée par un inspecteur de passage. L'administrateur Marsault est déplacé. L'enquête n'aboutit pas: la coutume est de faire retomber la responsabilité sur des subordonnés qui auraient outrepassé les ordres. Quant à Culard lui-même, il aurait agi par humanité en recueillant ces femmes abandonnées. Les Africains répondent en incendiant la factorerie de Loko et en tuant les agents sénégalais de la Société. Culard se charge d'organiser une nouvelle répression. Il sera finalement arrêté en 1907. En 1905, de Brazza, envoyé en tournée d'inspection à la suite de la révélation en France d'excès de ce genre, apprend l'existence à Fort-Sibut d'un camp de 119 femmes et enfants, enlevés sur le territoire de la Société Ouhamé-Nana, à la suite du refus de la population de livrer les auteurs de coups et blessures sur la personne de traitants noirs de cette société. L'enquête avait abouti à la provocation de la part de ces 83

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agents, qui furent licenciés. L'administration n'en demande pas moins qu'on lui livre les coupables. Comme la population refuse, des villages sont brûlés et ces femmes enlevées. Elles sont libérées le 14 Juillet de cette année, à l'annonce de l'arrivée de de Brazza. Pour faire pression sur les populations récalcitrantes, et malgré l'interdiction de tels procédés, il est alors courant que l'on prenne comme otages, femmes et enfants, après avoir éventuellement brûlé les villages et détruit les récoltes. André Gide dans son ouvrage Voyage au Congo, paru en 1927, y dénonce encore de semblables exactions. En 1907, Guibet un administrateur, inculpe après enquête, 236 personnes dont 17 européens de la société de la Mpoko, dont le siège est à Bimbo. Ces personnes sont accusées de pas moins 750 meurtres sûrs et 1500 probables. Voici encore le témoignage d'un religieux spiritain, le Père Daigre, qui a séjourné en Centrafrique de décembre 1905 à 1940, et est décédé en 1952. Il a longuement parcouru le pays banda, tout au moins la région comprise entre l'Oubangui, Bessoll plus précisément où il résidait, et Bambari. Le pays est encore inexploré à cette époque, mais ce Père ne craint pas d'entreprendre des tournées de cinq à huit cents kilomètres. Allant à pied, il a tout le temps de découvrir le pays. C'est la grande époque du caoutchouc, et dans son ouvrage Oubangui-Chari, paru en 1950, il écrit: /I

Avant tout, nous nous imposions ces voyages pénibles pour exercer notre ministère près des malades des bagnes du caoutchouc, sachant bien notre impuissance à apporter la moindre amélioration à leur misérable sort'/.

Ce texte parle également de l'hostilité de certains administrateurs qui ne tiennent nullement à ce que des visiteurs indiscrets viennent voir ce qui se passe sur leur territoire et en interdisent l'accès à des" témoins gênants", avec l'accusation suprême et imparable qui leur sert d'excuse: "ils font de la politique indigène" . Cependant ce texte n'est pas le plus dur. La lecture du Rapport que ce même Père Daigre écrit sur son "ministère extérieur" en 1917 est souvent insoutenable. Nous en don84

La colonisation

nons quelques extraits: "A la fin de Janvier 1917, je me rendais chez les Langbassis installés sur la Kandjia et, en cours de route, je rencontrais un caporal de mili-

ce qui me dit:

1/

Ah ! tu vas là-bas? Regarde bien, et toi qui es blanc,

tu pourras dire au gouverneur ce que tu as vu, car nous les noirs, il ne nous croit pas" ! De fait, jamais je n'ai trouvé comme ici autant de maux accumulés: famines, maladies, assassinats, esclavage, antropophagie, tout contribue à anéantir la population Langbassi de la Pandé, sous-affluent du Kouango.

Les deux premiers noirs de l'endroit que je rencontrais, c'étaient deux morts, tOlnbés en travers de la route. Le cadavre du premier était à moitié mangé par les vers, j'appris par la suite qu'il était tombé d'épuisement et mort de faim; le deuxième, dont il ne restait plus que le squelette, avait été tué, me dit-on, par les miliciens, pour absence de caoutchouc. Le premier village que je rencontre, Danyaka, sillonné de tombes fraîches, me produit une ilnpression pénible, on n'y trouve que des malades; j'avise une case où j'en compte sept parmi lesquels trois petits enfants de deux ou trois ans, qui n'ont plus que quelques jours à vivre; cinquante mètres plus loin, six autres mourants gisent à terre sous des ruines, une femme mourante elle-même, pleure son enfant qu'elle ne peut plus allaiter et qui va mourir. Au village suivant, sur la Pandé, même tableau: ce village, dont les ruines disent qu'il fut important, s'est transformé en un vaste cimetière, et les survivants que j'y trouve sont tous profondément atteints de béribéri... Dernièrement, un administrateur du Kouango me disait que les deux tiers des Langbassis du Kouango avaient déjà disparu... Les exterminateurs de ces races ne pourront-ils pas toujours se réclamer des ordres reçus: "du caoutchouc, par n'importe quel moyen..." ? Les abus de ces sociétés, comme ceux dûs au portage, furent différents suivant les ethnies et leurs chefs, suivant aussi les administrateurs. Les Langbasi sont durement éprouvés, tandis que les Linda fuient en "brousse". Malgré cela, le Père Daigre peut circuler à peu près partout, se rendre comp-

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La colonisation

te de la situation et entendre les plaintes. Il témoigne" avoir rencontré une population nullement antipathique". De son côté, le sultan Labasso, successeur de Bangassou sait tenir tête, seul, à la Compagnie des sultanats. Auparavant en 1897, quand l'expédition Marchand traverse la région des sultanats en route pour le Nil, ce sont les rois eux-mêmes qui organisant le portage et les étapes, évitent les abus. Une façon de faire des bénéfices est le commerce des produits importés: quincaillerie, étoffes, produits alimentaires (sel, alcool, conserves, riz...). Les prix en sont ordinairement prohibitifs: le sel est vendu facilement trois fois son prix de revient. Dans l'autre sens, le caoutchouc qui est acheté 1 ou 2 F le kg, est revendu 15 F en Europe; malgré les frais de transport de 2 ou 3 F, ces tarifs laissent de substantiels bénéfices. Un autre moyen de se lier les populations est d'en rester au troc traditionnel. Certes l'acheteur reçoit une quantité plus importante de marchandises que s'il paye en numéraire, mais il n'est pas libre de s'adresser à d'autres marchands qui n'ont pas le droit d'acheter ses produits. En plus de l'exploitation du pays, ces compagnies s'octroient donc le monopole du commerce, même si de telles pratiques sont réprouvées par le code international du commerce qui, à la suite de la Conférence de Berlin, en exige la plus complète liberté. Nous sommes ainsi dans le commerce de traite, qui consiste à échanger au prix fort des produits importés, contre des produits locaux évalués, eux, au plus faible prix, sans passer autant que possible par le biais de l'argent. Le bilan économique de ce système est catastrophique: ces compagnies sont certes des maisons de commerce et non des sociétés philanthropiques, qui se soucient avant tout de faire des bénéfices, mais avec le minimum d'investissement, d'amortissement ou d'autofinancement. Nous avons déjà signalé que les capitaux ne furent que rarement entièrement souscrits. Par contre, les bénéfices distribués sont jusqu'en 1914 souvent plus qu'honorables. De son côté l'Etat lui-même ne touche pas la part des bénéfices qu'il est en droit d'attendre: en trente ans, il reçoit environ 16 millions qui sont reversés à la colonie. Par contre dans l'EIC, l'Etat au lieu d'exiger des redevances fixes s'est engagé en tant qu' action86

La colonisation

naire; cela lui permet d'intervenir dans la gestion des entreprises et le système fonctionne mieux. Le gouvernement français l'avait compris, mais il n' ~tait pas décidé à s'engager dans la voie de cette politique. Par manque d'investissement, ces sociétés négligent donc le long terme, et quand la demande de caoutchouc diminue ou que les ressources naturelles s'épuisent, elles n' ont plus aucun produit de remplacement. Certaines alors sont liquidées, d' autres fusionnent. Quand enfin le régime concessionnaire arrive à son terme en 1929, quelques-unes se transforment en sociétés commerciales ordinaires. Le bilan humain ne fut pas non plus positif; trop souvent les agents engagés par ces sociétés sont indésirables ailleurs. Les exactions auxquelles ils se livrent sont rarement sanctionnées. Les gardes et les Iniliciens noirs, livrés à eux-mêmes, se comportent en pays conquis, abusant facilement de leur autorité sur la population, et razziant animaux domestiques et produits agricoles. Les AfricaÎ11s, qui ne savent ni lire ni écrire, ne discernent pas l'illégalité de certaines exigences des sociétés et de leurs agents. Obligés d'aller au caoutchouc, ils ne peuvent se livrer en temps utile aux travaux agricoles. Ils vivent dans la terreur et acceptent ce système, contraints et forcés, jusqu'au jour où, excédés, ils se soulèvent et massacrent ces agents européens et leurs employés africains. L'IMPOTINDIGENE(1901-1994) En même temps, en Mai 1901, naît "un impôt indigène". La politique veut que ces colonies se suffisent à elles-mêmes, et ne comptent pas sur la métropole: "La colonie ne doit rien coûter à la métropole, mais au contraire elle doit lui rapporter". La création des sociétés concessionnaires poursuivait déjà ce but. Le code de l'indigénat, en vigueur à cette époque, impose le travail forcé, les cultures obligatoires, des corvées, un impôt de capitation pour tous les adultes. En 1902, cet impôt indigène ou de capitation est fixée à 3 F pour les hommes et pour les femmes. On semble cependant oublier que le numéraire est inconnu. Il ne reste alors aux contribuables qu'à payer en nature: caoutchouc bien évidemment, 87

La colonisation

ou ivoire. Mais ces produits ne pouvant provenir aux dires des sociétés que des territoires concédés, elles crient que l'administration les en dépossède; on arrive à un accord: ces produits leur seront rétrocédés. Elles peuvent les sous-évaluer à leur convenance, ce qui leur permet d'en retirer ordinairement un profit supplémentaire. La population accepte plutôt mal cette contrainte tout à fait nouvelle, d'autant plus qu'à défaut de recensement et surtout de listes d'assujettis tenues à jour, il arrivera fort souvent que certains seront obligés de payer pour des défunts, des disparus, des gens en fuite. Beaucoup, dans la Lobaye, passent en EIC, pour y échapper. Boganda le fit supprimer pour les femmes. En 1994, la Chambre des députés le supprimera pour les hommes. LE PORTAGE A cette époque, en dehors des rivières, il n'existe pas d'autre moyen de transport des marchandises que le portage par des hommes à pied. La colonne Marchand qui, en 1896, part de l'Atlantique pour la vallée du Nil, comprend 12 Européens, 150 tirailleurs africains... et 13 500 charges. Elle dispose d'un vapeur "Le Faidherbe", qui est démonté à Ouango (Mo baye). La chaudière est partagée en deux blocs d'une tonne chacun, qui sont poussés sur des rouleaux de bois. Pour cela on ouvre une piste de 160 km pour atteindre le bassin du Nil. Encore cette colonne a-t-elle "la chance" de traverser un pays bien organisé avec les souverains zandé et nzakara ! Sinon, comment aurait-elle pu faire transporter tout ce matériel? En 1890 Crampel, qui traverse des régions ravagées par la traite, et ne trouve pas ravitaillement et porteurs en nombre suffisant, est obligé d'organiser des va-et-vient entre les relais. En Centrafrique, le portage touche surtout la région entre Sibut et Kaga-Bandoro. Les marchandises remontent la Tomi, au moins une partie de l'année, jusqu'à Sibut ; mais de là il faut rejoindre le bassin du Chari à Batangafo ou KagaBandoro. Pour cette raison cette région ne fut pas concédée, mais directement administrée par un commissaire du gouvernement. 88

La colonisation

Jusqu'en 1899, il n'y a pas de difficultés majeures pour le recrutement. Mais peu à peu, ces réquisitions causent des ravages, ne serait-ce qu'en raison de l'absence dans leur village d'hommes valides au moment des cultures. A partir de 1900 et 1901, il n'est plus possible de trouver des porteurs chez les Manja et les Banda. On en vient donc à la coercition: les chefs de poste prennent comme otages les chefs de village tant qu'ils n'ont pu obtenir le nombre de porteurs suffisants. A cette coercition répondent la dispersion des villageois, leur fuite loin de la ligne de portage, même le renoncement aux cultures pour ne pas trahir leur présence. Plus que du travail lui-même, les porteurs se plaignent de la longueur des étapes et de l'espacement des relais, qui engendrent la fatigue et les font s'absenter trop longtemps. La population manja se soulève entre 1902 et 1905. La répression génère des excès, tel celui du 13 juillet 1903 à Kaga-Bandoro, où Gaud, adjoint de l'administrateur Toqué, fait sauter d'une cartouche de dynamite attachée dans le dos un guide pour le punir de sa désertion. Les maladies trouvent dans ces populations déprimées un terrain favorable; à des épidémies de variole qui touchent jusqu'à 80 % de la population dans certains villages, succèdent celles de la maladie du sommeil, le long des pistes de portage et des rivières de pagayage. A la suite de la mission de de Brazza en 1905, il semble que peu à peu cette corvée" s'humanise" : on se préoccupe d'abord des réelles possibilités de chaque village, puis on paie les requis en nature, et non avec des perles, pour qu'ils puissent se nourrir pendant le trajet... Cette contrainte disparaît finalement avec la construction d'une route, dont les travaux débutent en 1914 entre Sibut et Kaga-Bandoro, et qui en 1918 se prolonge vers Bangui. Entre 1920 et 1925, le gouverneur Lamblin entreprend la construction de pistes nouvelles de chaque côté de cet axe nord-sud, soit environ 4 000 kilomètres, qui permettent de relier tous les postes administratifs à Bangui par véhicule automobile. Il fait aussi planter des arbres à caoutchouc le long des routes. Malheureusement l'administration qui dispose de peu de moyens financiers et techniques pour ces réalisations, a encore recours à des réqui89

La colonisation

sitions, ce qui occasionne de nouvelles résistances. Mais à partir de 1925, le portage de marchandises commerciales est interdit, et les commerçants doivent s'équiper de véhicules de transport. Les conséquences indirectes du portage et des autres réquisitions sont terribles, les femmes vont jusqu'à se faire avorter pour que leurs enfants, surtout les garçons, ne deviennent pas" esclaves" . Voici ce qu'en dit René Maran dans un article intitulé "Témoignages sur l'Afrique Noire" et publié dans le journal de la ligue contre le racisme et l'antisémitisme, Le Droit de Vivre, dans son numéro 234 de 1954. Il Y répond à la thèse soutenue par M. Henri Ziègle, inspecteur d'Académie, à la suite d'autres personnes, tel M. Victor Augagneur, ancien administrateur, pour lesquels les premiers dénombrements de population ont été faussés par excès: "Sans doute M. Victor Augagneur et Henri Ziègle se seraient-ils montrés moins catégoriques, s'il leur avait été donné de remonter, entre 1908 et fin 1911, le Congo et l'Oubangui. Ce dernier fleuve était alors jalonné, de son confluent avec le Congo jusqu'à Bétou, de villages populeux où prospéraient les Bondjos... A la même époque, la route de Bangui à Djouma, qui traversait la région dite des Togbos en passant par Damara, n'était qu'une succession de villages où grouillaient véritablement les plus beaux types des tribus mbakas-mandjias. Enfin, il est de notoriété publique que le docteur Eugène Jamot, l'apôtre de la trypanosomiase, passant, en 1918, dans un village de l'Ouham... ne trouva que 1 080 individus sur les 10 000 qu'on y avait recensés sept ans auparavant. Fait curieux, qui n'est noté ici que pour mémoire. Les villages de la région de Damara s'enorgueillissaient de posséder encore, en 1911, de beaux cabris mérinos. Qu'est devenue cette espèce, depuis lors? Où a-t-elle disparu, et comment? On n'en a jamais rien su. Second fait du même genre. Vers 1914-1915, la subdivision de Djouma, qui à l'instar de celle de Damara, regorgeait auparavant de poules et de canards, n'en comptait plus un seul, dans aucun de ses villages. Ce que voyant, son administrateur, M. Maurice Reydy... a acheté, de ses propres deniers, au Congo belge, de quoi repeupler tous les villages de sa subdivision en poules et en canards. 90

La colonisation

D'aucuns se sont demandé, de très bonne foi, ce qui avait pu provoquer cet amenuisement de la population autochtone de l'Afrique Equatoriale. Il semble qu'on se soit mis d'accord pour ne l'attribuer qu'aux migrations tribales, et à l'excessive mortalité dont furent longtemps responsables le portage et la maladie du sommeil. Portage, certes, exodes clandestins massifs et maladie du sommeil ont contribué un moment à }'accroître et à le précipiter. Ce qui l'a accentué davantage, tout au moins pour ce qui est de l'Oubangui, et qui n'a jamais été dit, la plupart des fonctionnaires aéfiens de l'époque comprise entre 1905 et 1936 n'ayant jamais cherché à connaître quoi que ce soit de leurs noirs administrés, c'est qu'il fut un laps de temps de quinze à vingt années où la femme oubanguienne préférait se faire avorter plutôt que de mettre au monde un enfant, dont la colonisation ferait, de son vivant, un esclave. Cela est si vrai que lorsqu'un fonctionnaire de ce telnps révolu procédait à une tournée de recensement dans un village banda de l'Oubangui, aIl lui présentait les enfants en bas-âge du sexe Inasculin en disant: IIZOUti kumba", trois mots qui, traduits librement, signifient: "petits d'hoffilnes dont les Blancs se serviront plus tard pour faire du portage". Trois mots qui prouvent que, de "la traite des nègres" par mer, la colonisation de l'Afrique par l'Europe était passée de l'esclavage à domicile, ou si l'on préfère, à la traite sur place" .

LE CHEMIN DE FER CONGO-OCÉAN

(1921-1934)

Sur la rive gauche du fleuve Congo, de Matadi à Léopoldville (l'actuel Kinshasa), les Belges ont en 1890 commencé à construire un chemin de fer, pour pallier l'impossibilité de remonter ce fleuve barré par des séries de chutes. Il leur en coûta quelque 70 millions de francs de l'époque. Terminé vers 1900, les Français s'en servent, puis décident d'en construire un de leur côté sur la rive droite, depuis le port de Pointe-Noire sur l'Atlantique jusqu'à Brazzaville, où ensuite le trafic peut être assuré par le fleuve. Vont se succéder sur ce chantier pas moins de 120 000 hommes, dont plus de 40 000 viennent des régions centrafricaines avec des contrats de longue durée. On y trouve des 91

La colonisation

Centrafricains et des Tchadiens: Gbaya, Banda, Sara, Isongo, Zandé, Ngbaka... La mortalité y est terrible, à ce point que le journaliste Albert Londres dans Terre d'ébène parle d' "un noir (décédé) par traverse". Le nombre des morts est évalué à 20 000 environ. Cette mortalité effrayante qui touche également les Européens est dûe en fait à plusieurs causes: l'éloignement de leur village pour ceux qui viennent de loin et leur dépaysement dans une région inconnue, le changement de nourriture et le manque de soins médicaux convenables, le climat, la nature du terrain très accidenté; le manque de moyens mécaniques et d'argent pour faire avancer facilement cet immense chantier amène à faire appel aux hommes; et comme ils rechignent à s'engager de bon gré, on recourt ici aussi à la manière forte. L'INSURRECTION DU KONGO-WARA(1928-1931) Le régime concessionnaire et l'impôt, les réquisitions pour le portage, et la construction des routes et du Congo-Océan, sont à l'origine de la guerre du Kongo-Wara qui touche tout le pays gbaya, lequel doit alors fournir un lourd contingent pour ce chemin de fer. Si de nombreuses colonies françaises en Afrique connurent quelques insurrections entre les deux guerres, celle appelée du Kongo-Wara 'semble bien en être la plus importante. Elle dura plus de trois ans, de 1928 à la fin de 1931. Elle prend naissance dans la région de Bouar, et s'étend rapidement aux autres groupes ethniques voisins des Gbaya à qui ils s'unissent; ainsi toute la région à l'ouest d'une ligne BodaBossembele est touchée, débordant largement sur le Congo, le Cameroun, et le Tchad. Elle mobilise des groupes importants de combattants: du côté africain, on avance au total de 50 000 hommes, dont 10 000 pour la guerre finale des grottes; si du côté européen les effectifs furent moindres, leur armement était bien supérieur à celui des insurgés: d'un côté des fusils et même des canons, de l'autre des flèches et des sagaies! Cette insurrection naît à l'instigation d'un certain Karnou, Barka Ngaïnombey de son vrai nom. Cette personne voit le 92

La colonisation

jour près de Bouar à la fin du XIXème siècle. Se déclarant prophète, il commence à prêcher vers 1925. Ses discours visent surtout les méthodes de la colonisation européenne. Si cette prédication aboutit rapidement à une révolte armée, elle s'appuie en effet sur trop de faits réels. Elle catalyse les ressentiments d'une population depuis trop longtemps en butte aux diverses réquisitions de main-d' œuvre, réquisitions souvent violentes envers les récalcitrants, et qui éloignent de toutes façons les hommes de leurs familles et de leurs plantations, parfois pour de longues durées. Beaucoup résistent. Depuis plusieurs années, le recrutement atteint à peine 20 % des prévisions. De même le recouvrement de l'impôt de capitation connaît des difficultés dans certaines circonscriptions; celui-ci qui est à 3 F en 1925, passe à 7 F, 50 en 1926-1927. Il faut ajouter le regroupement forcé des populations le long des grands axes que l'administration ouvre. Ce regroupement peut se comprendre pour contrôler les populations, et leur assurer des services autrement impossibles; mais par ce fait elles se retrouvent éloignées de la terre de leurs ancêtres, à laquelle elles sont attachées par un lien religieux: les déplacer, c'est les déraciner et les détruire. Elles s'éloignent aussi de leurs terres de culture, et se regroupant en trouvent moins facilement. Ce sont les raisons directes de l'insurrection. Karnou veut libérer son pays du colonisateur, le rendre indépendant, et permettre aux gens déplacés et regroupés de force de retourner sur la terre de leurs ancêtres. C'est à sa manière une guerre de libération. C'est sans doute pour cela que des ethnies différentes et parfois individualistes acceptent de s'unir et de se soulever ensemble. Le mouvement n'est pas raciste, il vise certes les Européens en général, mais aussi des Africains convaincus d'exactions, les Peuls bororo accusés de vouloir déposséder les Gbaya de leurs terres: entre Bororo pasteurs et Gbaya agriculteurs, les accrochages sont déjà fréquents, ils se terminent parfois par des morts d'hommes, et souvent par des massacres de centaines de bœufs. Mais ces Bororo sont soutenus par l'administration qui trouve ces éleveurs "paisibles", et riches avec leurs troupeaux, par opposi1/voleurs et assassins". De son tion aux Gbaya, "sauvages", côté, la mission protestante de Yaloké ne sera pas inquiétée et 93

La colonisation

des chefs en rébellion y mettront leurs enfants en sécurité. Karnou se déplace avec deux bâtons de commandement, dont l'un est en forme de manche de houe, ou kongo-wara, qui a le pouvoir de protéger celui qui le possède des armes de ses agresseurs. Le prophète donne ce kongo-wara à tous ceux qui viennent le voir. D'où le nom de cette guerre. Karnou prêche depuis quelques années sans que l'administration s'en rende compte, quand le chef de subdivision de Baboua, Crubilé, apprend qu'au village de Nahing, un homme se présente comme prophète, et exhorte la population à se révolter et à chasser les Blancs. Crubilé décide de s'y rendre pour s'assurer de la personne de ce prophète. Mais quand le 25 Juin 1928, lui et ses dix hommes se présentent au village, il se retrouve face à une troupe de plus de 200 personnes prêtes à se battre. Il ne peut que rebrousser chemin. Alerté, le gouverneur de Bangui envoie 70 miliciens; mais comme rien ne semble se passer, ils sont retirés. Ces reculades sont considérées par les Gbaya non seulement comme une victoire, mais surtout comn1e la fin de l'invincibilité des Blancs et la preuve de la supériorité de Karnou. Entre juillet et septembre, des escarmouches se produisent ici et là, suffisamment graves pour que, cette fois, le gouvernement se décide à réagir. Une colonne militaire part de Bangui le 13 Octobre; mais dès Boali la progression se ralentit: les villages sont entrés en rébellion, les ponts sont coupés, le ravitaillement sur place impossible, les accrochages fréquents. Yaloké n'est atteint que le 31 octobre, Bouar le 5 Décembre, et Nahing, le village du prophète n'est investi que le 11 Décembre. La colonne française et les hommes du prophète s'affrontent violemment; Karnou y trouve la mort. Ainsi prend fin le premier temps de ce mouvement de révolte. Cette disparition n'arrête pas la rébellion; tout le pays est en fait en état d'insurrection. La région de Yaloké avec le chef du même nom qui avait barré la route aux militaires, continue à se battre pendant toute l'année 1929. Ce chef ne se rendra que le 2 janvier 1930. Au début de l'année 1929, la région sud s'enflamme depuis Bambio jusqu'à la rivière La Likouala aux Herbes au 94

La colonisation

Congo. Cette région ne retrouve le calme qu'en octobre 1929. De novembre 1928 à février 1930, tout le secteur au nord de Bada se soulève avec le chef Zaoulé. La région de Baïbokoum se révolte à partir d'octobre 1929, conduite par le chef Zaorrolim avec 4 000 guerriers; il ne se rendra qu'en octobre 1930. La dernière étape de cette insurrection est la guerre des

Pana ou /I guerre des grottes" dans la région de Bo~aranga, région alors à peine pacifiée et qui n'a jamais accepté la pré-

sence française. L'administration y laisse un poste avec quinze gardes qui s'arrogent, eux et leurs familles, des droits exorbitants sur la population, qui se venge en massacrant les familles qui habitent le poste, pendant que les gardes sont attirés ailleurs. Une centaine de personnes y périssent. La lutte reprend. 10 000 hommes gagnent la brousse et se.réfugient dans des grottes où ils pensent être invulnérables, mais qui deviennent des pièges: l'armée, forte de 500 hommes, tire à l'intérieur puis les enfume. Il fallut toute l'année 1931 pour venir à bout des concentrations d'insurgés dans les différents massifs de cette région. LA GUERREDE 1939-1945 L'Afrique Centrale française va vivre cette guerre à sa manière, qui ne fut pas la moins glorieuse. Dès le 26 août 1940, Félix Eboué, longtemps administrateur en OubanguiChari, et alors gouverneur du Tchad, annonce que ce territoire se rallie à la France Libre. Ce ralliement sème la panique dans les rangs des Français de Bangui, civils comme mili-

taires, qui se partagent entre légalistes et /Igaullistes"

qui, eux,

font figure de rebelles. Rapidement le capitaine de Roux de la 3ème compagnie du Bataillon de l'Oubangui, basée à Bouar, annonce à son tour son ralliement à la France Libre et menace de marcher sur Bangui; il est rejoint par le capitaine Amiel, commandant la 2ème compagnie de Berbérati. L'OubanguiChari et le Congo avec de Laminat passent ainsi à la France Libre. Dès lors, la France, par ses colonies entre en guerre aux côtés des Anglais. De Roux, nommé commandant, forme le 95

La colonisation

2ème bataillon de marche (BM2) de l'AEF à partir des bataillons de tirailleurs de l'Oubangui, composé d'Africains et d'Européens mobilisés sur place. Plus d'un millier d'hommes quittent Bangui en janvier 1941 pour la Palestine et la Syrie, où ils combattent en particulier pour la prise de Damas. En mai et juin 1942, ils se retrouvent à la fameuse bataille de BirHakeim en Lybie. Plus de 200 soldats de ce bataillon, Africains et Européens, y trouvent la mort. Le lieutenant Koudoukou, gravement blessé, décède à Alexandrie, tandis que le lieutenant-colonel de Roux est tué dans un accident d'avion en août 1942. Bangui a gardé le souvenir de ces deux hommes en donnant leur nom au camp militaire qui surplombe le fleuve et à une avenue. En 1943, le BM2 participe à la libération de Madagascar, puis rentre en Oubangui en Octobre. En 1944, il combat en France, en particulier à la prise de Royan. D'autres Centrafricains participeront à la guerre, soit avec le BM3 tchadien, soit avec la division Leclerc. Trois Centrafricains, pour leur bravoure et leur courage au cours des combats de Bir-Hakeim, reçoivent la Croix de la Libération: le lieutenan~ Koudoukou, l'adjudant-chef Moureno et le tirailleur Koudoussoumague ; le BM2 est fait compagnon de la Libération.

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Chapitre 6 LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE les aléas

du pouvoir

A la fin de la guerre 1939-1945, la situation politique va rapidement changer. Dès 1946, l'Oubangui-Chari obtient le statut de territoire d'Outre-mer dans le cadre de l'Union française; puis avec la "loi Deferre" de 1956, l'autonomie interne et la proclamation de la République en 1957 et 1958. BARTHÉLÉMY BOGANDA : LE PERE-FONDATEUR DE lA NATION CENTRAFRICAINE

Barthélémy Boganda voit le jour le 4 Avril 1910 à Bobangui dans la Lobaye, à 70 kilomètres de Bangui. En 1920, il est admis à l'école de la mission catholique, d'abord à Betou (Congo), puis à Bangui (Saint Paul). Il reçoit le baptême en 1922. En 1931, il entre au grand séminaire de Mvolye au Cameroun. Il est ordonné prêtre le 27 Mars 1938 à Bangui par Mgr Grandin. Après son ordination, il travaille successivement au petit séminaire de Bangui, puis en paroisse à Bambari, Grimari, enfin Bangassou. Son évêque lui demande alors de se présenter aux élections législatives du 10 Novembre 1946 au second collège. A cette époque, Européens et Africains choisissaient leurs députés, chacun de leur côté. Il est élu et devient député à l'Assemblée Nationale française. Le 28 Septembre 1949, il crée un parti, le MESAN, Mouvement de l'Evolution Sociale de l'Afrique Noire. La tension est alors vive entre Européens et Africains: ces derniers qui ont combattu aux côtés des Européens pendant la dernière guerre, veulent participer au gouvernement de leur

La République

Centrafricaine

pays. Les Européens sentent le pouvoir leur échapper et admettent difficilement que des Africains deviennent leurs égaux et se mêlent à eux. Ainsi, Barthélémy Boganda se voit un jour refuser l'entrée d'un café à Bangui. Le 10 Janvier 1951, alors qu'il est député, il est arrêté avec sa femme et sa fillette au marché de Bokanga dans la Lobaye, et il est gardé à vue pendant 48 heures à Mbaïki. Il en raconte lui-même les circonstances: Voici comment s'est produit l'incident: Le 10 janvier 1951, jour de marché officiel de Bosia et de Bokanga, je me suis rend u sur ces marchés et j'ai déclaré a ux femmes, devant l'Adlninistrateur, que Nzilakema, un des plus anciens chefs de la tribu, venait de mourir dans la prison de M'baïki par suite de coups et je priais les femmes de s'associer au deuil de la tribu et de ne pas faire le marché ce jour-là. Mais il y avait là des commerçants: 4 Portugais, un Belge et un Français, venus pour acheter de l'huile de palme et des palmistes. Ceux-ci font pression sur l'Administrateur qui fait alerter des troupes jusqu'à Bangui; il paraîtrait que les régilnents de Bouar et même Bertoua dans le Cameroun auraient été alertés également. Le gouverneur Colombani ne se vante pas de cette ridicule levée de troupes contre 200 femmes assises près de leurs paniers de pahnistes. Ajoutons que ce sont ces mêmes femmes, qui en 1942 et 1943 ont donné leurs petits sous pour armer la France Libre. Le juge de Paix de M'baïki et l'adjoint au chef de la Région de la Lobaye, tous deux armés, arrivent donc à la tête d'une troupe. On m'arrête pour" flagrant délit", avec ma femme et ma fille âgée de 6 mois et demi ainsi que nos deux secrétaires. On nous met 48 heures en détention préventive. ... (in l'A.B.C.)

Un autre texte de Barthélémy Boganda, fait état des réactions de son épouse: Dans les annales de la jurisprudence française et humaine, connaissezvous un cas où une personne ait été emprisonnée sur sa demande? traduite en jugement sur sa demande? Ma femme a été arrêtée, emprisonnée avec moi à M'baïki, traduite en justice; tout cela parce qu'elle a dit au juge: /IVous arrêtez mon mari? Arrêtez-moi aussi, alors, et avec ma fille". Il lui a été répondu: "Mais oui, madame, tout ce que vous voudrez". 98

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Quand elle a tenté d'éviter au juge de Paix, l'odieux et le ridicule de son arrestation, lui demandant de prendre garde à ce qu'ils allaient faire, on lui a répondu: "Taisez-vous, madame, vous n' avez rien à dire" . Evidemment!

Jugé et condamné par le tribunal de Mbaïki, la cour d'Appel de Brazzaville, reprenant le jugement, le condamne cette fois à 45 jours de prison ferme. "J'ai demandé qu'on m'emprisonne si j'étais coupable, mais l'injustice était trop violente, et la France "LA VRAIE FRANCE" m'a donné raison en cassant le jugement de Brazzaville". S'il critique aussi certains hommes d'Eglise, c'est encore au nom des valeurs chrétiennes qu'ils devraient incarner. De son côté, il veut rester chrétien jusqu/ au bout. Certes, il s'est marié, mais il ne peut être question de renier l'Eglise qui, à ses yeux, incarne, avec la France, les vraies valeurs civilisatrices. Il se trouve en même temps libre de condamner violemment certaines traditions africaines, comme le mariage forcé ou la polygamie. Il est assuré que le progrès de son peuple ne pourra venir que de l'attachement aux valeurs morales venues de l'Europe chrétienne. Ce que Barthélémy Boganda exige, c'est la fin réelle du travail forcé, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, la fin des exactions des gardes indigènes, du travail des femmes et des enfants, des châtiments corporels, etc... la suppression des laissez-passer exigés pour tout déplacement hors de la région d'origine. Les années qui suivent la guerre de 1939-1945 connaissent un réel progrès économique: la production du coton passe de 25 à 40 mille tonnes entre 1946 et 1952, celle du café oscille entre 1200 et 4 400 tonnes, celle du diamant passe de 87000 à 146 000 carats. Le territoire obtient des crédits pour les infrastructures de communication (routes, rivières...), pour les équipements sociaux. Un plan d'urbanisme pour Bangui voit le jour en 1952. Mais la coercition est toujours la règle: la culture du coton par exemple est obligatoire, et les administrateurs sont notés d'après la production dans leur district respectif. Signe d'une tension raciale toujours latente, une émeute 99

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éclate à Berbérati en 1954 à la suite du suicide d'un cuisinier qui, selon les résultats de l'enquête, avait tué sa femme; mais pour la population, ces décès sont des meurtres commis par l'Européen qui employait cet homme. Une émeute s'ensuit, et on comptera un mort et quelques blessés parmi les Européens. L' administration prend peur; Boganda, sollicité par le gouverneur intervient et ramène le calme. Là comme pour l'affaire de sa garde à vue à Mbaïki, planait chez les responsables européens,la peur d'une nouvelle guerre du Kongo-Wara. Boganda est réélu en 1951, puis en 1956. Malgré son désir d'une indépendance totale, il appelle à voter" oui" au référendum organisé en Septembre 1958 par le général de Gaulle sur l'avenir des relations entre la France et ses anciennes colonies d'Afrique, au sein d'une communauté d'Etats autonomes. Mais en distinguant le droit à l'indépendance qu'il réclame, et l'usage immédiat et effectif de ce droit, il ne se coupe pas de la France avec qui il veut garder des liens étroits, tout en posant le principe d'une évolution de la situation politique des pays africains dans le sens de cette indépendance. Par ailleurs, il "rêve" de réunir en un grand ensemble (une grande République), d'abord, les quatre territoires formant alors l'AEF : le Congo, le Gabon, le Tchad et l'Oubangui-Chari. Ne voulant pas limiter son mouvement politique (le Mesan) à son propre pays, il désire englober "l'Afrique Noire" comme son titre l'indique. Mais chaque Etat et ses responsables préférent garder leur indépendance, chacun ayant ses raisons propres. La seconde étape aurait vu la naissance d'Etats Unis de l'Afrique centrale, avec en plus des précédents, le Congo belge (ex. Zaïre), l'Angola, le Cameroun, le Ruanda-Urundi (actuels Rwanda et Burundi). La première étape n'ayant pu être franchie, la seconde se trouve être hors de question; déplorant la "balkanisation" de cette région de l'Afrique, Barthélémy Boganda proclame alors le 1er décembre 1958 la République Centrafricaine - à la place d'Oubangui-Chari -, comme Etat autonome au sein de la Communauté française. Des élections à l'assemblée législative centrafricaine sont prévues le 5 avril 1959. Alors qu'il rentre de Berbérati à Bangui, après un meeting politique pour la préparation de ces élections, l'avion de la ligne régulière qui transporte Boganda et son équi100

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pe s'écrase dans la région de Bada le 29 mars. Tous les passagers trouvent la mort. Les raisons de cet accident resteront imprécises. Mais le Père de la nation disparaissait et entrait dans le mythe. Si par la suite, certains régimes occultèrent leur prédécesseur immédiat qu'ils avaient chassé du pouvoir, ils se référeront toujours à Boganda pour fonder leur légitimité. Barthélémy Boganda est à l'origine de la devise de la République Centrafricaine: "Unité, Dignité, Travail". Les régimes qui se sont succédé n'y ont pas touché. Il a choisi les éléments de cette devise en fonction de l'histoire et de la situation socio-politique de son pays. "Unité" en premier lieu, entre des gens ayant conscience d' appartenir à des ethnies diverses et parfois a11tagonistes, et qui se trouvent réunis dans un Etat par le fait du colonisateur qui en a décidé ainsi; Etat qui doit peu à peu devenir une nation. "Dignité" : un des principaux reproches adressés au colonisateur, c'est de ne pas avoir regardé l'Africain comme un frère, mais trop souvent comme une machine à fournir du travail. On lui attribue de même la célèbre formule proverbiale" 20 kûê 20" = "tout homme est un homme" : tout homme, quelle que soit son origine... est un homme et a droit au respect. Cela, lors des meetings, dans ses journaux, comme à la tribune du Palais Bourbon, il ne cesse de le crier. Enfin "Travail" : malgré les abus du régime concessionnaire/ malgré le travail forcé, malgré la déconsidération du travail manuel et surtout agricole, Barthélémy Boganda et les régimes après luit insisteront sur l'importance de ce travail de la terre, sans doute pour prendre, là aussi, à contre-pied, bien des colons pour qui le noir est un paresseux, qu'il faut contraindre au travail. Lui-même s'engagera dans cette voie du travail agricole, mais pour que les Africains puissent contrôler la vente de leurs productions et l'achat des biens de consommation au meilleur prix, il lancera des coopératives; dans la Lobaye, celle de la Socoulolé, Société coopérative de l'Oubangui-Lobaye-Lessé. Elles connaîtront des fortunes diverses, soit à cause du manque de rigueur dans la gestion, soit à cause du refus de subventions auxquelles elles pouvaient prétendre. Ces coopératives en effet entraient souvent en concurrence avec les commerçants, ce qui ne serait pas étranger d'ailleurs à l'affaire du marché de

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Bokanga où il fut arrêté et avec les sociétés indigènes Prévoyance (SIP) mises en place par l'administration.

de

DAVIDDACKO(1959-1965) A la mort de Barthélémy Boganda, Abel Goumba, un médecin, assure l'intérim de la présidence du gouvernement. Les élections législatives ont lieu comme prévu le 5 Avril. David Dacko, un instituteur, né en 1928, pose alors sa candidature à la présidence du gouvernement: Abel Goumba se retire, et Dacko, seul candidat, est élu. La situation politique de l'autonomie dans le cadre de la communauté, issue du référendum de 1958, va évoluer très rapidement. L'idée d'une "fédération" entre les Etats africains n'est pas morte; dans un premier temps les Etats de l'AEF choisissent de se regrouper dans une confédération certes fort souple, mais les intérêts particularistes l'emportent à nouveau et chaque Etat négocie seul avec Paris ses accords d'indépendance et de coopération. Pour le Centrafrique, ils sont signés à Bangui le 13 août 1960 par André Malraux, au nom du gouvernement français. La République Centrafricaine est reçue comme membre de l'ONU le 20 septembre 1960. Mais déjà une opposition se fait jour. Un nouveau parti, le MEDAC (Mouvement pour l'évolution démocratique de l'Afrique centrale), naît, présidé par Abel Goumba, qui prétend à l'héritage de la politique de Boganda. Sans attendre une élection qui peut lui être défavorable, David Dacko qui n'est que chef de gouvernement, se fait nommer chef de l'Etat en Novembre 1960 par les députés. Ceux-ci se voient confirmer leur mandat, sans retourner devant le corps électoral. En même temps, il fait voter une série de lois restrictives qui font revenir le pays au plus beau temps de la colonisation d'avant 1946 : lois sur la répression des actes de résistance ou de désobéissance aux autorités publiques, sur les écrits subversifs, sur le droit du gouvernement à dissoudre les partis politiques, les syndicats et autres associations, sur l'internement administratif des personnes jugées dangereuses. De quoi, le chef de l'Etat a-t-il peur? De perdre sa place? D'une guerre civile comme celle qui vient d'éclater au Congo ex-belge aux 102

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frontières mêmes du Centrafrique? Il est difficile de le savoir. A la fin du mois de décembre 1960, le MEDAC est dissous par le Conseil des ministres, tandis qu'Abel Goumba et les sept autres députés de ce parti sont arrêtés après la levée de leur immunité parlementaire. D'une Chambre à sa dévotion, David Dacko obtient alors les pleins pouvoirs. A la veille de l'indépendance, la situation économique n'est pas particulièrement brillante: en 1960 la production de coton est de 33 000 tonnes, mais les cours mondiaux sont faibles et la France est obligée d'accorder un soutien financier aux producteurs. Celle du café se maintient aux environs de 6 000 tonnes, tandis que celle du diamant qui dépassait 100 000 carats en 1957 descend à moins de 70 000 en 1960. Les recettes d'exportation chutent. . Barthélémy Boganda prônait une éducation globale tant des enfants et des jeunes que des adultes. Au moment de sa disparition, la réalité est malheureusement plus prosaïque: en 1959, le nombre des certificats d'études ne dépasse pas le millier, et il n'y a pas davantage d'élèves dans l'enseignement secondaire public. Après soixante ans de présence française, c'est dire la faiblesse des investissements dans ce secteur de l'enseignement. Ceci n'est pas propre à ce pays et la plupart des établissements secondaires publics dans les colonies françaises d'Afrique ne seront créés qu'après la guerre de 1939-1945. L'enseignement secondaire se limite souvent aux séminaires catholiques qui assurent la formation intellectuelle des futurs prêtres. Le Centrafrique devient indépendant, et il lui faut africaniser l'administration; celle-ci est effective début 1961. Malheureusement, les cadres n'ont pas été formés et en peu de temps, le désordre est total. En cette année 1961, l'économie ne se porte pas mieux: la production cotonnière continue à chuter, ainsi que celle du diamant: moins de 60 000 carats en 1961 ; seule celle du café se maintient. Peu de financiers veulent investir en Centrafrique, à cause de l'éloignement, du sous-peuplement et de la faiblesse du pouvoir d'achat. On voit resurgir le projet du chemin de fer Bangui-Tchad, qui prolongerait la voie d'eau du Congo et de l'Oubangui, alors que la plus rationnelle et la plus courte, tant pour le Tchad que pour le Centrafrique, 103

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passe par le Cameroun. Mais là on se heurte à des monopoles! En 1963, David Dacko obtient de la Chambre des députés que son mandat soit porté à 7 ans, et qu'il soit élu au suffrage universel. En janvier 1964, il se présente donc comme seul candidat à la présidence de la République: il est élu par la totalité des votants. La Chambre est renouvelée sans problème en mars de la même année. Elle perd cependant tout pouvoir au profit du parti unique, le MESAN, auquel chaque Centrafricain doit adhérer, et à qui il doit payer une cotisation de membre. Ce parti coiffe et surveille l'administration et les fonctionnaires, ce qui ne peut que faire surgir des conflits avec les agents de l'Etat. Le jugement des députés du MEDAC arrêtés en Décembre 1960, intervient en mai 1962. On ne peut retenir contre eux un quelconque complot tribaliste, pas plus qu'une atteinte à la sûreté de l'Etat. Ils sont condamnés seulement pour "provocation à attroupement sur la voie publique". Leurs avocats sont malmenés, elnpêchés d'entrer sur le territoire, ou expulsés. Peu après, Abel Goumba et les autres députés sont libérés. David Dacko va essayer de dégager l'économie centrafricaine de la tutelle de la France. Pour le coton, une nouvelle société est créée: alors que les précédentes ne s'occupaient pas de la culture, l'UCCA (Union Cotonnière Centrafricaine) se charge de toute la filière de production du coton jusqu'à son traitement, avec une usine de filature à Boali. Il réorganise également le secteur diamantifère avec des bureaux d'achat contrôlés par les services administratifs; il fait étudier la création d'une taillerie. Il demande un inventaire de la forêt centrafricaine, pour une exploitation sérieuse. Pour les élevages des Peuls Bororo, il fait mettre en place un service vétérinaire. Commence aussi la construction d'un nouvel aéroport à Bangui-Mpoko pour remplacer l'ancien mal placé et difficile à agrandir. La politique éducative de David Dacko, lui-même enseignant, est également volontariste. En 1965, on comptera 700 écoles primaires, plus d'une trentaine d'établissements secondaires, une Ecole Nationale d'Administration, plus de 130 000 élèves et étudiants. Réel progrès par rapport à la situation de 1959. Devant la grogne des instituteurs de l'enseignement catholique, dont les salaires sont inférieurs à ceux de leurs collègues du public, le gouvernement décide l'unification de 104

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l'enseignement. Les enseignants privés sont intégrés dans la fonction publique. Cependant les problèmes ne sont pas tous résolus: il n'existe pas encore de professeurs africains pour le secondaire, et ceux du primaire ont besoin d'une solide formation. Ces politiques éducatives et économiques de développement produiront leurs effets sous le régime suivant. Ils ne peuvent dans l'immédiat compenser les sacrifices demandés à la population: cotisations, achat d'insignes, emprunts obligatoires, salaires bloqués... alors que les dirigeants et les responsables du MESAN mènent un train de vie ostentatoire. De son côté, l'armée avec son chef d'état-major, le colonel Jean-Bedel Bokassa, se voit préférer à la gendarmerie. Devant ce malaise militaire et civil, devant la grogne de la population, le pays est mûr pour un coup d'Etat. Certains pensent que David Dacko veut passer la lnain en douceur à Jean Izamo, commandant la gendarmerie. D'autres au contraire croient que Dacko aurait voulu garder le pouvoir. Ce qui est certain, c'est que Bokassa se voit supplanté auprès de Dacko, qui lui retire le poste de Conseiller personnel du ministère de la Défense. Il décide alors d'agir. Dans la nuit de la Saint Sylvestre, il fait arrêter Izamo, exige de Dacko qu'il se démette de ses pouvoirs en sa faveur. Le 1er janvier 1966, les Centrafricains se réveillent avec un nouveau gouvernement.

JEAN-BEDEL BoKASSA (1966-1979)

Jean-Bedel Bokassa naît le 22 Février 1921 à Bobangui dans la Lobaye. Comme ses précécesseurs, il est d'ethnie ngbaka. Après des études primaires, il s'engage dans l'armée française en 1939. En 1950, il combat en Indochine. En 1954, il est adjudant-chef. C'est l'époque où la France se rend compte qu'il est urgent de former des officiers africains, encore peu nombreux. Ainsi Jean-Bedel Bokassa monte en grade: sous-lieutenant en 1956, lieutenant en 1958, capitaine en 1961. Il est alors le seul officier d'origine centrafricaine. En 1962, il accède au grade de commandant dans l'armée centrafricaine, dont il prend la tête.

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En 1963, il est nommé chef d'état-major. Dès sa prise de pouvoir, par deux actes constitutionnels des 4 et 8 Janvier 1966, il s'institue président de la République et chef du gouvernement; il peut prendre par ordonnance "toutes les mesures exigées par les circonstances actuelles et pour l'avenir". Dès le début, il cumule entre ses mains tous les pouvoirs, l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Peu à peu, il s'attribue des fonctions ministérielles: en 1967, la Défense nationale, la Justice, l'Intérieur; en 1968, l'Information; en 1970, l'Agriculture et l'Elevage. En 1976, une nouvelle constitution voit le jour, qui fait du Centrafrique un empire, et de Bokassa, un empereur. Cette constitution voulait confiner l'empereur à Berengo, dans sa région d'origine, où il aurait régné, incarnant dans sa personne la nation centrafricaine, tandis que le gouvernement réel aurait résidé à Bangui. En fait, ce gouvernement sert de bouc émissaire devant des situations embarrassantes. Car l'empereur conserve tous les pouvoirs: c'est lui qui décide de tout et signe chaque papier; si donc il s'absente, tout s'arrête. Il rend lui-même la justice, et quelquefois en direct à la radio et à la télévision, y réprimandant publiquement l'un ou l'autre de ses fils récalcitrants. Si un jugement ne lui plaît pas, juge et accusé sont ensemble rejugés... et ensemble condamnés. Cet arbitraire et cette main-mise du chef de l'Etat sur l'appareil administratif se basent sur une certaine conception africaine de l'autorité: le chef est au-dessus des lois et de la loi, puisqu'il la fait. Mais ici, personne ne sait très bien quelle est la loi et son interprétation du moment. Exiger de la connaître serait même un crime de lèse-majesté, qui met en cause l'honnêteté du chef ou de son représentant. Tout citoyen doit craindre l'un et l'autre, qui s'arrogent les mêmes pouvoirs, et aussi les délateurs de tout poil, qui rapportent les ragots vrais ou faux. Le chef n'a aucun compte à rendre à quiconque d'aucun de ses faits et gestes. Le pays, ses ressources et ses richesses, lui appartiennent; de même les habitants, qu'il appel1/ le ses fils", à qui il ne peut vouloir de mal. Face à cette conception, il ne faut pas oublier que dans bien des sociétés africaines, y compris sur le territoire centrafricain, le pouvoir était entre les mains non d'une seule personne, mais d'un groupe d'anciens. Au début de son gouvernement, Bokassa profite des inves106

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tissements décidés par David Dacko. Il inaugure le nouvel aéroport juste après sa prise de pouvoir. Il hérite ainsi du très bel emplacement de l'ancien; la piste va servir d'avenue; les terrains en bordure sont réservés à des services publics: s'y installent l'Université et la Faculté des Sciences de la Santé, le Palais des Sports, le ministère des Affaires étrangères, l'UDEAC, la Télévision, des services de l'Education nationale..., par la suite l'Hôpital Communautaire. Mais dans la ville de Bangui, sa mégalomanie l'entraîne à mettre en chantier un hôtel financé par l'Afrique du Sud dont les travaux n'ont pas bougé depuis sa chute. De même un autre à Mongoumba, mais là pour quels touristes? On peut voir dans Bangui des arcs de triomphe en béton construits à l'occasion du couronnement. Egalement une usine de jus de fruits à Liton au Km 22 sur la route de Damara, qui ne sera jamais mise en route, mais servira un temps à l'armée centrafricaine, puis à l'arlnée lybienne sous un gouvernement suivant. Le Centrafrique en fait, va vite se limiter à Bangui et Berengo. Il est symptomatique que bien après la chute de Bokassa un gendarme fera du poste douanier et policier au PK 12 à Bégoua, "la frontière" du pays. La province est négligée, en particulier tout l'est du pays, et à son départ, le réseau routier sera dans un état épouvantable, à part la route de Bangui à Mbaïki, qui passe par Berengo ; celle-ci est goudronnée; mais sur 100 km, on ne trouve pas moins d'une bonne dizaine de postes de contrôle de toutes sortes, où les arrêts et la présentation des papiers sont obligatoires. Les entreprises étrangères, pour une bonne part françaises, sont soumises au bon vouloir du prince: soit elles se soumettent (parfois au racket de Bokassa qui exige des sommes d'argent), soit elles se démettent et disparaissent: ainsi l'IRCT, les sociétés diamantifères. Elles abandonnent le terrain et ne sont pas remplacées. Celles qui veulent s'implanter cherchent plutôt à faire des affaires le plus rapidement possible, après avoir versé des pots de vin pour pouvoir travailler en paix, mais nullement à investir, surtout dans le long terme, et à "exploiter" les richesses du pays (des hommes d'affaires libanais remplacent les Portugais et les Grecs). Les dons faits au pays sont considérés comme cadeaux 107

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personnels; il en est ainsi des avions donnés par la France que l'empereur loue au pays pour son profit. L'opération Bokassa veut mobiliser les paysans. En fait, il s'agit d'un système très dur pour les populations de province. Les tracteurs défrichent le terrain; les paysans doivent ensuite semer le coton par leurs propres moyens, avec menace de prison pour ceux qui n'y parviennent pas. On reste toujours dans un système de coercition; cette fois, les paysans sont obligés d'abandonner leur rythme traditionnel de travail pour suivre la machine. Bokassa lui-même se présente comme un paysan qui s'active pour nourrir sa famille, laquelle pour lui est son pays, ainsi qu'ill' affirme. Sa politique étrangère est faite d'un jeu de bascule entre les Etats capables de lui fournir de l'argent. Il se montre obséquieux envers la France quand il s'agit d'obtenir une augmentation de crédits; tout aussitôt après, soucieux d'indépendance nationale, il expulse les coopérants de l'agriculture en 1971 et veut frapper sa propre monnaie. Il se dégage de l'UDEAC (Union Douanière des Etats de l'Afrique Centrale), soutenu par la France pour adhérer à l'UEAC (Union des Etats de l'Afrique Centrale), qui comprend le Tchad et le Zaïre; mais rapidement il fait machine arrière et revient à l'UDEAC. Il se rapproche de la Lybie, et se fait même musulman, et de l'URSS. Prenant peur, la France se montre généreuse, et finance le sacre; jusqu'au jour où elle le dépose par une opération militaire en 1979. On ne peut accuser le seul Bokassa d'un tel état de choses. Bien d'autres à sa place adoptent le même comportement, ou peu s'en faut, soit d'eux-mêmes, soit sous la pression de leurs proches, pour leur plus grand profit. Certes, Bokassa installe sa résidence à Berengo en pays ngbaka et il favorise en priorité sa famille et les gens de Bobangui, mais par la suite Kolingba fera de même à Kembé avec les Yakoma de cette région. "Le pouvoir dans l'Afrique indépendante peut être lu comme un butin, l'Etat lui-même étant une énorme dépouille", qu'il faut conquérir et ensuite partager avec ses proches, selon A. Mbembe dans son ouvrage Afriques Indociles. Le seul ennui: ce gâteau n'est pas extensible, il ne satisfait qu'une partie des IJparents", et certainement pas l'ensemble du pays. Tant que cet arbitraire ne touche pas à l'existence même des personnes, la population 108

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courbe la tête, et se soumet au moins en apparence, attendant que cela passe. A défaut d'opposition directe, dangereuse, ceux qui le peuvent fuient Bangui ou les régions à risque: alors que la colonisation avait regroupé les villages le long des grands axes, beaucoup se réfugient à l'intérieur des terres parfois à quelques heures de marche de la grande route, loin de tout contrôle policier. Aux yeux de certains Centrafricains, que ce chef d'Etat tienne tête à l'Europe, fasse parler de lui et fasse ainsi connaître son pays, est positif. Mais il va trop loin, quand

il fait disparaître ceux qui veulent, /I ou sont censés vouloir", prendre sa place, en particulier les militaires dont certains l'ont aidé à conquérir le pouvoir, quand il se venge sur leurs proches (père, mère, enfants...) qui n'ont rien à se reprocher. Et surtout lors des massacres de jeunes qui lui seront attribués en 1979. Personnellement responsable ou non, coupable ou non, une limite est irrévocablement franchie: il a touché au bien le plus précieux de la population, à ses enfants. La proclamation de l'empire et le sacre tournent aussi à la mascarade, et beaucoup de Centrafricains souffrent de voir leur pays brocarder à l'étranger. Il pousse le système jusqu'au ridicule et jusqu'à l'odieux, telles les bastonnades publiques de voleurs, où certains laissent la vie. Il perd alors ce qui pouvait Iui rester de prestige. Bokassa va tomber à partir d'un soulèvement dont il n'avait pas prévu la provenance. Jusqu'alors il s'était affronté à de petits groupes de militaires, et il se méfiait des universitaires. Or, ce sont de jeunes élèves qui se révoltent. En 1977-1978, il entend imposer à tous les scolaires un uniforme. D'autres pays africains l'ont adopté sans problèmes graves. Au contraire, il peut permettre de gommer les signes de différences sociales. Les élèves vont refuser cet uniforme non dans son principe, mais parce que, disent-ils, les bourses d'études ne leur sont pas payées, et pas davantage les salaires de leurs parents. Comment alors se le procurer? Au début personne ne suit cette décision. Mais Bokassa se fâche, d'autant plus qu'il a le monopole de la vente du tissu et de la confection des uniformes dans ses ateliers. Tout bénéfice! Il ordonne donc qu'à la rentrée de janvier 1979, tout élève doit le porter sous peine de se voir refuser l'entrée des établissements scolaires. Dès les 15 et 16 janvier,

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certains sont donc renvoyés. Il n'en faut pas plus pour que de proche en proche tous les établissements de Bangui soient touchés, se mettent en grève et manifestent. La tension atteint son comble le 19 janvier. Après une marche en direction de la Présidence, les manifestants sont refoulés vers les quartiers périphériques du Km 5, vers Malimaka, Galabadjia, Boy-Rabe,

Fou, Gobongo, appelés les JI quartiers rouges". Des barricades sont dressées, les routes barrées avec des carcasses de vieilles voitures et des arbres abattus. En début de soirée, il n'est plus possible de circuler dans ces quartiers. La population est décidée à en découdre par la force; c'est ce qui se passe, quand les militaires vont s'y enfoncer pour reprendre des mains des insurgés le contrôle des grands axes. Des combats souvent violents se poursuivent toute la nuit, avec des morts parfois innocents, touchés par des balles perdues. Mais très vite cette insurrection n'a plus pour objet l'affaire des uniformes. Les rares voitures qui réussissent encore à circuler sont arrêtées et le E de ECA (Empire Centrafricain) sur les plaques minéralogiques est gratté pour être remplacé par un R (République). Ce qui est visé, c'est bien le régime lui-même. D'uniforme, il ne sera plus question, et Bokassa promet l'augmentation des salaires et le paiement des bourses. Les troubles à Bangui cessent, cependant que la tension reste latente, et que les cours sont plus ou moins bien assurés. La province sera moins durement touchée. Arrive alors le mois d'avril, où les manifestations reprennent pour protester cette fois contre des arrestations d'enseignants et d'étudiants. Bokassa, de plus en plus furieux de ne pouvoir contenir cette contestation, ni obtenir de renseignements sur les meneurs, ordonne de faire arrêter le maximum d'étudiants pour les interroger. Le 18 avril, un groupe d'entre eux réuni à Boy-Rabe est surpris par les militaires et s'enfuit en direction de l'aéroport. L'armée ratisse alors systématiquement les quartiers de Gobongo, Galabadjia, Miskine, se saisit de tous les jeunes garçons qu'elle trouve, même les petits vendeurs, les emmène dans les commissariats, puis à la prison de Ngaragba où beaucoup vont trouver la mort dans la nuit qui suit. Devant ce coup de force violente, la révolte se calme. Beaucoup de jeunes ont eu si peur qu'ils se sont enfuis dans les villages voi110

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sins de Bangui, ou en province, malgré la surveillance des routes, ou ont franchi le fleuve; ceci sans prévenir leur famille, qui les croit morts ou disparus. L'opinion internationale est alertée rapidement par un rapport d'Amnesty International, et une mission de constatation africaine vient enquêter sur place. Bokassa veut faire retomber la responsabilité des événements sur ses proches, qui à leur tour prennent peur, et interviennent auprès du gouvernement français. La France va finalement intervenir quand il se rend en Lybie pour négocier une nouvelle aide financière avec Kadhafi. En contrepartie, ce dernier ne demandait pas moins que la base militaire de Bouar. Le Tchad que convoite la Lybie et où se trouvent déjà des militaires français serait alors pris en tenaille. La France ne peut l'admettre et dans la nuit du 20 septembre, 130 militaires français venant de Ndjaména s'assurent de la ville sa~s coup férir, et réinstallent David Dacko au pouvoir.

DAVID DACKO (1979-1981)

(SECOND GOUVERNEMENT)

Le 21 septembre 1979, David Dacko, aidé par des conseillers français, rétablit la République. D'autres prétendants au premier poste de l'Etat se présentent: Henri Maïdou, Ayando, Ange-Félix Patassé, qui tous ont servi sous Bokassa. Ange-Félix Patassé a fondé un parti, le MLPC (Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain). Dacko va devoir lutter contre eux. Patassé qui s'oppose trop violemment à Dacko se retrouve en prison en novembre 1979. Le chef de l'Etat dissout le MESAN, qui était devenu le parti unique à la dévotion de Bokassa, et il créé l'UDC (Union Démocratique Centrafricaine), qui à son tour aura la prétention à devenir parti unique. Comme certains responsables gouvernementaux essaient de se placer dans la course à l'élection présidentielle, David Dacko les élimine de son gouvernement, en assigne quelques-uns à résidence, voulant ainsi briser toute opposition qui pourrait lui porter ombrage; mais il se retrouve seul. Sous la pression du gouvernement français, il décide de libérer tous les prisonniers politiques à l'occasion de la fête nationale du 1er Décembre 1980, et surtout promet des élec111

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tions rapides à la présidence de la République. Devant David Dacko, qui est un Ngbaka, ne se trouve en fait qu'un seul homme de poids, Ange-Félix Patassé, un Gbaya; on risque, de ce fait, un affrontement ethnique. Toujours sous la pression française, le multipartisme est admis, et va se développer malheureusement en fonction des appartenances ethniques. Les élections présidentielles ont lieu le 15 Mars 1981 avec cinq candidats: David Dacko, Henri Maïdou, Ange-Félix Patassé, Abel Goumba et François Péhoua. David Dacko l'emporte dès le premier tour avec 50, 23 % des voix. Ange-Félix Patassé, lui, n'en obtient que 38, Il %. Le 14 juillet 1981, a lieu un attentat à la bombe au cinéma Le Club à Bangui, qui fait 3 morts et de nombreux blessés. Il est attribué à un autre opposant, Idi Lala, et au Mouvement Centrafricain de Libération Nationale. Ceci amène la suspension ou la dissolution de certains partis, tels le MLPC et le MCLN. Auparavant, le 19 Décelnbre 1980, Bokassa est jugé par contumace. Des militaires, dont certains de haut rang, reconnus coupables d'exactions graves sont exécutés le 24 Janvier 1981, après deux procès en 1980. ANDRÉKOLINGBA(1981-1993) Comment André Kolingba prend-il le pouvoir? A-t-il recours au coup de force réel, Dacko s'en dessaisit-il de luimême sans résistance, ou encore l' offre-t-il ? Bien qu'il vienne d'être réélu, il a des raisons de l'abandonner: il est malade, et surtout il a des difficultés à gouverner. Ce qui est certain, c'est que tout se passe en douceur; le pays se réveille un matin avec un nouveau gouvernement sans qu'un seul coup de feu ait été tiré. A l'époque circule la rumeur que le président Dacko a déménagé du palais présidentiel avant même que Kolingba n'intervienne. Quoi qu'il en soit, ce dernier se saisit du pouvoir avec d'autres militaires, qui forment le CMRN, Comité Militaire de Redressement National. Les prébendes passent cette fois aux mains des Yakoma, souvent à des proches parents, qui vont profiter de la manne de ce pouvoir et des sociétés d'Etat. Les 112

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Ngbaka ont cédé la place, mais les pratiques demeurent. En Mars 1982, Ange-Félix Patassé, ancien ministre de Bokassa, qui n'a pas perdu tout espoir d'arriver au pouvoir, tente un pustch avec deux militaires, Bozize et Mbaïkoua. Patassé, après s'être caché dans son quartier à Potopoto, pour échapper aux recherches, se réfugie, déguisé, à l'ambassade de France, qui obtiendra son exil au Togo. Kolingba aura évité cependant l'affrontement direct: comment autrement accepter qu'une voie publique soit barrée en permanence, et que de ce barrage on ne puisse accéder au domicile de l'intéressé que sous la conduite de gardes? Comment comprendre que la police n'intervienne que plusieurs semaines après sa fuite pour détruire ce domicile? Il n'y avait plus grand-chose à craindre! Le gouvernement se trouve affronté aux revendications régulières des étudiants qui se mettent en grève, soit à cause de retards dans le versement de leurs bourses, soit à cause de l'annonce du renforcement des règlements universitaires contre les étudiants fantômes, sur la limitation des redoublements, sur la limite d'âge exigé à l'entrée... A cette époque, sous la conduite des recteurs successifs, s'opère une remise en ordre qui s'imposait. Mais faire l'annonce de réformes en pleine année scolaire relève de la provocation. Chaque décision entraîne une succession obligée de grèves, de répression et de sanctions: emprisonnement, renvoi, mise à pied des leaders, d'où renforcement de la grève jusqu'à la levée des sanctions... Peu d'années entre 1980 et 1990 qui ne connurent une ou plusieurs de ces grèves. Si à l'opposé de Bokassa, Kolingba modère ses interventions musclées, il se prend par contre pour le messie, l'envoyé de Dieu, après Boganda. Même si les chants d'orchestre retransmis à la radio et composés à la gloire du régime et de son chef, sont récusés par une bonne partie de la population, ils n'en reflètent pas moins un état d'esprit de la part des compositeurs, et du gouvernement qui laisse dire... et chanter. Nous nous trouvons en plein culte de la personnalité. Il s'entoure également de conseillers religieux officieux; les catholiques ayant peu de goût pour ce genre de fonction, ce sont des pasteurs baptistes qui officient, alors qu'il est lui-même catholique. Aucune apparition publique officielle du chef de l'Etat ne débu113

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te sans l'intervention d'un pasteur; de même, la cérémonie des vœux fin janvier à la Présidence tourne à la glorification religieuse du régime sous la bénédiction de pasteurs fort nombreux, et de quelques prêtres, qui se voient infliger deux heures de lectures bibliques, sermons et prières, avant de pouvoir se restaurer. L'année 1986 connaît son lot d'événements. Le 27 mars, un Jaguar de l'armée française, dont les moteurs ont des ratés, s'écrase au décollage sur un quartier du Km 5. Les victimes sont nombreuses; il s'ensuit une émeute et des jets de pierres contre les voitures et les commerces du centre ville. Bokassa, qui a laissé entendre qu'il voulait revenir au pays, et a essayé au moins une fois à partir d'Abidjan, réussit à se retrouver à Bangui le 23 octobre à 8 h du matin. Il est aussitôt arrêté. Un nouveau procès s'ouvre le 25 novembre, qui reporté au mois de décembre, se termine le 12 Juin 1987 par sa condamnation à mort. Le pourvoi en cassation est rejeté, mais la condamnation est commuée en prison à vie. Il sera libéré en septembre 1993 avec tous les autres détenus de droit commun et politique. Il cherche alors à reparaître en public, mais le gouvernement lui fait comprendre que s'il a été grâcié, il n'a pas été amnistié. Cette même année 1986 voit l'adoption d'une nouvelle constitution. Le CMRN est dissous et est remplacé par un nouveau parti, unique, le RDC, Rassemblement Démocratique Centrafricain. Les relations entre Kolingba et l'Eglise Catholique, sans être sous le signe' de la violence institutionnalisée, sont pour le moins tendues. Le ministre de l'Intérieur, Grelombe, expulse un prêtre et un frère enseignants, sans qu'on sache bien sous quel prétexte: soutien politique aux étudiants, jalousie... ? Un pasteur zaïrois de l'Eglise protestante du Christ-Roi est lui aussi renvoyé vers la France. Quand la contestation sociale et politique s'amplifiera, l'Eglise catholique élèvera publiquement la voix, surtout par une lettre pastorale en Juin 1991, largement diffusée à Bangui. Deux faits donnent une idée de la tension à cette époque: en l'espace de quelques jours, la rumeur publique annonce à la suite, l'emprisonnement de l'archevêque, son exécution, son inhumation secrète! Le 30 juin, institué par Kolingba jour de prière annuelle pour le pays, les pasteurs bap114

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tistes de l'Eglise de Gobongo, pour avoir nommé le chef de l'Etat dans leurs prières, voient leur résidence pillée et saccagée. Il est toujours dangereux de lier trop intimement religion et pouvoir! Abel Goumba, rentré en 1981 du Bénin où il était au service de l'OMS, se retrouve lui aussi sous la surveillance de la police, ainsi que ses visiteurs. On peut se demander qui il peut bien menacer et comment, après une si longue absence du pays, et sans aucune assise politique ethnique. Toujours est-il qu'il passe pour dangereux: après avoir été un temps recteur de l'Université, il est arrêté en août 1982 et reste en prison jusqu'en septembre 1983 ; puis il y retourne toute l'année 1984. Le début des affrontements sérieux entre la population et Kolingba survient encore à partir de l'enseignement; mais cette fois des enseignants, et non des élèves. En Avril 1990, le gouvernement décide, faute d'argent, de réduire certains avantages accordés aux professeurs universitaires centrafricains. Ceux-ci protestent, arguant avec juste raison, que leur salaire et leurs avantages ne sont en rien comparables, à diplômes égaux et obtenus dans les mêmes universités, à ceux de leurs collègues expatriés, rémunérés par leur pays. Après une courte grève d'avertissement, ils décident de terminer l'année scolaire, pour ne pas se voir accusés de porter préjudice aux étudiants, tout en décidant de la reprise de la grève à la rentrée d'octobre si satisfaction ne leur est pas accordée. N'ayant rien obtenu, dès le lendemain de la proclamation des résultats des examens de rattrapage, la grève reprend, à laquelle se joint l'ensemble du corps enseignant. A cette contestation sociale s'en ajoute une autre, politique. Dans plusieurs pays africains se tiennent des conférences nationales, qui veulent régler les contentieux accumulés contre les dirigeants depuis les indépendances. L'opposition veut en imposer une à Kolingba. Celui-ci refuse qu'elle soit souveraine comme dans certains pays où les chefs d'Etat se retrouvent destitués. Kolingba et ceux qu'une telle conférence gênent mettent tout en œuvre pour en empêcher la tenue, et limiter la compétence des commissions préparatoires... Alphonse Blagué, universitaire qui eut à subir en son temps les caprices de Bokassa pour n'avoir pas voulu se soumettre à ses fantaisies, choisi pour 115

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la diriger, doit faire preuve, et de diplomatie, et d'un grand sens politique pour ne jamais rompre le dialogue. La ville de Bangui peut en effet basculer dans la violence incontrôlable. Les partis comme les syndicats n'appellent d'ailleurs plus à manifester par peur, soit de provocations gouvernementales, soit des "godobe" qui en profitent pour tout casser. Le mois de juin 1991 connaît une grève quasi-générale du secteur public, enseignement, santé, certaines administrations... et du secteur privé, en particulier les magasins d'alimentation du centre ville. Mais les salariés de ce secteur privé n'ayant pas touché de salaire fin juin pour ces faits de grève reprennent le travail début juillet. Le gouvernement en profite pour exiger du patronat des licenciements. Avec la grève, un autre moyen de protestation est la "ville morte" : toute circulation automobile est alors interdite; ceux qui essaient de passer outre risquent de se voir lapider dans certains quartiers. Un point particulièrement vulnérable alors est l'axe qui mène à l'aéroport, surtout les environs de l'UCATEX et du marché des Combattants. Le projet de Conférence Nationale n'aboutit pas; il n'y aura qu'un grand Débat national qui s'ouvre le 1er août 1992. Kolingba doit, sous la pression, prévoir des élections. Les premières ont lieu en Octobre 1992, elles sont annulées. Celles d'août et septembre 1993 donnent le pouvoir à Ange-Félix Patassé : il est élu avec 52, 5 % des voix contre 45, 6 % pour Abel Goumba. Ange-Félix Patassé est finalement investi après des atermoiements de dernière minute le 22 octobre 1993. ANGE-FÉLIXPATASSÉ(1993...) L'élection d'Ange-Félix Patassé, un Gbaya né le 25 janvier 1937 à Paoua, ingénieur agronome, c'est un peu la revanche des gens de la savane, de l'intérieur, sur les gens du fleuve. Son arrivée au pouvoir marque une nette décrispation du climat politique et social, même si les salaires en retard dans la fonction publique sont loin d'être tous réglés. Mais des producteurs de café voient leurs "bon pour", vieux de quelques années, subitement honorés. Début décembre, après deux années blanches, sans examens officiels, a lieu la réouverture des établissements scolaires. La rentrée effective se fait début 116

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janvier 1994. Ce même mois de janvier 1994,le franc CFA, monnaie de la plupart des anciennes colonies françaises en Afrique, est dévalué. Avant l'augmentation des prix, quelques magasins d'alimentation sont pris d'assaut au risque de ruptures de stock, qui seront effectives jusqu'en mai, délai nécessaire pour le réapprovisionnement en produits importés. Le gouvernement décide le blocage des prix, et il montre l'exemple en n'augmentant pas l'essence qui reste à 360 F CFA, jusqu'en mai où elle passe à 395 F. Le prix des produits alimentaires locaux reste sage. Les étudiants, qui protestent contre le retard dans le versement des bourses et les mauvaises conditions de travail se mettent en grève, au mois d'avril, après les examens partiels du milieu d'année. L'enseignement primaire et secondaire ne suivant pas, la grève se limite à quelques manifestations auxquelles le gouvernement répond par la dissolution de l'association des étudiants, le renvoi de l'université de ses responsables, et l'emprisonnement de certains, qui retrouvent la liberté fin mai, tandis que les cours ont repris. A partir d'avril 1996, une série de mutineries de militaires va secouer le pays. La première a lieu du 18 au 22 avril; la seconde dure 15 jours du 18 au 31 mai; enfin, une troisième va traîner en longueur à partir du 15 novembre. La seconde voit le pillage de commerces, de dépôts de marchandises, la destruction d'usines ... Les étrangers, en particulier les Français, sont pour la plupart rapatriés. Le 22, l'armée française bombarde la radio investie par les mutins; mais le lendemain, une manifestations anti-française, empêchée de marcher sur l'ambassade de France, se détourne sur le Centre Culturel français qui est détruit de fond en comble. Si au départ les militaires réclament le règlement d'arriérés de solde, l'affrontement devient vite ethno-politique, en exigeant le départ du Président Ange-Félix Patassé, tandis que celui-ci ne peut supporter que l'armée soit composée à 85% de Yakoma, de l'ethnie de l'ancien président Kolingba. L'affaire tourne à l'affrontement inter-ethnique, entre gens du Fleuve, et gens de la savane. Les quartiers connaissent un début de purification ethnique; et certains préfèrent quitter leur domicile au moins pour quelque temps. 117

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Début juin, un gouvernement d'Union Nationale est formé avec Jean-Paul Ngoupandé, du parti de l'ancien président, comme premier ministre. Il sera "démissionné" en janvier. A la troisième mutinerie, la ville est coupée en deux: au nord les quartiers acquis au Président Patassé, au sud le long du Fleuve les quartiers où les mutins ont trouvé refuge. Des chefs d'Etat interviennent, envoient en décembre un ancien président malien Amadou Toumani Touré, puis en janvier une force militaire d'interposition (la Misab). Les seuls endroits où les partis en présence peuvent se rencontrer et discuter sont l'Ambassade de France et l'Archevêché de Bangui. Ceci n'empêche pas les accrochages souvent violents: le 5 janvier, l'armée françai~e fait sauter les barrages tenus par les mutins dans les quartiers sud; à Pâques et en juin, la Misab tire dans les quartiers du KmS, de Petene. Ces mutineries à répétition révèlent un état d'esprit plus soucieux de profit personnel ou corporatiste que du sens de l'Etat. Au plan social, les destructions du mois de juin et le rapatriement des étrangers ont entraîné une grave vague de chômage qui n'est pas près de se résorber, d'autant plus que le départ de l'armée française prévu pour le mois d'avril 1998 produira un nouveau manque à gagner pour le gouvernement et drautres licenciements. Les instances financières internationales ne se pressent pas de même pour investir. Beaucoup de fonctionnaires, dont les salaires ne sont pas payés depuis des mois se mettent eux aussi en grève. Des jeunes qui niant plus rien à perdre se livrent à des exactions de tous genres: agressions, vols ... Il en résulte un sentiment accru d'insécurité.

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Chapitre 7 l A CAPITALE BANGUI

"La coquette"

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, on n'a pas retrouvé sur le territoire centrafricain d'agglomérations anciennes, un tant soit peu importantes, seulement des vestiges ou des traces de l'occupation du pays: des hauts fourneaux pour la fonte du minerai de fer, dans l'est par exemple; ça et là des outils préhistoriques, à l'occasion de fouilles dans les rivières à diamant, ou pour les fondations de construction. L'habitat à l'arrivée des Européens était assez dispersé en savane, plus groupé dans des villages déjà importants sur les bords de l'Oubangui; mais ces agglomérations étaient cependant de dimension réduite, avec comme seuls services, ceux de l'artisanat ou du commerce, auxquels d'ailleurs tout un chacun se livrait en cas de nécessité. Beaucoup d'agglomérations actuelles se sont créées ou ont grandi à partir d'un noyau de population autochtone. D'autres sont l' œuvre de la colonisation qui établissait des postes de ravitaillement ou de repos sur les axes de portage. Bangui doit ainsi sa fondation à sa situation sur le fleuve, à la limite d'un bief de navigation. Fort de Possel fut créé au confluent de l'Oubangui et de la Kémo, au point du départ de la route la plus courte pour le Tchad.

LA FONDATION Nous avons déjà fait allusion à la fondation de Bangui à propos de l'histoire du pays lui-même. C'est à partir de Bangui, au moins en partie, que s'est construit le futur terri-

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taire de l'Oubangui-Chari avant de devenir la République centrafricaine. En 1887, Albert Dolisie avait atteint les rapides de Bangui, après le pasteur anglais Grenfell en 1885 et le capitaine belge Vangele en 1886. Il avait alors reconnu un endroit favorable pour établir un poste, à Kolongo, à l'emplacement de l'actuel port pétrolier, à six km environ en aval des rapides, selon certains; mais pour d'autres, plus en aval encore, à dix km, entre les villages de Sobou et Ebou, en dessous donc de l'embouchure de la Mpoko. On comprend ainsi beaucoup mieux l'intervention de Musy dans des villages fort proches, où il trouve la mort. La prise de possession sera effective le 25 Juin 1889, date officielle de la naissance de cette ville, qu'Uzac et Dolisie nomment "Bangui", à défaut d'obtenir un autre nom de cette terre de la part des Africains du lieu. A. Dolisie s'explique sur le choix de ce nom dans une lettre adressée de Brazzaville, le 23 juillet, au gouverneur général, relatant la création du poste. Une cérémonie de l'échange des sangs entre Français et Africains scelle l'alliance; par l'enterrement d'une cartouche de fusil d'une part et d'un fer de sagaie de l'autre, ils renoncent à se faire la guerre. Le qualificatif "La Coquette" lui viendra plus tard de la part d'un journaliste au cours d'un reportage en 1934. Le poste créé, Uzac retourne à Modzaka au Congo; Musy arrive pour aider Dolisie, mais le remplace car Uzac tombe malade et est rapatrié en septembre 1889. Début janvier 1890, Musy trouve donc la mort avec quelques militaires africains dans une embuscade en voulant régler une affaire entre les gens de Botambi et Salanga au sud-ouest de Bangui. Le 27 janvier, Voisin remonte de Modzaka, relève le poste, et pense le déplacer plus en amont vers les rapides. Ce premier emplacement présente en effet beaucoup d'inconvénients dûs aux inondations en période des hautes eaux, au terrain marécageux et donc malsain, à la proximité de populations souvent hostiles, dont ils viennent de faire les frais. Ponel en prend la décision le 15 Juin 1890 et s'installe cette fois à 300 m des rapides sur un banc de sable, à l'emplacement actuel du Rock Hôtel. Là encore le poste n'est pas à l'abri des crues du fleuve et des marais voisins. Une nouvelle et dernière fois, début 1893, le poste est déménagé tout prêt, sur le "rocher (dit) de 120

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l'artillerie", à l'emplacement de l'hôtel Sofitel. Il est à l'abri des inondations, et peut être mieux défendu; la surveillance des Belges installés en face à Zanga, et celle du transit sur le fleuve sont facilitées. La ville va se développer à partir de cet endroit du fleuve en direction de l'actuel Quartier général et du palais de la Renaissance. Fondère prend en 1890 le commandement du poste. Crampel, en route pour le Tchad, arrive le 25 septembre 1890 et rétablit un semblant de sécurité autour du poste avant de continuer sa route vers le nord. Les commencements sont difficiles à tous points de vue. Le poste est en butte à l'hostilité des populations locales, surtout celles du fleuve qui ont peur de se voir dépossédées du trafic fluvial, hautement rentable pour elles; en butte aussi à la concurrence expansionniste des Belges. Les conditions de santé, de logement sont plus que spartiates. Les liaisons par le fleuve sont très longues... le courrier et le ravitaillement aléatoires. Le poste à cette époque a piètre allure. Nebout, qui fait partie de la mission Crampel, puis de celle de Dybowsky dira en 1892 lors d'une conférence: "Le poste n'était composé que d'une habitation en paille, de deux hangars, élevés au nord de la rivière sur un coin à peine défriché de la forêt qui, à 50 mètres, entourait comme une muraille ce poste qui semblait une prison". En 1904, un officier qualifiera Bangui de "poste JI sinistre...", au séjour pénible". Quand il y reviendra 24 ans plus tard, il sera tout surpris de trouver une petite ville moderne de 10 000 habitants; bien que la vie y fut encore monotone avec comme seule" distraction", les arrivées des bâteaux, et les courses mensuelles de chevaux sur la future piste de l'ancien aéroport. Bangui ne deviendra capitale définitive du territoire qu'en 1914. Depuis 1906, le gouverneur habite Fort de Passel. A cette date, des rues ont été tracées, ainsi que le boulevard qui longe le fleuve. Les bâtiments se sont multipliés. Il est cependant encore difficile de se procurer de la viande fraîche, bien que les éleveurs amènent des bêtes du Tchad. Les délais de livraison des marchandises commandées en France atteignent quatre mois. Les relations avec l'extérieur se font par le fleuve avec des bâteaux à vapeur. Il faudra attendre 1920 121

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pour trouver un réseau routier digne de ce nom sous le gouverneur Lamblin. La vie y est donc chère, les œufs par exemple sont fort rares et coûtent 25 c. pièce à l'époque; le kilo de sucre est à 1 F 50, le sel revient à 1 F 25, alors qu'en France il ne coûte que 20 c, les frais de transport atteignant alors 1 F. par kg. Le ravitaillement, même à partir des produits locaux, est donc un souci constant. C'est une des raisons qui pousse à maintenir Fort de Passel, mieux pourvu, comme capitale; mais finalement Bangui va l'emporter en raison de sa situation sur le fleuve. LE DÉVELOPPEMENT DE LA VILLE

Les axes du développement de Bangui obéissent aux contraintes géographiques, avec d'une part au sud la frontière naturelle de l'Oubangui; d'autre part la Colline (appelée Gbazaganzi ou aussi Mont Ottro), contre laquelle vient buter le fleuve, et qui constitue un goulot d'étranglement où se glisse juste une route qui relie les quartiers est et ouest de la ville, ces derniers étant de loin les plus importants. La ville n'investit que fort peu la colline, mais se répand dans la plaine entre l'Oubangui et la Mpoko à l'ouest. La toute première étape, après l'implantation du poste, est le défrichement d'une bande de terrain le long du fleuve en aval: c'est l'affaire de l'administrateur Fourneau, qui laissera le nom de "Fourneauville" à ce quartier. Puis perpendiculairement au fleuve vont être tracées les rues Emile Gentil et de la Poste (rue Foureau-Lamy). En 1930, les grands axes qui partent du fleuve sont en place: ainsi la rue Lamothe (avenue Nasser), actuellement coupée derrière le Palais de la Renaissance, la route de Fort-Sibut (av. du Tchad, suivie de l'av. de l'Indépendance), la route de Mbaïki (av. Boganda), le Boulevard du Fleuve le long de l'Oubangui. Sur le plan dressé en 1930, on relève un certain nombre d'ensembles habités: un premier qui part du fleuve et va jusqu'à la hauteur de l'actuelle Présidence; un second avec la Mission Notre-Dame, les deux hôpitaux de chaque côté de la Mission, un village "banda" en contrebas, et un village "haoussa" un peu plus au nord, avenue Nasser, à l'emplacement de la Gendarmerie; 122

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puis un village "yakoma" à la place du dispensaire de La Kouanga ; quant au village de La Kouanga, il se situe au bord de l'Oubangui plus au sud qu'actuellement. Au nord, le terrain d'aviation est déjà en place, sur lequel le premier avion se pose le 14 Mai 1925 ; une escadrille s'y installe en 1931 ; près du terrain d'aviation, un village IIlndasso" et le champ de courses. Sur la route de Mbaïki, à la hauteur du Km 5 actuel, le village Dominique. Avec à l'est les implantations autour de la mission Saint Paul, la ville compte alors à peine 17 000 habitants, c'est peu! Vingt ans après en 1950, elle atteint 60 000 âmes. Une photo aérienne de cette époque indique deux axes importants de son développement: une route a été ouverte, qui partant de l'actuelle place de la République rejoint Pétévo (c'est l'actuelle avenue Dacko), puis le Km 5 par Fatima, continue par l'actuelle avenue Koudoukou jusqu'à la paroisse N otreDame d'Afrique, ensuite par Boy-Rabe contourne la colline pour aboutir au camp Kasaï et à Ngaragba. Tout le long de cet axe sont nés des quartiers: en particulier sur l'actuelle avenue Dacko, puis de Fatima jusqu'à Boy-Rabe. On reconnaît d'autre part sur la route vers Damara, les embryons des quartiers actuels de Fou, Gobongo et N gala. C'est l'époque de la fondation des deux paroisses de Notre-Dame de Fatima en 1950, et de Notre-Dame d'Afrique en 1954, qui correspondent à un accroissement de la population urbaine. Mais le quadrilatère formé par l'avenue Boganda, l'avenue de l'Indépendance et l'avenue Koudoukou est quasiment vide. A cette époque en 1948, un architecte paysagiste Fanny Joly dresse un plan directeur de l'extension de la ville. Les années 1950 vont connaître d'autres aménagements importants. En 1950, le pont sur la Mpoko est mis en service à Bimbo et remplace le bac qui se trouve plus en amont dans le prolongement de l'avenue Boganda. En 1953, s'installe la brasserie Mocaf. En 1955, Bangui reçoit l'électricité de la centrale de Boali. Des quartiers sont lotis pour une population plus aisée: Sica II, la Cité Christophe et celle des Evolués, en 1951 les Castors; en 1954 et 1955, le quartier actuel de La Kouanga est drainé, surélevé, et construit. Plus tard viendront Ben Zvi, et les Sinistrés au quartier Galabadjia. 123

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Dans les années 1960, les quartiers de l'ouest de la ville s' élargissent, ceux le long de l'avenue Koudoukou s' avancent vers le centre. L'avenue de France est ouverte. Après la mise en service du nouvel aéroport réalisé entre 1962 et 1967, un nouvel axe est complété, qui part de l'avenue Dacko traverse l'avenue Boganda, puis l'avenue de France, utilise la piste de l'ancien aéroport, puis bifurque vers l'ouest pour atteindre le nouveau, de Bangui-Mpoko. Deux grands vides subsistent: l'emplacement de l'ancien aéroport qui vient d'être libéré, et les bas-fonds entre Pétévo et le Km 5. Ceux-ci vont se construire peu à peu, tandis que le long de la piste de l'ancien aéroport, des immeubles administratifs s'élèvent les uns après les autres: les derniers en date étant l'Hôpital communautaire et le siège administratif de Petroca. A l'écart de cet axe, on trouve le quartier des "200 villas" où va s'installer l'armée française après la chute de Bokassa. Le nouvel aéroport lui aussi se trouve encerclé au moins au sud par les quartiers Bœing (le .bien nommé !), Kokolo, Mamadou. Mais la ville peut toujours s'étendre vers l'ouest et la Mpoko. C'est d'ailleurs là que la progression est la plus rapide: à la périphérie plus qu'à l'intérieur. Il semble que beaucoup préfèrent le calme (parfois relatif) de ces nouveaux quartiers au bruit et à l'agitation, également à la promiscuité des anciens, avec la possibilité de disposer de davantage de place. LEs CHIFFRES DE lA POPUlATION

Si le site sur lequel s'installe la ville de Bangui est habité bien avant l'arrivée des Européens, il est impossible de faire une quelconque évaluation de la population de cette époque. Elle est formée de Ngbaka-mabo au sud-est, de Ali à l'ouest, de Gbanziri-bouraka sur le fleuve, des Ndris (banda) à l'est. En dehors des Ndris, ces ethnies habitent toujours les mêmes terroirs. Voici les recensements de la population autochtone et étrangère à partir de 1910 jusqu'en 1990. Avant 1910, il s'agit d'évaluations établies pour l'impôt, qui donnent moins d'un millier d'habitants; à partir de la fin des années 1980, il s'agit 124

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I 80.000

: 70

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80

90

125

La Capitale

aussi d'évaluations faites sur les derniers recensements. 1910: 1 500 habitants. 1955: 72 000 habitants.

1920 : 16 000 1920 : 16 600 1930 : 16 900 1945 : 26 000

1960: 1960: 1970: 1980:

/I /I /I /I

80 000 80 000 243 000 340 000

/I /I /I

"

1950 : 60 000 /I 1990: 450 000 " Dans ce total, les étrangers, dont 80 % de Français, sont 600 à la veille de la guerre de 1939, 1 000 en 1956, 3 000 en 1966. A QUELLE RYTHME GRANDIT UNE VILLE AFRICAINE?

Quand les Européens découvrent l'Afrique, ils trouvent dans certains pays des villes qui n' avaient rien à envier à certaines des leurs. Ce n' est pas le cas de Bangui qui en 1910 ne compte que 1 500 habitants recensés. Comment cet embryon d'agglomération va-t-il atteindre 450 000 habitants quatre-vingts ans plus tard? Voici les étapes de cette croissance: Dates

Nombre I

d habitants 1910 à 1945 1945

1.500

multiplicateur

x 17,3

en 35 ans

Croissance annuelle

taux 50% sur 10base de 1910

nombre

700 hob.

26.000

à

26.000

1960

80.000

1960 à

80.000

1990

Coefficient

x 3 en 15 ans

13,8% sur 10base de 1945

3.600 hob.

x 5,5 en 30 ans

15,4% sur 10base de 1960

12.300 hob.

450.000

Le graphique (p. 125) marque bien les trois temps de l'évolution de la population de la ville de Bangui, qui correspond d'ailleurs à des époques de l'histoire du territoire. La première étape va de 1910 jusqu'en 1945, la fin de la Dernière Guerre mondiale: l'augmentation est fort lente en chiffres absolus, même si elle passe de 1 500 à 26 000 personnes et est multipliée par 17 en 35 ans, soit un doublement tous les huit ans environ en moyenne. Car la croissance n'est 126

La Capitale

pas régulière: entre 1920 et 1930, beaucoup d'hommes se réfugient en brousse pour échapper aux réquisitions du travail forcé. L'administration instaure des contrôles: pour séjourner à Bangui, il faut posséder un carnet de travail; toute personne qui n'a pas de papiers d'identité, peut en être expulsée. La seconde étape, qui dure 15 ans, va de la fin de la guerre de 1945 à l'indépendance en 1960. La population croît pendant cette période de 26 000 à 80 000 personnes; elle triple en 15 ans, à raison de 3 600 personnes par an. A partir de 1946 en effet, la circulation des personnes n'est plus contrôlée dans le pays et il n'est plus interdit de séjourner à Bangui si on n'y justifie pas d'un travail précis. Attirés par les travaux d'extension de la ville, beaucoup de jeunes quittent alors la campagne. La troisième étape débute au moment de l'indépendance en 1960. La croissance démographique prend un nouvel élan, et en 30 ans la population grimpe de 80 à 450 000 habitants; elle est multipliée par 5,5, avec un taux de croissance moyenne annuelle de plus de 15 % sur la base de 1960, soit 12 300 habitants de plus chaque année, ou l'équivalent d'une petite ville dans bien des pays. La raison principale de cette explosion est le choc de l'indépendance. Beaucoup de ruraux espèrent pouvoir trouver un travail, surtout s'ils ont des parents bien placés; certains même espèrent pouvoir y vivre et profiter de ses avantages sans travailler. Le bruit ne courut-il pas que l'on allait distribuer les biens des Blancs! L'ATIRAIT DE lA VILLE

Comme bien d'autres villes africaines, Bangui attire. Et ceci pour plusieurs raisons. La ville permet parfois d'obtenir un emploi, plus facile, mieux rémunéré, si possible dans l'administration ou le secteur tertiaire, commerce ou autre. Par comparaison, le travail agricole est plus dur, moins gratifiant et surtout moins rémunérateur en dehors des grands axes de circulation ou de la proximité d'une centre urbain, qui permettent l'écoulement des surplus. Maintenant le marché du travail est déprimé: la tendance est au licenciement, ou à la mise à la retraite anticipée des fonctionnaires par le biais des DV A (Départ 127

La Capitale

Volontaire Assisté) ; les offres d'emploi se font rares dans le secteur privé,où la diminution du nombre des coopérants étrangers amène celle des employés de maison. Si le secteur privé est tenu de payer ses employés régulièrement, il n'en va pas de même dans le secteur public qui accuse souvent plusieurs mois de retard dans le règlement des salaires et traitements. La vie devient alors vite impossible, à moins de posséder quelque champ en dehors de Bangui. Des familles qui n'ont plus d'enfants en âge scolaire la quittent facilement et s'installent dans les villages de culture: aux champs, ils y trouveront au moins de quoi se nourrir. Pour leur scolarité, les enfants sont confiés à des parents résidant en ville, tandis que, pour assurer la subsistance, les autres restent en "brousse", où les jeu11es retourneront passer leurs vacances. Beaucoup de retraités quittent Bangui si rien ne les y retient, ou font le va-et-vient entre le village de culture et la ville. Il est clair que nombre d'entre eux ont compris qu'il ne fallait plus compter sur l'Etat et la ville pour vivre. La ville permet de fréquenter des établissements d'enseignement scolaire que l'on ne trouve pas ailleurs; cela vaut évidemment pour l'enseignement supérieur, entièrement regroupé dans la capitale, à part Mbaïki où se trouve un IUT d'agriculture. Cela vaut également pour l'enseignement primaire et surtout secondaire: les meilleurs établissements publics nationaux sont les lycées de Bangui, qui permettent les meilleurs résultats aux examens, en particulier au baccalauréat. Dans certains centres de province, il existe parfois un laisser-aller certain, des enseignants rejoignant leur poste avec quelques mois de retard. De plus les règlements des salaires se faisant uniquement à Bangui, il en résulte des absences parfois fort longues. Résider à Bangui permet encore de pouvoir plus facilement se porter candidat pour une éventuelle bourse d'études à l'étranger. L'enseignement a été souvent compris comme le moyen d'accéder à une place" à l'ombre" ; mais de telles places se raréfient. On trouve donc en milieu rural de plus en plus de jeunes qui ont fait quelques années d'études secondaires. Il fut un temps où l'on ne pouvait rentrer au village sans avoir réussi: l'échec, et la honte qui s'ensuivait ne pardonnaient 128

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taZe

pas; d'autant plus que les parents avaient investi financièrement et psychologiquement dans la réussite de leur fils, pour qu'il les aide par la suite; un tel échec était alors, et celui de leur fils, et le leur propre. Ce temps semble révolu. La ville est vue comme un lieu de liberté, et s'oppose aux contraintes du "village". Au village qui compte parfois à peine une centaine de personnes, tout le monde se connaît et surtout se trouve sous la surveillance de la communauté. Le confinement à l'intérieur de ce groupe humain est d'autant plus difficile à supporter que le village est isolé ou éloigné des axes de communication. Il évoque la soumission et l'obéissance, souvent pesantes pour les jeunes, aux anciens et aux aînés. Il évoque également la jalousie et la sorcellerie: en sont suspects tous ceux qui réussissent, à moins d'en faire profiter leur entourage. Au contraire, la ville c'est la liberté, sans que l'individu soit épié à chaque instant par un voisin ou un parent, ou doive rendre compte de ses faits et gestes. La ville diversifie les rencontres, entre gens de la même ethnie, et aussi d'autres ethnies; elle favorise l'ouverture sur le monde extérieur. Pour des jeunes, elle assure un plus grand choix dans la recherche d'un conjoint: dans le cadre d'un ou de quelques villages voisins, les possibilités sont restreintes; et la tradition veut que les anciens imposent le conjoint. En ville, cela ne va pas sans une dégradation du climat moral, où pour se procurer facilement quelque argent, des femmes n'hésitent pas à faire commerce de leurs charmes. Certaines auront la "chance" de trouver un Européen qui leur assurera confort et sécurité, tandis que pour les garçons, cette liberté n'est possible que grâce à un travail rémunéré. La ville, ce sont encore les distractions. Le village ne permet guère à l'intérieur d'un réseau limité, que des séances de contes ou de danses, en dehors de l'écoute de la radio et de l'arrêt des véhicules automobiles s'il se trouve au bord d'un grand axe; s'il est un peu plus important, peut-être va-t-il s'y créer et s'y maintenir une équipe de foot-ball. Même pauvre, le citadin a au moins le spectacle de l'activité du quartier, et peut changer plus facilement d'horizon. S'il est un tant soit peu fortuné, il pourra profiter des bars, des dancings, des matchs de foot-ball au stade Barthélémy Boganda, des ciné129

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mas... Mais si au village, les distractions ville elles coûtent cher.

sont gratuites,

en

L'EMPLOI ET LES SOURCES DE REVENUS

Les Banguissois tirent leurs revenus de deux sources principales: de l'Etat pour les fonctionnaires, ou d'un travail dans le secteur privé de l'industrie et du commerce. Mais quel travail? Les industries centrafricaines sont dans l'ensemble concentrées à Bangui, si l'on excepte les "forestiers" qui travaillent dans les régions d'abattage du bois, les usines de coton, la sucrerie de la Ouaka, l'huilerie de Bossongo, et les diamants. Par ordre d'importance, on trouve en premier lieu les industries alimentaires, brasseries, boulangeries, abattoirs, la savonnerie Husaca, qui fournissent le marché local. Viennent ensuite les industries textiles, avec l'ilnportante usine de l'UCATEX sur la route de l'aéroport, malheureusement fermée, car incapable de lutter contre les importations clandestines de tissu. Dans le domaine des moyens de transport, Bangui compte une usine de montage de cycles et cyclomoteurs, ainsi que de "pousses" ou remorques à deux roues, prévus pour être tirés par des hommes ou un cyclo. Une usine fabrique des tôles. Il y eut aussi, il y a peu, une usine de montage de véhicules automobiles (GACOA), une fabrique de chaussures (BAIA)... La situation socio-économique n'a pas permis de maintenir ces dernières. A côté de ces petites industries qui auraient dû servir de locomotives économiques, l'artisanat occupe une place finalement non négligeable: il permet la production à un prix raisonnable de biens de consommation locale. On trouve ainsi des tailleurs ou des couturières, mais la confection des vêtements locaux est d'abord un travail masculin; ils sont installés en plein air avec leur machine à coudre, aussi bien sur les grands axes à la sortie des magasins de tissu du centre ville, qu'en plein quartier. Des menuisiers, auxquels on peut joindre les vanniers, fournissent l'ameublement ménager, lits, chaises, tables... Des forgerons produisent les instruments pour le travail des champs, houes, coupe-coupe... ainsi que 130

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des ustensiles de cuisine, couteaux, marmites fabriquées à partir de l'aluminium récupéré. Tous ces artisans exposent leur matériel au bord des rues. Le long du fleuve, on fabrique toujours pirogues et filets de pêche. Même si la circulation automobile n'est pas des plus intenses, elle a généré tout un secteur, souvent informel, de réparation et d'entretien, depuis le garage géré par le concessionnaire agréé d'une grande marque internationale, jusqu'au petit réparateur de roues crevées, installé, lui aussi sur le trottoir, en passant par des ateliers tenus par des étrangers, ou des Centrafricains. On peut disposer également de maçons, auvent employés à la tâche. A côté de ces métiers utilitaires, l'artisanat se tourne également vers le tourisme avec la création et la vente de bijoux, de tableaux en ailes de papillons, d'ouvrages de marqueterie... Ce n'est certes pas toujours d'un grand profit, mais s'il assure le vivre... Le faible coût de la main-d' œuvre locale permet à des étrangers de pouvoir facilement disposer d'un cuisinier et d'une garde d'enfants. La cuisine européenne est, elle aussi, une affaire d'homme; on ne peut lui demander la confection d'un plat local, qui reste l'affaire des femmes, même s'il sait le préparer. Parmi ces gens de maison, il faut compter les sentinelles ou gardiens de nuit: métier qui n'est pas sans risque face à des voleurs sans aucun scrupule. Ces métiers font sentir la dépendance de ce pays: la diminution subite de la présence étrangère ne peut que jeter au chômage un nombre important de travailleurs. C'est aussi toute l'ambiguïté économique de la présence militaire française, parfois mal supportée par la population banguissoise, mais qui fournit cependant du travail à un nombre appréciable de personnes. Une autre source de ressources ou de nourriture, c'est la production d'aliments, soit par la pêche dans le fleuve, soit par la pisciculture, l'agriculture ou le maraîchage dans la proche campagne ou les quartiers périphériques. Par nécessité vitale, le citadin banguissois reste à sa manière un rural. Dans les quartiers périphériques, Gogongo, Galabadjia..., il est courant de trouver des plantations de maïs, patates douces, manioc, légumes divers, qui servent soit à l'autoconsommation familiale, soit à la vente aux Européens pour 131

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les légumes de maraîchage. Il faut compter aussi les boursiers de l'enseignement supérieur. En principe tout étudiant admis à l'université touche une bourse de 30 000 Frs CFA par mois. Quand on sait que le salaire minimum est de 20 000 Frs, on ne peut dédaigner une telle somme. Il serait sans aucun doute impossible à bien des jeunes de poursuivre des études sans cette aide, mais beaucoup la considèrent comme un salaire normal, et même un dû. Par le jeu des redoublements et des changements de faculté, certains faisaient ainsi carrière; dans les années 1980, par l'instauration d'une limite d'âge à l'entrée à l'université, par l'obligation de résultat et la limitation des redoublements, une remise en ordre s'est peu à peu effectuée. Quel est l'éventail des salaires à Bangui? S'il existe un salaire minimum, beaucoup ne le touchent pas, qui sont chômeurs et qui vivotent au jour le jour d'un petit boulot, ou aux crochets d'un parent. Le salaire moyen d'un fonctionnaire se situe entre 80 et 120 000 francs CFA. A l'opposé du chômeur, on trouve des salaires de plusieurs millions de francs pour les hauts cadres du privé, les fonctionnaires d'organismes internationaux, les hauts fonctionnaires centrafricains... qui à leur salaire fixe, ajoutent des avantages en nature, logement, voiture... L'éventail peut alors aller de 1 à 100, 200, voire davantage. LE COMMERCE Il faut distinguer plusieurs pôles d'activité commerciale. Le premier est concentré autour de la place de la République et du rond-point Boganda, avec les banques, les agences de voyage, les concessionnaires automobiles, quelques librairiespapeteries, des mini" super-marchés", qui proposent essentiellement des produits d'importation à destination d'une classe aisée, surtout étrangère. A côté, un commerce de détail aux mains des Libanais et Yéménites... qui offrent en vrac, conserves alimentaires, tissus, vêtements et chaussures, produits ménagers d'usage courant..., à des prix très concurrentiels. Le second pôle est celui du Km S, où le fouineur peut se 132

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procurer de tout, des produits alimentaires locaux et étrangers, de la quincaillerie, de la papeterie, des tissus, du bois, des pièces détachées de voiture, des matériaux de construction (ciment ou tôles ), aussi bien le cric pour camions que des oranges. Les magasins y sont tenus par des Centrafricains ou des étrangers, musulmans ou non, hommes ou femmes. A côté de ces centres importants, on trouve, répartis un peu partout dans la ville, des marchés secondaires de produits locaux: Miskine, La Kounga, Pétévo, Gobongo, Combattants, pour ne citer que ceux-là. Certains d'entre eux prennent une importance grandissante, visible d'année en année: ainsi le marché de Bégoua à l'entrée nord de Bangui a de la peine à se contenir au bord de la chaussée et envahit les grandes voies de circulation. Certains de ces marchés quotidiens, du matin ou du soir, ne vendent d'ailleurs pas que de la nourriture, mais bien d'autres produits de consommation courante de toutes sortes: vêtements et chaussures, petit outillage, médicaments. Le marché Central, ceux du Km 5, de Miskine, La Kouanga, Pétévo, viennent d'être refaits, ou sont en 1997 en réfection, tandis qu'un nouveau a été créé au quartier Combattants; mais beaucoup de commerçants les boudent à cause des taxes trop élevées pour eux.. Enfin, aussi bien au centre ville qu'au Km 5, dans les marchés secondaires qu'à l'intérieur des quartiers, existe tout un secteur informel de re-vendeurs (ou vendeuses). Ainsi le boulanger cède son pain en gros à des petits détaillants. Tout au long des grands axes, l'essence se vend au litre, à un prix d'ailleurs inférieur au prix officiel de la pompe! D'autres font le commerce de micro-détail, proposant non le paquet entier de cigarettes, mais ces cigarettes à l'unité; non le kilo de sucre, mais le sucre au morceau, de même des allumettes, des lames de rasoir... : ils sont installés, eux aussi, à l'intérieur des quartiers en bordure des rues, leur marchandise exposée dans une boîte en bois, à moins qu'elle ne soit proposée à la sauvette dans les rues du centre. Les raisons de ce micro-détail: souvent le manque de liquidités, également un moyen de résister à la mendicité de voisins, qui viendraient" emprunter". Une autre forme de commerce entre le micro-détail et le détail, 133

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c'est la petite boutique, ne dépassant guère 4 m2 dans laquelle le client ne peut entrer, et qui se fait servir à travers un guichet, ou sur un petit comptoir exigu. L'achalandage sera ici un peu mieux fourni, mais toujours en objets de première nécessité. Le bénéfice de ce commerce n'est pas toujours élevé, on peut espérer qu'il permette de vivre ou de survivre.

LEs "GODOBE"

Les" godobe", enfants et jeunes garçons entre 7 et 20 ans, sont les laissés pour compte de la société. Ils vivent et dorment dans la rue, plus précisément dans les lieux de passage et d'animation: à l'aéroport, à la poste, aux abords des marchés... Ces jeunes n'ont pas été à l'école, ou en ont été renvoyés. Ils sont momentanément en rupture avec leur famille, d'où ils ont pu être chassés pour avoir commis une faute grave; chez un tuteur, ils se sont sentis rejetés et l'ont quitté; comme ils ont pu quitter leur famille à cause du travail trop dur ou à la suite de coups. Alors que dans la société traditionnelle, l'éducation était l'affaire collective du groupe des pères et des mères, qui suppléait ainsi une défaillance personnelle, elle repose maintenant en ville d'abord sur les géniteurs, et tous ne sont pas capables de l'assumer. Le plus souvent la famille a des difficultés à s'occuper d'eux et à les réintégrer. Ils passent pour des voleurs; en fait il s'agit pour eux de trouver à manger et à se vêtir. Pour quelques pièces de monnaie, ils proposent leur service pour transporter les marchandises, garder les voitures ou les magasins... Paradoxalement, leur référence et leur espoir ultimes, c'est un jour de savoir lire et d'apprendre un vrai métier. Leur rêve, créer un vrai foyer. Plus il grandit, plus ce jeune veut s'intégrer dans la société.

LE CHOMAGE

A côté de ceux qui ont un travail rémunéré, il existe une frange importante de la population qui se trouve en situation 134

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de chômage de fait, ou de sous-emploi. Il est bien difficile de définir selon des critères européens la situation de chômeur, à plus forte raison d'en évaluer le nombre réel en ville. De même en milieu rural, comment peut-on appeler celui qui se livre à une activité agricole ou para-agricole, à temps partiel, suivant les saisons? Aucun organisme officiel ne peut fournir un chiffre digne de foi. L'Office Central de Sécurité Sociale ne prend en compte que les employés régulièrement déclarés et pour lesquels des cotisations sont versées par leurs employeurs. Cette caisse n'a pas à connaître des chômeurs, pour lesquels d'ailleurs il n'existe aucun organisme qui les prendrait en charge après un temps de travail. Un Service de la Main-d' œuvre est censé centraliser les demandes et les offres d'emploi. Mais tous ceux qui sont à la recherche d'un emploi y sont-ils inscrits? Et beaucoup trouvent un emploi sans passer par ce service. Peut-on considérer comme chômeurs ceux qui se livrent à leur compte à un petit boulot, plus ou moins régulier: porteurs à l'aéroport, réparateurs de pneus ou autres, vendeurs à la sauvette..., tous ces jeunes poussant ou tirant un "pousse" plein à ras bord de bois qu'ils sont allés chercher en campagne? De leur côté, beaucoup de femmes connaissent de longues journées de travail sans sécurité sociale, au service de leur famille; celles de Bangui cultivent souvent un lopin de terre pour améliorer l'ordinaire: à la procession qui sort de Bangui au lever du jour pour se rendre dans les champs, répond une autre procession, cette fois en sens inverse dans la soirée, quand elles rentrent avec leur chargement de bois, de légumes, de fruits, sur la tête, à moins de trouver un taxi à l'entrée de la ville, mais alors c'est une partie du bénéfice qui s'envole. Alors combien de chômeurs? Il vaudrait mieux parler de situation de sous-emploi, qui risque de rester chronique pendant longtemps encore. Certes si la situation économique s'améliorait d'une façon significative, il est fort probable que bien de ces petits métiers disparaîtraient. Il faut bien se rendre compte que pour le moment, ni le secteur public, ni le secteur privé ne sont en mesure de résoudre ce problème. 135

La Capi

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QUARTIERS ET ETHNIES

Nous avons fait allusion aux ethnies qui habitaient le site de Bangui à l'arrivée des Européens. Par la suite la situation s'est largement modifiée; la ville a attiré des gens de tout l'intérieur du territoire et même de l'extérieur. Les proportions ethniques dans la ville de Bangui seraient maintenant les suivantes: banda: 26 % ngbaka : 12 % zande-nzakara : 5 %

manja et gbaya : 26 % sanga, yakoma : 25 % sara: 5 %

Ces populations ont tendance à se regro.uper suivant leur origine ethnique: les nouveaux venus viennent facilement retrouver des gens de leur famille près desquels ils s'installent; et suivant les axes qui les relient à leur terroir d'origine. Ainsi les Gbaya et les Manja se regroupent à la sortie nord de la ville où ils représentent jusqu'à 98 % de la population du quartier Fou. Les ethnies du fleuve (Sango, Yakoma, Banziri...) se regroupent tout naturellement le long du fleuve, leur voie favorite de déplacement. Les Ngbaka préfèrent davantage le sud-ouest, le long de l'axe menant à Mbaïki. Seuls les Banda sont disséminés sur l'ensemble de la ville, même s'ils préfèrent le nord-ouest. Mais même dans les quartiers où ils sont bien présents, ils ne représentent que 40 % de la population. Les quartiers lotis sont les plus mélangés. Ainsi le quartier de La Kouanga comprend un tiers d'étrangers pour deux tiers de Centrafricains, dont 25 % de Ngbaka, 34 % de Yakoma, Sango et Banziri, et 6 % seulement de Banda. Comme ce quartier est relativement aisé, une si forte proportion de Ngbaka et de gens du fleuve vient pour une bonne part de leur association au pouvoir dont ils furent les premiers bénéficiaires.

QUARTIERS RICHES ET QUARTIERS PAUVRES

On ne peut comparer la vie en Europe et en Afrique. Les besoins en logement et en habillement en particulier, ne sont 136

La Capi taZe

pas les mêmes; à Bangui, nul besoin de chauffage, où au contraire il vaudrait mieux parler de climatisation. Une étude de Villien propose de classer les familles vivant à Bangui en trois classes d'égale importance numérique suivant leurs revenus: une classe pauvre disposant d'un revenu mensuel inférieur à 50 000 F. CFA pour une famille de 5 à 7 personnes; une classe moyenne avec un revenu compris entre 50 et 100 000 F. ; une classe riche et aisée avec un revenu supérieur à 100 000 F. Certes avec 50 000 F., une famille ne peut se permettre de "faire des folies". Cependant le pourcentage de la classe pauvre semble sous-évalué à 34 % de la population, alors que beaucoup de familles s'estiment heureuses quand elles peuvent disposer régulièrement du SMIG fixé à 20 000 F., en 1993, avec l'éventuel supplément des allocations familiales. En dehors du quartier résidentiel du centre ville où logent principalement les très riches et la plupart des Européens, dans bien des quartiers, riches et pauvres cohabitent; il n'existe a priori aucun quartier réservé à telle ou telle classe sociale, et l'on peut très bien trouver côte à côte, le logement d'un manœuvre et celui d'un ministre. Par ailleurs il existe de moins en moins de différences entre des quartiers comme celui, loti de La Kouanga, et celui en voie d'extension de Galabadjia. Ou plutôt, celui de La Kouanga s'est densifié: on a comblé les vides en construisant de nouvelles habitations; à La Kouanga comme à Galabadjia, les déchets ménagers s'entassent dans les rues, à cause de l'absence des services de voirie. Le quartier de Galabadjia apparaît moins densément peuplé et plus aéré. Bien des maisons sont construites en torchis et couvertes de chaume, mais d'autres, à un étage parfois, sont luxueuses. Certes il n'y a pas de trottoirs, ni d'évacuation des eaux usées, mais le téléphone, l'eau et l'électricité y ont été installés. Sur une bonne partie de ce quartier, les terrains sont cadastrés, l'alignement des clôtures le prouve. Cette clôture signe l'appartenance sociale: elle peut être inexistante, ou se réduire à un fil de fer (barbelé ou non) tendu entre deux piquets ou deux arbres; ensuite on trouve une haie vive, plus ou moins haute, d'arbustes divers, telle Lantana Camara; ces clôtures laissent le libre passage à la circulation d'une maison 137

La Capitale

à l'autre. Un seuil important est franchi avec la clôture en tôles, qui procure une certaine intimité familiale; mais elle coûte déjà cher et est fragile, car les piquets en bois sont vite rongés par les termites, et un bon coup de vent en a facilement raison. Enfin la clôture de qualité supérieure, réservée aux classes très aisées, et beaucoup plus solide, consiste en un mur de parpaings de ciment, parfois surmonté de tessons de bouteilles ou de pointes d'acier. BANGUI AU QUOTIDIEN

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LA JOURNÉE À BANGUI

Vers 5 h, peu avant le lever du soleil, vous risquez si vous habitez en plein quartier d'être réveillé par l'appel à la prière d'une des innombrables sectes religieuses chrétiennes, d'un imalTI, ou d'une paroisse catholique. Pour beaucoup, c'est l'heure du lever. Bangui vit à l'heure solaire et au rythme du soleil: 6 h - 18 h. A 6 h, bien des femmes ont déjà pris la route vers les champs. Au bord des rues en plein quartier, d'autres font chauffer le Ilcafé" et cuire des beignets, les boulangers livrent leur cargaison de pain. Les premiers clients vont arriver pour leur petit déjeuner. Entre 6 et 7 h, les employés du secteur public, ceux qui commencent tôt, car ici on fait la journée continue, partent à leur travail, suivant leur grade, en voiture, en mobylette, en taxi... ou à pied. Première prise d'assaut des taxis et des bus. Puis la première vague des écoliers prend le chemin de la classe ; attention alors aux abords des écoles, surtout si elles se situent près d'un axe goudronné important! Certains élèves de secondaire traversent facilement toute la ville à pied, soit parfois une dizaine de km pour rejoindre leur établissement. Dans la matinée, le centre ville avec les commerces et les administrations, et le Km 5 vont s'animer peu à peu. Le maximum est atteint entre 10 et 12 h. dans le centre ville. A 12h. - 12 h 3D,le changement des groupes à l'école, la fermeture des premières administrations provoquent un reflux vers les quartiers populaires; la circulation atteint alors un nouveau maximum puis retombe jusque vers 16 h., où la réouverture de quelques magasins redonnera un peu d'activité au centre ville. Pour les Européens qui ne font pas la journée continue, c'est 138

La Capitale

l'heure sacra-sainte de la sieste. Les autres la reculent, mais ne la suppriment pas, s'ils veulent être dispos dans la soirée. A 17 h, nouveau temps fort, et grosse animation sur les

axes importants qui rentrent en ville. Les JIpousse"

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brent la chaussée avec leur chargement de bois; les femmes reviennent des champs. Il est temps pour elles de préparer souvent le seul véritable repas de la journée avant la tombée de la nuit. Les marchés d'alimentation dans les quartiers connaissent eux aussi un regain d'activité. A 18 h, le soleil se couche et il va faire nuit rapidement. La vie nocturne s'installe, dans et autour des bars, surtout au Km 5 ; ceux du centre ville accueillent une clientèle plus fortunée, faite d'abord d'étrangers. A l'intérieur des quartiers, chacun rentre chez soi, et la circulation va peu à peu décroître. A 20 h - 21 h, pour les Européens, c'est l'heure des invitations. Dans les quartiers périphériques, s'il fait beau temps, les fillettes dansent et chantent pendant une heure ou deux au clair de lune. Il règne encore un peu d'animation sur les axes qui traversent les quartiers populaires, de Pétévo à Bruxelles, à Fou et Gobongo, et bien sûr, sur l'avenue Koudoukou. A 22 h, la plupart des grands axes ont retrouvé leur calme. Seuls quelques rares piétons déambulent ~ncore. Des jeunes restent à discuter par petits groupes près d'une échoppe signalée par un lumignon. D'autres, élèves ou étudiants, travaillent, surtout au moment des examens, sous les lampadaires électriques. A Bangui, on vit beaucoup dehors: la cour devant la maison tient souvent lieu de salon, s'il y a un arbre, ou sur les côtés, à l'ombre. C'est dehors et à l'ombre que se fait la cuisine, sur un feu de bois, la marmite posée sur trois pierres formant trépied. Le poste de télévision, dont tout l'entourage va profiter, trône lui aussi dehors, surtout dans la soirée lorsqu'il s'agit de la retransmission d'un match de foot-ball, ou de basket-baIl.

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Chapitre 8 LA VIE ÉCONOMIQUE Un pays potentiellement

riche

On a pu croire parfois que certaines productions de la République centrafricaine parce qu'elles rapportaient des devises sauveraient financièrement le pays, et on leur a accordé une place plus importante qu'elles ne le méritaient. En fait l'économie s'appuie en premier lieu sur le secteur traditionnel des produits vivriers; quant au secteur industriel ou moderne, il n'en est qu'à ses balbutiements, et nous avons présenté déjà le secteur informel, vital pour beaucoup, des petits "boulots" sur la ville de Bangui. A partir des chiffres, qu'en est-il exactement? Quelle est la situation économique actuelle, avec ses problèmes de production, d'exportation et de débouchés, avec ses éventuels espoirs? L'essentiel des données présentées ici, nous a été fourni par l'Annuaire Statistique 1993 de la division des Statistiques et des Etudes Economiques.

LE PRODUIT INTÉRIEUR BRUT (1993) Valeur

Pourcentage

(en millions F CFA)

o. culturesvivrières b. culturesde rente

c.élevage d. chasseet pêche e. forêts

48, 3 %

186 943

1. Ressources du sol (total)

106 338

4 746 41 l 00 23 943 10816

27,5% 1,2% 10, 6 % 6,2% 2,8%

La vie économique

7. Services collectifs, sociaux

13 678 34 924 1 334 11633 76822 37415

3, 5 % 9,0% 0, 3 % 3,0% 20,0% 9,7%

8. Douane et impôts

24 298

6,2 %

2. Industries extractives 3. Industries manufacturières 4.

El e ctri cité

,

eau

5. Bâtiments et travaux publics 6. Commerce et transports

Total

387048

100,0%

Entre 1986 et 1993, le Produit Intérieur Brut (PIB) a peu varié autour de 400 milliards de F. CFA (soit au taux de change de cette époque, 8 milliards de francs français), dans une fourchette comprise entre 387 et 406 milliards. Cependant entre ces deux dates quelques différences importantes apparaissent: les ressources du sol passent de 40 à 48, 3 % du PIB, les industries extractives gagnent un point, et les i11dustries manufacturières, près de 2 ; Les services collectifs en perdent plus de 7, le commerce et les transports, 5 ; les autres postes restent stables. Ce tableau de 1993 donne un aperçu global de l'économie centrafricaine, avec ses points forts et essentiels; il permet d'en relativiser certains, finalement marginaux. Arrivent en tête les ressources du sol, en particulier les cultures vivrières, suivies de l'élevage: une bonne partie de l'économie centrafricaine est une économie d'auto-subsistance alimentaire, où les cultures industrielles (ou de rente) n'occupent qu'une faible part. En second lieu, arrivent le commerce et les transports, puis les services collectifs, enfin les industries manufacturières dont un bon nombre sont encore d'ordre alimentaire. Parmi les postes qui figurent en dernier, nous avons les industries extractives, principalement le diamant. Or les cultures de rente, le bois et le diamant, sont des produits d'exportation et rapportent des devises. Les premières surtout (coton et café) s'octroient une bonne part des investissements et du soutien éventuel des cours, mais ne contribuent que marginalement au PIB, tandis que les cultures vivrières, tournées vers la satisfaction des besoins primaires de la population, sont peu aidées, bien qu'elles occupent une place vitale. Pendant la période 1986-1990, des 142

La vie économique

subventions de l'ordre de 5 milliards de F. CFA étaient prévues pour la culture du café dans la zone ouest (Lobaye), et un milliard et demi pour la zone est (Bangassou). Dans le même temps, un projet dans l'Ombella-Mpoko pour l'amélioration de la production de manioc (PRODEROM) obtenait un milliard et demi de F. CFA, le maraîchage dans la NanaMambere 64 millions, et à Bangui 36 millions; quant à l'élevage du gros bétail, les crédits d'un projet s'élevaient à 14,4 milliards. Ainsi, sauf en ce qui concerne l'élevage, ce sont ceux qui font vivre le pays au quotidien qui sont les moins aidés. Dans les années 1960, la production agricole a connu une augmentation régulière, en particulier pour les cultures de rente: le coton atteignant 19 000 t. en 1970, le café 10 000 t., le tabac 1 000 t. Dans les années 1970, la production, sauf celle du tabac, fléchit d'une manière générale, y compris les cultures vivrières. La baisse serait due d'abord à la raréfaction des biens de consommation dans les régions rurales, où l'on voyait arriver des camions de bière plutôt que de tôles ou de ciment; ensuite à la stagnation ou même la baisse des prix des produits vivriers, enfin à la détérioration des routes entre les exploitations et les marchés. Beaucoup de contraintes pèsent en effet sur l'économie centrafricaine; nous avons signalé l'enclavement interne et externe, la dispersion et la faible densité de la population; dans ces conditions, les investissements et la maintenance, pour les routes par exemple, sont particulièrement lourds. De même la main-d' œuvre est limitée; de ce point de vue une augmentation significative de la population qui doublerait ou triplerait ne serait que bénéfice pour le pays. La faiblesse du niveau de vie enfin entraîne celle de l'épargne, et la difficulté à investir à partir de capitaux nationaux, qui ont eu tendance à fuir à l'étranger. LE COMMERCE INTERNATIONAL

Le commerce extérieur est très vulnérable aux fluctuations des marchés internationaux, en particulier pour le coton, le café et le bois, moins en ce qui concerne le diamant, dont 143

La vie économique

les prix semblent plus stables et plus élevés. Pour les produits d'importation, biens de consommation courante ou biens d'investissement, la tendance est à la hausse régulière. Tableau de la balance commercia/e

1991 1992 1993 1994

pour les années 1991-1994:

Importations Exportations Solde (chiffres en milliards de francs CFA) 44, 7 30, 7 -14 43, 2 28, 3 - 14, 9 35, 6 31 - 4, 6 73, 2 79, 5 + 6, 3

La balance qui fut excédentaire en 1976, 1977 et 1978, accuse par la suite un constant déficit, qui se creuse d'année en année, passant de 3 milliards en 1980 à près de 15 en 1992. Par contre, elle redevient positive en 1994, sans doute à cause du taux de change plus favorable pour les produits d'exportation payés en devises étrangères. Les exportations se feraient pour un tiers avec les Etats de l'UDEAC (Union Douanière des Etats de l'Afrique Centrale), pour un autre tiers avec la France, enfin pour le dernier tiers avec d'autres pays d'Europe comme la Belgique, d'Amérique comme les USA, d'Asie (Israël), d'Afrique comme le Zaïre ou le Soudan. Tableau

des exportations

années

77-79

centrafricaines 80-84

85-87

en valeur, par poste 89-92

1993

1995

45 13,6 14,2

(chiffres en milliards de F. CFA)

Bois Café Coton

8,8 5,9 9, 1 2,3

11,1 8,4 10,1 5,3

14,4 7, 7 11,8 4, 6

14,7 4,3 9,0

22,9 5,4 1,4 2,7

Tabac

1,4

1,2

1,7

1,1

0,4

1t 0 0

Ivoire Autres

3, 7 2,8

2,8 3,9

2, 3 5, 1

3,4

4, 5

6,7

Total

34,0

42,8

47,6

32,5

37,3

90,5

Diamant

144

:

La vie économique

Pour les quatre premières colonnes, nous avons calculé une moyenne annuelle. La rubrique" autres", comprend des produits comme l'or, le caoutchouc ... Ces chiffres sont relatifs, les différentes sources ne concordant pas toujours entre elles. Il n'en demeure pas moins quelques tendances significatives, comme l'effrondrement progressif des exportations, et par conséquence la diminution des recettes pour l'Etat: la chute des exportations de coton est due à la concurrence extérieure ; l'éléphant, à la fin des années 1980, devient un animal officiellement protégé, dont on ne peut plus faire le commerce des défenses, ni de l'ivoire, avec un contrôle très strict au départ de Bangui, même pour des petits objets travaillés. Les importations en 1993 et 1994 se présentent ainsi (en milliards de F. CFA; pour 1994, les chiffres sont donnés après dévaluation) : 1993

1994

6, 614

machines et appareils électr.

2,475

23,680 3, 580

matériel

6, 992 7,757 2, 229 0,676 l, 787 3, 724 3,305

13, 189 5,280 4, 799 3,680 2, 126 6, 944 9, 985

alimentation,

boisson, tabac

de transport

produits chimiques

métau textiles papeterie combustibles

minéraux

Divers Total

33,559

73 263

LEs CULTURES VlVRIERES

Les terres cultivées n'occupent guère que 1 % du territoire national, soit 600 000 ha. environ, dont les 4 / 5 pour les cul-' tures vivrières qui fournissent plus de 27 % du Produit Intérieur Brut. Le climat dont jouit la plus grande partie du pays doit permettre à l'ensemble de la population de manger à sa faim: en principe on ne doit pas mourir de faim en Centrafrique. Les problèmes ne se trouvent pas dans la quantité de nourriture disponible, mais plutôt dans la qualité de 145

La vie économique

l'alimentation; aussi l'aide devrait aller vers une meilleure répartition ou conservation des récoltes tout au long de l'année, car la soudure peut être ici ou là parfois difficile, vers une diversification des cultures, non d'abord pour la vente, mais pour la consommation directe et ainsi un meilleur équilibre alimentaire, vers enfin une transformation des méthodes culturales qui, même dans les environs de Bangui, n'ont guère changé depuis des siècles: on y gratte toujours la terre avec la houe; pour nettoyer un terrain, on y pratique toujours l'écobuage, manière la plus pratique, mais sans doute pas la plus écologique; on n'y connaît pas ou peu les engrais... Dans ces conditions, on ne peut s'étonner du manque d'empressement de bien des jeunes à ce travail avec de telles méthodes rudes et ingrates, même si elles assurent la nourriture quotidienne. Ceci suppose des changements d'habitudes, qui ne sont pas impensables. Dep~is une vingtaine d'années, l'ensemble des surfaces cultivées a baissé: entre 1974 et 1988, le manioc est passé de 289 milliers d'ha à 165, soit une diminution de 43 % ; l'arachide, de 120 à 89, soit une diminution de 26 % ; le maïs, de 100 à 65, soit une diminution de 35 %. Par contre les rizières auraient augmenté. Depuis, les surfaces auraient à nouveau crû. Si l'on tient compte des surfaces cultivées pour les années 1987 / 1988, voici le classement des principaux produits par ordre décroissant: Lemaniocavec165 000 ho pourune productionde 600 000 t l'arachideavec89 000 ho de 75 000 t le moïsavec65 000 ha 60 000 t

lemil/

sorgho avec

30000ha

le sésameavec40 000 ho le rizavec10 000 ho

en 1994

de29000t 25 000 t de 8 000 t

A côté de ces cultures, il ne faut pas oublier la patate douce, l'igname, le taro, les haricots, les courges, la banane plantain et la banane douce..., tout un ensemble de légumes, comme le gombo, le piment..., ces derniers souvent cultivés dans des jardins de case, dont il est bien difficile d'évaluer l'importance réelle. On peut aussi se procurer des fruits en 146

La vie économique

toutes saisons: agrumes (citrons, oranges, mandarines, pamplemousses), bananes, avocats, mangues, papayes... Quelques régions, aux environs de Ippy, Berbérati, Bouar, se prêtent à la culture de ce précieux tubercule qu'est la pomme de terre. Il semble que la production pourrait couvrir une bonne partie des besoins locaux, qui sont d'abord ceux d'Europé~ns, et non d'Africains. La raison en est simple: alors qu'en France en 1992, les paysans bretons déversaient des tombereaux de ce produit sur les routes, le prix au kg était au minimum à Bangui de 10 F F ; celles importées d'Europe ou d'Afrique du Sud étaient encore plus chères. Il est évident qu'à ce prix, l'Africain préfère le manioc ou la banane, bien meilleur marché. Nous ne doutons pas que des cultivateurs y trouvent leur intérêt, mais il est peu probable que cela aide au développement. Il en va de même pour les cultures maraîchères, surtout celles autour de Bangui, qui permettent de trouver toute l'année à un prix convenable, haricots verts, tomates, poivrons, radis, poireaux, salade..., mais que la population locale ne goûte guère. LEs CUL11JRES DE RENTE Pour les cultures de rente (café, coton, tabac, par ordre d'importance de rapport), l'ensemble des surfaces qu'on y consacrait en 1974 ne dépassait pas 180 000 ha et n'atteignait plus que 100 000 ha en 1988. Le coton baissait de 135 000 ha en 1974 à 50 000 en 1987, tandis que le café suivait une évolution inverse, passant de 38 à 59 000 ha pendant cette période. Quant au tabac, les surfaces sont quasi insignifiantes: entre un et trois mille ha. Ceci souligne encore plus l'importance des cultures vivrières pour le paysan centrafricain. Le café était connu depuis fort longtemps sur le territoire centrafricain. Musy, quand il s'installe à Bangui y découvre du café sauvage. Les Pères spiritains de la Mission Saint Paul des Rapides feront leurs premières plantations de café à partir de plants locaux. Si la langue sanga emploie le terme kâwa ou le français café, les diverses langues centrafricaines avaient chacune un mot propre pour le désigner, même si ces termes sont tombés en désuétude; ce fait indique l'ancienneté de 147

La vie économique

cette plante sur le territoire centrafricain. Il fut la principale culture d'exportation, fournissant, vers 1983-1985, 56 % de la production des produits de rente, et 25 % de la valeur des exportations de marchandises. Le développement de cette culture date de 1925-1926. Jusqu'en 1950, la production ne dépasse pas 4 000 t ; en 1960 elle est de 6 000 t. Elle augmente régulièrement pour atteindre 18 000 t en 1982, et près de 25 000 en 1989, pour un quota d'exportation fixé à 16 000 t. Elle chute ensuite jusqu'à 6 500 t en 1992, à la suite de la baisse des cours mondiaux. Pour la récolte 1996-1997, les prévisions sont dé 12 000 t. Cette production était assurée par 47 000 planteurs et 50 plantations industrielles. Ces dernières sont à présent souvent abandonnées, et il ne reste guère que les planteurs africains, pour qui la vente du café peut assurer un revenu supplémentaire intéressant, sans investissement important. La production moyenne serait de 300 kg / ha, mais une plantation industrielle peut en produire 800 kg. Voici l'évolution des prix en francs cfa ces dernières années: en 1980, il était payé 631 F, le kg, puis 547 en 1982, 500 encore en 1989, mais seulement 257 en 1990. Il est cultivé en zone humide de forêt équatoriale: en Lobaye, la région de Bangui, et celle de Bangassou. En effet, il faut qu'il pleuve au moment de la fécondation de la fleur; or la floraison se produit normalement en janvier en pleine saison sèche quand la pluviométrie est au plus bas. La tendance actuelle étant à la baisse de cette pluviométrie, cette culture risque bien d'être à longue échéance affectée par un manque de pluie. La consommation locale est faible, et les usines de torréfaction qui fournissaient le marché inférieur ont fermé. La production étant pour l'ensemble exportée dépend donc des prix internationaux, alors que la faiblesse des tonnages livrés ne permet absolument pas d'influer sur les cours mondiaux: la Côte d'Ivoire par exemple en produit 150 000 t. D'autres handicaps gênent la commercialisation: le manque de variétés, le pays produisant surtout du "robusta", et le manque d'un tonnage important d'un produit de qualité supérieure. Aussi, quels que soient par ailleurs les déboires de la Caisse 148

La vie économique

de Stabilisation (CAIST AB), cet organisme ne peut dans le long terme assurer des prix convenables, quand de nouveaux pays producteurs les cassent en mettant sur le marché des quantités importantes à bas prix. Beaucoup de plantations industrielles ont été ainsi abandonnées et sont retournées à la friche ces dernières années. Il reste celles des petits paysans, qui demandent moins de soins, mais produisent moins. Sur les plantations industrielles, la main-d' œuvre était essentiellement saisonnière, pour effectuer la récolte entre décembre à mars; en dehors de cette période, une équipe réduite suffisait pour les soins et l'entretien. Cette main-d' œuvre saisonnière, surtout féminine, n'était pas toujours motivée pour effectuer ce travail, surtout quand un peu de chapardage était tout aussi rentable. La culture du coton se situe dans la ligne de la colonisation. Après le caoutchouc, le portage... on exige à partir des années 1930, que la population de la savane "fasse du coton". Elle a été introduite vers 1924 par l'administrateur F. Eboué. Déjà en 1926 dans le Haut-Mbomou on a égrené 600 t de coton brut. Elle continuera après l'indépendance en 1960. Les rendements

varient

de 475 à 750 kg

/

ha. Si la production

atteint 59 000 t en 1970, elle diminue de 50 % entre 1970 et 1980 à cause de la réduction des surfaces cultivées, de la baisse des rendements et du prix payé au producteur, enfin de l'inefficacité des sociétés cotonnières. Après 1982, à la suite de réformes et de l'augmentation des prix, la production remonte. En 1985, elle sera de 46 300 t. A partir de 1986, la production centrafricaine suit la chute des cours mondiaux. Ces dernières années elle remonte et on attend 42 000 t pour 1997. Le rapport financier va de 2,2 milliards en 1979 jusqu'à près de 9 milliards en 1984. Mais les coûts élevés des transports à l'intérieur du pays, les frais généraux très lourds des sociétés cotonnières, qui eurent jusqu'à 20 usines d'égrenage, ne laissent que des revenus très faibles au paysan. Cette culture fut imposée sans toujours tenir compte des exigences des cultures vivrières traditionnelles, même si en haut lieu, on "voulait donner aux indigènes un élément de richesse". Elle entre en effet en concurrence avec les cultures vivrières, et demande beaucoup de temps, de soins, de surfa149

La vie économique

ce, au détriment des autres. Elle se fit souvent sous la contrainte, ceci jusque dans les années 1980. Le paysan n'en retire qu'un faible bénéfice, une fois payés les engrais et les produits phyto-sanitaires. Dans certaines régions, certes difficiles d'accès par manque d'entretien des routes, la récolte ne fut pas toujours enlevée par les usines. Cette culture épuise aussi les sols. Barthélémy Boganda ne cessa de crier contre. Il y a quarante ans, le Père Tisserant, ethnologue et botaniste, qui résida en Centrafrique de 1911 à 1950 et dirigea la station agronomique de Boukoko en Lobaye, notait lui aussi: "Je laisse à d'autres voix plus autorisées le soin de dire si le coton amena l'aisance dans les populations du pays: il n'est qu'à voyager pour que saute aux yeux l'état plus misérable des populations qui .

n'ont d'autres ressources que celle-là. Je laisse aussi à d'autres, qui l'ont déjà signalé, de noter l'appauvrissement des sols résultant de la culture cotonnière, forçant l'indigène à aller au loin pour ses cultures vivrières. Mais les cultures indigènes elles-mêmes? Un premier résultat de la culture du coton fut de restreindrè les plantations du sorgho..."

Entrant en concurrence avec des cultures vivrières de première nécessité, celle du coton, de peu de rapport, fut donc plus ou moins bien acceptée. Comme pour le café, la production centrafricaine ne permet pas de peser valablement sur le marché mondial pour empêcher un effondrement des cours. Ces dernières années 1991-1993, celle de la Chine était évaluée entre 4 et 6 millions de t, celle de l'Egypte à 370 000 t. Devant de tels chiffres, que pèse le Centrafrique? Là aussi, l'amélioration de la qualité des fibres produites permettrait peut-être une meilleure commercialisation. Le tabac venant d'Amérique, aurait été introduit en Afrique en même temps que le manioc. Cette culture concerne surtout la région de Berbérati. En 1960, la production est de 800 à 900 t, elle atteint 2 700 t en 1977, puis redescend à 1 400 t en 1982, 500 t en 1990, seulement 40 t en 1994. De 1975 à 1987, les surfaces cultivées, qui ont toujours été faibles, se sont réduites, passant de 1 900 ha à 700. La valeur à l'exportation qui était comprise entre un et deux milliards de F. CFA 150

La vie économique

de 1977 à 1987, n'était plus que 535 millions en 1990. La production de ce tabac, réputé de bonne qualité pour la fabrication des cigares était transformée en partie sur place par la MANUCACIG (Manufacture centrafricaine des Tabacs), qui à une époque produisait des cigarillos, sous le nom de Mecarillos. Le marché local est peu porteur car ce produit apparaît comme un luxe à côté des besoins alimentaires prioritaires. Actuellement, la production est entre les mains de la SOCACIG (Société Centrafricaine de Cigarettes), qui affiche un chiffre d'affaire de près de 9 milliards de francs et qui contribue ainsi pour 2 milliards au budget de l'Etat. LEs CULTURES INDUSTRIELLES

Les gouvernements centrafricains successifs tentent depuis quelques années de faire passer la culture de certains produits agricoles d'un mode traditionnel à un stade industriel, en créant à la fois des plantations à exploitation rationnelle et une usine pour leur traitement et leur transformation. Le but est, autant que possible, de fournir le marché local et de se libérer au moins en partie, des importations. Cela concerne deux produits: l'huile de palme et le sucre. Toute la région en bordure du fleuve est propice à la culture du Palmier à huile qui y pousse naturellement. Il faudrait faire remonter les débuts de son exploitation au gouverneur Vendome à Mobaye pendant la guerre 1914-1918. En 1975, le gouvernement projette l'établissement de la SOCAP ALM, complexe agro-industriel de 2 516 ha de plantations, avec une huilerie à Bossongo à 45 km de Bangui dans la direction de Mbaïki. En 1977, le projet prend le nom de CENTRAPALM. L'opération est lancée en 1982, et l'huilerie commence à fonctionner en 1986. En septembre 1990, l'usine produit près de 4 000 t d'huile, et 800 t de palmiste (le palmiste est la graine qui se trouve à l'intérieur du noyau de la noix de palme). L'huilerie-savonnerie Husaca, installée à Bangui-Bimbo, achète cette production de palmiste pour fabriquer son savon. Cette usine, au lieu d'importer ses matières premières, s'oriente aussi vers les autres productions locales d'arachide et de graine de coton. 151

La vie économique

Ce projet est intéressant dans la mesure où il permet la réduction des importations d'un produit de base de la consommation locale, à condition bien évidemment que la contrebande soit contenue. Il demeure cependant un point délicat: si la pluviométrie convient pour les plantations traditionnelles, elle semble insuffisante pour assurer une production industrielle satisfaisante. D'après le Père Tisserant, la canne à sucre aurait été introduite avec les Européens et aurait remplacé le sorgho sucré en en prenant le nom. On la trouve dans bien des pays africains, où elle pousse facilement. On suce les morceaux de tige pour en extraire le jus. A l'instar du palmier à huile, un complexe sucrier a été mis en place dans la région de Bambari ; il comporte à la fois des plantations de canne et une usine. Il fournit du travail à 800 personnes dont 300 perlna11ents. Le but de l'opération, se substituer aux in1portations, est en voie d'être atteint, puisque la production a couvert les trois quarts des besoins en 1990. Pour 1989, la production est de près de 5 100 t, dépasse les 6 300 en 1990, soit 1 400 t en morceaux et le reste en poudre, pour un chiffre d'affaires de deux milliards de F CFA (soit à l'époque près de 320 F CFA le kg, ou 6,40 F F). La SOGESCA qui gère cette entreprise, espèce dépasser ces chiffres, en augmentant les surfaces cultivées et les capacités de production de l'usine. Les difficultés là aussi ne manquent pas. Il est bien évident qu'on ne peut viser une politique d'exportation: le prix sur le marché mondial est inférieur au prix de revient de ce sucre local. Sa qualité ne conviendrait pas non plus aux brasseries qui en consomment de grosses quantités pour leurs boissons. Sa couleur grise, bien que meilleure pour l'alimentation, n'est pas appréciée par le consommateur qui lui préfère le sucre blanc importé. LE BOIS ET LES INDUSTRIES FORESTIERES

Près de l'équateur, avec un climat naturellement pluvieux, la forêt tient une place primordiale. Vue d'avion, la région entre Bangui et Berbérati par exemple ressemble en 152

La vie économique

toutes saisons à un tapis de verdure, où serpentent les rivières. Quelques rares trouées indiquent une agglomération un peu importante. De même Bangui apparaît à partir des collines environnantes comme noyée dans les arbres: il est vrai qu'ils y sont nombreux un peu partout, en particulier les manguiers. La superficie de la forêt centrafricaine est évaluée à 400 000 km2, dont 10 % de forêt dense, et le reste en forêt ouverte, surtout en remontant vers le nord. Qui dit forêt, dit bois. Mais il serait faux de penser que l'on y trouve des trésors partout: la forêt utile pour une exploitation industrielle ne couvrirait que 27 000 km2, où les réserves seraient évaluées à 47 millions de m3. Parmi les essences exploitées, on trouve le sapelli pour plus de la moitié, l'ayous, le sipo, l'iroko, l'aniégré. L'exploitation a débuté en 1945 pour atteindre sa vitesse de croisière dans les années 1960. Voici quelques dates avec les volumes traités: en 1960, 100 000 m3 ; en 1970, 280 000 m3 ; de 1971 à 1982 : 300 000 m3 en moyenne, avec une pointe de 400 000 m3 en 1973. Par la suite la production baisse jusqu'en 1990 avec 236 000 m3, mais remonte en 1993 avec 312 000 m3, en 1994 avec 370 000 m3. Sur les 15 à 25 000 hectares explorés chaque année, on extrait 10 à 25 m3 / ha. Le volume annuel moyen pourrait vraisemblablement atteindre entre 600 000 et un million de m3 par an, tout en préservant le potentiel naturel de régénération. Mais peut-être faudrait-il aider la nature, en particulier par une politique de reboisement organisé: or de telles plantations sont rares! Des sociétés forestières sont spécialisées dans ce travail: elles recherchent les arbres qui conviennent, les abattent, les transportent à l'usine, où ils sont éventuellement sciés ou déroulés; en 1993, ceci concerne environ 25 % de la production globale; il existe ainsi une usine de déroulage de contreplaqué à la SCAD dans la Lobaye. Ou bien il est exporté brut en grumes. Les deux tiers des grumes comme des bois sciés ou déroulés sont vendus, soit dans le pays même, soit dans les pays de l'UDEAC, mais aussi au Zaïre et au Soudan. Peu à peu le marché s'est ouvert aux pays européens, pour lesquels le 153

La vie économique

pourcentage d'exportation est passé de 12 à 50 % entre 1970 et 1990. A la suite de la réduction de la production, les sociétés sont passées de dix en 1980 à six en 1990. Cette réduction est due à plusieurs facteurs: la baisse des cours mondiaux, liée à la concurrence des pays asiatiques, ou à l'utilisation d'autres matières comme le plastique. De plus, le bois tropical ne représente qu'une faible part dans la consommation globale des pays européens. Enfin certains, comme l'Allemagne de l'Ouest, en interdisent l'importation, pour des raisons écologiques. Ce commerce est donc fragile. Une autre raison de cette régression est encore celui de l'enclavement du pays qui doit compter sur les infrastructures des pays voisins, le Congo et le Cameroun pour leur évacuation. Pour rejoindre le port de Pointe-Noire au Congo, le transport se fait par flottage sur la Sangha et l'Oubangui, ce qui est peu onéreux, puis par le Chemin de Fer du Congo-Océan (CFCO) ; le coût de ce moyen de transport à l'arrivée au port de Pointe-Noire représenterait déjà 50 % du prix de vente pour les grumes, et 30 % pour les bois sciés. D'autres difficultés surgissent encore: les moyens de ce chemin de fer sont limités; il arrive aussi fréquemment que l'instabilité socio-politique bloque toute activité, dont celle des transports, quelle que soit leur destination; dans un sens ou dans l'autre d'ailleurs, Afrique-Europe, ou Europe-Afrique, les délais atteignent facilement de six à huit mois. Reste la liaison par le Cameroun; elle s'effectue par la route, vers le port de Douala, mais elle a l'inconvénient d'être encore plus chère. Malgré ces difficultés, l'exploitation du bois tient une place importante dans l'économie du pays, par les emplois qu'il crée (4 300 salariés en 1980), par le commerce local ou d'exportation, pour les artisans locaux: ameublement et construction dans la mesure où le pouvoir d'achat le permet. Si de 1980 à 1985, le volume exporté a baissé de 177 000 à 101 000 m3, la valeur est restée presque constante entre 7 et 10 milliards de F. CFA. Mais les ressources qui étaient de 9 milliards en 1985, tombaient à 6 en 1987 - la moitié en grumes, la moitié en bois sciés, déroulés ou contreplaqués - à peine à 5 en 1988, 6, 3 en 1989, et 4, 3 en 1993. Après le diamant, le bois 154

La vie économique

occupe cependant la seconde place à l'exportation devant le coton et le café. Le gouvernement actuel préfère l'exportation des bois sciés ou déroulés, à celle des grumes. A côté de cette exploitation industrielle, en l'absence d'autres sources d'énergie à bon marché, la population se sert de bois pour la cuisine. Les besoins annuels sont estimés à 4 millions de stères. La demande entraîne, surtout aux environs des villes, et en premier lieu de Bangui, une déforestation aiguë dans un rayon important: si cela se remarque moins sur les routes de Damara et de Boali, la sortie vers Mbaïki sur quelques kilomètres ressemble à un champ de bataille d'où surgissent quelques moignons d'arbres, qu'on dirait rescapés d'un bombardement. Des camions quasi hors d'usage, mais chargés à ras bords, ainsi que des jeunes avec des poussepousse à deux roues, assurent le ravitaillement de la ville en bois. Heureux celui qui dispose d'un véhicule, il pourra satisfaire au moins les besoins de son foyer, à moins qu'il ne se fasse revendeur! De toutes façons, il fera des économies. Il en va de même pour le charbon de bois, dont le prix augn1ente au fur et à mesure que l'on se rapproche de la capitale. L'ÉLEVAGE L'élevage du gros bétail, bovin en particulier, était traditionnellement quasi inconnu en territoire centrafricain, surtout au sud, à cause de la mouche tsé-tsé ou glossine, qui inocule dans le sang un parasite appelé trypanosome, responsable de la maladie du sommeil, et qui rend impossible l'élevage des bovins en région tropicale. Cependant quelques éleveurs centrafricains ont développé des espèces trypanorésistantes de race baoulé, mais ceci reste très marginal, le nombre de ces bêtes étant estimé à 29 000 têtes, dont une bonne partie comme animaux de traits. Si les relations des premiers voyageurs dans le pays nous font entrevoir que l'élevage du petit bétail, moutons, cabris... était florissant, les populations centrafricaines ne sont pas dans leur ensemble des éleveurs, mais des cultivateurs. On n'y prend en principe guère soin des animaux, qui doivent chercher leur nourriture par eux-mêmes, et divaguent à tra155

La vie économique

vers le village. Tout au plus, leur prépare-t-on parfois des petits abris ou greniers que l'on peut fermer la nuit. Les éleveurs de gros bétail sont les Peuls bororo qui viennent du Tchad ou du Cameroun. Dès le début du siècle au moins, ces Bororo sont présents en pays gbaya avec leurs troupeaux. Les Gbaya, soit les combattent, soit composent avec eux; il en est de même des Français au moment de la colonisation. Peu à peu, ils progressent vers le sud. Poussés par la sécheresse des années 1980 au Sahel et les épidémies de peste bovine, ils s'installent en masse dans les régions du nord-ouest (le massif du Yadé) et à l'est de Bambari où ils trouvent des paturages abondants. Le gouvernement les y aide, et le nombre de familles serait à l'heure actuelle de 22000 regroupées dans des communes d'élevage. Les chiffres qui suivent montrent l'évolution du cheptel bovin global: 1936 : 16 500 1960: 440 000 1970: 500 000

têtes " "

1980 : 1990 : 1995 :

1 090 000 2 000 000 2 500 000

têtes " "

Ces éleveurs sont fédérés au sein d'une association, la FNEC (Fédération Nationale des Eleveurs Centrafricains), qui leur sert d'interlocuteur officiel auprès du gouvernement, et qui en même temps a un rôle politique en aidant les éleveurs à s'intégrer dans la nation. L'intérêt évident de ce cheptel, en constante progression, sur le territoire centrafricain est de pouvoir fournir de la viande, d'abord à la capitale. Les troupeaux font le voyage à pied, en suivant des parcours définis pour aboutir à Bangui aux abattoirs de la SEGA (Société d'Etat de Gestion des Abattoirs), où ils sont tués et mis en vente sur le marché local. En fait, ce commerce est fort ancien; dès 1910, à Bangui un parc accueillait bœufs et moutons qui venaient du Tchad: en 1913, 950 têtes de bétail auraient été ainsi commercialisées. Depuis près d'un siècle, ce qui a donc évolué, ce sont l'augmentation significative du trafic et l'évolution des structures; les modes de déplacement et les lieux d'origine n'ont pas changé. Pour celui qui circule dans l'intérieur du pays, il n'est pas rare de 156

La vie économique

rencontrer des troupeaux d'une centaine de bêtes, guidés par quelques bergers, en route vers le sud. La part de la viande importée a baissé pendant la dernière décennie, passant de 37 % à 25 % de la consommation locale; de plus le prix de l'une et de l'autre n'est pas, bien évidemment, le même: comme tout autre produit de ce genre, celle importée coûte très cher. D'autre part, plusieurs dizaines de milliers de bêtes sur pied sont exportées annuellement vers le Nigéria, le Cameroun et le Congo. L'exportation de carcasses ne serait possible qu'à condition de disposer d'une chaîne de froid. Ces troupeaux sont élevés d'abord pour leur viande; la production de lait, puis de beurre ou de fromage est faible. Mais depuis quelques années, on trouve sur le marché de Bangui, du fromage, dit de Bouar, fabriqué par ces éleveurs à un prix très raisonnable. Un problème relationnel se pose entre les éleveurs plus ou moins nomades, et les agriculteurs sédentaires. Dans certaines régions, où les troupeaux sont trop nombreux et leurs déplacements mal contrôlés, les champs sont dévastés. Le gardiennage n'est pas toujours efficace, et il arrive que devant des animaux laissés en liberté, la population soit obligée de se barricader. Quand les heurts conduisent les protagonistes devant l'administration, c'est le plus souvent l'agriculteur qui se trouve avoir tort. Se font face ici deux mondes qui se côtoient, mais ne se mélangent et ne se comprennent pas. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les bureaux de la FNEC à Bangui furent détruits lors de la mutinerie de mai 1996, et qui çà et là donna lieu à quelques règlements de compte. Nous l'avons déjà signalé: ce secteur d'activité bénéficie d'investissements importants: ainsi en 1980-1981, 2, 6 milliards de F. CFA; de 1987 à 1989, chaque année, 3 à 4 millions ont été consacrés à un centre vétérinaire pour les animaux de ces éleveurs nomades. A côté des bovins, il faut compter 1 100 000 cabris et 100 000 moutons. Quant aux porcs, ils sont peu nombreux, 400 000 environ. Les chevaux, toujours à cause de la maladie du sommeil, sont quasi inconnus. Quant aux volailles, poules et poulets surtout, on doit en compter 2 700 000. Il existe des 157

La vie économique

petits élevages de poules pondeuses pour le marché local, mais ce créneau est fort dépendant de l'extérieur pour l'importation des poulettes et de la nourriture; de plus, une épidémie dans l'élevage a tôt fait de le réduire à néant. Traditionnellement, les œufs ne servent pas à la consommation humaine, mais à la reproduction. Les paysans pourraient espérer un petit rapport de l'élevage des volailles; encore faudrait-illes convaincre de les enfermer, surtout dans les villages situés au bord des routes: quelle hécatombe! et de les nourrir un tant soit peu. L'animation rurale auprès des paysans a voulu les initier à l'utilisation des animaux de traits, soit pour le labour, soit pour le transport. Le poids et les contraintes de la tradition senlblent avoir joué pour limiter l'impact de ce projet: en 1966, on comptait 1 300 bêtes de trait, vingt ans après en 1986, 8 400 ; si en pourcentage, l'augmentation est spectaculaire, elle le semble moins en chiffres, eu égard à l'ampleur des efforts consentis.

LA PECHE ET lA PISCICULTURE

Le Centrafrique possède un réseau fluvial très dense qui permet de pratiquer la pêche un peu partout. Des populations, surtout celles vivant le long de l'Oubangui, et celles du bassin du Tchad au nord, autour de l'Aouk, de la Gribingui et de l'Ouham, s'y sont spécialisées. Les terres inondées du nord et du nord-ouest sont très riches en poissons et d'une capacité annuelle de 3 000 t. Elle occuperait 20 % de la population, pour une production de 10 000 t / an pour l'ensemble du pays. Si la faible densité de la population surtout au nord-est favorise l'abondance du poisson et une moindre demande, cette même faible densité ainsi que le mauvais état des routes, et l'insuffisance des circuits de commercialisation, entraînent des pertes importantes. A côté de cette pêche en rivière, se sont créés assez facilement des bassins de pisciculture: en 1985, on en comptait 10 000 pour 8 000 pisciculteurs, pour décroître ensuite et aboutir à 2 650 bassins pour 1 900 pisciculteurs en 1993. Pour l'année 1993, la pêche aurait contribué 158

La vie économique

pour 8, 5 milliards de francs au Produit Intérieur Brut.

LA CHASSE ET LA FAUNE

Il Y a belle lurette qu'on ne rencontre plus de dangereux animaux sauvages dans la banlieue de Bangui; le gibier, surtout le très gros, a déserté devant la pression démographique, et s'est raréfié pour ne subsister que dans la grande forêt et dans les régions du nord-est et de l'est. Ces dernières constituent une zone d'intérêt cynégétique de 270 000 km2, avec trois parcs nationaux et dix réserves de faune pour une superficie de 61 000 km2. Le reste du pays, soit 354 000 km2, constitue une zone de "chasse banale", mais avec une plus forte densité de population. Dans cette zone autrefois très riche, les' réserves ont tendance à s'épuiser: la demande de viande est importante et la chasse s'y pratique de façon trop souvent intensive et anarchique. La valeur de la production de la chasse dans le PIB, était estimée en 1993, à 15, 5 milliards de F. CFA. Elle tient donc une bonne place dans l'économie du pays. De plus, cette viande est appréciée, car elle fournit des protéines. Les régions du nord-est et de l'est, trop étendues pour être efficacement surveillées sont livrées au braconnage organisé, où l'arme favorite est la kalachnikov. Ainsi estime-t-on que 75 % de la population d'éléphants aurait été massacrée entre 1982 et 1986, surtout pour l'ivoire, peu pour la viande. Depuis que le commerce en est interdit, il faut espérer que ce braconnage diminuera. La situation est encore pire pour le rhinocéros, dont la plus grosse concentration d'Afrique Centrale se trouvait en Centrafrique en 1982 ; en 1985, cette espèce aurait complètement disparu. Les parcs et réserves seraient pourtant intéressants pour deux raisons, d'abord comme réserves de gibier pour la consommation, à condition que leur gestion soit efficace; ensuite comme parcs de vision d'animaux sauvages dans leur milieu naturel, ou pour la chasse touristique. Ce n'est pas celle-ci qui détruit la faune: les chasseurs sont en effet peu nombreux, 288 seulement en 1989 ; ils sont encadrés par des guides, èt surveillés par 159

La vie économique

l'administration; nous voyons mal des chasseurs étrangers exportant régulièrement à l'aéroport de Bangui des trophées d'animaux dont l'abattage est interdit ou sévèrement contrôlé.

LEs RESSOURCES DU SODS-SOL

Le sous-sol centrafricain renferme des minerais de toutes sortes: fer, titane, étain, uranium..., dont l'inventaire exhaustif est loin d'être fait. L'enclavement grève le prix du transport de ces produits pondéreux; leur transformation sur place se heurte aussi à des problèmes de main-d' œuvre, et d'énergie qu'il faudrait d'abord produire. Mais la demande internationale existe-t-elle pour lancer un programme compétitif d'extraction et de transformation? Ceci n'est nullement évident dans la conjoncture actuelle. Aussi les seuls produits miniers réellement exploités sont ceux dont le rapport poids / prix est particulièrement intéressant pour leur transport: l'or et surtout le diamant. D'autant plus que les investissements ne sont pas pris en charge par le gouvernement, mais par ceux qui se livrent à cette recherche. Le diamant est exploité dans deux régions: à l'est, dans un quadrilatère limité au nord par une ligne allant de Ndélé à Ouadda, et se terminant au sud à l'Oubangui, au moins en ce qui concerne la RCA. A l'ouest, un autre quadrilatère dont le côté nord passe aux environs de Bouar, descend encore jusqu'à l'Oubangui, limité à l'est par la Lobaye, et à l'ouest par la Boumbé et la Kadéi. Entre 1931 et 1960, la recherche et l'exploitation en furent confiées à des sociétés minières; pendant cette période, la production annuelle moyenne fut d'environ 67 300 carats. Ces sociétés furent supprimées vers 1960, et chaque centrafricain put alors se livrer à la recherche. En fait, l'exploitation d'un gisement demande des investissements qu'tin simple particulier isolé ne peut se permettre. Le diamant en Centrafrique se trouve ordinairement dans le lit de rivières dont il faut détourner le cours, vider ensuite avec une pompe à moteur l'eau qui revient dans la fouille... Le chercheur loue donc sa 160

La vie économique

force de travail à un entrepreneur (souvent un riche musulman) qui possède les fonds nécessaires à l'achat du matériel, mais qui en contrepartie fera le premier valoir tous ses droits sur les pierres découvertes, avant l'inventeur lui-même, qui doit d'abord rembourser toutes les dépenses de matériel. L'entrepreneur, servant encore d'intermédiaire avec le bureau d'achat, gardera sa part, et le chercheur-découvreur devra se contenter du reste. Quand on sait qu'entre le bureau d'achat et les joailliers européens, il y a encore quelques intermédiaires, il ne faudra pas s'étonner que celui qui a trouvé un diamant ne reçoive de sa valeur marchande qu'un faible pourcentage. Aux frais d'extraction, dans certaines régions comme au nord de Bria où il n'y a pratiquement pas d'agriculture par manque de population sédentaire, l'entrepreneur se charge également de l'approvisionnement en nourriture; les prix sont élevés puisqu'il faut l'importer de zones de culture forcément éloignées. Au bout du compte, ce travail peut se comparer à celui d'un bagne, tant les conditions de travail sont dures, à creuser, vider l'eau des trous, tamiser le sable et le gravier pour y découvrir une éventuelle pierre, pour un revenu sinon aléatoire, du moins ordinairement fort maigre quand la "chance sourit". L'attirance vers ce travail est cependant forte: comparé à une loterie, il peut rapporter gros. Mais le rapport à cet argent gagné dans ces conditions est ambigü. Il est considéré comme l'argent du diable, un argent qui vient de l'extérieur, hors des circuits traditionnels, et qui donc ne peut appartenir personnellement à celui qui l'a gagné. Il sert rarement à un investissement durable qui rendrait l'existence plus agréable, telle la construction d'une habitation plus confortable, ou productif qui rapporterait un intérêt régulier. Il disparaît le plus souve.nt dans des dépenses de prestige, tel un camion de bière, dont tout le village va profiter, ou une moto qui sera abandonnée à la première panne, à moins que le magot ne soit purement et simplement partagé. Entre 1961 et 1986, la production annuelle moyenne fut de 400 000 mille carats, dont 90 % issus d'exploitations artisanales, pour une valeur globale de 140 milliards de F CFA (2 800 millions de F F). 161

La vie économique

Voici le détail de la production déclarée aux bureaux d'achat : Année

Total

en carats

1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1996 1997

414 000 360 000 445 000 408 000 428 000 414 000 494 000 530 000 490 000 540 000

Valeur (millions

de ces dernières années,

Prix moyen du carat CFA)

13 000 14 500 19 800 16 500 15 700 16 000 20 800 41 100

F CFA

FF

31 400 40 000 44 500 41 000 36 700

77 600

628 800 890 820 734 802 842 776

120 000

1 200

40100 42100

Le diamant tient une place importante dans l'économie centrafricaine. Il fait vivre directement 50 000 artisans, 160 collecteurs et 300 000 personnes par les emplois induits. En 1970, il assurait près de 50 % des recettes d' exportation. Puis entre 1977 et 1987, cette part diminue pour se situer entre 19 et 40 %, pour remonter de 46 % en 1989 à 67 % en 1993. Les recettes pour l'Etat ne sont donc pas négligeables: pour un budget de 43, 5 milliards de F CFA en 1990, les taxes sur le diamant se montent encore à 1, 7 milliards, soit un pourcentage de près de 4 % ; tandis que celles prévues pour 1994 seraient de 3, 3 milliards de F CFA, avec une taxe de 8 %. Le diamant fournit donc des rentrées financières intéressantes. Son faible poids le libère des contraintes dues à l'enclavement. Mais cet avantage se transforme vite en inconvénient, en facilitant la fraude, évaluée à au moins 50 %. Finalement il ne profite guère au pays parce qu'en dehors de la taxe à l'exportation et des patentes, il n'y a pas d'impôt sur ces revenus, également parce que la collecte étant aux mains d'étrangers, ceux-ci n'investissent pas en Centrafrique, et une faible part revient aux Centrafricains. La politique actuelle du gouvernement veut peser sur toute la filière du diamant; d'abord amener les artisans chercheurs à 162

La vie économique

se regrouper en coopératives minières, à qui il apportera une assistance matérielle et financière, pour les dégager de l'emprise des collecteurs et des patrons; renforcer le contrôle des brigades minières contre la fraude; créer une société de commercialisation du diamant et de llor (Socodor) et une bourse du diamant qui activerait la concurrence entre les bureaux d'achat, et relèverait le prix payé aux chercheurs; promouvoir l'artisanat du travail de l'or et du diamant, et remettre en route une taillerie, qui permettrait de vendre des diamants taillés à un prix bien supérieur à celui du diamant brut. Cette politique se heurte à plusieurs obstacles: entre autres, les chercheurs ignorent souvent leurs droits, et ne connaissant pas la valeur de l'argent acceptent la première offre qui leur est faite, les brigades de contrôle manquent de personnel, les collecteurs sur le terrain veulent préserver leurs privilèges. Enfin il pèse peu sur le marché mondial. Ce petit tableau

en donne une idée pour les années 1990et 1992 année

:

1990

1992

0, 5 36 106,7

0,4 40

production RCA Australie Total monde

101

(Les chiffres sont donnés en millions de carats) La RCA, produisant entre 0, 4 et 0,5 % du temps mondial, arrive en huitième position, loin derrière l'Autralie par exemple qui, elle, produit entre 70 et 100 fois plus. Cette comparaison nous permet de relativiser l'importance de la RCA dans la production et la commercialisation de ce produit. La seconde ressource minière exploitée est l'or. Dans les années 1930-1940, la production atteignit 600 kg / an. Entre 1929 et 1963, elle fut au total de 12 tonnes, pour une valeur de 3 milliards et demi de F CFA. Entre 1964 et 1977, ce secteur d'activité connut un désintérêt total, au point qu'aucune exportation ne fut enregistrée. Puis entre 1978 et 1985, on exporta I, 5 tonne pour une valeur de 3, 6 milliards de F CFA. Voici pour ces dernières années les chiffres de la production: 163

La vie économique

Année

1987 1988 1989 1990 1993

1994

Poids en kg

223 381

valeur en millions à Ilexportation

670 1124

valeur du gramme

/ FF

F CFA 3 000 F F /

60 FF 59 FF F F / 56 FF

2 950 F F /

328

925

2 800

240 170 138

595 376 409

2 480 F F / 49, 6 F F 2 200

F F/

2 960

F F / 29, 6 F F

44 F F

A l'heure actuelle, il n'y a pas à proprement parler de mine d'or sur le territoire centrafricain. Quelques milliers d'artisans se livrent à l' orpaillage, et aucune région n'est privilégiée. Si l'or fait vivre quelques milliers de personnes, pour le moment il rapporte peu à l'exportation: en 1980, parmi les meilleures dernières années, il n'assure que I, 29 % des recettes, mais 0, 1 % en 1979 et 1981. En 1993, le pourcentage n'est toujours que de I, 2 %, alors que celui du diamant est de 67 %. D'autre part le tableau ci-dessus nous montre clairement que pour la période considérée, le prix de l'or au gramme diminue régulièrement en francs français. Parmi les ressources du sous-sol qui attendent, il faut citer l'uranium de la région de Bakouma ; on estime le tonnage du minerai à 400 000 tonnes pour 20 000 tonnes de métal. Mais ce gisement est-il exploitable? Si oui, le sera-t-il réellement un jour? Là également la situation économique mondiale, et en particulier le marché de ce métal, ne sont pas pour le moment prometteurs. Toute la région-frontière du Tchad, depuis l'Ouham à l'ouest jusqu'au Soudan à l'est est classée zone d'intérêt Pétrolifère, en lien avec les régions correspondantes du Tchad. Dans les années 1980 des recherches y ont été effectuées. Mais quelle est l'importance des gisements? Sont-ils exploitables? Comment? Quand et par qui? Autant de questions auxquelles on ne peut pour le moment répondre. Mais l'exploitation a commencé au Tchad, faisant dire aux Centrafricains que le Tchad pompait leur pétrole. Des études ont été menées dans la région de Bobassa, à 20 km de Bimbo sur les bords de l'Oubangui, sur les gisements du calcaire de cette région, et l'installation d'une cimenterie. 164

La vie économique

Mais le site a été déconseillé comme trop dangereux à cause des risques d'inondations. D'autres études ont également été menées sur les possibilités de l'exploitation du gisement de fer de Bogoin pour la fabrication de fer à béton et de profilés. Vu le prix du ciment et du fer en Centrafrique, ces réalisations rendraient de grands services. LEs INDUSTRIES MANUFACTURIERES

Le Centrafrique ne semble jamais avoir eu une politique suivie en matière de (petite) industrialisation. La plupart des industries étaient aux mains de l'Etat. Seules quelques-unes (Bata, Sepia, Socacig...) étaient entre celles du secteur privé. Pour des raisons d'approvisionnement en sources d'énergie, de réception de matériel, de commercialisation, ces usines étaient concentrées à Bangui, si l'on excepte les scieries en zone forestière sur les lieux d'exploitation, une usine textile à Boali, mais précisément tout près de la source d'énergie électrique, et celles liées aux cultures industrielles établies sur les lieux de production de la matière première. Malgré les subventions et des mesures protectionnistes, les entreprises sous tutelle d'Etat ont brillé par leur non-compétivité et leur mauvaise gestion, qui ont entraîné la faillite et la fermeture d'un grand nombre d'entre elles, et des pertes fiscales importantes pour l'Etat. Or ce secteur des petites et moyennes entreprises contribue pour 7 % au P I B et emploie 50 % des salariés du secteur privé. A propos de la transformation de produits agricoles et forestiers pour le marché local et l'exportation éventuelle, nous avons déjà parlé des scieries, de l'usine d'huile de palme de Bossongo, de la sucrerie de la Ouaka, de la savonnerie Husaca, des manufactures de tabac... Une industrie qui fonctionne bien est celle de la fabrication de la bière et des sodas. A la fin des années 1980, il existait deux usines à Bangui: Mocaf et Castel. Castel, la dernière arrivée, a racheté Mocaf. Il ne semble pas qu'il y ait place actuellement pour deux usines de boisson. Une usine de jus de fruits avait été prévue à Liton au PK 165

La vie économique

22 sur la: route de Damara auprès de la station agronomique. Elle fut construite, mais n'a jamais servi, si ce n'est pour abriter un temps des militaires lybiens et centrafricains. Il semble que fût oubliée l'étude de l'approvisionnement de cette usine en matière première, les fruits. On a compté aussi deux usines textiles: celle de Boali, près des chutes, a fermé en 1981. L'autre à Bangui a changé de nom au gré des restructurations: ICAT, DCAT, enfin DCATEX. Le problème de ces usines est de ne pouvoir produire des marchandises à un prix inférieur aux produits importés, surtout en fraude... Il y aurait sans doute place pour des petites usines de confection, comme la ClOT (Compagnie Ind ustrielle d'Ouvrages en Textiles). Il a existé aussi une usine de chaussures BATA, travaillant pour le marché local, une usine de montage d'automobiles. Il existe toujours une usine de montage de mobylettes et de pousse-pousse, ainsi que des usines de produits chimiques, une fabrique de tôles et d'articles ménagers en aluminium. La faiblesse de l'économie du Centrafrique provient de l'exploitation d'un éventail restreint de produits, d'autant plus que la fixation de leur prix dépend du marché international ; il n'est absolument pas possible d'influer sur les cours par la mise sur le marché de quantités significatives, ou de produits de haute qualité. Par contre, l'agriculture y profite d'un climat humide, sans être excessivement chaud; il Y aurait lieu de l'aider, pour permettre à la population d'améliorer son alimentation.

166

Chapitre 9 LES STRUCTURES MODERNES ADMINISTRATIVES

l'impasse

financière

Régulièrement on proclame l'Etat en cessation de paiement. De plus en plus, et ceci n' est pas propre au Centrafrique, les fonctionnaires doivent attendre plusieurs mois pour toucher leur salaire. Un détour par la présentation du budget nous permet de mieux saisir les problèmes qui se posent. De ce budget en effet, et surtout de son équilibre, dépend la présence et les interventions de l'Etat dans l'économie et le développement du pays, ou au contraire son absence ou son désengagement. De 1977 à 1990, les recettes budgétaires augmentent, passant de 16, 7 à 43, 1 milliards de F CFA; puis de 1991 à 1993, elles tombent régulièrement: 36, 2 en 1991, 33, 7 en 1992, 28, 2 en 1993, mais remontent à 30, 5 en 1994. Les droits de douane, de 17, 131 milliards à l'entrée et de 10, 337 à la sortie, représentent près des deux tiers des recettes en 1990 ; elles tombent à 4, 947 et 1, 647 milliards de F. CFA, soit à peine le quart, en 1993 à l'époque de la grogne et de la fronde contre le régime du président Kolingba. Dans ce total des taxes douanières à l'exportation, le diamant représente un pourcentage intéressant; il est cependant insuffisant pour assurer l'avenir économique du pays, même si on arrivait à supprimer toute fraude. D'autres entreprises bien gérées rapportent également de l'argent à l'Etat par le biais des impôts sur les sociétés. Ainsi PETROCA, chargé de la distribution des produits pétroliers, se présente comme la

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première entreprise du pays, comme le premier contribuable, avec le premier chiffre d'affaire; encore la fraude, estimée à 20 % du marché, lui coûte-t-elle un manque à gagner de 3 milliards. De même la SEGA, société chargée des abattoirs, qui, elle aussi, dégage des bénéfices. Si l'on excepte les années 1984 et 1985 où le budget se trouve en quasi équilibre, le déficit budgétaire atteint le pourcentage important du tiers ou du quart des recettes; dans le poste des dépenses, les salaires en absorbent 90 % et même plus, avec les intérêts de la dette publique. Pour 21 000 fonctionnaires dont le salaire moyen est compris entre 80 000 et 120 000 F. CFA, la masse salariale atteint 2 milliards de francs par mois, soit 24 par an, ou 51 % des recettes de 1991. En 1994, la dette publique totale est estimée à 465 milliards de F CFA (et 49 milliards ont été consacrés à son règlement). Sur ce budget en déficit, les investissements en équipement ne peuvent représenter que peu de chose, 10 % dans le meilleur des cas. Pour "boucher les trous" du budget ordinaire, il faut alors avoir recours à des financements extérieurs, dons ou emprunts. A plus forte raison, pour les investissements. Dès l'indépendance, le pays a eu recours à des financements extérieurs pour assurer son développement socio-économique. Mais souvent avec un manque de sérieux dans les demandes d'aide, parfois trop facilement accordée, dans l'étude des conditions de remboursement et des taux d'intérêt. Les projets de leur côté, n'ont pas toujours fait l'objet d'étude convenable de faisabilité, de maintenance... quand il ne s'agissait pas de dépenses de prestige ou pire même de projets fantômes. Nous avons déjà parlé de cette usine de jus de fruits qui n'a jamais fonctionné parce que la production et la fourniture de la matière première (les fruits) ne semblent pas avoir été étudiées. La République Populaire de Chine a accordé un prêt de 5 781 900 000 de F CFA pour la construction de l'Hôpital de l'Amitié au Quartier Fou à Bangui et du Centre de Santé de la Présidence de la République. Terminé en 1990, l'hôpital ne fonctionne encore en 1994 que comme dispensaire de jour. En 1976, les agents de l'Etat étaient 19 700 ; en 1981, 25 600, en 1985, 27 ODD,pour baisser ensuite et se stabiliser main168

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tenant à 19 500. Il fut une époque où le gouvernement obligeait les étudiants formés aux frais de l'Etat à servir pendant 15 ans dans l'administration. Plus tard, le gouvernement eut comme politique d'embaucher les jeunes diplômés pour résoudre le problème de leur chômage, et non en fonction d'un besoin. D'autre part, une place dans l'administration ou une entreprise publique est souvent vue davantage comme une rente de situation que comme une obligation de service. Dans l'esprit de beaucoup de parents, l'école doit mener le jeune à l'obtention d'une place" à l'ombre" dont il les fera profiter. Rapidement des effectifs pléthoriques grèvent ainsi le budget de l'Etat sans contrepartie de développement, empêchent d'affecter des sommes significatives dans des investissements productifs, et obligent l'Etat à avoir recours

continuellement aux institutions financières internationales. A la fin de la décennie 1980, sous la pression du FMI, l'Etat a dû se résoudre à "dégraisser", par des mises à la retraite anticipée et surtout par des Départs Volontaires Assistés (les DVA), pour lesquels les intéressés recevaient un pécule qui pouvait leur permettre de se lancer dans une petite entreprise. L'Etat a dû aussi se séparer d'entreprises publiques, qui sont passées de 58 en fin 1985 à 34 fin 1989, à en restructurer d'autres comme l'OCPT, l'ENERCA, la SNE; en passant sous contrôle privé, elles ont vu leurs effectifs diminuer. Certaines, qui auraient dû rapporter de l'argent à l'Etat par le biais des taxes, lui en coûtaient au contraire par les aides qu'il leur accordait. LA SocIÉTÉ

DE DISTRIBUTION

D'EAU EN CENTRAFRIQUE

La Société Nationale des Eaux (S.N.E.) était chargée, au moins à Bangui, de la distribution de l'eau potable. Désormais une société d'Etat conserve la gestion du patrimoine, tandis qu'une société privée, la SODE CA (Société de Distribution d'Eau en Centrafrique), créée en 1991, exploite ce service en ce qui concerne la gestion technique, l'administration financière et commerciale. Le capital de cette société est réparti entre le groupe français Bouygues à 51 %, l'Etat centrafricain pour 25 %, et des privés pour 21 %. Quand on sait que la 169

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nappe phréatique qui alimente les puits de Bangui a toutes les chances d'être polluée, qu'elle s'épuise en saison sèche, la distribution d'eau potable n'est pas un luxe. Cette eau est puisée dans l'Oubangui puis traitée. En complément des branchements privés, des bornes fontaines ont été installées depuis plusieurs années dans les quartiers. Dans les années 1970, elles étaient laissées sans surveillance: chacun venait y puiser à sa convenance, mais aussi y faire éventuellement sa lessive et sa vaisselle, transformant les abords en cloaques et incommodant le voisinage. Désormais cette eau est vendue à un prix modique (5 F CFA les 10 litres) à partir d'un petit édicule. Cette nouvelle société, qui compte 7 000 abonnés à Bangui visait à l'équilibre de ses comptes en 1993. Dans beaucoup de villages, on trouve également des puits mis en service par des organismes divers, ou ils s'équipent en forage avec des pompes à pied. ENERGIE DE CENTRAFRIQUE

La société, Energie de Centrafrique ou ENERCA, produit de l'électricité essentiellement pour Bangui, à partir d'une centrale thermique installée à Bangui, et surtout des deux centrales hydrauliques de Boali, mettant à profit la dénivellation qui donne lieu aux chutes sur la rivière Mbali. Deux usines, Boali I et II étaient déjà en service, elles ont été réhabilitées. Mais surtout, un barrage de retenue, a été élevé en amont pour permettre un approvisionnement en eau en toutes saisons pour ces deux usines. Une troisième usine est prévue sur le site même du barrage. Ce dernier a été mis en eau en 1991, et suffit largement actuellement à la demande. Le courant est transporté par deux lignes à haute tension de Boali à Bangui. Il permet de faire de substantielles économies de fuel: la centrale de Bangui suppléait le manque de production de Boali en saison sèche, mais ne pouvait éviter des délestages au moment d'ailleurs de la période la plus pénible de l'année, en mars et avril. En province, 14 centres sont équipés de 22 groupes diesel. Un objectif de la gestion de cette société est la lutte contre les branchements clandestins et l'accroissement du taux de recouvrement des factures: on estime que 30% de 170

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l'énergie distribuée n'étaient pas facturés; quant aux factures elles-mêmes, toutes n'étaient pas réglées. L'intérêt est que ce service, comme d'autres d'ailleurs, marche le mieux possible, tant au profit des particuliers, que de l'Etat lui-même qui perçoit des taxes sur le chiffre d'affaire.

TRANSPORTS

ET COMMUNICATIONS

Quatre modes de communication ou d'échanges existent en Centrafrique: la route, les fleuves, les airs et les télé-communications. De temps à autre on soulève l'idée de la création d'un chemin de fer; mais dans quelle direction? Le Tchad ou le Cameroun? Le seul chemin de fer qui eût existé et qui sans doute restera le seul pendant encore de nombreuses décennies, fut celui qui, sur sept km, contournait le seuil rocheux de Zinga à Mongo sur l'Oubangui en amont de Mongoumba, où en saison sèche on déchargeait les bateaux qui ne pouvaient continuer à remonter le fleuve. Les communications par la route, par les fleuves ou par air sont handicapées, toujours par la position enclavée du pays - nous rappelons que Bangui est à 1815 km de PointeNoire, et à 1400 km de Douala - par le médiocre volume de trafic, due à la fois à la faible densité de la population et à son faible pouvoir d'achat, enfin au mauvais fonctionnement de certains circuits de transports internationaux. Nous avons déjà montré les difficultés de l'évacuation du bois de Centrafrique vers les ports de l'Océan Atlantique, en direction soit du Congo, soit du Cameroun. Ceci vaut aussi pour l'importation de tout autre produit pondéreux, que le rapport prix / poids ne permet pas de faire venir par avion, à moins de rendre son prix prohibitif sur le marché local. Ces marchandises arrivent alors en conteneurs qui voyagent par bateau puis par la route. Les produits pétroliers, eux aussi, dans leur grande majorité sont acheminés par les fleuves Congo et Oubangui pendant la période des hautes eaux, de juin à décembre, et stockés à Bangui. Le transport par avion n'est rentable que pour des produits dont le prix de vente pourra inclure sans trop de dommage le prix du transport, 171

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qui se situe alors facilement aux environs de 40 %. A l'intérieur du pays, la faible densité de population qui tend au point zéro dans certaines régions, pour une si vaste étendue, entraîne, comme nous l'avons signalé, des difficultés de création et d'entretien des routes bitumées ou de terre. Un des premiers tronçons routiers automobiles fut créé entre 1919 et 1922 entre Sibut et Kaga-Bandoro pour éviter le portage. Maintenant seuls, en dehors de Bangui, 458 km de routes sont revêtues, toutes à partir de la capitale: vers Mbaïki (100 km), vers Sibut (170 km), et vers Bossembele (175 km). Les routes vers la province partent des deux sorties principales de la ville, où se trouvent des postes de contrôle de gendarmerie et de douane. La plus importante est celle de PK 12, à la sortie nord à Bégoua ; deux routes en partent: la première se dirige vers le nord dans la direction du Tchad (Sarh) par Bouca, ou par Kaga-Bandoro ; vers le nord-est dans la direction du Soudan, par Ndele et Birao (mais après Ndele, la route n'est praticable qu'en saison sèche) ; enfin vers l'est dans la direction du Soudan méridional et du Zaïre, par Bambari et Bangassou (mais après Bangassou, la liaison est problématique) ; la seconde route dessert le nord-ouest, dans la direction de Moundou (Tchad), et l'ouest dans la direction du Cameroun par Bouar, et à partir de Baoro vers Berbérati. La seconde sortie se trouve à Bimbo au sud et commande les liaisons vers Mbaïki et la Lobaye et au-delà vers Bada, Berbérati et le Cameroun. En 1979, le réseau était fort déficient par manque d'entretien en dehors des deux liaisons entre Bangui et Sibut, et Bangui et Mbaïki, les seules goudronnées à l'époque. Il fallait 30 heures pour se rendre de Bangui à Bouar (400 km) et deux bonnes journées de Bangui à Bria (600 km). On comptait en temps de route,' suivant l'état de la piste, les conditions atmosphériques... Quant à l'extrême est du pays, vers Zémio et Bambouti, il vaut mieux encore maintenant prendre l'avion, car en plus des dépenses normales de carburant, de l'entretien du véhicule, de la fatigue et de la longueur du trajet, la moindre panne après Bangassou, coûtera beaucoup plus cher que le billet d'avion. Il en va de même vers Birao, au nord-est, inaccessible par la route en saison des pluies. 172

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A cette époque de 1979, il était nécessaire de partir avec ses réserves de carburant, car nulle part le long du trajet, le voyageur n'était assuré de pouvoir se ravitailler. A partir de 1980, le réseau a été réhabilité, la route Bangui-Bossembele goudronnée, les grands axes refaits, et surtout régulièrement entretenus après la saison des pluies. Ainsi la route BerbératiCarnot-Baoro (200 km) était refaite à neuf et terminée en 1983, pour rejoindre à Baoro la Transafricaine, elle-même tenue en bon état. (La route Transafricaine relie Lagos au Nigéria à l'ouest, à Mombasa au Kenya à l'est). La totalité du réseau routier centrafricain serait de 22 000 km, dont 5 000 de routes nationales. Les routes en terre sont soumises au phénomène de la "tôle ondulée" : le passage des voitures et surtout des camions fait ressembler la surface de la route à une tôle ondulée, dont les ondulations sont perpendiculaires au sens du trafic. Pour ne pas trop les sentir, il convient de rouler à une vitesse assez élevée. Au passage d'une forte pluie, ces routes de terre sont fermées au trafic automobile pour en éviter la dégradation. Pour les liaisons avec le Cameroun, il est toujours prévu la construction d'une route plus au sud que les précédentes, appelée "Route du 4ème parallèle", et qui en Centrafrique rejoindrait Bangui par Nola, Ngotto et Mbaïki. Des transporteurs privés assurent les transports routiers, de passagers et du fret, vers l'extérieur du pays, comme à l'intérieur, ou dans la ville de Bangui. A l'extérieur, ces transporteurs ont chacun leur destination. Dans Bangui, on trouve des taxis ou des minibus qui desservent des secteurs précis et les grands axes de l'agglomération. Ni l'Etat, ni aucune grosse société n'a le monopole. Il fut cependant une époque vers 1979 qui connut quelques autobus parisiens, et en 1995 des autobus chinois, qui vinrent les uns et les autres expirer sur le bitume ou la latérite banguissois. En 1991, le trafic routier était de 68100 tonnes à l'importation et de 34 800 à l'exportation; l'essentiel de ce trafic international, pour respectivement 91 et 88 %, passe par le Cameroun. Le trafic intérieur est évalué à 72 100 tonnes à l'entrée de Bangui. A côté de quelques dizaines d'aérodromes ou pistes pour avions, répartis sur l'ensemble du pays, un seul aéroport, 173

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celui de Bangui-Mpoko, est ouvert au trafic international. Il fut construit en 1967, et remplace celui, fort mal placé pour un trafic moderne, et dont la piste est devenue l'avenue des Martyrs, entre l'avenue Koudoukou et l'avenue de France. Cet aéroport a été mis aux normes pour recevoir les gros porteurs, du type B 747. Le trafic de passagers internationaux, arrivées et départs, était de 54 000 personnes environ en 1985, et 50 000 en 1994 ; le frêt en 1985 était de 6 550 tonnes, de 4 800 tonnes en 1994, dont le quart à l'exportation en 1993. Pour la même année 1985, le trafic fluvial à l'exportation était de 126 000 tonnes en direction du Congo, dont près de 90 % de bois, tandis que les importations étaient de 117 000 t. dont 52 % en carburant et 21 % en ciment. Ce trafic est en diminution: en 1993, il est à l'importation de 67 000 t. dont 50 000 de carburants, il se redresse à 72 000 t en 1994 ; à l'exportation, seulement de 5 400 t., dont 1 700 de bois. Pour 1994, le transport international global de marchandises peut être évalué 180 000 tonnes environ, trafic faible et en baisse, et qui équivaut à la charge de 9 000 camions de 20 tonnes. La part de l'avion est mince, de l'ordre de 2 %. Les liaisons téléphoniques se faisant maintenant, que ce soit entre les villes du pays ou vers l'extérieur, par radio ou satellite, ce service se trouve libéré des contraintes d'enclavement ou de distance. Pour le téléphone, la fusion des Télécommunications de l'Office Central des Postes et Télécommunications (OCPT), avec la SOCATI (Société d'Etat des Communications Internationales) créée en 1982, a donné naissance à la SOCA TEL (Société Centrafricaine des Télécommunications), société d'économie mixte à gestion privée, qui gère à la fois le réseau national et les liaisons internationales. Ce réseau se modernise, s'étend, et les liaisons deviennent plus faciles et régulières. Le nombre des villes centrafricaines qu'on peut atteindre à partir de Bangui s'accroît, et on peut par l'automatique obtenir directement des pays étrangers dont la France, en attendant la connection au réseau mondial. Un problème grave était ici aussi le recouvrement des factures. Celui-ci qui était de 56 % en moyenne entre 1981 et 1985, est passé à 70 % en 1990 et devrait atteindre 95 % en 1994, tandis que l'Etat lui-même acceptait 174

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que ses propres communications soient inscrites à son budget. Le nombre d'abonnés est d'environ 6 100. LEs SERVICES DE SANTÉ Le taux de croissance annuelle de la population serait de 2, 5 %, différence entre un taux de natalité de 4,3 à 5 %; et un taux de mortalité de 2, 1 à 2, 6 %. De même, l'espérance de durée de l'existence est passée de 38, 5 ans en 1960 à 43 en 1975, et à 49 en 1988. La mortalité infantile est cependant toujours importante, de l'ordre de 2 % avant un an, et de 20 % entre un et cinq ans. La moitié des accouchements se feraient encore à domicile à la manière traditionnelle, et beaucoup de femmes ne disposent pas d'une maternité proche de leur domicile. Pour les enfants comme pour les adultes, les principales causes de mortalité, selon le ministère de la Santé publique et des Affaires sociales, sont en 1988 par ordre d'importance, les parasitoses, les diarrhées, le paludisme, avec un pourcentage de 53, 5 % pour l'ensemble de ces trois causes. Il faut y ajouter maintenant la recrudescence des cas de tuberbulose et le sida. Si l'espérance de vie augmente, il faut y voir, au moins en partie, le résultat d'une amélioration des soins de santé. Mais des problèmes graves restent à résoudre. La colonisation a dénigré, sinon condamné, le système traditionnel de soins. On ne peut comparer les structures, les buts et méthodes, l'efficacité des deux médecines, l'africaine et l'occidentale. Si l'efficacité de la médecine traditionnelle africaine était moindre, elle était cependant réelle. On ne peut nier d'autre part que si l'espérance de vie a considérablement augmenté dans les pays occidentaux, de même que la mortalité infantile y diminuait dans des proportions considérables, on le doit à de meilleures conditions de vie, d'alimentation et d'hygiène; surtout à de meilleurs soins de santé, accessibles au plus grand nombre, et ceci grâce à des investissements massifs dans la recherche. C'est cette médecine que l'on tente d'importer en Afrique, au moins ces résultats, c'est celle que l'on enseigne aux futurs médecins, infirmiers, agents de santé divers, sans se rendre compte que concrètement la quasi-totalité de la population ne 175

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peut y avoir financièrement accès. Des problèmes de financement du système de Sécurité sociale existent déjà en France, combien plus en Centrafrique, où seuls les parents qui ont un travail salarié et dont les employeurs cotisent à la Caisse de compensation familiale, peuvent prétendre toucher des allocations pour leurs enfants, où le SMIG, quand on a la chance de le toucher équivaut à peine au vingtième de celui de la France, où les allocations chômage et l'assurance maladie n'existent pas! Même si les consultations sont gratuites, le patient devra régler la facture des médicaments que le médecin ou l'infirmier ne peuvent fournir parce qu'ils n'en ont pas à leur disposition. Heureux encore s'il trouve un pharmacien, ce qui n'est pas assuré partout! Le système de soins fonctionne mal, faute ai11si de médicaments bon marché, faute de matériel, et aussi de cadres moyens qualifiés. Là comme ailleurs dans l'administration, la plus grosse part du budget passe dans la rémunération des agents. Les investissements, viennent d'organismes extérieurs, ou de pays étrangers; mais le financement du fonctionnement et de la maintenance n'est pas toujours étudié comme il conviendrai t. Deux aspects de la formation des saignants, le diagnostic d'une part, les soins de l'autre, mériteraient d'être dissociés. La médecine occidentale a fait de grands progrès dans l'établissement du diagnostic, il ne peut être question de s'en priver. Quant aux soins, une fois le diagnostic établi, s'impose la recherche du meilleur médicament au moindre coût dans l'intérêt du patient. Là aussi, il ne peut être question de nier les progrès de la pharmacologie de type européen. Mais que faire quand les patients ne peuvent se procurer ces médicaments ? Pour les affections les plus courantes, cause de plus de la moitié des décès cités ci-dessus, parasitoses intestinales, diarrhées, paludisme, des médicaments à base de plantes ou de produits locaux existent, pour lesquels des essais concluants ont été. menés. Le comportement des malades, pour lesquels il n'y a de valable que le cachet européen, ou la piqûre de bi-pénicilline, panacée universelle, ne peut-il changer, d'ailleurs pour leur bien? Enfin, il faut permettre aux soi176

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gnants, et donc aux malades, d'avoir accès au marché des médicaments essentiels au prix mondial. Là aussi, l'importante superficie du pays et la faible densité de population empêchent une couverture sanitaire correcte : bien des malades sont obligés de parcourir des distances considérables, quand ils le peuvent! pour trouver un agent de santé compétent, mais qui n'aura pas forcément les moyens de soigner... Raison supplémentaire pour revaloriser le système traditionnel de santé, en particulier de diffuser l'information sur les médications africaines, celles dont l'efficacité est prouvée; elles sont nombreuses et à la portée des plus pauvres. En même temps, de développer un service de prévention et d'hygiène, qui sera certes difficile tant que le niveau de vie n'augmentera pas de façon significative. Les premières structures de soins à Bangui datent de 1911-1912 avec la construction de deux hôpitaux, européen et indigène, de chaque côté de l'actuelle paroisse Notre-Dame. A partir de 1912, se mettent en place des structures de lutte contre les grandes endémies comme la trypanosomiase, la lèpre, qui ont permis de soigner, et surtout d'enrayer leur avancée. La variole qui rayait encore au début du siècle des villages entiers de la carte a été complétement éradiquée. Un nouvel hôpital fut construit entre 1955 et 1958 à Bangui. En 1984, le nombre d'établissements de soins en Centrafrique, depuis l'hôpital jusqu'aux postes de santé ruraux étaient de 422, dont cinq léproseries, 345 publics et 77 privés, comptant 3 774 lits. Le personnel était de 3 254 personnes depuis les 102 médecins jusqu'au personnel administratif. Dans ce total, seules 6 % d'entre elles sont signalées comme étrangères. Bangui dispose maintenant de trois hôpitaux importants: le Centre Hospitalier Universitaire, l'Hôpital de l'Amitié, et l'Hôpital Communautaire; de centres spécialisés publics, comme le Centre de la Mère et de l'Enfant, ou privés, comme l'Institut Pasteur, réputé pour sa lutte contre certaines épidémies, ses recherches sur le sida... Egalement d'une structure universitaire d'enseignement et de formation de soignants, infirmiers, médecins... (la FACSS). On compte 1 médecin pour 17 000 habitants, à l'avantage des centres urbains. Mais par manque d'argent, l'administration n'a pu intégrer des promo177

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tions d'infirmiers dans la fonction publique, qui trouveraient du travail s'ils acceptaient de quitter Bangui pour la province. L'ENSEIGNEMENT Nous verrons par ailleurs l'histoire de l'implantation et du développement du système scolaire en Centrafrique. Les problèmes financiers sont semblables à ceux des services de santé. Le budget de l'Etat ne prend guère en charge que les rémunérations des enseignants, tandis que les constructions dépendent des bailleurs de fonds étrangers, et que la maintenance du matériel n'est pas assurée. Les investissements ne suivent d'ailleurs que difficilement l'accroissement des effectifs scolaires; et le manque de place a entraîné l'instauration du mi-temps. De leur côté, des villages cherchent à s'équiper et construisent eux-mêmes leur école, en attendant que l'Etat puisse envoyer un enseignant. En 1993-1994, il manquait un millier d'enseignants dans le primaire, soit le quart environ de ce personnel. LA PlACE DES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES

Le gouvernement est loin de pouvoir répondre à tous les besoins. Des organismes ou des organisations non gouvernementaux, telle CRET ou l'Animation Rurale, les Volontaires du Progrès, ou les Peace Corps des USA... s'emploient à aider les populations surtout rurales à se prendre elles-mêmes en charge et à résoudre un certain nombre de leurs besoins. Au niveau sanitaire en particulier, la pénurie d'eau potable, dû au manque de puits ou à l'éloignement des points d'eau, des régimes alimentaires déséquilibrés entraînent des maladies infectieuses ou parasitaires. Depuis longtemps, des religieuses souvent, ont mis en place une animation informelle auprès des femmes, promouvant en particulier des soins de santé primaire, avant même que cette expression ne soit créée. S'y ajoutent maintenant auprès des hommes l'amélioration des méthodes culturales, l'emploi de la charrue, l'amélioration de l'habitat... Ici les coutumes, les méthodes ancestrales, la mentalité sont souvent un frein au changement: il n'est pas 178

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évident que la population soit toujours consciente de la nécessité d'une campagne de vaccination des tout-petits, de prendre certaines mesures d'hygiène en cas d'épidémie: pourquoi tel ou tel est-il touché alors que tel autre ne l'est pas sans qu'ils aient pris la moindre précaution, ou que les deux aient pris les mêmes? Qui a vu les microbes dans l'eau? Ainsi la maladie ne viendra pas du manque de mesures de prophylaxie, mais (aussi) d'un éventuel jeteur de sorts. La notion elle-même d'une eau inodore, incolore et sans saveur n'est-elle pas une invention des Européens? Il n'est pas impossible de mener une action, encore faut-il savoir que le bien-fondé d'un changement n'est pas toujours évident pour

des gens qui ont toujours vécu /Iainsi". Ce développement

doit en même temps avoir une visée communautaire dans une société égalitaire, où le nivellement se fait davantage par le bas que par le haut, où celui qui réussit est jalousé à moins qu'il ne partage, même si ce partage le ramène au point de départ. Il arrive par exemple, qu'on sacrifie la paire de bœufs de labour pour célébrer dignement les funérailles d'une personnalité familiale. Il est difficile pour un Etat qui dispose de peu de ressources propres, de se lancer dans un programme diversifié de développement, quand une majorité de ses habitants n'a pas les moyens financiers d'y contribuer d'une manière significative. Mais les bénéficiaires sont-ils toujours convaincus de la nécessité de respecter les investissements mis à leur disposition, comme les écoles, les hôpitaux ou dispensaires... ?

179

Chapitre 10 LA CULTURE Manger

d'abord

La culture traditionnelle centrafricaine ne se manifeste pas par des monuments dont on pourrait admirer les vestiges, par des documents iconographiques, ou des manuscrits anciens. Tout au plus, comme nous l'avons signalé, en dehors des mégalithes, trouve-t-on quelques restes de poterie, peintures ou sculptures rupestres. Le butin est bien maigre. Cela cependant ne veut pas dire que ces cultures n'existent pas, et nous avons vu les premiers explorateurs s'extasier devant les productions artisanales des populations qu'ils découvraient, sans oublier qu'un peuple possède encore d'autres façons de manifester sa culture. En premier lieu, sa langue est porteuse d'une vision originale du monde et des rapports humains; en second lieu, dans des civilisations qui ne connaissent pas l'écriture, on accorde la priorité aux modes oraux de transmission de la pensée et donc de la culture: mythes, contes et légendes, danses et chants, les uns et les autres toujours renouvelés, au moins dans leur expression formelle, aux noms des personnes qui sont toujours signifiants, aux proverbes dont la maîtrise de l'emploi qualifie le sage, aux devinettes qui affinent la perception de la réalité... Il est évident que la culture traditionnelle subit maintenant l'impact de la culture occidentale, par l'école en particulier, et qu'elle peut s'en trouver dévalorisée. Mais l'accès aux techniques modernes lui donne la possibilité de pouvoir mieux et plus largement s'exprimer par l'écrit, le théâtre moderne, les arts plastiques, et de profiter des médias comme le livre, la radio, la télévision. Mais ni la culture traditionnelle,

La culture

ni la culture occidentale n'étant figées, il faut espérer que de leur affrontement jaillira un nouvel art de vivre, de penser, de se rencontrer... LA CONNAISSANCE

DU PAYS CENTRAFRICAIN

Les sociétés africaines ont souvent été considérées comme des sociétés sans culture. Ce que l'étranger en perçoit relève surtout de l'oralité, et pour y avoir accès il lui faut connaître la langue, chose difficile pour qui n'est que de passage. Ce premier obstacle l'empêche d'avoir facilement accès à la culture de son hôte, et peut l'amener à dire, soit qu'il n'en a pas, soit qu'elle n'est que balbutiante par rapport à la sienne, qui lui sert de mesure pour juger celle de l'autre. Un des premiers soucis des missionnaires fut d'entrer en contact avec les populations en apprenant leur langue; cela les amena à produire rapidement des lexiques et des grammaires, également à traduire des catéchismes et des passages de la Bible pour l'évangélisation. Dès 1911, Mgr Jean-René Calloc'h fait éditer un vocabulaire ngbaka-gbanziri-mondjombo, un autre français-sango et sanga-français, un vocabulaire et des éléments de grammaire français-gbea, ainsi qu'un catéchisme dans cette même langue. Il est sans doute le premier à s'être lancé dans cette voie en Centrafrique. A partir de cela, une approche approfondie des hommes et de leurs cultures sera le fait de missionnaires catholiques ou protestants, et d'administrateurs, entre les deux guerres de 1914-1918 et de 1939-1945. A défaut de pouvoir être exhaustif, nous citons le Père Daigre qui vécut en Centrafrique de 1905 à 1940 et qui nous a laissé des études sur les Banda en particulier. Le Père Charles Tisserant, botaniste, y résida de 1911 à 1950, auteur d'un dictionnaire sango, d'un catalogue de la flore de l'Oubangui, de dictionnaires et d'une grammaire sur la langue banda. Parmi les administrateurs de ce temps, il en faut citer trois, dont deux noirs; le premier, René Maran, considéré comme le père du roman négro-africain a publié Batouala en 1921, et Le livre de la brousseen 1934, qui mettent en scène des personnages oubanguiens. Le second, Félix Eboué, administrateur d'origine guyanaise, publie dès 1918 182

La culture

un ouvrage sur les langues sango, banda, manja. Le dernier, A.M. Vergiat, militaire photographe, publie en 1936 Les rites secrets des primitifs de l'Oubangui, et en 1937 Mœurs et coutumes des Mandjas. Par leurs qualités, ces ouvrages demeurent encore aujourd'hui des relations valables de témoins oculaires sur les" oubanguiens" de cette époque. Dans cette littérature, signalons aussi des récits de voyage d'écrivains français: Ernest Psichari, de qui on a Terre de soleil et de sommeil, paru en 1908, et André Gide qui en 1927 publie Voyage au Congo et l'année suivante, Le retour du Tchad, où il dénonce les excès et les abus de pouvoir des sociétés concessionnaires et les faiblesses de l'administration. La fin de la guerre en 1945 marque, là aussi, un tournant dans la connaissance des langues et des cultures centrafricaines. Les centres de recherche français en particulier permettent à des universitaires de pouvoir travailler sur place, et les missions de travail se multiplient. Des Centrafricains peu à peu parviennent à une formation de niveau universitaire, et se mettent à l'étude de leur propre culture, même s'ils sont encore peu nombreux à s'y investir. Parmi ceux, Européens ou Africains, qui ont fait paraître des travaux, citons pour les Nzakara, Eric de Dampierre, et le médecin-ethnologue Anne Retel-Laurentin. Chez les Gbaya, Pierre Vidal est connu tant pour ses travaux ethnologiques sur l'initiation gbaya que pour ses recherches archéologiques qui ont bouleversé la connaissance historique de la région; Paulette Roulon, pour ses études linguistiques et ethnographiques; Ellen et John Hilberth, pasteur baptiste suédois, dont les travaux ont été traduits en français. Chez les Ngbaka, Jacqueline Thomas, mais aussi Arom Simha, Gabriel Sévy, Marie-José et Jean Derive, tous de la Selaf, dont les travaux portent sur la langue, l'histoire, les modes oraux de communication... Chez les Pygmées Aka, une autre équipe de la Selaf avec Serge Bahuchet, Lucien Demesse, Elisabeth Motte..., s'est engagée dans une œuvre de longue haleine, avec la parution d'une encyclopédie pygmée, qui aborde les divers aspects de la vie de ces hommes de la forêt, leur langue, leurs techniques... Chez les Banda, retenons les travaux linguistiques de France Cloarec-Hess. Pour le san go, de nouvelles études sont 183

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parues: celles du linguiste centrafricain Marcel Diki-Kidiri,la grammaire de William Samarin, l'important dictionnaire sango-français et le lexique français-sango de Luc Bouguiaux et de ses assistants. Des travaux continuent pour doter cette langue des instruments pédagogiques nécessaires. Concernant l'histoire du Centrafrique et de B. Boganda, il faut signaler les ouvrages d'un autre administrateur, Pierre Kalck. Des Centrafricains également apportent leur contribution à la connaissance de leur pays: Yarisse Zoctizoum avec une histoire générale en deux volumes, et NzabakomadoYakoma avec une étude sur la guerre du Kongo-Wara. Etrangers comme Centrafricains ont défriché le terrain. Il serait donc inconvenant de dire que ces populations n'ont pas d'histoire ou de culture, et surtout qu'on n'en pourrait rien connaître. LA SCOLARISATION

Le but des premiers colonisateurs ne fut que rarement philanthropique: il fallait se créer un empire, commercer. Certains ont eu peur à cette époque que l'instruction ne mène à l'émancipation. Au mieux, l'idéologie du temps était de "civiliser les sauvages", c'est-à-dire policer leurs mœurs, leur apprendre à lire et écrire... éradiquer les maladies endémiques, amener ces populations nouvellement découvertes par les Européens à leur niveau de civilisation qu'ils estimaient supérieur. D'autres, plus immédiatement utilitaires, créèrent des écoles parce qu'ils avaient besoin de cadres sachant lire, écrire, compter, ou de techniciens qualifiés. Pour les missionnaires, comme pour certains administrateurs civils, c'est une des raisons importantes de l'ouverture des écoles. Mgr Augouard, remontant le Congo et l'Oubangui au cours de son voyage de reconnaissance sur Bangui en 1893, rachète des enfants esclaves, garçons et filles, s'en fait confier d'autres par des chefs de village, pour les redescendre avec lui à Brazzaville où ils sont formés, et les ramène l'année suivante. Leur premier souci est de leur donner en internat un début d'instruction scolaire, ou technique, de charpentier, maçon, cuisinier..., en même temps que religieuse. En dehors 184

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des locaux d'habitation, les premières implantations missionnaires comportent une chapelle qui souvent sert de local scolaire. Les premiers prêtres, comme les religieuses à leur suite, n'ayant pas encore de chrétienté importante à s'occuper, se font instituteurs. Les paroisses Saint Paul de Bangui et la Sainte Famille de Djoukou forment ainsi entre 1894 et 1920 quelques centaines d'enfants. On peut donc dater la fondation des premières écoles en Centrafrique, de l'installation de ces missionnaires à Bangui. De son côté, en 1905 l'administration ouvre une école du soir, destinée aux employés des Européens. A partir de 1910, deux écoles publiques, une professionnelle et une primaire, fonctionnent avec une centaine d'élèves. Un service de l'enseignement voit le jour en 1911 en AEF. A cette époque, l'école ne touche pas encore trois cents enfants dans quelques centres, comme Mobaye, Bria, Sibut... En 1929, une seconde école catholique s'ouvre à Saint Louis de Bangui; puis la première école de filles en 1933 avec les sœurs du Saint-Esprit. A partir de 1929, l'école Saint Paul sert pour la formation des instituteurs adjoints et des catéchistes. Elle accueille les meilleurs élèves de Bangui et de province: de Berbérati fondé en 1923, Bozoum en 1931, Mbaïki en 1925, Bangassou en 1929, Bambari en 1920. En 1932, on compte 2 700 écoliers, dont 1 600 dans l'enseignement officiel, 1 000 dans l'enseignement catholique et une centaine chez les protestants. Les études sont sanctionnées par un Certificat d'Etudes indigène. Cette année 1932, 29 élèves s'y présentent. A cette époque, le premier Centrafricain qui suivit des études supérieures, au Congo belge, puis au Cameroun pour devenir prêtre semble être l'abbé Barthélémy Boganda. En 1939, l'école Saint Paul à Bangui devient Petit Séminaire, un des premiers établissements d'études secondaires ; il sera transféré à Sibut en 1947. Cette même année s'ouvre toujours à Bangui une école primaire supérieure, avec les deux premières années de collège. Le taux de scolarisation atteint I, 5 %, dont 1 500 élèves dans la capitale. La fin de la guerre en 1945 marque l'époque de la première explosion démographique banguissoise. De nouvelles 185

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écoles, tant catholiques que publiques, sont alors créées. Le taux de scolarisation en 1953 doit être de 8 %. Mais surtout, la décennie des années 1950 voit l'ouverture de nombreux établissements secondaires: Emile Gentil (devenu Boganda) en 1952, les Rapides en 1955, Marie Jeanne Caron et Pie XII en 1957. La première session du BEPC est organisée en 1956, la première du baccalauréat en 1963. En 1958-1959, on compte à Bangui 8 000 élèves dans le primaire et un millier dans le secondaire. Le taux de scolarisation doit alors y atteindre 30 %. Mais pour l'ensemble du pays, le taux ne dépasse pas 10 %. Après l'indépendance, d'autres collèges s'ouvrent à Bangui et dans chaque chef-lieu de département. En 1962, le gouvernement Dacko promulgue une loi d'unification de l'enseignement: tous les établissements catholiques passent sous l'autorité directe de l'Etat; les enseignants privés deviennent fonctionnaires au même titre que leurs collègues de l'enseignement public; les religieux et les religieuses peuvent rester à leur poste avec un contrat. Cette nationalisation libère l'Eglise catholique et lui permet de se tourner davantage vers l'évangélisation et l'animation rurale et féminine. De cette époque date la seconde explosion scolaire: en 1963, on compte 82 000 élèves dans le primaire et plus de 3 000 dans le secondaire et le technique. En 1965, leur nombre dépasse 135 ODD,avec à peine 20 % de réussite à l'entrée en sixième. Sur 25 candidats au baccalauréat cette année-là, 17 sont reçus, et il n'y a pas encore une centaine d'étudiants à poursuivre des études supérieures à l'étranger. Ensuite la progression se maintient: en 1979, l'effectif scolaire est de 240 000 élèves; en 1988, il passe à 280 000 dont 83 000 pour Bangui même. La demande est alors forte et en 1984 on estime que 50 % des enfants de 6 à 14 ans fréquentent un établissement scolaire. La proportion des filles dans cet effectif est de 36-37 %. Plus on avance dans les études, plus cette proportion diminue; et dans certaines sections universitaires, l'absence des jeunes femmes est totale. Leurs capacités intellectuelles ne sont nullement en cause, mais bien la pression de la tradition, qui les ramène vers les tâches ménagères et la maternité. La capitale compte alors 9 186

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lycées: Boganda, Les Rapides, Pie XII, Caron, Les Martyrs, Fatima, Miskine, Gobongo, l'Ecole Militaire des Enfants de Troupe. Pour la formation des enseignants, l'Eglise catholique avait créé en 1940 une Ecole Normale d'instituteurs à Saint Paul; elle deviendra le Collège des Rapides en 1956. Après la guerre, une Ecole Normale publique d'instituteurs est ouverte à Bambari, et transférée ensuite à Bangui, puis une Ecole Normale de jeunes filles à Bangui en 1951, et enfin une Ecole Normale Supérieure pour la formation des professeurs de collèges à Bangui en 1970. A part l'Ecole Nationale d'Administration, ouverte en 1962, mais qui devait recruter au niveau de la 3ème ou de la Sème, il faut attendre 1970 pour que débute l'enseignement supérieur, quand arrivent des générations suffisamment fournies de bacheliers. 1970 voit la création de l'Institut des Mines et de la Géologie; 1971, la Faculté des Sciences; 1972, la Faculté des Lettres et Sciences Humaines; 1976, la Faculté des Sciences de la Santé; 1980, l'Institut de Gestion des Entreprises. Le nombre des étudiants passe de 1 800 en 1981 à 2 700 en 1988. La plupart de ces établissements accordent soit la licence, soit la maîtrise, ainsi en Lettres et Sciences Humaines. En 1982, les premiers médecins formés à Bangui soutiennent leur thèse de doctorat. L'Université de Bangui ouvre donc ses portes en 1970 avec 72 étudiants. Chaque année le nombre va croître régulièrement pour atteindre un premier sommet de près de 2 700 étudiants en 1982. De 1982 à 1988, le nombre moyen stagne, pour remonter dès 1989 à près de 3 000, atteindre 3 850 en 1990, et retomber à 3 585 en 1991. A la rentrée de 1991, ces étudiants se répartissent dans quatre facultés: Droit et Sciences Economiques (FDSE), Sciences de la Santé (FACSS), Lettres et Sciences Humaines (FLSH), Sciences et Technologie (FST) ; dans trois Instituts: l'Institut Universitaire de Gestion des Entreprises (lUGE), l'Institut Facultaire de Technologie (1FT), l'Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR) ; et l'Ecole Normale Supérieure (ENS). La Faculté de Droit et Sciences Economiques se taille la 187

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part du lion avec près de 40 % des inscrits, suivie de celles des Sciences de la Santé qui forme médecins, infirmiers, sagesfemmes... avec 27 %, puis celle des Lettres et Sciences Humaines avec 17 %. Les autres établissements se partagent les restes: 5 % pour celle des Sciences et Technologie, 3, 7 % pour l'Institut Universitaire de Gestion des Entreprises, 1 % pour l'Ecole Normale Supérieure, 2, 9 % pour l'Institut Facultaire de Technologie, enfin 1, 4 % pour l'Institut Supérieur de Développement Rural. La première année accueille plus de la moitié des étudiants,52 % exactement. 26 % sont en seconde année, 15, 5 % en troisième, et 5 % en quatrième. La Faculté des Sciences de la Santé demande six années d'études pour former les docteurs en médecine, mais ceux-ci n'atteignent pas 1 % du total des inscriptions, et 3 % des inscrits dans cette faculté. La Faculté de Droit et Sciences Economiques, et celle de Lettres et Sciences Humaines ont quatre années d'études; les autres, deux ou trois années. Un décompte dans les listes d'inscriptions donne un peu plus de 500 filles inscrites à l'Université, soit 14, 4 % du total; mais elles sont très inégalement réparties: 56 % d'entre elle sont dans les Sciences de la Santé, où elles fournissent 30 % de l'effectif, mais à peine 10 % en Droit, 9 % en Lettres, et encore moins ailleurs. A partir de ces chiffres nous pourrions définir l'Université de Bangui par ces caractéristiques: la priorité accordée aux études de Droit et de Sciences Economiques; un nombre relativement important d'étudiants dans la Santé et les Lettres; mais manque d'attrait pour le monde rural, la technologie et les sciences exactes; une déperdition importante d'année en année: on trouve deux étudiants en première année pour un en seconde, et 10 en première pour un en quatrième; enfin une sous-représentation féminine dans l'ensemble de l'Université, excepté le domaine de la santé. On peut encore noter que le nombre relatif des étudiants augmente en Droit et Sciences Economiques entre 1982 et 1991, de même que dans la Santé. Mais il diminue en Lettres et Sciences Humaines. Dans le même laps de temps, le nombre des filles croît en quantité et pourcentage, passant de 188

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250 à 500, soit de 10 à 15 % environ. Il convient d'ajouter aux établissements d'enseignement supérieur, le Grand séminaire catholique à Bimbo, et la Faculté de Théologie Protestante de Bangui. Que ce soit dans l'enseignement supérieur, dans le primaire ou le secondaire, il manque un peu partout des locaux convenables; parfois en milieu rural on ne trouve qu'une simple paillotte, sans porte, ni fenêtres ni bancs; il manque du matériel pédagogique adapté, du personnel compétent en nombre suffisant; le temps de travail réel est trop souvent réduit à cause du mi-temps; et le suivi individuel des élèves est impossible. Le manque de manuels à tous les niveaux amène l'enseignant à dicter son cours au détriment d'un travail de réflexion. L'accent est alors mis sur la mémoire. Ceci commence au primaire pour se poursuivre au secondaire et se ressent jusque dans l'enseignement supérieur: on apprend, Inais on n'apprend pas à travailler. L'examen consistera pour l'élève à réciter ce cours, même s'il ne l'a pas compris. Un autre problème à la fois politique et psychologique pèse sur la qualité de l'enseignement. Dès le début du primaire il se fait en français, langue étrangère, que peu d'enfants comprennent correctement, même si elle est officielle. Il se fait à partir des réalités culturelles françaises ou européennes. Deux cultures vont se juxtaposer ou s'opposer dans l'esprit des étudiants, sans analyse ni compréhension de l'une et de l'autre, à défaut de mener une réflexion profonde sur la leur. Pas davantage ils n'ont un accès direct à la culture de l'autre, abordée par les seuls médias du livre ou du film... avec tous les risques de déformation, sans compter les idées reçues ou préconçues. La langue française est souvent peu maîtrisée, même après quelques années d'université. Son apprentissage est mené comme s'il s'agissait d'une langue maternelle, alors qu'elle est d'abord pour la presque totalité une langue étrangère, même à Bangui. L'administration a demandé, au moins pendant les toutes premières années du primaire, l'apprentissage de la langue sanga, que les enfants possèdent mieux que le français. Mais on se heurte à de nombreuses résistances. D'abord d'ordre politique: cette langue, même si elle diffère 189

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du sango / ngbandi, est vue comme la langue des gens du Fleuve et de l'administration, en concurrence avec les autres langues maternelles et à leur détriment. Ensuite d'ordre économique : le français apparaît comme la langue qui ouvre sur l'extérieur, et surtout sur des emplois salariés, en particulier dans l'administration. Imposer le sango marquerait la volonté de l'Etat de freiner l'ascension sociale de certains, tandis que les plus riches auraient toujours la possibilité d'offrir à leurs enfants des études à l'étranger ou une scolarité personnalisée. On met aussi en avant l'aphorisme: mais le sango, on le connaît, pourquoi l'apprendre à l'école? Il conviendrait donc d'initier au sango dans les premières années du primaire, à la fois ceux qui savent s'y exprimer, et ceux aussi qui le connaissent peu ou mal; quoi qu'on dise, ces derniers sont nombreux. Puis passer rapidement à l'étude du français, vu non pas comme une langue maternelle, mais comme une langue étrangère, avec les méthodes pédagogiques qui s'imposent. Le Haut Commissariat chargé du Plan et de la Coopération Economique et financière, dans son Programme National d'Action (1982-1985), avançait que l'enseignement primaire" est relativement coûteux" et qu'il semble exclu de pouvoir viser pour l'an 2 000 la généralisation de cet enseignement ; qu'on ne peut envisager de recruter (et donc de payer en plus) 12 600 instituteurs d'ici cette date, alors que pour l'année 1993-1994, il manquait déjà 1 400 enseignants, dont 1 000 pour le primaire. "De plus, note-t-il, cet enseignement est inadapté; moins de 25 % des enfants seront admis dans le secondaire et auront quelques chances d'avoir un travail en milieu urbain du secteur moderne. Il déracine les ruraux et les détourne de la vie rurale", qui sera leur seul débouché. Mais nous trouvons déjà dans bien des endroits retirés du pays, des gens qui connaissent le français, et ont même fait quelques années de secondaire. Ils semblent avoir accepté qu'ils ne seront jamais fonctionnaires, car le temps est révolu où l'école était conçue en fonction des besoins de l'administration. Il serait intéressant de savoir comment leur scolarité leur sert aujourd'hui. Sans doute faudrait-il définir non pas de nouveaux besoins, mais les besoins actuels de la population et former 190

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du personnel en conséquence. Qu'a-t-on fait par exemple pour l'agriculture traditionnelle de subsistance où les méthodes de travail n'ont pas changé depuis des siècles? Tout le monde sait les ravages écologiques de l'écobuage. Son interdiction est superbement ignorée; un paysan à qui on en faisait la remarque, répondit: mais que le président vienne donc cultiver à ma place! Il en va de même pour les problèmes qui se posent dans le domaine de la santé. Comment peut-on former des gens à une médecine qu'ils ne pourront exercer faute de moyens techniques et de médicaments appropriés? LA CULTURE AU PRÉSENT

Pour l'Etat, la culture fait figure de parent pauvre. Certes il ne s'en désintéresse pas, mais il n'a pas les moyens de mener une véritable politique culturelle, alors qu'il suffit à peine aux besoins de l'enseignement; encore moins favoriser les arts: la littérature, roman et théâtre, la musique et le chant, la peinture et la sculpture. Ce que nous disons de l'Etat vaut pour la plus grande partie de la population, qui n'a pas les moyens financiers de s'acheter une œuvre littéraire qui l'intéresserait, d'assister à un spectacle payant... Le slogan "manger d'abord", sous-titre d'un livre de Joinet sur la Tanzanie vaut bien pour le Centrafrique où la population doit se soucier en premier lieu de sa vie et même de sa survie matérielles, avant de penser à une vie culturelle. Elle est aussi fort pauvre à Bangui, qui ne possède ni théâtre, ni salle de spectacle, ni galerie d'exposition, dignes de ce nom. Les manifestations culturelles et artistiques sont accueillies par le Centre Culturel Français, le Centre Protestant pour la Jeunesse, parfois le Centre Jean XXIII. Ces centres, telle Centre Culturel Français, ne sont pas toujours pris d'assaut quand ils présentent une pièce de théâtre, un concert, un film, ou invitent un conférencier. Si les salles de lecture et les bibliothèques de prêt sont fréquentées, elles ne profitent elles aussi qu'à peu de lecteurs, malgré les bas tarifs d'inscription. Il existe un marché de livres d'occasion, romans d'auteurs africains le plus souvent, livres scolaires quand ils sont au 191

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programme, qui se retrouvent sur le marché quand l'élève n'en a plus besoin. Quant aux librairies de la place, les prix des ouvrages y sont prohibitifs face au pouvoir d'achat. Il fut un temps, au début des années 1980, ou des revues comme Tatara (Le miroir), ou Balao (Bonjour), obtinrent un franc succès, davantage sans doute le premier, parce qu'il s'en prenait aux mœurs et travers centrafricains, avec humour... et ceci pour un prix modique. Malgré le faible pouvoir d'achat local, des auteurs ont écrit en langue française, et certains ont pu se faire éditer à l'étranger. Il faut citer Pierre Bambote, poète, nouvelliste et romancier avec Princesse Mandapou ; l'abbé Benoit Siango, poète et homme de théâtre; Pierre Sammy-Mackfoy, connu pour son roman, L'Odyssée de Mongou ; Etienne Goyemide pour ses romans, Le silence de laforêt et Le dernier survivant de la caravane, sa pièce de théâtre, Les mangeurs de poulets crevés. Citons encore Faustin Ipeko-Etomane et ses recueils de contes et de nouvelles, Cyriaque Yavoucko et son roman Crépuscule et Défi, Gabriel Danzi et Un Soleil au bout de la nuit. En langue sanga, il est quasi impossible pour un auteur profane de se faire éditer. Nous ne connaissons qu'un seul ouvrage entièrement produit dans cette langue, et édité à Bangui en 1977, Ngu ague la oka aba (en français: l' eau non canalisée serpente) de Albert Willybiro-Passy. La littérature en langue sanga est pour une bonne part religieuse: textes de la Bible, recueils de prières et de chants, catéchismes, traduction de messages officiels; ou d'organismes d'animation rurale pour s'adresser directement à leur public. Malgré leur prix relativement élevé pour le pays, entre 500 et 1 000 F CFA, ces ouvrages, surtout bibles et évangiles, trouvent preneur. Mais ces prix de vente ne sont possibles que grâce à des subventions. Une autre production intéressante en sanga et dans d'autres langues centrafricaines, mais non ou peu éditée, sont les chants d'orchestre. Ils sont produits pour les bars et la danse, et retransmis par la radio nationale. Certains sont des petits chefs-d' œuvre littéraire, bien construits, pleins d'humour et d'humeur... S'inspirant de la vie centrafricaine actuelle, confrontée à des valeurs issues de traditions cul tu192

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relIes différentes, ils sont intéressants pour suivre l'évolution des mœurs et des mentalités. Né vers le milieu des années 1950, ce genre littéraire connaît son âge d'or dans les années 1980. Et pour que les bars les diffusent, souvent à tue-tête, on peut penser qu'ils plaisent. Mais dès 1985, la crise économique se fait sentir, elle réduit la fréquentation des bars, et donc les recettes de ces orchestres et la création de nouveautés de qualité. Ces orchestres furent parfois soutenus par les chefs d'Etat, ou des industriels de la ville, qui pouvaient avoir besoin de leurs services pour se faire de la publicité à travers leurs chants. On trouve à se procurer des cassettes de certains, dont la production est pour une part artisanale. N'oublions pas non plus que chaque paroisse, chaque communauté religieuse chrétienne, a sa (ou ses) chorales: c'est souvent une des toutes premières structures qui se met en place. A côté de ces orchestres ou de ces chorales, se sont créés de nombreux groupes folkloriques de danse, composés surtout de jeunes garçons ou filles, recrutés sur une base ethnique. On peut les voir se produire dans les quartiers et surtout au cours de manifestations politiques officielles, contribuant à la conservation du patrimoine traditionnel. Enfin bien des enfants surtout, d'une manière très informelle, aiment se manifester ainsi spontanément dans leurs quartiers. NOMS DE BAR OU DE TAXI

Un autre aspect de la culture, l'humour surtout, se manifeste dans les noms des bars ou des taxis. Parmi ceux compréhensibles pour l'étranger, voici quelques noms de ces bars: Oxygène, Paysanat, Soweto au quartier Pétévo ; Lisbonne et Zouk Love Sentimental au quartier Bruxelles; Carte Blanche aux Combattants; Point de Départ à Catin; Big-Ben au 8ème arrondissement; Clin d' œil à Ouango ; Coupole, Tour de Contrôle à La Kouanga ; Boulevard des jeunes à Miskine ; Borsalino, Atmosphère, Banc de Touche, la Forêt, Mirador, Barrack City, et les très cél~bres Punch-Coco, A.B.C, Tapis vert,5 / 5 du Km 5 ; le Quotidien du Peuple, à Bimbo; Le vert d'Ô à Gobongo ; Bi na La (Jour et Nuit) à Boy-Rabe... Sur les 193

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taxis, vous trouverez les inscriptions suivantes parmi d'autres: Respectez les anciens, Ti ma si (Le tien d'abord), A bientôt, Bonne chance, Qui va piano va sana, Toujours meilleur, Pas pressé, Prudence, Où sont les jaloux? A chacun selon son travail... LE SANGO,

lANGUE

NATIONALE

Le Centrafrique a le bonheur ou l'avantage de vivre l'émergence d'une langue nationale, le sanga. Nous avons déjà fait allusion à cette langue. En même temps que le sanga, au 19 ème siècle, naissent de l'ouest à l'est de l'Afrique Equatoriale, d'autres langues" commerciales" ou véhiculaires, le kikongo au Congo (français), le lingala en République Démocratique du Congo, le swahili en Afrique de l'Est. Ces langues ont des points communs entre elles, dont une partie du vocabulaire. Le sanga, comme langue véhiculaire, semble être né sur les rives du fleuve Oubangui, entre Bangui et Zémio. Du début de sa formation, nous n'avons que des relations fragmentaires des premiers explorateurs, administrateurs ou religieux, qui parlent non de "langue", mais de "patois" I de "sabir"... On peut cependant en déduire qu'il existait avant leur arrivée, une "langue" dont se servaient les ngbandiyakoma, gens du fleuve, dont la grande activité était le commerce et le transport des marchandises avec leurs pirogues, pour entrer en contact avec des gens d'autres ethnies sur le fleuve et dans l'arrière-pays: langue qui différait de leur langue maternelle. Si l'on considère le seul vocabulaire, les mots d'origine ngbandi-yakoma y sont fort nombreux. Au fur et à mesure des contacts, le vocabulaire s'est enrichi de mots pris aux divers parlers banda, mais aussi à l'arabe... A la fin du siècle dernier, l'arrivée des colonisateurs ne fait qu'accentuer son expansion géographique. Le contact avec le français en particulier lui fait adopter de nouveaux termes, fort nombreux, surtout ceux pour lesquels il n'existait pas de correspondant, comme l'école, l'hôpital..., mais aussi d'autres dont le sens en passant dans la langue sanga évolue. Comme seul exemple nous donnons le verbe" penser" I qui en 194

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sango signifie non seulement "penser" comme en français, mais aussi" se faire des soucis". A défaut de pouvoir utiliser facilement les multiples langues centrafricaines, l'administration, comme les responsables tant catholiques que protestants, en ont fait un outil de plus en plus indispensable. D'autre part, les non-scolarisés apprennent plus facilement le sango que le français, ordinairement plus proche des structures culturelles et grammaticales de leur langue maternelle. Quoi qu'il en soit de son origine exacte, et des raisons qui ont poussé à son adoption, cette langue qu'on a pu qualifier plus récemment de "lingua franca", de "pidgin" ..., termes peu valorisants, tend à devenir langue de culture. Nous l'avons déjà dit, des chansonniers composent en sango avec bonheur. Nous-même avons pu recueillir plus de trois cents proverbes dans cette langue, ainsi que des anthroponymes. Une collecte systématique dans une langue vernaculaire centrafricaine nous en donnerait un nombre certes bien plus important; mais quand une langue est ainsi capable d'une telle production à partir de son propre génie, nous ne pouvons la qualifier de "pauvre". Le sango a peu à peu obtenu un statut officiel. En 1964, il est reconnu comme langue nationale. En 1984, une ordonnance sur l'enseignement l'institue comme seconde langue d'enseignement à côté du français. Mais il manque et les outils pédagogiques adéquats, et le personnel formé à cette discipline. Ces dernières années, il est enfin devenu langue officielle avec le français. Au moins la moitié, sinon davantage, des émissions à la radio centrafricaine: informations, variétés, communiqués, etc, se font dans cette langue. La télévision l'emploie également. Pour les églises chrétiennes, catholiques et protest.antes, il était depuis longtemps langue officielle avec le français pour le culte et la catéchèse. Le sango a débordé au-delà des frontières centrafricaines, en République Démocratique du Congo voisin, mais aussi au Congo et au Tchad. Sans doute s'y est-il propagé de la même façon qu'il le fit à l'intérieur du pays. Pour des raisons politiques et d' "authenticité", le président tchadien Tombalbaye en proscrivit l'emploi. Il ne faudrait pas croire cependant que l'emploi de cette 195

La cul tu re

langue résoudrait à l'heure actuelle tous les problèmes. Il est possible qu'il soit un facteur d'unité entre des ethnies, qui certes participent d'une même aire culturelle, mais n'en utilisent pas moins des langues entre lesquelles l'intercompréhension ne joue pas. Mais disons surtout que tout le monde sur l'étendue du territoire ne le comprend pas, ou tout au moins pas suffisamment pour suivre correctement un exposé, et ceci non chez des personnes âgées, mais chez des adultes encore jeunes. Beaucoup quand il s'agit d'une affaire trop sérieuse passeront à leur langue maternelle, sans doute plus riche, plus fine et mieux maîtrisée, pour nuancer leur pensée. Cette promotion du sanga, d'ailleurs bien timide de la part du gouvernement, se fait forcément sinon contre, du moins au détriment des autres langues, qui officiellement ne sont pas reconnues, et encore moins enseignées. La situation économique ne permettant pas de lancer un programme en sanga, on voit mal comment on pourrait le faire au profit des autres langues. Il n'empêche qu'à long terme peut se poser un problème politico-culturel. Mais de l'est à l'ouest du pays, et du nord au sud, les Centrafricains apprécient que l'étranger, l'Européen en particulier, puisse dire quelques mots en sanga. Ils en seront flattés; et cela facilite souvent bien des choses, et ouvre bien des portes. LE SPORT Le sport a en commun, avec les autres modes culturels, quelques analogies: d'abord, il n'était ni connu ni pratiqué autrefois comme maintenant, et surtout, lui aussi compte parmi les "parents pauvres" du budget de l'Etat. Et pourtant il fait partie de la vie, et donc à sa façon de la culture. Il faut suivre à la radio le reportage d'une finale continentale de basket-baIl à laquelle participe l'équipe centrafricaine pour s'en convaincre, et saisir toute l'importance du sport dans la vie quotidienne. Il faut peu de place à des enfants ou des jeunes pour aménager un terrain de foot-ball. A sa manière, il peut restreindre l'exode rural de jeunes, qu'un groupe sportif retient dans leur village. Il s'agit surtout d'un sport de masse, informel. Le 196

La culture

sport d'élite concerne surtout le basket-baIl, avec ses 250 licenciés, où le Centrafrique brille grâce à ses internationaux qui lui ont permis de remporter la coupe d'Afrique. Au total, on compte 3 000 sportifs officiels, répartis dans des disciplines comme l'athlétisme, le foot-ball, le hand-ball, le judo, la boxe, le cyclisme, en plus du basket-baIl. Mais ici aussi, on souffre du manque d'infrastructures, stades, etc. pour permettre à ces athlètes de devenir compétitifs. Il existe donc une vie culturelle, et surtout une expression de cette vie, certes modeste, mais non négligeable, quand on peut y avoir accès. Beaucoup manifestent leur désir de connaître leur culture, d'en vivre, d'y participer; malheureusement leurs moyens financiers sont maigres. L'école absorbant le plus clair des crédits du budget destiné à l'enseignement, les sponsors, entreprises privées, ou centres culturels sont mis à contribution, pour ce qui relève du domaine sportif ou artistique non officiel.

197

Chapitre 11 LES

RELIGIONS

L'ouverture

spirituelle

La présentation d'un pays africain ne peut se permettre d'oublier son histoire religieuse. La religion, et tout simplement la croyance à l'existence d'un au-delà, d'une vie après la mort, celle de relations entre les vivants et les défunts ou entre les vivants et Dieu, tient une grande place dans la vie concrète et quotidienne; et ceci aussi bien dans la religion traditionnelle que dans le christianisme ou l'islam. LA RELIGION TRADITIONNELLE

Pour désigner la religion traditionnelle en Afrique, on a employé au moins trois mots, ceux d'animisme, de paganisme et de polythéisme. Celui d'animisme évoque l'existence d'âmes ou d'esprits, celui de paganisme comme celui de polythéisme, tous les deux nettement péjoratifs, évoquent la croyance des "paysans" attachés à leur terre natale, ou à de multiples dieux, à l'inverse de ceux qui ont adopté le monothéisme. Des intellectuels africains se demandent ce que sont cet animisme et cette croyance à des esprits ou âmes. En même temps, ils récusent les termes de paganisme et de polythéisme pour affirmer avec force que les Africains croyaient déjà à l'existence d'un Dieu créateur, bien avant l'arrivée des missionnaires, malgré des apparences sans doute contraires. Pour éviter ces mots mal compris ou péjoratifs, on préfère parler simplement de religion traditionnelle; le mot "tradition" peut demander quelques explications; il signifierait ici /I

ce qui vient

du passé

africain",

/I ce que les ancêtres

ont

Les religions

légué", et même "le culte des ancêtres". Un Dieu-créateur est donc connu et nommé dans les diverses langues centrafricaines; en langue sango, il s'appelle Nzapa. Il a créé le ciel et la terre, tout ce qui y vit. Cette croyance est sujette à une inculturation due à la rencontre avec les religions chrétienne et musulmane; ceci est clair dans des chants modernes, où l'on trouve par exemple les noms bibliques d'Adam et d'Eve : "Dieu a fait le ciel et la terre... il a fait les hommes, Adam et Eve", alors que la tradition centrafricaine donne le nom de Tèrè au premier homme. Il y a cependant de nombreuses différences entre les récits bibliques et centrafricains de la création. Ces derniers ne nous montrent pas Dieu dans son acte de création, l'univers et l'homme existent déjà. Voici le début d'un texte centrafricain, recueilli par Mr. Marcel Diki-Kidiri en pays banda et dont nous présentons une traduction française à partir du texte sanga: Avant la création, Eyilingu (Dieu) habite seul le ciel. Il fait le ciel tout entier avec les étoiles et tout ce qu'il renferme. La terre qu'il a fait ressemble à une assiette plate. Il prend le ciel qu'il a modelé en forme de calebasse et le place sur la terre. Rien n'apparaît à la surface de la terre; elle est vide... Or au ciel là-haut, Eyilingu a trois serviteurs: Ngakola, sa femme Yamisi, leur fille Yabada. Eyilingu leur crée un garçon, Tere, qu'il aime beaucoup. Un jour survient une histoire entre Tere et Yabada : Yabada est une belle jeune fille, et Tere la désire. Les parents de Yabada se saisissent de Tere et l'emmènent devant Eyilingu. La discussion dure longtemps, puis Eyilingu déclare: "Je suis heureux d'avoir fait la terre. Tere ira s'y établir seul; il en sera le maître. Il ne peut plus rester ici à cause de sa sœur à laquelle il veut s'unir". \

Tere répond: "La terre est très inhospitalière; comment vais-je y rester seul ?" Eyilingu lui donne alors une grosse calebasse qu'on n'avait pas encore coupée en deux et il lui dit : 1/

Cette calebasse contient des graines de toutes sortes. Tu vas te l'attacher autour du ventre. Prends ce tambour dans tes mains. Lorsque je

200

Les religions

t'aurai descendu avec cette corde jusqu'en bas et que tu auras touché terre, frappe-le et je couperai la corde. Puis tu sèmeras toutes les graines, comme tu l'entends. Mais fais bien attention, ne le frappe pas avant d'avoir touché terre! Cette calebasse est un œuf" . Tere répond qu'il a compris. Eyilingu descend Tere... Soudain il entend "kudukudu, kudukudu, kudukudu, kudukudu, kudukudu". Il s'étonne et dit: "Oh! Tere !Tu n'es pas encore arrivé" ! Il descend encore Tere ; mais de nouveau il en~nd: "kudukudu,kudukudu,kudukudu,kudukud~kudukudu". Eyilingu dit alors: "Tere est trop impatient! Faisons donc ce qu'il désire" ! Et il coupe la corde. Or Tere n'est pas arrivé. Il tombe comme une pierre et la calebasse se brise. Toutes les graines se répandent en désordre à la surface de la terre...

Maintenant l'homme se trouve ainsi séparé de Dieu. Ce texte, comme bien d'autres du même genre en Afrique, sont moins des mythes de création, que des mythes de l'éloignement du ciel et de la séparation de l'homme d'avec Dieu, de l'occupation de la terre et de l'origine du désordre sur la terre. Dieu est loin; mais paradoxalement il est également proche; des salutations, des souhaits se font au nom de Dieu: "Que Dieu te garde" ! Si une personne porte le nom de Dieudonné ou de Dieubéni, c'est que ses parents ont considéré sa naissance comme une bénédiction ou un don de Dieu. Dieu est celui qui vient au secours de l'orphelin, du pauvre abandonné... Il rend justice d'une fausse accusation, d'un méfait dont on est victime: "Tout ce que vous me faites, Dieu vous le rendra tôt ou tard", dit dans un chant moderne un vieil homme à ses enfants qui ont réussi, mais l'ont abandonné seul dans sa misère. Dieu crée et donne la vie; mais l'Africain constate que chaque personne a un comportement, un aspect physique, des qualités et des défauts personnels... en un mot est unique. Chacun reçoit la vie de Dieu, mais celle-ci se coule dans de multiples virtualités qui sont pour chacun un destin particulier à réaliser, un programme de vie, un rôle social à assumer. Pour désigner ce destin, la langue sanga retient le terme de mêne "sang", et l'on dira: "Dieu a créé chaque homme avec 201

Les religions

son destin (sang) ; à la place de mêne on pourra trouver le mot français" chance". Chance et malchance pouvant se traduire respectivement par nzonî mêne (bon sang) et sionî mêne (mauvais sang). Certains vont faire de ce destin une âme. A côté de cette âme-destin, il en existe une autre; les mots qui l'expriment dans les langues africaines se traduisent souvent en français par" ombre" ; ainsi yingo, en sanga. Cette" ombre", créée en même temps que la personne, est l'énergie, la force qui assure la vie corporelle et psychique de la personne. Elle est vulnérable à la sorcellerie et e'est elle qui quitte le corps pour attaquer une autre personne en sorcellerie. Cette" ombre" quitte encore le corps quand la personne s'évanouit. A la mort de la personne, elle rejoint le "village des ancêtres", à condition que les cérémonies funéraires aient été convenablement accomplies; sinon, elle s'en ira errer. Enfin comme" fantôme", en sanga taro, elle vient déranger les vivants quand ceux-ci se sont mal conduits. Le Dieu-créateur n'est pas en principe l'objet d'un culte. Tout au plus peut-on signaler quelques invocations à son adresse. Le culte est offert aux ascendants familiaux, maintenant décédés, dont "l'ombre" a rejoint le village des ancêtres. Ce culte a pour but de resserrer les liens familiaux: les vivants ont besoin les uns des autres, les morts ont besoin des vivants, de leurs sacrifices et de leur souvenir, de même que les vivants ont besoin de la protection des morts pour vivre en paix et être féconds. Cette interdépendance se comprend mieux en étudiant le champ sémantique des termes désignant un espace habité, tel en sanga, celui de kodoro, que l'on traduit régulièrement en français par village ou quartier. Cet espace est bien évidemment d'abord géographique, qui se situe avec précision sur une carte; c'est ensuite un espace sociologique, un groupe de personnes unies par les liens du sang, de l'alliance ou du voisinage, vivant dans un même lieu. Mais ces vivants ne sont pas seuls; "habitent" aussi ce village ceux qui y sont nés et y ont vécu, y sont maintenant enterrés, et ainsi toujours présents. Si une personne meurt au loin et qu'on ne peut rapporter sa dépouille, il conviendra que quelque partie du corps, ongles ou cheveux..., revienne dans 202

Les religions

son village d'origine. Le village devient alors un espace mythique ou religieux qui rejoint l'espace géographique; et ce mot va désigner une communauté humaine regroupant vivants et défunts d'une même famille élargie. Cet ensemble, à la fois physique et géographique, sociologique et mythique forme un tout dont on ne peut dissocier les éléments. Ils dépendent les uns des autres; à ce point qu'un malheur, une maladie, un échec... seront vus comme la conséquence soit de la colère des ancêtres, soit d'une rupture d'harmonie entre vivants, ou entre vivants et défunts. A l'inverse, la faveur des ancêtres pour les vivants se manifestera par un événement heureux. La religion traditionnelle en Centrafrique est d'abord une religion "locale", du terroir, en donnant à ce Inot son sens le plus fort, celui que nous avons analysé plus haut pour village. Il s'agirait alors d'un "paganisme", au sens étymologique du terme, d'une religion du paysan (paganus eI1 latin), de l'homme attaché à sa terre et à son passé. 011 ne peut dire que cette religion soit polythéiste; le culte ne s'adresse pas à des dieux divers, mais à des ancêtres souvent nommément désignés, intermédiaires entre le Dieu-créateur et les vivants. Le culte a pour but de renforcer les liens de cette communauté humaine à travers le temps, et de garder vivant le souvenir de ses ancêtres, de lui permettre non seulement de se maintenir, mais aussi de se perpétuer. LE CATHOliCISME Les débuts du catholicisme en Centrafrique datent de 1894, année de l'arrivée des premiers missionnaires venus de Brazzaville avec Mgr Augouard, vicaire apostolique de l'Oubangui (ou du Congo Français Supérieur), dont le siège était Brazzaville, quelques années donc après l'installation du poste militaire de Bangui. La fondation de la première mission de Bangui fut précédée d'une visite exploratoire. En 1893, après un voyage d.e 28 jours sur l'Oubangui du 13 janvier au 9 février, Mgr Augouard et ses Pères viennent reconnaître un site à quelques kilomètres du poste français. Voici comment le Père Rémy, 203

Les religions

qui fait partie de l'expédition, raconte le choix de l'emplacement de leur future implantation: "Pendant ces derniers jours de voyage, nous avions examiné la rive avec attention, et partout nous n'avions trouvé qu'une rive inondée aux hautes eaux, force nous fut donc de chercher au-dessus du rapide et, d'après le chef de Poste, nous avions un endroit tout trouvé, un ancien emplacement de village bouzérou. Mais les habitants de ce village en guerre avec la Station française, n'osaient plus se montrer et prenaient la fuite aussitôt qu'une pirogue faisait mine d'arriver chez eux. Par prudence, nous ne visitâmes cet emplacelnent qu'en esprit et par les yeux, du milieu du fleuve, ce qui ne nous renseignait pas beaucoup. Drôle tout de Inême, ce pays dont les habitants sont si peu hospitaliers, ce qui doit bien nous inquiéter un peu pour plus tard; mais l'endroit nous parut favorable, le terrain était, ou plutôt nous paraissait assez élevé pour n'être jamais inondé, on décida de venir dans un an y planter la croix et y établir une Mission. Le Poste français avait chassé les habitants de ce village parce qu'ils étaient des voisins trop dangereux et surtout trop voleurs et nous devions les remplacer avantageusement".

Pour ces missionnaires, il s'agit de prévoir l'emplacement de la future mission, également de prendre un premier contact avec la population, et dans toute la mesure du possible de ramener avec eux à Brazzaville des enfants, garçons et filles, pour une première éducation chrétienne, et un apprentissage de la langue française. Nous en avons déjà parlé. Voici comment le Père Rémy présente l'affaire dans la même relation: "Pendant notre séjour à Bangui, était arrivée du haut-fleuve une pirogue de Banziris, pêcheurs qui parcourent continuellement le fleuve. Nous avions là sous nos yeux, des types tout nouveaux pour nous et nous désirions emmener avec nous un ou deux de leurs enfants pour les instruire en attendant qu'ils reviennent avec nous s'établir dans leur pays. Ces gens sont doux et très abordables et avec l'aide du complaisant chef de Poste, Monsieur Joulia, nous parvînmes à les amener à cette idée; ils demandèrent du temps pour réfléchir, car c'était toute une affaire pour un chef ~e nous confier ses enfants. Enfin, Dieu travaillant probablement pour nous l'âme et 204

Les religions l'esprit de ces pauvres Indigènes, le chef Mbatou consentit à nous confier son fils et son neveu. Ce premier succès fut le point de départ de plusieurs autres... Un Chef Bondjo, que nous avions vu les jours précédents, avait promis de nous amener trois petits esclaves à racheter; il arrive au jour dit et nous avions le plaisir, pour un misérable fusil à pierre et un peu de poudre, de délivrer ces trois petits enfants: deux filles et un garçon. Lui-même nous confia deux enfants de son propre village, de sorte que nous pouvions partir avec un échantillon des tribus de ces parages: sept enfants qui allaient apprendre à parler notre langue, à aimer notre Dieu. Au dire de ces indigènes, on pouvait acheter beaucoup de ces enfants, car il y en avait beaucoup dans tous les villages".

Naturellement, quand un an plus tard les enfants reviennent, grande est la joie pour les parents de retrouver leurs enfants; et surtout, ce qui est souligné par le P. Rémy dans sa relation, s'établit un climat de détente et de confiance réciproque : "Les jours suivants, nous apercevons de loin les villages bondjos, perchés à 10 ou 20 mètres au-dessus du fleuve... La population nous attend devant les palissades, c'est un ruban noir qui s'étend d'un bout à l'autre du village. On nous attend avec impatience, car la renommée nous a précédés et on sait déjà que nous ramenons les enfants que les chefs nous avaient confiés. Le retour de ces enfants produisit le meilleur effet; on les croyait mangés depuis longtemps... Au contraire nous leur ramenions ces enfants gros et gras, bien portants, vêtus d'un pagne magnifique et d'un petit gilet qui fait très bel effet: aussi la joie éclate de toutes parts en exclamation de surprise, en conversations bruyantes. Ces mères considèrent leur progéniture dont elles avaient déjà porté le deuil; elles serrent leurs enfants sur leur poitrine, elles les regardent à plusieurs fois pour s'assurer qu'il n'y pas eu substitution, enfin on nous adresse les plus chaleureuses félicitations et, après avoir escaladé les fameuses échelles..., nous nous dirigeons du côté de la case qu'on a ornée à notre intention, car on veut nous faire une réception solennelle. Quelle différence avec la première fois où nous mettions le pied dans ce village! Les sagaies ont complètement disparu, les couteaux euxmêmes ne se font voir que rarement; les femmes et les enfants nous entourent, signe de grande confiance et de quiétude cOlnplète. On 205

Les religions

nous laisse entrer dans le village, on nous y reçoit en grande pompe...". Puis c'est l'arrivée à Bangui le 13 Février 1894, et la décision de l'installation définitive des missionnaires à ce qui va devenir St Paul des Rapides: "Le 13 Février, nous arrivons à Bangui où nous fûmes reçus par Monsieur l'Administrateur Vittu de Kerraoul. Le premier soin de Monseigneur fut de s'assurer de l'état de la population et, comme la position n'était pas intenable, Monseigneur pensa que nous pouvions parfaitement nous installer à l'endroit projeté et que si le gouvernement ne suffisait pas à nous procurer une sécurité complète, nous y pourvoirions nous-mêmes, avec l'aide de Dieu. La mission des Bondjos est donc décidé...".

En attendant un début de construction, les deux Pères Rémy et Gallaz, le Frère Germain s'installent au Poste français ; mais pour peu de temps, tout juste deux mois, car ils décident de prendre possession de leur maison dès le 17 Avril, où ils célèbrent la première eucharistie le lendemain. Une chapelle est aussi rapidement construite, et sera inaugurée le 15 Août de cette même année. Une seconde mission est fondée à Djoukou (la Sainte Famille), le 8 janvier 1895. L'Eglise catholique va alors peu à peu s'implanter à travers tout le pays. Voici les chiffres de cette évolution, décennie par décennie, avec un graphique qui visualise cette progression. Années

population

1905

450

1910

591

1920

2700 4266 26 166 54938

1930 1940 1950

1 082 000

1960

1 156 700

1970

2146812

1980

2 283 690 2 400 000

1990

206

catholiques

125 820 260 098 361 510 480 000

prêtres religieuses paroisses

2

8 8 8 15 28 64

5 0 14 10 42

117 206 217

124 300 283

2 6 11

22 45 74 90 96

Les religions

EGLISE CATHOLIQUE DE 1900 A 1990 Sur l'axe vertical, chaque unité représente:

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: 40.000 fidèles

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: 40 prêtres

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207

Les religions

Les catholiques doivent être à l'heure actuelle, si l'on en croit les chiffres, aux environs de 500 000 fidèles, soit le cinquième de la population. Le graphique a l'avantage de bien montrer le décollage dans les années 1940 pour se prolonger sans fléchissement par la suite. Jusque dans ces années 1940, la progression est fort lente, puisqu'on ne compte pas 30 000 fidèles en 1940. Mais en 1950, leur nombre atteint 54 000 ; dix ans après en 1960, ce chiffre a plus que doublé, passant à 125 000 ; de même en 1970, avec 260 000 ; puis, 360 000 en 1980 et 480 000 en 1990. Le nombre de ceux qui se déclarent chrétiens est en fait beaucoup plus élevé. Des sondages faits à Bangui, donnent près de 50 % pour les catholiques et 42 % pour l'ensemble des dénominations protestantes: ainsi la population serait presque entièrement baptisée; en fait il n'en est rien, quand on voit l'afflux des adultes dans les catéchuménats pour se préparer au baptême. La courbe du clergé (prêtres) suit celle des fidèles: jusqu'en 1920, il n'y a au mieux que 8 prêtres; il faut attendre 1925 pour arriver à Il ; 1935 pour dépasser la vingtaine avec 21, et 1940 avec 28; mais leur nombre retombe en 1945 à 26. A cette date en effet, la guerre se termine tout juste; elle a mobilisé des religieux et en a empêché d'autres de rejoindre leur poste. Mais après la guerre, le clergé va augmenter régulièrement, à part un léger fléchissement entre 1970 et 1975, pour dépasser en 1980 le nombre de 200 et approcher 250 en 1985. Les deux courbes de la population et du clergé catholiques qui jusqu'en 1960 sont quasiment parallèles vont alors peu à peu diverger. Alors qu'en 1960, il Y a un prêtre pour 10 000 baptisés, en 1970 chaque prêtre a en moyenne la charge de 12 500 âmes et ce chiffre passe en 1980 à 16 500 Qu'en est-il maintenant? Le nombre des ordinations de jeunes Africains ne compense pas la disparition et le vieillissement du clergé missionnaire, sans prendre en compte l'augmentation du nombre des baptisés. Le nombre des paroisses met longtemps à augmenter. Pendant plus de vingt-cinq ans, il n'y a que trois paroisses sur tout.le territoire: Saint Paul des Rapides à Bangui et la Sainte Famille de Djoukou, puis les Burussés à une quarantaine de 208

Les religions

kilomètres de Bangui en direction de Boali. Cette dernière paroisse fut rapidement supprimée et le village des Burussés est actuellement rattaché à la paroisse Saint Pierre du quartier Gobongo, une des paroisses de Bangui. Il faut attendre 1920 pour voir la fondation de Bambari ; puis au fur et à mesure des arrivées de personnel, on compte quatre nouvelles fondations dans les années 1920, cinq dans les années 1930 ; puis le mouvement s'accélère à partir de 1940 avec onze fondations dans cette décennie, et s'amplifie dans les années 1950 avec 23, pour plafonner avec vingt-neuf entre 1961 et 1970 ; ce mouvement retonlbe progressivement: seize entre 1971 et 1980, et seulement six de 1981 à 1990, pour arriver à un total de quatre-vingt dix-sept, soit une paroisse pour 5 000 fidèles environ. Elles couvrent l'étendue du territoire centrafricain, même si l'archidiocèse de Bangui en compte à lui seul trentequatre, dont la moitié pour la ville de Bangui. On semble être arrivé à un certain équilibre, au regard du nombre de prêtres disponibles. Le travail ordinaire d'évangélisation et de catéchèse est assuré en ville dans les quartiers, ou en milieu rural dans les villages par des catéchistes, le plus souvent bénévoles; sans ce travail et cette présence, la croissance serait difficile. Le nombre de ces catéchistes est très important: certaines paroisses en comptent parfois plusieurs dizaines. Les diocèses sont au nombre de huit. En 1909, est créée la préfecture apostolique d'Oubangui-Chari qui devient vicariat apostolique en 1937. En 1940, c'est la préfecture apostolique de Berbérati dans l'ouest du pays; puis en 1954, celle de Bangassou dans le sud-est. Bangui devient archevêché en 1955 ; la circonscription de Bossangoa est créée en 1959, celle de Bambari en 1970, celle de Bouar en 1978, enfin Mbaïki en 1995 et Kaga-Bandoro en 1997. Actuellement toutes ces circonscriptions sont des évêchés. L'archevêque de Bangui est, depuis 1970 Mgr Joachim Ndayen, premier évêque originaire du pays. Rapidement les responsables ont cherché à créer un clergé africain. D'abord à Saint Paul de Bangui, puis à Sibut en 1947, est ouvert un petit séminaire, qui assure le premier cycle du secondaire pour les élèves originaires de l'archidiocèse de Bangui; ensuite un séminaire interdiocésain à Bangui en 1966 209

Les religions

pour le second cycle du secondaire, quelques autres diocèses ayant de leur côté un premier cycle d'études secondaires; enfin depuis 1982 un grand séminaire à Bangui-Bimbo, pour l'ensemble des diocèses du pays. Le premier prêtre centrafricain, l'abbé Barthélémy Boganda, fut ordonné en 1938 ; pendant de nombreuses années, il sera le seul. En 1960, ces prêtres sont trois; en 1970, onze; en 1980, vingt-trois; depuis, leur nombre augmente régulièrement et rapidement, pour atteindre en 1994 la centaine. Les premières religieuses, de la Congrégation de Saint Joseph de Cluny, n'arrivent que le 10 Novembre 1911 à la Sainte Famille de Djoukou, où elles se chargent de la formation des femmes et des jeunes filles. Elles y restent jusqu'en avril 1920. Puis viennent les Sœurs missionnaires du SaintEsprit, elles s'installent en Janvier 1929 à Saint Paul des Rapides, à Mbaïki en 1931... et ouvrent le lycée Pie XII en 1957. D'autres congrégations vont suivre, en nombre important. Cependant la première femme centrafricaine religieuse, Sr Claver Zoungoula, prononça ses vœux bien avant l'installation de ces communautés. Esclave, elle est en effet rachetée à Bangui par le Père Rémy en 1894 ; envoyée à Brazzaville chez les Sœurs de Cluny, elle y fait profession en 1902, et meurt en 1908 de la maladie du sommeil. En 1975, est née la congrégation, totalement africaine, des Petites Sœurs du Cœur de Jésus. Le nombre des religieuses en Centrafrique dépasse maintenant trois cents, dont plus de cent Africaines, dans une cinquantaine de congrégations. Les missionnaires ne se sont pas contentés d'évangéliser. Ils furent les premiers à ouvrir des écoles, le plus souvent avec des enfants rachetés de l'esclavage; bien des prêtres et plus encore des religieuses furent enseignants. Ils investirent aussi dans le domaine de la santé et de l'animation rurale. En 1962, le président Dacko prit la décision d'unifier l'enseignement en intégrant les enseignants privés dans l'enseignement officiel de l'Etat. Sans parler de "nationalisation" au sens strict, l'Eglise se voyait cependant dépossédée de ses écoles, dont elle n'avait plus la charge ni pédagogique ni financière. Cette intégration n'a pas lésé l'Eglise qui s'est trouvée déchargée d'un fardeau souvent fort lourd en personnel et en 210

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finances. Elle a pu alors consacrer ces ressources humaines et financières à l'évangélisation directe; et surtout en milieu rural, y intégrer le développement humain par la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et l'Animation rurale. En se reportant aux tableau et graphique ci-dessus, on se rend compte que depuis 1960, le nombre des paroisses et des prêtres a plus que doublé, tandis que celui des fidèles triplait. On ne peut donc avancer que cette nationalisation des écoles ait nui à l'Eglise. LES EGLISES PROTESTANTES

Les protestants ont précédé les catholiques sur l'Oubangui: le pasteur anglais Grenfell atteint la région de Bangui dès 1884, avant les expéditions françaises. Il ne semble pas que ce fût dans un but direct d'évangélisation. Par la suite à partir de 1920, ils vont investir massivement un peu partout dans le pays. On appelle ici "protestants" tous les chrétiens non catholiques, aux multiples dénominations, dont on dit parfois ici qu'ils pratiquent la religion des" anglais", pour la simple raison que les premiers missionnaires protestants, surtout les Baptistes étaient de langue anglaise. Le nombre de leurs fidèles équivaut actuellement à celui des catholiques. Les Luthériens et les Réformés, issus de la Réforme de Luther et de Calvin, sont peu nombreux en Centrafrique; ils se trouvent surtout dans le nord-ouest du pays et à Bangui, à l'Eglise Protestante du Christ-Roi. Ils gèrent également à Bangui le Centre Protestant pour la Jeunesse (C.P.J.), situé tout près du carrefour de l'avenue Koudougou et de l'avenue des Martyrs. Les Baptistes, eux aussi issus des Eglises de la Réforme sont les plus nombreux et sans doute les plus anciens. On n'y baptise que les adultes croyants, d'où leur nom de Baptistes. La première dénomination baptiste en République centrafricaine est la Baptist Mid-Missions (BMM), abréviation de Baptist Middle Africa Missions ou Missions Baptistes du centre de l'Afrique. Cette dénomination date de 1953. En fait les premiers pasteurs américains, à l'origine de l'implantation 211

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de cette église, arrivent en Centrafrique vers la fin de l'année 1920. Ils sont conduits par le pasteur Haas, qui dès 1911 avait travaillé en EIC, en Centrafrique en 1915, au Congo, au Tchad. Avec lui arrivent Mr et Mme Rosenau qui vont demeurer à Sibut, Mr et Mme Young qui se rendent à KagaBandoro, Madame Rowena Becker qui s'installe à Bangassou. A cette date de 1921, l'Eglise catholique, présente depuis 1894, ne compte encore que trois paroisses: Saint Paul à Bangui et Djoukou; Bambari vient d'être fondé en 1920. En 1931, la BMM ouvre sa première école de formation d'évangélistes à. Kaga-Bandoro. Elle forme sur deux années des étudiants originaires de l'Oubangui-Chari et du Tchad. Les premières communautés chrétiennes se constituent et les premiers diacres autochtones sont institués, pendant que s'ouvrent de nouvelles stations missionnaires, dont Bangui. L'accent est mis sur l'évangélisation; pour cela le Nouveau Testament est traduit en langue sango entre 1927 et 1935, puis l'Ancien Testament. A côté de ce travail d'évangélisation, les missionnaires, souvent médecins, ouvrent des dispensaires et des hôpitaux. A la fin des années 1940, on compte déjà 200 églises avec des pasteurs et évangélistes centrafricains, alors que de son côté en 1950, l'Eglise catholique ne compte que 22 paroisses avec 64 prêtres dont deux centrafricains. Mais à cette époque des ruptures vont se produire entre les missionnaires américains et les responsables religieux centrafricains, pasteurs ou évangélistes, qui veulent pouvoir décider par eux-mêmes de la conduite de leurs églises. La première surgit en 1950, à partir d'un différend entre le pasteur Jacques Samba, de Dékoa, et les missionnaires, au sujet de problèmes matériels, puis de divergences doctrinales. Un instituteur, Mr. Kotadissa, prêche à la demande de ce pasteur les thèses des Témoins de Jéhovah. La BMM veut réfuter cette hérésie; mais beaucoup de fidèles à la suite du pasteur, se séparent de la BMM. La seconde crise survient à propos des élections législatives du 2 Janvier 1956 ; s'y trouvent en présence le député Barthélémy Boganda et Mr. Songomali ; celui-ci est soutenu par l'administration coloniale. Une intervention des missionnaires américains est interprêtée à tort ou à raison comme une 212

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injonction à ne pas voter pour B. Boganda, qui est en fait largement élu. Les responsables africains doivent alors s'engager par écrit à rester à l'écart des partis politiques. C'était encore leur interdire de s'engager pour l'indépendance de leur pays. A Kaga-Bandoro, onze évangélistes refusent de signer et constituent le Comité Mission Baptiste avec à leur tête Simon Boymanza. De même à Bangassou, d'autres forment l'Eglise Mission Africaine avec Anyama. En 1970, ces communautés fusionnent pour constituer la Mission Evangéliste Baptiste. La troisième rupture survient en 1972. R. Buck, un missionnaire américain lance l'idée d'une association nationale des églises baptistes. Le pasteur G. Toudou en devient le premier président. En fait, les missionnaires n'apprécient guère ni cette association ni son président. Au départ de R. Buck, ils en confient la présidence au pasteur Koméssé. Une scission s'ensuit au sein de la BMM et les séparatistes prennent l'appellation d'Eglises Baptistes Evangéliques Centrafricaines (AEBEC). La dernière rupture date de 1977. A la suite des désordres précédents, l'administration demande à la BMM de mettre en place une association pour coordonner ses activités. Un premier texte est rejeté par le gouvernement. Les pasteurs centrafricains qui veulent accéder à une réelle indépendance, élaborent un nouveau texte sans la présence des missionnaires. Ceux-ci avertissent le gouvernement qu'ils programment leur départ; lequel finalement ne reconnaît pas le nouveau texte et admet que chaque partie puisse s'organiser indépendamment l'une de l'autre, avec la garantie de la liberté du culte. Les pasteurs centrafricains se retirent alors de la BMM pour former l'Union Fraternelle des Eglises Baptistes (UFEB), dont le siège est au quartier Boy-Rabe à Bangui. Vers 1921, s'installent encore à Carnot, Berbérati et Bouar, une Mission baptiste suédoise; à Kaga-Bandoro, la Mid African Mission, d'origine américaine; à Carnot, la Central African Pionner Mission, elle aussi d'origine américaine; à Bozoum, dans l'ouest du pays, la Mission Evangélique de l'Oubangui-Chari. Sont également nombreux les membres des Eglises Evangéliques des Frères, à Bangui, Berbérati, Bouar, 213

Les religions

Bossangoa, fondées, elles aussi, par des missionnaires d'origine américaine. Ces Eglises sont regroupées dans l'UFEEF (Union Fraternelle des Eglises Evangéliques des Frères) ; et issue de cette dernière la Fédération des Eglises Evangéliques des Frères (FEEF). Font malheureusement figure de sectes, un certain nombre de mouvements religieux d'inspiration pentecôtiste, tel Elim près d'Alindao, fondé dès 1925, la Mission Evangélique, la Coopération Evangélique Centrafricaine, l'Action Apostolique, les Néo-Apostoliques. Ces derniers, fondés en 1828 en Angleterre, sont arrivés en 1984 en Centrafrique par Mobaye. Ce qui frappe le voyageur de passage, c'est cette extrême diversité des communautés religieuses qui vivent côte à côte. Dans un village de moins de 1 000 habitants à une vingtaine de kilomètres de Bangui, on trouve ainsi la Mid Missions, l'UFEB, le Christianisme Prophétique en Afrique, les Apostoliques, les Catholiques. On ne peut que regretter cette dispersion des croyants chrétiens en de multiples groupes divers, aux effectifs peu nombreux. Certes chacun peut y trouver une communauté à sa taille et y être reconnu. Mais ceci ne favorise pas le travail, la formation, la recherche en commun, l'approfondissement de la foi, avec le danger de s'enfermer sur soi. Pourtant les Eglises protestantes possèdent à Bangui, Avenue de France, la Faculté de Théologie Evangélique de Bangui (Fateb), qui reçoit pour leur formation les futurs pasteurs avec leur famille, non seulement du Centrafrique mais aussi de la République Démocratique du Congo, et de pays de l' Mrique de l'Ouest. D'autres groupes d'inspiration chrétienne, mais d' origine africaine, ont essaimé en R.C.A. ; on peut citer le Christianisme Prophétique en Afrique qui vient du Congo; et l'Eglise des Noirs en Afrique ou Kibanguisme, du nom de son fondateur, le congolais Simon Kibangu. Si l'on trouve fort peu de sectes charismatiques, guérisseuses et prophétiques, comme en Afrique de l'Ouest, il faut signaler quelques groupes d'origine centrafricaine, tel Nzapa ti Azandé (Dieu des Zande). Ce mouvement est limité à la 214

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région orientale du pays, dans la région d'Obo et Zémio. Il fut fondé vers 1955 par une prophétesse de Koumboli, Marie Awa, qui décrit ainsi son expérience religieuse en 1933 : "]'étais morte et j'ai fait sept jours dans ce long sommeil...Quand je me suis éveillée dans cette mort, le Bon Dieu m'a dit de partir au bureau pour dire ça au sous-préfet... C'est le Bon Dieu qui m'a envoyée avec ses paroles de renseigner tout le monde".

Elle possédait également des remèdes que "le Bon Dieu m'a donné de mettre ça sur le corps de tout le monde". Ce mouvement est donc basé sur le ministère de la parole et de la guérison. On peut encore rencontrer des membres des Témoins de Jéhovah, de la Foi Bahaïe depuis 1960, et du Mahikari depuis 1980, mais ils ne sont pas chrétiens. L'IslAM Les musulmans tiennent une place économique importante dans le pays; d'abord par leur profession d'éleveurs de gros bétail, dont nous avons parlé en présentant l'économie; par le contrôle de la production et du commerce du diamant; comme spécialistes du commerce de détail de produits importés de consommation courante dans beaucoup de quartiers de Bangui, ou de villages, également comme colporteurs ; par leur politique de prêt à ceux qu'ils estiment capables de se lancer dans une activité commerciale. Les musulmans étaient présents sur le territoire centrafricain dès avant la pénétration française, de deux manières au moins: par l'élevage dans le nord-ouest du pays; ensuite par les razzias. Tout en ayant subi durement les incursions de Senoussi sur leur territoire, bien des Manja se convertirent à l'Islam, et pas toujours de force. Il en alla de même à l'Ouest en pays gbaya. Certains purent le faire par intérêt matériel, car la religion musulmane est censée apporter richesse et bien-être à ses fidèles; et ce qui est sûr, c'est l'aide financière consentie à des débutants qu'on espère solvables. Quant aux sultanats du pays zande-nzakara, il ne semble pas que la population y ait subi une profonde influence musulmane. 215

Les religions

D'où deux couches de population musulmane: les étrangers qui viennent du nord, Peuls bororo, Haoussas d'une part, d'autre part les convertis d' origine centrafricaine. A Bangui, les fidèles musulmans disposent de plusieurs mosquées: la grande mosquée, avenue Koudougou, d'autres au km 5, au quartier Ngouciment, une nouvelle au Quartier Combattants, près de l'aéroport... Il est difficile de donner un chiffre de ces fidèles: peut-être 80 000 à Bangui, et 200 000 pour l'ensemble du pays.

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Chapitre 12 LE TOURISME

Gisement financier exploitable?

Le Centrafrique possède des atouts touristiques, qui s'appuient sur les richesses naturelles: fleuves, reliefs, forêt, faune... suivant les régions. BANGUI En commençant par la capitale, Bangui, deux promenades au moins s'imposent; la première, les bords du fleuve depuis l'ambassade de France jusqu'au quartier de Ouango en passant par la mission Saint Paul; la seconde, la route dans les collines qui dominent Bangui et assurent une vue superbe sur l'agglomération, le Fleuve et la République Démocratique du Congo. Ces promenades sont à faire dans la journée; la nuit, elles ont un autre charme, à condition de prendre quelques précautions de sécurité. Nous ne nous attardons pas sur les monuments banguissois tant civils que religieux, de construction relativement récente. Nous signalons cependant les maisons de style colonial, typique du début du siècle; elles méritent au moins un coup d' œil, en particulier celles entre la cathédrale NotreDame et la poste: ces maisons ont été construites en briques cuites ou en bois, avec une véranda de chaque côté, qui permet d'avoir une habitation fraîche et aérée, si elle est bien orientée: style et confort vont ici très bien ensemble. Celles du même style au camp militaire mériteraient d'être restaurées. La Cathédrale Notre-Dame comme d'autres bâtiments officiels ont été construits en briques cuit~s, dont la mission

Le tourisme

Saint Paul fournissait une bonne partie. Au centre ville, il faut aussi visiter le musée Boganda, d'Arts et Traditions Populaires; on y trouve des collections d'instruments de musique, d'armes de chasse, des statuettes anthropomorphes, des masques, des poteries diverses, des calebasses pyrogravées, des vanneries; avec quelques salles spéciales: une pour les Pygmées, une autre pour les Bororos, une enfin qui présente des œuvres d'art contemporain. Pour ceux qui recherchent le dépaysement, on conseille les étals à même le sol des trottoirs autour de la place de la République, les marchés du km 5, à condition de laisser à la maison bijoux, montres et autres objets de prix, qui risquent d'attirer la convoitise. A Bangui, il est possible de faire du ski nautique, et également d'organiser des excursions sur le fleuve en pirogue. Pour ceux qui auraient le temps, en saison de crues, il existe un service régulier de bâteaux à vapeur entre Bangui et Brazzaville. LA PROVINCE La monotonie des paysages rend les déplacements par la route souvent fort décevants. Même si l'horizon est dégagé et porte loin, l' œil peut rarement s'arrêter, se fixer ou se reposer sur quelque point spécifique. L'horizon, dans sa totalité ou presque est barré au loin par une ligne de crêtes de hauteur souvent uniforme. Ou le paysage est formé de collines aux contours peu abrupts dans l'ensemble. En saison des pluies la couleur dominante et même exclusive est le vert: vert clair des herbes les plus proches, vert plus sombre des arbres et de la végétation plus éloignée, qui fait forêt et couvre uniformément toutes les collines à perte de vue. Il faut se trouver tout près pour distinguer d'autres couleurs, le jaune des acacias, les hibiscus multicolores... En saison sèche, surtout après les feux de brousse, du vert le paysage passe au gris dans le nord du territoire, tandis que dans le sud, l'humidité permet à la végétation de rester verdoyante en toutes saisons. Sur la route de Bossembele, le site de Boali mérite une journée de visite (si le temps manque, une bonne matinée peut suffire). Boali, ce sont d'abord les chutes sur la Mbali, 218

Le tourisme

qui se divisent pour former deux cascades impressionnantes avec leurs 50 mètres de dénivellation; ceci est à visiter de préférence en saison des pluies, entre juillet et octobre, quand le fleuve est au plus haut. Dans son Voyage au Congo, Gide note qu' "au lever du soleil, la chute d'eau que dore le rayon oblique, est de la plus grande beauté". Dans la matinée, par temps ensoleillé, vous aurez droit aux arcs-en-ciel qui se forment dans la bruine qui remonte des chutes. Pour fournir de l'eau aux centrales hydroélectriques installées sur ce site, un barrage de retenue a été construit en amont. Pour y accéder, il faut reprendre la route en direction de Bossembele ; à droite, une route goudronnée mène au barrage. Mais on ne peut y accéder, même à pied, qu'avec une permission écrite du directeur de l'ENERCA. Le plan d'eau de la retenue pourrait devenir un site touristique et de détente intéressant: voile, baignade..., Bangui n'est pas trop éloigné. Mais les investissements seraient-ils rentables? En rentrant sur Bangui quand on amorce la descente, la vue sur la vallée est superbe, surtout quand l'horizon est dégagé en saison des pluies. En bas de la descente, à droite, une piste mène au Lac aux crocodiles (ou aux caïmans), visibles certains jours. Un autre lac semblable appelé Lac des Sorciers, existe sur la route de Gala£ondo au Km 99, après Damara ; une piste de 6 km y mène. Evidemment chacun de ces lacs a sa légende. Bien d'autres chutes d'eau existent en Centrafrique; les nombreuses rivières sont souvent obligées de franchir des seuils rocheux, ce qui entraîne soit des rapides, soit des chutes. Ainsi à 7 km de Kaga-Bandoro, on trouve des cascades de 10 mètres de haut sur la Nana et une série de rapides qui franchissent une dénivellation de 50 mètres. A 27 km de Bossembele sur la route de Bangui, il y a celles sur la Mbi. A la frontière avec le Cameroun dans la région de Bocaranga, les chutes de Lancrenon, difficiles d'accès, mais superbes. D'autres encore existent dans la même région, sur la Lim près de Bougouy. Près de Baïbokoum, la route des monts du Lam, offre de beaux paysages de montagne dans la haute vallée du Logone, avec des rapides sur le Kaïtia, et le confluent de la Mbere et de la Wina. Dans une autre région à l'est, près de 219

Le tourisme

Kembé, en direction de Bangassou, on trouve les chutes de la Kotto. Enfin en venant de Bangui, à 10 km de Mbaïki, à droite juste avant de s'engager dans la montée vers cette ville, les chutes de la Mbeko. On signale aussi des gorges sur la Kadéï. Dans la région de Yalinga, beaucoup plus difficile d'accès, sur la route de Ouadda-Birao à 22 km de Ouadda, la rivière Pipi coule dans un canyon étroit et se trouve recouverte d'une énorme dalle rocheuse qui s'appuie sur les deux rives, formant un pont naturel. On peut voir une arche naturelle à 20 km de Ouadda sur la route Ouadda- Yalinga, et les monts Mela (1 200 m. d'altitude) à 30 km au Nord-est de Ouadda. Dans toute cette région au nord de Bria, il doit être possible de faire des découvertes fort intéressantes, ne serait-ce que les anciens villages abandonnées, avec leurs forges et leurs hauts fourneaux. Dans cette région et dans d'autres, de découvrir également des gravures rupestres anciennes, signes d'une fort antique occupation de la région. Le pays étant relativement accidenté, on trouve cependant de superbes panoramas; nous avons signalé celui que l'on découvre à la sortie du village de Boali sur la route goudronnée en rentrant sur Bangui; nous en retrouvons un semblable à la sortie de Mbaïki, en direction de Bangui. De même, le long de la route de Bambari à Kembe puis à Bangassou. A Bouar et dans la région, le regard peut ainsi porter à quelques dizaines de kilomètres. En certaines saisons, on y surplombe une mer de nuages, du plus bel effet. LA FORET La forêt, elle non plus, ne manque pas de charme. On la trouve rapidement à la sortie de Bangui sur la route de Mbaïki, mais surtout en prenant vers le km 25, la piste forestière en direction de Batalimo et de Mongoumba. On y avance entre deux murailles de haute futaie, mais aussi d'arbustes et de taillis, toujours suffisamment hauts pour bloquer la vue à quelques mètres, au bord même de la piste. La végétation est si élevée et si proche que le pays semble clos sur lui-même. La lumière y tombe du ciel et éclaire le chemin à condition que sa largeur le permette et que la frondaison ne se rejoigne pas à 220

Le tourisme

quelques 20 ou 30 mètres au-dessus. Les éventuelles clairières n'y permettent pas une échappée du regard au-delà de l'immédiat, qui est vite arrêté par un rideau d'arbres. Les villages, bâtis de chaque côté de la piste semblent eux aussi enfermés sur eux-mêmes, emprisonnés dans cette végétation envahissante. Si l'on continue vers Mbaïki par la route goudronnée, après Pissa, on passe devant l'ex-résidence impériale de Berengo avec son terrain d'aviation; puis ensuite devant le monument érigé à la mémoire de Barthélémy Boganda. Après Mbaïki, on laisse la route qui va vers Mongoumba pour tourner à droite en direction de la Scad et de Zoméa sur les bords de la Lobaye, puis vers le Congo. Après Mbaïki, mais cette fois, en prenant la route de Boda, on traverse le village de Boukoko, où se trouvait une station agronomique renommée. Cette station de recherche a été malheureusement fermée, mais l'ensemble des installations avec un étang garde son cachet et mérite que l'on s'y arrête. LA CHASSE

Il Y a une trentaine d'années, les guides touristiques signalaient encore que l'on pouvait chasser facilement gros et petit gibier un peu partout dans le pays. Ce temps est révolu. A l'heure actuelle, l'essentiel des parcs et réserves, pour le tourisme de vision ou le safari de chasse, se situe dans l'est et le nord-est du pays. Les zones protégées sont les parcs nationaux de Manovo-Gounda-St Floris, de Bamingui-Bangoran, d'André Félix; les parcs présidentiels d' A vakaba ; les réserves de faune de l'Aouk-Aoukale, de Gribingui, de Bamingui, de Koukourou-Bamingui, de Nana-Barya, de Ouandja-Vakaga, de Yata-Ngaya et de Zemogo. Le parc national Manovo-Gounda-St Floris de 17 400 km2, classé patrimoine mondial par l'UNESCO depuis 1988, avec les chutes de Matakol et la mare aux hippopotames de Gata, possède des campements à la Koumbala et à la Gounda avec quelques centaines de kilomètres de pistes aménagées pour la vision des animaux sauvages, ce que les autres parcs ne comportent pas forcément. On peut y apercevoir des rhinocéros (en voie de disparition), des éléphants, buffles, élans de 221

Le tourisme

Derby, bubales, antilopes diverses, girafes, phacochères, lions... singes. Le matin, au lever du soleil, est la bonne heure pour trouver ces animaux le long des pistes, au bord des points d'eau ou des salines. Ensuite, pendant les heures chaudes de la journée, ils recherchent la fraîcheur à l'ombre, et il sera plus difficile de les repérer. Une autre région réputée pour le tourisme cynégétique et en passe de devenir zone protégée est la région de Bayanga au sud de Nola. On peut y voir en pleine forêt des troupeaux d'éléphants. Il faut encore citer les mégalithes de la région de Bouar, dressés il y a plus de 2 000 ans, vestiges et signes de la présence très ancienne de l'homme dans ces régions. Il existe aussi des sources thermales, qui ne sont pas mises en valeur, à Ngouya (62 km de Kaga-Bandoro), à Dekoa, Birao... Signalons le gouffre de Kabingui à 23 km de Passel en direction de Sibut où l'on prend à Kakolingue une piste de 3 km : le sommet d'une montagne est creusé d'une profonde ouverture circulaire d'un hectare environ. Enfin à 75 km de Zémio sur la route de Djema, ce qu'on appelle la pierre de sacrifice: il s'agit d'un monolithe de 25 m. de haut qui se dresse devant une barrière de roches nues et noires. Beaucoup de villes, petites ou grandes, y compris Bangui, mais aussi Sibut, Grimari... sont agréables à causes des arbres que la colonisation a fait planter: flamboyants, cassias, manguiers (ceux-ci en grand nombre, y compris à Bangui même...). Il est fort dommage qu'on en ait coupé à Bangassou ou à Bria par exemple, et ces derniers temps pour l'installation de lignes électriques à Bangui. QUELLES CONDITIONS DE RENTABILITÉ ?

Si le pays ne manque pas d'atouts, ils sont dans l'immédiat difficilement exploitables pour un tourisme de masse aux revenus limités. Il faut d'abord compter avec les distances: les premiers sites, Boali et les forêts de la Lobaye sont à 100 km de la capitale. Des infrastructures d'accueil, en hôtels bon marché, surtout en dehors de Bangui, des moyens de déplacement rapides et confortables font défaut. La capacité hôtelière 222

Le tourisme

est de 200 chambres; le nombre des nuitées pour 1993, de 29 ODD,soit un taux de remplissage journalier d'à peine 40 %. Les sites non plus ne sont pas aménagés. Les visiteurs sont donc peu nombreux: en 1993, seules 2100 personnes se sont déclarées comme touristes à l'aéroport. En dehors des étrangers qui séjournent quelques années dans le pays et qui ont un moyen personnel de déplacement, seules deux catégories de personnes peuvent avoir accès au tourisme centrafricain: celles qui ont des amis et des parents sur place, capables de les accueillir, d'assurer leurs déplacements à moindres frais; et ceux très aisés, qui peuvent payer 10 000 F F par jour. Quinze jours de safari dans une réserve de chasse reviennent en effet à 25 000 $ US, soit 130 000 F F environ, certes tout compris: voyage, déplacements, nourriture, logement, personnel... Mais ces touristes sont finalement peu nombreux. Selon un rapport de 1992, le tourisme, surtout dans les parcs nationaux et les réserves de faune, a représenté un volume d'affaires de trois millions de dollars. 14 sociétés ont accueilli 288 chasseurs qui ont abattu 1338 bêtes, ce qui a rapporté 92 millions de F CFA au Trésor Public. Un autre rapport plus ancien, dénombre en 1983-1984,12 270 touristes, sans doute au temps de la compagnie charter le Point-Air qui pratiquait des prix défiant toute concurrence pour les liaisons entre la France, le Centrafrique et le BurkinaFaso, et proposait des circuits touristiques, certes un peu spartiates et au confort rudimentaire, mais bon marché, à l'intention de personnes jeunes et en bonne santé. Ceci prouve qu'il y a là un créneau intéressant, à condition d'offrir voyages et prestations à des prix abordables.

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Conclusion LE CENTRAfRIQUE A LA CROISÉE

DES CHEMINS

Vers quel avenir?

Parfaitement situé au centre de l'Afrique, ce pays mérite bien son nom. Au début du siècle, on voulut en faire le carrefour des routes terrestres; puis par la suite aériennes entre le nord et le sud, et entre l'est et l'ouest. En 1997, il faut bien constater le caractère utopique d'une telle vision. N'incriminons pas le pays lui-même. Le réseau routier a été remis à neuf à partir de 1980, et bien avant il était possible de joindre Bangui à Alger par la route, ainsi que Bangui à Mombasa et à l'Afrique du Sud. Ce trafic cependant ne fut jamais intense. Le voyage est long et coûteux, alors qu'en avion, le vol BanguiParis, toutes formalités comprises n'excède pas 12 heures, dont six de vol sans escale. Ceux qui sont tentés par cette aventure touristique d'un voyage terrestre vers le nord ou le sud sont surtout affrontés à l'instabilité politique de maints pays traversés. Quant à la voie aérienne, une oreille attentive et de bons yeux par temps clair, peuvent surprendre le passage d'un avion à la verticale de Bangui: mais d'escale, point! pas même technique. Les avions possèdent une autonomie telle que cette escale ne se justifierait que par la clientèle, si elle existait! En temps ordinaire et suivant les saisons, trois ou quatre vols hebdomadaires relient Paris à Bangui dans les deux sens; ces avions ne sont pas toujours remplis. C'est dire que si le trafic aérien est certes vital, il n'en est pas moins réduit.

Conclusion

Le trafic fluvial, relativement important vers l'ouest, est très réduit vers l'est. Comment joindre facilement les deux bassins de l'Oubangui et du Nil? Enfin on peut s'interroger sur la rentabilité, même relative, d'un chemin de fer, eu égard au volume de marchandises actuèllement traitées. Le Centrafrique à la croisée des chemins? Pour le moment le pays, enclavé, ressemble davantage à un cul de sac géographique. Le premier sous-développement est d'abord celui du sous-peuplement. La population en décuplant amènerait des flux d'échanges commerciaux, humains..., pourrait attirer des investisseurs et engendrer des infrastructures de tous ordres, qui rendraient la vie plus facile à tous. La place, la possibilité de ressources agricoles, ... ne manquent pas pour y établir et faire vivre quinze ou vingt millions d'habitants. Le Centrafrique à la croisée des choix démographiques? Sous peine de mort, ou au moins d'inanition, il ne peut limiter son niveau actuel de population. Le pays ne connaît heureusement pas la course à l'appropriation personnelle des terrains, sauf le long des grands axes près de Bangui, soumis à la spéculation foncière. A condition de faire taire les particularismes, ethniques ou autres, chacun peut y trouver une place. Le Centrafrique à la croisée des chemins de l'histoire? Depuis un siècle certaines choses n'ont pas changé: qu'on songe à la pression des populations islamisées dans l'ouest, à la dépopulation des régions orientales qui s'accentue, à l'immobilisme des méthodes culturales des paysans dans bien des régions... D'autres ont évolué: le brassage des populations, même si cela est limité, et que chacun, avec raison, veut justifier de son origine ethnique. La radio, et maintenant la télévision, ouvrent sur le monde entier. Le citoyen centrafricain, qu'il le veuille ou non, qu'il en soit conscient ou non, ne peut échapper à la marche de l'histoire, qui fait de lui un citoyen du monde, exigeant le respect de ses droits, mais aussi lié par les traités internationaux. Il ne peut rester enfermé ou isolé, il doit accepter de se confronter à d'autres modes de vie et de pensée, que certains ont déjà adoptés. Le Centrafrique à la croisée des chemins culturels? C'est peu de dire qu'il est en fait pris et tiraillé entre des cultures aux valeurs souvent opposées, celle de la tradition africaine, 226

Conclusion

celle de l'Occident; pris aussi entre la culture de son ethnie, et l'expression d'une autre qui dépasserait les clivages particularistes. Ce qui trouble beaucoup, c'est l'accélération actuelle des échanges par l'expansion des moyens de communication, dont le dernier, la télévision par satellite, commence à envahir Bangui. Le Centrafrique à la croisée des chemins politiques? Après avoir connu des régimes autocratriques et dictatoriaux, le peuple centrafricain aspire à une réelle démocratie, faite de reconnaissance des droits de chacun, d'égalité, de justice, pour tous, quelle que soit son appartenance ethnique, sociale, raciale..., aspire à un Etat au service non d'un groupe, mais de l'ensemble de la nation. On ne pourra passer d'un Etat centrafricain à une Nation centrafricaine que dans la mesure où tous, de Birao à Bangui ou Mongoumba, de Zélnio à Bouar, de Ndélé à Bangassou, se sentiront reconnus comme membres d'un même peuple, attelés à une même tâche, celle de faire grandir leur pays.

227

BIBLIOGRAPHIE

Nous avons classé ces ouvrages en deux catégories: A. Les ouvrages généraux sur le Centrafrique, ou qui concernent l'ensemble du pays. B. Les ouvrages spécifiques à un groupe ethnique. A. OUVRAGES GÉNÉRAUXSUR LE CENTRAFRIQUE

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P. Princesse

(Nouvelle

édition:

Mandapou. Nathan

Ed. Présence

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Présence

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230

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Africaine,

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1921.250 p. Michel.

1934.287 p.

Bibliographie Notre Librairie

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Ed. Gef.

1989. 129 p.

fils de Bandia. Armand

Colin.

104 p.

Sammy-Mackfoy Yavoucko

centrafricaine.

P. L'odyssée

C. Crépuscule

de Moungou.

ou défi. Kite na kite.

Hatler.

1983.159

L'Harmattan.

p. 1979.

5. Sociologie Adrien-Rongier M.F. Eveil à la vie centrafricaine. Ministère des Affaires Sociales, Bangui. 1979. 254 p. Vergiat A.M. Les rites secrets des primitifs de l'Oubangui. Payot. 1936. 210 p. (nouvelle édition: L'Harmattan, 1981). B. OUVRAGES SPÉCIFIQUESÀ UN GROUPE ETHNIQUE

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à l'Encyclopédie.

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des Aka. Selaf. 1991. 242 p.

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233

PETIT LEXIQUE

arachide syn. de cacahuète: de cacahuète.

DU fRANÇAIS

LOCAL

A Bangui, on ne connaît pas le terme

avocat fruit comestible de l'avocatier. barrière de pluie barrière mobile installée sur les pistes de terre pendant les intempéries pour empêcher la circulation des véhicules automobiles. brousse espace rural, opposé à la ville; terme un peu péjoratif. capitaine gros poissson du fleuve, très recherché. Nom scientifique: lates niloticus. case habitation ordinairement chaume.

en terre, couverte de tôles ou de

citronnelle cymbopogon citratus, de la famille des Graminées on fait des tisanes.

dont

claustra parpaing de ciment ajouré, et non plein, dont on se sert pour monter les murs; le fait d'être ajouré facilite l'aération. corossolier arbre, annona muricata, de la famille des Annonacées. Ses

Lexique fruits sont appelés corossol ou "coeur de boeuf". gen~arme passereau qui tisse son nid suspendu arbres.

aux branches des

hutte habitation légère en végétaux pour l'essentiel. kilomètre cinq ensemble de quartiers commerçants de Bangui, situé au cinquième kilomètre à partir du Rond-Point de la Place de la République, d'où part le kilomètrage des voies de circulation. Souvent, les villages en dehors de Bangui ne sont pas appelés par leur nom propre, alors qu'ils en ont, mais par le point kilométrique de la route qui les traverse. Exemple de dépersonnalisation. maison habitation solide, faite de pierres ciment et couverte de tôles.

ou de parpaings

de

marigot bras de rivière, ou bas-fond inondable. nako système de fenêtres à lames orientables de verre, de bois, agencées sur des montants de métal appelés nako. neem ou nim arbre, azaradichta famille des Méliacées.

indica ou arbre à nivaquine,

de la

paillotte abri construit sans murs, souvent de forme circulaire, dont l'essentiel est un toit soutenu par des poteaux de bois, ou de ciment; le sol peut être cimenté. pirogue barque légère, marchant le plus souvent à la pagaie ou à la voile. piste voie de circulation non goudronnée. 236

Lexique route ce terme s'emploie pour des voies de circulation goudronnées. tôle ondulée le passage des véhicules automobiles sur une piste de terre amène la piste à se présenter sous la forme d'une tôle, aux ondulations dans le sens de la largeur, perpendiculaires à la direction de la circulation. tornade gros orage, avec une pluie souvent violente au début, accompagnée de vent en rafale, mais rarement tourbillonnant. trafic du nom des véhicules Renault de transport de passagers. Ils circulent d'une ville à une autre. Si l'heure de départ est assez précise, celle d'arrivée est moins assurée. village agglomération rurale peu importante; en ville, devient synonyme de quartier par référence à la langue qui n' a qu'un mot pour désigner les deux. Les noms des villages sont rarement signalés sur les routes, encore moins s'ils sont à l'écart. Les villes importantes le sont à 5 km par un panonceau publicitaire de bière Macaf.

237

RENSEIGNEMENTS PRATIQUES

Services officiels Ambassade de la République Centrafricaine à Paris: 30 rue des Perchamps 75 016 Paris. Tél. 01 42 24 42 56 Ambassade de France à Bangui: B.P. 884. Tél. 61.30.00. Consulat de France: Tél. 61 01 76 (Bureau du Consul Général) Conditions

administratives

d'entrée

Passeport en cours de validité. Visa d'entrée à demander au consulat du Centrafrique. Valide trois mois, ensuite il faut solliciter une carte de séjour. Santé Vaccinations: seule la fièvre jaune est obligatoire. T.A.B., tétanos et hépatite sont vivement conseillés. Prévoir un anti-paludéen (nivaquine...) à prendre avant le séjour, pendant et après: pour cela consulter un médecin avant le départ. En cas de problème de santé au retour, avertir le médecin consulté, que l'on rentre d'Afrique. Compagnies

aériennes

(en liaison directe avec la France) Air Afrique (Bangui) : B.P. 875. Tél. 61 46 60. Air France (Bangui) : B. P. 868. Tél. 61 49 00.

Renseignements

pratiques

Tourisme Manovo

Quelques

: B. P. 957. Tél. 61 66 77.

hôtels (sous toutes réserves)

Afric Hôtel Tél. Iroko : Le National: Minerva: Hôtel du Centre: Sofitel: Quelques

restaurants

6110 72 61 22 17 61 29 71 61 02 33 61 02 79 61 30 38 (sous toutes réserves)

New Montana Tél 61 34 09 Les Quatre Saisons: 61 68 79 Savana : 61 06 61 Tropicana: 61 04 09 L'Oasis: 61 67 66 Heure L'heure légale ne change pas de toute l'année et correspond à l'heure d'hiver en France, soit T.U. + 1. Pendant l'été en Europe, le décalage est alors d'une heure en retard sur l'heure de la France. Vêtements Prévoir des vêtements d'été légers en coton, le moins possible en fibre synthétique, un bon vêtement de pluie et un couvre-chef: chapeau, casquette... A certaines heures de la journée, surtout en saison sèche, on peut supporter un pullover.

TABLES

DES MATIÈRES

Introduction

9

Le Centrafrique: c'est où ? Carte d'identité. Drapeau. Hymne national. Chapitre

17

I

La Géographie

physique:

L'enclavement au cœur de l'Afrique Localisation. - Relief. - Frontières. - Fleuves et Rivières. Climat. - Pluviométrie. - Température. - Hygrométrie. Style d'habitation. - Passage et peuplement. Chapitre

31

II

La Géographiehumaine: Un pays sous-peuplé

Les divisions administratives. - Les langues centrafricaines. - Les pygmées. - Les peuls. Chapitre

43

ill

L'histoire

centrafricaine

ancienne:

Mythe et réalités: La profondeur historique Le paléolithique. - Le néolithique: la culture Tazunu. L'âge du fer. - Les royaumes de Gaoga et d'Anzica. - La situation de la population centrafricaine vers 1870-1890.Les Africains découvrent les Européens.

Table des matières

Chapitre

61

IV

La crise du XVIII-XXème siècle: Un pays écartelé par la traite des esclaves La traite du nord et de l'est. - La traite du nord-ouest.

Chapitre

71

V

La colonisation au XXème siècle: La création de l'Oubangui-Chari La conquête. - La guerre de 1914-1918. - Le système concessionnaire. - L'impôt indigène. - Le portage. - Le chemin de fer du Congo-Océan. - L'insurrection du Kongo-Wara. - La guerre de 1939-1945. Chapitre

97

VI

La République Centrafricaine: Les aléas du pouvoir

Barthélémy Boganda : le Père-fondateur de la nation. David Dacko. - Jean-Bedel Bokassa. - David Dacko. André Kolingba. - Ange Félix Patassé. Chapitre

119

VII

La capitale: Bangui "La Coquette" La fondation. - Le développement.

.~Les chiffres de la

population. - A quel rythme grandit une ville africaine? L'attrait de la ville. - L'emploi et les sources de revenu. Le commerce. - Les" godobés". - Le chômage. - Quartiers et ethnies. - Quartiers riches et quartiers pauvres. - Bangui au quotidien / Une journée à Bangui. Chapitre

VIn

141

L'économie: Un pays potentiellement Le Produit

Intérieur

Brut.

- Le

riche

commerce

international.

-

Le commerce intérieur. - Les cultures vivrières. - Les cultures de rente. - Les cultures industrielles. - Le bois et les industries forestières. - L'élevage. - La pêche et la pisciculture. - La chasse et la faune. - Les ressources du sous-sol. Les industries manufacturières.

Table des matières

Chapitre

IX

167

Les structures modernes administratives: L'impasse financière La Société de Distribution d'Eau en Centrafrique. Energie de Centrafrique. - Transports et Communications. - Les services de santé. - L'enseignement. - La place des Organisations non Gouvernementales. Chapitre

X

181

La culture: manger d'abord La connaissance du pays centrafricain. - L'histoire de la scolarisation. - La culture au présent. - Noms de bar ou de taxi. - Le sanga, langue nationale. - Le sport. Chapitre

XI

199

Les religions: L'ouverture spirituelle La religion traditionnelle. - Le catholicisme. - Les Eglises protestantes. - L'Islam. Chapitre

XII

217

Le tourisme: Gisement financier exploitable? Bangui. - La province. - La forêt. - La chasse. - Quelles conditions de rentabilité? Conclusion

225

Bibliographie

229

Petit Lexique du français Renseignements

pratiques

local

235 238

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