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French Pages 254 Year 2016
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LA V/TA NOVA La v ie comme t exte, l'écriture co m me vie
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Des morales et des ceuvres
La VîtaNova La vie comme texte, lëcriture comme vie
Sous la direction de MARIE GILET FRÉDÉRIC WoRMS
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l),,p,,i,1876
À Michael Sheringham
INTRODUCTION
LA VJTA
NOVA, OU LA VIE COMME ÉCRITURE
par Marie Gilet Frédéric Worms
Un cenain nombre d'écrivains, d'intellectuels et de penseurs ont ressenti le besoin, à un moment de leur vie et de leur création, de proférer une «renaissance» personnelle ou de s'inscrire dans un mouvement, plus collectif, de conversion. Il s'agit d'un changement du lieu et du temps de la création qui s'inscrit dans l'établissement d'une «règle», d'une conversion morale. Mais il s'agit aussi toujours de l'affirmation d'une nouvelle écriture. Ces formes de renouvellement sont regroupées sous l'appellation topique, en littérature, de « Vita nova». Cette vie nouvelle, proférée et décidée, ou «subie» comme une conversion mystique, a pour caractéristique d'absofutiser une vie jusque-là ordinaire, soumise à la répétition du quotidien : elle, est unique, dessine la limite de « la dernière de nos vies» « au milieu du chemin», ainsi que la définit Dante dans L 'Enfer. Il y eut donc, avant la Vita, le nombre ou la multitude, les vies, les tentatives, les formes dëcriture. Il y aura désormais l'Un, !'Écriture, la Vie. Ici, Vita nova et écriture (ou projet théorique, philosophique, acte langagier en relation avec une démarche de création et une démarche intellectuelle) sont consubstantielles : il n'y pas de Vita nova sans renouvellement de l'écriture et il n'y a pas d'écriture sans cette éthique du recul vis-à-vis de la forme de sa propre vie. Un des premiers apports du concept de Vita nova, est ainsi qu'il permet d'appréhender le lien entre la vie et l'écrit. Il permet de théoriser ce lien et de comprendre sa thématisation par les écrivains et les philosophes eux-mêmes, dans des écrits variés, souvent conçus à la frontière de deux genres, entre lyrisme et essai. La création d'un genre nouveau et hybride reflète alors cette nécessité de renouvellement. Que l'on prenne les exemples de La Vita nova de Dante, des autobiographiques de Charles d'Orléans, des Dialogues de Rousseau, de L 'Éthique de Spinoza, de La Chambre claire de Barthes, de la forme
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des journaux de rescapés, ou enfin de La Recherche du temps perdu, l'écriture de la Vita nova doit inventer une forme au-delà des genres littéraires. Le concept de Vita nova pose ensuite la question réciproque : peut-on parler moralement d'une vie qui ne serait pas une écriture? C'est dire que la décision de la Vita nova ne modifie pas l'écriture comme un acte extérieur, mais qu'elle n'est que prise de conscience de ce qu'est le lieu et le temps de la création, ce que l'on pourrait nommer l'ailleurs. La Vita nova doit être comprise ainsi comme une déterritorialisation nécessaire à la création. Elle prend la forme d'une « règle», et la vie devient elle-même texte. Car peut-être «écriture» ne signifie-t-il pas seulement «acte d'écrire»; l'écriture, dans cette réflexion sur le lien entre le bios et l'écrit, ce peut être aussi le texte de la vie. C'est ainsi que Barthes concevait la vie - comme un texte. La Vita nova est alors comprise comme une rupture textuelle, une césure, dans le livre de nos vies, un « retournement» final - ainsi que l'on définit le dénouement des tragédies, par renversement du bonheur au malheur. Dans la Vita nova, ce« retournement» n'est pas nécessairement inversé -la Vita n'est pas nécessairement positive, heureuse, productive. Là apparaît son ambigwté. La Vita nova est une impulsion vers une nouvelle écriture qui peut prendre, dans la vie, la forme d'une stase, d'une mort, et mener tragiquement à la vraie mort. Il faudrait s'intéresser ici au cas particulier de Barthes, dont la Vita nova occupe les trois dernières années de sa vie, à partir de la mort de sa mère en 1977. Cette nouvelle écriture qu'il découvre alors est liée à un renoncement au salut par l'écriture. Lorsque Barthes affirme, dans La Chambre claire, qu'il attend sa mort, qu'il ne fait plus partie de l'espèce, il ajoute en une parenthèse: «Ma particularité ne pourrait jamais plus s'universaliser (sinon, utopiquement, par l'écriture, dont le projet, dès lors, devait devenir l'unique but de ma vie). Je ne pouvais qu'attendre ma mort totale, indialectique 1• » L'écriture est renouvelée mais elle n'est plus salvatrice. La fin de la phrase intéresse la notion de biographie et de Vita nova: sa mort n'aura aucun effet sur le rapport de l'universel et du particulier, de l'être et du concept (l'écriture), qui sont déjà associés, définitivement, depuis la mort de sa mère. Sa mort n'apporte plus rien, sa mort ne peut rien dire 1. R. Banhcs, La O,ambre claire, Œùures complàes, texte établi par Éric Marty, Paris, Seuil, 2005, p. 848.
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-et sa mort en effet, l'accident de camionnette de pure contingence, est bien vide de sens. Comment mourir d'une mort plus neutre? L'écriture reste mais n'est plus compensation« biographique» : il n'y a plus de lien entre l'écriture et la vie, l'écriture ne fait plus qu'exposer le manque. Cependant, l'écriture peut dès lors se confondre avec la vie dans un autre sens : elle peut ne faire qu'un avec un projet de vie, comme on écrit des emplois du temps. Une écriture morte. C'est la vie dans lëcriture, la Vita Nova. Le projet flnal dëcriture de la Vita Nova, devait constituer le« dernier» livre de Barthes : il pose les jalons d'une existence radicalement nouvelle. La Vita Nova, comme texte, n'existe que sous la forme de plans et d'esquisses. journal de deuil cependant, ce journal de la vie nouvelle, constitue ce qu'on pourrait nommer les carnets de route de la Vita Nova. Barthes y mesure l'écriture, concrète et présente, à l'anéantissement et à la renaissance. Il y fait l'expérience de l'égotisme, du narcissisme et de la sécheresse de l'écrivain, il résout la question de savoir ce qu'il lui est permis d'écrire. La Vita Nova est ainsi un texte absent. Elle est, par excellence, la réalisation dans la notation (les plans} du roman absent. C'est un projet concret, le dernier, orienté par le fll directeur de la renaissance, ~armée dans un « regard transformant» posé sur le monde et la vie. Eric Marty a reproduit en fac-similé des Œuvres complètes les huit esquisses ou plans qui représentent cette dernière œuvre. Il s'agira donc de déterminer ces différents sens de la vita nova, en suivant le parti pris de l'étudier dans sa relation à l'écriture, mais également comme une forme textuelle. Il s'agira ainsi de la situer en regard de ses formes sœurs que sont tout d'abord la renaissance dans une perspective biologique et métaphysique. Cette notion, au cœur de la réflexion développée dans Revivre 2 , aborde la question de cette vita du point de vue du bios. Généralisant la situation de la rupture de l'écrivain avec une écriture passée, la renaissance est la nécessité de revivre lorsque les relations de l'individu dans le monde sont rompues. L'individu ne peut exister sans lien, il doit pour vivre en projeter de nouveaux (Spinoza}. L'écriture est un de ces liens, etc' est là que la renaissance et la vita nova ne font qu'un. Il s'agit également ici d'envisager la Vita nova sous l'angle de la conversion, comme une révolution. Elle correspond à un modèle socio-politique, historique, de groupe. C'est ce sens dela vita nova qu'aborde Jean-Pierre Martin
2. Frédéric Worms, Revivll, Flammarion, 2012.
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dans Éloge de l'apostat. Essai sur la vita nova3 • Cet angle, qui peut paraître s'éloigner de la question de l'écriture, en réalité la retrouve dans toutes ses occurrences : Rousseau - mais aussi Blanchot, Nizan, Gide, Sartre. Elle rejoint le problème des conversions religieuses, qui elles pourraient être envisagées dans leur relation à la prise de conscience d'un être dëcritureà partir du renouveau. Cependant dans ce cas, si l'écriture est modifiée par la conversion, c'est d'une toute autre manière, au service de quelque chose, ce qui éloigne de la Vita nova. A contrario, mais de manière révélatrice de ce qu'est, par vision renversée, la Vita nova, il faudrait interroger le quotidien. Comme le montre Bruce Bégout, le quotidien est lui-même une notion ambiguë, voire paradoxale. Dès lors, le paradoxe entre vitalité et stase (Barthes) de la vita nova, peut trouver un écho et une confirmation dans la sociologie du quotidien. Le quotidien se présente très souvent à nous comme une contrainte et une libération, comme un paradoxe existentiel, voire un révélateur de nos désirs inconscients, et il serait de ce fait autant un gage de servitude qu'une porte ouverte vers une liberté accrue. Preuve s'il en est que le quotidien est une catégorie récente. Il est apparu avec les temps modernes, avec l'apparition de la vie privée, de l'espace domestique, avant de se confondre avec le monde dela vie courante, ense dissociant des mondes spécialisés, qui avaient nom, lemonde scientifique, politique, esthétique, ou religieux.
• Nous envisagerons ainsi la «vie» en tant qu' écriture, ou encore la forme écrite de la vie. Le premier temps s'intéressera à la métamorphose de la vie comme genre et comme règle, à travers les angles de la conversion de Spinoza (David Rabouin), de la règle de vie chez. Kafka (Marielle Macé) et du «recours» au genre de la Vie (Alexandre Gefen). La vie est trace, chemin de pensée de I' écrivain. Les différentes formes de l'écriture de la vie nouvelle seront ensuite envisagées, de Charles d'Orléans {Estelle Doudet) à Tolstoï (Dominique Rabaté), en passant par La Fontaine 0ean-Charles Darmon) et Rousseau Qean-François Perrin). Un deuxième temps de la réflexion est occupé par l'approche philosophique de la Vita nova. La relation de la vie nouvelle au concept
3. Jean-Pierre Martin, É"/ogr: tk l'apostat. Essai sur la vita nova, Paris, Seuil, 201 O.
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de quotidien et «d'extra-quotidien» fera l'objet de deux études, celle de Michael Sheringham sur Foucault et Jacques Roubaud, et celle de Bruce Bégout qui envisage une« métacritique du quotidien» à partir de Heidegger puis de Walker Percy. La Vita nova sera rapprochée de la notion de «secret» (Anne Dufourmantelle), puis envisagée de manière ontologique à partir d'une rencontre entre ses écritures chez Proust et Barthes (Marie Gil). Cette dernière étude ouvre une troisième section de l'ouvrage, consacrée spécifiquement au concept chez Roland Barthes : confronté au «bios philosophikos» de Foucault par Éric Marty, ou considéré dans son rapport au deuil (Isabelle Alfandary) il est enfin envisagé dans son ontologie profonde, comme «revivre» (Frédéric Worms).
PREMIÈRE PARTIE
LA VIE COMME GENRE ET RÈGLE
I CHANGER DE VIE QUAND ON N'Y CROIT PAS SPINOZA ET LE PROJET D'UNE VIE NOUVELLE
par David Rabouin, CNRS et université Denis-Diderot Paris-VII
À la mémoire de Renée 7homas,
qui ma appris à lire.
De la pensée de Spinoza, on retient généralement deux interdits qui semblent bloquer d'emblée les principaux ressorts de la conversion à une vie nouvelle: d'un côté, la donnée d'une puissance extérieure nous tirant hors de nous-mêmes pour nous appeler à changer de vie - Paul sur le chemin de Damas; de l'autre, le motif plus moderne de la responsabilité incombant à un individu supposé libre de choisir son existence - Descartes décidant de «bâtir dans un fonds qui soit tout à lui». On aura reconnu ici en creux deux des thèses fondatrices et radicalement anticartésiennes du spinozisme : le fait que Dieu n'est pas cause transcendante, mais immanente de toutes choses 1 ; le fait que l'homme n'est pas en exception dans ce régime de causalité, qu'il n'y est pas« comme un empire dans un empire», mais en subit au contraire l'inflexible nécessité.
l. DerlS est omnium rerum causa immanms, non vero transims (Ethica I, prop. 18, que j'abrégerai désormais en EIP18). Autrement dit, Dieu n'est que le nom de cette productivité immanente des choses dont se tisse le réel alias la nature - d'où le slogan non moins célèbre: Dieu, cc n'est rien d'autre que la Nature! (fizs quod Deum seu Natruam appe/Jamus, EIV praefJ
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La préface à la troisième partie de L 'Éthique (« De l'origine et de la nature des affects») l'établit avec la plus grande clarté: Cerne qui ont écrit sur les Affects et la conduite de la vie humaine semblent, pour la plupart, traiter non de choses naturelles qui suivent les lois communes de la Nature mais de choses qui sont hors de la Nature. En vérité, on dirait qu'ils conçoivent l'homme dans la Nature comme un empire dans un empire. [ ... ] A cerne-là certes il paraîtra surprenant que j'entreprenne de traiter des vices des hommes et de leurs infirmités à la manière des Géomètres et que je veuille démontrer par un raisonnement rigourerne ce qu'ils ne cessent de proclamer contraire à la Raison, vain, absurde et digne d'horreur. Mais voici quelle est ma raison. Rien n'arrive dans la Nature qui puisse être attribué à un vice existant en elle; elle est toujours la même en effet; sa vertu et sa puissance d'agir est une et partout la même, c'est-à-dire les lois et règles de la Nature, conformément arnequelles tout arrive et passe d'une forme à une autre, sont partout et toujours les mêmes [... ] Je traiterai donc de la nature des Affects et de leurs forces, du pouvoir de l'esprit sur elles, suivant la même Méthode que dans les parties précédentes de Dieu et de )'Esprit, et je considérerai les actions et les appétits humains comme s'il était question de lignes, de surfaces et de solides. (E III Praef.2)
Si j'ai choisi de citer cet extrait bien connu sur sa longueur, c'est parce qu'on y pressent que notre affaire va être aussi, peut-être avant tout, une question de style. Il ne s'agit pas seulement de mettre les affects sous le régime commun de la nécessité naturelle. Il s'agit également d'en parler non àla manière de «ceux qui préfèrent les maudire, ou en rire, plutôt que les comprendre» (entendez. au premier chef: les dramaturges et les poètes), mais «à la manière des géomètres» : ac si quaestio de /ineis, planis aut de corporibus esset. C'est d'ailleurs là un autre trait célèbre de la philosophie de Spinoza qu'elle aura poussé l'intransigeance propre aux grands systèmes métaphysiques classiques en ce point extrême où elle entend se parer des attributs de la scientificité la plus certaine et la plus rigoureuse, more geometrico. Qui ouvre L'Éthique ne peut qu'être frappé par cette facture
2. La traduction de L 'Éthique que je citerai sera celle de C. Appuhn, éventuellement modifiée (CEuv= tkSpi11oz.a, Paris, Flammarion, 4 vol., 1964-1966).
Changer de vie quand on ny croit pas
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si rebutante etsi immédiatement obsolète où se succèdent, sans un mot d'explication, définitions, axiomes, propositions et démonstrations 3 • On pourrait, on devrait, s'arrêter là. Pourtant- et c'est évidemment en ce point que les choses vont commencer à devenir intéressantes-, Spinoza est aussi l'auteur d'un des grands morceaux de la littérature philosophique de conversion à la vie nouvelle, récit qui se trouve aux onze premiers paragraphes (on dit souvent: le« prologue») d'un texte resté inédit avant sa mort, non daté et inachevé : le Traité de la Réfonne de !'Entendement. Je le cite également dans son long afin que se fasse entendre clairement la différence de style : [ l] Aprèsque l'expérience m' eue appris que tout ce qui arrive communément dans la vie ordinaire est vain et futile, et que je vis que cout ce qui était pour moi objet ou occasion de crainte ne contenait rien de bon ni de mauvais en soi, mais seulement en tant que l'esprit en était mu, je me décidai finalement à rechercher s'il n'y avait pas quelque chose qui fiît un bien véritable [... ] [2] Jedis «finalement, je me décidai» : à première vue celasemblait, en effet, déraisonnable de vouloir renoncer à quelque chose de certain pour quelque chose d'incertain encore.Je voyais, en effet, les avantages que nous procurent les honneur5 et les richesses; je voyais aussi qu'il me fallait en abandonner la pour5uite si je voulais m'appliquer sérieusement à cette autre et nouvelle recherche. Or, je voyais bien que si jamais la félicité suprême était contenue dans les honneur5 et les richesses, il fuudrait en être privé; que si, par contre, elle n'y était pas contenue et que je les pouI5Uivisse exclusivement, j'étais également privé de la félicité suprême. [3] Je tournai donc dans mon esprit la question s'il n'était pas possible de réaliser ce projet de vie nouvelle (novum institutum) ou, du moins, d'arriver à la certitude en ce qui le concerne, sans changer l'ordre et la conduite ordinaire de ma vie. Ce que j'ai tenté souvent, mais en vain4 •
3. Il faudra attendre la proposition VIII, après huit définitions, sept postulats, dix démonstrations et corollaires pour voir apparaître le premier «scolie•. 4. Je cite dans la traduction de Koyré en en suivant le découpage en paragraphes et en la modifiant à l'occasion (B. Spin07.a. Traité de la rlfonne de l'entemkment et de la meilleu" voie à suivre pour parvenir à la vraie connaissance des choses, introduction, traduction et notes par Alexandre Koyré, Paris, Llbrairie philosophique J. Vrin. XXI, 1936, coll.« Bibliothèque des textes philosophiques»). Pour les raisons (sentimentales) de cc choix, je me permets de renvoyer à : «Ad novum institutum. Commencer la philosophie avec Spino-m et Renée Thomas », L 'o:il de Minerve,
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Il ne sera guère besoin d'insister sur l'écart qui sépare cet incipit de celui de L 'Éthique qui, sans un mot de préface ou d'explication, nous met de plain-pied face à la« cause de soi», c'est-à-dire Dieu, c'est-à-dire la Nature : Per causam sui intelligo id, cujus essentia invo/vit existentiam. Mais au-delà des modalités narratives, le contenu lui-même ne peut que nous laisser interdit. Nous voilà face à un philosophe qui non seulement parle à la première personne, non seulement nous fait part de son projet d'un nouveau commencement, de la résolution dans laquelle il s'engage5, mais qui surtout nous fait partager ses doutes, ses hésitations, son découragement. Il y a là un indéniable mystère6. Mais un mystère qui est riche d'une promesse. Si nous parvenions, en effet, à concilier ces deux orientations, nous aurions dessiné rien moins que les contours d'une vita nova qui n'aurait posé en préalable ni quelques valeurs transcendantes orientant secrètement la conversion, ni la célébration vide et toujours frustrée de la liberté d'un individu prétendument souverain 7. Une vita nova pour notre temps. Parmi les commentateurs récents, Pierre Zaoui est sans doute celui qui s'est le plus clairement emparé de cette difficulté 8 • Après avoir rappelé que l'on devrait «considérer le spinozisme comme la seule critique radicale et cohérente jusqu au bout de la décision de soi», il poursuit en effet : Un seul problème se pose toutefois : cela est vrai du spino1isme tel que l'expose L'Éthique, mais cela n'est pas vrai de l'itinéraire philosophique et de la philosophie même de Spino1.a. D'abord parce que Spino1.a écrit une Éthiqtte, c'est-à-dire, suivant la définition convenue aussi bien à l'époque