La Voie lactée 9782759810390

Notre connaissance de la Voie lactée a été profondément renouvelée depuis une dizaine d’années suite aux résultats du sa

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French Pages 206 [205] Year 2013

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La Voie lactée
 9782759810390

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James Lequeux et Francoise Combes Astronomes à l’Observatoire de Paris

La Voie lactée

S A V O I R S

A C T U E L S

EDP Sciences/CNRS ÉDITIONS

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Illustration de couverture : Photographie de l’ensemble de la Voie lactée, centrée sur la direction du Centre galactique dans la constellation du Sagittaire. Une bande de poussières interstellaires très irrégulière paraît séparer en deux la Voie lactée. On voit en bas à droite du centre les deux Nuages de Magellan, galaxies satellites de la nôtre. Les étoiles brillantes que l’on observe loin de la Voie lactée sont proches de nous et appartiennent à la Voie lactée, comme c ESO-Serge Brunier. toutes les étoiles visibles à l’œil nu. 

Imprimé en France.

c 2013, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf,  91944 Les Ulis Cedex A et CNRS ÉDITIONS, 15, rue Malebranche, 75005 Paris. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35. ISBN EDP Sciences 978-2-7598-0817-5 ISBN CNRS Éditions 978-2-271-07737-0

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Préface Mais quelle est donc cette bande lumineuse qui traverse le ciel ? Même si Démocrite pensait déjà, au ve siècle avant JC, que la Voie lactée était « formée d’astres tout petits et groupés si étroitement qu’ils nous paraissent ne faire qu’un » (Achille Tatius, cité par Jean Salem, dans « Démocrite »), il a fallu attendre Galilée et sa lunette astronomique pour confirmer cette idée audacieuse. Par la suite, l’obstacle majeur à une interprétation des observations, même de très bonne qualité, afin de préciser la taille de notre Galaxie et la position du Soleil en son sein, restait la mauvaise détermination des distances. Ce n’est que dans les années 1930 qu’une représentation correcte de la Galaxie était obtenue, montrant que notre Voie lactée était une galaxie parmi d’autres, de rayon environ 15 kpc (45 000 années-lumière) pour sa composante stellaire, environ 20 kpc pour sa composante gazeuse, et que le Soleil était bien loin d’être en son centre. Ces deux dernières décennies, de nouveaux moyens d’observation et de calcul ont ouvert de nouveaux horizons : avènement de l’astrométrie spatiale avec le satellite Hipparcos de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) qui, grâce à ses mesures astrométriques de grande précision pour plus de 100 000 étoiles brillantes (dont des distances très précises pour 30 000 étoiles), a apporté une connaissance approfondie du voisinage solaire et une révision des échelles de distances ; des observations photométriques systématiques sur de grandes surfaces du ciel telles que le Sloan Digital Sky Survey (SDSS) qui ont permis la découverte de courants d’étoiles dans le halo ; des observations spectroscopiques à haute résolution avec de gros télescopes qui ont entraîné de grands progrès dans la compréhension de l’évolution chimique de la Galaxie ; l’observation en ondes millimétriques et sub-millimétriques et la découverte de nombreuses molécules dans le milieu interstellaire ; et enfin des ordinateurs de plus en plus puissants permettant des simulations de plus en plus détaillées de la formation et de l’évolution dynamique des galaxies. La décennie à venir est, de nouveau, pleine de promesses par la mise en service de télescopes et radiotélescopes beaucoup plus sensibles et/ou beaucoup plus précis que leurs prédécesseurs. Dans le domaine optique, en 2013, Gaia, successeur d’Hipparcos à l’ESA et deuxième satellite astrométrique jamais lancé, va permettre un pas en avant fantastique dans la connaissance de toutes les composantes stellaires de notre

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La Voie lactée

Voie lactée avec le recensement et la mesure systématique d’un milliard d’objets plus brillants que la magnitude 20, avec une précision astrométrique encore 50 à 100 fois plus grande que celle d’Hipparcos et l’observation parallèle de leurs caractéristiques physiques. Dans le domaine optique encore, mais prévu pour le début des années 2020, l’E-ELT (European Extremely Large Telescope) observera en très grand détail des objets très faibles de notre Galaxie, et bien au-delà. Dans le domaine infrarouge, sub-millimétrique et millimétrique, des informations essentielles sont obtenues sur la formation des étoiles. Après les résultats spectaculaires du satellite européen Herschel, qui devrait achever sa mission en 2013, c’est ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), le réseau mondial observant dans le millimétrique, qui sera complètement opérationnel, puis le JWST (James Webb Space Telescope) qui devrait être lancé en 2018, avec le plus grand télescope jamais mis en orbite, 6,5 m de diamètre, observant dans le proche infrarouge. Enfin, dans le domaine radio, domaine privilégié de l’étude du milieu interstellaire et en particulier du gaz, la mise en service de SKA (Square Kilometer Array) est espérée dans les années 2020. Nouvel âge d’or pour l’astronomie, en particulier pour l’étude de notre Voie lactée et des galaxies proches, cette prochaine décennie promet donc d’être riche en surprises et découvertes, et ce livre arrive précisément au bon moment pour faire le point sur nos connaissances avant ces nouvelles étapes. Avec les précisions atteintes par l’astrométrie spatiale, cette très ancienne spécialité est maintenant un outil aussi indispensable à l’astronomie que l’astrophysique (au sens de l’analyse physique des sources observées). Elle apporte les échelles de distance aussi bien des composantes stellaires que gazeuses, ainsi que les mouvements des étoiles, dans le voisinage solaire et bientôt, grâce à Gaia, dans l’ensemble de la Voie lactée et jusqu’aux galaxies voisines. Ces observations donnent ainsi accès non seulement à la structure de la Galaxie et de ses différentes composantes, mais aussi à la cinématique et à la dynamique de celles-ci, permettant le calcul des orbites décrites par les étoiles dans la Galaxie. De nombreuses corrélations peuvent ainsi être cherchées – et trouvées – entre les caractéristiques des orbites, par l’exemple l’excentricité, les vitesses moyennes et dispersions de vitesse de groupes d’étoiles soigneusement sélectionnées, et les abondances des éléments chimiques présents dans leurs atmosphères. Seule l’étude combinée de ces différents paramètres permet de relier entre eux les différents témoignages laissés par les étapes successives de la formation et de l’évolution de notre Galaxie. C’est par l’assemblage de ces différentes parties du puzzle, par la comparaison avec les caractéristiques de galaxies extérieures, et par l’interprétation grâce à des modélisations numériques de plus en plus détaillées, que les astronomes progressent dans la compréhension de notre Voie lactée. Réciproquement, la Voie lactée est, bien sûr, la Galaxie que nous pouvons étudier dans le plus grand détail (distances et mouvements très précis, observation détaillée des régions de formation d’étoiles,

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Préface

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détermination des orbites d’étoiles très proches du trou noir central, pour ne citer que ces exemples) ce qui apporte un éclairage essentiel à l’interprétation des observations beaucoup plus globales effectuées sur d’autres galaxies. Le livre de Françoise Combes et James Lequeux nous emmène pas à pas dans ce domaine en pleine évolution, avec une description passionnante de l’état actuel de nos connaissances. Les deux auteurs, spécialistes reconnus internationalement de la dynamique des galaxies et du milieu interstellaire, ont l’un et l’autre une très vaste culture en astronomie et une parfaite clarté de présentation. Ils sont déjà les auteurs de nombreux ouvrages d’astronomie à destination du spécialiste comme du grand public. Ce livre, appelé à devenir une référence dans le domaine, est une initiation remarquable à la description de cet ensemble d’étoiles, de gaz et de poussières dans lequel nous vivons : Françoise Combes et James Lequeux nous exposent ici ces sujets complexes sous une forme concise mais très pédagogique, simple mais complète et rigoureuse. Étudiant, spécialiste ou simplement curieux, ce livre incitera le lecteur à approfondir encore ses connaissances et en poussera certains, j’en suis sûre, à se lancer dans l’aventure de la recherche et de l’interprétation des masses de données attendues des futurs instruments du xxie siècle. Catherine Turon Astronome émérite à l’Observatoire de Paris

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Table des matières Préface

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Principales constantes physiques et astronomiques

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1 Introduction 1.1 Forme et dimensions de la Voie lactée . . . 1.2 Rotation et structure spirale . . . . . . . . . 1.3 La Voie lactée à toutes les longueurs d’onde 1.4 L’apport du satellite HIPPARCOS . . . . .

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2 Le voisinage du Soleil 2.1 Les paramètres fondamentaux des étoiles et le diagramme de Hertzprung-Russell . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2 Le disque stellaire local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3 Cinématique et dynamique du disque stellaire local . . . . 2.4 Les étoiles à grande vitesse . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5 La matière interstellaire près du Soleil . . . . . . . . . . .

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1 . 1 . 6 . 10 . 12 17

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3 Structure et composants de la Galaxie 3.1 Dimensions et rotation de la Galaxie . . . . . . . . . . . . . . . 3.2 Les populations stellaires dans la Galaxie . . . . . . . . . . . . 3.2.1 Le halo stellaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2 Le bulbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3 Le disque épais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4 Le disque mince . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3 Le milieu interstellaire dans la Galaxie . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1 Le milieu neutre atomique . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.2 Le milieu moléculaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.3 Le milieu ionisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.4 Les restes de supernovae, les bulles et le gaz très chaud 3.4 Champs de rayonnement, champ magnétique, particules cosmiques et rayonnement radio . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5 La structure spirale de la Galaxie . . . . . . . . . . . . . . . . .

37 37 45 47 49 49 50 52 52 56 60 63 64 71

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La Voie lactée 3.6

La matière noire dans la Galaxie . . . . . . . . . 3.6.1 La contribution des baryons . . . . . . . . 3.6.2 La contribution du gaz . . . . . . . . . . . 3.6.3 La distribution de la matière noire dans la 3.6.4 Une autre possibilité : la gravité modifiée

. . . . . . . . . . . . . . . Galaxie . . . . .

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75 78 81 81 83

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87 87 89 93 93 96 96 101 103

5 Dynamique galactique 5.1 Dynamique de la structure spirale barrée . . . . . . . . . . 5.2 Évolution cyclique des barres, migrations, ondes multiples 5.2.1 Destruction et reformation des barres . . . . . . . 5.2.2 Migrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.3 Barre secondaire, ondes multiples . . . . . . . . . .

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105 105 110 112 114 115

6 L’évolution chimique de la Galaxie 6.1 La formation de la Galaxie . . . . . . . . . 6.2 La production des éléments dans les étoiles 6.3 La modélisation de l’évolution chimique . . 6.4 L’évolution chimique du halo et du bulbe . 6.5 L’évolution chimique des disques . . . . . .

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125 126 127 132 135 139

4 Le Centre galactique 4.1 Barre et bulbe . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2 La matière interstellaire au Centre galactique 4.3 Le trou noir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.1 L’environnement proche du trou noir . 4.3.2 Sursauts près du trou noir . . . . . . . 4.3.3 Le trou noir lui-même . . . . . . . . . 4.3.4 Du gaz tombant sur le trou noir . . . 4.4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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7 Formation et évolution de la Galaxie 7.1 Les disques mince et épais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.2 La formation du bulbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7.3 La formation du halo : cosmologique ou non ? . . . . . . . . .

145 . 145 . 147 . 150

8 La Galaxie parmi ses compagnes 155 8.1 Une spirale parmi les spirales – classification de Hubble de la Galaxie . . . . . . . . . . . . . . . 155 8.2 Les satellites : Nuages de Magellan et galaxies elliptiques naines 157 8.3 Capture de l’elliptique naine du Sagittaire, et de multiples autres : les courants de marée . . . . . . . . . . 160 8.4 Vent galactique, nuages à grande vitesse, accrétion cosmique . . 163 9 Le futur

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Table des matières

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Annexe A : Les paramètres stellaires

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Annexe B : Quelques notions de base concernant les observations du milieu interstellaire

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Glossaire

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Bibliographie

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Index

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Principales constantes physiques et astronomiques Unité astronomique Année-lumière Parsec Masse du Soleil Luminosité du Soleil Année tropique Vitesse de la lumière Constante de la gravitation Constante de Planck Constante de Boltzmann Constante de Stefan-Boltzmann Masse de l’électron Masse du proton Énergie de Rydberg Longueur d’onde associée à 1 ryd Énergie de masse de l’électron Énergie de masse du proton

UA = 1,496 × 1011 m al = 9,46 × 1015 m pc = 3,086 × 1016 m = 3,262 al M = 1,989 × 1030 kg L = 3,845 × 1026 W an = 365,242 jours = 3,156 × 107 s c = 2,997 924 58 × 108 m s−1 G = 6,673 × 10−11 N m2 kg−2 = 6,673 × 10−8 dyne cm2 g−2 h = 6,626 × 10−34 W s−1 k = 1,381 × 10−23 W K−1 σ = 5,671 × 10−8 W m−2 K−4 me = 9,109 × 10−31 kg mp = 1,673 × 10−27 kg ryd = 2,180 × 10−18 J = 13,606 eV 91,176 nm 0,511 MeV = 8,187 × 10−14 J 938 MeV = 1,503 × 10−10 J

Unités et conversion Longueur mètre (unité S.I.) angström

m = 100 cm A = 10−8 cm = 10−10 m

Masse kilogramme (unité S.I.)

kg = 103 g

Énergie joule (unité S.I.)

J = 107 erg

Puissance watt (unité S.I.)

W = 107 erg s−1

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Densité de flux jansky (sous-unité S.I.)

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La Voie lactée

Jy = 10−26 W m−2 Hz−1 = 10−23 erg s−1 cm−2 Hz−1

Force newton (unité S.I.)

N = 105 dyne

Pression pascal (unité S.I.)

Pa = N m−2 = 10 dyne cm−2 = 10−5 bar

Champ ou induction magnétique tesla (unité S.I.)

T = 104 G (gauss)

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Chapitre 1 Introduction La bande lumineuse de la Voie lactée (aussi dénommée Galaxie), qui traverse le ciel en écharpe, a donné lieu à bien des mythes depuis la préhistoire. On y a vu par exemple la trace du lait échappé du sein d’Héra qui refusait de nourrir Héraclès, découvrant qu’il n’était pas son fils : d’où son nom qui a survécu jusqu’à nos jours. Au Moyen Âge, c’était le « chemin de Saint-Jacques », censé orienter les pèlerins en route vers Saint-Jacques de Compostelle. Claude Ptolémée (c.90–c.168) en a fait une description détaillée et précise, qui est longtemps restée insurpassée. Mais la véritable nature de la Voie lactée n’a été révélée qu’en 1610 par Galilée (1564–1642), qui, grâce à la lunette astronomique, a résolu sa lumière diffuse en nombreuses étoiles. Il en dit : « La Voie lactée n’est rien d’autre qu’un amas d’étoiles innombrables. » En fait, toutes les étoiles que nous voyons dans le ciel appartiennent à la Voie lactée, et les seuls objets visibles à l’œil nu qui ne lui appartiennent pas sont les deux Nuages de Magellan dans l’hémisphère austral, et la Galaxie d’Andromède dans l’hémisphère Nord.

1.1

Forme et dimensions de la Voie lactée

Il faudra attendre un siècle et demi après Galilée pour voir apparaître les premières idées sur la forme et les dimensions de la Voie lactée. Certes Thomas Wright (1711–1786), dans son ouvrage de 1750 An original Theory or new Hypothesis of the Universe, avait décrit la Voie lactée comme un système stellaire aplati à l’intérieur duquel nous nous trouvons, système qui ferait lui-même partie d’une immense coquille sphérique ; mais cela relève plus d’une cosmogonie de type médiéval que d’une véritable réflexion scientifique. D’autres, comme Emanuel Swedenborg (1688–1772), Immanuel Kant (1727– 1804) et Johann Heinrich Lambert (1728–1777), se limitent à des considérations du même ordre. Tous considèrent cependant que les étoiles de la Voie lactée doivent tourner autour d’un centre inconnu pour assurer la stabilité du système. Mais c’est à William Herschel (1738–1822) que l’on doit les premières études scientifiques sérieuses de la Galaxie.

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La Voie lactée

Herschel sait que certaines étoiles ne sont pas réellement fixes dans le ciel, mais sont animées d’un mouvement propre (déplacement latéral). Edmond Halley (1656–1742) avait soupçonné en 1718 qu’Aldébaran, Sirius et Arcturus pourraient être dans ce cas, et Jacques Cassini (1677–1756) avait établi en 1738 le déplacement d’Arcturus de façon irréfutable. En 1783, Herschel, qui a lui-même fait de nouvelles observations, remarque que la douzaine de mouvements propres stellaires alors bien connus montrent un déplacement dans une direction privilégiée. Il en conclut que c’est en fait le Soleil qui se dirige dans la direction opposée, l’apex, vers la constellation d’Hercule : c’est le début des études sur la cinématique des étoiles. Cependant, la vitesse de déplacement du Soleil vers l’apex est alors inconnue (elle est en fait de l’ordre de 20 km/s). Par ailleurs, Herschel est le premier à tenter d’obtenir une meilleure géométrie pour la Voie lactée, à partir du comptage d’étoiles dans différentes directions. Pour cela, il suppose que toutes les étoiles ont le même éclat intrinsèque, et donc que leur éclat apparent diminue comme le carré de leur distance, ce qui permet d’estimer cette distance au moins en valeur relative. Il suppose également que le nombre d’étoiles par unité de volume est partout le même. Les étoiles les plus faibles observées sont pour lui à la limite du système. Il obtient ainsi en 1784–1785 une géométrie à trois dimensions de la Galaxie, dont il représente une coupe perpendiculaire au plan de la Voie lactée dans le ciel (Figure 1.1). Il affirme que la Voie lactée s’étend dans ce plan de 800 fois la distance moyenne entre les étoiles, et seulement de 150 fois dans la direction perpendiculaire. Quant aux dimensions réelles, elles sont impossibles à obtenir à l’époque car on ne connaît la distance d’aucune autre étoile que le Soleil. On ne sait pas non plus quel est le rapport entre l’éclat apparent d’une étoile comme Sirius et celui du Soleil, ce qui aurait permis d’avoir une idée de la distance de l’étoile. Ce n’est qu’au cours de la première moitié du xixe siècle que l’on aura un début de réponse à ces questions.

Fig. 1.1 – Une coupe perpendiculaire au plan de la Voie lactée telle qu’elle apparaît dans le ciel. Vers la gauche, le manque d’étoiles, qui correspond à la section d’une bande obscure irrégulière qui sépare en deux la Voie lactée dans la direction du Sagittaire, est en fait dû à l’extinction par les poussières interstellaires, ce qu’ignorait Herschel. D’après Herschel, W. (1785) Philosophical Transactions 75, 213-266.

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1. Introduction

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Cependant, Herschel va avoir des doutes légitimes sur les hypothèses qu’il a dû faire dans ce travail : il se rend compte qu’il doit y avoir des étoiles plus faibles que ce que permettent de voir les télescopes, et que l’on ne peut donc pas atteindre réellement les limites de la Voie lactée. Dans ses derniers articles, qui datent de 1817–1818, il admet que « la Voie lactée est insondable ». Ce constat d’échec va ralentir les travaux ultérieurs, jusqu’à ce que l’astronome russe Otto Struve (1819–1905) les reprenne sur de nouvelles bases. Il reconnaît en 1847 que la densité des étoiles dans la Galaxie est loin d’être uniforme, contrairement à ce qu’avait supposé Herschel : elle diminue progressivement lorsqu’on s’éloigne du plan de la Voie lactée. Comme on dispose enfin de distances stellaires, on peut obtenir les dimensions du système, dont Struve affirme qu’il s’étend sur au moins 8,17 × 108 unités astronomiques, soit 1,2 × 1017 km, ou 13 000 années-lumière, ou 4 000 parsecs1 . Mais on n’en voit pas les limites puisque les étoiles les plus faibles échappent aux instruments d’observation. Enfin, Struve soupçonne la présence d’une extinction interstellaire, qui ferait que l’éclat d’une étoile diminuerait plus vite que le carré de sa distance. L’étape suivant la plus importante dans la description de la Galaxie est due à l’astronome hollandais Jacobus Cornelius Kapteyn (1851–1922), qui fait de son laboratoire de Groningue le principal centre d’études galactiques. Déjà, on dispose de catalogues d’étoiles profonds et assez complets, de catalogues de mouvements propres (déplacement sur le ciel) et de vitesses radiales (vitesse d’éloignement ou de rapprochement, obtenue à partir du déplacement des raies spectrales par effet Doppler-Fizeau), de photographies du ciel, etc. En 1906, Kapteyn lance un grand projet pour l’étude de la distribution des étoiles dans la Galaxie, qui consiste à mesurer l’éclat et à obtenir le spectre, la vitesse radiale et le mouvement propre des étoiles dans 206 zones du ciel (les selected areas). En attendant l’achèvement de ce projet qui impliquera la coopération de plus de 40 observatoires différents, Kapteyn s’attaque à son tour au problème de la géométrie et de la distribution des étoiles dans la Galaxie. Cette fois, il tient compte du fait que les étoiles n’ont pas toutes la même luminosité intrinsèque, mais qu’il y a toute une gamme de luminosités que l’on peut décrire par une fonction de luminosité. Il se trouve donc confronté à une difficulté nouvelle : la distribution de l’éclat apparent des étoiles dans une direction donnée est l’effet combiné de leurs luminosités différentes et de leurs distances différentes. Kapteyn va résoudre ce problème de façon très ingénieuse. Il illustre ses résultats sous la forme schématique de la Figure 1.2, qui représente son modèle final de 1922 : la Galaxie est pour lui un système ellipsoïdal aplati, où le Soleil occupe une position un peu excentrique. Ce modèle est certes plus schématique que celui d’Herschel, mais il représente un progrès 1. L’unité astronomique (UA) est le demi grand-axe de l’orbite terrestre, soit 1,496 × 1011 m. Le parsec est la distance sous laquelle on voit ce demi grand-axe sous un angle de 1 seconde de degré : 1 pc = 206 285 UA = 3,086 × 1016 m = 3,26 années-lumière.

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La Voie lactée

Fig. 1.2 – La Galaxie d’après Kapteyn en 1922. Elle est schématisée par des ellipsoïdes concentriques, où la densité diminue vers l’extérieur selon l’échelle relative de droite. Le Soleil occupe la position indiquée par un cercle. D’après Kapteyn, J.C. (1922) Astrophysical Journal 55, 302-328, avec l’autorisation de l’AAS.

considérable puisqu’il montre comment la densité d’étoiles diminue quand on s’éloigne du plan de la Voie lactée, et comporte une échelle de distances. Cependant, le modèle de Kapteyn s’est révélé grossièrement faux car, comme tous ses prédécesseurs, il n’a pas tenu compte du fait que la lumière des étoiles éloignées est fortement atténuée par l’extinction due au milieu interstellaire. Il avait pourtant supposé l’existence d’une telle extinction dans ses premiers travaux, mais l’avait rejetée par la suite. En 1904, Johannes Franz Hartmann (1865–1936), de l’Observatoire astrophysique de Potsdam, avait remarqué, dans le spectre de l’étoile δ Orionis, des raies d’absorption très étroites qu’il avait attribuées à des ions calcium situés dans des nuages de gaz interposés. En 1912, l’américain Vesto Slipher (1875–1969) découvrait les poussières interstellaires illuminées par les étoiles des Pléiades, et suggérait que ces poussières pourraient bien atténuer la lumière des étoiles situées à l’arrière. Enfin, les photographies de Edward E. Barnard (1857–1923) et de Max Wolf (1863–1932) avaient montré l’existence de régions de la Voie lactée apparemment dépourvues d’étoiles, ce que l’on attribua vers la fin des années 1910 à la présence de nuages de poussières opaques. On commençait à interpréter la bande sombre qui paraît séparer en deux la Voie lactée non plus par une absence d’étoiles, mais par l’extinction par les poussières. Il devait revenir à un astronome suisse-américain, Robert J. Trumpler (1886–1956), de donner en 1930 une image définitive de la Galaxie. Trumpler remarque pour commencer que le diamètre angulaire des amas stellaires ouverts2 lointains, qui se trouvent tout près du plan de la Galaxie, paraît anormalement grand, si du moins ils sont à la distance que l’on peut déduire de leur luminosité. Mais s’il existe une extinction interstellaire, leur distance est en fait plus petite et tout rentre dans l’ordre. Trumpler en déduit une valeur numérique de l’extinction par unité de distance dans le plan de la Voie lactée. Il examine ensuite la distribution des amas stellaires globulaires, dont la 2. Voir l’encadré à la fin de ce chapitre pour la définition des différents objets rencontrés dans la Galaxie, avec des exemples en image.

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plupart sont loin de ce plan : ils doivent donc être peu affectés par l’extinction interstellaire, laquelle est visiblement concentrée au voisinage du plan galactique. Harlow Shapley (1885–1972) avait montré précédemment que ces amas étaient presque tous groupés dans une moitié du ciel, et formaient un système sphérique dont le centre se trouvait loin du Soleil, dans la direction de la constellation du Sagittaire. Il avait estimé leur distance grâce aux étoiles variables qu’ils contiennent (les RR Lyrae) et avait conclu que, si ces amas appartenaient bien à la Galaxie, le centre de leur système était aussi celui de la Galaxie et devait se trouver à environ 20 000 parsecs. Trumpler révise quelque peu cette distance, dont la valeur estimée actuellement est d’environ 8 000 pc. Il résulte de ces études un modèle de la Galaxie qui est celui que nous adoptons encore (Figure 1.3).

Fig. 1.3 – La Galaxie vue en coupe, d’après Shapley et Trumpler. La courbe en traits interrompus englobe l’essentiel des étoiles et de la matière interstellaire. L’ellipse hachurée est la Galaxie de Kapteyn, limitée en fait par l’extinction interstellaire, avec le Soleil presque au centre. Les petits cercles symbolisent les amas globulaires. D’après Trumpler, R.J. (1941) Publications of the Astronomical Society of the Pacific 53, 155-165, avec l’autorisation de l’ASP. Les astronomes de l’époque ne manquent pas de constater que la Galaxie ressemble beaucoup à la Nébuleuse d’Andromède et à bien d’autres objets du même genre. Ils réalisent donc pleinement que la Voie lactée n’est qu’une

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galaxie parmi d’autres, et que le Soleil, loin d’en occuper le centre, se trouve dans une région extérieure.

1.2

Rotation et structure spirale

Il nous faut maintenant dire quelques mots des mouvements dans la Galaxie. Lorsque suffisamment de vitesses radiales d’amas globulaires et de galaxies ont été mesurées, dans les années 1920, on se rend compte que l’ensemble des étoiles voisines du Soleil se déplace avec une vitesse énorme, de l’ordre de 300 km/s, par rapport à la moyenne de tous ces objets : on a découvert la rotation de la Galaxie, qui maintient ses différentes parties – dont le voisinage solaire – en équilibre entre l’attraction gravitationnelle des régions centrales et la force centrifuge. L’astronome suédois Bertil Lindblad (1895–1965) et son collègue hollandais Jan Oort (1900–1992) montrent que le disque de la Galaxie ne tourne pas comme un corps solide, mais en se déformant, si bien que les régions intérieures au Soleil tournent plus vite que les régions extérieures : c’est la rotation différentielle. Ils comprennent ainsi un phénomène découvert précédemment par Kapteyn. Celui-ci avait observé que les étoiles du voisinage solaire forment deux courants opposés perpendiculaires à la direction du Sagittaire, dont nous avons dit que c’est celle du Centre galactique : ces deux courants sont la manifestation de la rotation différentielle. Grâce à l’étude de la rotation de la Galaxie, on peut maintenant avoir une idée de sa masse. Un événement majeur pour l’astronomie galactique, et pour l’astronomie en général, survient en 1951: la découverte de l’émission radio des atomes d’hydrogène interstellaire à la longueur d’onde bien déterminée de 21 cm, la raie à 21 cm. Prévue par le physicien hollandais Hendrick van de Hulst (1918– 2000) et découverte par les américains Harold I. Ewen (né en 1922) et Edward M. Purcell (1912–1997), cette raie permet enfin d’accéder à l’ensemble de la Galaxie, car il n’y a pas d’extinction interstellaire pour les ondes radio. Par ailleurs, il est possible de connaître la vitesse radiale des régions émettrices grâce au décalage de la raie par effet Doppler-Fizeau. On peut ainsi pour la première fois connaître la vitesse de rotation de la Galaxie en fonction de la distance au Centre galactique (ce que les spécialistes appellent la courbe de rotation), et en dresser la première carte d’ensemble, du moins celle du gaz interstellaire dont la composition chimique est dominée par l’hydrogène (Figure 1.4). On y voit des bras spiraux, dont les plus proches de nous n’avaient qu’été soupçonnés par les observations optiques : ceci confirme la similarité de notre Galaxie avec les galaxies spirales. En 1970, la découverte des raies radio de la molécule CO interstellaire a ouvert de nouveaux horizons pour notre connaissance de la Galaxie : en effet, cette molécule s’est révélée être un excellent traceur du gaz moléculaire, dominé par la molécule d’hydrogène H2 qui est malheureusement très difficile à observer. De très gros efforts observationnels ont été faits pour cartographier les raies de CO dans l’ensemble de la Galaxie, bien qu’étant dans le

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Fig. 1.4 – La première carte complète de la Galaxie dans la raie à 21 cm de l’hydrogène atomique interstellaire. C est le Centre galactique ; le Soleil est à 8 kpc au-dessus. Les niveaux de gris indiquent la densité de l’hydrogène. La structure spirale est visible, mais les détails sont encore discutés car les distances sont obtenues à partir des vitesses radiales en admettant une courbe de rotation, à partir de laquelle peuvent exister des déviations locales de vitesse. Le système de coordonnées galactiques utilisé ici n’est plus en usage aujourd’hui. D’après Oort, J.H., Kerr, F.T. & Westerhout, G. (1958) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 118, 379-389 avec l’autorisation de Wiley. domaine des ondes millimétriques (2,6 et 1,3 mm de longueur d’onde), elles soient moins faciles à observer que la raie à 21 cm. La Figure 1.5 montre une comparaison entre une image visible de la moitié intérieure de la Galaxie et la distribution de la molécule CO dans la même région. On observe une parfaite correspondance entre les marques d’absorption dues à la poussière interstellaire et le gaz moléculaire. L’avantage de l’observation de la molécule CO est

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que l’on peut connaître les distances à partir du décalage Doppler-Fizeau de la raie, comme avec la raie à 21 cm, et que l’on peut obtenir la masse du gaz moléculaire, qui est supérieure à celle du gaz atomique dans l’ensemble de la Galaxie.

Fig. 1.5 – Comparaison de l’extinction par les poussières interstellaires et de la distribution de la molécule CO interstellaire. En haut, une mosaïque de photographies de la moitié de la Voie lactée centrée sur la direction du Centre galactique, qui est l’origine des coordonnées superposées à l’image. En bas, une carte obtenue dans la raie de CO à 2,6 mm de longueur d’onde. La ressemblance avec les marques d’absorption visible est frappante, ce qui montre que molécules et poussières interstellaires sont bien mélangées. D’après Dame, T.M., Hartmann, D. & Thaddeus, P. (2001) Astrophysical Journal 547, 792-813, avec l’autorisation de l’AAS. La radioastronomie – qui est l’étude de l’Univers en ondes radio – est également mise à profit pour observer les nébuleuses gazeuses. En effet, cellesci émettent non seulement dans le domaine visible un continuum et des raies à des longueurs d’onde bien définies, mais aussi en radio un continuum et des raies dont on peut mesurer le décalage en longueur d’onde : leur observation permet d’avoir des informations sur les nébuleuses lointaines qui sont invisibles optiquement, et notamment d’obtenir leur distance de la même façon que pour les nuages d’hydrogène interstellaire. Or, on sait par l’observation des galaxies extérieures que les nébuleuses gazeuses sont d’excellents traceurs des bras spiraux. C’est ainsi qu’Yvon et Yvonne Georgelin obtiennent en 1976 la carte des bras spiraux de la Galaxie, dont une version récente mais peu différente est reproduite sur la Figure 1.6. La Figure 1.7 est une photographie d’une galaxie extérieure que l’on considère généralement comme étant jumelle de notre Galaxie.

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Fig. 1.6 – Carte des bras spiraux de la Galaxie obtenue à partir de l’observation des nébuleuses gazeuses. La position du Soleil, supposé être ici à 8,5 kpc du Centre galactique (position 0,0) est représentée par une étoile. Les symboles représentent les nébuleuses de distance connue, la taille du symbole étant liée au flux ultraviolet lointain qui ionise le gaz. Le meilleur ajustement des positions des régions HII est donné par une spirale logarithmique à 4 bras. La barre centrale de la Galaxie est schématisée par la ligne en tiret-point-point. Le bras local est indiqué par le trait à tirets longs, et une déviation prévue du bras intérieur (Sagittaire-Carène) est indiqué par le trait en tirets courts. Comparer à la Figure 1.4, où le tracé des bras est moins fiable. Voir aussi plus loin la Figure 3.4. D’après Russeil, D. (2003) Astronomy & Astrophysics 397, 133-146 avec l’autorisation de l’ESO.

D’où provient la structure spirale des galaxies ? Depuis sa découverte par Lord Rosse (1800–1867) au milieu du xixe siècle, on s’est interrogé sur son origine. L’existence de la rotation différentielle des galaxies n’a fait qu’aggraver l’incompréhension : en effet, puisque les galaxies spirales tournent sur elles-mêmes en se déformant, toute structure matérielle à grande échelle est détruite par cette déformation en un temps court par rapport à l’âge de l’Univers. L’abondance des galaxies spirales a alors de quoi surprendre si les bras sont des structures matérielles entraînées par la rotation. Il devient clair que,

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Fig. 1.7 – La galaxie NGC 6744, une jumelle de notre Galaxie. Les bras spiraux sont nombreux et assez mal définis. Remarquer la barre et l’anneau dans les régions c ESO. centrales.  pour survivre, les bras ne doivent pas suivre la rotation. Une solution satisfaisante au problème des bras spiraux est enfin apportée en 1964 par les astronomes sino-américains Chia-Chiao Lin et Frank Shu : ils montrent que les bras sont des zones de compression temporaire de la matière du disque, c’est-à-dire des ondes de densité assez semblables à des ondes sonores. Ces ondes tournent sans se déformer, et sont traversées plus ou moins vite par le gaz selon sa propre vitesse de rotation. Lorsque le gaz entre dans l’onde de densité, sa compression favorise la formation de molécules et engendre l’effondrement gravitationnel d’une fraction des nuages : ainsi les bras spiraux sont non seulement des régions de compression du milieu interstellaire, mais aussi des régions où abonde le gaz moléculaire, au sein duquel se forment les étoiles. Les plus massives de ces jeunes étoiles ionisent le gaz avoisinant, formant ainsi les nébuleuses gazeuses. Tout ceci est vérifié par l’observation : en particulier, on constate des écarts à la rotation du gaz lorsqu’il pénètre dans les bras spiraux. Reste à savoir comment sont créées les ondes de densité : nous en reparlerons au Chapitre 5.

1.3

La Voie lactée à toutes les longueurs d’onde

On peut aujourd’hui observer la Voie lactée dans l’ensemble du domaine électromagnétique. La Figure 1.8 montre son aspect à différentes longueurs

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radio

Fig. 1.8 – La Voie lactée à diverses longueurs d’onde (NASA-Goddard Space Flight Center). Les images montrent une bande de ±5◦ de part et d’autre du plan galactique. Le Centre galactique est au milieu, et la longitude galactique l croît de −180◦ à +180◦ de droite à gauche. La région du Cygne est à l ≈ 90◦ et la région de Vela à l ≈ − 90◦ . La longueur d’onde décroît du haut en bas de la figure. L’intensité est représentée par de fausses couleurs dans plusieurs de ces images. Les références observationnelles sont indiquées à droite, et les mécanismes d’émission sont détaillés ci-dessous. – Continuum radio basse fréquence : émission synchrotron par les électrons relativistes faisant partie des « rayons cosmiques », dans le champ magnétique galactique. – Gaz atomique : tracé par la raie de l’hydrogène atomique à 21 cm. – Continuum radio haute fréquence : émission continue free-free du gaz interstellaire ionisé. – Gaz moléculaire : tracé par l’émission de raie à 115 GHz de la molécule CO. – Infrarouge lointain : émission thermique des poussières interstellaires. – Infrarouge proche : émission par les étoiles, non affectée par l’extinction interstellaire. – Visible : émission par les étoiles, fortement affectée par l’extinction interstellaire. – Rayons X : émission par le gaz interstellaire très chaud et par certaines étoiles, partiellement affectée par l’absorption par le gaz interstellaire. – Rayons gamma : émis par l’interaction entre les protons de haute énergie du « rayonnement cosmique » avec les noyaux interstellaires, et par le rayonnement de freinage des électrons cosmiques passant près des noyaux.

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d’onde, avec indication du mécanisme d’émission dominant dans chaque cas. Remarquons que le milieu interstellaire est transparent aux ondes radio et à l’infrarouge, et qu’il devient progressivement opaque lorsqu’on arrive au domaine visible, ultraviolet et X, pour redevenir transparent pour les X durs et les rayons gamma. Notons par ailleurs que les poussières interstellaires absorbent la moitié environ de l’énergie du rayonnement stellaire de la Galaxie, puis la rayonnent dans l’infrarouge lointain.

1.4

L’apport du satellite HIPPARCOS

L’événement récent le plus important pour notre connaissance de la Voie lactée est le lancement en 1989 du satellite astrométrique HIPPARCOS par l’Agence spatiale européenne. Certes, on avait fait précédemment – et on fait toujours – de très importantes et patientes études de l’éclat, du mouvement propre et de la distance de très nombreuses étoiles, mais HIPPARCOS devait révolutionner ces études en obtenant la distance de 120 000 étoiles avec une précision meilleure que 1 % pour celles qui sont situées à moins d’une cinquantaine de parsecs, et meilleure que 10 % jusqu’à 250 parsecs, et même 400 parsecs pour certaines d’entre elles. Le mouvement propre de ces étoiles a été obtenu soit par le satellite lui-même qui a fonctionné pendant plus de trois ans, soit en combinant pendant un plus grand laps de temps les positions d’HIPPARCOS avec les positions mesurées depuis le sol. De plus, la position de deux millions et demi d’étoiles a été mesurée avec une précision moindre, tandis que leur éclat a été déterminé. Ces données ont profondément renouvelé notre connaissance du voisinage du Soleil, et fourni une meilleure base pour l’obtention des distances dans l’Univers. Manquent les vitesses radiales qui sont nécessaires pour connaître le mouvement des étoiles dans les trois dimensions, mais beaucoup d’observations complémentaires sont faites pour les obtenir. HIPPARCOS aura un successeur, GAIA, qui devrait être lancé en 2013 et mesurera les distances d’un milliard d’étoiles avec une précision 100 fois supérieure à celle d’HIPPARCOS, ce qui permettra de couvrir toute la Galaxie. GAIA sera équipé d’un spectrophotomètre et aussi d’un spectromètre qui mesurera la vitesse radiale de dizaines de millions d’étoiles : ce sera un instrument incomparable pour une étude plus complète des étoiles de la Voie lactée. Encadré 1.1. Amas et nébuleuses Nous donnons ici une définition illustrée des principaux objets que l’on rencontre dans la Galaxie en dehors des étoiles. Amas ouvert (dit aussi amas galactique) : groupe d’étoiles nées à peu près simultanément, situé près du plan de la Galaxie et généralement jeune, car ces étoiles finissent le plus souvent par se disperser (Fig. E1.1).

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Fig. E1.1 – L’amas ouvert NGC 3603. Cet amas est le plus important de la Galaxie, et devrait se transformer progressivement en amas globulaire dans quelques centaines de millions d’années, lorsque ses étoiles les plus massives et les plus lumineuses auront disparu. L’image est dans l’infrarouge, car l’extinction interstellaire, très forte dans cette direction, empêche de bien voir l’amas c ESO. en lumière visible.  Amas globulaire : ensemble d’étoiles nées à peu près simultanément, dont la grande masse totale a assuré la stabilité vis-à-vis de la dispersion : seuls les amas ouverts les plus denses et les plus populeux subsisteront comme amas globulaires. Les amas globulaires observés dans la Galaxie sont généralement très vieux et forment un système sensiblement sphérique (Fig. E1.2).

Fig. E1.2 – L’amas globulaire 47 Tucanae. Situé dans l’hémisphère austral, cet c Hubble Space Telescope amas est un des plus spectaculaires de notre Galaxie.  Heritage.

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Nébuleuse gazeuse (dite aussi Région HII ) : masse de gaz interstellaire ionisé par des étoiles massives et très chaudes (Fig. E1.3 bas).

Fig. E1.3 – En bas, la Nébuleuse trifide est une nébuleuse gazeuse ionisée par le rayonnement ultraviolet d’étoiles chaudes peu visibles sur l’image. Sa couleur rouge est due à l’émission de la raie Hα de l’hydrogène. Au-dessus, une nébuleuse par réflexion, dont les poussières sont illuminées par une étoile bien visible. La diffusion de la lumière fait qu’elle est plus bleue que l’étoile. c ESO. 

Nébuleuse par réflexion : masse de matière interstellaire rendue visible par la diffusion par ses poussières de la lumière d’une étoile lumineuse située à l’intérieur ou à proximité (Fig. E1.3 haut). Nébuleuse obscure (dite aussi nuage sombre, ou nuage moléculaire) : masse de gaz et de poussières opaque à la lumière, où le gaz se trouve principalement sous forme de molécules (Fig. E1.4).

Fig. E1.4 – Le globule B68, un petit nuage sombre. À gauche, image en lumière visible où la poussière absorbe complètement la lumière des étoiles situées à l’arrière. À droite, image en infrarouge où l’on peut voir ces étoiles, l’extinction par c ESO. la poussière étant beaucoup plus faible. 

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Nuage interstellaire : masse de gaz et de poussières dans le milieu interstellaire, où le gaz peut être soit sous forme d’atomes (nuage HI ), soit sous forme de molécules (nuage moléculaire). Ces nuages sont en général des entités mal définies, de structure complexe et très fragmentée, si bien qu’il ne faut pas prendre ce terme à la lettre (Fig.E1.5).

Fig. E1.5 – Carte de l’hydrogène neutre dans un champ de 3◦ × 3◦ de la constellation de Persée (dimensions approximatives 130 × 130 pc à la distance de l’essentiel du gaz). On remarque des concentrations que l’on pourrait qualifier de nuages de gaz atomique, mais la carte est dominée par des structures en c Dominion Astrophysical Observatory. nappes ou en filaments. 

Nébuleuse planétaire : masse de gaz éjectée par une étoile peu massive à la fin de son évolution, et ionisée partiellement par le rayonnement du reste très chaud de l’étoile (Fig. E1.6).

Fig. E1.6 – La nébuleuse planétaire M 57. Remarquez l’étoile centrale qui a c Hubble Space Telescope Heritage. éjecté l’enveloppe et qui l’ionise. 

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Reste de supernova : gaz éjecté par une étoile massive lors de son explosion finale, dont la masse s’accroît progressivement de la matière interstellaire rencontrée au cours de son expansion (Fig. E1.7).

Fig. E1.7 – Le reste de supernova Cassiopeia A. Les filaments ont été éjectés il c Hubble y a environ 350 ans par l’explosion d’une étoile maintenant invisible.  Space Telescope Heritage. Bulle interstellaire : coquille gazeuse en expansion, de grandes dimensions, résultant des vents émis par les étoiles d’un amas ouvert central et de l’explosion comme supernovae des étoiles les plus massives de cet amas (Fig. E1.8).

Fig. E1.8 – La bulle interstellaire N70 dans le Grand Nuage de Magellan, gac ESO. laxie satellite de la nôtre. 

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Chapitre 2 Le voisinage du Soleil Le voisinage du Soleil est évidemment la région la mieux connue de la Galaxie. On y dispose d’un relevé à peu près complet des étoiles plus proches que 25 parsecs (sauf en ce qui concerne les étoiles naines brunes qui sont extrêmement peu lumineuses), et la distance et le mouvement propre des étoiles sont bien déterminés jusqu’à un rayon de 100 parsecs ; des vitesses radiales sont également disponibles, mais en nombre bien plus restreint que les mouvements propres. Enfin, on a pu étudier en détail le milieu interstellaire local. Cependant, le voisinage du Soleil est un endroit relativement calme de la Galaxie, loin des bras spiraux ; on n’y trouve aucune étoile très jeune et très massive, et la nébuleuse gazeuse la plus proche, la Nébuleuse d’Orion, se trouve à 500 parsecs de nous. Avant d’aborder l’étude de cette région, il nous faut donner quelques bases sur les étoiles en général.

2.1

Les paramètres fondamentaux des étoiles et le diagramme de Hertzprung-Russell

La distribution spectrale du rayonnement des étoiles n’est pas très différente de celle d’un corps noir. On a donc pris l’habitude d’exprimer la luminosité L de l’étoile, c’est-à-dire l’énergie totale qu’elle émet par rayonnement, sous la forme d’une température effective Teff , qui est la température qu’aurait un corps noir fictif de mêmes dimensions que l’étoile émettant cette luminosité. On a donc la relation suivante entre L, Teff et le rayon R de l’étoile : 4 , L = 4πR2 σTeff

(2.1)

où σ est la constante de Stefan-Boltzmann. Il est cependant difficile d’obtenir directement L, Teff et R. Une détermination précise de la température effective requiert la mesure quantitative de la distribution spectrale du rayonnement de l’étoile de l’ultraviolet lointain à l’infrarouge moyen, ce qui nécessite des observations au sol bien corrigées de l’absorption atmosphérique et des observations à partir de véhicules spatiaux. On mesure du même coup la luminosité

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apparente de l’étoile, c’est-à-dire la puissance que l’on en reçoit par unité de surface au dessus de l’atmosphère terrestre ; mais il faut connaître la distance pour en déduire la luminosité absolue L. Les observations d’étoiles de différents types ont permis d’obtenir une relation entre leur couleur dans le domaine visible et leur température effective, si bien qu’il est suffisant de mesurer la couleur d’une étoile pour en déduire une valeur approximative de Teff . Cette couleur est définie à partir de mesures de flux à travers des filtres colorés. Il existe plusieurs systèmes photométriques, mais nous ne parlerons ici que du système de Johnson, le plus classique. Les flux sont généralement exprimés dans une échelle logarithmique de magnitudes, qui est la version quantitative du vieux système de « grandeurs » des étoiles. Si e(λ) est l’éclairement monochromatique dû à l’étoile en dehors de l’atmosphère terrestre, la magnitude correspondante à la longueur d’onde λ est : m(λ) = −2, 5 log e(λ)/e0 (λ), (2.2) où la constante e0 (λ) définit la magnitude zéro. Dans la pratique, la mesure se fait dans une bande spectrale plus ou moins large définie par un filtre coloré, et il faut intégrer l’équation ci-dessus sur cette bande. Les filtres les plus utilisés dans les études de la Galaxie sont le filtre B (bleu), centré à 440 nm, et du filtre V (visuel) centré à 550 nm, ainsi que les filtres infrarouges J (1,22 μm), H (1,63 μm) et K (2,19 μm). La couleur B-V (B et V désignant cette fois les magnitudes dans les filtres correspondants) des étoiles, ainsi que l’aspect de leur spectre qui permet de définir leur type spectral, sont liés à leur température effective. Quant à leur luminosité intrinsèque à une longueur d’onde donnée, par exemple dans le filtre V , on l’exprime sous la forme de la magnitude absolue M , par exemple MV dans le filtre V . Par définition, la magnitude absolue est égale à la magnitude apparente qu’aurait en dehors de l’atmosphère l’étoile à une distance de 10 parsecs. On a donc entre magnitude apparente m et magnitude absolue M la relation : M = m + 5 + 5 log D, (2.3) D étant la distance en parsecs. En particulier, cette relation s’applique entre les magnitudes MV et V . La Table A.1 de l’Annexe A donne la couleur B-V , la température effective, la magnitude absolue MV et la luminosité absolue L pour les étoiles des différents types. Pour obtenir le rayon d’une étoile et sa luminosité absolue, il faut connaître sa distance. Celle-ci peut être déterminée de trois façons différentes : – par mesure de la parallaxe géométrique. Une étoile paraît décrire au cours de l’année une ellipse par rapport à des objets très lointains comme les galaxies ou les quasars, en raison de l’effet de parallaxe dû au mouvement orbital de la Terre. Le demi-grand axe de cette ellipse, qui est la parallaxe π, est égal à 1 seconde de degré pour une étoile située à une distance de 1 parsec.

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2. Le voisinage du Soleil

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Le satellite européen HIPPARCOS a pu mesurer les parallaxes géométriques d’un très grand nombre d’étoiles avec une précision meilleure que 0,001 » : la distance de ces étoiles est ainsi connue avec une précision meilleure que 10 % jusqu’à une distance de 100 pc ; – par mesure de la moyenne du mouvement propre sur le ciel d’étoiles dont on pense qu’elles appartiennent à un groupe commun (parallaxe statistique). Ce mouvement propre μ, exprimé en seconde de degré par an, est alors dirigé en direction opposée au déplacement du Soleil par rapport à la moyenne des étoiles voisines : c’est ce qu’a découvert Herschel (voir le Chapitre 1) sans qu’il puisse donner une valeur numérique à la vitesse du Soleil. Le mouvement propre est évidemment d’autant plus petit que la distance des étoiles observées est plus grande. Pour des étoiles situées à 42 pc dans une direction perpendiculaire à celle de l’apex, le mouvement propre est de 0,1 /an, ce qui est aisément mesurable. La méthode n’est pas applicable à des étoiles isolées, qui ont des mouvements aléatoires trop élevés ; – en comparant l’éclat de deux étoiles de caractéristiques observationnelles identiques, dont la distance de la plus proche est connue grâce à une des méthodes précédentes : on peut alors obtenir aisément celle de la plus lointaine, après correction des effets de l’extinction par le milieu interstellaire (parallaxe photométrique). Si l’on porte en fonction de la couleur B-V la magnitude absolue MV de nombreuses étoiles, on obtient le diagramme de Hertzprung-Russell (diagramme HR), du nom des astronomes qui ont popularisé les premiers diagrammes de ce genre. La Figure 2.1 montre deux versions du diagramme HR d’étoiles relativement proches dans la Galaxie. On constate que les points représentatifs des étoiles ne sont pas distribués au hasard sur ce diagramme, mais que la plupart se groupent sur une séquence dite séquence principale, où les étoiles séjournent pendant les neuf dixièmes environ de leur vie. Une autre branche se détache de cette séquence : la luminosité y croît avec B-V , donc à mesure que l’étoile est plus froide. Ce qui différencie ces étoiles de celles de la séquence principale de même couleur, c’est leur luminosité donc leur rayon plus grand à couleur, donc à température donnée : ce sont les géantes rouges, qui se trouvent dans une phase d’évolution plus rapide que sur la séquence principale. La Figure 2.2 permet d’identifier les différents types d’étoiles dans le diagramme HR. On peut transformer le diagramme B-V , MV en un diagramme où l’on porte L en fonction de Teff , obtenant ainsi le diagramme HR « théorique », que l’on peut plus aisément comparer aux résultats des modèles d’évolution stellaire. La masse des étoiles ne peut être bien connue que par l’observation d’étoiles doubles à éclipses, dont l’une des composantes passe alternativement devant et dernière l’autre en produisant des variations d’éclat du système : nous sommes alors assurés que nous nous trouvons à peu près dans le plan de l’orbite de ces étoiles. Ayant mesuré la vitesse d’éloignement ou de rapprochement

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Fig. 2.1 – À gauche, le diagramme de Hertzprung-Russell (diagramme HR) obtenu c ESA. par le satellite HIPPARCOS pour les étoiles les plus brillantes du ciel :  Il porte sur 4907 étoiles dont la distance est connue à mieux que 5 % près. Les couleurs indiquent les points représentatifs pour lesquels il y a plus d’une étoile. Pour identifier les diffèrents types d’étoiles, voir la Figure 2.2. À droite, le diagramme HR obtenu par HIPPARCOS pour 1924 étoiles à moins de 25 parsecs du Soleil c ESA. Comme cet (l’échelle des ordonnées est différente) : d’après Jahreiss, H.  échantillon est sensiblement complet, sauf pour les étoiles naines les plus faibles, les naines blanches et les étoiles à neutrons, il donne une meilleure idée de la proportion des différents types d’étoiles : noter en particulier le petit nombre de géantes et la grande quantité de naines blanches.

des composantes par effet Doppler-Fizeau appliqué à leurs raies spectrales, on peut appliquer les lois de Kepler pour obtenir la masse des deux étoiles individuelles. La comparaison des masses ainsi obtenues avec les luminosités donne un résultat remarquable : pour les étoiles de la séquence principale, la masse est étroitement liée à la luminosité (Figure 2.3). Plus l’étoile est massive, plus elle est lumineuse. On en déduit une propriété importante : la durée de vie sur la séquence principale est d’autant plus courte que la masse est plus grande. En effet, cette durée varie comme le rapport de la masse (la réserve d’énergie) avec la luminosité (le débit d’énergie). Ainsi, la durée de vie du Soleil est de l’ordre de 10 milliards d’années, mais celle d’une étoile de 10 M (masse solaire), dont la luminosité est environ 10 000 fois plus élevée, n’est que de 10 millions d’années environ. La Table A.2 de l’Annexe A donne la luminosité et la température effective des étoiles au début de la séquence principale (séquence principale d’âge zéro,

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Fig. 2.2 – Diagramme de Hertzprung-Russell où sont portés de façon schématique les zones représentatives des différents types d’étoiles et leur tracé d’évolution. En comparant avec les diagrammes HR de la Figure 2.1, qui sont relatifs au voisinage du Soleil, on constatera que cette région de la Galaxie ne comporte aucune étoile massive : étoile O, supergéante, céphéide, étoile de Wolf-Rayet, etc.

voir la Figure 2.2), et leur durée de vie sur cette séquence. Ces quantités dépendent quelque peu de la composition chimique de l’étoile et sont établies pour une composition voisine de celle du Soleil. On remarque que la durée de vie sur la séquence principale est de l’ordre de l’âge de l’Univers (1, 4 × 1010 ans) pour une étoile de masse 0,9 M : donc toutes les étoiles de masse inférieure sont encore sur la séquence principale, tandis que celles de masse plus grande formées il y a 1, 4 × 1010 ans ont eu le temps d’évoluer et de devenir géantes rouges puis objets compacts (naines blanches, étoiles à neutrons ou trous noirs selon le cas). Il est important de garder ceci en mémoire lorsqu’on considère le contenu stellaire de notre Galaxie.

2.2

Le disque stellaire local

L’étude de la cinématique des étoiles du voisinage solaire montre qu’elles sont animées non seulement d’un mouvement général de rotation différentielle autour du Centre galactique, mais aussi de mouvements aléatoires, comme les

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Fig. 2.3 – La relation masse-luminosité pour des binaires à éclipses dont les raies spectrales sont observables pour chacune des deux composantes. La luminosité et la masse sont en unités solaires, et l’emplacement du Soleil est marqué par une croix. D’après Zahn, J.-P., dans Lequeux et al. (2008).

particules d’un gaz. Cependant, la dispersion des vitesses n’a pas de raison d’être isotrope comme dans un gaz collisionnel, et elle ne l’est effectivement pas. De plus, elle augmente avec l’âge des étoiles car celles-ci sont accélérées par différents processus : collision avec les nuages moléculaires dont la masse est très grande, et surtout passage d’un bras spiral, qui est une onde de densité. Intéressons-nous d’abord au mouvement des étoiles perpendiculairement au plan galactique. Une étoile du voisinage solaire exécute des oscillations sensiblement périodiques (mais non sinusoïdales) de part et d’autre de ce plan, la force de rappel Kz étant l’attraction gravitationnelle du disque galactique, laquelle varie avec la distance au plan de symétrie de ce disque. Nous allons voir comment déterminer Kz . Une fois cette force connue, on peut, en principe, obtenir la densité de masse locale ρ par l’équation de Poisson : ρ = −1/4πG∂Kz/∂z,

(2.4)

en négligeant en première approximation les deux autres composantes de la force gravitationnelle, le disque ayant un rapport diamètre/épaisseur très grand. Une étoile de vitesse verticale v0 dans le plan de symétrie atteindra une vitesse v(z) à l’altitude z. On a, en appliquant le théorème de conservation de l’énergie : z

v02 = vz2 − 2 ∫ Kz (z)dz.

(2.5)

0

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On peut déduire Kz (z) d’une statistique sur la densité des étoiles en fonction de z et de la loi de distribution de leurs vitesses, comme l’a fait Oort dès 1932. Il faut pour cela supposer que les étoiles forment un ensemble homogène « bien mêlé », c’est-à-dire qu’il y a autant d’étoiles qui se rapprochent du plan galactique que d’étoiles qui s’en éloignent, et que la distribution de leurs vitesses est indépendante de z, c’est-à-dire que le « gaz stellaire » est isotherme dans la direction verticale. Une autre difficulté du problème est qu’il faut être sûr que des masses voisines importantes, par exemple celle d’un bras spiral, ne viennent pas perturber le potentiel gravitationnel. Il faut enfin s’assurer que l’échantillon utilisé est complet, ou pouvoir corriger de son incomplétude, ce qui est souvent difficile à réaliser. La vitesse verticale de chaque étoile peut être obtenue directement, soit en mesurant la vitesse radiale d’un échantillon proche des pôles galactiques, soit en mesurant le mouvement propre d’étoiles éloignées des pôles et en utilisant leur distance, qui est requise de toute façon. Dans les deux cas, il faut bien entendu corriger du mouvement particulier du Soleil et de sa distance au plan de symétrie du disque, qui est heureusement faible (environ 20 pc du côté Nord du plan). Supposons ces conditions réunies. Soit φ (z, v)dzdv la densité dans l’espace des phases, c’est-à-dire le nombre d’étoiles dont la vitesse selon z est comprise entre v et v+dv et la distance au plan galactique est comprise entre z et z+dz. Le nombre n(z) d’étoiles par unité de volume à la distance z est : +∞

n(z) = ∫ φ(z, v)dv.

(2.6)

−∞

Pour un système bien mêlé, le théorème de Liouville indique que la densité dans l’espace des phases est constante, donc : (2.7)

φ(z, v) = φ(0, v0 ).

Supposons que la distribution des vitesses en z est gaussienne avec une dispersion σ (on pourrait aussi résoudre le problème avec une distribution de vitesses de forme quelconque). On a pour z = 0 : φ(0, v0 ) = n(0)[(2π)1/2 σ]−1 exp(−v02 /2σ 2 ), donc

(2.8) z

φ(z, v) = n(0)[(2π)1/2 σ]−1 exp[−v 2 /2σ 2 + 1/σ 2 ∫ Kz (z)dz], d’où

(2.9)

0

z

n(z) = n(0) exp[1/σ 2 ∫ Kz (z)dz].

(2.10)

0

Ainsi, si l’on connaît la dispersion de vitesses, et la densité en fonction de la distance au plan galactique, on peut obtenir Kz (z) en résolvant l’équation intégrale (2.10). De nombreuses déterminations de Kz (z) ont été faites ainsi depuis Oort, avec des résultats souvent controversés : en particulier, lorsqu’on considère des étoiles assez loin du plan galactique, il devient difficile de séparer leurs mouvements verticaux de leurs mouvements dans les deux autres

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coordonnées. Il en est de même lorsqu’on se trouve près d’un bras spiral, dont la masse perturbe le potentiel moyen du disque. Nous ne mentionnerons ici qu’une détermination qui repose entièrement sur les données d’HIPPARCOS. Elle est due à Michel Crézé et à ses collègues de l’Observatoire de Strasbourg. Ce n’est pas la plus récente, mais elle a le mérite de la simplicité. Elle utilise un échantillon complet d’environ 3000 étoiles A dans un rayon de 125 parsecs, dont la distance est bien connue. La distribution de leurs vitesses verticales est déterminée à partir du mouvement propre en z d’étoiles à basse latitude galactique. Le potentiel gravitationnel du disque est pris de la forme Φ(z) = αz 2 , ce qui est une approximation suffisante pour les petites valeurs de z considérées. La force de rappel est donc Kz (z) = dΦ(z)/dz = 2αz en valeur absolue, d’où la densité locale ρ0 = α/2πG d’après l’équation (2.4). On obtient numériquement : ρ0 = 0, 076 ± 0, 015 M pc−3 .

(2.11)

Comparons cette valeur obtenue par la dynamique avec les estimations que l’on peut obtenir par l’examen direct des composantes du voisinage solaire. Les comptages d’étoiles dans la séquence principale et le diagramme HR de la Figure 2.1 à droite fournissent une valeur de la densité stellaire locale, à laquelle il faut ajouter les naines les plus faibles observées grâce au Télescope spatial Hubble. La Figure 2.4 montre la fonction de masse ainsi obtenue, d’où une densité de 0, 033±0, 003M pc−3 . La densité massique des restes stellaires, naines blanches surtout et étoiles à neutrons, est estimée à 0,015 M pc−3 . Celle des planètes extrasolaires est négligeable. Enfin, la densité du milieu interstellaire est très faible dans le volume considéré car nous nous trouvons à l’intérieur d’une bulle presque vide de rayon 80 pc environ, alors que l’étude ne porte que sur un rayon de 125 pc. De plus, la densité moyenne jusqu’à 1 kpc, le rayon de la Ceinture de Gould qui est, elle, une région dense, est particulièrement faible. La densité réelle de la matière interstellaire près du Soleil est certainement très inférieure à celle adoptée dans cette étude, qui est de 0,04 M pc−3 , la valeur moyenne pour le disque à la distance du Soleil au Centre galactique. Le total adopté est de 0,085 M pc−3 , mais il peut être aussi faible que 0,045 M pc−3 . Cette dernière valeur est nettement inférieure à la détermination dynamique, et ne peut exclure la présence d’une assez grande densité de matière noire. Il faut cependant remarquer que ce premier essai de détermination de la densité au voisinage solaire est très incertain. D’autres déterminations plus récentes convergent vers une plus faible quantité de matière noire, voire son absence totale1 . On devrait faire mieux lorsqu’on disposera du successeur d’HIPPARCOS, le satellite astrométrique GAIA. Les comptages stellaires permettent également d’avoir une idée de l’épaisseur du disque. On peut la déduire de l’équation (2.7). Pour des systèmes stellaires minces, qui correspondent à une faible dispersion de vitesses, on a 1. Pour une étude approfondie, voir Moni Bidin, C. et al. (2012) Astrophysical Journal 751, 30.

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Fig. 2.4 – La fonction de masse pour les étoiles naines de la séquence principale. Les cercles noirs proviennent des recensements classiques du voisinage solaire, les triangles des observations avec le Télescope spatial. D’après Gould, A., Bahcall, J.N. & Flynn, C. (1996) Astrophysical Journal 405, 759-768, avec l’autorisation de l’AAS.

Kz (z) = −2αz, si bien que : n(z) = n(0) exp −(αz 2 /σ 2 ).

(2.12)

L’échelle de hauteur est dans ce cas z0 = σ/(2α)1/2 . Pour des systèmes plus épais, il faut utiliser une expression plus réaliste pour Kz (z). La dispersion de vitesse verticale des étoiles varie avec leur type spectral ou leur couleur. Pour les étoiles O et B, les plus massives et les plus chaudes, qui sont nécessairement très jeunes en raison de leur faible durée de vie sur la séquence principale, elle est de 6 km/s. Elle croît à 8 km/s pour les étoiles A, 11 km/s pour les étoiles F, 21 km/s pour les naines de G à M qui sont en moyenne très vieilles, tandis qu’elle est de 16 km/s pour les géantes rouges qui ont des âges variés. L’échelle de hauteur correspondante est de l’ordre de 80 pc pour les étoiles les plus jeunes, et atteint 300 pc pour les plus vieilles étoiles du disque.

2.3

Cinématique et dynamique du disque stellaire local

Les données d’HIPPARCOS permettent de nouvelles études de la cinématique stellaire dans un rayon de l’ordre de 100 pc au voisinage du Soleil, à partir d’échantillons non biaisés. La Figure 2.5 montre le résultat d’une de ces

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études, où l’on a mesuré la vitesse moyenne des étoiles de la séquence principale dans les trois coordonnées orthogonales. Si la vitesse moyenne ne montre pas de variation appréciable avec la couleur dans la direction du Centre galactique et dans la direction perpendiculaire au plan galactique, il n’en est pas de même dans la direction de la rotation. Par ailleurs, la dispersion des vitesses dans toutes les directions augmente fortement pour les étoiles plus rouges. Ces phénomènes se stabilisent pour les étoiles plus rouges que B-V = 0, 61 : c’est ce que l’on appelle la discontinuité de Parenago, du nom de l’astronome soviétique qui a découvert cette propriété. Il s’agit certainement d’un effet d’âge, comme on peut le voir sur le diagramme HR et à partir des Tables 2.1 et 2.2, les étoiles de la séquence principale chaudes et donc bleues (B-V faible) étant en moyenne plus massives et plus jeunes que les étoiles froides et rouges : par exemple, toutes les étoiles plus bleues que B-V = 0, 61 ont moins de 10 milliards d’années, alors que les plus vieilles étoiles ont environ 13 milliards d’années. Le « gaz d’étoiles » a donc été « chauffé » au cours du temps par les rencontres avec les nuages interstellaires, et surtout par le passage des ondes de densité que sont les bras spiraux. On remarque également sur la Figure 2.5 que les étoiles vieilles tournent un peu moins vite autour du Centre galactique que les étoiles plus jeunes,

B−V

Fig. 2.5 – Les trois composantes de la vitesse moyenne des étoiles de la séquence principale en fonction de leur couleur B-V . U est la composante vers le Centre galactique, V celle dans la direction de la rotation et W celle vers le pôle Nord galactique. On montre aussi la variation avec la couleur de la dispersion de vitesse dans la direction de la rotation (points du haut de la figure supérieure). La dispersion de vitesse selon U et W est à peu près indépendante de la couleur, et vaut respectivement 10 et 8 km/s. D’après Dehnen, W. & Binney, J.J. (1998) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 298, 387-394, avec l’autorisation de Wiley.

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2. Le voisinage du Soleil

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la différence atteignant une quinzaine de km/s. On explique ce phénomène, dit du courant asymétrique, de la façon suivante. Les étoiles décrivent autour du Centre galactique une orbite épicyclique, combinaison d’une rotation autour du centre et d’un mouvement approximativement elliptique. Ces orbites s’écartent d’autant plus d’un cercle parfait que la dispersion de vitesse des étoiles est élevée. Une étoile proche du Soleil qui paraît en retard par rapport à la rotation est en fait une étoile qui passe la plus grande partie de son temps à l’intérieur du cercle solaire. En raison de la rotation différentielle, sa vitesse moyenne de rotation est de ce fait moins élevée qu’au niveau du Soleil. À l’inverse, une étoile qui passe l’essentiel de son temps plus loin du centre que le Soleil paraît en avance lorsqu’elle se trouve près du Soleil. Comme la densité stellaire diminue fortement vers l’extérieur de la Galaxie, il y a plus d’étoiles en retard que d’étoiles en avance, et c’est ce que l’on constate lorsqu’on prend la moyenne de leurs vitesses V , représentée sur la Figure 2.5 : V est d’autant plus grand que la dispersion de vitesses est plus élevée, donc l’âge moyen des étoiles plus grand. Pour obtenir la vitesse circulaire, il faut extrapoler la relation entre V et la dispersion des vitesses σV jusqu’à une dispersion nulle. On obtient alors la vitesse particulière du Soleil par rapport à un point confondu avec lui qui aurait une rotation circulaire pure : c’est ce que l’on nomme le standard local des vitesses (en anglais local standard of rest ou LSR). Les dernières valeurs publiées pour les composantes de cette vitesse particulière du Soleil par rapport au LSR sont : U = 11, 1 ± 0, 7 km/s, V = 12, 2 ± 0, 5 km/s, W = 7, 3 ± 0, 4 km/s, soit une vitesse de 18,0 km/s dirigée vers l’apex, de longitude galactique l = 47, 7◦ et de latitude galactique b = 23, 9◦ , dans la constellation d’Hercule. Il faut remarquer que les composantes de la vitesse du Soleil sont quelque peu différentes de celles qui étaient recommandées avant HIPPARCOS : on distinguait alors la vitesse « cinématique » par rapport aux étoiles voisines (respectivement 11,1, 16,6 et 7,9 km/s, pour une vitesse de 20 km/s dirigée vers l = 56, 01◦, b = 23, 16◦) et la vitesse « dynamique » par rapport à un point animé de rotation pure (respectivement 9, 12 et 7 km/s pour une vitesse de 16,6 km/s dirigée vers l = 53, 28◦ , b = 24, 60◦) ; les valeurs récentes indiquées plus haut correspondent à la vitesse dynamique. L’étude des mouvements propres et des vitesses radiales des étoiles jeunes en fonction de leur distance a permis à Oort de donner les paramètres de la rotation différentielle près du Soleil, écrits sous la forme des constantes de Oort A et B : A = 1/2(Θ/R − dΘ/dR) = −1/2(RdΩ/dR), et

(2.13)

B = A − (Θ/R) = −1/2(Θ/R + dΘ/dR) = −(Ω + 1/2RdΩ/dR) , (2.14)

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Θ étant la vitesse linéaire de rotation, Ω la vitesse angulaire, R la distance au Centre galactique. Le symbole  signifie que les quantités sont prises au niveau du Soleil. On voit facilement que la vitesse radiale vrad et le mouvement propre μ d’une étoile à la distance r et à la longitude galactique l sont donnés en première approximation par : vrad = rA sin 2l, et

(2.15)

μ = A cos 2l + B

(2.16)

Les valeurs actuellement admises des constantes de Oort, déduites des observations avec HIPPARCOS, sont : A = 14, 8 ± 0, 8 km s−1 kpc−1 et B = −12, 4 ± 0, 6 kms

−1

kpc

−1

.

(2.17) (2.18)

Encadré 2.1. Coordonnées galactiques Les astronomes utilisent un système de coordonnées galactiques défini sur la Figure E2.1. Pour passer des coordonnées galactiques aux coordonnées célestes, ascension droite et déclinaison, on peut utiliser le calculateur de http://ned.ipac.caltech.edu/.

Centre

Fig. E2.1 – Coordonnées galactiques. La direction d’un astre est repérée par la longitude l, comptée dans le plan de la Galaxie à partir de la direction du Centre galactique (dans la constellation du Sagittaire), dans le sens trigonométrique, et par la latitude b comptée positivement vers le Nord. Les vecteurs U, V et W, parallèles aux directions x, y et z, repèrent la vitesse de l’étoile.

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2. Le voisinage du Soleil

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Comme nous l’avons vu, la dispersion de vitesse des étoiles contient des informations importantes sur la dynamique des étoiles du voisinage solaire. Cette dispersion n’est pas isotrope. Une étude détaillée montre qu’elle n’est pas non plus symétrique par rapport à la direction du Centre galactique ou de la rotation : elle suit en première approximation un ellipsoïde des vitesses représenté sur la Figure 2.6, dont l’axe principal est dirigé vers une longitude galactique lV qui dépend de la couleur des étoiles. lV , que l’on nomme la déviation du vertex, est de l’ordre de 30◦ pour les étoiles jeunes les plus bleues et diminue jusqu’à 10◦ environ pour les étoiles rouges, tandis que la dispersion de vitesses selon l’axe principal V1 croît de 14 à 38 km/s, et augmente également à peu près en parallèle selon les deux autres axes. La cause principale de la déviation du vertex est probablement l’asymétrie du potentiel gravitationnel de la Galaxie liée aux bras spiraux, asymétrie qui affecte surtout les étoiles récemment formées. Mais l’étude détaillée des vitesses stellaires près du Soleil met en évidence des mouvements globaux particuliers correspondant à des courants d’étoiles, identifiés sur la Figure 2.7. La vitesse moyenne de ces groupes d’étoiles reflète les conditions cinématiques lors de leur formation. Ces courants stellaires contribuent à la déviation du vertex.

Vers le Centre galactique

Fig. 2.6 – Coupe de l’ellipsoïde des vitesses dans le plan de la Galaxie. La dispersion des vitesses dans une direction donnée est proportionnelle à la longueur du rayon vecteur, compté du centre à la surface de l’ellipsoïde. La direction V1 est celle de l’axe principal. lV est la longitude galactique de la déviation du vertex.

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Fig. 2.7 – Les courants stellaires au voisinage du Soleil, basés sur un échantillon non biaisé de près de 12 000 étoiles de la séquence principale, observées par HIPPARCOS. La figure représente la densité des étoiles dans le plan galactique en fonction de leur vitesse. La vitesse du Soleil est la référence, et celle du LSR est marquée par un triangle. Les courants stellaires sont indiqués. D’après Bovy, J., Hogg, D.W. & Roweis, S.T. (2009) Astrophysical Journal 700, 1784-1819, avec l’autorisation de l’AAS.

2.4

Les étoiles à grande vitesse

Lorsque l’on étudie les vitesses radiales ou les mouvements propres des étoiles proches du Soleil, on trouve des étoiles pour lesquelles ces quantités sont anormalement élevées, et qui sont donc animées de grandes vitesses par rapport au Soleil ou au LSR. Leur mouvement est donc très éloigné d’une rotation pure. Quelques-unes sont des étoiles massives qui faisaient partie d’une binaire dont l’autre composante a explosé comme supernova : elles ont conservé la vitesse élevée qu’elles avaient au moment de la disparition de l’autre étoile. Ce sont les étoiles en cavale (en anglais run-away stars). Nous n’en parlerons pas davantage, nous concentrant sur les étoiles à grande vitesse de faible masse, qui sont bien plus nombreuses. Deux exemples d’orbite de telles étoiles dont la vitesse au niveau du Soleil est connue sont montrés sur la Figure 2.8. Ces étoiles forment un système dont la rotation moyenne autour du Centre galactique est pratiquement nulle. On constate également qu’elles ont des abondances en éléments lourds bien plus faibles que les autres. La Figure 2.9 montre la relation entre l’abondance en éléments lourds et l’orbite des étoiles. En réalité, beaucoup de ces étoiles à grande vitesse dans le plan galactique ont aussi une vitesse élevée dans la direction perpendiculaire, si bien qu’elles forment un système sensiblement sphérique autour du Centre galactique : c’est le halo galactique, qui est également caractérisé par les amas globulaires, dont beaucoup de ces étoiles aujourd’hui isolées ont dû s’échapper : la cinématique

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Fig. 2.8 – Deux orbites d’étoiles à grande vitesse, en projection sur le plan de la Galaxie. C’est le Centre galactique, et S est le Soleil, près duquel passent ces deux étoiles, dont la vitesse est connue en grandeur et en direction. L’orbite est calculée à partir de cette vitesse dans un modèle de potentiel gravitationnel galactique. R1 et R2 sont respectivement la distance maximale au Centre galactique (apogalacticum) et la distance minimale (perigalacticum). L’orbite la moins excentrique est parcourue dans le sens de la rotation galactique (sens des aiguilles d’une montre vue du pôle galactique Nord), l’autre orbite est rétrograde. Par définition, la vitesse de rotation Vrot de l’étoile est la projection sur la direction de la rotation galactique de sa vitesse spatiale. Pour le Soleil, elle est d’environ 220 km/s, mais elle est beaucoup plus faible, voire négative, pour les étoiles à orbite très excentrique comme celles du halo. D’après Eggen, O.J., Lynden-Bell, D. & Sandage, A.R. (1962) Astrophysical Journal 136, 748-766, avec l’autorisation de l’AAS. des amas globulaires est en effet semblable à celle des étoiles à grande vitesse. Nous en parlerons dans les chapitres qui suivent.

2.5

La matière interstellaire près du Soleil

Afin de situer la matière interstellaire près du Soleil par rapport à l’ensemble de la matière interstellaire dans la Galaxie, il est utile de consulter le Tableau 2.1 qui résume les propriétés de ses différentes phases. Le Soleil émet un vent ionisé très chaud dont la densité au niveau de la Terre est de l’ordre de 10 particules par cm3 et la vitesse de 400 km s−1 . Si le voisinage solaire était un vide parfait, ce vent s’étendrait à l’infini. Il n’en est rien en réalité : lorsque la quantité de mouvement du gaz du vent par unité de volume devient égale à celle du gaz extérieur, un choc se forme qui limite

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Fig. 2.9 – Relation entre l’abondance en éléments lourds d’étoiles passant près du Soleil, représentée par la quantité [Fe/H] = log(Fe/H) − log(Fe/H) , et leur vitesse de rotation autour du Centre galactique (voir sa définition sur la Figure 2.8). Les étoiles qui tournent comme le Soleil à une vitesse de l’ordre de 200 km/s ont des abondances assez élevées, tandis que celles qui tournent lentement autour du Centre galactique, ou ont une orbite rétrograde (Vrot < 0), ont une abondance du fer en moyenne 30 fois plus petite que celle du Soleil, avec une très grande dispersion. Certaines ont moins de mille fois moins d’éléments lourds que le Soleil. D’après Nissen, P.E. & Schuster, W.J. (1991) Astronomy & Astrophysics 251, 457-468, avec l’autorisation de l’ESO. l’héliosphère, c’est-à-dire la cavité creusée par le vent solaire. Cette limite a été atteinte par les deux sondes Voyager, respectivement le 16/12/2004 à une distance de 94 unités astronomiques du Soleil, et le 30/8/2007 à 84 u.a. Tab. 2.1 – Les différentes phases du milieu interstellaire dans la Galaxie. Noter que le milieu « atomique » tiède est partiellement ionisé. La répartition du milieu atomique entre la phase froide et la phase tiède est quelque peu problématique. Milieu Atomique (HI)

Froid Tiède

Moléculaire (H2 ) Ionisé Régions HII Diffus Chaud

Densité (cm−3 ) ≈25 ≈0,25 ≈1000 ≈1 − 104 ≈0,03 ≈6 × 10−3

Température (K) ≈100 ≈8000 100 ≈10 000 ≈8000 ≈5 × 105

Masse totale (M ) 4 × 109 4 × 109 3 × 109 5 × 107 109 ? 108 ?

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2. Le voisinage du Soleil

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Par ailleurs, on a pu observer, particulièrement avec la sonde ULYSSES, des atomes d’hélium provenant du milieu interstellaire, mesurer leur densité, leur température et leur vitesse. Ces atomes ont traversé le choc sans être fortement perturbés, et après de petites corrections, on peut remonter à leurs propriétés dans le gaz interstellaire environnant : leur densité y est nHe = 0, 015 atome cm−3 , leur température T = 6300 K et leur vitesse d’arrivée par rapport au Soleil v = 26 km/s. Ils proviennent de la longitude galactique l = 3, 7◦ et de la latitude galactique b = 15, 3◦ . Comme ces chiffres sont différents de la vitesse et de la direction du Soleil vers l’apex (v = 13, 4 km/s, l = 27, 47◦ et b = 32, 57◦), on voit que le nuage interstellaire local est en mouvement par rapport au standard local des vitesses (LSR). À partir de ces données, de la position du choc et de données complémentaires, on peut établir que la densité des atomes d’hydrogène dans le milieu environnant est nH = 0, 19 cm−3 , et celle des ions hydrogène nH+ = 0, 06 cm−3 . Ce milieu peu dense, relativement chaud et partiellement ionisé est caractéristique du milieu HI tiède défini dans le Tableau 2.4. Par ailleurs, les observations avec ULYSSES ont montré l’arrivée de grains interstellaires qui pénètrent l’héliosphère avec la même vitesse et dans la même direction que le gaz. Lorsqu’on s’éloigne davantage du Soleil, la situation se complique, ce qui témoigne de l’extrême inhomogénéité du milieu interstellaire. La méthode la plus utilisée pour étudier sa distribution, sa cinématique et sa physique consiste à observer les raies d’absorption produites dans le spectre des étoiles par les atomes ou les ions interstellaires interposés, ce qui donne une limite supérieure à cette distance, qui est la distance généralement bien connue de l’étoile. Ces raies sont dans le visible les raies D du sodium neutre à 588,9 et 589,5 nm (Figure 2.10), et les raies K du calcium ionisé à 393,3 et 396,8 nm. Dans l’ultraviolet observable par les télescopes spatiaux (le Télescope Spatial Hubble et plus récemment le satellite FUSE), on peut utiliser de nombreuses

Fig. 2.10 – Un exemple de raie d’absorption interstellaire (la raie D2 du sodium) dans le spectre d’une étoile proche. Cette étoile se trouve à une distance de 220 pc environ dans la direction l = 203, 3◦ , b = 21, 0◦ . La décomposition en 4 composantes gaussiennes est indiquée. D’après Welsh, B.Y., Lallement, R., Vergely, J.-L. & Raimond, S. (2010) Astronomy & Astrophysics 510, A54, avec l’autorisation de l’ESO.

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raies, y compris celles d’ions très ionisés comme C3+ , N4+ et O5+ (CIV, NV et OVI en notation astronomique), qui sont caractéristiques de milieux très chauds. Ceux-ci produisent une émission X également observable à partir de véhicules spatiaux. Par ailleurs, la raie à 21 cm de l’hydrogène atomique permet d’étudier le milieu HI. On peut enfin utiliser le rougissement de la lumière des étoiles, qui donne des informations sur la distribution des poussières interstellaires qui sont généralement bien mélangées avec le gaz. La Figure 2.11 montre le résultat d’une étude récente de la distribution de la matière interstellaire, basée sur les raies d’absorption du sodium. Ce résultat est parfaitement confirmé par l’étude du rougissement par les poussières interstellaires, et était d’ailleurs suspecté depuis longtemps, même si il était difficile de donner des chiffres. On constate que les régions à moins de 80 pc environ du Soleil sont pratiquement vides, sauf une paroi à 15 pc qui paraît séparer deux sous-régions, et que la matière est concentrée en nuages irréguliers à partir de ces distances. On retrouve ces nuages par leur émission en raie 21 cm ou, si ils sont moléculaires, par leur émission en raies de CO. Les nuages moléculaires sont d’ailleurs opaques à la lumière ou donnent des raies interstellaires très saturées, si bien qu’il est difficile de savoir ce qu’il y a derrière. Il y a cependant un gaz ténu dans les régions plus proches, même si il ne donne pas d’absorptions notables dans le visible, et ce gaz est extrêmement chaud comme le montre son émission X et la présence de raies d’absorption d’ions très ionisés dans le spectre ultraviolet des étoiles les plus chaudes (étoiles B)

Fig. 2.11 – Le milieu interstellaire local, cartographié à partir des raies d’absorption interstellaires du sodium devant les étoiles indiquées par des triangles verts ou rouges. Chaque carré est centré sur le Soleil et a pour dimensions 600 × 600 pc. De gauche à droite, projection sur le plan galactique (Centre galactique vers la droite), projection sur un plan perpendiculaire au plan galactique passant par le Centre galactique et projection sur un plan perpendiculaire au plan galactique et à la direction du Centre galactique. L’absorption n’est pas détectable dans les régions blanches, et est de plus en plus intense en passant du jaune au noir. La densité, dans les zones plus éloignées du Soleil que les régions noires et marquées par des matrices de points blancs, est incertaine. D’après Welsh, B.Y., Lallement, R., Vergely, J.-L. & Raimond, S. (2010) Astronomy & Astrophysics 510, A54, avec l’autorisation de l’ESO.

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de sa périphérie. Il s’agit donc d’une bulle, peut-être double, qui a dû être creusée par l’explosion de plusieurs supernovae dont la plus récente remonte à environ 4 millions d’années. Outre le nuage tiède qui entoure immédiatement le Soleil, des nuages ont subsisté à l’intérieur de la bulle : par exemple, on trouve une quinzaine de nuages tièdes à moins de 15 pc du Soleil. Un nuage HI très froid (≈20 K) est également présent à l’intérieur de la bulle à une vingtaine de parsecs de nous, dans la constellation du Lion. Les observations de la Figure 2.11 et d’autres observations similaires suggèrent que la bulle n’est pas bornée perpendiculairement au plan galactique. Il se pourrait que son contenu fuie dans le halo de la Galaxie, dont Lyman Spitzer (1914–1997) a montré il y a déjà longtemps qu’il contient du gaz très chaud, qui provient certainement de l’explosion de supernovae. On connaît d’autres exemples dans notre Galaxie et dans d’autres galaxies de telles fuites, qui forment des cheminées dans le gaz froid ou tiède du disque. Plus loin de nous, la densité moyenne du milieu interstellaire reste faible jusqu’à ce que l’on atteigne à quelques centaines de parsecs une structure annulaire dense et inclinée sur le plan galactique, la Ceinture de Gould, décrite par cet astronome américain en 1874. Elle contient une grande quantité de gaz moléculaire au sein duquel se sont formées, et se forment encore, de très nombreuses étoiles (Figure 2.12). On ne connaît pas l’origine de cette structure, qui provient certainement d’un événement violent survenu il y a 50 à 100 millions d’années. Il en existe de semblables dans d’autres galaxies.

Fig. 2.12 – La Ceinture de Gould. Elle est schématisée en projection par l’ellipse, et sa cinématique par les flèches. Les cercles vides représentent les associations d’étoiles O et B avec leur taille approximative, et les cercles grisés les nuages moléculaires. Le centre de la ceinture est indiqué par un triangle, le Soleil par une étoile. La ligne oblique représente l’intersection entre le plan galactique et le plan de la Ceinture, qui est incliné de 17◦ . On voit que les complexe de nuages moléculaires les plus proches du Soleil sont ceux du Taureau et d’Ophiuchus, à 150 pc environ. D’après Perrot, C.A. & Grenier, I.A. (2003) Astronomy & Astrophysics 404, 519-531, avec l’autorisation de l’ESO.

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Chapitre 3 Structure et composants de la Galaxie Dans ce chapitre, nous abordons la Galaxie dans son ensemble. Contrairement à l’observation du voisinage solaire, celle du disque de la Galaxie est malaisée car nous nous trouvons à l’intérieur, dans une position assez excentrique, et l’extinction interstellaire empêche les observations optiques au-delà de quelques kiloparsecs. Heureusement, les ondes infrarouges et radio sont peu ou pas absorbées et nous ont fourni depuis quelques dizaines d’années bien des informations qui nous manquaient sur les régions éloignées du disque. Et, par ailleurs, l’observation des galaxies extérieures nous aide beaucoup à comprendre par analogie les propriétés de notre propre Galaxie. Ici, nous ne nous occuperons pas du centre de la Galaxie, qui fera l’objet du chapitre suivant.

3.1

Dimensions et rotation de la Galaxie

Dans l’introduction, nous avons rappelé les débuts de la détermination des dimensions et de la rotation du disque de la Galaxie. Jusqu’en 1950, la courbe de rotation, qui donne la vitesse de rotation en fonction du rayon galactique, était inconnue : on ne connaissait que sa pente au voisinage du Soleil, sous la forme des constantes de Oort qui décrivent la rotation différentielle locale. C’est grâce à la raie de l’hydrogène atomique à 21 cm de longueur d’onde que la courbe de rotation a pu être déterminée pour la première fois. La Figure 3.1 explique le principe de cette détermination. Supposons que nous observons le spectre de la raie 21 cm dans la direction de la longitude galactique l. De chaque point de la ligne de visée, par exemple le point P, provient une composante décalée par effet Doppler-Fizeau de la vitesse relative au Soleil (ou plus précisément relative au standard local des

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Fig. 3.1 – Détermination de la rotation galactique par la raie 21 cm. C est le Centre galactique, S le Soleil et Θ0 la vitesse de rotation du LSR. Le point P est animé de vitesse de rotation Θ. vitesses, LSR). La vitesse radiale du point P par rapport au LSR est donc : vrad = Θ sin(l+β)−Θ0 sin l = R0 (Θ/R−Θ0/R0 ) sin l = R0 (ω−ω0 ) sin l, (3.1) où R0 est la distance du Soleil au Centre galactique et ω la vitesse angulaire de rotation. Comme ω croît généralement lorsque l’on se rapproche du Centre galactique, la vitesse radiale maximum correspond au point P0 . On peut donc obtenir le produit ΘR0 pour chaque valeur de la longitude à partir de la vitesse radiale maximum du profil correspondant de la raie à 21 cm, d’où la courbe de rotation Θ(R), une fois choisies la distance R0 au Centre galactique et la vitesse de rotation Θ0 au niveau du Soleil. À partir des relations (2.13) et (2.14) du chapitre précédent, on voit que la pente de la courbe de rotation au niveau du Soleil, telle qu’elle est déterminée cette fois à partir des étoiles et non du gaz, est : (dΘ/dR)0 = −(A + B) = −2, 4 ± 1, 0 kms−1 kpc−1 ,

(3.2)

A et B étant les constantes de Oort de la rotation différentielle. Cette pente est très faible et la courbe de rotation est donc pratiquement plate au niveau du Soleil, en accord avec les résultats fournis par la raie 21 cm. Cependant, la méthode précédente ne s’applique pas aux rayons galactiques plus grands que R0 : il faut alors pour obtenir la courbe de rotation

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utiliser des objets dont on connaît à la fois la distance et la vitesse radiale. Il ne peut guère s’agir que des étoiles pulsantes massives que sont les céphéides, ou de régions HII dont on détermine la distance en tant que distance photométrique des étoiles ionisantes, ou de nuages moléculaires associés à une formation récente d’étoiles dont on mesure la distance photométrique. Toutefois, aux rayons les plus grands, la raie 21 cm est seule utilisable et il faut estimer la distance des régions émettrices par des méthodes plus incertaines. La courbe de rotation de la Galaxie ainsi obtenue est montrée sur la Figure 3.2. On voit qu’elle est en gros plate, mais présente des ondulations importantes sur lesquelles nous reviendrons. Cependant, une détermination plus récente obtenue à partir des céphéides, dont on peut mesurer la distance et la vitesse radiale avec une bonne précision, donne une courbe de rotation un peu différente (Figure 3.3). Elle est pratiquement plate jusqu’à un rayon de 15 kpc, où les observations ne sont plus suffisantes pour sa détermination.

Fig. 3.2 – Courbe de rotation de la Galaxie obtenue à partir d’observations de la raie 21 cm de l’hydrogène atomique (HI), de régions HII et de nuages moléculaires observés en raie de CO. Les symboles avec barres d’erreur sont les points de mesure. Le Soleil est supposé être à 8,3 kpc du Centre galactique et la vitesse de rotation au niveau du Soleil de 220 km/s. Les barres d’erreur sont indiquées, et la courbe est un ajustement des données. D’après de Boer, W. et al. (2005) Astronomy & Astrophysics 444, 51-67, avec l’autorisation de l’ESO. Une fois déterminée la courbe de rotation, on peut utiliser les observations en raie 21 cm pour obtenir la distance des régions émettrices à partir de leur vitesse radiale. La Figure 3.4 montre la distribution des vitesses radiales dans le disque galactique. Pour une vitesse radiale donnée, il y a ambiguïté dans les régions internes : les points P et P1 de la Figure 3.1, symétriques par rapport à P0 , ont la même vitesse radiale. Pour résoudre cette ambiguïté, on peut utiliser le fait que l’épaisseur du disque de gaz est sensiblement uniforme dans ces régions intérieures : si l’on observe à des latitudes galactiques suffisamment grandes, on ne voit que les régions proches. C’est ce que l’on peut également

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Fig. 3.3 – Comparaison de vitesses de rotation obtenues à partir de régions HII et de céphéides. Le Soleil est placé à 8,5 kpc du Centre galactique et la vitesse de rotation supposée au niveau du Soleil est 220 km/s. Les grandes vitesses de rotation du gaz ne sont pas confirmées par les céphéides. La différence pourrait s’expliquer par des mouvements asymétriques du gaz qui n’existeraient pas pour les étoiles. D’après Pont, F. et al. (1997) Astronomy & Astrophysics 318, 416-428, avec l’autorisation de l’ESO. faire pour obtenir la distribution du gaz moléculaire à partir des raies de CO. Cependant, la détermination cinématique des distances est très incertaine, non seulement en raison des écarts à la rotation pure (dont on peut cependant tenir compte dans une certaine mesure), mais aussi en raison des mouvements aléatoires dans le milieu interstellaire. De plus, la vitesse radiale s’annule dans la direction du centre et de l’anticentre, et est très faible aux longitudes galactiques voisines de 90◦ et de 270◦, du moins pour les régions proches. Dans les meilleures conditions, l’incertitude sur les distances est de l’ordre de 0,5 kpc. On ne peut malheureusement pas faire mieux pour la distribution du gaz atomique, pour lequel la carte ancienne de la Figure 1.4 ne peut pas être beaucoup améliorée. La situation est plus favorable pour les régions HII et les nuages moléculaires, quand on peut déterminer leur distance grâce aux étoiles associées. La Figure 1.6 du chapitre introductif nous a montré la distribution des régions HII dont la distance est connue, soit directement par photométrie des étoiles ionisantes, soit par voie cinématique en utilisant la vitesse radiale des raies d’émission : raies visibles, ou raies infrarouges ou radio quand l’observation optique est impossible en raison d’une trop grande extinction interstellaire. Certaines portions de bras spiraux sont bien définies, mais l’essai d’ajustement

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Fig. 3.4 – Le champ de vitesses radiales du disque galactique, vues du Centre local des vitesses. Celui-ci, et donc le Soleil, est à la position x = 0, y = 8, 5 kpc. Le Centre galactique est à la position (0, 0). Les lignes d’égale vitesse positives (éloignement) sont en traits pleins, celles de vitesses négatives en traits interrompus. Les vitesses radiales sont indiquées en km/s, la rotation au niveau du Soleil étant prise de 220 km/s. On voit que les lignes de visées dans la région intérieure au Soleil coupent deux fois les isovitesses. Les principaux bras spiraux sont indiqués en grisé. D’après Benjamin, R.A. (2008) Astronomical Society of the Pacific Colloquium 387, 375-380, avec l’autorisation de l’ASP.

par 4 bras de spirale logarithmique présenté sur la figure reste quelque peu problématique. Les distances les plus précises dans la Galaxie sont fournies par l’interférométrie radio à très longue base (VLBI, pour Very Long Baseline Interferometry). Par exemple, on peut ainsi mesurer avec une précision remarquable la parallaxe géométrique de certaines étoiles jeunes et massives qui émettent en radio en observant les variations de leur position au cours de l’année par

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rapport à un système de référence matérialisé par des quasars lointains. Les sources les mieux étudiées dont on peut obtenir la distance par interférométrie à très longue base sont les masers interstellaires associés aux étoiles massives en formation. Celles-ci expulsent à grande vitesse de très nombreuses masses compactes de gaz moléculaire qui émettent par un effet maser naturel des raies radio intenses et très fines de certaines molécules : H2 O, SiO et l’alcool méthylique CH3 OH. On peut suivre par VLBI le mouvement au cours du temps de ces sources. De la vitesse angulaire latérale (mouvement propre) ainsi mesurée pour les nombreux masers que l’on trouve autour de certaines de ces étoiles, combinée à leur vitesse radiale qui est mesurable avec grande précision, on peut déduire, en faisant une hypothèse que l’on peut vérifier a posteriori sur l’isotropie des éjections, la distance de l’étoile en formation. La précision ainsi atteinte sur la vitesse latérale est meilleure que 1 km/s à 10 kpc, et celle sur la distance est meilleure que 1 % à 1 kpc et 10 % à 10 kpc. Par cette méthode, on a obtenu très récemment des valeurs de la distance du Centre galactique et de la vitesse de rotation au niveau du Soleil un peu différentes de celles qui ont été recommandées antérieurement par l’Union Astronomique Internationale : respectivement 8, 3 ± 0, 2 kpc et 246 ± 7 km/s au lieu de 8,5 kpc et 220 km/s. On peut dans certains cas obtenir une idée de la distance de radiosources du plan galactique en utilisant la raie 21 cm vue en absorption devant ces sources, et en comparant son profil avec la raie vue en émission dans leur voisinage immédiat. Un exemple est montré plus loin sur la Figure 3.10. Des études plus fines du disque galactique montrent qu’en plus de sa structure spirale il n’a pas vraiment la symétrie de révolution, surtout dans ses parties extérieures. Diverses asymétries et distorsions sont présentes, qui affectent le champ de vitesse et la distribution du gaz. La plus importante est le gauchissement présenté sur la Figure 3.5, qui est beaucoup plus important d’un côté de la Galaxie que de l’autre. Il affecte non seulement le gaz atomique comme on le voit sur cette figure, mais aussi le gaz moléculaire et les étoiles jeunes et même vieilles : il est donc certainement d’origine gravitationnelle. De tels gauchissements, qui s’accompagnent d’un épaississement important du disque, sont fréquents dans les galaxies extérieures, qu’elles soient isolées ou en groupe. Nous tenterons d’en analyser les causes au Chapitre 8. À partir de la courbe de rotation, il est possible en ignorant ces complications de remonter à la distribution des masses dans la Galaxie, en supposant que la Galaxie est à l’équilibre, la force centrifuge étant compensée par l’attraction gravitationnelle des régions centrales. Ce faisant, on se heurte immédiatement à une difficulté : la courbe de rotation est sensiblement plate jusqu’au plus grand rayon où les observations sont possibles, environ 15 kpc, une région où il n’y a plus guère d’étoiles ni de gaz, alors que l’on s’attendrait dans ces conditions à une décroissance de la vitesse de rotation. Ce phénomène est absolument général pour les galaxies spirales. Pour en rendre compte, on suppose généralement qu’il existe un halo plus ou moins sphérique de matière noire qui contient le plus gros de la masse de la Galaxie et qui s’étend plus loin

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Fig. 3.5 – Le gauchissement du disque galactique. En bas, carte de la distance au plan galactique du centre de la distribution verticale de l’hydrogène atomique interstellaire (échelle de droite en kpc). Le Centre galactique est l’origine des coordonnées, et la position du Soleil est indiquée par le point entouré d’un cercle. En haut, représentation du gauchissement. Remerciements à Peter Kalberla.

que le disque. Une autre explication possible, sur laquelle nous reviendrons à la fin de ce chapitre, consiste à supposer qu’il existe un terme supplémentaire à la loi d’attraction universelle de Newton, qui ne se traduit que pour les très grandes distances (modèles à gravité modifiée). Restons-en pour l’instant à la physique newtonienne, et voyons quelles contraintes nous obtenons sur la masse de la Galaxie et sa distribution. Dans ce cadre, on est amené à supposer que la masse est distribuée dans un disque, auquel s’ajoute de la matière noire. Si la masse avait une distribution sphérique, la vitesse V (R) au rayon R ne dépendrait que de la masse M (R) intérieure à R. De V (R), on pourrait déduire la masse M (R) par la relation : M (R) = RV 2 (R)/G,

(3.3)

où G est la constante de gravitation. Numériquement, on a : M (R) = 2, 325105RV 2 (R),

(3.4)

où M (R) est en M , R en kpc et V en km/s. Le cas d’un disque plat, dont nous supposerons l’épaisseur négligeable par rapport au rayon, ce qui est à peu près le cas pour le disque galactique, est plus compliqué, car la masse extérieure au rayon R intervient. M (R) dépend alors de la vitesse V (r) à tous les rayons r.

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Pour estimer M (R) de la Galaxie, il faut donc considérer la courbe de rotation à tous les rayons. La courbe de rotation n’est pas définie dans les régions centrales de la Galaxie qui sont loin d’avoir la symétrie circulaire, et pour simplifier nous supposerons une courbe de rotation croissant linéairement de 0 au centre à un rayon a. Cette hypothèse est très peu contraignante tant que a ne dépasse pas quelques kpc, ce qui est le cas pour la Galaxie. Ensuite, nous supposerons aussi pour simplifier que la vitesse de rotation est constante. Après le rayon où s’arrêtent les observations, on peut supposer, soit que la vitesse reste constante, soit qu’il n’y a plus de masse auquel cas la courbe de rotation devient keplérienne : V 2 (R) ∝ 1/R. Le résultat est montré sur la Figure 3.6, où M (R) est porté pour un disque en fonction de ce qu’on obtiendrait pour la même vitesse de rotation et au même rayon, pour une distribution sphérique pure de la masse. On voit qu’en pratique la masse à l’intérieur du rayon R est comprise entre 1 et 0,6 fois celle que donnerait la formule (3.3) ou (3.4), selon l’hypothèse que l’on fait sur la distribution plus ou moins sphérique de la matière noire. Cette incertitude n’est pas beaucoup plus grande que celle qui résulte de notre connaissance

Fig. 3.6 – La masse M (R) à l’intérieur du rayon R pour différents modèles de distribution de masse. Elle est relative à ce que donnerait un modèle sphérique pur. Le modèle de disque 1 a une courbe de rotation plate jusqu’à l’infini à partir du rayon a, et le modèle 2 n’a pas de masse au-delà du rayon R, d’où une rotation keplérienne. Toute galaxie réaliste à symétrie cylindrique a une masse M (R) à l’intérieur du rayon R comprise entre le modèle de disque 2 et le modèle sphérique. D’après Lequeux, J. (1983) Astronomy & Astrophysics 125, 394-395, avec l’autorisation de l’ESO.

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imparfaite de la forme du disque. On obtient ainsi pour la Galaxie les masses dynamiques suivantes : M (8, 3 kpc) ≈ 0, 75 × 1011 M

(3.5)

à l’intérieur du cercle solaire, en utilisant une vitesse de rotation de 246 km/s au niveau du Soleil, et en supposant que toute la masse est dans le disque. Si une partie de la masse est dans une sphère centrale, la masse totale est un peu plus élevée. (3.6) M (21 kpc) = 2 − 3 × 1011 M là où s’arrêtent les observations du disque, avec la même vitesse de rotation. Or la masse totale du gaz et des étoiles dans la Galaxie est estimée à 0, 85×1011 M (voir pour le gaz le Tableau 2.1 et pour les étoiles la Figure 3.8 plus loin), dont la plus grande partie se trouve à l’intérieur du rayon solaire. Cette valeur est voisine de celle donnée par l’équation (3.6), et il n’est donc pas nécessaire de faire appel à de la matière noire dans les régions intérieures de la Galaxie. En revanche, une quantité importante de matière noire paraît nécessaire pour rendre compte de la rotation dans les parties externes de la Galaxie, comme le laisse d’ailleurs soupçonner le fait que la courbe de rotation y reste plate. Si l’on utilise la loi de Newton modifiée le résultat est très différent, comme on le verra plus loin.

3.2

Les populations stellaires dans la Galaxie

La Voie lactée est une galaxie spirale à disque, de type tardif, qui forme encore des étoiles, à raison de quelques unes par an. Son type morphologique est plus précisément Sbc, c’est-à-dire avec un bulbe moyen. On sait depuis quelques dizaines d’années qu’elle possède une barre, de force moyenne, donc son type serait plutôt SBbc, ou SABbc. L’image de notre Galaxie faite en infrarouge proche par le satellite COBE, puis ensuite le grand relevé stellaire 2MASS, ont bien montré la présence de la barre et d’un petit bulbe (voir la Figure 1.8). Celui-ci a une forme un peu carrée, comme une boîte, et possède même un renflement de chaque côté du centre, comme une cacahuète. Nous verrons au Chapitre 5 comment ces bulbes en forme de boîte ou cacahuète se forment à partir de la barre d’étoiles, qui se développe comme une instabilité gravitationnelle du disque de la Galaxie. L’instabilité de barre est une onde de densité qui tourne dans le disque, et s’accompagne d’ondes spirales, qui tournent avec une vitesse soit égale à celle de la barre, soit différente. La vitesse de l’onde est différente de la vitesse des étoiles dans le disque, ce qui fait que les étoiles entrent et sortent de la barre ou des bras spiraux périodiquement. En ce qui concerne la composante stellaire, on distingue plusieurs structures : le disque mince, le disque épais, et le halo stellaire. Le disque mince est

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la composante principale, la plus massive. Bien sûr, sa connaissance est difficile, car le Soleil appartient à ce disque, que nous voyons donc par la tranche, de l’intérieur. En lumière visible, nous voyons surtout le disque de poussière qui absorbe et rougit la lumière des étoiles d’arrière-plan, et ce n’est que dans l’infrarouge proche que l’on peut voir le disque mince en entier (avec encore de l’extinction vers le centre de la Galaxie). Le disque mince contient le milieu interstellaire, à partir duquel se forment de nouvelles étoiles. C’est donc dans le disque mince que l’on trouve les étoiles jeunes. Les autres composantes ont en majorité des étoiles vieilles. On peut ainsi définir des populations stellaires, selon leur âge. Historiquement, c’est l’astronome d’origine allemande Walter Baade (1893–1960), qui observa aux États-Unis en 1944 les étoiles de la galaxie d’Andromède, et classa ses étoiles en deux populations : la Population I, constituée des étoiles jeunes du disque, et la Population II formée des étoiles vieilles du halo stellaire. Ces deux classes se retrouvaient dans notre Galaxie. Dans les années 1950, l’étude des abondances chimiques dans les étoiles permit de montrer que les étoiles du disque (Population I), caractérisées par leur dynamique (disque en rotation), leur morphologie (disque aplati) et leur âge plus jeune, étaient aussi plus riches en éléments lourds. Probablement formées plus tard, elles ont profité du recyclage des éléments lourds synthétisés dans les étoiles précédentes : en effet, durant toute leur vie, les étoiles perdent de la masse, et rejettent dans le milieu interstellaire une partie de leur gaz, enrichi par les réactions nucléaires en leur sein. Les étoiles du halo (Population II), en revanche, étaient supposées s’être formées les premières, leur âge étant plus grand, leur dynamique désordonnée et sans rotation globale (voir précédemment la Section 2.4). Elles se trouvent dans un halo de forme ellipsoïdale, que l’on considérait généralement comme le vestige des premiers instants de la formation de la Galaxie. Leur faible abondance en éléments lourds venait conforter le scénario de leur formation dans les premiers moments de la Galaxie. Cependant, dans les années 1970–1980, les données sur la dynamique et l’abondance des étoiles, de plus en plus nombreuses et de plus en plus précises, ont montré que la situation était beaucoup plus complexe. Dans les diverses structures, il y a souvent un mélange d’abondances et d’âges, avec une grande dispersion. Dans le bulbe, que l’on supposait précédemment contenir une population II assez vieille, on trouve aussi des étoiles très enrichies en éléments lourds, et des étoiles jeunes. De plus, on a découvert, au milieu des années 1980, l’existence d’un disque épais dans notre Galaxie, et aussi dans un grand nombre de galaxies spirales extérieures. Ces disques épais ont une répartition spatiale et une dynamique de rotation qui les apparentent au disque mince de Population I ; pourtant leurs étoiles sont vieilles, et leurs abondances les rapprochent des étoiles de Population II. Notons pour être complet que le terme de Population III désigne les premières étoiles qui se sont formées dans l’Univers, lorsque celui-ci n’avait que le dixième de son âge actuel. Ces premières étoiles devaient être dépourvues de tout élément lourd, et avoir une

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masse énorme par rapport aux étoiles d’aujourd’hui. Comme la durée de vie des étoiles de grande masse est d’autant plus courte que leur masse est grande, ces étoiles ont toutes disparu aujourd’hui. Étant donné ce mélange des propriétés des étoiles dans les différentes structures de la Galaxie, les termes de Population I ou Population II ne sont plus guère employés actuellement. On parle surtout de quatre composantes de populations stellaires : le halo, le bulbe, et les disques mince et épais.

3.2.1

Le halo stellaire

Le halo stellaire est le composant de la Voie lactée qui contient le moins d’étoiles, environ quelques pour cent de l’ensemble des étoiles. Il se distingue par plusieurs caractéristiques, d’abord sa morphologie, à l’origine de son nom : il forme un ensemble quasi-sphérique autour du centre de la Galaxie. Ce halo est plus étendu que le disque, pouvant aller jusqu’à 80 kpc du centre. Du point de vue cinématique, le halo se distingue du disque et du bulbe car il n’est pas en rotation : les étoiles y sont agitées de mouvement désordonnés, et parcourent des orbites de toutes orientations, souvent très elliptiques. Les étoiles du halo sont vieilles (plus de 12 milliards d’années) et pauvres en métaux, avec une abondance moyenne du fer environ 30 fois moins grande que dans le Soleil. Le halo stellaire n’est pas une composante homogène. Une structure fine y a été découverte il y a une douzaine d’années, et d’autres découvertes nous attendent sans doute. Dans les images profondes du ciel, dans les comptages d’étoiles, et surtout les diagrammes couleur-magnitude, qui permettent de distinguer les divers groupes d’étoiles, on trouve des courants stellaires qui se prolongent comme des entités séparées sur des centaines de degrés dans le ciel (Figure 3.7). Ces courants ont chacun leur homogénéité en termes de position, vitesse, et aussi âge et métallicité des étoiles qui les composent. Ils proviennent probablement de l’absorption par notre Galaxie de petites galaxies naines, anciennes compagnes de la Voie lactée. Dans le cas de la galaxie naine du Sagittaire qui est encore en cours d’absorption, ce qu’on voit sont deux queues de marée produites par l’interaction gravitationnelle avec notre Galaxie. Dans ce cas précis, on a pu reconstituer l’orbite de la galaxie naine du Sagittaire, qui accompagne les débris de marée. Son orbite effectue plusieurs tours autour de la Galaxie, comme une rosette, avec une amplitude allant de 15 à 60 kpc. Les débris peuvent ainsi se retrouver dans des filaments dédoublés comme sur la Figure 3.7. On trouve de tels débris dans des anneaux qui entourent toute la Galaxie, et l’on conçoit bien qu’une multitude de ces courants puissent finalement former le halo stellaire autour de la Voie lactée. On ne sait pas encore avec certitude quelle est la part relative des étoiles préexistantes et des étoiles capturées dans le halo stellaire, mais certains proposent que le halo pourrait avoir été entièrement formé par les débris des galaxies naines qui sont tombées

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Fig. 3.7 – Carte de la densité des étoiles vers l’anticentre de la Galaxie (côté opposé au Centre galactique), à haute latitude galactique (le milieu de l’image est à 60◦ audessus du plan, qui lui est visible sur la droite de l’image). Trois courants stellaires (Sagittarius, Orphan et Monoceros) sont visibles sur cette image, le plus important étant celui du Sagittaire qui se dédouble en deux courants, correspondant à deux parties de l’orbite d’une galaxie naine capturée par notre Galaxie, dont on voit ici les débris. D’après Belokurov, V. et al. (2006) Astrophysical Journal 642, L137-140, avec l’autorisation de l’AAS.

sur la Voie lactée depuis sa formation. On a trouvé ces dernières années une douzaine de galaxies naines sphéroïdales compagnes de notre Galaxie : comme ces galaxies ont une très faible brillance de surface, et ne possèdent pas de gaz, elles sont très difficiles à découvrir. Lorsque les grands relevés du ciel comme le SDSS (Sloan Digital Sky Survey) auront été terminés, il est possible qu’ils révèlent une cinquantaine de ces galaxies naines. Notons que deux compagnons de notre Galaxie sont plus massifs et riches en gaz que ces galaxies naines : ce sont les deux Nuages de Magellan, qui sont aussi en interaction de marée avec la Voie lactée. Les queues de marée résultant de cette interaction constituent le Courant Magellanique, un anneau polaire qui entoure le halo de la Galaxie. Tout ceci sera précisé au Chapitre 8. Pour être complets, il nous faut signaler une composante stellaire dont la morphologie et la dynamique se rapprochent du halo stellaire : c’est l’ensemble des amas globulaires. Ce sont des amas d’étoiles très denses, de typiquement 100 000 étoiles, d’âge homogène. Leur distribution sphérique s’étend encore plus loin que le halo stellaire, jusqu’à 100 kpc du Centre galactique. Dans la Voie lactée, on en compte environ 150. Leurs étoiles sont très vieilles et très peu riches en éléments lourds ; ceci n’est pas une caractéristique générale dans les galaxies, car dans beaucoup d’entre elles, les amas globulaires sont jeunes. On pense qu’ils se forment au cours des fusions de galaxies.

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3.2.2

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Le bulbe

La Voie lactée possède un bulbe stellaire assez modeste. Ses caractéristiques sont intermédiaires entre celles d’un bulbe « classique », un ellipsoïde sans rotation peu concentré, et ce que l’on appelle un « pseudo-bulbe », qui se rapproche plus d’un disque par sa rotation, son aplatissement, et sa distribution plus concentrée. Nous verrons dans les chapitres suivants comment l’action de la barre peut former un pseudo-bulbe à partir du disque par évolution interne lente, séculaire. Nous verrons également que le fait que le bulbe ressemble à une boîte ou à une cacahuète montre que la barre a bien contribué à sa formation. Plusieurs types d’étoiles s’accumulent dans le bulbe : en général il s’agit de vieilles étoiles, mais des étoiles jeunes y ont aussi été découvertes. L’abondance des étoiles y offre une grande dispersion : de très pauvres en métaux jusqu’à de très riches, toutes les catégories s’y superposent. Il est vraisemblable que plusieurs mécanismes de formation ont contribué à l’élaboration du bulbe, et les études actuelles essaient de quantifier quelle fraction de la masse serait due à l’évolution interne à partir du disque, quelle fraction serait due à l’action gravitationnelle des compagnons, et quelle fraction viendrait des débris de marée. Le degré de rotation des étoiles autour du Centre galactique est crucial pour cette détermination : il est encore mal connu, en raison des ambiguïtés sur la distance des étoiles et de l’extinction par la poussière interstellaire. Les mouvements propres qui seront obtenus prochainement par le satellite astrométrique GAIA vont certainement faire progresser ce domaine.

3.2.3

Le disque épais

La plupart des galaxies spirales possèdent un disque épais (Figure 3.8). Le disque épais dans notre Galaxie n’a pu être mis en évidence que dans les années 1980–1990, grâce à l’étude des populations d’étoiles dans le voisinage solaire. Les étoiles du disque épais sont toutes vieilles, 12 milliards d’années environ. Leur abondance en éléments lourds est assez faible : elles contiennent 4 à 5 fois moins de fer que les étoiles du disque mince. Mais la répartition des abondances des différents éléments n’est pas la même : elles sont relativement plus riches en éléments « alpha », tels l’oxygène ou le magnésium. Ces particularités sont précieuses pour déterminer les mécanismes de formation, comme nous le verrons en détail au Chapitre 6. Comme le disque mince, le disque épais est en rotation, bien que moins rapide, tandis que la dispersion de vitesse des étoiles y est plus grande. Son épaisseur est à peu près quatre fois plus grande : 300 pc pour le disque mince, 1,2 kpc pour le disque épais au niveau du Soleil. Dans les parties externes de la Galaxie, les disques s’évasent, leur épaisseur s’accroît. On sait aussi qu’avec le temps, les étoiles du disque mince acquièrent de la dispersion de vitesses, après avoir été déviées par les accidents du potentiel gravitationnel : les nuages moléculaires géants ou les bras spiraux. Pourtant, leur hauteur

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Fig. 3.8 – À gauche : vue schématique des divers composants stellaires de la Voie lactée. À droite, exemples de disques épais, dans trois galaxies vues par la tranche. Les courbes montrent les profils normalisés du logarithme de la densité de surface des étoiles jeunes (trait plein), d’âge intermédiaire (pointillés) et vieilles (tirets). D’après Seth, A.C., Dalcanton, J.J. & de Jong, R.S. (2005) Astronomical Journal 130, 1574-1592, avec l’autorisation de l’AAS.

au-dessus du plan n’atteindra jamais celle des étoiles du disque épais. Il y a vraiment deux composantes, dont les mécanismes de formation sont peut-être différents. Nous les discuterons dans les Chapitres 5 à 8. Les disques épais sont aussi observés dans de nombreuses galaxies spirales, lorsqu’on les voit par la tranche. Un exemple en est donné sur la Figure 3.9.

3.2.4

Le disque mince

La composante stellaire principale de la Galaxie a une distribution radiale obéissant à une loi exponentielle, comme tous les disques de galaxies spirales. Son rayon caractéristique (celui où la densité est divisée par e = 2.72) est de 3 kpc, mais le disque s’étend jusqu’à 16 kpc de rayon. Le disque mince d’étoiles est associé à un disque encore plus mince de gaz, composé essentiellement d’hydrogène neutre, atomique et moléculaire selon sa densité locale ; nous verrons plus loin ses propriétés. C’est à partir des nuages

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Fig. 3.9 – Images négatives de la galaxie spirale vue par la tranche NGC 4762. Les flèches servent de repère pour montrer la différence d’épaisseur entre le disque mince, vu avec un temps de pose faible (à gauche), et le disque épais, vu avec une exposition plus profonde (à droite). D’après Tsikoudi, V. (1980), Astrophysical Journal Supplement 43, 365-377, avec l’autorisation de l’AAS.

de gaz moléculaire que se forment les nouvelles étoiles, et seul le disque mince se renouvelle ainsi en permanence, grâce à la formation d’étoiles qui se fait aujourd’hui à un taux de quelques masses solaires par an. Ces jeunes étoiles se forment en groupes, les amas ouverts, d’âge homogène. Mais très vite leur destin va se séparer, elles vont acquérir des vitesses désordonnées aléatoires, dues aux rencontres avec les ondes spirales ou avec d’autres nuages, et les amas vont se disperser, se dissoudre. Le temps nécessaire à une dissolution totale est de l’ordre du milliard d’années (plusieurs milliards dans de rares cas) ; mais déjà les étoiles les plus massives, qui ne vivent que quelques millions ou dizaines de millions d’années, ont alors disparu. On estime par ailleurs à 40 millions d’années la durée de vie moyenne des nuages moléculaires qui donnent naissance aux amas d’étoiles : ils sont dispersés par les vents stellaires et les explosions de supernovae. C’est donc dans le disque mince que l’on trouve les étoiles les plus jeunes. Mais il y subsiste toutefois des étoiles très vieilles : son âge moyen est estimé à environ 8–10 milliards d’années. Il y a un léger gradient d’abondance en fonction de la distance au centre, mais beaucoup moindre que celui auquel on pourrait s’attendre du fait que le centre de la Galaxie forme plus d’étoiles que

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les parties externes. En fait, les ondes qui balaient le disque en permanence, ondes spirales et barres, sont des processus qui mélangent le disque radialement. Il y a donc des migrations d’étoiles, dont le résultat est un mélange radial d’âge et d’abondances. Nous décrirons ces processus dans le Chapitre 5. Le Soleil, par exemple, qui est situé à environ 8,3 kpc du centre, n’a probablement pas été formé à cette distance, mais a dû migrer au cours du temps vers l’extérieur de la Galaxie. Il n’est pas facile de connaître l’histoire de la formation des étoiles de la Galaxie à partir de la distribution des âges de ces étoiles, ceux-ci étant assez incertains. Toutefois, il a été possible de montrer que la formation d’étoiles a été relativement régulière et soutenue au cours du temps. Ceci est contraire à ce que l’on attendrait d’une galaxie fonctionnant en circuit fermé, possédant dès le départ un réservoir de gaz qui s’épuise au cours du temps. En effet, le taux de formation d’étoiles étant proportionnel à la densité de gaz, la fraction de masse sous forme de gaz, et donc le taux de formation, devraient décroître de façon exponentielle en fonction du temps. L’histoire plus régulière de la formation d’étoiles nous indique que la Galaxie a régulièrement bénéficié d’accrétion de gaz à partir du milieu intergalactique.

3.3

Le milieu interstellaire dans la Galaxie

L’Annexe B rappelle des notions de base concernant l’interprétation des raies spectrales du milieu interstellaire, et pourra être consultée avec profit par les lecteurs peu familiers avec ce sujet, et aussi avec les notations utilisées par les radioastronomes.

3.3.1

Le milieu neutre atomique

Lorsque la densité est inférieure à environ 1000 atomes par cm3 , l’hydrogène interstellaire est essentiellement sous forme d’atomes quand il se trouve loin des sources de rayonnement ultraviolet capable de l’ioniser (énergie supérieure à 13,6 eV, soit une longueur d’onde plus petite que 91,1 nm). Cependant, ce milieu reste baigné par le rayonnement ultraviolet stellaire d’énergie inférieure à 13,6 eV, si bien que tous les atomes dont le potentiel d’ionisation est plus petit que 13,6 eV sont ionisés : c’est le cas de tous les éléments à l’exception des gaz rares, de l’azote et de l’oxygène. Mais pour ce dernier élément le potentiel d’ionisation est si proche de celui de l’hydrogène que la réaction d’échange de charge H+ + O ↔ H + O+ produit de l’oxygène ionisé dès que la température atteint quelques centaines de K. La raie 21 cm offre le moyen de choix pour étudier le gaz neutre atomique (Fig. 3.10). Lorsque l’épaisseur optique dans cette raie est faible, ce qui est souvent le cas, on obtient la densité de colonne de l’hydrogène atomique par l’expression simple : N (H) = 1, 83 × 1018 ∫ TB dv atome cm−2 (K km/s)−1 ,

(3.7)

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Fig. 3.10 – Profil de la raie 21 cm en absorption devant la radiosource RCW 49 (l = 284, 3◦ , b = −0, 3◦ ) et en émission au voisinage immédiat. L’absorption (en % du continuum de la radiosource) est mesurée de deux manières différentes : en trait plein, avec le radiotélescope de 64 m de Parkes en Australie, et en trait interrompu avec un interféromètre. Il n’y a pas d’absorption aux vitesses radiales supérieures à 5 km/s, ce qui permet d’avoir une distance approximative pour la radiosource, soit 5 kpc. L’absorption est très saturée, et la température de brillance mesurée en émission donne alors la température cinétique de l’hydrogène neutre, environ 70 K. D’après Goss, W.M., Radhakrishnan, V., Brooks, J.W. & Murray, J.D. (1972) Astrophysical Journal Supplement, 203, 123-159, avec l’autorisation de l’APS. où ∫ TB dv est l’intensité intégrée de la raie. Conformément à l’habitude des radioastronomes, l’intensité est exprimée sous forme de température de brillance TB (voir l’Annexe B) et la fréquence sous forme de vitesse radiale par la relation Doppler-Fizeau (v−v0 )/v0 = (V −V0 )/c, V0 étant une vitesse de référence, généralement celle du standard local des vitesses (LSR). On déduit des observations qu’il existe deux phases essentielles dans le milieu atomique : une phase relativement dense et froide (n ≈ 25 cm−3 , T ≈ 20–100 K), et une phase peu dense et tiède (n ≈ 0, 25 cm−3 , T ≈ 8000 K), qui ont des masses comparables dans le disque galactique, 1, 5 × 109 M chacune (voir le Tableau 2.4). Leur distribution est extrêmement inhomogène, en

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Nord Disque total Sud Ajustement exponentiel

103

100

102

10−1

101

0

101

(Mo pc-2)

Densité de surface (1018 cm−2)

nuages, nappes ou filaments. La première phase est chauffée par effet photoélectrique sur les grains de poussière interstellaire : les photons UV arrachent aux grains des électrons, lesquels ont une certaine énergie cinétique qu’ils communiquent aux ions puis aux atomes d’hydrogène. Elle est refroidie principalement par l’émission de la raie du carbone ionisé C+ à 158 μm, qui est excitée par les collisions avec les électrons libres et accessoirement les atomes H. La deuxième phase est principalement chauffée par le rayonnement X interstellaire, et refroidie par l’émission de cette même raie de C+ , à laquelle s’ajoute la raie de l’oxygène neutre O à 63 μm. Au niveau du Soleil, la demi-épaisseur du milieu dense et froid est de 100 pc environ, et celle du milieu tiède et peu dense, de 180 pc. La Figure 3.11 montre la distribution radiale de la composante atomique (froide + tiède) de la matière interstellaire. On constate que la densité de surface projetée de la masse de cette composante est sensiblement constante, de l’ordre de 10 M pc−2 , de 4 à 13 kpc de rayon galactocentrique. Les Figures 3.12 et 3.13 montrent comment varie son épaisseur moyenne dans la Galaxie.

5

10

15

20 R (kpc)

25

30

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Fig. 3.11 – Distribution radiale de la composante atomique du gaz interstellaire dans la Galaxie. La densité de surface projetée sur le plan galactique du nombre d’atomes d’hydrogène (à gauche) et de la densité de masse (à droite) de cette composante sont portées en échelle logarithmique en fonction du rayon galactocentrique. Un ajustement exponentiel ne correspond pas bien aux données, la distribution du gaz HI décroît plutôt en 1/R. Le Soleil est à un rayon de 8,5 kpc. D’après Kalberla, P.M.W. & Dedes, L. (2008) Astronomy & Astrophysics 487, 951-963, avec l’autorisation de l’ESO. Les raies d’absorption interstellaires offrent un autre moyen d’étudier la composante atomique du gaz interstellaire : nous en avons vu un exemple à la

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Fig. 3.12 – Variation radiale de l’épaisseur du gaz atomique et moléculaire dans la Galaxie. L’échelle de hauteur est définie comme la demi-épaisseur à une densité égale à la moitié de la densité maximale. On donne ici les valeurs moyennes dans une partie seulement de la Voie lactée (longitudes 80◦ –280◦ ). D’après Wouterloot, J.G.A., Brand, J., Burton, W.B. & Kwee, K.K. (1990) Astronomy & Astrophysics 230, 21-36, avec l’autorisation de l’ESO.

Fig. 3.13 – Carte de l’épaisseur du gaz atomique dans l’extérieur de la Galaxie. Elle est asymétrique, en relation évidente avec le gauchissement du disque, et quelque peu gondolée. D’après Levine, G.S., Blitz, L. & Heiles, C. (2006) Astrophysical Journal 643, 881-896, avec l’autorisation de l’AAS.

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fin du chapitre précédent. Elles permettent en particulier de déterminer son degré d’ionisation en mesurant le rapport d’abondance de couples ion/neutre comme Ca+ /Ca, et aussi d’obtenir la composition chimique du gaz. La Figure 3.14 compare l’abondance de divers éléments dans la ligne de visée de l’étoile ξ Persei à leur abondance dans le Soleil. On constate que la plupart des éléments sont sous-abondants dans le milieu interstellaire, quelquefois par des facteurs très importants, et ceci d’autant plus que leur température de condensation est plus élevée. Ces éléments se sont donc condensés sous forme de poussières, soit dans des enveloppes d’étoiles froides, soit dans le milieu interstellaire lui-même. La sous-abondance est moins marquée dans le milieu neutre tiède, ce qui indique une évaporation des grains, probablement sous l’effet des chocs, avec retour d’une partie des éléments à la phase gazeuse.

Fig. 3.14 – Abondance de certains éléments dans le milieu interstellaire neutre interposé devant l’étoile Persei, mesurée à partir du spectre ultraviolet obtenu avec le Télescope spatial Hubble. Elle est portée en unités logarithmiques par rapport à l’abondance solaire. Les dimensions verticales des symboles indiquent l’erreur. Seules des raies d’absorption faibles non saturées ont été utilisées, mais pour C, O et Mg, on a aussi indiqué l’abondance déduite des ailes d’amortissement de raies très saturés. La différence pour Mg résulte probablement d’une erreur sur un paramètre atomique. On a porté en abscisses la température de condensation de l’élément. D’après Cardelli, J.A. et al. (1991) Astrophysical Journal 377, L57-60, avec l’autorisation de l’ESO.

3.3.2

Le milieu moléculaire

On connaît aujourd’hui plus de 150 molécules dans le milieu interstellaire, découvertes principalement grâce à leurs raies de rotation en ondes millimétriques et submillimétriques. Elles se trouvent dans des « nuages » froids

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(10–30 K) et relativement denses (plus de 1000 molécules/cm3 ), qui ont une structure très complexe, probablement fractale. Ces fragments sont souvent réunis en grands complexes dits nuages moléculaires géants. Quelques molécules sont également présentes dans le milieu neutre atomique. Les molécules se forment, soit par une chimie complexe, essentiellement ionique, soit sur les grains de poussières qui font office de catalyseurs (c’est le cas notamment de H2 ). Ceux-ci sont d’ailleurs recouverts de glaces d’eau, méthane, ammoniac, alcool méthylique, etc., lorsqu’ils sont enfouis profondément dans les nuages moléculaires. Les molécules sont chauffées par divers processus, principalement par les protons du rayonnement cosmique dont l’énergie est de quelques dizaines de MeV, et refroidies par émission de raies ou par échange thermique avec les grains. La molécule interstellaire la plus abondante est certainement H2 . Malheureusement, elle n’est observable dans le milieu moléculaire, ni en émission, ni en absorption, car ses raies sont fortement interdites et l’énergie du premier niveau supérieur de rotation assez grande : on ne peut guère l’observer directement que dans les chocs. Pour avoir des informations sur le milieu moléculaire, notamment sa masse, on recourt à des molécules-traceurs dont la plus utilisée, et de loin, est le monoxyde de carbone CO, dont les premières raies de rotation à 2,6 et 1,3 mm sont énormément observées. Le problème est de remonter de l’intensité de ces raies, qui sont habituellement fortement saturées, à la densité de colonne de H2 donc de l’essentiel du gaz. On est amené pour le résoudre à observer également les raies des molécules isotopiquement substituées que sont 13 C16 O, 12 C18 O, sachant que 13 C16 O est environ 76 fois moins abondant que 12 C16 O ; 12 C18 O est environ 560 fois moins abondant que 12 C16 O. Il nous est impossible ici de nous étendre sur les différentes façons d’aborder ce problème, dont la solution reste entachée d’incertitudes non négligeables, et nous donnons seulement le résultat le plus récent : X = dN (H2 )/WCO ≈ 2, 5 × 1020 mol. cm−2 (K km/s)−1 ,

(3.8)

où WCO = ∫ T ∗ dv est l’intensité intégrée de la raie de CO à 2,6 mm (115 GHz). On peut aussi tenter d’utiliser l’émission de rayons gamma par le milieu interstellaire. L’interaction entre les protons cosmiques d’énergie supérieure à quelques centaines de MeV et les noyaux interstellaires (qu’ils soient sous forme d’atomes, de molécules ou de poussières) produit des gammas ; une autre source de gammas, qu’il n’est pas facile de séparer de la précédente, est le rayonnement de freinage des électrons cosmiques dans le champ électrostatique des noyaux. Les gammas ainsi produits, qui ont été cartographiés par différents satellites (voir la carte sur la Figure 1.8), ont une intensité proportionnelle à celle des particules cosmiques et à la densité de colonne du milieu interstellaire sous toutes ses formes. En principe, on peut donc déduire d’une carte du Ciel gamma la distribution de la matière interstellaire, et, en soustrayant la contribution du gaz atomique que l’on peut calculer, en tirer celle du gaz moléculaire (la contribution des poussières est négligeable

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à l’approximation requise). Cependant, on ne sait pas jusqu’à quel point la densité des protons et des électrons cosmiques est constante dans la Galaxie, et il existe des sources discrètes de rayonnement gamma dont on ne connaît pas bien la contribution, si bien que cette méthode n’est pas très sûre. Elle a néanmoins contribué à la détermination du paramètre X de l’équation (3.9). Par ailleurs, son application à de petites régions où l’on peut supposer la densité des particules cosmiques constantes a mis en évidence l’existence d’un « gaz manquant » en plus de celui qui est révélé par les raies 21 cm et de CO. Enfin, l’émission gamma se présente dans l’extérieur de la Galaxie comme un anneau, dont nous discuterons l’origine plus loin dans la Section 3.6. Une autre méthode, plus sûre, pour déterminer la quantité de matière interstellaire dans la Galaxie consiste à étudier la distribution de la poussière interstellaire et à en déduire celle du gaz en supposant un rapport poussières/gaz constant, ce qui semble être le cas (en d’autres termes, poussières et gaz sont bien mélangés). On a depuis plusieurs dizaines d’années utilisé l’extinction, ou plus exactement le rougissement par les poussières, telle qu’elle peut être mesurée en observant à différentes longueurs d’onde du visible à l’infrarouge le rougissement des étoiles, pour cartographier la densité de colonne dans un nuage moléculaire : on suppose alors que les étoiles dont le rayonnement est rougi sont toutes situées derrière le nuage (voir un exemple sur la Figure A1.4). Cette méthode est excellente tant qu’on n’atteint pas les régions très profondes du nuage (densité de colonne N (H) = 2N (H2 ) > 1023 atomes cm−2 ), où les poussières se recouvrent de glace, grossissent et n’ont pas les mêmes propriétés optiques que dans les régions superficielles. Plus récemment, on a commencé à utiliser l’émission thermique des poussières, qui sont chauffées par le rayonnement stellaire et réémettent l’énergie reçue en ondes submillimétriques. Il faut alors connaître leur température et leurs propriétés optiques dans ce domaine spectral pour déduire des observations leur densité de colonne, puis celle du gaz. C’est maintenant possible grâce aux satellites IRAS et PLANCK qui ont fourni des cartes presque complètes du Ciel, respectivement à 100 μm et à plusieurs longueurs d’onde de 350 μm à 850 μm. Connaissant les propriétés optiques des poussières à ces longueurs d’onde par l’observation de régions témoins, on obtient la température TD des poussières en chaque point de la carte à partir des rapports d’intensité aux différentes longueurs d’onde observées, puis l’épaisseur optique τD (ν) (toujours faible devant 1) de leur émission à une des fréquences ν observées, par la relation : (3.9) τD (ν) = Iν /Bν (TD ), où Iν est l’intensité observée et Bν (TD ) la luminance du corps noir à la fréquence ν et à la température TD . L’observation de régions de référence, où l’on peut être certain qu’il n’y a que de l’hydrogène atomique, permet d’obtenir l’épaisseur optique de l’émission des poussières par atome, soit [τD (ν)/N (H)]ref . On corrèle ensuite l’épaisseur optique point par point dans les cartes avec celle du gaz atomique

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+ moléculaire : la densité de colonne du gaz atomique est déduite de l’intensité de la raie 21 cm (équation (3.8)) et celle du gaz moléculaire de celle de la raie de CO à 2,6 mm (équation (3.9)). Cette corrélation est limitée aux latitudes galactiques |b| > 10◦ , donc au voisinage solaire, afin d’éviter autant que possible la superposition de différents nuages sur la ligne de visée. On a donc : τD (ν) = [τD (ν)/N (H)]ref [N (H) + 2N (H2 )] = [τD (ν)/N (H)]ref [N (H) + 2XW(CO)].

(3.10)

(

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Le résultat est montré sur la Figure 3.15 pour une des fréquences d’observation ; il est semblable aux autres fréquences submillimétriques observées. On constate une excellente corrélation entre τD (ν) et la densité de colonne du gaz pour N (H) < 8 × 1020 atomes cm−2 , ce qui correspond à des régions où il n’y a que du gaz atomique. La corrélation est également très bonne pour les régions où la densité de colonne du gaz N (H) = 2N (H2 ) > 5 × 1021 atomes cm−2 , dans les directions complètement dominées par le gaz moléculaire ; mais elle se dégrade pour les très fortes densités de colonne où les raies de CO ne permettent plus de détecter tout le gaz en raison de leur énorme épaisseur optique, et où les propriétés des poussières commencent

N

Fig. 3.15 – Corrélation entre l’épaisseur optique de la poussière interstellaire à la fréquence de 545 GHz (longueur d’onde 0,55 mm) et la densité de colonne du gaz. Les petits cercles bleus indiquent des valeurs moyennes pour chaque densité de colonne du gaz. On constate une bonne corrélation pour les faibles valeurs de cette densité de colonne, et aussi pour les fortes valeurs (ligne rouge), et un excès d’épaisseur optique pour les valeurs intermédiaires. D’après Ade, P.A.R. et al. (Collaboration PLANCK) (2011) Astronomy & Astrophysics, 536, A19, avec l’autorisation de l’ESO.

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à changer. La corrélation est la même dans ces deux régimes si l’on prend X = 2, 54 ± 0, 13 × 1020 mol. cm−2 (K km/s)−1 . On obtient ainsi la meilleure valeur actuellement disponible pour ce paramètre dans le voisinage solaire, qui est reportée dans l’équation (3.9). La région de densité de colonne intermédiaire correspond à un excès d’opacité des poussières, donc au « gaz manquant » dont nous avons parlé précédemment, qui avait déjà été soupçonné à partir des observations gamma. Il y a, à ce phénomène, une explication simple : lorsque le rayonnement ultraviolet des étoiles pénètre dans un nuage de gaz moléculaire, il existe une région où l’hydrogène moléculaire n’est pas complètement photodissocié alors que CO l’est entièrement, en C, C+ et O. Le gaz manquant est donc de l’hydrogène moléculaire sans CO. Dans le voisinage solaire, auquel correspondent les observations, sa masse est 28 % de celle du gaz atomique et 128 % de celle du gaz moléculaire détecté par les raies de CO, qui y est relativement peu abondant. Il n’est pas encore possible de savoir combien la Galaxie en contient au total, mais il est clair que les estimations de la quantité de gaz moléculaire dans la Galaxie faites à partir des raies de CO sont assez fortement sous-évaluées, probablement par au moins 30 %. La masse totale du milieu moléculaire doit être de l’ordre de 3 × 109 M , à peu près autant que celle du gaz atomique froid. La distribution radiale de la densité de surface du milieu moléculaire dans la Voie lactée est montrée sur la Figure 3.16. Cette densité décroît beaucoup plus vite que celle du milieu atomique (Figure 3.11), mais on a cependant détecté de faibles émissions de CO dans les régions les plus extérieures de la Galaxie, jusqu’à un rayon galactocentrique de 21 kpc. L’épaisseur du gaz moléculaire dans le disque est plus faible que celle du gaz atomique : voir la Figure 3.12.

3.3.3

Le milieu ionisé

Une partie de l’hydrogène interstellaire est ionisé par le rayonnement ultraviolet des étoiles chaudes et massives, de type O et B. Celles-ci se forment au sein des nuages moléculaires et ont une durée de vie limitée à quelques millions d’années (voir les Tableaux 2.2 et 2.3), donc restent à proximité de ce qui reste du nuage parent. Le milieu qu’elles ionisent est donc relativement dense. Les photons qui ionisent l’hydrogène, de longueur d’onde inférieure à 91,2 nm (énergie 13,6 eV), sont absorbés très aisément par les atomes d’hydrogène dont la section efficace d’ionisation est très grande : le peu d’hydrogène neutre reformé par la recombinaison des protons et des électrons dans le milieu ionisé est aussitôt ré-ionisé, et ceci jusqu’à une distance de l’étoile telle qu’il ne reste plus de photons ionisants. On a donc autour de l’étoile ionisante, ou du groupe d’étoiles ionisantes, une région plus ou moins sphérique (sphère de Strömgren) où l’hydrogène est presque entièrement ionisé, l’hydrogène restant neutre à l’extérieur : c’est une nébuleuse gazeuse, aussi nommée région HII (les astronomes désignent souvent les ions H+ de cette manière ; de même, CII correspond à C+ , OIII à O++ , etc.).

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R / R0

Fig. 3.16 – Distribution radiale de la densité de surface du milieu moléculaire. Elle est obtenue à partir de l’intensité de la raie de CO à 2,6 mm d’après Robinson et al. (1988) Astronomy & Astrophysics 193, 60-68, avec l’autorisation de l’ESO, en prenant X = 2, 5 × 1020 mol. cm−2 (K km/s)−1 . On a ajouté 30 % à la masse ainsi calculée pour tenir compte du gaz moléculaire manquant. La densité de surface est extrêmement élevée près du Centre galactique où la masse de gaz moléculaire est de l’ordre de 4 × 108 Mcirc dans un rayon de moins de 500 pc. La densité de surface est certainement très sous-estimée au-delà du rayon solaire, car le rapport d’abondance C/H et O/H diminue vers l’extérieur, donc le rapport CO/H2 , et il peut y avoir là une quantité mal connue mais qui peut être considérable d’hydrogène moléculaire sans CO. Les régions HII émettent des raies de recombinaison de l’hydrogène, dont celles de la série de Balmer qui tombent dans le domaine visible. D’autres raies de recombinaison correspondent à des transitions entre des niveaux très élevés et tombent dans le domaine radio. Ces raies sont très utiles pour obtenir la vitesse radiale de la nébuleuse, tandis que l’on peut obtenir la distance des étoiles excitatrices : ces paramètres ont servi à construire la carte de la Galaxie de la Figure 1.6. Par ailleurs, les régions HII émettent de nombreuses raies de structure fine de différents ions, qui sont excitées par collision avec les électrons. Ce sont des raies interdites par les règles de sélection et généralement inobservables au laboratoire : la probabilité d’émission spontanée à partir du niveau supérieur de la transition est très faible, mais comme ce niveau ne peut pas se désexciter autrement que par collisions, si la densité est faible, les transitions radiatives finissent par se produire. Ces raies sont donc très sensibles à la densité, qu’elles servent à mesurer. Elles donnent également

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l’abondance des ions qui les produisent, et on peut déduire la température du gaz (de l’ordre de 10 000 K) du rapport d’abondance de paires d’ions comme O+ et O++ . On constate que les abondances des éléments suivants, dans les régions HII proches du Soleil comme la Nébuleuse d’Orion, sont très semblables à celles dans le Système solaire : He, C, N, O, Ne, et S. Seul le fer est déficient par un ordre de grandeur. Ceci indique que les poussières, qui contiennent une très grande partie du C, N et O dans le milieu neutre, sont détruites dans les régions HII, à l’exception des plus réfractaires qui contiennent du fer. Cependant, les abondances dans les régions HII présentent un gradient avec le rayon galactocentrique, celles des régions extérieures du disque étant plus faibles. Ceci nous fournit un élément précieux pour étudier l’évolution de la Galaxie : nous y reviendrons au Chapitre 7. Les régions HII sont très souvent en contact avec ce qui reste du nuage moléculaire où se sont formées les étoiles excitatrices. La zone de transition est soumise à un rayonnement ultraviolet intense d’énergie inférieure à 13,6 eV, qui ionise certains éléments et dissocie les molécules, jusqu’à ce que ce rayonnement soit totalement absorbé par ces ionisations et dissociations, ainsi que par les poussières qui sont mélangées au gaz du nuage. La structure de cette zone, généralement désignée sous le nom de région de photodissociation (PDR, de l’anglais photodissociation region), est schématisée sur la Figure 3.17. Les régions de photodissociation sont extrêmement brillantes dans les raies de C+ à 158 μm et de O à 63 et 145 μm, ainsi que dans les raies de vibration de H2 dans l’infrarouge proche ; les poussières y sont fortement chauffées et leur rayonnement thermique dans l’infrarouge moyen et lointain est également très intense. Remarquons que ces régions de photodissociation ne sont pas fondamentalement différentes des régions où se cache le gaz moléculaire manquant dépourvu de CO, dont nous avons parlé au paragraphe précédent : elles sont simplement beaucoup plus brillantes dans l’infrarouge en raison de l’intensité particulièrement grande du rayonnement ultraviolet, et leur température est plus élevée. La pression dans les régions HII est beaucoup plus grande qu’au dehors, en raison de leur température élevée. Une région HII est donc toujours en expansion, et finit par fuir dans le milieu interstellaire par l’endroit de sa périphérie où elle rencontre le moins de résistance (effet champagne). C’est ce phénomène qui limite la durée de vie des régions HII à environ 104 ans en moyenne, ce qui est beaucoup plus court que la durée de vie des étoiles excitatrices. Le gaz ainsi libéré reste longtemps ionisé, car le temps caractéristique de recombinaison de l’hydrogène est de l’ordre de 6 × 106 ans à la densité de 0,03 atome cm−3 que l’on rencontre dans le milieu interstellaire en dehors des nuages. Assez curieusement, sa température reste élevée malgré son expansion adiabatique, environ 8000 K, ce qui indique l’existence d’une source de chauffage encore mal connue, peut-être la dissipation de la turbulence du plasma.

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Fig. 3.17 – Structure d’une région de photodissociation. Le rayonnement ultraviolet des étoiles excitatrices de la région HII pénètre dans le nuage moléculaire adjacent, tout en s’affaiblissant en raison de l’absorption par les dissociations de molécules qu’il produit et par les poussières mélangées au gaz. La région HII est limitée par un front d’ionisation au-delà duquel il n’y a plus de photons d’énergie supérieure à 13,6 eV. L’hydrogène est donc atomique et l’oxygène est neutre, tandis que le carbone et les métaux sont ionisés. L’hydrogène moléculaire, très résistant à la photodissociation, persiste à peu de profondeur. Plus profond, au-delà d’un front de photodissociation peu marqué, il subsiste d’autres molécules, mais CO est partiellement photodissocié en C, C+ et O. Ce n’est que plus profond qu’il n’est pas affecté. Les températures du gaz typiques de ces différentes zones sont indiquées.

La masse totale de ce gaz ionisé diffus dans la Galaxie est assez incertaine, probablement de l’ordre de 5 × 108 M .

3.3.4

Les restes de supernovae, les bulles et le gaz très chaud

Les étoiles massives terminent leur vie par une violente explosion en tant que supernovae. Un autre type de supernovae (SN Ia) est formé par l’explosion de la matière accrétée sur une étoile naine blanche faisant partie d’un système binaire serré. Les supernovae apparaissent en moyenne tous les 50 ans dans une galaxie comme la nôtre. Dans les deux types, l’énergie cinétique de l’enveloppe éjectée est de l’ordre de 4 × 1050 ergs, dont la plus grande partie sert à agiter le milieu interstellaire. Cette enveloppe est en expansion rapide, qui peut atteindre 20 000 km/s au début, et est limitée par un choc. Celui-ci chauffe le milieu interstellaire qui le traverse, si bien que le reste de supernova contient à l’intérieur de l’enveloppe du gaz à plus de 106 K. Par ailleurs, ce choc, qui contient du champ magnétique issu de l’étoile ou du

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milieu interstellaire, accélère les particules chargées, ions et électrons, jusqu’à des énergies énormes : il faut voir là l’origine des rayons cosmiques. Au bout d’environ un million d’années, le reste de supernova se disperse dans le milieu environnant. Le gaz interne s’est quelque peu refroidi par expansion adiabatique, mais sa température reste comprise entre 105 et 106 K et il est totalement ionisé, les ions lourds étant d’ailleurs multi-ionisés. On retrouve ce gaz très chaud dans le milieu interstellaire dont il occupe une fraction notable, estimée à environ 30 % en volume dans le plan galactique, avec une densité de l’ordre de 10−3 cm−3 : il se manifeste par son émission en rayons X et par l’existence d’ions très ionisés (NV, OVI) qui produisent des raies d’absorption dans l’ultraviolet lointain. Malgré cette faible densité, la pression y est élevée ce qui fait qu’il se répand dans le halo de la Galaxie ; il finit par s’y refroidir au bout de quelques 108 ans, se condense et retombe vers le plan galactique (fontaine galactique). Comme les étoiles massives sont rarement isolées mais sont généralement groupées en associations, un certain nombre d’étoiles d’une association peuvent exploser comme supernovae à des intervalles de temps rapprochés. Par ailleurs, les étoiles O perdent beaucoup de matière avant leur explosion sous la forme d’un vent stellaire très chaud (105 à 106 K) dont la vitesse est de l’ordre de 2 000 km/s et l’énergie totale comparable à celle d’une supernova. L’effet collectif de ces explosions et de ces vents forme une gigantesque bulle (100 à 1000 pc de diamètre), en expansion à une vitesse de quelques dizaines de km/s. Son énergie cinétique totale peut dépasser 1053 ergs, donc beaucoup plus que celle d’un reste de supernova isolé. Ces bulles sont remplies d’un gaz très chaud, qui rayonne en X, tandis que leur enveloppe en expansion est visible optiquement. Nous avons vu au chapitre précédent que nous nous trouvons à l’intérieur d’une bulle, plutôt âgée car les étoiles qui l’ont formée ont disparu. Au bout de quelques dizaines de millions d’années, les bulles finissent par se disperser dans le milieu interstellaire général, comme les restes de supernovae isolés, et participent donc au gaz chaud dont nous venons de parler. Cette dispersion prend souvent l’aspect d’une cheminée perpendiculaire au plan galactique, et il se peut que dans des cas extrêmes le gaz soit éjecté hors de la Galaxie pour se répandre dans le milieu intergalactique.

3.4

Champs de rayonnement, champ magnétique, particules cosmiques et rayonnement radio

Nous sommes baignés par un rayonnement électromagnétique à toutes les longueurs d’onde. Ce qui nous provient de l’Univers lointain est relativement faible, à l’exception bien entendu du rayonnement cosmologique identique à celui du corps noir à 2,726 K, qui domine complètement le spectre submillimétrique et millimétrique de 500 μm à 2 mm environ. La Figure 3.18

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Fig. 3.18 – Le rayonnement électromagnétique observé à haute latitude galactique, de l’ultraviolet lointain aux ondes millimétriques. Le produit de la fréquence par la luminance monochromatique du Ciel est porté en fonction de la longueur d’onde, pour les différentes sources de rayonnement. L’intérêt d’utiliser ce produit vIv = λIλ est que cette quantité considérée dans un intervalle logarithmique quelconque de fréquence (ou de longueur d’onde) représente directement l’énergie totale dans cet intervalle. Les poussières se manifestent par la faible lumière stellaire qu’elles diffusent dans le visible (points réunis par des traits interrompus à gauche) et par leur émission dans l’infrarouge. Les bandes à 3,3, 6,2, 7,7 et 11,3–12,7 μm ainsi que le continuum sous-jacent sont dus à l’émission thermique hors équilibre des très petits grains aromatiques polycycliques hydrogénés (PAHs). Le continuum à plus grande longueur d’onde est l’émission thermique des poussières plus grosses. D’après Leinert, Ch. et al. (1998) Astronomy & Astrophysics Supplement 127, 1-99, avec l’autorisation de l’ESO.

schématise l’intensité du rayonnement électromagnétique aux différentes longueurs d’onde, tel qu’on l’observe à des latitudes galactique élevées, en faisant abstraction de ce que nous recevons de la haute atmosphère terrestre et du système solaire (lumière zodiacale). Il provient donc des étoiles et du milieu interstellaire. Cette figure ne montre pas la faible émission radio en ondes centimétriques à décamétriques, ainsi que l’émission de rayons X et gamma, dont nous parlerons par la suite. Il est assez malaisé de connaître le rayonnement électromagnétique global de la Galaxie, étant donnée notre position défavorable à l’intérieur, mais on estime que la moitié du rayonnement stellaire est absorbé par les poussières et re-rayonné dans l’infrarouge lointain. Le rayonnement ultraviolet ambiant, qui joue un grand rôle dans la physique

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du milieu interstellaire, fait l’objet de la Figure 3.19. Il peut évidemment être très différent dans d’autres régions de la Galaxie. Nous ne mentionnons qu’en passant le rayonnement X, qui provient de sources discrètes (étoiles et restes de supernovae), du gaz très chaud, et des électrons cosmiques très relativistes : aux basses énergies, de l’ordre du millier d’électron-volts (keV), il est très variable d’un endroit à l’autre de la Galaxie en raison de l’absorption par le milieu interstellaire ; voir la Figure 1.8 où cette absorption est bien visible aux basses latitudes galactiques.

Fig. 3.19 – Le rayonnement ultraviolet du Ciel. Le flux intégré sur toute la sphère céleste autour du Soleil est porté en fonction de la longueur d’onde. Il provient des étoiles chaudes. Ce flux est pratiquement nul aux longueurs d’onde inférieures à 912 Å (91,2 nm), en raison de l’absorption par l’hydrogène atomique. Le minimum à 1216 Å correspond à l’absorption dans la raie Lyman α de l’hydrogène. D’après Gondhalekar, P.M., Philips, A.P. & Wilson, R. (1980) Astronomy & Astrophysics 88, 272-280, avec l’autorisation de l’ESO.

Le milieu interstellaire est partout conducteur de l’électricité : il existe toujours des électrons à l’état libre, puisque les métaux et le carbone sont ionisés dans les régions soumises à un rayonnement ultraviolet. Même les nuages moléculaires sont conducteurs car les rayons cosmiques y créent une faible ionisation. L’ensemble du milieu interstellaire peut donc contenir, et contient effectivement un champ magnétique dont l’intensité est de l’ordre de 3 μgauss (3 × 10−10 tesla) dans le milieu diffus. On peut le mesurer grâce à

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la rotation Faraday du plan de polarisation des ondes radio dans le milieu diffus ionisé, ou à partir du rayonnement synchrotron galactique (voir plus loin), ou enfin par la polarisation de la lumière des étoiles qui est produite par les grains de poussières orientés par le champ magnétique. On observe qu’à une composante d’environ 1,4 μgauss, orientée régulièrement à grande échelle parallèlement aux bras spiraux, se superpose une composante aléatoire ayant une intensité du même ordre, qui reflète les mouvements turbulents dans le milieu interstellaire. Dans les nuages plus denses, il est possible de mesurer le champ magnétique par effet Zeeman sur la raie 21 cm ou sur les raies radio des molécules OH et CH. On observe ainsi qu’il n’y a pas conservation du flux magnétique lors de l’effondrement des nuages, ce qui indique une évacuation partielle du champ magnétique par la diffusion ambipolaire qui se produit inévitablement dans le plasma. Le champ magnétique joue donc un rôle de moins en moins important lorsqu’un nuage s’effondre pour former des étoiles. Une autre composante du milieu interstellaire, que nous avons seulement mentionnée en passant, est le rayonnement cosmique : terme consacré mais particulièrement inapproprié puisqu’il s’agit de particules chargées, qui sont des noyaux, des électrons et même des positrons. On y retrouve tous les éléments, mais avec des abondances quelque peu différentes des abondances dans le Soleil ou le milieu interstellaire : les éléments lourds sont en général plus abondants par rapport à l’hydrogène, et les éléments légers que sont Li, Be et B, qui sont aisément détruits par les étoiles et donc rares, sont au contraire très abondants dans le rayonnement cosmique. La Figure 3.20 montre le spectre d’énergie de trois noyaux (H, He et Fe), tel qu’il est observé en dehors de l’atmosphère terrestre entre 0,01 et 100 milliards d’électron-volts par nucléon (GeV/n). La retombée variable avec le temps de l’intensité aux basses énergies est due à la modulation par le champ magnétique associé au vent solaire ; aux énergies inférieures à quelques dizaines de millions d’électron-volts (MeV), la remontée est due aux rayons cosmiques d’origine solaire, et n’a rien à voir avec les rayons cosmiques galactiques. On ne connaît donc pas directement le flux de particules cosmiques aux énergies inférieures à environ 3 GeV/n, et la figure montre une extrapolation plausible à ces énergies. Entre 3 et 300 GeV/n, le spectre d’énergie, qui est bien connu, est représenté par une loi de puissance de la forme : I(E) = 1, 34 × 104 E −2,6 m−2 s−1 sterad−1 (GeV/n)−1 ,

(3.11)

I(E) étant le flux et E l’énergie en GeV/n. Les particules cosmiques de toutes espèces sont accélérées dans les chocs magnétiques qui entourent les restes de supernovae, au moins jusqu’à 300 GeV/n. Au-delà, il existe des particules cosmiques jusqu’à des énergies extrêmement élevées, jusqu’à 1020 eV, dont l’origine est très probablement extragalactique. Il est intéressant de constater qu’il y a approximativement égalité, dans le plan de la Galaxie, entre la densité d’énergie uC des rayons cosmiques, celle

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Fig. 3.20 – Spectre d’énergie du rayonnement cosmique observé pour les protons (H), les particules α (He) et les noyaux de fer. En dessous de 104 MeV/nucléon, les courbes se divisent : la courbe la plus élevée correspond au minimum d’activité solaire, et la courbe la plus basse au maximum d’activité : c’est la modulation solaire. Aux très basses énergies, la remontée est due aux rayons cosmiques d’origine solaire. La courbe en trait gras est une estimation du spectre des protons en dehors de la cavité solaire, due à Prantzos. D’après Silberberg, R. & Tsao, C.H. (1988) in Genesis and Propagation of Cosmic Rays, ed. Shapiro, M.M. & Wefel, J.P., Reidel, Dordrecht, p. 41.

de l’énergie cinétique uturb du gaz interstellaire qui est dominée par des mouvements macroscopiques principalement turbulents et enfin celle du champ magnétique uB . Chacune vaut environ 4 × 10−12 erg cm−3 , soit 2,5 eV cm−3 . Ce n’est bien sûr pas un hasard. La raison en est que les rayons cosmiques excitent dans le milieu interstellaire, qui est un plasma où s’applique l’approximation magnétohydrodynamique, des ondes d’Alfvén, qui à leur tour diffusent les particules. En plus des noyaux du rayonnement cosmique, on détecte au voisinage de la Terre des électrons d’énergie comprise entre 1 et 103 GeV au moins, dont le flux à 10 GeV est le centième de celui des protons. Ils sont, eux aussi, accélérés dans les chocs des restes de supernovae. Environ 1 % des particules légères sont des positrons qui proviennent de réactions à haute énergie entre les protons cosmiques et les noyaux interstellaires : ces réactions produisent, entre autres, des mésons π + et π − , lesquels se décomposent en

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muons chargés puis respectivement en positrons et en électrons. Le spectre d’énergie des électrons, tel qu’il est observé dans l’environnement solaire, donc affecté par la modulation solaire et surtout par les pertes synchrotron dans le champ magnétique emporté par le vent solaire, est représenté par une loi de puissance : I(E) = 700E −3,3 m−2 s−1 sterad−1 GeV−1 . (3.12) Les particules cosmiques, étant chargées, ont leurs trajectoires déterminées par le champ magnétique galactique : elles spiralent autour des lignes de force avec un rayon de gyration r donné par : r = 3, 33 × 1012 A/QE/B cm,

(3.13)

pour une particule relativiste. A est le nombre de masse, Q le nombre de charge, E l’énergie par nucléon en GeV/n et B le champ magnétique en μG. Par exemple, un proton de 106 GeV dans un champ de 5 μG a un rayon de giration de 7 × 1017 cm, soit 0,2 pc. Les particules cosmiques sont donc bien confinées dans la Galaxie par le champ magnétique et mettent longtemps à s’en échapper : l’étude de leur composition en éléments et de la durée de vie d’isotopes radioactifs comme 10 Be, qui sont formés par décomposition de noyaux cosmiques plus lourds lors de leurs rencontre avec des noyaux interstellaires (réactions de spallation), montre qu’elles passent en moyenne une vingtaine de millions d’années dans la Galaxie avant de s’échapper, et que la densité de colonne autour de leur trajectoire correspond à une masse traversée (le grammage) d’environ 7 g cm−2 . On déduit aisément de ces chiffres que les particules cosmiques séjournent pendant 1/5 de leur durée de vie dans le disque galactique, et pendant le reste du temps dans le halo autour du disque, qui contient très peu de matière. L’interaction des particules cosmiques avec le milieu interstellaire produit des photons gamma par trois mécanismes différents. 1 : interactions nucléaires entre noyaux de haute énergie et noyaux interstellaires, qui produit entre autres des mésons neutres π 0 qui se décomposent en deux photons gamma ; 2 : rayonnement de freinage (Bremsstrahlung) des électrons cosmiques dans le champ électrostatique des noyaux ; 3 : effet Compton inverse, c’est-à-dire diffusion inélastique des électrons de haute énergie sur les photons de basse énergie, essentiellement ceux du rayonnement cosmologique qui dominent sauf à proximité des sources intenses (Figure 3.21). Nous avons vu que l’observation du rayonnement gamma par satellites permet dans une certaine mesure de déterminer la masse du milieu interstellaire et sa distribution à grande échelle. L’interaction des électrons cosmiques d’énergie relativiste (E  1 MeV) avec le champ magnétique galactique produit des photons radio par le mécanisme synchrotron (Bremsstrahlung magnétique). La découverte au début des années 1950 de ce rayonnement, qui se produit dans de très nombreuses situations astrophysiques, notamment dans les restes de supernovae, a été, avec

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Fig. 3.21 – Spectre d’énergie de l’émission diffuse des régions internes de la Galaxie en rayons X durs et gamma, observée avec différents satellites. Pour rendre la figure plus lisible, le flux a été multiplié par le carré de l’énergie par nucléon, E 2 . Le spectre observé est comparé avec le spectre théorique déduit du spectre d’énergie des protons et des électrons cosmiques. La contribution des trois mécanismes mentionnés dans le texte (π 0 = décroissance π 0 , brems = bremsstrahlung, IC = Compton inverse) est indiquée. L’annihilation en vol électron-positron (e+ -e− ) pourrait donner l’excès possible entre 1 et 10 MeV. L’excès observé en X durs par OSSE est dû à des sources discrètes de rayonnement synchrotron, produit par des électrons de très haute énergie accélérés dans les restes de supernovae et les pulsars. Ces électrons produisent également, par le mécanisme Compton inverse, des gammas de très haute énergie étudiés actuellement par l’instrument H.E.S.S. Vers l’extérieur de la Galaxie, le spectre observé est différent, ce qui peut indiquer, soit une déficience en électrons, soit un spectre des protons plus mou, ou enfin un autre mécanisme de production (voir la Section 3.6 de ce chapitre). D’après Aharonian, F.A. & Atoyan, A.M. (2000) Astronomy & Astrophysics 362, 937-952, avec l’autorisation de l’ESO.

celle de la raie 21 cm, le premier grand succès de la radioastronomie. L’émission synchrotron est fortement polarisée linéairement, et c’est cette propriété relativement rare en astrophysique qui permet de la reconnaître à coup sûr. La fréquence caractéristique νc du rayonnement synchrotron d’électrons d’énergie E dans un champ magnétique B est : νc = 16, 1E 2B MHz,

(3.14)

où E est en GeV et B en μG. Ainsi, un électron de 2 GeV émet autour de 300 MHz dans un champ magnétique typique de 5 μG. Un spectre d’énergie

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E des électrons en loi de puissance dn(E) = KE −γ dE

(3.15)

produit un spectre radio également en loi de puissance, comme observé : I(ν) ∝ KB (γ+1)/2 ν −(γ−1)/2 .

(3.16)

Le spectre radio du continuum synchrotron de la Galaxie est bien en loi de puissance, avec une pente de −0,75 qui correspond à γ = 2,5. Ainsi, la pente du spectre d’énergie des électrons relativistes est semblable à celle des noyaux cosmiques, γ = 2,6 (voir l’équation (3.12)), mais diffère de celle qui est observée pour les électrons au voisinage de la Terre, γ = 3,3 (équation (3.13)) : ces électrons sont, en fait, affectés par les pertes synchrotron dans le champ magnétique du vent solaire. Ceci nous met en garde vis-à-vis de la tentation de combiner le flux d’électrons observés près de la Terre avec le continuum synchrotron galactique pour obtenir le champ magnétique. L’émission radio de la Galaxie est dominée aux longueurs d’onde plus grandes qu’environ 20 cm (fréquence inférieure à 1,5 GHz) par le rayonnement synchrotron diffus, auquel s’ajoute celui des restes de supernovae (voir la Figure 1.8) ; aux longueurs d’onde plus courtes, c’est le rayonnement thermique free-free du gaz ionisé qui domine, tandis que le rayonnement thermique des poussières prend le relais vers 3 mm (100 GHz). Le rayonnement radio synchrotron est bien plus étendu en latitude galactique que ces rayonnements thermiques, ce qui signifie qu’il occupe un halo épais. Il est difficile de mettre en évidence ce halo dans notre Galaxie en raison de notre position défavorable et de l’absence de critères de distance pour les ondes radio, mais on en voit très fréquemment dans des galaxies spirales vues par la tranche, dont un exemple est montré sur la Figure 3.22.

3.5

La structure spirale de la Galaxie

Un trait caractéristique des galaxies du type auquel appartient la nôtre est l’existence d’une structure spirale (Figure 3.23). La présence d’une telle structure dans un grand nombre de galaxies pose un problème que l’on peut résumer comme suit : si une structure spirale existe à un instant donné, elle est détruite en un temps de l’ordre de 108 années par la rotation différentielle. Il faut donc qu’un mécanisme quelconque vienne compenser l’effet de la rotation différentielle en rigidifiant les bras, ou bien admettre que les bras spiraux sont des zones de compression d’une onde qui est stationnaire ou quasi-stationnaire dans un système de référence en rotation. Différentes théories ont été imaginées dans le passé pour « rigidifier » les bras spiraux. On a notamment supposé que le champ magnétique gouverne le mouvement du gaz, les bras étant des lignes de force magnétique. Dans une telle théorie, le gaz canalisé par le champ magnétique doit s’écouler le

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Fig. 3.22 – L’émission radio de la galaxie spirale NGC 891 vue par la tranche. Les contours blancs montrent l’émission dans le continuum radio à 1412 MHz (21,2 cm), superposée à une image optique. La petite ellipse en bas à gauche représente la résolution angulaire de l’instrument utilisé (l’interféromètre de Westerbork aux PaysBas). On constate que l’émission est beaucoup plus épaisse que la galaxie visible, formant un halo radio. D’après Allen, R.J., Baldwin, J.E. & Sancisi, R. (1978) Astronomy & Astrophysics 62, 297-409, avec l’autorisation de l’ESO.

long des bras pour compenser la rotation différentielle. Il doit alors exister un point neutre où le gaz est en repos par rapport au bras : à ce rayon, il y a co-rotation entre le bras et la matière du disque dans son ensemble. Aux rayons galactocentriques plus grands, le gaz doit s’écouler vers l’extérieur, et à l’inverse s’écouler vers l’intérieur aux rayons plus petits, ce qui implique un apport continuel de gaz au niveau du point neutre. Or, on n’observe rien de tel, et de plus les mouvements du gaz le long des bras ne sont pas observés. Ce type de théories, qui a eu son heure de gloire au début des années 1960, doit

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Fig. 3.23 – Schéma de la structure spirale de la Galaxie. La largeur réelle des bras est certainement supérieure à celle que l’on voit dans ce schéma qui ne veut indiquer que leur position. donc être abandonné. D’ailleurs, le champ magnétique est mieux connu qu’à cette époque, et se révèle trop faible pour maintenir une structure spirale. On doit donc considérer que l’origine des bras est gravitationnelle. Après les travaux de pionnier de Bertil Lindblad (1895–1965) et d’Alar Toomre, également au début des années 1960, la solution définitive est venue des astronomes sino-américains Chia-Chiao Lin et Frank Shu en 1964 : les bras spiraux sont des ondes de densité formées et maintenues pendant des milliards d’années par instabilité gravitationnelle ou sous l’effet de perturbations gravitationnelles qui n’ont pas la symétrie cylindrique. Dans notre Galaxie, la perturbation la plus importante provient de la barre centrale. Nous y reviendrons au Chapitre 5. Pour l’instant, nous nous contenterons de mentionner que la dispersion de vitesse des constituants du disque stabilise la matière visà-vis des instabilités : on n’obtiendra ainsi de structure spirale très marquée que pour les systèmes où la dispersion de vitesse n’est pas trop élevée, essentiellement le gaz et les étoiles relativement jeunes. Les simulations numériques confirment bien ces idées. Nous avons vu qu’il était possible de tracer plus ou moins bien les bras spiraux à partir de la vitesse radiale du gaz et des régions HII, améliorée quand on peut avoir en plus les distances des zones émettrices. Cependant, pour mieux comprendre ce qui se passe, il vaut mieux se tourner vers les

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galaxies extérieures car notre position est très défavorable. Par exemple, on peut observer en raie 21 cm des anomalies de la vitesse du gaz au passage des bras spiraux, qui montrent qu’il ne suit pas alors une rotation uniforme (Figure 3.24). Mais la meilleure confirmation de l’idée que les bras sont des ondes de densité provient des simulations numériques, qui rendent très bien compte de ce qu’on observe.

Fig. 3.24 – Champ de vitesses radiales de la galaxie M 81, superposé à une image en lumière visible. La petite ellipse en bas à droite donne le pouvoir de résolution des observations en raie 21 cm qui fournissent les vitesses radiales. On constate que les lignes isovitesses sont souvent infléchies au niveau des bras, ce qui indique des mouvements systématiques par rapport à la rotation dus au passage de l’onde spirale. D’après Rots, A.H. (1975) Astronomy & Astrophysics 45, 43-55, avec l’autorisation de l’ESO.

Revenons à notre Galaxie. Jusqu’à récemment, on n’avait aucune information sur la structure spirale de la composante stellaire du disque galactique, dont on soupçonnait cependant l’existence puisque les ondes de densité sont des phénomènes d’origine gravitationnelle qui doivent affecter aussi bien les étoiles que la matière interstellaire. Le disque stellaire n’est bien visible que

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dans l’infrarouge, où la lumière est moins dominée par les étoiles jeunes et les nébuleuses gazeuses que dans le visible, et où l’on s’affranchit assez bien de l’extinction interstellaire. Les images de galaxies proches dans l’infrarouge montrent que la structure spirale existe bien dans le disque stellaire, mais qu’elle est beaucoup plus simple que celle que l’on voit en lumière visible (Figure 3.25). Certaines structures spirales secondaires n’apparaissent presque pas dans l’infrarouge.

Fig. 3.25 – La galaxie M 83 dans le visible (à gauche) et dans l’infrarouge (à droite). On constate que seuls les deux bras spiraux les plus marqués dans le visible apparaissent bien dans l’infrarouge, les autres structures étant peu notables. La c ESO, remerciements à barre est également bien mieux visible dans l’infrarouge.  Misha Schirmer.

Dans notre Galaxie, on constate alors que si le bras Croix-Écu-Centaure est bien visible dans la composante stellaire, ce n’est pas le cas du bras SagittaireCarène : les étoiles de tous âges (sauf les plus jeunes) dessinent donc une structure à deux bras principaux, les deux bras secondaires étant surtout dominés par le gaz et les étoiles très jeunes de la Population I. Les deux bras principaux, Croix-Écu-Centaure et Persée, paraissent connectés aux extrémités de la barre centrale qui est certainement à l’origine des ondes de densité symétriques que sont ces bras.

3.6

La matière noire dans la Galaxie

Comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, l’étude cinématique de la matière qui tourne autour du centre de notre Galaxie, et en particulier du gaz, nous renseigne sur la masse totale comprise dans la Voie lactée. Bien que les distances soient assez mal connues au-delà du Soleil, les observations

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Fig. 3.26 – Profil de l’émission infrarouge des régions intérieures de la Galaxie. Le nombre de sources par degré carré dans une bande de 2◦ de large le long du plan galactique est porté en fonction de la longitude galactique pour différentes longueurs d’ondeă : bandes J (1,2 μm), H (1,6 μm) et K (2,2 μm) (données du catalogue GLIMPSE), et 4,5 μm (données du satellite SPITZER). Les longitudes où les bras spiraux sont observables tangentiellement (en enfilade) sont indiquées. Il n’y a ici aucune trace des bras Sagittaire-Carène et Norma, tandis que les deux côtés du bras Croix-Écu-Centaure apparaissent nettement (voir la Figure 3.23 pour la géométrie de ces bras). La structure nommée « 3-kpc » pour des raisons historiques est en fait un anneau entourant le centre de la Galaxie au niveau des extrémités de la barre. À 4,5 μm, il n’y a pratiquement pas d’extinction par les poussières, tandis que les profils aux longueurs d’onde plus courtes sont affectés par l’extinction, qui est très irrégulière. D’après Benjamin, R.A. et al. (2005) Astrophysical Journal 630, L149-152, avec l’autorisation de l’AAS.

mettent en évidence une courbe de rotation à peu près plate jusqu’au dernier point de mesure, comme dans toutes les autres galaxies spirales. Alors que la prise en compte de la matière visible seule (bulbe et disque d’étoiles et de gaz) prédit une vitesse de rotation qui décroîtrait à partir du Soleil (Figure 3.27), l’observation d’une courbe de rotation Vrot (R) plate implique l’existence de masse invisible, au moins au-delà du Soleil. La masse M (R) comprise à l’intérieur d’un rayon R donné croît alors linéairement avec R, en première approximation ; dans l’hypothèse simplificatrice où la masse aurait 2 . une distribution sphérique, on aurait GM (R) = RVrot

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R (kpc)

Fig. 3.27 – Vitesse de rotation de la Voie lactée V (en km/s), en fonction de la distance au centre R. Les données qui résultent de l’observation du gaz sont représentées par les symboles étoilés (une version plus élaborée est présentée sur les Figures 3.2 et 3.29). Le modèle ajusté aux données (courbe en trait plein épais) est composé d’un bulbe (B) d’un disque (D) et d’un halo sphérique de matière noire (H), dont les contributions sont les courbes en pointillés. La courbe en trait plein mince représente la somme des contributions de la matière visible (bulbe + disque). Le besoin d’un halo de matière noire se fait sentir au-delà du Soleil.

Dans notre Galaxie, dont le type morphologique est SBb dans la séquence de Hubble, comme dans toutes les spirales massives de type Sa, Sb et Sc de cette séquence, la nécessité de matière noire apparaît seulement dans les parties externes du disque, en gros après le rayon où se trouve le Soleil dans la Voie lactée. Le centre de ces galaxies est donc dominé par la matière visible. Il est possible qu’il y ait aussi de la matière noire au centre, mais sa quantité est difficile à estimer, en raison de l’incertitude sur le rapport masse-luminosité M /L des étoiles, puisqu’on déduit la masse de la composante stellaire, de sa luminosité. Ce rapport dépend bien sûr des populations stellaires, de leur âge et de leur métallicité. La dispersion du rapport M /L est plus grande si l’on utilise la luminosité en lumière visible que si on se sert de l’infrarouge proche, mais même dans ce dernier cas la dispersion peut être d’un facteur 2 à 3. Pour connaître la distribution de matière noire au centre des galaxies, il faut avoir recours aux galaxies naines, de faible brillance de surface, qui sont tellement dominées par la matière noire que la contribution des étoiles à la masse totale est négligeable : alors une erreur d’un facteur 2–3 sur le rapport M /L n’a aucune conséquence sur la quantité de matière noire déduite de la courbe de rotation. Dans ces galaxies, la distribution de la matière noire a, dans ses régions centrales, une densité par unité de volume sensiblement

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constante, qui ne croît pas de façon singulière au centre comme le prédisent certaines simulations numériques de la formation des galaxies. On peut supposer que cette distribution de la matière noire s’applique aussi aux galaxies spirales. Cette contradiction est un des problèmes rencontrés par la théorie standard de la matière noire froide (CDM, ou Cold Dark Matter) que l’on utilise généralement pour rendre compte des observations des galaxies.

3.6.1

La contribution des baryons

Quelle pourrait être la nature de cette matière invisible ? Pourrait-elle contenir de la matière ordinaire : neutrons et protons, que l’on appelle les baryons ? Grâce aux observations cosmologiques, nous connaissons très bien aujourd’hui la quantité de baryons dans l’Univers. Plusieurs observations complémentaires apportent un faisceau de preuves, qui convergent vers la même valeur : les baryons constituent 17 % de toute la masse « visible » de l’Univers, le reste étant de la matière noire de nature différente (nous excluons ici l’énergie noire qui semble dominer la dynamique de l’Univers). La quantité de baryons dans l’Univers est connue grâce aux résultats de la nucléosynthèse primordiale, dans le premier quart d’heure après le Big-Bang. L’abondance des éléments légers formés dans ces tous premiers instants (hélium, deutérium, lithium, béryllium, bore), telle qu’elle est observée aujourd’hui, permet de dire que le rapport de la densité des baryons à la densité critique de l’Univers est de 4 %. La densité critique nécessaire pour avoir l’Univers de courbure nulle que nous observons est de l’ordre de 10−29 g/cm3 , dont la fraction de matière totale est de 24 % (4 % de baryons, 20 % d’une autre nature), le reste, 76 %, étant composé d’énergie noire. Ces chiffres ont été obtenus ces dernières années grâce à l’observation détaillée du fond de rayonnement cosmologique et des ses anisotropies par le satellite WMAP, des observations des supernovae de type Ia qui étalonnent les distances indépendamment de l’expansion de l’Univers, et des lentilles gravitationnelles, qui permettent d’échantillonner la masse. Il nous reste donc une grande quantité de baryons invisibles à découvrir. En effet, lorsque l’on somme la quantité de baryons déjà recensés dans les galaxies sous forme d’étoiles et de gaz, cela ne correspond qu’à 6 % de tous les baryons. Dans les amas riches de galaxies, on observe de grandes quantités de gaz très chaud (à des dizaines de millions de degrés) qui émettent des rayons X. Il y a souvent plus de baryons dans ce gaz chaud que dans les galaxies de l’amas, mais en moyenne, à l’échelle de l’Univers, cette contribution ne se monte qu’à 3 % des baryons. Une grande partie des baryons se retrouve aussi dans le milieu intergalactique, sous forme de filaments cosmiques, que l’on observe par absorption dans la raie Lyman α de l’hydrogène devant des sources lointaines comme les quasars, et cette fraction pourrait atteindre 18 %. Cinq à 8 % de ce gaz pourrait être très chaud et impossible à détecter en absorption. Le total pourrait atteindre 35 %, mais il reste encore à recenser 65 % des baryons.

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Combien de ces baryons sombres existent-ils à l’intérieur des galaxies, et pourraient-ils contribuer aux courbes de rotation plates qui sont observées ? Cette question reste sans réponse, mais nous pouvons toutefois contraindre la masse de ces baryons. En effet, on ne peut pas envisager plus de baryons qu’il n’est nécessaire pour reproduire toute la courbe de rotation. Par exemple, dans la Voie lactée, jusqu’à 21 kpc du centre, là ou se trouvent les derniers points de mesure fiables de Vrot par la raie 21 cm de l’hydrogène atomique, la masse totale est estimée à 2–3 × 1011 M (équation (3.7)) alors que la masse visible est de 1011 M . Il suffirait alors de multiplier par 2 ou 3, les 6 % de baryons déjà connus dans les galaxies pour reproduire les courbes de rotation. Au maximum, les galaxies ne pourraient donc pas contenir plus que 20 % des baryons de l’Univers. Plus de 80 % des baryons manquants doivent donc se trouver dans l’espace intergalactique, dans les filaments cosmiques, en plus de ce qu’on sait qu’ils contiennent déjà. Ce recensement montre qu’il est tout à fait possible qu’une grande partie de la matière invisible dans notre Galaxie soit sous forme de baryons. On a envisagé un temps que les baryons manquants pourraient se trouver sous la forme de naines blanches, qui sont difficiles à détecter. Mais cette hypothèse a été vite éliminée, car les naines blanches sont des étoiles en fin de vie, qui auraient donc préalablement synthétisé et éjecté des éléments lourds bien au-delà de ce qui est observé : la fraction de masse contenue dans les naines blanches, dont le nombre observé près du Soleil est compatible avec les prédictions de l’évolution stellaire, est très faible et ne peut pas contribuer à la matière noire baryonique. Une autre hypothèse proposée pour rendre compte de ces baryons manquants est qu’ils sont sous forme de naines brunes. Les naines brunes sont des « étoiles ratées » dont la masse est sous le seuil de déclenchement des réactions nucléaires : ce sont des objets très froids et compacts qui rayonnement extrêmement peu. Dans les années 1990, plusieurs groupes se sont lancés dans la recherche, dans la Galaxie, de naines brunes mais aussi de toutes sortes d’objets plus exotiques comme des trous noirs primordiaux de différentes masses. Citons les projets MACHOS (Massive Compact Halo Objects), EROS (Expérience de Recherche d’Objets Sombres), ou OGLE (Optical Gravitational Lensing Experiment). La méthode consiste à détecter l’augmentation de flux d’une étoile lorsqu’un objet massif passe par hasard devant elle, sur la même ligne de visée, et joue le rôle de lentille gravitationnelle (un effet bien connu de la Relativité générale, que l’on désigne sous le nom de microlentille gravitationnelle, par opposition aux grosses lentilles gravitationnelles que sont les galaxies et les amas de galaxies). Le phénomène d’amplification peut durer un mois ou deux, il est d’autant plus long que la masse de l’objet sombre est plus grande. Toutefois plusieurs paramètres interviennent dans cette durée, comme les vitesses et distances relatives des sources et lentilles, et les résultats ne peuvent être obtenus que de façon statistique. MACHOS et EROS se sont focalisés sur les parties externes de la Galaxie, en observant les étoiles

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des Nuages de Magellan, et OGLE a observé aussi les étoiles du bulbe de la Galaxie. Les trois projets ont bien détecté des microlentilles gravitationnelles, mais le nombre d’évènements observés après plus d’une dizaine d’années d’observations de millions d’étoiles est bien trop faible pour que des objets compacts sombres soient responsables de la matière baryonique invisible (Figure 3.28). Tous les évènements observés sont compatibles avec des lentilles qui sont des étoiles de faible luminosité de la Galaxie ou des Nuages de Magellan, ou des trous noirs résidus de l’explosion de supernovae très massives : il n’est pas nécessaire de faire appel à des objets exotiques qui ne seraient pas inclus dans les populations stellaires classiques. En résumé, aucun objet de matière noire n’a été détecté, les évènements étaient attendus avec la seule masse visible, et les rapports masse-luminosité (M /L) habituels.

Fig. 3.28 – Limites supérieures de la fraction de masse du halo de matière noire de la Galaxie compris dans des objets compacts (MACHOS), en fonction de leur masse en abscisse. Les limites sont obtenues par les observations de microlentilles des projets OGLE (en rose), EROS (en bleu) et MACHO (en vert). Ici, la matière noire est supposée distribuée dans un halo sphérique1 . Les parties colorées sont les zones permises. Le carré rouge représente la limite de la masse qui serait comprise dans de possibles trous noirs, tels que pourrait l’être l’objet OGLE-SMC-02 : il y aurait alors 2 % de la masse du halo sous cette forme, ce qui est compatible avec l’abondance escomptée de trous noirs stellaires, résidus des étoiles de très grande masse en fin de vie. D’après Wyrzykowski, L. et al. (2011) Monthly Notices of the Royal astronomical Society 416, 2949-2961, avec l’autorisation de Wiley.

1. Ce halo est supposé avoir une densité de masse ρH (R) = ρ0 (R20 + a2 )/(R2 + a2 ) avec ρ0 = 0,0079 M pc−3 , R étant le rayon galactocentrique, R0 = 8,5 kpc ce rayon au niveau du Soleil et a = 5 kpc. On obtiendrait évidemment des limites différentes avec d’autres modèles de distribution de la matière noire.

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Il est à noter que très peu d’évènements de microlentilles ont pu être identifiés comme dus à des objets appartenant au disque épais de la Voie lactée. Pourtant, comme nous l’avons vu dans la section 3.2, le disque épais a une population stellaire en moyenne plus vieille que le disque mince, et un rapport M /L plus grand. Cela confirme que la masse du disque épais n’est qu’une faible fraction de la masse du disque mince et du bulbe de la Voie lactée, bien que plusieurs études aient proposé une masse plus forte.

3.6.2

La contribution du gaz

Si la matière noire baryonique n’est pas sous la forme d’objets compacts, elle pourrait exister sous forme plus diffuse, sous forme de nuages de gaz qui ne produiraient pas d’effet de lentille gravitationnelle. Le gaz moléculaire froid à basse température, T = 10–20 K est un excellent candidat pour former la matière noire baryonique. Nous avons vu Section 3.3.2 que l’hydrogène moléculaire est indétectable dans de telles conditions. Dans le disque interne de la Galaxie, il est possible toutefois de tracer le gaz moléculaire grâce à la molécule CO, la plus abondante après H2 . Mais l’abondance de CO par rapport à H2 décroît exponentiellement avec la distance au centre, parallèlement à l’abondance de tous les éléments lourds, comme nous le verrons au Chapitre 7. Dans les parties externes de la Galaxie, les nuages d’hydrogène dense, où l’hydrogène atomique s’est transformé en hydrogène moléculaire, sont alors invisibles dans les raies de CO et totalement indétectables directement. Parmi les divers composants de la Galaxie, seul le gaz interstellaire observable, qui est dominé par l’hydrogène atomique, ne décroît pas exponentiellement avec la distance R au centre : sa densité de surface décroît plutôt en 1/R, de façon semblable à celle de la matière noire (Figure 3.11). Dès les premières observations des disques de galaxies, on a remarqué que les densités de surface du gaz et de la matière noire, telle qu’elle est déduite des courbes de rotation, sont proportionnelles dans les parties extérieures des galaxies : la densité de surface de la matière noire est entre 7 et 10 fois celle du gaz HI. Ceci vaut aussi bien pour les galaxies spirales massives, qui possèdent assez peu de matière noire, que pour les galaxies naines, où la masse noire domine la masse dynamique. Pour l’instant, cette relation n’a pas d’explication physique admise par tous ; mais elle pourrait se comprendre si la fraction du gaz sous forme de nuages moléculaires denses était constante partout.

3.6.3

La distribution de la matière noire dans la Galaxie

On suppose souvent, pour simplifier, que le halo de matière noire a une distribution sphérique autour de la Galaxie. Pourtant les simulations du modèle cosmologique standard prévoient que la matière noire devrait plutôt former un ellipsoïde aplati. Comment avoir des informations sur cette distribution ? Y a-t-il de la matière noire dans le disque de la Galaxie ?

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Nous avons vu que le disque de gaz, tel qu’il est tracé par la raie 21 cm de l’hydrogène atomique, s’évase très fortement dans les parties extérieures (Figure 3.12). La variation avec le rayon de l’épaisseur du gaz a, du moins en principe, un intérêt considérable pour la connaissance de la distribution des masses dans la Galaxie. En effet, on peut admettre qu’il y a équilibre hydrostatique entre l’attraction gravitationnelle vers le plan galactique et la « pression » correspondant aux mouvements macroscopiques du gaz, dont la dispersion de vitesse perpendiculairement au plan galactique est de l’ordre de 6 ou 7 km/s. L’observation de la raie 21 cm dans des galaxies extérieures vues de face montre que cette dispersion ne varie guère d’une galaxie à l’autre, ni en fonction du rayon. Ceci n’est pas étonnant, car le gaz est dissipatif et n’a pas de difficulté à rayonner son surplus d’énergie : un équilibre dynamique s’effectue rapidement entre chauffage, qui est dominé par les instabilités gravitationnelles dans les régions extérieures du disque et le rayonnement. On peut donc déduire de l’épaisseur du disque gazeux la variation radiale de l’attraction gravitationnelle du disque. Le problème est cependant compliqué par l’existence d’une pression supplémentaire mal connue due aux rayons cosmiques et au champ magnétique, qui est probablement assez faible dans l’extérieur du disque, mais rend les résultats quelque peu incertains. Les études de l’équilibre vertical du disque gazeux peuvent donc nous donner une idée de la distribution à 3 dimensions de la matière noire, et en particulier de l’aplatissement du halo noir ou de la fraction de matière noire comprise dans le disque. Le résultat est que le disque de la Voie lactée au voisinage du Soleil est autogravitant, et que de la matière noire est confinée dans le disque de masse M = 2 à 3 × 1011 M , et comprend un anneau entre les rayons R = 13 et R = 18, 5 kpc. L’existence de cet anneau est confirmée par les observations du satellite GRO en rayons gamma, qui montrent une concentration semblable des sources gamma dans l’extérieur de la Galaxie (Figure 3.29). L’émission gamma pourrait provenir de l’interaction des rayons cosmiques avec de la matière moléculaire, ou, comme le suggèrent les auteurs de l’étude des rayons gamma, de la décomposition d’éventuelles particules exotiques qui constitueraient la matière noire (les WIMPs). L’anneau coïncide aussi avec une structure stellaire géante qui entoure la Galaxie : le « Monoceros Ring », découvert au début des années 2002 par le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), qui contient quelques 108 M d’étoiles. Il se pourrait que cette structure stellaire corresponde aux restes de l’interaction avec un satellite, qui aurait formé des bras de marée, s’enroulant autour de la Voie lactée. Les étoiles seraient les débris visibles du compagnon, mais une partie de sa matière noire se serait aussi enroulée autour de la Galaxie pour former l’anneau. Un des principaux problèmes de la théorie standard de la matière noire est l’absence de détection de candidats potentiels pour les particules correspondantes. Ces candidats ne sont pas compris dans le modèle standard des particules élémentaires, et il faut recourir à des hypothèses encore non vérifiées,

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Fig. 3.29 – À gauche : un modèle de la distribution de la matière noire dans la Galaxie (en haut, bleu pour le halo, rouge pour l’anneau) et de la matière visible (en bas, rose pour le bulbe, vert pour le disque). La Voie lactée est présentée par la tranche et de face. L’emplacement du Soleil est le cercle jaune et la longueur du rayon galactocentrique au niveau du Soleil (ici prise de 8,3 kpc) est indiquée par une barre. La distribution de la matière noire est en partie déduite des observations de rayons gamma avec le satellite GRO (expérience EGRET). À droite : la courbe de rotation, où les symboles avec barres d’erreur sont les points de mesure correspondant aux observations de CO, HI, HII comme indiqué en haut à gauche du diagramme. Cette courbe est identique à celle de la Figure 3.2, la vitesse de rotation au niveau du Soleil étant de 220 km/s. Les courbes indiquent la contribution des différentes composantes de la Galaxie, résultant de modèles. La ligne en trait plein (total) combine la contribution de la matière visible (courbes bleues) et de la matière noire, distribuée en un halo et en deux anneaux dans le plan de la Galaxie (courbes rouges). On remarque que la contribution de l’anneau externe à la rotation est négative vers 10 kpc, car il exerce une force vers l’extérieur sur les régions internes. D’après de Boer, W. et al. (2005) Astronomy & Astrophysics 444, 51-67, avec l’autorisation de l’ESO. comme par exemple la théorie de la super-symétrie. Dans ce cadre, il est supposé que chaque particule existante possède un homologue super-symétrique. La plus stable de toutes ces nouvelles particules serait le neutralino, un des meilleurs candidats pour les particules faiblement interactives (WIMPs), qui n’interagissent qu’extrêmement faiblement avec le reste de la matière, ce qui expliquerait qu’elles n’aient pas été détectées jusqu’à présent.

3.6.4

Une autre possibilité : la gravité modifiée

Une autre solution au problème des courbes de rotation plates a été proposée par Mordehai Milgrom en 1983 : elle consiste à se passer de matière noire,

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mais à modifier plutôt la loi de la gravité en champs faibles, dans les parties externes des galaxies. Cette hypothèse a été baptisée MOND (pour MOdified Newtonian Dynamics). En effet, la nécessité apparente de matière noire ne se présente dans les différentes contextes astrophysiques que lorsque l’accélération de la gravité tombe en dessous d’une valeur critique a0 = 2 × 10−10 m/s2 (ou de l’ordre de l’angström par seconde carrée). L’hypothèse consiste à supposer qu’en dessous de cette valeur, l’accélération g due à une source ponctuelle de masse M située à la distance R ne serait plus égale à la valeur newtonienne gNewton = GM /R2 , mais serait égale à la racine carrée du produit de gNewton par a0 : g = (a0 gNewton )1/2 . Alors, la force de gravitation n’est plus proportionnelle à la masse M , mais varie comme la racine carrée de cette masse ; d’autre part, elle décroît maintenant en 1/R et non plus en 1/R2. Ce dernier point explique de façon automatique pourquoi les courbes de rotation sont plates, très loin du centre : 4 la valeur de la vitesse de rotation est alors telle que Vrot = GM a0 , où M est la masse totale visible de la Galaxie. Le succès de cette hypothèse dans le domaine des galaxies proches est remarquable. Pratiquement toutes les courbes de rotation peuvent être expliquées sans matière noire de façon universelle sans paramètre libre : le seul paramètre est a0 , qui est une constante universelle. Même les galaxies naines, qui paraissent dominées par la matière noire jusque dans leurs parties centrales, vérifient cette relation. L’accélération de la gravité est en effet inférieure à a0 dès le centre. Ces galaxies sont de véritables laboratoires pour tester cette nouvelle loi de la gravité, que nous ne pouvons pas vérifier sur Terre : la gravité à laquelle nous avons accès est toujours dans le régime Newtonien, de même que la gravité dans tout le Système solaire. Il faudrait aller à une distance du Soleil de l’ordre de 8000 fois la distance Terre-Soleil pour espérer atteindre a0 ; mais à cette distance, la gravité de la Galaxie elle-même, qui est supérieure à a0 , devrait être prise en compte. La variation de la courbe de rotation en fonction du rayon dans la Voie lactée pourrait permettre de mieux connaître la transition entre le régime newtonien et le régime « MONDien ». Pour l’instant, cette transition est mal connue ; plusieurs fonctions de transition ont été prédites par diverses théories qui ne sont pas encore bien établies. La détermination bien plus précise des distances et de la cinématique des étoiles dans la Galaxie avec le futur satellite astrométrique GAIA devrait permettre de progresser dans ce domaine. Un des succès de MOND est de prédire la relation de Tully-Fisher, relation découverte en 1978 par les astronomes américains R. Brent Tully et J. Richard Fisher entre la vitesse de rotation des galaxies spirales et leur luminosité. Cette relation a été précisée au cours du temps, et la luminosité a été remplacée par la masse visible, qui inclut non seulement les étoiles mais aussi le gaz, pour les galaxies naines dominées par le gaz et la matière noire : la Figure 3.30 en présente une version récente. Cette relation montre que la masse visible des galaxies varie comme leur vitesse de rotation à la puissance 4, ce qui est

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3. Structure et composants de la Galaxie

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exactement la prédiction de MOND. Le modèle standard par contre, ne prédit pas la bonne pente de la relation, ni son point zéro. Pour expliquer pourquoi si peu de baryons se condensent dans les galaxies, il faut supposer que le gaz est en grande partie expulsé par les supernovae, surtout dans les galaxies naines qui ont un faible puits de potentiel, et donc où la vitesse d’échappement est plus vite atteinte. Pour les galaxies massives, on invoque aussi l’effet des noyaux actifs, dûs à des trous noirs centraux, dont l’énergie pourrait empêcher la formation d’étoiles et la condensation des baryons.

Fig. 3.30 – Relation de Tully-Fisher entre la masse des baryons visibles d’une galaxie et la vitesse de rotation de cette galaxie dans les parties extérieures où elle est plate (une fois prise en compte la projection dans le plan du ciel). Les galaxies massives comme la Voie lactée sont en haut à droite (V > 150 km/s). Les carrés bleus sont les galaxies naines riches en gaz, dont la majorité de la matière visible est du gaz, mais qui sont dominées par la matière noire. La droite ajustant les points d’observation a une pente 4. La prédiction du modèle standard CDM est la droite du haut, de pente 3. D’après McGaugh, S.S. (2011) Physical Review Letters 106, 121303, avec l’autorisation de l’APS, http ://prl.aps.org/abstract/PRL/v106/i12/e121303.

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Chapitre 4 Le Centre galactique Le centre de la Galaxie abrite un bulbe assez modeste, qui a la forme d’une double sphère, un peu comme une cacahuète. Ce genre de bulbe se forme souvent directement à partir des étoiles du disque lorsqu’il y a une barre forte dans la galaxie. Il contient en son centre un trou noir. Nous verrons que la masse des trous noirs super-massifs au centre des galaxies est proportionnelle à la masse du bulbe : le trou noir de la Voie lactée est donc de faible masse. Il a toutefois un intérêt majeur, car c’est le trou noir super-massif que l’on peut observer de plus près, et pour lequel nous avons des données très précises.

4.1

Barre et bulbe

Notre galaxie est une spirale barrée, comme la majorité des spirales dans l’Univers. Pourtant la présence de la barre n’a été établie que récemment, grâce à l’imagerie en proche-infrarouge, qui permet de s’affranchir de l’extinction due à la poussière. Dans les années 1970, nous avions déjà une indication cinématique de l’existence de la barre, par l’existence de mouvements du gaz fortement non circulaires. En effet, les observations du gaz dans les raies de HI et de CO révèlent par effet Doppler-Fizeau les mouvements du gaz au centre de la Voie lactée : ils ont de fortes vitesses positives et négatives, de plus de 200 km/s, alors que l’on attendrait une vitesse radiale nulle. Certains astronomes ont tenté d’expliquer ces vitesses par une éjection de gaz rapide au voisinage du trou noir, mais celui-ci n’est pas actif et ne peut en être responsable. Plus simplement, les orbites du gaz sont des ellipses dont le grand axe est aligné sur la barre : donc le gaz s’approche de nous d’un côté du Centre galactique et s’en éloigne de l’autre ; la projection de sa vitesse sur la ligne de visée est proche de la vitesse de rotation. Dans les années 1990, la cartographie de tout le ciel en infrarouge proche par le satellite COBE a mis en évidence directement l’existence de la barre. Vue de la distance de 8 kpc du centre, à la position du Soleil, la barre nous apparaît en perspective. La barre a

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La Voie lactée

Fig. 4.1 – En haut, une vue de la Galaxie obtenue par le satellite COBE dans le proche infrarouge. La longitude va de −180◦ à droite jusqu’à 180◦ à gauche. Au milieu, zoom dans la partie centrale, de −10◦ à 10◦ de longitude. En bas, zoom à nouveau, de −1,5◦ à 1,5◦ de longitude. D’après Alard, C. (2001) Astronomy & Astrophysics 379, L44-47, avec l’autorisation de l’ESO.

environ 4 kpc de rayon, et elle est inclinée de 20◦ sur la ligne de visée : le coté de la barre situé à des longitudes positives est donc significativement plus proche de nous que l’extrémité opposée de la barre, aux longitudes négatives (Figure 4.1). Dans les années 2000, l’exploitation des comptages d’étoiles de l’imagerie en proche infrarouge de tout le ciel 2MASS (Two Micron All Sky Survey) a permis de confirmer l’existence de cette barre, en montrant une dissymétrie dans le nombre d’étoiles aux longitudes positives et négatives, de part et d’autre du centre. D’autre part, ces comptages suggèrent l’existence d’une barre nucléaire, qui serait imbriquée dans la barre principale ; elle aurait un rayon de 150 pc, et serait presque perpendiculaire à la barre principale. L’existence d’une telle barre secondaire est très fréquente dans les galaxies spirales qui nous entourent. Les simulations numériques nous montrent comment se développent spontanément des barres nucléaires. Elles surviennent dans une phase assez évoluée du développement des barres dans une galaxie spirale. Dans un disque axisymétrique, où la dispersion de vitesses des étoiles et du gaz est suffisamment faible pour rendre le disque instable, des barres « primaires » commencent d’abord à se développer. Leur taille est d’environ la moitié du

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4. Le Centre galactique

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rayon visible de la galaxie. La barre tourne à une vitesse angulaire constante avec le rayon, qui place la résonance de corotation juste au bord de la barre, donc au milieu du disque d’étoiles. À l’intérieur de la corotation, les étoiles tournent plus vite que la barre. Au cours de son évolution, la masse se concentre progressivement vers le milieu de la barre, ce qui accélère sa rotation. En effet, la barre a une morphologie non axisymétrique, ce qui produit des forces de gravité tangentielles et donc des couples de torsion. Ces couples échangent du moment cinétique entre les étoiles et le gaz. Ce dernier est précipité vers le centre, et la distribution de masse est de plus en plus concentrée. Il arrive un moment critique où la vitesse de la barre principale n’est plus suffisante pour la stabiliser contre la gravité, et une barre secondaire se découple, qui tourne plus vite autour du centre. Comme deux barres ne tournent pas à la même vitesse, leur orientation relative est quelconque : elles peuvent être parfois parallèles, parfois perpendiculaires. Elles ne sont pas totalement indépendantes, toutefois, car elles s’échangent de l’énergie aux résonances. La plupart du temps, dans les simulations, la corotation de la barre secondaire correspond à la résonance interne de Lindblad de la barre primaire (nous verrons au Chapitre 5 ce qu’est cette résonance). Comme un anneau de gaz se forme à la résonance de Lindblad, on s’attend à trouver la barre nucléaire exactement inscrite à l’intérieur de l’anneau. C’est sans doute ce qui se passe aussi pour la Voie lactée : il existe en effet un anneau de gaz moléculaire d’environ 200 pc de rayon. Cette barre secondaire a un rôle important dans les galaxies : elle prolonge l’action de la barre primaire jusqu’au voisinage du noyau. Dans la première phase de l’évolution de la barre primaire, où elle existe seule, le gaz de la galaxie tombe vers le centre, mais s’accumule à la résonance de Lindblad. Pour qu’il continue à tomber vers le centre, il faut briser la symétrie axiale, ce qui nécessite une autre barre forte à l’intérieur. Notre Galaxie serait en train de traverser cette phase, et la barre secondaire va bientôt transporter le gaz de l’anneau moléculaire vers le trou noir central. Celui-ci est encore inactif aujourd’hui, mais il deviendra actif lorsqu’il sera alimenté en gaz.

4.2

La matière interstellaire au Centre galactique

Alors que le gaz moléculaire est très abondant dans un anneau entre 4 et 8 kpc du centre, il semble déficient à l’intérieur. Pourtant, dès que l’on s’intéresse aux parties centrales, dans un rayon inférieur à 0,5 kpc, l’émission de la molécule CO, traceur de l’hydrogène moléculaire, révèle des maxima prononcés. Ils correspondent à l’anneau moléculaire de 200 pc de rayon que nous avons mentionné plus haut, anneau très dense dans lequel s’inscrit la barre nucléaire. Cette région est appelée la « Central Molecular Zone », ou

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La Voie lactée

Fig. 4.2 – Cartes du centre de la Galaxie, comprenant les 3◦ centraux en longitude et 0,5◦ en latitude, et montrant l’anneau moléculaire de la CMZ (Central Molecular Zone). Les 3 cartes du haut ont été obtenues avec le télescope sub-millimétrique de 1,7 m AST/RO au pôle Sud. La raie du carbone neutre CI à 492 GHz trace le gaz en surface, tandis que la raie de CO J = 7-6 à 807 GHz est dominée par le gaz dense et tiède. Les 3 cartes du bas à plus basse fréquence ont été obtenues avec le télescope de 7 m des Bell Laboratories. La raie CO J = 1-0 à 115 GHz trace le gaz superficiel, celle de 13 CO J = 1-0 à 110 GHz le gaz un peu plus profond et celle de CS J = 2-1 à 98 GHz le gaz dense. D’après Martin, C.L. et al. (2004) Astrophysical Journal Supplement 150, 239-262, avec l’autorisation de l’AAS.

CMZ (Figure 4.2). L’anneau émet des raies de nombreuses molécules, dont certaines sont des traceurs de densité comme CS ou HCN. Certaines raies correspondent à des transitions entre des niveaux de rotation élevés, ce qui indique que la température du gaz est de 50 à 70 K. L’anneau moléculaire est animé de mouvements non circulaires importants, probablement dus à la barre. De plus il n’est pas symétrique : 75 % de l’émission se trouvent aux longitudes positives, d’un seul côté, comme on le voit sur la Figure 4.2. Le diagramme position-vitesse de cette région montre une structure en parallélogramme caractéristique (Figure 4.3). Dans un diagramme position-vitesse de ce type, une composante « normale » animée de mouvements circulaires, et distribué de façon symétrique par rapport au centre devrait présenter une émission fine passant par l’origine (l = 0, V = 0).

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4. Le Centre galactique

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Fig. 4.3 – Diagramme longitude-vitesse de la région centrale de la galaxie dans la raie CO(1-0) traçant le gaz moléculaire (en haut), et la même émission dans le diagramme longitude-latitude. Certains nuages moléculaires caractéristiques sont indiqués, comme ceux de SgrA et Sgr B. Les lignes en pointillés confinent l’essentiel de l’émission, et représentent un parallélogramme. D’après Rodriguez-Fernandez, N.J. & Combes, F. (2008) Astronomy & Astrophysics 489, 115-133, avec l’autorisation de l’ESO. Le parallélogramme révèle des vitesses interdites en rotation pure. Elles peuvent s’expliquer par la présence d’orbites allongées selon la barre. Comme nous le verrons au Chapitre 5, il existe des familles d’orbites spécifiques dans un potentiel gravitationnel de barre ; les principales familles sont des orbites parallèles à la barre (orbites ×1), et des orbites perpendiculaires à la barre (ou ×2). Ces dernières existent uniquement entre les deux résonances internes de Lindblad, si elles existent. La figure du parallélogramme correspond à des orbites allongées dans la direction de la barre. Le fait que l’intérieur du parallélogramme soit rempli implique l’existence d’orbites perpendiculaires, et donc celles qui se trouvent entre les résonances de Lindblad. Le centre du diagramme est toutefois complexe, ce qui pourrait s’expliquer par la présence d’orbites parallèles à la barre secondaire. Il subsiste des phénomènes inexpliqués, comme la dissymétrie et le décentrement, qui décalent la majorité du gaz vers les longitudes positives. Il est possible que ce décentrement soit une instabilité gravitationnelle spontanée ;

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La Voie lactée

pourtant ces instabilités sont amorties, et il faut supposer un élément déclencheur récent : soit la chute d’un nuage moléculaire géant, provenant d’une plus grande distance du centre, soit de l’interaction avec un compagnon, une galaxie naine en orbite autour de la Voie lactée. Une autre anomalie est observée dans le gaz atomique près du centre, qui étaye l’hypothèse d’une perturbation récente : le disque central semble incliné par rapport au plan principal de la galaxie, d’un angle de 25 degrés. La Figure 4.4 schématise la distribution observée. Le disque pourrait alors avoir un mouvement de précession autour d’un axe perpendiculaire au disque de la galaxie, en se déformant en fonction du temps. La période de rotation à ce rayon est d’environ 30 millions d’années, et la période de précession pourrait être du même ordre.

Fig. 4.4 – Représentation schématique de la distribution de gaz atomique dans les régions centrales de la Galaxie, dans un disque incliné de 25◦ par rapport au plan galactique. Le disque incliné aurait 1,5 kpc de rayon. D’après Burton, W.B. & Liszt, H.S (1978) Astrophysical Journal 225, 815-842, avec l’autorisation de l’AAS.

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4. Le Centre galactique

4.3 4.3.1

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Le trou noir L’environnement proche du trou noir

Le parsec central de la Galaxie contient deux amas stellaires denses : un amas de vieilles étoiles, relativement froides, de masse totale 106 M , et un amas d’étoiles très jeunes et chaudes au centre, de masse totale 1,5 × 104 M . Parmi ces étoiles jeunes, deux courants se distinguent par leur cinématique, l’un tournant dans le même sens que la Galaxie, l’autre en contre-rotation. Ces deux systèmes sont disposés en deux disques épais qui font entre eux un grand angle. L’amas d’étoiles vieilles a une distribution de vitesses quasi isotrope, et tourne plus lentement, comme un corps solide. Le gaz dans les parties très centrales de la Galaxie a une structure très complexe. Son étude présente un grand intérêt pour mieux connaître la physique au voisinage des trous noirs super-massifs, car le trou noir de notre Galaxie est celui pour lequel nous avons le plus d’informations, et de loin. Ce trou noir est d’abord entouré d’une cavité centrale (CC), de dimensions 2 × 3 pc. Cette cavité a vraisemblablement été vidée par les vents stellaires et par la photo-ionisation due au rayonnement ultraviolet de l’amas d’étoiles jeunes dont nous avons parlé plus haut. Dans cette cavité se distingue nettement une mini-spirale, composée de trois bras spiraux, avec une petite barre centrale (Figure 4.5). Il s’agit de gaz photo-ionisé tombant sur le trou noir, qui est déchiré et étiré par les forces de marée, et forme des bras spiraux par la rotation différentielle. La masse totale de gaz ionisé dans cette mini-spirale est estimée à 60 M , alors qu’il y aurait environ 200 M de gaz ionisé réparti de façon diffuse dans toute la cavité. Un anneau de gaz dense moléculaire entoure la cavité, le « Circum Nuclear Ring », ou CNR. Il est assez asymétrique, et certainement en pleine évolution dynamique. Sa densité moyenne est de 7 × 104 cm−3 , et sa température 300 K. Sa masse totale est estimée à 106 M , et il représente le principal réservoir de gaz du trou noir central. C’est l’équivalent d’un disque d’accrétion qui serait en train de se mettre à l’équilibre, avec des déformations et des oscillations de son plan. On observe autour de ces deux structures des régions particulières de gaz ionisé et moléculaire, qui sont probablement reliées à une activité récente de formation d’étoiles. D’abord, il existe une coquille de gaz ionisé de 10 pc environ de diamètre, qui émet un continuum radio synchrotron, ce qui montre qu’elle est pleine d’électrons de haute énergie. C’est un reste de supernova (SNR). Il est inclus dans un halo plus diffus de gaz ionisé, de 20 pc de diamètre. Enfin, il existe une ceinture de nuages moléculaires massifs qui s’étalent jusqu’à 30 pc le long du plan galactique ; on y trouve en particulier de nuages moléculaires géants bien connus, appelés le nuage Est (East Cloud ou EC) et le nuage Sud (South Cloud ou SC), que l’on peut distinguer sur le schéma de la Figure 4.6.

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La Voie lactée

Fig. 4.5 – Image du centre de la Galaxie montrant en vert l’émission du continuum radio à 3,6 cm de longueur d’onde, traçant le gaz ionisé distribué dans une minispirale à trois bras, et en rouge l’émission de la molécule HCN dans sa raie de rotation J = 1-0, montrant l’anneau circumnucléaire (ou CNR). L’anneau circumnucléaire a un diamètre externe de 6 pc. Le CNR est incliné de 70◦ par rapport au plan du ciel, et de 20◦ par rapport au plan de la Galaxie. D’après Farhad Yusef-Zadeh, reproduit dans Ferrière, K. (2012) Astronomy & Astrophysics 540, 50, avec l’autorisation de l’ESO. Dans la cavité, et le long de la mini-spirale, des filaments de poussière ont été détectés en infrarouge. En les observant à plusieurs années d’intervalle, on a pu détecter leurs mouvements propres, montrant ainsi que leur cinématique ne correspond pas à des mouvements de rotation simple autour du trou noir ; au contraire, certains sont animés de mouvements d’éjection, comme si un flot provenait du centre de la Galaxie, issu soit de l’amas d’étoiles jeunes et de ses vents stellaires, soit de jets partant du voisinage du trou noir, ou les deux. Confirmant ces flux divergents, des petits nuages très compacts, avec des morphologies en queue de comète, ont aussi été observés. Une reconstitution de la structure à 3 dimensions a pu être effectuée pour la mini-spirale et la cavité, montrant que les 3 bras spiraux sont des courants qui ne sont pas dans le même plan. Certains sont en rotation simple et pourraient alimenter le trou noir. Outre le gaz ionisé, il y aurait aussi 300 M de gaz atomique dan la cavité.

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4. Le Centre galactique

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Fig. 4.6 – Représentation schématique des la morphologie et de l’agencement des différentes structures de gaz dans le Centre galactique, et plus précisément des 10 pc centraux. Cette vue est la projection dans le plan du ciel, telle qu’elle est observée depuis le Soleil. Le plan de la Galaxie est indiqué par la droite point-tiret en diagonale (α et δ sont les coordonnées d’ascension droite et de déclinaison dans le plan du ciel). En bleu sont les structures diffuses, essentiellement de gaz ionisé : la cavité centrale (CC), le reste de supernova (SNR) et le halo. En rouge, le gaz moléculaire plus dense, incluant l’anneau circum-nucléaire (CNR) et la série de nuages moléculaires géants le long de la ceinture moléculaire (EC, SC), et aussi le Molecular Ridge (MR), le North Ridge (NR), etc. La croix est à la position du trou noir. D’après Ferrière, K. (2012) Astronomy & Astrophysics 540, 50, avec l’autorisation de l’ESO.

Les nuages moléculaires massifs, qui constituent la ceinture de nuages, ont des masses de l’ordre de 106 M , et sont probablement les liens qui raccordent l’anneau CNR au milieu moléculaire à plus grande échelle (100 pc) que nous avons décrit plus haut. Sans doute le gaz moléculaire stationne-t-il dans plusieurs réservoirs d’échelle différente, avant de perdre progressivement son moment cinétique et être enfin capable d’alimenter le trou noir. Des émissions typiques d’onde de choc, comme celle de raies vibrationnelles de l’hydrogène moléculaire dans le proche infrarouge, ont été détectées dans la ceinture de gaz, montrant la violence de la chute du gaz et des collisions dans ces régions.

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La Voie lactée

L’image qui ressort de ces structures complexes du Centre galactique est celle de la compétition entre deux processus antagonistes : l’accrétion de gaz par le trou noir, et l’éjection par des vents stellaires, dus à l’amas jeune d’étoiles dans le noyau, et aussi à la supernova ayant récemment explosé et formé une coquille de gaz ionisé (SNR).

4.3.2

Sursauts près du trou noir

La source centrale de la Galaxie, désignée sous le nom de SgrA∗ , émet de façon intermittente des sursauts de rayonnement en ondes radio millimétriques, en infrarouge ou en rayons X. Lorsqu’ils sont détectés, ces sursauts se reproduisent avec une quasi-période d’environ 20 à 40 minutes. Cette période très courte donne déjà une idée de la distance de leur source au trou noir, dont la masse est d’environ 4 × 106 M . Le temps dynamique (période de révolution) est de cet ordre de grandeur lorsque l’on est à une distance de 0,2 unité astronomique UA (1 UA est la distance Terre-Soleil) du trou noir. Cette distance correspond à environ deux fois le rayon de Schwarzschild RS , ou horizon du trou noir, rayon limite en deçà duquel dominent les effets relativistes, et point de non retour pour la matière et la lumière. Le mécanisme physique qui est à l’origine de ces sursauts est encore mal connu. Plusieurs modèles ont été proposés : expansion adiabatique d’une concentration de plasma émettant en synchrotron, chauffage des électrons dans un jet, ou bien émission par un fragment de matière tournant au voisinage de la dernière orbite stable autour du trou noir (soit quelques RS ) : la périodicité correspondrait à sa révolution. Ce fragment de matière serait chauffé par des effets magnétiques : le disque d’accrétion très magnétisé du trou noir étant en rotation différentielle, le champ magnétique se reconnecte, en dégageant de l’énergie par des chocs.

4.3.3

Le trou noir lui-même

Au centre de la Galaxie, se trouve la puissante source radio SgrA∗ . Bien qu’il ne s’agisse pas d’un noyau actif comme on en observe dans certaines galaxies, la source SgrA∗ est assez brillante pour permettre d’en faire une étude en interférométrie très longue base (VLBI), et ainsi bénéficier d’une très haute résolution spatiale. La taille de la source a ainsi pu être trouvée de 3 à 10 minutes-lumière. Une telle puissance dans un si petit volume ne peut être que le fait d’un trou noir, grâce à sa grande efficacité pour transformer en rayonnement l’énergie de masse de la matière qui tombe sur lui. La mise en évidence de l’existence dans SgrA∗ d’un trou noir super-massif et la mesure de sa masse proviennent de l’observation pendant plusieurs années d’une trentaine d’étoiles qui gravitent autour de lui. Leurs vitesses sont de l’ordre de 1000 km/s, et certaines s’approchent du trou noir à une distance de l’ordre d’une dizaine d’heures-lumière. Leurs trajectoires sont képlériennes, centrées sur SgrA∗ , qui lui ne bouge pas, comme le confirment avec grande précision les études de mouvement propre en VLBI. Ces étoiles ont été suivies

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Fig. 4.7 – Les orbites des étoiles autour de SgrA* ont été patiemment observées en infrarouge proche grâce à leurs mouvements propres au cours des années 1990–2000 par deux groupes d’astronomes, américain et allemand (télescope Keck et VLTESO). À gauche, la carte montre comment les positions des étoiles tracent d’année en année des orbites képlériennes ; l’étoile S2 a une période de 15 ans (d’après Andrea Ghez et al., University of California at Los Angeles). À droite, l’ensemble des étoiles dont la trajectoire a été reconstituée. D’après Gillessen, S. et al. (2009) Astrophysical Journal 692, 1075-1109, avec l’autorisation de l’AAS. en infrarouge proche par deux équipes d’astronomes, sur le télescope Keck à Hawaii, et sur le VLT de l’ESO au Chili. Ces instruments sont équipés de systèmes d’optique adaptative, qui corrigent les images de la turbulence de l’atmosphère, Les observations et les trajectoires stellaires que l’on en déduit sont illustrées par la Figure 4.7. La masse du trou noir ainsi obtenue est égale à 4,3 millions de masses solaires. Les observations des étoiles autour du trou noir amènent à se poser quelques questions. D’abord, autour d’un trou noir super-massif, les étoiles devraient tendre vers un équilibre dynamique, avec une distribution radiale très piquée vers le centre. Cependant, comme il faut longtemps pour atteindre cet équilibre, on s’attend à ce que l’amas d’étoiles le plus vieux soit plus concentré que l’amas jeune, ce qui n’est pas le cas. En revanche, si la relaxation est due aux collisions entre les étoiles, qui commencent à jouer un rôle très près du centre, on s’attend à une ségrégation des masses, les plus massives se rassemblant plus vite au centre. Cependant, les étoiles les plus massives sont en principe des étoiles jeunes, qui n’ont pas eu le temps de se concentrer vers le centre. Or, on observe que ce sont bien de jeunes étoiles chaudes et compactes qui occupent le mois-lumière central, alors que les étoiles vieilles ne sont pas du tout concentrées. Une explication à ce paradoxe est que peut-être les étoiles géantes rouges de la branche asymptotique, qui sont plus massives et plus jeunes que la grande majorité des étoiles, ont perdu leur enveloppe par

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collision, leur noyau mis à nu que l’on observe ayant alors une température plus élevée et donc une couleur plus bleue. Il existe tout de même indubitablement une population d’étoiles très jeunes et massives au centre. Les étoiles de type O et Wolf-Rayet sont nées il y a 6 millions d’années, pendant 2 millions d’années seulement. Il apparaît que ce sont surtout des étoiles massives qui se sont alors formées. On peut imaginer qu’un nuage de gaz soit tombé vers le centre il y a 6 millions d’années, ait été piégé sous la forme d’un disque en rotation autour du trou noir, et se soit fragmenté par instabilité gravitationnelle pour former des étoiles massives. Le problème de cette hypothèse est que le disque de gaz doit être très dense afin de ne pas être disloqué par les forces de marée et le cisaillement. Mais alors, la théorie indique que ce serait surtout des étoiles de faible masse qui devraient se former. Il se pourrait toutefois que la chute violente de gaz, qui entre en collision avec d’autres nuages ayant déjà commencé à spiraler autour du trou noir, change ces conditions, qui deviennent alors plus favorables à la formation rapide d’étoiles massives, comme le montre les simulations de la Figure 4.8. Le gaz est en effet chauffé à haute température par les chocs, ce qui favorise la formation d’étoiles massives.

Fig. 4.8 – Simulation de l’évolution d’un nuage de gaz de 104 masses solaires, tombant sur un trou noir semblable à celui de notre Galaxie. L’échelle de couleur indique la densité de gaz. La taille de la boîte est de 0,5 × 0,5 pc, ou 1,5 × 1,5 annéeslumière. Le gaz capturé autour du trou noir se fragmente en étoiles (les points blancs), qui ont des orbites de grande excentricité, comme celles qui sont observées. Remerciments à Ian. A. Bonnell.

Une autre possibilité est que les étoiles se soient formées en amas loin du centre, puis que par friction dynamique (voir l’encadré 4.1), cet amas ait perdu de l’énergie et spiralé vers le noyau. Arrivé au centre, soumis aux forces

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intenses de marée, il aurait été disloqué et redistribué en étoiles réparties de façon diffuse. Cependant, si l’amas n’est pas suffisamment dense, il est disloqué par les forces de marée avant d’arriver au centre, où les étoiles massives sont observées aujourd’hui. C’est un vrai problème, car la densité que l’amas doit avoir pour subsister est 100 à 1000 fois supérieure à la densité des amas d’étoiles que l’on observe aujourd’hui près du centre. Pour résoudre ce problème, les astronomes ont imaginé que l’amas en question possède un trou noir de masse intermédiaire en son centre (104 à 105 M ). Ce trou noir pourrait avoir été formé dans l’effondrement du cœur d’un amas globulaire, par exemple. Enfin, d’autres possibilités existent pour faire migrer des étoiles massives jusqu’à des distances au trou noir de l’ordre du mois-lumière. L’interaction d’étoiles binaires avec le trou noir pourrait amener à la capture d’une étoile par celui-ci, pendant que sa compagne est éjectée à l’infini. L’interaction gravitationnelle et la diffusion produite par les nuages moléculaires géants, pourrait aussi contribuer à rapprocher les étoiles massives du centre. D’autres possibilités sont les collisions entre étoiles. Tous ces processus prédisent l’existence d’étoiles à grande vitesse dans la Galaxie, et celles-ci sont effectivement observées dans le halo stellaire. Encadré 4.1. La friction dynamique Lorsque deux étoiles entrent en « collision », c’est-à-dire passent à proximité l’une de l’autre avec une grande vitesse relative, leurs trajectoires sont des hyperboles (dans le référentiel du centre de masse), et elles s’éloignent après leur rencontre avec une vitesse égale à leur vitesse initiale : seule la direction de leur mouvement a changé dans ce référentiel. Même s’il n’y a pas de perte d’énergie totale, il y a échange d’énergie d’une étoile à l’autre dans le référentiel au repos. Si une des étoiles était par exemple au repos au départ, la rencontre va l’accélérer et la mettre en mouvement. Mais l’effet de ces collisions est toujours très petit, car les étoiles ne sont jamais très proches les unes des autres dans une Galaxie. On peut calculer le temps de relaxation à deux corps d’un ensemble d’étoiles, qui est le temps qu’il faut à une étoile donnée pour perdre une énergie significative par rapport à son énergie initiale. Ce temps de relaxation à deux corps est supérieur à l’âge de l’Univers par environ 7 ordres de grandeur. On peut donc négliger les collisions entre étoiles. Notons que le temps de relaxation à deux corps est encore plus grand pour une galaxie, du fait qu’il y a un grand nombre N d’étoiles, et que le potentiel gravitationnel en est adouci. Une étoile n’est pas diffusée par une autre étoile, car elle ressent surtout le champ gravitationnel adouci de l’ensemble des N corps, N étant de l’ordre de 200 milliards ! La situation est différente pour un corps très massif se déplaçant dans une mer d’étoiles (Figure E4.1). Considérons par exemple un amas globulaire, de masse environ un million de masses solaires, traversant à grande vitesse

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une galaxie. L’amas attire par gravité les étoiles proches, dont la densité augmente localement. Peu à peu, les étoiles déviées s’accumulent dans le sillage de l’amas globulaire en mouvement. L’accumulation de masse dans son sillage freine l’amas globulaire. Le milieu se comporte donc comme ayant une certaine viscosité, bien qu’il n’y ait aucun contact direct entre les étoiles, et produit ce que les spécialistes appellent une friction dynamique. On conçoit que le corps massif ainsi freiné puisse être suffisamment ralenti pour être capturé par la galaxie. Chandrasekhar en 1943 avait calculé l’amplitude de la friction dynamique pour les amas globulaires dans la Galaxie. Mais il n’avait pas envisagé que la friction dynamique puisse avoir lieu à distance, et sa formule donnait une force proportionnelle à la densité locale des étoiles.

Fig. E4.1 – Principe de la friction dynamique. 1 : un corps massif pénètre dans une mer d’étoiles, dont la masse individuelle est négligeable par rapport à la masse de ce corps ; 2 : il attire les étoiles de la galaxie qui tendent à s’accumuler en un sillage derrière ce corps ; 3 : l’accumulation de masse dans son sillage freine le corps massif.

Depuis, on a pu calculer précisément grâce aux simulations numériques l’amplitude de la friction dynamique entre deux galaxies en interaction qui ne s’interpénètrent pas. Les forces de marée à distance déforment les galaxies, et ces déformations produisent des excès de densité qui peuvent ralentir les galaxies dans leur mouvement relatif l’une autour de l’autre. En quelque sorte, les déformations des galaxies requièrent de l’énergie potentielle qui est prélevée sur l’énergie orbitale relative des deux galaxies, et celles-ci spiralent alors l’une vers l’autre en perdant leur énergie relative, et peuvent finir par fusionner.

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4. Le Centre galactique

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Du gaz tombant sur le trou noir

Nous n’avons parlé jusqu’ici que du mouvement des étoiles autour du trou noir central. Récemment, les astronomes se sont aperçus qu’un des objets faibles qui tournent avec une vitesse de 1700 km/s autour du centre n’était pas une étoile, mais un nuage diffus dont la température, de l’ordre de 500 K, est bien plus faible que la température de surface d’une étoile. De plus, des raies de recombinaison de l’atome d’hydrogène (raies de Brackett) ont été détectées dans son spectre, qui montrent qu’il s’agit bien d’un gaz ionisé, mélangé à de la poussière qui rayonne en infrarouge. Ce nuage provient probablement de vents stellaires émis par les étoiles jeunes qui orbitent autour de SgrA*. La masse du nuage serait de l’ordre de 10−5 M , soit 3 fois la masse de la Terre. Il se dirige actuellement vers le centre de la Galaxie : son orbite, dont la période est de 137 ans, est telle qu’il devrait arriver en 2013 au plus près du trou noir, à environ 3000 fois l’horizon de celui-ci, soit 36 heures-lumière. Seules les étoiles S2 et S14 de la Figure 4.7 sont passées à des distances aussi petites du trou noir. La vitesse radiale du nuage a augmenté de 1200 km/s en 2004 à 2350 km/s en 2011 (Figure 4.9). Son émission n’est plus ponctuelle comme lors de sa découverte, mais s’étire dans la direction de l’orbite sous l’effet des forces de marée intenses du trou noir.

Fig. 4.9 – À gauche, sont dessinées les orbites du nuage de gaz autour du trou noir (en rouge) et de l’étoile S2 (en bleu) à titre de comparaison. La position du trou noir est représentée par un point rouge près de l’intersection des deux courbes. La partie en trait interrompu est une extrapolation. À droite, la vitesse du nuage par rapport au trou noir est portée en fonction de l’année. Il est prévu que le nuage atteigne son péricentre à l’été 2013. Remerciments à Stefan Gillessen.

Ce qui va se passer autour de SgrA∗ dans les prochaines années suscite beaucoup d’excitation. La Figure 4.10 montre une simulation de l’évolution du nuage pendant cette période. Il se pourrait qu’il y ait des sursauts de

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Fig. 4.10 – Simulations d’un nuage de gaz sur son orbite autour du trou noir de notre Galaxie, supposé arriver au péricentre en été 2013. La date est indiquée sur chaque image, dont les dimensions correspondent à 0,0235 × 0,0125 parsec. On voit le nuage s’étirer par les forces de marée le long de son orbite, et une partie du gaz précéder le centre du nuage dans son orbite. D’après Burkert, A. et al. (2012) Astrophysical Journal 750, 58, avec l’autorisation de l’AAS.

rayons X si un peu de la matière du nuage arrive à une distance proche de l’horizon, sur la dernière orbite stable. Alors que le trou noir de la Voie lactée est resté « silencieux » de mémoire humaine jusqu’à présent, il se pourrait qu’il se réveille sous l’effet de l’accrétion de matière, ce qui conduirait à des

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rayonnement puissants au cas où le nuage serait complètement déchiré par les forces de marée et en partie avalé par le trou noir. Notons toutefois que SgrA∗ ne deviendra pas un vrai noyau actif, vu la faible masse du nuage de gaz et le fait qu’une grande partie va ressortir indemne de son péricentre. Il va sans doute y avoir une onde de choc, et le gaz froid sera chauffé jusqu’à une dizaine de millions de degrés, où il pourra émettre des rayons X.

4.4

Conclusion

Le centre de notre Galaxie est le siège d’évènements dynamiques uniques, dont l’étude est très utile pour mieux comprendre les noyaux actifs des autres galaxies. Le bulbe d’étoiles est fort modeste, et ressemble plutôt à ce que l’on appelle pseudo-bulbe, c’est-à-dire un composant intermédiaire entre bulbe et disque. Un bulbe classique ne tourne pas, a une forme assez ronde et une distribution de lumière typique en exp(−r1/n ) où n = 4. En revanche, les disques tournent, sont aplatis, et leur distribution de lumière est exponentielle (n = 1). Le pseudo-bulbe est un peu aplati, tourne modérément (bien que moins qu’un disque), et sa distribution de lumière correspond à n ∼ 2. Les pseudo-bulbes sont formés à partir des étoiles du disque, par résonance verticale avec la barre. Il semblerait donc que la barre joue un rôle crucial dans l’évolution de la Voie lactée, qui n’a pas subi de rencontres avec des galaxies voisines massives depuis des milliards d’années. Le gaz est fortement accumulé dans un anneau de 200 pc de rayon. Puis, plus au centre, des mouvements non circulaires forts, des inclinaisons différentes du plan, sont à l’origine de morphologies surprenantes, difficiles à élucider en raison des effets de projection Du gaz ionisé semble tomber sur le trou noir central, dont la masse est de 4 millions de masses solaires ; cette masse a été déterminée par l’étude patiente des mouvements propres des étoiles autour du trou noir. Des sursauts de quasi-périodicité très courte (20 minutes) permettent de tracer le gaz sur la dernière orbite stable autour du trou noir. De nouvelles observations va bientôt permettre de mieux connaître le trou noir super-massif, sa rotation, et comment il s’est formé. C’est un prototype permettant d’imaginer les propriétés du trou noir qui est tapi dans le noyau de toutes les galaxies.

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Chapitre 5 Dynamique galactique La Voie lactée est une galaxie spirale barrée ; mais, comme nous sommes à l’intérieur de son disque, que nous ne voyons que par la tranche, il est très difficile d’avoir une vision claire des détails de sa structure spirale. C’est par comparaison avec les galaxies extérieures du même type que nous pouvons déduire ses structures les plus probables, aidés par des observations photométriques et cinématiques à différents longueurs d’onde. Comment se forment ces structures ? Quels sont leur durée de vie et leur rôle dans l’évolution de la Galaxie ?

5.1

Dynamique de la structure spirale barrée

Les divers traceurs de la structure spirale nous en donnent, selon leur nature, des visions différentes et complémentaires. La composante gazeuse présente de la viscosité, d’où une dynamique dissipative qui lui confère une faible dispersion de vitesses. Cette viscosité est due aux collisions entre les nuages interstellaires, collisions qui dissipent leur énergie cinétique relative : le gaz rayonne cette énergie, souvent par l’intermédiaire d’ondes de choc très efficaces de ce point de vue. Les étoiles naissent par instabilité gravitationnelle dans les nuages moléculaires denses ; c’est pourquoi la composante stellaire jeune, en particulier les étoiles massives de type OB, qui ionisent le gaz environnant en formant une région HII, a la même morphologie et la même cinématique que le gaz. Les étoiles jeunes et massives ont en effet une durée de vie de l’ordre d’une dizaine de millions d’années, qui est très courte vis-à-vis du temps de traversée d’un bras spiral par la matière, par exemple. En revanche, la composante stellaire plus ancienne a une dynamique très différente. C’est cette composante qui contient le plus gros de la masse ; elle est constituée d’étoiles de l’ordre d’une masse solaire, dont la durée de vie est de plusieurs milliards d’années. Le nombre d’étoiles dans la Galaxie est si grand (200 milliards environ) qu’elles produisent un potentiel gravitationnel

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moyen, lissé, où l’influence des étoiles individuelles est effacée. L’ensemble de ces étoiles peut être considéré comme un milieu sans collision, et donc non dissipatif. Le terme « collision » ne veut pas dire ici collision physique (les étoiles sont de dimensions si faibles par rapport à leur distance moyenne qu’elles ne rentrent pratiquement jamais en collision), mais doit être étendu aux « rencontres gravitationnelles », au cours de laquelle les étoiles pourraient échanger de l’énergie. Cependant, le temps pour que les étoiles échangent de l’énergie deux à deux, et se mettent à l’équilibre « thermique » en rapprochant leur énergie cinétique, est des millions de fois supérieur à l’âge de l’Univers comme nous l’avons vu au chapitre précédent. On peut donc concevoir que la structure spirale du gaz et des traceurs de jeunes étoiles soit différente de celle des vieilles étoiles, comme le montre la Figure 5.1. La structure spirale barrée est une onde de densité, qui se développe essentiellement dans la composante stellaire le plus pérenne, c’est-àdire les étoiles vieilles, avec cependant l’aide du gaz. La théorie de la formation de ces ondes de densité par instabilité gravitationnelle du disque galactique a été développée dans les années 1960 par Lin, Shu et leurs collaborateurs, puis confirmée par les simulations numériques. Comme nous l’avons vu au Chapitre 3, les ondes de densité expliquent pourquoi la majorité des galaxies à disque ont des bras spiraux, bien que toute la matière tourne de façon différentielle, en se déformant : la période de rotation du gaz et des étoiles au bord des disques est de l’ordre du milliard d’années, alors qu’au centre elle n’est que d’une dizaine de millions d’années. Toute structure matérielle, comme un bras spiral, se formant un moment donné, devrait s’enrouler au moins 100 fois pendant la vie d’une galaxie et disparaître dans la confusion. Une onde de densité, au contraire, tourne à vitesse angulaire constante (sa période de rotation est donc également constante) et peut donc perdurer sans se déformer, du moins dans la zone du disque où son existence est permise. Les vieilles étoiles tracent donc ces ondes de densité à deux bras, relativement durables, que l’on voit Figure 5.1, à droite. Elles sont peu sensibles à de petites perturbations, qui seraient créées par exemple par les collisions des étoiles avec des nuages moléculaires géants. Quant au gaz, il suit le potentiel gravitationnel produit par ces bras spiraux, mais il est beaucoup plus perturbé que les étoiles vieilles par divers facteurs comme la formation d’étoiles. Celle-ci peut être contagieuse, car les ondes de choc créées par les vents émis par les étoiles jeunes et par l’explosion des plus massives stimulent la formation d’autres étoiles dans les nuages moléculaires : ces processus engendrent de façon aléatoire des morceaux de bras nouveaux ou des branchements entre les bras principaux. Ceci explique la grande complexité de la distribution de la matière interstellaire, et par conséquent des étoiles jeunes et des régions HII que celles-ci ionisent. Du chaos est ainsi créé dans la structure du disque, et des bras harmoniques peuvent se former : c’est l’origine de la structure à quatre bras qui a été initialement révélée par les régions HII dans la Voie lactée (voir les Figures 1.6 et 3.23).

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5. Dynamique galactique

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Fig. 5.1 – Deux vues d’artiste de la Voie lactée, qui donnent une idée de ce que peut être sa structure. À gauche, la composante gazeuse et les étoiles jeunes qui se forment dans les nuages moléculaires (associations d’étoiles O et B) ainsi que les régions HII ionisées par ces étoiles. Ces traceurs révèlent une structure à 4 bras. À droite, la composante stellaire vieille, qui représente l’essentiel de la masse du disque, telle qu’elle serait vue en infrarouge proche (l’échelle est un peu différente). Dans cette composante, la Galaxie possède deux bras spiraux principaux qui peuvent avoir quelques branchements, et des bras faibles harmoniques des bras principaux. Le nom des bras principaux est indiqué. Comparer aux images réelles de galaxies extérieures reproduites Figures 1.7, 3.25, 5.3, 5.8 et 5.9. D’après R. Hurt.

L’onde de densité ne tourne pas à la même vitesse que les étoiles et le gaz dans le disque galactique. Il existe donc des distances au Centre galactique où se produisent des résonances entre les mouvements de la matière et le mouvement de l’onde : voir l’encadré E5.1. La résonance la plus courante est la corotation, où la vitesse angulaire de l’onde spirale ou barrée est égale à celle de la matière. À l’intérieur de ce rayon de corotation (CR), la matière tourne plus vite que l’onde, et moins vite à l’extérieur. Il y a aussi des résonances d’ordre supérieur, où une combinaison rationnelle de la fréquence de rotation et la fréquence des oscillations des étoiles autour de leur point d’équilibre (fréquence épicyclique) est égale à la fréquence de la rotation de la barre. Du fait de ce rapport rationnel, les orbites des étoiles et de la matière interstellaire au voisinage du rayon galactocentrique où se produit une telle résonance sont fermées (périodiques) dans le référentiel tournant avec l’onde : l’interaction entre l’onde et les étoiles ou le gaz peut devenir très forte. Les résonances de ce type qui sont les plus importantes dans le disque galactique sont les résonances de Lindblad (encadré E5.2), où les étoiles parcourent deux épicycles par tour accompli dans le référentiel de l’onde spirale, soit dans le sens direct (résonance

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interne, pour laquelle les étoiles tournent plus vite que l’onde) soit dans le sens rétrograde (résonance externe, où c’est l’inverse). Les résonances de Lindblad et la corotation jouent un rôle majeur dans le développement des ondes de densité. Ces ondes spirales ne peuvent se développer qu’entre les deux résonances de Lindblad, interne et externe, et les barres se terminent en général juste un peu avant la corotation. Il est facile de le comprendre, lorsque l’on sait que les principales familles d’orbites des étoiles ont leur grand axe parallèle à la barre juste à l’intérieur de la corotation (orbites ×1), alors que ce grand axe est perpendiculaire à la barre à l’extérieur (orbites ×2) : voir l’encadré E5.2. Comme la barre résulte de l’agencement des orbites des étoiles, ces dernières ne peuvent plus engendrer de barre audelà de la corotation. L’orientation des orbites change d’ailleurs de parallèle à perpendiculaire à chaque résonance. La présence de la résonance interne de Lindblad affaiblit la barre, et prépare ainsi l’apparition par découplage d’une barre secondaire tournant plus vite, à l’intérieur de cette résonance. Dans le potentiel gravitationnel de la barre stellaire, le gaz tend à suivre les mêmes orbites que les étoiles, mais son caractère collisionnel et dissipatif va lui imposer un comportement différent. Les nuages entrent en collision surtout lorsque deux courants se croisent (orbites parallèles et perpendiculaires par exemple), et toutes les orientations deviennent alors possibles, par précession. Le gaz s’établit en structure spirale, légèrement déphasée par rapport aux étoiles, si bien qu’un couple de torsion s’exerce entre les étoiles et le gaz. Il y a échange de moment angulaire, qui peut varier en fonction de la position par rapport aux résonances dans la Galaxie. On peut montrer qu’à l’intérieur de la corotation le gaz perd du moment cinétique, et tombe progressivement vers la résonance interne de Lindblad. Là, il est en phase avec les étoiles, à l’équilibre. C’est pourquoi la résonance interne est un lieu d’accumulation de gaz, où peuvent se former de nouvelles étoiles (voir Figure 5.2). Dans la Voie lactée, il existe effectivement un anneau de gaz moléculaire, d’environ 200 pc de rayon, qui correspond à la résonance interne de Lindblad de la barre. La corotation de la barre serait à environ 4–5 kpc du centre, ce qui correspond à une vitesse angulaire de la barre de 40 km s−1 kpc−1 , soit à une période de rotation de 160 millions d’années. Comme la grande majorité des galaxies spirales, la Voie lactée a des bras spiraux dans le sens « traînant », c’est-à-dire qui s’enroulent dans le sens contraire de celui de la rotation (sur la Figure 5.2 en bas, la Galaxie est supposée vue du pôle Nord galactique et le sens de rotation est celui des aiguilles d’une montre). Ce sens de l’enroulement des bras est dicté par la minimisation de l’énergie : c’est avec cet enroulement que la matière va pouvoir progressivement tomber vers le centre, où l’énergie potentielle est minimale. À l’extérieur du rayon de corotation, la matière tourne moins vite que l’onde et entre dans les bras spiraux par leur coté convexe. C’est le cas du Soleil, qui dans le référentiel des bras tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et va bientôt rencontrer le bras secondaire

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Fig. 5.2 – Simulations à N corps des étoiles et du gaz dans un disque galactique, avec les conditions physiques de la Voie lactée. La figure correspond à deux des meilleurs modèles et les confronte avec les observations du gaz. En haut à gauche le diagramme longitude-vitesse observé pour l’émission CO (gaz moléculaire), et en haut à droite celui pour l’émission de la raie 21 cm de HI (gaz atomique). Au milieu : diagramme longitude-vitesse prédit par deux modèles possibles de la Voie lactée. En bas : projection vue du pôle galactique Nord de la distribution du gaz interstellaire dans ces deux modèles. Le Soleil est à 8 kpc du centre de la Galaxie, soit aux coordonnées (x, y) = (0, −8) kpc (symbole ). La corotation de l’onde spirale barrée est à R(CR) = 4, 5 kpc. La matière et l’onde tournent dans le sens des aiguilles d’une montre. Chacun des modèles reproduit mieux certains bras spiraux et moins d’autres, mais tous les deux reproduisent bien l’allure globale du diagramme observé. D’après Fux, R. (1999) Astronomy & Astrophysics 345, 747-812, avec l’autorisation de l’ESO.

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harmonique Carène-Sagittaire puis le bras principal Croix-Écu-Centaure, en s’éloignant du bras de Persée (voir la Figure 3.23). Si les couples de torsion dus à la spirale barrée font tomber le gaz de la corotation vers la résonance de Lindblad, c’est l’opposé qui se passe à l’extérieur de la corotation, où le gaz est poussé vers la résonance externe de Lindblad. Dans les galaxies extérieures, il est facile de voir les anneaux formés du gaz qui s’accumule à cet endroit (Figure 5.3). Dans la Voie lactée, cet anneau ne serait pas très loin du Soleil ; cela dépend de la courbe de rotation, qui est assez mal connue dans ces parties externes. Certains astronomes ont identifié des perturbations cinématiques des étoiles observées dans le voisinage solaire comme dus à la présence de la résonance externe. Des résonances entre le mouvement des étoiles et le mouvement de la barre existent aussi dans la direction verticale (perpendiculaire au plan de la Galaxie). Par analogie avec ce qui se passe pour l’oscillation radiale (épicycle), on comprend que puisse exister une résonance interne de Lindblad perpendiculaire au plan galactique, lorsque que la fréquence d’oscillation de part et d’autre du plan est égale à la fréquence de rotation de la barre : dans ces conditions, l’étoile retrouve la barre dans la même configuration à chaque retour vers le plan de symétrie du disque. Cette résonance se produit dans les régions centrales de la Galaxie, assez près de la résonance interne de Lindblad. La perturbation par la barre en est amplifiée. Les étoiles à ce rayon gagnent de l’énergie, et sont projetées plus haut au-dessus du plan. La barre prend alors une forme de cacahuète. Des exemples en sont montrés sur la Figure 5.4. La présence de cette forme particulière dans notre Galaxie est une autre confirmation de la présence d’une barre forte. Les conséquences de l’échange d’énergie et de moment cinétique entre la matière (étoiles et gaz) et la barre sont d’autant plus visibles que l’onde spirale barrée est plus robuste et de plus longue durée. Dans le cas le plus simple d’une forte barre, il n’existe qu’une onde spirale unique, avec une seule période de rotation dans tout le disque. Pourtant, les simulations numériques nous montrent que la dynamique des disques peut se compliquer, qu’il peut se développer plusieurs ondes avec des vitesses de rotation différentes, et que l’interaction entre gaz et étoiles peut conduire à la destruction de la barre.

5.2

Évolution cyclique des barres, migrations, ondes multiples

Pendant combien de temps la barre dans la Voie lactée va-t-elle subsister ? À quelle époque a-t-elle été formée ? La réponse à ces questions n’est pas aisée. Il ne suffit pas de déterminer l’âge des étoiles qui forment la barre aujourd’hui, ou même de celles qui constituent le pseudo-bulbe formé à partir de la barre, pour connaître l’âge de la barre. Car lorsque l’onde de densité se développe par instabilité gravitationnelle, elle rassemble toute la matière

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Fig. 5.3 – La galaxie spirale barrée NGC 1097, qui pourrait ressembler à notre Galaxie. Il s’agit d’une image en 3 couleurs en infrarouge par la caméra IRAC du satellite Spitzer : le bleu et le vert correspondent aux vieilles étoiles observées à 3,6 et 4,5 microns, et le rouge à la poussière dont l’émission domine à 8 microns de longueur d’onde. La barre dans cette galaxie a produit 3 anneaux aux résonances : un anneau nucléaire au centre à la résonance interne de Lindblad, siège d’une flambée de formation d’étoiles, un anneau à la corotation, entourant la barre, et un anneau à la résonance externe de Lindblad, qui est en train de se former (ou pseudo-anneau, fait des deux bras spiraux qui commencent à s’enrouler en anneau). L’ensemble est perturbé par un petit compagnon en haut à droite, que l’on ne voit qu’en bleu c CalTech/JPL. (vieilles étoiles), et qui semble dépourvu de poussière et de gaz. 

présente, gaz et étoiles, quel que soit l’âge de celles-ci. En quelque sorte, la barre n’a pas l’âge de ses étoiles. Dans le pseudo-bulbe, on trouve en grande partie des étoiles vieilles, mais aussi quelques étoiles jeunes. Une fois que les étoiles ont été propulsées par résonance verticale à grande distance du plan galactique, elles perdront plus leur énergie cinétique. On peut donc dire que le bulbe de notre Galaxie accumule toutes les étoiles amenées là par les différents processus rencontrés au cours de la vie de la Voie lactée : accumulation due

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Fig. 5.4 – En haut, deux galaxies barrées vues par la tranche, qui montrent une forme de cacahuète (Hickson 87-A, à gauche) ou une forme de boîte (NGC 4565, à droite). Les images proviennent du télescope spatial Hubble. En bas, les résultats de simulations N corps montrent des morphologies semblables, lorsqu’une barre est c Hubble observée par la tranche à 45◦ (gauche) ou 10◦ (droite) de la ligne de visée.  Space telescope Heritage. à plusieurs barres qui se seraient succédées, ou même apport d’étoiles d’une galaxie compagne, qui aurait perdu une partie de sa masse en passant près de la Galaxie, ou aurait fusionné complètement avec elle.

5.2.1

Destruction et reformation des barres

Lorsque la masse du disque contient plus de 6 % de gaz, ce qui est le cas du disque de la Galaxie, les échanges de moment cinétique dus aux couples de gravité peuvent affaiblir la barre. Notons en passant que la matière noire n’est pas dominante dans les parties centrales du disque, et joue un rôle négligeable dans cet échange. Les couples sont tels que le gaz est précipité vers le centre et perd du moment cinétique. Mais le moment cinétique total est conservé dans l’ensemble de la galaxie à condition qu’elle soit isolée, et il s’agit d’un échange avec les étoiles formant la barre : les couples de gravité sont réciproques, en raison de l’égalité entre action et réaction, ce qui implique que le gaz exerce un couple de torsion opposé sur les étoiles, qui vont donc gagner du moment cinétique. Or l’onde barrée se caractérise par un moment cinétique négatif à l’intérieur de son rayon de corotation, puisqu’elle tourne moins vite que la matière. Lui donner du moment cinétique va donc l’affaiblir, et même la détruire s’il y a suffisamment de gaz. En quelque sorte, il s’agit d’un processus d’autorégulation de la barre, qui est illustré sur la Figure 5.5. Dans les simulations numériques, étayées par les observations qui peuvent estimer l’amplitude des

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Fig. 5.5 – Le cycle d’évolution des ondes spirales barrées. (1) Dans une première étape, une onde se développe par instabilité gravitationnelle. La barre centrale exerce un couple de torsion sur le gaz, qui suit l’onde avec un certain déphasage, dû à son caractère dissipatif. Le gaz à l’intérieur de la corotation (CR) est précipité vers le centre, et s’accumule à la résonance interne de Lindblad. (2) Pendant ce temps, le gaz à l’extérieur de la CR est amené vers l’extérieur et s’accumule à la résonance externe (OLR=Outer Lindblad Resonance). (3) Le gaz a maintenant transféré tout son moment cinétique à la barre. La barre, étant une onde de moment cinétique négatif puisqu’elle tourne moins vite que la matière, s’affaiblit en récupérant ce moment cinétique. Le disque de la galaxie n’ayant plus de barre, le gaz qui était contraint à stationner en dehors de l’OLR peut maintenant entrer. Le disque en moyenne se refroidit (la dispersion de vitesse des étoiles diminue), et devient instable. (4) Une autre onde barrée peut alors se former. Comme la masse s’est concentrée au cours de ce cycle, la nouvelle barre tourne plus vite que le disque et se termine à sa corotation.

couples de torsion en mesurant le déphasage entre la barre stellaire et la réponse de la composante gazeuse, la chute du gaz et la destruction de la barre peuvent se dérouler en un seul temps dynamique (ou temps caractéristique pour une révolution), typiquement en 200 millions d’années si la galaxie est riche en gaz. Mais le cycle est plus lent si elle est pauvre en gaz, de l’ordre d’un milliard d’années. Une fois la barre affaiblie ou disparue, le disque stellaire a été « chauffé » par le passage de l’onde, c’est-à-dire que la dispersion de vitesse des étoiles a augmenté. Il faudra attendre que la galaxie acquière une grande quantité de gaz de l’extérieur, provenant des filaments qui la relient au reste de l’Univers,

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pour que le disque se refroidisse et devienne à nouveau gravitationnellement instable. D’autres ondes spirales barrées pourront alors se former. La Figure 5.6 illustre ce processus par des simulations numériques qui prennent ou non en compte une accrétion de gaz extérieur.

Fig. 5.6 – En haut : simulation de l’évolution d’une galaxie semblable à la Voie lactée. Chacun des quatre panneaux montre la distribution des étoiles vieilles, à gauche, et du gaz à droite. Les deux panneaux de gauche correspondent à un temps T = 1500 millions d’années après le début de la simulation, et ceux de droite à T = 8000 millions d’années. En haut, il n’y a pas accrétion de gaz par la galaxie, et on voit que la barre qui s’était développée au début a disparu à la fin de la simulation. En bas : on part des mêmes conditions initiales, mais il y a accrétion de gaz externe par la galaxie. La barre subsiste jusqu’à la fin de la simulation.

5.2.2

Migrations

L’onde spirale barrée produit une migration radiale importante de la matière (étoiles et gaz) dans la Galaxie. Les étoiles que l’on voit aujourd’hui à une certaine distance du centre n’y séjournent que de façon transitoire, et il est possible que le Soleil ne soit pas né à sa distance actuelle du Centre galactique, soit environ 8 kpc, mais dans une région plus centrale. Il est important de prendre en compte l’effet des migrations pour pouvoir expliquer les gradients d’abondance des éléments lourds en fonction du rayon, ou les gradients d’âge des étoiles : nous en reparlerons aux Chapitres 6 et 7. Ces migrations sont le résultat d’une diffusion des étoiles à la résonance de corotation. Cela concerne surtout les étoiles qui ont peu de dispersion de vitesses, donc dont l’orbite est quasi-circulaire. Dans le référentiel tournant,

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on peut à la corotation changer le signe du moment cinétique sans changer pratiquement d’énergie, et il est alors très facile de basculer d’un côté ou de l’autre de l’orbite circulaire. Il y a échange de moment cinétique entre les étoiles : les étoiles dont l’orbite a un rayon plus petit que le rayon de corotation vont en gagner, et permettre à celles qui sont de l’autre côté du rayon de corotation d’en perdre et de migrer vers le centre. Comme la vitesse des ondes varie au cours du temps, le rayon de corotation varie, et la migration concerne de plus en plus d’étoiles. L’effet peut aussi être amplifié si plusieurs ondes de densité existent simultanément. La Figure 5.7 illustre les effets caractéristiques de la migration due à l’onde spirale barrée de la Voie lactée. La simulation numérique montre qu’en 3 milliards d’années, le rayon du disque d’étoiles augmente considérablement, car des étoiles du centre de la Galaxie ont migré vers le bord. Les variations de moment cinétique se produisent surtout aux résonances, mais pas seulement, car il y a des ondes multiples avec chevauchement de résonances. Non seulement les étoiles et du gaz s’étalent en rayon et forment un disque exponentiel, mais dans cette simulation la métallicité moyenne des étoiles remonte vers le bord du disque, ce qui est paradoxal. S’il n’y avait pas de migration, l’abondance des éléments lourds diminuerait de façon monotone avec le rayon, comme on le verra au Chapitre 6. Cependant, la migration pousse vers l’extérieur les vieilles étoiles riches en métaux qui proviennent du centre de la Galaxie, ce qui affecte considérablement le gradient d’abondance des éléments lourds. Il est frappant de voir que le rayon du lieu de naissance des étoiles qui se trouvent actuellement à un rayon galactocentrique donné peut prendre toutes les valeurs possibles dans le disque.

5.2.3

Barre secondaire, ondes multiples

Lorsqu’un disque galactique devient instable vis-à-vis de la formation d’ondes de densité spirales ou barrées, le cas le plus simple est la formation d’une seule onde, d’une vitesse angulaire fixe, entre les résonances de Lindblad. Grâce à l’autogravité, cette onde entraîne avec elle toutes les orbites stellaires, dont la précession se fait donc à la vitesse de rotation de la barre, alors qu’en l’absence de barre la précession de chaque orbite se produirait à un taux décroissant avec le rayon. Le taux de précession est une combinaison de la fréquence de rotation et de la fréquence épicyclique, qui toutes les deux varient énormément du centre au bord de la Galaxie ; mais il varie beaucoup moins vite que ces fréquences avec le rayon : c’est pourquoi les ondes de densité peuvent se maintenir dans le temps, et ne s’enroulent pas rapidement comme le feraient des bras spiraux matériels. Pourtant, le taux de précession varie quelque peu, d’autant plus vite que la distribution de masse est concentrée dans la Galaxie. Comme l’onde spirale barrée contribue à concentrer la masse, l’évolution naturelle va dans le sens d’une variation de plus en plus rapide du taux de précession, si bien que l’autogravité finira par

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Fig. 5.7 – Migration des étoiles dans un disque galactique. Ligne du haut : Image de la composante stellaire dans une simulation d’une galaxie spirale sans accrétion de gaz, à des époques T = 0,2, 0,4, 0,6, 0,8 et 3 milliards d’années ; on remarque la disparition progressive de la barre et de la structure spirale. Deuxième ligne : Aux mêmes époques, variation du moment cinétique divisé par la vitesse de rotation, ΔL, des étoiles en fonction du rayon ; le rayon de corotation est indiquée par une ligne verticale pointillée, et la résonance externe par une ligne verticale pleine. Troisième ligne : Distribution radiale de la densité de surface des étoiles et du gaz (à gauche) et de l’abondance en éléments lourds des étoiles et du gaz (à droite) pour les mêmes époques, allant du trait rouge pour 0,2 milliards d’années au violet pour 3 milliards d’années. La ligne verticale pointillée indique l’échelle radiale initiale. Quatrième ligne : Distribution des rayons de naissance des étoiles qui se trouvent, à T = 2,5 milliards d’années, à l’intérieur de l’anneau indiqué en vert (de 600 pc de large). D’après Minchev, I. et al. (2011) Astronomy & Astrophysics 527, A147, avec l’autorisation de l’ESO.

ne plus être suffisante pour concentrer toutes les étoiles dans une seule onde. Il va y avoir découplage en plusieurs ondes, tournant à des vitesses différentes, de plus en plus lentement quand on s’éloigne du centre.

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Un des exemples les plus courants de ces phénomènes dans les galaxies extérieures est le découplage entre la vitesse de rotation de la barre et celle des bras spiraux qui en sortent. Pour les barres fortes, les bras tournent toujours à la même vitesse, qui est celle de la barre à laquelle ils sont attachés. Mais dans certaines galaxies, les bras se décrochent et peuvent commencer à n’importe quel angle, déphasés par rapport à la barre comme le montre la Figure 5.8. Les calculs ont montré que ce découplage ne rendait pas les deux ondes complètement indépendantes. Au contraire, les deux ondes échangent de l’énergie, par couplage non linéaire, au niveau d’une résonance qu’elles ont en commun. La barre en général se termine à sa corotation, qui peut ensuite être la résonance interne de Lindblad de la spirale. Si le nombre de bras est deux (symétrie m = 2), le couplage avec la barre m = 2 produit des harmoniques, qui sont m = 0 et m = 4 : ces harmoniques, quoique plus faibles que les bras principaux, sont observés dans les simulations numériques du phénomène.

Fig. 5.8 – Images des galaxies NGC 1073 (à gauche) et NGC 3992 (à droite). Elles montrent un déphasage entre la barre et les bras spiraux, qui ne commencent pas juste aux extrémités de la barre. Il se pourrait que la Voie lactée ressemble à ces c Hubble Space Telescope Heritage. galaxies.  Un autre exemple rencontré très fréquemment est le découplage d’une barre secondaire à l’intérieur de la barre primaire. Les deux barres sont imbriquées et échangent de l’énergie, la corotation de la barre secondaire étant la résonance interne de Lindblad de la barre primaire, là où le gaz s’est accumulé pour donner une flambée de formation d’étoiles dans une première étape. Ces barres secondaires sont petites, de 100 à 800 pc de rayon, et sont souvent enfouies dans la poussière, si bien qu’on ne les voit que sur les images en infrarouge proche. Un exemple en est donné sur la Figure 5.9 qui montre la galaxie barrée NGC 1097. Notons qu’il a été proposé que la barre nucléaire puisse alimenter les noyaux actifs de galaxies. Les barres offrent en effet le meilleur moyen

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Fig. 5.9 – Images de la galaxie NGC 1097 (également représentée en infrarouge sur la Figure 5.3) obtenues avec le télescope VLT de l’ESO au Chili. L’image de gauche montre la barre primaire, la structure spirale et un compagnon, en haut à droite. L’image de droite a été obtenue dans l’infrarouge avec l’instrument d’optique adaptative NACO du VLT, et est un zoom sur l’anneau nucléaire, à la résonance interne de Lindblad, siège de formation d’étoiles, et sur la barre nucléaire à l’intérieur. Il est bien possible que la Voie lactée possède un anneau et une barre nucléaire c ESO. semblables. 

d’amener le gaz du disque de la galaxie vers le trou noir central. La barre est une perturbation non axisymétrique, qui produit des couples de gravité, agissant sur le moment cinétique. Cependant la barre primaire ne peut faire tomber le gaz que de la corotation vers la résonance interne de Lindblad, où le gaz stationne dans un anneau puisque, nous l’avons vu, les couples de gravité à l’intérieur de l’anneau changent de sens. Par contre, avec une barre secondaire qui est inscrite dans un anneau situé au rayon de corotation, l’action peut se prolonger jusqu’au centre. Le flux de gaz vers le Centre galactique se produit donc par paliers, et des flambées de formation d’étoiles ont le temps de se produire durant ces paliers. Ceci permet d’expliquer que l’activité des noyaux galactiques, qui se produit lorsqu’une partie du gaz tombe sur le trou noir (voir le chapitre précédent), soit souvent, mais pas toujours, accompagnée d’une formation d’étoiles nucléaire active. La durée de vie des barres secondaires est moins longue que celle des barres primaires, du moins dans les simulations numériques. Elles subsistent pendant plusieurs rotations, mais le temps dynamique est beaucoup plus court au centre puisque la rotation est plus rapide. Ceci est en accord avec les statistiques d’observation du phénomène de barres imbriquées : parmi les galaxies fortement barrées, environ 30 % seulement ont des barres nucléaires.

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Notre Galaxie n’a aucune activité nucléaire, et traverse une période calme, comme nous l’avons vu au chapitre précédent. Pourtant, les comptages d’étoiles en infrarouge proche suggèrent la présence d’une barre nucléaire. Comme l’anneau à 200 pc de rayon est riche en gaz moléculaire, il est vraisemblable que dans un temps dynamique (de l’ordre de 10 millions d’années à ces petits rayons), le gaz va tomber vers le centre en spiralant, et alimenter le trou noir. Très près du noyau, vers 10 pc de rayon, d’autres processus dynamiques devraient prendre le relais, comme la friction dynamique des nuages moléculaires géants sur les étoiles du bulbe, ou des asymétries, décentrements, etc. Seule une cascade de mécanismes permet d’expliquer l’efficacité de l’alimentation des noyaux, et ces mécanismes successifs se produisent à des échelles de temps caractéristiques de plus en plus courtes, à mesure que l’on se rapproche du noyau. La comparaison de la dynamique des galaxies extérieures et de celle de la Voie lactée permet de mieux comprendre ce qui se passe près de nous, que nous pouvons observer avec beaucoup de détails, mais malheureusement dans le plan du disque. Nous savons maintenant, grâce aux simulations et aux comparaisons avec l’aspect de galaxies spirales extérieures, que les structures qui paraissent robustes et pérennes dans la Galaxie sont en fait relativement transitoires, et évoluent sans cesse. Nous nous intéresserons au Chapitre 8 à des phénomènes plus violents, qui sont provoqués par l’interaction entre galaxies. Encadré 5.1. Orbites des étoiles, approximation épicyclique Chaque étoile dans le disque de la Galaxie possède à l’ordre zéro un mouvement de rotation autour du centre, à la vitesse angulaire W , puis au premier ordre des perturbations, des petits mouvements oscillants autour de cette orbite circulaire, qui peuvent être décrits par des épicycles : c’est la théorie dite « épicyclique au premier ordre ». Le terme d’épicycle est emprunté à l’antiquité grecque, où l’on décrivait le mouvement des planètes en superposant à un mouvement circulaire un autre mouvement sur un cercle, l’épicycle. Mais ici l’épicycle a en général une forme voisine de celle d’une ellipse. La nature des orbites nous éclaire sur le comportement collectif des étoiles dans la Galaxie : il existe en effet des familles d’orbites périodiques dans le référentiel tournant avec l’onde de densité (barre ou spirale). Celles-ci piègent autour d’elles la majorité des autres orbites, comme des attracteurs. Une faible partie des orbites n’est pas piégée, et reste de nature chaotique. Pour calculer la fréquence épicyclique, représentons la Voie lactée comme un disque aplati, axisymétrique où le potentiel gravitationnel est U (r, z), et écrivons les équations du mouvement dans le référentiel galiléen de

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coordonnées cylindriques (r, θ, z). Nous considérons des orbites quasi circulaires, qui s’écartent de petites déviations x, y et z dans les directions respectivement radiale, tangentielle, et perpendiculaire au plan. À l’ordre zéro, les coordonnées de l’étoile sont (R, θ = ωt, 0), où ω est la vitesse angulaire. On a au premier ordre : r =R+x q = ωt + y. D’après le principe de la dynamique, la vitesse angulaire est telle que : ω 2 = 1/R∂U/∂r (R, 0). En écrivant les équations du mouvement en coordonnées polaires, et en développant au premier ordre des perturbations, on est amené à développer en série de Taylor la dérivée ∂U/∂r du potentiel U (rz), qui est la force qui s’applique sur l’étoile : ∂U/∂r = ∂U/∂r (R, 0) + x∂ 2 U/∂r2 (R, 0) + z∂ 2 U/∂r∂z (R, 0). Le dernier terme est nul, vu la symétrie par rapport au plan : ∂U/∂z(R, 0) = 0. Le développement au premier ordre revient à ne considérer que le potentiel quadratique autour de la position d’équilibre : les petits mouvements sont alors des oscillateurs harmoniques. On trouve ainsi les équations du mouvement de x et y dans le plan du disque par rapport au mouvement circulaire : d2 x/dt2 = −κ2 x dy/dt = −2ω/Rx. La fréquence de ces oscillations harmoniques, κ est la fréquence épicyclique telle que : κ2 = ∂ 2 U/∂r2 (R, 0) + 3ω 2 = Rdω 2 /dR + 4ω 2 De même, z oscille avec la fréquence νz , telle que νz2 = ∂ 2 U/∂z 2 (R, 0). L’orbite de l’étoile dans le disque est donc la combinaison d’un cercle et d’un épicycle, qui est une petite ellipse dans le référentiel tournant avec l’onde : c’est en général une rosette, telle qu’elle est représentée sur la Figure E5.1. Cet épicycle est parcouru dans la direction contraire à celle de la rotation, et le rapport de ses axes est κ/2ω. On voit dans l’équation donnant la fréquence épicyclique que celle-ci est du même ordre de grandeur que ω, mais en général supérieure. Plus précisément, dans les régions

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internes de la Galaxie où la courbe de rotation monte de façon quasi linéaire, on a κ ∼ 2ω, puis√dans les parties externes, lorsque la courbe de rotation est plate, on a κ 2 ω. Comme le nombre d’épicycles par tour est κ/ω, on voit que l’on peut avoir une orbite qui se ferme en ellipse lorsque κ = 2ω.

Fig. E5.1 – Orbites des étoiles dans un disque selon l’approximation épicyclique au premier ordre : a) définition des petits déplacements x et y ; b) orbite quelconque (rosette), parcourue dans le sens contraire à la rotation générale ; c) cas particulier d’une orbite fermée, où κ = 2ω, correspondant à une rotation rigide au centre, ou bien à une orbite résonante dans le référentiel tournant à la vitesse ω − κ/2 ; d) orbite d’une étoile à la résonance de corotation, dans le référentiel tournant : l’étoile ne tourne pas, mais effectue seulement un épicycle. Encadré 5.2. Résonances de Lindblad Considérons l’orbite d’une étoile dans le référentiel tournant avec l’onde de densité (barre ou spirale). Afin de mieux comprendre les interactions entre onde et étoiles, il faut se placer dans ce référentiel, qui tourne avec l’onde à la fréquence Ωp . Dans ce référentiel, la fréquence de rotation des étoiles est Ω − Ωp . L’orbite de l’étoile est périodique, se refermant sur elle-même, s’il existe un rapport rationnel entre la fréquence de rotation et la fréquence épicyclique. Le rapport le plus fréquent qui se produise effectivement dans les galaxies est le rapport 2, soit Ω − Ωp = κ/2

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On appelle cette région la résonance de Lindblad interne ; elle se produit à l’intérieur de la corotation. Lorsque ce rapport survient avec le signe opposé, on est a l’extérieur de la corotation, et Ω − Ωp = −κ/2, ce qui définit la résonance externe de Lindblad. La Figure E5.2 reprend la courbe de rotation de la Voie lactée de la Figure 3.27, avec les fréquences Ω, Ω − κ/2, et Ω + κ/2 calculées, et montre comment une onde spirale barrée tournant à la vitesse angulaire Ωp = 38 km/s/kpc pourrait représenter les données observationnelles, la corotation se trouvant entre 5 et 6 kpc, et la résonance externe un peu à l’extérieur du rayon solaire. Il y aurait deux résonances internes, ce qui favorise bien le découplage d’une barre secondaire nucléaire.

Fig. E5.2 – Courbe de rotation de la Voie lactée (cf. aussi Figure 3.27), où cette fois sont calculées les fréquences caractéristiques Ω, Ω − κ/2, Ω + κ/2, afin de déterminer la position des résonances avec l’onde de densité tournant à la fréquence Ωp .

Dans une galaxie spirale barrée, à l’intérieur de la corotation, il existe deux familles principales d’orbites périodiques, parallèles (×1) et perpendiculaires (×2) à la barre (Figure E5.3). Ces dernières existent lorsqu’il y a une ou deux résonances internes de Lindblad.

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Fig. E5.3 – Forme des principales familles d’orbites dans le potentiel de la barre (horizontale dans cette figure), à l’intérieur de sa corotation. Il existe des orbites fermées parallèles à la barre (×1) et perpendiculaires (×2), dont quelques exemplaires sont dessinés ici.

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Chapitre 6 L’évolution chimique de la Galaxie Notre Galaxie, comme toutes les autres galaxies, évolue continuellement au cours du temps : des étoiles naissent à partir de la matière interstellaire et rejettent au cours de leur vie et à leur mort une partie de leur matière dans ce milieu, à partir duquel se forment d’autres générations d’étoiles. D’autre part, notre Galaxie échange de la matière avec le milieu extérieur. C’est sur cette évolution que nous allons tenter de faire le point, en insistant sur les aspects liés à l’abondance des éléments lourds dans le gaz et dans les étoiles. Le chapitre suivant examinera plus en détail les mécanismes possibles pour cette évolution. Au début, il y a environ 13 milliards d’années, la Galaxie était entièrement constituée de gaz et de matière noire, et les premières étoiles ont commencé à s’y former. De ces premières générations, les seules étoiles qui subsistent aujourd’hui sont celles qui ont une masse inférieure à 0,9 M . Les étoiles plus massives ont disparu, ayant restitué une partie de leur matière au milieu interstellaire tandis que le reste a formé un astre compact : naine blanche, étoile à neutrons ou trou noir, dont la durée de vie est infinie ou extrêmement longue, sauf cas particuliers. Parmi les étoiles nées par la suite, celles qui parviennent jusqu’à nous ont une masse limite supérieure de plus en plus grande à mesure qu’elles sont nées plus récemment. Une partie croissante de la masse de la Galaxie se trouve bloquée au cours du temps dans des étoiles de faible masse et des objets compacts. En conséquence, la fraction de masse contenue dans le milieu interstellaire ne peut que diminuer au cours du temps. Il se peut toutefois que du milieu interstellaire frais et des étoiles provenant de l’extérieur aient été, et soient encore, capturés par la Galaxie. Inversement, la Galaxie peut perdre du milieu interstellaire en émettant un vent, mais elle ne peut pas perdre beaucoup d’étoiles en raison de sa grande masse qui les maintient captives. Tout ceci peut se résumer par le schéma de la Figure 6.1.

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Fig. 6.1 – Schéma de l’évolution de la Galaxie.

6.1

La formation de la Galaxie

Ce point sera traité en détail au chapitre suivant, mais il nous paraît utile d’en dire quelques mots ici en guise d’introduction. Le scénario aujourd’hui le plus populaire chez les astronomes pour la formation des galaxies (ce qui ne veut pas dire que ce soit le bon car il a des problèmes !) suppose que des petites condensations (mini-halos) de matière noire, dont la masse était de l’ordre de 107 M , se sont formées à partir des fluctuations de densité primordiales. Elles ont chacune capturé un peu du gaz qui remplissait l’Univers, puis se sont réunies progressivement en protogalaxies : les simulations numériques montrent que la moitié des mini-halos avaient fusionné environ 3 milliards d’années après le Big Bang, soit 10,7 milliards d’années avant aujourd’hui. Ces protogalaxies, dont l’essentiel de la masse se trouvait sous la forme d’un halo de matière noire, se sont ensuite rassemblées en amas et autres grandes structures ; mais certaines, comme la nôtre, sont restées isolées au sein de petits groupes de galaxies. Des minihalos laissés pour compte les entouraient, et ont formé des galaxies satellites naines (mais les simulations en prédisent beaucoup trop !). Les galaxies que

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l’on observe à de très grandes distances dans l’Univers, donc lors des premières étapes de leur formation, sont assez informes mais produisent déjà beaucoup d’étoiles : 2 ou 3 milliards d’années après le Big Bang, le taux de formation d’étoiles dans l’Univers était en moyenne au moins dix fois plus grand qu’il ne l’est maintenant. Était-ce le cas de notre Galaxie ? La formation du disque d’une galaxie comme la nôtre se comprend aisément si la protogalaxie était en rotation, ce qui devait être un cas très fréquent. La force centrifuge empêche la contraction perpendiculaire à l’axe de rotation, tandis que seule la pression du gaz s’oppose à la contraction parallèle à cet axe. Si la chaleur dégagée par la contraction de ce gaz peut être bien évacuée, la galaxie prend la forme d’un disque en rotation, toujours contenu dans un halo de matière noire. Par la suite, les instabilités gravitationnelles, spirales et barres, qui se développent dans le disque, redistribuent le moment angulaire entre ses différentes parties : on constate en effet que l’essentiel du moment angulaire se trouve dans l’extérieur du disque, alors que les parties internes et notamment le bulbe central, tournent peu. Pendant ce temps, des étoiles se forment abondamment dans la protogalaxie, et les supernovae affectent l’évolution du gaz. Il est possible de simuler numériquement tous ces processus grâce à la puissance des ordinateurs actuels. On constate qu’une des premières composantes stellaires à se former, moins de 4 milliards d’années après le Big Bang, est un bulbe central, où la formation d’étoiles est très active mais cesse rapidement. Par ailleurs, un petit nombre d’étoiles se sont aussi formées dans le halo. Le disque se forme plus tard, 4 à 5 milliards d’années après le Big Bang. Toutes les étoiles formées à partir de cette époque le sont dans le disque, et quelquesunes dans le bulbe. Les premières étoiles du disque paraissent occuper une épaisseur plus grande que les suivantes, ce qui suggère une possibilité pour la formation du disque épais. Cependant, ces simulations ont actuellement leurs limites, car elles produisent souvent des bulbes trop massifs par rapport à ceux que l’on observe dans les galaxies réelles. Des simulations numériques ont été également faites dans les modèles sans matière noire où la loi newtonienne de la gravité est modifiée aux très grandes distances (modèles MOND, voir la fin du Chapitre 3). En gros, les résultats ne sont pas essentiellement différents en ce qui concerne la dynamique des galaxies. Beaucoup reste à faire cependant en ce qui concerne leur formation, mais il semble que la coalescence entre les fragments initiaux de matière soit plutôt plus facile dans ces modèles que dans les modèles avec matière noire.

6.2

La production des éléments dans les étoiles

Au moment de la formation de la Galaxie, le milieu ne contenait que de l’hydrogène et son isotope le deutérium, de l’hélium et son isotope 3 He, et une faible quantité de lithium 7, produits dans le Big Bang. Il contenait sans doute aussi une petite quantité d’éléments plus lourds synthétisés dans les premières

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étoiles (la Population III), étoiles probablement toutes massives et dont il ne reste plus rien aujourd’hui. Si l’on désigne par Z la métallicité, c’est-à-dire le rapport de la masse des éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium à celle de l’hydrogène, elle ne dépassait pas Z = 0,001, peut-être même moins encore, dans la matière interstellaire après cette nucléosynthèse par les étoiles de Population III. L’essentiel des éléments lourds a donc été synthétisé dans les étoiles après la formation de la Galaxie. Voici la liste des principaux processus, avec les sites où ils se produisent : – fusion de l’hydrogène en hélium, par les réactions dites proton-proton ou le cycle CNO : étoiles sur la séquence principale ; – combustion de l’hélium pour produire les éléments dits éléments α (12 C, 16 O, 20 Ne, 24 Mg, 28 Si, 32 S) ; des réactions auxiliaires produisent d’autres isotopes et d’autres éléments comme Na ou Ca à partir de ces isotopes principaux et de sous-produits du cycle CNO : géantes rouges et étoiles de la branche asymptotique des géantes ; – combustion explosive donnant divers éléments jusqu’au groupe du fer inclus : novae, sursauts X, supernovae de tous types ; – nucléosynthèse au-delà du fer, processus s qui fait intervenir des neutrons lents : étoiles de la branche asymptotique ; – nucléosynthèse au-delà du fer, processus r faisant intervenir des neutrons rapides : supernovae de type Ia ; – nucléosynthèse au-delà du fer, processus p qui produit des noyaux pauvres en neutrons : supernovae ? On donne généralement l’abondance (en masse) d’un élément quelconque X par rapport à l’hydrogène par référence à son abondance dans le Soleil, sous la forme : (6.1) [X/H] = log(X/H) − log(X/H) . De même, un rapport d’abondance comme celui de l’oxygène au fer s’exprime comme : (6.2) [O/Fe] = log(O/Fe) − log(O/Fe) . La Figure 6.2 montre la contribution des étoiles de différentes masses à l’enrichissement du milieu interstellaire par les vents qu’elles émettent au cours de leur vie, ou par l’explosion finale dans le cas des étoiles plus massives que 8 M environ. Une des raisons de la différence que l’on constate sur la Figure 6.2 entre la production d’éléments lourds par les étoiles de faible métallicité et par celles de forte métallicité est que certains éléments lourds nouveaux sont synthétisés

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Fig. 6.2 – Production d’éléments lourds dans le milieu interstellaire par des étoiles de différentes masses et de métallicité initiale Z = 0,001 (en haut) et Z = 0,02 (sensiblement la métallicité actuelle du milieu interstellaire près du Soleil, en bas). La fraction de la masse initiale bloquée dans les astres compacts après la mort de l’étoile est donnée par la courbe inférieure. La fraction éjectée de la masse initiale de l’étoile se trouve au-dessus de cette courbe, et la partie qui enrichit le milieu interstellaire en hélium et éléments lourds est comprise entre cette courbe et la courbe supérieure. Au-dessus de la courbe supérieure, la masse éjectée a la composition initiale de l’étoile et n’intervient donc pas dans l’enrichissement. On remarque que les étoiles massives contribuent surtout par leur vent pour les métallicités importantes, mais que ce n’est pas le cas aux faibles métallicités. Pour les très grandes masses, les étoiles pourraient disparaître entièrement dans un trou noir lorsqu’elles explosent comme supernovae, auquel cas leur contribution à la production d’éléments lourds serait nulle. Comme on le voit sur la figure, l’effet serait surtout important aux faibles métallicités. D’après Maeder, A. (1992) Astronomy & Astrophysics 264, 105-120, avec l’autorisation de l’ESO.

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à partir d’autres éléments lourds préexistants dans l’étoile. Ces éléments nouveaux sont dits éléments secondaires, par opposition aux éléments primaires qui peuvent se former à partir de l’hydrogène et de l’hélium. 16 O est le principal élément primaire, de même que tous les éléments α, mais la plupart des autres éléments sont au moins en partie secondaires, ce qui complique singulièrement les études de l’évolution chimique des galaxies. Par exemple, 14 N est généralement considéré comme un élément secondaire : en effet, le cycle CNO et ses réactions secondaires synthétisent du 14 N, et aussi du 12 C, du 13 C, du 22 Ne, etc., à partir de 16 O. 12 C, qui est un élément α surtout primaire puisqu’il est formé directement à partir de 4 He, peut donc être aussi en partie secondaire. L’abondance d’un élément secondaire produit par une étoile devrait donc être proportionnelle à l’abondance initiale de l’élément primaire dont il est issu, si bien que cette proportionnalité devrait se retrouver dans l’évolution chimique des galaxies. C’est à peu près le cas pour l’azote vis-à-vis de l’oxygène, du moins lorsque le gaz interstellaire a une métallicité assez élevée ; mais, aux faibles métallicités, l’abondance de l’azote paraît indépendante de celle de l’oxygène, ce qui montre qu’il y aussi production d’azote primaire, probablement à partir de 12 C dans des étoiles de masse grande et moyenne. Cette production domine le rapport [N/O] aux faibles métallicités parce qu’il n’y a pas encore beaucoup d’oxygène, et est camouflée par la production secondaire lorsque l’abondance d’oxygène est suffisante. La Figure 6.2 ne donne qu’une idée incomplète de la nucléosynthèse, car elle ne montre que la contribution des étoiles isolées, et pas celle des étoiles doubles très serrées que sont les novae (dont la contribution est au demeurant plutôt négligeable), et surtout les supernovae de type Ia (SN Ia). Contrairement aux supernovae massives de type Ib ou II, les SN Ia sont formées d’une paire serrée d’étoiles, dont la composante la plus compacte est une naine blanche, qui est composée de matière dégénérée dont les noyaux sont principalement ceux de 12 C et de 16 O. Le scénario standard considère l’accrétion sur cette naine blanche de matière provenant de l’autre étoile. La masse de la matière accrétée comprime la naine blanche dont le rayon passe de 10 000 km à 3000 km tandis que sa température augmente. Lorsque la masse totale de la naine blanche atteint la masse limite dite masse de Chandrasekhar, soit environ 1,2 M , elle ne peut plus être supportée par la pression des électrons de sa matière dégénérée et s’effondre, ce qui provoque une brutale augmentation de la température centrale. Quand celle-ci atteint 4 × 108 K, la fusion du 12 C en 24 Mg se produit, dégageant beaucoup d’énergie. Cependant, comme la matière est dégénérée, la pression n’augmente pas et la matière ne se dilate pas, donc ne peut pas se refroidir. La réaction nucléaire s’emballe et devient explosive : en moins d’une seconde, les combustibles successifs disponibles (12 C, 16 O, jusqu’à 28 Si) brûlent pour former des noyaux du groupe du fer. Les SN Ia, qui sont un peu moins nombreuses que les supernovae massives dans notre Galaxie (il y explose au total une supernova tous les 50 ans en moyenne), sont

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donc des sources très importantes d’éléments du groupe du fer, dont le plus abondant est évidemment 56 Fe. La contribution à la nucléosynthèse du fer des supernovae massives (de type II, Ib et Ic, que l’on appelle aussi supernovae à effondrement du cœur, ou « core collapse » en anglais) est assez incertaine, mais quoi qu’il en soit les SN Ia dominent probablement sa production. Celle-ci arrive assez tard lors de l’évolution d’une génération d’étoiles, car il faut d’abord former des naines blanches, qui sont le résultat de l’évolution d’étoiles de masse inférieure à 8 M . La grande majorité de ces étoiles ont une masse plus faible que cette limite et ne donnent des naines blanches qu’après un temps de l’ordre du milliard d’années ou plus. La Figure 6.3 montre un exemple d’évolution possible de l’apparition au cours du temps des supernovae massives et des SN Ia.

Fig. 6.3 – Un exemple de l’évolution au cours du temps du taux d’apparition des supernovae massives (SN II, SN Ib) et des supernovae de faible masse (SN Ia) dans la Galaxie. Le calcul correspond à un modèle spécifique et est présenté seulement à titre d’illustration. On observe le retard des SN Ia par rapport aux SN massives. D’après Matteucci, F. & Greggio, L. (1986) Astronomy & Astrophysics 154, 279-287, avec l’autorisation de l’ESO.

On peut donc s’attendre à ce que l’enrichissement en fer survienne bien après l’enrichissement en éléments α, qui est surtout dû aux étoiles de masse supérieure à 8 M dont la durée de vie est plus courte que 20 millions d’années (voir la Figure 6.2 et l’Annexe A). Ainsi, si une flambée de formation stellaire s’est produite très rapidement au début de l’univers, les étoiles de deuxième génération se sont ensuite formées à partir d’un milieu gazeux enrichi en éléments α, mais qui n’a pas eu le temps d’être enrichi en fer. Ces étoiles vont garder cette signature si la formation stellaire s’est ensuite arrêtée. En revanche, si la formation d’étoiles est continue, le fer va progressivement

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remonter en abondance, et le rapport d’abondance [α/Fe] entre les éléments α et le fer va diminuer. La variation de l’abondance relative des éléments α par rapport au fer offre donc un diagnostic très important pour connaître l’histoire de la formation des étoiles, et tester les divers scénarios possibles. On peut estimer empiriquement la contribution relative des étoiles massives et des SN Ia à l’enrichissement en fer en considérant que le rapport logarithmique d’abondance [O/Fe], qui est d’environ 0,6 pour les étoiles du halo dont les éléments lourds ont été exclusivement formés par des étoiles massives, tombe à – 0,1 pour les étoiles jeunes pour lesquelles la contribution des SN Ia à l’enrichissement a été importante.

6.3

La modélisation de l’évolution chimique

La modélisation de l’évolution chimique des galaxies est une affaire complexe, car elle dépend de beaucoup de facteurs, qui sont tous susceptibles de varier au cours du temps : – la durée de vie des étoiles des différentes masses ; – la distribution des masses des étoiles au moment de leur formation, qui est la fonction de masse initiale (IMF, de l’anglais initial mass function) ; – le taux de formation d’étoiles (SFR, de l’anglais star formation rate) ; – la production des différents éléments par les étoiles (yield, en anglais) ; – les mécanismes d’éjection de ces éléments (vents stellaires, novae, supernovae) ; – leur mélange avec le gaz interstellaire ; – l’interaction avec l’environnement (accrétion de gaz ou éjection de milieu interstellaire) ; – enfin, last but not least, du mélange dynamique et de la migration du gaz et des étoiles dû à l’action gravitationnelle des ondes de densité. Dans la pratique, on est obligé de simplifier le problème en supposant constants certains paramètres (c’est ce que l’on fait généralement pour la fonction de masse initiale en l’absence de preuves de ses variations éventuelles), ou en imposant leur variation de façon plus ou moins arbitraire. Nous n’écrirons pas ici en détail les équations différentielles qui régissent l’évolution chimique, équations qu’il faut résoudre numériquement. Nous donnerons seulement le résultat très simple que l’on obtient en négligeant la durée de vie des étoiles devant les échelles de temps de l’évolution, que l’on compte en milliards d’années. Cette hypothèse simplificatrice, dite du recyclage instantané, est approximativement valide pour l’évolution de la matière interstellaire en général

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et pour celle des éléments primaires qui sont surtout produits dans les étoiles de grande masse, ce qui se réduit en pratique aux éléments α, dont l’oxygène. Si, de plus, l’évolution se fait « en boîte fermée », sans échange de matière avec l’extérieur, on a : Mg /M = exp(−Z/y),

(6.3)

où M est la masse totale, Mg la masse du gaz interstellaire, Z l’abondance en masse de l’élément considéré (par exemple l’oxygène) par rapport à l’hydrogène, et y une quantité que nous appellerons le rendement net (yield en anglais), qui est le rapport de la masse nouvellement synthétisée de cet élément à la masse totale qui subsiste dans les étoiles et les restes compacts d’une génération stellaire après que l’élément ait été éjecté. L’équation (6.3) exprime quantitativement le fait que plus la fraction de masse sous forme de gaz diminue, plus ce gaz et les étoiles nouvellement formées sont enrichies en éléments lourds. On peut calculer le rendement net yO pour l’oxygène en se donnant une fonction de masse initiale, et en intégrant sur cette fonction de masse la production d’oxygène telle qu’elle est représentée sur la Figure 6.2. Cependant, comme on peut le voir sur cette figure, yO n’est pas constant au cours de l’évolution chimique : il change au fur et à mesure que la métallicité des étoiles augmente. Par ailleurs, il dépend de ce qui survient aux étoiles massives lors de leur explosion comme supernovae : si elles disparaissent entièrement dans un trou noir, ce qui pourrait se produire aux très grandes masses, yO est évidemment plus faible puisque ces étoiles ne rejettent pas d’oxygène. Il y a donc une grande incertitude sur la valeur de yO à adopter dans l’équation (6.1). On peut cependant essayer de la déterminer empiriquement en appliquant cette équation à des galaxies extérieures prises dans leur ensemble. La Figure 6.4 montre le résultat. Une valeur moyenne yO = 0,0027 du rendement net en oxygène, correspondant à un rendement net total des éléments lourds yZ de l’ordre de 0,015, conviendrait approximativement pour les galaxies spirales comme la nôtre. Cependant, yO paraît 1,5 à 4 fois plus petit pour les galaxies irrégulières, qui ont en général des métallicités plus faibles. C’est paradoxal à première vue, car on s’attend à ce que yO soit plus grand aux métallicités faibles, du moins si la masse initiale minimale des étoiles qui disparaissent complètement comme trou noir est supérieure à 25 M (voir la Figure 6.2). Si la masse initiale minimale pour la disparition dans un trou noir est nettement inférieure à 25 M , yO est plus petit aux faibles métallicités qu’aux grandes, ce qui peut rendre compte des observations. Pour compliquer les choses, il se peut que le gaz des galaxies spirales soit dilué par l’accrétion de gaz intergalactique, auquel cas leur yO serait encore plus grand que 0,0027, tandis que les galaxies irrégulières ne peuvent pas accréter de gaz en raison de leur faible masse. On ne peut donc rien conclure de quantitatif des données de la Figure 6.4. Ceci illustre les difficultés que l’on a à interpréter la relation abondance/fraction de masse sous forme de gaz dans les galaxies.

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Fig. 6.4 – Abondance de l’oxygène O/H en fonction du rapport Mg/M pour des galaxies spirales (cercles noirs) et irrégulières (carrés). La courbe en trait plein représente la prédiction du modèle de recyclage instantané en boîte fermée, avec un rendement net en oxygène yO ≈ 0,0027 ; les courbes en traits interrompus qui l’encadrent correspondent à des valeurs 1,5 fois plus grandes ou plus petites de yO . La courbe en pointillés est pour un rendement 4 fois plus petit. D’après Pilyugin, L.S. et al. (2004) Astronomy & Astrophysics 425, 849-869, avec l’autorisation de l’ESO. Nous avons considéré jusqu’ici la métallicité globale des galaxies. Qu’en est-il si l’on considère les gradients d’abondance à l’intérieur d’une galaxie comme la nôtre ? Puisque le rapport gaz/étoiles croît avec le rayon dans le disque de la Galaxie, on s’attend à ce que les régions extérieures soient moins évoluées que les régions internes, et que la métallicité y soit plus faible. De fait, l’abondance de l’oxygène, telle qu’on la mesure dans les régions HII, diminue dans notre Galaxie quand on va vers l’extérieur, alors que l’on y trouve de plus en plus de masse sous forme de gaz (Figure 6.5). Il faut cependant se méfier de l’interprétation immédiate de cette relation, comme on le verra plus loin. Pour étudier le gradient d’abondance dans le disque galactique, on peut aussi considérer la composition chimique des étoiles jeunes : elle est en principe semblable à celle du gaz qui leur a donné naissance, et présente l’avantage de pouvoir être mesurée plus loin du Centre galactique. Le gradient d’abondance des éléments lourds observé pour les céphéides, qui sont des étoiles massives donc jeunes, confirme celui du gaz que nous avons présenté sur la Figure 6.5.

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Fig. 6.5 – Le gradient d’abondance de l’oxygène dans la Galaxie, mesuré dans les régions HII. Les symboles correspondent à des observations faites par différents auteurs et réduites de manière homogène, et leur taille est d’autant plus grande que le résultat est plus sûr. D’après Deharveng, L. et al. (2000) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 311, 329-345, avec l’autorisation de Wiley. Le comportement de l’abondance du fer dans les amas ouverts paraît cependant différent (Figure 6.6) : cette abondance est sensiblement uniforme pour les rayons galactocentriques supérieurs à 8,5 kpc. La différence avec le résultat pour les populations jeunes pourrait provenir d’un effet d’âge, car ces amas sont tous vieux. Un effet semblable a été observé dans la galaxie spirale M 83, mais il concerne cette fois l’abondance de l’oxygène dans les régions HII, donc dans le gaz. On doit probablement dans les deux cas invoquer des effets dynamiques : mélange et migration du gaz et des étoiles. Quoi qu’il en soit, on ne peut que constater que l’évolution chimique de la Galaxie, que l’on croyait simple il y a encore une dizaine d’années, est brouillée par des processus dynamiques qui en rendent l’étude complexe. Nous en avons d’ailleurs vu un exemple au Chapitre 5 (cf. la Figure 5.7).

6.4

L’évolution chimique du halo et du bulbe

Malgré toutes les incertitudes décrites dans la section précédente, il reste que les abondances des éléments dans les étoiles sont des marqueurs de leur origine et apportent des informations importantes, complémentaires de celles fournies par leur cinématique et leur dynamique. Il existe d’ailleurs deux cas où l’évolution est relativement simple : le halo et le bulbe central de la Galaxie. Comme nous l’avons vu, le halo galactique a une composition stellaire complexe. Une partie résulte de la capture d’étoiles appartenant à des galaxies

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Fig. 6.6 – Abondance du fer dans les amas ouverts en fonction du rayon galactocentrique. Le rayon au niveau du Soleil est ici pris de 7,5 kpc. L’abondance est notée par rapport à l’abondance dans le Soleil comme [Fe/H] = log(Fe/H) − log(Fe/H) . La couleur indique l’âge des amas : bleu, amas plus jeunes que 200 millions d’années ; vert, amas entre 200 et 1200 millions d’années ; rouge, amas plus vieux que 1200 millions d’années. La droite en trait interrompu indique la valeur moyenne de [Fe/H] au-delà de 8,5 kpc. D’après Lépine, J. et al. (2011) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 417, 698-708, avec l’autorisation de Wiley.

sphéroïdales et qui forment des courants identifiables. Cependant, les amas globulaires du halo, et un certain nombre d’étoiles qu’ils ont perdues au cours du temps et qui se trouvent disséminées un peu partout, ont une métallicité très faible et ont certainement été parmi les premiers éléments de la Galaxie qui se soient formés, il y a 12 à 13,5 milliards d’années. Comme nous l’avons vu, aucun de ces amas ou de ces étoiles isolées n’est complètement dépourvu d’éléments lourds, car le gaz initial de la Galaxie avait déjà été enrichi par les étoiles de Population III. L’âge des étoiles du halo est encore trop mal déterminé pour que l’on puisse bien observer la relation métallicité-âge à laquelle on s’attend. Cependant, les amas globulaires les moins vieux sont plus riches en éléments lourds. Ont-ils été formés in situ ou proviennent-ils de la capture d’amas globulaires ayant appartenu à des galaxies sphéroïdales naines ? Il n’est pas possible aujourd’hui de répondre à cette question. La Figure 6.7 montre la relation de la métallicité avec l’âge pour les différentes composantes stellaires de la Galaxie.

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Fig. 6.7 – Relation entre l’âge et l’abondance en fer des étoiles du disque, du halo et du bulbe de la Galaxie. L’abondance est notée par rapport à l’abondance dans le Soleil comme [Fe/H] = log(Fe/H) − log(Fe/H) . Les petits cercles correspondent à des étoiles du disque et les cercles plus grands munis de barres d’erreurs à des amas globulaires. Les trois carrés en bas à droite représentent des étoiles du halo datées par cosmochronologie, une technique qui consiste à utiliser les abondances des éléments radioactifs détectés dans leur atmosphère. Les zones d’âge et de métallicité pour le bulbe et le halo sont indiquées. Les trois gros pentagones avec barres d’erreur sont pour des amas globulaires de la galaxie sphéroïdale du Sagittaire. D’après Haywood, M. (2009) in Galaxies et cosmologie, ed. Combes, F., Paris, Ellipses, p. 29.

Abordons maintenant le bulbe. Comme nous l’avons vu au Chapitre 5, le bulbe, ou plutôt le pseudo-bulbe, est actuellement alimenté par des migrations de gaz et d’étoiles dues aux barres externe et interne. Une fois les étoiles arrivées dans le bulbe, elles ne peuvent plus en sortir. Ainsi le bulbe accumule toutes les étoiles qui ont été amenées là par les différents processus rencontrés au cours de la vie de la Voie lactée : accumulation due à plusieurs barres qui se seraient succédées, ou même apport d’étoiles d’une galaxie compagne. Cependant, certains de ces phénomènes sont relativement récents puisque que le disque possède surtout des étoiles jeunes, et beaucoup des étoiles du bulbe ont plus de 12 milliards d’années. Parmi ces vieilles étoiles, certaines ont terminé leur évolution sur la séquence principale et sont actuellement au stade de géantes rouges ; ce sont elles dont on peut déterminer la métallicité car elles sont les plus lumineuses. Étant donné la durée relativement faible de l’épisode pendant lequel elles se sont formées, l’approximation du recyclage instantané en boîte fermée paraît convenir pour décrire leur formation : effectivement, cette approximation rend assez bien compte de la distribution de la métallicité des géantes rouges du bulbe (Figure 6.8). Cette distribution est alors donnée

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Fig. 6.8 – Distribution de la métallicité pour les géantes rouges du bulbe galactique. Le nombre N observé d’étoiles par intervalle logarithmique de métallicité est donné en fonction de la métallicité Z. La courbe est la prédiction du modèle du recyclage instantané en boîte fermée, avec un rendement net total yZ de 0,015. L’accord entre observations et modèle est assez bon. D’après Zoccali, M. et al. (2003) Astronomy & Astrophysics 399, 931-956, avec l’autorisation de l’ESO.

par l’équation : dM (Z)/d(ln Z) = M Z/yZ exp(−Z/yZ ),

(6.4)

où M est la masse totale, M celle des étoiles, Z la métallicité et yZ le rendement net en éléments lourds. Il faut remarquer que la région centrale de la Galaxie contient des amas globulaires riches en métaux, contrairement à ceux du halo, et dont la population stellaire est en tout point semblable à celle du bulbe, ce qui indique un âge, une formation et une évolution identiques. En revanche, les amas globulaires pauvres en métaux du halo sont encore plus vieux, et se sont formés à partir du gaz primordial à peine enrichi par les étoiles de Population III. Le rapport [α/Fe] est grand pour les vieilles étoiles géantes du bulbe (Figure 6.9), ce qui montre que les SN Ia n’avaient pas encore eu le temps d’apparaître en grand nombre au moment de la grande période de formation stellaire de ce bulbe, 12 à 13 milliards d’années avant l’époque présente. Il existe du gaz dans les régions tout à fait centrales de la Galaxie, gaz au sein duquel se forment encore des étoiles. Ce gaz contient du deutérium, isotope de l’hydrogène qui est détruit dans les étoiles, ce qui montre qu’il ne peut pas s’agir entièrement de gaz expulsé par des étoiles du bulbe qui auraient détruit le deutérium, mais de gaz provenant d’ailleurs. Le gaz du bulbe est donc en partie du gaz provenant du disque (où le deutérium n’a pas été totalement détruit), ce que prévoient d’ailleurs les modèles dynamiques décrits au Chapitre 5.

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Fig. 6.9 – Le rapport d’abondance [Mg/Fe] en fonction de l’abondance [Fe/H] pour des étoiles du bulbe galactique (en rouge, avec barres d’erreur), du disque épais (triangles bleus) et du disque mince (points noirs). Le magnésium est un élément α. Le rapport est différent pour les trois composantes, ce qui indique que leur origine n’est pas la même. La différence indique aussi que les géantes du bulbe sont plus vieilles que les étoiles naines observées du disque épais, qui elles-mêmes sont plus vieilles que celles du disque mince. L’interprétation quantitative de cette figure est délicate, car les étoiles observées dans les deux disques sont toutes proches du Soleil et ne sont pas représentatives de la totalité de ces disques. D’après Lecureur, A. et al. (2007) Astronomy & Astrophysics 465, 799-814, avec l’autorisation de l’ESO.

6.5

L’évolution chimique des disques

Contrairement au halo et au bulbe, le disque galactique mince s’est formé lentement et s’est sans doute renouvelé depuis 8 à 10 milliards d’années. La datation des étoiles, bien que difficile et toute relative, suggère cependant que le disque mince a formé plus d’étoiles dans les cinq derniers milliards d’années que pendant la période précédente, même si le taux global de formation stellaire dans l’ensemble de la Galaxie a probablement décru continuellement après un maximum correspondant à la formation du bulbe. Ce résultat peut surprendre, car si l’on admet que le taux de formation stellaire dans le disque est d’autant plus grand qu’il y a plus de gaz disponible, ce devrait être l’inverse. On peut donc penser que le gaz a été renouvelé à partir du halo, du milieu intergalactique et des galaxies proches : le modèle en boîte fermée que nous avons invoqué précédemment pour le bulbe n’est donc pas applicable au disque. Ceci est confirmé par la très faible variation de la métallicité des étoiles du disque jusqu’à un âge d’au moins 5 milliards d’années (voir la Figure 6.7).

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Il est donc naturel d’envisager que du gaz de faible métallicité provenant du milieu intergalactique contribue à l’évolution du disque. De fait, nous verrons au Chapitre 8 que les observations de la raie 21 cm de l’hydrogène montrent aux hautes latitudes galactiques des nuages de gaz, dits nuages à grande vitesse, qui tombent sur le plan galactique (cf. plus loin la Figure 8.7). L’origine externe de ce gaz est confirmée par sa métallicité, qui est d’environ le dixième de la métallicité solaire. La masse du gaz qui tombe à grande vitesse au voisinage du Soleil couvre environ 10 % de ce qui est nécessaire pour maintenir le niveau de la formation stellaire actuelle. C’est peu, mais il y a aussi du gaz qui tombe à des vitesses plus faibles et il se pourrait que l’accrétion du gaz compense le gaz consommé par la formation d’étoiles, soit environ 3 M par an : dans ce cas, la moitié de la masse de la Galaxie (en dehors de la matière noire) serait provenue de l’extérieur, ce que tendent d’ailleurs à confirmer les modèles numériques de formation et d’évolution des barres dans les galaxies (voir le Chapitre 5). Une partie de ce gaz peut être extragalactique. Une autre partie pourrait provenir de l’éjection de matière très chaude par les supernovae et les bulles : ce gaz ionisé à 106 K se serait refroidi, recombiné et retomberait sur le disque, éventuellement loin de son lieu d’origine : c’est la fontaine galactique. Les modèles les plus simples que l’on puisse construire dans ce contexte supposent qu’il n’y a pas de transport radial de gaz ni d’étoiles dans la Galaxie, les anneaux de rayon galactocentrique différent évoluant indépendamment les uns des autres. Pour rendre compte des observations, ces modèles supposent que le disque épais se serait formé d’abord, en environ 0,8 milliards d’années, à partir d’une partie du gaz primordial externe. Puis la création d’étoiles s’y serait interrompue sous l’effet de quelque événement violent, par exemple la chute d’une galaxie satellite. Le disque mince se serait ensuite formé lentement, à partir de gaz enrichi en éléments lourds provenant du disque épais mais aussi de gaz provenant du milieu intergalactique et de ce qui reste du halo gazeux. Les parties internes du disque mince seraient apparues d’abord, puis ce disque se serait étendu aux régions externes. Cette formation aurait duré 7 milliards d’années au niveau du Soleil. On reproduit ainsi assez bien les caractéristiques des disques : distribution de la métallicité des étoiles au voisinage du Soleil, et gradients d’abondance. Cependant, ces modèles ne tiennent pas compte de la migration radiale des étoiles et du gaz dans les disques, qui résulte de leur interaction gravitationnelle avec les bras spiraux et accessoirement avec les nuages moléculaires massifs (voir la Figure 5.5). Le gaz tend ainsi à se diriger vers l’intérieur du disque galactique, au moins dans les régions intérieures à la co-rotation. Quant aux étoiles, elles sont mélangées radialement dans les deux sens tandis que leur dispersion de vitesse augmente quelque peu avec le temps : l’interaction « chauffe » l’ensemble des étoiles, ce qui fait que l’épaisseur du disque de gaz et d’étoiles jeunes est plus faible que celle du disque formé des étoiles plus vieilles. On estime que 1 à 3 milliards d’années après leur formation, les

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trajectoires des étoiles ne contiennent plus d’information sur leur état initial. Le disque mince résulte donc d’un mélange d’étoiles de masse, d’âge et de composition chimique différents. Ceci explique l’absence d’une relation entre la métallicité et l’âge des étoiles du voisinage solaire (voir la Figure 6.7). Les modèles sans transport radial doivent, pour en rendre compte, admettre que la chute de gaz sur le disque dilue les éléments lourds nouvellement formés par un apport continuel et convenablement dosé de gaz de faible métallicité, ce qui est quelque peu artificiel. Il semble que l’on soit amené à les abandonner, d’autant plus que le transport radial est une conséquence inévitable de la présence d’une barre et de bras spiraux. La Figure 6.10 montre la relation entre la vitesse de rotation, la métallicité [Fe/H] et le rapport d’abondance [α/Fe] des éléments α au fer pour différentes composantes stellaires de la Galaxie. Toutes les étoiles marquées par des points sont voisines du Soleil. On constate que les étoiles du disque mince ont des vitesses de rotation autour du Centre galactique comprises entre 185 et 230 km/s (rappelons que celle du centre local des vitesses est d’environ 220 km/s). Elles ont donc des orbites qui peuvent différer appréciablement d’une orbite circulaire, quoique de façon modérée. En revanche, les étoiles du disque épais ont des vitesses de rotation plus petites au niveau du Soleil, et donc des orbites bien plus excentriques. Elles ont en moyenne une métallicité plus faible que les étoiles du disque mince, et bien plus dispersée. Par ailleurs, le rapport d’abondances [α/Fe] est plus grand et plus dispersé pour

Fig. 6.10 – Variations avec la vitesse de rotation de la métallicité, en l’occurrence [Fe/H], et du rapport d’abondance [α/Fe] des éléments α au fer pour différentes composantes stellaires de la Galaxie. Les cercles correspondent aux amas globulaires (cercles remplis de bleu pour les amas du halo, et de rouge pour les amas dont la cinématique est voisine de celle du disque), les points bleus et noirs aux étoiles individuelles du halo voisines du Soleil (points noirs pour les étoiles à rotation rétrograde extrême), les points verts aux étoiles du disque épais et les points rouges aux étoiles du disque mince, également voisines du Soleil. D’après Pritzl, B.J., Venn, K.A. & Irwin, M. (2005) Astronomical Journal 130, 2140-2165, avec l’autorisation de l’AAS.

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les étoiles du disque épais que pour celles du disque mince, et beaucoup ont un rapport [α/Fe] voisin de celui des étoiles du halo. Tout ceci montre que les étoiles du disque épais sont en moyenne beaucoup plus vieilles que celles du disque mince, et qu’elles ont davantage subi l’effet des perturbations gravitationnelles. On soupçonne en outre, en considérant la Figure 6.10, que la métallicité moyenne des étoiles du disque mince diminue quelque peu lorsque leur vitesse de rotation augmente, alors que c’est l’inverse pour les étoiles du disque épais. Ces soupçons sont confirmés par des études récentes. Notons que les modèles qui tentent de reconstruire l’histoire de la formation d’étoiles dans le voisinage solaire, à partir de l’âge des étoiles observées, ne montrent jamais de décroissance exponentielle avec le temps du taux de formation, comme le prédiraient des modèles en boîte fermée (Figure 6.11). L’accrétion de gaz frais tout au long de la vie de la Galaxie est donc étayée par les observations. Parfois ces modèles suggèrent la survenue d’événements violents, ayant entraîné une recrudescence de formation d’étoiles, par exemple il y a 3 milliards d’années.

Fig. 6.11 – Reconstruction de l’histoire de la formation d’étoiles actuellement présentes au voisinage du Soleil, en considérant un échantillon complet d’étoiles plus brillantes que la magnitude absolue MV = 3,5 (ligne pleine), et en sélectionnant leur couleur B-V < 0, 8 (ligne en traits interrompus). D’après Cignoni, M. et al. (2006) Astronomy & Astrophysics 459, 783-796, avec l’autorisation de l’ESO. Des modèles récents prenant en compte la migration radiale du gaz et des étoiles parviennent à rendre compte de tous ces phénomènes de façon simple,

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sans faire d’hypothèse particulière sur un arrêt de la formation d’étoiles dans un disque épais à la suite de quelque événement violent suivi d’une nouvelle formation dans le disque mince, hypothèse qui est un ingrédient nécessaire des modèles sans migration : le disque épais et le disque mince apparaissent naturellement dans les modèles avec migration, sans que le taux de formation d’étoiles montre une telle discontinuité. Ces modèles sont, par ailleurs, amenés à se perfectionner et à évoluer car ils contiennent encore de nombreux paramètres arbitraires, par exemple le taux de chute du gaz et sa répartition sur le disque : on ne peut, pour l’instant, déterminer ces paramètres qu’en ajustant le résultat des calculs aux observations. Beaucoup d’observations sont d’ailleurs encore nécessaires, puisque l’on ne connaît finalement bien que la population stellaire au voisinage du Soleil, qui n’est que le résultat d’un mélange de populations plus lointaines. Il reste encore beaucoup à faire pour comprendre vraiment l’évolution de la Galaxie, dont la complexité paraît croître à mesure qu’on la connaît mieux. Ici encore, le satellite GAIA devrait permettre de grands progrès.

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Chapitre 7 Formation et évolution de la Galaxie Notre Galaxie peut se décomposer en trois composantes lumineuses, qui ont des propriétés très différentes, et ont été formées à différentes époques par des mécanismes différents : le disque, qui contient le plus de masse à la fois en étoiles et en gaz, et le bulbe et le halo stellaires, bien moins massifs et dont les étoiles ont un âge moyen plus ancien. Le disque lui-même se divise en deux composantes, le disque mince et le disque épais ; le disque mince est le plus jeune et le plus riche en gaz.

7.1

Les disques mince et épais

Comme nous l’avons vu aux Chapitres 3 et 6, le disque mince contient le gaz et les étoiles jeunes, riches en métaux, et le disque épais est formé de populations d’étoiles plus vieilles, dont la métallicité est plus faible, sans toutefois atteindre les valeurs extrêmes du halo stellaire. Il apparaît donc que le disque épais a été formé avant le disque mince, et qu’aujourd’hui les nouvelles étoiles ne se forment que dans le disque mince. Plusieurs scénarios pourraient rendre compte de ces différences. Le disque épais pourrait avoir été formé par : 1) l’accrétion d’étoiles appartenant à des petites galaxies satellites, détruites par effet de marée, accrétion qui donne par ailleurs les courants de marée que l’on voit en nombre dans le halo stellaire ; 2) le chauffage du disque mince par des interactions et des fusions mineures avec des compagnons, cette fois plus massifs ; 3) la migration radiale des étoiles, par diffusion à la résonance de corotation avec des ondes spirales ou barrées, comme décrit dans le Chapitre 5 ; 4) la formation in situ au début de l’Univers, à partir d’un disque de gaz épaissi par les instabilités gravitationnelles ou les interactions.

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Il est possible que tous ces mécanismes aient joué à certaines époques, et qu’aujourd’hui nous observions l’accumulation dans le disque épais de toutes les étoiles qui en résultent. Mais comment savoir lequel a dominé ? Pour le premier mécanisme, les simulations numériques montrent qu’en effet, les petits satellites peuvent arriver à se disperser dans le plan galactique grâce à la friction dynamique. Toutefois, un grand nombre peuvent avoir des trajectoires plus polaires, ce qui fait que les courants de marée se retrouvent dans le halo, ou même finir par tourner de façon rétrograde par rapport au sens de rotation initial des étoiles du disque. Ceci ne correspond pas à ce qui est observé : les étoiles du disque épais tournent dans le même sens que dans le disque mince, même si elles ne tournent pas aussi rapidement. Par ailleurs, les orbites des étoiles formées dans ce scénario seraient beaucoup plus excentriques que ce qui est observé. D’une façon générale, l’excentricité des orbites est un des éléments qui permet de distinguer entre les divers scénarios, comme on le voit sur la Figure 7.1. Dans le deuxième mécanisme, le disque épais provient du disque mince, du moins des étoiles qu’il avait il y a quelques milliards d’années, lorsque un compagnon massif aurait interagi avec la Voie lactée, et perturbé et chauffé le disque mince. Les étoiles du disque à l’époque étaient moins riches en éléments lourds, ce qui pourrait expliquer les caractéristiques actuelles du disque épais. Le compagnon aurait dû être au moins 20 % en masse de la Galaxie, et aurait fusionné finalement dans le bulbe. Le problème principal que pose ce scénario est que le bulbe de la Voie lactée n’est pas si massif, et par ailleurs les orbites des étoiles du disque épais devraient être plus excentriques qu’observé. Le troisième scénario forme aussi le disque épais à partir du disque mince, mais avec des étoiles qui ont migré à diverses époques, essentiellement à partir du centre de la Voie lactée. Ce mécanisme doit de toutes façons exister et s’ajouter à tous les autres scénarios, car la Galaxie possède des bras spiraux et une barre qui provoquent ces migrations, et a dû en posséder plusieurs au cours de sa vie, avec plusieurs vitesses de rotation. La métallicité moyenne des étoiles du disque épais qui proviennent de cette migration est alors inférieure à la métallicité actuelle du disque mince, et la rotation du disque épais est importante et dans le même sens que celle du disque mince, comme c’est effectivement observé (Figure 7.2). Il faut supposer dans ce scénario, qu’après un tel évènement, la Galaxie accrète à nouveau du gaz extérieur pour reformer le disque mince. Enfin, dans le quatrième scénario, les étoiles du disque épais se sont formées in situ à partir d’un disque de gaz qui fut très épais dans le passé. Ce disque épais pourrait provenir de l’accrétion de gaz lors d’une fusion entre galaxies ; plus simplement, la Galaxie au début de sa vie était très riche en gaz, donc très instable, ce qui aurait rendu le gaz très turbulent, formant ainsi de gros fragments gazeux dont les vitesses étaient importantes, ce qui aurait épaissi le disque. Ces évènements se situant très tôt dans l’évolution de la Galaxie, la métallicité était encore très faible. Certains de ces fragments ont dû aussi,

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Fig. 7.1 – Comparaison entre plusieurs modèles de formation du disque épais. Pour chaque modèle, on indique la distribution des excentricités des étoiles dont la hauteur au-dessus du plan est comprise entre 1 et 3 échelles de hauteur z0 , et la distance au centre comprises entre 2 et 3 échelles radiales Rd . Les régions hachurées en rouge correspondent aux étoiles accrétées, les régions sous le trait fin à celles qui sont formées sur place ; le total est en trait gras. Les modèles considérés sont de gauche à droite et de haut en bas, l’accrétion de petits satellites, le chauffage dû à ces interactions, la migration radiale, et les fusions entre galaxies. D’après Sales, L.V. et al. (2009) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 400, L61-L65, avec l’autorisation de Wiley. par friction dynamique, migrer vers le centre et contribuer à la formation du bulbe.

7.2

La formation du bulbe

Dans beaucoup de galaxies spirales, le bulbe est une composante stellaire en forme d’ellipsoïde, qui ressemble à une galaxie elliptique en miniature. Un tel bulbe « classique » ne tourne pas, est assez peu aplati, et a une distribution de lumière qui varie avec le rayonr comme exp(r1/4 ) (loi de de Vaucouleurs).

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Fig. 7.2 – À gauche : distribution des étoiles de la Voie lactée dans le diagramme métallicité ([Fe/H])/hauteur au-dessus du plan. Les lignes en pointillés montrent que les étoiles du halo ont une métallicité faible mais constante avec la hauteur, alors que la métallicité du disque décroît de la composante mince à la composante épaisse. À droite, dans le même diagramme, la couleur représente cette fois la vitesse de rotation par rapport au Soleil : une valeur de 220 km/s veut dire que les étoiles ne tournent pas. On voit que les étoiles du disque épais tournent dans le même sens que le disque mince, mais avec de fortes différences d’une étoile à l’autre, alors que le halo ne tourne pas. D’après Ivezić, Ž. et al. (2008) Astrophysical Journal 684, 287-325, avec l’autorisation de l’AAS.

Sa couleur est rouge. Le bulbe de la Voie lactée est assez différent : c’est un pseudo-bulbe. Il est assez aplati, a une forme de cacahuète, une distribution radiale exponentielle (comme les disques), une couleur plus bleue et est en rotation. Ces caractéristiques suggèrent qu’une grande partie des étoiles du bulbe proviennent du disque, par évolution séculaire, comme nous l’avons décrit au Chapitre 5. La première façon de former des bulbes, et surtout les bulbes « classiques », est par fusion de galaxies. De même que les fusions majeures entre les galaxies spirales forment des galaxies elliptiques, une fusion entre une galaxie spirale et un compagnon de masse plus petite se terminera par une accumulation d’étoiles dans un bulbe. Il peut y avoir plusieurs fusions successives, et comme le moment angulaire des différents satellites qui fusionnent a une direction aléatoire, la rotation finit par disparaître. Il est possible qu’une fraction du bulbe de la Voie lactée se soit formée ainsi, mais elle ne peut pas être dominante. Le deuxième scénario est la migration d’étoiles du disque dans le bulbe, due à la résonance avec la barre et à l’évolution séculaire. Ce processus a été

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décrit au Chapitre 5, et forme notamment des bulbes qui ont l’aspect d’une boîte ou d’une cacahuète selon l’orientation de la ligne de visée. Les étoiles conservent une grande partie de leur moment angulaire de rotation, et des étoiles plus jeunes peuvent encore aujourd’hui être entraînées dans le bulbe, d’où une couleur moins rouge que celle des bulbes classiques. La distribution radiale de masse conserve la forme exponentielle qu’elle a dans le disque. Les bulbes formés de cette manière ne sont pas aussi massifs que les bulbes classiques, et cela correspond bien au cas du pseudo-bulbe de la Voie lactée. Enfin, il existe une troisième façon de former des bulbes, très tôt dans l’Univers, à partir des fragments gazeux géants que forment certaines galaxies à cette époque, où plus de la moitié de leur masse est sous forme de gaz. Ces fragments résultent d’instabilités du disque gazeux, instabilités qui vont aussi former des étoiles de façon efficace avant même de pouvoir engendrer des ondes spirales. Nous avons vu que c’est un scénario possible pour la formation du disque épais. Ces fragments sont si massifs que la friction dynamique sur le reste du disque et aussi sur la matière noire va les freiner et en amener rapidement une partie vers le centre (Figures 7.3 et 7.4). Les étoiles qui peuplent ces fragments vont alors se retrouver dans un bulbe « classique », de faible métallicité et de grand rapport [α/Fe] puisque les étoiles se sont formées rapidement. Le scénario est possible, mais il comporte beaucoup d’incertitudes, car une formation violente d’étoiles dans les fragments pourrait les disperser, en raison des vents stellaires et des explosions de supernovae, avant que les fragments n’arrivent au centre.

Fig. 7.3 – À gauche : exemple de galaxies fragmentées observées de plus en plus nombreuses à grand décalage spectral, donc peu après les débuts de l’Univers. À droite, simulation de la formation de ces galaxies fragmentées à partir d’un disque dont la masse est à 50 % du gaz : les instabilités gravitationnelles sont si fortes que le gaz forme des fragments géants. D’après Bournaud, F. et al. (2007) Astrophysical Journal 670, 237-248, avec l’autorisation de l’AAS.

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Fig. 7.4 – Dans la même simulation que la figure précédente, on voit maintenant la galaxie par la tranche et son évolution en fonction du temps, dans deux directions perpendiculaires. Les fragments dans le plan paraissent maintenant alignés. Peu à peu, par friction dynamique, ils spiralent vers le centre pour former un bulbe, et ce pendant à peine un milliard d’années. Les trois scénarios de formation des bulbes que nous venons de décrire ne sont pas toujours efficaces, car le nombre de galaxies dépourvues de bulbe, ou avec un très faible bulbe qui est en général un pseudo-bulbe, est très important et même dominant. Nombre de galaxies spirales n’ont pas dû connaître de fusions importantes depuis des milliards d’années, sinon elles auraient toutes un bulbe « classique » massif. C’est probablement le cas de la Voie lactée. La fraction de galaxies où l’on observe le résultat de perturbations et fusions a été estimée récemment à environ 10 % pendant la deuxième moitié de la vie de l’Univers. Il semble donc que la plupart des galaxies acquièrent leur masse par accrétion de matière intergalactique plutôt que par interaction et fusion avec d’autres galaxies.

7.3

La formation du halo : cosmologique ou non ?

Les premières idées sur l’origine du halo stellaire de la Voie lactée invoquaient l’effondrement global progressif d’une masse de gaz initiale. Dans les années 1960, Olin Eggen (1919–1998), Donald Lynden-Bell et Alan Sandage (1926–2010) avaient développé ce scénario, appelé depuis ELS, en se basant sur l’observation de la cinématique et de l’abondance des éléments lourds dans les étoiles du halo. Les étoiles du halo sont animées de mouvements désordonnés

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et ne sont pas en moyenne en rotation autour du Centre galactique, leurs orbites sont excentriques, et leur abondance en éléments lourds est faible. Ces observations pouvaient être reproduites en supposant un nuage de gaz ayant une abondance quasi primordiale, qui formerait des étoiles progressivement en s’effondrant, s’aplatissant et se concentrant, donc tournant de plus en plus vite autour du centre. On s’attendrait alors à trouver un gradient d’abondance vertical, de même que des âges de plus en plus jeunes en se rapprochant du plan du disque : aujourd’hui les étoiles jeunes se forment dans le disque où est confiné tout le gaz. Cependant, dès les années 1970, des détracteurs faisaient remarquer que le halo possédait de nombreux amas globulaires, avec des abondances diverses et indépendantes de leur distance au centre, et privilégiaient un halo stellaire formé par des interactions avec des compagnons, conduisant à l’accrétion de masse extérieure. Depuis une dizaine d’années, de nombreux courants stellaires différents ont été observés dans le halo, qui étayent l’hypothèse de l’accrétion de petits compagnons, et il existe des galaxies en train de se faire détruire par interaction de marée, comme le cas de la naine du Sagittaire (cf. le Chapitre 6). La question est maintenant de savoir si ce mécanisme domine tous les autres, ou s’il il y a aussi, dans le halo, des étoiles qui proviendraient d’un effondrement global comme dans le scénario ELS. Un des diagnostics pourrait être le degré d’inhomogénéités et d’anisotropies dans le halo stellaire, qui caractérise les courants de marée. Ce taux a été estimé à environ 50 %, ce qui veut dire qu’au moins la moitié des étoiles a une distribution homogène. Elles ne peuvent cependant pas toutes provenir d’un effondrement global, car les courants peuvent relaxer et s’homogénéiser, plus vite vers le centre de la Galaxie : des simulations sont nécessaires pour quantifier les irrégularités qui subsistent. De telles simulations ont été effectuées par plusieurs groupes, comme illustré sur les Figures 7.5 et 7.6. Dans ces simulations, la Voie lactée est formée dans un contexte cosmologique, par accrétion de filaments cosmiques et fusion de galaxies plus petites. Les simulations montrent beaucoup plus de sousstructures que les observations, ce qui vient sans doute du grand nombre de satellites qui apparaissent dans les modèles, même si la plupart d’entre eux sont supposés ne pas avoir d’étoiles. Quoi qu’il en soit, ces simulations suggèrent qu’environ 10 % seulement des étoiles du halo ont été formées in situ, et ne proviennent pas d’accrétions extérieures. En conclusion, les observations récentes des grands relevés stellaires nous ont beaucoup appris sur l’origine possible de la Voie lactée. La découverte de nombreux courants de marée témoigne de l’accrétion de multiples satellites, qui ont formé l’essentiel du halo stellaire, et peut-être une partie du disque épais. L’observation détaillée de la cinématique des étoiles, en complément de l’observation des abondances en éléments et notamment du rapport [α/Fe], permet de dater les diverses populations, et d’émettre des hypothèses sur leur histoire et leur dynamique. En particulier, l’excentricité des étoiles pourrait

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Fig. 7.5 – Distribution dans le ciel de deux courants de marée, analogues à ceux de la naine du Sagittaire et du courant orphelin, mais provenant d’une simulation numérique de la Voie lactée interagissant avec des satellites. D’après Helmi, A. et al. (2011) Astrophysical Journal 733, L7, avec l’autorisation de L’AAS.

Fig. 7.6 – Dans la même simulation que la figure précédente, représentation des courants de marée en coordonnées équatoriales, sur le ciel. Les étoiles des différents courants sont représentées avec une couleur différente, et on s’aperçoit que plusieurs satellites peuvent contribuer au même courant apparent. L’interprétation des observations est donc plus complexe que prévu.

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être un critère déterminant pour choisir entre les divers scénarios possibles. Cependant l’évolution séculaire vient brouiller les pistes, en mélangeant radialement et verticalement les étoiles : celles qui sont nées vers le centre peuvent se retrouver à l’extérieur, et c’est vraisemblablement le cas du Soleil, qui n’est pas né à son rayon galactocentrique actuel. Les simulations numériques permettent malgré tout de distinguer entre les diverses possibilités. Bientôt le satellite GAIA mesurera la distance, le mouvement propre et la vitesse radiale d’un très grand nombre d’étoiles de toutes distances dans la Voie lactée, dont nous pourrons alors retracer la dynamique à trois dimensions avec beaucoup plus de certitude.

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Chapitre 8 La Galaxie parmi ses compagnes Notre Galaxie fait partie du Groupe local, dont les éléments les plus massifs sont la galaxie d’Andromède (M31) et la Voie lactée. En cela, notre Galaxie ne fait pas exception, car la majorité des galaxies vivent en groupes. Plus proches de notre Galaxie, sont les Nuages de Magellan, et un grand nombre de petits satellites dont beaucoup, très peu lumineux, n’ont été découverts que récemment. Enfin, notre Galaxie n’est pas un système fermé mais est reliée à son environnement par l’accrétion de gaz à partir des filaments cosmiques. Il est possible que les nuages de gaz d’hydrogène à grande vitesse, qui en grande majorité tombent sur le plan de la Galaxie, soient une manifestation de cette accrétion continue.

8.1

Une spirale parmi les spirales – classification de Hubble de la Galaxie

Comment se situe notre Galaxie parmi tous les types de galaxies observées dans l’Univers ? La Voie lactée est une galaxie spirale relativement massive. La fonction de luminosité F (L) (et en conséquence la fonction de masse) des galaxies suit la loi dite de Schechter, qui est une loi de puissance jusqu’à une luminosité typique L∗ , puis décroît exponentiellement. L∗ est donc la valeur du coude de la distribution (cf. Figure 8.1). La fonction de Schechter s’écrit F (L) = F ∗ (L/L∗ )a exp(−L/L∗) où F (L) est la densité de galaxies par unité de volume (Mpc3 ) et unité de luminosité. Les valeurs de la pente a sont de l’ordre de −1, et la luminosité critique 1, 5–2 × 1010 L . Bien que les petites galaxies soient plus nombreuses, la luminosité dans l’Univers est dominée par les galaxies proches de L∗ . La Voie lactée vérifie aussi la loi de Tully-Fisher, qui relie la luminosité totale (ou la masse totale de baryons) à la vitesse de rotation, comme le

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Fig. 8.1 – À gauche, le diagramme de Tully-Fisher baryonique des galaxies spirales. La masse totale des baryons Mb (étoiles plus gaz) est portée en fonction de la vitesse de rotation lorsqu’elle atteint un plateau, Vf . La position de la Voie lactée est indiquée en rouge, avec Vf = 220 km/s, Mb = 1011 M (adapté de McGaugh, S.S. (2012), Astronomical Journal 143, 40, avec l’autorisation de l’AAS). Voir aussi la Figure 3.30, où la Voie lactée se situerait en haut à droite du diagramme. À droite, la fonction de luminosité de Schechter, avec a = −1 (trait interrompu), −0,7 (trait plein), et −0,5 (trait-point). Le carré rouge représente la Voie lactée.

montre la Figure 8.1. Nous avons déjà vu cette relation dans le Chapitre 3, qui nous permet de mieux comprendre la relation entre la matière noire d’une galaxie et sa matière visible. Là encore, la position de notre Galaxie montre bien qu’il s’agit d’une galaxie géante, parmi les deux plus massives du Groupe local. Du point de vue de sa morphologie, notre Galaxie est une spirale de type plutôt « tardif » (au sens d’une nomenclature ancienne qui n’a plus beaucoup d’intérêt aujourd’hui), qui possède encore un disque gazeux développé et des étoiles jeunes (Figure 8.2). Son bulbe n’est pas très important par rapport à son disque, contrairement à sa voisine la galaxie d’Andromède. Le bulbe de notre Galaxie, vu en infrarouge proche, a plutôt une forme de boîte ou de cacahuète, ce qui correspond à un bulbe provenant principalement d’une évolution séculaire interne, à partir d’une barre. Autour de la galaxie

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Fig. 8.2 – Classification de Hubble, construite avec des photos de galaxies type. Les deux branches du « diapason » correspondent aux galaxies spirales « normales » S et barrées SB, respectivement. La Voie lactée est une galaxie barrée de type intermédiaire entre SBb et SBc. d’Andromède, qui possède un bulbe bien plus massif et étendu, on observe des débris stellaires et des vestiges d’une fusion majeure. Il semblerait que notre Galaxie ait eu un passé beaucoup plus calme, et n’ait pas subi de fusion majeure depuis plus de 6 milliards d’années.

8.2

Les satellites : Nuages de Magellan et galaxies elliptiques naines

Les Nuages de Magellan, le Grand Nuage (LMC pour « Large Magellanic Cloud » en anglais) et le Petit Nuage (SMC, « Small Magellanic Cloud »), sont deux galaxies naines, qui orbitent autour de la Voie lactée, à une distance respective de 50 et de 63 kpc. Visibles uniquement depuis l’hémisphère Sud, elles ont d’abord été identifiées en lumière visible, provenant de leur composante stellaire. Comme toutes les galaxies de type « irrégulier », elles sont riches en gaz atomique, et leur émission en HI à 21 cm de longueur d’onde a dévoilé leur interaction très avancée avec la Voie lactée. Cette interaction se traduit par des queues de marée très développées, qui entourent pratiquement le plan galactique par un anneau polaire que l’on appelle le Courant Magellanique (Figure 8.3).

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Fig. 8.3 – Superposition de l’émission HI à 21 cm de longueur d’onde provenant des Nuages de Magellan, et du Courant Magellanique (en rose) à une image optique de la Voie lactée, vue dans le référentiel longitude et latitude galactique, avec le centre de la Galaxie au centre de l’image (d’après Nidever, D.L. et al. 2010, Astrophysical Journal 723, 1618-1631 avec l’autorisation de l’AAS).

Les preuves de l’interaction des Nuages de Magellan avec la Voie lactée sont multiples, et de nombreux modèles ont pu être développés au cours des années, avec des variations importantes. Les premiers modèles supposaient que les galaxies naines étaient liées depuis plus d’une orbite à notre Galaxie, et qu’elles en étaient au moins à leur deuxième passage, si ce n’est plus. La vitesse radiale des Nuages observée par effet Doppler-Fizeau n’est en effet que de l’ordre de 100 km/s, bien inférieure à la vitesse d’échappement, et le système devrait alors être lié gravitationnellement. Pourtant, plus récemment, la vitesse des Nuages dans le plan du ciel a pu être estimée grâce aux mouvements propres des étoiles qu’ils contiennent, estimés à partir d’images successives du Télescope spatial. La vitesse totale a alors été trouvée de 378 km/s, légèrement supérieure à la vitesse d’échappement de la Voie lactée. Les Nuages seraient alors en train d’entrer pour la première fois dans le système galactique, et seraient donc juste sur le point d’être capturés par la Voie lactée. Les incertitudes dans ce problème sont encore grandes, et aujourd’hui les deux hypothèses subsistent. La friction dynamique, qui ralentit les satellites à leur entrée dans le système, et échange l’énergie orbitale avec l’énergie interne, peut être très efficace ; mais elle dépend de beaucoup de paramètres inconnus de l’orbite des Nuages, et aussi de leur degré de concentration avant leur collision avec la Voie lactée. S’il est facile d’expliquer le développement du Courant Magellanique par des queues de marée qui se développent typiquement en des centaines de millions d’années, donc en plusieurs passages,

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il est par contre plus difficile d’en rendre compte si les Nuages ne sont pas encore liés à la Voie lactée. La seule hypothèse possible serait alors l’action de la pression dynamique du milieu intergalactique chaud, qui balaye le gaz neutre des galaxies lorsque qu’elles traversent ce milieu à grande vitesse. La pression dynamique est proportionnelle à la densité du gaz chaud, et au carré de la vitesse relative. Le problème de cette hypothèse est que la densité du gaz chaud est très faible et que le temps d’action de la pression dynamique ne peut pas avoir été très long si les Nuages traversent ce gaz pour la première fois. De plus, le Courant Magellanique n’est pas composé que d’une seule traînée en arrière des Nuages, mais aussi d’une composante vers l’avant de leur trajectoire, qui est impossible à expliquer par la pression dynamique. Il faut alors supposer que la longue traînée de gaz atomique a été formée bien avant l’entrée des Nuages dans la sphère d’influence de la Voie lactée, par l’interaction de marée mutuelle entre les deux galaxies naines SMC et LMC. Cette interaction a été simulée et permet d’expliquer certaines déformations de ces galaxies naines, notamment le fait que le LMC a une barre d’étoiles significativement décentrée. Outre les Nuages de Magellan, un grand nombre de petites galaxies naines, réparties dans toutes les directions autour de la Voie lactée, semblent liées gravitationnellement à notre Galaxie : entre autres la naine du Sagittaire (Sag DEG), la naine du Grand Chien (Canis Major Dwarf), qui est profondément perturbée et étirée par les forces de marée et pourrait même n’être qu’une concentration d’étoiles galactiques, et les galaxies naines plus lointaines Ursa Minor et Major, Draco, Carina, Sextans, Sculptor, Fornax, Leo I, Leo II, Phoenix et peut-être Leo A (qui appartient bien au Groupe local, mais pourrait faire partie d’un autre sous-groupe que celui de la Voie lactée), de même que Antlia, Cetus et Tucana, qui paraissent plus isolées. Plus récemment, une dizaine de naines sphéroïdales très faibles ont encore été découvertes, grâce aux grands balayages du ciel à haute sensibilité. La recherche faite avec le SDSS (Sloan Digital Sky Survey) a permis de faire progresser considérablement le sujet. Dans l’appendice A, on peut trouver une liste récente de tous les satellites de la Voie lactée, avec leurs caractéristiques. Notre voisine la galaxie d’Andromède possède encore plus de satellites. Bien que ces satellites soient nombreux, ceux que l’on découvre actuellement sont de plus en plus faibles en brillance, et même ultra-faibles et très peu massifs. Pour une masse et luminosité donnée, le nombre de satellites est loin d’être aussi important que ce qui est prédit par le modèle cosmologique standard, qui est basé sur l’existence de matière noire froide (CDM, « Cold Dark Matter »). Dans les simulations numériques cosmologiques en effet, le nombre de satellites prédit autour d’une galaxie de la masse de la Voie lactée est de plusieurs milliers ! La Figure 8.4 montre l’aspect d’une telle simulation d’un halo de matière noire qui pourrait correspondre à celui de la Voie lactée, entouré de ses satellites. Le diagramme montre l’abondance des satellites en fonction de la masse, et pourquoi mêmes les satellites ultra-faibles que l’on

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Fig. 8.4 – À gauche : diagramme du nombre de satellites prédit par le modèle de cosmologie CDM (ligne pointillée noire) en fonction de la masse M300 de matière noire comprise à l’intérieur d’un rayon de 300 pc. Cette prédiction peut être comparée aux observations, la ligne pleine bleue qui dénombre aussi les satellites en fonction de cette même masse (d’après Bullock, J.S. 2010, arXiv :1009.4505). À droite : simulation d’un halo correspondant à la Voie lactée (d’après la simulation Via Lactea II de Diemand, J. et al. (2008), Nature 454, 735-738 ; remerciements à J. Diemand). peut encore découvrir aujourd’hui ou demain ne pourront pas résoudre ce problème, dit des satellites manquants. Une solution serait que tous les petits satellites soient constitués uniquement de matière noire, sans étoiles. Pourtant les satellites faibles et ultra-faibles découverts récemment ont tous plus d’étoiles qu’il ne faudrait pour résoudre le problème.

8.3

Capture de l’elliptique naine du Sagittaire, et de multiples autres : les courants de marée

La naine du Sagittaire est le compagnon le plus proche du Soleil, à 24 kpc ; cette galaxie est en train de se faire détruire et étirer par l’interaction de marée avec la Voie lactée. On observe deux bras stellaires en amont et en aval de la trajectoire, qui s’étalent en filaments de plus de 100 degrés sur le ciel (Figure 8.5). Elle est située de l’autre côté du Centre galactique par rapport au Soleil, et est donc difficile à observer : elle n’a été découverte en 1994, et des étoiles qui lui appartiennent, en particulier des étoiles carbonées, ont été considérées pendant un certain temps comme des étoiles du bulbe

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Fig. 8.5 – Représentation en coordonnées galactiques (le plan de la Voie lactée est masqué en blanc autour de b = 0) de l’ensemble de étoiles géantes M appartenant à la naine du Sagittaire. On distingue nettement les bras de marée en amont (en haut) et aval (en bas) de la trajectoire. Le centre de la naine est indiqué par l’étoile rouge, il se déplace vers le haut, le long de la flèche rouge. Noter aussi la présence des Nuages de Magellan (LMC et SMC). D’après Niederste-Ostholt et al. (2010) Astrophysical Journal 712, 516-526, avec l’autorisation de l’AAS.

galactique. Dans les filaments, il y a aussi du gaz qui participe au courant de marée. Les débris de marée pourraient contenir plus de 70 % de la masse de la galaxie initiale, mais les modèles sont incertains, et dépendent du moment où la galaxie entre en collision avec la Voie lactée. Une chose est sûre, cependant : dans environ 100 millions d’années, la naine du Sagittaire va tomber à nouveau sur le plan de notre Galaxie et finir par être absorbée. Bien que beaucoup de données se soient accumulées sur la naine du Sagittaire depuis 1994, notamment des mouvements propres grâce au Télescope spatial, des abondances chimiques, la découverte d’amas stellaires et même d’amas globulaires appartenant au courant, sa trajectoire passée est encore incertaine et les estimations de sa masse initiale varient d’un ou deux ordres de grandeur. Au centre de la naine se trouve l’amas globulaire Messier 54, et il semble qu’il y ait là une forte densité d’étoiles et un trou noir de masse 10 000 M .

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Fig. 8.6 – Simulation de l’interaction entre la naine du Sagittaire et la Voie lactée et formation du courant de marée. Le courant s’étale sur un anneau polaire, en coordonnées galactiques, en haut. Le courant est ensuite représenté avec les mêmes couleurs dans d’autres systèmes de coordonnées. Le noyau de la galaxie naine du Sagittaire est en noir. D’après Helmi, A. & White, S.D.M (2001) Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 323, 529-536, avec l’autorisation de Wiley.

Des simulations précises ont été faites de trajectoires passées possibles de la naine du Sagittaire (Figure 8.6). Elles pourraient permettre de déterminer la forme à trois dimensions du halo de matière noire de notre Galaxie, si les étoiles dans le courant étaient à l’équilibre, ce qui n’est pas certain. Comme nous l’avons mentionné au Chapitre 3, un grand nombre d’autres courants de marée ont été découverts dans le halo de la Voie lactée, et il se pourrait que les interactions avec des galaxies naines passées soit à l’origine de toutes les étoiles du halo. Un courant de marée a même été identifié comme un anneau dans les parties externes du plan, l’anneau de Monoceros (voir la Figure 3.7), qui proviendrait de la naine de Canis major. L’anneau s’enroule 3 fois autour de la Galaxie, et se confond avec la partie gauchie du plan.

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À partir de 2013, le satellite astrométrique GAIA devrait nous fournir des mouvements propres pour les étoiles les plus brillantes des deux Nuages de Magellan et des galaxies naines les plus proches, comme celle du Sagittaire. Ceci devrait nous permettre d’améliorer considérablement notre connaissance de l’interaction de notre Galaxie avec ces systèmes.

8.4

Vent galactique, nuages à grande vitesse, accrétion cosmique

Notre galaxie n’est pas isolée, mais bénéficie encore, comme elle l’a fait tout au long de sa vie, de l’accrétion de gaz intergalactique : il permet de maintenir à peu près constant le taux de formation d’étoiles, rajeunit le disque, et régénère des instabilités de forme spirale ou barrée. Le taux d’accrétion est encore mal connu mais pourrait être de l’ordre d’une masse solaire par an, voire un peu plus. Le gaz arrive sous une forme trop diffuse pour être détecté, mais occupe des volumes énormes et a une masse non négligeable. Lorsque le gaz se condense en nuages, il peut être détecté en raie 21 cm : c’est le phénomène des nuages à grande vitesse, qui est connu depuis plus d’un demisiècle. Ces nuages (Figure 8.7) ont tous une vitesse négative et s’approchent de nous, à l’exception de ceux qui forment le Courant Magellanique, dont nous avons déjà parlé. Voit-on un phénomène équivalent dans les galaxies spirales proches ? De nombreuses observations ont essayé de détecter des nuages à grande vitesse avec la raie HI à 21 cm : c’est un travail difficile, étant donné la faible brillance de ces nuages. Dans plusieurs cas, ces nuages ont pu être détectés ; ils peuvent se trouver à grande distance du disque de la galaxie, comme par exemple dans NGC 891, qui est une galaxie sosie de la Voie lactée, mais vue par la tranche (Figure 8.8). Quelle est la cinématique de ces nuages ? S’ils ne tombent pas tous à grande vitesse, ils ont une cinématique différente de ce qui se passe dans le plan. Ils montrent une rotation autour du Centre galactique, mais avec une vitesse inférieure à la vitesse de rotation dans le plan. Plus on s’éloigne du plan, moins la rotation est importante. Ces caractéristiques générales ont permis de bâtir des modèles sur l’origine de ce gaz. Il est possible qu’une partie du gaz provienne de l’effet « fontaine », c’est-à-dire du gaz expulsé par les étoiles jeunes qui se forment dans le plan, soit par les explosions de supernovae, soit par les vents stellaires. On parle alors de vent galactique. Une partie ou la totalité de ce gaz n’atteint pas la vitesse d’échappement de la galaxie, et, après s’être refroidie, retombe en pluie sur le disque : c’est ce que l’on désigne sous le nom de fontaine galactique. Pourtant, tout le gaz ne peut pas provenir de cet effet, car l’énergie nécessaire pour faire monter tout le gaz à cette hauteur dépasse de plusieurs ordres de grandeur l’énergie déployée dans la formation d’étoiles et les supernovae. Il doit donc y avoir un mélange

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Fig. 8.7 – Carte de l’hydrogène atomique tombant à grande vitesse sur le disque galactique au voisinage du Soleil. Les coordonnées sont galactiques, l’anticentre étant au milieu de la figure. La couleurs (échelle du bas) indiquent l’excès (positif ou négatif) de la vitesse radiale par rapport aux vitesses extrêmes permises par la rotation différentielle dans la direction considérée. On reconnaît en bas le Courant Magellanique (Magellanic Stream). Les autres complexes dont désignés par des lettres. D’après Sancisi, R. et al. (2008) Astronomy & Astrophysics Reviews 15, 189-223, avec l’autorisation de Springer Verlag.

de plusieurs origines, avec un taux d’accrétion de l’ordre de une à quelques masses solaires par an, comme pour la Voie lactée. Ce schéma correspond bien aussi à la vitesse de rotation observée en fonction de la hauteur. Si le gaz au-dessus du plan provenait du seul gaz éjecté du disque, sa rotation devrait être beaucoup plus forte. Plusieurs modèles ont pu être élaborés et confrontés aux observations. L’image qui en ressort ressemble au mécanisme décrit sur la Figure 8.9, où à la fois le gaz éjecté du disque et le gaz accrété depuis l’espace intergalactique contribuent au gaz observé dans le halo. La pression dynamique du gaz éjecté aiderait même le gaz arrivant de l’extérieur à se condenser et former des nuages observables. Il y aurait alors une circulation comprenant des mouvements dans les deux sens, dans une zone d’interaction. La présence de gaz dans le halo est donc beaucoup plus complexe que ce qui paraît à premier abord. Il est certain que l’on est toujours en présence de plusieurs phases gazeuses, couvrant une grande gamme de densité, de température et de pression, dont l’équilibre n’est jamais atteint. Le fait que tous les disques gazeux des galaxies spirales, et pas seulement celui de la Voie lactée, sont déformés et gauchis (cf. Chapitre 3) est justement une conséquence

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Fig. 8.8 – Contours de l’émission du gaz atomique HI à 21 cm, en rouge, superposés à une image optique de la galaxie vue par la tranche NGC 891. Le gaz s’étale jusqu’à 25 kpc au-dessus du plan de la galaxie. Il y a environ 30 % du contenu gazeux de la galaxie dans le halo. Ces observations profondes ont nécessité 200 heures d’observation avec le radiotélescope de Westerbork, aux Pays-Bas. D’après Fraternali et al. (2004) ASP Conference proceedings 331, avec l’autorisation de l’ASP.

Fig. 8.9 – Exemple d’observation simultanée d’éjection de gaz chaud, provenant de la formation intense d’étoiles dans la galaxie NGC 253, avec la présence de gaz froid provenant de l’espace intergalactique. Les contours verts sont ceux de l’émission du gaz atomique à 21 cm. L’émission diffuse en rouge provient des rayons X émis par le gaz chaud, à un million de degrés. Le tout est superposé à une image profonde en optique : de couleur noire à faible brillance, et de couleur bleue pour le disque optique principal. D’après Boomsma et al. (2005) Astronomy & Astrophysics 431, 65-72. Le dessin de droite schématise ce qui se passe, avec l’autorisation de l’ESO.

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de l’accrétion continue de gaz intergalactique. Celui-ci arrive avec une orientation quelconque, généralement inclinée par rapport à l’axe de rotation du disque de la galaxie. Il va tourner dans un plan incliné dans les parties externes et donner au disque l’aspect d’une crêpe en mouvement. Peu à peu, le gaz nouvellement arrivé va s’aligner par précession différentielle dans le plan équatorial, qui lui aussi va changer légèrement d’inclinaison, puisque le moment angulaire de l’ensemble est conservé. Peu à peu, le plan de la galaxie va tourner, on estime qu’elle pourrait faire un tour et perdre son orientation initiale en 7 à 10 milliards d’années.

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APPENDICE Liste des satellites de la Voie lactée, par ordre de distance croissante L’existence de la naine de Canis Major est controversée. Elle pourrait n’être qu’une concentration d’étoiles galactiques Nom Type Distance Magnitude Magnitude (kpc) absolue apparente Canis Major Dwarf ? Irr ? 7,5 ? ? ? Sagittarius Dwarf dSph/E7 24 −12,67 4,5 Ursa Major II Dwarf dSph 30 −4,2 14,3 Grand Nuage de Magellan Irr/SB(s)m 50 −17,93 0,9 (LMC) Boötes Dwarf dSph 60 −5,8 13,1 Petit Nuage de Magellan SB(s)m pec 63 −16,35 2,7 (SMC, NGC 292) Ursa Minor Dwarf dE4 63 −7,13 11,9 Draco Dwarf (DDO 208) dE0 pec 79 −8,74 10,9 Sextans Dwarf dSph 86 −7,98 12 Sculptor Dwarf dE3 88 −9,77 10,1 (E351-G30) Ursa Major I Dwarf dSph 100 −6,75 13,5 (UMa I dSph) Carina Dwarf dE3 100 −8,97 11,3 (E206-G220) Fornax Dwarf dSPh/E2 140 −11,5 9,28 (E356-G04) Leo II Dwarf dE0 pec 215 −9,23 12,45 (Leo B, DDO 93) Leo I Dwarf dE3 250 −10,97 11,18 (DDO 74) Leo T Dwarf G 420 − 7,12 16 Phoenix Dwarf (P 6830) IAm 440 −10,22 13,07 NGC 6822 IB(s)m IV-V 500 −15,22 9,32 (Barnard’s Galaxy) Cetus Dwarf dSph/E4 750 −10,18 14,4 Leo A (Leo III, DDO 69) IBm V 800 −11,68 12,92 Tucana Dwarf dE5 880 −9,16 15,7 UGC 4879 (VV124) IAm 1250 −11,5 14,0 Antlia Dwarf dE3.5 1250 −9,63 16,19

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Chapitre 9 Le futur Les progrès considérables qui ont été faits depuis une vingtaine d’années dans la connaissance de la Voie lactée reposent d’une part sur l’utilisation des résultats obtenus avec le satellite HIPPARCOS et les grands relevés à partir du sol, en particulier en infrarouge, et d’autre part sur les simulations numériques très performantes que permettent les ordinateurs actuels. Cependant, de très nombreuses questions restent en suspens, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents. Des réponses devraient être apportées à une grande partie d’entre elles grâce aux nouveaux moyens d’observation dont les astronomes commencent à disposer, ou dont ils disposeront dans un futur proche. Nous avons beaucoup appris sur la structure spirale de la Galaxie, son gauchissement externe, l’évasement du plan, et surtout l’accrétion de gaz par les nuages à grande vitesse, grâce à la cartographie de l’hydrogène atomique par sa raie à 21 cm. Dans l’avenir, des radiotélescopes de nouvelle technologie seront plus rapides, plus sensibles, et à plus haute résolution spatiale. Le projet international SKA (Square Kilometer Array) est le projet phare de cette nouvelle génération d’interféromètres radio (Figure 9.1). Avec une sensibilité près de 100 fois supérieure aux télescopes actuels (surface totale d’un kilomètre carré, soit un million de mètres carrés), à des fréquences comprises entre 0,15 et 25 GHz (longueurs d’onde 1,2 cm à 2 m), il sera caractérisé par un très grand champ de vue (1 à 100 degrés carrés selon la longueur d’onde) et une grande résolution spatiale (jusqu’à 10 millièmes de seconde de degré). Il est programmé pour 2020 et ses éléments s’étendront sur deux continents qui sont relativement à l’abri des parasites liés aux télécommunications, notamment aux téléphones portables : l’Afrique du Sud pour les courtes longueurs d’onde et l’Australie pour les plus longues. Cet radiotélescope du futur utilise des réseaux phasés, qui peuvent synthétiser le lobe d’observation grâce à l’électronique : les antennes proprement dites peuvent être fixes et bon marché, et l’observation repose sur une électronique très performante qui permet

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Fig. 9.1 – Un élément de la partie courtes longueurs d’onde de l’interféromètre géant SKA (Square Kilometer Array). Des ensembles comme celui-ci seront dispersés sur c SKA. toute l’Afrique du Sud, afin d’obtenir un très grand pouvoir de résolution. 

de former simultanément plusieurs lobes dans des directions distinctes. Ainsi, 8 champs de vue différents pourront être observés en même temps avec SKA. La formation des étoiles au sein des nuages moléculaires reste en partie mystérieuse, car elle est difficile à observer directement ; c’est particulièrement vrai pour les étoiles massives, qui sont enfouies dans un cocon très opaque qui ne se dissipe que quand elles ont atteint la séquence principale. Déjà, les satellites infrarouges et principalement le satellite HERSCHEL (Figure 9.2), qui observe en ondes submillimétriques où la matière interstellaire devient transparente, nous ont apporté des informations surprenantes sur la formation des étoiles. Mais ces satellites manquent de résolution angulaire. Celle-ci, qui seule permet de voir les détails de ce qui se passe lors de la formation d’une étoile, sera améliorée par le successeur du télescope spatial Hubble, le James Webb Space Telescope (JWST) qui devrait être lancé en 2018, et surtout par les interféromètres en ondes millimétriques et submillimétriques, dont la sensibilité est par ailleurs très considérable : les plus grands sont, dans l’hémisphère sud, ALMA, le premier projet mondial d’astronomie au sol (Figure 9.3), et, dans l’hémisphère nord, l’interféromètre de l’Institut de Radio Astronomie Millimétrique (IRAM) franco-allemand-espagnol (Figure 9.4), qui est actuellement en voie d’extension. Le satellite HIPPARCOS avait ses limitations : s’il a permis d’améliorer considérablement l’échelle des distances dans la Galaxie et dans l’univers extragalactique, les mesures directes de distance d’étoiles par parallaxe

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9. Le futur

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Fig. 9.2 – Le satellite HERSCHEL de l’Agence spatiale européenne. Le miroir c ESA. primaire a 3,5 m de diamètre. 

géométrique, de même que celles de mouvements propres stellaires, étaient limitées aux étoiles plus brillantes que la magnitude 12 et plus proches qu’une centaine de parsecs, c’est-à-dire au voisinage solaire : le disque épais et le bulbe, par exemple, restaient inaccessibles. De plus, le satellite ne comportait pas d’instrument capable de mesurer la vitesse radiale des étoiles, et ne permettait donc de mesurer que deux des composantes de leur vitesse dans l’espace : il faut donc compléter ses données par des mesures spectroscopiques au sol, qui sont nécessairement longues et fastidieuses. Le satellite GAIA de l’Agence spatiale européenne (Figure 9.5) va prendre le relais en 2013. Bien plus sensible qu’HIPPARCOS, il atteindra la magnitude 20 et mesurera les positions des étoiles avec une précision de l’ordre de 10 millionièmes de seconde de degré contre un millième de seconde pour HIPPARCOS, au moins pour les étoiles assez brillantes. Ceci permettra d’obtenir des mesures de distance et de mouvement propre des étoiles dans l’ensemble de la Voie lactée. GAIA comportera également deux autres instruments : un spectromètre qui donnera la vitesse radiale des étoiles jusqu’à la magnitude 17, et

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La Voie lactée

Fig. 9.3 – Quelques-unes des antennes de 12 m de diamètre du grand interféromètre millimétrique et submillimétrique ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) construit par l’Observatoire européen austral, les États-Unis, le Canada, le Japon et Taiwan. Cet instrument situé à 5000 m d’altitude au Nord du Chili, en service partiel, comportera à son achèvement 54 antennes de 12 m de diamètre et c ESO. 12 de 7 m de diamètre. 

Fig. 9.4 – L’interféromètre millimétrique de l’IRAM au Plateau de Bure (HautesAlpes), à 2550 m d’altitude, avec ses 6 antennes de 15 m de diamètre mobiles sur deux voies ferrées. La construction de 4 nouvelles antennes est programmée et on c IRAM. espère arriver à 12 antennes au total. 

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9. Le futur

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Fig. 9.5 – Le satellite GAIA de l’Agence spatiale européenne, qui sera lancé en 2013. Cette vue en transparence à travers une enveloppe protectrice montre en particulier le banc d’optique quasi octogonal (en bleu pâle), la partie essentielle du système de mesure des positions d’étoiles. On voit au dessus les deux miroirs rectangulaires (1, 45 m × 0, 5 m), qui permettent d’observer simultanément deux champs à 106,5◦ c ESA. l’un de l’autre. 

un spectrophotomètre qui fournira leur distribution spectrale d’énergie dans le visible et le proche infrarouge, dont on pourra déduire entre autres leur métallicité. C’est un ensemble complet parfaitement adapté à l’étude des populations stellaires dans l’ensemble de la Voie lactée : distribution spatiale, cinématique et composition chimique. On aura sans aucun doute envie d’atteindre les paramètres cinématiques et de faire la spectroscopie d’étoiles encore plus faibles, ou d’étoiles que l’extinction interstellaire empêche de voir dans le domaine visible. Pour cela, les remarquables études de la cinématique des étoiles qui gravitent autour du trou noir central de la Galaxie (cf. le Chapitre 4) nous montrent la voie : on peut, à partir du sol, obtenir des mouvements propres relatifs à un objet brillant du champ avec une très grande précision, grâce aux grands télescopes munis de l’optique adaptative. Les télescopes géants du futur, comme le E-ELT actuellement en début de construction par l’Observatoire européen

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La Voie lactée

austral (Figure 9.6), permettront des études de ce genre avec une sensibilité et une précision beaucoup plus grandes, et mesureront aussi la vitesse radiale d’objets inaccessibles avec GAIA. Ce sont des perspectives enthousiasmantes pour la connaissance détaillée de notre Galaxie.

Fig. 9.6 – Le projet de télescope de 39 m de diamètre E-ELT (European Extremely c ESO. Large Telescope) de l’Observatoire européen austral. 

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Annexe A Les paramètres stellaires

Tab. A.1 – Paramètres d’étoiles des différents types. La couleur B-V , la température effective Teff , la magnitude absolue MV dans le filtre V et la luminosité L en luminosité solaire sont données pour les étoiles des différents types. WC et WN désignent les deux principaux types d’étoiles de Wolf-Rayet. Type

Naines (type V) B-V Teff (K) MV

Géantes (Type III)

Supergéantes (Type I)

L(L ) B − V Teff (K) MV L(L ) B − V Teff (K) MV

WC WN

L(L )



≈ 50 000 −8,5 ≈ 2 × 105



≈ 40 000 −8,0

≈ 105

5

O5 −0,33 44 500 −5,7 4,2 10

−0,30 40 300 −6,6 1,1 ×106

B0 −0,30 30 000 −4,0 5,2 104

−0,25 26 000 −6,4 2,6 ×105

B5 −0,17 15 200 −1,2 8,3 102

−0,10 13 600 −6,2 5,2 ×104 0,0

106

−0,01

9 730

−6,3 3,5 ×104

8 100

0,7

43

0,09

8 510

−6,6 3,5 ×104

0,30

7 150

1,5

20

0,17

7 700

−6,6 3,2 ×104

3,2

0,43

6 470

1,6

17

0,32

6 900

−6,6 3,2 ×104

4,4

1,5

0,65

5 850

1,0

34

0,76

5 550

−6,4 3,0 ×104

5 770

5,1

0,79

0,86

5 150

0,9

43

1,02

4 850

−6,2 2,9 ×104

0,81

5 250

5,9

0,42

1,00

4 750

0,7

60

1,25

4 420

−6,0 2,9 ×104

K5

1,15

4 350

7,4

0,15

1,50

3 950 −0,2

170

1,60

3 850

−5,8 3,8 ×104

M0

1,40

3 850

8,8 7,7 10−2 1,56

3 800 −0,4

330

1,67

3 650

−5,6 4,1 ×104

3 330 −0,3

930

1,80

2 800

−5,6 3,0 ×105

A0 −0,02 9 520

0,6

54

A5

0,15

8 200

1,9

14

0,15

F0

0,30

7 200

2,7

6,5

F5

0,44

6 440

3,5

G0

0,58

6 030

G5

0,68

K0

M5

1,64

3 240

−0,03 10 100

−2

12,3 1,1 10

1,63

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La Voie lactée

Tab. A.2 – Paramètres d’étoiles de composition solaire au début de la séquence principale et leur durée de vie sur cette séquence (d’après André Maeder, Isabelle Baraffe et Gilles Chabrier). Masse (M ) Luminosité (L ) 120 1,8 × 106 60 5,3 × 105 25 7,9 × 104 15 2,0 × 104 9 4,1 × 103 5 550 3 81 2 16 1,5 4,7 1 0,69 0,9 0,49 0,7 0,086 0,4 0,023 0,2 0,003 0,1 0,001

Teff (K) Durée de vie (ans) 53 300 2,5 × 106 48 200 3,4 × 106 37 900 6,4 × 106 31 000 1,2 × 107 24 200 2,6 × 107 17 200 9,4 × 107 12 200 3,5 × 108 9 100 1,1 × 109 7 100 2,7 × 109 5 600 9,8 × 109 5 300 1,5 × 1010 4 300 > 1,5 × 1010 3 500  1,5 × 1010 3 300 − 2 800 -

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Annexe B Quelques notions de base concernant les observations du milieu interstellaire Une grande partie de ces observations concerne les raies spectrales des atomes et molécules que contient le milieu interstellaire. Le paramètre de base d’une raie est son coefficient d’absorption. Ce coefficient d’absorption κν par unité de volume et par unité de fréquence ν d’une raie spectrale est donné par l’expression générale : κν = c2 nl gu /8πv02 gl Aul [1 − gl nu /gu nl ]Φul (ν),

(B.1)

où c est la vitesse de la lumière, v0 la fréquence centrale de la raie, nl et nu le nombre d’atomes par unité de volume, respectivement dans le niveau inférieur et supérieur de la transition, gl et gu les poids statistiques respectifs de ces niveaux et Aul la probabilité d’émission spontanée de la transition. Φul (ν) est la distribution spectrale normalisée de l’intensité de la raie à l’émission : ∫ Φul (ν)dν = 1. Le terme gl nu /gu nl représente la correction d’émission induite. Elle est négligeable en général dans le cas d’une raie optique car le niveau supérieur est très peu peuplé (sauf dans le cas des lasers dont il n’existe pas d’équivalent astrophysique), mais est prépondérante dans le cas d’une raie radio pour laquelle les populations des deux niveaux sont comparables. On est le plus souvent amené à considérer la densité de colonne N des atomes considérés, qui est le nombre d’atomes dans une colonne de section unité, soit : N = ∫ nds, (B.2) où ds est l’élément de longueur. On considère alors l’épaisseur optique τ telle que : τν = ∫ κν ds.

(B.3)

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La Voie lactée

Si l’on est à l’équilibre thermodynamique, c’est-à-dire que les niveaux de la transition sont à l’équilibre collisionnel avec le milieu ambiant, de température absolue T , on peut écrire : nu /nl = gu /gl exp(−hν0 /kT ),

(B.4)

où h et k sont, respectivement la constante de Planck et la constante de Boltzmann. Aux fréquences optiques, hν0 /kT est très petit, alors que c’est l’inverse aux fréquences radio pour lesquelles l’on peut écrire (approximation de Rayleigh-Jeans) : nu /nl ≈ gu /gl (1 − hν0 /kT ).

(B.5)

Cette formule est valable pour la raie à 21 cm de l’hydrogène atomique, qui est effectivement à l’équilibre thermodynamique. Mais elle n’est pas valable dans le cas général, si bien que l’on définit la population des niveaux à l’aide d’une température d’excitation Tex qui n’a pas d’autre signification physique (elle peut même être négative si il y a inversion de population comme c’est le cas dans les masers de laboratoire ou interstellaires) : nu /nl ≈ gu /gl (1 − hν0 /kTex ).

(B.6)

Pour compléter ce rappel, il est utile d’introduire les notations utilisées en radioastronomie. En ondes décimétriques et centimétriques, on est presque toujours dans l’approximation de Rayleigh-Jeans si bien que l’expression de la luminance du corps noir se réduit à : Bν (T ) ≈ 2kT ν 2 /c2 .

(B.7)

Les radioastronomes ont pris l’habitude d’exprimer les luminances de surface ou les intensités en termes de températures de brillance TB dé finies par l’équation ci-dessus. Par voie de conséquence, la température de brillance en raie 21 cm d’un nuage atomique d’épaisseur optique τ et de température cinétique Tk est simplement : TB = (1 − e−τ )(Tk − TUniv ) ≈ τ (Tk − TUniv ),

(B.8)

si τ est petit. Ici, on a tenu compte du rayonnement de l’Univers qui est celui d’un corps noir à TUniv = 2,726 K : si la température cinétique est égale à TUniv , la raie n’est pas détectable sur ce fond continu. L’approximation de Rayleigh-Jeans est de moins en moins valable lorsqu’on va vers les ondes millimétriques ou submillimétriques, mais les radioastronomes conservent l’habitude d’exprimer les intensités sous la forme de températures de brillance fictives TB∗ , ce qui peut conduire à des confusions si l’on n’est pas prévenu. La relation entre TB∗ et la luminance ou l’intensité monochromatique Iν (au-dessus du fond continu de l’Univers) s’écrit alors : TB∗ = c2 /2kν 2 Iν .

(B.9)

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Annexe B. Quelques notions de base concernant les observations...

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Par ailleurs, l’expression (B.8) n’est valable que lorsque le milieu est en équilibre thermodynamique, ce qui est, nous l’avons dit, le cas de l’hydrogène atomique interstellaire. C’est un cas plutôt exceptionnel, car en général le milieu est loin de l’équilibre thermodynamique et la densité intervient. Nous ne pouvons nous étendre ici sur ces complications.

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i “voie_lactee” — 2013/5/22 — 12:02 — page 180 — #193

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7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

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Glossaire Accrétion : capture gravitationnelle de matière par un astre. – (disque d’ -) : la matière accrétée par un objet par rapport auquel elle est en mouvement se rassemble en général en un disque aplati en rotation à partir duquel elle tombe lentement sur l’objet. Amas d’étoiles : groupe d’étoiles nées sensiblement en même temps ; on distingue les amas ouverts ou galactiques situés dans le plan de la galaxie et qui sont généralement jeunes (109 ans au plus), et les amas globulaires plus compacts et non concentrés dans le plan galactique, et qui sont pour la plupart très vieux (plus de 1010 ans) dans la Voie lactée. Année-lumière : unité de longueur utilisée en astronomie, qui correspond à la distance parcourue en un an par la lumière dans le vide. Elle vaut 9,7×1015 m, et 0,307 parsec (voir ce mot). Apex : direction vers laquelle se dirige le Soleil par rapport à l’ensemble des étoiles proches. Bulbe : concentration étendue d’étoiles dans la région centrale d’une galaxie, qui a la forme d’un sphéroïde, une distribution de lumière en exp(r1/4 ), et est sans rotation. Si cette concentration est plus aplatie, avec rotation, et a une distribution exponentielle, on l’appelle pseudo-bulbe. Bulle interstellaire : coquille gazeuse en expansion, de grandes dimensions, résultant des vents émis par les étoiles d’un amas ouvert central et de l’explosion comme supernovae des étoiles les plus massives de cet amas. Ceinture de Gould : structure annulaire dense de matière interstellaire et d’étoiles jeunes inclinée sur le plan galactique, dont les dimensions sont de quelques centaines de parsecs. Céphéide : étoile variable pulsante périodique, massive, très lumineuse et évoluée. Il existe une relation entre la période et la luminosité absolue des céphéides, qui permet par comparaison avec leur luminosité apparente d’estimer leur distance (et aussi celle des galaxies assez proches pour que l’on puisse les y observer).

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i “voie_lactee” — 2013/5/22 — 12:02 — page 182 — #195

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La Voie lactée

Cosmogonie : étude de la formation et de l’évolution des corps célestes. Ce mot est le plus souvent pris dans un sens restrictif et ne s’applique alors qu’au Système solaire. Cosmologie : étude de la structure et de l’évolution de l’Univers. Couleur-magnitude (diagramme) : voir Hertzprung-Russell (diagramme de). Courbe de rotation : pour une galaxie aplatie, la loi décrivant la variation de la vitesse de rotation avec le rayon. Étoile : – à neutrons : étoile très dense (la masse du Soleil dans un rayon de 10 km, soit un milliard de tonnes par cm3 ) dont la matière est dégénérée, n’étant composée principalement que de neutrons. Les pulsars et certaines sources de rayons X sont des étoiles à neutrons, résidus de l’explosion de supernovae (voir ce mot) ; – double (ou binaire) : la moitié environ des étoiles sont associées par paires (ou ensembles plus nombreux). Les étoiles doubles serrées, qui sont plus ou moins en contact, sont le siège de phénomènes très intéressants qui modifient leur évolution vis-à-vis de celle des étoiles isolées. Certaines sont des novae, des sources de rayons X, etc. ; – géante : étoile évoluée, qui commence à « brûler » l’hélium puis le carbone, et dont l’enveloppe est très étendue et relativement froide. C’est le stade qui suit la station sur la séquence principale (voir ce mot). Les géantes dites de la branche asymptotique sont dans un stade tardif de leur évolution ; – naine : étoile de la séquence principale (voir ce mot) de dimensions relativement faibles (ex. le Soleil) ; les naines blanches (voir ce mot) sont cependant des étoiles en fin d’évolution ; – supergéante : étoile très massive et très lumineuse quittant ou ayant quitté la séquence principale ; – de Wolf-Rayet : étoile à raies d’émission qui représente le stade ultime de l’évolution de certaines étoiles très massives. Extinction interstellaire : affaiblissement de la lumière des étoiles ou autres objets lointains sous l’effet des poussières interstellaires (voir ces mots). Fontaine galactique : mécanisme par lequel le gaz éjecté dans le halo de la Voie lactée par les vents stellaires et les supernovae se refroidit et retombe sur le disque. Fréquence épicyclique : fréquence d’oscillation radiale d’une étoile autour de la position d’équilibre entre la force centrifuge de la rotation autour du Centre galactique et la gravité.

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i “voie_lactee” — 2013/5/22 — 12:02 — page 183 — #196

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Glossaire

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Friction dynamique : freinage gravitationnel d’un corps massif traversant un ensemble de plus petites masses libres, par exemple les étoiles d’une galaxie. C’est ce phénomène qui permet la fusion entre galaxies. Galaxies : ensembles d’étoiles, de matière interstellaire et de matière noire de grande masse et dimensions, relativement isolés les uns de autres. – barrées : galaxies spirales munies d’une barre dans leurs régions internes ; – elliptiques, ou sphéroïdales : galaxies de forme sphérique ou elliptique et sans grande structure apparente, relativement dépourvues de gaz et d’étoiles jeunes ; – irrégulières : galaxies relativement informes, très riches en gaz et en étoiles jeunes ; – lenticulaires : galaxies de forme très aplatie mais sans gaz ni structure spirale ; – spirales : galaxies aplaties et montrant une structure spirale. La masse des galaxies va de 107 masses solaires (ou moins) à 1012 masses solaires. Halo galactique : ensemble plus ou moins sphérique comprenant des amas globulaires, des étoiles très vieilles, du gaz des rayons cosmiques et de la matière noire entourant une galaxie. Héliosphère : cavité creusée par le vent solaire dans le milieu interstellaire local. Hertzprung-Russell (diagramme de), dit en résumé diagramme H-R ou diagramme CM (pour couleur-magnitude) : diagramme où l’on porte la luminosité des étoiles en fonction d’un traceur de leur température de surface. Initialement ce traceur était le type spectral de l’étoile ; on a utilisé ensuite une couleur, par exemple la différence des magnitudes B (bleu, à 450 nm de longueur d’onde) et V (« visible », soit 550 nm). La théorie de l’évolution stellaire permet de construire un diagramme HR dit « théorique » où la luminosité de l’étoile intégrée sur toutes les longueurs d’onde (luminosité bolométrique) est portée en fonction de la température de surface. Hypernova : supernova (voir ce mot) résultant de l’explosion d’une étoile très massive en rotation rapide. Les explosions d’hypernovae sont à l’origine d’une partie des sursauts gamma (GRB ou Gamma Ray Burst). Synonyme : collapsar. Interstellaire (extinction, matière, molécule, nuage, poussière -) voir ces mots. Interféromètre : instrument composé de plusieurs télescopes ou radiotélescopes interconnectés, permettant d’obtenir une résolution angulaire élevée et de cartographier des objets célestes.

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La Voie lactée

Magnitude : échelle logarithmique permettant de mesurer l’éclat d’un astre ; – apparente : mesure l’éclat apparent : m = −2,5 log F + constante, si F est le flux lumineux ; – absolue : mesure l’éclat intrinsèque ; par convention, la magnitude absolue M et la magnitude apparente m d’un astre seraient identiques s’il était à une distance de 10 parsecs (32,6 années-lumière) : m − M = 5 − 5 log D, D étant la distance de l’objet en parsecs. Marée : déformation produite sur un objet (planète, étoile, galaxie) par l’action gravitationnelle d’un corps voisin. Matière interstellaire : elle est composée de gaz sous forme d’ions, d’atomes ou de molécules, situées entre les étoiles, et de poussière. C’est un milieu très hétérogène, avec des « nuages » immergés dans un gaz très dilué. La densité moyenne de cette matière près du Soleil est de l’ordre de 0,5 atome par centimètre cube. Matière noire : matière hypothétique de nature inconnue qui ne se traduirait que par ses effets gravitationnels. Métallicité : rapport de la masse des éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium à celle de l’hydrogène, dans une étoile, dans la matière interstellaire ou dans une galaxie. Microlentille gravitationnelle : étoile ou planète passant devant un objet, par exemple une étoile ou un noyau de galaxie, qui dévie les rayons lumineux et produit une amplification temporaire de sa lumière. C’est un effet de relativité générale. Molécules interstellaires : on connaît aujourd’hui environ 150 molécules dans le milieu interstellaire, dont certaines ont jusqu’à 13 atomes. Certaines se trouvent partout, mais il existe des nuages moléculaires (voir ce mot) presque entièrement composés de molécules et où se trouvent les plus complexes. Mouvement propre : déplacement latéral d’une étoile dans le ciel. Naine blanche : étoile très dense (densité de l’ordre d’une tonne par cm3 ), dégénérée au sens quantique, de masse toujours inférieure à 1,4 masse solaire. C’est le stade final de l’évolution des étoiles de faible masse (moins de 6 à 8 masses solaires environ). La matière y est sous forme de noyaux atomiques et d’électrons. Les naines blanches sont des objets peu lumineux en raison de leur petite taille. Naine brune : étoile de masse inférieure à 0,08 fois la masse du Soleil, où les réactions thermonucléaires ne peuvent pas se produire. Les naines brunes, n’étant pas alimentées en énergie, sont des objets froids et très peu lumineux.

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i “voie_lactee” — 2013/5/22 — 12:02 — page 185 — #198

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Glossaire

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Nébuleuse : terme général très imprécis désignant un objet céleste diffus ; – galactique (ou région HII) : masse de gaz interstellaire ionisée par le rayonnement ultraviolet d’étoiles chaudes et jeunes ; ex. : la nébuleuse d’Orion ; – gazeuse : synonyme de nébuleuse galactique ; – obscure : masse de gaz et de poussières interstellaires opaque à la lumière ; – par réflexion : matière interstellaire rendue visible par la diffusion par ses poussières de la lumière d’une étoile lumineuse, située à l’intérieur ou à proximité ; – planétaire : masse de gaz éjectée par une étoile peu massive à la fin de son évolution et ionisée par le rayonnement de l’étoile résiduelle ; – protosolaire : masse de gaz et de poussières interstellaires à partir de laquelle s’est formé le système solaire ; – protostellaire : idem, pour une étoile. Nova : étoile augmentant brusquement d’éclat et diminuant progressivement en quelques semaines. Les novae sont des étoiles doubles très serrées dont l’une des composantes est une naine blanche : au cours de son évolution, l’autre étoile éjecte de la matière qui tombe sur la naine blanche en s’échauffant considérablement, et des réactions thermonucléaires explosives se produisent. Certaines novae sont récurrentes. Nuage : – interstellaire : la matière interstellaire est principalement distribuée en « nuages » de forme très variable (souvent en nappe ou filament), de dimensions allant de quelques parsecs à des centaines de parsecs et de masse allant de quelques masses solaires à plusieurs millions de masses solaires ; – moléculaire : nuage interstellaire massif et relativement dense, composé presque entièrement de molécules ; de tels nuages sont des lieux de formation des étoiles ; – sombre : synonyme de nuage moléculaire : en effet les nuages moléculaires contiennent beaucoup de poussières qui absorbent la lumière des étoiles situées derrière et on les observe sous forme de nuages sombres, ou zones d’absence d’étoiles en projection ; – à grande vitesse : nuage tombant rapidement sur le disque galactique, provenant du milieu intergalactique ou du halo de la Voie lactée.

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i “voie_lactee” — 2013/5/22 — 12:02 — page 186 — #199

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La Voie lactée

Nuages de Magellan : galaxies irrégulières satellites de notre Galaxie, à 50 000 et 63 000 parsecs, respectivement pour le Grand et le Petit Nuage. Ce sont les galaxies les plus proches de nous et leur étude peut être menée avec un luxe de détails impossible à atteindre dans les galaxies plus lointaines. Nucléosynthèse : formation des éléments chimiques par réactions nucléaires dans les astres. Ondes : – de densité : ondes de compression de la matière, agissant sur les étoiles et la matière interstellaire d’une galaxie, qui sont à l’origine des bras spiraux ; – gravitationnelles : ondes émise par des corps massifs en mouvement, qui se propagent à la vitesse de la lumière et sont susceptibles d’affecter d’autres corps massifs. Leur existence est prévue par la relativité générale, et a été vérifiée dans les pulsars binaires. Parallaxe : terme astronomique désignant souvent la distance d’un objet, généralement exprimé en parsecs (voir ce mot) ; – géométrique : obtenue par une triangulation utilisant comme base une grande distance sur la Terre ou dans son orbite autour du Soleil ; – photométrique : obtenue en comparant la magnitude (voir ce mot) apparente d’une étoile avec sa magnitude absolue déterminée à partir de ses caractéristiques spectrales ; – statistique : obtenue en utilisant les propriétés cinématiques globales d’un groupe d’étoiles se mouvant ensemble. Parsec : unité de longueur très utilisée par les astronomes, telle que le demi grand axe de l’orbite terrestre soit vu à la distance de 1 parsec sous un angle de 1 seconde de degré. 1 parsec = 3,26 années-lumière = 3,08 × 1016 m. Population stellaire : ensemble des étoiles caractérisées par des compositions chimiques à peu près semblables. La Population II désigne les étoiles très vieilles et pauvres en éléments lourds, la Population I les étoiles de tous âges riches en éléments lourds. Poussières interstellaires : grains de faibles dimensions (0,1 micromètre au plus), constitués de silicates, graphite et glace et qui sont mélangés au gaz interstellaire, dont ils constituent environ 1 % de la masse. Ils absorbent, diffusent et polarisent la lumière des étoiles et sont le siège de la formation par catalyse de certaines molécules interstellaires. Précession : mouvement de l’axe d’un corps en rotation, qui décrit un cône sous l’influence des forces extérieures, ou rotation de l’orbite d’une planète.

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Glossaire

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Pulsar : objet stellaire émettant des impulsions radio (ou de rayons X, éventuellement optiques ou de rayons gamma) parfaitement périodiques. La période des pulsars varie de quelques millisecondes à quelques secondes ; il s’agit d’étoiles à neutrons (voir ce mot) en rotation très rapide. Radioastronomie : branche de l’astronomie qui consiste à étudier l’émission radio des astres. Le Soleil, les planètes, certaines étoiles, le gaz interstellaire atomique, moléculaire ou ionisé, les électrons de haute énergie du rayonnement cosmique, les pulsars, les galaxies, les quasars émettent des ondes radio. Radiogalaxie : galaxie généralement elliptique émettant un rayonnement radio intense par le mécanisme synchrotron. Radiosource : source plus ou moins ponctuelle d’ondes radio. Raie spectrale : renforcement ou diminution de l’intensité dans le spectre d’un objet survenant à une longueur d’onde déterminée ; la raie est dite en émission s’il y a renforcement, et en absorption s’il y a diminution. La longueur d’onde d’une raie est caractéristique de l’atome, ion ou molécule qui la produit. Rayons cosmiques : particules chargées de haute énergie qui remplissent la Galaxie ; on y trouve des électrons, des positrons et des noyaux de toutes sortes. Les rayons cosmiques qui sont reçus à la surface de la Terre sont en fait le résultat de l’interaction de ces particules avec l’atmosphère terrestre. Région HII : synonyme de nébuleuse gazeuse ionisée. Région de photodissociation : région située sous la surface d’un nuage neutre soumis à un rayonnement ultraviolet, telle que seuls les éléments de potentiel d’ionisation inférieur à celui de l’hydrogène sont photo-ionisés, tandis que la plupart des molécules sont photodissociées. Relativité générale : théorie de la gravitation due à Einstein qui repose sur plusieurs postulats, dont l’identité de la masse inerte et de la masse pesante. Les effets prédits par cette théorie, par exemple la déviation de la lumière par une masse qui produit les effets de lentille ou de microlentille gravitationnelle, ont jusqu’à présent toujours été parfaitement vérifiés. Résonance de Lindblad : résonance qui se produit lorsque la fréquence épicyclique (voir ce mot) des étoiles est le double de la différence entre leur fréquence de rotation autour du Centre galactique et la fréquence de rotation de l’onde de densité. Rotation différentielle : non-uniformité de la vitesse angulaire de rotation en fonction du rayon dans une galaxie, une étoile, etc. Rougissement interstellaire : variation de la couleur des étoiles due à l’extinction sélective par les poussières interstellaires interposées. Séquence principale : lieu des points dans le diagramme couleur-luminosité où séjournent les étoiles lorsqu’elles brûlent l’hydrogène de leurs régions centrales. La position d’une étoile sur cette séquence et la durée de son séjour

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ne dépendent que de sa masse en première approximation, les étoiles les plus massives étant les plus bleues, les plus lumineuses et celles qui évoluent le plus vite. Standard local des vitesses (en anglais local standard of rest ou LSR) : point fictif confondu avec le Soleil qui aurait une rotation pure autour du Centre galactique. Supernova : explosion terminant la vie des étoiles massives (plus de 6 à 8 masses solaires : SN Ib, SN Ic ou SN II) ou de certaines binaires serrées (SN Ia). Plusieurs ont été observées historiquement dans la Galaxie. Après l’explosion, il reste dans certains cas une étoile à neutrons qui peut être un pulsar (voir ces mots), ou un trou noir. Le gaz éjecté à grande vitesse forme un reste de supernova aux propriétés optiques, X et radio très particulières. Les supernovae, ou plus précisément leurs restes, sont les sources des rayons cosmiques (voir ce mot). Trou noir : objet dont le champ de gravitation est tel qu’aucun rayonnement n’en peut sortir et qui ne peut se manifester à l’observation que par son champ gravitationnel ou par des rayonnements de la matière qu’il capture. Ces objets sont prévus par la relativité générale ; certains sont stellaires, d’autres, beaucoup plus massifs, se trouvent dans le noyau des galaxies. Le trou noir central de la Voie lactée a une masse de 4,3 millions de masses solaires. Turbulence : agitation d’un milieu sous forme de tourbillons aléatoires. C’est une situation fréquemment rencontrée dans la nature, particulièrement dans le milieu interstellaire et les couches extérieures des étoiles. Unité astronomique : unité de longueur égale au demi grand axe de l’orbite terrestre (150 millions de kilomètres). Vent stellaire : perte de masse, soit par des étoiles très massives, où le vent est rapide et dû à la pression de radiation sur les atomes du gaz de l’enveloppe, soit par des géantes et supergéantes rouges, où il est plus lent et dû à la pression de radiation sur les poussières condensées dans l’atmosphère de l’étoile. Vitesse radiale : vitesse d’éloignement ou de rapprochement d’un astre, comptée positivement dans le cas d’un éloignement. VLBI, de l’anglais Very Long Baseline Interferometry : interférométrie radio à très longue base, souvent entre radiotélescopes placés sur différents continents, qui permet une résolution angulaire très élevée et une astrométrie extrêmement précise.

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Livres en anglais Bertin G. (2000) Dynamics of galaxies, Cambridge University Press Bertin G., Lin C.C. (1996) Spiral Structure in Galaxies: A Density Wave Theory, MIT, Library of Congress Binney J., Merrifield M. (1998) Galactic Astronomy, Princeton University Press, Princeton Binney L., Tremaine S. (2008) Galactic Dynamics, 2nd edition, Princeton University Press, Princeton

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Index A amas globulaire, 181 ouvert, ou galactique, 181 C céphéide, 181 E Einstein (1879-1955), 187 étoile à neutrons, 182 diagramme de Hertzprung-Russell, 183 évolution, 183 vent, 188 G Galaxie (la) halo, 183 population stellaire, 186 géante rouge, 182 H Hertzprung (1873-1967), 183 M milieu interstellaire, 183, 184 molécule, 184 poussières, 182, 186 N naine blanche, 182, 184

brune, 184 nébuleuse, 185 gazeuse, 185 obscure, 185 par réflexion, 185 planétaire, 185 nova, 185 nuage de Magellan, 186 moléculaire, 185 sombre, 185 nucléosynthèse, 186 P parallaxe géométrique, 186 photométrique, 186 statistique, 186 parallaxe, 186 pulsar, 187 R radioastronomie, 187 rayons cosmiques, 187 relativité générale, 187 Russell (1877-1957), 183 S supernova, 188 T trou noir, 188

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